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Abstracts of Papers Given at the Twelfth International Congress of the Société Rencesvals in Edinburgh, Scotland on 4-11 August 1991

R NCESVALS E DINBURGH XII

I. DANS LES PAYS DU NORD

“LE PERSONNAGE DE DANS LE KARLMEINET” Danielle BUSCHINGER Université de Picardie Le Karlmeinet, compilation du début du quatorzième siècle (1320- 1350), est la biographie légendaire de Charlemagne, pendant allemand à l’œuvre de Girart d’Amiens (vers 1300): il comprend entre autres œuvres une adaptation du Rolandslied du Curé Konrad dans laquelle est inséré un poème d’Ospinel. Le portrait qui y est fait de Roland est riche en facettes: ainsi, d’une part, il est le Roland traditionnel de la Chanson de Roland, vaillant adversaire des païens, fils de l’enfer, qu’il intimide de son cor ou abat de son épée, les envoyant en enfer, d’une autre part un Roland inhabituel, profondément humain, qui donne à boire de son cor à Olivier mourant puis pleure sur son corps, ou qui admire la beauté de Magdalie et en tombe amoureux, et, abîmé dans la contemplation de la jeune fille, oublie son épée sur le champ de bataille. Enfin, sa mort est celle d’un homme comme les autres, et non plus celle d’un vassal de Dieu, comme dans le modèle.

L’auteur, anonyme, du Karlmeinet s’est ainsi livré à une transformation radicale du personnage de Roland. 142 • / Vol. 16, Nos. 3-4

“LE ROMAN EN PROSE NÉERLANDAIS DE LA REINE SIBILLE ET SON MODÈLE ESPAGNOL: LA HYSTORIA DE LA REYNA SEBILLA” Baukje FINET VAN DER SCHAAF Université de Metz

La littérature néerlandaise a connu une période de mises en prose des chansons de geste au même titre que les autres pays de l’Europe occidentale, tels la France, l’Espagne, l’Italie, et l’Allemagne. Cependant la période de ces mises en prose semble plus tardive que celle des autres pays de l’Europe.

Aux Pays-Bas aucune mise en prose de texte épique n’est attestée sous forme manuscrite, ce qui ne signifie pas nécessairement qu’il n’y en ait pas eu. Les premiers romans en prose néerlandais sont des ouvrages imprimés, qui paraissent à partir du dernier quart du quinzième siècle, le premier étant L’Histoire des quatre fils Aymon, paru à Gouda en 1490.

A la différence des textes épiques versifiés en moyen-néerlandais, dont quinze sur dix-neuf s’inspirent d’une française, les mises en prose du quinzième siècle et du seizième siècle sont pour la plupart des adaptations de ces textes versifiés.

Le roman en prose néerlandais de La Reine Sibille, paru en 1538 à Anvers, fait exception: il s’agit d’une traduction, il est vrai très abrégée, de La Hystoria de la Reyna Sebilla, parue en 1532 à Seville.

Dans notre communication nous présenterons d’abord les indices textuels qui prouvent de manière incontestable que le modèle adapté par l’auteur anonyme de langue néerlandaise du seizième siècle est le roman en prose espagnol imprimé. Ensuite nous développerons certains aspects de sa technique de traduction ou d’adaptation, pour en tirer quelques conclusions en ce qui concerne le mode de diffusion et le sens de l’œuvre telle qu’elle est attestée. Pour cela nous ferons allusion aux autres versions de La Reine Sibille, à savoir les versions françaises, espagnole, italienne et allemandes.

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“KONU RENFREIS VERSUS EGGERICS WIJF” Petra KOK Culemborg

When the Charlemagne epics came to Scandinavia (either by oral or written transmission) they had to meet the demands of a public that was significantly different from the original French audience. In order to agree with the Erwartungshorizont of their Scandinavian audience, the Charlemagne epics were adapted in many different ways.

In this paper, I intend to discuss one aspect of this adaption process. Using examples from the Middle Dutch Karel ende Elegast and the Old Norse Karlamagnús saga, I will show that especially the attitude towards women was modified to harmonize with the cultural customs of the people in the North.

“HUON DE BORDEAUX EN MOYEN NÉERLANDAIS” Mieke LENS Rijksuniversiteit Groningen

La chanson de geste tardive de Huon de Bordeaux a été connue aussi en moyen néerlandais. De ce poème seuls quelques fragments ont été conservés. Les fragments appartiennent à quatre codices différents, mais la matière des fragments représente une version unique de l’histoire. Quand on compare les fragments versifiés en moyen néerlandais avec les textes français on trouve que les ressemblances sont vagues tandis que les différences sont énormes.

Les romanistes connaissent seulement les fragments du manuscrit de Middelburg. Ces fragments ont été retrouvés en 1847 dans les archives de ville de Middelburg. On y trouve 800 vers de l’histoire de Huon de Bordeaux en moyen néerlandais sur deux bifolia. Ces vers font mention de situations et de personnages qu’on ne rencontre dans aucun des textes français. Il semble que le poète néerlandais ait changé la dernière partie de la chanson de geste. Huge (le héros néerlandais) est retourné de l’Orient en compagnie de l’abbé de Clungi et d’autres chevaliers. Il a le titre de roi d’Aragonne. Huge est disparu dans un château enchanté. Le poète a-t-il connu et exploité les continuations de Huon de Bordeaux?

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Dans ces fragments on rencontre aussi le traître Guweloen (). Il est vraisemblable que le poète a emprunté ce personnage à un autre texte néerlandais.

Outre des fragments du manuscrit de Middelburg, nous possédons aussi d’autres fragments d’un Huon de Bordeaux en moyen néerlandais. Dans la Bibliotheca Neerlandica Manuscripta de l’Université de Leiden se trouve un bifolium qui appartient à un codex à texte disposé en trois colonnes (les autres codices ont une mise en page de deux colonnes). Les 346 vers inscrits sur ce bifolium racontent l’épisode où Huge est seul dans une île et l’épisode où Huge, après avoir été sauvé de Maleproen (Malebron en français), arrive avec le jongleur Astramant dans la ville de Mombrant.

Dans la Bibliothèque Provinciale de Nimègue se trouvent quelques petits fragments d’un autre codex (les vers racontent une partie de l’épisode de Babilone) et dans la Bibliothèque Royale de Bruxelles se trouvent deux fragments sur parchemin d’un quatrième codex. Ces derniers fragments sont difficiles à lire, parce que plusieurs vers sont estropiés. Quand on compare tous ces fragments avec les textes français on doit conclure que le poète néerlandais n’a pas traduit un des textes français qui sont connus.

A-t-il entendu raconter ou lire la chanson française?

“LA CHANSON DE ROLAND ET LE NORD: LA KARLAMAGNÚS SAGA” André de MANDACH Université de Neuchâtel

Comment imaginer le développement de la Chanson de Roland? La question capitale (posée notamment par deux romanistes chevronnés, le regretté Paul Aebischer et Félix Lecoy) relève des rapports entre le modèle commun des versions conservées et la version norroise de la Chanson: la branche VIII de la Karlamagnús saga composée pour le roi Haakon V Haakonarson (C 1263) de Norvège, d’Islande et de l’Île de Man.

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A ce propos nous nous limitons à deux cas concrets. Nous scrutons le nom d’une ville des bords du Segre en Catalogne: nous examinons les graphies catalane orale, arabe, turpinienne et rolandiennes (notamment norroise, franco-vénète et oxfordienne): ce sont soit Balagi, Balage ou Balage/Balare/Balagued/-t/-z, toutes sans -r final, soit la graphie catalane conventionelle de Balaguer. N’est-il pas curieux de voir que personne n’a mentionné, à ce jour, la forme turpinienne de Balage?

En second lieu, nous étudions la litanie des conquêtes dont Roland se targue au début du poème, en particulier la mention de Port et Pailart. N’est-il pas curieux de constater que ni Aebischer, ni Lecoy, ni personne d’autre n’a remarqué que la version C-V7 mentionne également ce syntagme très spécial?

Ainsi naît une situation toute nouvelle. Longtemps délaissé, le Nord prend sa revanche.

“KAREL ENDE ELEGAST OR, HOW CHARLEMAGNE TOOK TO THIEVING” Jacqueline DE RUITER Utrecht

The Middle Dutch story of Karel ende Elegast narrates how an angel appeared to Charlemagne and commanded him to go out thieving. Obeying this strange command, he breaks into his brother-in-law’s castle, aided by a certain Elegast. There they discover a conspiracy against Charlemagne. Charlemagne is now able to take precautions, and so his life is saved by God’s interference.

This story was known in several European languages. The full story has survived in Middle Dutch, Middle German, Old Norse and Middle Danish. In only summaries of, and references to the story have been handed down in other stories. Two branches can be discerned. One branch contains the Dutch and the German versions. In this branch the story is an autonomous tale in the . It is told in rhymed verses. The name of Charlemagne’s helper is, as mentioned, Elegast. The other branch contains the Old Norse and Middle Danish versions, and the lost French one. In this branch the story constitutes

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the first chapters of a prose cycle about the life and times of Charlemagne. Here the name of his helper is Basin.

The dependency of the versions within the branches has been established; the relationship between the branches, however, has not yet been determined. Traditionally the Franco-Scandinavian branch is assumed to be the original one, but recently A. M. Duinhoven has argued the priority of the Dutch-German branch. Furthermore, a link has to be supposed between the Dutch-German branch and the Danish version, because in the latter the name of Charlemagne’s helper is Alegast. Using this and other similarities, I hope to shed some light on the relation between the Dutch-German branch and the Danish version.

