Journal de la Société des américanistes

95-2 | 2009 tome 95, n° 2

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/jsa/10933 DOI : 10.4000/jsa.10933 ISSN : 1957-7842

Éditeur Société des américanistes

Édition imprimée Date de publication : 5 décembre 2009 ISSN : 0037-9174

Référence électronique Journal de la Société des américanistes, 95-2 | 2009, « tome 95, n° 2 » [En ligne], mis en ligne le 10 décembre 2014, consulté le 17 octobre 2020. URL : http://journals.openedition.org/jsa/10933 ; DOI : https://doi.org/10.4000/jsa.10933

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© Société des Américanistes 1

SOMMAIRE

Articles

Varia

Les grandes pointes foliacées du type « Ponsonby » : un traceur culturel en Patagonie australe Dominique Legoupil et Nicole Pigeot

From the island’s point of view. Warfare and transformation in an Andean vertical archipelago Tristan Platt

Catastrophes and Weddings. Chachi Ritual as Metamorphosis Istvan Praet

Dossier : Historiographie américaniste

La Société des Américanistes de Paris : une société savante au service de l’américanisme Christine Laurière

Historiographie de l’américanisme scientifique français au XIXe siècle : le « prix Palenque » (1826-1839) ou le choix archæologique de Jomard Nadia Prévost Urkidi

Le Congrès des américanistes de Nancy en 1875 : entre succès et désillusions Étienne Logie et Pascal Riviale

Dossier : « Race », « ethnie » et « communauté » (II)

Nota Bene

Contestations Over Classifications: Latinos, the Census and Race in the United States Clara E. Rodríguez

Whiteness in Latin America: measurement and meaning in national censuses (1850-1950) Mara Loveman

Raciser la société : un projet administratif pour une société domingoise complexe (1760-1791) Dominique Rogers

The politics of « racial » classification in Brazil Peter Fry

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Position

L’auteur malgré lui. Réponse à un texte d’Emmanuel Désveaux Laurent Barry

Compte rendus

RABY Dominique, L’épreuve fleurie. Symboliques du genre dans la littérature des Nahua du Mexique préhispanique Michel Perrin

SILVERMAN Gail P., A woven book of knowledge. Textile iconography of Cuzco, Peru Annabel Vallard

NIMUENDAJU Curt, Les Indiens Palikur et leurs voisins Philippe Erikson

VILAÇA Aparecida and Robin M. WRIGHT (eds), Native Christians. Modes and effects of Christianity among Indigenous Peoples of the Americas Florent Kohler

WRIGHT Robin M. (ed.), Transformando os deuses. Vol. 2 - Igrejas evangélicas, pentecostais e neopentecostais entre os povos indígenas no Brasil • CABRERA BECERRA Gabriel, Las Nuevas Tribus y los indígenas de la Amazonía: historia de una presencia protestante Jean-Pierre Goulard

CERIANI CERNADAS César, Nuestros hermanos lamanitas. Indios y fronteras en la imaginación mormona Diego Villar

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Articles

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Articles

Varia

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Les grandes pointes foliacées du type « Ponsonby » : un traceur culturel en Patagonie australe

Dominique Legoupil et Nicole Pigeot

1 De grandes pointes lithiques bifaciales foliacées, fines et longues, découvertes pour la première fois à Ponsonby, en Patagonie australe, il y a 50 ans, marquent désormais toute une série de sites du Ve millénaire cal BP dans cette région. Par leur morphologie foliacée (lancéolée) très normalisée, leurs grandes dimensions et une denticulation occasionnelle mais récurrente, elles sont très différentes des autres pointes observées avant, après, ou ailleurs, chez les chasseurs-cueilleurs, tant terrestres que maritimes, de la région.

2 La valeur de ces pièces exceptionnelles mérite réflexion. Il est vrai que le façonnage bifacial d’outils ou d’armes est une constante des traditions culturelles observées dans la région et même dans l’ensemble du continent américain à différentes époques de l’Holocène. Toutefois, l’examen de certains aspects techniques et fonctionnels des grandes pointes de Ponsonby indique qu’elles ont acquis le statut d’un véritable marqueur culturel. En considérant leur spécificité conjointement avec leur traçage historique dans le contexte géographique qui leur est spécifique, il nous apparaît que ces pointes peuvent caractériser un groupe original aux traditions communes. On peut même s’interroger sur le rôle social et symbolique qu’elles ont pu jouer, à l’instar d’autres traits culturels.

Un contexte chronogéographique homogène

3 Seuls deux sites à grandes pointes ont fait jusqu’à présent l’objet de fouilles extensives : Ponsonby partiellement fouillé dans les années 1951-1958 par J. et A. Emperaire (Laming-Emperaire 1967-1968 ; Emperaire 1988), puis repris dans une partie restante du site – les locus 1 et 2 – entre 1993 et 1997 (Legoupil 2003a) et Lancha Packewaïa fouillé entre 1973 et 1976 (Orquera et al. 1977 ; Orquera et Piana 1993-1994). Ce dernier a

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fourni plus d’une centaine de pointes ou fragments de pointes foliacées (Orquera et al. 1977, tabl. IX) ; le premier, 47 pièces (Schidlowsky 2003, tabl. 10).

4 Cependant, d’autres pointes similaires (une quinzaine) sont apparues plus occasionnellement dans des sondages ou de petites fouilles limitées, voire lors de collectes de surface dans des sites érodés. On en a ainsi trouvé sur la péninsule de Brunswick à Km 44 (Ortiz-Troncoso 1973) et à Rey Felipe (Miranda 1967), dans la région d’Ultima Esperanza sur l’îlot Krüger et le Rio Hollemberg (Morello et al. 2002), dans le seno Skyring sur l’île Guzman (Legoupil 1992-1993), enfin sur l’île Dawson dans le seno Owen (Morello et al. 2002), dans la bahia Fox (Legoupil et al. 2007), ainsi que sur l’îlot Offing où un site, récemment découvert, est en cours de fouille (Legoupil et al. ibid.). 5 Tous ces gisements se situent dans un cadre chronogéographique bien circonscrit. Ce sont tous des sites côtiers, en prise directe avec la mer, mais situés en lisière du territoire terrestre, le long d’un arc de cercle qui s’étire sur près de 600 km, du seno Ultima Esperanza au nord-ouest (l’îlot Krüger ; Rio Hollemberg), jusqu’au canal Beagle au sud-est (Lancha Packewaïa : voir Figure 1).

FIG. 1 – Les sites à grandes pointes foliacées : situation géographique.

6 La principale plage de recouvrement chronologique des sites varie entre 4 220 et 4 847 cal BP (Figure 2) ; elle serait donc limitée à une fourchette de moins de 700 ans (Figure 3). Un seul cas pourrait laisser supposer que ces pointes étaient encore fabriquées au début du IIIe millénaire cal BP : celui de Km 44. Toutefois, ce témoignage est fragile : il repose sur l’association d’une pointe découverte il y a 35 ans (Ortiz- Troncoso 1973) et d’un prélèvement daté très récemment dans le site (Morello et al. 2002).

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FIG. 2 – Datations des principaux sites à grandes pointes (en italiques et gras) et des premiers sites maritimes anciens.

FIG. 3 – Chronologie des principaux sites maritimes anciens et des sites à grandes pointes (en grisé la principale plage de recouvrement des sites).

7 La hauteur des terrasses marines sur lesquelles se trouvent les gisements est étroitement liée à leur période d’occupation. Tous les sites (datés ou non) se trouvent entre 4 et 6 m au-dessus du niveau actuel des mers ce qui confirme leur grande homogénéité chronologique : 4 m 50 à 5 m 50 à Ponsonby ; environ 6 m à Lancha Packewaïa (Piana, communication personnelle) ; 4 m à Km 44 (Ortiz-Troncoso 1973), 6 m à Rio Hollemberg (Morello et al. 2002), 4-5 m à l’île Krüger (Legoupil et al. 2003) ; 4 m 50 à l’île Guzman (Legoupil et al. 1992-1993) ; 4 m à la Bahia Fox sur l’île Dawson, et 5 m pour l’îlot Offing (Legoupil et al. 2007).

8 Cette situation intermédiaire entre les terrasses basses (2-3 m), où se trouvent la plupart des sites tardifs, et les terrasses hautes (au-delà de 10 m), où sont situés la

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plupart des sites anciens (culture d’Englefield et site de Túnel I), est liée à l’évolution des niveaux marins au cours de l’Holocène. Le niveau maximum des eaux, correspondant à la transgression flandrienne, a atteint dans la région entre 5 et 10 m snm (au-dessus du niveau marin actuel) vers le milieu de l’Holocène, soit à peu près à l’époque de la première installation de l’homme dans les territoires maritimes (voir, par exemple, la courbe d’Urien et Thurber, in Ortiz-Troncoso 1979). Les terrasses de 4-6 m étaient alors sans doute immergées et n’ont été disponibles pour les populations à grandes pointes qu’après qu’ait débuté le processus de régression marine.

Une stratégie économique originale

9 À la différence du système d’exploitation maritime des premières populations établies en bord de mer dans la partie centrale du détroit de Magellan et dans la mer d’Otway (culture d’Englefield), l’économie observée à Ponsonby et Lancha Packewaïa est mixte. La modification de l’équipement de chasse des groupes à grandes pointes pourrait donc être due à un changement dans leurs activités cynégétiques.

10 À Lancha Packewaïa, les guanacos, proies traditionnelles des chasseurs terrestres, sont les animaux les plus chassés, immédiatement après les pinnipèdes (Orquera et Piana 1999). Le campement était, en effet, parfaitement accessible à ces artiodactyles qui cohabitèrent durant tout l’Holocène avec les chasseurs terrestres de Terre de Feu, après l’ouverture du détroit de Magellan intervenue il y a entre 10 000 et 11 000 ans (Clapperton 1992) et l’insularisation du territoire qui s’en est suivie. 11 À Ponsonby, sur l’île Riesco, les guanacos représentaient la majorité des restes retrouvés. L’espèce n’a pas été signalée sur l’île lors de la colonisation à la fin du XIXe siècle. Cependant, elle était manifestement présente à l’époque d’occupation du site, quoique la séparation de l’île et du continent ait déjà été effective : celle-ci remonterait au début de l’Holocène, comme l’ouverture du détroit de Magellan, selon Robert D. MacCulloch (communication personnelle). Les guanacos étaient même si communs qu’ils se sont fait piéger par dizaines dans une tourbière datée de 7 000 ans à Ponsonby (Lepetz et al. 2003). Il y a 4 à 5 000 ans, ils étaient encore chassés massivement par les occupants des niveaux B et C (Lefèvre et al., 2003). 12 Les données faunistiques manquent pour les autres gisements à grandes pointes, mais tous se trouvent à peu de distance de la pampa et offraient donc un accès facile au territoire steppique ou faiblement boisé des guanacos, notamment les sites de la péninsule de Brunswick ou de la région d’Ultima Esperanza. 13 En fait, seul le site de Offing ferait exception avec une économie de subsistance qui, d’après les premières analyses, paraît entièrement tournée vers la mer. Seuls quelques os de guanacos, tout à fait anecdotiques, ont été retrouvés dans ce site. Il est vrai que c’est le seul campement à grandes pointes où les occupants n’avaient pas accès directement aux guanacos. En effet, l’îlot Offing, isolé au milieu du détroit de Magellan, était trop petit (plus ou moins 1 km2) pour supporter une population viable de grands mammifères terrestres ; et les guanacos n’ont jamais été signalés non plus sur la grande île Dawson, toute proche, si ce n’est par des vestiges très rares découverts dans des sondages (Legoupil et al. 2007). Les quelques ossements retrouvés à Offing proviennent donc très probablement, comme ceux-ci, de la Terre de Feu à l’est, ou, éventuellement, de la péninsule de Brunswick à l’ouest. Dans tous les cas, leur présence implique que les

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occupants de ce campement ont traversé un bras de mer d’une dizaine de kilomètres, infranchissable autrement qu’en canot. Ils représentent donc les seuls possesseurs de grandes pointes dont on sait avec certitude qu’ils pratiquaient la navigation. 14 Ainsi, les populations à grandes pointes semblent avoir été, sur le plan économique, très adaptables selon les circonstances. Ce caractère mixte les différencie nettement des groupes voisins très spécialisés, généralement observés en Patagonie jusqu’à l’époque moderne. Mais, de ce fait, leur stratégie économique ne représente pas un critère culturel déterminant permettant de les caractériser à coup sûr. Empruntant tantôt aux chasseurs terrestres, tantôt aux chasseurs marins, ils pouvaient pratiquer aussi bien la chasse aux guanacos qu’aux animaux marins ou aux oiseaux. Pratiquant la navigation comme le prouve l’occupation du site d’Offing, ils avaient accès aux deux domaines, terrestre et maritime. Cela les différenciait autant des premiers groupes « canoeros »1, installés dans la région et visiblement soucieux de se maintenir à l’écart des chasseurs terrestres grâce à la barrière de l’eau, que des derniers chasseurs terrestres dont on sait qu’ils ne pratiquaient pas la navigation.

Un équipement technique à la confluence entre chasseurs terrestres et maritimes

15 Si l’on examine maintenant l’équipement technique de ces groupes, les principales données dont on dispose proviennent, encore une fois, essentiellement de Lancha Packewaïa (Orquera et al. 1977 ; Orquera et Piana 1999 ; Álvarez 2007) et Ponsonby (Legoupil 2003b, c ; Pigeot 2003 ; Schidlowsky 2001, 2003, 2006). La panoplie, constituée d’armes, d’outils et d’objets décoratifs, présente des caractères communs aux deux groupes socioculturels de la pampa et des archipels.

16 L’industrie osseuse est typique des populations maritimes : des pointes de harpons monodentées, des pointes de lances multidentées et des outils à extrémité biseautée en os de mammifères marins, ainsi que des poinçons, des tubes et des perles tubulaires sur os d’oiseaux. Elle présente cependant quelques points originaux par rapport à l’industrie des premiers groupes canoeros. Ainsi les pointes de harpons sont plus rares, et techniquement et typologiquement moins systématisées. Leur décoration est aussi beaucoup moins développée que sur les harpons de la culture d’Englefield, caractérisés par des gravures géométriques (Emperaire et Laming 1961 ; Ortiz-Troncoso 1979 ; Legoupil 1997), et ceux des sites anciens du canal Beagle, ornés de décors gravés, à motifs géométriques et naturalistes comme les harpons vulpicéphales du second niveau de Túnel I (Orquera et Piana 1986-1987). Surtout, on a découvert à Ponsonby des fragments de grandes pièces interprétées comme pointes (de sagaies ?) en os de mammifère marin, massives et de section circulaire, uniques dans la région : elles pouvaient atteindre une trentaine de centimètres de longueur pour un diamètre de 2 à 3 cm et étaient, pour certaines, marquées à une extrémité par deux petits reliefs latéraux courts et épais, plus fonctionnels comme système de fixation dans une hampe que comme barbelure pour retenir une proie (Figure 4, gauche). Des pièces très comparables, mais avec un seul relief, étaient présentées en 1981 dans les vitrines du musée del Fin del Mundo à Ushuaïa (Figure 4, droite) : elles provenaient de ramassages de surface dans un site du canal Beagle, Rio Chico 3, malheureusement non daté.

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FIG. 4 – Pointes de sagaies de Ponsonby (d’après Legoupil 2003c, fg. 5) et Rio Chico 3 (cliché Legoupil).

17 Outre les grandes pointes, l’industrie lithique est, elle, essentiellement constituée de grattoirs, de racloirs, de couteaux, de percuteurs et d’éclats utilisés. Toutes ces pièces se retrouvent en proportion variable, selon les activités développées dans les sites, et ne sont pas culturellement très diagnostiques, sauf dans quelques cas comme les grands racloirs à retouches couvrantes, les petits grattoirs unguiformes, ou les bolas. Les grands racloirs présents à Lancha Packewaïa et à Ponsonby évoquent fortement ceux de la grotte Fell (Schidlowsky 2003). Les petits grattoirs (il en existe un second type d’un module plus grand), bien connus chez les chasseurs terrestres, sont représentés à Ponsonby, mais absents à Lancha Packewaïa, ce que Schidlowsky (ibid., p. 200) explique par le fait que « les contacts avec les chasseurs terrestres sont favorisés par la position géographique du gisement de Ponsonby ». Quant aux bolas, armes caractéristiques des chasseurs terrestres, elles ont été façonnées sur place à Ponsonby comme en attestent plusieurs fragments d’ébauches cassées (Legoupil 2003b). Elles ne résultent donc pas d’un simple échange d’objet, mais d’un véritable emprunt technique intégré jusque dans ses procédés de fabrication…

18 En fait, c’est surtout dans le choix des matières lithiques qu’on observe l’originalité des sites à grandes pointes (Schidlowsky 2006). Ainsi, à Ponsonby comme à Lancha Packewaïa, sont employés systématiquement deux types de roches, l’une relativement tendre et friable, l’autre plus siliceuse et dure. 19 Dans le premier site, l’une, appelée communément « lutite », est en réalité une cinérite retravaillée résultant de l’accumulation mécanique de détritus pyroclastiques et/ou volcaniques plus anciens ; l’autre, la rhyolithe, est une roche pyroclastique primaire résultant d’accumulation directe de matériaux clastiques engendrés par des explosions volcaniques (Terradas, communication personnelle 2003). Dans le second site, il s’agit

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d’une vulcanite (l’andésite) et de métamorfites (rhyolithes et cinérites), roches pyroclastiques primaires de la Formation Lemaire (selon Terradas et al. 1991). Dans les deux sites, les pointes sont réalisées préférentiellement (mais non exclusivement) sur la roche la plus tendre, alors que la roche plus dure et clastique, au grain plus fin et aux arêtes plus coupantes, était préférée pour le débitage d’éclats (Orquera et Piana 1999 ; Pigeot 2003 ; Álvarez 2007). Dans tous les cas, ces matériaux se distinguent nettement de l’obsidienne utilisée massivement dans les sites d’Englefield (Pigeot et Schidlowsky 1997) et à laquelle les groupes à grandes pointes ne semblent pas avoir eu accès. Ils se différencient également des roches utilisées dans la pampa, en particulier dans la grotte Fell où domine le basalte, suivi de la calcédoine et d’autres roches siliceuses (Schidlowsky 2006, fig. 4). 20 On voit ainsi se dessiner peu à peu les caractères particuliers des sites à grandes pointes : à leur situation chronogéographique limitrophe entre steppe et archipels (mais toujours côtière) vient s’ajouter la polyvalence de leur économie et de leur équipement technique, qui évoque tantôt les groupes maritimes, tantôt les groupes terrestres.

Un marqueur culturel fort : les grandes pointes foliacées

21 La caractéristique la plus frappante de ces sites reste les grandes pointes foliacées ou subfoliacées. Il convient donc de s’interroger sur la charge culturelle de ces artefacts : leurs caractères particuliers sont suffisamment diagnostiques et répétés pour que ces pièces constituent véritablement le marqueur d’un groupe socioculturel original. En d’autres termes, on peut considérer qu’elles représentent un type, « le type Ponsonby », au même titre que les pointes Clovis, les pointes « en queue de poisson » ou les pointes de Paiján.

Les critères morphotypologiques

22 Deux critères permettent de distinguer facilement ces pointes : leurs dimensions exceptionnelles et le modèle morphologique très standardisé vers lequel elles tendent (Figure 5).

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FIG. 5 – Les grandes pointes foliacées de Lancha Packewaïa (Orquera et al. 1977, fg. 48, 46, 45, 43, 49), de Ponsonby et d’Offng.

23 La longueur des pièces de Lancha Packewaïa varie en général entre 12 et 17 cm (Orquera et Piana 1999), celles de Ponsonby entre 13 et 16 cm (Schidlowsky 2003). Presque toutes les pièces entières provenant des autres sites entrent peu ou prou dans ce cadre (Morello et al. 2002, tabl. 1). Toutefois, quelques pièces exceptionnelles sortent du lot : un peu plus grandes (jusqu’à 20 cm, par exemple, à Ponsonby et à Offing) ou un peu plus petites (une dizaine de centimètres à Lancha Packewaïa et à Offing).

24 La longueur moyenne s’établit ainsi autour d’une quinzaine de centimètres. C’est le double, voire le triple, de celle des pointes observées au cours de la première moitié de l’Holocène en Patagonie, aussi bien dans les sites anciens de l’île d’Englefield, notamment à Bahia Colorada (Pigeot et Schidlowsky 1997, fig. 30), que dans les couches moyennes (III et IV) de la grotte Fell (Bird 1993, fig. 14 et 15). 25 Morphologiquement, les fouilles du locus 1 de Ponsonby n’ont pas permis de mettre en évidence l’existence de types ou de sous-types standardisés (Pigeot 2003). En revanche, en incluant les pièces de la collection Emperaire, Schidlowsky (2001) a distingué deux grandes catégories de pièces bifaciales : quelques bifaces cordiformes (de longueur similaire aux pointes, mais plus larges et plus épais) et les pointes elles-mêmes, très largement majoritaires. Ce sont ces dernières qui représentent le type « classique », foliacé : allongé, mince, symétrique, appointé à une extrémité, plutôt arrondi à l’autre et parfois denticulé. Outre leur longueur absolue, l’allongement de ces pièces est particulièrement spectaculaire, notamment par rapport aux bifaces cordiformes de Ponsonby ou aux nombreuses ébauches de Lancha Packewaïa qui auraient pu être destinées aussi bien au façonnage de pointes que de simples bifaces. Cet allongement des pointes (rapport longueur/largeur) est généralement compris entre 3,3 et 3,9 à Ponsonby (Schidlowsky 2003, p. 188), mais il peut atteindre un rapport de 5 et même 6,

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par exemple sur une des pointes de l’île Offing (Figure 5, à droite). Ces pointes sont également assez minces malgré leurs grandes dimensions : leur épaisseur varie entre 11 mm et 17 mm à Ponsonby (Schidlowsky 2003, tabl. 9), 8 et 12 mm sur l’île Kruger et les sites de la péninsule de Brunswick (Morello et al. 2002, tabl. 1) et moins de 10 mm pour les pièces représentées dans Orquera et al. (1977). Selon ces auteurs, le rapport épaisseur/largeur est alors de 1/4. 26 La recherche d’une longueur maximale de tranchant avait déjà été observée dans les sites d’Englefield, mais pour les couteaux en obsidienne (Pigeot et Schidlowsky 1997), ce qui était fonctionnellement justifié. Dans le cas des pointes, cette tendance ne s’expliquerait que si elles étaient utilisées comme couteau mais, dans ce cas, il n’y aurait aucune raison de se soucier d’une parfaite symétrie. Pour une utilisation en pointe de jet ou de poignard, la longueur et, surtout, l’allongement fragilisent considérablement la pièce sans, pour autant, offrir une plus grande force de pénétration. C’est ce choix qui explique sans doute le grand nombre de pièces fragmentaires retrouvées dans les sites, qu’elles aient été cassées en deux lors de leur fabrication (comme c’est le cas le plus fréquent), ou en percussion comme l’évoquent certaines fractures en biais portant une languette.

Le système technique et la chaîne opératoire de façonnage des pointes

27 Le façonnage bifacial est pratiqué en Patagonie depuis la fin du Pléistocène et les débuts de l’Holocène, comme en témoignent les pointes en queue de poisson caractéristiques notamment de la phase I de la grotte Fell (Bird 1993). Il a toutefois connu un développement apparemment à éclipses selon les moments, les régions et les sites, dans bien des cas, sans doute, pour des raisons fonctionnelles (selon les activités auxquelles elles étaient destinées) et non en fonction de variations culturelles. Peut-être est-ce dû aussi au hasard du développement des recherches. Ainsi, un millénaire avant l’apparition des grandes pointes, la taille bifaciale était utilisée massivement pour réaliser toute sorte d’objets, outils ou armes dans l’ensemble des sites à obsidienne de la culture d’Englefield. À la même époque, elle était à peine représentée dans le second niveau de Túnel I, où aucune pointe n’était observée, sauf une, en obsidienne, d’origine allochtone (Orquera et al. 1977).

28 Les méthodes employées pour la fabrication des grandes pointes ne constituent pas en elles-mêmes une innovation particulière : le processus de réduction est classique, d’un ébauchage plus ou moins poussé sur masse ou éclat à la percussion directe, surtout tendre, jusqu’à, dans certains cas, une ultime finition à la pression. Mais ce qui fait la marque de fabrique de ce façonnage est sans aucun doute la systématisation de la chaîne opératoire, la qualité et la régularité des réalisations (on pourrait presque parler d’automatisation vu l’homogénéité des produits obtenus malgré les difficultés techniques posées par la dimension des supports), ainsi que le soin apporté à un aménagement final par pression, destiné à produire une denticulation du tranchant qui peut, dans certains cas, être très prononcée (Figure 6).

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FIG. 6 – Pointe denticulée découverte par un pêcheur dans le seno Owen sur l’île Dawson (cliché Legoupil).

29 La chaîne opératoire2 de façonnage de ces pièces a été analysée sur toute sa séquence dans le locus 1 de Ponsonby (Pigeot 2003), et c’est surtout à partir de cette étude que nous allons la synthétiser. Le processus mis en œuvre a ainsi été bien identifié depuis l’acquisition des matières et le choix des supports jusqu’à l’abandon des pièces. Il présente des particularités qui sont propres à cet ensemble de pièces et qui se différencient clairement du mode d’acquisition des groupes canoeros anciens ou tardifs puisque l’obsidienne réapparaît ensuite dans les sites après un ou deux millénaires d’absence.

L’acquisition des supports

30 Comme on l’a vu pour l’ensemble du matériel lithique, les comportements liés aux choix des matières ont été comparables dans les deux sites de référence, pourtant distants de plus de 500 km. Dans le locus 1 de Ponsonby les produits de façonnage sont, à 62 %, sur lutite et, à 26 %, sur rhyolithe (Pigeot 2003, tabl. 2). À Lancha Packewaïa, la matière la plus utilisée est la vulcanite, suivie par les métamorfites (Orquera et Piana 1999). Le choix préférentiel des roches tendres est manifeste dans les deux cas. À Lancha Packewaïa, le choix de la vulcanite serait justifié par sa bonne homogénéité. À Ponsonby, celui de la lutite serait dû avant tout à la grande dimension des rognons, principale qualité recherchée selon Pigeot (2003), mais aussi à la « finesse du grain, la structure homogène, et la bonne aptitude à la taille » de cette matière, malgré une qualité de tranchant plus médiocre que la rhyolithe (ibid. p. 128).

31 Si le choix des qualités de matières est identique, celui des supports est, lui, étonnamment différent entre les deux sites : dans un cas des éclats, dans l’autre des masses centrales. À Ponsonby, dans tous les cas déterminables (5 ébauches), les pointes étaient façonnées à partir de grands éclats détachés au moyen d’une forte percussion dure, tandis qu’il n’existe aucune trace d’un façonnage sur galet ou plaquette. La seule pièce qui pourrait représenter une ébauche sur masse est ambiguë et a plutôt été interprétée comme un nucléus relevant de la famille conceptuelle des discoïdes (ibid.,

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fig. 6). L’obtention des grands éclats dévolus au façonnage des grandes pointes a donc nécessité la mise en œuvre d’opérations de débitage particulières, car il n’y a pas de nucléus aussi grands dans le niveau d’occupation. Avant d’être rapportés au campement, les grands éclats-supports avaient dû être débités directement sur les plages voisines où abondent les roches transportées par les glaciers. Il s’agit d’une pratique d’acquisition simple et efficace consistant à percuter sur place de gros blocs, sans même avoir à les déplacer, et à obtenir facilement les grands éclats dont la forme est, dès l’origine, assez idéale pour initier un façonnage grâce à la structure déjà bifaciale d’un éclat brut. 32 À Lancha Packewaïa, en revanche, la première phase de mise en forme est dominée par des témoins spectaculaires : les grandes préformes sur masse centrale (Orquera et al. 1977). Certaines pointes pourraient avoir été réalisées sur éclats, mais aucun témoin de ce procédé n’est signalé, peut-être en raison de la difficulté à identifier les supports initiaux sur des objets entièrement façonnés. Les grandes préformes sur masse attestent en tout cas que des blocs volumineux ont été rapportés au campement, vraisemblablement après avoir été ébauchés sur leur lieu de collecte. Étant donné le poids des pièces, cette collecte était plus coûteuse en énergie qu’à Ponsonby. Cela est d’autant plus vrai que la source de la vulcanite n’a pu être retrouvée et pourrait se situer géologiquement hors du canal Beagle (Orquera et Piana 1999), à moins que des rognons n’aient été apportés par le déplacement des glaciers. 33 L’acquisition des supports lithiques à Ponsonby (et peut-être à Lancha Packewaïa) est en tout cas très différente de ce qui se pratiquait pour l’obsidienne, principale matière utilisée dans les sites canoeros anciens de la culture d’Englefield. Dans ces derniers sites, ce matériau était utilisé indifféremment pour le débitage d’éclats et le façonnage de pièces bifaciales. Surtout, la collecte de ce matériau rare impliquait la connaissance de l’une de ses sources, sans doute dans la zone sud du seno Otway (Morello et al. 2004 ; Stern et Prieto 1991), et un déplacement par mer (donc une programmation). Les blocs de matière première (sous forme de galets, de baguettes ou, souvent, de plaquettes allongées favorisant l’obtention de produits allongés, notamment des couteaux) étaient rapportés et stockés au campement où de nombreux nodules bruts ou à peine testés ont été retrouvés, en particulier à Bahia Colorada (Pigeot et Schidlowsky 1997).

Le façonnage

34 À Ponsonby, le façonnage pouvait commencer directement à la percussion tendre sur ces morphologies déjà « prêtes » que sont les éclats. Il n’y a donc pas de phase d’ébauchage proprement dite. Plus d’un millier d’éclats, courbes et aux talons déversés, très caractéristiques de cette technique, ont été reconnus comme déchets de façonnage à la percussion tendre organique. Ces vestiges témoignent de la fabrication des grandes pointes in situ, une partie d’entre elles étant laissée sur place (au total 27 pointes entières ou fragmentaires après raccords), l’autre emportée ailleurs comme en témoignent certains ensembles auxquels seul manque l’objet final, la pointe elle-même (17 pointes « fantômes » ont ainsi été emportées). Des remontages ont été testés et réalisés, mais avec moins d’insistance pour le façonnage que le débitage, du fait du moindre intérêt technologique des reconstitutions de pointe. En fait, c’est le rapprochement des variétés de roche au niveau très spécifique de chaque matériau taillé qui s’est révélé un excellent substitut au remontage. Cette méthode d’étude a

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permis de reconnaître, à côté des 27 pointes, le matériel « positif » en quelque sorte, un matériel « négatif » de 17 pointes façonnées sur place avant d’être emportées.

35 Le schéma de façonnage consiste à utiliser la structure bifaciale pré-existante et à amincir le support de proche en proche, en contrôlant la silhouette et la régularité des bords et des surfaces, jusqu’à l’obtention de la forme souhaitée : mince, allongée, appointée, symétrique. La chaîne est donc continue, réalisée de bout en bout au percuteur tendre organique sur des éclats-supports dont la forme favorable est préalablement déterminée. Cette option offre l’avantage d’une grande facilité tactique par rapport au processus de façonnage classique, sur bloc. Ce dernier oblige à une première phase de réduction effectuée au percuteur dur, ce qui crée des négatifs très « sécants » impropres à l’amincissement postérieur de la pointe ; pour affiner la pièce, il faut alors changer d’outil et passer au percuteur tendre. À Ponsonby, le choix d’un façonnage direct au percuteur organique permet d’éviter ce moment de transition toujours délicat, qui ne doit intervenir ni trop tôt, ni surtout trop tard (Pigeot 2003, p. 151). 36 Enfin, une ultime opération, partielle et peu envahissante, pouvait être effectuée le long des bords par une technique par pression, provoquant la formation d’une denticulation plus ou moins forte qui a pu améliorer les qualités tranchantes de la pièce. Parfois, cette finition est nettement marquée, laissant supposer que c’était bien la forme dentelée des bords qui était visée, et non la régularisation des surfaces actives. Cette denticulation n’était cependant pas systématique (la seule minceur de l’objet pouvant suffire à son efficacité) et l’on peut s’interroger sur le statut des pointes non denticulées et se demander si elles peuvent être considérées comme parfaitement terminées. 37 La plupart des vestiges de façonnage ont été retrouvés dans deux ateliers spécialisés situés, l’un dans la couche B1, l’autre dans la couche B2 (Legoupil 2003d, fig. 35, 41 et 42). Leur organisation structurée est particulièrement frappante comparée à celle du débitage, très opportuniste, dont les vestiges, notamment des nucléus peu prédéterminés et des « éclats aussi grands, et peut-être aussi minces que possible », sont dispersés dans tout le campement (Pigeot 2003, p. 129). On observe donc à Ponsonby des comportements différenciés entre le débitage, effectué de manière conjoncturelle en fonction des besoins, et le façonnage « réalisé par une seule personne, fabriquant en une seule fois, de bout en bout, la pointe bifaciale désirée » (ibid., p. 157). La fabrication des pointes semble ainsi correspondre à une activité bien localisée dans le temps et dans l’espace, très probablement réservée à une ou deux personnes ayant acquis cette compétence technique. 38 Si l’on tente une comparaison avec les traditions de production lithique des Indiens canoeros anciens, le seul exemple disponible, celui de Bahia Colorada, témoigne d’une organisation beaucoup plus lâche. Dans ce site, opérations de façonnage et de débitage se mêlent, réalisées de manière opportuniste au fur et à mesure des besoins. L’ensemble des vestiges est ainsi très dispersé malgré quelques petits regroupements : concentration d’armes et d’outils brûlés dans une zone sans doute rituelle, plus forte représentation d’outils dans l’habitation, petit tas d’éclats évacués pêle-mêle en périphérie… (Legoupil 1997). Mais ces concentrations sont sans rapport avec la production et aucun atelier de travail spécialisé n’a été clairement identifié. 39 Ces comportements différenciés n’ont jusqu’à présent été envisagés que sur deux sites, faute d’études techniques et spatiales détaillées. On peut poser l’hypothèse d’une

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organisation du travail plus spécialisée, plus systématique, et donc d’une organisation sociale plus structurée pour les groupes à grandes pointes que chez les Canoeros anciens. Mais ce point demandera à être vérifié sur d’autres gisements.

La fonction des pointes

40 Même si la fonction la plus communément admise pour ces pièces est celle de pointe d’arme (de poignard, sagaie, ou lance), d’autres fonctions sont envisageables comme celle de couteau. En fait, peu d’éléments concrets peuvent nous renseigner sur leur usage. Aucun stigmate tracéologique n’a été observé sur les tranchants des 21 pièces bifaciales du locus 1 de Ponsonby analysées par Christensen (2003), alors que des traces de travail de matières minérales, animales et végétales ont été relevées sur des grattoirs, racloirs et éclats retouchés. Par ailleurs, les cassures des pièces bifaciales retrouvées dans les ateliers semblent dues à des accidents de fabrication, même si quelques fractures en languette peuvent laisser envisager un accident d’utilisation en percussion.

41 Si l’on examine l’ensemble de la panoplie technique du groupe, on constate que l’apparition des grandes pointes s’accompagne d’une régression du nombre des harpons en os, si représentatifs des Indiens canoeros anciens, ainsi que des couteaux sur éclats retouchés. Les grandes pointes lithiques ont-elles remplacé les pointes de harpons en os ? Étaient-elles mieux adaptées à la chasse aux guanacos qu’il convient de blesser ou de tuer, et non de retenir (fonction principale du harpon pour éviter à l’animal marin de couler) ? Ou bien ont-elles servi de couteaux (d’autant plus efficaces qu’ils étaient denticulés), rendant moins nécessaire le simple usage du fil d’éclats et, pourquoi pas, de couteaux emmanchés comme on en connaît au Néolithique français (Figure 7) ? Mais, dans ce cas, pourquoi toutes les pièces portent-elles une extrémité appointée ? et pourquoi seraient-elles presque toujours symétriques ? Enfin, une dernière hypothèse serait d’envisager un usage en racloir, étant donné la parenté entre certaines pièces bifaciales et les grands racloirs à retouches couvrantes, bien connus à cette période. Elle est cependant peu probable compte tenu de la symétrie des pointes et de leur grand allongement, défavorable à une bonne préhension. De plus, la finition denticulée, si efficace pour couper, serait évidemment une aberration en raclage de peau. 42 En fait, la difficulté d’interprétation de ces pièces pourrait peut-être provenir de leur caractère multifonctionnel : arme et outil.

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FIG. 7 – Couteau emmanché néolithique, Perte de la Jonquière, Foissac (Camps-Fabrer et Ramseyer 1993, fg. 2).

Un caractère symbolique ou social ?

43 Quel que soit leur usage, il est manifeste que les grandes pointes de Ponsonby ont acquis une valeur ajoutée sans rapport avec leur rôle pratique : une fonction symbolique ou sociale.

44 En effet, bien des particularités de ces objets sont assez remarquables et témoignent d’un soin attentif à les rendre ainsi. Déjà, on l’a vu, leur module exceptionnel : si long, si mince et si allongé, alors que ces pointes devenaient ainsi fragiles et perdaient en fonctionnalité, particulièrement pour un usage en impact. Par ailleurs, leur réalisation témoigne d’une haute qualité technique : enchaînement programmé des modes de détachement (direct dur, tendre, pression) et fort automatisme des gestes et des objectifs visible sur de nombreuses pointes. Ces caractères indiquent que des artisans avertis ont dû réaliser ces pièces exceptionnelles à la suite d’un apprentissage privilégiant la conception du modèle le plus long, le plus mince, le plus régulier – on serait tenté de dire le plus esthétique – au détriment de l’économie opératoire (risque de cassures au façonnage) et de l’efficacité de l’objet. 45 La valeur symbolique de certaines productions matérielles a été fréquemment observée, notamment en ethnologie, plus particulièrement pour les pointes d’armes, attribut hautement viril. Des explications similaires ont été parfois avancées pour des cas archéologiques. Ainsi Cauvin (1994, p. 169) considère que la technologie des pointes lithiques du Néolithique proche oriental (PPNB) représentait « un secteur de prestige appelant un investissement artisanal supplémentaire et une recherche esthétique inexplicables autrement ». Une interprétation similaire a été donnée récemment aux longues feuilles de laurier solutréennes d’Europe, dont la perfection et la dimension (25 à 35 cm) valaient probablement à leurs auteurs, il y a 20 000 ans, une reconnaissance sociale importante, voire une représentation symbolique de capacités hors du commun (voir, par exemple, Aubry et al. 2007). Les grandes pointes n’ont du reste peut-être pas représenté le seul marqueur technique fort de cette culture. On peut entrevoir une

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recherche d’exploit technique valant reconnaissance sur d’autres pièces, notamment en os de grand cétacé, animal souvent à forte valeur symbolique chez les chasseurs- cueilleurs maritimes. Ainsi, pour les pointes de sagaies de Ponsonby, massives et parfaitement rectilignes, qui, entières, devaient facilement dépasser 30 cm de longueur (Legoupil 2003d). De même, certaines pointes de harpons se distinguent, par leur longueur, du lot commun des harpons archéologiques, limités à 18-20 cm avant l’introduction d’outils métalliques modernes. C’est le cas, par exemple, d’un grand harpon très massif de 30 cm de long découvert en janvier 2008 à Offing (Figure 8, premier à gauche) : il fut non seulement très probablement réalisé sur os mandibulaire de cétacé, mais en outre décoré, ce qui est rare dans les sites à grandes pointes. On pourrait citer d’autres pièces comme ce harpon de 25 cm, récemment découvert dans un site daté d’environ 5 000 ans, à Bahia Valentin 11 (BV 11), dans le canal Beagle (Zangrando et al. s. d.) et qui porte des reliefs en bouton dont l’un au moins pourrait avoir une valeur décorative (Figure 8, deuxième à gauche).

FIG. 8 – Grands harpons des sites anciens et des sites de Offng (premier à gauche) et de Cabo Valentin 11 (deuxième à gauche).

Conclusion

46 Les grandes pointes bifaciales foliacées sont apparues en Patagonie dans un contexte culturel dont la stabilité technique, économique et, sans doute, sociale a souvent été soulignée, notamment pour les groupes maritimes au cours de la seconde moitié de l’Holocène (Legoupil 1992 ; Orquera et Piana 1999). La panoplie lithique et osseuse de ces chasseurs-cueilleurs est globalement la même durant des millénaires (des pointes d’armes, des grattoirs, des racloirs, des poinçons…). Les principaux mécanismes cognitifs techniques sont en place : la taille en percussion dure, en percussion tendre, la pression, le façonnage bifacial, l’exploitation des rognons selon une technique discoïde ou proche de la famille Levallois, un débitage laminaire (rare mais connu), etc.

47 Dans ce contexte technique relativement homogène, les grandes pointes présentent les caractères typiques d’une véritable tradition culturelle, révélés non seulement par les particularités de la structure opératoire de la chaîne de façonnage, mais aussi par l’analyse des objets eux-mêmes. Mais, pour atteindre ces traits diagnostiques, en rester au premier niveau d’analyse aurait été insuffisant, selon l’interprétation classique des

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degrés du fait de Leroi-Gourhan3. Ainsi la simple définition des grandes pointes foliacées ne suffit pas. On a vu que les pointes de Ponsonby, Lancha Packewaïa et de la dizaine de sites attribués à ce groupe ont permis d’identifier des critères diagnostiques personnalisés et donc culturellement pertinents (automatisme technique, standard morphologique, soin d’exécution, probable valeur sociale…). Il existe donc bien un type de pointe représentatif d’un faciès culturel que, par facilité, on serait tenté de nommer du nom du site éponyme, le premier découvert : Ponsonby. 48 Resterait à comprendre l’origine de ces pointes et le contexte culturel de leur apparition : emprunt ? invention ? Rappelons les facteurs qui pourraient expliquer cette innovation : la perte de l’obsidienne, par exemple, matériau si utilisé auparavant dans la mer d’Otway et la partie centrale du détroit de Magellan et qui disparaît vers cette période, pour reparaître ensuite (San Román et Prieto 2004) ; mais aussi le choix d’une nouvelle stratégie de chasse entraînant peut-être le besoin d’un nouvel équipement ; ou encore un événement historique comme l’arrivée d’une nouvelle population ou l’emprunt d’une nouvelle idée… 49 Ainsi, la disparition de l’obsidienne (quelle qu’en soit la cause) aurait pu entraîner le choix, par défaut, de la lutite et de la rhyolithe et, au-delà, l’émergence d’une nouvelle technologie, alternative, destinée aux armes de chasse et outils de boucherie. De même, l’importance prise par la chasse aux guanacos par rapport à l’exploitation des ressources marines, et notamment des pinnipèdes (sauf à Offing), pourrait également expliquer la relative pauvreté des harpons et le spectaculaire développement des pointes. Les besoins ne sont pas les mêmes dans les deux cas : un chasseur de guanaco doit avant tout tuer ou blesser sa proie qu’il traquera et poursuivra à cet effet. En revanche, un chasseur de pinnipède ou de dauphin doit, non seulement tuer, mais aussi retenir l’animal pour éviter qu’il ne coule, d’où l’importance fondamentale de la ligne qui fait que le harpon s’apparente autant à un hameçon qu’à une arme de jet. Si l’utilisation des grandes pointes est liée à l’exploitation des guanacos, la question qui se pose est de savoir pourquoi une population, à l’origine maritime, a adopté une économie de subsistance terrestre. Raison climatique ? Événement biologique ? Compétition territoriale ? Mais, si elle est d’origine terrestre, pourquoi ses techniques de chasse ne sont-elles pas identiques à celles des chasseurs de guanacos de la pampa continentale ou de Terre de Feu qui, rappelons-le, n’ont jamais fabriqué de grandes pointes de ce type ? 50 Enfin, il reste à s’interroger sur l’origine géographique de cette technologie. De grandes pointes bifaciales similaires, mais légèrement plus petites, sont apparues, depuis quelques années, au nord des archipels, dans la partie septentrionale des îles Guaitecas et dans la région de Puerto Montt-Chiloé. Les sites d’où elles proviennent, Piedra Azul (Gaete et al. 2004), Puente Quilo (Rivas et al. 1999 ; Ocampo et Rivas 2004) et Guaitecas 10 (Porter 1993), présentent des datations qui s’étalent entre 4 000 et 5 500 BP, ce qui les situe globalement dans le cadre chronologique de la culture à grandes pointes de la zone australe. En attendant que des recherches dans la partie centrale des archipels puissent éclairer les relations entre ces deux régions distantes de près de 1 000 km, seules de nouvelles analyses, tant sur le plan chronostratigraphique que morphologique et technique, pourraient permettre de mesurer le degré de parenté de ces deux séries et de juger de leur ancienneté relative. Encore faut-il se placer au bon niveau d’analyse : soit par l’observation des traits culturels diagnostiques révélés par les objets finis, soit par celle des chaînes opératoires de façonnage, ce qui implique une

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vision chrono-spatiale de l’ensemble des vestiges (objets finis, nucléus et déchets de fabrication) permettant une reconstitution qui va de l’acquisition de la matière première jusqu’à l’abandon des produits après consommation. 51 Pour résoudre le dilemme entre invention (ou plutôt innovation) et emprunt, il faudra donc mettre au jour une documentation archéologique de bonne qualité et des sites qui puissent tenir le rôle de jalons entre ces deux pôles. En attendant, on peut émettre l’hypothèse que les relations entre Chiloé-Puerto Montt et la zone australe étaient moins distendues qu’il n’y paraît et les frontières plus poreuses qu’on ne l’imagine généralement au vu de la grande distance et des difficultés de navigation dans cette région. La cristallisation du modèle des grandes pointes foliacées a pu se produire sans doute très facilement, le terrain étant favorable à l’émergence de ces objets spectaculaires. Depuis Leroi-Gourhan (1973, p. 394), on sait que l’on n’emprunte que ce qu’on était prêt à inventer : « […] l’emprunt pur n’est possible que pour un groupe dont le milieu technique possède déjà le moyen de le recevoir […]. Pour l’invention, la même condition s’impose : le groupe n’invente que s’il est en possession d’éléments préexistants suffisants pour fonder l’innovation. Une certaine identité se révèle par conséquent entre l’invention et l’emprunt […]. Dans nombre de cas, il y a fusion entre l’emprunt et l’invention ».* 52 * Manuscrit reçu en septembre 2008, accepté pour publication en septembre 2009.

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NOTES

1. Indios canoeros (« Indiens en canot ») est le nom communément adopté aujourd’hui pour les nomades marins des archipels de Patagonie et de Terre de Feu. Il concerne l’ensemble des ethnies (Chono, Alakaluf et Yamana) reconnues par l’ethnologie classique dont la division est aujourd’hui parfois contestée. 2. Pour le concept de « chaîne opératoire » de Leroi-Gourhan (1965) et de l’École française d’ethnologie, voir les historiques récents de Schlanger (2004) et Pigeot (s. d.). 3. « Les faits présentent des degrés de valeur différente et ce ne sont pas les caractères du premier degré, généralement liés à la tendance, qui sont les plus intéressants, mais ceux du second ou du troisième degré, proprement attachés au peuple ou au groupe de peuple dont le fait étudié est issu » (Leroi-Gourhan 1971, p. 30).

RÉSUMÉS

Les grandes pointes foliacées du type « Ponsonby » : un traceur culturel en Patagonie australe. De grandes pointes bifaciales foliacées très spectaculaires furent découvertes à Ponsonby en Patagonie australe, par Emperaire, il y a une cinquantaine d’années. La multiplication de ces

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découvertes dans toute une série de sites (plus d’une dizaine maintenant), nous amène à nous interroger sur la signification et la valeur épistémologique de ces objets. Au-delà de leur fonctionnalité, la mise en évidence de critères diagnostiques personnalisés (chaîne opératoire, automatisme technique, standard morphologique, soin d’exécution, probable valeur sociale…) fait de ces objets les marqueurs incontestables d’un faciès culturel. Ils sont donc les témoins privilégiés qui nous permettent de nous interroger sur leur origine (emprunt ? innovation technique ?) et de suivre l’évolution d’un groupe social représentatif des nomades marins des archipels de Patagonie au Ve millénaire cal BP.

Las grandes puntas foliáceas tipo Ponsonby : un marcador cultural en Patagonia austral. Hace 50 años Emperaire descubrió por primera vez grandes puntas bifaciales foliáceas muy espectaculares en Ponsonby, Patagonia austral. La multiplicación de tales puntas en toda una serie de sitios (actualmente más de una decena), nos lleva a interrogarnos sobre el significado y el valor epistemológico de estos objetos. Más allá de su funcionalidad, la puesta en evidencia de criterios diagnósticos personalizados (cadena operatoria, automatismo técnico, norma morfológica, cuidado de ejecución, probable valor social…) hace de estos vestigios los marcadores innegables de una facies cultural. Son pues los testigos privilegiados que nos permiten preguntarnos sobre su origen (¿préstamo? ¿innovación técnica?) y seguir la evolución de un grupo social representativo de los nómadas marinos de los archipiélagos de Patagonia en el 5° milenio antes del presente.

The large foliaceous points of Ponsonby type : a cultural marker in Southern Patagonia. Large and very spectacular foliaceous bifacial points were discovered in Ponsonby, southern Patagonia, about fifty years ago by Emperaire. The multiplication of this kind of discoveries in several sites (presently more than ten), calls into question the significance and the epistemological value of these objects. Beyond the question of their function, the description of personalized diagnostic criteria (« chaîne opératoire », technical automatism, morphological standard, very careful execution, social value…) makes these objects the undeniable markers of a cultural facies. That allow us to speculate about their origin (technical tranfer ? technical innovation ?) and to track the evolution of a social group representative of the maritime nomads in the archipelagoes of Patagonia during the 5th millennium BP.

INDEX

Keywords : bifacial point, cultural marker Index géographique : Patagonie, Ponsonby, Indios canoeros Thèmes : Archéologie, Technologie, Ethnologie préhistorique Mots-clés : marqueur culturel, pointe bifaciale Palabras claves : marcador cultural, punta bifacial

AUTEURS

DOMINIQUE LEGOUPIL

CNRS, UMR 7041 - Ethnologie préhistorique, Maison René-Ginouvès (archéologie et ethnologie), 21 allée de l’université, 92023 Nanterre cedex [[email protected]]

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NICOLE PIGEOT

Institut d’art et d’archéologie, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 3 rue Michelet, 75006 Paris [[email protected]]

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From the island’s point of view. Warfare and transformation in an Andean vertical archipelago

Tristan Platt

EDITOR'S NOTE

Manuscrit reçu en janvier 2008, accepté pour publication en septembre 2008. In memoriam John V. Murra (1916-2006) 1 I propose in this article to relate two theories, each of which has given rise to extensive debate but has not yet been integrated with the other. One, the « vertical archipelago », is considered almost diagnostic of Andean economic organization, and is supposedly irrelevant to the Amazon (see, however, Uzendoski 2004). This was one of the late John Murra’s characteristic themes: he analyzed the « vertical control of a maximum of ecological levels » in Andean societies whose nuclei of power were situated at different altitudes, and sought to understand the sociological and political implications of the « multi-ethnic » organization of distant resource-niches (Murra 1975 [1972], 2003 [1973]; Masuda, Shimada and Morris 1985). The other topic, that of human-animal transformations, has been developed strongly in Amazonian studies, although with little recognition of its possible resonances in the neighbouring Andes. It deals with the « ontological instability » of the frontier between animals and humans at the temporal and social margins of human society (see e.g. Viveiros de Castro 1998). The transformation of warriors and shamans into animals (whether wild, khuru, or domesticated, uywa), and their oscillation between the human and the animal, can also be found among Andean shapeshifters, both in the mythohistoric past and in the present.

2 To relate these two themes, I draw on ethnography carried out during 1970-1971 with the Macha ethnic group (Northern Potosí, ). I show the transformations that occur in practices of alliance formation and the choice of enemies when highland

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populations send out colonists to settle in the warm maize-producing valleys below. But to explain the new perspectives on violence that emerge in the valley « archipelago », we must situate these settlers within the wider horizon and ethos of regional warfare. In Macha, as elsewhere in the North of Potosí, warfare and the warrior ethic permeates traditional society; but there is an important difference between « balanced competitions » (tinkus) and « unbalanced destruction » (ch’ajwas). I have elsewhere suggested that the imposition of the pax incaica meant transforming ch’ajwas into tinkus, thus restricting open warfare and encouraging the emergence of competitive « games » (pujllay) at regular points in the ritual cycle (Platt 1987a). Of course, it is not always certain, even today, that a tinku may not become a ch’ajwa, particularly if celebrated away from the parish capitals in the open countryside. But the oscillation between tinkus and ch’ajwas is not simply a matter of more or less violence; a tinku may throw into relief the underlying social conflicts and contradictions between ayllus and moieties and, more broadly, between Indians, mestizos and the State; but a ch’ajwa may seek a radical transformation of these relations between individual, community and the wider society. I suggest, moreover, that we try to relate changes in societies’ ideas of the relation between animals and humans to historical events, with the aim of bringing history back into discussions of transformationalism, as I shall propose in the conclusion. 3 The article therefore argues for the value of expanding both Amazonianists’ and Andeanists’ universes of reference towards each other, and towards South America as a whole. Such an anthropology sees structural transformation and phenomenological perception as the outcome of collective and personal histories; and it is this approach that Murra lived, practiced and urged us to follow.

Translocation and transformation

4 Crowned on the high puna by specialized pastural societies reaching up to 4500 msnm (Flores 1979; Dransart 2002), the unique geo-ecological features of the tropical Andean environment were surveyed by Carl Troll (1968), who drew attention to the high- altitude resources which had made possible the development of Andean civilization. Following Troll’s lead, in the 1960s Murra encouraged interdisciplinary research into the vertical organization of Andean societies of varying scale, with centres of authority situated at different levels of altitude. Highland societies, for example, with their ancestral devotions, cold puna agropastural economies, and sacred geographies, had chosen to re-adapt themselves through settlement to new conditions at lower, warmer altitudes; yet settlers below still retained access to cold puna lands and resources through their highland kin, with whom they shared ethnic affiliations.

5 Murra coined the metaphor of the « vertical archipelago » to characterize the society emerging from the intermingling of colonists from different groups at the limits of their core societies’ political reach, both upwards and downwards, and on both Pacific and Atlantic sides of the Cordillera. Settlers were seen as living like « islands » in « multi-ethnic » neighbourhoods alongside other « islands » placed there by other groups1. And he saw the resettlement of populations, or mitimaes, by the Inca State as a transformation of the « vertical » model, in which the ideal of maximizing each society’s resource base was transcended by State economic, military and political strategies (Murra 2003; Saignes 1985; Presta 1995)2.

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6 Murra argued that his model was also applicable to periods « immediately prior » to the emergence of Andean States, constraining the form of their development. For these « intermediate periods » between successive State formations, he predicted the discovery of a « network of contradictory claims, temporary adjustments, tensions, struggles and truces between various regional nuclei who shared the same ideal [of verticality] in a stage immediately prior to the formation of the archaeologists’ “horizons” » (Murra 2003, p. 91)3. But the ways in which these conflicts were experienced, balanced and provisionally resolved has remained obscure. 7 The Macha ayllu today speaks a dialect of Quechua, considerably influenced by Spanish and Aymara, but is derived historically from the leading social unit in the pre-Hispanic Aymara-speaking federation of the « White Charka », or Qaraqara, one of the largest societies within the Inka « Province of Charcas » (to the south of modern Oruro). Macha continued to exercise considerable political protagonism during colonial and Republican times (Platt, Bouysse-Cassagne y Harris 2006; Serulnikov 2006; Platt 1982a, 1987b). Moreover, we now have evidence that the local « archipelago » of San Marcos de Miraflores, where I lived in 1970-1971, had persisted, with remarkable continuity on the ground, since well before the late 16th and early 17th centuries, when it was observed and described by early colonial land Inspectors (visitadores)4. 8 Part of my argument concerns the language we use to talk about « vertical social organization ». Murra’s own phrase, the vertical « archipelago », is a powerful metaphor for emphasising the interdigitated pattern of discontinuous territoriality5, but it may also screen out alternative ways of imagining the situation. It seems to imply a sea with a group of islands at some distance from the nearest continent. But where is the « sea »? Does it represent the land-limits between neighbouring ethnic « islands »? Or the transitional « middle region » (chawpirana), which settlers from the highland « continent » must traverse to reach their valley lands? And how are we to understand situations where, as in the Macha valleys, lone households belonging to one group, or ayllu, may be surrounded by a group of houses belonging to another? As « little islands » within « larger islands »? The picture becomes complex… 9 How, then, is « verticality » spoken about in Aymara and Quechua? What other linguistic expressions are available for expressing the social relationships behind the archipelago metaphor? We will consider two « metaphors people live by » in the Andes (to use Lakoff and Johnson’s suggestive phrase): weaving and vegetable reproduction6. In 1985, Olivia Harris suggested comparing North Potosi spatial organization with the organization of woven space revealed by Cereceda’s work (1978) on design complementarities in the weavings of Northern Chile (Isluga). Harris argued that North Potosí farmers living at the highest levels of settlement tended to have their valley lands in the lowest regions, while those living in the « middle region » (Que. chawpirana; Aym. taypirana) between puna and valleys could extend upwards and downwards within relatively easy reach of their nuclear settlements. She compared this distribution with the spatial grammar of geometric textile designs, as revealed by Cereceda, where the symmetrical bands on the opposite ends of rectangular pieces of cloth are contrasted with the fertile band, or « heart », located at the centre of the design. The climatic gradations from high to low within the chawpirana were compared with the chromatic degradations (k’isa) that may mediate between two opposing colours in the « heart » of Isluga textiles. Harris did not discuss the « archipelago » settlement pattern, and her emphasis on the relative self-sufficiency of the centre has still to be demonstrated

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ethnographically in North Potosí (see Mendoza and Patzi 1997 for further data); but the idea of social cloth is reiterated in the Quechua and Aymara imagery of « island-hood » to be found in the Macha valleys. Indeed, one valley « islander » I spoke to likened his precarious situation to that of a « snapped thread », a vivid image of separation and difference which captured both his distance from his puna ayllu-mates and his isolation in relation to his valley neighbours. 10 Another form of expression for vertical settlement can be derived from processes of vegetable reproduction. Two mallki – paired shrubs which embody an apical couple – can be found in several ethnohistorical contexts (see, for example, Pachacuti Yamqui Salcamaygua 1993 [1613]). They reappear in Macha today as the two sprigs of evergreen pepper-tree (molle) placed at the head of ritual « tables » (mesa/misa = altar/mass) as symbols of perennial fertility; and also, merged, as the trees that grow in front of churches in the squares of early colonial Indian towns (reducciones), and whose divided male-female roots are said to reach out to sustain every household in the parish (Platt 1978; 1996a, note 15). While drawing diagrams of the valley and puna segments of vertically connected kin-groups, I wondered how their respective household « roots » (saphi), believed to connect locally with these trees and towers, might also be connected across the intervening slopes of the Eastern Cordillera. A possible solution was offered by a Macha acquaintance, who told me that mallki was the name in Quechua of « plants that send out other plants ». Could vertical links be imagined as subterranean root systems (suckers), or as the « runners » of strawberry-plants? Had settlers to « re-root themselves » as valley islands, after being sent down from their parent kin-groups on the puna7? 11 In this article I show how settlers descending from the puna, while replicating their social organization at lower levels of settlement, also introduce modifications in the valleys arising from the compressed coexistence of different levels of social segmentation within a shared space. These adaptations of highland organization are surprisingly systematic, while at the same time they give rise to situations of ambiguity; yet they have enabled « islands » with multiple affiliations to coexist within these intermontane valleys and render them habitable. 12 Another important feature of the region is a long tradition of warfare between neighbouring groups at different levels of segmentation (Platt, Bouysse-Cassagne and Harris 2006). However, the islands’ identification of enemies and allies, of those who can be fought and eaten as opposed to those with whom one shares battle-lines and commensality, is, as I have suggested, significantly different from the identifications made on the puna. Other ayllus of the same moiety would be considered allies on the puna; but they may be recategorized by valley islands as enemies. Equally, ayllus of the other moiety, considered enemies on the puna, may become allies in the valley archipelago context. The polar opposition between moieties (Anansaya and Urinsaya, « upper » and « lower halves ») thus becomes mediated by degrees of intermediate experience, leaving open a range of ambiguous social definitions which characterise vulnerable valley islands. An analysis of these differences between highland and lowland alliance formation will lead us into the heart of the vertical archipelago. 13 As is well-known, today ritual battles, or tinkus, occur all over Northern Potosí, generally in towns or villages, and associated with the dates of different Catholic fiestas. These battles are, among other things, rituals of confirmation of different groups’ access to land; alliances are tested and tried; and individual men may present

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themselves as fierce bulls that battle together to show their prowess, each rivalling the other with drunken shouts of turu kaniy, carajuuu! « I’m a bull, shiiit! » Fights generally occur under the vigilance of the town authorities in the squares and at street-corners of regional towns and parishes (Platt 1987a; Harris 2000). In the puna town of Macha, the participants are generally from the two opposing moieties; but, further down the eastern side of the Cordillera, the moieties may unite to present a united Macha front to a neighbouring ethnic group which shares the same parish jurisdiction (e.g. when fighting with the Pocoatas in the chawpirana town of Surumi). Still lower, these groups may in turn ally against a rival alliance (such as K’ultas and Macha Anansayas against Macha Urinsayas in San Marcos de Miraflores; or Machas and Pocoatas against Laymis and Purakas in the old red-pepper and cotton producing town of Carasi). As one descends, the local representatives of more embracing classifications may suspend hostilities and become allies against a rival bloc. 14 In contrast, the more ferocious confrontations known as ch’ajwa occur far from the watchful eyes of mestizo authorities, the police, the military, and – today – thrill- seeking tourists. If tinkus are a violent game (pujllay), these other battles in the depths of the mountains are seen as serious warfare; even seasoned warriors become apprehensive. Here the male members of ayllus or moieties may range themselves against their opponents in battles over land-limits, resorting to slings, arson, gang- rapes and sometimes guns; behind the lines they may be supported by singing women who prepare chicha against their return. In puna ch’ajwas, where lines of warriors may confront each other with slings or fall to grappling hand-to-hand, men are sometimes said to take the shapes of wild animals (khuru): the frontiers between humans and wild animals become blurred and unstable. Transformed into bears (jukumari), owls (juku) or pumas (puma), predatory aggression by warriors who have become wild animals replaces their transformation during tinkus into the fiercest of domestically-reared animals, fighting bulls. 15 The social, symbolic and ritual identification of Indians with domesticated animals (uywa) during peacetime is well-documented throughout the region (Abercrombie 1998; Stobart 2006). In rituals accompanying the fiesta of Corpus Christi in the valley town of San Marcos, men don the carrying bags of llamas (kustalas, Sp. costales), or the skins of sheep and goats; or they may become yokes of man-bulls (all are called collectively jañachus, or « stud llamas »). Meanwhile local mestizos act out the parts of foxes or pumas, who attack the Indians playfully, and try to steal their animal skins in a burlesque representation of local relations of power (Platt 1996a). The traditional élites of rural society – hacendados and dominant mestizos – embody natural powers, animals and birds, but also metereological threats. As patrons of lightning and thunder, for example, they are said to ride through the clouds with silver bits and stirrups, letting off their guns, or arquebuses, whose bullets streak to earth as thunderbolts (balas), sacralizing « places » and initiating male shamans and female midwives into the preconditions of their arts (Platt 1996b, 2001; Platt and Quisbert 2007). The ayllu is the locus and refuge of sociality, cultivation and domestication; whereas wild places, animals and other natural phenomena are potential sources of sacred power associated with other kinds of « people » beyond the ayllu8. 16 In ch’ajwas, however, the normal order of things is destroyed as people battle to incorporate disputed territory into their jurisdiction. Transformed fleetingly into wild animals, warriors acquire sacred power, and may tear their enemies apart, drink their

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blood and eat certain organs – tongue, liver, heart, testicles, etc. – in acts of frenetic exocannibalism. In so doing, it may be said that they resuscitate the ambiguous role of wild animals during the feral chullpa age, the mythic « unquiet time » (inkyitu tyimpu) of the moonlit ancestors before the rising of the Inka-Hapsburg Sun, when wild creatures could become humans, and humans wild animals (Platt 1978, 1996a, 2001; Stobart 2006). This is the time called by Guaman Poma the « Age of the Warriors » (awka runa or aucuruna), and it is situated before the arrival of the Inkas, coinciding with the Late Intermediate period described by Murra and others as one of extreme social tension and instability. The fluctuating identities of chullpas during this « lunar age » of warfare and enmity are reminiscent of the violence and anarchy of the ch’ajwas, when order and frontiers are similarly suspended and disputed, and the preconditions for peaceful coexistence break down. Social relations are dissolved as the ambiguous identities of chullpa animals re-emerge, and the shamanic capacity for transformation is acquired by the fiercest warriors in each army9. In ch’ajwas, activities in present time resuscitate mythic past time. In a sense, these battles may even be said to take place « out of time » and « out of society », re-enacting mythohistorical relationships that continue to underly and sustain the formation of the present social age. Yet from another perspective, they can be dated and related to the history of local, and even national, political relations. 17 It should be remembered that, today, wild animals such as the puma are said to be the mountain shepherds (awatiri) of domesticated animals, at the same time as they prey on them and consume them as food. In their wild animal transformation, equally, warriors attack and consume their enemies, who thus become domesticated animals which fall victims to feral predation. As humans, however, warriors may be said to sacrifice their enemies, pouring their blood on the ground as appeasement for hungry and angry earth deities, eating their vital organs, but burying the remnants (especially skulls, or kawisas, Sp. cabezas) as offerings to feed and placate the hungry hills and mountains. This may suggest one reason why it has always been difficult to distinguish between the sacrificial and predatory aspects of Andean warfare. 18 It is within this wider context of cosmic confrontation, of warfare as « play » and as destruction, that the « confused » valley situation represents an important and little- understood situation of mediations and attenuations. While part of the wider Macha religious and social universe, it has distinctive characteristics of its own, which confirm the intuition which Murra brought to bear upon the instabilities, temporary alliances and conflicts that marked the « multi-ethnic archipelagos » of the Late Intermediate, places of inter-ethnic mixture and juxtaposition at the further reaches of Andean societies’ power to colonize and share distant ecological niches.

Approaching the Macha archipelago

19 Puna llama-herders travel down to the valleys each year, generally between April and September, to take part in exchange relations with kin and other exchange-partners in the old colonial parish (doctrina, reducción) of San Marcos de Miraflores, most of whose population was (and, to some degree, still is) connected with landed groups and kin- networks up on the distant puna around San Pedro de Macha10. It takes two weeks to travel down with llamas from the puna to the valleys, and 3-4 days without llamas. Andean peasants inhabit their environment by traversing it, and disputing it in the

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process of transforming it. Access to paths and common pastures is generally permitted to travellers in times of peace; only when conflicts over land have established opposing battle-lines, stretching over hills and valleys and guarded by « sentinels » (sentinelas), may passage be regarded as a provocation. Travel between puna and valleys maintains a network of rural footpaths (chaki ñan) which criss-cross Macha vertical territory. These are marked at intervals by shrines and ceremonial sites related to passes () or to striking features of the sacralized landscape. At the entry to the valleys, the trail passes between two great peaks, one for each moiety, where the puna authorities used to sacrifice and pour libations to ensure the fertile relation between lowlands and highlands. Here we find traces of a formal ceremonial relation between puna and valley, and a « rite of passage » between them11.

