ANALYSE ET ETUDE LITTERAIRES

DE

HITON DE BORDEAUX

A Thesis

Presented to the French Department of Mc Gill U:hive:rsi ty

In Partial Fulfilment

of the Requirements of the

Degree of H.a.ster of Arts

by

J ean-M8.rcel Paquette

August 1964 lNTRODUCTIOff •••••••••••••~•••••••••••••••••••••••••••••••••~~ P~ 1

PREMIERE PARTIE: MATIERE CHAPITRE PREMIER: De l'histoire A la légende •••••••••••••••••• CF..APITRE DEUXIEMEt Autour de ...... ~~~ ...... ~~. p~ tb

DEUXIEME PART!Et CON JOINTURE

CHAPITRE TROISIENE: Les éléments romanesques ••••••••••••• ••... P• a.~ CHAPITRE QUATR~Œ: Les éléments féeriques ••••••••••••••••••~• p~~

TROISmΠPARTIE: SENEFIANCE"

CHAPITRE Cn:IQ~Œ: L'aventure et ses symlx>les •••••••••••• ••.. P• 5 s- CHAPITRE SIXIEME: Colœlusion: La conta:mihation des genres • • • • • p~ ~ 1-

NOTES" ••••••••••••••••••••••••• ·-· •••••••••••••••• ·-······...... p. q 1- BIBLIOGRAPHIE •·• •. • • .... •• • • • • • • • • • • • • • • • •• • • • •. •. • •. •. • • • •• • • • • P•' \ 0 ' INTRODUCTION

n semblera- d 1abord paradoxal que les trois mots de MATIERE, de CONJOTh"TURE et de SIDTEFIANCE, appartenant au vocabulaire du roman cour­ tois, servent, chacun, de titre aux trois parties de cette étude eon­ sacrée à une du cycle carolingien~

Cela est d'O., en partie, A ce que, Huon de Bordeaux constituant une oeuvre complexe, l'objet de la présente th~se sera d'établir jus-­ qu•·~. quel point l'oeuvre, d'apparence épique, a subi la contaminatfon du genre romanesque.

Les médiévistes désignent par le mot de MATIERE, 11 ensemble des sources, historiques ou littéraires, dont ont pu s'inspirer les po~tes et les romanciers du Moyen Age. Ainsi parle-t-on de "mati~re bretonne" pour les romans arthuriens, et de "mati~re antiquen pour les romans, tel que le Roman d'Alexandre, inspirés des oeuvres et des th~es de r•·antiqufté.

Dans une premi~e part.tê, sous le mot de Mati~re, nous verrons de quelles sources historiques l'auteur de Huon de Bordeaux a pu tirer les personnages et l'action de son oeuvre; ce sera l'objet d'un premier chapitre. Dans un second chapitre, nous nous occuperons l considérer

I 1'état de la situa ti on littéraire au XII~ si~cle: 1' entrée en sc&e des th~mes arthur:f:ens et alexandrins, ainsi que 11'état de la chanson de geste qui, depuis le XI~ si~cle, a vu sensiblement modifié le

sens de l'action et des personnages épiques.

Le romancier du XII~ si~cle, Chrétien de Troyes, faute du mot

"esthétique" qui n'existait pas encore, utilisait le mot CONJOINTURE pour désigner 1 1'art d'animer le monde de th~mes et de personnages nés d'abord de l'histoire, puis redonnés dans une oeuvre par une conscien­ ce littéraire. tt·expression stylistique et l'organisation des struc­ tures d1'une oeuvre ont bien-tet été considérées comme faisant partie de cet art, qui est aussi une science: la CONJOlliTURE.

Au chapitre troisi~me, nous verrons comment l l'int~rieur de

Huon de Bordeaux, éléments épiques et éléments romanesques se sont manifestés. Un chapitre subséquent sera zonsacré à l'élément qui cons­ titue la plus grande part d'original:ité dans l'oeuvre: la Nêrie.

La troisième partie a pour titre SEN~TCE, autre mot de Chré­ tien de Troyes, désignant le sens caché que l'auteur a voulu donner à son oeuvre Atravers l'Aventure d 1'un héros. $ymboles et all8gories servent A traduire ce sens. Dans le cinqui~me chapitre nous nous at­ tacherons h révéler ce sens, pour finalement tirer, au chapitre si:x:i~ me, les conclusions générales qui s'impo-sent sur 1 •·ensemble des élé- mente (source,·. esthétique et sens) que nous aurons étudiés.

Nous avons utilisé, pour les fins de cette étude, la récente

édition du texte primitif de Huon de Bordeaux. que vient de dormer

Pierre Ruelle, aux Presses Universitaires de France, en 1960.

Depuis le Moyen Age, le texte original n'avait été' édité qu'une

seule fois, soit en 1S60, par François Guessard et Charles Grandmai~

son. Cette édition, comme celle de Ruelle, s'appuyait sur les trois manuscrits de Tours, de Paris et de Turin. Le manuscrit de Tours:, le plus ancien des trois, et conservant vraisemblablement 11.oeuvre ori­ ginale, ne révèle aucun nom d 1 auteur. Le poème anonyme aurait été

écrit entre 1170 et 1226. Premi~re partie: MATIERE 6

CHAPITRE PREMIER:

DE L'HISTOIRE A LA LEGENDE

"Il est un temps pour établir les sources de 1' oeuvre; un temps pour, en 1 1 oeuvre m3me, se désalt~rer." (1) Ces muts de Gaétan Picon faisaient sans doute allusion aux études médiévales que trois gén&­ rations d'érudits, penchés laborieusement sur les textes anciens et leurs ~st~res, avaient petit A petit ~enées à une stagnation quasi totale. Cependant, on ne contestera pas la nécessité, voire la valeur des travaux d'histoire littéraire effectués vers la fin du XIX~ si&­ cle et du début du xx~.

On ne contestera pas non plus que 11 av~nement d 1une quatri~me génération de médiévistes aura été le salut de la littérature du moyen âge. Avec Reto Bezzola, notamment, cette génération a rendu au domaine de la littérature ce qu1 il Y' avait de littéraire dans les oeu­ vres du moy-en Age. D'historique, la_ critique universitaire devenait ce qu 1 elle devait ~tre: une critique esthétique. C1 est avec son ~tude, sur le Sero~ d~ 1 1 Aventure et de 1 1 Amour dans les Romans de Chrétien de Troyes, que Bez zola ouvrait une ~e nouvelle des études médiévales. Les sour­

ces de l'oeuvre qui avaient été jusque lA la principale préoccupation des médiévistes ne devenaient objets d'étude que si elles apportaient

quelques indications sur la valeur littéraire de 1' oeu:vTe~

Ainsi le procédé qui consiste, pour l'auteur du moyen !ge, A faire

passer des peraonnages du plan de 1 1historicité au pla.'rl de la. légende n'est-il' plus considéré comme objet d'étude purement historique, mais: bien comme un des principes fondamentaux de l'esthétique littéraire, particuli~rement en ce qui concerne l'éla.~ration des po~mes épique~~ Aussi remarque-t-on que, dans Huon de Bordea.tpc, les sources historiques transformées en valeurs littéraires, constituent une part important de l'économie littéraire de l'oeuvre.

Ces sources historiques de Huon de Bordeaux ont été longuement

étudiées par G. Paris et A. Longnon; nous retenons pour les ·chapitres subséquents 1'1étude des sources purement littéraires établies par les travaux de Voretzsch, de Scheludko et de Krappe, et que nous signa­ lerons au passage A mesure que ces sources s' av~reront utiles à 1 t a."'la­ lyse de 1 1 oeuvre. Bornons-nous ici aux sources historiques et au pro­ cédé qui les fait passer de l'histoire A la légende littéraire~

"La. légende a le désir pour p~re, pour m~re la circonstance" (2),

écrit GUnter dans son étude sur l'origine ps.ychologique des légendes. Etymologiquement le mot légende vient de legenda,"choses devant 3tre lues".La légende prit naissance dans le réfectoire des monast~res o~ le moine devant faire lecture de la vie des saints pendant le repas, ·

était convié ~ en rédiger lui-m3me le texte d'apr~s les faits histori­ ques contenus dans les Acta Sanctorum. Le clerc avait 11 enti~re liber­ té de traiter le suj~t comme il l'entendait, et l'on ne tarda pas à

se livrer aux jeux de l'imagination. Puis ces légendes entr~rent dans la vie profane, probablement par les pélerins, h8tes des monast~es qui entendaient au réfectoire ces récits merveilleux. LA encore, on peut facile:nent se 11 imaginer, la légende devait subir quelques modi­ fications au point qu 1 entre les données historiques des Acta et 1' "his­ toire vraie" que 11 on pouvait se faire raconter à l'auberge, il n'y avait plus A s~~ reconna!tre: le saint qui avait été dévoré par les lions finissait par manger lui-m3me les lions, et la sainte brdlée sur un btlcher avait tat fait de devenir un cierge d'autel. Ce qui était coutume monastique n1a pas tardé A devenir coutume littéraire, le mo­ nast~e et le salon Iittéraire co!ncidant tr~s souvent au moyen B.ge~

Le po~te de notre légende raconte comment Huon iua le fils de

Charlemagne, , apr~s que celui-ci l'eut attiré dans un guet­ apens. C'est lA le premier ressort de l'oeuvre qui lancera dans une s-3rie d'aventures le con:tte Huon et son entourage. Les critiques des sources historiques ne voient aucun rapport entre le Charlot de 1' oeu- vre et Charles le Jeune, fils atné de Charlemagne, qui mourut de ma­ ladie, ~gé de pr~s de quarante ans~ Aucun détail de la vie du person­ nage historique ne concorde avec notre Charlot, léger et insoumis, qui mourra de mort tragique des mains d'Ruan. Cependant les Annales Bertiani nous parlent d'un certain Charles, roi d'Aquitaine, fils de

Charles le Chauve et de la reine Errnentude qui aurait vécu de S47 ~

S66. Frivole et insoumis ~ l'autorité paternelle, il aurait trouvé la mort ~ la suite d'un drame avec un noble du pays. Le Reginonis Chronicon est plus explicite sur l'incident et raconte les circonstan­ ces précises de la mort de Charles: jaloux de la bravoure et de la haute renommée d'Un noble du pays, le fils de Charles le Chauve l'au­ rait provoqué au combat en lui tendant une embuscade. Le jeune prince aurait reçu au cours du combat un coup d'épée mortel dont il serait mort deux ans plus tard. Le jeune noble apprenant que son assaillant et victime était le fils du roi, se serait enfui pour éviter d'être traduit devant le roi et supplicié pour son crime.

L' év~nement de la chronique, qui peut être considéré comrne véri­ dique, a donc pu servir de base historique ~ l'élaboration de la lé­ gende de Huon~ On pourra toutefois remarquer des modifications subs­ tantielles: le fils de Charles le Chauve devient par l'alchimie des cadres préétablis de l'épopée carolingienne, Charlot, fils de Charle­ magne. L'histoire fait mourir Charles des suites de sa blessure, deux ans après le combat, alors que pour les besoins du moment et pour ne pas trainer la chanson en longueur, le poète fait mourir Charlot ins­ tantanément. Il était, de m3me, évident que la tttite du jeune noble a­ près son crime ne pouvait 3tre prise en considération pour la forma­ tion de l'oeuvre littéraire, et que celUi quf devenait Huon dans

1 1 oeuvre littéraire se devait· de para!tre devant Charlemagne, lui avouer son forfait et de là s 1'engager dans 1 1 aventure qui forme le corps de 1' oeuvre. Le nom du noble est toutefois révélé par la chro­ nique coTllT'l.e étant Albuin, Or I.ongnon fait état de la rencontre en

Italie d'Albuin avec un certain comte Huon, lequel servit de modèle à l'auteur dea Loherains. n est donc fo:bt possible qu'une tradition orale ait fini par confondre les deux voyageurs et que 1 1 on pr3tAt à

Huon l'aventure d'Albuin, Notre poè:be tenait donc vraisemblablement l'histoire de la Reginonis Chronicon par une tradition orale.

Quant au nom du père d'Huon, le comte Séguin, l'histoire de Fran­ ce en régèle quatro dont un seul pourrait offrir quelque concordance chronôlogique avec les faits rapportés par la Reginonis Chronicon,et nous permettre de croire qu'ïl fut ou le père d1:Albuin ou le père du comte Huon, Et cela d'autant plus que le dit comte Séguin gouverna à Bordeaux de 8.39 à 845, Un quatrième Ségui.h, vicomte de Bordeaux, a été· signalé par Mlle. x. Pamphilova (3 ). Son nom est mentionné dans la chronique Gallia Christiana comme fondateur de l'abbaye d'~sses sur ]:e chemin de Bordeaux. Or le Huon de notre légende, à son retour 1 c

d'Orient, se rend A l'abbaye Saint-Maurice-ès-prés, sur le chemin de

Bordeaux. Il ne faudrait pas toutefois conclure trtV brusquement sur la parenté possible des deux personnages puisque le vicomte Séguin a vécu vers 977; le comte Huon de l'histoire était donc disparu depuis longtemps. Il reste cependant plausible que notre poète ait pu ras­ sembler 1' abbaye, le vicomte Séguin, le nom du comte Huon et 1' aventu­ re d1Albuih et établir entre des éléments une généalogie toute lit­ téraire qui servit de gen~se A son oeuvre.

La figure du petit roi Aubéron semble pouvoir Atre également re­ pérée dans l'histoire. Ecartons toutes les sources littéraires o~ aurait pu figurer 1' elfe féerique pour ne nous en tenir qu t:A un é·crit historique, les Annales historiae illustrium principum Hannonie, {4) datant du XIV~ siècle et reproduisant la chronique, aujourd'lmi · per­

!ue, d'tm certain Hugues de Toul qui vécut vraisembla.blement au XIIè siècle. On y li t que le roi des Francs, Clodion avait un fils, Albé.;.. rie, que les Mérovingiens avaient chassé du royaume en l'·accusant d' ~tre un enchanteur et d •·avoir commerce avec les esprits sataniques~

Albéric (5) se réfugia dans la for~t, fonda des villes, éleva des autels aux dieux et fit ériger A Mons une tou:b quï porta son nom et que 1' on retrouve encore au XVIIe si~cle sous le nom de Tour d'Au­ héron. Cette tour a été· détruite en 1618, et selon les archéologues ·(6), aurait fait partie d'une enceinte construite entre 1120 et 1195, dates qui rendent possible la rencontre de notre auteur avec le chroniqueur ou une tradition orale déjA en formation de légende. Ce n•·est vrai;.. semblablement qu'A partir de cette date que l'on rencontre le nom d1:Aubéron dans les oeuvres littéraires. Il semble en dernière analy­ se que le personnage d 1 Aubéron n'ait pas d 1 antéc,;~dent nominal en lit­ térature; il est par lA, la seule création vraiment authentique de

Huon de Bordeaux, tout en constituant un élément nouveau dans l'évo - lutian de la chanson de geste comme nous le constA.terons dans un cha­ pitre subséquent.

Lea autres éléments historiques de Huon de Bordeaux se réduisent

à très peu de choses. Signalons la figure de Charlemagne qu8 1 1on re­ trouve dans toutes les chansons de geste appartenant au cycle caro­ lingien. Un seul détail historique cependant visant la personne de l'Empereur Charlemagne mérite d'être signalé~ Aux vers 10273 à 10277, il est question du péchr~ de Charlemagne A cause duquel 1 t empereur ne peut boire dans le hanap magique d'Aubéron. Le roi· de féerie rappelle à Charlemagne qu'il "(••• )en sai un pecié mortel

Que vous fe si stes moult a lonc tans passé".

Or Gaston Paris dans son Histoire poétioue de Charlemagne (7) rappelle les légendes o~ il est question du péché de Charlemagne:

Saint Gilles r8çoit d'un ange une lettre lui révélant que 1 'Empereur avait omis d'accuser un péch3 en eonfession. La Karlamagna Saga iden­ tifie ce pôc~1 ay,ec l'amour de l'Empereur pour sa soeur Gille. Cependant les Acta Sanctorum (8), les plus fid~lement historiques des chroniques, relatent les assiduités amoureuses de Cherlemaene au­

pr~s de sainte Amouherge. Paulin Paris, pour sa p3rt, fonde, dans son Histoire littéraire de la France ( 9 ) , le péché de Charlemagne sur

les complots auxquels l'Empereur a d~ se livrer pour arriver à former

son empire. Quoiqu'il en soit cette laute semble ne pe.s ~tre sans fon­ dement historique, et l'auteur de Huon de Bordeaux a été l'un des ra­ res à l'utiliser comme valeur littéraire. L'incident du hanap en effet permet A l'auteur de condamner discrètement l'attitude de Charlemagne envers Huon. Quant aux détails qui nous font voir un Charlemagne assez indigne de sa grandeur, rappelons que nombre de chansons lui prêtent les mêmes traits libinideux et vio-lents. Nous verrons plus loin eomment ces traits ignominieus sur la figure de 11 Empereur servent la thèse de l'auteur et comment maintes chansons ne sont souvent que des manières de pamphlets•

Lorsqu'en route pour l'Orient, Huon s 1arr3te A Rome et rend vi­ site au Pape, l'aventurier découvre que l'Apôtre est son cousin: "Dix te croisse bontél Dont es tu, trere, et de quel parenté" (v.2509-10)

Or à Rome, du 8 janvier 1198 au 16 juillet 1216, un Français siéGea sur le tr8ne de Saint-Pierre sous le nom dt Inno-cent III. Signa­ lon~ que ce pontife fUt le seul- pape français de cee deux si~cles~ De plus les dates limites entre lesquelles a pu 3tre composée notre chanson concordent avec celles du pontificat d'Innocent ni. Nous n'apportons cependant aucune conclusion à ce fait. Ce n'est peut-3tre pas sans raison d'ailleurs qu 1aucun critique des sources historiques d'Huon de Bordeaux n'a soulevé cette question. Nous ne devons surtout pas conclure A la parenté' réelle du Huon historique avec le Pape; cet­ te parenté n'aurait d'ailleurs aucun fondement puisque les personnages historiques, autres que le Pape, et qui ont pu servir de modèle à l'auteur, ont tous vécu deux ou trois siècles avant la date de 119S.

Nous voulons simplement relever ce détail historique que l'auteur, fier de ses origines nationales conununes avec 1 1 Ap6tre de Rome, a voulu rappeler à ses auditeurs. Il se peut bien aussi qu'ïl st:agisse là tout simplement du procédé co'l.ltant dans les oeuvres de 1' époque et qui consiste à apparenter tous les personnages entre eux. Les liens généalogiques sont très forts au moyen ~ge, surtout dans les chansons de geste; signalons seulement que dans le cas de Huon de Bor­ deaux, 21 des· 32 personnages figurant dans 1' épopée ont entre eux quelque lien de parenté. Sur la signification de cette tendance, nous reviendrons plus loin.

