Thesis

Ressources plurilingues en classe de FLE: représentations, normes et pratiques pédagogiques dans le contexte sociolinguistique tanzanien

LULANDALA, Mussa Julius

Abstract

L'enseignement du français langue étrangère en Tanzanie s'inscrit dans un contexte multilingue où le swahili, l'anglais et plus de 120 langues des communautés ethniques existent. Pour la majorité des élèves tanzaniens du cycle secondaire, le français est leur quatrième langue. C'est donc un contexte qui constitue un terrain particulièrement intéressant pour l'exploitation des ressources plurilingues pour l'appropriation du FLE. Inspirée d'une approche socio-didactique, et à la lumière des données vidéo, orales, et écrites, la présente étude aborde des questions de représentations et de pratiques vis-à-vis des langues et des ressources bi-plurilingues. En particulier, l'étude a mis en évidence que la majorité des sujets sont, à des degrés variables de connaissance, exposés à quatre langues, à savoir une LCE, le swahili, l'anglais et le français; le swahili étant la langue la plus partagée par les partenaires de la classe de FLE. Compte tenu de la nature plurilingue, de la relative asymétrie de la classe des débutants en FLE et des facteurs sociaux externes à la classe de langue; nous [...]

Reference

LULANDALA, Mussa Julius. Ressources plurilingues en classe de FLE: représentations, normes et pratiques pédagogiques dans le contexte sociolinguistique tanzanien. Thèse de doctorat : Univ. Genève, 2015, no. L. 838

URN : urn:nbn:ch:unige-771838 DOI : 10.13097/archive-ouverte/unige:77183

Available at: http://archive-ouverte.unige.ch/unige:77183

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UNIVERSITE DE GENEVE FACULTE DES LETTRES Ecole de Langue et de Civilisation Françaises

Ressources plurilingues en classe de FLE: représentations, normes et pratiques pédagogiques dans le contexte sociolinguistique tanzanien

Thèse de Doctorat en Français Langue Etrangère

Présentée par

MUSSA JULIUS LULANDALA

Composition du jury

Prof. Laurent Gajo (Directeur de thèse, Université de Genève) Prof. Kirsten Adamzik (Présidente du jury, Université de Genève) Prof. Thomas Bearth (Membre du jury, Université de Zurich) Prof. Marinette Matthey (Membre du jury, Université Stendhal-Grenoble 3) Remerciements

L’aboutissement du présent travail est le produit de la participation de nombreuses personnes et institutions à qui je suis profondément redevable. Ma reconnaissance s’adresse tout d’abord à Monsieur le Professeur Laurent Gajo d’avoir accepté de diriger ma thèse de doctorat. Je lui suis particulièrement reconnaissant pour son expertise, sa disponibilité, sa patience, ses conseils et son soutien matériel et moral apportés à la réalisation de ce travail. Je dois souligner que ses différents travaux dans des domaines vastes et diversifiés m’ont fourni une base solide pour les différentes étapes de ma thèse.

Je voudrais, en deuxième lieu, exprimer mes remerciements au Gouvernement Suisse pour son soutien financier qui a permis d’effectuer un séjour de deux ans à Genève, qui était particulièrement enrichissant et durant lequel j’ai pu rédiger une partie importante de ma thèse. En troisième lieu, je remercie le Décanat de la Faculté de Lettres pour un financement partiel de mon dernier séjour à Genève et la facilitation de mes déplacements en Suisse et à l’étranger.

En quatrième lieu, je remercie l’Université de Dar es Salaam qui a également participé au financement de mon dernier séjour à Genève.

Mes remerciements s’adressent également à Judith Pellizari, à l’ELCF, et à mes collègues de l’Université de Dar es Salaam: Dr. Rose Upor, Faraja Lugome, Alfred Mulinda et Christophe Bordereau, pour leur soutien matériel et moral. Je suis particulièrement reconnaissant à Christophe Bordereau pour la relecture de mon travail final. Je remercie aussi ma femme, Lilian, pour sa patience lors de mes absences et pour ses encouragements tout au long de mon travail.

A tous et toutes les enseignant(e)s et les élèves de FLE dans les écoles secondaires tanzaniennes qui ont fait partie de cette étude, je dis merci pour leur volonté et leur disposition à fournir les données qui m’ont été tant précieuses pour la réalisation du présent travail.

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Je remercie enfin tous les boursiers du Gouvernement Suisse des années académiques 2009- 2011 pour leur amitié et les bons moments que nous avons partagés lors de mon séjour en Suisse.

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Dédicace

A la mémoire de ma mère qui m’a exposé à la lecture dès le plus jeune âge

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Liste d’abréviations et d’acronymes

Ang: Anglais CECRL: Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues CIDE: Convention Internationale pour les Droits de l’Enfant DIL: Didactique Intégrée des Langues DNL: Discipline Non-Linguistique ESR: Education for Self-Reliance Fra: Français EMPS: English Medium Primary Schools FLE: Français Langue Etrangère FLS: Français Langue Seconde IF: Immersion en Français LCE: Langue de Communauté Ethnique LE: Langue Etrangère L2: Langue Seconde MTC: Marques Transcodiques MOI : Medium of Instruction NKC: National Kiswahili Council RAS: Regional Administrative Secretary SMPS: Swahili Medium Primary Schools Sw: Swahili TIE: Institute of Education UA: Union Africaine CEA Communauté Est Africaine

NB: Sauf cas spécifique, le masculin générique est utilisé pour désigner les deux sexes, afin de faciliter la lecture du document.

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TABLE DES MATIERES

Remerciements ...... i Dédicace ...... iii Liste d’abréviations et d’acronymes ...... iv TABLE DES MATIERES ...... v TABLE DES FIGURES ET DES TABLEAUX ...... ix Résumé ...... xi CHAPITRE 1 ...... 1 PRESENTATION DU SUJET ...... 1 1. 0 Introduction générale ...... 1 1.1 Questions de recherche ...... 5 1.2 Objectifs de la recherche ...... 6 1.3 Hypothèses de recherche ...... 6 1.4 Raisons du choix du sujet et constats de départ ...... 7 1.5Cadre théorique ...... 9 1.6 Nature des données et méthodes de recueil ...... 9 1.7 Domaine et utilité de l’étude ...... 10 CHAPITRE 2 ...... 11 LE MULTILINGUISME DANS LE CONTEXTE SOCIOLINGUISTIQUE ET SOCIOEDUCATIF TANZANIEN: ELEMENTS DESCRIPTIFS ET CADRE ANALYTIQUE ...... 11 2.0 Introduction: la Tanzanie et les langues en présence ...... 11 2.1 Les politiques multilingues : pratiques et représentations ...... 11 2.2 La situation multilingue et sa gestion : l’époque précoloniale (avant 1885) ...... 13 2.2.1 Avant l’arrivée des missionnaires chrétiens ...... 14 2.2.2 L’époque des missionnaires chrétiens (vers 1860) ...... 16 2.3 Le multilinguisme et la politique linguistique: l’époque de la colonisation allemande (1885-1918) ...... 17 2.3.1 La place du swahili et des LCEs à l’époque allemande ...... 20 2.4 La colonisation britannique: de la diglossie à la triglossie ...... 22 2.5 Le multilinguisme à l’époque postcoloniale ...... 25 2.5.1 Le rôle du swahili à l’époque postcoloniale ...... 26 2.5.2 L’anglais à l’époque postcoloniale ...... 30 2.5.3 Les LCEs à l’époque actuelle : quel avenir ? ...... 33 2.5.4 Le bilinguisme et la langue de scolarisation : dilemme de choix ...... 44 2.5.5 Le français et le système éducatif tanzanien ...... 54 2.5.5.1 Le système éducatif tanzanien ...... 54

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2.5.5.2 Le français dans le système éducatif tanzanien: aperçu historique et situation actelle ...... 56 2.6 Conclusion ...... 59 CHAPITRE 3 ...... 61 CADRE CONCEPTUEL ET THEORIQUE ...... 61 3.0 Introduction ...... 61 3.1 Quelques notions traversantes et ajustements terminologiques ...... 61 3.2 La notion de communication ...... 70 3.2.1 Les caractéristiques de la communication bi-plurilingue ...... 75 3.2.2 De la communication à l’interaction: essai d’articulation ...... 80 3.3 Spécificités interactionnelles en classe de langue ...... 82 3.4 Stratégies de communication et interaction en langue étrangère ...... 86 3.4.1 La classification des stratégies de communication ...... 92 3.4.2 Stratégies bi-plurilingues et statut des marques transcodiques ...... 99 3.5 Les représentations et leur genèse ...... 106 3.5.1 Représentations, attitudes et stéréotypes: essai d’articulation ...... 112 3.5.2 Les représentations sociales du point de vue sociolinguistique ...... 114 3.5.3 Représentations sociales et répertoire plurilingue ...... 117 3.5.4 Représentations sociales dans la didactique des langues et du plurilinguisme . 119 3.5.5 L’évolution des représentations vis-à-vis des ressources bi-plurilingues dans la didactique des langues ...... 120 3.6 Approches plurielles, universalisation et contextualisation en didactique des langues 123 CHAPITRE 4 ...... 132 CADRE METHODOLOGIQUE ...... 132 4.0 Introduction ...... 132 4.1Approche de l’étude ...... 132 4.2 Nature des données et méthodes de recueil ...... 133 4.3 Terrain d’étude ...... 137 4.3.1 Ecoles choisies et informateurs ...... 138 4.3.2 Caractéristiques des écoles enquêtées ...... 139 4.4 Problèmes de terrain ...... 143 4.4.1 Sentiments d’insécurité et liberté d’expression ...... 143 4.4.2 Démarche relative à l’utilisation de l’autorisation de recherche ...... 144 4.4.3 Le décalage entre la rentrée scolaire et la reprise des cours ...... 145 4.4.4 Le petit nombre de cours de français dans l’emploi du temps ...... 146 4.4.5 Les écoles où le français est exclu du programme scolaire ...... 146 4.4.6 Problèmes de transport ...... 147 4.4.7 Abandon du français en quatrième année: absence d’enquêtés ...... 148 vi

4.4.8 Le nombre insuffisant d’enseignants ...... 148 4.4.9 Plurilinguisme et asymétrie de compétences langagières: quelle langue d’enquête ? ...... 148 4.4.10 Conclusion ...... 149 CHAPITRE 5 ...... 152 PRESENTATION, ANALYSE ET INTERPRETATION DES DONNEES ...... 152 5.0 Introduction ...... 152 5.1 Répertoires langagiers et représentations sociales des langues ...... 152 5.1.1 Les élèves et les langues en contact ...... 153 5.1.2 L’auto-évaluation du niveau de connaissances dans les différentes langues 155 5.1.3 Représentations sociales des langues ...... 167 5.1.4 Impressions de premier contact avec le français ...... 179 5.1.5 Descriptions du français par les élèves ...... 184 5.1.6 La proximité et la distance entre les langues ...... 187 5.1.7 Conclusion ...... 195 5.2 Pratiques plurilingues: continuité et discontinuité entre les domaines scolaire et extrascolaire ...... 195 5.2.1 Pratiques linguistiques en contexte extrascolaire ...... 196 5.2.2 Pratiques et politiques linguistiques scolaires ...... 203 5.2.3 Conclusion ...... 214 5.3 Les connaissances bi-plurilingues et la résolution des problèmes de communication en classe de FLE ...... 215 5.3.1 Les représentations sociales vis-à-vis des stratégies bi-plurilingues dans l’interaction pédagogique ...... 215 5.3.2 Connaissances plurilingues et dynamiques de l’interaction: organisation, progression, stratégies de résolution des problèmes de communication et approches méthodologiques ...... 241 5.3.2.1 Stella Matutina Seminary School ...... 242 5.3.2.2 Malangali Boys’ Secondary School ...... 254 5.3.2.3 Loyola Secondary School ...... 263 5.3.2.4 Azania Boys’ Secondary School ...... 275 5.3.2.5 Jangwani Girls’ Secondary School ...... 282 5.3.2.6 Zanaki Girls’ Secondary School ...... 287 5.3.2.7 Benjamin Mkapa Secondary School ...... 294 5.3.2.8 Kazima Girls’ Secondary School ...... 300 5.3.2.9 Nsumba Secondary School ...... 309 5.3.2.10 St. Joseph Girls’ Seminary School ...... 312 5.3.2.11 Conclusion ...... 319

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CHAPITRE 6 ...... 322 CONCLUSION GENERALE, PERSPECTIVES SOCIOLINGUISTIQUES ET DIDACTIQUES ...... 322 6.0 Rappel ...... 322 6.1 Conclusion générale ...... 322 6.2 Perspectives sociolinguistiques et didactiques ...... 330 7.0 BIBLIOGRAPHIE REFRENCEE ...... 334 Annexes ...... 347 Annexe I:Questionnaire for French Teachers ...... 347 Annexe II: Questionnaires for French pupils ...... 351 Annexe III: Interview guide for French pupils ...... 355 Annexe IV:Teachers’ interview guide ...... 356 Annexe V : Fiche d’observation ...... 358

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TABLE DES FIGURES ET DES TABLEAUX

Figure 1: Constellation sans pôle ...... 14 Figure 2: Constellation unipôlaire ...... 15 Figure 3: Constellation bipôlaire ...... 44 Figure 4: Les perspectives formelle et fonctionnelle de l’alternance codique ...... 78 Figure 5: Relation bidimensionnelle des axes exolingue/endolingue et bilingue/unilingue .... 79 Figure 6: Typologie des stratégies de resolution de problèmes de communication adaptée de Bange (1992) ...... 98 Figure 7: Les états mentaux et la genèse des représentations (notre schématisation) ...... 109 Figure 8: Impressions de premier contact avec le français chez élèves ...... 180 Figure 9: Impressions de premier contact avec le français chez enseignants ...... 183 Figure 10: Continuum entre langue en usage et langue en mention ...... 328 Figure 11: Orientations méthodologiques et plurilinguisme ...... 329

Tableau 1 : Triglossie : la « Tripartite Education Policy » et la répartition fonctionnelle des langues ...... 25 Tableau 2 : Fishman's (1990, 1991) Graded Intergenerational Disruption Scale for Threatened Languages ...... 42 Tableau 3 : Répartition fonctionnelle des langues à l’époque actuelle ...... 43 Tableau 4: Les grandes époques de la planification linguistique in vitro ...... 60 Tableau 5: Représentations collectives et individuelles ...... 111 Tableau 6: Ecoles visitées et informateurs ...... 151 Tableau 7: Exposition aux langues chez les élèves ...... 154 Tableau 8: Langues selon le niveau de connaissance chez les élèves ...... 164 Tableau 9: Langues selon le niveau de connaissance chez les enseignants ...... 166 Tableau 10: Langues selon la préférence chez les élèves ...... 168 Tableau 11: Raisons de la préférence pour l’anglais chez les élèves ...... 169 Tableau 12: Raisons de la préférence pour le français chez les élèves ...... 170 Tableau 13: Raisons de l’aversion des LCEs chez les élèves ...... 170 Tableau 14: Langues selon la préférence chez les enseignants ...... 172 Tableau 15: Raisons de la préférence pour le français chez les enseignants ...... 172 Tableau 16: Langues selon leur importance chez les élèves ...... 175 Tableau 17: Langues selon l’importance chez les enseignants ...... 178 ix

Tableau 18: Représentations du francçis chez les élèves ...... 186 Tableau 19: Place de pronoms en français et en swahili ...... 192 Tableau 20: L’utilite de l’anglais dans l’appropriation du FLE ...... 221 Tableau 21: Stratégies de communication mises en ceuvre par les enseignants ...... 238 Tableau 22a: Stratégies de communication mises en ceuvre par les élèves ...... 239 Tableau 22b: Stratégies de communication mises en œuvre par les élèves…………..…….241 Tableau 23: L’intervention des autres langues dans la classe du FLE ...... 321

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Résumé L’enseignement du français langue langue étrangère en Tanzanie s’inscrit dans un contexte multilingue où le swahili, l’anglais et plus de 120 langues des communautés ethniques existent. Pour la majorité des élèves tanzaniens du cycle secondaire, le français est leur quatrième langue. C’est donc un contexte qui constitue un terrain particulièrement intéressant pour l’exploitation des ressources plurilingues pour l’appropriation du FLE. Inspirée d’une approche sociodidactique, la présente étude aborde des questions de représentations et de pratiques vis-à-vis des langues et des ressources bi-plurilingues. Un intérêt particulier est porté aux liens entre les contextes sociolinguistique et didactique dans une interaction complexe.

L’étude est composée de six chapitres. Le premier chapitre pose la problématique de la recherche, définit les objectifs, formule les hypothèses et explique les raisons du choix du sujet et son utilité. Le second chapitre présente le contexte sociolinguistique tanzanien et propose quelques éléments descriptifs et un cadre analytique. Le troisième chapitre fournit les fondements théoriques de l’étude, qui s’articulent autour de quatre entrées centrales, à savoir la communication (l’interaction), les stratégies – notamment plurilingues – de résolution de problèmes de communication, les représentations sociales et les approches plurilingues en didactique. Le quatrième chapitre propose un cadre méthodologique et de différents aspects relatifs au terrain de recherche. Le cinquième chapitre présente et analyse les données en vue de proposer quelques éléments de réponse à nos différents questionnements. Le dernier chapitre présente les conclusions et propose des perspectives sociolinguistiques et didactiques.

Mots-clés: représentions, ressources bi-plurilingues, stratégies de communication, pratiques linguistiques, politique linguistique et éducative.

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CHAPITRE 1 PRESENTATION DU SUJET

1. 0 Introduction générale Le bi-plurilinguisme est un sujet en circulation tant dans les recherches sociologiques que sociolinguistiques et dans les études portant sur la didactique des langues étrangères et secondes. L’intérêt a, depuis quelques années, été, d’une part, d’étudier le répertoire et sa construction, d’autre part d’analyser les pratiques bi-plurilingues des points de vue synchronique ou diachronique. Si ces dernières années ont connu un nombre croissant d’études s’intéressant aux questions relatives aux représentations sociales du bi- plurilinguisme (Moore 2001, cite les travaux de Matthey 1997, Zarate & Candelier 1997, Candelier 1997), la tendance actuelle est de croiser les représentations et les pratiques bi- plurilingues relatives à l’utilisation et à l’appropriation des langues en les situant dans les contextes de contact de langues, à savoir et, comme nous le verrons plus tard, des contextes scolaires et extrascolaires.

Le bienfondé de la tendance actuelle repose sur le fait qu’il existe des liens étroits entre les représentations et les pratiques relatives à l’utilisation et à l’appropriation1 des langues. Il est incontestable que l’image que l’on se fait de la langue cible, des locuteurs « natifs2 » et de son enseignement-apprentissage peuvent avoir une incidence non seulement sur l’utilisation, mais également sur le processus de construction des savoirs en langue et notamment la motivation pour son apprentissage. Du côté de l’enseignant, les représentations sociales du bi-plurilinguisme peuvent jouer sur ses pratiques pédagogiques.

Notre intérêt est centré sur l’appropriation du français langue étrangère3 en Tanzanie, qui est un pays multilingue et dont les habitants sont majoritairement plurilingues. S’intéresser au contexte tanzanien, c’est aussi s’intéresser à un contexte généralement scolaire d’appropriation du français. Notre étude se focalise particulièrement sur les représentations et les pratiques bi-plurilingues relatives aux interactions en classe de français langue étrangère. Même s’il existe d’autres contextes d’appropriation, à savoir extrascolaires et mixtes, nous

1 Notion que nous employons comme hypéronyme neutralisant la dichotomie entre acquisition et apprentissage et que nous abordons de manière détaillée dans le cadre théorique. 2 Notion à réinterroger dans la partie théorique. 3 Désormais FLE. 1 nous accordons sur le fait que, comme l’indique Bange (1992), la classe de langue étrangère constitue le lieu d’apprentissage par excellence, car c’est dans l’institution scolaire que l’apprentissage de la langue étrangère est fixé comme objectif réalisable; ce qui n’est pas le cas, par exemple, pour les contextes extrascolaires, où l’appropriation de savoirs linguistiques se poursuit comme but secondaire à une autre activité communicative et dépend non seulement de la fréquence des contacts et des interactions avec les locuteurs « natifs », mais également de l’audace de l’apprenant à prendre les risques et à supporter de perdre la face dans des situations de communication qui, souvent, s’avèrent plus exigeantes que les outils linguistiques disponibles. Ainsi, comme le dit Bange (ibid.), la classe de langue étrangère permet d’échapper aux difficultés et au hasard de la communication extrascolaire, car elle met en place des conditions particulières permettant un apprentissage plus guidé selon un programme conçu de façon à prendre en compte le niveau de l’apprenant et ses besoins de communication.

Il faut rappeler que la finalité de toute intervention pédagogique pour l’appropriation d’une langue étrangère est l’atteinte de l’autonomie langagière par le sujet apprenant. Pour parvenir à l’autonomie langagière, il faut que l’enseignant de langue étrangère crée des conditions favorables à la maximisation des apprentissages. En effet, c’est la qualité et la quantité des données langagières (l’input) et des activités pédagogiques qui présentent les conditions primordiales pour l’optimisation de l’apprentissage. Remplir ces conditions ne suffirait pas si la place du sujet apprenant, qui constitue le centre de l’intervention pédagogique, n’était pas clairement définie et si celui-ci n’était pas activement impliqué dans l’ensemble du processus. Il faut reconnaitre que l’élève n’est pas un récepteur passif et qu’il agit sur les données langagières qui lui sont présentées. Il conviendrait de dire que c’est l’action même de l’élève sur les données langagières qui donne lieu à des acquis langagiers. Il est donc primordial de reconnaitre l’interdépendance entre la cognition et l’interaction dans le processus de construction des savoirs et des savoir-faire linguistiques.

Dans la classe de langue, l’élève peut être impliqué dans le processus d’appropriation par l’intermédiaire des différentes activités pédagogiques se réalisant à travers les interactions qui sont souvent organisées de manière variable: enseignant/groupe classe, enseignant/élève, enseignant/petits groupes d’apprenants, etc. Mais l’efficacité de ces interactions est, en partie, fonction de la capacité des interactants à négocier le sens pour parvenir à une compréhension mutuelle et à la construction de nouveaux acquis.

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Par ailleurs, l’efficacité des activités interactionnelles en classe de langue dépend largement d’un certain degré de partage des savoirs et savoir-faire linguistiques, pragmatiques et socioculturels par les partenaires de la classe. Or, l’asymétrie, notamment des savoirs linguistiques, constitue la principale caractéristique de la plupart des classes de langues en milieu scolaire. Ainsi, on pourrait dire que l’enseignement d’une langue étrangère aux élèves sans aucune base linguistique dans cette langue constituerait un grand défi pour l’enseignant qui ne dispose pas d’une formation adéquate lui permettant de mettre en œuvre les différentes stratégies de communication et d’exploiter l’environnement socio-pédagogique de la classe. Le défi repose principalement sur l’absence de savoirs de base en langue étrangère sur lesquels pourraient s’appuyer la construction de nouveaux savoirs. De ce fait, l’apprentissage doit s’appuyer sur d’autres bases: les langues déjà connues (notamment si celles-ci sont partagées par les partenaires de la classe) et surtout les connaissances générales du monde (connaissances encyclopédiques) et les savoirs socioculturels partagés qui, comme nous l’indiquerons plus tard à l’instar de Bange (1992), fournissent la réciprocité des perspectives entre les interactants.

Dans le système éducatif tanzanien, l’enseignement du français n’intervient qu’en première année du secondaire (à l’âge d’à peu près quinze ans), à l’exception du petit nombre d’écoles primaires privées qui proposent cet enseignement. Il faut souligner qu’il existe actuellement, dans le secteur public, quelques écoles primaires pilotes pour l’enseignement « précoce » du français et, comme on le verra plus tard, un programme est conçu à cet effet. Dans le cadre de la présente étude, nous nous sommes proposé comme population cible les élèves de première et de quatrième années du secondaire. Notre choix s’explique par le fait que (à l’exception du niveau universitaire) c’est le secondaire qui a la plus longue tradition de l’enseignement du français en Tanzanie.

Etant donné que la plupart des élèves de FLE commencent leur première année du secondaire sans aucune base en français, il est utile de présenter brièvement la description typique de la classe de débutants4 en français. Du point de vue de leur répertoire langagier, les partenaires

4 Il faut entendre débutant selon la définition des niveaux du Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues.

3 de la classe de FLE (enseignants et apprenants) en première année du secondaire ont principalement les caractéristiques suivantes :  Enseignants « non natifs » de français; souvent formés en Tanzanie avec, pour certains enseignants, un stage de quelques semaines ou quelques mois dans un pays francophone;  Elèves sans aucune connaissance de base en français, à l’exception des cas rares d’apprenants provenant des écoles primaires privées communément désignées comme « English Medium Primary Schools »5, dont certaines proposent des cours de français ;  Apprenants ayant un niveau élémentaire en anglais (communiquant avec beaucoup de difficultés), sauf le cas de ceux provenant des EMPS qui maîtrisent assez bien l’anglais ;  Enseignants avec un bon niveau en anglais (généralement, meilleur qu’en français) du fait d’avoir fait des études secondaires et supérieures en anglais ;  Enseignants et élèves ayant un très bon niveau en swahili ;  Enseignants et élèves ayant souvent des langues de communautés ethniques différentes.

Nous voulons, d’emblée, préciser que le terme de langue de communauté ethnique6 est employé dans la présente étude pour désigner une langue utilisée par une collectivité sociale partageant une identité socioculturelle voire géographique commune et dont les membres se reconnaissent ou sont reconnus par d’autres groupes sociaux en tant que tels. Ces caractéristiques sont, entre autres, la langue, les traditions, le folklore, la musique. Cette conception d’une communauté ethnique est adaptée d’Alba (1992), qui invalide toute association de la notion d’ethnie aux représentations stéréotypées qui se sont développées au fil du temps; y compris celle de lier et de limiter le terme aux notions de race et de tribu. L’application de ce terme dans le contexte sociolinguistique tanzanien repose sur deux raisons. En premier lieu, chaque communauté linguistique tanzanienne est constituée de membres partageant la langue, les traditions, le folklore, la musique, la localité géographique et, dans certains cas, une religion traditionnelle7 commune. En deuxième lieu, l’adoption de ce terme sert à distinguer les LCEs du swahili, car ce dernier est une langue locale mais sans aucune appartenance ethnique vu sa composition linguistique arabo-bantoue. Ainsi, le terme

5 Désormais EMPS. 6 Désormais LCE. 7 Dans ce cas, une religion qui n’est ni occidentale ni orientale. 4 de LCE nous parait plus adapté aux réalités sociolinguistiques tanzaniennes que le terme usuel de langue locale, qui serait trop généralisateur. Après cette précision, nous poursuivons notre argumentation.

Les caractéristiques de la classe débutante en FLE présentées dans la partie précédente permettent de résumer que le swahili est la langue la plus partagée par les partenaires, alors que l’anglais n’est que partiellement partagé du fait qu’il existe un grand écart entre, d’une part, les compétences de l’enseignant et celles des élèves et, d’autre part, les élèves provenant des EMPS et ceux provenant des Swahili Medium Primary Schools8. Le français (objet d’enseignement-apprentissage), quant à lui, n’est pas du tout partagé. Il est également utile de signaler que, vu le grand nombre9 de communautés ethniques en Tanzanie, les LCEs sont rarement partagées par les partenaires de la classe. De ce fait, si on conçoit la classe de FLE comme consistant en un groupe d’individus réunis autour d’un projet commun qui est l’enrichissement de leur répertoire langagier par l’appropriation d’une nouvelle langue, nous pouvons également penser que le caractère plurilingue relativement partagé de la classe des débutants en FLE a le potentiel de servir (si les partenaires veulent et savent comment s’en servir) de capital pour la réalisation de ce projet.

On pourrait dire que l’enseignant est, en collaboration avec les autres partenaires de la classe, le grand décideur dans la gestion de ce capital. Or, cette petite entité scolaire est tributaire d’un système social plus large et elle n’est pas imperméable à l’influence extérieure des déterminations sociales pouvant comprendre non seulement les institutions impliquées dans la formation des enseignants, mais également les politiques éducatives et linguistiques. L’influence de ces déterminations sociales sur la manière dont le groupe classe gère et se sert de son capital plurilingue n’est pas négligeable. Cette influence peut intervenir sous la forme de représentations sociales des langues et du plurilinguisme. Il est important de souligner que l’enseignant, en tant que représentant de la langue étrangère, transmet plus facilement ses représentations et ses pratiques aux élèves.

1.1 Questions de recherche Compte tenu de la nature plurilingue, de la relative asymétrie de la classe des débutants en FLE et des facteurs sociaux externes à la classe de langue, qui peuvent apporter des limites

8 Désormais SMPS. 9 Actuellement, le nombre de langues de communautés ethniques est estimé à plus de 120. 5 en ce qui concerne l’utilisation des ressources linguistiques partagées par les partenaires, deux questions intéressent cette étude : i. Quelles sont les stratégies verbales, non verbales et paraverbales que les partenaires de la classe mettent en œuvre dans la communication pédagogique ? ii. Si les stratégies bi-plurilingues interviennent dans la classe de FLE, quelles sont les représentations des partenaires vis-à-vis de ces stratégies ?

1.2 Objectifs de la recherche Afin de trouver les éléments de réponse à nos différents questionnements, nous visons les objectifs suivants : i. Décrire les répertoires langagiers des élèves; ii. Identifier les représentations sociales des langues afin de comprendre la nature des rapports que les sujets enquêtés entretiennent avec les différentes langues constitutives de leur répertoire; iii. Examiner les pratiques linguistiques scolaires en contraste avec les pratiques extrascolaires; iv. Analyser les représentations sociales vis-à-vis de l’utilisation des autres langues dans la classe de FLE; v. Identifier les différentes stratégies de résolution de problèmes de communication (verbales et, en fonction du contexte, non verbales et paraverbales) en vue de comprendre la part des stratégies plurilingues.

1.3 Hypothèses de recherche Au vu des caractéristiques linguistiques des élèves decrites précédemment, nous pouvons formuler quelques hypothèses:

i. La plupart des élèves sont exposés à quatre langues, dont le swahili est la plus partagée par les partenaires de la classe de FLE; ii. Les représentations sociales vis-à-vis des différentes langues en contact sont principalement fondées sur des facteurs utilitaires selon lesquels les langues les plus utiles sont les plus valorisées;

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iii. Contrairement aux pratiques extrascolaires qui sont relativement libres, les pratiques linguistiques à l’école sont caractérisées par une politique linguistique en faveur de l’anglais; iv. Bien que les attitudes vis-à-vis des ressources bi-plurilingues aient évolué de manière positive, comme on peut le constater en Europe (Moore 1996), des attitudes normatives persistent encore chez les enseignants tanzaniens de FLE; v. Les stratégies bi-plurilingues ne reçoivent qu’une place minimale dans la résolution des problèmes communicationnels en classe de FLE; vi. Bien que le swahili soit la langue la plus partagée par les partenaires de la classe de FLE, les conditions sociolinguistiques et matérielles font de l’anglais la langue la plus utilisée dans les cas d’intervention d’autres langues en classe de FLE; vii. Certaines pratiques linguistiques et pédagogiques sont observables dans toutes les écoles, alors que d’autres varient en fonction du contexte particulier de chaque école.

1.4 Raisons du choix du sujet et constats de départ Notre intérêt pour le présent travail de thèse découle de notre parcours personnel d’appropriation de langues, notamment dans les milieux scolaires. Ici, nous nous permettons de présenter brièvement la voie que nous avons suivie vers la construction plurilingue de notre répertoire linguistique. Nous appartenons à la communauté ethnique bena, et le bena est notre langue première. Après avoir acquis, en milieu extrascolaire, deux autres LCEs (le hehe et le kinga), nous sommes entrés dans le contexte scolaire (école primaire) où nous avons commencé l’apprentissage du swahili, médium d’instruction, langue nationale et première langue officielle de la République Unie de Tanzanie. Nous avions un niveau débutant10 (ayant quelques notions) dans cette langue. A l’école (dans une communauté hehe), il était strictement interdit de communiquer en langue de communauté ethnique. Toute non- conformité à cette interdiction était châtiée. En classe, il nous était difficile de participer aux activités pédagogiques par peur d’utiliser un mot d’une ‘‘langue interdite’’. Ainsi, il fallait apprendre et maîtriser le swahili et, en même temps, l’utiliser pour l’acquisition des savoirs des disciplines non linguistiques (désormais DNLs). Cette politique «de facto » de la promotion du swahili au détriment d’autres langues reposait principalement sur la volonté du gouvernement postcolonial d’assurer l’unification linguistique du pays. Une discussion plus

10 Débutant selon la définition des niveaux dans le Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues. 7 développée sera présentée dans le chapitre qui suit, où nous décrivons les différents aspects du contexte sociolinguistique tanzanien.

A l’école secondaire, nous avons fait face aux politiques linguistiques exigeant l’utilisation de l’anglais. Il faut rappeler que, au cycle primaire, cette langue devenue medium de scolarisation, n’était qu’une matière enseignée. Ainsi, nous et les autres élèves provenant des Swahili Medium Primary Schools (SMPS) n’avions qu’un niveau élémentaire et nous pouvions difficilement produire une phrase correcte en anglais. Il nous était interdit d’utiliser le swahili, sous peine de divers châtiments, majoritairement corporels. A ce niveau, il fallait éviter le swahili (qui est pourtant la langue dominante dans la communication extrascolaire en milieu urbain) et s’efforcer de communiquer en anglais et de l’utiliser, en même temps, pour l’acquisition des savoirs des différentes matières enseignées. Nous avons ainsi constaté qu’il existait des normes monolingues strictes imposées à des individus bi-plurilingues.

Le français, dont l’enseignement commence en première année du secondaire (form one), ne fut pas vraiment une exception. En tant que débutant, nous avons appris cette langue à travers des cours très monologaux, pendant lesquels l’enseignant parlait la plupart du temps, car nous autres n’avions pas les moyens langagiers qui nous donnaient droit à la parole. Nous avons tout de même assisté à des cas extrêmement rares dans lesquels les enseignants avaient recours au swahili ou à l’anglais pour exprimer certains concepts ou règles grammaticales en français.

De manière générale, nous avons assisté à une construction plurilingue par déconnexion, qui est susceptible de nuire à l’atteinte de l’autonomie langagière dans les langues faisant partie du répertoire de l’apprenant. En réalité, le sujet est, en quelque sorte, forcé d’abandonner l’utilisation d’une langue pour en apprendre une autre avant même d’avoir suffisamment développé sa pensée dans cette première, particulièrement pour le cas des LCEs au primaire. C’est une attitude négative vis-à-vis du plurilinguisme car, comme le montrent Gajo (2001) et d’autres linguistes, l’apprentissage de la nouvelle langue vient chasser l’usage et la maîtrise de langue première comme si les deux étaient mutuellement exclusives. Ceci peut entrainer la mise en place d’un bi-plurilinguisme soustractif.

Cette expérience personnelle et les constats de départ nous ont poussé non seulement à étudier les politiques linguistiques scolaires de façon systématique, mais également à comprendre les

8 représentations et les pratiques relatives au bi-plurilinguisme dans la communication en classe de FLE en prenant en compte le contexte sociolinguistique tanzanien. Ainsi a vu le jour la présente étude.

1.5 Cadre théorique Quatre entrées sont centrales à la présente étude, à savoir la communication, les stratégies de résolution de problèmes de communication, les approches plurilingues en didactique des langues et les représentations sociales. La notion de communication sera traitée du point de vue général et du point de vue du plurilinguisme. Différents travaux seront exploités, notamment ceux de Hymes (1972), Sperber et Wilson (1986), Bange (1992- et -2005), Gajo et Mondada (2000), Gumperz (1982) et Caubet (2002), etc. En ce qui concerne la notion de stratégie de communication, nous avons déjà souligné plus haut que notre intérêt porte principalement sur les stratégies verbales bi-plurilingues et, en fonction du contexte, les stratégies non verbales et paraverbales seront abordées. Ainsi, nous partirons de la typologie des stratégies de communication établie par Bange (1992), qui interroge de manière synthétique un certain nombre d’autres typologies dont celles de Tarone (1977), de Knapp- Potthoff et Knapp (1982) et de Faerch et Kasper (1983). Autrement dit, la notion de stratégie de communication sera également abordée en général et en lien avec le plurilinguisme. De même, la didactique des langues sera abordée du point de vue général et en lien avec le plurilinguisme. Pour les questions relatives à la didactique du plurilinguisme, nous explorerons principalement les travaux de Candelier (2005), (2006) & (2008), Castellotti (2001b) Coste, Moore et Zarate (1997) et Gajo (2009).

Par ailleurs, l’étude des représentations sociales s’effectuera en lien avec la communication, les stratégies de résolution de problèmes de communication et la didactique des langues, et sera fondée sur les travaux conduits depuis une dizaine d’années en linguistique, plus particulièrement ceux de Calvet (1999), Moore (2001), Matthey (1997) et Py (2004). Nous partirons des travaux sociologiques fondateurs de Durkheim (1968), Weber (1971) et Moscovici (1961) ainsi que ceux de Jodelet (1989). Le cadre théorique est présenté dans le troisième chapitre.

1.6 Nature des données et méthodes de recueil Pour atteindre les objectifs définis plus haut, nous avons employé principalement des données qui comprennent des enregistrements vidéo – partiellement transcrits – d’interactions en

9 classe, des questionnaires et des entretiens semi-directifs. Une fiche d’observation et quelques photos ont également été employées. Les données ont été recueillies dans onze écoles secondaires réparties dans cinq régions de Tanzanie. La répartition régionale prend en compte la variété contextuelle du paysage sociolinguistique du pays qui conduit à l’hétérogénéité11 des pratiques pédagogiques des différentes écoles. Pour chaque école étudiée, trois groupes de sujets ont été concernés par l’enquête, à savoir les élèves de première et de quatrième année ainsi que les enseignants de FLE. L’emploi d’une variété d’outils de recueil de données se justifie par notre besoin, d’une part, de confronter les différentes données et, d’autre part, de porter un regard croisé entre les représentations et les pratiques. Une présentation plus complète du cadre méthodologique est fournie dans un chapitre consacré à cet effet.

1.7 Domaine et utilité de l’étude La présente étude s’inscrit dans le domaine de la sociodidactique12 du Français Langue Etrangère. Du point de vue scientifique, nous pensons qu’une étude de cette nature fournira une contribution aux travaux portant sur les représentations et les pratiques bi-plurilingues dans l’appropriation des langues étrangères. Par ailleurs, elle pourra nourrir les théories sur la didactique contextualisée en milieu multilingue. Du point de vue pratique, les résultats de la présente étude seront également utiles aux enseignants et aux concepteurs des programmes de français langue étrangère (Tanzania Institue of Education) destinés à l’enseignement- apprentissage ainsi qu’à la formation des enseignants. Ainsi, nous pensons que cette étude fournira des pistes de réflexion sur la nécessité de reconnaitre et de valoriser les ressources plurilingues dans les programmes. Peut-être que le Ministère tanzanien de l’éducation et de la formation pourra, par le biais du Tanzania Institue of Education, exploiter la possibilité de mettre en place des dispositifs destinés à former les enseignants et à concevoir des programmes basés sur les approches plurielles, notamment la didactique intégrée des langues et l’intercompréhension entre langues parentes.

Dans le chapitre qui suit, nous nous proposons de présenter le contexte sociolinguistique et socioéducatif tanzanien dans lequel s’inscrit le présent travail. Notre présentation s’appuiera sur des éléments descriptifs et sur un cadre analytique

11 Les questions d’hétérogénité et d’homogénéité des pratiques didactiques en fonction du contexte sociolinguistique sont abordées plus explicitement dans le chapitre du cadre méthodologique. 12 Notion récente que nous employons au sens de Dabène et Rispail (2008) pour désigner, en didactique des langues, une didactique de la variation qui prend en compte les situations linguistique et sociolinguistique des enseignants et des élèves. 10

CHAPITRE 2

LE MULTILINGUISME DANS LE CONTEXTE SOCIOLINGUISTIQUE ET SOCIOEDUCATIF TANZANIEN: ELEMENTS DESCRIPTIFS ET CADRE ANALYTIQUE

2.0 Introduction: la Tanzanie et les langues en présence La Tanzanie, comme beaucoup d’autres pays africains, jouit d’une grande diversité linguistique. Les langues des communautés ethniques sont estimées à plus de 120. Il existe également des langues « exogènes13 ». En s’appuyant sur les données du Summer Instute of Linguistics (SIL14), on peut distinguer six familles de langues en présence, du point de vue génétique. Cependant, la plupart des langues appartiennent à la famille bantoue, par exemple, le swahili, le bena, le sukuma, le ngoni, etc. Il y a également des familles couchitique (l’assa, l’alagwa, l’iraqw et le burungi), sémitique (l’arabe standard et dialectal), nilo-saharienne (le ndorobo, le taturu, le luo et le massai), khoisane (le hadzabi), indo-iranienne (le gujarat et le kachchi) et indo-européenne (l’anglais et le français). Il y a, depuis peu, certains centres de langues privés qui proposent des cours d’allemand15, de chinois et d’espagnol, mais la présence de ces langues est statistiquement non significative.

2.1 Les politiques multilingues : pratiques et représentations Il est incontestable que la planification et la gestion linguistiques constitue un aspect plus important dans les situations multilingues que dans les situations monolingues, bien que ces dernières soient extrêmement rares dans le monde moderne. En effet, ce sont les politiques linguistiques qui, en partie, peuvent faire du multilinguisme un atout ou une source des conflits sociaux. Les politiques linguistiques ont également une incidence sur les rôles et les statuts respectifs accordés aux différentes langues en présence. A leur tour, les rôles et les statuts peuvent modifier non seulement les pratiques langagières, mais également les représentations sociales vis-à-vis des langues, voire en déterminer la vitalité. Le présent chapitre se propose de situer la question du multilinguisme tanzanien dans son contexte sociolinguistique et socioéducatif, pour comprendre les rôles et les statuts accordés aux

13 Langues issues de l’influence extérieure, à titre d’exemple, l’anglais, l’arabe, le gujarat, etc. 14 Voir SIL sur http/www.ethnologue.com. 15 L’allemand, langue issue de la colonisation allemande, n’a pas pu s’étendre en Tanzanie pour des raisons historiques qui seront expliquées plus loin dans ce chapitre. 11 langues dans une perspective historique. Nous rappelons que l’histoire de la planification linguistique en Tanzanie est marquée par trois grandes époques: l’époque précoloniale, avant 1’année 1885, l’époque coloniale (1885-1961) et l’époque postcoloniale, qui commence en 1961. L’intérêt pour un aperçu historique réside dans le fait que les politiques linguistiques éducatives actuelles ainsi que les pratiques et les représentations sociales des langues et du multilinguisme en Tanzanie sont bâties sur des fondements posés au fil du temps par différents acteurs, à savoir, les commerçants arabes, les missionnaires chrétiens, les colonisateurs allemands, les colonisateurs britanniques et les gouvernements postcoloniaux.

Pour cette description, nous nous appuyons principalement sur des travaux réalisés par différents chercheurs qui ont travaillé sur la situation linguistique tanzanienne, notamment ceux de Calvet (1993), Calvet (1999), Mhina, (1976), Lwaitama et Rugemalira (1990), Roy- Campell (2001) et Rubagumya (1990). Nous nous efforcerons toutefois d’inscrire l’interprétation des différentes informations dans le cadre des pratiques et des représentations16 sociales du bi-plurilinguisme car, comme l’explique Calvet (1999), à côté de l’utilisation des codes linguistiques, nous avons toujours des idées sur ces codes, des présupposés et des stéréotypes.

Avant de poursuivre notre argumentation, nous présentons brièvement les définitions des termes relatifs à l’intervention sur les langues. Les notions de politique linguistique et de planification linguistique sont employées au sens proposé par Calvet (1993). La première renvoie à un ensemble de choix conscients en matière de langue et vie sociale et la seconde à la mise en application de la politique linguistique. La notion de gestion linguistique, proposée par le même auteur (ibid.), sera également employée pour désigner l’ensemble des pratiques impliquées dans la résolution des problèmes de communication dans une situation multilingue, la gestion in vivo relevant de la pratique sociale par les locuteurs eux-mêmes et la gestion in vitro procédant d’une intervention explicite par des experts ou des autorités politiques sur les problèmes de communication.

Centrales pour cette section sont également les notions de diglossie et triglossie. La notion de diglossie fut lancée par Ferguson (1959) pour renvoyer à la répartition fonctionnelle inégale entre deux variétés d’une langue selon laquelle une variété remplit des hautes fonctions (à

16 Les notions de plurilinguisme et de représentation sont abordées dans la partie théorique. 12 l’école, l’administration, etc.) et jouit d’un prestige social plus élevé que n’a pas la variété basse. Le champ d’application de cette notion fut élargi par Fishman (1967) pour désigner non seulement les variétés d’une même langue mais aussi deux codes différents ayant une répartition fonctionnelle et un prestige inégaux. C’est dans ce sens élargi que nous employons la notion de diglossie et, lorsqu’il s’agit de rapports entre plusieurs codes ou plusieurs variétés linguistiques, la notion de triglossie sera utilisée. Nous voulons également signaler que plusieurs codes peuvent occuper la même place en ce qui concerne la répartition fonctionnelle et statutaire.

Pour une meilleure description du contexte sociolinguistique tanzanien, nous nous appuyons sur le modèle gravitationnel formulé par De Swaan(1993) et développé de manière significative par Calvet (1993). En effet, c’est un modèle emprunté à l’astrophysique selon lequel les langues en présence dans un espace géographique donné correspondraient à une constellation. Si différentes langues sont reliées à une langue centrale par des locuteurs bilingues, on parle d’une constellation unipolaire formée d’une langue centrale et de langues périphériques non reliées entre elles. Il est aussi possible d’avoir une constellation bipolaire se composant de deux langues centrales et plusieurs langues périphériques. L’une des deux langues centrales peut être plus centrale qu’une autre; cas dans lequel on parle d’une langue super-centrale et d’une langue centrale tout simplement. Dans les situations multilingues sans bilinguisme, on parle d’une constellation sans pôle, car il n’y a pas de langue centrale. Le lien qui s’établit entre la langue centrale et les langues périphériques est considéré comme la gravitation. Selon Calvet (ibid.), la force de gravitation de la langue centrale est déterminée par sa véhicularité et son étendue géographique.

2.2 La situation multilingue et sa gestion : l’époque précoloniale (avant 1885) On peut sous-diviser l’époque précoloniale en deux périodes; avant et après l’arrivée des missionnaires chrétiens. Certes, la période précédant les missionnaires chrétiens plonge dans la nuit des temps, mais nous centrons notre description uniquement sur la partie de cette période ayant une incidence significative sur la situation sociolinguistique de la Tanzanie actuelle.

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2.2.1 Avant l’arrivée des missionnaires chrétiens Avant l’arrivée des missionnaires, il existait déjà des liens commerciaux entre le Moyen- Orient et la Côte maritime de l’Afrique orientale (les marchandises étaient l’or, le sel, les colliers et, plus tard, les esclaves). Les plus anciennes relations commerciales datent de plus d’une dizaine de siècles. Elles ont été décrites dans le texte intitulé The Periplus of the Erythrean Sea, qui date du milieu du 1er siècle apr. J-C. dont l’auteur n’est pas connu, mais ces relations étaient limitées à la côte nord-est de l’Afrique. En effet, ce sont les relations commerciales entretenues avec les Arabes d’Oman vers le 18e siècle qui ont joué un rôle fondamental dans l’évolution de la situation sociolinguistique tanzanienne. On peut dire de manière très générale qu’avant ces relations, les contacts entre les différentes communautés linguistiques étaient très limités, vu l’absence d’intelligibilité mutuelle entre un nombre considérable de langues. Il faut souligner que chaque communauté occupait une localité géographique bien délimitée. Ainsi, on peut très généralement supposer qu’il n’y avait ni bilinguisme vertical17 du fait de l’absence d’une langue véhiculaire, ni bilinguisme horizontal18 du fait de l’absence de liens entre les différentes langues. Selon le modèle gravitationnel des langues, il s’agissait d’une constellation sans pôle.

Avant l’entrée du swahili à l’intérieur de la Tanzanie continentale Figure 1: Constellation sans pôle

LCE LCE LCE

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Aucune langue centrale LCE LCE

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LCE LCE LCE

17 Lorsqu’un locuteur d’une langue périphérique parle aussi la langue centrale (qui souvent est une langue véhiculaire). 18Lorsqu’un locuteur d’une langue périphérique (non véhiculaire) parle également une autre langue périphérique (voir Calvet 1993). 14

Par conséquent, il n’y avait ni bilinguisme, et peut-être, ni diglossie. Les langues étaient déconnectées entre elles. En gros, on peut supposer que, durant cette époque, les représentations vis-à-vis des langues locales étaient moins prononcées.

Avec l’arrivée des commerçants arabes vers le 18e siècle, le bilinguisme a commencé à se développer, notamment sur la côte est de la Tanzanie continentale. Selon Mhina (1976), les Arabes ont trouvé une communauté ethnique qui habitait sur la côte orientale et qui parlait une langue bantoue. Ils l’ont désigné comme les Sahels, c’est-à-dire le peuple de la côte, d’où le nom swahili. Ces derniers ont commencé à apprendre la langue indigène pour faciliter les contacts commerciaux en exportant beaucoup de lexique arabe. Ensuite, ils ont commencé à pénétrer l’intérieur de la Tanzanie jusqu’à la frontière avec l’actuel Congo Kinshasa (ibid.). En véhiculant le commerce, le swahili fut lui-même véhiculé vers l’intérieur du pays et au- delà. Ainsi, le paysage sociolinguistique a graduellement commencé à prendre les caractéristiques suivantes:  le swahili est devenu langue véhiculaire non seulement pour des contacts commerciaux, mais également pour l’islam et la civilisation arabe;  le long des routes commerciales, une constellation unipolaire a graduellement commencé à se développer avec, comme langue centrale, le swahili, à travers le bilinguisme vertical avec les LCEs;

Après l’entrée du swahili à l’intérieur de la Tanzanie continentale Figure 2: Constellation unipôlaire

LCE LCE

LCE

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LCE

LCE SWAHILI LCE

LCE LCE

LCE LCE LCE15

 c’était peut-être le début des rapports diglossiques entre le swahili, langue de commerce et langue de la religion islamique, et les autres langues locales, qui ne remplissaient que la fonction de communication intracommunautaire ;  le swahili était aussi considéré comme langue de la nouvelle civilisation et d’ouverture à l’extérieur des communautés ethniques (ibid.). On peut ainsi dire que la véhicularité du swahili était le produit de la gestion linguistique in vivo par les locuteurs eux- mêmes, en l’occurrence, les commerçants arabes et le peuple bantou de la côte.

2.2.2 L’époque des missionnaires chrétiens (vers 1860) Le principal but des missionnaires19 était la christianisation du territoire tanzanien, mais cela nécessitait le choix d’une langue susceptible de l’accomplir. Vu son caractère véhiculaire, on se serait attendu à ce que le swahili soit le choix naturel pour les missionnaires mais, comme l’indique Mhina (1976), cela ne fut pas le cas pour la plupart des missionnaires. Cette langue fut très vite associée à l’islam car:  elle était majoritairement utilisée par les commerçants arabes et le peuple de la côte dont la plupart étaient islamisés;  elle employait l’orthographe arabe et était utilisée comme langue de scolarisation dans les centres coraniques. En fait, l’orthographe latine du swahili actuel fut introduite par les missionnaires de l’association U.M.C.A (Universities Mission to Central Africa) en 1860;  une partie importante de son vocabulaire étaitd’origine arabe (actuellement 40%).

De ce fait, le swahili fut considéré comme étant très lié à la langue du coran, qui ne pourrait servir qu’à l’islamisation. Ainsi, la plupart des missionnaires décidèrent d’apprendre les autres langues indigènes et de commencer à traduire la bible et les cantiques dans ces langues. Ils prêchaient et alphabétisaient la population indigène dans leurs langues respectives (ibid.). C’est le temps où le swahili a connu une descente en statut, et on pourrait dire qu’il y avait là une tentative à déplacer le pôle central de la constellation linguistique qui avait, jusque-là, commencé à se former, par la marginalisation de la langue centrale au profit des langues périphériques. Les représentations des missionnaires vis-à-vis du swahili laissent penser qu’une langue peut fusionner avec sa fonction au point de ne plus pouvoir dissocier

19 Missionary Activities in East Africa from 1860, National Archives of Tanzania. 16 son identité de sa fonction. Ainsi, une langue qui sert à propager une certaine religion devient la langue de cette religion. En principe, on peut se permettre de dire que c’est l’intervention des missionnaires chrétiens qui a marqué le début de la gestion in vitro du multilinguisme tanzanien.

2.3 Le multilinguisme et la politique linguistique: l’époque de la colonisation allemande (1885-1918) C’est la conférence de Berlin sur la partition de l’Afrique qui marqua le début de la domination allemande en Tanzanie en 1885. Arrivés en Tanzanie, les colonisateurs allemands étaient confrontés au problème de communication face à la multitude de langues. Ils ont constaté que le swahili était déjà une langue partagée par les communautés ethniques habitant le long des routes commerciales, même si le nombre de locuteurs bilingues était faible. Ils ont donc choisi le swahili. Nous pensons que leur choix était basé sur le caractère véhiculaire du swahili. Ainsi, contrairement à la vision des missionnaires, le gouvernement colonial a considéré le swahili comme simple outil de communication, et son association avec l’islam ne présentait pas un obstacle à son emploi. La primauté fut accordée aux avantages économiques que présentait cette langue.

Par conséquent, les missionnaires ont été obligés par les autorités coloniales allemandes d’employer le swahili dans leur mission d’évangélisation et de scolarisation. Après un long désaccord, les missionnaires chrétiens ont accepté l’utilisation du swahili comme langue de scolarisation, mais en utilisant la graphie latine. Par ailleurs, ils ont commencé à traduire la bible et les autres livres religieux en swahili et à écrire des livres de grammaire du swahili. Mais ils ont demandé tout de même de pouvoir continuer à prêcher en langues des communautés ethniques, car la plupart des indigènes ne comprenaient pas le swahili. Leur demande fut acceptée et l’accord fut donné par l’administration coloniale pour l’utilisation des langues ethniques dans la mission d’évangélisation, mais pas pour la scolarisation (Mhina, 1976).

Par ailleurs, l’auteur (ibid.) indique que les fonctionnaires de l’administration coloniale venus de la métropole étaient obligés d’apprendre le swahili afin d’établir un contact avec les responsables indigènes et l’ensemble de la population. Ils devaient passer un test de swahili avant l’entrée en fonction. En effet, certains dispositifs d’enseignement du swahili étaient mis en place même à Berlin en Allemagne.

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Ainsi, le swahili a connu une restauration de son prestige et une expansion accélérée. Il a maintenu sa place centrale dans une constellation linguistique en pleine expansion, car les liens du bilinguisme ne se formaient pas uniquement le long des routes commerciales mais dans l’ensemble du territoire tanzanien. Il a ainsi acquis un statut de plus en plus prestigieux par rapport aux LCEs du fait d’être langue de l’administration, de la scolarisation et de la religion. On pourrait dire que c’est la gestion linguistique allemande qui a consolidé les rapports diglossiques en accordant plus de fonctions au swahili. Par ailleurs, les autres langues locales ont maintenu leur rôle de langues d’évangélisation et de communication intracommunautaire.

Suite à l’intervention du gouvernement colonial allemand, on peut voir que les représentations sociales du swahili chez les missionnaires chrétiens ont évolué de manière positive. Ils ont constaté que le swahili était un outil très efficace dans la mission de christianisation. Cela a conduit les missionnaires chrétiens à s’engager dans le travail d’expansion du swahili. L’évolution des représentations des missionnaires vis-à-vis du swahili conduit à reconnaitre, d’une part, le rôle capital que la politique linguistique peut jouer dans la construction et la modification des représentations sociales des langues et, d’autre part, l’influence de ces dernières sur la première. Ainsi, la politique linguistique et les représentations sociales des langues peuvent s’influencer mutuellement. Par ailleurs, nous constatons que, si les représentations linguistiques peuvent être formées, elles peuvent également être transformées.

Il est évident que les attitudes vis-à-vis du swahili et des LCEs ainsi que les approches de la planification linguistique sont très variées selon les colonisateurs. Par exemple, il est intéressant, au niveau sociolinguistique, de constater que les colonisateurs allemands, contrairement aux Anglais et aux Français, n’avaient aucun intérêt à l’expansion de leur langue. Selon Mhina (1976), pendant les premières années de leur installation en Tanganyika, des tentatives ont été faites pour enseigner l’allemand comme langue seconde mais, après avoir évalué les implications sociales, éducatives et économiques et sur le conseil du gouvernement allemand en métropole, l’administration coloniale allemande abandonna ce projet. Par conséquent, l’allemand est resté comme langue de l’administration coloniale centrale, notamment entre les colonisateurs eux-mêmes. Les documents administratifs à l’adresse des administrateurs centraux étaient rédigés dans cette langue.

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S’il nous parait utile de comprendre les implications socio-économiques et éducatives qui ont empêché les allemands de réaliser leur projet d’enseignement de l’allemand comme langue seconde, nous craignons que les informations dont nous disposons ne puissent répondre de pleinement à cette question. Néanmoins, nous disposons de certaines indices permettant, bien que partiellement, d’apporter quelques éléments de réponse. Plusieurs explications ont été avancées (voir, par exemple, Roy-Campell, 2001). D’abord, il est fort probable que les allemands furent débordés par la multitude de LCEs. Cependant, on se serait attendu à ce que ce multilinguisme présente une occasion pour introduire leur langue, car les différentes communautés auraient eu besoin d’une langue leur permettant d’avoir un contact entre elles. Ainsi, cet argument n’est que peu plausible.

Une autre explication qui a été avancée repose sur le fait que l’enseignement de l’allemand comme langue seconde impliquerait des coûts en matière de formation des enseignants, de préparation de matériel et d’autres aspects logistiques. Par contre, l’utilisation et la promotion de toutes les langues locales, Mhina (1976) l’a bien indiqué, constituerait une aventure impossible tant au plan linguistique qu’économique. D’ailleurs, la priorité, à cette époque, était accordée aux activités procurant des bénéfices pour les colonisateurs. De ce fait, le swahili fut le choix le plus économique, car c’était une langue déjà utilisée par une population considérable.

La dernière explication, selon laquelle les Allemands n’auraient pas voulu que les territoires colonisés acquièrent l’éducation au moyen de l’allemand de peur que ces derniers développent un sentiment d’égalité avec leurs maîtres, semble plausible. Cette hypothèse devient plus tangible au vu de la grande distance qu’il y avait entre l’administration centrale allemande et le reste du peuple. D’ailleurs, et comme l’indique Mhina (ibid.), il n’y avait pas de rapports sociaux entre les colonisateurs et les colonisés en dehors des situations officielles. Cet argument est fortement soutenu par Roy-Campell (op.cit) dans les propos suivants : “Swahili had its first taste of official status during the German colonial rule beginning in the late nineteenth century, when it was designated for nationwide use in education and colonial administration. After some controversy over whether German or Swahili should be used as the medium of instruction in schools, Swahili was eventually chosen, although the colonial government’s motivation for this decision has been called into question. Rather than desiring Tanzanians to learn in a language they spoke because it

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would advance their education, did the administration perhaps hope to prevent Tanzanians from learning German and thereby acquiring a sense of equality with their colonizers” Roy-Campell 2001: 41

Cette explication conduit à penser que, pour les colonisateurs allemands, la langue était perçue comme porteuse des savoirs et d’identité et que l’accès à cette langue par les sujets colonisés pourrait constituer un moyen de prise de conscience et de s’identifier aux maîtres colonisateurs. Cela pourrait donc constituer un outil d’éclairage et peut-être de libération. D’ailleurs, on reconnait le fait que les leaders africains qui ont dirigé les mouvements nationalistes étaient des Africains qui, après s’être approprié les langues et les savoirs des colonisateurs, se sont tournés contre ces derniers pour libérer leurs territoires. Il est fort probable que les Allemands aient pensé à cette possibilité. Ainsi, la langue devient non seulement un facteur d’identité mais également de distanciation.

La politique de dissimilation caractérise bien la colonisation allemande, pour résumer les propos de Roy-Campell. En observant les anciens territoires de la colonisation allemande, on constate qu’il y a très peu de traces linguistiques et culturelles allemandes. Cela montre que les allemands avaient une attitude assez différente des autres colonisateurs. Les Français avaient une politique d’assimilation totale consistant à remplacer la culture et les langues indigènes par la leur alors que les Anglais avaient une politique d’assimilation partielle, ayant pour finalité de transférer leur langue et certains aspects de leur culture aux indigènes tout en permettant l’usage des langues indigènes pour certaines fonctions et en maintenant certains aspects de la culture indigène. On pourrait ainsi dire que les Allemands avaient des buts uniquement économiques, qu’ils cherchaient à atteindre de manière directe, alors que les Anglais et les Français ont cherché l’atteinte de buts économiques par l’intermédiaire de relations socioculturelles.

2.3.1 La place du swahili et des LCEs à l’époque allemande Dans l’administration coloniale centrale, qui était menée presque uniquement par les Allemands eux-mêmes, le problème linguistique ne se posait pas. En revanche, le problème se situait au niveau de l’administration locale, où il y avait une nécessité de contact avec les leaders intermédiaires, eux-mêmes en contact avec le reste de la population. A ce niveau, les LCEs présentaient un problème majeur vu leur nombre. Alors, le swahili, qui était déjà écrit et

20 qui avait commencé à servir de lingua franca, fut incontournable car il avait le potentiel de remplir des fonctions officielles. Les allemands profitèrent donc de son potentiel et firent du swahili la langue de l’éducation et de l’administration locale. Il est essentiel de signaler que le swahili avait l’avantage de n’appartenir à aucune communauté ethnique, peut-être à cause de l’influence du lexique arabe qui avait fait disparaitre les traces d’appartenance à une ethnie spécifique. Ainsi, il n’y avait pas le risque de susciter des sentiments de mécontentement de la part des autres communautés ethniques.

Un autre facteur motivant le choix du swahili, comme l’avance d’ailleurs Roy-Campell (2001), est le fait que, dès le départ, l’éducation coloniale allemande avait pour finalité de préparer un certain nombre de Tanzaniens à travailler dans la bureaucratie coloniale. De ce fait, l’emploi d’une lingua franca déjà parlée par la plupart des employés potentiels, tant dans les écoles que dans l’administration coloniale, était le choix le plus pratique. Ainsi, le swahili a, pour la première fois, accédé à un statut officiel pendant l’administration coloniale allemande.

Par ailleurs, l’ascension en statut du swahili permet de supposer que les relations diglossiques entre le swahili et les LCEs sont devenues de plus en plus prononcées. Tandis que le premier jouissait d’un statut et d’une reconnaissance officiels comme langue des administrations et de scolarisation, les dernières sont restées au même niveau, comme langues de communication intracommunautaire sans aucune reconnaissance officielle.

Nous sommes d’accord avec les propos de Calvet (1993) sur le fait que toutes les situations coloniales mettant en contact une langue africaine et une langue européenne relèvent de la diglossie et nous ajoutons que même les situations où le colonisateur vient désigner une langue africaine (le cas du swahili, par exemple) pour l’élever au dessus des autres en lui accordant des hautes fonctions (usage dans l’administration, l’éducation, la loi, etc.) n’évitent pas la diglossie.

On peut maintenant appliquer le modèle gravitationnel, décrit plus haut, pour résumer notre description de la situation sociolinguistique à l’époque missionnaire et allemande. Bien avant l’arrivée des missionnaires chrétiens, il existe déjà une constellation linguistique unipolaire20

20Selon le schéma unipolaire, il y a une seule langue centrale désignée également comme langue majeure, alors qu’autour d’elle des langues périphériques désignées également comme langues mineures. 21 où le swahili est le pôle central vers lequel gravitent les LECs qui, dans ce cas, deviennent périphériques. La force d’attraction dépend, entre autres et notamment, de son expansion géographique. A cette époque, il y a une construction bilingue spontanée où les locuteurs des différentes langues locales apprennent le swahili pour satisfaire leurs besoins de communication, notamment pour le commerce.

Ensuite, les missionnaires tentent de diriger leur action contre la tendance « naturelle » de la constellation, car ils cherchent non seulement à développer les langues périphériques mais également à décourager l’attraction vers le centre, en diminuant l’utilisation du swahili et en enseignant les LCEs. Leur action tend vers la construction d’une constellation sans pôle n’ayant que des langues mineures, car chacune de LCEs en présence devrait être écrite et utilisée comme medium de scolarisation et d’évangélisation. En réalité, il y avait une sorte de déconstruction des rapports verticaux entre les langues pour reconstruire des rapports plutôt horizontaux favorisant le lien entre les langues périphériques, à savoir les LCEs. Leur action était en effet motivée par des raisons représentationnelles, car, on l’a dit, le swahili était vu comme langue de l’Islam qui ne pourrait pas remplir la fonction d’évangilisation chrétienne. Ainsi, la force d’attraction du swahili n’était pas prise en considération.

Avec l’arrivée des colonisateurs allemands, la constellation linguistique unipolaire se reconstruit, mais cette fois-ci de manière accélérée, car le mouvement vers le pôle central n’est pas seulement spontané mais également programmé par l’action étatique. Le gouvernement colonial obligea l’apprentissage du swahili et la scolarisation dans cette langue. L’action du gouvernement colonial en faveur du swahili était motivée par le facteur géographique et le nombre de locuteurs de cette langue, entre autres. Ainsi, les forces d’attraction vers le swahili sont devenues plus importantes que les forces d’éloignement.

2.4 La colonisation britannique: de la diglossie à la triglossie Après la Première Guerre Mondiale, les Allemands furent remplacés par les colonisateurs britanniques. Nous avons évoqué plus haut que les colonisateurs britanniques avaient une « politique » d’assimilation partielle. Ici, par assimilation partielle, nous entendons une attitude selon laquelle les colonisateurs imposent aux colonisés une partie de leur culture tout en préservant certains aspects de la culture indigène. Il faut aussi reconnaitre le fait que, pendant l’époque allemande, la planification linguistique, notamment en matière d’éducation,

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était presque uniquement destinée aux Africains, car il y avait très peu d’Allemands, la tendance étant de scolariser les enfants en métropole. Au contraire, pendant la colonisation britannique, surtout quelques années après leur installation, il y avait un nombre important d’enfants blancs et indiens. Cela supposait donc la nécessité de prévoir des dispositifs éducatifs non seulement à l’adresse des Africains, mais également à celle des Européens et des Indiens.

Ainsi, fut introduite la « Tripartite Education Policy », selon laquelle, il y avait des écoles séparées pour les Européens, les Indiens et les Africains. La politique linguistique éducative britannique marqua un tournant dans l’histoire de la planification linguistique en Tanzanie. Selon Roy-Campell (2001), l’éducation britannique à l’adresse des indigènes avait pour finalité de former une petite minorité qui formerait l’élite tanzanienne et pourrait aider à assumer des responsabilités administratives dans le gouvernement colonial, alors que le reste de la population n’aurait qu’une éducation très élémentaire. D’ailleurs, cette intention devint manifeste dans le Plan Décanal de Développement et du Bien-être pour le Tanganyika. Dans ce plan, il fut clairement stipulé que 100% de la population accéderait à la scolarisation primaire, alors que seulement 4% bénéficierait de l’éducation secondaire. En effet, et d’ailleurs comme l’indique Pennycook (1998), c’était juste une poignée d’intermédiaires qui, du fait d’être située à la zone de contact, était censée maîtriser l’anglais, tandis que le reste de la population devait communiquer en langues locales.

C’est durant cette époque que l’anglais entra dans le système éducatif et marqua le début d’une concurrence avec le swahili dans les écoles. C’est également pendant cette période que la plupart des fonctions du swahili furent remplacées par l’anglais. Selon Rubagumya (1990), l’anglais devint le médium de scolarisation dans les écoles des trois races. Nous pensons que ce fut pendant cette époque que s’établirent des relations de triglossie entre les langues en présence et, avec elles, une construction des représentations sociales des langues de plus en plus différenciées. Dans le paysage multilingue, il y avait l’anglais, non seulement langue du colonisateur mais aussi symbole de l’éducation occidentale et d’une nouvelle civilisation car, à cette époque, les colonisateurs poussèrent les Tanganyikans à considérer la culture anglaise comme meilleure que la leur. La place de l’anglais fut renforcée par le fait que, malgré son statut de langue de scolarisation dans les trois types d’écoles, un volume horaire plus important fut accordé à son enseignement. Douze heures furent consacrées à l’enseignement de l’anglais contre deux heures pour le swahili par semaine. Mhina (1976) ajoute que les

23 attitudes négatives vis-à-vis du swahili se sont installées et répandues non seulement du côté des élèves, mais également du côté de la société plus large, car même son enseignement fut confié aux enseignants les moins qualifiés.

L’anglais avait également un poids très important dans l’évaluation sommative et la certification, car un échec signifiait que le sujet examiné ne pourrait pas obtenir le Cambridge School Certificate même dans le cas où celui-ci avait obtenu une excellente note dans les autres matières. Le swahili, quant à lui, a connu une descente significative en statut. Déplacé vers le bas, il a tout de même maintenu son rôle de langue de scolarisation uniquement pour les cinq premières années du primaire dans les écoles africaines, alors que c’est l’anglais qui fut médium de scolarisation pour les trois autres années de l’enseignement primaire et pour le secondaire. Par ailleurs, le swahili jouissait d’un statut de langue véhiculaire pour les différentes communautés linguistiques, mais sa place en tant que matière enseignée fut confinée uniquement aux écoles africaines. Il n’existait ni dans les écoles indiennes ni dans les écoles européennes.

En effet, la Tripartite Education policy nous fait penser que l’attitude des colonisateurs consistait en une sorte de refus d’aller vers les colonisés, alors que ces derniers furent obligés de s’ouvrir vers les premiers par l’intermédiaire de l’anglais. De façon générale, nous pouvons conclure que le swahili a gardé la deuxième place dans la triglossie, alors que les LCEs sont restées dans le bas comme langues de communication entre les membres de la même communauté ethnique. Ces rapports triglossiques entre les langues en présence pourraient être illustrés dans le tableau suivant.

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Tableau 1 : Triglossie : la « Tripartite Education Policy » et la répartition fonctionnelle des langues

Manifestation Anglais Swahili LCEs Administration centrale + __ __ et régionale Administration locale ± + __ Parlement + __ __ Les médias + + __ Education secondaire + __ __ et supérieure Education primaire + (3 dernières années) + (5 premières années) __ Communication __ + (notamment dans les + (notamment dans les quotidienne en dehors zones urbaines) milieux ruraux) des cercles familiaux Communication __ + (notamment dans les + (notamment dans les intrafamiliale zones urbaines) zones rurales)

2.5 Le multilinguisme à l’époque postcoloniale Il est clair que la tendance, pour la plupart des pays africains anciennement colonisés, a été de garder la langue des anciens colonisateurs pour remplir des fonctions officielles (fonctions administrative, éducative, juridique, etc.). La reprise de la langue de l’ancien colonisateur était, dans la plupart des cas, motivée par l’existence de situations multilingues dans lesquelles la question du choix de langue était susceptible de présenter un problème majeur voire un conflit entre les communautés dont les langues étaient en présence. Le problème repose souvent sur l’attachement que chaque communauté a pour sa langue et sur l’absence de volonté d’utiliser la langue d’une autre communauté ethnique. Cela fut l’un des grands défis pour les nations naissantes, comme l’indique Gordon (1978 :17):

« In fact, the cases of many new nations seeking to develop a sense of national identity among their people, leaders are confronted with a challenge which the older nations of the West did not have to face, the challenge of adopting, standardizing, and universalizing a language which will both serve development and modernization and at the same time have legitimacy, “authenticity” in the eyes of the masses »

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Mais, ce problème de choix de langue est, d’après Alidou (2004), le produit de la colonisation car, pendant l’époque précoloniale, chaque communauté ethnique avait sa propre langue et éduquait ses enfants dans cette langue. Si, d’un côté, l’on s’accorde sur le fait que le colonialisme est à l’origine du problème, nous devons, de l’autre côté, reconnaitre que sans l’intervention coloniale sur les langues, la formation des nations (dans les situations multilingues) pourrait peut-être durer de nombreux siècles, car l’unification de petites entités ethnolinguistiques et la construction d’une identité commune et nationale constitueraient peut- être un rêve difficilement réalisable.

Bref, depuis la fin de la colonisation, le choix de langue est devenu un enjeu majeur et, face à un tel défi, la pratique pour la plupart des pays a été d’adopter plusieurs langues des communautés ethniques en leur accordant un statut égal de langue nationale et de garder la langue coloniale pour les fonctions officielles. Mhina (1976) cite l’exemple de la Zambie, qui a cinq langues nationales avec un statut et une attention égaux et l’anglais, langue officielle qui sert également de symbole d’unification nationale. La même pratique est illustrée par l’Afrique du Sud, qui a adopté huit langues nationales alors que l’anglais, comme en Zambie, remplit les fonctions officielles et sert d’important élément unificateur. Il y a des cas rares comme celui du Sénégal, où le wolof s’est imposé comme langue nationale bien avant la période coloniale et a maintenu son statut jusqu’à l’époque postcoloniale, alors que le français est actuellement langue officielle du pays.

2.5.1 Le rôle du swahili à l’époque postcoloniale En Tanzanie, la situation linguistique postcoloniale présente un exemple unique qui a rendu la planification linguistique relativement plus facile qu’ailleurs. Ce n’est pas uniquement la présence du swahili comme lingua franca mais également le fait que cette langue, comme l’explique Mhina (1976), était considérée comme n’ayant aucune affiliation à une communauté ethnique. Ainsi, c’était la langue la plus neutre et ce fut le choix « naturel » et incontestable. En effet, si pendant l’époque coloniale le swahili a connu une promotion politique très importante, le gouvernement indépendant du premier président, Mwalimu Nyerere, accorda au swahili un double statut, de langue nationale unique et de première langue officielle, alors que l’anglais reçut un statut de deuxième langue officielle. Bref, le swahili a connu une ascension rapide car quelques années après l’indépendance (début des

26 années 70), les séances parlementaires se dérouleront uniquement en swahili. La politique favorable au swahili est fondée sur plusieurs raisons.

Etant la langue véhiculaire au service de l’unification intercommunautaire, le swahili avait joué un rôle particulièrement important dans la lutte pour la libération du Tanganyika. C’était la langue dans laquelle le premier président, Julius Nyerere, menait les campagnes politiques à travers son parti de libération, Tanganyika African National Union (TANU). Calvet (1996) souligne que c’est ce rôle qui a fait du swahili le symbole de la libération. Reconnaissant la place symbolique de cette langue, Nyerere fit d’elle un instrument permettant de construire et de souder cette nation naissante.

La construction d’une nouvelle nation libérée nécessitait un fondement politico-idéologique. Vers les années 1970, le gouvernement de Julius Nyerere adopta une politique socialiste dont la finalité fut de construire une nation socialiste et auto-suffisante. L’adoption de cette politique accorda davantage d’importance à la restauration socioculturelle. En effet, il fallait se débarrasser de la culture coloniale et restaurer la culture tanzanienne pour être véritablement libre. Il était reconnu que la langue constituait un élément culturel important, et le swahili était considéré comme langue incarnant l’identité culturelle et nationale. De plus, son appartenance à la famille bantoue et son existence dans plusieurs pays africains dont le Kenya, le Congo, le Rwanda, le Burundi, la Zambie, les Comores, etc. fit du swahili une langue de l’expression africaine.

Contrairement aux LCEs, qui n’étaient que peu documentées et, pour certaines, pas du tout documentés, le swahili jouissait non seulement d’une documentation plus riche (publication des bibles, cantiques, livres de grammaire et des contes, programmes d’enseignement, etc.), mais également d’une standardisation à l’échelle de l’Afrique de l’Est. Mhina (1976) montre que les efforts pour établir des normes linguistiques voire des tentatives d’uniformisation des normes pour l’Afrique Orientale avaient débuté avant l’indépendance. Les colonisateurs britanniques qui, après la Première Guerre Mondiale, prirent possession de tous les territoires de l’Afrique de l’Est (dont le Tanganyika, l’Ouganda et le Kenya), décidèrent de créer en 1959 un corps linguistique appelé The Inter-territorial (Kiswahili) Language Committee. Ce comité linguistique interterritorial devait remplir les fonctions d’établir la norme standard du swahili et d’approuver toutes les publications en les contrôlant selon la norme établie. La création de ce comité est en partie une démonstration de la volonté du colonisateur

27 britannique de développer une langue locale commune dans les trois territoires. Cependant, après l’indépendance, on assiste à une disparition totale de cet arrangement interterritorial de standardisation du swahili dont la conséquence est la divergence de la norme donnant lieu à plusieurs normes dans les différents territoires telles que l’on peut les observer à l’heure actuelle. Le swahili kenyan, par exemple, n’est pas le même que celui de la Tanzanie.

Les différents atouts du swahili présentés ci-dessus permettent de penser que, dans la planification linguistique plurilingue en Tanzanie indépendante, il ne s’agissait pas de choisir une langue parmi les plus de 120 langues en présence, mais plutôt d’accorder plus de fonctions et plus de statut à une langue qui remplissait déjà une fonction véhiculaire. Et on assiste à une situation où le swahili connait une ascension progressive et son usage s’étend vers des fonctions officielles de plus en plus nombreuses jusqu’à devenir première langue officielle et seule langue nationale. Son rôle se manifeste dans les différents domaines explicités ci-dessous.

Le swahili est la langue officielle des tribunaux de première instance, alors que c’est l’anglais qui remplit le rôle de langue officielle pour les tribunaux plus hauts. Cependant, il y a souvent des interprètes dans le cas où les protagonistes n’auraient pas suffisamment de compétence pour suivre les procès en anglais. Le swahili est également la langue de l’administration centrale et locale. Cependant, il est intéressant de remarquer que, dans la plupart des institutions où le swahili coexiste avec l’anglais, le premier est employé pour la communication orale tandis que le dernier sert de moyen de communication écrite. Dans ces cas, on parle souvent en swahili mais on écrit en anglais. C’est une situation qu’on pourrait qualifier de diglossie « de facto ». On verra plus tard comment les contextes d’utilisation du swahili et de l’anglais ont une incidence dans la construction des statuts inégaux entre ces deux langues.

Le swahili est médium de scolarisation dans le primaire, notamment dans les écoles publiques car, comme nous l’avons signalé dans la partie introductive, la libéralisation de l’éducation en Tanzanie a fait émerger des écoles primaires dont le médium d’enseignement est l’anglais, les EMPS. Le swahili est aussi une matière obligatoire enseignée dans le primaire et le secondaire.

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Le swahili est langue des médias. La plupart des stations de télévision et de radio diffusent leurs émissions en swahili. Le nombre21 de journaux swahilis, hebdomadaires et périodiques, dépasse celui de la presse anglaise. Par exemple, en 2001, il y avait, en Tanzanie continentale, cinq quotidiens swahilis contre quatre anglais, sept hebdomadaires swahilis contre six en anglais, 14 périodiques swahilis contre quatre en anglais. Bref, c’est une langue qui est utilisée par la majorité de la population tanzanienne. C’est la langue de la communication quotidienne. En fait, une personne qui demande des informations en anglais dans la rueest prise pour un étranger.

La décennie suivant l’accès à l’indépendance a laissé penser que le gouvernement avait l’intention de se débarrasser de l’anglais. Or, la position du gouvernement était explicite, l’anglais devrait remplir un rôle de langue officielle avec le swahili. Il y avait plusieurs raisons de garder l’anglais mais la plus importante et peut-être celle qui résume les autres repose sur la reconnaissance du fait que la Tanzanie fait partie de la communauté mondiale; abandonner l’anglais ne serait qu’au détriment des Tanzaniens eux-mêmes car cela risquerait de les priver d’opportunités économiques, politiques et sociales que ces derniers pourraient partager avec le reste du monde. Il faut rappeler qu’à cette époque, l’anglais était déjà une langue répandue dans le monde. C’est pour cette raison que Julius Nyerere décida d’expliciter la position de son gouvernement sur le fait que l’objectif final était de devenir bilingue:

“Our ambition is to become bilingual in Kiswahili and English. We have no ambition to cut out English. In the primary school, English is a subject taught. In the secondary schools English is the medium of education but Kiswahili continues to be taught as a subject. Certainly at the university level English is going to continue as the language of education for a long time. Tanzanians would be very foolish if they rejected English. We are a small country. English and French are African languages and so all we have. It is a very useful language”22

Dans ses propos, nous constatons que, même si Nyerere cherchait à conduire son pays vers une libération totale de toute la mentalité coloniale, il reconnaissait, dès les premières années de l’indépendance, la place des langues issues du colonialisme pour le développement de son

21http://www.pressreference.com/Sw-Ur/Tanzania.html conculté le 30 novembre 2010. 22 Paroles de Nyerere lors d’une interview avec le correspondant du journal, The times, 9th December 1974. 29 pays et de l’ensemble de l’Afrique. On voit en lui une capacité à dissocier ces langues de l’histoire coloniale, qui leur accordait une image négative, pour leur donner une représentation positive du point de vue de leur utilité pour le continent africain libéré. C’est dans cette perspective qu’il n’hésite pas à dire « (…) English and French are African languages ».

Rappelons que, dans ses discours politiques, Nyerere a également désigné le swahili comme langue africaine. Ceci dit, faut-il supposer que le premier président tanzanien entretenait les mêmes rapports avec le swahili qu’avec l’anglais? Cette supposition est loin d’être retenue, vu les efforts investis pour la promotion du swahili au-dessus de toute autre langue. Ici nous pensons que les rapports qu’entretenait Nyerere avec ces langues et sa position sont explicables selon deux perspectives. Il y a d’abord ce qu’on pourrait qualifier de perspective identitaire sur laquelle se fondent les rapports avec le swahili, langue de son peuple et symbole d’unification nationale. Les rapports avec l’anglais et éventuellement le français seraient plutôt fondés sur une perspective utilitaire qui est en partie décrite par Calvet (1999). Selon la seconde perspective, la langue est vue comme produit de consommation. La décision de le consommer est guidée par des facteurs plus ou moins objectifs, dont l’analyse de ses besoins réels ou imaginaires. Par exemple, la Tanzanie est un pays en voie de développement, qui a besoin de contacts avec le reste du monde. Or, le swahili ne peut pas pleinement remplir cette fonction. L’anglais et le français sont des langues internationales capables d’assurer le maintien des liens entre la Tanzanie et les autres pays du monde. D’autres facteurs peuvent être les gouts qui sont déterminés par la mode, la publicité, les conseils des amis ou des voisins et sa propre idéologie, qui poussent à refuser telle ou telle langue. Ainsi, il n’est pas seulement question de besoin mais également de représentations.

2.5.2 L’anglais à l’époque postcoloniale Nous avons évoqué dans la partie précédente que, malgré la politique linguistique favorable au swahili adoptée par le gouvernement postcolonial, l’anglais a maintenu une place et un statut importants comme deuxième langue officielle après le swahili. Il faut souligner que les deux décennies suivant l’indépendance ont mis en place une force politique tendant au renversement des rapports diglossiques et cherchant à élever le swahili au-dessus de l’anglais. Blommaert (1999) montre que le swahili est devenu langue des politiques et du développement en acquérant des fonctions dans les domaines qui, jusqu’alors, étaient

30 dominés par l’anglais. En fait, certains chercheurs parlent même d’une expansion hégémonique du swahili, car il remplaçait non seulement les fonctions de l’anglais mais également celles des langues ethniques, dont l’utilisation fut fortement découragée, notamment dans les milieux scolaires. Mais cette tendance, comme nous l’expliquerons plus tard, n’a pas pu aboutir en raison de l’hégémonie mondiale de l’anglais. En fait, si le swahili est devenu de plus en plus central par le nombre de ses locuteurs et son omniprésence géographique en Tanzanie, l’anglais a conservé son statut élevé en ce qui concerne les rapports diglossiques ou triglossiques. Ainsi, il faut souligner que, dans le modèle de constellations linguistiques que nous avons emprunté à Calvet (1999) et que nous avons appliqué plus haut pour décrire la situation multilingue tanzanienne, la langue centrale (des points de vue de sa véhicularité et de sa présence géographique) dans une constellation unipolaire ne constitue pas forcément la plus élevée au plan diglossique ou triglossique; une autre langue, moins connectée aux langues périphériques (c’est-à-dire ; moins centralisée) peut recevoir des fonctions plus hautes et une place socialement plus prestigieuse. Dans cette partie, nous décrivons brièvement le rôle de l’anglais en Tanzanie postcoloniale.

Le gouvernement tanzanien postcolonial a explicité son intention de former une nation bilingue en maintenant l’anglais dans le système éducatif, sans nécessairement lui donner la fonction de médium d’instruction. Dans le discours du premier président (que nous avons cité dans la partie précédente), on voit même une sorte d’ouverture à d’autres langues étrangères internationales, notamment le français, car il en fait mention.

Il est évident que l’anglais a connu un remplacement partiel de sa fonction de médium d’instruction au cycle primaire, car c’est le swahili qui a repris cette fonction dans l’ensemble de ce cycle, à l’exception des EMPS. L’anglais, qui fut langue de scolarisation pour les trois dernières années du cycle primaire à l’époque coloniale, n’est devenu qu’une matière enseignée. En fait, le remplacement de l’anglais par le swahili au primaire constituait la première phase vers la swahilisation de l’ensemble du système éducatif. Pendant les années qui ont suivi l’indépendance, il était envisagé par le gouvernement que le swahili se développe pour remplir la fonction de medium d’enseignement-apprentissage dans les cycles secondaire et post-secondaire. Il faut reconnaitre que la politique d’éducation et de formation mise en application en 1995 (MOEC 1995) a fait appel à la participation du secteur privé dans l’éducation. L’impact de cette politique a été très positif vis-à-vis de l’anglais car, avec l’émergence des EMPS, l’anglais a repris sa fonction de langue de scolarisation dans le cycle

31 primaire. Chose intéressante; les frais de scolarité dans ces écoles sont devenus extrêmement élevés et inabordables pour la majorité des familles tanzaniennes. En principe, ce n’est pas la valeur de l’éducation qui rend ces écoles si chères, mais plutôt la valeur de la langue de scolarisation. Bien évidemment, et comme l’indique Besha (2009), ces écoles sont généralement mieux équipées et disposent d’enseignants mieux formés, mais cela est révélateur du prestige dont jouit l’anglais en Tanzanie.

Par ailleurs, Besha (ibid.) montre que les EMPS reçoivent plus d’attention et plus d’importance de la part du gouvernement au point que celui-ci a établi un inspectorat spécial pour ces écoles. Cependant, l’auteure avance l’argument que ces écoles peuvent contribuer à l’émergence d’une génération de leaders qui fonctionnent selon une perspective culturelle étrangère.

Dans le secondaire, l’anglais est langue de scolarisation et matière enseignée obligatoire. Le volume horaire consacré à l’enseignement de l’anglais au cycle secodnaire y est assez conséquent car il y a six périodes de 35 ou 40 minutes par semaine. Cela est prévu ainsi pour aider les élèves à améliorer leur niveau d’anglais car et comme on le verra dans le chapitre d’analyse des données, la plupart des élèves arrivent au secondaire avec un niveau très faible en anglais.

L’anglais remplit des fonctions importantes dans l’administration publique. Mais, le plus souvent, cette langue est utilisée dans les mêmes contextes que le swahili. On peut citer l’exemple du parlement tanzanien. On remarque que toutes les séances parlementaires se déroulent en swahili mais la plupart des documents légaux ou politiques sont rédigés en anglais. La même chose peut être observée dans les différents bureaux administratifs où le swahili remplit la fonction de médium de communication orale alors que l’anglais maintient sa fonction à l’écrit. Cette répartition fonctionnelle contribue à élever l’anglais au-dessus du swahili parce que l’écrit est « généralement » reconnu comme plus formel que l’oral.

Msanjila (1999) décrit d’autres fonctions de l’anglais dans les tribunaux de grande instance et cours d’appel. Dans le domaine juridique, on constate également une répartition fonctionnelle inégale entre l’anglais et le swahili. Le swahili se borne aux tribunaux de première instance alors que les tribunaux plus hauts emploient l’anglais. Cette inégalité fonctionnelle laisse penser que l’anglais est plus approprié pour aborder des questions plus sérieuses alors que le

32 swahili est réservé aux problèmes de base. Il faut tout de même souligner que plus de 80%23 de la population tanzanienne ne peut pas communiquer en anglais. Cela conduit, d’emblée, à une remise en question de la logique d’établir des tribunaux en anglais dans une société où une petite minorité est capable d’utiliser cette langue. Est-ce dû au fait que le swahili n’est pas suffisamment développé pour véhiculer les concepts relatifs à la jurisprudence? On peut se poser beaucoup d’autres questions, mais nous ne serons pas en mesure d’y répondre dans le cadre de ce travail. Il serait peut-être intéressant du point de vue interactionnel de pouvoir observer la conduite des procès dans les tribunaux « anglais » en Tanzanie.

En réalité, les hautes fonctions accordées à l’anglais en Tanzanie et sa place au plan international ont conduit à l’émergence d’un discours social très favorable à cette langue. Comme l’indique Neke (2003), en Tanzanie, l’anglais est associé aux savoirs, à la modernité, au progrès, à l’éducation, à la science et à la technologie, à l’émancipation et à l’accès aux opportunités socio-économiques. Mais il faut reconnaitre que ces représentations de l’anglais se construisent au détriment du swahili et des LCEs. Nous reviendrons plus loin sur la question de la domination de l’anglais dans le système éducatif tanzanien pour aborder le débat actuel sur le médium d’instruction en Tanzanie. Dans la partie suivante, nous nous proposons d’examiner le rôle des LCEs, qui constituent une composante importante du multilinguisme tanzanien.

2.5.3 Les LCEs à l’époque actuelle : quel avenir ? Calvet (1999) avance deux facteurs qui peuvent modifier le système écolinguistique. D’abord, il parle des pratiques des locuteurs, y compris les mouvements des populations, l’acquisition d’une langue dominante et la non-transmission des langues dominées d’une génération à une autre, etc. Le deuxième facteur concerne l’action de l’Etat sur les systèmes écolinguistiques par l’intermédiaire des politiques linguistiques, de scolarisation, d’alphabétisation, en médias, etc. Notre tâche est d’illustrer comment ces facteurs agissent sur le système écolinguistique tanzanien et leur impact sur la vitalité des LCEs.

Il est évident que les rapports triglossiques qui caractérisent le multilinguisme tanzanien ont une incidence sur l’utilisation et la transition intergénérationnelle des langues en présence. Les pratiques de la plupart des usagers tendront vers l’utilisation de la langue considérée

23http://en.wikipedia.org/wiki/List_of_countries_by_English-speaking_population, Consulté le 25 Janvier 2011. 33 comme la plus prestigieuse car la valeur subjective accordée à cette langue est immédiatement projetée sur ses locuteurs. Par exemple, nous avons montré à l’instar de Neke (2003) qu’en Tanzanie, l’anglais est associé à la modernité, à la haute éducation, à la science et la technologie, à la réussite, à la démocratie, etc. Les personnes pouvant parler cette langue sont considérées comme plus scolarisées que les autres. De même, les personnes n’ayant pas de connaissances suffisantes en swahili, langue d’alphabétisation et de scolarisation élémentaire, sont considérés comme analphabètes; ce qui est souvent vrai mais ne se vérifie pas dans tous les cas.

En effet, les rapports triglossiques sont très liés à la notion de mobilité sociale, une notion que nous empruntons de la sociologie pour comprendre les liens entre la triglossie et la structure sociale. La notion de mobilité sociale fut formulée par Sorokin en 1927 pour renvoyer aux mouvements individuels ou collectifs d’une position sociale à une autre (par position sociale, il faut entendre les couches, les strates ou les classes socioéconomiques). La mobilité peut être verticale (mouvement d’une classe basse à une classe haute ou l’inverse) ou horizontale au sein de la même classe en changeant de profession, par exemple. En géographie, on parle aussi de la mobilité spatiale d’une localité géographique à une autre. Pour notre argumentation, nous employons la notion dans un sens large pour englober non seulement le mouvement à travers les différentes couches socioéconomiques mais également la mobilité géographique.

