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ARTICLE DE LA REVUE JURIDIQUE THÉMIS

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Droit constitutionnel

La protection de la vie privée au

Benoît PELLETIER Professeur titulaire (en congé) à la Faculté de droit de l’Université d’

La protection de la vie privée est Charte des droits et libertés de la un droit essentiel, au cœur des p e r s o n n e3 p rotègent explicitement grands débats politiques et juridi- la vie privée au Québec. Au niveau ques. Au Canada, le droit au re s- fédéral et dans les provinces majori- pect de la vie privée n’est pas, pour t a i rement anglophones, il existe l’ h e u r e, expressément garanti par la aussi un certain nombre de me- Constitution canadienne. Ce sont s u res législatives visant à re c o n- les tribunaux et plus particulière- n a î t re le droit à la vie privée, sur ment la Cour suprême qui ont lesquelles nous re v i e n d rons plus consacré ce droit dont le statut loin dans ce texte. constitutionnel implicite semble Avec les avancées pro d i g i e u s e s maintenant bien établi. Par une e n registrées ces dern i è res décen- interprétation large des articles 7 et nies dans le domaine des nouvelles 8 de la Charte canadienne des droi t s technologies de l’information et des et libertés1, entre autres, la plus télécommunications, le besoin haute juridiction a reconnu, dans d’une saisie juridique re n f o rcée et sa jurisprudence constante, la ex p r essément garantie par la Cons- p rotection de la vie privée comme titution se fait de plus en plus sentir un droit fondamental à préserver au Canada. Des voix s’élèvent, c o n t re toute intrusion déraison- militant pour la mise en place d’une nable. Le Code civil du Québec2 et la charte du droit à la vie privée constamment menacée par les immixtions de toute nature, notam- 1 Partie I de la Loi constitutionnelle de ment étatique et électronique. Le 1982 [annexe B de la Loi de 1982 sur le voyeurisme cybernétique tous azi- Canada (1982, R.-U., c. 11)] [L.R.C. 1985, App. II, no 44] (ci-après citée « Charte canadienne »). 2 L.Q. 1991, c. 64 (ci-après cité également 3 L.R.Q., c. C-12 (ci-après citée « C h a r t e « C.c.Q. »). québécoise »). 12-pelletier.qxdI 8/22/02 8:05 Page 486

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muts envahit l’homme, l’agre s s e t e i n t e s à son honneur et à sa même dans ce qu’il a de plus in- réputation. Toute personne a droit ti m e : sa vie privée. Les atteintes qui à la protection de la loi contre de y sont faites sont de plus en plus telles immixtions ou de telles fréquentes et ce mouvement d’in- a t t e i n t e s ». Le Commissaire cana- trusion électronique dans la vie de dien à la vie privée n’a pas fait mys- chacun semble irréversible. Comme tè r e de sa position à cet égard, alors le souligne si bien le pro f e s s e u r qu’il devait aff i rmer que « [l]e fait P i e r re Trudel, « [l]a notion de vie de révéler ou de cacher des détails privée est apparue comme une caté- de notre vie est une décision qui gorie juridique autonome […] son incombe à chacun de nous, et non importance s’est accrue dans plu- pas aux autres, aux entreprises et sieurs systèmes juridiques comme certainement pas à l’État, sauf dans conséquence de la multiplication des circonstances re s t reintes, pré- des technologies permettant de cises et établies par la loi »6. Vo i l à traiter toujours plus d’informa t i o n s , qui situe bien la dialectique fonda- rendant de ce fait possible des mentale. Mais il y a plus inquiétant intrusions ou divulgations autref o i s quand on apprend que « [d]ans la inconcevables »4. plus stricte légalité, les particuliers De ce qui précède, une question et entreprises de tout genre peuvent importante revient comme un leit- ap p re n d r e et savoir tout sur chacun m o t i v : comment protéger juridi- d ’ e n t re nous : nos coord o n n é e s , quement la vie privée sans pour no t r e situation fina n c i è r e, de santé, autant réduire à néant, sinon à leur d’emploi ou de bénéficiaire de pro- simple expression d’autres dro i t s grammes sociaux, nos habitudes de aussi fondamentaux, comme celui vie et de consommation, nos dépla- d’informer le public? cements et même nos appartenan- Cette interrogation nous servira ces et opinions »7. de prétexte à l’examen de l’état du Avec ce qui précède comme toile droit à la protection de la vie privée de fond, il convient de souligner au Canada, pays signataire de la qu’au Canada, la protection de la Déclaration universelle des droits de vie privée relève tantôt du droit civil, l’homme5. À l’article 12, la Déclara- tantôt de la common law, tantôt de tion reconnaît que « [n]ul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans

sa vie privée, sa famille, son domi- 6 Bruce PHILLIPS, Loi sur la protection des cile ou sa correspondance, ni d’at- renseignements personnels et les docu - ments électro n i q u e s , P rojet de loi C-54, Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, texte prononcé de- 4 P i e r re TRUDEL, France ABRAN, Karim vant le Comité permanent de l’industrie BENYEKHLEF et Sophie HEIN, Droit du de la Chambre des communes du cy b e re s p a c e , Montréal, Éditions Thémis, Canada, Ottawa, 2 décembre 1998. 1997, p. 11-20. 7 René CÔTÉ et René LAPERRIÈRE, Vi e 5 Résolution 217 A (III), signée et adoptée privée sous surveillance : la pro t e c t i o n par l’Assemblée générale des Nations des renseignements personnels en dro i t Unies le 10 décembre 1948, Doc. A/810, québécois et comparé, Cowansville, p. 71. Éditions Yvon Blais, 1994, p. 57 et 58. 12-pelletier.qxdI 8/22/02 8:05 Page 487

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mesures quasi constitutionnelles8, que les attentes d’une personnalité tantôt de mesures purement consti- publique, en ce qui concerne la tutionnelles. Le droit à la vie privée p rotection de sa vie privée, soient pose la problématique de l’attente généralement moindres que celles raisonnable, c’est-à-dire la question d’une personne qui n’est pas très de savoir à quel type de protection connue publiquement10. de son droit à la vie privée un Quoi qu’il en soit, lorsque l’at- individu peut raisonnablement teinte au droit à la vie privée relève s’attendre en telle ou telle circons- du droit public (c’est-à-dire d’une tance. Ce droit pose aussi tout un source législative ou exécutive), les ensemble de questions reliées à la tribunaux appliquent un proc e s s u s n a t u re et à l’ampleur de l’atteinte en deux étapes : d’abord, ils cher- subie. À cet égard, on notera que, chent à identifier l’existence d’une parfois, c’est un individu qui porte restriction au droit à la vie privée; atteinte au droit à la vie privée ensuite, ils se penchent sur le d’autrui alors que, dans d’autre s ca r a c t è r e raisonnable ou justifiab l e cas, cette atteinte découle d’un acte de cette restriction. À cette fin, les go u v e r nemental ou para-gouverne - tribunaux examinent la nature et mental ou encore d’une loi. Cette l’ampleur de l’atteinte au droit à la distinction n’est pas sans avoir une vie privée; ils cherchent à cerner les certaine importance puisque les buts et objectifs qui sont poursuivis p rotections et les recours dont bé- par l’instance gouvern e m e n t a l e , néficiera la victime varieront consi- p a r a - g o u v e rnementale ou parle- dérablement selon que l’atteinte est m e n t a i re concernée et qui sont de caractère privé ou public. En invoqués à titre de justification de e ffet, la portée du droit à la vie l’atteinte; enfin, ils examinent la privée est généralement plus éten- p roportionnalité entre ces buts et due en droit public qu’en dro i t objectifs, d’une part, et les moyens pr i v é 9. Du reste, il semble manifeste utilisés par cette instance pour les atteindre, d’autre part. Fondamen- talement, la protection de la vie pri- 8 Nous rev i e n d r ons plus loin, dans la par- tie IA) de ce texte, sur le sens qu’il faut vée ne saurait être envisagée sans donner à l’expression « quasi constitu- tenir compte de la modulation ou tionnel » en droit canadien. pondération des intérêts opposés de 9 à ce sujet les commentaires du juge l’État et des individus. en chef Lamer (dissident) dans l’arrêt Aubry c. Éditions Vice-Versa inc., [1998] La vie privée est une notion très 1 R.C.S. 591, 599 et 600. Il en re s s o r t élastique qui rec o u v r e une panoplie qu’il existe « une diff é rence fonda- indéfinie de situations où il peut mentale entre les attentes raisonnables ê t re porté atteinte à celle-ci. Bien de vie privée d’une personne dans ses rapports avec l’État, et ses attentes qu’elle soit un sujet re l a t i v e m e n t raisonnables de vie privée dans ses imprécis et indéfinissable, la prot e c - rapports avec de simples citoyens » (p. 599). Voir aussi p. 616 : « Ainsi, il est généralement reconnu que certains devenir matière d’intérêt public » (juges éléments de la vie privée d’une personne L’Heureux-Dubé et Bastarache). exerçant une activité publique ou ayant 10 Sur ce point, i d ., 616 et 617 (juges acquis une certaine notoriété peuvent L’Heureux-Dubé et Bastarache). 12-pelletier.qxdI 8/22/02 8:05 Page 488

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tion de la vie privée comporte diffé- minel. Elles concernent les dé- rents aspects, lesquels sont plus ou tentions, les fouilles corporelles, moins régis par le droit existant : les arrestations, les empre i n t e s co n fi dentialité des données à carac- digitales, les prélèvements t è re personnel, privilège contre d’échantillons d’haleine et de l’auto-incrimination, droit de ne pas sang, l’identification par em- ê t re forcé de témoigner contre son p reintes dentaires, le conjoint, autorité parentale et vie prélèvement de cheveux, de poils familiale, intégrité physique et mo- et de salive, etc. rale, droit à l’honneur et à la digni- – Les atteintes à l’intégrité mo- té, liberté de circulation et d’établis- rale comme composante de la sement, fouilles corporelles, fouilles vie privée. Ces atteintes sont ef- de véhicules, perquisitions et sai- fectuées à travers les filatures de sies, espionnage, inviolabilité du divers ordres, la télésurveillance domicile, développements technolo- ou la surveillance magnétosco- giques et respect des télécommuni- pique, la surveillance informa t i q u e , cations, respect de l’image, secre t la surveillance téléphonique, la fiscal, secret médical, secret ban- surveillance-vidéo, etc. Nous cons- caire, secret de l’instruction, secret tatons d’ailleurs qu’il y a un de la correspondance et de la poste, n o m b re croissant de plaintes tests génétiques, procréation assis- relatives aux impacts négatifs tée, expérimentation post mortem, des dispositifs de filature et de accouchements anonymes, trans- surveillance sur la vie privée des ferts de données à l’étranger, pro- citoyens, lesquels sollicitent tection des éléments et produits du néanmoins une réglementation corps, respect de l’orientation et une restriction dans la dif- sexuelle, respect de la vie conjugale, fusion du matériel obscène, de la droit à l’intimité, etc. p o rnographie infantile et de la On précisera néanmoins que la p ropagande haineuse. La popu- jurisprudence canadienne ne fait lation canadienne exerce d’ail- pas de distinction entre la liberté de leurs une pression considérable la vie privée et le secret de la vie sur les assemblées législatives privée. Elle n’identifie pas non plus afi n que soit réglementé le contenu un droit à l’intimité ni un droit au de l’Internet, notamment le cour- l i b re développement de la person- rier électronique, les « c o o k i e s » nalité qui soient distincts de la (ou témoins électroniques), ainsi protection de la vie privée en géné- que les sites web. ral. Toutefois, la jurisprudence de Du reste, le Canada étant un État la Cour suprême du Canada en fédéral, il est important de souligner m a t i è re de protection de la vie que la protection de la vie privée est privée est abondante et porte sur une compétence mixte et de double les principaux axes suivants : aspect, c’est-à-dire qu’elle relève à – Les atteintes à l’intégrité phy- la fois du fédéral et des pro v i n c e s . sique comme composante de la Ainsi, aucun ord re de gouvern e- vie privée. Ces atteintes sont ha- ment n’a le monopole sur cette bituellement reliées au droit cri- question. Au contraire, chacun peut 12-pelletier.qxdI 8/22/02 8:05 Page 489

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régir ce sujet à partir de ses prop re s I. La protection de la vie compétences constitutionnelles, privée au plan textuel selon l’aspect qui est en cause. À la lumière de ce qui précède, cet A. Les sources purement essai visera à analyser quelques législatives et quasi aspects de la vie privée qui font constitutionnelles du l’objet d’une protection par les droit à la vie privée textes fondamentaux (pro t e c t i o n On entend par mesures quasi textuelle I) et par le juge canadien constitutionnelles des dispositions ( p rotection judiciaire II). Dans la qui se trouvent dans des lois qui pre m i è r e partie, nous étudierons la sont adoptées par le Parlement ou protection de la vie privée à travers par une législature et qui ont, en la Charte canadienne, la D é c l a - raison de leur importance fondamen- ration canadienne des dro i t s1 1, la tale, une préséance législative sur Loi canadienne sur les droits de la toute autre loi ordi n a i r e adoptée par pe r s o n n e 12 , la Charte québécoise, le l’assemblée législative en cause. En Code civil du Québec et les légis- vertu de cette préséance législative, lations fédérales et provinciales de la loi dite quasi constitutionnelle p rotection des données person- rend inopérantes les dispositions de nelles. La situation dans les autres la loi ord i n a i re susmentionnée si p rovinces canadiennes sera aussi celles-ci ne sont pas compatibles brièvement examinée. Dans la se- avec ce que ladite loi quasi constitu- conde partie, nous analyserons la tionnelle édicte. position du juge à partir de quel- Les dispositions quasi constitu- ques exemples portant sur le droit tionnelles qui sont susceptibles de à l’image et l’inviolabilité du domi- nous intéresser en ce qui concerne cile, deux composantes de la pro- la protection de la vie privée se tection de la vie privée telle que tr ouvent dans la Charte québécoise, définie par la Cour suprême du dans la Loi canadienne et dans la Canada et les tribunaux québécois. Déclaration canadienne. Elles sont édictées, soit par le Parlement fédé- ral, soit par la législature québé- coise. En ce qui concerne les mesure s purement législatives, nous exami- n e rons la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électro n i q u e s1 3, une loi fédérale récente. Au niveau québé- cois, nous analyserons essentielle- ment l’ancien Code civil du Bas Canada14, le Code civil du Québec,

11 L.C. 1960, c. 44 [L.R.C. 1985, App. III] (ci-après citée « Déclaration canadien- 13 L.C. 2000, c. 5. ne » ou « Déclaration »). 14 Acte concernant le Code civil du Bas 12 L.C. 1976-77, c. 33 [L.R.C. 1985, c. H- Canada, S.C., 29 Vict., c. 41 (1865) (ci- 6] (ci-après citée « Loi canadienne »). après cité « C.c.B.C. »). 12-pelletier.qxdI 8/22/02 8:05 Page 490

