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© Musée de la Mine La Machine © Coll. Académie François Bourdon - Le Creusot

1 Marocains de Montchanin à l’intérieur du café maure [Saône-et-Loire], photographie, 1940. 7 Chinois en costume traditionnel [La Machine, Nièvre], photographie, c. 1920. BOURGOGNE FRANCHE-COMTÉ PRÉSENCE DES SUDS

a relation entre la Bourgogne-Franche-Comté et les espaces ultramarins L commence lorsqu’en 1789, les villageois de Champagney en Haute- Saône et de Toulon-sur-Arroux en Saône-et-Loire réclament dans leurs cahiers de doléances l’abolition de l’esclavage dans les colonies. Elle se poursuit par l’incarcération, en 1802, au fort de Joux dans le Doubs et la mort, l’année suivante, de Toussaint Louverture, qui amorça le processus d’indépendance d’Haïti. Des troupes venues des colonies sont également

© Groupe de recherche Achac, Paris/coll. part. présentes dans la région lors de la guerre de 1870. Par ailleurs, dans ce dernier tiers du XIXe siècle, l’apport de main-d’œuvre étrangère, pour l’heure, à

Village noir. Musiciens marocains [Dijon, Côte-d’Or], caractère essentiellement frontalier, s’intensifie, nourri par un flux en carte postale, 1908. provenance de Suisse, ancré sur la longue durée, et stimulé par les e conséquences de la perte de l’Alsace-Lorraine. À l’orée du XX siècle, les © Fonds de dotation Peugeot pour la mémoire l’histoire industrielle ailleurs et les influences migratoires et coloniales ont donc déjà fait de la région un espace de croisement et d’ouverture au monde, d’autant plus qu’en 1896, le docteur Philippe Grenier, élu de Pontarlier, devient symboliquement Équipe marocaine de handball de l’usine Peugeot le premier député musulman de l’Assemblée nationale. [Sochaux, Doubs], photographie, 1973. Dès la Grande Guerre, des ouvriers coloniaux et chinois arrivent en Bourgogne- Franche-Comté, et certains y demeurent après l’Armistice. Le véritable essor Montceau-les-Mines/Daniel Busseuil des migrations de travail en provenance des Suds se produit, néanmoins, après 1945 pour répondre aux besoins de main-d’œuvre des Trente Glorieuses,

© Écomusée de la communauté urbaine Le Creusot alors même que l’on constate parallèlement l’arrivée d’étudiants et de rapatriés en lien avec les espaces coloniaux. Le flux de travailleurs non-européens se © Lumières d’Afrique Visite aux établissements Schneider du prince héritier de Chine, Tsai-Tsé, et de la mission chinoise [Le Creusot, Saône-et-Loire], diversifie et l’immigration en provenance d’Algérie se renforce, à partir de la photographie de Daniel Busseuil, 1906. fin des années 1960, alors que de nouvelles immigrations se développent avec le recrutement effectué au Maroc ou en Turquie. Ces hommes seuls sont bientôt rejoints par leurs femmes et enfants à la suite de la suspension, en 1974, de l’immigration de travail et de l’accélération du regroupement familial. Loger célibataires et familles constitue alors, pour les entreprises et les pouvoirs publics, un défi, qu’ils auront du mal à relever. La crise économique, consécutive aux différents chocs pétroliers affecte

© Musée d’Aquitaine/Coll. Chatillon durement les bassins industriels de la région et engendre un net mouvement de reflux de la immigrée réduite au chômage. À partir des années 1980, les jeunes issus de l’immigration postcoloniale tentent de se faire entendre dans l’espace public et le tissu associatif se densifie. L’arrivée, dès la décennie précédente, de réfugiés ou de demandeurs d’asile venus du Sud-Est asiatique ou d’Afrique élargit le paysage migratoire, alors que les Chibanis se retrouvent, souvent seuls, dans les foyers après une vie de labeur. Le chômage, les discriminations et la ségrégation scolaire et urbaine, qui touchent très souvent les issues de l’immigration extra-européenne, sont des enjeux contemporains fondamentaux auxquels la société doit désormais se confronter, tandis que les immigrations européennes se fondent plus aisément dans le paysage associatif, culturel et de la représentation politique. Si cette histoire a encore trop souvent du mal à faire mémoire localement, elle se diffuse néanmoins au cours des années 2000 à travers un processus de patrimonialisation diffus et s’affirme dans la vie culturelle régionale. En 2014, la Bourgogne-Franche-Comté compte cent soixante-quinze mille Lumières d’Afrique. 17e festival des cinémas d’Afrique Portrait équestre de Toussaint Louverture sur son cheval Bel-Argent, immigrés, soit 6,2 % de la population régionale, une composante désormais de Besançon, affiche, 2017. estampe signée Denis A. Volozan, 1802. partie prenante des identités locales. © Archives municipales de Belfort /André Lejarre © Migrations à Besançon/Photos Tupin, Vieille, Bevalot

Bidonville des Founottes [Besançon, Doubs], photographie, non datée. © Guillaume Colin

Famille maghrébine [Belfort, Territoire de Belfort], photographie d’André Lejarre, 1989.

Groupe de musique au festival Grésilles en fête [Dijon, Côte-d’Or], photographie de Guillaume Colin, 2017.

Chocolat de la Compagnie Coloniale [Dijon, Côte-d’Or], affichette, non datée.

© Archives municipales de Dijon 1 Exposition coordonnée et réalisée par le Groupe de recherche Achac (www.achac.com), réalisée avec le soutien du ministère de l’Intérieur, Direction de l’accueil, de l’accompagnement des étrangers et de la nationalité (DAAEN), du ministère de la Culture, Département de l’éducation et du développement artistiques et culturels (DEDAC), du Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET) et de la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH) ; en partenariat avec le réseau Information Jeunesse de Bourgogne-Franche-Comté et avec l’Établissement de Communication et de Production Audiovisuelle de la Défense (ECPAD). Exposition coordonnée par Pascal Blanchard et Emmanuelle Collignon, textes Stéphane Kronenberger, iconographie et documentation Stéphane Kronenberger et Diane Brunel, création graphique Thierry . 1870-1913 © Archives départementales Yonne

Arrivée à la gare d’Auxerre de la troupe du village noir de l’exposition nationale d’Auxerre [Yonne], photographie, 1908. LE TEMPS DE L’EXOTISME

ans le dernier tiers du XIXe siècle et à la Belle Époque, dominent en Bourgogne- DFranche-Comté des flux migratoires frontaliers en provenance de Suisse ou d’Alsace-Lorraine annexée par les Allemands, que complète l’arrivée de Méditerranéens : maçons et terrassiers italiens, parfois confrontés à l’hostilité des autochtones, ou commerçants de fruits et légumes d’origine espagnole. La région est également un lieu de passage pour les nombreux étrangers se dirigeant vers Lyon ou Paris et leurs périphéries. Parallèlement, le développement par la IIIe République d’un vaste empire © Groupe de recherche Achac, Paris/coll. part. colonial favorise les premiers contacts avec les populations originaires des outre-mer à l’occasion des conflits, des manifestations patriotiques ou des expositions locales. Lors de la guerre de 1870, les tirailleurs algériens ou turcos participent à la bataille de Montbéliard et marquent les imaginaires des populations de la région. À partir de la fin du XIXe siècle, les relations intenses avec l’espace colonial s’illustrent par la création des expositions universelles (à Paris en 1878, 1889 et 1900) ou des

