La diffusion de la littérature chinoise en France en 2009

Alizée DABERT

Mémoire de 4e année

Séminaire : Histoire de la France

Sous la direction de : Gilles RICHARD

2011 - 2012 Remerciements

En écrivant ce mémoire, j'ai eu une pensée toute particulière pour mes amis chinois en France ou en Chine, qui m'ont fait découvrir leur culture et aimer leur pays. 谢谢黄政、童天洋、斯琪、史文、叶子庄、等等。

Je remercie Monsieur Allanic avec lequel j'ai découvert la Chine (voyage d'études), ainsi que tous les professeurs de chinois qui m'ont enseigné cette langue à l'association Rennes-Chine ou à l'Institut Confucius de Rennes (谢谢红老师).

Un grand merci à mes parents qui m'ont soutenue tout au long de l'année et ont eu le courage de faire un travail de relecture. Merci également à 史文 qui a répondu à mes questions et m'a aidée dans le travail de traduction ; ainsi qu'à Madame Chicherie qui m'a embauchée pendant deux ans et m'a permis de financer mon premier voyage en Chine en 2009.

Enfin, j'adresse mes remerciements aux professionnels qui ont accepté de me rencontrer et de me parler de leur métier, ainsi que du secteur si particulier de la littérature chinoise en France. Sommaire

Introduction...... 4

Chapitre I : La littérature chinoise classique et moderne...... 9

Chapitre II : La littérature chinoise contemporaine...... 41

Chapitre III : Les acteurs de la diffusion de la littérature chinoise en France en 2009 ...... 112

Chapitre IV : Les représentations de la Chine véhiculées par les œuvres...... 155

Conclusion...... 186

Annexe ...... 201

Une carte de Chine est placée en annexe. Introduction

En août 2009, je suis partie pour la première fois en République Populaire de Chine. J'étudiais le chinois depuis quatre ans déjà et j'avais envie de découvrir la réalité du pays, cachée derrière les histoires que nous racontent les idéogrammes. J'envisageais déjà, à l'époque, d'effectuer ma troisième année en Chine lors de l'année obligatoire à l'étranger. Je partais donc pour ce premier voyage de trois semaines comme l'on part en repérage. Je lisais à l'époque Beijing coma de Ma Jian, qui raconte les horreurs de la Révolution culturelle et les coulisses du Printemps de Pékin (1989). Il était difficile de se rendre en Chine avec plus d'appréhension.

Le voyage avait été organisé par l'université de Rennes 2 où je suivais des cours depuis un an et plus particulièrement par Monsieur Bernard Allanic, professeur de chinois. Les trois semaines étaient conçues de la façon suivante : cours de langue le matin et excursions culturelles l'après-midi ; deux semaines entières à Pékin et une dans le Sichuan (Jinan et Qufu). Dans la capitale, nos visites se déroulèrent en compagnie d'étudiants chinois de l'Institut de diplomatie, quasiment bilingues après seulement deux ans d'apprentissage - très intensifs - du français. Nous parlâmes finalement très peu chinois, d'une part pour ne pas perdre la face et d'autre part parce que nos niveaux ne le permettaient pas. Nous nouâmes de belles amitiés tout en découvrant les monuments historiques et la nourriture locale.

La Chine ne peut entraîner que deux réactions : la fascination ou le rejet. Le retour en France après ces trois semaines fut très difficile. Je décidais alors de chercher un stage dans l’édition en perspective de ma troisième année. Mon rêve était de partir travailler chez Penguin à Pékin ou Phoenix Publishing (en lien avec le groupe Hachette livre) à Hong Kong. Malheureusement, aucune des structures que je démarchais (en Angleterre, au Canada, en Australie ou en Chine) ne pouvait me recevoir pour sept à neuf mois, soit pour des motifs financiers, soit par manque de travail. Je me résolus finalement à partir perfectionner mon niveau de langue à l'université à Pékin, un choix par défaut qui se révéla plus que satisfaisant.

Cette fois, je ne me cantonais pas aux grandes villes et aux zones touristiques. Les vacances de mi-semestre furent l'occasion de découvrir la « vraie » Chine, la Chine rurale

2012 4/208 où certains résidents ne parlent pas le mandarin, où les sonneries de portable remontent aux années 2000 et où les moines tibétains téléphonent avec un iPhone tout en conduisant leur mobylette.

À mon retour, j'ai réévalué mes objectifs : je souhaitais désormais travailler avec la Chine, peut-être même là-bas. Mon stage chez Gulf Stream Éditeur (édition jeunesse à Nantes) m'a permis de découvrir une facette du monde de l’édition et certains de ses métiers. Je me suis rendue compte que ce secteur me plaisait, mais que l'éditorial n'était peut-être pas ma voie. C'est avec tout cela en tête que j'ai dû trouver mon sujet de mémoire. J'ai tout d'abord commencé des recherches sur la maison d'édition spécialisée Bleu de Chine, mais la difficulté de réunir des archives et celle de rencontrer la directrice éditoriale m'ont obligé à renoncer à ce projet. J'ai finalement orienté mon choix sur le sujet suivant : La diffusion de la littérature chinoise en France. L'inverse m'aurait également intéressée mais encore une fois, la difficulté de récolter des informations sur le sujet depuis la France m'en a dissuadée. Ce sujet sur la diffusion m'avait déjà traversé l'esprit en septembre, mais j'étais réticente à le faire car une étudiante chinoise avait réalisé un mémoire sur un sujet similaire en 20081. J'ai opté finalement pour une approche différente de la sienne.

Avec ce mémoire, les questions que je souhaitais élucider étaient : qui diffuse la littérature chinoise en France ? Pour quel public ? Quelle rentabilité ? Quelle image est véhiculée par ces ouvrages ? Quels genres et quels thèmes sont les plus diffusés ? Comment s'effectue la promotion des ouvrages ? Je choisis de travailler sur l'année 2009 pour sa résonance avec différents anniversaires : 1949 proclamation de la République populaire de Chine ; 1959 exil du Dalaï-lama ; 1989 Printemps de Pékin. Cinq ans plus tôt, le Salon du livre de Paris avait mis la Chine à l'honneur. Les parutions étaient alors plus nombreuses et la promotion plus importante, mais j'ai jugé que l'analyse qui pourrait être tirée de l'année 2004 serait justement faussée par cet événement exceptionnel.

Je me lançais d'abord dans la lecture de la presse nationale en 2009 avec pour objectif de relever les ouvrages diffusés largement auprès du public par le biais de la presse. Je lus tout d'abord l'ensemble des articles ayant la Chine pour sujet principal dans Le Monde. Cela me permit de me remémorer l'actualité de l'année 2009, de voir quels thèmes étaient privilégiés dans les articles et quelle image de la Chine s'en dégageait. En parallèle, je

1 CHEN Hongmei, séminaire Identités et mobilisations, 2008-2009

2012 5/208 prenais les références des ouvrages chinois ou français traitant de la Chine. J'ai ainsi répertorié les titres faisant l'objet d'articles (allant de l'encart à la double page) dans Le Monde, Le Figaro littéraire, les pages culture de l'Humanité et Libération. J'ai également consulté L'Express et Le nouvel Obs (pages politique étrangère et culture) et des magazines spécialisés soit en littérature soit sur la Chine : La quinzaine littéraire, Le magazine littéraire, LIRE, Perspectives chinoises, Monde chinois et Planète chinois. Les trois dernières revues sont diffusées de façon moins large que les précédentes, mais sont présentes dans de nombreuses bibliothèques notamment universitaires.

Je répertoriais finalement une soixantaine d’œuvres et me résolus à faire un tri. Selon le Larousse, le mot littérature renvoie à l'« ensemble des œuvres écrites ou orales auxquelles on reconnaît une valeur esthétique », soit « qui a rapport au sentiment, à la perception du beau ». En Chine, le terme littérature rassemble les œuvres qui n'ont pas de fonction d'apprentissage, c'est-à-dire qui ne sont pas enseignées à l'école. Elle a une fonction de divertissement ou de perfectionnement de soi (pour son auteur). J'éliminais donc du corpus les ouvrages de médecine, science ou relaxation ; je ne gardais pas non plus les ouvrages co-écrits (un auteur français et un chinois). Je me séparais également des auteurs de diaspora et des Tibétains qui n'écrivent pas en mandarin. Je conservais 21 livres : des romans et des recueils de nouvelles ; des textes classiques, modernes ou contemporains ; des nouvelles publications comme des rééditions ou des sorties en format poche.

Une fois le corpus déterminé, les principales collections et maisons d'édition diffusant de la littérature chinoise sont apparues d'elles-mêmes. J'ai alors commencé à lire les ouvrages du corpus, en parallèle d'ouvrages bibliographiques. J'ai également contacté des professionnels du secteur pour des entretiens (chroniqueurs littéraires, éditeurs, libraires, traducteurs et une chercheuse au CNRS) qui se déroulèrent entre février et mai 2012.

Par manque de temps, je n'ai pas pu croiser les titres diffusés par la presse nationale avec ceux diffusés par d'autres médias (télévision, radio). Les ouvrages bibliographiques que j'ai consultés ont principalement été empruntés à la bibliothèque universitaire de Rennes 2 ou à la médiathèque des Champs Libres. Il en a été de même pour les ouvrages répertoriés. Très peu d'ouvrages abordent le thème de l’édition et de ses enjeux contemporains. Les ouvrages concernant la littérature chinoise sont encore plus rares, mais facilement disponibles par le biais de librairies ou bibliothèques spécialisées. Les éditions

2012 6/208 Philippe Picquier ont d'ailleurs publié deux ouvrages qui m'ont beaucoup aidé1. La Bibliothèque nationale de France compte assez peu d'ouvrages sur ces questions.

La grande majorité des ouvrages - pourtant rédigés par des sinologues - négligent le chinois : les noms des auteurs, des revues, les titres de livres, etc. sont systématiquement donnés soit en français, soit en . Pour retrouver les noms propres et les titres originaux, je me suis servie des catalogues en ligne du Sudoc et de la collection chinoise de la Bibliothèque Nationale d'Australie, ainsi que du moteur de recherche chinois Baidu. Dans la mesure du possible, j'ai tenté d'associer à chaque nom ou titre sa traduction chinoise (en caractères) suivie de sa transcription en pinyin. Le pinyin est une transcription du chinois en alphabet latin, inventée dans les années 1950-1960 pour faciliter l'apprentissage du chinois aux non sinophones. Cette transcription est couramment utilisée en Chine et dans le monde.

Le premier chapitre de ce mémoire traite dans un premier temps de l'évolution de la littérature chinoise de ses débuts jusqu'à aujourd'hui. La notion de littérature s'est formée autour d'une conception spécifique de la langue chinoise et a évolué du fait de sa modernisation. La première partie synthétise les différentes idéologies qui influencèrent les auteurs chinois classiques et analyse plus spécifiquement les romans de cycle long, ancêtres des romans contemporains. La seconde partie porte sur le basculement de la littérature chinoise classique à la littérature chinoise moderne : la volonté d'auteurs marginaux de renouveler la littérature sous l'influence occidentale, le désir de rendre la littérature plus accessible et finalement la politisation de la littérature.

Cette littérature idéologique est au cœur du deuxième chapitre qui décrit plus longuement la littérature chinoise contemporaine. Dans une première partie, j'ai exposé sa phase maoïste : l'encadrement des œuvres artistiques par le régime, les différentes campagnes politiques à l'encontre des écrivains etc. Dans une deuxième partie, je me suis penchée sur le renouveau littéraire des années 1976-1989 : les nouveaux courants, les nouvelles thématiques, la nouvelle position de l'écrivain qui témoigne de la souffrance du

1 PIMPANEAU Jacques, Chine, Histoire de la littérature. éditions Philippe Picquier, 2004 ; DUTRAIT Noël, Petit précis à l'usage de l'amateur de littérature chinoise contemporaine (1976- 2006), Philippe Picquier, 2002

2012 7/208 peuple chinois et des intellectuels. Enfin, la troisième partie présente la phase la plus récente de la littérature contemporaine, caractérisée par la disparition des écoles de pensée et des courants. J'ai choisi de détailler plus précisément le style de certains auteurs chinois, populaires en Chine et dont les livres sont diffusés en France. Le chapitre s'achève avec l'analyse des enjeux du marché chinois à la fin des années 2000.

Le troisième chapitre a pour objet les acteurs de la diffusion de la littérature chinoise en France. La première partie du chapitre est dédiée aux traducteurs, qui sont les passeurs entre les cultures, sans lesquels rien ne serait possible. Puis, dans la deuxième partie, je me suis intéressée aux différentes maisons d'édition qui publient cette littérature et aux obstacles qu'elles doivent surmonter. Enfin, la troisième partie porte sur différents canaux de diffusion/promotion des ouvrages auprès du public : la presse, la recherche universitaire, les associations culturelles, les salons du livre etc.. Par manque de temps, je n'ai malheureusement pas pu me pencher sur l'évolution des rapports culturels entre la Chine et la France, témoins du rapport de force entre les deux pays. La question de la réciprocité des échanges culturels aurait également pu faire l'objet d'une étude à part, l'influence de la littérature française ayant été très importante en Chine notamment au début du XXe siècle. Aujourd'hui, les Chinois continuent à être fascinés par la France et à lire ses œuvres littéraires mais il n'est pas possible de parler de réciprocité des échanges culturels .

Dans le dernier chapitre sont exposées les différentes représentations de la Chine véhiculées par les œuvres du corpus. Tout d'abord une Chine rurale, dépeinte de façon positive ou négative. Ensuite une Chine urbaine, caractérisée par la perte de repères. Contrairement aux débuts de la littérature contemporaine, les auteurs sont tous des citadins. Dans une deuxième partie, j'ai relevé l'absence de certaines catégories d'auteurs : les femmes (trois sur 21) et les minorités ethniques (incluant Taiwan et Hong Kong). Enfin, j'ai abordé la question de la réception des œuvres auprès du public et de leur perception de la Chine, qui influence fortement leur désir de lire ou d'acheter de la littérature chinoise. La vision d'une littérature peu abordable prévaut, renforcée par une croyance forte en un écart culturel plus important entre la culture chinoise et française qu'avec d'autres cultures.

Bonne lecture

2012 8/208 Chapitre I : La littérature chinoise classique et moderne

L'objectif de ce premier chapitre est de se pencher sur l'apparition de la littérature en Chine et son évolution. Trois temps peuvent être dégagés : la littérature classique, la littérature moderne et la littérature contemporaine (cette dernière fera l'objet du deuxième chapitre du mémoire).

I- De l'écriture à la littérature

Cette première partie est dédiée à la littérature dite « classique ». Elle apparut dans un contexte très particulier et ne fit pas immédiatement l'objet d'une réflexion. Une partie de la littérature était orale, populaire ; l'autre était écrite et destinée à un public lettré. Les échanges entre les deux littératures étaient fréquents. La littérature classique véhiculait les différentes idéologies dont les auteurs de l'époque étaient imprégnés : le confucianisme, le taoïsme, le chamanisme, etc.. Elle avait souvent un caractère moralisant et certains sinologues interprètent aujourd'hui certains textes comme de véritables métaphores politiques. Les romans de cycle long, véritables épopées qui sont connues de tous les Chinois, sont désormais traduits dans le monde entier.

A- L'apparition de la notion de littérature

Selon Jacques Pimpaneau, le concept de littérature (wenxue 文学) apparut en Chine « de la nécessité de classer dans les bibliothèques des œuvres qui ne [soient] ni des Classiques, ni de l'histoire, ni des ouvrages philosophiques ou techniques »1, par exemple 楚辞 chu ci Les Chants de Chu2, recueil de poèmes du royaume de Chu. Le terme wenxue, réservé jusqu'alors aux connaissances livresques, c'est-à-dire aux livres traitant de sagesse, de morale, de rites, de stratégie militaire ou de lois, fut alors conservé pour désigner des œuvres esthétiques.

1 PIMPANEAU Jacques, Chine, Histoire de la littérature. éditions Philippe Picquier, 2004 (réédition), p. 99 2 Publiés en France sous le titre Élégies de Chu, Gallimard, coll. « Connaissances de l'Orient », série chinoise, poésie, 2004 (trad. Rémi MATHIEU)

2012 9/208 Ainsi, approximativement de la dynastie Tang (唐朝[618-907]) à la fin du XIXe siècle circulèrent en Chine deux types de littérature. La première, plus ancienne, rédigée en 文言 wenyan, était l'apanage des lettrés. La seconde, non reconnue, était composée en chinois parlé et à destination du peuple.

1. La littérature des lettrés

La seule littérature reconnue en Chine jusqu'au début du XXe siècle fut celle composée en chinois dit classique : réservée à l'étude, rédigée en 文 言 wenyan ou langue de wen (signifiant à la fois culture et littérature au sens premier des connaissances livresques), cette langue complexe et très éloignée de l'oralité était inaccessible au peuple et aux non- initiés. Elle servait à la rédaction de tout document relatif à l'étude ou à l'administration, mais aussi à la poésie ou à la correspondance des lettrés. Qualifiée de langue savante, le wenyan était un procédé d'écriture dont le vocabulaire et la syntaxe n'étaient maîtrisés que par les lettrés et dont le style de prédilection était la citation des classiques ou l'allusion. Jean Lévi la définit comme « une métalangue érudite et absolument impénétrable à un autre public que celui d'une petite caste de connaisseurs »1.

Les ouvrages ainsi rédigés se nommaient 经 jing, ce qui fut traduit en français par « classique ». Ils « conten[aient] la pensée ''permanente'', générale, fondamentale et orthodoxe d'après le confucianisme »2. Au nombre de cinq ou six sous les Han, la liste des classiques fut complétée au fil des siècles pour atteindre le nombre de treize sous la dynastie des Qing (清朝[1840- 1911]). Les plus anciens remontent à l'Antiquité : ils furent soit épargnés par les flammes de l'autodafé de l'Empereur unificateur 秦 始 皇 Qing Shi Huang en 213 avant J.C., soit reconstitués de mémoire par des lettrés, dans une écriture plus contemporaine ( 今 文 jin wen). Cette littérature, considérée comme une part importante de la culture chinoise, devait être apprise par cœur par les candidats aux concours impériaux. (v. le tableau page suivante)

L'arrivée du bouddhisme et la volonté de diffuser cette nouvelle idéologie auprès du peuple chinois mit un terme à la position dominante du wenyan en littérature. Le 变 文 bianwen ou écriture en prose et en vers en langue vulgaire, fut au départ privilégié pour la rédaction d'apologues ou de contes religieux. Puis, il servit à composer anecdotes

1 LÉVI Jean, La Chine romanesque, Le Seuil, coll. « La librairie du XXe siècle », 1995, p. 66-67 2 PIMPANEAU Jacques, Chine, Histoire de la littérature, op. cit., p. 76

2012 10/208 historiques, drames satiriques et autres récits moins compatibles avec l'idéologie confucéenne, notamment des contes mythologiques, considérés par 孔子 Confucius (-551- -479) comme des facteurs de désordre : les comportements héroïques, les prodiges ou les divinités, nuisaient selon lui à la raison. Le bianwen offrit aux lettrés un nouveau mode d'expression écrite, qui favorisa la rédaction d'essais, de biographies, de textes historiques ou de récits courts. Il initia la mise par écrit de la littérature populaire, jusque là strictement orale.

Titre des classiques en Titre des classiques en Période d'ajout à la liste des français chinois classiques Classique des documents 书经 Shu jing Dynastie Han Classique des vers 诗经 Shi jing '' Classique des mutations 易经 Yi jing '' Annales du royaume de Lu 春秋 Chunqiu '' Rituel des Zhou 周礼 Zhou li '' Classique de la musique 乐经 Yue jing '' Entretiens (de Confucius) 论语 Lunyu Han postérieurs Rituel 礼记 Li ji Dynastie Qing Mœurs et rites 仪礼 Yi li '' Le livre de Mencius (孟子) 孟子 Meng zi '' Classique de la piété filiale 小径 Xiao jing '' Annales du royame de Lu '' de Zuo, de Gongyang et de Guliang

2. La littérature populaire

Il existait en Chine une littérature non reconnue. D'origine orale, principalement à destination du peuple, elle remplissait un objectif de divertissement. Cette littérature dite « populaire »1 au sens premier, comprenait de nombreux genres : chansons, contes, légendes, ballades, pièces de théâtre ou romans. Elle était principalement diffusée par les conteurs - organisés en guildes - ambulants ou installés dans les quartiers de plaisir.

1 Le magazine littéraire, n°429, mars 2004, « De Confucius au néoconfucianisme », p. 34-37 Jacques PIMPANEAU

2012 11/208 Peu d'œuvres antérieures au XVe siècle nous sont parvenues. Les exceptions sont des recueils de chansons, des textes bouddhiques découverts dans la grotte de 敦 煌 Dunhuang au XIXe siècle, des fascicules illustrés imprimés par les imprimeurs-éditeurs au moment de l'essor des villes ou des documents retrouvés au Japon. Cette absence de conservation est le résultat d'un manque de transmission de ces récits oraux et la conséquence de l'absence de considération de la littérature populaire au sein de la société chinoise impériale. En effet, elle n'obtint un statut d'égalité avec la littérature classique qu'au début du XXe siècle, en partie sous l'influence de l'ethnologie1. Et si de rares lettrés reconnurent dès le XVIe siècle la valeur littéraire de ces écrits populaires, ils se limitèrent à la collecte des œuvres transposées de l'oral à l'écrit par d'autres lettrés (romans et pièces de théâtre) et ne se penchèrent pas véritablement sur la littérature orale, issue du peuple et non transposée.

La littérature populaire fut mise par écrit par des lettrés. Certains d'entre eux, considérés comme excentriques, avaient réussi les concours mandarinaux ; d'autres, qui avaient échoué, tentaient de survivre de leur plume. Transposer ces récits oraux par écrit constituait un véritable exercice de style : les œuvres devaient demeurer accessibles au peuple, être compréhensibles à l'audition et conserver les marques de l'oralité. Cependant, cette transcription n'était pas neutre et beaucoup d’œuvres furent modifiées au moment d'être couchées par écrit, de façon à ne pas heurter la morale confucéenne dont les lettrés étaient imprégnés.

Le succès d'une œuvre conduisait irrémédiablement à son adaptation dans les autres genres. Ainsi, il existait différentes versions d'un même récit sous la forme de chanson, légende, pièce de théâtre... Il subsistait toujours un bloc invariable à ces adaptations, mais le nom des personnages et des lieux ou certains évènements considérés comme mineurs, pouvaient varier et une même histoire, selon les provinces et les dynasties, évoluait entre récit réaliste et fantastique, prônant tour à tour liberté de mœurs ou respect strict de la morale. Ces variations s'expliquaient par l'adaptation par le conteur du récit aux croyances ou coutumes locales et une tendance forte à rattacher les légendes à un lieu connu ou porteur de sens pour les auditeurs. L'histoire de 孟姜女 Meng Jiangnü par exemple, qui en pleurant la mort de son mari au pied de la muraille la fit s'écrouler, fut rédigée de nombreuses fois, donnant naissance à autant de versions2. Ces retranscriptions témoignent

1 PIMPANEAU Jacques. Chine, Histoire de la littérature, op. cit., p. 286 2 La dernière en date s'intitule Le mythe de Meng, composée par , Flammarion, 2009 (trad. Marie LAUREILLARD)

2012 12/208 de son grand succès auprès des Chinois, qui furent touchés par les thèmes de la légende : la séparation des époux, la fidélité de la veuve et la mort des ouvriers-soldats chinois employés à la construction de la Grande Muraille... La comparaison de ces récits fut l'un des sujet d'étude de l'historien chinois 顾颉刚 Gu Jiegang (1893-1980).

Le roman tient une place à part parmi les genres de la littérature populaire. Il naquit de la transcription des contes par les lettrés et de la forte diffusion de l’imprimerie au cours de la dynastie Song (宋朝[960- 1279]) suite à une invention technique révolutionnaire de 毕 升 Bi Sheng (990-1051). Dans un premier temps, les romans se bornèrent à être des adaptations résumées et illustrées des succès populaires. Puis, les lettrés devinrent des écrivains et les romans évoluèrent dans leur forme pour être lus et non plus seulement entendus. Ils devinrent de plus en plus porteurs d'une vision moralisante, participant à la diffusion du néoconfucianisme auprès du peuple. Cette propagation de l'idéologie des lettrés était davantage le fait de leur censure ou autocensure, que d'une volonté affirmée et consciente de leur part. Dans la forme, le roman conserva une structure inspirée de l'oral : l'organisation du texte en chapitres, chacun introduits par un poème ou une brève histoire hors du récit et ayant pour titre deux vers ; le façon de clore les chapitres à un moment dramatique ; l'insertion dans le récit de chansons ou de poèmes ; et le maintien d'une forme d'oralité dans l'écriture avec la fréquente interpellation du lecteur. Le roman introduisit le fait divers en littérature, ainsi que les histoires de mœurs, jugées trop psychologiques par les conteurs pour retenir l'attention d'une foule. Le roman de mœurs le plus connu est 红楼 梦 hong lou meng Rêves au Pavillon Rouge de 曹雪芹 Cao Xueqin (1715-1763)1.

À partir du XVIIIe siècle, les lettrés commencèrent à écrire des romans de littérature populaire sans s'inspirer de récits oraux. L’œuvre la plus célèbre est la nouvelle 鶯鶯傳 ying-ying zhuan Biographie de Yingying du haut fonctionnaire de la dynastie Tang (唐朝) 元稹 Yuan Zhen (779-831), qui fut adaptée à l'opéra sous le titre de la Chambre de l'aile ouest. Cette histoire illustre très bien le mouvement de réécriture des récits jugés immoraux. Dans la nouvelle, un jeune lettré tombe sous le charme d'une jeune fille instruite et de bonne famille, qu'il a protégée d'une attaque de rebelles. Il prend l'initiative de lui écrire des poèmes et reçoit en guise de réponse une invitation de la jeune fille à la 1 Le Rêve dans le Pavillon rouge (2 tomes), de Cao Xueqin, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1981 (trad. de Jacqueline ALEZAIS et LI Tche-houa, révisé par André d' HORMON)

2012 13/208 rejoindre une nuit, dans la chambre de l'aile ouest. Une fois au rendez-vous, la jeune fille le réprimande sèchement pour son manque de tenue et ses pensées grossières. Mais quelques jours plus tard, elle prend l'initiative de le rejoindre dans sa chambre. Les deux amants vivent leur histoire en secret, au jour le jour. Le jeune lettré se rend une première fois à la capitale et réussit le premier niveau des concours mandarinaux. Mais la seconde fois, il échoue au concours et regrette cette aventure en province. Les deux amoureux finissent par se marier chacun de leur côté, mais gardent au fond de leur cœur le souvenir de cette première passion. La version de l'opéra diffère en plusieurs points. Tout d'abord, il n'est plus question de rebelles militaires mais de bandits. Ensuite, la mère donne la main de sa fille au lettré pour les avoir sauvées du danger, puis revient sur sa parole. La jeune fille, en répondant aux avances du jeune lettré, ne fait qu'honorer la promesse que sa mère lui avait faite. Enfin, les deux amants finissent par se marier, la morale est sauve.

Les romans se transformèrent radicalement sous l'influence occidentale et l'apparition du journalisme, à la fin du XIXe siècle.

B- L'influence des idéologies en littérature

Si le néoconfucianisme devint la doctrine officielle au XIIIe siècle, en réaction à l'introduction de la philosophie bouddhiste en Chine, il ne parvint cependant pas à éliminer les différents courants de pensée. Les lettrés, imprégnés par le confucianisme, furent aussi influencés par le bouddhisme venu d'Inde ou le taoïsme. Les différents genres artistiques portent les traces de l'adhésion de leur auteur aux différentes idéologies.

1. Le confucianisme à l'origine d'une littérature morale et didactique

La littérature chinoise écrite en wenyan comme en bianwen fut fortement influencée par les enseignements de 孔子 Kongzi dit Confucius (-551- -479) et sa vision pragmatique de l'écriture. Confucius considérait les livres comme des puits de connaissances et ne les évaluait pas de façon esthétique. Cependant, il mettait la poésie à l'écart des autres écrits, car elle permettait selon lui d'exprimer et de canaliser les sentiments et de transmettre la

2012 14/208 morale. La maîtrise et la culture de soi permettaient de produire une musique « idéale », vectrice des principes moraux de son auteur.

Plus tard, 孟 子 Mengzi dit Mencius (-372- -289) développa la notion du 气 qi, le souffle qui se trouve en chaque individu et qui se nourrit de nos valeurs morales. Les œuvres étaient les fruits de ce souffle, c'est pourquoi il était impossible d'estimer leur valeur sans juger leur auteur. L'art était considéré comme un moyen de développer sa vie intérieure et la qualité esthétique d'une œuvre reflétait invariablement les qualités éthiques de son auteur. Les lettrés qui composaient de la poésie, peignaient, s'exerçaient à la calligraphie ou à la musique, étaient tous des amateurs qui travaillaient sur eux-mêmes, afin de « perfectionner [leur] personnalité, pour s'accomplir moralement »1.

2. Le taoïsme : une littérature de l'intuition

庄 子 Zhuang Zi (-369- -286) est considéré comme le fondateur de l'esthétique en Chine. Aucune de ses œuvres n'a pourtant porté sur l'écriture ou la culture (restreinte à l'époque aux classiques, à l'histoire des penseurs et aux recueils littéraires), mais sa thèse du 道 dao a révolutionné la pensée chinoise et plus particulièrement la vision que portaient les lettrés sur la pratique d'un talent (écriture, peinture, calligraphie).

Zhuang Zi vécut à l'époque des royaumes combattants (战国[-475- -221]). Il ne croyait pas en les réformes sociales, c'est pourquoi à ses yeux le bonheur ne pouvait relever que d'une prise de conscience individuelle. Il s'opposait aux inventions techniques qui « mécanis[aient] le cœur » et à la conception d'un monde comme ressource à exploiter. Il remettait en cause le mode de pensée de l'époque et prônait le retour à une « candeur native ». Le sinologue Jean Lévi résume ainsi sa pensée : la « dichotomie entre intériorité et extériorité conduit d'une part à l'asservissement de la conscience aux objets et d'autre part à la ruine de la nature (…) posée comme un milieu à conquérir afin de la transformer en biens capables de satisfaire ses appétits, en sorte que tout en asservissant son élément, le sujet est asservi et réifié par les choses qu'il convoite »1. L'idée centrale du taoïsme est que l'homme peut atteindre un bonheur permanent à condition de ne faire qu'un avec le 1 Le magazine littéraire, n°429, mars 2004, « Éthique et esthétique, la leçon chinoise », p. 24-26 Simon LEYS (pseudonyme de Pierre RYCKMANS) 1 Le magazine littéraire, n°429, mars 2004, « Le Tchouang tseu », p38-40 Jean LÉVI

2012 15/208 dao. Pour cela, il doit se dégager de l'artificiel et entrer en harmonie avec la nature (le ciel et la terre). Cette philosophie individualiste place l'homme dans un univers en perpétuelle transformation où les individus doivent accepter leurs sentiments et non les rejeter, pour atteindre le bonheur suprême, la paix, le vide. Les hommes doivent renouer avec leur spontanéité animale et se méfier du déterminisme du langage.

Cette idéologie engendra un art de vivre et se distingua du confucianisme en affirmant que la véritable connaissance n'était pas transmissible et que la vision des choses du monde était subjective. Elle influença aussi fortement le rapport aux talents, tels que l'écriture ou la peinture. Pour créer en harmonie avec le dao, il était nécessaire de se dégager de la technique enseignée, d'oublier son corps et ses désirs, ses connaissances et sa mémoire. Il fallait abolir toute séparation entre l'artiste et le support, de façon à ne faire qu'un avec la nature. « L'artiste et le sage [devenaient] alors le miroir qui [pouvait] enfin refléter la vraie nature des choses, le dao »1. L'unique critère d'évaluation des œuvres était la spontanéité. Le beau ou le laid, le bon comme le mauvais, n'existaient pas.

Cette idéologie séduisit de nombreux lettrés chinois, qui souhaitaient retrouver la spontanéité initiale des classiques, considérés comme les plus grandes œuvres de la littérature chinoise. Leur beauté et leur richesse étaient inégalables, car leurs auteurs ignoraient alors qu'ils produisaient de la littérature. Le taoïsme accompagna ceux qui souhaitaient renouer avec cette pureté perdue. Le taoïsme influença également les contenus des différents genres artistiques (poésie, peinture) en y introduisant la nature, non plus comme simple décor ou reflet des sentiments humains, mais comme un sujet à part entière. 陶 渊 明 Tao Yuanming (365?372-427) est sans doute le poète le plus connu parmi le courant qualifié de néotaoïste, pour son récit 桃花源记 tao hua yuan ji « Récit de la Source aux Fleurs de Pêcher »2.

1 PIMPANEAU Jacques. Chine, Histoire de la littérature, op. cit. p. 96 2 Les Œuvres complètes de Tao Yuanming sont publiées chez Gallimard, coll. « Connaissance de l'Orient », série chinoise, 1990 (trad. Paul JACOB)

2012 16/208 3. Le chamanisme : l'écriture de l'imaginaire

Les Chants de Chu et les écrits laissés par Zhuang Zi (-369- -286) portaient les graines de l'imaginaire et du merveilleux. Ils permirent aux mythes de continuer à exister dans une société confucéenne prônant la raison. Les mythes - ou leurs éléments fantastiques - étaient très présents dans les contes, nouvelles, opéras ou romans populaires. Pour Jacques Pimpaneau, la présence d'éléments fantastiques ou « religieux » dans la littérature populaire encouragea la superstition des villageois et la perpétuation de certains rites (offrandes aux divinités, fêtes). Ce maintien des croyances aurait permis d'autre part de « débrider l'imagination »1 des auditeurs et des lecteurs. Taxées de superstitions, elles furent occultées et censurées par les chercheurs chinois chargés de la collecte de la littérature populaire sur la période dynastique, sous le régime communiste.

Pour Jean Lévi, « le mythe fournit à la fois la matière et la forme des récits en prose »2. Si les nouvelles se positionnèrent « entre réalisme et féérique »3, jouant sur cette ambiguïté, les romans se placèrent quant à eux directement dans le prolongement du mythe (v. la partie consacrée au prologue des romans de cycle long). Les récits étaient emplis d'êtres fantastiques aux capacités surnaturelles : esprits, fantômes, créatures capables de prendre forme humaine... La figure de la femme-renarde notamment, dangereuse et séductrice, était récurrente dans les nouvelles ou les contes.

Les bouddhistes et les taoïstes utilisèrent les mythes à des fins illustratives. Une fois la croyance latente dans la société dépassée, les éléments chamaniques des mythes furent conservés à des fins humoristiques. 西游记 xiyou ji ou « Le Voyage en Occident »4 de Wu Cheng'en, en est la parfaite illustration. Au VIIe siècle, un moine part pour l'Inde avec la volonté de rapporter en Chine un certain nombre de soutras bouddhiques. Accompagné de ses disciples - un singe doué de parole, un cochon et un monstre en quête de pardon - il affronte en chemin maints obstacles et autant de monstres et fantômes. Ce roman, inspiré du véritable voyage du moine bouddhiste 玄奘 Xuanzang (602-664) en Inde, est à la fois allégorique et mystique. Son prologue reprend le récit de la création et sa partie narrative

1 PIMPANEAU Jacques. Chine, Histoire de la littérature, op. cit., p. 288 2 LÉVI Jean, La Chine romanesque, op. cit., p. 217 3 id., p. 219 4 Traduit et publié une première fois en 1980 par la Petite Bibliothèque Payot sous le titre Le singe pèlerin ou le Pèlerinage d'Occident (réédité en 2003 dans la même collection) ; Traduit sous le titre La pérégrination vers l'Ouest (2 tomes) par André LÉVI, Gallimard, collection « Bibliothèque de la Pléiade », 1991

2012 17/208 est un véritable recueil de croyances populaires et des créatures mythiques (revenants, esprits etc.). Le personnage principal est en réalité le roi des singes, dont l'histoire est contée dans la première partie.

4. Liu Xie et le sceau du réel

刘 勰 Liu Xie (465-522) est considéré comme le premier penseur de la littérature chinoise. Il fut, comme beaucoup de Chinois à l'époque, influencé tant par le confucianisme que le taoïsme ou encore le bouddhisme (il devint d'ailleurs bonze peu de temps avant de mourir). Il développa dans son ouvrage 文心雕龙 wen xin diao long ou Le cœur de la littérature et la sculpture des dragons1 le concept de yun (raffinement). Le yun est l'harmonie entre l'apparence et l'esprit, donc le style et la personnalité.

Pour Liu Xie, chaque style ou usage de la langue a une utilité spécifique : l'allusion ou l'explication claire sont complémentaires et propres aux circonstances. Pour composer de la littérature (文 wen, qu'il définit comme un genre purement esthétique), l'homme doit tout d'abord faire le vide dans son esprit, puis se projeter à l'aide de son imaginaire. Les connaissances acquises permettent « d'enrichir son talent », mais tout repose sur l'inspiration. Ainsi, il n'est pas question de se forcer à écrire, mais de « nourrir le principe vital » ( 养 气 yang qi) qui fait jaillir les idées. À chaque personnalité ou souffle vital correspond un genre (poésie, calligraphie, nouvelle...) qui lui permet d'exprimer au mieux ses sentiments. Liu Xie utilise la métaphore du vent (风 feng) et de l'ossature (骨 gu). Le « vent » n'est autre que la capacité à transformer ses sentiments en souffle vital et « l'ossature » fait écho à « l'assemblage des mots » et à « l'esthétisation du langage »2. Il faut conserver une certaine légèreté de l'ossature pour que l'envol soit possible, c'est pourquoi l'ornementation des sentiments ne doit pas être artificielle, travaillée. Le texte doit rester léger, sans mots superflus et être doté d'une harmonie musicale (rythme, rimes, allitérations, parallélisme). Les comparaisons et métaphores ne doivent pas être plaquées sur le texte mais provenir de l'intérieur, être issues du talent naturel de l'auteur. « Les mots doivent correspondre à la réalité comme le sceau à son empreinte »3.

1 Non traduit en français. 2 PIMPANEAU Jacques. Chine, Histoire de la littérature, op. cit., p. 119 3 id., p. 126

2012 18/208 La langue chinoise étant composée d'idéogrammes, il faut aussi veiller à l'assemblage des caractères : « les caractères bizarres et étranges sont à éviter, de même qu'une succession de caractères qui ont un élément graphique commun, ou qui comportent peu de traits car la ligne devient trop squelettique, ou beaucoup de traits au contraire, car cette fois la ligne devient trop noire »1. L'important est l'unité de l’œuvre (fuhui).

Les critères d'évaluation de la qualité littéraire étaient la transcription et la transmission des sentiments de l'auteur, l'élévation du niveau du souffle vital, l'harmonie, le naturel.

C- De l'allusion à la critique politique

Le style chinois se caractérisait par l'utilisation systématique d'allusions, à l'oral comme à l'écrit, qu'il était nécessaire de comprendre pour saisir la portée d'un discours. Elles prenaient la forme de jeux sur les mots (homophonie des idéogrammes), sur les images ou renvoyaient à des anecdotes connues de tous. Les 成语 chengyu, considérés en Occident comme des proverbes, étaient des expressions condensées de quatre caractères qui renvoyaient à une histoire plus ou moins longue, souvent moralisante ; ils permettaient d'éviter un long discours et d'être compris instantanément. L'allusion était pratiquée à destination d'un interlocuteur spécifique, aussi, certaines étaient suffisamment hermétiques pour demeurer obscures une fois entendues par des oreilles indiscrètes. Les correspondances des lettrés, truffées d'allusions aux classiques et aux histoires ou poésies circulant à l'époque, étaient inintelligibles pour la majorité des Chinois. Beaucoup de textes nécessitaient un appareil de notes très lourd pour pouvoir être compris quelques décennies à peine après leur écriture.

La littérature était un moyen d'expression détourné dans un régime autocratique qui ne permettait pas cette liberté. L'allusion permettait d'énoncer ses idées sans prendre de risques inconsidérés. Elle était l'instrument des critiques du régime (notamment des ministres, qui avaient pour devoir de critiquer les mauvaises décisions prises par le souverain), des mécontents, mais aussi des dirigeants qui choisissaient de parler par

1 id., p. 123

2012 19/208 énigmes, pour laisser leur peuple dans le doute et garder la possibilité de revenir plus tard sur leurs paroles, prétextant une mauvaise interprétation de la part de leurs sujets1.

Nul n'était dupe de ce rôle politique tenu par la littérature, notamment populaire. Les premières collectes d'écrits populaires furent d'ailleurs le fait de fonctionnaires qui souhaitaient prendre la mesure des sentiments du peuple et de son état d'esprit à l'égard du pouvoir. Selon Wei Hong, auteur de la préface du Classique des vers, le gouvernement influençait fortement la nature de la poésie. En effet, en tant que moyen d'expression des sentiments spontanés et authentiques, la poésie donnait à voir de façon directe la joie et la satisfaction ou le ressentiment et la peine dans le cœur des sujets. Si le souverain était bon envers le peuple, la poésie était pleine de gaieté ; au contraire, si le souverain prenait des décisions désapprouvées par ses sujets, la poésie était pleine de critiques et de pleurs. L'atmosphère et l'ambiance des autres genres véhiculaient de la même façon l'opinion populaire à l'égard des décisions de l'empereur.

Au delà de l'atmosphère populaire, il s'agissait pour les fonctionnaires de percevoir les différents niveaux de langage et les messages cachés entre les lignes des récits. Les images ou passages sexuels en littérature sont aujourd'hui systématiquement analysés comme ayant un sens politique caché. Jean Lévi écrit : « le thème élégiaque de l'épouse éplorée qui soupire sur les infidélités de son mari sera décodé automatiquement comme une allusion masquée à tel ministre intègre dédaigné par un prince trop sensible aux flatteries des courtisans »2. Le célèbre roman de mœurs érotique Jin ping mei par exemple, édité par André Lévi dans la collection « Bibliothèque de la Pléiade » (Gallimard) en 1985, sous le titre Fleur en Fiole d'Or, peut être compris comme une véritable critique de la société de la dynastie Ming (明朝[1368-1644]). L’œuvre raconte - et décrit - les rapports qu'entretient un riche jeune homme, apothicaire de profession, avec les femmes, qu'elles soient des épouses, des concubines ou des prostituées. Les scènes érotiques furent interprétées comme le miroir « des échanges marchands et du trafic d'influences auxquels se livr[ait] »3 le personnage central. Le gynécée était le miroir d'une société corrompue, où les intrigues et les rivalités faisaient rage, une société dominée par le vice, l'argent et le pouvoir. « C'est finalement ce renversement des significations métaphoriques entre le politique et le sexuel qui sauve le roman de la pure vulgarité »4, conclue Jean Lévi.

1 id., p. 15 2 LÉVI Jean, La Chine romanesque, op. cit., p. 175 3 id., p. 360 4 id., p. 361

2012 20/208 La littérature chinoise avait donc un rôle critique dès l'Antiquité, de façon allusive pour que ses auteurs ne fussent pas inquiétés par le régime autocratique. Cette capacité de contestation est ancrée dans la culture chinoise et fut pensée à l'origine par Confucius comme un devoir moral du peuple envers son souverain.

D- Les romans de cycle long

Les romans n'étaient pas le genre de prédilection des écrivains chinois qui lui préféraient la nouvelle ou l'essai. Cependant, les œuvres classiques les plus connues aujourd'hui en Chine et dans le monde sont les romans dits « de cycle long » qui ont traversé les siècles et continuent à être lus, adaptés, traduits et réédités dans le monde entier. Deux de ces œuvres incontournables sont L'histoire des trois royaumes et Au bord de l'eau.

1. Les roman-fleuve ou « de cycles longs »

Les roman-fleuve (江湖小说 jianghu xiaoshuo) « tendent à l'inachèvement » écrit Jean Lévi1. Ce sont des sagas à l'intrigue relâchée, intemporelles, sans fin. Rééditées de nombreuses fois au cours des siècles, leurs auteurs sont souvent inconnus, au profit des éditeurs ou compilateurs qui allongèrent, raccourcirent, modifièrent l'original ou la version qu'ils eurent entre les mains. Ces réécritures et modifications incessantes posent aujourd'hui problème en terme de paternité littéraire. Ainsi, il est difficile de déterminer l'auteur, l'époque ou le contexte d'écriture de certains ouvrages. Le roman de mœurs Jin ping mei par exemple (abordé plus haut), est anonyme et daterait du XVIe siècle.

L'inachèvement, est la marque de l'excellence en littérature chinoise, « c'est dans cet inachèvement, cette ouverture sur le temps, que résident la beauté et la perfection des grandes œuvres romanesques »2. Car le roman chinois n'est pas linéaire, mais cyclique, à l'image du temps. Cette conception sphérique du temps et du récit doit être gardée en mémoire pour comprendre la composition des romans, nouvelles ou poésies. Cette vision 1 id., p. 63 2 id.., p. 124

2012 21/208 temporelle marqua particulièrement les romans historiques. Ces derniers ne comblaient pas les silences de l'histoire, ni ne prenaient l'histoire pour décor : ils étaient de réels documents historiques, construits à partir d'archives, puis romancés pour être accessibles à tous. Ces annales vulgarisées retraçaient l'histoire des dynasties, des lignées, des familles. Les personnages de romans n'étaient autres que les personnalités militaires ou politiques, devenues célèbres. Le contenu des romans historiques se rapprochait de celui des documents officiels, mais le style d'écriture variait, afin d'atteindre un public différent, plus populaire. L'auteur 冯梦龙 Feng Menglong (1574-1646) par exemple, conta la grandeur et la déchéance de la dynastie Zhou (周朝 [-1046- -256]) dans son œuvre 東周列国志 Dong Zhou lieguo zhi. « Le roman historique ne [valait] donc que par sa fidélité aux évènements [relatés]. Plus qu'une fiction, il [était] simple réécriture de l'histoire dans un style littéraire où l'implicite (…) [cédait] la place à l'explicite »1. L'objectif était d'« exposer le plus clairement possible, selon des procédés discursifs, des évènements dont la valeur [tenait] moins à l'émotion qu'ils suscit[aient] qu'à l'enseignement moral qu'ils propos[aient] »2. L'étude de l'histoire permettait alors de réfléchir au présent et au futur. L'histoire était envisagée comme un miroir, tenu devant soi, qui permettait la réflexion sur soi, sur son rapport à la société et qui permettait d’œuvrer à son perfectionnement intérieur. Un seul roman de cycle long eut pour trame les sentiments amoureux. Il s'agit de 红楼梦 Rêves au pavillon rouge, de 曹雪芹 Cao Xueqin (1715-1763), qui fut publié en français en 1981 par la Pléiade (Gallimard ; traduction de Jacqueline Alézaïs et Li Tche-houa, sous la direction d'André d'Hormon).

En Chine, le romancé et l'écriture historique de la réalité n'étaient donc pas incompatibles. Les roman-fleuve débutaient toujours par un prologue, qui donnait au récit une cohésion, une dimension (historique, fantastique, humoristique) et n'était pas sans rappeler le résumé que faisaient les conteurs au début de leur prise de parole, tant pour attirer le chaland que pour donner le cadre ou le contexte de l'histoire. Ces longs récits mythiques ou ces épopées guerrières furent rédigés en langue vulgaire. Pour Rainier Lanselle, c'est par leur composition « que la langue vulgaire s'illustra de la façon la plus mémorable ; c'est au gré de ces récits qu'elle fut complétement maîtrisée, infligeant une sorte de démenti à la manière foncièrement édulcorée que la Chine avait de rendre compte d'elle-même et de sa propre histoire, dans le médium (…) de la langue classique »3.

1 id., p. 137 2 id., p. 137 3 Le magazine littéraire, n°429, mars 2004, « Les grands romans de la Chine classique », p. 47-

2012 22/208 Les sous-parties suivantes abordent plus en détail les deux grands récits épiques que sont L'histoire des trois royaumes et Au bord de l'eau.

2. 三国演义 L'histoire des trois royaumes

罗贯中 Luo Guanzhong (1330-1400) est l'auteur de « L'Histoire des trois royaumes ». Son œuvre, traduite en français par Nghiêm Toan et Louis Ricaud, fut publiée par Flammarion une première fois entre 1987 et 1991, sous le titre Les trois royaumes (sept volumes). L’œuvre fut rééditée en trois volumes en mars, avril et mai 2009 - avec une nouvelle couverture - à l'occasion de la sortie en salles du film de John Woo Trois Royaumes, le 25 mars de la même année1.

Les premières versions chinoises du roman de cycle long Les Trois royaumes comportaient un prologue. Le récit n'était qu'une illustration narrative, développée de ce prologue, qui le plaçait dans la dimension du merveilleux et non dans celle de la réalité historique. En effet, le prologue expliquait que la partition de l'empire chinois était une punition céleste, qui visait l'expiation des méfaits du souverain 刘邦 Liu Bang, aussi connu sous le nom de l'empereur Han Gaozu 高祖. Le roi des Enfers, chargé de juger les défunts, avait décidé de renvoyer sur terre les réincarnations des conseillers ayant commis des bassesses et infamies, sous les traits de 刘备 Liu Bei, 曹操 Cao Cao et 孙权 Sun Quan, les fameux généraux des trois royaumes rivaux... Le prologue ne fut pas conservé dans les versions suivantes du roman, donnant au récit une dimension seulement historique ; le prologue continua cependant d'exister au théâtre.

La langue utilisée pour l'ensemble des versions retrouvées est qualifiée de simili- classique, c'est-à-dire une langue classique, compréhensible à l'audition et abordable aux non-lettrés. Elle n'en était pas moins riche, puisqu'elle établissait de nombreux parallèles avec les Mémoires historiques de 司马迁 Sima Qian (史记 shiji) portant sur l'avènement de la dynastie Han, par le biais d'allusions, de références ou de citations. Beaucoup d'épisodes des Trois royaumes devinrent des proverbes et des personnages du roman-fleuve furent « empruntés » pour d'autres récits et d'autres genres. Ces personnages et leurs hauts faits étaient - et demeurent encore aujourd'hui - connus de tous les Chinois. 50, p47-48 Rainier LANSELLE 1 Le Figaro littéraire, 19 mars 2009, « La chanson de geste des Fils du ciel », Sébastien LAPAQUE (illustration noir et blanc du film de John WOO)

2012 23/208 Pour Jean Lévi, la fascination exercée par cette œuvre sur des générations de Chinois demeure une énigme : extrêmement longue, sans autre fil directeur que la rivalité des royaumes, très - voire trop - fidèle aux annales dynastiques, peu imaginative... Mais il reconnaît sans peine que le lectorat d'une telle œuvre était très large : le peuple l'appréciait pour ses héros, les militaires pour la précision des descriptions des techniques de guerre et des stratégies des généraux de l'époque et les lettrés pour la réflexion qu'elle permettait sur l'âme humaine et sur soixante ans d'une histoire très riche [220- 280]. Le roman exposait en effet aux regards le détail de la lutte interne consécutive à la chute de la dynastie Han (汉朝) : les alliances, les trahisons et les affrontements entre les royaumes de 魏 Wei, 吴 Wu et 蜀 Shu et cela sur plusieurs générations. Le roman glorifiait le génie, la finesse tactique des stratèges militaires et leur anticipation des mouvements de l'ennemi. Tous les recours étaient alors permis : embuscade, attaque surprise ou encore incendie de la flotte ennemie (défaite de Cao Cao lors de la bataille de la Falaise Rouge en l'an 208). Les principaux personnages - généraux ou conseillers du roi, talentueux, n'hésitaient pas à commettre les pires exactions au service de leur suzerain, effacé et bon.

3. 水浒传 Au bord de l'eau

水浒传 shui hu zhuan littéralement « Le récit des berges » est l'un des quatre grands classiques chinois. Attribué à 施耐庵 Shi Nai'an (1296-1372) et 罗贯中 Luo Guanzhong, il fut traduit en français pour la première fois en 1978 par Jacques Dars, puis publié en deux tomes sous le titre Au bord de l'eau, à la « Bibliothèque de la Pléiade » chez Gallimard. Les deux tomes furent réédités par Gallimard en format poche dans la collection « Folio » en 1997.

Tout comme les autres romans de cycle long, Au bord de l'eau fut réédité et modifié de nombreuses fois. Sa première version contenait 90 chapitres et fut remaniée pour atteindre 100 chapitres au XVIe siècle. Sa publication française découpe le roman en deux parties, comprenant chacune 46 chapitres. Les préambules et poèmes à chanter ont disparu.

Le prologue de l’œuvre, qui place le récit dans une dimension fantastique, fut conservé : un mauvais général libère des entités néfastes, qui ne se manifestent qu'une génération plus tard et menacent l'empire et la sécurité du peuple. Les brigands,

2012 24/208 personnages principaux du récit, figurent ces entités malveillantes réincarnées en hommes. Symboles des dysfonctionnements du régime, ils cherchent à rétablir la justice.

Au bord de l'eau est un roman de mœurs. Les bandits, rejetés par la société, décident de réparer les injustices et les abus de pouvoir des fonctionnaires corrompus. L’œuvre romancée et fictive dénonçait la corruption, la cruauté, le bureaucratisme et l'arbitraire du pouvoir sous la dynastie Song (宋朝). Ces bandits, qui s'interdisent les plaisirs de la chair, recréent dans la forêt une société qu'ils désirent meilleure, mais qui conserve les grands traits de la société confucéenne qu'ils ont fuie : système de hiérarchie, idéologie confucéenne et pragmatisme dans l'usage des moyens (pillage, anthropophagie, meurtres sont permis pour atteindre leur but). La langue employée est « truculente », populaire.

À la fin du XIXe siècle, l'ouverture forcée de la Chine et l'introduction de la littérature étrangère sur le territoire remirent en cause les fondements de la littérature classique et le statut de l'écrivain chinois. Le renversement de l'empereur et la proclamation de la République de Chine marquèrent la volonté de l'avènement d'une nouvelle société. Dans ce contexte apparurent de nouveaux auteurs, de nouveaux styles... une nouvelle littérature dite moderne.

2012 25/208 II- La littérature chinoise moderne

Par convention, la littérature chinoise moderne naquit le 4 mai 1919. Elle marqua une rupture importante dans l'histoire chinoise en substituant le wenyan par la langue vulgaire comme support de la culture de référence. Elle céda la place à la littérature contemporaine en 1942 avec le discours de 毛泽东 Mao Zedong (1893-1976) à Yan'an.

L'objectif de cette partie est d'exposer le contexte et les causes majeures du basculement de la littérature chinoise classique vers celle dite moderne, ainsi que de montrer en quoi elle rompt avec la littérature « traditionnelle ». La littérature moderne se veut populaire, tournée vers l'occident et politisée.

A- La modernité en littérature

Le basculement de la littérature classique à la littérature moderne fut l'aboutissement d'un processus de réflexion sur la littérature qui se déroula sur plusieurs siècles. Cette réflexion portait à la fois sur la langue employée par les lettrés et sur le rôle de contre- pouvoir des œuvres. L'ouverture de la Chine aux écrits occidentaux, porteurs d'idées et de styles nouveaux, accéléra le processus et donna un nouveau souffle à la littérature chinoise. Des étudiants chinois, pour la plupart revenus de l'étranger où ils faisaient leurs études, pensèrent l'avènement d'une nouvelle littérature, rejetant la Chine traditionnelle responsable de la défaite face aux puissances occidentales.

1. La dynastie Ming (明朝), un temps de questionnement

Il est courant d'associer à une époque ou une dynastie un genre littéraire : par exemple la poésie sous la dynastie Tang (唐朝[618-907]) ou l'opéra sous la dynastie Yuan (元朝 [1206-1368]). Les dynasties Ming (明朝[1368-1644]) puis Qing (清朝[1616-1919]) furent celles du roman. Il fut adopté par les lettrés comme moyen d'expression et devint le support des idées et argumentations dans un contexte de débat. Les romans devinrent la caisse de résonance des questionnements et des angoisses d'une partie du peuple, consciente de l'incompétence voire de l'inaptitude à gouverner de l’État et du blocage engendré par un autoritarisme sclérosant. Une réelle conscience du déclin s'exprima par la littérature. Les anciennes notions d'éthique individuelle et de perfectionnement de soi héritées du

2012 26/208 bouddhisme refirent surface, comme un appel aux dirigeants à méditer sur leur comportement et prises de décisions. Les deux grandes œuvres de l'époque sont Jin ping mei, l'histoire du jeune apothicaire débauché et Le Voyage en Occident, où le Roi des singes recherche le pardon (au sens bouddhique) (déjà abordées précédemment). Ces deux récits, replacés dans leur contexte, renvoyaient très clairement aux inquiétudes et critiques de l'époque, à l'égard de la dynastie Ming.