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la Loi sur l’accès aux documents des à juste titre la décrire comme un organismes publics et sur la protec - document quasi constitutionnel »18 . tion des renseignements person - L’article 1 de la Déclaration cana- nels15 ainsi que la Loi sur la protec - dienne dispose comme suit : tion des renseignements personnels 1. Il est par les présentes rec o n n u dans le secteur privé16. Enfin, nous et déclaré que les droits de l’hom - a b o rd e rons un certain nombre de me et les libertés fondamentales m e s u res législatives applicables ci-après énoncés ont existé et con - aux autres provinces canadiennes. t i n u e ront à exister pour tout indi - vidu au Canada quels que soient 1. Les sources fédérales sa race, son origine nationale, sa couleur, sa religion ou son sexe : a. La Déclaration a) le droit de l’individu à la vie, canadienne des droits à la liberté, à la sécurité de la L a Déclaration canadienne e s t personne ainsi qu’à la jouis - une loi fédérale adoptée en 1960, sance de ses biens, et le droit ayant pour but de protéger les de ne s’en voir privé que par droits de la personne et les libertés l’application régulière de la fondamentales. Elle ne s’applique loi; que dans le champ des compé- b) le droit de l’individu à l’égalité tences fédérales. devant la loi et à la protection La Déclaration canadienne est de la loi; une loi de nature quasi constitu- c) la liberté de religion; tionnelle, qui a primauté sur toutes d) la liberté de parole; les lois fédérales, postérieure s e) la liberté de réunion et d’asso - comme antérieures à elle1 7. C’est ciation; le juge Laskin, dans l’affaire Hogan f) la liberté de la presse. en 1975, qui, pour la première fois, La notion de vie privée englobe a reconnu que « [l]a D é c l a r a t i o n celles relatives à la liberté, la digni- canadienne des droits est à mi- té, l’intégrité, l’intimité, l’anonymat, chemin entre un système fondé etc. Comme nous pouvons le uniquement sur la Common Law et c o n s t a t e r, les dispositions de l’ar- un système constitutionnel; on peut ticle 1 de la Déclaration canadienne sont d’ordr e général, mais certaines de celles-ci se réfèrent à la pro t e c- tion de la vie privée. C’est le cas notamment des droits relatifs à la 15 L.R.Q., c. A-2.1 (ci-après citée « Loi sur liberté et à la sécurité de la per- l’accès »). sonne. Autrement dit, le droit à la 16 L.R.Q., c. P-39.1. 17 Sur ce point, voir : S i n g h c . M i n i s t re de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, particulièrement à la page 18 Hogan c. La Reine, [1975] 2 R.C.S. 574, 224 (juges Beetz, Estey et McIntyre); voir 597. Le juge Laskin est dissident dans au s s i : R. c. Dr y b o n e s , [1970] R.C.S. 282 cette aff a i re, mais ses propos sur la (juges Fauteux, Martland, Judson, Déclaration canadienne font sans doute Ritchie, Hall et Spence). autorité. 12-pelletier.qxdI 8/22/02 8:05 Page 491

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vie privée s’inscrit dans un dro i t la Loi canadienne vient compléter la plus général qui est le droit à la Charte canadienne et la Déclaration sécurité et à la protection des canadienne en ce qu’elle légifère sur individus, tant dans leur intégrité des questions sociales pointues physique que morale. D’ailleurs, la telles que l’orientation sexuelle, clause de sauvegarde, qui est une l’état matrimonial, la situation de la m e s u re de précaution, résout le famille, la déficience, et même l’état pr oblème des droits qui ne sont pas de personne graciée. Cette loi ne e x p ressément définis dans la prévoit pas expressément, en son Déclaration canadienne, comme le objet, la question particulière du dr oit à la vie privée. En effet, l’article dr oit à la protection de la vie privée. 5(1) de la Déclaration postule Elle pourrait néanmoins être q u ’ « [a]ucune disposition de la invoquée par les justiciables dans Partie I ne doit s’interpréter de des situations où des discrimina- ma n i è r e à supprimer ou res t re i n d r e tions peuvent exister et nuire inci- l’exercice d’un droit de l’homme ou demment à la vie privée. Toutefois, d’une liberté fondamentale non comme le précise l’auteur Alain- énumérés dans ladite Partie et qui Robert Nadeau, « sur le plan pra- peuvent avoir existé au Canada lors tique, le recours à cette loi serait de de la mise en vigueur de la présente peu d’intérêt compte tenu de la lo i ». L’article 5(1) illustre bien le fait possibilité d’avoir recours, dans que, sans être expressément défini e tous les cas où un agent de l’État par la Déclaration canadienne, la est impliqué, au recours prévu à la vie privée est l’objet d’une pro t e c- Charte canadienne »19. tion puisque la Déclaration re c o n- c. La Loi sur la protection naît qu’elle ne saurait « s u p p r i m e r des renseignements ou res t re i n d r e l’exercice d’un dro i t» , personnels et les notamment celui relatif au droit à documents la vie privée dont la protection est électroniques e n c o re plus re n f o rcée sous la L o i En 1982 eut lieu la promulgation canadienne. par le Parlement canadien de la Loi b. La Loi canadienne sur la protection des ren s e i g n e m e n t s 20 sur les droits de personnels , entrée en vigueur en la personne 1983. En 1984, le Canada a adhéré L a Loi canadienne, adoptée en aux Lignes directrices de l’OCDÉ 1977, est une loi fédérale de nature régissant la protection de la vie quasi constitutionnelle. Elle est privée et les flux transfro n t i è res de opposable au législateur et au gou- vernement fédéral et est applicable aux particuliers dans des domaines tels que la discrimination en ma- 19 Alain-Robert NADEAU, Vie privée et tière d’emploi ou dans la prestation dr oits fondamentaux, Montréal, Carswell de services publics. Elle vise à et Éditions Yvon Blais, 2000, p. 57. 20 re n f o rcer la législation canadienne Loi sur la protection des renseignements pe r s o n n e l s , 1980-81-82-83, c. 111, ann. en matière de discrimination. Ainsi, II « 1 » [L.R.C. 1985, c. P-21]. 12-pelletier.qxdI 8/22/02 8:05 Page 492

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données de caractère personnel 2 1. ments personnels comportent des Mais, c’est en 1998 que s’est amor- risques d’atteinte à la vie privée du cé un processus législatif visant fait du contrôle très lâche en ce l’adoption d’une loi devant assurer domaine par les pouvoirs publics. la protection de la vie privée dans le D’ailleurs, il s’est avéré que ces secteur privé, notamment en ce qui d e rniers participent même à un concerne les transactions commer- échange de renseignements person- ciales par voies électroniques. Cette nels avec le secteur privé, créant loi, sanctionnée en avril 2000, ainsi un potentiel de discrimination s’intitule Loi sur la protection des e n t re les citoyens ayant libre m e n t renseignements personnels et les consenti à fournir ces re n s e i g n e- documents électroniques. ments aux entreprises privées et Elle est l’aboutissement de près aux organismes publics tels que les d’une vingtaine d’années d’eff o r t s magasins de commerce de détail, législatifs pour réglementer le trai- les banques et les compagnies d’as- tement électronique des données surance. C’est dans ce quasi vide personnelles par le secteur privé. juridique que la Loi sur la prot e c t i o n Elle constitue un palliatif aux des renseignements personnels et i n s u ffisances de la Partie IV de la les documents électro n i q u e s a été Loi canadienne qui, de par ses adoptée. Le but premier de cette loi dispositions très larges, ne pouvait est d’assurer une meilleure protec- as s u r er une protection adéquate de tion de la vie privée des Canadiens la vie privée, notamment en ce qui dans le secteur privé. Étant une loi a trait à la protection des ren s e i g n e - fédérale, elle ne s’applique qu’aux ments personnels. Comme le or ganismes du gouvernement cana- souligne le Commissaire à la vie dien en ce qui a trait à la collecte et privée du Canada dans son Rapport à la communication des renseigne- annuel 1999-2000 : « la Partie IV ments personnels provenant des était loin d’être une loi exhaustive entreprises privées. sur la protection des données; elle Plus spécifiquement, la partie 1 portait essentiellement sur l’accès est relative, entre autres, au champ limité aux dossiers et ne prévoyait d’application de la loi, aux exemp- aucune mesure pour réglementer la tions en vertu desquelles une orga- collecte, l’usage et la communica- nisation peut réunir, utiliser et tion des renseignements personnels communiquer des re n s e i g n e m e n t s du gouvern e m e n t »2 2. En effet, les personnels à l’insu ou sans le con- circulations, les manipulations, les sentement de la personne concer- transmissions et les transactions née, à l’accès des particuliers aux par voie électronique des ren s e i g n e - renseignements personnels les con- c e rnant, aux motifs de rejet d’une demande d’accès, aux pouvoirs du 21 R. CÔTÉ et R. LAPERRIÈRE, op. cit., note 7, p. 259. 22 COMMISSAIRE À LA PROTECTION DE Ottawa, Ministre des Travaux publics et LA VIE PRIVÉE DU C A N A D A, R a p p o r t Services gouvernementaux, Canada, annuel du Commissaire à la protection de 1999, p. 27 (ci-après cité Rapport an - la vie privée du Canada, 1 9 9 9 - 2 0 0 0, nuel). 12-pelletier.qxdI 8/22/02 8:05 Page 493

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C o m m i s s a i re à la protection de la dans le Code civil du Québec et dans vie privée en matière d’enquête et de la Charte québécoise. Il faut aussi v é r i fication, aux réparations ainsi mentionner quelques dispositions qu’aux infractions et aux peines. plus spécifiques, notamment celles Des mécanismes de révision sont portant sur les re n s e i g n e m e n t s prévus qui permettent au Commis- personnels et la protection des sa i r e de faire des enquêtes sur toute enfants. plainte reçue quant à l’application de la loi. Au terme d’une enquête, le a. Les dispositions Co m m i s s a i r e a le pouvoir de formu - générales ler une recommandation form e l l e adressée au responsable de l’insti- i. Le Code civil du Bas tution en question. À ce stade du Canada et le Code civil litige, il est loisible à tout justiciable du Québec dont la vie privée a été affectée de Au Québec, ce sont les tribunaux s ’ a d resser d’abord à la division de qui ont fait oeuvre prétorienne en première instance de la Cour fédé- consacrant la notion de vie privée rale, ensuite à sa division d’appel, sur la base de la faute en droit civil, puis à la Cour suprême du Canada. et plus précisément sur le fonde- En fi n, soulignons que la loi fédérale ment de l’ancien article 1053 en cause contient, à l’annexe 1, le C.c.B.C. qui disposait que « [t]oute Code type sur la protection des personne capable de discerner le renseignements personnels, code bien du mal, est responsable du élaboré par l’Association canadien- dommage causé par sa faute à ne de normalisation qui est com- a u t r u i ». On constate cependant posée des représentants des con- que les dispositions de cet article ne sommateurs, du secteur privé, des faisaient nullement référence à la go u v e r nements et des syndicats. Le notion de vie privée. C’est le juge C o m m i s s a i re à la vie privée avait québécois qui, par une interpré- souhaité que ce code soit intégré à tation large, a considéré que ces une « l o i - c a d re nationale » d’appli- dispositions étaient applicables cation générale et obligatoire23. On pour assurer la protection de la vie peut dire que c’est maintenant privée sur la base de la re s p o n- chose faite, grâce à l’adoption de la sabilité civile fondée sur la faute. loi susmentionnée. On peut donc dire que l’article 1053 C.c.B.C. assurait une pro t e c t i o n 2. Les sources québécoises générale de la vie privée. La remar- du droit à la vie privée que du professeur Pierre Patenaude Le Québec, appliquant le système est sur ce point fort pertinente : juridique de droit civil, a légiféré en l’économie générale du droit de la m a t i è re de protection de la vie responsabilité civile donne ouver - privée en adoptant des dispositions t u re à la protection de l’intimité : générales. Elles se trouvent dans contrairement à la Common Law, l’ancien Code civil du Bas Canada, le droit civil ne contient aucune caractérisation des délits […]; un principe général les couvre tous, 23 Id., p. 29. 12-pelletier.qxdI 8/22/02 8:05 Page 494

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selon lequel toute personne apte à du droit à la vie privée un dro i t distinguer le bien du mal est transmissible et reconnaît aux responsable de ses actes.24 héritiers d’une personne décédée le Le nouveau Code civil du Québec, d roit de s’opposer à toute atteinte entré en vigueur le 1er janvier 1994, à la mémoire de cette derni è r e, sans a expressément prévu des disposi- leur consentement. En effet, cet tions garantissant la protection de article dispose que « [t]oute person- la vie privée et de la réputation. Il ne a droit au respect de sa réputa- s’agit des articles 3, 35 à 41, et tion et de sa vie privée. Nulle 1457 qui s’inscrivent dans la atteinte ne peut être portée à la vie ré f o r me du droit des personnes, des privée d’une personne sans que successions et des biens25 . L’article celle-ci ou ses héritiers y consentent 3 C.c.Q. dispose que « [t]oute per- ou sans que la loi l’autorise » . sonne est titulaire de droits de la L’innovation est critiquable. Selon personnalité, tels le droit à la vie, à Pierre Trudel, « [l]e caractère extra- l’inviolabilité et à l’intégrité de sa patrimonial du droit à la vie privée personne, au respect de son nom, s’oppose normalement à ce qu’il ait de sa réputation et de sa vie ce caractère car c’est un droit atta- privée ». ché à la personne se fondant sur un En édictant les articles 35 et 36, souci de garantir le respect de son le législateur québécois a entendu intimité. Avec la mort, il n’y a plus « assurer aux citoyens une protec- lieu de protéger de tels intérêts »27, tion supplémentaire contre les comme c’est le cas dans les pro- e n t reprises spécialistes de la vinces de common law, plus parti- cueillette de données personnelles, cu l i è r ement au Nouveau Brunswick en introduisant le principe général où la transmissibilité du droit à la de la protection de la vie privée »26. vie privée est une notion inexis- La nouveauté qui se dégage de tante. Quant à l’article 36 C.c.Q., il l’article 35, c’est qu’il fait du res p e c t é n u m è re de façon non exhaustive les situations d’atteintes poten- tielles à la vie privée. Il précise que 24 P i e r re PATENAUDE, La protection des peuvent être notamment considérés conversations en droit privé : étude com - comme des atteintes à la vie privée parative des droits américain, anglais, d’une personne les actes suivants : canadien, français et québécois, Paris, – le fait de pénétrer chez une per- L.G.D.J., 1976, p. 31; voir aussi sur ce point: Jean-Louis BAUDOUIN, «La res- sonne ou d’y prendre quoi que ce ponsabilité des dommages causés par soit; les moyens d’information de masse » , – le fait d’intercepter ou d’utiliser (1973) 8 R.J.T. 201. 25 volontairement une communica- Loi portant réforme au Code civil du tion privée; Québec du droit des personnes, des successions et des biens, L.Q. 1987, c. – le fait de capter ou d’utiliser l’ima- 18. ge ou la voix d’une personne lors- 26 Martin MICHAUD, Le droit au respect de la vie privée dans le contexte médiatique : de Wa r ren et Brandeis à l’inforo u t e, Montréal, Wilson & Lafleur, 1996, p. 60 27 P. TRUDEL, F. ABRAN, K. BENYEKHLEF et 61. et S. HEIN, op. cit., note 4, p. 11-25. 12-pelletier.qxdI 8/22/02 8:05 Page 495