“DIE ROLANDSFIGUR IM ALTDEUTSCHEN ROLANDSLIED UND IM KARL DES STRICKER” Wolfgang SPIEWOK Ernst-Moritz-Arndt Universität Greifswald

Im altfranzösischen Rolandslied wird neben dem Kreuzzugsthema und dem Herrschaftsthema die heroische Bewährung der drei überragenden christlichen Kämpfer Olivier, Turpin und Roland vorgeführt. Turpin demonstriert den Anspruch einer durch Gottbezogenheit gerechfertigten ritterlich-kämpferischen vita activa auch für den Geistlichen. Die beiden weltlichen Helden Olivier und Roland dienen in ihren wesentlichen Charakteristika der (dialektisch vermittelten) exemplarischen Lehre, wie sich der vorbildhafte christlichritterliche Streiter im Kampfe zu verhalten habe. Das alte— bedenkenlos Kampf und Ruhm suchende— Heldenideal wird modifiziert durch den Gedanken klug überlegender Handlungsweise. Nicht desmesure (Vermessenheit) kennzeichnet den vorbildhaften Ritter- Helden, sondern mesure, d.h. maßvolle Vorbedachtheit. Olivier wirft seinem Freunde vor, die Franken seien infolge seiner Ruhmbegier, seines Leichtsinns gefallen. In jedem Falle bedarf ritterliches Heldentum der Legitimation durch das Gottwohlgefällige des Tuns, durch die Gottbezogenheit.

Das deutsche Rolandslied ist Ausdruck der kulturellen Aktivität Heinrichs des Löwen, der als der Mäzen des deutschsprachigen

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Adaptors anzusehen ist. Neben dem Herrschaftsthema entsprach vor allem das Kreuzzugsthema den Interessen Heinrichs, der sein Herrschaftsgebiet im Verlaufe mehrerer Eroberungszüge nach Osten bis Mecklenburg und Pommern ausweitete. Augenfällig ist der damit zusammenhängende Ausbau der Märtyrer-Idee, besonders erkennbar in der Weigerung , den rettenden Hornstoß zu tun, da für ihn der Tod gleichbedeutend ist mit dem Eingehen in die ewige Seligkeit. Die (vorbildsetzende) Idee des Maßhaltens tritt zurück zu-gunsten unbedenklicher Ausrottung der heidnischen Gegner, die wie Schlachtvieh niedergemacht werden.

Der Stricker läßt in seinem Karl den Handlungsgang seiner Vorlage im wesentlichen unangetastet. Seine Adaptation steht im Dienste staufisch-imperialer Politik. Sie ist dichterische Dokumentation der Karlsnachfolge des staufischen Herrscherhauses, des Rechtsanspruches der Deutschen auf die Wahl des deutschen Königs bzw. des Herrschers über das Imperium Romanum, der Befestigung kaiserlich-imperialen Herrschaftsanspruches der Staufer gegenüber den Vorherrschaftsansprüchen des Papsttums.

Die Tatsache, daß das Rolandslied in der Version des Strickers eine große Rolle in den Bücherbeständen des Deutschordens spielt, deutet darauf hin, daß die Angehörigen dieses Ordens ihre Vorbilder in den glänzenden Heldenfiguren Rolands und Oliviers suchten, so daß die Idee ritterlichen Maßhaltens im Kampf zurücktrat zugunsten der Empfehlung rücksichtslosen Einsatzes kämpferischer Fähigkeiten im Dienste antislawischer Aggression.

“SOURCE ÉCRITE OU SOURCE ORALE? LE CAS DU RENOUT VAN MONTALBAEN” Irene SPIJKER Rijksuniversiteit Utrecht/Freie Universität Berlin

Au treizième siècle un poète néerlandais a composé le Renout van Montalbaen, texte en vers rimés. En comparant ce texte avec le Renaut de Montauban en ancien français, nous constatons nombre de correspondances: beaucoup d’épisodes et beaucoup de détails de la chanson de geste se retrouvent dans le Renout; souvent, l’ordre par lequel les

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éléments narratifs sont présentés, est le même pour les deux textes, et parfois il y a même d’étroites correspondances textuelles. Il est évident que le poète néerlandais s’est basé sur la chanson de geste française.

Cependant, il y a aussi d’innombrables différences entre Renout et Renaut. Si nous admettons que le poète néerlandais avait devant lui une source écrite, nous pouvons expliquer beaucoup de ces différences en supposant qu’il remaniait consciemment sa matière d’après une série de procédés bien établis. Il aurait par exemple pu réduire le nombre de toponymes, en supposant qu’une plus grande abondance de toponymes se rapportant à des régions que le public néerlandais ne connaissait que mal ou même pas du tout, susciterait peu d’intérêt de la part de ce public. Un autre exemple: il aurait pu négliger certaines descriptions et certains détails, parce que lui (ou son public) était avant tout intéressé par les événements et par les aventures relatés dans le Renaut. Mais il y a aussi des différences entre Renout et Renaut dont le “pourquoi” n’est pas facile à expliquer. Dans quel but le poète a-t-il déplacé certains éléments narratifs? Dans quel but a-t-il attribué certains actes à d’autres personnages? Ces différences peuvent s’expliquer à partir du moment où nous admettons que le poète néerlandais avait entendu réciter le Renaut français et qu’il composait le Renout en se basant sur ses souvenirs d’auditions.

II. L’EXPRESSION DE LA FOI DANS LES CHANSONS DE GESTE

“FAITH IN ” Marianne AILES University of Oxford

The supernatural has an important role to play in the Fierabras story. The relics are a major cohesive force in the poem. The Lendit fair may have been the occasion of its first performances. Magic, too, has a part to play. In this paper I would like to examine the attitudes to religion of both Christian and Saracen and the relationship of these religions to the magical supernatural.

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The faith of the Christians, as expressed in this poem, is linked to the role of the relics. These are of such importance that the action of the poem centres on regaining them. Fierabras, in the opening combat with , has two containers of the balm with which Christ was embalmed. It resembles the magic balm of romances in the indiscriminate way it works. Another “romance” magical element brought under the religious umbrella is the white deer, here an answer to Richard’s prayer for a way across the river: God sends the deer to guide him across. Prayers play an important role in the expression of religious piety. They are generally formulaic.

The Saracen religion is subjected to the normal distortions of the chanson de geste. The main characters have different responses to it: Fierabras converts, and this is prepared for by the depiction of his character; Floripas converts, in order to “get her man”; Balan refuses to convert. Balan is also deluded by trickery into greater fear of Mahom. The trick contrasts with the actual intervention of God on the Christian side. Magic seems to be at the Saracen’s disposal but can be used by Floripas to help the Christians or by Balan’s necromancer against them. It is presented as part of being a Saracen.

Religion is a main theme in Fierabras and no doubt one of the elements which contributed to its success.

“LA RELIGION DANS LES CHANSONS DE GESTE À LA LUMIÈRE DE QUELQUES ÉTUDES RÉCENTES SUR LES ROMANS ARTHURIENS” Gerard J. BRAULT Pennsylvania State University

Dans un essai publié dans les mélanges John L. Grigsby (1989), j’ai passé en revue les principales découvertes des études récentes sur la religion dans les chansons de geste. François Suard a constaté, par exemple, que le climat de ferveur religieuse qui caractérise les plus anciennes épopées françaises a subi un changement profond au quinzième siècle. On rencontre parfois aussi un courant d’anticléricalisme dans les chansons de geste, en particulier dans les «moniages» (Batany). Alors que j’ai pu établir l’existence d’un culte de saint Pierre dans les chansons de geste du cycle de Guillaume, Jean Subrenat a fait ressortir l’absence

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de toute allusion à saint Jacques dans nos épopées— sauf dans la geste des Lorrains. J’ai suggéré, enfin, que la critique actuelle tend de plus en plus à disculper Roland du péché d’orgueil et à donner une interprétation chrétienne à sa decision de ne pas sonner de l’olifant.

En discutant les travaux qui faisaient ressortir la confusion du surnaturel chrétien avec le merveilleux païen et l’habitude d’attacher un sens chrétien aux choses profanes dans les chansons de geste, j’ai noté que quelques études récentes de romans arthuriens avaient jeté du jour sur ce même phénomène. Dans cette communication, je tenterai de montrer que d’autres enquêtes sur la matière de Bretagne fournissent de précieuses indications susceptibles d’être utilisées pour l’éclaircissement du symbolisme religieux des chansons de geste.

Un des domaines les plus fertiles de la recherche littéraire actuelle est celui de la mythanalyse qui promet d’intéressantes découvertes en notre matière. Certains spécialistes ayant repéré avec précision les origines lointaines d’un certain nombre de symboles que l’on retrouve au Moyen Âge, il s’agirait maintenant de découvrir comment et dans quelle mesure les jongleurs ont utilisé et adapté ces images et surtout de voir s’ils l’ont fait à des fins chrétiennes.

“EXPRESSIONS OF FAITH IN THE LATER ROLAND VERSIONS” L. C. BROOK University of Birmingham

All the later versions of the Chanson de Roland contain expressions of faith in the mouths of individual characters or via authorial remarks, far more frequently than in the Oxford text. These expressions can vary from the simple imprecatory and formulaic introductions to a speech (“Por cel segnor qui...”, “Puis prie Dieu qui...”) to long statements of belief which list a wide range of mainly Biblical events from both the Old and New Testaments. These longer statements vary in content and function (narrative value, or prayer in particularly dramatic moments), and this paper will examine the function and effect of these passages from the rhetorical and narrative points of view.

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“STYLISATION DANS L’EXPRESSION DE LA FOI” Edward A. HEINEMANN University of Toronto

La recherche constate, en la matière de l’expression traditionnelle, un degré de variation qui ne manque pas de troubler. S’il existait un stock de formules toutes faites où puisaient les jongleurs, comment se fait-il que ces formules montrent si peu de fixité? Force est, devant les faits, de concevoir le “stock” traditionnel comme un “stock” de phrases, c’est-à- dire comme des schémas grammaticaux admettant une vaste gamme de réalisations. Mais dans ce cas, la formule, expression qui renvoie à un ensemble d’autres expressions semblables utilisées dans la tradition, se généralise au point de ne plus appartenir à la chanson de geste.

Dans le cadre d’une longue recherche sur les variétés de répétition dans la chanson de geste et dans le but de cerner tant soit peu l’une de ces espèces de répétitions, l’écho externe ou allusion à la tradition, j’aimerais interroger un certain nombre d’expressions dans le champ notionnel de la foi, non pas comme exemples du stock traditionnel mais pour cerner quelques problèmes à propos de celui-ci.