Sauf ceux· que nous venons d 1 étudier ici, tous les autres élé­ ments de la geste d1Huon sont d'origine littéraire, et nous signale­ rons leus sources au :t'ur et à mesure que nous les rencontrerons au ft{

cours des analyses qui vont suivre aux chapitres II et III.

VoilA donc pour les circonstances qui ont pu servir de matériaux élé­ mentaires· dans la formation de Huon de Bordeaux. Reste A voir quel

"désir" a pu présider A la mise en oeuvre de ces circonstances. Rappe­ lons d 1 abord ce mot de Joseph Bédier:

"Nos po~tes n'ont pas combiné des évooements historiques,

mais des th~mes poétiques". (10)

Ces·mots, Al'époque, firent choc tant les médiévistes avaient, semble-t-il, oublié cette vérité fondamentale, A savoir que les chan­ sons de geste sont des oeuvres littéraires et non des chroniques. Que des· études historiques aient donné lieu de croire que de la chronique Ala chanson il y avait échange constant, il ne fait plus aucun doute.

Qu'à partir de circonstances historiques réelles, les po~tes aient rédigé des oeuvres indéPendantes de l'histoire qui les a fait nattre, voilA qui fait moins de doute encore. L' articulation haute­ me:at littéraire que les auteurs ont donné A leurs oeuvres nous rensei­ gne assez bien sur laur Ifdésir", lequel n 1 est pas différent de celui des auteurs d'aujourd'hui, et participe A l'activité artistique de toujours: Créer. Si de la Chanson de A Huon de Bordeal.'!fÇ;, il y a une divergence de motifs évidente, (ce que nous verrons au prochain chapitre) le procédé créateur qui va de l'histoire A la légende, en l'une et 11 autre des deux oeuvres, n'en est pas moins le m3me, celui d'une r{

conscience qui saisit ce qui fait irruption en elle et l'exprime sous la forme d11.me oeuvre. Créer, c''est le "désir" dont parle Gnnter; c'est lui qui donne A la circonstance sa forme sensible. C H A P I T R E D E U X I E M E:

AUTOUR DE CHARLEMAGNE

Depuis la Chanson de Roland, écrite vers 1080, jusqu 1 au premier tiers du XIIe si~cle, l'Empire carolingien constitua la matrice sur laquelle se dé-œeloppaient tous les monuments littéraires de la poésie narrative de langue française. Cette époque constitue !"!ge d'or de 1 t:épopée de Brance. Le grand cycle carolingien se subdivise en trois cycles:

A) La Geste de !•·empereur Charlemagne proprement dite, avec ses aventures de guerres saintes: d'Italie (Chansons d'Aspremont,d1 otinel, les Enfances d1 0gier, de Balon, de Jean de Lanson, de Berta et Milo~ If

de Palestine (Chanson de Hira.n, Pélerinage A Jérusalem, Le Chevalier au Cygne, Chanson d'Antioche); de Bretagne (Chanson d''Aigufn),contre: les· Saxons (Chanson de Saisnes); d'Espagne (Chansons de l'Entrée en Espagne, de la prise de Pampelune, de Fierabas, d', de Roland, de Gali.'en, d'Anse!s).

B) La Geste de , racontant les exploits de Louis, fils de Charlemagne, soutenu par le chevalier Guillaume d'o­ range et son lignage: (Le Couronnement de Louis, le Charroi de N1mea, la , A.vmeri de Narbonne, Département des enfants d 1 Aymeri, Girard de Vienne, les Enfances de Vivien, Faucon de Candie, la Bataille Loouifer, Rénier, Bouvon de Comrnarcis, le si~ge de Barbaste,

Guibert' d''Andrenas, Aliscans).

C)La Geste de de Mayence; c'est le récit de la r~ volte des chevaliers contre Charlemagne; (Chevalerie d 110gier, les Quatre fiis Aymon, M:>ugis d'llgremont, Chansons d'Aubri le Bourguignon, de Basin, de Girard de Roussillon, de Germond, de Raoul de Cambrai, Les Lorrains).

Chacun de ces trois cycles délimite une attitude que le po~te a pris devant le motif spirituel et le th~e central de 1' aventure caro­ lingienne. Chacun correspond à la manifestation d'une tendance parti~ culi~re vis-à-vis de la conception que la société se fait de la féoda­ lité, de la défense de l'empire contre les forces extérieures ou contre les tendances anarchiques de 1 ''intérieur, Le cadre des trois cycles 1~

reste cependant toujours le m3me: l'exploit guerrier. Au milieu de ce foisonnement de chansons de geste, Huon de Bordeaux pourrait figurer dans le cycle de Doon de Hayence, bien que les au­ teurs de manuels éprouvent toujours une grande difficulté A classer cette oeuvre. On la retrouve, A tout hasard, sous la rubrique des· chansons diverses, des épopées fantaisistes, des légendes épiques ou· des· épopées· romanesques. Nous verrons subséquemment comment ces auteurs de manuels ont pu 3tre placés devant une oeuvre litigieuse.

Néanmoins le fait que Charlemagne y soit une des figures dominantes· et que l''histoire raconte 1.m dém3l:é entre 11!empereur et un de ses sujets suffit pour que l'oeuvre soit inscrite dans le grand cycle carolin­ gien sous la geste de . Un si~cle environ sépare...lh!Qn de Bordeaux de la Chanson de Roland. Voici qu'au premier tiers du XIIe siècle, un autre prince fait son entrée sur la scène littéraire: Alexandre le Grand. n amène avec lui les décors de 1' Antiquité qui font dèà' lors leur premi~e appari­ tion dans les oeuvres en langu.Jt française; les littérateurs de lan­ gtœ latine, limités A la docte société des clercs, gardaient depuis longtemps dans le a oeuvres les éléments antiques, mais se gardaient bien de les confier aux· auteurs écrivant en langu e vulgaire. Or la vie parallèlle des deux littératures française et latine devait fné­ vitablement les mettre en contact et déboucher sur un réseau d ''in­ fluences réciproques. C'est ainsi qu'Alexandre a pu na~tre A la lit- térature de langue f'ran~aise.

La premi~re oeuvre alexandrine remonte ~ 1125 environ; nous n'en possédons qu'Un. fragment de 105 octosyllabes signé par Aubri' de Brian­

çon. Mais c1'est dans la deuxi~me moitié du m3me si~cle que le roman alexandrin prit de l'ampleur. Le Roman d'Alexandre composé de 20,000 vers par un consortium d1'auteurs (Lambert le Tort, Eustache, Alexandre de Bernai et Pierre de saint-Cloud) connut un grand succ~s non seule­ ment en France mais dans presque tous les pays européens 00. 1 ''illus­ tre prince devint le sujet de maintes oeuvres allemandes, italiennes, espagnoles et yougoslaves. L'on sait que c'est en 1177 qu t Alexandre de

Bernai mit la derni~re main au Roman d'~Ale.:x:andre,soit vers l'époque ob.

Huon de Bordeaux t'ut vraisemblablement composé~

Le héros et conquérant de l'Antiquité grecque appara.tt, aux yeux

àe !''auditoire féodal du me siècle, comme un mod~le bien différent de celui' que ce m3me auditoire avait l'habitude de rencontrer dans les chansons de geste. Le monde antique y apparatt comme 11 opposé du monde chrétien de Charlemagne. La conqu3te est son privilège; l''épo­ pée ne conquiert pas, elle défend. L'idéal du héros fortement indi­ viduel, du génie fougueux de la conqu3te prend la place de 11'image-· du héros collectif, soumis au destin que lui tracent la Providence et l'Empire. Ce nouvel idéal marque la pén.$tration du paganisme an­ tique dans l'esprit chrétien de l'Empire incarné dans la légende ca- rolingianne.

Joie nous fait l'antiquité

Que tout ne soit pas vanité. (1)

Désormais nous suivons le héros non plus seulement dans seS" ex­ ploits, mais aussi dans sa vie de tous les jours depuis son enfance, comme pour mieux- montrer que le héros est celui qui se fait lui;..m&te héros depuis les plus humbles années de sa vie. Le Roman d'Alexandre nous fait assister A la formation du jetme héros dans son enfance et durant son adolescence, Ce trait particulier au roman alexandrin provoquera dans les chansons de geste qui cheminent parall~llement avec lui dans le temps, les multiples enfances des héros épiques: Les Enfances Guillaume, les Enfances Ogier, Mainet, Rolandino.Avant cette

époque, le héros est toujours présenté in medias res; son passé est sans signification; le présmt seul de l'action est sujet à la su-­ blimation épique.

C'est dans les romans alexandrins que se dessine pour la premi~e fois les éléments de la courtoi.Jlie alors· en plein essor dans les cours du Midf de la France • Beszola rév~le que dans le seul Roman d'Alexandre le mot de courtoisie se retrouve au total plus fréquem­ ment que dans toutes les chansons de geste antérieures rassemblées.

C'est l'injonction de la courtoisie dans la mati~re antique quf faft des oeUVTes alexandrines des oeuvres proprement médiévales. La cour- toisie envers les dames est enseignée A AleJtandre d~s son plus jeu­ ne âge, tout comme elle doit faire partie de la formation du chava­ lier idéal de la société féodale du XIIe si~cle. Il n'y a rien d'an­ térieur aux premief-s romans alexandrins qui puisse, semble-t-il, jus­ tifier l'apparition de la courtoisie dans la littérature m9diévale.

Au vers 36g du Roman d'Alexandre, on trouve ceci:

Li reis Artus 11 ot man jour en bataille.

C'est l'indice qu'un nouveau centre de th~mes poétiques, indépendant du foyer d1'Alexandre, a déjà fait son apparition dans la littérature. L''auteur poitevin indique qu'ïl connaft cet autre prince qui se pa:r­ tagera d8sormais avec Alexandre et Cha.Tlemaene, le monde littéraire de la deuxi~me moitié du XIIe si~cle.

Si la légende arthurienne d'origine celtique a vraisemblablement circulée sous forme de tra.di tion orale dans le nord de la France avant le XIIe si~cle, ce n'est qu 1'en 1135 qu'elle fait son apparition dans la tradition écrite avec l'Historia rem&~ Britanniae de Geoffroi de

Mbntmouth. Apr~s cette date, et notamment apr~s 1150, les th~mes ar­ thuriens sont mannaie courante dans la littératù.re de 11 époque~ C'est l cette date que la forme du roman s'impose A la société de cour.

Nous ne nous attarderons pas sur 11 origine des légendes arthu­ riennes. Voyons plu~t ce que ce roi et sa Table Ronde ont apporté de nouveau ~ la littérature du moyen âge~ La vogue de la littérature arthurienne, par sa nouveauté, devait disputer avec succès A la vieil­

le chanson de geste la faveur publique. Aux entreprises e~n~rales,

poursuivant un but national ou autre, succèdent les aventures in­ dividuelles. L'amour, qui dans les chansons de geste, n'avait joué qu'un r8le secondaire prend dans les créations de provenance breton­ ne une importance ca pitale. La femme avance au premier plan. L''homme,

subissant 1 1 infiuence de la femme et de 1 1 amour, n'est plus le guer­ rier brave et intrépide qui ne prend plaisir qu'au bruit des armes; il est avant tout le chevalier galant et courtois. Un intér3t tout nouveau pour la vie intérieure des personnages, pour 1 1 analyse des sentiments et pour les nuances psychologiques vient remplacer "l" ex­ position tout extérieure et les grands partis pris qui caractérisent l'épopée"• (2)

Les oeuvres du cycle arthurien se manifeste d 1 abord sous la forme celtique du lais, mais leur f~rme classique s'élabore dans le roman dit courtois avec Ma!tre Wace, auteur du Roman de Brut, et surtout avec Chrétien de Tra,res.

Avec Chrétien de Troyes le monde d'Arthur est clairement délimité: l'amour courtois, l'exploit pour mériter la dame, la réintégration du héros dans la société de ses pairs, et surtout le merveillB'I.lZ i'éerique indiquant d1'tme façon définitive que l'idéal des chansons de geste ne s'impose plus seul A la conscience littéraire des poètes. C1 est ce­ pendant au moment o~ Chrétien de Troyes écrit Yvain, Erec et Enide, Clig~s et Lancelot que notre po~te met au point Huon de Bordeaux pour un auditoire qui vraisemblablement avait déj! entendu raconter les conqu3tes hérolques d'Alexandre et les ri­ ches merveilles du roi Arthur.

Voici donc quel est 11état des grands courants littéraires en vo­ gue au moment où Huon de Bordeaux fait son apparition devant l'audi­ toire de château. Charlemagne n 1 est plus le seul à rassembler autour de lui tous les exploits glorieux. Alexandre, prince gr8c, est l'ob­ jet d'une haute idéalisation du prestige personnel et de la conqu3te glorieuse. Arthur, rassembleur de poésie, tient sa cour au milieu de merveilles sans nombres et ses vassaux se livrent à des aventures toutes empreintes de féerie afin de mériter l'amour d'une Dame.

Avec ces éléments nouveaux introduits dans la littérature, avec les formes nouvelles dans lesquelles 1 1 évolution a fixé les chansons de geste de la fin du XIIe siècle, il est clair que Huon de Bordeaux ne pouvait pas correspondre en tout point à la pureté esthétique de la cha.'Ylson du XIe si~cle. Nous avons vu quelle difficulté éprouvaient les­ auteurs de manuels à classer cette oeuvre dans le répertoire des chansons du cycle carolingien. Cela tient peut-Atre à ce qu' elle n'est plus tout

à fait une chanson de geste et qu 1 elle s'est peut-3tre muée en autre chose.

Tentons de situer le point exact que tient Huon de Bordeaux dans le lignage des chansons du cycle carolingien. Trois chansons anté­ rieures à Huon de Bordea~ semblent d~limiter, tant par leurs carac­ tères généraux que par leur st,yle respectif, le cheminement 9Z 11 évo- lution de la chanson de geste; elles nous aideront A situer notre oeuvre dans cet ensemble. Ce sont la Chanson de Roland, la Chanson

de Guillaume et Raoul de Cambrai. Chacune d'elles se manifeste comme

l'oeuvre type de chacun des trois cycle••

Ce qu'ont en commun ces trois oeuvres ne dépasse pas le cadre

de l'aventure guerri~re, et ce qui fait l'Un.ité fondamentale de la Chanson de Roland se dissout A mesure que l'on se rapproche de Raoul de Cambrai. A la défense de l'Empire qu'assurait Roland se subs­ titue la défense du lignage féodal par Guillaume pour aboutir fina•· lement à la seule défense du fief dani Raoul de Cambrai. De l'empi- re au fief, le cadre guerrier se rétrécit et les motifs de 11héro!s­ me s'amenuisent sensiblement. Dans Huon de Bordeall.'A c'est également pour la possession du fief d'Huon qu'Ama.ury consent à la. Da.ssesse· du complot guerrier, et c'est pour s'assurer la possession du même fief que Huon se livre ensuite aux: exploits exigés par Cha:rlemagne • .tl!!2!l de Bordeaux entre donc dans la ligne des chansons où 1 1 empire réduit ses frontim.es aux limites du fief seigneurial.

L'Empereur, objet d'idéalisation dans la Chanson de Roland, prin­ ce tout puissant, sans défaut et pour lequel leshéros se font martyrs,

àubit également des modifications dans 1' évolution des cycles. Char­ lemagne, défenseur de tous les droits, est empereur et oncle de Roland; dans la Chanson de Guillaume, Vivien doit faire appel, pour sauvegarder ses droits, A son oncle-seigneur d'une part, et A l'Empereur d'autre part. L'unité du pouvoir théocratique qu'exerçait Charlemagne dans la

Chanson de Roland est divisée et amoindrie dans la Chanson de Guil- -laume. Le pouvoir impérial devient chez Raoul objet de sa révolte. Raoul se révolte contre Charlemagne p1rce que celui-ci, injustement, lUi a enlevé son fief au profit d 1un autre seigneur. Dans Huon de

Bordeaux l'Empereur n'a plus la figure infaillible du Charlemagne de la Chanson de Roland. C'est m3me lui, tout roi qu'il est, qui finit par 3tre vaincu d'tine part dans son orgueil parce que Huon rel~e son défi, d 1 autre part par les puissances non plus huma.ines et guerri~res comme dans Raoul, mais féeriques et magiques incarnées par le petit roi Aubéron.

Le pathétique chrétien et l'amour de la patrie qui meuvent cha- mm des héros de la Chanson de Roland n'a plus d 1 importance dans la ~ son de Guillaume o~ l'honneur guerrier et la rudesse virile ~ l'état brut ont :pris toute la place. Raoul pour sa part n 1·est mû que par la force que lui.donnent les motifs de sa vengeance; il ne recule devant aucune lAcheté comme en font preuve le m~xrtre de la mère de Bernier et l'incendie des monastères. Huon est un 3tre plus faible encore, qui ne pourra finalement triompher qu'en faisant appel aux forces surhumaines d 1.Aubéron envers lequel il ne pourra m3me pas témoigner sa fidélité; n 1 enfreint-il pas l'ordre d 1 Aubéron de ne pas sonner le cor magique sans motif sérieux? N'enfreint-il pas même 1' ordre mora! chrétien qui lui interdit toute relation avec Esclamonde avant d'avoir reçu la bénédiction nuptiale? Seul le duc Naimes, fidèle à la sages-­ se étennelle, reste le m~me depuis la Chanson de Roland jusqu'à

Huon de Bordeaux.

Ce que le héros Roland a d'individuel servait à établir un équi­ libre entre les forces èxtérieures de l'action dramatique; le person­ nage est mû par un principe qui le gouverne; il est l'incarnation de

1 1 héro!sme. Danë Raoul de Cambrai déjA, le héros est individualisé au point de ne tenir à défendre que sa propre vie. La. lutte pour l'ror­ dre intérieur de la communauté est remplacée par la lutte pour un or­ dre intérieur dans la personnalité de l'individu. Huon est 1.m héros mené· par tous ses caprices intérieurs et nulle loi ne veille à 1 1 or­ ganisation de son t:ersonnage; il est livré à une liberté qui n 1'a rien de dramatique.

L'objet proprement chrétien de la défense de l'Empire qui entrat­ nait les héros dans une série d'aventures guerrières ne réside plus dans Huon de Bordeaux qu'en un fétichi_.Bme puéril que symbolisent les quatre dents et la barbe de Gaudisse et pour lesquelles Huon a dd

:franchir tant d 1 épreuves. Ce n 1 est pas me croisade que Huon va mener' en Oritnt,.c1 est un défi oreueilleux qu'il va relever.