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qu’elle se trouve dans des lieux Quand on analyse cependant plus privés; à fond les articles 39, 40 et 41 – le fait de surveiller la vie privée C.c.Q., on se rend compte qu’il d’une personne par quelque n’existe aucune mesure préventive moyen que ce soit; de violation de la vie privée. Cela – le fait d’utiliser son nom, son ima- nous semble nettement reg re t t a b l e . ge, sa ressemblance ou sa voix à En terminant, mentionnons que, toute autre fin que l’inform a t i o n pour les fins du Code civil du légitime du public; Qu é b e c , le régime de sanction appli- – le fait d’utiliser la corres p o n d a n c e cable pour atteinte à la vie privée d’une personne, ses manuscrits est celui de la responsabilité civile ou ses autres documents person- pour faute tel qu’organisé par nels. l’article 1457 de ce code31. Ainsi, la Pour sa part, l’article 37 C.c.Q. faute constitue le fait générateur de prévoit ce qui suit : la responsabilité en matière d’at- 3 7 . Toute personne qui constitue teinte à la vie privée. un dossier sur une autre personne ii. La Charte des droits et doit avoir un intérêt sérieux et libertés de la personne légitime à le faire. Elle ne peut La Charte québécoise vient, pour recueillir que les re n s e i g n e m e n t s ainsi dire, compléter les disposi- pertinents à l’objet déclaré du tions du Code civil du Québec e t dossier et elle ne peut, sans le s’applique aussi bien aux rapports consentement de l’intéressé ou e n t re particuliers (droit privé) l’autorisation de la loi, les com - qu’entre les pouvoirs publics et les muniquer à des tiers ou les utiliser particuliers (droit public). Elle ne à des fins incompatibles avec s’applique toutefois que dans le celles de sa constitution; elle ne champ des compétences constitu- peut non plus, dans la constitution tionnelles du Québec. Sous cette ou l’utilisation du dossier, porter autrement atteinte à la vie privée de l’intéressé ni à sa réputation. Toutefois, le Code civil du Québec reconnaît et réglemente le libre ac- cès au dossier, à moins d’un intérêt 31 Id., art. 1457 : sérieux et légitime pour re f u s e r Toute personne a le devoir de respecter l’accès aux documents28. Il prévoit les règles de conduite qui, suivant les c i rconstances, les usages ou la loi, par ailleurs le droit de rectification s’imposent à elle, de manière à ne pas d’un dossier comprenant des re n- causer de préjudice à autrui. Elle est, seignements inexacts, incomplets lorsqu’elle est douée de raison et qu’elle ou équivoques29 et la mise en œu- manque à ce devoir, responsable du 3 0 préjudice qu’elle cause par cette faute à v re de ce droit par le tribunal . autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu’il soit corporel, moral ou matériel. Elle est aussi tenue, en certains cas, de r é p a rer le préjudice causé à autrui par 28 C.c.Q., précité, note 2, art. 39. le fait ou la faute d’une autre personne 29 Id., art. 40. ou par le fait des biens qu’elle a sous sa 30 Id., art. 41. garde. 12-pelletier.qxdI 8/22/02 8:05 Page 496

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réserve, la Charte québécoise bé n é - l’intégrité32, touchent aussi à la vie ficie d’un statut quasi constitu- privée. tionnel, lequel procède de ce qu’elle Le droit à la vie privée, ainsi défini jouit d’un traitement préfére n t i e l par le législateur québécois comme par rapport aux autres lois dans une liberté fondamentale, ne peut l ’ o rdonnancement juridique de la être limité dans son exercice qu’en province. En effet, contrairement à vertu des dispositions de l’article certaines autres lois visant la 9.1 de la Charte québécoise qui dis- p rotection des droits et libertés pose que « [l]es libertés et dro i t s fondamentaux, la Charte québé- fondamentaux s’exercent dans le coise contient, à l’article 52, une respect des valeurs démocratiques, clause expresse de préséance qui se de l’ord re public et du bien-être lit comme suit : « Aucune disposi- général des citoyens du Québec. […] tion d’une loi, même postérieure à La loi peut, à cet égard, en fixer la la Charte, ne peut déroger aux portée et en aménager l’exerc i c e » . articles 1 à 38, sauf dans la mesure La Charte québécoise prévoit des prévue par ces articles, à moins que situations qui entrent bien dans cette loi n’énonce expressément que l’esprit et la lettre de l’article 5. Il cette disposition s’applique malgré s’agit de la sauvegarde de la dignité, la Charte ». En fait, l’article 52 con- de l’honneur et de la réputation3 3, s a c re la prééminence de la Charte de l’inviolabilité de la demeure34 , du québécoise par rapport aux autres respect de la propriété privée35 et de lois ordi n a i r es du Québec, l’expres - la protection des re n s e i g n e m e n t s sion « l o i » étant définie à l’article c o n f i d e n t i e l s3 6. Elle a édicté des 56(3) de la Charte comme incluant dispositions prévoyant des recours « un règlement, un décret, une particuliers en cas de violation des or donnance ou un arrêté en conseil droits et libertés qu’elle énonce et a pris sous l’autorité d’une loi ». créé un organisme pour constater La Charte québécoise p rotège la une telle situation. Il s’agit de la vie privée et dispose, à l’article 5, Commission des droits de la per- d i rectement exécutoire dans les sonne et des droits de la jeunesse, litiges de droit privé, que « [ t ] o u t e dont l’une des missions, telles que personne a droit au respect de sa définies par l’article 71(6) de la vie privée ». Quant à l’article 4, il Charte québécoise, consiste à pro- postule que « [t]oute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputa- t i o n ». Ces deux dispositions n’ont 32 Sur ce point, voir l’article 10 du C o d e rien de contradictoire. Bien au con- civil du Québec, qui prévoit ce qui suit : traire, elles se complètent et même « Toute personne est inviolable et a dro i t à son intégrité. Sauf dans les cas prévus s ’ i n t è g rent. En effet, les atteintes par la loi, nul ne peut lui porter atteinte portées à la dignité, à l’honneur et sans son consentement libre et éclairé ». à la réputation d’une personne, et 33 Charte québécoise, précitée, note 3, art. nous ajoutons à l’inviolabilité et à 4. 34 Id., art. 7. 35 Id., art. 8. 36 Id., art. 9. 12-pelletier.qxdI 8/22/02 8:05 Page 497

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céder à l’examen des dispositions les droits que protège l’article 1053. des lois du Québec qui pourraient Le critère applicable pour savoir s’il lui être contraires 37 . À cet égard, on y a atteinte aux droits de la Charte pourrait donner comme exemple québécoise est un critère d’eff e t , toute loi ord i n a i re contraire à son pur et simple, et non un critère de article 5 qui protège expressément f a u t e »3 9. La Cour suprême n’a la vie privée. toutefois pas suivi la position una- La violation des droits et libertés nime de la doctrine québécoise à cet définis par la Charte québécoise é g a rd, car elle reconnaît que la donne droit à réparation en vertu de faute est nécessaire en la matière . l’article 49 qui se lit comme suit : D’abord, dans l’affaire Béliveau St- 49. Une atteinte illicite à un droit J a c q u e s, le juge Gonthier, pour la ou à une liberté reconnu par la pré - majorité, a affirmé que « rien dans sente Charte confère à la victime la Charte ne dispense la victime le droit d’obtenir la cessation de d’une atteinte illicite à un dro i t cette atteinte et la réparation du garanti de la charge de faire la préjudice moral ou matériel qui en p reuve du lien de causalité entre résulte. En cas d’atteinte illicite et cette atteinte et le préjudice moral intentionnelle, le tribunal peut en ou matériel qu’elle aurait subi »4 0, ou t r e condamner son auteur à des et a ajouté que la protection de la dommages-intérêts punitifs. vie privée telle que régie par la Pour l’atteinte à la vie privée, le Charte québécoise « n’ajoute [rien] Code civil du Québec requiert l’exis- au droit commun »41 et « ne crée pas tence d’une faute. Quant à elle, la un régime parallèle d’indemnisa- Charte québécoise, dans sa formu- t i o n »4 2. Ensuite, dans l’aff a i re lation, demeure assez équivoque A u b r y, le juge en chef Lamer a sur la question portant sur le fait réaffirmé ce principe, en soutenant générateur de la re s p o n s a b i l i t é . que « la notion de faute est centrale Pour la doctrine38, il s’agissait d’un à la résolution du litige. Avant que régime de responsabilité objective, le législateur québécois n’édicte une sans faute, ce qui supposait que la charte des droits et libertés de la victime d’une atteinte à la vie privée personne, c’était le régime de la n’ait pas à assumer le fardeau de responsabilité civile, avec toute la prouver la faute alléguée. Ainsi que souplesse qu’on lui connaît, qui l’ a f firmait par exemple le prof e s s e u r Henri Brun, « les droits de la Charte québécoise ne sont pas tributaire s de la notion de faute comme le sont 39 Henri BRUN, « Libertés d’expression et de presse: droits à la dignité, l’honneur, la réputation et la vie privée», (1992) 23 37 BARREAU DU QUÉBEC, Collection de R.G.D. 449, 453. droit (2000-2001), École du Barreau du 40 Béliveau St-Jacques c . Fédération des Québec, vol. 7, D roit public et adminis - employées et employés de services tratif, Cowansville, Éditions Yvon Blais, publics inc., [1996] 2 R.C.S. 345, 406 2000, p. 79 et 80. (juge Gonthier, au nom de quatre de ses 38 Pour un aperçu de cette doctrine, voir : collègues). A.-R. NADEAU, op. cit., note 19, p. 37 et 41 Id. 38. 42 Id. 12-pelletier.qxdI 8/22/02 8:05 Page 498

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protégeait en droit privé québécois cause le libre choix de résidence de la vie privée et l’intérêt à l’image »43 . Mme Godbout. Cette dern i è re, en On peut donc aff i rm e r, à la lu- tant que salariée, revendiquait le m i è re de cette jurisprudence, que d roit de choisir son lieu de rési- les éléments traditionnels de la dence alors que l’employeur exi- responsabilité civile, soit la faute, le geait, pour le maintien de son em- dommage et le lien de causalité, ploi, qu’elle demeurât à Longueuil, doivent être formellement établis en banlieue de Montréal. Elle s’était dans le contexte d’une poursuite engagée à résider à Longueuil dès intentée en vertu de l’article 49 de qu’elle aurait obtenu la perma n e n c e la Charte québécoise. En ce qui de l’emploi. Toutefois, il était stipulé nous concerne, nous considéro n s dans la déclaration écrite que Mme que les tribunaux n’avaient d’autre Godbout pourrait être congédiée si choix que de parvenir à une telle elle quittait la ville de Longueuil45. conclusion. En effet, la faute, soit Ef fectivement, Mme Godbout quitta en l’occurrence la violation d’un cette ville à peu près deux ans après d roit ou d’une liberté reconnu par avoir été embauchée. La Cour la Charte québécoise, ne peut suprême a conclu que l’obligation entraîner un dédommagement que de résidence en cause contrevenait dans la mesure où le lien de sans justification à l’article 5 de la causalité est établi entre les deux. Charte québécoise et qu’il y avait Par conséquent, l’article 5 de la donc eu atteinte à la vie privée de Charte québécoise ne prévoit pas cette dernière. un droit à la vie privée qui soit auto- b. Les dispositions nome. Certains seraient alors en particulières d roit de se demander ce que cette Les dispositions particulière s charte ajoute vraiment au Code civil sont relatives, d’une part, à la pro- du Québec. La réponse tient sans tection des renseignements person- doute au fait que, contrairement au nels comme composante du droit à Code civil du Québec, elle rend inva- la vie privée et, d’autre part, à la lides les mesures législatives qui protection des enfants. sont incompatibles avec elle, le tout en vertu de l’article 52 dont nous i. La protection des avons parlé ci-dessus. renseignements E n fin, en ce qui concerne juste- personnels et la vie ment l’article 5 de la Charte québé- privée coise, soulignons la décision de la Ces dispositions se trouvent dans Cour suprême du Canada dans la Loi sur l’accès4 6 et la Loi sur la l ’ a ff a i re G o d b o u t4 4, mettant en p rotection des renseignements per - sonnels dans le secteur privé47.

43 Aubry c. Éditions Vic e - V ersa inc., précité, note 9, 598. Le juge en chef Lamer est 45 néanmoins dissident dans cette affaire. Id., 860. 46 44 Godbout c. Longueuil (Ville de), [1997] 3 Précitée, note 15. 47 R.C.S. 844. Précitée, note 16. 12-pelletier.qxdI 8/22/02 8:05 Page 499

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La Loi sur l’accès pose la question la Loi sur la protection des re n s e i - des rapports entre les org a n i s m e s gnements personnels dans le sec - publics et les citoyens. Elle vise à teur privé pallie en prévoyant une sa u v e g a r der l’anonymat en garda n t obligation d’informer la personne de strictement confidentielles les infor- l’existence d’un dossier la concer- mations personnelles collectées par nant51. les organismes publics québécois. Du reste, cette loi prévoit des Elle est relative au respect de sanctions pénales et des amendes l’intimité et concerne le droit au en cas de violation de ses pro p re s respect de la vie privée48. dispositions. En plus du droit de Pour sa part, la Loi sur la protec - rectification des re n s e i g n e m e n t s , tion des renseignements personnels elle permet des recours en respon- dans le secteur privé vient com- sabilité civile, notamment l’applica- pléter les dispositions du Code civil tion des articles 1457 ou 1458 du Québec en matière de prot e c t i o n C.c.Q. En matière de communica- de la vie privée. Le Québec re c o n- tion des renseignements personnels naît ainsi la protection des re n s e i- entre entreprises, il est proposé un gnements personnels comme un régime de responsabilité solidaire52 , d roit fondamental inscrit dans le mettant davantage l’accent sur des Code civil et en donne la définition m e s u res préventives dont le dro i t s u i v a n t e : « Est un re n s e i g n e m e n t d’empêcher la diffusion, le dro i t personnel, tout renseignement qui d ’ i n f o rmation relativement aux co n c e r ne une personne physique et traitements des renseignements et p e rmet de l’identifier »4 9. Cepen- le droit de contestation5 3. Les ar- dant, cette définition ne règle pas le ticles 42 à 61 de la loi en cause problème de la protection des ren- confèrent à la Commission d’accès seignements personnels dans la à l’information un pouvoir d’exa- m e s u re où le Code civil du Québec men des mésententes pouvant ré- n’impose aucune obligation aux dé- sulter de l’exercice du droit d’action tenteurs des renseignements per- et de re c t i fication. La Commission sonnels d’informer la personne con- a aussi le pouvoir de procéder à des cernée de l’existence d’un dossier à enquêtes en bonne et due forme54. son sujet50 . C’est à cette lacune que Toutefois, beaucoup d’interro g a- tions subsistent quant à l’efficacité