Nous reconnaissons que toutes les sociétés, quelque soit leur régime politique, sont marquées par de fortes inégalités socioéconomiques, mais les individus cherchent toujours la mobilité vers une classe plus élevée. En ce qui concerne le mouvement géographique, certaines langues permettent plus de mobilité que d’autres. Dans le cas de la Tanzanie, nous proposons de distinguer trois types de mobilité géographique, à savoir intracommunautaire, intercommunautaire (ou nationale) et internationale. Il existe plusieurs facteurs de mobilité sociale tels que: l’instruction, l’emploi, l’histoire familiale, les mécanismes sociaux généraux, etc. Mais en Tanzanie et peut-être dans la plupart des pays multilingues, la mobilité sociale est très liée aux langues. Quelle langue pour quelle place socioéconomique? L’anglais est considéré comme la langue ayant la plus grande flexibilité de mobilité. Il permet plus facilement le passage d’une classe à l’autre et d’une profession à l’autre et d’un emploi à l’autre et d’un pays à l’autre. Le swahili est considéré comme ayant de moins en moins de mobilité. Certes, il permet la mobilité intercommunautaire et, en partie, internationale. Au

34 niveau socioéconomique, le swahili permet de trouver des emplois moins prestigieux que l’anglais car, dans la plupart des cas, les employeurs demandent également la maîtrise de l’anglais. Il est aussi difficile de s’engager dans le commerce international en ne maitrisant que le swahili, sauf avec les pays voisins. Ainsi, l’internationalité du swahili est un peu limitée. En effet, si le swahili est la langue de la majorité, l’anglais est recherché par tous ceux qui veulent évoluer dans la hiérarchie sociale. Les LCEs, quant à elles, sont considérées comme langues d’immobilité, enfermant leurs locuteurs à l’intérieur de leurs communautés. La possibilité d’emploi pour des personnes ne pouvant s’exprimer que dans ces langues est presque inexistante et les possibilités commerciales sont de plus en plus limitées.

Les contacts interethniques de la population tanzanienne ont été progressivement accélérés depuis l’arrivée des colonisateurs à nos jours. Nous avons indiqué plus haut que chaque communauté ethnique occupe une localité géographique spécifique et, avant l’influence extérieure, les interactions interethniques étaient très limitées, excepté le cas des communautés pastorales nomades qui se déplaçaient d’une localité à l’autre à la recherche de meilleurs pâturages pour leurs bêtes. Les facteurs expliquant l’accélération de ces mouvements avec l’arrivée des colonisateurs sont, entre autres, la recherche de travail dans les centres d’investissement tels que les plantations et les industries. Par ailleurs, la tendance actuelle d’urbanisation fait que les jeunes abandonnent leurs groupes ethniques pour aller s’installer dans les milieux urbains afin de gagner leur vie.

Or, les pratiques langagières urbaines sont souvent dominées par le swahili, langue nationale véhiculaire. Dans les milieux urbains, on assiste également à une augmentation des mariages interethniques, qui étaient jadis rares. La plupart des enfants naissant des couples interethniques n’auront pas accès aux langues premières de leurs parents; c’est le swahili qui deviendra leur langue première. En d’autres termes, l’urbanisation et les éventuels mariages interethniques se font au profit du swahili et au détriment des LCEs. Dans la partie de présentation et d’analyse des données, nous verrons comment les pratiques langagières plurilingues diffèrent entre les milieux ruraux et urbains.

Depuis l’indépendance, les LCEs n’ont reçu ni reconnaissance ni fonction officielles bien qu’un nombre significatif de Tanzaniens ne pouvait pas s’exprimer en swahili, il y a à peu près trois dernières décennies. Par exemple, dans les années 1980, il y avait encore beaucoup d’églises dont les messes étaient célébrées en langues ethniques dans de nombreux milieux

35 ruraux. Pendant les campagnes politiques, certains milieux avaient besoin d’un interprète. Nous rappelons qu’à l’école primaire, l’accent fut mis sur l’emploi du swahili et - la non- utilisation des langues locales sous peine de diverses punitions. Nous en sommes nous-mêmes témoin car, au début du cycle primaire, il fallait éviter l’utilisation de notre LCE et simultanément apprendre le swahili et l’utiliser pour l’apprentissage des autres matières. C’est pour cette raison que Bourdieu et Passeron (1998) avancent le fait que la valeur d’une langue est sociopolitiquement déterminée à travers la politique et la planification linguistique qui est mise en pratique par les institutions éducatives. En fait, il y avait une sorte de politique linguistique plus ou moins explicite contre les langues locales.

Ne pas accorder une fonction à une langue est semblable au fait d’arrêter de nourrir un être vivant qui, éventuellement, ne pourra plus survivre. Mais le manque d’attention porté aux langues des communautés ethniques est explicable par le besoin d’unification linguistique et nationale. Il est peut-être pratiquement difficile de favoriser le développement des langues locales tout en recherchant l’atteinte de l’unification linguistique et nationale par le biais d’un rapprochement interethnique. Il s’ensuit que les politiques linguistiques poursuivies par la majorité des Etats africains postcoloniaux, y compris la Tanzanie, furent basées sur l’idéologie selon laquelle le pluralisme culturel et linguistique est perçu comme barrière à l’intégration et à la modernisation. Il y a là une sorte d’homogénéisation culturelle et la non- reconnaissance de la possibilité d’atteindre l’unification sans abandonner la diversité.

En effet, la question de langue a constitué une préoccupation centrale des gouvernements des Etats nouvellement indépendants parce que la langue peut être considérée comme le cœur de la communauté. C’est à travers la langue que le groupe partage l’espace identitaire et représentationnel (une sorte de group mind). French (1999: 278 cité dans Neke, 2003) fait la description suivante:

“[….] nationalist ideologies treat languages as emblems of nationness like flags, customs and folk dances. And that the relation of language to nationhood is not semiotic but rhetorical: not a sign pointing to a collective identity but a force for enabling collective identities to emerge and nations to be imagined”

36

On s’accorde sur les propos de French quant aux fonctions identitaire et symbolique mais l’idéologie selon laquelle une langue désignée pour remplir des fonctions symbolique et pratique à l’échelle nationale doit dissiper les autres langues n’est pas linguistiquement écologique24. Ne fallait-il pas exploiter la possibilité d’établir un système qui permette un vivre-ensemble linguistique? N’est-il pas possible d’avoir un peuple multi-identitaire dans un pays? Une identité nationale véhiculée par une langue nationale, une identité locale par une langue de communauté ethnique et une identité internationale véhiculée par une ou des langues internationales?

Nous avons dit qu’au début de l’apprentissage du swahili, les pratiques langagières de jeunes locuteurs sont modifiées de sorte que l’acquisition de la langue dominante chasse la langue de la communauté ethnique. Par exemple, des punitions25 ont souvent été nombreuses contre les élèves communiquant en LCEs, jusqu’au point de développer une attitude négative à l’encontre de ces langues associées à un interdit. Ainsi, les enfants ne pouvaient plus s’intéresser à ces langues. Face à une telle interdiction, il est presque inévitable que les attitudes non favorables vis-à-vis des LCEs s’installent chez les enfants et éventuellement perdurent jusqu’à l’âge adulte car l’école dévalorise leurs langues. Il y a souvent une non- pratique ou une pratique discrète de la langue concernée. En général, il est plausible de penser que les représentations chez les jeunes élèves seront modifiées de façon à considérer ces langues comme inutiles, primitives. En fait, le terme même qui à été employé (pendant notre scolarisation primaire) pour désigner les langues des communautés ethniques était négatif. En swahili, on désignait ces langues comme « kilugha », une petite langue, alors que le swahili et l’anglais sont considérés comme « lugha » (langue). Le morphème ki- est, dans cet emploi, diminutif. Cela veut dire qu’une langue de communauté ethnique ne peut pas être considérée comme langue en elle-même, elle est une sorte de langue imparfaite.

Actuellement les LCEs ne remplissent que la fonction de communication intracommunautaire et, avec la croissance des interactions entre les différentes communautés ethniques, la disparition de ces langues n’est pas chose incertaine. C’est en reconnaissant ce danger de mort que courent ces langues qu’un projet consacré à la documentation des LCEs a vu le jour. En

24 Nous avons emprunté à Calvet (1999) la notion d’écologie linguistique pour désigner un ensemble de langues en présence et les rapports que ces langues entretiennent entre elles. 25 Voir par exemple Muzale et Rugemalira (2008). 37 fait, ce projet portant le nom de LOT26 () a pour finalités, entre autres, de documenter les langues non documentées pour garder des traces de leurs systèmes linguistiques et de leurs cultures après leur éventuelle disparition. Il faut souligner que, en termes très généraux, l’intervention de ce projet ne peut viser que la préservation des traces et non les langues elles-mêmes pour des fins historique et patrimoniale, car la vitalité d’une langue quelconque réside dans son utilisation effective par les locuteurs. Selon Calvet (1999), c’est le fait d’avoir une niche linguistique (des fonctions à assumer) qui assure la vitalité d’une langue donnée dans l’écosystème linguistique. Le fait même d’interdire l’utilisation d’une langue la met en danger de mort. Ceci est risqué pour la nation car, lorsqu’on parle de la culture tanzanienne, sa constitution dépend des cultures respectives des entités communautaires. Le bien fondé de la diversité linguistique a été avancé par Crystal (2000) en cinq arguments que nous proposons de résumer ci-dessous.

Le premier argument repose sur l’analogie existant entre l’écologie biologique et l’écologie linguistique. Il est clair que l’interdépendance écologique des organismes tels que les plantes, les animaux, les bactéries et les humains existent de manière que la survie d’un élément du système dépend d’un réseau complexe et délicat avec le reste des éléments. Ainsi, la destruction d’un élément pourrait engendrer de graves conséquences, souvent imprévisibles pour les humains. A cet égard, Romaine (2000, cité dans Crystal, 2000) avance l’argument que même l’évolution des espèces biologiques a été soutenue par la diversité génétique à travers l’adaptation aux différents environnements. Il en va de même avec l’écologie linguistique. Avec l’uniformisation linguistique et culturelle, l’évolution intellectuelle des êtres humains peut courir un risque de ralentissement.

Le second argument est le fait que les langues remplissent la fonction d’expression d’identité socioculturelle. Elles sont ainsi porteuses des caractéristiques partagées par une collectivité sociale ou régionale. L’importance d’une identité est le sentiment de sécurité incarné dans une existence partagée.

Le troisième argument est lié au second ci-dessus. Selon Crystal (ibid.), les langues servent à établir un lien entre les membres d’une société et leur passé propre. Dans ce sens, Crystal considère les langues comme moyens permettant l’accès aux savoirs et aux idées s’inscrivant

26 Voir http://www.lot.udsm.ac.tz, consulté le 10 juin 2010. 38 dans le passé. A ce propos, Nesttle et Romaine (2000) comparent les langues à des musées vivants pour les cultures qu’elles véhiculent. Ainsi, la disparition d’une langue peut entrainer la disparition de richesses socioculturelles, notamment pour les langues non documentées. Pour les langues avec une trace écrite, il est possible de revisiter partiellement la richesse socioculturelle même après leur mort, comme ceci a été le cas du latin en Europe, qui a connu une revitalisation importante. Cependant, cela dépend de l’influence que la langue a eue durant sa vie.

Le quatrième argument réside dans le fait que chaque langue constitue une vision spécifique du monde contribuant ainsi à l’ensemble du savoir humain. Selon Crystal (2000, cité dans Baker, 2006:47): “ Language not only transmits visions of the past but also expressions of social relationships, individual friendships with local landscapes, a wealth of organizing experiences, rules about social relationships as well as ideas about art, craft, science, poetry, song, life, death and language itself” Chaque langue présente donc non seulement une manière de penser mais également une manière d’être et d’agir.

Le cinquième argument posé par Crytal est basé sur la simple curiosité intellectuelle pour les langues. Il avance que les langues sont intéressantes en elles-mêmes, du fait de leurs particularités phonologiques, morphosyntaxiques et sémantiques. Malheureusement, la plupart des approches appliquées par les Etats dans la planification linguistique découlent d’une vision utilitaire, orientée vers la mondialisation. Autrement dit, la valeur d’une langue n’est plus intrinsèque, mais dépend de son utilité dans les marchés économiques dans un contexte de plus en plus mondialisé.

Par ailleurs, Bearth (2008) fait valoir que les LCEs peuvent s’avérer très efficaces pour le développement socioéconomique si elles sont valorisées et si des fonctions leur sont accordées. Pour mieux impliquer les populations locales dans le développement, les langues locales sont d’une importance capitale. Dans ses différents travaux menés en Côte d’Ivoire, l’auteur (ibid.) insiste sur la nécessité de concevoir le développement du point de vue local, et ceci est possible à travers les langues locales. Nous pensons également que dévaloriser et ignorer les LCEs c’est s’éloigner des réalités sociales immédiates, ce qui est susceptible de

39 freiner le processus de développement. En effet, l’auteur explique les liens existant entre la pauvreté et la dépendance communicative du continent africain.

En outre, Bearth (2010)27 explique l’efficacité des langues locales dans la communication des savoirs relatifs au VIH/Sida, problème qui existe en Afrique depuis plus de trois décennies. A ce propos, on voit dans ses différents travaux qu’il avance que la colonisation de l’Afrique a engendré de fausses idées comme quoi le multilinguisme africain était un obstacle à une communication efficace, ce qui est contraire aux réalités du terrain. Par conséquent, l’auteur (ibid.) propose de rompre avec ce paradigme traditionnel et d’opter pour le paradigme émergent qui considère les langues africaines comme une ressource pour le développement et pour la société.

Nous sommes conscient que nos propos en faveur des LCEs risquent de paraitre plus militants que scientifiques. Mais nous pensons que toute recherche scientifique ne peut être utile si les constats et les faits établis ne produisent aucun impact dans la société cible car l’extinction des langues des communautés ethniques entrainera avec elle la disparition d’une grande partie de la culture de la communauté ethnique concernée; les valeurs traditionnelles, les folklores, les paroles de sagesse (proverbes, idiomes), etc. Au plan national, la disparition des LCEs représente la perte d’une richesse inestimable en ce qui concerne la diversité linguistique et culturelle de la société tanzanienne. Nous précisons que nos propos ne supposent aucunement la non-reconnaissance du rôle capital du swahili et de l’anglais, mais nous pensons que la promotion de ces langues ne doit pas se traduire en la marginalisation des autres. En d’autres termes, nous préconisons une continuité dans la construction plurilingue, entre les LCEs, le swahili, l’anglais et les autres langues internationales.

En effet, Williams (1991a) décrit trois approches de la planification linguistique qui déterminent la vitalité d’un système écolinguistique. La première approche consiste à considérer que les langues doivent survivre selon leur capacité à s’adapter à l’environnement. C’est une approche évolutionniste, basée sur une perspective darwinienne de l’évolution des espèces. Les formes les plus aptes survivent tandis que celles qui ne peuvent pas lutter pour s’adapter à l’environnement meurent. Cette vision est, selon l’auteur (ibid.), critiquable par le fait qu’elle est, d’une part, basée uniquement sur le côté négatif de l’évolution consistant à

27 Voir sur www.csrs.ch/atelierlausanne. 40 détruire les espèces sans prise en compte de l’interdépendance entre elles et, d’autre part, elle néglige la responsabilité des facteurs sociopolitiques et économiques dans la disparition des langues.

La seconde approche est désignée par Williams comme conservationniste, visant non seulement la protection des langues menacées et l’enrichissement des « espèces » linguistiques mais également la revitalisation des langues en mettant en place des dispositifs d’intervention. La troisième approche est préservationniste et consiste à garder le système tel qu’il est. Cette approche est fondée sur l’idée que tout changement, qu’il soit additif ou soustractif peut mettre en danger le système.

Actuellement, le Gouvernement tanzanien semble avoir choisi de fonctionner selon une perspective évolutionniste malgré le fait évident que, dans les années après l’indépendance, il a joué un rôle - négatif en marginalisant les LCEs au profit du swahili, comme nous l’avons indiqué plus haut. D’où la nécessité d’une intervention positive visant la protection des LCEs.

A propos des langues menacées, Fishman (1990, 1991, 1993, 2001c; cités dans Baker, 2006 :61) a établi une échelle à huit niveaux qu’il désigne comme « Graded Intergenerational Disruption Scale (GIDS) » pour montrer les différentes étapes dans les processus de disparition des langues et la possibilité d’inverser la tendance afin de permettre la continuité intergénérationnelle de la vitalité. Nous nous permettons de reprendre cette échelle pour l’appliquer dans le contexte des LCEs en Tanzanie:

41

Tableau 2 : Fishman's (1990, 1991) Graded Intergenerational Disruption Scale for Threatened Languages (Echelle appliquée aux LCEs en Tanzanie)

Stage 8 Social isolation of the few remaining speakers of the minority languages. - Need to record the language for later possible reconstruction. Stage 7 Minority language used by older and not younger generation. Need to multiply the - language to younger generation Stage 6 Minority language is passed on from generation to generation and used in the + community. Need to support the family in intergenerational continuity (eg. Provision of minority language nursery schools) Stage 5 Literacy in the minority language. Need to support literacy movements in the - minority language, particularly when there is no government support. Stage 4 Formal compulsory education available in the minority language. May need to be - financially supported by the minority language community. Stage 3 Use of minority languages in less specialized work areas involving interaction with - majority language speakers. Stage 2 Lower government services and mass media available in minority languages - Stage 1 Some use of minority language available in higher education, central government and - national media.

A propos du tableau: + Niveau correspondant à la plupart des LCEs tanzaniennes. - Niveau non correspondant aux LCEs en Tanzanie.

Dans le tableau ci-dessus, nous avons retenu l’étape numéro six de l’échelle parce que, bien que les LCEs soient à divers degrés ménacées et deux d’entre elles disparues, la plupart de ces langues sont encore transmises aux jeunes générations, même si la cette transmission diminue progressivment. Il y a donc le besoin de promouvoir la transmission intergénérationnelle de ces langues en mettant en place des mécanismes favorisant leur utilisation, par exemple dispenser les programmes d’alphabétisation en ces langues.

On peut tirer la conclusion que la répartition fonctionnelle établie durant l’époque britannique n’a pas été modifiée de manière significative malgré les différentes tentatives du gouvernement postcolonial d’élever le swahili au-dessus de toutes les autres langues en présence. Le tableau suivant présente la répartition fonctionnelle des langues à l’heure actuelle. 42

Tableau 3 : Répartition fonctionnelle des langues à l’époque actuelle

Manifestation Anglais Swahili LCEs Administration centrale + (écrit presque + (oral dans la plupart des __ et régionale uniquement) cas) (ex. ministères et régions) Parlement + (écrit presque + (oral et, dans certains __ uniquement) cas, écrit) Justice + (sauf première + (1ère instance __ instance) uniquement) Enseignement + (secondaire et + (primaire) __ postsecondaire) Communication __ + + (notamment dans les quotidienne hors de la zones rurales) famille Cercles familiaux __ + (notamment dans les + (notamment dans les milieux urbains) milieux ruraux)

En ce qui concerne la structure actuelle de la constellation linguistique tanzanienne, nous observons une tendance selon laquelle l’anglais se centralise de plus en plus, même si plus de 80% de la population ne peut pas communiquer dans cette langue. Néanmoins, il y a dans chaque communauté ethnique un certain nombre de personnes pouvant communiquer en anglais. On pourrait donc parler d’une constellation bipolaire dans laquelle le swahili serait une langue super-centrale alors que l’anglais occuperait une position centrale. Cependant, la force de gravitation vers l’anglais devient de plus en plus importante. Dans la partie qui suit, nous représentons schématiquement la structure actuelle de la constellation linguistique tanzanienne.

43

Situation linguistique actuelle : Le swahili et l’anglais au centre de la constellation Figure 3: Constellation bipôlaire

LCE LCE

LCE

LCE

LCE LCE

SWAHILI

LCE LCE

ANGLAIS LCE LCE

LCE LCE

NB: Le nombre de LCEs présentes dans le schéma ci-dessus ne correspond pas au nombre réel de ces langues.

2.5.4 Le bilinguisme et la langue de scolarisation : dilemme de choix L’origine du débat réside dans la transition entre deux médiums d’instruction: du swahili au primaire à l’anglais au secondaire. Au début de la première année du secondaire, les élèves ont un niveau très faible en anglais, ils ont majoritairement un niveau élémentaire28. Avec leur faible niveau de compétences linguistiques, ils sont obligés d’utiliser cette langue pour accéder aux savoirs dans les autres matières enseignées. Ainsi, ils doivent simultanément apprendre et utiliser la langue pour apprendre d’autres matières. Il y a une idée répandue chez la plupart des sociolinguistes tanzaniens que cela entraine une « surcharge cognitive » sur l’élève. Il est fort probable que cette idée découle de l’ignorance des méchanismes pyscholinguistiques dans une situation similaire. Ensecond lieu, ils avancent que les effets de ladite « surcharge cognitive » se manifestent dans la chute en qualité de l’éducation

28 Niveau entre A1 et A2 du CECRL. 44 secondaire. Avant de porter un regard critique sur ces points, examinons d’abord la question de la langue de scolarisation en Tanzanie.

En fait, si la question du choix de la langue nationale n’a pas présenté un problème pour la Tanzanie, le pays n’a pas échappé au problème de la langue de scolarisation. D’ailleurs, Alidou (2004) indique que dans l’ensemble du continent africain, il n’y a que l’Ethiopie et la Tanzanie à pouvoir employer une langue autre que la langue coloniale tout au long du cycle primaire. Nous - proposons de faire un point historique pour comprendre le problème du médium d’instruction au centre du débat actuel.

En 1967, selon Miguel (2004), Nyerere avait l’idée de construire cette nation naissante sur un fondement politico-philosophique de socialisme et d’auto-suffisance. Il a ainsi adopté une politique ambitieuse de construction de la nation qui, entre autres, était caractérisée par la promotion du swahili comme langue de la vie publique et de la transformation des contenus curriculaires pour les recentrer sur le contexte local tanzanien. Dans son document intitulé « Education for Self-Reliance », Nyerere critiqua la vision de l’éducation occidentale qu’avaient les Tanzaniens après l’indépendance:

« We have not until now questioned the basic system of education which we took over at the time of independence. We have not done that because we have never thought about education except in terms of obtaining teachers, engineers, administrators, etc. individually and collectively, we have thought of education as training for skills required to earn high salaries in the modern sector of our economy» (Nyerere 1967:267)

Pour Nyerere, l’emploi du Swahili comme médium de scolarisation constituerait un moteur fort vers la reconstruction de l’ensemble du système éducatif et la réalisation de la politique de socialisme et d’auto-suffisance. Par conséquent, dans les années 1970, il était prévu par les planificateurs politiques que le swahili remplisse la fonction de langue de scolarisation au secondaire qui, jusqu’alors, était remplie par l’anglais. En 1978, une étude menée par le National Kiswahili Council mit l’accent sur la nécessité de revoir la politique linguistique en application et - le besoin d’effectuer des changements. Selon Lwaitama et Rubagumya (1990), en 1982, un comité présidentiel fut nommé par le président Nyerere pour réexaminer la

45 question de la langue de scolarisation au secondaire. A l’issue de son enquête, le comité mit en avant la proposition que le swahili devait remplacer l’anglais au secondaire en 1985.

Les déclarations suivant la proposition du comité ont été inattendues. Il y eut un déplacement de position significatif chez les politiciens. Le ministère de l’éducation national déclara que les deux langues, à savoir l’anglais et le swahili, continueraient à remplir les fonctions de médium de scolarisation et que l’enseignement de l’anglais serait amélioré à tous les niveaux pour permettre l’accès aux disciplines non linguistiques (DNLs). Par ailleurs, Nyerere lui- même déclara dans un discours que l’anglais était nécessaire comme médium de scolarisation au secondaire pour encourager les élèves à l’apprendre et à le valoriser. Quels facteurs ont motivé ce changement de position politique inattendu et soudain vis-à-vis de la langue de scolarisation? Une explication probable reposerait, selon Lwaitama et Rubagumya (1990), sur les coûts qui pourraient être impliqués dans la préparation du matériel d’enseignement, notamment la traduction des documents ou le manque d’auteurs originaux en swahili.

A l’heure actuelle, la politique linguistique éducative n’est pas significativement différente de la politique héritée de l’administration coloniale britannique. Le seul changement qui est observable est le fait que le swahili est langue de scolarisation tout au long du cycle primaire (pour les écoles publiques), ce qui n’était pas le cas pendant l’époque coloniale où cette langue n’était utilisée que pour les cinq premières années du primaire. Cela avait l’avantage de préparer les apprenants à l’usage de l’anglais au cycle secondaire par immersion dans cette langue. Ils avaient moins de difficultés lorsqu’ils commençaient les études secondaires. En principe, le programme actuel de langue de scolarisation en Tanzanie découle de la politique linguistique inachevée du gouvernement de la Tanzanie postcoloniale qui visait la swahilisation de l’ensemble du système éducatif. En fait, la généralisation de l’emploi du swahili au primaire consistait en une première phase dans ce sens. En réalité, on ne franchit que le premier pas.

De ce fait, la caractéristique saillante du système éducatif est la politique bilingue, mais avec le problème de transition linguistique entre le swahili au primaire et l’anglais au secondaire. De manière générale, comme le dit Sa (2007), la politique linguistique éducative actuellement en œuvre laisse beaucoup à désirer et de nombreuses critiques ont été avancées par des linguistes et des éducateurs. Ici, nous nous permettons de commenter brièvement certaines de ces critiques, résumées par cet auteur (ibid.)

46

Tout d’abord, selon l’auteur (ibid.), le grand problème repose sur le fait de recevoir un enseignement dans une langue qui n’est que partiellement maitrisée. C’est-à-dire, la voie même d’accès aux connaissances dans d’autres matières enseignées n’est pas frayée. Cet argument semble ignorer les cas de programmes d’immersion qui prouvé leur succès, notamment en Europe (voir, par exemple, Gajo, 2001, pour l’immersion en Suisse) et au Canada (voir, par exemple, Lazaruk 2007). En examinant des recherches sur l’enseignement du français langue seconde (FLS) au Canada, l’auteur (ibid. 605) est parvenu à la conclusion que les programmes d’immersion en français présentent des bénéfices considérables pour les élèves en avançant que « … les programmes d’IF permettent aux élèves d’atteindre des niveaux élevés du français et de l’anglais sans que leur rendement scolaire n’en souffre ». Ceci dit, il semblerait plus logique d’avancer que la racine du problème est dans les compétences dont disposent les enseignants tant sur le plan linguistique que sur le plan pédagogique. Il y a bien sur d’autres facteurs connexes ou annexes.

Il est évident que l’anglais est mal enseigné dès le cycle primaire. Selon Lwaitama et Rugemalira (1990), ce problème est aggravé par le fait que ce sont les enseignants les moins qualifiés qui sont engagés pour enseigner au niveau primaire. Par ailleurs, la formation des enseignants du primaire s’effectue en swahili. En fait, ce sont des candidats dont la performance aux examens nationaux de la quatrième année du secondaire (form four) ne leur permet pas d’être admis en cinquième année (form five) et qui sont envoyés dans les écoles normales de formation des enseignants pour le primaire. Par ailleurs, dans ces écoles normales, la formation s’effectue en swahili, alors que l’anglais est une matière enseignée obligatoire.

Il a été démontré par de nombreuses études (dont Mlama et Matteru 1978, Lwaitama et Rugemalira 1990) que la qualité de l’éducation secondaire a connu une baisse qui est attribuable à la non-maitrise de l’anglais, langue de scolarisation, et que ce problème pourrait être résolu si les élèves étaient scolarisés en swahili. Par exemple, l’étude menée par Cripper et Dodd (1984) a mis en évidence que 50% des élèves enquêtés comprenaient très peu ou rien de l’information relative aux différentes matières enseignées. Il était également révélé que seulement 10% des élèves de quatrième année du secondaire avait atteint un niveau d’anglais qui pourrait être jugé approprié pour un enseignement dans cette langue. Dans une pareille situation, la langue présente un grand obstacle vers l’acquisition des savoirs dans les matières

47 enseignées. C’est pour cette raison que la question de la langue de scolarisation reste une grande préoccupation.

Roy-Campell et Qorro (1997) ont montré que dans les écoles secondaires où l’emploi de l’anglais ne constituait pas une politique stricte, le recours au swahili n’était pas rare pour la clarification de certains concepts dans les matières enseignées. Dans certains cas, notamment au début du secondaire, des enseignants employaient le swahili comme langue de scolarisation de facto pour les matières enseignées. Par ailleurs, Roy-Campell et Qorro (ibid.) avance que les bienfaits de l’alternance codique sont limités par les attitudes négatives des enseignants vis-à-vis de cette stratégie.

Il est incontestable qu’à cause du problème linguistique, qui concerne tant les élèves que les enseignants, les premiers n’arrivent pas à montrer leur créativité dans les différentes matières puisque la langue fait défaut. D’une façon ou d’une autre, la croissance intellectuelle des élèves devient partiellement perturbée par l’incompétence linguistique. Pour le développement intellectuel des apprenants, il faut que ceux-ci parviennent à présenter leurs idées, à dévoiler leur créativité, à défendre leur position et à avancer des critiques.

Par ailleurs, la non-maîtrise de l’anglais constitue un désavantage sur le marché du travail en Tanzanie et dans la zone anglophone de la Communauté d’Afrique de l’Est. En effet, les compétences plurilingues présentent un facteur essentiel d’accès au marché du travail. La plupart des employeurs font une association très étroite entre le niveau de scolarisation et la maîtrise des langues. Des entretiens menés par Sa (2007) auprès des élèves et des étudiants tanzaniens, particulièrement ceux qui proviennent des écoles primaires publiques, ont révélé que ceux-ci se considéraient être en position désavantageuse sur le marché du travail par rapport à leurs homologues des pays voisins comme le Kenya, l’Ouganda et la Zambie, qui maitrisent l’anglais au plus jeune âge. Il y a là la question du marché des langues qui devient un enjeu majeur (voir Calvet 1999), et les parents avertis l’ont bien compris. Pour certains parents, la qualité de l’éducation revient à la maîtrise de l’anglais. Cela devient de plus en plus manifeste avec la libéralisation de l’éducation.

Avec la politique de libéralisation de l’éducation en 1995 (qui fait appel à la participation du secteur privé dans l’éducation) et l’émergence des écoles primaires privées, on observe que la majorité de ces nouvelles écoles font usage de l’anglais comme langue de scolarisation. La

48 scolarisation en anglais au primaire a suscité l’intérêt de beaucoup de parents. Même si ces écoles proposent des frais extrêmement élevés par rapport aux écoles primaires swahilies, beaucoup de parents riches scolarisent leurs enfants dans ces écoles. On voit également que certains des parents qui, avant la libéralisation de l’éducation, envoyaient leurs enfants dans les pays voisins à la recherche de l’anglais, font revenir leurs enfants pour s’inscrire dans les EMPS. Cela est une preuve de la force du marché de l’anglais. Cette situation nous fait penser que les Swahili Medium Primary Schools (SMPS) ne répondent réellement pas aux besoins linguistiques de la société. En effet, ces écoles constituent plus ou moins le dernier recours des familles pauvres ne disposant pas de moyens suffisants pour payer les frais de scolarité exigés par les EMPS. Il est donc clair que l’anglais représente une valeur ajoutée pour l’éducation.

Bien qu’il y ait un petit nombre de Tanzaniens pouvant le parler, la force d’attraction vers l’anglais est grande et réside dans sa fonction véhiculaire au plan international L’entreprise coloniale et la politique linguistique actuelle de type libéraliste, toutes jouant en sa faveur. Ces différents facteurs ont facilité la construction d’attitudes de plus en plus positives vis-à- vis de l’anglais. Selon Kachru (1981), ces représentations traversent toutes les couches de la société; l’anglais est vu comme langue de modernité et de prestige. Nous avons indiqué plus haut les différents attributs positifs associés à l’anglais. Skunabb-Kangas (2000) ajoute que l’apprentissage de l’anglais est motivé par le fait qu’il est considéré comme une langue de modernité, de science et de technologie, de réussite, de démocratie, etc. L’anglais est notamment considéré comme symbole de haute scolarisation. En réalité, l’hégémonie croissante de l’anglais conduit à l’inexorable marginalisation non seulement du swahili mais également des autres langues de communautés ethniques. Les relations entre les langues en Tanzanie nous font penser que, plus il y a une vision positive de l’anglais, plus la vision du swahili se péjore. La vision des langues des communautés ethniques est encore pire. De façon générale, il apparait que les représentations des langues en Tanzanie sont fondées sur le modèle utilitaire selon lequel la valeur d’une langue est déterminée par les effets que la langue concernée est susceptible de produire chez les locuteurs au plan socioéconomique.

Comme on peut le constater, la situation d’inégalité en matière de langue de scolarisation au primaire présente non seulement un indicateur de strates sociales, mais il est effectivement facteur de cette stratification en contribuant de façon significative à une discrimination en matière d’accès à l’éducation. Et ces classes sont bien visibles même au sein des écoles

49 secondaires où, dès le début, on voit deux groupes linguistiquement asymétriques: ceux qui maîtrisent l’anglais - ayant plus accès aux savoirs dans d’autres matières-et ceux n’ayant qu’un très faible niveau de compétence en anglais, dont l’accès aux savoirs scolaires pose un problème majeur. On ne peut pas donc sous-estimer l’impact du problème actuel sur la qualité de la scolarisation, l’entrée sur le marché du travail et l’avenir des jeunes Tanzaniens dans le contexte actuel d’une économie de plus en plus mondialisée, où l’anglais constitue peut être le pôle linguistique super-central.

En effet, c’est la stratification linguistique qui donne naissance à une stratification éducative dont le résultat final est la stratification socio-économique car, comme le dit Bourdieu (1994a), la langue est un capital social avec une valeur symbolique et si ce capital est distribué inégalement, la formation des classes sociales est inévitable. Swilla (2009:8) décrit la situation dans les propos suivants:

« It is a multilingual state with a large gap between linguistic repertoiries of the elite and the masses….In Tanzania, the elite is composed of the politically powerful group and the economically advantageous groups often composed of educated people and people engaged in business who have middle to high incomes. …These people can afford school fees in English Medium Schools »

Bref, la politique linguistique éducative tanzanienne est caractérisée par d’importantes faiblesses que nous ne pourrons aborder que de manière périphérique dans le présent travail de thèse. C’est un système fournissant aux enfants un capital social inégal au nom de la libéralisation de l’éducation. Pour nous, cela devrait constituer une préoccupation majeure pour les sociolinguistes et les éducateurs tanzaniens et il est nécessaire d’entreprendre une étude systématique visant les liens entre la politique éducative bilingue et le développement socioéconomique en Tanzanie.

Face à une politique linguistique éducative qui engendre des retombées négatives sur la qualité de l’éducation, les sociolinguistes et les éducateurs ont avancé deux solutions. On peut citer Roy-Campbell and Qorro (1987, 1997), Mongella (1990), Trappes-Lomax (1986), Criper and Dodd (1984) et Mvungi (1982), entre autres. La première solution, qui est la plus soutenue, consiste à swahiliser l’ensemble du système éducatif. L’anglais devrait rester comme matière enseignée à tous les niveaux mais c’est le swahili qui doit remplir la fonction

50 de médium d’instruction. En d’autres termes, cette proposition cherche la reprise et la poursuite de la politique initiée à l’aube de l’indépendance. La seconde proposition, qui n’est que très peu soutenue, est celle de l’anglicisation de l’ensemble du système éducatif.

Plusieurs arguments existent en faveur de la première solution. En se basant sur les différentes études mentionnées dans la partie précédente, on peut résumer certains de ces arguments. D’abord, il y a un argument purement identitaire, voire patriotique, selon lequel le swahili est vu comme langue de l’expression africaine car il tire son origine en Afrique et appartient à la famille bantoue. Il s’agit donc de la fierté d’être éduqué dans une langue indigène porteuse d’une culture indigène. Une autre raison est plus pratique et repose sur le fait que le swahili est mieux maîtrisé par la plupart des Tanzaniens. Ainsi, en faisant ce choix, le problème linguistique ne se posera plus.

A cet argument s’ajoute une explication psycholinguistique selon laquelle l’éducation qui s’effectue par l’intermédiaire de la première langue de l’enfant est efficace pour le développement intellectuel de l’enfant. Selon cet argument, apprendre dans une langue qui est mieux maîtrisée par l’enfant évite la surcharge cognitive dans le sens où celui-ci se concentre sur l’acquisition des savoirs et non sur la langue. Cet argument semble se baser sur l’ancienne perspective monolingue selon laquelle le bilinguisme et l’enseignement bilingue présenteraient un problème sur le développement cognitif de l’enfant (voir, par exemple, Saer 1923, cité dans Lüdi, 1998). Selon Lüdi (ibid.) et Lazaruk (2007), de nombreuses recherches récentes confirment qu’une plus grande souplesse mentale, une pensée plus créative, une meilleure conscience métalinguistique et une plus grande sensibilité communicative sont parmi les bénéfices du bilinguisme et des programmes d’immersion en langue.

De plus, il a été établi que l’anglais est très mal enseigné dans les écoles primaires et n’est que partiellement maîtrisé non seulement par les élèves du secondaire mais également par leurs enseignants. Le faible niveau de connaissance en anglais ne permet pas de l’utiliser comme langue de scolarisation.

Quant aux partisans de la seconde proposition, ils posent comme première explication le fait que l’anglais est une langue de la science et de la technologie. Il serait donc important d’accéder directement à la science et à la technologie sans le passage par une langue intermédiaire. Par ailleurs, ils posent l’argument que l’anglais est généralement mieux

51 documenté que le swahili et que son utilisation comme langue d’enseignement permet un accès direct à une riche littérature alors que le swahili manque de littérature et de terminologie nécessaires pour l’accès aux savoirs dans les différents domaines. Enfin, le passage de l’anglais au swahili pour le secondaire et l’université impliquerait des couts énormes.

En observant de plus près, les deux solutions découlent d’une vision monolingue de l’éducation et tous les atouts d’une éducation bilingue n’ont pas été pris en considération. Ne faut-il pas réfléchir aux solutions qui pourraient être mises en oeuvre sans démonter le bilinguisme scolaire? Nous pensons qu’il est possible de résoudre le dilemme actuel en engageant les enseignants les mieux formés pour l’enseignement de l’anglais au primaire et en augmentant le volume horaire destiné à l’apprentissage de cette langue. Avec de tels dispositifs, il nous parait tout à fait logique de penser qu’après sept années d’un véritable apprentissage de l’anglais au primaire, l’enfant devrait être en possession de compétences suffisantes pour suivre des enseignements secondaires dans cette langue.

La position du gouvernement sur cette question est ambivalente car, dans le document politique du Ministry of Education and Culture (1995), il est indiqué que l’anglais est médium d’instruction au secondaire et matière enseignée au primaire sans évoquer le fait que cette langue est également devenue médium de scolarisation au primaire pour les EMPS, dont le nombre est en perpétuelle augmentation.

« [….] Currently, English is the medium of instruction at secondary school level and most instructional media and pedagogical materials available at this level are also written in English. This situation is likely to remain so for a long time in the foreseeable future. In this policy document, it has been proposed that English be taught as a subject from Std. I. It is therefore, expected that at the end of seven years of primary education, pupils will have acquired and developed adequate mastery of this language, both spoken and written, to cope with the proficiency demands at secondary, post- secondary levels and the world of work. » MOEC29 (1995 : 44-45)

29 MOEC = Ministry of Education (ancien nom du ministère actuel de l’éducation et de la formation professionnelle). 52

Selon le document, il est possible que la position actuelle du gouvernement soit maintenue pour longtemps. Ces propos prouvent que le gouvernement est encore indécis sur cette question, mais on voit tout de même sa position en faveur de l’anglais. Par ailleurs, on voit également un certain effort en vue d’améliorer les compétences en anglais pour les élèves du primaire en proposant l’enseignement de cette langue dès le début du cycle. Avant la présente mesure, l’enseignement de l’anglais n’intervenait qu’en troisième année du primaire.

En examinant la politique du même ministère révisée en 1997 (cité dans Neke 2003), on constate davantage de contradictions. En effet, le ministère indique sa volonté de faire du swahili le medium d’instruction pour tous les cycles du système éducatif alors qu’en réalité on assiste à un nombre croissant d’EMPS permettant à l’anglais de s’étendre vers le bas.

"[….] a special program to enable the use of Kiswahili as a MOI in education and training at all levels shall be designed and implemented. Kiswahili shall be a compulsory subject in pre-primary, primary and secondary education and shall be encouraged in higher education. In addition the teaching of Kiswahili shall be strengthened." (MOEC, 1997: 3)

Au vu de la situation actuelle, nous rejoignons les propos de Swilla (2009) qui préconise que le gouvernement tanzanien adopte une position explicite en déclarant qu’il y a deux langues de scolarisation dans les cycles primaire et secondaire. Par ailleurs, il faut mettre en place des dispositifs permettant la maîtrise de ces deux langues.

Dans cette partie, nous avons tenté d’exposer le problème rencontré par le système éducatif tanzanien, celui du choix de la langue de scolarisation. Le nœud du problème réside dans les constats faits par différentes recherches sur la baisse en qualité de l’éducation qui se manifeste par la mauvaise performance aux examens du secondaire et la non-maitrise des matières enseignées. Les recherches (citées plus haut) ont mis en évidence que la non-maitrise de l’anglais, médium de scolarisation au secondaire et au tertiaire, constituait la cause principale de la mauvaise qualité de l’éducation. Nous avons également montré que presque tous les chercheurs sont pour la swahilisation de l’enseignement secondaire, voire de l’ensemble du système éducatif comme solution au problème actuel. La seconde solution, dont les partisans ne sont que peu nombreux, consiste en la généralisation de l’utilisation de l’anglais comme

53 médium de scolarisation à tous les cycles. Alors que le débat se poursuit entre les éducateurs et les politiciens, l’anglais devient de plus en plus dominant en s’étendant vers le bas pour remplir la fonction de médium de scolarisation au cycle primaire dans les EMPS. Quant à nous, nous proposons une troisième solution qui serait de maintenir le système bilingue actuel en améliorant l’enseignement de l’anglais au primaire afin que les élèves soient capables de suivre les cours du secondaire où l’anglais est médium de scolarisation. Par ailleurs, il faut mettre en place un dispositif efficace d’immersion en englais langue seconde, notamment en prévoyant une formation de qualité pour les enseignants.

2.5.5 Le français et le système éducatif tanzanien 2.5.5.1 Le système éducatif tanzanien Le système éducatif tanzanien30 est de type 2-7-4-2-3+ comportant quatre cycles: le pré- primaire, le primaire, l’ordinaire level (désormais OL) du secondaire, l’advanced level (désormais AL) du secondaire et le tertiaire respectivement. Le cycle pré-primaire est destiné aux enfants âgés entre quatre et six ans alors que le primaire constitue sept années de scolarisation pour les enfants âgés entre six et sept ans au début de la scolarisation. Ils passent donc sept années de scolarisation jusqu’à l’âge de quatorze ans. A l’issue du cycle primaire, les élèves passent des examens nationaux leur donnant accès au cycle ordinaire du secondaire, l’OL, où ils sont scolarisés durant quatre années scolaires. Il faut souligner que le passage à ce cycle n’est pas automatique; une sélection est faite en fonction du niveau de réussite aux examens nationaux. Ceux qui ne franchissent pas le seuil de réussite pour l’OL peuvent, soit s’inscrire dans certaines écoles privées ayant des critères de sélection plus flexibles, soit aller dans les centres de formation technique.

A la fin de la quatrième année du secondaire (form four), les élèves doivent passer un examen national leur permettant, selon le niveau de réussite, soit de passer au cycle avancé du secondaire, l’AL, pour une formation académique plus ciblée en étudiant trois matières seulement, soit de suivre une formation professionnelle soit se destiner à l’enseignement primaire. Le premier cas s’applique aux candidats qui obtiennent les meilleures notes: division one, two and three (qui pourraient correspondre aux mentions très bien, bien et assez bien). Le second cas concerne les candidats ayant obtenu division four (qui pourrait correspondre à la mention passable). En effet, ce sont les candidats de cette dernière catégorie

30 Voir http://www.moe.go.tz/ consulté le 30 Juillet 2010 54 qui sont souvent choisis pour suivre une formation de deux ans leur permettant de devenir enseignants dans les écoles primaires.

Il faut rappeler que, d’après les recherches citées précédemment, la mauvaise performance de ces futurs enseignants du primaire est attribuable à la non-maitrise de l’anglais. Par ailleurs, leur formation d’enseignant s’effectue uniquement en swahili, alors que l’anglais, médium de scolarisation pendant les quatre années du secondaire, redevient matière enseignée. La raison de l’emploi du swahili comme langue de formation réside dans le fait qu’ils doivent exercer leur métier d’enseignant en swahili, langue de scolarisation au primaire. Ces enseignants, qui doivent enseigner l’anglais, ont souvent un niveau très faible dans cette langue et ne peuvent que difficilement soutenir une conversation en anglais. C’est un fait qui a été établi par de nombreuses études y compris celles de Roy-Campell (2001) et Lwaitama et Rugemalira (1990). Pour le français, il n’existe aucun dispositif de formation des enseignants après la quatrième année, puisque le français n’est pas « normalement » enseigné au primaire pour la quasi-totalité des écoles publiques.

Au niveau avancé du secondaire (l’AL), les -enseignements s’articulent dans des combinaisons de trois matières à des fins de spécialisation. Par exemple, le français se combine avec l’anglais et le swahili, la physique avec la biologie et la chimie ou avec les mathématiques et la géographie, ainsi de suite. Ainsi, pour continuer avec le français à l’AL, il faut avoir réussi et avoir été choisi pour la combinaison des trois langues que nous venons de mentionner. Or, il existe des cas où les élèves obtiennent de bonnes notes en français et auraient bien voulu poursuivre son apprentissage à l’AL, mais cela n’est pas possible. A l’issue de l’AL, les élèves qui obtiennent de bonnes notes (correspondant aux mentions très bien, bien et assez bien) dans leurs combinaisons sont admis dans les universités, alors que ceux qui obtiennent de plus basses notes (correspondant à la mention passable) sont admis dans les autres écoles de formation d’enseignants pré-universitaire, y compris les écoles normales de formation des enseignants selon la réussite et les exigences des différentes universités. Dans les écoles normales, les étudiants passent deux ans de formation, principalement pédagogique. A ce niveau, il existe un dispositif de formation des enseignants de français. Pour être clair, précisons qu’il existe des écoles de formation d’enseignants (avant l’université) à l’adresse des candidats qui ont terminé l’ordinary level et l’advanced level. C’est dans l’advanced level qu’une formation des enseignants de français est proposée.

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2.5.5.2 Le français dans le système éducatif tanzanien: aperçu historique et situation actelle Le français a fait son entrée dans le système éducatif tanzanien en 1966. Pour le secteur public, son enseignement fut d’abord introduit à l’Université de Dar es Salaam et dans un petit nombre d’écoles secondaires choisies pour cet enseignement. Il est également enseigné dans certaines écoles secondaires privées. Pour l’OL, le français est enseigné comme matière obligatoire jusqu’en deuxième année et facultative à partir de la troisième année du secondaire. Pour l’AL, nous l’avons dit, il est enseigné en combinaison avec le swahili et l’anglais. Au niveau pré-universitaire (mentionné dans la section précédente), il existe une seule école normale de formation des enseignants de français dans l’ensemble du pays. Les futurs enseignants de français sont formés pour enseigner deux langues. Ils doivent enseigner le français et une autre langue (swahili ou anglais). La formation dure deux années pendant lesquelles ils suivent une formation linguistique et pédagogique. La composante pédagogique a plus de poids que la composante linguistique.

Il faut dire que l’année 2005 a marqué un tournant dans l’histoire de la présence et de l’enseignement du français langue étrangère en Tanzanie, car le Ministère de l’Education nationale et de la Formation professionnelle a officiellement introduit l’enseignement de cette langue dans les écoles primaires publiques. L’autorisation de cet enseignement fut suivie de la conception d’un programme (TIE 200531) à l’adresse des débutants au cycle primaire. En effet, l’introduction du français langue étrangère au primaire est le résultat d’un effort collaboratif entre l’Ambassade de France en Tanzanie et le Ministère de l’Education nationale et de la Formation professionnelle.

Pour les enseignants de français et pour les parents, cette avancée est un signe positif. C’est une réponse à la demande sociale croissante de la langue française. Nous avons montré précédemment que l’enseignement du français dans le primaire a, de manière non officielle, fait son entrée avec l’émergence des écoles primaires privées vers la fin des années 1990. Bien que cet enseignement ne soit dispensé que dans très peu de ces écoles, le dispositif a attiré l’intérêt de beaucoup de parents avertis. On peut se permettre de dire que l’enseignement du français dans une école primaire est même un facteur publicitaire attirant la clientèle vers cette école.

31 Le Tanzania Institute of Education a sorti le premier programme destiné à l’enseignement primaire du FLE. 56

Concernant le français dans les écoles primaires publiques, nous jugeons tout à fait positif que le gouvernement ait autorisé son enseignement. Cela montre, peut-être, que le gouvernement reconnait le rôle que cette langue peut jouer pour l’intégration de la Tanzanie dans le reste du monde francophone il existe des pays frontaliers francophones comme le Burundi, le « Rwanda 32» et le Congo Kinshasa. Il y a bien sûr d’autres avantages car le français n’est pas seulement une langue internationale mais également une langue de la science et de la technologie. Sur le plan pratique de la mise en place de ce dispositif du français au primaire, il se pose un certain nombre de questions.

Il est évident qu’en Tanzanie le nombre d’enseignants de français (sans se préoccuper de leur qualification) est insuffisant. Ce problème est persistant et constitue un souci majeur dans les écoles secondaires publiques, malgré le petit nombre de ces écoles. Dans certaines écoles, comme nous le verrons dans le cadre méthodologique, cet enseignement a dû même être abandonné pour cette raison. Avec l’entrée du français dans le primaire, la même question se pose: d’où viendront les enseignants du primaire alors qu’il n’existe aucune école de formation des enseignants pour ce niveau? Pour le secondaire, nous avons indiqué dans la partie précédente qu’il n’existait qu’une seule école normale de formation des enseignants (école pré-universitaire) à part l’université. Par ailleurs, chaque promotion ne compte que très peu d’enseignants. Selon un concepteur des programmes de français au TIE, ces enseignants ne sont qu’une petite vingtaine pour chaque promotion.

Lors de notre travail de terrain en Tanzanie, nous avons eu l’occasion de discuter la question de la disponibilité des enseignants pour le primaire avec les concepteurs des programmes pour l’enseignement du français en Tanzanie (Tanzania Institute of Education). On nous a dit qu’il existait déjà des écoles pilotes pour l’enseignement primaire du français. Concernant les enseignants dans ces écoles pilotes, ils nous ont expliqué que des enseignants du primaire (enseignant d’autres matières) qui avaient fait du français pendant leurs études secondaires d’Ordinary Level (dont la plupart avaient fini par abandonner le français) pourraient participer à une formation durant quelques semaines pour se préparer à l’enseignement du français aux enfants du primaire. On peut se questionner sur le français qu’ils vont enseigner à ces enfants étant donné qu’ils ont eux-mêmes un niveau débutant en français.

32 Actuellement le Rwanda tend vers l’espace anglophone bien que le français reste toujours langue officielle à côté de l’anglais et du (http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/afrique/rwanda.htm, consulté le 27 Juillet 2010). 57

Pour comprendre comment ce dispositif de français va évoluer, il faudra entreprendre une étude visant l’évaluation de cet enseignement quelques années après sa mise en place. Cependant, si l’enseignement primaire part de la base actuelle, on peut prévoir d’emblée un double problème: d’une part, un échec pédagogique résultant du manque de connaissances relatives aux particularités de l’apprentissage précoce d’une langue étrangère ; d’autre part, un apprentissage incorrect des éléments linguistiques du français dû à l’incompétence linguistique des enseignants. Le premier problème est peut-être moins grave que le second car apprendre incorrectement une langue étrangère implique tout un travail de désapprentissage et de réapprentissage.

Malgré l’utilisation d’approches qui paraissent inadaptées à l’expansion du français en Tanzanie, il est certain que sa place a évolué de manière significative par l’approbation officielle de son enseignement au primaire. Son expansion vers le bas du système éducatif permet à cette langue de se montrer présente au plus jeune public qui, autrement, ne pourrait connaitre son existence que plus tard dans leur parcours scolaire. L’expansion du français est également observable en dehors du système éducatif tanzanien; il existe des Alliances françaises qui, à part l’organisation d’activités culturelles, dispensent des cours de français à différents niveaux. A l’heure actuelle, on compte deux Alliances françaises en Tanzanie continentale: Dar es Salaam et Arusha. A part les Alliances françaises, il y a depuis peu des centres de langues privés où le français figure parmi les langues étrangères enseignées. Les centres extérieurs au système éducatif tanzanien se situent principalement dans les grandes villes: la capitale économique de Dar es Salaam et la ville touristique d’Arusha. Dans l’analyse des données, nous aborderons en détails les facteurs motivant l’apprentissage du français en Tanzanie du point de vue des apprenants.

Avec l’émergence de nouvelles universités, le paysage du français se voit de plus en plus élargi. Par exemple, le français figure parmi les langues étrangères enseignées à l’Université publique de Dodoma. L’enseignement du français existe également dans des universités privées telles que Tumaini et Saint Augustin University. En bref, l’expansion du français est observable à tous les niveaux du système éducatif tanzanien.

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2.6 Conclusion Nous pouvons ainsi conclure ce chapitre en résumant les différentes approches d’intervention statutaire et fonctionnelle sur les langues en présence. Même si les missionnaires chrétiens sont à l’origine d’une intervention explicite sur les langues, on peut considérer l’époque de la colonisation allemande comme marquant le véritable début d’une gestion in vitro. Nous avons également mis en évidence que, dans leurs choix politico-linguistiques, les différents acteurs étaient animés par différentes visions sur la langue et le multilinguisme. Par exemple, en considérant leur langue comme facteur de différenciation et de distanciation, les colonisateurs allemands adoptèrent une approche de dissimilation. Au contraire, les Britanniques, qui considéraient la langue comme facteur d’intégration et de transmission socioculturelles, ont appliqué une approche d’assimilation partielle.

Quant à l’époque postcoloniale, nous l’avons décrite selon deux périodes, à savoir la période de la construction socialiste de la nation naissante, se situant entre l’aube de l’indépendance et le milieu des années 80, et la période de libéralisation socioéconomique, qui a commencé vers les années 90 et s’étend jusqu’à l’heure actuelle. La période de la construction socialiste était dominée par une vision de la langue comme facteur d’identité et d’unification nationales et appliqua une approche nationaliste en faveur de l’unification linguistique où le swahili a connu une ascension importante au détriment des LCEs et, à un certain degré, de l’anglais. La période de la libéralisation socioéconomique a significativement renversé la tendance en conduisant non seulement au retour de l’anglais au primaire (avec l’émergence des EMPS), mais également à une valorisation excessive de cette langue au détriment du swahili, d’un côté, et des LCES, de l’autre. Par ailleurs, c’est l’époque de la libéralisation socioéconomique qui a donné une grande ouverture aux langues étrangères, notamment au français, qui connait une diffusion de plus en plus importante. Nous présentons à titre de résumé un tableau montrant les visions, approches et pratiques de planification linguistique caractérisant les époques coloniale et postcoloniale

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Tableau 4: Les grandes époques de la planification linguistique in vitro

Epoque coloniale Epoque postcoloniale

Allemande Britannique Epoque de la Epoque de la (1885-1918) (1918-1961) construction socialiste libéralisation de la nation socioéconomique (1961 au milieu des (début des années 90 à années 80) l’heure actuelle) Vision Facteur de Outil de Facteur d’identité Facteur d’intégration dominante de différenciation et de rapprochement et socioculturelle internationale et de la langue distanciation de transmission commune et développement socioculturels d’unification nationale socioéconomique voire économiques

Approche Dissimilation Assimilation Nationaliste (identitaire) Utilitaire dominante de partielle la planification linguistique Pratiques -non enseignement de -enseignement et -ascension statutaire et -valorisation acentuée résultantes l’allemand valorisation de fonctionnelle du swahili de l’anglais -expansion du swahili l’anglais au- (langue nationale et -émergence des EMPS -développement des dessus de toute officielle) -normes en faveur de LCEs autre langue -plan de swahilisation l’anglais au secondaire -enseignement du du système éducatif, -plus d’ouverture aux swahili, -marginalisation des langues étrangères, -dévalorisation LCEs (normes en faveur notamment le français des LCEs du swahili au primaire) (récemment introduit même au primaire)

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CHAPITRE 3 CADRE CONCEPTUEL ET THEORIQUE

3.0 Introduction Comme nous l’avons annoncé dans le chapitre introductif, ce chapitre tente d’explorer et d’interroger différents apports théoriques sur la communication, les stratégies de communication et la didactique des langues. Ces trois notions seront abordées en général et en lien avec le plurilinguisme. Par ailleurs, ces notions seront mises en lien avec la notion de représentation.

Pour introduire ce chapitre, nous proposons une petite section consacrée à la présentation de quelques notions traversantes, qui ont déjà été ou seront employées au long de notre travail. Cependant, certains concepts centraux, liés aux théories qui fondent la présente étude (par exemple ceux d’interaction, de stratégie de communication et de représentation sociale) seront définis au fur et mesure de la présentation théorique.

3.1 Quelques notions traversantes et ajustements terminologiques Il est évident que toute recherche scientifique est fondée sur des concepts servant à créer, à organiser et à diffuser les savoirs. En d’autres termes, ce sont les termes et les notions qui constituent les outils porteurs des savoirs scientifiques. De ce fait, la clarté conceptuelle est d’une importance primordiale, car l’ambigüité des définitions peut engendrer des obstacles majeurs dans le processus de recherche et de diffusion des savoirs. La précision des concepts est particulièrement nécessaire dans le champ de la didactique des langues car il a connu ces dernières années un questionnement important, entrainant avec lui une remise en question de tout un réseau conceptuel jusqu’alors considéré non seulement comme évident mais aussi comme fixe. Par ailleurs, la plupart des notions que nous employons en didactique des langues ont souvent une double valeur – scientifique et ordinaire. Il est donc nécessaire de mettre en évidence notre emploi scientifique des différentes notions.

Un tournant conceptuel, semble-t-il, a été marqué par le refus de l’opposition radicale entre les termes d’acquisition et d’apprentissage, conduisant ainsi à une distinction relativisée des contextes d’appropriation (scolaire / « artificielle » et extrascolaire / « naturelle ») et la remise en question des catégorisations « natif/non-natif », entre autres. Il s’agira donc de présenter les différentes définitions des notions que nous employons et de les interroger à la lumière de

61 différents travaux, notamment ceux de Gajo et Mondada (2000), Vasseur (2005), Bange (2005), Anderson (1983), Gajo (2001) et Py (2005).

Au début de notre travail, nous avons employé la notion d’appropriation comme hypéronyme, neutralisant la dichotomie répandue et simpliste entre les notions d’acquisition et d’apprentissage. En effet, Bange (2005) fait partie de ceux qui ont porté un regard critique sur cette dichotomie qui a dominé le paysage didactique pendant quelques décennies et que nous nous permettons d’expliquer brièvement. L’opposition radicale de deux modes d’appropriation des langues prend son origine dans les travaux de Krashen (1994; cité par Bange, ibid.), dans sa théorie de l’acquistion hypothesis, qui postule que l’acquisition est un processus subconscient selon lequel les savoirs langagiers sont intériorisés de manière inconsciente, constituant donc des connaissances tacites. L’apprentissage est, au contraire, un processus conscient aboutissant à des savoirs explicites. Le premier est non intentionnel et spontané, alors que le second est intentionnel et non spontané. Cette dichotomisation n’est pas dissociable de l’idée chomskyenne de « language faculty » qui, selon lui, serait un dispositif mental capable de se développer naturellement (sans effort ni intervention) si les conditions sont réunies, à savoir l’exposition à une langue naturelle.

Depuis la mise en avant par Anderson (1983) du principe d’unité cognitive, la théorie chomskyenne a connu une perte de terrain considérable. Le principe d’unité cognitive postule que toutes les fonctions mentales supérieures comme la mémoire, le langage, la résolution de problèmes, l’imagerie, la déduction et l’induction consistent en des manifestations différentes du même système cognitif sous-jacent. C’est la reconnaissance et l’acceptation de ce principe qui a conduit au rejet de l’existence de la « language faculty » et du « language acquisition device », consistant en une connaissance innée des principes universels de la grammaire. En se basant sur le principe d’unité cognitive, Bange (2005) avance que les notions d’acquisition et d’apprentissage sont porteuses de la même signification et représentent un processus complexe d’appropriation du langage. Par « appropriation du langage », il faut donc entendre, au sens de Cuq (2003), l’ensemble des conduites de l’apprenant, des plus conscientes et volontaires aux moins conscientes, orientées vers la construction de savoirs langagiers. C’est cette signification que porte cette notion dans notre usage.

Selon Gajo et Mondada (2000), la dichotomie entre contexte dit « naturel » et institutionnel ou guidé va de pair avec l’opposition entre acquisition et apprentissage évoquée dans la partie

62 précédente. Après les travaux de Corder (1973) et Wilkins (1974) (cités dansEllis, 1990), l’opposition entre les deux contextes s’est vue radicalisée. En réponse à cette dichotomisation, Gajo et Mondada (2000 :19) avancent les propos suivants : « …la rigidification entre les deux termes a radicalisé les différences entres les deux types de contextes, en ayant comme conséquence paradoxale une sous-évaluation de la diversité et de la pluralité des contextes caractérisant la vie sociale ordinaire des apprenants »

La conception dominante a été celle que présente Cuq (2003), selon laquelle les contextes extrascolaires - aussi dits « naturels » - d’appropriation consistent en des milieux dans lesquels la construction des savoirs langagiers ne fait l’objet d’aucune intervention pédagogique explicite. En d’autres termes, ces contextes sont caractérisés par un développement langagier « spontané » (au sens traditionnel d’acquisition expliqué plus haut) du novice. Par contre, les contextes scolaires/institutionnels (considérés implicitement comme « artificiels ») exigent une construction des savoirs langagiers à travers une intervention pédagogique explicite.

En d’autres termes, et d’ailleurs comme l’indique Gajo (2001), il existe une tendance à considérer le milieu scolaire comme siège d’artificialité. En effet, cette conception dichotomique des contextes d’appropriation des langues domine encore la pensée didactique. Un autre problème a été celui de penser que les individus s’approprient les langues soit dans l’un soit dans l’autre de ces deux types de contextes. Or, en reconnaissant la diversité des situations de contacts de langues, Porquier (1994) fait remarquer le fait que l’exposition à la langue étrangère s’effectue, pour un nombre significatif d’individus, dans des milieux scolaires et non scolaires et durant des rencontres guidées et non guidées. C’est en fait la prise en compte de cette diversité des situations de contact qui réduit l’utilité même de l’opposition entre les deux contextes.

Il est donc clair que la proposition des contenus langagiers, le guidage et l’évaluation sont, à des degrés variables, présents dans les deux types de contextes. On pourrait ainsi relativiser la distinction de la manière suivante: dans les contextes scolaires, le contrat didactique, les contenus d’appropriation, les moyens méthodologiques (guidage) et l’évaluation du processus sont souvent prédéfinis et explicites, alors que ces caractéristiques sont moins explicites, moins structurées et, dans la plupart des cas, négociées dans les contextes extrascolaires. Nous

63 reviendrons sur les caractéristiques interactionnelles à l’école dans la section intitulée « spécificités interactionnelles en classe de langue ».

Par ailleurs, Gajo et Mondada (2000) rappellent que la distinction entre contexte scolaire/institutionnel et extrascolaire/ non institutionnel a souvent négligé la variabilité et l’hétérogénéité de chacun des deux contextes. Autrement dit, la tendance a été de penser que tous les contextes extrascolaires/non institutionnels partageaient les mêmes caractéristiques. La même présupposition s’appliquait aux contextes scolaires/institutionnels. Or, les réalités des contacts des langues illustrent une grande diversité des conditions d’appropriation dans chacun des deux contextes. Par exemple, les auteurs (ibid.) se servent des situations migratoires, pour illustrer la diversité des contextes extrascolaires/non institutionnels. Ils avancent que certaines familles immigrées se trouvent dans une situation sociale défavorisée, caractérisée par l’exclusion et la marginalisation de la part des « natifs », rendant difficile l’interaction avec ces derniers, alors qu’il y a une idée répandue selon laquelle les situations sociales extrascolaires présenteraient un espace d’appropriation dite « spontanée », voire efficace.

Dans certaines circonstances, non seulement il peut y avoir une exclusion de la part de la communauté d’accueil, mais également de la part des familles d’immigrés elles-mêmes par un manque d’ouverture dû à l’ethnocentrisme. C’est pour cela qu’il faut reconnaitre, comme l’indiquent Gajo et Mondada (2000), que dans un même milieu social les apprenants vivent des réalités très différentes par rapport à l’intégration et à la distanciation. D’où la nécessité de relativiser les caractéristiques descriptives des contextes d’appropriation des langues en reconnaissant que chaque contexte constitue « (…) une dimension à problématiser et à décrire telle qu’elle apparait dans la singularité des rencontres des expériences sociales, des situations particulières (Gajo et Mondada, ibid.: 20).

De ce qui précède, l’opposition « naturel/artificiel » n’est plus tenable car les contextes scolaires et extrascolaires font tous les deux partie d’un système social plus large. Pour Gajo (2001), le domaine scolaire n’a rien d’artificiel et il doit être considéré comme un domaine social avec ses particularités. Par ailleurs, nous avons tenté de montrer qu’un certain nombre de caractéristiques descriptives sont, à des degrés variables, omniprésentes dans les deux types de contextes. Il y a, en réalité, ce qui pourrait être qualifié de continuum entre les

64 contextes d’appropriation, caractérisé par un degré variable de guidage. De ce fait, dans le cadre du présent travail, nous rejetons l’opposition «naturel/artificiel ».

Porquier (1995) propose une autre dimesnion pour distinguer les contextes d’appropriation des langues étrangères, à savoir celle des milieux homoglotte et alloglotte. Le premier concerne l’appropriation d’une langue dans son milieu linguistique alors que le second désigne l’appropriation d’une langue en dehors de l’environnement linguistique de la langue donnée. Cette catégorisation est intéressante car elle englobe une variété de situations d’appropriation des langues, sans référence à la naturalité ou non-naturalité du processus. Ainsi, les situations que nous désignons comme scolaires, extrascolaires ou mixtes peuvent être homoglottes ou alloglottes, selon que le processus d’appropriation s’effectue dans ou hors du milieu linguistique de la langue.

Une autre notion à problématiser est celle de communication « exolingue », qui est étroitement liée à la catégorisation « natif/non-natif ». Selon Véronique (1992), cette notion a été formulée par Porquier (1995) pour désigner ou organiser les diverses informations disponibles sur le dialogue « natif/non-natif ». La notion est actuellement employée pour désigner les interactions entre des locuteurs ayant des compétences linguistiques inégales et, selon Véronique (ibid.), le locuteur compétent est habituellement un locuteur « natif », alors que son interlocuteur avec des compétences moindres est habituellement « non natif ». De ce fait, la notion de communication « exolingue » présuppose l’existence d’une notion opposée, celle de communication « endolingue » qui désignerait des interactions orales entre des locuteurs à compétences égales et qui sont, dans ce cas, tous « natifs ». Dans sa critique de la notion, Vasseur (2005, citant les propos de Porquier, 1984) indique que l’emploi du préfixe exo- signifie une position extérieure par rapport à un point.

Par ailleurs, le partage d’une même langue d’origine n’implique pas forcément le partage du niveau des compétences linguistiques. Cette conception, comme l’indiquent Gajo et Mondada (2000), découle de la catégorisation présupposée des locuteurs, qui s’éloigne des réalités multilingues; d’où la nécessité d’une problématisation.

Nous partons ici du fait que la langue de première socialisation de l’enfant n’est pas forcément la langue dominante de la société où il se trouve ou peut se trouver. Un autre cas est celui de la domination de la langue officielle ou nationale sur la langue première. On peut

65 considérer par exemple le cas des LCEs en Tanzanie, qui sont des langues dites « maternelles » pour une partie importante des élèves mais, après la scolarisation primaire en swahili, -ces élèves sont plus compétents en swahili que dans leuren LCE. La domination du swahili s’explique par son contexte d’utilisation qui s’étend au-delà de la communication intracommunautaire et quotidienne.

Il est donc clair que le « natif » n’est pas forcément le locuteur compétent ou idéal de sa langue de « naissance ». Les limites de cette catégorisation sont explicitement résumées par Gajo et Mondada (ibid.104) qui avancent l’argument qu’ étant respectivement associées aux notions de « langue maternelle ou première » et de « langue étrangère ou seconde», les termes de « natif » et « non-natif » portent des caractéristiques qui s’avèrent :

« (…) inadéquates pour rendre compte des situations plurielles et hybrides, de contact et de mélange propres à de nombreux contextes de migration, d’interculturalité et de multilinguisme typiques des cultures urbaines – en semblant renvoyer plutôt à l’idéal du locuteur natif, normé, monolingue et, en définitive, abstrait et désincarné »

En affet, c’est en reconnaissant les limites de l’opposition natif/non-natif que les notions de locuteur « novice » et de locuteur « expert », que nous retrouvons souvent chez Gajo (2001) et Bange (1992), entre autres, seront préférées à celles de « natif/non-natif ». L’objectif sera de désigner l’asymétrie des compétences, sans se limiter au caractère natif ou non natif des locuteurs. En effet, la paire « expert-novice » trouve sa genèse dans l’interaction car comme l’indique Vasseur (2005), c’est à travers les conduites discursives que chacun des interactants construit sa place et se fait reconnaitre comme tel par son partenaire. C’est donc en dissociant l’appartenance sociolinguistique et les compétences linguistiques des locuteurs que ces différentes notions acquièrent une certaine clarté. Il faut cependant reconnaitre, à l’instar de Rampton (1990, cité dans Vasseur, ibid.), que l’appartenance n’est pas forcément unique ni stable.

Il s’ensuit donc que les notions de langue « maternelle » et de langue « étrangère » sont, selon Vasseur (2005), porteuses de représentations malheureuses. En citant plusieurs travaux (dont Dabène, 1994; Bruner, 1983; Gombert, 1990), l’auteure (ibid.) indique que la langue maternelle n’est pas héritée, ne s’approprie pas naturellement et ne suppose pas forcément que ses locuteurs soient plus compétents dans cette langue que dans d’autres.

66

Quant à la notion de langue étrangère, la remise en question concerne son association à un enseignement formalisé et aux compétences insuffisantes de ses locuteurs, car, en fonction des contextes, son appropriation peut s’effectuer avec ou sans enseignement formalisé et ses locuteurs peuvent posséder une meilleure compétence dans la langue étrangère que dans leur langue « maternelle ».

Dans ce travail, nous nous efforçons d’éviter l’emploi de la notion de langue maternelle en préférant celle de langue première (L1), pour désigner une langue occupant la première place dans l’ordre d’appropriation, sans faire un lien avec le niveau de compétence et en tenant compte de l’existence de cas d’appropriation simultanée, donnant lieu à plusieurs langues premières. La définition que nous adoptons rejoint la position de Vasseur (ibid.). En outre, nous désignons comme langue étrangère (LE) celle qui est issue d’une culture extérieure aux frontières nationales et qui n’a pas de fonctions officielles dans le pays en question. En d’autres termes, c’est la langue de l’autre dans un sens socioculturel. La définition que nous adoptons n’est donc liée ni au niveau de compétence ni au mode d’appropriation. Nous reconnaissons également que le statut de LE n’est pas stable ou statique par rapport aux locuteurs et aux situations d’utilisation. Une LE peut passer au statut de langue seconde (L2), si on lui accorde des fonctions officielles dans le pays en question. Il faut signaler également que, dans certains pays, la LE peut être liée au seul statut déclaré, en contradiction avec ce qu’on observe dans les pratiques quotidiennes des locuteurs. Par exemple, Cuq et Gruca (ibid.) rapportent que, malgré son utilisation par une partie importante de la population algérienne, le gouvernement postcolonial déclara le français « langue étrangère ».

Nous voulons également expliciter l’emploi de la notion de bilinguisme. Malgré le traitement par de nombreux travaux tant en sociolinguistique qu’en didactique des langues, la notion de bilinguisme reste particulièrement complexe. Complexe parce que, d’une part, elle est liée au nombre de langues parlées par un individu ou par un groupe d’individus et, d’autre part, il n’existe pas de consensus entre les chercheurs, non seulement sur le niveau des compétences linguistiques nécessaires pour distinguer des personnes monolingues et bilingues mais également sur la notion de compétence linguistique elle-même.

La conception « traditionnelle » du bilinguisme consiste à désigner la capacité d’un individu à comprendre et à s’exprimer parfaitement dans plus d’une langue. En d’autres termes, c’est

67 une définition qui prône l’existence d’une égale maîtrise dans les langues constitutives du répertoire langagier de l’individu – chose extrêmement rare. Bloomfield (1935, cité dans Lüdi 2004) est l’un des tenants de cette conception traditionnelle avec son « native-like control of two languages ». Comme on peut voir, cette conception est étroitement liée à l’opposition « natif/non-natif » que nous venons de remettre en question dans la partie précédente. Une conception fonctionnelle du bilinguisme est proposée par Lüdi et Py (2002), selon laquelle une personne bilingue est: « (…) toute personne se servant régulièrement, dans sa vie quotidienne, de deux ou plusieurs variétés et capable, si besoin en est, de passer rapidement de l’une à l’autre indépendamment des modalités d’acquisition, du degré de maîtrise ou de distance entre les langues en question. »

Cette définition, selon Lüdi (2004), découle de la reconnaissance que les connaissances bi- plurilingues représentent de plus en plus la norme et non l’exception. Certes, une telle définition fournit une vision plus ouverte du bi-plurilinguisme par rapport à celle de Bloomfield du fait que le niveau de compétence dans les langues du locuteur ne constitue pas un critère. Il y a cependant un aspect qui mérite notre attention – celui de « se servir régulièrement, dans sa vie quotidienne, de deux ou plusieurs variétés »33. Cela laisse penser qu’un individu bilingue qui va intégrer une communauté qui rend impossible l’utilisation des autres langues constitutives de son répertoire langagier perd son caractère bi- plurilingue.

Dans beaucoup de pays africains, il existe de nombreuses situations où des locuteurs qui, suite à l’immigration vers une zone urbaine, ne peuvent plus se servir de leur langue première de façon régulière dans leur vie quotidienne. Selon cette définition, de tels locuteurs ne seraient plus considérés comme bilingues au moins durant les années où les autres langues ne sont pas activées. Il semble plausible d’avancer qu’un individu perd son bilinguisme à partir du moment où il ne peut communiquer qu’en une seule langue suite à un phénomène d’attrition d’une autre langue de son répertoire. Autrement dit, une langue dormante n’est pas perdue tant qu’elle peut être activée lorsque les occasions se présentent.

33 Notre soulignement. 68

Mackey (1976, cité dans Vasseur 2005:48) propose de considèrer comme bilingue tout individu « amené à parler une autre langue que la sienne propre, quelque soit alors son niveau de compétence ». Cette définition s’inscrit dans une perspective interactionniste, considérant l’accomplissement dans l’utilisation d’une autre langue comme critère de bilinguisme. Pour Vasseur, cette conception du bilinguisme est inclusive car tout locuteur apprenant une langue étrangère est considéré comme bilingue émergent. C’est cette vision du bilinguisme que nous adoptons dans ce travail car elle permet de valoriser les compétences de l’apprenant. En réalité, la compétence en langue étrangère n’est jamais monolingue. Par ailleurs, cette vision nous permettra de voir en quoi les points de vue des interlocuteurs sur le terrain ne se rattachent pas au point de vue du chercheur.

Pour conclure cette section, nous abordons la notion de plurilinguisme. Il existe plusieurs définitions de la notion de plurilinguisme, mais nous avons retenu celle de Beacco (2005:19) pour désigner « la capacité que possède un individu d’utiliser plus d’une langue dans la communication, quelque soit le dégré de maîtrise de ces langues ». Dans cette acception, cette notion n’est pas à confondre avec la notion voisine de polyglottisme qui, selon l’auteur (ibid.), renvoie à la maîtrise ou à l’expertise dans plusieurs langues. Ainsi, et de manière générale, un répertoire plurilingue est constitué de plus d’une langue à divers degrés de maîtrise et, dans notre emploi, la notion de plurilinguisme est synonyme de celle de bilinguisme.

En outre, et comme on peut le constater dans la littérature francophone, nous faisons la distinction entre le plurilinguisme et le multilinguisme. D’après Py et Gajo (2013), le premier désigne un individu, un projet ou une action en faveur de la diversité linguistique, alors que le second renvoie à un état de fait, une situation ou une collectivité sociogéographique. Les auteurs (ibid.) montrent que cette distinction n’existe pas dans la tradition anglophone, qui emploie généralement le terme de multilinguisme pour décrire un individu, une action, une situation ou une collectivité sociogégraphique. Nous reviendrons sur la notion de plurilinguisme dans la section intitulée « Représentations sociales et répertoire plurilingue ». Dans la partie qui suit, nous abordons la question de communication à la lumière de différentes théories.

69

3.2 La notion de communication La communication est une notion circulante tant dans la vie quotidienne que dans des domaines spécialisés: psychologie, commerce, physique, sociologie, sciences politiques sciences de l’éducation, linguistique. Son omniprésence est une évidence de sa centralité dans l’activité humaine. En effet, c’est à travers la communication que les collectivités sociales existent, se structurent et se reconnaissent en tant que telles. Il serait donc impossible de penser le progrès humain et sa socialisation indépendamment de la communication. Elle est, d’une part, moyen de coordonner et de structurer l’activité humaine et, d’autre part, outil de maintien des relations humaines. Dans les différents domaines spécialisés, la communication constitue un facteur fondamental pour l’efficacité de l’activité et prend différentes formes, selon les différents domaines de l’activité humaine. En réalité, c’est à travers la communication (par exemple, la terminologie) qu’on reconnait ces différents domaines.

La notion de communication est vaste et complexe, d’une part parce qu’elle peut prendre différentes formes, par exemple orale ou écrite et, d’autre part, parce qu’elle peut s’effectuer à travers différents canaux (électronique, face à face). Tous ces paramètres rendent la définition de la notion une entreprise difficile. Face à cette complexité, on peut se demander si cette notion pourrait faire l’objet d’une théorie globale cohérente. Différents modèles ont été élaborés pour rendre compte de la communication en général. On peut citer certains des plus connus, tels qu’ils sont présentés par Sperber et Wilson (1986). Selon ces auteurs, apparait un consensus parmi les différents spécialistes de la communication humaine qu’il devrait y avoir une théorie générale. Prôner l’existence d’une théorie générale n’invalide pas l’existence de spécificités relatives à un domaine particulier. C’est dire que la communication dans une classe de langue s’inscrirait dans une théorie générale mais en présentant des particularités qui la différencient des autres types de communication, par exemple le marketing. Deux modèles de communication sont les plus cités et, dans ce travail, nous ne voulons pas prétendre à leur analyse, mais plutôt à leur mention.

Il est chose banale que depuis les temps d’Aristote jusqu’à la sémiotique moderne, c’est le modèle de code qui a dominé le champ de la communication. Selon Sperber et Wilson (ibid.), le modèle de code conçoit la communication comme un phénomène qui s’effectue à travers l’encodage et le décodage des messages. Ce modèle décrit le processus de communication comme un simple fait de production et de reconnaissance de la signification des structures linguistiques. C’est comme si le sens était pré-établi et intrinsèquement existant dans les

70 signes linguistiques. A ce propos, le modèle de code proposé par Shannon et Weaver (1949) est le plus cité et a été généralement considéré comme modèle de transmission, vu sa nature mécaniste. Cependant, d’autres philosophes, notamment Grice et Lewis, ont, depuis déjà quelques décennies, critiqué la nature simpliste et mécaniste du modèle codique et formulé un modèle d’inférence (inferential model), qui avance que la communication s’effectue par la production et l’interprétation de l’évidence. Selon ce modèle, le langage prime sur la langue car:

« La communication fonctionne non quand le récepteur a reconnu la signification des structures linguistiques, mais quand il fait, à partir de ces structures et à partir de son interprétation du contexte de l’énonciation, des inférences qui lui permettent d’identifier ce qu’il pense être l’intention du locuteur » Grice (1957 et 1968, cité dans Bange, 2005 :22)

D’après la conception de Grice (ibid.), la langue remplit seulement la fonction de restriction de la dépense cognitive. La démarche inférentielle est possible à travers le principe de coopération, sur lequel sont fondées les quatre maximes de qualité, de quantité, de pertinence et de manière. Mais, comme l’indiquent Sperber et Wilson (1986), les modèles codique et inférentiel ne sont pas incompatibles car les travaux des sémiologues, des pragmaticiens, des philosophes de la langue et des psychologues, menés depuis plus de deux décennies, ont démontré que la communication verbale implique tant le processus de codage que le processus inférentiel. Autrement dit, on tire des inférences à partir des codes, qu’ils soient linguistiques ou autres. Il est vrai que le modèle de Grice a constitué un objet d’intérêt pour les différents chercheurs, du fait de refléter la complexité du processus de communication.

Cependant, le modèle SPEAKING formulé par Hymes (1972) 34 est considéré comme plus détaillé que celui de Grice, du fait de la prise en compte de la dimension sociale et la multifonctionnalité de la langue. Pour Hymes, la communication est socioculturellement située et doit être décrite telle qu’elle est organisée par les membres du groupe en question, d’où l’appellation « approche ethnographique » ou « ethnographie de la communication ». C’est un modèle qui comprend huit éléments, que nous reprenons ici, en l’appliquant à la classe de langue, car on peut considérer la classe de langue comme groupe social avec ses

34http://en.wikipedia.org/wiki/Dell_Hymes, consulté le 30 juin 2011. 71 particularités. Les différentes composantes du modèle interagissent de manière complexe et s’influencent les unes les autres. Le modèle SPEAKING peut ainsi traduire la classe de langue de la manière suivante:

Setting (la situation) désigne le cadre spatio-temporel et la scène qui constituent le cadre socioculturel et psychologique de la communication. La classe de langue est d’abord un lieu qui peut être une salle formée par quatre murs, une tente, en plein air, sous un arbre (cas de certains pays pauvres). Le lieu peut être équipé de chaises, de tables, d’un tableau, etc. Il faut souligner qu’il existe encore dans les pays dits sous-développés des classes où les élèves doivent s’assoir par terre, faute de chaises. Le moment de l’événement ou du cours dans ce cas peut être le matin, l’après-midi, le soir, etc. Quant au cadre psychologique, l’interaction peut être caractérisée par la fatigue, l’intérêt, l’enthousiasme, etc. Bref, qu’il soit physique ou sociopsychologique, le setting influe sur le déroulement et les finalités de l’événement communicationnel en classe de langue.

Participants (les participants) englobent les partenaires impliqués dans la communication (l’émetteur et le destinataire) ainsi que les autres individus ayant une influence sur l’activité interactionnelle. Dans la classe de langue, les participants sont principalement des enseignants et des élèves, avec leurs caractéristiques individuelles ou collectives. Mais d’autres participants ne faisant habituellement pas partie de la classe (des visiteurs, des chercheurs, des inspecteurs académiques, etc) peuvent également être présents et influer sur la communication. Il est également possible que des personnes en dehors de la classe participent indirectement ou directement à modifier l’activité en cours; les élèves qui jouent près de la salle ou toute autre personne accomplissant un acte susceptible d’attirer l’attention des élèves en les faisant regarder par les fenêtres. On verra dans le cinquième chapitre un cas où les élèves qui n’apprennent pas le français restent avec les élèves de français pendant la leçon, parcequ’il n’y a pas de salle libre. Dans ce cas, ces élèves sont dans la salle et non pas dans la classe de français.

Ends (les finalités) désignent les intentions que les partenaires veulent accomplir et les résultats effectifs. Dans la classe de langue, l’événement communicationnel est principalement orienté vers la construction des savoirs en langue et les résultats effectifs sont le changement des comportements langagiers chez les élèves. C’est dans ce cadre qu’émerge le besoin de mettre en œuvre des stratégies de communication et pédagogiques (sous forme

72 d’actes décrits ci-dessous). Ainsi, la plupart des activités interactionnelles seront orientées vers des fins pédagogiques. Cela n’exclut pas la présence d’autres intentions.

Acts (les actes) constituent le contenu et la forme du message. Les activités interactionnelles en classe de langue se composent d’actes verbaux, non verbaux et paraverbaux, ayant pour objectif de poser ou de répondre à une question, d’expliquer, de clarifier, de corriger, d’argumenter, etc. Les actes peuvent intervenir sous forme de stratégies verbales, non verbales et paraverbales mises en œuvre à des fins de communication et pédagogiques.

Keys (le ton) renvoie à la manière ou à l’esprit dans lequel s’accomplissent les actes de communication. On peut décrire le ton comme sérieux, plaisant, ironique, etc. Le changement de ton peut avoir donc une fonction phatique, ludique, etc. Cela peut influer sur l’interactivité de la classe.

Instrumentalities (les instruments) englobent l’ensemble des canaux et le code de la parole. Les canaux de communication peuvent être oral, écrit, téléphonique, télégraphique, vidéo- phonique, etc. Les canaux oral et écrit sont les plus fréquemment employés dans la classe de langue. En outre, un ou plusieurs codes linguistiques peuvent être utilisés en fonction du répertoire des partenaires et des normes interactionnelles en place. Ceci dit, une classe multilingue ne garantit pas toujours l’existence de pratiques plurilingues.

Norms (les normes) désignent les règles d’interaction (respect de tours de paroles, etc.) et d’interprétation (les schémas socioculturels des participants). C’est souvent l’enseignant qui attribue la parole. L’interruption des tours de parole peut être possible ou non, en fonction de la culture scolaire mais, dans les deux cas, c’est l’enseignant qui est le meneur du jeu. Dans le cadre du présent travail, les normes peuvent consister à interdire l’utilisation des autres langues dans la classe de français. En outre, il peut y avoir des aspects culturels spécifiques au contexte, d’où la nécessité de la prise en compte de la contextualisation35 dans la didactique des langues.

Genre (le genre) renvoie à la catégorie à laquelle appartient la communication (conférence, conversation, etc.). La classe de langue est souvent caractérisée par une diversité de genres en

35 La notion est reprise vers la fin du présent chapitre. 73 fonction des objectifs pédagogiques pourusivis. Les discussions, les dialogues, les discours monologaux, les contes ou d’autres genres peuvent être observés en classe de langue. Bref, le genre peut réfléter la culture de la société invironnante.

A partir de la présentation que nous venons de faire, on peut constater que les différentes composantes du modèle interagissent de manière complexe. Ainsi, la modification d’un élément constitutif de l’événement commucationnel est susceptible d’entrainer des changements plus ou moins importants sur le reste des éléments.

Ce modèle nous aide à penser le rôle du contexte socioculturel. Comme nous l’avons mentionné dans le chapitre introductif, certaines pratiques linguistiques et pédagogiques peuvent varier selon chaque école alors que d’autres sont partagées. Ainsi, nous estimons utile d’aborder chaque terrain (école) de façon contextualisée, notamment pour l’observation des séquences pédagogiques. La configuration de la classe ordinaire dans les écoles secondaires tanzaniennes ainsi que les caractéristiques de chaque école seront présentées dans le chapitre sur la méthodologie.

Dans son sens général, la communication en classe de langue remplit de nombreuses fonctions:  établir et définir la nature des rapports entre les partenaires de la classe. Par exemple, l’enseignant peut montrer sa proximité ou sa distance (le tutoiement vs le vouvoiement); il peut également mettre l’apprenant en position active ou passive;  construire des savoirs et savoir-faire en langue. Ceci peut se réaliser à travers une diversité d’activités: l’interaction (verbale, non verbale ou paraverbale), la lecture de documents écrits, la réalisation de différentes tâches proposées par l’enseignant;  permettre aux apprenants de tester leurs hypothèses sur le fonctionnement du système linguistique en appropriation;  évaluer le niveau acquis par les apprenants: auto-évaluation par les sujets apprenants ou hétéro-évaluation par l’enseignant, etc.

Toute action s’effectuant en classe de langue devient, d’une manière ou d’une autre, une forme de communication. La notion de communication est souvent liée à celle d’interaction. Nous reviendrons plus loin sur la notion d’interaction afin de montrer comment elle se

74 démarque de la communication, mais nous présentons d’abord les caractéristiques de la communication bi-plurilingue.

3.2.1 Les caractéristiques de la communication bi-plurilingue La communication bi-plurilingue a attiré l’attention de nombreux chercheurs. L’intêret a souvent été de comprendre comment des individus bilingues activent les langues constitutives de leur répertoire langagier. En d’autres termes, comment ils passent d’une langue à une autre dans les différentes situations interactionnelles ou dans le même discours. Ainsi, la communication bi-plurilingue désigne l’activation d’une ou de plusieurs langues, que les individus plurilingues mettent en œuvre, au sein d’un même discours ou à travers différentes situations de communication. Techniquement, ce sont les marques transcodiques36 (désormais, MTC) qui constituent principalement l’identité des personnes bi-plurilingues. Par « marques transcodique », il faut entendre, au sens de Lüdi (1993), la présence d’une trace d’une autre langue dans un discours donné. Parmis les MTC, on inclut, entre autres, les pratiques langagières alternées, l’accent « étranger » et les erreurs attribuables à l’ « interférence » d’une autre langue.

Dans le cadre du présent travail, c’est le phénomène de l’alternance codique qui constitue le centre d’intérêt. A ce sujet, on peut citer les travaux de Blom et Gumpez (1972), Gumperz (1982), Heller (1988), Wei (2005), Moore (2006), etc. L’alternance codique est omniprésente au sein de la famille, à l’école et dans d’autres milieux sociaux. Cependant, les pratiques sont très variables selon les situations. Dans cette partie, nous présentons des modèles théoriques de types formel et fonctionnel servant à appréhender le phénomène d’alternance codique.

Nous précisons d’emblée que dans notre emploi, le terme d’alternance codique couvre les deux notions de code-mixing et de codeswitching qui, dans la tradition anglaise, désignent respectivement la juxtaposition intra-phrastique et inter-phrastique (et paraphrastique) de deux ou plusieurs codes différents. On peut dire, de manière générale, que deux perspectives sont dominantes dans les recherches sur l’alternance codique, à savoir formelle et fonctionnelle. La première concerne la structure des systèmes linguistiques alternés, alors que la seconde concerne les motivations pour l’alternance. Nous allons, sans prétendre à l’exhaustivité, présenter les deux perspectives à la lumière de différentes études.

36 Voir, par exemple Lüdi (1993 et 2003) pour une présentation détaillée. 75

Dans une perspective formelle, on distinguera généralement trois types d’alternance codique, en fonction de la grandeur des unités linguistiques sur lesquelles s’opère l’alternance. Ici, nous nous appuyons sur l’analyse de Poplack et Sankoff (1981). Le premier type est l’alternance intra-phrastique, qui implique la juxtaposition des deux codes à l’intérieur d’une même phrase ou d’un même énoncé. L’alternance interphrastique, quant à elle, implique la production d’une phrase complète dans une langue et une autre phrase complète dans une autre langue. Le troisième type d’alternance codique est plus complexe car l’opération s’effectue après un ensemble de phrases ou d’énoncés; on parle de l’alternance extraphrastique ou paraphrastique. Dans l’alternance intraphrastique, Myers-Scotton (1993; cité dans Caubet, 2002) identifie la nature hiérarchique des langues mélangées dans son modèle insertionnel (Matrix Language Frame) et fait une distinction entre, d’une part, la langue matrice, qui domine les relations grammaticales et, d’autre part, la langue encastrée, dont les éléments sont grammaticalement insérés dans la première. Certaines études ont poussé plus loin le modèle insertionnel pour prendre en compte des réalisations phonétiques dans les deux langues. Caubet (2002) cite, entre autres, l’étude effectuée par Boumans (1998). Cette étude met en avant le fait que la langue encastrée peut parfois adopter certaines caractéristiques phonétiques de la langue matrice dans les pratiques alternées. Caubet (2002) cite l’exemple du Maghreb, où la réalisation de certains phonèmes français est arabisée (le « r » roulé, le « t » affriqué en « ts »). Ces exemples montrent que, dans la relation hiérarchique, l’imposition des règles par la langue matrice peut s’étendre au-delà des éléments syntaxiques.

Contrairement à la perspective formelle, la perspective fonctionnaliste cherche à établir les fonctions de l’alternance codique. On peut désigner la première fonction comme celle de la réponse aux exigences purement situationnelles, sans aucun marquage. A propos de cette fonction, Lüdi et Py (2003) parlent de critères tels que la formalité de la situation, les répertoires des interlocuteurs et la visée communicative (thème de communication). Par exemple, dans une conférence académique ou professionnelle, les locuteurs vont utiliser une langue qui est habituellement utilisée dans de telles situations. Il en va de même dans les cas où on rencontre un interlocuteur qui ne parle pas notre langue; on va utiliser sa langue si on la connait. Par ailleurs, on peut changer de langue en fonction du thème abordé. Par exemple, il est plus facile d’aborder un sujet scientifique dans une langue utilisée dans la recherche scientifique que dans une langue dont la fonction est limitée à la communication quotidienne.

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Une deuxième fonction, celle de marquage, a, selon Canut (2002), été avancée par Myers- Scotton (1993), qui conçoit l’alternance codique comme moyen à travers lequel se négocient les identités sociales et interlocutives. Cette fonction est illustrée dans plusieurs contextes de contact de langues comme celui du Rwanda, rapporté par Karangwa (2002). L’auteur montre comment les anciens combattants de l’Armée Patriotique Rwandaise, durant le génocide de 1994, avaient recours au swahili pour s’identifier en tant que tels, même après la transformation de cette armée en une armée nationale qui emploie le kinyarwanda. Selon Karangwa (ibid.), les combattants de l’ancienne armée utilisaient le swahili pendant la guerre pour se démarquer de l’adversaire qui était censé parler le kinyarwanda. Par ailleurs, l’auteur (ibid.) ajoute que le swahili est symbole d’un discours autoritaire et de marquage de distance entre les interlocuteurs lorsqu’ils se trouvent dans des situations embarrassantes et veulent s’en défaire.