Roland est accompagné d'Olivier, de Turpin et des autres pairs;

Guillaume n 1 a plus que ses neveux et ceux de sa. famille; Raoul est abandonné de tous et doit conduire seul sa lutte contre les ennemis; Charlemagne ordonne à Huon d'aller seul, depuis la Mer Rouge jusqu•·au palais de Gaudisse, accomplir l'exploit qu'lllui a imppsé. Au drame né d1tm confiit de volonté, tel qu'on le trouve dans la Chanson de Ro­ land, s'oppose la trame d'aventures inouies que rien, semble-t-il, n'a présagées.

La. dissolution de 11 espace épique (1 1 Empire) et de la dimension héro!que des personnages constitue donc le lieu de la métamorphose profonde de 'la chanson de geste de Roland à !i'!:!2n· 1-fais cette métamor­ phose peut-elle 3tre autre chose que la désagrégation d'un genre? C'est en analysant les ressorts littéraires de Huon de Bordeaux que nous pour­ rons répondre à cette question.

En plus des changements apportés au niveau des motifs de 1' aven­ ture guerri?n-e, la modification est aussi décelable au niveau de l'or­ ganisation esthétique de l'oeuvre. L'articulation des phases dramati­ ques et leur agencement, le ton général de l'oeuvre, la composition proprement littéraire et ses structures, autant d'objets qu'il impor­ te d 1 analyser dans leurs fonctions épiques en voie de devenir ro­ manesques. Et les éléments que nous avons signalés plus haut, soit l'entrée en scè:le au milleu du nie si~cle des romans alexandrins et arthuriens, a111ec leur somme d'aventures nouvelles, ne sont pas étran­ gers à cette transformation. Deuxième partiet CONJOIN'l'URE C H A P I T R E T R 0 I S I E :H E:

LES ELF.:M:Er-TTS RO:HANRSIJ!§

Nous vons dèjA laissé soupçonner que notre projet était de fai­ re voir en Huon de Bordeaux une oeuvre complexe, ni tout-~-rait chan­ son de geste (bien que se rattachent au cycle carolingien), ni tout­

~-fait roman (bien que comportant un certa.in nombre d'éléments ro­ manesques). C'est donc A ces éléments propres à la forme du roman médiéval que nous consacrons le présent chapitre, tout en tenant compte d'éléments épiques qui serviraient A distinguer, dans Huon de Bordeaux, le roman de 1 1 épopée.

En juxtaposant ce qui fait de la Cha."lson de Rolrnd une geste, A ce qui, dans Huon de Bordeaux) en fait une oewrre complexe, nous nous trouvons devant deux sensibilités litt.:?raires différentes. C'est dans la for'Tie que prennent ces sensibilit,';s que l'ppposition se ma­ nifeste davantage. Par forme, il faut entendre, le cadre spécifi­ que• ~ chacun des !~ genres, soit: la dur9e de l'oeuvre, l'économie des fonctions psychologiques qui animent les personnages, la tonali- t~ et 1•· style édictés par une motivation particulière, enfin la struc­ ture proprement litt~raire: la laisse. Chacun de ces segments forme le cadre de Huon de Bordeaux en fonction de la. composition archétypique et traditionnelle de l'épopée d'une part, de la composition libre et inovatrice du roman courtois d'autre part, Voyons en quoi la compo-­ sition de ces deux genres s'oppose Apremière vue~

Le roman Jjtédiéval est A 1' épopée du XI et XIIe siècles, ce que le cinéma est A la photographie; les rapports de l'un A l'autre sont des rapports de durée. Posons donc comme postulat que le temps cons-· titue la mesure différantielle entre le roman et l'épopée,

L''épopée centre 1' int~r3t sur la façon dont se sont déroulés des faits irrémédiablement consomm~s; aussi l'intrigue est-elle très simple, afin de ne pas nuire A la clarté de l' év~ement principal. Le roman, par contre, concentre l'attention sur les faits qui vont se dérouler, et qui rel~ent de la fantaisie de l'auteur; aussi la complication de l'intrigue peut-elle ~tre poussée A l'extr~me. Or, de toute évidence, Huon de Bordeaux participe A la seconde des deux esthétiques. L'auteur, en effet, n'insiste pas sur la véracité his­ torique de l'aventure de Huon comme le fait, par exemple, l'auteur de la Chanson de Roland, L'aventure fantaisiste ne s''est pas déjA déroulée dans le passé, mais se fait au fur et A mesure que les héros progressent dans 11 action. L''attention est soutenue par une '2,1

suite d'intrigues compliquées A souhait et que rien n 1 annonce.

La geste découpée en tablea~~, laisse l'mmpression de scènes et de personnages précis et bien circonscrits. Huon de Bordeaux, au con­ traire, se d~roule dans une continuité; aucun des moments de l'aventu­ re du Héros n•·est omis. 0' est précisément pour ne pas omettre ces moments, pour ne pas briser la continuité de l'oeuvre, que le po~te doit les remplir par des aventures interm~diaires, fantaisistes et sans rapport avec le th~me central. Le sujet de Huon de Bordeaux, s'il avait ét.~ traité à la façon d'une chanson de geste primitive, n'aurait pas eu la description préliminaire de la cour de Charlemagne. Seule la trahison d'Amaury aurait reçue un traitement littéraire. Auraient également été supprimés, les préambules du combat judiciaire, le récit du voyage de Huon de Paris ARome, de Rome à Brindisi, de Brindisi à la l·fer Rouge en ~ssant par la F.eméhie et la Terre de Foi. Seul un héros du type art.nurien pouvait s'attarder, comme le fait Huon, à chacune des étapes du voyage en chargeaat chacune d'elles d1un sens symbolique ou allégorique.

L'épopée don.'l'le immédiatement dans 1' in medias reis, p~nètre au coeur de l'év~nement~ Le roman a besoin d'Une préparation à l'aventure. Ainsi, des 10,553 vers qui composent Huon de Bordeaux, 5,435 vers prè­ c~ent l'arrivée de Huon à Babylone, ville qui constitue le vérita­ ble coeur de l'oeuvre. La différence entre les deux gen»es réside précisément dans le fait que 11 épopée est un évènement (lin instan­ tané), le roman, une aventure (une durée). La durée, dans Huon de Bordeaux, ne diff~re en rien de la durée des romans de Chrétien de Troyes. Avec la Chanson de Rola.nd,la .Qhml­

son de Guillaume ou le Pélerinage de Charlemagne, notre oeuvre ne présente aucun point commun quant ~ l'articulation des phases. Les héros romanesques partent de la cour de leur roi, décrivent un cer­ cle pour enfin revenir ~ la cour d 1ôh ils étaient partis. Le h.}ros

épique, pour sa J:art, est pris sur le vif, au milieu de ses actions et y meurt; la mort est sa seule issue. L'aventurier romanesque, au contraire, cherche dans l'aventure une source de vie nouvelle; il survivra atUi é~es qui pourraient s 1 interposer entre lui et le but A atteindre. Huon qui part de la cour de Charlemagne, s'engage dans le cycle de l'aventure, revient, sain et saur, ~ la cot~ de l'Empereur, ne diff~re en rien d 1Yvain, de Perceval, de Clig~s ou de Lancelot; la durée dans l'aventure est le temps conunun A tous ces héros.

L'épopée ne cherche pas à exciter la curiosité en faisant ap­ pel à l'incertitude. Le roman cache son dénouement, en laissant espé.:.. rer 1 1 intervention de quelque fait surprenant. Dans Huon de Bordeaux, rien, dans la premi~re partie ne surprend: nous savons que Huon tue­ ra Charlot, qu'Amaury sera puni, que Huon devra ~tre banni; les res­ sorts littéraires de cette premi~re partie, la durée romanesque mise

à part, relèvent du domaine épique, Mais aussit8t engagé dans 1' aven­ ture, Huon ne répondra qu'à l'imprévisible. Ainsi, malgré l'avertis­ sement de Gériaume lui interdisant de parler à Aubéron, Huon adres- sera la parole au roi de féerie pour voir les prévisions de Gériau- me s 1'évanouir. Aubéron, en effet, n 1 est pas 1 1 enchanteur satanique

11 Il que Gériaume annonçait, mais un faé d'origine divine, aupollur plein de bonté.

Plus tard, chez Oede, ~ Tormont, comme au ch~teau de 11 0rgueil­ leux, nous sentons tr~s bien que la victoire dll héros est la seule issue possible, mais les combats n'en restent pas mons pleins de pe­ tits détails qui compliquent 1 1 intrigue essentielle et surprennent l'attention. L'imprévisible se manifeste lorsque Huon est fait pri­ sonnier dans la tour du palais de Gaudisse, mais l'arrivée inattendue du géant Agrapart venant venger la mo;yt de son :rrm.e sert de prétex- te ~ 1 1 auteur pour· sortir de 1' impasse. Huon sort de sa prison pour combattre Agrapart. Voyons maintenant comment la psychologie des per- sonnages évolue dans 1 '''épopée et dans Huon de Bordeaux.

D~s 1' apparition de Ganelonf dans la Chanson de Roland , 11 au- teur nous avertit de ce que sera le personnage pendant toute !''action de 1 'oeuvre: Guenes i vint, ki la tra!sun fist (0, laisse 12) 'f.fa.is rien, dans Huon de Bordeaux, ne laisse prévoir que Gérard se ré­ voltera un jour contre son :fr~re, et sera finalement pendu comme un trattre. Gérard n'est pas le Trattre, il devient trattre. Les h0ros du roman sont toujours en devenir, alors que, dans l'épopée, le hé- ros est preux eu sage ou tra!tre d~s les premiers mots et le restera jusqu'a la fin de 1 1 oeuvre.

D'autres personnages dans Huon de Bordeaux ~TÔluent d'une façOn plus ou moins inattendue, pour ne pas dire incohérente. GAriaume, con­

sacré ! la vie pf.lnitente, isolé dans la :f.lor~t, e.e fera finalement :ehe\!alier de comba.t armf c6tés de Huon.

Esclarrnonde, présentée d'abord sous des traits tyranniques, de­

viendra le soutien de son prisonnier, Huon. Le duc Naime cependant

est un personnage md par une psychologie proprement épique. On le

voyait déjà figurer, dans le~estes primitives, comme conseiller de Charlemagne. n incarne, dans Huon de Bordeaux, la sagesse et la pondé­

ration et cela sans subir d~odification psychologiqqe dans la com­

position de sa personnalité.

Huon lui-m~me évolue. Aucun adjectif ne le qualifie d'une façon

constante, comme Roland était qualifiéde preux, Olivier, de sage.

L'auteur l'appelle quelques fois "noble cavaliern ou "l'enfans Hues",

mais aucun trait ne le saisit d'une façon typique. D'abord fort, et vainqaur de Charlot èt d'Amaury, Huon deviendra faible et ne pourra plus

re!!lporter de victoire sans 1 1 aide des puissances féeriques incarnées

par Aubéron.

Charlemagne n' ·est plus le personnage sans faille des gestes du

XIe si~cle. Toujours, dans Huon de Bordeaux, ses décisions seront mo­ difiées ou compl~tement reaversées par Nairne, par Huon ou par ses pairs. Bu.veur, violent, parfois injuste, aucun motif épique ne le conduit.

Si tous les autres personnages ne sont pas soumis ~ des flotte­ ments psychologif!UeS, c'·est que leur r~le n'est qu'accessoire. Char- lot, Guirré de Gironville, l'abbé Leitris, Gloriant, Hondré, Jofrai,

Sébile et beaucoup d 1 autres, viennent tour ~ tour, parfois sans rai- son apparente, changer le cour de 1 'aventure. Au total trente-deu::Jr personnages figurent dans Huon de Bordeaux. N'est-ce pas là le signe que nous sommes loin de la simplicité de la Chanson de Roland où à peine une demi douzaine de personnages jouent un rSle important?

Nous nous retrouvons dans la m3me atmosphèE"e luxuriante qui pr0side aux romans arthuriens; nous n'arrivons plus ~. retenir les noms de tous les figurants. ~me parmi ces figurants presque inactifs, il y an a qui recevront un traitement ps.ychologique analogue à celui de Huon ou de Gériaume.

Le caract~re de Charlot, par exemple, sera influencé par Amaury;

Jofroi, d'abord courtisan fidèle du duc Oede, trahira son ma!tre pour aider Huon. Yvorin, recevant l'aide de Huon, finira par le combattre.

Tous ces person'Y'le.ges, à des degrés divers, sont nantis d'une grande souplesse peycholoeique qui a pour fonction d 1·amener L'aventure dans une situation nouvelle. Mais, précisément, faire dévier 1' intrigue, la conduire dans un dédale inextricable, ce n'est pas jouer de 1 1'épo- pée, c'est donner dans ce qui appartient en propre au roman.

L'entrée des romans arthuriens et alexandrins dans la littérature du XIIe siècle n'est pas étrangère A l'orientation romanesque des oeuvres contme Huon de Bordeaux, Mais ai ·notre oeuvre a reçu d'Ar­ thur et d'Alexandre le sens de la dur-?.e romanesque et la psychologie

propre aux hèros de romans, elle n 1 en a pas moins rejeté consciemment

ou inconsciemment --un élément primordial: l'a~our courtois~

La femme n'est pas aussi absente de Huon de Bordeaux qu'elle

11 était des chansons de geste antérieures, Mais pour avoir introduit dans son oeuvre des femmes aux r8les relativement importants, 1' au­ teur de Huon de Bordeaux ne leur a pas donné la fonction qu'elles pourraient avoir dans un roman courtois, Voyon donc quelles sont

les femmes que Huon de Bordeaux met en scène;~d'abord la rnère de Huon, puis la femme de Garin de Saint-Omer," viennent ensuite Sébile,

jeune française captive au c~teau de l'Orgueilleux, et enfin la pri­

cesse Esclarmonde, fille de 11 gmir de Babylone et une princesse, dont le nom ne nous est pas révélé, fille de l'émir Yvorin,

Signalons d'abord que le mot de courtoisie n'est proféré qu'une seule fois dans to'llDe l'oeuvre, soit lorsque la mère de Huon, faisant stw adieux A ses fils qui se rendent A Paris, leur recommande: Soiiés courtois et larges vivandiers (v,571)

La mère-de Huon ne fait l'objet que de quelques vers et aucune atti­ tude courtoise n'est prise envers elle. ~lle mourra de chagrin deux ans après le départ de Huon pour 1' Orient. Celui-ci, à son retour n'y fera nulle all~sion et ne s'enquérira m3me pas du sort de sa mère, On sait toutefois, lorsque Huon peut endosser le haubert magique, que ses parents étaient purs; c1 ea était la condition.

En ce qui concerne la femme de Garin de Saint-Omer, on la voit pleurer le départ de son mari qui a choisi de suivre Huon jusqutà la Her Rouge. Aucune sc~ne galante ou courtoise ne préside au dé­ part de Garin. A son retour d'Orient, Huon reviendra voir la femme de Garin pour lui annoncer la mort de son mari. C'est encore une fem­ me en larmes que 1 1 auteur nous fera voir ici. Là s' arr~te le r~le d'tine femme dont nous n'avons m~me pas appris le nom.

Au ch~teau de Dunostre, Huon rencontre Sébile, captive de l'Or­ gueilleux. Son atti tude envers la pucelle n 1 est pas celle du cheva­ lier courtois, sans ~tre toutefois anti-courtoise. Il J'appelle 11 Dame11 ou 11 Doulce amie" co~me le voulait probablement la coutu_me de l'épo­ que, mais le motif courtois qui appara!t dans les romans arthuriens­ lorsqu1une dame entre en sc~e, est totalement absant de ces pages. A la fin de l'oeuvre, on retrouvera Sébile; Huon la marie à un de ses chevaliers sans toutefois qui celui-ci ait d'B. la conquérir par des ex­ ploits guerriers~ Sébile n'a aucune fonction essentielle dans le po~me, sinon qu'elle fait Drébucher le géant à qui Huon tranchera la t~te.

Esclarmonde est la fille de Gaudisse. A son arrivée au palais de l'émir, Huon comme 1 1 exigaient les conditions de sa mission, embras­ se trois fois la jeune princesse qui se p~~e d'aise devant le beau chevalier. Lorsque Huon sera emprisonné, c • est elle qui ira le voir dans sa prison et lui proposera de faire q'elle ce qu'il voudra.

Elle lui déclare son amour, ce qi!. est une attitude assez peu courtoi­ se, 1' amour courtois exigeant une grande discrétion. Huon repousse son amour sur quoi la jeune princesse se vengera et le laissera j e'll­ ner. Affaibli par le je'llne, Huon accepte!'a finalement d'épouser Es­ clarmonde si elle le laisse s'évader, ce qui constitue une condition qui ne rel~e en rien de l'amour courtois tel qu'idéalisé par les romaneiers arthuriens.

Puis Huon, reitrant en France A tlord d 1 un vaisseau, abusera de sa jeune fiancée. Nous verrons d'ailleurs au cinquième chapitre com­ ment l'auteur nourrit envers les femmes et l'amour une attitude net­ tement anti-courtoise; c'ast ainsi du moins qu'apparaissent les sc~ nes dont les femmes sont l'objet.

Une seule fois Huon livr.éra un combat pour déliner Esclarmonde de la tutelle de Ge.lafre. 'Mais, m&te en ce combatf le Mros ne ma­ nifestera en aucune manière les grands sentiments qui èevraient l'a­ nimer. Le combat 1 1 int6resse beaucoup plus que l'objet pour lequel il livre ce combat. 1-falgr·~ tout, l'auteur fera tout pour que le couple termine son aventure en beauté, sans toutefois accorder d'importance particuli~re A ce bonheur final.

Au ch~teau dYvorin, Huon jouera aux échecs' avec la fille de 1 1 e;.. mir de Mbnbranc. Gagnant, il refusera le prL~ de sa victoire qui

était d'épouser la jeune princesse. Pour sa part, la pucelle mani­ feste trop d'empressement à laisser gagner le ~eau chevalier. Son attitude est trop ouvertement passionnelle pour ~tre courtoise. L''au­ teur s'en moquera d'aille.urq.s en faisant dire à Huon qu'il préf~re cinq mille marcs d 1 argent à la jeune prit),cessa.

Les femmes, telles que d~crites :r:e,r l'auteur de Huon da Bordea'!i!A, n 1 ont donc rien de courtois et ne provoquent aucun sentiment courtois chez les chevaliers. L'absence de l'amour courtois dans cette oeuvre

1' éloigne des romans écrits A la m8me époque. Ce n'est pas pour une femme mais pour son fief, que Huon s 1'est engagé dans 1 1 aventure.