Au XVIIe siècle, de nombreux lettrés commencèrent à écrire en langue vulgaire. Une partie d'entre eux se limitait à la transcription de textes classiques, d'autres, composèrent directement en langue vulgaire des contes ou des récits brefs, souvent autobiographiques, appelés 话 本 huaben. Beaucoup partaient d'une anecdote extraite de textes classiques, notamment d'histoire dynastique ou encore d'appareils de notes, qu'ils élargissaient de façon à en faire des récits à part entière. Tous les lettrés maîtrisaient la langue vulgaire et ses subtilités. Il était assez peu question de récits de pure invention ou d'imagination : ces écrits s'apparentaient davantage à un exercice de style, un jeu entre lettrés. Leur appropriation du genre romanesque lui donna rapidement les couleurs de la moralité, qui conduisit le roman à son essoufflement, puis à son épuisement1. En effet, « à côté d'une production surabondante d’œuvres sans grand intérêt, souvent sentimentales, [le genre romanesque] rest[a] si anxieux de sa mission critique qu'il s'y trouv[a] vite engoncé : le désir de satire fini[t] souvent par tourner un peu à vide »2. Les modèles importés d'Occident donnèrent un nouveau souffle au roman.

2. L'influence occidentale

La Chine, affaiblie et vaincue par les puissances occidentales durant les Guerres de l'opium [1839-1842 et 1858-1860] décida à la fin du XIXe siècle de s'approprier les savoir- faire occidentaux afin de se développer à son tour. Le modèle occidental était considéré comme un moyen et non comme une fin, auquel il fallait recourir tout en conservant l'identité chinoise. Dès lors, de nombreuses œuvres étrangères furent traduites en Chine. Deux collèges de traducteurs furent créés : un à 上 海 Shanghai à l'école des langues

1 Le magazine littéraire, n°429, mars 2004, « Les grands romans de la Chine classique », p. 47- 50 Rainier LANSELLE 2 idem

2012 27/208 étrangères et un à Pékin (北京 Beijing ou la « capitale du Nord ») dédié à l'interprétariat. Les premières traductions se limitèrent aux écrits scientifiques et techniques. Des étudiants chinois partirent aussi étudier à l'étranger, notamment au Japon (13 000 en 1905), aux États-Unis (1200 étudiants en 1915) et en France (à partir de 1912)1.

Rapidement, des œuvres de philosophie, de sociologie et de la littérature furent traduites en chinois. 王 国 维 Wang Guowei (1877-1927) par exemple, traduisit Schopenhauer, Nietzsche et Kant.

Œuvre originale Année de Traducteur ou éditeur traduction en chinois Evolution of Ethics, de Th. Huxley 严复 Yan Fu (1854-1921) The Wealth of Nations, d'Adam Smith 1901 '' System of Logic, de John Stuart Mill 1902 '' On Liberty, de John Stuart Mill 1903 '' Study of Sociology, d'Herbert Spencer 1903 '' L'Esprit des lois, de Montesquieu 1904-1909 '' La Dame aux camélias, d'Alexandre 1893 林纾 Lin Shu (éd.) Dumas (1852-1924) David Copperfiel, de Charles Dickens * '' Ivanhoe, de Walter Scott * '' Uncle Tom's Cabin, d'Harriet Beecher- * '' Stowe * pas de données Source : PIMPANEAU Jacques, Chine Histoire de la littérature, édition Philippe Picquier, 2004 (réédition), p. 401

L'introduction des écrits des Lumières ou des penseurs occidentaux apportèrent en Chine de nouveaux concepts tels que la démocratie, le darwinisme ou la rationalisation scientifique. À cette époque furent aussi diffusés les grands courants de pensée tels que l'anarchisme, le socialisme ou le marxisme. La revue 民报 Min Bao publia le « Manifeste communiste » et la traduction du « Socialisme moderne » de Kinsei Shakwai shugi (1903).

1 PIMPANEAU Jacques, Chine Histoire de la littérature, op. cit., p. 401

2012 28/208 Les œuvres traduites provenaient des États-Unis, de l'Union des républiques socialistes soviétiques (URSS), du Royaume-Uni, de France, du Japon, mais aussi d'Europe de l'Est ou de Scandinavie.

Les traductions, fréquemment réalisées en langue vulgaire à partir de la version japonaise de l’œuvre, étaient plus ou moins fidèles au texte original, que ce soit par leur style ou leur contenu. Il y avait un véritable engouement pour ces écrits étrangers, rapportés notamment par les jeunes chinois partis faire leurs études hors de Chine. Les œuvres occidentales classiques comme modernes se diffusèrent, toutes à la fois et en désordre, ne permettant pas une compréhension aisée des mouvements littéraires ni de leur évolution chronologique. Des œuvres peu connues en Occident furent de véritables succès en Chine (par exemple Nous retournerons cueillir les jonquilles, de Jean Laffitte, publié en 1948 à La Bibliothèque française), tandis que des ouvrages considérés comme des chefs d’œuvre en Occident demeurèrent dans l'ombre. Les Chinois furent très influencés par le réalisme et découvrirent des auteurs comme Émile Zola, Gustave Flaubert, Ivan Tourgueniev (Иван Сергеевич Тургенев ) ou Léon Tolstoï (Лев Николаевич Толстой).

L'introduction de nouveau genres littéraires en Chine influença les auteurs dans leur style et dans leur vision de la littérature. Avant cette ouverture sur l'étranger, il n'existait pas en Chine de théâtre parlé : il était chanté et se rapprochait davantage des opéras occidentaux. La poésie chinoise moderne explora de nouvelles formes telles que le sonnet ou les vers libres ; et le roman chinois se glissa dans le moule du roman occidental. Ce dernier conserva cependant des caractéristiques propres : peu d'attrait pour l'autobiographie ou le roman d'apprentissage ou encore la préférence pour une écriture impersonnelle, par images. « Tout se pass[ait] comme s'il n'y avait pas eu de place possible, en tout cas sous la forme du roman, à une expérience qui fut proprement individuelle et singulière »1. Rapidement, la littérature devint un instrument au service d'une idéologie politique et non plus de la morale.

1 Le magazine littéraire, n°429, mars 2004, « Les grands romans de la Chine classique », p. 47- 50, p. 50 Rainier LANSELLE

2012 29/208 3. Le Mouvement pour la nouvelle culture

新 文 化 运 动 xin wenhua yundong, littéralement traduit par « Mouvement pour la nouvelle culture », fut créé par une poignée d'intellectuels, éduqués à la fois en Chine et à l'étranger. Son objectif était de « sortir la Chine d'une culture vieillissante et sclérosée incapable de répondre aux attentes du monde moderne. »1 Les deux facettes du mouvement étaient le rejet de la culture chinoise traditionnelle reposant sur le confucianisme et l'inspiration du modèle de modernité occidental. Le confucianisme, érigé dans sa forme la plus radicale en idéologie d’État, fut rendu coupable du retard et du manque de développement du pays. Le wenyan fut rejeté en tant que vecteur de cette culture classique et pour sa nature « excluante », limitant l'accès à la connaissance tant historique que scientifique à une minorité, l'élite éduquée. Les membres du mouvement étaient affligés par le manque de modernité de la Chine et s'étaient sentis profondément humiliés par leur pays lors de leur séjour à l'étranger. Ils participèrent à la diffusion des notions de science, de technique et de démocratie.

L'un d'eux, 胡适 Hu Shi [1891-1962], de retour des États-Unis où il séjourna de 1910 à 1917, demanda le remplacement du wenyan par le baihua, la langue vulgaire de la littérature populaire. Le 白话 baihua, défini depuis comme une « composition littéraire en langue parlée »2, allie le caractère 白 « en vain » et 话 « langue ; mot ; parole », dont l'association signifiait auparavant « vœu irréalisable ; argument peu fondé »3. En 1920, le 普通话 putonghua (« langue commune » traduit en français par « mandarin ») devint la langue enseignée à l'école. Cette nouvelle langue nationale, basée sur le dialecte de Pékin, différait des dialectes locaux. Le baihua différait lui-même du putonghua et de la langue orale, car il hérita de tournures et d'expressions du wenyan, dont les écrivains étaient imprégnés malgré eux. D'autre part, il fut influencé par le style des œuvres occidentales traduites en chinois. Il n'a cessé d'évoluer depuis sa création.

Le Mouvement pour la nouvelle culture véhiculait ses idées par la revue 新青年 xin qingnian Nouvelle jeunesse (sous-titrée en français La Jeunesse) fondée par 陈独秀 Chen Duxiu en 1915 (qui devint le premier secrétaire général du Parti communiste chinois en

1 Le magazine littéraire, n°429, mars 2004, « Les grandes fractures du XXe siècle », p. 51-54, p 52, Noël DUTRAIT 2 Dictionnaire concis Français-Chinois (édition corrigée), co-édition de La Presse Commerciale (商务印) et Larousse, 2000 3 idem

2012 30/208 1921). Le roman et la nouvelle étaient les outils privilégiés d'expression et de diffusion de leur idéologie, rôle que tenaient traditionnellement la poésie et la prose en langue classique. Les plus grands auteurs de l'époque, dont les œuvres sont en majorité traduites à l'étranger sont 鲁迅 Lu Xun, 老舍 Lao She,巴金 Ba Jin, 沈从文 Shen Congwen,郁达夫 Yu Dafu et 矛盾 Mao Dun (noms de plume). Selon Marie Holzman, ils excellèrent dans « l'autodénigrement et l'automortification »1, rendant responsable la culture chinoise traditionnelle de la faiblesse du pays.

Pseudonyme Signification2 Nom de naissance 周树人 Zhou Shuren 鲁迅 Lu Xun 鲁 renvoie à l’État antique de Lu [-770- -479] (actuel 山东 Shandong) ; 迅 signifie « rapide ; prompt »

老 signifie « vieux ; ancien » et 舍 (shě) 舒慶春 Shu Qingchun 老舍 Lao She « renoncer à abandonner ; se sacrifier » 巴 signifie « attendre ; espérer » et 金 李尧棠 Li Yaotang 巴金 Ba Jin désigne le métal (surtout l'or). 郁 est son véritable nom de famille 达 郁文 Yu Wen 郁达夫 Yu Dafu “ arriver ; atteindre » et 夫 « homme ou femme ordinaires » Chengyu qui exprime une contradiction 沈德鸿 Shen Dehong 矛盾 Mao Dun insoluble (矛 lance et 盾 bouclier)

La grande majorité des écrivains refusait cependant de mêler art et politique. Seule une minorité d'entre eux, en marge de la société, fit de la littérature un outil de dénonciation au service de leur idéologie. Ils créèrent des sociétés littéraires et autant de revues pour diffuser leurs idées. Ils débattaient par le biais de leurs articles, de leurs essais ou de leurs nouvelles, commentaient les œuvres publiées, mais restaient finalement au dessus du peuple, sans parvenir à l'impliquer véritablement dans les débats tant littéraires que politiques. Les débats demeurèrent donc internes, surjoués pour attirer une attention extérieure.

1 Le magazine littéraire, n°429, mars 2004, « Les auteurs chinois contre leur culture », p. 64-65, Marie HOLZMAN 2 Les traductions suivantes sont réalisées avec le Dictionnaire concis Français-Chinois (édition corrigée), co-édition de La Presse Commerciale (商务印) et Larousse, 2000

2012 31/208 B- La rupture : le mouvement du 4 mai (五四运动)

Par convention, la littérature moderne naquit en Chine le 4 mai 1919, jour où fut organisée une grande manifestation anti-impérialiste à Pékin. Cette sous-partie présente le contexte de la rupture littéraire, les idéaux et les revendications des auteurs qui se réclamaient de cette nouvelle littérature.

1. L'éveil national

Le mouvement littéraire pour la modernité prit de l'ampleur en 1919 avec la mobilisation des étudiants de l'université de Pékin. Depuis 1917, l'université était au cœur des réflexions tant littéraires que politiques, sous l'influence du nouveau recteur 蔡元培 Cai Yuanpei (1868-1940) qui décida d'y réunir les intellectuels de toutes les tendances1.

À l'origine politique, le mouvement du 4 mai prit la forme d'un rejet national du gouvernement de la jeune République de Chine [1912-1949]. Ce fut la Conférence de paix de Paris, qui débuta en janvier 1919, qui mit le feu aux poudres. Le but de la Conférence, quelques mois après l'issue de la Première Guerre mondiale, était le démantèlement des empires allemand, austro-hongrois et ottoman, vaincus par les Alliés. Les provinces du territoire chinois détenues par l'Allemagne depuis 1895 furent attribuées au Japon, sans considération pour la participation de la Chine à la guerre, aux côtés des vainqueurs. Cet évènement provoqua un fort mouvement anti-impérialiste en Chine, notamment chez les étudiants.

Le 4 mai 1919 fut organisée sur la place 天 安 门 Tiananmen une importante manifestation par la revue 新青年 Nouvelle Jeunesse. Elle regroupa principalement des étudiants de l'université de Pékin, qui demandaient la restitution des colonies allemandes à la Chine et la reconnaissance par les Alliés de la participation de la Chine au conflit à leurs côtés. La manifestation dégénéra (un homme fut tabassé et la maison de l'ambassadeur du Japon fut incendiée) et le gouvernement envoya des troupes sur place, qui arrêtèrent quelques fauteurs de trouble. Dès le lendemain, les étudiants de l'université de Pékin se déclarèrent en grève et entreprirent de diffuser leurs idées auprès du peuple. Ils furent

1 Le 18 novembre 2009, fut officialisé le lancement d'un programme de coopération franco- chinois en matière de recherche scientifique, appelé Programme Cai Yuanpei. Ce partenariat fut créé par les ministères français des Affaires étrangères et européennes (MAEE) et de l'Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR) et le Ministère chinois de l’Éducation.

2012 32/208 rapidement rejoints par des étudiants d'autres provinces, notamment du 山东 Shandong qui était l'une des colonies allemandes, située à un peu plus de 300 kilomètres au sud de Pékin. Plus d'un millier d'étudiants furent arrêtés par les forces policières du gouvernement pro- traité1. En juin 1919, les ouvriers de Shanghai, puis d'autres villes, se mirent en grève à leur tour, pour signifier leur soutien aux étudiants et leur patriotisme. Le gouvernement chinois, sous la pression du peuple, finit par relâcher les étudiants détenus et ne signa pas le Traité de Versailles le 28 juin 1919 (promulgué le 10 janvier 1920).

Pour Jacques Pimpaneau, ce mouvement fit entrer la Chine dans le XXe siècle. « Ce fut tout à la fois une prise de conscience nationaliste, la victoire des idées nouvelles en faveur de la science et de la démocratie, une lutte contre le féodalisme et le confucianisme, l'abandon du chinois classique au profit de la langue moderne, en littérature comme dans le système éducatif, et la création d'une littérature moderne »2. Il était désormais question « de libérer l'individu, notamment la femme, du poids de la morale confucianiste, du carcan familial, du puritanisme et de l'hypocrisie »3. Mais malgré cette victoire du mouvement et l'éveil de la conscience politique d'une partie significative de la population, il demeura sans répercussions immédiates. La seule mesure gouvernementale prise dans ce sens fut l'enseignement du putonghua dans les écoles primaires à partir de 1920.

Le 4 mai fut par la suite reconnu comme un jour de fête : la République populaire de Chine célèbre la fête des jeunes, tandis que l'île de Taiwan a dédié la journée à la littérature.

2. Un mouvement devenu national

Suite à ce sursaut national, les étudiants et la population s'intéressèrent aux idées progressistes. Plus de 200 sociétés littéraires furent créées et plus de 400 revues virent le jour, ainsi qu'une poignée de maisons d'édition. Nouvelle Jeunesse demeura la revue la plus importante, suivie par 新 潮 xin chao Nouvelle marée, sous-titrée en anglais the Renaissance. Les idées progressistes ne faisaient cependant pas l'unanimité et beaucoup

1 Chinese History 中国历史常识, Higher Education Press, coll. « Common Knowledge About », 2007, p. 206-209 2 PIMPANEAU Jacques, Chine Histoire de la littérature, op. cit., p. 407 3 id., p.402

2012 33/208 d'écrivains d'avant-garde n'étaient lus que par les intellectuels des grandes villes. « Toutes les œuvres bien pensantes de la littérature révolutionnaire et tous les efforts pour populariser la culture n'eurent jamais le succès des romans de distraction, souvent écrits dans un but commercial »1. Ces œuvres distrayantes, rédigées en langue orale, bien plus vivantes, proposaient des thèmes variés : intrigue policière, récit sentimental ou fantastique.

Les réflexions du mouvement progressiste portaient entre autres sur la popularisation de la langue chinoise et de la littérature. a. La popularisation de la langue chinoise

« La politisation de la littérature [amena] à soulever le problème de la popularisation de la culture, et par voie de conséquence celui de la langue »2. Le baihua, qui se voulait populaire, se révéla finalement un obstacle à la participation du peuple au débat, du fait de l'utilisation de structures héritées du wenyan et des emprunts aux styles étrangers. Le putonghua d'autre part, était considéré comme trop simpliste pour les créations littéraires, son vocabulaire se limitant à la vie courante. Lu Xun et Cai Yuanpei proposèrent alors la romanisation des idéogrammes chinois. 瞿秋白 Qu Qiubai (1899-1935) proposa quant à lui de revenir aux genres folkloriques, plus proches du peuple. Son idée fut finalement conservée : les années 1950 marquèrent le retour de la littérature orale et des opéras, épurés toutefois de toute trace de croyance populaire (religieuse ou superstitieuse) et d'érotisme. Ce retour à la littérature populaire fut permis par le travail de collecte de Gu Jiegang et de Hu Shi. Ce dernier désirait la création d'une littérature moderne réaliste, plus populaire, une littérature de « la société ». En janvier 1917, il exposa ses idées dans 文学改良刍议 wenxue gailiang chuyi « Premières propositions pour un réforme de la littérature »3 : selon lui, la littérature devait évoluer et s'adapter de façon à être propre à une époque. Il désirait une littérature basée sur une langue vivante, dotée d'une structure et d'une grammaire propres, dont les clichés, mots vides de sens ou références classiques auraient été éliminés. Il croyait en la liberté d'expression et d'opinion.

1 id., p 419-420 2 id., p 411 3 D'après la traduction de Jacques PIMPANEAU

2012 34/208 Face à lui, le traducteur 林 纾 Lin Shu (1852-1924), collaborateur de la revue « conservatrice » Critique, défendait l'usage de la langue classique, moins volatile et dépendante des modes, qui permettait la transmission des œuvres de génération en génération.

b. Ouvrir la littérature au peuple

Des auteurs modernes très connus en France aujourd'hui, entreprirent dès les années 1910 de populariser la littérature chinoise : tout d'abord en composant dans une langue écrite plus proche de la langue orale (patois, dialecte, mots grossiers), puis en décrivant la vie quotidienne des Chinois, dans sa simplicité et parfois sa misère.

老舍 Lao She (1899-1966) par exemple, grand écrivain populaire, abordait dans ses essais et ses romans courts la vie des petites gens. Ses nouvelles décrivaient la vie de tireurs de pousse, prostituées, policiers... Lao She était considéré comme proche du peuple par sa méfiance envers le pouvoir en place et envers les étrangers, qui méprisaient les Chinois. Fréquemment rejeté pour son origine mandchoue, il critiquait ouvertement la corruption et l'injustice, toujours dans des récits très réalistes composés en langue vernaculaire et non en baihua.

Né dans une famille de huit enfants, ses études furent financées par son oncle, moine, ce qui lui permit de devenir instituteur. De 1920 à 1924, Lao She partit à Londres enseigner le chinois et il profita de son voyage pour visiter l'Europe. En 1936, il fit publier 骆驼祥子 luotuo yangzi « air, style de chameau » traduit sous le titre Le Pousse-Pousse par Robert Laffont en 1973 (trad. François Cheng et Anne Cheng). Peu de temps après, il lança la revue Résister dénonçant l'impérialisme japonais et composa 四世同堂 si shi tong tang Quatre générations sous le même toit sur l'occupation japonaise (Gallimard, coll. « Mercure de France », 1996, trad. Jing Yixiao et Chantal Chen-Andro). Président de l'Association des Écrivains et Artistes Résistants, il se rendit aux États-Unis de 1946 à 1949 pour donner une série de conférences.

Il excellait dans l'humour et souhaitait éduquer le peuple, notamment par le biais de ses pièces de théâtre. Il publiait dans de nombreuses revues, principalement des nouvelles courtes, des contes ou des anecdotes, dans lesquelles il semblait donner véritablement la

2012 35/208 parole aux petites gens. Malgré plusieurs recueils qu'il fit lui-même éditer, beaucoup de ses textes ne furent pas retrouvés. Pour Paul Bady, la qualité de ses écrits diminua avec l'augmentation des commandes par les revues et l'intention de transmettre un message idéologique1. Lao She rejoignit Mao Zedong au moment de la proclamation de la République populaire de Chine (中华人民共和国 zhonghuq renmin gongheguo) et devint le représentant des Mandchous à l'Assemblée du Peuple. Il ne produisit jamais pour le régime.

Autre auteur renommé, Ba Jin (1904-2005) était un écrivain populaire influencé par les idées anarchistes. Il est l'un des auteurs chinois les plus traduits en français : ses œuvres complètes, de 1986 à 1994, comptent 26 volumes de 600 pages chacun (en chinois). Dix volumes compilent les œuvres qu'il traduisit lui-même en chinois. Plume docile après 1949, il « dress[a] un tableau brutal de l'injustice sociale dans la Chine des années vingt, et de la monstrueuse indifférence qui l'entret[enait], dénonçant aussi bien les bourreaux que les victimes consentantes »2. Son premier roman, 灭 亡 miewang Destruction, fut traduit en français en 1995 par Angel Pino et Isabelle Rabut aux éditions Bleu de Chine. « Il y dénonce avec une rare vigueur le credo de l'harmonie sociale, exprimé moins dans sa version confucéenne que chrétienne »3, la violence conjugale, l'absence de compassion des foules, le mépris des riches et des étrangers. « L'homme est un être sans pitié. Pis, c'est sur la souffrance d'autrui qu'il bâtit son bonheur », écrit-il (page 162).

Les écrivains dits « progressistes » qui diffusaient un idéal révolutionnaire, dénonçaient le féodalisme et les inégalités de classes, furent couverts d'honneur en 1949 par le Parti communiste chinois, qui cherchait à s'assurer leur ralliement.

1 BADY Paul, « Lao She et l'art de la nouvelle », in Études d'histoire et de littérature chinoises, Bibliothèque de l'Institut des Hautes Études Chinoises, vol. XXIV, p. 13-35 2 Site de Bleu de Chine 3 idem

2012 36/208 3. Les sociétés littéraires

Les écrivains et intellectuels se rattachèrent tous à un courant, une école, une société littéraire. Ces regroupements se formaient en fonction des affinités, de la localité et d'une vision particulière de la littérature. Voici un bref récapitulatif des sociétés littéraires, de leurs membres et de leurs idées.

La Société de recherches littéraires (文学研究会 wenxue yanjiu hui) fut fondée à Pékin en janvier 1921. Elle reprit la revue 小说月报 xiaoshuo yuebao Revue du roman, dont le premier rédacteur en chef fut Mao Dun. Les adhérents rejetaient la littérature comme moyen de distraction. Selon eux, les œuvres littéraires devaient s'attaquer aux problèmes de l'humanité et ne plus être composées par des amateurs, mais des écrivains professionnels.

La société de Création (创造社 chuangzao she) fut formée l'été 1921 par 郭沫若 Guo Moruo (1892-1978), Yu Dafu (1896-1945) et 成仿吾 Cheng Fangwu (1897-1984), tous trois de retour du Japon. Elle fut associée à une collection éditoriale et une revue. Influencés par le romantisme allemand, les membres rédigèrent surtout des auto- biographies marquées par le goût de l'individualisme et de la liberté. Ils défendaient « l'art pour l'art », dont les critères d'évaluation étaient le beau (美 mei) et la perfection (全 quan).

La société « Au fil de la conversation » (语丝 yusi) fut fondée conjointement par Lu Xun et son frère 周 作 人 Zhou Zuoren (1885-1967) en 1924. Connu dans les milieux littéraires pour son Journal d'un fou ( 狂 人 日 记 kuangren riji)1 publié dans la revue Nouvelle Jeunesse le 5 mai 1918, Lu Xun avait une personnalité trop forte pour fédérer - dans un premier temps - les intellectuels progressistes : « polémiste et pamphlétaire, il n'hésitait pas à attaquer de tous les côtés sans jamais accepter d'épouser une cause autre que celle de la pensée »2. Il fut le premier intellectuel chinois à dénoncer les maux de la société de l'époque. Il désirait l'invention d'une littérature nouvelle, inspirée à la fois par les mouvements mondiaux et l'identité chinoise, passés et modernes.

D'autres sociétés virent également le jour du fait des poètes qui souhaitaient se dégager des procédés et des thématiques classiques. Ils bouleversèrent les règles en poésie et composèrent en langue moderne. En 1928, 闻一多 Wen Yiduo (pseudonyme de 闻家骅

1 Publié en français dans le recueil de nouvelles Cris, Albin Michel, 1994, p. 25-44 (trad. Michelle LOI) 2 PIMPANEAU Jacques, Chine Histoire de la littérature, op. cit., p. 422

2012 37/208 Wen Jiahua (1899-1946)) et 徐志摩 Xu Zhimo (1897-1931) fondèrent 新月派 xinyue pai « École du croissant de lune ». Leur objectif était l'invention d'une poésie moderne, propre à la Chine. Ils s'opposèrent à 现代派 xiandai pai l'« École moderne », dont les membres s'inspiraient fortement des procédés occidentaux et produisaient des poèmes sans rimes, aux vers irréguliers. La revue de l’École moderne, intitulée 现代 xiandai Époque moderne publia dans les années 1930 de nombreuses œuvres rédigées par de jeunes auteurs, mais aussi des nouvelles de Lu Xun et Yu Dafu. Ce dernier y exprima « le mal à vivre dans une période de transition, de renversement des valeurs, de découverte d'aspects jusqu'[alors] gardés dans l'ombre par la tradition, comme l'individualisme, la misère sexuelle, époque aussi de bouleversements politiques avec la précarité matérielle qu'ils entraînaient »1.

Les mouvements et regroupements se défirent et se reconstruisirent au gré des interdictions et des affinités.

4. L'engagement en politique

Le 30 mai 1925, des policiers sikhs ouvrirent le feu sur des manifestants chinois à Shanghai. La société de Création qui se limitait jusqu'alors à la défense de « l'art pour l'art » et au romantisme, se saisit de la politique et mit la littérature au service de la révolution. L'un des meneurs du mouvement, Guo Moruo, publia en 1926 « Révolution et littérature », appelant le peuple à se révolter et à renverser le gouvernement. Il fut rejoint par des intellectuels de retour d'URSS comme 蒋光慈 Jiang Guangci (1901-1931).

Les intellectuels, notamment de gauche, subirent une violente répression en 1927 de la part du 国民党 Guomindang. Jusque là divisés en mouvements, ils décidèrent de s'unir et créèrent la 中国左翼作家联盟 zhongguo zuoyi zuojia lianmeng « Ligue des écrivains chinois de gauche » le 2 mars 1930. Elle comptait dès sa création une cinquantaine de membres, dont Lu Xun, Mao Dun ou Jiang Guangci. Leur manifeste plaçait les écrivains à « l'avant- garde de l'histoire », moteurs du changement et du progrès. Ils s'inscrivirent dans la ligne du Parti communiste, luttant contre le « capitalisme impérialiste », le féodalisme et la « petite-bourgeoisie ». Ils créèrent quantité de revues, méthodiquement interdites par le gouvernement chinois. La littérature fut mise entièrement et ouvertement au service de leur

1 id., p. 423

2012 38/208 idéologie, rompant avec la conception de la littérature classique.

Le 17 janvier 1931, 23 communistes dont cinq intellectuels, membres de la Ligue des écrivains chinois de gauche et du Parti communiste, furent arrêtés. Le 7 février de la même année, ils furent fusillés. La presse ne mentionna pas l'évènement, à l'exception d'une revue d'actualité littéraire, sous la forme d'une lettre adressée à la revue par un lecteur. Ces cinq intellectuels avaient pour nom 李伟森 Li Weisen (1903-1931), 柔石 Rou Shi (pseudonyme de 赵 平 复 Zhao Pingfu 1902-1931), 胡 也 颇 Hu Yepin (1905-1931), 殷 夫 Yin Fu (pseudonyme de Xu Zhuhua 1909-1931) et 冯铿 Feng Keng (1907-1931). Lu Xun dédia aux « cinq martyrs de la Ligue de gauche » (左联五烈士) une nouvelle intitulée 为了忘却 的记念 weile wangque de jinian “Écrit pour lutter contre l'oubli »1, qui fut publiée pour la première fois en Chine le 1er avril 1933 dans la revue 现代 Époque moderne (2e volume). Traduite par Emmanuel Péchenart, elle fut incorporée au recueil Shanghai 1920-1940, édité par Bleu de Chine en 1995 (pages 67 à 81). Lu Xun y raconte les difficultés d'être écrivain dans une société en proie à la censure et à la répression : les confiscations à domicile, la peine à se faire publier, les revues mort-nées, l'absence de liberté d'expression... Il témoigne : « en Chine, alors, (…) nous étions claustrés plus hermétiquement que dans un bocal de conserves. » (page 79).

À l'époque, les ouvrages des écrivains chinois de gauche étaient massivement censurés et de nombreux ouvrages étrangers étaient interdits par le gouvernement. Des librairies furent également saccagées pour les dissuader de vendre des « œuvres progressistes ».

Un certain nombre d'écrivains, lassés par l'instrumentalisation de la Ligue par le Parti communiste, cessèrent d'y adhérer. 胡风 Hu Feng (1902-1985), Guo Moruo ou encore Mao Dun firent le choix de se positionner aux côtés de Lu Xun, entre le parti nationaliste du Guomindang et le Parti communiste. Hu Feng, communiste en territoire nationaliste, continua à défendre l'individualité et le droit à la subjectivité et au respect de la personnalité des artistes. Cependant, l'invasion japonaise les obligea à reconsidérer leur position. En 1936, peu après la mort de Lu Xun, la Ligue disparut pour le « Mouvement de défense du pays ». Ce regroupement patriotique réunissait les intellectuels dans leur

1 Traduction de Brigitte DUZAN, le 11/12/2011 sur chinese-shortstories.com

2012 39/208 volonté commune de soutenir une résistance face à l'impérialisme japonais. Cependant, une grande majorité des écrivains refusèrent de politiser leur écriture, séparant leur production littéraire de leurs opinions politiques. Ce fut par exemple le cas de l’École du Croissant de lune.

2012 40/208 Chapitre II : La littérature chinoise contemporaine

Par convention, la littérature chinoise contemporaine naquit en 1942, avec la causerie de Yan'an sur le rôle de l'art dans la société. La mort de Mao Zedong puis la chute de la Bande des quatre permit un renouveau littéraire à la fin des années 1970, brisé dans son élan par la répression du printemps 1989 place Tiananmen.

I- La littérature de Yan'an

Très peu d'études furent réalisées en France sur la littérature contemporaine chinoise dans sa première vague, de 1949 à 1976. Rarement traduites ou publiées en France, ces œuvres étaient - et demeurent - considérées comme de piètre qualité littéraire et de peu d'intérêt, car sans imagination et reprenant le discours officiel du Parti communiste chinois. La littérature était devenue à l'époque un instrument de légitimation et de consolidation du pouvoir du Parti et de sa politique. Les auteurs qui refusèrent de collaborer furent durement réprimés et ceux qui acceptèrent de se soumettre à la domination du régime durent se conformer à ses règles artistiques et se plier à de fréquentes autocritiques.

Trois temps se dégagent dans cette première phase de la littérature contemporaine : l'imposition de l'idéologie politique en littérature en 1942 et en 1949 ; la campagne des cent-fleurs ; la Révolution culturelle prolétarienne de 1966.

Cette partie du mémoire repose essentiellement sur le travail de recherche de Xiaomin Giafferri-Huang, maître de conférences et responsable du diplôme universitaire délivré en « Langue et civilisation chinoises » à l’université de Nice Sophia-Antipolis. Traductrice et auteur bilingue en chinois et en français, sa maîtrise de la langue lui a permis d'avoir accès à ces œuvres chinoises qui ne sortirent jamais des frontières. Ses recherches furent publiées aux Presses Universitaires de France en septembre 1991, sous le titre Le roman chinois depuis 1949.

2012 41/208 A- Une littérature politisée

La littérature chinoise contemporaine hérita de sa phase moderne son aspect politique, ainsi que sa volonté de toucher le peuple dans sa masse et de lui transmettre un message idéologique. Cependant, les auteurs perdirent leur liberté d'expression et leur esprit critique tandis que la littérature devenait un instrument de diffusion de l'idéologie du Parti.

1. La mise au pas des écrivains a. Le discours de Yan'an

Du 2 au 23 mai 1942 se tint à 延安 Yan'an une « causerie sur le travail littéraire et artistique »1. Mao Zedong y réalisa un discours qui détermina le sort et le rôle de la littérature et des œuvres artistiques pour les vingt années suivantes : le Parti devait surplomber la création littéraire et en définir les critères de jugement. Mao Zedong souhaitait également une union des différents genres et courants dans la résistance (au parti nationaliste et à l'envahisseur japonais), ainsi que le rejet des modèles et procédés littéraires occidentaux. Enfin, la littérature devait se placer au service du peuple, c'est-à- dire au service du Parti communiste chinois et de son idéologie. Il n'était plus question d'observer l'ambiance populaire au travers de la littérature (comme ce fut le cas au temps de la littérature orale), mais au contraire de l'influencer par les revues, nouvelles ou romans, devenus les principaux vecteurs de diffusion de la propagande étatique. Pour Jacques Pimpaneau, « Le parti communiste comprit ce qu'il pouvait tirer dorénavant du ralliement des écrivains. Avant de détenir le pouvoir, il fit appel aux bons sentiments des intellectuels pour en faire des compagnons de route et ceux-ci se crurent obligés de déposer leur liberté de penser sur une étagère, ne furent plus jamais à l'aise et s'imposèrent une autocensure pour avoir la bonne conscience d'être du côté de la révolution »2. Le Parti communiste chinois récupéra aussi bien les auteurs vivants que décédés, comme ce fut le cas pour Lu Xun (mort en 1936), qui fut érigé en modèle de la révolution, sans l'avoir souhaité.

1 D'après la traduction de Xiaomin GIAFFERRI-HUANG, Le roman chinois depuis 1949, Presses Universitaires de France (Puf), 1991, p. 13 2 PIMPANEAU Jacques, Chine Histoire de la littérature, op. cit., p. 408

2012 42/208 Le discours de Yan'an fut diffusé en territoire nationaliste sous la domination du Guomindang par des écrivains et les organes communistes locaux, dans la clandestinité. Rapidement, des opérettes folkloriques apparurent, conformes aux critères fixés par la causerie.

b. La rééducation des écrivains

Les écrivains de l'époque étaient issus en grande majorité des milieux aisés, ce qui leur avait permis de recevoir une éducation dite classique et pour certains, de partir étudier quelques années à l'étranger. Jugés trop éloignés du peuple, le Parti considérait qu'ils ne pouvaient réellement s'impliquer dans la révolution prolétaire sans avoir été préalablement rééduqués. C'est pourquoi les écrivains et autres intellectuels révolutionnaires se virent vivement conseillés d'aller vivre parmi les travailleurs agricoles ou les ouvriers « pour apprendre à leur contact ; [c'était] le passage obligé sur le chemin de la transformation des esprits. »1.

De nombreux intellectuels se mirent alors à douter et à rêver du modèle occidental de république, de liberté et de démocratie. Des auteurs comme Shen Congwen décidèrent de se positionner dans une troisième voie : le juste milieu entre communisme et nationalisme ou « la voie libérale ». Ils prônèrent une littérature apolitique aux critères de jugement purement esthétiques. La riposte communiste fut immédiatement menée par les écrivains gauchistes, mais elle resta sans effets directs, puisque les grands romanciers vivaient tous en territoire nationaliste (sous l'autorité du Guomindang) et ne subissaient donc pas la pression directe du Parti communiste. De son côté, 王 实 味 Wang Shiwei (1906-1947) rédigea différents articles pour dénoncer le totalitarisme du Parti communiste et les privilèges que s'octroyaient ses dirigeants. Taxé d’anti-révolutionnaire, il fut condamné par Mao Zedong qui lança un mouvement général d'autocritique à l'encontre des intellectuels et plus spécifiquement des écrivains. Selon lui, ils étaient les porte-parole de la « petite bourgeoisie » sans en avoir conscience, c'est pourquoi ils devaient s'immerger dans la masse prolétaire. Il dénonça leur individualisme, leur indiscipline, leurs sentiments d'humanisme et leur sentimentalisme.

1 GIAFFERRI-HUANG Xiaomin, Le roman chinois depuis 1949, op. cit., p. 13

2012 43/208 Les écrivains qui obéirent au Parti, c'est-à-dire qui se rendirent auprès des travailleurs et composèrent des œuvres de « réalisme socialiste », furent mis à l'honneur par le régime. Ces œuvres demandaient à leur auteur soit une fervente croyance dans le Parti et son idéologie, soit un travail soigné sur leur pensée et leur écriture, pour remplir les critères imposés par la causerie de Yan'an. Les œuvres n'étaient jamais parfaites aux yeux du département de la propagande et des détails pouvaient parfois entrainer un déluge de critiques. Toute idée susceptible d'entamer la crédibilité ou la légitimité du Parti communiste était critiquée, censurée, réprimée. Les plus touchés par la censure furent les romanciers.

c. L'émergence de nouveaux écrivains

Le roman demeura, au début des années 1950, « le monopole d'écrivains professionnels »1. Cependant, les romanciers mis en avant étaient en majorité des auteurs jusque là peu connus ou peu appréciés. C'est le cas par exemple de 赵树理 Zhao Shuli, né en 1906 dans une famille de paysans dans le 山 西 Shanxi (décédé en 1970). Il entra à l’École normale et fut séduit par le mouvement du 4 mai et sa lutte pour une langue plus accessible. Grâce à la recommandation d'une personnalité politique, il parvint à se faire éditer et ses ballades et opérettes plurent aux paysans et aux soldats. Suite au discours de Mao Zedong, qui résonna avec ses convictions personnelles, il composa 李有才板话 Li youcai banhua Chansons de Li Youcai et décrivit pour la première fois la lutte opposant les communistes, qui souhaitaient libérer les paysans et leur donner le pouvoir politique et les forces nationalistes qui soutenaient les riches propriétaires. Il reçut plusieurs prix littéraires pour son engagement révolutionnaire et la Fédération des Écrivains des Zones Libérées l'érigea un modèle. Il reçut en 1947 le titre d' « écrivain des paysans ».

Le cas de 丁玲 Ding Ling (pseudonyme de Jiang Bingzhi 蒋冰之(1904-1986)) et de 周 立波 Zhou Libo (1908-1979) fut quelque peu différent, puisqu'ils changèrent tous deux de style pour se conformer aux critères littéraires du Parti. Ding Ling fut l'une des premières à prôner l'immersion dans la vie rude des travailleurs comme technique et base d'écriture. Née en 1904 dans une bonne famille dans le 湖 南 Hunan, elle reçut une formation en littérature classique et fut très influencée par les traductions d’œuvres étrangères, 1 id., p. 13

2012 44/208 notamment françaises (Dumas, Flaubert). Elle reçut pour sa nouvelle Tian Baolin, publiée le 30 juin 1944, une lettre de félicitations et une invitation à diner de Mao Zedong en personne. Le soleil brille sur la rivière, qu'elle rédigea en grande partie en immersion dans la vie paysanne par souci de réalisme, remporta en 1951 le 2e prix littéraire de Staline.

Zhou Libo était quant à lui un « intellectuel ''pied de terre'' »1. Né en 1908 à la campagne, il devint traducteur, puis journaliste et interprète militaire durant la guerre sino- japonaise. Il rencontra alors les plus grands généraux communistes. À Yan'an, il exerçait comme professeur de littérature (classiques chinois et étrangers, notamment russes) et responsable de la traduction à l'Institut de l'Art Lu Xun. Il rédigea quelques nouvelles et biographies de généraux, puis un roman traitant des bouleversements dont il avait été le témoin dans l'ancienne Mandchourie (Ouragan, qui fut adapté au cinéma et reçut le prix Staline en 1949). Les efforts consciencieux de ces deux écrivains les menèrent à la « gloire officielle »2.

2. L'imposition du réalisme socialiste a. L'entérinement des critères littéraires de Yan'an

La victoire du Parti communiste chinois sur les forces de 蒋 介 石 Jiang Jieshi et l'accession de Mao Zedong au pouvoir, édifièrent le discours de Yan'an en norme incontournable pour les écrivains. En juillet 1949 se tint la première Assemblée nationale des Écrivains et des Artistes, avant même que n'eut été proclamée la République populaire de Chine. Il émergea des débats de l'Assemblée « que le rôle dirigeant et surveillant du parti dans le domaine littéraire [était] un principe inébranlable et le service du peuple un objectif primordial. Les travailleurs littéraires et artistiques [devaient] se lier moralement aux ouvriers, paysans et soldats, éliminer les traces de leurs pensées bourgeoises et leur attachement à la culture traditionnelle »3. L’Assemblée confia une mission aux écrivains : celle de « favoriser la révolution et la construction du pays par leurs œuvres »4. Deux organisations furent créées : la Fédération nationale des Écrivains et des Artistes, dont le

1 id., p. 17 2 idem 3 id, p. 20-21 4 idem

2012 45/208 président était Guo Moruo (l'un des fondateurs de la société de Création) ; et l'Association nationale des Travailleurs littéraires et artistiques, dirigée par Mao Dun (connu pour son adhésion à la Société de recherches littéraires).

Un travail de rééducation des mentalités débuta instantanément, visant les intellectuels. De nombreuses œuvres furent critiquées puis censurées, suite à de longs débats qui indiquaient aux auteurs leurs fautes. La première œuvre à faire l'objet des critiques fut le film 武训传 Wu Xun zhuan « La vie de Wu Xun », réalisé par 孙瑜 Sun Yu (1900-1990). Inspiré de la vie de Wu Xun qui vécut à la fin de la dynastie Qing ( 清朝[1116- 1949], le film remporta un vif succès en décembre 1950. Pourtant, il fit l'objet de la première campagne de rectification, car le personnage principal mendiait et utilisait l'argent récolté pour fonder des écoles gratuites (au nombre de trois). « L'esprit de Wu Xun qui consist[ait]e à ''sauver le pays par l'éducation'' [fut] identifié à l'idéalisme historique bourgeois'' et Wu Xun lui même au ''réformiste capitulard'', le pire ennemi du peuple puisqu'il cherch[ait] à maintenir l'ordre social au lieu de le renverser »1. Cette première campagne donna lieu à une vague d'autocritiques de la part des écrivains et des organes de presse, soucieux de montrer leur fidélité au régime.

La seconde campagne de rectification frappa une étude réalisée sur le Rêve au Pavillon rouge et la troisième s'en prit directement à Hu Feng, député de l'Assemblée nationale. Homme de lettre pro-communiste depuis les années 1920, il s'était opposé dès le départ à la causerie de Yan'an et par la suite aux décisions relatives à l'art et à la littérature prises par Mao Zedong. Critiqué ouvertement dans La Gazette littéraire et accusé d'anti-marxisme en 1952, il décida de s'adresser personnellement en juillet 1954 au Comité central, par une lettre où il défendait sa position et ses idées et suggérait des améliorations au Parti. Guo Moruo et Mao Dun le prirent pour cible en 1955 en publiant les articles « Le programme anti-socialiste de Hu Feng », « Pour une critique profonde et complète de la pensée littéraire de Hu Feng » et d'autres articles concernant « la clique antirévolutionnaire de Hu Feng », c'est-à-dire les nombreux intellectuels qui le soutenaient ou partageaient ses idées. Contraint à rédiger son auto-critique, Hu Feng fut finalement évincé de tous les organes officiels, puis emprisonné.

1 id., p. 22

2012 46/208 b. Les thèmes imposés

« [F]avoriser la révolution et la construction du pays » signifiait concrètement faire la promotion des politiques de développement du régime et consolider sa légitimité. Les écrivains devinrent les vecteurs de diffusion de l'idéologie du Parti auprès du peuple. Beaucoup d'auteurs actifs avant 1949 préférèrent garder le silence, tandis que d'autres, qui osèrent s'exprimer, furent « réprimandés pour leur manque de conscience politique »1. Shen Congwen par exemple, qui avait toujours prôné la séparation de l'art et de la politique fut taxé de réactionnaire pour ses écrits (notamment certains passages érotiques) et tenta de mettre fin à ses jours. Il se reconvertit finalement en chercheur de l'histoire populaire.

Les œuvres produites dans les années 1950 pouvaient être classées selon trois thèmes : le premier était les luttes communistes antérieures à la proclamation de la République populaire de Chine, le deuxième concernait la politique de collectivisation dans les zones rurales et le dernier touchait à l'industrie.

Les luttes communistes antérieures à 1949 Les œuvres abordaient l'époque des seigneurs de guerre, de la guerre civile et des insurrections communistes. Ces récits témoignaient à la fois de la volonté d'un devoir de mémoire à l'égard de ceux qui s'étaient sacrifiés pour la révolution et le désir de consolider le prestige et la légitimité du nouveau régime, en chantant ses gloires passées. « De nombreux extraits de ces textes figur[aient] dans les manuels scolaires de cette époque. Les romans de l’héroïsme de guerre [jouèrent] un grand rôle dans l'éducation de la jeunesse des années [19]50, qui, nourrie d'un réel amour pour le parti et les héros révolutionnaires, [s'emplit] d'une ferveur sincère, parfois quelque peu naïve, pour tous les mouvements socialistes »2. La plupart de ces œuvres furent écrites par des écrivains formés au sein de l'armée communiste et ayant eux-mêmes combattus avec elle.

Beaucoup de narrations prirent la forme de romans témoignages et eurent pour sujet l'Armée Populaire de Libération (中国人民解放军 zhongguo renmin jiefang jun). 保卫延 安 Baowei Yan'an La défense de Yan'an de 杜鹏程 Du Pengcheng, publié en 1954, devint

1 id., p. 27 2 id., p. 36

2012 47/208 un modèle du genre. Son auteur, né en 1921 dans une famille paysanne pauvre du 陕西 Shaanxi, orphelin à l'âge de trois ans, commença sa formation révolutionnaire à Yan'an en 1938. Il travailla parmi les paysans quelques années, puis débuta une carrière de journaliste de l'armée qui l'amena à assister à de nombreux combats. Son roman, très enthousiaste et héroïque, donne un aperçu de la prise de décisions, des stratégies de résistance et de défense et dresse le portrait de gens « simples ». Il fut censuré en 1958 pour son éloge du Général 彭德怀 Peng Dehuai.

D'autres récits abordaient la guerre de Corée ou la résistance face à l'invasion japonaise. 天津 日报 Tianjin ribao Le Quotidien de Tianjin publia au début des années 1950 le roman-feuilleton de 孙犁 Sun Li (1913-2002) et quelques-unes de ses nouvelles, dont 荷花淀 hehua dian « Le lac des nénuphars » (1947) ou 风云初记 feng yun chuji « Les intempéries » (1951) qui exposaient les différentes réactions et adaptations du peuple chinois à la présence ou à l'occupation japonaise : résignation, collaboration ou résistance clandestine au côté du Parti communiste.

La collectivisation Les romans destinés à décrire la nouvelle Chine étaient qualifiés de « romans du réalisme révolutionnaire ». Ils abordèrent la transformation du mode de production en zone rurale et ses conséquences sur la vie ordinaire des familles. La naissance des coopératives, la résistance des paysans, les ruptures au sein des foyers entre les pro-collectivisation et ceux qui s'y opposaient, en étaient les principaux sujets.

Les nouvelles s'attachèrent plus particulièrement à l’observation de la vie quotidienne et de l'évolution des mœurs, « laiss[ant] souvent percevoir un enseignement moral simple qui reflét[ait] bien l'espoir d'une nouvelle vie prometteuse »1. La nouvelle place des femmes dans la société fit l'objet de nombreux récits, tandis que les coutumes traditionnelles et plus particulièrement le mariage arrangé, étaient durement stigmatisés. Les héroïnes des nouvelles revendiquaient leur indépendance économique (travail et salaire égal à celui des hommes), le droit de gérer elles-mêmes leur revenu et de participer à la prise de décisions familiales.

1 id., p. 47

2012 48/208 L'industrie Cao Ming, avec Locomotive, fut la première à composer sur ce thème et prit pour inspiration le travail des cheminots, le transport ferroviaire étant la clé du démarrage industriel. Ai Wu, qui écrivait jusqu'alors des récits de voyage, rédigea Mille épreuves au fourneau, qu'il commença en 1953 lors de son immersion dans les aciéries de 鞍山 Anshan et acheva en 1957. Le récit met en scène trois chefs de production en compétition pour atteindre le record de production d'acier : le jeune responsable, compétent, dévoué, qui abandonne la course ; le deuxième, un homme âgé encore influencé par le capitalisme, qui refuse de partager ses connaissances et prend des risques ; le troisième, jaloux de l'amour que porte celle qu'il aime au premier. À la fin, les deux derniers comprennent leurs erreurs et font leur autocritique.

Autre roman, 五月的矿山 wu yue de kuangshan Les mines au mois de mai de 萧军 Xiao Jun (1907-1988) qui fut condamné en 1955, un an après sa publication, sans doute en raison d'une vieille animosité qui remontait au premier roman de l'auteur sur la résistance anti-japonaise, 八 月 的 乡 村 La campagne au mois d'août, alors très critiqué par les communistes. Les personnages de Xiao Jun, loin d'être héroïques, sont « honnêtes et francs, mais souvent rustres et sans culture »1. Un peu trop réaliste au goût du Parti, il fut accusé de « déformer la réalité, déshonorer le peuple, et répandre le venin anti- révolutionnaire »2. Il fut envoyé dans les camps de rééducation puis en prison et ne reprit la plume qu'en 1978.

« Le cadre de l'histoire [était] toujours le chantier, l'atelier, l'usine, isolés généralement de la vie familiale ou sentimentale des ouvriers. L'image des personnages se construi[sait] uniquement autour des activités de production, soulignées par quelques événement saillants, accidents du travail ou épreuve du danger. Les conflits éclat[aient] autour des mêmes thèmes et c'[était] souvent le secrétaire du parti qui assur[ait] la juste ligne auprès du chef d'entreprise manquant de vigilance politique, alors que les ouvriers donn[aient] par leur comportement des leçons de morale aux techniciens et intellectuels. Le dénouement [voyait] souvent la découverte d'un ennemi du peuple et le réveil de ceux qui [avaient] fait fausse route... La structure narrative [était] elle assez peu variée, parfois ennuyeuse, et l'analyse psychologique quasi-inexistante »3.

1 id., p. 55 2 idem 3 GIAFFERRI-HUANG Xiaomin, Le roman chinois depuis 1949, op. cit., p. 55

2012 49/208 Les nouvelles comblèrent les lacunes des romans, comme c'était déjà le cas dans la thématique agraire. Leurs auteurs, souvent issus des milieux ouvriers et n'ayant reçu qu'une éducation sommaire, n'avaient appris à lire et à écrire qu'avec la campagne d'alpha- bétisation lancée par le régime communiste en 1949. « Autrefois exploités et opprimés, ils nourriss[aient] un amour réel pour la nouvelle société et abord[aient] dans leurs écrits un thème commun, celui de la comparaison de la vie des ouvriers avant et après la révolution de 1949 »1.

Il est possible de s'interroger sur la raison du manque de réalisme de ces œuvres : était- il dû à un réel manque d'observation de la part des auteurs ou à une volonté politique de leur part de diffuser un message d'espoir, convaincus qu'ils étaient que la politique du Parti allait améliorer leur sort ? Était-il dû à la crainte ressentie vis-à-vis du régime ou à une croyance aveugle en son idéologie ? La réponse variait sans doute en fonction des personnalités, de leur éducation et de leur conscience politique.

B- La campagne des Cent fleurs

L'année 1956 fut, économiquement parlant, une bonne année pour la République populaire de Chine (succès dans l'industrie et l'agriculture et étatisation des entreprises industrielles), en conséquence de quoi le régime communiste remporta une plus grande adhésion au sein de la population. Le 02 mai 19562, un nouveau mot d'ordre fut lancé : « Que cent fleurs s'épanouissent, que cent écoles rivalisent » (百花齐放,百家争鸣 bai hua qi fang, bai jia zhengming), encourageant la création et la diversité artistiques. Moins d'un an plus tard, Mao Zedong prononça un discours en faveur de l'expression de critiques constructives pour le régime. « Le parti communiste, affirm[a]-t-il, est si puissant qu'il ne peut craindre aucune menace, et ne doit pas hésiter à s'attaquer à ses trois erreurs essentielles : le subjectivisme, le bureaucratisme, le sectarisme »3. Il souhaitait que par ce

1 id., p. 56 2 id., p. 24 3 id., p. 70

2012 50/208 mouvement, la victoire des idées socialistes fut éclatante sur les idées capitalistes. Les intellectuels, méfiants au départ, saisirent cette opportunité pour critiquer l'ancienne politique culturelle du Parti. Avant la campagne dite des Cent fleurs, la grande majorité des romans vantaient le nouveau régime socialiste et ses grands projets. S'ils en dénonçaient certains abus ou pointaient du doigt certaines personnalités, ils n'abordaient jamais les problèmes importants qui commençaient à révolter le peuple. La liberté d'expression permise par le régime leur donna enfin l'opportunité d'aborder des questions sensibles et de dénoncer des problèmes passés jusqu'alors sous silence.

1. Pour une littérature moins politisée

Certains auteurs, marginaux, revendiquaient déjà depuis plusieurs années le droit à « l'intervention dans la vie », c'est-à-dire le droit d'aborder en littérature les problèmes de la vie courante, d'y réfléchir et de tenter de les résoudre. Ils profitèrent du mouvement des Cent fleurs pour faire partager leurs inquiétudes et leur vision, en mettant l'accent sur deux points : l'amour et la bureaucratie. a. L'amour en littérature

Depuis l'avènement du régime communiste, amour et politique étaient toujours intimement mêlés (notamment en littérature). L'amour ne pouvait exister qu'au sein d'une même classe sociale et l'ardeur au travail ou l'implication dans la cause révolutionnaire étaient autant d'étincelles qui engendraient l'amour fidèle (car l'infidélité, grande faute dans la culture traditionnelle ne fut pas stigmatisée par le Parti). L'amour entre deux personnes de classes différentes était toujours sacrifié au nom de la révolution.

Les auteurs « interventionnistes » tentèrent d'introduire un peu de réalisme dans ces récits sentimentaux. 我们夫妇之间 women fufu zhijian « Ma femme et moi » de 萧也牧 Xiao Yemu (1918-1970), raconte comment un intellectuel engagé dans la révolution reprend goût au luxe de la ville et commence à ressentir, tout compte fait, de la honte à l'égard de sa femme paysanne un peu rustre. À la fin du récit, le personnage principal fait son autocritique et décide de combattre les valeurs bourgeoises dont il est toujours imprégné. Cette œuvre, qui reflétait bien la tendance qu'avaient les cadres du Parti à délaisser leur épouse provinciale une fois de retour à Pékin, Shanghai ou 广州 Guangzhou (Canton), fut critiquée pour avoir humilié l'épouse d'origine paysanne.

2012 51/208 Un autre roman, Au fond de la ruelle, de Lu Wenfu, conte l'histoire d'amour d'une ancienne prostituée devenue ouvrière dans le textile. Dans un premier temps, la jeune femme repousse les avances d'un technicien épris d'elle, par respect pour lui, qui ne connaît pas son passé. Dans un deuxième temps, elle finit par y céder et dénonce même un ancien client capitaliste qui lui fait du chantage. La morale, tous les opprimés ont droit au bonheur dans la nouvelle société, satisfit davantage le Parti.

b. La bureaucratie

L'autre sujet abordé par les écrivains de l'intervention était la bureaucratie. La critique à son encontre remontait aux premiers romans sur l'industrie, mais le problème y était toujours présenté comme local et marginal, lié à des personnes. À partir de 1956, les écrivains tirèrent la sonnette d'alarme et dénoncèrent ce mal, intrinsèque au système politique.

