Geneviève Imbot-Bichet
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L'ESPRIT DE LA CHINE Geneviève Imbot-Bichet UNE NOUVELLE GENERATION D'ECRIVAINS 1 A I la veille du cinquantième anniversaire de la fondation de la République populaire de Chine, on peut s'interroger ! sur la littérature chinoise contemporaine et cette généra tion d'auteurs qui - dans un contexte politique quelque peu durci par le régime chinois et les autorités qui se débattent dans des difficultés résultant des vingt années de croissance spectaculaire due à la politique de « réforme et d'ouverture » dictée par Deng Xiaoping - a su, dès le début des années quatre-vingt, s'imposer. Depuis janvier dernier, le président Jiang Zemin n'a de cesse de réaffirmer, dans des discours fracassants, le durcissement et le rai dissement du régime. N'oublions pas que cette année 1999 est pour la Chine « l'année de tous les anniversaires » et les hautes autorités ne sont pas sans le savoir. Outre l'installation au pouvoir 30 REVUE DES DEUX MONDES JUILLET-AOUT 1999 L'ESPRIT DE LA CHINE Une nouvelle génération d'écrivains du parti communiste le 1er octobre 1949, c'est le quarantième anni versaire de « la mise au pas du Tibet » par l'armée rouge et la fuite du dalaï-lama, mais aussi le vingtième anniversaire de la répression du premier Printemps de Pékin et surtout le dixième du massacre sanglant de la place Tiananmen. Or, malgré ce carcan politique étouffant, la littérature chinoise ne cesse de renaître, la langue se déverrouille, les auteurs adoptent un ton plus désinvolte, plus critique, le style se veut novateur, par fois même avant-gardiste. La loi du marché tant vantée dans le domaine économique connaît un certain succès dans le domaine littéraire et les écrivains chinois désirent gagner plus largement leur vie qu'à la sueur de leur front. Finie l'époque où ils n'étaient que les dérisoires pantins de Mao, de ses campagnes démentes, les vic times d'exclusions, de réhabilitations. Les écrivains de cette fin de siècle n'ont plus la hantise d'être relégués dans une des « puantes catégories noires » désignées par le Grand Timonier. Rien n'illustre mieux ces décennies durant lesquelles la littérature chinoise aura été bâillonnée, muselée - les écrivains, les intellectuels, soupçonnés d'avoir un jour pensé, humiliés, massacrés, torturés - que cette phrase d'Ismaïl Kadaré dans le Concert : « Tout avait été orchestré selon un plan diabolique. Pour supprimer la littérature et les arts, il fallait commencer par atrophier le parler des hommes. Or, depuis trois mille ans, on s'employait à le cultiver sans cesse davantage. Sans lui, la vie ne serait que balbutiement d'attardés, mais voici que Mao était venu étrangler cette merveille. » Le dogme de l'infailli bilité maoïste ne fait plus recette, la « Révolution culturelle » qui n'avait d'autre but que de détruire pour détruire n'a cependant pas réussi à anéantir la culture ! Après ces périodes d'étouffement, de triques et de décervelage, la littérature chinoise retrouve dès le début des années quatre-vingt renaissance et renouvellement. Dès lors, deux périodes marquantes se succèdent, qui carac térisent la littérature chinoise avant d'arriver à celle, très récente, de la littérature « réaliste ». Premier courant, une « littérature de cicatrice » qui n'est plus une littérature de dénonciation ou de louange à la gloire du parti, mais qui décrit les plaies mal soignées de la génération née dans les années cinquante. Un auteur majeur pour illustrer ce courant : Zhang Kangkang, femme énergique, qui sera envoyée à la campagne pour se faire « rééduquer » et qui 31 L'ESPRIT DE LA CHINE Une nouvelle génération d'écrivains raconte cette expérience douloureuse de la période des « jeunes instruits » dont elle a fait partie, dans l'Impitoyable. Recherche des racines Au milieu des années quatre-vingt, apparaît un deuxième courant, « recherche des racines », dont Jia Pingwa, phénomène lit téraire, et Han Shaogong sont les précurseurs, et qui présente des œuvres à caractère rustique, d'un style élégant, lyrique, aux cou leurs du temps passé, qui puisent leur inspiration dans les pay sages de leur terre natale. Il y a de la part des écrivains un regain d'intérêt pour les diverses régions de Chine, pour les cultures tradi tionnelles et cette création contemporaine nous ramène dans une Chine plus ancienne, plus ancestrale et plus diversifiée. Recherche de l'identité profonde, volonté de la part d'auteurs de régions très différentes de décrire leurs racines familiales, leur univers quoti dien où se perpétuent des traditions qu'ils nous dévoilent. Dans le Porteur déjeune mariée, Jia Pingwa situe les trois histoires d'amour frustré, d'une violence à peine contenue, au sein du Shaanxi, sa province natale. Dans ce courant de « recherche des racines », nous assistons à l'épanouissement de la littérature