L'absence d'amour courtois toutefois ne prouve pas que Huon de

Bordeaux soit une épopée à l'état pur. Trop d1'éléments encore 11'éloi:.. gnent de la chanson épique, tels que le style et la composition de la laisse.

Si 1' on compare le début du po~me Huon de Bordeaq aux chansons de geste, la différence n 1apparalt gu~re au niveau de l'intention de l'auteur: Segnour, oii1s, - ke Jbesus bien vous fache,

Li glorieus ki nousfist a s 1ymage

Boine canchon estraite del lignaire

De Cha.rlemaine a 1 1 e.duré coraige (v.r-4. ) Ecoutons l'auteur de Ogier le Danois:

Oiés, seignors, que Jesu ben vos face

Le glorious, li rois esperitable

Plaist vos o!r canehan de e-re.nd barnage

C'est d 1 0gier duc de Danemarche (v.I-4)

La ressemblance est m~me frappante, et indique bien que malgré l'in­ fluence des romans arthuriens et alexandrins sur Huon de Bordeaux, cette oeuvre n 1 en veut pas moins demeurer dans la lignée des chansons de geste. Intention n 1'est pas action. Le ton solennel et hiératique des prerü~es gestes a fait place à un ton beaucoup plus relaché qui ne recule souvent pas devant le burlesque. Les appels aux saints et ADieu se sont multipliés; les clichés s'y trouvent en plus grand nombre. On ne peut s'emp~cher de citer ce cliché, fréquent dans lfugn de Bordeaux et que l'on a déjà trouvé· dans les autres chansons de geste: ( ... ) j'en ai mon cuer irié (v. 79) {! •• ) s'en ai mon cu er irié (v.94) ( ... ) s'en ai mon cuer irié (v-.97) ( ... ) s 1'en ai mon cuer irié (v.2514) a.~) moult oc le cuer irié (v.2546) pour ne citer que ces vers pris au hasard (I)

Quarante-six laisses, soit plus de la moitié de l'oeuvre, sont

1 assonnancées en "é" ou "fé ', ce qui explique que le cliché "cuer irié" ttl

ait pu 3tre considéré par l'auteur comme une cheville parfaite.

Le ton parfois lyrique des gestes primitives ne se retrouve qu'une seule fois dans Huon de Bordeaux, alors que le h.5ros se voit' seul dans le verger du palais de Gaudisse ~egrettant d''avoir menti au gardien du pont:

Hel' las, dist Hues, mes cors que devendra?

Dolante mere, qui neuf mois me porta, Ja mais tes cors, certes, ne me verra,

Car j'ai menti a ce pont par dela (v. 5500-04) Or faites pais,s1il vous plaist, escoutés, Si vous dirai, par les sains que fiat Dès

Me cançon ai et dite et devisé,

!-fais saciés bien, se DL"< me doinst santé,

}fa cançon tost vos ferai definer. (v.5510-15) Ce lyrisme quelque peu relB.ché n'a rien de commun avec celui de Ro­ land, non plus d'ailleurs qu'avec celui de Tristan. Il est moins raf­ finé et annonce le lyrisme quelque peu baroque de Rutebeuf.

La laisse, dans les chansons de '?,este constitue "l'unité narra­ tive du poème", selon le mot du médiéviste A. Nonteverdi. Elle en est aussi l'unité dramatique et l'ttnité lyrique. Ce matériau élémentaire de l'épopée est donc appelé,.avec le changement de l'idéal épique lui­ même, à subir d'importantes modifications. La Chanson de Roland compte l?B'laisses, chacune de ces laisses

compte à. son tour de 10 A 20 vers, la moyenne étant de 14 vers par

laisse. Une seule laisse renferme 35 vers, et une seule autre, J.

Le Couronnement de Louis, pour sa part, est composé de 106 lais­

ses. Le volume de chacune d'elles cependant a augmenté pàr rapport

à celui des laisses de la Chanson de Roland; 43 vers en moyenne. La

laisse la plus élaborée ne compte pas moins de 152 vers, et la moins volumineuse, 3 vers. Un change;,ent substantiel s'·est o-péré à 1 tin­

térieur du chant épique.

Huon de Bordeaux compte 91 laisses, soit un nombre de beaucoup

inférieur à celui du Couronnement de Louis qui avait déjà sensible­

ment dirûhué à c8té de la Chanson de Roland. Par. contre la moyenne de vers composant chacune des laisses a beaucoup augmentée, soft 116 vers. La laisse la plus longue compte 1,114 vers, et 22 laisses ont plus de 200 vers. Comme la Chanson de Roland et le Couronnement da

Louis, Huon de Bordeaux compte 2 laisses de 3 vers. li laisses abt moins de 10 vers.

Rappelons, jar ordre chronologique, la moyenne de vers par laisse de chansons que nous venons de voir, tout en y ajoutant d'autres ges­ tes postérieures: Chanson de Roland: 14; Pélerina.ge de Charlemawe:l6;

Raoul deCa.mbrai: 22; Charroi de N!mes: 25; Prise d'Orange: JO; Couron­ nement de Louis: 43; Honiage Guillaume: 63; et enfin Huon de Bordeaux 116.

01'est donc que la grande uni té métrique de la laisse dans la chanson de geste primitive s'est amenuisé sensiblement. C'est 1 1 an~ chie strophique qui r~gne dans le po~me de Huon de Bordeaux, Que s 1 est­ il donc passé?

Cette extension graduelle serait-elle en rapport avec la gen~se m~me de la laisse qui, née de la strophe, en présente d''abord les àa• ractéristiqûes (nombre restreint de vers) pour les perdre ensuite, sous

1 1 influence du roman breton? (2) Huon n 1 arrive-t-il pas à la littéra­ ture au moment o~ le roman arthurien a déJ:! conquis les auditoires de chAteaux? De m~me que 1 1 év~ement épique a lentement glissé vers l'a­ venture romanesque, de m~me la forme épique tend à s''approcher de ]a formule métrique du roman. Gela vient peut-~tre du fait que l'épo- pée était destinée ~. la récitation et le roman à la lecture, (3) Le Roman d'Alexandre déjà, quoique composé en laissesJavait largement augmenté le volùme de sa laisse, Le Roman de Rou de N'attre ~·face comprend une premi~re partie composée en laisses A la façon du Roman d'Alexan­ dre, et une deR~i~me partie, sans laisses, faite de vers assonnsncés~ t'es romans de Chrétien de Troyes ont totalement abandonn3 la laisse et sont composés d'tin seul bloc de vers à rimes plates,

Huon de Bordeaux n'est donc pas encore un roman par la forme bien que sa formule métrique ait évoluée vers un élariTissement de la laisse~ L'influence du Roman d'Alexandre sur sa composition est toute­ fois not.able. La laisse <'l.e !-!uon de 3ordeau:x: a également perdu sa fonc­ tion d 11.mit8 narrative, Chaque tableau de la Chanson de Roland corres­ pond à une laisse; dans Huon de Bo;rdeau:x:, l'on trouve jusqu''à 7 laisses pour un m3me épisode, tel celui de 1' arrtvée de Huon ~. Babylone alors que chacun des groupes de sarrasins festoyant sttr la place publique se trouve décrit par une laisse de 3 ou de 4 vers.

Nous sommes là devant un fait: Huon de Bordeaux contient, au

àein m3me de sa composition, un nombre important d'él~tnents qui in­ diquent sa tendance vers la composition romanesque.

Qu'il s'agisse du traitement de l'action, ou de la composition métrique, l'oeuvre a reçu d'un façon manifeste l'influence des romans du milieu du XIIe siècle sans toutefois l'avoir assimilée totalement.

Une seule absence notoi~e, celle de l'amour cottrtois, contribue à ne faire de Huon de Bordeaux, un roman.

Mais l'amour courtois eftt-il été présent, que maints traits nous auraient fait hésiter à le classer parmi les romans. Ainsi, le héros Huon, qui emprunte manifestement au roman alexandrin le sens ae l'a­ venture individuelle, ne ré11ssit pas à faire de son aventure une con­ qu3te aussi glorieuse que celles du Prince grec •. De plus, le sens intérieur et souvent spirituel de l'aventure arthurienne lui échappe totalement~ Gomment donc l'auteur soutiendrait,..;il une action qui ne serait plus épique, au sens où l'épopée défend l'espace collectif de l'homme, mais qui ne serait pas non plus, an sens romanesque, une conqu3te du monde soit extérieur, soit intérieur? Bref, que l'on considère Huon de Bordeaux comme une geste contaminée ou comme un roman d1'aventures A cadre épiqe, en quoi réside l'essentiel de son originalité? Elle consiste en la naissance d'Un élément nouveau dans l'évolution de la chanson de geste, et qui est aussi le signe le plus évident de sa contamination: la féerie •. 6HAPITRE QUATRIEHE

LES ELE!JENTS FEERIQUES

"l.e roman courtois et arthurien, écrit Jean Frappier, inaugu­ rait le dépaysement par la littérature". (1) Et c'est tr~s juste­ ment que Y.IB.l'c Bloch a vu dans les romans du milieu du XIIe si&- cle l''expression d'un ltge désormais assez raffiné pour séparer de la description du réel la pure évasion littéraire. (2)

En plus du héros en qu3te d~ l':absolu, en plus de la femme ob­ jet d'amour courtois, les romans de la Table Ronde ont introduit dans le monde littéraire 1' enchanteur Herlin et la merveilleuse fo­ r3t de Brocéliande. Cette naissance du merveilleux: n'a pa.s été. sans effet sur les auteurs quï, dans la seconde moitié du XIIe si~cle, con­ tinuaient à écrire des chansons de geste.

Ce n'est toutefois pas sans gaucherie que ces auteurs épiques· utilisaient·des matériaux ·jusque-là étrangers à la composition des gestes. La chanson épique primitive n 1.était pas dépourvue àe merveil­ leux, mais ce merveilleux était essentiellement épique et chrétien et

ne possédait pas le riche pouvoir mystique et symbolique du merveil­ leux celtique. C'est cette richesse que les poètes, tel l'auteur de

Huon de Bordeaux, ont voulu, avec maladresse parfois, ajustée au ca­ dre de la chanson de geste.

Aubéron (.3) constitue, dans Huon de Bordeaux, 1' axe autour du­ quel tournent toutes les puissances magiques. Avant la rencontre de

Huon avec le roi de féerie, aucun élément féerique n 1apparatt dans

l'oeuvre; jus~e lA elle n'est point différente d1ûne chanson ge ges­

te. Que le merveilleux d1Aubéron soit d'origine romanesque, c'est

ce que nous verrons ici~

La for~t o~ vit Aubéron ressemble Ala forat de Brocéliande où les héros arthuriens entrent dans le monde de la magie et de la féerie.

Le cor magique sur lequel il n'y à"qu1 A frapper du doigt pour déclan­

cher une temp~te rappelle l'épisode de ~où le chevalier déeha!- ne une temp~te en répandar..:b de 1' eau sur le perron magique. Ne retrou­ vons-nous pas ce cor aussi dans la Chanson de Roland ? Oui, mais la grande différence de leur pouvoir respectif rappro6he davantage le cor d'Auhéron de 1 1 épisode de ill!!l que du cor de Roland.

Le hanap où nul ne peut boire s'il n'est Jill étât de gritce imite la corne A boire da Lai du Cor qui a les m&es propriétés magiques. Ce hanap rappelle le graal de Percefal lequel permet également de dis- tinguer les bons des méchants. Nous n r avons pas pu trouver cependant de source littéraire au haubert magique; c'est 1\ une création ori­ ginale de 1 r auteur de Huon. n faudrait peut-3tre voir dans ce hau­ bert une transformation de l'écu magique qui dans Fergus prot~ge

également le héros aes coups d'tm géant habitant, tout comme l'Or­ gueilleux de .!!llim,, le chAteau dli Dunostre. L'aut-eur n 1 a cependant pas fait preuve de grande original!té en posant comme conditions du re­ vêtement du haubert les mêmes conditians qui étaient exigées pour boire-au hanap magique: 3tre pur, et né de parents purs.

L1 ~anneau merveilleux que Huon prend ! 1' Orgueilleux se retrouve dans ~ qvc des qualités différentes cependant; dans H1!2n il per­ met au héros de se présenter sans danger devant l'émir de Babylone, alors que danè Yvain 1 1 anneau rendait invisible celui qui le portait.

Nous retrouvons le m~me anneau avec les m3mes propriétés dans le Ro­ man d'~exandre(v.359} où l'on peut repérer également une description d''lme fontaine au milieu d''un verger qui ressemble de tr~s pr~s A cel­ le qui est faite de la fontaine sise dans le verger de Gaudisse.

Malabron, le petit 11 luiton11 de la mer est avec Aubéron une créa­ tion originale du po~te; on ne rencontre nulle !Jart ailleurs niL· son nom ni sa fonction littéraire. Les géants l'Orgueilleux et Agrapart sont des personnages insolites, mais non merveilleux; la chanson de geste aval t mis en sc~e des g3ants bien avant 1200. Dans le Couron­ nement de Louis,par exemple, le chevalier Guillaume combat contre un géant nommé Corsolt. Le géant de l'épopée n'est qu'une incarnation

encore mal conjuréé de la croyance populaire, alors que dans le ro­

man arthurien, comme dans .lli!2D, d'ailleurs, les géants, sont des per­

àonnages tr~s souvent symboliques incarnant un vice ou un défaut démesuré. Citons quelques géants des romans bretons: Harpin de la

Monta~e tué par le Chevalier au lion dans Y-.min; Olwen dans Mabi­

notton tranche la t~te au géant Penlœ:wr; le géant Riton dont il est fait allusion dans maints romans, se confectionne des fourrures

avec les barbes des rois qu'il a vaincus; c 1 est lA une étrange res­

semblance avec le voeu de Charlemagne de posséder la 'barlDe de Gau­ disse. Enfin, dans l'Historia regnum Britanniae,le roi Artus est vainqueur d'Un. géant habitant le Mont-Saint-Hichel. Les géants de

~,ne constituant pas des éléments féeriques mais des valeurs sym­

boliques, nous garderons pour le chapitre cinqui~me l' ~tude de leurs

fonctions littéraires~

Les éléments féeriques dont nous venons de voir les origines

probables sont indispensables au déroulement de 1 1 intrigue: rien n 1'ar­

rive sans leur concours. A partir du moment o~ le héros mettra le pied

dans la for~t, la féerie ne cessera, jusqu'A la fin de l'oeuvre, de

jouer un rôle de premier plan. Huon d'abord réticent A la vue d1'Au­ béron à cauàe des recommandations de Gériaume, consentira finalement à s'abandonner aux mains de la magie. Aubéron lui" donne un cor et un

hanap magiques en lui faisant lev recommandations d'usage: être pur,

ne pas mentir, ne pas utiliser les objets magiques sans raison suffi• sante. Huon mentira, utilisera sans raison le cor magique, sera im­ pur dans ses rapports avec la princesse Esclarmonde et pourtant les

Puissances ~éeriq_ue~e cesseront pas d'accorder leur aide à Huon. Le motif féerique est trop fort dans l'oeuvre pour que le héros, par ses multiples fautes, en arr~te l'action, C'est même pour remédier à la faiblesse du héros que la féerie intervient~

D'abord l Tormont où HDon combat contre son oncle le duc Oede, le héros fait appel à Aubéron, et son armée de cent mille hommes povr remporter la victoire. Que serait-il advenu d 1·un tel héros s'il n'a­ vait pas fait la rencontre d1 Aub9ron? Il faut bien toutefois que l'au­ teur donne quelques crédits à son hBros, et, au ch6teau de Dunostre, Ifuon tuera seul le géant l'Orgueilleux. l'JB.is encore là, Ifuon ne peut vaincre que grAce au haubert magique qui le pré serve des coups de son adv'ersai....;re; sans ce haubert, Huon aurait été coupé en detlll d~s les premiers moments du combat.

Comment Huon, connaissant l'itinéraire de son voyage, n'a-t-il pas prévu qu'il lui faudrait traverser la l

A Babylone, Huon enfreint 1' ordre d'èAubéron, et ment au garde du pont en se disant sarraèin. Aubéron renie alors son protégé. Huon, pri­ vé' de l'aide du roi de féerie, sera fait prisonnier. Pbur échapper A la prison, Huon livrera un combat contre Agrapart, mais la lutte ne se terminera pas d'une fa$on aussi glorieuse que les combats pré­ cédents où Aubéron jouait le plus grand rôle; Huon, au lieu de tran­

cher la t~te du géant, lui coupe tout simplement l'oreille. Sa fai­ blesse s'explique par le fait que les puissanceà féeriques ne sont pas venues à son secours. Huon pour accomplir les actes qui cons­ tituent le sommet de sa mission sonnera du cor et Aubéron, oubliant

la faute de son protégé, arrivera sur-le-champ avec son armée. Le héros n'est grand et valeureux qu'avec l'aide du petit roi de féerie

et il sortira encore vainqueur d1Une lutte facile.

Après son aventure avec Esclarmonde sur le vaisseau du retour,

!1uon sera jeté sur une île d' àù il ne pourra sortir qu 1 avec 11 aide des puissances féeriques. M3me dans son état de grand pécheur, les

forces occultes lui accorderont leur aide; }~labron viendra encore une fois sauver le héros et le traverser en croupe jusqu'à la rive de la mer.

Au moment où Charlemagne doit faire exécuter Huon et les siens, le roi Aubéron, sans avoiy m3me re$U d'appel de la part de Huon, v~ lera à son secours. L'auteur se servira de la prréence de la féerie pour condamner l'attitude injuste de l'Empereur; Aubôron, en effet, ayant présenté le hanap magique à Charlemagne, celui-ci n'y pourra boire faute d'~tre pur.

}~is là ne s'arr~te pas le rôle de la féerie, car ce n'est fi- nalement pas à son fief q11e Huon retournera mais bien au royaume d'Aubiron sur lequel il r~gnera désormais. En définitive, le véri­ table héros de Huon de Bordeaux, c'est Aubéron. C'est lui la force, la fidélité, la justice jadis incarnées par le héros épique~ ~ause de cela, l'auteur fait jouer à Aubéron le r~le de double et de sup­ pléant d'tin héros qui a tout perdu de sa puissance et de son idéal~

Avant même d'avoir emprunté les éléments féeriques au:x: romani· et légendes arthuriennes, l'auteur de Huon de Bordeaux obéissait à une nécessité de l'évolution du chant épique~, La fé'erie ne consti­ tue qu'un ressort esthétique pour sauver 11 e§ficacité· littéraire de la geste, qui, vers 1200, n'a pius aucune emprise sur les es­ prits. Cette raison de la présence des éléments féeriques dans ~ de Bordeaux est plus profonde encore que celle de 1' infiuence venue des romans alexandrins ou arthuriens. Le roman courtois serai t-il rl1 ailleurs né sans la désagrégation de l'idéal épique? Il est proba­ ble que non, du moment qu'Un genre litt8raire ne na~t ni ne meurre que sous des nécessités imptû-atives. Le roman, né des ruines de l'épo~ée continue à cheminer encore quelques temps avec celle-ci et à lui prêter les éléments qui la feront survivre encore un peu~ C'est ainsi que l'épopée vivra de greffes et d'emprunts jusqu8 dans les tardives romances carolingiennes du XVIe si~cle.