Par ailleurs, Caubet (2002) cite l’exemple du français qui est souvent algérianisé pour, entre autres, s’affirmer comme Algériens décolonisés. Un autre aspect identitaire de l’alternance codique peut découler, selon lui, du besoin de renforcer le sentiment de complicité entre personnes partageant un code linguistique qui n’est pas accessible aux autres. Il y a des cas où les interlocuteurs ont recours aux pratiques alternées pour exclure les intrus lorsque le sujet de conversation en cours est discret. On pourrait ainsi résumer qu’une identité pré-établie peut être révélée ou une nouvelle identité se négocier, à travers les rôles revendiqués par les interlocuteurs au moyen de l’alternance codique. Peuvent se négocier les positions d’autorité, de compétence bi-plurilingue, d’appartenance à une langue ou une variété plus prestigieuse, etc.

Dans les situations exolingues de communication et d’appropriation de langue étrangère, les pratiques alternées remplissent une fonction stratégique. Face à un problème de communication, les interlocuteurs ont tendance à s’appuyer sur une autre langue pour compenser les lacunes langagières. Il en va de même dans les situations d’enseignement- apprentissage. En cas deproblème, les partenaires de la classe peuvent recourir aux pratiques transcodiques, pour poser une question, donner une explication, insister sur un point, vérifier la compréhension, etc. C’est dans ce cas qu’on parle de stratégies bi-plurilingues de communication et de construction des savoirs en langue étrangère.

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En outre, les « mélanges » de codes réalisés de manière créative peuvent devenir plaisants et donc prendre une dimension ludique. Il a également été observé par Caubet (2002) que, lorsqu’ils sont entre pairs, les individus bi-plurilingues prennent plaisir à ce qu’il désigne comme des jeux de mots translinguistiques. La fonction ludique de l’alternance codique peut également s’observer chez les musiciens, comédiens et d’autres artistes.

Les deux grandes perspectives pourraient être représentées schématiquement ci-dessous :

Figure 4: Les perspectives formelle et fonctionnelle de l’alternance codique

Alternance codique

Perspective Perspective fonctionnelle formelle

intraphrastiu interphrastique extraphrastiqe situationnelle identitaire et stratégique ludique négociation des rôles

langue matrice

langue encastrée

Par ailleurs, il est important de souligner que, malgré leur répertoire pluriel, les individus bi- plurilingues sont, dans la plupart des cas, amenés à fonctionner dans des situations monolingues. Par conséquent, ils peuvent activer la langue qu’ils maîtrisent plus ou moins et leur discours peut porter des traces des autres codes. Les marques transcodiques sont interprétées différemment selon les locuteurs et la situation. A ce propos, Lüdi et Py (2003: 161) font remarquer que « la « même » trace formelle d’un contact entre deux systèmes peut acquérir un statut différent. », selon des perspectives basées sur une interaction complexe entre, d’une part, l’axe exolingue/endolingue et, d’autre part, l’axe bilingue/unilingue.

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Leur argument remet en question la dichotomie qu’on a souvent tendance à établir entre l’exolingue qui, selon les auteurs (ibid.), renvoie à une situation d’asymétrie entre interlocuteurs, et le bilingue, qui est considéré comme situation appropriée de l’emploi alternatif ou simultané de deux langues. Nous reprenons ici la représentation schématique de la relation bidimensionnelle entre les deux axes:

Figure 5: Relation bidimensionnelle des axes exolingue/endolingue et bilingue/unilingue exolingue

I II bilingue unilingue

III IV

endolingue Dans le schéma ci-dessus, chaque cadrant constitue un espace d’interprétation mutuelle de la situation dans laquelle s’inscrit la MTC. Selon la description avancée par les auteurs (ibid.), il n’y a pas de tolérance pour la marque transcodique dans le cadrant IV et elle peut être considérée comme interférence. En conséquence, les locuteurs feront tout le possible pour désactiver la deuxième langue. Le cadrant II est caractérisé par un manque d’efficacité communicative des MTC du fait de l’absence de maîtrise ou de la tolérance réduite de la part de l’interlocuteur. Dans le cadrant III, il y a la possibilité et la légitimité de l’emploi de deux langues. Du fait d’impliquer la communication entre membres d’une communauté bi- plurilingue, le cadrant I est le domaine le plus favorable à l’alternance codique.

De même, dans la classe de langue, le statut des MTCs peut varier en fonction des représentations sociales, des politiques linguistiques éducatives, des approches méthodologiques, etc.

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Dans le cadre de l’enseignement bilingue37, Gajo et al. (2013) et Duverger (2007) distinguent trois niveaux d’aternance codique, à savoir micro-alternance, méso-alternance et macro- alternance. La micro-alternance38 renvoie au recours à une autre langue durant une activité conçue dans une langue. Ce recours sert principalement de béquille pour l’apprentissage- enseignement ou l’interaction au plan individuel. En effet, c’est une pratique non programmée et ponctuelle qui intervient sous forme de reformulation, de discours métalinguistique, etc.

Par contraste à la micro-alternance, la méso-alternance est, selon Duverger (ibid.), mise en œuvre au long d’une séquence pédagogique et intervient « de manière raisonnée, refléchie et volontaire sous la forme de séquences successives, et ceci dans la perspective de favoriser chez les élèves la mise en œuvre des processus d’apprentissage ». D’après l’auteur, la méso-alternance est caractérisée par la présence de séquences monolingues plus ou moins longues, dont l’objet est d’enrichir les contenus traités, de croiser les documents provenant de langues différentes, de varier les entrées méthodologiques et de faciliter la construction des concepts disciplinaires.

La macro-alternance, quant à elle, concerne la programmation générale d’un cours. Les sujets et les thèmes à traiter en L1 ou en L2 sont prévus à l’avance. D’après l’auteur (ibid.), cette programmation peut s’effectuer sur des critères conceptuel, méthodologique, de difficulté supposée du sujet, de disponibilité des documents, de collaboration avec des collègues, etc.

3.2.2 De la communication à l’interaction: essai d’articulation Nous avons précédemment présenté une conception très générale de la communication, englobant toute action visant à énoncer ou à interpréter une intention communicationnlle sur la base de tous les moyens possibles, verbaux et non. Selon Cristea (2003), en analyse conversationnelle, on fait une distinction entre interaction verbale, donc discursive, et intercation non verbale, qui serait non discursive. Par ailleurs, le discours peut être conversationnel ou non conversationnel, en fonction du nombre de participants. L’auteure (ibid.) ajoute que le discours peut impliquer des relations directes ou médiates entre les participants et revêtir un caractère interlocutif ou non. Ces caractéristiques permettent de distinguer quatre cas de figure (ibid.140). Le discours monologal, qui n’implique qu’un seul locuteur et, d’après notre interprétation, ne s’adresse ni à soi-même ni à une autre entité. Le

37Traité de manière plus détaillé en fin du présent chapitre, dans la section « Approches plurielles, universalisation et contextualisation en didactique des langues ». 38 Elle correspond au code-switching. 80 discours monologique est, selon l’auteur, caractérisé par l’adresse à soi-même, l’absence d’alternance conversationnelle ou l’absence de contact direct entre l’énonciateur et les destinatires. Dans le cas d’une interlocution stricte, où plusieurs participants sont impliqués, l’auteure parle de discours dialogal, alors que le discours dialogique mettrait en scène plusieurs voix, sans attendre de réponse.

On peut voir que toutes les caractéristiques présentées ci-dessus concernent également la communication en général. En effet, c’est la définition proposée par Vasseur (2005) qui permet d’articuler la notion d’interaction de celle de communication. Elle renvoie plus particulièrement aux situations d’échanges en face à face. C’est dire que l’interaction, dans ce sens, constitue une forme spécifique de la communication. Toute interaction est une communication, mais non l’inverse. Dans le présent travail, nous adoptons la conception de Vasseur (ibid.) car notre travail de terrain sera centré sur des situations d’échange en face à face.

Les perspectives cognitives relatives au développement intellectuel du sujet apprenant ont considéré celui-ci comme étant le seul acteur et le seul responsable de son apprentissage. Selon Bange (2005), cette position théorique, qui attribue tout apprentissage à l’individu, et qui se résume en individualisme génétique, fait de l’individu un acteur monologique. Monologique, dans le sens où son appropriation des savoirs n’implique que lui. Une position radicalement opposée à celle-ci est avancée par le principe d’interactionnisme génétique proposé par Miller (1986, cité dans Bange 2005), selon lequel la primauté est accordée à la co-construction des savoirs car l’apprentissage passe par une activité mentale impliquant au moins deux individus. Selon cette perspective, l’apprentissage n’est possible que par l’interaction avec un partenaire social. Par conséquent, si l’individualisme génétique accorde la primauté aux stratégies individuelles, l’interactionisme génétique privilégie les stratégies39 interactives, qui font appel à une autorité ou à un expert.

En effet, comme l’indique Matthey (2003), c’est en reconnaissant le principe d’interactionnisme génétique que l’interaction devient un aspect fondamental de l’apprentissage d’une langue seconde/étrangère. Cette position rend impossible la séparation du langage de son apprentissage car c’est à travers des relations interactionnelles de

39 Notion présentée dans la section « stratégies de communication ». 81 communication que le sujet apprenant acquiert les moyens linguistiques. Toutefois, selon Bange (2005), il n’y a aucun antagonisme entre la cognition et l’interaction. C’est la reconnaissance des deux principes qui peut expliquer le processus d’apprentissage dans sa totalité, l’agent de l’apprentissage étant l’apprenant lui-même et ses mécanismes étant déclenchés et facilités par ce que Bruner (cité dans Bange ibid.) appelle l’« intervention tutoriale ». C’est dans le rôle d’intervention tutoriale que s’inscrit l’interaction. Cette conception de l’appropriation de langues conduit à reconnaitre que le sujet apprenant n’est pas une entité isolée du réseau social et que son action est constamment inscrite dans ce réseau. C’est pourquoi nous retenons les propos de Gajo et Mondada (2000: 23) que: « L’acquisition n’est pas définie par des processus cognitifs universels et abstraits, donc décontextualisés, mais par des processus qui s’ajustent, s’adaptent constamment pour être les plus adéquats possible aux situations sociales où ils se déroulent: ils sont donc situés. »

Il est incontestable que le développement du terme d’interaction tel que l’on le conçoit aujourd’hui dans le champ de la didactique des langues est indissociable des différents travaux relatifs à la sociolinguistique de la communication et à l’évolution d’approches méthologiques. En effet, c’est dans le cadre des approches communicatives et actionnelles que l’interaction se voit de plus en plus valorisée. Cependant, nous ne voulons pas nous y attarder afin d’aborder directement les aspects interactionnels en classe de langue.

3.3 Spécificités interactionnelles en classe de langue Au début du présent chapitre, nous avons tenté de fournir des caractéristiques générales pour relativiser la distinction entre les contextes scolaires et extrascolaires. Cependant notre étude est centrée particulièrement sur l’appropriation des langues en milieux scolaires. Cette partie sera donc consacrée aux caractéristiques interactionnelles dans la classe de LE. Le traitement de ces caractéristiques se justifie par le fait que les problèmes de communication et les stratégies pour leur résolution, qui sont au centre de ce travail, sont observables à travers l’interaction entre les partenaires de la classe. C’est donc en analysant la dynamique de l’interaction qu’on peut identifier et comprendre ces problèmes et ces stratégies.

Avant de procéder à la description des caractéristiques interactionnelles en classe de LE, il faut s’accorder sur le fait que le domaine scolaire, comme tout autre domaine social (médical, militaire, touristique, etc.) exige une manière spécifique de régir ses activités. C’est dire que:

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« Chaque domaine social impose ou au moins prévoit ce que nous pourrions appeler des contrats interactionnels qui règlent les rôles et donnent une certaine empreinte à la communication » Gajo et Mondada (2000: 50)

La classe de LE est encore un sous-domaine spécifique de l’école. Elle a ses particularités, la distinguant d’une classe de mathématiques ou d’une classe de chimie. La plus grande particularité, dans ce cas, repose sur le fait que la LE est à la fois un moyen et un objet d’appropriation. Cela fait de la classe de langue un espace de réflexion métalinguistique. Notre description de l’interaction en classe de LE s’appuie sur les travaux de Gajo (2001), Gajo et Mondada (2000) et Bange (1992, 2005), entre autres.

 Contrat didactique A l’école, ce contrat concerne les principaux acteurs que sont l’enseignant (expert) et l’élève (novice). Le contrat s’établit pour définir les statuts et les rôles généralement asymétriques entre les partenaires afin de réaliser l’activité centrale d’appropriation de la langue. Selon Gajo et Mondada (2000, citant Dabène 1981), les rôles de l’enseignant sont définis au plan méta-communicatif comme: porteur d’un certain niveau de savoirs sur la langue qu’il doit construire chez les élèves; meneur de jeu en gérant les prises de parole, en proposant des tâches et en suivant leur réalisation; évaluateur non seulement des productions orales et écrites des élèves mais également ses propres pratiques d’enseignement.

Concernant la centralité du rôle de l’enseignant dans l’interaction en classe de langue, Gremmo, Holec et Riley (1978; cités dans Ellis, 1990) parlent des droits accordés à celui-ci. Ces droits comprennent, mais ne se limitent pas à: la participation à tous les échanges, l’initiation des échanges, la décision de la durée des échanges, la clôture des échanges, l’inclusion et l’exclusion des participants dans les échanges, l’ouverture des paires adjacentes, le fait d’être le « seul » destinataire possible de tout échange initié par un autre participant, la décision de l’ordre des tours de parole des autres participants et du nombre de tours de parole attribués à chaque participant. Certes, l’enseignant peut effectivement choisir de jouer ou non certains de ces rôles, en fonction de sa conception de l’enseignement, mais aussi selon le niveau de connaissance des apprenants. Par exemple, un enseignant qui se considère comme seul détenteur des savoirs est susceptible de réduire la participation de l’apprenant dans l’interaction en lui conférant une position périphérique et dépendante. 83

La nature du contrat didactique en classe de langue est déterminée par différents facteurs. On peut parler de déterminations sociales plus larges qui peuvent concerner les politiques éducatives ou toute autorité ayant la compétence en matière d’enseignement et de formation. Ensuite, il y a des facteurs se situant au niveau de l’école: l’administration et les particularités culturelles régissant le fonctionnement de l’école dans son ensemble. Enfin, la détermination peut se faire au niveau des partenaires de la classe de langue eux-mêmes.

Il faut rappeler que les rôles des partenaires de la classe ne sont pas aussi stables que l’on peut penser. Ils peuvent se négocier en fonction du contexte dans lequel se déroulent les activités interactionnelles. A ce sujet, Gajo et Mondada (2000: 110) font une observation intéressante sur le fait que l’élève peut faire l’enseignant, ce qui signifie que « la catégorisation des locuteurs peut être liée à la catégorisation de l’activité en cours… ». Ce faisant, l’apprenant doit modifier sa conduite interactionnelle pour adopter « une forme particulière d’interaction: l’organisation de sa conduite est conforme à cette orientation vers la catégorie « enseignante »… ». Il est également possible pour l’enseignant de faire l’élève mais il est difficile d’effacer totalement les traces de son rôle d’enseignant. Par exemple, Gajo (2001: 145) prend le cas d’enseignant qui se met à participer à un jeu de rôles avec un élève mais:

« l’enseignant a beaucoup de peine à sortir de son rôle de censeur linguistique, porté davantage vers un purisme syntaxique que vers la production verbale régulée par des besoins contingents de l’interaction ».

Ainsi, on peut dire qu’à l’école les contrats didactique et interactionnel présentent plus de contraintes et sont, en grande partie, prédéfinis, car les partenaires reconnaissent les principaux rôles de chacun dès l’arrivée en classe de LE. L’aspect culturel de ces contrats demeure peu investigué Par exemple, la classe de FLE peut être régie à la fois par les pratiques « généralisées » de diffusion du français et par des habitudes pédagogiques locales.

 Bifocalisation et double énonciation La bifocalisation et la double énonciation sont des caractéristiques importantes de la classe de langue. Se trouvant dans un milieu consacré à la construction des savoirs en LE, les partenaires de la classe reconnaissent d’emblée le degré d’asymétrie linguistique existant entre eux et l’enseignant. Ceci entraine de nombreuses activités métalinguistiques, vu la préoccupation importante sur le code linguistique à côté des activités significatives. En effet, 84

Gajo et Mondada (2000: 64) avancent l’hypothèse que « Le discours scolaire, organisé en deux réseaux, métalinguistique et référentiel, privilégie le premier ».

La notion de bifocalisation a été développée par Bange (1992: 56) pour désigner une « …focalisation centrale sur l’objet thématique de la communication; focalisation périphérique sur l’éventuelle apparition des problèmes dans la réalisation de la coordination des activités de communication ». On peut, d’emblée, constater que l’application de cette définition pour le discours scolaire s’avère difficile car, nous l’avons dit, la classe de langue accorde la primauté au réseau métalinguistique sur le réseau référentiel. Or, selon cette définition fondée sur l’analyse des interactions exolingues, l’attention sur la forme n’est que périphérique. Si on s’accorde, à l’instar de Gajo et Mondada (ibid.), sur le fait qu’à l’école la notion de problème de communication a une acception particulière et qu’un problème peut être même provoqué, à des fins d’évaluation, il s’ensuit que l’apparition de problèmes ne peut plus être considérée comme une éventualité, mais plutôt comme une nécessité. C’est dire que la bifocalisation existe dans la classe de langue comme dans l’extrascolaire mais ne fonctionne pas de la même façon.

La notion de double énonciation est très étroitement liée à celle de double focalisation. Elle a été élaborée pour rendre compte de la nature du discours en classe de langue. Selon Gajo (2001: 58), citant les travaux de Trévise (1979), la double énonciation renvoie à:

« … l’énonciation relative aux paramètres propres de la tâche en cours (par exemple un jeu de rôles qui organisera une transaction entre un boulanger et un client) et l’énonciation maître/élève (qui porte sur le balisage de la communication en tant que forme)».

Il y a donc non seulement l’énonciation linguistique mais également métalinguistique. Par ailleurs, Gajo (ibid.) montre que l’enseignant et l’élève ne participent pas de la même façon à la double énonciation car le premier appartient au réseau métalinguistique, alors que le second participe aux deux types d’énonciation: linguistique et métalinguistique. La double énonciation est le résultat de l’attention portée tant à l’activité significative qu’à la forme linguistique. C’est dans ce sens que cette notion entretient un lien avec labifocalisation. La focalisation importante sur la langue et sa construction dans des rapports asymétriques se traduit par la mobilisation d’une variété de stratégies de communication et de résolution de

85 problèmes. Il y a là une rencontre entre les dimensions cognitive et interactive de l’appropriation de la langue.

3.4 Stratégies de communication et interaction en langue étrangère La notion de stratégie de communication est multidisciplinaire; elle est employée non seulement dans le domaine de la didactique des langues mais également dans d’autres domaines spécialisés comme le commerce, la communication de masse, etc. Bref, quel que soit son domaine d’application, la notion évoque d’emblée l’existence d’un problème et d’une action nécessitant certaines opérations pour l’accomplissement des tâches communicatives. En ce qui nous concerne, nous abordons cette notion telle qu’elle s’emploie dans le champ de la didactique des langues étrangères.

En didactique des langues, la notion de stratégie de communication a été formulée par Selinker (1972) dans son article intitulé « interlangue » qui rendait compte des erreurs produites par les apprenants d’une langue seconde. Les erreurs étaient vues comme le résultat d’une tentative par l’apprenant de communiquer un sens avec des moyens linguistiques insuffisants. Ce faisant, l’apprenant mettait en œuvre des mécanismes susceptibles de pallier son insuffisance linguistique ou pragmatique engendrant des erreurs. La capacité de l’apprenant à mettre en œuvre de tels mécanismes est désignée par Canal et Swain (1980; cités dans Gajo, 2001) comme compétence stratégique. Selon les auteurs (ibid.), la compétence stratégique de la communication intervient au même titre que deux autres composantes, à savoir les compétences grammaticale et sociolinguistique.

On voit ailleurs dans les travaux de Gajo et Mondada (2000) d’autres descriptions de la compétence de communication. Ils citent par exemple la typologie proposée par Little (1996), qui présente six composantes:  la compétence linguistique, renvoyant à la capacité de production et de compréhension de phrases grammaticales;  la compétence sociolinguistique, désignant la conscience de l’influence de facteurs tels que l’environnement, la relation entre interlocuteurs, l’intention de communication;  la compétence discursive, consistant en la capacité d’utiliser des moyens adéquats pour la construction et l’interprétation des textes;

86

 la compétence socioculturelle, comprenant la maîtrise de l’approprieté linguistique et l’élargissement de la communication au-delà de sa communauté linguistique;  la compétence sociale, renvoyant à la volonté et à la capacité d’entrer en interaction, en portant attention à la personne plus qu’à la langue;  et la compétence stratégique, qui désigne la capacité à résoudre les problèmes de communication.

Il existe d’autres typologies, que nous n’allons pas présenter ici. Mais ces typologies sont caractérisées par la variabilité descriptive qui, comme l’indiquent Gajo et Mondada (2000), n’est pas sans effet sur la description de la compétence de communication, car les différents niveaux ne sont pas fondés sur des données empiriques pour leur justification. Ils font remarquer le risque que présente la multiplication des niveaux sur l’articulation même entre ces différents niveaux. Ils montrent par exemple que l’articulation entre compétences sociolinguistique, socioculturelle et sociale est difficilement saisissable.

Par ailleurs, la tendance à été de considérer la compétence stratégique comme composante de la compétence de communication sans prise en compte, à la suite de Little (1996), du fait que cette compétence relève d’une capacité cognitive plus générale qui intervient dans toutes les situations de recherche de solutions aux problèmes concrets. Son argument rejoint celui de Gajo et Mondada (2000) qui avancent que la compétence stratégique est d’abord procédurale.

La plupart des travaux de recherche portant sur ce sujet se sont centrés sur les stratégies de production du sujet apprenant en interaction avec un « natif ». Selon Corder (1983), cette conception simpliste peut être constatée dans la définition même de la notion de stratégie de communication, où le verbe « to express » est employé.

« A working definition of communication strategies is that they are a systematic technique employed by the speaker to express his meaning when faced with some difficulty» Corder, P. S. (1983: 16)

Cette définition soulève un certain nombre d’aspects à interroger. D’abord, l’emploi de l’expression « systematic technique » suppose la nature coordonnée des opérations mises en œuvre et l’adéquation de la technique par rapport au problème. L’expression peut également évoquer que la même stratégie peut être répétée systématiquement dans tous les cas présentant 87 un certain type de problème de communication. S’il est fort probable que les interlocuteurs reproduisent la même stratégie dans des situations similaires, la reproduction inter- situationnnelle des stratégies n’est pas à généraliser car il parait plus plausible de penser que les stratégies peuvent changer en fonction de différents facteurs intervenant au moment de l’interaction, à savoir les interlocuteurs et leur degré de coopération et de motivation, leur mémoire, etc.

Par ailleurs, nous l’avons dit, la définition est basée sur les stratégies de production « …to express his meaning ». Or, la communication, nous l’avons indiqué dans le modèle SPEAKING, implique deux processus complexes d’énonciation et d’interprétation prenant en compte différents éléments contextuels. Ainsi, les problèmes de communication peuvent surgir lors des deux processus. Il y a donc, d’une part, les stratégies de production et, d’autre part, les stratégies de compréhension ou de réception.

Nous nous proposons d’examiner une autre définition mise en avant par Knapp-Potthoff et Knapp (1982, cité dans Bange 1992: 59), qui conçoivent les stratégies de communication comme:

« Opérations cognitives qu’un apprenant emploie à court terme intentionnellement pour résoudre un écart perçu comme problématique entre des exigences communicatives actuelles et ses possibilités en interlangue à ce moment-là »

S’appuyant sur la clarification de Bange (1992), l’expression « à court terme » renvoie à « l’urgence ». Par ailleurs, Bange (ibid.) précise que l’expression « intentionnellement » n’est pas équivalente à « opérations conscientes », mais signifie plutôt « opérations dirigées vers » pour désigner le fait qu’elles remplissent la fonction de moyens, sans considérer leur nature consciente ou inconsciente (c'est-à-dire, réfléchie ou non).

L’expression « urgence » nous parait particulièrement appropriée pour les interactions dites « exolingues » mais moins pour les interactions scolaires car, dans le premier cas, les locuteurs doivent faire face aux exigences fonctionnelles et, comme nous l’avons indiqué précédemment, la focalisation centrale est portée sur l’activité significative nécessitant l’échange, tandis que l’attention sur la forme n’est que périphérique. En revanche, les interactions en classe de langue présentent moins d’urgence car l’attention sur l’activité

88 significative est secondaire et, comme déjà indiqué plus haut, les problèmes de communication ont une valeur pédagogique et sont attendus. Il faut cependant souligner que les différentes activités interactionnelles dans la classe de langue exigent une relative immédiateté d’expression en fonction des approches méthodologiques. Par exemple, les approches communicatives et actionnelles proposent plus d’activités référentielles que les méthodes grammaticales et donc exigent plus d’immédiateté d’expression. L’élève peut ainsi sentir un certain niveau d’obligation d’assurer la continuité de l’interaction dans son intervention. Il est donc capital de souligner que les exigences communicatives sont différentes suivant les situations de communication, donnant lieu à des problèmes différents et fait souvent appel à diverses stratégies de résolution.

Un autre point à remettre en question repose sur le fait que la définition est centrée sur un seul participant et ses moyens linguistiques insuffisants. Or, les stratégies de communication, dans l’interaction en face à face, impliquent au moins deux participants coopérant dans la finalité d’atteindre des buts communs. Il s’ensuit que les problèmes que le novice rencontre en situation de communication, tant au plan de l’énonciation qu’au plan de l’interprétation, produisent également chez le locuteur expert des problèmes relatifs à la compréhension de l’intention du novice et à l’adaptation aux outils communicatifs de ce dernier. De ce fait, si les problèmes concernent les deux parties, il en va de même avec les stratégies.

En réalité, si on prend en compte le principe de coopération formulé par Grice, la poursuite et la réalisation des buts de la communication relèvent d’intérêts communs. Si les problèmes surgissent pour menacer l’atteinte d’un objectif commun, il y a une volonté mutuelle de mettre en œuvre une stratégie susceptible de résoudre le problème. En définitive, l’échec ou la réussite de la communication concerne, d’une façon ou d’une autre, les deux interactants. On pourrait dire, en d’autres termes, que du moment que les difficultés de communication présentent un obstacle à la poursuite des buts communs, elles cessent de se confiner au domaine intrapersonnel et s’étendent forcément au domaine interpersonnel.

Il est donc clair que la plupart des chercheurs ont négligé la part de l’interactant expert dans leurs conceptions de la notion de stratégie de communication. Cette négligence s’explique par le fait que la notion de stratégie doit son émergence et son développement aux études portant sur l’interlangue (voir Selinker 1972), notion désignant la langue de l’apprenant à un stade donné. De ce fait, les problèmes et les stratégies de communication sont également définis par

89 rapport au sujet apprenant. Une perspective plus holistique doit prendre en compte le rôle de l’enseignant ou du locuteur expert comme partie intégrante dans la mise en œuvre des stratégies de communication.

Examinons une troisième définition, proposée par Faerch et Kasper (1983: 36): « Communication strategies are potentially conscious plans for solving what to an individual presents itself as a problem to reaching a particular communication goal ».

Un aspect important dans cette définition est celui d’un plan potentiellement conscient (potentially conscious plans). Ici, on peut supposer qu’une stratégie de communication est d’abord consciente car le terme de stratégie même sous-tend une action planifiée et intentionnelle de la part du sujet après le constat d’un problème. Il est cependant possible de penser qu’avec sa fréquence d’utilisation, une stratégie potentiellement consciente soit automatisée jusqu’à devenir presque inconsciente. Le caractère potentiellement conscient des stratégies est également souligné par Anderson, (1999; cité dans Cuq et Gruca 2005:117) dans les termes suivants:

« Le mot stratégie (…) traduit le souci d’élaborer une pratique fondée en raison. (…) elle participe également de l’idée que ce qui est à mettre en œuvre se décompose en différentes opérations reconnaissables (identifiables) et reproductibles ».

En fait, ce sont les caractéristiques de reconnaissabilité et de reproductibilité qui expliquent la nature potentiellement consciente des stratégies de communication. Mais, nous l’avons dit, cette nature consciente peut se dissiper avec l’automatisation des stratégies. Bogaards (1988) va également dans ce sens, en mettant en avant le fait qu’il y a un passage d’une opération contrôlée à une opération automatisée dans la mise en œuvre des stratégies. Il faut souligner, à l’instar de Holtzer (2000), que l’une des principales fonctions d’une stratégie est de prévoir et de pouvoir intervenir dans des situations nouvelles. En revanche, l’auteure (ibid.) rappelle la nécessité de prendre en compte l’imprévisibilité de certaines situations – qui peuvent exiger des modifications du plan adopté initialement. Cet argument conduit à penser qu’une opération automatisée peut de nouveau revêtir un caractère contrôlé face à l’imprévu. En d’autres termes, c’est le constat du dysfonctionnement interactionnel d’une stratégie qui peut amener le locuteur à agir consciemment, pour rétablir un contrôle sur une opération antérieurement automatisée.

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Cependant, la définition de Faerch et Kasper (1983) est critiquable, comme les précédentes, par le fait d’être basée sur les problèmes et les stratégies d’un seul partenaire à l’interaction. Avant de proposer notre reformulation, nous analysons encore la conception de Bange (1992).

Il faut d’emblée souligner que, pour Bange (ibid.), le terme de « stratégie de communication » n’est pas adéquat. C’est un terme trop général qui s’applique à l’atteinte d’un but de communication dans n’importe quelle situation, y compris les situations qui sont potentiellement non problématiques. On met en œuvre des stratégies dans la plupart des situations de communication. En outre, rares sont les cas de communication non stratégique ; dans presque tous les cas, les interactants font plus ou moins attention au fond et à la forme de la communication et mettent en œuvre des stratégies pour la bonne conduite des buts de la communication.

Or, l’auteur (ibid.) explique que les situations de communication « exolingue » sont des situations d’urgence dans lesquelles il existe un écart entre les exigences communicatives et les moyens de communication disponibles. C’est pour cela qu’il propose le terme de « stratégies secondaires de résolution de problèmes de communication ». Ce terme nous parait plus spécifique, donc plus adéquat pour la communication exolingue, mais peut-être moins adapté pour les interactions en classe de langue où il y a généralement moins d’urgence.

Notre présentation des différentes définitions de la notion de stratégie de communication conduit à retenir un certain nombre d’aspects définitoires que nous prenons en compte dans notre reformulation, qui s’inscrit dans une perspective interactionniste. Ces aspects sont les suivants :  Les exigences de la communication diffèrent en fonction des situations ; la communication extrascolaire est fonctionnellement plus exigeante que la communication en classe de langue mais des problèmes surgissent dans les deux cas ;  L’interaction se définit par des buts communs pour, au moins, deux interactants. En conséquence, les problèmes et leur résolution concernent tous les partenaires;  Les stratégies de résolution sont potentiellement conscientes mais certaines stratégies peuvent être automatisées et donc revêtir un caractère inconscient, dû notamment à la fréquence de leur mise en œuvre (Les approches qui proposent des répétitions

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mécaniques « drill exercises » sont plus susceptibles de rendre les stratégies automatisées).

Selon notre reformulation, les stratégies de résolution de problèmes de communication désigneraient des opérations cognitives potentiellement conscientes (observables ou non) mises en œuvre par les partenaires afin de résoudre un problème se présentant comme obstacle à la poursuite des buts communs de la communication».

Dans cette conception, nous faisons, à l’instar de Ellis (1990), une distinction entre une stratégie observable (overt strategy) et une stratégie non observable ou non extériorisée (covert strategy). En d’autres termes, les opérations cognitives ne sont pas toutes extériorisables.

3.4.1 La classification des stratégies de communication De nombreuses typologies de stratégies de communication ont été inventoriées par des chercheurs en linguistique et en didactique des langues. On peut citer les travaux de Tarone (1980), Faerch et Kasper (1983), Knapp-Potthoff et Knapp (1982) et Bange (1992). Ce travail s’appuie sur la typologie proposée par Bange (ibid.), qui constitue l’objet central de notre réflexion, car elle est inspirée de plusieurs autres typologies. Notre analyse sera fondée sur une perspective interactionniste consistant à prendre en compte non seulement le locuteur novice, mais également son partenaire expert, dans un effort coopératif de mise en œuvre des stratégies.

Il est indéniable que les problèmes de communication découlent souvent des insuffisances linguistiques ou pragmatiques du locuteur novice. Bange (ibid.58) distingue deux types de problèmes de communication, à savoir les problèmes de planification qui découlent « du fait que les moyens permettant d’accomplir les tâches de communication exigées ne sont pas connus, que l’interlangue n’offre pas les moyens directs d’accomplir ces tâches urgentes » et les problèmes d’exécution qui résultent du fait que les schémas interlinguaux déjà disponibles ne sont pas suffisamment stabilisés ou automatisés pour permettre l’exécution des tâches qu’exige la situation de communication.

Les deux types de problèmes nécessitent l’emploi de moyens susceptibles de compenser ces insuffisances. Ce sont, selon Bange, des moyens indirects qui doivent être mis en œuvre.

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Indirects parce qu’ils impliquent soit l’emploi de schémas incertains ou difficilement activables, soit la création de nouveaux schémas par élargissement, recours à un autre code linguistique ou intervention d’une autorité. Il y a donc un processus de communication par « bricolage ».

Parler des problèmes de planification et d’exécution en lien avec les schémas interlinguaux, c’est parler des problèmes du locuteur novice. Or, tout au long de notre argumentation, nous avons cherché à établir que les insuffisances linguistiques du novice engendrent également des problèmes chez son partenaire expert. Il est ainsi plausible de penser que le locuteur expert fait face aux problèmes d’adaptation de ses moyens aux moyens réduits du novice et recherche les moyens nécessaires pour le soutenir. Ce sont donc des stratégies d’adaptation et de soutien que l’expert doit mettre en œuvre, en réponse aux stratégies du novice, pour permettre la poursuite de la communication. Nous désignerons, à la suite de Bange (ibid.), ces moyens comme stratégies d’étayage.

Face à un problème de communication, comme tout autre problème, les sujets interactants adoptent des attitudes différentes. Ici, on peut s’accorder, à l’instar de Bange (ibid.) sur l’existence de deux attitudes qui vont déterminer l’action éventuelle. Il y a l’attitude de non- réalisation et l’attitude de réalisation. L’attitude de non-réalisation consiste en l’absence de volonté à poursuivre les buts de la communication tels qu’ils sont définis ou négociés initialement. Elle se manifeste soit par la poursuite partielle des buts de la communication, soit par un emploi réduit des outils linguistiques. Dans des cas extrêmes, cette attitude peut conduire à l’abandon total de la communication.

Il faut rappeler que l’abandon total de la communication n’est pas forcément attribuable au seul locuteur novice; il peut également être dû au locuteur expert, et ce pour des raisons différentes. Le premier considère que ses outils linguistiques ne sont pas suffisants et qu’ils ne permettent pas de s’engager dans un contrat interactionnel. Le second prend acte de la difficulté d’adapter ses outils linguistiques et de soutenir le novice.

L’abandon de la communication peut, dans certains cas, découler de l’absence d’une volonté commune entre les interactants potentiels, parce qu’il n’y a pas la réciprocité des motivations que Bange (1992) définit comme convergence des intérêts de la part des interactants pour la poursuite des objectifs de la communication. Il s’agit donc ici d’un

93 problème de coopération, selon lequel le contrat interactionnel est refusé par l’un des interactants potentiels. Le refus du contrat se fait normalement lors des premières tentatives de prise de parole par l’un ou l’autre interactant potentiel. On peut, par exemple, considérer les salutations comme l’un des rites les plus fréquemment utilisés pour établir des rapports d’interaction dans les situations extra-instructionnelles. Par exemple, un « good morning » s’adressant à un francophone peut recevoir une réponse en anglais pour signifier l’intérêt d’entrer en interaction. Au contraire, le refus de la poursuite de l’interaction peut s’exprimer par une réponse en français ou un geste de refus.

D’après la conception de stratégie de communication présentée plus haut, on peut se poser la question de savoir si l’abandon total de la communication est une stratégie de résolution de problèmes. Bange considère l’abandon de la communication parmi les stratégies de réduction fonctionnelle, au même titre que la réduction des thèmes, des buts et des activités relationnelles. Mais il semble plausible de considérer l’abandon total de la communication comme une pratique découlant d’une attitude non stratégique.

De ce fait, une attitude stratégique minimale de réalisation des buts de la communication se traduirait en stratégies de réduction fonctionnelle ou formelle. Les premières consistent à abandonner une partie des objectifs de la communication. Les raisons peuvent reposer sur le fait qu’ils impliquent des opérations cognitives trop complexes (par exemple, des objectifs consistant à aborder un thème complètement nouveau ou spécialisé). Il est possible que la réduction des objectifs de la communication s’explique par le besoin du locuteur de terminer rapidement l’échange, en se centrant sur l’essentiel, afin de réduire le risque d’émergence de problèmes. Autrement dit, les stratégies de réduction peuvent également servir de moyens pour protéger la face du novice non audacieux.

Bange (ibid.) souligne que la réduction fonctionnelle conduit le locuteur à ne pas se comporter comme un véritable partenaire de communication. Les stratégies de réduction formelle sont, quant à elles, mises en œuvre afin de réaliser les buts de la communication avec un minimum de moyens linguistiques (phonologiques, phonétiques ou morphosyntaxique) maîtrisés, en évitant les savoirs incertains et difficilement activables. Par exemple, les partenaires de la communication peuvent éviter les manipulations linguistiques complexes en préférant des phrases courtes, des mots généraux comme « truc », « faire », etc.

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Nous pensons que la réduction formelle ou fonctionnelle peut également se manifester à travers ce que Gajo (2001:197) désigne comme « dépendance discursive »:

« Un autre moyen pour le locuteur moins compétent de gérer l’impact de son discours consiste à se mettre en état de dépendance discursive, c'est-à-dire à ne prendre aucune initiative, à n’intervenir que sur demande de l’interlocuteur et en collant de très près aux propos de celui-ci»

Autrement dit, le locuteur moins compétent se « réfugie » dans le discours du locuteur compétent. La dépendance discursive peut donc se situer au niveau fonctionnel, par la reprise des thèmes du locuteur compétent, ou au niveau formel, par la reprise des formes linguistiques de celui-ci.

Les stratégies de réduction sont considérées par Bange (ibid.) comme visant la résolution des problèmes d’exécution des schémas interlinguaux déjà existants chez le novice, mais incertains et peu automatisés. Nous pensons que les stratégies de réduction peuvent également être initiées par l’expert qui constate une insécurité de la part de son partenaire novice.

L’attitude de réalisation consiste en la volonté de poursuivre les buts de la communication en recherchant les moyens permettant d’y parvenir. Il y a, d’une part, le souci d’atteindre les objectifs fixés et, d’autre part, le souci d’agir comme un véritable partenaire de communication. Cette attitude donne naissance aux stratégies que Bange considère comme offensives, visant l’atteinte des buts de la communication et la maîtrise des problèmes. Dire « stratégies offensives », c’est impliquer la prise de risque. Ici, le locuteur cherche à exploiter toutes les possibilités linguistiques, non linguistiques et paralinguistiques pour la poursuite de la communication.

Bange divise les stratégies de réalisation en deux catégories. Dans la première, il y a celles qui impliquent le choix parmi les savoirs et les savoir-faire existant dans l’interlangue du novice, comme l’acceptation de savoirs incertains et l’emploi de stratégies d’accès aux savoirs non automatisés (par exemple, la recherche lexicale). L’acceptation et l’utilisation de savoirs incertains c’est l’entrée dans une zone d’incertitude susceptible d’afficher les insuffisances et de donner lieu à l’intervention de l’expert sous forme d’hétéro-correction, d’hétéro- reformulation, etc. Quant aux stratégies d’accès, elles peuvent consister en des opérations de mémorisation par association ou sollicitation directe ou indirecte à l’adresse de l’expert.

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La deuxième catégorie de stratégies est celle de l’élargissement qui, selon Bange, implique la formation de schémas hypothétiques. Ces stratégies engendrent plus de risque de la part du novice qui doit s’appuyer sur des schémas existants pour en former de nouveaux. L’auteur (ibid. 61) cite les stratégies suivantes: création de mots par analogie, généralisations interlanguales et intralinguales, demande d’achèvement interactif, emploi de formes paraphrastiques telles que celles que propose Gülich (1986), à savoir les approximations, les circonlocutions, les synonymes et les hypéronymes. Ces stratégies permettent plus d’interventions de la part de l’expert et, comme on le verra plus loin, présentent un plus grand potentiel de construction des savoirs en LE. Les interventions de l’expert peuvent prendre diverses formes en fonction de chaque stratégie du novice, telles que: hétéro-correction, hétéro-reformulation, proposition d’un lexique spécifique au lieu de formes paraphrastiques, etc.

Entre les stratégies de non-réalisation et de réalisation, explique Bange (ibid.61), se situent les stratégies de substitution, qui «consistent à rechercher un substitut pour pallier les difficultés de communication». Il cite les exemples proposés par Knapp-Potthoff et Knapp (1982) qui incluent: «le recours à L1, l’appel à une autorité, la gestualité et la mimique». Ce sont, selon Bange, des stratégies qui peuvent osciller entre la non-réalisation et la réalisation. Par exemple, il peut y avoir un rapprochement entre le recours à la L1 et le transfert, la gestualité et la demande d’achèvement interactif. On peut reprendre l’exemple d’une interaction en classe de langue cité par Ellis (1990:122), indiquant comment la gestualité peut correspondre à une demande d’achèvement interactif: P: Oh-oh! J: What? P: This (points at an ant) J: It’s an ant. P: Ant

Ainsi, les stratégies de substitution peuvent faire appel, de la part de l’expert, non seulement à proposer des expressions en LE, mais aussi à verbaliser la gestualité ou la mimique du novice. Il faut également prendre en compte le fait que certaines stratégies de substitution peuvent être employées par l’expert afin de se faire comprendre par le novice. Par exemple, la gestualité peut jouer un rôle explicatif.

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Dans la partie qui suit, nous présentons la typologie des stratégies de résolution des problèmes de communication à laquelle nous proposons de petites modifications. La première modification repose sur notre refus de considérer l’abandon de la communication comme stratégie de résolution de problème de communication. La deuxième modification constitue à considérer la dépendance discursive comme stratégie de réduction fonctionnelle et formelle. Nous présentons dans la page suivante un inventaire des stratégies de résolution de problèmes de communication adapté de Bange (1992).

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Figure 6: Typologie des stratégies de resolution de problèmes de communication adaptée de Bange (1992)

Problème de communication

Stratégies de résolution

Stratégies d’évitement Stratégies de réalisation

Attitude non Stratégies de Réduction Réduction Choix des savoirs en IL Elargissement stratégique fonctionnelle formelle substitution

-généralisations Abandon total -réduire les thèmes - éviter les savoirs incertains ou difficiles -recours à la L1 - acceptation des savoirs incertains -création mots de la communication - réduire les buts d’accès enfaveur des savoirs plus sûrs ou (alternance codique, etc) -emploi des stratégies d’accèsaux N -foreignizing -réduire les activités plus faciles d’accès aux -recours à une autorité savoirs -demande O relationnelles niveauxphonologique, phonétique, lexical et - gestualité/mimique d’achèvement -dépendance discursive au morphosyntaxique V interactif I niveau fonctionnel - dépendance discursive au niveau formel -approximation C -circonlocution -réduire les activités -hyperonyme E Relationnelles -synonyme -dépendance Discursive Innovation(niveau fontionnel)

E Etayage (stratégies d’adaptation, de soutien /facilitation) X P E R T

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3.4.2 Stratégies bi-plurilingues et statut des marques transcodiques Dans la didactique des langues, on distingue généralement entre les stratégies bi-plurilingues et les stratégies du bi-plurilingue. Les stratégies de substitution consistant à avoir recours à une autre langue peuvent être désignées comme stratégies bi-plurilingues. Nous allons nous attarder sur cette composante des stratégies car elle constitue la préoccupation centrale de la présente étude. Dans la section sur les caractéristiques de la communication bi-plurilingue, nous avons fait valoir que la même trace transcodique peut recevoir un statut différent selon la situtation de communication et les représentations des locuteurs. Nous avons par ailleurs expliqué les différents paramètres organisationnels de l’alternance codique en nous centrant sur les niveaux micro, méso et macro. Dans la présente section, nous allons porter notre attention sur les différents facteurs suceptibles d’influencer le choix et l’utilisation des stratégies bi-plurilingues et le statut des marques transcodiques40 (MTCs) dans la classe de langue étrangère.

En ce qui concerne les stratégies du bi-plurilingue, comme l’avancent Gajo et Mondada (2000), l’atout plurilingue est souvent expliqué en termes psycholinguistiques, comme favorisant l’accroissement de la conscience métalinguistique, une meilleure perception de la nature arbitraire des signes linguistiques, une plus grande flexibilité cognitive et de plus grandes capacités de créativité, d’analyse, d’abstraction. Du point de vue stratégique, il est donc clair que la compétence bi-plurilingue permet de faire face aux problèmes de communication et d’appropriation de nouvelles langues avec plus de facilité que les « monolingues ».

Différents facteurs déterminent le choix et l’utilisation des stratégies plurilingues. En ce qui nous concerne, nous allons présenter deux types de facteurs, à savoir le point de vue didactique et les facteurs sociolinguistiques (par exemple, les représentations sociales des langues).

Deux grands points de vue dominent la didactique des langues, à savoir monolingue41 et plurilingue. Selon le point de vue monolingue, chaque langue est considérée comme une entité distincte et doit être enseignée et apprise isolément, sans établir de liens avec les langues connues. Selon cette perspective (voir par exemple, Gajo, 2001, Lüdi et Py, 1986,

40Définies dans la section sur les caractéristiques de la communication plurilingue. 41Voir la section sur « Représentations sociales et répertoire plurilingue. 99

Gajo et Mondada, 2000), la classe de langue étrangère est conçue comme un espace monolingue. Castellotti (2001a) montre que, malgré les évolutions méthodologiques, la pédagogie de la différence et de la séparation entre les langues a été l’un des piliers de la didactique des langues. Par conséquent, les autres langues sont considérées comme un obstacle à l’apprentissage d’une nouvelle langue. Selon Martinez (1996), cette perspective est confortée par certaines orientations didactiques, notamment les méthodes directes, qui préconisent que la langue étrangère doit constituer l’objet et le seul moyen d’appropriation. Ainsi, dans la classe monolingue, l’appui sur les autres langues n’est pas souhaité et les MTCs sont traitées comme un problème à éviter. La perspective monolingue ne vise donc pas l’exploitaion des resources plurilingues. D’après Coste (1997), les approches qui excluent toute autre langue dans la classe de langue étrangère sont généralement fondées sur le principe qu’il faut reproduire des conditions « naturelles » d’acquistion et permettre l’exposition maximale à la langue cible.

Contrairement au point de vue monolingue, le point de vue plurilingue considère la classe de langue comme un espace plurilingue où les différentes langues deviennent une ressource importante pour la construction du répertoire plurilingue. Cette perspective est présentée de manière plus détaillée dans la section intitulée « Représentations sociales et répertoire plurilingue », en prenant appui notamment sur les travaux de Cummins (1980) et sa « common underlying language proficiency ». Selon Mondada (2004), dans cette nouvelle perspective, les MTCs sont considérées comme ressources importantes, permettant de trouver des éléments de réponse aux problèmes pratiques de l’organisation interactionnelle. Ainsi, les stratégies plurilingues sont valorisées et les liens entre les langues sont exploités.

Différents facteurs sociolinguistiques peuvent influencer l’utilisation des stratégies plurilingues dans la classe de langue. Les questions identitaires, statutaires, socioéconomiques et affectives ont un rôle à jouer dans le choix de la langue d’appui. Par exemple, les langues qui ont un statut social moins important ou celles avec lesquelles on ne veut pas s’identifier seront peut-être moins présentes dans la classe de langue. Ces questions sont abordées de manière plus détaillée dans la section « Représentations sociales du point de vue sociolinguistique », en s’appuyant notamment sur les travaux de Calvet (1999). Par ailleurs, la distinction sociolinguistique de la situation constitue un facteur important. Nous avons montré précédemment, en suivant les travaux de Lüdi et Py (2003), que la situation exolingue –

100 unilingue des usages langagiers n’était pas favorable aux MTCs. Cela peut influer sur l’utilisation des stratégies plurilingues dans la classe de langue.

En guise de conclusion, on peut dire que le caractère multilingue de la classe de langue ne garantit pas la mise en œuvre des stratégies plurilingues. Des facteurs sociolinguistiques et didactiques interviennent dans le choix et l’utilisation des ressources plurilingues. Dans la section suivante, nous présentons les liens entre stratégies de commnunication, stratégies d’apprentissage et stratégies didactiques.

3.4.3. Divergence et convergence entre stratégies de résolution des problèmes de communication et stratégies de construction des savoirs Les travaux de Gajo (2001), Gajo et Mondada (2000), Matthey (1996) et Py (1989) entre autres, rendent évident que l’interaction constitue un espace d’apprentissage des langues. La plupart des chercheurs ont porté leur attention sur les liens entre les stratégies de résolution de problèmes de communication et l’apprentissage dans l’interaction. En d’autres termes, le fait même de résoudre des problèmes de communication présente une possibilité d’aboutir à la construction de nouveaux savoirs et savoir-faire linguistiques. C’est dans cette optique qu’il s’avère intéressant de comprendre la nature des liens entre les stratégies de résolution de problèmes de communication et les stratégies de construction des savoirs en LE.

Il est évident que les recherches sur les liens entre les deux types de stratégies sont en grande partie centrées sur le novice. Une vision plus holistique devrait également prendre en compte les stratégies d’enseignement-apprentissage. Ceci dit, nous avançons l’argument que si l’interaction constitue un espace potentiel d’apprentissage des savoirs et des savoir-faire linguistiques, elle est également un espace d’enseignement. En d’autres termes, si on s’accorde sur le fait que le locuteur novice peut devenir, comme le dit Bange (1992), candidat-apprenant, son partenaire expert devient, selon la même logique, enseignant. C’est en se plaçant dans cette optique que nous parlons des liens entre stratégies de résolution des problèmes de communication et stratégies de construction des savoirs en LE. Ici, les stratégies de construction des savoirs englobent donc deux sous-catégories, les stratégies d’apprentissage et les stratégies d’enseignement.

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Plusieurs définitions de la notion de stratégie d’apprentissage ont été avancées. Gajo (2001) cite celles de Stern (1983), Chamot (1987), Rubin (1987) et Oxford (1989), entre autres. Nous reprenons la définition de Rubin (1987; cité dans Gajo 200: 116) qui avance que: “Learning strategies are strategies which contribute to the development of the language system which learner constructs and affect learning directly”

Comme dans le cas des stratégies de résolution de problèmes de communication, les grandes questions reposent sur le caractère conscient ou inconscient, observable ou non, systématique ou aléatoire, des stratégies d’apprentissage. Cependant, les caractéristiques principales des stratégies d’apprentissage mises en avant par Ellis (1994) fournissent des orientations qui permettent, selon Gajo (2001: 117), de comprendre la nature des stratégies d’apprentissage. Nous nous permettons de reprendre ces orientations:  Les stratégies sont liées tant aux actions générales qu’aux techniques spécifiques d’apprentissage de L2;  Les stratégies sont orientées vers la résolution des problèmes d’apprentissage;  Les apprenants sont en général conscients des stratégies qu’ils utilisent et ils peuvent identifier leur nature si on leur demande de prêter attention à ce qu’ils sont en train de faire;  Les stratégies impliquent des comportements linguistiques et non linguistiques ;  Les stratégies linguistiques peuvent apparaitre en L1 ou en L2;  Certaines stratégies sont comportementales (donc observables) et d’autres mentales (donc non observables);  En général, les stratégies d’apprentissage ne contribuent qu’indirectement à l’apprentissage en fournissant à l’apprenant des données linguistiques qu’il peut ensuite traiter; toutefois, certaines stratégies offrent une contribution directe (par exemple, les stratégies de mémorisation dirigées vers des items lexicaux spécifiques ou des règles de grammaire);  L’emploi d’une stratégie dépend largement du type de tâche dans lequel l’apprenant se trouve engagé et des préférences individuelles de ce dernier.

Ces caractéristiques montrent beaucoup de points de convergence avec les stratégies de résolution des problèmes de communication. La grande différence semble reposer sur le fait que les stratégies d’apprentissage sont orientées vers la résolution de problèmes

102 d’apprentissage, alors que les stratégies de communication sont, quant à elles, orientées vers la résolution de problèmes de communication.

Il est également intéressant de souligner que la plupart des stratégies d’apprentissage ne contribuent que de manière indirecte à l’apprentissage; ce qui est également la caractéristique des stratégies de résolution de problèmes de communication. La conséquence de cet argument est la relativisation de la définition proposée par Rubin (1987), citée plus haut, car il parle d’un « effet direct sur l’apprentissage », alors qu’il s’agit, selon Ellis (1994), d’un effet indirect ou direct selon le type de stratégie. Nous reviendrons plus loin sur cette question.

Nous voulons maintenant aborder très brièvement la deuxième catégorie de stratégies de construction des savoirs en LE, celle des stratégies d’enseignement. Il est clair que le novice assume la responsabilité finale dans la construction des savoirs, à travers le traitement des données linguistiques qui lui sont présentées. Cependant, l’expert (ou l’enseignant) peut préparer, exposer le novice aux données linguistiques et faciliter la construction des savoirs à travers les stratégies d’enseignement. Nous voulons souligner que notre but n’est pas d’inventorier les stratégies d’enseignement mais plutôt de montrer comment ces stratégies peuvent faciliter les stratégies d’apprentissage que nous venons de présenter dans la partie précédente.

Dans la classe de langue, par exemple, les stratégies d’enseignement sont souvent initiées par l’enseignant pour traiter un certain aspect linguistique ou en réponse à un problème particulier d’apprentissage. Ainsi, les différentes stratégies d’apprentissage peuvent faire appel à des stratégies d’enseignement. On peut ici faire mention des stratégies les plus évidentes comme l’explication, la répétition, la traduction, la correction, la reformulation, la clarification, la vérification, l’approbation, la paraphrase, etc.

Plusieurs chercheurs ont expliqué la différence entre les stratégies de résolution de problèmes de communication et les stratégies de construction des savoirs. La différence repose principalement sur les buts et les effets que produisent les deux types de stratégies, comme l’indique Bange (1992:63):

103

« (…) je veux indiquer que les buts et les effets des activités de résolution des problèmes de communication et ceux de l’apprentissage sont différents et que, par conséquent, on ne peut pas identifier ces deux types d’activités l’un à l’autre »

L’argument de Bange (ibid.) rencontre celui de Rubin (1987:25), qui met en avant que les stratégies de communication servant à des fins fonctionnelles:

« (…) their main focus is on the process of participating in a conversation (i.e. functional practicing) and getting meaning across or clarifying what the speaker intends»

C’est sur la base de cet argument que Rubin (ibid.) avance que les stratégies de communication n’ont pas de lien direct avec celles d’apprentissage. Selon l’auteur, les dernières conduisent à la saisie, l’emmagasinage, la réactivation et l’utilisation des savoirs linguistiques. Ici, on retient l’idée que l’apprentissage doit avoir comme finalité de construire des savoirs qui s’inscrivent dans la durée. Deux questions se posent: comment savoir si une stratégie d’apprentissage aboutit à une réutilisation des savoirs langagiers et que ces saisies vont s’inscrire dans la durée? Par exemple, un apprenant peut, à travers une stratégie d’apprentissage, bien comprendre le sens d’un mot, mais ne pas être capable de le retenir pour une réutilisation ultérieure.

Dans un cas similaire, peut-on dire que ce n’est pas une stratégie d’apprentissage qui a été mise en œuvre? Par ailleurs, si le novice comprend le sens d’un mot à travers une stratégie de résolution de problème de communication et qu’il parvient à le retenir et à le réutiliser, n’est- il pas possible de penser que la stratégie a joué un double rôle, à savoir celui de résoudre un problème de communication et celui de conduire à un savoir-faire linguistique s’inscrivant dans la durée? Il parait logique de penser que, si l’acquisition à travers les stratégies de résolution de problèmes de communication n’est que potentielle, il en va de même avec la plupart des stratégies d’apprentissage. La différence repose sur le degré du potentiel acquisitionnel qui, peut-être, est plus élevé avec les dernières qu’avec les premières. Et cette différence s’explique par le fait que les stratégies d’apprentissage permettent plus de focalisation et de réflexion métalinguistiques.

104

En reconnaissant la valeur acquisitionnelle des stratégies de communication, Gajo (2001:122) propose l’argument suivant:

« Mais il faut en quelque sorte que les stratégies de communication passent d’un statut secondaire à un statut principal, qu’elles bénéficient d’une certaine attention et qu’elles soient poursuivies pour elles-mêmes »

Nous avons donc tenté de montrer, à travers les différents arguments qui précèdent, le potentiel acquisitionnel que présentent les stratégies de résolution des problèmes de communication et comment ce potentiel les rapproche des stratégies d’enseignement- apprentissage. Il nous appartient à ce stade d’expliquer le degré du potentiel acquistionnel des différents types des stratégies. Nous prenons comme point de départ que la construction des savoirs à travers les interactions dépend, comme l’ont montré Gajo et Mondada (2000), des activités de décontextualisation (activités métalinguistiques) et de recontextualisation (activités linguistiques).

Gajo (2001: 87) fournit une analyse intéressante à cet égard; il distingue trois niveaux selon lesquels la réflexion métalinguistique peut être contextualisée par rapport à l’interaction en cours:  fortement contextualisé: lien direct et nécessaire avec la communication immédiate ;  moyennement contextualisé: lien indirect ou non nécessaire mais motivé à la communication immédiate, ou lien à la communication environnante;  décontextualisé: pas de lien motivé à la communication immédiate ou environnante.

Au regard des trois niveaux de contextualisation de focalisation métalinguistique, reste à connaitre la nature de l’apprentissage pour chaque niveau. Même s’il n’existe pas d’études consacrées à ce phénomène, Gajo (ibid.) suppose que plus la réflexion métalinguistique est contextualisée, plus il y a la construction des savoirs de haut niveau.

Par ailleurs, le potentiel d’apprentissage à travers les stratégies de résolution des problèmes est, en partie, fonction de l’attitude adoptée par les interactants. Il a été mis en évidence par Faerch Kasper (1983) que l’attitude de réalisation (achievement behaviour) est plus favorable à la construction des savoirs que l’attitude de non-réalisation. L’abandon total de la

105 communication et la réduction fonctionnelle ou formelle limitent les possibilités de nouveaux apprentissages.

Il est également clair qu’en réduisant les thèmes, les buts ou les activités relationnelles et en évitant les savoirs linguistiques incertains ou difficilement activables, le sujet s’éloigne du potentiel d’apprentissage. Au contraire, c’est en les testant que les connaissances incertaines deviennent certaines. Les interactants novices qui sont disposés à employer de nouveaux mots et de nouvelles phrases ou encore d’aborder des thèmes imprévisibles s’approchent de plus en plus de la possibilité d’apprendre dans l’interaction.

Ce sont donc les stratégies de réalisation qui sont les plus susceptibles d’aboutir à de nouveaux savoirs. En acceptant les savoirs incertains et en employant des stratégies d’accès aux schémas difficiles, le novice augmente la possibilité de vérifier et de restructurer ses savoirs, afin d’en permettre la stabilisation. En outre, les stratégies d’élargissement, qui sont plus audacieuses, ont le plus grand potentiel acquisitionnel, du fait qu’elles font appel à plus de stratégies d’étayage de la part de l’expert. Par exemple, la généralisation peut appeler l’explication d’une règle spécifique, les expressions paraphrastiques peuvent appeler un lexique spécifique, etc. Quant aux stratégies de substitution, leur potentiel acquisitionnel est variable selon qu’elles penchent vers la réalisation ou la non-réalisation, d’où le malaise concernant les stratégies plurilingues.

Nous avons souligné, au début du chapitre, que les représentations sociales peuvent jouer un rôle important dans le choix et l’emploi des stratégies, notamment dans une classe plurilingue. Avant d’aborder les représentations en lien avec le plurilinguisme, la didactique des langues et la didactique du plurilinguisme, nous nous proposons d’explorer la notion même de représentation.

3.5 Les représentations et leur genèse La vie sociale fonctionne de manière relativement régulière. La finalité d’une recherche en sciences sociales serait donc d’examiner, de comprendre et d’expliquer ces régularités. Elles constituent, en effet, le produit du partage d’une vision du monde par les membres d’une collectivité sociale. Plus intéressant est le rapport qui s’établit entre le social et l’individu. Il est clair que la société agit sur l’individu, mais il est vrai aussi que le social n’existerait pas

106 sans l’individuel. En effet, ce sont les individus qui font évoluer le social, par leur influence au sein du groupe. Il existe ainsi une interaction entre la société et l’individu. Le social se construit par le partage de certaines croyances ou d’une certaine vision du monde par les membres du groupe. C’est pour cette raison que Moscovici (1989) voit, dans les idées sociales, une sorte d’opérateur cristallisant des actions réciproques au sein d’un groupe d’individus, formant l’unité supérieure qu’est l’institution. En d’autres termes, c’est cette cristallisation qui rend possible le passage du niveau moléculaire (individuel) au niveau molaire (collectif). Ce sont ces idées sociales que Moscovici appelle « représentations sociales ».

La notion de représentations a été fondée par Durkheim (1968). Il a employé cette notion dans le domaine de la psychologie sociale pour désigner une vaste classe de formes mentales (relatives aux sciences, aux religions, aux mythes, à l’espace et au temps) d’opinions et de savoirs. En tant que concept, on peut considérer les représentations comme ayant une certaine fixité et une objectivité. En effet, ce sont ces qualités qui leur donnent le pouvoir non seulement d’exister dans chaque individu, mais également d’être partagées à travers les individus.

Dans son travail, Durkheim (ibid.) fait une distinction entre les représentations collectives et les représentations individuelles. Ces dernières étant propres à chaque individu, elles sont variables et importées dans un flot ininterrompu, alors que les premières sont homogènes et partagées par tous les membres d’un groupe, de même qu’ils partagent une langue. Selon Durkheim (ibid.), les représentations collectives ont pour fonction de préserver le lien entre les membres de la collectivité sociale, en les préparant à penser et à agir de manière uniforme. Nous pensons que cette uniformisation de façon de penser et d’agir qui constitue le processus de cristallisation des idées est à l’origine même de l’émergence des institutions sociales. Il nous parait plausible de dire que la société cherche à éviter le hasard dans la pensée et l’action, en établissant des régularités et des cadres de référence pour ses membres. En fait, c’est en établissant un cadre de référence commun que se forme une identité socioculturelle partagée.

La définition de Durkheim ne s’éloigne pas de celle de Weber (1971), qui décrit les représentations comme savoir commun ayant le pouvoir d’anticiper et de prescrire le comportement des individus. En d’autres termes, les représentations viennent pour

107 programmer l’individu, en servant de cadre de référence et de vecteur de l’action. Comme on peut le constater, les deux définitions ont des points de convergence et de divergence. Par exemple, les deux contiennent la notion du mental, une image mentale du monde. En revanche, Durkheim distingue les représentations individuelles et collectives, alors que la définition de Weber est centrée sur les représentations sociales, donc collectives.

Les représentations sont complexes et souvent difficiles à saisircar elles impliquent tant des aspects mentaux personnels que des aspects sociaux, dans une interaction complexe et évolutive. Pour comprendre la nature des représentations, il nous parait fondamental d’examiner rapidement les caractéristiques mentales (intrinsèques) des individus, telles qu’elles sont avancées par Frawly (1997), suivant la théorisation de Brentano et James. L’auteur décrit cinq caractéristiques mentales, qui constituent la base même de la science cognitive actuelle. Pour nous, ces caractéristiques sont essentielles car elles définissent et déterminent la relation qui s’établit entre l’espace interne de l’individu et l’espace externe de la société. C’est cette relation qui est le moteur des représentations.

La première caractéristique est l’intentionnalité, selon laquelle les pensées sont conçues comme des croyances ayant des buts et des finalités vis-à-vis des objets. Cette caractéristique est ancrée sur la théorie de l’internalisme qui domine le courant principal de la science cognitive. On le voit dans les travaux de Dennet (1987) qui parle de l’intentional stance pour désigner la prédiction des comportements par l’attribution de croyances, de désirs et d’autres états mentaux à un agent rationnel. En principe, l’être humain a des finalités dans ses dires et ses faires, ancrées dans ses états mentaux et constituant une expression de son comportement.

La deuxième caractéristique est celle de la conscience qui signifie que l’expérience implique la conscience. L’individu est conscient de lui-même et de son expérience. En partie, c’est cette caractéristique qui fait naitre, chez l’individu, des idées et des croyances. La conscience est étroitement liée à l’intentionalité car les intentions naissent de la conscience. Ce sont, d’ailleurs, ces deux caractéristiques intrinsèques à tout être rationnel qui nous ont conduit, plus haut, à considérer les stratégies de résolution de problèmes de communication comme étant des plans potentiellement conscients. La troisième caractéristique est l’unicité des états mentaux. C’est dire que les états mentaux sont personnels et uniques. C’est ce trait qui fait que les individus ne réagissent ni n’interprètent pas toujours de la même façon les phénomènes externes. C’est pour cette raison qu’il existe des représentations individuelles.

108

Cependant, il existe des phénomènes qui font que les individus partagent des expériences plus ou moins semblables et qui peuvent se propager pour former des représentations collectives. La continuité est la quatrième caractéristique selon laquelle il y a, chez l’individu, un flot de la conscience dans un soi unifié. C’est-à-dire, le flot de la conscience est en harmonie avec le reste des caractéristiques. Ainsi, la formation des idées chez l’individu est déterminée par l’ensemble de ses caractéristiques mentales. La dernière caractéristique est la sélectivité, dans le sens où l’individu participe à certains phénomènes du monde extérieur et non aux autres, en fonction de ses croyances et désirs. En effet, nous pensons que la sélectivité est responsable de la catégorisation et l’étiquetage des phénomènes dans l’expérience consciente.

Pour résumer, nous pouvons dire que les représentations sont fondées sur et déterminées par les caractéristiques décrites ci-dessus. Il faut cependant préciser que ces caractéristiques ne sont pas uniquement liées aux représentations mais à l’ensemble des comportements individuels. A ce stade, il faut peut-être se poser la question sur l’émergence des représentations. Pourquoi se forment-elles? Nous avons montré la quête pour tout individu, et donc pour toute collectivité sociale, d’établir des régularités et des cadres de référence, une sorte de routinisation de ses actions pour éviter le hasard, comme moteur des représentations. On pourrait ainsi schématiser la genèse des représentations en lien avec les états mentaux décrits plus haut:

Figure 7: Les états mentaux et la genèse des représentations (notre schématisation)

États

mentaux

exposition besoin conscience représentations aux d’appréhension intentionalité individuelles ou phénomènes et de unicité collectives sociaux ou régularisation

seléctivité physiques Continuité

109

On peut ainsi s’accorder, à l’instar de Jodelet (1989), sur le fait que la fabrication des représentations repose sur notre besoin de comprendre le monde qui nous entoure (objets, personnes, événements, idées) et la nécessité de s’y ajuster, de s’y conduire, de le maîtriser physiquement ou intellectuellement et de résoudre les problèmes qu’il pose. En fait, les représentations, comme tout autre comportement routinisé ou stéréotypé, simplifient notre vision du monde et rendent possible une vie commune. C’est pour cela que les représentations sociales peuvent être transmises d’une génération à une autre car cela facilite l’intégration des enfants dans la société (adoption du group mind). C’est la raison pour laquelle l’auteur (ibid.) insiste sur l’importance des représentations sociales:

« Ce monde nous le partageons avec les autres, nous nous appuyons sur eux – parfois dans la convergence, parfois dans le conflit - pour le comprendre, le gérer ou l’affronter. C’est pourquoi les représentations sont sociales et si importantes dans la vie courante. Elles nous guident dans la façon de nommer et de définir ensemble les différents aspects de notre réalité de tous les jours, dans la façon de les interpréter, statuer sur eux et, le cas échéant, prendre une position à leur regard et la défendre ». Jodelet (1989:31)

Dans notre présentation, nous avons évoqué l’existence des représentations collectives et individuelles que propose Durkheim (1968). Ici, nous nous proposons un résumé des différences entre les deux notions, en nous basant sur les travaux du même auteur, présentés par Moscovici (1989). Mais il faut signaler d’emblée que les deux notions sont dans une interaction complexe car toute représentation collective est d’abord individuelle. Cependant, il existe des représentations émanant d’une expérience personnelle et qui n’existent que chez un individu. C’est ce dernier cas que nous désignons sous le terme de « représentations individuelles ». Compte tenu de cette précision, nous présentons les différences de ces deux notions dans le tableau ci-dessous.

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Tableau 5: Représentations collectives et individuelles

Représentations collectives Représentations individuelles Partagées par un groupe d’individus (niveau Propres à chaque individu (niveau moléculaire) molaire) Plus objectives Moins objectives Dépendent d’une expérience partagée Dépendent souvent d’une expérience individuelle Servent de cadre de référence pour les actions Pas forcément cadre de référence mais ayant le individuelles potentiel d’orienter les actions des individus Plus stables Moins stables (variables), éphémères Transmissibles à travers les générations Non transmissibles

Les représentations collectives naissent d’événements dont la gravité est capable d’affecter l’assiette mentale de la société. Plus la gravité de l’événement se fait sentir au-delà de l’espace individuel, plus elle est susceptible d’engendrer des représentations collectives. Py (2004) rappelle qu’une représentation collective est constituée, d’une part, d’un noyau qui est le centre autour duquel s’organise toute la représentation et, d’autre part, de schèmes périphériques: « Le noyau est la référence commune à tous les membres du groupe qui adhèrent à des degrés variables et d’une manière ou d’une autre à la représentation concernée. Quant aux schèmes périphériques, ils assurent les applications du noyau à des objets et à des contextes déterminés, effectuées par des personnes particulières » Py (2004:242)

Par exemple, un groupe d’enseignants peut avoir une représentation commune ayant comme noyau « l’alternance codique est un phénomène normal dans l’enseignement d’une langue étrangère ». Cependant, chaque membre du groupe d’enseignants peut moduler différemment sa relation avec cette représentation, de sorte qu’il peut partiellement ou totalement y adhérer. Les différentes modulations individuelles constituent les schèmes périphériques de la représentation.

Il faut souligner que, même si les représentations collectives sont plus objectives que les représentations individuelles, elles ne suivent pas toujours la voie rationnelle. C’est pour cela que Jodelet tire la conclusion suivante à propos des représentations collectives:

« …les représentations collectives sont logiques et reflètent l’expérience du réel. Cependant, dans la mesure où elles créent de l’idéal, elles s’éloignent du logique. Et une fois formées, elles acquièrent une certaine autonomie, se combinent et se transforment selon des règles qui leur 111

seraient propres. Au-delà s’y mêle un germe de « délire » qui les éloignent de la voie suivie par la raison » Jodelet (1989:66)

La définition de la notion de représentation nous permet d’expliquer comment cette notion s’articule aux notions voisines d’attitude et de stérétype, qui doivent également leur origine à la psychologie sociale.

3.5.1 Représentations, attitudes et stéréotypes: essai d’articulation Les notions d’attitude et de stéréotype sont souvent évoquées dans les travaux portant sur les représentations, tant en linguistique qu’en psychologie sociale. En effet, Moore (2001) montre que c’est la coprésence et la co-orientation de ces deux notions voisines qui viennent accentuer la complexité et l’insaisissabilité de la notion de représentation. Il nous parait fondamental de préciser, dans le cadre de ce travail, comment la notion de représentation sociale s’articule à celles d’attitude et de stéréotype. La chose la plus évidente est qu’en linguistique, les trois notions sont employées pour rendre compte de dimensions affectives, liées à l’imaginaire linguistique.

En effet, les études sur les représentations sont indissociables des études sur les attitudes et les motivations s’inscrivant dans le champ psychologique, comme le montre Moore (2001:9) en reprenant les propos de Candelier (1997):

« D’une certaine manière, ce qui a été longtemps considéré, en termes surtout psychologiques, comme relevant des attitudes ou des motivations individuelles se trouve (re)mis en relation avec les représentations sociales »

En étudiant les situations de contact des langues et les pratiques linguistiques, Calvet (1999) a révélé le fait que, dans leurs pratiques, les individus bi-plurilingues faisaient les choix de langue en fonction de la vision qu’ils avaient de ces langues:

« Nous sommes là confrontés à une dimension très particulière de la communication, au fait qu’à côté de l’utilisation des codes, c’est-à-dire des pratiques linguistiques, nous avons aussi des idées sur les codes, des présupposés, des stéréotypes, … les représentations » Calvet (1999:145) 112

Ainsi, pour Calvet (ibid.), les représentations linguistiques renvoient aux présupposés et aux stéréotypes sur les codes. Il ajoute une définition plus générale de la notion, comme constituant ce que les locuteurs disent et pensent des langues qu’ils parlent et de celles que parlent les autres. La définition que propose Calvet concerne les représentations portant sur les langues. En revanche, Slobin (1996) parle des représentations émanant d’une langue en avançant l’argument que les langues que nous apprenons ne sont pas des systèmes de codage neutres, d’une réalité objective; elles constituent chacune une orientation subjective vers le monde de l’expérience humaine, ce qui influence notre manière de penser, lorsque nous utilisons une langue. Un argument similaire est mis en avant par Gal (1989) selon lequel la capacité de la langue à dénoter et à représenter le monde n’est ni transparente ni innocente, car elle n’est pas indépendante de la subjectivité. C’est pour cela que la notion de représentation linguistique est difficile à distinguer de celle d’imaginaire linguistique qui, selon Houdebine (1997, cité dans Calvet 1999), renvoie au rapport du sujet à la langue qui est repérable dans les commentaires évaluatifs sur les usages et les langues. De ce fait, on peut envisager deux types de liens entre les langues et les représentations, à savoir les langues comme objet de représentations et comme source de représentations.

La notion d’attitude est plus ancienne que celle de représentation. D’après Doise (1989), elle a été introduite en psychologie sociale par Thomas et Znaniecki (1918). Depuis lors, de nombreux travaux de recherche ont été réalisés dans différents domaines afin de comprendre la nature des attitudes. Selon Doise (ibid.), la notion d’attitude renvoie à une position spécifique que l’individu a sur une ou plusieurs dimensions d’une entité sociale donnée. Moore (2001) avance une définition largement acceptée par de nombreux auteurs, selon laquelle l’attitude désignerait une disposition à réagir de manière favorable ou non à une classe d’objets. En effet, les définitions de Doise et Moore semblent converger vers l’idée qu’il s’agit d’une vue vis-à-vis d’un objet et que cette vue constitue la base de la réaction à cet objet.

Les stéréotypes sont définis par Tajfel (1981, cité dans Moore 2001) comme des formes spécifiques de verbalisation d’attitudes, qui sont acceptées par les membres de l’endo-groupe et qui portent sur certains traits saillants, adoptés comme valides et discriminants. Ces stéréotypes peuvent constituer les perceptions identitaires et cohésives du groupe, du point de vue de ses membres, ce que Moore (ibid.) désigne comme auto-stéréotypes, alors que si un

113 groupe a des perceptions comparatives entre lui et les autres groupes, ces stéréotypes sont désignés comme hétéro-stéréotypes.

Dans ce travail, nous emploierons les notions d’attitude et de stéréotype comme sous- catégories de celle de représentation. En somme et selon l’acception que nous adoptons, les représentations des langues sont donc des idées qu’un individu ou un groupe d’individus portent sur les codes et leur usage. Par rapport au plurilinguisme, les représentations concernent les idées qu’on a sur le répertoire plurilingue.

Contrairement aux autres phénomènes sociaux, la langue est à la fois un objet et un moyen des représentations. Les individus entretiennent des relations différentes avec les langues. Ces relations sont interprétables au niveau des représentations que ces derniers ont vis-à-vis de ces langues, mais l’interprétation des représentations passe par la langue. Les représentations peuvent concerner le système linguistique, les locuteurs, l’enseignement des langues, les pratiques langagières, etc.

Nous avons, jusqu’à ce stade, tenté d’explorer la notion de représentations dans son domaine d’origine, la psychologie sociale. Nous précisons que, dans le contexte de notre étude, la notion de représentation sociale sera exploitée d’un point de vue sociolinguistique et didactique, avec une orientation sur le plurilinguisme. La nécessité de prendre en compte l’aspect sociolinguistique de la notion réside dans le fait que le contexte sociolinguistique peut avoir des incidences sur ce qui se passe en classe de langue.

3.5.2 Les représentations sociales du point de vue sociolinguistique Il faut reconnaitre, du point de vue sociolinguistique, la centralité du contexte social dans la formation et le renforcement des représentations sociales des langues. C’est pour cela que Calvet (1999) insiste sur les facteurs socioéconomiques, identitaires, idéologiques voire affectifs caractérisant l’exposition aux différentes langues au fil du temps. Ces facteurs affectent la façon dont les sujets conçoivent la nature des langues, leur utilité et le besoin de les apprendre, etc. Par ailleurs, comme nous l’avons évoqué précédemment dans le deuxième chapitre, le statut et les fonctions officielles accordées aux langues affectent de manière significative les représentions sociales de ces langues.

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En effet, si, à l’instar de Jodelet (1989), on s’accorde sur le fait que les représentations sociales peuvent être considérées comme des systèmes d’interprétation régissant notre relation au monde et aux autres, en orientant et en organisant les conduites et les communications sociales, il est plausible de penser que l’étude des représentations sociales peut conduire à comprendre les identités personnelles et sociales car les représentations interviennent dans la définition de ces identités. Ainsi, dans les contextes sociolinguistiques multilingues, il est possible de comprendre comment les individus plurilingues s’identifient tant linguistiquement que socialement aux langues qu’ils parlent ou qu’ils apprennent, et quel group mind ils développent.

Les effets des représentations sociales sur les pratiques sociolinguistiques ont été étudiés de manière détaillée par de nombreux sociolinguistes. On peut citer Calvet (1999), Francard (1993) et Canut (1995) à titre d’exemple. Ils ont étudié les effets des représentations sociales sur le choix de la langue de communication, le choix de la langue d’appropriation, la vitalité des langues, l’affinité avec les langues, etc. Il est impossible d’aborder tous les phénomènes sociolinguistiques engendrés par les représentations sociales mais il semble que la question de l’insécurité linguistique occupe une place importante dans les contextes multilingues et chez les individus plurilingues. Nous proposons d’y porter notre attention.

Nous employons le terme d’insécurité au sens de Francard (1993), qui est repris par Calvet (1999) pour désigner la manifestation d’une quête non réussie de légitimité. Dans la plupart des cas, l’insécurité linguistique se construit et se développe, en grande partie, par les représentations linguistiques. Par exemple, certains individus n’aiment pas s’identifier avec une langue qui porte une image négative, ou alors un locuteur s’imagine ne pas parler une langue mais un dialecte. En réalité, on peut considérer toute une gradation de positions entre la sécurité et l’insécurité linguistique (Calvet 1999:162). Cependant, dans le cadre du présent travail, nous retenons une seule position, celle de complexe linguistique, qui consiste à utiliser les pratiques qui sont vues comme positives et à éviter celles qui sont négatives.

L’insécurité linguistique se manifeste principalement à travers ce que Calvet (1999) désigne comme commentaires évaluatifs sur l’utilisation des langues. Les commentaires évaluatifs traduisent le rapport que le sujet entretient avec la langue, que Calvet (ibid.) appelle imaginaire linguistique. C’est pour cela que Canut (1995) considère l’imaginaire linguistique comme synonyme des représentations des langues.

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On peut donc dire que le sujet est en état d’insécurité linguistique si son rapport avec la langue n’est pas harmonieux, dans le sens où il y a un décalage entre les pratiques linguistiques effectives et les pratiques recherchées ou revendiquées. Calvet (op.cit.) distingue trois types d’insécurité linguistique, à savoir statutaire (concernant le statut ou la « légitimité » de la langue ou d’une variété linguistique), identitaire (la langue caractéristique de la communauté) et formelle (comment les gens parlent et comment il faut parler). Il faut souligner que les mêmes critères statutaire, identitaire et formel déterminent également la sécurité linguistique. En outre, il est possible d’être linguistiquement sécurisé par rapport à un critère (formel, par exemple), mais être insécurisé par rapport à un autre (identitaire, par exemple). Il faut également rappeler que la sécurité ou l’insécurité linguistique peut être intralinguistique (impliquant les variantes de la même langue) ou interlinguistique (concernant différents codes dans les situations multilingues). En effet, Calvet (ibid.) prend en compte les deux dimensions, contrairement aux travaux de Labov (1976) qui ont abordé la seule dimension intralinguistique.

La plupart des recherches sur la sécurité/insécurité linguistique se sont concentrées sur les situations de communication extrascolaires. On peut, par exemple, citer les travaux fondateurs de Lambert et al. (1966) et Labov (1976) entre autres. Même les travaux plus récents (Canut, 1995; Calvet, 1999; etc.) ont porté une attention soutenue aux situations multilingues extrascolaires. Cependant, la sécurité/insécurité semble être également une question intéressante dans les situations scolaires et d’interaction en classe de langue étrangère, particulièrement lorsqu’il s’agit d’une classe bi-plurilingue. Il est intéressant de comprendre les différentes formes sous lesquelles se manifeste l’insécurité linguistique et les effets qu’elle peut avoir sur l’enseignement-apprentissage de la langue, particulièrement sur l’utilisation des ressources bi-plurilingues. Il faut souligner que l’insécurité peut concerner non seulement les élèves, mais également les enseignants, notamment dans les cas où ceux-ci doivent enseigner une langue qu’ils ne maîtrisent pas suffisamment. A l’insécurité linguistique peut donc s’ajouter l’insécurité pédagogique pour les enseignants qui ne sont pas suffisamment formés, facteur qui peut avoir des conséquences négatives sur les pratiques d’enseignement- apprentissage.

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3.5.3 Représentations sociales et répertoire plurilingue Au début du présent chapitre, nous avons défini, entre autres, les notions de bilinguisme, de plurilinguisme et de multilinguisme. Dans cette section, nous reprenons et développons la notion de plurilinguisme42 afin d’explorer les représentations liées au répertoire plurilingue. Nous précisons d’emblée que notre exploration théorique des représentations sociales du répertoire plurilingue est principalement centrée sur une perspective psycholinguistique.

Nous avons précédemment vu la définition du bilinguisme basée sur la conception traditionnelle fondée sur les travaux de Bloomfield (1933 et1935) selon laquelle le bilinguisme suppose une égale maîtrise de plus d’une langue. Par ailleurs, dans cette conception, le « répertoire plurilingue » est considéré comme constitué de compétences monolingues distinctes, superposées ou juxtaposées. Il s’agit d’une perspective monolingue du plurilinguisme.

Une conception diamétralement opposée, comme on peut le voir dans les propos de Gajo (2001:128), met en avant une conception bilingue du bi-plurilinguisme, selon laquelle la compétence bilingue doit être considérée comme «une compétence originale, qui ne correspond pas au collage de deux compétences monolingues, mais qui se présente dans sa propre homogénéité». L’auteur (ibid.) précise que, même si l’individu bilingue est souvent amené à activer et à inactiver certains éléments de son répertoire, la compétence bilingue reste indivisible.

L’argument de Gajo (ibid.) rejoint les propos de Coste, Moore et Zarate (1997: 12), pour qui la compétence plurilingue renvoie à la capacité:

« à communiquer langagièrement possedée par un locuteur qui maîtrise, à des divers degrés, plusieurs langues… tout en étant à même à gérer l’ensemble de ce capital langagier…L’option majeure est de considérer qu’il n’y a pas là superposition ou juxtaposition de compétences toujours distinctes, mais bien existence d’une compétence plurielle, complexe, voire composite et hétérogène, qui inclut des compétences singulières, voire partielles, mais qui est une en tant que répertoire disponible pour l’acteur social concerné»43

42 Synonyme de « bilinguisme » dans ce cas. 43 Nous n’avons retenu que les apects langagiers, car la définition concerne la compétence plurilingue et pluriculturelle. 117

Cette définition correspond à l’objet de l’étude, à savoir comprendre comment les partenaires de la classe de FLE exploitent leurs resources plurilingues, en établissant des liens entre les différents codes linguistiques à des fins d’appropriation de la langue. L’élément focal dans cette nouvelle conception est celui de l’existence d’une compétence plurilingue originale qui est sous-jacente à celles des différentes langues. Les travaux de Cummins (1980) sont généralement considérés comme fondateurs de cette nouvelle perspective. Il distingue ce qu’il désigne comme « surface features » de L1, L2, etc. et la « common underlying proficiency » ou la « Cognitive Academic Language Proficiency ». Il présente les deux types de compétences sous la forme d’un « dual ice-berg » que nous nous permettons de reprendre ici.

Surface features of L1 Surface features of L2

Cognitive Academic Language Proficiency

Cummins (1980: 87) Pour Cummins (ibid.), la compétence sous-jacente commune est plus importante que celles de la surface car elle est valable pour toutes les langues du répertoire. Elle est constituée des mécanismes, des stratégies et des capacités communes à toutes les langues. C’est cette compétence qui permet à l’individu bi-plurilingue d’activer et de désactiver un élément ou un autre de son répertoire, selon la situation de communication.

La conception actuelle s’inscrit dans la reconnaissance du fait que le plurilinguisme est de facto la norme et le monolinguisme une exception (Auer, 2007). Pour reprendre les propos de James & Garrett (1991) et de De Pietro (1995, cités dans Castellotti et Moore 2002), la nouvelle orientation psycholinguistique du bi-plurilinguisme permet de favoriser l’interdépendance entre les langues connues et les langues en appropriation. En fait, on peut penser que la compétence sous-jacente commune favorise l’appropriation d’une nouvelle langue, mais que la nouvelle langue permet également de développer cette compétence commune. Ainsi, les deux se renforcent mutuellement. Dans la section qui suit, nous décrivons les représentations issues de la didactique des langues et du plurilinguisme

118

3.5.4 Représentations sociales dans la didactique des langues et du plurilinguisme

Bien que la notion de représentation sociale soit relativement nouvelle en didactique des langues, les travaux qui y sont consacrés sont importants. Il faut souligner que de nombreuses études ont étayé, de manière solide, l’existence de liens forts entre les représentations sociales et les différents courants de la didactique des langues. On peut citer à titre d’exemple les travaux de Gajo & Mondada (2000), Matthey (1997), Zarate et Candelier (1997), Dabène (1997), Berthoud (1996) et Moore (2001). Ces travaux traitent, entre autres, les représentations des langues, du plurilinguisme et de la didactique des langues.

En didactique des langues, l’étude des représentations sociales a souvent été en lien avec la question de la motivation. Les études sur la motivation datent de plusieurs décennies. La finalité de ces études est, entre autres, de comprendre et d’expliquer les facteurs internes (intrinsèques) et externes (extrinsèques)44 poussant les sujets à choisir une langue plutôt qu’une autre, à continuer ou à abandonner l’apprentissage d’une langue, etc. Différents éléments représentationnels se trouvent derrière la motivation.

En ce qui concerne les pratiques pédagogiques, les représentations sociales jouent sur la façon dont la langue doit être enseignée. Ici, nous nous intéressons particulièrement aux idées sur le rôle des autres langues dans la classe de langue étrangère. Par exemple, un enseignant qui considère que la langue préalablement appropriée présente un obstacle à l’appropriation d’une nouvelle langue va adopter des techniques pédagogiques consistant à éviter tout recours à une autre langue pendant les activités d’enseignement-apprentissage. De ce fait, l’étude des représentations peut être utile à la compréhension des pratiques pédagogiques dans la classe de langue.

Par ailleurs, certaines études ont montré le lien entre les représentations sociales et la difficulté de la langue en appropriation. Par exemple, l’étude mené par Muller et De Pietro (2001) sur les représentations de l’allemand chez les lycéens suisses a dévoilé un lien entre le fait de considérer l’apprentissage de l’allemand comme difficile et le fait de sentir mauvais dans cette discipline et de ne pas l’aimer. Ainsi, reconnaitre la relation entre les représentations et les pratiques, même si la nature de celle-ci n’a pas de lien de cause à effet,

44 Voir Coon & Mitterer (2010) pour une présentation plus détaillée des notions de motivation intrinsèque et extrinsèque. 119 devient d’emblée fondamental pour l’étude de nombreux phénomènes relatifs à l’apprentissage des langues. Il est notamment possible de comprendre le niveau de maîtrise que l’apprenant cherche à atteindre et les phénomènes de fossilisation.

Nous soulignons que les représentations ne sont pas statiques et qu’elles évoluent avec la société. Comme notre travail est principalement centré sur les pratiques et les représentations sociales vis-à-vis des ressources bi-plurilingues, nous présentons brièvement comment la conception du rôle des ressources bi-plurilingues a évolué au fil des générations de méthodes.

3.5.5 L’évolution des représentations vis-à-vis des ressources bi-plurilingues en la didactique des langues Il est évident que l’évolution des représentations des ressources bi-plurilingues dans la didactique des langues est indissociable de l’évolution des méthodologies/approches, notamment vis-à-vis des erreurs. En effet, si certaines approches considèrent la langue première comme responsable des erreurs, d’autres approches accordent à cette langue un rôle pédagogique positif. Dans cette partie, nous proposons quatre grandes positions marquant l’évolution de la vision des ressources bi-plurilingues en classe de langue. Nous nous intéresserons uniquement au rôle accordé à langue source au fil des méthodologies et non à l’analyse des autres aspects de ces méthodologies.

La première position est caractérisée par un recours systématique et mécanique à la L1 par le biais de la traduction. Cette phase est marquée par les approches dites « traditionnelles » qui, selon Martinez (1996), ont dominé notamment le monde germanique et anglo-saxon au milieu du XIXe siècle, sous l’appellation de « méthode grammaire-traduction ». L’auteur (ibid.) indique qu’étant fondées sur la conception de langue en tant que code, la maîtrise de la langue se résumait généralement à la maîtrise de la grammaire et du lexique. La langue première des élèves constitue un appui central pour l’explication des règles grammaticales et pour la traduction du vocabulaire et la rédaction des textes. Il y a donc une dépendance de la L1 qui domine la communication didactique. La L1 est considérée comme moyen principal d’accès à la L2.

La deuxième position est celle d’évacuation de la L1 de la classe de L2. En effet, Germain (1993) montre que les critiques de la méthodologie grammaire-traduction ont donné naissance à l’approche directe, qui accorde la primauté à l’oral et dont le principe de base consiste à

120 faire de la classe de langue un espace de parole et non de discours sur la langue. La traduction du vocabulaire et l’explicitation des règles grammaticales étaient dénoncées. Le rôle des ressources bilingues se voit remplacé par la gestuelle, le mime, les verbalisations par l’enseignant, l’exposition en situation aux éléments linguistiques, etc., l’objectif étant d’amener l’apprenant à progressivement penser dans la langue en appropriation. Ainsi, l’approche directe a contribué de manière significative à la construction des représentations négatives vis-à-vis des ressources bi-plurilingues dans la classe de langue.

En effet, ce sont les études portant sur l’analyse contrastive des langues qui ont entrainé un bouleversement majeur de la vision du rôle de la langue première dans l’appropriation de la langue cible. Cavalli (2004) indique que la présence des marques transcodiques décrites sous le terme d’interférences a conduit à l’attribution de la plupart des erreurs à la L1, faisant d’elle une entrave à l’appropriation de la langue cible. Il faut souligner qu’à cette époque, les erreurs et les marques transcodiques étaient considérées comme problèmes dans le processus d’appropriation d’une langue et non comme faisant partie intégrante du processus.

La troisième position est celle des représentations nuancées découlant d’un compromis entre méthodologies traditionnelles et directes. Ce compromis a fait naitre des approches dites éclectiques ou mixtes. Martinez (1996) indique les différents aspects de ces méthodologies. L’apprenant se voit accorder une place de plus en plus importante, avec une insistance sur sa participation active en prenant la parole, dialoguant, analysant et donnant ses commentaires. Il est admis que le vocabulaire peut être enseigné à l’aide de la langue première.

