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Les Documents de recherche Yawenda visent à mettre à la disposition du public des études scientifiques portant sur la nation huronne-wendat, sa langue en particulier, ainsi que, plus généralement, sur la revitalisation des langues autochtones menacées de disparition.

Ce premier Document, préparé par Annik Chiron de la Casinière (Ph.D. en anthropologie), présente un vaste tour d’horizon des programmes de revitalisation langagière autochtone mis en œuvre depuis quelques années. Document de recherche 1 YAWENDA

ISSN 1919-6288

ccouvouv YYawendaawenda 11.indd.indd 1 22009-10-05009-10-05 008:25:468:25:46 Documents de recherche Yawenda - 1

Stratégies et programmes mis en œuvre pour la défense, la sauvegarde et la revitalisation des langues autochtones : une introduction

Annik Chiron de La Casinière

Projet Yawenda Centre interuniversitaire d’études et de recherches autochtones Université Laval, Québec 2009

YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 1 22009-10-02009-10-02 008:31:308:31:30 Le projet Yawenda – revitalisation de la langue huronne-wendat est le fruit d’une collaboration entre le Conseil de la Nation Huronne-Wendat (Wendake, Québec), l’Université Laval, l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, le Conseil en éducation des Premières Nations et le First Peoples’ Heritage, Language and Culture Council. Il a pour objectif de faire revivre la langue wendat en créant du matériel pédagogique et en formant des enseignants qui la transmettront aux écoliers de niveau primaire ainsi qu’aux adultes désireux de l’apprendre.

Yawenda (« La voix ») est une Alliance de Recherche Université-Communauté (ARUC) subventionnée par le Conseil de recherches en sciences humaines du (CRSH), l’Université Laval et le Conseil de la Nation Huronne-Wendat.

Les Documents de recherche Yawenda visent à mettre à la disposition du public des études scientifiques portant sur la nation huronne-wendat, sa langue en particulier, ainsi que, plus généralement, sur la revitalisation des langues autochtones menacées de disparition. Ce premier Document, préparé par Annik Chiron de la Casinière (Ph.D. en anthropologie), présente un vaste tour d’horizon des programmes de revitalisation langagière autochtone mis en œuvre depuis quelques années.

Conception et réalisation de la couverture : Mireille Sioui Révision du texte : Frédéric Sibomana

ISSN 1919-6288 Dépôt légal : 4e trimestre 2009 Bibliothèque et Archives nationales du Québec Bibliothèque nationale du Canada © Centre interuniversitaire d’études et de recherches autochtones (Université Laval) et Annik Chiron de la Casinière, 2009

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 2 22009-10-02009-10-02 008:31:488:31:48 Table des matières

Introduction ...... 4 Les principes de base...... 5 Un premier guide : Language Renewal and Language Maintenance : a Practical Guide...... 5 La mise en place progressive des éléments fondamentaux ...... 9 Joshua Fishman...... 9 La commission Royale...... 11 John Reyhner...... 12 The American Indian Language Development Institute (AILDI)...... 13 The Western and North Canadian Protocol (WNCP) Aboriginal Languages Project ...... 16 The Green Book of in Practice (2001)...... 19 Northern Arizona University’s Center for Excellence in Education...... 20 Le début d’un temps nouveau ...... 21 La mise en pratique...... 25 Les programmes d’immersion...... 25 Les Maoris De Nouvelle-Zélande...... 27 Les «Punana Leo» d’Hawaï...... 30 La place de l’écriture dans une langue orale ...... 32 L’apport de la technologie moderne : TV, vidéo, radio, cassettes et CD, ordinateurs, médias ...... 34 Le Phraselator® LC...... 35 Apprendre la langue par le téléphone...... 37 Le modèle de technologie interactive des Hualapai ...... 39 Glusuaqann tet iga'tas'gl ta'n telgaqalugwatas'gl : le dictionnaire parlant des Mig’maq ...... 39 Le site Web du lexique naskapi ...... 40 Le renouveau de la langue Sm’algyax à Prince Rupert (Colombie Britannique) ...... 41 Une collaboration tribu/université : le Projet Myaamia des Miami en Oklahoma ...... 44 La formation des enseignants...... 45 The Master Apprentice Language Learning Program...... 45 Le Canadian Indigenous Language and Literacy Development Institute (CILLDI) ...... 47 Le rôle des universités dans la formation ...... 48 Réveiller des langues endormies? ...... 49 Conclusion...... 57 Bibliographie...... 62

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 3 22009-10-02009-10-02 008:31:488:31:48 Introduction

Language is the outward expression of an accumulation of learning and experience shared by a group of people over centuries of development. It is not simply a vocal symbol; it is a dynamic force, which shapes the way a man looks at the world, his thinking about the world and his philosophy of life. Knowing his maternal language helps a man to know himself; being proud of his language helps a man to be proud of himself. (National Indian Brotherhood, 1972 : 14-15)

Lorsqu’une langue est parlée couramment, elle se maintient et se renouvelle sans effort apparent ou remarquable. On la parle, on l’écrit là où l’écriture existe, et ça suffit. Mais lorsqu’elle est en danger de disparition, ce qui est le cas aujourd’hui pour la majorité des langues autochtones, et qu’un mouvement pour la sauvegarder apparaît, alors il peut s’avérer utile d’avoir à sa disposition un certain nombre de stratégies à adopter pour non seulement la faire revivre, mais encore pour l’adapter à la modernité, et bien plus, pour lui donner la possibilité de se recréer en permanence — car une langue, comme une culture, n’est jamais statique, définitivement inscrite dans le temps. À moins qu’il ne s’agisse d’une langue morte que plus personne ne songe à faire revivre. Cette brève revue consacrée aux expériences tentées un peu partout dans le monde par différentes nations autochtones pour sauvegarder et revivifier leur langue mettra en valeur les différentes facettes de ce combat, dont on peut dire aujourd’hui qu’il est déjà gagnant. En effet, mis à part le cas des Maori de Nouvelle-Zélande, «la» valeur sûre à laquelle chacun se réfère, tous les programmes de revitalisation des langues sont récents ou relativement récents, et il est trop tôt pour en connaître les conséquences à long terme, même si la foi de ceux qui se sont lancés dans cette aventure est inébranlable. Après avoir analysé quelques cas particuliers, nous verrons qu’une telle entreprise nécessite un travail systématique, une planification rigoureuse, et des qualités d’adaptation et de créativité incessantes. On verra d’ailleurs dans la conclusion, qui fera la synthèse des stratégies et méthodes d’action utilisées par tous les groupes qui ont tenté l’aventure, que la plupart des éléments de stratégie et d’action se recoupent, ce qui permet de dresser un tableau assez fiable de la façon dont il faut attaquer le problème, vital aujourd’hui, de la conservation et de la revitalisation de ce trésor patrimonial mondial.

Note : Afin de ne pas alourdir ce travail, je ne m’étendrai ni sur la situation sociale,

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 4 22009-10-02009-10-02 008:31:498:31:49 économique et culturelle des sociétés en question, ni sur la menace de disparition de leur langue, ni sur ses causes. Il sera admis dès le départ, car c’est un fait très documenté, qu’elles sont en danger d’extinction, menacées par la langue de la société dominante colonisatrice. On admettra également comme un a priori la création de tels projets et programmes de revitalisation, issue du désir de réappropriation identitaire des communautés autochtones. Mon but est ici de mettre l’emphase sur le développement des programmes destinés à revitaliser ces langues, et de souligner un certain nombre de stratégies mises en œuvre, afin d’en tirer des enseignements utiles.

Les principes de base

Il m’a semblé intéressant de faire une comparaison entre les propositions de stratégies produites il y a vingt ans et celles qui sont faites aujourd’hui. On va voir qu’il y a plus qu’une différence d’orientation : c’est carrément un renversement de vision.

Un premier guide : Language Renewal and Language Maintenance : a practical Guide1

En 1989, on n’en est pourtant pas au début du mouvement de revitalisation des langues autochtones, on est au contraire en plein dedans. Au Québec, le Cree Way Project a été créé en 1973. Aux États-Unis, le programme bilingue des Hualapai d’Arizona date de 1975, et les premiers balbutiements de l’AILDI (voir plus bas) ont eu lieu en 1978. Dès 1981, se concrétisait le désir des Maoris de Nouvelle Zélande de se réapproprier leur langue en même temps que leur culture. Comme le dira Fishman seulement deux ans plus tard, (1991 : 381) : «It is no exaggeration to say that millions of people throughout the world are consciously engaged in efforts to reverse language shift and that many hundreds of thousands do so as members of movements whose explicit goal is RLS (Reversing Language Shift)». Cet article ne tombe donc pas par hasard : il est, semble-t-il, le premier qui tente de rassembler des idées et apporter des références concrètes dans le domaine de la sauvegarde et du maintien des langues autochtones. Nous allons voir que, même si beaucoup d’éléments sont déjà en place à cette époque, le fond de l’article est néanmoins teinté d’un ethnocentrisme qui le rend

1 Cet article est tiré du Canadian Journal of Native Education, vol.16 n° 2 : 42-77.

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 5 22009-10-02009-10-02 008:31:498:31:49 aujourd’hui obsolète en partie. Ayoungman et Brandt soutiennent d’abord que «Tribal language fluency is an essential component in tribal self-detemination as well as being fostered by self-determination» (1989 : 44). Le renouveau de la langue procède donc essentiellement d’un renversement au niveau politique. Même si cela correspond à une réalité que d’autres auteurs vont faire également valoir, cette affirmation, au vu de ce qui sera publié et reconnu dans les années suivantes, paraît une explication réductrice du mouvement de revitalisation des langues autochtones. Mais ce qui me paraît intéressant dans cet article est son esprit de planification systématique en dehors de tout support philosophique ou culturel. L’ensemble est présenté comme un code chiffré, ne tenant aucun compte de la spécificité des cultures autochtones, et notamment de l’une de leurs composantes essentielles, l’éducation holistique. Selon les deux auteurs, la première chose à faire lorsqu’on veut restaurer une langue en perdition est d’analyser et de comprendre les causes du déclin de la langue de la communauté : comment et où est-elle encore apprise, quelle est sa valeur pour la communauté, est-elle en danger d’extinction, combien de locuteurs courants y a-t-il encore, le déclin est-il rapide ou progressif, la communauté est-elle vraiment décidée à sauver sa langue, etc.…Cette recherche permettra d’établir un plan basé sur la situation particulière de la communauté et correspondant à ses besoins réels, en tenant compte de son rapport avec les différents niveaux de gouvernement, tribal, régional (État ou province), et national. Dans cette période préparatoire, il faut également se poser des questions sur ce que la communauté désire pour son futur (quelle sorte de futur, quelle culture, quelle place à la tradition, etc.), et une fois ces principes déterminés, formuler des objectifs en conséquence, puis identifier l’environnement politique et culturel dans lequel le projet va s’implanter, afin de voir s’il sera viable et fonctionnel à l’intérieur de ce cadre spécifique. Il s’agit donc de dresser un état précis des lieux, de compiler cette information et de la tenir à disposition (ibid. : 45-46). Abordant ensuite la question des programmes de bilinguisme (ibid. : 47-53), les auteurs recommandent de faire là aussi une bonne recherche préparatoire sur leur adéquation, car certains programmes bilingues se sont avérés encore plus destructeurs de la langue vernaculaire que l’absence de tout programme, alors que d’autres au contraire ont donné d’excellents résultats. Dans ce type de programmes, il est nécessaire d’entreprendre un travail de déconstruction des préjugés. Les auteurs dénoncent sept mythes qui à l’analyse se révèlent non seulement infondés, mais débouchent souvent sur des réalités absolument contraires :

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 6 22009-10-02009-10-02 008:31:498:31:49 1. Plus l’anglais (ou la langue dominante) est enseigné, plus et mieux il est appris. 2. L’apprentissage de la première langue en même temps que l’apprentissage de l’anglais va troubler l’enfant ou au moins le retarder dans son développement langagier. 3. L’utilisation des langues autochtones est cause de mauvais résultats scolaires. 4. Les langues autochtones sont obsolètes et ne servent à rien pour la vie moderne. 5. Il n’y a pas de matériel didactique et on ne peut pas utiliser ces langues. 6. Les enfants ne parlent aucune langue, ils sont tout juste «semilingual», ce qui veut dire sous-développés dans les deux langues. 7. L’enseignement de la langue autochtone relève de la famille et de personne d’autre. Par la suite, Ayoungman et Brandt, ayant recensé les résultats des recherches sur l’acquisition du langage chez l’enfant, établissent quatre caractéristiques de base nécessaires au bon apprentissage d’une langue (ibid. : 54) : 1. Une exposition significative à la langue sur de longues périodes de temps. 2. Une interaction face à face entre ceux qui parlent la langue couramment et ceux qui l’apprennent. 3. Une réciprocité de langue (ceux qui apprennent et ceux qui parlent doivent toujours utiliser la même langue). 4. Il faut des motifs pour apprendre la langue, et un désir de communiquer. Les auteurs proposent donc un plan en sept étapes de base, que l’on peut réaliser avec l’appui d’une série d’exercices (auxquels je n’ai malheureusement pas pu avoir accès), destiné à sauvegarder et revitaliser une langue, plan qui s’étale sur des années et n’a pratiquement jamais de point final (ibid. : 56-62) : 1. L’étape d’introduction. Elle comprend un élément catalyseur (un individu ou un groupe qui va démarrer et prendre en charge tout le processus, et doit rester très ouvert à toute intervention et toute réflexion venant de l’extérieur), un important stock d’informations préliminaires, et le recrutement des divers supports du projet, dont les autorités politiques locales, tribales et nationales, les aîné/es de la communauté, les éducateurs, et autres personnes dont l’influence est importante dans la communauté. Le contrôle des écoles doit être local afin que la communauté, qui a la connaissance du langage et des savoirs, puisse avoir une influence sur le curriculum linguistique et culturel des enfants. 2. L’étape de pré-planification et de recherche. C’est la phase de la collecte d’information, et la place des chercheurs et universitaires, anthropologues,

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 7 22009-10-02009-10-02 008:31:498:31:49 ethnographes, sociologues, ethnolinguistes, historiens, archivistes, etc., y est prépondérante. Il faut découvrir et répertorier les ressources linguistiques et culturelles locales et nationales. Cette étape peut inclure une étude plus approfondie de la situation sociolinguistique de la communauté, des observations d’ordre ethnographique sur la survivance de la tradition, l’établissement d’une banque de données sur la langue, des résultats d’enquêtes, des études comparatives, etc. Ensuite, il s’agira de ramasser et compiler tout ce qui peut rester comme traces de la langue, enregistrer les derniers locuteurs, en s’étant assurés que ceux qui ont vécu le régime des pensionnats soient débarrassés de l’image négative de leur langage. Il faudra également garder les enregistrements en lieu sûr (organisation officielle). Cette phase peut prendre deux ans ou plus. 3. L’estimation des besoins (quelle formation pour les maîtres, besoins matériels, besoins en infrastructure, besoins de fonctionnement, etc.). 4. La formulation de la politique. Après avoir pris connaissance de tous les enjeux, des besoins, des buts et des possibilités d’un programme, le groupe «catalyseur» doit définir sa politique (philosophie, responsabilités, autorité, définitions, langues officielles, écritures officielles, types de programmes officiellement permis, recherches et études, applications légales, échéancier. Ce document doit être soumis à l’approbation des autorités tribales. 5. L’implantation du projet, au cours de laquelle une organisation doit être mise en place. 6. L’évaluation. Elle doit considérer si les buts énoncés ont été atteints, mais également dénoncer les erreurs, dévoiler les doutes, établir les points positifs et négatifs. 7. La replanification en spirale. Le projet doit être construit en fonction de son adaptabilité permanente à de nouvelles situations et à de nouveaux besoins au fur et à mesure de son évolution, puisqu’il implique une communauté en marche, des enfants qui grandissent, des situations sociales changeantes, une culture ou des cultures qui bougent. Il est donc important qu’il puisse être remis en question, réétudié, critiqué, réétabli sur de nouvelles bases. Ce programme général peut procurer une base de travail pour les écoles, les centres culturels, la maison. Mais, concluent les auteurs, et cela vient tempérer la rigueur toute scientifique du plan : Ultimately, social and affective factors are the most important in language

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 8 22009-10-02009-10-02 008:31:498:31:49 maintenance and renewal. Programs must be under local control, designed for local conditions, and of major importance to the community (ibid. : 63). Cette reconnaissance du rôle tout aussi important de la famille, de la communauté et de l’école dans la transmission et la revitalisation d’une langue est essentielle. On trouvait déjà, à l’époque où cet article a été écrit, de nombreux programmes destinés à revitaliser les langues autochtones, et le modèle le plus efficace paraissait déjà être celui de l’immersion complète, à l’école ou dans les garderies et centres de la petite enfance. Cependant, ces programmes d’immersion complète ne se sont révélés positifs que si la communauté entière y participait et valorisait la langue. En fin de compte, ce petit guide pratique, tout occidental dans son mode de pensée qu’il soit, contient néanmoins en germe beaucoup d’éléments qui seront par la suite récupérés et dont la pertinence sera confirmée par l’expérience. Cependant, on va voir que, onze ans plus tard, il y a une rupture totale avec ce qui précède, dans le fond et le ton employés. Celle-ci n’est pas arrivée brutalement. On sait que le «réveil» des populations minoritaires date du début des années 1970. Beaucoup de choses se sont passées depuis, car la préoccupation pour la préservation des langues autochtones est née en même temps que celle de la préservation des cultures. Le fait que, de partout, des cris d’alarme aient été lancés pour annoncer la disparition très prochaine d’une partie importante du patrimoine linguistique mondial n’est sans doute pas étranger à ce mouvement identitaire international. On peut pourtant dire qu’íl a fallu du temps pour que la communauté autochtone prenne elle-même totalement les choses en charge.