刘宾雁 Liu Binyan (1925-2005), journaliste puis rédacteur en chef du 中国青年报 zhongguo qingnian bao Journal pour la jeunesse chinoise, composa et publia en 1956 Sur le chantier d'un pont, qui fit scandale à la fois pour son contenu et par le ton sarcastique employé par l'écrivain (在桥梁工地上 zai qiaoliang gong dishang). Il y dénonça le manque de liberté de la littérature et son schématisme, mais aussi les méfaits de la bureaucratie, en prenant pour sujet un lieu qui avait déjà fait l'objet d'un roman ( 在 和 平 的 日 子 里 zai heping de rizi li En temps de paix de Du Pengcheng). Les deux romans offrirent aux lecteurs deux visions très différentes d'une même « réalité ». Le roman de Liu Binyan décrit un chef de chantier irresponsable, qui se repose entièrement sur les ordres de son supérieur afin de se disculper en cas de problème. Paresseux et négligeant, il néglige l'avis de l'un de ses ingénieurs, qu'il finit par le licencier car il se sent menacé par lui. Toujours en 1956, Liu Binyan publia Par notre source intérieure, qui dénonce la lâcheté des organes de presse.

王蒙 (1934-) publia peu de temps après la nouvelle 组织部来了个年轻人 zuzhi bu laile ge nianqingren Un jeune est venu au département de l'organisation. Né à Pékin, il intégra le Parti communiste à l'âge de 14 ans et devint l'un des responsables locaux de la Ligue de la jeunesse communiste (公产主义青年团 gongchan zhuyi qingnian

2012 52/208 tuan). Au moment de publier sa nouvelle, il travaillait justement au sein de l'un des comités de la Ligue des Jeunesses communistes de la capitale. Par son récit, il dénonça la routine, le désintéressement des cadres du Parti, leur manque d'idées et d'initiatives, mais surtout leur protection par les autres bureaucrates, tout aussi incompétents.

2. Les Cent fleurs (1957)

Selon Xiaomin Giafferri-Huang, Mao Zedong souhaitait réellement laisser plus de liberté au monde culturel lors du lancement de la campagne des Cent fleurs (ce que contestent d'autres historiens). Selon elle, il aurait voulu que l'art et la littérature accompagnent de leur propre fait le développement socialiste. À ses yeux, les seuls ennemis véritables du régime étaient les réactionnaires, les capitalistes et les impérialistes. Les autorités acceptèrent donc de se soumettre à la critique populaire et de faire leur autocritique. Les reproches, mesurés au départ, devinrent rapidement virulents, notamment de la part de « l'administration, des universités et des représentants de partis d'opposition, qui ne jou[aient] jusqu'alors dans le pays qu'un rôle purement décoratif »1. Des dirigeants furent personnellement attaqués, des manifestations furent organisées par l'université de Pékin et de nombreux clubs et journaux muraux (les dazibao 大字报) firent leur apparition. De leur côté, les ouvriers et paysans exprimèrent leur ressentiment face à la politique économique et à l'impuissance de l’État face à certains problèmes sociaux.

Se sentant menacé, le Parti lança une contre-attaque d'envergure nationale : la campagne « anti-droitière » entre juin et octobre 1957. Les auteurs critiques, dont les œuvres abordaient les problèmes de la nouvelle société ou avaient des considérations humanistes au delà du système de classes, furent étiquetés comme « herbes vénéneuses ». Certains furent arrêtés et déportés.

Liu Binyan fut accusé de « port[er] atteinte à l'autorité du parti et à la dictature du peuple »2 et d'être avec Wang Meng3 à la tête d'un contre courant littéraire. Ce dernier, étiqueté « droitier » pour sa nouvelle, fut envoyé en rééducation dans une ferme de la banlieue de Pékin où il travailla aux champs jusqu'en 1962. À son retour, il enseigna le

1 id., p. 70 2 GIAFFERRI-HUANG Xiaomin, Le roman chinois depuis 1949, op. cit., p. 71 3 idem

2012 53/208 chinois un an à l'Institut Normal de Pékin, puis s'exila au 新疆 Xinjiang jusqu'en 1979. Il écrivit à ce sujet : « Poussé par ma foi dans la vie, par mes sentiments pour le peuple, mais aussi subissant quelque pression d'ordre politique, je demandais de mon propre chef à partir au Xinjiang »1. 刘绍唐 Liu Shaotang (1921-2000), considéré comme un romancier de talent, fut également pris pour cible lorsqu'il demanda la réhabilitation de Wang Shiwei et de Hu Feng. Plus généralement, tous les auteurs qui avaient prôné l'intervention dans la vie, même s'ils n'avaient pas profité de la révolution des Cent fleurs, subirent la répression : Ding Ling fut par exemple déportée dans un camp de rééducation au Nord-Est de la Chine.

Aujourd'hui, la majorité des historiens considère la campagne des Cent fleurs comme un piège, tendu par le Parti aux ennemis cachés dans la population. Pour d'autres, la campagne anti-droitière fut une réaction de reprise en main du pouvoir par le Parti, face à un dérapage imprévu. Jusqu'au début de la Révolution culturelle (1966), la ligne artistique et littéraire fut constamment rectifiée. Dès 1958, les magazines littéraires rediffusèrent des œuvres de Ding Ling ou Xiao Jun comme modèles à ne pas suivre. Parallèlement, le peuple fut vivement encouragé à créer des œuvres artistiques. 周恩来 Zhou Enlai (1898- 1976) réaffirma en 1959 les critères de jugement des œuvres : qualité artistique et qualité politique.

3. L'apogée du roman socialiste

La troisième Conférence nationale des Écrivains et Artistes, qui se déroula à Pékin du 22 juillet au 13 août 1960 sous la direction de Guo Moruo, organisa une série de débats et de causeries sur l'art et la littérature, qui donnèrent naissance à dix commandements, ratifiés en 1962 par le Comité central. 康生 Kang Sheng (1898-1975), chef des services secrets chinois de l'époque, en profita pour dénoncer l'utilisation du roman comme instrument de lutte contre le Parti, relançant les accusations à l'encontre d'auteurs de pièces de théâtre ou d'opéra et de cinéma.

1 Extrait du recueil de nouvelles Contes de l'Ouest lointain Nouvelles du Xinjiang, Wang MENG, Bleu de Chine, 2002, p. 180 (trad. Françoise NAOUR)

2012 54/208 La période 1959-1964 est considérée aujourd'hui comme la phase de maturité du roman socialiste. Les œuvres romanesques étaient plus nombreuses, plus longues, de meilleure qualité et leurs sujets plus variés. Les auteurs contestataires étaient silencieux et les jeunes auteurs avaient parfaitement intégré les contraintes littéraires héritées de Yan'an. Cependant, malgré le désir du Parti de voir s'épanouir une littérature « réaliste » portant sur les travailleurs, la majorité des auteurs firent le choix de ne pas traiter de l'actualité, à la fois par crainte « d'intervenir dans la vie » par mégarde ou de déformer le réalisme socialiste. Ce fut donc le grand retour des sujets historiques, au théâtre par exemple, avec 海 瑞 罢 官 Hai Rui baguan La destitution de Hai Rui (qui faisait écho à l'éviction du Général Peng Dehuai), comme dans le genre romanesque. La véritable gloire historique étant celle de la révolution communiste, il était rare que des œuvres remontent plus en arrière. Deux œuvres furent dédiées à la révolution de 1911 : 死 水 微 澜 sishui weilan Remous de 李 劼 人 Li Jiren (1891-1962) et 六 十 年 的 变 迁 Liushi nian de bianqian Soixante ans de mutation de 李六如 Li Liuru (1887-1973). Les thèmes des années 1950 furent repris (guerre civile, guerre sino-japonaise etc.), cette fois dans une approche plus psychologique.

红 旗 谱 hong qi pu Le Chant du drapeau rouge de 梁 斌 Liang Bin (1914-1996), premier volet d'une trilogie paru en 1958, fut un grand succès populaire. Les trois volumes racontent l'affrontement entre des paysans et un grand propriétaire foncier. Le conflit ne prend fin qu'à la troisième génération, lorsque le fils du héros est envoyé par le Parti communiste pour organiser la lutte. L’œuvre reçut les éloges du Parti et fut adaptée à la radio (ce qui participa à son succès auprès du peuple). Dans 青春之歌 qingchun zhige Chanson de jeunesse, 杨 沫 Yang Mo (1914-1995) raconte les déboires amoureux - et politiques - d'une jeune femme qui, ayant échappé à un mariage arrangé, épouse tour à tour un officier du Guomindang (sous la contrainte), un étudiant bourgeois, puis s'éprend d'un militant communiste que son époux fait arrêter par les forces nationalistes. Après un remaniement de l’œuvre qui lui ajouta dix chapitres (dont sept consacrés au séjour à la campagne de l'héroïne), Chanson de jeunesse devint un modèle du « roman intellectuel ».

Parmi les œuvres célèbres de l'époque, il est aussi possible de citer le roman 林海雪原 linhai xueyuan La forêt enneigée de 曲波 Qu Bo (1923-2002), qui traite de la guerre civile, adapté au cinéma, au théâtre et à l'opéra de Pékin. Ou encore 山乡巨变 shan xiang jubian Transfiguration d'un village de montagne de 周立波 Zhou Libo (1908-1979) sur le thème

2012 55/208 de la collectivisation : un jeune cadre s'immerge dans la vie des paysans pour mieux les comprendre et gagner leur confiance (deux tomes, 1958 et 1960).

La transformation des villes, moins traitée car proportionnellement moins importante en terme de surface, fit l'objet de très peu de romans. 上海的早晨 Shanghai de zaochen Le matin de Shanghai de 周而复 Zhou Erfu (1914-2004) tient lieu d'exception. Il révèle les divisions au sein de la bourgeoisie d'affaires de Shanghai.

Dans les années 1960, les nouvelles furent utilisées pour représenter la réalité sociale, c'est-à-dire les « changements politiques, économiques et idéologiques (…) l'évolution des mœurs et coutumes populaires »1. Ces récits courts, plus faciles à produire, souvent issus « de contes populaires ou de reportages journalistiques »2, étaient souvent plus « terre à terre », moins politiques. Ils abordaient la vie des Chinois à partir de l'observation d'aspects anodins du quotidien. Beaucoup d'écrivains de l'époque devinrent connus par leurs nouvelles et non par leurs romans. 山那边人家 shan nabian renjia Un foyer au-delà de la montagne de Zhou Libo abordait le thème du mariage dans la nouvelle Chine : la jeune mariée arrive dans sa belle-famille sans trousseau, mais avec son carnet de travail et se déclare prête à travailler ! 茹志鹃 Ru Zhijuan (1925-1998) se pencha elle aussi sur la vie des femmes, leur nouvelle place dans la société et leurs rapports avec leur belle-famille. Sa nouvelle 静静的产院 jingjing de chanyuan La maternité tranquille aborda le thème de l'accouchement et des progrès de la médecine dans ce domaine.

Le niveau de langue des nouvelles était accessible aux moins cultivés et souvent inspiré du patois local. Contrairement aux romans, elles échappèrent aux contraintes littéraires fixées par le régime, notamment l'obligation de mettre en scène la lutte des classes. L'abandon de la langue classique en littérature au profit du baihua était à l'époque de plus en plus marqué. Des auteurs comme Ba Jin, Mao Dun, Lao She ou le dramaturge 曹禺 Cao Yu (1910-1996) développèrent un style à la fois personnel et populaire. Certains écrivains, comme Zhao Shuli, combattirent les écrivains fortement influencés par l'Occident, dont l'écriture demeurait inaccessible aux paysans et aux moins éduqués.

1 GIAFFERRI-HUANG Xiaomin, Le roman chinois depuis 1949, op. cit., p. 121 2 idem

2012 56/208 En 1962, lors de la dixième session du Comité central, Mao Zedong déclara : « Camarades, n'oubliez jamais la lutte des classes ! ». « La lutte des classes [fut] donc désignée comme origine et nœud de tous les conflits, elle [prit] dans tous les débats une ampleur démesurée »1 et devint le cœur de toutes les œuvres romanesques. De nombreux écrivains furent critiqués pour ne pas avoir mis en avant dans leurs récits les antagonismes de classe ou avoir créé comme personnages des paysans « stupides ». Ce fut la fin du pluralisme littéraire qui avait survécu à la campagne anti-droitière de 1957.

C- 无产阶级文化大革命 La grande Révolution culturelle prolétarienne (1966)

En 1962, suite à l'échec du Grand Bond en avant, Mao Zedong fut contraint de faire son autocritique devant le Comité central. S'il conserva sa légitimité auprès du peuple, les lignes politiques adverses au sommet de l’État se firent plus présentes. En 1964, le Petit Livre rouge contenant des citations du Grand Timonier fut massivement distribué dans le pays par le biais de l'école et de l'armée. Deux ans plus tard, Mao Zedong lança une nouvelle campagne destinée à imposer sa ligne politique : la grande Révolution culturelle prolétarienne.

1. La répression

吴晗 Wu Han (1909-1969), auteur de l'opéra La destitution de Hai Rui fut le premier frappé par « l'envenimement de la critique »2. Dans son communiqué du 16 mai 1966, le Comité central définit l'objectif de la Révolution culturelle : « éliminer les révisionnistes contre-révolutionnaires installés dans le parti, notamment les ''individus du genre de Khrouchtchev qui résident à nos côtés'' »3. L'appel, qui visait clairement 刘 少 奇 Liu Shaoqi (1898-1969), marqua le début d'une véritable chasse aux sorcières au sein des milieux politique et intellectuel. Une réunion sur le travail artistique et littéraire dénonça

1 GIAFFERRI-HUANG Xiaomin, Le roman chinois depuis 1949, op. cit., p. 141 2 idem 3 idem

2012 57/208 une « dictature de la ligne noire » depuis 19491, ainsi que les écrivains dont les œuvres bourgeoises avaient continuées à porter les marques du féodalisme et du révisionnisme. La grande majorité des succès littéraires se virent reprocher quelque chose et plus généralement les œuvres qui évoquaient des personnalités réelles (notamment La défense de Yan'an ou Chanson de jeunesse), rendaient hommage à une ligne politique différente de celle du Parti (Le chant du drapeau rouge), masquaient « la cruelle réalité de la lutte des classes pour faire prévaloir l'humanisme »2, faisaient l'éloge de traîtres, ternissaient l'image du peuple ou comportaient des personnages ou des héros non prolétariens (Transfiguration d'un village de montagne).

Les autocritiques jugées insuffisantes, furent accompagnées de sanctions et de persécutions. Les écrivains les moins touchés furent envoyés à la campagne, les autres furent enfermés dans des camps de redressement, « mis sous le contrôle des masses pour confesser leurs crimes »3 ou encore envoyés en prison. La violence physique devint quotidienne, ainsi que les réunions de critique, le harcèlement psychologique ou les interrogatoires. Ding Ling, Zhao Shuli ou encore Chen Dengke furent incarcérés, tout comme Zhou Libo et Liu Qing qui moururent durant leur emprisonnement. Lao She, persécuté moralement et physiquement par les Gardes rouges ( 红卫兵 hong weibing) se suicida - selon la version officielle - le 24 octobre 1966 au bord du lac Taiping (太平湖).

Les années 1966-1976 furent un véritable « désert littéraire ». Seules quelques pièces d'opéra ou de ballet moderne furent épargnées par la censure, rassemblées sous le nom des « Huit exemples révolutionnaires » : 红灯记 hong deng ji Le fanal rouge ; 智取威虎山 zhiqu weihushan La prise de Weihushan ; 奇袭白虎团 qixi bai hu tuan La surprise du régiment du tigre blanc ; 沙 家 浜 Shajiabang ; 龙 江 颂 longjiang song Chanson de longjiang ; 海港 haigang Le port ; et deux ballets modernes :白毛女 baimao nü La fille aux cheveux blancs ;红色娘子军 hongsi niangzi jun La brigade rouge des femmes.

1 id., p. 142 2 id., p. 144 3 idem

2012 58/208 2. « La littérature du complot »

Cette expression désignait les commandes artistiques réalisées par la Bande des quatre (四人帮 si ren bang), composée de 江青 Jiang Qing (1914-1991) l'épouse de Mao Zedong, les membres du Comité central 张 春 桥 Zhang Chunqiao (1917-2005) et 姚 文 元 Yao Wenyuan (1931-2005) et le vice-président du Parti 王洪文 Wang Hongmen (1936-1992). Les commandes étaient principalement des pièces de théâtre ou d'opéra, qui touchaient plus efficacement le peuple. L'accent était très fortement mis sur la lutte des classes et les pièces manquaient singulièrement d'imagination et d'originalité. Leur objectif était de former la conscience politique de la population. La fleur de la jeunesse par exemple, reprit en 1973 une anecdote connue en Chine. Alors que les universités chinoises avaient abandonné le système de concours d'entrée au profit d'un recrutement dans la masse prolétaire, le personnage principal rédige, durant la procédure d'admission, une lettre accusant les dirigeants de l'université de favoritisme envers les classes aisées. D'abord refusé, il est finalement érigé en « victime de la ligne noire » puis admis à l'université.

Les rares romans qui furent publiés correspondaient parfaitement à la ligne artistique et littéraire qui avait été définie par la Bande des quatre. Chemin sur la mer par exemple, œuvre d'un collectif composé d'ouvriers, d'amateurs et d'écrivains de Shanghai, fut publié en 1975. L'histoire se déroule au début des années 1970 dans un arsenal où doit être construit un bateau, nommé « Patrie ». La trame du récit repose sur l'opposition entre les cadres et les ouvriers qui veulent le fabriquer à partir de produits nationaux (voie de Mao Zedong) et les techniciens qui souhaitent utiliser les techniques étrangères (voie de Liu Shaoqi).

Un autre thème développé à l'époque - car assigné - était l'envoi des « jeunes instruits » à la campagne et les « médecins aux pieds nus » (définis par Xiaomin Giafferri-Huang comme « les guérisseurs choisis parmi les membres de la commune populaire qui, après une formation élémentaire, pratiqu[aient] à la campagne sans être complètement coupés du travail manuel. »1). Ces thèmes furent principalement abordés par des amateurs ou des collectifs, donnant naissance à des œuvres de piètre qualité.

浩然 Hao Ran, de son vrai nom 梁金广 Liang Jinguang (1932-2008), fut l'un des rares écrivains qui ne cessa pas de publier durant la Révolution culturelle. Auteur de nouvelles,

1 id., p. 150

2012 59/208 de contes pour enfants et de poèmes en prose, il avait un véritable talent pour dépeindre la campagne. Il fut l'un des premiers écrivains à parler de la lutte des classes (dès les années 1960) et fut porté aux nues par la Bande des quatre. Il offrait « une vision presque idyllique [de la vie à la campagne], convaincu que ces hommes parv[enaient] à surmonter leurs problèmes grâce au Parti communiste »1. Avec son deuxième roman, 金光大道 jinguang dadao La voie lumineuse, qui rappelle qu'« il n'y a de vraie parenté que dans la même classe »2, il se hissa « au sommet du palmarès officiel »3. Il traversa les gouvernements successifs grâce à des autocritiques. Glorifié après 1989, il reçut avec quatre autres romanciers le premier prix de littérature populaire pour L'humanité.

De rares exceptions parvinrent à échapper à la contrainte d'actualité, par exemple le roman historique de 姚雪垠 (1910-1999) intitulé 李自成 Li Zicheng, du nom du meneur de la révolte paysanne à l'origine de la chute des Ming (明朝[1368-1644]). Le roman, prévu initialement en cinq volumes et réalisé à partir de recherches historiques fouillées, relatait le soulèvement de l'ensemble de la société chinoise au XVII e siècle. L’œuvre montrait à la fois les batailles, les complots politiques et la société chinoise de l'époque : l'exubérance des villes, la vie dans l'armée paysanne, la rudesse de la vie rurale. L'auteur désirait écrire « une encyclopédie de la fin de la société féodale chinoise » (extrait de « À propos de la création de Li Zicheng, Études de la théorie littéraire » (Wenyi lilun yanjiu), n°1 Pékin 1984). Le premier volume publié en 1963, fut révisé en 1979. Le deuxième, censuré par la Bande des quatre fut autorisé par Mao Zedong en personne, en 1966. Le troisième, qui acheva finalement le roman, parut en 1981.

La plupart des œuvres chinoises ou étrangères circulaient à l'époque sous la forme de manuscrits, copiés à la main et diffusés par les lecteurs. 第 二 次 握 手 di er ci woshou Deuxième poignée de mains de 张扬 Zhang Yang (1944-) par exemple, fut officiellement publié en 1979 après avoir circulé clandestinement sous six ou sept titres différents. L’œuvre, qui a entre autres pour thème le patriotisme d'un chercheur scientifique chinois revenu des États-Unis, raconte avant tout une histoire d'amour à trois et ose glorifier les chercheurs, qualifiés à l'époque « d'intellectuels bourgeois puants ». Au delà de l'histoire en

1 DUTRAIT Noël, Petit précis à l'usage de l'amateur de littérature chinoise contemporaine (1976- 2006), Philippe Picquier, 2002, p. 14 (réédition 2006) 2 GIAFFERRI-HUANG Xiaomin, Le roman chinois depuis 1949, op. cit., p. 156 3 id., p. 155

2012 60/208 elle même, ce qui déplut à la Bande des quatre fut surtout « la mise en valeur du rôle de Zhou Enlai en faveur de la recherche scientifique et des intellectuels »1. Toutes les copies du manuscrit furent détruites en 1975 et l'auteur emprisonné pour « menées anti- révolutionnaires ». 波动 bodong Ondes, publié par 北岛 Bei Dao (pseudonyme signifiant l'île du Nord (1949-)) exposa quant à lui les sentiments des jeunes instruits envoyés à la campagne, entre déception, humiliation et chagrin d'amour. L’œuvre, publiée dans la revue 今 天 jintian Aujourd'hui en 1979, est disponible en français depuis 1994 chez Philippe Picquier, sous le titre Vagues (trad. Chantal Chen-Andro).

Ces œuvres clandestines, sans grande valeur sur le plan littéraire, répondaient à une véritable demande de la population chinoise, avide d'histoires divertissantes non imbibées d'idéologie politique. Elles représentent, pour Xiaomin Giafferri-Huang, le « signe précurseur d'une littérature plus courageuse et plus variée qui [vit] le jour après le maoïsme »2. Très peu d’œuvres de cette période furent traduites en français, à l'exception des traductions réalisées et diffusées par les Éditions en Langues Étrangères de Pékin (外 文出版社 waiwen chubanshe).

1 id., p. 164 2 id., p. 165

2012 61/208 II- Le renouveau littéraire 1976- 1989

La mort de Mao Zedong le 9 septembre 1976, puis l'arrestation de la Bande des quatre, bouleversèrent les fondements de la littérature chinoise contemporaine. Les critères d'évaluation politique des œuvres artistiques furent remis en question, tout comme les contraintes imposées par le régime (thèmes, lutte des classes etc.). L'arrivée au pouvoir de 邓 小 平 Deng Xiaoping en 1978, qui lança la politique d'ouverture des « Quatre modernisations » ( 四 个 现 代 化 si ge xiandai hua), permit une détente dans le monde artistique et littéraire. Malgré une censure toujours présente débuta alors un véritable renouveau en littérature, tiré par les œuvres romanesques. La meilleure année de publication de romans longs était jusqu'alors 1957, avec 32 romans. Les romans se comptèrent dès lors par centaines chaque année, de même que les nouvelles et romans courts, qui suivirent la même tendance.

A- Un renouveau des techniques littéraires

La première phase qui suivie la déchéance de la Bande des quatre fut celle de la réhabilitation - parfois posthume - de nombreux artistes critiqués, envoyés à la campagne ou emprisonnés. La détente permit également la publication de nombreuses œuvres restées en « sommeil » par crainte de la censure. Zhou Erfu publia par exemple le troisième tome de Matin de Shanghai qui traitait de la bourgeoisie d'affaires. En 1979, le roman autobiographique posthume de Lao She, 正红旗下 zheng hong qi xia Sous la bannière rouge, fut également publié. (Traduit par Paul Bady et Li Tche-houa en français en 1986, dans la collection « Du monde entier », Gallimard, sous le titre L'enfant du nouvel an.)

La transformation de la littérature chinoise après la mort de Mao Zedong fut extrêmement rapide, à l'instar des profondes mutations de la société chinoise elle-même. De nombreux courants artistiques virent le jour, reniant les principes littéraires hérités des causeries successives sur l'art et la littérature. Cette rupture marqua entre autres la fin des personnages manichéens au profit de protagonistes au caractère plus fouillé, profond et un jeu d'écriture sur le dualisme des personnes, l'illogisme ou les contradictions intrinsèques à chaque individu. Dès lors, la « description de la société ne se [fit] plus seulement par des observations de l'extérieur, mais aussi à l'aide de la perception subjective des

2012 62/208 protagonistes »1. L'écriture sortit de son formalisme et de son schématisme, pour adopter des structures originales, innovantes. Les ordres chronologique et spatial furent bouleversés et les points de vue alternés pour souligner leur subjectivité. Le roman sortit de son cadre pour puiser dans les procédés du théâtre ou du cinéma, quant au langage, il évolua pour se faire « métaphorique, symbolique ou abstrait »2. Des auteurs comme Wang Meng ou 谌容 Chen Rong (1936-) firent appel aux techniques du surréalisme pour leurs nouvelles ou leurs récits courts. Deux tendances se dégageaient des productions littéraires : le néo réalisme et le roman psychologique. L'individu en tant que tel fut replacé sur le devant de la scène afin d'explorer son esprit au contact de la société.

La critique littéraire émanant des universités, revues, salons d'intellectuels, profita alors d'une relative liberté. Elle exprima son désir de modernité mais aussi d'universalité et encouragea l'abstraction et la théorisation de la littérature. De nouveaux courants apparurent dès 1978, tels que la poésie obscure ou la littérature des cicatrices. Ce fut une année très riche en matière de production littéraire, que ce soit sous la forme de simples 大 字报 dazibao collés au mur, de minkan (des revues illégales mais tolérées jusqu'en 1981) ou encore de nouvelles ou de romans.

Ces textes permirent la « diffusion des idées d'avant-garde et des informations politiques, sociales et culturelles : critique de la Révolution culturelle, appel à la démocratie, à un État de droit et au nouveau mouvement des lumières, revendication des droits de l'homme et de la liberté d'expression, dénonciation de l'exercice du pouvoir selon Mao »3. Le peuple entier se saisit de l'écrit pour exprimer ses critiques à l'encontre du régime de 花 国 锋 Hua Guofeng (1921-2008) - successeur de Mao Zedong - dont le programme de réforme avait échoué, creusant les écarts entre les secteurs soutenus par le gouvernement et ceux laissés à l'abandon.

Un article écrit par des intellectuels, des journalistes et des philosophes, tous employés dans des établissements de formation des cadres du Parti communiste chinois, renforça les doutes et les critiques populaires à l'encontre du maoïsme. Publié dans 光 明 日 报 Guangming ribao4 le 11 mai 1978, son titre, « Que la pratique soit le critère de vérité »,

1 GIAFFERRI-HUANG Xiaomin, Le roman chinois depuis 1949, op. cit., p. 174 2 id, p. 175 3 ZHANG Lun, La vie intellectuelle en Chine depuis la mort de Mao, Fayard, 2003, p. 98 4 Les co-auteurs se nommaient Hu Fuming, Wu Jiang, Sun Changjiang, Yang Xiguang, Ma Peiwen et Wang Qianghua

2012 63/208 résumait assez bien son contenu, qui préconisait la confrontation des idéologies à la pratique. Ce principe fut finalement adopté par le XIe congrès du Parti communiste chinois, qui se déroula du 18 au 22 mai 1978.

Les prochaines sous-parties présentent les principaux courants de l'époque.

B- L'expression de la singularité

Les courants littéraires contemporains de la deuxième vague se défirent des contraintes de fond comme de forme imposées par le régime sous Mao. La censure était toujours présente, mais la répression perdit de sa vigueur. Certains auteurs firent le choix d'une littérature purement esthétique, tandis que d'autres conservèrent son rôle politique, cette fois pour diffuser une pensée critique.

1. La poésie obscure

朦胧诗 menglong shi, qui signifie littéralement « poésie brumeuse, sombre »1, (traduit en français par « poésie obscure »), était une revendication de l'art pour l'art par un mouvement de jeunes écrivains. Incompris par leurs aînés, leurs œuvres n'obéissaient plus à aucune règle ou contrainte fixée par les causeries ou les discours de Mao. Très éloignées du réalisme socialiste et du romantisme révolutionnaire, leur sens demeurait flou, mystérieux.

Bei Dao composa en 1976 le poème « 回 答 » « Réponse », en hommage au défunt Zhou Enlai (1898-1976). Ce poème est considéré aujourd'hui comme le premier du courant. De son vrai nom 赵振开 Zhao Zhenkai, le poète pékinois devint garde rouge en 1966, avant d'être envoyé en rééducation. Ouvrier du bâtiment de 1969 à 1980, il commença à écrire des poèmes dès 1970 et fonda en 1978 avec son ami poète 芒 克 Mangke (de son vrai nom 姜 世 伟 Jiang Shiwei (1950-)) le magazine Aujourd'hui,

1 Dictionnaire concis Français-Chinois (édition corrigée), co-édition de La Presse Commerciale (商务印) et Larousse, 2000

2012 64/208 publication de référence des poètes obscurs jusqu'en 1980, année de son interdiction1. Bei Dao s'exprima sur le mouvement de la poésie obscure dans la revue 争 鸣 Zheng ming (Débats) en 1985 : « Si l'on veut parler d'influence, alors je crois que pour l'essentiel, elle vient des souffrances que l'époque a imposées à notre génération, des sentiments et des idées qu'elle a fait germer en elle. […] Notre poésie est le produit de nous-mêmes, nous d'un modèle. Elle nous est dictée par une exigence intérieure, et peu à peu, cette exigence a créé un style moderne »2. La revue fut refondée en 1990 à Stockholm. Bei Dao est aujourd'hui un auteur en exil.

2. La littérature des cicatrices

Ce fut la publication de la nouvelle La Plaie (伤痕 shanghen) dans le quotidien 文汇报 wenhuibao de Shanghai en août 1978 qui donna son nom à ce courant : 伤 痕 文 学 shanghen wenxue ou « littérature des plaies », « des cicatrices ». Son auteur 卢新华 Lu Xinhua (1954-) était un étudiant de l'université de 复 旦 Fudan à Shanghai. La nouvelle raconte comment, après la chute de la Bande des quatre, une jeune fille envoyée à la campagne émet le désir de revoir sa mère, injustement accusée de trahison et persécutée durant la Révolution culturelle. Lorsqu'elle parvient enfin à rentrer chez elle, sa mère est morte. La nouvelle provoqua un vif débat sur l'image du régime renvoyée aux jeunes et les limites de la liberté d'expression en littérature.

La littérature des cicatrices abordait essentiellement deux thèmes : les malheurs du peuple chinois pendant la Révolution culturelle et le sort de la génération des « jeunes instruits » durant la même période. Elle prit le parti de montrer la blessure du peuple chinois, causée par dix années de troubles, de persécutions, de manipulations. Ce fut la nouvelle de 刘 心 武 (1942-), 班 主 任 ban zhuren Le Professeur principal, publiée en 1977, qui inaugura ce courant littéraire. L'auteur y explique comment un professeur de collège met tout son cœur à rééduquer un jeune délinquant qui a le profil d'un contre-révolutionnaire. Cette œuvre, qui aurait mérité l'étiquette « humanisme bourgeois » quelques années plus tôt, déclencha un grand débat sur le rôle de la littérature et de

1 D'après la présentation de Bei Dao sur le blog chinese-shortstories.com, réalisé par Brigitte DUZAN, le 05/09/2009 2 Extrait de l'interview de Bai Dao par la revue Zhengming, 1985, p. 20 in ZHANG Lun, La vie intellectuelle en Chine depuis la mort de Mao, Fayard, 2003, p.173

2012 65/208 l'écrivain, les limites du réalisme à ne pas franchir en littérature et le rapport entre art et politique. La crainte que la dénonciation des « aspects sombres » du régime le renversât, poussa le Comité central en mars 1979 à condamner officiellement l'art comme outil de la lutte des classes.

Ces textes naïfs voire manichéens et d'une qualité littéraire plutôt limitée, marquèrent le commencement de la « littérature de la nouvelle période » ( 新 时 期 文 学 xin shiqi wenxue) qui a perduré jusqu'à aujourd'hui. Noël Dutrait écrit à ce sujet : « Les faiblesses de ces œuvres expliquent sans doute que très peu de traductions en aient été faites à l'époque où elles connaissent en Chine un immense succès. Le décalage était grand entre un lectorat chinois qui sortait de plus de douze années de troubles politiques graves, où la lecture d'une œuvre interdite pouvait conduire à de très fortes condamnations, et un lectorat occidental peu au fait de la réalité de la situation en Chine »1. Pour Zhang Lun, la littérature des cicatrices marqua le début d'une tabula rasa et d'une thérapie collective par l'écriture. Le thème de l'amour fut réintroduit en littérature comme sujet principal des œuvres, sans tenir compte des « antagonismes de classe ». L'enseignement fut également réhabilité, tout comme la connaissance scientifique et technique. Les ingénieurs, techniciens, chercheurs, devinrent à leur tour les héros de nouvelles ou de romans.

人 ! 啊 人 ! L'homme ! Oh, l'homme ! de 戴 厚 英 Dai Huoying (1938-1996) fut le succès littéraire de l'année 1979. Son auteur s'inspira largement de sa propre vie : son père fut classé droitier, puis elle fut à son tour accusée de « menées contre-révolutionnaires », ce qui poussa son mari à divorcer, par crainte de se voir impliqué à son tour. Son roman, composé d'extraits des journaux intimes des personnages, met en scène des universitaires ayant souffert de la répression anti-droitière, qui ne parviennent pas à oublier leurs années de douleur. L’œuvre fut condamnée pour son humanisme, puis ré autorisée en 1986.

Après 1979, le roman long prit le pas sur la nouvelle, pour sa capacité à brosser le tableau de la société dans son ensemble. Les romans de plaies furent les « premiers cris des sentiments qui pesaient dans le cœur des Chinois à la sortie de la Révolution culturelle »2. Malgré leur simplicité et leurs stéréotypes, ils eurent le mérite de réveiller le milieu littéraire et inspirèrent de nombreux auteurs. Rapidement, les thématiques évoluèrent du passé au présent.

1 DUTRAIT Noël, Petit précis à l'usage de l'amateur de littérature chinoise contemporaine (1976- 2006), Philippe Picquier, 2002, p. 25 (réédition 2006) 2 GIAFFERRI-HUANG Xiaomin, Le roman chinois depuis 1949, op. cit., p. 189

2012 66/208 C- Le nouveau réalisme

Le réalisme était depuis le début de la littérature chinoise contemporaine une tendance dominante des œuvres romanesques. À partir des années 1970, il s'orienta dans la « recherche de la vérité ». Il le fit tout d'abord sous la forme du roman reportage, très peu romancé. Le journaliste Liu Binyan notamment, poursuivit sa carrière de dénonciation de la bureaucratie, la corruption et les autres fléaux de la société chinoise. Son reportage 人妖 之间 ren yao zhi jian Entre homme et démon, fut publié en septembre 1979 par les éditions de la Littérature populaire ( 人 民 文 学 Renmin wenxue) et avait pour sujet un scandale financier. Le reportage permettait à des écrivains de prendre une posture journalistique, « d'exprimer des griefs qu'ils avaient contre la société et de les dénoncer tout en affirmant ne reproduire que la stricte vérité »1. En réalité, la composition de ces romans pouvait être découpée en « ''trois tiers'' : un tiers de réel (les faits journalistiques), un tiers de peaufinage artistique et un tiers d'opinion personnelle, en l'occurrence l'opinion politique de l'auteur, souvent simple reflet de la propagande en vigueur »2.

Un nouveau courant se développa parallèlement, dit « néo-réaliste », dont les œuvres portaient une double revendication : la demande d'une réforme économique, mais aussi politique. Les œuvres dénonçaient les privilèges du monde politique et les injustices sociales. 李国文 (1930-), connu pour quelques uns de ses récits des « plaies », mit en scène dans 花园街五号 huayuan jie wu hao Cinq, rue du Jardin des cadres de haut niveau en pleine réflexion sur la réforme du régime. La réticence face à la nouveauté, la peur de se mettre en danger, l'identification ou non au nouveau mouvement de réforme... étaient exposées au fil du récit. Les héros du nouveau réalisme étaient des gens simples, qui n’étaient ni des élites, ni des victimes de la Révolution culturelle ayant survécu aux persécutions.

1. La campagne, thème de prédilection

Beaucoup de romans réalistes prirent comme thème le « système de responsabilité » anciennement proposé par Liu Shaoqi, qui consistait en la redistribution des terres aux paysans afin qu'ils l'exploitent à leur façon (sous la condition de reverser à l’État un quota de leur production). De nombreux auteurs prirent plus généralement pour cadre la

1 DUTRAIT Noël, Petit précis à l'usage de …, op. cit., p. 26 2 id., p. 26-27

2012 67/208 campagne et la vie paysanne. 高 晓 声 Gao Xiaosheng (1928-1999) brossa le portrait de « paysans traditionnels, naïfs, obéissants, facilement dupes malgré leur méfiance », qui surmontaient les calamités grâce à leur « optimisme béat »1. Dans 李顺大造屋 Li Shunda zao wu Li Shunda construit sa maison (1979), le personnage principal est un paysan naïf, qui rêve de se construire une maison. Après trente ans de dur labeur, il y parvient et, toujours optimiste, décide de suivre la ligne du Parti, persuadé qu'elle vise le bien de tous. Ses matériaux sont saisis lors du Grand Bond en avant, puis il est classé parmi les « propriétaires capitalistes » car il possède une maison. Li Shunda ne se défait pourtant ni de sa patience ni de son optimisme et n'hésite pas à se sacrifier dans l'espoir de réaliser un jour, malgré tout, son rêve. Ce récit, quelque peu insultant pour la population paysanne, cherchait surtout à montrer la faiblesse du peuple chinois face à l’État.

张 一 弓 Zhang Yigong (1934-) de son côté, n'hésitait pas à s'exprimer sur les sujets politiques et à critiquer le Grand Bond en avant. Dans 黑娃照相 Heiwa zhao xiang Heiwa se fait photographier, il présenta un paysan chinois, Heiwa, « curieux mélange d'honnêteté et de calcul, d'engourdissement et de roublardise »2. Heiwa se rend à la ville pour vendre la laine de ses lapins angoras et dépense l'argent récolté pour acheter un pull, à manger, une séance d'opéra... mais surtout sa première photo en couleur, en costume traditionnel !

2. La réhabilitation des professions intellectuelles

Chen Rong dans 人 到 中 年 ren dao zhongnian Au milieu de l'âge (1986), décida d'aborder le sujet de l'absence de reconnaissance envers les intellectuels dans la société chinoise. Son héroïne, chirurgienne ophtalmologiste, est totalement dévouée à son travail, sacrifiant sa vie personnelle et subsistant malgré des conditions de vie indignes. Cette œuvre révèle l'inquiétude de certains intellectuels face au manque de considération des diplômés des années 1950-1960, pourtant considérés comme les forces vives des Quatre modernisations lancées par Deng Xiaoping. Ces hommes et ces femmes, qui crurent pour certains en l'idéologie communiste, finirent par se lasser d'être une cible constante du régime et perdirent qui leur enthousiasme qui leur patriotisme. Beaucoup quittèrent le pays ou n'y revinrent pas après l'obtention de leur diplôme à l'étranger. D'autres, décidèrent de

1 GIAFFERRI-HUANG Xiaomin, Le roman chinois depuis 1949, op. cit., p. 198 2 id., p. 200

2012 68/208 prouver leur bonne foi en se tuant à la tâche. Le roman de Chen Rong toucha réellement le pays, car il faisait écho à une actualité pressante : la mort ou le suicide de nombreux chercheurs. L'auteur poursuivit sur sa lancée en publiant Poussé à bout et 真 真 假 假 zhenzhen jiajia Vrai ou faux (1983), dénonçant la suspicion permanente à l'égard des intellectuels et l'intransigeance de la société à leur égard.

3. L'envoi des jeunes à la campagne

Le thème de l'envoi des « jeunes instruits » à la campagne fut également repris par de nombreux écrivains, envoyés eux-mêmes en rééducation dans des provinces reculées. Leur vision, très positive, était empreinte de nostalgie. Beaucoup exaltaient la nature, la vie rurale et les coutumes locales - traditionnelles ou folkloriques - et utilisaient comme procédé la projection des sentiments du personnage dans la nature.

Dans 这是一片神奇的土地 zhe shi yi pian shenqi de tudi C'est une terre miraculeuse (1985), 梁 晓 声 (1949-), envoyé sept ans dans une ferme d’État en Mandchourie, choisit de montrer l'émotion et l'exaltation des jeunes chinois qui quittèrent la ville parfois pour la première fois et vinrent s'occuper de la terre, « servir le pays et défier la nature »1. Dans 今 夜 有 暴 风 雪 jinye you baofeng xue La tempête de neige tombera cette nuit et 雪城 xue cheng Ville de neige (1988), il aborde le sujet du retour de ces jeunes à la ville et du choix de certains de rester vivre à la campagne. Cette difficulté du retour à la vie urbaine fit aussi l'objet de 南方的岸 nanfang de an La côte Sud (1983), de 孔捷生 Kong Jiesheng (1952-), qui eut la chance d'être envoyé en rééducation sur l'île tropicale paradisiaque de 海南 Hainan. Dans son roman, un couple regrette son ancienne vie sur l'île, trouvant la vie citadine trop banale et bien moins trépidante. Les amoureux finissent par retourner vivre à Hainan.

张 承 志 Zhang Chengzhi (1948-), écrivain de l'ethnie musulmane 回 hui né dans le Shandong mais élevé à Pékin, considéré comme le « père des gardes rouges »2, fut berger quatre ans en 内蒙古 Nei Menggu (Mongolie Intérieure) avant de réaliser des études en archéologie et en minorités chinoises dans la capitale. Il devint chercheur à l'Académie des

1 id., p. 215 2 D'après la préface de Fleur-Entrelacs, de DONG Qiang, Bleu de Chine, 1995

2012 69/208 Sciences Sociales en 1981, puis marin. Il écrivit beaucoup sur la steppe et la vie menée par les Mongols. Il évoque l'amitié qui les a unit aux jeunes instruits et les sensations inspirées à l'homme par la nature. Dans 黑骏马 heijun ma Mon beau cheval noir, il décida d'évoquer les écarts entre la morale mongole traditionnelle et celle de la Chine 汉 han, urbaine. Le narrateur vit la célèbre chanson mongole de Ganga-Hala et finit par la comprendre. L'histoire est celle du retour d'un homme dans son pays natal, la Mongolie Intérieure, avec un regard à la fois nostalgique et critique, porteur de nouvelles valeurs. S'il a réussi à la ville, il comprend qu'il a failli en tant qu'homme puisqu'il a abandonné celle qu'il aimait - violée et enceinte, qu'il n'est pas revenu enterrer celle qui l'a élevé et qu'il a quitté son cheval, incapable d'oublier son premier maître. Les contradictions entre des modes de vie pittoresques, voire archaïques dans certaines provinces et la nouvelle société chinoise mettent en évidence la confrontation inévitable entre le progrès social, le développement économique et l'éthique traditionnelle. Mon beau cheval noir fut traduit dans le recueil Fleurs-Entrelacs de Bleu de Chine en 1995, par Dong Qiang ; puis réédité en 1999 chez Picquier Poche.

4. Récits urbains

Parallèlement à ces productions dédiées à la vie rurale, de plus en plus de récits s'ancrèrent dans les villes, avec la volonté de certains écrivains de décrire la vie des citadins. 邓 友 梅 Deng Youmei (1931-), après vingt ans passés à travailler dans une entreprise de construction, puis dans les aciéries d'Anshan, écrivit 话说陶然亭 huashuo taoran ting À propos du pavillon Taoran ; Tableau de chats et À la recherche de Hau Han, dans l'intention de montrer les habitudes, les loisirs et les occupations favorites des Pékinois. Il peignit un véritable tableau de la ville, peuplée de personnes âgées pratiquant le 太极拳 tajiquan au petit matin, égaillée lors des fêtes populaires, emplie de maisons de thé... Tout en utilisant la langue de Pékin, il présenta l'ambiance de la capitale.

陈建功 Chen Jiangong (1949-) fit quant à lui le choix de se lancer dans un thème de société : l'incompréhension entre les générations. Il exposa l'écart culturel entre les jeunes chinois et leurs parents ou grands-parents. La nouvelle génération citadine n'adhérait plus à la culture classique ou traditionnelle, préférait profiter de la vie plutôt que d'épargner et

2012 70/208 s'assurer une vie confortable. Il décrivit l'apparition de nouvelles conditions de vie, de nouvelles relations humaines et d'un nouveau Pékin « branché ».

陆文夫 Lu Wenfu (1928-2005) publia en 1956 小巷深处 xiaoxiang shenwai Au fond de la ruelle, qui racontait la reconversion d'une prostituée et qui remporta un certain succès. Après plusieurs années de rééducation à la campagne, il reprit la plume et écrivit 美 食 家 « Gastronomie », qui fut traduit en français par Annie Bergeret-Curien et Feng Cheng sous le titre Vie et passion d'un gastronome chinois, aux éditions Philippe Picquier (1988). L’œuvre remporta le « prix du meilleur roman de taille moyenne de l'année 1983- 1984 » en Chine1. L'histoire décrit l'amour pour la cuisine d'un riche Chinois. Le discours sous-jacent de l'auteur est la dénonciation de l'empiètement du régime communiste dans la vie privée des Chinois : « Lu Wenfu y montre comment l'évolution des mœurs en matière de gastronomie suit de près les bouleversements politiques du pays »2.

Dans Le puits, il conta l'histoire d'une femme qui, épousée pour sa beauté, décide de se plonger dans le travail. Sa gloire lui attire jalousie et ragots : jugée trop belle et trop élégante, elle est soupçonnée de tromper son mari et se jette dans le puits. Selon Xiaomin Giafferri-Huang, Lu Wenfu souhaitait montrer à la population que ses vieilles habitudes de commérages et de critiques pouvaient se révéler aussi dangereuses et néfastes que le système politique en lui-même3. En 1985, Lu Wenfu témoigna dans La remontée du jour (page 248) : « Je me sens toujours une certaine responsabilité historique, et un devoir d'écrire sur les multiples chemins de la vie humaine et les vicissitudes de la société : il faut que je verse dans la lampe à huile ma peine personnelle aussi bien que les larmes que j'ai répandues, que cela brûle et brûle encore pour émettre un faible éclat, et pour que les hommes qui cheminent dans la nuit vers le bonheur, apercevant au loin cette petite lumière, se sentent un peu réconfortés et se disent : Hâtons-nous d'arriver là-devant, à notre havre »4. André Clavel commenta au sujet de Lu Wenfu : « la grande histoire passe toujours par le filtre de toutes petites histoires »5.

1 DUTRAIT Noël, Petit précis à l'usage de …, op. cit., p. 40 2 idem 3 GIAFFERRI-HUANG Xiaomin, Le roman chinois depuis 1949, op. cit., p. 232 4 in DUTRAIT Noël, Petit précis à l'usage de …, op. cit., p. 40 5 Le Temps, 09/11/2002 in DUTRAIT Noël, Petit précis à l'usage de …, op. cit., p. 40

2012 71/208 Des auteurs de Guangzhou (Canton) voulurent également montrer leur ville sous un jour nouveau, en tant que moteur économique du pays et lieu des échanges commerciaux avec Hong Kong. 钱 石 昌 Qian Shichang (1946-) et 欧 伟 雄 Ou Weixiong (1950-) rédigèrent ensemble 商界 shangjie Le milieu d'affaires, sur les « nouveaux capitalistes » et les conséquences de l'ouverture rapide sur les mentalités. 俞天白 Yu Tianbai (1937-) publia de son côté 大 上 海 沉 没 da Shanghai chenmo L'ensevelissement du grand Shanghai, rapportant les préoccupations des Shanghaiens. Ces trois écrivains employèrent de nouvelles techniques de narration : les histoires des personnages n'étaient plus contées séparément, mais entremêlées au fil du récit et de la description des détails du quotidien de la vie dans les grandes villes.

D- Le roman psychologique

Les œuvres des années 1980 placèrent l'homme et ses états d'âme au cœur du roman. Les histoires d'amour et de guerre firent de nouveau l'objet de nombreux titres, dans une perspective plus psychologique. Dans son roman 故土 gutu La terre natale, le dramaturge 苏叔阳 Su Shuyang (1938-) conte l'histoire d'un médecin amoureux de deux femmes : son amie d'enfance discrète, traditionnelle, fidèle à la patrie ; et une femme moderne, jeune et décomplexée. Il finit par épouser son amie d'enfance, atteinte d'un cancer. L’œuvre retrace ses « tiraillements psychologiques ».

Les années 1980 furent aussi celles du renouveau du roman militaire. Les deux préoccupations majeures évoquées par les récits étaient : « la vie de l'armée dans un contexte moderne et l'état d'esprit des militaires face aux nouvelles circonstances historiques »1. 徐怀中 Xu Huaizhong (1929-), responsable culturel de l'armée communiste en 1945, fut l'un des pionniers de ce renouveau littéraire. 西 线 轶 事 xixian yishi Une anecdote sur la ligne ouest met en avant des personnages bien différents des protagonistes héroïques promus par le communisme : les membres de l'équipe chargée d'établir les liaisons téléphoniques sont tous marqués différemment par la Révolution culturelle. Rendus parfois mauvais par l'injustice ou la violence, ces anti-héros brillent tout de même 1 GIAFFERRI-HUANG Xiaomin, Le roman chinois depuis 1949, op. cit., p. 204

2012 72/208 par leur volonté de défendre leur patrie. Xu Huaizhong décrit des hommes, bien plus que des héros.

1. La littérature de réflexion (反思文学 fansi wenxue)

Wang Meng, réhabilité en 1979, eut l'opportunité de retrouver ses fonctions d'homme de lettres. Dès son retour à Pékin, il reprit la plume pour composer contes, libelles, récits courts, nouvelles, pamphlets... Chaque année, plusieurs de ses écrits se trouvaient au palmarès littéraire. Nommé ministre de la culture en 1986, il démissionna suite aux évènements de Tiananmen. Ses œuvres avaient pour thème récurrent la bureaucratie. Dans 蝴蝶 hudie Papillon (1979), il montre des cadres victimes du système, qui se considèrent au dessus des lois et cherchent à réaliser leur ambition personnelle, comme si l'organisation poussait l'homme à développer ses plus mauvais côtés, au lieu de les prévenir. Le récit montre également le désarroi d'un bureaucrate pris dans la routine, découragé, qui ne parvient plus à rester en contact avec le peuple. Critique à l'égard du Parti communiste chinois et du régime, Wang Meng lui resta fidèle malgré les persécutions. Il déclara que « la clé pour la stabilité de la Chine, [c'était] la direction du PCC. Peu import[aient] les critiques de l'Occident »1 .

Wang Meng ne dressait pas de « portraits psychiques » de ses personnages, cependant, il leur attribuait « des expressions de pensée très actives »2. Il employa énormément le monologue intérieur et introduisit le procédé « du courant de conscience ». Dans Le salut bolchevique (1979)3 par exemple, un cadre du Parti se remémore son engagement depuis 1949. Le récit se construit à partir d'une alternance entre narration et monologue intérieur. Par la suite, toutes les œuvres de Wang Meng eurent pour fil conducteur les pensées des personnages ( 湖 光 huguang Lumière du lac ; 如 歌 的 行 板 ruge de xingban Andanto cantabile) ou gravitèrent autour de symboles. « La préoccupation de Wang Meng [était] avant tout de traduire la complexité de l'être humain, car ''pour un écrivain'', [disait]-il, ''étudier la vie veut dire étudier le monde spirituel de l'homme'' »4. En 1986 il publia 活动 变 人 形 huodong bian renxing Figures mobiles, qui dépeint des Chinois pris entre les

1 Extrait de Libération supplément « Livres », 18/03/2004, article de Pierre HASKI, in DUTRAIT Noël, Petit précis à l'usage de …, op. cit., p. 47 2 GIAFFERRI-HUANG Xiaomin, Le roman chinois depuis 1949, op. cit., p. 209 3 Traduit en français par Chantal Chen-Andro, éd. Messidor, 1989 4 Extrait de De la création romanesque (Manhua xiaoshuo chuangzuo), p 77, éd.. Art et Littérature de Shanghai, 1983, in GIAFFERRI-HUANG Xiaomin, Le roman ..., op. cit., p. 209

2012 73/208 influences orientales et occidentales. Ni Wucheng, revenu de l'étranger où il a pris goût à la liberté et au bonheur, en vient à détester son pays natal pour son absence de liberté d'expression et sa culture. Wang Meng présente des « personnages à la fois victimes et complices de la tradition féodale »1, résignés, qui préfèrent voir les autres souffrir à leur tour plutôt que de tenter de changer les choses.

张贤亮 Zhang Xianliang (1936-) et 张洁 (1937-) produisirent également une littérature d'introspection. Zhang Jie, née en 1937 était pour Xiaomin Giafferri-Huang l'« une des femmes écrivain les plus représentatives de la nouvelle époque »2. Économiste au ministère de l'Industrie, elle composa sa première œuvre littéraire à l'âge de 41 ans ( 从 森林里来的孩子 cong senlin li lai de haizi Enfant venu de la forêt). En 1981, 沉重的翅膀 chenzhong de chibang Ailes de plomb devint un succès national : son nouveau sujet (l’administration sous la réforme) et son style d'écriture original séduisirent les lecteurs. L’œuvre, en plus de dénoncer la corruption et les travers de la bureaucratie, expliquait comment le poids de l'histoire politique avait ralenti et entravé la réforme industrielle : la bureaucratie, enfermée dans la routine ponctuée de réunions politiques obligatoires où personne n'osait s'exprimer ; l'absence de stimulation et de rémunération du travail bien fait ; la lutte au sommet entre les lignes politiques qui paralysait le système ; l'incompétence des dirigeants …. étaient abordées. La vie quotidienne à l'époque était aussi un thème important de l’œuvre : les problèmes de logement qui limitaient les envies de mariage, la nourriture parfois insuffisante, etc. Ce roman très réaliste sut rassembler les Chinois sur des thèmes qu'ils connaissaient et exprima clairement ce que beaucoup de personnes travaillant dans l'administration pensaient tout bas. Au cours du récit, Zhang Jie se permit plusieurs fois de demander « en quoi consist[ait] la supériorité socialiste si les gens viv[aient] toujours plus mal en Chine que dans les pays capitalistes ? »3.

Ces œuvres montraient une volonté de « chercher l'origine des problèmes dans la mentalité d'une société »4. Les histoires quittaient peu à peu le cadre moderne pour permettre une « interrogation plus profonde sur l'histoire, la société et l'homme »5. Pour Jin

1 GIAFFERRI-HUANG Xiaomin, Le roman chinois depuis 1949, op. cit., p. 211 2 id., p. 193 3 id., p. 195 4 id., p. 181 5 idem

2012 74/208 Siyan, ces récits étaient ceux de victimes qui s'interrogeaient sur leur culpabilité et demandaient réparation au système1. Les écrits de Ru Zhijian peuvent être placés dans cette mouvance. Une histoire mal montée évoque les absurdités de la nouvelle société : la vantardise qui prime sur l’honnêteté, le rationnement et malgré tout, la volonté de tous de faire la fête. Critiquée pour ses écrits trop réalistes, ancrés dans le quotidien et ses petits problèmes, elle rédigea toute de même Affaires de famille et Affection parentale, le premier sur la rééducation à la campagne d'une mère dont l'enfant est malade ; le second sur l'abus de pouvoir d'une mère cadre du Parti, qui souhaite un bel avenir pour son fils épris d'une jeune fille matérialiste influencée par l'Occident.

2. Littérature de femmes

Les trois grandes figures féminines des années 1980 en littérature furent les trois Zhang : Zhang Jie, 张抗抗 Zhang Kangkang (1950-) et 张辛欣 Zhang Xinxin (1953-). Leurs œuvres furent lues par beaucoup de Chinois et énormément discutées. Zhang Jie, la plus âgée des trois Zhang, dénonça la discrimination envers les femmes. Dans 爱,是不能 忘记的 ai, shi bu neng wangji de L'amour ne doit pas être oublié (1979), elle explore le thème de l'amour extra conjugal, entre une femme écrivain et un cadre du Parti déjà marié. Son récit fut très mal reçu par la critique, malgré son caractère platonique. Le mariage d'intérêt, sans amour, fit aussi l'objet de certains de ses écrits, pour lesquels elle reçut de nombreuses critiques, mais aussi de nombreux encouragements. Galère (1982) fut « le plus audacieux et le plus controversé des romans de Zhang Jie »2: il met en scène l'histoire de trois femmes (deux divorcées, une séparée) vivant en colocation. Leur mode de vie, peu conforme au préjugé selon lequel une femme se doit d'être mariée (tenace encore aujourd'hui en Chine), les conduit à subir la suspicion de la responsable du quartier, parfois le harcèlement de leur supérieur hiérarchique ou encore la suspicion de leurs collègues, dès qu'un homme se montre un peu compréhensif à leur égard. L’œuvre montre la difficulté émotionnelle et la pression psychologique exercées sur ces femmes seules, qui luttent pour faire valoir leurs droits (mutation pour échapper au harcèlement ; garde de leur enfant).