L’émergence des approches communicatives au milieu des années 70 a marqué un tournant important dans la vision des ressources bi-plurilingues en classe de langue. La L1 de l’apprenant se voit accordée un rôle de plus en plus positif. Il est avancé par Martinez (ibid.) que c’est le déplacement de la position vis-à-vis des erreurs qui conduit au déplacement de représentations. Les erreurs ne sont plus considérées comme des indicateurs d’un problème d’apprentissage, mais comme partie intégrante du processus d’appropriation de la langue et leur origine n’est pas uniquement attribuable à la langue source. Par ailleurs, comme l’indique Moore (1996; cité dans Cavalli 2004:154), il y a également une nouvelle vision par rapport aux marques transcodiques:

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«(…) loin d’être considérées comme des « fautes », des « interférences », des indices d’incompétence, les marques transcodiques représentent autant de fenêtres ouvertes sur les processus qui président à cette construction progressive. A condition de les interroger, d’en détecter le fonctionnement, d’en faire ressortir la valeur d’un point de vue cognitif (moyens heuristiques, hypothèses formulées sur la langue cible, pont entre ce qui est connu/proche et ce qui est inconnu/distant) et les diverses fonctions du point de vue de l’interaction. »

En effet, il est indiqué par Martinez (1996) que, dans le cadre des approches communicatives, l’intervention de la L1 prend deux formes, à savoir l’analyse contrastive et le recours à la traduction. Contrairement aux approches précédentes, où l’analyse contrastive se fixait comme objectif, l’explication de la nature et de l’origine des erreurs, dans le cadre des approches communicatives, cette analyse est destinée à ce que Martinez (ibid.) désigne comme prise de conscience de la spécificité et de l’originalité de chaque langue afin d’en comprendre les implications didactiques et socioculturelles. La traduction, quant à elle, sert à associer la langue en appropriation à la langue source avec la finalité d’exploration, d’élargissement, de test de connaissances, etc.

Ainsi, les méthodologies grammaire-traduction et communicatives ont toutes les deux une vision positive du rôle de la langue source mais l’usage de celle-ci n’est pas le même. On voit dans la première un usage mécanique et dans la seconde un usage plutôt interrogé et raisonné. En réalité, le rôle de la langue source se voit de plus en plus renforcé avec l’émergence des recherches sur la didactique intégrée des langues. L’interdépendance pédagogique des langues est davantage valorisée, rendant possible de parler de la classe « des » langues plutôt que de la classe de langue. Il y a donc une nouvelle conception de la classe de langue qui, selon Py (1997), constitue un environnement bilingue rendant possible le recours aux ressources bi- plurilingues.

Il faut souligner que l’approche communicative a donné naissance à l’approche actionnelle45 qui reprend tous les concepts de l’approche communicative et y ajoute l’idée de « tâche ». L’apprenant est considéré comme acteur social et l’apprentissage doit lui permettre d’accomplir des tâches dans différents contextes sociaux auxquels l’apprenant va être confronté. La tâche est orientée vers un but à atteindre, une situation-problème à résoudre.

45 Cadre Eurpéen Commun de Référence pour les Langues. 122

L’approche actionnelle valorise non seulement les activités langagières mais également les activités culturelles. On peut dire que cette approche apporte plus d’authenticité et de légitimité par rapport à l’approche communicative. Ici, les resources plurilingues et pluriculturelles se voient valorisées. Il faut cependant souligner que les représentations des ressources bi-plurilingues n’évoluent pas de la même manière partout. La vision négative du rôle de la langue source perdure à l’heure actuelle dans beaucoup de pratiques didactiques.

Toutefois, la valorisation des ressources bi-plurilingues, notamment dans le prolongement des approches communicatives, a récemment donné naissance aux approches plurielles. Nous présentons ces approches dans la section suivante.

3.6 Approches plurielles, universalisation et contextualisation en didactique des langues Nous avons précédemment expliqué l’évolution des représentations vis-à-vis des ressources bi-plurilingues. En effet, la reconnaissance le principe d’interdépendance développementale46 avancé par Cumins (1979) a contribué à cette évolution. Selon ce principe, les compétences que l’apprenant acquiert en langue seconde seraient partiellement liées aux compétences déjà acquises en langue première. Par conséquent, les resources bi-plurilingues se voient de plus en plus valorisées dans les approches communément désignées comme approches plurielles ou relevant de la didactique du plurilinguisme.

Il est vrai que l’émergence des notions d’approches plurielles et de didactique du plurilinguisme témoigne d’une mutation historique importante. On peut mentionner la didactique intégrée, l’approche interculturelle, la didactique d’intercompréhension entre les langues parentes, l’éveil aux langues et l’enseignement bilingue. Selon Candelier (2008), ces approches prennent en compte la diversité des situations plurilingues de contact de langues et, comme l’indiquent Py et Gajo (2013), les langues sont considérées comme étant naturellement en contact et ce contact doit être au centre des curricula linguistiques. Par ailleurs, les auteurs (ibid.) font valoir que le bi-pluringuisme ne doit pas être considéré seulement comme un but mais également comme un moyen pour l’apprentissage. Avant de thématiser brièvement ces différents dispositifs relatifs aux approches plurielles et à la

46 Voir aussi Dabène (1994) pour une présentation détaillée. 123 didactique du plurilinguisme, nous proposons d’articuler les concepts fédérateurs d’approches plurielles et de didactique du plurilinguisme.

Pour Candelier (2008:67), la notion d’approche plurielle désigne « toute approche mettant en œuvre des activités impliquant à la fois plusieurs variétés linguistiques et culturelles ». L’auteur établit un contraste avec les approches singulières, dont « le seul objet d’attention est une langue ou une culture particulière, prise isolément ». Ainsi, une approche singulière est fondée sur une vision monolingue et monoculturelle. Selon lui, les approches plurielles englobent d’une part, les approches d’ordre linguistique, à savoir la didactique intégrée, l’intercompréhension entre les langues parentes et l’éveil aux langues et, d’autre part, une approche d’ordre culturel, à savoir l’approche interculturelle.

Quant à la notion voisine de didactique du plurilinguisme, nous nous contenterons de la définition proposée par Gajo (2008:63) qui conçoit la didactique du plurilinguisme dans les propos suivants:

« La didactique du plurilinguisme au sens fort recouvre plutôt les méthodologies relevant d’approches comparatives (didactiques des langues voisines, didactique integrée, certains aspects de l’éveil aux langues) et l’enseignement bilingue. »

D’après l’auteur (ibid.), la notion d’enseignement bilingue renvoie au fait d’enseigner une ou plusieurs disciplines non linguistiques dans une langue seconde.

En observant de plus près, on peut voir que les expressions d’approche plurielle et de didactique du plurilinguisme convergent largement, car, comme le dit Candelier (2008:75), les deux « impliquent un travail conjoint sur plus d’une langue ». La différence réside bien évidemment dans le fait que la première inclut l’approche interculturelle et exclut l’enseignement bilingue. Dans ce qui suit, nous proposons de thématiser brièvement certaines approches mais nous soulignons d’emblée que nous ne présenterons pas l’approche interculturelle.

La didactique intégrée des langues (désormais DIL) doit sa conception et son opérationnalisation aux travaux de Roulet (1980) et Germain (1993). Selon Candelier et Castellotti (2013), l’approche est fondée sur l’hypothèse postulée par Roulet (1980:8):

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« qu’un élève apprendra d’autant mieux un type de structure ou d’emploi en langue seconde qu’il en aura préalablement compris les principes en langue maternelle et que les instruments heuristiques mis en oeuvre pour découvrir ces principes dans la langue maternelle sont utilisables avec profit dans l’apprentissage des langues secondes. »

On peut voir que cette hypothèse active le principe d’interdépendance pédagogique entre les langues connues et la langue en appropriation. Sur la base de ce principe, Bailly et Luc (1992, cités dans Candelier et Castellotti, 2013:16) proposent une démarche en plusieurs phases pour l’utilisation concrète de l’approche. La démarche comporte les phases suivantes:

« observation d’exemples de production en langue première (L1) - construction des hypothèses sur les régularités inhérentes à cette langue – vérification des hypothèses en production ou au moyen d’autres observations), à travers un double mouvement de déstructuration (par rapport à la langue première) et de restructuration (en fonction de la langue à apprendre) »

D’après les auteurs, les faits linguistiques résistants constituent la cible de la démarche, à titre d’exemples les pronoms personnels, l’interrogation, les marqueurs de négation, etc. Par ailleurs, ils avancent que la phase de conceptualisation décrite ci-dessus doit être immédiatement suivie d’une mise en pratique pour la mise en relation, la réflexion métalinguistique et l’expérience communicative. L’approche n’est donc pas strictement communicative.

La DIL est particulièrement pertinente dans les classes mutilingues comme celles de FLE en Tanzanie. Cette approche est susceptible de permettre la mise en relation des LCEs, du swahili, de l’anglais et du français, selon différentes modalités, pour faciliter les apprentissages.

La didactique de l’intercompréhension entre langues parentes est un autre dispositif qui occupe une place importante dans la didactique du plurilinguisme. Elle vise la mise en valeur de l’intercompréhension entre les langues voisines pour optimiser les apprentissages. Castellotti et Moore (2002) citent notamment les travaux de l’équipe Galatea2 et ceux du projet EuRom4, qui visent à développer des outils d’aide à portée translinguistique. Les auteurs (ibid. 20) expliquent que cette approche permet de:

125

« valoriser l’expertise des apprenants en leur donnant l’occasion de se servir de leurs compétences linguistiques, et de mettre à l’épreuve leurs intuitions sur le langage et lesmoyens de transférer leurs compétences d’un contexte à un autre.»

En Europe, cette approche vise des aires linguistiques spécifiques, par exemple l’aire germanophone, l’aire romanophone, etc. Ce sont ces aires qui regroupent les langues ayant des caractéristiques linguistiques facilement transférables entre elles. Par ailleurs, Castellotti et Moore (ibid.) avancent que la finalité est de développer des compétences de compréhension dans n’importe quelle langue appartenant à une aire linguistique donnée.

Pour Gajo (2008), le processus d’intercompréhension en langues voisines suppose deux principes, à savoir l’exploitation du phénomène de contact de langues et l’appui sur des stratégies de fusion ou de dissociation. Le premier principe opère au niveau micro, par l’exploitation de ressources bi-plurilingues se manifestant dans le disours sous la forme de marques transcodiques. Au niveau macro, une langue donnée est préférentiellement choisie pour une tâche donnée. Le second principe suppose la mise en œuvre de stratégies visant à exploiter la contrastivité à des fins d’apprentissage.

Bien que nous ne disposions pas de données quant à l’exploitation de cette approche dans le contexte multilingue africain, le contexte tanzanien peut constituer un environnement approprié pour cette approche, et ce pour deux raisons. Tout d’abord, le swahili est une langue bantoue et la majorité des LCEs sont également des langues bantoues, fait qui rend possible l’exploitation de leur proximité linguistique. Par ailleurs, malgré le fait que l’anglais et le français appartiennent à des aires linguistiques différentes, la proximité lexicale entre les deux langues présente un potentiel certain pour l’optimisation des apprentissages chez les élèves tanzaniens. Explorons encore un autre dispositif des approches plurielles, l’éveil aux langues.

L’Eveil aux Langues est, selon de Candelier (1998), une reprise et un affinement de la didactique initiale dénomée Language Awareness, développée en Anglettere dans les années 1970. Castellotti et Moore (2002) expliquent que l’objet principal de ce dispositif est non seulement la sensibilisation aux langues, mais également de permettre une éducation langagière centrée sur le développement des savoirs sur les langues, par le biais de la comparaison entre les langues. Les auteurs (ibid. 20) résument la finalité de cette démarche didactique, en reprenant les propos de De Pietro (1995):

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« Cette approche cherche ainsi à favoriser les efforts de décentration, à travers la mise en contact avec des langues diverses, et à mieux préparer les élèves à l’apprentissage des langues, en fournissant des techniques et des méthodes d’appréhension des phénomènes langagiers. Le travail sur les attitudes et les représentations constitue un objectif intégré à l’effort d’ouverture et de décentration »

Ces propos montrent que, s’il peut y avoir des apprentissages linguistiques, la démarche se propose principalement une mission préparatoire à l’apprentissage des langues. En effet, c’est un travail à la fois sur la sensibilisation linguistique et les représentations sociales des langues, permettant la création d’un environnement favorable à la construction d’un répertoire plurilingue.

Nous pensons également que cette approche peut s’avérer utile, notamment dans le contexte multilingue tanzanien, où les LCEs sont particulièrement marginalisées, comme nous l’avons indiqué dans le deuxième chapitre. Ici, le travail sur les représentations sociales des langues, dès le plus jeune âge, peut modifier les attitudes vis-à-vis les LCEs.

Nous terminons notre présentation avec l’enseignement bi-plurilingue. Pour la notion d’enseignement bi-plurilingue, nous avons retenu la définition de Gajo (2008), qui voit ce dispositif comme l’enseignement d’une ou de plusieurs DNLs dans une langue seconde ou étrangère. Gajo (2009: 16) présente cinq cas de figure qui constituent l’une des typologies de l’enseignement bi-plurilingue:

1. Structure bilingue pour élèves monolingues 2. Structure monolingue L2 pour élèves monolingues L1 3. Structure bilingue pour élèves bilingues 4. Structure monolingue pour élèves bilingues 5. Structure monolingue L1 pour élèves monolingues L2

D’après l’auteur, le premier cas de figure (type 1) concerne les situations d’immersion partielle, où l’enseignement bilingue est proposé aux élèves qui ne sont pas strictement monolingues, mais dominants dans la langue majoritaire.

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Le deuxième cas de figure (type 2) s’adresse aux élèves de la majorité linguistique et se présente comme outil efficace pour l’apprentissage d’une langue seconde ou étrangère. Selon l’auteur (ibid.), ce type d’enseignement bilingue est illustré par les programmes d’immersion totale appliqués au Canada, où langue d’enseignement est didactisée comme L2.

Le modèle de type 3 reflète les situations où deux communautés linguistiques sont fortement représentées. C’est le cas du bilinguisme alterné ou de l’immersion réciproque. Gajo (ibid.) cite notamment l’exemple de l’anglais et de l’espagnol dans certaines classes aux Etats-Unis.

Le modèle de type 4 regroupe les dispositifs réservés aux minorités linguistiques, ayant pour finalité de conserver la langue minoritaire et de contribuer au bilinguisme. Dans ce cas, la langue d’enseignement jouit d’un statut de L1 au plan institutionnel. Gajo (2009) cite l’exemple des écoles minoritaires au Canada.

Le modèle de type 5 représente essentiellement les situations d’immigration où la prise en compte du bilinguisme n’est que transitoire afin de permettre le passage de la L1 (d’origine) à la « L1 » (d’accueil). D’après Gajo (ibid.) ce modèle représente un cas de submersion, qui serait, selon Baker (2006), une forme faible d’enseignement bilingue.

L’exploration des différents modèles de l’enseignement bi-plurilingue nous amène à expliquer les liens entre ces modèles et le système éducatif tanzanien. Nous avons montré dans le second chapitre que la caractéristique saillante du système est l’enseignement bilingue succèssif, selon les cycles. Si on prend le cas du swahili au primaire et de l’anglais au secondaire, cet enseignement bilingue pourrait correspondre au modèle 2 mais, en Tanzanie, la L2 est une langue officielle et son utilisation comme langue de scolarisation n’est pas conçue pour faciliter l’apprentissage de l’anglais. Il est également difficile de classer ce système dans le modèle 4 car son objectif n’est pas de préserver une langue minoritaire mais plutôt de promouvoir le bilinguisme. Ainsi, le système bilingue tanzanien est difficile à classer et oscille entre les modèles 2 et 4. Cela montre que les modèles didactiques ne sont pas à universliser et qu’il faut prendre en compte les spécificités sociolinguistiques de chaque contexte.

Avant de conclure cette section, il est important de souligner que le contexte sociolinguistique et éducatif de la Tanzanie se différencie de manière significative des autres pays africains.

128

Contrairement aux autres pays anciennement colonisés, la Tanzanie emploie une langue nationaleà l’école, le swahili. Cela témoigne de la diversité des contextes de contact des langues.

Compte tenu de la diversité des contextes sociolinguistiques et éducatifs, il s’avère fondamental d’adopter des modèles contextualisés permettant la prise en compte des paramètres particuliers plutôt que des modèles universalistes qui risqueraient d’ignorer certaines réalités contextuelles. C’est pour cela qu’il est utile d’aborder les notions de contextualisation et d’universalisation en didactique.

Par « contextualisation didactique », il faut entendre, selon Blanchet et Chardenet (2011), la prise en compte active des contextes politiques, sociaux, économiques, culturels, linguistiques, institutionnels, pédagogiques, interactionnels, dans les pratiques et les recherches didactiques. La notion est souvent utilisée en contraste avec celle d’universalisation qui présuppose l’existence des modèles généralisables et applicables dans tous les contextes sans prise en compte des conditions spécifiques à chaque contexte.

Ainsi, nous soutenons l’argument de Narcy-Combes et Jioffrion (2013) selon lequel les politiques linguistiques et éducatives, les systèmes éducatifs, le statut historique et actuel des langues en contact constituent des paramètres à prendre en compte contextuellement. De même, des variantes contextuelles existent également au niveau de l’organisation institutionnelle de l’école. Chaque école a sa propre culture organisationnelle et cela influe sur le déroulement de l’ensemble des activités. Au niveau de la classe, les partenaires, leurs caractérisatiques individuelles, leurs parcours linguistiques et professionnels et leurs rapports peuvent eux aussi engendrer des pratiques particulières. A ce propos, Puren (2000: 1) avance que « Toute proposition méthodologique ou didactique est strictement conditionnelle au contexte dans lequel et pour lequel elle a été formulée »

Dans cette section, nous avons présenté les notions d’approches plurielles et de didactique du plurilinguisme et quelques dispositifs développés dans ce cadre. Nous avons également montré comment certains des dispositifs didactiques pourraient être pertinents pour le contexte tanzanien. Nous supposons que ces approches sont susceptibles non seulement d’optimiser les apprentissages des langues mais également de valoriser les LCEs et peut-être de contribuer au maintien de leur vitalité. La didactique intégrée et celle de

129 l’intercompréhension entre langues apparentées semblent particulièrement pertinentes. Elles sont susceptibles de permettre l’exploitation des LCEs dans la classe de swahili, notamment au début du primaire. Elles peuvent également rendre possible l’exploitation du swahili dans la classe d’anglais au début du cycle secondaire. La didactique d’intercompréhension entre langues parentes peut s’avérer particulièrement utile dans la classe de FLE car le français est lexicalement proche de l’anglais. En outre, nous avons insisté sur la nécessité de situer les pratiques et les recherches didactiques afin de prendre en compte des paramètres spécifiques à chaque contexte. Dans l’analyse de nos données, nous pourrons voir s’il existe des ingrédients relevant de ces approches et, le cas échéant, comment les rendre visibles.

3.7 Conclusion Notre cadre théorique a permis de traiter un certain nombre de questions relatives à la communication, aux stratégies de résolution de problèmes de communication et à la didactique des langues. Ces trois notions ont été traitées en général et en les mettant en lien avec le plurilinguisme. En outre, la notion de représentation a été explorée de façon transversale, en la mettant en rapport avec les trois notions.

Nous sommes parti de l’analyse conceptuelle de notions préliminaires et transversales en interrogeant leur pertinence et leur évolution. Nous avons, en deuxième lieu, abordé la notion de communication en la situant dans le contexte des théories linguistiques, à savoir les modèles de code, d’inférence et d’ethnographie de la communication. Nous avons également décrit les principales caractéristiques de la communication bi-plurilingue et tenté d’articuler les termes de communication et d’interaction. Par ailleurs, la notion de stratégie de communication, qui occupe la place centrale du présent travail, a été traitée en lien avec la notion de stratégie pédagogique et différentes typologies de stratégies de communication, notamment celle de Bange (1992), ont été présentées et interrogées. En outre, les stratégies bi- plurilingues qui sont au centre de ce travail ont été particulièrement abordées. Le phénomène de représention sociale a aussi été abordé en lien avec les langues, les stratégies de communication et la didactique des langues et du plurilinguisme. Nous avons finalement présenté les approches plurielles et expliqué la nécessité de la contextualisation en didactique des langues face à la diversité des situations de contact de langues. Bien évidemment, notre présentation théorique peut paraître très vaste mais nous soulignons que la plupart des notions sont en lien direct avec le travail et seront exploitées de façon approfondie pour l’analyse des

130 données, alors que d’autres resteront à l’arrière-plan. Le chapitre suivant présente la base méthodologique du travail.

131

CHAPITRE 4 CADRE METHODOLOGIQUE

4.0 Introduction Pour atteindre les objectifs explicités dans le premier chapitre, nous avons élaboré un cadre méthodologique et mené une enquête de terrain dans onze écoles secondaires en Tanzanie. Dans le présent chapitre, nous décrivons l’approche méthodologique que nous avons adoptée pour cette étude, la nature des données, les outils de collecte des données ainsi que le terrain de recherche. Nous présentons également les différents défis et problèmes que nous avons rencontrés durant notre travail de terrain.

4.1Approche de l’étude

Il est fréquent que, dans la recherche scientifique, la tendance soit d’accorder plus de valeur aux recherches d’orientation quantitative plutôt que qualitative. D’après Dabbs (1982), cette tendance repose sur l’opinion publique généralisée qui consiste à associer la science aux nombres, ce qui peut signifier plus de précision et donc plus de rigueur scientifique. En réalité, les deux approches ne sont pas distinctes quant à leur valeur car chacune s’avère efficace en fonction des objectifs visés et de la nature des données recherchées.

Dans la plupart des cas, les deux approches interviennent de manière complémentaire et nous pensons que, dans la réalité, il est très rare qu’une recherche soit d’orientation purement quantitative ou qualitative. Dans sa tentative de distinguer les deux approches, Dabbs (ibid.) souligne que la notion de qualité est essentielle à la nature des choses, alors que la quantité est en principe la mesure de quelque chose. Si nous tenons cette proposition de base pour argument plausible, la recherche qualitative renvoie aux significations, aux concepts, aux définitions, aux métaphores, aux symboles et aux descriptions des choses. En revanche, le quantitatif compte et mesure ces choses. En poursuivant ce raisonnement, si l’objectif est de comprendre les différents points de vue sur un phénomène, nous devons avoir recours aux techniques qualitatives, mais pour savoir combien de sujets enquêtés partagent une opinion, nous serons obligés de compter et de mesurer. Le fait de compter et de mesurer un phénomène sert à parvenir à une généralisation de celui-ci ou à en établir la fréquence, la prévalence ou la distribution sociogéographique.

132

La présente étude traite des questions relatives aux pratiques et aux représentations sociales des langues et du plurilinguisme dans la communication en classe de français langue étrangère. Ainsi, notre but principal est d’identifier et de comprendre en profondeur la dynamique de ces pratiques et de ces représentations. Nous cherchons par la suite à comprendre la mesure dans laquelle celles-ci sont partagées par les acteurs dans les différentes écoles (et éventuellement les différentes régions concernées). Notre étude est essentiellement qualitative car, au départ, les faits relatifs aux phénomènes étudiés sont décrits et expliqués mais une fois cet objectif atteint, nous avons quantifié ces faits afin de permettre une vision plus large des phénomènes observés et de tirer des conclusions plus généralisables. Dans la partie suivante, nous nous proposons de décrire la nature des données et les différentes techniques employées pour la collecte.

4.2 Nature des données et méthodes de recueil

Etant donné que l’étude aborde principalement des questions de représentations et de pratiques, nous avons pensé qu’une seule méthode ne permettrait pas l’accès à des données fiables et suffisantes. Nous avons par exemple pris en compte le fait qu’il pourrait exister un décalage entre les dires et les faires des sujets enquêtés. Par exemple, un enseignant peut se prononcer pour ou contre le recours aux stratégies bi-plurilingues dans la classe de français alors que la réalité de ses pratiques pourrait révéler le contraire. En conséquence, un questionnaire peut nous amener à comprendre ce que l’enseignant considère comme pratique « idéale » et, d’ailleurs, qu’il peut revendiquer faire mais, en se rendant dans la salle de cours et en observant une séquence pédagogique, on peut se rendre compte que ses pratiques effectives ne convergent pas forcément avec les pratiques revendiquées. En fait, dans certaines situations, se contenter d’un seul type d’instrument de collecte des données, c’est accepter la perte d’une partie de la réalité.

Questionnaires Des questionnaires ont été employés pour les données relatives aux répertoires langagiers, aux représentations des langues et du plurilinguisme et à la didactique des langues. Ils ont permis de quantifier les faits et d’avancer des conclusions plus ou moins généralisables. Les questionnaires contenant des questions fermées et ouvertes ont été distribués aux enseignants et aux élèves. Certaines questions étaient les mêmes dans le questionnaire des élèves et le questionnaire des enseignants lorsqu’il s’agissait d’obtenir différents points de vue de ces

133 deux catégories d’enquêtés sur un même phénomène. 25% des élèves dans chaque classe devaient remplir les questionnaires. Cependant, dans les cas où les élèves de quatrième année étaient moins de dix (quelquefois quatre), nous avons fait participer tous les élèves. Par ailleurs, pendant que les élèves remplissaient les questionnaires, il fallait être là pour traduire les questions en swahili, car un nombre important d’élèves ne pouvait pas comprendre les questions en anglais. Le questionnaire a été administré à onze enseignants à raison d’un enseignant dans chaque école. Etant donné que, dans six écoles, il n’y avait qu’un seul enseignant, 70% des enseignants dans les écoles choisies ont participé à cet exercice.

Entretiens collectifs et individuels Comme les questionnaires, des entretiens ont été employés pour les données relatives aux répertoires langagiers, aux représentations des langues et du plurilinguisme, et à la didactique des langues. Les entretiens collectifs avec les élèves étaient conduits sous forme de focused group discussion, en groupe de dix (10) élèves. Cependant, dans les cas où le nombre d’élèves était moins de dix, nous avons fait participer tous les élèves. L’utilisation des entretiens collectifs se justifie par le besoin d’avoir des points de vue différents sur un même sujet et de permettre l’accès à des faits plus fiables. Lorsqu’il s’agissait d’une classe mixte, nous avons fait en sorte que les deux sexes soient représentés dans les groupes. Des entretiens individuels ont été conduits auprès des enseignants, à raison d’un enseignant pour chaque école.

Il s’agit d’un guide d’entretien semi-structuré. Nous avions prévu une liste de thèmes à aborder mais en laissant la possibilité de traiter des questions qui émergeaient au fur et à mesure des réponses des élèves. Certaines questions étaient les mêmes pour les élèves et pour les enseignants lorsqu’il s’agit d’avoir des points de vue différents pour les deux groupes. Nous avons utilisé un dictaphone. Après avoir posé une question, nous passions l’appareil au sujet enquêté.

Les entretiens ont rendu possible l’approfondissement des faits recueillis sur les phénomènes visés par l’enquête grâce au discours des sujets enquêtés et à une plus grande spontanéité. C’est donc notre outil privilégié pour accéder aux représentations sociales. Par ailleurs, étant donné leur caractère spontané, les données recueillies par les entretiens nous ont semblé plus proches des pratiques réelles que celles recueillies par les questionnaires. Pour exploiter les entretiens, nous avons effectué une transcription partielle en nous focalisant sur les contenus qui sont en lien direct avec les thèmes enquêtés. Nous signalons également que nous nous

134 intéressons particulièrement aux phénomènes d’argumentation et non à l’analyse discursive, sauf dans les cas où les details s’avèrent nécessaires pour compléter notre analyse, par exemple, dans les cas de modulation d’arguments. En conséquence, la transcription est plus grossière et les conventions peu détaillées.

Observation des séquences pédagogiques Les données vidéo ont été employées pour l’observation des séquences pédagogiques et l’analyse des pratiques effectives. Nous avons filmé et analysé dix-sept séquences pédagogiques observées dans une dizaine d’écoles. Pour des raisons administratives, nous n’avons pas pu obtenir des données vidéo dans la onzième école (St. Mary’s Nyegezi Seminary School). L’utilisation des données vidéo est nécessitée par le besoin d’observer tant des phénomènes langagiers que non langagiers dans l’interaction en classe. Cependant, il est utile de préciser que notre analyse des données filmiques ne se fonde pas sur l’approche multimodale, car notre intérêt est principalement de comprendre la part des stratégies plurilingues dans la communication en classe de FLE.

Nous reconnaissons, à l’instar de Filliettaz 2002, l’importance d’un regard holistique sur les pratiques communicatives car la communication s’étend des pratiques langagières aux pratiques non langagières, dans un rapport complexe d’association et de complémentarité, mais une approche strictement multimodale nous est peu utile. Les stratégies non-verbales et paraverbales seront uniquement abordées dans la mesure où elles contribuent à la compréhension de la nature de stratégies bi-plurilingues et leur part dans la communication en classe de FLE. Ceci dit, nous ne proposerons pas une analyse détaillée et systématique des types de conduites gestuelles, mimiques et prosodiques. Nous ne proposons pas non plus de logiciel particulier pour le traitement des données filmiques.

La technique d’observation des pratiques pédagogiques était principalement de type non- participant, le chercheur occupant la place d’observateur externe. En revendiquant la position d’observateur externe, nous ne prétendons pas que notre présence dans les milieux observés n’était pas susceptible de modifier le déroulement des événements. Comme l’indique Dabbs (1982), il est fait banal que la présence d’un visiteur dans la salle de cours change les comportements des acteurs de la classe: leur regard, leurs attentes, leurs mouvements, leurs sentiments, etc. En fait, la présence d’un chercheur peut aussi avoir une incidence sur les pratiques pédagogiques. Il faut tout une stratégie de la part du chercheur pour « naturaliser »

135 la situation afin que son effet sur le contexte de la classe reste le plus minimal possible. Nous reviendrons plus tard sur cette question pour expliquer comment nous avons fait face à l’effet de notre présence sur le milieu observé.

Une séquence pédagogique a été observée et filmée avec le groupe de première année et une autre avec celui de quatrième année. Les séquences à observer devaient impliquer des activités interactionnelles entre les partenaires de la classe. Autrement dit, il nous paraissait inutile de se rendre dans la salle de cours dans les cas où un enseignant prévoyait un exercice ou une autre activité à réaliser uniquement par écrit pendant toute la durée de la séquence. Chaque séquence a duré entre 25 et 35 minutes.

Fiche d’observation Durant la prise d’images, nous avons, en nous servant d’une fiche d’observation, pris des notes à propos des phénomènes qui nous ont paru intéressants ou curieux du point de vue pédagogique. Sur la base des notes prises, nous avons demandé des commentaires ou des explications aux enseignants. Comme indiqué précédemment, nous avons filmé et analysé dix-sept (17) séquences pédagogiques.

Nous présentons ci-dessous les conventions de transcription pour les données vidéo et orales. Nous rappelons que, pour la transcription des données audio, nous n’employons qu’une partie des conventions, alors que, pour les vidéos, nous exploitons l’ensemble des conventions.

Conventions de transcription pour les données orales et vidéo En Enseignant(e) E Elève (accomplissant une action individuelle) Es Elèves (accomplissant une action collective) EQT Enquêteur [ Chevauchement = Enchainement immédiat & Continuation d’un tour de parole . Pause courte .. Pause moyenne 1.5 Pause longue (en secondes) : Allongement syllabique

136 exa- Troncation / Intonation montante \ Intonation descendante QUEstion Accentuation > < Accélération <> Ralentissement maintenant Fort °maintenant° Doucement vous ¦ êtes Liaison non réalisée (deux?) Transcription incertaine xxx Mot(s) incompréhensible(s) (rire) Commentaire du transcripteur --- Omission de lignes de transcription TRD Indique les lignes de traduction

NB: Afin de préserver l’anonymat, les initiales sont utilisées pour représenter les noms des sujets enquêtés.

4.3 Terrain d’étude La Tanzanie est une République Unie de Tanganyika et de Zanzibar. Le Tanganyika est l’actuelle Tanzanie continentale. Lors de l’enquête, l’ensemble de la République était constitué de 26 régions administratives (ce n’est plus le cas actuellement). Il existait 21 régions pour la partie continentale et 5 pour Zanzibar. Notre travail a concerné la Tanzanie continentale car toute notre expérience en tant qu’apprenant et enseignant de langues a été vécue dans cette partie de la République. Nous avons effectué la collecte des données dans cinq de ces régions: Dar es Salaam, qui se trouve dans l’est du pays ; Iringa, au sud ; Ruvuma, à l’extrême sud, à la frontière avec le Mozambique ; Tabora, dans l’ouest et Mwanza, la région nord-ouest, au bord du lac Victoria (à la frontière avec l’Ouganda).

Ces régions ont été sélectionnées sur les critères suivants: présence des écoles qui proposent des cours de français, familiarité du chercheur avec les régions et représentativité nationale de ces régions car nous avons cherché à comprendre la situation dans les milieux ruraux et urbains, d’une part, et, d’autre part, dans les grandes et les petites villes. Par ailleurs, dans la 137 partie introductive, nous avons émis le postulat que les pratiques sociolinguistiques ne sont pas les mêmes dans ces différents milieux. Nous signalons également que la plupart des écoles proposant des cours de français se concentrent dans les grandes villes où, depuis la libéralisation de l’éducation (vers la fin des années 80), on assiste à une multiplication des écoles privées, notamment à Dar es Salaam. Ce phénomène pourrait s’expliquer par le fait que c’est à Dar es Salaam que la population est plus avertie et donc consciente de l’importance du français et des autres langues étrangères. C’est dans cette ville que se situe le plus grand aéroport international, les ministères du gouvernement et les grands hôtels touristiques. Cette ville est aussi le point d’entrée le plus important des touristes provenant des différentes parties du monde.

4.3.1 Ecoles choisies et informateurs

D’après un entretien avec un responsable de la section de français au Tanzania Institute of Education, dans l’ensemble de la République, les écoles secondaires publiques et privées qui proposent les cours de français sont, actuellement, estimées entre 150 et 200. Nous signalons qu’il est extrêmement difficile d’avoir des chiffres exacts car, dans la plupart de ces écoles, l’enseignement du français n’est pas stable à cause du manque d’enseignants. Des cours de français peuvent être suspendus pendant quelques mois voire quelques années suite au départ d’un enseignant. Nous avons effectué la collecte de données dans onze écoles (11), soit à peu près 5.5% du nombre total. Cependant, suite à des problèmes techniques, les entretiens ont été effectués seulement dans une dizaine d’écoles. De même, suite aux démarches administratives, l’observation des séquences pédagogiques a pu être effectuée dans une dizaine d’écoles seulement.

Pour chaque école choisie, la population cible a été constituée de deux groupes d’élèves de FLE, un groupe de débutants47 (les élèves de la première année) et un groupe de quatrième année, ayant des connaissances correspondant au niveau A148 du CECRL, et les enseignants de français. L’intérêt de choisir les deux groupes d’élèves était principalement de comparer les représentations linguistiques et les pratiques pédagogiques entre eux. Nous avons supposé que les stratégies plurilingues seraient plus fréquentes dans la classe de première année que la

47 Généralement, sans aucune base en français, car l’enquête a été effectuée au début de l’année scolaire. 48 Jugement général s’appliquant à une grande majorité des sujets, certains pouvant avoir affranchi ce niveau seuil. 138 classe de quatrième au vu de la différence du niveau de connaissance en français. Pour le groupe de la première année, nous étions également et particulièrement intéressés à comprendre les impressions du premier contact avec le FLE et les pratiques pédagogiques conduisant à l’entrée en cette langue.

4.3.2 Caractéristiques des écoles enquêtées Cette sous-section propose quelques caractéristiques de chacune des écoles. i. Stella Matutina (Lighano) Seminary Secondary School Elle est aussi connue sous le nom de Lighano qui désigne le village à proximité de l’école. L’école se trouve dans la région de Ruvuma, dans le district rural de Songea, à l’extrême sud de la République. C’est une école-séminaire catholique du Diocèse de Songea pour le cycle d’Ordinary Level (OL). Elle accueille des garçons uniquement avec un dispositif d’internat. La majorité des enseignants sont des moines catholiques mais il y a également des enseignants qui ne sont pas du clergé, dont l’enseignant de français. Il n’y a qu’un seul enseignant de français et qui ne dispose d’aucune formation pédagogique. Il a appris le français lorsqu’il était en France, où il travaillait pour une mission catholique. Le kingoni est la langue dominante dans la communication extra-scolaire mais le swahili est également utilisé. Les pratiques linguistiques à l’école sont caractérisées par des normes strictes contre l’utilisation du swahili et des LCEs.

ii. Malangali High School Elle est située dans le district de Mufindi, dans la région d’Iringa, au sud du pays. C’est une école publique non mixte, avec internat pour les garçons. L’école propose un enseignement pour les cycles d’Ordinary Level (OL) et d’Advanced Level (AL) mais le français est enseigné uniquement pour l’OL. Il y a deux enseignants, diplômés de l’école normale de formation pré-universitaire des enseignants. Ils sont titulaires d’un Diploma in Education. La communication extra-scolaire est dominée par le swahili et le kihehe. Le premier domine dans le milieu environnant l’école alors que le second est plus dominant dans les autres villages plus éloignés de l’école. Les normes linguistiques à l’école sont relativement permissives pour l’utilisation du swahili.

139 iii. Azania Secondary School Elle se trouve dans le district de Kinondoni, dans la capitale économique de Dar es Salaam. C’est également une école de garçons avec externat. Lors de l’enquête, il y avait deux enseignants de français. Les deux enseignants possèdent une formation pédagogique et sont titulaires d’un Diploma in Education et d’une licence universitaire. Le swahili est la langue dominante dans la communication extra-scolaire. Il existe une politique linguistique relativement stricte contre l’utilisation du swahili à l’école. iv. Jangwani High School C’est une école de filles avec un dispositif d’internat. Elle se trouve à Dar es Salaam, dans le district de Kinondoni à proximité d’Azania Secondary School. C’est une école d’OL et d’AL mais l’enseignement du français est dispensé uniquement pour l’OL. Lors de l’enquête, il n’y avait qu’un seul enseignant, sans aucune formation pédagogique et lui-même apprenant de français à l’Alliance Française de Dar es Salaam. Dans cette école, l’enseignement du français n’avait pas été assuré pendant presqu’une année scolaire dû au manque d’enseignants. En conséquence, nous n’avons pas pu enquêter le groupe de la quatrième année parce que les élèves ont abandoné le français et ne se présentaient pas aux examens nationaux. v. Zanaki High School Elle se trouve également à Dar es Salaam, dans le district de Kinondoni. C’est une école de filles, avec internat, dispensant une scolarisation pour les cycles d’OL et d’AL. L’enseignement du français est assuré pour les deux cycles. Lors de l’enquête, il y avait trois enseignantes, toutes formées et titulaires d’une licence universitaire. La politique linguistique scolaire en faveur de l’anglais est appliquée, notamment en salle de cours et en présence d’une enseignante, mais, comme dans la plupart des autres écoles, le swahili domine la communication en absence d’une enseignante et en dehors de la classe.

vi. Loyola Secondary School

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Loyola est une école mixte. Elle se trouve à Dar es Salaam dans le district de Kinondoni et appartient à la compagnie de Jésuites. Le corps enseignant est composé de membres du clergé et de laïcs. Il y avait deux enseignants titulaires d’une licence universitaire au momemnt de l’enquête. Cependant, l’un possèdait une formation pédagogique alors que l’autre non. Dans cette école, il existe une politique linguistique stricte contre l’utilisation du swahili. Comme dans la plupart des écoles de Dar es Salam, la communication extra-scolaire est dominée par le swahili. vii. Benjamin Mkapa High School C’est une école mixte qui se trouve à Dar es Salaam, dans le district d’Ilala. Il existe deux cycles d’OL et d’AL dans cette école, mais c’est à l’OL que l’enseignement de français est assuré. Dans cette école, l’enseignement de français n’avait pas été assuré pendant plus de deux ans et tous les élèves, dès la première année à la quatrième année étaient au même niveau. Les contenus d’enseignement étaient les mêmes pour les deux groupes. D’après l’enseignant, le groupe de quatrième année n’allait pas se présenter à l’examen national de français. Il existait un seul enseignant titulaire d’un ordinary diploma in education nouvellement affecté dans cette école. D’après le règlement de l’école, le swahili est interdit à lécole mais l’interdiction n’est respectée ni par les élèves ni par les enseignants. viii. Kazima Secondary School Elle se trouve à l’ouest du pays, dans le district urbain de la région de Tabora. C’est une école non mixte avec un dispoitif d’internat pour les filles. Le français y est nouvellement introduit et il y avait un seul enseignant titulaire d’une licence universitaire avec formation pédagogique. L’enseignement de français était assuré pour la première année uniquement. La politique linguistique contre le swahili et les LCEs est très stricte dans cette école. Le swahili et, en partie, le kinyamwezi sont les langues qu’on rencontre dans la communication extrascolaire.

ix. Saint Joseph Secondary School Elle se trouve au nord-ouest du pays, dans le district urbain de la région de Mwanza. C’est une école d’OL qui appartient à une mission catholique. Elle est

141

non mixte avec internat pour les filles. Il y a des enseignants laïcs et du clergé. La politique linguistique en faveur de l’anglais est très stricte. Bien que le swahili domine la communication extrascolaire, le kisukuma est particulièrement présent.

x. Nsumba High School C’est une école publique qui se trouve dans le district urbain de la région de Mwanza. C’est une école des garçons avec internat pour les cycles d’OL et d’AL mais l’enseignement du français est assuré pour l’OL uniquement. Cependant, le cycle d’OL est en cours de suppression et avec lui l’enseignement du français. De ce fait, le français n’existe plus en première année et nous n’avons pu enquêter que les élèves de quatrième année uniquement. Il y avait deux enseignants de français disposant d’une formation pédagogique, l’un titulaire d’une licence universitaire et l’autre d’un Ordinary Diploma in Education. La politique linguistique contre l’utilisation du kiswahili et des LCEs est stricte. La communication extrascolaire est dominée par le swahili et le kisukuma.

xi. Saint Mary’s (Nyegezi) Seminary School C’est une école séminaire catholique pour les garçons et avec internat. Comme dans les autres écoles catholiques, le corps enseignant est composé de membres du clergé et de laïcs. Il y a deux enseignants de français avec une formation pédagogique et titulaires d’une licence universitaire. La politique linguistique en faveur de l’anglais est stricte dans la communication à l’école. La communication extrascolaire est dominée par le swahili et le kisukuma.

Pour conclure cette partie, nous proposons la configuration de la classe ordinaire dans les écoles secondaires en Tanzanie. En commençant avec les effectifs, on peut estimer le nombre moyen entre 45 et 50. La salle de cours est rectangulaire. Les élèves, qui sont en uniforme, s’assoient normalement en quatre rangées, laissant des passages au milieu. Les tables et les chaises sont souvent individuelles. Tous les élèves se mettent face au tableau noir, qui est l’espace physique du professeur. Il y a une table du professeur et, dans des cas rares, une chaise. Le professeur reste souvent debout et écrit en utilisant une craie. Dans presque tous les cas, les élèves doivent lever la main pour demander la parole et se lever pour parler. Les photos ci-dessous montrent un exemple de la classe ordinaire de FLE en Tanzanie.

142

Salle de cours sans élèves Partage des livres

Réalisation d’une tâche au tableau Enseignant devant la classe

4.4 Problèmes de terrain

La conception d’un plan de recueil de données avant de se rendre sur le terrain s’effectue en fonction de ce que le chercheur conçoit comme prévisible. La réalisation effective du plan dépend des réalités du terrain qui ne convergent pas toujours avec le prévisible du chercheur. Dans la partie suivante, nous présentons les défis et les problèmes rencontrés sur le terrain afin d’aider les autres chercheurs qui pourraient s’intéresser au terrain tanzanien.

4.4.1 Sentiments d’insécurité et liberté d’expression

En Tanzanie, les pratiques habituelles de recherche en sciences sociales impliquent souvent l’emploi des entretiens, des questionnaires et de l’observation. Par ailleurs, les entretiens ne sont pas souvent enregistrés car l’enquêteur pose des questions et prend note des réponses fournies en les écrivant sur un carnet. L’observation s’effectue par la présence du chercheur dans un milieu social susceptible de révéler les phénomènes recherchés et les faits observés sont notés sur une fiche d’observation (sans caméscope).

143

Or, dans notre cas, les entretiens étaient enregistrés et les séquences pédagogiques filmées. L’utilisation d’un dictaphone et d’un caméscope a, dans certains cas, suscité un sentiment d’insécurité chez les sujets enquêtés. Nous n’avons pas ignoré ce fait qui pourrait nuire au bon déroulement de la collecte des données. Par exemple, nous avons repéré deux cas où, en se rendant dans la salle de cours, les élèves ont demandé à l’enseignant la raison pour laquelle ils étaient filmés et enregistrés.. Le même souci a été observé chez les enseignants. La prise de conscience de ce potentiel obstacle à la liberté d’expression chez les sujets enquêtés nous a conduit à prendre des mesures permettant à ceux-ci d’avoir confiance en nous:

 Nous avons expliqué clairement l’objectif de la collecte de ces informations et que celles-ci ne seraient exploitées qu’à des fins d’analyse scientifique;  Nous avons indiqué que nous n’avions aucun intérêt quelconque pour l’identité des personnes interrogées;  Nous avons insisté sur le fait que l’étude et ses résultats n’exposaient les participants à aucun risque de criminalité ou de nuisance à leur réputation;  Notre identité a été celle d’un étudiant d’université réalisant un travail de recherche dans le cadre de son programme d’études. S’identifier comme étudiant donne plus de sécurité aux sujets enquêtés que porter le nom de chercheur;  Le fait de s’être présenté au directeur de l’école avant de se rendre en salle de cours constituait un facteur de confiance chez les élèves. Pour ces sujets, si le directeur nous a donné l’accès aux salles de cours, c’est que notre travail n’aurait aucune retombée négative sur les enquêtés;

Ainsi, la collecte des données ne devait s’effectuer qu’une fois obtenu le consentement des sujets et que ces derniers fournissaient ces données en toute connaissance de cause et en toute liberté. Dans certaines situations, nous avons mené des discussions en plein air pour nous assurer que les sujets étaient à l’aise.

4.4.2 Démarche relative à l’utilisation de l’autorisation de recherche

Le ministère tanzanien de l’éducation et de la formation professionnelle accorde le pouvoir de délivrer l’autorisation de recherche aux vice-chanceliers des universités publiques. L’autorisation de recherche pour notre enquête de terrain était prête bien avant notre arrivée

144 en Tanzanie. Nous avons été autorisé à mener notre enquête dans les cinq régions choisies, chacune ayant une lettre d’autorisation spécifique. Or, cette lettre d’autorisation était à l’adresse du Regional Administrative Secretary (RAS). Cela veut dire qu’une fois dans la région concernée, il fallait présenter la lettre au secrétaire régional qui, ensuite, devait nous donner une lettre qui nous présente auprès de la municipalité. Le chef de la municipalité doit, à son tour, nous donner une lettre qui nous présente aux écoles qui sont sous son autorité. Cela signifie que si, dans une même région, les écoles se trouvent dans différentes municipalités, ce qui est le cas à Dar es Salaam, notamment, il faut consulter les directeurs de toutes les municipalités concernées.

Nous avons constaté la longueur de cette formalité lors de notre visite de la première région de recherche. En fait, pour chaque région, il fallait compter au moins une semaine pour attendre l’aboutissement de cette démarche. Or, nous ne disposions que de deux mois et demi pour effectuer la collecte des données dans onze écoles réparties sur les cinq régions. Après avoir compris que la finalité de cette formalité n’était que de faciliter notre identification et acceptation par les directeurs des écoles et que cette autorisation signifiait que nous pouvions mener notre enquête dans les régions choisies, en conformité avec la loi du pays, nous avons décidé d’abandonner cette longue démarche pour gagner du temps.

Par conséquent, nous avons choisi de présenter l’autorisation de recherche directement aux directeurs des écoles et de dépendre de leur bonne volonté pour nous laisser mener l’enquête dans leurs écoles sans obtention systématique des autorisations municipales. Cette nouvelle démarche a été plus pratique car nous avons été accepté dans toutes les écoles sauf une où la directrice nous a refusé l’accès aux enquêtés sous prétexte que l’emploi du temps des élèves était très chargé et qu’il ne fallait pas interrompre leur programme. Cette école a été remplacée par une autre pour atteindre le nombre de onze.

4.4.3 Le décalage entre la rentrée scolaire et la reprise des cours

Vu notre intérêt d’observer les impressions et les pratiques du premier contact avec le français chez les débutants sans aucune base en français, nous avons choisi de mener notre enquête au début de l’année scolaire pour les écoles secondaires. La rentrée, pour la plupart des écoles secondaires, était le 14 janvier. Or, pour certaines écoles publiques, rentrée scolaire ne signifie pas toujours reprise des cours. Dans certains cas, les cours peuvent reprendre deux semaines

145 après la date de la rentrée, et ce pour diverses raisons, entre autres le nettoyage des lieux, surtout pour les écoles avec internat, ou encore l’attente d’un nombre suffisant d’élèves car, dans certains cas, ils proviennent de différentes parties du pays et n’arrivent pas toujours en même temps.

Dans deux cas, nous nous sommes rendu dans une école et les directeurs nous ont dit que les cours allaient reprendre la semaine d’après. Au lieu d’attendre la durée d’une semaine et pour gagner du temps, nous avons demandé aux directeurs la possibilité de nous arranger avec les enseignants pour que des cours de français soient organisés en dehors du programme scolaire. L’acceptation de notre demande nous a donné l’occasion d’être témoin des leçons de premier contact avec le français et nous avons trouvé cela particulièrement intéressant sur le plan sciéntifique, comme nous le montrerons dans la partie de présentation et d’analyse des données.

4.4.4 Le petit nombre de cours de français dans l’emploi du temps

Le programme ministériel relatif à l’enseignement des différentes matières dans les écoles secondaires en Tanzanie prévoit deux cours de français par semaine, chacun durant 35 minutes. Dans certains cas, une leçon était programmée au début de la semaine et une autre à la fin de la semaine. Ainsi, pour observer deux séquences pédagogiques, il aurait fallu passer plusieurs jours dans une seule école. Cela ne nous convenait pas.

Face à ce défi, nous avons eu recours à la bonne volonté des directeurs et des enseignants pour permettre d’avoir des arrangements extérieurs à l’emploi du temps officiel. Les enseignants de français ont pu demander des horaires prévus pour d’autres matières afin d’organiser un cours de français. Par exemple, au lieu d’avoir une leçon de biologie prévue dans l’emploi du temps, nous avons demandé à l’enseignant de cette matière de nous laisser organiser un cours de français, ce dernier pouvant rattraper son cours pendant l’heure prévue pour le français. Dans la plupart des cas, cet arrangement a bien marché.

4.4.5 Les écoles où le français est exclu du programme scolaire

En arrivant dans certaines écoles, on s’est rendu compte que certains aspects du terrain avaient évolué de façon significative et à notre insu. Par exemple, dans une école de filles, Songea Girls’s Secondary School, située dans la région de Ruvuma, le français avait été

146 supprimé du programme scolaire car cette école, qui était pour le cycle d’« ordinary level » (de la première à la quatrième année du secondaire) avait été transformée en « advanced level » (niveau qui correspond aux cinquième et sixième années du secondaire). Le français n’y avait plus sa place car, dans l’ensemble du pays, il n’y a que trois49 écoles proposant un enseignement de français au niveau de cinquième et sixième années.

Une autre école (c’est d’ailleurs l’ancienne école du chercheur), Milambo High School, qui se trouve dans la région de Tabora, a subi des changements plus ou moins semblables à ceux de Songea Girls’ Secondary School. Cette dernière avait les deux cycles (ordinary and adavanced levels) et l’enseignement du français était assuré pour les deux cycles. Lorsque nous nous sommes rendu dans cette école, nous avons appris que l’ordinary level venait d’être supprimé et qu’il n’y avait que l’advanced level. Or, durant cette période de l’année (au mois de mars), tous les élèves de l’advanced level commencent leurs longues vacances de fin d’année. Par ailleurs, nous n’avions pas l’intention de recueillir des données auprès des élèves de cinquième et sixième années. Ainsi, nous n’avons pas pu travailler dans ces deux écoles qui avaient pourtant une longue tradition d’enseignement-apprentissage du français. A la place de Songea Girls’ Secondary School, nous avons choisi l’école séminaire catholique de Stella Matutina (située à Ruvuma), alors que Milambo High School a été remplacée par une autre école publique où l’enseignement de français vient d’être introduit, Kazima Girls’ Secondary School.

4.4.6 Problèmes de transport

S’agissant d’un pays en voie de développement, le réseau routier n’est pas suffisamment développé, surtout en campagne profonde. Nous avons fait tous nos déplacements en car. Il faut dire que l’accès à la plupart des écoles n’a pas posé beaucoup de problème, sauf l’école- séminaire de Stella Matutina qui est isolée en profonde campagne sans aucun moyen de transport public. Nous avons été obligé de faire une marche à pied de plus d’une heure et demie pour y arriver. Il s’est avéré indispensable de mener l’enquête dans cette école car c’est elle qui a remplacé Songea Girls’s Secondary School, où l’enseignement du français n’existe plus.

49 Lors de l’enquête il y en avait quatre (d’après un entretien avec le responsable de la section de français au TIE), mais actuellement trois. 147

4.4.7 Abandon du français en quatrième année: absence d’enquêtés

Comme nous l’avons indiqué plus haut, notre enquête a visé deux groupes d’élèves: les élèves de première année et ceux de quatrième année pour des fins comparatives. Il faut signaler, à ce stade, que dans les écoles secondaires Tanzaniennes où le français est enseigné, cete langue est une matière obligatoire en première et deuxième années et optionnelle en troisième et quatrième années. Pour diverses raisons, il arrive qu’un grand nombre d’élèves abandonne le français en troisième année. Il y avait des cas extrêmes, comme celui de Jangwani Girls’ School de Dar es Salaam, où il n’y avait plus d’élèves de français en quatrième année. Les raisons de cet abandon sont expliquées dans la partie de contexte de l’étude. Mais on ne pourra pas exclure, entre autres, le manque d’enseignants et la non-reconnaissance de l’importance du français. Dans de nombreux cas, le nombre d’élèves de quatrième année était si faible que nous avons décidé de faire participer tout le monde à l’entretien collectif et au questionnaire. En effet, lorsque le nombre d’élèves de quatrième année était inférieur à 10, nous avons fait participer tout le monde tant aux entretiens qu’aux questionnaires (voir le tableau des écoles et des informateurs à la fin du présent chapitre).

4.4.8 Le nombre insuffisant d’enseignants

Nous avons fait face à de nombreux cas où une école n’avait qu’un seul enseignant. Six des écoles visitées n’avaient qu’un seul enseignant de français et, lorsque celui-ci avait un empêchement ou s’absentait, il nous fallait attendre qu’il revienne. Nous ne pouvions pas nous rendre dans une autre école en attendant le retour de celui-ci car il fallait parfois parcourir de longues distances avant d’arriver dans une autre école, souvent des centaines de kilomètres. C’est le cas, entre autres, de l’école séminaire de Stella Matutina, dont l’enseignant était absent et nous avons été obligé d’attendre son retour.

4.4.9 Plurilinguisme et asymétrie de compétences langagières: quelle langue d’enquête ? En tant que chercheur, nous aurions préféré l’emploi du français durant nos enquêtes, afin d’éviter le travail de traduction des données transcrites car la plupart de nos lecteurs ne peuvent pas comprendre certaines langues des sujets enquêtés, par exemple, le swahili qui a été la langue choisie pour la plupart des enquêtés, notamment les élèves de la première année.

148

Le problème du choix de langue de la recherche était le produit de l’inégalité au niveau des compétences linguistiques dans les trois possibilités linguistiques à notre disposition, à savoir le swahili, l’anglais et le français. Puisque notre visée était la richesse des informations fournies, nous n’avons pas voulu imposer une langue unique pour de nombreuses raisons. En premier lieu, la plupart des débutants en français (form one), ressortissants des écoles primaires publiques où le swahili est le médium d’instruction, ne pouvaient pas s’exprimer en anglais de façon compréhensible. Il fallait les laisser le faire en swahili.

Quant aux élèves de la quatrième année, la majorité aurait pu s’exprimer en anglais de façon satisfaisante mais il y avait tout de même un nombre significatif d’élèves qui ne pouvaient le faire qu’en swahili. De manière générale, le choix de la plupart des apprenants était d’abord le swahili et puis l’anglais. Nous avons repéré un seul cas où un apprenant a pu alterner entre anglais et français. A la fin de l’entretien, nous avons cherché à comprendre pourquoi il avait choisi de s’exprimer de cette façon-là. Il a avancé une explication très intéressante selon laquelle le français lui procurait un grand plaisir à parler. S’il en avait eu les moyens linguistiques, il aurait pu répondre à toutes les questions en français. Il semblait que l’apprenant avait l’audace d’activer tous les savoirs intériorisés quand l’occasion se présentait. L’enseignant a également confirmé que l’élève prenait souvent la parole en français. On pourrait le considérer comme un apprenant efficace, cherchant à se servir de ses moyens linguistiques en français, même si ceux-ci font défaut.

Quant aux enseignants, nous leur avons indiqué notre préférence pour le français en laissant toutefois la possibilité d’utiliser une autre langue si cette dernière était susceptible de rendre le locuteur plus à son aise. La moitié des enseignants s’est exprimée en français, l’autre moitié en anglais et une enseignante en swahili, tout en alternant avec l’anglais. Certains enseignants ont commencé à répondre aux questions en français et fini par demander au chercheur de le faire en anglais ou en swahili. Ainsi, la question du choix de la langue a, en partie, été révélatrice du degré variable des compétences dans les différentes langues non seulement parmi les élèves mais également parmi les enseignants.

4.4.10 Conclusion

Les différents défis et problèmes relatifs à notre enquête de terrain permettent de prendre conscience de la nécessité de se rendre sur le terrain et d’obtenir quelques informations de

149 base avant de préparer les outils d’enquête et de mener une pré-enquête. Cette mesure peut donner l’assurance quant à la faisabilité de l’étude et éviter les inconvénients susceptibles de nuire au bon déroulement de l’enquête. Le tableau ci-après présente le nombre d’écoles visitées et les informateurs impliqués.

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Tableau 6: Ecoles visitées et informateurs

Ecole Elèves Enseignants/es Form one Form four Entretien questionnaires Entre- Question Vidéo Entre Question Vidéo Tiens -naires s -tiens -naires s Stella Matutina * 12 1 * 10 1 * 1 (100%) (Ecole séminaire (25%) (20%)

catholique) Malangali 10 10 1 10 10 1 1 1 (Ecole publique) (25%) (100%) (50%) (50%) Azania 10 12 1 10 11 1 1 (50%) 1 (50%) (Ecole publique) (25%) (25%) Jangwani 10 15 1 ** ** ** 1 (100%) 1 (100%) (Ecole publique) (25%) Zanaki 10 12 1 07 07 1 1 (33%) 1 (33%) (Ecole publique) (25%) (100%)

Benjamin Mkapa 10 12 1 07 07 1 1 (100%) 1 (100%) (Ecole publique) (25%) (100%)

Loyola 10 10 1 10 10 1 1 (100%) 1 (100%) (Ecole séminaire (25%) (25)

catholique) Kazima 10 08 1 *** *** *** 1 (100%) 1 (100%) (Ecole publique) (25%)

Nsumba **** **** **** 04 04 1 1 (50%) 1 (50%) (Ecole publique) (100%)

Saint Joseph 12 13 1 04 04 1 1 (100%) 1 (100%) (Ecole séminaire (25%) (100%)

catholique) Saint Mary’s 10 11(25%) **** 10 9(25%) **** 1 (50%) 1 (50%) Nyegezi * * (Ecole séminaire catholique)

Légende *Ecole qui a servi de test pour les instruments de recueil des données: données orales non disponibles pour des raisons techniques. **Elèves absents pour raison d’abandon du français (du fait de manque d’enseignant) ***Cours de français nouvellement introduits, absence d’élèves en quatrième année. ****Le cycle d’Ordinary Level est en cours de suppression (dernier groupe de quatrième année). *****Données vidéo non disponibles pour des raisons administratives.

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CHAPITRE 5 PRESENTATION, ANALYSE ET INTERPRETATION DES DONNEES

5.0 Introduction

Nous consacrons ce chapitre à la présentation, à l’analyse et à l’interprétation des données recueillies au moyen des outils méthodologiques décrits dans le chapitre précédent. La finalité du présent chapitre sera de trouver des éléments de réponse aux questions que nous avons soulevées dans le chapitre introductif. Le présent chapitre est composé de cinq sections. La première section aborde des questions relatives aux répertoires langagiers et aux représentations bi-plurilingues des sujets enquêtés. La seconde section analyse les pratiques bi-plurilingues des sujets enquêtés en se focalisant sur la continuité et la discontinuité de ces pratiques entre les domaines extrascolaire et scolaire. La troisième section se préoccupe des connaissances bi-plurilingues et la résolution des problèmes de communication dans le contexte d’interaction en classe de FLE. C’est la section la plus centrale du chapitre dans laquelle les différentes stratégies sont déchiffrées et expliquées. Les données vidéo seront particulièrement utiles pour cette section. Les conventions de transcription pour les données audio et vidéo ont été présentées dans le chapitre du cadre méthodologique.

5.1 Répertoires langagiers et représentations sociales des langues

L’appropriation du FLE en Tanzanie suppose l’entrée en contact du français avec les autres langues, notamment les LCEs, le swahili et l’anglais, qui sont déjà connues ou en cours d’appropriation selon les cas. Ainsi, les élèves de français constituent l’espace ou le centre du contact linguistique. En conséquence, il s’avère nécessaire de reconnaitre le fait que ce contact implique deux types de rapports, à savoir entre les codes linguistiques en contact et entre l’individu et ces différents codes - les représentations sociales des langues. La compréhension de la nature de ces deux types de rapports est particulièrement importante car ils ont des incidences sur le processus d’appropriation.

Ainsi, cette section se propose de présenter et d’analyser la nature de ces rapports. Nous estimons utile de commencer avec la présentation du répertoire langagier des sujets enquêtés. Pour des raisons pratiques, nous adoptons les abréviations et les symboles suivants pour représenter les différentes langues: LCE (Langue de Communauté Ethnique), SW (swahili) ANG (anglais), Français (FR). A la fin de cette section, nous pensons que nous aurons fourni

152 des éléments de réponse à la question des représentations du français par rapport aux autres langues en présence. Avant de poursuivre notre argumentation, nous proposons de comprendre les répertoires langagiers des sujets enquêtés, à savoir les élèves et les enseignants.

5.1.1 Les élèves et les langues en contact

Lors de notre enquête, nous avons demandé aux sujets d’indiquer toutes les langues auxquelles ils étaient exposés. Cela englobe toutes les langues en cours d’appropriation et celles qu’ils sont capables d’utiliser à des degrés variables de compétence. Nous précisons que, dans certaines langues, les élèves n’ont que quelques notions. Notre intérêt était de comprendre leur degré d’exposition et leur niveau de connaissance dans différentes langues, afin de « prédire » la nature de l’interdépendance entre ces langues dans la résolution des problèmes communicationnels et pédagogiques en classe de FLE. Par ailleurs, nous soulignons que, dans ce cas particulier, nous parlerons du niveau de connaissance en langue du point de vue des sujets enquêtés et non par rapport à un cadre de référence objectif. En d’autres termes, il s’agira d’auto-évaluation des connaissances par les sujets eux-mêmes. Les données sur l’exposition aux langues chez les élèves sont présentées dans le tableau ci- dessous.

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Tableau 7: Exposition aux langues chez les élèves

7lgs: LCE, LCE, 6lgs: N° 5lgs: LCE, 4lgs: LCE, 3lgs: SW, LCE, Ecole Classe LCE, SW, LCE, DE SUJETS ENGL, FR LCE, SW, LCE ENG, FR LCE, SW, ENG, FR ANG, FR IMPLIQUES SW, ANG, FR F I 1 8 1 2 0 12 Azania Boys’ Secondary School F IV 0 5 3 1 1 10 Benjamin Mkapa F I 3 7 2 0 0 12 Secondary School F IV 1 3 2 0 1 07 Jangwani Girls’ F I 2 6 0 2 0 10 Secondary School F IV ------FI 0 4 1 2 0 07 Kazima Girls’ School FIV ------Loyola Secondary F I 0 4 4 0 2 10 School F IV 1 7 2 0 0 10 Malangali Boys’ F I 0 2 7 1 0 11 Secondary School F IV 0 3 4 3 0 08 Nsumba Boys’ FI ------Secondary School FIV 0 2 2 0 0 04 Saint Joseph Girls’ F I 1 3 3 1 0 08 Seminary School F IV 0 0 4 0 0 4 Nyegezi (Saint Mary’s) F I 1 4 3 0 0 09 Seminary School F IV 0 0 4 0 0 4 Stella Matutina Boys’ F 1 1 5 4 1 0 11 Seminary School F IV 0 4 4 0 2 10 Zanaki Girls’ FI 2 2 6 3 1 14 Secondary School FIV 0 3 2 2 0 07 72 Total 13 (7,7%) 58(34,5%) 18(10,7%) 07(5,4%) 168(100%) (42,9%)

A partir du questionnaire destiné aux élèves, nous avons pu identifier cinq catégories d’exposition selon le nombre et les langues impliquées. Les cinq catégories présentées dans le tableau ci-dessus nous conduisent au constat qu’un grand nombre de sujets, soit 42,9%, est exposé à quatre langues, à savoir une LCE, le swahili, l’anglais et le français. Par ailleurs, nous constatons l’existence d’un petit pourcentage d’élèves, soit 7,7%, qui n’a aucune exposition à une LCE. Bien que, nous ne disposions pas de données comparatives intergénérationnelles, on peut au moins se permettre d’avancer l’argument qu’il y a l’émergence d’une génération d’adolescents sans LCE. Autrement dit, le paysage sociolinguistique de la Tanzanie du futur ne sera pas le même et peut-être qu’il y aura moins de diversité.

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Par ailleurs, il est intéressant de constater qu’un pourcentage important des sujets, soit 34,5%, est exposé à deux LCEs. Ce cas de bilinguisme horizontal est la preuve d’un rapprochement linguistique entre les différentes communautés ethniques. Par contre, l’exposition à plus de deux LCEs est moins importante, soit 10,7 %, pour trois LCEs et 5,4% pour quatre LCEs. Comme on peut voir dans le tableau, le swahili, l’anglais et le français sont présents dans toutes les catégories, car ce sont des langues ayant une reconnaissance officielle – le swahili comme langue nationale et officielle, l’anglais comme langue officielle et le français comme langue étrangère enseignée à l’école. Le swahili et l’anglais, nous l’avons dit, constituent respectivement des pôles super-central et central dans la constellation linguistique bipolaire de la Tanzanie. Nous avons, évidemment, rencontré des cas d’exposition à d’autres langues étrangères comme l’arabe et l’allemand, mais ce sont des cas isolés. Ainsi, nous n’avons pas voulu nous y attarder. Dans la section suivante, nous présentons le niveau de connaissances dans les différentes langues du point de vue des sujets enquêtés.

5.1.2 L’auto-évaluation du niveau de connaissances dans les différentes langues

La question du niveau de connaissance dans les différentes langues est fondamentale chez les sujets bi-plurilingues. Fondamentaleparce ce qu’elle constitue l’un des facteurs déterminant non seulement la nature de pratiques langagières se rapportant au choix du code linguistique à employer dans un contexte donné, mais également la mise en place des stratégies bi- plurilingues à travers les pratiques linguistiques alternées. Par exemple, en cas de problème de communication dans une langue moins connue, l’un des moyens de résolution peut consister à recourir à une langue plus connue. De ce fait, on peut supposer qu’un enseignant qui possède de faibles connaissances en français préférerait, peut-être, prendre appui plus important sur une autre langue du fait d’avoir peu de possibilités stratégiques en langue française. La conduite des entretiens avec les sujets enquêtés a fait ressortir des faits importants sur le degré de connaissance des différentes langues. Par exemple, comme nous l’avons indiqué dans la section du cadre méthodologique, la majorité des élèves ont pu s’exprimer en swahili et en anglais et nous avons cité le cas d’un seul élève qui a tenté de nous poser des questions en français. Du côté des enseignants, cinq enseignants, soit 46%, ont pu s’exprimer en français, cinq autres, soit 46% en anglais et une enseignante, soit 9%, a choisi d’utiliser le swahili. De manière générale et à des degrés variables, les discours des enseignants comme des élèves étaient caractérisés par l’alternance de codes, mais visiblement dominé par une langue ou une

155 autre. Ces différents choix de langue d’entretien ont permi de formuler l’hypothèse que le discours in vivo peut se refléter dans le choix de langue d’appui dans les séquences pédagogiques (voir la section d’analyse des séquences pédagogiques).

Avant de présenter le classement des langues selon le niveau de connaissance, nous proposons d’analyser la perception de la notion de maîtrise de langue étrangère (dans le sens d’expertise en langue). Pour les enseignants, nous leur avons également demandé de commenter leur niveau de maîtrise du français. Nous analyserons brièvement chacune des réponses retenues avant d’avancer des commentaires généraux. Nous soulignons que, dans notre analyse, nous n’avons retenu que certains enquêtés car les éléments que nous abordons ont été complets. Les réponses des sujets enseignants et des sujets apprenants sont traitées séparement à des fins de comaparaison.

Selon l’enseignante de Malangali Secondary School, la maîtrise d’une langue étrangère englobe la fluidité, la confiance (parler sans peur face à son interlocuteur) et la correction grammaticale; parler sans erreurs. 184En eeh you can look on different things 2’’ may be speaking competency 185EQT Hmm / 186En that you can speak to others without fear 187EQT yeah 188En without having errors 189EQT yeah 190En yes .. speaking correctly 191EQT yeah 192En even we can say in grammar .. grammatical hmm formation of different words 2’’ then we say this is competent

On constate d’emblée que la descriprion de la maîtrise d’une langue étrangère proposée ci- dessus est fondée sur deux critères méthodologiques, à savoir communicatif (fluidité) et grammatical (correction grammaticale). Par ailleurs, la description exclut certains éléments essentiels tels que les compétences discursive et culturelle et considère l’agrammaticalité des énoncés comme indice de la non-maîtrise de la langue. Nous pensons cependant qu’il ne faut pas négliger les autres facteurs de performance qui peuvent être à l’origine des erreurs tels que la fatigue, la timidité, etc. Il faut également reconnaitre que la confiance face à l’interlocuteur n’est pas le produit de la seule maîtrise de la langue car les rapports de pouvoir asymétriques

156 et les traits personnels des interactants peuvent conduire au manque de confiance et à la timidité.

En ce qui concerne l’évaluation personnelle de sa compétence en français, l’enseignante reconnait ses lacunes linguistiques « Aah 3’’ en tout cas je pense que : je ne suis pas très efficace en français » (146En). Par ailleurs, elle a exprimé son besoin de perfectionnement linguistique. Il faut souligner que c’est cette enseignante qui, lors de l’entretien, avait commencé à répondre à nos questions en français et, suite aux blocages communicationnels fréquents, a décidé de changer de code pour passer à l’anglais puisque nous lui avions annoncé au départ qu’il y avait cette possibilité. Après, elle est très rarement revenue au français. Nous avons tout de même constaté que cette enseignante avait plus de compétences réceptives que productives puisqu’elle a pu comprendre la plupart de nos questions sans rencontrer de blocages majeurs.

La maîtrise d’une langue étrangère, selon l’enseignant de St. Joseph Seminary School, est résumée dans l’extrait ci-dessous. 46En C’est être capable de communiquer ce que vous voulez communiquer .. aah si c’est savoir communiquer maintenant pour communiquer votre aah vos idées bien . il faut savoir comment utiliser la langue .. il faut savoir comment composer les phrases compréhensibles . il faut savoir comment parler selon les les les parce que la langue quand je parle . il y a beaucoup de niveaux de parler .. si je parle avec une personne qui est supérieure à moi . il y a la manière de parler avec cette personne . cette personne .. aah quand je parle avec mes collègues . il y a les mots que je veux choisir .. eeh il y a les mots que je veux choisir pour parler les mots aah pour parler avec mes collègues ou avec mes amis .. donc la personne qui est compétent dans aah dans la langue étrangère . c’est la personne qui xxx sait tous les principes de choisir les mots selon la personne avec laquelle il parle ou bien il parle .. mais aussi il faut savoir composer des phrases compréhensibles dans cette langue .. donc ça veut dire être capable de : suivre toutes les règles de grammaire .. ça c’est ce que je peux dire pour être compétent . comment je comprends ou bien la sur la compétence .. merci

Il commence avec une description très générale « être capable de communiquer ce que vous voulez communiquer », mais on sait qu’il faut plusieurs ingrédients pour pouvoir communiquer son intention. Ensuite, il propose davantage d’analyse en y ajoutant l’élément

157 de la compétence linguistique « il faut savoir comment utiliser la langue » qui, selon lui, consiste principalement à savoir composer des phrases compréhensibles. Il développe sa description en ajoutant un autre élément, le registre de langue, qui fait partie de la compétence socioculturelle « donc la personne qui est compétent dans aah dans la langue étrangère . c’est la personne qui xxx sait tous les principes de choisir les mots selon la personne avec laquelle il parle ou bien il parle ». Nous constatons par ailleurs que sa définition est centrée sur la production et non la réception.

On peut ainsi résumer que sa perception de la maîtrise d’une langue étrangère englobe les compétences linguistique et socioculturelle. Quant à son auto-évaluation de son niveau de connaissance en FLE, il considère qu’il a une bonne maîtrise de la langue en tant que professeur de français: « comme vous m’avez demandé comment vous pouvez s’évaluer .. aah je peux dire que je suis un bon professeur de de français .. eeh aah même si aah au niveau pédagogique --- » (38En). Il a tout de même indiqué son besoin de formation pour se perfectionner en français.

Pour l’enseignant de Kazima Secondary School, la maîtrise du FLE consiste principalement à maîtriser la composante linguistique, à savoir la grammaire et l’orthographe de la langue. Il insiste sur le fait qu’il faut suivre toutes les règles de la langue, ce qui veut dire que l’agrammaticalité des énoncés signifie une incompétence dans la langue. En effet, c’est une description ancrée sur une vision grammaticale de la maîtrise d’une langue étrangère comme on peut le voir dans les propos qui suivent. 44En Normalement si une personne est compétent . on peut voir si il parle bien . aussi la grammaire de la langue .. aussi écrire bien en suivant les règles de langue .. si quelqu’un parle et écrit bien la langue en suivant tous les règles de langue . alors on peut dire qu’un ou cette personne est compétent de la langue française

Quant à son niveau de compétence en français, il a indiqué qu’après quelques années de formation et de pratique de la langue, il a atteint un « haut niveau » de compétence et qu’il n’éprouve pas de difficultés dans ses contacts avec des locuteurs français. Lors de l’entretien, cet enseignant a pu répondre à nos questions en français. 38En Hmm . maintenant mon niveau est haut .. oui oui est haut . parce que j’ai déjà pratiqué parce que quand j’étais à l’université aussi à l’école secondaire . je ne je ne je n’étais pas paresseux .. j’ai pratiqué la langue française . j’ai parlé avec les enseignants et

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j’ai étudié beaucoup de matériel .. jusqu’à ici quand je rencontre avec une personne qui parle la langue française . je parle avec lui ou elle c’est pourquoi jusqu’à maintenant mon niveau a : a grandi xxx j’ai un haut niveau jusqu’à maintenant

Selon l’enseignant de Loyola Secondary School, la maîtrise du FLE comprend la maîtrise des composantes linguistique (grammaire et phonologie de la langue) et socioculturelle (emploi de la langue selon le contexte). 61En Aah eeh si par exemple il a maitrisé il a maitrisé le grammaire de langue .. eeh s’il arrive à utiliser proprement le grammaire de langue . et s’il utilise la langue eeh selon des contextes et par exemple si il arrive de de de . il arrive de de faire la distinction de langue utilisée par peut-être des les hommes assez âgés et les jeunes . s’il arrive à faire comme ça . et si aussi la notion de la culture de langue parlée . par exemple .. français ce n’est pas ma langue maternelle .. c’est la langue des français .. alors c’est la culture des français . c’est la culture des français .. alors si j’arrive à aussi à distinguer à distinguer et à utiliser eeh la culture française . voilà là je suis compétent .. mais si je n’arrive pas à faire la distinction des des voilà des (asperts ?) quelques (asperts ?) comme la (culte ?) français . d’après moi ce n’est pas compétent .. alors la grammaire . il y a trop de choses là .. il y a il y a la phonétique . si j’arrive à prononcer proprement eeh / .. et aussi si j’arrive à arranger des mots proprement .. parce que la structure de français au niveau de phrase est différent est différente de celle de swahili de celle de français (interruption téléphonique) oui

Selon son auto-évaluation, son niveau est assez bon « merci .. eeh moi je pense mon niveau est assez bon » (59En). Cet enseignant a également pu répondre à toutes nos questions en français avec très peu de blocages communicationnels et quasiment sans recours à l’anglais ou au swahili.

L’enseignant de Benjamin Mkapa High School a une perception de la compétence qui s’éloigne des autres définitions présentées ci-dessus.

66En Par exemple si je rencontre quelqu’un comme vous ou l’autre ou congolais . je peux savoir si il est compétent par la façon qu’il parle . la façon qu’il fait des gestes . parce que quand on parle on a la confiance en ce qu’on parle . on peut même faire la

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démonstration mais l’intonation aussi eeh / on parle sans sans hésiter mais il y a les autres qui n’ont pas de confiance .. quand on parle on hésite un peu je je je je comme ça

Il ne fait aucune mention de la grammaire, et il ajoute l’utilisation des gestes et l’intonation comme indices du niveau de la maîtrise de langue. Il ajoute également la confiance et l’absence d’hésitation dans le discours.

À part l’exclusion des autres composantes essentielles de la maîtrise d’une langue, cette définition ne précise pas en quoi l’utilisation des gestes est révélatrice de la maîtrise d’une langue étrangère. Cependant, la mention des gestes nous parait intéressante car, d’après notre expérience d’enseignant de FLE dans les cycles secondaire et universitaire, nous avons observé qu’il y a généralement plus de gestes chez les élèves ou les étudiants avec un faible niveau de langue. Ainsi, notre observation va à l’encontre de la description proposée par l’enseignant.

En ce qui concerne son niveau de connaissance en français, il se considère comme ayant un niveau moyen mais, comme il a trouvé difficile de s’auto-évaluer, il a exprimé son incertitude et a demandé à l’enquêteur ce qu’il en pensait. La demande d’une évaluation par l’enquêteur signifie que l’enseignant accorde à l’enquêteur une place d’évaluateur et, peut-être, le considère comme ayant des connaissances plus élevées en langue française. 50En Le niveau de parler . le niveau de grammaire ou quoi ou : n’importe comment . c'est-à-dire je peux dire que je suis fort ou : xxx okay peut-être moyen EQT Moyen / 52En Moyen xxx comment tu trouves mon niveau peut-être vous-mêmes

Au vu de son niveau moyen, il a indiqué son besoin d’une formation visant le perfectionnement linguistique.

60En Pour moi pour perfectionner la langue / si j’aurai cette chance je serai très content parce que toujours la langue c’est pratiquer . là- bas j’étudierai beaucoup de choses peut-être. j’apprendrai beaucoup de choses

On voit généralement que les termes: grammaire, prononciation, lexique, confiance, contexte et gestes caractérisent, à des degrés variables de fréquence, le discours des enseignants. La

160 plupart de ces éléments sont fondés sur le critère méthodologique grammatical, alors qu’une petite partie de ces éléments réflète la méthodologie communicative. Nous pouvons nous permettre de dire que, d’après cette conception, le processus d’enseignement-apprentissage doit viser l’appropriation de ces éléments mais, surtout la grammaire, qui est la plus citée par les sujets.

Nous rappelons que notre intérêt pour l’analyse de ces différentes perceptions de la maîtrise d’une langue étrangère repose sur la supposition que les pratiques pédagogiques des enseignants seraient basées sur ce qu’ils conçoivent comme visée pédagogique; le type et la nature des savoirs qu’ils veulent construire chez les élèves. Dans ce cas particulier, il est fort probable que leurs pratiques pédagogiques se résument à l’enseignement-apprentissage des éléments linguistiques et socioculturels. Les données vidéo que nous analysons dans les sections qui viennent décideront si notre supposition est tenable ou non.

Par ailleurs, nous supposons que les perceptions des sujets apprenants ne s’éloignent pas de celles des enseignants, car il est probable qu’elles soient fondées sur la manière dont ils sont exposés à l’input langagier par leurs enseignants. Nous proposons maintenant d’explorer la perception de la maîtrise d’une langue étrangère du point de vue des élèves afin de voir les éléments de convergence ou de divergence avec les perceptions des enseignants.

Selon une élève (FIV) de St. Joseph Seminary School, maîtriser une langue étrangère c’est savoir parler et écrire les mots correctement et posséder un lexique étendu. 41E You know that a person knows French according to the way he speaks . according to the way she writes the words on the right way and you will also know that this person knows French according according to the questions .. when may be you are speaking with that person . you might be asking him or her about many vocabularies and that person can handle or to explain about them

Bien que la description proposée ci-dessus soit largement ancrée dans la perspective méthodologique grammaticale, la mention des mots « handle » et « explain » est particulièrement intéressante. Le premier est centré sur la capacité à gérer ses moyens linguistique pour la communication, alors que le second introduit une dimension métalinguistique qui concerne la réflexion sur ces moyens linguistiques. Ainsi, le premier est orienté vers la communication, le second vers la grammaire.

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Pour une autre élève (F1) de St. Joseph Seminary School, on reconnait quelqu’un qui maîtrise le français par la prononciation. 26E Anakuwa anaongea yaani anaweza kukitamka vizuri kama inavyotakiwa TRD Il doit être capable de parler en prononçant la langue comme il faut.

D’après un élève (F1) de Kazima Secondary School, c’est la prononciation qui compte pour reconnaitre quelqu’un qui maîtrise une langue. Il n’est pas précisé ici le type de prononciation qu’il faut pour être reconnu comme compétent mais il est probable qu’il se réfère à celle d’un « natif ». 42E Unaweza ukatambua mtu anayeimudu lugha kwa matamshi yake na namna anavyoingea. TRD Vous pouvez reconnaitre quelqu’un qui maîtrise une langue par sa prononciation et sa façon de parler.

Un élève (FIV) de Nsumba Secondary School mentionne la confiance en soi « speaking without shaking », la capacité à écrire et à lire en français. 17E To describe somebody who knows how to speak French or may be to write . first is the man the way he stands in front of people .. you may find he is just speaking without shaking .. that man knows how to speak French .. and another thing to describe somebody who knows how to speak French is to find out whether he knows how to write and read French

Un élève (F1) de Loyola Secondary School perçoit la maîtrise du français d’abord par l’accent, la capacité à comprendre, à lire et à écrire en français.

18E We know that someone is competent in French if she or he can speak that language in the right accent or if he also can understand the language . he can write read and things like that

Un autre élève (FIV) de Loyola Secondary School perçoit la compétence de communication en français comme la maîtrise de la prononciation, particulièrement l’accent, et la capacité d’aborder une variété de thèmes en utilisant la langue française.

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14E You may know someone is xxx competent in French by the way he speaks . his rafudhi (TRD. Accent) .. I don’t know it in English and the things he can talk in French

En comparant les réponses des enseignants à celles des élèves, on constate que c’est la grammaire qui est le plus fréquemment mentionnée chez les premiers alors que la prononciation occupe la place centrale chez les seconds. Il nous apparait que les élèves sont fascinés par le son de la langue. Comme les enseignants, ils font mention de la confiance en soi, l’orthographe (savoir écrire) et l’étendue lexicale. On voit également que, pour les deux groupes d’enquêtés, la perception de la compétence est basée sur la production de la langue alors que la réception est très peu mentionnée. De manière générale, on peut parvenir à la conclusion que les perceptions des deux groupes d’enquêtés sur la maîtrise d’une langue etrangère convergent de façon importante et que le critère méthodologique grammatical forme la base de leurs perceptions.

L’analyse des différentes représentations de la notion de maîtrise d’une langue étrangère nous amène à aborder la question relative au niveau de connaissance dans les différentes langues du point de vue des sujets enquêtés. La question figurait dans les questionnaires des élèves et des enseignants, mais nous présentons d’abord les réponses des premiers dans le tableau ci- dessous.

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Tableau 8: Langues selon le niveau de connaissance chez les élèves

Langues Place relative selon le Réponses niveau de connaissance F I (104) F IV (64)

N % N % LCE 1ère 11 11 11 17 2e 25 24 24 38 3e 49 47 26 41 4e 24 23 14 22 SW 1ère 70 67 40 63 2e 7 7 08 13 3e 0 0 0 0 4e 0 0 0 0 ANG 1ère 23 22 13 20 2e 72 69 30 47 3e 30 29 25 39 4e 0 0 0 0 FR 1ère 0 0 0 0 2e 0 0 0 0 3e 25 24 25 39 4e 80 77 45 70

Considérons tout d’abord les réponses fournies sur les LCEs. 11% des élèves de la première année et 17% de la quatrième ont indiqué qu’ils sont plus compétents en LCEs qu’en toute autre langue. Il est fort probable que ce pourcentage représente, en grande partie, les sujets qui ont grandi dans les milieux ruraux dans lesquels les LCEs constituent les principaux moyens de communication intrafamiliale alors que le swahili est réservé à la communication extra- familiale et scolaire. En tout cas, ce petit pourcentage est un indicateur de la fin progressive des temps où les LCEs étaient employées comme moyens essentiels de communication et la grande majorité des Tanzaniens les maitrisaient et les utilisaient plus que le swahili et l’anglais.

La perte de terrain que subissent les LCEs est plus visible par les 47% des F1 et 41% des F1V qui ont placé les LCEs au troisième rang en ce qui concerne le niveau de connaissance; fait qui signifie qu’ils sont plus compétents en anglais qu’en LCEs. C’est un phénomène qui était impensable il y a une décennie. Les 23% des F1 et 22% des F1V qui ont placé les LCEs au dernier rang sur le niveau de connaissance sont, peut-être, ceux qui n’ont que quelques notions de ces langues.

Le swahili est la langue que les élèves maîtrisent le mieux. Cela se voit par 67% des F1 et 63% des F1V qui l’ont placée au premier rang. Par ailleurs, on observe un pourcentage relativement significatif d’élèves, soit 7% des F1 et 13% des F1V, qui ont mis le swahili au deuxième rang pour signifier qu’ils maîtrisent mieux l’anglais. C’est un chiffre qui parait

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étonnant car l’utilisation de l’anglais est rare dans la vie quotidienne, à part dans les contextes formels et scolaires. Il est, cependant, probable que ce pourcentage représente les élèves qui ont reçu leur éducation primaire dans les pays voisins du Kenya et d’Ouganda, où l’anglais est omniprésent. En tout état de cause, le swahili est la langue la plus connue et donc la plus partagée par les élèves avec un potentiel stratégique évident en cas de problème de communication en français ou en anglais.

En ce qui concerne l’anglais, les données indiquent qu’il se situe au deuxième rang avec 69% et 47% des réponses pour les F1 et les F1V respectivement. Ces chiffres sont un peu étonnants, car nous nous attendions à ce que les connaissances en LCEs soient plus fortes qu’en anglais. Cependant, il importe de souligner qu’il existe une tendance, chez la plupart des élèves, à se montrer compétents en anglais parce qu’ils veulent s’identifier à cette langue pour des raisons évoquées dans les chapitres précédents. Il est, au contraire, vrai que la plupart des jeunes veulent montrer qu’ils sont incapables de parler les LCEs car ces langues sont, nous l’avons dit dans le contexte de l’étude, associées à la campagne, à la pauvreté, à la régression et au manque d’éducation. Ces facteurs représentationnels ne font qu’ajouter à la subjectivité de jugement quant au niveau de connaissance. Comme nous verrons plus loin dans cette section, ces facteurs utilitaires constituent également le critère de l’amour et de l’importance des langues.

Les réponses sur le niveau de connaissance en français sont relativement différentes entre les élèves de la première année et ceux de la quatrième année. 24% des élèves de la première année accordent au français la troisième place contre 39% de la quatrième qui. Cette différence peut s’expliquer par le fait que les F1 sont au point initial de l’appropriation du français alors que les F1V apprennent le français depuis trois ans. En conséquence, on peut s’attendre à plus de stratégies bi-plurilingues dans un cours de français avec les F1 et, peut- être, plus de stratégies monolingues chez les F1V. En général, le français arrive au quatrième rang par 77% et 70% des réponses respectivement. Ainsi, lahiérarchie établie chez les élèves est la suivante: swahili, anglais, LCE et français.

Nous proposons maintenant d’analyser le niveau de connaissance en langues chez les enseignants de français. Le tableau ci-dessous présente les réponses des enseignants sur le niveau de connaissance dans les différentes langues.

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Tableau 9: Langues selon le niveau de connaissance chez les enseignants

Langues Place relative selon le niveau de N % connaissances LCE 1ère 1 9 2e 3 27 3e 2 18 4e 5 46 SW 1ère 9 82 2e 2 18 3e 0 0 4e 0 0 ANG 1ère 1 9 2e 5 46 3e 3 27 4e 2 18 FR 1ère 0 0 2e 0 0 3e 6 56 4e 4 36

Les réponses des enseignants présentées ci-dessus sont, de manière significative, différentes de celles des élèves. Lahiérarchie est la suivante: swahili, anglais, français et LCE. Comme les élèves, les enseignants déclarent avoir une très bonne connaissance en swahili. Pour neuf enseignants, le swahili est la langue la plus maitrisée contre un seul enseignant qui a placé cette langue au deuxième rang. Ainsi, le swahili est la langue que les enseignants comme les élèves maîtrisent le mieux. C’est la langue qui présente le moins d’asymétrie chez les partenaires de la classe.

L’anglais figure au deuxième rang, avec 5 réponses des enseignants. Ces réponses ne sont pas étonnantes car ces enseignants ont été scolarisés en anglais pendant six ans au secondaire et entre deux et quatre ans en formation postsecondaire. Il est donc normal qu’ils possèdent des connaissances solides dans cette langue. Trois enseignants l’ont placée au troisième rang et un enseignant a indiqué que l’anglais était la langue dans laquelle il avait le plus de compétences. Nous soulignons que le niveau de connaissance en anglais varie, de manière significative, en fonction du parcours d’apprentissage, notamment le type d’écoles où ils ont été scolarisés.

Les connaissances du français, qui constitue le centre de leur profession d’enseignant, sont fortes pour certains et très faibles pour d’autres. Dans le tableau ci-dessus, six enseignants l’ont fait figurer au troisième rang et quatre au quatrième rang. Il est vrai que lors de notre enquête, nous avons constaté une grande variation du niveau de connaissance chez les

166 enseignants. C’est pourquoi certains enseignants ont choisi de répondre en français aux questions de l’entretien alors que les autres y ont répondu en anglais ou en swahili.

Cette analyse permet de tirer la conclusion que les niveaux sont très variés non seulement du côté des élèves mais également du côté des enseignants. Le swahili est la plus partagée de toutes les langues alors que l’anglais n’est que partiellement partagé. Quant au français, il présente un défi non seulement pour les élèves mais également pour certains enseignants. Face à la grande variation du niveau de connaissance des langues entre les partenaires de la classe, le swahili constituerait une ressource intéressante pour les stratégies bi-plurilingues.

Il est évident que le niveau de connaissance en langue n’est pas le seul facteur susceptible d’influencer le choix de langue et de stratégie en situation d’interaction en classe de langue. Par ailleurs, les questions de représentations des langues et didactiques ne sont pas à sous- estimer. Dans la partie suivante, nous avons tenté de comprendre les préférences des langues chez les élèves et les enseignants. En effet, nous leur avons demandé d’indiquer la langue qu’ils aimaient le plus et celle qu’ils aimaient le moins sur une liste de préférence. Ils ont ensuite expliqué les raisons qui justifient leur préférence.

5.1.3 Représentations sociales des langues

Pour accéder aux représentations sociales, nous avons posé des questions écrites et, dans certains cas, orales. Seulement « quatre langues » ont été concernées par ces questions, à savoir une LCE50, le swahili, l’anglais et le français car ce sont ces langues qui importent du point de vue des parcours linguistiques de la plupart des sujets enquêtés.

Dans l’une des quatre questions, nous avons cherché à comprendre comment les sujets exposés à plusieurs langues peuvent expliquer leur amour et leur aversion pour les langues. Cette question est importante car, dans la réalité, il est peu probable que toutes les langues soient aimées au même degré. Comme toute action humaine, la décision de s’approprier une autre langue peut naitre de l’amour pour la langue en question, de la simple curiosité intellectuelle, de la nécessité créée par des circonstances ou d’une obligation par le système en place. Le tableau qui suit indique le degré de préférence pour langues. Pour chaque langue, il y a quatre places de préférence auxquelles les sujets devaient attribuer le numéro 1 pour la première place, le numéro 2 pour la deuxième, le numéro 3 pour la troisième et le numéro 4

50 LCE représente n’importe quelle langue de communauté ethnique. 167 pour la quatrième. La question de la préférence pour les langues a également été posée aux enseignants mais nous présentons d’abord les réponses des élèves.