La mise en place progressive des éléments fondamentaux

Joshua Fishman

Le sociolinguiste Joshua Fishman qui mit, dès ses premiers travaux, l’emphase sur le couple indissociable langue/identité (Fishman, 1991 : 10-38), et le confirma dans toutes ses interventions suivantes, notamment dans Cantoni (1996 : 80 91), fut un pionnier de première importance dans cette discipline. Il montra que, malgré l’indissolubilité du couple, une culture pouvait effectivement survivre à la disparition de sa langue, mais que de son point de vue, le désir de la revitaliser était beaucoup plus une question de valeur et de philosophie qu’une nécessité absolue en elle-même. Retrouver et parler sa langue, c’est non seulement retrouver l’esprit, l’âme et les racines de son peuple, mais c’est aussi se situer en tant que peuple et

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 9 22009-10-02009-10-02 008:31:498:31:49 culture différents vis-à-vis de la culture dominante : RLS [Reversing Language Shift] -efforts are essentially value-based. They are philosophically and ideologically determined and are neither confirmable nor disconfirmable on a purely objective basis alone. RLS appeals to many because it is part of the process of re-establishing local options, local control, local hope and local meaning to life. It basically reveals a humanistic and positive outlook vis à vis intragroup life, rather than a mechanistic and fatalistic one. It espouses the right and the ability of small cultures to live and to inform life for their own members as well as to contribute thereby to the enrichment of humankind as a whole. (Fishman, 1991 : 35). Un des principaux apports de Fishman au mouvement de revitalisation des langues est d’avoir établi une typologie sous forme d’échelle de la situation des langues menacées, avec en réponse, selon le degré atteint, les priorités à retenir (ibid. : 81-109). Cette échelle sera reprise par de nombreux théoriciens et praticiens. Elle comporte huit degrés, et part de la pire des situations (degré 8 : seul un très petit nombre d’aînés isolés et sans interaction parlent la langue. Stratégie proposée : rechercher et enregistrer les derniers locuteurs, récolter les histoires de vie, rechercher dans les écrits des premiers voyageurs ou missionnaires, ainsi que dans le patrimoine culturel des communautés, toutes les traces de cette langue) pour en arriver à la meilleure (degré 1 : la langue est parlée par la plupart des membres de la communauté, et à un haut niveau éducationnel, gouvernemental, médiatique, mais la communauté n’a pas d’autonomie politique. Stratégie proposée : atteindre une autonomie suffisante pour avoir la mainmise sur la langue, planifier, diriger et évaluer son usage en surveillant les dangers qui la menacent). Fishman a également proposé un modèle de rétablissement progressif de la langue menacée en huit étapes, chaque étape devant précéder l’autre (ibid. : 381-405) : 1. La formation des adultes qui deviendront les passeurs de la langue (dans les cas où les seuls locuteurs restant sont des aînés isolés). 2. Créer un groupe de population intégré à la communauté qui utilise la langue. À ce stade, les efforts doivent être concentrés sur la langue orale plutôt qu’écrite. 3. Dans les communautés où un certain nombre de personnes utilisent la langue couramment, promouvoir son usage informel dans les familles, et dans les institutions locales. 4. Dans les communautés où la langue est parlée couramment, promouvoir son emploi

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 1010 22009-10-02009-10-02 008:31:498:31:49 écrit, mais sans dépendance par rapport au système dominant en place. 5. De même, quand le pouvoir politique y est favorable, instituer la langue à l’école. 6. Quand toutes ces premières étapes ont été accomplies, la promouvoir dans les lieux de travail. 7. Puis la promouvoir dans les services gouvernementaux et les médias (presse, radio, télévision). 8. Enfin, ultime étape, la promouvoir dans l’éducation supérieure et les instances gouvernementales nationales. Les questions traitées par Fishman sont nombreuses, et ont considérablement enrichi le sujet, mais je n’insisterai pas puisqu’il est préférable de répertorier les ouvrages et événements plus récents. Je n’y ai fait allusion que pour souligner son incontestable apport à la problématique de la revitalisation des langues menacées, et l’aspect incontournable de ses théories.

La commission Royale

Il faut aussi mentionner, pour mémoire, les affirmations du Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones du Canada en 1996 : Pour la plupart des gens, langue et identité sont indissociables. La langue est considérée comme la quintessence d'une culture. Elle exprime une façon unique de percevoir la réalité, celle de la culture à laquelle elle est rattachée. La langue est cependant liée à l'identité sur un autre plan fondamental : son utilisation et sa présence dans une collectivité sont des symboles d'identité, des emblèmes de l'existence du groupe. L'usage d'une langue est le symbole ultime de l'appartenance à un groupe. (Commission royale 1996, Vol. 3, chapitre 6 : 695) Même si la Commission admet, comme Fishman, qu’on peut conserver une identité autochtone tout en ne parlant plus sa langue, ce qui est effectivement le cas dans beaucoup de communautés de l’ouest du Canada ou aux États-Unis, le désir de la sortir de l’oubli apparaît plutôt comme un geste symbolique : la langue restaurée ou en partie restaurée, même si elle n’est pas utilisée dans la communication quotidienne, fait figure de repère identitaire important : «Le maintien de l'intégrité de la langue et du groupe a donc un objectif à la fois socio-émotionnel et spirituel». Ce point de vue renforce la théorie du couple langue/identité, qui aura d’ailleurs de plus en plus de crédibilité dans les années suivantes. On la tient

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 1111 22009-10-02009-10-02 008:31:498:31:49 aujourd’hui pour acquise, car c’est dans cette logique que de très nombreux projets visant à restaurer et promouvoir les langues autochtones peuvent s’interpréter et se comprendre.

John Reyhner

A la même époque, Jon Reyhner (1996) affirme que si la bataille pour la sauvegarde des langues et des cultures est légalement et juridiquement déjà gagnée, en tout cas aux États- Unis, où en 1990 le Native American Languages Act reconnaît le statut et le rôle uniques des cultures et langues autochtones, et s’engage à travailler avec ces peuples pour assurer leur survie et préserver leur identité et leur droits spécifiques, par contre beaucoup de nations autochtones manquent encore de connaissances, de stratégies et de ressources pour éviter l’écrasement de la culture et du langage par la société dominante et pour les revitaliser. Selon lui, les langues autochtones sont «an irreplaceable cultural knowledge and a cornerstone of indigenous community and family values» (Reyhner 1996 : 3). Lui aussi souligne non seulement l’importance primordiale du soutien communautaire dans tout programme de revitalisation de la langue, mais, bien plus, il en fait l’enjeu ultime. Plusieurs des réponses à la crise psychologique, sociale et physique de l’humanité, dit-il, sont entre les mains des plus petites communautés autochtones du monde. Reyhner reprend en cela une idée assez répandue, qui veut que la sagesse des peuples autochtones a quelque chose d’essentiel à apporter au monde moderne. En tout cas, on va le voir plus bas, cette idée sera reprise par le Groupe de travail sur les langues et cultures autochtones dans son rapport de juin 2005, en ce qui concerne la sauvegarde de l’environnement, si cruciale aujourd’hui. Si le langage et la culture disparaissent, alors cette sagesse sera perdue. Faire revivre une langue peut, par ailleurs, donner à la jeunesse en déroute «a strong antidote to the culture clash many of them are experiencing but cannot verbalize» — il ne s’agit pas pour autant de rejeter la langue dominante (aucun document ou ouvrage que j’ai pu consulter ne défend cette idée); et, d’ailleurs, les enquêtes officielles à ce sujet montrent que les programmes bilingues dans les sociétés autochtones renforcent au contraire les compétences et les habiletés dans la langue de la société dominante (en général l’anglais), ce qui rejoint les considérations d’Ayoungman et Brandt ci-dessus. Reyhner préconise donc une série d’actions destinées à promouvoir l’usage des langues d’origine dans les communautés autochtones : 1. Encourager de nouvelles approches basées sur la force et le pouvoir des communautés.

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 1212 22009-10-02009-10-02 008:31:508:31:50 2. Encourager la recherche sur la réussite des communautés qui ont réussi à restaurer leur langue. 3. Favoriser la communication et les échanges entre les communautés et les organisations engagées dans le même combat et qui développent des approches innovatrices. 4. Conscientiser les populations autochtones et non-autochtones sur les effets néfastes et dommageables de la perte des langues. Reyhner conclut que les gouvernements ont le devoir d’aider, par des ressources financières, les populations et les conseils tribaux à se doter de moyens suffisants pour entreprendre et continuer cette lutte. Il faut se rappeler qu’à l’époque, en 1996, la lutte est déjà engagée, mais elle n’est pas très bien organisée partout. Cependant, l’accord et le soutien des politiques régionales et fédérales ont toujours été considérés comme des éléments de succès des programmes de réhabilitation de la langue.

The American Indian Language Development Institute (AILDI)

Il ne faut pas négliger l’apport des différentes organisations qui ont été d’une importance fondamentale dans ce vaste mouvement national, et même aujourd’hui international, de revitalisation langagière. L’AILDI, né dès 1978 de l’initiative conjointe de quelques représentants et aînés de différentes communautés yuman de Californie et d’universitaires engagés dans cette question de la revitalisation des langues autochtones, s’est donné comme mission de réunir les connaissances et les compétences des différents acteurs du mouvement, afin d’améliorer le cursus et la pratique des étudiants dans l’apprentissage de leur langue (la linguiste Leanne Hinton, entre autres, dont nous reparlerons ci-dessous, fut une des co-fondatrices de cet organisme). L’AILDI se veut un modèle qui relie l’école, la communauté et l’université. D’après les auteurs, après presque vingt ans de fonctionnement, ce pari est déjà gagné : 1. L’AILDI a permis une large prise de conscience en ce qui concerne la perte des langues et des cultures et la nécessité d’y réagir. 2. Il a facilité le développement de la littérature autochtone et donné un cadre aux enseignants en langues autochtones. 3. Et influencé sans conteste la politique fédérale américaine grâce à ses travaux. La Northern Arizona University (Flagstaff) abrite cet organisme depuis 1990. Les

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 1313 22009-10-02009-10-02 008:31:508:31:50 participants aux divers groupes de travail ont considérablement augmenté au fil des années, allant jusqu’à réunir des représentants des communautés autochtones non seulement des États-Unis, mais aussi du Canada et même du Venezuela et du Brésil. À l’époque, plus de mille parents et éducateurs avaient déjà été préparés à travailler comme chercheurs, enseignants et défenseurs des langues autochtones. Le but premier de l’AILDI est de «incorporate linguistic and cultural knowledge into curriculum in ways that democratize schooling for indigenous students and support the retention of their languages and cultures». À ce titre, au cours de ses ateliers d’été, il met l’emphase sur les programmes bilingues/biculturels, sur des stratégies d’enseignement interactives, sur des pédagogies d’ «empowerment » (l’apprentissage de sa langue comme un enrichissement et non comme une stratégie de remplacement, le contrôle local de l’éducation, l’apprentissage interactif et expérimental, une éducation holistique plutôt que de guérison), et les participants s’engagent dans une recherche collaborative et critique, en se basant sur leurs propres observations, la créativité, le partage, la discussion. Parfois, s’ajoute l’expérience d’aînés invités. En fin de compte, «AILDI is a learning-teaching environment in which participants can affirm their identities and their power to act as change agents within their home communities». En équipe ou individuellement, on y partage ses idées, ses projets, ses talents, ses productions et ses expériences dans des ateliers de «micro-enseignement». Les résultats de cette formidable entreprise sont, d’après les auteurs, visibles partout. Certaines langues orales ont trouvé leur écriture, du matériel pédagogique de pointe a été développé dans de nombreuses communautés autochtones, des ouvrages ont été publiés, et des milliers de jeunes autochtones ont directement profité de la participation de leurs enseignants, des représentants de leur communautés et parfois de leurs familles aux ateliers de l’AILDI. De nombreux conseils tribaux, suite à la participation de leur communauté aux ateliers de travail, adoptèrent des politiques locales visant à appuyer et promouvoir les programmes de bilinguisme/biculturalisme. Au niveau national, l’AILDI ne fut pas étrangère à la promulgation du Native American Languages Act de 1990 évoqué plus haut. En bref, voici les leçons tirées par les promoteurs et acteurs de cet organisme : 1. Il faut axer les efforts et l’engagement sur les besoins spécifiques de la communauté en matière de langue et de culture. 2. Le travail de collaboration doit s’effectuer avec un suivi à long terme. 3. Afin de continuer à produire et à tenir ses engagements, l’organisation a besoin d’être institutionnalisée, avec un fond permanent et une maison-mère.

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 1414 22009-10-02009-10-02 008:31:508:31:50 4. Elle a besoin d’une administration permanente et d’un coordonateur attitré, capables de faire le lien entre les différents partenaires, autochtones, universitaires, éducateurs, etc. et de permettre à l’organisation de fonctionner à l’année longue. Ces deux derniers points ne sont pas anodins, car une des clés du succès de ce type d’organisation est sa capacité d’agir sur le long terme, faute de quoi son action sera inutile et sans portée. Pour conclure, voice ce que l’AILDI propose comme hypothèses de travail pour la restauration des langues autochtones, dix huit ans de fonctionnement : 1. Se poser la question de «quoi faire» pour restaurer la langue est important, mais ne suffit pas : il faut commencer à la parler le plus tôt possible, à la maison, dans la communauté, partout. 2. Ne pas critiquer ni ridiculiser ceux qui font des erreurs. 3. Savoir prendre des risques et apprendre de ses enfants. 4. Apprendre dans le plaisir. 5. À partir des enfants, impliquer au fur et à mesure toute la famille. 6. La politique interne des communautés est la meilleure des assises pour le travail de restauration de la langue. 7. Tenir pour acquis que la langue est un cadeau qu’il ne faut pas gaspiller. 8. Chacun doit faire sa part en son temps, il faut prendre ses responsabilités et ne pas attendre que l’autre commence avant soi. 9. Enfin, accepter le partage. Une équipe a plus de pouvoir pour changer les choses. Aujourd’hui, l’AILDI possède un site web2 et reste très actif. Voici comment il définit sa mission : The American Indian Language Development Institute mission is to mobilize efforts to document, revitalize and promote Indigenous languages, reinforcing the processes of intergenerational language transfer. AILDI plays a critical role in ongoing outreach, training and collaborative partnerships with educators, schools, and Indigenous communities nationally and internationnally through the use of multiple resources. On y apprend qu’autour de 2000 personnes ont participé à ses ateliers de formation depuis 1990, et on peut y voir le fonctionnement, le rôle et les impacts de ces ateliers. Il est certain que l’AILDI a joué un grand rôle dans le développement des programmes destinés à promouvoir les langues autochtones aux États-Unis, puis au Canada et ailleurs, et il n’est sans

2 http://www.u.arizona.edu/~aildi/index.html

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 1515 22009-10-02009-10-02 008:31:508:31:50 doute pas étranger à la naissance d’autres organismes travaillant dans le même sens au Canada, en particulier le WNCP et l’ILA, dont je parlerai un peu plus bas.

The Western and North Canadian Protocol (WNCP) Aboriginal Languages Project

The Western and North Canadian Protocol (WNCP) Aboriginal Languages Project : The Common Curriculum Framework for Aboriginal Languages and Culture Programs, Kindergarten to Grade 12 (juin 2000).3 Ce rapport marque une date. Le tournant est annoncé dès le départ : The contents of this document are drawn from the wisdom and knowledge of Elders, past and present — Aboriginal educators whose works enlightened and challenged both in person and in writing, and who are struggling with issues of languages loss and language revitalization. Le changement de perspective est capital. Dans la préface, les auteurs indiquent que le document reflète les croyances et les valeurs des cultures autochtones, que la préservation et la revitalisation de la langue sont d’abord une question de «national pride and honour» (page 2, et répété en page 65), et que la langue est très intimement liée à la survie des cultures autochtones. Même si le travail fait auparavant n’a pas été inutile, la parole est maintenant donnée aux autochtones eux-mêmes. Leur vision du monde va servir de cadre à la réflexion et au développement de stratégies et d’actions destinées à sauvegarder, valoriser et perpétuer l’usage des langues autochtones. Il est donc précisé en préambule du document que les Aînés sont «les gardiens de la connaissance», et que seule leur participation peut donner une chance de réussite aux programmes de revitalisation de la langue. Les aînés occupent donc une place critique au cœur du processus. Jamais, cela n’avait été souligné aussi clairement. Afin de bien situer l’orientation de la réflexion, une grande parie du document est d’ailleurs consacrée, sous forme d’extraits d’entrevues, au respect des valeurs, à la relation des autochtones avec le monde naturel, avec les autres, avec soi-même. Il y est question de culture, de savoirs autochtones, de sagesse, d’histoire et de prise de contrôle de son propre destin. Il s’agit donc d’organiser le processus de revitalisation de la langue en l’insérant dans la

 Source : ce document peut être consulté en ligne sur www.wncp.ca/languages/abor.pdf

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 1616 22009-10-02009-10-02 008:31:508:31:50 culture. Langue et culture constituent en effet deux enjeux intimement liés, axés sur l’harmonie et l’équilibre relationnels (rapports avec le monde, soi-même et les autres). Cette approche holistique est caractéristique de la culture autochtone et n’avait pas été soulignée par les travaux précédents. Les buts du programme sont, en ce qui concerne la culture, d’initier les jeunes aux pratiques et savoirs culturels, tout en leur faisant intégrer les enjeux, la portée, la signification de cette culture, ce qui doit se refléter dans leur monde relationnel. En ce qui concerne l’utilisation de la langue autochtone comme première ou deuxième langue, on se fixe pour objectif de l’utiliser quotidiennement à l’école et à la maison pour communiquer et socialiser. On se propose aussi de documenter et archiver la culture, de développer la création littéraire et de redonner à la langue la continuité qui était autrefois sienne. Le but du programme est donc d’appréhender le monde d’une manière différente à travers le langage. Cela non plus n’avait jamais été dit aussi clairement jusque là : We learned that fundamental spiritual principles cross domains of knowledge and are expressed as sacred laws governing our behaviour and relationship to the land and its life forms. The basic concepts contained within each language make no separation between the secular and sacred aspects of language and culture (page 14). On ne s’étonnera pas de rencontrer le mot «sacré» dans cette déclaration de principe. On est loin du système scolaire occidental, qui met l’emphase sur l’accumulation des savoirs, sans rapport avec l’affectif et le spirituel. Ce programme propose tout un changement d’orientation de l’éducation, basée, cette fois, sur la philosophie traditionnelle, qui voyait l’être comme un tout en interaction avec son univers extérieur et intérieur. Le but d’une éducation autochtone est de préparer les jeunes à devenir intègres, responsables, capables, maîtres d’eux-mêmes. Cette philosophie est d’ailleurs exprimée (page 17) par un schéma circulaire, qui représente la quadruple relation de l’être humain avec le Créateur, la terre, les autres et soi-même. Toute une partie du document (pages 19-63) illustre la manière de mettre en place la structure sur laquelle va se baser le programme, selon une perspective autochtone qui suit trois types de lois naturelles : celles de la vie sacrée, celles de la nature, celles de la solidarité mutuelle. On y montre comment, selon chaque niveau scolaire, de la maternelle à la douzième année, ces principes vont être intégrés et serviront d’appui pour développer les savoirs et les pratiques culturelles, dont la langue. Celle-ci n’est donc plus considérée comme un élément