On pourra soutenir que la féerie constitue tout stmplement

~élémœt 'ppétique de la chanson de geste~ Mais alors, pourquoi la poésie de Huon de Bordeapx se trouve-t-elle dana la féerie, alors que chacun des éléments de la Chanson de RoJ.e.nd était prétexte a poésie? Pourquoi ce monopole de la poésie soudainement concentré

sur des éléments jusque là étrangers à la chanson de geste? Le fée­

1 rique de Huon de Bordeaux n a rien du merveilleux épique de Rolan4, l> non plus que du merveilleux mystique des romans celtiques.Celui-ci loin de servir de ressort à l'aventure, an arr~te l'a-œtion dans un prolongement méditatif et donne à cette même aventure une intensité

souvent spirituelle. Or tel n'est pas le cas du féerique de Huon de

BordeaU%~ La dimension spirituelle du merveilleux romanesque a dis­ paru, ou plut~t n'est jamais ent8ë dans Huon de Bordeaux; la féerie y fait figure d'un relief purement pratique qui active et alimente l'action du héros.

Elément de contamination quant à l'évolution du geP~e épique d'une part, source de renouvellement qudt a la décadence de l'idéal guerrier, la féerie dans Huon de Bordeaux constitue, à 11 intérieur de l'oeuvre, le seul ferment de poésie et d'unité esthétique. C'est la féerie qui crée, par delà l'action, une atmosphère presque mythi- que. Troisi~me partie: SENEFIANCE CHAPITRE CINQUIEME:

L'AVENTURE ET SEs- SYMBOLES

Pour la psy-chologie, l'oeuvre n'est que la manifestation d1tme valeur abstraite, et le personnage n•·est que la métamorphose d'une idée. L" esthétique constitue l':ensemble des moyens par lesquels une valeur abstraite se manifeste dans une oeuvre, et par lesquels une idée se métamorphose en personnage. Dans la mesure où 1 ''esthétique de l'ana~ste tente de détecter, au sein de l'oeuvre, ce qui fait sa valeur, et de la restituer sous une forme non-métaphorique, elle aboutit inévitablement à des sch~mes a~straits qui perdent toute vertu esthétique.

Pour éviter cet écueil, l'analyse du sens de 1 1'aventure doit nous amener l considérer les liJ7lllboles, par lesquels 11 aventure se manifes- te, comme des phares indicateurs de ce sens. Les symboles, comme ap- proches littéraires du sens de 11 oeuvre, demeurent pour l'auteur comme pour l'analyste, des valeurs à l':éta.t pur; leur fonction est

essentiellement esthétique et, pa.r lA, ne se laisse pas cerner par

l'analyse qui s 1 'avèrerait trop technique, A 1' instar de 1 1 analyse pu- rement ps.rchologique. Les s.ymboles, comme les différentes techniques littéraires, n'ont qu'une valeur psychologique relative et arbitraire.

L'aventure, pour sa- part, et dans un sens tr~s général, telle que la concevaient les auteurs épi_ques ou romanesques du moyen âge, est, de tous les motifs humains, celui qui se prête le mieux A 11alchimiè littéraire. La ps.rchologie collective de 1 1 homme médiéval aidant, les

3tres et les choses se livrent, avec une souplesse étonnante, aux métamorphoses littéraires. Nous avons déjà vu d'ailleurs, au cha- pitre premier, comment l'histoire elle-même servait à alimenter cette' transformation générale du monde et des êtres.

Un subterfuge littéraire cormmm A maintes oeuvres du moyen âge nous introduit, en ce qui concerne Huon de Bordeaux, dans un monde o~ l'aventure de laisse préstmntir par le symbole. Charlemagne, en effet~ tient sa cour A Paris: Che fu a Pentecouste, le haut jour enforcié(v.29)

La Pentecate éta.it au moyen ~ge, avec No~l et Mques, l'une des fêtes chrétiennes les plus hautement célébrées. La commémoration qu'elle rappelle du jour où l'Esprit descendit sur les Apatres mar- qu~ · :1tt ainsi le début à e la grande aventure de 11 assemblée chrétienne, ~ n''a pas tardé à devenir une valeur littéraire dans les oeuvres du moyen !ge. L1 aventure étant le grand th~me de tous les romans de 1 té­ poque, n 1 était-il point naturel que la Pentec6te soit devenue 1 1 at­ mosph~re dans laquelle toute aventure prenne sa source? Nous trouvons dhez Chrétien de Troyes, cet état de Pentec6te qui pré­ side à toute aventure: A cele feste qui tant coste

qu'an doit clamer la Pentecoste (Yvain,v.5-6) Et dans le Roman de Perceval:

Si s 1'en:br' encontrent en la cort ce ru a une Pentecouste (v.27S4-S5) N'arie de France utilise également cette valeur littéraire:

A la Pentecoste en esté (Lanval,v.II) cl: dans le Lais de Chevrefueil: Li rois i vuelt sa cort tenir A Pentecoste i seront tuit. (v. 40-41)

N'est-il pas étrange de retrouver dans une chanson du cycle ca­ rolineien un tour littéraire qui n 1apparatt originairement que dans les romans et lais arthuriens? Une seule che.nson ge geste, autre que

Huon, fait mention de la f~te de la Pentec6te dans son préambule; il s'agi+ de ,écrit au début du XIIIe siècle, et qui,

à 1' instar de Huon de Bordeaux, est né au moment o~ le roman courtois arthurien ne pouvait pas ne pas infiuencer les auteurs encore attardé's A écri:ee des cha.'1sons de geste; c'est cette influence qui fait qu''el­ les ne sont plus tout A fait des chansons de gest8, et qu'elles por­

tent plus d'éléments romanesques que d'éléments épiques. Or dans Girart de Roussillon nous trouvons ceci: A Pentecoste en celle de Reins (v.4)

Pourtant, ce qui était coutume littéraire pouvait n'avoir qu'une origine historique; c'est ainsi que dans son Fistoria regnum Britanniae,

Geoffroi de Montmouth écrit que le roi P~thur avait été couronné un

jour de Pentec$te ~ Carlion: Cum igitur solemnitaà Pentecostes advenire inciperet Arturus affectavit curiam ilico tenere, t.egnique dia­ dema capiti suo imponere. (chap. CLVI)

Serait-ce en l'honneur de ce jour elu couronnement d'Art.hur que les poètes arthuriens lui font toujours tenir sa cour à la Pentec$­ te? Peut-~tre aussi l'avent~e, pour être vraiseml)lable, ne pouvait­ elle avoir lieu que pendant la belle saison (aucun roman ne se passe

en hiver). Or la Pentec$te est la seule fête du début de l'été o~ le roi puisse tenir sa cour, lieu de départ des aventuriers roma­ nesques.

Alors, pourquoi, dans les chansons de geste primitives, Cljarlema­ gne ne tient-il pas sa cour Ala Pentec$te? La réponse est que, le ro­ man arthurien introduisant dans la littérature le sens des valeurs symboliques {1), il est le seul qui pouvait donner à la fête un sens symbolique, celui d'un présage d'aventure qui, comme la Pente­ eSte originelle, sera tr~s souvent une aventure spirituelle et inté­ rieure. Il n'en reste pas moins que Huon de Bordeau:x;, oeuvre épico­ romanesque, par un acquis littéraire ou par conscience esthétique, est, d~s les premier vers; charg9 d'une atmosphère d'aventure. PentecSte de l'aventure: l'aventurier n'est plus ma!tre de son destin; un prin­ cipe supérieur le gouverne, comme les apatres saisis de l'Esprit et gouvernés par lui du Cénacle Ala Diaspora.

C'est donc en ce jour de la Pentecôte que Charlemagne tient sa cour à Paris afin de se choisir un successeur. Charlot, son fils, qui prendra la succession, est un jeune homme léger et infiuençable qu'A­ maury n 1 aura aucune peine à persuader de tendre un pi~ge A Huon sur la route de Bordeaux à Paris. Le p~re de Huon, à eh croire Amauray,· aurait autrefois volé un château ~ celui-ci; c'est le prétexte qu'il do~~e à Charlot pour l'engager à sa cause, mais son véritable but est tout simplement de voir Huon dépossédé de ses terres, apr~s quoi Amaury pour- ra s' en emparer.

Faisant route pour Paris, Gérard, fr~re de Huon, fait un songe néfaste, et confie à son fr~re: Songaï un songe ( ••• ) Que trois lupart m'avaient assaili Si me traiaient le cuer sous le pis (v.59S-600) Gérard et Huon pensent alors qu'il vaudrait mieux retourner A

Bordeaux afin qu 1 auc1m malheur ne leur arrive. A ce moment 1.m cortè­ ge de moines passe devant eux et prend la route de Paris. Huon songe

A faire route avec eux, et ne pense plus 1.m seul instant A 1' avertis­

sement donn9 par le r&ve. Le rêve, valeur pa!enne, est écarté par la valeur chrétienne que représente la procession de moines. :L! abbé de

Cl1.my se r~vèle être le cousin de Huon. C'est lui qui t8moignera de la v~rité devant Charlemagne, lorsque Huon, ayant fina.le11ent surmon- té l'embuscade d'Amaury, aura tué Charlot et se présentera devant son su­ zerain ' sans savoir qu'il venait de tuer le fils de l'Empereur. Char­ lemagne est tout courroucé contre Huon lorsqu'il apprend que celui qui vient Iui rendre hommage est celui-là même qui vient de tuer son fils. Le duc Naime, incarnation de la sagesse et de la pondération, réussit ~ ca~mer l'Empereur et lui propose de faire passer Huon et

Amaury par 1 1 épreuve du combat judiciaire pour savoir lequel des deux dit la vérité. Le gagnant sera celui qui aura fait avouer son crime à l'adversaire avant de le tuer. Pendant la messe qui précède le com­ bat, les cierges disposés autour de Huon restent dressés, alors que ceux qui entourent Amaur,r fondent rapidement et ne peuvent tenir de­ bout. Lorsque les deux combattants vont baiser les saintes reliques avant de s'adouber pour le combat, Amaury chancelle et s'évanouit. La m~me scène se rencontre , avec les mêmes détails, dans Gaydon, chan- son écrite vers la même époque. Les cierges et les reliques: ce n 1 est EB-S lA encore des signes de féerie; ces objets pourraient tout aussi bien figurer dans une chanson de geste primitive. Leur fonction est de soutenir la tension littéraire et de laisser présager que Huon fe­ ra finalement triompher la vérité. Le combat commence: sa description est haute en couleur, mais dépourvue de cette invraisemblance des chansons primitives o~ le héros pouvait couper un cheval en deux.

Finalement, tel que le laissait prévoir l'atmosphère littéraire, Amau­ ry est vaincu et Huon lui coupe la tête sans toutefois avoir pu lui faire avouer son forfait. Huon n'a donc pas su rempl(r les conditions du combat; il devra être mnni tel que convenu. Naime juge cette me-· sure inique, et Charlemagne propose qu'une réconciliation soit ef­ fectuée entre lui et Huon A condition que celui-ci livre des otages, se rende A Baqylone, se présente au palais de Gaudisse, coupe la tê- te du premier convive qu'il verra, embrasse trois fois la fille de l'émir; de l'émir il réclamera de riches présents, des otages et exigera de lui sa barbe et ses quatre molaires. N son retour d 1 Orient, Huon ne devra pas mettre le pied à Bordeaux sans avoir auparavant vu l'Empereur à Paris. C'est là le programme de l'aventure que devra pour­ suivre le héros. Quinze chevaliers ont déjà entrepris le même exploit; ils n 1 en sont jamais revenus. De plus, Huon pourra se faire accompa­ gner jusqu'à la l-Ier Rouge, mais de là devra se rendre seul à Baqylone~

Huon part donc, et se rend aupr~s du Pape dont il dé.couvre qu'il est son cousin. L' Ap8tre lui donne 1 1 absolution pléni~re de ses pé'chés et luj. remet des lettres de recommandation pour le capi taine du port de {:;.1

Brindisi, Garin de Saint-Omer, également cousin de Huon. La visite au

Pape aurait pu donner lieu A une affirmation du sentiment chrétien, mais il n'en est pas ainsi. Pa.v plus d'ailleurs que le cort~ge de moi­ nes, que la messe du toutnoi, que les cierges ou les reliques, la visi­ te au Pape n 1 éveille chez le po~e le moindre sentiment religieux, mt- ce celui qui, ardent 9Z solennel, présidait aux: guerres de croi­ sade. La tension v~oprement religieuse qui donnait aux chansons pri­ mitives un certain accent spirituel a ici disparu pour faire place aux objets religieux considérés comme artifices 11ttéraires. Et qui pis est, ces objets ne sont souvent m~me pas respectés puisque l'ab- bé de Cltmy lui-m&le menace de briser la ch!sse de saint-Pierre si Huon est vaincu au combat. Nous avons déjA vu, au chapitre premier, ce qui aurait pu inci ter le poète A introduire le Pape comme cousin d •·un français, Huon. Hais c 1 estle temps ici d'en voir la valeur littéraire; le Pape seul peut absoudre tous les pQchés à la fois et leurs consé­ quences; ce qui permet l Hmm de devenir totalement pur et de pou­ voir, A la rencontre d'Aubéron, boire dans le hanap du petit roi de féerie. La pureté accordée par la bénédiction du Pape permettra éga­ lement l Huon de revêtir le haubert magique du cMteau de 1 1 Orgueil;.. leux et que ne peuvent endosser que les chevaliers purs, ri.êa de pa­ rents également purs. La personne littéraire du pape est ce qui, indi­ rectement , assurera la rédepption de Huon au cours de son voyage lors­ que la féerie fera défaut. De Rome, Huon se rend A Brindisi; c•·est là que s'embarquaient les

croisés pour rejoindre la Terre Sainte. Huon, à Brinàisi, se lie d 1 a-· mitié' avec son cousin, Garin de Saint-Omer qui, malgré les pleurs de sa femme, décide de prendre part A l'expédition de Huon; toute l'é;..

quipe part en direction de la Mer Rouge. Le récit du voyage languit en descriptions détaillées des contrées étranges qui se trouvent sur le chemin de nos aventuriers. C'est ainsi que l'on traverse la Feménie; ce pays nous est connu par des récits de croisés et on le retrouve dans qu elques chansons de geste. Selon la légende, ce pays serait celui des Amazones, soit par extension symbolique, le royaume des femmes.

Le po~te le décrit toutefois comme un pays de famine (d1 où peut-~tre le nom de Feménie) o~· le soleil est toujours absent, où le chant du coq ne se fait jamais entendre. Il s•·agirait peu:t-~tre ici d'un parti pris de l'auteur contre la femme telle que la conçoivent les romanciers courtois. L1 amour courtois, nous 1 ''avons vu, étant absent de Huon de Bordeaue;, alors qu'il y aurait toutes les raisons pour que l'on y trouv!t, il semble que la Feménie soit le s.ymbole de la sécheresse de l'amour courtois; le chevalier en qu~te d'aventures doit passer outre, et c1 est ce que fait Huon.

Puis, l'idéal courtois vaincu, le héros passe à travers un pays où l'idéal ~pico-chrétien se manifeste pour la premi~e fois:

Toute la Tere de Foi est paes

Tant grande i est et fais et loyautés (v.2923-24) Cette Terre de Foi n'est pas autre chose que 1' image du grand idéal chrétien que Huon se remémore avec ardeur; ce pays tout comme la Fe- ménie est repérable gépgraphiquement sur la route habituelle des croi­ sés se rendant à Jérusalem. Nais une fois ces terres franchies, Huon et son équipe pénè:brent dans une for~t. La description de cette for~t indique que nous arrivons au domaine de 11ïrréel. Pierre Ruelle note d'ailleurs qu'~ partir de cette forêt, les régions par où passe Huon sont purement imaginaires et ne correspondent en rien à des terres que nous connaissons. (2) Et cela n'est pas sans laisser paraître des inten- tions littéraires.

La forêt a été le premier habitat de 1 1 ho~e et elle recèle en son mystère la destinée de ceux qui furent les premiers hommes; son image est lourde de sens. Dans les oeuvres du l·!oyen Age, notamment dans les romans arthuriens, la forêt est ce lieu de mystère. C'est dans la for~t que s'isolent d1 abord les héros de la Table Ronde avant d1'entreprendre leurs aventures. Déjà, dans son Historia remum Britanniae, Geoffroi de Hontmouth décrivait la Forêt de Brocéliande, archétype de toutes les forêts merveilleuses des oeuvres postérieures. Aux vers 6395-96 du Roman de Rou, Mattre Wace parle de cette forêt "où si les Bretons disent vrai, on voit souvent des f/;es et bien des merveilles". C1 est dans cette forêt que Yvain accomplira ses exploits merveilleux, que Tristan et Iseut iront dormir. La for~t, dans Huon de Bordeaux, apparalt donc, comme dans too.s

les romans courtois, comme la manifestation symbolique d1un rite; ce-

lui de l'isolement du héros dans un lieu o~ les bruits de monde ne viennent pas le poursuivre dans 1' accomplissement de son aventure int~- rieure. Huon s'isole de tout ce qui a précédé; l'auteur a quitté ses connaissances exactes de la géographie des terres orientales; c'est véritablement là que commence l'Aventure. Tout ce qui précède n'aura

été que la préparation à cet instant o~ Huon pénètre dans la for~t.

Sa première rencontre rel~e déjà du dépaysement: un pénitent à bar­ be blanc}lQ, d 1 origine française et qui vit en ermite dans cette forêt . depuis plus de trente ans. n est un ferment de 1 'ïdéal chrétien en terre palenne, et sa rencontre avec Huon prépare la rencontre de Huon avec Aubéron, L'ermite s'appelle Gériaume; il est le frère de Guirré de Gironville à qui Huon a confié le fief de Bordeaux pendant son absence. L'ermite à \.arbe blanche au milieu de la forêt est un des personnages communs à nombres de romans~ L'ermite est le s.ymbole de la vie intérieure; la forêt, du silence entre la ~ie intérieure et le mon­ de. Cette image confirme le sens que nous avons donné à la forêt: ce­ lui de l'isolement rituel qui prés:i:dèà l'Aventure du héros, Mais 11 er­ mite Gériaume, à l'encontre des ermites de Chrétien de Troyes qtû se contentent de prodiguer des conseils moraux, prend une allure épique en se joignant à 11 expédition de Huon,

Dans cette même forêt Huon rencontre Aubéron. Le pénitent, con- naissant par ou!-dire le roi de féerie, prévient Huon qu' Aubéron prend seo.s son pouvoir magique celui qui ose r~pondre à àes questions, et que par conséquent il ne faut pas tomber dans son pi~ge. Une autre route que cette for~t conduit à Babylone, mais il faudrait un an pour la parcourir, et 1 1 intér~t d'une route sans danger ne préàente que peu d'attrait pour Huon.