20 From the valley point of view, relations with their puna kin are experienced with considerable ambivalence. Some say that « robber mountain-spirits » (suwa jurq’u) from the puna may come and eat up their maize in a storm of hail, unless scared off with explosions of dynamite. In their seasonal visits, llama-herders may bring exchange goods with them: salt, clay and ceramics, and other mineral resources, as well as highland herbs and coca-leaf (a lowland product bought in highland market-places); but there is still debate as to whether valley maize-farmers are the complementary partners of the puna llama-drovers, or whether the latter are exploiting valley residents by carrying off their maize12. After the biggest tinku on the Macha puna at the fiesta of the Holy Cross (May 3rd), which takes place in the old colonial town of San Pedro de Macha, puna llama-herders (llameros) set off for the distant valleys, where the biggest valley tinku is held a few weeks later in San Marcos de Miraflores at the feast of Corpus Christi, with the participation of both highland and valley ayllu members13. Llama-herders may be absent for three or four months before returning with their llamas loaded with maize, which will see them through the growing season before the early potato crop appears in February or March. It is then the task of the women, as controllers of the larder (dispensa), to ensure that the maize supplies stored in the sacks and granaries (pirqa) « last out » (muchuy, or awantay cf. Sp. aguantar) until next year’s food becomes available. 21 Land in the Andes is a vulnerable resource in constant need of labour, both in its preparation and cultivation, and in its administration, defense, ritual nourishment and ceremonial propitiation. Warfare itself is sometimes conceptualized in terms drawn from the organization of labour (e.g. chuqhunaku, where many people set on a single victim, derived from chuqhu, collective labour effort convened by a single beneficiary, and the Quechua interactive suffix -naku). Local activities are combined with negotiations with higher levels of organization and, ultimately, with local and regional representatives of the State, which since the late 18th and 19th centuries has been eager to privatize land and abolish collective claims. At the same time, the trappings of an older reciprocal arrangement are maintained: the exchange of service and tribute for protection and land, as developed between Aymara lords and tributary vassals since the Inka and early Hapsburg States in the 16th century (Platt 1982a, 1984, 1996a; Platt, Bouysse-Cassagne and Harris 2006). It may be inferred that these marginal expressions of State-community relationships (tribute-payment, provision of postillions, labour services, etc) are characteristic of a different, older kind of State from that which, in Republican times, has sought land-privatization, the creation of a land-market and a new land-tax based on the formation of a Catastro. Prestations for what I have called

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the Inka-Hapsburg State, it may be argued, are still being made at the margins of the expansive thrust of the new post-Enlightenment form of liberal State. 22 I have elsewhere discussed how Macha ayllu-members explained to me the segmentary principles behind the formation of their military alliances (see Appendix; also Platt 1978, 1996a). But discrepancies emerge when we compare this ideal account with patterns of residence and social affiliation on the ground. Whereas parts of the segmentary model may be trotted out by Macha peasants to explain why different groups ally and confront each other, an examination of specific contexts of alliance and opposition reveals a more confused and complex picture. Nowhere is this confusion greater than in the valley « archipelago » of San Marcos de Miraflores (see Figure 1).

FIG. 1 – Distribution of Macha lands in San Marcos de Miraflores (map drawn by Graeme Sandeman).

23 Macha society is divided, today as in the 16th century, into four main segmentary levels, and at each level the term « ayllu » can be applied: so we find ayllus within ayllus within ayllus within… Insiders and outsiders are relative statuses: enemies at one level in the hierarchy are friends at another level. The maximal level of the Macha ayllu is divided into two gendered moieties (Alasaya, « male upper » and Majasaya, « female lower »); ten minor or « child ayllus » (churi ayllu), five in each of the moieties; and a variable number of cabildos or minimal ayllus which today have replaced the decimal pachaqa, or « hundreds »14 – probably an Inka innovation – referred to in the 16th century sources. Most cabildos have land both on the puna and in the valleys15. Clearly, given this hierarchy of nested identities, several answers can be given to any question about a person’s identity, residence or ayllu membership (Platt 1978).

24 Dispersed over each cabildo’s territory lie the patrilocal hamlets (estancias, or ranchos) or isolated homesteads of the indian peasants. In the puna section of each cabildo the territorial group is made up of several named hamlets and their lands; and each hamlet is composed of the descendents of one or more ancestors recognised and assigned a

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land-holding (tasa) during the last Government-sponsored inspection (Revisita) in the last decades of the 19th century16. Possession of a tasa confers rights to a share in the highest common lands (mantas) 17, cultivated in a 3-4 year cycle of crop rotation, and then left to fallow over long periods. Landholders’ need to coordinate rotation cycles and agree the moment for opening a new bloc of fallows underlies the tendency towards nucleated hamlets to be found on the puna. Indeed, mantas are found mainly on the puna (patarana, chirirana: « high » or « cold » region), and competition over a choice, well-rested bloc of fallows is a common pretext for inter-ayllu warfare (ch’ajwas) (Platt 1982b). 25 But in the warm lands (urarana, q’uñirana: « low » or « hot region »), each farmer lives in an isolated dwelling surrounded by his maize-plots. Here, a family’s local tasa may consist of several plots scattered between a range of local microclimates, from the higher levels (patarana) and middle hillsides (chawpikinray) down to the riverbeds (mayurana, « river region »)18. The differences of settlement pattern in puna and valley reflect differences in the agricultural system of each « production zone » (Mayer 2004); and it is clear that the isolated valley pattern is more compatible than puna hamlets with the emergence of individual « islands ». 26 How does ayllu segmentation relate to the actual alliances and oppositions entered into by Macha peasants? A dispute between two groups at the same level, but each belonging to different higher-level groups, should (I was told) produce the fusion of all those groups on each side that share membership of the same higher-level group (Platt 1978). This would mean that people not directly involved in a local confrontation may be expected to come to the assistance of those in the same structural category as themselves, in exchange for reciprocal support in their own local conflicts. But this pattern is not followed consistently, partly because of increased localization within the State administrative system19; and partly because, while the « segmentary imperative » is part of a Macha theory of their own social organization, it does not « account for » all the ambiguities of real-life situations. 27 Finally, although documentary evidence shows that the moieties and minor ayllus of Macha have remained unchanged in name and number since the 16th century, the cabildos seem to be more flexible. They sometimes split and regroup, appear and disappear, according to local demographic and political pressures. Indeed, institutional flexibility at this level may underlie the greater degree of stability at the higher ayllu levels (Platt 1982b).

Neighbourhood solidarity and shifting affiliations

28 Isolated households on the internal frontiers of Macha valley organization must strive to conserve access to their land in the face of pressures from dominant neighbours with different vertical affiliations. These solitary « islands » represent a limit case in Macha society, and their situation differs significantly from that of the large cabildos and minor ayllus on the puna. Indeed, they must sometimes suspend their moiety affiliations, where these conflict with those of their dominant neighbours, as a concession to the need for neighbourhood solidarity. So, in the valley, the ayllu and moiety membership of the occupier of an island may be attenuated, inverted or « exchanged » to secure his/her access to an isolated parcel of land.

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29 Murra’s « archipelago » formation can be recognised at once in Figure 1, which shows the vertical affiliations of each « island » I was able to identify in the Macha valleys. A word of explanation before looking at the social relations involved. When I first went to live in the Macha valleys in 1970, I had no idea of the scale of organization in which local peasants were involved. There were no previous ethnographic studies anywhere in Northern Potosí, and it was only after several weeks that people’s historic relations with the distant puna began to dawn on me. One day, three months after my arrival in San Marcos, I was told how the Machas and two other maximal ayllus, the Pocoata and the Laymi, had begun their descent from the puna, and reached Carasi. Carasi is a neighbouring Canton further down the rio Grande, or , where red peppers, squashes, cotton and sugar-cane can be grown20, as well as maize, and where these three maximal ayllus possess territorial « islands ». But in Carasi the sandals of the Laymi broke, while the Pocoata and Macha continued their descent, finally reaching many leagues away in the Department of , where the boundary- stone of « the Charcas » can still be found21. Alerted in 1969 by John Murra to the importance of vertical organization in the Andes, I pricked up my ears and began to wonder about the social and symbolic implications of what I was hearing. 30 But the accounts of Macha « vertical organization » which I received in the valleys at first seemed confused and inconsistent. Some people told me that there were actually twelve ayllus22, although by the time I left San Marcos after Corpus Christi in June 1971 I had collected the names of many more local social groupings than twelve… Others asserted that there was only one kuraka for both moieties on the puna, a possible reference to the ancient alternation of overlordship between the two moiety chiefs (see Platt, Bouysse-Cassagne and Harris 2006), or to the effective survival in the 1970s of only the Alasaya curacazgo. Still others used ayllu or cabildo names as toponyms, or used toponyms to designate social groups; and the levels of contrast were confused in relation to the segmentary model. Indeed, before going to the puna I did not understand the distinction between a minor ayllu (or churi ayllu = « child » ayllu) and a cabildo (or minimal ayllu), for it was seldom relevant to valley alliance-formation. 31 The « Yuqhunas », for example, dominate the central area around the town of San Marcos itself (see 21 on the Figure 1). They are considered equivalent to other groups, such as the « Amutaras » (7), or the « Lluchhus » and « Chaytas » (2, 3). It was only on the puna that I was told that the Yuqhunas were a cabildo of minor ayllu MajaQuyana, that Amutara was in fact the name of a mountainside opposite San Marcos where the cabildo Yuraqari (minor ayllu AlaQuyana) had its valley lands, and that Chayta and Lluchhu were valley parish annexes where the cabildos of Ayuma, Pichichhua and Pumpuri (also of AlaQuyana) had their valley lands intermingled. Toponyms and different levels of organization, usually distinguished on the puna, were being mixed in the valleys to designate the social contrasts relevant to life in San Marcos. 32 Again, on another occasion I was told that the Waraqhatas (11, 12) would be fighting against the Yuqhunas (21). Only when I reached the puna did I realise that, though demographically balanced in the valleys and hence considered equivalent fighting partners, the two groups in fact belonged to different levels of segmentary organization: a churi ayllu name was being considered equivalent to a cabildo name. My perspective in the valley was also affected by the fact that I lived in Yuqhuna in an abandoned thatched-adobe hut (built as a school and twenty minutes walk from the ruined town of San Marcos). I was being presented with those contrasts of social

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membership particularly relevant to my status as resident of Yuqhuna; and I found that, similarly, most peasants often « know » only those aspects of social organization that directly concern them23. 33 Figure 1 therefore gives information collected in the valley, but supplemented with glosses in the light of the tributary system explained to me later on the puna. This has the advantage of allowing a more precise identification of each local group. But not all this information was considered relevant, or even known, by all valley-dwellers all the time. Local features of organization were developed and reproduced for most of the year with little need to take account of the formal segmentary model preserved in the puna kurakas’ tribute lists. And in some cases, the dispersal of minor ayllus in the valley had led to the appearance of contrasted groupings not recognised at all in the general puna model. The Wakhuatas of Wilakota (35), for example, are contrasted in the valley as jatun wakhuatas (« greater Wakhuata ») with those of Ilili and Sikuta (36, 37) who are called churi wakhuatas (« child Wakhuata »). Again, the Sullkhawis of Chhari-chhari and Ichurata (9, 8) are respectively distinguished as juch’uy and jatun (« lesser » and « greater »). From a puna perspective, such local contrasts are not perceived to be part of the general organization of Macha society, although similar contrasts are also built into local puna forms of self-identification24. 34 One dominant contrast, however, appears to be shared by both regions: the two moieties, theoretically endogamous, are opposed in many ways, but especially by the violent hostility which flourishes between them during tinkus and ch’ajwas. All Macha folk can be classified by themselves and others as either Alasaya (« upper half ») or Majasaya (« lower half ») (see Figure 1). It is a surprising feature of valley society that even this all-embracing opposition becomes blurred and problematic when we observe the vulnerable and contradictory position of many « island » enclaves. 35 Let us consider cases where Alasaya « islands » are surrounded by a Majasaya neighbourhood, and vice versa. How can this heterarchic, unequal situation be maintained? Note first the different levels of segmentary organization at which an island may be contrasted with its neighbours. 1. An island of one moiety may be nested inside the other moiety; e.g. Sullkhata (Majasaya; 33 on the Figure 1), inside Sullkhawi (Alasaya, 28); or Kuimuri (AlaQuyana, 5) inside Yuqhuna (MajaQuyana, 21). 2. An island of one minor ayllu may lie inside another minor ayllu of the same moiety; e.g. Taphunata (15) inside Sullkhawi (28), both of Alasaya; or Kunthawata (4) inside Yuqhuna (MajaQuyana, 21), both of Majasaya. 3. An island of one cabildo may be set inside another cabildo of the same minor ayllu; e.g. Kunthawata island 13 inside Kunthawata island 31 (precise identifications uncertain). 4. One group comes from a different maximal ayllu altogether: the K’ultas of Llanquiri (1) inside the Macha AlaQuyanas of Chayta and Lluchhu (2, 3). Here the island/ neighbourhood contrast occurs at the level of the maximal ayllus involved. 36 We can appreciate the complexity of a situation sometimes glossed simply as « multi- ethnic » in the ethnohistorical literature on archipelagos and their « islands ». In fact, vertical affiliations combine with the segmentary system to establish several degrees of social contrast between different « islands » and their surrounding neighbours, and this continues down to levels well below the maximal level of ayllu contrast. The question that now arises is how these subtle gradations of contrast between islands and neighbours at different levels can be reproduced over time. Here it will be useful to distinguish between those social relations which pertain to the local neighbourhood, and

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those expressing the vertical affiliation of each household to its kingroup, cabildo, ayllu and moiety on the puna25.

37 Let me now present four contexts where the vertical ayllu affiliations of each valley household take clear precedence over membership of the local neighbourhood: 1. Tribute payments. Payment ceremonies (also called cabildos) are held in the valley and are attended by all the scattered representatives of each territorial cabildo and minor ayllu within San Marcos. As a rule, the cabildos for the St John semester are held in the valleys, since much of the puna population are also in the valleys at that time (June 21st), engaged in exchanging salt, chuño (freeze-dried potato) and other highland produce for the maize they need to survive the puna growing season. Each cabildo is sponsored by a cobrador (collector) named by turn for the year, who must provide the chicha, coca and alcohol for the ceremony. Here, as we have seen, the tribute-paying ceremonies act to bring together the scattered members of each social group, whether they are normally resident on the puna or dispersed among different enclaves in the « mixed-up » valleys26. 2. Vertical exchange. Between April and September each year, the llama-trains descend from the puna across mountains and through gorges, along river-beds and down ravines, crossing passes between descending mountain peaks, until they reach the warm maize-producing valleys where they can engage in exchange relations with their kin, ayllu mates or other trading partners. This is the classic rationale for vertical affiliations, and has been well described for Macha by Cassandra Torrico (n. d.), who shows how the stripes on the woven bags in which the llamas carry their loads themselves symbolize the major exchange products of each zone, propitiating successful transactions and the acquisition of sufficient food (especially maize) to last through till the following year. 3. Corpus Christi. In May or June, all puna visitors come together in San Marcos with their valley comrades to participate in the great moveable feast of Corpus Christi (or, in the case of the K’ultas of Llanquiri, San Pedro on June 29th). Here, the maize harvest is celebrated with a Mass dedicated to the Host (the solar body of Christ), and offerings are made to propitiate a successful year ahead. A massive tinku also takes place, in which puna visitors and local residents are expected to combine according to their ayllu and/or neighbourhood affiliations (Platt 1996a). 4. Vertical duties and services. Security of landholding also requires the performance, in the name of one’s moiety, minor ayllu and cabildo, of certain labour services to the State, of which the most important in colonial times was the mita service in the silvermines of Potosí (Saignes 1985; Tandeter 1992; Platt 1983). Households enjoying access to land in both ecological zones were also expected to take part in sponsoring religious feasts in each zone, and to serve as tribute collectors (cobradores), alcaldes and couriers. A courier service was maintained until 1972 in the tambo (inn) of the town of Macha on the puna, where travellers were provided with food and lodging (each moiety had its own kitchen garden): landholders of puna and valley would be named in turn to perform this task27. Similar obligations were expected of the valley K’ultas, who in 1971 still performed their postillion service in their puna town of Santa Barbara de K’ulta, Department of Oruro28. 38 This list is not meant to be exhaustive, but it illustrates a range of contexts in which vertical affiliation is paramount. For much of the year, however, neighbourhood issues predominate over vertical considerations, and islands with a different vertical affiliation from that of their engulfing « hosts » must find some modus vivendi to ensure their own survival. To see how this is achieved, let us consider some specific cases: 1. Island 4 is an isolated Sullkhata (cabildo Juluch’i) who was well aware of his conflictive position surrounded by Yuqhunas (minor ayllu MajaQuyana, 21), even though both minor ayllus belong to the same moiety of Majasaya. This was the man who said he was p’iti-jta-sqa (where p’itiy means « to break or snap (a thread) », /jta/

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is an Aymara affix expressing the idea of « sudden separation », and /sqa/ here indicates the past participle). The image belongs to the vocabulary of spinning and weaving, and confirms the metaphor for geographical organization which Harris derived from Cereceda’s work on textile design. The island-dweller represents himself as a « broken thread » in the supposedly smooth weave of neighbourhood and moiety organization. This condition has consequences for his choice of allies and the identification of his enemies. Hence he spent the May 3rd feast of Father True Cross, Tata Wilakrus29, sometimes with the Yuqhunas and sometimes with the nearby Sullkhawis (9) from the opposing moiety of Alasaya. Tata Wilakrus is the name given to big wooden crosses, painted with fertility symbols and housed in little chapels (calvario) generally built on the tops of small hills in each neighbourhood. They are the male partner of the virgins (wirjinas) who reside in the nearby fields. For the feast, they are dressed by each local congregation in a poncho and helmet, with a coca-wallet and woven belt (chumpi). Then each is carried on a warrior’s shoulder amidst the local group of helmeted indians, whose julajulas (panpipes) intone something like a Gregorian chant to the strict rhythm of a long-paced military march from the hamlet to the parish church. Here the Tata Wilakrus will hear mass and preside over the ritual battle (tinku) at the end of the fiesta (Platt 1996; Stobart 2006 on the music and dances of warfare). By joining on certain occasions with the enemies of the Yuqhunas, this isolated Sullkhata therefore showed his own insecurity, and his willingness to seek support from both moieties whose lands are close to his own, either of whose Holy Crosses may provide fertility and protection for his land. 2. At Carnaval, the two moieties Alasaya and Majasaya form two different and opposed ceremonial groups, except for the islands, who again join with the group dominating their neighbourhood to celebrate another local fiesta marking the transition from the wet growing season to the dry season’s time of maturation and harvest30. 3. Island 5 belongs to cabildo Kuimuri of AlaQuyana (Alasaya). Its occupier found that living surrounded by Majasayas (cabildo Yuqhuna, minor ayllu MajaQuyana) was such a strain that he decided to let his lands to a tenant from Majasaya (minor ayllu Wakhuata, 5) who might be expected to have more relaxed relations with the dominant local group. 4. The new Majasaya tenant, however, felt obliged to take the part of the Alasayas in the tinku, since they were the moiety who collected the tribute corresponding to his new land. Change of ayllu generally involves fighting for one’s new group, and the new tenant aimed to change his loyalties and assume his new obligations to the Alasaya moiety in order to consolidate possession of his land. But the neighbouring Yuqhunas thereupon beat him up. The tenant then changed his tune, and claimed to be on the side of the Yuqhunas (Majasaya moiety), although the owner of the plot continued to pay tribute at the cabildo of the Kuymuris (Alasaya). The tenant began to fight on the side of the Majasayas, and even lectured the inhabitant of island 6 (a fervent AlaQuyana loyalist) on the need for local solidarity with the Majasayas. This new posture coincided, of course, with his own Majasaya origins; but it is significant that, during Corpus Christi in 1971, he still attended the feast of the AlaQuyana alferez (ritual sponsor from Alasaya) and thus received food and drink from the tribute-paying « owners » of the land. 5. In the same way, the K’ultas of Llanquiri (island 1) fought on the side of the AlaQuyanas (Alasaya) who dominate the neighbourhood where their lands are situated. They could thereby maintain their vertical affiliations, although they were nervous of the surrounding Machas. Some were even beginning to « become Machas » by shifting their tribute-payments and obligations (such as postal services) from K’ulta to Macha. If carried through, this could have brought a change of ayllu, and the K’ultas would probably have joined the surrounding AlaQuyanas. Others, however, remained obstinate: they said their lands would continue K’ulta

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until the Macha returned a « quintal of gold » (quri kintal), allegedly lent them by passing K’ulta llama-herders to pay their tribute with31. 6. A particularly significant case concerns a couple from AlaQuyana (7) with one daughter and three sons who, lacking sufficient land in their cabildo of origin (puna identification Yuraqhari; valley locality Amutara), applied for permission to cultivate an unused piece of land in the territory of the Sullkhawis in nearby Ichurata (8). All were members of Alasaya moiety. Permission was granted provided that the children attended the local school in Ichurata (established by the Sullkhawis), that they helped maintain the paths in the area, and, as usual, that they would fight on the side of the Sullkhawis during tinkus and ch’ajwas. This arrangement continued for two years, when both the woman’s husband and their eldest son died. Unable to work the new plot alone, the widow and the remaining children then withdrew to AlaQuyana, where they lived on the lands that had belonged to the dead husband. This was permitted by the AlaQuyanas because there were still two sons to inherit their father’s land: otherwise, the dead man’s brothers would have had prior rights, and the widow would probably have returned to her parents and birth-kin. But soon after, the widow remarried with another AlaQuyana, this time from the puna, and then tried to return to the plot in Sullkhawi, since the new husband was unwilling to maintain his stepchildren on land from which he and his own children would be excluded. Meanwhile the Sullkhawis, observing that the widow had abandoned the plot, had reallocated it to one of their own members who lacked land. They ceremonially dispossessed the widow: the ayllu held a « dry work-party » (ch’aki chuqhu; i.e. without chicha) during which each man, including the prospective possessor, ploughed and sowed a couple of furrows. The following year, the harvest was shared out between all the ayllu, and the repossessed plot was then handed over to its new occupier32. Two points may be drawn from this example. First, the ceremonial dispossession shows both the reversionary right which the minor ayllu (and, beyond it, the moiety and maximal ayllu) can assert over land within its collective domain; and, simultaneously, the difficulty with which that right is reclaimed (since the plot had to be collectively ploughed, sowed, harvested and the produce distributed, before the ayllu could again dispose of the plot). Second, the entry of the AlaQuyana couple into the plot was regarded by their ayllu of origin as – potentially, at least – an increase of their own domain. This is shown by the fact that AlaQuyanas and Sullkhawis came to blows over the matter during the Corpus Christi fiesta for 1968. Unfortunately, the key question concerning cabildo membership cannot be answered, for the AlaQuyanas were not paying tribute at this time due to the Second Agrarian Reform33. However, if the AlaQuyana couple had stayed in Sullkhawi, fulfilled their neighbourhood obligations as demanded by their « hosts », but continued paying their tribute with the rest of their own cabildo (Yuraqari), then all the conditions would have been fulfilled for the emergence of a new island. Equally, the case shows how circumstances could lead to the disappearance of an island with a shift in the social requirements of both parties. Rather than expressing the unchanging situation of long-standing islands, then, some may also be seen as fluid expressions of a dynamic process: ephemeral « bubbles » that arise and burst, to use an alternative metaphor (Saignes 1978). We can infer that, even without a State apparatus disposed to guarantee security of tenure and access, circumstances could arise which would make small groups of distant colonists from the highlands, even single families, perfectly welcome in the heart of a different group already established in the lowlands, and perhaps themselves in need of allies to resist neighbouring pressures. New settlers might therefore be accepted at the price of their military support, but could find themselves expelled if their presence failed to suit their hosts – unless they could find effective backing from their own ayllu or other allies.

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39 Our examples have clarified a fundamental point: the islands’ survival is conditional on their willingness to fight on behalf of their surrounding « hosts », even if this means fighting against their own moiety. During most of the year, they are submerged within a network of neighbourhood obligations which take precedence over other ties. It is as though there is agreement that these isolated « broken threads » must somehow be re- integrated into the homogeneous weave of local groups and territorialities, and a blind eye turned by their hosts to the few situations during the year where vertical affiliations re-emerge as paramount.

40 Even with these provisos, however, the situation of an island is often fraught: different characters respond to isolation in different ways. We have seen the case of the Alasaya man who, finding himself surrounded by Majasayas, felt driven to letting the land to another Majasaya; whereupon the tenant in turn found himself obliged to balance his solidarities between the locally dominant Majasayas and the Alasayas to whom his parcel still belonged. Again, the Majasaya island caught between a different ayllu of the same moiety and another group of Alasayas chose simply to alternate services and solidarities between Majasayas and Alasayas. On the other hand, a demand for land from within a host group may block the formation or persistence of an island, sometimes leading to cancellation and expulsion. This occurred with the widow from Alaquyana (Amutara) who, on remarrying, wanted to reoccupy her dead husband’s parcel in Sullkhawi (Ichurata). She found herself formally dispossessed by her old hosts who preferred to give it to a landless ayllu comrade, a situation which provoked festive violence between these two Alasaya minor ayllus. 41 Evidently, island instabilities may provoke tensions between ayllus and moieties, and these can carry over into situations of ritual or formal violence (tinku). But there is one significant feature of neighbourhood alliances, which shows that, while moiety membership may be suspended in the interests of neighbourhood solidarity, there are limits placed on the scope of the violence that can be directed against one’s own moiety. A Majasaya island warrior surrounded by Alasayas cannot hit just any Majasaya without exception; he might end up hitting his own kin and minor ayllu comrades. From people of both moieties I received testimonies affirming that no island should hit someone of the same minor, or churi ayllu, as himself. He can fight with his more distant moiety comrades, if compelled to do so by his engulfing neighbours; but not against those closest to him at the minor ayllu level. 42 This indicates how limits are placed on the socially desintegrative effects of an island’s « forced betrayal » of its own moiety. The minor ayllu of vertical affiliation itself remains solidary and intact, while the other four ayllus of the same moiety become the enemies of an island obliged to fall into line with its neighbours of the opposing moiety. Who in this context are the island’s greater enemies? Clearly, the four other ayllus of its own moiety; while its most powerful allies are its dominant neighbours of the opposing moiety. In this upsidedown scenario, the relations between the island and its own minor ayllu persist: they must not hit each other, although their unity is placed under strain by those « others » who provide the island with a local umbrella of protection.

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Discussion

43 Social difference among Northern Potosi endogamous cabildos, ayllus or moieties is often phrased in the literature in terms of structural alliance and opposition. In the last resort, who one fights defines who one may eat (or be eaten by); one shares food with one’s friends and allies. This provides a fundamental criterion for social identification. But among valley « islands » the situation turns out to be more flexible, ranged along a continuum of successive gradations. Polar contrasts are redeployed between segmentary levels according to the tensions between distant tributary affiliations and those of neighbourhood34. Moiety alliances may be inverted in exchange for security of tenure in the interdigitated context of the valley « archipelago », sea of « bubbles », or – in more Andean terms – « weaving with broken threads ». The solubility of the moiety in the local context is thus counterweighed by the solidarity of the vertical minor ayllu.

44 At the same time, valley islands are forced to count on the protection of the other moiety that dominates their neighbourhood, while transforming into enmity their usual alliance with the four other ayllus that compose the rest of their own moiety. Evidently, then, the moiety opposition does not exert some overriding « structural imperative » over the formation of alliances. Rather, it can be fractured and re- deployed under local politico-economic and coercive pressures. In this context, only the vertical minor ayllu remains as the moral and solidary apex of vertical organization. 45 I think we have here traces of a long-durational pattern of negotiations, echoing those entered into by the puna minor ayllus when they first began, in the Late Intermediate « period of warfare » (or perhaps long before), to descend from the high puna and intermingle with each other in the adjacent valleys, possibly establishing some islands that persist till now. Today’s political accommodations seem to be inherent to the practice of vertical cultivation in the valleys by different groups of minor ayllus on the puna. The interdigitation of islands from different ethnic groups can be seen as a perfectly acceptable way of recruiting new members to help defend a weak neighbourhood. The modern situation may even reflect the process by which each moiety was originally formed on the puna from a flexible micro-federation of churi ayllus. 46 Each minor, or churi ayllu was in turn composed of what the Inka called « hundredths », or minimal ayllus, also with their ancestral mallki, sacred places of origin (huacas and paqarina), and vertical « runners ». Fixing the number of precisely five churi ayllus in each moiety may reflect Inka intervention; but the moieties themselves are almost certainly pre-Inka, in spite of their attribution today to the rising of the Inka-Christian Sun (Platt, Bouysse-Cassagne and Harris 2006; Platt 1996a). The data available suggest that today’s minor and minimal ayllus on the puna, composed of several different intermarrying patrilineages each descended from an apical male or male-female couple (the « trunks » of « Houses », or troncos de casas, as they were called in 16th century Spanish, see Platt, Bouysse-Cassagne and Harris 2006), were probably the basic components from which Macha society was historically assembled35. 47 Accordingly, each minor and minimal ayllu would have been a tendentially endogamous group made up of smaller sets of intermarrying lineages, each stemming from their respective ancestral huacas on the puna (such as the chullpa mummies of senior House-founders, or remoter places of origin set in a sacralized landscape). Sets of intermarrying descent groups made up each of the « hundredths » (pachaqas)

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recognized by Inka Wayna Qhapaq, which were probably the ancestors of the colonial cabildos (another name for the minimal ayllus). Today, within each cabildo, groups of virilocal patrilines live surrounding their respective Calvary chapels (calvarios), where the local Cross (tata wilakrus, from vera cruz = Father True Cross) is kept: a phallic Cross, which, as we have seen, is a patron of warfare, sometimes painted with symbols of fertility, and often with a head of Christ in the middle36. It seems likely that the ancestral huaca of each group of patrilines within the Inca hundredth (pachaqa) has been replaced under the Spanish by a Calvary Cross. Remaining for most of the year in their little chapels, these crosses are taken out for May 3rd, the Festival of the True Cross, when, dressed in war-gear, they are carried by their congregations to the parish church in Macha. Within the church they hear Mass, focused on the Host of the Sun (Platt 1996a), before coming out into the sunlight to give renewed courage (animu) and strength (kallpa) to their warrior-devotees’ prowess in the tinku. 48 We have seen that the valley « mixing » of ayllus at different segmentary levels juxtaposes households which on the puna belong to contrasted, spatially separated ayllus and cabildos. Hence pressure towards segmentary alliance can also come from the lowlands to the puna, rather than vice versa. For example, the maize harvest of San Marcos is a moment of maximal fusion for the whole Macha ayllu, expressed through the tinku in which, on each side, puna llameros participate in alliance with valley maize- farmers. We have seen that, in the valley town of Carasi, and at a higher level of segmentary alliance formation, Machas and Pocoatas unite to confront Laymis and Puracas (both part of the Laymi upper moiety of Chayanta, historically part of the Qaraqara federation and dependent on Macha). These higher-level alliances in the valleys can even propel similar alliances in the highlands, where allies may live much further away from each other and would otherwise have less incentive to enter into an alliance37. 49 I have suggested that these negotiations, reformulations and mutual concessions among ayllus yield traces of the political and religious negotiations by which they were historically constituted. Such negotiations may take place without an over-arching State able to impose on its tributaries an « umbrella » of peace, order and legitimacy38. At the same time, they take place within a warrior ethos, nurtured by collective competitions (tinkus) as well as by wilder confrontations (ch’ajwas), in which predatory aggression and defense, religious sacrifice and cannibalism, are situated at the constantly shifting frontiers of the political arena. Here, relatively ordered confrontation between rival bull-fighters dissolves into an unrestrained liberation of energies by each shapeshifting berserker warrior (ch’ajwa). Nevertheless, we have seen that there are also intermediary positions between the polar categories of ayllu-mate (expressed ideally by commensality) and enemy (or potential object of cannibalism). 50 These gradations are an essential part of the flexible political tapestry elaborated by the Aymara-speaking societies of the Altiplano, as later by the Incas: a veritable forest of runners, or suckers, reaching out from their distant parent mallki on the puna to mingle and root themselves in the warm lands, both as components of local settlements and as extensions of their respective groups. The ayllus probably constructed their segmentary system under the protection of the divinities of above (janajpacha) and those within the earth (ukhupacha), forces which dominated, sacralized and defined the contours of their social world. But this has not prevented people from constructing and shifting local loyalties and devotions, restructuring their federations, and moving their

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land-limits and even their cult centres, according to new demographic and political pressures. Social affiliations make people, but they are also constantly remade by them. Conflict and warfare are vehicles for this remaking. 51 We have seen that modern warfare invokes a situation akin to past-time, when confederational lords led armies of transforming warriors who preyed on their rivals while taking their heads as trophies for sacrificing to the ancestral spirits in the landscape39. The relation between shapeshifting, predatory warfare and shamanism among the people of mythic time is well-known in the modern Amazon; and our analysis has reminded us that similar themes have been played out at different times among Andean vertical societies. The transformation of shamans and warriors into wild beasts and back again is a deep-seated Andean theme, reiterated from the jaguar priests of Chavin (Burger 1996) to the military squadrons of Huari, each associated with a particular animal or bird transformation (Ochatoma Paravicino and Cabrera Romero 2001). It is picked up again for the Aucaruna and Inka by Guaman Poma, who in the early 17th century illustrates the late 15th century transformation of Inka Otorongo (= « Inka Jaguar ») into the jaguar enemy of the lowlanders he was trying to conquer40. The presence of jaguar/human transformations among 17th century miners in Charcas has been further documented by Bouyssse-Cassagne (2004), and the theme of the transforming jaguar has continued in the use of jaguar skins during Altiplanic parades and dances during the Republican period (see for the 19th century Mercado 1991). The highland use of masks and skins may recall times when the upward geographical reach of the jaguar was higher then it is today41. Even now, chullpa lunar time irrupts into our own solar time whenever the sudden, uncanny appearance of an omen, in the form of an animal or bird, is interpreted as the persistent presence of the shapeshifting chullpas on the unstable edges of present time (Cereceda 1990). This other time, the time of the berserkers, also awaits us at the wild fringes of a social order constructed to tame those wild origins. Moreover, people regularly try to recover for society part of the creative energy of the unquiet dead through rituals, such as the tinku, or Carnival, necessary for good agropastural production (Harris 2000; Platt 1996a), or through their reincarnation as hungry devilish foetuses which are later transformed into little Christian babies (Platt 2001). 52 The textile metaphor for Andean vertical control may be illuminated by modern weaving styles, such as the « mixed-up » or « confused » (chaxru) designs of the weavings of the Macha’s neighbours: the Jallq’a of Murumuru (Ravelo) and Chuquisaca (Cereceda et al. 2001). Here, the fertile confusion of the Jallq’a inner world is expressed through a plethora of strange, heterogeneous mythological beasts (sometimes borrowed from modern advertising labels), which are contrasted with the ordered, luminous qualities of the nearby Tarabuco weavings. The dim, deceptive light of the Jallq’a inner world contrasts with the solar light of the Tarabucos, historically the Inca’s settlers on the maize-producing fringes of the Tawantinsuyu. In the Jallq’a valleys, we also find settlers from highland groups – Tinkipaya, even the altiplanic Killaka and Karanqa – mixed with valley farmers from Caracara or Moromoro in a formation also called chaxru (Pacheco 1994; Mendoza and Patzi 1997; Platt, Bouysse- Cassagne and Harris 2006, pp. 265-272). Aesthetic confusion is in constant dialogue with sociological confusion. 53 But the weaving parallel also brings us to the numerical underpinnings of Aymara social and political organization. In weavings, however « confused » the final

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appearance, there exists an underlying logic at the level of technique, issuing from the weaver’s design objectives, her numerical warp and weft calculations, which are in the service of her aesthetic preferences. Can the same be said of social organization? 54 At the sociological level, Macha organization is achieved by means of the complex combination of a relatively small set of overlapping principles: the generative centre with radiating lines or, alternatively, « sandwich » relations along a complex frontier (chawpi); nested and overlapping divisions in two, three, four, five and seven, with their multiples, together constituting different levels of unity; the upper/lower, male/female or brother-in-law matrices and other ramifying and multivalent dualities; « reciprocity and redistribution », including the tributary relation, festive obligations and the lex talionis. For the tinku and the ch’ajwa are themselves based on a rhetoric of reciprocal exchange: ayni means « reciprocal labour relations » but also « vengeance »: « returning the ayni » (aynita kutichiy), equalizing a death with a death, is one of the aims of Macha warfare, as it was in the 16th century (Santo Tomás 1951 [1551]). Warfare again appears as part of the collective labour prestations, or « services in exchange for access to land », of all ayllu members; and while it can have its festive and « playful » side (tinku), it may also become a source of pain and sorrow as well as triumph (ch’ajwa). Indeed, endocannibalism and exocannibalism become aspects of each other, since what is endo-warfare at a higher level of segmentation is exo-warfare at a lower. In combination, these principles configure or « frame » a lived experience that, for much of the time, flows flexibly through the « logic of forms » characteristic of Andean sociological and moral thinking (Platt 1978). But when the wild past of the ancient chullpas bursts through all restraining categories, and threatens to dissolve pre-existing ontological frontiers (as in the uncanniness of omens, in shamanism, or during ch’ajwas), this human and domesticated order is itself placed in doubt42. 55 The « island’s point of view » challenges us, then, to unravel the specific forms of Andean social complexity, modular transformation and territorial reach. It epitomizes the ambiguities of life amidst valley « disorder », and the way vertical relations are reproduced and transformed through negotiated forms of violence and sociality. « Islands », like « broken threads », are occupied by people who must change the rules in order to stabilize their fragile existence as « loose ends ». They clutch at possible resolutions of their situation, such as those demanded of them by their hosts, but are still forced to live on the ambivalent margins between the moieties, which at the same time they subvert. Only the vertical minor ayllu, and its component cabildos, reaffirmed at each semestral tribute-paying ceremony, persists through time as a relatively unambiguous site of belonging and loyalty. 56 To wind up the skein: our analysis has shown how Murra’s « vertical archipelago » was indeed (as he foresaw) a tangle of competing loyalties, truces, alliances and enmities. We have seen how this situation was itself assimilated to the image of a weaving with broken threads, and how these threads had therefore to be reworked into line with the dominant power in each neighbourhood. The valleys are indeed « mixed-up », at every level of social segmentation, but that does not mean that there is no way out of the apparent chaos. This « confused order » is expressed through a play of inversions and ambiguities that are valley transformations of the « dominant order » laid out on the puna. And this gives rise to a distinctive « island’s point of view », situated at the internal fringes of Macha valley society, and mediating between the points of view of enemies and friends, as well as providing us with new ways of thinking about the

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political tensions and conflicts inherent to the island’s position in different historical conjunctures. 57 The transformation of tinku into ch’ajwa spells a significant shift in the political and cosmological reach of Andean warfare, from transformation into domestic animals (bulls) to the shapeshifting of the berserker into a wild animal. While local authorities can try to control tinkus, encouraging individual warriors to confront other individuals, and doing their best to restrain the confrontation of allied ayllus with slings and stones, in ch’ajwas the idea of balance is itself at stake, and the aim is to move the fulcrum, conquering and destroying the opposing side, shifting the boundaries and their markers, or risking the same happening to ones’ own side. Moreover, when peasant warrior alliances are turned, not against each other, but in open insurrection and rebellion against the State or its local representatives, ch’ajwa practices are turned towards local instances of the créole-dominated administration and government. One example of this can be documented in 1899 during the Bolivian Civil War, when the Indians of North Potosí came to grips with the Constitutionalist army of Severo Alonso in Tacarani: we read that « fragments of soldiers have been found, who were probably mutilated by the Indians in the heat of the battle… », a clear reference to the predatory ch’ajwa practices of ayllu berserkers (cited in Platt 1987b, p. 316). This shift from domestic bulls to wild animals occurs as the « non-human » pole of transformation coincides with the shift from the ideal of equilibrium and balance between opposing sides (tinku) to the desire to kill, dismember and eat the organs of the prey (ch’ajwa). Such expansions in the scale of violence may constitute historical interventions which change the life of the wider society. They remind us that shifts from an emphasis on tinku to an emphasis on ch’ajwa, or vice versa, can be calibrated with a history of events, including periods of political tension and feud, and even insurrection, and hence with an absolute chronology, thereby indicating the possibility of relating shifts in the nature of human-animal transformations to their historical contexts, rather than seeing them simply as « essential » (if transformable) structures in a relativistic mythic and symbolic framework. The historical approach will surely be necessary also in the Amazon, and elsewhere43. 58 How, finally, are we to understand the dialectic between neighbourhood and verticality when the scale of each becomes enlarged? How do the practices of negotiated settlement, which we have uncovered on a relatively small scale through local fieldwork, respond to greater, more distant projections of highland vertical reach? Ethnohistorically, some of the answers have been found for the 16th century maize- producers of Tarabuco and Cochabamba: here distant settlers placed or confirmed by Inka Wayna Qhapaq were subsumed locally beneath the authority of the dominant regional lord, whether this be Aymuru, lord of the Yampara federation in Chuquisaca, or Kuysara, Mallku of the Charka federation in Cochabamba (Platt, Bouysse-Cassagne and Harris 2006). The segmentary scale of the islands and their alliances, which we have already seen growing as we descend the east-facing slopes of the Andes towards Mizque, here becomes truly colossal, since the units of alliance and opposition become the local representatives of whole federations and chiefdoms. In this case, Murra’s emphasis on the transcendence by the Incas of the « purely ecological » motivation for vertical control should perhaps be qualified, since Inka strategy at the south-eastern frontier worked rather through an enlargement of the same principles of ever- extending vertical reach (Cochabamba maizefields, Chuquioma coca plantations, etc) in the interests of vastly amplified State agricultural projects which combined

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contingents of rotational workers from most of the Altiplano federations with silos, administrative centres and fortified military garrisons (Wachtel 1981; Platt, Bouysse- Cassagne and Harris 2006). 59 Further research will be needed to understand how vertical relationships are perceived from other ecological levels with other « points of view », such as from the chawpirana between the highlands and valleys of North Potosi; or how highland « order » was modified when projected, in the 15th and early 16th centuries, towards the coca- plantations in the semi-tropical yungas of , and Chuquioma44; or, finally, by following the routes of highland invaders and settlers down to the pie-de-monte and lowlands, in order to direct these questions to groups in the forests and savannas, and down the headwaters of the Big and Little Pará…45.

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APPENDIXES

Segmentary organization of Macha by maximal ayllu, moiety, churi ayllu and (where possible) cabildo (key to map « Distribution of Macha lands in San Marcos de Miraflores », see Figure 1) Note: Cabildo names were first collected on the puna in 1971, and have now been collated with the lists in Mendoza y Patzi 1997. Both sources are combined in the Map. The numbers refer to the numbered areas on the Map. The extent of each area is not precise, many cabildos have remained unidentified. Errors will no doubt be found. The only way of doing the map 100% accurately is with the direct participation of re- empowered moiety authorities backed with further archival research. Macha lands in the Department of Chuquisaca (Provincia of Yamparaes) have been omitted; also those in Carasi. These still await investigation and detailed mapping. [TP = Platt 1996a; MP = Mendoza y Patzi 1997].

K’ULTA. MOIETY ALASAYA

Ayllu Kullana. 1. Llanquiri The K’ulta Kullanas have an annex chapel of their own in the parish of San Marcos de Miraflores: San Pedro de Llanquiri, close by the chapel of the local Macha AlaQuyanas, Santa Ana de Lluchhu (see Platt 1996a). Though in 1971 some Llanquiris protested strongly that the tributes and services for their lands in Llanquiri were still owed to Santa Barbara de K’ulta, situated on the Oruro frontiers with Macha’s high puna lands

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(see Abercrombie 1998), others felt that they should switch to paying services and tributes to Macha, merge with the AlaQuyanas of Lluchhu and « become Machas ». In 1997 MP imply that this process was complete by the time of their Atlas, as they represent the K’ultas of Llanquiri as « ayllu AlaQuyana » of Macha. Further research is needed on this point.

MACHA. MOIETY ALASAYA

Ayllu AlaQuyana Cabildo Ayuma, in Lluchhu and Chayta 2, 3 Cabildo Chuquiqayara, n/d Cabildo Kuymuri, of Kuymuri 5, 6 Cabildo Phichichhua, in Lluchhu and Chayta 2, 3 Cabildo Pumpuri, in Lluchhu and Chayta 2, 3 Cabildo Rosario, n/d Cabildo Yuraqari, in Amutara, 7 In Lluchhu and Chayta those from cabildos Ayuma, Pichhichua and Pumpuri are all interdigitated (chajrusqa). Choque churu (40) is unassigned. Ayllu Sullkhawi Cabildo Challwiri Cabildo Salinas Cabildo Qharipurqu Cabildo Kiuja Cabildo Tanki No data for distinction by cabildo in the valleys, only by toponyms between the Jatun Sullkhawis (« Greater Sullkhawis ») of Ichurata (8) and the Juchuy Sullkhawis (« Lesser Sullkhawis ») of Chharichhari (9), cabildos unknown. Ayllu Waraqhata Cabildo Awllakas Cabildo Kantakanta Cabildo Kañuquta Cabildo Usquria Cabildo Waylloma No data for distinction by cabildo in the valleys, only by toponyms between the Waraqhatas of Payluta (10), Pariya (11), Samuma (12), Sayaqa (13), Lupi (41), Ñiqiri (42), cabildos unknown. Ayllu Taphunata Cabildo Titiri Cabildo Palquyu Cabildo P’uqira No data for distinction by cabildos in the valleys, only by toponyms between the Taphunatas of Chawarani (14. MP Chawarani; TP Qolqapampa) and Qarpani (15), cabildos unknown. Ayllu Alapicha Cabildo Tuqhuqari Cabildo Ch’iaraqi

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Cabildo Lurukachi Cabildo Turku Cabildo Qullpa [Cabildo Jamach’iri: MP] No data for distinction by cabildos in the valleys, only by toponyms between Alapichas of Urqhapampa (16), Altu Luma (17), K’aspikancha (18), Janq’uma (19), Umupampa (43). At present, only Janq’uma can be assigned to cabildo Tuqhuqari.

MOIETY MAJASAYA

Ayllu MajaQuyana Cabildo Kutañisu Cabildo Waykuta Cabildo Chajrani Cabildo Jiruq’uma [not in MP] Cabildo Umajila (or Jatun Qullana) Cabildo Yuqhuna [MP assigns it to Sullkhata] Cabildo Phurki [MP assigns it to Majapicha] Few data for distinction by cabildos in the valleys, easier by toponyms between MajaQuyanas of Qayanqa (20), Yuqhuna (cabildo and toponym; 21), Triguira (22), Mathariri (23), Chuqipampa (24), Lluchhu (cabildo Waykhuta; 25). Ayllu Sullkhata Cabildo Juluch’i [Cabildo Yuqhuna: MP. TP assigns it to MajaQuyana] Few data for cabildos in valleys, distinctions by toponyms, as Sullkhatas of Ch’alloma (26), Waramaya (27), uncertain (28), Lawa Apachita (29). Ayllu Kunthawata Cabildo Llust’aqi [Cabildo Q’illuq’asa: MP] Only one cabildo identified in the valleys, the rest by toponyms: Kunthawatas of Kuñurani (30), Durasnillo (31), Llust’aqi (32), Kunthawata (33), Wankarani (34), Chuñu Jarana (44). Ayllu Wakhuata Cabildo Milluri Cabildo Pumpuri Cabildo Llust’aqi No data for distinction by cabildos in the valleys, only by toponyms: Wilakota (35; jatun wakhuata, « great Wakhuata »), Ilili (36; churi wakhuata, « child Wakhuata »), Sikuta (37; churi wakhuata). Ayllu Majapicha Cabildo Tumaykuri Cabildo Rukuruku Cabildo Pichikachi Cabildo Lluchhu Cabildo [Cabildo Tarwaki: MP]

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[Cabildo Pastupampa: MP] [Cabildo Phurki: MP] [Cabildo Chayrapata: MP] [Cabildo Jut’i: MP] No data for distinction by cabildos in the valleys, only toponyms: e.g. Waranqa (38), Qatachilla (39).

NOTES

1. Murra also asked whether coastal societies could have « islands » in the highlands (which has since been demonstrated, see Masuda, Shimada and Morris 1985); but he did not examine the possibility of Eastern lowland chiefdoms having « islands » on the eastern slopes of the Andes. See Renard-Casevitz 2002, together with Daillant and Hirtzel (s. d.). 2. In 1972, Murra’s example of a « State island » was the coca-producers of the tropical valleys of Songo, below La Paz, who seem to have been a pie-de-monte, yunga-speaking group without lands in the highlands, although with some Aymara-speaking implants. They were probably incorporated into the Inca empire specifically to produce coca for the State. Different modes of incorporation of eastern tropical fringe groups into the Tawantinsuyu are reviewed in Saignes (1985, chap. 1); see Renard-Casevitz, Saignes and Taylor 1986; and Platt, Bouysse-Cassagne and Harris 2006. 3. Andean archaeologists distinguish – often with excessive linearity – between periods of State consolidation and expansion (Horizons) and the Intermediate or Formative periods, when regional polities prevail, each frequently at war with its neighbours (see Lorandi 1978). In fact, warfare may continue regionally at the margins of each State’s effective reach, though there may be a tendency, as I have said, to transform it into a ritualized « game » or competition at moments of maximum State control (see Platt 1987a). 4. Early colonial documentation from 1579 and 1619 confirms that the Macha valley archipelago represents a case of long-durational stability, reaching back in some form to pre-Spanish, and probably pre-Inka, times. See Platt, Bouysse-Cassagne and Harris 2006 (part. IV, documento 8, with its apéndice); also the maps of Macha valley settlements (Platt 1996a and Figure 1). 5. As Franklin Pease (1985) realized, discontinuous territoriality and « verticality » can be found in many mountainous parts of the world, including Western Europe, in different social and historical periods. Less common, however, are those societies in which it constitutes such an integral and strategic dimension that it constrains the entire course of their social development, including the development of the State. 6. See Lakoff and Johnson 1980. For these authors, warfare is an example of a metaphor by which the modern West lives (as in « winning an argument » or in much market discourse), although warfare and violence are also powerful – as experience, as metaphors and in religious symbolism – in many other « warrior » societies, including the Macha. 7. An earlier draft of this article, given at a seminar on Murra’s work at the London School of Economics in 1986, was entitled « Warfare and Alliance in an Andean Strawberry-Patch ». I thank Marie-Danièle Demelas for finding the Spanish word tolondrones as a translation for « runners ». 8. « Wife-taking » affines « carry off » the bride in Macha just as the condor in a well-known tale carried off a girl to his rocky nest (Que. thapa; also a ritual name for a human house, or « home »). The condor-like role of brothers-in-law is made explicit during the marriage ceremony, and signifies a recognition of the wild substrate of human sexual affairs, parallel to that of the fighting-bull: attempts to harness these human-animal transformations and powerful energies lie behind the Indian marriage ceremony and establishment of a new household. For condors and bulls as expressions of Andean masculinity, see Harris 2000.

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9. Guaman Poma (1980 [1613]) describes these transformations for the age of the Aucaruna as follows: « they became great captains and valiant princes of pure courage they say that in the battle they turned themselves into lions [pumas] and tigers [jaguars] and foxes and vultures hawks and wild cats and so until today their descendants are named otorongo [jaguar] atoc [fox] condor anca [eagle] usco and wind acapana bird huayanay snake machacuay serpent amaro – and so their ancestral names and arms were called after other animals which their ancestors won in the battle they had… », cited in Platt 1987a. For shamanic transformations into condors in Macha today, see Platt 1996b; Véricourt 2000; for the transformational experiences of present-day miners in Potosi, Absi 2003; see Bouysse-Cassagne (2004) for the transformations of miners into jaguars in the early colonial period, in the context of the wider prevalence of the shamanic jaguar cult in both highlands and lowlands. For the association of the mines with lightning and warfare, see Platt, Bouysse-Cassagne and Harris 2006 (part. I). 10. Founded in the 1570s by the inspectors (visitadores), priests and « reducers » (reducidores) charged with carrying out Viceroy Francisco de Toledo’s resettlement programme, San Marcos replaced a pre-Hispanic settlement: Pichibisa. San Pedro de Macha was the « Indian town » for the bulk of the population on the puna (see Platt, Bouysse-Cassagne and Harris 2006, part. IV). The visita of San Marcos in 1619 shows much the same ayllu interdigitation and distribution as can be found today (see Platt 1996a, map 1; Platt, Bouysse-Cassagne and Harris 2006, pp. 571-574). 11. The old kuraka of Macha Anansaya, don Agustin Carvajal (d.1977), told me in 1971 that he had had a dream that condors were circling above him, and was told by a yachaj (= « knower », or shaman) that the dream meant he had not gone to make his sacrifices at Chiuquru Mountain, at the entrance to the valleys, and would fall ill and die if he didn’t put this right. In a well-known Macha story, condors circling above a girl hiding in a q’ayru (shallow covered pit for storing potatoes) left her reduced to nothing but bones. The kuraka’s dream was similarly interpreted as a threat of death by the condors, or mountain-spirits (jurq’us). 12. In the valleys of Provincia Charcas, this ambiguity was manipulated politically by peasant union leaders in the 1970s, who argued that valley farmers should separate from the puna and form part of the valley peasant unions, rather than retaining their links to traditional moiety and ayllu kingroups and authorities on the puna (see Platt 1982a). 13. This fiesta in San Marcos is described in Platt 1996a. In 1971, the charango tuning known as walli mayu (« valley river ») was the same as that used for the fiesta of the Cross on May 3rd (the charango is a little guitar with six double strings that traditionally uses an armadillo shell as a sounding-box). After the fiesta of the Holy Cross in San Pedro de Macha, the puna llama-herders begin their downward journey, strumming their charangos as they walk and accompanying their llamas as they follow along behind their lead-llama (delantero). For a full account of the seasonality of Macha music, with reference to the puna hamlet of Caanquira (cabildo Titiri, ayllu Taphunata, moiety Alasaya), see Stobart (2006). 14. Decimal organization in Macha is probably due to Inka influence. Documentary evidence suggests a close relation between Inka Wayna Qhapaq and the regional lords of Macha and Pocoata (see Platt, Bouysse-Cassagne and Harris 2006, documento 16 and « Ensayo de Interpretación »). The earliest explicit reference to cabildos as territorial groups comes from the Republican period. 15. In 1996, an attempt to map the physical distribution of these different groups was made using satellite equipment by Fernando Mendoza and Felix Patzi as part of a cartographic project funded by the European Community’s « Programme of Peasant Self-Development » (PAC; see Mendoza and Patzi 1997, pp. 94, 116). I have collated information relating to San Marcos with data collected in 1970-1971 (Platt 1996a, map 1): see in this article the Map and Appendix. Uncertainties remain, whose resolution will require Macha participation. It should also be remembered that satellite mapping totally ignores the traditional flexibility of ayllu land-limits in relation to local demographic variation (see Platt 1982b).

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16. For the impact of the Law of Exvinculation (1874), and an analysis of the way in which the holdings of an originario may become progressively fragmented between other tribute categories, such as agregados and forasteros (or kantu runas), see Platt 1982a, 1982b. See Harris 2000 for the Laymi, and Godoy 1990 for the Jukumani. 17. From the Aymara mantaña = « enter ». Elsewhere, other terms emphasise different semantic features of these lands, such as the fact that they are a temporary grant from the community (mañay), or the rotative nature of their cultivation (muyuy). See Fonseca 1972; Harris 2000. 18. A strip of land flanked by two gullies, and stretching from high to low, is called a chhuru. Some families own an entire chhuru, containing a range of different microclimates; it may bear their surname: Choque chhuru, Mamani chhuru, etc. 19. See, for example, the letter from the kuraka of Alasaya to his counterpart of Majasaya, refusing help to the latter in a conflict with the neighbouring Pocoatas, published in Platt (1982a, chap. 5). 20. In the 16th century these lands were cultivated by 10 minor ayllu mitayos (camayos), one for each ayllu, as collective minor ayllu plantations. The Carasi « common lands » were regarded as the richest lands in the whole of Macha. But after Toledo’s Visita of 1573 (which confirmed Macha collective ownership) they were grabbed by Spaniards, and never given back in spite of repeated Macha protests to the Audiencia of Charcas (see Platt, Bouysse-Cassagne and Harris 2006, part. IV). 21. See Pacheco (1994). Also Platt, Bouysse-Cassagne and Harris (2006), where it is argued that the Laymi were part of the federation of Qaraqara in the 16th century, but were concentrated in the upper moiety of the Chayanta vertical strip, dependent on the dominant authorities in Macha and Pocoata. They may have been Qaraqara colonists, sent to share access to the tin and gold- mines of and Amayapampa with the lower moiety of Chayanta, who were dependent on the capital of the Charka federation in . The legend here recounted would then reflect a historical situation, when Laymis, Pocoatas and Machas all belonged to the same jurisdiction, based in Macha. 22. The insistence on the number twelve also coincides with the importance given to this number in ritual contexts, when libations are poured for Tata chunkaiskayniyuj, « Father Twelve ». On the puna I was told that twelve was the ideal number of children in a family; that our fingers and toes should ideally consist each of two sets of six; that there were twelve mountains which surrounded each hamlet; that the ideal number of ayllus was twelve; that there were twelve miracles worshipped at twelve sanctuaries within and beyond the region of Northern Potosí. The importance of the number twelve may converge with the Christian tale of the Twelve Apostles, but it may also be an echo from a time prior to the Inka’s imposition of decimal organization (Platt 1983, 2002; Platt, Bouysse-Cassagne and Harris 2006. 23. Other islands in Canton San Marcos, as well as many I collected in 1971, have since been mapped by Mendoza and Patzi (1997). 24. Subdivisions within cabildos are also found on the puna; see e.g. Stobart (2006, p. 140) for the divison of Caanquira estancia (cabildo Palquyu, minor ayllu Taphunata, moiety Alasaya) between « upper » and « lower » sections. 25. This contrast is also recognized by Enrique Mayer (2004). Unlike Saignes (1978, 1985), I do not find local solidarity and ayllu affiliation to be mutually exclusive, or inscribed within a unilineal temporal sequence, in spite of Bernabé Cobo’s suggestion to this effect (Cobo 1964 [1660], lib. XI, cap. 23). 26. Compare the illuminating report by Governor Diez Canseco concerning tribute-payment practices in Chayanta Province during the early Republican period (cited in English translation in Platt 1984, pp. 10-12). 27. Before the abolition of the tambo in Macha during the 1970s, the system of turns had already been complicated by the creation of new Cantons: thus, the Majapichas and Alapichas had their

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own tambo apart in Qulqapujyu, near Chayrapata and Ocurí, and did not participate in the system of turns in Canton Macha. Similarly, the cabildos of Rosario (AlaQuyana) and Aullaqas (Waraqhata) belong to the Canton of , the capital of the modern Province of Chayanta. According to information given by the kuraka of Alasaya in 1971, the order within Canton Macha (Alasaya) was as follows: AlaQuyana (3 months), Taphunata and Waraqhata (3 months) and Sullkhawi (3 months). Six men were provided for each turn according to a further set of turns established at the level of the subsidiary cabildos. Thus, for example, the six men from AlaQuyana (excluding Rosario) were chosen as follows: Pichichhua (2), Yuraqari (2), Pumpuri and Chuqiqayara (1, alternating), and Kuimuri and Ayuma (1, alternating). 28. For the puna K’ultas, see Abercrombie 1998. 29. Vera = « true » in Spanish, but pronounced wila (meaning « blood ») in Aymara (see Platt 1996a). 30. Cassandra Torrico has analyzed the Carnaval groups, and the forms of semaphore with flags developed by female dance-troop leaders for inter-moietal rivalry and communication (personal communication). 31. The antecedents of this conflict, as well as the contradictions which vertical affiliations imply for the Republican system of administration, can be seen in a document of 1887 (Archivo Histórico de Potosí, Prefectura Departamental Expedientes 7475), where the Alasayas of Canton San Marcos can be found denouncing the K’ultas of « the Province of Paria, Department of Oruro » for « usurping » their lands under the pretext that « our ancient Governors would have given them the lands in pawn for the sum of 250 pesos ». The reference is clearly to the same event as the one I heard of in 1971. The origins of the K’ulta island are probably colonial. 32. The widow appealed to the Secretary of Justice and Conflicts of the Federation of Peasant Unions in Banduriri (Charcas Province); but he upheld the position of the Sullkhawis saying that the widow should never have abandoned the plot if she hoped to have the Agrarian Reform on her side. 33. In the Macha valleys tribute-payments to the puna almost disappeared for a time, but were later revived as peasant defense of the traditional system grew. See Platt 1982a for the fluctuating levels of tribute collected between 1952 and 1980, and for the 1963 denunciation of President Paz Estenssoro, the local MNR leader Hugo Reinaga, and the 1953 Agrarian Reform. One friend said that the MNR revolution had in fact been a battle between the hacienda parti and the tasamanta parti, implying that the purpose of defeating the hacendados was so that their land could revert to the ayllu régime – an old revindication since the insurrections of the 18th century and before, still strong today. 34. The number and complexity of these levels in pre-Hispanic and early colonial times was, of course, much greater, reaching out to the whole Province of Charcas, and even to the whole Qullasuyu south of Cusco. On this scale, the sociological calculus becomes correspondingly more elaborate (see Platt, Bouysse-Cassagne and Harris 2006, « Ensayo de interpretación » and part. V). 35. These apical Houses were also found at the level of ordinary tribute-payers, and during the early Republican period could still be re-founded on the occasion of each State inspection (Visitas and Revisitas) (Platt 1982a, 1982b). 36. The « diabolic » subtext of the symbolism of the crucified Christ was noticed in the early 17th century by the Archbishop of Charcas, Bernardino de Cárdenas, while extirpating idolatries among the miners of Potosí (see Bouysse-Cassagne 2004). This double reading of the crucified Christ can still be found today in the rural areas around Potosí (Platt 1996a). 37. See, for example, the organization from the valleys of resistance to the implementation of the First Agrarian Reform Law of 1874 in North Potosi, analyzed in Platt 1987b. 38. It should be remembered that the Bolivian State in 1970-1971 had other things on its mind than to guarantee vertical links between puna and valleys, although the ayllus could invoke documentary support from the colonial and early Republican periods, which « fixed » the vertical

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distribution through successive documented rituals of confirmation (amojonamientos, revisitas, etc). 39. Close to a « chullpa » settlement site in Macha I was shown a « chullpa cemetery », made up of shallow pits marked by stones forming squares on the surface, beneath which a skull (presumably a trophy head) with no body was accompanied by ceramics and other offerings. 40. Inka Otorongo’s transformation into a jaguar (otorongo = « jaguar ») when battling with lowland groups was re-enacted by Titu Kusi Yupanki in 1561 in a threatening letter to the Corregidor of Cusco (Julien 2006). 41. According to 16th century testimonies, a jaguar is said to have killed an Inka’s son as high up as the valleys of Sayapaya on the river Caine in Sacaca territory (Platt, Bouysse-Cassagne and Harris 2006, p. 628). Jaguar presence in the highlands can also be detected symbolically in a riddle I collected on the Macha puna in 1971, which suggests an Andean interpretation of the Christian mass: tingri waqan, chaymanta kuntur tantakun, « the jaguar cries and then the condors gather together ». The answer is the priest ringing the bells to call people to Mass, i.e. the condors gather to eat the remains of the jaguar’s kill, just as the Indians go to church and follow the mestizo or white priest in consuming the body and blood of Christ. 42. For the « logic of forms », see Claude Lévi-Strauss (1966), Du miel aux cendres, cited in Platt 1978. It does not, however, exclude the simultaneous transformation of warriors into « animistic » expressions of « natural » forces, indicating a constant tension in the Andes between « other » perspectives and those of any formal logic. 43. In Mongolia, for example, it has been shown how the blurring of frontiers between the animal and the human is itself the recent result of the irruption of gold-mining, which has angered the spirits and led to the appearance of wolf-men, whereas before the categories of humans and animals were kept clearly distinct (High 2008). 44. For pre-Hispanic and early colonial settlement from different federations of the Collao and Charcas in the maize-producing valley of Cochabamba and in the coca-growing yungas of Tiraque, as well as around the tin and silver-lead mining enclaves of Chayanta and Porco-Potosí on the puna, see Platt, Bouysse-Cassagne and Harris (2006). Here, too, distant affiliations were subsumed within local structures of authority. 45. The Amazon and the Paraná. For the existence of possible Charcas and Pakasa outliers in the eastern lowlands during the 16th century see e.g. the entrada of Francisco de Angulo to Chapare in 1588, published in part by Maurtua 1906 (tomo IX). The Pakasa are said to have been involved in battles with the Inka down there, as well as with their lowland neighbours, although the alliances in which they participated have not yet been clarified. For Inka presence in the eastern lowlands at Las Piedras, close to the meeting of the rivers Beni and Madre de Dios (near Riberalta), see Pärssinen and Korpisaari 2003. It has been suggested that the term « Carcaraes », used in the Atlantic sources to refer to the « Caracaras » [Qaraqaras] of Macha and Chaquí, may also be present in the river name « Carcarañal », indicating a distant « island » of these same people at the junction of the rivers Carcarañal and Paraná near Cabot’s fort of Espiritu Santo. See, for example, the letter by Luis Ramírez (1528), published in José Torre Revello (1941, tomo I, p. 91, documento n° 16). I thank Isabelle Combès for a copy of this text.

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ABSTRACTS

From the island’s point of view. Warfare and transformation in an Andean vertical archipelago. The article combines John V. Murra’s theory of the « vertical archipelago » – a dynamic model of the changing historical relations between Andean societies, the complementary ecologies they inhabit, and emergent « State »-formations – with transformationalist theories developed among Amazonian peoples. Drawing on field-work with a longlived « archipelago » in the valleys of the Macha ayllu (Northern Potosí, Bolivia), the author shows the conflictive experience of valley « islands », which must invert their moiety affiliations to survive pressures from the larger groups in which they are implanted. The confusion of levels of segmentation and the « island » formation produces different valley alliances from those sought on the puna, while presupposing a shared horizon of ideas concerning violence. Andean warfare is characterized by the same « ontological instability » at the blurred frontier between humans and animals that is found among other Amerindian groups, and elsewhere in the world. Different kinds of shapeshifting during fiestas and warfare, and the reformulation of animal-human frontiers, are seen to be related to different social and historical contexts.

Du point de vue insulaire. Guerre et transformation dans un archipel vertical andin. L’article intègre la théorie de l’« archipel vertical » de John V. Murra (un modèle dynamique des relations historiques changeantes entre les sociétés andines, les zones écologiques complémentaires qu’elles occupent et l’émergence de formations de type « étatique ») avec les théories transformationnistes développées pour des sociétés amazoniennes. Traitant d’un archipel attesté sur la longue durée dans les vallées de l’ayllu Macha (Nord Potosí, Bolivie), le texte expose l’expérience conflictuelle d’îlots des vallées qui doivent inverser leur appartenance de moitié pour survivre aux pressions de groupes plus grands au sein desquels ils sont implantés. La confusion existant dans les vallées entre les niveaux de segmentation sociale entraîne des alliances politiques différentes de celles qui ont cours dans les hautes terres, tout en présupposant un horizon partagé de représentations de la violence. On retrouve dans la guerre andine la même instabilité « ontologique » aux frontières de l’humain et de l’animal qui a été observée dans d’autres sociétés amérindiennes, ainsi qu’ailleurs dans le monde. Plusieurs types de transformations qui se jouent durant les fêtes et la guerre, ainsi que la reformulation des frontières animal-humain, apparaissent liés à des contextes sociaux et historiques eux aussi changeants.