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 1717 22009-10-02009-10-02 008:31:508:31:50 isolé mais fait partie intégrante de la culture, et donc tout programme de sauvegarde et de revitalisation de la langue est aussi un programme de sauvegarde et de revitalisation de la culture. Le chapitre suivant montre les résultats attendus lorsqu’il s’agit d’un programme en langue première (pages 65-88), c'est-à-dire : - Utiliser la langue autochtone pour construire son monde relationnel. - Tirer des connaissances de la langue de son peuple. - Rechercher et enregistrer la connaissance culturelle. - Créer une littérature. - Explorer les changements linguistiques. Le document explicite en détail comment y parvenir selon chaque niveau scolaire, ce qui donne aux enseignants un bon outil de travail. Le même procédé est utilisé pour le programme en langue seconde (pages 89-109), qui doit atteindre les objectifs suivants : - Utiliser la langue dans la communauté et dans les situations scolaires qui demandent l’interaction, la production ou l’interprétation de la langue. - Utiliser des stratégies pour apprendre la langue. - Communiquer avec un certain degré de précision, de cohérence et de fluidité. - Utiliser la langue pour donner et recevoir des informations, se socialiser et célébrer la tradition, interpréter et parler, connaître la culture. Enfin, vient le plan du programme à proprement parler (pages 111-120), et c’est ici que sont utilisés les travaux menés antérieurement. Quatre points sont développés : 1. S’assurer du support de la communauté. 2. Identifier une autorité culturelle. 3. Identifier la situation de la langue (tirée de l’échelle de Fishman). 4. Choisir le programme approprié, soit le programme en langue première, le programme en langue seconde, le programme bilingue. À l’intérieur du programme choisi, il faut répertorier les ressources de la communauté, celles qui aideront à développer les savoirs et les habiletés culturels, ainsi que le développement personnel. Un graphique détaillé (page 118) qui peut aussi servir d’outil de travail montre comment et où on peut trouver les ressources. Ces dernières sont souvent cachées car on n’a pas l’habitude d’y avoir recours dans le curriculum académique (par exemple, les savoirs des aînés). Il faut ensuite intégrer ce contenu culturel dans les programmes de langue et de culture.

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 1818 22009-10-02009-10-02 008:31:508:31:50 Enfin, il est spécifié que le but premier de l’éducation étant le développement personnel, tout doit s’y raccrocher, et non le contraire (page 119). En annexe, on trouve des exemples d’activités construites à partir d’une situation précise (un camp de chasse au caribou, une légende, une fête, un pow-wow, etc.). Il s’agit encore une fois d’un outil de travail très utile pour la communauté, l’autorité linguistique ou les enseignants. En conclusion, je dirais que ce document est capital, car il montre, hors de tout doute, comment tout programme de revitalisation d’une langue en voie de perdition ne peut se concevoir sans une solide assise philosophique et culturelle, donc qu’il ne peut être mis sur pied qu’à l’intérieur des communautés, par la population elle-même. La nécessité de s’assurer un solide support communautaire est soulignée tout au long du document. Il faut bien évidemment que les gens de la communauté aient envie de sauver leur culture et leur langue, et aussi de la parler, car sans le soutien social, familial, communautaire, aucun projet ne pourra être mené de l’avant — cette idée rejoint d’ailleurs le concept de développement endogène (auto-géré). L’idée que la culture et la langue ne sont ni séparées ni séparables avait déjà été développée, mais l’élément nouveau, et fondamental, c’est que l’éducation d’un enfant doit être holistique. Dans une telle perspective, il faut développer chez l’enfant des habiletés et des connaissances, mais également épanouir sa personnalité morale, affective et spirituelle, en harmonie avec la terre, les autres et lui-même. La base de départ n’étant plus la même (retour vers sa culture et éducation holistique versus restauration et apprentissage d’une langue), cela change toute la perspective de travail. D’autre part, côté pratique, l’intérêt de ce document est qu’il fournit un certain nombre d’outils de travail de base, directement utiles à toute communauté autochtone qui voudrait revitaliser sa langue (les références sont nombreuses, les graphiques clairs, les éléments essentiels mis en valeur).

The Green Book of Language Revitalization in Practice (2001)

Comme pour concrétiser ce que je disais plus haut, le titre de cet important ouvrage de 450 pages publié par deux linguistes connus (Leanne Hinton qui fut l’une des co-fondatrices de l’AILDI et Ken Hale, qui a lui aussi contribué au développement de cet organisme) répond directement à une publication de l’UNESCO : «The UNESCO Red Book on Endangered Languages» (1993). On peut donc le voir non seulement comme une démonstration, exemples à l’appui, que la lutte est commencée depuis longtemps et qu’elle obtient déjà des succès

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 1919 22009-10-02009-10-02 008:31:518:31:51 notoires, mais également comme une référence utile pour monter des programmes de revitalisation de la langue dans les communautés autochtones et, enfin, comme un appel au support des gouvernements. La dédicace est d’ailleurs éloquente : «To the brave people who work against all odds to help their endangered heritage languages survive». Comme pour nous rappeler que ce combat en est encore un, et que les défis sont de taille. L’intérêt de cet ouvrage, par rapport aux précédents, est qu’il peut s’appuyer sur un grand nombre de documents, d’informations, de références et d’exemples. On y retrouve donc beaucoup de choses déjà vues plus haut (entre autres, le plan de Ayoungman et Brandt), et confirmées par la suite des événements, mais aussi des données inédites, par exemple lorsque l’ouvrage parle de l’expérience des Maoris ou des Hawaïens. Mais le livre a d’autres atouts : d’abord, il aborde une vaste palette de sujets, alors que les premiers ouvrages s’attardaient surtout autour des programmes scolaires. Il aborde ainsi en profondeur le thème des programmes d’immersion, celui de la littérature, de la formation des enseignants, des media et de la technologie; des Sleeping Langages, tous thèmes sur lesquels je reviendrai plus bas. L’ouvrage présente également toutes les informations pratiques nécessaires : à chaque sujet traité correspond un chapitre général assorti d’exemples très concrets, suivis par plusieurs études de cas qui enrichissent le thème discuté en en donnant une idée large et variée. C’est donc, à mon avis, un travail de fond incontournable et un outil de travail indispensable, que tous ceux veulent démarrer un programme de revitalisation, ou simplement qui s’intéressent à ce sujet, doivent posséder. On y retrouve tout ce qui se rattache à la thématique de la revitalisation des langues autochtones. De plus, il est présenté de façon claire, bien organisée et il est simple à utiliser. Je ne répèterai pas ici ce qui a été dit plus haut, et je ne traiterai pas non plus des thèmes particuliers ou des études de cas, puisqu’elles font l’objet de la deuxième partie de ce travail. J’y ferai référence à plusieurs reprises.

Northern Arizona University’s Center for Excellence in Education

Je n’insisterai pas ici sur les ouvrages publiés entre 1996 et 1999 (voir bibliographie) par le très actif Center for Excellence in Education, de la Northern Arizona University, qui a fait appel à des noms aussi importants que Jon Reyhner, Gina Cantoni, Teresa McCarty, ainsi que de nombreux sociolinguistes, ethnolinguistes et autres spécialistes de la question. On les verra plutôt mentionnés au fur et à mesure dans ce travail, puisque je me suis beaucoup servi,

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 2020 22009-10-02009-10-02 008:31:518:31:51 entre autres, des trois ouvrages : Stabilizing Indigenous Languages (1996), édité par Gina Cantoni, Teaching Indigenous languages (1997) édité par Jon Reyhner, et Revitalizing Indigenous Languages (1999) édité par Jon Reyhner et Gina Cantoni. Les trois dernières publications de cette prolifique série, Learn in Beauty (2000), Indigenous Languages Across the Community (2002) et Nurturing Native Languages (2003), ont chacune ajouté leur pierre à la consolidation de cet édifice. On y retrouve encore des têtes de file comme Reyhner, Burnaby, McCarty ou Hinton, mais également de nombreux autres auteurs, dont de plus en plus d’autochtones, ce qui n’est pas sans importance. Là aussi les auteurs, les idées et les études de cas se recoupent, mais dans les derniers ouvrages, le débat est enrichi du fait que sont abordés des sujets nouveaux. Par exemple, certains auteurs parlent de ce qui se passe en Afrique ou en Amérique du Sud (mais j’ai dû faire des choix, car cette exploration n’aurait pas de fin). Autre exemple, Indigenous Languages Across the Community (2002) développe un chapitre sur Language and whole Community Development, où, toujours à travers des exemples, plusieurs auteurs montrent comment le retour de la langue peut avoir une incidence positive sur le développement de l’ensemble de la communauté.

Le début d’un temps nouveau

Le début d’un temps nouveau : Premier rapport en vue d’une stratégie de revitalisation des langues et des cultures des Premières Nations, des Inuit et des Métis (juin 2005)4. Le Groupe de travail sur les langues et cultures autochtones, créé en 2002, est issu de l’ILA (Initiative des langues autochtones)5, volet de Patrimoine Canada qui a pour but de «protéger et revitaliser les langues autochtones au profit des générations futures, en favorisant une augmentation du nombre de locuteurs des langues autochtones, la transmission de ces langues de génération en génération et leur utilisation dans des contextes familiaux et communautaires». L’ILA donne cependant à l’Assemblée des Premières Nations et à d’autres organismes autochtones, comme le Ralliement National des Métis, pour le , ou l’Inuit Tapirisat du Canada, pour l’, la responsabilité de mettre en œuvre des programmes auxquels le Ministère du Patrimoine accorde son appui financier. Je n’ai pu malgré toutes mes recherches retrouver la date de fondation de l’ILA, mais selon les recoupements que j’ai pu

 http://www.aboriginallanguagestaskforce.ca/pdf/execsum_f.pdf

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 2121 22009-10-02009-10-02 008:31:518:31:51 faire, il a dû être créé aux alentours de l’année 2000. Le mandat du Groupe de travail sur les langues et les cultures autochtones consistait à formuler des recommandations au ministre du Patrimoine canadien concernant les éléments– clés d’une stratégie nationale globale pour la conservation, la revitalisation et la promotion des langues et cultures autochtones. Voici donc, parmi les conclusions et recommandations faites par ce Groupe de travail dans son premier rapport publié en 2005, celles qui n’avaient encore jamais été énoncées de cette façon : 1. Ce rapport a lui aussi été fondé sur les principes et les valeurs des Aînés (écrit avec un grand A), et il est inspiré par leur vision du monde. On voit donc réaffirmés la place, le rôle et la richesse des aînés dans ce mouvement de revitalisation des langues autochtones. 2. Les langues autochtones sont en lien direct avec le territoire. Il faut donc les relier aux revendications territoriales. On retrouve ici réaffirmé non seulement le lien langue/identité et le lien langue/culture, mais le lien langue/territoire. Parce qu’elles transmettent et protègent les connaissances traditionnelles, et entretiennent les liens sacrés avec les ancêtres, les langues sont la clé de l’identité collective. Elles sont l’expression de l’autonomie nationale des Premières Nations. De plus (et on entend ici un discours nouveau), en lien avec cette dualité langue/terre, la richesse exceptionnelle des langues autochtones peut s’avérer aujourd’hui une aide précieuse pour sauver la diversité biologique de la planète dans un pays qui a signé la Convention sur la diversité biologique des Nations Unies. 3. Les langues autochtones permettent de faire un lien non seulement avec la culture qu’elles véhiculent, mais avec le passé et, donc, l’histoire. 4. Les expériences menées ailleurs dans le monde (Irlande ou Nouvelle-Zélande) ayant démontré que la participation et le soutien de la communauté sont essentiels dans la sauvegarde et la revitalisation des langues, il appartient au gouvernement fédéral de les reconnaître dans la Constitution nationale, de les promouvoir et de leur accorder des moyens financiers équivalents à ceux consacrés à la promotion du français et de l’anglais en contexte minoritaire. La reconnaissance, la protection et la promotion des langues autochtones doivent être inscrites dans les lois. Le Canada a le devoir de travailler avec ses Premières Nations pour protéger les savoirs qui font partie de ce patrimoine linguistique, surtout dans la mesure où il a un jour voulu éradiquer ces

5 Source : www.pch.gc.ca/progs/pa-app//progs/ila-ali/index_f.cfm

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 2222 22009-10-02009-10-02 008:31:518:31:51 langues et où il tente aujourd’hui de se reconstruire une identité plus respectueuse de la culture de ses premiers habitants. 5. D’autre part, que ce soit dans les programmes d’immersion linguistique, dont on constate, de plus en plus, les retombées positives, ou dans les programmes de renforcement de la langue autochtone en tant que langue seconde, il y a un besoin important de ressources financières et humaines qui doit être comblé afin que les apprentissages ne se limitent pas aux seules salles de classes, mais reçoivent un appui à l’extérieur de l’école, dans la communauté ou même au niveau régional. Il faut donc que les ressources en matière de besoins linguistiques au pays soient distribuées équitablement. 6. Les dommages irréparables subis par les autochtones au temps du régime des pensionnats indiens méritent une indemnisation financière qui équivaudrait à une reconnaissance de la valeur des langues autochtones que l’on voulait éradiquer. Cela fait partie de la réconciliation. Partout au pays, les deux niveaux de gouvernement doivent mettre sur pied des programmes permettant aux jeunes désirant devenir des enseignants dans leur propre langue d’obtenir des bourses d’études, car le besoin est grand. Le point doit être fait sur la question de la formation des enseignants en langues autochtones et sur le rôle que les établissements d’enseignement postsecondaire des Premières Nations pourraient jouer dans ce processus. 7. Revitaliser les langues autochtones exige que les collectivités et le gouvernement agissent en partenariat. Pour le gouvernement par exemple, reconnaître à une langue peu parlée le statut de langue officielle la revalorisera en même temps que la culture qu’elle transporte. Il faut donc un financement satisfaisant. 8. Il conviendrait aussi (c’est un discours complètement nouveau) d’intervenir au niveau des établissements correctionnels. En effet, les autochtones qui y sont présents sont de plus en plus en demande de programmes adaptés à leur culture et à leur langue. Cet intérêt a déjà suscité la création de trois programmes spécifiques : dans les établissements à sécurité maximale, le programme des «unités de cheminement » qui donne aux aînés le pouvoir d’encadrer des groupes; dans les établissements à sécurité minimale, un programme destiné à permettre aux détenus de se réinsérer par étapes dans leur communauté d’origine; enfin dans les pavillons de ressourcement dirigés par les communautés, des programmes de guérison orientés vers les enseignements traditionnels. Il conviendrait donc de financer l’enseignement des langues autochtones

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 2323 22009-10-02009-10-02 008:31:518:31:51 dans les établissements correctionnels fédéraux. 9. Il faut établir une stratégie linguistique nationale à long terme incluant la participation active des communautés concernées («la participation de la base est la clé de la revitalisation des langues»). A cette fin, il serait nécessaire d’entamer une vaste enquête pour dresser un tableau actuel de la situation des langues autochtones au pays. Les langues les plus menacées devraient pouvoir jouir d’un financement rapide afin de les aider à documenter et archiver leurs derniers vestiges. Bien entendu, ce document était adressé directement au gouvernement et très orienté vers un appel aux ressources financières. Mais je le trouve important dans la mesure où, tout en faisant le point sur des notions fondamentales (lien langue/identité, importance des aînés, participation de la communauté, etc.), il nous interpelle en amenant des nouveaux éléments : 1) l’arrimage direct entre la langue, le territoire et, donc, les revendications territoriales, ce qui nous amène immédiatement sur un terrain beaucoup plus politique; 2) la nécessité d’utiliser le patrimoine linguistique et culturel que représentent les langues autochtones pour protéger la biodiversité de la nature aujourd’hui en danger : c’est là un discours tout à fait en lien avec une problématique très actuelle; 3) la responsabilité de l’État et son devoir politique et humanitaire de s’engager dans le combat pour la sauvegarde des langues, d’autant plus qu’il est responsable en grande partie de leur déclin quand ce n’est pas tout simplement de leur disparition (colonisation et surtout pensionnats); 4) l’importance d’introduire les langues autochtones, par l’intermédiaire des programmes culturels, dans les établissements pénitentiaires du Canada. Il est donc important de retenir ces apports, qui seront probablement importants dans un futur proche. Cet inventaire des ouvrages généraux dans le domaine de la revitalisation des langues autochtones est loin d’être exhaustif; il y a bien d’autres programmes, qui n’ont pu prendre place ici. Le but de l’exercice ne consiste d’ailleurs pas à établir une liste complète des programmes existants, mais de donner une idée générale des principes de départ sur lesquels repose ce combat pour la revitalisation des langues autochtones. Je vais donc maintenant présenter quelques thèmes développés par les auteurs.