48 Lyette DORÉ, « De l’utilisation de la Loi sur l’accès à l’informa t i o n et de la Loi sur Québec, vol. 3, Personnes, famille et suc - la protection des renseignements person - c e s s i o n s, Cowansville, Éditions Yv o n n e l s par les juristes », dans C o n g r è s Blais, 2000, p. 76. annuel du Barreau du Québec (1994), 51 Loi sur la protection des renseignements Montréal, Service de la formation per- personnels dans le secteur privé, préci- manente du Barreau du Québec, 1994, tée, note 16, art. 8. p. 42. 52 R. CÔTÉ et R. LAPERRIÈRE, op. cit., 49 Loi sur la protection des renseignements note 7, p. 74. personnels dans le secteur privé, préci- 53 Id., p. 77. tée, note 16, art. 2. 54 Loi sur la protection des renseignements 50 BARREAU DU QUÉBEC, Collection de personnels dans le secteur privé, préci- droit (2000-2001), École du Barreau du tée, note 16, art. 81. 12-pelletier.qxdI 8/22/02 8:05 Page 500

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des pouvoirs de la Commission5 5, privée des enfants : « Tout enfant a eu égard au fait qu’elle ne bénéficie dr oit à la protection, à la sécurité et d’aucun pouvoir réglementaire56 et , à l’attention que ses parents ou les par conséquent, que le secteur privé personnes qui en tiennent lieu est à l’abri de tout contrôle coercitif peuvent lui donner »60. En outre, le de la part des pouvoirs publics. Il Code civil du Québec adopte une reste entendu que la pro p e n s i o n conception large des droits de l’en- n a t u relle du secteur privé à fixer fant lorsqu’il reconnaît que « l e s ses prop r es règles de conduite n’est a u t res aspects de sa situation »6 1 g u è re rassurante quant à une doivent être protégés. Cette formu l e protection adéquate de la vie privée p e rmet de postuler que l’enfant a des particuliers. Des auteurs pro- dr oit à la protection de sa vie privée. posent qu’on dote la Commission de D’ailleurs, des actions pratiques ont pouvoirs plus accrus de contrôle été entreprises dans ce sens. En dans la collecte et le traitement des effet, le programme québécois Info - renseignements personnels et que route, attention : zone scolaire, est des voies de recours soient ouvertes une de ces actions ayant pour ob- aux personnes dont la vie privée a jectif de perm e t t re aux élèves des été violée à la suite de la circu l a t i o n , écoles primaires et secondaire s en t r e organismes, de leurs données d’ ê t r e sensibilisés quant aux consé- p e r s o n n e l l e s5 7. Cette pro p o s i t i o n quences des nouvelles technologies nous semble tout à fait pertinente. de l’information sur leur vie privée62 . Le rôle de l’Association canadienne ii. La protection de la vie de marketing est ici rem a r quable en privée des enfants ce qu’elle a établi un code de déon- La vie privée des enfants est juri- tologie et des normes de pratiques diquement protégée depuis l’adop- visant à utiliser des « “techniques de tion en 1990 de la C o n v e n t i o n marketing appropriées pour les 58 relative aux droits de l’enfant , su- enfants”. Ces techniques consistent 59 jet de droit autonome . Le Québec e n t re autres à utiliser des term e s n’est pas resté en marge de cette faciles à compre n d re pour les en- convention internationale dans la fants et à ne pas adopter de pra- me s u r e où il est prévu dans le Co d e tiques susceptibles d’exploiter “la civil du Québec des dispositions crédulité des enfants, leur manque pour assurer la protection de la vie d’expérience ou leur sens de la loyauté”; obtention du “consente- ment exprès” du parent ou du tu- 55 R. CÔTÉ et R. LAPERRIÈRE, op. cit., teur de l’enfant avant de recueillir, note 7, p. 92 et suiv. de conserver ou de communiquer 56 Id., p. 84. 57 Sur ce point, id., p. 109 et suiv. 58 La Convention relative aux droits de l ’ e n f a n t a été signée à New York le 26 janvier 1990, art. 16; dans P. TRUDEL, F. ABRAN, K. BENYEKHLEF et S. HEIN, op. cit., note 4, p. 20. 60 C.c.Q., précité, note 2, art. 32. 59 BARREAU DU QUÉBEC, op. cit., note 61 Id., art. 33. 50, p. 76. 62 Rapport annuel, précité, note 22, p. 166. 12-pelletier.qxdI 8/22/02 8:05 Page 501

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des renseignements personnels sur des législations consacrant spécifi- celui-ci […] »63. quement le « right of privacy ». C’est le cas en Alberta de l’extension aux 3. La situation dans les municipalités et aux corps policiers autres provinces du F reedoom of Information and canadiennes P rotection of Privacy Act7 2. Ainsi, En plus du Québec, six autre s sous l’impulsion du Commissaire p rovinces canadiennes, à savoir la albertain à l’information et à la vie 64 Co l o m b i e - B r i t a n n i q u e , la Saskat- privée, l’organisme fédéral Statis- 6 5 6 6 c h e w a n , le Manitoba , Te r re - tique Canada s’est vu dans l’obli- 6 7 6 8 6 9 N e u v e , l’ et l’Alberta gation de changer sa méthode ont adopté des lois sur la prot e c t i o n d’enquête sur la sécurité financière de la vie privée. Le Nouveau- des ménages de la province, perçue Brunswick est sur le point de comme portant atteinte à la vie compléter sa législation en la ma- privée. En lieu et place de cette 7 0 t i è re . Comme nous l’avons vu méthode, Statistique Canada a dû précédemment, le Québec, avec son plutôt procéder à une enquête sur Code civil et sa Charte, a expre s- les dépenses des ménages7 3, ap- sément prévu des dispositions pour p roche semble-t-il moins suscep- la protection de la vie privée des tible de porter atteinte à la vie privée individus. Par contre, « la c o m m o n des particuliers. En outre, la pro- l a w n’a jamais développé un “tort” vince de l’Alberta a mené une cam- s p é c i fique à la protection de la vie pagne de sensibilisation de la 71 pr i v é e »; les provinces anglophones jeunesse albertaine à l’égard de la du Canada (appliquant toutes ce pr otection des renseignements per- système juridique) ont recours à sonnels les concernant. La province de l’Ontario, quant à 63 Id., p. 162. elle, était confrontée à des pro b l è- 64 Freedom of Information and Protection of mes portant sur la protection de la Privacy Act, S.B.C. 1992, c. 61; R.S.B.C. vie privée, notamment en matière 1996, c. 165. de protection des re n s e i g n e m e n t s 65 Freedom of Information and Protection of médicaux personnels, de la nou- Privacy Act, S.S. 1990-1991, c. F-22.01. 66 Privacy Act, S.M. 1970, c. 74. velle carte à puce à usages multi- 67 An Act Respecting the Protection of ples et des caméras de surveillance Personal Privacy, S.N. 1981, c. 6. en vue de contrôler le respect des 68 Loi sur l’accès à l’information et la prot e c - feux rouges par les automobilis- tion de la vie privée, L.R.O. 1990, 74 c. F-31. tes . Elle a alors adopté la Loi sur 69 Freedom of Information and Protection of l’accès à l’information et la pro t e c - Privacy Act, L.A. 1994, c. F-18.5. tion de la vie privée75, dans laquelle 70 Danylo HAWALESHKA, « Peeping To m s Go Electronic: Cheap, tiny spy cameras make women increasingly vulnerable to digital voyeurs », Maclean’s (Canada’s 72 Freedom of Information and Protection of Weekly Newsmagazine), Tor onto, Rogers Privacy Act, précité, note 69. Media, 19 février 2001, p. 24 : « N e w 73 Rapport annuel, précité, note 22, p. 164. Brunswick is now contemplating its own 74 Id., p. 165 et 166. privacy act ». 75 Loi sur l’accès à l’information et la pro - 71 M. MICHAUD, op. cit., note 26, p. 11. tection de la vie privée, précitée, note 68 . 12-pelletier.qxdI 8/22/02 8:05 Page 502

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les renseignements personnels sont respondance originale suscep - d é finis comme étant l’ensemble de tibles d’en révéler le contenu; renseignements systématisés et g) des opinions et des points de susceptibles de récupération d’après vue d’une autre personne au le nom d’un particulier, un numéro sujet de ce particulier; d’identification ou un signe indi- h) du nom du particulier, s’il viduel qui lui est attribué. À l’article fig u re parmi d’autres re n s e i - 2(1) de la loi, on définit ainsi les gnements personnels qui le renseignements protégés : c o n c e rnent, ou si sa divulga - 2 (1) « renseignements personnels » tion risque de révéler d’autres Renseignements consignés ayant renseignements personnels trait à un particulier qui peut être au sujet du particulier. identifié. S’entend notamment : Toutefois, la loi ontarienne a) des renseignements concer - distingue aux articles 21(2) et 21(3) nant la race, l’origine natio - entre une atteinte injustifiée et une nale ou ethnique, la couleur, la atteinte présumée à la vie privée. religion, l’âge, le sexe, l’orien - Ces mesures se lisent comme suit : tation sexuelle, l’état matri - 2 1 (2) Aux fins de déterminer si monial ou familial de celui-ci; la divulgation de re n s e i g n e m e n t s b) des renseignements concer - personnels constitue une atteinte nant l’éducation, les antécé - i n j u s t i fiée à la vie privée, la per - dents médicaux, psychiatri - sonne responsable tient compte ques, psychologiques, crimi - des circonstances pertinentes et nels ou professionnels de ce examine notamment si : particulier ou des re n s e i g n e - a) la divulgation est souhaitable ments reliés à sa participation pa r ce qu’elle permet au public à une opération financière; de surveiller de près les activi - c) d’un numéro d’identific a t i o n , tés du gouvernement de l’On - d’un symbole ou d’un autre tario et de ses organismes; signe individuel qui lui est b) l’accès aux re n s e i g n e m e n t s attribué; personnels peut pro m o u v o i r d) de l’adresse, du numéro de té - une amélioration de la santé léphone, des empreintes digi - et de la sécurité publiques; tales ou du groupe sanguin de c) l’accès aux re n s e i g n e m e n t s ce particulier; personnels rendra l’achat de e) de ses opinions ou de ses biens et de services suscep - points de vue personnels, tible d’un choix plus judicieux; sauf s’ils se rapportent à un d) les renseignements person - autre particulier; nels ont une incidence sur la f) de la correspondance ayant juste détermination des droi t s explicitement ou implicitement qui concernent l’auteur de la un caractère personnel et con - demande; fidentiel, adressée par le par - ticulier à une institution, ainsi que des réponses à cette cor - 12-pelletier.qxdI 8/22/02 8:05 Page 503

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e) le particulier visé par les e) ont été relevés dans une dé - renseignements personnels claration d’impôt ou recueillis risque d’être injustement lésé à des fins de perc e p t i o n dans ses intérêts pécuniaires fiscale; ou autres; f) précisent la situation finan - f) les renseignements person - cière, le revenu, l’actif, le pas - nels sont d’une nature très sif, la situation nette, les délicate; soldes bancaires, les antécé - g) l’exactitude et la fiabilité des dents ou les activités d’ord re renseignements personnels financier ou la solvabilité d’un sont douteuses; particulier; h) le particulier visé par les ren - g) comportent des rec o m m a n d a - seignements personnels les a tions ou des évaluations communiqués à l’institution à personnelles, des re n s e i g n e - titre confidentiel; ments ayant trait à la moralité i) la divulgation est susceptible ou à des évaluations de per - de porter injustement atteinte sonnel; à la réputation d’une per - h) indiquent la race, l’origine sonne dont il est fait mention ethnique, l’orientation sexuel - dans le document. le ou les croyances ou allé - 21 (3) Est présumée constituer une geances religieuses ou politi - atteinte injustifiée à la vie privée, ques du particulier. la divulgation de re n s e i g n e m e n t s En conclusion, on peut re t e n i r personnels qui, selon le cas : que, s’agissant de la protection des a) sont relatifs aux antécédents, renseignements personnels et de la au diagnostic, à la maladie, protection de la vie privée au Cana- au traitement ou à l’évalua - da, la grande majorité des prov i n c e s tion d’un ord re médical, psy - ont adopté des lois en la matière76. chiatrique ou psychologique; Toutefois, ces lois, en général, ne b) ont été recueillis et peuvent sont pas uniformes. ê t re identifiés comme partie du dossier d’une enquête re - B. Les sources liée à une contravention pos - constitutionnelles du droit sible à la loi, sauf dans la à la vie privée m e s u re où la divulgation est La Loi constitutionnelle de 1982, né c e s s a i r e aux fins d’instituer dans sa Partie I, établit la Charte des poursuites judiciaires ou ca n a d i e n n e , entrée en vigueur le 17 de continuer l’enquête; avril 1982, à l’exception de l’article c) sont relatifs à l’admissibilité 15, qui est entré en vigueur tro i s aux prestations d’aide sociale ans plus tard, et de l’article 23(1)(a) ou de service social ou à l’éta - blissement du niveau des prestations; d) ont trait aux antécédents pro - fessionnels ou académiques; 76 Rapport annuel, précité, note 22, p. 170 et 171. 12-pelletier.qxdI 8/22/02 8:05 Page 504