expositions coloniales (comme celle de Lyon en 1894), qui développent la mode des Exposition nationale d’Auxerre. Entrée du village noir [Yonne], carte postale, 1908. exhibitions ethnographiques. On pense notamment aux villages noirs présentés à Dijon en 1898, à Lons-le-Saunier en 1905, mais aussi à celui de l’Exposition nationale d’Auxerre L’EXPOSITION NATIONALE D’AUXERRE (1908) en 1908, qui tous suscitent le vif intérêt des populations locales, prêtes à payer un droit À Auxerre, le village noir, garni d’un café maure et de ses ateliers d’entrée supplémentaire pour profiter de cette attraction nouvelle au fort parfum artisanaux, est installé sur la petite place de l’Arquebuse et non, comme d’exotisme. Dans le même temps, l’orientalisme s’incarne à travers la figure du docteur à Dijon en 1898, au sein de vastes espaces de promenade. Il s’agit d’un endroit clos, ceint d’une palissade. La troupe, mandatée par la munici- Philippe Grenier, premier député musulman de l’histoire de , élu en 1896 par les palité auprès de Ferdinand et Marie Gravier, arrive le 11 juillet en gare très catholiques électeurs de Pontarlier. C’est aussi des États-Unis qu’arrive une nouvelle d’Auxerre. Elle se compose de vingt-six « Soudanais » (Mali actuel) forme de spectacle. Des encarts de presse annoncent ainsi le passage, en 1896 à Dijon originaires de Tombouctou, de trois Marocains, de sept Touaregs algériens puis à l’été 1905 dans l’ensemble de la région (Belfort, Vesoul, Besançon, Lons-le-Saunier, et de six Ouled Naïls, accompagnés d’Abd-el-Kader Ridane, le chef de village d’origine algérienne. Ces hommes, femmes et enfants quittent Dijon, Chalon-sur-Saône, Mâcon, Le Creusot, Nevers, Auxerre et Sens) du Wild West l’Yonne, le 31 août, pour Autun. Show de Buffalo Bill. Ces Indiens, artistes japonais, danseurs marocains et animations de cirque attirent un vaste public. L’exotisme colonial affleure également sur de nombreuses enseignes de boutique et affiches publicitaires vantant les mérites des produits coloniaux à grand renfort de stéréotypes les plus divers. En parallèle, les établissements Schneider & Cie du Creusot accueillent, avec les honneurs protocolaires dus à leur rang, des monarques et visiteurs de marque venus de Chine, du Japon, de l’Empire ottoman, de Perse ou du Maroc. Ils cherchent tous à moderniser leurs armées à la veille d’un conflit qui s’annonce comme mondial. © Groupe de recherche Achac, Paris/coll. part. © Coll. Académie François Bourdon - Le Creusot Biscuits Pernot. Mr. Colonial porté en triomphe par les Kroketis après qui leur eut offert des biscuits Piou-Piou [Dijon, Côte-d’Or], chromolithographie publicitaire, c. 1907. © Coll. Robert Landré Montceau-les-Mines/Daniel Busseuil © Écomusée de la communauté urbaine Le Creusot

Visite de Moussa Ag Amastane Amenokal des Touareg du Hoggar [Le Creusot, Saône-et-Loire], photographie, 1910. Cirque Buffalo Bill. Les Peaux-Rouges construisent leurs tipis [Le « Buffalo Bill’s Wild West à Lons-le-Saunier », encart Creusot, Saône-et-Loire], photographie de Daniel Busseuil, 1905. publicitaire in La Croix Jurassienne, 1905 [juin].

LE DOCTEUR PHILIPPE GRENIER (1896)

Né en 1865 à Pontarlier, Philippe Grenier est le fils d’un militaire établi en Algérie où il passe son enfance. Après des études secondaires à Besançon et supérieures à Paris, il devient médecin. Lors d’un voyage à Blida, il se convertit à l’ et effectue le pèlerinage à La Mecque. En 1896, à la faveur d’une législative partielle, il est élu député du Doubs. Durant son unique mandat, © Groupe de recherche Achac, Paris/coll. part. il porte la tenue traditionnelle (burnous) et pratique sa foi, ce qui © Groupe de recherche Achac, Paris/coll. part. lui vaut de nombreux articles et unes de la presse nationale, qui l’accusent tantôt de « posséder un harem », tantôt de « baiser le tapis » de l’entrée de la Chambre des députés.

« Le musulman de la Chambre, M. le docteur Grenier, député de Pontarlier », couverture de presse in Le Petit Journal, 1897 [janvier].

Exposition d’Auxerre. Village noir. Danseuses Ouled Naïl [Yonne], carte postale, 1908. © Groupe de recherche Achac, Paris/coll. part.

« Turcos à la bataille de Montbéliard » in Le Petit Journal, supplément illustré, gravure d’après un dessin d’Eugène Jean Delaunay, 1899 [mai].

© Groupe de recherche Achac, Paris/coll. part. Ville de Dijon. Exposition universelle et internationale, affiche, imprimerie Moullot Fils Ainé, 1898.

BOURGOGNE-FRANCHE-COMTÉ PRÉSENCE DES SUDS 2 1914-1918 © Coll. Académie François Bourdon - Le Creusot

Ouvriers chinois devant leur baraquement au cantonnement rue de La Pérouse [Le Creusot, Saône-et-Loire], photographie, 1916. APPEL À L’EMPIRE, APPEL AUX ALLIÉS

urant la Première Guerre mondiale, la Bourgogne-Franche-Comté Dest située en retrait du front et constitue un lieu privilégié de casernement, d’entraînement ou de repos pour les soldats coloniaux. Engagée dès 1914 dans les durs combats de la Marne puis ceux de l’Artois, la division marocaine passe l’été 1915 dans le nord de la Franche- © Écomusée de la communauté urbaine Le Creusot Montceau-les-Mines/Daniel Busseuil Comté où, tout en se reconstituant, elle reçoit les honneurs de personnalités militaires et civiles. Cette présence des troupes coloniales Salle de douches du cantonnement chinois marque fortement les imaginaires. En effet, un tableau de l’artiste Paul © Coll. Académie François Bourdon - Le Creusot [Le Creusot, Saône-et-Loire], photographie, 1917. Michel Dupuy met en scène, deux ans plus tard, le cantonnement des LES TRAVAILLEURS tirailleurs sénégalais à Chavannes-les-Grands dans le territoire de Belfort. CHINOIS (LE CREUSOT) Tout au long du conflit, l’héroïsme de ces combattants, leurs exploits et Les établissements Schneider & Cie au les journées patriotiques continuent d’imprégner localement les esprits. Creusot se tournent vers la main-d’œuvre Avec l’entrée en guerre des États-Unis en 1917, des régiments, notamment étrangère et font notamment appel aux composés d’Africains-Américains, stationnent temporairement ou plus travailleurs chinois qui arrivent sous durablement dans la région. Le 370e RIUS fait ainsi profiter durant contrat en France à partir de 1916-1917 pour servir les armées française, anglaise quelques semaines la population de Grandvillars de sa fanfare, alors puis américaine. Le Creusot devient une qu’à Is-sur-Tille naît un important camp logistique engendrant la véritable « tour de Babel » avec, en mai construction d’une nouvelle gare. En outre, parmi la vingtaine d’hôpitaux 1917, six cent soixante-quinze Kabyles, américains construits en France durant le conflit, plusieurs l’ont été dans cinq cent vingt-huit Chinois, deux cent soixante-deux Portugais, deux cents Grecs, la région : à Beaune et Allerey-sur-Saône en Côte-d’Or ou à Mesves- cent soixante-huit Espagnols, cent vingt sur-Loire et Mars-sur-Allier dans la Nièvre. Serbes… Au printemps 1918, alors que le Des travailleurs coloniaux (principalement maghrébins et indochinois) nombre de Kabyles a été divisé par trois, et des recrutés sous contrat chinois apportent également leur force de l’effectif des Chinois a plus que triplé pour atteindre mille sept cents individus, soit travail dans les mines de Ronchamp, Blanzy ou La Machine, les usines l’une des plus importantes communautés métallurgiques du nord de la Franche-Comté, ainsi qu’à la poudrerie de en France à la fin du conflit. Vonges en Côte-d’Or ou au sein des établissements Schneider & Cie au Creusot. On les retrouve par ailleurs dans les forêts du massif jurassien, comme d’autres bûcherons italiens, canadiens, américains ou russes, Portrait de quatre Maghrébins [Le Creusot, Saône-et-Loire], photographie de l’atelier de F. Laroche, c. 1916. mais aussi occupés à la construction et la réfection de routes. Ces ouvriers sont particulièrement suivis et contrôlés car les autorités souhaitent limiter au maximum leurs interactions avec les populations locales. Dès leur arrivée à Marseille, ils font l’objet d’un encartement, réservé avant la guerre aux seuls nomades, et leur liberté de circulation est restreinte. © Coll. La contemporaine/BDIC Malgré cela, les populations locales connaissent alors un premier contact