Tableau 10: Langues selon la préférence chez les élèves

Langues Place relative de N % préférence LCE 1ère 5 3 2e 16 10 3e 32 19 4e 116 69 SW 1ère 7 4 2e 47 28 3e 99 59 4e 30 18 ANG 1ère 105 63 2e 21 13 3e 17 10 4e 7 4 FR 1ère 51 30 2e 84 50 3e 20 12 4e 15 9

A partir des chiffres présentés dans le tableau ci-dessus, on peut établir lahiérarchie suivante: anglais, français, swahili et LCE. En outre, on voit généralement que deux langues, à savoir l’anglais et les LCEs, se situent aux deux extrêmes dans la liste de préférence pour les langues. L’anglais est indiqué comme la langue la plus aimée dans 105 réponses, soit 53% des sujets enquêtés. A l’autre extrême, se situent les LCEs avec 116, soit 69% des réponses indiquant que ce sont les langues les moins aimées. En observant ces chiffres, on peut avoir l’impression que l’amour pour l’anglais prend presque les mêmes proportions que l’aversion pour les LCEs.

Nous avons demandé aux élèves de fournir des explications pour la langue la plus aimée et la langue la moins aimée. Nous proposons maintenant de voir les différentes raisons avancées par les élèves en faveur de l’anglais, dans le tableau ci-dessous:

168

Tableau 11: Raisons de la préférence pour l’anglais chez les élèves

Raisons N % L’anglais est une langue internationale 95 57 L’anglais est le Medium of Instruction(MOI) 77 46 Capacité de parler 45 27 Accès à la science et à la technologie 41 24 Facile à apprendre 33 20 C’est une belle langue 30 18

Le facteur d’internationalité est le plus mentionné chez les élèves avec 95 réponses, soit 57%. C’est dire que les élèves s’associent à une langue qui leur permet de communiquer dans une étendue géographique et démographique plus large. Nous pensons que l’internationalité de l’anglais est en partie sentie par le nombre d’écoles dites internationales mais qui sont à la base des English Medium Primary Schools (EMPS). Le statut de Medium of Instruction (MOI) figure au deuxième rang des facteurs d’amour pour l’anglais. 77 élèves, soit 46% ont indiqué qu’ils aimaient l’anglais parce que c’était le médium d’instruction dans les cycles secondaire et supérieur. Ici donc jouent les questions de statut et de fonction que nous avons évoquées dans les chapitres précédents.

La capacité de parler l’anglais figure parmi les facteurs d’amour pour cette langue. 45 élèves, soit 27%, ont avancé le fait qu’ils aimaient l’anglais parce que c’est une langue qu’ils sont capables de parler. Cela implique la possibilité de ne pas aimer une langue que le sujet n’est pas capable de parler.

Une autre raison importante repose sur le fait que l’anglais est associé à la science et à la technologie. Cette raison est mentionnée par 41 élèves, soit 24%. Il est évident que, pour accéder à la technologie (par exemple les TIC), l’anglais se voit indispensable pour les Tanzaniens.

Par ailleurs, la facilité d’apprendre l’anglais a été indiquée par 20% des élèves comme facteur d’amour pour cette langue, fait qui signifie qu’ils aimeraient moins une langue perçue comme difficile. La beauté de l’anglais est la dernière explication pour l’amour pour cette langue, avec 30 réponses, soit 18% des élèves. Cependant, la portée de notre questionnaire n’a pas pu comprendre en quoi consistait la beauté de l’anglais du point de vue des élèves.

Malgré le fait que la majorité des élèves aient déclaré que l’anglais était leur langue préférée, 51 élèves, soit 30%, ont indiqué que le français était la langue qu’ils aimaient le plus. Ce

169 chiffre est statistiquement significatif. Et, comme le français est au centre de notre étude, nous estimons utile d’analyser également les raisons de l’amour pour le français chez les élèves.

Tableau 12: Raisons de la préférence pour le français chez les élèves

Raisons N % C’est une langue internationale 68 41 C’est une belle langue 25 15 Facile à apprendre 13 8

Certaines raisons sont communes pour le français et l’anglais. Par exemple, 41% des sujets reconnaissent que le français est une langue internationale, et c’est pour cette raison qu’ils aiment cette langue. La beauté de la langue et la facilité d’apprentissage figurent également comme raisons d’amour pour le français mentionnées par 15% et 8% respectivement. Par ailleurs, en expliquant l’internationalité du français, la plupart des sujets ont cité la communication avec les locuteurs francophones comme facteur important. Cela repose, peut- être, sur le fait que les élèves reconnaissent que la Tanzanie est bordée par des pays francophones, fait qui rend important l’apprentissage de leur langue.

Analysons maintenant les raisons négatives que les élèves avancent contre les LCEs que nous présentons dans le tableau suivant.

Tableau 13: Raisons de l’aversion des LCEs chez les élèves

Raisons N % Utilité limitée 102 61 Langues tribales 46 27 Connaissance limitée 27 16 Mutilation génitale 20 12

Comme on peut le voir dans le tableau ci-dessus, quatre raisons expliquent la dernière place accordée aux LCEs dans la liste de préférence. L’utilité limitée des LCEs est la raison la plus fréquente chez les élèves, avec 102 de réponses, soit 61%. En effet, l’utilité limitée des LCEs 170 est le contraire de l’internationalité qui, comme nous l’avons vu, constitue la raison la plus fréquente d’amour pour l’anglais. C’est dire que les élèves préfèrent apprendre une langue qui a une étendue large aux plans géographique et démographique. Comme les LCEs sont les moins étendues, elles sont donc les moins préférées.

Une autre raison repose sur le fait que 27% des élèves considèrent les LCEs comme des langues tribales. Il faut souligner que le tribalisme porte une connotation très négative qui est synonyme de division et de haine. Cette association des LCEs au tribalisme, nous l’avons dit, a trouvé un terrain fertile à l’aube de l’indépendance quand ces langues étaient considérées comme un obstacle à l’unification nationale. Cette perception demeure chez les adultes comme chez les jeunes Tanzaniens. Les connaissances limitées en LCEs constituent une autre raison à leur opposition, soutenue par 16% des élèves. Nous avons vu plus haut que la capacité à parler fait partie des raisons positives pour l’anglais et, comme un certain nombre d’élèves ne peut pas s’exprimer en LCEs, ils n’aiment pas ces langues.

La dernière raison est étonnamment celle de la mutilation génitale soutenue par 12% des élèves. La mutilation génitale est une pratique médicalement interdite mais très présente dans certaines communautés ethniques en Tanzanie. Il y a actuellement des campagnes de sensibilisation menées par le gouvernement et des organisations non gouvernementales contre la mutilation génitale. C’est donc une pratique fortement condamnée. Il est évident que les LCEs remplissent la fonction de symbole d’identité ethnique et, si la communauté ethnique est associée aux pratiques condamnées comme celle de mutilation génitale, les langues ne peuvent pas en être exclues.

La question de la préférence pour les langues a également été posée aux enseignants de français. A des fins comparatives, nous présentons, dans le tableau suivant, les réponses des enseignants.

171

Tableau 14: Langues selon la préférence chez les enseignants

Langues Place relative de N % préférence LCE 1ère 1 9 2e 1 9 3e 0 0 4e 9 82 SW 1ère 2 18 2e 2 18 3e 7 64 4e 0 0 ANG 1ère 2 18 2e 5 46 3e 2 18 4e 2 18 FR 1ère 6 55 2e 3 27 3e 2 18 4e 0 0

Contrairement aux élèves qui ont mis l’anglais au premier rang, six enseignants ont déclaré que le français était leur langue préférée et personne ne l’a placé au quatrième rang. Lahiérarchie est donc la suivante: français, anglais, swahili et LCE. En comparant les réponses des enseignants à celles des élèves, on peut voir que les élèves aiment l’anglais plus que toute autre langue alors que c’est le français qui occupe la première place chez les enseignants. Nous présentons dans le tableau ci-dessous les raisons de l’amour du français avancées par les sept enseignants qui ont placé le français en première position.

Tableau 15: Raisons de la préférence pour le français chez les enseignants

Raisons N % Langue de la profession 06 56 Possibilité d’avoir davantage de formation 03 27 Possibilité de changer de travail 02 18 Langue intéressante 02 18 Possibilité d’établir des liens d’amitié avec des 02 18 personnes francophones Langue qui rend célèbre 01 9

Différentes explications ont été avancées pour expliquer leur amour pour le français. Les raisons professionnelles dominent dans les réponses des enseignants. Six enseignants qui accordent au français la première place, ont indiqué que leur amour résidait dans le fait que

172 cette langue est au centre de leur profession en tant qu’enseignants de français. En d’autres termes, c’est la langue qui leur permet de fonctionner dans le monde du travail et de gagner leur pain tous les jours. D’une certaine façon, cette explication n’est pas très éloignée de celles avancées par les élèves. La différence repose sur le fait que les élèves pensent à la langue susceptible de leur offrir des opportunités dans l’avenir, alors que les enseignants pensent à la langue qui les fait fonctionner dans le monde du travail actuellement.

Trois enseignants ont évoqué que le français était la langue qui leur permettrait de poursuivre davantage de formation dans le domaine de la didactique du français, en faisant un master en FLE, par exemple. En lien avec cela, deux enseignants ont indiqué que le français présentait plus de possibilités de trouver un meilleur emploi si on veut changer de travail. C’est donc une langue permettant la mobilité verticale.

Deux enseignants ont expliqué que leur amour pour le français repose sur le fait qu’il leur permettait d’établir des liens d’amitié avec des personnes francophones. En lien avec cela, deux enseignants ont indiqué qu’ils aimaient le français parce c’était une langue intéressante, sans donner de précision. Mais en tout cas, son explication repose sur des qualités intrinsèques à la langue, touchant peut-être son système linguistique. Cela découle peut-être de la curiosité intellectuelle du sujet qui tient ce jugement.

Un enseignant a évoqué qu’il aimait le français parce que c’était une langue qui le rendait célèbre. Bien qu’il ne soit pas clair à quoi renvoie le qualificatif « célèbre », il est évident que le nombre d’enseignants de français en Tanzanie est très faible. Il en va de même avec le nombre de Tanzaniens capables de communiquer dans cette langue. Il est donc probable qu’un enseignant qui fait preuve d’excellence dans ses pratiques d’enseignement de français soit reconnu facilement. C’est peut-être dans ce sens que quelqu’un peut devenir célèbre grâce au français. Comme nous l’avons vu plus haut dans le cas des élèves, l’amour du français pour la majorité des enseignants se fonde sur des facteurs utilitaires.

Par ailleurs, neuf enseignants ont accordé aux LCEs la dernière place dans la liste de préférence. Ce pourcentage, qui est d’ailleurs presque comparable à celui d’élèves, signifie que ces langues sont les moins aimées par les deux groupes d’enquêtés. Avant de poursuivre notre argumentation, il est utile de rappeler que dix enseignants sur onze parlent au moins une LCE comme langue première. C’est donc la langue du premier contact avec le monde et la langue de première socialisation. C’est la langue qui constitue la pierre angulaire dans

173 l’exposition progressive aux autres langues et qui a ainsi contribué à la construction du répertoire plurilingue qu’ils possèdent actuellement. Ainsi, l’aversion pour ces langues de la part des enseignants s’explique principalement par des facteurs utilitaires.

Trois raisons ont été avancées par les enseignants pour expliquer leur désamour vis-à-vis des LCEs. Six enseignants tiennent l’argument similaire à celui des élèves que ce sont des langues avec un contexte d’utilisation très limité. Comme déjà évoqué, les LCEs sont principalement des langues pour la communication intracommunautaire. Les enseignants pensent donc que ce sont des langues peu utiles au plan fonctionnel.

Il existe un autre argument soutenu par deux enseignants selon lequel les LCEs sont des langues tribales. C’est un argument également tenu par les élèves qui, nous l’avons dit, est fondé sur la vieille idéologie adoptée par le premier gouvernement postcolonial selon laquelle les LCEs étaient liées au tribalisme et considérées comme source potentielle de conflits intercommunautaires. Elles étaient ainsi considérées comme présentant une menace contre l’unification et l’unité nationale. En effet, c’est la question de la gestion de l’unité nationale au sein de la diversité linguistique qui a constitué la préoccupation majeure pour la plupart des nations naissantes.

On peut résumer, en guise de conclusion, que l’anglais est la langue préférée chez les élèves et cette préférence est, en grande partie, fondée sur des facteurs d’internationalité, de MOI, de science et de technologie, de facilité d’apprentissage et de beauté. L’amour du français chez les élèves est explicable par son internationalité, la possibilité de communiquer avec les francophones, la beauté de la langue, son rôle dans le commerce international et la facilité d’apprentissage. Les LCEs sont moins aimées chez les élèves. Cette aversion est explicable par l’utilité limitée, le tribalisme, les connaissances limitées et la mutilation génitale. Les enseignants, quant à eux, préfèrent le français parce que c’est la langue de leur profession, il permet davantage de formation, rend possible le changement de travail, est intéressant, permet d’établir des liens avec des francophones et peut rendre célèbres. Comme les élèves, les enseignants accordent aux LCEs la dernière place en avançant les arguments que ces langues sont peu utiles et liées au tribalisme.

La préférence d’une langue n’est pas forcément liée à son importance. Lors de l’enquête, nous avons fourni aux sujets des explications précises pour montrer que la préférence renvoie à l’amour pour une langue, tandis que l’importance est liée à l’utilité de celle-ci, aux fonctions

174 qu’elle peut remplir dans la société. Ces explications ont été utiles pour éviter la confusion conceptuelle chez les élèves, surtout ceux de la première année. Nous proposons maintenant d’analyser les réponses présentées dans le tableau ci-dessous sur l’importance des langues du point de vue des élèves.

Tableau 16: Langues selon leur importance chez les élèves

Langues Place relative selon N % l’importance LCE 1 0 0 2 0 0 3 0 0 4 156 93 SW 1 15 10 2 26 16 3 127 76 4 0 0 ANG 1 112 67 2 32 19 3 24 14 4 0 0 FR 1 41 24 2 112 67 3 17 10 4 12 7

Dans le tableau ci-dessus, les réponses montrent que les LCEs occupent la dernière place sur la liste d’importance. 156 élèves, soit 93%, ont indiqué que les LCEs sont les moins importantes. A des fins comparatives, nous avons précédemment mis en évidence que 116 élèves, soit 69%, ont indiqué que les LCEs sont les langues qu’ils aiment le moins en les plaçant en dernière place. Ces chiffres nous autorisent à dire que ces langues occupent une place très négative dans l’imaginaire des élèves. Elles sont non seulement les moins aimées mais également les moins importantes.

Différentes raisons ont été avancées par les élèves pour expliquer la dernière position des LCEs sur la liste d’importance. La raison la plus fréquemment mentionnée est le fait que ces langues sont inutiles. Les élèves ont souvent employé le mot anglais « useless ». C’est une raison avancée par 114 élèves, soit 68%. Ce jugement est peut-être fondé sur le fait évident que les LCEs ne portent aucun statut ni fonction officiels. C’est en lien avec les arguments que nous avons présentés dans le chapitre sur le contexte de l’étude en analysant les statuts et les fonctions des langues en Tanzanie.

175

La deuxième raison évoquée par 111 élèves, soit 66%, réside dans le fait que les LCEs sont des langues de la campagne (village languages). C’est vrai que les LCEs sont plus utilisées dans les zones rurales alors que le swahili et l’anglais sont plus utilisés dans les milieux urbains. Par ailleurs, il nous semble que la réponse des élèves est fondée sur la logique que les milieux ruraux sont économiquement moins dévéloppés que les milieux urbains. Il faut souligner que l’appellation « village languages» est ici utilisée dans un sens négatif qui pourrait être lié au sous-développement.

La troisième raison évoquée par 79 élèves, soit 47%, est le lien des LCEs avec le tribalisme. C’est une raison également avancée par les enseignants pour expliquer leur aversion pour les LCEs. Elles sont considérées comme des langues tribales qui sont plus destructives (à cause des divisions et des conflits) que constructives. Nous pensons que les conflits ethniques observés dans les autres pays ont ajouté à la marginalisation des LCEs.

Le non-accès à l’emploi est la dernière raison avancée par 33 élèves, soit 19,6%. Les sujets ont indiqué qu’il était impossible d’accéder au marché de l’emploi à travers les LCEs. En effet, c’est une raison qui est liée à l’inutilité de ces langues avancée plus haut.

Le swahili arrive à la troisième place en ordre d’importance, avec 127 réponses, ce qui représente 76% des élèves. Par ailleurs, toutes les raisons pour expliquer ce classement sont positives. 151 élèves, soit 89,9%, ont indiqué que le swahili était la langue nationale. Ainsi, contrairement aux LCEs, le swahili jouit d’une reconnaissance statutaire et fonctionnelle à l’échelle nationale et c’est cette reconnaissance qui est, en grande partie, à la base des représentations plus favorables. La deuxième raison évoquée par 97 élèves, soit 57,7%, est le fait d’être le MOI dans les écoles primaires publiques. C’est donc une langue avec une importance nationale.

C’est l’anglais qui figure au premier rang de l’importance. Pour 112 élèves, soit 66,7%, l’anglais est la langue la plus importante. L’internationalité est la raison la plus fréquemment mentionnée avec 111 réponses, soit 66,1% des élèves. Le statut de MOI est également évoqué par 99 élèves, soit 58,9%. La troisième raison est l’accès à l’emploi, mentionné par 100 élèves, soit 59,5%. On peut voir que les raisons de préférence et d’importance de l’anglais sont les mêmes, à l’exception de l’accès à l’emploi. On voit, cependant, que ce n’est pas tout le monde qui accorde la première importance à l’anglais. 32 élèves, soit 19,1%, et 24 élèves,

176 soit 14,3%, l’ont placé aux deuxième et troisième rangs respectivement, mais sans présenter de raisons négatives.

La majorité des élèves, soit 67%, accorde au français la deuxième place d’importance. Il existe également une proportion significative des élèves, soit 24%, qui lui donnent la première place, 10% la troisième place et 7% la dernière place. Les raisons positives pour le français comprennent l’internationalité, évoquée par 113 élèves, soit 67% ; l’accès à l’éducation dans un pays francophone est évoqué par 70 élèves, soit 42% ; la communication avec les francophones et le commerce international pour 36% et 21% des élèves respectivement.

En comparant les réponses des élèves aux questions de préférence et d’importance des langues, on constate des raisons communes pour les deux. L’internationalité, le commerce international, le medium d’instruction et la communication avec les francophones sont des facteurs expliquant tant l’amour pour les langues que leur importance. C’est, en grande partie, l’utilité de la langue qui compte pour l’aimer ou la considérer comme importante. Les facteurs non utilitaires comme la beauté de la langue, la simple curiosité intellectuelle et les liens d’amitié avec les locuteurs originaires de la langue en appropriation sont moins importants chez les élèves.

Dans la partie suivante, nous analysons les réponses des enseignants quant à l’importance des langues. Nous pourrons ensuite comparer leurs réponses à celles des élèves. Le tableau suivant présente les langues selon leur importance du point de vue des enseignants.

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Tableau 17: Langues selon l’importance chez les enseignants

Langues Place relative selon l’importance N % 1ère 0 0 LCE 2e 0 0 3e 0 0 4e 11 100 SW 1ère 0 0 2e 2 18 3e 9 82 4e 0 0 ANG 1ère 5 46 2e 4 36 3e 2 18 4e 0 0 FR 1ère 6 56 2e 5 46 3e 0 0 4e 0 0

En observant les réponses des enseignants, on voit, comme chez les élèves, que les LCEs occupent la dernière place. Tous les enseignants accordent la dernière place d’importance aux LCEs. La raison la plus fréquente pour ce classement est l’inutilité de ces langues, évoquée par neuf enseignants. Nous avons vu précédemment que c’est la même raison qui domine également dans les réponses des élèves. Une autre raison avancée par trois enseignants est le fait que les LCEs sont des langues vernaculaires qui, pour le dire autrement, ne sont pas véhiculaires. Bref, cette dernière explication est, en principe, liée à la première.

Le swahili reçoit la troisième place chez neuf enseignants alors que deux enseignants lui accordent la deuxième place. Personne ne l’a placé au dernier rang. Les raisons positives pour le swahili sont le statut de langue nationale, avancé par sept enseignants, le MOI au primaire par trois enseignants et le statut de lingua franca en Afrique de l’Est par trois enseignants. Ainsi, le statut de langue nationale est l’explication la plus fréquente chez les enseignants comme chez les élèves.

L’anglais reçoit la première place chez cinq enseignants, la deuxième place chez quatre enseignants, la troisième position chez deux enseignants. Les raisons positives pour l’anglais incluent l’internationalité mentionnée par sept enseignants, le statut de MOI aux cycles secondaires et supérieurs mentionné par quatre enseignants, la diversité des occasions mentionnée par quatre enseignants. On voit donc que l’internationalité constitue le facteur le plus mentionné par les enseignants et les élèves mais est plus nuancé chez les enseignants.

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Six enseignants accordent au français la première place, cinq enseignants lui accordent la deuxième place. La raison positive la plus fréquente est le fait qu’il est au centre de leur profession d’enseignant. C’est la raison soutenue par sept enseignants. D’autres raisons positives avancées par les enseignants incluent l’internationalité, avancée par quatre enseignants, la communication avec des personnes francophones, mentionnée par quatre enseignants et l’utilité du français pour l’apprentissage d’autres langues comme l’espagnol et le portugais, mentionnée par un seul enseignant.

L’analyse des facteurs de l’amour et de l’importance des langues nous conduit à tirer l’argument, en guise de conclusion, que ce sont les facteurs utilitaires qui dominent et conditionnent les rapports des sujets bi-plurilingues avec les langues constitutives de leurs répertoires. L’amour et l’importance bénéficient à une langue qui est plus utile pour le sujet et, comme nous avons vu, les facteurs non utilitaires comme la curiosité intellectuelle, les liens de première socialisation ou la qualité intrinsèque du système linguistique sont moins importants. Le modèle utilitaire semble avoir trouvé un terrain fertile dans les approches communicatives qui considèrent les langues avant tout comme des outils.

Après avoir posé des questions générales sur les représentations sociales des langues, nous avons posé des questions spécifiques sur le français. Dans la partie suivante, nous présentons les données sur les impressions de premier contact avec le français.

5.1.4 Impressions de premier contact avec le français

Les impressions du premier contact avec une langue étrangère ne sont pas à sous-estimer quant à leur probable effet sur la motivation des élèves et, éventuellement, sur la poursuite ou l’abandon de l’apprentissage. Le tout premier contact avec une langue est en lien étroit avec l’attitude que l’apprenant peut adopter vis-à-vis de la langue en question. A ce propos, nous avons demandé aux élèves d’exprimer librement toute impression qu’ils ont eue lors de leur tout premier contact avec le français. Les réponses sont présentées dans le schéma suivant.

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Figure 8: Impressions de premier contact avec le français chez élèves

Difficile 89 (53%)

Amusante 81 Etrange 107 (63,7%) (48,2%) Prononciation

Différente des autres langues 60 (35,7%)

Ressemblances avec Incompréhensible l’anglais 73 (43,5%) 35 (20,8%) FRANCAIS

Difficile 65 (38,7) Orthographe Etrange 33 (19,6)

Avant de procéder à l’interprétation des réponses présentées dans le schéma ci-dessus, il serait peut-être utile de rappeler que le jugement d’un nouveau système linguistique est forcément fondé sur l’ensemble des expériences linguistiques antérieurement vécues par le sujet. En d’autres termes, face à un nouveau code linguistique, la tendance pour la plupart des sujets est de retourner dans le répertoire linguistique déjà existant et plus ou moins stable pour chercher à comparer ou à contraster ce nouveau code avec les autres. Ce processus d’établir un regard comparatif et contrastif s’opère presque automatiquement, comme on peut le constater à partir des réponses des sujets. Etant donné le fait que les sujets ont une expérience linguistique plus ou moins commune (exposition aux LCEs qui sont majoritairement bantoues, au swahili et à l’anglais), nous nous attendions à des réponses plus ou moins comparables entre les sujets.

Nous étions étonnés de constater que, pour la plupart des sujets, les impressions de premier contact avec le français tournaient autour de la prononciation. La réponse la plus fréquente et donc la plus partagée est celle de « prononciation étrange », qui est émise par 107 élèves, soit 63,7% des sujets. 81 élèves, soit 48,2%, ont répondu « prononciation amusante », alors que 89 élèves, soit 53%, ont parlé d’une « prononciation difficile ».

180

Comment expliquer la fréquence de la prononciation dans les réponses des sujets ? C’est la question qui se pose en premier lieu. Nous craignons de ne pas disposer d’éléments de réponse dans les données mais nous pouvons tout de même tenter de proposer quelques explications. Tout d’abord, il va de soi que la langue se matérialise par le son. C’est ce qu’on entend qui attire notre attention et il est donc loqique que les impressions de premier contact avec une langue étrangère concernent avant tout la prononciation. Une seconde explication est peut-être fondée sur la tradition orale du pays qui est plus dominante que la tradition écrite.

Face aux sons d’une langue, les impressions sont différentes selon l’angle de vision des sujets. L’étrangeté de la prononciation nait de la comparaison et du contraste sonores que fait le sujet avec les codes linguistiques déjà existants et qui sont, peut-être, considérés comme normaux et donc évidents. Autrement dit, ce qui n’est pas habituel est étrange. Si la prononciation du français parait très différente des LCEs, du swahili et de l’anglais, la langue française devient très étrange. Quant à la nature amusante du son, elle peut également être liée à son étrangeté mais c’est en se concentrant sur la qualité sonore que le sujet peut la trouver amusante. L’effet d’une prononciation amusante peut être de motiver le sujet à prononcer la langue et éventuellement à se l’approprier. C’est donc une impression plutôt positive.

Au contraire, avoir l’impression que le français a une prononciation difficile peut se traduire par le fait que le sujet reconnait d’abord que l’aspect sonore de la langue nouvelle est différent (étrange) de ceux des langues auxquelles il est déjà exposé et il associe l’étrangeté à la difficulté de sa maîtrise. Non seulement il constate l’étrangeté, mais il pense également à l’impossibilité de produire cette prononciation étrange. On peut décrire cette impression comme négative avec, potentiellement, un effet négatif sur l’appropriation d’une nouvelle langue.

L’impression que le français est différent des autres langues est une réponse également fréquente chez les sujets, soit 35,7%. Dans ce cas, les sujets n’ont pas indiqué en quoi le français est différent des autres langues mais c’est une réponse attendue lors du premier contact. Cependant, une réponse contraire a été avancée par 73 sujets, soit 43,5, qui avaient l’impression que le français avait des similitudes avec l’anglais. C’est une réponse qui suppose une certaine analyse du système linguistique de la part des sujets. Les données montrent que cette réponse est plus fréquente chez les élèves de la quatrième année; ce qui laisse penser que cette réponse découle partiellement de l’analyse actuelle de la langue.

181

Les autres impressions portent sur l’orthographe. 65 sujets, soit 38,7%, déclarent avoir eu l’impression d’une orthographe difficile (difficile à écrire). 33 élèves, soit 19,6%, déclarent avoir eu l’impression d’une orthographe étrange. En disant « orthographe difficile », les sujets perçoivent l’orthographe française par rapport à l’apprentissage, alors qu’elle est considérée comme étrange lorsqu’on adopte une position qui consiste simplement à reconnaitre le fait que l’orthographe ne correspond pas à celle des langues antérieurement présentes dans le répertoire linguistique.

35 élèves, soit 20,8%, ont affirmé avoir eu l’impression que le français était une langue incompréhensible. Une telle impression au premier contact avec une langue peut découler de différents facteurs. Il est possible que les techniques pédagogiques employées par l’enseignant fassent que les élèves ne comprennent pas grand-chose et par conséquent la langue devient incompréhensible. Il est également possible que les élèves n’aient pas de patience et qu’ils veuillent tout comprendre à la fois, oubliant le fait que l’appropriation d’une nouvelle langue implique la compréhension progressive des différents aspects de la langue jusqu’à pouvoir développer une autonomie langagière. Avoir l’impression qu’une langue est incompréhensible peut constituer un blocage sur la voie de l’appropriation.

Nous pensons que les impressions de premier contact peuvent se maintenir ou se dissiper avec l’exposition à la langue. Il est clair, par exemple, que l’étrangeté d’une langue diminue progressivement avec l’apprentissage. Il est également possible que cette étrangeté persiste, s’il n’y a aucun progrès en langue. Nous avons donc demandé aux sujets de décrire la langue française telle qu’elle était actuellement en se servant d’un adjectif qualitatif. Nous présenterons les réponses dans les parties qui viennent, mais nous proposons d’abord d’analyser les impressions de premier contact chez les enseignants.

La question portant sur les impressions de premier contact avec le français a également été posée aux enseignants. Il va de soi que les enseignants ont une exposition beaucoup plus longue et plus vaste que les élèves. De ce fait, parler des premières impressions chez les enseignants, c’est parler d’une expérience vécue plus de huit ans auparavant pour la majorité. Pour certains enseignants âgés de plus d’une cinquantaine d’années, on parle de plus de trente années depuis leur premier contact avec le français. C’est donc une question qui exige de la part du sujet un effort de mémoire. Par ailleurs, l’apprentissage, la formation et l’expérience professionnelle des enseignants permettent de développer des capacités analytiques considérables sur leurs premières impressions du contact avec le français. Nous pensons qu’ils

182 sont capables d’un recul par rapport à ces impressions et ainsi de fournir des réponses plus analytiques. L’intérêt est de voir si les impressions des élèves et celles des enseignants sont comparables.

Figure 9: Impressions de premier contact avec le français chez enseignants

Français Difficile (19%)

Etrange Intéressante (46%) (36%)

Prononciation

Intonation Difficile Unique (9%) (9%)

Nous constatons, à partir du schèma ci-dessus, qu’il y a moins de diversité dans les réponses des enseignants par rapport à celles des élèves. Les enseignants decriventle français en général et la prononciation, alors que les élèves y ajoutent l’orthographe. Cela découle peut- être du petit nombre de sujets, à savoir 11 enseignants contre 168 élèves. Cependant, nous constatons que les impressions des enseignants convergent largement avec celles des élèves. Dans les deux cas, c’est la prononciation qui est la plus décrite en termes de pourcentage. La prononciation est décrite comme étrange par 46% des enseignants. C’est la description la plus partagée (soutenue par 63,7% des élèves) et elle implique que le français, comparé aux codes linguistiques présents dans le répertoire linguistique des sujets, a des qualités sonores très différentes dans l’imaginaire des sujets enquêtés. Par contre, un seul enseignant, soit 9%, a évoqué avoir eu l’impression d’une prononciation difficile, contre 53% des élèves qui ont eu la même impression. Il est probable que la différence repose sur le fait que les enseignants maîtrisent déjà la prononciation et l’impression de la difficulté de la prononciation n’est plus dans leur mémoire. L’impression d’une prononciation intéressante chez 36% d’enseignants et amusante chez 46% d’élèves semble similaire mais n’évoque pas la même chose. Dans le premier cas, elle renvoie plutôt à la curiosité alors que, dans le second, elle renvoie au divertissement, au rire ou au plaisir emotionnel. Cela laisse penser que le premier contact avec le français et, bien sûr, de toute autre langue ne fait pas seulement l’objet de curiosité intellectuelle mais également émotionnelle.

183

La fréquence de la prononciation chez les enseignants et les élèves suggère que le premier contact avec une langue étrangère passe avant tout et se matérialise par le son. C’est donc l’aspect le plus visible de la langue.

5.1.5 Descriptions du français par les élèves

Les impressions de premier contact présentées ci-dessus concernent essentiellement l’image qui s’est construite chez les sujets au premier contact et il se peut que cette image de premier contact ne corresponde pas à l’image actuelle de la langue. Par exemple, il est possible d’avoir l’impression qu’une langue est difficile, mais cette impression peut se dissiper avec la fréquence de contact et l’exposition progressive à la langue. Cette sous-section se propose d’analyser les représentations actuelles des élèves vis-à-vis du français. Cette question a concerné uniquement les élèves, en vue de comprendre leur motivation à poursuivre l’apprentissage de la langue. Nous nous servirons d’entretiens dans lesquels nous avons demandé aux sujets d’utiliser un adjectif pour décrire le français. Dans notre présentation du discours des élèves, par souci d’économie, nous ne présenterons que les propos représentatifs de l’ensemble des sujets et, pour des raisons pratiques, nous identifierons les adjectifs clés et les différentes modulations individuelles après chaque extrait.

1. St Joseph Seminary School (FIV) 24E French is nice and and it’s interesting 28E French is good and it is attractive 30E Actually the French to me is funny because the words how they are written if you look at them sometimes they differ with the pronunciation .. so it’s funny but also it’s enjoyable 32E Kifaransa ni kizuri kwa sababu napenda sauti yake halafu ina maneno matamu TRD Le français est bon parce que j’aime son son et il a de bons mots

Adjectifs clés : Bon, intéressant, attrayant, drôle, amusant,

2. St. Joseph Seminary School (FI) 20E Kifaransa ni ni ni lugha ngumu lakini siyo ngumu sana ukiwa na nia ya kunanii ya kukifahamu TRD Le français est une langue difficile mais pas trop difficile si vous avez l’intention de la connaître.

184

Adjectifs clés: Difficile mais pas trop difficile

3. Kazima Secondary School (F1) 32E Lugha ya kifaransa ni nzuri lakini ni ngumu .. yaani ni vizuri kujifunza kifaransa kwa sababu ni moja ya lugha za kimataifa ambazo zinatambulika duniani TRD La langue française est bonne mais difficile .. c’est bon d’apprendre le français parce c’est parmi les langues internationales reconnues mondialement. 34E Lugha ya kifaransa . kwa mi nilivyoona . nilipoanza kuisoma . niliona nzuri sana lakini nitajitahidi mpaka niweze TRD La langue française . d’après moi . quand j’ai commencé à l’apprendre . je la trouvais bonne mais je m’applique pour la maîtriser

Adjectifs clés: Bon mais difficile, n’est plus bon (mais bon au départ)

4. Loyola Secondary School (FI) 14E When I compare French with other languages . its French has strange accent compared to other languages .. it has a strange way of writing which is very very different from the way it’s pronounced xxx

Adjectif clé: étrange (accent), différent (pronunciation, orthographe)

5. Loyola Secondary School (FIV)

6E Eeh the first time I thought it was difficult because I thought aah I wont . I thought I I I can’t do it well .. so . I was so worried 2’’ now but I think for this time aah it’s a little bit easy because if you concentrate on that language on that language when the teacher is teaching eeh you can learn it easily and you can understand it 8E At first I thought learning French was boring .. it was like learning Kiswahili for the first time . but when I continued learning . I saw it was interesting because some of the friends from other schools were speaking French very well so and me I said why should I try and learn French better xxx

185

Adjectifs clés: un peu facile, ennuyeux au départ (mais actuellement intéressant)

6. Malangali Secondary School (FI)

13E ---kwangu mimi naona lugha ya kifaransa kama mwalimu anavyofundisha darasani . nakuwa navutiwa sana na ile jinsi anavyofundisha kwa sababu unakuta kama anachekesha chekesha fulani hivi ili mtu uweze kuelewa kiurahisi yaani . ili uweze kuyaelewa elewa yale maneno ili mtu uweze kuyashika vizuri zaidi

TRD D’après moi le français est attrayant à cause de la façon dont l’enseignante nous enseigne . je suis très attiré par sa façon d’enseigner amusante qui permet de comprendre plus facilement . pour comprendre les mots et mieux les retenir.

Adjectifs clés : attrayant, amusant

Tableau 18: Représentations du francçis chez les élèves

Représentations Modalisations individuelles

Bon Mais difficile

C’était bon (au début)

Etrange -

Intéressant Mais annuyeux au départ

Difficile Mais pas très difficile

Attrayant -

Facile Mais difficile au début

Drôle -

Ammusaant -

Dans le tableau ci-dessus, on voit les éléments des représentations collectives évoqués par la majorité des sujets mais également les modalisations individuelles de ces représentations. Les modalisations individuelles indiquent un processus (ex: c’était bon = ce n’est plus bon, c’était

186 annuyeux au début = ce n’est plus ennuyeux, etc.) ou une nuance (ex : bon mais difficile, difficile mais pas très difficile, etc.).

De manière générale, la description du français par les élèves montre que la majorité d’entre eux accordent une image positive à cette langue. Reste aux enseignants et aux concepteurs des programmes de français de profiter de cet environnement fertile pour l’appropriation et la diffusion du français en Tanzanie. En d’autres termes, les représentations positives sont en partie révélatrices d’un niveau de motivation élevé. Cependant, il faut rappeler, et nous l’avons dit ailleurs, que la description du français ne peut se faire qu’en comparant avec les autres codes préalablement connus et constitutifs du répertoire des sujets enquêtés. Selon cette logique, dire qu’une langue est belle, intéressante, amusante, drôle, attrayante, étrange, difficile ou lui accorder d’autres qualités présentées dans le tableau ci-dessus signifie, peut- être, qu’il y a des langues qui ne portent pas ces qualités.

5.1.6 La proximité et la distance entre les langues

La distance et la proximité entre les langues déterminent non seulement la transférabilité translinguistique mais elles jouent également un rôle fondamental dans le choix des stratégies bilingues et peuvent potentiellement faciliter l’appropriation de la LE. C’est pour cela que nous avons estimé utile d’étudier la perception des sujets de la proximité et de la distance entre le français et les autres langues. Dans ce qui suit, nous présentons les différents points des élèves et des enseignants, en commençant avec les réponses des élèves.

St. Joseph Seminary School (FI51) 100E --- maneno mengine ya kifaransa yanafanana kidogo na kiingereza .. maneno yanaendana .. mfano kama vile lion kwa kifaransa lion .. kwa hiyo hapo ukisema kwa kiingereza . ukilinganisha na kifaransa . unaelewa ni nini TRD Certains mots français ressemblent à l’anglais .. les mots se rapprochent .. par exemple le mot lion en français c’est lion .. ainsi si vous le dites en anglais . et vous comparez avec le français . vous comprenez ce que c’est

Dans les propos ci-dessus, l’élève se sert du mot « lion » qui existe en anglais et en français, pour illustrer la proximité lexicale entre les deux langues. L’élève avance que cette proximité permet d’accéder à la signification du mot car il signifie la même chose dans les deux langues.

51 FI = Form One. 187

Kazima Secondary School (FI) 131E Mi ninavyoelewa kifaransa kipo karibu sana na kiingereza kwa kuandika lakini kwa kimatamshi . vinatofautiana TRD D’après moi le français est très proche de l’anglais au plan orthographique mais au plan phonétique . ils sont différents 132EQT Nani mwingine anataka kuongeza hapo TRD Qui d’autre veut ajouter 133E Mimi naweza kusema kifaransa . hata kwa matamsshi kinafanana na Kiswahili .. maana yake pale tulipokuwa tunajifunza alphabet . kuna mengine tunasema xxx kama ile a kwa kifaransa tunasema [a] na kwa Kiswahili tunasema [a] TRD Moi je peux dire que le français . est proche du swahili au niveau phonétique .. quand nous apprenions l’alphabet . nous disions a en français c’est [a] et en swahili c’est [a] 134E Mimi naona katika kifaransa . kuandika English yaani ukiandika kiingrereza . yaani maandiko yake yanaendana kidogo na kuandika kifaransa lakini kimatamshi . yanatamkika kama Kiswahili xxx TRD Moi je trouve que le français . l’orthographe ressemble à l’anglais . c'est-à-dire leur orthographe est proche mais phonétiquement . c’est comme le swahili

Au tour 131E, l’élève insiste sur le fait que le français est très proche de l’anglais au niveau lexical et que c’est la prononciation qui diffère. Une autre élève (133E) pense que le français est phonétiquement proche du swahili et fournit l’exemple de l’alphabet. D’après l’élève, dans certain environnment phonétique, la lettre « A » se prononce [a] en swahili et en français. Ce point de vue, comme nous le verrons chez la plupart des sujets, est basé sur le fait que les cinq voyelles existant en swahili existent également en français, à savoir [a], [e], [i], [o], [u]. La différence entre les systèmes vocaliques de ces deux langues réside principalement dans le fait que le français a plus de voyelles que le swahili et dans les phénomènes d’arrondissement et de nasalisation. Par ailleurs, il existe, pour certains graphèmes français, une systématicité permettant de prédire la prononciation et une position fixe de l’accent à la dernière syllabe. En swahili, la correspondance terme à terme entre l’orthographe et la prononciation est une caractéristique saillante de tous les graphèmes. Il y a également une position fixe de l’accent à l’avant dernière syllabe. Ce sont donc des propriétés phonétiques qui rapprochent le français

188 du swahili. C’est, peut-être, pour cette raison qu’une autre élève (134E) dit « phonétiquement . c’est comme le swahili ».

Nsumba Secondary School (FIV52) 58E Yes .. French language is too closer to English but in pronunciation is too close in Kisukuma EQT (rire) how how how .. tell us how 60E (rires) E Because I have taken a long time to study this French . then I saw that pronunciation they are the same .. for example vous êtes vous êtes . that is even in sukuma you can say [te] but in English there is no [te] .. you can’t pronounce [te] in English

L’élève voit des similitudes phonétiques entre le français et le sukuma (LCE), qui est une langue bantoue. C’est le seul cas rencontré où un élève évoque des ressemblances entre le français et une LCE. Il cite l’exemple d’une syllabe française [te] pour le mot « thé » (le mot n’existe pas en sukuma) qui peut s’entendre en sukuma, mais pas en anglais. Cette observation intéressante a provoqué des rires chez les autres élèves, qui étaient majoritairement locuteurs du sukuma.

Loyola Secondary School (FIV) 83E French I think French is closer to English 84EQT Why 85E Because some of the words if someone mentions the words in French as my fellow said there un crayon you can just imagine a crayon . is an English word and un crayon is just kind of related so you can just know this person means this

L’élève fournit l’exemple du mot « crayon » existant en français et en anglais pour illustrer les similitudes lexicales entre les deux langues et montre que ces similitudes permettent d’accéder au sens (85E).

Loyola Secondary School (FI) 77E because English . English is close at French . it’s not it’s not more closer to kiswhahili and most of us our foundation is from those primary schools that do not teach English and so if English would be

52 FIV = Form Four. 189

closer to kiswahili or Kiswahili will be closer to French it would be easier to understand because we are still in the process of learning English .. and so learning English then English is closer to French . well . still English is a problem .. it’s it’s difficult

L’élève non seulement évoque la proximité (probablement lexicale) entre le français et l’anglais, mais il explique la conséquence de cette similitude à savoir, la facilitation de l’apprentissage du français. Le problème qui se pose cependant est la non-maîtrise de l’anglais qui rend difficile la mise à profit de la similitude. Selon lui, si le français était plus proche du swahili, qui est bien maîtrisé par les élèves, la proximité jouerait un rôle plus facilitateur dans l’appropriation du français.

Zanaki Girls’ Secondary School (FI) 192E mimi lugha ambazo naona ziko beneath kabisa na kifaransa ni kiingereza TRD moi je pense l’anglais est le plus proche au français 193EQT hmm / 194E kama mimi nilivyosema pale english ni anglais .. singular ni xxx (rire) singulier .. kwa hiyo pale vinatofautiana kidogo sana tofauti na kiswahili .. yaani kiswahili kiko mbali sana na french .. kwa hiyo french ndo iko karibu sana na kiingereza .. mimi ni hayo TRD comme je l’ai déjà dit english c’est anglais .. singular c’est xxx (rires) singulier .. là il y a une toute petite différence qui n’est pas le cas avec le swahili .. le swahili est très éloigné du français .. ainsi le français est plus proche de l’anglais .. c’est tout

L’élève trouve que le français est lexicalement très éloigné du swahili, mais très proche de l’anglais en donnant l’exemple des mots « singulier / singular » et « anglais/english » dont la variation orthographique est minimale.

On peut résumer les propos des élèves en avançant qu’ils pensent que le français est lexicalement plus proche de l’anglais, mais phonétiquement plus proche du swahili. Par ailleurs, un seul élève a pu évoquer la proximité entre le français et le sukuma, ce qui a provoqué des rires chez ses camarades. Le rire est peut-être dû au fait que les LCEs ne font pas partie du plurilinguisme scolaire et que les sujets pensent que ces langues ne sont pas à comparer avec les langues existant à l’école. En effet, si le français est phonétiquement plus proche du swahili, il est également proche des langues bantoues, dont la prononciation est

190 similaire au swahili. Les élèves ont par ailleurs évoqué le rôle facilitateur de la proximité lexicale entre le français et l’anglais. Avant de conclure notre analyse, nous proposons de voir les réponses des enseignants qui, nous le supposons, seront plus analytiques et apporteront plus d’éclairages sur la question.

Malangali Secondary School (En) 284En it is close to English EQT to English 286En yes because even some words are written as in English but we pronounce different

Le français est plus proche de l’anglais au niveau lexical, car certains mots gardent la même orthographe dans les deux langues, c’est la prononciation qui varie.

Benjamin Mkapa Secondary School (En) 80En ce qui est proche . c’est anglais quand même parce qu’il y a beaucoup de mots quand j’enseigne je trouve qu’il y a beaucoup de mots par exemple le mot progrès on écrit dans la même façon mais on prononce très différemment .. développement : il y a beaucoup de mots qui ressemblent dans ces deux langues . c’est anglais .. c’est anglais

Cet enseignant explique la similitude lexicale entre le français et l’anglais en fournissant les exemples des mots « progrès », « développement » et qui portent presque la même orthographe mais se prononcent différemment.

Kazima Secodary School (En) 61En Pour les mots . beaucoup de mots c’est : le français est plus proche de de la langue anglais parce qu’il y a des mots qui sont qui sont les mêmes .. il y a les mots qui sont les mêmes xxx la différence c’est pour la prononciation mais il y a quelques quelques aspects . le français est proche du swahili .. par exemple les places de pronoms .. par exemple je peux dire je te donne ou je les donne .. je te donne qui signifie nitakupa .. alors il y a le mot ku qui est xxx te en français .. alors les places de pronoms dans les verbes de français est le même que la place des autres on peut dire affixes .. affixes de : affixes des pronoms dans les verbes en swahili .. mais le français est plus proche d’anglais mais pour quelques éléments est plus proche du swahili

191

Dans les propos ci-dessus, l’enseignant, à l’instar des autres sujets enquêtés, voit la similitude lexicale entre le français et l’anglais et la différence au niveau de la prononciation mais il fait une observation intéressante sur les ressemblances grammaticales entre le français et le swahili. Il donne l’exemple de la place des pronoms. Avant d’analyser les exemples qu’il propose, nous soulignons que le swahili, comme la plupart des langues bantoues, est agglutinant - les morphèmes sont collés et chacun représente un trait grammatical - alors que l’anglais, comme la majorité des langues indo-européennes, est flexionnel - les lemmes changent de forme en fonction des rapports grammaticaux existant avec les autres éléments. Prenons la phrase proposée par l’enseignant, « Je te donne », qui se traduit en swahili « Ninakupa ».

Tableau 19: Place de pronoms en français et en swahili

Pronom personnel Présent Pronom personnel Verbe – sujet –objet indirect

Swahili Ni- -na- -ku- -pa

Français Je Te Donne

Dans le tableau ci-dessus, on voit que les pronoms personnels du sujet et de l’objet indirect ainsi que le verbe occupent la même position en swahili et en français. En anglais, par contre, la place du verbe serait occupée par le pronom « you » et la place du pronom « te » par le verbe « give ». Dans ce sens, il est évident que la position des pronoms en français se rapproche plus du swahili que de l’anglais.

Nsumba Secondary School (En) 36En Okay . if I compare French and English . French is like English at the field of vocabulary .. English vocabulary and French vocabulary . sometimes they resemble . they look alike because there are some words which are written the same but difference just in pronunciation .. for instance words like government in English and French .. you know a lot of words président president .. we have parents . parents .. so many French words are the same like English but xxx how words are arranged . French language resembles Swahili because when you arrange may be nouns verbs . eeh adjectives . the way they are arranged . is the same as how they are arranged in Kiswahili xxx---

192

L’enseignant ci-dessus reconnait les similitudes lexicales entre le français et l’anglais et avance que leur différence réside dans la prononciation. Il ajoute par ailleurs que des similitudes syntaxiques existent avec le swahili, notamment l’ordre des mots: noms, verbes, adjectifs, etc. Comme il n’a pas fourni d’exemple précis, nous en proposons un. La place de l’adjectif est l’un des cas de similitude syntaxique. Beaucoup d’adjectifs français occupent la position post-nominale et c’est le cas des adjectifs swahilis, comme on peut l’observer dans les exemples suivants:

Le développement durable – maendeleo endelevu

Un travail difficile – kazi ngumu

La semaine prochaine – juma lijalo

Un étudiant persévérant– mwanafunzi mvumilivu

St. Mary’s Seminary School (En) 92En merci .. eeh moi . étant compétent en français en anglais et en swahili . j’ai essayé de faire une approche une comparaison entre les trois langues .. et puis j’ai découvert que le français est plus proche du swahili .. est plus proche au swahili qu’à l’anglais … je peux donner un exemple … eeh quand je fais une comparaison une comparaison du français au swahili . je trouve que le moyen la méthode comment les éléments grammaticaux se suivent l’un après l’autre . il y a des cas où le français ressemble au swahili .. par exemple eeh les adjectifs qualificatifs . les adjectifs qualificatifs … excepté très peu mais la majorité des adjectifs qualificatifs en swahili se placent après le nom .. mtu muhimu .. un homme important .. le nom commence et puis après le nom vient l’adjectif … une question difficile .. swali gumu .. donc il y a une ressemblance .. et ensuite . selon par exemple les pronoms personnels d’objets soit directs ou indirects .. en anglais vous trouvez que eeh le pronom personnel d’objet soit direct ou indirect se place après le verbe .. i see him .. him comes after see .. mais en français vous ne pouvez pas dire je vois le .. on dit plutôt JE le vois .. so je c’est un pronom personnel . tout exactment comme en swahili .. namwona .. so mu then ona .. donc il y a une certaine ressemblance … il y a une ressemblance une similarité entre les deux langues au niveau de xxx structures grammaticaux

193

S’appuyant sur son expérience de plus d’une trentaine d’années dans l’enseignement du FLE et des analyses comparatives qu’il a faites entre le français et les autres langues, l’enseignant n’a pas hésité à nous expliquer qu’il a constaté que le français est plus proche du swahili que de l’anglais. Il se sert d’exemples de la syntaxe phrastique, tels que:

 La postposition des adjectifs qualificatifs évoquée précédemment: un homme important / mtu muhimu, une question difficile /swali gumu

 La place des pronoms personnels d’objets directs, et indirects : Je le vois /ninamwona.

L’objet précède le verbe et ce n’est pas le cas en anglais car il est agrammatical de dire

« I him see ».

Comme nous l’avons dit précédemment, les réponses des enseignants sont plus analytiques que celles des élèves. Les enseignants montrent la proximité phonétique et syntaxique entre le français et le swahili, alors que les élèves n’ont montré que la proximité phonétique. Par ailleurs, les arguments des enseignants s’appuient sur des exemples plus détaillés.

On peut dire, en guise de conclusion, que les réponses des uns comme des autres conduisent à la conclusion que les jugements des sujets sur la distance et la proximité entre le français et les autres langues sont principalement basés sur des facteurs typologiques et des analyses linguistiques objectives. Nous signalons par ailleurs que les outils que nous avons développés et employés n’ont pas permis l’étude de la psycho-typologie ou la typologie subjective des sujets53. Leurs réponses s’appuient sur des exemples objectifs illustrant des similitudes entre le français et les autres langues.

Il a été mis en avant que le français est lexicalement plus proche de l’anglais, alors que, sur les plans phonétique et syntaxique, il est plus proche du swahili. Il est facile d’expliquer les ressemblances lexicales avec l’anglais par leur appartenance à la grande famille indo- européenne, bien que le français soit une langue romane et l’anglais une langue germanique. Il y a ainsi une parenté génétique, même si elle est relativement lointaine. Par ailleurs, le français et l’anglais ont une longue histoire de contact depuis l’époque de la domination française de l’Angleterre, qui a conduit à de nombreux emprunts entre ces deux langues. Par contre, il n’est pas aisé d’expliquer les ressemblances phonétiques et syntaxiques entre le

53 Voir Kellermann (1977) pour une étude détaillée de la psycho-typologie. 194 français et le swahili. Nous pensons qu’elles sont dues au hasard et ne présupposent aucun lien génétique ou historique entre ces deux langues. Mais qu’elles soient génétiques ou fortuites, les similitudes linguistiques diminuent l’étrangeté du FLE et il a été spécifiquement avancé par les sujets que les similitudes lexicales entre le français et l’anglais ont des effets bénéfiques pour l’appropriation du premier. De ce fait, l’intercompréhension entre langues parentes peut être didactisée au profit du pluriliguisme.

5.1.7 Conclusion

Les données analysées dans cette section conduisent à la conclusion que la plupart des sujets enquêtés sont, à des degrés variables de connaissance, exposés à quatre langues; une LCE, le swahili, l’anglais et le français. De ces langues, le swahili constitue la langue commune la plus partagée et une ressource linguistique potentielle dans l’appropriation du français. Nous avons, par ailleurs, constaté que les rapports que les sujets entretiennent avec les différentes langues sont généralement en faveur de l’anglais, suivi du français, du swahili et, enfin des LCEs. Pour ce qui a trait aux impressions de premier contact et à la description du FLE, les données ont généralement révélé que les élèves ont des attitudes positives vis-à-vis du français. Nous avons enfin vu que les sujets s’accordent sur le fait que le français est lexicalement plus proche de l’anglais mais, phonétiquement et syntaxiquement, plus proche du swahili. Dans la section qui suit, nous examinons les pratiques linguistiques scolaires, en les opposant aux pratiques extra-scolaires.

5.2 Pratiques plurilingues: continuité et discontinuité entre les domaines scolaire et extrascolaire

Dans la section précédente, nous avons mis en évidence le caractère plurilingue des sujets enquêtés et, plus généralement, de la classe de français en Tanzanie. Les données ont mis en avant les différentes catégories d’exposition aux langues: exposition à trois langues (SW, ANG et FR), exposition à quatre langues (LCE, SW, ANG et FR), exposition à cinq langues (LCE, LCE, SW, ANG, FR), exposition à six langues (LCE, LCE, LCE, SW, ANG, FR) et sept langues (LCE, LCE, LCE, LCE, SW, ANG, FR). Nous avons également tenté de comprendre les rapports subjectifs qu’entretiennent les sujets avec les différentes langues constitutives de leur répertoire plurilingue. Nous avons, de manière générale, constaté que, chez les élèves, c’est l’anglais qui occupe la première place de préférence et d’importance

195 alors que du côté des enseignants, c’est le français qui reçoit cette place. Par contre, les deux groupes d’enquêtés accordent la dernière place aux LCEs.

Par ailleurs, les données sur l’auto-évaluation des compétences en différentes langues ont révélé que le swahili est la langue la plus partagée par les partenaires de la classe. L’anglais, qui est le MOI pour toutes les matières non linguistiques et le français, langue d’appropriation, ne sont que partiellement partagés. Comme nous l’avons souligné précédemment, les rapports des sujets avec les langues et le niveau de compétence dans ces langues font partie des facteurs déterminant non seulement le choix de langue dans les situations de communication mais également la nature des stratégies bi-plurilingues.

Nous consacrons la présente section à l’analyse des différentes situations d’utilisation de chacune des langues auxquelles les élèves et les enseignants sont exposés. L’identification des situations d’utilisation des langues nous permettra également de comprendre la liberté et les contraintes relatives à l’activation d’une langue en mettant en exergue les contextes extrascolaire et scolaire d’utilisation de ces langues. Les faits que nous présentons ici sont principalement fondés sur des données orales issues des entretiens que nous avons menés auprès des élèves et des enseignants.

5.2.1 Pratiques linguistiques en contexte extrascolaire

Le contexte extrascolaire accorde généralement plus de liberté aux locuteurs bi-plurilingues, du fait d’être moins normé que le contexte scolaire. Par conséquent, l’analyse des pratiques linguistiques dans ces contextes aura un objectif comparatif. La finalité sera de comprendre l’effet des politiques linguistiques scolaires non seulement sur l’appropriation du français mais également des savoirs non linguistiques. Lors de l’enquête, nous avons constaté que, pour certains sujets plurilingues, toutes les langues constitutives de leurs répertoires étaient activées dans une situation ou une autre. L’entretien avec une enseignante de l’Ecole Secondaire de Malangali, qui possède des connaissances dans quatre langues, présente un tel cas: 37EQT Quatre langues 4’’ alors . est-ce que toutes les langues sont utilisées / ou bien il y a des langues que vous pouvez parler / mais qui ne sont pas activées 3’’ est-ce qu’il y a des langues que vous connaissez mais qui ne sont pas utilisées par exemple / 38En Ah oui oui .. moi j’utilise (TOUs ?) 39EQT Combien / 3’’ trois /

196

40En Je utilise les les 2’’ tous les quatre

L’enseignante a expliqué que l’emploi du français se faisait avec les élèves de français et avec son collègue, qui est aussi enseignant de français. Elle a, cependant, souligné que le cours de français constituait le seul point certain de contact avec le français, tant pour les élèves que pour les enseignants: « Mais : par exemple le français .. c’est seulement pendant l’enseignement ». Elle parle le hehe à la maison et avec les habitants de Malangali car l’école de Malangali est entourée par la communauté hehe et l’enseignante elle-même appartient à cette communauté :

47En Oui parce que ici à Malangali . il y a beaucoup de personnes qui parlent hehe à la maison .. moi je suis hehe

Son conjoint est également hehe mais les deux utilisent cette langue entre eux et non avec les enfants: « Aah mes enfants : ils utilisent seulement le swahili Aah le swahili seulement ». La raison de la non-transmission du hehe chez les enfants est, selon l’enseignante, fondée sur un argument utilitaire selon lequel le swahili est la langue la plus utilisée. D’après notre expérience, la non-transmission planifiée des LCEs est une pratique répandue parmi les parents ayant des représentations négatives vis-à-vis de ces langues, et ces représentations sont transmises d’une génération à une autre. Selon l’enseignante, le swahili est parlé à l’école et avec la communauté aux alentours, parallèlement au hehe. Quant à l’anglais, elle le parle rarement en dehors de l’école, dans les situations de contact avec des personnes qui connaissent la langue et qui veulent la parler.

Les autres sujets enquêtés ont indiqué l’absence d’occasions qui rendent possible l’activation de toutes les langues de leur répertoire. En d’autres termes, ce sont des individus bi- plurilingues avec un répertoire partiellement actif, qui constitue le cas ordinaire des individus plurilingues. Les propos de l’enseignant de L’Ecole Saint Joseph en sont la preuve: 50 En ---donc les langues que je pratique souvent c’est l’anglais et comme je suis professeur de français . je suis-je parle le français avec quand je suis en classe avec mes élèves ou bien même quand je suis dehors avec mes mes élèves .. mais les langues que je parle plus beaucoup c’est l’anglais et le kiswahili .. mais quand je suis quand je suis à la maison chez mes parents . je parle un peu ma langue maternelle mais ces jours-ci je ne parle pas couramment et je trouve un peu difficile à parler beaucoup de choses en ma en ma : langue maternelle

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Les propos de l’enseignant représentent de nombreux cas des individus bi-plurilingues qui habitent dans un milieu ne permettant pas de pratiquer la LCE. Comme il dit, il se trouve dans une situation de perte progressive de compétence dans cette langue. Pour cet enseignant, la LCE n’est pratiquée qu’occasionnellement, notamment lorsqu’il part dans sa région natale pour rendre visite à sa famille.

Maintenant, nous proposons de présenter d’autres cas d’utilisation des différentes langues par les sujets enquêtés afin d’avoir une vue globale de la nature des pratiques langagières:

Elève (F1): Ecole Saint Joseph (Mwanza) 74E Nitaanza na french .. french huwa naiongea nikiwa na mwalimu wa french au na mtu yeyote anyejua French .. na: kijita ambayo ndo lugha yangu huwa naiongea nikiwa nyumbani hata na bibi . babu . baba na mama . na watu wengine wanaoifahamu .. na kiswahili huwa naongea na watu wote .. kiingereza naongea nikiwa shuleni hata pengine na watu wanojua kiingereza

TRD : Je commence avec le français .. je parle français avec l’enseignant de français ou une autre personne qui parle français .. et : le kijita qui est ma langue je le parle quand je suis à la maison avec ma grand-mère . mon grand-père père mère . et les autres personnes qui connsissent la langue .. et le swahili je le parle avec tout le monde .. je parle l’anglais quand je suis à l’école et quelques fois avec des personnes qui connaissent la langue

Elève (F1): Kazima Secondary School (Tabora) 72E Mimi kama mimi . huwa naongea lugha tatu lugha nne .. ya kwanza huwa naongea English .. ya pili huwa naongea Kiswahili kisukuma pia na kijita .. mi kijita napendelea kuongea nikiwa na baba . kisukuma napendelea kuongea nikiwa na watu wowote wale maana sisi nyumbani kwetu mtaa umezungukwa na watu wengi ni wasukuma .. kwa hiyo mtu yeyote anaweza akaja akakusemesha kisukuma .. kwa hiyo mimi napenda sana kuongea kisukuma mara nyingi sana yaani muda mwingi sana napenda kuongea kisukuma .. kiingereza . huwa naongea nyumbani nikiwa na baba . wadogo zangu pamoja pia Kiswahili huongea nikiwa nyumbani nikiwa na wazazi wangu na ndugu zangu .. pia huwa naongea Kiswahili nikiwa darasani na huwa naongea na walimu . wanafunzi wenzangu .. pia English huwa naongea na walimu na wanafunzi wangu wenzangu nikiwa shuleni

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TRD : Moi je parle trois quatre langues .. la première c’est l’anglais . la deuxième c’est le swahili je parle aussi le sukuma et le jita .. je parle jita avec mon père . j’aime parler le sukuma avec tout le monde parce chez nous nous sommes entourés par beaucoup de sukuma .. alors tout le monde qui vient te parle en sukuma .. ainsi moi j’aime beaucoup parler le sukuma et je le parle très souvent . l’anglais je parle avec mon père . mes petits frères et mes petites sœurs ainsi que le swahili que je parle avec mes parents et mes proches .. je parle également le swahili en classe (pendant le cours du swahili) et avec les enseignants . et mes collègues .. je parle également l’anglais avec les enseignants et les collègues à l’école

Elève (FIV): Saint Joseph Seminary School (Mwanza) 74E Nitaanza na french .. french huwa naiongea nikiwa na mwalimu wa french au na mtu yeyote anyejua French .. na: kijita ambayo ndo lugha yangu huwa naiongea nikiwa nyumbani hata na bibi . babu . baba na mama . na watu wengine wanaoifahamu .. na kiswahili huwa naongea na watu wote .. kiingereza naongea nikiwa shuleni hata pengine na watu wanojua kiingereza TRD: Je commence avec le français .. je parle français avec l’enseignant de français ou toute autre personne qui connait la langue .. et : le kijita, qui est ma langue, je le parle à la maison surtout avec mes grand-parents, mon père et ma mère . et avec les autres personnes qui le connaissent .. et je parle swahili avec avec tout le monde .. je parle anglais à l’école et quelquefois avec des personnes qui connaissent la langue

Sujet enseignant: Kazima Secondary School (Tabora)

32En Oui . en commençant avec le la langue maternelle que je parle un peu .. normalement je parle avec mes parents ou autres relatives .. je parle avec eux .. alors je je je ne parle pas beaucoup la langue .. il y a peu de circulation que je parle si je suis avec mes parents normalement .. mais pour la langue hmm la langue française . je parle quand je suis quelquefois quand j’enseigne le français en classe .. aussi quand je suis allé au : qu’est-ce qu’on peut dire 2’’ à l’alliance française là-bas .. l’alliance qui s’occupe qui s’occupe de de faciliter la langue française développer xxx comme ça les centres qui occupés de de de de pratiquer la langue française 2’’ quand je vais là . je parle la langue française .. aussi quand je je me rencontre avec xxx parce qu’il y a xxx le temps précédent . je suis rencontré avec les gens congolais .. alors si je rencontre avec

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les gens qui viennent de pays francophones . je parle français .. you see .. parce qu’ici en tanzanie il y a peu de bureaux où on utilise la langue française .. c’est pourquoi je ne . je ne parle pas beaucoup la langue français 2’’ pour l’anglais . aussi je parle l’anglais . je l’utilise l’anglais quand je veux écrire les lettres de demander .. les lettres officielles .. officielles .. hmm / aussi il y a quelques bureaux par exemple aux universités là-bas .. par exemple l’université de Dar es Salaam qui utilise la langue anglaise comme moyen d’enseigner les cours .. alors même dans les bureaux officiels qui veulent utiliser la langue anglaise xxx alors c’est pourquoi je n’utilise pas la langue française dans les bureaux comme ça .. le swahili aussi je parle quand je parle avec les gens tanzaniens parce que beaucoup d’eux connaissent la langue swahili .. alors je utilise par exemple quand je suis hors de cours . hmm je parle swahili .. quand je suis avec les gens avec les gens qui ne connait pas ni swahi aah ni anglais . ni français . je parle le swahili

Elève (FIV): Nsumba Secondary School (Mwanza) 110E Me am normally speaks five language .. kisukuma . kinyamwezi . Kiswahili . English and somehow French .. these languages . sukuma I normally use it to my grand parents .. but nyamwezi I normally use it to my uncle .. which are living the area which normally use the nyamwezi language .. Kiswahili am using with my parents and my friends who are living nearby our home place .. this englis language am suing here at school and somehow French 3’’ and here at school . I prefer much to speak English more than other languages in order to expand my knowledge .. yes

Elève (FI) Loyola Secondary School (Dar es Salaam) 107E Five languages 3’’ Kiswahili . kiingereza . kifaransa . kingoni na kihehe .. ukianzia katika maisha ya nyumbani tunatumia sana Kiswahili . katika maisha ya nyumbani katika mawasiliano . kunapotokea labda ndugu wa mama au wa baba pale ni --- kwa ndugu wa mama . kihehe mara nyingi kinatumikaga .. kwa hiyo najua maneno machache kwa kihehe .. ukija kwenye ndugu wa baba wanapokuja wanapoongea kingoni pale najua maneno machache .. katika mazingira ya shule . tunaongea kiingereza na katika French class . tunaongeaga kifaransa

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TRD Cinq langues 3’’ swahili . anglais . français . ngoni et hehe .. à la maison nous utilisons très souvent le swahili . lorsqu’il y a des visiteurs du côté maternel ou paternel c’est --- pour les visiteurs du côté maternel c’est souvent le hehe qui est utilisé .. donc je connais en peu le hehe .. et du côté paternel quand les visiteurs viennent et parlent le ngoni j’en connais quelques mots . à l’école . nous parlons l’anglais . et le français pendant les cours de français

Les situations extrascolaires d’utilisation des langues rapportées par les sujets enquêtés ci- dessus reflètent largement les pratiques langagières de l’ensemble des sujets enquêtés car notre parcours des transcriptions orales révèle une grande similitude. Nous pouvons ainsi baser notre analyse sur ces réponses. Avant de poursuivre notre argumentation, nous rappelons que les pratiques langagières sont différentes selon les milieux ruraux et urbains. En effet, nous avons constaté qu’un grand nombre d'élèves provenant des milieux ruraux fréquentaient les écoles qui se situent dans les villes provinciales comme Ruvuma, Iringa, Tabora et Mwanza alors que les écoles de Dar es Salaam étaient majoritairement fréquentées par les élèves provenant des milieux urbains.

Dans les milieux ruraux, les sujets emploient les LCEs avec les membres de la communauté ethnique et au sein des familles. Ce sont des langues qui remplissent la fonction de communication quotidienne mais leur emploi se fait en parallèle du swahili. Cependant, le swahili est plus dominant dans les situations extra-familiales qu’intrafamiliales. Il faut également souligner que les LCEs sont particulièrement utiles pour la communication avec des personnes âgées qui ne maîtrisent pas le swahili.

En dehors de l’école, l’anglais est employé dans les cas rares de contact entre des personnes qui connaissent la langue et qui veulent la parler. Quant au français, il est absent dans les situations extrascolaires de communication, à l’exception de cas rares de contact entre les élèves et l’enseignant. Il y a également des cas, selon certains enseignants, de contact avec des personnes francophones qui constituent des occasions extrascolaires d’utilisation du français.

Dans les milieux urbains, les sujets enquêtés rapportent que c’est le swahili qui domine les situations intrafamiliales et extrafamiliales. C’est généralement la langue qu’ils parlent avec tout le monde. Les LCEs sont très rarement utilisées en milieux urbains et seulement dans les cas où les couples parlent une langue commune et veulent utiliser cette langue comme le montre l’enseignant d’Azania Secondary School:

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En les quatre langues sont actives .. alors par exemple j’utilise le pare surtout quand je suis à la maison parce que ma femme est pare

Il importe de préciser que le partage d’une LCE au sein d’un couple ne guarantit pas son utilisation, comme l’indiquent les propos de l’enseignant de Loyola Secondary School:

26En mais mes parents mes parents mes parents sont sont tous makondes mais à la maison ils ne parlent jamais le makonde .. c’est toujours le swahili

Les représentations défavorables vis-à-vis les LCEs, comme nous l’avons signalé, constituent un grand obstacle. Contrairement aux milieux ruraux, les milieux urbains présentent plus de situations extrascolaires d’utilisation de l’anglais et du français. Cela est particulièrement visible dans la ville de Dar es Salaam. L’enseignant de Jangwani Secondary School nous en donne la preuve:

72En Of course most of my friends and colleagues . they know to speak in English .. yeah . because for me I prefer to communicate with them in English rather than my national language because for me is my word of the day that we know Kiswahili .. so we have at least to cherish with other languages .. for that case . I always meet with myfriends and we communicate in English . but because now I have some friends who speak French and Spanish . I do communicate with those languages too .. yes .. you see /

Dans les milieux urbains, il existe des cas où l’anglais pénètre même les sphères familiales, notamment parmi les parents hautement éduqués. Dans le souci d’aider leurs enfants à apprendre et à bien maîtriser l’anglais, certains parents communiquent avec eux en anglais. Cela se confirme par les propos de l’élève de Kazima Secondary School selon lesquels elle parle l’anglais avec son père. Un cas plus ou moins similaire est rapporté par une élève de Jangwani Secondary School, qui parle anglais avec son père et ses frères, mais pas avec ses sœurs ni sa mère car ces dernières ne sont pas favorables à l’anglais:

133E mostly mostly in our family . we speak Swahili but when my dady is around and my brothers . we speak english because they like speaking English and I like speaking English .. so my my sisters and my mother hate speaking English but I like speaking English .. so when my brothers are around . I speak English with them and my dady when is around I speak English

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En effet, les entretiens avec certains élèves ont révélé l’existence d’une sorte de norme linguistique intrafamiliale selon laquelle les enfants sont obligés de communiquer en une seule langue avec l’un des deux parents – L1 avec l’un et L2 avec l’autre. Un cas pareil est rapporté par une élève de Jangwani Secondary School, dont le père ne veut utiliser que l’anglais dans un souci d’habituer ses enfants à l’emploi de cette langue. Dans cet exemple, le père refuse totalement d’utiliser le swahili et les enfants doivent lui parler en anglais uniquement.

131E yeah .. my father my father . he likes speaking English .. he doesn’t speak Kiswahili at all .. but my mother . she speaks Swahili .. so at our house . I speak with the rest of the family . Swahili but mostly with my father English---

De manière générale, les situations extrascolaires d’utilisation du français sont plus nombreuses dans les milieux urbains à cause du nombre de personnes qui connaissent la langue et de l’existence des centres culturels comme l’Alliance Française, etc.

Notre analyse des pratiques langagières extrascolaires permet d’avancer, en guise de conclusion, que le swahili domine la plupart des situations de communication dans les milieux urbains alors que les LCEs sont dominantes dans les milieux ruraux, où le swahili est également utilisé. L’anglais et le français sont utilisés en fonction des occasions qui se présentent. Les facteurs déterminant l’activation d’une langue dans une situation donnée incluent le niveau de connaissance, le type d’interlocuteurs et les représentations sociales des langues et les normes intrafamiliales. Nous proposons maintenant de tourner notre attention sur les pratiques langagières à l’école afin de comprendre le rôle du domaine scolaire dans la modification de ces pratiques.

5.2.2 Pratiques et politiques linguistiques scolaires

Dans la partie précédente, nous avons indiqué que les pratiques linguistiques en milieu extrascolaire étaient plus libres et peu normées. Nous avons, par exemple, repéré des cas rares dans lesquels les parents établissaient des politiques linguistiques intrafamiliales plus ou moins explicites, en vue d’entrainer ou d’habituer leurs enfants à l’anglais. Le cas typique de politiques intrafamiliales est celui des enfants qui sont obligés à ne communiquer qu’en anglais avec l’un des deux parents. La présente section veut avancer que les pratiques

203 linguistiques dans les écoles secondaires sont plus explicitement normées et, dans certains cas, fortement réglementées et contrôlées. Nous allons tenter de décrire ces normes à l’aide de photos et des entretiens.

Lors de nos visites dans les écoles concernées par l’enquête, nous avons été interpellé par des panneaux et des affiches portant des messages qui exigent l’utilisation de l’anglais (avec différents degrés de sévérité d’interdiction). Nous voulons souligner qu’il n’existe qu’une seule école parmi les onze écoles visitées dans laquelle les interdictions n’étaient qu’orales et aucun message d’interdiction n’était affiché. Nous avons repéré trois types de messages en fonction de leurs contenus et du degré de sévérité de l’interdiction.

Photo 1 : « SPEAK ENGLISH »

C’est un message que nous avons trouvé dans la plupart des locaux des écoles visitées. Dire « Speak English » signifie, d’amblée, qu’il existe une langue ou des langues autres que l’anglais et que le public cible est capable de communiquer dans ces autres langues. Ce n’est donc pas un public monolingue, sinon le message perd sa logique. Pour développer un peu plus notre interprétation, on peut également supposer que le public préfère employer les autres langues. S’agissant des écoles où l’anglais est le médium d’instruction, ce message nous parait peu sévère. Nous pensons que la finalité est de permettre aux élèves de maîtriser la langue en question. Ceci dit, le contenu du message n’exclut peut-être pas l’utilisation des autres langues à côté de l’anglais: « SPEAK ENGLISH » ne se traduit pas forcément par « DO

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NOT SPEAK OTHER LANGUAGES ». Ce n’est pas le cas dans la seconde photo que nous présentons et analysons dans la partie suivante.

Photo 2 : « SPEAK ENGLISH ONLY»

« SPEAK ENGLISH ONLY » constitue une interdiction claire excluant le plurilinguisme à l’école. Il y a donc plus de contraintes dans le choix de la langue à activer. Une fois à l’école, il faut apprendre à désactiver les autres langues et à activer la langue de l’école. Cela veut dire qu’à la sortie de l’école, les élèves retrouvent une relative liberté de choix de langue en fonction des situations, des locuteurs, de la connaissance de la langue en question et, bien sûr, des normes établies à la maison. Ici on voit donc de manière claire les frontières linguistiques entre les domaines scolaire et extrascolaire. La photo suivante présente une interdiction encore plus sévère.

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Photo 3: “TO ALL STUDENTS NO ENGLISH NO SERVICE”

Du point de vue discursif, le message « TO ALL STUDENTS, NO ENGLISH NO SERVICE » à l’adresse des élèves est chargé d’interprétations implicites. Il signifie qu’il y a d’abord une interdiction d’utilisation des autres langues que l’anglais et qu’il existe une tendance de non- respect de l’interdiction par une partie du public visé, d’où l’utilisation du syntagme « To all students--- », pour montrer que la l’interdiction est sans exception. Le non respect appelle une sanction qui consiste à ne pas accéder aux services administratifs, si les demandeurs de services, les élèves en l’occurrence, ne peuvent pas présenter leurs requêtes en anglais. Une telle interdiction présente un défi de taille pour les élèves de première année en provenance des « Swahili Medium Primary Schools (SMPS) ». Il faut souligner que certains de ces élèves ont de la peine à construire même une seule phrase correcte en anglais. Cela veut dire, comme on le verra plus loin, que ces élèves doivent aller consulter leurs camarades plus compétents en anglais, notamment ceux qui proviennent des « English Medium Primary Schools (EMPS) », pour demander la bonne phrase dans la bonne langue afin d’accéder aux services administratifs. Nous verrons plus loin que les « demandes de phrases en anglais » ne sont pas rares chez les élèves de première année du secondaire.

Cela soulève la question de la dépendance linguistique (notre appellation) qui, dans ce cas particulier, renvoie à la pratique selon laquelle un élève emprunte des outils linguistiques à un collègue pour aller l’employer en situation de communication avec une autre personne (enseignant ou personnel administratif). C’est une stratégie de résolution de problème de communication prévisible. L’ « expert », fournisseur de la stratégie de soutien au novice,

206 participe « in absentia » à l’interaction prévue par le novice qui sollicite l’expression. Il y a donc des rapports de pouvoir qui s’établissent entre ces deux groupes d’élèves. Nous proposons d’analyser la photo ci-dessous.

Photo 4 : Collier « SPEAK ENGLISH »

La photo ci-dessus montre une sorte de collier en bois conçu pour être porté par un élève surpris en fragrant délit d’utilisation d’une langue interdite. Pour donner force à l’interdiction, il faut repérer le « criminel ». La personne portant le collier doit rester vigilante et guetter pour surprendre une autre victime en fragrant délit qui va prendre le relais du collier et ainsi de suite. Au long de la journée, le collier doit circuler parmi les « criminels linguistiques ». A la fin de la journée, les responsables administratifs pourront très facilement retrouver la chaine des criminels en partant du premier porteur du collier.

Après l’observation de ces différents messages, nous avons cherché à caractériser les pratiques linguistiques à l’école en établissant un contraste avec celles du domaine extrascolaire. L’intérêt a été de comprendre la nature des pratiques et des normes établies à l’école. Ici, nous appuyons notre argumentation sur les entretiens avec les élèves et les enseignants des écoles visitées.

Nous sommes parti du fait évident que l’anglais est la langue de scolarisation dans toutes les écoles secondaires tanzaniennes mais nous avons demandé aux sujets de nous indiquer s’il existait des règles relatives à l’utilisation des langues en dehors des cours. Dans toutes les écoles, les sujets ont affirmé l’existence d’une « politique linguistique monolingue »exigeant

207 la communication en anglais. La politique est communément qualifiée de « English Policy », comme l’indique l’enseignante de français à Malangali Secondary School: « Pour les élèves . eeh nous avons ce qu’on appelle English Policy » (82 En).

Selon ses propos, la « English Policy » est conçue pour les élèves. Le but est de permettre aux élèves de maîtriser la langue de scolarisation qu’est l’anglais. Les normes en faveur de l’anglais et contre les autres langues sont fondées sur l’idée que l’utilisation des autres langues telles que le swahili et les LCEs empêche les élèves de maîtriser l’anglais.

Lors de l’enquête, nous avons constaté que, dans certaines écoles, la « English Policy » était stricte, alors que d’autres écoles étaient plus permissives. Les premières disposent d’un mécanisme de contrôle pour s’assurer de l’application de la politique. Les secondes, en revanche, soit ne disposent pas d’un mécanisme de contrôle, soit le mécanisme ne fonctionne plus suite à l’échec de la politique. Malangali Secondary School en est un exemple:

126 En Therefore : they use Kiswahili .. our policy is there but we are not aware to force to force them speak

Ainsi, la politique reste en théorie sans aucune application concrète. C’est également le cas à Benjamin Mkapa Secondary School et à Jangwani Secondary School. Dans le reste des écoles, il existe un mécanisme ou, au moins, des tentatives d’application de la « English Policy ».

Pour comprendre les différents mécanismes de contrôle en place, nous avons d’abord demandé aux sujets de nous expliquer les moyens utilisés pour identifier les « criminels linguistiques ». Selon les sujets, il existe deux grands moyens. Le premier consiste à noter les noms des élèves qui sont surpris entrain de parler des langues interdites. C’est une fonction qui est attribuée aux responsables des élèves dans la classe ou les dortoirs. La liste des noms est ensuite transmise à un enseignant pour des mesures punitives. 158E We have got dormitory leaders when we are in the dormitory place but here in the classroom we have got monitresses .. so if they hear you speaking vernacular languages . they take down your name and they send it to the teacher responsible

La deuxième technique pour interpeller les « criminels linguistiques » est le port d’un collier, comme nous l’avons mentionné plus haut. 187E Ukizungumza lugha nyingine tofauti na kiingereza yaani kuna chain anapewa monitress wa darasa .. atakayemsikia anaongea kiswahili au 208

lugha nyingine tofauti na kiingereza . anamvalisha ile chain .. ile chain yaani mwalimu akimwona amevaa chain ya speak english anapewa adhabu kali TRD Si vous parlez une langue autre que l’anglais il y a un collier tenu par la responsable de la classe .. si elle surprend quelqu’un entrain de parler le swahili ou une autre langue que l’anglais . elle vous fait porter ce collier .. si l’enseignant vous voit avec le collier speak english il vous punit très sévèrement

Il existe différentes formes de châtiments contre les « criminels linguistiques » allant des réprimandes verbales et des travaux physiques aux châtiments corporels ceci contre la convention internationale pour les droits de l’enfant (CIDE) dont la Tanzanie est signataire. Ici, nous proposons de distinguer deux types de sanctions, à savoir des châtiments productifs et non productifs. Est productif un châtiment visant à aider le « coupable » à améliorer la langue qui constitue la norme.

EQT et quelles formes de punition / En NON .. c’est une punition productive EQT oui / En ils ne sont pas battus non . ils sont donnés un travail à faire .. parfois . on les exige à parler . non non non . à écrire quelques disons deux cents mots . trois cents comme quoi ils pourraient donc pratiquer la langue à laquelle ils ont fait une offense .. s’ils devaient parler anglais . donc parfois on leur donne un travail en anglais .. écrivez disons cinq cents mots comme punition .. mais parfois aussi on leur donne un travail manuel

Donner au coupable un travail de rédaction d’un certain nombre de mots en anglais constitue, pour nous, un châtiment positif, contrairement à un travail manuel de nettoyage ou autre n’ayant aucun rapport avec l’amélioration des connaissances en langue.

La plupart des châtiments évoqués dans l’entretien entrent dans la catégorie de châtiments non productifs: nettoyage de toilettes, nettoyage de salles de cours, port de colliers « speak English », port d’habits sales (rugs). Les propos des deux élèves ci-dessous fournissent des exemples de punitions non productives : 141E Yeah . there are some strict rules which have been made in our school .. for example . if you are caught speaking Kiswahili . instead of English you are punished .. may be you can be given a punishment of

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cleaning toilets for the whole week .. sometimes you can be told to carry stones from one place to another and then you return them back again to the same place where you took them . just a punishment 147 E Yes for no purpose .. just a punishment so that you can be wasting time and all that .. and then we used to have some discs and some rugs which if you speak Kiswahili you put them on

Nous avons ensuite cherché à comprendre le succès de cette politique mais les sujets ont montré que les élèves continuaient à employer le swahili, notamment en ayant recours aux pratiques clandestines.

Les pratiques langagières clandestines

La peur des sanctions relatives au non-respect des normes a, dans la plupart des situations, conduit à l’émergence de pratiques langagières que nous nous permettons de qualifier de « clandestines ». Selon les réponses des sujets, ce sont des pratiques qui consistent à communiquer en langue interdite en l’absence d’une personne susceptible d’interpeller le « coupable du crime linguistique », à savoir le directeur, les enseignants et les représentants des élèves, selon l’école et selon la sévérité de l’interdiction. A l`Ecole Secondaire de Zanaki, par exemple, les pratiques langagières clandestines reprennent en absence de l’enseignant et à la sortie de la salle de cours. Un entretien avec les élèves de Zanaki en est la preuve. 85E --- yaani tukishatoka nje tu . tunaongea kiswahili lakini tukishaingia madarasani kama mwalimu ameingia darasani hauruhusiwi kuongea kiswahili TRD --- quand nous sortons des cours nous parlons swahili mais en salle de cours s’il y a un enseignant .. nous ne pouvons pas parler swahili 86EQT mwalimu akitoka / TRD et quand l’enseignant est sorti / 87E wanaongea kama kawaida TRD nous parlons (swahili) comme d’habitude 88Es (rires)

Dans l’entretien, on peut constater une distinction que font les élèves entre des pratiques habituelles et inhabituelles (87E). Les premières renvoient à l’emploi du swahili et les secondes à l’emploi de l’anglais. Quand l’enseignant quitte la salle de cours, les élèves reprennent les pratiques habituelles « nous parlons (swahili) comme d’habitude », alors que l’emploi de l’anglais se borne à la salle de cours en présence d’un professeur. 210

La distinction entre « pratiques habituelles » pour le swahili et « pratiques inhabituelles » pour l’anglais est basée sur la fréquence d’utilisation des deux langues respectives, comme il est indiqué par un élève de Zanaki dans un entretien: 102EQT hapa shuleni lugha inayoongelewa sana siyo tu kwa wnafunzi hata kwa walimu .. mimi naona walimu wengi sana ni kiswahili .. walimu wamesoma masomo mengi sana lakini huwezi kukuta mwalimu anaongea kiingereza kila wakati . unakuta mwalimu naye anaongea kiswahili mara nyingi sana kuliko kiingereza .. kwa hiyo inakuwa ni ngumu hata kwa sisi wanafunzi kwa sababu japo wameandika kwenye sheria kwamba wanafunzi na walimu yaani tumeambiwa tuongee kiingereza --- TRD: dans cette école . le swahili est la langue la plus parlée non seulement par les élèves mais également par les enseignants .. je trouve que beaucoup d’enseignants le parlent .. les enseignants ont fait beaucoup d’études mais vous ne pouvez pas trouver un enseignant qui parle anglais plus souvent que swahili . il s’avère donc difficile même pour nous les élèves parce que même si c’est inscrit dans la réglementation de l’école que tous les élèves et tous les enseignants doivent parler anglais ---

Les propos de l’élève (qui ne sont pas contredits par les autres élèves) montrent que l’utilisation du swahili est rendue de plus en plus habituelle par le fait que même les enseignants préfèrent la communication en swahili. A ce propos, nous avons demandé aux élèves si la fréquence d’utilisation du swahili constituait un problème. Chose contradictoire, la plupart des élèves se montrent contre l’utilisation du swahili (la pratique habituelle) et considèrent l’utilisation de l’anglais comme la pratique idéale: 108Es ni tatizo sana kwa wanafunzi kwa sababu kama tunaongea kiswahili wakati wote halafu katika masomo yetu . hatusomi phyisics sisi kwa kiswahili kama tulivyokuwa tunasema awali tunasoma kwa kiingereza . maswali yanatoka kiingereza na wewe kiingereza haujifunzi unasema naongea lugha yangu TRD c’est un grand problème pour les élèves parce que nous n’apprenons pas les matières en swahili . nous n’apprenons pas la physique en swahili . comme nous l’avons dit avant nous apprenons en anglais . les questions on nous les pose en anglais et vous ne voulez pas apprendre l’anglais vous dites que je parle ma langue

Les explications en faveur de la English Polish reposent sur le statut de l’anglais comme MOI et l’idée qu’il faut maîtriser cette langue de scolarisation en la mettant en pratique

211 quotidiennement. Ainsi, la fréquence d’utilisation du swahili réduit la fréquence d’utilisation de l’anglais et, par la même occasion, son apprentissage. En d’autres termes, les élèves préfèrent inverser les habitudes des pratiques langagières. L’utilisation de l’anglais doit constituer la pratique habituelle alors que l’utilisation du swahili doit constituer la pratique inhabituelle. Les élèves justifient également cette politique par le fait que le swahili est une langue que tout le monde maîtrise déjà, alors que beaucoup de gens ne maîtrisent pas l’anglais. Autrement dit, leur argument est fondé sur le besoin d’appartenir à une minorité de la population capable d’utiliser l’anglais, langue la plus valorisée. Dans ce sens, la langue devient un facteur de distinction sociale. Observons les propos d’un des élèves:

117E kiswahili ndo tunajua lugha yetu ya kila siku . lakini na sisi inabidi tujifunze hata kuongea kiingereza maana wengine unakuta kiswahili . kila mtu anakijua .. kiingereza kiingereza hakuna mtu anayejua sana .. hata mimi mwenyewe hapa kiingereza sikijui

TRD nous connaissons le swahili . c’est notre langue quotidienne . mais il faut apprendre à parler l’anglais parce que tout le monde parle le swahili .. l’anglais il n’y a pas de gens qui le maîtrisent bien .. même moi je ne connais pas l’anglais

118Es (rires)

Par ailleurs, les normes linguistiques en classe présentent un obstacle non seulement pour l’apprentissage d’une langue étrangère mais également pour d’autres matières scolaires. En réalité, elles accentuent l’inégalité linguistique et par la même occasion l’inégalité d’accès à l’éducation déjà établi entre les élèves provenant des EMPS et des SMPS. En outre, la liberté d’expression est réduite.

97E wengine hawakijui kwa sababu wengine wametoka medium wengine shule hizi za kata .. kwa hiyo siyo wote wanaongea kiingereza .. mwalimu hata akija darasani kuna wengine unakuta wanajibu maswali lakini wengine wananyamaza kimya kwa sababu hawajui kile kiingereza ---

TRD certains ne connaissent pas l’anglais parce qu’il y a ceux qui viennent des English Medium Schools alors que les autres proviennent des écoles swahilies .. ainsi tout le monde ne peut pas parler anglais .. même quand l’enseignant vient en classe il y a des élèves qui répondent aux questions alors que d’autres restent silencieux parce qu’ils ne peuvent pas parler anglais ---

212

Les inégalités se manifestent par le fait que seule une partie du groupe-classe participe aux interactions alors que les autres restent silencieux. Cela suscite des sentiments d’exclusion, de manque de confiance en soi et éventuellement un complexe d’infériorité. Les retombées négatives sur le développement intellectuel des élèves ne sont pas à sous-estimer car la curiosité se développe avec et dans l’interaction.

Nous avons également cherché à comprendre les opinions des élèves et des enseignants sur la politique linguistique scolaire. La plupart des élèves se prononcent en faveur de la politique. 194E yes .. you know in our school . we must we must speak English .. if we don’t speak English . they must set a what a what . a punishment because you know English is most commonly used in nowadays school but in primary school . they use Swahili .. when you go to this secondary . you must use English .. now the people the people will start now teach me english . teach me english .. so . you must teach yourself English by speaking it even if you don’t know it 195E I what I think is that . in our school . they should put a rule .. if someone doesn’t speak english . speaks another language .. may be Kiswahili . should be puni punished .. aah not only the students . but I think also the teachers should be the example .. because many teachers xxx he says in Kiswahili or he tells you in Kiswahili . and you will also once I mean I mean (recherche lexicale)

Dans l’entretien avec les élèves de première année à Jangwani Girls’ Secondary School, les élèves sont en faveur des règles strictes d’utilisation de l’anglais. En fait, elles trouvent que les règles ne sont pas suffisamment strictes et elles ont fait un accord local entre membres de la classe pour établir des règles plus strictes: 181EQT are you punished or not … who can answer 182E me (rire) .. its only in our class 183E I just said it 184E its only in our class that that’s the rule .. if you speak kiswahili . then the monitress calls you or writes your names .. then when you are reached so many . then she calls you to go in front .. then you express yourself in english .. and if you can not . you kneel down . but that’s in our class form one xxx only

Dans l’entretien, on voit ce qu’on peut désigner comme politique linguistique auto-imposée. Il semble que la société (en dehors de l’école) est très consciente de la politique linguistique à

213 l’école secondaire, si bien que les élèves de l’école primaire s’attendent à ce que les élèves du secondaire ne parlent que l’anglais. Ainsi, arrivés au secondaire et observant que les normes ne sont pas suffisamment respectées, fait qui est contraire à leurs attentes, elles décident de mettre en place leurs propres règles puisqu’au niveau de l’école, les règles ne sont pas respectées et il n’y a pas de punitions. En effet, les élèves de Jangwani vont jusqu’à proposer que l’utilisation de l’anglais soitexigée même chez les enseignants, comme l’indique l’une d’entre elles: 197E I think the teachers too should speak English then and us will speak English .. if the students don’t follow the rule . punishment be given to them

La plupart des enseignants sont à des degrés variables favorables à la politique, mais avec certaines modifications. Par exemple, l’enseignante de Malangali propose le maintien de la politique, mais sans châtiment. Elle pense qu’il est possible de trouver d’autres moyens de faire respecter les normes: 104EQT Aah 2’’ okay 3’’ and .. do you think it is positive 2’’ eeh .. it is positive to : hmm / 3’’ may be to enforce laws that we have made within the school that all students must speak English and then may be punish all those who don’t speak English 2’’ will that be : will that help 105En Aah: on my side . I think .. we can introduce some ways without punishment

L’analyse des pratiques linguistiques à l’école nous autorise à soulever un certain nombre de questions. En premier lieu, on voit que ces pratiques sont caractérisées par des contraintes réglémentaires qui sont contraires à la nature bi-plurilingue des élèves faisant primer le code linguistique sur la fonction communicative de celui-ci. Par ailleurs, les pratiques sont non seulement contre la liberté d’expression et d’accès aux savoirs non linguistiques mais également contre la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) qui bannit les châtiments corporels infligés aux enfants. Nous verrons plus loin que l’effet de la « English Policy » sur l’enseignement-apprentissage du français se traduit par la fréquence du recours à l’anglais, langue pourtant très peu connue des élèves de la première année en provenance des SMPS.