1 JIN Siyan, L'écriture subjective dans la littérature chinoise contemporaine. Devenir je., Maisonneuve Larose, 2005, p. 305-306 2 GIAFFERRI-HUANG Xiaomin, Le roman chinois depuis 1949, op. cit., p. 219

2012 75/208 Les héroïnes de Zhang Kangkang, étaient plutôt des femmes fragiles, chagrines. Née en 1950, elle commença à écrire en Mandchourie, où elle passa huit ans. Elle devint la plus jeune romancière chinoise. Ses œuvres mêlaient amour et idéologie : dans 爱的权利 ai de quanli Le droit d'aimer (1979), une jeune fille issue d'une famille bourgeoise n'ose pas avouer son amour par honte de ses origines ; 谈 谈 的 晨 雾 tantan de chenwu Brume matinale parle de l'éclatement d'une famille à cause des différentes idéologies politiques de ses membres. Enfin, dans la trilogie 北极光 beiji guang Lumière arctique : une jeune fille décide de quitter son mari trop matérialiste, rencontre un intellectuel éveillé qui se plaint beaucoup sans agir, pour finir dans les bras d'un homme de parole et d'action.

Zhang Xinxin, née en 1953, vécut à la campagne puis dans l'armée avant d'entamer des études à l'Institut national du Théâtre. Elle souhaitait montrer l'écart entre l'idéal romantique et la réalité, ainsi que les différents aspects que pouvaient revêtir la vie d'une femme dans la nouvelle société chinoise. Dans son roman Où est-ce que je t'ai manqué ?, une contrôleuse de bus réalise qu'elle a raté son seul amour, durcie par un monde insensible, où la féminité n'a pas sa place. Dans 我们这个年纪的梦 women zhe ge nianji de meng Le rêve de notre âge, Zhang Xinxin décrit la routine du foyer, l'ennui des femmes dans une vie banale. Enfin, 在同一地平线上 zai tongyi de pin xian shang Sur la même ligne d'horizon1 expose la volonté des femmes de l'époque d'avoir une carrière : l'héroïne sacrifie au départ sa propre vie professionnelle pour soutenir son mari, mais celui-ci finit par lui reprocher de ne pas le comprendre, car elle est femme au foyer. Finalement, le concours qu'elle désire passer a une condition obligatoire de célibat et ils décident d'un commun accord de divorcer. Zhang Xinxin souhaitait dénoncer le fait que les femmes modernes refusaient la conception de leur rôle traditionnel et choisissaient des maris « intellectuellement supérieurs », qui refusaient pourtant l'égalité homme-femme.

1 Traduit par Emmanuelle Péchenart dans la coll. « Fleuve bleu » chez Actes Sud, en 1987

2012 76/208 E- La littérature des racines

L'idée du courant, qui revient à 汪 曾 祺 Wang Zengqi (1920-1997) (silencieux des années 1950 à 1980), était de retrouver les spécificités de la littérature propres à la Chine et de s'en inspirer au moment de l'écriture. Le courant de la « littérature des racines » tire son nom du manifeste du mouvement, publié par 韩少功 Han Shaogong (1953- ) en 1985 : « La littérature a des racines. Elles doivent être profondément enfouies dans le terreau de la culture traditionnelle nationale, si les racines ne sont pas profondes, les feuilles auront de la peine à se développer. La tâche des écrivains consiste à libérer l'énergie des idées nouvelles pour refondre et donner du lustre au '''soi'' de la nation »1. Han Shaogong expliqua en mai 2000 lors de sa venue à Paris, que le but de son article était « de réintroduire dans le débat littéraire la question de la tradition parce que beaucoup d'écrivains cherchaient à s'occidentaliser. (…) Les écrivains chinois étaient obnubilés par l'idée d'imiter les grands maîtres occidentaux comme Borges et Kafka. (…) Il s'ag[issait] plutôt de la capacité à digérer, à assimiler, à faire la synthèse »2.

1. L'influence occidentale

La fin des années 1970 et le début des années 1980 furent en effet marqués par l'accès soudain de la population chinoise à la littérature étrangère. Cette ouverture résulta de la combinaison de deux facteurs : d'une part, la détente permise dans le domaine artistique et littéraire par un relâchement de la pression politique ; d'autre part, un travail intense réalisé par les traducteurs chinois, qui fournirent aux auteurs de nouvelles bases d'inspiration3. Le désir de lire et d'étudier la littérature étrangère (dans son fond et sa forme) étaient réels, après vingt ans de censure littéraire ne laissant entrer sur le territoire que les œuvres de réalisme socialiste venues d'URSS, du Vietnam ou d'Albanie. Les traductions d’œuvres de Hobbes, Hume, Diderot, Montesquieu, Kant, Molière ou encore Adorno circulèrent, ainsi que des textes de Sartre, Nietzsche ou Freud. Introduites de façon fragmentée, leurs extraits ou passages furent souvent mal traduits ou mal interprétés.

1 Extrait de "文学的根” wenxue de gen (Les racines de la littérature), Zhongguo zuojia, n°4, 1985, in DUTRAIT Noël, Petit précis à l'usage de …, op. cit., p. 51 2 Extrait de l'interview de Sean James Rose, Libération, 25/05/2000 « Han Shaogong, de Mao au Tao » in DUTRAIT Noël, Petit précis à l'usage de …, op. cit., p. 51-52 3 DUTRAIT Noël, Petit précis à l'usage de …, op. cit., p. 41

2012 77/208 En 1981, 高行健 Gao Xinjian (1940-), écrivain, dramaturge et traducteur du français, rédigea 现代小说技巧初探 Xiandai xiaoshuo jiqiao chutan Premier essai sur l'art du roman moderne, publié aux éditions 花 城 出 版 社 Huacheng chubanshe à Guangzhou (Canton). Il y exposa les techniques modernes d'écriture de romanciers occidentaux, auteurs de chefs d’œuvre. Préfacé par l'auteur moderniste 叶君健 Ye Junjian (1914-1999), il reçut une bonne critique de la part de Wang Meng, alors ministre de la culture. De 1981 à 1983, la diffusion des œuvres étrangères traduites en chinois explosa et de nombreux débats portèrent sur le « modernisme », dont certains auteurs souhaitaient s'inspirer pour rénover la littérature chinoise. 人民文学出版社 Renmin wenxue chubanshe (Éditions de la littérature du peuple) publia même un recueil de 865 pages qui présentait les différents courants de pensée de l'époque et rassemblait les articles chinois écrits sur cette thématique.

En 1983, le mouvement contre « la pollution spirituelle » mit un frein au modernisme. La dénonciation des inégalités et des privilèges des membres du Parti par le biais de la littérature entraina une campagne de répression du milieu artistique. Elle frappa la littérature, la peinture, la musique et les vêtements1. Porter les cheveux longs, du maquillage et des bijoux fut interdit à Pékin. Tous craignaient une seconde Révolution culturelle, c'est pourquoi une forte résistance se forma, tant populaire que dans les milieux intellectuels et politiques. La campagne ne dura finalement que quelques semaines.

Les premières œuvres chinoises fortement influencées par la littérature moderniste occidentale apparurent en 1985. Il y eut entre autre 你别物选择 Ni bie wu xuanze Tu n'as pas d'autre choix de 刘索拉 Liu Sola (1955- ) en 1986 ; et 无主题变奏 wu zhuti bianzou Variations sans thème de 徐星 Xu Xing (1956- ), qui fut traduite en français chez L'Olivier (Le Seuil) en 2003 par Sylvie Gentil. De 1982 à 1989, 高行健 Gao Xingjian composa 灵山 lingshan La Montagne de l’Âme qui reçut le prix Nobel en 2000. Cet roman-fleuve fut traduit en français par Noël et Liliane Dutrait, puis proposé à différentes maisons d'édition. Il fut finalement publié en 1995 par les Éditions de l'Aube, puis réédité en 2000 dans un format poche.

1 ZHANG Lun, La vie intellectuelle en Chine depuis la mort de Mao, Fayard, 2003, p. 131

2012 78/208 Gao Xingjian dit :

« 1. Mes romans ne racontent pas une histoire, ils ne comportent aucune intrigue et ils n'ont pas la saveur destinée à attirer le lecteur que l'on trouve habituellement dans les romans. Leur saveur, si saveur ils ont, vient uniquement de la langue que j'utilise. 2. Dans mes romans, je n'ai pas recours à la description des figures des personnages, j'utilise des pronoms personnels à différentes personnes pour fournir au lecteur différents angles d'impression. […] A mon avis, cela procure une compréhension beaucoup plus riche que les prétendus caractères clairs et nets du roman. 3. Dans mes romans, j'ai banni toute description objective et simple de l'environnement. Même s'il reste quelques descriptions, elles sont faites de tel ou tel point de vue purement subjectif »1.

2. Le régionalisme

Le régionalisme était l'un des courants dans le prolongement de la littérature des racines. Il consistait en la spécialisation des écrivains selon leur région natale ou selon la province où ils avaient été envoyés en rééducation durant la Révolution culturelle. Zhang Chengzhi par exemple, évoqué plus haut, était considéré comme un spécialiste du Nord Ouest, tandis que Han Shaogong consacrait sa littérature à l'ouest du 湖南 Hunan et 扎西 达 娃 Zhaxi Dawa (1959-) au Tibet. Les œuvres de ce mouvement se rapprochaient de celles des jeunes instruits qui louaient la vie à la campagne ou découvraient la réalité de la vie rurale, éloignée des idéaux et slogans politiques. La littérature régionaliste témoigna pour sa part d'un « besoin de rendre compte »2 des superstitions et des croyances religieuses qui étaient sensées disparaître avec la Chine classique. Témoigner aussi de l'absence de conscience politique des paysans, que ce soit au Xinjiang (Contes de l'Ouest lointain Nouvelles du Xinjiang de Wang Meng, Bleu de Chine, 2002), au Tibet (Tibet Les années cachées de Zhaxi Dawa, Bleu de Chine, 1995) ou en Mongolie intérieure (Mon beau cheval noir de Zhang Chengzhi). Ces auteurs employèrent divers procédés littéraires, du réalisme au fantastique, en passant par la prose poétique. Pour Noël Dutrait, ce fut surement grâce à ces œuvres que la littérature chinoise trouva une place sur la scène littéraire mondiale au cours de la deuxième moitié du XXe siècle.

1 Extrait de 给我老爷买鱼竿 Gei wo laoye mai yugan, Taibei, 联合文学出版社 Lianhe wenxue chubanshe, 1989, p 260 in DUTRAIT Noël, Petit précis à l'usage de …, op. cit., p. 49 2 DUTRAIT Noël, Petit précis à l'usage de …, op. cit., p. 53

2012 79/208 Les critiques de l'époque avaient un avis bien moins positif, fustigeant ce retour à la tradition et la focalisation sur des provinces en retard économiquement - et politiquement - parlant. « Les romans des mœurs urbaines témoign[aient] déjà de cette tendance à la dépolitisation, mais l'effort vers l'investigation culturelle appar[ut] surtout dans les romans du pays rural dont les habitants représent[aient] la grande majorité de la population chinoise »1. 郑义 Zheng Yi (1947-) par exemple, consacra plusieurs romans à la vie rurale dans la montagne du 山 西 Shanxi. 远 村 yuancun Village lointain raconte l'histoire sur vingt ans d'un ménage à trois, toléré en période de crise économique et de mariage arrangé. Dans 老 井 laojing Vieux Puits, il est question principalement de superstition et de la confrontation entre les croyances traditionnelles religieuses et l'arrivée de la science et de la technique dans les campagnes. Le récit montre à la fois ceux qui réalisent des sacrifices pour la pluie et ceux qui creusent des puits.

贾 平 凹 (1952-) né dans le 陕 西 Shaanxi, s'interrogea quant à lui sur la construction historique de la mentalité de sa province. Son roman long intitulé 浮躁 fuzao Impatience (1986), montre l'envie des habitants de villages reculés de devenir, à l'instar des gens des villes, riches et modernes. Il raconte la déception d'un jeune ambitieux qui se rend à la ville, y fait l'expérience des luttes intestines et décide finalement de retourner au village pour l'aider à se développer. Ses récits courts dévoilaient les mœurs locales à partir d'un phénomène culturel, d'un rituel... Il avait l'habitude d'insérer dans le récit des chansons ou des proverbes populaires, ce qui séduisait un lectorat paysan comme cultivé.

Enfin, Han Shaogong, né dans le Hunan, parlait de « puiser l'essence culturelle à sa source originale, faire rayonner la tradition et l'identité nationale »2. Fils d'un père professeur qui se suicida au début de la Révolution culturelle, il devint garde rouge et fut envoyé à la campagne en 1968. Il commença à écrire en 1979 et certaines de ses nouvelles furent primées lors de concours nationaux. Son roman 爸爸爸 bababa Pa...papa, est « une métaphore de la Chine des années 1970, qui ne connaissait plus sa propre historie et avait perdu jusqu'à son propre langage »3. Le narrateur, qui n'est autre que l'idiot d'un village mythologique isolé, donne à voir au lecteur « l'obscurité primitive et les habitudes invétérées » des habitants de la région, ainsi que la superstition et « l'obéissance aveugle

1 GIAFFERRI-HUANG Xiaomin, Le roman chinois depuis 1949, op. cit., p. 234 2 id., p. 242 3 DUTRAIT Noël, Petit précis à l'usage de …, op. cit., p. 54-55

2012 80/208 aux coutumes »1. En 1966, Han Shaogong souleva par un nouveau roman original la question de l'uniformisation de la langue chinoise et de la disparition des dialectes. 马桥词 典 Maqiao cidian ou « Le dictionnaire de Maqiao » est actuellement en cours de traduction par Annie Bergeret-Curien (contrat de traduction avec les éditions Le Seuil).

Le renouveau du roman dans les années 1970 et 1980 eut une influence considérable sur l'évolution de la pensée en Chine. Elle permit entre autre la « prise de conscience de la position de l'homme dans l'histoire et de la valeur de l'individu, longtemps sacrifié »2. Cette montée de l'individualisme, permise par le roman psychologique, accentua sans doute le désir de liberté et de démocratie d'une partie de la population. Si la littérature conserva un aspect politique, ce fut cette fois du fait de la volonté des auteurs et non plus du régime. La dépolitisation des sujets permit d'aborder de nouveaux thèmes et de penser la littérature en tant que technique d'écriture. « [Un] travail approfondi sur la langue offr[it] aux auteurs de nouvelles perspectives, thématiques comme esthétiques, pour tisser leur toile romanesque »3. Cette réflexion fut d'autant plus riche qu'elle avait été réalisée autour et à partir de la langue chinoise et de ses spécificités.

1 GIAFFERRI-HUANG Xiaomin, Le roman chinois depuis 1949, op. cit., p. 243 2 id., p. 251 3 BERGERET-CURIEN Annie, « Creusements et glissements », p. 3-14, in Le passé et l'écriture contemporaine Regards croisés d'écrivains et de sinologues, BERGERET CURIEN Annie et JIN Siyan, éditions de la Maison des Sciences de l'Homme, p. XVII

2012 81/208 III- La fin des courants 1989-2009

La répression du mouvement pour la démocratie dans la nuit du 3 au 4 juin 1989 mit fin à ce mouvement littéraire dynamique. De nombreux intellectuels prirent la décision de s'exiler. Parmi eux Liu Binyan, Gao Xingjian (France), Bei dao (Suède puis aux États- Unis) ou encore 马建 Ma Jian (1953-) (Angleterre). Quelques années plus tard, certains auteurs retournèrent vivre en Chine. D'autres, qui avaient décidé d'y rester, craignaient alors de partir pour peu de temps à l'étranger et de se voir interdire l'entrée sur le territoire à leur retour. Les maison d'édition taiwanaises prirent le relais des maisons chinoises pour diffuser dans le monde sinophone les écrits de ces auteurs de diaspora. Beaucoup d'auteurs chinois censurés sur le continent firent également publier leurs manuscrits à Taiwan. Des auteurs comme Gao Xingjian, rejetés et critiqués par le gouvernent à Pékin, furent portés aux nues sur l'île.

Beaucoup d'écoles et de revues littéraires disparurent après 1989. Les rares magazines littéraires qui perdurèrent cessèrent d'être distribués dans les kiosques, au profit des librairies - notamment universitaires - réduisant leur lectorat. Beaucoup d'intellectuels n'avaient plus envie d'écrire. En 2009, il était possible de constater un véritable retard de la littérature chinoise, qui se posait des questions résolues par d'autres pays depuis longtemps. Les auteurs des années 1990 furent plus individualistes, au sens où ils ne cherchèrent pas à s'ancrer dans un courant, mais à creuser leur style, produire une littérature personnelle. Pour la première fois depuis longtemps, les Chinois purent repérer des auteurs et non des courants. À l'étranger par contre, beaucoup de lecteurs se sentirent perdus dans la masse des publications chinoises, privés de repères. C'est pourquoi les consommateurs se raccrochent aujourd'hui à de grands auteurs visibles sur le marché, tels que , Yan Lianke ou Ma Jian. Pour Zhang Yinde, les années 1990 furent aussi significatives, car elles marquèrent un retour au roman traditionnel dans sa fonction de divertissement.

Deux générations d'écrivains pouvaient être distinguées sur le marché chinois : la première, née dans les années 1950-1960, était le pur produit du système. La seconde, née pendant ou après la Révolution culturelle, grandit avec les Quatre modernisations et la nouvelle société de consommation.

2012 82/208 A- La génération 1950-1960

« [L]e choix d'une narration longue, de formes très ouvertes de récit, parfois délirantes, qui laissent une grande liberté d'interprétation. Cette manière romanesque et tonique d'interroger un monde instable, difficile à saisir, est en fait l'un des points communs d'une génération d'écrivains nés à la fin des années 1950. » (Nils C. AHL, Le Monde, 30 octobre 2009, « La monstrueuse parade de Yan Lianke »).

1. Les enfants des institutions (Mo Yan et Yan Lianke)

Plusieurs écrivains chinois très en vogue en France dans les années 2000, étaient des « enfants des institutions ». Ce fut le cas de 莫言 MoYan et 阎连科 Yan Lianke, tous deux formés au sein de l'armée chinoise. Loin d'être formatés et d'être devenus les porte-parole inconditionnels du régime, ils portèrent au contraire un regard critique sur leur pays, parfaitement conscients de la « ligne jaune » à ne pas franchir. a. Mo Yan et la fiction critique

Mo Yan fut sans doute l'écrivain chinois le plus traduit en France, avec une quinzaine d’œuvres publiées en français entre 1989 et 2009. De son vrai nom 管谟业 Guan Moye, il choisit pour pseudonyme « 莫言 » moyan, qui signifie « qui ne parle pas, qui se tait ». Il expliqua en 2004 qu'il s'était ainsi adressé un avertissement, un appel à la prudence dans un pays où dire la vérité pouvait être dangereux pour soi-même ou pour sa famille1. Il opposa à ce mutisme une véritable « fureur d'écrire », composant d'un seul jet des romans très longs, influencé dans son écriture à la fois par la culture chinoise et les auteurs occidentaux (Garcia Márquez, Faulkner). Ses œuvres, tirées en moyenne à 200 000 exemplaires en Chine, séduisirent les lecteurs du monde entier2.

Né en 1955 dans le Shandong, ses parents furent classés « paysans riches » car ils possédaient un minuscule bout de terrain. La situation économique de la famille était pourtant celle de nombreux paysans à l'époque, touchés durement par la famine. Considéré comme laid, Mo Yan fut rejeté par les autres enfants, puis renvoyé de l'école pour mauvaise conduite. Il était révolté contre le système qui le maltraitait. Il commença alors à travailler

1 Lexpress.fr, entretien de Mo Yan par Renaud EGO et Frédéric Koller, 01/04/2004 2 Mychinesebooks.com, Bertrand MIALARET, « L'écrivain Mo Yan,de la dictature du Parti à celle du marché », 24/06/2009

2012 83/208 dans une usine de coton, puis il réussit à entrer dans l'armée grâce à une relation en 19761. Il rêvait de devenir écrivain depuis l'âge de 17-18 ans, pour pouvoir manger des raviolis tous les jours2 (croyance qu'il développa enfant). L'armée lui offrit la possibilité d'étudier et d'entrer à l'université. Il fut employé d'abord dans l'unité des affaires culturelles de l'armée, puis il devint professeur. Lui qui avait appris à lire dès l'âge de sept ans, se mit à écrire le soir. Il ne composa jamais sur l'armée elle-même qui l'avait nourri et accepté en son sein. Il la quitta cependant en 1997 et se reconvertit en chercheur en littérature. Il continua de produire des nouvelles, des romans et acquit une réputation mondiale.

Loué pour sa créativité, son style fut qualifié de « réalisme magique » pour ses nombreuses références à la mythologie chinoise ou aux légendes folkloriques. Son mode d'écriture ne cesse de fasciner : il a l'habitude de murir chaque œuvre dans son esprit, durant des semaines voire des mois, d'y ficeler l'intrigue, d'en imaginer la structure... puis de s'installer un jour à son bureau et de coucher d'une traite sur le papier le fruit de ses réflexions. Il travaille alors dix heures par jour, parfois plus, pendant une dizaine de jours en moyenne. Pour 生死疲劳 shensi pilao (« Excédé par la vie et la mort ») traduit sous le titre La dure loi du karma (éditions Le Seuil, 2009, trad. Chantal Chen-Andro), il accoucha de 700 pages en 43 jours3. Le Radis de cristal (透明的红萝卜 touming de hong luobo) qui parut en Chine en 1981, fut son premier succès littéraire. Il fut traduit en français par Pascale Wei-Guinot et Wei Xiaoping et publié en 1998 par les éditions Philippe Picquier (réédition poche en 2000).

Ses œuvres mêlent constamment réalité et fantastique. Il pense en effet que des romans nés de l'imagination touchent toujours plus les lecteurs que la description fidèle d'une expérience de l'auteur. À ses yeux, le roman est irremplaçable car il repose sur l'imagination, alors que la télévision et les nouveaux médias ne sont capables que de montrer des choses existant déjà dans le monde réel, tangibles.4 Il décida de décrire la vie rurale à partir d'angles différents : historique, politique, ethnologique... et mêla à ses descriptions réalistes des croyances magiques (par exemple la présence d'un esprit renard dans 四十一炮 sishiyi pao Quarante et un coups de canon, publié aux éditions Le Seuil, 2009, trad. Noël et Liliane Dutrait). Il confia dans un entretien en 2009, au sujet de La dure

1 idem 2 Le Monde, Nils C. AHL, pages livres VIII, 11/09/2009 3 Mychinesebooks.com, de Bertrand MIALARET, 30/08/2009 4 MO Yan, « Odeurs de roman », p. 59-63, in Écrire au présent, Annie Bergeret-Curien (dir.), éditions de la Maison des Sciences de l'Homme, 2004, trad. Marie Laureillard

2012 84/208 loi du karma qui raconte les réincarnations successives d'un propriétaire terrien fusillé durant la Révolution culturelle, « c'est un texte intimement lié au réel »1. La force des œuvres de Mo Yan tient en effet dans leur capacité à faire passer un message politique sous couvert de la fiction et de l'humour. Chaque œuvre adopte une structure différente : alternance de récits, chapitres voire sous-chapitres ou encore récit dans le récit. Autant de procédés littéraires qui font passer du réel pour de la fiction ou la vérité pour du mensonge. Dans son œuvre Le pays de l'alcool en 1993 (酒国 jiuguo éditions Le Seuil, 2000, trad. Noël et Liliane Dutrait (réédition Points 2004)), un étudiant écrit une lettre à Mo Yan (l'auteur étant un personnage), dénonçant des cadres mangeurs d'enfants. Le récit est formé par l'imbrication de l'histoire avec les échanges de lettres entre le jeune homme et l'écrivain. Cette technique permit à l'auteur d'éviter la censure, malgré la critique féroce de la corruption des cadres du Parti et du cannibalisme. Il reçut en 2000 le prix français Laure Bataillon (meilleure œuvre de littérature étrangère traduite de l'année).

Son œuvre Beaux seins, belles fesses (丰乳肥臀 fengru feitun), publiée aux éditions Le Seuil en 2004 (traduction de Noël et Liliane Dutrait), eut moins de chance. Publié en Chine en 1996, le roman reçut le prix littéraire 大家 Dajia, soit une somme versée à l'auteur de 100 000 yuans (environ 12 200 euros)2, mais fut interdit deux ans dans la province du Shandong. Mo Yan y critiquait « l'arrièrisme » des campagnes et la lutte permanente des paysans pour survivre, face à l'invasion japonaise, puis aux réformes communistes. Il fut officiellement censuré pour ses passages trop crus.

Noël Dutrait dit au sujet de Mo Yan : il « considère toujours l'être humain aussi bien dans sa dimension spirituelle que physique : les sentiments ne sont jamais séparés des réalités corporelles les plus triviales. Sa liberté de ton, le caractère grotesque et rabelaisien de ses romans, son audace sans limites dans l'évocation des rapports intimes entre les êtres et dans la relation de l'histoire de son pays font de lui un écrivain singulier, qui provoque à la fois admiration et polémiques »3. Pour Isabelle Rabut, éditrice chez Actes Sud, « Toute retenue tombe avec Mo Yan, parfois rapproché du courant des racines, mais chez qui la spontanéité créatrice l'emporte largement sur les spéculations intellectuelles. Son écriture torrentielle et impertinente, charriant la crudité de la

1 Le Monde, Nils C. Ahl, 11/09/2009 2 DUTRAIT Noël, in Petit précis à l'usage de …, op. cit., p. 60 3 Le magazine littéraire, n°429, mars 2004, « Écrivains d'aujourd'hui », au sujet de Mo Yan, Noël DUTRAIT, p. 59

2012 85/208 littérature populaire et parodiant l'héroïsme des sagas de la période communiste, est assurément un des phénomènes littéraires les plus notables de la fin du vingtième siècle, même si elle heurte ici ou là le bon goût »1.

Mo Yan critique le système en choisissant de rester membre du Parti communiste chinois et de vivre dans son pays natal. Il refuse l'idée d'une littérature seulement politique à l'image de celle des années 1949-1976. Tout comme Yan Lianke, la censure frappa certaines de ses œuvres, mais il ne fut jamais personnellement inquiété. Il n'oublie pas ce qu'il doit à son pays et à l'armée et dénonce les imperfections du système dans l'espoir qu'il s'améliore. Il dit : « Je suis sévère, contre la bureaucratie en particulier, mais je le fais en tant que romancier. Mes critiques sont dans mes récits. Mais je ne suis pas un écrivain qui prend la parole pour entrer directement dans le jeu politique. C'est beaucoup moins productif »2. Il partage les craintes des écrivains de sa génération et avoue volontiers ne pas bien comprendre la suivante, imprégnée par la société de consommation.

b. Yan Lianke et la fiction-reportage

阎连科 Yan Lianke naquit en 1958 dans la province du 河南 Henan. Il s'engagea dans l'armée « pour ne plus jamais avoir faim » et commença à écrire à l'âge de 16 ans « pour fuir, au moins par l'imagination, la pauvreté de la campagne »3. L'armée lui permit d'apprendre à lire et à écrire. L'un de ses supérieurs du département de la propagande culturelle remarqua ses slogans et l'envoya étudier à l'université militaire où il passa deux ans. Il ne cessa alors d'écrire « des romans nationalistes qui mettaient en scène des héros de l'Armée populaire de libération dans des récits à la gloire du régime »4 et, le soir, des romans plus personnels et plus critiques à l'encontre du Parti. Par l'écriture, il visait un certain statut social et sans doute la garantie de ne plus vivre dans la misère. Des journaux militaires publièrent quelques-unes de ses nouvelles. Ses romans touchaient principalement à l'armée ou à la vie rurale.

En 1993, suite à la publication à Hong Kong et à Taiwan de Chute du soleil en été (夏 1 Artslivres.com, « Un siècle de littérature chinoise moderne dans le miroir de la traduction française » 2 l'Humanité, Alain NICO, 27/08/2009 3 Monde chinois n°23 (2010) « La censure est un challenge », Katell GUEDAN, p. 130-131 4 idem

2012 86/208 日落 xia ri luo), l'« histoire d'un soldat qui pense »1, Yan Lianke fut contraint de faire son autocritique pendant six mois. En 2004, la publication de son roman 受活 shouhuo « La joie de vivre » le contraignit à quitter l'armée. Ce départ fut pour lui un soulagement, puisqu'il avait déjà tenté de partir à plusieurs reprises. Il devint membre de l'Association des écrivains de Pékin jusqu'en 2009, date à laquelle il accepta le poste de professeur (à titre honoraire) à l'université de Pékin. Depuis, il profite de sa liberté pour réaliser des enquêtes et des reportages, transmis aux lecteurs sous la forme de fictions. Il est pour cela très apprécié et très critiqué, notamment par ses collègues écrivains qui lui reprochent une trop grande liberté d'expression.丁庄梦 ding zhuang meng Le rêve du village des Ding fut censuré en 2006, pour avoir abordé le thème de la contamination du SIDA en zone rurale (traduit par Claude Payen aux éditions Philippe Picquier, 2007 (réédition poche en 2009))2. Deux ans plus tard, 为人民服务 wei renmin fuwu Servir le peuple fut à son tour censuré, cette fois pour son érotisme. L’œuvre parlait avec humour de la libido débordante de l'épouse d'un commandant de l'Armée populaire de libération, qui découvrait la jouissance de briser des représentations du Grand Timonier (traduit par Claude Payen aux éditions Philippe Picquier, 2006 (réédition poche en 2009)).

Son court roman 年月日 nian yue ri Les jours, les mois, les années,traduit en français par Brigitte Guilbaud (éditions Philippe Picquier, 2009), reçut le prix Lu Xun. Il raconte l'histoire d'un vieil homme, trop vieux pour quitter le village et fuir la sécheresse, resté seul avec un chien aveugle à faire pousser un épi de maïs sous un soleil de plomb. Le récit aurait pu se dérouler n'importe où, mais il renvoyait implicitement à la grande famine qui eut lieu en Chine de 1958 à 1961. Cet hymne à la vie plut au public français.

Le rêve du village des Ding est à la fois un roman osé sur le plan politique et sur le plan littéraire puisque le narrateur n'est autre que le petit-fils mort du héros, le professeur Ding. Le récit, va-et-vient entre l'action et les souvenirs du personnage principal, révèle comment des milliers de paysans pauvres du Henan se laissèrent abuser par des collecteurs de sang dans les années 1990 : ils le vendirent dans l'espoir de fuir la misère et le travail pénible et de devenir aussi riches que les Chinois des « villages modèles ». Abusés par des collecteurs privés qui ne respectaient aucune règle d'hygiène et les dupaient sur la quantité de sang prélevée, ils furent aussi trompés par les cadres du Parti, qui dix ans plus tard se livrèrent à

1 idem 2 Sa couverture fit la première page de Perspectives chinoises n°2009/1 (dossier « La société chinoise face au SIDA) et un article fut dédié à l'ouvrage par Sébastien VEG, p. 124-128

2012 87/208 un sordide trafic de cercueils (censés être distribués gratuitement). L'ouvrage montre des malades laissés à l'abandon, le manque d'information sur les risques de contamination du SIDA et l'absence d'encadrement pour enrayer la propagation du virus. Le fils du professeur Ding, collecteur de sang privé devenu cadre du Parti, est une allégorie de la corruption et des abus de pouvoir possibles à l'époque.

Dans son article pour Perspectives chinoises, Sébastien Veg exposa clairement les raisons politiques de la censure de l’œuvre : 李长春 Li Changchun (1944-) et 李克强 Li Keqiang (1955-), tous deux membres du comité permanent du Politburo chinois, étaient à la tête de la province du Henan à l'époque de la collecte de sang. L'interdiction de distribuer l’œuvre en 2006 fut décidée par l'administration générale de la presse et des publications, supervisée par le département de la propagande, lui-même dirigé par Li Changchun en personne. Les réimpressions furent interdites, mais des copies, notamment pirates, circulèrent malgré tout. Yan Lianke, qui souhaitait que ses droits d'auteur soient reversés au village où il avait mené son enquête, poursuivit en justice sa maison d'édition qui refusait de remettre l'argent au village. L'éditeur finit par verser la somme à l'auteur, qui se chargea lui-même de la donner aux villageois.

Son œuvre 受活 « La joie de vivre », fut traduite en français par Sylvie Gentil sous le titre Bons baisers de Lénine (éditions Philippe Picquier, 2009). Ce roman-fleuve raconte comment les habitants d'un village d'infirmes et de handicapés constituent une troupe « d'art » et partent se produire sur les scènes chinoises pour récolter de l'argent. L'objectif final est d'utiliser la somme amassée afin d'acheter aux Russes la dépouille de Lénine, certes difficile à entretenir, mais qui permettrait d'attirer les touristes. Cette idée fabuleuse émane d'un cadre local, qui désire ardemment aider les gens pauvres de son district et se faire aimer d'eux. L’œuvre est divisée en « livres » et en chapitres annotés, toujours en nombres impairs. La traductrice respecta scrupuleusement la structure initiale et se servit d'un vieux patois en langue d'Oï pour transcrire le dialecte employé ponctuellement par l'auteur. Les notes, parfois plus longues que le chapitre lui-même, sont autant de retours vers le passé du village, au temps de la collectivisation (« les jours heureux »), du Grand Bond en avant et de la Révolution culturelle. L'ouvrage ne critique pas ouvertement Mao Zedong, mais plutôt le comportement absurde et inhumain des hommes : des villageois viennent piller les réserves des infirmes pendant la famine, les laissant mourir de faim ; le cadre local décide d'étiqueter « propriétaires terriens » toutes les familles du village durant

2012 88/208 la Révolution culturelle, puisqu'il doit trouver des gens à dénoncer publiquement... Tous les maux du village, subis depuis leur « jointaie » au district communiste, sont autant de raisons de se « déjointer », c'est-à-dire de rejeter la société dans son ensemble pour privilégier une vie isolée, pittoresque et dépolitisée.

Certains critiques chinois auraient dit en off à Yan Lianke que cette œuvre était « Anti État, Anti Régime, Anti utopies, Anti révolutionnaire, mais également pro révolutionnaire et Anti humanité »1. Peu lu en Chine, les articles au sujet de Yan Lianke sont souvent négatifs. Il dit en 2009 : « Il me semble que les gens, surtout les jeunes, lisent beaucoup en Chine, mais sur des choses faciles (…). Moi, je suis souvent censuré et je n'ai pas la recette du succès. » Puis, au sujet de son ouvrage 风 雅 颂 Fengya song « L'éloge gracieuse » : « Là aussi, j'ai adopté le mode humoristique, c'est ma façon d'exprimer les choses les plus graves car je suis moi-même très sombre. Le roman décrit les intellectuels qui ont fui la réalité pour se réfugier, encore une fois, dans un paradis imaginaire. C'est ce qui se passe en Chine : la plupart des artistes, enseignants, écrivains, refusent de parler du réel. C'est pourtant leur devoir de témoigner, de traduire des faits dérangeants, la littérature ne doit pas s'éloigner de l'histoire »2.

2. 新写实主义 Le néo-réalisme

Le concept de 新写实主义 xin xieshi zhuyi ou nouveau réalisme, réapparut en Chine après 1989. Définit par Yang Jianlong en 1999 dans 新化文摘 Xinhua wenzhai (n°12, p. 192-193), le néo-réalisme était un courant qui se consacrait à la description fidèle de la vie quotidienne, que se soit dans ses aspects les plus routiniers et anecdotiques, comme dans ses imprévus. Comme l'aurait fait un ethnologue attentif au moindre détail, il s'agissait de tout observer et de tout représenter, sans chercher à cacher ni à embellir la réalité. Cette littérature n'avait ni un rôle éducatif ni un rôle moral, simplement un rôle descriptif. L’œuvre se devait de suivre la vie des personnages et leur rythme. Sur le plan linguistique, la langue vulgaire était utilisée telle que les gens simples l'employaient à l'oral : une langue vivante, pleine d'expression, parfois grossière, souvent commère. Tout cela donnait au récit

1 Le magazine littéraire, n°492, décembre 2009, « Yan Lianke : ''le plus difficile est de se libérer de l'autocensure'' », p. 39, Bernard QUIRINY 2 Libération, entretien de Yan Lianke par Pascale NIVELLE, 30/12/2009

2012 89/208 « le charme du naturel et une tonalité de tristesse involontaire », un peu pathétique1. L'idée des créateurs du courant était le retour d'un roman populaire, par son écriture et par ses thèmes. Ils véhiculèrent leurs idées par la revue 钟山 Zhongshan.

Yu Hua et Su Tong furent souvent érigés en représentants de cette école néo-réaliste. Pour Noël Dutrait, le néo-réalisme avait un travers important : il « se content[ait] souvent d'exprimer les faits dans leur immense cruauté et leurs aspects les plus répugnants sans apporter de jugement, en laissant le lecteur libre de tirer les conclusions qu'il désir[ait]» 2. a. Su Tong et le « nouveau historique »

苏童 Su Tong, écrivain professionnel, naquit en 1963 à 苏州 Suzhou dans le 江 苏 Jiangsu. Son pseudonyme associait « 苏 » faisant référence à sa ville natale et « 童 » reprenant son nom de famille puisqu'il s'appelait en réalité 童中贵 Tong Zhonggui. À la différence des autres auteurs réalistes, il lui plaisait de situer ses histoires dans un temps passé, qu'il n'avait pas connu. Cette tendance à combler des zones d'ombre de l'histoire l'amena à commettre - malgré lui - des erreurs d'un point de vue historique, mais ses œuvres continuèrent à être appréciées par les lecteurs chinois et étrangers. Il était parmi les trois auteurs chinois les plus appréciés de l'époque. Connu pour son œuvre 妻妾成群 qiqie chengqun Épouses et concubines (1990) adaptée au cinéma par 张 艺 谋 Zhang Yimou (1951-) en 1991 (traduite en français en 1992 par Annie Au Yeng et Françoise Lemoine aux éditions Flammarion), il continua à écrire des romans, dont quelques uns firent à leur tour l'objet de films ( 红 粉 hongfen Visages fardés ; 妇 女 生 活 funü shenghuo La vie des femmes ; et 米 mi Riz).

Ses œuvres portaient sur des époques différentes : tandis que 碧奴 binu Le mythe de Meng (édition Flammarion, 2009, trad. Marie Laureillard) et Je suis l'Empereur de Chine (édition Philippe Picquier, 2005, trad. Claude Payen) parlent de la Chine impériale, Visages fardés (édition Philippe Picquier, 1995, trad. Denis Bénéjam, réédition 2003) et 罂 粟之家 yingsu zhijia La maison des pavots (édition bilingue Youfeng, 1996, trad. Pierre Briere) abordent les débuts de la Chine de Mao Zedong.

1 in DUTRAIT Noël, in Petit précis à l'usage de …, op. cit., p. 73-74 2 DUTRAIT Noël, « L'irrésistible poids du réel dans la fiction chinoise contemporaine : le cas de Gao Xingjian et de Mo Yan », p. 35-44, in Le passé et l'écriture contemporaine Regards croisés d'écrivains et de sinologues, BERGERET CURIEN Annie et JIN Siyan, éditions de la Maison des Sciences de l'Homme, 2001, p. 43

2012 90/208 La plupart des ouvrages de Su Tong furent critiqués pour leur distanciation et leur manque de sentiments. Dans Je suis l'Empereur de Chine (de son vrai titre 我的帝王生涯 wo de diwang shengya Ma carrière d'empereur), œuvre fictive sans dates repères, un jeune empereur monte à 14 ans sur le trône et fait l'expérience du pouvoir. Il profite de sa position pour assouvir ses plus bas instincts. Sadique, cruel, il finit par être renversé et s’intègre à la population comme funambule. Le roman décrit avec précision les actes inhumains, violents, tout comme les scènes de torture. De même dans Riz, le survivant d'une inondation se réfugie à la ville avec pour survivre une poignée de riz. Les humiliations qu'il y subit en tant que commis pour un vendeur de riz le remplissent de haine et d'un désir de vengeance. Le personnage, rendu mauvais par la société des années 1930, se transforme en criminel. Le riz, denrée rare en période de famine devient un véritable objet de pouvoir, au centre d'une spirale de mort : un enfant meurt d'en avoir trop mangé, un tas de riz devient arme de crime, le riz se transforme en mobile de meurtre... L'absence de sens moral du personnage principal le rend antipathique, inhumain.... « L'opposition campagne/ville que Su Tong met en valeur semble indiquer que hors du contexte social rural, l'homme perd tous ses repères et devient un loup pour ses congénères »1.

Cette absence d'émotion imputée à l'auteur, cette « froideur », « indifférence » suspectée d'être une « volonté de choquer », fut reprochée à d'autres écrivains de ce courant : « L'histoire que raconte l'écrivain n'est que l'histoire de ''eux'', ce n'est pas l'histoire de ''nous''. Ces œuvres qui ont perdu toute appréciation au plan des sentiments perdent aussi leur force émotionnelle. (…) Le roman nous dit que dans la tête même de l'écrivain, les critères de jugement sur la vérité et la réalité ont disparu. » (vision du critique chinois 谢有顺 Xie Youshun dans « 终止游戏与继续生存-关于先锋长篇小说 Zhongzhi youxi yu jixu shengcun – guanyu xianfeng changpian xiaoshuo » (Cesser de jouer et continuer à exister _ au sujet du roman d'avant-garde), 文学评论 Wenxue pinglun, n°3, 1994, p 71)2. Les « conflits familiaux, l’extrême dureté des rapports humains et un regard appuyé sur la sexualité des personnages »3 conduisirent de nombreux critiques littéraires à dénoncer les écrits de Su Tong.

1 in DUTRAIT Noël, Petit précis à l'usage de …, op. cit., p. 78 2 id., p. 79 3 Mychinesebooks.com, Bertrand MIALARET, 24/01/2012

2012 91/208 Ce à quoi il répondit : « Bien sûr, on pourrait considérer mon roman comme une exploration du mal. Cela a conduit certains lecteurs à considérer mon livre comme immoral. Mais je pense que la littérature ne peut jamais être accusée de cela : la fiction est un moyen utile pour explorer les possibilités des choses, pour poursuivre mon idée jusqu'au bout afin de voir jusqu'où elle mène. Je pense que j'ai voulu que mes lecteurs deviennent conscients des potentialités du mal. […] J'ai voulu faire quelque chose de différent du roman traditionnel. Les romans chinois que j'ai lus au cours de mon adolescence respectaient un équilibre parfait entre le bien et le mal. On peut considérer Riz comme une réaction au roman traditionnel. J'ai voulu écrire quelque chose qui n'avait jamais été écrit auparavant. J'ai voulu choquer. Mes amis me disaient que j'avais le visage d'un homme malade pendant que je l'écrivais. » (extrait des Propos rapportés par Mark Leenhouts dans « The Contented Smile of the Writer », China information, vol. XI, n°4, 1997, p 70-80)1.

Il ajouta, lors d'une rencontre entre écrivains organisée par Annie Bergeret-Curien : « Pendant la lecture, le monde de la fiction est en équilibre sur un fil. S'il tombe, tout est perdu. S'il parvient à avancer sur la corde, il acquiert authenticité, profondeur et devient visionnaire. La puissance d'un roman dépasse alors largement celle d'un ouvrage scientifique. (…) La fiction est le prisme au travers duquel le romancier appréhende le réel et le moyen scientifique qu'il utilise pour exprimer sa pensée »2. La fiction est une décantation du réel, « elle élargit les réflexions limitées, l'horizon étroit de chaque individu et transforme l'Histoire abordée par la littérature en une Histoire intime de l'âme de milliers d'individus »3.

b. Jia Pingwa le décadent

Né en 1952 dans la province du 陕西 Shaanxi, 贾平凹 Jia Pingwa était également un auteur dont les œuvres s'inscrivaient dans le courant néo-réaliste. De son vrai nom 贾平娃 Jia Pingwa, il modifia le dernier caractère signifiant « bébé ; poupon » par le curieux et peu

1 Extrait de Noël DUTRAIT dans « La violence dans le roman chinois contemporain » dans Où va la Chine, Paris, éditions du Félin, 2000, p. 172-190 2 SU Tong, « L'ultime pouvoir des écrivains », p. 175-176, in Le passé et l'écriture contemporaine... op.cit., p. 175-176 3 idem

2012 92/208 commun « 凹 », plus fréquemment prononcé « ao » et traduit par « creux ; concave ». Il l'opposa ainsi au caractère « 平 » qui, dans son sens premier renvoie aux termes « plat ; horizontal »1.

Né dans une famille rurale de parents enseignants, la Révolution culturelle interrompit ses études et il fut envoyé avec les autres jeunes instruits à la campagne durant cinq ans. Il sortit diplômé de l'université de 西安 Xi'an en 1975. Éditeur d'une revue littéraire dans sa province natale pendant huit ans, il publia en 1993 son roman 废都 feidou La Capitale déchue, qui eut un retentissement considérable (éditions Stock, 1997, trad. Geneviève Imbot-Bichet (réédition en 2004)). Dévoilé tout d'abord sous la forme d'épisodes dans une revue, le premier tirage de l’œuvre intégrale fut réalisé par deux imprimeurs différents. Les droits de ce roman de 500 pages furent revendus par l'éditeur original et le livre vendu à un prix d'environ un euro et cinquante centimes2. Des millions d'exemplaires de l'ouvrage se vendirent avant que la censure ne l'interdise. Taxé d'ouvrage « jaune » (pornographique), la prohibition contribua fortement à son succès et à sa diffusion. Pourtant, le contenu érotique de l’œuvre, très mis en avant lors de sa promotion (puisque La Capitale déchue était qualifié de nouveau Jinpingmei ou de « Rêve du pavillon rouge du XXe siècle ») était réduite : une fois la scène entamée, l'auteur avait rempli les lignes de carrés, avec la mention « l'auteur a supprimé tant de caractères ».

L’œuvre fit débat pour plusieurs raisons - au delà de son caractère pornographique. Tout d'abord, elle exhibait une société chinoise décadente et corrompue, bouleversée par la rapide urbanisation (séquestrations, mariages forcés, beuveries etc.). Ensuite, le personnage principal nommé Zhuang Zidie (clin d’œil à 庄子 Zhuang Zi) était un quadragénaire lettré qui se servait de son talent littéraire pour séduire les jeunes femmes. Enfin, les sentiments et le sens de la moralité n'apparaissaient nulle part dans le récit, tandis que les besoins naturels (tels que se nourrir, aller aux toilettes etc.) étaient décrits avec un réalisme et un sens du détail rigoureux. La justice ne poursuivit pas Jia Pingwa, mais l'on raconte que sa femme le quitta après avoir lu le roman. En août 2009, la censure de La Capitale déchue fut levée.

1 Dictionnaire concis Français-Chinois (édition corrigée), co-édition de La Presse Commerciale (商务印) et Larousse, 2000 2 Mychinesebooks.com, Bertrand MIALARET, 14/08/2009

2012 93/208 Seul autre roman de cet auteur traduit en français, 土门 tumen Le Village englouti paru en 1996 (éditions Stock, coll. « La Cosmopolite », 2000, trad. Geneviève Imbot-Bichet), parlait également de l'urbanisation à la fois rapide et contrainte des zones rurales à proximité des centres urbains.

c. Yu Hua et la littérature fantastique

Né en 1960 à 杭州 Hangzhou dans le 浙江 Zhejiang, 余华 Yu Hua fut élevé par des parents médecins. Encore jeune lorsque la Révolution culturelle se produisit, il alla peu à l'école. Ces années de trouble lui révélèrent la face sombre des hommes, qui dénonçaient sans scrupules leurs voisins, cherchaient à nuire aux autres ou étaient avides d'exécutions capitales. Après cinq ans comme dentiste, il obtint son transfert au Centre Culturel de 海盐 Haiyan où il put se consacrer pleinement à l'écriture et à la lecture de littérature chinoise comme étrangère.

Son écriture avant-gardiste se caractérise par son « refus de sens » et des textes qui semblent à la fois hors du temps et de l'espace. Il aborde les traumatismes de la Chine avec une précision glacée et un sang-froid qui horrifie parfois le lecteur. « Ces nouvelles qui, en apparence, ne délivrent pas de message politique et n'offrent pas de révélations sur le passé, sont éminemment subversives par leur obstination à rappeler le caractère ontologiquement et moralement incontournable du mal, face à une société prompte à tourner la page pour s'engouffrer dans une ère de normalisation et de prospérité matérielle »1.

Pour Isabelle Rabut, sa traductrice en français, Yu Hua n'appartient pas au courant néo- réaliste mais à un mouvement antiréaliste. Ses textes, emplis de répétitions incantatoires et de prophéties, ne parlent pas de l'homme dans la société mais de la solitude, la souffrance face au destin. Sa nouvelle 十八岁出门远行 shiba sui chumen yuanxing Sur la route à dix-huit ans (publiée dans le recueil de nouvelles du même nom, Actes Sud, coll. « Lettres chinoises », 2009, trad. Jacqueline Guyvallet) raconte comment un jeune prit en stop par un camion se fait tabasser par des voleurs cherchant à s'emparer de la cargaison, puis

1 Le magazine littéraire, n°429, mars 2004, « Écrivains d'aujourd'hui », au sujet de Yu Hua, Isabelle Rabut, p. 59-60

2012 94/208 dépouiller par le chauffeur lui-même, qui prend la fuite avec les mêmes voleurs. Un sentiment d'incompréhension et de stupeur frappent le lecteur, face à la méchanceté des hommes, leur manque de compassion et l'absurdité de leurs actions. Les écrits de Yu Hua comportent « deux niveaux de lecture dans la description psychologique des personnages et ils ressemblent également aux récits traditionnels dans leur description laconique du sang et de la violence »1, notamment sexuelle (suicides, viols, incestes). Il dépeint un univers de mort, extrêmement brutal, avec en filigrane l'idée d'un destin inéluctable. Dans la nouvelle 死亡叙述 siwang xushu Récit de mort (recueil Sur la route à dix-huit ans), un homme percute une fillette avec son camion et la tue. Dix ans plus tôt, il avait déjà renversé par accident un jeune garçon à vélo sur une sinueuse route de montagne. Hanté par ce premier homicide pour lequel il s'était enfui, il décide de porter le corps de la fillette mourante au hameau tout prêt, où il est tué par les villageois à coups de poings, faucille et râteau.

Yu Hua composa également de nombreux textes de genre fantastique, influencé par des auteurs comme 蒲松龄 Pu Songling (1640-1715), Lu Xun, Garcia Márquez et Kafka. Des fragments d’œuvres de Kafka furent introduits en Chine dans les années 1940, sous la forme de brèves dans un magazine littéraire. En 1960, Le Procès et La métamorphose furent traduits dans une édition réservée aux cadres. Du fait de la Révolution culturelle, les œuvres circulèrent énormément - de façon clandestine - entre les gardes rouges. La métamorphose fit l'objet d'une publication officielle et accessible à tous en 1979 (édition 世界文学 shijie wenxue, 1979, n°1, p. 191-241). Le texte était accompagné d'explications prévenant les lecteurs sur le fait que la société décrite dans l’œuvre était très éloignée de la société chinoise. En 1980, les œuvres de Kafka furent placées au cœur du débat sur le modernisme. Ces écrits influencèrent très fortement Yu Hua, mais aussi 残 雪 Can Xue (1953-) (« neige imparfaite » de son vrai nom 邓小华 Deng Xiaohua). Ils reprirent tous deux « l’ambiguïté du concept de solitude et le combat perpétuel de l'individu, mais également la perturbation des relations de cause à effet, la suspension des frontières entre la réalité objective et la projection subjective, l'usage non métaphorique du langage et l'absence d'un espace non contaminé extérieur au narrateur »2.

1 WEDELL-WEDELLSBORG Anne, « Histoires de fantômes : La modernité littéraire chinoise et le retour du zhigai », trad. de l'anglais par Emmanuelle Krugger, p. 175-188, in Écrire au présent, Annie Bergeret-Curien (dir.), op.cit., p. 181 2 WEDELL-WEDELLSBORG Anne, « La littérature chinoise post-maoïste et le défi de l'Occident : le cas de Kafka », p. 119-130 in Le passé et l'écriture contemporaine... op. cit ;, p. 123

2012 95/208 Les récits fantastiques de Yu Hua se caractérisaient par une rupture de l'unité de temps et de lieu et d'une cassure de la chronologie. Ils partageaient également une absence de distinction entre les objets animés et inanimés et entre le vivant et le mort. L'auteur tira une partie de ses personnages de contes ou de légendes folkloriques : diseuses de bonne aventure, esprits, fantômes de défunts ou de futurs morts... La frontière entre le réel et le fantastique disparaissait du fait de l'utilisation du rêve prémonitoire, des pressentiments réalisés, de la métamorphose, de la présence d'objets magiques. Ces éléments ajoutaient une pointe d'incertitude dans un récit déjà mystérieux voire incompréhensible, créant une atmosphère énigmatique, pleine d’ambiguïté. L'inversion du réel et de l’irréel était totale et les personnages humains ne semblaient ni surpris ni anxieux de communiquer avec des créatures fantastiques. Le merveilleux était totalement banalisé et ne déconcertait pas le lecteur bien informé.

Dans les années 1990, le style de Yu Hua évolua pour devenir plus humaniste, « serein ». Certains critiques y virent une plus grande maturité, d'autres la tentative de séduire les lecteurs qui délaissaient ses œuvres. Il publia alors 在细雨中呼喊 zai xiyu zhong huhan Cris dans la bruine (édition Actes Sud, coll. « Lettres chinoises », 2003, trad. Jacqueline Guyvallet) et 活着 huozhe Vivre ! (édition LGF, 1994 ; réédité par Actes Sud, coll. « Babel » en 2008). L'adaptation cinématographique de ce dernier par Zhang Yimou remporta en 1994 le Grand Prix du festival de Cannes.

Le thème récurrent de ses œuvres est cette capacité de l'homme à survivre envers et contre tout, malgré la souffrance, malgré la douleur et les horreurs vues ou vécues (许三观 卖血记 xu sanguan mai xue ji Le vendeur de sang ; ou 一九八六年 yijiubaliu nian 1986, publiés chez Actes Sud, coll. « Lettres chinoises », en 1997 et 2006, trad. de Nadine Perront et Jacqueline Guyvallet). Son roman 兄弟 xiongdi Brothers, publié en deux tomes (2005, 2006) se vendit en Chine à un million d'exemplaires1 et reçut le prix Courrier international en 2009. Sur fond de Révolution culturelle, il montre la violence et la cruauté des hommes, leur manque de compassion et de solidarité. Il dresse également le tableau d'une Chine qui, en 40 ans, se développe de manière spectaculaire et s'ouvre sur le monde. Les faillites des entreprises publiques et la corruption de l'administration, le harcèlement au travail, la spéculation immobilière, sont autant de maux de la nouvelle société, décrits au fil du récit. Le sexe est omniprésent, mais la censure ne frappa pas le livre.

1 Mychinesebooks.com, Bertrand MIALARET, 17/04/2008

2012 96/208 B- La nouvelle génération

Au début des années 2000 apparut une nouvelle production littéraire d'auteurs nés dans les années 1970-1980. Cette nouvelle génération qui grandit durant les Quatre modernisations, majoritairement dans les villes, est ancrée dans la société de consommation. Considérée comme plus libre que la génération précédente, elle est plus dépolitisée (autocensure inconsciente) et sensible aux effets de mode. Son nationalisme exacerbé agaça la critique internationale à plusieurs reprises. Beaucoup de jeunes chinois rêvent de prendre leur revanche et de prouver la valeur de la Chine. Conscients de leur propre manque de connaissances sur la civilisation chinoise, ils souhaitent retrouver le chemin de leur passé et remplir le trou noir qui remplace leur histoire.

Assez peu d'études portent sur ces auteurs, encore méconnus en France. Les rares œuvres publiées en français parurent grâce à la volonté de quelques traducteurs de faire connaître de jeunes auteurs très appréciés en Chine et de la confiance que leur accorda leur éditeur (par exemple 三重门 san zhong men Les trois portes de 韩寒 Han Han (1982-) aux éditions JC Lattès, 2004, trad. Guan Jian et Sylvie Schneiter). Pour Bertrand Mialaret, ces œuvres qui ne sont pas de la grande littérature valent tout de même plus que certaines publications françaises.