1. Le mariage du rythme et du sens s’étant manifesté un élément des plus importants parmi les effets provoqués par la répétition, il y a un certain intérêt à relever le jeu d’effets rythmiques attachés à divers vocables dans un champ notionnel donné comme celui de la foi. La notion se réalise comme partie secondaire de son hémistiche, comme élément principal, elle remplit l’hémistiche où elle figure, ou elle le déborde; elle figure au premier hémistiche comme thème de la phrase ou au second comme rhème. 2. Les “grades métriques” du détail narratif sont des catégories, et jusqu’à un certain point les décrire est une question de répertorier et de classer, mais l’intérêt réside plus dans les effets rythmiques qu’en un classement. Il y a lieu d’y insister.

3. La fréquence constitue une question assez complexe mais capitale pour l’appréciation de l’expression traditionnelle. Un aspect implicite de la particularité du stock traditionnel est un écart de fréquence entre l’usage épique et l’usage “usuel”; comment mesurer cet écart? Qu’est-ce que les divergences entre les textes enseignent?

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Que représentent, par exemple, les plus de 200 occurrences de l’adjectif grant dans le MS. L de la Chanson de Roland par opposition à la soixantaine d’occurrences du mot dans la version AB de la Prise d’Orange? Répondre à ces questions entraîne de longues considérations, mais cerner la tradition de l’expression épique exige qu’on les pose.

“QUELLE FOI RELIGIEUSE EST REPRÉSENTÉE DANS GARIN DE MONGLANE?” William L. HENDRICKSON Arizona State University

“Garin de Monglane est une œuvre absolument fabuleuse; elle n’a rien d’historique, ni même de traditionnel ou de légendaire”. Telle fut la remarque de Léon Gautier dans son œuvre magistrale, Les Epopées françaises (2e éd., vol. 4, 128). Il est évident que cette chanson de geste tardive n’était pas à son gout. Par conséquent, son appréciation se prêtait à la sous-estimation. Pour regarder la question historique, j’ai fait une étude comparative, “Garin de Monglane and La Chanson de la croisade albigeoise” (Continuations: Essays on Medieval French Literature and Language in Honor of John L. Grigsby, 203-215). Dans l’article je crois avoir démontré que les limites géographiques sont approximativement les mêmes pour cette chanson de geste en ancien français et l’épopée historique occitane. Comme Robert Sabatier nous rappela dans son livre Poésie du Moyen Age, pour la geste de Garin de Monglane ou de Guillaume d’Orange, “Il s’agit des héros du Sud restés fidèles à la royauté” (60). Mais au contraire des œuvres principales de la geste, les sites géographiques principaux sont bien différents dans Garin de Monglane. Les villes de Nîmes, Orange et Cahors ne se trouvent que dans une seule laisse, à l’exception d’une référence plus tard au futur arrière-petit-fils légendaire, Guillaume d’Orange. À leur place, on trouve plutôt des références spécifiques qui situent la conquête de Monglane dans la région de l’héresie albigoise— Agenais (Agenois), Bigorre, Foix, Montégut (Montaigu), Toulouse, et la Garonne. Dans Garin de Monglane, le terme “mescreant” fait référence à un peuple qui a rejeté la vraie foi catholique. Nous apprenons que les habitants de Monglane avaient été baptisés quand ils étaient enfants. Maintenant il n’y a ni crucifix ni autel dans le château de Monglane. L’inceste est partout et

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personne ne la critique. Le fait que “li Hongre et li Bougre et tot cil d’Oriant” sont mentionnés est d’une grande importance parce que les Bulgares (ou Bougres en ancien français) furent blâmés historiquement comme étant à l’origine de l’hérésie manichéenne en France, dont les meilleurs représentants sont les Cathares ou les Albigeois.

Dans ma communication j’examinerai de près tous les passages de Garin de Monglane qui traitent de la foi religieuse (rites, pratiques, expressions d’attitudes et d’idées, y compris remarques traditionnelles sur la religion des Sarrasins). L’intérêt principal sera la représentation de la foi ou du manque de foi religieuse chez les adhérents du duc Gaufroi de Monglane telle qu’elle est exprimée par les conquérants catholiques du Nord. J’essaierai de déterminer si la foi religieuse fut une force motrice importante dans la création de cette chanson de geste relativement tardive, Garin de Monglane, pour qui Bertrand de Bar-sur- Aube a nommé un des cycles épiques médiévaux.

“LE RÔLE DE L’ÉGLISE DANS LES MARIAGES ÉPIQUES” Dorothea KULLMANN Universität Göttingen

Le contexte épique n’offre que peu d’occasions où l’Église puisse jouer un rôle important. Une de ces occasions est le mariage du héros (ou d’un autre personnage). La compétence de l’Église en la matière n’étant en principe jamais mise en doute, on se propose d’étudier de quelle manière les poètes la font effectivement intervenir dans les différents mariages décrits dans les chansons du douzième siècle. On verra que dans les premiers textes, les dignitaires ecclésiastiques, en approuvant des mariages, poursuivent des fins purement politiques et concordantes parfaitement avec celles des personnes concernées (qui sont des princes ou des nobles).

En revanche, les débats juridiques et théologiques au sujet du mariage, qui ont commencé bien avant 1100, n’ont guère laissé de traces dans les premières chansons de geste. Ce n’est que dans la deuxième moitié du douzième siècle que les poètes commencent à s’intéresser aux questions discutées par les savants. Un des cas les plus intéressants, celui de Raoul de Cambrai, sera étudié en détail.

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Pour le lecteur moderne il est peut-être surprenant de voir que, dans tout cela, la foi ne joue qu’un rôle très restreint. Bien sûr, le mariage est avant tout un fait politique et social. Le rôle qui est accordé aux représentants de l’Église dans les mariages n’en est pas moins symptomatique pour l’attitude générale à l’égard de l’Église. Dans la plupart des cas, les hommes d’Église ne sont pas les protecteurs de la foi chrétienne mais plutôt des hommes qui exercent un métier spécial. C’est ce métier qui les distingue des laïcs. La foi, souvent, est mieux défendue par les chevaliers que par eux.

“LA CHRONIQUE DE TURPIN, LIVRE IV DU LIBER SANCTI JACOBI, OU, L’ÉPOPÉE AU SERVICE DE L’IDÉAL CHRÉTIEN” André MOISAN Vannes

La Chronique de Turpin est ordinairement étudiée pour ses rapports avec la matière épique et peu dans son contexte. Or, elle fait partie intégrante du Liber sancti Jacobi, dont elle constitue le livre IV, après les trois premiers consacrés au culte de l’apôtre et avant le Guide du pèlerin. Elle s’ouvre sur l’apparition de saint Jacques qui donne mission à Charlemagne d’établir à travers l’Espagne la route de Compostelle et s’achève pratiquement sur son intervention pour l’entrée de l’empereur au ciel. Après ses conquêtes et avant Roncevaux, Charles convoque un concile à Compostelle pour faire de ce siège l’un des trois principaux de la chrétienté. Le texte se clôt sur l’appel du pape Calixte, auteur supposé du Liber, à la croisade en Espagne comme en Orient.

Au fil de la narration, diverses exhortations morales circonstanciées rappellent le ton vigoureux des sermons de Calixte du Livre I. Le débat entre Roland et Ferragu, plus qu’entre Charles et , est de type théologique et apologétique; le clerc rédacteur y défend les certitudes de la foi chrétienne. Le martyre de Roland, s’il perd en prouesse, gagne en sublime, et la figure du héros chrétien se dégage solitaire, peut-être avec plus de relief que dans la Chanson de Roland.

Ce remaniement et ce conditionnement d’une matière antérieure permettent l’insertion de faits guerriers dans une œuvre qui a pour but la

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glorification de saint Jacques, que la tradition espagnole a invoqué comme le “matamoros”, ainsi que de son pèlerinage. Le titre même du Liber est des plus explicites: Ex re signatur, Jacobus liber iste vocatur.

“LAON, CENTRE RELIGIEUX, ET LA TRADITION ROLANDIENNE” Annalee REJHON University of California, Berkeley

Laon, phare aux fidèles chrétiens pendant des âges autant par sa renommée comme centre religieux que par sa position géographique situé qu’il est sur une montagne entourée de champs, a joué un rôle analogue dans la tradition rolandienne dans laquelle il se trouve au cœur même du sens de la Chanson de Roland en tant que mythe de la mort du fils premier né du roi franc. C’est dans un monastère de Laon que saint Gilles a reçu le document écrit de la main de Dieu révélant le péché de Charlemagne, c’est-à-dire, le péché de l’inceste. Seul le manuscrit de Paris témoigne qu’un document associé avec saint Gilles (histoire des événements de Roncevaux écrit par saint Gilles lui-même dans la tradition en rime) se trouve toujours à Laon; en effet on peut l’y voir (v. 2315)! Remarque intéressante étant donné qu’il y a des raisons pour croire que le manuscrit de Paris provient de Laon ou de ses environs. Une des ces raisons— peut-être la plus signifiante— est qu’il se trouve dans le manuscrit une indication dont on ne s’est pas rendu compte jusqu’ici (et que j’expliquerai dans ma communication); de plus, le manuscrit rassemble des textes qui ont en commun un thème qui les lie à Laon. D’ailleurs, comme l’a déjà observé Jules Horrent, le texte est marqué de traits dialectaux picards et wallons, ce qui serait compatible avec une provenance dans le région de Laon. J’essaierai d’expliquer comment ce manuscrit est venu jusqu’à nous par l’intermédiaire d’un possesseur qui a occupé une haute position ecclésiastique à la cathédrale de Laon et de qui j’ai trouvé l’image dans une verrière de Troyes du seizième siècle.

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“ASPECTS DE LA FOI ET DE LA VIE RELIGIEUSE DANS LA CHANSON DES SAISNES DE JEAN BODEL” Martine THIRY-STASSIN Université de Liège

Cette communication examinera tout au long de la Chanson des Saisnes de Jean Bodel, aussi bien dans la partie qu’on peut lui attribuer avec certitude que là où les différents rédacteurs prennent le relais afin de continuer l’histoire de la reconquête saxonne, les différents aspects de la foi et de la vie religieuse qui y apparaissent.

