La Chanson De Roland
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Digitized by the Internet Archive in 2011 with funding from University of Toronto http://www.archive.org/details/lachansonderolOOgaut Ef LA CHANSON DE ROLAND TEXTE CRITIQUE TRADUCTION ET COMMENTAIRE LÉON GAUTIER PEOFESSEOE A L'ÉCOLE DES CHABTBS OUVRAGE COURONNE PAR L'ACADÉMIE FRANÇAISE ET PAR l'aCADEMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES -LETTRES CINQUIÈME ÉDITION /v'^—0$ TOURS ALFRED MAME ET FILS, ÉDITEURS M DCCC LXXV INTRODUCTION I. — AVANT-PROPOS ET DEDICACE A tous ceux qui ignorent notre vieille poésie nationale, à tous ceux qui ont souci de la connaître, nous dédions «es quelques pages. La France, qui est la plus épique de toutes les na- tions modernes, a jadis possédé deux cents Poëmes populaires consacrés à des héros chrétiens , à des héros français. Ces poëmes étaient chantés, et se rattachaient par leur sujet à certaines familles héroïques, à certaines gestes.. De là leur nom de « Chansons de geste ». Imaginez de longs récits poétiques où plusieurs mil- liers de vers sont inégalement distribués en un certain nombre de tirades ou laisses. Et figurez -vous, dans chacun de ces couplets, tous les vers terminés à l'ori- gine par les mêmes assonances, et, plus tard, par les mêmes rimes. Telles sont les Chansons de geste; tels sont ces chants épiques de la France que toute l'Europe a connus, imités et traduits, et qui ont fait le tour du monde avec nos traditions et notre gloire. Or, la plus antique, la plus célèbre, la plus belle de toutes les Chansons de geste, c'est la Chanson de Roland. vj INTRODUCTION Nous allons parler de la Chanson de Roland. Noire vœu le plus cher, c'est qu'après nous avoir entendu , les femmes mêmes et les enfants connaissent, admirent et respectent le plus beau monument, le type le plus achevé de l'Épopée française. C'est notre vœu, parce qu'on ne saurait aimer le Roland sans aimer plus vivement la France. II. — L'HISTOIRE Le 15 août 778 \ au fond d'une petite vallée des Pyré- nées qui est encore aujourd'hui connue sous le nom de Roncevaux, il se passa un drame terrible, dont le reten- tissement devait être incomparable, et qui allait, durant plusieurs siècles, inspirer les poètes de toutes les nations chrétiennes. Le roi des Francs, Charles, revenait de cette expé- dition d'Espagne où il n'avait été qu'à moitié vainqueur. Attiré là-bas par les divisions des princes musulmans, il s'était généreusement proposé de délivrer l'Église du joug des Sarrazins ; mais il n'avait rien fait au delà de TÈbre. Il avait réussi devant Pampelune, mais échoué devant Saragosse. Et il s'en revenait assez tristement, ayant mille projets en tête. Dans son arrière-garde se trouvaient Roland, le préfet de la Marche de Bretagne; Anselme, le comte du palais; i Cette date a été tout récemment élablie. M. Diïmmler a décou- vert (dans le manuscrit latin de la Bibliothèque Nationale 4841), l'épilaphe d'un des guerriers franks morts à Roncevaux, du séné- chal Eggihard : Qui obiil die xvm kalendas septembrias. V. l'article de Gaston Paris, dans la Romania, II, 146-148. , INTRODUCTION vi) Eggihard, le « prévôt de la table royale » ; toute l'élite de sa cour, tous les chefs de son armée. La Grande Armée avait passé sans encombre. Mais tout à coup, au moment où l'Arrière-garde arrivait en ce passage étroit de la montagne qu'indique la petite chapelle d'Ibagneta, un bruit formidable se fît entendre dans les bois épais dont cette partie des Pyrénées est encore couverte. Des milliers d'hommes en sortirent et se jetèrent sur les soldats de Charles. Ces agresseurs inat- tendus, c'étaient les Gascons, que tentait l'espoir d'un gros butin, et qui, d'ailleurs, — comme tous les montagnards, — n'aimaient pas que l'on violât ainsi leurs montagnes. Ils précipitèrent les Francs dans le petit vallon qui est là tout près, afin de se donner la joie de les égorger tout à leur aise. Et de fait, ils les égorgèrent jusqu'au dernier. C'est ainsi que mourut Roland. L'histoire ajoute que les Gascons se dispersèrent, que leur crime demeura impuni, et que Charles en ressentit une longue et cruelle douleur. Tel est le fait que raconte Eginhard au chapitre neu- vième de sa Vie de Charlemagne. On en trouve égale- ment le récit dans les célèbres Annales qui ont été si longtemps attribuées à ce même Eginhard , comme aussi dans les vers du Poëte saxon et dans la chronique de l'Astronome Limousin '. i Voici les textes très-importants sur lesquels s'appuie toute notre légende et d'où notre Chanson est sortie : I. « Hispaniam quam maximo poterat belli apparatu adgreditur Karolus, saltuque Pyrinei superato, omnibus quœ adierat oppidis alque castellis in deditionem susceplis, salvo et incolumi exercilu reverlilur, prœter quod, in ipso Pyrinei jugo, Wascon icam perfidiam parumpcr in rcdeundo conligit experiri. Sam cum, agmine longo, ut loci et t iret exerciliis angustiarum silus permit ébat , porreclus Il 'iscones, locus in summi monlis vertice posilis insidiis , [est enim ex opacitate silvarum, quarum ibi maxima est copia, insidiis po- , Yiij INTRODUCTION Malgré les réticences de tous