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 2424 22009-10-02009-10-02 008:31:518:31:51 La mise en pratique

Les programmes d’immersion

Selon Jon Reyhner (in Reyhner et al. 2003 : 1), la principale caractéristique de l’immersion est l’enseignement de la langue et de la culture sans l’intervention de la langue première. Au départ, l’enfant entend une langue qu’il ne comprend pas, et c’est peu à peu que le processus d’apprentissage se développe. De nombreuses études ont prouvé depuis que l’enfant en fin d’apprentissage accomplit les mêmes performances académiques dans les deux langues, car il ne perd pas pour autant sa langue première. Parallèlement, les enfants en immersion développent en général «a strong sense of camaraderie and often form a value community that reflects the positive aspects of the language and culture they are learning» (ibid.: 1). L’immersion idéale est évidemment, et c’est son premier degré selon Hale (in Hinton, 2001 : 227), celle qui se fait à l’intérieur de la famille. À son second degré, l’immersion, celle dont en fait nous parlons ici, implique idéalement la journée entière d’école, et prend l’enfant à un tout jeune âge, c’est-à-dire dès son entrée au jardin d’enfants, école pré-maternelle ou maternelle, et, là encore idéalement, se poursuit tout au long de la scolarité de l’enfant et de l’étudiant. Un fait étonnant et, peut-être, peu connu est que cette méthode a été testée la première fois auprès d’enfants anglophones habitant le Québec au début des années 1960, que l’on a «immergés» en français, et que, suite à son succès, elle est devenue très populaire. On va voir qu’elle a servi de modèle de base pour les Maoris de Nouvelle Zélande, les Hawaïens, et depuis, de multiples nations qui ont décidé de revitaliser leur langue par immersion. Reyhner évoque l’approche de la Total Physical Response (TPR) pour travailler en immersion (ibid.: 1-2). Cependant, je préfère me référer au texte de Cantoni (in Reyhner et Cantoni 1999 : 53- 58) qui ajoute une marche supplémentaire à ce processus, qui devient alors la TPR- Storytelling. La TPR s’inspire au départ de l’ouvrage publié en 1977 par Jane Asher6, qui préconisait cette méthode pour permettre aux étudiants en langue seconde d’acquérir rapidement la tonalité, les expressions et la fluidité de la langue. Elle est vivante, dynamique,

6 Jane Asher (1977), Learning another Language through Actions : the Complete Teacher’s Guidebook. Los Gatos, Ca : Sky Oaks.

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 2525 22009-10-02009-10-02 008:31:518:31:51 et a l’avantage de n’engendrer ni compétition, ni crainte du jugement des autres, ni pression, mais, au contraire, de stimuler la convivialité et le partage. Elle ne demande ni livres ni cahier d’exercices. Le principe est d’utiliser juste la répétition de mots et d’expressions employés par le professeur, et ce dès la première leçon. L’étudiant a la permission, pendant un certain temps où il emmagazine ce qu’il entend, de ne rien dire. Il peut se contenter d’écouter et d’exécuter les ordres. Parler viendra en temps voulu. Lorsqu’il sera décidé à parler, le professeur ne le corrigera pas mais répondra selon ce qu’il comprend. À cette étape, on présente des commandements comme : marche, cours, touche, donne-moi, reviens, etc. et des mots courants : table, livre, porte, poisson, etc. Environ 150 mots sont présentés les six premières semaines. On donne un ordre et on invite les étudiants à répéter l’ordre donné (par exemple, le maître dit « ouvre la porte » et l’étudiant répète cet ordre). Lorsque les mots sont compris par l’ensemble, on y ajoute des adverbes et adjectifs (par ex., « ouvre grand la porte jaune »). On bouge et on utilise les objets (un chat en peluche, une fleur, etc.). On utilise toujours la langue-cible. Les étudiants sont également encouragés à s’entraider pour parler dans la langue-cible. Cette méthode a fait ses preuves pour débuter l’apprentissage d’une seconde langue. Cependant, elle montre vite ses limites : elle ne laisse aucune place à la créativité, limite la conversation (mots brefs ou ordres), et ne permet pas une véritable interaction ou des échanges. La TPR-Storytelling répond à ces lacunes en ajoutant à la méthode un pallier supplémentaire. Elle ne demande pas plus de livre, mais le vocabulaire est appris à travers des histoires que les étudiants entendent, regardent, jouent, redisent, révisent, puis écrivent et réécrivent. On utilise le vocabulaire appris en premier pour l’incorporer dans une histoire animée par des gestes, des images, des sons, des dessins, des chansons, etc. Ensuite, un petit groupe reprend l’histoire de la même façon. À cette occasion, l’enseignant enrichit le vocabulaire en posant des questions ou en corrigeant les enfants. Ils ne sont pas encouragés à se remémorer l’histoire, mais à y apporter leurs propres variations et inventions. Le but est la création de nouvelles histoires, qu’ils partagent avec le groupe. On peut y raccrocher une foule d’activités, comme la création de petits livres, une vidéo, une pièce de théâtre, etc. À ce stade, le programme s’approche des programmes classiques d’apprentissage d’une langue seconde. Cette méthode ne demande pas aux enseignants une formation excessive ou poussée, et on peut facilement y entraîner des aînés locuteurs qui aideront les

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 2626 22009-10-02009-10-02 008:31:518:31:51 enseignants. En poussant la TPR jusqu’à la production écrite ou audiovisuelle, elle peut alors devenir une expérience positive, collective, productive et très efficace. Dans un article du NABE News7, Richard Little Bear, directeur de l’ Bilingual Multifunctional Resource Center, insiste lui aussi sur le fait que la TPR n’est efficace à long terme que si elle débouche sur un enseignement ayant recours à l’écriture et à la création littéraire. Voyons maintenant plus en détail quelques exemples de programmes d’immersion.

Les Maoris De Nouvelle-Zélande

On ne s’étonnera pas de voir citer cette expérience avant toutes les autres. L’expérience des Maoris est exemplaire, et de nombreux programmes de revitalisation des langues autochtones dans le monde ont été mises en place en se basant sur ce premier modèle. Ce peuple est certainement celui qui est le plus connu pour avoir réussi le pari de faire revivre pleinement une langue qui était à court terme condamnée à une mort certaine. Le cas de la langue maori a d’ailleurs été très étudié. Tout ouvrage sur la revitalisation des langues se doit d’en parler. Cependant, j’ai basé mon analyse sur le texte de Jeannette King (in Hinton 2001 : 119-128), qui est le plus récent que j’ai trouvé, et qui donne par ailleurs une bibliographie assez complète des ouvrages parus à ce sujet. Les Maoris étaient, dans la première moitié du siècle dernier, un peuple au bord de l’asphyxie, sur tous les plans : physique, social, économique, culturel, linguistique. Ce qu’il me semble important de noter est que c’est une génération éduquée (en anglais) et en santé qui a repris en main la revitalisation de la culture et du langage. Le réveil culturel conscient et organisé des communautés maori a rapidement trouvé un écho auprès du gouvernement colonial qui fut obligé de changer ses politiques vis-à-vis ses populations autochtones. On peut dire que le véritable point de départ fut une pétition, issue d’un petit groupe de jeunes activistes radicaux et signée par plus de trois mille Maoris, qui fut adressée, au début des années 1970 au gouvernement. Cette pétition demandait que la langue soit reconnue au gouvernement, dans les médias et dans les institutions publiques; elle secoua les dirigeants, mais les incommoda encore plus. Elle n’eut donc pas d’effet notoire visible et on s’arrangea pour faire traîner les réformes. Sur l’échelle de Fishman, la langue en était au stade 8, c'est-à-dire le plus grave. C’est ainsi que jusqu’aux années 1980, la langue continua à décliner, la grande majorité

7 Vol. 15 n°6, 15 mai 1992.

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 2727 22009-10-02009-10-02 008:31:528:31:52 des enfants n’étant plus élevés en maori. En 1981, un groupe de leaders de la communauté maori, appuyé par la population, prit résolument les choses en main. Ainsi, on décida d’instaurer des Kohanga Reo (littéralement des nids de langage), jardins d’enfants où les enfants seraient en totale immersion. Bien entendu, le rôle des aînés locuteurs était central. Aujourd’hui, non seulement les Kohanga Reo existent toujours, mais ils ont pris une ampleur phénoménale. Chaque Kohanga Reo est dirigé et contrôlé conjointement par un groupe d’enseignants, d’aînés, de parents et d’autres membres de la communauté. L’auteur insiste plus particulièrement (page 125) sur le concept maori du whanau, qui n’a son équivalent ni en anglais ni en français, et qui équivaudrait à une «communauté de liens de parenté», très importante dans cette culture. Dans le Kohanga Reo, ces lien naturels n’existant pas, il a été nécessaire d’en recréer un qui en soit l’équivalent, afin de permettre à cette mini- organisation de fonctionner en groupe cohérent, selon la philosophie traditionnelle. Car ces «nids de langage» sont aussi des nids de culture, les enfants baignant dans un environnement culturel destiné à valoriser leur appartenance identitaire. Ils y apprennent les usages et traditions du peuple maori, le rôle des relations de groupe et la responsabilisation collective, bref, «the importance of their tribal connections». (page 123). Dès le départ donc, la renaissance de la langue fut étroitement liée à celle de la culture et de la tradition. Au départ, les Kohanga Reo étaient subventionnés par le Department of Maori Affairs, mais rapidement, devant la force du mouvement, le gouvernement prit la relève. De même, en 1987, il signa le Maori Langage Act, qui faisait du maori l’une des langues officielles de la Nouvelle-Zélande. En huit ans, plus de 600 Kohanga Reo furent implantés. Six ans plus tard, entre 2000 et 3000 enfants arrivaient à l’école primaire avec une parfaite connaissance de la langue orale, ayant été exposés à la langue maori pendant trois ans au minimum (King 2001 : 119). Pour répondre à la demande des parents qui voyaient l’école primaire publique comme une coupure brutale et dévalorisante pour leurs enfants, l’expérience fut poursuivie au primaire. Deux sortes de programmes virent alors le jour : le Kura Kaupapa Maori (le premier à Auckland en 1985), dans lequel les enfants apprenaient toutes les matières obligatoires du curriculum académique de la Nouvelle-Zélande, mais en maori, et toujours dans un environnement imprégné de philosophie ancestrale et basé sur les traditions culturelles. En 1998, plus de 60 Kura Kaupapa Maori étaient déjà financés par l’État (voir page 122), en plus d’un autre où l’éducation primaire était bilingue. Le nombre d’écoles primaires publiques possédant un programme d’éducation bilingue s’accrut considérablement, mais par contre le nombre d’heures consacrées au maori dans ces classes ne suivit pas

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 2828 22009-10-02009-10-02 008:31:528:31:52 toujours (moins de 30% en 1998 pour la moitié des enfants inscrits à ce programme). Le besoin d’enseignants parlant couramment la langue se faisait de plus en plus pressant. Au début, ils étaient formés par des ainés locuteurs, mais leur nombre diminuant, on dut envisager d’autres ressources éducatives. Aujourd’hui, 45 institutions au pays offrent une formation pour les enseignants en immersion ou en langue seconde (page 124), et le gouvernement encourage les étudiants par des bourses conséquentes. La formation en trois ans, conforme aux normes officielles en vigueur depuis 1991, contient plusieurs modules incluant l’histoire, la philosophie et la spiritualité des Kohanga Reo, les pratiques et les savoirs ancestraux, les pratiques traditionnelles et modernes de santé, la langue maori, le développement de l’enfant, la pédagogie et l’enseignement, les relations humaines, l’observation et l’analyse, la gestion et l’administration, ainsi que 500 heures de stage dans un Kohanga Reo, en sus d’un travail personnel dans la communauté. On n’en finirait pas de s’étendre sur le succès de cette revitalisation. Des programmes de radio et télévision en maori ont été développés. Plusieurs organisations non- gouvernementales se consacrent à la promotion et à la sauvegarde du maori. À l’université de Canterbury, il existe un département consacré à la culture maori (langue, culture, histoire, art, etc.), et la plupart des membres de l’équipe dirigeante et enseignante sont des Maoris. En tapant sur un moteur de recherche les mots «langue maori», j’ai trouvé …489 000 sites Web…8 Enfin, en allant sur le site web des statistiques du recensement de 2006 en Nouvelle- Zélande, voici ce qu’on trouve à propos de la langue maori9 : - Sur les 565 329 personnes qui s’identifient comme Maoris, 131 613 peuvent tenir une conversation ordinaire de tous les jours en langue maori, soit environ une sur cinq. C’est 1 128 de plus qu’au précédent recensement en 2001. - Le quart de ceux qui sont dans la tranche d’âge 15-64 ans parlent couramment la langue maori. - De même que 1/6 de ceux qui ont moins de 15 ans. - 23,8% des Maoris parlent plus d’une langue, pour la grande majorité le maori et l’anglais. Si l’on compare ces chiffres avec le National Maori Language Survey tenu en 1995 (King in Hinton 2001 : 121), qui parlait de 10 000 à 20 000 locuteurs parlant couramment, on

8 Bien entendu je n’ai pas eu le temps de m’y attarder, mais en voici au moins trois qu’il est intéressant de consulter : www.maorilanguage.net, www.korero.maori.nz/, et http://www.tetaurawhiri.govt.nz/.

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 2929 22009-10-02009-10-02 008:31:528:31:52 peut conclure que, même si la vigilance doit être soutenue, les programmes en immersion ont largement fait leurs preuves.

Les «Punana Leo» d’Hawaï

Là aussi, le cas est très connu et très documenté. Ce qu’on trouvera ici s’inspire de deux documents (Calica et Rawlins 1999 et Wilson et Kamana in Hinton 2001), ainsi que du site internet consacré à ce programme de revitalisation de la langue hawaïenne10. L’établissement des Punana Leo, ou «nids de langage», créés sur le modèle de ceux inventés par les Maoris, dans les écoles préscolaires d’Hawaï, a commencé par un combat politique, car la langue anglaise était la seule autorisée dans les organismes d’État d’Hawaï, y compris les écoles, depuis la fin du dix-neuvième siècle. En 1978, suite aux pressions des autochtones, l’État la rétablit comme une des langues officielles. En 1984, un petit groupe composé au départ de professeurs, étudiants, parents et sympathisants de l’Université de Hawaï, boycottèrent un certain nombre de classes préscolaires de l’État pour y imposer la langue autochtone et fondèrent illégalement les Punana Leo, écoles préscolaires où l’enfant était en totale immersion langagière et culturelle. La langue fut finalement autorisée en tant que langue d’éducation en 1986, mais le combat ne fut pas terminé pour autant car une autre loi vint exclure du système public les écoles employant le hawaïen, l’anglais restant la langue d’instruction obligatoire jusqu’en huitième année. Ainsi, les aînés qui travaillaient avec les enfants et qui n’avaient pas la formation académique obligatoire requise furent exclus du système. Les familles s’unirent donc pour soutenir les écoles préscolaires où étaient établis les Punana Leo. Lorsque la loi fut enfin révisée, les Punana Leo étaient bien implantés, mais les écoles publiques tardant à l’appliquer, les parents renouvelèrent la stratégie du boycottage au fur et à mesure que les enfants accédaient aux classes supérieures. Aujourd’hui, il existe, à Hawaï, 11 Punana Leo (écoles privées) qui forment la base du système de revitalisation. L’hawïen est autorisée comme langue d’éducation dans tout le système public à tous les stades. Les enseignants de langue hawaïenne ont accès à leur propre système de formation. Il y a maintenant dans certaines écoles primaires, secondaires et collégiales des modules entièrement en langue hawaïenne. Ainsi, en dépit de tous les mauvais augures, qui prédisaient aux enfants ayant suivi leur curriculum scolaire en complète immersion des résultats scolaires médiocres sinon désastreux, en 1999, la plupart des premiers

9 Voir www.stats.govt.nz/census/2006-census-data/quickstats-about-maori

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 3030 22009-10-02009-10-02 008:31:528:31:52 enfants à avoir suivi ce programme d’immersion furent diplômés de l’école secondaire, et en 2001, un étudiant obtint sa maitrise, entièrement écrite en langue hawaïenne, à l’Université de Hawaï. Et ce, en dépit du fait que le premier but de l’éducation en langue hawaïenne soit non pas la réussite académique, mais la sociabilisation et la responsabilisation de la personne à travers la philosophie ancestrale et les pratiques et savoirs traditionnels, une situation qui ne peut qu’accroître la fierté de ce peuple. Les Punana Leo ont toujours mis l’emphase sur le couple langue/identité. Ils sont basés sur la communauté et sur la participation active des parents à tous les niveaux, de l’éducation jusqu’à l’administration. Les valeurs, au premier rang desquelles on trouve celle de l’hospitalité, les pratiques traditionnelles, comme la culture des plantes et leur usage médicinal, les cérémonies d’accueil, etc., l’histoire et la mythologie, y sont valorisées. Une littérature, la plus riche parmi celles des peuples autochtones d’Amérique du Nord, a été développée. L’année 1996, fut officiellement déclaré la Hawai'i Year of the Hawaiian Language, en mémoire de l’année où la langue hawaïenne fut bannie de la colonie. Le Hale Kuamo’o, fondé officiellement en 1989, est le Centre de la revitalisation de la langue, situé à l’Université de Hawaï à Hilo. Il soutient et encourage un grand nombre d’activités, en relation avec la langue à l’école, au travail, dans l’administration et dans les médias. Ce n’est plus inhabituel d’entendre parler hawaïen en public et beaucoup de noms de rues ont un nom en hawaïen. Il existe de nombreuses ressources Internet pour la connaissance et la consolidation de la langue, y compris des dictionnaires11. En conclusion, on peut dire que le succès des cette revitalisation est effectif, et parfaitement palpable. On doit en retenir que, parfois, le changement des politiques publiques est un élément clé dans le combat pour la renaissance et l’usage des langues autochtones. On peut aussi retenir, une fois de plus, que la persévérance, la volonté et même l’acharnement d’un petit groupe sont des éléments de réussite. Je pourrais continuer ici en citant un grand nombre de programmes en immersion, car les exemples abondent dans la littérature spécialisée. Pour mémoire en voici trois, que je n’ai pas le temps de développer ici : 1. Celui des Arapaho du Wyoming, que l’on retrouve dans plusieurs ouvrages (Reyhner 1997 : 22-30; Reyhner et Cantoni 1999 : 6-17; Hinton 2001 : 287-297), sous

10 Voir www.ahapunanaleo.org 11 Voir http://www.mauiculture.net/kuhikuhi/olelo.html

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 3131 22009-10-02009-10-02 008:31:528:31:52 la signature de Stephen Greymorning, un anthropologue arapaho de l’Université du Montana, qui relate son propre travail d’implantation d’un programme d’immersion dans la réserve de Wind River au Wyoming. Battant de premier ordre, il a mené une expérience ardue mais passionnante, qui s’est avérée très fructueuse. 2. Celui des Navajo, extrêmement documenté (Holm et Holm 1995; Spolsky 2002; Eder 2007; Goodluck in Reyhner et al. 2000; six chapitres du Green Book de Hinton, etc.), qui ont développé de multiples approches, dont celle de l’immersion, et qui sont devenus des champions et des modèles dans le domaine de la revitalisation des langues autochtones. c) Celui des Cherokee, passionnante expérience documentée par Lizette Peter (2003 et 2007). Pour conclure, si l’immersion n’est pas toujours possible, en tout cas dans les premières années, car elle dépend au départ de la place occupée par la langue dans l’échelle de Fishman, au moins les succès incontestables résultant de l’application de cette forme d’apprentissage en font le modèle idéal dont tout programme de revitalisation doit s’inspirer et tenter de se rapprocher.