1. Une écriture individuelle et subjective

Le style de la nouvelle génération est marqué par une forte présence du « je » narratif et l'émergence d'une littérature autobiographique (notamment sous la forme de blogs en ligne). Pour Jin Siyan, cette nouvelle écriture reflète l'évolution de la mentalité chinoise. Beaucoup d'éléments de la nouvelle société contribuèrent en effet à la formation d'une idéologie individualiste ( 个人主义 ge ren zhuyi) chez les jeunes chinois : influence des idéologies occidentales, contexte d'une économie de marché de plus en plus libérale et politique de l'enfant unique (officiellement en 1979). Beaucoup d'entre eux naquirent après la Révolution culturelle, dans une société où l'argent était roi et la consommation un loisir. Dans un univers moins politisé que du temps de leurs parents, leur vision de l'écrivain est différente, non teintée de responsabilité sociale.

2012 97/208 Si ce « je » s'avère parfois nombriliste, il prend aussi la forme, chez d'autres auteurs, d'un « je » exploratoire. Ce « je » de réflexion, d'introspection, permet à l'écrivain de « retrouver son cœur à l’état pur, tranquille, impartial »1. Ces auteurs écrivent pour se découvrir eux-mêmes : leur pensée, leur personnalité... Ils revendiquent leur unicité et leur originalité. Il n'est plus question de se faire porte-parole d'un courant, d'une école ou d'une idéologie, mais au contraire d'exprimer sa propre subjectivité. Ces écrits sont pour beaucoup destinés à la lecture, que ce soit par des amis ou des inconnus sur internet. Jin Siyan écrit à ce sujet : « L'écrivain est tout d'abord celui qui imagine, dans ses écrits comme dans la réalité, la possibilité de jouer avec les mots pour construire un livre. Un livre où l'être humain soucieux de sa voix personnelle s'installe à l'écart du mouvement du chant du ''nous'' et accomplit son destin dans et par l'écriture subjective »2.

Ces œuvres, toutes porteuses d'une vision du monde, d'une opinion sur les choses, plantent leur décor dans la société chinoise contemporaine, plutôt citadine. Dépolitisées, frivoles, leurs histoires sont incomprises des écrivains de la génération précédente et souvent perçues de l'étranger comme de peu d'intérêt.

2. La logique de marché

Au début des années 1980, l'Association des écrivains qui donnait aux auteurs un salaire stable n'accepta plus que les « écrivains sur contrat »3. Beaucoup d'auteurs devinrent alors dépendants des éditeurs pour survivre ou restèrent des écrivains « amateurs ». Leurs publications durent se soumettre aux contraintes imposées à la fois par les maisons d'édition et par le marché : rentabilité, effet de mode, importance accordée à la notoriété et à la critique des médias. La littérature chinoise contemporaine évolua avec la structure d'édition, entre son ancien cadre maoïste et la nouvelle liberté permise par le marché capitaliste.

1 JIN Siyan, L'écriture subjective dans la littérature chinoise contemporaine. Devenir je., Maisonneuve Larose, 2005, p. 297 2 id., p. 304 3 DAI Jinhua, « L' ''époque contemporaine'', un concept confus et suspect », p. 299-317, in Écrire au présent, Annie Bergeret-Curien (dir.), Editions de la Maison des Sciences de l'Homme, 2004, (trad. LI Jinjia)

2012 98/208 a. Des produits marchands

Au sein de la société de consommation, les livres de la nouvelle génération imprégnée des valeurs consuméristes se révélèrent être de simples produits marchands. La culture contemporaine poussait les auteurs à rechercher la notoriété auprès du public et à suivre les effets de mode. De fait, les auteurs modifiaient leurs œuvres pour les rendre compatibles à la demande, alors que l'économie du livre est généralement considérée comme une économie de l'offre. L'exigence de rentabilité et le suivisme finirent pas produire des œuvres reproductibles à l'infini, « répondant aux réquisits du marché »1. Les histoires, tout comme les images ou les usines, étaient devenues des produits du système. Gao Xingjian dit à ce propos : « les œuvres n'ont jamais autant pris la forme de produits marchands. Leurs auteurs sont les victimes d'un système totalitaire indolore dans lequel leur travail est soumis à une mode, des critères de jugement collectif, à des formats, à des stratégies. (...) la pression est telle que beaucoup succombent, car le marché a besoin de stars, de beautés insipides, de distractions. (…) la sanction médiatique et commerciale offre une gigantesque prison dorée »2.

Les stars sont aussi éphémères que les modes et les ouvrages rapidement oubliés. Il n'y a « aucun rapport systématique entre la valeur d'une œuvre et sa reconnaissance médiatique »3. Pour 张 炜 (1955-), « La civilisation matérialiste occidentale, qui [engendra] la société de consommation, privilégi[ait] le quotidien, la jouissance, le relâchement et le plaisir facile. L'essor fulgurant de la technologie et le recul de la spiritualité, l'avancée irrésistible de la modernité et le rejet complet de la morale [entrainèrent] un grave déséquilibre. La littérature chinoise [contemporaine] (…) a oblitéré toute notion de jugement et suit aveuglément la mode »4. Les auteurs véhiculent le langage dominant, loin d'être aussi subjectifs qu'ils le prétendent et tiennent à participer au dialogue mondial par crainte d'être taxés de conservateurs.

1 ROLIN Olivier, « Un écrivain doit-il aimer son époque ? » (p. 23-29) in Écrire au présent, op.cit., p. 28 2 Le magazine littéraire, n°429, mars 2004, « Mieux vaut revenir au réel de l'homme », propos de Gao XINGJIAN recueillis par Jean-Michel DJIAN, p. 55 -57 3 idem 4 ZHANG Wei, « Pauvreté de l'imagination et perte de l'individualité -inquiétudes pour les courants littéraires de la fin du siècle », p. 145-154, in Le passé et l'écriture contemporaine Regards croisés d'écrivains et de sinologues, BERGERET CURIEN Annie et JIN Siyan, éditions de la Maison des Sciences de l'Homme, 2001, p. 147

2012 99/208 b. Du sexe en littérature

La littérature contemporaine a, toujours selon Zhang Wei, un goût privilégié pour « la vulgarité, l'exhibition et le laisser aller, le désespoir et l'ennui, la flatterie répétée et l'ironie malveillante »1. Le sexe sert effectivement de « produit d'appel » en littérature, les éditeurs semblant persuadés que le cru fait vendre. Beaucoup d’œuvres de bonne qualité, qui auraient pu être réussies, furent gâchées par l'ajout d'un passage érotique2. Cette tendance fut illustrée dans sa nouvelle 融野地 Rong ye di Fondre dans les terres sauvages, où l'un des personnages, écrivain, rajoute à son roman des passages érotiques pour satisfaire son éditeur et pouvoir être publié. L’œuvre dénonce un écrivain dépendant du système, utilisé par la société.

Cette tendance est cependant relativement limitée par la censure. Les publications des œuvres de 棉 棉 Mian Mian (1970-) et 周 卫 慧 Zhou Weihui (1973-), appelées « les scandaleuses de Shanghai », furent par exemple interdites en 2000 (Les bonbons chinois et Shanghai baby). Les deux romans circulèrent malgré tout et l'accusation de plagiat de Mian Mian à l'encontre de sa rivale dopa les ventes. Dans leurs romans, « les deux femmes décrivent sans tabou leur vie sexuelle et n'hésitent pas à évoquer les dérives de leur existence vers la drogue et la folie »3.

Zhou Weihui, qui sortit diplômée de l'université de Fudan (Shanghai) en 1995, fut successivement journaliste, animatrice radio, serveuse et publicitaire. Son roman 上海宝贝 Shanghai baby, entrecoupé de références à la culture occidentale (citations en accroche de chapitre de Duras, Bob Dylan, Virginia Woolf, the Beatles etc.), raconte les amours d'une jeune shanghaïenne « branchée », écrivain, qui partage sa vie entre deux hommes : un Chinois impuissant et un Allemand, véritable « bête de sexe ». Une jeune héroïne qui craint de s'ennuyer et de ne pas profiter de la vie. Zhou Weihui s'expliqua en 2000 : « En écrivant Shanghai baby, je n 'avais pas du tout l'intention d'attirer le lecteur par des descriptions érotiques. J'ai voulu exprimer la réalité et la folie de la jeune génération. […] [Les critiques] disent toujours que cette génération mène une vie dépravée, dingue et chaotique, mais je préfère mettre en avant nos points forts : nous sommes autonomes, passionnés et créatifs. C'est cela le plus important. » (extrait de Jiang Xun, « Jeunes, belles

1 ZHANG Wei, « Pauvreté de l'imagination ... », in Le passé et l'écriture contemporaine ...op.cit., p. 152 2 Entretien avec Isabelle Rabut, 23/02/2009 3 DUTRAIT Noël, Petit précis à l'usage de …, op. cit., p. 99

2012 100/208 et libérées », article du journal 亚 洲 周 刊 Yazhou zhoukan traduit dans Courrier International n°507, 20-29 juillet 2000, p.33)1 Les éditions Philippe Picquier publièrent le roman en collection « Picquier poche » en 2003, avec une traduction de Cora Whist.

Mian Mian, de son vrai nom 王莘 Wang Xin, commença à écrire à l'âge de 17 ans. 糖 tang Les bonbons chinois est un roman thérapie, dans lequel elle raconte la vie dissolue qu'elle a menée à 深圳 Shenzhen, entre le sexe, la drogue et la fête. Elle dresse le portrait d'un pan de la jeunesse chinoise de l'époque, qui mène une vie de débauche dans les clubs et les boites de nuits des grandes villes. Malgré l'importante part du roman qu'elle avait tirée de son expérience, elle refusa de le considérer comme une autobiographie et de s'ériger en représentante des jeunes citadins. Elle déclara en 2000 : « J'ai toujours voulu écrire pour démontrer que ces jeunes filles sans cesse en bute aux discriminations doivent, elles aussi, avoir un printemps. […] Je suis vraiment contre ce qui est décrit, c'est-à-dire ces habitudes de vie dangereuse. » (extrait de Jiang Xun, « Jeunes, belles et libérées »,op.cit.)2. L'ouvrage fut traduit en France en 2001 par les éditions de L'Olivier, puis réédité en format poche chez Points, en 2004 (Le Seuil).

La traductrice Sylvie Gentil transposa également en français Panda sex en 2009, pour les éditions Au Diable Vauvert. Le titre original 熊猫 xiongmao « Panda », fut modifié par l'éditeur. L'ouvrage français diffère véritablement du chinois, beaucoup plus illustré, sur une décision de l'auteur elle-même. Très perfectionniste, elle remanie constamment ses œuvres, y compris celles déjà éditées et envoie ses réécritures aux traducteurs en plein travail. Mian Mian expliqua que le roman original, mélange de réalité et de fiction, n'aurait pas été perçu de la même façon par un public français.3 Le sujet de Panda sex est la ville de Shanghai, remplie d'individus frappés par la solitude et le chagrin qu'elle compare au désir atypique des pandas.

Pour Noël Dutrait, Shanghai baby et Les bonbons chinois « sont de véritables phénomènes de société révélateurs à la fois de l'évolution extraordinaire de la littérature chinoise en une vingtaine d'années et de l'incapacité pour la censure d'empêcher la parution des œuvres qui la dérangent. Ils reflètent aussi l'état de la société shanghaïenne qui est passée en quelques années dans une ''postmodernité'' effrénée aussi visible dans son architecture que dans sa littérature ou ses arts plastiques »4.

1 id., p. 100 2 id., p. 101 3 D'après l'entretien réalisé avec Sylvie Gentil le 19/03/2012 et Le Monde, Nils C. Ahl, 20/02/2009 4 in DUTRAIT Noël, in Petit précis à l'usage de …, op. cit., p. 101-102

2012 101/208 3. La génération internet

La génération des années 1970-1980 se distingue également de la précédente par son usage des nouvelles technologies : l'ordinateur et surtout internet. Le web chinois, souvent mis en avant pour sa vitalité, constitue un espace d'expression à part entière, politique ou non. Dans les années 2000, des dizaines de millions de Chinois se mirent à lire mais aussi à écrire en ligne. Cette nouvelle littérature correspond à une nouvelle génération et à un nouvel usage des appareils numériques permis par internet : il est désormais possible à n'importe qui de faire connaître ses œuvres sans risque financier et de lire celles des autres n'importe quand, grâce à un téléphone, une liseuse ou une tablette numérique. Ainsi, le journal intime put devenir blog et des sites internet se transformèrent en véritables bibliothèques en ligne, hébergeant des milliers de textes (notamment Shanda Literature Limited). Les auto-publications sont nombreuses et la demande l'est tout autant1.

La littérature en ligne peut être divisée en deux catégories : les auto-publications et les publications numérisées d’œuvres papier - censurées ou non - pirates ou non. Les textes sont majoritairement des œuvres de divertissement, de qualité très variable, rapidement lus et tout aussi rapidement oubliés. Les succès sont parfois adaptés en séries télévisées, en jeux vidéos ou encore au cinéma. Il est aussi fréquent que des maisons d'édition, le chiffre des connexions en main, décident de sortir une version papier d'un ouvrage déjà en ligne. C'est ainsi que le populaire 韩寒 Han Han (1982-) ou 慕容 雪村 Murong Xuecun (1974-) devinrent des auteurs papier. Ce dernier reçut en 2008 le prix littéraire Man Asian pour 成 都,今夜请将我遗忘 Chengdu, jinye qingjiang yiwang « Chengdu, laisse moi tranquille ce soir » (publié aux éditions L'Olivier en 2006, Oublier Chengdu, trad. Claude Payen), roman qui inspira également une pièce de théâtre et une série télévisée2.

Les auteurs dont les textes sont hébergés par une plate-forme touchent parfois de faibles droits d'auteur : les sites se rentabilisent grâce aux annonceurs publicitaires et les lecteurs payent entre un et trois yuans (entre 10 et 30 centimes d'euros) pour pouvoir lire. Ces faibles sommes, mises bout à bout, peuvent rapporter beaucoup d'argent : l'écrivain Huang Wei par exemple, toucha plus d'un million de yuans en un an3.

1 D'après The Guardian, 40% des internautes Chinois en 2012 fréquentaient des plate-formes mettant en ligne de la littérature. 2 Mychinesebooks, Bertrand MIALARET, 23/12/2010 3 The Guardian, Alison Flood, 04/11/2011

2012 102/208 Les ouvrages en ligne ont pour particularité d'être souvent collectifs, proposés sans but lucratif et accompagnés de son et d'images. Pour Han Shaogong, cette littérature amateur permet aux Chinois d'exprimer les sentiments de toute la population, avec plus de naturel et de liberté que n'auraient pu le faire des écrivains professionnels publiés par des maisons d'édition. 冯唐 Feng Tang (1971-) fut l'un des rares blogueurs à être publié en France. Sur son site www.fengtang.com, une dizaine de nouvelles et plusieurs romans sont disponibles gratuitement (en chinois). Ce docteur en gynécologie, titulaire d'un MBA de la Goizueta Business School d'Atlanta (États-Unis), associé dans la réputée société de conseil McKinsey à Hong Kong, est caractéristique de ces nouveaux écrivains amateurs qui séduisent le public chinois. Son roman 十 八 岁 给 我 一 个 姑 娘 shiba sui gei wo yi ge guniang Une fille pour mes 18 ans, traduit aux éditions L'Olivier (Le Seuil) par Sylvie Gentil en 2009, aborde l'adolescence durant l'ouverture économique de la Chine, avec un ton à la fois très humoristique et très cru. Le héros débordant d'hormones, loin d'être converti à l'idéologie communiste ou de penser dans la norme, maîtrise à la perfection les différents discours afin de les utiliser à son avantage.

Les éditeurs encouragent également leurs auteurs à mettre en ligne des extraits de leur prochain roman, en guise de promotion. Ainsi, Yu Hua mit gratuitement à disposition du public les trois premiers chapitres du second tome de Brothers (2006). Aujourd'hui, la difficulté pour les éditeurs chinois est d'estimer quel prix les Chinois sont prêts à payer pour une version numérique d'un roman (non piratée). Les livres chinois de fiction se vendent trois yuans en moyenne et le prix du numérique doit être inférieur au prix de l'imprimé d'au moins 60%1. La numérisation des œuvres par les maisons d'édition est donc loin d'être systématique.

En octobre 2009, Mian Mian demanda à Google de retirer les copies numérisées de ses ouvrages, mises en ligne sur Google Books sans autorisation ni de l'auteur, ni de son éditeur. En tout, 570 écrivains chinois découvrirent leurs œuvres sur le site américain sans avoir été prévenus. Mian Mian enregistra sa plainte au tribunal de Pékin fin décembre 2009, réclamant 61 000 yuans de dommages et intérêts pour violation de droit d'auteur 2. Le procès débuta en mai 2010.

1 D'après Patricia (Shanghai89), café BIEF organisé au Salon du livre de Paris, 13/03/2012 2 ActuaLitté, Clément S., 28/05/2010

2012 103/208 C- Les enjeux du marché de l'édition en Chine

Le marché de l'édition en Chine, libéralisé il y a une trentaine d'années, n'est pas encore arrivé à maturité. Les sous-parties suivantes abordent quelques-uns des enjeux du marché, d'abord depuis le point de vue des auteurs, puis de celui des maisons d'édition.

1. Les enjeux de la production littéraire

Si les auteurs des deux générations partagent rarement la même vision de l'écrivain et de la littérature, ainsi que de leur rôle social, ils sont cependant présents sur le même marché et ont des lecteurs communs. Les plus anciens, dans une posture plus réflexive quant à leur profession, n'hésitent pas à parler des enjeux de la littérature contemporaine, mêlant résistance au changement, défense d'idéaux et dénonciation des pratiques de la nouvelle génération. Je vais aborder ici l'autocensure et la crainte de l'uniformisation de la littérature. a. L'autocensure

Après 1989, la République populaire de Chine retrouva une ancienne amie : l'autocensure, soit la censure que s'imposent les auteurs par crainte de représailles. Pleinement incorporée par la nouvelle génération, les jeunes auteurs produisent une littérature dépolitisée. « Pourvu qu'ils n'évoquent ni le parti communiste, ni les dirigeants, ni la religion, ni le Tibet, ils jouissent d'une certaine marge de manœuvre et sont laissés tranquilles par la censure » explique Philippe Picquier dans une interview réalisée par Alexis Lacroix1 peu avant les Jeux Olympiques de Pékin (08/08/2008).

Pour les auteurs des années 1950-1960, qui ont vécu la Révolution culturelle et les évènements de Tiananmen (1989), il ne s'agit pas d'une autocensure pleinement intégrée mais consciente, délibérée. Certains comme Yan Lianke, Mo Yan ou Yu Hua, firent le pari de continuer à s'exprimer, en flirtant avec la « ligne jaune ». Au Salon du livre de Paris en 2010, Yan Lianke confia : « La censure est un défi pour moi. Je suis un peu comme dans la peau d'un sportif qui doit réaliser la meilleur performance possible tout en obéissant à certaines contraintes. Je me dois de trouver la meilleure forme littéraire pour délivrer ce que j'ai à dire et ainsi faire passer mes messages. L'humour, comme la poésie, font partie des moyens. (…) Je me moque d'être censuré car le plus important n'est pas la censure 1 Le magazine littéraire, n°476, juin 2008, p. 14-17

2012 104/208 qu'exerce le gouvernement, mais celle que s'infligent les écrivains eux-mêmes. J'ai peur de m'autocensurer, de m'endormir comme beaucoup »1.

À plusieurs reprises, Yan Lianke critiqua le silence et l'inaction des intellectuels chinois et leur volonté de rentrer dans le rang sans protester. Il considère certes les écrivains comme des victimes du système politique et du système capitaliste, mais aussi comme les geôliers de leur propre prison. En effet, la plupart d'entre eux se retournent contre ceux qui osent ne pas s'autocensurer ou émettre une pensée indépendante. Les auteurs n'ont pas besoin de censure visible, car ils connaissent tous les limites à ne pas franchir et ne cherchent pas à les dépasser, dissuadant même les autres de le faire. Sans la volonté de quelques-uns, la censure serait restée une simple menace.

Le roman Le village des Ding (abordé plus haut) fut par exemple proposé à six éditeurs différents avant d'être publié intégralement à Taiwan. La version chinoise subit quelques coupes : « De fait, [expliqua Yan Lianke] on vous laisse publier, on vous impose des changements, on fait pression sur vous jusqu'à ce que vous acceptiez les limites qu'on veut vous faire accepter »2. Et pourtant, malgré le désir de son auteur, l'ouvrage avait déjà été censuré : l'auteur avait décidé de ne pas mentionner les noms des cadres responsables de la propagation du virus du SIDA et de ne pas exposer en détail les horreurs qu'il avait pu découvrir durant ses recherches (par exemple l'utilisation de sachets de sauce soja pour conserver le sang).

La traductrice Sylvie Gentil dit avec justesse qu'il existe trois niveaux de censure, créant trois ouvrages différents : le premier est le livre tel qu'il est souhaité par l'écrivain, le second est le livre tel qu'il l'a écrit, le dernier est le livre tel qu'il est publié.3

Dans les années 2000 apparut un nouveau type d'ouvrages sur le marché chinois : les biographies d'anciens dirigeants, de leurs épouses ou de leur secrétaire. Très politiquement corrects, les critiques y sont subtilement déguisées. En règle générale, les deux armes des auteurs qui refusent de s'autocensurer sont l'humour ou la fiction. « En faisant fonctionner la fiction comme une machine à traiter en oblique la réalité qui les entoure, ils liment les barreaux de leur prison quotidienne »4. 1 Extrait de l'interview de YAN Lianke par Katell GUEDAN pour Monde chinois au salon du livre de Paris en 2010 (« La censure est un challenge », Monde chinois, n°23 automne 2010, p. 130- 131) 2 idem 3 café BIEF organisé au Salon du livre de Paris, 13/03/2012 4 PICQUIER Philippe dans Le magazine littéraire, n°476, op. cit.

2012 105/208 b. La crainte de l'uniformisation

Autre enjeu mis en avant : l'uniformisation de l'écriture sous l'effet de l'ouverture du pays et des contraintes du marché de l'édition. Certains auteurs chinois craignent particulièrement une « américanisation » de leur littérature, sous l'influence des idéologies occidentales et des auteurs considérés comme « universels ». Ils réagissent en défendant la spécificité de leur langue et de leur culture, « l'irréductibilité de leur identité »1.

Ce mouvement passa entre autre par une phase de recherche portant sur la culture chinoise, afin de la réintégrer dans leur écriture, qu'elle fût classique ou folklorique. Leur ambition était de réaliser une synthèse entre la culture chinoise et la culture occidentale, de ne pas renier leur passé et de ne pas succomber aux tentations du présent : « c'[était] en s'appuyant sur les registres d'expression chinois qui leur [étaient] propres, et naturellement en utilisant et en développant tout d'abord les ressources de la langue chinoise, qu'ils [seraient] susceptibles de participer au dialogue des cultures et des littératures du monde »2. Cependant, il n'était pas non plus question de donner délibérément une fausse couleur à l'écriture, de tricher en folklorisant le récit.

Cette crainte d'uniformisation doit être relativisée : même si les auteurs chinois sont influencés par les idéologies étrangères et leurs lectures, leur histoire demeure bien différente de celle des occidentaux, américains ou européens. Leur différence d'expérience et de culture par rapport à l'individualisme, les droits de l'homme ou la démocratie, empêchent leurs écrits de se ressembler. Han Shaogong dit : « Le destin de la culture dépend de la création et non de la préservation d'un patrimoine. Un peuple créatif n'a pas à s'inquiéter de la disparition de sa tradition culturelle, tout comme un homme créatif n'a pas à craindre de perdre sa personnalité »3.

L'inquiétude de Han Shaogong porte davantage sur l'innovation littéraire. Érigée en symbole de la modernité et du progrès, l'innovation est à ses yeux trop systématiquement assimilée à la qualité. Or, il ne faut pas selon lui opposer tradition et modernité. D'ailleurs, il fait remarquer que « tous les regards tournés vers la tradition dénotent une attitude et un

1 DETRIE Muriel, « Réflexion d'une comparatiste sur la modernité littéraire », p. 245-250, in Écrire au présent, op. cit., p. 250 2 BERGERET CURIEN Annie et JIN Siyan, Le passé et l'écriture contemporaine... op. cit., p. XVII 3 HAN Shaogong, « La renaissance contemporaine de la tradition littéraire », p. 21-28 in Le passé et l'écriture contemporaine... op. cit., p. 27

2012 106/208 point de vue ''modernes'' »1. Selon lui, il faut accepter le métissage des cultures et conserver comme seuls critères de valeur la qualité et l'émotion suscitée par une œuvre artistique ou littéraire. Il est rejoint par Gao Xingjian : « L'innovation à tout prix est tout à fait contestable : ce n'est rien d 'autre qu'un consumérisme appliqué à l'art transformé en marchandise »2.

2. L'édition chinoise a. Le marché chinois : maisons publiques et privées, le trafic d'ISBN

Avant les années 1980, l'édition chinoise était un instrument idéologique au service du régime. Elle devait permettre d'« éduquer, distraire et informer le peuple »3. Strictement contrôlée, personne ne se préoccupait de sa rentabilité. En 1979, les maisons d'édition se transformèrent en sociétés d’État gérées de manière commerciale, subventionnées par l’État et sous l'autorité du Bureau national des publications qui exerçait un pouvoir de censure. En 2008, 573 maisons d'édition furent recensées en Chine, dont la moitié à Pékin.

Chaque année, le Bureau national des publications distribue aux maisons officielles un certain nombre de numéros ISBN, en fonction de leur activité éditoriale et de leur nombre de salariés. Cette répartition s'est révélée peu adaptée aux réalités de la production éditoriale. Un véritable marché parallèle s'est développé, permettant aux maisons de revendre ou d'acheter des numéros ISBN en fonction de leurs besoins. De nouveaux acteurs ont rapidement fait leur apparition sur le marché noir : les éditeurs privés. Un numéro ISBN se négociait en 2008 entre 10 000 et 50 000 yuans (entre 1 000 et 5 000 euros en 2005), si bien que l'activité de revente devint vite très rentable. Beaucoup de maisons de petite taille ne peuvent pas survivre sans cette activité de revente.

La « coopération » entre les deux maisons d'édition peut prendre plusieurs formes : soit l'atelier privé achète l'ISBN et publie et distribue le livre de son côté ; soit une réelle coédition se met en place, sous la forme d'un partenariat ou d'une commande adressée à

1 Idem, p. 23 2 GAO Xingjian, « Les difficultés du théâtre chinois contemporain », p. 29-34, in Le passé et l'écriture contemporaine... op. cit., p. 33 3 BIEF, L'édition en Chine, juillet 2008, p. 5

2012 107/208 l'atelier privé. Avant la publication, l'ouvrage est toujours remis à la maison officielle, qui prend la responsabilité de la parution et sert d'intermédiaire avec le Bureau national des publications. L'ouvrage est forcément édité sous le nom de la maison officielle, parfois sans même mentionner le nom de l'éditeur privé. Il existait entre 2 000 et 3 000 éditeurs privés en 2008, ce nombre comprenant aussi bien les éditeurs d'un seul texte que les studios de création professionnels1.

Ces « ateliers privés », très dynamiques, eurent un fort impact sur le marché littéraire. Contrairement aux maisons officielles qui se limitent souvent à l'édition de classiques, les petites structures indépendantes recherchent des manuscrits contemporains avec un fort potentiel commercial. La principale difficulté des structures privées est l'absence de maîtrise de la distribution des livres, confiée aux maisons d’État.

En 2006, la Chine acheta les droits de 10 950 titres et en vendit 2 050 à l'étranger2. En matière de respect des droits d'auteurs et de copyright, la République populaire de Chine signa les traités internationaux World Intellectual Property Organisation Copyright Treaty et Performances and Phonograms Treaty (WIPO) en 2007.

En 2008, seulement 8% des maisons d'édition chinoises officielles étaient spécialisées en « art et littérature » (livre jeunesse non inclus). Elles représentaient 4% de la production totale de titres3. En 2006, un peu moins de 70% des consommateurs achetaient des livres dans le cadre de leurs études ou de leur travail. Les ouvrages les plus appréciés concernaient la Chine traditionnelle, la gestion et l'économie, le développement personnel et les romans sentimentaux.

b. La censure et le succès

La censure est en Chine un véritable combat mené au jour le jour par les éditeurs, plus ou moins intense en fonction de leur « courage » éditorial. Elle intervient par paliers successifs. Tout d'abord, l'éditeur procède à une relecture du manuscrit et coupe ou modifie – généralement - les passages sensibles. Puis, il le présente au Bureau national des

1 id., p. 10 2 id., p41 3 BIEF, L'édition en Chine, juillet 2008, p. 19

2012 108/208 publications afin de l'enregistrer. Si sa demande est rejetée, l'éditeur doit détailler le contenu de l'ouvrage dans un rapport à destination du Bureau. Dans le cas où le rapport est à son tour rejeté, le droit de publication est refusé. Il est encore possible de modifier l'ouvrage et de tenter sa chance à nouveau. Il arrive également que la censure interdise une œuvre au moment de sa parution : le livre est alors retiré de la vente et ses exemplaires mis au pilon. C'est pourquoi les éditeurs attendent généralement l'autorisation pour signer le contrat avec l'auteur ou acheter les droits de traduction.

Les thèmes censurés touchent principalement aux évènements historiques politiques tels que la Révolution culturelle ou les évènements de la place Tiananmen (1989), les questions territoriales (Taiwan, Tibet), la religion notamment musulmane (lié aux minorités ethniques chinoises) et les contenus jugés trop explicites (drogue, sexe). Certains sujets internationaux peuvent aussi faire l'objet d'une attention particulière du Bureau (par exemple le Printemps de Prague1).

La répression qui accompagnait auparavant la censure diminua dans les années 1990, le Bureau ne se préoccupant plus que des réelles « menaces » pour le régime. Ainsi, lorsque le roman Servir le peuple de Yan Lianke fut prohibé en Chine et les manuscrits brûlés, l'auteur conserva logement et véhicule de fonction et put continuer à écrire. Il n'eut cependant pas le droit de se rendre au salon du livre de Francfort en 2009. 姜戎 Jiang Rong (1946-) ne fut pas non plus inquiété en 2004 pour son roman 狼图腾 lang tuteng Le totem du loup2, alors qu'il était interdit de publication depuis sa participation au Printemps de Pékin en 1989 (pour laquelle il écopa de 18 mois de prison). Vendu à 20 millions d'exemplaires en Chine sans compter les copies piratées (estimées entre 15 et 20 millions), l'ouvrage fit beaucoup débat. Jiang Rong par prudence, refusa de participer aux discussions télévisées ou de donner des conférences. Le dissident protestant 余杰 Yu Jie (1973-), en lutte ouverte contre le Parti et objet d'une véritable traque et d'une surveillance rapprochée, donne quant à lui des cours aux États-Unis un mois par an3 (Un article du Monde en janvier 2012 annonçait son désir d'exil aux États-Unis).

1 Ou encore le Printemps arabe depuis 2011 2 Trad. Par YAN Hansheng et CARDUCCI Lisa, Bourin éditeur, 2007 3 Jean-Luc DOMENACH dans Le magazine littéraire, n°476, op.cit.

2012 109/208 Ce relâchement de la censure, imputé pour certains à un manque de moyens du Bureau, à une production littéraire trop importante ou à l'essor d'internet, est perçu par Yu Hua comme un mauvais signe. Il représente à ses yeux la preuve que la littérature a perdu son rôle de contre-pouvoir en Chine et ne constitue plus une menace pour le Parti. Le régime a sans doute compris que la censure faisait exploser les ventes d'ouvrages qui n'auraient jamais dépassé sans elle les 250 000 exemplaires vendus (Mo Yan ou Yan Lianke vendaient entre 250 et 350 000 exemplaires d'un titre1).

Beaucoup d’œuvres jugées trop sensibles par leurs auteurs sont directement proposées à des éditeurs étrangers (notamment taiwanais), par le biais d'un agent ou d'un traducteur.

1 Entretien avec Bertrand MIALARET le 11/02/2012

2012 110/208 Dans ce chapitre, nous avons pu voir l'évolution de la littérature chinoise entre 1949 et 2009. Durant ces 60 années, l'enjeu majeur a été la politisation de la littérature : dans un premier temps au service du régime, elle commença à véhiculer une nouvelle conscience politique dans les années 1970-1980 suite au relâchement de la pression politique sur les arts. La littérature contemporaine a hérité du modernisme une langue d'écriture plus simple et plus accessible aux masses, mais également des thématiques plus réalistes.

Suite aux évènements de la place Tiananmen en 1989, les écrivains se mirent à réfléchir à leur responsabilité face à la société et notamment face aux jeunes : n'étaient-ils pas en partie coupables du drame, eux qui avaient diffusé les idées occidentales auprès des étudiants ? Le silence se fit dans la société tandis que les intellectuels engagés dans le Printemps de Pékin étaient arrêtés. Aujourd'hui, deux générations d'auteurs cohabitent : les premiers ont vécu la répression du régime et connu ses campagnes politiques. Très peu d'entre eux ont choisi de continuer à critiquer le régime. Ceux qui se considèrent comme des journalistes prennent garde à ne pas mettre en danger leur personne ou leur famille. L'autre génération est trop jeune pour avoir connu l'effervescence politique de la Chine maoïste. Désintéressée par la politique, elle a grandit dans le silence et ne connait rien du passé récent de la Chine. Ces auteurs individualistes souhaitent avant tout profiter de la vie et exister sur la scène publique.

2012 111/208 Chapitre III : Les acteurs de la diffusion de la littérature chinoise en France en 2009

L'objectif de ce chapitre est de relever qui sont les principaux acteurs diffusant la littérature chinoise en France. Les traducteurs, éditeurs, maisons d'édition ou chroniqueurs littéraires mentionnés sont ceux qui ont participé à la publication ou à la diffusion d'au moins une œuvre chinoise traduite en français en 2009.

La première partie est consacrée aux traducteurs, acteurs au cœur de la production littéraire chinoise en France. La deuxième partie présente les maisons d'édition impliquées dans la diffusion, ainsi que les difficultés qu'elles rencontrent lors de la production. La dernière partie aborde différents canaux de diffusion visant les lecteurs : marketing promotionnel, prix littéraires ou encore associations.

I- Les passeurs : les traducteurs

Les traducteurs sont les acteurs incontournables du secteur : ils trouvent les œuvres, les traduisent, les proposent aux maisons d'édition. Sans eux, les œuvres chinoises traduites en français seraient extrêmement réduites. Malgré l'importante charge de travail que cela implique, rares sont les traducteurs qui s'y consacrent à plein temps. La première sous- partie décrit la difficulté à vivre d'un travail de traduction littéraire, la motivation des traducteurs « amateurs » et le poids de leur subjectivité dans la diffusion de la littérature chinoise en France. La seconde sous-partie est dédiée à la traduction en elle-même.

A- Un métier passion

Aujourd'hui en France, le nombre de traducteurs littéraires du chinois au français est faible. Les quelques traducteurs reconnus par les maisons d'édition ou les libraires sont extrêmement sollicités et pratiquent la traduction comme un loisir. Leur désir de partager une œuvre qui les a touchés, de faire connaître une Chine différente, les pousse à proposer des œuvres aux différentes maisons d'édition françaises.

2012 112/208 1. Une « activité annexe »

Il est impossible en France de vivre uniquement de la traduction d’œuvres littéraires. C'est pourquoi la grande majorité des traducteurs du chinois au français a un autre emploi, souvent en lien avec la langue ou la littérature chinoises. Ils se considèrent dès lors comme des traducteurs « amateurs », utilisant principalement leur maîtrise du chinois à des fins de recherche. La seule exception est Sylvie Gentil, domiciliée à Pékin, freelance. Pour Anne Sastourné, directrice de collection au Seuil, il y a de véritables avantages à collaborer avec une traductrice comme elle : le rétrécissement des délais de traduction, un réel profession- nalisme et une traduction finale plus soignée et homogène. Seulement, le fait qu'elle vive en immersion à Pékin peut aussi poser des problèmes en français, sa langue natale certes, mais qu'elle emploie beaucoup moins fréquemment depuis qu'elle est une expatriée1.

Ces hommes et ces femmes, nés dans les années 1950-1960, traduisent tous pour différentes maisons d'édition.

Nom Profession Maisons d'édition Chargée de recherche au CNRS, Centre Bergeret-Curien d’Études de la Chine moderne et Caractères, Gallimard, Meet, Annie contemporaine (CECM) ; Philippe Picquier Organisatrice de ALIBI Maître de conférences au Centre de Bleu de Chine, Caractères, Chen-Andro Recherche sur les Civilisations de l'Asie Le Seuil, Meet, Messidor, Chantal Orientale (CRCAO) à Paris Diderot Philippe Picquier, Rumeur (retraitée) des âges, Verdier, Virgile, ... Professeur des universités en littérature contemporaine et en traduction ; Actes Sud, Éditions de Dutrait Noël Responsable de l'équipe de recherche l'Aube, Flammarion, Le « Littérature d'Extrême-Orient, textes et Seuil, Milan Jeunesse traduction » Actes Sud, Au Diable Vauvert, Gallimard, Le Gentil Sylvie Freelance Seuil, L'Olivier, Philippe Picquier Guyvallet * Actes Sud, Bleu de Chine Jacqueline Chargée de missions culturelles chez Imbot-Bichet Maison de la Chine et de l'Orient ; Bleu de Chine, J'ai Lu, Geneviève Directrice de la collection « Bleu de Stock Chine » chez Gallimard (2009)

1 Entretien avec Anne Sastourné, le 20/03/2012

2012 113/208 Nom Profession Maisons d'édition Belfond, L'Olivier, Philippe Payen Claude * Picquier, Professeur des universités en littérature Actes Sud, Albin Michel, Rabut Isabelle chinoise moderne (INALCO) ; Christian Bourgeois Directrice de collection chez Actes Sud

* pas d'information

La rémunération des traducteurs repose sur le Code des Usages de la Traduction Littéraire. Elle fait l'objet d'un « à-valoir sur droits d’auteur proportionnels dont le montant [...] dépend notamment de la longueur et de la difficulté de la traduction, ainsi que de la compétence et de la notoriété du traducteur »1. « L'unité de calcul est le feuillet de 25 lignes de 60 signes »2. Dans le cas d'un comptage informatique, le compte final obtenu est revalorisé de 15 à 30%. Il revient au traducteur d'évaluer la difficulté de l'ouvrage (d'autant plus lorsque la langue est dite « originale »). Il tient alors compte des difficultés syntaxiques et stylistiques du texte original, mais aussi des « travaux de recherche et de documentation annexes » qu'il devra réaliser3.

Source : ATLF Rémunération de traducteurs littéraires (contrats signés en France en 2008)

1 Site de l'Association des Traducteurs Littéraires de France (ATLF) 2 idem 3 idem

2012 114/208 Le traducteur perçoit ensuite des droits d'auteur proportionnels aux ventes. Soit il commence à les recevoir avant l'amortissement de l'à-valoir et le taux change une fois le seuil atteint ; soit il ne touche de droits qu'après amortissement de l'à-valoir, à un taux proportionnel fixé dans le contrat, calculé sur le prix de vente hors taxes (en moyenne à 2%). Les droits dérivés sont toujours supérieurs à 10%1. Un éditeur qui recourt peu à la traduction peut se montrer plus généreux2. En réalité, il est assez rare que les traducteurs touchent leurs droits d'auteurs, car l'avance n'est jamais couverte.

Les droits d'auteur sont déclarés au régimes des traitements et salaires ou au régime des bénéfices non commerciaux. Les traducteurs dépendent de l'AGESSA (Association pour la Gestion de la Sécurité Sociale des Auteurs) et bénéficient d'un régime spécifique de protection sociale. Même s'ils ne versent aucune cotisation auprès des ASSEDIC (aujourd'hui Pôle Emploi) ils peuvent bénéficier de l'allocation de solidarité s'ils sont au chômage. Le décret n° 84-343 du 7 mai 1984 stipule que bénéficient de l’allocation de solidarité « les auteurs d’œuvres (...) à condition qu’ils justifient de leur professionnalité et qu’ils aient retiré de l’exercice de cette profession des moyens d’existence réguliers pendant au moins trois ans »3. Les traducteurs affiliés à l'AGESSA jouissent également d'un régime de retraite complémentaire.

Voici un tableau récapitulatif qui donne un aperçu de la rémunération nette d'un traducteur pour un travail d'une longueur de 50 feuillets à 20 euros le feuillet4 . Une fois les divers prélèvements effectués, la somme nette versée par l'éditeur au traducteur est de 920.90 euros.

1 idem 2 Entretien avec Isabelle Rabut, le 23/02/2012 3 Site de l'Association des Traducteurs Littéraires de France (ATLF) 4idem

2012 115/208 2. Leur motivation

Pour Annie Bergeret-Curien, les traducteurs sont des « passeurs », des lecteurs qui veulent faire partager une œuvre à la fois forte et originale, qui saura toucher le public français. Ainsi, leur première motivation est littéraire, point sur lequel la rejoint Isabelle Rabut. Une autre motivation est celle de « jeter des ponts » entre la France et la Chine. Jörn Cambreleng, directeur du Collège International des Traducteurs Littéraires (CITL) écrit dans l'éditorial du site : « Que peuvent faire de pauvres traducteurs littéraires face à ces révolutions géopolitiques majeures. Peu et beaucoup. Peu car ils sont pauvres, économiquement et trop souvent très éloignés de la décision de traduire. Ils ont pourtant un pouvoir précieux. Celui de donner accès à l'imaginaire du voisin, à son interprétation du monde, à cet espace de création et de pensée qui échappe au formatage de la culture faite pour être commune. Ils permettent de sortir de la maison globale pour aller s'abreuver à la source du différent »1.

D'autres ont une motivation plus politique : montrer le véritable visage de la Chine et de ses habitants aux Français. Noël Dutrait par exemple, adopta systématiquement le contre-pied des tendances, dénonçant les maux de la Chine lorsque tous la vantaient et la louant lorsqu'elle était invariablement critiquée. Ainsi dans les années 1970, il dénonça la Révolution culturelle, la violence, l'absence de libertés en Chine, alors que beaucoup de médias français parlaient de la sagesse chinoise et ne voulaient pas se confronter à la terrible réalité. Depuis les Jeux Olympiques de Pékin en 2008, il tient à l'inverse à montrer la beauté de la Chine, toujours évoquée pour parler de pollution, des travailleurs exploités ou de la peine de mort. Il déplore le manque d'informations diffusées sur cette classe moyenne chinoise, de plus en plus importante, qui vit bien, est fière de son pays et « ne se pose pas trop de questions »2. Il traduit afin que les gens puissent découvrir et comprendre les Chinois, faire entrer les lecteurs dans leur cuisine ou leur chambre à coucher. Il souhaiterait que les Français dépassent cette vision d'une Chine mystérieuse, impénétrable, trop différente. Pour lui, les sentiments sont les mêmes partout. Certes, les lecteurs sont souvent un peu déçus par ce manque d'exotisme, mais rien ne le fera changer d'avis : au fond, les Chinois « sont comme nous ».

1 Site d'Atlas-CITL, 2012 2 Entretien téléphonique avec Noël Dutrait le 08/03/2012

2012 116/208 Sylvie Gentil, qui vit à Pékin, partage sa vision de la traduction : elle désire transmettre une vision plus réaliste de la Chine. « La Chine, c'est juste un pays avec des gens qui habitent. »1. Convaincue d'une universalité de l'humanité, elle traduit par plaisir, mais aussi pour mettre des gens de cultures différentes en relation par le biais de la littérature.

3. La proposition des œuvres aux maisons d'édition

La grande majorité des œuvres traduites du chinois en français émanent de propositions de traducteurs, soumises à des maisons d'édition. Les traducteurs sélectionnent les titres en fonction de leur goût personnel. Ils ont tous commencé à traduire par amour pour un texte ou un auteur et continuent à proposer des textes qui les ont marqués ou touchés. Isabelle Rabut par exemple, dit devoir être « convaincue »2 par une œuvre avant de la proposer à une maison d'édition. Les traducteurs ciblent généralement les maisons ou les collections susceptibles d'être intéressées : Actes Sud par exemple ne publie pas de jeunes auteurs, tandis que L'Olivier se consacre à des œuvres très pointues, spécifiques3.

Certains traducteurs réalisent la traduction, puis la proposent une fois achevée aux éditeurs. C'est le cas de Noël et Liliane Dutrait qui s'attaquèrent à la traduction de La Montagne de l’Âme de Gao Xingjian. L’œuvre, qu'ils mirent trois ans à traduire, fut refusée par plusieurs éditeurs. Finalement publié en 1995 par les Éditions de l'Aube, le roman reçut le prix Nobel de littérature en 2000. Annie Bergeret-Curien au contraire, attend toujours d'avoir passé un accord avec une maison d'édition pour débuter le travail de traduction. Elle ne lit pas forcément les autres livres de l'auteur mais s'intéresse de prêt aux interviews, articles, postfaces qu'il a réalisés pour mieux cerner la personnalité ou l'état d'esprit de l'écrivain.

Une fois que la décision de traduire est prise, l'éditeur - s'il parle chinois - ou le traducteur entre en contact avec l'auteur. En Chine, les agents littéraires sont encore assez rares et les maisons d'édition ne gèrent pas les droits de leurs auteurs. Une fois l'autorisation de traduire acquise auprès de l'écrivain, un contrat d'édition est réalisé et les droits de traduction sont achetés. Ces droits peuvent concerner la France, le marché francophone ou encore l'Europe.

1 Entretien avec Sylvie Gentil, le 19/03/2012 2 Entretien avec Isabelle Rabut le 23/02/2012 3 Entretien avec Sylvie Gentil, op. cit.

2012 117/208 Les exceptionnels agents d'auteurs, rarement chinois, s'adressent directement aux maisons d'édition françaises. Dans ce cas, l'éditeur passe commande auprès d'un traducteur. Ces derniers acceptent assez peu les commandes. Isabelle Rabut par exemple, n'a accepté qu'une seule commande dans toute sa carrière. Sylvie Gentil dit n'accepter les commandes que lorsqu'elles sont très intéressantes : par exemple pour Bons baisers de Lénine de Yan Lianke, que Claude Payen avait refusé de traduire.

B- La traduction

Une fois l’œuvre choisie, l'autorisation de traduire obtenue et le contrat de traduction signé, le traducteur peut se lancer véritablement dans la traduction. Cette sous-partie résume les principales difficultés rencontrées lors de la traduction du chinois au français et expose comment il est possible de les surmonter.

1. Les difficultés rencontrées

Contrairement à ce que beaucoup de non sinisants imaginent, traduire du chinois au français n'est pas forcément plus difficile que depuis une autre langue étrangère. Noël Dutrait tente depuis des années de mettre fin à cette croyance erronée : une fois la structure grammaticale maitrisée et la logique saisie, la langue chinoise perd de son mystère et devient très logique, très claire1. Mais si la compréhension ne pose pas problème pour les traducteurs ayant un très bon niveau de langue, la transcription présente quelques difficultés, spécifiques au chinois.

Tout d'abord, la valeur des mots chinois (un idéogramme égale un mot) n'est pas déterminée de la même façon qu'en français. Ainsi, un même idéogramme peut renvoyer à un nom, un adjectif ou un verbe qui ont un sens commun. Mais il existe également des idéogrammes et des expressions polysémiques. Ainsi, 白 bai peut être un adjectif : dans ce cas il signifie « blanc », mais aussi « clair ; pur ; simple » ; il peut aussi être traduit par un adverbe : « en vain ; en pure perte ; gratuitement » ; ou par un verbe « déclarer ; dire ; exposer »2.

1 Entretien téléphonique avec Noël Dutrait, 08/03/2012 2 Dictionnaire concis Français-Chinois (édition corrigée), co-édition de La Presse Commerciale (商务印) et Larousse, 2000

2012 118/208 Autre difficulté de taille, le rendu des temps, puisque les verbes chinois ne se conjuguent pas. En effet, le passé, le présent et le futur sont indiqués par des mots temporels ou sous-entendus par le contexte du récit. La difficulté pour les traducteurs est donc de savoir si le récit se déroule au présent ou au passé et de repérer quelles actions sont répétées dans le passé (usage de l'imparfait) et lesquelles n'ont lieu qu'une seule fois (usage du passé simple). Il est fréquent qu'ils décident au milieu de leur travail de changer le temps d'écriture et de reprendre le texte au début.

Parvenir à restituer le mode de pensée chinois (fait de plein et de vide) et rendre le souffle de l’œuvre constitue un autre défi. Le traducteur doit parvenir à retransmettre au lecteur français les impressions, les sensations qu'il a éprouvées en lisant l’œuvre originale. C'est pourquoi il est important de conserver le rythme, l'intonation, le 气 qi chinois. Il ne faut pas « gommer » le fait que ce soit une œuvre littéraire pensée dans un autre mode d'expression1.

Enfin, la dernière difficulté notable est la transcription de l'oralité ou d'un dialecte. Il n'existe en chinois qu'une langue écrite, qui peut être prononcée différemment selon les provinces. Les dialectes ou la langue orale ne s'écrivent pas, par conséquent un auteur chinois va utiliser des mots non présents dans le dictionnaire ou se baser sur une homonymie des idéogrammes. Ces difficultés restent ponctuelles, se limitant à quelques mots ou expressions. Sylvie Gentil a réussi avec brio la traduction de Bons baisers de Lénine de Yan Lianke (Philippe Picquier, 2009) où l'auteur employait un patois du Henan. Elle reçut le prix Amédée Pichot décerné à Arles en 2010, sans que l’œuvre n'ait été présentée au jury par elle ou son éditeur.

Il arrive également que des noms propres ne puissent être conservés. Voici deux exemples cités par Sylvie Gentil : un personnage nommé Cui Cui, qui pose un problème de sonorité en français (le pinyin se prononce différemment) ; ou une jeune fille nommée Juan, qui aurait donné une fausse indication au lecteur (prénom espagnol masculin).

Une fois ces obstacles surmontés demeure la difficulté de toute traduction : retranscrire fidèlement l’œuvre originale, tout en conservant un français d'un « bon niveau », à la fois précis et fluide, vivant et rythmé, qui donne au lecteur une impression de naturel 2. Il est

1 Entretien avec Annie Bergeret-Curien, le 19/03/2012 2 Entretien avec Isabelle Rabut, le 23/02/2012

2012 119/208 généralement possible de traduire une phrase de plusieurs façons, en conservant la même interprétation, mais il faut veiller à ne pas mettre l'accent en français sur un mot ou un passage non appuyé en chinois.

2. Contacter l'auteur

Il arrive très fréquemment que les traducteurs, confrontés à un passage obscur ou un mot complètement inconnu, contactent les auteurs par téléphone ou par e-mail. Cette communication traducteur-auteur est caractéristique de la traduction du chinois, du fait de l'absence de travail éditorial en Chine. En effet, les éditeurs chinois reçoivent les manuscrits, les lisent, coupent parfois des passages « sensibles » ou demandent leur réécriture, mais ils ne font aucun travail de correction. Par conséquent, lorsque certains livres chinois arrivent entre les mains des traducteurs français, ils comportent encore des erreurs : des fautes de chinois (de langue, mots mal écrits) ou des incohérences dans le récit. Un vêtement bleu page 30 devient rouge deux pages plus loin, des personnages cuisent du porc et finissent par manger du bœuf (exemple pris sur Quarante et un coups de canon de Mo Yan, Le Seuil, 2009, trad. Noël et Liliane Dutrait).

Une relation se tisse donc entre le traducteur et l'écrivain, basée sur des questions- réponses. Mo Yan, réputé très disponible, répond toujours « Faites comme vous voulez ! »1. Les échanges sont plus ou moins rapides selon la capacité des deux protagonistes à manier internet et boîte mail. Ils portent le plus souvent sur le contexte d'une action ou le message que l'auteur souhaite transmettre. Cette discussion large sur la façon dont l'auteur voit les choses peut dépasser le cadre strictement professionnel et il arrive qu'un traducteur qui « suit » un auteur le rencontre à plusieurs reprises (lors de salons, de tournées, d'un voyage en Chine) et qu'ils deviennent amis. Noël Dutrait et Gao Xingjian (qui vit en France) l'illustrent très bien.

Il arrive également que des traducteurs travaillent sans entrer en contact avec l'auteur (à l'exception du moment de l'obtention des droits). Noël Dutrait traduisit par exemple les trois nouvelles de 阿城 A Cheng (1949-)2, réunies dans les recueil Les trois rois (Éditions 1 Entretien avec Anne Sastourné, le 20/03/2012 2 D'après une présentation de Brigitte DUZAN sur chinese-shortstories.com, le prénom 钟阿城 fut choisi par ses parents, en hommage à la stratégie militaire de Mao Zedong consistant à

2012 120/208 de l'Aube, 1998 (réédition 2008)), sans entrer en contact avec l'écrivain.

Une autre façon de surmonter les blocages d'un texte consiste à travailler en binôme. Le plus souvent, le premier traduit et le second relit. Il est d'ailleurs fréquent que le relecteur soit chinois. Le binôme Isabelle Rabut – Angel Pino par exemple, a développé sa propre technique : Angel Pino traduit à haute voix en français et Isabelle Rabut écrit en reformulant de façon plus esthétique1. Travailler à deux permet d'éviter de buter sur des mots ou des expressions et est plus stimulant, dynamique.

3. Les délais

Les délais de traduction sont négociés entre le traducteur et l'éditeur en fonction de la difficulté du texte, de sa longueur et de la disponibilité du traducteur. Dans les contrats d'édition chinois, aucune clause ne stipule de contrainte de délai. Il est donc fixé librement dans le contrat liant l'éditeur au traducteur et se révèle très variable. La traduction est rarement « pressée », à moins que l’œuvre n'entre en résonance avec un événement particulier : anniversaire d'un évènement, Salon du livre avec un pays à l'honneur (la Chine en 2004)...

Le contrat fixe une période de traduction d'en moyenne un ou deux ans, ainsi qu'une période éditoriale de mise en forme, à la charge de l'éditeur (relecture, correction, mise en maquette, choix de la couverture). Le délai entre la fin de la traduction et la publication peut aller de trois mois2 à dix-huit mois3. La traduction prend parfois peu de temps : six mois seulement pour Le Livre d'un homme seul de Gao Xingjian, publié en 2001 aux Éditions de l'Aube, traduit par Noël et Liliane Dutrait ; un an pour l'imposant Bons baisers de Lénine de Yan Lianke, traduit par Sylvie Gentil (Philippe Picquier, 2009). Mais certains traducteurs profitent de la souplesse des éditeurs et travaillent beaucoup plus lentement : Annie Bergeret-Curien par exemple, s'est lancée dans la traduction de 马瞧词典 Maqiao cidian « Dictionnaire de Maqiao » de Han Shaogong en 2005-2006. Le travail de relecture de son éditrice Anne Sastourné (Le Seuil) doit commencer au premier semestre 20124. encercler la ville par les campagnes. 1 Entretien avec Isabelle Rabut, le 23/02/2012 2 idem 3 Entretien avec Anne Sastourné (Le Seuil), le 20/03/2012 4 Entretiens avec Annie Bergeret-Curien le 19/03/2012 et Anne Sastourné le 20/03/2012

2012 121/208 La saisonnalité du marché du livre est extrêmement importante. En effet, les éditeurs n'envisagent de publier certains textes qu'à une seule période de l'année. Très peu d'auteurs étrangers peuvent se permettre d'être publiés durant la rentrée littéraire de septembre- octobre. Si l'auteur a déjà acquis une certaine notoriété et que ses livres sont appréciés, ses œuvres peuvent être mises à l'office1 pendant l'automne, hors saison littéraire. La période généralement dédiée aux sorties de titres de littérature étrangère est le début d'année, de janvier à mars. Les romans de plus grande diffusion sont mis en avant d'avril à juin, en perspective des vacances. Il arrive par conséquent qu'une œuvre prête à être publiée attende plusieurs mois chez l'éditeur.

1 L'office est « ''l'envoi automatique de nouveautés de la part des éditeurs aux libraires'', assorti généralement d'un faculté de retour », in Le livre, mutation d'une industrie culturelle, de François ROUET, La documentation française, 2007, p. 255

2012 122/208 II- Les maisons d'édition françaises

D'après l'Index translatorium, 1505 titres furent traduits du chinois au français entre 1979 et 2008. La seule année 2008 compte 82 titres traduits. Les résultats pour l'année 2009 sont en cours de traitement.

Cette partie vise à présenter les différentes maisons d'édition (et leur(s) collection(s)) qui participent à la diffusion de la littérature chinoise en France de façon régulière. Complémentaires par leur catalogue, elles offrent aux lecteurs français un large choix d’œuvres chinoises malgré les nombreux obstacles dissuasifs : demande méconnue, frais de traduction élevés, rentabilité faible voire nulle...