Il s’agira ainsi de la foi et de ses obligations au sens large: éléments de croyance et de doctrine, rôle de la Providence, traces du culte des saints ainsi que l’idée de croisade ou le rôle de la guerre contre l’infidèle comme pèlerinage. Il sera aussi question des sacrements— baptême (personnel ou collectif), confession collective ou individuelle au moment de la mort, mariage— et d’attitudes religieuses qui participent à la fois de la dévotion personnelle et de la civilisation chrétienne: serments, vœux, prières et invocations diverses comme la prière de demande, de louange, “du plus grand péril”, des derniers instants, et célébration comme les messes ou les liturgies de pénitence et de réconciliation. À ces croyances et attitudes s’ajouteront des actes plus civils comme la fondation et le rôle des abbayes et le rôle modérateur du Pape et une scène unique de merveilleux chrétien (le cerf dans la Rune).

La communication se proposera de marquer les différences de mentalité et de croyance— voire d’expressions— entre les deux parties de la chanson, délimitées avec une ferme rigueur aux plans linguistique et littéraire par Mme Annette Brasseur (Étude linguistique et littéraire de la Chanson des Saisnes de Jehan Bodel. Publications Romanes et Françaises, CXC. Genève: Droz, 1990 ).

En contrepoint, un dernier éclairage de l’épopée de Jean Bodel et de ses continuateurs peut être donné— en sauvegardant les différences dues aux genres et aux sources d’inspiration— par l’examen des notions de rites et de foi qui figurent dans les autres œuvres de Jean Bodel (une attention particulière sera accordée au Jeu de saint Nicolas et aux Congés).

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III. LA REPRÉSENTATION DE LA FÉMINITÉ DANS LES CHANSONS DE GESTE

“FIGHTING BACK: A SURVEY OF PATTERNS OF FEMALE AGGRESSIVENESS IN THE OLD FRENCH CHANSON DE GESTE” Kimberlee A. CAMPBELL New York University

It has become a critical commonplace to speak of the Old French chanson de geste as a “masculine” genre, in which the role of women is negligible, if not non-existent. Critics point to the brief appearance of “la belle ” in the Chanson de Roland, noting, beyond the incidental nature of her role, her passivity, her seeming helplessness in the face of events. Certainly, the idea of an aggressive woman— the sort of woman who will attempt force, physical violence, to make her point— would seem to be out of place in the knightly world of the chanson de geste (if not in the fabliaux).

Such, however, is not the case. Although the chanson de geste is essentially the vehicle for the expression of a code of organized, ritualistic and, it must be said, masculine, violence, there are instances of female aggression: women who use swords or clubs, or even their bare hands, in defense of person, property and philosophy.

The question arises: if the chanson de geste is about aggression— male aggression— what is a woman’s place in the highly ordered, almost stylized system of epic violence? Within the context of the chanson, is female aggressiveness patterned on the male model, or is there a special, distinct quality to the female expression of violence? How are her actions perceived by society, by her peers? And, finally, what are the consequences for the woman in question? Is female violence a viable, effective alternative to female passivity? We will study these and related questions using specific examples from the Old French chanson de geste.

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“EL PROTAGONISMO FEMENINO EN EL ROMÁN EN VERSO Y CANTARES DE GESTA DE PRINCIPIOS DEL SIGLO XIII” Fernando Carmona FERNÁNDEZ Universidad de Murcia

La narrativa en verso no artúrica de principios del siglo XIII se distigue por la importancia del personaje femenino en el desarrollo del relato. Así, en L’Escoufle de Jean Renart, ante la dificultad de los jóvenes enamorados para llevar a cabo la realización de su matrimonio, será Aelis la que lleve la iniciativa preparando la fuga y organizando la huida; más tarde, cuando separados fortuitamente busque el uno al otro, será más intensa y ocupará más versos la de Aelis que la de Guillaume. En el siguiente roman de J. Renart, el Guillaume de Dole, será la protagonista Lienor la que lleve a cabo la intriga para desenmascarar al senescal que ha conseguido obstaculizar su matrimonio con el emperador, mientras su hermano Guillermo como el mismo emperador no dejan de entristecerse y lamentarse reducidos a la inactividad. El relato anónimo Aucassin et Nicolette no dejará de poner de relieve el protagonismo de Nicolette en la acción narrativa sobre la pasividad de Aucassin en un registro de humor que alude a la narrativa de J. Renart.

El protagonismo femenino se hace también presente en los cantares de gesta de esta primeras décadas del siglo XIII. En Anseïs de Cartage nuestro héroe tiene dos enamoradas Leutice y Gaudisse, introduciéndose la primera en el lecho y la segunda enamorada, hija del rey sarraceno, no dejará de enviar mensajes a aquél; su madre tampoco dejará de sentir debilidad por un caballero cristiano. Esta debilidad por los caballeros de la hueste de Carlomagno la pondrá también de manifiesto la reina Sebile en la Chanson de Saisnes. El protagonismo femenino lo encontraremos también en Macaire o la Chanson de la Reine Sebile, sin olvidar Beuve de Hantone y Aye d’Avignon. Este protagonismo femenino se mantendrá en las postrimerias del siglo (Prise de Cordres et Sebille, Siège de Barbastre, Buevon de Conmarchis).

El objeto de la comunicación es el análisis de textos de cantares de gesta y roman no artúrico que muestran la importancia del protagonismo femenino en la narración sin dejar de poner de relieve el tratamiento peculiar del tema en el género narrativo correspondiente.

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“LES PERSONNAGES FÉMININS DANS LES CHANSONS DE GESTE TARDIVES” Robert F. COOK University of Virginia

Parmi les modifications que le quatorzième siècle a apportées à la tradition épique, le rôle accru donné aux personnages féminins n’est pas la plus négligeable. Léon Gautier, le premier, a étudié et décrit les dames et les jeunes filles paraissant dans les dernières chansons de geste— discussion encore utile, quoiqu’elle soit fortement marquée par le contexte, qui est celui de sa célèbre présentation de ce qu’il appelait la décadence du genre.

Nous pouvons néanmoins considérer aujourd’hui d’un autre œil, comme bien d’autres adaptations, celle qui fait une place plus large à la femme, dans le texte épique. Afin de mieux cerner la nature et l’effet de ce décalage, je me propose de retracer la carrière littéraire de quelques- uns des personnages féminins les plus marquants, dont certains sont négligés par Gautier. Il s’agit entre autres, d’Aye d’Avignon dans Tristan de Nanteuil, de Mabille dans Garin de Monglane, d’Esclarmonde dans les suites de Huon de Bordeaux, d’Elienor, de Synamonde et de Margalie dans le Deuxième Cycle de la Croisade. Objets (comme souvent ailleurs) de la convoitise des hommes, génitrices des grandes lignées héroïques, sorcières à leurs heures, nos héroïnes ne sont pas toutes pareilles. Elles sont fortement influencées par le rôle donné aux femmes dans le roman d’aventures— personne ne s’en étonnera— d’où une certaine tendance chez elles à intégrer l’une ou l’autre des deux catégories majeures: les bonnes et les méchantes. Aimées de loin, séduites ou séductrices, traîtresses ou exagérément fidèles, ces femmes font et sont l’aventure des hommes, tout en y participant d’ailleurs, parfois dans des conditions saugrenues. Ont-elles aussi une personnalité? À l’époque où commence un certain recul des libertés féminines, peut-on déceler chez elles un sens de l’initiative, des velléités d’individualisme? Pour quel public— masculin, féminin, mixte— ces personnages ont-ils été créés?

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“L’ÉPISODE D’AUDE DANS LES VERSIONS EN RIME DE LA CHANSON DE ROLAND” Joseph J. DUGGAN University of California, Berkeley

Les versions continentales de la Chanson de Roland se caractérisent par une série d’épisodes qui suivent la prise de Saragosse et qui ne se trouvent pas dans les textes en assonance ou les versions qui en dérivent: les miracles des aubépines et des coudriers, les deux fuites de Ganelon, le choix du supplice de Ganelon. Deux épisodes qui existent dans Oxford ont subi des remaniements profonds dans les versions en rime: le procès de Ganelon et la mort d’Aude. L’épisode d’Aude, long de 29 vers dans Oxford, atteint des dimensions considérables dans les textes rimés: 895 vv. dans le manuscrit de Paris et 964 vv. dans la source commune de Châteauroux et de Venise 7.

Le personnage d’Aude revêt dans cette rédaction longue de l’épisode la même importance qu’ont son fiancé et l’empereur. Les cinq songes d’Aude en particulier soulignent sa place privilégiée dans le poème, car seul Charlemagne partage avec elle la facilité d’être prévenu en songe.

Etant donné que toutes les versions en français du Roland qu’on peut localiser sur le continent à partir du milieu du douzième siècle contiennent la version longue de l’épisode d’Aude, il faut se demander si, pour le public français ou italien de cette époque, le poème a eu la même signification qu’il avait dans les régions où la version en assonance a été préservée.

“THE FEMALE CHARACTERS OF IL MAMBRIANO OF FRANCESCO CIECO DA FERRARA” Jane E. EVERSON University of Leicester

In recent years, arising out of studies on the position of women in the Italian Renaissance, critical attention has been paid to the presentation of women in the Italian Renaissance romance epic, but this has tended to concentrate on the major epics of Ariosto and Tasso. These

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authors, however, may both for different reasons be considered atypical of their period and of their fellow-poets, giving portraits of female characters which reflect their own personal situation, independent status and privileged social position, more than the average views of contemporary society. For a fuller picture of the extent to which the early 16th century debate on women is reflected in the romance epic, consideration must also be given to the work of other poets less socially prominent but better able, as a result, to reflect the views of the “man in the street” as well as that of the court.

In this paper, therefore, I propose to analyse the portrayal of female characters in Il Mambriano of Francesco Cieco da Ferrara, concentrating on the major figures of the “maga” Carandina and the warrior woman , and on the various women appearing in the inserted novelle. I shall attempt to indicate the extent to which each portrait is traditional in its view of women and how much it reflects of contemporary debates on their status; the extent to which the behaviour and actions of female characters can be seen as typically feminine, in the normal interpretation of the word, and whether there is any shift in Cieco’s perceptions and portrayal of women over the period of composition of the poem (1489-1506).

“«SE JE FUSSE HONS»: LES GUERRIÈRES DANS ANSEŸS DE MES” Catherine M. JONES University of Georgia

Dans cette dernière continuation de la Geste des Loherains, la femme remplit toutes les fonctions que lui confère la tradition épique: mère, épouse, amante, conseillère ou intermédiaire, elle reste souvent dans les marges de l’action principale. Et pourtant, le texte ne se contente pas de reproduire les héroïnes typiques de la chanson de geste. Au cours de la guerre interminable entre Loherains et Bordelais, vingt mille femmes refusent enfin d’être les victimes passives d’un conflit qui leur a enlevé fils, maris et amants: revendiquant leur part de prouesse épique, elles se transforment en guerrières et assurent la victoire des Bordelais à Santerre.