Desde la perspectiva isleña. Guerra y transformación en un archipiélago vertical andino. El artículo combina la teoría del « archipiélago vertical » andino propuesto por John V. Murra – un modelo dinámico de las cambiantes relaciones históricas entre las sociedades andinas, los nichos ecológicos complementarios que habitan, y las formaciones « estatales » emergentes – con las teorías transformacionalistas desarrolladas entre los pueblos de la Amazonía. Basado en un trabajo etnográfico realizado con un « archipiélago » de larga duración en los valles del ayllu Macha (Norte de Potosí, Bolivia), este texto muestra la experiencia conflictiva de algunas « islas », que deben invertir su pertenencia de parcialidad (« mitad », o saya) para poder persistir entre los grupos mayores que dominan su vecindad. La confusión entre los niveles de segmentación y la formación de las « islas » exigen otros patrones de alianza de las que se dan en la puna, aun si ambas regiones comparten un mismo horizonte de ideas con respecto a la violencia. La guerra andina se caracteriza por la misma « inestabilidad ontológica » en la frontera borrosa entre animales y seres humanos que ha sido encontrado en otros grupos amerindios, como también en otras partes del mundo. Se muestra que los diferentes tipos de transformación,

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y la reformulación de las fronteras entre animales y humanos, pueden ser relacionados con diferentes contextos sociales e históricos.

INDEX

Palabras claves: archipiélago vertical andino, guerra, transformaciones, fronteras socio- ontológicas Mots-clés: archipel vertical andin, guerre, transformations, frontières socio-ontologiques Geographical index: Macha, Andes, Nord Potosí, Bolivie Subjects: Ethnohistoire, Ethnologie Keywords: vertical archipelago, warfare, shapeshifting, socio-ontological frontiers

AUTHOR

TRISTAN PLATT

University of St Andrews, Centre for Amerindian, Latin American and Caribbean Studies (CAS), School of Philosophical, Anthropological and Film Studies, 71 North Street, St Andrews, Fife KY16 9AL, Scotland UK [[email protected]]

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Catastrophes and Weddings. Chachi Ritual as Metamorphosis

Istvan Praet

EDITOR'S NOTE

Manuscrit reçu en août 2007, accepté pour publication en septembre 2008.

Catastrophes

1 On the 31st of December 1999 frantic crowds had gathered in San Miguel, one of the foremost ceremonial centres of the Chachi. These inhabitants of the coastal lowlands of Esmeraldas, Ecuador, had congregated because they feared the world would end there and then. Some had picked up on the prophecies of doom concerning the new millennium and this had quickly developed into a general feeling of terror. Incidentally, there had been intense volcanic activity at that time and the sky was darker than usual. Many were convinced that an enormous deluge or a devastating earthquake would follow. What happened during these panic-stricken moments was intriguing: the Chachi organised a mock wedding festival. Musicians brought marimbas and various kinds of drums and played continuously. One of the participants declared afterwards: « We had to do this; otherwise God-the-Father would have destroyed us all ». Another one described it thus: We were all there and kept an eye on the clock. As it got closer to midnight, we became more and more anxious. Just before twelve everybody was nervously checking their watches. A few had small portable radios and listened attentively. Some were so distressed that they started crying. At 12 o’clock nothing happened, no flood, no earthquake… A big relief, but we decided to stay on for a while, to be entirely sure that nothing would happen. 2 Anxieties about an imminent apocalypse are widespread, not only among the Chachi, but among Amerindian peoples in general. For our purposes here it suffices to consider a few examples from the ethnography of South America. Neil Whitehead (2002, p. 133)

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has shown that fears about the new millennium led to an outbreak of panic among the Patamuna, very reminiscent to the Chachi fears about the year 2000. Robin Wright (1992, 1998, 2004) has amply documented Baniwa « millenarianism ». A key point he makes is that contemporary ideas about disaster cannot be understood as a mere consequence of recent Christian influences. Rather, they are reformulations of something which already existed previously. Stephen Hugh-Jones (1994) reaches a similar conclusion with his claim that Tukanoan messianic cults resemble both the indigenous shamanism of the area and Catholic belief. But not only Amazonia specialists have documented such apocalyptic ideas. The theme is prevalent among Andean populations as well. Sabine MacCormack (1988, pp. 982-983) provides an historical illustration with her discussion of the Quechua concept of pachacuti, which she describes as « the world turning upside down ». A more contemporary example is offered by Olivia Harris (1987, p. 94), who found the Laymi of the Bolivian Andes to be « obsessed with rumours about the end of the world ». In sum, we notice a broadly parallel conception of the apocalypse across native South America. But why would this be so? The aim of the present study is to contribute to this general question by looking at the specific conceptions of disaster of the Chachi, whom I now introduce briefly.

3 Formerly known as « Cayapa », the indigenous inhabitants of Esmeraldas, Ecuador’s northernmost province on the Pacific coast, nowadays refer to themselves as « Chachi » . Their language, Cha’palaa, is spoken by approximately nine thousand people. In a largely Hispanic country, the Chachi constitute a relatively sizable minority group; they have a particular reputation for their skills as canoe crafters, basket weavers, hunters and river fishers. While most of them have a preference for living faraway in the forest, they are by no means an entirely isolated group. They have always maintained connections with outsiders, both along the Pacific coast and in the Andean highlands (Altschuler 1964, p. 20; Carrasco 1988, p. 22). Recent linguistic evidence indicates that the Chachi are relatively closely related to the Tsachila, the native residents of the Santo Domingo area in the western foothills of the Andes (Curnow and Liddicoat 1998). According to the same study, they are also related to the Awá of the western Colombian-Ecuadorian border area and to certain groups in the Paez region (highland Colombia). In a geographical sense, they live close to the Afro-Ecuadorian populations of Esmeraldas, to the Emberá of the Colombian Chocó and to the Quichua of the highland province Imbabura. How and to what extent the Chachi are connected to these various groups remains largely unexplored. At present, most Chachi people speak Spanish fluently, a result of the continuing efforts of bilingual teachers trained by organisations like the Summer Institute of Linguistics. While a significant number of them has migrated to Esmeraldas town and other cities in recent years, the overwhelming majority continues to live in their ancestral territories contiguous to the Cotacachi-Cayapas nature reserve. 4 To say that the Chachi have an « obsession » with disaster is not an exaggeration. Many Chachi people can describe in minute detail how catastrophes took place in the past. On one occasion, it is told, there was a solar eclipse. When the whole world had become dark, frightening events began to occur. All kinds of objects such as stones or axes started flying around like insects. Suddenly, trees could talk. The Chachi were totally confused. In the darkness, they could no longer find their way. As they could no longer look for nourishment, they got very hungry. Some fruit trees and certain palms were friends of the Chachi. They gave instructions about how to locate them: « I am here. If

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you want to eat something come over here. Here I am! ». But not all trees were so friendly; they were helped only by those that they always treated well. The trees they used to chop down (to make canoes or sleeping mats, for instance) turned against them and were out for revenge. Benefiting from the dark, giant ogres lifted up the roofs of houses, abducting and eating many defenceless people. Some Chachi turned into man- eaters. Brothers ate their sisters and sons ate their fathers. Mothers even ate their little babies. In one woman’s words: « As it was dark, people could not see what they ate. Their own relatives had begun to smell like pineapple, so they were under the delusion that they were consuming fruit ». After the eclipse, a huge thunderstorm followed which turned into a hurricane. Axes flew around, trying to kill the Chachi. They had always been « maltreated » (by knocking them against trees and so on) and now it was their moment of vengeance. And it was not just axes. All objects that people were accustomed to « maltreat » now became dangerously inimical. The stones they occupy to grind plantains now tried to smash the Chachi. A whole variety of kitchen utensils transformed into lethal projectiles. Pots, plates and spoons attacked people. These were all angry as in everyday life they had been burnt with fire (the pots), badly treated by filling them with hot substances (the plates) or tortured by stirring them in boiling food (the spoons). Many people died, but some survived as they were helped by friendly objects, that is, objects they had always treated with care and affection1. « During such catastrophes », one man told me, « it is as if the whole world reverses ». He maintained that while tornadoes uproot the heaviest trees, the lightest species remain unharmed. Guayacan trees, known to be the sturdiest in the area, were drifting through the air like feathers on various occasions in the past. Balsa, which has the lightest kind of wood, becomes like a stone and people run for shelter under such trees2. Moreover, animals usually hunted by people allegedly turn into redoubtable enemies; prey becomes predator. Opossums, peccaries and wildcats attack humans, bats suck their blood and owls eat their eyes. 5 Accounts of the apocalypse also involve earthquakes. On various occasions, trees fell, houses collapsed and people got smashed. Certain quakes were allegedly so devastating that some houses simply vanished in the ground. Remarkably, those who endured such crises best were not the new and sturdy houses – as one would expect – but the old and shabby ones. Again, we are confronted with a reversal: during the catastrophe what is sturdy becomes weak and vice versa. The idea of a reversal of the world is also brought up by my predecessor Samuel Barrett (1925, p. 376), who links earthquakes to the appearance of « those without anus », monstrous beings which cannot eat proper food and instead feed on the steam escaping from cooking pots. One of my informants described an earthquake that took place some 15 years ago, when he was in his native village. It was an horrible experience. Houses were shaking and the pots in the kitchens fell down. People ran outside in panic. They were jumping, screaming and crying in fear, for they all assumed it was the end of the world. After such an incident people usually hurry to the ceremonial centre, where they enter the church, kneel and beg God-the-Father for mercy3. Floods and tsunamis (locally known as visitas) are also recurring elements. One bilingual teacher recounted me what happened during a massive flood in 1972, when he was living in Rio Cayapas. It was a general disaster; never before had he seen something so terrible. For days in a row, there was a superabundant rainfall. The river burst its banks and entire houses were swept away. Villages along the river had to be evacuated and people had to camp in places that were located higher up. Various Chachi got caught by the violent currents and drowned.

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More recently, in 2003, another calamitous flood occurred in Rio Cayapas. Although no people appear to have drowned, many lost domestic animals and other possessions. Just as during the 1972 flood, those who were most frightened went to the ceremonial centre to drum and to play marimba. 6 This illustrates that New Year 2000 was not the only time that a fiesta was organised. In fact, any catastrophe of significant proportions is consistently followed by a celebration in the ceremonial centre. Consider the following account, recorded by Milton Altschuler (1964, p. 117): During 1959-1960 rumors were constantly in the air in Ecuador that the end of the world was going to take place soon. These rumors had reached the Cayapa [the former name of the ethnic group nowadays known as « Chachi »] According to Gabriel [a prominent Chachi], Jesus carries the world in his arms and when the sins of the people pile up, the world gets heavier and heavier until at last the burden becomes insupportable, and Jesus lets the world fall. That, said Gabriel, will happen very soon unless the Cayapa can appease the wrath of God by holding a special fiesta […]. Gabriel was so concerned that he sent a message to the chiefs of the other sections [that is, to the Governors of the other ceremonial centres], inviting them to a meeting at his home to discuss the impending disaster and the means by which to avert it. He wanted each group to stage a fiesta at its own ceremonial center at the same time « to give added strength ». To make doubly sure, he wanted four young children to be married « as they did in the old days ». Being young they would, of course, be without sin, and Jesus would find the sight touching and forgive the world. 7 The coincidence of ritual celebrations with circumstances of general panic is a well known fact and has been widely documented in the ethnography of South America. What surprises here is the Chachi’s particular choice for weddings, occasions which non-Chachi generally tend to envisage as joyous. Why celebrate a wedding when you are struck by the worst misery? When I asked this directly, none of my informants could give a univocal answer. Phenomena like solar eclipses, some explained to me, are a warning for people who live badly. All catastrophes are a punishment of God-the- Father or, as some literally express it, they are a whipping. He chastises in retaliation for all the sins people have committed. It is up to the Chachi to beg God for forgiveness (alabar a Dios) and to better their lives. All my informants agreed that the best way to prevent the destruction of the world is to organize a wedding fiesta. In relatively small emergencies like the 2003 flood people may content themselves with mimicking a marriage and just play the instruments and dance. When the worst comes to the worst, however, that is not enough. Nothing less than a real wedding will do. Preferably, there should even be several weddings at once. The couples that are planning to get married anyway are obvious candidates. When no couples were available, the elderly used to summon particular youths to marry, if they wanted or not. If the situation was extremely precarious it even happened that they married young children4. But these specifications do not resolve the question of the link between disasters and getting married. In the next section I attempt to clarify the issue by looking at the weddings themselves.

Weddings

8 To be sure, weddings are not improvised to deal with a calamity in ordinary circumstances. Usually, they are planned long beforehand and take place at fixed times

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of the year. They are celebrated in the ceremonial centres at Easter or at Christmas. Weddings are considered extremely important: they involve considerable preparation and, by local standards, incredible expenses5. It involves buying rum (ishkala), sugar to make maize beer (chicha), tobacco and candles. Those who are getting married and their « wedding godparents », the madrina and the padrino, jointly finance most of the celebration. What happens during the preparatory phase of the weddings gives us some clues about the relation with disaster. In the days before the Easter weddings one must act cautiously, for it is thought that « Christ’s protection has fallen away »6. For instance, bathing in the river should be avoided. The prohibition may be largely ignored nowadays, but many people believe that in the past those who did go into the river turned into all kinds of animals and monsters. Myths tell of imprudent Chachi who metamorphosed into dolphins, lizards, toads and dragons. Besides bathing in the river, walking in the forest must be kept to a minimum. Without Christ’s protection, all kinds of accidents are likely to happen. There is an increased risk of being bitten by venomous snakes, which all of a sudden seem to abound. If one goes out alone on the night of Good Friday one is bound to run into various kinds of malicious goblins, who perform beautiful music. Marimba-playing and guitar-playing goblins are reported; for every type of music instrument a goblin appears to exist. Notably, these are envisaged as reversed beings. When one hears their music vague and distantly, they are, in fact, nearby. When they sound loud and clear, by contrast, they are far away. If one thinks that one is dangerously close, one is safe. If one thinks that one is safely distant, one is in danger. Those who are assaulted by such a goblin but manage to survive are said to return as virtuoso musicians, even though they may never have touched an instrument before. People also refer to « drumming ghosts », evil creatures with characteristics of both humans and music instruments. They are said to have a hole at the front of their rib cage, from which blood is constantly dripping. If one looks inside there is nothing: no flesh, no organs. They are hollow. Their back, however, is very hard, more or less like the surface of a drum. They have whips which they use to flagellate themselves (this is said to cause the sound of drumming). In brief, the likelihood of running into all kinds of inimical creatures increases dramatically in the week before Easter. « All are afraid to leave their house in that particular week », one man assured me. Indeed, what happens in the days before Easter could be envisaged as a « little catastrophe ». I now turn to the wedding ritual itself.

9 Only a small crowd was present when the bell of the church chimed for the first time on Good Friday in April 2004. It was noon and we were in the San Miguel ceremonial centre. « This is the hour that Jesus died », I was told. Some of the men took the big crucifix from the sanctuary and put it horizontally on the church floor. Others lit candles in the shrine with the saints’ figures. In front of the crucifix, four men positioned themselves with long sticks, thus blocking the entrance of the church. A member of my host family explained me about this: « Those men with their sticks are guardians. As Jesus is dead and defenceless now, we have to protect him. If we do not, the devil and his consorts would come and take him away. That would be disastrous ». The stick-bearers had to remain on post until midnight, that is, « until the moment that Jesus resurrected ». In the afternoon people occasionally went in front of the church altar, lit a candle and said their prayers. In the vernacular this activity is referred to as utyakenu; it consists of uttering incomprehensible phrases reminiscent of the esoteric incantations of shamans who cure the sick. By the time the vigil in the church had come to an end, a substantial crowd had gathered in the ceremonial house. Most of

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them were Chachi, but several Blacks from neighbouring villages were also present. There was a marimba, several kununus (small drums) and two bombos (big drums). During the first night, those who would get married were not yet present and little happened. Music was played until dawn, people smoked tobacco and some got drunk. 10 The brides and the grooms arrived early the following morning. At the event that I witnessed there were four pairs. In the ceremonial house, the brides sat on one side of a bamboo partition, the grooms on the other. Their outfits were strikingly colourful. The brides had glittery dresses, while their face and the upper part of their body were covered by a veil. The veils were kept in place by headbands to which strips of old coins and tinsel garlands were attached. Some had festoons of little plastic bells, all in extravagant tints of gold, silver, green and red. The grooms wore two red ribbons which they put crosswise over their shirts. They also had headbands of the same colour and a few had put a red handkerchief on top of their head. The godparents of each pair, those who direct the fiesta, were always close. Behind the brides sat their respective madrinas, who constantly remained by their side. Likewise, each groom was accompanied by a padrino. The ceremonial house was divided in a female and a male part: the women mostly stood or sat behind the madrinas, the men were grouped at the side of the padrinos. The dancing was initiated by the godparents, who opened with their respective brides or grooms. Then, friends and relatives of the couples could begin. The same procedure was repeated every time. If a man from the audience wished to dance, he offered a soft-drink, beer or some rum, first to the groom, then to the bride on the other side of the bamboo partition. With the help of her madrina, the bride put on a ceremonial dress. Wrapped up in her veil, she avoided all eye-contact with the giver; the onlookers could only see her nose peeping out of the cloth. Thus, she danced with the man. Most dances only lasted for ten seconds or so. The two dancers stand close, facing each other. While the man merely walks backwards and forwards a couple of times, the bride – following him closely – hops rhythmically and sways her arms7. The wedding couples and their godparents remained sober, for they are supposed to « dance well ». The rest of those present, the relatives and friends, gradually got more and more drunk. Each time they danced, they were served rum by both the bride and the groom. Some, both women and men, ended up so drunk that they almost lost consciousness. Once in a while, some of the men who had too much to drink engaged in brawls. It was the task of the Policemen (chaitarukula) to punish those who were overly excited and they did not hesitate to put incorrigible fighters into the stocks8. To me, such drunken and sometimes violent behaviour was very striking, for it contrasted starkly with my experience of how Chachi act in ordinary life. 11 There were pauses in the dancing once in a while, but the music always continued. The padrinos were responsible to make sure that the musicians had sufficient rum and cigarettes at their disposal. The brides retired briefly with their madrinas every hour or so. When they reappeared, they would wear a new veil, different but similarly colourful. « They are like film stars », one friend remarked, « during the wedding, they constantly change from one dazzling outfit into the other ». Remarkably, the madrinas always followed their brides closely and never left their side. Even when the bride has to defecate, I was told, she is accompanied. When I asked about this one participant responded by recounting a myth. Summarized, it came down to the idea that brides (but also grooms) would behave promiscuously if they were not guarded9. Towards the end of the fiesta, the attention was drawn at the Policemen. As they took their whips, a stir went through the crowd. It was time for the general punishment. The Policemen

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chastised gently, not severely as they would when somebody had truly committed a mistake10. Nobody was exempted: the newlyweds, the godparents, the elderly, women and children all received at least one whiplash. All had to be chastised, it was said, because all had sinned in the past year. By being whipped, I was told, one’s sins (ujcha) were forgiven. Those who tried evading it were tracked down and received an extra portion. After this rather turbulent intermezzo, the fiesta resumed as before. The music went on the whole evening and throughout the night. Near dawn, those who were still capable performed the closing dance, known as San Fan Fan, a derivation from the Spanish « San Juan ». This was the only time at which people danced collectively: brides, grooms, godparents, wedding guests and even the musicians participated. Drums and the marimba were carried along. It was, to use Barrett’s (1925, p. 326) expression, « a riot of fun and jollity ». The dancers exchanged instruments, bottles of rum and pieces of their outfits. They also cracked risqué jokes and shouted mock insults. For instance, they would say to the groom: « Your wife is sleeping around ». This outburst of noise and laughter marked the end of the wedding. Brides and grooms took off their ceremonial finery and put on their ordinary clothes.

The Big Metamorphosis

12 What happens at the Easter celebration, I suggest, can fruitfully be understood as a metamorphosis. In fact, it is the ultimate metamorphosis or, in any case, a big metamorphosis. What takes place is a mass shape-shifting whereby all Humans turn into Monsters and Ghosts. The Living turn into the Dead11. Strictly speaking, « Chachi society » ceases to exist. Indeed, weddings are catastrophes. Before explaining what exactly I mean by this, I wish to emphasize a couple of points. The lavish and conspicuous spending of money is something which usually only happens at weddings and a few other occasions commonly qualified as « ritual ». Similarly, the copious consumption of rum and tobacco is fairly strictly limited to such instances12. In ordinary circumstances most Chachi people never smoke or get drunk, a significant contrast with what happens among neighbouring (non-Amerindian) populations. Another important element is the frequent use of esoteric language. When people go to the church in the ceremonial centre, they « pray » in a twisted idiom of exotic and archaic terms that have no clear meaning in the vernacular. If asked about these incantations, most of those who had been uttering them simply deny that they know them; they are « words of the devil » and sharing them would be dangerous. Another highly significant element is that the weddings are celebrated in ceremonial centres or pebulu, which literally means « village of the dead ». Most of the year such centres stand empty; people do not live there. They are used only on special occasions, mainly weddings and burials. Indeed, these places are also graveyards: the dead are buried underneath the ceremonial house. In many respects these villages of the dead constitute a miniature version of the ordinary Chachi world (DeBoer 1997), even though most things appear to be inverted. Thus, the ancient centres are not built on random places along the river, but specifically where the current is obstructed and the water goes the other way round. Chachi people explicitly avoid building their houses near such spots; they always live where the current is uninterrupted. Its implantation near whirlpools makes the ceremonial centre, in a very physical sense, a « place of the opposite ».

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13 In previous work (Praet 2006, pp. 224-281) I have argued at length that these various practices and the very location where the weddings take place mark a temporary change from the Human into the non-Human; all Chachi have become Monsters. Humans or Chachi shift shape. I will not repeat this argument in detail. For my purposes here I will just highlight a few key insights. Before anything else, it is necessary to clarify why I use the terms « Human » and « Chachi » interchangeably. At present, the latter expression is often used as what anthropologists call an « ethnonym », the name of a specific indigenous group. However, this usage is of relatively recent origin and mostly restricted to those with close links with the Hispanic world. When asked to translate the term « Chachi », my informants usually rendered it simply as « people » (gente) or « true people » (gente verdadero). In that sense, « Chachi » does not refer to a particular group of humans but to humans in general. In such a framework, it would appear that there are no other humans apart from the Chachi13. To bring across this particular conception of humanity I capitalize « Humans ». Elsewhere (Praet 2005; 2006; s. d.) I have proposed that « Chachi » or « Humans » must be conceived of as a shape: these notions do not so much refer to a certain class or an ontological category, but to a position characterized by a specific mode of behaviour which my informants often epitomized in the phrase ura’chunu, « living well ». Among other things, this entails a strictly monogamous lifestyle and an attitude of modesty, that is, abstaining from alcohol and tobacco. Chachi shape or Human shape is prominently opposed to Monster shape or Ghost shape, often captured in the phrase firu’chunu, « living badly ». The latter principally refers to promiscuity, a general lack of restraint and a propensity for torture and aggression14. If one accepts these respective definitions, the wedding ritual, characterized by out-of-character violence, drunkenness, excessive smoking and whippings, is literally an instance of generalized shape-shifting. 14 The wedding festival at Easter always seems to be announced by what one could call an « institutionalised disaster ». If serious catastrophes are always followed by weddings, weddings are also always preceded by catastrophes. It is during Holy Week, especially, that people report being bitten by poisonous snakes. It is in the days before Easter that people avoid trips in the forest or bathing in the river because they are scared to encounter all kinds of inimical creatures such as drumming ghosts. To be precise, Chachi people are not exactly afraid of such Monsters. Rather, fear is turning into a Monster against one’s own will (Praet 2006, pp. 74-121). Assaults by music-playing goblins should be understood as metamorphoses: the people who survive return as goblins themselves. Hence the fact that they are envisaged as virtuoso musicians. It is no surprise that the link between weddings and metamorphoses is one of the most frequently recurring themes in myth15. Consider the example of pipiñi, an aquatic Monster which is thought to be the cause of both drought and flooding: During a celebration in Punta Venado [the most ancient ceremonial centre] an unknown man appeared. Nobody knew he was a man-eater; he had the habit of eating Chachi fishermen. Dressed in beautiful, glittering clothes, he was so handsome that one of the girls wanted to marry him immediately. Preparations for the wedding were taken and at one point the man took off his clothes, which were entirely made of silver coins. That was the snake shedding its skin, but the girl did not notice. The beautiful man appeared to be incredibly thirsty. He asked to fill a canoe with water and to bring it in the ceremonial house. After drinking several canoes of water, which he experienced as consuming rum, the river almost dried up [Punta Venado is located along the Rio Cayapas]. Then, people started to suspect

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that he might be pipiñi, the giant snake that inhales and vomits water. When they remarked: « You drink so much, you are just like a water dragon » he got angry, took his wife and ran away towards the coast. They jumped into the sea and both transformed into water dragons. 15 What happens at the « real » wedding ritual I have described is actually not so different, for we have a complete reversal into the monstrous there too; all Humans turn into Monsters and Ghosts. The first day of the festival could be understood as a vigil of cosmic proportions. As the horizontal position of the crucifix indicates, God himself has died. Those guarding Christ’s corpse are not Chachi but Ghosts. Those sitting in the church are not the Living but the Dead. Everybody present in the ceremonial centre, which is a graveyard after all, is Dead. For the procedure to be successful, both the victim and the rescuers must share a similar shape. An interesting pattern emerges: in order to rescue the dead Christ, one has to become Dead oneself. Throughout the fiesta, the musicians are given great amounts of alcohol and tobacco. They are Monsters, and it need not surprise us that especially at this time of the year all sorts of hybrid creatures with features of music instruments are spotted. At the fiesta the status of the musicians is identical to that of marimba-playing goblins and drumming ghosts. Recall that such ghosts are imagined as flagellating creatures. This is exactly what happens at the weddings: some of the participants chastise themselves. I stress that the music performed at the ceremonies is restricted to those occasions. One would never come across such an ensemble in everyday life. Music marks the non- Human shape of all those present.

16 Brides and grooms arrive on the second day of the festival. One is readily struck by their eccentric outfits. The brides’ frequent changing of clothes (« Just like film divas ») suggests the assumption of not just one but a sequence of various non-Human shapes. It is perhaps no coincidence that the term for « changing one’s clothes » is the same as that for « metamorphosing » (mandinu). In any case, shape-shifters are very often depicted as wearing exceptionally colourful and glittery outfits in mythical accounts. Another striking element is the fact that the couples are constantly accompanied by their wedding godparents. The way things are staged is distinctly paradoxical. On the one hand, the newlyweds are supposed to « behave properly » and « live well », something the Policemen constantly insist on. Each pair is married by a godparent pair that has already proven to be a worthy couple16. On the other hand, brides and grooms are treated as incorrigible sinners: hence the idea that they should be closely guarded. While supposed to be strictly monogamous, the newlyweds are explicitly depicted as sexually voracious. That the brides have to wear a veil and are forbidden to even just glimpse at other men confirms that they are envisaged as the worst adulterers imaginable (girls never wear veils in ordinary circumstances). That the wedding partners are identified with dogs or other animals that epitomize promiscuity is a further illustration. Now adultery is seen as one of the vilest crimes possible and, therefore, harshly punished by the Policemen. The sanctions of whipping and putting people in the stocks become better understandable if we grasp that committing a mistake against marital faith implies losing one’s Human shape (Praet s. d.). Those who « sin » are no longer Chachi; adultery is equivalent to monstrosity. In short, the brides and grooms shift from Humans into Monsters17. The position of those offering rum and soft drinks is similar to that of the wedding couple: they are no longer Human. More generally, I argue that all wedding-participants temporarily become non-Humans. Their often immoderate consumption of rum and tobacco, their sometimes wild and

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aggressive behaviour and their dancing with bride or groom indicate their monstrosity. Dancing is associated with adulterous sex. In that sense, the wedding can be understood as a collective orgy; it is defined in opposition to the monogamous restraint of everyday life. All dancers are « sinners » or, what amounts to saying the same, they are Monsters. Especially the wedding couples and the godparents manifest themselves as such: they are the ones that dance most often. Little wonder, given the outburst of « sinning » at these particular occasions, that the Policemen are so busy whipping and chastising. During the general punishment neither the Policemen nor those whom they whip are Humans. In fact, torturing is a conspicuously non-Chachi way of acting; in ordinary circumstances, the exemplary peacefulness of the Chachi is stressed time and again. This attitude is often contrasted with the ostentatious aggressiveness of fearsome outsiders such as the colonial Spaniards or policías. Spaniards, whether soldiers or clerics, were considered to be man-eaters, implying that they were not Human (see Praet 2006, pp. 77-85). In other words, Policemen are Spaniard-like Monsters. Those whom they punish, the « sinners », are in acute danger of losing their Human status forever. The aim of the whipping is precisely to counter this: the sinner/Monster has to be drawn back into his or her Human shape. To accomplish this the punisher has to assume the same position as the culprit: from the ordinary Chachi that he is in everyday life, he transforms into an Hispanic Monster, a Policeman. That is why he mutters archaic Spanish incantations and tends to wear old-style colonial outfits on such occasions. In my view, the ultimate aim for both the punished and the punisher is to cast off their Monster shape definitively. In other words, I contend that the Policeman is an expert shape-shifter who guides the sinner back into his former shape. The pattern that emerges is similar to what we have seen before: in order to reassume one’s humanity and to ward off the monstrous, one temporarily has to turn into a Monster. That is, adopting a similar viewpoint as one’s adversaries is a necessary precondition to deal with and, eventually, to overcome the difficulties they provoke. As we know from contemporary Amazonian anthropology, this idea is quite widespread across South America. What matters is who manages to manipulate the « perspective », as Eduardo Viveiros de Castro (1998) has expressed it. To formulate what happens during the punishment in his terms: the Policeman transforms into a Monster but only with the aim to impose his own (Chachi/Human) perspective in the end. In order to dominate the metamorphosis one first needs to be « on equal terms » with one’s non- Human adversary; the implicit logic is that one can only beat the monstrous by first joining it. 17 The San Fan Fan closing dance is the climax of the metamorphosis. One last time, in a jolly charade of fun and drunkenness, the dancers demonstrate their monstrosity. They jokingly insult each other, accusing their fellow dancers of sleeping around. As pointed out, acting adulterously is equivalent to acting monstrously. The riotous exchange of instruments, hats and other items amounts to a sequential shifting into a multiplicity of non-Human shapes. Among them, as they dance in a long queue, is that of a water dragon (this elucidates the glittery costume of such giant snakes in myth, for many participants are adorned with silver coins and colourful beads). Others embody fearsome Spaniards, marimba-playing goblins and drumming ghosts. In short, the closing dance highlights the position of the wedding participants as Monsters and Ghosts. It is the final episode of a concrete and tangible catastrophe where the Living have all become Dead, an idea that is less strange than it may appear at first sight for, after all, the wedding takes place in the graveyard. The end of the whole event is

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marked by the wedding couple changing into their ordinary outfits: only then the world has turned back to normal. The ceremonial centre is vacated, people look for their canoes and return home: without more ado, Monsters and Ghosts transform into Humans again. It is worth repeating that the vernacular expression for « changing back into one’s former clothes » is identical to that for « metamorphosing ». Arguably, what happens during weddings is identical to what takes place during « real » catastrophes. Earthquakes, floods or hurricanes are equally envisaged as metamorphoses. People, animals, plants and things shift shape. Hence the « cannibalism ». As I indicated earlier, eating human flesh is non-Human behaviour par excellence: those who confound their babies for pineapples are no longer Humans but Monsters. Hence the fact that innocuous animals become dangerous, peccaries hunt Chachi, bats suck their blood and so forth. What happens is a generalized shift from prey into predator, victim into attacker. The same procedure takes place when certain trees transform into giant ogres and objects like pots, spoons and axes turn aggressive. Those who the Chachi « maltreat » in ordinary circumstances now take revenge and torture their torturers. The « turning around » of the world – what is sturdy becomes shabby, what is light becomes heavy, etc. – is yet another expression of this generalized metamorphosis. We are now in a position to better understand the link between weddings and catastrophes. During the festival, the site of the ceremonial centre is conceived of as the entire world. Indeed, Chachi people often say that the world rests on wooden crosses18, just as the ceremonial house where the dancing takes place is built on top of the graveyard, i.e. « supported by crosses ». Wedding participants explained me that each time somebody commits a mistake the weight of the world augments and crosses are liable to snap. Each cross that breaks causes an earthquake or other disasters. Adulterers, it is said, « have no cross » (cuusa tajtu). When the « burden of sins » becomes too heavy, Godly punishment, the apocalypse, is inevitable (Carrasco 1988, p. 152; Ventura 2000, p. 169)19. This is what happens each year at Easter. The Policemen’s chastisements of all those present at the wedding, and the utterance of esoteric incantations aim to prevent the breaking of the crosses that support the world. However, these efforts would be in vain if no new crosses could be placed. Here, we grasp the essential role of marriage, for each couple is explicitly equated to a cross. Each wedding, then, establishes additional support to avoid the world from collapsing. In an alternative version, Jesus holds the world in his arms; this explanation is similar in so far that it confirms that sinning augments the weight of the world, thus increasing the risk that it crumbles. One man, cited by Cabrera (1998, p. 14), formulates it thus: The Chachi believe that the world rests in the hands of God. When somebody commits a crime, steals or a man has three or four women, the weight of the world augments. Consequently, God gets tired. When He moves His hand a little this produces an earthquake. The Chachi conclude marriages to prevent such movements. [My translation] 18 In presumably more ancient versions crosses and Christian imagery in general are entirely absent. In some accounts, for instance, the world is not kept in the hand of Jesus or God, but in that of a gigantic creature known as « the one that holds the world with its hand (tyaapachi tana’tu; Carrasco 1988, p. 134). In one version, each couple is identified with a particular kind of cord made from fibres obtained from royal palms (Roystonea spp.). The latter version refers to Tutsá, the Chachi’s mythical village of origin located in the middle of the world, exactly at the spot where it « threatens to break into

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two halves ». Narrators assert that underneath the path leading to that village, it is exactly such cords that keep the world together (Medina 1997, p. 59). The at first sight incongruous link between catastrophes and weddings, but also the frantic persecution of adulterers is now better understandable. While the imagery is to some extent variable, especially with regards to the use of Christian elements, the same idea always recurs. The married couple, as a whole, is equated to a cross or a cord, supporting the world or preventing it from falling apart. Each time a marriage fails, a cross breaks or a cord snaps, thereby bringing the end of the world closer. To conclude a marriage, on the other hand, is always a bit of a salvation.

19 Clearly, it is a mistake to explain Chachi attitudes towards adultery and their stress on monogamous marriage as an inheritance from their contacts with Catholic missionaries, as some of my predecessors have done (e.g. Altschuler 1964). We now understand that the adoption of Christian imagery like crosses did not necessarily imply a radical rupture with previous beliefs and practices. The overlap between Chachi and Spanish-Catholic conceptions about marital faith results more likely from coincidence than from imposition. The priests who attempted to convert the Chachi since the early 16th century maybe managed to alter the form of their metamorphic practices, but not the metamorphic practices themselves. I would like to stress once more that the wedding couple, whether associated with a cross or a cord made from royal palm fibre, adopt a monstrous status: Hispanic priests and cross bearers are referred to as uyala, nowadays usually translated as « whites » but originally meaning « man-eaters ». Although its etymology is unknown, the royal palm appears to have a similar connotation, as its vernacular name is uyachi, which could tentatively be translated as « man-eater tree ». These associations reinforce the thesis that the newlyweds are temporarily non-Human just like the other wedding participants. What remains to be clarified is why this would be so; in other words: why metamorphosis? Before answering this question, it is useful to recap a few things. At the Easter festival, we observe a fundamental reversal: the ordinary world of Humans becomes catastrophic and the catastrophic world of Monsters and the Dead becomes ordinary. When the Chachi leave their villages and congregate in the ceremonial centre one could say that all Humans have been exterminated; the world has come to an end and all that remains are non-Humans. In fact, the rationale is not so different from what happens in Amerindian shamanism more widely: the idea appears to be that one can only beat the monstrous by temporarily joining it. As Viveiros de Castro and those who elaborated on his approach have hinted at, the precondition to control and eventually overcome one’s adversary is to adopt a similar perspective. The strategy is not one of avoidance; rather, it is based on what one could term « neutralization by co-option ». At Chachi weddings, I argue, this only happens on a larger scale: we are not talking about the metamorphosis of an individual shaman, hunter or warrior but about that of an entire population. I have shown that participation in the festival entails a shift from the Human into the non-Human, from restrained and peaceful Chachi into exuberant and aggressive Monsters. Such collective metamorphoses are disasters, but they are curbed disasters, kept within certain bounds. The key assumption is that catastrophes are fundamentally unavoidable; therefore, trying to escape them is pointless and completely annihilating them impossible. Instead, Chachi people have chosen to co-opt catastrophes in order to « live with them » and wedding festivals are the original instrument they have developed for this purpose.

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20 To conclude, I briefly comment on what this particular case contributes to our knowledge about « millenarianism » in South America more generally. If one considers the ritual occasions described in the ethnography of South America, it is not difficult to point to parallels with what I have outlined in the present study. For example, what Gow (2001, pp. 158-187) says about Piro initiation ceremonies, where celebrants paint themselves as jaguars or dress up as white people, use esoteric language and copiously consume tobacco and alcohol is strikingly similar to what happens at Chachi wedding festivals. Not only in the Amazonian lowlands but also in the Andean highlands one comes across interesting parallels. Frank Salomon’s (1981) work on the yumbada dance rituals of northern Ecuador is a good example. During such occasions Quichua dancers dress up as « wild Indians » from the tropical lowlands and as all kinds of evil creatures and predatory animals. Such rituals also involve whipping, smoking tobacco and drinking rum. Obviously, it would be worth investigating whether such practices entail a metamorphosis from the Human into the non-Human, as I have proposed concerning Chachi weddings. What we know for sure is that apocalyptic ideas are omnipresent among Amerindian people throughout the continent; however, why this would be so remains unanswered. The present study indicates a possible pathway: if it is true that Chachi weddings are catastrophes, the bigger question that arises is whether this is a unique ethnographic oddity or a specific instance of a much wider phenomenon we encounter all over the continent. To formulate this in a more tentative way: in how far can we say that the occasions which South America specialists usually describe as « rituals » are catastrophes? Finding out to what extent shape-shifting from the Human into the Monstrous is common among Amerindians emerges as a promising challenge for future research. 21 Acknowledgments: I thank Laura Rival, Elizabeth Ewart, Philippe Erikson, Armelle Lorcy and Anna Boermel for their comments on an earlier version of this paper. I gratefully acknowledge the support of the Wenner-Gren Foundation (Gr. 7173), the Royal Anthropological Institute, CNRS (Legs Lelong) and the Economic and Social Research Council (Grant PTA-026-27-1574).

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NOTES

1. The elderly say: « A glass of water can save your life ». When you drink water, to be sure, you touch the glass gently; it is almost as if you give it a kiss. Grateful for this tenderness, it is said to come to one’s help in emergency situations. 2. Even nowadays, when there is a heavy storm and children are afraid, they are sometimes advised to hold a piece of balsa. 3. The Chachi call this practice miseecuya (from the Spanish misericordia). « God-the-Father » is a literal translation of the vernacular term diusapa. 4. At present such children’s weddings no longer take place, but in the not so distant past they were all but a rarity. Most of my elderly informants remembered such occasions from their youth. 5. At the celebrations that I witnessed, the organizers spent from $100 up to $300. 6. In this article, I focus on the Easter ceremonies. Although they have a lot in common with what happens at Christmas, I should make it clear that both are not entirely identical. 7. If the prospective dancer was a woman, the procedure developed inversely. Like the brides, female dancers were wrapped up in a veil and had to put on a ceremonial dress. 8. Chaitaruku literally means « man with the baton »; in local Spanish it is translated as policía. 9. In the version related to me, the bride transformed into a dog and copulated with her former lover behind the back of the groom. 10. In this case « mistake » especially refers to breaches of monogamy; each time it is discovered that somebody has an extramarital affair, a Policemen is called upon. The punishment usually consists of whiplashes or putting the « wrongdoers » in the stocks (in a forthcoming article I treat this issue in more depth). 11. I use capital letters to indicate that these expressions refer to what I call « shape », a notion that will be explained in more depth further onwards. 12. During death rituals and shamanic curing rites, money, rum and tobacco also play a prominent role. 13. This is an example of what Eduardo Viveiros de Castro (1998) has referred to as the « ethnocentrism » of Amerindian peoples. The phenomenon is widespread and was already noted by Claude Lévi-Strauss (1962, p. 220). 14. This approach is in accordance with Philippe Descola’s (2005, p. 197) remark that many if not most Amerindian ethnonyms can literally be translated as « the people » or « the human beings » and that therefore « ils sont un marqueur d’énonciation et non un nom ». 15. For a more complete overview of Chachi mythology I refer to my doctoral thesis (Praet 2006, pp. 20-121 and appendixes) and to a forthcoming publication specifically dedicated to that theme. 16. In this context « worthy » specifically refers to « monogamous »: being faithful to one’s husband or wife is a sine qua non to qualify as a proper Chachi (Praet 2006; s. d.).

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17. More specifically, the grooms appear to become drumming ghosts. The latter are often described as carrying two big whips cross-wise over their shoulders. The red ribbons with which the grooms are adorned are also worn cross-wise over the shoulders. Moreover, in some myths drumming ghosts have red hats, while the grooms wear red head ribbons or put a red handkerchief on their head. 18. In some accounts, the world is kept in the hand of Jesus or God. In another, probably more ancient version, each couple is identified with a particular kind of cord made from fibres obtained from Royal Palms (Roystonea spp.). The latter version refers to Tutsá, the « Old Village ». Narrators point out that Tutsá was located in the middle of the world, exactly at the spot where it threatened to break into two halves. Underneath the path leading to the Old Village, it was exactly such cords that kept the world together. 19. Clearly, it is a mistake to explain Chachi attitudes towards adultery and their stress on monogamous marriage as an inheritance from their contacts with Catholic missionaries, as some of my predecessors have done. The Spaniards maybe managed to alter the form of their metamorphic practices (Policemen replaced the big felines and evil creatures from an earlier epoch as favourite non-Humans), but not the metamorphic practices themselves.

ABSTRACTS

Catastrophes and Weddings. Chachi Ritual as Metamorphosis. A question that has intrigued anthropologists for a long time is why catastrophic anxieties are so omnipresent among Amerindian peoples. Known in the literature as « millenarianism », fears of an apocalypse appear time and again, both in lowland and highland South America. This article aims to contribute to a better understanding of this phenomenon by examining notions of metamorphosis or « shape- shifting ». The particular case described examines the link between catastrophes and the wedding festival of the Chachi, Amerindians from the Pacific coast of Ecuador.

Catastrophes et mariages. Rituels chachi et métamorphoses. L’omniprésence des angoisses de catastrophes chez les peuples amérindiens intrigue les anthropologues depuis longtemps. Connues dans la littérature sous le nom de « millénarismes », la crainte d’une apocalypse est récurrente dans toute l’Amérique du Sud. Cet article entend contribuer à une meilleure compréhension de ce phénomène en s’intéressant aux notions relatives à la métamorphose. Plus particulièrement, il explore le lien entre catastrophes et fêtes de mariage chez les Chachi, un groupe amérindien de la côte pacifique équatorienne.

Desastres y bodas. Rituales chachis como metamórfosis. Una cuestión que ha intrigado a los antropólogos desde hace mucho tiempo es la omnipresencia de ansiedades catastróficas entre los pueblos amerindios. Conocidos en la literatura como « milenarismo », los temores de un apocalipsis aparecen en todos partes de América del Sur. Este artículo se propone de contribuir a una mejor comprensión de este fenómeno mediante el examen de nociones relacionadas con la metamórfosis. Más concretamente, la investigación se centra en la relación entre las catástrofes y las bodas de los chachis, un grupo indígena de la costa del Pacífico de Ecuador.

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INDEX

Geographical index: Chachi, Équateur Subjects: Anthropologie sociale Keywords: metamorphosis, ritual, millenarianism, conceptions of disaster Mots-clés: métamorphose, rituel, millénarisme, conceptions de la catastrophe Palabras claves: rituales, milenarismo, concepciones del desastre

AUTHOR

ISTVAN PRAET

Postdoctoral Research Fellow, University of Oxford and Laboratoire d’anthropologie sociale, Paris. Linacre College, St Cross Road, Oxford OX1 3JA, UK

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Articles

Dossier : Historiographie américaniste

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La Société des Américanistes de Paris : une société savante au service de l’américanisme

Christine Laurière

NOTE DE L’ÉDITEUR

Manuscrit reçu en janvier 2008, accepté pour publication en septembre 2008 La Société des Américanistes de Paris est la plus ancienne des institutions américanistes existant dans le monde entier, et il ne paraît pas exagéré d’affirmer que par ses activités et son prestige, elle est l’une des premières en importance. […] Il n’est pas nécessaire de rappeler aux lecteurs ce que les américanistes, surtout dans le domaine anthropologique, doivent au matériel scientifique et informatif d’une immense valeur accumulé pendant près de quatre-vingt années dans le Journal de la Société des Américanistes de Paris. (Comas 1974, pp. 36-37 ; traduction de l’auteur C. L.) La Société des Américanistes […] jouira d’un prestige considérable, qui vaudra à son Journal (1895) de détenir longtemps un quasi monopole de la diffusion des résultats de recherches sur les cultures indiennes d’Amérique latine. (Descola et Izard 1991, p. 52) 1 La Société des Américanistes de Paris1 a puissamment contribué à façonner la physionomie de l’américanisme au cours de la première moitié du XXe siècle, en

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favorisant sa légitimation, son institutionnalisation, sa reconnaissance et sa visibilité, en France comme sur la scène internationale. Les publications sur l’histoire de l’américanisme français sont encore relativement peu nombreuses2, et l’on ne s’est pas encore suffisamment interrogé sur l’apport de cette discipline dans la physionomie originale de l’ethnologie française. Si l’histoire de l’africanisme français commence à être bien balisée3, on ne saurait en dire autant de celle de l’américanisme et des américanistes qui ont, pourtant, pour plusieurs d’entre eux, occupé des positions clés dans les institutions ethnologiques françaises et dans les débats conceptuels qui ont animé l’anthropologie (pour mémoire, ne citons qu’Ernest Théodore Hamy, Paul Rivet et Claude Lévi-Strauss). Cette indifférence à l’histoire de leur discipline s’explique sans doute en partie par les préjugés nourris par les anthropologues américanistes contemporains eux-mêmes qui, pour la plupart, expédient d’un revers de la main l’américanisme d’avant la Seconde Guerre mondiale dans les limbes d’une pseudo- science, dont la médiocrité théorique ne serait plus à démontrer. Ce jugement gagnerait à être relativisé en prêtant un peu plus d’attention, en historien et en ethnologue, aux initiatives et activités institutionnelles, aux parcours des américanistes, aux disputes intellectuelles qui animent la discipline, en ayant présent à l’esprit leur contexte historique, sociologique et scientifique d’expression. C’est à cette histoire que voudrait sensibiliser cet article, en posant quelques jalons et en s’intéressant principalement aux années 1890-1940.

Aux origines de la Société des Américanistes (1895-1908)

2 Bien que l’américanisme soit une science jeune, il ne date bien évidemment pas de la fondation de la Société des Américanistes de Paris, en 1895 : « il existe déjà en embryon dans les récits des premiers conquérants, dans les descriptions des premiers voyageurs où sont consignées les observations suggérées par la vue nouvelle de la nature et des êtres » (d’Harcourt s. d., p. 23). Depuis plusieurs décennies déjà, le Muséum accorde sa bénédiction à des missions scientifiques et à des explorateurs qui se rendent en Amérique (Riviale 1995 ; 1996). Mais, l’apparition de l’américanisme en tant que mouvement scientifique, c’est-à-dire en tant que volonté réfléchie d’organiser et de « grouper tous ceux que l’américanisme attirait en un centre de travail, d’émulation et de discussion » (d’Harcourt s. d., p. 31), peut toutefois être repérée à la fin des années 1850. Il prend forme lors de la création de la Société Américaine de France, en 1857. Ses fondateurs (Joseph Aubin, l’abbé Brasseur de Bourbourg, A. Maury et Léon de Rosny) ne parviennent cependant pas à fédérer un nombre suffisant de membres pour assurer sa viabilité : ils « furent obligés, au bout de quelques mois, de modifier leur programme ; ils instituèrent une Société d’Ethnographie Américaine et Orientale dont la Société Américaine ne fut plus qu’une section » (Lasteyrie 1901, p. 605). On retrouve ici la Société d’Ethnographie, fondée le 24 avril 1859 par le même Léon de Rosny, sur un terrain d’entente rassemblant la Société Américaine de France et le Société des Amis de l’Orient à laquelle appartenait aussi Léon de Rosny, premier professeur de japonais en France (Chailleu 1990). L’union de l’Asie et de l’Amérique aurait de quoi surprendre si l’on ne gardait présent à l’esprit que les savants de cette époque pensaient que l’Asie était le berceau de l’Amérique. Le vif débat autour de l’éventuelle découverte du

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Nouveau Monde par les Chinois, appelée Fou-Sang, illustre l’intérêt des orientalistes pour les choses américaines, qui ne seraient que le prolongement de l’Asie.

3 En 1863, la section américaine rompt avec la Société d’Ethnographie, mécontente du peu de place qui lui est réservée dans les colonnes de la Revue Orientale et Américaine, et elle se transforme en Comité d’archéologie américaine. Mais, étant donné la léthargie dans laquelle ce Comité (dont on perd trace en 1893) tombe rapidement, la vieille Société Américaine est reconstituée en 1873, et elle réintègre le giron de la Société d’Ethnographie (Durand-Forest 1964, p. 203 ; Lasteyrie 1904, p. 326). Deux ans plus tard, en 1875, elle organise le premier congrès international des Américanistes, à Nancy, qui devait connaître la fortune que l’on sait puisque cette grande messe des chercheurs américanistes existe toujours. 4 Lors de ce premier congrès international, la Société décida qu’elle aurait désormais une revue propre et commença à faire paraître une série de fascicules appelés Archives de la Société Américaine de France, rebaptisées en 1893 Archives du Comité d’Archéologie américaine au moment où la Société elle-même se transformait en une section de la Société d’ethnologie (d’Harcourt s. d., pp. 32-33). Léon de Rosny ayant moins de temps à consacrer à la Société et à sa revue, cette dernière se délite puis cesse de paraître (Chailleu 1990, p. 96). 5 Ce rapide survol historique institutionnel tend à suggérer que le mouvement américaniste français peine à se structurer durablement, à trouver son identité et un programme fédérateur qui mette d’accord suffisamment de personnes décidées à œuvrer dans le même sens (Prévost 2007, pp. 587-652). L’amateurisme et la force de la tradition lettrée classique, uniquement préoccupée par les hautes civilisations, nuisent à l’établissement d’un programme de connaissance scientifique des populations amérindiennes contemporaines dans leur ensemble. Bon nombre de travaux américanistes du dernier quart du XIXe siècle investissent les Amériques d’un imaginaire occidental débridé par l’énigme que constituent les origines du Nouveau Monde et de ses habitants. Les protestations vigoureuses de savants désireux de travailler sur de sérieuses bases scientifiques, consolidées par les progrès récents des sciences naturelles et archéologiques, et d’écarter toutes ces théories fantaisistes se font certes entendre, mais, d’après les réflexions rapportées par Juan Comas (1974, pp. 15-20), elles mettront du temps à porter leurs fruits. « La question du déluge ne rentre pas dans la compétence du Congrès actuel… » : c’est ce qu’avaient compris des savants comme Lucien Adam, Armand de Quatrefages ou bien encore Ernest Théodore Hamy. 6 Ernest Théodore Hamy fut amené à la recherche américaniste par le travail de classification des collections ethnographiques qu’il entreprit, au lendemain de sa nomination au poste de conservateur en chef du Musée d’ethnographie du Trocadéro, en 1880 (Dias 1991, pp. 207-235). Les collections américaines étant les plus importantes en quantité, il prend un soin particulier à organiser la galerie américaine, qui ouvre au public en 1882. Tout au long des années 1880-1907, pendant lesquelles il occupe le même poste au musée, il commente nombre d’objets américains dans de courts articles descriptifs. Doté d’un esprit rigoureux, formé aux travaux paléontologiques puis à l’anthropologie physique, rompu à l’exercice de l’exposé naturaliste, maîtrisant un savoir encyclopédique, Hamy se satisfait mal des dérives que subit l’anthropologie lato sensu, de plus en plus restreinte à l’étude des caractères anatomiques de l’homme. C’est dans cet esprit qu’il faut comprendre sa décision de publier, en 1882, une revue

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indépendante de toute société savante, mais étroitement liée au musée du Trocadéro, L’Ethnographie, qui se veut en rupture avec la tendance biologisante de la société d’Anthropologie qui sclérose la recherche et ne s’intéresse pas assez à l’homme vivant. Dans les pages de cette revue, il veut réhabiliter l’ethnographie, et surtout l’ethnographie de sauvetage. La gageure que représente L’Ethnographie ne dure cependant pas : six ans après son premier numéro, elle doit cesser toute activité en raison du manque de collaborateurs et de l’absence de tout soutien institutionnel et financier fort. Avec les Matériaux pour l’histoire de l’homme et la Revue d’anthropologie, elle se fond en une nouvelle publication, L’Anthropologie, créée en 1890, qui va connaître une audience plus importante et pérenne (Sibeud 2002, pp. 138-151 ; Laurière 2008a, pp. 186-190). 7 Pourquoi, alors qu’une Société Américaine existait déjà, sous une forme ou sous une autre depuis 1857, Hamy prend-il la décision, en 1892, de créer une autre société savante travaillant elle aussi sur le continent américain ? On a vu plus haut ce qu’il pensait des recherches américanistes menées jusqu’alors : les faits recueillis, les vestiges des hautes civilisations mésoaméricaines et andines n’auraient servi que de prétextes à moult spéculations farfelues et dénuées de fondements scientifiques. Or, selon lui, il se trouve que pareilles théories sembleraient avoir eu cours à la Société Américaine de France. Si Hamy a bien fait partie de la Société d’Ethnographie, il semble aussi qu’il participait plus aux travaux et séances de la section d’ethnographie générale qu’à ceux de la Société Américaine de France. Hamy reprochait en effet à cette dernière sa « tendance antiquisante » (Dias 1991, p. 61), « l’intérêt pour l’Amérique se concentr[ant] surtout sur les monuments archéologiques et le déchiffrement de leurs inscriptions ou des “manuscrits hiératiques” (Codex) » (Chailleu 1990, p. 96). La foudroyante rapidité de la disparition des peuples amérindiens inciterait plutôt Hamy à adopter une démarche de type ethnographique, de reconstitution matérielle des sociétés sur le point de disparaître, comme celle que l’on peut voir à l’œuvre dans la muséographie du Trocadéro. Une étude rigoureuse de faits bruts, dénuée de toute théorisation et spéculation, inutile au regard des trous béants qui caractérisent le savoir américaniste, ennemie d’un exotisme bon marché : voilà résumées les ambitions qui doivent préoccuper tout savant selon Hamy et qu’il a fait siennes dans sa propre pratique. Il semble aussi que le peu de cas fait par la Société Américaine de France des recommandations critiques à observer vis-à-vis des sources et des documents relatifs à l’Amérique fut déterminant et l’en éloigna définitivement. 8 En même temps qu’Hamy met en doute et discute le bien-fondé de la méthode appliquée par les membres de la Société Américaine dans leurs travaux, il attaque leur scientificité et sape la légitimité de cette tradition de recherche très attachée à la philologie et l’exégèse des codex. Instituer l’américanisme en discipline scientifique à part entière, c’est en fin de compte trouver une alternative au clivage anthropologie physique/ethnographie, tout en restant fidèle au dessein originel de l’anthropologie : constituer les archives d’une humanité en voie de disparition, archives sans lesquelles il sera à jamais interdit à l’homme moderne de concevoir dans sa plénitude la destiné humaine. 9 Au début des années 1890, Hamy est un savant confirmé et de renom international de par ses activités muséographiques. Il a succédé à Armand de Quatrefages en 1891 au Muséum d’Histoire naturelle et y occupe dorénavant la chaire d’anthropologie, assumant en même temps la direction du Musée d’ethnographie du Trocadéro, dont il

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est le fondateur. Dès que fut lancé en 1891 le projet d’une manifestation commémorant le quatrième centenaire de la découverte de l’Amérique, Hamy a été de ceux qui participèrent activement à la réalisation de ce projet. Les célébrations n’ont pas lieu en Amérique, mais à Gênes, ville où naquit Colomb, puis à Huelva. Henri Cordier (1920), professeur aux Langues Orientales et l’un des membres fondateurs de la Société, raconte que c’est dans cette ville, à l’automne 1892, que Hamy et lui-même rencontrent le duc de Loubat et qu’ils décident ensemble de la création de la Société. La Société de Géographie leur offre l’hospitalité pour deux séances préparatoires en décembre 1893 et mars 1894. La subvention généreuse du duc de Loubat leur permet de s’installer à l’Hôtel des Sociétés Savantes, et la première séance officielle de la Société des Américanistes de Paris se tient le mardi 11 juin 1895. 10 La Société veut introduire un principe d’ordre dans le domaine de la recherche américaniste et structurer scientifiquement les curiosités intéressées par cette discipline. Elle exige davantage d’études pointues sur des faits bruts, épurées de toute ambition théorique outrageusement comparative. De même, elle se défie des spéculations et hypothèses fantaisistes trop hâtivement bâties, qui auraient été légion jusqu’à présent, selon les membres fondateurs de la Société (Verneau 1920, pp. 206-207). L’acte de naissance de la Société est donc d’abord un acte d’expulsion rhétorique, une volonté affirmée de se démarquer de la Société Américaine en la discréditant, et de faire table rase des « robinsonnades » pour laisser place nette à une « étude historique et scientifique du Continent Américain et de ses habitants depuis les époques les plus anciennes jusqu’à nos jours », ainsi que le stipule sobrement l’article premier des statuts de la Société. Dans cette perspective et « pendant longtemps encore, il faudra que l’Américaniste ait la résignation de se limiter à l’exploration méthodique de son propre domaine, dans le passé et le présent, soutenu par l’idée que son travail permettra à ses successeurs d’aborder avec succès les grands problèmes qu’il est inutile et périlleux d’envisager pour l’instant ; il faut qu’il ait le courage de répondre aux impatients : je ne sais pas », plaide Paul Rivet (1914, p. 19), lors de la séance de rentrée de novembre 1913. L’« empirisme extrême » qui va découler de cette défiance vis-à-vis de la théorisation marquera pour longtemps la recherche américaniste – peut-être est-il permis d’y voir l’une des raisons de l’absence de réflexion analytique, de la « pauvreté théorique » qui ont très longtemps caractérisé l’américanisme, l’américanisme tropical en particulier (Taylor 1984, pp. 216-217). Comme circonstance atténuante, il faut mentionner que les savants doivent faire de nécessité vertu, et que cet empirisme extrême s’impose d’autant plus que les béances du savoir sur l’Amérique sont abyssales. Rien n’est alors établi : on ignore encore presque tout de la date, du chemin et des modes d’implantation des premiers migrants, on ne sait pas si les temps géologiques sont identiques à ceux du Vieux Monde, l’histoire des sociétés précolombiennes est très largement méconnue, l’identification et la classification linguistiques en sont à leurs balbutiements, on se hâte de grappiller quelques vestiges de la civilisation matérielle, mais on oublie de s’intéresser à l’organisation sociale et symbolique des cultures amérindiennes. 11 Il fallait toute l’envergure et la légitimité scientifiques et institutionnelles d’un savant tel que Hamy pour imposer et mener à bien une telle ambition, qui exige aussi un certain entregent, de battre le rappel de riches mécènes capables de pourvoir à l’existence d’une société savante. On a vu précédemment que plusieurs créations de sociétés savantes et de revues avaient rapidement périclité, parce qu’elles n’avaient pas su assurer, intellectuellement et pécuniairement, leur existence. L’impératif formulé

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par Hamy de ne pas dépasser le nombre d’une soixantaine de membres, afin de sélectionner une élite d’érudits, ne facilite pas sa survie financière. À une époque où l’État, relayé par l’université et les centres de recherche, ne s’est pas encore substitué aux initiatives privées et extra-universitaires, le mécénat représente en quelque sorte le seul recours dont disposent les sociétés savantes pour garantir la pérennité de leurs activités. De fait, la Société n’aurait sans doute pas vu le jour si elle n’avait rencontré en la personne du duc de Loubat un bienfaiteur prêt à soutenir de ses deniers les efforts des savants américanistes et à financer la publication d’un Journal manifestant publiquement son existence. 12 Jusqu’à la mort d’Hamy, en 1908, la Société et son Journal jouissent d’une existence certes respectable, mais plutôt confidentielle et modeste. Une réunion a lieu chaque premier mardi du mois : on décrit des objets américains abrités au musée du Trocadéro, on discute de sujets ressortissant à l’archéologie, l’histoire, la linguistique, et un peu à l’ethnographie – rarement à l’anthropologie physique. Le Mexique, le Pérou, l’histoire de la Découverte et la présence française en Amérique rassemblent le gros des interventions aux séances et des contributions au Journal, qui paraît régulièrement. Chaque volume annuel compte entre trois et quatre cents pages. Malgré ses statuts restrictifs, un peu plus de 80 membres sont tout de même affiliés à la Société, grâce à la distinction opérée entre membres ordinaires, titulaires et correspondants. Une grosse moitié de ces membres est étrangère et se répartit approximativement comme suit : un bon tiers est Européen, un tiers Nord-Américain et le dernier tiers Sud-Américain. Comme dans toutes les sociétés savantes, la composante mondaine et aristocratique est présente : elle est ici assez significative (un quart en 1895, un sixième en 1909), mais, surtout, elle est placée aux positions stratégiques, les plus honorifiques. Le président d’honneur est le duc de Loubat, les vice-présidents sont le prince Roland Bonaparte et le marquis de Peralta, le trésorier est le marquis de Bassano. Les indications socio- professionnelles fournies par les listes annuelles de membres montrent une forte proportion de diplomates et d’explorateurs, ainsi que de professeurs de l’enseignement universitaire et des établissements académiques. Parmi les premiers membres étrangers à rallier la Société à sa création, en 1895, notons les noms des Nord- Américains Daniel Brinton (professeur d’archéologie et de linguistique américaine à l’université de Pennsylvania), William Holmes (du Field Columbian Museum), John Powell (directeur du Bureau of Ethnology de Washington), Frederick Putnam (du Peabody Museum), des savants allemands Eduard Seler et Rudolf Virchow, du Suédois Erland Nordenskiöld. Parmi les membres français, citons Désiré Charnay, Léon Diguet (ces deux derniers explorateurs), René Verneau et Paul Topinard. 13 Le décès de Hamy va provoquer un électrochoc. La Société connaît là une crise d’identité profonde qui remet en question son existence même. Le duc de Loubat qui avait jusqu’à présent assumé seul sa survie pécuniaire estime que la Société ne peut pas survivre au décès de son fondateur et retire brutalement son soutien. « À l’unanimité les membres présents à la séance du 1er décembre 1908 furent d’un avis contraire », se rappelle René Verneau (1920, p. 208), présent lors de cette réunion. Ils estiment que le devoir leur incombe de poursuivre l’œuvre du professeur Hamy et d’y collaborer plus activement que jamais4. Ils prennent alors conscience que la société n’est pas l’œuvre d’un seul homme, que le travail accompli collectivement ne saurait disparaître du jour au lendemain. Loin d’entraîner la dissolution, cette crise précipite au contraire la

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constitution d’une communauté savante américaniste, plus soudée, et consciente de l’utilité d’une telle institution et de son Journal. 14 Car si la Société a pu franchir le cap difficile de la disparition d’Hamy, elle le doit sans nul doute à son nom, « Société des Américanistes », très générique et qui n’exclut a priori aucune discipline scientifique du moment que celle-ci s’intéresse au continent américain et ne se pratique pas en dilettante. C’est à une réflexion de synthèse qu’invite la Société, son intention affichée étant de canaliser les recherches des savants américanistes et de les grouper afin de favoriser le dialogue entre les diverses disciplines concernées et de faire progresser la connaissance. 15 C’est la quête des origines de l’homme américain et l’étude du premier natif du continent, l’Amérindien, qui doit mobiliser les savants : dans ce cadre, les sciences anthropologiques (archéologie, ethnographie, linguistique, anthropologie physique) occupent une place de choix. Avec un programme d’une telle ampleur et une telle ambition fédératrice, la Société entend démontrer et légitimer son existence, se faire une place dans le champ anthropologique. Au regard de la complexité des questions qui jonchent ce domaine d’investigation, la Société se veut être le lieu de production, de reproduction et surtout de diffusion du savoir américaniste, un lieu d’échanges interdisciplinaires qui fait fi des cloisons étanches isolant chaque discipline des autres. 16 Paul Rivet est particulièrement sensible à cette dimension pluridisciplinaire de l’américanisme, qui stimule la solidarité scientifique et invite au dialogue. C’est le décès de Hamy qui le conduit à s’engager plus fortement dans la destinée de cette institution savante. Pendant un demi-siècle, son nom sera indissolublement lié à celui de la Société des Américanistes. Son implication dans les activités de la Société et dans l’animation du Journal va être décisive et explique de manière déterminante leur réputation internationale.

Paul Rivet, la cheville ouvrière de l’américanisme français (1908-1958)

17 À compter de son retour de mission en Équateur, en 1906, Paul Rivet ne va plus quitter la Société des Américanistes : parrainé par Hamy et Verneau, il est élu le 5 mars 1907 membre titulaire, et il rejoint immédiatement la commission de publication du Journal de la Société des Américanistes (JSA). Il devient particulièrement actif à partir de l’été 1907, date à laquelle il assure pendant neuf mois l’intérim du secrétaire général de la Société, Léon Lejeal, décédé brutalement. Il y démontre toutes ses qualités d’organisation et d’animation, et il emporte la confiance de ses aînés. Une fois Louis Capitan définitivement nommé à ce poste en avril 1908, il devient bibliothécaire- archiviste, chargé de développer les échanges d’ouvrages et de périodiques avec les autres institutions françaises, mais surtout étrangères, et de faire connaître la revue. C’est cette fonction qu’il occupe à la mort de Hamy.