A- Les maisons d'édition

Plusieurs types de maisons d'édition peuvent être distingués : les maisons pionnières comme Gallimard et Actes Sud ; les maisons spécialisées majoritairement apparues dans les années 1990 (Bleu de Chine, Philippe Picquier, You Feng) ; les maisons de taille moyenne qui incorporent à leur catalogue des auteurs chinois sans leur consacrer une collection propre (Le Seuil).

1. Les pionniers a. Gallimard

Avec ses collections « Connaissances de l'Orient » et la « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard fait partie des pionniers de la diffusion de la littérature chinoise en France. La première œuvre traduite fut K'iu Yuan de Kouo Mo-Jo en 1957, dans la série chinoise de la collection « Connaissances de l'Orient » (trad., préface et notes de Liang Pai-tchin). De 1957 à 2009 (inclus), 36 œuvres chinoises furent publiées par la collection.

La célèbre « Bibliothèque de la Pléiade », créée en 1931 par Jacques Schiffrin (1892- 1950) ne s'intéressa aux œuvres chinoises qu'en 1978. Douze œuvres chinoises furent publiées avant 2010 (non-inclus), principalement des classiques : entre autres Au bord de l'eau (1978), Le rêve dans le pavillon rouge (1981) ou La pérégrination vers l'ouest (1991). Ces œuvres furent choisies pour leur « qualité » et leur « pérennité », leur capacité

2012 123/208 à séduire plusieurs générations de lecteurs en demeurant imperméables aux effets de mode1. Le public de la collection est principalement composé de personnes cultivées ou d'universitaires, intéressés par l'appareil de notes qui accompagne les œuvres.

b. Actes Sud

En décembre 1985 sortit le premier titre de littérature chinoise chez Actes Sud, dans une nouvelle collection : « Lettres chinoises ». En 1997, Isabelle Rabut devint directrice de la collection et créa « Lettres taiwanaises » dont le premier ouvrage parut en 2004.

La collection chinoise publia 26 œuvres entre 1985 et 2009 et compte à son catalogue plusieurs romans de Yu Hua et de Chi Li. La jeune collection taiwanaise ne proposait quant à elle que trois œuvres en 2009.

2. Les maisons spécialisées a. Bleu de Chine (1994-2008)

Fondée en 1994, par Geneviève Imbot-Bichet, ancienne secrétaire à l'ambassade de France à Pékin, la maison d'édition Bleu de Chine publiait à la fois des œuvres littéraires et des essais politiques, donnant la parole aux femmes, aux minorités (notamment tibétaine) et aux avant-gardistes. Les ouvrages de littérature étaient tirés à 1500 exemplaires et les titres plus politiques à 2500 exemplaires2.

Geneviève Imbot-Bichet gérait à elle seule la structure entière : « découverte des œuvres, suivi des traductions, imprimerie, corrections, presse... »3. À ses débuts, elle publiait quatre livres par an en moyenne. Entre 2000 et 2007, le catalogue s'enrichit de huit livres par an en moyenne, auteurs de toutes nationalités confondues. En 14 ans, 96 ouvrages furent édités à partir de textes d'auteurs chinois. 1 GLEIZE Joëlle et ROUSSIN Philippe (dir.), La bibliothèque de la Pléiade, Travail éditorial et valeur littéraire, Archives contemporaines, 2009, p. 8 2 Libération, « Encre Bleu de Chine », 25/05/2000 3 La Croix, « La maison d'édition Bleu de Chine, l’œuvre d'une femme », de Dorian MALOVIC, le 18/03/2004

2012 124/208 La maison d'édition qui « avait d'énormes difficultés à survivre »1 fut rachetée en 2009 par Gallimard. Le logo et le nom furent conservés et Geneviève Imbot-Bichet garda sa position, à la tête de la collection.

b. Philippe Picquier, maison d'Asie

Les éditions Philippe Picquier furent fondées en 1986 par celui qui leur donna son nom. La démarche de la maison : se consacrer pleinement à la littérature d'Extrême Orient, qu'elle soit produite au Japon, en Inde, en Chine, en Corée ou encore en Indonésie, en Thaïlande ou au Vietnam. Du départ, le catalogue ne se limitait pas à la littérature : essais, livres de connaissances, d'art ou de reportage... Depuis 2003, il propose également des livres pour enfants, le premier s'intitulant Lan et Lulu cuisinent chinois (de Maït Foulkes). Les ouvrages recouvrent tous les genres, du polar au roman historique, en passant par l'érotique.

« Derrière ce catalogue, il y a beaucoup de voyages, de rencontres et de découvertes. Des conseillers, des amis aussi, et surtout la complicité de traducteurs remarquables qui prodiguent leurs conseils, lisent, commentent, partagent leurs goûts et leurs choix avec nous » explique Philippe Picquier dans la présentation de la maison d'édition en ligne.

La collection chinoise reçut deux fois consécutives le prix Amédée Pichot, récompensant à Arles la meilleure traduction littéraire. En 2008, pour Les jours, les mois, les années traduit par Brigitte Guilbaud et en 2009 pour Bons baisers de Lénine traduit par Sylvie Gentil, deux œuvres de Yan Lianke.

c. La librairie You Feng

La librairie You Feng fut fondée au début des années 1970 par Hun Kim, un chinois du Cambodge venu étudier le sanskrit à la Sorbonne à Paris. Contraint de rester en France suite à l'arrivée au pouvoir des Khmers rouges, il commença à véritablement parler chinois

1 Rue89, « Les éditions Bleu de Chine reprises par Gallimard », Pierre HASKI, 25/10/2009

2012 125/208 à Paris1. Il fonda l'édition You Feng, qui signifie en chinois « amitié prospère ». Les premiers ouvrages avaient pour thématique les arts martiaux, la relaxation ou encore la cuisine. Il édita également quelques méthodes de langue.

Le catalogue s'est diversifié au fil des années. Les ouvrages sont toujours imprimés à Hong Kong et Amazon.com est devenu le premier diffuseur de la maison d'édition, facilitant les commandes internationales. De nombreux ouvrages de littérature chinoise, japonaise… sont publiés (légende, contes, poésie, romans, etc.). Des livres d'art et d'histoire sont également édités, par exemple Manifeste à l'empereur adressé par les candidats au doctorat, de Kang Youwei (traduit par Roger Darrobers). L'ouvrage reprend le manifeste adressé à l'empereur chinois 光绪 Guangxu, suite à la signature du traité du 02 mai 1895 qui céda Taiwan au Japon. Une importante partie du catalogue est composée d'ouvrages bilingues.

3. Le Seuil

Le Seuil fait partie des maisons d'édition françaises connues pour leurs publications chinoises. Ces œuvres, pourtant réduites en nombre, jouissent d'une grande visibilité sur le marché. Les auteurs chinois sont dispersés entre les deux grandes collections « Cadre rouge » (littérature française) et « Cadre vert » (littérature étrangère). 应晨 Ying Chen par exemple, qui a pris la nationalité canadienne et fait le choix d'écrire en français, relève du secteur « littérature francophone », comme des auteurs chinois de diaspora établis aux États-Unis sont publiés par le secteur américain ou anglo-saxon au sein de la collection « Cadre vert ». Gao Xingjian est le seul écrivain chinois vivant en France - et composant parfois en français - en relation avec Anne Sastourné, chargée du secteur « Extrême- Orient » (et de la publication d'ouvrages politiques chez Seuil).

Pour l'éditrice, il n'est pas question de segmenter davantage la production éditoriale. Les premières publications chinoises apparurent chez Points sagesse en 1981 (Les entretiens de Confucius). Le secteur Extrême Orient fut mis sur pieds par Vincent Bardet, puis repris par Anne Sastourné dans les années 1990. Elle publie en moyenne cinq livres

1 Monde chinois, n°23, automne 2010, « You Feng, une aventure éditoriale asiatique à Paris », entretien avec Hélène et Hun Kim réalisé par Emmanuel LINCOT, p. 123-125

2012 126/208 par an, tous pays confondus. La Chine ne représente pas la production la plus importante, alors que ce devrait être le cas au vu de sa population et de son marché.

Anne Sastourné ne défend pas de ligne éditoriale propre : elle suit celle du groupe, c'est-à-dire la publication de titres d'une bonne « qualité littéraire et un certain niveau intellectuel »1 pour un public pas trop populaire2. La publication d'ouvrages asiatiques et plus particulièrement chinois, dépend fortement du goût de l'éditeur et de ses lecteurs 3. Elle-même a choisi de reprendre le secteur par goût personnel, alors qu'elle est angliciste de formation et ne lit pas le chinois. Cependant, elle connaît bien le Japon et la Chine pour s'y être rendue plusieurs fois.

Contrairement à une maison d'édition comme Philippe Picquier qui accepte de publier quasiment tous les genres, Anne Sastourné procède à une sélection plus drastique. Elle ne tient pas compte de la notoriété ou du succès en Chine et se fit à sa connaissance des auteurs, de leur style et de leurs œuvres passées. Elle accorde une grande importance à la qualité du texte retranscrit en français et fait confiance au traducteur (ou au binôme) pour la fidélité de la version française au texte original.

Voici plusieurs tableaux récapitulatifs qui font la synthèse des informations données plus haut :

• première publication chinoise par maison d'édition et collection

• nombre de publications chinoises par maison et collection [ - 2009]

• comparaison des catalogues des différentes maisons d'édition

1 Mychinesebooks.com, entretien avec Anne Sastourné réalisé par Bertrand MIALARET, 08/12/2011 2 Entretien avec Anne Sastourné, le 20/03/2012 3 Renvoie dans ce cas au comité de lecture mobilisé par l'éditeur pour réaliser des fiches de lecture, avant la décision d'achat des droits etc.

2012 127/208 Première publication chinoise par maison d'édition et collection

Edition et collection 1ere œuvre 1ere œuvre chinoise publiée année publiée (littérature) Actes Sud : « Lettres chinoises » 1985 Février de Rou Shi 1985 Actes Sud : « Lettres taiwanaises » 2004 Nuit obscure de Li Ang 2004 Bleu de Chine 1994 Contes et libelles de Wang Meng 1994 Gallimard : « Connaissances de 1956 Kiu Yuan de Kou Mo-Jo 1957 l'Orient » Gallimard : « Bibliothèque la 1933 Au bord de l'eau de Shi Nai'an 1978 Pléiade » Philippe Picquier, collection chinoise 1994 Vagues de Bei Dao 1994 Le Seuil * * * Librairie You Feng 1970 Shi ji de Sima qian 1988 * manque de données pour les éditions Le Seuil : le catalogue en ligne ne permet pas d'effectuer de recherches par la nationalité de l'auteur.

Nombre de publications chinoises par maison et collection [ - 2009]

Edition et collection Publications (nombre de titres chinois) Avant [1960-1969] [1970-1979] [1980-1989] [1990-1999] [2000-2009] 1960 Actes Sud : Lettres / / / 4 6 16 chinoises Actes Sud : Lettres / / / / / 3 taiwanaises Bleu de Chine / / / / 22 49 Gallimard : 2 7 7 7 11 2 Connaissances de l'Orient, série chinoise Gallimard : 0 0 2 6 3 1 Bibliothèque de la Pléiade Gallimard : Du 0 0 1 4 2 3 Monde entier Le Seuil * * * * 1 13 You Feng / / / 0 3 26

/ : la maison ou la collection n'a pas encore été créée ; * manque de données

2012 128/208 Comparaison des catalogues des différentes maisons d'édition

Maison ou collection Genre Facteur de différenciation Gallimard : Littérature classique Réputée pour ses traductions Connaissance de l'Orient d’œuvres classiques. Gallimard : Littérature classique Attire un public cultivé et Bibliothèque de la Pléiade annotée universitaire par son riche appareil de notes. Actes Sud : Littérature contemporaine Se distingue dans le catalogue par son Lettres chinoises format 11.5*21.7 ou 11*17.6 ; auteurs phares Chi Li et Yu Hua. Actes Sud : Littérature contemporaine Se distingue également par son Lettres taiwanaises format ; spécificité taiwanaise Bleu de Chine Littérature moderne et Donne la parole aux minorités contemporaine ; essais ethniques, sexuelles, politiques. politiques Philippe Picquier série Littérature classique, Grande diversité du catalogue. Auteur chinoise moderne et contemporaine ; contemporain phare : Yan Lianke. poésie ; livres d'art, de reportage ou d'érotisme You Feng Livres pratiques ; manuels Vise un public initié : étudiants, de langue ; littérature Chinois en France... Ouvrages chinoise ; ouvrages bilingues, originaux, parfois visant bilingues une niche du marché. Le Seuil Littérature contemporaine Fondu dans le catalogue des publications étrangères. Vise un public cultivé ouvert à la littérature étrangère. Auteur phare : Mo Yan.

B- Les obstacles à la publication

Les éditeurs en charge des publications chinoises doivent faire face à plusieurs difficultés. La première est une méconnaissance de la demande, qui rend la décision du tirage incertaine. La seconde est la barrière de la langue puisque les éditeurs ne parlent pas chinois. Enfin, la dernière difficulté que j'aborderai dans cette sous-partie est le coût de la publication et sa faible rentabilité.

2012 129/208 1. Une demande réduite et méconnue a. L'avis des professionnels

Lors des entretiens, j'ai systématiquement posé la question du lectorat, que je me trouve face à un journaliste, un traducteur, une éditrice ou une libraire. Aucun n'avait de réponse claire, basée sur une estimation chiffrée. Je n'ai pas non plus trouvé d'ouvrage biblio- graphique abordant la question spécifique du public de la littérature étrangère.

Isabelle Rabut et Noël Dutrait, tous les deux professeurs des universités et traducteurs, affirmèrent lors de l'entretien que le lectorat était plutôt féminin, car les femmes lisent plus que les hommes - notamment de la littérature étrangère - et fréquentent davantage les bibliothèques et les clubs de lecture. Ces consommatrices expliqueraient notamment le succès d'auteurs féminines comme 池莉 Chi Li (1957-), 王安忆 Wang An'yi (1954-) ou 欣 然 Xinran (1958-).

Pour Isabelle Rabut, qui est également directrice de collections chez Actes Sud, le public veut quelque chose de bien écrit, avec des personnages vivants (une bonne histoire peut faire passer une piètre qualité littéraire). Les lecteurs désirent apprendre des choses sur la Chine et sa culture : pas de l'exotisme colonial mais du « chinese flavor »1. C'est pourquoi elle juge que les notes sont nécessaires, au bas de chaque page ou en annexe. Une introduction ou une préface peut également être insérée si elle est vraiment nécessaire à la compréhension de l’œuvre.

Pour Sylvie Gentil, traductrice freelance, il n'est pas question de rajouter systématiquement des notes : ce sont des œuvres littéraires et non des « cours ». Une postface est plus pertinente à ses yeux. Elle pense qu'il n'y a pas besoin de bien connaître la Chine pour pouvoir apprécier ses œuvres, que c'est une question « d'ouverture d'esprit ». Elle a remarqué que les Français trouvent beaucoup plus facile d'acheter un livre américain qu'un livre chinois et lie ce comportement au message véhiculé sur la Chine par les médias. L'engouement pour la littérature chinoise, très marqué avant 2004 (Salon du livre de Paris met la Chine à l'honneur), est très vite retombé. Pour elle, beaucoup de lecteurs français recherchent de l'exotisme et du politique en lisant des textes chinois contemporains.

1 Entretien avec Isabelle Rabut, le 23/02/2012

2012 130/208 Pour Bertrand Mialaret, journaliste-blogueur pour Rue89, le problème est que les maisons d'édition françaises ne proposent pas assez de jeunes auteurs : il est toujours question de Lu Xun, Lao She etc.. Les jours, les mois, les années, de Yan Lianke a été un succès (Philippe Picquier, 2009). C'était une œuvre accessible, courte, qui ne demandait pas de connaître la Chine, les mœurs ou la culture de ses habitants. Il remarque également que les Français achètent peu de nouvelles, à moins que l'auteur ne soit réellement connu.

Enfin, pour Michelle de la librairie spécialisée Le Phénix à Paris, les lecteurs de littérature chinoise sont avant tout des gens curieux du monde chinois, de sa culture, de sa civilisation ou des beaux-arts (notamment de calligraphie). Les clients qui parlent chinois sont minoritaires. Le cas de sa librairie est particulier, puisque les clients se rendent délibérément dans ce magasin dédié à l'Asie. La clientèle des librairies spécialisées est constituée majoritairement de cadres ou « professions libérales », plutôt instruits et aisés financièrement, citadins1.

Tous les professionnels travaillant en contact avec la littérature chinoise estiment qu'une connaissance approfondie du pays n'est pas nécessaire pour apprécier des œuvres littéraires chinoises.

b. Les études sur le livre sans distinction de genre

D'après une étude menée par l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) en 2005 sur les pratiques de lecture des Français, les lecteurs sont majoritairement des femmes. 10% des femmes lisent plus de deux livres par mois contre 5% d'hommes ; 33% des femmes ne lisent aucun livre contre 52% des hommes. Les femmes qui lisent le plus ont entre 40 et 59 ans (13% d'entre elles lisent plus de 24 livres par an) ; les hommes qui lisent plus de deux livres par mois ont plus de 60 ans et représentent 7% de la tranche d'âge. Les 60 ans et plus lisent le moins : 40% des femmes et 58% des hommes ne lisent pas. Toutes tranches d'âge confondues, 63.5% des femmes lisent moins de six livres par an contre 79.5% des hommes.

1 ROUET François, Le livre, mutation d'une industrie culturelle, La documentation française, 2007, p. 226

2012 131/208 Lecture d'un livre selon l'âge et le sexe au cours des douze derniers mois 2005 s u l

s plus de 2 par mois e r v i l

e entre 1 et 2 par mois d

e r b

m de 6 à moins de 12 o N moins de 6

aucun

Femmes 0 10 20 30 40 50 60 Hommes Nombre d'hommes et de femmes (en %)

Note : la somme ne correspond pas toujours en raison des arrondis Champ : France métropolitaine, individus âgés de 15 ans ou plus. Lecture : 41% des 25-39 ans n'ont lu aucun livre au cours des douze derniers mois Source : Insee, enquête permanente sur les conditions de vie 2005

Une étude de l'Insee publiée en 2009, toujours sur les pratiques de lecture, s'intéressa cette fois aux catégories socio-professionnelles.

Lecture de livres au cours des douze derniers mois en 2009 2009, en % Combien de livres lus au cours des douze dont : un livre par mois ou dont : moins d'un livre par Au moins un livre Aucun livre derniers mois ? plus mois Agriculteurs exploitants 34 4 31 66 Artisans, commerçants, chefs d'entreprise 46 9 38 54 Cadres et professions intellectuelles supérieures 81 28 54 19 Professions intermédiaires 68 18 51 32 Employés 59 12 47 41 Ouvriers (y compris ouvriers agricoles) 28 3 25 72 Retraités 53 14 39 47 Autres inactifs 58 13 45 42 Ensemble 55 13 42 45 Rapport Cadres / Ouvriers 2.88 8.01 2.16 0.26 NB : la somme ne correspond pas toujours en raison des arrondis. Note : Ces indicateurs appartiennent à la liste des indicateurs préconisés par le rapport "Niveaux de vie et inégalités sociales" du CNIS. Ceux en gras sont des indicateurs dits "indicateurs de base". Lecture : En 2009, 28% des ouvriers ont lu au moins un livre au cours des douze derniers mois. Champ : France métropolitaine, individus âgés de 16 ans ou plus. Source : Insee, SRCV-SILC 2009

2012 132/208 Les cadres et professions intellectuelles supérieures lisent le plus : 81% d'entre eux consomment au moins un livre en un an ; 28% d'entre eux lisent plus d'un livre par mois. Seulement 28% des ouvriers ont déclaré avoir lu plus d'un livre en un an ; 3% d'entre eux ont lu au minimum un livre par mois. Les agriculteurs exploitants sont 4% à consommer plus d'un livre par mois et 34% au total à avoir lu au moins un ouvrage aux cours des douze mois précédent l'enquête.

Les lecteurs de littérature étrangère ont donc effectivement plus de probabilité d'être des femmes appartenant aux catégories socio-professionnelles « supérieures ».

D'après une étude réalisée par TNS-Sofrès pour le journal La Croix, du 27 février au 02 mars 2009, 50% des personnes interrogées lisent pour se détendre et 49% pour se cultiver ou s'instruire.

Question posée (trois réponses possibles) : « Personnellement, quelles sont les trois choses qui vous plaisent particulièrement dans la lecture ? C'est de pouvoir : »

Étude réalisée du 27 février au 2 mars 2009, pour La Croix auprès d'un échantillon national de 1000 personnes, représentatif de l'ensemble de la population française âgée de 18 ans et plus, interrogées en face-à-face à leur domicile. Méthode des quotas (sexe, âge, profession du chef de ménage PCS) avec stratification par région et catégorie d’agglomération.

2012 133/208 2. La barrière de la langue

À l'exception d'Isabelle Rabut, les éditeurs qui publient des titres chinois ne sont pas en mesure de lire le manuscrit original ou l’œuvre telle qu'elle fut publiée en Chine. Elle dit être la seule traductrice française à comparer le manuscrit et sa traduction mot à mot, lors de la relecture.

Le fait d'avoir déjà lu une œuvre d'un auteur permet aux éditeurs de mieux connaître son style, ses thèmes de prédilection et de décider plus rapidement s'ils acceptent ou non le manuscrit. Le type d’œuvre, s'il est connu, permet aussi à l'éditeur de mieux choisir les lecteurs à qui il va confier la rédaction des fiches de lecture. Celles-ci, complémentaires, permettent à l'éditeur de mieux cerner l'ouvrage et l'aident à prendre sa décision. Il est fréquent que les directeurs de collection suivent des auteurs : Yu Hua et Chi Li avec Actes Sud, Mo Yan au Seuil et Yan Lianke chez Philippe Picquier. Ils ne publient pas toutes leurs œuvres les yeux fermés, mais disposent ainsi d'un fond de manuscrits « sûrs ».

Lors de la relecture et de la correction, les éditeurs n'ont d'autre choix que de se fier au traducteur sur le fond du texte. Ils peuvent également lire l’œuvre en anglais si elle a été traduite ou demander leur avis à des amis chinois. L'impossibilité pour l'éditeur de corriger la traduction peut poser des problèmes : des contre sens ou des coupures de la part du traducteur (volontaires ou non), sont toujours possibles. Le roman La cité engloutie de Jia Pingwa par exemple, traduit par Geneviève Imbot-Bichet (Stock, 2000), n'avait pas été transcrit de façon intégrale. En effet, certains passages, jugés trop obscurs ou compliqués, avaient été coupés et cela sans en faire mention, que ce soit dans le livre ou sur la couverture. Il est plutôt rare que d'autres traducteurs s'en aperçoivent, car ils lisent rarement les deux versions. Dans l'exemple cité, la découverte de passages manquants revient à des candidats au CAPES de chinois, dont une partie de l'épreuve portait sur un extrait du roman.1

1 Entretien d'Isabelle Rabut le 23/02/2012

2012 134/208 3. Le coût de la publication a. La stratégie de compensation

Les lignes éditoriales des maisons d'édition françaises reposent sur une stratégie de mutualisation des risques. « Plus de 90% des ouvrages publiés perdent de l'argent. Moins de 10% en gagnent et financent les pertes des autres, les frais de structure de nos maisons et, si possible, leurs marges. » déclara Olivier Nora, directeur des éditions Grasset au magazine Télérama, le 5 janvier 19951.

Les maisons d'édition se reposent sur la qualité de leur fonds et leur image (notoriété) pour « générer de manière stable une part suffisante du chiffre d'affaires et permettre les prises de risque indispensables tout en atténuant les aléas qui en résultent »2. De petites collections coûteuses, car tirées à un tirage inférieur au seuil de recouvrement et qui réalisent peu de ventes, continuent à exister grâce aux ouvrages de grande diffusion, au poche et aux succès éditoriaux (best-sellers). Les ouvrages et les secteurs se compensent entre eux.

Dans le cas de Actes Sud, le tirage des collections chinoises et taiwanaises est à 3000 exemplaires en moyenne et peut monter à 3500 exemplaires si l'éditrice est très confiante. Les collections n'ont pour l'instant jamais perdu d'argent : le seuil de recouvrement se situe à 2000 exemplaires vendus et un profit est réalisé une fois que le seuil des 3000 exemplaires est dépassé. 10 000 exemplaires ont été tirés pour Brothers de Yu Hua, qui a été un gros succès3. Le coût des faibles tirages est étalé à l'échelle de la maison : les œuvres chinoises profitent donc du succès de la trilogie Millenium de Stieg Larsson.

Anne Sastourné considère qu'un livre chinois est toujours vendu à perte, en raison notamment du coût très important de la traduction. Très peu d'auteurs se vendent assez bien pour rapporter de l'argent à l'éditeur et des droits d'auteur au traducteur. Elle tire au minimum 2000 exemplaires d'un titre, car tirer moins serait contreproductif pour la visibilité du livre. Les tirages se situent en moyenne entre 3 et 7 000 exemplaires, en

1 In Le Marketing du livre, études et stratégies, de Suna DESAIVE et Noëlle POGGIOLI, éditions du Cercle de la Librairie, 2006 p.10 2 ROUET François, Le livre, mutation d'une industrie culturelle, La documentation française, 2007, p. 122 3 Le seuil des 4000 exemplaires vendus vient d'être dépassé début 2012. d'après l'entretien réalisé avec Isabelle Rabut le 23/02/2012

2012 135/208 fonction de l'auteur. La sortie d'un nouveau titre dans la collection « Cadre vert » est toujours coordonnée avec le lancement en poche d'une œuvre plus ancienne du même auteur.

b. Les aides spécifiques du Centre National du Livre

En raison des frais de traduction élevés et du faible tirage des livres chinois, ils sont très coûteux pour les maisons d'édition. C'est pourquoi elles peuvent bénéficier, si elles le demandent, d'une aide publique. Deux types d'aides sont proposées par le Centre National du Livre (Cnl).

Le premier type d'aide concerne les traducteurs. Il consiste en des « crédits de traduction » qui apportent un complément de rémunération au traducteur, pour une œuvre « particulièrement difficile ». Pour pouvoir en bénéficier, le traducteur doit avoir déjà traduit un ouvrage pour une maison d'édition française à partir de la même langue et avoir conclu un contrat de traduction pour une nouvelle œuvre, au minimum un an après avoir touché l'aide précédente. Le candidat constitue un dossier qui est examiné par l'une des trois commissions annuelles. Un rapport d'expertise est réalisé sur chaque œuvre, qui propose un montant en fonction de la difficulté et de la longueur de la traduction à effectuer. Le président du Cnl est chargé de la décision finale (attribution, refus, ajournement).

Les décisions sont prises en fonction de l'« intérêt de l’œuvre à traduire ; [la] qualité de la traduction dans l’échantillon fourni ; [les] difficultés particulières du projet ; [et le] besoin financier du candidat, en fonction de l’ampleur du projet envisagé et de sa situation financière et professionnelle »1. L'aide est plafonnée à 7000 euros.

Autre type d'aide dont peuvent cette fois bénéficier les éditeurs : les subventions du Cnl à destination des ouvrages étrangers traduits en français. L'objectif de cette aide est de « [r]endre accessible au public d’expression française des œuvres du monde entier en allégeant les coûts de traduction pour les éditeurs désireux de faire découvrir des œuvres

1 Site de l'Association des Traducteurs Littéraires de France (ATLF) et Site du Cnl

2012 136/208 étrangères de qualité, dans une traduction de qualité »1. N'importe quel éditeur privé - français ou étranger - peut demander cette subvention, à condition de traduire un ouvrage en français (hormis les guides, catalogues d'exposition et les ouvrages de pédagogie). Les éditeurs doivent se limiter à quatre dossiers maximum par session et par commission (en plus des trois dossiers de traduction).

Pour que le dossier soit examiné, l'ouvrage ne doit pas encore être publié et le contrat de traduction doit être conforme aux règles en vigueur. La rémunération du traducteur doit être supérieure au seuil fixé par le conseil d'administration du Cnl et les cessions de droits toujours en cours de validité. Les dossiers pour des éditions à compte d'auteur ou des auto- éditions sont irrecevables, tout comme les projets destinés à être tirés à moins de 500 exemplaires. Les traductions-relais peuvent être examinées dans le cas de langues « exceptionnellement rares »2.

Les commissions reçoivent un rapport d'expertise et émettent un avis. La décision finale revient au Président du Cnl. Celui-ci tient compte de la « qualité de l’ouvrage dans sa version originale ; [la] pertinence de le traduire en français ou de le retraduire le cas échéant ; [la] qualité de l’échantillon fourni ou de la traduction achevée (…) la rareté de la langue, la priorité donnée à certaines littératures dans le cadre d’opérations nationales ou internationales et la situation économique de l’éditeur »3. La subvention délivrée est proportionnelle au coût de la traduction à la charge de l'éditeur. Dans le cas d'une traduction du chinois vers le français, la traduction d'un feuillet coûte entre 21 et 25 euros : l'éditeur perçoit donc une subvention d'un montant égal à 60% du coût global de la traduction. La première moitié de la subvention est versée au moment de la décision, la seconde au moment de la parution. Les éditeurs ont 24 mois pour réaliser leur projet.

Cette subvention peut être cumulée avec d'autres aides, telles que les crédits de préparation, l'aide à l’iconographie, la subvention à la publication etc.

Le tableau suivant récapitule les subventions touchées par les œuvres recensées dans la presse en 2009. Les deux premières furent versées en 2009, la troisième en 2008.

1 Site du Centre National du Livre 2 idem 3 idem

2012 137/208 Ouvrage Maison d'édition Traducteur(rice) Subvention Nombre (titre français) en euros de pages Bons baisers de Lénine Philippe Picquier Sylvie Gentil 5 520 560

La dure loi du karma Le Seuil Chantal Chen-Andro 15 640 760

Quarante et un coups Le Seuil Noël et Liliane 12 900 500 de canon Dutrait

Source : Bilans annuels des aides du Centre National du Livre, 2008 et 2009

Les subventions sont donc surtout accordées aux œuvres particulièrement longues. Certaines réserves semblent être émises au sujet des commissions : jugées trop inégales, elles manquent de règles communes pour juger les œuvres. Par exemple, certains traducteurs attachent extrêmement d'importance à la fidélité de la transcription au texte original, tandis que d'autres privilégient la qualité de la traduction et sa fidélité à l’œuvre de façon plus globale. Il existerait également une certaine rivalité entre les traducteurs qui pénalise certains dossiers, c'est pourquoi certains éditeurs souhaiteraient que le nom du traducteur demeure anonyme. Enfin, les raisons d'un refus sont souvent mal communiquées et restent obscures1.

1 Entretien avec Anne Sastourné, le 20/03/2012

2012 138/208 III- La diffusion des œuvres auprès des lecteurs

La diffusion et la promotion des œuvres auprès des lecteurs est orchestrée dans un premier temps par les maisons d'édition : les nouveautés sont présentées aux libraires, des épreuves sont envoyées aux chroniqueurs littéraires, des campagnes publicitaires sont envisagées... Une fois l’œuvre publiée et placée en librairie, son temps est compté : l'augmentation du nombre de publications oblige en effet les libraires à renvoyer aux éditeurs les invendus plus rapidement que par le passé, principalement par manque de place. La vie du livre continue cependant : sa diffusion dépend dès lors des libraires qui l'ont apprécié, des bibliothécaires, des clubs de lecture... mais également des prix littéraires et des associations culturelles.

A- La diffusion par les maisons d'éditions

Les éditeurs peuvent chercher à informer les lecteurs de la parution d'une nouvelle publication par différents moyens : l'utilisation d'une newsletter ou di site internet de la maison d'édition, la publicité, la presse... Je vais développer plus particulièrement le rôle de l'attaché(e) de presse et les stratégies de marketing promotionnel.

1. Attaché(e) de presse et journalistes

La première étape de la diffusion d'une œuvre auprès des consommateurs relève du travail de l'attaché(e) de presse. Mis au courant du thème de l’œuvre et de sa cible (de façon approximative), son rôle consiste à entrer en relation avec des journalistes afin qu'ils écrivent des articles sur l'ouvrage. Pour cela, il leur envoie les épreuves de l’œuvre, c'est-à- dire le livre dans une forme non définitive. Cette démarche doit être réalisée suffisamment en avance pour que les journalistes ou les chroniqueurs littéraires aient le temps de lire l'ouvrage et de rédiger un article avant - ou au moment de - sa sortie en librairie. Ce délai peut varier entre quelques semaines et plusieurs mois, en fonction de la longueur du livre et de la période de publication. L'épreuve peut être envoyée directement au journaliste- chroniqueur littéraire ou à la rédaction du journal, de la radio etc. Il est interdit en France de créer des publicités pour des livres à la télévision, mais les chroniqueurs littéraires peuvent parler des œuvres ou inviter des auteurs.

2012 139/208 Au cours de mes recherches dans la presse, plusieurs noms de chroniqueurs littéraires sont ressortis. Voici un récapitulatif de ceux qui ont écrit en 2009 des articles sur des ouvrages chinois traduits en français (la longueur des articles était très variable) et qui m'ont permis de constituer mon corpus.

Nom Journal ou magazine Nombre d'articles relevés en 2009 Nils C. Ahl Le Monde des livres 4 Raphaëlle Rérolle Le Monde des livres 1 Sébastien Lapaque Le Figaro littéraire 3 Christophe Mercier Le Figaro littéraire 1 Claire Devarrieux Libération 2 Pascale Nivelle Libération 1 Alain Nicolas l'Humanité 2 André Clavel L'Express 3 Ursula Gauthier Le nouvel Obs 1 Serge Sanchez Le magazine littéraire 1 Bernard Quiriny Le magazine littéraire 1 Maurice Mourier La quinzaine littéraire 1 Marie Tournier-Cardinal La quinzaine littéraire 1 / LIRE 0 Katell Guédan Monde chinois (trimestriel) 3

Il faut ajouter à ces journalistes papier Bertrand Mialaret, qui tient le blog Mychinesebooks.com pour Rue89. Ce diplômé de SciencesPo Paris, énarque, a commencé à lire de la littérature chinoise en Malaisie, alors qu'il était Directeur Général de Philips [1984-1987]1. Il ne sait pas lire le mandarin et souhaitait à l'époque découvrir la culture des nombreux Chinois avec lesquels il travaillait. Il se rendit par la suite plusieurs fois en Chine où son fils résida plusieurs années et collabora avec l'association Couleur de Chine2 qui aide à la scolarisation des minorités 苗 Miao et 侗 Dong. Il rencontra justement Pierre Haski, alors correspondant pour Libération, à l'occasion d'une interview portant sur l'association. Des années plus tard, alors que le journaliste fondait Rue89, Bertrand Mialaret lui proposa d'écrire des articles sur la littérature chinoise, pour lesquels le

1 Les Échos, n°17277, 21/11/1996, p. 65 2 www.couleursdechine.org

2012 140/208 fondateur n'aurait plus de temps à consacrer. Le blog mychinesebooks.com fut créé, apportant un complément d'information aux internautes de Rue89. Le premier article parut le 28 janvier 2008. Les articles traitent à la fois de livres en français et en anglais et la moitié des lecteurs du blog sont anglophones ou sinophones. Bertrand Mialaret reçoit des épreuves de la part des maisons d'édition comme d'autres chroniqueurs littéraires (en moyenne deux mois et demie avant la sortie en librairie) et lit systématiquement l'intégralité de la bibliographie d'un auteur, en anglais et en français, avant de rédiger un article. Il n'écrit jamais sur des œuvres qu'il n'a pas appréciées et n'est pas corrigé par Rue89, à l’exception des titres, rendus plus accrocheurs. Il a par contre une contrainte d'actualité pour que les lecteurs de Rue89 s'intéressent à ses publications1.

Autre cas à part, celui de la revue trimestrielle Perspectives chinoises basée à Hong Kong, qui est rattachée au Centre d’Études Français sur la Chine contemporaine (CEFC). Créée en 1992 par Michel Bonnin et Raphaël Jacquet dans sa version française, elle donna lieu trois ans plus tard à une version anglaise (Chinese Perspectives). La revue se donne pour mission d'observer et d'analyser « les mutations du monde chinois contemporain dans leurs aspects politiques, économiques, sociaux et culturels »2. Elle est composée d'un dossier thématique, de quelques articles sur l'actualité et de comptes-rendus de lecture rédigés par des spécialistes (sinologues, traducteurs, chercheurs etc.). Les thèmes sont variés, à l'image des recherches du Centre : SIDA, minorités religieuses, ouvriers migrants... Les ouvrages lus et commentés par des membres du comité de lecture sont en anglais ou en français. Une page est toujours réservée à une publicité de la librairie spécialisée Le Phénix, qui informe les lecteurs sur les dernières acquisitions disponibles en magasin ou en ligne.

2. Le marketing promotionnel

Dans les maisons d'édition de moyenne ou grande taille, un service est entièrement consacré au marketing promotionnel. Ce type de marketing n'influence pas la conception des ouvrages, mais leur diffusion et leur commercialisation. L'objectif du service est que les livres de la maison soient visibles sur le marché, au sein de l'assortiment des libraires.

1 Entretien avec Bertrand Mialaret, le 11/02/2012 2 Site du CEFC

2012 141/208 Cette tâche est devenue plus difficile ces dernières années avec l'explosion du volume de production éditoriale, contraignant les libraires, limités en terme d'espace, à faire tourner les œuvres de plus en plus rapidement, raccourcissant de fait la vie des ouvrages et augmentant considérablement le nombre de retours.

Aux éditions Le Seuil, les œuvres chinoises sont fondues dans la collection « Cadre vert ». Leur promotion n'est donc pas séparée de celle des autres ouvrages. Le service se charge de la création de panneaux et d'affiches, destinés à être placés dans les librairies, les bibliothèques ou les salons. Il est également en contact avec le diffuseur et ses représentants qui visitent les librairies entre une et deux fois par an.1 Les évènements tels que les journées Belles étrangères, les Salon du livre de Paris ou Francfort... vont concentrer une partie importante des efforts du service. a. La venue d'un auteur étranger en France

L'accent est parfois mis sur un auteur ou une œuvre, notamment à l'occasion de sa venue en France s'il est étranger. En 2009, la sortie de La dure loi du karma a par exemple été l'opportunité pour Anne Sastourné de faire venir Mo Yan à Paris. De nombreuses rencontres furent planifiées avec des journalistes, des libraires, des lecteurs, de façon à marquer l'évènement, rendre l'auteur « visible et audible »2 et faire de la publicité autour de l’œuvre. Le pari fut réussi puisque de nombreux portraits de l'écrivain furent dressés par des journalistes et des articles firent mention de l'ouvrage dans la presse, de l'encart à la double page illustrée : Le Monde des livres, Le Figaro littéraire, Le magazine littéraire (à deux reprises), Libération, l'Humanité, La quinzaine littéraire (un article et cinq encarts), Le nouvel Obs et enfin mychinesebooks.com. L'ouvrage remporta le record du nombre d'articles de presse nationale française dédiés à un auteur chinois en 2009 (d'après mes recherches). Le Monde des livres et Le magazine littéraire diffusèrent également de la publicité pour le roman.

1 Entretien avec Anne Sastourné, le 20/03/2012 2 Entretien avec Anne Sastourné, le 20/03/2012

2012 142/208 Source : Le Monde des livres, 18/09/2009, page 2

Une fois en France, les auteurs réalisent fréquemment des tournées dans certaines librairies : Le Phénix à Paris, Decitre à Lyon, Mollat à Bordeaux. Ces déplacements nécessitent systématiquement la présence d'un interprète, rôle souvent joué par le traducteur de l'ouvrage au cœur de la campagne de promotion. Ces rencontres permettent aux lecteurs d'écouter l'auteur parler de son livre et de lui poser quelques questions. Les auteurs participent également à des tables rondes, des conférences, des débats... Ce genre d'évènement tire son impact de sa rareté. Si le livre est abordable à un large public, le bouche-à-oreille et les conseils des libraires et bibliothèques peuvent prolonger le travail du marketing et cela de façon très efficace.

Le marketing promotionnel autour d'un auteur n'est pertinent que si l'écrivain est déjà « installé » car « la publicité ne sert qu'à amplifier un moment qui a commencé »1. Il est extrêmement difficile - et coûteux - de fabriquer l'image d'un auteur. Par conséquent, pour qu'une publicité soit percutante, il est nécessaire que le nom de l'écrivain fasse déjà écho aux libraires, journalistes ou lecteurs.

1 idem

2012 143/208 b. Stratégies de publication

Une des stratégies éditoriales est de ne pas promouvoir chaque titre avec la même force, notamment s'ils se suivent dans un temps court. Cela consiste à publier, après un gros succès, d'autres ouvrages du même auteur sans réaliser d'effort particulier en terme de publicité (ou de « push »). La première raison est que le succès précédent a amené de nouveaux lecteurs, qui achèteront sans doute le nouveau titre s'ils ont aimé le premier. La seconde raison est liée à l'efficacité d'une campagne promotionnelle : elle est d'autant plus percutante qu'elle n'est pas systématique.

En 2009, Anne Sastourné a ainsi publié discrètement Quarante et un coups de canon de Mo Yan, un roman long et difficile. Il ne fit l'objet que de deux articles : le premier dans La quinzaine littéraire n°986 en février (article de Maurice Mourier) ; le second dans Le Monde en mars, hors du supplément livres (« Livre du jour » par Florence Evin). En août de la même année sortit La dure loi du karma, pour lequel elle « mi[t] le paquet »1.

Le timing est extrêmement important puisque, comme je l'ai déjà évoqué plus haut, la saisonnalité du marché de la littérature étrangère est très marquée. La dure loi du karma était un roman beaucoup plus abordable que le précédent, l'occasion semblait idéale pour faire venir l'auteur. Pour l'éditrice du Seuil, il n'est pas question de refaire venir Mo Yan avant un petit moment : il faut laisser une peu de temps passer pour créer une attente ou la surprise.

Sortir un livre d'auteur encore inconnu demande une autre approche, en raison notamment des chroniqueurs littéraires : les journalistes lorsqu'ils sont surchargés lisent plus facilement des romans d'auteurs qu'ils connaissent, car ils peuvent rédiger leur article sans avoir lu l'ouvrage de façon intégrale. Ils se contentent alors de leurs recherches antérieures et de lire quelques extraits pour cerner les thèmes principaux.

1 idem

2012 144/208 c. Titres et couvertures

Pour tous les livres, le choix du titre et de la couverture sont déterminants. L'éditrice travaille dans un premier temps avec le traducteur. Souvent, celui-ci soumet des propositions de titres à l'éditeur, puis ils en discutent ensemble. S'il est possible de garder le titre initial, il est conservé. Cependant, il est parfois difficile de retranscrire en français le jeu de mot d'un titre, tout en restant concis et percutant.

Pour la couverture, l'éditeur s'adresse à un graphiste du secteur artistique (si la maison d'édition possède un service séparé). Le plus souvent, une même personne se charge des couvertures d'une même collection ou d'un secteur, afin de garder une cohérence et une visibilité dans le catalogue. L'éditeur fait un « brief » au graphiste, lui donne le titre, les thèmes principaux de l'ouvrage et lui donne quelques pages (ou chapitres) du livre pour qu'il puisse avoir une idée de l'ambiance. Anne Sastourné essaye généralement de ne pas l'influencer, afin de laisser son imagination et sa créativité s'exprimer.

Il arrive parfois que des couvertures face débat au sein de la maison. Dans le cas du Seuil, la controverse porta sur l'utilisation d'images d'animaux en couverture, idées que certains rejetaient radicalement. Anne Sastourné prit finalement le risque et la responsabilité de laisser un animal en couverture, ce qui ne posa finalement pas de problème au consommateur.

L'identité visuelle d'une collection est très importante, car son unité permet aux libraires et aux acheteurs de repérer les livres plus facilement dans le catalogue ou l'assortiment. Ici, pour Mo Yan au Seuil :

2005 2006 2009 2009

2012 145/208 La cohérence visuelle peut également s'étendre à l'échelle de la maison d'édition, par exemple chez Bleu de Chine, du fait de sa spécialisation. L'utilisation de calligraphies chinoises réalisées par Françoise Verdier fut privilégiée de 1994 à 2002. Les calligraphies évoluèrent énormément au fil des années : de 1994 à 1996, les couvertures présentaient des calligraphies avec beaucoup de caractères, qui se détachaient en noir, rouge ou bleu sur un fond uni sombre (noir, bleu foncé, marron foncé ou clair, violine). À partir de 1997, les couvertures prirent des tons plus colorés (jaune, rose, violet, vert) et ne comportaient plus qu'un seul caractère calligraphié. En 2001-2002, il n'était plus question que d'un fragment de calligraphie, grossi en couverture, sur des fonds rouges, bleus, verts, ocres. L'identité visuelle de la maison d'édition changea brutalement en 2003. Après cela, les calligraphies disparurent des couvertures, au profit d'images photographiques et de reproductions de peintures ou de dessins contemporains.

Cette absence d'unité reflétait la diversité de la production : des auteurs français, chinois, tibétains, qui composaient des nouvelles, des romans ou des essais politiques. Cependant, cette diversité porta préjudice à la visibilité de la maison d'édition, malgré la permanence de ses logos : le sceau de calligraphie rouge en haut et le nom de la marque accompagné d'un livre bleu en bas.

1994 1995 1995 1997 1999 2001 2002

2003 2004 2005

2012 146/208 2006 2007

Les éditeurs français ne reprennent jamais les couvertures chinoises, ni ne s'en inspirent. Par exemple, pour 狼图腾 lang tuteng Le totem du loup de Jiang Rong ou Bons baisers de Lénine de Yan Lianke.

Ici à gauche la couverture chinoise de l'édition 长 江 文 艺 出 版 社 Changjiang wenyi chubanshe (2004) et à droite des éditions Bourin (2008).

Ici toujours à gauche, la version originale 受 活 de Yan Lianke chez 春 风 文 艺 出 版 社 Chunfeng wenyi chubanshe (2004) ; et à droite la version française chez Philippe Picquier (2009).

Les versions poches, qui sortent généralement au moment de la publication d'un nouvel ouvrage du même auteur en grand format, ne conservent pas toujours la même couverture. Visant un public plus large par leur prix bas, la couverture est souvent adaptée pour être plus populaire, tombant parfois dans l'imagerie exotique des années folles de Shanghai.

2012 147/208 Voici par exemple trois œuvres de Mo Yan en grand format chez Seuil (à gauche) et en poche chez Point (Le Seuil) (à droite).

Le pays de l'alcool ; Beaux seins, belles fesses ; Le chantier 2000 et 2004 2004 et 2005 2007 et 2011

B- La diffusion par les passionnés

Une grande part de la diffusion des œuvres se fait par le bouche à oreille, soit entre lecteurs, soit entre professionnels du livre (libraires, bibliothécaires), soit entre les deux types d'acteurs. Un important travail de diffusion est également effectué par les associations qui promeuvent la Chine ou sa culture, notamment les Instituts Confucius (une dizaine en France). La diffusion de la littérature chinoise passe aussi par des activités de recherche, comme les tables rondes ALIBI ; la remise de prix littéraires et l'action des bibliothèques.

1. Ateliers LIttéraires BIpolaires (ALIBI)

Les premières réunions collectives ALIBI virent le jour en 2002, sous l'impulsion de Annie Bergeret-Curien, sinologue et chargée de recherche au CNRS de la Maison des Sciences de l'Homme à Paris. Elles naquirent suite à plusieurs années de rencontres et de colloques entre des auteurs, des chercheurs et des traducteurs. L'intérêt de ces premières discussions tenait à leur aspect professionnel d'une part et au fait qu'elles avaient lieu hors de Chine, permettant aux auteurs chinois une plus grande liberté d'expression et leur donnant la possibilité de dialoguer avec leurs collègues de Taiwan.

2012 148/208 Le nom ALIBI fut choisit en partie pour l'origine latine du mot, qui signifie « ailleurs ». Ces Ateliers LIttéraires BIpolaires ont conservé l'objectif initial de réunir des auteurs et des traducteurs de pays et de cultures différents, parlant le français ou le chinois. Elles se déroulent en France, en Chine ou à Taiwan1. Les évènements ALIBI sont ponctuels et prennent deux formes : des ateliers et entre chaque échéance, des « interludes ». Ces ateliers qui encouragent la discussion entre des auteurs, sont autant d'alibis pour discuter avec soi-même2. Les débats sont ouverts au public, mais les intervenants sont sélectionnés par Annie Bergeret-Curien, en fonction des thèmes choisis pour les rencontres, des œuvres antérieures de chaque écrivain et de leur personnalité. Elle constitue ensuite des binômes d'écrivains et leur demande d'écrire une œuvre de fiction (poésie, nouvelles, comme ils le désirent) sur un thème commun. La contrainte est un autre alibi, un prétexte pour commencer la rencontre et lancer la discussion. Les auteurs et les traducteurs sont rémunérés pour leur travail.

Les différents textes sont par la suite traduits dans l'autre langue, puis collectés et publiés. Le premier recueil fut constitué en 2004, avec les éditions de la Maison des Sciences de l'Homme pour la version française et les éditions You Feng pour la version chinoise.

Les débats partent des compositions rédigées pour l'occasion mais ne se limitent jamais au thème prescrit. Depuis 2002, 17 thèmes furent abordés : le quartier, la couleur, le nom, etc..3 Une réelle conversation est possible entre les intervenants grâce à une traduction consécutive réalisée par une interprète. Les rencontres permettent de dégager des points communs entre les perceptions des intervenants (par rapport à la modernisation, la crainte de l'uniformisation...) et entrainent une réflexion des auteurs et des traducteurs, tant sur le fond que sur la forme littéraire.

Les « interludes » furent créés plus tard, en 2007, dans le but de réunir des écrivains autour d'une question sur la pratique de l'écriture. Dans les faits, ils restent rarement

1 La dernière rencontre s'est déroulée à Taiwan en février-mars 2012, sur le thème « l'écriture et les flots ». 2 Entretien réalisé avec Annie Bergeret-Curien le 19/03/2012 3 Site des Archives Audiovisuelles de la Recherche (AAR)

2012 149/208 cantonnés aux réflexions techniques. Les deux formes d'ALIBI permettent un croisement des regards des auteurs et des chercheurs et font découvrir au public puis aux lecteurs les différents visages de la Chine et de la France (notamment par l'intervention des minorités).

2. Les prix littéraires

De nombreuses revues ou institutions remettent des prix littéraires, en France comme à l'étranger. Les prix chinois n'ont pas de résonance en France. Voici quelques prix de dimension internationale qui ont récompensé des auteurs chinois.

• The Nobel Prize in Literature (Prix Nobel de littérature), inauguré en 1901, est sans doute la distinction la plus convoitée internationalement. Elle fut remise à un auteur chinois pour la première fois en 2000. Il s'agissait de Gao Xingjian pour La montagne de l'âme. L'auteur fur félicité pour son œuvre de portée universelle, qui ouvrait de nouvelles voies à la littérature chinoise, notamment du fait de sa forme originale. Pour la presse française, ce Nobel était également un geste politique adressé à un écrivain « contestataire », puisque Gao Xingjian quitta la Chine après les évènements de Tiananmen en 1989 et fut naturalisé français en 19981.

• Man Asian Literacy Prize Le prix littéraire Man Asian fut créé en 2007. Il récompense une fois par an un auteur asiatique, homme ou femme, pour son ouvrage composé ou traduit en anglais. L'auteur qui le remporte reçoit 30 000 dollars américains (plus de 20 000 euros) et son traducteur 5000 (plus de 3500 euros). Le premier prix attribué en 2007 revint au chinois Jiang Rong pour le Totem du loup, traduit en anglais par l'américain Howard Goldbatt chez Penguin. Le prix de 2008 fut remis aux philippin Miguel Syjuco et le troisième à l'écrivain chinois Su Tong, pour The boat to redemption publié chez Doubleday et traduit par Howard Goldbatt (traduit en français sous le titre La berge en 2012 par Gallimard, coll. « Bleu de Chine », trad. François Sastourné).

1 Le Temps, André CLAVEL, 13/10/2000 et La Croix, Nathalie Chrom, 13/10/2000

2012 150/208 Le prix est sponsorisé par le groupe britannique Man, gestionnaire d'investissements. Le groupe sponsorise également trois autres prix littéraires, dont le Man booker international Prize, lancé en 2005, qui récompense également des auteurs pour leur œuvre traduite en langue anglaise. Le gagnant remporte 60 000 livres sterling, soit plus de 70 000 euros.

• Le Prix Vie heureuse fut fondé en décembre 1904 dans le but de concurrencer le prix Goncourt (1903). Son jury, composé d'une vingtaine de femmes, obtint le soutien financier de la librairie Hachette (et le conserva malgré le nombre très faible de prix accordés à des ouvrages de sa maison d'édition). En 1922, il fut rebaptisé Femina et le jury fut réduit à douze femmes. Le prix récompensa deux auteurs d'origine chinoise vivant en France depuis le début des années 1990 : François Cheng pour Le Dit de Tianyi en 1998 publié chez Albin Michel et 戴 思 杰 Dai Sijie (1954-) pour Le complexe de Di, édité par Gallimard, en 2003. La capitale déchue de Jia Pingwa remporta le prix Femina international en 1997 (Stock, trad. Geneviève Imbot-Bichet).

3. Culture et littérature

La diffusion de la littérature chinoise passe également par des institutions publiques ou des associations. Les bibliothèques, médiathèques et autres espaces où il est possible d'emprunter des livres, sont des endroits-clé de la médiatisation des œuvres auprès des lecteurs. Par leurs « coups de cœur » et leurs conseils, les bibliothécaires influencent les abonnés. Des clubs de lecture sont souvent mis en place par ces établissements qui organisent également des débats ou des conférences en rapport avec des ouvrages.

D'après un sondage réalisé par l'Insee en 20031, 12% des hommes étaient inscrits dans une bibliothèque contre 20% de femmes en moyenne. L'estimation de fréquentation des bibliothèques (sans y être inscrit) donne un nombre plus élevé : 16% des hommes et 25% de femmes. Les [15-24] ans et les [35-44] ans sont les plus nombreux à être inscrits en 1 Insee, Enquête « Participation culturelle et sportive », partie variable de l'enquête PCV de mai 2003, par Lara MULLER, p. 16-17

2012 151/208 bibliothèques ou à s'y rendre : respectivement 25.5% et 21% d'inscrits ; 35% et 25% de non inscrits. Les étudiants qui ont obtenu leur baccalauréat sont les plus grands consommateurs de livres en bibliothèque : 32% d'entre eux y sont inscrits et 44% en fréquentent sans l'être, en dehors de leurs obligations scolaires. La seconde catégorie socio-professionnelle est celle des professions intermédiaires (26% dans les deux types de fréquentation). Les célibataires de moins de 30 ans sont 27% à être inscrits et 39% à en fréquenter une, ce sont les premiers utilisateurs des bibliothèques. En 2008, en moyenne 14,6% des habitants d'une municipalité étaient inscrits dans sa bibliothèque1.

Les associations de promotion de la culture chinoise sont également des acteurs de diffusion de la littérature chinoise, même si ce n'est pas leur priorité principale. Les Instituts Confucius, dont la mission première est de dispenser l'enseignement du mandarin dans le monde, furent créés en 2004 sur le modèle des Alliances françaises (et d'autres associations à but non-lucratif du même type, anglaises ou espagnoles par exemple). En 2010, plus de 300 structures étaient implantées dans une centaine de pays2.

Le premier institut français fut inauguré à Poitiers. Les établissements relèvent soit d'une université, soit du statut d'association de la Loi de 1901. Le 汉 班 hanban ou « Bureau de la commission pour la diffusion internationale du chinois » est présent en France. Les instituts restent autonomes et développent des relations avec les partenaires locaux et régionaux, mais ils possèdent « un système de certification commun, garantissant une reconnaissance de la part des systèmes éducatifs et professionnels nationaux »3.

En plus des cours de langues, ils organisent des rencontres, débats, projections de films, expositions, permettant aux élèves de tout âge de découvrir la civilisation et la culture chinoises. Des bibliothèques sont systématiquement présentes dans les établissements, où les affiliés peuvent emprunter des livres en chinois et en français (certains censurés en Chine), ainsi que des revues spécialisées (Perspectives chinoises, Monde chinois, Planète chinois, Chine plus etc.).