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L’épisode des guerrières met en scène une série d’échanges entre les pôles masculin et féminin du récit. Partant d’une proposition hypothétique («se je fusse hons»), les personnages féminins en viennent à réaliser des exploits traditionnellement réservés aux hommes; d’autre part, certains personnages masculins commencent à revêtir des traits féminins. Au niveau du style formulaire, la “féminisation” du combat épique exige certaines substitutions formelles. Ce dynamisme correspond à un mouvement général du texte: comme l’opposition morale entre Loherains et Bordelais, les distinctions génériques entre héros et héroïne s’estompent provisoirement dans le monde ambigu d’Anseÿs de Mes.

“LA BELLE SARRASINE DANS FIERABRAS, SES ADAPTATIONS ÉTRANGÈRES ET SES MISES EN PROSE” Hans-Erich KELLER Ohio State University

La chanson de geste Fierabras du treizième siècle a été probablement la plus populaire de toutes les chansons de geste, à juger par les douze manuscrits qui nous sont parvenus, les adaptations occitane, italienne et anglaise, ainsi que par les trois mises en prose, à savoir celle, anonyme, de la fin du quatorzième siècle, celle de David Aubert exécutée dans le cadre de ses Conquestes et Croniques de Charlemaine (1458), et celle de Jehan Bagnyon, contenue dans son Histoire de Charlemagne d’env. 1470. Voilà pourquoi il est tentant de juxtaposer ces différentes versions et se demander comment elles traitent les mêmes épisodes, afin de se rendre compte de l’esprit dont elles sont animées mais aussi des changements de goût qui ont eu lieu du treizième au quinzième siècle. A cet effet, nous allons analyser deux traits concernant Floripas, “la belle Sarrasine”, à savoir la description de sa beauté et l’aveu de son amour pour Guy de Bourgogne, deux passages-clé. Leur comparaison est assez révélatrice non seulement en ce qui concerne les auteurs en question mais aussi pour l’attitude changeante envers une belle Sarrasine du haut Moyen Âge et au Moyen Âge finissant.

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“LA FÉMINITÉ DANS L’ÉPOPÉE TARDIVE” William W. KIBLER University of Texas

Non seulement les épopées tardives donnent-elles plus d’importance à la femme que les épopées «classiques», mais parfois le titre même de ces poèmes indique le rôle important qu’y joue la féminité: Aye d’Avignon, Parise la duchesse, Belle Hélène de Constantinople.... On n’a pas manqué de suggérer qu’il s’agit avant tout de l’influence de la littérature dite «courtoise», en l’occurrence du roman courtois, sur la chanson de geste. Pourtant, dans les toutes dernières chansons de geste que je préfère appeler les «chansons d’aventure», ce qui frappe surtout, c’est la nature franchement anti-courtoise des relations hommes-femmes. L’homme n’hésite pas à violer une femme qui le tente, même une femme mariée et chrétienne (p.ex. Doon et la comtesse de Pouille dans Tristan de Nanteuil); et la femme pour sa part séduit tout homme qui l’intéresse (Clarisse de Calabre et Lion de Bourges; Honorée et Gui de Nanteuil; Alexandrine et Olivier de Bourges). La grivoiserie n’y manque pas.

Ces observations nous amèneront à nous interroger de nouveau sur le(s) public(s) de ces poèmes. Une matière réaliste, triviale, même parfois grossière, impliquerait-elle nécessairement un public non-courtois? Comme le fabliau et la pastourelle, ces poèmes semblent avoir plu à un public mixte: noble et “courtois” aussi bien que bourgeois. Tandis que le roman devenait de plus en plus mystique, la chanson de geste tardive comblait le désir de l’aventure— guerrière et amoureuse— du grand public de l’époque.

“LA COMTESSE BERTHE DANS ” Alain LABBÉ Université de Paris IV

Deux femmes remarquables se détachent au premier plan du Girart, deux sœurs, filles de l’empereur byzantin venues en Occident épouser des princes francs. C’est vers la cadette, Elissent, que s’est jusqu’à présent surtout tournée l’attention des critiques. Promise à Girart puis épousée par le roi Charles, elle reste liée au héros marié à sa sœur par un

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sentiment indestructible qui n’est pas sans rapport avec l’amour courtois. Cette situation insolite dans l’épopée, jointe à sa beauté et à la suprême liberté avec laquelle elle sait agir, ont assuré sa prééminence auprès des lecteurs modernes.

Plus discrète, toute de soumission, la comtesse Berthe vit un destin de femme non moins exemplaire. Heur et malheur s’y succèdent selon un rythme entièrement subordonné à l’homme aimé, semblable en cela à celui des poèmes du cycle de Chamisso— devenus grâce aux Lieder de Schumann l’incarnation d’un certain «éternel féminin» défini par le seul regard masculin— qui nous ont suggéré et notre titre et l’axe d’une réflexion sur les valeurs qui sous-tendent le récit de cette longue vie d’épouse fidèle.

La culture de Berthe la lettrée, son active piété, sa dignité devant la mort de son enfant, son amour de la paix et son intrépidité dans la guerre: autant de traits que retiendra notre lecture. On soulignera surtout son inlassable courage dans le quotidien, depuis les ors de Roussillon jusqu’à la forêt de l’exil, qui fait d’elle, avec la Guibourc du Cycle de Guillaume d’Orange, la plus belle figure épique de l’amour conjugal.

On s’interrogera enfin sur le sens de cette sorte de fracture de l’image de la féminité qui conduit le poète à en répartir les fonctions et les attitudes entre les deux sœurs, attentivement différenciées mais l’une et l’autre également valorisées.

“REPRESENTACIONES DE LA FEMINIDAD EN EL *CANTAR DE LOS SIETE INFANTES DE LARA” María Eugenia LACARRA Universidad del País Vasco

Los textos que tenemos del *Cantar de los siete infantes de Lara nos han llegado en una primera versión a través de su prosificación en la Estoria de España, y en una refundición y ampliación en la Crónica General de 1344. En ambas versiones las mujeres tienen un papel fundamental, pero en la segunda se observa un desarrollo progresivo de las figuras femininas, cuya actuación provoca el desorden inicial y ayuda a establecer el orden final. Esta ampliación sirve para clarificar

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las motivaciones de sus actos y nos permite analizar el proceso que conduce a la formulación de los paradigmas de la “feminidad”, tanto en sus rasgos positivos como negativos. Las bases de la dualidad femenina se fundamentan en la representación de su sexualidad, la cual se evalúa de acuerdo con el comportamiento que la mujer mantenga con los varones a los que está unida por lazos de afinidad o parentesco. Por ello su sexualidad será juzgada exclusivamente en función de los intereses masculinos, siendo valorada positivamente sólo aquella cuyos actos se dirijan al establecimiento del linaje, el afianzamiento del domus familiar y la consecución de la armonía social. A cada una de las tres mujeres que aparecen en el *Cantar se les asigna un papel crucial en el desarrollo de la obra. Doña Lambra, como desencadenante de la acción que culmina con la muerte a traición de los infantes, se presenta como una mujer lujuriosa que guía su conducta por impulsos incestuosos y libidinosos. Espejo de la malicia femenina, su concupiscencia se equipara a la de las mujeres que venden su cuerpo por dinero. La legislación castellana y los textos médicos medievales nos permiten desvelar el oscuro simbolismo de su sexualidad, definida por la muerte de su vasallo a consecuencia de haber arrojado a Gonzalo un cogombro hinchado de sangre. La legislación nos aclara la importancia de que la sangre del criado salte a las tocas de doña Lambra, pues la mancha roja la marca con el distintivo de ese color que la ley obligaba llevar a las mujeres públicas en sus tocas como señal infamante. Por otra parte, los textos médicos nos permiten aclarar la acusación de impotencia de que es objeto Gonzalo, pues por los recetarios sabemos que el cogombro era además de un símbolo fálico, una planta que se recomendaba como anafrodisíaco. La sexualidad de doña Lambra se representa negativamente por no tener como objetivo el establecimiento del linaje de su marido y dirigirse a terceros. De ahí que se considere destructiva y se atribuya a su carácter libidinoso el origen de la ruptura de la paz entre las familias Velázquez y Lara. Con su conducta esta mujer pervierte el objetivo del matrimonio, cuyo fin era consagrar la alianza de ambas y transforma a su otrora leal y valiente marido en traidor a sus allegados y a su señor. Por el contrario, el ejercicio de la sexualidad por parte de la hermana de Almanzor se ve positivamente porque el fruto de su unión con el padre de los infantes será el vehículo que proporcionará el castigo a los culpables y el establecimiento del orden. Así, el favor sexual que la princesa mora otorga, la convierte en el ejemplo de mujer compasiva que pone su cuerpo al servicio del varón en aras de un bien superior. De esta

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manera, lo que sería un acto de adulterio, se transforma en un acto encomiable, ya que de él nacerá quien vengue el honor familiar y restituya la tierra al señor.

Completa la tríada femenina la madre de los infantes, Doña Sancha, quien encarna también una imagen positiva de la feminidad, fundamentada en su fertilidad y en su total dedicación a la defensa de los intereses del marido, defensa que le llevará a prohijar al bastardo Mudarra. El sufrimiento, la prudencia y la generosidad que la caracterizan son correlatos de una maternidad plena y vista de manera asexuada. La aceptación de esta doble maternidad es la condición necesaria para el restablecimiento de la armonía perdida y será recompensada con su nombramiento como árbitra y ejecutora de la justicia sobre doña Lambra. El hecho de que el castigo a que la somete sea sanguinario, no es índice de crueldad, es decir de una feminidad negativa, sino muestra de gran firmeza y prueba concluyente del triunfo de la justicia.