Huon et ses compagnons prennent donc la route qui passe par la for't enchantée. Le petit roi de féerie ne tarde pas à apparattre. Il apostrophe les voyageurs qui demeurent muets et continuent de che­ vaucher A grande allure. Le cor d' Aubéron qu 'ïl suffit de frapper du doigt pour déclancher une tem~te, déchatne un orage horrible. Sou­ dain, devant les chevaliers qui. fuient, le mirage d'une rivihe et d'un chAteau apparatt. Cette fantasmagorie a son sens. Depuis le dé­ but de 1' oeuvre, en effet, toute 1' action s•·est déroulée au pl:ein air• La cour de Charlemagne était à l"extériew-, ainsi que le combat de

Huon contre Charlot, le tournoi avec Aumaury et la sc~e du départ de Ifuon. Si Huon a pu pénétrer dans une maison quelconque A Rome ou à Brindisi, l'auteur n'a pas jugé tlon d'en faire mention. Mais voici que le mirage d'tin chtlteau s'offre à Huon. A partir de ce moment, tou­ tes les étapes de 1' Aventure se passeront dans un chAteau: celui de

Hondré A Tormont, celui de l'Orgueilleux; le château de Gaudisae, la nef, qui est un chAteau marin, le ch~teau de Galafre, celui d'Yvorin, et finalement le chAteau de Bordeaux.

Le chAteau dans la littérature universelle symbolise toujo'l.n"s I''be; on se rappelle ici l'image des sept demeures· intérieures du chllteau de 11 be telle que lt·a décrite Sainte Thér?,se d 1'Avila, et qui est la plus cél~bre des métamorphoses de 11!me dans la littérature universelle. Le mirage du ch4teau qu1Aubéron montre aux yeux- de HUon est la préfiguration des ch!teaux oi\ 1 11aventurier aura A livrer ses combats. La rivière devant le chllteau est tout simplement l'obstacle originelle qu'il faut franchir pour parvenir A l'intérieur de l''!me, obstacle qui est celui de la foi en la vie surnaturelle. N' 1est-ce pas ce refus de la foi en des pouvoirs surhumains que Huon oppose A Au­ héron en refusant de lui adresser la parole? Et cela sur l'instiga­ tion d'un personnage incarnant pourtant la vie intérieure: Gériaume?

Gériaume et Aubéron sont-ils les représentants de ceux vies intérieu­ res llivergentes, l'une, celle de Gériau.rne, relevant de 1 11 ascétisme chrétien, l'autre, celle d1Aubéron, incarnant toutes les pÙissances créatrices de la vie? Le royaume de féerie n'est que l'image de la libération de ces puissances.

Néanmoins, Huon finira par adresser la parole ~ Aubérozy; ce que Gériaume avait dit s'avère faux. Huon se trouve nan.ti de tous les at­ tributs magiques d'Aubéron; celui-ci lui donne son cor et son hanap magiques, avec pouvoir de s'en servir. Huon n'est pas un des..,pendant des dieux, il n'a pas de pouvoir héro!que particulier, il n'a aucune prédestination. Son aventure n t'est pas la suite d'un choix:; elle Iui a été imposée. Huon est donc un homme comme les autres, faible et dé­ pourvu Œe·prédestination hérolque. Les puissances féeriques sont Il pour remédier A sa faiblesse, car il faut qu'il sorte de son Aventu• re en vainqueur. Aubéron, cependant, doit éprouver 1 1 oiiJéissance qe Huon; en lui remettant le cor magique, le petit roi de féerie inter­ dit à Huon de sonner le cor sans motif sérieux. '!'-fais à peine Huon a-t-il quitté le royaume de féerie que la lég~reté et l''incrédulité le poussent à sonner le fameux cor. Sur le champ, Aubéron arrive avec nne armée de cent mille hontl'!les. Voyant que Huon l'a appelé sans raison, Aubéron entre dans nne violente col~e, mais s'apaise aussi­ t~t et renouvelle à Huon l'interdiction relative à l'usage du cor.

La faiblesse de Huon se trouve confirmée dal'ls son incrédulité. Que peur faire un homme aussi faible sans l'aide des puissances surnatu­ relles? Les épreuves dignes d1'un héros commencent avec l'entrée en

sc~ne de ces puissances; Huon est prêt à faire face au premier obs­ tacle de son Aventure.

Dans la ville de Tormont, où Huon arrive bient8t, gouverne le duc Oede, oncle de Huon, qui a renié \a foi chré:hienne. Lors d 1'un festin chez Hondré, prévet de la ville, Huon invite Oede et sa cour; le duc répond d'abord par des menaces, mais accepte finalement l'invi­ tation de Huon. Huon présente à son oncle le hanap magique, mais le renégat ne peut y boire. Outré de cette humiliation, Oede invite son neveu à :passer la nuit au palais ducal et ordonne à un de ses cheva• liers, Jofroi, d 1 exterminer pendant leur sommeil, Huon et ses compa­ gnons. Jofroi, pris de pitié pour Huon, fraternise avec lui et l''aver­ tit des intentions de son oncle. Tous s'arment contre Oede; celui~ci s'échappe du palais qu 111 assi~ge bientat avec des troupes de renégats.

Huon appelle le secours d1Aubéron à l'aide du cor; le petit roi sur­ vient avec une armée inombrable, déferle sur la ci té et extermine tous ceux qui refUsent le bapt~me. Huon tranche la t~te de son oncle Oede.

La parenté dt Oede et de Huon nous met sur une piste pour 1' inter­ prétation de cet épisode; Oede n'est, dans le cMteau de 1 1 ~me, qu'une partie du héros. Cette partie de lui-m~me est celle de l'incrédulité·. Huon doit donc se dépouiller de ce moi, renégat des valaurs spiri­ tuelles. }ais pour ce faire, Huon est impuissant seul et doit, comme il était prévu, faire appel A Aubéron, aux puissances d 1'outre-monde.

C'est A partir de ce moment seulement que Huon ne doutera plus jamais de quoi que ce soit. Sa foi est désormais inébranlable; il a arraché de lui-m~me sa tendance au reni-ement manifestée dans le personnage de son oncle. La premi~re étape de la conqu~te d'une réelle personna­ lité de héros est franchie.

Aubéron, une fois sa ~che accomplie, défend A Huun de s 1arr3- ter au prochain château qu'il rencontrera sur sa route: le château de Dunostre construit par Jules César, autrefois hatJiré par Aubéron mais qu'un géant a conquis. Huon ne dissimule pas A Aubéron son in­ tention de désobéir et de se rendre coûte que coûte au ch~teau de Dunostre. Aubéron le prévient qu'en aucun cas il ne viendra A son se­ cours, mais Huon possédé par 1' orgueil se rendrra à l>tL'I'lostre. Possédé par l'orgueil: c'est manifestement d'orgueil qu'il s'agit dans cette deuxi~me étape de l'Aventure. Le géant que Huon devra combattre ne porte-t-il pas le nom significatif de l'Orgueilleux? N'est-il pas géant, c'est A dire demesuré comme l'orgueil lui-m3me? Et puis le com­ bat aura lieu non dans une ar~ne ou dans un champ, mais bien dans le chtteau dont nous avons vu qu'il était le symbole de 11 !me. Ce cM­ teau a 9té construit par Jules César tout comme 11 ltme guerri~re de l'homme européen a été- f~çonnée par le génie militaire. Aubéron a déj! habité le ch~teau tout comme le surnaturel rut un temps la grandeur de 1 1 ltme européenne; mais 11 orgueil sans mesure 1' ha bite maintenant tout en gardant captive une erande part de sensibilité humaine représentée par le personnage de la jeune française, Sébile que Huon délivre du chAteau de l'Orgueilleux. La dimension de l'A­ venture individuelle de Huon s'universalise: c'est toute la civili­ sation européenne, schématisée ! 1 •·extrême dans ses deux aventures de conquête militaire et spirituelle, qui se trouve ici au prise avec une force adverse: le ~éant l'Orgueilleux, incarnation de l'orgueil lui-même. Mais le héros finit par vaincre le ~éant non sans encore une fois être obligé de faire appel A l'ordre des forces surhumaines~

'En effet, Huon revêtira le haubert magique d1Aubéron que seuls peu­ vent porter les purs nés de parents éealement purs, et qu:i. garde hors d'atteinte des coups de l'adversaire, le combattant qui peut l'endosser. 'Encore une fois, Huon ne peut vaincre seul, et c'est fi­ nalement Sébile qui fera tribucher le géant auquel Huon coupera la t3te. Le héros enl~e ensuite ! sa victime un énorme anneau d1'or; cet anneau permettra ! Huon de franchir sans entrave les quatre ponts 1-1

qui m~nent au palais de Gaudisse; il suffira de le montrer ! l'.émïr pour que celui-ci se sou'W~ de l'obéissance qu'il doit ! son su­ zerain, le géant. Une nouvelle conqu3te donc dans 1' ame de Huon; tous

pén~trent dans le château et 11 on festoie joyeusement. Huon, en fai­

sant le tour des pi~ces du château, t.,ouve dans une chambre quatorze

hom~es décapités. Or, le groupe de Huon se compose de quatorze hommes.

Etrange co!ncidence. Huon, dans ce spectacle, devra, tout comme l'au­ diteur, se reconnattre lui-même ainsi que ses compagnons. Ces cada­

vres sont 1' image des hommes tués par 1' orgueil.

Huon a maintenant tranché la tête à 11 incrédulité et A 11 or- gueil; il a tout ce qu'il faut pour entreprendre le principal de son aventure• n se dirige vers la Mer Rouge. A partir de ce point il devra poUI'11Uivre seul son Aventure comme 11 avait exigé Charlemagne. Au bord de la Her Rouge, Huon ne voit pas de quelle façon il pourra traverser; aucun vaisseau A l'horizon, Soudain, un 3tre de féerie,

familier d1Aubéron, aborde sur la rive. C'est le "luiton" Malabron

qu 1 Aubéron a condamné à devenir animal marin pour une durée de trente ans. Pour pouvoir transporter Huon sur sa croupe, Malabron consent A

rester à la mer trente-huit ans de plus. La mer, comme la for3t, est pour les h3ros un lieu privilégié. C'est à partir de là que Huon de­

vient seul; apr~s avoir laissé le monde derri~re lui par l'isolement

de la forêt, il renonce à l'accompagnement de ses chevaliers par la

mer. Il acquiert ainsi une dimension mythique, car le véritable héros

· è 1 est celui qui est seul~ Huon arrive sain et sauf A son lieu de destination: Babylone (3) A une feste Saint Jehan en esté

Tenoit sa court Gaudisse 11 émiré (v.543~31)

Lam~me charge de s,ymbolisme que l'auteur avait donnée A la Pentecô• te peut ~tre tici accordée Ala Saint-Jean. Tout comme la Pentecôte préfigurait la Grande Aventure, la Saint-Jean représente l'image de la réjouissance palenne. L'on sait que le festoiement et les feux de la Saint-Jean sont d'origine purement palenne, plus précisément de la religion des druides, et que cette f~te, plus que toute autre rê- te chrétienne, donnait lieu au l1oyen Age A des manifestations orr,-iaques.

C'est sans doute Acause de ce caract~re pa!en de la Saint-Jean que le po~te, soucieux de la justesse de ses accords littéraires, fait tenir la cour de Gaudisse 11 A la Saint-Jehan en esté". Autre!'!lent, com­ ment expliquer la mention de cette f~te à la cour d1un musulman qui ne conna!t m~me pas Saint-Jean? Le reste de la description de 11·ar­ rivée de Huon A Babylone confirme le tour littéraire et nous fait as­ sister A un tintamare de festivités inou!t une foule immense d'oise­ leurs, de maréchaux-férants, de jol.lBtlrs d' écheca, de galants, de bu­

~eurs et de courtisans. Cette description rappelle celle de l'arri- vée de Charlemaene à ConstantinoJle dans le Voyage de Charlenagne en

Orient. Le po~te emploie ici des laisses de trois · ou quatre vers pour décrire chacun des groupes de la fête; chaque laisse ayant une rime dif­ férente, l'effet est celui d'un feu d'artifice sonore contrastant avec la lente monotonie des longues laisses qui préc~dent. 13

Tout est ~ la ~~te. Huon se diriee vers le palais de Gaudisse où l'émir ~estoie ~ grands bruits. Quatre ponts séparent le palais de la place publique où se trouve maintenant Huon; il devra les franchir.

Au premier pont, un gardien menace Huon de lui couper le bras s'il est étftanger; Huon, sans prendre garde ~ la recommandation d 1 Aubéron, ment ~ son assaillant et se dit sarrasin. Son mensonge parvient aux· oreilles du roi de ~éerie qui renie alors son protégé. Huon pense sou­ dain A l'anneau qu'il avait enlevé A L'Orgueilleux; il le montre aux gardes du deuxi~e et du troisi~me ponts qui le laissent passer avec empressement. Au quatri~me pont, Huon voit appara1tre un verger au mi­ lieu duquel se dresse une fontaine que garde tL.'>'! serpent. Cette image participe, selon Carl Jung, A la rrzythologie universelle; le verger est l'approche symbolique de la vie, la fontaine, le symbole de la cultu­ re et le serperlit indique que cette culture est étrang~re. (4) Jung rappelle que cette image se retrouve non seulement dans nombre d 1beu­ vres littéraires 'de l'humanité mais aussi dans les rêves de maintes persoJllleS vivant en milieu étranger. Notre po~te rêvait donc juste en symbolisant par le verger, la fontaine et le serpent, 1 1 arrivée de Huon dans un monde de culture étrang~re. Huon toutefois, gr~ce A son haubert magique, s'abreuve à la fontaine malgré· la vigilance du serpent qui défend farouchement son bien. C'est le signe que Huon,

à cause de ses aides surnaturels, ne sera pas assimilé par cette cui­ ture; il est immunisé contre elle. Il s'y arr~te pourtant et rêve au point d 1 en oublier sa mission. Huon pense ensuite que le temps est venu de sonner le cor et de faire venir Aubéron à son aide, mais Aubéron ne réJIOnd pas et blAme Huon d'avoir enfreint son ordre en mentant au gardien du pont. Mais l'Ife cor poss~de un autre pouvoir que Huon ignorait: les habitants de

Ba~lone se mettent à danser au son du ca_r magique. Huon se met A pleurer et à implorer la pitié d 1Aubéron. Il met désormais tout son espoir en Notre-Dame; c'est là le premier réflexe chrétien de toute

1 1 oeuvre, mais Notre-Dame sert de refuge quand les puissances magiques font défaut.

Huon entre donc au palais de Gaudisse 1 1 épée au poing. Il tran­ che la tête du premier venu; c•·est le fiancé d'Esclarmonde, fille de

11 éinir. A la vue de l'anneau du géant dont Gaudisse est le vassal, tous restent stupéfaits et abaissent leurs armes. Huon, dans l'éton­ nement général, embrasse trois fois la fille de l'émir; la princesse se pasme quant sent le baceler (v.5720); c 1 est une pointe d 1 ironie à 1 1 égard de 1 ''amour courtois. Huon décla­ me ensuite A Gaudisse le but de sa présence et réclame les présents, les otages, les ppuelles, la barbe et les molaires tels qu 1 e:rlgé·s par Charlemagne. lfilon raconte à l'émir comment il a tué le géant,.. sur quoi l'émir, n'ayant plus rien à craindre de son suze:eain l'Or­ gueilleux, ordonne que l'on s'empare de Huon; ce qui est fait A 1 11ns­ tant. L1 aventurier est dèpoùillé de son cor, de son hanap et de son haubert; il s:era gardé en prison fusqu1l la Saint-Jean de l'année suivante alors qu'il s:era liVré en combat aux champions d 1 .0rient~

Nous pouvons voir dans la captivité de Huon le signe de sa grande fai­

blesse lorsque les forces féeriques ne lui viennent pas en aide. De

plus 1' invocation dhrétienne en Notre-Dame est demeurée sans répon­

se, signe de la complicité du pouvoir divin et du pouvoir magique.

Le héros des chansons priJiitives, capable de tout par lui-m&me, est

devenu l'impuissant qui, sans 1 1aide d''au-del~, ne peut rien _accom-

plir de prodigieux.

Dans • prison, Huon reçoit la visite d'Esclarmonde:

Je sui la fille de Gaudisse 1 1 amiré.

Que vous baisastes hui matin au disner

Vo douce alaine m'a si le cuer emblé

Je vous aim tant que je ne puis durer

Se vous volés faire ma volentê

Consel metrai qe serés delivrés (v.5BSJ-S8)

Huon lui oppose un chaste refus, et la jeune pri.Deesse ordonne au

geSlier de laisser jellner le prisonnier. A~ trois jours de jeûne, Huon, affaibli, voit revenir Esclarmond. Il promet alorà de l'épouser

si elle veut se faire baptiser,· apr~s quoi elle trouvera une occasion

de faire évader Huon.

Huon, dans une prison, est vaincu par une femme. Cela a.ffirme d'a­ vantage la th~se de l'auteur qui semble n'avoir pour la femme qu'une

ironie hautaine. Celui qui a vaincu Oede et 1 1 Orgueilleux ne peut ré-

• sister devant une femme; comment peut-il porter le nom de héros?

Aucun roman courtois ne montre un homme vaincu par une femme. Escla.r­

monde finira par annoncer A son p~re que le prisonnier est mort; elle cherchera dès lors le moyen de le faire évader. Huon sera donc sou­ mis, A cause d'une femme, à l'échec total de son entreprise; il ne

rapporter~\ ni otages, ni présents, ni barbe, ni molaires. Uépreu­ ve semble sans issue.