18 L’américanisme à huis clos tel que l’entendait Hamy s’avère une entreprise peu viable sur la durée, une fois le père fondateur disparu. Si Hamy concevait le plafonnement du nombre des membres à soixante comme une assurance de pouvoir écarter les importuns et de mener en toute quiétude des recherches scientifiques entre gens partageant les mêmes aspirations, il n’en va plus de même après sa mort. La Société a besoin, pour assurer sa survie financière, de souscripteurs qui acceptent d’engager

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quelque argent. La cotisation annuelle est abaissée, afin de ne pas constituer un obstacle à l’adhésion. Au lieu d’un seul et unique mécène, ce sont dorénavant les membres par leur souscription, et les bienfaiteurs par leurs dons qui mettent la Société à l’abri du besoin. En 1928, le legs de cent mille francs du linguiste Philippe Marcou mettra définitivement la Société à l’abri des soucis financiers jusqu’en 1947. Ce legs a été rendu possible grâce au décret du 25 mars 1924 qui reconnaît la Société des Américanistes comme établissement d’utilité publique et lui octroie le droit de recevoir des dons et de posséder des biens en propre. Paul Rivet est l’artisan de cette reconnaissance d’utilité publique, tout comme il est à l’origine de ce don important, qui salue ses propres recherches en linguistique amérindienne et l’ouverture du Journal à cette discipline. Paul Rivet décroche aussi plusieurs subventions publiques : ami de Jean Marx, le directeur du Service des Œuvres françaises à l’étranger, il obtient de ce service qu’il souscrive plusieurs abonnements en faveur d’institutions internationales ; la caisse des recherches scientifiques apporte son obole, tout comme la fédération des sciences naturelles. 19 Paul Rivet ne va pas s’activer uniquement sur le plan pécuniaire : la pérennité de la Société passe aussi par une qualité accrue du Journal, qui représente la vitrine de la Société et son meilleur argument. Il devient secrétaire général adjoint puis, en 1922, secrétaire général – titre purement honorifique puisqu’il n’est pas rémunéré. À ce titre, il est chargé de la préparation et de la publication des numéros du Journal. Le bureau de la Société est conscient qu’il faut l’ouvrir et affirmer le caractère international du Journal en y admettant les langues étrangères. Jusqu’au tournant des années 1910, il n’y avait qu’un noyau assez réduit d’auteurs. À partir de 1910, l’éventail de contributeurs s’élargit considérablement, les langues étrangères font leur entrée en force dans les pages du Journal, qui accueille désormais l’anglais, l’allemand, le portugais, l’espagnol et l’italien. Cela ne peut qu’accroître son audience et servir les ambitions internationales de la Société. 20 S’inspirant de la maquette de la revue L’Anthropologie, Paul Rivet développe considérablement deux rubriques qui vont faire toute la richesse informative et la renommée du Journal : le « Bulletin critique » et les fameux « Mélanges et Nouvelles américanistes » qui font preuve d’une curiosité inégalée. Grâce à ces deux rubriques, qui permettent aussi l’expression personnelle et la mise en avant de partis pris grâce aux remarques, aux commentaires, le Journal va devenir un outil de référence incontournable, un instrument de travail précieux pour tous les américanistes de l’Ancien et du Nouveau Monde qui se tiennent ainsi au courant de l’actualité éditoriale, scientifique, voire politique concernant le continent américain. On a peine à imaginer la somme de travail – en lectures, collectes d’informations, correspondances – que représentent ces deux rubriques. En une dizaine d’années, Paul Rivet écrit plus de sept cent notes pour les « Mélanges », c’est dire son ardeur à la tâche et l’intensité de son implication. Dans les débuts, il est aidé dans cette tâche titanesque par un confrère, devenu entre-temps un compagnon de route et un ami : Léon Poutrin, médecin militaire de formation, tout comme lui. À son décès précoce à la fin de la Grande Guerre, victime de la grippe espagnole à 38 ans, Paul Rivet raconta que, de 1909 à 1914, « il devint mon collaborateur le plus actif et le plus précieux dans la direction de notre Journal. Presque à lui seul, il assuma la tâche accablante d’analyser toutes les publications de langue anglaise. […] Le succès qu’a rencontré dans le monde savant

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notre Bulletin critique et qui a contribué pour une très large part à la renaissance de notre Journal est dû en très grande partie à l’activité de Poutrin » (Rivet 1919, p. 642). 21 Quiconque ouvre un volume du Journal postérieur à 1908 ne peut qu’être frappé par le changement de ton et son ouverture internationale, son souci cosmopolite très prononcé. Outre les articles, ces rubriques ouvertes sur la vie scientifique contemporaine grâce aux analyses critiques toujours plus nombreuses, aux mille et une informations dont fourmillent les Mélanges, aux comptes rendus très détaillés des séances, rendent la revue très vivante et attrayante. Paul Rivet et son collaborateur Léon Poutrin, aidés ponctuellement de nombreux sociétaires appelés en renfort dans leur domaine de compétence précis, tiennent les lecteurs au courant d’une foule d’informations de tous ordres, concernant tout autant les recensements statistiques, les découvertes archéologiques et linguistiques, les dernières avancées de la recherche américaniste, les nouvelles relatives à des conférences et promotions d’américanistes que les politiques indigénistes des gouvernements sud-américains, les mouvements migratoires, les expéditions et missions des ethnographes et missionnaires, etc. Le lecteur apprend beaucoup de choses sur l’état de la science en train de se faire et sur les américanistes qui la pratiquent. La revue devient le carrefour de l’américanisme non pas français mais international, un lieu d’échanges intenses, le lien qui relie l’Europe à l’Amérique, l’Amérique du Nord à l’Amérique du Sud, cette dernière étant plus proche de l’Europe jusqu’aux années 1940. Sa double tâche est de faire connaître au lectorat américain les travaux des savants européens et, comme le souligne Rivet (1921, p. 121), de divulguer au lectorat européen « le labeur prodigieux et fécond des ethnologues du Nouveau Monde et y entretenir le goût et la curiosité des choses américaines ». 22 Quelques-unes des personnalités les plus réputées de l’américanisme publient dans le Journal. Paul Rivet entretiendra d’ailleurs avec plusieurs d’entre elles une correspondance régulière. Kaj Birket-Smith, Alexander Chamberlain, Jijon y Caamaño, Theodor Koch-Grünberg, Cestmir Loukotka, Curt Nimuendajú, Alfred Métraux, Erland Nordenskiöld, Paul Radin, Claude Lévi-Strauss, Jacques Soustelle, Robert Ricard, Paul Radin, Edward Sapir, Eduard Seler, William Thalbitzer, Max Uhle… font partie de l’impressionnante liste de contributeurs. Le Journal s’ouvre sur des pays comme le Brésil, la Bolivie, la Colombie, l’Amérique centrale, et massivement sur l’ethnologie et la linguistique : signe de sa notoriété et de son importance, la Société reçoit de plus en plus d’ouvrages pour recension et de demandes d’échanges de revues. De 24 en 1907, ces échanges passent à 55 en 1920. 23 Le meilleur indice de la prospérité et du succès de la Société après 1908 réside dans l’examen des listes de membres5. La publication régulière dans le Journal de la liste des membres appartenant à la Société des Américanistes constitue une mine d’informations pour le chercheur. Le geste en soi n’est pas innocent : en publiant ces listes, la Société créée du lien, une communauté symbolique entre des individus qui peuvent ne pas se connaître, mais que réunit un intérêt commun pour les études américanistes. Les nommer, c’est en quelque sorte les sortir de l’anonymat, amorcer un début de reconnaissance qui soude symboliquement les membres les uns aux autres. La Société fonde aussi une partie de sa légitimité scientifique, sur le nombre des membres qu’elle a su attirer par son programme et la qualité de ses travaux. D’une certaine façon, ceux-ci cautionnent son existence, valident ses activités et attestent de leur bien- fondé, de leur teneur scientifique. Ces listes témoignent du rayonnement de la Société, de l’autorité et du prestige scientifiques qui deviennent les siens dans les années de

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l’entre-deux guerres, de la diffusion de son Journal et de son implantation dans les cercles scientifiques institutionnels. À l’occasion d’un premier examen rapide, grossier, des listes, deux faits attirent immédiatement l’attention. Premièrement, l’audience de la Société croît d’une façon impressionnante : entre 1895 et 1930, le nombre des membres fait plus que décupler. Une fois sauté l’article II des statuts de la Société qui stipulait qu’elle se composait de soixante membres au maximum, le nombre de sociétaires augmente rapidement, avec un taux de croissance impressionnant : il passe à 98 en 1909 (+ 22 %), puis à 138 membres en 1913 (+ 40 %). La Société en compte 234 en 1920 (+ 70 %), puis 425 en 1925 (+ 82 %) et 677 en 1930 (+ 60 %), son maximum. Pour une société savante spécialisée, c’est beaucoup. À titre comparatif, on peut citer l’exemple de la Société d’anthropologie, qui compte 235 membres titulaires dans les années 1910 (Wartelle 2004, p. 155), ou bien encore la Société de linguistique qui rassemble environ 240 membres dans les années 1920. À l’heure actuelle, le nombre des membres de la Société des Américanistes doit avoisiner les 400, institutions comprises. 24 Le deuxième fait remarquable est l’écrasante proportion de membres étrangers au sein de la Société. En moyenne, ils ne représentent pas moins de la moitié et, la plupart du temps, plus des deux tiers du total des sociétaires. Dès 1902, plus de la moitié des membres est étrangère : près des deux tiers de ceux-ci proviennent des Amériques. À partir de 1920, les membres latino-américains constituent la majorité des effectifs étrangers. L’implantation de la Société dans les milieux savants et institutionnels latino-américains peut peut-être en partie s’expliquer par le manque d’infrastructures institutionnelles universitaires à la mesure de ces pays, et aussi par leur dépendance scientifique et intellectuelle vis-à-vis de l’Europe. Au début des années 1940, le vent tourne, et ce sont les États-Unis qui prennent la relève de la tutelle scientifique de l’Europe, en perte de vitesse notamment à cause de la guerre. Le deuxième gros bataillon de membres étrangers provient de l’Amérique du Nord, États-Unis en tête. C’est parmi eux que l’on remarque le plus tôt des scientifiques professionnels, qu’ils soient affiliés à la Smithsonian Institution, à la Heye Foundation, au Peabody Museum, à l’American Museum of Natural History, ou bien encore à un département de recherches dans une université. En Europe, ce sont les membres allemands qui dominent. Ceux-ci ont derrière eux, depuis Humboldt, une longue tradition d’études américanistes qui va de pair avec un solide réseau de musées ethnographiques dont la réputation n’est plus à faire. On peut être légitimement amené à penser que la Société remplissait un vide dans le domaine des études américanistes internationales qui n’était pas encore comblé par l’enseignement universitaire et les centres de recherche nationaux, ni par l’éclosion de revues spécialisées latino-américaines, comme cela sera le cas à partir des années 1950-1960. 25 Une analyse plus nuancée de ces listes aide à dégager le profil-type de l’américaniste : c’est un homme, étranger et plutôt originaire du Nouveau Monde, il réside dans une capitale, là où le savoir et le pouvoir sont concentrés et, en raison de sa profession ou de ses activités extra-professionnelles, il appartient au corps enseignant, au champ universitaire ou à une institution de savoir, voire à la haute administration. Il fait donc partie de l’élite intellectuelle, scientifique et/ou sociale de son pays. Plusieurs catégories de membres sont aussi repérables : les nobles, les explorateurs, les médecins, les hommes politiques (on compte trois présidents de républiques latino-américaines) et les représentants de la haute administration, du corps diplomatique en particulier. Il est encore trop tôt pour pouvoir repérer, dans les années 1920-1940, une nette professionnalisation de la discipline qui ne s’effectuera réellement qu’au lendemain de

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la Seconde Guerre mondiale. Dans les années 1970, c’est un acquis : la majorité des membres est composée de chercheurs professionnels et d’étudiants de troisième cycle. C’est dire que la composition sociologique des américanistes a subi une mutation totale et aussi, partant, une diminution de ses effectifs, la pratique en amateur régressant. 26 Ce que l’on observe aussi, ce sont les liens étroits que la Société des Américanistes a su tisser avec les institutions académiques, les musées ethnographiques. À défaut de structures universitaires solides, ce sont ces derniers qui se chargent de la production du savoir américaniste, qui avait alors principalement trait à l’étude des antiquités, des objets, de la culture matérielle, et à la constitution de collections ethnographiques aussi complètes et représentatives que possible des sociétés amérindiennes. 27 La Société des Américanistes doit incontestablement ce développement remarquable et plutôt rapide à Paul Rivet, cheville ouvrière de l’institution, qui a compris quelle ligne éditoriale il fallait promouvoir, quelles étaient les directions scientifiques à privilégier, le rôle qu’elle devait remplir. Pendant plusieurs décennies, le Journal n’aura pas d’équivalent dans le monde. Rivet en est parfaitement conscient, lorsqu’il présente la Société à l’extérieur : Seul centre européen uniquement consacré à l’étude scientifique de l’Amérique, [la Société] est devenue fatalement l’agent de liaison permanent et indispensable entre les savants qui, dans le Vieux Monde, travaillent en isolés le problème de l’origine des races et des civilisations indiennes, et les grands centres de recherches, qui sont une des gloires des États-Unis et du Canada et qui s’organisent de plus en plus puissamment dans toutes les Républiques de l’Amérique espagnole et portugaise. (Rivet 1921, p. 121) 28 Parler de l’histoire de l’américanisme français de cette période, c’est immanquablement aussi parler de Paul Rivet, qui a eu un rôle clé dans son développement et a contribué à son rayonnement hors de l’hexagone. En effet, il faut comprendre ce que l’américanisme représente pour Rivet et dans sa carrière. Paul Rivet nourrit pour l’ethnologie une ambition pluridisciplinaire très marquée, qui s’apparente à celle que Boas promeut aux États-Unis avec les fameux four fields (archéologie, anthropologie physique, linguistique et anthropologie sociale). À partir des années 1925-1928, il affirme cette volonté, en profitant de la position institutionnelle dominante qu’il acquiert en tant que co-secrétaire général de l’Institut d’Ethnologie, professeur d’anthropologie au Muséum et directeur du musée d’ethnographie du Trocadéro, avant d’être le fondateur du musée de l’Homme, en 1937. Il a déjà amplement expérimenté cette ambition pluridisciplinaire au sein de son domaine d’élection, l’américanisme. Tout autant qu’ethnologue, Paul Rivet est aussi, et d’abord, américaniste. Il a toujours tenu ensemble les deux bouts de la corde, le particulier et le général, l’américanisme et l’ethnologie. Pour la société savante dont il se réclame, il n’a ménagé ni son temps ni son énergie, se mettant à son service, œuvrant activement à la montée en puissance et à la renommée de cette institution, qui devient dans les années 1920-1940 le principal organe de diffusion du savoir américaniste sur le plan international. C’est dans ce cadre qu’il prend conscience de la solidarité savante et qu’il se fait courageusement l’apôtre pour la première fois, au moment critique de la reprise de la vie civile en 1919, d’un internationalisme scientifique qui ne se démentira plus.

29 Car il ne faudrait pas croire que le succès de la Société des Américanistes, au lendemain de la Première Guerre mondiale, était assuré, voire inévitable – ce fut loin d’être le cas. Du reste, cette réussite ne s’explique pas seulement par des raisons scientifiques. Les événements politiques, certains choix à la fois idéologiques et politiques auraient tout

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simplement pu inverser le cours des choses et renvoyer la Société et son Journal à une certaine confidentialité si Paul Rivet n’avait su affirmer l’importance de l’internationalisme scientifique contre ceux qui voulaient radier de la liste des membres les savants des nations ennemies, en 1919, en mettant dans la balance une menace de démission qui aurait très sérieusement mis en danger l’existence même de la Société6. Devant sa détermination, ceux qui voulaient continuer la guerre sur le terrain scientifique reculent devant ceux qui prônent l’extra-territorialité de la science, et la proposition de radiation est rejetée. C’est à cette occasion que Paul Rivet noue avec Franz Boas une forte relation épistolaire, passionnante, les deux hommes partageant la même façon de concevoir l’engagement scientifique. Tout au long des années 1920-1930, leur amitié ne fera que se renforcer, et ils mèneront en commun plusieurs combats : l’antifascisme, l’antiracisme, la nécessité absolue de favoriser et préserver le dialogue scientifique international et – malgré leurs divergences de fond quant à la façon d’aborder la profusion linguistique dans le Nouveau Monde – l’intérêt pour les langues amérindiennes qu’il faut étudier pendant qu’il en est encore temps7. À plusieurs reprises, à des moments critiques, au cours des années 1920, Franz Boas lève des fonds auprès de ses collègues et d’institutions états-uniennes en faveur du Journal et de la Société des Américanistes, dont la situation financière est très précaire à cause de la forte augmentation des frais d’impression, du prix du papier et de la dépréciation continue du franc. En 1920, plusieurs centaines de dollars viennent à point nommé renflouer les caisses de la Société et c’est à Franz Boas que celle-ci le doit. À nouveau, en 1924, Franz Boas envoie de l’argent à Paul Rivet, qui avait décidé de suspendre l’impression du Journal, ne pouvant acquitter les factures de l’imprimeur. 30 Nul mieux que Rivet pouvait comprendre l’importance de cet enjeu de la coopération sur le plan international, car la grande majorité de ses interlocuteurs, ses opposants comme ses partisans, sont tous étrangers et n’appartiennent donc pas au champ anthropologique français. Le niveau d’intégration de la compétence et de la légitimité scientifiques de Paul Rivet se situe bien au-delà de l’hexagone, en même temps qu’il lui permet de s’émanciper des contraintes institutionnelles françaises où il n’est encore qu’un assistant à la chaire d’anthropologie du Muséum, jusqu’en 1928. Grâce à ses travaux et ses responsabilités au sein de la Société, il s’impose comme la figure de proue de l’américanisme français et devient l’un des plus éminents représentants de la science française en Amérique latine, l’un des plus connus et admirés. Il se rend régulièrement en Amérique latine. Entre 1927 et 1939, il accomplit six longues tournées de conférences pendant les mois d’été : il se rend en Argentine, au Mexique (trois fois), au Brésil, au Guatemala, au Salvador, en Colombie, au Pérou, etc. Infatigable, doué d’une curiosité insatiable, il visite les musées, les bibliothèques, les sites de fouilles archéologiques, il prononce des conférences dans des amphithéâtres bondés. Reçu comme une personnalité officielle française importante, il fréquente les élites politiques, scientifiques et intellectuelles des contrées visitées. Amoureux de la langue castillane, goûtant fort la saveur des américanismes, des locutions propres à chaque nation, il est perçu comme un ami de l’Amérique latine, comme un fin connaisseur de sa réalité humaine et de sa situation politico-économique. Chaque voyage se solde par une vague de souscriptions d’abonnements pour le Journal et de parrainages de nouveaux membres rejoignant les rangs de la Société des Américanistes. 31 S’il a su l’imposer sur le devant de la scène scientifique, on ne peut pas dire pour autant que le Journal n’ait été qu’une « revue-personne », la création d’une seule et forte individualité qui se serait approprié la revue : ce serait plutôt une « revue-carrefour »,

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collégiale, selon les expressions proposées par Jacques Julliard (1987, p. 5), sans quoi le Journal n’aurait pas perduré et rencontré un tel écho. Il est certain que, comme dans beaucoup de revues scientifiques, il y a une personne que l’on peut identifier plus spontanément que d’autres à la publication et qui s’y consacre avec plus d’implication affective et professionnelle. En l’occurrence, il s’agit ici de Paul Rivet qui possède au plus haut point ce que Pierre Bourdieu (2001, pp. 101-102) appelait la libido scientifica, qui permet de s’investir vigoureusement dans le champ sans pour autant espérer être payé en retour, c’est-à-dire payé en monnaie sonnante et trébuchante puisqu’il est question d’une charge de travail gracieusement consentie. Par ricochet, la rémunération symbolique qui, inévitablement, en découle si l’œuvre est couronnée de succès, n’en a que plus de prix : l’autorité scientifique, l’influence, la renommée, qui résultent de cette activité désintéressée pour le bien commun assoit en retour sa position et accroît les dispositions de Rivet à poursuivre cet investissement dans les institutions du savoir de son champ. Le grand mérite de Paul Rivet, c’est qu’il n’en a pas disposé uniquement pour son profit personnel et qu’il a très tôt compris que la pérennité de la Société imposait la constitution d’une équipe éditoriale capable de se renouveler régulièrement. 32 À partir des années 1925-1928, il a un peu moins de temps à accorder à la Société et son Journal, tant ses activités pour l’Institut d’Ethnologie, le Muséum et le musée du Trocadéro réclament son attention. La revue se collectivise, et il parvient à fédérer, à intéresser les jeunes étudiants américanistes au sort du Journal. Tout au long des années 1930, ceux-ci apportent leur concours et préparent la relève, sous le regard de leurs aînés du Bureau. Plusieurs sont des élèves recrutés à l’Institut d’ethnologie ou dans l’entourage scientifique de Rivet. Paul Rivet recrute d’autorité des recenseurs, des gens qui collectent et répercutent les informations contenues dans la grosse correspondance et le service d’échanges de revues (55 en 1920) que reçoit la Société, ou qui écrivent des notes à partir de leurs propres recherches et des informations qu’ils collectent sur leur terrain américain, comme Robert Ricard, Henri Lehmann, Guy Stresser-Péan, Alfred Métraux, Claude Lévi-Strauss, Jacques et Georgette Soustelle, Paule Barret et son époux, l’archéologue Henri Reichlen…

Ombres et lumières de l’américanisme

33 On ne saurait terminer cet aperçu historique très synthétique, sans évoquer sommairement les orientations géographiques, disciplinaires, thématiques, constitutives de l’américanisme français telles qu’elles se donnent à lire dans les pages du Journal, sur le siècle qui court de 1896 au début des années 1990. Cela permettra de se faire une première idée de ses orientations, dont il faudra bien évidemment affiner l’analyse ultérieurement. De ce premier dépouillement, il résulte que le Journal de la Société des Américanistes est un bon sismographe 8 qui reflète les tendances de fond de cette discipline. Inévitablement, cependant, des choix ont été opérés, des impasses sur la carte géographique et humaine du paysage américain se manifestent.

34 Rappelons pour mémoire l’article I des statuts de la Société des Américanistes : « elle a pour but l’étude scientifique de l’Amérique et de ses habitants depuis les époques les plus anciennes jusqu’à nos jours ». Si la Société ne restreint pas, a priori, l’étendue de ses champs d’investigation, il en va différemment lorsqu’on observe les pratiques effectives. De fait, trois pays et une aire continentale concentrent près des deux tiers

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des travaux publiés dans le Journal, entre 1896 et 1992 : le Mexique (165 sur 752), le Pérou (118), le Brésil (108) et, dans une moindre mesure, le sous-continent nord- américain (97)9. 35 Le Mexique, terre classique de l’américanisme, arrive donc largement en tête, avec plus d’un cinquième des articles publiés. Il est suivi par le Pérou qui recueille près d’un sixième des mémoires parus dans le Journal. La place de choix réservée à ces deux pays traduit certaines préférences thématiques de l’américanisme qui a été, dès sa constitution, très attaché à l’étude des hautes civilisations mésoaméricaines et andines et de leurs monuments, qui jouissaient d’un statut culturel élevé et d’un fort prestige. Encore à l’heure actuelle, le Mexique et le Pérou continuent d’être des pôles de la recherche américaniste, talonnés, il est vrai, par le Brésil. 36 Les études archéologiques ont formé longtemps une des disciplines maîtresses de l’américanisme, avec plus d’un quart des travaux publiés (201). La recherche archéologique américaniste s’est elle-même profondément transformée et s’est définitivement éloignée des fouilles d’amateurs. La place prépondérante de l’archéologie dans l’américanisme tient autant à l’intérêt que ses recherches revêtent pour sonder les origines et le passé des hautes civilisations préhispaniques et des autres sociétés amérindiennes, qu’à son étroite association avec l’anthropologie. Il faut, en effet, souligner « l’originalité même de la préhistoire américaine (au sens strict de période antérieure à l’apparition de documents écrits) qui se prolonge jusqu’à l’époque moderne, domaine de l’ethnologie et de l’histoire pour le monde occidental », note avec justesse Danièle Lavallée (1985, p. 49). C’est ce qui explique la quantité considérable de travaux publiés dans ce domaine. C’est flagrant en tout cas pour le Mexique et le Pérou avec, respectivement, près de 37 % et 30 % des publications consacrées à ces pays. 37 L’ethnologie est l’autre discipline phare de l’américanisme dans les pages du Journal, devant même l’archéologie (un tiers des publications, soit 250 articles sur 752). Cela dit, la pluridisciplinarité en américanisme n’est pas un vain mot car, malgré l’existence de revues spécialisées dans chacun de ces domaines, il faut noter la part appréciable des études dévolues à la linguistique amérindienne (un peu plus de 15 % des articles, soit 116 travaux), à l’histoire (11 %, soit 84 articles) et à l’ethnohistoire, spécialité plus récente, mais bien représentée (près de 8 %, soit 58 articles). Dès les années 1910, on sent un intérêt grandissant pour les langues amérindiennes, menacées pour beaucoup de disparition. Paul Rivet fut extrêmement attentif dans la promotion de cette discipline et la diffusion de ses propres connaissances, en publiant lui-même la grande majorité de ses travaux linguistiques dans le Journal, et en acceptant très régulièrement des contributions de missionnaires ou de spécialistes. 38 Les articles ethnologiques ont été particulièrement nombreux sur quatre pays : le Brésil (51 articles), le Pérou (43), le Mexique (32) et l’Amérique du Nord (36). Si l’on compare avec l’archéologie, ce n’est que tardivement, dans les années 1920-1930, que s’amorce réellement la recherche ethnologique au Mexique. Quant aux études monographiques sur les sociétés amérindiennes du Pérou, elles ne prennent réellement leur essor qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, même si l’on en perçoit les prémices dès les années 1930. C’est sur l’ethnologie de ces populations andines que l’on trouve le plus d’articles relatifs au Pérou (36 %), largement devant l’archéologie et la préhistoire. 39 Au regard de l’abondance des sources écrites relatives à l’histoire de la Nouvelle Espagne (les chroniques, les Relaciones, les Visites et archives administratives, les documents paroissiaux et minutes des procès d’idolâtrie), le Mexique est un champ

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privilégié de la recherche historique et ethnohistorique. C’est surtout à partir des années 1960 que ce domaine de recherche perce dans les pages du Journal, à un moment où les sources écrites, les chroniques, commencent à être mises en valeur et exploitées systématiquement. C’est aussi à la même période que les travaux ethnohistoriques au Pérou prennent de l’importance. 40 Indéniablement, c’est au Brésil que l’ethnologie américaniste a acquis ses lettres de noblesse. La recherche au Brésil s’est presque exclusivement concentrée sur l’ethnologie (près de la moitié des articles publiés : 51) et la linguistique amazonienne (un tiers des articles : 36). Les premiers travaux ethnologiques sur les sociétés amazoniennes publiés dans les années 1920 et 1930 dans le Journal sont écrits par Theodor Koch-Grünberg, Curt Nimuendajú, le linguiste Cestmir Loukotka, etc. 41 Après le Mexique, le Pérou et le Brésil, vient en quatrième place l’Amérique du Nord. Elle réunit près de 13 % des travaux publiés (97), loin devant l’Argentine (40) ou la Colombie (38). Ce sont en majorité des études ethnologiques, historiques et archéologiques. Elles sont communément écrites par des chercheurs canadiens et états- uniens – exception faite des articles historiques relatant les diverses expériences françaises sur le territoire nord-américain, rédigés presque toujours par des Français. L’abondance des auteurs nord-américains illustre bien les liens que la Société entretenait avec cette communauté scientifique dans l’entre-deux-guerres, États-Unis en tête, les articles sur cette aire continentale étant, en effet, les plus nombreux dans les années 1920-1930. Plus généralement, c’est au cours de la période 1895-1940 que l’on trouve les deux tiers des travaux publiés sur cette région. On remarque deux moments forts dans l’intérêt que le Journal porte aux cultures nord-amérindiennes : l’un, dans les années 1950, qui est principalement axé sur l’esquimaulogie, l’autre en 1988-1989, avec un numéro spécial du Journal, qui ouvre alors largement ses pages à ces cultures qui avaient été délaissées depuis plusieurs décennies. 42 Le fait que l’étude des sociétés nord-amérindiennes figure peu dans le Journal s’explique surtout parce que cette aire continentale est le domaine de prédilection des anthropologues états-uniens et canadiens. Dans certains pays latino-américains, le développement tardif des études universitaires en sciences sociales, parfois seulement dans les années 1940-1950 et le manque d’intérêt des communautés scientifiques à l’égard de ces zones peuvent justifier le faible nombre d’articles concernant, par exemple, l’Argentine (40 articles), la Colombie (38) et la Bolivie (38), trois pays andins qui parviennent néanmoins à émerger, avec un peu plus de 5 % chacun d’articles publiés. 43 Au total, le Mexique, le Pérou, le Brésil, l’Argentine, la Colombie et la Bolivie ainsi que l’Amérique du Nord représentent ensemble 80 % des travaux américanistes du Journal. Les laissés pour compte de la recherche sont clairement l’Amérique centrale et l’aire caraïbe. 44 Cette discrimination géographique est aussi thématique, et s’explique d’elle-même si l’on garde présent à l’esprit le profond clivage épistémologique que l’anthropologie américaniste a longtemps instauré entre, d’une part, l’Amérindien, l’Indien paré de toute sa pureté originelle, et, de l’autre, le reste du monde américain – métis et populations d’origine africaine en tête. 45 La notion d’urgence ethnographique, telle qu’elle s’affirme au XIXe siècle, a pendant de nombreuses décennies profondément orienté l’anthropologie américaniste. Il fallait sauver de l’oubli les « sociétés appelées à disparaître », il fallait garder trace de leur

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passé – parce qu’elles ne pouvaient représenter que le passé, un temps forcément révolu. Dans les pages du Journal, on constate que les efforts se sont focalisés sur les lieux où l’Indien était encore visiblement présent et était resté non contaminé par la civilisation, l’acculturation et le métissage, contribuant ainsi à perpétuer l’image de sociétés qui, malgré cinq siècles de colonisation, seraient demeurées hors d’atteinte du temps occidental et n’auraient pas évolué, ne se seraient pas transformées sous l’effet conjugué d’une dynamique interne à leurs structures sociales et de la domination coloniale. En fait, l’ethnologie américaniste a fait l’économie de toute analyse sociologique et a eu tendance à figer les Amérindiens dans un état de torpeur historique. À ce titre, ce sont les sociétés des basses terres amazoniennes qui ont été les plus aptes à véhiculer une conception de l’Indien faiblement acteur de son devenir, de son histoire. L’Indien resté pur, « fidèle à ses traditions ancestrales », représenta l’archétype de l’altérité exotique pour l’ethnologue, à la différence de l’Indien métis, « déjà » civilisé. Maintenir le métissage, les phénomènes d’acculturation, les dynamiques sociales, hors du champ de l’anthropologie américaniste, ne rechercher uniquement que les survivances chez les groupes indigènes, c’était aussi refuser l’histoire, le politique, comme mode opérateur signifiant pour ces sociétés. 46 Dans les pages du Journal, il a fallu attendre 1969, et le numéro spécial dirigé par Roger Bastide consacré aux Afro-Américains, pour noter un réel intérêt pour les autres populations concernées par la Conquête et la colonisation du continent américain. Roger Bastide, dans son Introduction, revenait sur les particularités de l’américanisme français : Les Français sont restés obnubilés par l’ancienne anthropologie qui ne s’intéressait qu’aux « primitifs » ou à la recherche des « archaïsmes ». Le Journal de la Société des Américanistes en est la preuve et c’est même pour contrecarrer ce courant que j’ai accepté de préparer un numéro spécial sur les Afro-Américains qui, tout en tenant compte des « archaïsmes », s’ouvrait le plus largement possible à la nouvelle anthropologie. C’est dans cette voie qu’il faut s’engager […]. Les études afro- américaines n’ont jamais occupé une place très importante dans le Journal. On en comprend les raisons : les problèmes noirs d’Amérique [les survivances, les syncrétismes religieux, les phénomènes d’acculturation et les rapports de domination dans les sociétés coloniales] ont été jusqu’à présent plus de nature sociologique qu’anthropologique. (Bastide 1971, p. 334) 47 Plus généralement, faute d’outils conceptuels adéquats, à cause également de la priorité épistémologique accordée à l’étude d’un Indien pur – ce qui n’a, bien sûr, nullement entravé la publication de travaux ethnographiques remarquables –, l’anthropologie américaniste de la première moitié du XXe siècle n’a pas toujours su rendre la richesse et la singularité de certaines formes sociales et culturelles originales et complexes : la religiosité populaire indigène, largement mêlée de catholicisme, ou encore la médecine traditionnelle avec la socialisation et la dimension persécutive de la maladie, la cosmogonie indigène, due rapport au corps des Amérindiens, tous sujets difficiles à aborder en prenant appui sur les habituelles catégories occidentales de pensée. Les multiples bricolages à l’œuvre dans le monde américain, les innombrables brassages, métissages des hommes, des croyances, s’ils n’ont pas été tout simplement ignorés, minimisés, passaient alors pour des phénomènes périphériques dont l’étude ne faisait pas partie des orientations thématiques légitimes, propres au champ de recherches américanistes. Depuis les années 1950-1960, la tendance s’est largement inversée, et l’américanisme s’est singulièrement renouvelé (Bernand et Gruzinski 1992 ; Erikson, Galinier et Molinié 2001 ; Taylor 2004), à la fois sous l’effet de facteurs propres

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à « l’état des questions » qui agitent la discipline et ceux propres à « l’état des lieux » (Augé 2006, pp. 14-15), c’est-à-dire propres à l’environnement social, politique et économique du continent américain avec, par exemple, la montée en puissance de revendications identitaires exprimées par des populations amérindiennes elles-mêmes recomposées et le développement de traditions et de questionnements ethnologiques propres à chaque nation latino-américaine. Le défi, pour la Société des Américanistes et son Journal, c’est de continuer d’être ce sismographe de l’américanisme international et de prendre en considération ses multiples facettes.

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NOTES

1. Cet article a fait l’objet d’une communication orale au séminaire « Histoire et anthropologie des sociétés nord-amérindiennes » de Marie Mauzé et Joëlle Rostkowski, à l’EHESS, le 5 décembre 2007. Je remercie les participants pour leurs remarques et conseils. 2. De ce point de vue, il faut citer la recherche doctorale de Nadia Prévost (2007) qui apporte de précieuses lumières sur l’histoire de l’américanisme français du XIXe siècle. 3. La création de la Société des Africanistes en 1930 couronne plus qu’elle n’inaugure un domaine de recherches déjà existant, grâce notamment aux administrateurs coloniaux. Elle marque cependant la volonté de ramener l’africanisme dans le giron de l’ethnologie universitaire (Sibeud 2002). 4. Journal de la Société des Américanistes, séance du 1er décembre 1908, V, p. 272. 5. J’ai procédé à une analyse des listes nominatives de membres, publiées entre 1896 et 1947 (date à partir de laquelle elles cessent d’être publiées), en dépouillant les années suivantes : 1896, 1897-1898, 1902, 1909, 1913, 1920, 1925, 1930, 1935, 1939 et 1947. Après 1947, seul le nombre des membres parvient encore à être connu et, quand il en est fait mention, c’est lors des séances pendant lesquelles les questions administratives sont à l’ordre du jour. 6. Pour les détails de l’engagement de Paul Rivet en faveur de l’internationalisme scientifique, voir Laurière (2008a, pp. 323-340). 7. Sur ces combats menés en commun et l’amitié agissante unissant Franz Boas à Paul Rivet, voir Laurière (2008b). 8. J’emprunte cette expression à Emmanuelle Sibeud (2002, p. 144) qui l’utilise pour qualifier la revue L’Anthropologie. 9. J’ai procédé à une analyse des volumes du Journal parus entre 1896 et 1992. Mon propos étant de chercher à savoir si certains pays ou certaines disciplines avaient davantage bénéficié des faveurs de la recherche américaniste, je n’ai pas tenu compte des articles comparatifs, pluridisciplinaires, qui s’intéressaient à tout le continent américain ou à une aire régionale (environ une soixantaine d’articles). Mon corpus totalise donc 752 articles.

RÉSUMÉS

La Société des Américanistes de Paris : une société savante au service de l’américanisme. Cet article revient sur la création en 1895 de la Société des Américanistes, la première de son genre, et pose quelques jalons de son histoire. La première partie évoque les conditions de sa création par Ernest Théodore Hamy et son développement sous sa direction (1895-1908). La deuxième partie s’étend plus longuement sur le fort engagement de Paul Rivet, figure de proue de

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l’américanisme français pendant la première moitié du XXe siècle, dans la destinée de la Société et montre comment il œuvra de manière déterminante à son rayonnement international, en donnant un nouvel élan au Journal de la Société des Américanistes qui n’eut pas son équivalent dans le monde pendant plusieurs décennies. Enfin, la troisième partie dresse un tableau synthétique des orientations géographiques, disciplinaires et thématiques constitutives de l’américanisme telles qu’il se donne à lire dans les pages du Journal.

The Paris’ Society of Americanists: a learned society dedicated to Americanism. This article deals with the creation in 1895 of the Society of Americanists, the first one of its kind, and gives some reference points to understand its history. In the first part, it refers to the conditions of its creation by Ernest Théodore Hamy and its development under his guidance. In the second part, it discusses Paul Rivet’s strong commitment in the destiny of the Society and shows how he decidedly helped to expand its international influence. As an international leader of French Americanism during the first half of the twentieth century, he boosted its Journal that was worldwide unequalled for several decades. In the third part, this essay sketches out the main geographical, disciplinary and subject trends of the articles published in the Journal.

La Sociedad de Americanistas de París: una sociedad científica al servicio del americanismo. Se trata aquí de documentar la creación de la Sociedad de Americanistas en 1895, la primera de esto tipo, y de dar algunos puntos de referencia de su historia. En la primera parte se revisan las condiciones de su creación por Ernest Théodore Hamy y su desarrollo bajo su dirección (1895-1908). En la segunda parte se detalla el fuerte compromiso de Paul Rivet en el destino de la Sociedad y demuestra como el trabajó de manera decisiva para aumentar su influencia internacional. Abanderado del americanismo francés durante la primera mitad del siglo XX, impulsó una nueva dinámica a su Journal que fue sin equivalente durante varias décadas. En la tercera parte se esboza una síntesis de las orientaciones geográficas, disciplinarias y temáticas de los artículos publicados en el Journal.

INDEX

Keywords : americanism, Société des Américanistes de Paris, Journal de la Société des Américanistes, scientific internationalism, Hamy (Ernest Théodore), Rivet (Paul) Index géographique : Paris, France Thèmes : Histoire de l’anthropologie, Histoire de l’américanisme Mots-clés : américanisme, Journal de la Société des Américanistes, internationalisme scientifique, Hamy (Ernest Théodore), Société des Américanistes de Paris Palabras claves : americanismo, Société des Américanistes de Paris, Journal de la Société des Américanistes, internacionalismo científico, Hamy (Ernest Théodore), Rivet (Paul)

AUTEUR

CHRISTINE LAURIÈRE

LAHIC-IIAC, 11 rue du séminaire de Conflans, 94220 Charenton-le-Pont [[email protected]]

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Historiographie de l’américanisme scientifique français au XIXe siècle : le « prix Palenque » (1826-1839) ou le choix archæologique de Jomard

Nadia Prévost Urkidi

NOTE DE L’ÉDITEUR

Manuscrit reçu en février 2008, accepté pour publication en juin 2009

Antécédents

1 D’une façon générale, la Société de Géographie de Paris (SGP) s’intéressa dès sa création en 1821 (époque qui correspond à l’émancipation de plusieurs anciennes colonies espagnoles) à la « redécouverte » du continent américain. Les siècles de dominations espagnole et portugaise avaient en effet, selon de nombreux savants de l’époque, « jeté un voile » sur ce continent durant des siècles1. L’Amérique constituait donc encore une grande inconnue pour les géographes français au début du XIXe siècle, alors même qu’elle connaissait une actualité brûlante, consécutive à l’acquisition des indépendances. De fait, elle envahissait alors tous les espaces publics et médiatiques, comme le montre cet extrait d’un article du Bulletin de la Société de Géographie de Paris (BSGP) : Il semble que la découverte de l’Amérique ne date que d’hier, tant on montre aujourd’hui de curiosité pour tout ce qui a rapport à cette grande partie du monde. Cela s’explique facilement. L’ancienne Amérique était fermée à l’Europe, la nouvelle est ouverte à tous les regards de l’observateur ; rien n’est plus interdit à ses recherches ; un Gouvernement soupçonneux ne multiplie plus les obstacles sous ses pas ; on ne soustrait plus à ses yeux les archives des villes ou des provinces ; on ne lui défend plus l’entrée des mines et des grands établissements de l’industrie, jadis

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sous le monopole du Gouvernement. L’Européen n’est plus un objet d’inquiétude signalé à la surveillance de toutes les polices locales ; il assiste aux débats des diverses législatures ; il est admis dans la confiance des hommes d’État ; il puise dans les journaux du pays, affranchis de la censure, des connaissances qu’il chercherait vainement ailleurs. Tous les moyens sont donc à sa disposition pour bien voir et pour bien connaître le résultat des observations des autres. Qu’on ne s’étonne donc plus, d’après cela, de l’intérêt qu’inspirent les nouvelles relations, lorsqu’elles ont surtout pour objet les contrées les moins connues du continent américain. (Larenaudière 1825b, pp. 245-246). 2 L’Amérique ne demandait donc qu’à être mieux connue, sous tous les rapports, ce qui compte tenu de sa superficie, de sa géographie et de sa situation politique, constituait une gageure. Heureusement, il existait une source scientifique jugée sérieuse sur laquelle les géographes français pouvaient s’appuyer pour guider leur réflexion sur l’Amérique. Un homme avait en effet su percer quelque peu les mystères du Nouveau Monde au tout début du XIXe siècle : Alexandre de Humboldt [1769-1859], dont les travaux constituaient alors une référence constante et incontournable. Humboldt fit d’ailleurs tellement pour la connaissance de l’Amérique, que les savants du premier quart du XIXe siècle s’étaient demandés s’il restait encore vraiment quelque chose d’intéressant « à glaner sur ses pas » (Larenaudière 1825a, p. 62). Pourtant, ces savants avaient aussi conscience que l’Amérique que connut Humboldt (celle des années 1799 à 1804) avait bien changé depuis les révolutions et les guerres d’indépendance, rendant ainsi nécessaires « les regards de nouveaux observateurs » (Larenaudière ibid.). La SGP portait donc un intérêt particulier à cette Amérique en pleine mutation. De nombreux voyageurs de toutes nationalités s’y étaient rendus depuis l’émancipation des anciennes colonies espagnoles. Une littérature régulière paraissait à son sujet. Mais la valeur scientifique de ces écrits était très variable et ne répondait pas toujours aux attentes des savants parisiens. Ces derniers étaient en effet tributaires des œuvres publiées et n’avaient aucune emprise, ni sur les thématiques traitées, ni sur les méthodes utilisées.

3 Parfois, lesdits ouvrages n’apportaient rien de très constructif. Le BSGP regrettait ainsi le manque de rigueur, les inexactitudes ou le verbiage de certains voyageurs européens partis explorer certaines régions du continent américain. Par exemple, sur la Colombie, la carte que Mollien2 avait insérée dans son ouvrage contredisait parfois son texte (et le Bulletin de souligner que « c’est un défaut qui n’est malheureusement que trop commun »), tandis que l’ouvrage de Francis Hall [s. d.]3, consacré au même pays, était dans le même temps quant à lui jugé « très-insuffisant et très-court » (BSGP 1825a, p. 18). Le Chili, le Pérou et le Mexique furent, pour leur part, traversés par Basil Hall [1788-1844]4 entre décembre 1820 et juin 1822, mais l’auteur ne fit bien souvent que répéter « ce qu’on savait déjà » (BSGP 1825a, p. 20)5. Sa carte laissait beaucoup à désirer ; son texte témoignait également d’un manque évident de scientificité et d’objectivité : Il est vrai qu’il a eu infiniment à se louer de l’accueil qu’on lui a fait et que son voyage n’a été qu’une suite de fêtes embellies par la présence de femmes presque toutes jeunes, jolies et remplies de talens [sic] ! Comment aurait-il pu, d’après cela, être un narrateur froid et impartial. (BSGP 1825a, pp. 19-20) 4 Bien sûr, tous les voyageurs ne faisaient pas preuve d’un tel manque de rigueur et, quand le BSGP jugeait une publication très intéressante, il n’hésitait jamais à en faire l’éloge, expliquant en quoi elle méritait la complète attention des lecteurs. Parfois également, le sujet desdits ouvrages suscitait un intérêt durable au sein de la SGP et

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devenait donc ensuite un sujet de réflexion récurrent. Un article publié dans les Annales maritimes6 fut ainsi vanté pour la qualité de ses cartes. Un rapport présenté au congrès du Mexique par le ministre de l’Intérieur et des Affaires étrangères mexicain et publié dans le Bulletin des Sciences géographiques7 pour ses « renseignements curieux qu’on ne saurait trouver ailleurs » fut particulièrement recommandé (BSGP 1825a, pp. 21-22). L’ouvrage madrilène de Fernández de Navarette [1765-1844] sur les voyages8 fut quant à lui à l’origine d’une « redécouverte » de Christophe Colomb (BSGP 1825b, pp. 78-79 ; Férussac 1825). De même, le mémoire du colonel américain Poinsett [1779-1851]9 sur « le tableau géographique et statistique de la Vice-Royauté du Pérou » présenté à la SGP inspirait Humboldt pour établir des statistiques, pour le moins intéressantes, pour l’époque sur les populations américaines (BSGP 1825b, pp. 78-79 ; Humboldt 1825)10. Le Voyage de Bullock11, dont la collection d’antiquités mexicaines fut exposée à la Royal Academy of Arts de Londres en 1824 (Matos Moctezuma 2003), tint une place particulière dans cet ensemble, car la SGP présenta ce récit de voyage comme « l’ouvrage le plus précieux qui ait été publié sur le Nouveau Monde, depuis celui de M. de Humboldt » (BSGP 1825a, p. 22). L’Amérique occupait donc une place importante dans les préoccupations de la nouvelle société savante, qui ne manquait jamais de se tenir informée de toutes les nouveautés12. Parmi ces nouveautés dont la Société arrivait à prendre connaissance se trouva en 1825 un ouvrage qui retint particulièrement son attention : il s’agissait de la Description of the ruins of an ancient city discovered near Palenque, in the kingdom of Guatemala, in Spanish America, translated from the original manuscript report of captain don Antonio del Rio, followed by Teatro critico, or a critical investigation and research into the history of the Americans, by doctor Paul Felix Cabrera, publiée à Londres en 182213.

5 Cet ouvrage fit en effet, au cours de l’année 1825, l’objet de deux mémoires de la main de David Bailie Warden [1778-1845], ancien consul des États-Unis d’Amérique résidant à Paris, et membre de la commission centrale de la SGP. Le premier mémoire était ainsi consacré au rapport proprement dit d’Antonio del Río [s. d.] sur Palenque. Le second constituait une analyse de l’essai du docteur Cabrera [s. d.] (BSGP 1825c, pp. 317-318). Ces mémoires furent ensuite examinés par Edme-François Jomard14 [1777-1862], le célèbre géographe et « archéologue » orientaliste, membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, qui présenta ses conclusions devant la Commission centrale de la SGP durant la séance du 11 novembre 1825, au nom de la Section de publication qu’il représentait. Le sujet provoqua immédiatement l’enthousiasme des membres de la SGP, qui découvraient tout simplement l’existence non seulement des mystérieuses ruines de Palenque, mais aussi de tout un complexe architectural antique très étendu et apparemment distinct de celui que l’on connaissait déjà pour les Aztèques : On lit avec intérêt, dans cette relation, des descriptions de sculptures qui, outre des rapports évidens [sic] avec celles des Aztèques, offrent des particularités dignes d’attention, soit dans le caractère de la physionomie, soit dans le style des ornemens [sic]. Il a existé dans cet endroit une Ville considérable, dont l’époque et l’histoire sont absolument ignorées. La succession des ruines occupe une [sic] espace de 7 à 8 lieues. Aucun historien n’avait connu ou décrit les monumens [sic] de Palenque, jusque-là dérobés à la curiosité des Européens par d’épaisses forêts. (Jomard 1825, p. 309) L’intérêt de ces monumens [sic] augmentera encore, en considérant qu’ils se rattachent à d’autres semblables, situés à 8 lieues au nord et à 20 lieues au sud de la ville de Merida […]. (ibid.)

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Les monumens [sic] de Palenque, restés si long-temps [sic] ignorés, paraissent donc devoir être rangés au nombre des antiquités les plus importantes du nouveau continent (ibid., pp. 309-310). 6 Warden et Jomard ne furent pas les seuls à s’enthousiasmer à ce sujet. J.-B.-M. Alexandre Dezos de la Roquette [1784-1868], également membre de la commission centrale de la SGP, souligna lui aussi immédiatement le caractère « remarquable » du rapport d’Antonio del Río, notamment pour la précision de ses renseignements. L’ouvrage de Cabrera parut, en revanche, « hypothétique », et rappela d’ailleurs les systèmes « de Bochart et de Dom Calmet »15 (BSGP 1825c, pp. 317-318). Malte-Brun, comme à son habitude à la pointe de la connaissance géographique, avait déjà consulté la traduction anglaise de l’ouvrage d’Antonio del Río et fit quelques remarques supplémentaires sur l’importance des ruines de Palenque. Il signala l’ouvrage de Domingo Juarros, « sur les ruines de la même ville »16. Ainsi, il ne faisait aucun doute que l’ouvrage d’Antonio del Río, qui renvoyait plus généralement aux « monumens [sic] américains », avait conquis l’intérêt des membres de la commission centrale de la Société de Géographie de Paris. Pour preuve les idées qui fusèrent en séance, entre Férussac [1786-1836], Roux de Rochelle [1762-1849] et Malte-Brun père [1755-1826], à propos de la suite à donner à ces recherches, notamment en matière de publication (BSGP 1825c, p. 318).

7 La publication des deux mémoires de Warden, ainsi que du rapport de Jomard, fut finalement décidée par la Société de Géographie dès le jour de leur présentation à la Commission centrale, le 11 novembre 1825 (BSGP 1825c, p. 318). Mais la Société de Géographie de Paris n’en resta pas là. Impatiente de donner suite aux questions que le rapport d’Antonio del Río avait suscitées durant ses séances, et donc peu désireuse d’attendre les bras croisés qu’un voyageur décidât spontanément de venir y répondre, la SGP décida en mars 1826 d’inclure les ruines de Palenque dans son nouveau programme de prix. Ce fut alors sur deux pages, et avec de nombreuses notes de bas de pages (peu communes en général dans le « Programme des prix »), que la Société de Géographie de Paris dédia un prix d’une valeur de 2 400 francs aux « Antiquités américaines » (BSGP 1826a, pp. 595-596 ; voir Figures 1 et 2).

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FIG. 1 et 2 – BSGP 1826a, pp. 595 et 596 [source : http://gallica.bnf.fr/].

8 Avant d’aller plus avant, l’importance de cette initiative doit être soulignée. Tout d’abord, il faut rappeler la grande réputation, tant nationale qu’internationale, dont jouissait alors la Société de Géographie de Paris17. Ensuite, on doit relever la singularité dans le paysage érudit des années 1820 de cet intérêt français pour l’archéologie américaine, intérêt mis en relief par Margarita Díaz-Andreu García (2007) dans l’ouvrage qu’elle a consacré à l’histoire mondiale de l’archéologie au XIXe siècle. Que cela soit en Espagne (qui avait pourtant manifesté de l’intérêt pour les ruines de Palenque à la fin du XVIIIe siècle), en Grande-Bretagne (qui, en 1824, avait reçu l’exposition de la collection Bullock à la Royal Academy of Arts18), en Allemagne, en Suède ou aux États-Unis, l’étude des antiquités américaines demeurait en effet ponctuelle, alors même qu’elle prenait une importance grandissante dans certains pays américains nés au début du siècle. Perçues comme des symboles de civilisation, ces antiquités pouvaient avoir une fonction politique pour ces derniers dans la mesure où elles constituaient une preuve historique de la capacité des « natifs » à s’autogouverner. Pour toute une génération d’érudits créoles confrontée à la nécessité de créer de nouvelles nations, faites à la fois d’opposition aux anciennes métropoles et de récupération d’éléments amérindiens, l’étude de ces antiquités américaines revêtait donc une grande importance. L’intérêt que le Mexique porta à ses antiquités dès les premières années de son indépendance l’illustre parfaitement (création du Museo nacional en 1825, de commissions d’études, d’expéditions). Cependant, cette idéalisation du passé amérindien, si éloigné parfois des canons de beauté classiques du monde européen, ne se fit pas sans difficultés. D’après Díaz-Andreu García (2007, pp. 56, 80-91, 172-181), le développement de l’archéologie américaine fut freiné au milieu du XIXe siècle en raison de la montée du racisme19. Dans ce contexte, l’intérêt précoce de la France pour ces antiquités américaines faisait exception dans les années 1820 (ibid.).

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Le déroulement du « prix Palenque » (1826-1839)

9 Le programme de ce prix était pour le moins chargé. La Société de Géographie de Paris demandait en substance une « description plus complète et plus exacte » des ruines de Palenque que celle donnée par Antonio del Río dans son rapport, description qui devait bien évidemment être accompagnée de nombreux dessins, plans, cartes et coupes20. Par ailleurs, la SGP attendait des candidats qu’ils fissent des « fouilles » afin de « connaître la destination des galeries souterraines pratiquées sous les édifices, et pour constater l’existence des aqueducs souterrains ». Mais cela n’était pas tout, loin de là. Une fois le site de Palenque étudié et dessiné sous toutes ses facettes, il restait encore à en déterminer l’originalité, ou au contraire la ressemblance, comparativement aux autres sites de la région. La Société souhaitait en effet confirmer « l’analogie » entre ces sites, « regardés comme les ouvrages d’un même art et d’un même peuple ». La commission des prix de la SGP invitait donc ses candidats à aller examiner le site d’Utatlan (près de Santa Cruz del Quiché, Guatemala), mais également celui de Mixco (près de Guatemala Ciudad, Guatemala) et de Copan (au Honduras), ainsi que les sites archéologiques qui jalonnaient le Yucatan et « l’île de Peten, dans la laguna de Itza, sur les limites de Chiapa [sic], Yucatan et Verapaz ». Enfin, comme si cela ne suffisait pas, la SGP souhaitait des « remarques sur l’état physique et les productions du pays », mais également des « recherches sur les traditions relatives à l’ancien peuple », comme des « observations sur les mœurs et coutumes des indigènes », des « vocabulaires des anciens idiômes [sic] », ainsi que des données relatives au personnage de Votan, « personnage comparé à Odin et à Bouddha » (BSGP 1826a, pp. 595-596). Autant dire que le programme n’était pas seulement ambitieux, mais tout simplement irréalisable : il démontrait une totale méconnaissance du terrain21. Pour mener à bien leur projet, les candidats disposaient de trois ans et demi, les mémoires, cartes et dessins devant être déposés au Bureau de la commission centrale, à Paris, avant le 1er janvier 1830.

10 Durant quelques mois, bien évidemment, la nouvelle du prix resta sans écho. Elle commençait cependant à circuler tranquillement : son programme fut, par exemple, « expédié pour l’Amérique » par un intermédiaire et depuis Londres, en octobre 1826 (BSGP 1826b, p. 222). La « Notice annuelle des travaux de la Société de géographie » pour l’année 1826 fut l’occasion pour Philippe François Lasnon de Larenaudière [1781-1845], le secrétaire général de la commission centrale, de rappeler en décembre son existence et d’évoquer ses enjeux et son importance : Vous avez appelé les méditations des amis de la science sur ces ruines mystérieuses de Palenque, remarquables par leur similitude avec d’autres constructions du même genre, situées dans des distances assez rapprochées, et qui déposent de l’existence dans le Yucatan, d’un peuple inconnu, nombreux, et cultivant les arts avec quelques succès. Peut-être sous ces débris mêmes est-il une lumière cachée, qui devenue la conquête d’un examinateur habile, lui fera lire sur ces vieux monumens [sic] l’origine de la population des Amériques, et les plus anciennes traditions, et les plus anciens idiômes de ses premiers habitans [sic]. (Larenaudière 1826, p. 249). 11 En mars 1827, le prix sur Palenque continuait à figurer dans le programme des prix, toujours pour une valeur de 2 400 francs, mais avec la petite différence que les mémoires devaient être déposés à la Société avant le 31 décembre 1829 (BSGP 1827b, pp. 156-158). En un an, aucun candidat ne s’était encore manifesté. La présentation du nouveau programme des prix permit à la Société de Géographie de Paris de rappeler

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l’un de ses buts fondateurs, à savoir donner par ses prix une impulsion à la science, pour hâter les progrès et développer les découvertes. Elle signalait également par son discours être tout à fait consciente des difficultés rencontrées par ses voyageurs, qui travaillaient souvent « sans autre soutien qu’un courage à toute épreuve et un dévoûment [sic] sans bornes » (BSGP 1827a, p. 141). Elle était donc informée du caractère pour le moins missionnaire de la science de ses voyageurs, et se disait toujours prête à aider du mieux qu’elle pouvait les candidats à l’aventure géographique.

12 L’occasion d’épauler des voyageurs en partance pour l’Amérique n’allait pas tarder puisque, durant l’année 1827, quatre personnes se préparèrent à partir sous les auspices de la Société de Géographie à la découverte du Nouveau Monde : le peintre Louis Choris [1795-1828] pour le Mexique et le Guatemala, avec une visite prévue à Palenque, le docteur Bertero22 [1789-1831] pour le Chili, ainsi que Taillefer [s. d.] et Peyrounenc23 [s. d.] ensemble pour la Colombie et l’Orénoque. Tous sollicitèrent de la Société des « instructions », des lettres de recommandation, ainsi que des « instruments », afin de faciliter leur voyage (BSGP 1827c ; Jomard 1827, pp. 336-337, 342-343). Or un drame allait venir illustrer les dangers que pouvait représenter la réalité du terrain américain, où il ne suffisait pas d’avoir du courage et du dévouement pour toujours mener à bien la mission que l’on pouvait s’être fixée. À peine arrivé au Mexique, au début de l’année 1828, deux jours à peine après son débarquement à Veracruz, Louis Choris fut assassiné sur la route de Xalapa, victime de « quatre voleurs » (BSGP 1828d). Il n’arriva jamais à Palenque où il était cependant toujours attendu en 1831 (BSGP 1831e). 13 Avec la disparition de Choris, le « prix Palenque » resta donc sans candidat potentiel. À la fin de l’année 1827, enfin, un premier candidat se fit connaître : François Corroy [ca 1777-1839] (Baudez 1993, pp. 82-83), médecin français et directeur de l’hôpital de Tabasco au Mexique, où il résidait depuis plus d’une vingtaine d’années. Corroy avait pris connaissance de l’existence du prix dans un article paru en 1827 dans l’Aigle mexicain (ce qui nous signale que la nouvelle circulait au Mexique) et pensait être la personne que la Société attendait pour répondre à ses vœux. Il estimait ainsi être le mieux placé pour concourir, mais fit judicieusement remarquer à la Société qu’il était « impossible de satisfaire entièrement [ses] désirs, car il faudrait abattre et brûler la forêt » (BSGP 1828b). Corroy connaissait le terrain, la région, le climat et la situation des ruines de Palenque, qu’il était déjà allé visiter en 1819, et était donc en effet à même de pouvoir juger de la faisabilité du projet palenquéen de la Société de Géographie de Paris. Il affirma même plus tard avoir reçu le colonel Dupaix [s. d.] et son dessinateur Luciano Castañeda [s. d.-ca 1834] lors de leur troisième expédition à Palenque, en 1808 (BSGP 1831e, p. 281). Mais si Corroy regardait « comme impossible la solution complète des questions posées par le programme », Jomard, le spécialiste de la SGP pour les questions américaines, y croyait bel et bien (BSGP 1828a, p. 134). La société savante sembla se ranger à l’avis de ce dernier puisque le mémoire de Corroy tomba alors quelque temps dans l’oubli24. Toute l’année 1828, ainsi que la première moitié de l’année 1829 passèrent ainsi sans qu’aucune mention officielle fut faite des candidatures au prix sur Palenque. Or la clôture du prix était toujours fixée au 31 décembre 1829. 14 En juin 1829, un nouveau concurrent, et non des moindres, arriva sur la scène. Après un séjour de deux ans au Mexique, l’abbé Jean Henri Baradère [1792-ca 1839] était revenu à Paris avec « une collection précieuse de monumens [sic] relatifs aux ruines de Palenqué

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[sic], de Mitla et autres antiquités du Mexique », qu’il soumit à l’appréciation des membres de la SGP lors de la séance du 5 juin 1829 (BSGP 1829a, pp. 37, 40). Durant son séjour au Mexique, Baradère avait eu l’opportunité de pouvoir effectuer des recherches et des fouilles avec l’assentiment du gouvernement mexicain (fait pour le moins exceptionnel à l’époque), ce qui eut pour résultat la formation de son impressionnante collection, composée notamment des dessins originaux de Luciano Castañeda, le dessinateur des expéditions Dupaix25. La collection Baradère se composait ainsi de 145 dessins « recueillis dans plusieurs expéditions faites en 1784 et en 1808, par ordre du roi d’Espagne », « d’une scène de sacrifices humains, dessinée par les Astèques [sic], sur papier d’agave », « d’un plan du lac de Tezcuco [sic] et de Mexico, sur papier de palmier », « d’un tableau des impôts payés à Montezuma, également sur papier de palmier », « d’une généalogie des premiers rois mexicains »26, d’un manuscrit d’environ 800 pages daté de 1559 touchant à l’organisation fiscale du Mexique et de divers objets dont certains venaient de Palenque27. L’ensemble « excit[a] l’intérêt de l’assemblée », qui nomma immédiatement une commission spéciale pour en rendre compte (BSGP 1829a, p. 40). Un rapport très favorable fut présenté à la Société de Géographie de Paris le 29 juin 1829 par une commission de la Société royale des antiquaires de France (BSGP 1829b). Le prix sur Palenque avait enfin un candidat prometteur. Le corpus dont disposait Baradère était tellement impressionnant que les membres de la SGP exprimèrent le vœu de le voir rester en France et l’estimèrent en mesure, une fois ordonné et annoté bien sûr, de remporter le prix : Cette collection, à part quelques copies de planches plus ou moins remarquables, était ensevelie dans le cabinet d’histoire naturelle de Mexico. En l’exhumant, M. Baradère a rendu un véritable service à la science et aux arts. Il est à désirer que cette collection ne passe pas en des mains étrangères, et que la France, patrie des arts, ne soit pas privée du fruit de la découverte la plus importante qui ait été faite en Amérique, et qui donne à son auteur le droit de prétendre au prix proposé par la Société de Géographie. (BSGP 1829b, p. 47). 15 La nouvelle de l’arrivée à Paris d’une importante collection de dessins d’antiquités américaines de très bonne qualité fut rapidement relayée par la presse parisienne (BSGP 1829c, p. 90). L’arrivée de Baradère comme potentiel candidat au prix sur Palenque réveilla François Corroy, dont la SGP était restée sans nouvelles. Ayant appris au Mexique l’existence de la collection de Baradère et son retour à Paris, Corroy décida de recontacter la Société de Géographie de Paris par une lettre datée du 25 février 1829, afin de relancer sa candidature en annonçant sa prochaine expédition aux ruines de Palenque. Malheureusement pour lui, sa lettre arriva à la SGP le jour même où la Société examina pour la première fois la collection Baradère (BSGP 1829a, p. 40), et la société oublia alors « d’en donner communication » (BSGP 1829c, p. 92). Malgré la richesse de la collection de Baradère, la Société décida néanmoins d’attendre les résultats du nouveau voyage de Corroy « pour se prononcer » (Larenaudière 1829, p. 302)28. Le 31 décembre 1829, date de clôture du prix Palenque, aucun mémoire n’avait donc encore été déposé à la Société.

16 Le 8 janvier 1830, Baradère fut officiellement admis au concours pour le prix sur Palenque (BSGP 1830a, p. 87). Il était pour l’heure le seul candidat officiel, la Société de Géographie de Paris n’ayant encore rien reçu de très exceptionnel de François Corroy. Compte tenu des circonstances, la Société décida lors de sa séance générale du 26 mars 1830 de proroger le sujet du prix Palenque à 1832 (BSGP 1830b, p. 177)29 et d’accorder d’ores et déjà par la même occasion une « mention honorable » et des « remerciemens

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[sic] » à Baradère (BSGP 1830b, pp. 173-174, p. 177 ; BSGP 1830c). Celui-ci avait donc deux ans pour fournir sur sa collection une analyse et un cadre dignes des attentes des organisateurs du prix Palenque. Il attendait pour ce faire des copies de documents conservés au Musée de Mexico qu’Isidro de Icaza [s. d.]30 devait lui envoyer31. Mais pour l’heure, malgré le fait que le prix n’avait pu être décerné à la date requise, la Société de Géographie de Paris s’estimait très satisfaite de la tournure qu’avaient prise les événements : L’attention générale est éveillée sur ce problème historique ; enfin des voyageurs américains et français sont en route pour se rendre sur les ruines de cette cité remarquable, et pour explorer la péninsule d’Yucatan, qui en renferme beaucoup d’autres, peut-être non moins intéressantes. (BSGP 1830c, p. 186) 17 Il est indéniable que ce prix éclaira d’une lumière nouvelle l’intérêt scientifique que pouvaient représenter les nombreux sites archéologiques mexicains et centraméricains32. Le site de Palenque étant au Mexique, ce fut vers cette contrée que les regards et les efforts se concentrèrent principalement, créant par la même occasion une sorte de lien scientifique privilégié entre le Mexique et la France33. Les antiquités mexicaines prirent indéniablement, et dès cette époque, une place prépondérante dans le champ des études françaises sur l’antiquité américaine. Il est vrai cependant que d’autres antiquités américaines bénéficièrent également de cette publicité, mais de façon beaucoup moins marquée (Warden 1830 ; 1831b). Grâce à ce prix, l’Amérique prit un autre visage que celui marqué par l’instabilité et les guerres civiles, et acquit une autre dimension dans l’imaginaire collectif des savants géographes français. Pour preuve, l’insertion progressive dans le Bulletin de la Société de Géographie de Paris non seulement d’articles concernant son histoire et ses antiquités, mais également d’articles concernant sa manière de vivre ou ses mœurs (BSGP 1830i)34. Ce nouvel intérêt pour les cultures américaines, non plus seulement passées mais également présentes, se verra confirmé par l’importance croissante que prit peu à peu l’ethnographie au sein des études géographiques35.