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qui n’est toujours pas en vigueur en p e rquisitions ou les saisies abu- ce qui concerne le Québec77. s i v e s »8 2. C’est à la suite d’une La Charte canadienne est « e n- interprétation large de ces derni è re s c h â s s é e » dans la Constitution qui garanties que la Cour suprême du constitue la loi suprême du Canada Canada a considéré les dispositions garantissant notamment les droits de l’article 8 comme protégeant la et libertés fondamentaux des indi- vie privée, laquelle accède ainsi à un vidus. La Charte canadienne n e statut constitutionnel sans avoir été peut être invoquée en matière de e x p ressément garantie par la violation de la vie privée que lorsque Charte canadienne. Toutefois, en sont en cause les lois et les actes de cas de conflit entre l’État et un par- l’ordre fédéral de gouvernement ou ticulier dans une situation de per- des provinces canadiennes, de quisition sans autorisation préa- même que tout autre acte de nature lable, la Cour suprême, dans go u v e r nementale, peu importe l’au- l’affaire Hunter83, a imposé au pre- torité qui le pose. Elle définit les mier l’obligation de démontrer la libertés fondamentales, notamment supériorité de son droit par rapport la liberté de conscience et de re l i- à celui du second. Par conséquent, g i o n7 8, la liberté de pensée, de le fardeau d’apporter la justifica t i o n cr oyance, d’opinion et d’expres s i o n , raisonnable eu égard à une viola- y compris la liberté de la presse et tion de la vie privée appartiendra des autres moyens de communica- p resque toujours au gouvern e- t i o n7 9, la liberté de réunion pacifi- ment84. que80 ainsi que la liberté de circu- Bien que le droit constitutionnel lation et d’établissement pour tout canadien ne prévoit aucune dispo- citoyen canadien8 1. Elle re c o n n a î t sition particulière sur la vie privée, également, à l’article 7, que « [c ] h a - la Cour suprême du Canada, à la cun a droit à la vie, à la liberté et à majorité dans l’aff a i re M o rg e n - la sécurité de sa personne; il ne taler85, a interprété largement l’ar- peut être porté atteinte à ce dro i t ticle 7 comme protégeant le droit à qu’en conformité avec les principes la vie privée qui s’inscrit dans l’en- de justice fondamentale ». semble des valeurs que la société En plus de l’article 7 en question, l’article 8 de la Charte canadienne prévoit que « [c]hacun a droit à la 82 Id., art. 8. 83 p rotection contre les fouilles, les Hunter c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145, 160. 84 Libman c. Procureur général du Québec, [1997] 3 R.C.S. 569, 595 : « Il incombe 77 Voir : par. 32(2) et art. 58 et 59 de la Loi au procureur général de démontrer que constitutionnelle de 1982, précitée, note 1; les restrictions législatives peuvent se voir aussi : P roclamation de la Loi cons - justifier en vertu de l’article premier de titutionnelle de 1982, TR/82-97 (17 avril la C h a r t e c a n a d i e n n e ». Voir aussi : 1982). Aubry c. Éditions Vic e - V ersa inc., précité, 78 Charte canadienne, précitée, note 1, art. note 9, 600 : « En matière de C h a r t e 2(a). canadienne, le fardeau de justific a t i o n 79 Id., art. 2(b). incombe toujours à l’État ». 80 Id., art. 2(c). 85 Morgentaler c. La Reine, [1988] 1 R.C.S. 81 Id., art. 6. 30. 12-pelletier.qxdI 8/22/02 8:05 Page 505

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canadienne entend prot é g e r . Consi- constitue une garantie substantielle déré comme un « d roit englo- dans la mesure où il met à la b a n t »8 6, le droit à la vie privée ne disposition des individus des méca- saurait être limité à la seule sphère nismes juridiques de pro t e c t i o n d’intimité de l’individu. Au con- contre les atteintes aux droits fon- t r a i re, il peut être relié à tous les damentaux. Cet article se lit ainsi : a u t res droits définis par la Charte 10. Chacun a le droit, en cas canadienne, sans limitation des d’arrestation ou de détention : d roits et libertés existant au a) d ’ ê t re informé dans les plus Canada et sans exclusion de ceux br efs délais des motifs de son non expressément définis par cette a r restation ou de sa déten - c h a r t e8 7. Ainsi, le droit à la vie tion; privée peut être relié au droit de b) d’avoir recours sans délai à tous à l’égalité devant la loi, sans l’assistance d’un avocat et discrimination de quelque nature d’être informé de ce droit; que ce soit88. c) de faire contrôler, par habeas Le droit à la vie privée, découlant c o r p u s, la légalité de sa dé - de l’article 7 de la Charte cana- tention et d’obtenir, le cas dienne, peut aussi être relié au droi t échéant, sa libération. de ne pas être contraint de fournir C’est donc par une interprétation un témoignage incriminant89. L’ar- libérale et génére u s e des disposi- ticle 11(c) est plus explicite sur cette tions mentionnées précédemment question et se lit comme suit : que le juge canadien façonne pro- « Tout inculpé a le droit […] de ne gressivement, avec prudence, arrêt pas être contraint de témoigner après arrêt, un droit à la vie privée c o n t re lui-même dans toute pour- qui a finalement un contenu relati- suite intentée contre lui pour vement substantiel. l’infraction qu’on lui reproche ». En II. La protection de la vie o u t re, l’article 11(d) de la Charte privée au plan judiciaire canadienne pose le principe de la présomption d’innocence. La culpa- Dans cette partie, par quelques bilité d’un individu ne saurait donc exemples spécifiques, nous verron s êt r e établie qu’à la suite d’un proc è s comment les juges canadiens et, équitable, d’où l’interdiction, en plus particulièrement ceux de la vertu de l’article 9 de la Charte ca- Cour suprême, interprètent les dis- nadienne, de la détention et de l’em- positions pertinentes de la Charte prisonnement arbitraires. Quant à c a n a d i e n n e pour élaborer un dro i t l’article 10, il exprime le principe s p é c i fique à la protection de la vie fondamental du droit à la défense et privée. A. Quelques exemples spécifiques d’atteinte à la 86 BARREAU DU QUÉBEC, op. cit., note vie privée 50, p. 74. Nous traiterons principalement 87 Charte canadienne, précitée, note 1, art. 26. des atteintes à l’image et à l’invio- 88 Id., art. 15. labilité du domicile qui constituent 89 Id., art. 13. deux aspects du droit à la vie privée 12-pelletier.qxdI 8/22/02 8:05 Page 506

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qui connaissent des développe- plus général, soit le droit à la vie ments plus abondants et plus privée. Ainsi, le droit à l’image est récents. Les tribunaux sont cons- une composante du droit à la vie tamment saisis de litiges visant à en privée, reconnu à l’article 5 de la constater la violation. Après avoir Charte québécoise. posé les principes qui les régissent, Le problème en cette matière est nous étudierons les décisions de la celui du rapport, sinon du lien de Cour suprême du Canada et des rattachement juridique, entre l’ima- tribunaux du Québec. Nous défini- ge d’une personne et sa vie privée. rons ensuite les limites de ces A u t rement dit, pour sanctionner principes au re g a rd des textes une telle violation, il faudrait qu’il constitutionnels et à la lumière des soit objectivement établi que l’image décisions judiciaires pertinentes. d’une personne, prise sans son con- sentement et dans un contexte 1. Le principe de précis, porte atteinte à sa vie privée. protection du droit à C’est ce rapport juridique entre l’image image et vie privée que le juge est, Poser le problème de l’atteinte à à l’occasion, appelé à établir. l’image, c’est poser celui de la liberté À cet égard, on inaugurera notre d ’ e x p ression ou d’information. De analyse par l’aff a i re A u b r y, juge- fait, tout le contentieux portant sur ment rendu en dern i è re instance le premier met généralement en par la Cour suprême du Canada, cause le second. Le droit à l’image, mais qui ne « s’applique qu’au Qué- en tant que droit de la personnalité, bec puisqu’il s’appuie sur la Charte est un aspect du secret de la vie québécoise »91. Les faits de l’espèce privée. On a pu dire que « [ l ] a sont simples : Mme Aubry, une p rotection de l’image est d’ailleurs jeune étudiante, a été photogra- souvent rattachée à celle du dro i t phiée dans un lieu public de au respect de la vie privée et, Montréal, alors qu’elle était assise parfois, à celle du droit à la dignité seule. Elle a intenté une poursuite ou des droits à l’honneur et à la c o n t re le photographe et le Maga- réputation »90. zine Vi c e - Versa pour atteinte à sa Il est en principe admis que les vie privée. Les tribunaux québécois photographies ou les images prises ont retenu la responsabilité pour par les caméras, sans autorisation, faute du photographe aux motifs constituent, selon les circ o n s t a n- que la photographie avait été prise ces, des atteintes au respect de la à des fins commerciales, à l’insu de vie privée. Il convient de préciser la jeune dame, et surtout que cette toutefois que le droit à l’image n’est photographie avait fait l’objet d’une pas un droit sui generis, indépen- publication par ledit magazine. La dant. Il n’a pas d’existence auto- nome mais découle plutôt d’un droi t 91 Manon CORNELLIER, « Plus de photo publiée sans autorisation : la Cour suprême stipule que “toute personne possède sur son image un droit qui est 90 BARREAU DU QUÉBEC, op. cit., note protégé” », Montréal, Le Devoir, 10 avril 50, p. 72. 1998, A2. 12-pelletier.qxdI 8/22/02 8:05 Page 507

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Cour du Québec a estimé que le su s m e n t i o n n é e s 94 . Or, si l’on admet photographe et le magazine ont que le droit à l’image est une porté atteinte à la vie privée de Mme composante de la vie privée, il A u b r y9 2. La Cour d’appel du Qué- aurait peut-être fallu vérifier si cette bec a confirmé cette décision. Selon composante, c’est-à-dire l’image, la Cour, l’intimée se trouvant dans relève du domaine privé de la un lieu public lors de la prise de la personne, et ce, sans égard au photographie, on ne saurait voir contexte. Peu importe, pour la Cour dans ce seul geste une violation de suprême, il semblait clair que le son intimité. Toutefois, la publica- d roit à la protection de l’image tion non autorisée de la photo- d’une personne avait préséance sur graphie constituait une atteinte à celui d’informer le public, sauf dans l’anonymat, composante essentielle les circonstances où l’intérêt public du droit à la vie privée. En l’espèce, commandait de passer outre à ce le juge LeBel, écrivant pour la droit. majorité, a précisé ce qui suit : Dans l’aff a i re A u b r y, la faute du La seule prise de photo dans une photographe résidait dans le fait rue ne constituerait pas une qu’il y avait eu identification bien atteinte à l’intimité de la vie privée évidente de Mme Aubry et publica- de l’intimée, qui ne pouvait alors tion de son image. Cette décision de alléguer violation de cette zone la Cour suprême milite en faveur d’intimité, puisqu’elle en était d’une opposition systématique de sortie. Restait l’atteinte à l’anony - toute personne à se faire photo- mat. L’acte du photographe n’au - graphier sans son consentement, et rait aucun effet en l’absence d’une ce, sans égard au contexte. Pour d i ffusion ou d’une publication. passer outre au droit à l’image, il Dans ces circonstances, pour se faut que la photographie se fasse ré a l i s e r , l’atteinte à l’article 5 de la dans un but d’intérêt public dont la charte suppose une forme de dif - preuve doit être faite par la presse fusion. Si celle-ci a lieu, l’atteinte ou les médias. Autrement dit, pour survient et comporte violation des la Cour suprême, le principe, c’est dr oits garantis par l’article 5 de la le droit à l’image, l’exception, c’est charte, à moins qu’elle soit justi - l’intérêt du public à l’inform a t i o n , fiée par un autre intérêt légitime, dont elle reconnaît la pertinence comme celui du droit à l’inform a - dans certaines circonstances. De tion.93 vives critiques se sont élevées con- La Cour suprême du Canada a, t re cette décision qui considère n t elle aussi, confirmé les décisions que les juges, dans cette aff a i re , n’ont pas suffisamment établi la relation entre le droit à l’image et la vie privée. La critique de Pierre 92 Aubry c. Éditions Vice-Versa inc., [1991] Trudel est, à cet égard, des plus R.R.A. 421, 422 (C.Q). éloquente : 93 Éditions Vice-Versa inc. c. Aubry, [1996] R.J.Q. 2137, 2149 (C.A.). Le juge Biron a souscrit à la décision du juge LeBel, 94 Au b r y c. Éditions Vic e - V ersa inc., précité, le juge Baudouin étant dissident. note 9. 12-pelletier.qxdI 8/22/02 8:05 Page 508

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Définir le droit à la vie privée essentiel que l’on peut faire à cette comme réservant à une personne décision de la Cour suprême est le droit de s’opposer à la diffusion d’avoir omis de faire le lien de rat- d’une image, même prise dans un tachement entre le droit à l’image et contexte notoirement public, c’est la protection de la vie privée dans le faire dépendre la liberté d’expres - contexte précis de l’aff a i re. Ici, sion, non des impératifs d’un l’image a été non seulement prise a u t re droit fondamental, mais dans la rue, mais elle ne révélait plutôt des sensibilités infin i m e n t pratiquement rien sur la vie privée variables des individus. D’autre de Mme Aubry. Cette décision part, on confère un droit de veto semble toutefois s’inscrire dans la général à la personne photogra - philosophie de Warren et Brandeis phiée, un droit plus vaste que ce qui définissent la « pr i v a c y » comme qui est nécessaire pour protéger sa « le droit d’être laissé seul »9 7. vie privée. D’autre part, on ren v o i e Certainement qu’en l’espèce, Mme sur les épaules de celui qui s’ex - Aubry s’attendait à être laissée prime le fardeau d’établir que la seule, même si elle se trouvait à d i ffusion de l’image se fait dans l’extérieur de chez elle. l’intérêt public.95 La Cour suprême a retenu que si Nous partageons cette opinion. l’intérêt public n’était pas démon- En effet, nous craignons que l’af- tré, il y aurait, a priori, une atteinte faire Aubry96 n’encourage une con- au droit à l’image et partant, damnation prima facie de toute violation de la vie privée98. Telle est prise d’image sans égard aux cir- d’ailleurs la position du Conseil de constances ni à la qualité des p resse du Québec qui « c o n s i d è re individus filmés ou photographiés. que la publication ou la diffusion du Dans ce cas, il serait intéressant de nom ou d’une image perm e t t a n t redéfinir la notion de vie privée, ou l’identification d’une personne ne sinon d’en donner un contenu plus doit pas être utilisée à d’autres fins objectif. On pourrait aussi s’inquié- que l’intérêt public »9 9. Les juges ter de ce que la liberté d’expression majoritaires ont affirmé que : ou le droit à l’information du public [l]e droit du public à l’information, en tant que liberté fondamentale ne soutenu par la liberté d’expre s - soit pas trop limitée dans sa mise sion, impose des limites au dro i t en œuvre. Or, l’affa i r e Au b r y se m b l e au respect de la vie privée dans t rop faire peser la balance du côté du droit à l’image comme compo- 97 Voi r : François RIGAUX, Yves POULLET, sante de la vie privée, au détriment Xavier THUNIS et Thierry LÉONARD, La du droit à l’information. Le grief vie privée: une liberté parmi les autres?, Bruxelles, Maison F. Larc i e r, 1992, p. 17. 95 Pierre TRUDEL, «(Commentaire d’arrêt) 98 Sur ce point, voir : A u b r y c . É d i t i o n s D roit à l’image : La vie privée devient Vi c e - Versa inc., précité, note 9, 618 veto privé : Aubry c. Éditions Vice-Versa (juges L’Heureux-Dubé et Bastarache) : Inc., [1998] 1 R.C.S. 591 », (1998) 77 R. « L’intérêt dominant du public à pren d r e du B. can. 456, 458. connaissance de cette photographie n’a 96 Au b r y c. Éditions Vic e - V ersa inc., précité, pas été démontré ». note 9. 99 M. MICHAUD, op. cit., note 26, p. 64. 12-pelletier.qxdI 8/22/02 8:05 Page 509