Conclusión de este análisis es que en el texto los parámetros de la feminidad se ligan a la conducta sexual de la mujer, que, aunque no tiene como correlato antitético la masculinidad, son definidos por los intereses del varón. La feminidad es un concepto bivalente conformado por dos polos antagónicos: uno positivo que conduce a la armonía y otro negativo que lleva a la destrucción propia y ajena. La facilidad de pasar de uno a otro justifica que la mujer sea guiada por los varones, y que todo atisbo de independencia sea castigado con la muerte, porque al inclinar la delicada balanza hacia el polo negativo se pone en peligro la armonía de la sociedad en su conjunto.

“LA FEMME MAGICIENNE: ORABLE TRA EPOPEA E FOLCLORE” Salvatore LUONGO Università della Basilicata

La dinamica delle interazioni tra modelli culturali “popolari” e modelli proposti dalle élites ufficiali ed egemoni nel Medioevo romanzo costituisce da qualche tempo un settore de ricerca sempre più proficuamente rivisitato, grazie alla messa a frutto di un’attrezzatura teorica aggiornata e di impianti metodologici più scaltriti che in

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passato. Posta in discussione la rigida dicotomia tra letteratura e folclore, una consolidata tradizione di studi di tipologia della cultura e di analisi “culturologiche” consente di collimare e di decifrare con puntualità l’assunzione di motivi contenutistici, schemi formali e strutture narrative di ascendenza folclorica in testi medievali.

Collocandomi in questa linea di indagine mi propongo di analizzare quello che sembra essere il prototipo di un personaggio ricorrente nell’epopea antico francese, la saracena magicienne, incarnato dalla sposa di Guillaume. Com’è noto Orable, in comune con altre principesse musulmane dell’epopea, assume in più di una chanson del ciclo qualità “magiche”. Accusata di sorcellerie dalla regina di Francia nella , nelle Enfances Guillaume la principessa saracena invia in dono al pretendente Tiebaut un destriero prodigioso, Bausant, e, al momento delle nozze, si rende protagonista degli stupefacenti “jués d’Orange”, sortilegi probabilmente connessi, come ha suggerito Joël Grisward, al rituale dello charivari. Nella Prise d’Orange, poi, Orable, sovrana di un “altro mondo” courtois e féerique, abbraccia diverse sfere d’azione tipiche dei personaggi delle narrazioni folcloriche, fungendo da oggetto della ricerca, donatore e aiutante, per essere infine riassorbita nello “spazio semiotico” proprio dell’epopea e divenire, con il nome di Guibourc, la dame dell’eroe. Nell’intervento tenterò pertanto di censire i motivi antropologici che confluiscono nel personaggio (motivi mediati anche dalle interferenze con altri modelli del sistema letterario coevo) e di studiarne le modalità di assunzione e la funzionalità all’interno del discorso epico.

“LA FEMME ET LE RÉCIT DANS TRISTAN DE NANTEUIL” Marie-Françoise NOTZ Université de Bordeaux III

On admet généralement que la chanson de geste n’accorde pas une grande importance aux personnages féminins. Ce trait, tenu pour spécifique, se modifie sous l’influence du roman, rival heureux du genre qui l’a précédé.

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Il nous a semblé intéressant, dans cette perspective, d’étudier la fonction des personnages féminins dans l’œuvre tardive qu’est la chanson de Tristan de Nanteuil, dont son éditeur, K.V. Sinclair, place la composition au milieu du quatorzième siècle.

On est frappé, dès la première lecture, non seulement par la multiplicité des figures féminines qui interviennent dans le récit, mais aussi par le rôle essentiel qui leur est dévolu. A la complexité de la narration, foisonnant en péripéties, et se ramifiant en de multiples épisodes, semble correspondre une certaine image de la féminité. Les femmes, dans Tristan de Nanteuil, nous paraissent être l’élément dynamique du récit, parce qu’elles fournissent un support imaginaire à la technique qui l’engendre.

Les différents schèmes qui orientent la fiction narrative d’une œuvre à la fois nouvelle et nourrie d’une tradition dans laquelle elle s’insère (la geste de ), correspondent en effet, selon nous, aux conditions mêmes dans lesquelles s’élabore la chanson, pour être reçue par le public de son temps.

Le rôle que joue la quête des origines dans la destinée des héros, modifiée par les surprises de la fortune, les incertitudes de la bâtardise, et les jeux de la séduction, nous amènera à nous interroger sur les rapports du personnage féminin, épouse et/ou mère, avec le passé référentiel du récit, en quête lui aussi d’une origine que lui dérobe justement son pouvoir de fiction.

La fonction dévolue au merveilleux, à travers les figures emblématiques de la sirène et de la cerve, et le personnage de la fée Gloriande, semble révéler comment la loi de l’univers épique, apparemment dégradée par l’injustice du souverain, et l’opportunisme des alliances, retrouve un sens grâce à la règle qu’instaure le récit, en s’inspirant du roman.

La hantise de l’inceste, et le motif du changement de sexe, pourront ainsi se découvrir liés à la fois par une certaine conception de la féminité, et par la configuration des possibles que le récit exploite sans l’épuiser.

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“TROIS FEMMES POUR UN HÉROS: À PROPOS DE L’ÉDITION DU MABRIEN EN PROSE” Philippe VERELST Rijksuniversiteit Gent

Le grand remaniement en vers de Renaut de Montauban qui fut exécuté au quatorzième siècle comportait un long épisode consacré à la vie du petit-fils de Renaud, Mabrien. Celui-ci, élevé dans la religion sarrasine, commence par combattre son propre lignage, mais devient ensuite, après sa conversion, le champion de la chrétienté, et va jusqu’à conquérir toute l’Inde. Le manuscrit R y fait allusion, annonce ce nouveau développement de la geste, mais ne le contient pas lui-même, pas plus que le manuscrit B d’ailleurs. Reste heureusement la “grande prose” des manuscrits Am et Lf, achevée en 1462, et qui a intégralement transmis le remaniement, y compris l’histoire de Mabrien (rubriques 8 à 55 du cinquième et dernier volume). C’est de ce texte, à peu près inconnu de la critique, que je suis en train de préparer l’édition.

Du point de vue littéraire, Mabrien présente pas mal d’intérêt, même si les principaux thèmes et motifs sont repris à des œuvres antérieures (essentiellement la geste de Montauban elle-même, Huon de Bordeaux et la matière arthurienne). Mon propos sera de montrer comment toute l’économie du texte est organisée en fonction des rapports qu’entretient le héros avec trois personnages féminins, dont l’influence et l’action sont décisives pour l’accomplissement de sa destinée: la Sarrasine Mabrienne, mère adoptive et amante éconduite, Gloriande, également sarrasine, mais qui se convertit à la foi chrétienne et deviendra l’épouse légitime, et enfin la fée Gracienne, avec qui le héros connaît un bref mais intense moment de passion en terre de Féerie, et qui, grâce à ses pouvoirs magiques, deviendra un précieux adjuvant.

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“LA MORT SOUDAINE DE LA BELLE AUDE, ICÔNE FÉMININE, DANS LE ROLAND D’OXFORD” Marianne Cramer VOS Alabama State University

Les critiques sont sceptiques sur les deux laisses traitant de la belle Aude dans la version Oxford de la Chanson de Roland. Sa mort soudaine, est-ce qu’elle glorifie la mort héroïque de son fiancé, le comte Roland? Ces laisses sont tellement émouvantes faisant allusion à une histoire d’amour. Ont-elles été ajoutées, interpolées? Qu’est-ce qui est révélé du rôle de la femme dans ses vers cryptiques? Aussi en reflet, qu’est-ce qui est révélé de Roland lui-même? Et de l’empereur? Quoi qu’il en soit, dans les vers 3730 et suivants, Aude devient pâle après la nouvelle de la mort de son fiancé et soudainement se pâme et meurt. Une chose est certaine: cette scène fait écho à, et intensifie, notre expérience de la mort de Roland et également de son compagnonnage avec Olivier (voir l’émotion identique de Roland après la mort d’Olivier). En outre des exemples de l’épopée, on peut expliquer cette mort soudaine par des recherches scientifiques récentes. Selon quelques experts, une expérience traumatisante causée par la mort d’un aimé ou d’une relation peut provoquer la mort du survivant. C’est ainsi que les études sur “le syndrome de la mort subite” peuvent également aider à démontrer la vraisemblance de la soudaineté de la mort d’Aude. Signalons que dans une version postérieure à notre version Aude s’allonge contre le cadavre de son bien-aimé, l’étreignant si fort que son cœur “se rompt dans sa poitrine”. Ce qui nous intéresse surtout à la fin de la conférence c’est qu’Aude atteint une intense sublimation en s’écroulant inanimée avant d’être relevée, la tête inerte et étrangement inclinée dans les bras de l’empereur Charles. Cette scène en rappelant celle du Christ crucifié qui s’écroule dans les bras de Marie est bien représentative du moyen âge, car cette époque avait tendance à sanctifier ses héros légendaires. Je vais également révéler maints parallélismes étonnants: des événements, du style, des gestes et des mots choisis.

Ainsi une épopée guerrière et profane renferme à travers l’apparition d’une pucelle et pour sublimer sa mort soudaine un élément douloureux de sainteté.

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“L’ÉLÉMENT FÉMININ DANS LA CHANSON D’ASPREMONT” Joan B. WILLIAMSON Long Island University, New York

La présence féminine est très répandue dans le poème de guerre qu’est la Chanson d’Aspremont. Il y a des épouses pleurant les guerriers morts; des putains, qui ont un rôle punitif curieux; et de jeunes vierges demandées en tribut par les Sarrasins. La présence des femmes dans l’épopée française médiévale est un moyen de montrer la cruauté des païens, et les catégories de femmes énumérées ci-dessus jouent ce rôle dans la Chanson d’Aspremont, qui a été définie comme une invitation à la conversion. Mais il y a encore d’autres femmes. Il y a Emmeline, la bonne épouse, et la reine d’Agolant et ses dames. La première, pareille à Guibourc, incarne la force d”âme de son mari, et la deuxième, tout comme , permet, avec ses dames, une démonstration de la charité et de la compassion chrétiennes. Mais ces femmes sont vêtues de personnalités richement humaines (on n’a qu’à considérer la reine païenne dans son personnage de dame courtoise pour s’en rendre compte). Aussi jouent-elles ensemble un rôle beaucoup plus essentiel. Il a été dit que Naimes constitue le personnage le plus important du poème. Toutefois, si l’on analyse la structure du poème par rapport à la présence d’Emmeline et de la reine d’Agolant, on découvre que le personnage vraiment principal, situé entre Emmeline et la reine d’Agolant, est Girart d’Eufrate. Girart, absent de l’exorde, joue, néanmoins, un rôle décisif dans la victoire chrétienne. En plus, les rapports d’obéissance et d’indépendance de Girart vis-à-vis Charlemagne le mettent en contraste avec Almanzor, le païen dont la trahison assure la défaite d’Agolant. Ce fait souligne l’importance dans l’économie du poème de notre héros burgonde, rôle qui est reconnu dans la clôture du poème.