1 Ministère de la culture et de la communication, direction du livre et de la lecture, in Insee Réunion, TER 2011 2 Les sites de l'Institut Confucius d'Angers et de l'Institut Confucius de Clermont-Ferrand donnent à cet égard des chiffres différents. 3 Site de l'Institut Confucius de Clermont-Ferrand

2012 152/208 Lieux d'implantation des instituts Confucius en Année Jumelage avec l'université France (nombre) d'implantation chinoise (de)

Associations Centre Culturel de la Chine à Paris 2006 / (Loi 1901) Clermont-Ferrand 2007 Université des études internationales de Pékin Rennes 2007 Jinan Arras 2008 Nankin Strasbourg 2008 la province du Jiangsu Toulouse 2008 Institut des langues étrangères de Tianjin Angers 2009 Yantai et l'Université de l'Est du Shandong Lyon 2009 Sun Yat-sen Saint-Denis (La Réunion) 2010 Huanan Universités Université de Poitiers 2005 Nanchang Université Paris 7 Denis Diderot 2007 Wuhan Université de la Rochelle 2007 Université des langues de Pékin (BLCU) Université Paris 10 Nanterre 2008 Xiamen Université Grenoble II 2009 Institut d'économie du Hubei

Source : Site du hanban

2012 153/208 Dans ce chapitre, nous avons pu constater que les professionnels de l’édition qui travaillent dans le secteur de la littérature chinoise sont très limités en nombre. Tous passionnés, la majorité des éditeurs et des traducteurs exercent une autre activité professionnelle. Le secteur entier repose sur le travail des traducteurs et la confiance que leur accorde les éditeurs.

Le marché français tous éditeurs confondus reflète finalement assez bien le marché chinois aux yeux d'Isabelle Rabut. Il permet en effet aux lecteurs français de découvrir à la fois des auteurs connus et méconnus en Chine, des traductions de plus ou moins bonne qualité, sur des thèmes et dans des genres très variés (nouvelles, poésie, théâtre, romans etc.). Les éditeurs ne publient pas en fonction de la notoriété des auteurs ou des livres dans leur pays d'origine. D'ailleurs, certaines œuvres qui furent d'immenses succès dans leur version originale passent complément inaperçues en France.

En réalité, le marché français du livre chinois n'est pas fidèle aux lectures des Chinois, mais fait une bonne synthèse des productions littéraires de qualité. Beaucoup d'auteurs restent à découvrir, notamment sur internet.

2012 154/208 Chapitre IV : Les représentations de la Chine véhiculées par les œuvres

Ce chapitre a pour but d'analyser les différentes représentations de la Chine véhiculées par les nouvelles ou les romans de la sélection. Ce corpus a été effectué à partir des articles de presse de plusieurs quotidiens, hebdomadaires, bimensuels ou trimestriels diffusés en France (à l'échelle nationale) en 2009. Voici un tableau récapitulatif des œuvres, classées par auteur (ordre alphabétique).

Auteur Titre Édition Chen Xiwo Irritation Reflets de Chine Feng Hua Seul demeure son parfum Ph. Picquier Feng Tang Une fille pour mes 18 ans L'Olivier Jiang Rong Le totem du loup Bourin LGF Huang Kuo Chun Essais de micro Actes Sud Lao She La philosophie de Lao Zhang Ph. Picquier Luo Guanzhong Les trois royaumes (tomes 1 et 2) Flammarion (réédition) Mian Mian Panda Sex Au Diable Vauvert Quarante et un coups de canon Seuil Mo Yan La dure loi du karma Seuil Pu Songling Les trois contes étranges PUF / Fondation M. Bodmer Shenfu Six récits au fil inconstant des jours JC Lattès Su Tong Le mythe de Meng Flammarion Des yeux gris clairs Bleu de Chine Wang Meng Contes de l'ouest lointain Bleu de Chine Les jours, les mois, les années Ph. Picquier Yan Lianke Bons baisers de Lénine Ph. Picquier Le rêve du village des Ding Ph. Picquier Yu Dan Le bonheur chez Confucius Belfond Brothers Actes Sud Yu Hua Sur la route à dix-huit ans Actes Sud Elles parurent toutes en 2009, à l'exception des deux ouvrages de Wang Meng (2002), évoqués dans Le Monde au moment de la répression des émeutes au Xinjiang et Brothers de Yu Hua (2008). Le totem du loup de Jiang Rong et Le rêve du village des Ding de Yan Lianke firent tous deux l'objet d'articles au moment de leur sortie en format poche (publiés en grand format en 2007).

2012 155/208 Le corpus présente des ouvrages « classiques » tels que Les trois royaumes de Luo Guanzhong ou Six récits au fil des jours de 沈 复 Shenfu (1763-19865) ; et un ouvrage « moderne » : La philosophie de Lao Zhang de Lao She. Je ne détaillerai pas le contenu de ces œuvres car les deux premières sont des rééditions et la troisième est la seule à décrire la société chinoise du début du XXe siècle. Les autres auteurs sont tous contemporains.

I- Les deux Chine

Il est possible de discerner deux temps dans ces publications : celles qui traitent de la Chine maoïste (collectivisation, envoi des jeunes instruits à la campagne) et celles qui abordent la Chine de l'ouverture économique et des débuts du libéralisme. La majorité des ouvrages du corpus dépeignent une Chine rurale, pittoresque, sous-développée. Les publications qui traitent de la Chine urbaine, moderne, sont quant à elles rédigées par des écrivains de la nouvelle génération, née dans les années 1970.

A- La Chine rurale

Les récits se déroulant à la campagne véhiculent différents messages. Certains dénoncent le manque de développement des zones rurales et l'écart de richesse entre les provinces côtières à l'Est et les régions dans les terres. Certains ouvrages cherchent plutôt à louer la vie traditionnelle dans les zones rurales. Ils sont dans ce cas l’œuvre d'anciens jeunes instruits partis se faire rééduquer auprès des minorités ethniques. Enfin, certains romans dénoncent simplement les abus de pouvoir des représentants du Parti Communiste chinois, loin de la capitale.

Dans tous ces textes, la Chine est représentée comme un pays pauvre, en retard économiquement. Les Chinois des zones rurales essayent majoritairement de survivre et de s'adapter aux différentes impulsions politiques. Les personnalités sont très variées.

2012 156/208 1. Une Chine pittoresque

Mo Yan et Yan Lianke plantent toujours leur décor à la campagne. Yan Lianke confia au 2009 : « celui qui ne prête pas attention à sa terre et à ceux qui y vivent n'est pas un grand écrivain »1. L'un des principaux thèmes des ouvrages est la pauvreté de la campagne, opposée de façon plus ou moins explicite à la richesse des centres urbains ou des villes, notamment côtières. Les zones rurales semblent avoir conservé leur fonctionnement traditionnel et une économie principalement primaire. La majorité des personnages sont des éleveurs ou des agriculteurs, quelques-uns sont artisans (maréchal- ferrant) ou commerçants (vendeurs de bric-à-brac, de raviolis à la vapeur, etc.). Le travail de récupération est également très important, puisqu'il permet aux plus démunis de gagner de l'argent (Quarante et un coups de canon et Brothers).

Dans les années 1990, les routes dans les zones rurales ne sont pas goudronnées (à l'exception des voies entre les grandes villes) et l'éclairage public est inexistant. D'ailleurs, peu de Chinois ont chez eux l'eau courante ou l'électricité, même si les installations deviennent plus fréquentes. (voir les graphiques page suivante). Les voitures sont plutôt rares : les Chinois se déplacent en motoculteur, à vélo ou à pied. Il existe des écoles mais la présence des enfants n'y est pas obligatoire. Beaucoup d'adultes ne savent pas lire.

Une partie de la culture chinoise traditionnelle a été conservée et ressurgit au moment de fêtes ou d'évènements importants (discours officiels, enterrements). L'offre systématique de cadeaux - parfois assimilable à des pots-de-vin - est caractéristique de cette culture traditionnelle. Cependant, l'idéologie confucéenne n'a pas retrouvé sa force d’antan : les anciens ne sont plus respectés, les femmes sont libres de travailler et n'hésitent pas à hausser le ton face à leur mari... La sexualité est plus libre et l'adultère fréquent.

Les échanges entre les Chinois ruraux peuvent être assez violents, sur le plan verbal comme physique : les insultes sont récurrentes, les altercations violentes et les vengeances terribles (un enfant est empoisonné dans Le rêve du village des Ding ; la mère du personnage principal meurt d'un coup de hache dans la tête dans Quarante et un coups de canon). Les propos sont très crus et la crapulerie monnaie courante : dans Quarante et un coups de canon par exemple, l'usine d'abattage gonfle la viande d'eau avant de la vendre à la ville.

1 Le Monde, 17/04/2009, Raphaëlle Rérolle, p.8

2012 157/208 Source : perspective.usherbrooke.ca/bilan

Ces ouvrages forment un tableau très négatif de la Chine rurale, même si les personnages sont attachants. Leurs descriptions réalistes s'opposent à celles des romans qui témoignent de la vie auprès des minorités ethniques : réalistes également, ils dégagent une certaine poésie et montrent davantage les facettes positives de la vie rurale.

2012 158/208 2. La rééducation auprès des minorités ethniques

Ce thème est développé dans deux ouvrages du corpus : le recueil Contes de l'ouest lointain de Wang Meng (2002) et Le totem du loup de Jiang Rong (2007). De nature autobiographique, les deux livres montrent l'émerveillement de deux Chinois qui se rendirent à la campagne au moment de la Révolution culturelle. Tous deux en exil dans des provinces riches d'une culture différente, ils ressentirent le besoin d'écrire sur cette période de leur vie, mais aussi de transmettre leurs impressions sur des civilisations menacées de disparition. a. Le Xinjiang

Le recueil de nouvelles de Wang Meng Contes de l'ouest lointain, fut mis en avant par Françoise Naour dans un lettre adressée au Monde, publiée le 28 juillet 2009 au moment de la répression des émeutes au Xinjiang (rubrique « Courrier du jour », page 24). Elle citait dans le même article Des yeux gris clairs de Wang Meng, traduit également chez Bleu de Chine en 2002, que je n'ai pas réussi à me procurer. Elle souhaitait, documents à l'appui, rappeler la bonne entente des ethnies Han et Ouïgour au Xinjiang et dénoncer les discours et les manipulations de ceux qui parlaient d'une haine ancestrale entre les deux peuples, envenimant le conflit.

Wang Meng décida de partir au Xinjiang l'hiver 1963. Il y demeura jusqu'en 1979, année de sa réhabilitation. Durant son exil, il découvrit et apprit la langue ouïgoure et se plongea dans sa littérature, qu'il entreprit de traduire en chinois. Il arriva dans cette province en tant que sous-chef d'une brigade de production rurale et fut très surpris du manque d'enthousiasme des masses paysannes face à la réforme agraire. Il était alors persuadé du bien fondé de son exil, dans l'objectif d'être rééduqué au contact des forces productives.

Il présente une province en retrait de la société chinoise, très inégalement touchée par les différentes campagnes politiques communistes (les Quatre assainissements, la Révolution culturelle, le mouvement contre les Quatre vieilleries, la redistribution des terres aux paysans). Il écrit page 49 : « la vie dans les campagnes privilégiées continua d'évoluer à son rythme de toujours, sans précipitation ni à-coups, dans un climat de

2012 159/208 relative stabilité ». Dans les trois nouvelles qui composent le recueil Contes de l'ouest lointain, il expose sans jamais se plaindre ses conditions de vie aux côtés de gens simples. Il décrit ses camarades, avec lesquels il a travaillé aux champs, mais aussi ses hôtes et leur maison délabrée. L'organisation du travail, le fonctionnement des brigades de production et le travail de terrassement sont abordés, mais ils ne constituent pas le véritable contenu des textes. Ces récits ocres, suaves, donnent l'impression d'une vie coupée du monde, pauvre mais tranquille. La deuxième nouvelle notamment, très poétique, raconte comment son hôte fabrique de l'alcool à partir de simple jus de raisin, qu'il laisse fermenter dans une bouteille en verre accrochée à la sous-pente extérieure. Wang Meng, émerveillé comme le serait un enfant, ne cesse d'aller contempler cette bouteille et admirer au travers du liquide les contours des montagnes du Xinjiang.

Il décrit une région à la fois coupée du monde et de l'effervescence politique de Pékin, une province où les habitants ne se sentent pas chinois : ils parlent rarement le putonghua, sont majoritairement musulmans et ont leurs propres rites et coutumes. Wang Meng montre l'incompréhension des paysans locaux face aux ordres du Parti communiste chinois qui réorganise la vie rurale et le système de production. Une incompréhension aussi bien technique que culturelle : les habitants du district achètent par exemple tous un cartable rouge car ils n'ont pas perçu la symbolique de la couleur dans le texte officiel. La campagne des Quatre vieilleries (四旧 sijiu) qui condamne les vieilles pensées, la vieille culture, les anciennes mœurs et habitudes (" 破 除 旧 思 想 、 旧 文 化 、 旧 风 俗 、 旧 习 惯 "pochu jiu sixiang, jiu wenhua, jiu fengsu, jiu xiguan) ne semble avoir touché les habitants que superficiellement. Le poids de la religion et de la tradition reste très fort, mais les habitants prennent tout de même leurs précautions en présence d'officiels communistes de passage.

Wang Meng dresse le portrait de gens chaleureux, qui ont le sens de l'hospitalité et acceptent et intègrent les étrangers au sein de leur communauté. Les habitants du Xinjiang devenus personnages de ses écrits sont touchants et dotés de fortes personnalités. Son premier ami, Mohammed Ahmed joue le rôle d'ambassadeur entre les Ouïgours et les Hans, car il est le seul à parler chinois. Wang Meng écrit à son sujet : « il faisait en sorte que les échanges entre les deux communautés fussent sincères et harmonieux ; il se gardait de toute parole, de tout geste susceptible de compromettre l'indispensable unité »1. Cet

1 WANG Meng, Contes de l'ouest lointain, Bleu de Chine, 2002, trad. Françoise Naour, p. 31

2012 160/208 homme fut cependant cassé par le régime communiste lors de la campagne « Lutter- Critiquer-Réformer » : parce qu'il aimait la littérature, la musique et chanter, mais aussi parce qu'il jouait ce rôle de passeur entre les deux cultures, il fut accusé d'espionnage. Violenté et taxé de contre-révolutionnaire, abandonné par ses camarades et sa communauté, le jeune « hermaphrodite » (terme utilisé pour désigner sa probable homosexualité) finit par « rentrer dans le rang » : il cessa d'adopter un comportement excentrique et acheta une épouse vivant dans le Xinjiang du Sud (il paya sa dot).

Le Xinjiang apparaît comme une province en retard sur le plan des connaissances (géographie, histoire, médecine) comme de la technologie (ils ont un poste de radio qu'ils laissent toujours allumé car ils ne savent pas comment l'éteindre), habitée par un peuple chaleureux, dépositaire d'une culture riche mais menacée par les réformes politiques de la capitale.

b. La Mongolie intérieure

Jiang Rong se rendit quant à lui en Mongolie intérieure en 1967. Né en 1946 dans une famille de militaires, ses deux parents étaient considérés comme des héros : sa mère, décédée en 1957, donna sa vie à la révolution ; quant à son père, vétéran de la guerre sino- japonaise, il était un haut fonctionnaire du ministère de la santé. À l'âge de 20 ans, Jiang Rong devint garde rouge. Cependant, son père fut très vite taxé de « sommité académique révolutionnaire », battu et humilié. Son fils prit alors la décision de partir, craignant les gardes rouges. Il choisit pour son exil « l'endroit le plus dur pour forger [son] caractère » : la Mongolie intérieure1. Il y vécut onze ans, dont trois qu'il passa en prison pour avoir publiquement critiqué le numéro deux du Parti.

Il revint à Pékin en 1978 et co-fonda la revue 北京之春 Beijing zhi chun Le Printemps de Pékin. En 1989, il participa aux manifestations sur la place Tiananmen et fut condamné à 18 mois de prison. Il est depuis interdit de publications (y compris universitaires) et garde une rancune tenace pour ceux qui n'ont rien fait et ont laissé ce massacre avoir lieu. Professeur à l'université de Pékin, il épousa la romancière Zhang Kangkang, devenue Présidente du Comité des écrivains. Son roman Le totem du loup échappa à la censure car

1 Libération, le 07/02/2008, Pascale NIVELLE

2012 161/208 il fût publié sous un pseudonyme :姜戎 Jiang Rong renvoie au nom d'un ancien empereur nomade ; son véritable patronyme est 吕嘉民 Lü Jiamin. Il ne le révéla qu'après l'obtention du prix Man Asia en février 2008.

Le roman raconte la rééducation d'un jeune han auprès des Mongols, non loin de la frontière russe. Chen Zhen est un jeune instruit qui a fait le choix de quitter la capitale avec ses amis. Il découvre la dure vie dans la steppe aux côtés des nomades et le travail pastoral. Le climat éprouvant, la présence de nombreux animaux sauvages (loups, marmottes, rats), les privations alimentaires... n'empêchent pas le jeune homme de tomber sous le charme du mode de vie des nomades et de leurs traditions. Fasciné par les loups, il rêve de récupérer un louveteau, de l'élever et de pouvoir l'observer à loisir. Cependant, il a été décidé par la commune populaire que les loups devaient être exterminés et les nomades sédentarisés. Malgré la résistance des anciens, fondée sur une excellente connaissance de leur territoire et de l'équilibre naturel, les Hans et des Mongols sédentarisés venus du Nord-Est se lancent dans une chasse aux loups féroce : recherche des tanières, massacre des louveteaux… aucun animal n'est épargné. Les bêtes, traquées en permanence et rendues extrêmement agressives par la disparition de leur progéniture, deviennent de plus en plus sournoises, haineuses. Les attaques contre les troupeaux de chevaux ou de bétail sont de plus en plus organisées et terribles et donnent à voir au lecteur la patience et l'intelligence tactique du loup.

Les nouveaux venus ne respectent ni les traditions ancestrales, ni les croyances du peuple nomade : ils mettent le feu à la steppe lors des traques, ne respectent pas les bêtes… Surtout, ils ne comprennent pas que la beauté et la richesse de la steppe reposent sur un équilibre fragile, dont l'homme fait partie sans le contrôler. Chen Zhen, qui s'entête à garder captif son louveteau, fait de lui un animal domestique mi-chien mi-loup, rejeté de tous. Les dents une fois cassées, l'animal n'a plus aucune chance de retrouver sa liberté et de survivre. Loin des siens, en permanence attaché, le louveteau privé de liberté suscite la pitié.

Pourtant sans histoire d'amour ni connotations sexuelles (réputées faire vendre en Chine), 600 000 exemplaires du roman furent vendus durant les trois mois suivant sa sortie. Au moment de sa parution en version française, entre trois et quatre millions d'exemplaires avaient été vendus en Chine ; les copies pirates étaient estimées à plus de 16

2012 162/208 millions. Le roman figura deux ans parmi les dix meilleurs ventes chinoises1. En mars 2010, 28 pays avaient acheté les droits de traduction : Penguin aurait versé 100 000 dollars pour acheter les droits en anglais ; en France, les éditions Bourin dépensèrent 50 000 euros2.

Ce roman-témoignage créa beaucoup de polémiques en Chine car il est un véritable hymne à la liberté. Il compare les civilisations mongole et han et dénonce la tradition confucéenne, les paysans et les fonctionnaires qui ont toujours aspiré à la sécurité et à la stabilité, au détriment de la liberté. Aux yeux de Jiang Rong, les Hans sont faibles, passifs. Il les compare à des moutons terrorisés par ces loups nomades venus du Nord. Dans une interview réalisée par Jean-Jacques Augier, l'auteur explique que les Chinois ont toujours subis des défaites face à des ennemis inférieurs en nombre « parce qu'un peuple sans esprit de liberté ne peut progresser, parce qu'il est faible et facile à soumettre »3. Le roman est devenu la Bible des entrepreneurs chinois qui y voient une « apologie de la compétition internationale »4. Les conservateurs, quant à eux, qui ne cessent de lutter contre les droits spéciaux accordés aux minorités ethniques en Chine, en réclament l'interdiction. Insultés par la comparaison de Jiang Rong, ils accusent les « barbares nomades » du retard de la Chine (la dynastie Yuan 元 朝 [1206-1368] était d'origine mongole). Pour l'auteur, le mécontentement des conservateurs est le signe que son message a bien été saisi.

Beaucoup de débats et de conférences, notamment télévisés, furent organisés autour du livre. Jiang Rong, par prudence, ne se rendit à aucun d'entre eux. Il accepta cependant de répondre aux interviews, mais souhaitait que son livre soit médiatisé davantage que sa personne. De retour sur les lieux du roman dix ans après son exil, il a pu constater l'accomplissement des prédictions des anciens : le bétail a complètement défriché la steppe, la transformant lentement en désert. L'auteur finance aujourd'hui une Organisation Non Gouvernementale (ONG) chargée de protéger la steppe. De son côté, le gouvernement chinois a déclaré le loup comme espèce protégée.

1 Livres Hebdo, le 15/02/2008, Marie KOCK 2 Libération, le 07/02/2008, « Les tribulations de Jiang Rong. L'année du loup », de Pascale Nivelle 3 Interview de Jean-Jaques AUGIER réalisée le 26/11/2007, disponible sur le site Totemduloup.fr 4 Libération, le 07/02/2008, op. cit.

2012 163/208 3. Le Parti communiste en zone rurale

Bien que les paysans pauvres aient été considérés comme les premières forces productives du maoïsme et des modèles pour les jeunes instruits, les zones rurales ne furent pas épargnées par les différentes campagnes politiques du régime. La collectivisation, le Grand Bond en avant et la Révolution culturelle, frappèrent durement la population et eurent des conséquences terribles. Dans La dure loi du karma, un propriétaire terrien est fusillé peu après la proclamation de la République populaire de Chine et se réincarne successivement en plusieurs animaux, devenant le témoin de l'évolution du régime. Son ancien valet, devenu son propriétaire, s'obstine à rester indépendant et refuse de rejoindre la brigade de production. Il obtient la protection du chef du district jusqu'à ce qu'il soit lui- même renversé. Harcelé en permanence, ses enfants et ses bêtes sont maltraités pour le contraindre à participer à la collectivisation.

Bons baisers de Lénine aborde également ces périodes douloureuses : l'espoir suscité par la collectivisation, l'incompréhension face au Grand Bond en avant... Dans Brothers, Yu Hua montre quant à lui la violence de la Révolution culturelle dans une petite ville de campagne, qui finit par grossir et devenir dans les années 1990 une ville de taille respectable.

Les ouvrages de la génération des anciens, nés dans les années 1950-1960, critiquent fortement la corruption en tant que défaillance généralisée du système : elle est véritablement présente à tous les niveaux. Ainsi, pour pouvoir obtenir un permis de construire, il faut rendre visite au cadre local et ne pas oublier d'apporter un petit quelque- chose....(Quarante et un coups de canon). Un cadeau qui représente un véritable investissement : une bouteille de 茅台 maotai, des paniers de fruits, etc. Autant de denrées dont les Chinois pauvres se privent au quotidien et n'ont pas les moyens de consommer eux-mêmes. Les cadeaux sont donnés au moment de formuler une demande ou lors des fêtes de la nouvelle année. Ces présents sont parfois maquillés. Toujours dans Quarante et un coups de canon, les directeurs de l'usine d'abattage de viande « perdent » 9000 yuans au Majong au bénéfice du chef du service de quarantaine de l'usine, chargé de contrôler la qualité de la viande.

2012 164/208 Une autre critique concerne plus directement les agissements des cadres du Parti et leurs abus de pouvoir. Dans Le rêve du village des Ding (abordé plus haut), l'administration protège les cadres qui se livrent à un véritable trafic de cercueils et s'enrichissent honteusement. Alors qu'ils ont exploité les paysans et profité de leur crédulité pour leur faire vendre des litres de sang sans précautions d'hygiène, ils ne sont pas punis, mais promus ! Tout comme dans Bons baisers de Lénine, les cadres du Parti ne recherchent que leur intérêt propre. Dans le premier ouvrage ils sont avides d'argent, dans le second de reconnaissance.

B- La Chine urbaine

Les vingt dernières années ont été le cadre d'une marche forcée vers l'urbanisation, à grands coups de parcs immobiliers et de construction d'autoroutes. Bien qu'une importante partie du territoire ait été délaissée, la Chine urbaine ne peut plus être réduite aux très grandes villes telles que Pékin, Shanghai ou Hong Kong. Chengdu, 武汉 Wuhan ou 重庆 Chongqing sont à leur tour devenues des villes de taille importante, comptant plus de 8 millions d'habitants en 2010.

Pour beaucoup, les villes sont associées au progrès, au développement, à la réussite et à la modernité ; ceux qui n'y résident pas sont stigmatisés. Pour Han Shaogong, les villes sont synonymes « de circulation démente et spectacles de débauche »1. Il dénonce une vision simpliste de la modernité, supposée apporter le bonheur à tous et critique le « progrès » qui ne leur a toujours pas permis d'être heureux : les frais d'éducation deviennent de plus en plus inabordables, l'économie génère de nombreuses externalités négatives (notamment environnementales)... Les 民 工 mingong paysans migrants vivent dans des conditions misérables et beaucoup de Chinois des classes aisées n'ont pas conscience de la pauvreté de nombreux de leurs compatriotes.

Les ouvrages du corpus présentent une Chine urbaine violente où la jeunesse des années 1980-1990, dans un contexte d'ouverture économique du pays, a perdu ses repères.

1 HAN Shaogong, « Le retour du progrès », in Écrire au présent, Annie Bergeret-Curien (dir.), éditions de la Maison des Sciences de l'Homme, 2004, p. 39-44, p.40

2012 165/208 1. La perte de repères

Dans les centres urbains, la violence semble être banalisée du fait de gangs ou de bandes mafieuses. Feng Tang dresse le tableau de policiers devenus peureux et lâches, qui n'osent pas sortir une fois la nuit tombée. Par peur des bandes qui s'affrontent à l'arme blanche (du couteau à la barre de fer), ils n'interviennent plus dans les rues sauf pour s'en prendre aux vendeurs ambulants. Et encore, précise l'auteur, ils ne confisquent que la marchandise des faux Ouïgours : « les vrais connaissent à peine le mandarin et conduisent des triporteurs sans immatriculation (…) et il ne viendrait à personne l'idée de les provoquer : ils ont toujours au moins deux couteaux sur eux, un cimeterre à la ceinture et une dague dans la botte »1 .

Dans Quarante et un coups de canon, la violence est policière : le narrateur qui kidnappe des chats pour les revendre à des restaurants se fait arrêter, puis est passé à tabac. Plus loin dans le livre, au cours des années 1990, deux bandes rivales s'attaquent en plein jour sur une route passante...

Une fille pour mes 18 ans dépeint la Chine urbaine au moment des Quatre modernisations et de l'ouverture économique. Le Parti communiste chinois, toujours présent dans les quartiers et les écoles, est symbolisé par la vieille représentante du comité de quartier et le responsable de la moralité et de l'éducation politique dans l'établissement scolaire du narrateur. Cependant, l'idéologie du régime est devenue un discours que les jeunes apprennent à maitriser pour se faire apprécier des professeurs et non un enseignement politique et moral. Le communisme a perdu son aura au profit du capitalisme et des marques occidentales : Nike, Adidas, Puma, Land-Rover, BMW... autant de marques de distinction qui permettent de montrer son statut social et sa richesse et surtout d'attirer le regard des filles ! Les États-Unis apparaissent comme le lieu de prédilection pour faire des études universitaires et s'assurer un bon statut en Chine une fois diplômé.

Ces jeunes qui méprisent l'éducation et la morale sont souvent issus de classes aisées et savent que leur avenir est assuré par la position de leurs parents. Ils n'ont pas de problèmes d'argent, même s'ils n'ont pas forcément de quoi acquérir les dernières baskets à la mode.

1 Extrait de Une fille pour mes 18 ans, Feng Tang, L'Olivier, trad. Sylvie GENTIL, p. 23

2012 166/208 Ils témoignent d'un véritable changement de génération et de mentalité : trop jeunes pour avoir subis la Révolution culturelle et les campagnes politiques, ils sont devenus de grands consommateurs de produits étrangers (habillement, voiture, musique, etc.). Ils ont grandi dans une Chine ouverte sur le monde, qui tait ses souffrances passées.

2. Les nouvelles relations homme-femme a. La sexualité des jeunes

Tous les romans dont l'intrigue se situe à la ville ont pour thème principal le sexe chez les adolescents ou les jeunes adultes. Dans Une fille pour mes 18 ans, le narrateur se rappelle son adolescence dans les années 1980 et ses préoccupations de l'époque. Beau parleur, il se prenait pour un petit voyou, fumant et jouant au poker. Mais surtout, il était véritablement obsédé par les filles et plus particulièrement par l'une de ses voisines. Des scènes de masturbation au voyeurisme, le roman dévoile un jeune garçon particulièrement friand de revues pornographiques et de romans d'érotisme chinois ou étrangers, qui n'est ni attiré par l'argent, ni par le pouvoir.

Pour Nadège Badina, « le roman exalte l'urgence et la difficulté à exister. (…) Feng Tang invite à méditer sur les questions de l'amour, du rapport à soi-même et au monde »1. Le roman donne une image de la Chine totalement différente de celle perçue par Roland Barthes qui rédigea en 1974 ses Carnets de voyage en Chine, publiés début 2009 chez Christian Bourgeois. Moins de vingt ans après sa visite en Chine, les jeunes chinois n'ont plus rien d'asexué ni de timide.

Dans Brothers, un « Concours national des miss vierges » est organisé pour élire la plus belle vierge de Chine. Le concours, évidemment truqué, est l'occasion pour les organisateurs de rencontrer de belles chinoises prêtes à tout pour gagner. La grande majorité des candidates sont de fausses vierges, qui ont fait l'acquisition d'hymens artificiels au marché noir...

1 Site Evene

2012 167/208 Dans Panda sex, Mian Mian dresse le portrait de la jeunesse branchée et décadente de Shanghai, dans les années 1990-2000. Des jeunes laissés à eux-mêmes, pris dans une spirale de fêtes, de drogue et de sexe. Ils semblent complètement déracinés de la réalité et ne vivent que pour s'amuser. Les personnages n'ont pas de nom : ils sont parfois désignés par leur profession (le « flic-présentateur »), par des lettres (« ABC » ou « K. »)... Le lecteur se perd rapidement dans le flot des personnages qui se croisent et entretiennent plusieurs relations sentimentales - ou sexuelles - en parallèle. Les jeunes des classes privilégiées jouent en permanence un rôle, au point de ne plus savoir vraiment ce qu'eux- mêmes désirent et qui ils sont. Ils mènent des vies dangereuses : overdoses, meurtres... La jalousie est constante dans un univers où le sexe n'est considéré que comme un loisir ; la pression exercée par les journalistes et les paparazzis rendent les jeunes arrogants et narcissiques. Très original sur le plan de la forme, les nombreux dialogues du roman donnent à voir les réflexions de ces jeunes sur leur quotidien festif, l'amour et leur propre personnalité.

b. Des rapports déséquilibrés

Le roman de 冯华 Feng Hua (1972-), 如影随形 ru xing sui xing Seul demeure son parfum, est à la fois un roman policier et un roman psychologique, qui raconte l'enquête menée par un policier à la recherche d'un tueur en série. L'auteur a commencé à écrire en Malaisie où elle faisait des études d'informatique. Connue en Chine pour ses romans policiers, certains d'entre eux furent adaptés à la télévision. Seul demeure son parfum est son seul roman traduit en français (Philippe Picquier, trad. Gilles Moraton et Li Hong). Le style du livre diffère des autres ouvrages du corpus : le point de vue omniscient fait des allers retours entre les trois principaux personnages (le policier, une jeune médecin et le tueur) et les scènes s'enchainent rapidement. Comme dans une série policière télévisée, le lecteur assiste aux scènes de meurtres et une importante partie du texte est composée de dialogues. Ce roman offre un divertissement passager.

Le sexe est au cœur du récit : les trois personnages principaux ont tous été marqués par leur passé qui les empêche de vivre heureux et d'avoir des relations amoureuses stables. La jeune médecin, attouchée dans son enfance par un voisin et qui a refoulé ce souvenir ; le policier, trahi par sa petite amie ; et le tueur, qui n'a confiance en aucune femme et se

2012 168/208 considère comme le juge qui punit de mort les femmes volages coupables d'adultère… sont tous des personnages traumatisés dans leur enfance ou leur adolescence.

Le roman aborde les questions des rapports homme/femme dans la société contemporaine, des rapports déséquilibrés qui combinent influences traditionnelles et considérations modernes. Une forte obligation de se marier pèse toujours sur les jeunes. Ainsi, rester célibataire est perçu de façon très négative. Parallèlement, le nombre de divorces augmente et l'adultère est de plus en plus fréquent. Les relations sont complètement déséquilibrées entre l'homme, qui a conservé son rôle traditionnel et la femme qui s'est émancipée. L'homme est censé travailler et apporter le capital financier au foyer ; il a notamment la responsabilité d'acheter l'appartement du couple sur ses fonds propres. Il doit également être galant, attentionné et romantique et couvrir sa femme de cadeaux. Pour les femmes, il n'est plus question de respecter les différents critères confucéens : « les trois obéissances de la femme : à son père, à son mari, à son fils aîné dans le veuvage ; les quatre vertus : chasteté, modestie dans les paroles, décence dans les manières, ardeur au travail »1. Elles sont au contraire de plus en plus libres et exigeantes envers les hommes.

Le tueur en série l'explique à Pu Ke, le policier : « La société d'aujourd'hui prône la liberté de la femme et son égalité avec l'homme. Les femmes réclament de plus en plus de droits, comme si elles étaient toujours les esclaves des hommes, opprimées et exploitées par eux. En réalité, ce n'est pas tout à fait ça. (..) [Les femmes] pensent qu'elles peuvent demander des cadeaux, de l'argent, exiger une place brillante dans la société, et une obéissance absolue et sans condition de la part des hommes. Dans cette situation, la plupart des hommes cèdent et passent sous leur contrôle, s'ils ne le font pas, ils prennent le risque d'être quittés. Ce que les femmes appellent l'amour est en fait satisfaction d'exigences qu'elles ont fixées à l'avance, et ce n'est que lorsqu'elles sont satisfaites que les hommes peuvent accéder à l'amour. (…) L'équilibre dans l'amour ne se construit que si les hommes consentent à perdre leur dignité et leur force de caractère. (…) En fait, ce sont les hommes qui sont victimes d'exploitation. C'est aux hommes que revient la plus grande responsabilité des charges de famille, et les femmes leur demandent encore de satisfaire leur vanité devant les autres ; on doit sans cesse leur fournir de l'amour. (…) Et quand

1 FENG Hua, Seul demeure son parfum, Philippe Picquier, 2009, p. 96

2012 169/208 l'équilibre est brisé, les conséquences sont très graves, c'est pour ça que dans les couples d'aujourd'hui les gens se détestent. Comment imaginer qu'ils se sont suffisamment aimés pour se marier ? »1

Le roman se penche également sur la notion du désir individuel et la planification de la vie des enfants par leurs parents, avant même leur naissance.

Les thèmes traités par les ouvrages du corpus se recoupent, mais les ouvrages se répètent rarement. L'écart est très net entre les ouvrages selon que l'intrigue se déroule à la campagne ou en ville. La seule exception est Brothers de Yu Hua, dont l'histoire se développe sur 40 ans : le bourg devient au fil des années et des investissements une véritable ville de taille moyenne.

1 id, p. 285-286

2012 170/208 II- Les marges du corpus

Sur les 21 livres du corpus, seulement trois furent rédigés par des femmes. La seule publication non han est 麥克風試音 maikefeng shiyin Essais de micro de l'auteur taiwanais 黃 國 峻 Huang Kuo-Chun (Actes sud, coll. « Lettres taiwanaises », trad. Esther Lin et Angel Pino). Les narrateurs et personnages principaux sont d'ailleurs systématiquement des hommes, même si des personnages secondaires importants sont du sexe opposé. La diversité des œuvres n'est donc pas due à l'origine ethnique ou sexuelle de leurs auteurs.

Il paraît logique que la littérature d'auteurs hans, plus importante en nombre, soit davantage traduite. Pourtant, les traducteurs comme les éditeurs ont pour motivation de faire connaître les différentes voix de la Chine, notamment celle des femmes et des minorités. Cette domination des textes d'auteurs hans de sexe masculin dans le corpus favorise une certaine représentation de la société chinoise. Il est possible de s'interroger sur les raisons de cette visibilité : il est probable que ces publications soient les plus nombreuses sur le marché chinois ; il est également probable que les librairies et grossistes en Chine mettent plus en avant ces publications, au détriment de celles rédigées par des femmes ou des auteurs appartenant à des minorités ethniques.

A- Les femmes

1. La visibilité de la littérature féminine selon les maisons d'édition

Il est impossible pour le consommateur de savoir si l'auteur chinois est un homme ou une femme simplement en regardant son nom. Une présentation succincte de la vie de l'auteur est généralement placée par l'éditeur en quatrième de couverture.

Au cours des vingt dernières années [1989-2009], la maison d'édition Bleu de Chine (1994-2009) est celle qui a le plus donné la parole aux femmes : le catalogue compte 14 femmes sur les 57 auteurs chinois (minorités inclues). Pour la majorité d'entre elles (8 sur 14), Bleu de Chine n'a publié qu'une seule de leurs œuvres (seuls 21 auteurs chinois furent traduits plus d'une fois). 迟子建 Chi Zijian (1964-) est la plus traduite parmi les auteurs femmes, avec trois œuvres publiées. Chez les hommes, le plus traduit est 刘 心 武 Liu Xinxu (1942-) (sept œuvres), suivi par Wang Meng et 刁 斗 Diao Dou (1960-) (cinq publications chacun).

2012 171/208 Actes Sud publie également des œuvres féminines, mais a adopté une stratégie différente : la collection « Lettres chinoises » suit des auteurs. Par conséquent, seules deux femmes sont présentes dans le catalogue, Chi Li et Zhang Xinxin, avec respectivement huit et quatre œuvres sur un total de 22 ouvrages sur la période [1989-2009].

Chez Philippe Picquier, tous genres confondus, seulement neuf des 33 auteurs chinois (minorités inclues) sont des femmes, soit 19 œuvres sur 66. Seuls dix auteurs ont plusieurs œuvres dans le catalogue. est l'auteur la plus traduite du catalogue, avec Lao She (6 livres chacun). Quatre auteurs comptent cinq titres dans le catalogue (sans prendre en compte les formats poche) : trois hommes et une femme, Xinran.

2. L'évolution de la littérature féminine

Dans les années 1980, les femmes écrivains étaient des militantes qui produisaient des œuvres chargées d'idéologie. Leurs publications montraient leur engagement envers la collectivité et la société et la volonté d'obtenir l'égalité avec les hommes, tant sur le plan politique que sur le plan social. Elles adhéraient en tant qu'individu aux différents projets de modernisation du pays.

Au début des années 1990, une nouvelle génération de femmes leur succéda. Beaucoup d'entre elles avaient été envoyées à la campagne en rééducation durant la Révolution culturelle et, marquées par leur passé, elles voulaient montrer que « l'idéalisme n'[était] plus de mise et que (…) l'intérêt personnel, l'intérêt pour l'argent et la position sociale, l'enrichissement et le confort prédomin[aient] » désormais.1 Les années 1990 furent marquées par la prise de conscience de l'individualité et une dépolitisation des masses. Les femmes, qui luttaient contre l'influence traditionnelle restée ancrée dans les mœurs, recherchaient leur émancipation, notamment sexuelle. Apparut alors une nouvelle littérature féminine, qui explorait l'intimité et les désirs des femmes.

1 Le magazine littéraire, n° 429, mars 2004, « Images de la femme chinoise », Geneviève IMBOT-BICHET, p.62

2012 172/208 Jiang Zidan distingue deux courants littéraires féminins plutôt citadins : d'une part « les aigles », d'autre part « les colombes ». Les écrivains du courant des « aigles » sont des femmes fortes et indépendantes, qui critiquent les hommes et leur hégémonie dans la société chinoise contemporaine. Leurs héroïnes, à la fois résistantes et dignes, ne comptent que sur elles-mêmes pour survivre financièrement et ne laissent pas revenir leurs compagnons infidèles.

Les « colombes » écrivent surtout des essais courts, souvent publiés dans des journaux. Jiang Zidan les caractérise ainsi : « trois dixième de sensation, trois dixième de sentiments vrais et trois dixième de vanité non antipathique »1. Ces récits qui remportent un certain succès en Chine, racontent la vie de femmes riches, passant leur journées dans les boutiques et les salons de beauté. Les héroïnes sont superficielles et cherchent éperdument à plaire aux hommes. Pour Jiang Zidan, elles reflètent le comportement des jeunes femmes des classes aisées dans les grandes villes, influencées par la société de consommation et le regard des hommes qui modèlent dans les médias et les publicités une femme idéale, conforme à leurs désirs et fantasmes. Dans le même temps, « L'image de la ''jolie femme au col blanc'' forgée par la littérature et popularisée par la mode a créé un modèle de vie illusoire pour la majeure partie de la population féminine, ce qui entraîne souvent un sentiment d'échec et de dégoût de la vie »2.

Les femmes du panel (Feng Hua, Mian Mian et Yu Dan) ont toutes des styles différents. Feng Hua est la plus jeune des trois. Elle a réalisé une partie de ses études à l'étranger (Malaisie) et est très influencée dans son écriture par l'Occident. Dans l'ouvrage publié en France en 2009, elle semble critique envers la société chinoise et appelle à une redéfinition des rôles dans la société (tant homme/femme que parents/enfants). Mian Mian, née deux ans plus tôt, a eu un parcours bien moins sage : après avoir quitté l'université, elle a vécu plusieurs années à Shenzhen (proche de la frontière avec Hong Kong) où elle a expérimenté l'underground chinois. Ses personnages, jeunes et désorientés, se font surtout du mal à eux-mêmes.于丹 Yu Dan enfin, née en 1965, est professeur associée à l'Université de Pékin. Dans Le bonheur selon Confucius, traduit par Philippe Delamare aux éditions 1 JIANG Zidan, « Les femmes dans les villes et l'écriture », p. 151-159, trad. de Marie Laureillard in Écrire au présent, Annie Bergeret-Curien (dir.), Editions de la Maison des Sciences de l'Homme, 2004, p. 154 2 id., p. 158

2012 173/208 Belfond, elle entreprend de remettre en lumière certains écrits de Confucius. L'ouvrage est une retranscription de son intervention télévisée en 2007 dans « 于丹《论语》心得 » Yu Dan ''lun yu'' xinde (« commentaires de Yu Dan sur les Entretiens ») sur CCTV.

Un ouvrage de 499 pages fut dédié par Jin Siyan à L'écriture féminine chinoise du XXe siècle à nos jours (You Feng, 2008)1.

B- Les minorités chinoises

1. 台湾 Taiwan

Le statut de l'île de Taiwan est un point incontournable de la politique de la République populaire de Chine depuis des décennies. Les habitants de l'île vivent sous le régime de la République de Chine (中華民國 soit 中华民国 zhonghua minguo), instaurée en 1912 en Chine continentale. Une véritable scission entre Taiwan et le continent eût lieu en 1949. Depuis, malgré le discours de Pékin sur l'unité territoriale, l'île défend farouchement son indépendance et a adopté un système démocratique.

Les Taiwanais utilisent toujours les caractères chinois traditionnels, qui sont encore maîtrisés par une importante partie de la population chinoise. Ainsi, des œuvres taiwanaises ne nécessitent pas forcément de traduction pour être diffusées en Chine.

En France, quelques maisons d'édition proposent des collections spéciales. Actes Sud notamment distingue les livres taiwanais des livres chinois, avec une collection propre. Les deux collections sont gérées par la même éditrice : la traductrice et enseignante Isabelle Rabut. La collection des « Lettres taiwanaises » fut fondée dans les années 2000. Le premier ouvrage, de 李 昂 Li Ang, parut en 2004. Essais de micro de Huang Kuo-chun (2009) est le troisième titre de la collection ; la version originale de ce recueil de nouvelles est en chinois.

1 Site de la librairie You Feng (you-feng.com/jin_siyan)

2012 174/208 Né en 1971, Huang Kuo-chun était le fils du célèbre auteur taiwanais 黄春明 Huang Chun-ming (1935-). Il se fit connaître à Taiwan avec sa première nouvelle « D'espaces blancs laissés ». Il se suicida en 2003, à l'âge de 23 ans, laissant derrière lui trois recueils de nouvelles, un roman inachevé et 麦克风试音 maikefeng shiyin Essais de micro. Ce dernier rassemble 54 de ses nouvelles, qui font entre une et cinq pages en français. Elles dépeignent avec beaucoup d'humour une société malade, pleine de diktats : la société de consommation, la publicité et les concours de beauté qui façonnent une fausse image de la réalité ; l'obligation d'être en couple ; le politiquement correct... Une écriture à contre courant, très fraiche et très bien traduite en français (par Esther Lin et Angel Pino), qui donne envie de lire des passages à voix haute. Pour la chroniqueuse littéraire Marie Tournier Cardinal, ces nouvelles montrent une « société versatile et influençable, prête à épouser toutes les idoles, qui s'exhibe autant qu'elle se dissimule, à travers une multitude d'écrans »1 (téléphone, ordinateur, télévision, etc.). Le narrateur, qui semble en plein conflit intérieur entre son « moi traditionnel » et son « moi futuriste », dresse le portrait de villes bruyantes où la technologie est ultra-présente, une société qui évolue entre « pilotage automatique et disfonctionnalités »2. Le narrateur, désabusé par le monde dans lequel il vit, jette un œil ironique sur ce qui l'entoure, faisant part de ses réflexions dans des textes pleins d'humour. Sa lucidité frise parfois la folie.

Huang Kuo-chun écrit, page 60 : « Si l'on arrive pas à trouver dans l'univers d'autres créatures dotées d'une intelligence supérieure, c'est parce qu'il faudrait vraiment être un crétin pour tenter spontanément de nouer des contacts avec l'espère humaine ou de se signaler à son attention ». Puis page 118 : « La doctrine de cette religion peut se résumer ainsi : l'humanité est le vieux parti au pouvoir dans le royaume terrestre, un parti corrompu qui devrait avoir honte et se retirer de la scène, et à qui il faudrait interdire à jamais de reprendre le pouvoir ».

1 La quinzaine littéraire, n° 999, 16-30/09/2009, « Essais parlants », Marie TOURNIER CARDINAL, p. 12 2 idem

2012 175/208 2. Les minorités ethniques sur le territoire chinois

Aucun ouvrage du corpus ne fut rédigé par un auteur appartenant à une minorité ethnique, ni par un auteur des anciennes colonies britannique et portugaise (Hong Kong ou Macao). Nous l'avons vu plus haut avec le courant du régionalisme et du retour aux racines, la parole est le plus souvent donnée aux minorités par des auteurs qui vécurent « en exil » dans des provinces telles que le Xinjiang ou la Mongolie intérieure. Plusieurs ouvrages d'auteurs tibétains furent publiés en français en 2009, mais écrits en langue tibétaine, j'ai fait le choix de ne pas les intégrer au corpus. Le Tibet demeure un sujet tabou, systématiquement censuré par le Bureau national des publications (à l'exception des œuvres publiées par les institutions du Parti lui-même).

Le cas de Hong Kong et Macao est différent. Hong Kong notamment, bénéficie d'une quasi indépendance artistique et littéraire à l'égard du pouvoir à Pékin. Beaucoup de publications censurées en Chine paraissent à Hong Kong (en chinois ou en anglais) et des auteurs censurés et critiqués par le régime y sont accueillis en triomphe (Gao Xingjian par exemple). Durant l'occupation britannique, la tradition chinoise et confucéenne a été respectée et conservée, alors qu'elle était violemment remise en question sur le territoire chinois. Hong Kong est devenu un lieu de perpétuation de la culture chinoise traditionnelle. La création en anglais et en chinois y est également très importante, notamment du fait de l'exil de nombreux écrivains chinois durant la guerre sino-japonaise. L'influence de la littérature classique y est beaucoup plus forte que celle des littératures chinoises moderne et contemporaine. Hong Kong a développé une vision de la culture chinoise très différente de celle des habitants de la Chine populaire.1

1 YE Si « Engager le passé – », p. 91-98, in Le passé et l'écriture contemporaine Regards croisés d'écrivains et de sinologues, BERGERET CURIEN Annie et JIN Siyan, éditions de la Maison des Sciences de l'Homme, 2001

2012 176/208 III- Les réceptions

L'objectif de cette partie est d'aborder la question des différentes représentations de la Chine dans l'imaginaire des lecteurs français, ainsi que leur vision de la culture et de la littérature chinoises. En effet, l'image de la Chine influence fortement le désir de lire ou non sa littérature. Pour beaucoup de lecteurs français, la littérature chinoise est jugée difficile à lire, par son style et par ses allusions à une histoire et à une culture inconnues. D'autre part, l'image négative de la Chine véhiculée par les médias combinée à une croyance en un écart culturel insurmontable, renforcent l'appréhension du public face à la littérature chinoise.

A- Une littérature jugée peu abordable

1. Le style chinois

La littérature chinoise comporte dans sa forme des éléments propres, qui la différencient de la littérature occidentale. Ainsi, même si la tendance des romans longs est de plus en plus prononcée, les Chinois rédigent davantage des essais courts ou des nouvelles. Il est difficile pour les éditeurs de vendre ces textes courts en France, c'est pourquoi leur publication se résume à des recueils (seulement pour les auteurs les plus connus).

La narration diffère également : les auteurs chinois privilégient un regard omniscient, avec un personnage principal qui raconte son histoire à un public (qui peut être le lecteur) à un point de vue interne. Pour Annie Bergeret-Curien, cette différence tient à la notion de l'individu dans la culture chinoise, qui « n'est pas autant inscrite dans la tradition romanesque qu'en Occident »1. Ce type de narration exprime les sentiments personnels, intérieurs, de façon plus indirecte. Une autre particularité de la littérature chinoise tient à sa ponctuation et à la présentation des dialogues : les échanges oraux de style direct sont le plus souvent intégrés au récit. Le traducteur et l'éditeur choisissent ensemble de respecter ou non l'apparence initiale.

1 Annie Bergeret-Curien, « Creusements et glissements » p. 3-14, in Le passé et l'écriture contemporaine Regards croisés d'écrivains et de sinologues, BERGERET CURIEN Annie et JIN Siyan (dir.), éditions de la Maison des Sciences de l'Homme, p. XVII

2012 177/208 Une autre différence de style tient au rapport entretenu par le récit avec le temps et l'espace. Le refus de la linéarité, du cause à effet et de l'ordonnancement dans le temps sont propres à la langue chinoise, plus globalisante que le français. Certaines temporalités - les saisons par exemple - sont très utilisées en littérature chinoise et négligées en France. Dans la culture chinoise traditionnelle, la vie est en perpétuel mouvement et le monde en constant renouvellement. Le souffle habite chaque être vivant et chaque composition.

Pour le sinologue François Jullien, la culture chinoise a également un goût particulièrement prononcé pour la fadeur, l'insipide. En effet, « la caractérisation qui paraît la plus fade au premier abord, parce que trop ordinaire et banale, donc indigne de fixer notre intérêt, peut donner lieu (...) à la variation la plus riche, au déploiement le plus lointain »1. La fadeur est sensible, « concrète », mais reste « discrète ». En peinture, cette fadeur est un idéal à atteindre, la marque de la sagesse. La fadeur est finalement associée au « détachement intérieur » ou 淡 dan, les deux concepts étant réunis dans le même idéogramme et prononcés de la même façon2.

2. Le besoin d'un bagage culturel

Au delà des questions de forme se posent celles de fond : la littérature chinoise est-elle difficile à comprendre ? Ou plutôt, est-elle plus difficile à comprendre que d'autres littératures étrangères ? Dans le premier chapitre du mémoire, j'ai abordé les procédés littéraires de l'allusion et du sous-entendu, très répandus en littérature classique. Les œuvres comportaient alors deux sens : le premier, clair, émergeait du récit ; le second, sous-entendu, dépendait du premier. Liu Xie expliquait : « la floraison de la littérature s'appuie à la fois sur ce qui ressort avec éclat et sur ce qui est sous-entendu. (…) L’ambiguïté délibérée est un plaisir pour l'auteur comme pour le lecteur, comme c'est un plaisir de voir des formules qui nous saisissent tout à coup »3. La beauté des textes tenait à la dissimulation des idées importantes et au plaisir ressenti par le lecteur initié lorsqu'il en percevait la signification.

1 JULLIEN François, « Éloge de la fadeur », p. 11-134 in La pensée chinoise dans le miroir de la philosophie, Le Seuil, coll. « Opus Seuil », p. 19 2 Certains idéogrammes chinois ont différentes prononciations, par exemple "长” qui se lit « chang » ou « zhang ». 3 PIMPANEAU Jacques. Chine, Histoire de la littérature, Philippe Picquier, 2004 (réédition), p. 123-124

2012 178/208 Ces jeux littéraires entre lettrés ont disparu. Tout d'abord par l'usage d'une langue plus simple et moins connotée historiquement (le baihua) ; ensuite par la volonté de vulgariser la littérature auprès des masses et de l'employer comme moyen de diffusion d'une idéologie politique. Les textes ont perdu leur ambiguïté et leur mystère, facilitant grandement le travail des traducteurs étrangers.

Pour le lecteur français, il reste finalement très peu d'obstacles à la compréhension d'un texte d'origine chinoise. Il arrive parfois que des mots chinois se glissent dans le texte, notamment pour désigner des objets du quotidien. Le lit traditionnel du Nord de la Chine par exemple, le kang, apparaît régulièrement dans les œuvres. Plus ou moins décrit, il fait parfois l'objet d'une note de bas de page. Les rites et les croyances - notamment bouddhiques - peuvent également être des éléments inconnus du lecteur. Mais ce sont surtout les références historiques ou politiques qui font craindre aux Français de ne pas comprendre le récit. Pourtant, très peu de références sont faites à des périodes historiques hors du contexte de l'intrigue et celles qui sont nécessaires à la compréhension du texte sont systématiquement accompagnées d'une explication du traducteur, soit au fil du texte, soit en bas de page ou à la fin du livre.

Des lecteurs recherchant un divertissement facile ou un exotisme total seront forcément déçus. Il est possible de lire et d'apprécier de la littérature chinoise sans connaître la culture ou la langue et d'apprendre beaucoup sur ce pays par le biais subjectif des romans. Katell Guédan, chroniqueuse littéraire occasionnelle pour Monde chinois, le prouve à chaque article : céramiste bretonne, elle ne parle pas chinois et n'a pas fait d'études en lien avec l'Asie ou la Chine. Passionnée de littérature française et étrangère, elle ne connaît la Chine qu'au travers des livres.1

Beaucoup de lecteurs français dressent des barrières infranchissables entre notre culture et la culture chinoise, persuadés que nous n'avons rien en commun. Les ouvrages chinois leur paraissent soit inintéressants, soit inabordables. Étrangement, ils n'adoptent pas la même posture pour d'autres littératures, dont les auteurs viennent de pays différents du nôtre. Leur langue et leur culture sont pourtant différentes, leur donnant justement de l'intérêt.

1 Entretien par mail avec Katell Guédan, le 15/04/2012

2012 179/208 B- Le rejet du Made in China

Depuis les Jeux Olympiques de Pékin en 2008, les critiques à l'encontre de la Chine sont devenues fréquentes. Pas une semaine ne passe sans que la peine de mort, la pollution ou la maltraitance d'un dissident politique ne fasse l'objet d'un article de presse ou d'un reportage télévisé. La République populaire de Chine actuelle a bien des défauts, cependant elle a également des qualités, que les correspondants n'ont plus le temps de mettre en avant dans leurs articles. Une véritable diabolisation de la Chine est orchestrée par les médias, présentant le pays comme une menace à la fois économique et politique, responsable de nombreux maux de notre propre économie.

1. Un message médiatique négatif

499 articles furent dédiés à la Chine dans Le Monde en 2009. Les deux correspondants les plus actifs étaient Brice Pedroletti (Shanghai) et Bruno Philip (Pékin). Voici un tableau faisant la synthèse des différentes thématiques abordées dans les articles (leur taille peut varier de l'encart à la pleine page).

Thèmes Nombre d'articles Économie (crise économique, croissance, relance) 132 Droits de l'Homme 81 Culture (littérature, cinéma, expositions) 79 Relations avec la France 47 Relations internationales (hors France et États-Unis) 39 Divers 38 Relations avec les États-Unis 22 Événements historiques 18 Lutte contre la corruption et la mafia 15 Écologie 14 Taiwan 10 Lait contaminé 4 Total 499

2012 180/208 Articles du Monde en 2009

Thèmes

culture relations avec la France lait contaminé économie écologie taiwan relations internationales droits de l'homme relations avec les USA Lutte contre la corruption et la mafia autres évènements historiques

Beaucoup d'articles économiques en 2009 présentaient la situation de la Chine dans la crise mondiale : la chute des exportations, les difficultés financières des banques, la chute de la croissance, le chômage... Une vingtaine d'articles abordèrent les réponses apportées par le gouvernement chinois à la crise économique : distribution de coupons de consommation, soutien financier aux grandes entreprises et mesures protectionnistes. 62 articles furent consacrés aux investissements de la Chine, notamment dans le secteur automobile (8), les nouvelles technologies de communication (9) et la recherche. Deux articles de Brice Pedroletti firent notamment l'éloge de la relance verte (le 17 février et le 7 août 20091).