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certaines circonstances. […] L a jamais été envisagé comme pro c u- pondération des droits en cause rant aux individus un droit de veto dépend de la nature de l’infor - c o n t re les inconvénients norm a u x mation, mais aussi de la situation de la vie en société »102. des intéressés. C’est une question Comme on s’en doute, en matière qui est dépendante du con - de protection du droit à l’image, texte.100 tout est cas d’espèce et la position Le volet contextuel constitue du juge varie substantiellement donc une limite posée par la Cour. d’une situation à une autre. On peut toutefois rep r ocher à celle- Ainsi, dans l’affa i r e Ro u l e a u 10 3 , le ci de ne pas l’avoir analysé adéqua- Jo u r nal de Montréal était poursuivi 1 0 1 tement dans l’aff a i re A u b r y . En en dommages et intérêts pour avoir effet, au lieu de pousser sa logique publié la photo d’une jeune fille qui à son terme, la Cour suprême s’est avait été victime d’une quasi- b o rnée à la prise de l’image en soi noyade. La Cour supérieure du sans vraiment pre n d re en compte Québec n’a pas accordé de dom- l’élément circonstanciel de l’événe- mages et intérêts car, selon elle, les ment, sauf en ce qui a trait aux demandeurs n’avaient pas apporté railleries dont avait fait l’objet Mme la preuve qu’il y avait eu faute Aubry auprès de ses camarades. On intentionnelle ayant porté atteinte aurait peut-être dû aller plus loin et à la vie privée. Selon la Cour, il y se poser la question de savoir si la avait matière à intérêt public pour publication de l’image de Mme publier la nouvelle. De plus, il n’y Aubry lui avait porté un quelconque avait pas de lien causal entre préjudice. Autrement dit, y avait-il l’atteinte rep r ochée au journal et les eu altérité de sa personnalité? dommages réclamés par les Peu importe, l’aff a i re A u b r y n e demandeurs. semble pas s’inscrire dans la Dans l’aff a i re C o h e n1 0 4, une jurisprudence dominante de la jeune femme avait réclamé des Cour suprême qui procède essen- dommages et intérêts car on avait tiellement à une pondération entre utilisé sans son consentement, la liberté d’expression et la protec- pour la promotion de produits, des tion de la vie privée. Le danger, à photos prises d’elle en maillot de notre avis, ce serait de donner une bain. Elle a invoqué au soutien de trop grande préséance à la protec- ses prétentions l’article 1053 tion de la vie privée sans égard au C.c.B.C. (alors en vigueur) et contexte, ce qui réduirait d’autant l’article 5 de la Charte québécoise. l ’ e x e rcice d’autres libertés fonda- Se fondant sur l’article 49 de cette mentales. Ainsi que le précise Pierre charte, la Cour supérieure a conclu Trudel, « [l]e droit à la vie privée n’a

102 P. TRUDEL, loc. cit., note 95, 466. 103 Rouleau c. Groupe Québecor inc., [1992] 100 Au b r y c. Éditions Vic e - V ersa inc., précité, R.R.A. 244, particulièrement aux pages note 9, 616 (juge L’Heureux-Dubé et 257 et 258 (C.S). 104 Bastarache). Co h e n c. Queenswear International Ltd., 101 Id. [1989] R.R.A. 570 (C.S). 12-pelletier.qxdI 8/22/02 8:05 Page 510

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qu’il y avait eu invasion dans la vie blème de l’équilibre à trouver entre privée de la jeune femme selon le deux droits fondamentaux garantis cr i t è r e de l’atteinte illicite applicable par le droit canadien, à savoir le à cette dernière disposition et lui a droit à la vie privée et le droit à l’in- a c c o rdé une réparation pour pré- formation, ce dernier étant expres- judice moral. sément garanti par la Charte qué- Dans l’aff a i re Va l i q u e t t e, celui-ci b é c o i s e qui dispose que « [ t ] o u t e avait été identifié par le journal The personne a droit à l’inform a t i o n , Gazette comme étant porteur du dans la mesure prévue par la virus du sida. L’article en cause ne loi »106. publiait pas sa photo et ne l’iden- 2. L’inviolabilité du tifiait pas par son nom, mais il per- domicile mettait de le rec o n n a î t r e facilement, Le domicile est le lieu par excel- d’identifier sa maladie et de spécu- lence qui permet à tout individu ler sur son orientation sexuelle. La d’exprimer sa personnalité de la Cour supérieure du Québec a été façon qui lui convient, sans intru- saisie du litige par M. Va l i q u e t t e sion extérieure. Le domicile est le réclamant des dommages et inté- support physique de l’intimité de rêts pour atteinte à sa vie privée. La la personne humaine et, ne serait- Cour a accédé en ces termes à sa ce que pour cela, il doit être prot é g é . demande, sur la base d’une viola- Nul ne doit y pénétrer sans y être tion du droit à l’anonymat et à la invité. Sa violation a été considérée solitude : par la Cour suprême, dans l’affaire M. Valiquette n’avait pas, en Si l v e i r a 10 7 , comme constituant « l’ u l - invoquant violation de son droit à time atteinte à la vie privée » . la vie privée, à démontrer que la L’article 8 de la Charte canadienne conduite des défendeurs consti - pose sans équivoque le problème de tuait une faute au sens du C o d e l’inviolabilité du domicile en ces c i v i l ni qu’il avait subi un dom - termes : « Chacun a droit à la pro- mage évaluable en argent. Il lui tection contre les fouilles, les su f fisait de prouver qu’il y avait eu p e rquisitions ou les saisies abu- publication injustifiée de re n s e i - s i v e s ». À lire cette disposition, on gnements personnels. Il a fait c roirait que seule l’intrusion phy- beaucoup plus que cela, comme sique au domicile, sans autori- nous l’avons expliqué précédem - sation, devrait être prise en compte. ment.105 Il n’en est rien. La Charte pro t è g e Somme toute, ces différentes dé- aussi bien les individus que les cisions des tribunaux québécois et lieux. Ce principe a été établi au de la Cour suprême posent le pro-

105 Valiquette c. The Gazette, [1991] R.J.Q. 1075, 1081 (C.S.). La Cour d’appel du Québec a confirmé cette décision, sauf en ce qui a trait à la condamnation à ti t r e de dommages exemplaires : Ga z e t t e 106 Charte québécoise, précitée, note 3, (The) (Division Southam Inc.) c . art. 44. Valiquette, [1997] R.J.Q. 30 (C.A.). 107 R. c. Silveira, [1995] 2 R.C.S. 297, 367. 12-pelletier.qxdI 8/22/02 8:05 Page 511

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Canada dans les affaires Hunter108 pique portait atteinte à l’article 8 de et Dy m e n t 10 9 . Les affa i r es Du a r t e 11 0 la Charte canadienne. Comme et Wo n g1 1 1 s’inscrivent dans la devaient le mentionner le juge même tendance, car elles défendent L aF o rest, le juge en chef Dickson et la prééminence du droit à la vie les juges L’Heureux-Dubé et privée en posant des limites à une S o p i n k a : « p e rm e t t re la surveil- t rop grande intrusion des forc e s lance magnétoscopique illimitée par policières dans la sphère d’intimité des agents de l’État, ce serait dimi- des citoyens. nuer d’une manière importante le Ainsi, dans l’affaire Duarte, nous degré de vie privée auquel nous étions en présence d’une enquête pouvons raisonnablement nous 11 4 po l i c i è r e sur le trafic de stupéfian t s , at t e n d r e dans une société libre » . 115 réalisée grâce à un enregistrement Dans l’affaire Plant , une sour- clandestin des communications de ce anonyme avait informé la police M. Duarte. La Cour suprême a alors de ce que M. Plant se livrait à la reconnu que « l ’ i n t e rception de c u l t u re de chanvre indien dans le communications privées, par un sous-sol d’une maison. Il a été o rgane de l’État, avec le consente- arrêté par la police et inculpé pour ment de l’auteur de la communica- possession de chanvre indien pour tion ou de la personne à laquelle il fins de trafic. Dans cette affaire, la la destine, sans autorisation judi- police avait accès, grâce à un c i a i re préalable, constitue une at- terminal relié à l’unité centrale des teinte aux droits et libertés garantis services publics de la ville, au dos- par l’art. 8 »1 1 2. La Cour a affirm é sier de consommation d’électricité qu’en l’espèce il y avait eu atteinte de M. Plant. La perquisition subsé- abusive à la vie privée113. quente, avec mandat, n’a toutefois Dans l’affaire Wong, des policiers pas été considérée par la Cour avaient installé une caméra vidéo suprême, à la majorité, comme en vue de surveiller le déroulement étant abusive car le dossier de des activités dans une chambre consommation d’énergie ne men- d’hôtel réservée par M. Wong. À la tionnait rien sur la vie privée de ce suite de leurs investigations, ce d e rn i e r. Pour la Cour, M. Plant d e rnier a été arrêté au motif qu’il n’avait aucune expectative raison- tenait une maison de jeu. La Cour nable de vie privée à cet égard. Le suprême, à la majorité, a re c o n n u juge Sopinka disait à ce propos, au que la surveillance magnétosco- nom de cinq de ses collègues, que : [ l ]’examen de facteurs tels la n a t u re des renseignements, celle 108 Hunter c. Southam Inc., précité, note 83, des relations entre la partie divul - notamment à la page 158. guant les renseignements et la 109 R . c . D y m e n t, [1988] 2 R.C.S. 417, no- tamment à la page 428. partie en réclamant la confiden - 110 R. c. Duarte, [1990] 1 R.C.S. 30, notam- tialité, l’endroit où ils ont été re - ment aux pages 45 et 46. cueillis, les conditions dans les - 111 R . c . Wo n g, [1990] 3 R.C.S. 36, notam- ment à la page 47. 112 R. c. Duarte, précité, note 110, 60. 114 R. c. Wong, précité, note 111, 47. 113 Sur ce point, id. 115 R. c . Plant, [1993] 3 R.C.S. 281. 12-pelletier.qxdI 8/22/02 8:05 Page 512

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quelles ils ont été obtenus et la q u é b é c o i s e ne sont applicables gravité du crime faisant l’objet de qu’en cas d’atteinte subjective rai- l’enquête, permet de pondérer les sonnable à la vie privée. En eff e t , droits sociétaux à la protection de la théorie de « l’atteinte subjective la dignité, de l’intégrité et de ra i s o n n a b l e » constitue une limite à l’autonomie de la personne et l ’ e x e rcice du droit à la vie privée. l’application efficace de la loi. Il D ’ a u t res notions telles que les convient donc d’appliquer cette exigences de la « justice fondamen- méthode contextuelle aux faits de tale » (art. 7 Charte canadienne) et l’espèce.116 « l ’ o rd re public » (art. 9.1 Charte Dans l’affaire Evans117, des poli- québécoise) peuvent limiter l’exer- ciers en tenue civile se sont rendus cice de ce droit. En interprétant ces chez les Evans. Ils ont frappé à leur dispositions, la Cour suprême, dans porte et les ont arrêtés après avoir l’ a ff a i r e Hu n t e r , a mis en balance les senti l’odeur de marijuana dans d roits fondamentaux des citoyens leur résidence. Ils ont gardé les de protéger leur vie privée et les lieux, où se trouvaient notamment impératifs de sécurité et de défense plusieurs plants de marijuana. de l’État. En effet, comme elle l’a S’est alors posée la question de affirmé : savoir si l’attitude des policiers Cette limitation du droit garanti pouvait être considérée comme une par l’art. 8, qu’elle soit exprimée fouille ou une perquisition raison- sous la forme négative, c’est-à-dire nable au sens de l’article 8 de la comme une protection contre les Charte canadienne. La Cour su- fouilles, les perquisitions et les sai - prême a retenu, sur le fondement sies « abusives », ou sous la forme d’une règle de common law dite de positive comme le droit de s’atten - l’autorisation ou de l’i n v i t a t i o n dr e « ra i s o n n a b l e m e n t » à la prot e c - i m p l i c i t e, que les policiers peuvent tion de la vie privée, indique qu’il s ’ a p p rocher d’une résidence et en- faut apprécier si, dans une situa - gager une conversation avec l’occu- tion donnée, le droit du public de pant118. La Cour devait néanmoins ne pas être importuné par le préciser qu’au-delà de ce qui est go u v e r nement doit céder le pas au permis par l’autorisation implicite, d roit du gouvernement de s’im - il peut effectivement y avoir des cas miscer dans la vie privée des où il y a violation par les policiers particuliers afin de réaliser ses de l’article 8 de la Charte cana- fins et, notamment, d’assurer l’ap - dienne119. plication de la loi.120 On peut retenir sur ce point que La Cour a répondu à cette ques- les articles 7 et 8 de la Charte cana- tion en donnant préséance à la d i e n n e et l’article 5 de la Charte pr otection de la vie privée des parti- c u l i e r s1 2 1. Le droit à la vie privée

116 Id., 293. 117 R. c. Evans, [1996] 1 R.C.S. 8. 120 118 I d., 18 et 19 (juge Sopinka, au nom de Hunter c. Southam Inc., précité, note 83, deux de ses collègues). 159 et 160. 121 119 Id. Id., 160. 12-pelletier.qxdI 8/22/02 8:05 Page 513

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L ’ e x e rcice de ces diverses libertés n’est toutefois pas absolu et ne doit peut constituer, dans certaines surtout pas être tenu pour acquis, ci r constances, une limite au res p e c t surtout lorsqu’il est confronté à des de la vie privée. La technique juri- d roits perçus comme fondamen- dique utilisée pour tempérer le droi t taux, tel que le droit à l’informa t i o n . à la vie privée est celle dite du Le juge québécois en traite dans les « standard de l’expectative légitime a ff a i res F i e l d1 2 2, D e s c h a m p s1 2 3, 1 2 4 1 2 5 de vie privée » qui fait désorm a i s R o u l e a u et C a ro n . Dans l’af- partie intégrante du droit constitu- fa i r e Val i q u e t t e , par exemple, il rap- tionnel canadien1 2 7. Il consiste à pelle en substance qu’il y a eu p re n d re en considération le con- atteinte à la vie privée dès lors que texte et les circonstances dans « l’intérêt commercial a pris le pas lesquels ces libertés s’exercent et sur l’intérêt public et sur le droit à 126 d’apprécier cela à la lumière des la vie privée » . atteintes affectant la vie privée. Par exemple, toute restriction ou néga- 3. Les limites au droit à la tion de l’article 2(b) de la C h a r t e vie privée canadienne – qui dispose que cha- Comme nous venons de le voir, cun jouit de la liberté de pensée, de le droit au respect de la vie privée croyance, d’opinion et d’expression est un droit consacré par la loi fon- – implique forcément une violation damentale du Canada qui est la de la Charte canadienne dans la Charte canadienne ou la Constitu- mesure où ces libertés sont garan- tion. La violation de ce droit est ties par l’article 52(1) de la L o i généralement l’objet de contentieux constitutionnelle de 1982 qui pos- lorsqu’il entre en conflit avec d’au- tule que « [l]a Constitution du t res libertés fondamentales telles Canada est la loi suprême du que les libertés d’expression et Canada; elle rend inopérantes les d’ i n f o r mation. Cela suppose que les dispositions incompatibles de toute d roits fondamentaux ont, bien en- au t r e règle de droi t ». Toutefois, bien tendu, des effets horizontaux à qu’étant une liberté fondamentale, concilier les uns avec les autre s . le droit à l’information du public, à l’instar du droit à la vie privée, n’est pas un droit absolu. L’article 1 de la 122 Field c. United Amusement Corp., [1971] Charte canadienne dispose à cet C.S. 283, notamment à la page 285. é g a rd que « [l]a Charte canadienne 123 D e s c h a m p s c . Renault Canada, C.S. Montréal, n° 500-05-810140-71, repro- des droits et libertés garantit les duit dans « Jugements inédits », (1977) dr oits et libertés qui y sont énoncés. 18 C. de D. 937, notamment à la Ils ne peuvent être re s t reints que page 940. par une règle de droit, dans des 124 Ro u l e a u c. Gr oupe Québecor inc., précité, note 103. limites qui soient raisonnables et 125 C a ro n c . Publications Photo-Police inc., dont la justification puisse se [1993] R.R.A. 318 (C.S), notamment à la page 324. 126 Va l i q u e t t e c . The Gazette, précité, note 105, 1078; voir aussi les pages 1080 et 127 P. TRUDEL, F. ABRAN, K. BENYEKHLEF 1081. et S. HEIN, op. cit., note 4, p. 11-29. 12-pelletier.qxdI 8/22/02 8:05 Page 514