La place de l’écriture dans une langue orale

Je n’ai pratiquement pas documenté cette partie, qui aurait pourtant mérité un large développement, vu son importance et son utilité dans la transmission et la diffusion à large échelle des langues autochtones. Le sujet est pourtant abordé, analysé et discuté dans tous les ouvrages, entre autres dans celui de Reyhner et Cantoni de 1999 (cf. les textes de Bielenberg : 103-112, ainsi que celui de Bennett, Mattz, Jackson et Campbell : 84-102), ainsi que dans celui de Hinton (2001). Je ne mentionnerai que le rôle incontournable des dictionnaires et encyclopédies, documenté par Summers (1988), et qui n’est aujourd’hui plus à prouver. Non seulement ils maintiennent et conservent l’usage des langues, éduquent et informent, mais ils contribuent à renforcer l’appartenance identitaire des peuples. En voici deux exemples. 1. La revitalisation de la langue des Miami Le cas de la revitalisation de la langue des Miami de L’Oklahoma a été analysé par au moins deux auteurs, Rinehart (2006) et Leonard (2007). Je vais en reparler plus bas dans le paragraphe consacré aux technologies modernes, mais je tiens à mentionner ici le travail du

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 3232 22009-10-02009-10-02 008:31:528:31:52 Miami Language Research Project12, centre consacré à la défense et à la revitalisation de la langue, qui a publié récemment plusieurs ouvrages remarquables : un Historical Landscapes of the Miami, grand livre de géographie qui retrace toute la toponymie autochtone du territoire des Miami; une Myaamia Ethnobotany (parue en 2007, thèse de Michaël P. Gonella, Miami University), qui comme son nom l’indique est un inventaire des plantes qui poussent sur le territoire et qui peut servir à de multiples usages éducatifs et culturels; un Lunar Calendar, qui retrace le calendrier lunaire traditionnel des Miami en soulignant l’intégration des cycles biologiques et écologiques et en y superposant le calendrier grégorien occidental, travail qui reflète la relation entre des fêtes traditionnelles et les événements culturels modernes tout en renforçant l’appartenance au territoire; et un "Cookbook" (Myaamiaki iiši-aalimiihtookiki), illustré et facile à utiliser, qui identifie les éléments de la nourriture ancestrale des tribus miami, donne des recettes, ainsi que des conseils pour la récolte des plantes. 2. L’encyclopédie environnementale des Morovo Elle est une des productions du programme LINKS de l’UNESCO lancé par l’ONU en 2002, et qui a pour but de remettre à l’honneur les savoirs locaux et ancestraux favorisant le développement durable, dont les langues vernaculaires, qui ont hérité d’une très longue tradition d’interaction avec le milieu naturel. Une de ses récentes réalisations est le Reef and Rainforest : an Environmental Encyclopedia of Marovo Lagoon, publié en 2007. Basé sur le savoir des autochtones des îles Salomon, cet outil pédagogique inclut plus de 1 200 termes en langue Morovo, en plus des références à deux autres langues vernaculaires de la région, le hava et le vanunu. Cette encyclopédie vivante a servi de point de départ à une expérience pilote menée en septembre 2005 dans sept écoles primaires et secondaires des autochtones Morovo13, et dans des centres culturels locaux, partout dans l’ouest des Îles Salomon où la langue morovo est encore parlée comme langue première, sous la direction de l’auteur de l’ouvrage, Edvard Hviding. Elle tendait, en étabissant un pont entre les générations, à intégrer dans le cursus scolaire habituel la langue et les savoirs environnementaux autochtones. Le but n’était pas tant d’éveiller les enfants à un autre programme centré sur l’environnement, mais bien de : « redesign science content to incorporate knowledge systems which are seriously endangered today and have been repeatedly recognised as having crucial ramifications for biodiversity conservation in

12 Voir www.myaamiaproject.org/research.html 13 http ://portal.unesco.org/science/fr/ev.phpURL_ID=498&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 3333 22009-10-02009-10-02 008:31:528:31:52 these sites of global significance». Cette expérience pratique était donc destinée à tester le rôle d’un matériel didactique en langue vernaculaire pour assurer la transmission des connaissances environnementales traditionnelles, si importantes dans un monde menacé, en les intégrant à la science moderne à l’intérieur du système scolaire. Le résultat fut une étonnante production de travaux écrits en langue morovo par tous les étudiants entre 8 et 16 ans, dont 211 furent retenus comme intéressants du point de vue du rapport science /savoir traditionnel. Ainsi, pour la première fois, furent consignés, par écrit, la vie de certaines chauves-souris se nourrissant de fruits, des détails sur un mammifère marin local appelé Dugong dugon et la description de plantes médicinales peu connues. Cela n’avait jamais été fait auparavant. Cette encyclopédie, riche et colorée, attractive pour les jeunes, non contente d’accroître la connaissance de la culture, de l’histoire et du langage, rehausse aussi la fierté identitaire du peuple morovo. On peut alors comprendre qu’elle ait été immédiatement adoptée par les aînés et les enseignants des villages comme une source d’inspiration et un modèle, et que ce modèle soit devenu un exemple à suivre pour d’autres langues premières de l’ouest de la région.

L’apport de la technologie moderne : TV, vidéo, radio, cassettes et CD, ordinateurs, médias

L’utilisation de la technologie moderne est, de l’avis de tous les auteurs, un outil de premier ordre dans la revitalisation des langues autochtones aujourd’hui. Comme le fait remarquer Bennet (2003 : 59), elle a d’ailleurs servi dès le début à récolter du matériel ethnographique, car les premiers ethnologues gravaient déjà la parole des aînés sur des cylindres de cire. Et aujourd’hui, quelle nation autochtone n’a pas sa page Web? Leanne Hinton (2001 : 265- 331) consacre un large chapitre à ce sujet dans son Green Book cité plus haut. Selon elle, en ce qui concerne le volet documentation, dont ne peut se passer aucun programme de revitalisation de la langue, même si selon elle le support le plus fiable dans le temps reste le papier, seule la technologie moderne permet de récolter et conserver le discours des aînés, souvent derniers locuteurs de langues sans écriture. La technologie moderne a l’avantage de retenir l’accent, les intonations et les gestes, faute de quoi, on le verra plus bas, il faudra les réinventer de toutes pièces. La vidéo ou à défaut l’enregistreuse audio sont les moyens les plus adéquats pour recueillir cette parole. Cela peut- être fait dans les familles, à l’école où un aîné interviendra, ainsi que partout où la situation se présente, dans la nature, au cours d’une activité culturelle ou une cérémonie. Ce matériel doit

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 3434 22009-10-02009-10-02 008:31:538:31:53 être dûment étiqueté, répertorié, et conservé dans un endroit sûr (une bibliothèque, un musée, un centre d’archives), à l’abri des intempéries, de la poussière et des voleurs. L’ordinateur est aujourd’hui un outil prisé par tous les programmes de revitalisation des langues, soit comme source de documentation et d’information, soit directement dans la construction des programmes d’apprentissage des langues. On peut y compiler du matériel avec lequel il est possible de travailler, comme des dictionnaires, des publications en ligne, des grammaires, des lexiques, des bases de données de plusieurs types, et même des claviers d’écriture (c’est le cas pour la langue aléoute par exemple, mais aussi pour de multiples autres langues autochtones), des guides, des tests, directement disponibles en ligne. Cela en fait un outil très populaire, utilisable par presque tous aujourd’hui (étudiants, groupes, enseignants, autorités linguistiques). C’est d’ailleurs sur Internet que j’ai puisé une bonne partie de mon information, tous les documents officiels étant disponibles en ligne. Mais selon Hinton, l’ordinateur ne doit occuper qu’une place d’appoint dans les programmes, ceux-ci misant avant tout sur la transmission orale, interactive et vivante. Il sied de le rappeler car aujourd’hui, l’ordinateur occupe une telle place dans notre vie et notre société qu’on en oublie jusqu’au fait qu’on est tout de même assis devant un écran. L’ordinateur ne remplace pas une conversation avec un aîné, une activité culturelle, une cérémonie traditionnelle, un chant ou une danse. De plus, le coût est pour certaines communautés prohibitif, d’autant plus qu’il faut sans cesse s’adapter à de nouvelles versions. Nous allons ici donner quelques exemples de ce qui se fait aujourd’hui, dans le domaine de l’apprentissage, de la sauvegarde et de la promotion des langues autochtones à travers les technologies modernes.

Le Phraselator® LC14

Bien que cela puisse paraître étrange dans le cadre de ce travail, je tiens à faire part d’un courriel que j’ai reçu il y a environ un an sur une liste de courriel aléoute à laquelle je suis abonnée. Ce courriel était annoncé comme particulièrement important pour tous ceux, directeurs de commissions scolaires, enseignants et étudiants, qui se sentaient concernés par la sauvegarde de la langue aléoute. Voici de quoi il s’agit. Au départ, juste un petit appareil que l’on peut tenir dans la

14 Source : www.ndnlanguage.com

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 3535 22009-10-02009-10-02 008:31:538:31:53 main, un peu plus gros qu’un téléphone portable. Selon le site web, daté de mai 2007, qui en fait la TRANSLATES : The hand-held promotion, cette technologie de pointe développée par le Phraselator seems like a gadget Département américain de la Défense, fut créée pour lutter out of the original Star Trek. Load contre le terrorisme en Irak…. Rien d’étonnant finalement à an SD card with the appropriate language software, speak an cela si on se rappelle que l’Internet, aujourd’hui d’usage English phrase into the unit and it universel, fut inventé par ce même ministère vers la fin des immediately translates. (KEN années 1950, dans un but également tout à fait militaire. WIGHTMAN/Sun Media) Après un long combat pour obtenir de l’armée des droits de redistribution aux Nations autochtones des États- Unis et du Canada, Don Thorton, un journaliste cherokee défenseur des langues autochtones depuis des années comme cinéaste, journaliste, travailleur social et activiste, fonde et développe la TMI (Thornton Media Inc.), basée à Banning en Californie, la seule compagnie de technologies linguistiques EXCITING : Verland Cornelius, 78, au monde qui se soit spécialisée dans la préservation des right, spoke Oneida when she was langues autochtones. a young girl and today she is part Révolutionnaire ou pas, il semble que ce petit appareil of an effort to save the language for future generations. With puisse constituer une pièce maîtresse du puzzle complexe du Cornelius at the training session processus d’apprentissage des langues autochtones. in the use of the new language- Aujourd’hui, la compagnie travaille pour plus de 75 nations protecting equipment are, from left, Olive Elm,, Darelyn Doxtator, autochtones en Amérique du Nord, de la Californie à Mary Elijah who is director of the l’Alberta, en passant par la langue des Gros Ventre et des Cultural Centre, Dakota au Montana et celle des Cherokee en Oklahoma, etc. and Bonita Abram, all members of the Oneida Nation. (KEN Des commissions scolaires comme la Kainai Board of WIGHTMAN/Sun Media) Education en Alberta participent à cette expérience unique. En y insérant la cassette appropriée, le petit appareil peut traduire instantanément, avec l’accent et le ton appropriés, des mots et même des phrases prononcés en anglais, dans la langue autochtone choisie — car Thornton travaille directement avec les locuteurs aînés dans les communautés. Le London Free Press (London, ), du 28 novembre 2007 souligne l’apport du Phraselator à la communauté oneida de l’Ontario, où il ne reste qu’environ 90 locuteurs, la plupart au-dessus de 70 ans. La directrice du Oneida Language and Cultural Centre Mary Elijah affirme : «This is going to revitalize our language before it

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 3636 22009-10-02009-10-02 008:31:538:31:53 dies, it is going to outlive everybody». La communauté en a acquis huit, intégrant leur usage dans une stratégie plus large de revitalisation de la langue oneida, afin que chaque professeur faisant partie du programme puisse l’utiliser comme outil d’enseignement. Et plus récemment, le Capital-Journal de Topeka (Kansas) du 5 mai 2008 relate le travail fait avec une aînée sur la réserve des Potawatomi, peuple autochtone de l’Oklahoma, pour enregistrer la langue de cette nation des Prairies, qui n’est actuellement plus parlée couramment que par six personnes. Bien qu’il soit très coûteux (3300$), la communauté en possède trois et pense en acquérir plus dans l’avenir, car elle considère ce petit outil technologique indispensable au travail de sauvegarde de sa langue. Elle estime qu’il peut entre autres apporter une aide précieuse aux enseignants qui participent au programme d’apprentissage de la langue dans le cadre du programme national Head Start destiné aux enfants de maternelle et pré-maternelle. Il est intéressant de voir non seulement comment la technologie de pointe s’insère aujourd’hui dans le processus de sauvegarde des langues autochtones, mais aussi à quel point certains autochtones s’investissent à cet effet dans la recherche et la création.

Apprendre la langue par le téléphone

Alice Taff (1997 : 40-45), qui fait partie de la nation athabascane la plus occidentale en Alaska, les Deg Hit’an, raconte une expérience intéressante. À cette époque, il ne restait plus que quelques aînés locuteurs (moins de 20) du deg xinag, et la population était très dispersée sur un grand territoire. Un groupe de jeunes, désireux de sauvegarder la langue, s’organisa donc, sous l’égide de l’université de l’Alaska Fairbanks (UAF), pour recevoir un cours par audioconférence avec des aînés (cours universitaire de 1 crédit). Les rencontres téléphoniques avaient lieu une fois par semaine pendant une heure, réunissant les étudiants et les aînés disponibles à ce moment-là. Au deuxième trimestre, il y avait quatre aînés locuteurs et huit étudiants, qui devaient, suite au cours, effectuer deux heures de travail à la maison. Ils appelaient de points très distants, des villages les plus perdus jusqu’à Fairbanks même ou Seattle, gratuitement, depuis un local spécialement équipé de haut-parleurs et écouteurs. Il y eut au départ quelques problèmes de son qui faussaient le dialogue, car une telle expérience demande une acoustique parfaite, et ce fut une des grosses difficultés à résoudre. Au départ, chacun choisit le temps qu’il pouvait consacrer à cet apprentissage et les buts qu’il pouvait se fixer. L’emphase fut mise sur la conversation courante et les expressions

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 3737 22009-10-02009-10-02 008:31:538:31:53 familières plus que sur la grammaire ou les listes de vocabulaire. L’audioconférence consistait donc surtout à écouter, répéter, converser ensemble. Au début du cours, les aînés discutaient ensemble et les étudiants écoutaient. L’auteur raconte qu’au bout de quelques semaines elle commençait à comprendre leur conversation. Chacun possédait un manuel avec une liste d’expressions usuelles, et avait à sa disposition un dictionnaire et un programme d’apprentissage des verbes en ligne. Bien entendu, certains étaient plus gênés que d’autres pour parler, aussi on prenait à chaque fois le temps d’expliquer à tout nouveau venu qu’il était normal d’hésiter, d’oublier ou de se tromper. Il me paraît important de souligner cet effort de rapprochement humain dans un environnement froid où on ne voit pas ses interlocuteurs. L’auteur d’ailleurs raconte qu’un jour où chacun avait du mal à prononcer une expression particulière, on entendit soudain la voix d’un jeune enfant, qui jouait à côté de sa mère au moment de la leçon, la dire parfaitement. Cette intrusion déclencha un grand rire qui non seulement grava la bonne prononciation dans les esprits, mais rapprocha les participants. A la suite du cours, Alice écrivait tout ce qu’elle avait appris de nouveau, et le faxait aux autres étudiants. Au premier trimestre, ils suivirent tous ensemble le même programme d’apprentissage et au second trimestre, ils choisirent tous un projet personnel, comme créer une chanson, traduire un livre pour enfants ou faire un enregistrement pour transmettre leurs premières connaissances. À la fin du deuxième trimestre, les étudiants étaient capables de dire des choses simples à leurs enfants, d’échanger avec les autres à propos du temps ou de la nourriture. L’aspect avec lequel l’auteur avoue avoir eu le plus de mal dans cet apprentissage par téléphone est le manque de contact face à face et d’activités physiques communes. Cependant, conclut-elle, nous avions créé une situation dans laquelle nous pouvions parler le deg xinag, faisant référence à L. Jolly15. Même si elle reconnaît que rien ne vaut une interaction face à face, néanmoins « a simple solution to maintaining a spoken language is to speak it».

Le modèle de technologie interactive des Hualapai

Hinton (2001 : 270) cite le Hualapai Bilingual Academic Excellence Program (HBAEP), à Peach Springs en Arizona, qui allie, à merveille selon l’auteur, les études

15 Jolly L. (1995) Waving a tattered banner? Aboriginal Language Revitalization. In Ngulaig, 13, Brisbane, Australia : The University of Queensland.

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 3838 22009-10-02009-10-02 008:31:548:31:54 langue/culture à la technologie. On sait que les programmes bilingues ont pour but de mettre les enfants à l’aise pour parler, écrire, travailler et créer dans les deux langues, ainsi que de combiner la performance scolaire académique et l’apprentissage des valeurs traditionnelles. L’école élémentaire de Peach Springs possède deux laboratoires informatiques, et chaque classe a entre deux et cinq ordinateurs, tout comme la bibliothèque et les bureaux. Tous les ordinateurs, accessibles à tous, enfants ou enseignants, sont reliés à un réseau central qui leur permet de communiquer entre eux. Non seulement on peut y avoir accès à de larges bases de données sur la langue hualapai et à du matériel didactique dans toutes les matières (géographie, géologie, ethnobotanique, etc.), mais les professeurs y construisent et y dispensent des cours interactifs qui vont enrichir leurs cours en classe, alimentent sans cesse les bases de données, dialoguent avec les étudiants, qui à leur tour peuvent intervenir sr le contenu linguistique du réseau. Tout ceci toujours en double, anglais/hualapai. Cet outil de travail est hautement apprécié de tous et remporte beaucoup de succès.