5.2.3 Conclusion

Dans cette section, nous avons présenté deux types de contextes – extrascolaires et scolaires - et deux types de pratiques linguistiques – libres (au sens relatif du terme) et plus normées - 214 caractérisant les deux contextes. Les pratiques relativement libres permettent l’activation de langues selon leur connaissance et la situation. Le swahili et les LCEs dominent les pratiques libres, selon les milieux urbain et rural respectivement. Les pratiques plus normées exigent l’utilisation de l’anglais à l’école et ont recours aux châtiments corporels selon les écoles et selon la sévérité de l’interdiction. Perpétuées par les enseignants et, dans certains cas, les élèves, ces pratiques agissent non seulement contre les droits de l’enfant évoqués précédemment mais également contre les pratiques linguistiques habituelles des personnes plurilingues et contre la liberté d’expression et d’accès aux savoirs.

On peut ainsi dire que si les pratiques extra-scolaires ne présentent quaiment aucun complexe linguistique, les pratiques scolaires, quant à elles, font l’objet d’insécurité linguistique. Les sujets plurilingues pensent qu’il faut parler l’anglais (état de sécurité linguistique) mais, dû aux moyens langagiers déficitaires, ils utilisent le swahili, langue interdite (état d’insécurité linguistique). La section suivante est consacrée à l’analyse des représentations et des pratiques relatives à l’utilisation des ressources bi-plurilingues dans la classe de FLE.

5.3 Les connaissances bi-plurilingues et la résolution des problèmes de communication en classe de FLE

Cette section se propose d’analyser la place des connaissances bi-plurilingues dans la résolution des problèmes de communication en classe de FLE. Etant donné que la nature et le choix des stratégies bi-plurilingues sont, en partie, liés aux représentations didactiques et du plurilinguisme dans l’appropriation d’une langue étrangère, nous estimons utile d’introduire la section par une brève analyse de ces représentions avant de passer à l’analyse des séquences pédagogiques.

5.3.1 Les représentations sociales vis-à-vis des stratégies bi-plurilingues dans l’interaction pédagogique

Avant de porter notre regard sur les diverses représentations sociales vis-à-vis des stratégies bi-plurilingues, nous avons d’abord cherché à comprendre le classement des langues en fonction de leur degré de difficulté du point de vue des élèves et des enseignants. La divergence entre les réponses des élèves et des enseignants nous a fait penser que la difficulté d’une langue était en partie liée au niveau de connaissance atteint. Pour 120 élèves, soit 71,4%, le français était la langue la plus difficile de leur répertoire plurilingue, contre 6 enseignants, soit 54,6% qui ont la même opinion. Ainsi, il est fort probable que le jugement

215 sur le niveau de difficulté du français soit partiellement basé sur des facteurs subjectifs, selon lesquels la langue la moins maitrisée devient la langue la plus difficile.

Pour la majorité des élèves, soit 80%, la difficulté du français réside dans sa prononciation alors que, du côté des enseignants, c’est la grammaire qui est la plus mentionnée avec 5 réponses, soit 45,5%. La fréquence de la prononciation chez les élèves nous conduit à penser que la difficulté d’une langue est en partie liée à son étrangeté et, comme nous l’avons constaté précédemment, cette étrangeté se sent avant tout par la prononciation. Autrement dit, toute langue étrangère est visible avant tout par le son.

Par ailleurs, les réponses des enseignants sont plus analytiques en ce qu’ils identifient de manière spécifique les aspects grammaticaux qui constituent la source de la difficulté du français. Le genre grammatical, la conjugaison des verbes, les temps verbaux, certains pronoms et les prépositions constituent les éléments identifiés par les enseignants comme source de difficultés relatives à la grammaire. On constate cependant qu’aucun enseignant ne fait mention de la prononciation comme source de difficulté. Cela pourrait s’expliquer par le fait qu’à cause de leur longue exposition au français, ils maîtrisent mieux la pronononciation et reconnaissent la prévisibilité phonétique pour certains graphèmes.

Selon quatre enseignants, soit 36%, l’anglais est la langue la plus difficile dans leur parcours d’apprentissage des langues. La difficulté réside principalement dans la prononciation et ils évoquent l’absence de correspondance entre la graphie et la prononciation comme origine de la difficulté. La grammaire est également citée comme source de difficulté en anglais, sans spécifier les aspects grammaticaux qui constituent cette difficulté. Un enseignant a indiqué qu’aucune langue n’a été particulièrement difficile dans son parcours d’apprentissage.

Si le français est généralement considéré comme la langue la plus difficile du point de vue des sujets enquêtés, il s’ensuit que différentes stratégies, à savoir verbales, non-verbales et para- verbales, doivent être mises en œuvre afin de permettre la communication et l’appropriation de cette langue. Face à ces différentes stratégies, notre intérêt se porte avant tout sur les représentations des sujets enquêtés, à savoir les enseignants et les élèves, vis-à-vis des stratégies verbales plurilingues car ce sont finalement ces représentations qui influencent le choix et la mise en œuvre des stratégies dans la classe de FLE.

Nous avons tout d’abord cherché à comprendre l’utilité des autres langues dans l’appropriation du FLE. Nous étions particulièrement intéressés de savoir si les autres langues

216 jouaient un rôle facilitateur ou non dans processus de construction des savoirs en FLE. Cette question a concerné tant les élèves que les enseignants. Neuf enseignants ont affirmé que les autres langues étaient utiles, alors que seulement deux enseignants ont fourni une réponse négative. Il est donc évident que la plupart des enseignants reconnaissent l’utilité des autres langues dans l’appropriation du français. Quant aux réponses des élèves, elles ont révélé que 80% d’entre eux partagent l’opinion que les autres langues jouent un rôle facilitateur dans l’apprentissage du FLE, contre 20% qui pensent que les autres langues ne facilitent pas l’appropriation de cette langue. La question de l’utilité des autres langues a également été évoquée dans les entretiens et nous proposons d’analyser certains passages.

Sujet 1 (Elève, St. Joseph Seminary School) 77E mimi naona zinasaidia .. lugha kama Kiswahili kwa mfano mwalimu akifundisha kwa kifrench halafu akatafsiri kwa Kiswahili . inakupa yaani concept sana kuielewa vizuri TRD moi je pense qu’elles aident .. le swahili par exemple si l’enseignant enseigne en français et puis il traduit en swahili . il permet de comprendre le concept très clairement

D’après cette élève (77E), les autres langues deviennent utiles si l’enseignement en français est accampagné d’une traduction en swahili car cela rend le concept plus clair. Cet argument est en faveur de l’utilisation des pratiques alternées, à des fins d’intercompréhension et didactique. Les propos d’une autre élève ci-dessous ne s’éloignent pas de cet argument.

Sujet 2 (Elève, St. Joseph Seminary School) 79E zinasaidia .. kwa mfano mwalimu anaweza kufika hapa .. sasa akifika hapa anaongea French hadi mwisho halafu akaondoka .. hautaelewa hata kimoja . utabaki tu unamshangaa unamwangalia--- TRD elles aident .. si par exemple l’enseignant arrive ici .. il arrive ici et parle français jusqu’à la fin et part .. vous ne pourrez rien comprendre . vous resterez bouche close

L’élève affirme également que les autres langues aident car, si l’enseignant ne parle que français, il est difficile de comprendre et de participer aux activités pédagogiques. On voit que ce sujet ajoute que l’alternance codique permet plus de participation de la part des élèves (ne pas rester bouche close). Dans le passage suivant, l’élève accorde à l’alternance codique une fonction plus ou moins restreinte.

217

Sujet 3 (Elève, Nsumba Secondary School): 42E yes .. these languages especially two languages those Kiswahili and English . they help me in studying French because if the master is teaching in the class . we must ask him words which we don’t know them

Pour l’élève ci-dessus, les autres langues aident, notamment le Swahili et l’anglais, à travers les questions que les élèves posent à l’enseignant en cas de mots incompréhensibles.On voit donc ici que l’élève mentionne un cas particulier d’utilisation de l’alternance codique, à savoir l’accès au sens des mots en langue étrangère.

Sujet 4 (Elève, Kazima Secondary School)

123E mi naona lugha nyingine kwa mfano kiingereza kinasaidia kujua hichi kifaransa .. kwa mfano ile football . kwa kiingereza pia unaweza ukatamka football

TRD moi je pense que les autres langues comme l’anglais aident à comprendre le français .. par exemple le mot footbal . en anglais on peut aussi dire football

Au tour 123E, l’élève affirme l’utilité des autres en se servant d’un lemme « football » ayant une transparence entre le français et l’anglais. Cet argument est orienté vers l’exploitation de la contrastivité et de la proximité des langues. Dans le passage qui suit, nous présentons les propos d’un élève qui pense que les autres langues ne sont pas utiles.

Sujet 5 (Elève, Kazima Secondary School) 120E mimi naona lugha nyingine hazitusaidii kujua kifaransa . kwa sababu gani . kila lugha ina matamshi yake .. kama ni kisukuma . ina matamshi yake . kama ni kiingereza ina matamshi yake na kiswahili ina matamshi yake .. kwa hiyo hizo lugha zingine hazitusaidii kujua kifaransa TRD moi je pense que les autres langues n’aident pas à comprendre le français . parce que . chaque langue a sa propre prononciation .. par exemple le sukuma . a sa prononciation . l’anglais a sa prononciation ainsi que le swahili .. donc les autres langues n’aident pas à comprendre le français

On voit que l’opinion avancée ci-dessus tend vers la distanciation plutôt que le rapprochement entre les langues. C’est un exemple d’une vision monolingue qui considère les langues

218 comme des entités distinctes, sans rapport entre elles, et qu’elles doivent être traitées comme telles. L’extrait suivant présente les propos d’un enseignant.

Sujet 6 (Enseignant, Loyola Secondary School (En) : 78En eeh ça dépend … parce qu’il y a il y a quand on enseigne une langue . il y a différentes approches .. ça dépend de quelle approche eeh tu vas utiliser .. il y a l’approche directe et indirecte la majorité des tanzaniens ont le niveau débutant .. alors commencer à utiliser le français directement . ça va mais : la plupart des personnes eeh eeh xxx vont perdre xxx vont perdre (l’intêret ?) d’apprendre la langue - --

Pour cet enseignant, les autres langues seraient utiles ou non en fonction de l’approche adaptée, à savoir directe ou « indirecte54 » et c’est dans le second cas que les autres langues peuvent être utiles. Vu le fait que la majorité des élèves tanzaniens possèdent un niveau débutant, l’enseignant pense que l’utilisation des approches directes est susceptible de décourager les élèves et, dans certains cas, de conduire à l’abandon du processus d’appropriation.

Sujet 7 (Enseignant, St. Joseph seminary): 62En merci .. aah aah .. la personne qui apprend peut-être la : une langue étrangère ou bien la seconde langue .. la langue qui est votre langue maternelle peut faciliter à apprendre l’autre langue ou bien la la la l’autre langue ou peut être obstacle xxx pour apprendre l’autre langue .. aah comme j’ai déjà dit ici que parce que l’anglais et le français aah ces deux langues sont semblables .. aah surtout dans les milieux de vocabulaires .. la personne qui sait l’anglais ou bien la l’apprenant de français . qui aah qui sait l’anglais . l’anglais peut aider ou bien peut faciliter à apprendre le français

D’après cet enseignant, les autres langues facilitent l’appropriation du FLE, en fonction de la proximité linguistique. Il fait mention de la proximité lexicale avec l’anglais comme facteur facilitateur de l’appropriation du FLE. Avant de résumer les différentes positions des sujets sur l’utilité des autres langues, nous proposons d’analyser les réponses des sujets sur la langue la plus utile.

54 En effet, il n’existe pas d’approche « indirecte » dans la didactique des langues, mais le sujet « invente » cette appellation pour désigner les approches permettant l’utilisation des autres pour l’appropriation de LE.

219

Étant donné qu’il existe plusieurs langues préalablement acquises par les sujets et à des degrés variables de connaissance, nous étions intéressés à comprendre de manière spécifique la langue ou les langues que les sujets pensent être les plus utiles dans l’apprentissage du FLE. Huit enseignants pensent que l’anglais est la langue la plus utile, contre un seul enseignant, qui considère le swahili comme la langue la plus utile. Du côté des élèves, 150, soit 89%, pensent que l’anglais est la langue la plus utile dans l’apprentissage du FLE, contre 18 élèves, soit 11%, qui pensent que le swahili est la langue la plus utile.

Différentes raisons ont été avancées par les sujets enquêtés pour expliquer l’utilité de l’anglais. La raison la plus importante réside dans la proximité linguistique entre l’anglais et le français. C’est un argument tenu par 8 enseignants et 80% des élèves. Lors des entretiens, les sujets ont précisé que cette proximité était observable au niveau lexical. En effet, nous l’avons vu précédemment, les enseignants et les élèves ont mis en évidence que, pour certains mots, la différence ne se faisait que par la prononciation. Ainsi, la proximité lexicale avec le français fait de l’anglais une langue de référence pour l’appropriation du premier.

La présence des dictionnaires bilingues français-anglais est également un facteur expliquant l’utilité de l’anglais dans la classe de FLE. Cet argument est peut-être basé sur le fait qu’il n’existe pas de dictionnaires bilingues français-swahili dans les écoles secondaires. Six enseignants tiennent cet argument, contre 55% des élèves. Il faut souligner que, dans un pays comme la Tanzanie où le contact avec le français se confine presque uniquement aux salles de cours, le recours au dictionnaire et aux autres sources de référence devient particulièrement important. Ainsi, le dictionnaire est un autre facteur qui contribue à faire de l’anglais une langue de référence pour l’enseignement-apprentissage du français.

Les sujets ont également mentionné la traduction comme cas d’utilité de l’anglais dans les situations où les enseignants le font. C’est un argument avancé par 68% des élèves et enseignants. Lié à cet argument, la possibilité de faire la comparaison des langues (donc analyse contrastive) est indiquée par 46% des élèves et 2 enseignants comme facteur rendant l’anglais plus utile que le swahili.

Par ailleurs, trois enseignants ont évoqué que l’existence de manuels de français avec quelques traductions en anglais rendrait l’anglais plus utile pour l’apprentissage du français que le swahili et les autres langues. Lors de notre enquête, nous avons observé que « Transafrique » est une méthode bilingue particulièrement présente dans les écoles

220 secondaires tanzaniennes. En effet, c’est une méthode qui est conçue à l’adresse du public anglophone d’Afrique et qui est recommandée par le Tanzania Institute of Education (TIE). Dans cette méthode, l’anglais sert de porte d’entrée au français, notamment à travers les consignes qui sont presque systématiquement fournies en anglais. Une dizaine d’élèves ont donné cet argument. Nous résumons les différentes réponses dans le tableau ci-dessous.

Tableau 20: L’utilite de l’anglais dans l’appropriation du FLE

Cas d’utilité de l’anglais Elèves Enseignants N % N %  Accès direct au sens en français à cause de sa proximité 134 80 8 73 lexicale avec l’anglais

 Référence aux dictionnaires bilingues français-anglais 102 61 8 73

 Traduction des concepts français vers l’anglais 114 68 6 55

 Comparaison entre l’anglais et le français 77 46 2 18  Compréhension des contenus français à travers les méthodes 10 6 3 27 bilingues comme « Transafrique »

Etant donné que la plupart des sujets s’accordent sur le fait que les autres langues jouent un rôle facilitateur dans l’appropriation du FLE, il va de soi qu’il y a des cas où la majorité des élèves éprouvent le besoin de s’exprimer dans une autre langue pendant la classe de français, même si ce besoin peut être satisfait ou non en fonction des conditions particulières d’enseignement-apprentissage. Il n’est pas étonnant que 151 élèves, soit 90%, aient affirmé qu’ils ressentaient le besoin de s’exprimer dans une autre langue pendant un cours de français, contre une dizaine d’élèves qui ont indiqué que ce besoin ne se présentait pas. Du côté des enseignants, une dizaine d’entre eux nous ont confirmé l’existence de nombreux cas où les élèves exprimaient le besoin d’utiliser une autre langue. Cela veut dire que les élèves éprouvent le besoin et considèrent les autres langues comme stratégies utiles pour combler leurs insuffisances linguistiques en langue cible.

Nous avons également demandé aux élèves de nous expliquer pourquoi ils ressentaient ce besoin et des raisons plus ou moins évidentes ont été avancées. Une des raisons est le fait que le français est une langue encore inconnue alors que les autres langues sont relativement connues. Il est donc plus confortable d’entrer dans une langue inconnue en s’appuyant sur les langues connues. Une autre raison mentionnée est la limite du champ lexical qui rend difficile le confinement à la langue étrangère. Un autre cas de besoin d’expression dans autre langue 221 est lorsqu’il faut poser des questions au professeur. Pour la majorité des élèves, il est extrêmement difficile de construire une phrase simple en français pour poser une question.

Lors de nos différentes observations des séquences pédagogiques, comme nous le verrons dans la section qui suit, nous avons constaté que, pour les débutants, poser une question en français était plus exigeant que répondre à une question. Cela repose sur la simple raison qu’en donnant une réponse, il est possible de reprendre une partie de la phrase interrogative de l’enseignant et de la modifier un peu en insérant un ou deux éléments de réponse. C’est la stratégie de dépendance qu’on peut utiliser lorsqu’on fournit une réponse alors qu’en posant une question, l’élève doit entièrement formuler la phrase interrogative et, pour ce faire, plusieurs opérations cognitives doivent être mobilisées.

Si le besoin de s’exprimer dans une autre langue est évident, il reste à savoir si les enseignants accordent à leurs élèves la possibilité de le faire. Nous soulignons également qu’il faut faire la distinction entre l’utilité d’une langue et son utilisation effective. Une langue peut être utile à cause de son système linguistique et des conditions matérielles et pédagogiques mais l’utilisation d’une autre langue dans la classe de FLE renvoie à l’action volontaire des partenaires de la classe de se servir de cette autre langue pour l’appropriation du FLE.

135 élèves, soit 80%, ont affirmé que leurs enseignants les autorisaient à s’exprimer dans une autre languecontre 33 élèves, soit 20%, qui ont indiqué qu’il leur était interdit de s’exprimer dans une autre langue pendant le cours de français. Les premiers ont spécifié les cas dans lesquels les enseignants leur accordaient la possibilité de s’exprimer dans une autre langue, à savoir, lorsqu’ils posent des questions, lorsqu’ils veulent expliquer quelque chose, lorsqu’ils veulent signaler au professeur ce qu’ils n’ont pas compris, entre autres. Huit enseignants, soit 73%, ont indiqué que, dans certains cas, ils permettaient à leurs élèves d’utiliser une autre langue, contre trois enseignants qui disent de ne pas le faire.

En lien avec cette question, nous avons cherché à comprendre si les élèves pensaient que les enseignants devraient permettre l’utilisation des autres langues dans la classe de français. 150 élèves, soit 89%, ont répondu par l’affirmative, en avançant les raisons suivantes:

 Ils ne comprennent pas le français;

 Il faut commencer avec la langue que nous connaissons;

 Pour mieux comprendre;

222

 Certains élèves sont lents et ne peuvent rien comprendre sans utilisation d’une autre langue;

 Pour comprendre vite.

18 élèves, soit 11%, ont expliqué que les autres langues devraient être interdites dans la classe de français et ils avancent principalement trois arguments, à savoir éviter la confusion, la pratique de la langue cible et l’efficacité de l’apprentissage.

En ce qui concerne l’utilisation d’une autre langue par l’enseignant dans la classe de français, 149 élèves, soit 87%, ont répondu par l’affirmative et ont mentionné plusieurs cas d’emploi d’une autre langue par l’enseignant.

 Lorsqu’il donne des consignes pour la réalisation d’une tâche ;

 Quand les élèves ne parviennent pas à comprendre les explications en français ;

 Lorsqu’il fait des comparaisons entre le français et les autres langues.

Jusqu’ici, les réponses des élèves mettent en évidence l’existence de cas d’utilisation d’une autre langue dans la classe de français. Cependant, il importe de poser une question plus générale: est-il normal d’utiliser une autre langue dans la classe de français? La majorité des élèves, soit 80%, pensent qu’il est normal d’utiliser une autre langue pendant le cours de français contre 20% des élèves qui tiennent une position contraire.

Pour les enseignants, nous avons posé une question plus pédagogique sur la normalité ou l’anormalité d’utilisation des autres langues et nous avons formulé notre question ainsi: « D’après votre formation pédagogique, les autres langues sont-elles utiles pour l’appropriation de FLE ? ». Six enseignants nous ont indiqué que, d’après leur formation, les autres langues étaientt utiles et que leur utilité reposait sur l’analyse contrastive, la proximité linguistique, l’explication et la clarification dans une autre langue, entre autres. Quatre enseignants ont reçu une formation pédagogique selon laquelle les autres langues sont non seulement inutiles dans la classe de langue étrangère mais présentent un obstacle à l’apprentissage.

Ils ont ajouté que les autres langues sont source d’interférence, réduisent la fluidité et la pratique de la LE. Un enseignant nous a indiqué qu’il n’a jamais abordé la question de l’utilité des autres langues lors de sa formation. Dans ce qui suit, nous présentons les propos des enseignants recueillis à travers les entretiens. Nous pensons que les propos que nous

223 présentons ci-dessous résument bien leurs positions sur l’utilisation des autres langues dans l’appropriation du français.

Enseignant 1 (Benjamin Mkapa Secondary School) 84En depuis l’enfance mais ici même si c’est à partir de l’enfance . si on mélange les langues . c'est-à-dire on doit apprendre dans le même temps vous allez apprendre l’anglais le français et le swahili .. quand on apprend le kiswahili . il faut apprendre le kiswahili .. là vous allez comprendre . mieux comprendre .. on peut même par exemple moi quand j’enseigne dans la classe . je dessine . je chante . je fais la démonstration pour faire comprendre les élèves . on a pas besoin d’utiliser d’autres langues . peut-être si vous trouvez la leçon c’est très difficile . là la difficulté de la leçon ça dépend du professeur lui-même

Comme on peut voir, les propos ci-dessus sont totalement contre l’utilisation des autres langues; il ne faut pas mélanger les langues. Il propose d’exploiter d’autres stratégies comme les dessins, les chants, la gestualité, etc. Pour lui, la difficulté ou l’incompréhension de la leçon est le produit d’un échec stratégique de l’enseignant. Passons aux propos d’un autre enseignant.

Enseignant 2 (St. Joseph Girls’ Seminary School) 64En ---donc utiliser d’autres langues dans les endroits où c’est difficile aah c’est difficile aux apprenants de comprendre l’idée que vous parlez ou vous enseignez .. là bas . c’est un peu agréable mais utilisez toutes les méthodes que vous savez pour expliquer l’idée que vous enseignez au votre élève .. donc moi-même moi . je n’aime pas utiliser l’autre langue quand j’enseigne le français .. je utilise seulement le français mais si c’est nécessaire . j’utilise le swahili même l’anglais mais j’utilise plus beaucoup le kiswahili surtout quand j’enseigne les apprenants de première année ou deuxième année mais quand j’enseigne les apprenants de troisième année ou bien quatrième année . je ne supporte pas utiliser ou bien à mélanger les langues .. donc je je utilise seulement la langue .. merci

Les propos de l’enseignant cités ci-dessus représentent la position des enseignants qui considèrent que l’utilisation d’une autre langue est le dernier recours après l’échec de toute autre stratégie et ne doit se faire qu’avec les élèves de la première année et non avec les élèves de la troisième ou de la quatrième année. C’est donc sous condition d’extrême nécessité,

224 lorsque toutes les autres possibilités stratégiques sont épuisées, que doit se faire l’appui sur les autres langues. Voyons ce qu’en pense un autre enseignant.

Enseignant 3 (Kazima Girl’s Secondary School) 63En aah non .. peut-être seulement pour connaitre le sens xxx mais pour améliorer il faut tout le temps utiliser la langue française xxx quelques fois on peut utiliser autre langue mais pour améliorer . je propose qu’il faut utiliser la langue seulement la langue française le français

Cet enseignant pense qu’il faut recourir à une autre langue pour le sens uniquement, mais qu’il faut tout le temps utiliser le français. Ces propos permettent de distinguer une langue citée à des fins contrastives et une langue utilisée dans le sens d’alternance codique. Ces propos ne sont pas contredits par l’enseignant de St. Mary’s Seminary School dont le point de vue est présenté ci-dessous. Mais on verra plus tard dans l’analyse des séquences pédagogiques que les autres langues sont particulièrement présentes dans un cours de français conduit par l’enseignant de Kazima. Cela est une évidence de la divergence entre les dires et les faires.

Enseignant 4 (St. Mary’s Boy’s Seminary School) 106En exactement c’est cela que je conseillerais .. le recours à une autre langue doit être minimum .. il faudrait l’éviter si c’est possible

Cet enseignant propose que l’appui sur les autres langues reste minimal, si on ne peut pas l’éviter.

Les propos que nous venons de présenter montrent trois positions sur l’utilisation des autres langues dans l’appropriation du français, à savoir l’utilisation non conditionnelle ; l’utilisation minimale, et dans les cas d’extrême nécessité après l’échec de toute autre stratégie ; et enfin l’évitement total. En gros, les trois positions montrent deux façons d’exploiter les resources plurilingues déjà évoquées précédemment, à savoir comme langues citées ou comme langues utilisées. La première est orientée vers la contrastivité pour une réflexion métalinguitique, alors que la seconde est orientée vers l’aternance codique.

S’agissant du recours aux autres langues dans l’appropriation du FLE en Tanzanie, nous pensons particulièrement au swahili et à l’anglais. Il a aussi été mis en évidence par la majorité des sujets que l’anglais est plus utile pour l’apprentissage du FLE que le swahili, à

225 cause de sa proximité linguistique avec le français et des conditions matérielles et pédagogiques d’appropriation du FLE. Nous voulons préciser que dire qu’une langue est plus utile ne signifie pas forcément qu’elle est la plus utilisée. D’où le besoin de poser la question portant sur la langue la plus fréquemment utilisée dans la classe de français. Pour 120 élèves, soit 71%, et sept enseignants, l’anglais est plus fréquent que le swahili alors que 48 élèves, soit 29% et deux enseignants affirment le contraire. Les raisons pour la fréquence de l’anglais, avancées lors des entretiens, sont les suivantes:

 proximité linguistique avec le français;

 politique linguistique scolaire en faveur de l’anglais;

 statut de médium d’instruction (MOI);

 besoin de maîtriser l’anglais;

 permet de mieux comprendre;

 présence des dictionnaires bilingues français-anglais et absence de dictionnaires bilingues français- swahili;

 comparaison avec le français (analyse contrastive).

Les raisons pour la fréquence du swahili sont les suivantes:

 non maîtrise de l’anglais par la plupart des élèves de la première année provenant des SMPS;

 échec de communication en anglais;

 partage de la langue par tous les partenaires de la classe;

 meilleure compréhension;

 rapidité de compréhension.

Dans les entretiens avec les élèves, nous leur avons demandé de nous indiquer laquelle des deux langues devrait être utilisée dans l’appropriation du FLE. Leurs réponses ont révélé trois positions différentes. La première position est celle de l’utilisation de l’anglais uniquement pour les raisons déjà avancées plus haut. Nous nous permettons ici de reprendre certains propos des élèves à titre d’illustration.

Sujet 1 (Elève, Jangwani Girls’ Secondary School)

304E ah ah .. yeye mwenyewe hapendi . yeye kama yeye .. hapendi kuongea kiswahili .. uki xxx ukiongea kiswahili . anakupa adhabu halafu anakwambia ukakae .. sasa yeye kama yeye hapendi kiswahili . basi ili

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tuelewe vizuri basi atutafsirie kwa kiingereza .. ili ndo tuelewe vizuri

TRD ah ah .. lui personnellement . en tant que lui .. n’aime pas parler swahili .. si vous parlez swahili . il vous punit et il vous dit de s’assoir .. lui personnellement n’aime pas le swahili . il faut ainsi qu’il nous traduise en anglais .. pour mieux comprendre

Pour cette élève, il faut utiliser l’anglais car c’est la langue préférée de l’enseignant qui n’aime pas le swahili et interdit strictement son utilisation dans la classe de français. Cet argument est basé sur la politique linguistique scolaire que nous avons déjà abordée dans les sections précédentes. .

Sujet 2 (Elève, Loyola Secondary School) 81E I think its Swahili coz because most of us know Swahili the most . mostly even the people who came from private schools all of them know Kiswahili and the people who came from government schools they also know Swahili

Les propos ci-dessus défendent l’utilisation du swahili parce que c’est la langue que les élèves provenant des EMPS et des SMPS peuvent comprendre sans aucun problème. Autrement dit, c’est celle qui n’exclut personne et qui garantit l’égalité d’accès aux savoirs. Cette position est également défendue par l’enseignante ci-dessous.

Sujet 3 (Enseignante, Malangali Secondary School) 280En alors . parce que le swahili 4’’ i can say it is easy for the students all the students know kiswahili but English is also a problem . so if you use the language which is a problem to the students . they can they cannot understand .. therefore it is better if you explain in the language which is known for all

L’enseignante insiste sur le fait que l’anglais n’est pas connu de tous les élèves et que son utilisation est susceptible de bloquer la compréhension. La troisième position se résume dans le passage suivant.

Sujet 4 (Elève, Zanaki Girl’s Secondary School) 225E naomba katika ufundishaji wa kifaransa yaani achanganye lugha zote kwa sababu yaani akiongea kifaransa tu . hatuwezi kuelewa sisi wenyewe yaani ndo tunajifunza .. kwa hiyo hatuwezi kuelewa kifaransa lazima achanganye na lugha zingine kwa mfano kiingereza kiswahili

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kama neno la kiingereza halijulkikani atatafsiri kwa kiswahili .. ndo hivyo maisha yanakwenda hivyo hivyo mpaka mnajua (bruits) TRD je propose que toutes les langues soient utilisées dans l’enseignement du français parce que s’il ne parle que français . nous ne pouvons pas comprendre nous ne sommes qu’apprenants nous ne pouvons pas comprendre le français il doit mélanger avec les autres langues par exemple l’anglais et le swahili si le mot anglais n’est pas compris il va traduire en swahili .. la vie doit aller comme ça jusqu’à ce que vous compreniez (bruits)

Selon la troisième position, les deux langues doivent être employées dans l’appropriation du FLE. Lorsqu’un blocage se produit en français, il faut recourir à l’anglais et s’il y a un problème de compréhension en anglais, il faut recourir au swahili. Nous pensons que cet argument est basé sur le fait déjà évoqué que les élèves provenant des SMPS possèdent un très faible niveau en anglais.

En conclusion de notre questionnaire, nous avons demandé aux enseignants de nous indiquer ce qu’ils considèraient comme effets positifs ou négatifs de l’utilisation d’une autre langue dans un cours de français. L’effet positif le plus fréquemment mentionné est le fait que l’utilisation des autres langues permet aux élèves de mieux comprendre les différents aspects de la langue en appropriation. Ceci est un propos tenu par six enseignants. En d’autres termes, en faisant référence à une autre langue, les choses deviennent plus claires qu’en se confinant à la langue en appropriation.

Selon les propos de trois enseignants, l’utilisation des autres langues dans un cours de français permet d’accélérer l’appropriation de la langue étrangère, comme le déclare l’un de ces enseignants: 82En … il faut aussi traduire en anglais un peu .. alors je --- on doit faire ça parce que nous n’avons pas assez assez de temps pour (apprendre ?) pour enseigner le français .. c’est-à-dire on utilise seulement quatre vingts minutes par semaine ---

En effet, il était clair dans leur discours qu’en se limitant aux stratégies monolingues, le temps consacré à la saisie d’un seul concept peut être extrêmement long, ce qui peut éventuellement prolonger la durée d’appropriation de la langue en général.

Le troisième effet positif mentionné par deux enseignants concerne la motivation liée à l’utilisation des autres langues. Nous pensons que cet argument est plausible, notamment au

228 début de l’apprentissage du français langue étrangère, où la langue connue peut servir de porte d’entrée vers la langue inconnue. Autrement dit et comme nous l’avons évoqué dans les sections précédentes, la langue connue a l’effet de réduire l’étrangeté de la langue inconnue.

Un autre effet positif, qui n’a pas été mentionné dans le questionnaire, mais dans les entretiens avec les enseignants, est la participation des élèves à l’interraction pédagogique. Les propos de l’enseignante de Malangali Secondary School en témoignent: 300En during French period .. first . students can understand easily and they can be able to answer even some questions . which we are giving them

La même enseignante ajoute que la communication strictement monolingue laisse les élèves dans l’incertitude de la signification du discours de l’enseignant. En d’autres termes, elle engendre plusieurs possibilités d’interprétation par les élèves: “Therefore. they can be guessing that may be the teacher is doing this and this” (305En). Ainsi, l’utilisation des autres langues donne la certitude de la signification.

Les effets négatifs ne manquent pas. Quatre sujets enseignants ont mentionné que l’utilisation des autres langues dans un cours de français avait comme conséquence de réduire la fluidité en français puisque l’élève aurait tendance à réfléchir d’abord dans une autre langue. À ce propos, l’enseignant d’Azania Secondary School explique que son bas niveau en français est le produit du fait d’avoir été exposé aux autres langues avant le français et avance que son niveau serait meilleur si le français était sa langue première: 183En aah / français c’était le première langue pour moi . alors je crois que serait magnifique .. mais lorsque j’avais d’autres langues . alors quelques fois on prononce . on prononce des mots français comme les mots du swahili ou bien l’anglais .. alors . on sait on a appris le français mais pour changer la quoi . la mécanisme

Ainsi, pour cet enseignant, l’effet négatif des autres langues sur le français est l’interférence qui, dans son parcours personnel, est visible notamment sur le plan phonétique car sa prononciation contient des traces du swahili et de l’anglais. Cet argument est également soutenu par trois autres enseignants qui pensent que les autres langues constituent une source de confusion à cause des interférences. Cet argument est peut-être fondé sur la perspective didactique fondée sur des approches directes.

229

Trois enseignants ont par ailleurs avancé que l’utilisation d’une autre langue réduisait la pratique du français. Les occasions de parler la langue enseignée sont dominées par les autres langues. Nous pensons que ceci peut être le cas, si l’intervention d’une autre langue devient trop systématique et non stratégique. Un autre effet négatif, selon deux enseignants, réside dans le fait que les autres langues peuvent conduire les élèves à développer l’habitude de traduire chaque fois qu’ils rencontrent une expression française, ce qui peut ralentir le processus d’autonomisation langagière.

Malgré les points de vue différents sur les effets des autres langues dans l’appropriation du FLE, nos données ont mis en évidence que la référence aux autres langues est une voie naturelle et inévitable et les apprenants des langues le font tout le temps de manière consciente ou inconsciente tant en production qu’en réception. Nous avons demandé aux élèves d’expliquer l’intervention des autres langues face à une tâche de production langagière. Par exemple, lorsqu’il s’agit de produire une phrase française, réfléchissent-ils directement en français ou passent-ils par d’autres langues d’abord et, dans ce cas, lesquelles ? Nous présentons quelques réponses sous forme de rapports d’expérience personnelle:

Rapport 1 (Zanaki Girls’ Secondary School) 245E kwa hiyo picha yangu inayonijia ni kiswahili .. na vile vile ikishanijia picha ya kiswahili kwa vile tulishasema french iko beneath sana na english . kwa hiyo nitapeleka ile picha kwenye english .. nikipeleka ile picha kwenye english . nitatafuta njia nitapeleka nini kwenye french .. kwa hiyo mimi naona ndo hiyo picha huwa inanijiaga mimi .. ninaweza nikafikiri kwa kiswahili nikipeleka kwa kiingereza inakuwaje najua nikishajua kwa kiingereza . najua hata kwa kifaransa itakuwa ni xxx itakuwa ni vizuri zaidi .. nitakuwa nimeshapata picha yaani kwa sababu english na kifaransa viko vina endana endana TRD ainsi l’image me vient en swahili .. après avoir eu cette image en swahili et parce nous avons dit le français est très proche à l’anglais . je vais mettre cette image en anglais .. après l’avoir fait en anglais . je vais chercher le moyen de le faire en français .. pour moi ça se passe comme ça .. je réfléchis d’abord en swahili ensuite mets l’idée en anglais et je sais si j’ai l’idée en anglais . je l’aurai aussi en français et xxx ce sera bien .. j’aurai déjà cette image parce que l’anglais et le français sont très proches

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D’après le sujet ci-dessus, l’image se construit d’abord en swahili et, à cause de la proximité entre l’anglais et le français, l’idée est transmise en anglais et enfin on peut rechercher les moyens de la mettre en français. D’après cet élève, il est plus facile de produire une phrase en français lorsqu’on l’a déjà eue en anglais, alors qu’il est difficile d’avoir l’idée en swahili et de la transmettre directement en français.

Rapport 2 (Zanaki Girls’ Secondary School) 247E kwa mimi . ile picha inanijia kwa kiswahili .. kwa sababu mwalimu siku ya kwanza alipoingia anasema je m’appelle madame KP .. yaani vile anavyofanya tu ana maana jina lake ni madame KP .. kwa hiyo jina lake . mi sikufikiria your name is madam KP .. sikufikiria kiingereza kwanza .. nilifikiria kiswahili kwamba yule ni madam KP .. kwa hiyo yaani ile kifaransa chenyewe unavyoongea . au j’ahabite mbagala .. nakaa mbagala . siyo useme kwamba nanilii kiingereza inakujia haraka .. inaanza kukujia kiswahili kwanza .. kwa sababu wewe tu mwenyewe utamaduni wako ni wa kiswahili .. huna utamaduni --- kama kifaransa kile angekuwa anafundishwa mwingireza . mwingereza alivyoambiwa je m’appelle . pale yeye angetafsiri your name .. kwa sababu ni mwingereza .. lakini kama mimi ni mswahili kwanza kabisa nitatafsiri kiswahili .. kwa hiyo picha ile anapoanza kufundisha kifaransa au anaposema mimi niandike pale . kwanza kabisa mimi tafsiri yangu huwa inakujaga kwa kiswahili tu TRD pour moi . l’image me vient en swahili .. parce que quand l’ensignante est venue en classe pour la première fois elle a dit je m’appelle madame KP .. en disant ainsi elle voulait dire que son nom est madame KP .. c’est-à-dire son nom . ainsi je n’ai pas pensé que your name is madam KP .. je n’ai pas refléchi d’abord en anglais .. j’ai pensé en swahili que c’est madame kapoli .. ainsi quand vous parlez le français . j’habite mbagala .. nakaa mbagala . (j’habite mbagala) . vous ne pouvez pas dire que c’est l’anglais qui vient le premier .. ça vous vient d’abord en swahili .. parce que votre culture même est swahilie .. vous n’avez pas la culture --- s’il s’agissait d’un apprenant anglais du français . il aurait traduit en anglais lorsque l’enseignante a dit je m’appelle il aurait traduit your name parce qu’il est anglais .. mais moi je suis swahilie je le ferai en swahili ainsi lorsqu’elle commence à enseigner le français ou lorsqu’elle me demande d’écrire . la traduction me vient d’abord en swahili

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Le rapport ci-dessus montre que l’image se construit d’abord en swahili du fait d’être la langue dominante qui porte la culture tanzanienne. L’élève avance le fait que lorsqu’il a entendu le français pour la première fois, il a construit le sens en swahili. Il a également souligné que si le français était enseigné aux Anglais, la première image se construirait en anglais car ce serait la langue dominante et la langue de leur culture.

Rapport 3 (Jangwani Girls’ Secondary School) 316E kama mimi kwanza najenga kwa lugha ya kiswahili (rire) TRD pour moi, l’image se construit en swahili (rire) EQT mmh / 318E halafu baadaye naleta kwa kiingereza .. halafu baadaye . naunga unga halafu napata kifaransa TRD ensuite je la mets en anglais .. après . je colle des mots pour avoir une phrase française Es (rires)

L’image se construit en swahili puis est traduite en anglais et enfin des mots français sont collés pour produire une phrase française. On voit que les autres élèves se mettent à rire parce que leur collègue a employé le mot swahili « naunga unga » qui veut dire « je colle les mots », une sorte de bricolage.

Rapport 4 (Jangwani Girls’ Secondary School) 320E vile vile naweza kusema kama huyu hapa alivyosema .. kwanza unaanza kufikiria kwa kiswahili .. eeh / .. nakumbuka mwalimu .. kwanza naanza kufikiria kwa Kiswahili .. (niipate?) sentensi . unaona / .. nakumbuka mwalimu alifundisha French halafu akatafiri kiingereza .. unaona / .. nikitoka Kiswahili . nakuja kiingereza . kiingereza halafu natunga sentesni kwa kifaransa TRD Je peux aussi dire comme elle vient de le dire .. d’abord je commence à refléchir en swahili .. eeh / .. je me rappelle de l’enseignant .. d’abord je commence à réfléchir en swahili pour avoir une phrase . vous voyez / .. puis je me rappelle que l’enseignant avait enseigné quelque chose en français et il l’a traduit en anglais .. vous voyez / .. je pars du swahili . je passe par l’anglais . ensuite je construis une phrase en français

Pour cette élève, la réflexion part du Swahili et, en se rappelant que l’enseignant avait enseigné quelque chose en le traduisant en anglais, l’élève traduit son idée d’abord en anglais avant de produire la phrase en français, à l’instar de l’enseignant. Ici, la démarche pédagogique de l’enseignant est reprise par l’élève.

232

Rapport 5 (Jangwani Girls’ Secondary School) 324E navyoona nitaanza kwanza kwa Kiswahili .. manake ndo nacho ninachoelewa .. nikishaanza kwa Kiswahili . nitaangalia .. my teacher anasema hivi . forbidden . no Kiswahili .. nitaanza may be I should write may be I should translate in english .. nitaanza in english .. halafu nikianza english . si teacher anatufundisha French na nilazima tuongee french .. kwa hiyo nitaanza .. nitaongea ongea tu .. teacher ndo atajua huyu anamaanisha hiki .. xxx TRD je pense que je commencerais en swahili .. car c’est la langue que je comprends le mieux .. après je me rappelle que l’enseignant a interdit le swahili .. pas de swahili .. je dois le faire en anglais .. comme l’enseignant veut que je parle en français . je le fais n’importe comment et c’est lui qui va comprendre ce que je veux dire.

La démarche part du swahili, car c’est la langue que l’élève comprend le mieux. Comme le swahili est interdit, l’élève tente d’éviter la traduction en swahili pour le faire en anglais. La dernière étape consiste à produire une phrase française car l’enseignant veut la réponse dans cette langue et l’élève parle n’importe comment pour répondre à l’exigence de l’enseignant. Ces propos conduisent à penser que l’interdiction d’utiliser le swahili peut potentiellement présenter un obstacle sur le plan de la réflexion et certains élèves peuvent penser qu’il ne faut pas même réfléchir dans la langue interdite.

Rapport 6 (St. Joseph Girls’ Seminary School) 143E for me . I start with Kiswahili only because after all this is our foreign aah our local language I can say which we are used to .. so whenever you are given something that’s the thing which you think first in your language then you translate into an international language which is English then after that you change it now into French xxx

Selon cet élève, le swahili est souvent le point de départ de la démarche réflexive, du fait d’être la langue locale. Nous pensons que l’élève fait allusion à la culture locale. Donc c’est la langue qui constitue l’univers mental de l’élève qui, à son tour, est fondé sur l’expérience sociale. Ensuite, l’idée est traduite en anglais avant de produire une phrase en français.

Rapport 7 (St. Joseph Girls’ Seminary School) 145E for me I think this it depends with the person .. because you find somebody has been familiar with English since nursery and now she is

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may be she is in form four .. so that means she will be very familiar to English and you find may be xxx another person has been familiar with English since form one .. so there there is a difference between the one who studied English since nursery and the one who studied English since from one

D’après ce sujet, il y a deux points de départ possibles. Pour quelqu’un qui a utilisé l’anglais comme langue de scolarisation depuis la maternelle, il est possible de partir de l’anglais, alors que pour quelqu’un qui commence à utiliser l’anglais comme langue de scolarisation en première année du secondaire, c’est le swahili qui constituera le point de départ de sa réflexion.

Rapport 8 (St. Joseph Girls’ Seminary School) 119E mimi nafikiria kwanza kwa lugha ya English .. nikishamaliza kufikiria kwa lugha ya English . naandika lile neno ambalo nimefikiria . halafu nafikiria pia kwa kifaransa nakuja kuangalia kwenye dictionary ya English na French .. naangalia kama linaleta maana ile ambayo nimefikiria TRD moi, je pense d’abord en anglais .. après avoir réfléchi en anglais . j’écris le mot . ensuite je réfléchis aussi en français et je consulte le dictionnaire anglais-français .. je vois si le mot donne le sens que je veux.

La démarche démarre par la réflexion en anglais suivie par la mise à l’écrit des mots anglais. La deuxième étape consiste à réfléchir en français pour chercher un équivalent. Ensuite, un dictionnaire bilingue est consulté afin de vérifier si l’expression porte la signification recherchée.

Rapport 9 (St. Joseph Girls’ Seminary School) 109E Mi naona kama mwalimu katoa swali . yaani mi kichwani mwangu kabisa . concept inakuja kwa English .. yaani akitoa swali kabisa naelewa kwamba katoa swali yaani tuandike sentensi . mi inakuja kwa English TRD Moi je pense que si l’enseignant pose une question . dans ma tête . le concept se forme en anglais . s’il nous demande de construire une phrase . elle me vient en anglais

Pour cet élève, l’image et la phrase lui viennent en anglais, avant de produire une phrase en français.

Rapport 10 (Kazima Secondary School)

234

157E mimi kwa lugha ambayo kwa mfano nikipewa swali . lugha ambayo nitaanza nayo . nitaanza na lugha ya Kiswahili .. kwa mfano neno labda ni ni najua kwa Kiswahili ni ni sawa .. kwa kiingereza najua ni is .. kwa kifaransa itabidi nitafute kwa sababu siyo lugha niliyoizoea .. itabidi kwanza nitafute ndo nipate maana yake ndo nitajaza kwa kifaransa TRD pour moi si on me pose une question . je commencerais avec le swahili .. si par exemple en swahili le mot ni .. je sais en anglais c’est is .. en français par contre il me faudra chercher ce mot pour en avoir la signification

Ces propos introduisent l’idée de langue habituelle qui, selon l’élève, peut être le swahili ou l’anglais, mais pas le français. C’est la langue dans laquelle on a l’habitude d’agir la plupart du temps qui sert de point de départ dans la démarche qui doit aboutir à une phrase française.

Rapport 11 (Kazima Girls’ Secondary School) 64E it comes in my head through through this .. yes EQT and then 66E then you translate it into French . then I jote down it

Pour cette élève, l’idée se forme en swahili et elle est directement transmise en français, sans passage par l’anglais. Cette démarche était très rare dans les rapports des sujets que nous avons enregistrés.

Rapport 12 (Loyola Secondary School) 85E may be relating to what she is saying . the time you want to write a French sentence I mean the language which you are using at that time may be Kiswahili English or any other . by using it you can transfer it to French .. so I think it doesn’t matter that if it’s only English .. it may be even Swahili you transfer it to French

Pour cet élève, on peut passer par l’anglais ou le swahili en fonction de la situation, mais la situation n’est pas spécifiée. Il est probable qu’il fasse allusion à la langue dans laquelle on est le plus compétent.

Rapport 13 (Loyola Secondary School) 90E inategemea . kwa mfano tuseme kwa shule ya Loyola yaani asilimia nyingi wametoka english medium kwa hiyo wanajua English . kwa hiyo tuseme hata teacher akiwa anafundisha : anachanganya English .. kwa hiyo kwa mfano teacher alivyosema au revoir goodbye kwa hiyo anakuwa yaani English anakuwa anajua .. kwa hiyo tuseme kwa shule za serikali

235

hizi teacher anavyofundisha French anatafsiri kwa Kiswahili ninavyoona .. kwa hiyo wao wanakuwa lugha wanafikiria kwanza kwa mfano : waandike kwa mfano tuseme kwa heri . teacher kawaambia aurevoir . kwa hiyo yaani inategemea yaani na mtu kwa mfano unajua sana kiingereza xxx TRD ça dépend . par exemple ici à Loyola la plupart des élèves proviennent des English Medium Schools donc ils connaissent l’anglais . même l’enseignant mélange avec l’anglais lorsqu’il enseigne .. par exemple lorsque l’enseignant dit au revoir il dit goodbye en anglais .. disons que pour les écoles publiques l’enseignant traduit en swahili lorsqu’il enseigne donc je pense que ils réfléchissent en swahili .. c’est la langue dans laquelle ils réfléchissent d’abord par exemple kwa heri (au revoir) . quand l’enseignant leur dit au revoir . donc ça dépend de la langue si c’est l’anglais xxx

D’après cet élève, plusieurs facteurs déterminent la langue de réflexion avant de produire une phrase en français, à savoir le niveau de connaissance dans cette langue ou la langue de référence de l’enseignant. Par exemple, les élèves provenant des EMPS réfléchissent d’abord en anglais alors que ceux qui proviennent des SMPS le font en swahili.

Les rapports présentés ci-dessus nous conduisent à un certain nombre de constats que nous pouvons établir en guise de conclusion. On reconnait tout d’abord que, dans la production et la réception en FLE, la voie bilingue est inévitable et c’est un fait rapporté par les élèves de la première année et de la quatrième année sans exception. Le passage par les autres langues dans la production et la communication en français est déterminé par le niveau de connaissance, la proximité linguistique entre le français et les autres langues, la politique linguistique de l’école et, dans une certaine mesure, la démarche pédagogique de l’enseignant.

Pour la majorité des élèves, la démarche part du swahili, langue dominante et « habituelle », qui est aussi la langue de socialisation et de scolarisation dans le cycle primaire. Ensuite, l’idée est transmise en anglais, langue de référence pour l’appropriation du français. C’est donc une démarche trilingue partant du swahili et passant par l’anglais pour aboutir au français. Un petit nombre d’élèves qui ont été scolarisés en anglais au cycle primaire et qui maîtrisent cette langue ont déclaré que leur point de départ était l’anglais et non le swahili. Cette analyse nous autorise à avancer l’argument que la voie bi-plurilingue est naturelle et inévitable dans la production et la réception en langue étrangère. Les sujets apprenants le font habituellement, même dans les contextes de répression linguistique où l’utilisation des autres

236 langues est interdite. Ainsi, l’appui sur les autres langues est toujours là, bien qu’il ne soit pas verbalisé. Il faut souligner que la démarche trilingue constitue non seulement un espace de construction des savoirs en FLE mais également un espace potentiel d’apprentissage de l’anglais.

Pour comprendre la part des ressources bi-plurilingues dans la résolution des problèmes qui se présentent dans la communication pédagogique, nous avons proposé cinq stratégies et demandé aux enseignants d’attribuer un numéro à chacune d’elles selon la fréquence d’utilisation, c'est-à-dire 1 pour la stratégie la plus fréquente, 2 pour la deuxième et ainsi de suite. Cette question a également été posée aux élèves mais nous présentons dans le tableau ci-dessous les réponses des enseignants. Nous soulignons que les réponses des sujets seront ensuite mises en parallèle avec les données vidéo qui présentent la réalité des pratiques pédagogiques.

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Tableau 21: Stratégies de communication mises en ceuvre par les enseignants

Stratégie Numéro selon la N % fréquence 1 3 27 Utilisation d’une autre langue 2 5 46 3 2 18 4 1 09 5 Aucune réponse - Emploi de la gestualité et de la mimique 1 3 27 2 4 36 3 1 09 4 1 09 5 2 18 Explication en français 1 5 46 2 3 27 3 1 09 4 2 18 5 Aucune réponse - Emploi des dessins 1 3 27 2 4 36 3 2 18 4 1 09 5 2 18 Demander aux élèves qui ont compris un concept 1 Aucune réponse - d’expliquer aux autres 2 1 09 3 2 18 4 2 18 5 6 55

A part les stratégies proposées dans le tableau ci-dessus, l’emploi du contexte physique de la classe, du jeu de rôle, de la visite des endroits pour voir les objets qui constituent le centre d’activités pédagogiques ont été mentionnés par les enseignants.

Le tableau nous fait remarquer que les stratégies monolingues d’explication en français sont dominantes, avec çinq réponses au premier rang. Trois enseignants leur donnent la seconde place et aucun enseignant ne les a mises au cinquième rang. L’utilisation d’une autre langue, de la gestualité et de la mimique et des dessins occupe une place importante, avec trois réponses les plaçant au premier rang. Cependant, l’utilisation d’une autre langue reçoit çinq réponses en deuxième rang, ce qui signifie que les stratégies bi-plurilingues occupent globalement la seconde place de fréquence après les stratégies monolingues. La gestualité/la mimique et les dessins ont quatre réponses au troisième rang. Les stratégies de collaboration entre élèves sont placées au dernier rang par six réponses. Ainsi, d’après ces réponses, les ressources bi-plurilingues occupent la seconde place d’importance dans la résolution des

238 problèmes de communication en classe de FLE. Dans le tableau qui suit, nous présentons les réponses des élèves.

Tableau 22a: Stratégies de communication mises en ceuvre par les élèves

Numéro selon la Stratégie N % fréquence 1 20 12 2 60 36 3 40 24 Français malgré tout 4 30 18 5 13 08 6 Aucune réponse - 1 100 60 2 50 30 3 10 06 Recours à l’anglais 4 08 05 5 Aucune réponse - 6 Aucune réponse - 1 30 18 2 50 30 3 58 35 Recours au swahili 4 24 14 5 16 10 6 Aucune réponse -

239

Tableau 22b: Stratégies de communication mises en ceuvre par les élèves

Numéro selon la Stratégie N % fréquence

1 06 04 2 30 18 3 06 04 Emploi de la gestualité 4 08 05 5 81 48 6 18 11 1 12 07 2 18 11 3 28 22 Demander à un ami qui a compris 4 54 32 5 52 31 6 Aucune réponse - 1 20 12 2 11 07 3 06 04 Ne rien dire 4 Aucune réponse - 5 06 04 6 66 39

A part les stratégies proposées dans les tableaux ci-dessus, certains élèves ont ajouté d’autres stratégies qu’ils mettent en œuvre, à savoir le recours aux dictionnaires bilingues, la communication par écrit (normalement au tableau noir) au lieu de l’oral. La communication par écrit au lieu de l’oral se fait lorsque l’élève a une réponse mais, à cause des difficultés phonétiques, est incapable de la fournir oralement.

On constate par ailleurs, contrairement aux réponses des enseignants, que les élèves accordent la première place de fréquence aux stratégies bilingues, particulièrement au recours à l’anglais, avec 60% des réponses en première position. La deuxième place est occupée par les stratégies monolingues consistant à s’efforcer d’utiliser le français malgré les obstacles et les difficultés dans cette langue, avec 36% des réponses en deuxième position. Le recours au swahili occupe la troisième place de fréquence, avec 35% des réponses en troisième position. La stratégie de collaboration entre élèves récoit globalement la quatrième place de fréquence,

240 avec 32% des réponses. La non-réaction ou le silence est le dernier choix pour les élèves, avec 39% des réponses la plaçant en dernière position.

En guise de conclusion, cette section nous a exposé au fait que la plupart des partenaires de la classe de FLE en Tanzanie reconnaissent, à des degrés variables, l’utilité des autres langues dans l’appropriation du français. L’anglais est considéré comme la langue la plus utile en raison de sa proximité linguistique avec le français et des conditions matérielles et pédagogiques le caractérisant. Cependant, les enseignants ne s’accordent pas sur l’utilisation des autres langues car nous avons constaté qu’il existe trois positions différentes: l’utilisation libre, l’utilisation minimale, comme dernier recours et l’évacuation totale desautres langues. Comme nous l’avons précédemment évoqué, ces positions permettent de distinguer les langues citées (à des fins de contrastivité) et les langues utilisées (alternance codique).

Ces constats nous conduisent à penser que certains des enseignants qui autorisent l’utilisation des autres langues le font à contre-cœur et non pas parce que les autres langues constituent un outil privilégié d’appropriation du FLE. Par ailleurs, nous avons vu que les enseignants avancent des effets aussi bien positifs que négatifs. Tout cela nous amène à la conclusion que les enseignants ne savent pas comment exploiter les ressources bi-plurilingues et que, dans les cas où ils s’en servent, ils le font parce qu’ils ne disposent pas d’autres moyens stratégiques de résolution de problèmes communicationnels et pédagogiques. En d’autres termes, il n’existe pas de formation ou d’efforts consacrés à l’exploitation de ressources bi-plurilingues dans l’appropriation du FLE. La section qui suit exploite les données vidéo, afin d’établir la convergence ou la divergence entre les dires et les faires.

5.3.2 Connaissances plurilingues et dynamiques de l’interaction: organisation, progression, stratégies de résolution des problèmes de communication et approches méthodologiques

Cette section se propose d’analyser les stratégies de résolution de problèmes de communication en fonction des observations des séquences pédagogiques conduites dans les différentes écoles. Notre analyse accordera une attention particulière à la nature et à la part des stratégies bi-plurilingues dans l’interaction pédagogique. Pour ce faire, nous proposons de procéder selon chaque terrain visité, et en présentant chaque séquence individuellement avant de présenter une synthèse générale. Le choix de cette démarche s’explique par deux

241 principales raisons. Premièrement, le contexte sociolinguistique tanzanien est divers et varié et ses conséquences sur les pratiques pédagogiques ne sont pas à sous-estimer. Deuxièmement, la démarche permet une analyse comparative des pratiques pédagogiques: pratiques d’un même enseignant dans des séquences différentes (en l’occurrence, 1ère et 4e années) et celles d’enseignants des différentes écoles. Comme nous le verrons, la comparaison rendra possible l’identification des catégories générales des pratiques relatives à la place des stratégies bi-plurilingues pour toutes les écoles étudiées. Cela n’est faisable qu’en abordant chaque cas individuellement avant d’établir une vue d’ensemble.

Nous précisons d’emblée que notre analyse ne se limitera pas à l’identification des stratégies de résolution de problèmes de communication mais se proposera également d’identifier l’approche méthodologique dans laquelle se situe l’enseignant. Nous trouverons des traces de ces approches, notamment dans l’organisation de l’interaction en classe. Nous commençons avec la première école visitée, Stella Matutina Seminary School, située au sud de la Tanzanie et appartenant à une mission catholique.

5.3.2.1 Stella Matutina Seminary School

Dans cette école, comme dans la plupart des autres, nous avons pu observer deux séquences pédagogiques; une avec les élèves de première année et une autre avec les élèves de quatrième année. Dans ce qui suit, nous démarrons notre analyse avec une séquence pédagogique filmée dans la classe de première année, chez les débutants en FLE. Le groupe-classe est composé d’une partie des élèves qui ont déjà assisté à trois cours de français et d’un nombre important de nouveaux arrivants qui assistent à leur tout premier cours de français. Nous avons pu identifier trois étapes relatives à l’organisation de la séquence, l’étape préparatoire, la présentation de la leçon et la mise en pratique,

La première étape est constituée des activités suivantes: entrée et installation des élèves, préparation du tableau noir par l’enseignant en dessinant des lignes pour diviser les différentes parties du tableau et écriture de la date du jour. C’est aussi durant cette étape de la leçon qu’on attend les élèves qui arrivent en retard.

242

Nous constatons également que l’enseignant cherche à impliquer les élèves dans cette première étape, peut-être pour la pratique de la langue. Nous présentons quelques tours de parole55 de l’extrait A 00 :00 :00 – 00 :11 :02 pour illustrer l’étape préparatoire.

1 En (face au tableau noir dessinant des lignes pour diviser le tableau noir) xxx ne vous inquiétez pas .. je vais utiliser les deux xxx (marche vers les élèves) quel jour sommes-nous 2 Es (après un silence de 6’’ quelques élèves lèvent les mains) 3 En (s’approche d’un élève et le désigne par la main) oui / 4 E °aujourd’hui / mardi° 5 En (étonné) aujourd’hui c’est mardi / 5’’ 6 E °mercredi° 7 En mercredi \ (désigne un autre élève de la main) oui / 8 E °vingt sept° 9 En oui / 10 E °janvier /° 11 En janvier / eheh /

La question de l’enseignant « quel jour sommes-nous ? » déclenche un échange de paroles avec les élèves. L’étape préparatoire se termine par la reconnaissance de nouveaux arrivants qui rejoignent le groupe-classe pour la première fois et on voit déjà quelques stratégies de communication dans les tours suivants.

21 En (devant la classe) est-ce qu’il y a des nouveaux dans la classe / 2’’ est-ce qu’il y a des nouveaux pour cette classe / 22 E Xxx 23 En qui est-ce (tourne son regard à gauche et à droite) qui sont des nouveaux .. kuna wageni darasa hili / TRD y a-t-il des nouveaux dans cette classe / 24 Es ndiyo TRD Oui 25 En Okay . stand up TRD d’accord . levez-vous

(suite de l’extrait)

27 En --- xxx nous avons étudié sur le verbe ETRE / par exemple je suis . tu es . elle est . nous sommes vous êtes ils sont elles sont \ vous vous souvenez / 28 Es oui 29 En par exemple . marie EST : / (mouvement de main signifiant la continuité de la phrase) alors qu’est-ce que nous alllons mettre ici comme un titre . vous allez découvrir vous-mêmes 2’’ (mouvements des mains) vous allez découvrir vous-mêmes qu’est- ce que nous allons mettre ici .. par exemple . (marche devant la classe et mouvements des mains) par exemple monsieur (Lamon ?) est professeur 2’’ madame sinyenga EST:/ cuisinière

55 La notion de tour de parole est utilisée ici de manière pratique et désigne l’alternance des actions. 243

2’’ monsieur mtogoro EST:/ docteur .. alors qu’est-ce que nous allons mettre ici comme un titre

30 Es (silence 4’’) 31 En (mouvements des mains) je suis professeur 32 E (lève sa main) 33 En oui / comment tu t’appelles 34 E je m’appelle xxx je suis séminariste de séminairede xxx 35 En Xxx vous avez bien lu la phrase mais qu’est-ce qu’on va mettre ici / .. (montre au tableau) xxx qu’est-ce qu’on va mettre ici comme un titre par exemple (touche le tableau noir) est-ce que nous allons mettre ici les salutations : / est-ce que nous allons mettre ici les (adjectifs / ? ) est-ce que nous allons mettre ici les méTIERs : / . est-ce que nous allons mettre ici professions ou quoi (mouvements des mains).. par exemple je suis professeur . je suis cultivateur . je suis enseignant . je suis docteur . je suis chirurgien .. je suis infirmière .. alors qu’est-ce que nous allons mettre là-bas comme un titre (insistant par mouvement des mains au rythme du discours) 3’’ (mouvements des mains) je suis professeur . je suis cultivateur . je suis séminariste . je suis le père de famille . je suis la mère de famille .. je suis : (mouvement devant la classe) je travaille à la cabane .. je travaille à l’église .. je dis la messe toujours pendant le matin .. alors qu’est nous allons mettre (touche le tableau) ici comme un titRE:/ 4’’ HE .. il est où HE .. (regarde l’élève) oui qu’est-ce que nous allons mettre ici .. par exemple . vous êtes séminariste (marche vers un élève) d’accord / (s’arrête tout près de l’élève, mouvement de la main) vous êtes père de famille ou vous êtes séminariste

(continuation de l’extrait)

59 En peut-être je peux dire c’est une profession .. c’est un adjectif . ça exprime comment vous êtes .. alors ici nous allons dire . nous allons mettre (écrit au tableau noir) des PROfessions

Au 21, l’enseignant pose deux fois la même question en espérant peut-être que la répétition permettrait à certains des élèves de comprendre la question mais personne ne comprend la question. En 23, l’enseignant change de stratégie en associant une stratégie non verbale (en promenant son regard de gauche à droite) à une stratégie verbale (question en français) mais après une petite pause et suite à la non-réponse de la part des élèves, il a recours au swahili « kuna wageni darasa hili / » (y a-t-il des nouveaux dans cette classe /). On voit donc trois tentatives de résolution de problèmes de communication, à savoir une stratégie monolingue de répétition en français, une stratégie d’association de la gestuelle au verbal et une stratégie bilingue de passage au swahili. C’est la dernière stratégie qui aboutit et les élèves répondent en swahili « ndiyo » pour dire « oui ». En constatant qu’il y a de nouveaux élèves dans la salle, il leur demande en anglais de se lever « Okay. stand up » (en 23). Il est fort probable que l’emploi de l’anglais 244 réside dans le fait que les nouveaux arrivants n’ont peut-être aucune notion en français. Il s’avère donc inutile de leur parler en français. Ici, l’enseignant démontre sa capacité à prévoir les blocages de communication et à les contourner en recourant à un autre code.

La deuxième étape consiste à introduire la leçon. L’enseignant fait un rappel de la leçon précédente pour établir des liens avec la nouvelle leçon. Il montre, de manière plus ou moins explicite, qu’ils vont appliquer certains aspects de la leçon précédente qui portait sur la conjugaison et l’emploi du verbe « être » (en 27) pour parler de professions.

Cependant, l’enseignant ne veut pas introduire directement le terme de « profession », qui constitue le titre de la leçon afin de permettre aux élèves de le découvrir par eux-mêmes (en 28) en s’appuyant sur des explications et des exemples fournis par l’enseignant.

L’essentiel de la tâche que propose l’enseignant ici consiste à trouver l’hypéronyme qui peut englober les mots cuisinière, professeur, docteur, etc. Il répète les exemplesmais il apparait que les élèves ne parviennent pas à comprendre la tâche, comme on peut voir en 34, où l’élève propose encore un autre exemple au lieu d’un titre pour le cours.

La réponse de l’élève montre que celui-ci a compris ce que faisait l’enseignant (donner des exemples) et veut faire comme lui mais il n’a pas encore saisi la consigne de l’enseignant qui cherchait un terme générique. On voit plus loin que l’enseignant fournit davantage d’exemples mais cela n’aboutit pas à la réponse recherchée.

On voit en 35 que non seulement l’enseignant fournit davantage d’exemples mais il propose plusieurs titres pour la leçon (adjectifs, salutations, métiers et professions) à partir desquels les élèves doivent choisir le titre qui convient. On voit par ailleurs qu’en fournissant de nombreux exemples, l’enseignant s’éloigne un peu de l’objectif de la tâche, car certains de ses exemples, comme « ---père de famille », ne sont pas pertinents. Etant donné que les explications et les exemples n’aboutissent pas, l’enseignant finit par fournir la réponse lui- même en 59. Cependant, il fournit une description erronée du terme « profession » comme adjectif, ce qui n’est pas vrai du point de vue grammatical. C’est un substantif et non pas un adjectif.

La seconde étape de la séquence fait ressortir un certain nombre de points relatifs à la démarche pédagogique de l’enseignant. D’abord, nous constatons que l’objectif de conduire les élèves à la découverte du titre de la leçon par eux-mêmes n’est pas atteint. C’est

245 l’enseignant qui finit par le faire. Ensuite, beaucoup de temps et d’énergie sont consacrés à une démarche qui n’aboutit pas. L’échec de la démarche a deux possibilités d’explication: soit les élèves n’ont pas compris les consignes, soit certains des élèves les ont comprises mais le mot profession leur échappe. Nous pensons que l’enseignant aurait pu fournir les consignes de la tâche dans une langue connue par tous les élèves ou bien fournir le titre de la leçon dès le début. Le non-aboutissement de la démarche nous apprend que, lorsqu’il s’agit d’un groupe de débutants sans aucune notion en français, les stratégies monolingues peuvent s’avérer peu efficaces et le recours à une autre langue peut être utile.

La troisième étape de la séquence est la pratique dans laquelle l’enseignant guide les élèves à produire des phrases qui expriment des professions, mais il commence avec un exemple fourni par lui-même. Analysons quelques tours de l’Extrait B 00 :12 :28 - 00 :17 :12.

1 En (marche devant la classe) je suis l’évêque de diocèse de songea .. est-ce que vous connaissez l’évêque de cette dioCESE / 3’’ (désigne un élève de la main) il s’appelle comment / .. il s’appelle comment / (mouvements des mains au-dessus de sa tête) si vous comprenez qu’est-ce que je parle (mouvement de la main au rythme de son discours) l’évêque de songea s’appelle comMENT / (désigne un élève de sa main) oui / 2 E (se lève) s’appelle norbert mtega 3 En très bien .. très bien . il s’apelle comMENT / 4 E Norbert mtega

(continuation de l’extrait)

25 En non non non non . c’est possible d’avoir un autre professeur .. moi je suis professeur de français . et toi tu es professeur de quoi (se penche vers l’élève, mouvement de main) de mathématiques / de chimie / ou de biologie / . tu es professeur de quoi 26 E 27 En . dites 28 E °je suis : professeur de matiques /° 29 En (insistant) 30 E de mathématiques à lighano 31 En très bien .. il est professeur de mathématiques .. (marche devant la classe) il fait les CALculs (écrit au tableau) oh / deux fois deux donne combien (marche devant la salle) oui les mathématiques par exemple deux fois deux éGALe / 32 E (même élève se lève) quatre

Au tour 1 de l’extrait, l’enseignant pose quatre fois la même question pour savoir le nom de l’évêque du diocèse de Songea et ce n’est qu’à la quatrième fois qu’un élève lève la main pour répondre. Cependant, c’est relativement rapide. La question se pose quant aux indices qui ont

246 contribué à la compréhension de la signification de la phrase. On peut d’abord penser à la transparence interlinguistique du mot «diocèse »: en anglais, c’est « diocese », en swahili, « dayosisi ». Songea est le siège du diocèse dans lequel se trouve l’école. Il est donc possible que l’élève ait pu parvenir à reconnaitre le mot « évêque » d’abord par la transparence interlinguistique du mot « diocèse » et, ensuite, à travers le contexte car le chef d’un diocèse est un évêque, « bishop » en anglais et « askofu » en swahili. Dans les tours de parole qui suivent, on voit d’autres stratégies mises en œuvre.

En 25, l’enseignant se sert de la phrase « moi je suis professeur de français . et toi tu es professeur de quoi ». Dans cette phrase, il emploie la stratégie d’exemplification en insérant le mot « français » pour favoriser la stratégie de dépendance discursive de la part de l’élève. L’élève n’aura qu’à reprendre la phrase de l’enseignant et à remplacer le mot « français » par le nom d’une autre matière. Cependant, l’enseignant pense peut-être que l’élève ne connait pas les noms des autres matières en français. Il recourt ainsi à une stratégie d’exemplification en fournissant des noms de matières caractérisés par une transparence interlinguistique: « --- de mathématiques / de chimie / ou de biologie ». En anglais, nous avons « Mathematics, Chemistry et Biology » et les équivalents swahilis sont « Hesabu, Kemia et Bailojia ». C’est seulement le mot « Hesabu », d’origine arabe qui n’a pas de caractéristiques transparentes à travers les trois langues. Comme l’élève prononce le mot « mathématiques » de manière incompréhensible (en 26), l’enseignant l’aide à produire la phrase correcte et le premier ne fait que reprendre la phrase du professeur mais il prononce mal le mot « mathématiques » (« matiques » en 28). Le professeur le recorrige (en 29) et finalement, l’élève reprend correctement la réponse (en 30).

On observe, dans ce cas, que l’enseignant dispose de plusieurs possibilités stratégiques; après avoir identifié une lacune lexicale chez l’élève, il propose plusieurs mots enespérant qu’il pourra choisir le bon en se basant sur la transparence interlinguistique. C’est la seconde stratégie qui aboutit. En effet, il faut souligner que la transparence interlinguistique conduit l’élève dans une voie bilingue pour parvenir à la signification recherchée en reconnaissant les lemmes.

En 30, l’enseignant sort un peu du cadre après la réponse de l’élève. Il se met à faire des calculs « deux fois deux . donne combien », ce qui ne constitue pas le centre de la tâche. Cependant, il revient immédiatement à la tâche centrale.

247

L’extrait C 00 :18 :15-00 :26 :26 ci-dessus montre le rôle de la gestualité et du contexte physique dans la résolution de problèmes de communication et d’apprentissage. 4 E (veut se lever pour répondre mais ne peut pas parce qu’il n’y a pas assez d’espace pour pouvoir se lever) 5 En (fait signe par la main pour lui dire de rester assis) ooh assieds toi parce qu’il n’y a pas de place . oui /

(continuation de l’extrait)

40 En alors . coiffeuse .. celui qui (les doigts imitant le mouvement d’une paire de ciseaux) coupe les cheveux cheveux .. par exemple 2’’ (s’approche d’un élève dont les cheveux sont coupés) lui eh / il est passé CHEZ / °le coiffeur° ou bien peut-être coiffeuse .. eh / (touche la tête d’un élève dont les cheveux sont coupés et la secoue un peu) vous voyez la tête / 41 Es (rires) 42 En (secoue la tête de l’élève) comment / comment est la tête ici 43 E (lève la main) 44 En alors . vas-y 45 E (se lève) 50 E °madame senyenga est coiffeuse xxx°

On voit dans en 5 que l’enseignant associe un geste correspondant à sa parole pour s’assurer de la compréhension. Il dit à l’élève de rester assis en faisant à la fois signe de la main. Il fait cela non comme une stratégie après une panne de communication mais à la première tentative parce qu’il prévoit sans doute un problème de compréhension chez l’élève et il veut prévenir ce problème. Ainsi, si le sujet n’arrive pas à comprendre le discours verbal, il pourra comprendre le non-verbal.

En 40, on voit plusieurs cas d’emploi de stratégies non verbales. Pour faire comprendre le mot « coiffeuse », l’enseignant se sert d’abord de la mimique en imitant le mouvement d’une paire de ciseaux. Ensuite, il s’appuie sur le contexte physique de la classe, à savoir la présence d’un élève avec des cheveux rasés en touchant la tête de celui-ci et en disant aux autres « --- vous voyez la tête / ». La tête rasée de l’élève sert non seulement de support pédagogique mais également d’outil stratégique pour résoudre un problème de communication. On voit enfin que l’élève finit par produire le bon exemple.

De manière très générale, le cours est caractérisé par une diversité de stratégies. On observe des stratégies verbales monolingues comme l’exemplification, la répétition et la dépendance discursive. Les stratégies non verbales de gestualité, de mimique et d’utilisation du contexte physique occupent également une place importante. Les stratégies plurilingues ne sont mises

248 en œuvre qu’à l’étape préparatoire, quand l’enseignant veut savoir s’il y a de nouveaux élèves. On constate également plusieurs cas de non-aboutissement des stratégies qui amène l’enseignant à donner les réponses alors que les élèves ne font que les reprendre. Nous voyons cependant des cas non moins nombreux où les élèves parviennent à comprendre à travers les multiples stratégies de l’enseignant et à fournir des réponses correctes en se servant principalement de l’appui sur le discours de l’enseignant.

Par ailleurs, beaucoup de temps est consacré à la résolution d’un seul problème. La participation des élèves n’est pas optimisée et intervient très souvent sous forme de répétitions. La participation minimale des élèves n’est pas favorable à l’apprentissage, car nous avons vu que les élèves sont les acteurs centraux sur les données langagières qui leur sont présentées et que c’est leur action qui rend possible la construction des savoirs en langue. Nous pensons cependant que les pratiques pédagogiques de l’enseignant sont basées sur l’approche communicative.

Le même enseignant nous a accordé l’occasion de filmer une autre séquence avec les élèves de la quatrième année que nous voulons analyser en établissant une comparaison avec la séquence organisée avec les élèves de la première année. La séquence porte sur un aspect grammatical « le Subjonctif », que l’enseignant écrit au tableau comme titre du cours. Comme on peut voir dans la partie de l’extrait A 00:00:00-00:11:12, après avoir annoncé le titre du cours, l’enseignant demande aux élèves de fournir la définition du terme « subjonctif ». 1 En --- xxx il faut attaquer ce qu’on appelle °le subjonctif° . qu’est-ce que le subjonctif .. (insistant) qu’est-ce que ça veut dire subjonctif .. (marche de gauche à droite devant la salle) .. on va faire un petit pause /

(continuation de l’extrait)

3 En « Tu t’appelles comment parce que ce sont des invités . xxx ils ne connaissent pas vos préNOMS » 4 E ahaah . mon nom est : RK .. alors le subjonctif est : l’expression du temps qui xxx explique le : (mouvement de mains au rythme du discours) le : le diseur qui le diseur explique les souhaites que je vous souhaite quelque chose / aussi : subjonctif explique eeh eeh le temps : le temps du : 2’’ oui (s’assied) etc . xxx

5 En oui . son nom est quoi . son nom est RK . alors qu’est-ce que vous dites vous autres 2’’ qu’est-ce que vous comprenez sur le subjonctif ---

(continuation de l’extrait)

10 E eeh je il venir 249

11 En eeh / 12 E (même élève) Il vient 13 En (mouvement de mains) il vient .. c’est vrai ou faux 14 Es c’est vrai :

(continuation de l’extrait)

17 En (désigne un élève qui n’a pas lévé sa main) celui qui celui qui s’assied normalement au dernier coin là-bas . alors MK .. vous êtes MK . ne c’est pas .. dites là

(continuation de l’extrait)

21 En pourquoi vous ne comprenez pas bien 2’’ vous ne comprenez pas la question : ou qu’est-ce que vous ne comprenez pas

On constate d’emblée que cette manière d’introduire le cours est très différente de la séquence observée dans le groupe de la première année qui consistait à guider les élèves à la découverte du thème du cours. Par ailleurs, l’introduction de la leçon se fait uniquement en français, sans aucun recours à une autre langue mais les élèves comprennent et l’un des élèves essaie de répondre en français malgré ses lacunes linguistiques. C’est cela que nous observons dans la partie suivante de l’extrait ci-dessus. Avant de fournir sa réponse, l’enseignant demande à l’élève de se présenter afin que les enquêteurs le connaissent: « tu t’appelles comment parce que ce sont des invités . xxx ils ne connaissent pas vos préNOMS » (en 3). Après s’être présenté, l’élève explique sa conception du subjonctif en 4.

La tentative de l’élève indique une tendance à expliciter les éléments grammaticaux. Bien que sa réponse soit peu compréhensible, l’élève fait l’effort de conceptualiser le terme de subjonctif. Comme sa réponse est incomplète, il fait un sourire et s’assied. Nous pensons, peut-être, que le sourire signale ici que le locuteur n’est pas satisfait ou n’est pas certain de sa réponse et qu’il exprime peut-être un certain embarras. La réaction de l’enseignant face à la réponse incomplète de l’élève est plutôt positive.

On voit dans les propos de l’enseignant (en 5) qu’il n’a pas donné de commentaires négatifs sur la réponse de l’élève mais il l’a apparemment approuvée malgré son incomplétude. Il est fort probable que l’enseignant agit ainsi en reconnaissance de l’audace de l’élève pour la prise de parole en français, chose rare chez la plupart des élèves du secondaire. Il encourage ensuite les autres élèves à prendre la parole pour donner leurs réponses. Cette attitude nous parait positive pour une classe de langue étrangère car il serait peu utile d’accorder trop d’attention à la correction grammaticale aux dépens de la pratique de la langue et de la participation des 250

élèves. Cela montre que, bien que l’enseignant traite un sujet de grammaire, il suit un mode communicatif.

On peut donc considérer que la première étape de la leçon consiste à définir et à expliquer la signification de la notion « subjonctif ». Dans la seconde étape, il est demandé aux élèves de fournir des exemples de phrases au subjonctif en commençant d’abord avec des phrases au présent de l’indicatif. Nous présentons ci-après quelques réponses des élèves.

Au 12, on voit un exemple de stratégie d’auto-correction. Après une réponse incorrecte (en 10), l’enseignant réagit par l’interjection « eeh / » avec une intonation montante pour signaler le problème. On voit ensuite que l’élève comprend la signification de l’intonation montante de l’interjection et s’auto-corrige « il vient ». Cette manière d’utiliser l’interjection semble être plus économique que l’expression plus longue que l’enseignant pourrait employer « votre réponse n’est pas correcte » ou autre.

Le tour 13 montre un exemple de transfert du rôle de l’enseignant aux élèves « il vient .. c’est vrai ou faux ». L’évaluation de la correction d’une réponse relève habituellement de l’enseignant mais on voit ici que ce rôle est transféré aux élèves par l’enseignant. Dans ce cas, les élèves acceptent d’assumer ce rôle en répondant « c’est vrai » (en 14). Ce transfert de rôle est une façon de vérifier si les autres élèves comprennent la forme correcte de l’indicatif du verbe « venir » à la troisième personne du singulier. Autrement dit, il les fait évaluer leur collègue pour se faire évaluer par l’enseignant.

Un autre aspect méritant notre attention se voit à la en 17 ci-dessus. La parole n’est pas toujours attribuée aux élèves qui lèvent la main pour demander la parole. L’enseignant peut décider d’accorder la parole à un élève qui n’a pas demandé la parole. C’est un fait qui n’est pas rare dans le contexte scolaire tanzanien. Plusieurs explications sont possibles. Il est fréquent qu’un élève puisse avoir une réponse et ne pas vouloir la fournir par peur de perdre la face. Ainsi, pour certains élèves, il ne faut pas fournir une réponse si on n’est pas sûr de sa correction. La simple timidité est une autre explication possible.

Accorder la parole à un élève qui ne l’a pas demandée peut également informer l’enseignant sur les difficultés que rencontrent ses élèves. Par exemple, il est possible que les élèves n’aient pas bien compris la question ou l’explication du concept ou un aspect linguistique traité. La question de l’enseignant en 21 montre que l’enseignant cherche à comprendre ce que l’élève désigné ne comprend pas. Il est aussi possible qu’un enseignant désigne un élève 251 qui ne demande pas la parole afin d’impliquer toute la classe dans le processus d’appropriation et dans la pratique de la langue.

Si nous poursuivons notre analyse de la séquence, on voit qu’après avoir donné quelques exemples de conjugaison des verbes au présent de l’indicatif, ils commencent à donner des exemples de phrases au subjonctif, que nous proposons d’analyser très brièvement dans l’extrait B00 : 15 :05 – 00 : 19 :30. La discussion se déroule autour du verbe « mourir ». Les élèves doivent conjuguer le verbe au subjonctif. 17 En est-ce que le verbe mourir comment est-ce que nous mettons au subjonctif 2’’ (écrit au tableau) le verbe mourir .. il a dit . nous ne sommes pas contents xxx ça oui mais comment on peut dire autrement . quel est le subjonctif du verbe mourir 18 E (lève la main) 19 En oui / 20 E meuse 21 EN meuse 22 E oui 23 En meuse 24 E (sourire) °Meuse° 25 En comment est-ce que tu peux écrire

(continuation de l’extrait)

37 En (sourire) alors . est-ce que vous êtes sûr . moi je ne suis pas sûr peut-être vous .. alors le ballon est à vous . vous connaissez qu’est-ce que c’est un ballon

(continuation de l’extrait)

39 En le ballon c’est ce qu’on joue au terrain de sport (fait semblant de jouer) on fait comme ça je peux dribbler : aussi je le prends ici à la poitrine 40 Es (rires) 41 En alors (gestes de mains) le ballon est à vous .. je vous passe le ballon .. (touche le verbe mourir) comment on peut mettre le verbe mourir au subjonctif

(continuation de l’extrait) 51 En meuse / .. vous connaissez ce que c’est si vous allez xxx ça devrait peut-être être comme (écrit au tableau) la mousse .. alors ça c’est pas .. je suis pas sûr encore . le ballon est à vous 52 Es (rires) 53 En la mousse c’est ce qu’on utilise (fait semblant de se raser) pour raser les barbes .. hein / . vous mettez un produit sur beaucoup de barbes . vous mettez ici ensuite vous mettez un rasoir un rasoir . ça c’est la mousse

Un élève propose la forme « meuse » (en 20). Comme l’enseignant n’a pas bien compris le mot, il demande à l’élève de l’épeler (en 25). Ici, l’épellation sert de stratégie d’intercompréhension. Sachant que la conjugaison n’est pas correcte, l’enseignant ne veut pas

252 explicitement désapprouver la réponse mais il signale qu’il n’est pas sûr de cette réponse afin de donner la parole aux autres élèves (en 37).

L’expression idiomatique « le ballon est à vous » conduit l’enseignant à sortir un peu du cadre pour en expliquer la signification en mimant les joueurs du football (en 39). Après être certain que les élèves ont bien saisi la signification de l’expression qu’il a expliquée de manière comique (provoquant des rires en 40), il la reprend pour la réutiliser dans le contexte et revient à la tâche de conjugaison du verbe « mourir » au subjonctif (en 41).

En attendant d’autres propositions de conjugaison, l’enseignant se met à commenter le mot « meuse » proposé par les élèves. Il propose le mot « mousse », ayant une orthographe proche de « meuse » (en 51). Il se met ensuite à expliquer la signification de « mousse » en se servant de la mimique (en 53).

La cloche sonne et la leçon doit s’arrêter avec la tâche d’explication et de formation des verbes au présent du subjonctif (extrait C 00 : 24 :51-00 :00 :26 :00) 1 En --- alors ça c’est le subjonctif .. (la cloche sonne)alors peut-être à la prochaine fois parce que nous n’avons pas assez de temps à terminer ce qu’on avait commencé peut-être à la dernière fois / .. ça c’est une continuation : / nous allons continuer la semaine prochaine

On peut conclure que la séquence que nous venons d’analyser est en gros basée sur une approche grammaticale car elle porte une étiquette grammaticale « subjonctif » et commence avec la définition de la notion « subjonctif » suivie d’explications et d’exemples en dehors de situation de communication dans une démarche déductive. Ceci n’est pas le cas avec le cours que le même enseignant a organisé avec les élèves de la première année qui tendait vers l’approche communicative. Cependant, on voit que le format d’échange est interactif, ce qui signifie que son cours n’est pas purement grammatical.

On voit également que, dans les deux cours, l’enseignant évite le recours aux autres langues, en favorisant soit des stratégies monolingues d’explication et d’exemplification, soit des stratégies non verbales de gestualité et de mimique. En effet, cet enseignant est parmi ceux qui, dans les questionnaires, se sont montrés contre l’utilisation des autres langues dans la classe de français et ses pratiques pédagogiques ne contredisent pas sa position. Par ailleurs, notre observation a révélé que, dans les deux cours, l’enseignant fait l’effort d’utiliser un format d’échange intéractif mais la parole reste dominée par lui. D’après nous, la raison

253 principale reside dans le fait qu’il se confine aux stratégies monolingues, nécessitant de longues explications de la part de l’enseignant. En outre, les élèves mettent beaucoup de temps pour comprendre et réagir aux exigences de la tâche. Dans la partie qui suit, nous analysons deux séquences filmées dans une autre école.

5.3.2.2 Malangali Boys’ Secondary School

Malangali Secondary School se trouve dans la région d’Iringa. Après notre arrivée, l’enseignante nous a informé que, dans cette école, la rentrée scolaire ne correspondait pas toujours à l’arrivée des élèves et nous avons été obligé d’attendre quelques jours afin d’avoir un nombre suffisant d’élèves pour effectuer notre enquête. Étant donné que c’était le début de l’année scolaire, nous avons eu l’occasion d’observer la toute première leçon et d’être témoin du premier contact avec la langue française. Nous soulignons que cette école fait partie des écoles dont aucun élève n’a été préalablement exposé au français. Dans ce qui suit, nous analysons une séquence pédagogique avec la première année. Nous pourrons ensuite analyser une séquence avec la quatrième année en la comparant avec la précédente.

Nous avons pu identifier principalement trois étapes dans la séquence, à savoir l’introduction du nom de la nouvelle langue et du thème autour duquel se déroulent les activités pédagogiques de la séquence, la lecture d’un dialogue et la mise en pratique du dialogue. Analysons l’Extrait A 00:00:00 – 00:02:11.

1 En (devant la salle de cours face aux élèves déjà installés. d’autres élèves arrivent encore et le mot « français » est au tableau noir) français 2 Es français 3 En (d’autres élèves arrivant, il y a du bruit dû aux mouvements des élèves) .. français 4 En français 5 Es (se tourne vers le tableau noir et écrit un mot au tableau noir puis face aux élèves) 2’’ français 6 Es français 7 En (se penchant vers les élèves) français 8 Es français 9 En FRA- 10 Es fra- 11 En FRA- 12 Es fra –

Pour introduire le nom de la nouvelle langue, l’enseignante prononce le mot « français » et les élèves répètent en vrac après l’enseignante. Cela continue jusqu’au tour 8 de l’extrait ci- dessus, après quoi (de 9 à 12) l’enseignante se focalise sur la prononciation de la syllabe

254 initiale du mot français (fra-). Nous pensons qu’elle fait ainsi pour habituer les élèves à la prononciation du phonème consonantique /ᴿ/, qui n’existe ni en swahili et ni en anglais et, probablement, dans la majorité des LCEs appartenant à la famille bantoue.

Dans l’extrait suivant, l’enseignante introduit le thème de la leçon « SE SALUER ».

21 En (l’enseignante se tourne vers le tableau et écrit les mots « SE SALUER » puis se tourne vers les élèves) SE saluer 20 Es (répètent ensemble) SE saluer En SE saluer 22 Es SE saluer 23 En 3’’ (bouge vers un élève pour le saluer en lui serrant la main) habari za leo / TRD bonjour 24 E (se serre la main avec l’enseignante mais ne répond pas à la salutation de cette dernière) 25 En (bouge vers un autre élève pour le saluer en lui serrant la main) goodmorning / 26 E (serre la main de l’enseignante sans répondre à sa salutation)

(continuation de l’extrait) 33 En (silence 4’’ l’enseignante fixant son regard sur les élèves puis sa main touchant les mots « SE SALUER » au tableau) mnajua se saluer / TRD avez-vous compris 34 Es (répondent ensemble) ndiyo TRD oui

La prononciation du verbe « se saluer » (en 21 et 22) est suivie de l’expression de sa signification. Une stratégie non verbale (mimique) associée à une stratégie bilingue impliquant les salutations en swahili (de 23 au 24) et puis en anglais (de 25 au 26) sont employées pour transmettre la signification du verbe qui constitue le thème. On voit que, dans les deux cas, les élèves se serrent la main avec l’enseignante mais ne répondent pas aux salutations en swahili ou en anglais, peut-être parce qu’ils savent que l’enseignante ne veut que démontrer le sens du verbe « se saluer ».

Après la répétition de la prononciation du mot « se saluer », l’enseignante se sert du swahili comme moyen de vérification de la compréhension (33 et 34). Les élèves répondent également en swahili pour indiquer qu’ils ont compris.

Ensuite, la prononciation par l’enseignante et la répétition par les élèves du même mot « se saluer » reprennent jusqu’à la fin du présent extrait (lignes 35-52).

255

La deuxième étape de la séquence est celle de la lecture d’un dialogue, et c’est l’étape préparatoire à la mise en pratique de la leçon. Analysons quelques tours dans l’extrait B00:04:01 – 00:08:20. 1 En (écrit un dialogue au tableau portant le titre « BONJOUR » entre le professeur et les form 1) usiandike (TRD : n’écrivez pa) (touche le mot professeur au tableau) professeur 2 Es professeur 3 En (efface et réécrit une partie du mot professeur) professeur 4 Es professeur 5 En professeur 6 Es professeur 7 En (se tourne vers les élèves) professeur .. (se touche la poitrine) moi je suis le professeur .. moi je suis le professeur .. je m’appelle madame Msovela donc je suis le professeur 2’’ professeur (se penche vers les élèves) sema (TRD : dites) professeur 8 Es professeur 9 En Professeur 10 Es Professeur 11 En Pro- 12 Es Pro- 13 En Pro- 14 Es Pro-

(continuation de l’extrait) 56 En (va au tableau et dessine deux images ; une femme et un homme) (écrit en dessous des deux images) alors voilà ici c’est monsieur / et ici c’est madame\ (montrant chacune des deux images) madame .. monsieur 3’’ (montrant sa main vers l’enquêteur) comme l’étranger ici . c’est monsieur .. (touche l’image d’une femme) ni mtu wa namna gani TRD c’est une personne de quel sexe 57 Es wa kike TRD une femme

Au tour 1, l’enseignante choisit de situer son dialogue dans un contexte de communication en classe de langue, entre le professeur et les élèves. Au même tour, elle s’appuie sur le swahili pour fournir une consigne; elle dit aux élèves de ne pas copier le dialogue (usiandike (TRD n’écrivez pa)). Après quelques lectures du mot « professeur », elle s’appuie sur le contexte physique de la classe pour expliquer sa signification (en 7). Elle fait référence à elle-même « --- (se touche la poitrine) moi je suis le professeur .. moi je suis le professeur --- ». On voit également un autre cas d’utilisation du swahili pour fournir une autre consigne «--- sema (TRD dites) professeur ». La prononciation du mot « professeur » se fait de façon répétitive (8-14) et l’accent est porté sur la syllabe contenant le phonème /R/ qui, nous l’avons dit plus haut, n’existe pas dans les langues connues des élèves. On voit ainsi que l’attention particulière est portée sur l’élément linguistique considéré comme le plus étrange.

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La lecture du dialogue se poursuit jusqu’au tour 56 où nous observons l’emploi des dessins pour montrer la distinction entre « monsieur » et « madame ». On fait également recours à un élément du contexte physique de la classe, l’enquêteur en l’occurrence « --- (montrant sa main vers l’enquêteur) comme l’étranger ici . c’est monsieur --- ». Cela montre qu’une fois dans la classe de langue, l’enquêteur participe de manière directe ou indirecte aux activités pédagogiques.