avec les coloniaux, notamment dans le monde du travail, qui se poursuit Départementales/Lydie Besançon après-guerre. Ces quatre années de conflits ont finalement rendu plus © Département du Doubs/Archives proches des ailleurs jusqu’alors méconnus. Belfort, dernière gare avant le front, reçoit ainsi plusieurs hôte s de marque, parmi lesquels, en décembre 1918, l’émir Fayçal, compagnon de Lawrence d’Arabie et futur Larossi Ahmed Haddom, originaire de la région de Doukkala au Maroc [Marseille, Bouches-du-Rhône], récépissé de dépôt de carte d’identité, 1917. Travailleurs chinois. Construction d’une route roi d’Irak, dont les serviteurs sont habillés de « brillants costumes [Haute-Saône], photographie, 1917. orientaux » et portent poignards et carabines.

LA DIVISION MAROCAINE (1915)

Après s’être illustrée dans les combats de la Marne et de l’Artois, la division dite « marocaine » composée pour moitié de soldats européens et pour moitié de soldats maghrébins stationne, à l’été 1915, pour quelques mois de repos et d’entraînement dans le nord de la Franche-Comté. Elle est alors passée en revue

© Coll. La contemporaine/BDIC/Fonds par le général Joffre le 14 juillet à Bussurel, près d’Héricourt en Haute-Saône, des albums Valois - Territoire de Belfort puis par le général Lyautey, mais aussi par Raymond Poincaré, le 13 septembre dans la plaine de Chaux au nord de Belfort. Lors de cette cérémonie – précédant © Archives départementales du Territoire de Belfort de quelques jours le départ pour la Champagne –, le président de la République galvanise les troupes et remet drapeaux ou palmes aux différents régiments. Cantonnement américain. La musique du 370e régiment d’infanterie américaine [Grandvillars, Territoire de Belfort], Passage en revue de la Division marocaine par le président de la République Raymond photographie, 1918. Poincaré [Chaux, Territoire de Belfort], photographie de Daniel Busseuil, 1915. © Coll. La contemporaine/BDIC © Archives Départementales de la Côte-d’Or

Soldat africain-américain [Is-sur-Tille, Côte-d’Or], photographie, c. 1918.

Les Sénégalais préparent leur popote à Chavannes-les-Grands [Territoire de Belfort], peinture à l’huile signée Paul Michel Dupuy, 1917. © Groupe de recherche Achac, Paris/coll. part.

Journée de l’armée d’Afrique et des troupes coloniales, affiche signée Lucien Jonas, imprimerie Devambez, 1917.

BOURGOGNE-FRANCHE-COMTÉ PRÉSENCE DES SUDS 3 © Coll. Académie François Bourdon - Le Creusot

1918-1929 © Coll. Académie François Bourdon - Le Creusot

1 Réfectoire du cantonnement chinois [Le Creusot, Saône-et-Loire], photographie, 1919. 7Teng Hi Hien alias Deng Xiaoping [Le Creusot, Saône-et-Loire], fiche du bureau d’embauche de Schneider & Cie, 1921. LE TEMPS DES IMMIGRATIONS

u lendemain de la Grande Guerre, dans un contexte de crise LA MINE DE LA MACHINE Adémographique aggravée par les conséquences directes et indirectes du conflit, la Bourgogne-Franche-Comté connaît une nette progression Appartenant à Schneider & Cie et appro- de l’immigration. Les Italiens dépassent désormais les Suisses, alors que visionnant son usine du Creusot, la mine de charbon de La Machine recrute en 1919 deux des flux en provenance d’ centrale s’affirment. Des conventions cents manœuvres chinois et en emploie encore © Musée de la Mine La Machine d’immigration sont en effet signées par la France avec les pays de départ une centaine en 1921 contre à peine la moitié, comme la Pologne ou la Tchécoslovaquie et on assiste à l’ouverture sur trois ans plus tard. Le nombre de Maghrébins place de bureaux de recrutement, alors que dans la Ruhr se produit passe de près de trois cents à soixante-dix en une décennie au profit d’une arrivée importante parallèlement un intense débauchage de main-d’œuvre polonaise à de Polonais, dont l’effectif culmine à sept cents destination des mines. En 1924, la Société générale d’immigration voit le en 1930 avant de décroître fortement avec la jour afin de rationaliser les initiatives prises antérieurement et accélérer crise. Le profil migratoire change donc en les arrivées. Quelques milliers de travailleurs coloniaux et chinois, demeurés profondeur. Ces hommes, presque tous célibataires, sont logés dans des baraquements dans la région après l’Armistice, travaillent alors à Peugeot-Sochaux, à la en bois au camp des Glénons. Rares sont ceux Société métallurgique de Montbard-Aulnoye ou pour le compte des qui feront souche dans la région, à l’instar établissements Schneider & Cie, soit au Creusot, soit à la mine de La d’André Tchang, arrivé en 1923 et qui s’est Machine dans la Nièvre. Au Creusot se trouvent, en plus des travailleurs marié avec une Française. sous contrat recrutés en cours de conflit, des étudiants-ouvriers chinois Fête organisée par la communauté chinoise au camp arrivés après-guerre, dont le jeune Deng Xiaoping. L’immigration des Suds des Glénons [La Machine, Nièvre], photographie, c. 1920. se manifeste également par la présence de marchands ambulants chinois et autres « vendeurs à la balle » algériens, qui sillonnent la région. Face à ces nouvelles immigrations, il n’est pas rare de voir éclater des rixes entre ouvriers locaux et allogènes. Ces hommes demeurent très majoritairement célibataires et logent dans des cantonnements, le plus souvent de simples baraquements préfabriqués en bois, vastes dortoirs, parfois entourés d’un mur d’enceinte. Cette mise à l’écart, selon une logique coloniale, traduit la crainte des pouvoirs publics concernant les rencontres entre indigènes et métropolitaines et, en particulier, la volonté d’éviter les mariages mixtes avec de jeunes femmes françaises. Plus on avance dans la décennie et plus on assiste à un reflux, notamment après 1925-1928. Les coloniaux deviennent des « indésirables » – comme s’attache à le démontrer le géographe Georges Mauco – et les étrangers européens des « métèques ». Les départs de travailleurs étrangers ou coloniaux sont désormais plus nombreux que les entrées © Écomusée de la communauté urbaine Le Creusot Montceau-les-Mines/Daniel Busseuil sur le territoire. La Bourgogne comme la Franche-Comté sont alors des territoires d’entre-deux en matière d’immigration. Leurs départements réciproques ne sont ni dans les dix départements les plus attractifs de France, ni dans les dix départements qui en comptent le moins. C’est dans ce contexte que s’annoncent le krach de 1929 et la crise mondiale, et que le nombre d’étrangers décroît rapidement dans les années suivantes. Groupe de Chinois lors de la fête nationale de la République chinoise [Le Creusot, Saône-et-Loire], photographie de Daniel Busseuil, 1923.