Glusuaqann tet iga'tas'gl ta'n telgaqalugwatas'gl : le dictionnaire parlant des Mig’maq16

Ce dictionnaire a vu le jour à Listiguj (Gaspésie) en 1997, avec sept mots et deux phrases…si on se rend sur ce site Web aujourd’hui, on peut se rendre compte du formidable travail qui a été accompli depuis. Le dictionnaire a été conçu dans le but de consolider une langue toujours parlée mais de plus en plus menacée. Le projet, qui n’engageait au départ que des volontaires, a été jusqu’à une date récente soutenu par le Listuguj Mi'gmaq Government's Education Directorate, ce qui a permis à trois personnes d’y travailler à temps plein. Il est important de noter la nécessité d’un soutien financier pour maintenir et développer ce genre de projets. C’est une ressource bilingue de 6000 mots, dont chacun est dit par trois locuteurs, ce qui fournit une bonne information sur la pronciation des mots. Chaque mot est accompagné par une phrase dans laquelle il est employé. Les mots sont aussi accessibles par catégorie. On trouve également une partie consacrée au discours, la conjugaison des verbes, la distinction des genres et du nombre, les particularités des dialectes, des notes sur les variantes ou les élisions. L’avantage de ce dictionnaire en ligne est double : il est parlant, et il est utilisable à tous les niveaux (du niveau primaire jusqu’au niveau universitaire).

16 Voir www.mikmaqonline.org/default.html

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 3939 22009-10-02009-10-02 008:31:548:31:54 Le site Web du lexique naskapi17

Le site Web du Lexique naskapi est une base de données qui donne accès à un dictionnaire trilingue anglais, français et naskapi. Afin de respecter la diversité et le niveau des personnes, enfants ou adultes, qui veulent le consulter, les mots naskapi sont affichés à la fois en syllabaire naskapi et en lettres romaines. Les demandes de recherche peuvent être faites dans l'une ou l'autre des trois langues et, dans le cas du naskapi, en caractères syllabiques ou en lettres romaines. Le site affirme que : Ce lexique constitue une étape marquante dans l'évolution et la préservation du naskapi. Il contribuera à l'éducation de nos enfants et demeurera un document important sur l'état actuel de notre langue. […] Nous espérons qu'il contribuera à nourrir la fierté du peuple naskapi à l'égard de sa langue et qu'il deviendra le manuel de référence courant sur la langue en usage dans notre collectivité de Kawawachikamach. Étant donné que les locuteurs naskapis, notamment les enfants, sont exposés davantage au montagnais et à d'autres idiomes, le lexique pourra aussi nous servir de guide en contribuant à préserver l'identité de notre propre langue et à en favoriser l'usage. (Joseph Guanish, Société de Développement des Naskapis). On peut télécharger gratuitement sur ce site le clavier d’écriture syllabique. Le site explique exactement comment chercher un mot (par mot-clé ou par exploration du lexique). Voici un petit schéma qui explique l’information fournie au cours de cette recherche : le mot est affiché en syllabaire naskapi de l'ouest, et il est accompagné des informations suivantes :

Nom du champ Description Variante naskapi de l'est Variante orthographique naskapi de l'est d'un mot. Note : Les mots naskapi ne comportent pas tous une variante naskapi de l'est. Naskapi en écriture romaine L'orthographe naskapi romaine d'un mot. Note : Le naskapi n'est pas écrit en lettres romaines sauf dans de rares cas, mais l'orthographe romaine a été incluse pour les besoins des utilisateurs qui ne lisent pas l'écriture syllabique. Définition en anglais La définition anglaise d'un mot. Définition en français La définition française d'un mot. Catégorie grammaticale La catégorie grammaticale naskapi d'un mot. Des abréviations sont employées pour indiquer la catégorie

Source : www.collectionscanada.gc.ca/maskapi/index-f-html

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 4040 22009-10-02009-10-02 008:31:548:31:54 grammaticale. Pour des détails sur les abréviations, veuillez consulter la section sur les Abréviations des catégories grammaticales. Sujet Le sujet sous lequel un mot est regroupé. Par exemple, le mot « mouton » appartient au sujet « animal, mammifère ». Note : Les mots n'ont pas tous été assignés à un sujet. Mot(s) clé(s) du glossaire Mot(s) clé(s) anglais qui peuvent être reliés à un ou anglais plusieurs mots naskapi. Par exemple, une recherche effectuée sur le mot anglais « school » donnera tous les mots naskapi qui sont reliés au mot « school ».

Bien entendu, l’action des Naskapi du Québec ne se limite pas à son lexique sur Internet. Je ne peux tout relater ici, mais quiconque s’intéresse au programme de revitalisation de la langue naskapi lira avec intérêt le chapitre, cosigné par trois Naskapi et un chercheur, qui lui est consacré et qui est assez complet, dans Burnaby et Reyhner (2002 : 77-84).

Le renouveau de la langue Sm’algyax à Prince Rupert (Colombie Britannique)

Le sm’algyaxIl est la langue des Nations tsimshian de Colombie britannique. Selon Mizuki Miyashita et Laura A. Moll, (1999 : 113-116), jusqu’ici, les programmes mis en place n’avaient pas eu grand effet, malgré vingt ans de tentatives de revitalisation. En 1995, il ne restait plus qu’une centaine de locuteurs environ, la plupart âgés de 50 ans et plus. Aujourd’hui, l’espoir de sauvegarder la langue réapparait. Pourquoi? En 1995, devant l’échec des programmes mis en place, l’école et la nation tsimshian coopérèrent pour mettre sur pied un programme d’apprentissage de la langue. Le premier postulat de base était la nécessité absolue de bénéficier du soutien communautaire. Le programme de revitalisation de la langue doit être soutenu non seulement par l’école mais aussi par les familles, les communautés, les autochtones, les non-autochtones et le gouvernement local. Aujourd’hui, c’est une constatation unanime, et pas un programme ne fonctionne en dehors de ce support. Le second postulat était que toutes les décisions et orientations doivent être prises par la communauté tsimshian. Ce programme fut mis en place au School District 52 à Prince Rupert, et il concerne aussi la langue des Haïda et des Nisga’a. Le projet a été conçu à partir de sept livres basés sur la tradition tsimshian (récits historiques) qui pouvaient aider à définir l’identité tsimshian, et se basaient sur le postulat suivant : les apprentissages autochtones n’ont pas besoin d’être toujours référés aux traditions occidentales pour être valides. Il faut créer de nouvelles formes culturelles. Il faut donc créer une autorité en la matière pour supporter ces efforts telle que la «Sm’algyax

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 4141 22009-10-02009-10-02 008:31:548:31:54 Language Authority». Cet organisme a autorité pour superviser la formation des enseignants et éducateurs, fixer des modèles de syntaxe et de grammaire, et créer un nouveau vocabulaire permettant à la langue d’évoluer (page 22). L’originalité de ce programme est qu’il se donne plusieurs options de méthodes pour l’acquisition de la langue : 1. Du matériel didactique imprimé : livres, pamphlets, posters, jeux, cahiers d’exercice, histoires, illustrées ou non, dictionnaires, etc., écrits avec ou sans traduction. 2. Un programme communautaire, à la charge de la communauté, pour appuyer le travail scolaire (jeux interactifs, immersions culturelles, matériel à utiliser à la maison, etc.) et surtout les enseignants, car même bien formés et de bonne volonté, ces derniers ont du mal à atteindre leurs objectifs s’il n’y a aucun support en dehors de l’école. 3. L’appui des médias électroniques : Internet, vidéo, télévision. 4. Des programmes interactifs par ordinateur, des CD-ROM (histoires, jeux, puzzles, qui demandent la compréhension de la lange pour être utilisés). 5. Une immersion culturelle. 6. Une immersion linguistique. 7. Un programme de mentorat (un des meilleurs investissements actuels pour former de jeunes locuteurs). En 1998, Miyashita retourne sur les lieux, et constate que beaucoup de choses ont évolué depuis la première initiative : 1. Une conférence régionale sur la revitalisation de la langue tsimshian a été tenue en juin 1997, sponsorisée par le Conseil tribal tsimshian. L’accord sur la nécessité de revitaliser la langue a été entériné par tous les chefs, matriarches et aînés de la communauté. 2. Le Sm’algyax Year One Program a été établi dans les écoles de Prince Rupert, doublant le nombre d’enfants apprenant la lange tsimshian. Le sm’algyax est maintenant une alternative au français langue seconde dans les classes de 5, 6, 7 et 8ème années. Il y a quatre locuteurs de la langue et quatre professeurs assistants dans ce programme. En 1999, 500 étudiants étaient enrôlés dans ce programme. 3. Des programmes d’éducation de la langue aux adultes existent dans deux écoles de Prince Rupert, et dans trois autres communautés extérieures. 4. Le développement d’un curriculum détaillé est bien entamé. 5. Le programme est planifié pour les trois années à venir.

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 4242 22009-10-02009-10-02 008:31:548:31:54 6. Trois pièces de théâtre originales bilingues ont été produites (en sm’algyax et anglais). 7. La Ts’msyeen Sm’algyax Authority a été établie. Elle fait partie du Conseil Tribal Tsimshian. 8. Un étudiant (australien) au doctorat a corrigé et remis à jour un dictionnaire de Sm’agyax, qui sert maintenant de base à l’autorité de la langue. 9. Le local Role Model continue à être impliqué dans la langue et la culture pour tous les étudiants du district. 10. Quatre livres en sm’algyax, illustrés par un artiste tsimshian, ont été produits. 11. Un nouveau guide curriculum sur le saumon, élément central de la culture tsimshian, est en élaboration. Aujourd’hui18, le sm'algyax est enseigné, de la cinquième année à la douzième année, à Prince Rupert et à Port Edward, ainsi qu’à tous les niveaux (à partir de la maternelle) dans les villages. Un Integrated Learning Package (IRP) a été développé et approuvé pour le sm’algyax, et il est accepté comme langue seconde pour les étudiants qui rentrent à l’université. On peut installer un clavier pour l’écriture sur l’ordinateur. Il existe des CD avec livrets pour l’apprentissage, des livres sur l’histoire et la culture, un dictionnaire en ligne, et de nombreuses ressources internet pour les enseignants et les étudiants. Voici donc un cas où on peut dire que les moyens audio-visuels ont été des outils de premier ordre dans la sauvegarde d’une langue en danger de disparition. On voit que les tenants du projet n’ont pas misé sur une seule approche, mais sur une multiplicité d’approches, dont la technologie informatique. En bref, il n’existe maintenant plus de programme de revitalisation qui ignore l’inestimable contribution que peuvent apporter les nouvelles technologies (l’ordinateur et Internet en particulier). De plus en plus de sites permettent de télécharger les claviers appropriés pour écrire les langues autochtones, ce qui donne aux locuteurs et apprentis locuteurs une possibilité de création et de diffusion beaucoup plus importante qu’auparavant. De plus, la technologie moderne rend les outils de travail facilement accessibles à tous. Ce qu’on peut également retenir, c’est que tous les programmes ne marchent pas, et qu’il faut réunir un certain nombre de conditions pour qu’ils soient assurés de dépasser le seuil critique où la course vers le déclin va cesser.

18 Voir : www.sd52.bc.ca/fnes/council.html

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 4343 22009-10-02009-10-02 008:31:548:31:54 Une collaboration tribu/université : le Projet Myaamia des Miami en Oklahoma19

Le Myaamia Project, fondé en 2001, a pour but d’insérer les efforts des Miamis de l’Oklahoma pour la revitalisation de leur langue dans le cadre académique d’une institution universitaire. Supervisé à la fois par le Conseil tribal des Miamis de l’Oklahoma et l’Université Miami, il repose sur deux enjeux principaux : • Mener en profondeur une recherche qui puisse soutenir la sauvegarde de la langue en créant des modèles et du matériel pédagogique pour des programmes communautaires. • Impliquer les étudiants de l’université aux efforts de revitalisation de la langue et de la culture. Si je mentionne ce projet, c’est parce qu’un des fruits de cette collaboration, par ailleurs très fructueuse, a été la production de plusieurs outils de travail technologiques, dont voici un exemple. En 2003, ont été produits des CD d’apprentissage de base accompagnés de leur livret d’instructions. Le myaamiaki piloohsaki amahsinaakanemawe iilaataweenki: Miami Children's Book of Language.

During the summer of 2002 Miami Summer Scholars student Catherine Johnson worked with the Myaamia Project to help compile a collection of children’s Miami language activities. Over the years the Miami Tribe has used a variety of activities to teach children language. Some of these included games, songs, and objects to make and take home. This project was created out of the need to collect and organize these activities into an easy to follow curriculum for school and home use.

Included in this booklet are two CDs. One CD contains audio recordings covering all necessary language and the other with printable teaching aids. The booklet is designed for use either in a camp/classroom setting, or in the home with parent and child.

On pourrait encore citer la version en langue maori du CD-Rom : He Waka He Tangata. Te Whakatere a-Iwi-Taketate I te Moanna-nui-a-Kiwa (The Canoe is the

19 Voir : www.myaamiaproject.org

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 4444 22009-10-02009-10-02 008:31:548:31:54 People : Indigenous navigation in the Pacific), produite en juin 2007 par le programme LINKS de l’UNESCO déjà cité. Cet outil multimédia explore le patrimoine maritime et insulaire du Pacifique, et était, semble-t-il, très attendu par la nation maori. Bourré de renseignements géographiques, de cartes interactives, de récits et de légendes, de jeux et d’informations sur cette culture unique, il est destiné à l’enrichissement des programmes d’enseignement de la langue et de la culture. En fait, les exemples sont trop nombreux pour être tous cités ici. En conclusion, l’utilisation de la technologie à l’intérieur des programmes de revitalisation des langues autochtones est aujourd’hui incontournable. Elle contribue à une plus large diffusion des programmes dans les communautés, aide à construire des outils de travail irremplaçables, revalorise l’identité des différentes nations autochtones, et permet à un très large public d’en prendre connaissance. Toute communauté qui veut monter un programme peut y puiser facilement ce qui lui paraît intéressant, et tout linguiste qui veut se tenir au courant des derniers événements en matière de langues y trouvera de quoi alimenter son travail.

La formation des enseignants

The Master Apprentice Language Learning Program20

Cette étude nous rapporte les fruits d’une expérience tentée avec succès en Californie, le Master Apprentice Language Learning Program of California. Ce programme, soutenu par The Advocates of Indigenous California Language Survival (AICLS), fut fondé en 1992; il était destiné à la formation, au moyen d’un système basé sur le mentorat, des locuteurs capables, par la suite, de transmettre la langue à l’école ou dans la communauté. Il est fondé sur la paire mentor/apprenant : celui qui sait (en général un aîné isolé ayant peu ou pas l’occasion de parler sa langue, qui n’a pas été transmise) et une personne qui veut apprendre. Cette forme d’enseignement ne nécessite, affirme l’auteur, ni salle de classe, ni livres, ni professeur, ni apprentissage préalable par l’écriture, ni grammaire, ni traduction, s’adresse à tous y compris les adultes, ne demande pas d’argent et enfin peut-être fait même sans aucun support communautaire. Le programme est bâti sur l’écoute de l’autre, les gestes, la répétition, et les activités communes où la langue sera utilisée, c’est-à-dire sur

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 4545 22009-10-02009-10-02 008:31:558:31:55 une immersion complète. Il faut donc d’abord susciter et créer cette situation, une immersion complète de plusieurs heures sur une base hebdomadaire. Voici donc dix règles essentielles à suivre : 1. Ne pas parler un seul mot de la langue dominante, y compris pour le mentor. 2. Utiliser la communication non-verbale pour se faire comprendre. 3. Utiliser des phrases et non des mots isolés dépourvus de contexte. 4. Penser et parler dans la langue pour toute communication, même en dehors des heures de classe (du genre « je suis fatigué » ou « j’ai faim »). 5. Considérer le duo langue/culture comme indissociable. 6. Mettre l’emphase sur l’écoute et la parole. 7. Apprendre et enseigner la langue à travers des activités, traditionnelles si possible, et des rencontres avec d’autres locuteurs. 8. Utiliser une enregistreuse et une caméra vidéo. 9. L’apprenant doit jouer un rôle actif. 10. Établir une relation de confiance, attentive aux besoins de l’autre, patiente et compréhensive.

Il faut aussi se fixer des buts (pourquoi veut-on apprendre cette langue? pour devenir professeur? traduire des prières? utiliser la langue à la maison? prendre part à des cérémonies ou des chants?) et planifier à l’avance combien de temps on veut et on peut passer ensemble. Il faut en général compter trois ans de travail avec un mentor pour être capable de parler la langue avec aisance ou pour pouvoir la transmettre à son tour. À condition de ne pas la laisser tomber et de continuer à la pratiquer sans cesse. L’ouvrage donne ensuite une série de conseils pratiques pour débuter cet apprentissage et progresser dans la maîtrise de la langue. On y montre quelles sont les étapes à franchir et de quelle manière on y parvient. Il peut donc être utilisé comme guide quotidien. L’auteur évoque ensuite les difficultés et obstacles qui attendent les deux protagonistes, dont les moindre ne sont pas le désir d’employer sa propre langue, qui est fort et fréquent. Un autre problème est de passer suffisamment de temps ensemble, ou encore de tomber dans le piège de la stagnation, c’est-à-dire un seuil confortable au-delà duquel on n’éprouvera plus le besoin de progresser. L’auteur conseille donc d’être sans cesse inventif sur les moyens pour continuer à apprendre.