Après les exemples et les démonstrations, l’enseignante recourt au swahili pour vérifier la compréhension «--- ni mtu wa namna gani (TRD c’est une personne de quel sexe) » et les élèves donnent en swahili la réponse correcte « Wa kike (une femme) ». Ainsi, la vérification de la compréhension constitue un autre cas de recours à une autre langue.

L’extrait D 00:09:28-00:12:12 présente la troisième étape, à savoir la mise en pratique du dialogue. 1 En nahitataji watu wawili .. mmoja atakuwa professeur / mmoja atakuwa form one 3’’ hakuna watu wanaopenda kujaribu (TRD j’ai besoin de deux personnes .. l’un sera le professeur / l’autre sera form one 3’’ (En. Lève sa main droite) levez les mains .. levez les mains

2 Es (plusieurs élèves lèvent les mains) 3 En (elle en choisit deux et fait un geste de main pour les faire venir devant la classe) viens ici 4 En (prend le premier élève par la main) alors .. toi tu es professeur / (et prend l’autre élève par la main) form one .. eh / 5 E bonjour la classe 6 E bonjour monsieur E au revoir / 8 E aui ça va Es (rires) 10 En ça va / xxx

(continuation de l’extrait) 38 En très bien 4’’ (montrant une partie du groupe-classe par sa main) ce côté professeur (montrant une autre partie du groupe- classe de sa main) ce côté form one 2’’ eh /

Comme nous l’avons observé dans les étapes précédentes, les consignes pour la réalisation de cette tâche sont également fournies en swahili (en 1). Ensuite, l’enseignante associe une stratégie verbale à son énoncé en français en levant sa main et en disant « ---levez les mains .. levez les mains ---» pour montrer la signification de sa phrase. Elle attribue les rôles (en 4) et les deux élèves jouent le dialogue mais on voit en 7 que l’un des deux élèves oublie un tour du

257 dialogue et, au lieu de dire « ça va », il dit « au revoir » et son collègue répond « oui ça va » (en 8). Cela provoque des rires de la part des autres élèves et l’hétéro-correction par l’enseignante (en 10).

La pratique du dialogue en groupe de deux est suivie de la pratique par tout le groupe-classe; le côté droit et le côté gauche. Cette fois-ci, les consignes sont fournies uniquement en français et accompagnées des gestes correspondants (en 38). Cette étape se termine sans aucun blocage et sans aucune stratégie observable.

Nous pouvons avancer la conclusion que cette séquence est caractérisée par des pratiques qui tendent vers une approche communicative. On voit par ailleurs une variété de stratégies, à savoir le recours aux autres langues, les gestes, la mimique, le contexte physique de la classe et les dessins. Cependant, les stratégies plurilingues, particulièrement le recours au swahili, occupent une place plus importante. Nous avons également constaté que les autres langues interviennent en général pour fournir les consignes ou vérifier la compréhension. On voit également un cas d’utilisation d’expressions comme « form one » qui existent seulement en anglais. De telles expressions obligent l’utilisation de l’anglais, du fait d’être liées à la culture éducative anglophone. Nous proposons maintenant de présenter et d’analyser la séquence que la même enseignante nous a autorisé à observer et à filmer avec le groupe de quatrième.

La séquence pédagogique avec les élèves de quatrième année était la première de la nouvelle année scolaire. Nous commençons notre analyse avec l’extrait A 00:00:00-00:10:14. 3 En deux mille / 4 E dix 5 En (écrit au tableau) deux mille DIX . très bien 2’’ (s’approche des élèves du premier rang) alors qu’est-ce que vous avez fait pendant les vacances .. qu’est-ce que vous avez fait pendant les vacances 2’’ vous étiez peut-être à dodoma . à mbeya pendant les vacances . qu’est-ce que vous avez fait 2’’ (marche devant la classe) peut-être vous avez fait quelque chose xxx (s’approche d’un élève) KK ulifanya nini likizo TRD KK qu’est-ce que tu a fait pendant les vacances 6 E °nilikuwa nasoma° 7 TRD °je faisais des cours° 8 En ulikuwa unasoma / TRD tu faisais des cours / 8 E ndiyo TRD oui 9 En tuition 10 E ndiyo TRD oui En on appelle les cours privés . les cours / les cours privés .. l’autre / 2’’ (s’approche d’un autre élève) où vous avez passé les vacances .. mbeya Dar es Salaam

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On observe déjà une stratégie de communication qui consiste à varier l’intonation pour transmettre une signification. En écrivant la date au tableau, l’enseignante prononce « deux mille / » (en 3) avec une intonation montante pour signifier l’incomplétude de son énoncé et pour demander la complétion par les élèves. Les élèves parviennent facilement à interpréter son intention communicative et complètent l’expression (en 4). Il faut préciser que cette stratégie n’intervient pas pour résoudre un problème ou un blocage de communication, mais constitue la volonté d’impliquer les élèves en mettant en place une situation de co- énonciation.

Comme il s’agit de la rentrée scolaire, l’enseignante choisit de démarrer avec une question portant sur les différentes activités qu’ont faites les élèves pendant les vacances « --- alors qu’est-ce que vous avez fait pendant les vacances .. --- ».Comme aucun élève ne signale vouloir répondre à la question, l’enseignante s’approche d’un élève en particulier « ---(s’approche d’un élève) KK ulifanya nini likizo (TRD KK qu’est-ce que tu as fait pendant les vacances) ». Il y a donc un passage de l’interaction de type « enseignante – groupe » à « enseignante-élève ». C’est le second type qui est plus exigeant pour le sujet qui doit répondre à la question. L’enseignante pense que la non-réponse des élèves découle de l’incompréhension ou d’un blocage linguistique et décide de s’appuyer sur le swahili mais l’élève ne peut pas fournir la réponse en français et le fait en swahili (en 6).

L’échange se déroule en swahili jusqu’au point où l’enseignante décide de proposer le mot anglais « tuition » (en 9) avant de le traduire en français (en 11) « on appelle les cours privés . les cours / les cours privés .. ». La traduction est ici employée comme stratégie d’enseignement et non de communication.

Le recours au swahili est également observable dans l’extrait ci-dessous. 17 En alors qu’est-ce que vous avez fait 2’’ vous avez chanté / peut- être visiter les amis faire des cours privés .. alors qu’est-ce que vous fait . aider les parents .. qu’est-ce que vous avez fait . Jafari . qu’est-ce que vous fait pendant les vacances .. vous avez resté sans faire quelque chose / . ulifanya nini kule . TRD qu’est-ce que tu faisais là-bas 18 E nilikuwa nasoma TRD je faisais des cours ou je lisais 19 En en français kusoma kunaitwaje eeh / TRD c’est quoi lire en français eeh / 20 E °Lire° 21 En lire .. au passé composé C’EST/ 22 E je 23 En j’ai lu j’ai lu

259

24 E j’ai lu

L’enseignante désigne un autre élève, mais lui pose la question en swahili après l’avoir posée en français sans aucune réaction de la part de l’élève. L’élève répond également en swahili (en 18) et l’enseignante demande au même élève de fournir la traduction du mot swahili « kusoma » (en 19). Un élève répond à basse voix °Lire° (en 20), peut-être pour signaler l’incertitude de sa réponse. Pour approuver la réponse et peut-être donner de la certitude à l’élève, l’enseignante répète la réponse à voix haute (en 21) et demande à l’élève de mettre sa réponse au passé. L’élève initialise la réponse (en 22), mais c’est l’enseignante qui la complète (en 23) et la réponse complète est reprise par l’élève (en 24). La traduction est ici, comme dans la partie précédente, employée comme stratégie pédagogique. La traduction correcte du mot « kusoma » fournie par l’élève implique que celui-ci a rencontré un problème au niveau de la construction de la phrase et dans la mise au passé.

On peut ainsi dire que la première étape de la séquence est principalement centrée sur le contenu communicatif mais on voit également une focalisation sur la langue. Cela consiste à faire revenir les élèves à la langue après quelques mois de non-contact avec elle.

La seconde étape de la séquence consiste à introduire le thème grammatical qu’ils vont traiter, la comparaison. 25 En --- comparaison (d’autres élèves arrivent) .. entrez .. qu’est- ce que une comparaison .. (marche devant la salle) par exemple . je peux dire JM a : dix-sept ans .. JM a : dix- sept ans 2’’ XH a dix-sept ans .. XH a dix-sept ans .. comparaison comparaison .. je peux dire moi je parle français .. (montre au chercheur) ce monsieur là parle français .. comparaison .. okay / okay/ . comparaison (écrit au tableau) exemples .. Saja a sept professeurs .. Itengule a sept professeurs .. je peux résumer que 2’’ c’est le premier exemple (marche vers les élèves) est-ce que c’est compris 26 Es °oui° 27 En mmeelewa kidogo / . mmeelewa kidogo / .. tunafanyeje (gestes de comparaison) TRD avez-vous compris un peu / . avez-vous compris un peu / .. qu’est-ce qu’on est entrain de faire 28 Es kulinganisha TRD comparer

(continuation de l’extrait)

34 E mwalimu TRD maîtresse / professeur 35 En oui / 36 E naomba niseme kwa kiswahili TRD puis-je parler en swahili 37 En oui /

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38 E hivi ukisema Saja et : yaani nikimaanisha saja na itengule a autant de professeurs halafu ukaweka nukta ukaishia hapo TRD si je dis Saja et : je veux dire Saja et Itengule a autant de professeurs et puis je mets un point pour m’arrêter là

L’enseignante commence avec des exemples pour illustrer la signification de la notion. Les exemples et les explications sont fournis uniquement en français (en 25) et l’enseignante demande aux élèves s’ils les ont compris. Vu que ces derniers répondent avec incertitude (en 26), elle décide de recourir au swahili comme stratégie de vérification de la compréhension (en 27). Les élèves répondent en swahili mais, cette fois-ci, avec plus de certitude (en 28).

L’explication de la notion de comparaison est suivie d’exemples de phrases l’illustrant. Les exemples sont d’abord donnés par l’enseignante puis elle demande aux élèves de donner des exemples. De 34 à 38, on voit un exemple du recours au swahili après une demande d’autorisation adressée à l’enseignante par un élève qui ne pouvait pas poser sa question en français. Cependant, on voit que l’élève fait cette demande en swahili, ce qui signifie que le recours au swahili pendant un cours de français n’est pas strictement interdit mais que ce n’est pas une pratique « normale »;il faut en demander l’autorisation. Par contre, l’enseignante donne son autorisation en français (en 37). Ici, le passage à une autre langue par l’élève est balisé alors que l’enseignante le fait sans balisage. Cela signifie que l’appui sur une autre est une pratique habituelle, se faisant sans balisage, lorsqu’il est initié par l’enseignante et peu habituelle quand c’est l’élève qui veut l’initier.

L’application des règles relatives aux différentes formes de comparaison continue et les élèves doivent continuer à fournir des exemples (extrait B 00:15:36-00-00:19:37 ci-dessous).

1 En préparez votre exemple . préparez votre exemple 2’’ (écrit au tableau) sasa hivi natoa mfano wangu jibu mnalitoa ninyi .. naandika majibu mafupi TRD maintenant je vais donner mon exemple et c’est à vous de donner la réponse .. j’écris de courtes réponses (continue à écrire au tableau) eheeh / comment on peut écrire la réponse ici \ commencez avec JM . commencez avec JM 2 E (lève la main) 3 En eheeh / JM 4 E (se lève pour répondre) a quatre cahiers que Juma 5 En commencez avec (touche le mot « Juma » au tableau) qui oui avec RD . RD / 6 E

(continuation de l’extrait) 17 En très bien 2’’ safi kabisa .. naona tumeanza kuelewa sasa kama mambo yanakwenda namna gani 2’’

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(TRD très bien .. je vois que vous avez commencé à comprendre comment ça marche) si on commençait avec juma . on peut dire / si on commencait avec juma on peut dire (efface une phrase au tableau) .. on peut dire JM a : moins . JM a : moins de cahiers que / que /

Dans la première partie (en 1) ci-dessus, on voit que l’enseignante fournit les consignes en français et en swahili pour s’assurer de la compréhension. C’est la troisième étape qui consiste à mettre en pratique les règles de la comparaison; les élèves doivent construire et produire leurs propres phrases en s’appuyant sur les exemples fournis par l’enseignante. Le premier élève parvient à produire une phrase correcte (en 6) après l’échec de sa première tentative (en 4).

Un autre cas de recours au swahili se voit en 17 ci-dessus. Cela concerne l’évaluation des réponses des élèves, par laquelle l’enseignante exprime son approbation ou sa désapprobation et donne des commentaires sur la maîtrise ou la non-maîtrise des règles et des concepts traités.

Jusqu’à ce point, on voit cinq cas principaux de recours au swahili, à savoir pour fournir des consignes, pour vérifier la compréhension, pour poser une question (cas qui concerne les élèves) et pour expliquer un concept grammatical, notamment quand les explications en français n’aboutissent pas à la compréhension du concept et pour évaluer les réponses des élèves.

Complétons notre analyse avec l’extrait C 00:24:32 – 00:27:00, où on observe encore des stratégies pédagogiques bi-plurilingues. 1 En (écrit au tableau la phrase « au village il n’y a pas….boutiques …en ville) eheeh/ hapa ungesemaje .. TRD comment pourriez-vous dire cela (touche le mot ville au tableau) en ville ni nini TRD c’est quoi en ville 2 Es mji TRD ville 3 En (touche le mot « village » au tableau) au village / 4 Es kijiji TRD village 5 En wapi kunakuwa na maduka masoko . zile sehemu za kununua .. wapi .. ukienda pale uhindini na ukija hapa mwilavila utasemaje en français TRD où est-ce qu’il y a plus de boutiques . les endroits où on peut acheter .. où .. si vous allez à la rue indienne ou si vous venez ici à Mwilavila en français

L’enseignante demande directement aux élèves de traduire les mots « ville » (en 1) et « village » (en 3) contenus dans sa phrase. Les élèves fournissent les équivalents recherchés. Il

262 est fort probable que l’enseignante a posé une telle question en pensant que ces mots sont inconnus pour certains de ses élèves.

Après la traduction des deux mots, l’enseignante pose une question en swahili pour demander aux élèves de désigner l’endroit qui a plus de boutiques que l’autre. Bien qu’elle pose sa question en swahili, elle demande aux élèves de fournir la réponse en français « --- en français » (en 5). Il se peut que l’enseignante prévoie un problème d’intercompréhension si la question était posée en français mais nous avons vu précédemment que, dans tous les cas où l’enseignante pose une question en swahili, les élèves fournissent également leurs réponses en swahili. C’est pour cette raison qu’elle leur dit explicitement qu’ils doivent répondre en français.

De manière générale, et contrairement à la séquence avec le groupe de première année, celle- ci est dominée par des pratiques basées sur l’approche traditionnelle de grammaire-traduction portant un thème grammatical, la comparaison. On constate tout de même l’utilisation du contexte physique de la classe et du contexte social. Par conséquent, le discours métalinguistique est plus dominant. On voit par ailleurs que l’interaction se déroule très souvent en swahili, ceci s’explique peut-être par le faible niveau en français chez les élèves.

Une chose intéressante repose sur le fait que l’appui sur l’anglais, médium de scolarisation, est très peu présent malgré la politique en sa faveur, ceci d’autant plus avec des élèves de quatrième année qui sont censés pouvoir communiquer dans cette langue. C’est peut-être une préférence linguistique de l’enseignante. Cela exprime également une certaine liberté dans les choix de langue en classe de français.

5.3.2.3 Loyola Secondary School

Dans cette école, notre observation a commencé avec le groupe de première année. Le cours portait le titre « Se présenter et présenter sa famille » à l’adresse des élèves de première année. Nous avons constaté que le groupe était un peu hétérogène en ce qui concerne l’exposition à la langue française car il y avait certains élèves qui avaient fait quelques cours de français au niveau primaire, alors que la majorité n’avait eu aucun contact avec la langue avant le secondaire.

Avant le cours, l’enseignant a écrit au tableau noir un texte sur « Se présenter et présenter sa famille ». Analysons l’extrait A 00:00:00 – 00:05:08 ci-dessus. 1 En yes \ you have a question /

263

2 E « no / 3 En (marche à réculons vers le tableau et puis regarde au tableau) okay .. now we are going to to aah 4 E (un élève lève la main) 5 EN yes \ (marche vers l’élève) 6 E what is the meaning of quel âge a-t-il 7 EN quel âge a-t-il / 8 E yes \ 9 En (se tourne vers les autres élèves) quel âge a-t-IL /.. what do we mean quel âge a-t-il 10 Es (plusieurs élèves lèvent les mains) 11 En (désigne un élève de la main) yes 12 E °how old are you° 13 En (se penche de plus près vers l’élève) aah / 14 E how old are you En (se lève pour regarder les autres élèves) aah / quel âge a-T-IL / . quel âge as-tu \ (marche vers le tableau noir et touche les phrases respectives) est-ce que c’est quel âge a-T-IL / ou quel âge as-tu : \

L’enseignant decide d’introduire la leçon en répondant aux questions des élèves. L’interaction est déclenchée par la question du professeur au premier tour de l’extrait «yes \ you have a question /». Un élève répond « no / » (en 2). Ainsi, c’est en anglais que débute la communication. Nous n’avons pas pu savoir si l’enseignant pensait que les élèves ne pourraient pas comprendre la question en français ou si c’est une habitude.

On voit que la communication se poursuit en anglais, comme s’il était normal d’aborder le français à travers cette langue. En 6, l’élève pose une question à laquelle l’enseignant ne veut pas répondre lui-même. Il demande aux autres élèves de fournir la réponse, peut-être parcequ’il sait qu’il y a des élèves avec quelques notions en français. Un élève donne une réponse incertaine et il parle doucement mais l’enseignant lui demande de parler plus fort par un simple « aah / » (en 13), juste une interjection avec une intonation montante. L’élève comprend qu’il faut répéter plus fort. La réponse de l’élève n’étant pas correcte, l’enseignant se tourne vers les autres élèves et pose une autre question de clarification au tour 15. Un élève fournit la réponse correcte et il passe à la deuxième étape de la leçon, qui est la lecture du texte sur la présentation.

La seconde étape consiste à lire le texte au tableau noir. Analysons les tours suivants. 19 En how old is he \ (marche vers le tableau noir) xxx on va on va voir la PREsentation de la famille (se tourne vers les élèves) how : do we introduce our family (la main droite montre le tableau) .. this is just un example xxx (movements des mains) we will read it all together .. to see : how do we introduce our family and later on . you will have to introduce your own family .. xxx because we have to write everything .. how how aah do you do you introduce your family particularly starting by your name / age / place / 3’’ where do you stay / (se

264

tourne vers les élèves, sa main montre le tableau noir) CLAsse . présentation de la famille

20 Es présentation de la famille 21 En (marche vers les élèves) it means / introduction of family 3’’ okay /

(continuation de l’extrait) 25 En (marchant à reculons) JE m’appelle Suzette. 26 Es jE m’appelle Suzette 27 En jE m’appelle Suzette 28 Es je suis tanzanienne 29 En j’habite à Dar es Salaam 30 Es j’habite à Dar es Salaam

L’enseignant fournit des consignes en anglais (en 19) pour expliquer comment ils vont procéder avec l’activité pédagogique, à savoir la lecture du texte au tableau qui sert de modèle de présentation d’une famille et puis la présentation de la famille par chaque élève.

La lecture du texte procède sous forme de lecture par l’enseignant et répétition en vrac par les élèves. Il commence d’abord à lire le titre. Après la répétition par les élèves, il donne une traduction du titre en anglais (en 21). Ensuite, la lecture par l’enseignant et la répétition par les élèves se poursuivent sans traduction en anglais (à partir de 25).

La même tâche continue jusqu’à la fin du texte. C’est une tâche qui est essentiellement conçue pour entrainer les élèves à la prononciation. Il n’y a pas de cas observables qui montrent que les élèves acquièrent autre chose que la prononciation des mots français. Il est possible que certains élèves puissent comprendre une partie du texte à travers la transparence interlinguistique entre le français et l’anglais. Il est par exemple facile pour un élève qui a quelques connaissances en anglais de comprendre que le mot « tanzanienne » (en 28) renvoie à la nationalité.

La lecture du texte est suivie de l’étape de traduction du texte en anglais par les élèves. (Extrait B 00:17:30 – 00:20:19) 1 En (touche la phrase au tableau noir) je m’appelle Suzette . what does it mean 2 Es my name is Suzette 3 En very good very good (montrant la deuxième phrase) je suis tanzanienne 4 Es i am tanzanian En °je suis tanzanien° j’habite à Dar es Salaam 6 Es i live in Dar es Salaam

(continuation de l’extrait)

9 En maintenant j’ai quinze ans 265

10 Es (ils ne traduisent pas le mot « maintenant ») I am fifteen years old 11 En (désigne un élève de la main) répète / maintenant j’ai quinze ans 12 E (se lève pour répondre) now . i am fifteen years old

Dans les tours ci-dessus, l’enseignant lit le texte en français et les élèves le traduisent en anglais à l’aide des différents indices, notamment la transparence interlinguistique des mots et le contexte phrastique. Lorsqu’il y a un ou deux mots connus, les élèves peuvent parvenir au sens des autres mots.

La tâche se poursuit normalement jusqu’au point où les élèves rencontrent un blocage, en 10. Les élèves ne parviennent pas à traduire le mot « maintenant ». Ils évitent le mot, mais ils traduisent le reste de la phrase. L’enseignant intervient au 11 en répétant la même phrase et en désignant un élève pour répondre. L’élève réussit à répondre correctement, peut-être parce qu’il connaît le mot, et la tâche se poursuit (en 12).

Un autre problème se produit au premier tour de l’extrait C 00:22:08-00:24:01 ci-dessous: 1 En (continuation de la traduction par les élèves) ils travaillent .. là il y a des problèmes .. ils travaillent toujours au champ 2 Es they are travellers 3 E they are working [at the farm 4 E they are travelling ] 5 En (désigne de la main un élève qui a donné une réponse correcte) 6 E they are working 7 En yes . they are working where 8 E °in the farm° 9 En (marche vers le tableau) yeah . you got it .. FARM 3’’ Did you know it before (écrit au tableau noir)

10 E yes

Il est intéressant que l’enseignant puisse prévoir un problème avant que le blocage ne se produise (en 1) « --- ils travaillent .. là il y a des problèmes .. ils travaillent toujours au champ ». Cela signifie que l’enseignant connait le niveau linguistique de ses élèves. Malgré le fait que certains des élèves aient été exposés à la langue au primaire, l’enseignant trouve que le contenu lexical de la phrase ne correspond pas aux moyens linguistiques de ses élèves, fait qui peut rendre difficile la tâche de traduction.

On voit d’abord que les élèves traduisent spontanément la phrase « --- ils travaillent toujours au champ » par « they are travellers » (en 2). Cette erreur signifie que les élèves exploitent la transparence interlinguistique pour

266 parvenir au sens du mot en anglais. Ainsi, le mot « travaillent » est, pour eux, lié au mot anglais « travel », qui veut dire « voyager ». Au tour 3, un élève donne une réponse partielle, mais correcte et puis un autre interrompt en 4 pour donner une autre réponse, incorrecte toujours, en utilisant le verbe « travel ».

L’enseignant revient à l’élève qui a fourni une traduction partielle, mais correcte. Il lui demande de compléter sa réponse. L’élève répond doucement «°in the farm°» (en 8). Il est difficile de comprendre comment l’élève a pu parvenir au sens du mot « champ », mais il est possible qu’il ait établi des similitudes avec le mot swahili « shamba ». Cependant, l’enseignant est surpris par la réponse de l’élève parce qu’il ne s’y attendait pas. C’est pourquoi il lui demande (en 9) s’il connaissait le mot avant et l’élève répond par l’affirmative. C’est pour cela qu’il devient extrêmement important de bien connaitre le groupe apprenant une langue étrangère et son hétérogénéité pour ne pas généraliser son niveau de langue afin de prendre en compte les besoins individuels.

Un autre problème repose sur la traduction de l’expression “tous les jours” (en 13) dans la suite de l’extrait ci-dessus. 13 En (s’éloigne un peu du tableau) Tous les jours / .. tous les jours/ 4’’ can somebody guess .. tous les jours / 14 Es (bruits) xxx 15 E this is the end 16 En tous les jours / 17 E xxx 18 E very much 19 Es (bruits et rires) 20 En (marche vers le fond de la classe) tous les jours . tous les jours 21 E thank you 22 E everybody 24 En (marche vers le tableau noir) everyday .. tous les jours / 24 Es everyday

L’enseignant demande si quelqu’un peut deviner le sens de l’expression « tous les jours ». Les élèves n’ont pas de réponse directe mais ils font plusieurs tentatives infructueuses. Un élève propose « this is the end » (en 15). Nous pensons que cette proposition est basée sur le fait que l’expression est à la fin du texte. C’est dire que les élèves se servent non seulement du contexte phrastique mais également du contexte extra phrastique pour parvenir au sens du mot. La base de la proposition «very much» (en 18) est difficile à expliquer. Quant à la proposition «thank you» (en 21), elle semble partager l’explication que nous avons avancée pour celle du 15 car, lorsque les élèves tanzaniens se présentent, ils concluent

267 souvent avec un « merci ». Cela semble être une caractéristique d’un répertoire pluriculturel. La proposition « everybody » (en 22) semble être basée sur la connaissance du mot « tous ». Ainsi, l’élève tente peut-être de trouver une traduction qui peut être liée à ce mot.

Après la phase de traduction du texte, la phase suivante consiste en la mise en pratique de la leçon dans laquelle les élèves doivent individuellement se présenter et présenter leurs familles (l’extrait D 00:24:08-00:26:00). 1 En (movement devant la classe) now . can somebody try to introduce his or her family 2 Es (bruits et rires) aah uuh iih En xxx you start by introducing yourself / 4 E (un seul élève lève la main) Es xxx 6 E (une deuxième élève lève la main) En (désigne la deuxième élève de la main) yes 8 Es (rires)

La tâche commence par les consignes de l’enseignant (en 1), qu’il fournit en anglais peut-être pour s’assurer que tout le monde comprenne l’essentiel de la tâche. La réaction des élèves est celle de la gêne (en 2).

Dans l’extrait E 00:26:52-00:28:32 (partiellement présenté ci-dessus), qui constitue la continuité de l’étape de pratique de la leçon, nous observons l’emploi d’un certain nombre de stratégies. 1 E ma mon fréré sont BN 2 En eh / 3 E BN a (prononçant toutes les lettres distinctement) dix-sept 4 En dix-sept ans 5 E dix-sept ans 6 En oui / 7 E il est un élève de : l’école secondary de Eagles

(continuation de l’extrait) 17 E elle est °a nurse° 18 En infirmière 19 E (mouvement des lèvres sans rien prononcer) 20 En (va écrire le mot au tableau et sa traduction en anglais) infirmière 21 E elle est infirmière (elle ne peut plus continuer son discours)

La stratégie d’auto-correction est employée par l’élève au tour 1, « ma mon fréré sont BN ». Ici, l’élève commence avec un pronom possessif dont le genre ne s’accorde pas avec le nom masculin « fréré », qui est par ailleurs prononcé avec deux syllabes en mettant l’accent sur la dernière. Il se rend compte de l’erreur et se corrige immédiatement en mettant un pronom masculin « mon ». Nous constatons cependant que la prononciation incorrecte du mot 268

« frère » et le problème d’accord sujet – verbe, à savoir l’emploi de « sont » (3e personne pluriel) au lieu de « est » (3e personne singulier), ne sont corrigés ni par l’élève ni par l’enseignant. La non-correction de la part l’élève repose fort probablement sur la non- reconnaissance de ses erreurs. Il n’en est simplement pas conscient. Quant à l’absence de l’hétéro-correction par l’enseignant, elleest probablement voulue.

Les erreurs ne bloquent pas l’intercompréhension et, comme les règles de prononciation et de conjugaison n’ont pas encore été abordées par l’enseignant, peut-être qu’il ne veut pas interrompre le discours de l’élève pour des erreurs qui n’affectent pas l’intercompréhension. De ce fait, la poursuite de la tâche communicative, à savoir la présentation de soi et de sa famille, occupe la place centrale, alors que la correction grammaticale n’occupe qu’une place périphérique. On voit donc que l’enseignant ne fait qu’encourager l’élève à poursuivre la communication (en 2).

Le tour 7 ci-dessus montre un cas d’appui sur l’anglais par l’élève. Ne sachant pas comment dire le mot « secondary » en français, il le fait en anglais « l’école secondary de Eagles ». Par ailleurs, l’enseignant ne propose pas de forme correcte et l’élève poursuit son discours. Si l’enseignant n’autorisait pas l’appui sur une autre langue, l’élève serait bloqué pendant un moment pour rechercher le bon mot. La même stratégie se voit en 17.

On voit que l’élève se sert d’un mot anglais à voix basse peut-être parce qu’il sait que ce n’est pas légitime. L’utilisation du terme anglais devient une façon de solliciter l’équivalence française de la part de l’enseignant. L’enseignant propose le mot « infirmière », qui devient difficile à prononcer pour l’élève jusqu’à ce que l’enseignant répète la prononciation du mot. Dans ce cas, si l’élève n’avait pas eu recours à un mot anglais, l’enseignant ne l’aurait pas aidé dans sa recherche lexicale puisqu’il aurait été difficile de deviner la profession de la mère de l’élève.

Une autre stratégie consiste à compter sur la gestualité. Analysons quelques lignes de l’extrait F 00:28:40-00 :32:10: 20 En donc il y a votre famille dans ta famille il y a / combien de membres xxx 21 E il y a (comptant silencieusement les doigts de sa main) 22 En (voyant le nombre de doigts que compte E) quatre membres

269

Le tour 21 montre que l’élève ne peut pas dire le nombre (« quatre » dans ce cas) de membres de sa famille en français. Il s’appuie sur la gestualité en comptant et en montrant à l’enseignant le nombre de doigts correspondant au nombre des membres de sa famille. C’est ce dernier qui propose le nombre « quatre » en français. Ainsi, l’élève produit du gestuel, alors que l’enseignant verbalise le geste de l’élève.

Pour conclure notre observation, nous pouvons dire que la séquence pédagogique que nous avons filmée avec les élèves de première de l’Ecole Secondaire de Loyola est organisée selon trois grandes étapes, à savoir la lecture du texte au tableau par l’enseignant et les élèves, la traduction par les élèves et la présentation de soi et de sa famille à l’aide du modèle fourni par l’enseignant.

On voit notamment dans les deux premières étapes que l’anglais est employé comme outil d’appropriation du français. L’appui sur cette langue se fait presque systématiquement, même dans les cas d’absence de problème de communication. On parlera d’un appui non stratégique sur une autre langue. L’enseignant comme les élèves s’appuient librement sur l’anglais même si l’emploi des stratégies non verbales occupe également une place significative. Il est par ailleurs utile de souligner que le swahili est totalement absent dans la séquence malgré la présence d’un nombre important d’élèves ressortissants des SMPS. C’est un phénomène que nous avons tenté d’expliquer dans les sections précédentes.

Le rôle de la proximité linguistique entre le français et l’anglais n’est pas à sous-estimer et se voit très nettement dans la réalisation de la tâche de traduction. La reconnaissance de mots individuels suivie de l’interprétation de toute une phrase constitue une stratégie particulièrement utile d’accès au sens en FLE. La proximité linguistique sert de pointd’entrée en LE et a l’avantage de réduire l’étrangeté de la langue en appropriation.

Du point de vue méthodologique, la séquence est fondée sur l’approche communicative et la leçon est particulièrement interactive. On voit par ailleurs que la didactique du plurilinguisme est exploitée sous forme d’alternance codique et d’intercompréhension entre l’anglais et le français. Nous avons vu que les élèves parvenaient à traduire un texte en anglais en se basant sur sa proximité avec le français. En effet, les pratiques pédagogiques de l’enseignant convergent avec sa position sur l’utilisation des autres langues exprimée lors de l’entretien. Il a fait valoir que les approches directes n’étaient pas efficaces au début d’apprentissage et

270 qu’elles étaient susceptibles de décourager les élèves et de freiner le processus d’apprentissage.

Nous avons également pu observer une autre séquence pédagogique avec le même enseignant, mais avec un groupe de quatrième année de la même école. Pour commencer, nous analysons l’extrait A 00:00:00-00:09:32. 1 Es (certains assis, les autres arrivent ) 2 En (entre dans la salle, prend un chiffon et efface le tableau noir) 3 E (marche devant la classe pour aider En d’effacer le tableau) 4 En (donnant le chiffon à l’élève) °thank you° xxx (écrit le mot « passé composé » au tableau avec une craie) 5 E (retourne à sa place après avoir fini d’effacer le tableau) 6 En (s’adressant au chercheur) (il y a ?) des personnes qui manquent 7 EQT ils sont combien normalement / 8 En °il y a huit°

(continuation de l’extrait)

16 En (marche devant la salle) alors / on va commencer / 3’’ aujourd’hui . on va étudier le passé composé 3’’ 2’’ quand on dit l’action définitive . c'est-à-dire normalement xxx est accompli .. le xxx est accompli 3’’ en anglais . passé composé / .. passé composé / est traité comme present perfect tense and simple past tense .. en anglais 2’’ ça va /

(continuation de l’extrait) 18 En alors .. quand on parle de passé composé . il y a deux verbes auxiliaires qu’on utilise en français (marche vers un élève et le désigne de la main) le premier / 19 E (verbe ?) avoir 20 En (marche vers un autre élève et le désigne de la main) le deuxième / 21 E °être°

23 E °je suis° 24 En écrit au tableau) je suis/ eh / 25 E °tu es° 26 En (écrit au tableau) tu es / eh 27 E °il est° 28 En (écrit au tableau) il ou elle est / .. nous / 29 E °nous sommes° 30 En (écrit au tableau) nous sommes .. (se tourne vers la classe) eh / 31 E °vous êtes°

(continuation de l’extrait)

34 En (écrit au tableau) Les verbes de mouvement (se tourne vers la

271

classe) ça va les verbes de mouvement (marche devant la classe) alors / quand je suis venu ici pour la première fois l’année dernière .. je vous ai donné / je vous ai donné comme la formulaire pour trouver des verbes de mouvement .. qu’est-ce que xxx (écrit la formule au tableau et les élèves font la liste de verbes à l’aide de la formule) MR AND MRS xxx (M pour monter, R pour rentrer, A pour aller, N pour naitre, D pour descendre, M pour mourir, R pour rester, S pour sortir, etc.) - -- ça ce sont des . des verbes de mouvement .. des verbes de mouvement ..

Après avoir mis au tableau noir le thème de la leçon « passé composé » (en 4), l’enseignant a spontanément expliqué à l’enquêteur qu’il y avait des élèves qui manquaient (en 6), car le groupe-classe est normalement constitué de huit élèves (en 7) et il y avait seulement six élèves. On voit que l’enseignant remercie l’élève en anglais (en 4). Cela est peut-être un simple choix et il est improbable que l’élève ne comprenne pas le mot français « merci ».

Les activités du cours s’articulent autour du thème « passé composé », et dans son introduction, l’enseignant annonce le thème du cours. Ensuite, il se met à définir le passé composé (--- c’est le temps qui explique ou qui montre l’action définitive ---) et à donner les temps correspondants en anglais (--- en anglais . passé composé / .. passé composé / est traité comme present perfect tense and simple past tense ---), ce qui relève d’une approche d’analyse contrastive dans le traitement de la grammaire. Ici, l’anglais intervient comme langue citée pour une réflexion métalinguistique. Comme on peut le voir, l’introduction d’une leçon par une explication conceptuelle des aspects grammaticaux présente une caractéristique typique de l’approche grammaticale.

L’explication du terme de passé composé est suivie d’une étape où l’enseignant montre aux élèves progressivement la formation de ce temps. L’explication commençe avec les verbes auxiliaires « être » et « avoir » (en 18), dont la conjugaison au présent avait déjà été traitée préalablement. C’est pourquoi les élèves sont capables non seulement de mentionnerces verbes mais également de les conjuguer au présent (23-31). L’enseignant s’assure que le fondement est bien posé en impliquant les élèves eux-mêmes dans le processus. Ensuite, il poursuit son explication de la formation du passé composé avec les verbes de mouvement, auxquels les élèves sont déjà exposés depuis l’année précédente à l’aide d’une formule « MR AND MRS » que l’enseignant reprend à titre de rappel. On voit donc ici une stratégie de mémorisation consistant à créer une formule pour retenir des éléments linguistiques appartenant à une même catégorie. Par ailleurs, la formule est en anglais peut-être pour en faciliter la rétention.

272

Poursuivons notre analyse avec l’Extrait B 00:11:53–00:21:42 ci-dessous. 1 En eheih / comment on transforme monter / .. comment on va changer monter / (écrit au tableau) xxx (épelant le verbe) monte 2’’ et puis / (touche la dernière lettre du verbe et met l’accent aigu) .. entrer / .. xxx les verbes qui se terminent en er . normalement on mis / on met e et puis accent aigu .. par exemple rentré (écrit au tableau) . allé, naitre 2 Es né 3 En descendre / 4 Es descendu \ 5 En touche la liste des mots conjugués au participe passé) C’est ça qu’on appelle les participes passés .. ce type de forme . ce type de transformation / . c’est ça qu’on appelle participe passé .. (touche la liste des mots) c’est ça . c’est pas ça. Ça c’est l’infinitif et ça c’est participe passé (touche la liste des mots au particpe passé) mais on va utiliser ça 2’’ alors . on peut on peut former / on peut écrire quelques phrases .. xxx quelqu’un peut essayer de former quelques phrases pour utiliser ça / .. n’importe quoi 2’’ vous pouvez choisir soit je suis . tu es / avec (montrant la liste des mots au participe passé) quelques verbes .. qui peut qui peut former une phrase \ 2’’ là tu as sujet / . auxiliaire /. Participe passé (marche vers un élève et lui donne la craie) tu peux essayer d’écrire quelques phrases là

L’enseignant fournit une autre explication nécessaire pour la formation du passé composé, à savoir le participe passé de verbes de mouvement (voir 1). Les élèves essaient de donner les formes correctes du participe passé pour les différents verbes (lignes 2, 4, etc.). La tâche continue jusqu’à épuiser la liste des verbes de mouvement.

Après avoir fini de fournir tous les éléments nécessaires à la formation du passé composé, à savoir les formes des verbes « être » et « avoir » au présent, les verbes de mouvement et leurs formes respectives du participe passé, l’enseignant demande aux élèves de fournir des phrases au passé composé.

Deux élèves se lèvent et chacun fait cinq phrases en utilisant un verbe. Les phrases sont écrites au tableau et l’enseignant effectue de petites corrections en expliquant les règles qui ne sont pas respectées. Il faut préciser que l’application des règles relatives à la formation du passé composé s’est effectuée à l’écrit et non à l’oral. C’est cette tâche qui marque la fin de la séquence.

273

La présentation et l’analyse de la séquence didactique permettent d’avancer un certain nombre de faits la caractérisant. Nous constatons tout d’abord que le cours porte un titre grammatical « Passé Composé », qui constitue le thème à traiter par les partenaires de la classe. L’enseignant commence son cours par la définition du terme « Passé Composé » en fournissant les temps correspondants en anglais. Cela montre un cas de démarche contrastive pour la conceptualisation grammaticale et c’est le seul cas d’utilisation de l’anglais. Ensuite, il procède à l’explication des règles de formation pour finir avec l’application des règles, dans laquelle seulement deux élèves sont impliqués. L’objectif est donc uniquement grammatical et vise la conceptualisation, la formation et l’application des règles du passé composé.

Cette description du cours est caractéristique de la méthode traditionnelle communément désignée comme grammaire-traduction et est contraire à l’approche communicative prescrite par le nouveau programme de français en Tanzanie. Par ailleurs, l’utilisation d’une formule de mémorisation est une preuve de stockage mécanique des données langagières pour une simple reproduction hors contexte. Dans une approche communicative, on s’attendrait à ce que le thème du cours soit une situation de communication et le temps du passé composé devrait être découvert dans la situation. L’explication des règles devrait intervenir après avoir abordé la situation de communication.

Ainsi, la différence fondamentale entre la séquence pédagogique avec la première année et celle de la quatrième est avant tout méthodologique. La première tend vers l’approche communicative, alors que la seconde tend vers l’approche traditionnelle grammaticale. Le premier cours se distingue également par la fréquence de la prise d’appui sur l’anglais, servant de langue d’appropriation du français. Nous avons vu que, dans le second cours, le recours à l’anglais intervient une seule fois et se fait uniquement pour la conceptualisation du passé composé et à des fins comparatives. Nous rappelons que, lors de l’entretien, c’est cet enseignant qui arguait que, s’il faut utiliser les autres langues, il faut le faire uniquement avec les vrais débutants (la première année) pour les encourager mais il ne faut pas le faire avec la quatrième année. L’analyse que nous venons d’effectuer montre un certain degré de convergence entre ses dires et ses faires. Mais il faut souligner la difficulté de rencontrer des cas de convergence totale entre les dires et les faires ou entre les représentations et les pratiques effectives.

Il est donc clair que la deuxième séquence didactique est dominée par des activités de type métalinguistique avec une participation minimale des élèves. On voit par exemple que

274 seulement deux élèves ont eu l’occasion d’aller au tableau pour construire chacun cinq phrases au passé composé en utilisant un seul verbe. Cette activité pourrait être plus significative si elle était effectuée oralement en impliquant plus d’élèves. De façon générale, l’enseignant manifeste deux types de pratiques pédagogiques, à savoir communicatives plurilingues et grammaticales monolingues.

5.3.2.4 Azania Boys’ Secondary School

Azania Secondary School fait partie des écoles enquêtées à Dar es Salaam. Nous avons également observé et filmé deux séquences pédagogiques: une avec les élèves de première et une autre avec la quatrième année. Contrairement à la plupart des écoles où le même enseignant assure les deux séquences, à Azania, chacun des deux cours est assuré par un enseignant différent. Nous proposons de commencer notre analyse avec le cours de première année.

Pour des raisons pratiques, nous avons transcrit la séquence en deux extraits, et nous avons identifié trois étapes de la séquence, à savoir la présentation de l’enquêteur, l’identification des objets et la pratique de la classe. Nous analysons d’abord l’extrait A 00:00:00–00:07:25. Comme dans la plupart des cas, l’introduction du cours était précédée par la présentation de l’enquêteur. 1 En aujourd’hui / nous avons un visiteur venant de l’université de Dar es Salaam .. (regarde EQT) bienvenue monsieur 2 EQT (marche devant la classe) je suis un peu étudiant . un peu enseignant .. je suis à l’université de Dar es Salaam . enseignant de français et d’anglais .. vous comprenez / 3 Es (certains répondent par la négative avec un geste de tête) 4 En in English 5 EQT do you understand / 6 Es yes

Un problème d’intercompréhension surgit lors de notre présentation. Nous avons demandé aux élèves s’ils avaient compris (en 2), mais ils ont signalé qu’ils ne comprenaient rien de ce que nous disions (en 3). Ainsi, l’enseignante nous a proposé de passer à l’anglais (en 4). Ensuite, les élèves ont répondu « yes » (en 6) pour nous indiquer qu’ils pourraient maintenant suivre notre discours en anglais.

La deuxième étape de la séquence commence avec l’annonce du thème à traiter (Parler de son environnement). Ensuite, l’enseignante écrit au tableau une phrase qui permet l’identification

275 des objets se trouvant dans la salle de classe (« --- qu’est-ce que c’est / », en 22). La tâche s’organise selon trois composantes, à savoir la désignation par l’enseignante de l’objet à nommer, la question de l’enseignante sur l’identité de l’objet et la nomination de l’objet par les élèves. Nous allons présenter et analyser les différentes stratégies mises en œuvre au cours de la réalisation de la tâche. 30 En (donne la parole à l’élève qui a levé la main) 31 E c’est une livre 32 En oui c’est un livre 3’’ non non non non (reprend le cahier) ce n’est pas un livre .. ce n’est pas vrai .. qu’est-ce que c’est / . qu’est-ce que c’est / .. AM . qu’est-ce que c’est/ 34 En eheeh / c’est / c’est un / 35 E c’est une [ 36 En c’est un cahier . eheeh /] 37 E (répète) c’est un cahier

(continuation de l’extrait) 43 En c’est une téléphone 44 En très bien . c’est une téléphone ---

(continuation de l’extrait) 53 E (répond sans se lever) c’est une chemise 54 En lève-toi .. lève-toi 55 E (se lève) c’est une chemise

La partie de l’extrait ci-dessus (30-36) montre un cas de correction après l’approbation fautive de la réponse d’un élève. Le cahier constitue l’objet à nommer, mais l’élève se trompe en identifiant cet objet comme « livre » (en 31). L’enseignante fait plus ou moins la même erreur en approuvant la réponse incorrecte de l’élève mais elle s’autocorrige (en 32) pour corriger l’élève. Pour dire autrement, dans ce cas, l’auto-correction devient la condition préalable à l’hétéro-correction car l’enseignante se doit de désapprouver sa propre évaluation pour désapprouver et corriger la réponse de l’élève. Nous pensons que le fait que même l’enseignante puisse commettre une erreur et se corriger est très utile dans une classe de langue étrangère car cela éloigne l’idée selon laquelle l’enseignante est considérée comme détentrice des connaissances parfaites et a l’effet de normaliser les erreurs comme faisant partie du processus d’appropriation. Cela donne plus d’audace aux élèves pour prendre la parole sans avoir trop peur de perdre la face. On voit tout de même que l’approbation d’une réponse incorrecte peut découler du fait que l’attention est portée sur le contenu communicatif.

Dans les lignes ci-dessus, l’enseignante constate une erreur (en 36) se rapportant au genre grammatical et interrompt immédiatement pour la corriger. L’élève complète sa réponse en

276 reprenant la réponse correcte de l’enseignante (en 37). On voit également des cas comme celui des tours 43 et 44 où l’erreur n’est pas détectée ou est passée simplement sous silence.

La tâche d’identification des objets dans l’environnement physique de la classe se poursuit et on voit, en 53, un cas de non-respect des normes relatives à la prise de parole en classe. Un élève répond sans se lever. Au lieu d’évaluer la correction de la réponse fournie par l’élève, l’enseignante évalue la manière dont la parole est prise par l’élève. Elle lui demande alors de se lever pour reproduire sa réponse (en 54). C’est comme si la réponse était non valide en restant assis. Nous avons vu ailleurs que se lever pour répondre est une pratique présente presque dans toutes les écoles. En effet, il parait approprié de considérer cette pratique comme faisant partie de la culture éducative caractérisant les cycles primaire et secondaire. D’après notre expérience d’étudiant et d’enseignant à l’université, cette pratique ne fait pas partie de la culture éducative universitaire. Dans ce cas particulier, on peut penser à une « triple » focalisation dans la classe de langue, à savoir sur la forme (métalinguistique), sur le sens (significative) et sur les normes d’interaction (socio-culturelle).

Dans la séquence, nous avons également observé un cas de recours à l’enquêteur comme stratégie (voir 11-12 de l’extrait B 00:09:26 – 00:14:06). 9 En (va écrire au tableau) c’est une chaise (oublie l’orthographe du mot « chaise ») chaise chaise (hésite et se tourne vers EQT) s’il vous plait aidez - moi 10 EQT (épèle le mot alors que l’enseignante écrit au tableau) Oui aah d’accord . il y a un : i .. i i un i après a .. après a .. c’est c h a i 11 En (écrit correctement) c’est comme ça / 12 EQT voilà . oui

Cela présente un des différents cas d’implication de l’enquêteur dans les activités de la classe. Dans ce cas, nous avons l’impression qu’il se construit une sorte de hiérarchie d’expertise selon laquelle les élèves peuvent avoir recours à l’enseignante, qui constitue leur autorité, et cette dernière, à son tour, a recours à l’enquêteur. Selon notre interprétation, c’est comme s’il se construisait une relation tripartite d’expertise, se composant des novices (élèves), de l’expert (enseignant) et du « super-expert » (enquêteur).

Dans la troisième étape de la séquence, la pratique, il est demandé aux élèves d’effectuer une tâche consistant à construire une phrase identifiant un objet (en 17 ci-dessus).

17 En formez la phrase .. formez la phrase . mtengeneze sentensi TRD formez une phrase

277

chaque personne . kila mmoja unatunga ya kwako toka kichwani mwako TRD chacun compose sa propre phrase . eheeh / unaweza ukadiscuss na mwenzako 3’’DV TRD vous pouvez discutez avec un collègue 18 E (aucune réponse) 19 En discuss .. discutez 4’’ discutez avec ton ami .. et : donnez- moi la phrase 20 E (lève la main)

Comme les consignes présentent une composante importante pour la réalisation de toute tâche et compte tenu du faible niveau linguistique des élèves, l’enseignante décide de fournir les consignes en alternant les codes entre le français et le swahili. L’anglais est également utilisé (en 19). Dans tous les cas, le passage à une autre langue par l’enseignant se fait sans balisage, fait qui signifie la normalisation des pratiques bi-plurilingues en classe de FLE.

Après les consignes, on observe, comme nous l’avons fait ailleurs, que les élèves hésitent à prendre la parole. 29 En (écrit au tableau) c’est un chat . très bien (se tourne vers les élèves) battez les mains 30 Es (battements de mains) 31 En trois fois 32 Es (battent les mains trois fois) En eheeh / l’autre / 34 E (se lève) c’est un chien En très bien c’est un chien .. hmm / battez les mains pour YA 36 Es (battements de mains) En (désigne un autre élève) hmm / AR 38 E c’est un vache

(continuation de l’extrait) 50 En c’est une règle 3’’ (marche vers EQT) nous avons / nous sommes fini .. bienvenue monsieur 51 EQT merci

Après un long silence, un seul élève lève la main pour donner une phrase et, après l’approbation de la réponse, l’enseignante encourage un élève en demandant aux autres de l’applaudir (29-38). L’applaudissement constitue la récompense, fréquemment appliquée pour motiver et encourager les élèves à participer. Il faut tout de même souligner que, d’après notre expérience, ce moyen de motivation se fait plus rare aux cycles plus avancés.

Il était intéressant de constater que, malgré le fait que l’enseignante ait limité ses exemples aux objets se trouvant dans le contexte physique de la salle de cours, certains élèves ont pu fournir des exemples basés dans un contexte extérieur à la salle de classe, tels qu’un chien (en

278

34), une vache (en 38), etc. Cela nous fait supposer que le sujet a été abordé précédemment. Les exemples fournis par les élèves ont marqué la fin de la séquence (en 50).

La séquence est principalement caractérisée par des stratégies non verbales consistant en l’appui sur le contexte physique de la classe. Le recours au swahili est également employé, notamment pour fournir des consignes. L’anglais est très peu présent. Mais nous avons observé que, dans tous les cas, le passage à une autre langue n’est pas balisé. Nous avons également vu la stratégie de recours à une autorité mise en œuvre par l’enseignante sollicitant l’intervention de l’enquêteur. L’hétéro-correction est particulièrement présente, mais l’attention est portée tant sur la correction grammaticale que sur le sens. En outre, nous avons observé un cas de centration sur les normes culturelles.

La séquence avec les élèves de quatrième année a duré trente-cinq minutes, et nous avons identifié cinq étapes, à savoir la présentation de l’enquêteur, l’introduction de la leçon, la lecture d’un texte, les questions sur le texte et la mise en lien du texte avec la vie personnelle des élèves. Commençons notre analyse avec l’extrait A 00:00:00 – 00:08:07. 1 En (bruits, les élèves se mettent en groupes pour partager les manuels) alors bienvenue monsieur xxx .. il est un professeur . professeur à l’université de Dar es Salaam .. alors il est venu ici pour aah rencontrer les élèves de français / .. pour parler avec vous à la fin de la période . mais maintenant / on va travailler un peu .. xxx regarder le livre qui est là xxx c’est bien (prend une craie et écrit au tableau) .. c’est français . n’est-ce pas /

(continuation de l’extrait) 9 En (écrit au tableau) oui mercredi de quelle date . c’est le / c’est le / 10 Es dix 11 En année / 12 Es deux mille dix

La présentation de l’enquêteur (en 1) a été suivie de l’écriture de la date au tableau et on voit que l’enseignant implique les élèves dans cette étape pré-pédagogique, avec des traces de dépendance discursive dans la relation co-énonciative56 où l’enseignant initie les réponses, alors que les élèves les complètent.

L’initiation d’une réponse par l’enseignant suivie d’une intonation montante pour signaler l’incomplétude et le besoin de complétion par les élèves est une stratégie qui sert, d’une part, à éviter les blocages linguistiques susceptibles de se produire dans les cas où l’élève doit

56 Voir Jeanneret (2002) pour une présentation détaillée de la notion de co-énonciation. 279 fournir une réponse plus longue; d’autre part, à permettre la participation de plusieurs interactants à la production du même énoncé; la co-énonciation. C’est une stratégie que nous avons également observée dans les séquences analysées précédamment.

L’étape introductive de la séquence commence avec l’ouverture de la méthode « Alpha » à la page trente (en 15 ci-dessous) et consiste à situer la leçon. 15 En --- c’est page trente (écrit au tableau) page trente . alors page trente c’est quelle unité 16 Es quatre

(continuation de l’extrait) 21 En le titre c’est / 22 Es (répondent en vrac) elle était toujours là

(continuation de l’extrait) 39 En oui . qu’est-ce que vous voyez 40 E je vois / 41 En tu vois quoi 42 E à la maison 43 En tu vois à la maison / . tu vois à la maison . c’est ça / .. qu’est-ce que tu vois . à la maison / c’est quoi à la maison 44 E la maison

On voit que les élèves sont également impliqués dans cette étape car l’enseignant leur demande de mentionner l’unité et le titre du texte qui s’y trouve. La mention de la page, de l’unité et du titre relève habituellement du rôle de l’enseignant mais dans ce cas particulier, on voit que l’enseignant donne cette responsabilité aux élèves (en 15-22). Il est probable qu’il fasse ainsi non seulement pour habituer les élèves à la prise de parole mais également pour garder leur attention centrée sur les tâches qui suivent.

« Elle était toujours là » (22) est le titre du texte que les partenaires de la classe vont traiter mais ce texte est précédé d’images. L’enseignant demande aux élèves de décrire les images. La réponse incorrecte de l’élève (en 42) qui fournit un groupe prépositionnel au lieu d’un groupe nominal est suivie de la désapprobation par l’enseignant (en 43) et d’une hétéro- correction par un autre élève « La maison » (en 44). C’est dire que la désapprobation devient par la même occasion une demande d’autres propositions de réponses. La description se poursuit avec d’autres images: fille, coq, tabouret, grand-mère, etc.

On peut ainsi considérer que la deuxième étape de la séquence consiste à situer l’unité et le titre du texte qui va être abordé, ceci à l’aide d’images. La troisième étape est la lecture du texte par les élèves, selon des tours déterminés par l’enseignant: 77 En merci .. maintenant / . alors maintenant / on va lire très vite 280

. okay / très vite . okay / alors qui va commencer . qui va commencer . qui va commencer 78 Es (silence, hésitation) 79 En (fixe son regard sur un élève) c’est toi normalement . tu va commencer 2’’ okay . lis le titre et puis tu continues

Dans le discours de l’enseignant (en 77), il est demandé aux élèves de se porter volontaire pour commencer la lecture mais, comme tout le monde hésite et qu’aucun élève ne veut prendre la parole, l’enseignant décide de désigner un élève (en 79). Deux lectures s’effectuent: une lecture lente caractérisée par la fréquence des hétéro-corrections par l’enseignant, notamment celles qui se rapportent à la prononciation, et une deuxième lecture plus rapide, avec moins de corrections.

Dans la quatrième étape de la séquence, l’enseignant pose des questions sur le texte afin de vérifier ou d’approfondir la compréhension. C’est la tâche qui est présentée dans l’extrait B 00:20:38-00:25:33. 1 En aah vous avez très bien lu .. ça c’est très bien . c’est très bien .. (fixe son regard sur les élèves) alors ça va / ça va avec le texte 2’’ vous avez compris peut-être / 2 Es (murmurent) 3 En alors donc la petite fille s’appelle comment 4 E (répond sans lever la main) Aminata 5 En okay (lève sa main) levez la main

On voit en 4 ci-dessus un cas de non-respect des normes de prise de parole. Bien que l’élève ait fourni la réponse correcte, l’enseignant lui demande de lever la main pour redonner la même réponse en respectant les normes. Comme nous l’avons vu dans les autres séquences, il y a une focalisation importante sur l’aspect de la culture éducative. La tâche de questions et de réponses sur le texte se déroule sans aucun blocage majeur.

La cinquième et dernière étape est la mise en lien du texte avec la vie personnelle des élèves. C’est la tâche qui se déroule dans l’extrait C 00:30:15-00:31:53: 1 En alors . est-ce que toi aussi tu aimes aah vivre comme Aminata .. est-ce qu’il y a à la maison quelqu’un qui t’attendent toujours . à la maison devant la porte . parce que Aminata (marche vers la porte ) la grand-mère est toujours là . elle l’attend pour (gestes de mains) l’embrasser . pour (se caresse la tête) la caresser et puis / (les deux mains autour du ventre) la prendre dans les mains . et vous à la maison c’est la même chose / 2 E (sourire) Oui 3 En qui dit oui . MA qui est là . ton père / 4 E s (rires) 5 E et la mère 6 En ta mère aussi t’embrasse / 7 E oui 8 En et qu’est-ce qu’ils donnent 281

9 E elle donne 10 En elle me / 11 E elle me donne l’argent

On voit une stratégie d’hétéro-correction de la part de l’enseignant (« elle donne » au lieu de « elle me donne ») en 9. L’enseignant initie le début de la réponse correcte en remettant l’élément omis (« elle me / » en 10) avec une intonation montante pour demander la complétion par l’élève (« elle me donne l’argent » en11). Etant donné le fond du texte, cette réponse n’est pas attendue. On s’attendrait à une réponse liée à l’amour et à la proximité. Cela montre que les élèves ont la liberté d’appliquer le texte dans un champ plus élargi. Cela fait partie des caractéristiques des approches communicatives.

La séquence que nous venons d’analyser peut d’emblée être décrite comme purement monolingue, du fait que toutes les pratiques discursives s’effectuent en français. On voit que, même dans les rares cas de blocages communicationnels, aucune stratégie bi-plurilingue n’est mise en œuvre. La dépendance discursive, l’hétéro-correction, la répétition, la gestualité sont les stratégies les plus présentes dans la séquence.

Bien que la séquence soit monolingue, il est clair que tous les partenaires participent activement à la réalisation des différentes tâches. Cela signifie que les élèves possèdent les connaissances communicatives de base permettant l’intercompréhension avec leur enseignant.

Du point de vue méthodologique, la séquence semble principalement fondée sur l’approche communicative: le thème est basé sur une situation imaginaire (« Elle était toujours là ! »). En fait, on peut parler de pratiques communicatives monolingues. L’exploitation du texte implique la description d’images, deux lectures du texte par les élèves, des questions de compréhension détaillée du texte et la mise en lien du texte avec la vie personnelle des élèves. L’objectif du cours n’est pas mentionné mais il semble qu’il vise l’expression des événements passés.

5.3.2.5 Jangwani Girls’ Secondary School

Jangwani Secondary School se trouve à Dar es Salaam et fait partie des cinq écoles enquêtées dans cette région. C’est une école avec internat pour les filles où les cours de français sont offerts aux élèves de la première année seulement à cause du manque d’enseignants. En effet, l’enseignant nous a indiqué que l’enseignement du français avait été interrompu pendant quelques années, et qu’après son arrivée, il avait décidé de commencer avec les élèves de première année. C’est un phénomène qui n’est pas rare dans les écoles

282 tanzaniennes, où souvent il n’y a qu’un enseignant de français, et si celui-ci est transféré dans une autre école, les cours s’arrêtent. Ainsi, dans cette école, l’enseignement a repris après avoir trouvé un enseignant à temps partiel, sans aucune formation pédagogique.

La séquence que nous avons observée était la continuitéd’un cours précédent portant sur la présentation de soi et de sa famille. Chaque élève doit se lever et se présenter. Les présentations individuelles sont, pour la plupart, suivies de corrections et de commentaires de l’enseignant. Nous effectuons une analyse centrée sur les problèmes communicationnels et pédagogiques et les différentes stratégies mises en œuvre par les partenaires de la classe. Nous avons divisé la transcription en trois extraits: A, B et C. Nous commençons avec l’extrait A 00:00:00 – 00:05:53. La partie suivante montre la présentation faite par la première élève: 1 E (début, se présente et présente sa famille) ma / petite frère s’appellé AB / . ma / petite sœur s’appellé AS . merci . je parlé swahili . anglais et françois . merci beaucoup (s’assied) 2 En okay okay okay . good . clap 3 Es (battements de mains) 4 En xxx (s’approche d’une élève) hmm / xxx (va devant la salle) une autre personne . hmm / 3’’ hmm / (fixe son regard sur une élève) hmm /

(continuation de l’extrait)

14 En (écrit les mots « mon » et « ma » au tableau et demande aux élèves de les lire) classe . mon / ma \ . mon / 15 Es ma 16 En mon / 17 Es mon 18 En mon / est : pour un garçon ou fille Es °garçon°

A partir de la présentation ci-dessus, nous constatons que le discours de l’élève (en 1) est caractérisé par des erreurs, notamment celles de genre, mais l’enseignant ne fait ni correction ni commentaire négatif. Au contraire, il félicite l’élève et demande aux autres élèves de l’applaudir (en 2). Cette réaction de l’enseignant, nous l’avons déjà expliqué ailleurs, découle non seulement de la reconnaissance du fait que les erreurs font partie intégrale du processus d’appropriation d’une langue étrangère, mais également du fait qu’elles n’affectent pas significativement le message. Ainsi, cette pratique a pour effet d’encourager les élèves à prendre la parole et à poursuivre leur discours jusqu’à la fin. Mais nous avons vu que l’enseignant demande aux élèves d’applaudir en anglais (en 2), fait qui montre qu’il pense que les élèves ne peuvent pas comprendre en français.

Une autre chose intéressante est l’utilisation de l’expression « merci beaucoup » à la fin de la présentation (en 1). Cela semble, nous l’avons dit, être basé sur la culture swahilie, dans

283 laquelle les « remerciements » sont assez fréquents. On voit donc que, même dans les cas d’évitement des traces plurilingues, les traces pluriculturelles sont difficiles à effacer.

La réticence à la prise de parole en langue étrangère n’est pourtant pas chose rare chez les débutants. C’est pourquoi l’enseignant peut être amené à imposer la parole à un sujet qui ne l’a pas demandée (en 4).

Après trois présentations, l’enseignant décide de corriger les erreurs les plus récurrentes chez les trois élèves (en 14). Une correction collective, effectuée après plusieurs présentations, a l’avantage d’éviter l’interruption fréquente du discours des élèves, fait qui pourrait conduire non seulement à la perte du fil chez le sujet parlant, mais également à la perte inutile de temps. Les corrections collectives se poursuivent jusqu’à la fin de l’extrait A 00:00:00 – 00:05:53.

Les présentations continuent dans l’extrait B 00:11:06 – 00:14:13, ci-dessous. 1 En (promène son regard autour des élèves) autre personne / hmm / 2 Es (lèvent les mains)

(continuation de l’extrait)

12 En Xxx ah : the problem is not that you don’t know how to pronounce . (deux élèves entrent dans la classe) xxx entrez s’il vous plait / .. okay . the problem is not that you don’t know how to pronounce okay / . the problem is that you are not quite conscious . xxx again somebody repeat the same mistakes xxx now the aim is for you to be able to present yourself . okay / 2’’ so if you read from your exercise book . there will be some mistakes . because you force yourself to read what is there and you forget that you need to express your / 13 Es self

On voit une stratégie d’association du gestuel au verbal (en 1) pour résoudre un problème prévisible. Nous avons dit ailleurs que l’application d’une stratégie de prévention d’un problème est particulièrement observable avec un novice dont le niveau de connaissance en langue est connu par l’enseignant.

Il est probable que, vu le niveau des élèves, l’enseignant pense que les élèves ne pourraient pas comprendre l’expression « une autre personne », mais en y ajoutant une expression gestuelle consistant à promener son regard pour signifier qu’il cherche quelqu’un qui veut prendre la parole, il contribue à l’intercompréhension (en 2).

284

C’est pour la même raison que l’évaluation et la correction de l’enseignant se font en anglais (en 12). Ici, on voit que l’enseignant passe directement à l’anglais pour faire des commentaires métadidactiques. Il fait ainsi, semble-t-il, parce qu’il veut expliquer un aspect important de la forme et veut que tout le monde comprenne.

L’extrait C 00:21:47 – 00:31:09 montre une modification relative à la manière de réaliser la tâche. 10 E (se lève) bonjour [ 11 En non non non xxx viens là ] 12 E (marche et se met devant la classe) bonjour 13 E mon père s’appelle monsieur VE . ma mère s’appelle madame xxx .. ma grande ma grande / ma ma ma grande . ma grande xxx s’appelle VI2’’ ma grande (si ?) (regarde le professeur et puis les camarades) 14 Es °sœur° 15 E ma grande sœur s’appelle VI 2’’ mon petite --- (baisse la tête et se touche les lèvres) 16 Es (rires) 17 E je parle swahili anglis et le français 18 Es (murmurent) 19 E (reprend sa place) 20 En merci beaucoup (applaudit) Es (applaudissent)

(continuation de l’extrait)

25 E °je suis pelle° (pour dire je m’appelle) eeh : je m’appelle ZA 3’’ l’école / .. j’étudié l’école / (regarde au plafond) l’école secondaré de Jangwani / .. je¦¦habite aah : Makangarawe / ma : ma péré s’appellé mrs KA 26 Es (rires) 27 E (se touche les lèvres) haah : mon péré s’appelle monsieur KA 3’’ (se touche la tête) ma péré s’appellé madame K 28 E (se gratte la tête) 29 Es (rires) 30 En (tape sur l’épaule de l’élève pour lui signaler de s’assoir) okay xxx 31 E (retourne à sa place en se grattant la tête)

(continuation de l’extrait) 34 En okay . d’accord .. il faut faire attention à xxx because your father is called madame and your mother is called monsieur xxx 35 Es (rires) 36 En (rire) ça c’est terrible . ça c’est : (rire) 37 Es (rires)

Au départ, les élèves se sont présentées en se levant à leurs places respectives, mais cette fois- ci, l’enseignant demande aux élèves de se mettre devant la classe pour se présenter.Voulant réaliser la tâche comme l’ont fait ses camarades, l’élève se voit interrompue par l’enseignant (en 11) qui lui donne une consigne additionnelle d’aller se mettre devant la salle de classe. Il semble que cette nouvelle consigne découle du constat que certaines élèves se présentaient en 285 lisant leurs notes devant elles sur les tables (en 12 de l’extrait précédant, B 00:11:06 – 00:14:13), alors que l’enseignant veut qu’elles retiennent par cœur toutes les expressions.

En 13, on observe une situation de blocage communicationnel. Le sujet qui est devant la classe oublie le mot « sœur » et veut solliciter l’aide de ses partenaires. L’élève recourt d’abord à l’enseignant, en lui adressant son regard puis, suite au non-aboutissement de sa demande, se tourne vers ses camarades. Ces dernières lui viennent en aide (en 14), en mentionnant doucement le mot qu’elle cherche. La non-réponse de l’enseignant tient peut-être au fait que le lexique recherché existe déjà dans le lexique des élèves et qu’elles sont capables de venir en aide à leur camarade.

Le lexique retrouvé, l’élève poursuit son discours jusqu’au second blocage « ---mon petite--- » (en 14), où elle oublie le mot « frère ». C’est également un blocage lexical mais cette fois-ci le sujet ne veut plus s’attarder à la recherche lexicale. Elle laisse son énoncé incomplet, rit et passe à une autre partie de sa présentation « je parle swahili anglis et le français » (en 17). C’est une manière d’abandonner la partie problématique du discours afin de continuer avec la partie non problématique.

Les tours 25-30 montrent un exemple de panne de communication majeure, obligeant l’enseignant à couper la parole à l’élève. Elle oublie plusieurs éléments de la présentation et fait plusieurs erreurs (en 25). La perte de la face ou le sentiment d’embarras chez l’élève qui a la parole s’exprime par différents gestes corporels: regard au plafond (en 25), toucher des lèvres (en 27), toucher de la tête (en 27), grattage de la tête (en 28 et 31). Comme il n’est plus possible de poursuivre la communication et afin que le sujet ne continue pas à subir la perte de la face, l’enseignant lui reprend la parole (en 30). Cependant, en 34-36, l’enseignant fait des commentaires négatifs sur le discours de l’élève de manière comique, provoquant des rires chez les autres élèves.

Une autre élève prend la parole (suite de l’extrait ci-dessous): 41 E moi je m’appelle GL . je suis un fille (se gratte l’œil) je suis-j’ai quartoze ¦¦ ans (mouvement de lèvres sans rien dire) 42 Es (rires) 43 E j’étudié à l’école / j’étudié à l’école 44 En (s’adresse aux autres élèves) non : don’t laugh please

Son discours se caractérise par la fréquence des erreurs, des rires par les autres élèves et une expression d’embarras liée à la perte de face. Malgré la fréquence des erreurs, on voit un cas d’auto-correction « --- je suis j’ai quatorze ¦¦ ans --- » (en 41). Le mouvement

286 des lèvres sans rien dire provoque encore des rires chez les autres élèves mais l’enseignant veut montrer à ces élèves qu’il n’est pas étrange de faire des erreurs et qu’il ne faut pas rire « non: don’t laugh please » (en 44). Il se peut également que l’objectif de l’enseignant soit de réduire le sentiment d’embarras chez le sujet qui a la parole.

On peut conclure que la séquence que nous venons d’analyser est principalement centrée sur l’approche communicative avec des pratiques bi-plurilingues. La participation des élèves est optimale et l’intervention de l’enseignant minimale. La prise de parole devant toute la classe non seulement entraine les élèves à pratiquer la langue mais les encourage également à parler devant les autres sans avoir peur.

Les stratégies mises en œuvre comprennent l’appui sur l’anglais, notamment pour fournir des consignes, l’évaluation et les commentaires des réponses des sujets. Dans presque tous les cas, c’est l’enseignant qui s’appuie sur l’anglais et le passage à cette langue se fait sans balisage. Les cas d’hétéro-correction existent mais ne correspondent pas à la fréquence des erreurs et l’attention de l’enseignant est centrée plus sur la pratique de la langue que sur la correction grammaticale. C’est pour cette raison que la participation des élèves est maximale. Nous avons également constaté l’absence totale du swahili mais les traces culturelles sont observables dans le discours des sujets. Il s’agit en fait de l’enseignant qui, lors de l’entretien, s’est montré contre son utilisation. Dans la partie suivante, nous analysons deux séquences filmées dans une autre école.

5.3.2.6 Zanaki Girls’ Secondary School

Zanaki Girls’ Secondary School est l’une des cinq écoles enquêtées à Dar es Salaam. C’est une école de filles où nous avons pu observer les groupes de première et de quatrième année. Nous présentons et analysons d’abord la séquence observée avec les élèves de première année. La séquence que nous analysons peut principalement être divisée en trois étapes. Dans la première étape, l’enseignante présente et nomme un objet présent dans la salle de cours et les élèves répètent le nom de l’objet. La seconde étape consiste à faire mémoriser par les élèves les différents objets déjà identifiés. La troisième et dernière étape consiste à traiter les aspects grammaticaux du genre et du nombre de manière plus ou moins explicite. Commençons notre analyse avec l’extrait A 00:00:0000:02:19.

287

9 En (marche devant la classe et prend un stylo) classe . voici / c’est un stylo . répétez voici c’est un stylo 10 Es voici c’est un stylo 11 En voici c’est un stylo

Au début de la séquence, l’enseignante voit deux nouvelles élèves et leur demande de se présenter. Ensuite, elle passe directement à l’activité centrale. Mais, contrairement aux séquences pédagogiques observées ailleurs, la séquence commence sans annonce ni du titre ni du thème autour duquel s’articulent les activités pédagogiques. Nous avons, cependant, compris à travers les différentes activités que le cours portait sur l’identification des objets pour rendre les élèves capables de parler de leur environnement physique immédiat. L’enseignante présente et nomme un objet et les élèves répètent en vrac l’identité de l’objet (voir 9, 10 et 11).

L’activité procède de cette façon jusqu’à la fin de l’extrait, l’enseignante présente et nomme l’objet et les élèves répètent. L’activité se confine uniquement aux objets physiques présents dans la salle de classe. Ils identifient une craie, une règle et d’autres objets.

Dans l’extrait B 00:07:12 –00:10:27, l’enseignante veut introduire la notion de polarité dans les réponses des élèves. C’est aussi l’étape de mémorisation des différents objets identifiés. 6 En est-ce que c’est un livre / (parle en écrivant) oui . c’est : un livre . non : c’est un / . cahier (prend un cahier) classe / est-ce que c’est un livre / 7 Es (réponses négatives et positives) Non oui non oui non 8 En (sourie) oui / non : 9 Es non : c’est un cahier 10 En huh / 11 Es non . c’est un cahier 12 En (prend un livre) est-ce que c’est un cahier / Es non :. c’est un livre

Elle pose des questions exigeant des réponses affirmatives ou négatives (en 6-12). Ainsi, le cours se complexifie progressivement. Toutefois, aucune stratégie de résolution de problèmes de communication n’est observable car aucun blocage majeur ne s’est produit jusqu’à ce stade.

Passons au dernier extrait de la transcription C 00:19:07- 00:21:13. C’est dans cet extrait que l’enseignante traite les aspects grammaticaux du genre et du nombre. 1 En okay classe . un 2 Es un 3 En un 4 Es un 5 En une 6 Es une 7 En un livre

288

(continuation de l’extrait) 14 Es un livre 15 En un crayon 16 Es un crayon 17 En un stylo 18 Es un stylo 19 En une craie 20 Es une craie 21 En une fenêtre

(continuation de l’extrait) 27 En (prend deux craies) classe . ce sont des / craies . ce sont des / craies 28 Es ce sont des/ craies 29 En ce sont des/ craies 30 Es ce sont des/ craies 31 En (prend une craie) une craie 32 Es une craie 33 En (prend deux craies) ce sont des / craies 34 Es ce sont des / craies

(continuation de l’extrait) 43 En (tient une seule craie) classe qu’est-ce que c’est / 44 Es c’est une craie 45 En (tient deux craies) qu’est-ce que c’est / 46 Es ce sont des / craies

Les deux types d’articles, à savoir masculin et féminin sont prononcés isolément de leurs substantifs, de façon répétitive, par l’enseignante puis par les élèves (1-6). Ensuite, ils sont prononcés en combinaison avec des substantifs masculins (en 14-18) et féminins (en 19-21).

On voit ainsi des exemples sans explication. D’après nous, cette manière de traiter le genre grammatical semble peu utile pour les élèves swahilophones et anglophones car c’est un phénomène nouveau et il est donc nécessaire de commencer à indiquer la signification des articles dans le contexte du groupe nominal où ils apparaissent. Situer les articles dans l’environnement phrastique et/ou textuel permet aux élèves de reconnaitre leurs fonctions respectives de manière plus claire.

L’aspect du nombre est introduit à partir de 27 sans expliquer s’il s’agit de singulier ou de pluriel. Le concept de nombre semble plus accessible aux élèves parce que, d’une part, l’opération ressemble plus ou moins à celle de l’anglais (possibilité de transfert interlinguistique positif), notamment l’ajout d’un « s » pour former le pluriel et, d’autre part, l’enseignante établit un contraste entre un objet (en 32) et deux objets (en 33) en se servant des objets présents dans la salle de classe. Les deux facteurs permettent aux élèves d’en

289 comprendre plus facilement la signification. C’est pourquoi les élèves parviennent à distinguer correctement la singularité et la pluralité des objets (43-46).

L’analyse de la séquence ci-dessus rend évident un certain nombre de faits. D’abord, nous constatons que la séquence se déroule jusqu’à la fin sans aucun blocage majeur et quasiment sans stratégies de résolution des problèmes observables, à part la stratégie d’enseignement/communication consistant à associer le verbal au non-verbal et l’utilisation du contexte physique de la classe. C’est au moyen de ces mêmes stratégies dominantes que l’enseignante a, peut-être, pu éviter le recours à des stratégies bilingues. Par ailleurs, la séquence se déroule sans aucune consigne ni longue explication. C’est ce facteur aussi qui a rendu possible une séquence monolingue. De manière générale, la séquence est interactive et les pratiques caractéristiques sont généralement communicatives monolingues.

Nous proposons maintenant d’analyser la séquence pédagogique observée dans la classe de quatrième année. Il s’agit d’une séquence qui a duré 25 minutes et, suite à l’abandon du français, le groupe-classe ne compte que cinq élèves (une élève est absente). La leçon est organisée selon trois étapes, à savoir la lecture d’un texte littéraire par l’enseignante, la lecture du même texte par les élèves et les questions sur le texte, mais nous avons transcrit l’ensemble de la séquence en un seul extrait, 00:00:00 – 00:24:49. La première étape consiste en la lecture d’un texte littéraire narratif par l’enseignante. Selon sa consigne, les élèves doivent suivre la lecture de l’enseignante silencieusement. 1 En (il y a du bruit tout autour la salle de cours, l’enseignante est assise devant quatre élèves et ouvre son livre) ouvrez à la page cent dix. cent dix 2’’ cent dix . c’est une histoire .. je commence et il faut lire silencieusement et je vais vous poser des questions .. c’est un livre xxx Camala Laye était l’enfant noir né xxx en mille neuf cent vingt-huit à Khumasi (bruits) xxx son père était (forgeron ?) comme les autres enfants du village il est aussi allé à l’école coranique . à quatorze ans xxx il voulait être xxx en mille neuf cent quarante-six . il a passé le certificat d’études techniques et il a réussi .. il a eu la première place xxx on lui a donné une bourse et il est allé faire des études en France .. il travaillait dans une usine pendant la journée . le soir / il étudiait .. il a raconté ses souvenirs d’enfance dans l’Enfant Noir en mille neuf cent cinquante-trois xxx (bruits en dehors de la salle) 2’’ alors . maintenant il faut lire silencieusement 2 Es (lisent silencieusement) 3 En ça suffit .. maintenant . on va lire phrase par phrase (regarde à droite et montre sa main à une élève) xxx on va commencer avec la première phrase . Camala Laye / tu peux commencer 4 E (regarde le texte, ne sait pas quoi faire) 5 E (une autre élève montre à sa camarade la partie qu’il faut lire, bruits en dehors de la salle) 6 EQT (sort pour faire taire les élèves qui font du bruit à

290

l’extérieur) 7 E (lit très doucement, bruits de l’extérieur) xxx né mille neuf cents 8 EQT (revient dans la salle et s’assied) plus fort s’il te plait 9 En (se touche les oreilles et s’adresse à l’élève qui a la parole) à haute voix 10 E (avec hésitation) il est né en mille (neuf ?) & 11 En &mille neuf cents / 12 E °mille neuf cents° 13 En mille neuf cents vingt-huit 14 E mille neuf cents vingt-huit à Khumasi au (nord du Guinée ?) 15 En au nord de Guinée 16 E au nord de Guinée

(continuation de l’extrait)

45 En je pense que tous comprend l’histoire .. le petit histoire .. ça va / xxx qui peut nous dire quelque chose sur cette histoire / (bruits de l’extérieur) xxx il est écrit par qui 2’’ par exemple . quel texte . ce n’est pas une lettre xxx est-ce que c’est une lettre / non . ce n’est pas une lettre .. on peut dire que ce texte c’est une histoire de xxx pourquoi .. c’est une histoire hein / (bruits de l’extérieur) xxx d’écrivain de quoi / 4’’ la première phrase / . pourquoi / pourquoi on dit que c’est une histoire d’écrivain / . c’est une histoire de l’auteur . regardez le titre ici (montre le titre dans son livre avec un stylo). 46 E c’est un écrivain 47 En c ’est un GRAND écrivain .. c’est un grand écrivain .. la première phrase aussi Camala Laye l’auteur de l’Enfant Noir . alors . xxx c’est une personne très connue . c’est un écrivain très connu parce qu’ il a écrit beaucoup de livres .. c’est pourquoi on dit c’est un grand écrivain 2’’ on va poser des questions . la première . quel jour est-ce qu’il est né . quel jour est-ce qu’il est né . vite vite . c’est une question très simple . quel jour est-ce qu’il est né .. vite vite (lève la main droite) à haute voix

La deuxième étape de la séquence consiste en la lecture du texte par les élèves. Ici, il est demandé aux élèves de relire le texte à haute voix, phrase par phrase (en 3). C’est une lecture que les élèves réalisent individuellement. L’enseignante donne la parole à une élève mais celle-ci ne comprend pas l’énoncé de l’enseignante « ---tu peux commencer ». Une autre élève constate le problème et elle intervient pour fournir une solution en lui montrant la phrase qu’il faut lire (en 5). Ici, on rencontre un cas de stratégie de coopération entre les élèves.

Dans les tours qui suivent, nous rencontrons deux cas d’intervention de l’enquêteur dans les activités qui se déroulent à l’extérieur (en 6) et à l’intérieur de la salle (en 8). Dans le premier cas il sort de la salle pour aller demander aux élèves qui font du bruit à l’extérieur de la salle

291 d’arrêter et, dans le second cas, il se permet de s’adresser directement à l’élève pour lui demander de parler plus fort. On voit cependant que l’enseignante coopère avec l’enquêteur en se servant des gestes pour passer l’intention de l’enquêteur à l’élève (en 9). Ces gestes fournissent la preuve de la difficulté de la part de l’enquêteurde se distancer et de se dissocier des événements du milieu observé.

A partir de 10, nous constatons que l’enseignante intervient très fréquemment sur la lecture qu’effectuent les élèves pour les corriger. L’hétéro-correction par l’enseignante s’effectue systématiquement pour toutes les élèves. En effet, c’est l’enseignante qui lit, alors que les élèves ne font que répéter la lecture correcte de la première.

La troisième étape de la séquence consiste à répondre aux questions de l’enseignante sur le texte. Avant de poser les questions, on voit que l’enseignante tire la conclusion que « Je pense que tous comprend l’histoire .. le petit histoire ---» (en 45). Il est difficile d’expliquer la base de cette conclusion car la phase de lecture du texte a révélé que les élèves avaient du mal à lire le texte. Il est ainsi peu plausible de supposer que toutes les élèves aient compris le texte. On voit plus loin que sa supposition s’avère incorrecte car les élèves ne parviendront pas à répondre à ses questions.

On constate au même tour (45) que l’enseignante pose des questions auxquelles les élèves ne répondent pas: question générale sur le texte «---qui peut nous dire quelque chose sur cette histoire / ---», sur le nom de l’auteur « --- il est écrit par qui ---», sur le type du texte « ---quel texte ---», «---est-ce que c’est une lettre / ----», etc. Ensuite, elle propose des réponses à ses propres questions: «--- non . ce n’est pas une lettre ---», «on peut dire que ce texte c’est une histoire de xxx ----», «---c’est une histoire d’écrivain ---». En d’autres termes, l’enseignante s’approprie toutes les tâches pédagogiques.

Dans la quatrième étape, l’enseignante guide les élèves à exploiter certains aspects du texte dans leurs vies personnelles. Dans les tours qui suivent (58-65), on voit que les élèves sont incapables de s’exprimer oralement de manière compréhensible et la stratégie d’appui sur l’écrit (au tableau) est exploitée. 58 E (bruits de l’extérieur) Xxx 59 En mille neuf cents xxx 60 En allez écrire au tableau 61 E (se lève pour aller au tableau) 62 En vite vite vite 63 E (écrit au tableau « Je suis ne à 1994 ») 64 En ce n’est pas à . c’est en xxx non : ça marche pas

292

65 En (efface les chiffres, laisse la phrase incomplète « Je suis ne » et retourne à sa place)

L’enseignante demande à chaque élève d’aller au tableau pour écrire l’année de sa naissance (en 60). Ici, il est clair que les élèves écrivent leurs textes au tableau parce qu’elles ne sont pas capables de parler de manière compréhensible. En 63, nous observons que l’élève produit une erreur dans sa phrase « Je suis ne à 1994 » et l’enseignante la corrige (en 64), mais suite à la non-compréhension de la correction proposée par l’enseignante, elle efface une partie de sa réponse et retourne à sa place (en 65). Dans ce cas, l’enseignante ne fait aucune tentative stratégique de s’assurer que l’élève parvient à comprendre la correction et à modifier sa phrase. On voit ainsi une démarche pédagogique inachevée.

Du point de vue pédagogique, la démarche de l’enseignante peut avoir plusieurs implications. D’abord, on voit un échec stratégique de la part de l’enseignante dû au fait de ne pas pouvoir guider les élèves à comprendre le texte qui, dans ce cas, est au centre de la séquence pédagogique. En conséquence, les élèves sont incapables de remplir leur rôle et l’enseignante se voit obligée d’assumer un double rôle. La seconde implication pédagogique repose sur le fait que l’incompréhension du texte par les élèves limite leur action sur les données langagières et, en conséquence, leur apprentissage.

Pour conclure, la séquence que venons de présenter et d’analyser porte sur un petit texte littéraire relatant la vie de Camala Laye, écrivain de l’Enfant Noir et d’autres ouvrages. Le discours des partenaires de la classe est peu clair à cause du bruit qui provient de l’extérieur de la salle de cours. Par ailleurs, dans toutes les étapes de la séquence, le discours est dominé par l’enseignante; elle pose des questions et y répond. Elle s’approprie non seulement le rôle d’enseignante qui lui est propre, mais également celui des élèves. Ainsi, la participation des élèves n’est que périphérique et intervient très souvent sous forme de répétition.

On constate par ailleurs que très peu de stratégies de résolution de problèmes communicationnels sont mises en œuvre car les situations problématiques sont soit évitées, soit laissées sans aucune résolution. Les stratégies que nous avons pu identifier sont principalement de deux types; les stratégies non verbales (emploi de gestes) et paraverbales (variation de l’intonation). Nous avons aussi observé un cas de recours à l’écrit (au tableau) lorsque les élèves ne parviennent pas à s’exprimer de manière compréhensible, notamment quand il s’agit de dire les chiffres. L’utilisation d’une autre langue est totalement évitée, même dans les cas d’absence d’intercompréhension entre l’enseignante et les élèves. De

293 manière générale, les pratiques pédagogique réflètent une démarche communicative monolingue. L’observation des pratiques de classe rend évident le fait que les élèves ont un niveau très faible et, d’après nous, une démarche bi-plurilingue pourrait permettre plus d’intercompréhension entre les partenaires et un meilleurapprentissage.

5.3.2.7 Benjamin Mkapa Secondary School

Benjamin Mkapa High School fait partie des écoles enquêtées situées au cœur de la ville de Dar es Salaam. Comme dans la plupart des écoles, nous avons eu l’occasion d’observer deux séquences pédagogiques: une avec les élèves de première année et une autre avec les élèves de quatrième année. Nous analysons d’abord la séquence avec les élèves de première année.

La séquence procède selon trois étapes, à savoir l’écrit d’un dialogue au tableau, la lecture du dialogue et la mise en pratique du dialogue. Les deux premières étapes sont présentées dans l’extrait A 00:00:00 – 00:01: 45: 1 En (écrit au tableau un dialogue sur les salutations) 2 Es (silence 42 ‘’) 3 En (se tourne vers la classe) bonjour la classe 4 Es °bonjour monsieur ° 5 En parlez plus fort . parlez plus fort . répétez / 6 Es parlez plus fort 7 En (gestes de mains, ouvre et referme la main près de sa bouche) parlez plus fort . parlez plus fort 8 Es (gestes de mains, ouvrent et referment les mains près de la bouche) parlez plus fort 9 En met la main près de l’oreille) Attention : répétez attention

(continuation de l’extrait)

14 Es attention : 15 En (le doigt sur les lèvres) silence 16 Es (le doigt sur les lèvres) silence 17 En (se touche les yeux et montre au tableau) regarde au tableau 18 Es regarde au tableau 19 En (se touche l’oreille) écoutez au professeur 20 Es ecoutez au professeur 21 En eeh . (lève les mains) bonjour la classe 22 Es bonjour

Dans la première étape, l’enseignant écrit au tableau un dialogue sur les salutations (en 1), alors que les élèves gardent le silence en attentant les consignes de l’enseignant (en 2). Après l’écriture du dialogue, l’enseignant se tourne vers les élèves et commence à saluer les élèves en suivant le dialogue au tableau (en 3 & 4). Cependant, à partir de 5, on observe un une rupture.

294

La lecture du dialogue s’arrête; l’enseignant et les élèves se mettent à répéter la phrase « Parlez plus fort ». La répétition de la même phrase et, dans certains cas, des gestes correspondant au contenu, continuent jusqu’au tour 12.

Ensuite, l’enseignant se met à introduire d’autres expressions hors du dialogue (en 13-20) en se servant presque systématiquement du gestuel. En effet, ce sont des expressions que les élèves et l’enseignant seront amenés à employer pendant les cours de français. C’est à partir de 21 que l’enseignant revient sur le dialogue pour enseigner les salutations.

La lecture du dialogue est suivie d’une phase de simulation pour une mise en pratique des salutations et des expressions déjà lues dans le texte (extrait B 00:03:13 – 00:07:11): 1 En (sort de la salle pour rentrer) alors moi j’entre dans la classe et puis vous vous levez (levée des mains) 3’’ (rentre dans la salle) il faut que vous dites °attention° .. alors répétez °attention° . °attention° 2 Es °attention : ° 3 En mais vous êtes comme (fait semblant de s’assoir) ça / . vous vous levez : (lève les mains) vous dites bonjour . (prend ses affaires et ressort) j’arrive eeh / (referme et rouvre la porte)

(continuation de l’extrait) 21 En Mais vous êtes comme (fait semblant de s’assoir) ça / . vous vous levez : (gestes de mains) vous dites bonjour . (prend ses affaires et resort) j’arrive eeh / (referme et rouvre la porte) 22 Es (gestes de mains) attention : silence le professeur arrive 23 En Entre et repose ses affaires sur la table 24 Es (se lèvent pour saluer l’enseignant) bonjour monsieur

L’enseignant sort de la salle de cours et puis revient et demande aux élèves d’employer certaines expressions avant les salutations (voir le tour 1). Il se sert donc d’une sorte de jeu de rôle pour mettre en pratique les différents aspects relatifs à la langue de la classe (attention, silence, le professeur arrive, etc.)et les salutations. Il sort et entre à plusieurs reprises pour montrer comment les élèves doivent réagir à l’arrivée de l’enseignant. En 21, on voit un problème d’intercompréhension car l’enseignant avait expliqué aux élèves de se lever à l’entrée de l’enseignant mais ceux-ci n’avaient pas compris. L’enseignant se sert de la gestualité pour montrer aux élèves qu’ils doivent se lever.

En 24, les élèves comprennent et réagissent comme il faut en se levant pour saluer l’enseignant: « (se lèvent pour saluer l’enseignant) bonjour monsieur ». La

295 séquence s’achève avec des jeux de rôle pour pratiquer les salutations et les autres expressions relatives au langage de la classe.

On peut conclure que la séquence que nous venons d’analyser est caractérisée par l’absence de stratégies bi-plurilingues. Les stratégies non linguistiques occupent une place centrale. Chaque expression est, presque systématiquement, associée à la gestualité correspondante. Il faut souligner que la gestualité est employée non seulement comme stratégie de communcation en ce qu’elle rend possible l’intercompréhension entre l’enseignant et les élèves mais également comme stratégie pédagogique permettant aux élèves d’accéder au sens des expressions en question.

Le même enseignant nous a offert l’occasion d’observer une séquence avec le groupe de quatrième année. Nous avons identifié trois étapes, à savoir la lecture d’un dialogue, la mise en pratique du dialogue et l’explication du lexique. Pour des raisons pratiques, nous avons transcrit la séquence en quatre extraits. Commençons avec l’extrait Extrait A 00:00:00- 00:01:29: 1 En alors maintenant / on va lire au tableau . bonjour mon ami : / 2 Es bonjour 3 En (lève les mains) ca va / 4 Es (gestes de mains) ca va / 5 En (gestes de mains) ca va mon ami : / 6 Es (gestes de mains) ca va mon ami : / 5 En (gestes de mains) oui ca va \ et toi / comment ça va / 8 Es (gestes de mains) oui ça va \ et toi / comment ça va / En (gestes de mains) moi aussi ça va \

La séquence démarre avec la lecture d’un dialogue sur les salutations, écrit au tableau (1-8). En fait, le dialogue était écrit avant l’arrivée des élèves dans la salle. La lecture du dialogue procède sous forme de répétition. L’enseignant lit une phrase du dialogue et les élèves répètent. L’utilisation des gestes est systématique. Cette répétition ne servirait qu’à l’apprentissage de la prononciation des mots français si elle n’était accompagnée par la gestualité correspondante qui rend possible la compréhension partielle car, comme nous allons l’observer jusqu’à la fin de la séquence, l’enseignant ne fait aucune référence à une autre langue. La lecture et la répétition par l’enseignant et les élèves respectivement continuent jusqu’à la prise de congé qui marquent la fin du dialogue et de l’extrait A 00:00:00- 00:01:29.