LE GÉOGRAPHE GEORGES MAUCO ET LES « INDÉSIRABLES »

À la fin des années 1920, le discours sur les « immigrés indé- sirables » devient un discours courant. En 1928, Georges

Mauco entreprend une thèse de doctorat sur les étrangers © Musée de la Mine La Machine en France. Il en fera un livre en 1932 au fort retentissement. , depuis 1924, la liberté de circulation entre les © Groupe de recherche Achac, Paris/coll. part. départements d’Algérie et la métropole est remise en cause. Plusieurs affaires font surgir l’image du « clandestin » et, en avril 1928, la réglementation se durcit, les travailleurs coloniaux d’Algérie devront produire une carte nationale d’identité. Puis ce sera le tour des travailleurs d’A.O.F. Avec la crise des années 1930, une époque s’achève.

Travailleurs français ! Les meneurs communistes les voilà !, affiche signée André Galland, 1929. Rue de la cité des Minimes [La Machine, Nièvre], photographie, c. 1920. © Musée de la Mine La Machine © Département du Doubs/Archives Départementales/Lydie Besançon

Bousadia Bachin [Sochaux, Doubs], récépissé d’une carte d’identité et de circulation, 1918.

Groupe de théâtre polonais [La Machine, Nièvre], photographie, 1924. © Archives Municipales de Beaune

Martha la bonne négresse, image d’Épinal [Vosges], c. 1920.

BOURGOGNE-FRANCHE-COMTÉ PRÉSENCE DES SUDS 4 1930-1940 © Coll. Académie François Bourdon - Le Creusot

Camp de travailleurs marocains de Montchanin [Saône-et-Loire], photographie, 1940. LA CRISE DES ANNÉES 1930 ET LES INVISIBILITÉS

a récession économique qui frappe la France à partir de 1931 Lest synonyme du renvoi massif dans leur pays d’origine d’ouvriers, et notamment des travailleurs coloniaux. La loi du 10 août 1932 « protégeant la main-d’œuvre nationale » a pour objectif de limiter l’emploi des travailleurs étrangers, et la Bourgogne-Franche-Comté perd en quelques années plusieurs milliers de ces derniers. La présence de coloniaux et Chinois, en

© Coll. Académie François Bourdon - Le Creusot net repli depuis 1925, confine désormais à l’invisibilité et une © Archives départementales du Territoire de Belfort image d’« indésirables » leur est de plus en plus associée. Ahmed Ben Lhassen [Florimont, Territoire de Belfort], Certaines trajectoires témoignent certes de stratégies de récépissé de demande de carte d’identité, 1936. reconversion dans l’ voire dans le petit commerce et l’artisanat, afin de continuer à travailler dans la région. Mais les PARCOURS ET conditions de vie de ces travailleurs sont de plus en plus difficiles RECONVERSION et les tracasseries administratives se multiplient afin de les inciter Ahmed Ben Lhassen, sujet marocain, est né à rentrer chez eux après parfois de nombreuses années passées en 1896 à Mogador, soit une quinzaine en métropole. d’années avant l’établissement du protectorat Avec l’Exposition coloniale internationale de Paris en 1931, qui français en 1912. Il arrive en France en avril 1922 au sein d’un groupe de travailleurs, se déroule au bois de Vincennes et au Palais de la Porte Dorée, destiné à l’usine Peugeot de Sochaux dans le actuel Musée national de l’histoire de l’immigration, l’outre-mer Doubs. Il n’y reste que dix mois, puis réside est à la mode. La même année à Beaune en Côte-d’Or est brièvement à Belfort sans avoir de travail, présentée au public une troupe de « Négresses à plateau », avant de rejoindre Carcassonne. Il revient précédemment exhibée dans la capitale au Jardin d’acclimatation. par la suite à Belfort pour occuper des postes de manœuvre dans différentes entreprises, Cet exotisme colonial est d’ailleurs présent au quotidien dans les dont Alsthom, mais aussi au sein du secteur Marocains de Montchanin à l’intérieur du café maure rues de la cité beaunoise sur les devantures des magasins, des travaux publics. En temps de crise, il se [Saône-et-Loire], photographie, 1940. comme celui vendant des vêtements et arborant l’inscription reconvertit enfin en ouvrier agricole pour « Au Nègre ». Une présence militaire subsiste également, car des renouveler ses papiers et demeurer en France. villes de garnison, proches des frontières de l’Est, accueillent des régiments coloniaux. Créé à Fès en 1927, le 8e régiment de tirailleurs marocains s’installe à Belfort en 1935 après un bref passage dans le Sud-Ouest. Exhibés en bel uniforme lors des commémorations patriotiques, ces « indigènes » sont, au quotidien, de plus en plus assimilés à des fauteurs de trouble à l’encontre desquels sont par exemple pris des arrêtés prohibant © Musée de la Mine La Machine la vente « des spiritueux, liqueurs et boissons alcooliques, y compris vin et bière ». En 1939, dans un contexte de crise politique et de rejet de l’immigration, les réfugiés espagnols affluent jusqu’en Bourgogne- Franche-Comté, chassés de leur pays par la défaite républicaine durant la guerre civile. Ils sont rejoints par des tirailleurs et © Ecomusée de la communauté urbaine Le Creusot Montceau-les-mines/cliché Daniel Busseuil travailleurs indochinois, puis par d’autres combattants venus de Travailleur arabe (marocain) [Le Creusot, tout l’empire à partir de septembre 1939 avec l’entrée en guerre Saône-et-Loire], fiche d’identité du ministère du Travail, service de la MOI, 1939. de la France face à l’Allemagne.

TIRAILLEURS MAROCAINS ET SPORTIFS Portrait de la famille Tchang [La Machine, Nièvre], © BnF photographie, c. 1935. Arrivés à Belfort en 1935, les tirailleurs du 8e RTM constituent l’ossature de l’US Belfort et, dès l’année suivante, le Marocain Bouali, âgé de 23 ans, bat tous les favoris et devient champion de France de cross-, intégrant l’équipe nationale. En 1938, les Marocains remportent le championnat de France militaire par équipe et leur leader El Ghazi se classe second, tout en décrochant sur piste les titres de champion de France civil et militaire du cinq mille mètres qu’il conservera l’année suivante.

« Le Club Athlétique des Sports Généraux et le Marocain Bouali (U.S. Belfort) remportent le 43e “National“ », article de presse in L’Athlétisme, 1936 [mars]. © Archives départementales de Saône-et-Loire

Louis Yen Poa Yong et ses enfants [Saône-et-Loire], carte d’identité d’étranger, 1940. © Archives Municipales de Beaune © Groupe de recherche Achac / Coll. part. © Musée de la Mine La Machine

Groupe folklorique polonais à la cité des Minimes [La Machine, Nièvre], photographie, 1935.

Au Nègre, Rue d'Alsace [Beaune, Côte d’Or], photographie, c. 1940.

Exposition coloniale internationale. Paris. Le tour du monde en un jour, affiche signée jean-Victor Desmeures, 1931.

« Les négresses à plateaux du cirque Gustave Fratellini », encart de presse in Journal de Beaune, 1931 [juillet]. © Groupe de recherche Achac, Paris/coll. part.