des ethnies minoritaires, mongole, tibétaine, ouïgoure. Zhang Chengzhi, qui revendique haut et fort ses origines musulmanes, dépeint dans Fleur-Entrelacs des héros qui galopent dans les steppes mongoles et le grand Nord-Ouest. Il restitue la parole à des personnages semblables à ceux de la Symphonie pastorale. Zhaxi Dawa (1959), auteur tibétain qui écrit toutefois en langue chinoise, nous entraîne grâce à son style qualifié de « réalisme magique » dans la lumière des hauts plateaux de ce pays de légende, imprégné du culte des morts, de magie et de spiritualité. Chi Zijian (1964), avec la Danseuse de Yangge, nous invite dans une bourgade mandchoue, aux confins de la Chine du Grand Nord, sur les rives du fleuve Amour, où cette jeune romancière place l'action de ses deux récits. Le rémouleur joue les don Juans et le lettré meurt d'amour pour la jolie danseuse. Hommes et femmes vivent dans l'attente constante de l'émerveillement, ils en cultivent à satiété le souvenir et le fan- 32 L'ESPRIT DE LA CHINE Une nouvelle génération d'écrivains tasme. Enfin, Liu Xinglong (1956) évoque les régions arriérées du sud-est du Hubei. Depuis les années quatre-vingt-dix, sur la scène littéraire, l'influence de romanciers étrangers, Sartre, Camus, Borges, Faulkner, Garcia Marquez..., et du Nouveau Roman se ressent sur l'écriture de certains auteurs contemporains chinois. Notamment sur Ge Fei (1964), Yu Hua (i960) et Su Tong (1963), que les lec tures de Robbe-Grillet ne laissent pas indifférents. Leur style est souvent bref, concis, direct, clair et vivant. Leurs œuvres baignent dans un climat d'onirisme teinté de nostalgie qui n'a rien de réaliste. Néanmoins, ces mêmes années quatre-vingt-dix marquent aussi le début d'une littérature « réaliste » qui caractérise parfaite ment la littérature romanesque chinoise contemporaine, représentée par de jeunes écrivains, femmes ou hommes, dont les œuvres ont pour certains déjà marqué la période de la « recherche des racines ». Par « réaliste », il faut entendre des romans qui décrivent sans fard ni complaisance la vie telle qu'elle se présente dans sa réalité quotidienne et des « héros » ou des « héroïnes » qui sont des personnages en proie aux épreuves de la vie. Les relations entre les êtres humains et le contexte social constituent souvent le thème de ces romans. Rôle prépondérant des jeunes romancières chinoises Les jeunes femmes chinoises commencent à publier et à jouer un rôle prépondérant dans les milieux littéraires chinois. Certaines sont à la tête de l'Association des écrivains de leur région et dirigent en même temps une revue. Elles appartiennent pour la plupart à ce courant « réaliste » et abordent des sujets qui traitent de problèmes concrets : le rapport parents-enfants, la place de la famille, leur aspiration à une certaine réalisation personnelle, la vie d'ouvriers dans une usine. Elles ne nient pas les problèmes de société : un couple réussit à adopter un bébé moyennant finance dans une famille de paysans pauvres qui comptent déjà plusieurs enfants ; on préfère vendre son âme pour un hukou, passeport intérieur qui est en fait un système de contrôle de résidence destiné 33 L'ESPRIT DE LA CHINE Une nouvelle génération d'écrivains à limiter tous les déplacements de populations et surtout l'émigra tion des paysans vers les villes. Leur style est pertinent et les intrigues de leurs romans, qui se passent la plupart du temps dans leur région d'origine, s'appuient sur leur grande capacité d'obser vation de cette société chinoise à l'aube du XXIe siècle. Cette esthétique réaliste se dégage des œuvres de Can Xue (1953), Zhang Xinxin (1953), Fang Fang (1955) ou Chi Li (1957), pour ne citer que les plus connues et les seules traduites jusqu'alors en français. Dans le Soleil du crépuscule, Fang Fang dépeint la misère, la saleté, la violence que vit au quotidien une famille, trois généra tions sous le même petit, tout petit toit, dans la ville de Wuhan qui, nous apprend-elle, est une vraie fournaise en été. Dans le Partage des rôles, de Zhang Xinxin, l'auteur met en scène un épisode de sa propre vie, celle d'une jeune femme moderne divorcée, aux prises avec son mal de vivre, tiraillée entre son désir d'indépendance et le manque d'amour d'un amant toujours absent. La jeune génération d'écrivains, hommes ou femmes, traite de plus en plus des problèmes de la société urbaine et rurale, du travail et du couple ainsi que de la course à l'enrichissement, du culte de l'argent et du commerce qui va à l'encontre de la philoso phie confucéenne. Ils n'hésitent pas non plus à dénoncer la cor ruption ou les pots-de-vin pour obtenir, le cas échéant, des certificats de complaisance. Le Malaise est une virulente satire de cette société chinoise fin de siècle par un jeune auteur Laoniu, inédit en Chine à ce jour, qui manie la critique sans complaisance mais avec humour.