Le deuxième extrait (B 00:02:08 – 00:03:55) consiste en la phase de mise en jeu de rôle du dialogue par les élèves: 1 En (montre le doigt à une élève) alors . viens viens (montre le 296

doigt à une autre élève) et toi : viens viens 2 Es (deux élèves marchent devant la salle) 3 En (met les élèves face au tableau) on va lire . tu vas être (touche l’épaule d’une élève) a (touche l’épaule d’une autre élève) b . a / b \ . commence 4 E (serre la main de son camarade) bonjour mon ami 5 E (serre la main de son camarade) 6 En mais parlez plus fort . eeh / (gestes de mains) parlez plus fort : moi je suis là (s’éloigne un peu des élèves) 7 E bonjour mon amie 8 E bonjour 9 E ça va / 10 E oui ça va 11 En (s’approche des élèves) attends attends attends xxx il faut regarder (serre la main d’une élève) bonjour mon amie

C’est l’enseignant qui désigne les élèves qui doivent constituer les binômes, aller devant la classe et faire un jeu de rôle en s’appuyant sur la lecture du dialogue autableau. L’essentiel de la tâche consiste à lire les lignes du dialogue marqués A et B en produisant les gestes appropriés.

Les binômes se succèdent pour jouer le dialogue et, par moments, l’enseignant intervient pour guider les élèves dans la mise en jeu du dialogue. Par exemple, en 3, il intervient pour distribuer les rôles « (met les élèves face au tableau) on va lire . tu vas être (touche l’épaule d’une élève) a (touche l’épaule d’une autre élève) b . a / b \ . commence», en 6, pour indiquer la manière de réaliser la tâche et, en 12, pour rappeler les rites de salutations « (s’approche des élèves) attends attends attends xxx il faut regarder (serre les mains d’une élève) bonjour mon amie ». En effet, les normes de salutations exigent de diriger le regard vers son interlocuteur. Il n’est pas culturellement approprié de saluer quelqu’un en fixant son regard ailleurs. Cela traduit le souci de l’enseignant de rendre le cours plus conformes aux caractéristiques communicationnelles du domaine extrascolaire.

L’extrait C 00:04:38 – 00:06:12 est la continuation de la mise en pratique du dialogue: 1 En VU viens ici . avec qui . avec qui 2 E (touche l’épaule de sa collègue) huyu hapa TRD celle-ci 3 En attention .. qu’est-ce que c’est huyu hapa (TRD celle-ci) .. attention . qu’est-ce que c’est huyu hapa xxx celle-ci . celle- ci 4 E (répète le mot de l’enseignant) celle-ci 5 En commencez . qui va être qui va être A 6 E (lève la main) A 7 En moi je vais être A . c’est toi (touche l’épaule de l’élève) A / .. qui va être A (se touche la poitrine pour montrer à l’élève comment répondre) moi 8 E (se touche la poitrine) moi 9 En qui va être B 10 E °moi°

297

11 En aller commencez . commencez aller .. un deux commencez

On remarque un changement dans la manière d’attribuer la parole; l’enseignant désigne une élève et accorde la liberté à celle-ci de designer une autre élève pour jouer le dialogue (en 1). Il apparait que l’élève a compris à partir du contexte ce que voulait dire l’enseignant mais comme elle ne peut pas lui répondre en français, elle touche sa collègue sur l’épaule et répond en swahili « huyu hapa » pour dire « celle-ci » (en 2). La réponse en swahili provoque une réaction négative de la part de l’enseignant « Attention .. qu’est-ce que c’est huyu hapa (TRD : celle-ci) .. attention . qu’est-ce que c’est huyu hapa xxx celle-ci. celle-ci » (en 3). Pour montrer son refus de l’emploi du swahili en classe de FLE, la question est « qu’est-ce que c’est huyu hapa » et non pas « pourquoi vous parlez le swahili ». La réaction de l’enseignant laisse penser que ce que l’élève a produit est incompréhensible mais il fournit un équivalent en français « celle-ci » et l’élève le répète (en 4).

Après la sélection des élèves qui vont constituer un bînome pour jouer le dialogue, l’enseignant accorde la liberté aux élèves de décider des rôles qu’elles veulent jouer (en 5). L’une des deux élèves donne sa réponse en levant la main et en prononçant « A » (en 6) pour dire qu’elle va assumer le rôle de A dans le dialogue. Cependant, l’enseignant trouve que la réponse est trop courte « moi je vais être A --- » (en 7), lui répète la question et propose le début de la réponse « ---moi ». Cependant, l’élève ne fait que reproduire le mot initial proposé par l’enseignant et s’arrête là. La même réponse « °moi° » est produite par sa camarade (en 10) à la question du professeur « qui va être B ». Les réponses monolexicales sont normalement employées pour la rentabilité communicative mais, dans ce cas, l’enseignant demande des réponses complètes. L’incapacité des élèves à remplir cette exigence est révératrice d’un bas niveau de français.

Dans la troisième étape (D 00 :10 :03 – 00 :14 :21), se met à enseigner le lexique de base français. 33 En (dessine un garçon et une mosquée) où va juma 34 Es (chuchotent entre elles) anaenda mskitini (TRD : elle va à la mosquée) 35 En où va juma . ummh / .. regarde ici la classe regarde . (dessine au tableau) où va juma . juma va /--- où va juma 36 Es elle va à la xxx 37 En elle va / 38 Es Xxx 39 En elle va à la mosquée. elle va à la mosquée. Répétez 40 Es elle va à la mosquée

298

41 En est-ce que SA (faisant référence à lui-même) va à la mosquée / 42 Es non 43 En SA va où . SA aime aller où . il est musulman / chrétien 44 Es chrétien 45 En VV est musulman chrétien / 46 Es musulman En où va SA ici . où va SA . oû va SA . ici c’est numéro un . deux : ici c’est trois ici c’est quatre . où va SA . comment regarde (montre un dessin) SA .. où va ou va SA .. eeh / où va- t-il . il va / eeh / il va où . où va-t-il (dessine une église) .. il va / (touche le dessin d’une église) 3’’ il va à l’église il va à l’église

En 33 ci-dessus, l’enseignant pose la question « où va Juma » et dessine un garçon et une mosquée pour permettre aux élèves d’accéder au sens de la question en l’associant aux images. L’efficacité de cette stratégie se voit par le fait que les élèves parviennent à comprendre la signification de la question, elles chuchotent entre elles en swahili (en 34) car elles ne disposent pas du lexique français approprié. Ici, il faut souligner que les élèves chuchotent et ne peuvent pas parler à haute voix devant un enseignant qui est contre l’utilisation d’une autre langue dans la classe de français. L’enseignant tente d’initier la réponse en montant l’intonation (en 37) mais personne ne donne la réponse. L’enseignant finit par fournir la réponse lui-même (en 39) et les élèves reprennent la réponse de l’enseignant (en 40). En revanche, on observe que les élèves comprennent et répondent avec facilité à la question « est-ce que SA (faisant référence à lui-même) va à la mosquée / » (en 41). Ils répondent « non » (en 42). Ici, il est fort probable qu’ils se servent de leur savoir général que leur enseignant n’est pas musulman. On voit donc l’intervention d’un savoir extrascolaire et culturel selon lequel les sujets connaîtraient l’appartenance religeuse des uns et des autres.

On voit également que l’enseignant introduit apparemment deux nouveaux mots, à savoir « musulman » et « chrétien » dans la question « SA va où . SA aime aller où

. il est musulman / chrétien » (en 43). La réponse correcte est fournie par les élèves « chrétien » (en 44). Ici il est plausible de penser que la stratégie opérée par les élèves repose sur la transparence interlinguistique et qu’ils font implicitement référence au swahili ou à l’anglaiscar la paire « musulman/chrétien » est respectivement traduite dans les deux langues comme « mwislam/mkristo » et « muslim/christian ». Il est donc fort probable que les élèves font implicitement référence aux langues interdites par l’enseignant. Vers la fin de l’extrait (en 47), on voit également que l’enseignant se sert du dessin d’une église pour expliquer le sens du mot « église ».

299

Nous proposons, en guise de conclusion, de comparer la séquence de la quatrième année à celle de la première année. Il va de soi que les deux séquences traitent le même thème (les salutations), thème qui normalement s’adresse aux débutants (au sens proposé par le Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues). Ce phénomène a attiré notre attention et nous a poussé à demander à l’enseignant les raisons d’enseigner les salutations aux débutants (première leçon en français) et aux élèves de la quatrième année, qui ont déjà fait trois années d’apprentissage. La réponse repose sur le fait que les élèves de quatrième sont restés sans enseignant pendant plus de deux ans après le départ de l’ancien enseignant de français.

Ainsi, les deux groupes se trouvent au même niveau et ils doivent être exposés au même input langagier. Par conséquent, le groupe de quatrième année ne pourra pas se présenter aux examens nationaux de français. Ce phénomène est répandu dans de nombreuses écoles secondaires tanzaniennes. En effet, il n’est pas rare de voir que les cours de français sont supprimés du programme scolaire suite au manque d’enseignants.

Nous constatons, par ailleurs, que les deux séquences sont principalement caractérisées par des stratégies non verbales, à savoir la gestualité et, en partie, les images, alors que tout recours à une autre langue est strictement interdit par l’enseignant. Nous avons également cherché les explications de l’enseignant à ce sujet. Dans ses propos, l’enseignant s’attache à la conviction que le recours aux autres langues est source d’interférence et donc de confusion chez les élèves et qu’il constitue un grand obstacle à la fluidité en langue étrangère. Il défend la même position dans les questionnaires, où il maintient qu’il est possible d’enseigner une langue étrangère sans aucun recours à une autre langue.

5.3.2.8 Kazima Girls’ Secondary School

Nous proposons maintenant de présenter et d’analyser une autre séquence pédagogique, observée avec les élèves de première année à Kazima Girls’ Secondary School. C’est une école publique située à l’ouest du pays, dans la ville de Tabora. Lors de notre visite, l’enseignement du FLE venait d’arriver et nous et nous avons eu l’occasion d’être témoin d’un tout premier cours.

En observant l’organisation et le déroulement des activités pédagogiques, nous avons pu identifier quatre étapes, à savoir l’étape préparatoire, la lecture d’une liste de mots par les

300

élèves et l’enseignant, la traduction des expressions vers l’anglais et le swahili, selon le cas, et la pratique de la classe guidée par l’enseignant.

Durant l’étape préparatoire, l’enseignant organise le groupe-classe en fonction des différentes tâches qu’il envisage de réaliser. Il propose à la classe de se mettre en deux groupes afin de pouvoir partager les deux exemplaires de la méthode « Transafrique » disponibles pour les élèves. Ainsi, plus de quatre élèves ont dû partager un seul livre de français, ce qui a conduit certaines élèves à lire le livre à l’envers puisqu’elles se sont assises en cercle, le livre au milieu. Le manque de méthodes n’est pas un phénomène rare dans les écoles secondaires tanzaniennes et cela concerne non seulement le FLE mais également les autres matières scolaires.

L’étape d’introduction, qui consiste à exposer les élèves au nom de la nouvelle langue, est présentée dans l’extrait suivant: 1 En (écrit au tableau les mots « le français ») naomba wote tusome hapo TRD lisons cela ensemble 2 En le français 3 Es xxx 4 Es (articles « le » et « la » utilisés par les unes et les autres respectivement) le la français 5 En le/ 6 Es (l’article « le » prononcé [lə] et [le] respectivement par les différentes élèves) français 7 En le français 8 Es le français 9 En le français 10 Es le français En sawa .. pale ukiangalia katika katika vitabu vyenu ambavyo nimewapa . kuna maneno pale .. tuanze na classroom language (les élèves cherchent la page) … classroom language .. fungua sehemu iliyoandikwa classroom language .. mwanzoni (la page trouvée) TRD d’accord .. si vous regardez dans vos livres . il y a des mots .. commençons avec la lecture de classroom language … classroom language .. ouvrez l’endroit qui est écrit classroom language .. au début

Pour introduire le cours, l’enseignant écrit les mots « le français » (en 1) au tableau et demande aux élèves de les lire après sa propre lecture. Il est clair qu’il commence avec le nom de la langue que les élèves vont apprendre puisque c’est tout un premier cours. Nous voyons ensuite qu’il fournit les consignes en swahili « naomba tusome hapo » (en 1). Nous expliquerons plus tard pourquoi l’enseignant se sert du swahili alors que la politique de l’école exige l’anglais.

301

Après plusieurs lectures des mots « le français » par l’enseignant (en 2, 5, 7, 9) et la répétition par les élèves (en 4, 6, 8,10) aboutissant à une prononciation plus ou moins correcte, le premier fournit des consignes en swahili sur le titre de la leçon. Mais le titre de la leçon est présenté en anglais « classroom language » (en 11) car ils emploient une méthode bilingue contenant des consignes en anglais.

Dans l’extrait ci-dessous, nous présentons la troisième étape de la leçon consisant à lire une liste des mots par les élèves. 12 En hebu naomba tujaribu kusoma yale maneno yaliyopo upande wa kushoto TRD maintenant je vais vous demander de lire les mots qui sont à gauche 13 Es (hésitation suivie d’une lecture en anglais des mots français) garage, football, western, 14 En hebu twende mmoja mmoja .. lisa . hebu jaribu kusoma maneno hayo

15 TRD lisons individuellemt .. lisa . essaie de lire ces mots E (toujours en englais) garage 16 En kwa kifaransa .. jaribu kusoma kwa kifaransa TRD en français essayez de lire en français 17 Es (hésitation et discussion à voix basse) 18 En jaribu kusoma kwa kifaransa .. yamekushinda aah / TRD essayez de lire en français .. vous ne le pouvez pas aah / Es (essaient de varier un peu la prononciation) xxx

Avant de procéder à l’apprentissage de la langue de la classe (c'est-à-dire, les expressions utilisées quotidiennement pour les différentes activités en classe de langue), il y a une liste de mots que l’enseignant propose aux élèves de lire avant même sa propre lecture. Pourquoi fait- il ainsi ? Ce sont en fait des mots inter-linguistiquement très transparents. Ils gardent presque la même orthographe en français et en anglais. Ce n’est que la prononciation qui fait la différence. Analysons une partie de l’extrait ci-dessus.

Après quelques hésitations, les élèves commencent en vrac la lecture des mots à l’anglaise (tour 13). Il n’est pas chose aisée d’expliquer l’hésitation que manifestent les élèves mais il est possible de penser qu’elles sont d’abord étonnées de voir des mots qu’elles reconnaissent dans la langue inconnue et, peut-être, ne sont pas certaines qu’elles devraient se prononcer de la même manière qu’en anglais. Cependant, comme elles ne savent pas comment les prononcer « autrement », elles commencent à le faire à l’anglaise.

Au tour 14, l’enseignant propose une lecture individuelle. Une élève se lève pour lire les mots, mais elle le fait toujours en anglais. En 16 et 18, l’enseignant demande aux élèves d’essayer de prononcer les mots à la française mais ces dernières ne savent pas comment le

302 faire. Il est évident qu’elles ne peuvent pas les prononcer à la française vu que c’est leur premier contact avec la langue. En insistant sur la lecture en français, nous pensons que l’enseignant veut montrer aux élèves qu’il existe des cas de grandes similitudes lexicales entre les deux langues et que ce n’est que la prononciation qui fait la différence. Cette reconnaissance est susceptible de réduire l’étrangeté de la nouvelle langue.

Etant donné que les élèves ne parviennent pas à prononcer des « mots connus en langue inconnue », c’est l’enseignant qui se met à les lire et les élèves répètent. Nous présentons ci- dessous la partie de l’extrait qui ne fait que traiter le mot « garage ».

22 En sawa .. basi . naomba mnifuate xxx naomba mnifuate namna ya kuyasoma hapa .. (cherchant un petit bout de papier ayant la prononciation des mots) ngoja niyatafute hapa .. garage .. garage TRD d’accord .. c’est bon . suivez-moi xxx suivez-moi sur la façon de les lire ..je vais les chercher .. garage .. garage 23 Es (répétant après l’enseignant) garage .. garage 24 En garage 25 Es garage 26 En hein / hebu tamkeni tena garage TRD hein / prononcez encore garage 27 Es garage 28 En garage 29 Es garage 30 En lisa peke yako / TRD lisa toute seule / 31 E garage 32 En hein garage . magret peke yako hein / TRD hein garage . magret toute seule hein / 33 E garage 34 En garage .. bupe naomba urudie bupe TRD garage .. bupe répète s’il te plait 35 E garage 36 En garage xxx 37 E garage 38 En happiness simeo naomba urudie hiyo garage TRD happiness simeo tu peux répéter le mot garage 39 E garage 40 En na teresia / TRD et teresia / 41 E garage 42 En garage 43 E garage 44 En (continue à désigner les élèves pour répéter le mot garage)

Elles répètent en vrac (en 22 - 29) et puis individuellement (voir par exemple 30-34). On voit dans cette étape que beaucoup de temps est consacré à la prononciation d’un seul mot. Par

303 exemple, de 22 à 44, l’enseignant et le groupe-classe ne font que prononcer le mot « garage ». Cela nous parait excessif et contraire au principe d’économie de temps.

Après s’être assuré que les élèves ont bien saisi la prononciation du mot « garage », l’enseignant procède à la prononciation des autres mots mais nous ne voulons pas nous y attarder. Nous proposons maintenant d’analyser la quatrième étape dont la tâche consiste à réaliser la traduction de la liste de mots. 53 En (continue à prononcer les autres mots : « gangster », « hôtel », « télévision », etc. en fait, c’est une liste de mots qui sont presque les mêmes en anglais et en français. Après une lecture très répétitive, l’enseignant demande aux apprenants de traduire les mots en swahili sans aucune explication) what is the meaning of these words in english in kiswahili .. garage 54 Es gereji 55 En football 56 Es football 57 En kwa kiswahili kiswahili tunasema / TRD en swahili swahili on dit / 58 Es mpira wa miguu 59 En western kwa kiingereza ni 60 Es (discussion pour rechercher une réponse) (western ?) 61 En a kimagharibi .. ganster / .. kwa kiingereza tunasema nini / TRD ce qui est de l’ouest .. gangster /.. en anglais qu’est-ce qu’on dit / 62 Es ganster 63 En =gangster .. ni kama kikundi cha watu .. hôtel / éléphant ?) TRD c’est un groupe de gens 64 Es tembo 65 En tembo ambayo imeelezwa kwa kiswahili .. lion / TRD tembo on l’a déjà dit en swahili .. lion / 66 Es simba 67 En giraffe 68 Es giraffe 69 En giraffe .. éléphant/ 60 Es elephant 61 En roses 62 Es roses 63 En télévision 64 Es television 65 En kwa kiswahili tunasema/ TRD en swahili on dit 66 Es TV 67 En luninga (mot peu utilisé en swahili)

L’enseignant demande aux élèves de traduire les mots en anglais et en swahili mais, cette fois-ci, il pose sa question en anglais « what is the meaning of these words in english and kiswahili » (en 53).

304

En observant le déroulement de la tâche de traduction, on peut constater que, dans la plupart des cas, les élèves parviennent à trouver les équivalents sans l’aide de l’enseignant (voir en 54, 56, 58). Il va de soi que la transparence interlinguistique sert d’appui principal pour parvenir à la traduction correcte. Certains mots ont une transparence qui traverse les trois langues, à savoir, le français l’anglais et le swahili. Par exemple, pour le mot « garage », les équivalents anglais et swahili sont « garage » et « gereji » respectivement. Le mot « football » se traduit « football » et « futiboli » en anglais et en swahili respectivement, quoique l’expression « mpira wa miguu » soit également utilisée en swahili. Les mots « roses » et « télévision » se traduisent « roses » et « television » en anglais et, en swahili, « rozi » (forme non standard) et « televisheni ». Les équivalents swahilis « TV » et « luninga » sont également utilisés.

Le reste des mots a une transparence interlinguistique entre le français et l’anglais, à savoir « western », « lion », « girafe », « éléphant », etc. On observe, toutefois, des cas où les élèves ne parviennent pas à traduire certains mots dont la transparence concerne le français et l’anglais (voir, par exemple, « gangster », et « western » en 60 et 62). Nous pensons que ceci est dû à leur niveau faible en anglais. Comme nous le verrons plus tard, toutes les élèves de la première année proviennent des SMPS, ce qui explique, en grande partie, leur faible niveau en anglais et l’utilisation du swahili par l’enseignant.

La réalisation réussie de la tâche de traduction en s’appuyant, principalement, sur la transparence interlinguistique, est suivie d’une autre tache selon laquelle les élèves doivent parvenir au sens des différentes expressions à travers les images. Analysons une partie de l’extrait ci-dessous. 69 En nafikiri mmeshafahamu maana ya maneno .. sasa . naomba mwangalie hizo picha .. tuhamie kwenye picha sasa .. tunaangalia picha moja baada ya nyingine .. picha ya kwanza .. picha ya kwanza hadi ya kumi .. mwangalie vizuri .. picha ya kwanza hadi ya kumi .. hebu semeni levez-VOUS

TRD je pense que vous avez déjà compris le sens des mots .. maintenant . je vous demande de regarder les images .. passons aux images maintenant .. regardons ces images l’une après l’autre .. la première image .. dès la première jusqu’à la dixième .. regardez-les bien .. dès la première image à la dixième .. maintenant dites levez-vous

70 Es levez-vous 71 En levez-vous 72 Es levez-vous 73 En maana yake nini\ TRD que veut dire cela 74 E njoo hapa

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TRD viens ici

En effet, les élèves doivent observer et interpréter les gestes des images (voir en 69) contenues dans la méthode car chaque geste correspond à une expression. Il y a une dizaine d’images correspondant à une dizaine d’expressions.

« Levez-vous » est l’expression correspondant à la première image. En observant l’image, les élèves traduisent l’expression par « njoo hapa » (en 74), qui veut dire « viens ici ». Cette erreur permet de supposer que les gestes des images ne portent pas forcement la même interprétation selon les différents observateurs. C’est l’enseignant qui fournit la bonne interprétation (en 75) et ils passent à la pratique, la quatrième étape de la séquence. 75 En aa .. simameni .. nikisema levez-vous . ninyi mnasimama TRD non .. levez-vous .. si je dis levez-vous . vous vous levez 76 En levez-vous 77 Es (se lèvent) 78 En xxx levez-vous 79 Es levez-vous 80 En levez-vous 81 Es levez-vous 82 En ni kusimama .. levez-vous ni kusimama .. haya asseyez-vous .. ina maana gani / TRD c’est se lever .. levez-vous c’est se lever .. maintenant asseyez-vous .. veut dire quoi / 83 Es kukaa TRD s’assoir

Après quelques consignes en swahili (en 75), les élèves doivent exécuter les différents ordres de l’enseignant. Les gestes des images constituent toujours la stratégie principale pour comprendre les ordres de l’enseignant. Par exemple, l’enseignant demande aux élèves de se lever et elles se lèvent (en 76-81). On voit donc ici des énoncés en usage, mais un usage mécanique. L’objectif est d’associer les actes langagiers aux actions physiques.

En 83 ci-dessus, les élèves arrivent rapidement à traduire l’expression « asseyez-vous » en swahili. Nous pensons qu’elles se servent du sens contraire impliqué dans la question de l’enseignant « --- levez-vous c’est se lever .. maintenant asseyez-vous .. veut dire quoi / ». Ensuite, elles continuent à effectuer les actions de se lever et de s’assoir comme stratégie de mémorisation.

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Le verbe « sortir », dans l’extrait ci-dessous, a également posé un problème de traduction. 90 En sortez .. sortez .. maana yake nini TRD .. que veut dire cela .. 91 Es (les élèves regardent les images, mais ne comprennent pas et l’enseignant leur vient en aide) it means get out .. 92 En kwa hiyo . hapa inabidi mtoke nje .. sortez sortez sortez TRD donc . il vous faut sortir 93 Es (elles sortent) 94 En sortez sortez sortez 95 Es (elles sortent) 96 En (demande à une élève de venir chercher un livre et de retourner dehors de la classe et demande à l’ensemble du groupe de regarder une autre image pour l’utilisation du verbe « entrer ») entrez 97 Es (elles entrent) 98 En kwa hiyo . entrer maana yake nini / TRD donc . que veut dire entrer 99 Es enter

L’enseignant demande aux élèves de traduire le verbe « sortir » à l’aide des images (en 90), mais ces dernières n’y parviennent pas. Ceci est, comme nous venons de constater précédamment, une preuve que les gestes décrits par les images ne sont pas toujours interprétés de la même façon par les différents observateurs. C’est l’enseignant qui traduit le verbe en swahili. Ensuite, l’enseignant donne l’ordre de sortir (en 94) et les élèves exécutent l’ordre en sortant de la salle (en 95). Ici, on voit à la fois un appui sur les images, le contexte physique et les autres langues (le swahili et l’anglais).

Pour exécuter l’ordre d’entrer, l’enseignant demande à une élève de retourner dans la salle pour chercher la méthode (en 96) afin de regarder les images et d’interpréter le geste correspondant à l’action d’entrer. Cette fois-ci, elles comprennent et exécutent correctement l’action d’entrer (en 97). Ensuite, il leur demande en swahili ce que veut dire le verbe « entrer » (en 98) et elles donnent la réponse correcte (en 99). Nous pensons que les élèves sont parvenues à la réponse correcte non pas en se servant des images mais de la situation de communication car si elles sont en dehors de la salle, l’action qui suit est celle d’entrer. Les gestes sont rarement universels, il y a une dimension culturelle à prendre en compte. Il faut rappeller que la méthode « Transafrique » s’adresse au public de l’Afrique anglophone et il y a une diversité culturelle entre ces pays.

L’observation et l’analyse de la séquence pédagogique nous conduisent à tirer, en guise de conclusion, un certain nombre de constats. Tout d’abord, il est clair que la transparence inter- linguistique peut servir de point d’entrée à la langue étrangère. C’est un fait que nous avons

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également observé à Loyola Secondary School dans la séquence avec la première année analysée précédemment. Elle permet une entrée « douce » dans la langue en réduisant son étrangeté. Les sujets qui s’approprient la langue inconnue se trouvent en contact avec des mots et des expressions d’une langue connue. On peut comparer cette manière de faire à la traversée d’une frontière nationale en rencontrant le même paysage, fait qui rend l’expérience moins dépaysante.

On voit ensuite que le swahili et l’anglais sont employés comme langues de la communication pédagogique, intervenant non seulement pour résoudre un problème de communication mais également dans les cas où aucun blocage d’intercompréhension ne se présente. Bien qu’on puisse constater des effets bénéfiques, nous pensons que cette pratique peut avoir pour retombée négative de réduire les occasions de contact et de pratique de la langue étrangère et peut potentiellement freiner le processus d’appropriation du FLE.C’est pour cela qu’il faut une utilisation raisonnée d’une autre langue dans la classe de LE. Nous soulignons par ailleurs que le passage au swahili ou à l’anglais par l’enseignant se fait sans balisage, fait qui montre que cela est une pratique habituelle. Il faut également utile de souligner que, tout au long de la séquence, nous n’avons répéré aucune initiative d’utilisation d’une autre langue par les élèves.

Il est également clair que, dans la plupart des cas, la traduction se fait en anglais et en swahili. Après notre observation, nous avons demandé à l’enseignant la raison de cette pratique. Son explication réside dans le fait que le groupe-classe se compose d’élèves provenant des SMPS qui, selon lui, ont un très faible niveau en anglais. Il avance aussi le fait que la traduction en swahili lui donne la certitude que les élèves ont bien compris le contenu traité. On observe ainsi l’utilisation d’une voie trilingue de communication et d’appropriation du français qui pourrait servir à l’apprentissage non seulement du FLE mais aussi de l’anglais.

Il faut, par ailleurs, souligner que la politique linguistique de cette école n’autorise pas l’utilisation du swahili dans les salles de coursmais il faut également dire que, si, dans certains cas, cette politique est contraignante pour les autres matières, la classe de FLE jouit d’une certaine liberté d’utilisation des autres langues à des fins pédagogiques. Par ailleurs, nous avons observé que, dans la plupart des écoles, la politique est plus stricte chez les élèves que chez les enseignants.

En outre, nous avons vu que la séquence est caractérisée par une variété de stratégies de communication et pédagogiques, à savoir linguistiques (plurilingues) et non linguistiques

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(images et contexte physique). Les stratégies plurilingues occupent une place particulièrement importante et témoignent d’un cas d’application implicite de la didactique du plurilinguisme, à savoir l’intercompréhension entre langues voisines.

5.3.2.9 Nsumba Secondary School

Nsumba Secondary School fait partie des trois écoles enquêtées dans la ville de Mwanza située au Nord-ouest, au bord du lac Victoria. C’est une école où le français est en cours de suppression. De ce fait, il n’y avait qu’un seul groupe d’élèves de français, en quatrième année. Selon l’enseignant de français, c’est le dernier groupe. Ainsi, cette école s’ajoute aux écoles de Kazima et Jangwani où, pour des raisons de manque d’enseignants, il n’existe qu’une seule classe de français. Ce fait est susceptible d’avoir un impact sur la valeur comparative des pratiques pédagogiques à l’intérieur et à travers les écoles.

La séquence pédagogique que nous voulons analyser porte sur l’imparfait et se divise en trois étapes, à savoir l’étape prépédagogique consistant à présenter l’enquêteur, l’introduction de la leçon constituée par la définition de la notion d’imparfait et l’explication de sa formation, et l’application des règles de formation à travers des exemples et des situations de communication. Nous proposons de passer directement à l’introduction de la leçon (A 00:00:00-00:05:24):

3 En aah : nous allons / maintenant . nous allons faire le : xxx apprendre l’imparfait . je ne sais pas si vous avez déjà appris ce terme .. eeh : . d’abord / on va voir aah (écrit au tableau) le sens . le sens de ce temps-ci (touche le mot « imparfait » au tableau) imparfait .. l’imparfait c’est le temps du passé qui indique aah nous avons combien de temps de passé xxx parce nous avons le passé composé / nous avons l’imparfait et nous avons le plus-que-parfait .. tous aah tous ces temps sont des temps du passé 2’’ aah quand vous étiez en deuxième année vous avez fait le quoi le passé composé .. maintenant / nous avons l’imparfait .. le passé composé explique une action / qui commence et terminée . qui commence et se finit dans un cours moment du passé mais quand xxx l’imparfait c’est un temps du passé ou bien l’action qui commence dans le passé et continue dans le passé .. ça c’est que je vais expliquer ici . la différence entre le passé composé et l’imparfait 2’’ l’imparfait c’est : (écrit au tableau) exprime .. une action qui / qui commence .. dans le passé et : termine dans aah: (arrêt d’écrire et efface le mot termine) et continue continue dans le passé .. ça c’est l’imparfait

Pour introduire la leçon, l’enseignant annonce directement le thème de l’imparfait. La définition de l’imparfait est suivie de la distinction entre ce temps verbal et le passé composé.

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La façon d’introduire la leçon est caractéristique de l’approche traditionnelle grammaticale: la leçon porte un thème grammatical et non une situation de communication, le thème grammatical est défini et la distinction entre l’imparfait et les autres temps verbaux est établie en dehors de toute situation de communication.

La troisième étape consiste en la mise en application des règles de formation de l’imparfait à travers des exemples. Analysons quelques lignes de l’extrait B 00:18:08-00:34:31: 1 En comme j’ai déjà dit qu’on utilise l’imparfait pour parler des actions passées . pour parler des habitudes passées par exemple ici quand j’étais à la maison . ça c’est une habitude passée .. quand j’étais à la maison / je dansais avec mes amis .. au moment où j’étais à l’école j’étudiais avec mes amis .. quand j’étais petit par exemple quand j’étais petit . j’allais à la pêche avec mon père .. j’avais l’habitude d’aller à la pêche avec mon père .. xxx ici on explique ou on parle des actions passées essayez d’utiliser des phrases à l’imparfait .. beaucoup beaucoup de phrases à l’imparfait 2 Es (murmurent entre eux) 3 E Xxx écrire / 4 en non non .. formez des phrases à l’oral .. n’écrivez pas . c’est à l’oral .. par exemple ici vous avez dit quand j’étais petit xxx 5 E (même élève) Est-ce que je peux former une phrase qui contient l’imparfait et le passé composé / 6 En oui 2’’ c’est possible 7 E nous étions au stade quand la pluie a commencé à pleuvoir

(continuation de l’extrait) 16 E (le même élève lève la main) 17 En qui / 18 E quand mon (frère ?) je mangeais xxx 19 En mais xxx vous parlez beaucoup .. vous avez fait beaucoup de phrases . merci . d’autres personnes .. vous avez fait beaucoup de phrases .. l’autre personne / . utilisez ce temps ici . l’imparfait xxx par exemple . quand nous étions à l’école primaire . nous avions beaucoup d’examens . ne c’est pas / . aah : quand j’étais bon en mathématiques . quand j’étais à l’école primaire . j’étais bon en mathématiques .. ou quand j’étais petit .. j’allais à la chasse avec les amis 20 E (un autre élève lève la main) 21 En eeh / 22 E (se lève pour répondre) °quand ma mère est arrive j’ai déjà mangé°

(continuation de l’extrait)

33 En où est l’imparfait 34 E (silence) 35 E (un autre élève se lève) 36 E (se lève pour répondre) quand on commence les cours de français on parle lentement 37 En où est l’imparfait 38 E (silence) 39 En maintenant / racontons notre histoire passée en utilisant ce temps ici l’imparfait

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La tâche proposée par l’enseignant devient objet de murmures entre les élèves (en 2) et, par la suite, ils proposent à l’enseignant de réaliser la tâche à l’écrit « xxx écrire / » (en 3). Les murmures et l’hésitation des élèves traduisent une peur de prendre la parole en français. Ceci provient peut-être du fait que les élèves sont plus habitués aux pratiques écrites qu’orales. Ainsi, l’enseignant était obligé de s’attacher à sa consigne et d’insister qu’il fallait fournir des phrases à l’oral (en 4). On voit qu’après avoir demandé à l’enseignant la possibilité d’avoir l’imparfait et le passé composé dans la même phrase (en 5), un élève fournit un exemple correct (en 7).

On voit que le même élève demande la parole pour fournir un autre exemple (en 16) et la parole lui est accordée (en 17) mais l’enseignant trouve qu’un seul élève domine le discours du groupe-classe et, après avoir eu son exemple (en 18), lui propose de laisser la parole aux autres élèves (en 19). L’enseignant propose davantage d’exemples pour permettre aux autres élèves de comprendre et de participer à la tâche. Il cherche sans doute une distribution plus équilibrée de la parole.

A partir de 20, un autre élève demande la parole et fournit une réponse incorrecte qui ne contient pas l’imparfait (en 22). Non seulement la phrase de l’élève ne contient pas l’imparfait mais elle omet l’accord. Il est fort probable que l’élève ne soit pas sûr de de sa réponse car il la fournit à voix basse. Soucieux du respect de la consigne, l’enseignant demande à l’élève « Où est l’imparfait » (en 33). En 36, un autre élève fournit également une phrase qui ne contient pas l’imparfaitet et la réaction de l’enseignant est la même (en 37). On voit que, dans les deux cas, il n’y a ni auto-correction ni hétéro-correction et, en 39, l’enseignant propose une autre tâche consistant à raconter une histoire en utilisant l’imparfait. Ainsi, on voit une sorte de rupture pédagogique car, au lieu de se servir des phrases erronées fournies par les élèves pour les modifier en y introduisant l’imparfait, l’enseignant passe à une autre tâche exigeant l’utilisation du même temps.

On voit cependant qu’un élève qui nous a paru avoir plus l’habitude de prendre la parole raconte son histoire en utilisant l’imparfait (en 46 ci-dessous): 46 E moi je m’appelle monsieur Isack . quand j’étais à l’école primaire . j’avais beaucoup d’amis xxx aussi j’étudiais tous les sujets qui étaient enseignés à l’école .. je xxx aussi je faisais xxx que le professeur me donnait . c’est tout (s’assied)

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C’est le seul élève qui a pu participer à la réalisation de cette tâche, après quoi la cloche a sonné et la séquence s’est arrêtée.

De manière générale, la séquence que nous venons d’analyser révèle des pratiques fondées sur la méthode traditionnelle. Les règles de formation de l’imparfait sont présentées et ensuite appliquées à travers des exemples et pour raconter une histoire au passé. On voit par ailleurs que l’interaction pédagogique est dominée par l’enseignant et un seul élève qui peut, dans une certaine mesure, s’exprimer en français.

Il n’y a aucune stratégie de résolution de problèmes mise en œuvre et, apparemment, l’émergence de problèmes de communication a pu être évitée par la centration de l’interaction sur un élève relativement compétent en français. Par ailleurs, l’utilisation d’une autre langue est totalement évitée. C’est peut-être pour cela que la participation des élèves n’est que minimale. On constate également que les constructions erronées fournies par les élèves sont suivies d’une évaluation négative sans aucune correction de la part de l’enseignant.

5.3.2.10 St. Joseph Girls’ Seminary School St. Joseph Girls’ Seminary est la dernière école dans notre analyse des données vidéo. Elle se trouve à Mwanza et nous avons pu observer deux séquences pédagogiques conduites par le même enseignant. La séquence avec le groupe de première année n’a duré qu’une quinzaine de minutes du fait de son commencement tardif. La leçon porte sur les activités scolaires et est la continuation d’une leçon traitée dans un cours précédent. La séquence est composée de deux étapes, à savoir les consignes de la tâche et la composition des phrases par les élèves. La séquence est transcrite en un seul extrait (A 00:00:00-00:15:35).

1 En (devant la salle, une liste de verbes au tableau noir) par exemple le verbe lire .. on peut faire des phrases comme je lis tu lis >il lit nous lisons vous lisez ils lisent< je lis . ils lisent .. je lis . ils lisent le français . tu lis .. je lis les notes . tu lis les journaux .. répondre . je répond au professeur . essuyer . j’essuie le tableau .. j’essuie une vache . j’essuie une chèvre xxx (touche le verbe « apprendre ») le verbe apprendre . >j’apprends tu apprends il apprend nous apprenons vous apprenez ils apprennent< .. j’apprends le français à l’école . j’apprends le swahili . tu apprends l’anglais . nous apprenons nous apprenons le sukuma et nous apprenons le kihaya 2’’ aujourd’hui nous allons pratiquer à utiliser ces verbes .. composer des phrases avec ces verbes .. xxx écrire répondre dessiner .. par exemple . (écrit en parlant) Paul apprend le français . this means / 2 Es paul is studying French

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3 En (montre à une élève) tu t’appelles comment / 4 E (se lève) Janeth 5 En JA et toi / (dirige sa main vers une autre élève) 6 E JQ 7 En (écrit en parlant) JA et JQ apprennent le / 8 Es français 9 En can you read the sentence / 10 Es janeth et Jacqueline apprennent le français et l’anglais 11 En now . this is given as an exemple .. can you use apprendre . apprendre (écrit en parlant) le sukuma . apprendre chinois . chinois is which language 12 Es (après une petite silence 4’’) chinese 13 En apprendre l’espagnol . espagnol is which language 14 Es spanish

(continuation de l’extrait) 19 En jane / apprend / (parle en écrivant la phrase au tableau) 20 E les mathématiques 21 En une autre personne / 22 E (une autre élève lève la main) 23 En mmh / tu t’appelles comment d’abord / 24 E Xxx °Janine et Winnie apprennent le kisukuma°

(continuation de l’extrait) 30 E je m’appelle Jesca .. j’apprennent le swahili 31 En ce n’est pas j’apprennent . j’apprends 32 E j’apprends le swahili 33 En ça c’était le verbe apprendre .. écrire maintenant 2’’ xxx par exemple . (parle en écrivant) j’écris au tableau . tableau / qu’est-ce que c’est tableau 34 Es blackborad 35 En j’écris au tableau what does that mean xxx nous écrivons des lettres .. what does this mean 36 E (se lève pour répondre) they are writing the letter 37 En there is s 38 E (se lève pour corriger sa phrase) letters

(continuation de l’extrait) 68 E je dessine xxx 69 En je dessine un / 70 E xxx 71 En un / (s’approche de l’élève pour mieux entendre) 72 E °un chienne° 73 En (écrit le mot chien au tableau) comme ça / 74 E oui En ce n’est pas chienne c’est chien . une autre personne /

(continuation de l’extrait) 92 En ce sont des choses qu’on fait / à l’école .. à l’école on écrit à l’école on lit à l’école on apprend à l’école on comprend . je comprends tu comprends . merci beaucoup . maintenant / je vais inviter . maintenant / je vais /

L’essentiel de la tâche consiste à construire des phrases en utilisant des verbes« apprendre », « écrire », « dessiner », « essuyer », « répondre », « lire », etc. (en 1). Ce sont des verbes qui indiquent les activités qu’on fait à l’école et les élèves ont appris leur conjugaison pendant la

313 leçon précédente. Dans la première étape, l’enseignant fournit la consigne et les exemples pour guider les élèves dans la réalisation de la tâche.

On voit, en 1, que la consigne et les exemples sont fournis en français mais l’enseignant donne de nombreux exemples pour s’assurer de la compréhension par les élèves. Une chose intéressante est la mention des LCEs dans les exemples (apprenons le sukuma et nous apprenons le kihaya). Cela fait partie des cas rares, où on rencontre ces langues en classe de FLE. Elles interviennent comme langues citées et comme trace du plurilinguisme social. Comme nous l’avons vu tout au long de l’analyse des données, le plurilinguisme scolaire est caractérisé par la présence de l’anglais et du swahili.

On observe cependant vers la fin du premier tour l’utilisation de l’anglais pour demander aux élèves de traduire la phrase « Paul apprend le français ». L’enseignant leur demande en anglais « this means / » et les élèves lui fournissent la traduction correcte sans aucune hésitation (en 2). La traduction est ici employée par l’enseignant comme stratégie pédagogique de vérification de la compréhension.

Aux 7 et 8, on voit une stratégie d’initiation par l’enseignant et de complétion par les élèves. L’enseignant fournit le début d’un syntagme nominal en prononçant l’article « le / » avec une intonation montante et les élèves fournissent l’élément complémentaire « français ».Dans ce cas particulier, cette stratégie ne vise pas la résolution d’un problème communicationnel mais l’implication des élèves dans l’activité interactionnelle.

En 9, on rencontre un autre cas d’utilisation de l’anglais pour fournir des consignes. Dans l’exemple de l’enseignant, on voit qu’une LCE est listée au même titre que le chinois (le sukuma . apprendre chinois). Le sukuma est la LCE la plus utilisée à Mwanza. Cet exemple montre un cas de valorisation des LCEs. On voit d’ailleurs en 24 qu’une élève cite une LCE (Xxx °Janine et Winnie apprennent le kisukuma°) dans son exemple.

Quant à l’utilisation de l’anglais pour fournir des consignes, il est probable que l’enseignant, vu le niveau linguistique de ses élèves, prévoit un problème d’incompréhension et veuille l’éviter. La stratégie de traduction se poursuit en 11 où l’enseignant demande aux élèves de traduire le mot « chinois ». Dans ce cas, l’enseignant suppose que les élèves peuvent trouver l’équivalent anglais en se servant implicitement de la transparence interlinguistique.

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Après un petit silence, les élèves parviennent à la traduction correcte (en 12). La même stratégie se voit aux 13 et 14 où il est demandé aux élèves de traduire le mot « espagnol ».

Pour encourager les élèves à prendre la parole, l’enseignant initie la phrase (en 19) et les élèves la complètent (en 20). On voit ensuite que les élèves commencent à fournir des phrases entières sans dépendre de l’aide de l’enseignant (en 24) mais, en 30, une autre élève fournit une phrase grammaticalement incorrecte. L’enseignant la corrige (en 31) et l’élève reprend la phrase correcte (en 32).

Dans les tours de parole qui suivent, on peut relever plusieurs stratégies. D’abord, l’enseignant demande aux élèves de traduire le mot « tableau » pour en vérifier la compréhension (en 33). Cependant, il fait sa demande en français et les élèves, sans aucune hésitation, lui répondent en anglais. Cela permet de supposer que les élèves ont été préalablement exposées au mot « tableau », sinon elles ne pourraient pas fournir son équivalent « blackboard » (en 34), qui ne présente aucune transparence avec le français.

Nous pouvons ensuite supposer que les élèves traduisent directement en anglais et non pas en swahili parce c’est l’anglais qui est « habituellement » employé comme langue de secours en classe. Il est ensuite demandé aux élèves de traduire la phrase « --- nous écrivons des lettres --- » (en 35) et, cette fois-ci, la demande se fait en anglais. Une élève propose une réponse erronée, ce qui donne lieu à une hétéro-correction.

On rencontre une autre stratégie de recours à l’écrit, à savoir une stratégie de vérification de la compréhension d’une forme prononcée de manière peu compréhensible. En 68, l’élève fournit un énoncé peu clair et peu compréhensible pour l’enseignant. Ce dernier n’arrive pas à comprendre la réponse même après s’être approché de l’élève pour mieux entendre (en 71) et recourt à l’écrit (en 73). Comme la réponse de l’élève est incorrecte grammaticalement, l’enseignant la corrige mais il n’y a aucune reprise de la forme correcte par l’élève. Pour conclure son cours, l’enseignant reprend l’objectif du cours qui a porté sur la description des activités scolaires (en 92) puis il invite l’enquêteur à s’adresser aux élèves.

On peut dire, en guise de conclusion, que la séquence que nous venons d’analyser est particulièrement interactive et caractérisée par une diversité de stratégies de résolution de problèmes de communication. Les stratégies bi-plurilingues sont particulièrement présentes pour vérifier la compréhension (le cas de la traduction) et pour poser des questions aux élèves, quand l’enseignant pense que ses élèves ne pourront pas comprendre en français. Nous avons

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également constaté que, dans les tâches de traduction, l’anglais constitue la langue de référence de facto. L’enseignant n’a pas besoin de spécifier la langue car les élèves savent d’emblée que c’est l’anglais. Il faut rappeller que, dans cette école catholique, la politique contre l’utilisation du swahili et des LCEs est très stricte.

Les autres stratégies incluent l’hétéro-correction, la répétition et l’initiation des réponses par l’enseignant. Par ailleurs, nous avons constaté que le recours à l’écrit est une stratégie de résolution de problèmes de communication également employée par l’enseignant pour vérifier sa compréhension d’énoncés difficilement compréhensibles produits par les élèves. Du point de vue méthodologique, la séquence est fondée sur des pratiques communicatives plurilingues. Par ailleurs, on voit les traces du plurilinguisme social à travers les LCEs qui interviennent comme langues en mention.

Dans ce qui suit, nous analysons une séquence pédagogique conduite par le même enseignant avec le groupe de quatrième année. La leçon porte sur un texte narratif « Elle était toujours là » se trouvant dans la méthode « Alpha » conçue en Tanzanie. La transcription est organisée en trois extraits et nous commençons avec l’extrait A 00:00:00- 00:02:44. 3 En (l’enseignant se trouve devant la salle de cours et écrit la date et le mot « français » au tableau noir. murmure des élèves. Il n’y a que 4 élèves de quatrième année apprenant le français. Elles se mettent devant, les autres élèves se mettent derrière. L’enseignant se tourne vers les élèves, ouvre son livre sur la table) aujourdh’hui / xxx fassons notre lecture à la page .. trente (silence 6’’) aah notre cours aujourd’hui xxx (laisse le livre et bouge un peu et fait un geste de la main gauche) aujourd’hui on va faire notre lecture à la page à la page trente xxx (se tourne vers le tableau noir) ouvrez vos livres à la page trente

2 Es (ouvrent leurs livres) 3 En (écrit au tableau noir le titre du texte : il était toujours là et se tourne et bouge vers les élèves) il était toujours là 4 E (une seule élève répète la phrase de l’enseignant) il était °toujours xxx° 5 En (regarde et touche le livre devant lui) comme d’habitude je commence à lire / et puis / vous allez répéter après moi 2’’ elle était toujours là 6 Es elle était toujours là 7 En voilà déjà six ans / (il tourne son regard vers l’enquêteur) 8 Es voilà: déjà : six ans /

Comme dans la plupart des cas, la leçon commence avec l’annonce du titre de la leçon, la page de la méthode et la consigne sur l’essentiel de l’activité (en 1). Cela constitue l’étape d’introduction. Nous signalons que le groupe de quatrième année ne compte que quatre élèves

316 qui apprennent le français et, contrairement aux autres écoles, les autres élèves sont restées dans la salle de cours pendant le cours de français en se mettant derrière les quatre élèves qui suivent le cours. L’enseignant nous a expliqué qu’il faisait ainsi car il n’y avait pas d’autre salle disponible.

La deuxième étape de la séquence est la lecture du passage par l’enseignant et la répétition par toutes les élèves (à partir de 5), phrase par phrase ou selon les groupes de mots. C’est une tâche qui se répète deux fois et dure dix minutes. Dans cette étape, la prononciation est l’élément principal d’apprentissage; les élèves imitent la prononciation de l’enseignant.

Dans la troisième étape (voir l’extrait B 00:10:33-00:11:43 ci-dessous), les élèves doivent faire la lecture toutes seules sans l’aide de l’enseignant (en 1). 1 En cette fois-ci c’est votre tour 4’’ lisez ce texte hein / commencez avec elle était toujours là (lisant encore le texte) aah cette bonne cette bonne vielle femme pleine de sagesse et de douceur 3’’ hmm / vous lisez / (silence 6’’) commencez elle était toujours LA 2 Es Elle était toujours là 2’’ voilà déjà six ans / que ma grand- mère est morTE / et aujourd’hui / encore / je regrette / se sa tendresse 3 En SA 4 Es sa tendresse 5 En tendresse 6 Es tendresse 2’’ quand je rentrais de l’école . elle était là toujours là 7 En elle éTAIT

L’enseignant intervient presque systématiquement pour corriger la prononciation (à partir de 3). Cette tâche semble avoir comme objectif de consolider la prononciation correcte des mots. Les difficultés manifestées par les élèves sont révélatrices d’un faible niveau en français. L’enseignant nous a expliqué que les élèves étaient restées sans enseignant pendant plus d’une année après le départ de l’ancien enseignant.

Dans la dernière étape de la séquence, l’enseignant pose des questions sur le texte. C’est une étape qui dure six minutes. Analysons l’extrait C: 00:16:13-00:22:00. 1 En merci 2’’ cette histoire aah ce texte parle de / 2’’ qui parle dans ce texte 2 Es (silence 8’’) 3 En alors / qui parle dans ce texte 3’’ c’est le professeur 2’’ le : la grand-mère de Aminata / 4 Es (avec hésitation) °c’est la grand-mère de Aminata° 5 En c’est la grand-mère de Aminata / 6 Es oui 7 En (bouge et se tourne vers le tableau. Veut écrire mais n’écrit rien et retourne vers les élèves) qui parle .. c’est Aminata .

317

le professeur ou bien c’est la grand-mère de Aminata 2’’ qui parle 8 E (avec hésitation) °c’est Aminata°

(continuation de l’extrait)

23 En (regardant son livre) pourquoi (silence 10’’) pourquoi pas hein lisons là-bas / le premier paragraphe (suivant sa lecture avec le doigt sur le livre) voilà déjà six ans que ma grand-mère EST morte 3’’ et aujourd’hui encore je regrette sa tendresse 3’’(mouvement de la main gauche) hein / ma grand-mère EST morte et aujourd’hui encore je regrette sa tendresse 3’’ hein / (levant sa main gauche au rythme de son discours) ma grand-mère est morte et aujourd’hui encore je regrette sa tendresse 5’’ hein : ici j’ai une autre question 2’’ la grand-mère la grand-mère est morte il y a six ans (bougeant vers le tableau noir) c’est vrai ou bien .. c’est vrai ou c’est faux hein / la grand-mère d’Aminata est morte il y a six ans 3’’ vrai ou faux (silence 5’’ l’enseignant écrit au tableau) hmm / la grand-mère d’Aminata (faisant un mouvement de sa main gauche sur le tableau au rythme de son discours) morte il y a six ans 2’’ c’est correct ou bien c’est pas correcte 3’’

24 Es xxx 25 En levez la main 2’’ (désigne une élève par la main) hein / toi là-bas / 3’’ 26 E °vrai° 27 En hein / vrai 28 E hmm 29 En °pourquoi° 30 Es (silence 8’’) 31 En vérifiez ta réponse si : la grand-mère de Aminata est morte il y a six ans .. (regarde son livre) vérifiez (silence 13’’) (montre avec son doigt une partie dans le texte) regardez là- bas 3’’ ici / voilà déjà six ans que ma grand-mère est morte voilà déjà six ans que ma ma grand-mère est morte (retourne au tableau) donc la grand-mère d’Aminata est morte il y a SIX 2’’ il y a SIX ans ..

Dans la première question, l’enseignant demande aux élèves d’identifier et de mentionner la personne qui parle dans le texte (en 1) mais, après un long silence de la part des élèves (en 2), l’enseignant propose deux possibilités de réponse - toutes deux incorrectes (en 3) - juste pour aider les élèves à comprendre la question. Par la suite, les élèves fournissent une réponse incorrecte en choisissant l’une des deux possibilités proposées par l’enseignant. Finalement, l’enseignant propose trois possibilités de réponse, cette fois-ci en y incluant la bonne réponse (en 3). Une élève parvient à fournir la bonne réponse mais avec beaucoup d’hésitation et d’incertitude (en 8).

Après un long moment d’hésitation et d’incertitude dans les réponses des élèves, l’enseignant décide de les renvoyer au texte (en 23); il relit le texte pour montrer aux élèves les passages qui fournissent les éléments de réponse. En fait, il veut montrer que la grand-mère d’Aminata

318 est morte et qu’elle ne peut pas être la personne qui parle dans le texte. En réalité, c’est l’enseignant qui cherche la réponse à la place des élèves.

L’analyse que nous venons d’effectuer permet d’avancer que, contrairement à la séquence avec le groupe de première année, celle-ci est moins interactive. L’enseignant pose et, de façon indirecte, répond à ses propres questions. Aucune autre langue n’est utilisée dans la démarche pédagogique, bien qu’il y ait tous les indices d’absence d’intercompréhension entre les élèves et l’enseignant. Nous avons observé les stratégies d’hétéro-correction, de répétition, de proposition de réponses. Bref, il y a très peu de stratégies mises en œuvre et très peu de travail d’apprentissage observable car il n’y a pas de véritable interaction qui s’engage entre l’enseignant et les élèves. De manière générale, le groupe manifeste un niveau linguistique très faible et, peut-être, l’utilisation d’une autre langue aurait été bénéfique.

5.3.2.11 Conclusion

Dans cette section, nous avons présenté et analysé 17 séquences pédagogiques dans une dizaine d’écoles secondaires. L’observation des pratiques pédagogiques effectives a révélé que 11 séquences pédagogiques, soit 65%, étaient presque entièrement monolingues, alors que 6 séquences, soit 35%, étaient, à des degrés divers, caractérisées par l’utilisation d’une autre langue. Nous avons également constaté que l’utilisation d’une autre langue est plus présente dans les séquences avec le groupe de première année qu’avec le groupe de quatrième année, sans doute en raison du niveau de connaissance en FLE.

L’anglais constitue la langue la plus fréquemment utilisée dans la classe de FLE, bien que, dans trois séquences, nous avons observé la présence des deux langues: le swahili et l’anglais. Même dans les cas de coprésence de ces deux langues, c’est souvent l’anglais qui est le plus utilisé. Les raisons de la fréquence de l’anglais dans la classe de FLE ont été abordées dans la section précédente. En outre, les LCEs sont presque inexistantes. On les rencontre rarement sous la forme de langues en mention (notamment dans les exemples), fait qui montre les traces du plurilinguisme social à l’école.

En ce qui concerne les fonctions de ces « autres » langues, nous avons constaté qu’elles intervenaient le plus fréquemment pour fournir des consignes, pour vérifier la compréhension, pour évaluer les réponses des élèves, pour comparer les éléments linguistiques de deux ou trois langues, pour poser des questions à l’enseignant, pour expliciter un concept ou des règles grammaticales. Nous avons cependant observé des séquences dans lesquelles l’utilisation

319 d’une autre langue était systématique et non stratégique, intervenant même en cas d’absence de problème. C’est ce type d’appui aux autres langues qui est susceptible de présesnter le cas un obstacle à la pratique et à l’éventuelle maîtrise du FLE.

Les séquences entièrement monolingues sont majoritairement porteuses des caractéristiques suivantes:  Elles sont dominées par le discours du professeur;

 La participation des élèves est minimale car, d’une part, l’enseignant remplit un double rôle – d’enseignant et d’apprenant - en posant des questions et en fournissant les réponses à ses propres questions. D’autre part, il y a des cas où l’enseignant s’adresse à un ou deux élèves ayant un certain niveau de connaissance en FLE;

 Beaucoup de temps et d’énergie sont consacrés à l’explication d’un même concept;

 Certains des problèmes de communication restent sans résolution;

 Dans certains cas, l’enseignant et les élèves restent dans l’incertitude et l’incompréhension.

Cependant, nous avons vu que certains enseignants qui évitent l’utilisation d’une autre langue dans la classe du FLE exploitent d’autres possibilités stratégiques pour permettre l’intercompréhension ou pour résoudre les problèmes de communication et rendre possible une séquence interactive, où les élèves sont suffisamment impliqués. La gestualité, les dessins, le contexte physique de la classe, la variation de l’intonation, l’exemplification, la référence et la transparence interlinguistique implicite, entre autres, constituent les principaux moyens stratégiques pour éviter l’utilisation d’une autre langue.

Du point de vue méthodologique, on peut distinguer quatre types de pratiques pédagogiques, à savoir grammaticales monolingues, grammaticales plurilingues, communicatives monolingues et communicatives bi-plurilingues. Par ailleurs, nous avons vu que, même dans les séquences qui évitent les pratiques bi-plurilingues, des traces pluriculturelles sont répérables. Le tableau ci-dessous montre la présence des autres langues dans la classe du FLE, selon les séquences pédagogiques observées.

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Tableau 23: L’intervention des autres langues dans la classe du FLE

N° Ecole Classe Utilisation du swahili Utilisation de l’anglais

STELLA MATUTINA FI X X 01 FIV X X 02 MALANGALI FI V V FIV V V 03 ZANAKI FI X X FIV X X 04 BENJAMIN WILLIAM FI X X MKAPA FIV X X 05 AZANIA FI X X FIV X X 06 JANGWANI FI X V FIV * * 07 LOYOLLA FI X V FIV X X 08 KAZIMA FI V V FIV * * 09 NSUMBA FI * * FIV X X 10 ST. JOSEPH FI X V SEMINARY FIV X X

Légende v- Utilisation x-Non-utilisation *-Absence d’un cours de FLE

321

CHAPITRE 6 CONCLUSION GENERALE, PERSPECTIVES SOCIOLINGUISTIQUES ET DIDACTIQUES

6.0 Rappel

La présente étude avait pour objet la compréhension de la place des ressources plurilingues dans la résolution des problèmes de communication dans la classe de FLE en Tanzanie par l’analyse des représentations sociales, des politiques scolaires et des pratiques effectives en classe. Dans ce dernier chapitre, nous tirons une conclusion générale et avançons des perspectives sociolinguistiques et didactiques en réponse à la problématique posée au premier chapitre. Nous verrons en quoi nos résultats sont susceptibles d’améliorer les politiques linguistiques et éducatives et, éventuellement, les pratiques didactiques et pédagogiques. Le chapitre comprend deux sections, à savoir la conclusion générale et les perspectives sociolinguistiques et didactiques.

6.1 Conclusion générale

Notre premier objectif était de comprendre le répertoire langagier des sujets en vue de saisir leur niveau de connaissance dans les différentes langues. Les données présentées ont révélé que la majorité des sujets sont, à des degrés variables de connaissance, exposés à quatre langues, à savoir une LCE, le swahili, l’anglais et le français.

Les données ont également révélé qu’un nombre non négligeable de sujets est exposé à deux LCEs, fait qui montre qu’il existe encore du plurilinguisme horizontal impliquant des liens entre les communautés linguistiques ethniques. Cependant, un phénomène inquiétant pour les sociolinguistes travaillant dans la perspective d’une écologie linguistique est l’existence d’une proportion significative de la jeune population tanzanienne sans aucune exposition à une LCE. C’est un phénomène qui peut, à long terme, entrainer une rupture intergénérationnelle et l’éventuelle disparition de ces langues. Ainsi, la Tanzanie du futur sera linguistiquement et culturellement moins diversifiée qu’aujourd’hui. A cet égard, il faut souligner le rôle central de l’école dans le maintien de la diversité linguistique et culturelle. Les langues de l’école ont plus de chances d’être maintenues à travers les générations que celles qui restent en dehors du système scolaire.

En ce qui concerne le niveau de connaissance dans les différentes langues, les données ont montré que le swahili est généralement la langue commune que les élèves et les enseignants

322 maîtrisent le mieux, suivie de l’anglais. Nous avons cependant été étonnés par le fait que la majorité des élèves placent l’anglais au deuxième rang du niveau de connaissance, ce qui signifie qu’ils maîtrisent cette langue mieux que les LCEs. Ceci concerne la majorité des élèves, même ceux qui proviennent des milieux ruraux. Par ailleurs, lors des entretiens, la majorité des élèves n’ont pas pu s’exprimer en anglais et ont choisi le swahili. On s’attendrait donc à ce que la majorité des élèves placent l’anglais au troisième rang et les LCEs au deuxième rang.

Nous avons tenté d’expliquer ce phénomène par le fait que les élèves veulent s’identifier avec la langue qu’ils aiment le plus et se montrer plus compétents dans cette langue. C’est pour cela qu’ils placent l’anglais et non les LCEs au deuxième rang du niveau de connaissance. On constate ainsi que l’évaluation du niveau de connaissance est en partie fondée sur les facteurs subjectifs de préférence et d’utilité des langues. De manière générale, le swahili est la langue la plus partagée et la mieux maîtrisée par les partenaires de la classe et constituerait une ressource linguistique potentiellement prioritaire pour l’appropriation du FLE, mais nous avons vu que ce n’est pas toujours le cas, pour des raisons sur lesquelles nous reviendrons plus loin. Bref, les données ont confirmé notre postulat que la plupart des élèves sont exposés à quatre langues et que le swahili est le plus partagé.

Notre deuxième objectif était de comprendre les représentations sociales vis-à-vis des différentes langues constitutives du répertoire des sujets enquêtés. Nous supposions que ces représentations pourraient avoir des retombées sur les pratiques linguistiques scolaires et extrascolaires. Comme nous l’avons vu, les questions de préférence et d’importance des langues ont été exploitées pour accéder aux représentations.

Concernant la préférence pour les langues, les données ont montré que, du côté des élèves, l’anglais est la langue la plus aimée et leur préférence est fondée sur des facteurs d’internationalité, de statut de MOI, de capacité à parler, de facilité d’apprentissage et de beauté de la langue. L’internationalité et le statut de MOI sont les facteurs les plus fréquemment cités par les élèves. À l’autre extrême se situent les LCEs, qui sont les moins aimées par les élèves. L’utilité limitée et l’association des LCEs au tribalisme sont les facteurs les plus importants et, comme on peut le voir, ils s’opposent à l’internationalité de l’anglais. Les autres facteurs incluent la connaissance limitée, la pauvreté et la mutilation génitale associée à ces langues. Le français jouit de la deuxième place et le swahili de la troisième.

323

Du côté des enseignants, l’ordre de préférence est un peu différent. C’est le français qui occupe la première position, suivi de l’anglais, du swahili et des LCEs. Les raisons favorables au français sont basées, entre autres, sur le fait qu’il est la langue de la profession, de l’internationalité, de la possibilité de formation, de la possibilité de changer de travail, de la beauté de la langue et de la possibilité de tisser des liens d’amitié avec des personnes francophones. L’utilité du français comme langue de la profession et qui permet aux enseignants de gagner leur vie est la raison la plus citée.

Quant au classement des langues selon leur importance, les élèves ont maintenu la même hiérarchie que celle de préférence pour les langues, alors que les enseignants ont proposé une hiérarchie différente: anglais, français, swahili et LCEs. Ici, on voit que, pour l’importance des langues, la hiérarchie établie par les enseignants converge avec celle des élèves. En outre, les raisons avancées sont en grande partie les mêmes.

On peut ainsi avancer que l’analyse des représentations sociales des différentes langues en contact confirme l’hypothèse que ce sont avant tout des facteurs utilitaires qui fondent et qui définissent les rapports subjectifs que les individus plurilingues entretiennent avec les langues constitutives de leurs répertoires. Les facteurs de simple curiosité intellectuelle, d’identité sociolinguistique et de rapports socioculturels ne sont que périphériques. De ce fait, la vitalité des langues est fonction de leur statut, de leur contribution à la mobilité socioéconomique. C’est pour cette raison que les LCEs sont en position défavorable et que leur transmission intergénérationnelle se voit menacée.

Après avoir étudié les représentations sociales des différentes langues, nous avons cherché à comprendre de manière spécifique les représentations sociales vis-à-vis du français en demandant aux sujets-élèves d’exprimer les impressions de leur premier contact et de fournir quelques éléments de description quant au français. L’analyse de leurs réponses a généralement révélé qu’ils ont une attitude favorable vis-à-vis du français et cela représente potentiellement un champ fertile pour la diffusion du FLE en Tanzanie. Nous avons cependant vu que l’enseignement-apprentissage du français en Tanzanie est caractérisé par beaucoup d’instabilité, due notamment au nombre insuffisant d’enseignants, à l’insuffisance matérielle, à des ruptures ou suppressions de programmes. Nous avons, par exemple, été témoin de plusieurs cas où les élèves de la quatrième étaient moins de dix et de cas d’absence d’un groupe de quatrième ou de première année.

324

Le troisième objectif était de comprendre les pratiques linguistiques scolaires en établissant un contraste avec les pratiques extrascolaires. Les résultats obtenus au terme de l’analyse des données ont permis de confirmer l’hypothèse que, contrairement aux pratiques extrascolaires, les pratiques linguistiques scolaires sont plus contraignantes et sont caractérisées par une politique scolaire en faveur de l’anglais et contre le swahili et les LCEs. Stricte dans certaines écoles et plus permissive dans d’autres, cette politique a plusieurs conséquences fâcheuses, à savoir la limitation de la liberté d’expression, l’exploitation limitée des ressources plurilingues, l’inégalité dans l’accès aux différents savoirs scolaires entre les élèves provenant des SMPS et ceux des EMPS, la dépendance linguistique57 et les pratiques clandestines, entre autres.

L’étude des pratiques linguistiques scolaires et extrascolaires a en outre fait émerger la question de l’insécurité linguistique. Nous avons pu tirer la conclusion que, si les pratiques extrascolaires sont plus libres et entrainent moins de complexes linguistiques, les pratiques scolaires, quant à elles, font l’objet d’insécurité linguistique. Les sujets qui sont plurilingues pensent qu’il faut parler l’anglais (état de sécurité linguistique), mais, dû aux moyens linguistiques déficitaires, utilisent le swahili, la langue interdite (état d’insécurité linguistique).

Le dilemme de la langue de scolarisation évoqué dans le contexte sociolinguistique de l’étude entretient certaines similitudes avec la question de la politique linguistique scolaire et semble être basé sur une vision monolingue favorisant une seule langue de scolarisation à la fois, une seule langue de communication à l’école (la langue de scolarisation en l’occurrence) et, éventuellement, une éducation en une seule langue - anglais ou swahili et non pas les deux (solution proposée au dilemme du choix de la langue de scolarisation). On voit là une habitude fortement enracinée d’établir des frontières rigides et fixes entre les langues et entre les cycles éducatifs. Autrement dit, la langue de scolarisation au cycle secondaire doit rompre tout lien avec la langue de scolarisation au cycle primaire. Il s’ensuit que les savoirs acquis au primaire ne peuvent pas être reliés à ceux acquis au secondaire. Il faut souligner que cette chaîne de ruptures concerne également les langues de la première socialisation (les LCEs), qui sont exclues au cycle primaire. C’est pour cela que nous avons avancé le fait que ce bi- plurilinguisme par déconnexion entrainait une éducation par déconnexion.

57Terme que nous proposons dans le cadre de cette étude pour désigner la pratique selon laquelle un élève faible en anglais emprunte des moyens linguistiques à un camarade plus compétent pour l’utiliser auprès d’un enseignant ou du personnel administratif afin de se conformer à la norme exigeant l’utilisation de l’anglais. 325

Le quatrième objectif était de comprendre les représentations sociales vis-à-vis des stratégies bi-plurilingues. Les données analysées ont révélé que la majorité des sujets enseignants reconnaissent l’utilité des autres langues dans l’appropriation du FLE, à travers la transparence interlinguistique, les dictionnaires bilingues, les méthodes bilingues, etc. Cependant, ils ne s’accordent pas sur l’utilisation effective d’une autre langue dans la classe de FLE et nous avons pu identifier trois cas de figure, qui représentent trois positions, de la plus permissive à la plus restrictive.

Selon les tenants de la première position, les autres langues peuvent être utilisées pour faciliter l’appropriation du FLE, alors que les tenants de la deuxième position pensent que l’utilisation des autres langues doit être aussi minimale que possible et ne doit intervenir que dans des cas d’extrême nécessité, lorsque toutes les autres stratégies s’avèrent infructueuses. La dernière position est celle de l’évacuation totale de toute autre langue de la classe de français. Ces trois visions sur l’utilisation des ressources bi-plurilingues nous ont conduit à la conclusion que la majorité des enseignants ne se servaient pas ou peu des autres langues comme outils privilégiés de construction des savoirs en FLE. Cela converge, largement, avec notre postulat de départ selon lequel, malgré l’évolution positive des représentations vis-à-vis des ressources plurilingues constatées ailleurs, notamment en Europe, les représentations monolingues persistent encore chez les enseignants tanzaniens de FLE.

Quant à l’origine des représentations didactiques monolingues, il existe des enseignants qui font référence aux approches directes, à leur formation à l’université ou à l’école normale, mais certains des enseignants ne citent aucune raison. Pour ces derniers, leur position est sans doute fondée sur les normes linguistiques qu’ils ont vécues aux cycles primaire ou secondaire.

L’observation des séquences pédagogiques a révélé que les pratiques effectives convergent largement avec les trois positions représentationnelles que nous venons d’évoquer. Les séquences peuvent également être classées en trois catégories, à savoir celles qui sont dominées par les stratégies bi-plurilingues, dans lesquelles l’anglais ou le swahili sont utilisés presque systématiquement, les séquences où les autres langues n’interviennent que très rarement et les séquences totalement monolingues qui, d’après nos observations, sont majoritaires.

Dans les séquences où les autres langues interviennent, l’initiative peut venir de l’enseignant ou des élèves. Du côté des enseignants, les cas les plus fréquents d’utilisation d’une autre

326 langue sont liés à l’énoncé de consignes, à la vérification de la compréhension, à l’évaluation des réponses des élèves et à la résolution de problèmes de communication. Du côté des élèves, l’utilisation d’une autre langue intervient très souvent quand il s’agit de poser une question à l’enseignant et moins souvent lorsqu’ils répondent aux questions de l’enseignant.

Pour revenir à la question de la domination de l’anglais dans les séquences bi-plurilingues, évoquée précédemment dans cette section, nous pensons que ce phénomène confirme l’hypothèse que la langue de secours n’est pas forcément la plus partagée. Une langue moins partagée peut être plus utilisée à cause des conditions didactiques, matérielles et sociolinguistiques caractérisant le domaine scolaire. La proximité linguistique avec le français, le statut de MOI, les normes linguistiques, la présence de dictionnaires bilingues français-anglais, la présence de méthodes bilingues anglais-français et les attitudes très positives vis-à-vis de l’anglais constituent les facteurs principaux qui confèrent à l’anglais une place favorable comme langue d’appui dans l’appropriation du FLE.

Par ailleurs, nous avons indiqué à la lumière des données que l’appui sur l’anglais excluait les élèves provenant des SMPS, qui ne maîtrisent pas cette langue. S’agissant de l’utilisation d’une autre langue, c’est le swahili qui permet un accès plus équitable aux savoirs en FLE. A ce propos, la majorité des élèves ont proposé que l’anglais et le swahili soient employés côte à côte dans l’appropriation du FLE et nous avons observé des cas rares où les enseignants utilisaient les deux langues.

Par conséquent et comme nous l’avons dit précédemment, la façon dont les autres langues interviennent dans la classe de FLE permet de distinguer les langues en usage et les langues en mention. L’appui sur l’anglais intervient sous forme d’alternance codique et de traduction (langue en usage) et sous l’angle de la contrastivité, à des fins de réflexion métalinguistique (langue en mention). Le swahili, quant à lui, intervient souvent sous forme d’alternance codique et de traduction, mais rarement sous l’angle de la contrastivité. Il est important de souligner ici que les LCEs sont quasi invisibles dans la classe de FLE. On les rencontre, occasionnellement, lorsqu’il s’agit de fournir des exemples d’énoncés en lien avec le vécu linguistique (ex. : « je parle le sukuma ») ou lorsqu’on demande aux élèves de comparer les langues. Nous proposons de présenter ces fonctions sur un continuum entre langue en usage et langue en mention.

327

Figure 10: Continuum entre langue en usage et langue en mention

Langue en usage anglais swahili anglais LCEs Langue en mention

alternance codique traduction contrastivité langue citée

En outre, nous avons observé que, dans la plupart des cas, le passage aux autres langues se fait généralement sans balisage, bien qu’il existe des cas très rares où l’enseignant justifie le passage de l’anglais au swahili. Cela signifie que ce passage aux autres langues est généralement admis et considéré comme légitime. Il importe en outre de souligner que, même dans les cas où les autres langues sont évacuées, les traces pluriculturelles restent toujours visibles dans les pratiques pédagogiques.

Il a par ailleurs été mis en évidence que les pratiques pédagogiques qui permettent l’appui sur l’anglais et le swahili sont susceptibles de profiter au français et à l’anglais. Nous avons montré que, pour les élèves provenant des SMPS, l’anglais et le français sont en appropriation quasi simultanée, à cause du faible niveau en anglais de ces élèves. De ce fait, dans les cas où l’appui sur l’anglais n’aboutit pas à la résolution d’un problème de communication et engendre un autre blocage communicationnel, le recours au swahili peut conduire à l’apprentissage de l’anglais. C’est en suivant cette démarche pédagogique trilingue que les élèves accèdent non seulement aux savoirs en français, mais également en anglais.

Avant de résumer cette section, nous proposons une vue globale des approches méthodologiques employées. L’observation des pratiques pédagogiques a fait ressortir plusieurs orientations méthodologiques que nous classons sur un axe « monolingue/plurilinge ». Il est possible de parler, d’une part, d’approches grammaticales monolingues et d’approches communicatives monolingues. D’autre part, il y a des approches grammaticales plurilingues et des approches communicatives plurilingues. Ces différents cas de figure pourraient être représentés schématiquement comme suit:

328

Figure 11: Orientations méthodologiques et plurilinguisme

Thèmes grammaticaux, explications hors Monolingues /grammaticales contexte, stratégies monolingues, etc. 1 Approches singulières Monolingues /communicatives Situations de communication, mode interactif, stratégies monolingues, etc.

Plurilingues/ grammaticales Thèmes grammaticaux, explications hors Approches plurielles contextes, traduction, contrastivité, etc. 2 Plurilingues /communicatives Situations de communication, mode interactif, alternance codique, traduction etc.

En observant le schéma ci-dessus, on peut constater que des ingrédients de didactique du plurilinguisme apparaissent à divers degrés, mais il est important de dire que cela ne s’effectue pas de façon programmée. En effet, la notion de didactique du plurilinguisme est quasi inexistante chez les enseignants tanzaniens du secondaire.

Il importe également de souligner la tension observée entre les représentations sociales des ressources plurilingues et les pratiques pédagogiques. On voit chez la plupart des enseignants l’idée que l’appui sur les autres langues devrait être évité, mais les pratiques pédagogiques effectives révèlent toujours la présence des autres langues, sous une forme ou une autre. La tension est également visible dans les pratiques linguistiques générales en dehors de la classe. Nous avons vu que les élèves revendiquent des connaissances plus élevées en anglais alors qu’ils n’arrivent pas à s’exprimer dans cette langue.

Dans le chapitre introductif, nous avons fait le postulat que la diversité du contexte sociolinguistique tanzanien pourrait se manifester dans les pratiques linguistiques et pédagogiques. Les données ont montré que les caractéristiques suivantes varient plus ou moins selon les terrains:  La politique linguistique en faveur de l’anglais est généralement plus stricte dans les écoles-séminaires que dans les écoles laïques;  Dans les écoles où la « English Policy » est plus stricte, l’appui sur le swahili est généralement minimal;  Dans certaines écoles (cas rare) où la « English Policy » est permissive, ce sont les élèves qui s’imposent des règles strictes entre eux;  Dans les écoles urbaines, notamment à Dar es Salam, les LCEs ne sont que citées dans la classe de FLE;  Dans certaines écoles, les groupes de première et quatrième année ont le même niveau de connaissance en français;

329

 Il existe deux catégories d’enseignants, avec et sans formation pédagogique;  Les attitudes des enseignants vis-à-vis des ressources plurilingues varient en fonction de leur formation et de leur parcours d’apprentissage des langues.

Les caractéristiques ci-dessus montrent que notre hypothèse sur le lien entre diversité du contexte sociolinguistique et diversité des pratiques linguistiques et pédagogiques n’est que partiellement confirmée. Les pratiques pédagogiques ne varient que partiellement, car on s’attendait à une présence importante des LCEs dans les pratiques linguistiques à l’école (en dehors de la classe bien évidemment) dans les milieux ruraux, mais cela n’a pas été le cas.

Nous pouvons ainsi résumer cette section en avançant que l’appropriation du FLE en Tanzanie s’effectue dans un milieu plurilingue où les partenaires de la classe sont, au moins, exposés à quatre langues ; les LCEs, le swahili, l’anglais et le français. Les rapports subjectifs que les sujets entretiennent avec les différentes langues établissent la hiérarchie suivante: anglais, français, swahili et LCEs. Nous avons également montré que les pratiques linguistiques à l’école secondaire sont en faveur de l’anglais et contre le swahili et les LCEs et que, en dépit du caractère plurilingue de la classe de FLE, la majorité des sujets ne voient pas comment mettre à profit les ressources plurilingues à cause de représentations monolingues, d’approches méthodologiques monolingues et de politiques linguistiques scolaires restrictives. Par conséquent, les séquences que nous avons observées sont majoritairement monolingues. Ces résultats et ces conclusions permettent d’avancer des perspectives pédagogiques et sociolinguistiques en vue non seulement d’améliorer l’enseignement-apprentissage du FLE en Tanzanie, mais également d’influencer la planification linguistique et éducative.

6.2 Perspectives sociolinguistiques et didactiques Etant donné le fait que les représentations sociales des langues varient en fonction des politiques linguistiques, nous proposons une réflexion pour l’intégration des LCEs dans le système éducatif tanzanien. Elles pourraient par exemple être enseignées aux cycles maternel et primaire, selon les régions et les langues dominantes. Cette mesure pourrait être salutaire pour la transmission intergénérationnelle et la diversité socioculturelle du pays. En d’autres termes, nous proposons une mise en place de politiques linguistiques accordant une place pour toutes les langues dans le système éducatif, car nous avons évoqué la nécessité d’établir des liens entre les langues de la première socialisation (les LCEs, en l’occurrence) et la langue de l’école, notamment le swahili. A cet égard, nous pensons que les LCEs constituent un atout éducatif permettant la continuité entre les savoirs préscolaires et les savoirs scolaires.

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Notre position est fondée sur l’avis que, si les LCEs reçoivent une place et un statut dans le système éducatif, elles ne seront plus considérées comme facteurs de division, mais comme outils de maintien et de transmission de la diversité sociolinguistique et socioculturelle du pays. Il ne faut pas oublier que c’est la politique linguistique postcoloniale, notamment dans les premières années de l’indépendance, qui a mené des campagnes contre les LCEs et en faveur du swahili, sous prétexte d’unification nationale. C’est cette politique qui est fondamentalement à l’origine des attitudes négatives vis-à-vis de ces langues.

Une autre façon d’agir sur les attitudes négatives vis-à-vis des LCEs est l’exploitation de la didactique du plurilinguisme. Il faut une didactique qui permette d’exploiter les LCEs dans la classe de langue. Ici, nous pensons plus particulièrement à la didactique de l’intercompréhension entre les langues, pour exploiter la proximité linguistique entre le swahili et les LCEs, qui sont majoritairement bantoues.

En ce qui concerne la politique linguistique scolaire, toutes les normes linguistiques qui consistent à infliger des châtiments corporels aux « criminels linguistiques » devraient être abolies. Cela dit, le point de vue monolingue relève sans doute de convictions didactiques non liées, de manière particulière, à la culture locale. Pour optimiser l’appui sur les ressources plurilingues des partenaires de la classe, l’adoption d’un point de vue plurilingue semble souhaitable, aussi bien du côté des enseignants que de celui des élèves. Le caractère plurilingue devrait se refléter dans les pratiques langagières, pour servir non seulement de stratégie de résolution de problèmes de communication mais aussi comme ouverture du champ d’expression selon la situation et la compétence du locuteur.

En conséquence, un programme de formation devrait être conçu à l’adresse de tous les enseignants de FLE en Tanzanie, pour les sensibiliser non seulement à l’interdépendance pédagogique entre les langues et à l’utilité des autres langues dans l’appropriation du FLE, mais également aux moyens par lesquels les autres langues pourraient être employées comme outils privilégiés d’appropriation du FLE.

Par ailleurs, les concepteurs des programmes scolaires au Tanzania Institute of Curriculum Development devraient exploiter la possibilité d’employer des approches plurielles dans l’enseignement-apprentissage des langues, notamment l’adoption de plus d’une langue dans la même classe et l’intercompréhension entre les langues voisines, évoquée plus haut. Cela peut avoir des effets bénéfiques pour les écoles tanzaniennes où, dans le secteur public, le français

331 et l’anglais sont des langues en appropriation quasi simultanée, bien que la seconde jouisse d’un enseignement-apprentissage présecondaire, mais superficiel. En outre, la proximité, d’une part, entre le français et l’anglais et, d’autre part, entre les LCEs et le swahili reste un potentiel à exploiter. En d’autres termes, au lieu d’une didactique du plurilinguisme non consciente dont certaines traces se voient dans les pratiques pédagogiques des enseignants, nous proposons une didactique du plurilinguisme consciente et explicite.

Pour ce qui a trait au problème du choix de la langue de scolarisation au secondaire évoqué au début de cette étude, nous proposons une solution bilingue à la place des solutions monolingues consistant à swahiliser ou à angliciser l’ensemble du système éducatif. La solution bilingue consisterait, au contraire, à accorder des fonctions d’instruction aux deux langues, selon les cycles. Ainsi, le système actuel du swahili au primaire et de l’anglais au secondaire et au post-secondaire pourrait être maintenu en consacrant plus d’effort à une formation de qualité pour les enseignants d’anglais et en promouvant des approches plurielles, où les langues se soutiennent non seulement pour l’appropriation d’une autre langue, mais également pour l’apprentissage des DNLs. En d’autres termes, il faut favoriser l’interdépendance didactique entre les langues. Il suffit donc de réunir le reste des conditions didactiques, et surtout de ne pas créer une rupture entre le MOI du cycle primaire, le swahili en l’occurrence, et celui du cycle secondaire car, comme le dit Moore (2006), l’abstraction et la généralisation sont favorisées lorsque le développement des concepts disciplinaires s’effectue par l’intermédiaire de deux langues.

Concernant l’enseignement du français en Tanzanie, nous insistons sur la nécessité de former un plus grand nombre d’enseignants et d’améliorer la qualité de leur formation afin d’assurer la stabilité de cet enseignement. Il est important pour les autorités concernées de profiter des attitudes positives que manifestent les élèves vis-à-vis du français pour la diffusion de cette langue en Tanzanie.

Si les propositions que nous venons d’avancer dans cette section sont prises en considération et mises en œuvre par les autorités concernées, nous pensons qu’elles constitueraient une modeste contribution de la présente étude. Elles permettraient l’amélioration des pratiques didactiques et politico-linguistiques et la création d’un système éducatif accordant une place à toutes les langues et exploitant toutes les langues qui font sens pour les élèves.

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Il est évident que le présent travail est relativement vaste, abordant plusieurs phénomènes reliés les uns aux autres. Face à cette étendue, certains phénomènes restent sans doute à creuser, mais pour nos futures activités de recherche, nous pensons qu’il serait intéressant d’entreprendre une étude sur le champ de la formation des enseignants de français en Tanzanie. La finalité serait d’analyser les contenus du programme de formation en vue de comprendre le traitement des ressources plurilingues. Par ailleurs, nous pensons qu’une telle étude permettrait l’inscription de certaines approches plurielles, notamment l’intercompréhension entre langues parentes et la didactique intégrée des langues, dans les programmes de formation. Cela permettrait non seulement d’exploiter toutes les ressources linguistiques des élèves, mais également d’influencer positivement les représentations.

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346

Annexes Annexe I: Questionnaire for French Teachers

Instructions: You are kindly requested to fill or tick in the blanks as appropriate. 1. Age ______2. Level of Education a. Ordinary diploma______b. University degree______c. Other ______(please specify)

3. Professional training A. Trained teacher______B. Untrained teacher ______C. If trained in a different field, please name it______

If trained, name the institution ______

4. Professional experience (number of years you have been teaching)______

5. Arrange the languages you know in order of competency from the language you know best. i______ii______iii______iv______v______vi______

6. Arrange the languages you know according to their importance based on your point of view i______ii______iii______iv______v______vi______

Give reasons for the above order ______

7. Arrange the languages you know in order of preference (starting from the one you like most) i______ii______iii______iv______v______vi______

Give reasons for the above order ______

347

8. Explain the usefulness of French for Tanzanians. i. Foreign relations with Francophone countries ii. Business and social interactions with neighbouring Francophone countries such as Burundi and Congo iii. For promotion of tourism iv. Access to French literature v. Access to French culture vi. To get education in a Francophone country

9. Explain the impressions you had when you first came into contact with French language (What did you find interesting, strange or particular about French language?) ______

10. Of all the languages you know, which one do you think has been the most difficult to learn? Please specify the aspects of the language which you found particularly difficult to learn. ______

11. a) Do you think the other languages you know played a role in your learning of French? Yes___ No____ b) If the answer for above is yes, which language you think played the greatest role in your learning of French language? ______How? ______

12. According to the language pedagogy you were taught, areother languages known by the learner useful in learning a new language? Yes____No____

Provide a brief explanation ______

348

______

13. Are there cases where pupils seek or try to express themselves in another language during a French lesson? Yes______No_____

14. Do you allow your pupils to use other languages to communicate during a French lesson?

Yes__ No__

If yes, which language apart from French is the most frequently used in a French lesson? ______explain reason for the frequency of this language (ie.why not a different language) ______

If no, explain why you do not allow your pupils to use other languages during a French lesson. ______15. Are there cases where you use another language during a French lesson? Yes___ No____ If yes, explain the cases and if no, explain why? ______

16. In your view, what is the effect of allowing the use of another language during a French lesson? ______

349

17. Do your pupils ask you to make reference to other languages in a French class or they would want that you teach French without any reference to other languages? ______

19. When teaching French to beginners, how do you get to notice that they have not understood a point?  They tell you (in which language? ______) ______ You ask them (in which language______) ______ They ask questions (in which language______)_____

20. In classroom communication when teaching French beginners class, what techniques do you frequently employ to clarify a concept? (Put numbers 1, 2, 3, 4…according to the frequency of use of a particular technique, eg. 1 for the most frequent technique, etc.)  drawings___  another language___  give explanation in French___  use gestures___  ask other students who understand a particular aspect to explain to others___

List any other techniques you use. ______

350

Annexe II: Questionnaires for French pupils Instructions: You are kindly requested to fill in the questionnaires as per instruction provided for each item. You can also give answers in Swahili.

1. Age ______2. Form ______3. List all the languages you know (including local languages) i.______ii______iii______iv______v______vi ______

4. Arrange the languages you know in order of preference (starting from the one you like most) i______ii______iii______iv______v______vi______

Give reasons for the above order ______

5. Arrange the languages you know in order of competency beginning with the language you know best. i______ii______iii______iv______v______vi______

6. Arrange the languages you know according to their importance (starting from the language you think is the most important to you) i______ii______iii______iv______v______vi______

Give reasons for the above order ______

7. For how long have you been learning French? ______8. When you had your first French lesson, what were your impressions about the language (i.e. what did you find to be particular, strange or interesting about the language? ______

9. Explain why you study French.

351

a. Because it is in the school syllabus___ b. You just want to know another language___ c. You want to study in a francophone country in future__ d. You want to able to read literature in French (ie. Books and other written works)__ e. To work in francophone countries___ f. To get job in international organizations___ g. Because French sounds good___ h. To be able to interact with French speaking people coming to Tanzania___ i. Any other reasons (please specify) ______

10. Of all the languages you know and the ones you are learning, which one do you think is the most difficult to learn? Please specify the aspects of the language which you find difficult to learn. ______

11. Do you think the other languages you know help you in learning or understanding French? Yes___ No____

If the answer for above is yes, which language or languages you think plays a greater role in your learning of French? ______How? ______

12. Are there cases where you feel that you need to express yourself in another language during a French lesson when you cannot do it in French language? Yes______No_____ Explain reasons for doing so ______

352

______

13. Does your teacher allow you to communicate in another language during a French lesson? Yes____No_____ If yes, in what cases ______

14. Do you think the teacher should allow the use of another language during a French lesson? Yes_____ No_____ Why? ______

15. Are there cases where your teacher uses another language during a French lesson? Yes___ No____ a. If yes, explain the cases or the reasons. ______

b. Do you think it is good or normal to use another language during a French lesson? Please explain ______

16. Which languages other than French are more frequently used during a French lesson? Explain why? ______

353

______

17. What do you do if you have something to speak and you cannot say it in French? (Put numbers to indicate the frequency of use, eg. 1 for the most frequent technique, then 2, 3, etc.)  You try to say it in French, anyway______ You say it in English ______ You say it in Swahili______ You use gestures_____  You ask from a friend how to say it in French____  You say nothing______

Please list any other ways you use to express yourself during a French class ______

354

Annexe III: Interview guide for French pupils

The questions and discussion revolve around the following points:

1. Representations of French language and its mastery i. Provide reasons for learning French ii. Provide one or several adjectives to describe French language based on your opinion (ex. easy, difficult, etc.) iii. What do you understand by communicative competency in French language?

2. General language practices i. Mention different situations according to the language dominantly used.For example, at home with family members, with colleagues outside the school, with colleagues at school (but outside the classroom), during non French lessons, during French lessons (group discussions, etc.), with teachers outside the classroom, etc.

3. French language teaching and learning i. What is the most effective approach? -learning through classroom interaction -Learning through grammatical explanations -learning individually through books, textbooks, grammar books, etc. ii. commentaires sur l’emploi des dictionnaires, méthodes et d’autres livres dans l’apprentissage du français.

4. Relationship between languages and cross-linguistic practices i. Role of other languages in the teaching and learning of French ii. Comments on proximity and distance between languages and their effects on the learning of French. iii. Comments on the utilization of other languages by the teacher iv. The cognitive path (information processing) prior to oral and written production in French: a. Thinking first in LCE, then in Swahili and English before oral or written production in French. b. Thinking in Swahili before oral or written production in French c. Thinking first in Swahili then in English before oral or written production in French d. Thinking and producing directly in French without passing through intermediary languages e. Going through a, b and c according to situations

355

Annexe IV:Teachers’ interview guide

The questions and discussions revolve around the following points

1. The purpose of undertaking a carrier in the teaching of French. 2. Language practices within and outside the school. For example: what is the language dominantly used in the following situations:  At home with family members  With friends outside the family and school  Among teachers in the office  Among teachers outside the office  With pupils outside the class  Comments on language norms imposed on pupils

3. Language learning profile, language knowledge, professional and language training needs. a. The approach most dominantly used in your French language learning experience. For example:  through classroom intercation  explanation of grammatical rules  self-education through books and other pedagogical supports (for example :textbooks, dictionaries, general books, grammar books, etc.) b. Self-evaluation of language and professional competency (very good, good, satisfactory, poor) c. What does French language competency entail?  mastery of french grammar  ability to communicate in French  language fluency, etc. d. Training needs (for example: language and communicative perfection, pedagogical training, etc.)

4. Curriculum and teachning a. The most effective approach in French language teaching :  explaining rules of grammar

356

 involving pupils in classroom interaction without explaining any rules of grammar ( letting the pupil discover the rules by himself/herself)  involving the pupil in classroom interaction and explaining rules of grammar b. Comments on the differences between the former « grammatical syllabus and the current « communicative syllabus » and on the existence of a training prior to the application of the new syllabus.

5. Relationship between languages and cross-linguistic practices a. Comments on linguistic and cultural proximity and distance between languages (French/Swahili, French/English and or French/Ethnic Community Languages) and their role in French language learning and communication. b. The effect of other languages on interaction and participation of pupils in classroom activities.

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Annexe V : Fiche d’observation

Aspect observé Commentaires de Commentaires/remarques pendant la séquence l’enseignant après le du chercheur pédagogique cours

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