20 Hinton (2002).

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 4646 22009-10-02009-10-02 008:31:558:31:55 Une première annexe est consacrée à la façon de mettre en place un tel programme dans une communauté, dans une école ou un collège, lors de camps d’été pour les étudiants qui n’habitent pas dans leur communauté et pourront ensuite continuer de communiquer avec le mentor par téléphone. Une deuxième annexe montre comment les principes de bases du « Master-Apprentice Language Learning Program » peuvent être appliqués dans une salle de classe. Et enfin, une troisième montre comment le dessin de situations courantes peut-être utilisé dans les cours pour susciter la discussion. Ce guide est à la fois pratique et philosophique. En effet, il met l’emphase autant sur l’apprentissage pratique de la langue que sur les valeurs d’écoute, de respect, d’échange, de partage de la culture. La qualité de la relation de personne à personne y est centrale, et cela correspond à un mode de pensée très autochtone. Il laisse aussi toutes les portes ouvertes : par exemple, si l’écriture et la grammaire ne sont pas essentielles pour débuter le programme, on peut très bien en arriver à un point où il est nécessaire de les utiliser. J’ai rencontré à Anchorage une jeune fille qui suivait l’Alaska Native Elder Apprenticeship de l’université de Fairbanks. Elle était enthousiaste, pleine de détermination, et aussi très attachée à ses valeurs, ce qui de mon point de vue en faisait une candidate idéale.

Le Canadian Indigenous Language and Literacy Development Institute (CILLDI)

Heather A. Blair, Donna Paskemin et Babara Laderoute (in Reyhner, Trujillo, Carrasco et Lockard 2003 : 93-104), qui sont elles-mêmes des actrices dans cette histoire, racontent la fondation, en 1999, par un collectif de défenseurs des langues et d’éducateurs de l’ouest du Canada, du Canadian Indigenous Language and Literacy Development Institute (CILLDI), inspiré, aux dires de ses fondateurs, de l’AILDI dont j’ai parlé plus haut. Au départ, cela répondait à un besoin critique d’enseignants qualifiés dans le domaine de l’enseignement des langues autochtones, principalement en Alberta et en Saskatchewan. Au début, l’institut offrit des cours d’été en langues, linguistique, culture et pédagogie à tous ceux qui étaient destinés à travailler dans ce domaine. Il mit presqu’aussitôt en route un vaste réseau de soutien pour organiser des festivals et des camps de culture, imprimer des journaux, éditer des CD et des cassettes de langue et de chansons. Il s’associa finalement à l’Université de l’Alberta pour dispenser une formation universitaire, et si l’on se rend sur le site qui lui est consacré21, on

21 En allant sur le site www.uofaweb.ualberta.ca/elementaryed/index.cfm, et en cliquant sur la carte du site, on peut trouver le site du CILLDI.

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 4747 22009-10-02009-10-02 008:31:558:31:55 peut consulter la liste des cours offerts pendant les sessions intensives d’été en linguistique, langue et littérature, développement de curriculum, enseignement en langue seconde, pédagogie et recherche. En 2000, il y eut 15 inscriptions. En 2004, 86 étudiants suivirent les cours. Ces chiffres sont assez éloquents pour démontrer l’utilité d’un tel organisme qui, au fur et à mesure des années, a bénéficié de la recherche et de l’expertise grandissante dans le domaine de la revitalisation des langues.

Le rôle des universités dans la formation

Enfin, je reviens encore au Green Book de Leanne Hinton, qui, sous la signature d'Alana Johns et Irene Mazurkewich (355-366), nous offre un aperçu d’un double programme de formation des enseignants en langues autochtones mis en route à la Memorial University de Terre Neuve et Labrador à St. John’s. En 1989, un programme de formation spécifique aux enseignants du Labrador fut établi, le Bachelor in Education (Native and Northern) Program. La langue et la culture des Inuit et des Innu du Labrador en étaient des points d’ancrage importants, car un grand nombre d’étudiants faisait partie de l’une ou l’autre nation. En 1997, le programme consistait en 50 cours sur cinq ans, et les deux sur la langue étaient obligatoires. Ils donnaient une formation linguistique aux locuteurs des deux langues, ainsi qu’une formation pour ceux, autochtones ou non-autochtones, qui voulaient apprendre l’inuktitut (il n’y avait aucune demande pour l’innu- aimun, tous les étudiants innus parlant leur langue). Ceux qui se destinaient à devenir enseignants en langue autochtones devaient encore prendre quatre autres cours de langue et littérature inuktitut ou innu-aimum. C’est à la pratique que l’on développa des éléments qui peu à peu consolidèrent cette formation : • Les professeurs doivent avoir une bonne expérience pédagogique dans le domaine de l’enseignement des langues autochtones. • Les étudiants doivent bénéficier d’une assistance qualifiée en linguistique, apportée en général par des chercheurs extérieurs. • Il est important, pour le statut d’une langue autochtone, qu’elle soit étudiée jusqu’au niveau universitaire. • La formation d’enseignants universitaires en langues autochtones, pour ceux qui sont experts en langue mais ne possèdent pas le niveau universitaire général, nécessite une

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 4848 22009-10-02009-10-02 008:31:558:31:55 formation spéciale, telle que celle du mentorat en trois étapes utilisée à la Memorial University (voir page 360), afin de les initier aux tâches et aux responsabilités qui vont leur incomber en tant que professeurs à l’université. • L’enseignement d’une langue autochtone demande le développement de matériel pédagogique. • L’apprentissage de la langue à l’école ne peut se substituer au rôle de la communauté et de la famille dans le maintien de la langue. • L’enseignement de la langue est plus efficace s’il est dirigé, administré et enseigné par des groupes locaux. • Une question importante est de savoir quand et comment une connaissance «passive» (on en sait assez pour se débrouiller, mais on n’ose pas ou on ne veut pas aller plus loin) de la langue peut et doit être réactivée chez certains étudiants. • Chaque étudiant doit connaître la valeur intrinsèque de son propre dialecte et reconnaître la valeur de celui de ses voisins. • Il est important que les organisations autochtones aient un contrôle sur les fonds consacrés à l’éducation, et que ce financement permette d’aboutir à des résultats.

Depuis, une mineure en études autochtones a été instituée à la Memorial University. Que ce programme réservé aux enseignants en langues autochtones ait une suite ou non, concluent les auteurs, il est de toute façon un pas en avant dans la revitalisation des langues en péril. Le seul fait qu’il y ait encore un manque crucial de professeurs autochtones pour enseigner les langues autochtones (il suffit de prendre pour exemple l’Université Laval) montre à quel point ce genre de programme est nécessaire. Je n’ai pas pu trouver le site Internet approprié qui m’aurait confirmé que ce programme spécifique existe toujours en 2008.

Réveiller des langues endormies?

Le terme est de Leanne Hinton (2001 : 413) qui le préfère à celui de «langue morte», sans doute trop dénué d’espoir. Il est vrai que même l’échelle de Fishman ne répertorie pas ce stade : celui où plus personne ne parle la langue, et parfois depuis plus de 50 ans. Pourtant, sur près de 200 langues parlées en Amérique du Nord au moment de la colonisation par les autochtones, seules vingt sont aujourd’hui directement transmises dans les familles. Les

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 4949 22009-10-02009-10-02 008:31:568:31:56 autres sont donc toutes théoriquement «endormies». Avant d’aller plus avant, voici trois histoires étonnantes. La première histoire est celle des langues Olhone (Costanoan), et plus précisément du rumsien (dialecte local), le long de la côte de Californie. Linda Yamane (in Hinton 2001 : 429-432) n’avait aucune idée de la langue de ses ancêtres, disparue semblait-il à jamais, la colonisation ayant parachevé son œuvre d’assimilation. Elle se rappelait néanmoins les histoires, sur sa famille et ses années d’enfance, que lui racontait sa grand-mère. Adulte, elle entreprit, mue par la conscience d’appartenir à un peuple oublié, coupé de ses racines, de retrouver la langue de ses ancêtres. Il faut noter, car c’est une caractéristique commune dans ce genre de démarche, qu’elle était très tenace et très motivée. Elle n’avait au départ aucune indication. Elle visita sans succès musés et lieux historiques, mais persista dans sa quête, persuadée qu’une langue ne pouvait disparaître sans laisser de traces. Après bien des déboires, attentes et déceptions, elle mit enfin la main sur les notes de terrain d’un certain John Peabody Harrington, un linguiste de l’American Bureau of Ethnology ayant travaillé avec son peuple au cours des années 1930. De fil en aiguille, elle découvrit plusieurs autres ethnologues ayant travaillé avec les Rumsien (dont Alphonse Pinart en 1878, puis Henshaw, Kroeber, Taylor, Merriam, Meadows, etc.), qui tous avaient recueilli des listes de vocabulaire, et elle amassa tout ce précieux matériel. Au début, dit-elle, très excitée, «I began like a baby, talking on a few things at first and building from there» (ibid.: 431). Bien entendu, elle se heurta très vite à la difficulté de prononciation, les différentes listes de mots et d’expression qu’elle avait recueillies ne fournissant pas les mêmes indications à ce sujet. En étudiant les documents de plus près, elle finit par trouver certains mécanismes, en particulier pour placer les accents toniques. Ses progrès furent rapidement limités par l’absence d’une grammaire organisée, dont elle finit pourtant, à force de recherche, par retrouver des traces. À ce stade, elle dut encore surmonter une autre difficulté, celle de la terminologie des linguistes, science dont elle ne connaissait pas le B A BA. En voici un exemple amusant : It is known that in many American languages the pronominal elements exist only in composition. The is conjugated subjectively and often objectively by the affixion of those elements. In the , possession is expressed by the affixion of pronominal elements which may or may not be identical with those used with the verb. These pronominal affixes are one of the chief means by which the language has structure. (Alfred Kroeber 1904, in id. : 431)

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 5050 22009-10-02009-10-02 008:31:568:31:56 Cependant, il en fallait plus pour la décourager. Elle se fit aider par des spécialistes pour comprendre de quoi il s’agissait, et parvint finalement à déchiffrer ce jargon. Elle explora par la suite des milliers de pages sur microfilms, et trouva des chansons, de la mythologie, de la généalogie, de la tradition, des histoires de vie, du vocabulaire. Elle entreprit un travail systématique d’organisation et de classement du matériel, ce qui n’avait jamais été fait, en confrontant plusieurs sources à chaque étape. La phase suivante consista à décider d’une orthographe qui soit d’usage courant, car elle pensait déjà à la transmission de la langue. Enfin, elle réfléchit à la façon dont on pouvait créer un nouveau vocabulaire pour exprimer des choses qui n’existaient pas dans la culture rumsien, et trouva dans son matériel la manière de relever ce défi. En tapant son nom dans un moteur de recherche, on peut encore la suivre aujourd’hui dans ses nombreuses activités. Elle parle couramment sa langue, chante des chansons, tisse des paniers, raconte des histoires en rumsien, participe à des festivals autochtones, expose ses paniers, reçoit des prix, écrit des histoires. Elle fait ses propres illustrations et graphiques. Elle a toujours été autodidacte, et il semble que ce soit un des principes de base nécessaires à la renaissance des langues endormies. Elle accomplit tout ce travail, dit-elle, pour retrouver ses racines, se reconnecter avec son peuple, transmettre la beauté et la complexité de ce patrimoine linguistique, et en tirer de la fierté et de la dignité. Mais elle dit aussi que la voie n’est jamais tracée d’avance, et que les difficultés et les frustrations sont énormes. Cette histoire est très instructive sur tous les plans, et Hinton (2001) en tient compte pour les recommandations que nous résumons ci-dessous. La deuxième histoire est celle de la renaissance du warrungu (North Queensland, en Australie).22 Voici le résumé d’une communication faite par Tasaku Tsunoda dans un colloque tenue au Japon en février 2002. Alors qu’il était étudiant en anthropologie à l’Université Monash de Melbourne au début des années 1970, Tsunoda fit un terrain de recherche sur la langue warrungu et quelques autres langues parlées dans cette région. Avec un professeur de Sydney, le Dr. Sutton, ils enregistrèrent, dans la communauté de Townsville, les tout derniers locuteurs de cette langue, très désireux eux-mêmes d’en laisser des traces, juste avant leur disparition. Puis la langue fut considérée comme éteinte. Plus de 25 ans plus tard, les deux anthropologues furent approchés par un petit groupe de la génération des petits-enfants de ces derniers locuteurs, intéressés par

22 www.sgu.ac.jp/com/lsasaki/kaken/essay/essay-tsn.htm

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 5151 22009-10-02009-10-02 008:31:568:31:56 la revitalisation de leur langue. Tsunoda et Sutton avaient déposé leurs cassettes en lieu sûr à Canberra, au Australian Institute of Aboriginal and Torres Strait Islander Studies, et les jeunes avaient déjà pu en obtenir des copies (on voit ici l’importance de conserver les enregistrements dans des lieux protégés). Tsunoda leur rendit donc visite à deux reprises, et voici ce qu’il affirme à propos de ce groupe, paroles qui confirment ce qui est dit plus haut : «Now, there is one particularly interesting aspect of this language revival movement, and this has to do with pride, self- esteem, and interest in a language that has been enhanced by a unique linguistic feature that the language possessed.» Il fut sollicité pour écrire un recueil sur les langues de la région, qui possèdent une particularité unique, ainsi décrite : Warrungu (and possibly Gugu-Badhun as well) had a phenomenon that linguists call ‘syntactic ergativity’. This phenomenon is extremely unique among the world’s languages. It mainly occurs in Australia, and in fact, mainly in north Queensland. It occurs in Warrungu, Jirrbal, Mamu, Girramay, Ngadjan (of Malanda), Yidiny (of Cairns), and so on. Because this phenomenon is extremely unique among the world’s languages, it is a very important part of the cultural heritage — not only for the people of this area, but also for the entire human beings.’ Une des petites-filles des dernières personnes interrogées s’intéressa plus particulièrement à cette caractéristique et décida, avec l’aide de Tsunoda, de ré-apprendre la langue de ses ancêtres. C’est ainsi que démarra le processus de renaissance de la langue, apparemment en cours aujourd’hui.23 La troisième histoire est relatée par Rob Amery dans Warrabarna Kaurna! (2000). Le kaurna est une langue du sud de l’Australie, dans la région d’Adelaïde et des plaines environnantes. Dans ce cas, il n’y avait non seulement aucun locuteur depuis 50 ans, mais aucune personne ne se souvenant de la langue et on ne disposait d’aucun enregistrement en langue kaurma. Après bien des recherches, on trouva tout de même une grammaire et un vocabulaire (1616 mots), puis un autre vocabulaire avec des centaines de phrases traduites, travail de deux missionnaires allemands datant du milieu du 19e siècle, au moment de la colonisation. Le tout

23 Je n’ai malheureusement pu trouver aucune autre documentation à ce sujet, car tous les sites sur Tasaku

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 5252 22009-10-02009-10-02 008:31:568:31:56 était assez détaillé et même tenait compte des aspects les plus sophistiqués de la langue et du sens des mots dans les phrases. Un peu plus tard, on trouva aussi un court enregistrement (25 mots) fait par un , de celle qu’on disait être la dernière locutrice de la langue kaurna, daté de 1919, puis un autre daté de 1920, fait par un membre de la Royal Society passionné par les langues, (66 mots, dont 8 phrases et quelques courtes phrases), et enfin un autre daté de 1929. De plus, on retrouva des petits textes courts écrits en kaurna par des écoliers au début du siècle, à l’école Piltawaldli sur les rives de la Torrens River. C’est tout, et ce fut le point de départ d’une incroyable aventure. En 1982, Howard Groome publiait une édition récente du travail des deux missionnaires, dans le but de fournir un outil de travail pour un programme de revitalisation du langage, que l’on commençait à mettre en route en Australie dans un cadre plus vaste. En 1989, Phil Fitzpatrick produisait une liste de 700 mots dans un livre intitulé : The Kaurna People : Aboriginal People of Adelaide Plains. Les efforts de revitalisation du kaurna ont débuté en 1990 à l’occasion d’un atelier de chant du National Aboriginal Language Program (NALP), avec l’écriture et la publication de six chansons. Ces chants servirent d’introduction à l’établissement de programmes du kaurma au Kaurna Plains School, dès 1992. Ces chansons devinrent très populaires parmi les enfants et les familles. La suite fut spectaculaire. En 1994, Jane Simpson publie une autre liste de mots, avec une introduction à la langue kaurna, et la même année, on élargit l’enseignement à plusieurs classes. On crée surtout des stages de langue kaurna obligatoires de 10 semaines en huitième et dixième année. Le kaurna est maintenant enseigné à l’école à tous les niveaux, et un cours de linguistique du kaurna est au programme de l’université d’Adelaïde depuis 199724. L’originalité de Rob Amery fut de proposer une stratégie d’apprentissage, appelée la Formulaïc Method (Amery, 200 : 206-218), appropriée à l’état initial de la langue, c'est-à- dire avec seulement des références littéraires. Contrairement aux autres méthodes, cette façon de faire contient au départ beaucoup d’anglais et peu de kaurna. Il s’agit de donner aux enfants l’habitude d’utiliser certaines expressions, des questions, des commandements simples, des salutations, des adverbes, qui sont faciles à prononcer et à retenir. Mêmes les jurons ou les gros mots, qui avaient été répertoriés par les deux missionnaires allemands, furent transmis aux enfants, ce qui, aux dires des éducateurs, eut pour effet de les calmer