BOURGOGNE-FRANCHE-COMTÉ PRÉSENCE DES SUDS 5 1940-1945 © TERRE 342-8263 - LEVY/SCA/ECPAD/Défense

Premiers contacts entre les hommes de la 2e Division d'infanterie marocaine et les habitants des villes libérées [Territoire de Belfort], photographie, 1944. DE LA DÉFAITE © Benjamin Devy À LA LIBÉRATION

yant pris part à la bataille de France, les soldats coloniaux sont faits prisonniers lors de la débâcle et A d’aucuns exécutés par les Allemands, en mai et juin 1940, notamment à Châtillon-sur-Seine en Côte-d’Or ou à Clamecy et Oisy dans la Nièvre. Ces hommes originaires d’Indochine, des Antilles, du ou d’A.O.F. sont ensuite maintenus prisonniers en France, car les Allemands ne veulent pas de « coloniaux sur le sol du Reich ». Les frontstalags sont situés en zone occupée comme par exemple à Fourchambault, Joigny, Saint- Florentin, Auxerre, Dijon-Longvic, Besançon, Belfort ou Vesoul. À partir de la fin de l’année 1942, ces camps passent sous l’autorité des soldats français, alors que la propagande vichyste se développe. Détachés ou non à divers travaux à l’extérieur du camp, des prisonniers en profitent pour s’évader et rejoindre la Résistance. Les 43 tirailleurs, affiche signée Benjamin Devy En Morvan, aux confins de la Côte-d’Or, de la Nièvre et de l’Yonne, le maquis Vauban compte dans ses rangs du film réalisé par Mireille Hannon, 2011. quelques Nord-Africains, dont certains sont morts en déportation. LES MASSACRES Tout au long de ces années, les flux migratoires sont certes suspendus, mais des ouvriers non spécialisés DES COMBATTANTS indochinois (arrivés en 1939 pour soutenir l’effort de guerre), vivant dans des camps et organisés sur un mode AFRICAINS EN 1940 militaire, travaillent dans l’industrie, l’agriculture ou le forestage, comme à La Ferté en Saône-et-Loire. Des

Parqués dans un camp de prisonniers travailleurs venus du Maghreb sont aussi présents en Bourgogne-Franche-Comté, à l’instar des Marocains re improvisé, quarante-trois tirailleurs employés à Montchanin. Débarquée en Provence le 15 août 1944, l’armée de Lattre de Tassigny, future 1 armée ont été massacrés par des nazis, à l’orée française, composée de nombreux soldats coloniaux, remonte la vallée du Rhône, et libère Mâcon, Chalon- du bois de la Pépinière à Clamecy le sur-Saône, Beaune, Autun ou Dijon en Bourgogne, mais aussi Morez, Saint-Claude, Champagnole, Mouthe, 18 juin 1940, et un quarante-quatrième Pontarlier, Baume-les-Dames, Montbéliard, Héricourt ou Belfort en Franche-Comté. Bien qu’affectés perd également la vie dans la ferme du Poil Rôti de la commune de Oisy. Un majoritairement à l’intendance, des soldats africains-américains sont également présents à partir de 1944, à monument inauguré à Clamecy, dès l’instar de ceux faisant partie de la 7e armée américaine. juin 1948, leur rend hommage et, à Lors des défilés de la victoire, ces combattants sont acclamés par les populations, qui se font parfois prendre la suite du film réalisé en 2011 par en photo avec eux à l’intérieur même des maisons. Cependant, à l’automne 1944, dans le nord de la Franche- Mireille Hannon, Les 43 Tirailleurs, la municipalité installe en novembre Comté, on assiste au blanchissement de l’armée, c’est-à-dire au remplacement de plus de quinze mille 2012 une pierre gravée indiquant tirailleurs sénégalais par de jeunes maquisards des Forces Françaises de l’Intérieur (FFI) souvent moins désormais les noms des combattants aguerris, sous prétexte de non-acclimatation au froid. En réalité, c’est pour des raisons de propagande et identifiés parmi lesquels se trouvent sous pression des alliés américains et britanniques qui pratiquent toujours la ségrégation dans leurs forces onze Algériens, six Guinéens, cinq armées. Plus de mille tombes musulmanes de la nécropole nationale de Rougemont, rassemblant les corps Ivoiriens, quatre Marocains, deux Soudanais (Mali), deux Voltaïques non réclamés des soldats morts pour libérer la Côte-d’Or, le Doubs, la Haute-Saône ou les Vosges, rappellent (Burkina Faso) et deux Sénégalais. le sacrifice des soldats originaires de l’Empire français pour libérer la France et la région.

LE FRONTSTALAG DE VESOUL

Dès juillet 1940, plusieurs milliers de prisonniers © Coll. Éric Deroo de guerre originaires du Maghreb, d’Afrique noire, d’Indochine ou de Madagascar sont retenus dans une caserne de Vesoul (celle du 11e Chasseurs) en Haute-Saône devenue le frontstalag n° 141. L’effectif décroît rapidement et, dès décembre, il ne reste que cinq cents internés. Néanmoins des © Archives municipales de Belfort – Droits réservés arrivées se produisent à l’instar de celle, en novembre 1941, du Guinéen Mamadi Kondé, 23 ans, appartenant au 14 e régiment de tirailleurs sénégalais. Au printemps 1943, le camp dépasse à nouveau les deux mille prisonniers et perdure jusqu’à l’été 1944. Après le débarquement de Provence, les Allemands évacuent les internés en direction de l’Allemagne, mais un convoi est mitraillé le 10 septembre à hauteur de Champagney.

Tirailleurs indochinois emprisonnés dans un Frontstalag [Vesoul, Haute-Saône], photographie, 1942.

La mascotte des tirailleurs marocains lors des cérémonies du 1er décembre 1944 lors de l’entrée de De Lattre à Belfort [Territoire de Belfort], photographie, 1944. © ECPAD © Groupe de recherche Achac, Paris/coll. part. © Archives départementales du Territoire de Belfort

Soldats coloniaux lors de la débâcle [Belfort, Territoire de Belfort], photographie, 1940. © Musée de la Résistance et Déportation Besançon Résistants français accompagnés d’un tirailleur Progression des tirailleurs dans le village pendant la Libération de la 9e DIC à la frontière suisse [Doubs], [Mouthe, Doubs], photographie, 1944. photographie de la SPA, 1944. © Archives départementales du Territoire de Belfort

Lui aussi a tout quitté…, affiche signée Dormoy, éditée par le ministère de la Défense nationale et de la Guerre, 1941. La sous-lieutenant Joséphine Baker lors de sa tournée en France [Belfort, Territoire de Belfort], photographie, 1944. © Archives départementales de Saône-et-Loire/Fonds Protat

« De Lattre de Tassigny », couverture de presse in Ila el Amam, journal en langue arabe de la 1ère armée française, 1945.

BOURGOGNE-FRANCHE-COMTÉ PRÉSENCE DES SUDS 6 © Groupe de recherche Achac, Paris/coll. part.