18 L’annonce du prix Palenque circulait donc très bien en ce début d’année 1830. La nouvelle vint s’insérer dans les colonnes du Courrier de la Fédération Mexicaine, grâce à l’initiative de M. David [s. d.], alors vice-consul de France à Mexico (BSGP 1830b, p. 171). À partir de cette époque, la Société de Géographie de Paris ne tarda pas à recevoir de plus nombreuses réponses à son appel à candidature. Ainsi, reçut-elle la Collection mexicaine de Maximilien Franck [s. d.]36, qui lui fut particulièrement recommandée par le colonel Poinsett37, à la fin de l’année 183038. Les dessins de la collection frappèrent grandement l’esprit des membres de la Société de Géographie de Paris pour les similitudes qu’ils présentaient entre les costumes, les physionomies et les vases des anciens Mexicains, d’un côté, et ceux des Égyptiens et des Phéniciens, de l’autre39. Ils ne laissaient aucun doute quant à l’existence de deux « écoles » artistiques bien distinctes par le passé : celle de Mexico et celle de Palenque (BSGP 1831b, p. 127). La nouvelle, qui fit débat entre les savants durant une bonne partie de l’année 1831, fut relayée à Paris par les Annales de philosophie chrétienne (1831) ainsi que par le Bulletin des Sciences historiques, antiquités, philologie (1831). La Société de Géographie de Paris reçut ensuite la candidature de Carl [ou Karl] Nebel [1805-1855], un artiste allemand qui, sans aucun appui, se proposait de se mettre en route pour Palenque40. Celui-ci renonça néanmoins à ce projet trop hasardeux et onéreux pour aller examiner en revanche les ruines qui se trouvaient au nord de l’État de Veracruz, laissant à son « associé »41 le soin de poursuivre seul, s’il le désirait, le projet de voyage à Palenque (BSGP 1832b). Or celui-ci

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trouva sur place le moyen d’obtenir l’aide et l’assentiment du gouvernement mexicain pour ces recherches palenquéennes : c’est ainsi que Waldeck [1766-1875]42, qui avait auparavant participé à l’édition anglaise du Rapport d’Antonio del Río sur Palenque, partit s’installer au milieu des ruines pour mieux les dessiner et se retrouva en course pour le prix de la Société de Géographie de Paris. 19 Alors que Waldeck entrait en scène, le 5 août 1831, soit cinq mois avant la clôture du concours sur Palenque, la Société de Géographie de Paris reçut enfin la première livraison de l’ouvrage de Baradère consacré aux expéditions du Capitaine Dupaix à Palenque et destiné à concourir pour le prix de 2 400 francs43. Parmi les auteurs, hormis l’abbé Baradère, se trouvaient les noms d’Alexandre Lenoir [1761-1839], archéologue français, de Charles Farcy [s. d.], chanoine, membre de la Société des antiquaires de France et de Warden. Pourtant, contre toute attente, la Société de Géographie de Paris n’y prêta qu’une attention discrète, se bornant à remercier les auteurs pour leur envoi. La SGP, déjà, semblait placer toutes ses espérances en Waldeck et il fallut attendre septembre 1832 pour qu’elle rendît compte de l’ouvrage (Jomard 1832). Pourtant, comme l’avait signalé Baradère en juin 1830, la publication des expéditions Dupaix par la France constituait en soi un événement important, tant pour les savants français intéressés par les études américaines que pour le gouvernement mexicain qui avait « prouvé sa prédilection pour la nation française » en autorisant la sortie des dessins originaux de Castañeda et une copie « exacte et légalisée » des rapports originaux de Dupaix restés à Mexico (BSGP 1830d). La fin de l’année 1831 et le début de l’année 1832 se passèrent ainsi sans autre mention du prix dans le BSGP. Il faut ajouter que l’un des principaux promoteurs des études américaines au sein de la Société de Géographie, Warden, qui n’avait cessé d’alimenter la SGP d’écrits sur l’Amérique depuis bien des années, se trouvait à ce moment-là atteint d’une maladie assez grave qui ne lui permettait pas toujours d’assister aussi assidûment qu’auparavant aux séances de la Société (BSGP 1832d, p. 358). Il semble que, sans sa présence continue, l’intérêt pour le prix sur Palenque commença à s’essouffler quelque peu, malgré de fréquents rebondissements à son sujet. Quand en mars 1832 le moment vint de proposer le nouveau programme des prix, le prix sur Palenque se retrouva donc de nouveau prorogé jusqu’en 1834 (BSGP 1832c) ; il le fut encore ensuite jusqu’en 1836 (BSGP 1834a, p. 197), et enfin jusqu’en 1839 (BSGP 1836b). 20 La Société de Géographie de Paris continua donc tranquillement à recevoir des nouvelles du Mexique durant les années 1832, 1833, 1834 et 1835 : tout d’abord du clan Corroy44, puis de Galindo [1802-1839]45, nouvel espoir de la Société parti lui aussi explorer Palenque, enfin de Waldeck46, qui vécut au milieu des ruines entre 1832 et 1835. Jamais Palenque n’eut autant de visiteurs en un laps de temps si court. Et les nouvelles continuaient à bien circuler, un journal français imprimé à New York ayant même consacré un long article à cette question vers le début de l’année 1832 (BSGP 1832g, p. 190). En 1832, le sujet sembla reprendre une place prépondérante, comme l’indique notamment le rapport qui fut consacré aux Antiquités mexicaines de Baradère par la Société de Géographie de Paris en 1832 (BSGP 1832f, p. 186 ; Jomard 1832). Elle fut l’occasion pour la Société de réaffirmer son orgueil d’avoir été le moteur de toutes ces nouvelles recherches : Les découvertes se multiplient sur le sujet des antiquités mexicaines ; les monumens [sic] s’accumulent, les publications se succèdent. Il doit en jaillir des lumières sur l’histoire des aborigènes, et même sur l’ethnologie en général : aucune question ne peut donc intéresser la Société de Géographie à un plus haut degré sous

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le rapport historique. La Société peut se féliciter d’avoir donné l’impulsion à ces recherches, par le programme qu’elle a publié en 1826. (Jomard 1832, p. 218) 21 En 1833, toutefois, les nouvelles se firent plus rares. On pourrait se demander si la Société espérait vraiment attribuer ce prix un jour, ou si elle le laissait d’années en années au programme uniquement pour promouvoir ce champ d’études. Car l’impulsion que la Société de Géographie de Paris souhaitait donner aux études américaines ne concernait pas uniquement les savants étrangers, sinon également les savants américains. Or ce fut justement l’intérêt quasi international des antiquaires européens pour Palenque qui poussa par exemple le gouvernement mexicain à prendre une part active au projet, comme nous le montre cet extrait d’un rapport de Lucas Alamán y Escalada [1792-1853, historien et homme politique mexicain] adressé au Congrès mexicain : « Négliger de prendre part à ces recherches serait imprimer une tache à notre réputation » (BSGP 1833a, p. 47)47. Ce fut donc avec un grand plaisir qu’au début de l’année 1833 la Société de Géographie de Paris communiqua la décision du gouvernement mexicain de lancer une souscription afin de financer un voyage scientifique dans les États de Oaxaca et du Chiapas (BSGP 1833a, p. 47)48.

22 Le 18 juillet 1834, un peu excédé par le manque de décision de la Commission des prix, Baradère, qui s’apprêtait à partir le 1er septembre 1834 pour le Mexique, demanda à la Société de Géographie de Paris de prendre enfin une décision. Sa collection puis son ouvrage n’avaient reçu dans leur ensemble que des éloges, il était donc naturel que Baradère espérât remporter le prix de 2 400 francs. Malheureusement la Société disait devoir attendre l’expiration du concours (le 31 décembre 1835) avant de pouvoir désigner le vainqueur du prix (BSGP 1834b, p. 77)49. En avril 1836, soit dix ans après la première parution du prix sur Palenque au programme des prix de la SGP, une commission formée du baron Walckenaer [1771-1852]50, de Larenaudière [1781-1845] et de Jomard rendit un très long rapport sur l’état de la question (Jomard 1836). L’heure du bilan avait enfin sonné.

Le bilan du « prix Palenque » (avril 1836)

23 Des faits positifs, des cartes exactes, des plans topographiques, des traditions, des fouilles, des descriptions des monuments, des données sur les langues et les caractères ethnographiques des indigènes non seulement de la région de Palenque, mais également du Chiapas, du Yucatan et du Guatemala, voilà ce que la Société de Géographie de Paris disait avoir attendu des concurrents au prix Palenque. Elle attribuait en effet l’éloignement des érudits de « l’étude des antiquités américaines » ainsi que de « la lecture des écrivains originaux » au « défaut de cartes exactes ou détaillées » (Jomard 1836, p. 258). En d’autres termes, c’est parce qu’ils ne pouvaient « suivre les relations des événemens [sic] et la description des lieux » sur de bonnes cartes que les érudits s’étaient détournés depuis longtemps de l’étude de l’Amérique ancienne (Jomard 1836, p. 256). Avec son prix, la SGP cherchait donc à obtenir de nouvelles données positives qui lui auraient permis, depuis Paris, d’avoir une vision exacte et nette du terrain, des ruines et de leur contexte. Or elle ne reçut bien souvent en retour que des « conjectures plus ou moins probables ou incertaines sur les origines américaines » (Jomard ibid.).

24 Selon la Commission de la SGP, les lettres de François Corroy laissaient « à désirer pour l’intérêt et la précision » (Jomard 1836, p. 264), tandis que celles de Waldeck

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renfermaient « plus d’une conjecture hasardée, notamment en ce qui regard[ait] l’histoire et les langues » (ibid., p. 266). Elles n’étaient rien en comparaison avec les conclusions de Juan Galindo qui faisait de la race américaine « la race la plus ancienne de la terre » (ibid., p. 272) et de celles de l’ouvrage de Baradère sur l’expédition Dupaix qui mentionnait l’existence de l’Atlantide ou établissait encore d’hasardeuses comparaisons entre les monuments américains et les égyptiens (ibid., p. 281). En somme, en 1836, les « fragmens [sic] jusqu’ici communiqués à la Société » étaient « loin encore de remplir les conditions du programme » (ibid., p. 282). Le prix ne fut donc pas attribué, mais les différents protagonistes du prix reçurent tous néanmoins une récompense pour leurs efforts : médaille d’argent pour l’ouvrage de Baradère, ainsi que pour Juan Galindo ; médaille de bronze pour Waldeck, ainsi que pour Corroy (ibid., p. 291). Un autre ouvrage reçut une médaille d’argent, alors que sa candidature officielle n’avait pas été mentionnée jusque-là dans les procès-verbaux des séances de la SGP : Antiquities of Mexico, publié à Londres par Lord Kingsborough [1795-1837], contenant notamment une partie du rapport de la troisième expédition de Dupaix (ibid., p. 291)51. 25 Compte tenu, d’une part, de la curiosité publique qui s’attachait de plus en plus aux antiquités de l’Amérique centrale et, d’autre part, de la responsabilité qu’elle faisait sienne à encourager et à aiguiller les voyageurs désireux de s’adonner à ce genre d’études, la Société de Géographie de Paris résolut donc de proroger le prix Palenque jusqu’en 1839, en donnant néanmoins un cadre plus précis à ses desiderata. Tout d’abord ne seraient pris en compte que les travaux de voyageurs ayant été sur place et ayant apporté des éléments nouveaux à la connaissance positive de la région ; les publications d’anciens rapports comme ceux présentés dans l’ouvrage de Baradère ou de Kingsborough ne pourraient donc pas concourir. L’accent fut ensuite particulièrement mis sur l’importance des connaissances géographiques, historiques et ethnographiques : « il n’est pas permis de renoncer à l’espoir d’une solution satisfaisante : c’est, au contraire, un devoir de maintenir le sujet de prix, peut-être même d’en élever la valeur » (ibid., p. 290). Le prix fut donc porté à 3 000 francs et devait se clôturer au 31 décembre 1838. Aucun nouveau travail ne fut cependant présenté à la date butoir, et le prix fut, cette fois, définitivement supprimé du programme du concours de la Société de Géographie de Paris à partir de 1839. 26 Le rapport d’avril 1836 demeura néanmoins un bon état de la question américaniste pour les années 1830, et rendit particulièrement compte des difficultés du monde savant parisien à élaborer une nouvelle pratique savante adaptée à l’étude de l’Antiquité américaine. Après s’être chaleureusement auto-félicitée pour l’impulsion que le prix Palenque donnait depuis déjà dix ans aux études sur « tous les anciens édifices qui couvrent le sol américain » ainsi que sur « l’origine et les auteurs de ces singuliers ouvrages » (ibid., p. 253), la Commission en vint rapidement à poser le problème de méthodologie que présentait ce nouveau domaine de recherches américain. Le questionnement allait bien au-delà de l’étude de Palenque et nous renvoie directement à la difficulté que présentait l’application au domaine américaniste de la pratique savante de l’école orientaliste déjà en cours d’institutionnalisation en France depuis la fin du XVIIIe siècle : S’il s’agissait d’un problème de cette espèce dans l’ancien continent, trois voies se présenteraient pour parvenir à la solution : l’histoire écrite, les langues, les monumens [sic] ; en d’autres termes, les écrits des historiens, l’analogie des idiomes entre les anciens indigènes et les peuples plus connus ; enfin, l’étude approfondie

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des ouvrages de l’art et du style des monumens [sic]. On peut ajouter encore les lumières que fournit l’examen du type physionomique dans les statues et les figures de toute espèce, où les natifs ont laissé leurs portraits, leur propre image ; ce qui est une partie essentielle de l’ethnographie. (ibid., p. 254) Ici point d’historiens contemporains, point d’histoire proprement dite. Les écrivains espagnols sont récens [sic] et même suspects ; les traditions sont confuses, contradictoires : elles présentent des dates qui diffèrent de plusieurs siècles […]. (ibid.) Quant aux idiomes, bien que plusieurs subsistent encore tels que le maya, le tchol, le poconchi, le chorti, etc., on n’en peut tirer aucun parti, puisque l’ancienne Amérique n’a point laissé de littérature. Il n’y a, du reste, aucune preuve, pas même d’indice, malgré les conjectures plus ou moins hasardées qu’on a jetées en avant, qu’aucun des peuples indigènes ait possédé une écriture alphabétique. (ibid., pp. 254-255) Restent les monumens [sic] des arts. Nous sommes presque réduits à cette unique source d’informations. Une fois les constructions des anciens peuples d’Amérique bien connues, et supposé qu’on ait des dessins précis des sculptures, avec leur véritable style, qu’on possède des plans exacts des édifices, des coupes et des élévations géométriquement mesurés, on sera aussitôt en possession de deux résultats positifs. On pourra comparer entre eux, sous le rapport de l’architecture et de la sculpture, les ouvrages des plus anciens habitans [sic] de l’Amérique centrale et du Mexique, ainsi que des autres parties civilisées du nouveau continent : 2° on pourra faire, du moins sous le rapport des ouvrages de l’art, des rapprochements sûrs et instructifs entre les degrés de civilisation des deux mondes. (ibid.) En dernier lieu, s’il est donné, un jour, de pouvoir comparer avec exactitude le caractère ethnographique des races encore vivantes de ce continent, avec le type physionomique empreint sur ces monumens [sic], il sera possible de chercher avec quelque fruit plusieurs points de ressemblance ou d’analogie avec d’autres peuplades, soit asiatiques, soit africaines, et de sortir du vague où nous ont laissés jusqu’à présent les voyageurs et les historiens. Par là, on pourrait espérer de clore la carrière illimitée des conjectures et des systèmes sans base, et l’on entrerait enfin dans la voie des véritables recherches historiques. (ibid., p. 255) 27 Il semblait ainsi impossible aux érudits de la Société de Géographie de Paris (souvent membres également de l’Académie des inscriptions et belles-lettres) de jamais pouvoir fonder une philologie américaine telle qu’elle existait déjà pour le domaine orientaliste. En Amérique, point d’histoire proprement dite, point de littérature donc, point de parti à tirer des idiomes. L’unique source d’informations à laquelle les érudits français pensaient être réduits se résumait à l’étude des « monumens [sic] des arts », pour laquelle ils nécessitaient le plus de descriptions et de représentations possibles, afin de pouvoir les comparer avec les monuments de l’Ancien Monde et établir ainsi des degrés de civilisation des deux mondes. Car, dans les esprits savants de l’époque, l’origine asiatique ou africaine des américains semblait une évidence, seule restait vraiment à en déterminer l’origine exacte (rappelons au passage que beaucoup de voyageurs tels que Franck, Humboldt ou Waldeck portaient un regard orientaliste sur les antiquités américaines)52. Sur ce dernier point, le caractère ethnographique des races pouvait, selon eux, peut-être un jour apporter quelque lumière sur les ressemblances ou les analogies des peuples américains avec d’autres peuplades, soit asiatiques, soit africaines, le but déclaré étant de faire entrer l’étude de l’Amérique ancienne dans la voie des véritables recherches historiques.

28 Deux grands axes de recherche américaniste se dessinaient ainsi en cet avril 1836 : d’une part, l’étude de l’architecture et des arts américains, d’autre part, l’étude des

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caractères physionomiques des races américaines, toutes deux dans le but déclaré de les comparer ensuite à celles des autres peuples d’Asie et d’Afrique, selon les arbitraires critères des savants français du Beau et du Civilisé. L’étude des littératures et des langues indigènes, base fondamentale de l’orientalisme scientifique, était complètement écartée du domaine américaniste (Prévost Urkidi 2007, pp. 85-191). Enfin, notons que la finalité de ces études était présentée comme historique, l’étude des monuments et celle des caractères ethnographiques n’étant conçues que comme des outils auxiliaires utiles à la connaissance d’une Histoire universelle.

Les portées théoriques et méthodologiques du prix pour les études américaines

29 À une époque où l’américanisme n’avait pas encore émergé pour prendre une place spécifique dans l’espace scientifique français, la Société de Géographie de Paris joua incontestablement un rôle important pour la promotion des études scientifiques sur l’Amérique. En effet, non seulement elle centralisa et diffusa tout type d’information scientifique touchant au Nouveau Monde depuis la création de son Bulletin en 1822, mais en 1826 elle proposa également de récompenser généreusement tout nouveau travail pouvant apporter des éclaircissements sur ce que fut en d’autres temps la cité de Palenque, au Mexique. Or ce concours eut une importance considérable pour beaucoup d’américanistes français, les concurrents du prix comme Baradère ou Waldeck, mais aussi le jeune Brasseur de Bourbourg53 [1814-1874], notamment du fait de l’incroyable durée du concours et de la publicité qui lui fut donnée durant treize longues années54. L’affaire intéressa beaucoup de monde à un niveau international (des extraits du rapport de 1836 furent imprimés au Guatemala dès 183755), et produisit non seulement des ouvrages et une importante iconographie sur le site de Palenque, mais fut également à l’origine d’un bilan de connaissances sur ce nouveau domaine. Le résultat du prix, compte tenu de l’ampleur de la tâche, fut néanmoins finalement loin de répondre aux espérances des membres de la Société de Géographie de Paris. Le constat sans appel des limites de l’archæologie56 dans le domaine américain fut cruellement établi : sans connaissances basiques de l’histoire, des langues, des croyances, des mœurs, en somme de la philologie locale, les ruines refusaient de livrer leurs secrets. Les membres de la Société de Géographie de Paris, qui s’étaient trouvés inondés de représentations de ruines et de matériels archéologiques mexicains, au bout de treize ans ne pouvaient que constater leur peu d’avancées sur la connaissance du peuple qui avait vécu à Palenque. La nécessité de recourir à de nouvelles méthodes commença à se faire ressentir.

30 Pourtant les conclusions du rapport de la Société de Géographie de Paris d’avril 1836, loin de prôner le développement d’une philologie américaine déjà en germe dans l’énoncé du prix de 1826 et propre à répondre du moins partiellement à leurs attentes, posèrent l’archæologie (et accessoirement l’ethnographie57) comme la seule source d’information possible pour appréhender un tant soit peu le passé américain, principal objet des études américaines. Or cette position fut très longtemps défendue par Jomard, le principal auteur dudit rapport, comme le montrent notamment les instructions qu’il contribua à rédiger en 1853 dans le cadre de l’Académie des inscriptions et belles- lettres pour le voyage de Mimey58 [1826-1888] au Pérou (Jomard 1853 ; Riviale 1996, pp. 176-187). Ainsi Jomard (1853, p. 78) continuait à placer l’étude des monuments des

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arts au centre de sa problématique et de sa pratique scientifiques, ce qui peu à peu l’amena à croire qu’il était impossible d’apporter des éléments nouveaux à l’écriture de l’histoire ancienne des nations amérindiennes. Jomard, principale figure de la Société de Géographie de Paris durant près de quarante ans (Laissus 2004, p. 472), fut également – et c’est un fait peu connu – l’un des chefs de file de l’américanisme scientifique français. Son discours avait donc une certaine portée. Pour la Société de Géographie de Paris, pour l’Académie des inscriptions et belles-lettres comme pour bon nombre d’érudits internationaux versés dans l’étude de l’Amérique amérindienne, il était ainsi reconnu comme un spécialiste des questions américaines59. Sa correspondance américaniste publiée dans le BSGP le prouve60. Le fait que Brasseur de Bourbourg ait cherché à le rencontrer lors de son retour en France en 1851, après un long séjour au Mexique61, n’a donc rien d’étonnant. Un an plus tard, c’est à lui que Brasseur de Bourbourg adressa un article illustrant ses convictions quant aux possibilités philologiques des études américaines, intitulé « Langues et nations du Mexique dans les siècles qui précédèrent la Conquête. À M. Jomard, membre de l’Institut de France, et président de la Société de Géographie de Paris » (Brasseur de Bourbourg 1852). Mais Jomard (1853), qui bien des années plus tôt avait nié le potentiel des découvertes de Champollion le Jeune dans le domaine de l’égyptologie62, demeura encore sourd à ce discours et resta, vaille que vaille, sur ses positions. 31 La grande influence de Jomard dans le cénacle savant parisien (Laissus 2004) explique sans doute le peu de réception qu’eurent à la fin des années 1840 les travaux de Ternaux-Compans63 [1807-1864] et d’Aubin, tous deux promoteurs de travaux sur les langues et les littératures amérindiennes. Ternaux-Compans, qui s’évertua par ailleurs à la fin des années 1830 à faire renaître en France les anciennes chroniques coloniales64, défendit au début des années 1840 l’idée que l’historien de l’Antiquité américaine devait utiliser les documents originaux et donc connaître les langues indigènes. Ses articles furent publiés, non pas dans le Bulletin de la Société de Géographie de Paris (dont Ternaux-Compans était pourtant membre), mais dans les Nouvelles annales des voyages (Ternaux-Compans 1840 ; 1841)65. L’un des deux Vocabulaires des principales langues du Mexique publié par Ternaux-Compans fut établi grâce à Aubin qui eut l’obligeance de communiquer certains manuscrits de sa collection à l’auteur (Ternaux-Compans 1841, pp. 257-258). L’entrée en scène d’Aubin est importante à souligner, car il s’agit d’un personnage central de l’américanisme scientifique français dont la collaboration s’avéra déterminante sur le long terme. En 1840, Aubin était revenu en France les valises pleines de documents anciens en langue indigène, sortis illégalement du Mexique après un séjour de dix ans dans le pays. Il devint le propriétaire de la plus riche collection privée de documents manuscrits et pictographiques américains en Europe, collection qu’il gardait précieusement à l’abri de tous les regards, vivant un peu comme un reclus, de peur que quelqu’un vienne la lui reprendre. Il vivait presque cloîtré chez lui, plongé dans un long et fastidieux travail de déchiffrement des documents pictographiques de sa collection privée, dont les tout premiers résultats ne devaient paraître qu’en 1849, sous forme d’une esquisse incomplète de son Mémoire sur la peinture didactique et l’écriture figurative des anciens Mexicains, présenté sans succès au prix Volney de l’Institut de France, dont Jomard était membre. Jomard connaissait parfaitement ces deux érudits, puisque ce fut lui qui en 1830 permit à Ternaux- Compans de présenter les résultats de son séjour en Amérique du Sud à la Société de Géographie de Paris (BSGP 1831a, p. 23) et ce fut également lui qui mit Brasseur de Bourbourg en contact avec Aubin en 1851 (Brasseur de Bourbourg 1857, p. xiv).

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Pourtant, Jomard ne donna aucune publicité ni aucun encouragement à leurs travaux philologiques dans les articles qu’il consacrait aux études américaines, et ce malgré l’intérêt qu’il nourrissait pour les études touchant à l’Amérique. 32 Il fallut attendre l’arrivée de Brasseur de Bourbourg sur la scène scientifique française à partir de 1851 pour que les études philologiques américaines commençassent à être considérées comme une voie de connaissance possible du passé amérindien. En effet, Brasseur de Bourbourg, érudit charismatique et empreint d’amabilité, n’hésitait jamais à interpeller publiquement les savants des institutions françaises intéressés par l’étude de l’Amérique ancienne sur ces questions de problématique américanistes. Il publia une lettre ouverte à Jomard (Brasseur de Bourbourg 1852), puis une autre à Alfred Maury [1817-1892], sous-bibliothécaire de l’Institut de France (Brasseur de Bourbourg 1855). Le fait que tous deux apparaissent en 1857 sur la liste des membres fondateurs de la première Société américaine de France n’est pas un hasard. Brasseur de Bourbourg construisit ainsi sa carrière en défendant coûte que coûte l’idée, contraire à celle de Jomard, qu’il était possible et même nécessaire de développer une philologie américaine (étude des langues et des documents amérindiens) à l’image de celle qui existait déjà pour l’orientalisme (Prévost Urkidi 2007). Jomard, malgré les réticences qu’il nourrissait à ce sujet, ne put qu’admettre en 1858, sous l’avalanche de compliments savants qui accueillit la publication de l’Histoire des nations de Brasseur de Bourbourg (Prévost Urkidi 2007, pp. 459-469), les indéniables résultats de la démarche brasseurienne (Jomard 1858). Mais ce fut pour ensuite les passer sous silence au moment de définir les desiderata de l’américanisme scientifique émergent pour le compte de la section américaine de la Société d’Ethnographie américaine et orientale, dont il fut le président en 1859 et 1860 (Jomard 1859-1860). L’âge avancé de Jomard (il a 85 ans lorsqu’il décède en 1862) explique peut-être cette incohérence66. Fort heureusement pour l’école américaniste française née dans le giron de la Société d’Ethnographie américaine et orientale, Brasseur de Bourbourg (1861 ; 1862) resta également sur ses positions et put encore rendre accessibles à tous de vrais joyaux de la littérature amérindienne (le Popol Vuh en 1861 et le Rabinal Achi en 1862). L’intérêt que l’école française porta dès les années 1860 à l’étude des codex, étude qui appartient également à cette philologie américaine tant défendue par Brasseur de Bourbourg, lui doit également beaucoup. Malheureusement cette voie philologique fut abandonnée dès le début du XXe siècle67.

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1862 Collection de documents dans les langues indigènes, pour servir à l’étude de l’histoire et de la philologie de l’Amérique ancienne. Volume Deuxième. Grammaire de la langue quichée espagnole-française mise en parallèle avec ses deux dialectes, cakchiquel et tzutuhil, tirée des manuscrits des meilleurs auteurs guatémaliens. Ouvrage accompagné de notes philologiques avec un vocabulaire comprenant les sources principales du quiché comparées aux langues germaniques et suivi d’un essai sur la poésie, la musique, la danse et l’art dramatique chez les Mexicains et les Guatémaltèques avant la Conquête ; servant d’introduction au Rabinal Achi, drame indigène avec sa musique originale, texte quiché et traduction française en regard, recueilli par l’abbé Brasseur de Bourbourg, A. Bertrand, Paris/Trübner and Co, Londres.

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NOTES

1. Cette expression est notamment utilisée, à des moments et dans des contextes bien distincts, par Brasseur de Bourbourg (1851, p. 4), par la Société d’Anthropologie de Paris (Bulletin de la Société d’Anthropologie de Paris ou BSAP 1861, p. 569) et par Gaston de Tayac (1863-1865, p. 62), secrétaire adjoint du Comité d’Archéologie américaine. Ces sentiments, ressentis par de nombreux érudits du XIXe siècle versés dans les études américaines, d’une curiosité scientifique « bridée » par les couronnes d’Espagne et du Portugal, d’une part, et d’un manque de savoirs positifs sur l’histoire ancienne de l’Amérique, d’autre part, sont mentionnés dans les textes que l’historien Pascal Riviale (1995, p. 209 ; 1999, pp. 308-319 ; 2005, p. 27) a consacrés à l’histoire de l’américanisme scientifique français. Il existe pourtant une abondante bibliographie qui illustre l’idée d’un processus de relations scientifiques euro-américaines qui aurait été continues tout au long de l’époque coloniale (Sala Catalá 1994 ; Millones Figueroa et Ledezma 2005 ; Cañizares- Esguerra 2006). Si je ne conteste pas l’existence de ce processus, je m’interroge néanmoins, à la lecture des textes d’américanistes du XIXe siècle, non seulement sur la nature et la transmission au XIXe siècle de la production scientifique de l’époque coloniale pour des questions touchant à la discipline américaniste, mais aussi sur la nature et l’éventuelle pérennité de relations scientifiques internationales nées de ce processus. Ces questions sont bien trop complexes pour être résolues dans le cadre de cet article. 2. Gaspard-Théodore Mollien, Voyage dans la république de Columbia en 1823, A. Bertrand, Paris, 1824. La Société de Géographie de Paris reconnaissait néanmoins « son talent d’observation et son zèle éprouvé » (Larenaudière 1825a, p. 64). 3. Francis Hall, Columbia, its present state, in respect of climate, soil… manners, education, and inducements to emigration, with itineraries, A. Small, E. Parker, E. Littell and Marot and Walter, Philadelphia, 1825.

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4. Basil Hall, Voyage au Chili, au Pérou et au Mexique pendant les années 1820, 1821 et 1822, A. Bertrand, Paris, 1825. 5. Cet ouvrage est analysé dans le même Bulletin (Larenaudière 1825b). 6. Annales maritimes et coloniales : recueil de lois et ordonnances royales, réglemens [sic] et décisions ministériels, mémoires, observations et notices particulières, et généralement de tout ce qui peut intéresser la marine et les colonies (Paris, 1809-1847). 7. Bulletin des Sciences géographiques, économie publique, voyages (Paris, 1824-1831). 8. Martín Fernández de Navarette, Colección de los viajes y descubrimientos que hicieron por mar los españoles desde fines del siglo XV… Viajes de Colón, Imp. nacional, Madrid, 1825. Jusqu’à la publication de cet ouvrage, les savants français ignoraient en effet que les lettres de Colomb avaient été conservées. 9. Joel Roberts Poinsett, physicien, botaniste et homme politique nord-américain. 10. D’après Humboldt, en 1793 le Nouveau Monde comptait 34 284 000 d’habitants, dont 38 % de Blancs, 25 % d’Indiens, 19 % de « Races mixtes » et 18 % de « Nègres ». 11. William Bullock, Le Mexique en 1823, ou Relation d’un voyage dans la Nouvelle Espagne, A. Eymery, Paris, 1824. 12. . Voir pour exemple le compte rendu des publications sur l’Amérique publié dans le BSGP 1825a, pp. 17-25. 13. Cette publication a été signalée par Díaz-Andreu García (2007, p. 56). 14. Edme-François Jomard, membre de l’Institut d’Égypte, puis de l’Académie des inscriptions et belles-lettres à partir de 1818, collaborateur prolifique de la Description d’Égypte, considéré comme le chef de file des « Égyptiens » à Paris (Solé 1998, p. 223). 15. Samuel Bochart [1599-1667], auteur d’une Geographiae sacrae (1646-1651), et Dom Augustin Calmet [1672-1757], auteur d’un Dictionnaire historique, archéologique, philologique, chronologique, géographique et littéral de la Bible (réédité à Paris en 1845-1846). Bochart prêtait aux Phéniciens une importance quasi universelle, tandis que Calmet, malgré l’étendue de son érudition et l’importance de ses contributions historiques, était resté connu pour son caractère superstitieux et sa trop grande crédulité. 16. Malte-Brun parlait de l’ouvrage de Domingo Juarros, Compendio de la historia de la ciudad de Guatemala, I. Beteta, Guatemala Ciudad, 1808-1818, 2 vols. 17. « De par le nombre considérable et la diversité de ses membres, la grande diffusion de son bulletin et l’importance de ses contacts avec d’autres institutions nationales et internationales, la société assuma son rôle de relais médiatique, en se faisant l’écho des travaux en cours, des nouvelles découvertes (invitant parfois un explorateur de passage à donner une conférence) ou bien des questions qui agitaient les cercles érudits à propos du Nouveau Monde » (Riviale 1995, p. 215). 18. Pour l’exposition de la collection Bullock, lire Matos Moctezuma 2003. Díaz-Andreu García (2007, p. 172) signale que, malgré le succès de cette exposition, l’intérêt de la Grande-Bretagne pour le Mexique « would not continue ». 19. « Whereas Greek antiquity was accepted as part of the glorious origins of Europe, the American pre- Columbian civilizations were not. The latter lost their prestige around the mid nineteenth century due to the rise of racism and its significant role in ethnic nationalism. During that later period antiquarians struggled to have their own antiquities considered as prestigious material remains of the primeval times of the Mexican and Peruvian nations. This change in the perceived value of race explains the unequal development of archaeology in Greece and the Latin American countries » (Díaz-Andreu García 2007, p. 81). 20. Plans et coupes des monuments ; principaux détails des sculptures ; cartes particulières des cantons où sont situées les ruines ; plans topographiques. 21. Cette méconnaissance de la part des théoriciens était courante au XIXe siècle (Blanckaert 1996, p. 29 ; Laissus 2004, p. 472).

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22. Carlo Giuseppe Bertero, naturaliste d’origine italienne qui, après son départ, ne donna a priori pas beaucoup de nouvelles de son voyage à la Société de Géographie de Paris. 23. Timoléon Taillefer et Peyrounenc (non identifié), médecins et voyageurs français. Le résultat de leur voyage fut présenté en juillet 1828 à la Société de Géographie de Paris sous la forme d’un manuscrit de 80 pages intitulé Voyage à la côte de Colombie dans le courant de l’année 1827 (BSGP 1828e, p. 39 ; BSGP 1830f). Ce travail fit l’objet d’un rapport de Warden qui fut lu en séance le 1er août 1828 (BSGP 1828f, p. 120). Hormis un petit extrait publié peu de temps plus tard (BSGP 1828g), le manuscrit ne fut pas publié et fut rendu à M. Peyrounenc en septembre 1830 (BSGP 1830h, p. 191). 24. Oubli qui fut peut-être consécutif au fait que Corroy, sans aucune preuve scientifique, affirmait avec entêtement que les ruines étaient « antédiluviennes » (Baudez 1993, p. 84). 25. Comme le souligna d’ailleurs la SGP, le gouvernement mexicain avait promulgué une loi pour interdire aux étrangers de recueillir des antiquités et d’exécuter des fouilles sur le territoire national. Baradère fit donc l’objet d’une exception (selon le BSGP, il était le « seul Européen » dans ce cas), en vertu d’un accord qu’il passa le 07 novembre 1828 avec Isidore Icaza, le directeur du Musée national de Mexico. Cet accord posait les termes de leur collaboration, Baradère ayant le droit de conserver la moitié de la collection qu’il aurait pu rassembler durant ses recherches. La SGP publia une partie dudit accord dans son Bulletin (BSGP 1829b). 26. Il s’agissait d’une copie, l’original ayant été détruit lors d’un incendie. 27. La collection Baradère est décrite dans le rapport établi par la Société des antiquaires de France le 29 juin 1829 (BSGP 1829b, pp. 45-46). D’après ce document, la scène de sacrifices humains sur papier d’agave, le plan du lac de Tezcuco et de Mexico sur papier de palmier et le tableau des impôts payés à Montezuma sur papier de palmier étaient des documents ayant appartenu à la collection de Lorenzo de Boturini y Benaducci [ca 1702-1755]. Après la mort de Boturini en 1755, la collection également connue sous le nom de Museo indiano se dispersa. Elle fut en partie reconstituée au XIXe siècle par Joseph-Marius-Alexis Aubin [1802-1891] dont la collection est aujourd’hui conservée dans le département des « Manuscrits orientaux » sur le site Richelieu de la Bibliothèque nationale de France (Durand-Forest et Swanton 1998). Voici la liste des divers objets qui composaient également la collection Baradère : une noix de coco, un crâne en marbre, des « idoles » et des flageolets en terre cuite, un lapin sculpté en pierre, des grelots en cuivre, des sceaux en terre cuite (BSGP 1829b). 28. Mais François Corroy se verra obligé d’ajourner son voyage, du fait de ses problèmes de santé (BSGP 1831d). 29. Les mémoires devaient donc être remis avant le 31 décembre 1831. 30. Isidro Ignacio de Icaza fut le premier directeur du Musée national mexicain, entre 1825 et 1834. 31. Ces documents consistaient en des copies des rapports et des notes manuscrites de Dupaix. Baradère les reçut à Paris à la fin du mois de mai 1830 (BSGP 1830d). 32. Dans la description géographique qu’il publia en 1831 sur le Guatemala, Warden signala la grande méconnaissance que le monde scientifique avait alors de l’Amérique centrale. En effet, celui-ci ne disposait pas même d’une bonne carte de la région, la meilleure étant alors celle qui fut dressée par l’ingénieur Juan Bautista Jáuregui [s. d.] (Warden 1831a). 33. Le cas de Baradère, qui reçut un traitement très privilégié, en était alors la meilleure illustration. 34. Dans cet article, le Mexique n’est plus seulement présenté comme un lieu de misère et d’instabilité politique, mais comme un espace où il fait bon vivre, avec sa « magnifique promenade de l’Alameda », la douceur des journées aux Chinampas, son goût pour la bonne chère et la musique, etc.

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35. Le terme « ethno-géographie » apparaît en 1832 dans un rapport de la Société de Géographie de Paris sur les travaux et la collection indienne de M. Lamare-Picquot [s. d.] (BSGP 1832a, p. 87). Peu de temps plus tard, il est attribué à Jomard (Barbié du Bocage 1832, p. 311). 36. Artiste né à Munich ayant séjourné deux ans à Mexico dans les années 1828-1830 (dans la maison du colonel Poinsett), où il passa son temps à reproduire des objets archéologiques conservés au Musée national. Il dessina également des objets mexicains conservés dans le musée de la Société philosophique de Philadelphie, ainsi que dans diverses collections privées, comte Peñasco [s. d.], Castañeda, Rich [s. d.], Exeter [s. d.] et Marshall [s. d.], les trois derniers étant des négociants anglais installés à Mexico. Pour plus de détails et pour la description de la collection, voir BSGP (1831b), Bulletin des Sciences historiques, antiquités, philologie (1831) et Baudez (1993, p. 56). 37. Durant son séjour au Mexique, Joel Roberts Poinsett réunit une petite collection d’objets archéologiques et ethnographiques, qu’il offrit à la Société philosophique de Philadelphie dont il était membre, lors de son retour aux États-Unis (BSGP 1831b, pp. 124-125). 38. Séance du 3 décembre 1830 (BSGP 1831a, p. 23). 39. Les dessins de Franck donnaient selon la SGP « matière à des dissertations intéressantes sur les rapports qu’on présume avoir existé entre les deux continents » (BSGP 1831b, p. 126). Ce regard orientaliste que Franck posa sur les antiquités mexicaines n’est pas sans rappeler celui d’Humboldt (Lubrich 2003) et de Waldeck (Baudez 1993). Stephens [1805-1852] et Catherwood [1799-1854] arriveront à s’en affranchir dans leur ouvrage Incidents of Travel in Central America, Chiapas and Yucatan publié à New York en 1841 (Stephens 1993 ; Prévost Urkidi 2007, pp. 175-179). 40. Adrien-Louis Cochelet [1788-1858], consul général de France à Mexico, écrivit une première fois durant l’été 1830 à la Société de Géographie de Paris pour lui présenter des propositions en vue d’une excursion de Karl Nebel à Palenque, mais celles-ci furent refusées par la société savante (séance du 20 août 1830, BSGP 1830g, pp. 133-134). Quelques mois plus tard, Cochelet recontacta la société pour lui annoncer que le voyageur allait entreprendre le voyage « sans autre appui que lui-même » (BSGP 1831c). 41. Il est rare de trouver dans des articles imprimés de l’époque la mention d’une association professionnelle formelle entre Waldeck et Nebel. 42. Jean-Frédéric Waldeck, artiste d’origine allemande, qui s’installa ensuite à Paris. Waldeck et Nebel se connaissaient et se côtoyaient à Mexico autour de 1830. Les membres de la Société de Géographie de Paris les présentaient comme des « associés », suite à une lettre d’Adrien Cochelet reproduite dans son bulletin (BSGP 1832b). Pour Brunhouse (1989, p. 64), ils étaient des « amis intimes ». Pour Baudez (1993, p. 56), Nebel était en revanche le « concurrent le plus dangereux » de Waldeck. 43. . Antiquités mexicaines. Relations des trois expéditions du capitaine Dupaix, ordonnées en 1805, 1806 et 1807, pour la recherche des antiquités du pays, notamment celles de Mitla et de Palenque, etc., Jules Didot, Paris, 1831, 1ère livraison (BSGP 1831f ; 1831g, pp. 129-130). 44. La Société reçut des correspondances du père, du fils et du neveu Corroy (BSGP 1832e ; 1833b ; 1835c). 45. Colonel Juan Galindo, érudit et homme politique mexicain (BSGP 1832f, pp. 185-186 ; 1832g, p. 190 ; 1832h ; 1833f, p. 178 ; 1833g, p. 227 ; 1834a, pp. 195-196 ; 1834b, p. 73 ; 1835e ; 1835g, p. 243). 46. . Voir BSGP (1832g, pp. 189-190 ; 1833c ; 1833d, pp. 60-61 ; 1833e ; 1834c, p. 142 ; 1835a, p. 141 ; 1835b ; 1835c ; 1835d ; 1835f ; 1835g, p. 245). 47. J’ai retrouvé le même esprit au sein de la Sociedad Mexicana de Geografía y Estadística quand celle-ci décida en 1857 de s’investir plus amplement dans la sauvegarde et l’étude de documents en langue indigène. La société savante mexicaine avait ainsi souligné le fait que « sería muy vergonzoso, si no un crimen, que ésta ilustre Sociedad adoptara el desprecio en el que la generalidad del

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territorio mexicano ha tenido los dialectos indios, mientras que personas extrañas se interesan por ellos » (Prévost Urkidi 2004, p. 518). 48. Cela dit, il est possible que cette souscription ne soit que celle déjà connue par la Société et lancée en 1831 au Mexique par Lucas Alamán pour financer l’expédition de Waldeck à Palenque (Baudez 1993, pp. 64, 73 ; Mestre Ghigliazza 1996, pp. 29-31). 49. Warden avait déjà annoncé le départ de Baradère pour Mexico le 07 décembre 1832 (BSGP 1832i, pp. 368-369), mais son départ fut reporté. Baradère disparut ensuite mystérieusement. On ne retrouva jamais sa trace. Ses collaborateurs des Antiquités mexicaines firent en sorte que ses droits fussent néanmoins maintenus dans le concours (BSGP 1836a, p. 212). 50. Charles-Athanase Walckenaer, érudit et homme politique français, également membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres. 51. Antiquities of Mexico : comprising fac-similes of ancient Mexican paintings and hieroglyphics, preserved in the royal libraries of Paris, Berlin and Dresden, in the Imperial library of Vienna, in the Vatican library, in the Borgian museum at Rome, in the library of the Institute at Bologna, and in the Bodleian Library at Oxford, together with The monuments of New Spain by M. Dupaix, with their respective scales of measurement and accompanying descriptions / the whole illustrated by many valuable inedited manuscripts by Augustine Aglio, Robert Havell, Londres, 1830-1848, 9 vol. (BSGP 1828c ; 1830e). 52. Voir supra note 40. 53. Adolescent, vers 1832, Brasseur de Bourbourg lut un article du Journal des savants consacré au rapport d’Antonio del Río sur les ruines de Palenque : « Il me serait impossible, aujourd’hui, de décrire l’impression d’étonnement mêlé de plaisir que me causa cette lecture ; elle décida de ma vocation archéologique pour l’avenir » (Brasseur de Bourbourg 1857, p. III). 54. Je ne peux donc aller dans le sens de John Lloyd Stephens et de Robert L. Brunhouse quant à l’impact qu’eut la publication du rapport d’Antonio del Río à Londres. Le premier publia en effet en 1841 qu’« au lieu d’électriser le public, par manque d’intérêt, incrédulité, ou pour quelque autre cause, cette publication passa à tel point inaperçue qu’en 1831 la Literary Gazette, un journal londonien de grande diffusion, annonça la “découverte” des ruines de Palenque par le colonel Galindo » (Stephens 1993, p. 135). Quant à Robert L. Brunhouse (1989, p. 20), il écrivit que « En la actualidad resulta sorprendente darse cuenta de que Description of the Ruins of an Ancient City llamó tan poco la atención en la época en que fue publicada ». 55. La Nouvelle Académie des sciences du Guatemala publia des extraits du rapport de la SGP en 1837 (Taracena Arriola 2007). 56. L’archæologie consistait principalement en l’étude des monuments et de l’épigraphie. 57. Pour Jomard, l’ethnographie consistait en 1831 en « la connaissance d’une manière exacte et positive du degré de civilisation des peuples peu avancés dans l’échelle sociale » (Dias 1991, p. 126). 58. Maximilien-Étienne Mimey, élève de l’École des beaux-arts. 59. Notons par exemple que, sur les neuf mentions faites à l’archæologie américaine dans les procès-verbaux de l’Académie des inscriptions et belles-lettres antérieurs à 1850, huit sont dues à l’initiative de Jomard [sur les monuments mexicains présentés dans l’ouvrage de Kingsborough (27 août 1830), sur les recherches de Waldeck au Yucatan (20 février 1835), sur les recherches menées sur Palenque et les monuments du Yucatan (26 août 1836), sur les dessins de Catherwood au Guatemala (09 octobre 1840 et 31 mai 1844), sur les travaux de Friedrichsthal [1808-1842] en Amérique centrale (15 mai 1840), sur les recherches de Mahélin à Quirigua au Guatemala (9 octobre 1840), sur les antiquités péruviennes vues par Castelnau [1810-1880] lors de son voyage en Amérique du Sud (27 novembre 1845)] et une est due à l’initiative d’Alexandre de Humboldt (sur Friedrichsthal, 1er octobre 1841). 60. Parmi ses correspondants, se trouvaient notamment les Français Augustin Mahélin, consul général de France au Guatemala, Francis Lavallée [1800-1864], vice-consul de France à la Trinidad de Cuba, le Danois Carl Christian Rafn [1795-1864], l’Autrichien Emanuel Ritter von

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Friedrichsthal, les Nord-Américains Albert Gallatin [1761-1849], Ephraim George Squier [1821-1888], Samuel F. Haven [s. d.], William Brown Hodgson [1801-1871], ou encore Hermann E. Ludewig [1809-1856], un jurisconsulte allemand établi à New York (Prévost Urkidi 2007, p. 380). 61. Brasseur de Bourbourg – et il le reconnaît lui-même – fut très influencé dans ses travaux par certains savants de l’élite mexicaine, dont par exemple Faustino Galicia Chimalpopoca [s. d.-1877] qui fut son professeur de nahuatl. 62. Champollion le Jeune fut mis au ban de l’Académie des inscriptions et belles-lettres où Jomard le calomnia vivement. Il ne put y entrer qu’en 1830, après avoir été vigoureusement défendu par des sommités de l’Institut de France (Solé 1997, p. 78). 63. Henri Ternaux-Compans, historien et éditeur de textes coloniaux en français. 64. Voyages, relations et mémoires pour servir à l’histoire de la découverte de l’Amérique, Arthus Bertrand, Paris, 1837-1841, 5 vols. 65. Notons que ce périodique, les Nouvelles annales des voyages, de la géographie, de l’histoire et de l’archéologie, rendit compte des travaux américanistes de Brasseur de Bourbourg entre 1855 et 1870. 66. Signalons cette conclusion de son biographe Laissus (2004, p. 472) : « Les historiens de la Société de géographie s’accordent à reconnaître que la disparition de Jomard, à l’automne 1862, marque la fin d’une époque, d’ailleurs diversement appréciée. Elle se résume, pour l’un d’eux, dans cette formule tranchée : “Quarante ans de gâchis” ». 67. L’« école américaniste française » du XIXe siècle essayait d’avoir une approche pluridisciplinaire. Les travaux archéologiques continuèrent à être bien représentés dans la seconde moitié du XIXe siècle (Mongne 2005 ; Podgorny 2008), tandis que les travaux philologiques, principalement centrés sur les codex, cherchèrent à se développer dès la fin des années 1860 (Prévost Urkidi 2007, p. 642). Cette voie se révéla finalement être une impasse à la fin du XIXe siècle. Il est intéressant de constater combien la démarche de Robert Carmack au XXe siècle fait écho à celle que Brasseur de Bourbourg défendit au XIXe siècle. Carmack se mit en effet à la recherche de sources indigènes au Guatemala pour mener à bien ses recherches ethnologiques (Carmack 1973), ce qui permit selon Enrique Florescano (2001) « d’envisager sous un angle nouveau l’histoire ancienne » de la population quiché à partir des années 1970, comme si cette démarche était réellement totalement inédite. En 1985, un historien espagnol, Fermín del Pino Díaz (2005), pour qui l’américanisme est de caractère binomial, dirigea un ouvrage qui souligna l’importance de l’étude les sources non seulement coloniales, mais aussi indigènes, ainsi que de l’interdisciplinarité dans le champ américaniste (Pino Díaz 1985). Ces publications illustrent, à mon sens, les difficultés que rencontra encore la philologie américaine pour s’institutionnaliser au cours du XXe siècle.

RÉSUMÉS

Historiographie de l’américanisme scientifique français au XIXe siècle : le « prix Palenque » (1826-1839) ou le choix archæologique de Jomard. Pour Carlos Navarrete, la « découverte » des ruines de Palenque fut « le début de l’aventure archéologique maya ». La portée de cette découverte alla cependant bien au-delà dudit champ archéologique maya grâce au prix sur les « Antiquités Américaines » que la Société de Géographie de Paris proposa entre 1826 et 1839. Durant treize ans, ce concours, qui avait pour principal objet l’étude des ruines de Palenque et de

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ses environs, créa en effet une dynamique générale non pas seulement française, mais internationale autour de ce que le monde savant parisien appelait encore les « études américaines ». De ce prix cependant, nul ne sait vraiment grand-chose. Le dépouillement des Bulletins de la Société de Géographie de Paris permet pourtant de reconstruire la trame du « prix Palenque » et d’en déterminer la portée théorique et méthodologique pour l’américanisme scientifique naissant.

Historiography of the French scientific Americanism in the 19th century: the « Palenque prize » (1826-1839) or the archaeological choice of Jomard. For Carlos Navarrete, the « discovery » of the ruins of Palenque was « the beginning of the Mayan archaeological adventure ». The impact of this discovery went beyond this Mayan archaeological field thanks to the prize about the « American Antiquities » which the Société de Géographie de Paris proposed between 1826 and 1839. During thirteen years, this competition, which had for main object the study of the ruins of Palenque and its neighbourhoods, indeed created a general dynamic not only in France but also on an international plan around what the Parisian learned world still called the « American studies ». About this prize however, nobody knows really much. The analysis of the Bulletins de la Société de Géographie de Paris allows nevertheless to reconstruct the framework of the « Palenque prize » and to determine the theoretical and methodological impact for the nascent scientific americanism.

Historiografía del americanismo científico francés en el siglo XIX: el « premio Palenque » (1826-1839) o la elección arqueológica de Jomard. Para Carlos Navarrete, el « descubrimiento » de las ruinas de Palenque fue « el principio de la aventura arqueológica maya ». Sin embargo este descubrimiento tuvo impacto más allá del campo arqueológico maya gracias al premio sobre las « Antigüedades americanas » que la Société de Géographie de Paris propuso entre 1826 y 1839. Durante trece años, este concurso, que tenía como principal objeto el estudio de las ruinas de Palenque y de sus alrededores, creó en efecto una dinámica general no solamente francesa sino también internacional alrededor de lo que la gente sabia parisina todavía llamaba los « estudios americanos ». De este premio sin embargo, ninguno sabe verdaderamente gran cosa. El examen de los Bulletins de la Société de Géographie de Paris permite reconstruir la trama del « premio Palenque » y determinar su alcance teórico y metodológico para el americanismo científico naciente.

INDEX

Palabras claves : americanismo, expediciones científicas, Jomard (Edme-François), Société de Géographie de Paris Index géographique : Palenque, Paris, France, Mexique Thèmes : Historiographie, Histoire de l’américanisme Mots-clés : américanisme, expéditions scientifiques, Jomard (Edme-François), Société de Géographie de Paris Keywords : americanism, Jomard (Edme-François), scientific expeditions, Société de Géographie de Paris

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AUTEUR

NADIA PRÉVOST URKIDI

CNRS, UMR 5136 FRAMESPA, Université de Toulouse II, Maison de la Recherche, 5 allée Antonio Machado, 31058 Toulouse Cedex 9 [[email protected]]

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Le Congrès des américanistes de Nancy en 1875 : entre succès et désillusions

Étienne Logie et Pascal Riviale

NOTE DE L’ÉDITEUR

Manuscrit reçu en juin 2008, accepté pour publication en juin 2009

1 Le 19 juillet 1875 s’ouvre à Nancy le premier congrès international des américanistes. Cette réunion scientifique se place sous le patronage de la Société d’Ethnographie. Pour la première fois, des « savants des deux mondes » viennent débattre des questions de fond du champ d’étude américaniste. Si cette manifestation est de nos jours bien enracinée dans le paysage scientifique, on peut s’interroger sur les facteurs ayant rendu possible cette grande première. En ce dernier quart du XIXe siècle, dans un contexte de grande dispersion de la recherche américaniste, la tenue d’une telle réunion paraissait une gageure. Pourtant, il a non seulement été possible de l’organiser, mais les résultats ont été jugés suffisamment probants par ses participants pour que l’on souhaite renouveler l’expérience, puis l’instituer en une manifestation régulière. Il convient donc de s’interroger sur l’impact de cette première session, tant sur la sociabilité américaniste à l’échelle internationale que sur les activités nancéiennes dans ce champ d’études spécifique.

L’organisation du congrès

Pourquoi un tel congrès ?

2 Les origines du congrès international des américanistes sont à replacer dans un contexte alors nouveau dans l’histoire des sciences. À l’instar des disciplines scientifiques déjà bien établies, on observe dans la seconde moitié du XIXe siècle une

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volonté de rendre des domaines de recherches plus visibles, non seulement auprès des spécialistes, mais aussi d’un plus large public ; de même, les échanges internationaux entre confrères tendent à se formaliser. Pour les champs d’études encore jeunes – en l’occurrence tous ceux relevant des sciences de l’homme et de la société (l’archéologie préhistorique, l’anthropologie, l’ethnographie…) –, il fallait gagner une crédibilité et obtenir une reconnaissance officielle et publique en tant que sciences véritables, au même titre que la botanique ou la chimie, par exemple. Dans cette perspective, les rencontres internationales offraient la possibilité de développer une réflexion commune entre spécialistes sur ce que devait être le champ d’action d’une discipline donnée, s’accorder sur un certain nombre de références et d’objectifs, voire sur les limites du domaine, d’échanger points de vues et informations sur l’état de la recherche ou sur des questions particulières, et de développer des réseaux de contacts. Ces rencontres étaient aussi un moyen de gagner en visibilité auprès du public1. On observe la tenue d’un nombre croissant de congrès internationaux à partir des années 1860. Après une première rencontre à La Spezia (Italie) en 1865, puis à Neuchâtel en 1866, les spécialistes de l’archéologie et de l’anthropologie préhistorique inaugurent à Paris en 1867 la tenue régulière de leur congrès international. C’est en 1873 que Léon de Rosny et quelques autres membres de la Société d’Ethnographie lancent l’idée d’une rencontre des spécialistes de l’orientalisme au niveau international. Le succès de cette réunion aboutit à l’instauration d’un cycle régulier de rencontres tant internationales que nationales. Le modèle de ce type d’événement ne pouvait qu’être séduisant pour tous ceux qui rêvaient de voir un jour l’américanisme acquérir une reconnaissance officielle autorisant son institutionnalisation. Les multiples initiatives associatives de la Société d’Ethnographie illustrent ce profond souci de sociabilité et de fraternité internationale, volontiers exprimé dans les discours. Fondée en 1859 par Léon de Rosny, Brasseur de Bourbourg, Charles de Labarthe et Edme Jomard, la Société d’Ethnographie Orientale et Américaine2 s’investit d’une triple mission : définir les paradigmes de l’ethnographie ; centraliser et promouvoir les travaux – notamment d’archéologie – des « rares savants adonnés à l’étude de l’Amérique antécolombienne3 » ; assurer la promotion et la vulgarisation des études orientales. Après une première tentative de séparation en 1863, le Comité d’Archéologie Américaine avait réintégré la Société d’Ethnographie ; en 1873, il gagna finalement son émancipation sous le nom de Société Américaine de France.

3 En fait, autant l’orientalisme paraît avoir trouvé assez tôt dans le XIXe siècle son ancrage dans le paysage scientifique français, autant on peut constater dans le même temps les grandes difficultés rencontrées pour faire admettre le Nouveau Monde comme un objet d’étude à part entière. Pourtant, la multiplication des découvertes de vestiges architecturaux et d’artefacts parfois spectaculaires, le nombre croissant des explorations, l’enrichissement incessant des collections archéologiques et ethnographiques américanistes dans les musées européens, les recherches entreprises pour décrypter les sources vernaculaires écrites et orales, contribuèrent à constituer un savoir sur l’Amérique indigène qui ne demandait qu’à se développer et à être approfondi, pour peu que des spécialistes s’y consacrassent. Désormais, ce n’est plus seulement en Europe, mais également en Amérique du Nord et du Sud que se manifeste une volonté grandissante de mener des recherches sur les populations autochtones – présentes ou disparues –, reposant sur des critères scientifiques. Dans le dernier quart du XIXe siècle, les conditions paraissent donc nettement plus favorables à l’émergence d’un champ d’étude propre aux Amériques. Avec la (re)création de la Société

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Américaine de France en 1873 à Paris, les américanistes issus de la Société d’Ethnographie pensent que leur heure est venue et espèrent pouvoir mobiliser un mouvement international en ce sens. Un projet précurseur aurait été envisagé dès 1867 par quelques membres de la première société américaniste – le Comité d’Archéologie américaine, déjà mentionné –, autour de Martin de Moussy et de William Bollaert, lors d’un voyage à Londres (Riviale 1996). Toutefois le projet ne devait pas voir le jour, et c’est certainement dans la dynamique de la réussite du premier congrès international des orientalistes, tenu à Paris en 1873, qu’est remise à l’ordre du jour l’idée d’une rencontre du même type pour les américanistes. Le congrès des orientalistes avait été organisé sous l’égide de la Société d’Ethnographie (et présidé par Léon de Rosny). Celui des américanistes le sera sous le double patronage de la Société Américaine de France et d’un comité organisateur à Nancy (présidé par le Nancéien Guerrier de Dumast), sur le modèle du congrès des orientalistes4. Du fait de la proximité entre institutions, tous les membres de la Société d’Ethnographie (d’où sont issus les regroupements orientaliste et américaniste) sont sollicités pour s’inscrire au congrès des américanistes à venir et bénéficient naturellement d’un tarif préférentiel.

Un congrès en province

4 La question scientifique ne saurait être suffisante pour justifier un exercice aussi ambitieux. Depuis de nombreuses années, les américanistes s’efforçaient, en vain, de développer à Paris un centre spécialisé dans leurs études, mais certains d’entre eux, tels que Rosny ou d’André de Clavery, avaient apparemment le sentiment d’être incompris, voire dédaignés, par les milieux académiques officiels. Dès lors, la poursuite de leur œuvre en province apparut comme une solution. À cela s’ajoute une dimension politique importante. Les membres des grandes sociétés savantes sont, pour certains d’entre eux, en étroite relation avec le monde politique. Ils sont sensibles aux grandes questions de fond présentes dans tous les courants politiques, ainsi qu’à celles qui les transcendent. La question de la décentralisation alimente nombre de débats dans les cercles de l’élite sociale française. La Société d’Ethnographie et son entourage vont enfourcher ce cheval de bataille. Peut-être dès la fin du premier congrès des orientalistes (Paris, 1873), il est envisagé de doubler les réunions internationales de sessions provinciales. La première allait avoir lieu à Saint-Étienne en septembre 1875. Voici quel était l’argumentaire accompagnant l’invitation à cette session : En France le public s’intéresse peu, trop peu même aux études orientales […]. Il faut rechercher particulièrement la cause dans la trop grande centralisation de l’orientalisme et dans l’insuffisance de publicité […]. L’Athénée [oriental, section de la Société d’Ethnographie créée en 1864, puis recréée en 1874] ne fait donc pas seulement appel à Paris pour sa session de Saint-Étienne, c’est-à-dire aux illustrations, aux maîtres de la science, aux professeurs de nos grandes institutions nationales (les gloires de l’orientalisme français !), mais aussi à la Province, c’est-à- dire […] aux savants et aux amateurs encore inconnus du public, qui prendraient des places distinguées dans le domaine de l’érudition, s’ils voulaient faire connaître leurs travaux inédits ou en préparation. (Textor de Ravisi 1875, pp. 8-11)5 5 Le rapport du comité de direction de la session inaugurale du congrès des orientalistes, rédigé par Victor Dumas, alors secrétaire adjoint de la Société d’Ethnographie, va dans le même sens pour justifier la tenue du congrès des américanistes en province : « la Société d’Ethnographie, poursuivant un système d’idées décentralisatrices, a voulu prouver que la province française pouvait faire fructifier une pensée tout aussi bien

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que Paris, et elle a confié à la généreuse Lorraine le soin de lui donner raison »6. Pour beaucoup d’entre eux, les événements culturels et scientifiques doivent servir de vitrine à leurs thèses politiques.

Le choix de Nancy

6 Le choix de Nancy semble avoir été fait par le bureau de la Société Américaine de France (ci-dessous désigné sous l’acronyme de SAF). Il repose surtout sur quatre éléments. D’abord, Nancy est l’un des grands centres des études orientalistes en France. D’éminents orientalistes sont nancéiens à l’image de Burnouf et de Leupol7, ou encore de Lucien Adam. Avec Guerrier de Dumast, l’orientalisme connaît à Nancy un dynamisme puissant qui œuvre pour l’ouverture d’une chaire de langues orientales à la faculté de lettres au cours des années 1850 à 1870. Cette position particulière est soutenue par des personnalités telles que Foucaux, Eichoff, Léon de Rosny, Chavée et Oppert. Tous ces membres de la Société d’Ethnographie deviennent membres correspondants nationaux de l’Académie de Stanislas au cours de cette période. Un autre objectif, découvert récemment, de ce groupe provincial d’orientalistes résonne avec les vœux de la Société d’Ethnographie : vulgariser l’étude des langues orientales, en particulier le sanscrit et l’arabe. Bien que mise en concurrence avec d’autres villes comme Nantes ou Bordeaux (Logie 2008, p. 35), Nancy apparaît donc aux initiateurs du congrès comme un choix qui s’impose. Ensuite, la question de la décentralisation a connu un puissant écho à Nancy où le fameux « Programme de Nancy » avait été rédigé en 1865. Celui-ci suscite un large débat dans les sphères politiques nationales et lorraines. Il reçoit un appui enthousiaste d’hommes politiques tels que Jules Ferry, Sadi Carnot, Casimir Périer, Guizot ou Falloux. Ce mouvement est entendu par Napoléon III qui crée, en janvier 1870, une commission sur la décentralisation, composée notamment de Lorrains8. Nancy se trouve donc au cœur de débats politiques importants dans les années 1860-1870. Les intellectuels nancéiens ont démontré leur capacité d’action et se font fort des soutiens reçus à cette occasion. Puis, Nancy symbolise la France meurtrie par l’humiliation de la guerre de 1870 contre la Prusse qui eut pour conséquence la perte de l’Alsace-Moselle. Les troupes allemandes occupent la cité lorraine jusqu’en 1873, renforçant le sentiment de méfiance, voire de revanche armée, des Français à l’endroit du Reich allemand. D’un autre côté, l’organisation d’une réunion scientifique rassemblant des savants issus des deux mondes peut illustrer une forme d’idéal pacifiste et de réconciliation. Dans l’esprit de ses organisateurs, le poids de l’histoire doit marquer ce premier congrès : une ville forte d’un riche passé s’impose ainsi logiquement. Nancy offre, par ailleurs, un sérieux indiscutable. Celui-ci est renforcé par la prise de position de l’Allemagne, grande nation scientifique à cette époque, qui demande la tenue de cette manifestation dans l’une de ses villes (Logie 2008, p. 35). Dans le contexte, la demande allemande était difficile à accepter du côté français. En revanche, Nancy, ville frontalière juste libérée des troupes d’occupation allemande, présente un profil séduisant et a l’avantage de ne pas froisser l’Allemagne, puissance européenne de premier ordre. Nancy devient alors un double symbole.

7 Enfin, la présence de la prestigieuse Académie de Stanislas offre aux initiateurs du congrès une caution scientifique et la possibilité d’exploiter un important réseau de relations. En effet, celle-ci est en contact avec quelques grandes institutions et revues scientifiques, à l’instar de l’Académie française, l’Association scientifique de France, la Smithsonian Institution. Parmi les membres de l’Académie, deux personnalités se

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détachent : le baron Guerrier de Dumast et le magistrat Lucien Adam. Le premier est correspondant de l’Institut et ami du président de la République. C’est aussi un membre très actif de la loge maçonnique des artistes du Grand Orient à Paris, puis à Nancy. Le second a aussi tissé un important réseau d’amitiés tant en France qu’en Amérique au cours de ses pérégrinations. Adam (1874) a participé au premier congrès international des orientalistes de 1873, dont il dresse un résumé lors de son discours de réception à l’Académie de Stanislas le 15 janvier 1874. Nous disposons de peu d’informations sur la période qui précède l’annonce de la tenue du congrès à Nancy en octobre 1874. Toutefois, le discours d’Adam laisse penser que le choix de Nancy a pu être envisagé assez tôt. Adam a peut-être entendu parler d’un projet de réunion américaniste en province. Compte tenu de son caractère d’homme engagé, il se serait alors employé pour promouvoir Nancy auprès des instances parisiennes et de l’Académie de Stanislas.

La tenue du congrès de Nancy

Le Musée lorrain accueille des congressistes venus du monde entier

8 Le comité de la SAF rédigea le 25 août 1874 les statuts du congrès de Nancy, calqués sur ceux du congrès des orientalistes. Le 22 juillet 1875, sur la proposition de Léon de Rosny et/ou de Madier de Montjau, le bureau du congrès en avait décidé ainsi : lesdits statuts avaient fait la preuve de leur efficacité. À l’instar du congrès des orientalistes, celui des américanistes est financé grâce à des fonds propres uniquement. Seules les cotisations et quelques dons (comme ceux du président Mac-Mahon, du ministère de l’Instruction publique9 et de la chambre du commerce et de l’industrie de Nancy) permettent au congrès de fonctionner. À l’ouverture du congrès, 1 486 souscripteurs français, étrangers et lorrains sont enregistrés. Ces derniers comptent 724 personnes soit 48,7 %. On dénombre 440 autres souscripteurs pour le reste de la France et 322 pour l’étranger. Le succès financier du congrès repose donc essentiellement sur la remarquable participation des souscripteurs lorrains. Les membres du comité de Nancy sont pour la plupart des magistrats, des membres de l’enseignement supérieur ou des ecclésiastiques. Les magistrats représentent près de 20 % des souscripteurs, les enseignants en Faculté environ 10 % et les membres de l’Église 6 %. Il faut y ajouter les militaires à hauteur de 5 %. Il s’agit ici des souscriptions reçues jusqu’au matin du 19 juillet 1875 (date de l’ouverture du congrès). La liste des souscriptions demeure ouverte encore quelques temps, au moins jusqu’à la mi-août 1875. De ce fait, ce sont 1 795 cotisations qui arrivent aux comités d’organisation au cours de la période globale de souscription. La réussite de la réunion entraîne probablement un regain d’intérêt, justifiant ainsi le nombre conséquent de cotisations tardives, y compris en Lorraine.

9 On observe que le nombre global s’accroît, avec des différences selon les catégories. La répartition entre Français et étrangers s’équilibre au cours de la période indiquée (Figure 1). Le groupe des Français est celui qui gagne le moins de nouveaux adhérents avec seulement 48 nouvelles inscriptions entre juillet et août. Les cotisations étrangères augmentent fortement avec 145 nouveaux inscrits. Si la plupart des délégations étrangères proposent des groupes de 4 à 8 cotisants (à l’image du Brésil : 5, de l’Espagne : 4 ou du Salvador : 4), d’autres délégations sont plus nombreuses10. Les plus importantes sont le Canada (33), les États-Unis (32), le Pérou (26), le Mexique (21), le Japon (19). On remarque ici la forte représentation de l’Amérique du Nord. Le cas du

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Canada est révélateur de la composition générale des délégations. On y retrouve huit membres de l’Église, six membres de l’éducation, six avocats. Les autres membres sont des hommes politiques, des hommes de lettres et des militaires. La présence de certains pays d’Asie (comme le Japon) rappelle l’influence des milieux orientalistes dans l’organisation du congrès. Les Lorrains sont, quant à eux, 116 de plus. Si la Lorraine conserve une place prépondérante, l’augmentation de la part des étrangers est, elle, essentielle pour expliquer l’impact que l’événement a eu à l’extérieur de la France. De fait, les représentants des délégations étrangères présents à Nancy ont dû faire part du succès du congrès de sorte qu’il devint fondateur, en étant reconduit à Luxembourg en 1877. C’est là un phénomène capital dans le processus de pérennisation des grandes réunions. La répartition des catégories socioprofessionnelles demeure dans les mêmes proportions. Le congrès de Nancy concerne surtout les milieux aisés et intellectuels. Il ne s’agit, en aucun cas, d’une manifestation populaire. Néanmoins, tous les souscripteurs ne participèrent pas physiquement aux activités de ce rassemblement. Le nombre de congressistes se situe entre 1 040 et 1 120 personnes (soit environ 60 % de l’ensemble des personnes ayant versé une souscription). Il convient de rappeler que ces premières réunions scientifiques sont encore avant tout des rendez-vous de sociabilité d’un nouveau genre : près de la moitié des personnes se sont contentées d’exprimer leur soutien à l’initiative en ne faisant que payer une souscription, et un grand nombre d’autres viendra assister au congrès sans jamais prendre la parole. Les véritables acteurs de cette réunion internationale ne représentent encore qu’une petite minorité de l’ensemble des inscrits.