31 articles eurent pour sujet la course aux matières premières des compagnies chinoises : pétrole, gaz, minerai de fer, cuivre... notamment en Afrique. L'affaire Rio Tinto, du nom du groupe minier australien, eut un certain retentissement : Pékin fit arrêter plusieurs cadres dirigeants de la compagnie australienne pour corruption, au moment même où le groupe Chinalco souhaitait augmenter ses parts dans le capital de Rio Tinto. 50% de la production du groupe était alors consommée en Chine.2

1 Le Monde, 17/02/2009, « La ''révolution verte'' pourrait profiter du plan de relance », Brice PEDROLETTI, p. 4 ; Le Monde, 07/08/2009, « La chine est saisie par la fièvre des énergies renouvelables », Brice PEDROLETTI, p. 4 2 Le Monde,16/07/2009, « ''Affaire Rio Tinto'' : Pékin cherche à démanteler un vaste système de corruption dans le minerai de fer », Brice PEDROLETTI, p. 12 ; Le Monde, 18/07/2009, « Pékin pourra difficilement se passer du minerai de Rio Tinto », Una GALANI, trad. Christine Lahuec, p.14

2012 181/208 Le deuxième thème le plus abordé était le respect des Droits de l'Homme. Le 12 février 2009, un article synthétisa l'argumentaire tenu par les représentants de la Chine à l'Organisation des Nations Unies (ONU) sur ce propos. « La Chine a désamorcé les critiques des pays occidentaux en brossant un tableau flatteur de ses progrès en matière de développement et en mettant en avant des lois et une constitution qui, sur le papier, garantissent toutes les libertés. » expliquait Brice Pedroletti, avant d'ajouter : « 60 pays sur les 115 inscrits ont posé des questions... le plus souvent pour féliciter Pékin pour ses succès économiques »1. Les plus critiques furent quant à eux accusés de « politiser » la question des Droits de l'Homme.

La réalité décrite par les correspondants était cependant bien différente de celle des autorités chinoises : violence policière et mort d'un jeune homme en cellule ; strict encadrement policier au Tibet au moment de l'anniversaire de l'exil du Dalaï-lama (1959) ; pressions exercées sur les dissidents politiques et les « avocats aux pieds-nus » qui dénoncent les expulsions etc... 14 articles mirent en avant le nouveau rôle d'internet comme espace de débat politique et de critique du gouvernement, notamment au moment de l'anniversaire du séisme au Sichuan. Le tremblement de terre avait causé en 2008 des milliers de morts, notamment des enfants qui se trouvaient à l'école lorsque les bâtiments s'effondrèrent. Le gouvernement refusait de rendre publique la liste des victimes et de reconnaître sa responsabilité dans l'effondrement des établissements scolaires, apparemment dû à des constructions bâclées (détournement de fonds, corruption). Les parents furent empêchés de se rendre sur les lieux du drame et sur les tombes de leurs enfants. L'artiste dissident 艾未未 Ai Weiwei (1957-) recensa sur internet les lieux et les noms des victimes et tenta, avec l'aide des parents, d'organiser la mémoire autour du drame.2 Au total, 5 335 élèves auraient péri.3

Autre événement qui fit l'objet de nombreux articles : la violente répression des émeutes au Xinjiang, suite à une première manifestation opposant les ethnies han et ouïgour, faisant 140 morts et 800 blessés.4 Les correspondants rédigèrent 20 articles sur le sujet entre le 7 juillet et le 8 septembre 2009.

1 Le Monde, 12/02/2009, « À l'ONU la Chine défend une visions différente des Droits de l'Homme », Brice PEDROLETTI, p. 8 2 Le Monde, 10/04/2009, « Pour Qingming, fête des morts en Chine, nettoyage des tombes, et des mémoires », Brice PEDROLETTI, p. 8 3 Le Monde, 09/05/2009, « Un premier bilan officiel chiffre à 5335 le nombre d'élèves tués par le séisme au Sichuan », Brice PEDROLETTI, p. 5 4 Le Monde, 07/07/2009, « Chine : 140 morts dans des émeutes ethniques », p. 1 ; « Émeutes sans précédent en Chine dans une province à majorité musulmane », Bruno PHILIP, p. 10

2012 182/208 L'année qui avait débuté avec l'affaire du lait contaminé, prit fin avec la condamnation du dissident 刘 晓 波 Liu Xiaobo (1955-)1 et l'exécution du britannique Akmal Shaikh, arrêté en 2007 à Urumqi avec quatre kilos d'héroïne (son état psychique ne fut pas considéré lors du procès malgré les pressions internationales)2. Tous ces articles donnent une image assez mitigée de la Chine : le pays apparaît en premier lieu comme une puissance économique et financière, à la fois individualiste et incontrôlable. Les politiques protectionnistes mises en place en 2009 (notamment en encourageant la consommation de produits chinois) et la sous-évaluation du yuan firent l'objet des principales rencontres entre la grande puissance asiatique et les États-Unis. Les relations avec la France apparaissaient tendues : en effet, Hu Jintao n'appréciait guère Nicolas Sarkozy qui avait reçu le Dalaï-lama. La Chine était présentée comme une menace, remportant de nombreux contrats d'exploitation de ressources en Afrique et exportant au monde entier ses produits de mauvaise qualité. Les rares articles positifs concernant la lutte contre la corruption, les abus de pouvoir et la croissance verte, étaient noyés dans l'ensemble.

2. L'écart culturel

Il existe un réel écart culturel entre la France et la Chine, sans doute lié à l'enfermement prolongé de la Chine sur elle-même (jusqu'en 1842, puis de 1949-1970). Propor- tionnellement, les Chinois voyagent peu hors de Chine, à l'exception des classes aisées et des étudiants qui partent obtenir un diplôme à l'étranger. Leurs contacts avec d'autres cultures sont donc limités à l'importation d’œuvres culturelles (cinéma, séries télévisées, livres, internet) et leur rencontre avec des touristes étrangers.

La première caractéristique de la société chinoise est son collectivisme, hérité de la culture chinoise traditionnelle. Il tend à s'étioler parmi la jeune génération mais reste très fort et régit les rapports entre les individus : au sein de la famille, au travail, entre amis. Le respect des aînés, le culte des ancêtres (devenu l'entretien d'une mémoire des morts beaucoup plus importante que notre jour de la Toussaint), l'obligation de fonder une famille etc. pèsent sur les épaules des Chinois, notamment des hommes. Traditionnellement, le fils

1 Le Monde, 26/12/2009, « Pékin inflexible face au plus célèbre dissident chinois », Bruno PHILIP, p. 6 2 Le Monde, 29/12/2009, « Ultimes appels à la clémence avant l'exécution, en Chine, d'un ressortissant britannique », Bruno PHILIP, p.6

2012 183/208 est chargé de s'occuper des funérailles de ses parents, il accueille son épouse chez lui, etc. Cette préférence pour les garçons est toujours très forte, notamment dans les zones rurales. Aujourd'hui en Chine, le nombre de femmes est inférieur au nombre d'hommes ; certains épousent des veuves ou des femmes handicapées mentales, car l'obligation d'être marié reste incontournable. D'autres deviennent les clients de trafiquants de femmes venues d'Asie du Sud-Est.

Si les valeurs traditionnelles persistent, elles évoluent profondément et d'après l'étude faite par des sinologues, il apparaît que la notion de bonheur, jusque là collectif, devient depuis quelques années individuel.

La société chinoise est aussi connue pour son désir d'harmonie et de consensus, du fait du nombre important de sa population. Aux yeux du régime, il n'est possible que par la faible ou inexistante conscience politique de la grande majorité des Chinois. L'esprit critique n'est pas quelque chose enseigné à l'école et les Chinois ne prennent pas de recul par rapport au système établi. Une jeune chinoise m'a dit un jour que les livres édités et distribués par le gouvernement chinois contenaient forcément la vérité. Du point de vue culturel, les œuvres musicales ou littéraires sont rarement politisées. Il semblerait d'ailleurs que le terme de « littérature engagée » n'existe pas en Chine. Les chansons, tout comme la majorité des longs métrages, parlent d'amour romantique. Ainsi, contrairement aux Français qui sont « naturellement » méfiants à l'égard du pouvoir et se montrent systématiquement critiques, il n'est pas question en Chine de débattre des heures sur un sujet de mécontentement.

Parallèlement, les Chinois semblent beaucoup plus tolérants entre eux et envers les étrangers (à l'exception des personnes de couleur noire). Les codes de la société y sont tout simplement différents : les Chinois vont par exemple aller plus spontanément vers les autres et discuter de tout et de rien (par exemple durant les longues heures de train), la liberté vestimentaire est totale... La politesse prend une autre forme : les Chinois utilisent beaucoup moins fréquemment que les Français les formules telles que « merci », « de rien » ou « s'il vous plaît » ; par contre, ils ne contredisent pas quelqu'un par politesse, pour ne pas lui faire perdre la face. Ils sont à la fois très patriotes et très curieux du monde extérieur. Pour les gens des zones rurales qui sont en contact avec très peu d'étrangers, chaque rencontre est un moment unique qu'ils gardent en mémoire.

2012 184/208 L'ouverture et l'accélération du développement de la Chine ont creusé les écarts de richesse. Une conception de plus en plus matérialiste de la réussite est en train de prendre de l'ampleur au sein de la société. Aujourd'hui, la pression exercée sur les Chinois est très forte : l'obligation de réussir pousse les jeunes à travailler très dur à l'école et à beaucoup s'entrainer quel que soit leur loisir (sport, musique, chant, etc.). Les entrepreneurs qui ont réussi étalent leur richesse aux yeux de tous et tendent de plus en plus à prendre une 二奶 ernai. Cette « seconde épouse » est en réalité une jeune femme qu'ils entretiennent à distance. Elle mène un grand train de vie et les accompagne lors des soirées mondaines tandis que leur épouse officielle reste à la maison ou en province. Ces maîtresses sont abandonnées lorsqu'elles sont jugées trop âgées et remplacées sans état d'âme. Il est difficile de savoir si cette mode du concubinage moderne est acceptée au sein de la société chinoise.

Enfin, depuis quelques années la gastronomie est devenue presque aussi importante qu’en France. On peut noter que les Chinois n'ont pas d'ordre des plats comme en France, mais plusieurs mets qui sont placés au centre de la table et que les personnes réunies se partagent (table au plateau central tournant). Là encore, le collectif prime quand en France nous avons chacun nos assiettes et notre nourriture séparée de celle des autres. Les Chinois mangent très peu de plats sucrés mais apprécient manger des plats étrangers (surtout dans les grandes villes où l'offre est importante) : thaïlandais, coréen, japonais, italien ou français.

En conclusion, l'écart culturel entre la France et la Chine paraît très important aux Français car ils ont grandi dans une société très politisée et ont une vision du monde plus documentée que les Chinois. La nature du régime chinois et le non respect des droits de l'homme orientent leur opinion. Au contraire, les Chinois sont extrêmement curieux et tolérants. Ils ne comprennent pas pourquoi certains Français critiquent la Chine ou craignent sa puissance économique. Il ne faut en effet pas oublier qu'un véritable écart existe entre le régime chinois et la population et que les décisions prises par le pouvoir ne reflètent pas les désirs du peuple.

2012 185/208 Conclusion

Différents enjeux ont été soulevés dans ce mémoire, tant sur le marché du livre chinois que sur le nôtre. En Chine, la question du rôle de l'écrivain en tant que conscience politique de la société, contre-pouvoir, parfois journaliste, se pose plus que jamais. Les nouveaux auteurs - du moins ceux connus en France - ne se positionnent pas de la même façon à la fois dans la société et par rapport au régime. L'éducation et le silence sur les drames du XXe siècle ont engendré une génération dépolitisée, désintéressée voire indifférente à ces luttes de pouvoir. À ses yeux, le monde politique paraît à la fois inaccessible et pourri de l'intérieur. Pour beaucoup d'entre eux, tous les politiciens chinois sont semblables : avides de pouvoir et de richesse, corrompus et ambitieux, manipulateurs et éloignés du peuple. Rien d'étonnant donc à ce que la nouvelle génération d'hommes politiques soit composée presque exclusivement de fils d'anciens cadres du Parti : des jeunes qui ont grandi dans ce milieu ultra-politisé et qui ont à leur disposition des ressources financières et un capital social qui les favorisent. La censure reste forte en littérature mais comme toujours, les lecteurs chinois raffolent des textes interdits. Peu d'écrivains osent défier la censure instaurée par le régime et ils sont systématiquement rejetés ou critiqués par leurs pairs pour leur courage politique et dissuadés de poursuivre leur lutte pour l'éveil ou l'information du peuple chinois. Dans vingt ans, quelle relève pour cette ancienne génération qui n'écrit pas seulement pour divertir ou s'enrichir ?

Je l'ai déjà abordé, une menace pesant sur le marché littéraire chinois est celle de l'uniformisation des publications. Cette homogénéisation des œuvres prend le contre pied de la fin des courants, obligeant des auteurs - entités individuelles conscientes de leur unicité - à s'aligner sur des standards d'écriture, à se fondre dans la masse. Les best-sellers sans romance ni sexe comme Le totem du loup de Jiang Rong envoient un message aux éditeurs : les lecteurs apprécient d'autres types de littérature et cela peut s'avérer très rentable. Dans son ouvrage L'édition sans éditeurs (La Fabrique, 1999), André Schiffrin décrit comment la concentration des groupes d'édition américains a bouleversé à la fois les objectifs des éditeurs et l'équilibre du système de production traditionnel aux États-Unis, transformant les livres en véritables marchandises. Les groupes d'édition une fois incorporés dans des conglomérats gigantesques se virent imposer des seuils de rentabilité équivalents à ceux des autres branches du conglomérat : entre 12 et 15 % en moyenne, soit

2012 186/208 trois à quatre fois plus que les bénéfices de l'édition traditionnelle. Les nouveaux acquéreurs rationalisèrent la production et privèrent les structures éditoriales des services qui leur rapportaient l'essentiel de leurs capitaux : les structures de distribution et les collections en format poche. Puis, ils demandèrent aux éditeurs une rentabilité de chaque collection, mettant fin au système de compensation des catalogues. Enfin, persuadés que les œuvres intellectuelles ne se vendaient pas, ils se séparèrent des collections ou maisons produisant des ouvrages sérieux et de bonne qualité. Les éditeurs renversèrent la tendance (large diffusion de publications sérieuses) au profit d'ouvrages bas de gamme, conformes aux standards de la nouvelle société de consommation basée sur le loisir.

La Chine est également un grand pays avec un vaste marché. Les lecteurs ont des goûts très variés et leur niveau d'instruction est très hétérogène. Dans les années 1980 eut lieu, à l'inverse du marché américain, un mouvement de démembrement des structures d'édition étatiques qui permit l'apparition de nouveaux acteurs. Cependant, les anciennes structures d'édition ne se préoccupaient aucunement de la rentabilité ce qui n'est pas le cas des nouveaux éditeurs publics et privés, préoccupés par leur survie et au delà, leur profit. Il est difficile de déterminer si la qualité des publications a depuis augmenté ou diminué : les œuvres innovantes, de très bonne qualité, avaient plutôt tendance à être publiées et diffusées par des revues littéraires et l'idéologie politique était le critère premier lors de la sélection des titres. Cette nouvelle exigence - ou volonté - de réaliser des bénéfices de la littérature est doublée d'une entrée de la Chine sur le marché mondial.

Aux États-Unis comme en Chine, la menace de l'uniformisation semble donc émaner des éditeurs eux-mêmes qui recherchent le profit et non la diffusion d'une littérature de qualité. Prendre dans son catalogue un auteur dissident peut faire vendre, mais cela constitue un véritable risque pour la maison d'édition (tant financier que politique). Les lecteurs chinois parviendront-ils à rejeter à temps cette tendance à l'appauvrissement de la littérature ? Pour André Schiffrin, la situation aux États-Unis semble aujourd'hui irréversible car elle est pleinement acceptée par la société et les lecteurs. Il adresse une mise en garde aux autres pays (et plus particulièrement à la France dans Le contrôle de la parole, La Fabrique 2005) avant qu'il ne soit trop tard.

2012 187/208 L'espoir réside peut être dans internet, où les publications littéraires chinoises fleurissent par milliers. Internet apparaît comme une oasis, à l'abri des critères économiques des éditeurs et de la censure exercée par le Parti. Ce nouvel espace d'expression porte d'autres enjeux, notamment celui du statut de l'écrivain : amateur ou professionnel. Ces derniers, qui ne peuvent plus compter sur l'Association des écrivains pour toucher un revenu stable tendent à disparaître. Les droits d'auteur des publications diffusées sur internet sont actuellement trop faibles pour pouvoir en vivre, c'est pourquoi beaucoup d'auteurs souhaitent se faire repérer par des éditeurs papier. La grande majorité des écrivains sont aujourd'hui des amateurs, composant par plaisir ou pour se faire connaître. Parfois forts de leur succès littéraire sur la blogosphère, ils deviennent de véritables intellectuels et abordent ouvertement des sujets politiques (Han Han par exemple). Mais la majorité des publications, nombrilistes et de piètre qualité, se résument à des divertissements éphémères.

La qualité littéraire des publications est également source de questionnements. En France, contrairement à d'autres pays, il n'existe pas d'écoles d'écriture pour apprendre à devenir écrivain. Nous avons dans l'idée que le style littéraire ne s'apprend pas, qu'il est le prolongement de la personnalité de l'auteur. Il peut certes être travaillé mais non appris. Sur le net chinois, il n'y a d'autre mode de sélection et de tri que ceux du nombre de connections et de lecteurs de chaque texte. Qu'il soit question des publications en ligne ou des manuscrits publiés par les maisons d'édition, aucun travail de relecture ou de correction n'est effectué. Globalement, l'enjeu aujourd'hui est d'encourager la production de littérature sérieuse et de bonne qualité, promouvoir et dépasser les thèmes convenus, maintes fois exploités et pré vendus.

Le marché français a quant à lui ses propres enjeux. Le système repose aujourd'hui sur une poignée de connaisseurs qui, bien qu'ils se disent « amateurs », sont en réalité de véritables experts de la langue et de la civilisation chinoises. Ils choisissent les œuvres qui sont traduites en français (transcriptions qu'ils effectuent eux-mêmes), transmettant aux lecteurs français leur propre vision de la littérature chinoise ainsi que leur perception des œuvres. Aucun éditeur (à l'exception d'Isabelle Rabut) n'est capable de lire la traduction en français et de la confronter à la version originale du manuscrit. Contrairement aux États-

2012 188/208 Unis, les éditions françaises n'adaptent pas les œuvres étrangères pour les conformer à leur public. Cependant, des erreurs d'interprétation restent possibles. L'ensemble de la littérature chinoise diffusée en France dépend donc des choix arbitraires et subjectifs de traducteurs qui, pour la grande majorité, vivent en France et se rendent occasionnellement en Chine. Lors de leurs voyages, ils en profitent pour acheter des ouvrages chinois mais n'ont finalement qu'un aperçu restreint du marché du livre chinois : les livres diffusés par les grandes enseignes des grandes villes à ce moment précis, les ouvrages des auteurs déjà connus ou ceux mis en avant sur les présentoirs... Le manque de représentants d'auteurs chinois limite la diversité des publications chinoises en France.

Sur le plan technique, existe-t-il une relève pour ces traducteurs français ? Aura-t-elle la même qualité d'expression ? Fera-t-elle les mêmes choix littéraires ? Sa vision de la Chine sera-t-elle similaire ? Sa motivation identique ? Les jeunes traducteurs seront-ils également peu nombreux ? « amateurs » et surbookés ? L'explosion de l'apprentissage du chinois en France ces dernières années laisse penser que la relève sera au rendez-vous, nombreuse et pleine de diversité. Seulement, beaucoup d'étudiants apprenant actuellement le chinois s'orientent vers les métiers en lien avec les échanges internationaux ou la diplomatie et délaissent la traduction et l'interprétariat, difficiles et souvent mal rémunérés. Lors de l'entretien réalisé avec Noël Dutrait, il me confiait que ses étudiants - en littérature comparée - ne connaissaient rien à la littérature chinoise et n'en lisaient pas.

Un autre enjeu du marché français est celui des collections spécialisées : elles ne sont pas rentables et survivent uniquement grâce à la mutualisation des risques et au succès de quelques best-sellers de large diffusion. La mise en garde d'André Schiffrin ne doit pas être minimisée ou oubliée. La diminution des aides publiques en général est également un sujet de préoccupation : elle laisse présager une réduction des aides et des subventions accordées aux éditeurs et aux traducteurs, mais également la réduction des fonds octroyés aux bibliothèques. Ces établissements publics de prêt permettent par leurs commandes la survie de certaines collections très pointues, éditant des ouvrages intellectuels de très bonne qualité.

Le dernier enjeu tient au lectorat français : il a besoin d'être éduqué à la fois pour dépasser les préjugés qu'il entretient sur la culture chinoise et pour apprécier le style et l'esthétique chinois. Cela demande principalement de la curiosité et de l'ouverture d'esprit.

2012 189/208 Sources

Ouvrages imprimés

Ouvrages diffusés par la presse consultée en 2009  Chen Xiwo, Irritation, Reflets de chine, 2009, 400 p.  Feng Hua, Seul demeure son parfum, Philippe Picquier, 2009, 350 p.  Feng Tang, Une fille pour mes 18 ans, L'Olivier, 2009, 250 p.  Jiang Rong, Le totem du loup, LGF, 2009, 630 p. (poche)  Huang Kuo Chun, Essais de micro, Actes Sud, « Lettres taiwanaises », 2009, 190 p.  Lao She, La philosophie de Lao Zhang, Philippe Picquier, 2009, 280 p.  Luo Guanzhong, Les trois royaumes, tomes 1 et 2, Flammarion, 2009 (réédition)  Mian Mian, Panda sex, Au Diable Vauvert, 2009, 180 p.  Mo Yan, Quarante et un coups de canon, Le Seuil, « Cadre vert », 2009, 504 p.  Mo Yan, La dure loi du karma, Le Seuil, « Cadre vert », 2009, 760 p.  Pu Songling, Les trois contes étranges, PUF, 2009, 160 p.  Shenfu, Six récits au fil inconstant des jours, JC Lattès, 2009, 120 p.  Su Tong, Le mythe de Meng, Flammarion, 2009, 220 p.  Wang Meng, Contes de l'ouest lointain, Bleu de Chine, 2002, 183 p.  Wang Meng, Des yeux gris clairs, Bleu de Chine, 2002, 120 p.  Yan Lianke, Les jours, les mois, les années, Philippe Picquier, 2009, 125 p. (poche)  Yan Lianke, Bons baisers de Lénine, Philippe Picquier, 2009, 560 p.  Yan Lianke, Le village des Ding, Philippe Picquier, 2009, 329 p. (poche)  Yu Dan, Le bonheur chez Confucius, Belfond, 2009, 180 p.  Yu Hua, Brothers, Actes Sud, 2008, 720 p.  Yu Hua, Sur la route à dix-huit ans, Actes Sud, « Lettres chinoises », 2009, 190 p.

Publications antérieures à 2009  Ba Jin, Destruction, Bleu de Chine, 1995, 250 p.  Barthes Roland, Carnets de voyage en Chine, Christian Bourgeois, 2009, 250 p.  Lu Xun, Cris, Albin Michel, « Les grandes collections », 1995, 260 p.  Mi Jianxui, La mort en comprimés, Éditions de l'Aube, 2008, 220 p.  Zhang Chengzhi, Fleur-Entrelacs, Bleu de Chine, 1995, 190 p.  Zhaxi Dawa, Tibet, les années cachées, Bleu de Chine, 1995, 120 p.

2012 190/208 Articles de presse : journaux, revues, magazines

Année 2009 (du jeudi 01 janvier au jeudi 31 décembre)

Les quotidiens nationaux  Le Monde, 499 articles, consultation au 6e étage des Champs Libres et à la B.U. de l'I.E.P. de Rennes  Le Figaro littéraire, 16 articles, consultation au 6e étage des Champs Libres  l'Humanité, 19 articles, consultation au 6e étage des Champs Libres  Libération, 8 articles, consultation au 6e étage des Champs Libres Les hebdomadaires  Le nouvel Obs, 16 articles, consultation au 6e étage des Champs Libres  L'Express, 19 articles, consultation au 6e étage des Champs Libres Les mensuels  L'Histoire, aucun article retenu, consultation à la B.U. de l'I.E.P. de Rennes La presse littéraire  Le magazine littéraire, 22 articles, consultation au 6e étage des Champs Libres  La quinzaine littéraire  LIRE, 9 articles, consultation au 6e étage des Champs Libres Les magazines spécialisés sur la Chine  Monde chinois, 11 articles, consultation à la B.U. De l'I.E.P. de Rennes  Perspectives chinoises, 9 articles, consultation à l'Institut Confucius de Rennes

Articles (hors 2009)  Le magazine littéraire • Le magazine littéraire n°429, mars 2004, Dossier « La Chine de Confucius à Gao Xingjian », p. 22-69 • Le magazine littéraire, n°441, 2005, « L'esprit du loup », Pierre Haski • Le magazine littéraire, n°476, juin 2008  Le Figaro littéraire, 13/03/2008, « Jiang Rong. Un loup dans la bergerie », François Busnel  Le Point, 14/02/2008, « La Chine a vu le loup », Caroline Puel  Libération, 07/02/2008, « Les tribulations de Jiang Rong. L'année du loup », Pascale Nivelle et articles de Claire Devarrieux sur Libération.fr  LIRE, n°362, fév 2008, article de François Busnel  Books du n° 10, novembre décembre 2009 au n°20, mars 2011  Monde chinois : du n°17 au n°23  Planète chinois sur l'année 2009

2012 191/208  Paris Match, du 27 mars au 02 avril 2008, article de Richard Artz  articles de Mychinesebooks.com rédigés par Bertrand Mialaret  articles de Pierre Haski sur Rue89

Sources numériques

 La traduction en France : • Site du Centre National du Livre : www.centrenationaldulivre.fr • Index Translatorium de l'UNESCO : portal.unesco.org/culture/fr/ • Site de l'Association des Traducteurs Littéraires de France (ATLF) : www.atlf.org/? lang=fr

 Les études sur les pratiques de lecture : • Sondage TNS-Sofrès publié le 12/03/2009 : www.tns-sofres.com/points-de- vue/B679BED766C44335B8CF1A8C70D30AA5.aspx • Site de l'Institut National des Statistiques et des Études Économiques (INSEE) : www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&ref_id=natsos05430&id=398 et www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&id=397

 Le marché chinois : • Rapport du Bureau International de l’Édition Française (BIEF) sur le marché chinois en 2008

 Les prix littéraires : • Attribution des prix Nobel de littérature depuis 1901 : www.nobelprize.org/nobel_prizes/literature/laureates/ • Prix Man Asian : www.manasianliteraryprize.org/ • Au sujet du prix Femina : www.culture.gouv.fr/culture/actualites/communiq/donnedieu/histoirefemina.htm

 L'Institut Confucius : • Liste des instituts Confucius de France : french.hanban.org/ (15/06/2012) • Institut Confucius d'Angers : www.confucius-angers.eu/fr/ • Institut Confucius de Clermont-Ferrand : www.confucius-clermont-auvergne.org/ • Institut Confucius de Rennes : confucius-bretagne.org/

 Maisons d'édition  Catalogue d'Actes Sud : www.actes-sud.fr/catalogue  Catalogue d'Albin Michel : www.albin-michel.fr/  Catalogue de Bleu de Chine (1994-2009) : www.bleudechine.fr  Catalogue Bourin éditeur : www.bourin-editeur.fr  Catalogue de Christian Bourgeois : www.christianbourgois-editeur.com  Catalogue de Gallimard : www.gallimard.fr

2012 192/208  Catalogue L'Olivier : www.editionsdelolivier.fr  Catalogue de Philippe Picquier : www.editions-picquier.fr/catalogue  Catalogue Points (poche Seuil) : www.lecerclepoints.com  Catalogue de Robert Laffont : www.laffont.fr  Catalogue du Seuil : www.seuil.com  Catalogues chinois : book.douban.com/subject/1022060/ et Éditions en Langues Étrangères : www.flp.com.cn/

 Bibliothèques  Bibliothèque nationale de France (BnF) : www.bnf.fr  SUDOC : www.sudoc.abes.fr  Bibliothèque nationale Australienne : catalogue.nla.gov.au

 Livres et auteurs  Entretien avec Isabelle Rabut sur Artslivres : artslivres.com  Biographies d'auteurs : www.paper-republic.org (en anglais) et www.chinese- shortstories.com  Le média cultuel Evene qui propose des critiques de livres en ligne www.evene.fr/

 Divers  Au sujet du programme de recherche Cai Yuanpei : www.egide.asso.fr/  Site de l'association Couleur de Chine : www.couleursdechine.org/cdc2/  Au sujet de la diffusion de l'électricité en Chine : perspective.usherbrooke.ca/

Entretiens (ordre chronologique)  Bertrand Mialaret, blogueur pour Rue89 (mychinesebooks.com), le 11 février 2012, à Paris, 1h15  Isabelle Rabut, professeur à l'INALCO, traductrice et responsables de deux collections chez Actes Sud ; le 23 février 2012, à l'INALCO à Paris, 1h30  Michelle Zedde, libraire chez Le Phénix, le 24 février 2012, à la librairie à Paris, 1h15  Noël Dutrait, professeur à l'université de littérature comparée, le 08 mars 2012 par téléphone, 40 minutes  Sylvie Gentil, traductrice freelance, le 19 mars 2012 à Paris, 40 minutes  Annie Bergeret-Curien, chercheuse au CNRS, fondatrice d'ALIBI et traductrice, le 19 mars 2012, 1h  Anne Sastourné, chargée du secteur Extrême-Orient chez Seuil, le 20 mars 2012, 1h30  Katell Guédan, qui écrit des chroniques littéraires pour Monde chinois, par courrier électronique le 15 avril 2012  Isabelle Trémorel, librairie Greenwich à Rennes, le 22 mai 2012, 1h40

2012 193/208 Bibliographie

Ouvrages Ouvrages sur la littérature chinoise  BADY Paul, « Lao She et l'art de la nouvelle » in Études d'histoire et de littérature chinoises, offertes au Professeur Jaroslav Prusek, Bibliothèque de l'Institut des Hautes Études Chinoises, vol. XXIV, 1976, p. 13-35  BERGERET-CURIEN Annie et JIN Siyan (dir.), Littérature chinoise Le passé et l'écriture contemporaine, Regards croisés d'écrivains et de sinologues,Maison des Sciences de l'Homme, 2001  BERGERET-CURIEN Annie (dir.), Écrire au présent, Maison des Sciences de l'Homme, 2004  DUTRAIT Noël, Petit précis à l'usage d'un amateur de littérature chinoise contemporaine, Philippe Picquier, 2002  GIAFFERRI-HUANG Xiaomin, Le roman chinois depuis 1949, PUF, 1991  JIN Siyan, L'écriture subjective de la littérature chinoise contemporaine. Devenir je, Maisonneuve Larose, 2005  LÉVI Jean, La Chine romanesque, Le Seuil, « La librairie du XXe siècle », 1995  PIMPANEAU Jacques, Chine Histoire de la littérature, Philippe Picquier, 1989  PIMPANEAU Jacques, Chine Histoire de la littérature, Philippe Picquier, réédition 2004  ZHANG Lun, La vie intellectuelle en Chine depuis la mort de Mao, Fayard, 2003

Ouvrages sur l'édition  DESAIVE Suna et POGGIOLI Noëlle, Le Marketing du livre, Études et stratégies, Éditions du Cercle de la Librairie, 2006  GLEIZE Joëlle et ROUSSIN Philippe (dir.), La bibliothèque de la Pléiade, Travail éditorial et valeur littéraire, Archives contemporaines, 2009  ROUET François, Le Livre, mutations d'une industrie culturelle, La Documentation française, 2007  SCHIFFRIN André, L'édition sans éditeurs, La Fabrique, 1999  SCHIFFRIN André, Le contrôle de la parole, La Fabrique, 2003  WARNIER Jean-Pierre, La mondialisation de la culture, Éditions La Découverte, 2003

2012 194/208 Index

Index lexical

Auteurs chinois

Ai Weiwei...... 182 Ai Wu...... 49 Ba Jin...... 31, 36, 56, 190 Bei dao...... 61, 64p., 82 Bi Sheng...... 13 Cai Yuanpei...... 32, 34, 193 Cao Ming...... 49 Cao Xueqin...... 13, 22 Cao Yu...... 56 Chen Duxiu...... 30 Chen Jiangong...... 69 Chen Rong...... 63, 68p. Chen Xiwo...... 190 Cheng Fangwu...... 37 Chi Li...... 130, 134, 172 Chi Zijian...... 171 Dai Huoying...... 66 Dai Sijie...... 151 Deng Youmei...... 70 Diao Dou...... 171 Ding Ling...... 44, 54, 58 Du Pengcheng...... 47, 52 Feng Cheng...... 71 Feng Hua...... 168, 190 Feng Keng...... 39 Feng Menglong...... 22 Feng Tang...... 103, 190 Gao Xiaosheng...... 68 Gao Xingjian...... 78p., 82, 99, 107, 117, 120p., 126, 150, 191 Guan Moye...... 83 Guo Moruo...... 37pp., 46, 54 Han Han...... 97, 102 Han Shaogong...... 77, 79p., 103, 106, 121, 165 Hao Ran...... 59 Hu Feng...... 39, 46, 54 Hu Shi...... 30, 34 Hu Yepin...... 39 Hua Guofeng...... 62 Huang Kuo-Chun...... 171, 190 Jia Pingwa...... 80, 92p., 134, 151 Jiang Guangci...... 38 Jiang Rong...... 109, 147, 150, 155, 159, 161pp., 190 Jiang Shiwei...... 64 Jing Yixiao...... 35 Kang Sheng...... 54 Kang Youwei...... 126 Kong Jiesheng...... 69 Kong Zi (Confucius)...... 11, 14, 21, 126, 148, 152, 190pp. Kouo Mo-Jo...... 123

2012 195/208 Lao She...... 31, 56, 58, 62, 131, 190 Li Ang,...... 174 Li Guowen...... 67 Li Jiren...... 55 Li Liuru...... 55 Li Weisen...... 39 Li Yaotang...... 31 Liang Bin...... 55 Liang Jinguang...... 59 Liang Xiaosheng...... 69 Liu Binyan...... 52p., 67, 82 Liu Shaotang...... 54 Liu Sola...... 78 Liu Xie...... 18 Liu Xinwu...... 65, 171 Lü Jiamin...... 162 Lu Wenfu...... 52, 71 Lu Xinhua...... 65 Lu Xun...... 31, 34, 37pp., 42, 45, 87, 95, 131, 190 Luo Guanzhong...... 23p., 190 Ma Jian...... 4, 82 Mangke...... 64 Mao Dun...... 31, 37pp., 46, 56 Mencius...... 11, 15 Mian Mian...... 100p., 103, 168, 173, 190 Mo Yan...... 82p., 85p., 104, 110, 120, 134, 142, 144p., 148, 190 Murong Xuecun...... 102 Ou Weixiong...... 70 Pu Songling...... 95, 190 Qian Shichang...... 72 Qu Bo...... 55 Qu Qiubai...... 34 Rou Shi...... 39 Ru Zhijuan...... 56 Shen Congwen...... 31, 43, 47 Shen Dehong...... 31 Shenfu...... 156, 190 Shi Nai'an...... 24 Shu Qingchun...... 31 Sima Qian...... 23 Su Shuyang...... 72 Su Tong...... 90p., 150, 190 Sun Li...... 48 Tao Yuanming...... 16 Wang An'yi...... 130, 172 Wang Meng...... 52p., 63, 73p., 78p., 190 Wang Shiwei...... 43, 54 Wang Xin...... 101 Wang Zengqi...... 77 Wen Jiahua...... 38 Wen Yiduo...... 37 Wu Cheng'en...... 17 Wu Han...... 57 Xiao Jun...... 49, 54 Xiao Yemu...... 51 Xie Youshun...... 91 Xinran...... 130 ; 172 Xu Huaizhong...... 72p. Xu Xing...... 78 Xu Zhimo...... 38

2012 196/208 Xu Zhuhua...... 39 Yan Lianke...... 82p., 86pp., 104p., 109p., 118p., 121, 125, 131, 134, 147, 190 Yang Mo...... 55 Yao Xueyin...... 60 Ye Junjian...... 78 Yin Fu...... 39 Ying Chen...... 126 Yu Dafu...... 31, 37p. Yu Dan...... 190 Yu Hua...... 90, 94pp., 103p., 110, 134p., 190 Yu Tianbai...... 72 Yu Wen...... 31 Yuan Zhen...... 13 Zhang Chengzhi...... 69, 79, 190 Zhang Jie...... 74, 75 Zhang Kangkang...... 75p. Zhang Wei...... 99p. Zhang Xianliang...... 74 Zhang Xinxin...... 75p., 172 Zhang Yang...... 60 Zhang Yigong...... 68 Zhao Pingfu...... 39 Zhao Shuli...... 44, 556 58 Zhao Zhenkai...... 64 Zhaxi Dawa...... 79, 190 Zheng Yi...... 80 Zhou Erfu...... 56, 62 Zhou Libo...... 44p., 55p., 58 Zhou Shuren...... 31 Zhou Weihui...... 100 Zhou Zuoren...... 37 Zhuang Zi...... 15, 17, 93

Auteurs Borges Jorges Luis...... 77 Cheng Anne...... 35 Cheng François ...... 35, 151 Faulkner William...... 83 Garcia Márquez...... 83, 95 Jin Siyan...... 74, 97p., 176p., 194 Jullien François ...... 178 Kafka Franz...... 77, 95 Kinsei Shakwai shugi...... 28 Laffitte Jean...... 29 Larsson Stieg...... 132 Lévi André...... 20 Lévi Jean...... 10, 15, 17, 20p., 24, 194 Pichot Amédée...... 119, 125 Pimpaneau Jacques ...... 9, 17, 28, 33, 42, 194 Sanchez Serge ...... 140 Schiffrin Jacques ...... 123 Stieg Larsson...... 135 Veg Sébastien ...... 88 Xiaomin Giafferri-Huang...... 41, 53, 59, 61, 71, 74 Zhang Lun...... 66, 194 Zhang Yinde...... 82

2012 197/208 Journalistes, chroniqueurs littéraires, organes de presse Ahl Nils C...... 83, 140 Augier Jean-Jacques ...... 163 Clavel André...... 71, 140 Devarrieux Claire...... 140, 191 Guédan Katell ...... 140, 193 Haski Pierre ...... 140, 191p. Holzman Marie ...... 31 Lapaque Sébastien...... 140 Mialaret Bertrand...... 97, 131, 140p., 192p. Mourier Maurice ...... 140, 144 Nivelle Pascale...... 140, 191 Pedroletti Brice...... 180pp. Philip Bruno...... 180 Quiriny Bernard...... 140

Traducteurs, éditeurs, libraires et maisons d'édition (en bleu) (toutes nationalités confondues)

Actes Sud...... 85, 94, 96, 113p., 117, 124, 128, 130, 134p., 171p., 174, 190, 192p. Albin Michel...... 114, 151, 190, 192 Alézaïs Jacqueline ...... 22 Au Yeng Annie ...... 89 Bady Paul...... 36, 62, 194 Bardet Vincent...... 126 Bataillon Laure...... 85 Beecher-Stowe Harriet ...... 28 Bergeret-Curien Annie...... 71, 81, 92, 116p., 121, 148p., 165, 173, 177, 193, 205 Bibliothèque de la Pléiade...... 20, 24, 123, 194 Bibliothèque française...... 29 Bleu de Chine...... 36, 39, 70, 79, 113, 124, 146, 150, 190, 192 Briere Pierre...... 90 Cambreleng Jörn ...... 116 Chantal Chen-Andro...... 35, 61, 85, 138 Christian Bourgeois...... 114, 167, 190, 192 Connaissances de l'Orient...... 123 Darrobers Roger...... 126 Dars Jacques ...... 24 Delamare Philippe ...... 173 Dong Qiang...... 70 Doubleday...... 150 Dutrait Liliane...... 78, 84p., 117, 120p., 138 Dutrait Noël ...... 66, 79, 85, 90, 101, 113, 116, 118, 120, 130, 193p. Éditions de l'Aube...... 78, 113, 117, 121 Éditions de la littérature du peuple...... 78 Éditions en Langues Étrangères...... 61 Flammarion...... 23, 90, 113, 190 Folio...... 24 Gallimard...... 20, 22, 24, 62, 113, 123, 125, 150p., 192 Gentil Sylvie...... 78, 88, 101, 103, 105, 113, 117pp., 121, 125, 130, 138, 193 Goldbatt Howard...... 150 Grasset...... 135 Guan Jian...... 97 Guilbaud Brigitte...... 87, 125 Guyvallet Jacqueline ...... 94, 96 Hachette Livre...... 151 Hormon André d'...... 22

2012 198/208 Hun Kim...... 125 Imbot-Bichet Geneviève ...... 93p., 124p., 134, 151 JC Lattès...... 97, 190 Laureillard Marie ...... 90, 173 Lemoine Françoise ...... 90 Le Seuil...... 78, 81, 84p., 101, 103, 113, 120p., 126, 138, 142, 148, 190, 194 Li Hong...... 168 Li Tche-houa...... 22, 62 Liang Pai-tchin...... 123 Lin Esther...... 171 Lin Shu...... 28, 35 Meet...... 113 Messidor...... 113 Milan...... 113 Moraton Gilles ...... 168 Naour Françoise ...... 159 Nghiêm Toan...... 23 Nora Olivier ...... 135 Payen Claude...... 87, 90, 102, 118 Péchenart Emmanuel...... 39 Penguin...... 150, 163 Philippe Picquier...... 28, 61, 84, 87p., 90, 101, 104, 113p., 119, 121, 125, 127, 131, 134, 138, 147, 190, 193p. Pino Angel...... 36, 121, 171 Points...... 85, 101, 126, 193 PUF...... 190, 194 Rabut Isabelle ...... 36, 85, 94, 116pp., 121, 124, 130, 134, 154, 174, 188, 193 Ricaud Louis ...... 23 Robert Laffont...... 35, 193 Sastourné Anne...... 113, 121, 126p., 135, 142, 144p., 193 Sastourné François ...... 150 Schneiter Sylvie...... 97 Stock...... 93p., 113, 134, 151 Verdier...... 111 Verdier Françoise (calligraphe)...... 113, 146 Wei-Guinot Pascale ...... 84 Wei Xiaoping...... 84 Yan fu...... 28 Zedde Michelle...... 193

Personnalités politiques Deng Xiaoping...... 62, 68 Gu Jiegang...... 13, 34 Hu Jintao...... 183 Jiang Jieshi...... 45 Jiang Qing...... 59 Lénine Vladimir...... 88, 118p., 121, 125, 138, 164p., 190, 205 Li Changchun...... 88 Li Keqiang...... 88 Liu Shaoqi...... 57, 59, 67 Liu Xiaobo...... 183 Mao Zedong...... 26, 36, 41pp., 45, 46, 50, 53, 57, 59p., 62p., 88, 90 Zhou Enlai...... 54, 61, 64

2012 199/208 Lieux Villes Angers...... 153 Arras...... 153 Atlanta...... 103 Chengdu...... 102, 165 Chongqing...... 165 Dunhuang...... 12 Francfort...... 109, 142 Fudan...... 65, 100 Grenoble...... 152 Guangzhou (Canton)...... 51, 72, 78 Haiyan...... 94 Hangzhou...... 94 Hong Kong...... 4, 8, 72, 86, 103, 126, 141, 165, 173, 176 Huanan...... 153 Jinan...... 153 La Rochelle...... 153 Lyon...... 153 Nanchang...... 153 Nankin...... 153 Nice...... 41 Paris...... 5, 32, 77, 103pp., 113, 125p., 130,p., 140, 142p., 148, 153, 192 Pékin ...... 4p., 28, 30, 32p., 37, 51pp., 60p., 64, 69pp., 73, 78, 82 , 87, 103p., 107, 109, 111, 113, 116p., 124, 153, 160p., 165, 173p., 176, 180pp. Poitiers...... 152p. Rennes...... 153 Saint-Denis...... 153 Shanghai...... 27, 33, 38p.,51, 56, 59, 62, 65, 72p., 100p., 103, 147, 165, 168, 180 Shenzhen...... 101 Stockholm...... 65 Strasbourg...... 153 Tianjin...... 153 Toulouse...... 153 Urumqi...... 183 Versailles...... 33 Wuhan...... 153, 165 Xi'an...... 93 Xiamen...... 153 Yan'an...... 26, 41pp., 55, 58

Tiananmen (place)...... 32, 41, 73, 104, 109, 111, 150, 161

Provinces chinoises Hainan...... 69 Henan...... 86pp., 119 Hubei...... 153 Hunan...... 44, 79p. Jiangsu...... 90, 153 Macao...... 176 Mandchourie...... 45, 69, 76 Mongolie Intérieure...... 69p., 79, 161, 176 Shaanxi...... 48, 80, 92 Shandong...... 31, 33, 69, 83, 85, 153 Shanxi ...... 44, 80 Sichuan...... 4, 79, 104, 109, 176, 182 Tibet...... 78, 103, 108, 177, 189 Xinjiang...... 54, 79, 155, 159pp, 176, 182 Zhejiang...... 94

2012 200/208 Pays Albanie...... 77 Allemagne...... 32 Angleterre...... 4, 82 Cambodge...... 125 Corée...... 48, 125 États-Unis...... 28pp., 35, 60, 82, 103, 109, 126, 166, 183, 186pp. France...... 2, 4p., 7pp., 28p., 35, 41p., 82p., 97, 101, 103, 112pp., 120, 123pp., 129 ; 132, 136, 139, 142p., 148pp., 163, 167, 173p., 177p., 183, 185pp. Inde...... 14, 17, 125 Indonésie...... 125 Japon...... 12, 28p., 32, 37, 125 Malaisie...... 140, 168, 173 Royaume-Uni...... 29 Scandinavie...... 29 Suède...... 82 Taiwan...... 8, 33, 82, 86, 105, 109, 126, 135, 148p., 174p., 179 Thaïlande...... 125 URSS...... 29, 38, 77 Vietnam...... 77, 125

2012 201/208 Annexe

Carte de la République Populaire de Chine et de ses provinces :

2012 202/208 Table des documents

Chapitre III : Les acteurs de la diffusion de la littérature chinoise en France en 2009

 p. 114 : Rémunération des traducteurs littéraires (contrats signées en 2008) Source : site de l'ATLF www.atlf.org/IMG/pdf/Remuneration_2009.pdf  p. 115 : Facturation de traductions (base : 50 feuillets à 20€ par feuillet) et prélèvements obligatoires Source : site de l'ATLF www.atlf.org/Facturation.html  p.132 : Lecture d'un livre selon l'âge et le sexe au cours des 12 derniers mois (2005) Graphique réalisé à partir de données primaires ; source : Insee, enquête permanente sur les conditions de vie, 2005  p. 132 : Lecture au cours des 12 derniers mois en fonction des CSP Source : tableau Insee, SRCV-SILC 2009  p. 133 : Ce qui plaît dans la lecture Source : sondage TNS-Sofrès réalisé pour La Croix du 27 février au 02 mars 2009  p. 143 : Publicité pour La dure loi du karma, Mo Yan, Le Seuil, trad. Chantal Chen- Andro Source : photo prise de la page 2 du Monde le 18/09/2009  p. 145 : Quatre couvertures de romans de Mo Yan, publiés aux éditions Seuil • La mélopée de l'ail paradisiaque, 2005 • Le supplice du santal, 2006 • Quarante et un coups de canon, 2009 • La dure loi du karma, 2009 source : catalogue des éditions Le Seuil en ligne  p. 146-147 : 17 couvertures de livres publiés chez Bleu de Chine entre 1994 et 2007 source : catalogue de Bleu de Chine en ligne  p. 147 : Couvertures chinoises et françaises • Le totem du loup de Jiang Rong, source : www.book.douban.com/ et le catalogue des éditions Bourin en ligne • Bons baisers de Lénine de Yan Lianke source : mclc.osu.edu/rc/pubs/tsai2.htm et le catalogue de Philippe Picquier en ligne  p. 148 : Comparaison des couvertures en grand format et format poche pour trois romans de Mo Yan, publiés d'abord au Seuil puis chez Points • Le pays de l'alcool, 2000 et 2004 • Beaux seins, belles fesses, 2004 et 2005 • Le chantier, 2007 et 2011  p. 149 : Couverture du deuxième ouvrage collectif ALIBI 2 sous la direction d'Annie Bergeret-Curien. Source : catalogue en ligne de la librairie Chapitre.com www.chapitre.com/  p. 153 : Sigle de l'Institut Confucius source : site de l'Institut Confucius de Angers

2012 203/208 Chapitre IV : Les représentations de la Chine véhiculées par les œuvres

 p. 158 : Comparaison des consommations d'électricité en Chine et en France depuis les années 1960 source : www.perspective.usherbrooke.ca/  p. 181 : Thèmes abordés par les articles du Monde ayant pour sujet la Chine en 2009 Graphique réalisé à partir de données primaires recueillies en effeuillant Le Monde du 1er janvier au 31 décembre 2009

Annexe

 p. 202 : Carte de Chine et des provinces source : blog enrouteverslachine.mabulle.com

2012 204/208 Table des matières

Chapitre I : La littérature chinoise classique et moderne...... 9

I-De l'écriture à la littérature...... 9 A-L'apparition de la notion de littérature...... 9 1. La littérature des lettrés...... 10 2. La littérature populaire...... 11 B-L'influence des idéologies en littérature...... 14 1. Le confucianisme à l'origine d'une littérature morale et didactique...... 14 2. Le taoïsme : une littérature de l'intuition...... 15 3. Le chamanisme : l'écriture de l'imaginaire...... 17 4. Liu Xie et le sceau du réel...... 18 C-De l'allusion à la critique politique...... 19 D-Les romans de cycle long...... 21 1. Les roman-fleuve ou « de cycles longs »...... 21 2. 三国演义 L'histoire des trois royaumes...... 23 3. 水浒传 Au bord de l'eau...... 24

II-La littérature chinoise moderne...... 26 A-La modernité en littérature...... 26 1. La dynastie Ming (明朝), un temps de questionnement...... 26 2. L'influence occidentale...... 27 3. Le Mouvement pour la nouvelle culture...... 30 B-La rupture : le mouvement du 4 mai (五四运动)...... 32 1.L'éveil national...... 32 2.Un mouvement devenu national...... 33 a. La popularisation de la langue chinoise...... 34 b. Ouvrir la littérature au peuple...... 35 3. Les sociétés littéraires...... 37 4. L'engagement en politique...... 38

Chapitre II :La littérature chinoise contemporaine...... 41

I-La littérature de Yan'an ...... 41 A-Une littérature politisée...... 42 1. La mise au pas des écrivains...... 42 a. Le discours de Yan'an...... 42 b. La rééducation des écrivains...... 43 c. L'émergence de nouveaux écrivains...... 44 2.L'imposition du réalisme socialiste...... 45 a. L'entérinement des critères littéraires de Yan'an...... 45 b. Les thèmes imposés...... 47 B-La campagne des Cent fleurs...... 50 1. Pour une littérature moins politisée...... 51 a. L'amour en littérature...... 51 b. La bureaucratie...... 52

2012 205/208 2. Les Cent fleurs (1957)...... 53 3. L'apogée du roman socialiste...... 54 C-无产阶级文化大革命 La grande Révolution culturelle prolétarienne (1966)...... 57 1. La répression...... 57 2. « La littérature du complot »...... 59

II-Le renouveau littéraire 1976- 1989...... 62 A-Un renouveau des techniques littéraires...... 62 B-L'expression de la singularité...... 64 1. La poésie obscure ...... 64 2. La littérature des cicatrices...... 65 C-Le nouveau réalisme...... 67 1. La campagne, thème de prédilection...... 67 2. La réhabilitation des professions intellectuelles...... 68 3. L'envoi des jeunes à la campagne...... 69 4. Récits urbains...... 70 D-Le roman psychologique...... 72 1.La littérature de réflexion (反思文学 fansi wenxue)...... 73 2. Littérature de femmes...... 75 E-La littérature des racines...... 77 1.L'influence occidentale...... 77 2.Le régionalisme...... 79

III-La fin des courants 1989-2009...... 82 A-La génération 1950-1960 ...... 83 1.Les enfants des institutions (Mo Yan et Yan Lianke)...... 83 a. Mo Yan et la fiction critique...... 83 b. Yan Lianke et la fiction-reportage...... 86 2. 新写实主义 Le néo-réalisme...... 89 a. Su Tong et le « nouveau historique »...... 90 b. Jia Pingwa le décadent...... 92 c. Yu Hua et la littérature fantastique...... 94 B-La nouvelle génération...... 97 1. Une écriture individuelle et subjective...... 97 2.La logique de marché...... 98 a. Des produits marchands...... 99 b. Du sexe en littérature...... 100 3. La génération internet...... 102 C-Les enjeux du marché de l'édition en Chine...... 104 1.Les enjeux de la production littéraire...... 104 a. L'autocensure...... 104 b. La crainte de l'uniformisation...... 106 2.L'édition chinoise...... 107 a. Le marché chinois : maisons publiques et privées, le trafic d'ISBN...... 107 b. La censure et le succès...... 108

2012 206/208 Chapitre III :Les acteurs de la diffusion de la littérature chinoise en France en 2009 ...... 112

I-Les passeurs : les traducteurs...... 112 A-Un métier passion...... 112 1. Une « activité annexe »...... 113 2. Leur motivation...... 116 3.La proposition des œuvres aux maisons d'édition...... 117 B-La traduction...... 118 1. Les difficultés rencontrées...... 118 2. Contacter l'auteur...... 120 3. Les délais...... 121

II-Les maisons d'édition françaises...... 123 A-Les maisons d'édition...... 123 1.Les pionniers...... 123 a. Gallimard...... 123 b. Actes Sud...... 124 2.Les maisons spécialisées...... 124 a. Bleu de Chine (1994-2008)...... 124 b. Philippe Picquier, maison d'Asie...... 125 c. La librairie You Feng...... 125 3.Le Seuil...... 126 B-Les obstacles à la publication...... 129 1.Une demande réduite et méconnue...... 130 a. L'avis des professionnels...... 130 b. Les études sur le livre sans distinction de genre...... 131 2.La barrière de la langue...... 134 3. Le coût de la publication...... 135 a. La stratégie de compensation...... 135 b. Les aides spécifiques du Centre National du Livre...... 136

III-La diffusion des œuvres auprès des lecteurs...... 139 A-La diffusion par les maisons d'éditions...... 139 1.Attaché(e) de presse et journalistes...... 139 2.Le marketing promotionnel...... 141 a. La venue d'un auteur étranger en France...... 142 b. Stratégies de publication...... 144 c. Titres et couvertures...... 145 B-La diffusion par les passionnés...... 148 1. Ateliers LIttéraires BIpolaires (ALIBI)...... 148 2.Les prix littéraires...... 150 3. Culture et littérature...... 151

2012 207/208 Chapitre IV :Les représentations de la Chine véhiculées par les œuvres...... 155

I-Les deux Chine...... 156 A-La Chine rurale...... 156 1.Une Chine pittoresque...... 157 2.La rééducation auprès des minorités ethniques...... 159 a. Le Xinjiang...... 159 b. La Mongolie intérieure...... 161 3.Le Parti communiste en zone rurale...... 164 B-La Chine urbaine...... 165 1.La perte de repères...... 166 2.Les nouvelles relations homme-femme...... 167 a. La sexualité des jeunes...... 167 b. Des rapports déséquilibrés...... 168

II-Les marges du corpus...... 171 A-Les femmes...... 171 1.La visibilité de la littérature féminine selon les maisons d'édition...... 171 2.L'évolution de la littérature féminine...... 172 B-Les minorités chinoises...... 174 1.台湾 Taiwan...... 174 2.Les minorités ethniques sur le territoire chinois...... 176

III-Les réceptions...... 177 A-Une littérature jugée peu abordable...... 177 1.Le style chinois...... 177 2.Le besoin d'un bagage culturel...... 178 B-Le rejet du Made in China...... 180 1.Un message médiatique négatif...... 180 2.L'écart culturel...... 183

2012 208/208