1946-1970 © Musée archéologique de Lons-le-Saunier

1 Défilé du 1er RTM lors de son arrivée accompagnée de la nouba du 5e RTM de Dijon [Lons-le-Saunier, Jura], photographie, 1956. 7 « L’armée française au combat », dessin de couverture signé Raoul Auger, 1945 [novembre]. TRENTE GLORIEUSES ET FIN D’EMPIRE

ès l’immédiat après-guerre, la reconstruction du pays nécessite de recourir à un apport Dde main-d’œuvre coloniale en complément des prisonniers allemands et des travailleurs venus des régions méridionales de l’Italie et de l’Espagne. Des Nord-Africains ont été démobilisés sur place ou sont venus, en particulier de Kabylie, pour occuper un emploi de manœuvre dans les travaux publics, les mines, les carrières de pierres ou au sein des forges, © Archives municipales de Belfort fonderies et ateliers métallurgiques ou de construction électrique. Ils participent en 1948 Centre d’hébergement de la Lunette 18 [Belfort, Territoire de Belfort], aux grèves des mineurs en Saône-et-Loire et sont près d’un petit millier à l’usine Peugeot plan des établissements Lécorché frères, 1951. de Sochaux au printemps 1949 contre moins de la moitié deux ans plus tôt. Plusieurs LE FOYER DE LA LUNETTE 18 À BELFORT compagnies de travailleurs indochinois sont aussi transférées en Bourgogne-Franche-Comté. Les Vietnamiens de l’usine Alsthom de Belfort protestent alors contre l’agression française La ville de Belfort est, en 1952, la première municipalité française à recourir à l’emprunt pour bâtir un foyer sur le en organisant grèves et manifestations. Dans un contexte de crise généralisée du logement, terrain dit « de la Lunette 18 », concédé par l’armée près des ces travailleurs n’ont d’autre choix que de vivre misérablement dans des garnis ou diverses fortifications, c’est-à-dire à l’écart de la cité. Ce baraquement formes d’habitat bidonvillisé. Il faut attendre la décennie 1950 pour que soit en effet achevée en fibrociment d’une capacité d’environ quatre-vingts places, la construction des premiers foyers à Mâcon, Dijon, Besançon, Montbéliard et celui de la destiné à des Nord-Africains travaillant majoritairement dans Lunette 18 à Belfort. En outre, la région accueille des étudiants issus des colonies, dont le les travaux publics est rapidement envahi par des clandestins. L’entreprise Alsthom construit, par la suite, sur le même site, futur président sénégalais Abdoulaye Wade passé par l’université de Besançon, ainsi que un bâtiment en dur pour ses ouvriers antérieurement logés des régiments de tirailleurs à Dijon ou à Lons-le-Saunier. dans des casernes. À la suite des indépendances de la Tunisie et du Maroc en 1956, puis de l’Algérie en 1962, plus d’un million de rapatriés arrivent en métropole. La majorité des « pieds-noirs » choisit de poser ses valises en région parisienne et dans les départements méridionaux. Néanmoins, le potentiel industriel de la Bourgogne-Franche-Comté attire certains d’entre eux. Supplétifs de l’armée

française, les harkis, connaissent un exil similaire et se retrouvent parqués dans des camps © M. Ramirez militaires avant d’être dirigés vers des hameaux de forestage comme ceux de Vanvey, Baigneux- les-Juifs et Is-sur-Tille en Côte-d’Or ou de Roussillon-en-Morvan en Saône-et-Loire. En 1964, est également construite à leur intention la cité de l’Oasis à Saint-Valérien dans l’Yonne. Ce passage entre le temps des décolonisations et le temps postcolonial se fait dans un climat difficile. Le Maghreb continue néanmoins de s’affirmer comme l’un des principaux réservoirs de force de travail aux côtés de l’Espagne et du Portugal, alors que l’Italie perd du terrain. Entre 1962 et 1968, le nombre d’Algériens recensés en Bourgogne-Franche-Comté passe de moins de onze mille à plus de quinze mille soit une progression de 40 %. Les années 1960 voient apparaître les grands ensembles, dont certains se transformeront progressivement en « ghettos pour immigrés ». Ces derniers sont aussi victimes de racisme, comme l’illustre, en 1964, l’affaire de la piscine municipale de Saint-Claude dans le Jura (interdite aux Maghrébins dépourvus de certificat médical), qui connaît un retentissement national. Hameau de forestage [Is-sur-Tille, Côte d’or], photographie, c. 1965. © INA © Jean Bevalot © Coll. Génériques

La cité de l’Oasis, photogrammes extraits du reportage Les harkis de Saint-Valérien [Saint-Valérien, Yonne], 1970. LA CITÉ DE L’OASIS À SAINT-VALÉRIEN

En 1964, environ une quarantaine de familles de harkis arrivent à Saint-Valérien près de Sens où a été construite, pour les accueillir, la cité de l’Oasis. Malgré la modernité des habitations, ces anciens soldats de l’armée française sont confrontés au rejet de la population locale, qui a signé une pétition pour s’opposer à leur venue. Mouloud Oussalem, aujourd’hui père de neuf enfants, se souvient que lui et ses compagnons se sentaient exclus parce que la cité avait été construite au milieu des champs à presque Non ! Aux expulsions ! Des immigrés, Intérieur d’une chambre de la Tour carré dans le quartier Battant deux kilomètres du village. affiche de SOS Expulsions, 1970. [Besançon, Doubs], photographie de Jean Bevalot, 1950. © AFP © Jean Bevalot © Coll. Léla Bencharif

Travailleurs algériens. Sans travail…Sans logement… La communauté algérienne [Besançon, Doubs], Grève des mineurs [Montceau-les-Mines, Saône-et-Loire], photographie de presse, 1948. Méfiez-vous, tract signé RSB, imprimerie photographie de Jean Bevalot, 1952. Baconnier, c. 1935. © Pierre Domenech/DR

Français de la métropole. Accueillez les Français d’Algérie, affiche signée Jean Brun, 1960.

BOURGOGNE-FRANCHE-COMTÉ PRÉSENCE DES SUDS 7 © INA

1970-2004 © Archives municipales de Dijon

1 Bidonville de la Charmette [Dijon, Côte-d’Or], photographie, non datée. 7Turcs dans un foyer [Pontarlier, Doubs], photogramme extrait du reportage La sensibilisation aux problèmes des immigrés : un effort dans ce sens à Pontarlier, 1976. NOUVELLES MIGRATIONS, NOUVELLES GÉNÉRATIONS

u cours de la décennie 1970, l’immigration venue des Suds connaît Aun fort accroissement en Bourgogne-Franche-Comté. Avec le Portugal, le Maghreb constitue désormais le principal lieu de départ des travailleurs mais la part relative des Algériens fléchit. Arrivés à partir de la fin des années 1960, à la suite d’accords de main-d’œuvre avec leurs © Archives municipales de Montbéliard © Archives municipales de Montbéliard gouvernements respectifs, Marocains et Turcs travaillent majoritairement au sein des grandes agglomérations industrielles, comme le pays de Montbéliard où la firme Peugeot diversifie la main-d’œuvre étrangère de son usine de Sochaux. D’autres s’installent néanmoins en milieu rural, par exemple à la cotonnière de Trouhans en Saône-et-Loire ou au

L’usine Peugeot [Sochaux, Doubs], sein des districts du meuble à Saint-Loup-sur-Semouse en Haute-Saône carte postale colorisée, 1979. et de la plasturgie dans le Haut-Jura, sans oublier les emplois exercés dans les fromageries du massif jurassien, non encore mécanisées, dans L’USINE PEUGEOT la viticulture et les activités sylvicoles. De nouveaux foyers de travailleurs DE SOCHAUX migrants voient ainsi le jour et les bidonvilles des Founottes à Besançon Chantier de démolition [Montbéliard, Doubs], En 1975, le site automobile emploie environ et de la Charmette à Dijon disparaissent, remplacés par des cités de photographie, 1991. quarante mille ouvriers, dont plus de cinq mille transit qui n’auront de transit que le nom. De nombreux mouvements étrangers. Près de la moitié sont originaires du Maroc ou de Turquie et on dépasse 60 % sociaux s’organisent jusqu’à la grève de l’automne 1981, durant laquelle de l’effectif total en adjoignant les Algériens les OS de Peugeot-Sochaux réclament dignité et liberté dans le cadre et les Tunisiens, malgré un contingent non professionnel et reconnaissance de leurs droits en tant qu’individus. négligeable de Yougoslaves ou de Portugais. La suspension en 1974 de l’immigration de travail n’a pas été synonyme En cette même année 1975, le réalisateur Armand Gatti tourne huit films sur les de tarissement des flux, puisque femmes et enfants profitent du © Archives municipales de Pontarlier communautés étrangères installées dans les regroupement familial pour rejoindre leur mari ou leur père. Dans le même baraquements de Fort-Lachaux, surplombant mouvement, la crise des réfugiés du Sud-Est asiatique voit l’arrivée dans l’usine, et ailleurs dans le pays de Montbéliard. la région, à partir de 1975, de Vietnamiens, de Cambodgiens et de Laotiens, dont certains feront par exemple souche dans le quartier de Planoise à Besançon. Au recensement de 1982, les Maghrébins sont devenus majoritaires en Bourgogne-Franche-Comté au sein des populations Foyers de travailleurs [Doubs], photographie, 1990. immigrées, alors que les Turcs sont de mieux en mieux implantés. Mais la région perd plusieurs milliers d’immigrés en moins d’une décennie, sous l’effet de la désindustrialisation et du manque d’emploi.