FIG. 1 – Répartition des souscripteurs au congrès de Nancy (1875).

La place des sociétés savantes nationales initiatrices

10 Regardons à présent de plus près le rôle de la Société d’Ethnographie et de la SAF. Aucun souscripteur lorrain, à l’exception de quelques membres du comité d’organisation, n’est membre de l’une ou de l’autre de ces sociétés au moment de la publication des actes du congrès. La Société d’Ethnographie apporte 213 souscripteurs, équitablement répartis entre la France et l’étranger (Figure 2). Au total, ceux-ci

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fournissent 22 % des souscriptions. Cela en fait un groupe non négligeable, preuve de l’implication de l’association dans cet événement.

FIG. 2 – Part des membres de la Société d’Ethnographie dans les souscriptions – hors Lorraine.

11 Cinquante trois sociétaires de la SAF souscrivent au congrès, montrant sa relative modeste influence en ce domaine (Figure 3). Il ne faut pas oublier par ailleurs qu’il existe une grande porosité entre la SAF et la Société d’Ethnographie. Des américanistes s’inscrivent de fait en tant que membres de la Société d’Ethnographie (qui bénéficie d’un tarif préférentiel de six francs). Encore soumise à son aînée, la SAF ne dispose pas en réalité, à ce moment, de moyens suffisants pour peser davantage sur le congrès, à la différence de ce qui se posera ensuite. Au final, les membres de l’une ou l’autre de ces sociétés constituent une part notable des souscripteurs étrangers et nationaux (28 % du total). Mais ces sociétés apportent aussi leur soutien par leur renom et par l’engagement de personnalités comme Boban, Bollaert, Cernuschi, Darwin, Méhédin, Squier, soit autant de gages du sérieux des questions qui seront débattues à Nancy. Force est de constater que Léon de Rosny et Madier de Montjau tiennent absolument à ce que cette réunion soit une pleine réussite. C’est pourquoi, d’une part, ils incitent les membres des deux sociétés à soutenir activement cette initiative et, d’autre part, ils apportent le concours déterminé des sociétés aux membres actifs du comité local d’organisation que sont Guerrier de Dumast et Adam. Ceux-ci disposent, eux-mêmes, d’un riche réseau de relations en France et dans le monde, dont ils usent pour assurer le succès de leur projet. Ils envoient des courriers à l’étranger et dans les colonies. Ils cherchent des délégués étrangers chargés de récolter les souscriptions et d’organiser l’envoi de délégations à Nancy. Ils écrivent, par exemple, au président de la République d’Haïti, à celui du Venezuela. S’adresser aux États, c’est s’assurer un gage de respectabilité et un soutien officiel. Francisco Pimentel, par exemple, illustre le concours des éminences scientifiques des pays étrangers. Il est, en effet, le plus influent des indianistes mexicains. C’est pourquoi il accepte sa nomination comme délégué. Son nom a été proposé, comme pour d’autres délégués. Ceux-ci s’engagent donc à rechercher des souscripteurs, voire des participants, à la réunion internationale et à en assurer la promotion. Lagier, délégué de la Suisse, utilise les grands quotidiens nationaux, comme la Confédération, pour vanter les mérites du congrès de Nancy et

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susciter des adhésions. Le comité canadien publie, quant à lui, à ses frais, des encarts dans la presse nationale. En Équateur, une commission spéciale se réunit pour désigner un représentant qui se rendra à Nancy. Des magistrats équatoriens se chargent de traduire en espagnol les documents comme le programme du congrès. Enfin, les délégués étrangers ont souvent recours aux journaux officiels pour diffuser leurs annonces relatives à l’événement. C’est le cas en Équateur, en Guyane ou à Saint-Pierre- et-Miquelon. Ces pratiques tendent à montrer que cette manifestation, vue de l’étranger ou hors de la métropole, concerne avant tout l’élite sociale et intellectuelle. Une étude réalisée sur les souscripteurs péruviens le démontre clairement : le congrès est perçu comme un événement vecteur de modernité et de civilisation, auquel il convient de contribuer si l’on veut être intégré dans cette mouvance « éclairée » – même si l’on n’y prend aucune part active (Riviale 1989).

12 Les actions menées par Guerrier de Dumast et Adam les conduisent aussi à rencontrer intellectuels et hommes politiques. Le baron est en relation avec le président Mac- Mahon, des ministres comme Falloux, sans oublier les membres de l’Institut. La présence d’Adam permet d’utiliser les réseaux d’amitié des magistrats dans toute la France. Victor Hugo, ami de Burnouf, adresse au comité de Nancy sa demande d’adhésion et son soutien en janvier 1875. La liste des souscripteurs montre son succès auprès des orientalistes, américanistes ou savants d’autres disciplines comme Carnot, Castaing, le général Doutrelaine, Quatrefages, Henri Poincaré ou le jeune Vidal de la Blache.

FIG. 3 – Part des membres de la Société Américaine de France dans les souscriptions – hors Lorraine.

Un congrès fondateur pour les études américanistes

13 La question du peuplement de l’Amérique marque profondément le congrès de Nancy : les quatre thèmes retenus pour chacune des séances se rapprochent tous de cette question. Mais celle-ci dépasse le simple cadre des recherches américanistes puisqu’elle se trouve au cœur des débats internes de la Société d’Ethnographie et, plus largement, de l’anthropologie depuis la fin du XVIIIe siècle.

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14 Dès la première journée, apparaît l’opposition de deux grands courants de pensée avec, d’un côté, les partisans d’un peuplement exogène, de l’autre, ceux d’un peuplement endogène. La lecture commentée par Léon de Rosny d’un compte rendu de recherche de Foucaux, orientaliste réputé, lance la controverse. Le travail de Foucaux porte sur « les relations qu’ont pu avoir ensemble, au commencement de notre ère, les bouddhistes d’Asie et les habitants de l’Amérique »11. Selon cet auteur, la filiation entre les religions américaines et le bouddhisme reste à prouver. Il estime que le peuplement de l’Amérique est endogène (ou autochtone) et, donc, que les peuples précolombiens ont connu une évolution qui leur est propre. Cela implique aussi qu’il est inutile de rechercher des liens entre les civilisations européenne, égyptienne et celles de l’Amérique. Fort de sa longue expérience de vie parmi les Indiens du Canada et, bien entendu, de ses convictions religieuses, le R. P. Émile Petitot réagit assez vivement à ces thèses. Pour lui, ces liens entre l’Amérique et l’Asie existent, comme il compte le démontrer au congrès à travers ses communications sur les Esquimaux. Le peuplement de l’Amérique est donc exogène, plus précisément par le biais de migrations issues d’Asie. Eugène Dally, président de la Société d’Anthropologie de Paris et fervent défenseur d’un matérialisme scientifique, fait immédiatement remarquer que la méthode scientifique doit impérativement être appliquée à la science américaniste. Il estime que, faute de documents attestant des relations entre l’Europe et l’Amérique avant Colomb, celles-ci doivent être considérées comme inexistantes. Il avance ensuite que les thèses anthropologiques conduisent à estimer que les Américains ne proviennent ni d’Europe, ni d’Asie, mais de leur propre continent. Petitot rétorque qu’il existe des preuves montrant l’existence des migrations asiatiques. Il s’appuie sur les récits et les légendes des peuples nord-américains, ainsi que sur l’analogie de leurs dialectes avec des langues asiatiques. La question des origines des Américains ne peut donc pas être close si tôt. Le publiciste et diplomate colombien Torres Caicedo déclare que l’originalité des monuments et des langues d’Amérique centrale et du Sud vient perturber la thèse des migrations asiatiques. Frédéric de Hellewald, délégué de l’Autriche-Hongrie, estime quant à lui que la situation est plus complexe : les peuples d’Amérique du Nord formeraient une « race à part » ; pour lui, si des Asiatiques sont venus en Amérique, cela n’a pu se produire que fortuitement. Il rejoint Dally : les Indiens sont des Américains, qui ont évolué en s’adaptant au milieu dans lequel ils se trouvaient. Cette thèse a l’avantage d’expliquer les différentes évolutions observées parmi les peuples précolombiens, tout en acceptant quelques migrations asiatiques sporadiques et dues au hasard. Léon de Rosny juge ces théories séduisantes, mais observe que les preuves qui les étayeraient manquent toujours. Au final, le congrès décide qu’en l’état actuel des connaissances de la science, il est impossible de trancher la question. L’affaire passionne tant, que la presse locale s’empare de la question et prend même position pour l’une ou l’autre des thèses défendues. Madier de Montjau finit par intervenir depuis Paris, après le congrès, en rappelant que les deux théories restent à explorer et que le congrès s’est refusé à trancher en faveur de l’une ou de l’autre. 15 De la question des origines des peuples de l’Amérique découlent d’autres communications tout aussi polémiques, notamment celles traitant de « la tradition de l’Homme blanc », ou bien de l’influence du dogme chrétien dans l’interprétation des faits historiques et scientifiques. On retrouve ici les éléments d’une querelle inscrite dans le mouvement plus large qu’est celui de l’affrontement scientifique entre évolutionnistes et créationnistes. Rappelons que la révolution majeure provoquée par

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Darwin, avec ses ouvrages L’origine des espèces (1859), suivi de La Descendance de l’Homme et la sélection sexuelle (1871), reste d’actualité en 1875. Si quelques communications faites pendant cette manifestation semblent être plus d’ordre strictement ethnographique (notamment les études sur les langues et les écritures : « un manuscrit iroquois », « déchiffrements mayas », « langues cheyenne et quichua », « alphabet bihua »…) ou bien relever de l’anthropologie physique (l’anthropologie des Antilles, les crânes colombiens), les implications possibles sur la question des origines et des relations intercontinentales y transparaissent cependant en filigrane. Ces débats se poursuivront au cours des congrès suivants. C’était en définitive la question de fond depuis les premières rencontres avec les Amérindiens quatre siècles auparavant : d’où viennent- ils ? et comment ont-ils pu, pour certains d’entre eux, développer une civilisation avancée hors de l’histoire de l’Ancien Monde ? Les études américanistes demeureront imprégnées de ces questions jusqu’au début du XXe siècle.

Le Musée américain de Nancy

16 Le congrès tenu à Nancy doit s’accompagner d’une exposition d’antiquités américaines. Une annonce officielle paraît dans la presse dès la fin du mois d’octobre 1874, ce qui montre que cette idée s’est vite dessinée pour la SAF et la Société d’Ethnographie12. Cette exposition vient nourrir des desseins plus ambitieux : créer le musée américain depuis longtemps espéré (Riviale 1995, p. 221). On l’a souvent dit, le XIXe siècle est le siècle des musées : chaque municipalité, chaque société savante digne de ce nom se doit d’ouvrir son musée. Médium scientifique et pédagogique, ce type d’institution est également une marque de reconnaissance et un signe de distinction (Georgel 1994). Les congrès ne font pas exception à cette règle : les précédents congrès des orientalistes avaient organisé des expositions d’artefacts (et, sans doute aussi, de sources écrites). Dans le cas du congrès des américanistes, intervient une autre donnée : dès sa reformation en 1873, la SAF avait publié un manifeste dans lequel on proclamait le projet de créer – hors de Paris, lieu de la science académique désormais honni – un ensemble de musées dédiés aux sociétés amérindiennes (Annuaire de la Société Américaine de France, II, 1873, p. 159). Nancy offrait un cadre parfait pour réaliser ce projet. En juin 1875, Adam confirme à Léon de Rosny que la ville de Nancy est prête à accepter les ouvrages relatifs à l’archéologie américaine, ainsi que les collections d’archéologie américaine de la Société d’Ethnographie, à la condition que celles-ci soient destinées à former les premiers éléments d’une « Bibliothèque américaine et d’un Musée d’archéologie américaine » (Actes de la Société d’Ethnographie, 1874-1875, séance du 5 juillet 1875). La ville de Nancy ne veut donc pas que la bibliothèque et le Musée américain soient confondus avec d’autres établissements de la ville ; ils doivent avoir une identité propre. Nous supposons donc que l’idée de transformer l’exposition en un Musée américain a probablement pris forme en mai-juin 1875. Enfin, Jules Renauld, américaniste nancéien dans les années 1875-1885, explique que le musée a été créé pendant la tenue du congrès de Nancy (Renauld 1880, p. 203). La SAF a dû inciter à la création d’un Musée américain à mesure que le succès du congrès et de l’exposition d’antiquités américaines s’est confirmé. Il s’agit, pour cette société, d’élever les études américanistes au rang d’une science digne d’intérêt, au moins au même titre que les études orientalistes. Pour la ville de Nancy, Adam et Guerrier de Dumast y voient aussi une belle occasion de se positionner en capitale culturelle et scientifique de province, capable de concurrencer Paris. Le comité local d’organisation fut donc chargé de réunir

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les collections présentées dans l’exposition. Ainsi, Adam parvient-il à obtenir le prêt de la nouvelle collection d’antiquités caraïbes du Guadeloupéen Noirtin. La Société d’Ethnographie apporte sa contribution à la formation de la collection de l’exposition par le prêt de momies péruviennes ; elle offre en outre une idole en jade. Léon de Rosny met aussi à disposition un codex maya et des masques de pierre du Mexique. Le 5 juillet 1875, le bureau de la société propose de faire don à la ville de Nancy, outre des ouvrages d’archéologie précolombienne, « d’antiquités américaines lui [à la Société d’Ethnographie] appartenant ». Puis elle « invite ses membres à enrichir par des dons les collections offertes par la Société », aux conditions mentionnées précédemment (Actes de la Société d’Ethnographie, 1874-1875, séance du 5 juillet 1875). En supportant ce musée américain à Nancy, la Société d’Ethnographie voit sans doute en cette nouvelle institution la possibilité de prendre le relais du musée américain du Louvre, fermé au public depuis des années (Guimaraes 1994 ; Riviale 1995). C’est ce que déclare triomphalement André de Clavery (1875, p. 380) : Elle serait la meilleure collection de ce genre au monde, la mieux gardée et la mieux étudiée, la plus connue. Elle sera promptement plus utile que celles que possèdent les grands établissements de Paris, qui semblent avoir pour mot d’ordre de cacher leurs trésors, de les dédaigner, de les dilapider souvent, et d’empêcher les progrès de la science américaine. 17 Le contenu de l’exposition d’antiquités américaines est décrit dans les actes du congrès (Actes du Congrès international des Américanistes, 1875, pp. 21-26). On a déjà évoqué quelques dons faits par la Société d’Ethnographie13, d’autres collections viennent s’y ajouter, en particulier la fameuse collection de l’orientaliste et homme d’affaires, Henri Cernuschi. La seule source sur le fonds connue jusqu’à présent était le catalogue réalisé par Jules Renauld. Il l’a présenté au congrès de Bruxelles de 1879, il y décrit d’une façon assez détaillée les 58 poteries et les deux « idoles » considérées comme appartenant à la collection du Musée américain de Nancy. Ce travail s’accompagne de quelques planches réalisées par Renauld. Certaines publications mentionnent une collection de 80 poteries, mais il s’agit en fait d’une erreur d’interprétation du préambule du catalogue de Renauld14. La collection offerte par Cernuschi se compose d’un grand nombre de poteries, provenant du musée Cavaleri de Milan, qu’il acquit en totalité pour la somme de 300 000 lires en avril 1873. L’avocat Michele Cavaleri avait ouvert en 1871 un musée privé dans la maison Fortis à Milan. Dans cette riche collection, se trouvait un lot de poteries péruviennes15. En tant que membre de la Société d’Ethnographie, ami de Léon de Rosny et participant au premier congrès des orientalistes à Paris en 1873, Cernuschi souhaita probablement soutenir la constitution d’un musée américain et encourager son succès. Hormis ces poteries, quelques pièces sont intéressantes : un lot de moulages et une statuette en terre cuite. Le descriptif de l’exposition d’antiquités américaines mentionne le moulage d’un masque taillé dans un pétrosilex provenant de la région de Oaxaca. L’original appartenait à Eugène Boban ; une note précise qu’il est identique à l’un des masques présentés par Lucien de Rosny dans les Archives de la SAF en 1875. Dans la même vitrine, se trouvaient d’autres pièces fournies par Boban : « une collection de moulages représentant des têtes d’idoles en terre cuite, trouvées dans les environs de la Vera-Cruz », ainsi que le « moulage d’un ocelotl, ou tigre mexicain », dont l’original proviendrait de la région de Puebla. La presse lorraine signale, à la mi-juin 1875, les dons effectués par Boban à la ville de Nancy : il cédait une partie des collections mises à disposition de l’exposition (en l’occurrence ces moulages). Enfin, outre l’idole « péruvienne » en jade aux yeux d’émeraude offerte par la Société

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d’Ethnographie, on observe la présence dans la collection initiale d’une seconde figurine en terre cuite, d’origine péruvienne, dont le donateur est encore inconnu16. Une lettre de Lucien Adam de 1877, publiée dans les actes du congrès de Luxembourg, évoque aussi la SAF parmi les donateurs. Enfin, le Progrès de L’Est du 22 juillet 1875 nous apprend que Paul Broca venait « d’envoyer au Musée américain de Nancy des momies et les produits de l’industrie ancienne ». Nous ne disposons pas d’informations plus précises à ce jour sur ces deux donations.

18 Comment s’est poursuivie la vie du Musée américain de Nancy après la clôture du congrès ? On dispose de très peu de sources concernant ce sujet. Les archives du Musée lorrain nous apprennent juste que Jules Renauld emporta les collections chez lui pour les étudier en vue de réaliser un catalogue qu’il comptait présenter au congrès des américanistes à Bruxelles en 1879. À partir de là, nous n’avons trace que du lot étudié par Renauld. L’édition de 1895 du catalogue des collections du Musée lorrain, établi par le conservateur Lucien Wiener (1895), montre que certains de ces objets sont exposés au public. À cette époque, le Musée lorrain s’agrandit afin de pouvoir présenter davantage de collections. Un plan manuscrit de cette époque, retrouvé dans les archives du musée, illustre un projet d’organisation des nouvelles salles. On lit dans la légende : « antiquités péruviennes ». Cela correspond, à en croire le plan, à une seule vitrine. L’histoire des autres donations demeure inconnue. Il semble que la disparition de la Société d’Études Américaines de Nancy, dont le but était notamment de promouvoir le musée américain de la ville, ait entraîné un désintérêt pour ces collections devenues encombrantes. Au début des années 1930 s’ouvre sous l’impulsion de Lucien Cuénot, un ami de Goury, l’Institut de zoologie, qui deviendra quelques décennies plus tard le Muséum aquarium de Nancy. Le lot péruvien y est transféré, signe de l’indifférence dans laquelle cette collection est alors tombée – à l’image du reste des rêves américains de Nancy.

Après le congrès de Nancy

La pérennisation des congrès

19 Le succès du congrès des américanistes de Nancy débouche sur la tenue d’une deuxième session à Luxembourg en 1877. La décision est prise pendant le premier congrès. Le rythme biannuel devient la règle. La possibilité de débattre des questions essentielles de la recherche américaniste et de mettre fin aux faux débats concernant les relations antiques entre l’Ancien et le Nouveau Monde, est finalement acquise à l’issue de la troisième session en 1879, à Bruxelles. Lors du cinquième congrès, le Mexique émet le souhait de voir siéger en Amérique la réunion suivante. Pour des raisons pratiques, mais surtout parce que l’Europe hésite à déplacer un congrès qu’elle ne juge pas encore assez enraciné dans le paysage scientifique, la décision est reportée à la session suivante (à Turin). C’est en 1895, pour la onzième session, que le congrès international des américanistes se rend pour la première fois en Amérique, dans la ville de Mexico.

Un champ de recherche qui s’affirme

20 Les cinq premières sessions sont marquées par la question de l’âge des civilisations précolombiennes. On observe de la part des américanistes une ouverture sur les

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sciences de leur temps, en particulier vers la géologie et la paléontologie. Ces dernières font reculer à plusieurs dizaines de milliers d’années l’âge de l’humanité européenne. On s’interroge alors pour déterminer si cette nouvelle chronologie correspond aux peuples américains. Les dogmes théologiques se retrouvent encore en opposition avec les progrès de la recherche scientifique : la chronologie biblique contre celle des strates géologiques. Dans le même temps, le vocabulaire scientifique se précise. À Copenhague (1883) est fixé l’usage systématique de « précolombien » ou d’« antécolombien » lorsqu’il s’agit de parler des anciens peuples et civilisations d’Amérique. Le sujet du peuplement de l’Amérique, âprement débattu à Nancy, continue d’alimenter les interrogations lors des réunions suivantes, avec toutefois des approches qui se veulent plus scientifiques et des choix de sources plus fiables. Les études linguistiques et philologiques continuaient à être discutées, mais dans le même temps les travaux archéologiques et ethnographiques de terrain se font plus présents ; de même, les problématiques de recherche se précisent et l’on énonce la volonté d’une rigueur scientifique plus marquée, tant dans les méthodes de collecte des informations que dans leur processus d’analyse et dans la construction du discours. Ainsi, l’américanisme émerge peu à peu comme champ de recherche spécifique, avec ses références et ses propres méthodes.

L’échec des projets américanistes de Nancy

21 Lucien Adam décide de poursuivre l’œuvre du congrès tenu à Nancy et fonde la Société d’Études Américaines de Nancy (SEAN) le 16 juin 1877. Ses finalités sont définies dans l’article 2 de ses statuts : « encourager par tous les moyens les études américaines et spécialement garder et conserver les objets qui ont déjà été donnés lors du premier congrès des américanistes tenu dans cette ville en 1875, ainsi que ceux qui pourraient être donnés par la suite »17. Le but premier de cette société est donc le développement du Musée américain. D’ailleurs, l’article 3 de ses statuts précise que la SEAN doit veiller à ce que le mobilier archéologique qu’elle possède ne soit pas confondu avec d’autres collections. Cependant, il ne faut pas penser que cette société abandonne pour autant ses projets initiaux. Ses membres continuent d’œuvrer dans ce sens, à l’image d’Adam lors des congrès de 1877 et de 1879.

22 Le travail de Jules Renauld sur les céramiques péruviennes, présenté à la session de Bruxelles, et l’activité débordante de Lucien Adam, présent aux cinq premiers congrès des américanistes, marquent la vie de l’association. Celle-ci se manifeste aussi et surtout par l’échec des grands projets – probablement inspirés par la SAF – qu’elle était censée soutenir : créer une chaire à la faculté de lettres et une bibliothèque américaine. Lucien Adam demeure le seul membre vraiment actif de la Société. Il poursuit son infatigable travail sur les langues qu’il présente à chaque congrès auquel il participe18. En juin 1879, Dumast félicite le conservateur du Musée lorrain de Nancy Henri Lepage19 pour avoir mis à disposition un local et une vitrine pour y déposer les collections de la société, mais il semble qu’à partir de 1880 les activités de l’association déclinent rapidement, pour s’éteindre officiellement le 12 juin 1895. 23 L’échec de ce projet est, en partie, lié à l’absence de personnalités jouant un rôle moteur au sein de la société. Guerrier de Dumast décède en janvier 1883, tandis que Lucien Adam part à Rennes exercer ses nouvelles fonctions de président de Chambre en décembre 1883. En outre, il convient de noter qu’Adam – l’un des seuls vrais

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américanistes nancéiens – fut lui-même « lâché » par la SAF. Léon de Rosny écrivait ainsi à Marcos Jiménez de la Espada ces mots sévères à l’encontre de Lucien Adam : Le seul [sujet] qui me préoccupe, c’est de savoir si le congrès deviendra une réunion d’américanistes autorisés, ou s’il sera une tribune ouverte à quiconque voudra, sans études préalables sérieuses, lire une fantaisie quelconque sur le Nouveau Monde. L’américanisme est trop discrédité dans nos académies et dans nos corporations vraiment savantes, pour qu’il nous soit possible de nous asseoir plus longtemps à des réunions aussi creuses que bruyantes, dans lesquelles les travaux de valeur ne sont pas distingués des travaux sans base ni solidité […]. J’ai eu un tort dans ma carrière, […] c’est en voyant combien était peu nombreux le nombre de travailleurs dans le champ de l’américanisme, de vouloir inventer des américanistes. J’en ai malheureusement inventé plus d’un, et pour ne parler que de M. Adam qui l’a reconnu au congrès de Nancy, je me berçais de l’espoir qu’avec son intelligence et sa remarquable activité, il deviendrait bientôt un collaborateur sérieux, dans une branche quelconque de notre domaine. Au lieu d’apprendre une langue américaine, M. Adam a préféré s’occuper de 32…20 24 À cela s’ajoute l’absence de projet scientifique à long terme. Ainsi, le projet muséographique est conçu sans la moindre perspective de recherche. De même, l’absence d’enseignement universitaire américaniste empêche, dans une ville de province, de susciter l’intérêt et d’attirer de nouvelles collections. Le manque d’engagement politique et/ou le manque de moyens financiers renforcent les difficultés. La bibliothèque voit ses ouvrages disséminés dans diverses institutions nancéiennes : Société d’Archéologie de la Lorraine, bibliothèque publique de Nancy, Académie de Stanislas. Ces deux dernières finissent par fusionner au XXe siècle. Comme d’autres projets provinciaux, celui de Nancy disparaît au moment où s’ouvre à Paris le Musée d’Ethnographie du Trocadéro.

Conclusion

25 Le congrès de Nancy peut être considéré comme l’un des actes fondateurs de l’américanisme. L’initiative de cette manifestation reposait essentiellement sur la nécessité d’ériger les études américanistes au rang de science pour exister, mais aussi sur des arguments plus politiques. La mobilisation d’énergies convergentes tant au niveau local, national qu’international a permis de réussir ce pari qui a priori paraissait démesuré. Certes, la plupart des projets liés à la session inaugurale ont échoué, à l’exception de la pérennisation de ces réunions internationales et de la richesse de leurs débats. C’était déjà un grand pas fait pour l’institutionnalisation de l’américanisme. Avec des objectifs assez différents, la Société Américaine de France, la Société d’Ethnographie et les élites nancéiennes ont conjugué leurs efforts et leurs réseaux pour initier une manifestation scientifique qui, après cette première réussite, devait bientôt leur échapper pour vivre sa propre vie et évoluer vers ce que l’on connaît maintenant.

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BIBLIOGRAPHIE

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WIENER Lucien 1895 Musée historique lorrain au palais ducal de Nancy. Catalogue des objets d’art et d’antiquité, Palais ducal/René Wiener, Nancy.

NOTES

1. L’idée est clairement énoncée dans une plaquette résumant les premiers résultats du congrès des orientalistes : « Ces congrès ont valu à la science un autre avantage dont on avait tort de ne pas tenir compte. Les princes et les peuples ont appris à vénérer les savants et à les seconder du concours de leur puissance » (Duchateau 1874, p. 3). 2. Fondée par arrêté du 24 avril 1859, la Société d’Ethnographie Orientale et Américaine avait été formée par des personnalités issues d’horizons très divers et n’ayant pas forcément les mêmes centres d’intérêt. C’est sans doute ce qui explique qu’au fil du temps cette association ait institué différentes sections qui, en fonction de circonstances favorables ou non, proclamaient leur autonomie ou bien finissaient par réintégrer le giron de la société-mère. Pour donner une idée de ce foisonnement d’initiatives, mentionnons le Comité d’Archéologie américaine (1863), transformé après des années de silence en Société Américaine de France (1873) ; l’Athénée oriental (1864), subdivisé en 1873 en deux sections, l’une conservant ce nom tandis que l’autre prenait celui de Société d’Études japonaises, chinoises, tartares et indo-chinoises. D’autres sous- sections feraient par la suite leur apparition, puis leur sécession : le Divan oriental et africain (1880), la Société Sinico-japonaise et la Société Océanienne (1889). L’association initiale qui, quant à elle, avait en 1864 simplifié son nom en Société d’Ethnographie, donna naissance en 1875 à une Institution ethnographique, devenue en 1886 l’Alliance scientifique universelle. Il convient cependant de souligner que, derrière cette multiplicité de créations institutionnelles, se trouvait un nombre relativement restreint de membres, ce qui explique l’extrême complexité et imbrication de leurs initiatives et publications respectives. 3. Actes de la Société d’Ethnographie, 1874-1875, p. 40. 4. Sur les relations étroites entre orientalisme et américanisme dans ces années-là (et principalement au sein de la Société d’Ethnographie), voir Prévost 2007. 5. L’auteur était alors président de l’Athénée oriental. Notons également que le « règlement des sessions provinciales », inclus dans cette même publication, est signé par Léon de Rosny. 6. Actes de la Société d’Ethnographie, 1874-1875, p. 43. 7. Burnouf est titulaire de la chaire de langues orientales à la Faculté de Nancy. Il est, avec Leupol, l’auteur d’ouvrages sur le sanscrit. 8. La disparition de l’Empire le 4 septembre 1870 précipite la fin de cette commission. 9. Après l’annonce de la contribution de Mac-Mahon, le baron Guerrier de Dumast écrit le 3 mai 1875 au ministère de l’Instruction publique pour solliciter une aide financière, qui se

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matérialisera par un don de 100 francs (Archives nationales, 1875, F/17/3092/3, dossier Nancy, Paris). 10. Si les organisateurs avaient craint un temps la réaction de la Prusse pour le choix du siège de ce congrès, celle-ci fut finalement représentée par une poignée de souscripteurs. On note également la contribution de plusieurs autres États allemands (Bavière, Bade, Saxe, Hesse), cependant il ne s’agit que d’une participation de principe. Force est de constater que l’on ne relève le nom d’aucune personnalité notable. En fait, la très grande majorité des souscriptions allemandes émane des territoires occupés (12 pour l’Alsace et 13 pour le pays messin). Il est vraisemblable que les autorités allemandes aient fortement découragé les inscrits de faire le voyage. 11. Il s’agit là du titre de la communication rédigée par Foucaux. 12. Le Progrès de l’Est, 30 octobre 1874. 13. Si la figurine en jade aux yeux d’émeraude, mentionnée dans les documents, paraît avoir aujourd’hui disparu, les recherches menées dans les réserves des musées nancéiens ont permis de retrouver un moulage de masque correspondant à celui offert par Léon de Rosny. 14. Pour réaliser son catalogue, Renauld (1880, p. 202) s’est rendu au Louvre où il a étudié 80 poteries péruviennes similaires à celles de Nancy. 15. Longtemps enfouies dans les réserves du Muséum aquarium de Nancy (MAN), ces céramiques péruviennes furent retrouvées en 2006 par l’équipe du service des collections de ce musée et inventoriées. Grâce à leur aide, il a été possible de réaliser une étude rapide des poteries. D’abord, elles ne sont pas toutes issues de la collection Cavaleri. Seules celles portant une étiquette manuscrite rédigée en espagnol semblent en provenir. La collection Cernuschi regrouperait alors 44 poteries. Les 14 restantes émanent d’un autre fonds restant à identifier. Dans l’ensemble, ces poteries funéraires sont assez bien conservées, bien que certaines aient été recollées afin de pouvoir être présentées au public. Une partie du lot semble de facture Mochica et les autres Chimu. Il est intéressant de signaler que les vases de la collection Cernuschi forment un ensemble assez homogène ; des étiquettes, déjà considérées comme « très anciennes » par Renauld (1880), rédigées en espagnol, donnent des indications de provenance très précises (en majorité des huacas des environs de Casma, Pacasmayo, Chota et Trujillo). Cette série de vases fut par la suite, vers 1930, mise en dépôt à l’Institut de zoologie. L’histoire de ces collections reste marquée par la question épineuse de leur propriété : à ce jour, personne ne sait vraiment qui en jouit, d’où le statut de dépôt provisoire qui leur a été réservé lors de l’enregistrement sur l’inventaire du MAN en 2006. 16. Elle est aujourd’hui conservée dans les réserves du MAN. Il convient également de signaler que, dans ces mêmes réserves, se trouve une statuette péruvienne d’une dizaine de centimètres de haut, offerte par Georges Goury, ancien conservateur du Musée lorrain, responsable des estampes, livres et sceaux au début du XXe siècle. 17. Archives départementales de Meurthe-et-Moselle, 4M114, liasse Sociétés d’Études. 18. Pour une évocation plus étendue de l’œuvre linguistique de Lucien Adam, voir Desmet (1996, pp. 435-463). 19. Archives départementales de Meurthe-et-Moselle, MS484SAL/1, Correspondance Lepage, liasse correspondance Guerrier de Dumast. 20. Lettre de Léon de Rosny à Marcos Jiménez de la Espada (1 er novembre 1879), Archives du Consejo Superior de Investigaciones Científicas, Madrid, Papiers Jiménez de la Espada, signature 8518. Ce courrier vient peu après la clôture du congrès des américanistes de Bruxelles et se situe dans le contexte de la préparation du congrès suivant à Madrid. Rosny sent que le congrès se trouve à un tournant de son histoire et cherche des « alliés » pour y maintenir une approche qu’il considère scientifique. Ancien membre de la commission espagnole du Pacifique (1862-1866), le naturaliste Marcos Jiménez de la Espada était devenu l’une des figures marquantes de l’américanisme espagnol (notamment avec son travail de redécouverte et d’édition des

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chroniques de la Conquête et de la Colonie). Sur cette personnalité et ses sources, voir López- Ocón et Pérez-Montes (2000). Nous remercions Leoncio López-Ocón, du CSIC, de nous avoir révélé ce fonds important pour l’histoire de l’américanisme.

RÉSUMÉS

Le Congrès des américanistes de Nancy en 1875 : entre succès et désillusions. Le 19 juillet 1875 s’ouvre à Nancy le premier congrès international des américanistes, dans le prestigieux palais ducal. Ses initiateurs, la Société d’Ethnographie et la Société Américaine de France, ont su travailler de concert avec un comité local d’organisation, remarquablement dirigé par deux personnalités nancéiennes : le baron Prosper Guerrier de Dumast et Lucien Adam. Le congrès connaît un vif succès qui en appellera d’autres. Mais des ambitieux projets américanistes conçus pour la cité ducale, il ne reste plus que quelques pièces de collections éparpillées, pour lesquelles bien des questions restent encore sans réponse, ainsi que quelques lointains souvenirs dus à la commémoration à Nancy du centenaire de ce premier congrès.

El congreso de Nancy (1875) : entre éxito y desilusiones. El 19 de julio de 1875 se abre el primer Congreso international de americanistas en el prestigioso Palacio ducal. Sus iniciadores, la Société d’Ethnographie y la Société Américaine de France, supieron trabajar de común acuerdo con un comité local organizador, muy bien dirigido por dos personalidades de Nancy : el barón Prosper Guerrier de Dumast y Lucien Adam. El Congreso conoce un gran éxito llamado a desembocar en otros. Sin embargo, de los ambiciosos proyectos americanistas concebidos para la ciudad ducal, subsisten sólo unas pocas piezas de colección diseminadas, sobre las cuales muchas preguntas quedan sin respuestas, y algunos recuerdos reactivados por la conmemoración en Nancy del centenario de este primer congreso.

The Nancy congress of Americanists (1875) : successes and disappointments. The first international congress of Americanists opened on July 19th 1875 and was held in the prestigious palace of the Dukes of Lorraine, Nancy. Its instigators, the Société d’Ethnographie and the Société Américaine de France worked in close collaboration with a local board of organization, remarkably led by two prominent notables of Nancy : the Baron Prosper Guerrier de Dumast and Lucien Adam. The congress was a tremendous success and opened up a great tradition. However, little remains of the ambitious concerning American studies which were planned for Nancy : a few scattered museum pieces, asking many unanswered questions, and some distant memories recovered during the celebration of centenary of the first Nancy congress.

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INDEX

Index géographique : Nancy, France Keywords : americanism, Guerrier de Dumast (Prosper), Adam (Lucien), Société Américaine de France, Société d’Ethnographie Palabras claves : americanismo, Adam (Lucien), Musée américain de Nancy, Société Américaine de France, Société d’Ethnographie Mots-clés : congrès international, Guerrier de Dumast (Prosper), Musée américain de Nancy, américanisme, Société d’Ethnographie Thèmes : Historiographie, Histoire de l’américanisme

AUTEURS

ÉTIENNE LOGIE

CRULH–EA 3945, Université de Nancy 2, 3 place Godefroy de Bouillon, 54000 Nancy [[email protected]]

PASCAL RIVIALE

Archives nationales, 60 rue des Francs-Bourgeois, 75003 Paris, et EREA (UMR 7186, CNRS, Villejuif) [[email protected]].

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Articles

Dossier : « Race », « ethnie » et « communauté » (II)

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Nota Bene

La revue en ligne Nuevo Mundo Mundos Nuevos (2009) a publié dans leur intégralité les commentaires des communications qui ont donné naissance aux articles de ce dossier. [voir http://nuevomundo.revues.org/44072#colloque-mascipo]

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Contestations Over Classifications: Latinos, the Census and Race in the United States

Clara E. Rodríguez

EDITOR'S NOTE

Manuscrit reçu en septembre 2007, accepté pour publication en janvier 2009

1 As Morning (2008) notes, governments vary with regard to how they count their populations. Some use a simple count of individuals, as in France. Others also count categories of people, but not all use the same categories and the meanings given to the categories vary from country to country and sometimes within a country. « What is called “race” in one country might be labeled “ethnicity” in another… nationality means ancestry in some contexts and citizenship in others. Even within the same country, one term can take on several connotations, or several terms may be used interchangeably » (Morning 2008, p. 240). Despite these variations, the categories generally reflect and support the scientific discourse and milieu of the nation at any given point in time. The categories used by governments ostensibly reflect group boundaries; but they may also reinforce, create and perpetuate group boundaries and hierarchies. Finally, the categories may also be contested by the categorized. This paper analyzes an example of such a contestation. It focuses on Latinos 1 in the US at one historical juncture (the late 20th-early 21st centuries)2 and examines their responses to questions of « race » on the US census. It also examines the theories developed to explain the « Some Other Race » (SOR) response chosen by many Latinos and chronicles government efforts to force Latinos into more traditional US race categories.

2 Perhaps, the most well-known example of the social construction of « race » is the experience of the Jews in Europe during World War II. A review of the evolution of categories in the US census also reflects how socially constructed « race » is. What’s more changes in US census categories reflect the US’s political-economic and scientific

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milieu at particular points in time. In addition, what is called and measured as « race » in the US census is particularly unique within the larger world context. A historic emphasis on hypodescent (i.e., the one-drop rule) and the conceptual distinction between race and ethnicity are two characteristics that make « race » in the US distinct from many other countries (Davis 1991; Morning 2008). 3 In contrast to France, which does not collect « ethnic statistics » and where there is much division as to whether to collect such statistics (Amiraux and Simon 2006; Sabbagh 2009), the US has – from its inception – used race/ethnic categories to count its population. These categories have changed over time, but a basic structure of « white » and « not white » has persisted. Interestingly, although today we call these categories « race categories », that is not what they were originally called. There was a shift from the use of the word « color » (or colour in the early censuses) to « race ». Although in the 19th century the scientific discourse on « race » and « racial differences » was quite pronounced in the US and elsewhere3 the word « race » was not used as a census category label until the 20th century, when it appeared in the 1900 census (Rodríguez 2000). 4 Reflecting the importance of slavery to the US economy, when the US conducted its first constitutionally mandated decennial census in 1790, « Free Whites » were counted along with « Slaves ». Slaves are presumed to have been African or descendants of Africans. What is significant in the choice of the phrase « Free Whites » is that a color term was used for this category. Other terms, such as « free inhabitants » or « free people » might have been chosen then, but they were not. The use of the term « White » initiated what would become in subsequent censuses a more clearly labeled « racial » classification schema (Anderson 1988; Rodríguez 2000). There was also a third category, « All Other Free People » who are presumed to have been mixtures of Whites, the indigenous population and and/or free people of color. Over time, the first two categories evolved into simply « Whites » and « Blacks ». The third category became, first, « All other free persons, except Indians not taxed » between 1800-1810 and, then, « Free colored persons » (1830-1840). 5 In 1850, somewhat in response to the concern over the high degree of mixing taking place and the alleged inferiority of the offspring of such Black and White mixing, mulattos were counted4. Consequently, the third separate category disappeared and Blacks were subdivided into Free and Slave Blacks and Free and Slave Mulattos. This categorization continued until the Civil War, when slavery was abolished and the categories that appeared in the 1870 census were merely Whites, Blacks, and Mulattos. Earlier, in response to the large number of immigrants arriving from Ireland and Germany, « Foreigners not naturalized » were counted from 1820 to 1840. Other « race » categories were added as the groups increased in number and as concerns were raised about the large numbers entering the country, e.g., the Chinese (in 1870) and the Japanese category (in 1880), or as they were recognized and resettled, e.g., American Indians (in 1870) (Rodríguez 2000, chap. 4). In essence, the changes in categories have reflected changes in scientific thought, immigration and political and economic concerns, but a basic white and not-white racial dichotomy evolved and has prevailed in US census classifications. 6 With the arrival of larger numbers of Spanish-speaking people from Mexico, Central and South America and the Caribbean during the second half of the twentieth century, the question of how to count this group surfaced. The passage of a number of anti-

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discrimination legislative acts and the subsequent development of affirmative action programs in the 1960s-1970s accentuated the need to determine the numbers of people in disadvantaged groups. The honorable military service and deaths of many (mainly, at the time, Puerto Ricans and Mexicans) convinced legislators that they were deserving of assistance and that the degree of disadvantage that existed within these groups should be ascertained. 7 But how to count the groups? The US had evolved a somewhat color-coded race structure. There were Whites, Blacks, American Indians (red), and Asians (yellow). This was a heterogenous group that resulted from the same kind of migrations and mixing that had led to the US population. They also brought their own racial constructions, which were a result of their own unique population histories and political-ideological developments. 8 In 1980, a decision was made by the census bureau to consider them an ethnic group within which individuals could be of any race. This is still the basic census policy, but as we will see below, there has been a tension between this view and efforts to make the group into yet another « race » – occupying a perhaps « brown » category. Some would argue that this effort began with the attempt to place the Spanish origin population into one category, i.e., the Hispanic category in 1980 (see on this Oboler 1995). There was clearly precedent for this and it could be argued that the Spanish origin group was just as heterogenous as the groups now called « Black or African American » and « American Indian » had been. Yet, in the past the census had successfully subsumed widely varying nations, tribes and individuals into generic categories, e.g., « Indians » and « Blacks ». Eventually, many came to identify with, or, to accept these terms as applying to their group – although many also retained their own individual or group identity, e.g., as Mohawk or Navajo. These categorizations were also accepted, by and large, by those not in these categories. A similar result could be expected with the US census created category of « Hispanic ». 9 However, the categories used by governments to count populations are not always completely in synchronism with the categories used by the people being counted (Morning 2008, p. 259). Recent immigrants coming to the US from Europe or Africa often express surprise at being classified simply as « White » or « Black » – particularly if they have been minorities, or, if they had very distinct ethnic identities within their countries of origin, e.g., Albanians in Italy, the Yoruba in Nigeria, the Kurds in Iraq. State classifications may involve contestations over such categorizations. Or, there may be negotiations between state definitions and folk/popular understandings; or, between the dominant and the dominated. Haney López’s review of the many court cases that individuals brought forth so that they (and the groups they represented) could be racially classified as « white » describes the numerous legal negotiations that have ensued during US history over racial classification (Haney López 1996). Perhaps the most significant example of such a negotiation is the historic 1894 Supreme Court case of Plessy vs. Ferguson, which is recognized as sanctioning the (separate and unequal) Jim Crow practices and laws in existence then. The plaintiff in the case was Homer Adolph Plessy, a Black man who argued that since he was 7/8th white, and that since he « looked white, » he should be allowed to sit in the white section of a train. Other cases contested the 1790 law which disallowed non-Whites from becoming naturalized citizens. Two significant cases are Ozawa vs. United States (1922) and Bhagat Singh Thind vs. US 261US204 (1923). Ozawa, a Japanese immigrant argued that

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because his skin was white, indeed whiter than that of many Caucasians, he should be classified as white. Bhagat Singh Thind, an Indian immigrant made the case that since science had found that Indians were Caucasian, he should be classified as white. These cases were brought before the courts because the plaintiffs wanted the same rights and advantages that Whites enjoyed. Few were successful; both of these plaintiffs lost.

The changing demographic context in the US

10 Just as other cases of contestation are best understood when placed within their historical and structural context, the significance of Hispanic/Latinos responses to census questions on race is best understood in the context of race reporting in the US’s current demographic milieu. Today, almost one of every three US residents is of non- European origin. Hispanics/Latinos are the largest minority group and census estimates showed them to be 14 percent of the nation’s total population or 41.3 million as of July 1, 2004. However, this estimate does not include the 3.9 million residents of Puerto Rico, who are also US citizens and would raise the total to 45.2 million5. This would make the US population of Latinos larger than the population of Spain and the second-largest Spanish-origin population in the hemisphere, after Mexico (Thomas 2005, pp. 73-76).

11 The growth of this population since 1980 has also been dramatic. Hispanics/Latinos grew more than seven times faster than the population of the nation as a whole, increasing by half, while the white (non-Hispanic) population increased by only 6 percent between 1980 and 1990 (US Bureau of the Census 1991, table 1; US Bureau of the Census 1993, p. 2). In the next decade, the Hispanic population increased 58 percent. The most recent figures show that between 2003 and 2004, one of every two people added to the nation’s population was Hispanic6. Consequently, not only are Latinos a substantial part of the US population, but they account for half its population growth.

Race and ethnicity in the US census

12 How particular groups are counted and classified often involves conflicts between state definitions and folk or popular understandings. Hence, and for example, persons may be classified « White » in the US, but may consider themselves Jewish or Islamic instead of White. Or, they may consider themselves not quite the same as « plain vanilla white », but perhaps Jewish and white. The same can be said for the other race groups in the US census, i.e., those classified as Black or African American may see themselves more as Yoruba or Jamaican; or, as Jamaican and Black.

13 This conflict or contest between state and folk understandings is universal. Chantal Caillavet refers to it, in her response to my paper, as « the divergence between the point of view of the passive “subjects”, and those in power, or the dominant society in a given period » (Caillavet 2006). This divergence or contestation has grown as an issue along with the increasing migration of peoples around the world. The experience of Latinos in the US census provides insight into one such contestation. 14 The US census has used a variety of indicators as it has wrestled with the question of how to best count and categorize the group we now call Hispanic or Latino. For a period of time, the US Census Bureau used cultural indicators, such as whether the person’s

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mother tongue was Spanish (1940), and whether they had a Spanish surname (1950) or were of « Spanish Origin » (1970). (In other words: language, surname and ancestry.) In 1930, the Census Bureau also included a separate category in the race question for one particular Latino group, i.e., the « Mexican » group. This category was eliminated in subsequent censuses. From 1940-1980, Puerto Ricans, Mexicans and all other Latinos were classified as « White » unless the census interviewer determined (or the respondent indicated to the interviewer) that they were some other race category, e.g., Black, Asian, etc. 15 The 1980 census marked a major turning point. This was when the US Census introduced – in response to political pressure from Hispanic organizations – what it called « the Hispanic Identifier » (Choldin 1986). This was a specific question, which asked all residents whether or not they were Hispanic. If the respondent said « Yes », they then checked off one of four boxes, i.e., Mexican, Cuban, Puerto Rican, and other Hispanic (specify), to indicate what kind of Hispanic they were. So it was in 1980 that Hispanics were first counted on a national basis. (This same Hispanic identifier is still a part of the census and it is included in the « short form » that goes out to all residents7.) There is also a question on race that asks all people, Hispanic and non-Hispanic, to indicate their race. In the last 2000 census, the two questions appeared as appears in Figure 1.

FIG. 1 – Questionnaire, census 2000.

16 In addition to including the Hispanic identifier, it was also in 1980 that the US census instituted its mail-back questionnaire system. In so doing, it altered the way in which it measured race8. I suspect that when it moved to its mail-back system, few contemplated any major difficulties in moving from having race determined by others (i.e., census takers) to having individuals determine their own race. After all, race was race. For decades, it had been described in many sociological texts and elsewhere as an ascribed characteristic, i.e., something that we were born with at birth, like sex, that was easily recognizable and that did not change during our lifetime. Indeed, the US census had – since its inception in 1790 – assumed an either/or approach – one was in a particular category or one was not. Race had discrete racial categories. The kind of

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overlap or porous boundaries between groups (or between race and ethnicity) that many academics discuss today, was less clearly in view9.

17 The major categories provided for race in the 1980 and 1990 census were by now standard. They were: White, Black, Asian or Pacific Islander, American Indian or « Other race ». The last three categories provided write-in opportunities, e.g., specify tribe in the American Indian category. The last category, the « Other race » category was the miscellaneous, or « none of the above » category10. It had evolved in the census as a place to put new, but small groups that did not have a specific racial category. For example, Asian Indians, or « Hindus » as they were then all called – regardless of religion – were placed into this category at the turn of the 19th century. However, the category of « Other Race » was to change dramatically after the 1980 census, for millions of Latinos were to choose this category for the next three decennial censuses. In fact, various smaller, previous censuses (generally conducted by census enumerators) had indicated that Hispanics/Latinos were 90% white. After 1980, the official racial classification of Latinos changed dramatically. For the 1980, 1990 and 2000 censuses only about half of Latinos were to report themselves as white, and over 40% would choose the « Other Race » category in the last three nation-wide decennial censuses. In essence, since 1980, Hispanics/Latinos have responded to questions of race in starkly different terms than the non-Hispanic population in the US – in ways that have confounded census officials but also moved us to think about « race » in new ways. 18 Another major change in the way that the US counted its people is that in the year 2000, respondents were allowed to choose more than one race category. This altered the 200-year practice of the US census, which required that individuals choose only one race category. This « only one race » practice had reinforced and reflected the hypodescent (or one drop rule). Accordingly, persons who were of different (supposedly pure) races were to be classified socially and, in the census, as a member of the non-white race, regardless of physical appearance, cultural socialization, or personal identity preference. Interestingly, few Americans (2.4%) chose more than one race. Hispanics/Latinos chose more than two categories two and a half times as often, but even this was only 6.3%. What again loomed large were the 42.2% who chose the « Some Other Race » (SOR) category; many of whom also wrote in a Latino descriptor, such as Mexican, Chicano, Puerto Rican, Honduran in the specify portion of the race question (US Bureau of the Census 2001a, p. 10). This response contrasted vividly with the proportion – only 0.2% – of non-Hispanics who chose the same (SOR) category (US Bureau of the Census 2001b). Figure 2 indicates how the remainder of the Latino population answered the race question in the year 2000: 47.9% of Latinos indicated they were White, 2% reported they were Black, 1.2% said they were American Indian, and less than 1% said they were Asian, Native Hawaiian, or Other Pacific Islander.

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FIG. 2 – Hispanic/Latino population by race, census 2000.

19 The tendency of a large portion of Latinos to choose the « other race » category and to write in Latino descriptors has been a consistent pattern for the last three decennial censuses. In both the 1980 and 1990 censuses, about 40% of Latinos in the country chose this category (Denton and Massey 1989; Tienda and Ortiz 1986; Martin et al. 1990; Rodríguez 1990, 1991, 1991a, 1991b). Latinos’ SOR response has continued despite various attempts on the part of the US census to dissuade the « Other Race » response. For example, the census inserted the word « race » into the race question numerous times, reversed the questions, so that the Hispanic origin question would precede the race question, and in the 2000 census, added the word « Some » to the « Other race » category in an attempt to make clear that the race question was calling for a race response and not a national origin or Latino descriptor. Even the decision to allow respondents to choose more than one race category was an attempt to dissuade Latinos from choosing the Other Race category (Padilla 2001). In fact, the proportion and numbers of Latinos choosing SOR has grown significantly (Guzmán and Diaz McConnell 2002) and was estimated in 2004 to be over 19 million people. The problem with the SOR response, from the government and statistician’s perspective, is that it is not possible to arbitrarily place those in the SOR group into the traditional US racial categories of white, black, etc.

Points of clarification

20 Before proceeding to an examination of why Latino responses to the race question are so different from that of non-Latinos, it is perhaps important to make a few points of clarification for those less familiar with Latinos in the US and with how race and ethnic data are used in the US.

Use of race and ethnic data

21 First, it is important to clarify that the race and ethnic data are very significant and are relied upon by a variety of users in the US. For example, they are used by governmental and non-governmental agencies to implement civil rights legislation, anti- discrimination policies, health planning, research and operations. The private sector also uses the data to estimate demand for products and services and to locate facilities.

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Non-profit organizations use the data to gain information, develop proposals, and advocate for the groups they represent or seek to serve. Finally, academics and journalists use the data for basic and policy-related research and to frame issues of interest to the public and to describe the « face » of the population.

Latinos and socioeconomic status in the US

22 It is also important to note, for those unfamiliar with the US context that, although there are still unresolved questions on how « race » or color operate among Latinos, a number of studies have found substantial socioeconomic (SES) differences by race among Latinos. In general, studies have found that Latinos who report that they are Black (or who are seen as « dark ») are more residentially segregated and have lower SES outcomes than their White Hispanic counterparts11. Although other variables have also influenced SES (e.g., the labor markets faced by different groups of Latinos), this « color cost » has been observed for some time12.

The heterogeneity of the Hispanic/Latino populations

23 The terms Latino or Hispanic may obscure for some the actual heterogeneity that the term represents13. The Latino/Hispanic group is composed of a variety of Latino national origin groups. Figures 3a and 3b show what this medley looked like in 2000, with and without the inclusion of the residents of Puerto Rico, who are US citizens14.

FIG. 3 – (a) US Hispanics, 2000 (source: US Bureau of the Census, 2001); (b) US Hispanics, Puerto Rico included, 2000.

24 As the figure indicates, Latinos of Mexican origin constituted the majority, Puerto Ricans the second largest single group, followed by Cubans. All other Latinos/Hispanics (i.e., from different national origins) combined constituted 26-28% of the total. Despite this diversity of national origins, all Latino groups chose the SOR response to a much greater degree than did non-Latinos. For example, in the 1990 census, while only 12% of Cubans chose this category, 47% of Mexicans and 59% of Salvadorans did so (Rodríguez 2000, p. 9). More recent studies also showed similar differentials in reporting by Hispanic national origin, see, e.g., US Dept. of Labor, Bureau of Labor Statistics (1995, p. 4), Tucker et al. (1996, p. 45), and Saenz (2004). Such differentials between Latino national origin groups pale, however, when compared to the difference between Latinos and non-Latinos. As will be recalled, in 2000, less than 1% of non-Latinos chose SOR as compared with 42% of Latinos. Adding to the diversity of this population is that

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each group is also physically quite diverse, reflecting – as does the US population – the migrations and blending of peoples from all continents, plus the indigenous groups.

Theories, interpretations and assumptions

25 Let us turn now to research and interpretations that have been advanced to explain why so many Latinos chose the « Some Other Race » response in the census15. These include the mixture and confusion assumptions; the theory that Latinos have a different understanding of race, which has developed in Latin America; the denial of race; examinations of how contexts influence responses; and the racialization and non- assimilation hypotheses.

« Mixed or multiracial » and « mixed up or confused »

26 An initial explanation of the Latino SOR response was to assume that Latinos were indicating that they were of « mixed race » or multiracial (see Gonzales and Rodríguez 2004; Rodríguez 1992). However, when given the option to choose more than one race category in the 2000 census, only 6.3 percent of Latinos did so and most of these indicated that they were « White » and « Some Other Race » and many specified a national origin in the second category. In light of little mainstream research in the area, another of the early explanations offered for « the other race » departure of Latinos was the assumption that Hispanics had misunderstood or had difficulty with the question (see McKenney and Bennett 1994, p. 21; McKenney and Cresce 1993, pp. 173-222; Scarr 1994, p. 9; McKenney, Bennett et al. 1993; Buehler et al. 1989, p. 458; Rodríguez 1991a, pp. 77-78). Misunderstanding of the question undoubtedly accounted for some responses, but it is doubtful that it accounted for all 40% of respondents.

« Spanish race » and « race » in the US

27 Another view contends that it is possible that respondents may have interpreted the question within their own frame of reference, which may be a different frame of reference than that generally used in the US16. Indeed, Hirschman, Alba and Farley (2000, p. 388) indicate that: « Many Hispanics, especially immigrants, are unsure how to respond to census questions on race because the North American concept of race is not established so firmly in Latin American cultures ». This implies that there are dual constructions of race, i.e., « Spanish race » and « race » in the US.

28 Caillavet’s (2006) comments provide some insight into how racial/ethnic distinctions evolved in the Northern Andes of Latin America. Her comments are based upon the historical studies of Andean societies (especially Ecuador and Colombia) that she has conducted. She examined the changes in race, ethnic and census categories that occurred there during the colonial period and how they reflect the political structures of their times. She finds, for example, that where the dominated population is primarily autochthonous or indigenous and « the dominant population has an external origin, and it is, demographically, in a small minority », – a situation very typical of the Northern Andes areas then – the dominant elite class « will continue to justify and exercise its domination by accentuating ethnic difference in the most visible and external way, introducing racial classification, and creating hierarchies of these

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phenotypes » (Caillavet 2006, p. 2). The ways in which these ethnic lines were accentuated include the insistence on the Indians’ wearing standardized clothing of « manta y camiseta » and keeping their hair long – regardless of the variety of hair styles they’d had before the Spanish conquista, which were many. Also, accentuating boundary differences between groups were the prohibitions against any kind of head dress, a ban on body paintings, and hairstyles and head adornments. These requirements placed them in contrast to the varied dress, hairstyles, adornments and short hair of the dominant group and accentuated phenotypic differences. Interestingly, at this point, the mestizos (which included every type of mixture) were aligned with the Spanish or white category. This kept the indigenous race « pure. » The pure indigenous were forced to pay taxes or supply labor. Those who were not classified as indigenous were not subject to these requirements but had other tasks. 29 Curiously, Caillavet (2006) finds that, during this same period, Spain followed a different strategy to govern the dominated. Here, the Jews and Muslims, who had not been expelled, were obligated to downplay differences. For example, in contrast to their former cultural practices, they were now forced to have beards and to wash themselves less often – thereby, discarding the Muslim cultural practice of bathing in public bath houses. She also notes that in both areas, there was continual evolution of categories and changes within categories. For example, in Quito, Ecuador, the category of « Mestizo » was not separated from that of « White » in the late eighteenth century censuses, but it does appear as a separate category in the nineteenth century when the Republic takes control. In addition, Caillavet (2006, p. 3) adds that the understanding of what formal categories meant often varied. So that although Whites and Mestizos might have been placed in the same category, the reality was that there was a growing separation between the white aristocracy and the Mestizos, which included Mulattos and lighter-skinned « Montañeses ». Also a minority of low-income Whites might be referred to « pejoratively » as mestizo in one area, while a stable, rural Mestizo population in another area was classified as white. Lastly, she points out that within these classifications, individuals negotiated or sought out the most advantageous type of classification – and that this did not seem to be particularly problematic17. Caillavet (2006) notes that this had been a common practice in the Ancien Régime in Europe, where individuals moved from one part of the country to another (or from the Old World to the New World) and left their earlier identities and histories behind, changing their names, religions, often pursuing different occupations and sometimes becoming landholders instead of being landless peasants. Women, of course, did this regularly and in a sanctioned way when they married, changed their name, and migrated to the other areas. 30 Both of these strategies for dealing with the dominated are in contrast to those developed in the US. In the US, a different approach was taken to ensure that this dominant group retained dominance. This involved creating and/or reinforcing the idea of the « purity » of the white race. The « white » group came to be defined as a group, which had no « black blood » (or, in many cases, any non-white). Although we know now that blood is blood, historically in the US any type of mixture was deemed non-white and this off-spring viewed as non-white. Consequently, if it was found that a person had « one-drop » of black blood, they and their children could never be white – while in Latin America « whitening » occurred over time. In the US « passing » as White occurred but when discovered often had serious and negative legal and social consequences. This idea of hypodescent kept the dominant group « pure » and

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prevented others (not of this group) from becoming a part of it. Separate schools, churches, residences, etc. helped to develop, perpetuate and reinforce group boundaries between the dominated and the dominant. New immigrants coming to the US entered into their respective queues, based on this white/not white division. 31 Accordingly, we can note some basic, broad differences between racial constructions in the US and in Latin America. In the United States, rules of hypodescent and categories based on presumed genealogical-biological criteria have dominated thinking about race. Racial categories have been few, discrete, and mutually exclusive, with color, hypodescent or knowledge of African ancestry playing important roles. Categories for mixtures, e.g., mulatto, have been important at times, but ultimately transitory. In contrast, in Latin America, racial constructions have tended to be more fluid and based on many variables, like social class and phenotype. There have also been many, often overlapping categories, and mixtures have been more consistently acknowledged and have had their own terminology. While in the US, those with « one-drop » of « black blood » could never become white, in Latin America, « whitening » occurred over generations, and, on some occasions, within one generation, e.g., when an individual acquired greater wealth or status. Unfortunately, the whitening process also tended to include the depreciation of indigenous or African ancestries. It is argued that these general differences are what many Latinos bring into the US, and they strongly determine how they view their own « identity » and that of others – and that this is reflected in their responses to the questions of race. 32 This perspective that Latinos view race differently, i.e., that their folk view is different from the US state view, has recently received more attention. There does appear to be some evidence for a different understanding of what race is; or, that the Spanish term « raza » is not exactly equivalent to the English term « race » – at least as understood in the US. It may be that for Latinos the concept of « race » is less influenced by hypodescent or blood quantum (as is the case in the US) and more influenced by other variables such as class, culture, appearance, education, national origin, ethnicity, or nationality; or, a combination of these and skin color (see Bates et al. 1994, p. 109; Rodríguez 1991a, 1992; Rodríguez and Cordero Guzmán 1992; US Office of Management and Budget 1995, p. 44689). 33 In essence, within this view, many of the individuals who chose the « Other Race » category on the census forms and wrote in a Latino referent saw themselves as members of a group that had its separate ethnicity and saw that ethnicity as independent of the other social and « racial » categories listed in the race question. In other words, they were « una raza diferente » but this was not equivalent to a separate race as defined within the US race classification system. The Latino referents, which were written in, e.g., as Hispanic, Latinos, Mexicans, etc., indicated this. Many Latinos placed themselves in a category that said they « were none of the above », i.e., the SOR category. However, research in this area indicates that, on further probing, some Latinos who choose SOR may also acknowledge that their phenotype or color would place them in the other categories, e.g., as White, Black, American Indian, and that others might place them there (Rodríguez 2000). 34 But does this mean that there is one Latino view of race to which all Latinos subscribe? Apparently not. Not all Latinos responded that they were « Some Other Race » on the census. Only 47% of all Latinos said they were SOR, others reported that they were just white, black, etc. Moreover, there are different views of race within different countries,

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classes, and even families. Latin Americans’ views of race are dependent on a complex array of factors, one of which is the racial formation process in their countries of origin (see on this, Safa 1998). There are also other variables that influence individuals’ views of race, e.g., class, racial phenotypes within families, and educational experiences. 35 In addition, « race » as understood by many Latinos is not without its own racism, colorism, and other biases; it too is based on historical social constructions that involve slavery, conquest and colonialist regimes (Rodríguez 2000, chap. 6). Nor, does it mean that « Spanish race » views are devoid of implications of power and privilege – both among Latinos in Latin America and in the United States (see Torres and Whitten 1998; Martínez-Echazábal 1998). 36 With regard to the future, some authors have written on the increasing convergence of racial constructions in the US and in Latin America. However, it is unclear whether the US is becoming more like Latin America and masking its own racism as Hernandez (2002) and Bonilla-Silva (2003) maintain; or, whether Latin America is becoming more like the US. In the latter perspective, US views and race questions are becoming part of Latin America, especially via the educational training or experience of Latin American elites; research exchanges and projects funded by US foundations and other institutions in Latin America. Also influencing such change is research carried out by North American scholars, who apply US-based paradigms and interpretations to their research conclusions; these, in turn, serve to educate new generations of younger scholars, both in the US and Latin America. Echoes of this debate can be heard in the literature on Brazil (see e.g., Harris et al. 1993; Telles 1995; Bailey 2002, 2008). What is clear is that « race » is indeed changing in both hemispheres and that with greater time in the US Latino’s racial and ethnic identities will also change.

Denial of race

37 Another perspective that, to some extent, challenges the Spanish race view, interprets the choosing of the « some other race » category as reflecting a denial of race, or, a disinclination to identify as « Black » or « Indian ». In other words, and for example, that by not checking traditional US race categories, Latinos evade their racial designation as Black – and being non-white or black is a reality in countries dominated by Whites. But not much empirical research has been done on this (see, however, Rodríguez and Cordero Guzmán 1992; Itzigsohn, Giorguli and Vazquez 2005; Román 2001). More recently, Morning (2008, p. 255) has proposed that the fact that the US census has two questions, one measuring ethnicity and the other measuring race, unwittingly supports the « long standing belief that race reflects biological difference and ethnicity stems from cultural differences ». This conceptual distinction, which is reflected on the census form, may induce those of Spanish origin to choose the SOR category and write in national origins. It may also induce others, e.g., many Haitians, who view ethnicity, national origin and race to be somewhat synonymous terms, and whose groups do not specifically appear on the census form, to choose SOR.

Contextual Influences

38 The question of how « context » influences Latinos’ racial responses is one area that has benefited from solid and ample empirical research. It is, however, also a complex area

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because it involves defining « context » in a myriad of ways. For example, there is the micro context, which includes, for instance, the context that the question presents to the respondent. There is also the macro context, which is the larger context within which the person was raised or resides. The following sections cover first research in the micro contexts and then various approaches that take a more macro view.

39 The micro context is the context in which the question is asked and its format. Depending on question context, Latino responses to race questions are more variable than the more consistent responses of Whites, African Americans and Asians, who respond similarly regardless of how the question is asked. This reflects the extent to which many Latino responses are contextually influenced. Variables that affect Latino responses to the race question on the micro level include: who asks the question; who answers the question; how and where the question is asked, i.e., is there an Anglo interviewer, a Hispanic category as a possible choice, the presence of other cultural groups as categories; and, the phrasing, structure, placement, format and purpose of the questions (see Rodríguez 2000, chap. 7; Tafoya 2004; Chevan 1990; Ramirez 2005; Hirschman, Alba and Farley 2000, p. 388; Landale and Oropeza 2002; Rodríguez and Cordero Guzmán 1992; Itzigsohn, Giorguli and Vazquez 2005).

The local context: place and neighbor matter

40 A few researchers have found that place – or the local context – matters in determining how Latinos answer questions about race. For example, Itzigsohn, Giorguli and Vazquez (2005) found that, despite similar socioeconomic profiles, the Dominicans in Providence were more likely to choose the term « Hispano » than those in Washington Heights who chose « Black » more often. They maintain that this is related to the greater number, presence and salience of Blacks in NYC (23.6% in the 2000 census) as compared with Providence (7.5%). They also cite Logan (2004) who, examining national data, asserts that the greater the proportion of Blacks in an area, the greater the proportion of Latinos who report on the census that they are Black. Rodríguez (1990) examining earlier 1980 census data on the racial identification of Hispanics by state also found that the greater the proportion of Blacks in a state, the lower the proportion of Hispanics who chose the « Some Other Race » option. She speculated that the more salient the biracial structure, i.e., the greater the proportion of Blacks and Whites, the more likely Hispanics were to accept biracial classification for themselves as White or Black18.