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d é m o n t rer dans le cadre d’une du projet de loi129 qui permettra à société libre et démocratique ». l’Agence des douanes et du revenu Aucun droit n’est absolu, pas d’intercepter de la correspondance plus le droit à la vie privée que les en provenance de l’étranger. Il faut autres. Au contraire, tout droit est préciser que la Loi sur les doua - susceptible de faire l’objet d’une n e s1 3 0, qui est actuellement en limitation qui soit légitime. Les vigueur, permet déjà cette pratique parlements fixent des re s t r i c t i o n s , en vertu de l’article 98 qui se lit l’appareil gouvernemental ou para- comme suit : g o u v e rnemental s’autorise cer- 98 (1) S’il la soupçonne, pour des taines intrusions dans la vie privée motifs raisonnables, de dissimuler des personnes. Les tribunaux ap- sur elle ou près d’elle tout objet précient le caractère raisonnable de d’infraction, effective ou éven - tout cela. Somme toute, la vie privée tuelle, à la présente loi, tout objet à laquelle toute personne a dro i t p e rmettant d’établir une pare i l l e dans une situation donnée ou infraction ou toute marc h a n d i s e relativement à une aff a i re donnée d’importation ou d’exportation équivaut, en nature et en intensité, pr ohibée, contrôlée ou réglementée à ce qu’elle peut raisonnablement en vertu de la présente loi ou de at t e n d r e dans les circonstances, eu toute autre loi fédérale, l’agent é g a rd aux intérêts légitimes des peut fouiller : tiers. Lorsque l’on détermine si a) toute personne arrivée au l’acte ou la conduite d’une personne Canada, dans un délai jus - porte atteinte au droit à la vie privée tifiable suivant son arrivée; d’une autre personne, on doit b) toute personne sur le point de pre n d r e en considération la nature, sortir du Canada, à tout mo - l’incidence et le contexte de l’acte ou ment avant son départ; de la conduite ainsi que toute relation domestique ou autre exis- 129 Loi modifiant la Loi sur les douanes et tant entre les parties. d ’ a u t res lois en conséquence, Projet de loi S-23. L’article 60 de ce projet de loi Bien entendu, la protection de la prévoit l’adoption d’un nouvel article vie privée ne porte pas seulement 99.1 de la Loi sur les douanes, lequel se sur les violations du droit à l’image lit comme suit : ou du domicile. Elle porte aussi, 99.1 (1) L’agent peut intercepter une entre autres, sur le principe de l’in- personne dans un délai raisonnable sui - vant son arrivée au Canada s’il a des violabilité de la correspondance. En motifs raisonnables de soupçonner ce qui touche précisément cette qu’elle est entrée au Canada sans se d e rn i è re question, le gouverne m e n t présenter conformément au paragra - canadien a été récemment au cœur phe 11(1). 128 (2) L’agent qui intercepte une personne en de vives critiques , dans la foulée vertu du paragraphe 1 peut : a) l’interroger; b) examiner les marchandises qu’elle a importées, en faire ouvrir les colis ou con - tenants et en prélever des échantillons en 128 Débats de la Chambre des communes, quantités raisonnables. vol. 137, no 048, 1re session, 37e législa- 130 Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), c. 1 ture, 25 avril 2001, p. 3150. (2e supp.). 12-pelletier.qxdI 8/22/02 8:05 Page 515

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c) toute personne qui a eu accès pétence nécessaire pour ouvrir à une zone affectée aux per - toute correspondance qu’elle juge sonnes sur le point de sortir suspecte et transmettre les rensei- du Canada et qui quitte cette gnements ainsi obtenus à d’autres zone sans sortir du Canada, o rganismes ou ministères, notam- dans un délai justifiable m e n t celui de la Citoyenneté et de après son départ de la zone. l’Immigration qui, à partir des infor- (2) Dès que la personne qu’il mations reçues, est en mesure de va fouiller, en application m e t t re sur pied sa pro p re banque du présent article, lui en de données. On a toutes les raisons fait la demande, l’agent de s’inquiéter, a priori, de cette la conduit devant l’agent pratique au regard de la protection principal du lieu de la de la vie privée et de l’anonymat que fouille. doit revêtir en principe toute corres - (3) L’agent principal, selon pondance privée, d’autant qu’il qu’il estime qu’il y a ou n’existe aucun critère objectif per- non des motifs raison - mettant d’examiner telle ou telle nables pour procéder à la co r r espondance. Au contraire, pour fouille, fait fouiller ou rel â - évaluer le potentiel de risque que cher la personne conduite comporte une correspondance des- devant lui en application tinée au Canada, on semble se du paragraphe (2). baser sur de simples indices, ainsi (4) L’agent ne peut fouiller qu’en témoigne cette réponse du une personne de sexe op - ministre du Revenu national, Mar- posé. Faute de collègue tin Cauchon, lors d’une période de du même sexe que celle-ci questions orales à la Chambre des sur le lieu de la fouille, il communes : peut autoriser toute per - Nous ne lisons pas le courrier des sonne de ce sexe présen - gens. Nous examinons au hasard tant les qualités voulues des marchandises qui entrent au à y procéder. Canada par la poste. Le commis - Toutefois, l’article 99(2) de la Loi s a i re à la protection de la vie sur les douanes apporte une excep- privée a dit que cette pratique était tion à la règle en ces termes : « L’a- tout à fait conforme à la loi et que gent ne peut ouvrir ou faire ouvrir nous agissions de bonne foi.131 des envois d’origine étrangère La Cour suprême du Canada, pesant au plus trente grammes que dans l’affaire Monney, affirme pour si le destinataire y consent ou que sa part que « [l]’article 98 de la Loi s’ils portent, remplie par l’expé- sur les douanes confère aux doua- d i t e u r, l’étiquette prévue à l’article niers les pouvoirs nécessaires pour 116 du Règlement détaillé de la fouiller les voyageurs soupçonnés Convention postale universelle ». d ’ e n t rer au pays avec des stupé- Il reste évident que c’est pour des questions de sécurité et de défense 131 Débats de la Chambre des communes, nationale que l’Agence des douanes vol. 137, no 051, 1re session, 37e l é g i s- et du revenu est dotée de la com- lature, 30 avril 2001, p. 3311. 12-pelletier.qxdI 8/22/02 8:05 Page 516

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fiants, mais il ne précise pas la qui y pénètre. Néanmoins, l’objectif façon dont la fouille peut être légitime qui est d’assurer la défense e ff e c t u é e »1 3 2. La Cour ajoute que du pays ne saurait justifier à tous les fouilles effectuées sur un voya- é g a rds l’interception du courrier geur dont on soupçonne qu’il pré- i n t e rnational. Nous estimons que, sente un danger pour la sécurité sans encadrement juridique trans- publique sont justifiées. Dans ce p a rent, pareille interception est cas d’espèce, M. Monney était arrivé susceptible d’entraîner de graves à l’aéroport de To ronto où il a été atteintes à la protection de la vie soupçonné d’avoir avalé des stupé- privée. Pour le moment, face à ces fiants. On l’a alors contraint à deux intérêts contradictoires que f o u rnir un échantillon d’urine. La sont, d’une part, l’inviolabilité de Cour suprême est arrivée à la con- la correspondance et, d’autre part, clusion que les actes des agents des la défense ou la sécurité de l’État, douanes étaient autorisés par l’ar- il est clair, aux yeux du législateur ticle 98 de la Loi sur les douanes13 3 , fédéral à tout le moins, que c’est ce puisque ceux-ci avaient des motifs dernier intérêt qui l’emporte. r a i s o n n a b l e s de cro i re que M. La protection de la vie privée dans Monney avait avalé des stupéfian t s . le contexte du lien d’emploi pose Ainsi, l’aff a i re M o n n e y se trouve à aussi une problématique fonda- r é d u i re le principe de l’attente rai- mentale. À cet égard, l’étude de sonnable de protection de la vie Diane Larose aborde la question de privée en légitimant les fouilles des la protection de la vie privée des personnes et des biens aux postes f o n c t i o n n a i res municipaux1 3 5. La douaniers du Canada. question se pose ici de savoir si ces La Loi sur la Société canadienne d e rniers, ayant accepté des fonc- des postes1 3 4 s’inscrit dans cette tions publiques, peuvent avoir une philosophie qui consiste à assure r attente raisonnable de vie privée. la sécurité et l’ord re public au Ca- Une telle problématique peut être nada. Par exemple, l’État autorise analysée sous deux angles, soit que les courriers internationaux qui d’une part celui des comptes de contiennent ou dont on soupçonne dépenses effectuées par des fonc- qu’ils contiennent des objets pro- tionnaires municipaux dans l’exer- hibés puissent être interceptés et cice normal de leurs fonctions soumis au contrôle douanier en publiques, et d’autre part celui de vertu de l’article 42(1) de cette loi. la surveillance ou de l’espionnage Certes, l’État canadien est en des employés. Quant au pre m i e r d roit, au nom de sa souveraineté, angle, il y a lieu de s’inspirer de d ’ a s s u rer la sécurité dans ses l ’ a ff a i re L e c l e rc. Dans ce litige, M. limites territoriales, de contrôler ce L e c l e rc, un résidant de la ville de

135 Diane LAROSE, « Le droit à la vie privée 132 R. c. Monney, [1999] 1 R.C.S. 652, 672; des fonctionnaires municipaux », dans voir aussi les pages 681 et 682. Service de la formation perm a n e n t e , 133 Id., 686. B a r reau du Québec, D é v e l o p p e m e n t s 134 Loi sur la Société canadienne des postes, récents en droit municipal , Cowansville, L.R.C (1985), c. C-10. Éditions Yvon Blais, 2000, p. 169. 12-pelletier.qxdI 8/22/02 8:05 Page 517

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Lachine, avait voulu obtenir des né c e s s a i r es, et ce, afin de prot é g e r in f o r mations sur les dépenses effe c - la vie privée.138 tuées par les membres du conseil En ce qui concerne cette fois la municipal et les fonctionnaires de p roblématique de la surveillance cette ville. N’ayant pas reçu les des employés par les employeurs, informations souhaitées, il saisit la dans le cadre de leurs fonctions ou Commission d’accès à l’inform a- en dehors de celle-ci, il y a lieu de tion136 qui lui donna gain de cause renvoyer notamment à l’aff a i re pour le motif que les comptes de M a s c o u c h e. En effet, Mme Houle, dépenses font partie des archives de alors directrice du bureau des la ville et, par conséquent, qu’ils ont citoyens de la ville de Mascouche, a un caractère public. Aussi, ils doi- découvert que ses conversations vent être accessibles aux citoyens privées, à la maison, étaient clan- en vertu de l’article 57 de la Loi sur destinement enregistrées par son l’accès. La Cour du Québec fut par voisin, qui est ensuite allé voir le la suite saisie de ce problème. Cette ma i r e avec les enreg i s t r ements. Sur co u r , dans trois affa i r es portant sur la base des informations ainsi le même objet13 7 , à savoir les comp- obtenues, la Ville a d’ailleurs proc é - tes de dépenses de fonctionnaire s , dé au congédiement de Mme Houle i n firma la décision de la Commis- pour manque de loyauté et rupture sion d’accès à l’information. La du lien de confiance. Celle-ci saisit Cour du Québec devait préciser ce la Commission municipale du Qué- qui suit dans l’une de ces déci- bec qui a jugé que les interceptions sions : de communications téléphoniques La Cour comprend que le contri - étaient bien fondées et re c e v a b l e s buable a droit à la transpare n c e comme preuve au soutien du con- dans l’administration publique, gédiement. Mme Houle a intro d u i t mais la façon dont l’article 57 doit une requête en révision judiciaire ê t re interprété limite la connais - auprès de la Cour supérieure. Selon sance de certains gestes posés cette cour, « il y a eu intrusion chez par un élu ou un fonctionnaire . Mme Houle par voie électro n i q u e L’article 54, déclarant « no m i n a t i f s (s c a n n e r). Il y a eu surveillance de les renseignements qui concerne n t sa vie privée par le biais de ce télé- une personne physique et perme t - p h o n e »1 3 9. La Cour a notamment tent de l’identifier », est une preu v e conclu à une violation des droits à additionnelle du désir du législa - la vie privée et à la protection de son teur de limiter la connaissance du domicile consacrés par la Charte citoyen aux éléments strictement québécoise ainsi que du droit de p rotection à l’encontre des fouilles illégales protégé par la Charte canadienne. Par conséquent, cette 136 Leclerc c. Lachine (Ville de), [1996] C.A.I. 114. 137 Bourgeois c. Leclerc, [1999] R.J.Q. 2091 138 B o u rgeois c. Leclerc, précité, note 137, (C.Q.); Cardinal c. Leclerc, [1999] R.J.Q. 2098. 299 (C.Q.); Lachine (Ville de) c. Leclerc, 139 Houle c. Mascouche (Ville de), [1998] J.E. 99-1574 (C.Q.). R.J.Q. 466, 477 (C.S.). 12-pelletier.qxdI 8/22/02 8:05 Page 518