En parallèle, le tissu associatif se développe, notamment les radios © Claude Gilles associatives telles Voix des travailleurs immigrés à Dijon, Radio Sud à Besançon ou Radio Amitié dans le pays de Montbéliard, alors que la Marche pour l’égalité et contre le racisme fait étape en Bourgogne-Franche- Comté, dans un relatif anonymat, en novembre 1983. À partir des années 1990-2000, la question de l’islam ou le « problème des banlieues » ne quitte plus le devant de l’actualité. Parallèlement, de nouvelles figures de © Fonds de dotation Peugeot pour la mémoire l’histoire industrielle l’altérité émergent, celle du demandeur d’asile et son corollaire le « sans- papiers », venus d’Afrique subsaharienne. À la veille du mouvement de révolte de 2005, l’immigration et les stéréotypes lui étant liés continuent La communauté des réfugiés du Sud-Est Deux mécaniciens aux postes de montage finition et châssis asiatique de Besançon [Doubs], à l’usine Peugeot [Sochaux, Doubs], photographie, 1978. à parasiter le débat public et les processus d’intégration. photographie de Claude Gilles, 1980.

LA MARCHE POUR L’ÉGALITÉ ET CONTRE LE RACISME © Coll. Génériques Les marcheurs arrivent à Besançon dans l’après- midi du 9 novembre 1983 après être passés à

© Olivier Pasquiers/Le Bar Floréal Tournus, Chalon-sur-Saône, Beaune, Dijon et Dôle. Dans les locaux de Radio Sud à l’Escale, cité de transit s’étant substituée au bidonville des Founottes, ils sont accueillis par des élus de gauche ainsi que par l’archevêque de Besançon. Le cortège se dirige ensuite vers le centre-ville pour rencontrer et dialoguer avec la population, avant qu’un gala, rassemblant un large public et animé par des groupes maghrébins, chiliens ou portugais, ne clôture la journée.

Marche pour l’égalité et contre le racisme, affiche signée Lallaoui, 1983.

Préparation d’un mariage marocain. Quartier de la Grette [Besançon], photographie d’Olivier Pasquiers, 2001. © Archives municipales de Belfort/Christine Rigal © Institut d’histoire sociale de la CGT

Réunion publique [Belfort, Territoire de Belfort], photographie de Christine Rigal, 1984.

« Tous unis travailleurs français et immigrés… », couverture de presse du mensuel de la CGT pour les travailleurs algériens, 1976 [avril-mai]. © Groupe de recherche Achac, Paris/coll. part. 3 millions…de chômeurs ce sont 3 millions d’immigrés de trop ! La France et les Français d’abord, affiche du Front national, 1986.

BOURGOGNE-FRANCHE-COMTÉ PRÉSENCE DES SUDS 8 © Les nuits d’Orient

2005-2018 © Les nuits d’Orient

Les nuits d’Orient [Dijon, Côte-d’Or], affiche du festival, 2017. IMMIGRATIONS ET CITOYENNETÉ

n 2014, la Bourgogne-Franche-Comté accueille un peu plus Ede cent soixante-quinze mille immigrés, ce qui place la région plus de deux points et demi en dessous de la moyenne nationale. © Les nuits d’Orient Ces personnes se concentrent dans les grandes agglomérations : © Guillaume Colin Dijon, Besançon, Montbéliard ou Belfort. L’empreinte laissée par les anciens bassins industriels demeure néanmoins perceptible. Malgré un net regain des migrations européennes, les Maghrébins et les Turcs représentent encore respectivement 31 % et 8 % des personnes venues d’ailleurs avec cependant une nette tendance au vieillissement. La diversification des migrations se poursuit avec de nouveaux apports en provenance d’Afrique subsaharienne et d’Asie. Les deuxième et troisième Festival Grésilles en fête [Dijon, Côte-d’Or], photographie générations sont, de leur côté, confrontées à la ségrégation de Guillaume Colin, 2017. scolaire et urbaine. Les aspirations à la réussite sociale sont trop souvent déçues, y compris pour ceux ayant fait des études supérieures. Les vagues d’immigration les plus conséquentes Les nuits d’Orient [Dijon, Côte-d’Or], affiche du festival, 2018. en nombre, datant de quelques décennies, la population

LE FESTIVAL immigrée est logiquement plus âgée que celle des non-immigrés. © Stéphane Kronenberger LES NUITS D’ORIENT Dans la région près de la moitié des immigrés ont plus de 50 ans contre quatre non-immigrés sur dix. À DIJON Les émeutes de 2005 ont montré qu’un fait divers survenu en Le festival Les Nuits d’Orient mobilise région parisienne pouvait embraser certains quartiers, dans chaque année depuis deux décennies, toutes les régions de France, où une large part des populations sous l’égide de la municipalité, de très nombreux acteurs socioculturels de « issues de l’immigration » demeurent au chômage et Dijon et de son agglomération. Ces discriminées. Elles ne se reconnaissent pas toujours dans le derniers proposent, durant deux personnel politique, bien que le nombre d’élus issus de la semaines, à tous les publics de diversité progresse lentement et localement. Des revendications Le Palais de Chine [Belfort, Territoire de Belfort], photographie, 2018. partager ensemble, en de multiples lieux, différentes visions de l’Orient. visant à une amélioration des conditions d’exercice du culte La programmation, éclectique et musulman se font également jour, notamment via la construction pluridisciplinaire, allie musique, de mosquées à la hauteur des aspirations des fidèles. La danse, théâtre, poésie ou cinéma, « question de l’islam » demeure parallèlement un enjeu politique mais aussi expositions sonores, majeur et le contexte politique de la dernière décennie engendre © Est républicain photographiques ou de peinture, ainsi que des ateliers artistiques, des des processus de fragilisation des relations interculturelles et lectures et des conférences. intercultuelles. Un brassage des populations et des récits est cependant à l’œuvre en Bourgogne-Franche-Comté comme l’illustrent par exemple les nombreux mariages mixtes et le succès de certains festivals proposant de découvrir les autres cultures, comme

© Festival O.M.B. Rencontres et Racines à Audincourt, Les Eurockéennes de Belfort, le Festival international des cinémas d’Asie de Vesoul, Lumières d’Afrique à Besançon, Les Nuits d’Orient à Dijon, le festival Outre Mer en Bourgogne à Montceau-les-Mines, Afrik’au cœur dans l’Yonne ou le festival de cinéma Diversité qui rayonne sur l’ensemble de la région. « Les migrants soudanais s’investissent pour la ferme » [Grand-Charmont, Doubs], article de presse in L’Est républicain, 2017 [février].