41 Logan (2004) contends that Latino racial identification is the result of people’s identities being affected by the social and cultural milieu in which they live. He says that intermarriage, everyday encounters with racial identification by others, and the strong presence of African American and black diasporic culture in NY influence many Dominicans to identify as Black (see also Itzigsohn, Giorguli and Vazquez 2005). Another context that appears to influence Latino racial reporting is the educational context and the race and ethnicity of fellow students (on this see, Vaquera and Kao 2006; Vaquera and Doyle 2005; Harris and Sim 2002; Eschbach and Gomez 1998).

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Migration and changes in contexts

42 Some authors have argued that with migration to the United States, conceptions of ethnic, racial and national identities are often called into question and identities become « a terrain of ideological contestation » (Omi and Winant 1995; Duany 1998, p. 149; Foner 1998; Torres-Saillant 1998; Oboler 1995). Some observers ask whether the Latino write-ins, reflecting national origin, etc. in SOR reflect the ideological contestation to which the authors above allude (see McKenney and Bennett 1994). These results suggest that when individuals migrate from their home countries to the US, they enter a different racial structure. This experience was early noted by the anthropologist Wagley (1965), who described how a man’s racial classification could change when traveling from the Caribbean, where he would be white, to Mexico, where he might be described as mulatto, to the US, where he was negro or black19.

The racialization context: histories and discrimination

43 Although the process of racialization and discrimination can also be thought of as conjoined contextual factors, they are discussed separately here. In the Itzigsohn, Giorguli and Vazquez (2005) study on Dominicans, the authors concluded that the experience and perception of racial discrimination – whether in the US or in their home countries – played an important role in racial self-classification. They found that only those who identified as « white » reported little discrimination against Dominicans. However, Dominicans who identified as black or « hispano » had a more negative view of US and Dominican relations, reported greater discriminatory experiences and believed that Dominicans were discriminated against in the US. In contrast, Dominicans who identified as « indio » (Indian) had more positive views of US and Dominican relations than those who identified as black. The authors contend that identifying as « indio » is another way of distancing one’s self from blackness and that this distancing has historical roots in the Dominican Republic. They also note that West Indian and African immigrants have confronted similar tensions between racial and ethnic identity – suggesting other instances of contestation over US classifications.

Racialization and non-assimilation

44 Is the Latino SOR response to the race question a refusal to assimilate or to accept racial categories and become Americans? Does the discrimination experienced within the US social context play a fundamental role in choosing SOR? Golash-Boza (2006) addresses the question more generally when she asks if the experience of discrimination affects whether individuals identify as « American » or in ethnic terms. She finds that Hispanics who experienced discrimination were more likely to adopt pan-ethnic terms such as Hispanic or Latino, as opposed to the term American. She also found that the use of pan-ethnic terms had grown substantially during the 12 years period she studied, from 39% in 1989 to 81% in 200220. She also found that darker skinned Hispanics were also more likely to adopt or retain their national origin identifier as opposed to an American identifier (see also Bonilla-Silva 2003, Vaquera and Kao 2005 on this).

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The many influences

45 In summary, for many Latinos, responses to questions of race are seldom the simple, straightforward affairs that they tend to be for most non-Hispanic Whites (Rodríguez et al. 1991) 21. Indeed, what the current and limited research seems to indicate is the complexity of race for Latinos in the United States. Latinos’ views of race appear to be influenced by a complex array of factors. These include the racial formation process in countries of origin, class status, exposure to US educational systems, phenotype and perception of phenotype by North Americans, phenotypic variation within their family, language, age and/or generational status, experiences of discrimination and racialization, and education. They also include social variables, such as significant experiences in schools, jobs, and social settings, neighborhood socialization and the racial composition where they live. Case studies in the literature also indicate that there is change over time with regard to how Latinos respond to questions of race (Rodríguez et al. 1991). Each of the above needs further investigation and all probably account to some degree for the SOR response and many interface with one another. However, much more research is needed to determine whether some of these explanations apply more to one Latino group than to another.

46 What is evident is what Véran (2006) and Landale and Oropeza (2002) have noted and that is that the construction of a racial and ethnic identity is an ongoing process that involves negotiation between an individual and others (see also Omi and Winant 1995; Portes and Rumbaut 2001; Rodríguez and Cordero Guzmán 1992; Rodríguez 2000; Waters 1999). Self-definitions shift over time and across social contexts. This negotiation (and perhaps contestation) is reflected in Latinos’ SOR response. 47 As Véran (2006, p. 1) notes, the SOR response « questions the interaction between social, political and analytical categorizations ». In essence, many Latinos (over 40%) do not consider themselves part of the structure of signification. Socially and politically, they do not organize themselves as White Latinos, although some do organize and identify as Afro Latinos, and some new immigrants also identify as Native American Indian. Analytically, the SOR response can be seen as a challenge to the way in which the Census and other social scientists construct categories. This negotiation is at work in France and increasingly in other countries that have received immigrants from former colonies, or, from culturally and physically distant shores. What the outcome of these negotiations will be are unclear in both France and the US. According to Véran (2006, p. 2) in both France’s « political fiction » where racial categorization is forbidden and in the US’s more supposedly pragmatic framework, social groups are challenging the structures of signification and questioning « the political meanings and uses of racial categories ». 48 But, according to Véran, from the French racial fiction perspective, Latinos’ SOR choice raises a number of questions for all theorists. Among them are « what is the meaning of race? ». Is it possible to exempt biology from analytical categorization? Or, is ethnicity to race what gender is to sex? How can the categories in the US census be adapted so as to better reflect the views of Latinos? And, lastly, if so many reject the classic categories, as the SOR response indicates, do we still need to classify people racially? Would it be best to use ethnic designators for all – as Morning (2008) recommends?22 As plans for the US’s 2010 census move along, it does not appear that « race » will be dropped – although as the section below will indicate, there have been many attempts

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to discourage the SOR response and to increase Latino reporting in the traditional White, Black, etc. categories. Moreover, new research in this area indicates that many are investigating the « racialization of Latinos in the US ». This suggests that the pressures to assimilate or adapt to the current race-color based structures are quite strong. It may be, that – for the time being – Véran’s (2006, p. 4) quote of Adriene Rich [1974] still reflects the current situation: « this is the oppressor’s language, yet I need it to talk to you ». 49 There is an intense but multifaceted questioning occurring within French « cultures of scholarship » and in public debate over whether to enumerate the population using ethnic statistics (Amiraux and Simon 2006). On the one hand, such categories may enable the government in France to investigate and pursue (more aggressively?) anti- discrimination measures which would ensure that all of its inhabitants receive proper and adequate social treatment. On the other hand, the creation of such categories are seen by some leading to the reification of mutual group boundaries and assisting in the boundary marking process. In addition, some question whether this is the role of the state. In some ways, the emphasis on integration is similar to the emphasis that social scientists had on assimilation when writing about ethnic groups and immigrants in the early and mid 20th century US. The question of course is whether group boundaries and discrimination already exist, but are just not recognized by the state. This analysis of Latinos in the US suggests that if France decides to undertake enumeration by ethnicity, it will have to think hard about how the groups they seek to count identify themselves and if this is congruent with how they are identified by others or the state.

State attempts to alter the SOR response

50 The government’s response to Latinos’ « other race » reporting reflects negotiation or contestation between state and popular understandings; or, to use Caillavet’s (2006) phrasing, it reflects the dominant’s attempts to classify the dominated. In brief, the state addressed the SOR responses in the 1980 census results by changing the format of the question. For example, the Hispanic origin question was placed before the race question and the term « race » was inserted numerous times in the question so that Latinos would understand that they were being asked their « race » and not their national origin. But this did not diminish the number of Latinos who chose SOR; actually the proportion went up.

51 In the 1990 census, when the SOR responses were repeated, the government began a major re-examination of racial and ethnic standards and it tested numerous proposals (Evinger 1996). One proposal that was advanced was to « make Hispanics a race » in the next 2000 census. (This proposal was not advanced or enthusiastically endorsed by any Hispanic group.) This proposal was subsequently given a less inflammatory name, i.e., the « combined question format ». In this proposal Hispanics were to be listed as a race category along with the other traditional race categories, i.e., White, Black, etc. Essentially, Hispanics were no longer to be an ethnic group; they were to be a race23. 52 The Office of Management and Budget tested the « combined format » proposal but, when the studies found that using the combined format resulted in fewer Hispanics and Whites being counted, the proposal was abandoned (US Dept. of Labor, Bureau of Labor Statistics 1995, Table 1). Consequently, both the Hispanic question and the race question were continued on the census and the policy of the 2000 census continued to

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be that Hispanics were an ethnic group that could be of any race. As noted earlier, the decision of the census to allow respondents to « choose more than one race » was also an attempt to minimize the number who would mark « other » (Padilla 2001)24. 53 In preparing for the 2010 census, the US Census considered another approach to « correct » the Latino responses. It conducted extensive, nation-wide testing of the race question – without the SOR category. However, this ignited « a furious debate among Hispanic advocacy groups, statisticians and officials over how the nation’s largest minority group should be defined racially ». In November 2004, Congressman José E. Serrano (D-NY) effectively cut the funding for any other projects that would eliminate the SOR category. As the New York Times subsequently noted, « Census officials had hoped to eliminate the “some other race” category from the 2010 questionnaire to encourage Hispanics to choose from among five standard racial categories », i.e., white, black, Asian, American Indian or Alaska native, and Pacific Islanders or Hawaiian natives (Swarns 2004a, 2004b). 54 But as the press release from Congressman Serrano’s office stated Americans would not now be « forced to racially self-identify in a way they are uncomfortable with » and that this would produce census results that better reflected the realities of race in America today (Serrano 2004). Serrano also noted that eliminating SOR would ignore the evolving views of race across the country as immigration from Latin America has surged (Swarns 2004b). In essence, the Bureau had lost in its attempt to impose a racial classification system over the objections of the group that would have been most affected. As of this writing, the 2010 census will retain the « Some Other Race » category25. 55 In conclusion, the contest over how Latinos are to be counted was (and is still) an essentially silent, but intensely political confrontation. As noted above, Véran (2006) sees Latinos’ SOR response as challenging the structure of signification. However, the SOR response is not necessarily a consciously political act. Many Latinos simply fill out the forms to the best of their ability. Most are not acting in a defiant or confrontational manner when doing so. However, because of different racial formation processes, their views are not necessarily congruent with those of the government. This is not a singular or new experience. As noted above, the historical record is replete with many other examples of groups that have undergone similar racializing and that have responded with their own racial constructions, re-constructions, and challenges to how they are classified (see Haney Lopez 1996; Rodríguez 2000, chap. 2; Coates 2006). Undoubtedly, Native American Indian groups had experiences similar to those noted above. Their collective experience illustrates that « race » and, in particular, racial classifications, have changed over time and have been very much influenced by political-economic factors, individual perceptions, and the intellectual scientific milieu of the times.

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NOTES

1. In these pages, the word Latinos is used too frequently to italicize it systematically. 2. Both terms, Latino and Hispanic, are used interchangeably to refer to the same population. 3. However, US census studies and reports did use the term « race » as well as racializing language. For more on the historical development of racial taxonomies, see Gould (1981), Gossett (1963), Jordan (1968), Stanton (1960) and Sanjek (1994). 4. Mulattos were only enumerated between 1850 and 1920. 5. Data on the most recent estimates of the Latino population are from http://www.census.gov/ Press-Release/www/releases/archives/population/005164.html and http://www.census.gov/ Press-Release/www/releases/archives/population/003153.html. 6. Cited in http://www.census.gov/Press-Release/www/releases/archives/population/ 005164.html. 7. It is perhaps important to note for those unfamiliar with the census changes in the US that the introduction of the Hispanic identifier fundamentally altered the whole racial classification schema of census population categories. Before the US introduced its Hispanic question in 1980 on the decennial census, all peoples were neatly folded into four large, obliquely color-coded categories of White, Black, Asian and Pacific Islander, and Native American Indian « race » categories. A few miscellaneous persons were to be found in the Other Race category – specifically, less than 2% in 1970. In 1980, each of these categories had to be re-named. The White category became the non-Hispanic White category, the Black category, the non-Hispanic Black category and so on. Hispanics, reported in all the race categories, had to be subtracted from these categories to derive the « pure » race categories plus a Hispanic category. In 2000, this all became more complex as people were allowed to choose more than one race category. Sixty- three races, or 6 single races (these included White, Black, Asian, Pacific Islander, Native American Indian, and Some Other Race) and 15 possible combinations were noted. When divided by whether these groups were Hispanic or not Hispanic, a total of 126 were arrived at (Porter 2001). Although few reports utilize all of these categories, they indicate the impact of these shifts.

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8. This has changed somewhat. While in its prior years of census taking, racial determinations may have involved respondents to some degree, it was in 1980 that individuals would be asked to indicate their race without an interviewer present on mail-back questionnaires. 9. In response to the question, « What is race? », the US Census today responds as follows: « The US Census Bureau complies with the Office of Management and Budget’s standards for maintaining, collecting, and presenting data on race, which were revised in October 1997. They generally reflect a social definition of race recognized in this country. They do not conform to any biological, anthropological, or genetic criteria », www.census.gov, accessed July 9, 2008 (author’s italics). 10. In the year 2000 census, the term « Some » was added to the Other race category. 11. On housing segregation, see Rosenbaum (1996), Denton and Massey (1989), Massey and Denton (1993, pp. 113ff) and the following on SES outcomes: Katzman (1968), Relethford et al. (1983), Arce et al. (1987), Murguía and Telles (1996), Rodríguez (1990; 1991a), Gomez (2000), Allen et al. (2000), Espino and Franz (2002, p. 612), Tafoya (2004). See also the debate between Telles and Murguía (1990) and Bohara and Davila (1992). 12. See, for example, historical references to this among Puerto Ricans in New York City in Rodríguez (1996). 13. See Diaz McConnell and Delgado-Romero (2004) who argue that a pan-Latino identity is real for some, but may also be influenced by methodological issues. 14. Puerto Ricans in Puerto Rico are generally not included in tabulations or discussions about Latinos in the US. However, their inclusion alters the size and relative proportion of all Latino groups. For further analysis of this issue, see Rodríguez (1994). Some recent analyses have begun to include data from Puerto Rico. 15. This tendency to choose non-traditional or national origin categories is also evident in other data sets, e.g., one recent sample of 2929 Latinos in the US found that the majority of Hispanics surveyed preferred to indicate « Hispanic » or « Latino » as their race (Suro and Tafoya 2004). See also Landale and Oropeza (2002, p. 251), Vaquera and Kao (2005, p. 7). 16. Many other foreign-born persons also had difficulty reporting in the race item (McKenney and Bennett 1994, p. 22). See Rodríguez (2000, chap. 7) for other research in this area. 17. As noted earlier, individuals in the US also sought out a more advantageous type of classification, but they were not successful. 18. Rodríguez (1990) also found that, conversely, the greater the proportion of Hispanics, the greater the proportion that chose the Other Race category. The proportion identifying as Other Race varied greatly at the time, ranging from 6% in W. Va. to 48.5% in Kansas. 19. It is of interest in this regard that in the 2000 census of Puerto Ricans in Puerto Rico, 81% of Puerto Ricans reported they were « White, » while only 47.4% of Puerto Ricans in the 50 states and Washington, DC, reported similarly on the same questionnaire. Also, only 9% indicated they were SOR in Puerto Rico in contrast to 47% in the states (see Christenson 2003; Denton and Villarrubia 2007). 20. This was the 2002 National Survey of Latinos, which was conducted by the Pew Hispanic Center and the Kaiser Family Foundation in 2002. 21. However, Latinos are not the only groups to have (or have had) complex and changing (or situational) racial/ethnic identities. See Thompson and Sanders (2001) who find that, among African Americans, there are a number of elements that are critical to identifying racially and to having a sense of belonging to a group. 22. For example, Great Britain uses « ethnic group » with a Mestizo category; South Africa « ethnic origin » with a Mestizo category. They do not use « race ». However, the use of the term « mestizo » still suggests a racial component to the classification.

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23. Some in the data gathering community, who were in favor of the proposal, argued that adding Hispanics to the race question would reinforce the view that race is a social construction and not a biological reality. However, the question was still referred to as the « race » question. 24. Publicly and prior to this, the mixed race political movement appeared to be solely responsible for this shift. 25. An expanded discussion of the government’s attempts to delimit the SOR response can be found in Rodríguez (2009).

ABSTRACTS

Contestations over classifications: Latinos, the census and race in the United States. The divergence between popular and state classifications of peoples has become increasingly important with the growing migration of peoples around the world. This paper examines this issue by focusing on one group (Latinos in the US) at one historical juncture (the late 20th-early 21st centuries). After examining the evolution of US census « race » categories in the context of shifting political, economic, and scientific trends, it reviews Hispanic/Latinos’ responses to questions of « race » on the US census and the theories that have surfaced to explain why so many Latinos choose the « Some Other Race » category on the census. It also chronicles the US government’s efforts to discourage such responses and force Latinos into more traditional US race categories. The global uniqueness of the US’s « race » concept is also underscored.

Débats autour des classifications: les Latinos, le recensement et la question raciale aux États-Unis. Les divergences entre les classifications courantes des individus et celles des États ont gagné en importance avec l’augmentation du nombre de personnes immigrées à travers le monde. Cet article ne traite que d’un groupe, celui des Latinos aux États-Unis, à ce point de contact entre la fin du XXe siècle et le début du XXIe siècle. Après avoir rappelé l’évolution des catégories de « races » dans le recensement nord-américain, ce dans le contexte politique, économique et scientifique changeant des dernières décennies, on s’intéressera à la réponse des Hispaniques/ Latinos à la question de la « race » et aux explications qui ont été données au pourquoi du choix que tant d’entre eux ont fait de la catégorie « autre race ». On fera aussi l’historique des efforts du gouvernement des États-Unis pour décourager une telle réponse et forcer les Latinos à se positionner dans des catégories de races plus traditionnelles. Le place du concept de « race », unique aux États-Unis, sera également soulignée.

Divergencias sobre las clasificaciones: los latinos, el censo y las razas en los Estados Unidos. Las divergencias entre las clasificaciones comunes de la gente y las de los estados ha crecido sustancialmente con el aumento de las migraciones a nivel mundial. En ese trabajo se tratará de un solo grupo, los latinos en los Estados Unidos, entre el final del siglo XX y el inicio del siglo XXI. Después de haber revisado la evolución de las categorías raciales utilizadas por los censos de los Estados Unidos en el marco de las transformaciones políticas, económicas y científicas recientes, se examinarán las respuestas de los latinos a la pregunta sobre la(s) raza(s) y las interpretaciones que se han venido dando al porqué de su elección – tan frecuente – de la categoría « Otra raza ». Se revisarán también los esfuerzos que el gobierno de los Estados Unidos ha realizado para controlar este tipo de respuesta y forzar a los latinos a elegir una categoría racial más tradicional.

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Se discute igualmente el concepto de raza tal como se aplica de forma sin equivalente en los Estados Unidos.

INDEX

Geographical index: États-Unis, France, Latinos, Hispaniques Palabras claves: raza, etnicidad, clasificaciones, construcción social de las razas, censo Mots-clés: race, ethnicité, classifications, construction sociale des races, recensement Keywords: race, ethnicity, classifications, social construction of race, census Subjects: Sociologie, Anthropologie

AUTHOR

CLARA E. RODRÍGUEZ

Professor, Fordham University, Dept. of Sociology and Anthropology, 113 W. 60 St., New York, NY 10023, États-Unis [[email protected]]

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Whiteness in Latin America: measurement and meaning in national censuses (1850-1950)

Mara Loveman

EDITOR'S NOTE

Manuscrit reçu en février 2009, accepté pour publication en septembre 2009

1 The explicit identification of « whiteness » as an object of study was a radical intervention in race scholarship in the United States, destabilizing the long tradition of identifying ethnic and racial studies with the study of ethnic and racial minorities and their problems. As part of the social constructivist re-reading of the history of race in America, the critical study of whiteness has rendered visible the fact that « white » – like other racial and ethnic categorical identifications – is a social and historical, rather than a natural kind of person to be. The objectification of whiteness denaturalized the previously unmarked reference group in studies of race, and fueled the explosion of « whiteness studies » across several different disciplines1.

2 Taken together, the varied contributions to whiteness studies scholarship have drawn attention to the many forms of invisible privilege that accrue to those seen as « white » in the United States. At the same time, this literature has made clear that the boundary of whiteness in the United States – that is, the social and symbolic line demarcating who is white from who is not – has changed over time. Despite its naturalization as fixed, impermeable, and enduring, the boundary that demarcates who is white has broadened in some moments and contracted in others, and it has been more or less permeable for distinct « kinds » of individuals who have aspired to cross it. 3 While the cascade of scholarship on whiteness in the United States continues to grow2, the pivotal notion that the category « white » is defined socially and historically has arguably made much less of a splash in scholarship on race in Latin America. Indeed, there does not appear to be an analog in Latin Americanist scholarship to the

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interdisciplinary field of « whiteness studies » that has coalesced in the United States. No doubt this owes largely to the very different histories of racial division and resistance in the US and the individual countries of Latin America, differences that are refracted, to varying degrees, in the production of scholarship on race and ethnicity in each context. But perhaps it is also because what appeared in the United States as a radical and destabilizing analytical move, in the Latin American contexts comes as a somewhat peculiar version of rather old news. The idea of whiteness as an achieved social status – that individuals, families, even entire communities may move across racial boundaries to become white – was a central focus of scholarship on race in Latin America long before the recent surge of whiteness studies in the United States. 4 The topic of whiteness has certainly not been ignored in scholarship on race in Latin America. Yet it has rarely been the principal focus of investigation either. Studies of whiteness in the US suggest that making the « white » racial category a central focus of analysis, placing it directly beneath the objectifying lens, may yield new insights into the social production and reproduction of racial hierarchy. Sustained attention to how the category « white » is defined and deployed in particular contexts can help to illuminate how, exactly, race becomes naturalized. Precisely because « white » is so often the reference category in discussions of racial dynamics (in daily practice as in scholarship), problematizing the taken-for-grantedness of « whiteness » may advance understanding of how racial categories work to make social differences appear to be natural differences. 5 While it may not make sense to simply transpose the entire « whiteness studies » agenda from the US to Latin America, some central concerns from this varied field of scholarship could prove to be productive lines of inquiry for advancing comparative understanding of racial dynamics in Latin America. There are by now a number of very rich anthropological, sociological, and historical accounts of the racial dynamics of individual Latin American countries during specific historical periods. Recent contributions have focused especially on the place of blackness and indigeneity in national constructions in the region3. Since racial and ethnic identities are constructed relationally, these studies contain within them a wealth of insights – sometimes implicit and sometimes explicit – into the meaning and social significance of whiteness in many parts of Latin America. Building from these recent contributions, and taking a cue from whiteness studies in the US, we might pose a number of comparative questions that specifically aim to unpack the social meaning of whiteness in Latin America in comparative and historical perspective. 6 Among the questions that might be posed by a critical study of whiteness in Latin America: How similar or different are understandings of « whiteness » across Latin America and within individual countries or localities over time? How were the boundaries of whiteness constructed historically in different parts of Latin America? What are the symbolic and material consequences of inclusion in the category « white » in different parts of the region at different points in time? What are the social penalties for exclusion from the white racial category in comparative-historical perspective? Who could aspire to inclusion, in which contexts, and at what cost? To what extent are there hierarchies within the « white » racial category in different Latin American contexts, and do intra-white distinctions (e.g., based on nationality or religion) affect how the boundary between « Whites » and « non-Whites » is conceived? In what ways do understandings of whiteness found in Latin America map onto understandings

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found in the US, and in what ways do they differ? Is « white » always the unmarked racial category in Latin America in the same way it is presumed to be in the United States? Of course, these questions do not exhaust the possible lines of inquiry into the social significance of whiteness in Latin America. Rather, they direct attention towards a promising new terrain for comparative research on the creation and maintenance of racialized social inequality in the Americas. 7 The present contribution does not pretend to encompass all of this vast terrain. The more modest aim of this article is to suggest the potential for comparative analysis of constructions of whiteness in the Americas through a close examination of the use of the category « white » across the entire region in one very specific context: national censuses. National censuses are usually used by researchers to glean information about the size, composition and characteristics of populations. But they can also be read as historical texts, as cultural and political products that provide clues to the tacit assumptions and ideologies that influenced their creators4. 8 Based on a critical review of every available national census conducted in Latin America from Independence to the present day, this article analyzes how tacit assumptions and explicit beliefs about the nature of race in general, and the nature of « whiteness » in particular, informed the production of statistical knowledge about the racial make-up of Latin American populations. The analysis focuses especially on national censuses conducted between 1850 and 1950 that included a direct « race » query on the census schedule (the rationale for this focus is discussed below). For all such censuses, I examined the format of questions, the instructions to enumerators, the presentation of racial statistics in official published results, and any accompanying narrative discussion or analyses. 9 Needless to say, there is much variation in the census schedules and statistical descriptions of populations contained in Latin American censuses in this period. Without ignoring important axes of variation, however, the central aim of the present analysis is to identify points of convergence in conceptions of « whiteness » that informed census-taking in the region. The reasons for this choice of emphasis are twofold. First, it is not possible within the space of a single article to fully describe, much less account for, the many differences in the production of racial statistics across all the countries of Latin America or the often nuanced changes in enumerative practices within individual countries over time5. Second, without forgetting that nomothetic aspirations typically come at an idiographic cost, it can be fruitful to momentarily bracket the exploration of historical differences to entertain the possibility of shared understandings, practices, or beliefs across the most varied circumstances. The identification of points of convergence in understandings of « race » across contexts, in turn, can bolster the analysis of racial meanings in specific cases, by serving as a point of reference against which historically contingent idiosyncrasies of racial thought and practice in disparate settings can be assessed. 10 Thus, the present analysis asks whether – or to what extent – national censuses in Latin America from 1850-1950 reveal shared assumptions about the meaning of « whiteness ». Analysis of original census documents and published results suggests that certain fundamental understandings about the nature, value, and boundaries of whiteness transcended nation-state borders. Without arguing that there was (or is) a single, unitary, « Latin American » understanding of whiteness, the analysis reveals that in certain key respects, tacit assumptions about the nature of whiteness appear

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quite similar in the national censuses of diverse Latin American countries. Further, implicit understandings of the nature, value, and boundaries of whiteness evident in the national censuses of Latin American countries bear much more resemblance to each other than to the understandings of whiteness that informed racial enumeration in the national censuses of the United States. 11 The analysis that follows examines conceptions of whiteness in Latin American censuses by comparing how census-takers across countries accomplished three basic tasks entailed in the production of official racial statistics in this period: 1) the identification of « Whites » in the population; 2) the presentation of statistical tables describing the results, and; 3) the projection of the racial composition of the population in the future. The analysis emphasizes points of convergence in the measure and meaning of « whiteness » in Latin American censuses, but also notes some points of divergence across distinct contexts in the Americas. Before proceeding to the analysis, I provide an overview of the set of texts upon which this study is based and comment briefly on the significance of national censuses in the history of state and nation- building in Latin America.

Racial classification in Latin American censuses

12 It may initially seem an odd choice to examine national censuses from nineteenth and early twentieth century Latin American for clues to tacit understandings about the meaning of the « white » racial category in the region. After all, at independence the Spanish American republics defined themselves in direct opposition to the legally inscribed ethnoracial hierarchy imposed by the Spanish colonial state. In their origins, the Latin American republics explicitly rejected – at least rhetorically – the practice of official racial classification. Nonetheless, the vast majority of Latin American republics (and monarchical Brazil) opted to classify their populations by « race » in at least one national census in the nineteenth or early twentieth century.

13 Figure 1 presents a synoptic view of the national censuses conducted by Latin American states from Independence to the present day. Cells shaded in light grey indicate that a country conducted (or attempted to conduct) a national census in that decade6. Cells shaded in grey indicate that a census in that decade included an explicit « race » or « color » query. Blank cells indicate that no census was conducted in that decade. A question mark indicates a census was reportedly taken in a given country and decade but I have not been able to consult original sources to verify the content of the census questionnaire.

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Fig. 1 – Race queries in Latin American censuses, 1810s-1960s Sources: Data is compiled from microflm and print copies of original census schedules, reports, and results; archival and secondary sources that reference specifc censuses; information available online at the offcial website of each country’s national statistics agency and information contained in Goyer and Domschke (1983) and Platt (1989). Information from non-primary materials was cross-checked with primary source material whenever possible. Notes: a) « Race question » indicates a query that used the term raza (raça) or color (côr) or asked « Is [the person]… » followed by a choice of racial categories; b) in ten cases, more than one national census was conducted in a given decade. In these cases, the cell is shaded if either census or both included a race question; c) clarifying notes about several individual cells in Figure 1 have been omitted due to space constraints.

14 From this large set of national censuses, the present article focuses especially on those conducted between 1850-1950, paying particular attention to censuses that included an explicit « race » query, or omitted such a query but nonetheless discussed racial statistics in published census results7. There are both practical and theoretical reasons for this delimited focus. Practically, it makes sense to start in the 1850s rather than immediately after Independence because so few Latin American countries attempted to conduct a modern national census in the first decades of the nineteenth century. There are reported attempts in a handful of countries, but with the exception of Chile in 1813 and 1835, very little is known about these early initiatives8. Between 1850 and 1950, every Latin American country took at least one national census and the majority asked directly about « race » or « color » at least once in this period. This broad temporal scope thus allows consideration of the full set of Latin American countries – those that started census-taking relatively early, and those that started later. By the 1960s, in turn, the majority of Latin American countries abandoned the use of direct « race » or « color » queries in national censuses9.

15 There are also strong historical and theoretical reasons for focusing on the second half of the nineteenth century and the first half of the twentieth. In 1850, the International Statistical Congress convened for the first time in Brussels and issued an influential recommendation that all modern states should take periodic national censuses of their populations. Thereafter, census-taking took on increased symbolic and political

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importance for modernizing states world-wide10. In Latin America, taking a national census became a symbolically potent way to substantiate claims to membership in the club of « modern, civilized nations ». 16 Written in the internationally prestigious language of statistics, and sanctioned by the combined authority of science and the state, censuses played featured roles in state and nation-building projects throughout Latin America11. From the latter half of the nineteenth century, national censuses came to be seen as indispensable instruments for assessing – and publicizing – the progress of modernizing Latin American nations. Of course, the precise timing and role of statistics agencies’ contributions to state and nation building varied across countries and within countries over time. But throughout the region, published volumes of census results were seen as indispensible evidence and instruments of modern statehood, providing scientifically « objective » renderings of the present and future « face of the nation »12. 17 In part, the political import of national censuses owed to their simultaneous domestic and international legibility. Both the narrative and statistical content of nineteenth and early twentieth-century census publications makes clear that their authors were oriented to domestic concerns and international ideological currents at the same time. With this dual audience in mind, census publications were carefully crafted as « scientific » portraits of the nation. 18 Using statistics as their principal medium, these national portraits helped to forge the tight linkage between ideas about « race » and ideas about modern nationhood in late nineteenth and early twentieth century Latin America. Indeed, Latin American census publications from 1850-1950 are exceptionally rich sites to investigate how the racial classification of populations was tied to nation-making projects in different parts of Latin America and in the region as a whole. As one small part of this larger theoretical agenda, the analysis that follows examines the conceptions of « whiteness » that informed the production of national statistical portraits in Latin America from 1850 to 1950. By exploring how tacit beliefs about the nature, value, and boundaries of whiteness shaped official statistical descriptions of national populations, the analysis highlights the role of censuses in yoking ideas of race and nation in Latin America, while also pointing to the potential for new lines of comparative research on the social significance of « whiteness » in the Americas.

The nature of whiteness: who is white?

19 Up until the mid-twentieth century, when a « race » query was included on a national census schedule it was standard practice for census enumerators to assign individuals’ racial classification. Self-identification only became the preferred method of enumeration after World War II; before that, enumerator ascription was almost always the official method for collection of racial data in censuses throughout the Americas13. In order to improve the quality and consistency of the data collected in this manner, census agencies often issued explicit instructions to enumerators describing how to fill in the official forms. These official instructions, together with the format of questions and the allowable responses, can be read as cultural artifacts. They provide clues to tacit assumptions about the nature of « race » as an object of statistical investigation14.

20 What do the official questions, categories, and instructions for racial classification in censuses reveal about official conceptions of whiteness in Latin America in this period?

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While the specific answer to this question varies by country, certain shared assumptions about the nature of race in general and the nature of whiteness in particular are evident from census schedules from across the region. In particular, there appears to be broad consensus in the tacit understanding of « race » as an objective individual trait discernible through simple sight, at least most of the time. There also seems to be a shared assumption that « whiteness » is even more self- evident than other self-evident racial types. Finally, there is suggestive evidence that « whiteness » is understood to be bound up with ideas of familial honor in many parts of the region. 21 The broadly shared assumption that « race » is a self-evident, objective property of individuals can be seen in the format of race queries in Latin American censuses. Queries about race on Latin American censuses before WWII generally took the form of one-word prompts rather than full questions. The word raza or color would appear on the census form, followed by a blank line. Some census schedules dispensed with any prompt whatsoever, leaving a simple blank to be filled in with one of a set of predetermined categories. The format of these queries suggests that « race » was not considered a matter of « identity » or of communal belonging, as it came be defined in the censuses of some countries of the Americas towards the end of the twentieth- century and beginning of the twenty-first. Rather, « race » was construed as an essential individual trait, as something a person just is. 22 Given this understanding of race, census enumerators were tasked with the job of reporting individuals’ race by selecting the « correct » racial category from a finite set of official options. The specific terminology and number of categories that enumerators could choose from varied across countries and often within countries over time. Typically, the set of categories included some combination of « white » (blanco), « black » (negro), « indian » (indio or indígena), and « mixed » (usually denoted with mestizo and/or mulato, but ladino, trigueño, pardo, and mezclado also appeared in some cases). Some censuses also included amarillo as an official category, though this category was sometimes omitted in the presentation of results15. The inclusion of an « other » option in many contexts signaled recognition that the official category set was not comprehensive of all « races » that might be identified in national populations, while also implying the state’s disinterest in the categorical identification of any « racial kinds » not already conceived as constitutive elements of the nation. 23 Notably, while there is considerable variation across countries and over time in the availability and terminology of categories to describe individuals of African, indigenous, « mixed » or « other » descent, there is almost no such variation with respect to the category « white ». With very few exceptions, every Latin American census that includes a direct « race » query lists « white » as an official option16. Among the exceptions are the 1880 Guatemalan census and the 1887 Honduran census, which employed the dichotomous category set ladino or indígena, and the 1950 Bolivian census, which simply recorded if individuals were indigenous or not (indígena or no indígena). These cases highlight a binary racial vision in some parts of Latin America, where the line dividing « Indians » from the rest of the population was elevated above other possible lines of differentiation. The narrative texts accompanying the published census results in these cases (discussed below) leave little doubt that the ladino or no indígena classification was strongly associated with whiteness – though a whiteness

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understood to hinge much more on distance from « indianness » than on notions of « purity of blood ». 24 From the perspective of those who wrote up instructions for census enumerators, the question of whom to count as « white » on the census was not treated as problematic. The same definitely cannot be said of other racial categories. While explicit instructions to enumerators for filling in the « race » field on census forms were not routine (testifying, again, to the presumed self-evidence of « race »), in the cases where enumerators were given written instructions for completing this task, there is not a single instance of clarification about whom to classify as « white »17. At most, enumerator instructions provided acceptable shorthand for reporting someone as « white » (e.g: « mark “b” for blanco »). While this was generally also true for the category « black » and, to a somewhat lesser extent, « Indian », it is noteworthy that the self-evidence of whiteness was apparently too self-evident to mention, while the self-evidence of blackness or indianness might warrant explicit comment. For instance, the instructions to enumerators for the 1921 Guatemalan census stated matter-of- factly: « The characteristic marks of each race are well defined… For example, an individual of the yellow or black race is not easily confused with an Indian » (Guatemala. Dirección general de estadística 1924). 25 When enumerator instructions for reporting race went beyond issues of notation, it was usually to address the challenge of classifying « mixed race » individuals. The enumerator instructions for the 1876 Peruvian census, for example, read: The column « Raza » has five subdivisions, the first for the white race, the second for the indian, the third for the black, the fourth for the mestiza, and the fifth for the asian. The first, second, third and fifth do not pose any difficulty whatsoever in the categorization of the individuals who belong to them. As for the mestiza race… it is to be understood that it includes all the mixtures [mezclas] without distinction (Perú. Dirección de estadística 1878, p. XXXIII). 26 The 1920 Panamanian census included « under the generic denomination of mestiza everything that is situated between one race and another, making use of the general understanding of the term » (Panamá. Dirección general del censo 1922, p. 18). The 1940 Brazilian census allowed enumerators to deal with « mixture » by filling in the blank with any term, then later aggregating all such open-ended responses into a catch-all mixed-race « pardo » category.

27 Enumerator instructions in Latin America reveal a concern with « accurate » classification of those of « mixed race », but the extent of this concern never approximated the classificatory obsession seen in enumerator instructions in United States censuses. In particular, there are no cases in Latin America where enumerators are explicitly cautioned to be wary of « misclassifying » those with any degree of « mixture » as « white ». In the 1870 and 1880 US censuses, enumerators were told to « Be particularly careful in reporting the class Mulatto. The word here is generic, and includes quadroons, octoroons, and all persons having any perceptible trace of African blood. Important scientific results depend on the correct determination of this class in schedules 1 and 2 »18. The explicit directives to US enumerators to be on the lookout for « traces » of « African blood » and the lack of such directives to enumerators anywhere in Latin America, suggests that ideas of « purity » figured much more centrally in the social definition of whiteness in the United States than in most of Latin America in this period19.

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28 Also in contrast to the instructions for racial classification in the US, in some Latin American countries enumerators were instructed to prioritize social etiquette and deference to familial honor over concerns about accuracy in racial classification of respondents. A striking illustration of the concern about injury to personal honor in simply asking about « race » is the 1876 Peruvian census, which included this note of caution to enumerators: No warning would be sufficient to impress on the Enumerators the delicacy with which they should proceed with this question, without ever allowing themselves to ask the person concerned directly and making the annotation in his presence without letting him see. Of course, when dealing with absent individuals or with inscriptions based on the declarations of third parties, asking about race is inevitable; but in such unavoidable cases, [the enumerator] should proceed with extreme tact, so much so that, even dealing with absentees, if possible the Enumerator, on most occasions, should avoid the question, whether because he knows the person or because, when speaking of the person his race is casually mentioned, or finally, by logical deduction that ancestors and descendents belong to the same race, as when he’s dealing with the son of Whites or the parents of someone who is white; in which case the question would be unnecessary and insulting [hiriente].20 29 That asking about absent family members of a white individual would be inherently insulting reveals how the notion of family honor was bound to the idea of whiteness. To avoid the « insult » of inquiring about « race », Latin American census takers were sometimes reminded to keep their racial classifications of the enumerated out of view, or to record individuals’ race « in a discrete manner », as it was put to enumerators in the 1921 Guatemalan census.

30 When the array of direct « race » queries that appeared in Latin American census schedules between 1850-1950 are examined side by side, it is immediately clear that there is considerable variation across countries and over time in the specific methods and categories used to racially classify their populations. Yet the comparison also suggests that underlying this variation, certain basic assumptions about the nature of « whiteness » were shared among census-takers across the region. The mechanics of racial ascription in Latin America’s censuses in this period suggest that at the level of the individual, « whiteness » was construed as an objective and observable personal trait. The self-evidence of « race » per se was understood to be especially self-evident in the case of « Whites ». And individual whiteness was strongly associated with notions of personal and familial honor. 31 Comparing the range of Latin American census « race » queries with those that have appeared in the censuses of the US, it is clear that for purposes of official racial classification, « whiteness » was defined more narrowly in the latter context than in the former. While in the US census, the « white » racial category was supposed to be restricted to individuals without « any trace » of « non-white » ancestry, in the censuses of Latin American countries the « white » category did not necessarily carry this implication. Without doubt, the « white » racial category was construed more narrowly in some Latin American censuses than in others. But in no instance was « whiteness » explicitly defined as restrictively as it was in the censuses of the United States.

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The value of whiteness: describing and inscribing racial hierarchy

32 While the queries and categories used to collect racial statistics in Latin American censuses reveal underlying assumptions about the nature of whiteness, the formal presentation of census results yields insight into unspoken beliefs about the value of whiteness. As noted above, published volumes of censuses results were crafted as statistical portraits of the nation. In order to craft these national portraits, the masses of data collected by enumerators had to be aggregated, ordered, and packaged into the tidy rows and columns that comprise descriptive statistical tables. Census results do not present themselves; they are deliberately organized in ways that may reveal implicit assumptions of their creators21. The particular ways Latin American census- makers presented racial statistics in the published volumes of national census results suggests a broadly shared consensus about the position of whiteness in the « natural order » of racial hierarchy.

33 Among the Latin American census publications that present statistics describing the racial composition of the population, there is almost complete uniformity in listing the number of « Whites » first, regardless of the numerical distribution of the population among racial categories. That this presentational choice seemed « obvious » speaks to the successful naturalization of the idea that the category « white » belongs at the top of any racial hierarchy. Of course, in the broader public spheres of individual Latin American countries this notion was openly contested at several moments across this period. In the first decades of the twentieth century, in particular, intellectuals, political elites and social critics developed elaborate and nuanced arguments about the relative merits and deficits of different « races » and their potential contribution to national development22. « Whites » were not left out of these debates. There were often disagreements about the relative worth of different « kinds » of « whites », disagreements that were analogous (though not identical) to those documented in historical scholarship on whiteness in the United States. But despite the contested and complicated ideological terrain in which individual census volumes were produced, when it came time to draw the tables reporting numerical results, the near universal tacit consensus was that « whites » should be listed first23. 34 The most notable exception to this ordering trend proves the rule. In the 1921 Mexican census, the first after the Revolution of 1910, in the summary table titled « Razas », raza indígena is listed first, followed by raza mezclada, raza blanca, « all other races or unknown », and « foreigners, without distinction by race » (México. Departamento de la estadística nacional 1928, p. 62). The Mexican Revolution, of course, extolled the indigenous past and constructed the ideological foundations for the construction of the Mexican raza cósmica; it was also virulently anti-imperialist and anti-colonialist, seeking to construct a new Mexican nationalism symbolically rooted in the glories of the indigenous past. The inversion of the « natural » order of racial categories was clearly a political act by those who produced the official statistics. And yet this deliberate disruption of the expected order of racial categories in the 1921 Mexican census serves to confirm the general rule, underscoring the extent to which the prioritization of « whiteness » is taken for granted in the presentation of racial statistics across most of the region.

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35 Notably, the privileging of whiteness sometimes comes across in the presentation of census results even in censuses that did not include a direct « race » query on the census schedule. To take one instance, Argentina’s 1912 census of its territories included the query: « To what nation does the individual belong? ». The nominal categories included in summary tables of the population by nationality included only the names of recognized countries, thus ruling out official statistical recognition of Argentina’s remaining indigenous peoples. Further, the nominal list of nationalities displayed in presenting the results was restricted to those countries that fell under the meta-categories « Europeans » and « Americans ». From data on nationality, thus circumscribed, the report on the 1912 census of territories constructed a description of the racial composition of the Argentine population. The twenty-five « European » and « American » nationality categories that appeared in the 1912 census report were lumped into groups of five razas. These included: 1) the « Latin race », which was subdivided into « Argentines », « Spanish-speaking Americans », and « Latinos of other languages »; 2) the « German race »; 3) the « Anglo-saxon race »; 4) the « Slavic race »; and 5) the « Scandinavian race » (Argentina. Dirección general de territorios nacionales 1914, p. 26). 36 This particular strategy of deriving racial categories from European and American nationality categories effectively ruled out the statistical registering of non-European racial types in the Argentine population. Indeed, the text that accompanied the table admitted as much: « In speaking of races we do so taking into account the population nominally enumerated, omitting the indígena » (Argentina. Dirección general… 1914, p. 26). The fact that African-descent individuals were also omitted is not even explicitly mentioned (see Andrews 1980). This method of presenting racial statistics departed from the assumption that Argentina was always-already white. The statistical table conceded racial diversity within the nation, but a racial diversity that was nonetheless entirely « white ». The approach to presenting racial statistics in Argentina exemplifies how the categories used to display numerical data could render invisible entire segments of the population and, in so doing, (re)inscribe the conceptual pairing of the category « white » with the category « nation »24. 37 The decisions made in the presentation of official racial statistics in Latin American census reports from this period display a near consensual privileging of the « white » racial category. In this specific respect, the display of racial statistics in Latin American censuses also converges with the default privileging of the « white » category in statistical tables of census reports in the United States. At the same time, the organization of statistical tables reveals divergence across the region and over time in the conceptualization of the specific relationship between the category « white » and other racial categories, and between the category « white » and the nation as a whole. This variation in understandings of the boundaries of whiteness in relation to the nation is amplified in the narrative discussions that accompanied statistical tables in published census reports.

The boundaries of whiteness: projecting a whiter future

38 In addition to pages and pages of statistical tables, published volumes of census results frequently contain carefully composed narrative analyses of the demographic « facts »

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made visible by the census. The analyses of racial statistics in these reports tend to focus heavily on the significance of demographic trends for the future racial composition of the nation. The demographic projections made in Latin American census reports reveal a shared understanding of the principal demographic processes fueling change in the racial composition of populations. Across the region, census reports pointed to the roles of differential fertility and mortality, immigration, and miscegenation in moving populations in a whiter direction.

39 Significantly, however, concurrence about the principal demographic mechanisms and direction of racial change led to different projected outcomes from the unfolding of demographic processes. In some countries, demographic trends were said to have already forged a homogenous « white » nation; in others, a « whitened » nation was projected in the future. In still others, it was predicted that the population would fuse into a homogenous « mixed » type; on the whole, such mestizo nations would be whiter than present populations, but they would never be just « white ». Among other things, these different projections reflected the historically specific ways that perceived demographic realities of « race » were refracted through distinct conjunctures of ideological, political and social struggle over the boundaries of citizenship and nationhood. 40 When census reports drew attention to racial differences in rates of fertility or mortality, it was inevitably to note the quicker pace of « natural » increase among « Whites ». In Bolivia, for instance, the author of « A statistical sketch of Bolivia » concluded his discussion of « the races and their relations » with the presentation of comparative data on the rates of reproduction of « Whites » and Indios. Presenting numbers that purported to show that more « White » children were being born than indio children, the author concluded with an air of relief « that the White is multiplying more than the other » (Delance 1975 [1851], p. 205). In another example, the report on the 1920 Brazilian census presented tables of birth and death rates broken down by « race » to illustrate the higher growth rate of the « white » population. The report underlined the significance of these statistics: « In this work of aryanization of our people there are more energetic collaborators than the immigration of white races from Europe… there are natural and social selection, which accelerate extraordinarily among us the rapidity of the process of reduction of the ethnically inferior elements » (Brazil. Directoria geral de estatística 1922, p. 337). 41 A striking example of an explanation of « white » growth as a share of total population stemming from « natural selection » is found in the 1898 Cuban census. Taken immediately after US military occupation of Cuba, the published census report (which appeared in English) was composed by officers of the US War Department and clearly oriented to a North American audience. In reference to a table reporting a decline in the « colored » share of the Cuban population in the second half of the nineteenth century, the report noted: Their diminution relative to the Whites, during the last half century, is doubtless but another illustration of the inability of an inferior race to hold its own in competition with a superior one, a truth which is being demonstrated on a much larger scale in the United States. (United States. War department… 1900, p. 97) 42 Unlike the other cases considered, this census reflected the imperialist and racist gaze of the US War Department. Notably, the « survival of the fittest » imagery in the Cuban census, which suggests explicit (and fatal) competition between « the races », contrasts

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with the image of more inadvertent and « pacific » processes of biological and social selection highlighted in the censuses of other Latin American countries. Nonetheless, the underlying notion that selective processes resulted in higher rates of « natural » growth for « Whites » was shared.

43 The white share of the population was also said to be growing in several Latin American countries due to European immigration. (The influx of non-European immigrants of various kinds, on the other hand, was rarely a focus of discussion.) European immigration as a mechanism of demographic change was emphasized in Brazilian census reports between 1890 and 1920. Following a table that displayed the absolute numbers of Europeans of different nationalities who entered into various Brazilian ports between 1908 and 1920, it was noted: « This admirable immigratory movement not only contributes to the rapid augmentation of the coefficient of the pure Aryan mass in our country; additionally, by crossing and re-crossing with the mestiça population, it contributes with equal rapidity to raising the Aryan element of our blood » (Brazil. Directoria geral de estatística 1922, p. 337). 44 Even in countries with a poor record attracting European immigrants, census reports might note the potential of such immigration to fuel racial-demographic change. The introduction to the 1893 Guatemalan census suggested, for example, that the « shadow » cast over Guatemalan development by the « indifference » and « passive attitudes » of the indigenous numerical majority could be counteracted [neutralizado], in part, « by European and North American immigrants, who were energetic and hardworking, if not as numerous as would be ideal ». In addition to their cultural and economic contributions to the vitality of the nation, immigrants would help to improve the « quality » [calidad] of the national population through their « contribution to national robustness » (Guatemala. Dirección general de estadística 1894, pp. 14-15). 45 European immigration – whether actual or potential – was described in many census reports as a means to augment the « white » share of national populations. European immigrants were seen to bode well for the whitening of national populations not only through the additive effect of a net inflow of « Whites » into the population, but also through an integrative effect, by « combining » with the native-born population. This points to a third demographic process identified in census reports as an engine of racial demographic change: miscegenation, or mestizaje. 46 In a wide array of contexts, mestizaje was reported to contribute to the overall whitening of the population through the assimilation (disappearance) of indígenas or negros. The fact that « mixture » also entailed reducing the relative number of « Whites », on the other hand, was not usually mentioned. This bias in emphasis in Latin American census reports reflects the fact that despite its semantic neutrality, mestizaje was typically construed as a socio-demographic process that moved populations in a whiter direction. In principle, and in its most idealized formulations, mestizaje implies a neutral fusion of distinct « kinds » into a unique new « kind » that is better than the sum of its parts. Historically and in practice, however, mestizaje – as a socio-demographic process and as official ideological trope – has tended to privilege and promote the « white » component of the mix25. 47 In a few cases, mestizaje was explicitly described as a demographic process that would eventually yield a whitened population. The 1920 Brazilian census, cited above, is the most blatant example of this view. The idea that racial mixture was whitening Brazil’s population flipped the « hypodescent rule » that was institutionalized in law

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throughout most US states in this period on its head. In Brazil, when « Whites » mixed with « non-Whites », the result was not the pollution and degeneration of whiteness, but the improvement, regeneraton, and eventual dissipation of non-whiteness. 48 Mestizaje was more often construed in census reports to be moving the aggregate population in a whiter direction, but not necessarily towards a thoroughly whitened population in the future. Even in countries and at historical moments when it was celebrated as constitutive of nationality, mestizaje was usually described in census reports as a process that pulled the population irreversibly away from the categories « black » and « indian », whether culturally, biologically, or simply numerically. In many Latin American census publications – including cases where the census did not collect data that could speak to the question – mestizaje was credited with the decline in number of indigenous peoples within the national territory. Venezuelan national censuses, for example, reported rough estimates of the indigenous population that purported to demonstrate their rapid blending into the general population (Venezuela. Dirección general de estadística 1938). The introduction to the 1893 Guatemalan census, to take another example, affirmed that two-thirds of the national population was indígena, « but in some districts, and especially near the centers of the white population, the [indígena] race has suffered declines as a consequence of mixing [cruzamento] in various degrees » (Guatemala. Dirección general de estadística 1894, p. 15). Similarly, in Argentina, the report of an estimated total of 58,979 indígenas in the Argentine territories was immediately qualified with the claim that although the numbers were not diminishing « with the rapidity that was believed », the indígenas « become mixed [se mestizan], become civilized, and become diluted in the general mass of the population » (Argentina. Dirección general… 1914, p. 34). 49 Commentaries in official census reports often cheered the projected disappearance of indígenas as a distinctive element in the national population, even as they celebrated the contribution of indigenous groups to defining the essence of the nation. In the 1900 Bolivian census, to take one example, the observation that the diverse « indigenous races » of Bolivia were destined to disappear was followed by the claim that each of them had « contributed to stamping (imprimir) the peculiar character of the nationality that has formed within the limits that today constitute the Republic of Bolivia » (Bolivia. Oficina nacional… 1973, p. 25). Notably, this same census reported that indígenas made up the majority (50.91%) of the population 26. The raza mestiza was the next largest group27. Nonetheless, the census report assured readers that the numerical minority of « whites » remained firmly in control of the country: « the White race, descendent of the Spanish, whose most illustrious names are found here in profusion, is the smallest in number but has retained over all the others the supremacy [the white race] obtains in all places… » (Bolivia. Oficina nacional… [1973] 1902, p. 30). 50 While the 1900 Bolivian census maintained a clear divide between « Whites » and mestizos, in other contexts, mestizaje was understood to blur the distinction between these two categories, while leaving the line demarcating « Indian » from everyone else intact. In one example, the 1940 Peruvian census reported a major shift in the racial composition of the population between 1876 and 1940 using a bar graph that combined the « white » and « mestizo » totals in a single bar labeled blanca y mestiza. The growth of the blanca y mestiza population over time was measured against the diminishing size of the population categorized as india. The lumping of blanca y mestiza to report the trajectory of racial demographic change implied the fuzziness – even irrelevance – of

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the boundary between them, while their combined juxtaposition to the category india made clear that the result of mestizaje is an approximation towards whiteness. 51 In another example, the 1893 Guatemalan census report explained that the category ladino referred to the combination of « Whites » and « the mixture of the European with the indígena ». Treating them together made sense, the report continued, because « the mixture of the European with the indigenous race has not produced either facultative decrease nor intellectual or moral debilitation » (Guatemala. Dirección… 1894, p. 14). At the same time that the boundary between « white » and mestizo was downplayed through use of the category ladino in the narrative analysis, the boundary between ladino and indígena was maintained stark and clear – though by no means impassable. Guatemala was portrayed as a dual society, composed of two « races » – ladinos and indígenas – that did not « move to the same compass » (Guatemala. Dirección… 1894, p. 15)28. The differences between them were not, however, « organic »: « The Indians who enter into any type of immediate relations with the families or services of the active society, quickly develop an amount of energy disproportionate to what you would presume from a glance at the race as a whole, and this phenomenon is especially noticeable among the Indian women ». Through both sexual and social contact, the boundary between indígenas and ladinos could be easily crossed, though only in one direction. 52 In most cases where mestizaje was highlighted as a mechanism of racial change, it was construed as one demographic process among others moving the aggregate population in a whiter direction. Mestizaje « explained » the shrinking numbers of « Blacks » and « Indians », while simultaneously documenting the particular blend of human types that made up the « not exactly white… or almost white » national mestizo type (Martínez-Echazábal 1998, p. 34). Once again, the 1921 Mexican census stands out as an exception that proves the rule. In contrast to the more common tendency to conceive mestizaje as means of collective approximation towards whiteness, the 1921 Mexican census emphasized mixed-ness as an end point in itself. In this version of mestizaje, the distance between mestizo and indígena was symbolically shorter than the distance between mestizo and « white ». Matter-of-factly, the census reported that the majority of the Mexican population corresponded to the raza mezclada, followed by the raza indígena and then the raza blanca. The blunt reporting of absolute numbers of each « race » was followed by a lengthy discussion of the various indigenous languages and archaeological treasures to be found in different parts of Mexico. The statistical description of a predominantly mestizo present population was thus followed by the narrative evocation of the glorified indigenous past upon which modern Mexican mestizo national identity was constructed (México. Departamento de la estadística nacional 1928, pp. 51-53). 53 Stepping back, it becomes clear that discussions of racial demographic trends in Latin American censuses in this period hinge on two distinct, even contradictory, conceptions of the character of the boundaries of whiteness. On the one hand, analyses of differential fertility, mortality, and immigration as sources of growth in the relative size of the « white » population belie a vision of racial boundaries as solid, stable, enduring29. Change in the racial composition of the nation is envisioned to occur through additive increase in the number of « Whites » relative to other racial categories, while the boundaries between categories remain the same. On the other hand, analyses of mestizaje as fueling racial demographic change tend to imply a vision

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of the boundary of whiteness as more porous, malleable, even dissolvable in some cases. Aggregate shifts in the population in the direction of whiteness take place through integrative increase in the share of the population that is neither « black » nor « Indian ». Rarely, censuses depict mestizaje as a demographic process that blurs all racial boundaries with equanimity, resulting in population projections that tack directly in between the constituents parts to the racial mix. More often, censuses show mestizaje to blur the boundary between « white » and mestizo while leaving other boundaries intact, resulting in population projections that gravitate towards a whiter – if never fully whitened – future.

Discussion and conclusion

54 The survey of efforts to classify and quantify « whiteness » in Latin America’s national censuses from 1850-1950 makes clear that there is significant variation across the region and over time in the nuances of racial thought that informed the production of racial statistics. Indeed, on one level, this analysis confirms the truism that it is always hazardous to venture generalizations about « race » in Latin America as if Latin America were a single monolithic and coherent unit. Clearly, to properly understand and explain the specific content and socio-political significance of any of the individual census volumes considered here requires rigorous historical analysis of the scientific, political, and cultural contexts of production, reception, and dissemination. The broad comparative perspective adopted in this article is no substitute for deep historical research on individual cases.

55 Yet the sharply focused but wide-angle analytical lens deployed in this essay productively complements such idiographic research. The broad comparative analysis of the meaning and measure of « whiteness » in Latin American censuses illuminates several fundamental points of convergence in the racial understandings that informed the production of statistical portraits of Latin American nations in this period. Taking stock of these points of convergence enriches existing and future idiographic research, by bringing into focus the specificities of individual cases that are most surprising – and thus sociologically interesting – in comparative and historical perspective. Taking stock of shared assumptions about the meaning of whiteness in Latin American census production also illuminates key contrasts – but also significant similarities – to the meaning of whiteness in censuses in the United States. Consideration of the similarities with the United States, in particular, suggests the potential for development of a Latin American analog to parts of the intellectual agenda charted by « whiteness studies » in the United States. 56 The comparative review of the production of racial statistics in Latin American censuses brings to light certain fundamental commonalities in tacit assumptions about the nature, value and boundaries of whiteness. With regard to understandings of the nature of whiteness, the analysis revealed that those who crafted census questionnaires presumed that enumerators did not need guidance to identify « Whites » in the population. Whiteness was treated as if it were completely self-evident, a property of individuals that could easily be read by enumerators from bodily and, in some cases, societal cues. With regard to assumptions about the value of whiteness, analysis of statistical tables revealed a near universal consensus that « white » belongs first among racial « kinds ». With regard to conceptions of the boundaries of whiteness, analysis of

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demographic explanations for shifts in the racial composition of populations revealed that almost all countries in this period pronounced, projected or aspired to collective demographic movement in a whiter direction. 57 Analysis of the measure and meaning of whiteness in Latin American censuses also revealed that multiple and sometimes contradictory understandings of whiteness coexisted within individual census volumes, with no apparent tension. As noted above, accounts of racial demographic shifts fueled by « natural » increase, immigration, and mestizaje implied simultaneous acceptance of two very different conceptions of the character of white racial boundaries. In addition, while at the individual level whiteness was treated as self-evident and stable, an enduring characteristics of particular human beings, at the collective level, whiteness was construed as variable, a malleable and (in some versions) achievable trait of national populations. While perhaps not surprising, the easy coexistence of alternative conceptions of whiteness within individual Latin American census volumes underscores the complexity – and slipperiness – of racial categories, both as they are used in practice, and as objects of social scientific analysis. 58 Cross-cutting the historical particularities of individual cases, certain fundamental understandings of « whiteness » pervade the production of racial statistics in Latin American censuses in this period: whiteness is obvious, whiteness is privileged, and whiteness is desired. Notwithstanding the myriad ways this generalization would be specified as applied to any particular case, there is a broad « family resemblance » across the region in the key tacit assumptions about the nature of whiteness that inform the production of racial statistics in national censuses. 59 The « family resemblance » in tacit understandings of whiteness that informed statistical production in Latin America appears more starkly when the scope of analysis is extended to include the United States. In addition to the specific points of contrast specified above, the treatment of whiteness in US and Latin American censuses diverges sharply in one respect in particular. The conception of whiteness as a collective trait that could be demographically approximated or achieved – a conception found in different variants in census volumes throughout much of Latin America – ran counter to the dominant notion of whiteness operationalized in the censuses of the United States. In the US Census in this period, whiteness was not a collective status to achieve, but a national trait to preserve. Demographic trends like immigration and miscegenation that were hailed in many Latin American censuses as contributions to national (qua racial) progress, appeared in US censuses as threats to the national racial order. 60 Yet perhaps in a more fundamental respect, tacit beliefs about whiteness contained in US and Latin American censuses are very much alike. As in almost all Latin American censuses in this period, in US censuses the « white » racial category always came first. It was listed first in enumerator instruction and questionnaires, in statistical tables reporting results, and in narrative lists of racial categories. The place of « white » in the « natural order » of racial categories was too obvious to be questioned. Ideologically organized statistical tables that inscribed a preference for whiteness were presented and, we might reasonably assume, read as neutral descriptions of numerical facts. 61 Of course it is precisely the invisibility of the preference for whiteness – exemplified in the seeming naturalness of placing the « white » category first in tables of racial statistics – that helped to inspire and is directly challenged by much whiteness studies

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scholarship in the United States. In recent years, especially, this scholarship has been less concerned with documenting the open and explicit history of racial exclusion and violence in America, and more concerned with understanding the dimensions of white racial privilege and domination that are not generally perceived as such. To date, scholarship on race in Latin America has paid more attention to the former type of dynamics than to the latter. 62 Here is where the identification of a shared understanding of the « natural order » of racial categories in censuses from across the Americas generates a promising new avenue of research for students of Latin America. As in the US, the analysis of explicit discourses, practices, and experiences of racial marginalization in Latin America would be advanced through simultaneous analysis of socially invisible forms of racial preference, privilege and domination. By objectifying « whiteness », making tacit assumptions explicit, naming the « obvious », and identifying racial privileges that are not recognized (by those who enjoy them) as such, research on the social significance of whiteness in Latin America might help to denaturalize the hierarchical order that today still remains « the natural order of things » throughout so much of the region. 63 Acknowledgments: This article was originally prepared for the conference « Des catégories et de leurs usages dans la construction sociale d’un groupe de référence: “race”, “ethnie” et “communauté” aux Amériques », held at the EHESS, Paris, 13-14 December, 2006. I am very grateful to the conference organizers, Véronique Boyer and Sara Le Menestrel, for the invitation to participate, and to the other conference attendees for the stimulating exchange of ideas. I also wish to thank Jim Cohen and Carmen Salazar-Soler for their thoughtful written comments to the original conference paper, and Peter Kolchin, Daniel Sabbagh, Charles Hale, Peter Wade, Peter Fry, and Juan Carlos Garavaglia for their constructive questions and critiques. Thanks are also due to the anonymous reviewers for the Journal de la Société des Américanistes for their thoughtful suggestions for improving the essay. Research for this article was supported in part by a grant from the Graduate School at the University of Wisconsin, Madison.

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NOTES

1. Foundational works include Roediger (1991; 2005), Dominguez (1994), Ignatiev (1995), Jacobson (1999). For critical review of contributions to literature on whiteness in the United States, see Bonnett (1998), Kolchin (2002), Guglielmo (2003). 2. See Kolchin (2009) for a review of recent contributions. 3. Space constraints do not permit a full listing of the many notable contributions to this literature. Important works include Wade (1993), Skidmore (1993), Mallon (1995), de la Fuente (2001), Andrews (2004), Larson (2004), and the collection of essays compiled by Appelbaum et al. (2003). 4. For more on this approach to the analysis of censuses, see, inter alia, Hirschman (1987), Patriarca (1996), Kertzer and Arel (2002), Otero (2006). 5. To explain changes in census questions and categories within countries over time requires a deep engagement with the historiography to understand how developments in the political, scientific, and cultural fields shaped census-taking practices. I have attempted such an analysis of the Brazilian case elsewhere (Loveman 2009). 6. Many of the nineteenth-century censuses reported in Figure 1 – and some early-twentieth century censuses as well – have been disavowed by contemporary national statistics agencies as unreliable and incomplete. But the technical and procedural shortcomings of early censuses do not hinder their analysis as political and cultural artifacts. For a few of the early nineteenth- century cases, there are documented reports of a national census but little information beyond that. These cases require additional research. 7. Note that census queries related to cultural characteristics, such as language used in the home, dietary choices, or clothing, are not reported in Figure 1. Such queries are directly relevant to understanding how Latin American statistics agencies conceive (and construct) lines of « difference » within their respective populations, a larger project which I tackle in another

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context. The more narrowly circumscribed focus of the present analysis, however, is the subset of Latin American censuses that attempt to directly discern the « race » or « color » of individuals in the population. 8. Chile’s early census efforts are analyzed in Jaramillo (2004). Provincial and local level enumerations took place in several Latin American countries during these decades, but for most countries, the aspiration to conduct a national census did not bear fruit until the second part of the nineteenth century or beginning of the twentieth. 9. Most countries dropped direct race queries from census questionnaires for a combination of pragmatic, political and international reasons (see Loveman 2001, pp. 332-334). 10. On the institutionalization and international diffusion of modern census-taking, see Ventresca (1995). 11. There is a growing body of research on the connections between census-taking and state and nation-building in individual Latin American countries. See Clark (1998), Botelho (1998), Jaramillo (2004), Otero (2006), Raga (2008). 12. In addition to translation of census publications into French (the nineteenth-century language of international diplomacy), standardized methods, form, and presentation of results all contributed to the international legibility of census publications. 13. In practice, of course, enumerators may have allowed household heads or others to fill out their own forms in some contexts. But officially, the enumerator was supposed to assign each individual to the « correct » racial category. 14. Of the 190 national censuses included in my review, I was able to obtain a copy of the original census schedule for 115. Of those with a direct race or color question prior to WWII, 56 include some kind of written instructions to enumerators pertaining to the race query. 15. Conversely, in a few instances tables reporting census results at the provincial level report the number of amarillo individuals even though amarillo was not an allowable category according to official enumerator instructions. Such discrepancies speak to the disjuncture between official visions of the relevant racial kinds that make up the nation and the much broader array of ethnoracial distinctions informing social interactions in daily life. 16. This claim is based on analysis of the subset of 50 censuses for which I was able to consult the original census schedule for the official categories used by enumerators. Of these there are four cases where a « white » category was not included in the official category set: Guatemala 1880; Honduras 1887; Bolivia 1950, and Colombia 2005 (the latter case corresponds to a different historical moment in the history of racial enumeration in Latin America, see Loveman 2001, p. 336). 17. In this respect, instructions for racial classification on Latin American censuses mirrored those in the United States, where clarification for how to identify « Whites » is also conspicuously absent from enumerator instructions (Nobles 2000, pp. 187-190). 18. The « mulatto » category was eliminated from the US census in 1900. It returned in 1910 and 1920, but in 1930 « Negro » became an all-encompassing category for individuals showing any trace of African ancestry. On race classification in the US census, see Lee (1993), Goldberg (1997), Anderson and Fienberg (2000), Nobles (2000), Schor (2009). The exclusion of a « mixed race » category of any sort for most of the twentieth century in US censuses stands in marked contrast to racial classification practices in Latin America during the same period. 19. This is not to deny that ideas of « blood purity » informed – and continue to inform – ideas about race in the social thought and practices of some sectors of Latin American societies. The point here is that the weight placed on « purity » as a criteria for eligibility in the « white » census category was much greater in the US. 20. This cautionary tone was reiterated in the instructions to enumerators for the 1940 Peruvian census. The instructions read: « Is [the individual] white, indian, black, yellow or mestizo? – It is not necessary to ask this question when the individual is seen; the Enumerator will record the

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data according to his personal judgement. Persons without a defined race such as white, indian, black or yellow will be reported as mestiza » (Perú. Dirección de estadística 1944, p. 598). 21. See Goldstein (2000), Zerubavel (1996), Hirschman (1987), Monmonier (1991), Starr (1987). 22. From the large and still growing literature on this topic, see especially Graham (1990), Helg (1990), Stepan (1991), Skidmore (1993), Martínez-Echazábal (1998), Wade (1993), Lesser (1995; 1999). 23. The dividing lines within the « white » category were often understood to be racial lines, as well as national and religious. See Kolchin (2002); Guglielmo (2003). On debates over the merits of different kinds of « whites » in Latin America, see especially Lesser (1995; 1999); Skidmore (1993). 24. On ideas of race, nation and the census in Argentina, see Otero (2006), Andrews (1980), Gootenberg (1993). 25. On the subordinate position of blackness and indianness in national ideologies of mestizaje, see especially Martínez-Echazábel (1988). This racial hierarchy-within-mixture is sometimes inverted, especially in performative spaces (Wade 1993). But such moments of inversion testify to the naturalized racial hierarchy within « mestizaje » that prevails more broadly. 26. The numerical majority of indígenas might help account for the pages devoted to describing the virtuous characteristics of the various pueblos, branches [ramas], and « nations » of Bolivia’s indigenous peoples – only 9% of whom, according to the census, still lived « in a state of barbarism » (Bolivia. Oficina nacional… 1973, p. 28). 27. The census text further explained that the mestizo, known as cholos in Bolivia, exhibited the character of the Spanish and indigenous races from which it emerged, « even though their features and color are closer to those of the indian » (Bolivia. Oficina nacional… 1973, p. 30). 28. The text also notes a few other marginal « types » in passing, including the « not very perceptible group of mixed indígena and negro, that of blanco and negro, and the successions of these two ». 29. On the essentialist assumptions embedded in conventional methods for projecting racial populations forward, see Hirschman (2002).