Or pendant ce temps, iie l'autre côté de la l'fer Rouge, Gériaume

et ses compagnons s'inquiètent du sort de Huon. Un navire sarrasin

aborde à Dtmostre o~ se sont installés les amis de Huon. Les occupants

du navire viennent payer ~ L'Orgueilleux leur tribut annuel~ Gériau.me

les laisse débarquer, puis s'empare de leur navire et fait voile vers

Babylone •. Dans la cité de Gaudisse, Gériaume, qui parle très bien la langue du peys, se fait passer pour Tyacre le neveu de 1' émir. Par. · une ruse habile, il dit détenir comme prisonniers douze chevaliers

françaiS qu'il vient remettre à son oncle. L'émir lui annonce qu'il ya quelques semaines un Français est mort dans la prison ~ 11 on con­ duit maintenant les nouveallllt venus. Gériaume entre alors dan6 une crise de désespoir en pensant au triste sort de Huon, mais Esclar­ monde à tet fait de le rassurer sur la vie de son ami. Pendant ce temps, Huon retrouve avec grande joie ses chevaliers. Esclarmonde et

Gériaume viennent les rejoindre; c•·est grande f~te dans la prison.

Une heureuse issue êe dessine. La princesse propose d'assassiner son père, mais Huon rejette cette idée~ 1t

Au palais de Gaudisse, 1 1'arrigée du géant Agrapart, fr~re de

1 1 Orgueilleux, a jeté tout le monde dans la consternation. Le géant vient venger la mort de son fr~re. Pourquoi ici précisément, alors qu'il ignore qui est le meurtrier de son fr~re? L'auteur ne le dit pas. Cet épisode est mini d'un ressort pt~e~ent littéraire et manque de concordance esth~tique avec le reste de l'oeuvre. C'est Agrapart, en e:f:fet, qui perm.ettra à Huon de sortir de prison alors que celui- ci acceptera de se battre contre le géant. Auparavant, Esclarmonde a avoué· à son p~re ce qu'elle avait :fait du prisonnier et lui a fait promettre de rendre la liberté' à Huon s'il vainc le géant. Le com- bat a donc lieu. Le personnage du géant Agrapart n'a pas part au gys­ t~:"'e symbolique de 1' ensemble de 1' oeuvre; il est là comm.e devant permettre à Huon de poursuivre sa mission, car 1' oeuvre est dans une impasse aussi longtemps que le héros sera en prison. N'est-il pas si­ gnificatif d'ailleurs que Huon ne tue pas le géant mais lui coupe sim­ plement l'oreille? Agrapart, double de l'Orgueilleux, serait-il une nouvelle manifestation de 1' orgueil? E:ten ne semble 1' indiquer. La victoire de Huon ne prend aucune dimension héro!que, d'autant pius qu''Agrapart ne tient pas à combattre; il va même, pendant le combat, jusqu'à louer la souplesse de Huon et à lui offrir sa soeur Hurgale en mariaee. La victoire de Huon est néanmoins suivie d'un :festin au cours duquel Huon fait apporter son hanap magique, 1' offre à 1' ~mir pour qu'il y iDbmive. wrsque Gaudisse y porte les lmes, le vin dis­ paraît~. Huon somme Gaudisse de se faire baptiser, ce à quoi l'émir s'oppose malgré le prodige du hanap qui lui manifeste son erreur.

Huon sonne alors du cor, et Aubéron, oubliant qu'il a renié son pro­

tégé, arrive en in instant sur les lieux avec cent mille chevaliers­ "faés11. ns massacrent tous ceux qui refusent de renier leur foi palen­ ne. L•·émir reste inébranlable; Huon le décapite et lui antache la barbe et molaires.

Oe qui devrait constituer le sommet de l'Aventure, se fait sans éclat et sans gloil!e. Nous avons déj! signalé le féèichisme latent manifesté dans les objets aussi dépourvus de valeur que la barbe et les dentv• Si nous pouvions appliquer aux oeuvres du Moyen Age les méthodes de la psychanalyse, nous trouverions, avec Freud, que les dents sont toujours, dans les r~es, des symboles sexuels; mais les oeuvres ne sont justement pas des r3ves••• ; c•·est la raison pour la­ quelle nous rejetons toute interprétation de ce genre. Interprétons seulement ce fait comme la déchéance de 1' idéal épique et la déCa­ dence de l'esprit héro!que•· La barbe et les dents: qu•·en fera Charle­ magne? Tout· au plus la satisfaction d1'un curieux caprice. Nous con­ naissons pourtant des oeuvres, comme de Roman de Brut qui nous fait voir un géant, Riton, collectionnant les barbes des rois qu 1il a vaincus pour s'en faire des fourrures; il y a encore ici un idéal 4e conqu3te effrénée qui n 1 est plus celui de Huon de Bordea:u:x: .. Pourquoi s 13tre immunisé contre l'incroyance, avoir vaincu l'orgueil si le but de l'Aventure tenait dans des fétiches sans valeur? La réponse à cette question ne peu:b 3tre apportée qu'en jetant un regard sur l'ensemble

de 11 oeuvre, ce que nous ferons en conclusion.

Pour le mo "lent le sens de 1 1 étape supr3me de 1 1 Aventure de Huon

nous paratt nul et dépourvu de valeur eflthétique~; D1 autant plus insi­

gnifiant que Huon ne remplira pas en entier les conditions de sa mis­

sion; il ne ram?mera ni présents, ni otages, ni pucelles mais seule­ ment cette barbe et ces quaàre molaires.

Si les objets-fétiches s.ymbolisaient réellement des tendances

oniriques sexuelles, on trouverait dans 11 étape suivante de 1 •·Aven•

ture un dénouement tout à fait A point. Sa mission accomplie, Huon monte avec Esclarmonde et ses compagnons A bord d'un navire, non

sans qu1Aubéron recommande aux fiancés d13tre chastes et de ne pas an­

ticiper sur les droits que seule leur donnera la bénédiction nuptiale qu'ils vont recevoir du Pape A Rome. Huon a laissé les terres de Gau­ disse A un de ses chevaliers A qui il a marié Sébile, la tf.eune françai• se délivrée au ch!tea.u de Dunostre; Aubéron, par magie, a enfoui les

précieux trophées dans le nanc de Gériaume. La nef, château marin,.

nouveau symbole de 11 ~e, vogue maintenant sur la Mer Rouge. Le soir venu Huon .!dont la prist et si l'a acholé,

U lit se couCBnt sans point de 11arester;

De la pucele a fait se vole.Qté. (v.6S24-26) ~c

te symbole sexuel que nous aurions pu voir dans les objets-fé­ tiches constituerait donc un signe de la puissance virile manifes­ tée dans cette scène. Comment expliquer alors, que lui ayant jadis proposé la même chose, Esclarrnonde d û.t essuyer le refus de Huon~

}faintenant c'est elle qui r~sist.e, c'est lui qui "fait se volenté"~ Mais la faute ne restera pas impunie, . et

Onqes si tost n 1ot son deduit posé

Une tempeste commence par le mer. (v.6827~~S) te vaisseau éclate en mille pï~ces, et voici nos pécheurs Tout aussi nu comme au jor qu'il fu né (v.6841), sur une !le, au milieu de la mer. Ce n 1 est point la col~re divine n.t la vengeance d 1Aubéron qui déclanchent la tempête; elle vient d 1'Une

~agon naturelle, sans signe. t 1 auteur prend ainsi la liberté· de ne pas attribuer ~ Dieu, ni aux puissances magiques, les raisons de son anti-féminisme; le ch!timent d~ ~ la fe~~e vient de la nature.

Symboliiœe fertile que celui de la mer, de la tempête, du vais­ seau, et de 1 1 !le pour figurer 1' aventure se:x:uelle de Huon. te h1ros est maintenant seul avec une femme sur une !le. Esclarmonde, pour sa part, sera enlevée par des pirates; Huon restera seul et impuissant sur son !le déserte. Mais, encore une fois, l'inp~issance du héros sera rechetée par les puissances féeriques; Me.labron, le "luiton" qui avait jadis traversé Huon de Dunostre A Ba~lone, aborde sur les rives de l''!le oi\ Huon g!t nu, les yeux bandés par les pirates qui ont enlevé.Esclarmonde. 11alabron lib~re Huon, le met en croupe et le dé~ pose A M'onbranc. IA Huon rencontre, dans un bois, UD vieux ménestrel, Estrument, A qui il ment en se disant sarrasin. Huon accompagnera Es­ trurmmt, en qualité de valet, jusqu'au cMteau de l'éinir Yvorin, oncle d 1Esclarmonde. Sur la route, Huon rencontre une armée qui re­ vient d 1'Aufalerne et apprend que la belle Esclarmonde y est prisonni~ re de 11'éinir Galaf're.

Chez Yvorin, Huon se vente de ses multiples talents, notamment de son habilité aux· échecs. A ces mots, l'émir fait venir sa jeune fille, championne du royaume aux: échecs, et enjoint Huon A jouer une partie avec elle, moyennant quoi, s'il ea8ne, il pourra éPc>user sa fille, sinon, il aura la t3te tranchée. La jeune fille qui ne veut pas manquer 1 1occa.;ion d'épouser un si beau chevalier, se laisse mater.

Huon refuse le prix de sa victoire. Encore ici 1 •·auteur ironise sur l'envie de la jeune fille d'épouser Hùon. Celui;..ci finalement ne p·&­ pouse pas, non pour rester fid~le AEsclarmonde mais parce que la fil­ le de 11 émir est trop laide. Le lendemain Yvorin apprend que sa ni~ce est prisonni~re chez Galafre et lmre son armée pour aller la déliVI.'er~ Huon offre A Yvorin de se battre en duel avec un. repré'sentant de Gala­ fra. Yvorin accepte la proposition de Huon et celui-ci va au combat contre Sorbin, le neveu de Ge.lafre. Le combat a lieu devant les murs d1:Aufalerne. Huon finit par vaincre et est hautement f3té par Yvorin, le soir au château. Ce combat cependant est sans signification, et n ''est lA que pour ajouter aux exploits d1\m personnage qui, apr~s tout, est le héros de l'oeuvre; le combat nous fait oublier ses recents échecs. Pas une seule fois au cours dù combat 1 'a.uteur ne fait allusion A Es­ tnarmonde pour laquelle Huon s 1 est offert au combat. La position nette­ ment anti-courtoise de notre po~te s'affirme toujours plus.

Gériaume et ses compagnons, que nous avons laissés depuis longtemps, arrivent A Aufaleme, cité de Galaf're. ns y revoient Esclarmonde.

La guerre générale reprise entre Galaf're et Yvorin, Huon combattant aux c~tés d1Yvorin sera l'adversaire de Gériaume qui s'est fait sol- dat de Gala.f're. Huon et Géria.ume s'opposent A leur insù, puis se re­ connaissent. Géria.ume imagine une ruse: il am~e Huon prisonnier à Aufaleme; là, les deux: compagnons massacrent tous les habitants. Gala.fre et Yvorin ayant appris l' iden.tité de Huon, se liguent contre luf et entreprennent ensemble lie si~ge d''Aufaleme. Dans la mêlée, le cousin de Huon, Garin de Saint-Omer, est tué. Yvorin fait pendre Estrumen.t JX>ur avoir introduit chez lui le meurtrier de son frère.

Le soir venu, Huon retrouve Esclarmonde dans la cité ruiné·e, A:rrive ensuite Guirré de Gironville, gardien du fief de Huon, qui apporte la. nouvelle de l'insurrection de Gérard et demande A Huon de rentrer à Bordeaux le plus t~t possible. Guirré est le .frère de Gériaume; ils ne se sont pas vus 'depuis trente ans; on festoie encore. Au petit jour on s''embarquê pour l'Occident. De passage A Brindisi, Huon apprend à sa cousine la mort de son mari, Garin. A Bome, Esclarmonde reçoit le bap- tame des mains du Pape qui cél~bre également le mariage de Huon avec

la princesse. On ne s'attarde pas; il fant rentrer à Bordeaux. Huon se rappelle bientet l'interdiction formelle de Charlemagne: il ne doit pas entrer à Bordeaux avant d1'a.voir vu l'Empereur à Paris.

On s' arr~te donc da."ls la. banlieue de Bordeaux, au monast~re de

Saint-Haurice-~s-prés. Gé.rard, le félon, est mandé par son fr~re à

1' abbaye; il y vient accompagné' de son beau-p~re, Gi bouart, sur 1' ine­ tigation duquel Gérard veut dépouiller Huon de ses trophées pour en­

suite l'accuser devant Charlemagne d 1 ~tre entré à Bordeaux. Le plan de Gérard réussit; on amène le couple ainsi que Gériaume dans l''en­

ceinte de la cité de Bordeaux apr~s avoir massacré les autres·cheva- liers, L'abbé de Saint-14aurice a vu la sc~e; Gérard le fait pendre et nomme un· autre abbé qui saura le confirmer dans ses dires devant 1 1Em- pereur. Le trattre fait venir Charlemagne prétextant que son frBre a; enfreint 1 1 ordre imp~rial.

Dans le palais de Bordeaux, Charlemagne s•·enivre; le duc Naime s''en indigne. Dans une chambre, Huon, Esclarmonde et Gériaume atten­ dent leur proc~s. Huon demande à être jugé par ses pairs selon l'usa­ ge. Les pairs n'ayant· pu en venir à un accord, Charlemagne décide que les prisonniers seront exécutés. On dresse Ia. table et on festoie en attendant 1' heure de 1' exécution.

De son royaume, Aubéron 'foit Huon dans la détresse. Son coeur s'attendrit; le roi de féerie décide de venir en aide A son protégé~ Il apparatt dans la salle du festin, assis à une table plus élevée que celle de Charlemagne. C'est là le signe que l'auteur prend parti pour Aubéron contre Charlemagne; les traits ignominieux sur le visage de l'Empereur contribuent A rendre le personnage impérial disgr!cieux.

Aubéron va jusqu 1 à bousculer 11 Empereur et faire tomber la couronne qu'il porte sur sa t~te. Nous sommes loin des scèmes solennelles des chansons de geste du début du XIIe siècle où l'Empereur imposait la dignité et le respect. L'auteur n'emploie pas de s,rmbole; son atta­ qie est directe. L'on serait porté à donner un sens pamphlétaire à ces scàles où la personne de l'Empereur est ridiculisée. :lubéron of­ fre à Charlemagne de boire dans le hanap magique; lorsque l'Empereur y porte les lmrres le vin disparatt. Charlemagne n 1 est donc pas ptll'~

A.ubéron lui rappelle alors qu'il a jadis commis un horrible péché dont il ne s•·est jamais confessé~ Aubéron fera ensuite éclater lavé;.. ri té au sujet du complot de Gérard. Par magie, il fait· apparaître sur la table la barbe et les dents de Gaudisse; Huon est saur. Reste à punir les coupables. Gérard, Gibouart et le mauvais abbé dont pendus

à des gibets dressés devant le palais. La réconciliation s-•·erfectue entre l'Empereur et Huon. Celui-ci hérite du royaume d 1Aubéron; Gê­ riaume devient du,_p de Bordeaux~

Dans toutes les chansons de geste, le héros meurt tragiquement.

Le retour sain et sauf de Huon indique bien que nous sorrmtes devant une oeuvre qui a perdu le sens du drame épique, Non seulement, Huon ac­ complit ses exploits pou~ pouvoir conserver sor. fief, mais il finit par y renoncer; il r~gnera sur un royaume féerique, Le sens du ter­ roir est déplacé; ct· est dans le chimérique, purement littéraire, que le héros trouvera 1 1 accomplissement de son Aventure. D.':ailleurs, cet­ te aventure a-t-elle réussi? Pas unD victoire ne s 1'est remport8e sans

1 1 aide des puissances magiques. Huon qui devait être seul dans sa mis­ sion au palais de Gaudisse est soudainement rejoint par ses chevaliers.

Les présents, les otages, les ours, les pucelles qu'il devait rappor­ tés d 1.0rient ne font pas :r:nrtie de son butin, lequel se limite à la barbe et at~ molaires de Gaudisse, Celui qui, en route vers Baqylone, réùssi t à vaincre 1' incrédulité et 1' orgueil, est vaincu par une femme, humilié par son propre fr~re. Quel peu:b donc être le sens g&­ néral d 1 tme telle Aventure? L'idéal purement humain des épopées est usé; 1 1 idéal de Huon de Bordeaq préconif:Je 1 •·évasion dans un royaume féerique. N'est-il pas significatif que le domaine d 1Aubéron porte le nom de Momnur signalant par là que le royau.>ne est derri~re une encein­ te, celle qui sépare 1 1 irréalit8 du réel.

Huon de Bordeaux, à l'encontre des romans arthuriens, n'est pas une oeuvre de l''Aventure; c'est l'oeuvre des aventures. Chacune des

étapes de la mission du héros constitue un exploit autonome qui ne trouve pas son sens dans 1 1 ensemble. Pour~JUoi faut-il que Huon se soit dépouillé de son orgueil s'il doit finalement se livré au fétichisme qui· constitue le sommet de sa mission? ~léé de parti pris contre La royauté, contre l'amour courtois et la femme, les multiples senti­ ments de 1 1 auteur se manifestent à travers les aventures de son hé:... ros. "lvfais le héros, nous dit Carl Jung, est héros parce que dans

chaque difficulté" de la vie il aperçoit la résistance contre le but et qu'il combat cette résistance avec toute son aspiration qui tend vers le trésor difficilement accessible". (5) Qui donc vainé les obstacles que Huon rencontre? La magie d1 Aubéron, Quel est ce tr,~sor vers lequel se tendent les énergies du ·héros? Quelques objets hé3té­ roclites•. Huon finira par revenir au royaume de la magie en héritant de Honmur; c'est là le véritable but de l'aventure du héros.

Ce qui a présidé à l'élaboration d'ime oeu:rre o~ l'homme ne tient plus auCilll rSle, peut-il participer A ce que Nietzsche appelait "la merveilleuse tension créatrice du MOyen Age"? CHAPITRE SIX!E}fE

CONCLUSION: LA CONTANTirA!ION DES GENRES

"De m~me que les po~mes homériques exaltaient u_~e civilisation

étraneère ~la société. des villes ioniennes qui les virent na~tre au XIe si~cle av. J.O., de m~me les premi~res chansons de geste et surtout la Chanson de Roland, se nourrissaient d'un idéal bQ~ et social déj~ fort 9loign8 des conditions r9elles de la Reance du

XIe si~cle". (1) On pourrait m~me ajouter que la naissance des ges­ tes jouait le r~le d'une fiction par laquelle une société voulait re­ nouveler son idéal. Comment expliquer l'apparition de la Grande fi­ eure de Charlemagne de la Chanson de Roland alors qu'au m~me moment régnait sur la Frru1ce un roi comme Philippe Ier (2), roi féhéant, indifférent au sort de"doulce France" et d~apidant les biens de la royauté? Comment justifier le haut idéal d1 ordre contenu dans les premi~res eestes alors que le pa:ys se trouvait dans un état d'anar­ chie compl~te? L'élite de la classe féodale sans doute consciente de la situation dramatique du royaume, n 1 est peut-3tre pas étrangère à 'lime certaine complicité avec les poètes afin de tenter, dans les

oeuvres littéraires, d 1 offrir aux cours du royaume un redressement

de l'idéal ancien. C'est en ce sens qe nous avons déjà laissé enten­

dre que les chansons de geste pouvaient 3tre considérées comme des

sortes de pamphlets.