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IV. LE THÈME DE LA RÉVOLTE DANS LES CHANSONS DE GESTE

“LA RÉVOLTE D’AISSO EN CATALOGNE ET SON REFLET DANS LES CHANSONS DE GESTE” Josep Clara TIBAU Universidad Autónoma de Barcelona

Après la razzia d’Abd-al-Malik dans les Pyrénées Orientales (793), la cour de Toulouse a confié au comte goth Borrell de fortifier Ausone, Cardona, Casserres. (à 70 km au N. de Barcelone). En 801, Borrell d’Ausone participe à la conquête de Barcelone et plus tard Borrell, Hadhemar (Aimer le Chaitif) et Berà luttent pour gagner Tortosa (804- 806). Charlemagne avait recompensé Borrell avec des territoires, mais peu après il l’a obligé à rendre ces possessions, qui ont été mises aux mains de nobles Francs. Ainsi commencera la politique basculante carolingienne de nommer comtes goths ou francs. En effet, devant Tortosa, Borrell, comte goth, a lutté à côté de Berà, l’aîné de Guillaume de Toulouse et sa première épouse gothe Khunegunde. La politique de Berà, premier comte de Barcelone, serait favorable aux Goths, mais en 820 Berà sera accusé, vaincu et exilé. Après quoi, ses demi-frères Gaucelm et Bernard, nommés comtes de Gérone et de Barcelone, deviennent hostiles aux Goths.

Alors, (826-827) se produit la révolte d’Aisso, lieutenant de Berà, et Guillemon (aîné de Berà), révolte qui unit Goths et Arabes. Il est difficile de croire que Borrell d’Ausone ait pu participer à cette révolte mais nous y voyons ses amis et partisans, qui luttent contre les gouverneurs francs de la famille de Toulouse.

Pour nous, cette révolte est reflétée dans le Fragment de la Haye et dans le Cycle de Guillaume. Dans le Fragment, Borrell (acre senium) attaque Gérone (ou Narbonne) défendue par Bernard, Bertran, Hernaut, etc. Dans , Hernaut est assiégé à Gérone par Borrell. La Chançun de Guillelme explique que Vivien “as prez de Girunde [...] decolad les filz Burel tuz duze” et comment “li quons Willame [...] une bataille lunge [...] aveit fait a Burdele sur Gironde”.

Malgré tout, la base historique des gestes sera toujours discutée.

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“VERBE ET RÉVOLTE: LA DÉRISION ET L’AUTRE DANS LES CHANSONS DE GESTE DE GUILLAUME D’ORANGE” Bernard GUIDOT Université des Sciences Humaines de Strasbourg

Plus que la violence guerrière, le Verbe, et la vision du monde qu’il suggère, peuvent exprimer volonté de puissance, de domination, révolte contre la personnalité de l’Autre, de l’Etranger, à qui on refuse le droit à la différence. Rejeter hors de la norme, contraindre à la marginalité— mais par la verve littéraire— est une tactique cruelle et implacable. La diatribe jette l’opprobre, est signe d’infamie pour ceux qui en sont victimes: Juifs, hérétiques, lépreux et Lombards. Ces derniers (R. Lejeune considérait au Congrès de Heidelberg que se trouvaient ainsi désignés tous les Italiens) retiendront notre attention, car, malgré la tentative de réhabilitation de R. Ruggieri, la tradition épique semble les vouer aux gémonies. La Geste de Guillaume servira de base à nos rapides réflexions, sans que nous nous interdisions, par comparaison, de nous pencher sur Aiol (la première chanson qui les tourne en dérision, précise Ph. Ménard), la Chevalerie Ogier, Gaydon, Hervis de Metz, les Saisnes ou Parise la Duchesse.

Nos chansons, à l’aide de traits acerbes, d’un style incisif (choix des mots, images, métaphores), envisagent leur apparence (aux antipodes de l’élégance chevaleresque), leur mentalité pusillanime (cupidité, couardise, misogynie), les tendances de leur caractère (vanité, vantardise). Leur condition de guerriers, parfois, de commerçants, souvent, est appréciée à l’aune de la chevalerie chrétienne française et de la fougue narbonnaise. Si le regard est narquois, ce n’est pas constamment le cas (ainsi dans les Enfances Garin de Monglane). D’ailleurs, Hermenjart apporte un témoignage vivant: l’ascendance lombarde n’est pas forcément vice redhibitoire. Sans doute faut-il établir une différence— comme pour l’image du Juif dans la Geste de Guillaume— entre une collectivité sujette à raillerie et le rayonnement accepté de certaines individualités.

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“VERS UNE TYPOLOGIE DE LA RÉVOLTE: LES ENSEIGNEMENTS DE LA CHANSON DE GUILLAUME” François SUARD Université de Paris X

La colère d’un vassal contre le roi ou du roi contre un vassal n’est pas un phénomène suffisant pour caractériser l’épopée de la révolte, comme on voit si l’on compare à l’Entrée d’Espagne ou à Aspremont les poèmes canoniques de la Chevalerie Ogier ou des Quatre Fils Aymon.

L’élément décisif, qui conduit aux durables affrontements de ces chansons bien connues, est le meurtre d’un proche du roi— souvent, mais pas toujours, son fils— ou d’un proche vassal. Ce meurtre peut être remplacé par une spoliation, il peut n’être qu’esquissé: dans ce dernier cas, le poème fait halte avant de franchir la frontière essentielle, comme on le voit dans la deuxième partie du Guillaume et dans Aliscans, où le meurtre de la reine est envisagé, mais non réalisé; le serait-il, du reste, que le choix d’un membre du lignage du vassal—Blanchefleur est sœur de Guillaume— suffirait peut-être à annuler le casus belli.

A l’inverse, la présence dans le Guillaume, comme dans bien d’autres textes, d’un motif “déguisé” de la chanson de révolte, montre les liens étroits qui unissent une des caractéristiques importantes de ce genre d’épopée aux formes les plus anciennes de la chanson de geste.

“RUPTURE ET INTÉGRATION: L’HÉROÏNE RÉVOLTÉE DANS LES CHANSONS DE GESTE” J.-C. VALLECALLE Université de Franche-Comté

À mesure que s’étend, dans les chansons de geste, la place accordée aux personnages féminins, leurs préoccupations propres, leurs sentiments, leurs rêves trouvent à s’exprimer avec une force croissante. Si de grandes figures d’héroïnes se montrent soucieuses de l’intérêt du groupe et dévouées aux causes les plus nobles, d’autres s’emploient avec obstination à satisfaire leurs aspirations personnelles: la naissance de

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l’amour, l’espérance du bonheur incitent des chrétiennes aussi bien que des Sarrasines à secouer la tutelle qu’elles subissent, afin de déterminer elles-mêmes leur destin. Elles en viennent ainsi à se révolter contre un ordre social fondé sur la prééminence masculine, et qui subordonne les préférences individuelles aux contraintes de l’existence collective.

Les trouvères considèrent souvent d’un œil favorable ou du moins indulgent ce rejet de l’ordre établi. Entendent-ils donc remettre en cause les principes qui, dans l’épopée, organisent le monde féodal et en assurent la cohésion? Ou bien s’efforcent-ils de neutraliser les effets de cette révolte, en n’autorisant la rupture que pour préparer une meilleure intégration? Peut-être cherchent-ils du moins, en évoquant dans l’imaginaire épique un comportement perçu comme une menace, à conjurer une crainte qui hante l’homme médiéval.

“RENAUT DE MONTAUBAN: LA PRÉCELLENCE D’UN MANUSCRIT D’OXFORD” Wolfgang G. VAN EMDEN University of Reading

Parti de mon propos originel, qui était d’établir une comparaison entre la conception morale du personnage de Charlemagne offerte par le manuscrit Douce et celle du manuscrit La Vallière, je me propose maintenant d’examiner surtout la question de la précellence de la première de ces versions de Renaut de Montauban. La nouvelle édition que nous devons à M. Jacques Thomas nous fournit de toute évidence un texte plus cohérent, en général moins délayé, que celui que nous connaissons depuis longtemps à travers les éditions de Michelant et de Castets. Mais qui dit “supérieur” ou même “moins délayé” dit-il nécessairement “plus proche de l’original”? Même sans disposer de toutes les variantes pour les épisodes autres que celui des Ardennes, on peut légitimement se poser des questions; c’est ce que je me propose de faire, en examinant quelques passages plutôt que d’apporter des réponses définitives.

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“RELACIONES FEUDO-VASALLÁTICAS Y PROBLEMAS TERRITORIALES EN EL CANTAR DE BERNARDO DEL CARPIO” Mercedes VAQUERO Brown University

La tradición de Bernardo como héroe rebelde no creo que haya que buscarla en la región pirenaica de Ribagorza sino más bien en los territorios que por un largo periodo fueron cuestión de disputa entre Castilla y León. Hasta el momento ha sido imposible precisar la fecha del Cantar de Bernardo del Carpio. Al estudiar la geografía principal en que se adscribe al héroe y a su familia— Carpio y Saldaña— se evidencia no sólo la fecha del cantar que recogen los historiadores del siglo XIII sino los problemas jurídicos de relaciones feudo-vasalláticas que afectaban a León y Castilla a fines del siglo XII y comienzos de XIII.