Outre-Mer en Bourgogne [Montceau-les-Mines, © L’Alsace-Le pays / Simon Daval Saône-et-Loire], affiche du 9e festival, 2018. © L’Alsace-Le pays /Lionel Vadam © Jean-Pierre Poivey

Inauguration d’une fresque pour les 10 ans de la médiathèque Nelson Mandela, [Besançon], photographie, 2017.

Le chanteur et rappeur Abd al Malik aux Eurockéennes [Belfort, Territoire de Belfort], photographie Trio Mócoto. 17e édition de Rencontres et Racines [Audincourt, Doubs], photographie de Lionel Vadam, 2006. de Simon Daval, 2007. © Denis Giraudot MOSQUÉES EN BOURGOGNE FRANCHE-COMTÉ

À leur arrivée dans la région, les premiers travailleurs musulmans du Maghreb, de Turquie ou d’Afrique subsaharienne ont prié dans des locaux de fortune, avant que ne soient © Stéphane Kronenberger construits quelques lieux de culte dignes de ce nom, tels les mosquées Philippe Grenier à Pontarlier (1979, en souvenir du député élu en 1896), El Kheir à Dijon (1984) ou Al Sunna © Archives municipales de Dijon à Besançon (1994). Néanmoins, il faut attendre ce début du XXIe siècle pour qu’aboutissent, avec le soutien des municipalités comme à Belfort en 2010, la plupart des projets initiés par les communautés maghrébines, mais aussi turques, comme à Migennes ou Valentigney.

Mosquée Omar Ibn Al-Khattab [Belfort, Mosquée Ar-Rahma [Chenôve, Côte-d’Or], Territoire de Belfort], photographie, 2018. photographie, non datée.

Khedafi Djelkhir, boxeur [Besançon, Doubs], photographie de Denis Giraudot, 2010.

© Festival international des cinémas d’Asie de Vesoul Cinémas d’Asie, affiche du 20e festival international des cinémas d’Asie de Vesoul [Haute-Saône], 2014.

BOURGOGNE-FRANCHE-COMTÉ PRÉSENCE DES SUDS 9 © Michel Weil

Danse et musique indienne [Besançon, Doubs], photographie de Michel Weil, 2006. HISTOIRE ET MÉMOIRES

’histoire et la mémoire de l’immigration coloniale et postcoloniale L en Bourgogne-Franche-Comté manquent encore de visibilité,

© Alain Gagnieux comme d’ailleurs l’ensemble des apports migratoires ayant irrigué ce territoire. Pourtant comme le montre cette exposition (et bien d’autres projets en région), depuis plus d’un siècle, la présence des Suds et l’histoire des immigrations intra-européennes s’écrivent, s’incarnant à travers des figures aussi diversifiées que les soldats, les ouvriers, les commerçants, les étudiants, les artistes et les © Chibanis, mémoire d’exil/Musée Nicéphore Niépce populations rapatriées ou réfugiées. Les lieux de mémoire sont désormais nombreux, qu’il s’agisse, comme à Clamecy dans la Nièvre ou à Châtillon-sur-Seine en Côte-d’Or, de lieux où ont été Tombes musulmanes de la nécropole nationale de Rougemont [Doubs], photographie d’Alain Gagnieux, 2002. perpétrés, en juin 1940, par les nazis des massacres de soldats

coloniaux, mais aussi des emplacements de bidonvilles, de cités Chibanis, mémoire d’exil [Chalon-sur-Saône, de transit ou HLM et de foyers existants ou disparus, sans oublier Saône-et-Loire], affiche du film réalisé les lieux de labeur, de distraction ou de culte de ce prolétariat ou par Valérie Cuzol, 2014. de ces soldats venus d’ailleurs. La sévère crise économique et CHIBANIS, identitaire subie par certains bassins industriels régionaux depuis MÉMOIRES D’EXILS plusieurs décennies n’est sans doute pas totalement étrangère à Le documentaire réalisé à Chalon-sur- la difficulté de pleinement intégrer cet apport migratoire à l’histoire Saône, en 2015, par Valérie Cuzol, Chibanis, économique, politique, sociale et culturelle. Mais, pas à pas, les mémoires d’exils, invite à découvrir plusieurs parcours de vie : ceux de Camil

© Archives municipales de Belfort/André Lejarre traces émergent et les mémoires s’organisent. Sari, Mohamed Metleine et Adbderrahim La nécessaire patrimonialisation revient en partie aux historiens Tajeddine. Mais le plus emblématique est (mais elle est aussi le fruit du travail des institutions publiques et celui d’Ahmed Fergani. Né en Algérie, il sert du monde associatif) et le numérique peut y aider, ainsi que l’illustre comme appelé en 1959, et arrive à Chalon- sur-Saône en 1964, où il travaille dans le le succès du site internet Migrations à Besançon. À travers le soutien bâtiment, puis à Saint-Gobain Emballage. Enfants [Belfort, Territoire de Belfort], photographie qu’ils apportent aux associations ou aux différentes manifestations Les premières années, il vit en groupe dans d’André Lejarre, c. 1990. culturelles, l’État et les collectivités territoriales jouent désormais un grand dénuement jusqu’à l’ouverture du un rôle essentiel d’impulsion de certaines dynamiques, comme foyer Sonacotra en 1972, puis sa famille le l’ont montrées les expositions présentées sur l’immigration, depuis rejoint trois ans plus tard. le début des années 2000, aux archives départementales du territoire de Belfort ou du Doubs. L’enjeu de la prochaine décennie (2020-2030) est aussi de profiter

© Marie de Châtillon-sur-Seine du renouvellement des expositions permanentes des principaux musées régionaux pour évoquer la longue histoire des migrations. L’intégration à l’exposition permanente de l’écomusée du Creusot- © Écomusée Le Creusot Montceau des différents volets du projet Murs Murs a ainsi permis la découverte d’un passé méconnu et d’un présent ignoré, mais aussi une appropriation par les descendants d’immigrés de leur propre histoire. La réalisation à Chalon-sur-Saône du documentaire Chibanis, mémoires d’exils participe aussi à rendre visibles les travailleurs immigrés vieillissants arrivés au cours des Trente Glorieuses. C’est au cœur de ces différents mouvements que devra s’organiser une

Monument aux tirailleurs sénégalais massacrés par les Nazis en 1940 nouvelle manière d’appréhender l’histoire de l’immigration et les [Châtillon-sur-Seine, Côte-d’Or], photographie, 2018. méandres complexes d’une mémoire en partage.

LE SITE INTERNET MIGRATIONS À BESANÇON

Mis en ligne en 2007, à l’initiative du centre communal d’action sociale de Murs Murs [Le Creusot, Saône-et-Loire], Besançon, ce site web a atteint une audience nationale. Il s’efforce, grâce à affiche de l’exposition, 2016. © Migrations à Besançon des témoignages et articles de fond, de rendre compte, auprès d’un large public, de l’histoire et de la mémoire des migrations dans la capitale comtoise et en Franche-Comté. Sur le plan local, il fait le pari que les liens tissés sur la toile engendreront des rencontres entre tous les habitants de la région.

Migrations à Besançon. Histoire & Mémoires, bannière du site internet, 2016. © Olivier Pasquiers/Le Bar Floréal © Denis Giraudot © Département du Doubs/Archives Départementales/Lydie Besançon

Histoires de vies. Une exposition sur l’immigration dans le Doubs de 1850 à 1950, affiche de l’exposition, 2006. La Cavalcade de Saint-Ferjeux [Besançon, Doubs], photographie de Denis Giraudot, 2009.

Jeune homme tenant la photographie d’un proche au quartier de la Grette [Besançon, Doubs], photographie d’Olivier Pasquiers, 2001. © AD du Territoire de Belfort

D’ici et d’ailleurs. Une histoire de l’immigration dans le Territoire de Belfort [Belfort], couverture du catalogue de l’exposition, 2008.

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