· Hais, pamphlets, elles le seraient devenues davantage lorsque,

sans doute désespérée de ne pouvoir jamais redresser la situation, l'élite féodale, par ses poètes, se mit soudainement, nom plus à

tenter d1'instiller un sang nouveau dans 1' empire chrétien, mais à s'opposer ouvertement aui injustices du pouvoir royal; c'est du moins

ce qui ressort de la révolte des \rarons du troisième cycle des chan­

sons carolingiennes, le cycle de Doon de Hayencep Hais peut-on., sans

s'égarer, tenir les oeuvres littéraires pour des miroirs fidèles

d 1une société donnée? Il n'en reste pas moins que la situation po-

li ti~e de la France sous Philippe !er et sous son successeur con­

corde assez bien avec la situation dans laquelle sont engagée les héros des chanson-s·· comme, par exemple, Raoul de Cambrai. La volon­ té de soul~ement qui ressort du cycle de Doon~.ayence a probablement fini· par s'étioler; au:x: fortes volonté's politiques et collectives de jadis s''est substitué,· dans la littérature, un idéal qui n'avait plus rien de politique: la courtoisie. On se réfugie alors dans la grande aventure de 1 1 amour courtois, laquelle aventure trouve son expression littéraire non pas dans les gestes mais dans les romand de matière bretonne.. Le refuge dans 1.m jeu (3a) qui tient pour me tibnne part du di­ vertissement littéraire risque ! la longue de devenir pure évasion par la littérature. c•:est dans cette impasse que sont parvenue l'J' la so­

ciété" courtoise et sa littérature; et Huon de Bordeaux compte par- mi les oeuvres où se manifeste le plus cette impasse.

Nous avons vu comment Huon, échec de l'idéal épique, ne tenait plus d 1 aucm idéal épique malgré son appar:ence d'épopée. Le drame de 11'épopée primitive résidait toujours dans l'opposition de deux mon­ des intérieurs: celui de la sagesse d ''Olivier, celui de la bravoure et 1 1 audace dé Roland. Les situations qui trouvaient leur souree dans ce con nit se changeaiènt en valeurs épiques. Si Huon de Bor­ dea.ux n''est pas exclu de mute tension dlie au connit, les situa­ tions qu'engendre cette tension ne sont plus épiques, mais relèvent du divertissement par. Si Aubéron s'oppose AHuon, dans l'épisode du cor et celle du naufrage, la tension se résoud toujours de façon A mener l'intrigue vers le happy ending, la victoire du héros. C'est ai.m:Œ qu 1Aubéron ne pourra pas sévir contre les d·5·sobéissances de

Huon; s'il le faisait l' oeuvre deviendrait une tragédie. Les puis­ sances féeri~1es cèdent toujours devant les faiblesses du héros; le sens de cette situation ne peum ~tre ni épique, ni dramatique, ni tragique~ ni comique. Quel est-il alors? Il est à la mesure de la faiblesse m3me du héros c 1 est-à-dire dépourvu d'idéal et de "sene­ fiance". La faiblesse ne peut avoir aucm sens si elle débouche sur un happy ending. Mais l'oeuvre o~ 1 1îdéal (qu'il soit épique ou autre) est absent n'est-elle pas une oeuvre oo prime d'abord la volonté de

plaire à un auditoire? Et la volonté de plaire à un auditoire ne ve~e-t-elle p~· · dans la fiction pour elle-m3me, dans l'évasion littéra.ire?

Que reste-t-il à la fin de Huon de Bordeaux du réflexe pam­ phlétaire contre 1' Empereur? Rien d'autre qu'une solution de bonne en­

tente entre le héros et Charlemagne. De l'opposition entre vassal et

suzerain dont le c.ycle de Doon de Mayence tirait tout son profit,

l'auteur de Huon de Bordeaux ne retient que le th~me qu'il résoud

toutefois comme un accord indispensable à une fin heureuse. Ce n'est

plus une réconciliation qui s 1 effectue entre 1' Empereur et Huon,

c' ·est une réussi te littéraire. C' est d 1 ailleurs sous la pression des

puissances féeriques que vassal et suzerain se réunissent; sans les

pouvoirs magiques d 1 'Aub~ron , 1~ réconciliation des deux personna­

ges demeurait impossible sur le plBll du drame. Le sens nettement

burtèsque du conflit entre l'Empereur et son vassal imdique que

1' idéal m~me qui s'opposait a11x injustices impériales ne préside

plus à l'élaboration de l'oeuvre.

Nous poons vu que 1 1 oeuvre, ni épopée, ni pamphlet dirigé contre

le pouvoir impérial donnait souvent dans un sens fortement anti-cour­

tois. Il est toujours possible que l'opposition à 1' amour oourtois

ait été I'l.déal d'une oeuvre éèrite au moment o~ la courtoisie triom- phait dans la société, mais tel ne semble pas ~tre le cas de Huon de Bordeaux. En effet, malgré l'ironie de l'auteur ! l'éeard de la femme et de l'amour courtois, la fin de l'oeuvre nous éclaire sur ce que n'étaient pas les intentions de cette ironie• .ll.pr~s avoir dis­

crédité 11'El.ction d1 Esclarr1onde au caté de Huon, et lui avoir attribué toutes les faiblesses du héros, l'auteur n'en termine pas moins son oeuvre par une heureuse fin sentimentale; Huon épouse Esclarmonde, ils r~gneront tous les deux su:r le royaume de féerie~ Apr?ls avoir pris des positions qui semblaient anti-courtoises, l'auteur c~e fi­ nalement ~ la tentation de la belle fin et ne m~ne pas ses positions

~ leurs conséquences loeiques.

De m~me que 11 auteur ne fait pas aboutir ~ leur fin logique les traits anti-impériaux et anti-courtois, qu'il soutenait au dé­ but de son aeuvre, de m~me le héros se détournera finalement du but de sa mission: la conservation de son fief. liuon se d8sistera de son pays de Bordeaux pour la possession duquel il avait combattu; il se réfUgiera dans la féerie. Les derni~es attaches avec l'idéal de la chanson de eeste sont rompues~, De l'empire au lignage, du lignage au fief, I' id·5al épique avait lentement pérlclité; le héros renonce fi­ nalement ~ son dernier bien, le fief, pot~ s'établir dans un pays imaeinaire qui n''est gue l'expression littéraire d1im idéal d'8va­ sion dans un monde fictif. Impuissa!!t à créer ce monde nouveau qu'il appelle, le tardif auteur épique du XIIe siècle ou du début du XIIIe va chercher ail­ leurs le matériau de son rt}v-e, en 1' occurence, pour Huon de Bordeaux, dans les thématiques arthuriennes et alexandrines. Et pourtant d''Ale­ xandre et d'Arthur il n•·est presque pas fait allusion dans l'oeuvre.

Une seule allusion ~ Ale!iandre:

Roi Aleixandre le firent presenter (v.3631)

Et une seule allusion ~ Arthur dans une variante du troisième manus­ crit écrit beaucoup plus tard que la première version: Se n'est ni d'Artus ne d'Talmont le savaige (v.3)

Il est donc établi que l'auteur n'ignorait pas l'existence dans la littérature des deux h8ros qui allaient disputer ~ Charlemaène la po­ pularité auprès des auditoires féodaux.

Déracin3 de sa terre purement épique, Huon de Bordea'113 s''anime d 1tme s~e nouvelle: la féerie, largement calquée sur le merveilleux breton. Cette féerie en plus d 1 ~tre le signe d 1'une intrusion étran­ gère dans le chant .épique, indique une orientation nouvelle de la lit­ térature elle-m~me: ll;évasion par la poé-sie. Car, Huon de Bordeaux, au carrefour de l'histoire, de la légende, de l'influence arthurienne et de la déSa.gré~ation de 1 1 iddé.l épique, n 1 ·en est pas moins profon­ dément lié' aur sources d1un poésie qui lui est propre: la gratuité' littéraire. C'est ainsi qu'~ la fois épique dans certains de ses élé­ ments, et romanesque dans maints autres, l'oeuvre s'oriente vers une littérature née de la contamination des genres: la littérature bour­ geoise des farces et des fabliaux qui fleuriront tout au long du si~ cle suivant.

SitSt l'office de l'idéal épique primitif accompli, sitet le moment écoul~·durant lequel il rut en quelque sorte matérialisé en une substance solide sur laquelle l!esprit gravait ses signes, voici que cet idéal, désormais désavoué par une société, reprend son in­ consistance premi~re pour faire place A une matière nouvelle. Mais "nous disons qu'tm phénomène en engendre en autre lorsqu'il le pré­ cède dans certaines conditions; en réalité le caractère que nous conférons ~ la cause n'est qu'un moyen pour notre esprit de mettre de l'ordre dans nos représentations". (3) Serait-il alors impossible que, malgré la contamination dont il rut 11 objet et malgré le point criti­ que qu'il marque dans l'évolution de la geste, Huon de Bordeaux gar­ de une certaine part d'autonomie? Bref, un genre contaminé fait-il une oeuvre décadente? Sur le plan de l'oeuvre, s•·est dans l'élé:... ment qui 1 1 a contaminée que réside souvent son salut.

La féerie de Huon de Bordeaux, A la fois matériau d'emprunt et signe de la décadence de l'~popée, garde pourtant avec l'essence de toute oeuvre des liens irréductibles. &a poésie, qui est celle de l'évasion réclamée par une société· excédée de guerres, n'en a pas moins puisé aux sonrces communes de toute littérature. Car, ,qu'il s•·agisse d'établir un empire, d'.exaleer un lignage, de conserver un fief ou de s'évader de la vie, l'ordre du monde tel que projeté dans les oeuvres littéraires est toujours le même. A l'idéalisme succède le réalisme, au réalisme, la fantaisie; la figure change, 11!me reste toujours la même. Et nul n'a mieux saisi ce sens imnruable des oeu­ vres médiévales que Reto Bezzola lorsqu'il écrit: "La lutte pour tm ordre idéal contre les forces anarchiques est un thème éternel de la vie, de la pensée et de la poésie humaine. Cette lutte se manifeste dans les chansons fe geste dans le domaine de la grande communauté de la chrétienté, de 1' empire, du pays. Hais elle est le fond mê­ me et l'élément vital de toute oeuvre d'art qui cherche par la for­ me lÎille synthèse entre ordre et vie grouillante, confuse, attrayante et déroutante, entre harmonie et liberté, entre idéal et réalité apparente, s.ynthèse qui nous apaise ou nous ravit d'autant plus dans l'oeuvre que nous sommes conscients de ne pouvoir la réaliser dans la vie même". (4)

Au milieu de la grande confusion des différents ordres qui ani­ ment Huon de Bordeaux, c'est l'ordre féerique qui assume la synthèse suffisante pour assurer l'araisement que n:mnaient, dans la geste pri­ mitive, la vérité des armes et le pouvoir de l'Empereur. Le lieu de la s.ynthèse est déplacé, l'apaisement reste l'effet désiré~ Il y a apaisement actif et apaisement passif; c'est en ce péplaçant d'un

~lè à 1 1 autre, par une loi inconnue mais certaine, que 11 idéal d'tm genre se contamine. Si la Chanson de Roland nou~ son activité à des intentions pamphlétaires, Huon de Bordeaux pour sa part se voue A

la passivité de l'évasion littéraire. C'eèt l'idéal et le genre qui exprime ce~ idéal qui se contaminent; l'esthétique fondamentale d'une oeuvre est toujours liée au rétablissement d'un ordre perdu.

Peut-~tre est-ee 1! que ce situe ce que Nietzsche appelait "la mer- veilleuse tension créatrice du !•Ioyen !Ige "? Et cette tension est-elle plus manifeste au Hoyen Aze qt' en tout autre temps? A quoi il faut répondre oui. Au }foyen Age d'ailleurs eonune en toute autre époque de grande genèse; les autres temps ne sont que les relents de la ten- sion créatrice des âges moyens.

Huon de Bordeaux en remplatant le monde de la vie épique par le monde des actes féeriques n'a pas fait qu'obéir aux lois éternel- les de l'évolution, il a trans!brmé le sens de la valm~ même de la vie~ Ce changement de sens amenait un changement de genre; c'est pour mieux contenir ce nouveau saas qu'était né le roman artlrurien; c'est pour avoir mal cerné ce même nouveau sens que Huon de Bordeaux n'est ni une épopée, ni un roman courtois, ni un roman d1 aventures, mais tout cela ! la fois, et partiellement. C'est du foisonnement des gen- res qu'émerge la féerie pour tenter de lui donner un certain ordte.

"Au J.foyen Age, on actualise le destin; la façon de se concevoir rejoint le présent: c'est l'épopée. Puis cette belle dimension de l'homme s 1'enlise dans le qu6tidien. Et voici que le fantastique ôpou- se la réalité11 .(5) C'est pour manifester le lien nouveau entre le fan- tastique et le réel que Huon de Bordes:u:x: a jailli d'tme conscience littéraire sous les traits vieillis d'üne chanson de geste. }~is n'est-il pas sicni:ficatif que la continuation de .llilQn écrit un demi si~cle plus tard porte le titre de Roman d'Aubéron.Huon a cédé. la place h Aubéron, la. geste, au roman; Huon de Bordeau:x:.n1 était-il pas déjà,confusément,tout cela en marche? ft

N 0 TES

Uha:pi:bre premier:

(1) Picon, Gaetan, L'écrivain et son ombre, Paris, Gallimard, 1961, p~l99, (2) Gftnter, H. Pgrchologie de la légende, p. 13.

(3) "Séguin et 1rabbaye d'Esses", Romanlla, LIV, 1928, p, 494-492,

(4) Annales signées par le chroniquem- montois, .Jacques è1e Guyse, (5) Bercher, Ph,A,, dans "Der Pseudohistorische Alberich", Z,.f',R,Ph,,

p,265-273, conteste vigoureusement cette th~

se, Il considère le roi Alberich co~me une pu­ re invention de Hugues de Toul, L•·auteur

toutefois n1 apporte pas d'arguments histori­ ques suffisamment convaincants, A moins de meilleures contre-preuves, nous devons consi­

dérer le document de Hugues de Toul~ comme fondé,

(6) Fa:tder, P, et Delw..ney, H, Hons, Nons, 1928,

(7) p. 37S-.3B2,

{B) Tome III, p, 100~ (9) Tome XXVI, p, S3-B4, (10) in Les Légendes épiques, tome I, p. 358. Chapitre deuxi~me:

(1) vertr rapportés par Bez zola in Les origines et la formation de la littérature courtoise en Occident, p. 520. (2) G. Paris, in Les Romans en vers du cycle de la Table Ronde, p. 16.

Chapitre t:roisi~me:

(1) Ajoutons ~ cela les vers 116,361, 1774, 1S61, 1912) 1953, 19S9, 2277, 2769, 4S54, 3304, 33'79, 3524, 4130, 6372, et 10, 449 que l'on

peut re:c-enser d 1 ·apr~s le glossaire de Pierre Ruelle dans son édi­ tion de Huon de Bordeaux.

(2) Smeets, J.R. ttLe probl~me de la laisse", p. 241.

(3) Pflobl~rne discuté par A. 1-bnteverdi dans l'article 11 Epopée jongle­ resque à réciter, épopée romanesque à lire".

Chapitre guatri~me:

(1) Frappier, Jean. Chrétien de Troyes, p. 16. (2) Blrrch, Marc. ta société féodale, Paris, A. }üchel, 193S, dans le

chapitre: la mentalité m·~diévale. (3) Dans le Jvu de Saint Nicolas de Jean Bodel, le messager du roi

·porte le nom d1 Aubéron, mais il n'y a rien de commun entre ce "courliu" et le roi de féerie de Huon. Par contre, dans une oeuvre qui est considérée comme la continuation de Huon de Bordeaux,, le Roman d'Aubéron, la vie du petit roi nous est révélée; il est le petit fils de Jules César et de la. fée l•brgue. n a 6té élevé à la cour du roi

Arthur, ce qui confirmerait la. th~ se voulant que le féerique de .Ew;m_ soit d 1 origine bretonne. La. fée M:>rgue n ''est-elle pas elle aussi, un personnage des romans a.rthuriens?

Chapitre cingui~me:

(1) L'épopée, en effet, pouvait bien montrer des objets merveilleux,

comme 1' épée de Turpin sertie de deux dents de Saint Pierre ou

encore le cor de Roland, ces objets participaient au merveill~ chrétien mais ne possédaient pas de· pouvoir symbolique. C'est

bien le roman mourtois qui a introduit la s.ymbolique littérairg au moyen Age.

(2) P• 37.

(3) Cette ville, d'apr~s la description qui en est faite, n'est pas

la Babylone de l'Antiquité. Au lvloyen Age, les croisés ont donné le nom de Babylone à la ville du Caire en Egypte; depuis lors les

chansons de geste conna!tront le Caire sous le :nom de Babylone~ (4f Mëtamorphoses de l'!me et ses grmboles, p. 107.

(5) Métamorphoses de l' ~me et ses symboles, p. 35S~ roo

Chapitre sixi~me:

(1) Be.zzola, R. Les Origines ••• p. 496.

(2) A régné de 1060 ~ llOB. (.3) Tous les livres d'histoire , depuis les manuels scolaires jusqu•·aux

sommes historiques de !1arc Bloch, attestent la précarité de la si­ tuation politique de la France entre 1060 et 11.30, dates entre les­

quelles sont apparues la plupart des gestes. De 11.30 ~ 1160 la si­

tuation ne s'améliore gu~re sans toutiefois s•·agraver; c'est alors, dans le désarroi d'une situation qui semble ne devoir jamais se re­ dresser, que le roman courtois s'engage dans la voie de l'évaeion

littéraire. En quelques années l'idéal d1'évasion sagne les auteurs épiques; dont celui de Huon de Bordeaux,

(.3a) L'amour courtois était-il en jeu au ~ornent o~ il prit naissance?

Il y a tant èe courants dans le mouvement courtois qu'il est

loisible de croire que le jeu rut, possiblement, le but d1'au

moins un de ces courants; c'est A celui-ci que nous faisons al­

lusion~ (4) De Gaultier, J. La Fiction •••• p.410.

(5) in Technique littéraire ••• p.l~4~ (6) Robert, P. Planète, p. S6. Tèl

BIBLIOGRAPHIE

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