ces narrateurs, il est aisé de voir que ce désastre fut considérable. L'intensité de la légende prouve assez clairement que les historiens ont atténué l'importance de la défaite : un simple accident d'arrière -garde n'aurait jamais produit un tel dégage- ment de poésie. Quoi qu'il en soit, voilà le fait oui a donné lieu a TOUTE NOTRE LÉGENDE ; Voilà le fait Ql I EN A ÉTÉ LE GERME. Car toute légende a rigoureusement besoin d'un germe historique ; Et la légende de Roland est sortie, tout entière, de ces huit mots d'Eginhard: In quo prœlio Hruodlandus, iimitis Britannici prœfeclus , inlerfîcilur. petits com- mencements d'une srrande chose ! •nendis opporlunus), exlremam impedimentorum parlera cl eos qui, novissimi agminis inccdrntcs , subsidio prœcedenlcs luebanlur, desuper incursanles, in subjeelam vallem dejiciunl, conserloque cum cis prœlio , usqite ad unum omnes inlcrficiunl ac, direptis im- prdimentis , noclis beneflcio quœ jam inslabal prolecli , sumrna cum ccleritalc in diversa dispei^gunlur. Adjucabat in hoc facto Wasco- nrs cl levilas armorum , et loci in quo rcs gerebatur silus; econlra Francos cl armorum gravitas et loci iniquitas per omnia Wasco- nibus reddidit imparcs. In quo prœlio Eggihardus , regiœ mensOB prœposilti8, Ansclmus , cornes palalii, et Hhuodlandus, Britannici limitis i'ha:fectus, cum aliis compluribus interfîciuntur. Ncquc hoc faclum ad prœscns vindicari polerat , quia hoslis, re pcrpclrala, Ha dispersus est, ut ne fama quidem remancret ubinam gentium quœri potuissel. » (Eginhard, Vila Karoli, ix. Un certain nombre de manuscrits de la Vila Karoli ne renferment pas l'épisode de Ron- cevaux ; mais on estime que les quaranle-sepl manuscrits où ce fait est rapporté dérivent du véritable texte d'Eginhard.) II. « Tune Karolus, ex persuasionc Sarraceni, spem capiendarum quaruindam in Ilispania civilatum haud frustra concipiens, congre- gato exercitu, profectus est, superaloque in regione Wasconum Pyrinei jugo, primo Pompeloncm, Navarrorum oppidum, aggres- sus, in deditionem accepit. Inde, Hibcrum amnem vado trajiciens, Cœsaraugustam, prrecipuam illarum partium civilalem, accessit, acceptisque quos Ibinalarbi et Abulhaur quosque alii quidam Sarra- ceni oblulerant obsidibus, Pompeloncm revertitur. Cujus muros, ne . INTRODUCTION III. — LA LEGENDE Dès le lendemain de la catastrophe de Roncevaux , la Légende, — cette infatigable travailleuse et qui ne reste jamais les bras croisés. — se mit à travailler sur ce fait profondément épique. Et nous allons assister, d'un œil curieux, à ce long et multiple labeur. Elle commença, tout d'abord, par exagérer les pro- portions de la défaite. Le souvenir de la grande invasion des Sarrazins en 792 et des deux révoltes des Gascons en 812 et 824 se mêlèrent vaguement, dans la mémoire du peuple, aux souvenirs de Roncevaux et accrurent rebellare possel, ad solum usque destruxit ac, regredi statuens. Pyrinei saltum ingressus est. In cujus summitate Wascones , insi- diis collocalis , exlremum agmen adorli, fotum exercilum magno tumultu perturbant. Et licet Franci Waseonibus, lam armis quam animis , prœstare viderenlur, lamen et iniquitate locorum et génère imparis pugnœ inferiores effecll sunt. In hoc cer lamine plerique aulicorum quos Rex copiis prœfecerat , interfecti sunt , direpla im- pedimenta, et Itostis, propler notiliam locorum, slatim in diversa dilapsus est. Cujus vulneris acceplio magnam parlem rerum féli- citer in Hispania gestarum in corde Régis obnubilavil. » (Annales longtemps attribuées à Eginbard et qui sont l'œuvre d'Angilbert, ann. 77S. Reproduites par le Poêle saxon, Historiens de France, V, 1-13.) III. « Karolus... slatuil, Pyrinœi monlis superala difficultate . ad Hispaniam pergere laboranlique Ecclesice sub Sarracenorum acer- bissimo jugo , Chrislo fatdore, suffragari. Qui mons cum altitudine cœlum conlingal , asperitale caulium horreat, opacilale silvarum tenebrescat, anguslia via} vel potius semilœ commeatum non modo tanto exercitui, sed paucis admodum pêne intercludat, Christo tamen favente, prospero emensus est itinere... Sed hanc felicitatem transitus, si dici fas est, fœdavit infidus incertusque fortunœ verti- bilis successus. Dura enim quœ agi potuerant in Hispania peracta essent et prospero itinere reditum esset, inforiunio obviante, ex- tremi quidam in eodem monte regii cœsi sunt agminis. Quorum quia vulgala sunt, nomina dicere supersedi. » (L'Astronome Li- mousin, Vita Hludovici , dans Pertz , Scriptores, III, 608.) X INTRODUCTION l'importance du combat, déjà célèbre, où Roland avait succombé. En second lieu, la Légende établit des rapports de parenté entre Charlemagne et ce Roland dont elle fit décidément le centre de tout ce récit et le héros de tout ce drame. Faisant alors un nouvel effort d'imagination , elle sup- posa que les Français avaient été trahis par un des leurs, et inventa un traître auquel fut un jour attaché le nom de Ganelon. Ensuite, elle perdit de vue les véritables vainqueurs, qui étaient les Gascons, pour mettre uniquement cette victoire sur le compte des Sarrazins, qui étaient peu à peu devenus les plus grands ennemis du nom chrétien.