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cour a déclaré irrecevables les p l o y e u r, en faisant suivre et fil m e r éléments de preuve versés au pro- les déplacements de M. Bre a u l t cès par la ville de Mascouche, plus dans des lieux ne pouvant être rai- précisément les cassettes de sonnablement considérés publics conversations privées clandestine- alors qu’il alléguait être incapable ment interc e p t é e s1 4 0. La Cour de travailler dans son emploi régu- d’appel du Québec a confirmé cette lier ou dans les deux assignations décision en reconnaissant qu’en te m p o r a i r es proposées, n’a pas por- l’espèce, il y avait eu violation grave té atteinte à la vie privée de ce der- du droit à la vie privée141. n i e r »1 4 3. La Cour supérieure a Dans l’aff a i re B r i d g e s t o n e, l’em- appuyé le point de vue du Tribunal ployeur avait engagé un enquêteur d ’ a r b i t r a g e1 4 4. La Cour d’appel a privé pour procéder à la filature de co n fi rmé cette décision en affirma n t son employé, M. Breault, qui était qu ’ « [e]n l’espèce, comme l’arbitre l’a en congé de maladie à la suite d’un décidé, ces garanties fondamentales accident de travail. La mission de de protection de la vie privée l’enquêteur consistait à surveiller n’étaient pas violées »1 4 5. La Cour les mouvements de l’employé avec d’appel devait toutefois préciser, une caméra vidéo dans le but de toujours dans l’affaire Bridgestone, vérifier si les maux dont ce dernier qu ’ « il faut que la mesure de surveil- disait souffrir étaient réels. La lance, notamment la fila t u r e, appa- f i l a t u re a démontré que l’employé raisse comme nécessaire afin de feignait d’avoir des douleurs à la vérifier le comportement du salarié hanche; en réalité, il n’en était rien. et que, par ailleurs, elle soit menée Il a été congédié de l’entreprise pour de la façon la moins importune manque de loyauté. Le syndicat des possible. Lorsque ces conditions travailleurs saisi du litige, soutenait sont réunies, l’employeur a le droit que « la filature et la prise des de recourir à des pro c é d u res de vidéos avaient porté une atteinte surveillance, qui doivent être aussi grave à la vie privée du plaignant limitées que possible »1 4 6. En l’es- et qu’en conséquence elles étaient pèce, ces conditions étaient semble- i r recevables en vertu de l’arti- c l e 2858 du Code civil du Québec ( C . c . Q ) »1 4 2. L’arbitre de griefs a 143 Bridgestone/Firestone Canada Inc. et le rendu une décision re c o n n a i s s a n t Syndicat des travailleurs(euses) de Br i d g e s t o n e / F i r estone de Joliette (C.S.N.), la recevabilité en preuve des bandes [1995] T.A. 505, 519. vidéos. Il est arrivé à la conclusion 144 C.S. Joliette no 705-05-000334-956. qu’au re g a rd des faits, « l ’ e m- 145 Syndicat des travailleuses et travailleurs de Bridgestone/Firestone de Joliette ( C . S . N . ) c. Tr u d e a u, précité, note 142 (juges LeBel et Thibault); voir aussi, sur 140 Id., 481. cette décision, les critiques de Karim 141 Mascouche (Ville de) c. Houle, J.E. 99- BENYEKHLEF et Pierre TRUDEL: «Une 1554 (C.A.). décision surpre n a n t e », La Pre s s e, 16 142 Syndicat des travailleuses et travailleurs septembre 1999, B3. de Bridgestone/Firestone de Joliette 146 Syndicat des travailleuses et travailleurs (C.S.N.) c. Tr u d e a u, [1999] R.J.Q. 2229 de Bridgestone/Firestone de Joliette (C.A.). (C.S.N.) c. Trudeau, id. 12-pelletier.qxdI 8/22/02 8:05 Page 519

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t-il réunies, puisque l’employeur Il faut donc bien se garder de dé- avait de sérieuses raisons de croire finir le droit à la vie privée, éviter de que son employé avait manqué de l’enfermer dans un cadre juridique loyauté à son égard et que le moyen p r é d é t e rminé. Des principes géné- utilisé, ici la filature, était limité au raux universellement applicables strict nécessaire. Par conséquent, peuvent être établis, mais en les selon la Cour d’appel, il n’y avait adaptant aux circonstances, aux pas eu violation du droit à la vie systèmes de valeurs, aux systèmes privée. philosophiques, culturels, écono- miques, etc. Le professeur Karim B. L’appréciation de la vie Benyekhlef, à propos du droit à la privée selon les cultures et vie privée, dit ceci : les valeurs sociales Ce droit constitue indéniablement La protection de la vie privée com- un frein à l’uniformisation des porte des enjeux juridiques. Mais, comportements et des personna - au-delà du droit, elle se veut le re- lités. La vie privée permet à l’indi - flet de toute société qui entend vidu de cultiver ses originalités s’inscrire dans un système institu- afin de prévenir sa relégation à tionnel où des valeurs universelles, l’état de sujet monoïdéique. En ce telles que la justice, l’égalité, la sens, le droit à la vie privée repré - diversité culturelle, le respect de sente une assurance contre un l’individu dans sa spécificité, son totalitarisme de l’esprit et des honorabilité, son intimité, sa liber- comportements.147 té, son intégrité physique et morale Belle formule s’il en est, qui situe sont garanties par l’État. Au très bien le débat actuel sur la vie Canada, les articles 1, 15 et 26 de privée au-delà des questions pure- la Déclaration canadienne garan- ment juridiques, pour l’appréhen- tissent plusieurs de ces valeurs qui der dans sa substance philoso- refl ètent en fait notre philosophie de phique. ce qu’est l’homme, ou sinon de ce En revenant sur le contexte cana- qu’il devrait être. Si le droit à la vie dien, le juge Dickson, parlant de la privée est appelé à saisir l’individu Constitution, ne disait-il pas en tant que sujet historique, c’est- q u ’ « [e]lle doit par conséquent être à-dire évoluant dans un monde lui susceptible d’évoluer avec le temps même évolutif, il faudrait bien qu’il de manière à répondre à de nou- le fasse en tenant compte des exi- velles réalités sociales, politiques et gences actuelles et futures du historiques que souvent ses au- milieu ambiant. Cela dit, serait-il teurs n’ont pas envisagées. Les prudent de figer, sinon de donner tribunaux sont les gardiens de la une définition objective à la notion de droit à la vie privée dans une société qui se développe à un 147 Karim BENYEKHLEF, « Les dimensions rythme accéléré et où les pro g r è s constitutionnelles du droit à la vie technologiques font que le droit est pr i v é e », dans Pierre TRUDEL (dir.), Dro i t du public à l’information et vie privée : bien souvent en retard par rapport deux droits irréconciliables?, Montréal, aux événements? Éditions Thémis, 1992, p. 26. 12-pelletier.qxdI 8/22/02 8:05 Page 520

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Constitution et ils doivent tenir 7 et 8 de la Charte canadienne. Il compte de ces facteurs lorsqu’ils faut toutefois retenir que la notion interprètent ses dispositions »1 4 8. même de vie privée est trop subjec- Cela nous amène à dire que, à tive pour être l’objet d’une saisie défaut de pouvoir être définie objec- juridique objective et rassurante. tivement, la notion de vie privée Au Canada, ce n’est certes pas la peut sûrement être une « notion dé- volonté d’assurer une garantie terminable », quoique variant selon constitutionnelle au droit à la vie les circonstances149. privée qui fait défaut. Le juge G é r a rd V. La Forest, dans l’aff a i re D y m e n t, conforte cette volonté en * reconnaissant que la vie privée ** mérite une protection constitution- Question complexe à plusieurs n e l l e1 5 0. D’autres voix se sont fait variables, la protection de la vie entendre, à l’occasion, en faveur de privée est un champ d’étude assez l’« enchâssement » du droit à la vaste, aux contours souvent impré- p rotection de la vie privée dans la cis, diffus et mouvants. Ses diff é- Constitution canadienne151. Il faut rents aspects peuvent à la fois rappeler que déjà en 1981, le s’imbriquer et s’exclure. En effet, la Comité mixte spécial du Sénat et de pr otection de la dignité humaine, de la Chambre des communes propo- la réputation, de l’honneur, le re s- sait d’ajouter un alinéa (e) à l’ar- pect de l’anonymat et de l’intimité, ticle 2 de ce qui n’était alors qu’une de l’intégrité et de la sécurité p roposition de charte canadienne constituent les facettes de ce dro i t des droits et libertés afin de con- qui se laisse difficilement définir. sa c r er expressément le droit à la vie La protection du droit à la vie pri- privée. vée est devenue une préoccupation Tout récemment, la sénatrice aussi bien pour les pouvoirs publics Sh e i l a Finestone a soumis au Sénat que pour les citoyens canadiens. du Canada un projet de Loi visant à Pourtant, ce droit n’est pas encore garantir le droit des individus au garanti expressément par la Cons- respect de leur vie privée, dont le titution du Canada. C’est le juge titre abrégé est Charte du droit à la canadien qui a créé un droit spéci- vie privée. Ce projet de loi (S-21) a fique à la protection de la vie privée, été présenté en deuxième lecture au notamment en interprétant de fa- Sénat au printemps 2001. L’article çon libérale et généreuse les articles 9 de ce projet de loi dispose comme

148 Hunter c. Southam Inc., précité, note 83, 150 R . c . D y m e n t, précité, note 109, 427 : 155. « Fondée sur l’autonomie morale et phy- 149 Voir : Pierre TRUDEL, «Le rôle de la loi, sique de la personne, la notion de vie de la déontologie et des décisions judi- privée est essentielle à son bien-être. Ne c i a i res dans l’articulation du droit à la serait-ce que pour cette raison, elle vie privée et de la liberté de pre s s e » , mériterait une protection constitution- dans P. TRUDEL (dir.), op. cit., note 147, nelle ». p. 181; voir aussi : H u n t e r c. S o u t h a m 151 Rapport annuel, précité, note 22, p. 94 inc., id., 155. et 95. 12-pelletier.qxdI 8/22/02 8:05 Page 521

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s u i t : « La présente loi s’applique nous rappeler le fragile équilibre aux personnes et matières qui e n t re les droits individuels et les relèvent de l’autorité législative du dr oits collectifs. Ces services dispo- Pa r l e m e n t ». Cela diminue de beau- sent de pouvoirs exorbitants en coup les risques que cette loi, si elle m a t i è re de renseignements et in- était effectivement adoptée par les quiètent un certain nombre de deux Chambres du Parlement, soit Canadiens qui voient en ces org a- un jour déclarée inconstitution- nismes étatiques des espions qui nelle. les traquent partout où ils pour- On retiendra finalement que la raient se tro u v e r. Notamment, le protection de la vie privée au Cana- SCRS a été créé par une loi qui da est un sujet de préoccupation permet et autorise les écoutes élec- majeure aussi bien pour l’État que t roniques et les surveillances par pour les citoyens. L’encadrement de vidéo153. la question s’effectue beaucoup Quoi qu’il en soit, dans une so- plus par voie judiciaire que légis- ciété démocratique comme la nôtre, lative, avec les forces et les faibles- le juge, en matière de protection du ses que cela comporte. Le Québec dr oit à la vie privée, est appelé à ba- joue un rôle avant-gardiste en liser toute intrusion de l’État dans m a t i è re de protection de la vie la vie des citoyens en le soumettant, privée. Il dispose d’un Code civil et dans les cas de fouilles, de perqui- d’une Charte qui prévoient des sitions ou de saisies policières par dispositions expresses sur la ques- exemple, à une autorisation préala- tion, en plus de sa jurisprudence ble, au moyen d’un mandat de assez étoffée. Par contre, les tribu- pe r quisition dûment délivré par une naux des provinces de common law autorité judiciaire ou administrative n’ont pas fait œuvre prétorienne, se compétente. En cas d’atteinte à la reposant surtout, en la matière, sur vie privée, le fardeau de la pre u v e la volonté du législateur. de l’absence de violation de ce droit Mais la psychose est appelée à pèse sur l’État. Ainsi que le recon- d e m e u rer face à la raison d’État, naît l’avocate Diane Veilleux : face aux exigences de défense et de avant de perm e t t re l’intrusion sécurité que le gouvernement doit dans la vie privée d’une personne, as s u m e r . La création il y a quelques il faudra avoir la conviction pro - années du Service canadien du fonde de la rationalité et de la renseignement de sécurité (SCRS) pr oportionnalité de cette intrusion, et du Centre de la sécurité des télé- au risque sinon de réduire à néant c o m m u n i c a t i o n s1 5 2 sont là pour certains espaces de vie privée n é c e s s a i res au maintien de la

152 P i e r re PATENAUDE, « Liberté indivi- duelle et maintien de l’ord re : le cas de l’utilisation par les corps policiers et Canada 1985-1997, Winnipeg, Cana- au t r es organismes gouvernementaux des dian Legal History Project/Faculty of techniques modernes d’enquête et de Law/University of Manitoba, 2000, su r v e i l l a n c e », dans Rebecca JOHNSON, p. 209-216. 153 John P. McEVOY et autres (dir.), Gérard Loi sur le Service canadien du renseigne - V. La Forest at the Supreme Court of ment de sécurité, L.R.C. 1985, c. C23. 12-pelletier.qxdI 8/22/02 8:05 Page 522

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dignité et de l’intégrité et de la (intégrité physique et morale, liberté liberté de la personne humaine.15 4 de circulation, arrestations, déten- Toutefois, comme le fait re m a r- tion, fouilles corporelles, vie fami- quer Pierre Trudel, un constat liale, publication de photographies, mérite d’être re l e v é : « En ce qui a autonomie personnelle, etc.). trait aux mesures législatives qui Au Canada comme partout ail- existent au Canada et au Québec leurs, le droit est en re t a rd sur la en matière de vie privée, il n’y a pas réalité, ne serait-ce qu’en ce qui de corpus législatif unique qui concerne l’interception de commu- protège la vie privée »155. nications sur téléphones cellulaires Il y a quelques années, le juge La ou télécopieurs, la vidéosurveil- Forest, dans l’affaire Dyment, avait lance, le décryptage d’informations rappelé les propos de Westin vou- sur Internet ou la manipulation du lant que « protéger la vie privée au patrimoine génétique. Les moyens domicile seulement… revient à pro- technologiques se développent à un téger ce qui n’est devenu, dans la rythme exponentiel, entraînant avec société contemporaine, qu’une pe- eux des changements fulgurants tite partie du besoin enviro n n e- dans nos habitudes de vie. Vo i l à mental quotidien de vie privée de autant de facteurs qui soulèvent l’individu »156. Force est d’admettre l’importance que la protection de la que le droit à la vie privée couvre de vie privée soit constamment adap- nos jours une foule de situations tée en fonction d’une réalité sociale qui mettent en cause la protection sans cesse en mouvement. de l’information (corre s p o n d a n c e , conversations téléphoniques, fila t u - res, surveillance au moyen de diffé - rents équipements, protection des données à caractère personnel, confidentialité des documents personnels, etc.), des lieux, espaces physiques ou biens (domiciles, com- m e rces, chambres d’hôtel, véhicu- les automobiles, caravanes, tentes, lieux ouverts, droit à la jouissance de ses biens, institutions carc é- rales, fro n t i è res intern a t i o n a l e s , etc.), ainsi que des personnes

154 Diane VEILLEUX, « Le droit à la vie p r i v é e : sa portée face à la surveillance de l’employeur », (2000) 60 R. du B. 1 , 19. 155 P. TRUDEL, F. ABRAN, K. BENYEKHLEF et S. HEIN, op. cit., note 4, p. 11-22. 1 5 6 R . c . D y m e n t, précité, note 109, 428 et 429.