En el Cantar de Bernardo del Carpio el conde San Díaz de Saldaña prefigura a su hijo Bernardo, pues posee ya algunas características de vasallo rebelde. No creo accidental que se haya elegido a un conde de Saldaña como padre del héroe rebelde, pues a esta casa nobiliaria pertenecen algunos de los nobles más levantiscos de la historia de León. Tenemos noticia cierta, por ejemplo, que Diego Muñoz junto con Fernán González se sublevaron contra Ramiro II en el año 943 y ambos fueron presos. A fines del siglo X la tradición de los condes de Saldaña como nobles rebeldes ya era legenderia. Así, por ejemplo, en el año 996 Osorio Díaz, a quien sin razón se le hace hijo del Conde de Saldaña, fue conminado con la ira regia por el rey leonés Vermudo II, siendo desterrado y confiscándoles sus bienes. Con mi análisis espero demostrar que la parte substancial de la historia legendaria es la relación entre Bernardo, el padre de éste y el rey de León. Por ello, el calificar esta historia de “drama familiar” creo que es algo engañoso, pues el problema básico no es familiar, sino de relaciones vasalláticas y concesiones de fortalezas. Y es precisamente a fines del siglo XII y comienzos del siglo XIII cuando los territorios de la entonces considerada “Extremadura”— donde se encontraba el Carpio— y la región al norte del Duero, entre los ríos Cea y Pisuerga, son objeto de disputa no sólo entre los monarcas de Castilla y León, sino también de poderosos vasallos de éstos que en repetidas ocasiones se rebelaron y desnaturalizaron.

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V. MISCELLANEA

“L’HÉRITAGE DE ROLAND: DE GALAAD À ORLANDO”1 Anne BERTHELOT University of Connecticut

Dans la Chanson de Roland le personnage central ne se comporte pas comme une figure romanesque dotée d’une épaisseur psychologique, mais comme un archétype rassemblant les valeurs de base de l’épopée en tant que genre. De ce fait, il est relativement difficile à manier et la critique s’est interrogée à l’infini sur sa conformité à l’idéologie de la chanson de geste. Ses relations avec Olivier sont problématiques du fait qu’Olivier incarne un modèle plus tardif où l’accent est mis sur la dimension humaine du personnage et sur son interaction avec les autres, alors que Roland fonctionne en circuit fermé dans un cadre qui ne lui est déjà plus assorti. L’évolution du personnage dans les textes ultérieurs peut se faire selon deux voies différentes, d’une part le modèle “robotique” de Galaad, incarnation d’un système de valeurs dépourvu de toute individuation, d’autre part selon un modèle Orlando tel qu’il apparaîtra dans les textes italiens où la dimension idéologique et typologique du héros s’estompe au profit d’une dimension romanesque manifestée essentiellement par ses amours tumultueuses avec une femme qui est à la fois magicienne et païenne.

“LA PRÉSENTATION DES CARACTÈRES DANS GIRART DE VIENNE” Michael HEINTZE Universität Gießen Les techniques que Bertrand de Bar-sur-Aube utilise pour combiner les cycles épiques sont très diverses. D’abord il connaît des techniques tout à fait extérieures. Il réunit dans sa chanson de geste des personnages

1 Paper submitted and accepted for reading before Congress, but not given. —Ed.

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qui appartiennent à des cycles différents. Il relie la légende de Girart à la Geste de Monglane en inventant des ancêtres communs pour Girart de Vienne et Aimeri de Narbonne. Il construit ce nouveau lignage, d’une part, en ajoutant des héros jusqu’ici inconnus (Garin de Monglane, Milon de Pouille) et, d’autre part, en intégrant des héros traditionnels entre lesquels il n’existait aucun lien de parenté à l’origine (Hernaut de Beaulande, Renier de Genvres). Afin de former un lignage de tous ces héros, Bertrand n’hésite pas à échanger des noms fixés par une longue tradition: par exemple, le père de Girart, Bueve li barbez/sans barbe est remplacé par Garin de Monglane. Bertrand établit un lien encore plus étroit entre la légende de Girart et la Geste des rois de France, dont celle- ci faisait partie de tout temps, en introduisant dans sa chanson des personnages secondaires qui accompagnent traditionnellement Charlemagne. Bien que peu individualisés, ces personnages de second ordre font apparaître les protagonistes dans leur entourage habituel. Pour constituer un cycle, il est indispensable de fixer la chronologie des événements épiques. C’est ce que Bertrand fait en nous racontant les enfances de héros fameux (Girart, Roland, Olivier, Aimeri), en décrivant les origines de relations humaines que la Chanson de Roland présuppose (l’amour de Roland envers Aude, la fraternité d’armes entre Roland et Olivier) et en faisant allusion à d’autres chansons; les allusions aux événements futurs de la Chanson de Roland sont particulièrement importantes. Mais à côté de ces moyens simples qui se révèlent à première vue, Bertrand se sert de techniques que seul le connaisseur sait dévoiler. Une de ses techniques plus subtiles consiste à caractériser des personnages d’après le modèle de héros qui proviennent d’un autre cycle ou d’une autre branche du même cycle. Dans le caractère de Girart, les traits traditionnels de ce baron révolté se mêlent à ceux de Guillaume d’Orange; Olivier est calqué sur Folque, cousin de Girart de Roussillon; Aimeri a de nombreux traits de ressemblance avec Boson d’Escarpion, autre cousin de Girart de Roussillon, et Guibourc est un mélange de qualités qui caractérisent d’une part, l’épouse de Guillaume d’Orange, à laquelle elle emprunte également son nom, et d’autre part, celle de Girart de Roussillon. Notre but est de rendre clair la façon dont des traits hétérogènes fusionnent dans les caractères de Bertrand, ainsi que de montrer les conséquences de ce mélange pour la conception générale de son épopée.

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“CORRESPONDANCES GRAPHIQUES DES MSS P ET O DE LA CHANSON DE ROLAND” Yorio OTAKA Osaka University

En utilisant l’édition de Raoul Mortier pour le texte de Paris (Paris: La Geste Francor, 1942) et celle de F. Whitehead pour le texte d’Oxford (Oxford: Blackwell, 1962), j’établirai les correspondances graphiques entre les deux textes pour mettre à jour les particularités de chaque manuscrit, tout en me bornant aux vers de sens analogue suivant l’analyse de Mortier et à l’aide de l’ordinateur.

“ROLAND’S APPLE: TRUTHFUL AND UNTRUTHFUL DISCOURSE IN THE CHANSON DE ROLAND” Rupert T. PICKENS University of Kentucky

In the Chanson de Roland, an important manifestation of the pervasive Christian-pagan polarity is a fundamental opposition between truthful and untruthful discourse, between the truth as spoken by heroic characters who embody the values of Christian faith ascribed to the Carolingian nobility and the lie that characterizes pagan speech as well as that of the relapsed Ganelon and the ones who would champion his cause.

The pattern is inscribed from the beginning. The very first exchange of discourse among characters portrays the deliberate fabrication of a Saracen lie meant to deceive Charles (27-61). repeats the lie to the emperor’s face (123-36, 146-55), and Charles takes it up as he offers it to his barons to judge its reliability (180-91). In contrast, Roland’s response is a model of truthful speech that exposes the lie (laisse 14). In the first discourse spoken by a Christian on his own behalf, he proves the truth in his opening statement, “Ja mar crerez Marsilie!’ (196). Roland reminds Charles that Marsile once before swore false pledges under identical circumstances when Charles’s ambassadors were betrayed and slain (197-213).

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In betraying the Christian champion and the Christian cause, Ganelon rejects truth and embraces falsehood. Exemplary of his new mode of discourse is his story about Roland handing Charles a red apple as he offered him all the crowns in the world (383-88). Ganelon thus lays the groundwork to justify his treason by shifting primary responsibility for the crusade from Charles to his nephew, whom he depicts as an arrogant tempter leading the emperor on a course of destruction. (Simultaneously, the anecdote speaks to Turold’s Christian audience in its rhetorical use of quasi-allegorical and mythic images, a device transcending any intent attributable to Ganelon himself which affords the perspective required for perceiving the story as a lie.)

Ganelon’s anecdote is an “embedded” secondary narrative, relating an event purported already to have taken place in the past. In this, it resembles Roland’s story of Marsile’s pledges, also an account of the past. The resemblance is paradoxical: the Christian warrior’s story is truthful and the traitor’s is a lie.

The Roland thus posits models of both truthful and untruthful narrative discourse. Truthful speech is possible only in Christian culture, which Turold and his audience share with the epic Franks. Roland’s account reflects the other Christian histories referred to in the text: the Bible, the Geste Francor, other gestes, and so forth, and most particularly in the Chanson de Roland itself. The lie is appropriate in the Saracen world; it is fitting that Ganelon should lie as he betrays Christians to pagans and then continues to infect the Christian world, carrying into Charles’s camp the contagion of betrayal and false pledges, giving faithless advice designed to conceal the truth of Rencesvals, and defending himself against Charles’s indictment. His account of Roland as tempter is a model of the Saracen view of history: that anti-Bible, the book of “la lei [...] Mahum e Tervagan” (611)— and also those false anti- Roland texts, the “malvaise cançun” (1014) and “malvaise essample” (1016), so dreaded by the champion of Christian truth.

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“POUR UNE RECONSTRUCTION MUSICALE DE LA CHANSON DE GESTE ROMANE” Antoni ROSSELL Universidad Autónoma de Barcelona

La tradition orale de la chanson de geste présente deux aspects très proches l’un de l’autre: le texte et la musique. Et puisque les techniques orales épiques supposent un système cohérent du texte, nous avons pensé (de là notre hypothèse) qu’il existe aussi un système cohérent d’organisation structurelle pour la musique.

La recherche sur la musique épique romane qui s’est limitée— jusqu’à présent— aux témoignages sur la musique et la chanson de geste médiévales ne nous a apporté aucun résultat pratique plausible. La recherche doit donc prendre de nouvelles directions.

Nous proposons un système plausible qui se réfère à la tradition et à l’activité des chansons de geste conservées de nos jours dans d’autres cultures, qu’elles soient proches ou éloignées l’une de l’autre. Nous connaissons plusieurs systèmes de chants épiques grâce aux témoignages de ce genre littéraire-musical, conservés jusqu’à nos jours. Nous recherchons avec tout ce procédé de reconstruction mélodique que la réception bénéficie d’abord d’une cohérence musicale semblable ou égale à celle du texte. Si nous recherchons une cohérence musicale parallèle au texte, c’est pour que l’œuvre soit véhiculée correctement jusqu’à la réception. Enfin: ethnomusicologie et philologie, pour une expérience pratique.