Tsunoda sont en japonais. 24 www.adelaide.edu.au/kwp

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 5353 22009-10-02009-10-02 008:31:568:31:56 (ibid. : 209) et fut un bon facteur de motivation pour l’apprentissage de la langue. On encourageait les enfants à utiliser ces expressions au lieu de l’anglais chaque fois qu’ils le pouvaient, même en dehors de l’école, mais de façon naturelle, sans pression extérieure. Par la suite, les enfants apprenaient des expressions plus complexes et des phrases construites. Cette méthode ressemble au TPR, mais sans immersion. Selon Rob Amery, au moment de la publication de cet ouvrage, il était encore trop tôt pour voir si cette approche était la bonne, et si le seuil critique permettant le renversement serait atteint. Amery soulève le fait que la population, pour diverses raisons, avait du mal à embarquer dans ce mouvement. En particulier, les aînés se trouvaient trop vieux pour apprendre une langue qui malgré tout leur était étrangère et avaient peur du ridicule. Toujours est-il qu’aujourd’hui les choses semblent avoir évolué en faveur de l’implantation solide de la langue. Il suffit d’écrire «kaurna language» sur un moteur de recherche sur Internet pour s’en convaincre. La langue commence aujourd’hui à prendre racine à l’intérieur même des familles et elle est devenue une nouvelle marque identitaire. Plusieurs personnes, organisations, clubs, équipes sportives, places et bâtiments, lieux historiques, portent aujourd’hui un nom en kaurna. Au cours des fêtes et activités culturelles, artistiques ou sportives organisées dans la région d’Adelaïde, le discours de bienvenue, en général court et sommaire, est fréquemment offert en kaurna. Le Kaurna Place Names Project a été institué avec l’objectif de rétablir les noms donnés aux sites géographiques par les habitants avant la colonisation. De nouveaux mots ont été créés (par exemple, pour désigner l’ordinateur ou le téléphone) pour permettre à la langue de s’adapter à la modernité. En 2003, le Warra Kaurna Language Project, a publié, sous la direction de Rob Amery, J. Simpson, C.G. Schumann et C.G. Teichelmann : Warra Kaurna : A Resource for Kaurna Language Programs, qui fait le point des connaissances sur la langue, notamment sur les derniers néologismes concernant tout ce qui tourne autour de la modernité (vêtements, technologies, etc.). Le Living Kaurna Cultural Centre, établi dans la ville de Marion près d’Adelaïde, se donne comme priorité la promotion de la culture et de la langue kaurna. On peut donc dire que, même si la langue n’est pas parlée couramment par la population ni employée dans les institutions (et ne le sera peut-être jamais), au moins les tenants du projet, un petit groupe structuré et très motivé, auront réussi à en faire un puissant emblème de leur identité. Voici également un des apports possibles de cette renaissance de la langue kaurna : Through the concepts expressed within the language, the people of the Adelaide

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 5454 22009-10-02009-10-02 008:31:568:31:56 region can learn how to manage their land better than is occurring at the moment. The problems of salination, dust storms, denuded hills and other issues that follow western civilisation need addressing. Since the Kaurna managed the lands given to them in trust for thousands of years without these problems emerging, hidden within these words are a way of life that builds the land up rather than denudes it as is happening at the moment. Within this language is a way of life that preserves the natural wonder of the Adelaide plains in a pristine form that provides both for the population and nature in a harmonic balance. Through the study of the language, we can learn what the wise people of the Kaurna practiced in terms of culture and economic management. Through adaptation to European civilisation, there is a possibility that the Kaurna may yet provide the answer to the current people on how to survive in this part of Australia and restore the ailing ecology of the land. 25 Ceci n’est pas sans rappeler les conclusions du rapport du Groupe de travail de l’ILA de Patrimoine Canada (page 17). Le fait qu’une langue ne soit plus parlée que par cinq ou six locuteurs en fait-il une langue éteinte ? Il est difficile de situer une telle langue sur l’échelle de Fishman, à moins de la mettre au degré huit, ce qui est très près de 0 locuteur. Les difficultés qui attendent les «relanceurs» de la langue sont presque les mêmes, à une différence près (et c’est vrai qu’elle est grande), les cinq ou six locuteurs sont là pour donner le ton, l’accent, la juste expression, qui manquent dans les cas que nous venons de voir. Cela lui donne une chance supplémentaire d’être un jour une langue vraiment parlée par la population. Tout ceci pour dire que j’aimerais juste encore évoquer le cas de la langue yuchi de l’Oklahoma, un isolat parmi les 26 autres langues de cet État, relaté de façon si vivante dans l’ouvrage d'Abley (75-110), une langue qui n’était plus parlée que par cinq locuteurs très âgés en 2005. Avec le concours de quelques personnes très volontaires, l’Euchee/Yuchi Language Project, doté d’une subvention conséquente par l’Administration for Native Americans, a finalement été fondé dans le but de faire revivre la langue, et on peut voir dans le site Internet qu’il construit actuellement un programme d’envergure. 26 Il y a encore le cas de la revitalisation de la langue de la nation tuscarora, décrite par Francene Patterson (in Burnaby and Reyhner 2002 : 85-88), elle-même Tuscarora, alors qu’il ne restait en 2002, aux dires de l’auteur, que quatre ou cinq locuteurs âgés de 70 à 80 ans. Je

25 Extrait du site Internet http://kaurna.tripod.com 26 Voir www.eucheelp.org. Ce site Internet permet en outre de voir les photos des personnes décrites dans le

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 5555 22009-10-02009-10-02 008:31:568:31:56 n’insisterai pas sur l’élaboration du programme, car on y retrouve tout ce qui a été vu plus haut, mais plutôt sur les moyens de le mettre en route. Deux choses sont frappantes dans ce récit . La première, sur laquelle Patterson insiste à toutes les étapes du processus de revitalisation, de la création du Committee (TLC) en 1995 à sa mise en opération, c’est que tout s’est fait au départ sans aucune aide ni mise de fonds, cela n’a quasiment rien coûté, si ce n’est un petit investissement personnel du petit groupe fondateur, en temps, énergie et en prêt de matériel (comme photocopieur et imprimante). La deuxième est le farouche désir de faire participer la population, en l’informant par tous les moyens imaginables (y compris des papiers dans les boites aux lettres, des brochures dans les endroits publics, des annonces, un journal vendu à prix coûtant, etc.), pour solliciter son concours et son appui. On sait que le support de la communauté est essentiel dans ces projets et en fait même intégralement partie, mais comment s’y prendre lorsque l’intérêt de la communauté est faible ? Le fait d’avoir, par exemple, envoyé un questionnaire à tout le monde avec un prix tiré au sort (un panier offert par un membre du TLC) parmi les répondants a encouragé les gens à compléter le questionnaire. Encore une fois, l’originalité des moyens mis en œuvre et la volonté ferme d’aboutir semblent des traits communs à toutes ces «aventures». On ne baisse pas les bras, on ne doute de rien. Imagination, action, volontarisme, efficacité : ce sont les maîtres-mots dans ce type de cas. Dans ce cas-ci, je n’ai pas trouvé de site sur la TLC. Donc, à moins d’une recherche plus poussée, il est difficile de savoir où en est aujourd’hui ce programme. Les quelques informations que l’on peut trouver sur la langue des Tuscarora27 ne nous en disent pas plus long. Mais quel que soit son état, la revitalisation d’une langue parlée ou pratiquement plus parlée est de plus en plus fréquente, même si cela peut paraître étonnant. C’est dire la force d’un mouvement qui semble ne pas vouloir s’imposer la moindre limite En conclusion, voici les recommandations faites par Leanne Hinton (2001 : 413-417) quant à la revitalisation des langues «endormies» : - Une langue ne disparaît jamais totalement, il y a toujours des traces. Il faut donc les traquer partout, notamment dans les musées, bibliothèques, archives, où on pourra trouver de la documentation sous forme de notes de terrain, d’enregistrements, de vieux

chapitre de Abley : Pas vu, pas entendu : le Yuchi. 27 Voir à l’intérieur du site www.languagegeek.com

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 5656 22009-10-02009-10-02 008:31:578:31:57 manuscrits, de lettres ou de journaux, etc. Il faut consacrer beaucoup de temps à cette recherche puisque ce sera le pilier de tout projet de revitalisation. - Il y a dans ce genre de projet une phase première de reconstitution nécessaire, reconstitution qu’elle décrit comme «an extrapolation from whatever information exists to guess what the langauge might have been like» (ibid. : 414). On peut à cet effet chercher si la langue disparue n’a pas de liens avec une langue proche mieux connue, et faire des déductions des similitudes, mais aussi utiliser son imagination et son intuition. - Il faut aussi, comme dans tous les programmes de revitalisation des langues, chercher des stratégies pour moderniser la langue, car dans l’état, elle ne peut plus servir. Il faut donc fournir un effort supplémentaire pour la faire évoluer dans le sens où elle l’aurait (peut-être) fait si elle avait persisté. Il faut donc innover. - Puisqu’on ne peut utiliser la technique de l’immersion, et que les enseignants n’existent pas, il faut l’apprendre pas à pas, par soi-même, et inventer du matériel didactique au fur et à mesure. Il y a donc beaucoup de travail individuel. - Contrairement à tout ce que nous avons vu plus haut, le processus doit d’abord mettre l’emphase sur toutes les formes écrites de la langue, et sur ses développements (correspondance écrite, dictionnaire, grammaire, littérature, poésie, théâtre, etc.). Les premières expériences montrent que c’est principalement à travers ce biais que la langue renaît28. - Le but ne doit donc pas forcément être de parler la langue couramment, mais de la retrouver, de la conserver et de la garder vivante.

Conclusion

Il y a de nombreuses lacunes dans cette étude, en particulier en ce qui concerne les programmes bilingues, utilisés avec succès par la plupart des nations autochtones, surtout à partir de l’école primaire et secondaire, et qui semblent satisfaire à la fois les communautés autochtones et le reste de la population, car elle ne les coupe pas du monde. L’exemple des

28 Il y a une exception, celle de l’hébreu, qui de langue morte et «savante», est devenue aujourd’hui une langue vivante en Israël. Bien que cet exemple soit souvent cité dans les ouvrages ayant trait à la revitalisation des langues, je n’en ai pas tenu compte ici puisqu’il s’agissait de la revitalisation des langues autochtones. D’autre part, l’hébreu, s’il n’était plus parlé par le peuple, l’a toujours été par les rabbins et tous les savants spécialistes du judaïsme. Le cas est donc très spécial.

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 5757 22009-10-02009-10-02 008:31:578:31:57 Navajo (Goodluck, Lockard et Yazzie, in Reyhner et al. 2000) montre que ces programmes, quand ils sont bien conçus et bien gérés, donnent des résultats surprenants. Les enfants sont également performants dans les deux langues, ce qui leur apporte une grande richesse de pensée et leur laisse une grande ouverture sur les deux mondes, autochtone et non-autochtone. J’aurais également pu parler du recours à des activités culturelles comme la danse, les légendes ou les cérémonies traditionnelles pour revitaliser la langue. Cependant, je pense avoir dégagé quelques éléments essentiels. En guise de conclusion, je citerai trois textes : 1. Dawn Stiles (in Reyhner, 1997 : 248-262) tire un certain nombre de leçons utiles à notre propos. L’auteur y fait une comparaison entre quatre programmes de revitalisation de la langue mis en route au Québec (chez les Cris), en Arizona (chez les Hualapai), en Nouvelle- Zélande (chez les Maoris), et à Hawaï. Le résumé indique que ces programmes ont été choisis parce qu’ils étaient ancrés sur des bases similaires, à savoir : a) La langue n’était plus transmise à la jeune génération (degré 6 sur l’échelle de Fishman). b) Les quatre programmes ont développé un curriculum bilingue/biculturel, jouissent du support de la communauté, impliquent les parents, et sont soutenus par le gouvernement. c) Les quatre programmes existent dans différents pays. d) Ils sont recommandés comme des programmes modèles pour sauvegarder les langues autochtones. e) Ils ont en commun des problèmes de disponibilité et de formation des enseignants, un manque flagrant de matériel écrit, et un manque de ressources financières. Parfois, cela peut prendre des années pour résoudre un de ces problèmes (exemple : chez les Hualapai, le processus de décision portant sur la méthode de transcription de cette langue dura cinq ans. Les Cris mirent également cinq ans pour préparer du matériel didactique). f) Enfin, les buts visés étaient les mêmes : faire reculer le taux de décrochage scolaire, accroître l’appartenance identitaire, l’estime de soi et la fierté de la culture, et améliorer la réussite scolaire. Stiles montre comment ces buts ont été effectivement atteints. Allons directement aux conclusions qui nous intéressent :

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 5858 22009-10-02009-10-02 008:31:578:31:57 - Les programmes de revitalisation des langues autochtones doivent mêler intimement la langue et la culture, ils ne peuvent donc en aucun cas être imposés de l’extérieur. - En conséquence, le support de la communauté et de la famille sont des pierres d’assise incontournables de leur réussite. - Les communautés autochtones doivent donc entamer elles-mêmes le processus et se responsabiliser par rapport à leurs besoins spécifiques. - La culture dominante doit cependant fournir les ressources financières nécessaires à la réalisation du projet, la recherche, l’expertise des linguistes et la formation pédagogique des enseignants. - Il est important de débuter ces programmes dès le plus jeune âge en immersion totale, puis de prolonger l’éducation bilingue au moins jusqu’à la cinquième année du primaire, faute de quoi la langue se perd. - Les aînés ont toujours une place capitale dans ces programmes, pour la transmission de la langue et des savoirs culturels. - La langue et la culture traditionnelle autochtones n’étant, pas plus que les autres langues et cultures, des entités statiques et immobiles, il importe que le curriculum prévoie un espace qui leur permette d’évoluer, de se renouveler et de se recréer à partir de leurs racines ancestrales. - Enfin, la mise en écriture de la langue favorise la création littéraire et la diffusion des connaissances, tout en permettant son usage à l’école et dans les institutions. Ce qui me semble intéressant ici c’est que cette transformation du système éducatif n’est pas un travail négatif de déconstruction d’une culture par une autre, mais, au contraire, un travail positif de collaboration et d’enrichissement mutuel, tant au niveau des valeurs que des connaissances, où les deux communautés ont leur rôle et leurs responsabilités, et où tout le monde y gagne. 2. Selon Lynn, Naranjo, Nicholas, Slaughter, Yamamoto et Zepeda, (in Burnaby et Reyhner 2002 : 116-122), qui ont participé à une étude longitudinale de 15 programmes en vigueur dans les États d’Oklahoma, de l’Arizona et du Nouveau-Mexique sous l’égide de l’Indian Language Institute (ILI), voici ce qui fonctionne : a) Travailler en équipe. C'est-à-dire : les aînés, des gens de la communauté, les enseignants, les linguistes, et même les ressources extérieures. Tous sont importants, mais les aînés ont un rôle central. b) Travailler en immersion.

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 5959 22009-10-02009-10-02 008:31:578:31:57 c) Être orienté vers la famille. d) Établir des buts clairs, compréhensibles par tous, en relation avec la situation de départ de la langue, buts à court terme et à long terme, même modestes. e) Ne pas s’éparpiller quand il reste très peu de locuteurs, c'est-à-dire prendre le temps de former intensivement et en profondeur quelques personnes qui pourront transmettre la langue à leur tour, afin de la sauver le plus complètement possible, plutôt que vouloir tout de suite répondre aux besoins de la communauté. f) Équilibrer la tradition et la modernité, par exemple se baser sur les savoirs des anciens tout en laissant les jeunes apporter leur contribution (technologies modernes, nouvelles idées, nouvelles méthodes, etc.). g) Travailler sur les questions des variations autour de la langue avant même de lancer le programme : langue orale ou/et écrite, quel système d’écriture, quelle dialecte, quoi transmettre et comment, etc. h) Travailler à travers des politiques locales,

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 6060 22009-10-02009-10-02 008:31:578:31:57 17-23), fait plusieurs recommandations pour la préservation et l’usage des langues autochones, selon ce qu’elle appelle l’«Ordre du Créateur» : a) Nous devons archiver nos langues avec le plus de moyens possible (cassettes, vidéo, CD-ROM, etc.). b) Nous devons hausser le niveau de conscience des peuples autochtones au sujet de la valeur de leurs langues. c) Nous devons mobiliser nos propres ressources, en particulier nos locuteurs. d) Nous devons fournir de la formation et des diplômes. e) Nous devons développer une approche communautaire et familiale planifiée, un curriculum approprié et responsable. f) Nous devons rechercher en profondeur la signification et le sens de nos langues. g) Nous devons informer l’opinion publique afin d’obtenir du soutien, notamment du gouvernement. h) Nous devons passer par-dessus les frontières politiques artificielles, qui séparent les tribus et les langues. i) Nous devons faire pression sur le gouvernement pour obtenir une législation à propos des langues autochtones. j) Nous devons travailler tous ensemble. De plus en plus de textes sur le sujet sont écrits par des autochtones eux-mêmes. Sur les 47 auteurs ayant participé à l’ouvrage édité par Burnaby et Reyhner (2002), 22 sont autochtones, natifs de la communauté où se déroulent les programmes de revitalisation dont ils parlent, et la plupart sont diplômés d’université. La plupart des auteurs autochtones sont aussi les initiateurs, promoteurs, ou acteurs, bref, les maîtres d’œuvre, des projets de revitalisation dont ils parlent. En fin de compte, la valeur la plus sûre en matière de revitalisation est la motivation des participants, car plus la perte de la langue est à un stade avancé, plus grandes sont les difficultés à surmonter, et donc plus le seul désir de renverser la tendance prend de l’importance dans le processus. Plus les autochtones interviennent dans toutes les étapes du processus de revitalisation des langues, plus l’emphase est mise sur les valeurs culturelles, la spiritualité, la philosophie, l’éducation holistique. L’apport des chercheurs, linguistes, anthropologues, etc. est toujours important dans la construction et même le déroulement des programmes, surtout dans ses premières

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YYawendaawenda vvolumeolume 1.indd1.indd 6161 22009-10-02009-10-02 008:31:578:31:57 phases. On peut donc dire que la revitalisation des langues est une affaire entre deux cultures, pas seulement autochtone, et encore moins autochtone contre non-autochtone. Jusqu’à encore tout récemment, on jetait aux quatre coins de la terre des cris d’alarme à propos de la disparition progressive et rapide des langues autochtones. Est-ce à dire qu’il ne faut plus le faire? Sûrement pas, car si un grand mouvement de revitalisation est effectivement lancé, sur des bases solides maintenant, les menaces ne sont pas pour autant écartées, car il est relativement récent, et nul ne sait encore où il va effectivement aboutir et surtout quelles en seront les réelles conséquences dans un monde qui cherche aussi à faire disparaître les disparités culturelles. Lorsque je parle de cette courte étude autour de moi, la plupart des gens s’étonnent de ce mouvement et demandent à quoi il peut bien servir…je terminerai donc sur les mots de Greg Bigler, avocat yuchi déjà cité, à qui on posait la même question : Je ne crois pas qu’on puisse le quantifier en dollars ou en connaissances. […] C’est une partie de nous. Si l’on perd l’ensemble des textes littéraires écrits avant 1900, ça ne nous empêchera pas de manger ni de respirer. Mais il y aurait une perte impalpable qui ne pourrait jamais être retrouvée (Abley 2005 : 103).

Bibliographie

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