ABSTRACTS

Whiteness in Latin America: measurement and meaning in national censuses (1850-1950). Drawing on an analysis of all national censuses conducted in Latin America from 1850 to 1950, this article examines how tacit assumptions about the nature of « whiteness » informed the production of statistical knowledge about Latin American populations. For insight into implicit racial beliefs that shaped census-taking in this period, the article considers how census agents accomplished three basic tasks: 1) identifying the « race » of individuals in the population; 2) preparing statistical tables to publicize census results; and, 3) projecting the racial composition of national populations in the future. The analysis identifies variation in notions of « whiteness » across the region, but also points to a set of broadly shared premises about the nature, value, and boundaries of whiteness that transcended nation-state boundaries in this period. Fundamental similarities in ideas about whiteness found in Latin American censuses appear even more starkly when the scope of analysis expands to include the censuses of the United States.

Les Blancs en Amérique latine : mesure et signification dans les recensements nationaux (1850-1950). Fondé sur l’analyse de tous les recensements nationaux effectués en Amérique latine

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entre 1850 et 1950, le présent article examine la façon dont certains paradigmes tacites sur la « blancheur » ont modelé la production de connaissances statistiques sur les populations latino- américaines. Afin de clarifier les croyances raciales implicites qui se sont exprimées dans ces recensements, l’article distingue trois opérations de base effectuées par les agents du recensement : 1) identifier la « race » de chaque individu; 2) préparer des tableaux statistiques pour la publication des résultats; 3) projeter la future composition raciale de la population nationale. L’analyse identifie des variations dans la notion de « Blanc » à travers la région, mais révèle aussi une série de paradigmes largement partagés sur la nature, la valeur et les limites de ce qu’est un Blanc, qui traversait les frontières nationales de l’époque. La recherche conclut que les similitudes régionales en Amérique latine sur la signification de la « blancheur » sont encore plus remarquables quand on les compare avec les paradigmes implicites et explicites sur la « blancheur » dans les recensements des États-Unis pendant la même période.

La blancura en América Latina: medición y sentido en los censos nacionales (1850-1950). A partir del análisis de todos los censos nacionales realizados en América Latina entre 1850 y 1950, este artículo examina cómo las premisas tácitas sobre la « blancura » formaron parte de la producción del saber estadístico sobre las poblaciones latinoamericanas. Con el fin de esclarecer las creencias raciales implícitas que se plasmaron en los censos de este período, el artículo distingue tres funciones básicas realizadas por los agentes del censo: 1) identificar la « raza » de cada individuo; 2) preparar cuadros estadísticos para publicar los resultados; 3) proyectar la composición racial futura de la población nacional. El análisis identifica variaciones en las nociones de la « blancura » a través de la región, pero también establece un conjunto de premisas ampliamente compartidas sobre la naturaleza, el valor, y los deslindes de la « blancura », que sobrepasaban las fronteras nacionales de esa época. Estas premisas compartidas son aún más notables cuando se comparan con las premisas implícitas y explícitas sobre la « blancura » que informaban los censos de los Estados Unidos de América durante el mismo período.

INDEX

Subjects: Sociologie, Anthropologie Geographical index: Amérique latine, États-Unis, Blancs/Métis Keywords: census, ethnicity, race, social construction of race Palabras claves: etnicidad, censo, construcción social de las razas, raza Mots-clés: ethnicité, classifications, race, recensement

AUTHOR

MARA LOVEMAN

Associate professor of sociology, University of Wisconsin, 8128 William H. Sewell Social Science Building, 1180 Observatory Drive, Madison WI 53706-1393 [[email protected]]

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Raciser la société : un projet administratif pour une société domingoise complexe (1760-1791)

Dominique Rogers

NOTE DE L’ÉDITEUR

Manuscrit reçu en juin 2008, accepté pour publication en juin 2009

1 Il suffit d’avoir vécu aux Antilles quelques mois, parfois seulement quelques semaines, pour percevoir l’importance que les populations locales accordent à la couleur des individus. Jean-Luc Bonniol (2001, p. 12) a parlé à ce propos de « société marquée par la prévalence d’une identité de couleur ». Alors que les travaux sur l’hémotypologie et sur la génétique des populations (Jacquart 1974 ; Lewontin 1974 ; Lewontin et al. 1984) ont démontré l’inadéquation du concept de « race » pour l’espèce humaine, faut-il néanmoins utiliser les notions de « race », « racisation », voire « racisme », pour qualifier les processus à l’œuvre dans ces sociétés ? « Couleur » et « race » sont-elles irrémédiablement liées en matière de différenciation sociale ? Historienne, spécialiste des « libres de couleur »1 de la partie française de Saint-Domingue, je considère qu’il serait intéressant de contribuer au débat en évoquant une société de la fin du XVIIIe siècle présentée ordinairement2 comme la plus brutale, la plus discriminatoire et la plus raciste des sociétés esclavagistes du Nouveau Monde. L’exemple mérite d’autant plus d’attention que cette société domingoise s’est développée dans un contexte théorique complexe où la notion de « race » au sens contemporain ne se met en place que très progressivement et où les recherches les plus récentes sur les libres de couleur de cette colonie renouvellent notre connaissance de cette société. Pour traiter de la question, j’aborderai deux aspects assez différents : d’une part, un projet administratif d’organisation de la société domingoise en fonction de la couleur des individus, projet qui nous intéresse moins pour son contenu précis, déjà assez bien connu globalement, que pour sa qualification et, d’autre part, la manière dont les diverses composantes de

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la société locale ont appréhendé les différences que l’on désigne aujourd’hui parfois par les termes d’« ethniques » ou « raciales », mais pour lesquelles on pourrait peut-être trouver d’autres épithètes.

Le projet de réforme de l’administration métropolitaine

2 Avant de tenter de qualifier ce projet de l’administration métropolitaine française, rappelons-en brièvement le contexte. Après la guerre de Sept ans (1756-1763), l’administration centrale française décide de réorganiser la société domingoise en prenant comme exemple ce qui s’est fait, bien plus tôt, en Louisiane3, dans les petites Antilles4 et en métropole 5 et en légalisant le principe d’une barrière infranchissable entre les Blancs et les Noirs. Les esclaves ne sont pas la cible visée ; leur sort, ordinairement misérable, ne permet aucune confusion, même avec le plus pauvre des Blancs. La cible, ce sont les libres de couleur : des hommes noirs ou métis, libres de naissance ou par affranchissement, qui, en vertu des articles LVII et LIX du Code noir de 1685, jouissent des mêmes droits et privilèges que les Blancs. Le Code ne mentionne aucun argument pigmentaire ou racial pour justifier l’esclavage et, en accordant aux anciens esclaves l’égalité des droits avec les autres sujets du roi, il démontre une totale indifférence du législateur à une éventuelle « macule servile » ou pigmentaire. Si l’usage favorise l’affranchissement des métis, la loi ne distingue que les affranchis et les libres de naissance. L’article LVIII du Code noir obligeait les premiers à marquer un certain respect à leurs anciens maîtres, alors qu’il n’en était rien pour les seconds.

3 Pour tenter de mettre en place cette barrière, les administrateurs nommés par l’État et les cours locales prennent des mesures discriminatoires à l’encontre des libres de couleur de Saint-Domingue. À partir de la fin des années 1750, plusieurs arrêts limitent leur possibilité de porter des armes : interdiction de porter une machette (1758) ou une épée (1761), sauf s’ils sont en service pour la milice ou la maréchaussée (1762). Entre 1758 et 1767, il leur est aussi interdit de vendre ou d’acheter de la poudre ou des munitions sans autorisation du gouverneur. Des professions, des fonctions et des états prestigieux leur sont aussi progressivement enlevés : l’accès à la prêtrise et à la noblesse en 1763, les professions de chirurgien et de médecin en 1764, l’exercice d’une charge ou fonction publique en 17676, le rang d’officier de milice en 1768. De 1770 à 1782, l’offensive se radicalise en s’attaquant à une population de couleur beaucoup plus large. En 1772, dans la juridiction de Port-au-Prince, les assemblées nocturnes d’hommes de couleur libres sont soumises à l’autorisation des juges. En 1773, les administrateurs interdisent aux libres7 de porter un nom de Blanc et leur imposent l’adoption d’un surnom d’origine africaine. La même année, ils édictent une loi somptuaire. Enfin, en 1783, les libres de couleur ne peuvent plus être qualifiés de sieur et de dame dans les documents officiels. 4 Après 1783, les règlements explicitement discriminatoires envers les libres de couleur cessent. Les nouveaux administrateurs envoyés à Saint-Domingue sont chargés de « recueillir le sentiment des conseils supérieurs, des chambres d’agriculture et des habitants qu’ils jugent les plus dignes de leur confiance » pour « tempérer le parti pris de la dégradation établie [contre les libres de couleur] et [de] lui donner même un terme »8. En effet, à Paris, les choses ont changé. Dans les années 1760, les ministres des colonies (Praslin en 1766, Bourgeois de Boynes en 17729) et le premier comité de législation considéraient les libres de couleur comme d’anciens esclaves et, à ce titre,

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des ennemis des Blancs. À la fin des années 1770, « les personnes les plus réfléchies » – notamment les membres du deuxième comité de législation (1778-1781), mais aussi le maréchal de Castries (Debbasch 1967, pp. 126-130) – estiment que les libres de couleur doivent être perçus « comme la barrière la plus forte opposée à tout trouble de la part des esclaves »10. Les libres de couleur apparaissent alors comme des propriétaires d’esclaves, nécessairement attachés au maintien du système. Cependant, en 1788, lorsque les instructions ministérielles annoncent la décision « de tempérer […] la dégradation établie », le ministère choisit d’attendre « l’époque où les signes qui attestent l’origine des gens de couleur auront disparu »11. Beaucoup, à la suite de Debbasch (ibid., p. 20), en concluent que la société domingoise a « résisté victorieusement à ces pressions » métropolitaines dissidentes jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. 5 Comment doit-on qualifier le processus administratif ici rappelé ? Pour Debbasch (ibid., p. 34), il s’agit de la mise en place d’un « régime de castes fondé sur la distinction des couleurs ». Cette analyse est-elle suffisante ? Ou doit-on lui préférer celle d’une tentative de « racisation » ou de « racialisation » de la société ? 6 À certains égards, l’expression « régime de castes » peut sembler inadaptée pour décrire la société domingoise. Celle-ci est, certes, composée de trois groupes, mais ils ne sont pas fermés à la manière d’une caste et ne se différencient pas strictement par la couleur. D’un côté, les esclaves comme les libres de couleur sont des Noirs ou des métis ; d’un autre, les esclaves par l’affranchissement deviennent des libres de couleur. Les Blancs mésalliés sont exclus de leur groupe d’origine, tandis qu’un certain nombre de métis très clairs parviennent à franchir la ligne et sont assimilés de fait aux Blancs. Néanmoins, s’il s’agit de caractériser le projet des administrateurs, l’expression « régime de castes » est pertinente car elle suggère bien la création de catégories étanches. 7 Faudrait-il néanmoins préférer les termes de « racisation » ou de « racialisation » ? En effet, la référence au critère de la couleur pour distinguer les populations entre elles peut sembler insuffisante pour caractériser un système dont la dimension raciste ou raciale paraît évidente. Cette référence ne légitime-t-elle pas des discriminations envers un groupe d’individus délimité par leur couleur, c’est-à-dire, dans le langage commun, en fonction d’un des critères fondamentaux définissant la notion de « race »12 ? Dans une première version de ce texte, nous avions envisagé d’employer le terme « racialisation » pour tenter de rendre compte du processus que nous voulions observer. Nous empruntions ce néologisme à Michel Wieworka (1996) qui le définit en ces termes : « processus par lequel une société se représente de façon plus ou moins décisive, comme constituée de groupes raciaux, de races en concurrence et en opposition ». La « racialisation » étant en fait une variété de « racisation », néologisme inventé par l’anthropologue Colette Guillaumin (2002), moins à la mode mais sans doute plus précis, il a paru plus opportun de préférer ce dernier terme. La « racisation » désigne un processus dans lequel un groupe dominant crée « des catégories », qu’il opprime « au nom d’un signe biologique irréversible ». Dans une formulation plus scientifique, Véronique de Rudder (1998, p. 34) le décrit comme « l’attribution ou la revendication d’appartenance d’un ensemble particulier d’individus définis par un ensemble syncrétique et indissociable de caractéristiques naturelles et culturelles, physiologiques et psychologiques, biologiques et mentales ». De prime abord, la volonté des administrateurs des années 1760 de séparer strictement les populations en fonction

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de leur couleur et leur perception de ces composantes comme ennemies semblent participer d’une démarche d’exclusion en fonction d’un signe biologique et donc d’un processus de « racisation ». 8 Pourtant, ne faudrait-il pas d’abord que les populations opposées correspondent effectivement à des groupes raciaux ou que l’on peut considérer comme tels ? Si on analyse le discours des contemporains, on est confronté au fait que ceux-ci ne parlent jamais de préjugé de race, mais de préjugé de couleur. On le sait, le terme « race » n’a acquis que progressivement son sens moderne (Jouanna 2003). Les premières classifications de l’homo sapiens en races distinctes apparaissent avec François Bernier en 1684, puis avec l’histoire naturelle de Buffon en 1749, le Systema naturae de Linné en 1758, enfin le De generis humani varietate nativa de Johan Friedrich Blumenbach en 1776. Dès lors, on trouve les expressions de « race blanche », « race noire ou nègre » chez le vicomte de Mirabeau, Rousselot de Surgy13, chez Pierre-Victor Malouet, chez Hilliard d’Auberteuil et chez bien d’autres. L’abbé Raynal (1780, p. 292) parle de la « race vigoureuse des mulâtres », Émilien Petit de la « race indienne », tandis que monsieur de Saint-Lambert souhaite que l’on ne distingue aux colonies que « deux races d’hommes, celle des libres et celle des esclaves »14. À l’évidence, les uns et les autres ne se réfèrent pas exactement aux mêmes choses et, en tout cas, pas à ce que l’usage commun contemporain appelle des races. Ici sont en effet juxtaposées ce que l’on nomme parfois les « catégories pures » et les « catégories métisses » et, plus simplement, des groupes humains, voire des classes. Utiliser alors le terme de « race » ou de « racisation » pour décrire le processus administratif proposé, ne nous ferait-il pas courir le risque d’une certaine confusion ? 9 De manière plus fondamentale, l’argumentaire développé par les administrateurs pour justifier cette nouvelle politique suggère aussi au chercheur la prudence, car la différence alléguée entre les Noirs et les Blancs n’est pas d’ordre essentialiste, mais simplement contingente. Si, comme le souligne Colette Guillaumin (2002, p. 9), la race est une construction imaginaire, une « vérité imaginaire et non concrète » dont il n’est pas nécessaire d’établir la réalité physique, elle suppose néanmoins l’affirmation d’une différence d’ordre biologique15 et pas seulement chromatique. Or les discours des propagandistes de cette politique sont loin d’être aussi radicaux. Certes, en 1771, Bourgeois de Boynes évoque une différence de nature entre les Noirs et les Blancs : « les administrateurs ne doivent pas accorder de grâce qui tendrait à réduire la différence que la nature a mise entre les Blancs et les Noirs et que le préjugé politique a eu soin d’entretenir comme une distance à laquelle les gens de couleur et leurs descendants ne devaient jamais atteindre »16. Émilien Petit (1777, p. 283), le président du premier comité de législation, parle aussi de « la supériorité du sang blanc », distinct selon lui de celui des Noirs. Néanmoins, lorsqu’il s’agit d’expliquer les conséquences funestes que peut avoir une promesse d’affranchissement, il compare l’attitude des esclaves à celles des domestiques blancs de métropole que le désir de jouir plus vite « d’un legs qui les rend à eux-mêmes, abandonnent, dans la maladie, s’ils n’en précipitent pas la fin de la vie, les maîtres assez imprudens [sic] pour faire connaître différentes dispositions qui engagent à souhaiter leur mort au lieu de veiller à leur conservation » (Petit 1777, section VI). Preuve de leur commune humanité, même pour Émilien Petit17. Le texte des instructions confiées aux administrateurs va certes plus loin en suggérant de mettre plus de distance « entre les deux espèces ». Cette terminologie, à une époque où ces notions ne sont pas très claires, est-elle bien significative ? La très grande majorité des contemporains du XVIIIe siècle (Blumenbach, Buffon, Linné etc.) restent foncièrement

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monogénistes et donc convaincus de l’unicité de l’espèce humaine, à la différence de ce que l’on observe à la fin du siècle suivant. 10 Au XVIIIe siècle, l’administration métropolitaine justifie ordinairement la subordination des hommes de couleur par une infériorité des Noirs liée à l’esclavage. En 1776, les riches libres de couleur de Gorée, invités à émigrer en Guyane après le traité de Paris, ont obtenu un statut différent18 de celui des autres hommes de couleur de la colonie. Comme le précise Sartine aux gouverneurs de la Guyane de l’époque : « C’est l’esclavage et non la couleur qui imprime aux nègres une tache ineffaçable » (Tarrade 1995, p. 139). De manière tout aussi explicite, le ministère justifie la nouvelle législation, non par un mépris épidermique, mais par la nécessité politique de maintenir les esclaves dans la sujétion pour éviter les révoltes. Les instructions envoyées à Saint-Domingue précisent : Les gens de couleur sont libres ou esclaves, les libres sont des affranchis ou des descendants d’affranchis : à quelque distance qu’ils soient de leur origine, ils conservent toujours la tache de l’esclavage. […] Cette distinction rigoureuse, observée même après la liberté, est le principal lien de la subordination par l’opinion qu’il en résulte que sa couleur est vouée à la servitude et que rien ne peut le rendre égal à son maître.19 11 N’est-ce qu’un artifice ? Le contexte historique des années 1750 et 1780, avec la conspiration de Macandal qui a fait trembler la colonie, les traités de paix imposés aux Blancs par les Saramaka et les Ndjuka du Surinam comme cela avait été aussi le cas pour les Noirs marrons de la Jamaïque dès 1739, pouvait légitimement réveiller les craintes. De plus, dans le même temps, le déséquilibre entre la population blanche et la main d’œuvre servile ne cessait d’augmenter. Enfin, lorsqu’en 1788, le ministère envisage de mettre un terme au préjugé, il entend véritablement « confondre [les libres de couleur] avec les Européens et les Créoles », preuve que les différences entre les uns et les autres ne sont pas perçues comme essentialistes, encore moins génotypiques ou simplement biologiques, et pas du tout comme irréversibles, du moins pour les réformateurs du deuxième comité de législation. Or si le critère de différenciation n’est ni biologique, ni essentialiste, ni irréversible, peut-on encore parler de race ?

12 Ne pourrait-on chercher ailleurs et, s’inspirant de l’exemple de l’Amérique espagnole, analyser cette politique administrative comme une très classique tentative de réorganisation de la société coloniale en fonction de catégories fermées comparables à celles des sociétés d’ordres européennes20 ? Au Mexique, Federica Morelli (commentaire oral 2006) constate qu’il y a eu pendant « toute l’époque coloniale, et surtout à partir du XVIIe siècle, […] une tension constante entre l’image traditionnelle de la société ordonnée et les pratiques et les dispositions sociales engendrées de facto par les conditions de la conquête et de la colonisation ». Vers 1640, par exemple, certains curés de la ville de Mexico avaient des registres de mariage séparés pour les différentes castes. Au fur et à mesure que les processus de métissage biologique se réalisaient et que les combinaisons et transformations se multipliaient, se multipliaient également les initiatives pour décrire ces phénomènes : des taxinomies notamment qui, se fondant sur les degrés de relation et la gradation de la couleur de la peau, couvraient toute la gamme du Blanc au Noir. Les célèbres « pinturas de castas » constituent un magnifique exemple de ces initiatives : par ces peintures les artistes essaient d’illustrer un système classificatoire, conçu afin de faire l’apologie et de maintenir la suprématie sociale, d’une élite créole qui se sentait menacée par la contamination. Les efforts compliqués de ces artistes pour représenter et classer en sous-groupes familiers toutes les combinaisons, croisements raciaux et mélanges de couleurs possibles et

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imaginables ressemblent à une tentative d’imposer un ordre sur la confusion. Dans cette espèce de « pigmentocratie », la « blancheur » se transforma, au moins en théorie, en indicateur de la position dans l’échelle sociale. L’accusation de sang- mêlé, qui impliquait le stigmate d’illégitimité, était utilisée pour justifier une politique ségrégationniste qui excluait des castes des charges publiques et également de l’affiliation aux corporations et confréries. Cependant, comme l’ont démontré plusieurs recherches, les barrières de cette ségrégation étaient bel et bien franchissables, ce qui engendrait de fait une sorte de flexibilité ethnique légalisée. (Douglas Cope 1994) 13 L’État, d’ailleurs, fut contraint de le reconnaître en mettant en place des mesures de gracia al sacar permettant aux plus riches de jouir des mêmes avantages que les Espagnols, et cela quelle qu’ait été leur couleur. Comme le note Federica Morelli (commentaire oral 2006), « bien que l’Amérique coloniale espagnole se soit transformée en une société codifiée par la couleur, l’identification entre la couleur et le statut social n’y était pas du tout absolue pour autant ».

14 Cette grille d’interprétation peut s’appliquer, nous semble-t-il, de manière assez pertinente au cas domingois, même si cela exige quelques explications. Une analyse sommaire pourrait laisser croire à l’inadaptation de cette grille en alléguant que la société domingoise était, depuis le XVIIe siècle, beaucoup plus fluide que la société métropolitaine et que les seules mesures de changement envisagées concernent les libres de couleur. En fait, la question est peu étudiée et la réalité est un peu différente. À la fin du XVIIIe siècle, les tentatives de réorganisation sociale dans un sens plus traditionnel concernent aussi, quoique dans une moindre mesure, les « petits Blancs ». Certaines instructions données aux services de police suggèrent l’existence d’un courant favorable à une hiérarchisation plus traditionnelle21 en ce qu’elles envisagent de ne pas accorder plus d’égards aux petits Blancs qu’aux libres de couleur, contrairement à l’attitude à avoir vis-à-vis des « Blancs domiciliés »22 ou des « habitants »23 suivant les textes. Les cahiers de doléances des « grands Blancs » de 1789 (Maurel 1935) qui mentionnent l’application contre eux de la « grande police » vont dans le même sens. Les difficultés d’insertion des nouveaux immigrants du XVIIIe siècle, le mépris dont ils sont victimes de la part de la population blanche et les pétitions contre leur venue, l’attestent également (Cauna 1998, pp. 229-262). Les travaux de Frostin (1973), quant à eux, documentent fort bien cette peur réelle des petits Blancs d’une réorganisation sociale en fonction de la fortune et du statut, comme cela s’était pratiqué au XVIIe siècle lorsque engagés blancs et esclaves noirs étaient vendus et traités au quotidien de façon également cruelle. Dès lors, le projet concurrent24, dont Émilien Petit fut l’apologiste, tendant à regrouper l’ensemble de la population blanche dans un groupe unique, lié à la France, dans le cadre d’un processus plus large de redéfinition de l’identité française, nous semble n’exprimer qu’une des solutions envisagées par la société domingoise, par ailleurs si souvent et si longtemps tentée par l’autonomie. 15 Un détour par la situation guyanaise permet d’enrichir le débat. Selon l’anthropologue Marie-José Jolivet (communication orale 2006), les projets d’organisation sociale visent toujours à « asseoir la hiérarchie mise en place avec la colonisation esclavagiste » et favorisent les Blancs au détriment des autres. Il faut être Blanc, chrétien et de naissance honorable pour faire partie du groupe situé au sommet, le fait d’être esclave (indépendamment de sa place sur l’échelle chromatique) suffit à rejeter toute personne au bas de cette même échelle qui, toutefois, descend encore jusqu’au « Bossale » et au « Sauvage ». Quand on sait, par ailleurs, que le « Sauvage » est amérindien et le « Bossale » africain, on voit mieux

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apparaître la position de l’esclave « créole », puis du « Créole » tout court par rapport à ceux qui peuvent encore se définir par l’une ou l’autre des précédentes catégories (les deux existant en Guyane).25 16 La situation domingoise est, malgré tout, différente de la guyanaise, tout comme d’ailleurs de celle de la Nouvelle France26. À Saint-Domingue, l’administration centrale institue une hiérarchie différente. En 1767, le Roi, au travers de son ministre de la Marine, rappelle que les Indiens sont assimilés en tout aux Blancs, à la différence des Noirs et de leurs descendants. La raison de cette différence porte sur ce que les Indiens sont nés libres et ont toujours conservé l’avantage de la liberté, dans les colonies, tandis que les nègres n’y ont été introduits que pour y demeurer dans l’état d’esclavage, première tache qui s’étend à tous leurs descendants.27 17 De manière très concrète, les Indiens et leurs descendants peuvent accéder à toutes les charges et fonctions publiques à Saint-Domingue ainsi qu’à la noblesse. Les arguments sont bien sûr historiquement fallacieux, puisque les Indiens ont aussi été réduits en esclavage et que les libres de Gorée ne sont pas venus comme esclaves à Saint- Domingue. Une fois de plus cependant, l’État semble construire une hiérarchie qui ne fonctionne pas selon une logique raciale simple. Pour être au sommet, on peut être Blanc, Amérindien ou descendant d’Amérindien. Dès lors, même dans cette phase aiguë de discrimination envers les libres de couleur, il n’y a pas de crispation sur la blancheur absolue. La société blanche locale entérine d’ailleurs cette logique. Lors des dénonciations pour mésalliance comme dans l’affaire Chapuizet (Debbasch 1967, pp. 71-74), l’argumentaire des accusés effectivement métis n’est pas « ma famille a toujours été blanche », mais « mon aïeule était une Indienne ». Ils utilisent sans doute la brèche ouverte par l’administration, tout en affirmant aussi leur absence de rejet de la différence. Dès lors, si le processus de hiérarchisation sociale proposé par l’État n’obéit pas à un discours idéologique unique, mais varie dans le temps et l’espace, il apparaît possible, sinon nécessaire, de suggérer qu’il s’élabore en fonction d’un contexte stratégique et/ou social particulier que l’on ne doit pas évacuer.

18 À ce stade, il nous semble que le projet des administrateurs des années 1760-1770, distinct de celui des années 1780, peut sans doute être qualifié de processus de racisation de la société domingoise, par le fait même qu’il entend créer une barrière infranchissable entre les hommes en mettant en avant le critère de la couleur, même si les promoteurs de cette réforme n’ont pas les outils intellectuels pour parler en termes de race et qu’ils ont peut-être le sentiment de participer à une tentative de réorganisation beaucoup plus classique. Nous nous écartons ici du point de vue de Colette Guillaumin, pour qui la notion de « race » au sens contemporain de ce mot ne peut guère s’appliquer avant le XIXe siècle. Aux États-Unis où des débats importants ont divisé les chercheurs sur cette thématique pendant de nombreuses années, nous nous situerions volontiers aux côtés de ceux qui pensent qu’il est possible de faire usage de ces termes, même s’il n’y a pas de justification biologique des différences. « The results of prejudice [seem] more important than their ideological underpinnings »28 (Anderson 2005, p. 101). Jean-Luc Bonniol (2007) adopte d’ailleurs une posture similaire. Il faudrait néanmoins, pour en valider la pertinence, que le fonctionnement social des habitants de la colonie française de Saint-Domingue corrobore cette analyse.

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La société domingoise face au projet métropolitain

19 Au-delà des projets administratifs, comment la société locale a-t-elle appréhendé sa diversité chromatique ? Pour beaucoup, la réponse est évidente, tant il est d’usage d’affirmer que l’inspiration des règlements discriminatoires se trouve aux îles. La présence du Domingois Émilien Petit à la présidence du premier comité de législation, comme celle de Jean Dubuc au bureau des colonies, ou encore le soutien financier de l’État aux travaux de Médéric Moreau de Saint-Méry en seraient une illustration évidente. Néanmoins, les travaux les plus récents29 sur les Noirs en France comme d’autres plus anciens30 suggèrent que la peur du mélange des races, ressentie par les élites françaises, explique en partie les décisions prises à une époque où les Noirs sont plus nombreux et s’intègrent assez facilement aux locaux (Boulle 2007). Pourtant, lorsqu’il s’agit d’étayer leur conviction, les historiens ont la fâcheuse habitude de n’interroger que la composante blanche de la population domingoise. Ils évoquent le silence des esclaves noirs, voire leur immobilisme total, et proclament le quarteron Julien Raimond leader incontesté des libres de couleur. Ils citent à l’envi le voyageur Alexandre Stanislas de Wimpffen, le colon métropolitain Hilliard d’Auberteuil et le juriste créole Moreau de Saint-Méry. Ils affirment volontiers que les autres adhèrent au modèle proposé par l’administration, sauf quelques rares exceptions, toujours discrètes en public. Le discours dominant des élites exprime-t-il autre chose que sa propre perception des choses ? En diversifiant les sources d’information et en examinant les comportements des différentes composantes de la société domingoise vis-à-vis du projet métropolitain, la nature et les valeurs de cette société se révèlent d’une manière plus fine et plus exacte. Il n’est pas possible d’en rendre compte ici de manière exhaustive, mais nous en évoquerons quelques aspects.

20 Du côté des élites coloniales, consultées à plusieurs reprises sur la question du préjugé de couleur dans les quarante dernières années de l’Ancien Régime, nous disposons a minima d’une pluralité de témoignages différents du discours unanimiste trop souvent allégué. Lorsqu’en 1797 Moreau de Saint-Méry divise la population domingoise en treize classes d’individus, distinctes par « la nuance de la couleur de leur peau » et par différents éléments phénotypiques, il se positionne effectivement dans une logique raciale. On retrouve dans l’introduction de la Description… à la fois l’idée de la supériorité de l’homme blanc et celle de l’impossibilité d’une quelconque fusion en raison d’une différence biologique. Néanmoins, l’analyse fine de l’œuvre du juriste martiniquais montre qu’il n’est pas le théoricien raciste radical que l’on a souvent fait de lui. Dans Loix et constitutions…, il est fait mention de plusieurs arrêts favorables aux libres de couleur. Dans Description… de la partie française de l’isle de Saint-Domingue, maints passages laudateurs révèlent l’ambivalence du regard de Moreau de Saint-Méry (Rogers 2006). À propos du préjugé de couleur, il précise : Cet indice, auquel il serait peut-être plus dangereux de croire, c’est l’œil du préjugé qui le voit et, s’il se promenait dans l’Europe entière, il trouverait, avec ce système, de quoi y former aussi une nomenclature colorée ; car qui n’a pas observé, en voyageant dans cette partie du monde, des teints bien obscurs et des traits qui semblent appartenir à l’Afrique ? (Moreau de Saint-Méry 1984, tome 1, p. 100) 21 Marcel Dorigny note, nous semble-t-il très justement : « sa vision du cloisonnement racial dans les colonies était avant tout fonctionnelle » (Dorigny, in Moreau de Saint- Méry 2004, tome 1, pp. XIX-XX). De manière encore plus caractéristique, dès les années 1770, les élites coloniales consultées – parmi lesquelles on compte Barré de

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Saint-Vénant, Hilliard d’Auberteuil, Malouet d’Alibert – ne parlent que de l’assimilation des libres de couleur avec les Blancs et dépassent donc la logique raciale des administrateurs, puisqu’ils envisagent de faire abstraction de l’ascendance objective. Certes, le terme envisagé est parfois lointain et concerne essentiellement les plus clairs. Hilliard d’Auberteuil (1777, tome 2, p. 82) suggère d’attendre le sixième degré de métissage comme l’avait proposé l’amiral d’Estaing dès 176531. En 1776, Barré de Saint- Vénant propose plutôt le stade du quarteron. Pierre Victor Malouet d’Alibert, ordonnateur de Saint-Domingue entre 1765 et 1769, puis époux d’une Domingoise à partir de 1785, va même beaucoup plus loin (Debien et Thésée 1975). En 1785, il envisage de normaliser les relations entre les Blancs et les libres, de ne distinguer parmi ceux-ci que deux ou trois classes d’hommes en fonction, non de la couleur, mais des activités économiques et de l’accès à la propriété (Malouet 1803).

22 Les conseillers supérieurs et, plus largement, les praticiens du droit n’ont guère laissé d’ouvrages exposant leur position, mais les choix qu’ils ont opérés dans la mise en œuvre de la nouvelle politique nous semblent éclairants. À Saint-Domingue, les conseils supérieurs, chargés d’enregistrer les règlements de police émanant des administrateurs et d’interpréter le droit par leur fonction de haute cour, sont un rouage essentiel de la politique administrative. Or le conseil supérieur de Port-au-Prince a proposé une vision alternative de la norme administrative et s’est opposé avec fermeté aux projets discriminatoires de l’intendant intérimaire Alexandre Lebrasseur. En 1781 et 1782, il refuse d’enregistrer les trois règlements qui limitent l’accès des libres aux professions de sage-femme, d’apothicaire32 et d’orfèvre. Les conseillers argumentent : « La police laisse les gens de couleur libres jouir de la faculté de travailler […] certainement comprise dans l’article LIX de l’édit de 1685, par lequel le roi accorde aux affranchis les mêmes droits, privilèges et immunités dont jouissent les personnes nées libres »33. Cette ordonnance est « une atteinte directe portée à l’état des affranchis en général » (Archives nationales, fonds Colonies, C9a 151, le 4/5/1781). « Messieurs les administrateurs se croiraient-ils autorisés à détruire la disposition d’un édit ? » (ibid.). La résistance des conseillers s’inscrit sans doute dans un conflit de pouvoir plus large, mais on remarquera qu’ils ne se sont pas engouffrés dans cette porte largement ouverte de la discrimination légale des libres de couleur. Ni l’ordonnance sur les orfèvres, ni celle sur les sages-femmes ne furent enregistrées et ne furent donc appliquées34. Le ministère, acquis alors aux idées nouvelles, désavoue d’ailleurs la prise d’initiative des administrateurs : « en refusant l’enregistrement d’un pareil règlement, contraire à toutes les dispositions de l’ordonnance du 30 avril 1764, le conseil de Port-au-Prince n’a fait que se conformer aux ordonnances des mois de mars 1766 et mai 1775, qui assurent irrévocablement à Saint-Domingue le maintien de l’autorité du roi »35. Le ministre ajoute : « le désir de faire des règlements, quoiqu’il parte souvent d’un bon principe, aveugle quelquefois au point de trouver mauvaises les dispositions les plus sages des loix du souverain, et de ne trouver bon que ce l’on fait »36. Finalement (est-ce le souvenir de Macandal ?37), l’ordonnance sur les poisons fut appliquée malgré les représentations des conseillers38. Quelques années plus tard, alors que les administrateurs nouvellement nommés par le deuxième comité de législation sont favorables à l’atténuation du préjugé de couleur, les conseillers soutiennent leur action contre la population blanche du Mirebalais qui refuse de recevoir, dans une compagnie de dragons blancs, trois riches libres de couleur, les frères Montas. Point de vue de métropolitains ou de Créoles sensibles aux idées des Lumières ? La récente thèse de Navarro-Andraud (2007) ne permet guère de percevoir les positionnements

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intellectuels et politiques des membres des conseils, elle confirme néanmoins la présence de Créoles, comme Moreau de Saint-Méry, parmi les conseillers, même si leur proportion reste à préciser39. 23 Dans l’exercice de leur fonction de juge40, les conseillers supérieurs, comme les magistrats de première instance de la partie ouest de Saint-Domingue, n’ont pas pratiqué au civil une « justice de race » (Pluchon 1982, p. 178), privilégiant systématiquement les Blancs sur les Noirs, même si cela n’exclut pas des tentatives d’intimidation à l’extérieur du tribunal et sans doute au niveau des commandants de quartier. Au conseil supérieur de Port-au-Prince, entre 1776 et 1789, les juges donnent raison aux libres de couleur dans près de 60 % des cas de litige contre un Blanc. Ils appliquent les mêmes règles de droit écrit qu’en métropole : ils réclament les mêmes pièces (acte authentique ou acte privé reconnu comme preuve pleine et suffisante) pour prendre leurs décisions et usent des mêmes pratiques quand celles-ci font défaut. L’existence de procédures, où le serment d’un libre de couleur, même Noir non métissé, est reçu contre un Blanc avec succès nous semble la preuve évidente que les juges ne considèrent pas qu’il existe une infériorité de principe des Noirs par rapport aux Blancs. 24 Enfin, au quotidien, les jurislateurs41 n’ont pas appliqué strictement les règlements discriminatoires en matière d’identification des personnes. Dans les contrats de mariage du Cap-Français, la liberté des clients libres de couleur est justifiée par la « possession d’état » et non par le recours à des titres écrits (certificat baptistaire ou acte d’affranchissement) comme le prévoit l’article VI du règlement de 177342. Il est alors souvent impossible de savoir si on a à faire à un affranchi ou un libre de naissance. Les surnoms tirés de l’idiome africain prévus pour les affranchis et les enfants illégitimes n’ont pas été attribués avec toute la rigueur nécessaire pour permettre la création d’une onomastique de couleur spécifique. En outre, la rétroactivité de la mesure a été difficile à mettre en œuvre, quelques affranchis et quelques enfants illégitimes ont changé de nom, beaucoup ont gardé l’ancien. Les procédures de protestation en usurpation d’identité restent très rares, alors que les exemples d’enfants illégitimes de couleur portant des noms de Blancs sont pléthores. Dans le cas des nouveaux affranchis, la résistance des familles blanches est évidente43.

Catégories et « sous-racisme »

25 L’un des critères essentiels du succès des processus de « racisation » des sociétés réside dans la pratique, à l’intérieur de la population dominée, de ce que l’on appelle la « cascade de mépris » ou le « sous-racisme » (Debbasch 1967, p. 119), tant cette attitude suppose l’intériorisation par celle-ci du préjugé de la population dominante racisante. Selon Yvan Debbasch (1967), le préjugé de couleur impose que l’on ne se fréquente qu’entre gens de même nuance de couleur. Il affirme que chaque sous-groupe de la communauté libre de couleur « se veut et se sent étranger à ceux que l’éthique raciste lui indique comme étant situés à des niveaux inférieurs au sien » (ibid., p. 307). Qu’en est-il ?

26 Tout processus de sous-racisme nécessite d’identifier les autres individus en fonction d’une palette de couleurs ou catégories de couleur ou de métissage sur laquelle il convient de s’arrêter en préalable. Sur cette thématique, la classification de Moreau de Saint-Méry, publiée en 1797, occupe une place plus importante dans le débat qu’elle ne

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le devrait. On oublie trop souvent qu’elle est une production littéraire qui s’inscrit dans un projet de légitimation de l’esclavage et de subordination de la population libre de couleur. Elle ne reflète donc pas la réalité. De la fin du XVIIe siècle au début de la Révolution, l’administration coloniale ne connaît que quatre catégories : les « nègres libres », les « mulâtres libres », les « quarterons libres » et les « Blancs ». Les jurislateurs (notaires, greffiers), qui sont toujours plus proches des locaux, utilisent cependant une palette de couleurs plus large avec sept nuances (« nègre », « mulâtre », « grif »44, « quarteron », « tierceron »45, « mestif »46 et « sang-mêlé »), auxquelles il conviendrait d’en ajouter deux autres : « blanc », mais le terme n’est jamais indiqué dans les actes, et « indien » ou « sauvage » pour les rares Amérindiens. Ces catégories, plus variées que celles du législateur, prouvent l’importance accordée par les locaux à la couleur des individus. Le nuancier est en effet spécifique, il se distingue de celui de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane, lesquels sont d’ailleurs tous différents entre eux. Certains termes sont inspirés de l’espagnol47, mais pas toujours avec les mêmes significations. Cette palette a aussi évolué dans le temps. En 1765, dans le cadre de la réforme des milices, le gouverneur d’Estaing propose d’intégrer les enfants des mestifs dans les compagnies des Blancs, « car les mestifs forment la dernière classe des gens de couleur » (Moreau De Saint-Méry 1784-1790, tome IV, article 28 de l’ordonnance générale des milices du 15 janvier 1765). En 1777, Hilliard d’Auberteuil (1777, p. 82) tentant d’évoquer des individus au sixième rang de métissage parle de la « petite-fille d’une mestive », là où, en 1797, Moreau de Saint-Méry utiliserait le terme « quarteronnée ». Tenté à son tour d’évoquer un stade plus lointain, Moreau de Saint- Méry, en 1797, fournit une mauvaise périphrase « sang-mêlé qui s’approche continuellement du blanc » (Moreau de Saint-Méry 1984, tome 1, p. 86). À l’évidence, à ce stade et d’ailleurs bien avant, les passages de la ligne (l’intégration des libres de couleur dans la catégorie des « Blancs » ou leur assimiliation aux Blancs) sont sans doute extrêmement fréquents, même si certains dont l’origine paraît suspecte ne sont pas à l’abri de procès ou de vexations48. D’une manière générale, Hilliard d’Auberteuil, Alexandre-Stanislas de Wimpffen, Moreau de Saint-Méry, Julien Raimond ne sont pas tous d’accord sur l’aspect des individus qui sont qualifiés de « sang mêlé », de « mestif » ou de « tierceron ». Cette dernière catégorie n’est même pas citée dans la classification de Moreau de Saint-Méry, alors que nous avons trouvé dans les archives notariales et le greffe plus d’une trentaine d’individus qualifiés ainsi (Rogers 1999, chap. 5). 27 L’existence d’une palette de couleurs extrêmement variée induit-elle des relations hiérarchisées en fonction de la couleur des individus ? Ainsi que nous l’avions évoqué dans un précédent article (Rogers 2003), au quotidien, les hommes de couleur et les autres sont souvent beaucoup plus pragmatiques, et cela aussi bien chez les plus modestes que chez d’autres plus aisés. 28 Pour ce qui est des esclaves, notre connaissance est tout à fait embryonnaire. Ordinairement, les historiens49 affirment l’existence d’une hiérarchie interne au monde servile où les métis sont toujours favorisés par rapport aux Noirs non-métissés. Pour Saint-Domingue, ils citent souvent Moreau de Saint-Méry dans la Description… française de l’isle de Saint-Domingue ou dans son mémoire anonyme d’un planteur de Saint- Domingue. Dans les deux cas, le juriste créole affirme : Il n’est pas un nègre qui osa acheter un mulâtre ou un quarteron pour s’en faire servir. Si cette tentation avait lieu, le quarteron esclave préfèrerait le parti le plus violent, la mort même, à un état qui le déshonorerait de sa propre opinion, et tous

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ceux de sa caste se croiraient obligés de seconder ses projets, parce qu’ils partageraient son infamie. 29 L’anecdote est saisissante, mais elle n’exprime que le préjugé de celui qui la relate. La réalité domingoise le contredit maintes et maintes fois. Même si les métis sont assez peu nombreux dans la population servile, les cas de Noirs libres achetant des métis enfants ou adultes sont bien réels, ceux d’esclaves métis ayant survécu chez leurs propriétaires plus foncés aussi. Notons l’exemple, en 1783, de la négresse libre Marie- Jeanne Niady acquérant, pour 2 700 livres, Suzanne, mulâtresse créole de 28 ou 30 ans, et sa fille de trois ans, Nanette50. De même, en 1788, Pauline, négresse libre, achète, pour 5 280 livres, un mulâtre, maître d’hôtel et confiseur du célèbre Barré de Saint- Vénant, membre de la chambre d’agriculture du Cap51. En 1777, lorsque le grif libre Simon Mansel décide d’épouser son esclave, plus claire que lui, Rosalie, mulâtresse, leurs amis, les nègre libres Jean-Baptiste et Barbe Mouton, « pour marquer leur contentement »52, font don au jeune couple de deux esclaves de sexe féminin, de 582 livres de meubles et effets divers et d’une somme de 1 782 livres qui restera la propriété personnelle de la jeune fiancée, en plus du douaire promis par le futur conjoint. Où est l’ostracisme, le sentiment d’infamie ? Enfin, il conviendrait aussi de se rappeler qu’à la différence de ce qui se passe dans les petites Antilles, les planteurs blancs de Saint-Domingue pendant les deux derniers tiers du XVIIIe siècle confient encore des postes de commandeur à des Noirs non métissés et même, plus souvent, à des Africains qu’à des Créoles (Debien 1974, p. 122)53. De même, nombres d’ouvriers de talent, de chefs d’équipes ou de domestiques attachés à la personne des maîtres, en ville comme à la campagne, sont des Africains ou des nègres créoles et non des métis. Tous ces éléments ne favorisent pas le développement systématique d’une logique de discrimination favorable aux plus clairs par rapport aux plus foncés, sur la base de capacités intellectuelles soi-disant inférieures ou supérieures.

30 Du côté des libres de couleur, les faits le confirment aussi. Parmi les partenaires économiques54 de Julien Raimond, John Garrigus (1996, p. 17) a signalé l’existence de Blancs, de mulâtres, mais aussi d’une négresse libre, originaire du Curaçao. Anne- Dominique Acquiez, qui a été affranchie à l’âge de 25 ans, possède à Aquin une auberge et une boutique en 1770. Pendant trois ans et demi, Julien Raimond a pris ses repas dans son établissement et, en 1775, s’est fait livrer quelque 402 livres de marchandises. Entre eux, des liens plus personnels se sont tissés. En 1773, Julien sert de témoin pour authentifier son testament. Plus important, son frère, Guillaume Raimond, signe son contrat de mariage, en grande pompe, chez « Mama Acquiez ». Au-delà des différences pigmentaires, la familiarité semble possible. 31 Dans les villes de Saint-Domingue, la ségrégation résidentielle n’existe pas. Au quartier de la Petite Guinée du Cap, seuls 46 % des bailleurs ou des locataires sont des nègres libres, les 54 % restant se répartissent presque également entre Blancs et métis. Comme à Port-au-Prince, les Blancs, les Noirs et les métis sont présents dans tous les quartiers. Du fait de la configuration particulière des maisons domingoises, propriétaires et locataires partagent souvent la cour, la cuisine et le puits, en toute simplicité. D’autres vivent effectivement sous le même toit, sans qu’il y ait concubinage. Entre juin et juillet 1784, le quarteron libre Joseph Pironneau sous-loue plusieurs appartements d’une maison donnant sur la rue Royale et sur la rue des Religieuses : le sieur Constantin Parfait prend une chambre et deux cabinets sur la rue Royale ; le sieur Lasserre, une seule chambre sur la même rue ; les négresses libres Marie-Louise A. Traitté et Marie-

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Louise Tardivy choisissent chacune une chambre et un cabinet sur la rue des Religieuses. Le montage est prévu pour le long terme : seul le bail de Marie-Louise A. Traitté n’est que de trois ans, les autres ont une durée de sept ans55. Si, à Port-au- Prince, les propriétaires métis privilégient souvent les locataires blancs, le quarteron Joseph Pironneau semble ici faire pleinement confiance à des négresses libres. 32 Dans les villes comme dans les campagnes, la proximité résidentielle a permis le développement de relations de voisinage, de confiance et d’amitié parfois qui suggèrent le nivellement des différences d’autant plus qu’elles ne s’inscrivent pas dans des rapports hiérarchiques forts. Au Cap-Français, le choix du maître d’apprentissage se fait indépendamment de la couleur : depuis le petit Blanc56 confié à un quarteron jusqu’au petit mestif confié à un nègre libre. Au moment de choisir la personne qui rachètera et/ou éduquera leurs enfants encore esclaves, les négresses libres du Cap- Français font confiance, dans 40 % des cas, à un tuteur blanc ou métis, souvent d’ailleurs sans compensation financière. Ainsi, « en reconnaissance de la bonne amitié qu’elle lui porte et des services qu’elle lui a rendus depuis cinq ans qu’elle la loge, la nourrit, et qu’elle continue à lui rendre journellement » (Rogers 1999, p. 582), Marie- Jeanne, négresse libre du Cap, lègue tous ses biens à la dame Veuve Cottin, « mulâtresse libre, sa sincère amie ». Plus largement, les testaments mentionnent aussi des petits prêts du quotidien consentis sans reconnaissance de dette, ainsi que des legs accordés à des amis ou à des filleuls d’une couleur différente. En 1784, dans la paroisse isolée du Baynet, le nègre libre François Tourat57, sellier de profession, favorise ainsi un petit mulâtre Jean-François Fillières, une petite négrille, Marie-Françoise Fillières, sa demi- sœur, et une quarteronne Marie-Henriette Tourat. 33 Selon Bonniol et Benoist (Bonniol 1992, 2001 ; Bonniol et Benoist 1994), l’une des caractéristiques les plus fondamentales des sociétés marquées par un ordre socioracial s’apprécie au niveau des pratiques matrimoniales ou reproductives. La sélection du conjoint s’établit « en fonction de l’origine et/ou des caractères physiques » des individus et participe donc à la reproduction de l’ordre socioracial imposé. À cet égard, dans l’état actuel de la recherche, Saint-Domingue se singularise une fois de plus par rapport aux autres colonies françaises. Les mariages mixtes, jamais interdits, s’y pratiquent pendant toute la période. En 1777, Hilliard d’Auberteuil (1777, p. 79) affirme qu’il y a « environ trois cent [sic] blancs mariés à des filles de sang-mêlé, [et que] plusieurs sont nés gentilshommes ». En 1780, Pierre-Ulrich Dubuisson (1780, p. 59) renchérit : L’indigence confond de toute part les rangs et les couleurs : la fille unique d’un nègre ou d’un mulâtre propriétaire du plus petit terrein [sic] sera recherchée par vingt de ces misérables cadets, nés sur des terres qui, après avoir été leur berceau, ne seront jamais leur demeure. 34 En fait, les mariages mixtes restent assez fréquents à la fin de l’Ancien Régime : ils représentent 17 % des unions légitimes dans le Sud (Houdaille 1963), 7 % des contrats de mariages à Port-au-Prince et 11 % au Cap-Français58. En outre, ils s’observent dans des milieux divers, modestes mais aussi plus aisés. En matière de concubinage, le faible nombre de femmes blanches favorise les femmes de couleur, qui sont le plus souvent l’unique compagne de leur partenaire blanc. La jurisprudence des conseils supérieurs de Saint-Domingue très favorable aux enfants naturels simples assure à ces enfants des revenus parfois très importants et suggère que le concubinage est un état aménagé, moins ostracisant qu’on ne le suppose ordinairement.

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35 Les contrats de mariage entre personnes de couleur que nous avons étudiés confirment l’importance de l’identité pigmentaire, davantage entre les Noirs non-métissés et les métis, qu’entre individus relevant de différentes catégories de métissage. De manière symptomatique, les grifs sont très peu nombreux dans la population libre de couleur. Ils représentent moins de 2 % de la clientèle des notaires du Cap-Français contre 56,5 % pour les nègres libres et moins de 4 % de la clientèle de couleur de Port-au-Prince, contre 39,2 % pour les nègres libres et 44,3 % pour les mulâtres. D’une manière générale, on épouse quelqu’un de sa nuance de couleur dans près de 80 % des cas au Cap-Français et 70 % à Port-au-Prince. Si l’on ne prend en compte que les nègres libres, ce taux s’élève respectivement à 90 % et 86 %. En revanche, les métis du Cap-Français ne respectent la norme que dans 61 % des cas, contre 54,5 % à Port-au-Prince. À l’évidence, les transgressions sont aisées entre métis. Le quarteron Julien Raimond et sa deuxième femme, la mulâtresse Françoise Dasmard-Challe, en sont d’ailleurs un bon exemple. Souvent, les transgressions concernent les milieux assez fortunés. En 1785, la négresse libre Anne Barthélémy dite Sancié59 apporte une dot de près de 40 000 livres (quatre esclaves offertes par sa mère et 32 000 livres de biens propres en esclaves, argent et divers effets personnels, dont des bijoux). Comme dans les riches mariages mixtes, des précautions sont prises et la communauté est limitée à 12 000 livres. Cette étude a été menée uniquement à partir des contrats de mariage, il conviendrait sans doute de l’élargir avant de conclure. 36 Peut-on déduire de cette situation l’existence d’un « sous-racisme » (Debbasch 1967, p. 118) ou l’intériorisation du préjugé de couleur ? Si le racisme suppose l’existence de groupes d’individus supérieurs à d’autres et légitime la domination des premiers sur les seconds, il nous semble qu’il faut répondre par la négative, du moins entre gens de couleur. La proximité des relations des uns et des autres au quotidien l’interdit. S’il implique peur et mépris de l’autre, il nous faut aussi répondre négativement. De manière exemplaire, lors de la signature de 25 % des contrats de mariage au Cap, l’assistance est composée de personnes de toutes les couleurs. Certaines sont des voisins de la Petite Guinée, du Haut-du-Cap pour Geneviève Scipion, d’autres des artisans d’un même secteur professionnel. En 1788, le mariage de Marie-Noëlle, négresse libre, et de Louis Rodin, mulâtre libre, scelle une union déjà féconde. La marraine et le parrain du petit garçon sont là : l’un est quarteron, l’autre mulâtresse. Un négociant blanc est parmi les témoins ainsi que deux mulâtres. La mère de Marie- Noëlle, Marie-Catherine dite Angélique surnommée Fabia, une négresse, affranchie en 1783, est aussi présente. On mentionne enfin une autre négresse libre, la sœur utérine de l’époux. À l’évidence, les nuances n’ont pas l’air de gêner les uns et les autres. Dans la petite paroisse rurale de Baynet, partie sud de la colonie, en 178360, la négresse Marie-Magdeleine Denis ouvre sa maison au quarteron Antoine Lavoile et à la demoiselle Marie-Jeanne Moutard, mulâtresse libre, pour la signature de leur contrat de mariage. Dans la partie ouest, la même année, le mulâtre libre Jean Pouillot, surnommé Azor, connu sous le nom de Bernon61, au moment de rédiger son testament n’oublie aucun de ses parents en esclavage, quelle que soit leur couleur : sa mère Guitonne, négresse créole, âgée de 72 ans, mais aussi son jeune « frère naturel » Hyppolite, nègre créole, âgé de trente ans. Tous sont confiés à la garde d’un quarteron libre Pierre Gabriel Pellerin, cordonnier de Croix-des-Bouquets, chargé d’obtenir leur liberté. Cette situation ne prévaut pas dans toute l’île et notre propos ne saurait s’appliquer à son ensemble même s’il n’est pas seulement valable pour le monde urbain. Il y a sans doute une variété de situations, liées à des contextes sociaux distincts, que

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seules des études complémentaires permettront de préciser. Dans les campagnes du Nord (King 2000, p. 223) ou de l’Ouest notamment, il semble que les grandes familles métisses les plus riches tendent à se structurer de manière plus classique en s’alliant à d’autres familles de leur couleur, plus même qu’à des Blancs.

Conclusion

37 Les hommes de la fin du XVIIIe siècle qui conçoivent et soutiennent le projet administratif de réorganisation de la société domingoise dans un sens discriminatoire n’ont pas les connaissances biologiques ou génétiques pour élaborer une théorie discriminatoire de type racial, comme ont pu le faire les théoriciens des XIXe et XXe siècles, même si certains s’en approchent (Praslin, Bourgeois de Boynes, Moreau de Saint-Méry par quelques aspects). Leur projet participe sans doute par certains côtés davantage d’une tentative de réaction face à une société locale dont le fonctionnement quotidien apparaît comme potentiellement dangereux pour le maintien de l’ordre esclavagiste, en ce qu’il est constamment en contradiction avec un ordre socioracial binaire. Dès lors, projeter une grille explicative racialiste simple pour rendre compte de la complexité, de la « schizophrénie »62 – voire simplement de la pluralité d’opinions d’une société où certes des discriminations que nous appelons raciales existent de manière patente, mais où d’autres types de relations sont aussi possibles de manière ordinaire entre gens de couleur différente – nous semble tout à fait insuffisant. À partir du moment où les stratégies de contournement et, plus largement, les comportements ordinaires n’obéissent plus, sur une large échelle, à la logique administrative discriminatoire, la question fondamentale des critères pertinents pour qualifier une société de « racisante » se pose à nouveau. Les travaux de Barbara Fields (1990) sur les questions raciales aux États-Unis d’Amérique offrent peut-être une hypothèse suggestive pour appréhender la situation domingoise. À la fin du XVIIIe siècle, nous serions ainsi à ce moment charnière où l’idéologie de la race se met en place et où la société locale hésite encore sur le fonctionnement social à adopter. À ce stade intermédiaire, toutes ses composantes n’auraient pas encore intégré cette « routine comportementale »63 qui permet de vérifier au quotidien l’application de cette idéologie, ce qui expliquerait la pluralité des discours et les comportements peu conformes.

38 Nous ne prétendons pas avoir donné de réponse définitive. Cependant, la difficulté de certains à accepter la complexité de la société domingoise que nous avons tenté de décrire s’ancre sans doute dans un traitement téléologique de l’histoire, où l’on voudrait trouver dans la société locale de la fin de l’Ancien Régime toutes les explications de la période révolutionnaire. Dans le cas domingois, néanmoins, cette démarche, a priori acceptable, est biaisée par une perception racialisée très forte, mais très réductrice de la révolution haïtienne. Les carrières bien différentes d’un Jean Kina (Geggus 2002), d’un Jean-François, leader de l’insurrection de 1791 puis généralissime des troupes espagnoles, ou d’un Toussaint Louverture engagent en effet a minima à la prudence. La présence de Blancs comme Ferrand de Baudière ou Jean-Baptiste Gérard64 aux côtés des libres de couleur dès 1789 ou aux cotés des anciens esclaves pour les troupes polonaises du général Leclerc suggère aussi la complexité d’un très long conflit où la couleur est loin d’être le seul critère explicatif des événements. Dès lors, ces quelques pages invitent à approfondir l’analyse des différents groupes sociaux

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domingois, notamment la population blanche, au-delà des seules élites, mais aussi celle des esclaves, en tenant compte de la diversité géographique et organisationnelle de la société locale. Mieux cerner les ressorts des politiques administratives avant, pendant et après la mise en place du projet des années 1760-1770 apparaît également essentiel. Enfin, s’il y a racisation à partir des années 1760, quelle est la nature de la situation antérieure ? Quels rapports y a-t-il entre le fonctionnement social avant 1789 ou 1791 et la variété des réactions et des évolutions pendant la Révolution et après ?

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NOTES

1. Il s’agit d’une personne noire ou métisse libre de naissance ou par affranchissement. 2. Par des auteurs allant de Thomas Madiou à Doris Garaway en passant par Cyril L. R. James, Yvan Debbasch, David Nicholls, Jean-Luc Bonniol. À titre d’exemples récents, on pourra se reporter aux travaux de Garaway (2005, p. I) et de Bonniol (1992, p. 77). 3. Le Code noir de 1724 y était beaucoup plus radical que celui de 1685 qui avait cours dans les Antilles françaises.

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4. Une déclaration du 8 février 1726 étend aux îles du Vent (Martinique et Guadeloupe) les dispositions de l’article 52 du Code noir de 1724, lequel article interdit les donations entre « vifs » (personnes vivantes) au profit des hommes de couleur. Une déclaration du 3 octobre 1730 impose aux hommes de couleur le paiement d’une capitation. L’article 6 de l’ordonnance des administrateurs de la Martinique réactive la disposition en 1766 (Petit 1777, pp. 266, 253). 5. À partir de la fin du XVIIe siècle, de nombreuses mesures sont prises pour limiter le séjour des esclaves, puis plus généralement des Noirs et gens de couleur dans la métropole : édit du 25 octobre 1716, déclaration royale du 15 décembre 1738, ordonnances des 31 mars, 5 avril et 30 juin 1763… 6. L’interdiction date de 1733, mais elle n’a vraiment été appliquée qu’à partir de 1767. 7. Sur l’application de ce règlement, voir Rogers (1999, chap. 5). 8. Archives nationales d’Outre-Mer (ANOM), fonds Colonies, Collection Moreau de Saint-Méry, F3/72, folio 46. 9. Archives nationales, fonds Colonies, B 141, folio 193, v°-195, 26 novembre 1772, lettre de Boynes à Vallières et Montarcher (cité in Tarrade 1991, p. 380). 10. Archives nationales, fonds Colonies, Collection Moreau de Saint-Méry, F3/72, notamment folio 46. 11. Archives nationales d’Outre-Mer (ANOM), fonds Colonies, Collection Moreau de Saint-Méry, F3/72, folio 241. Instructions au gouverneur du Chilleau du 1/8/1788. 12. La définition du terme est évidemment plus large, comme le rappelle l’article « race » du dictionnaire Le Robert, édition 2004 : « groupe ethnique qui se différencie des autres par un ensemble de caractères physiques héréditaires (couleur de la peau, forme de la tête, proportion des groupes sanguins) représentant des variations au sein d’une même espèce ». En général, elle désigne les individus selon trois catégories : « Blancs », « Jaunes » et « Noirs ». 13. Rousselot de Surgy et le vicomte de Mirabeau sont cités par Pierre Boulle (1988). 14. Archives nationales, F3/139, folio 289, réflexions sur les moyens de rendre meilleur l’état des nègres et des affranchis des colonies, mémoire dit de Saint-Lambert. 15. « C’est la croyance en la différenciation bio-physique et non l’apparence qui est impliquée [dans le racisme] » (Guillaumin 2002 p. 95). « La biologisation de la perception, dès qu’elle est associée à la perception de la différence sociale, forme le nœud de l’organisation raciste » (ibid., p. 96). 16. Cité par Pierre Pluchon (in Wimpffen 1993, p. 34). 17. John Garrigus (2006, p. 113), qui a étudié l’ensemble des écrits du Domingois Émilien Petit, démontre de manière assez convaincante que « Petit’s racism was not primarily biological, but driven by the need to orient colonial “patriotism” toward France » [« le racisme de Petit n’est pas à l’origine d’ordre biologique, mais lié au besoin d’orienter le patriotisme colonial vers la France » (traduction de l’auteur, D. R.)]. 18. L’exemption de la capitation obtenue par les libres de Gorée faisait coexister deux types de libres de couleur à la Guyane. Ils durent finalement payer la capitation, mais ils purent aller en métropole sans demander l’autorisation des administrateurs (Debbasch 1967, pp. 55-56). 19. Archives nationales, fonds Colonies, Collection Moreau de Saint-Méry, F3/91, instructions aux administrateurs, messieurs Fieldmont et Malouet en 1776, p. 209. 20. La formulation exacte de Federica Morelli (communication personnelle 2006) est la suivante : « tentative, typique des sociétés d’Ancien Régime, de mettre de l’ordre dans une situation confuse au sein d’une société corporatiste et hiérarchisée, [plus] que [d]’une véritable tentative de “racialisation” de la société dans le sens de créer des catégories visant à engendrer des logiques ségrégationnistes ». 21. Voir la lettre de Reynaud de Villeverd du 21 février 1781 aux commandants en second (citée in Pluchon 1991, p. 407).

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22. Voir la lettre co-signée par l’intendant de Montarcher au sénéchal du Cap en date du 9 juillet 1772 (citée in Pluchon 1991, p. 407). 23. Voir la lettre de Reynaud de Villeverd du 21 février 1781 aux commandants en second de la colonie (citée in Pluchon 1991, p. 407). 24. Sur ce projet, voir Garrigus (2006, pp. 109-116). 25. On pourra se reporter à la communication intitulée « Races, ethnies et communautés : la Guyane et Saint-Domingue en miroir » que Marie-José Jolivet a prononcée pour le colloque « Des catégories et de leurs usages dans la construction sociale d’un groupe de référence : “race”, “ethnie” et “communauté” aux Amériques », décembre 2006, EHESS, Paris. 26. Sur les variations des politiques françaises d’assimilation des populations amérindiennes, voir Belmessous (2004) et Aubert (2004). 27. Voir Petit, Traité sur le gouvernement des esclaves, lettre du ministre du 7 janvier 1767, p. 258. 28. « Les conséquences du préjugé [nous semblent] plus importantes que leur justification idéologique » (traduction de l’auteur, D. R.). 29. Voir Peabody (1996) et Noël (2006). 30. Voir Boulle (1988) et Elisabeth (1954). 31. L’article 28 de l’ordonnance générale des milices du 15 janvier 1765 propose que les « enfants des mestifs servent dans la milice avec les Blancs » (voir Moreau de Saint-Méry 1784-1790, tome IV). Pour une étude détaillée, voir Frostin (1973, pp. 669 et sq.). 32. Moreau de Saint-Méry 1784-1790, tome V, article V de l’Ordonnance sur les poisons. 33. Archives nationales, fonds Colonies, C9a 151, le 4/5/1781. 34. Les notaires mentionnent plusieurs clients de couleur exerçant cette profession jusqu’à la fin de la période. 35. Archives nationales d’Outre-Mer (ANOM), fonds Colonies, F3/78, p. 249. 36. Archives nationales d’Outre-Mer (ANOM), fonds Colonies, F3/78, p. 249. 37. Macandal était un esclave de la partie Nord à qui on avait attribué des vagues d'empoisonnement et dont la traque avait duré plusieurs années en raison de nombreuses complicités dans la population servile. Le souvenir de son épopée était encore vivant en 1791 chez les esclaves comme chez les maîtres. 38. Mars 1781 : refus d’enregistrer l’ordonnance sur les poisons, après la sommation du gouverneur, envoi de représentations signées par Bourdon et Volunbrun, le 28 avril. Archives nationales, fonds Colonies, C9a/151, le 28/4/1781. Mai 1781 : idem pour l’ordonnance sur les orfèvres. 39. Elle note la présence d’au moins 12 Créoles parmi les 95 conseillers, présidents, assesseurs, et procureurs des deux conseils de Saint-Domingue qu’elle a identifiés pour la période de 1763 à 1792. Les autres sont, pour 26, des métropolitains et l’origine des 51 autres est inconnue (voir Navarro-Andraud 2007). 40. Sur les libres et la justice du roi, voir Rogers (1999, chap. 5). 41. Le terme de « jurislateur » se ditingue du terme « législateur » en ce que le second désigne les instances qui font la loi, alors que le premier évoque celles qui ne font que la mettre en pratique (ici greffiers et notaires). 42. Voir Moreau de Saint-Méry 1784-1790, tome IV, article 6 du règlement de 1773 sur l’identification des personnes. 43. Sur l’application du règlement de 1773 à Saint-Domingue, voir Rogers (1999, chap. 5). 44. Dans l’usage ordinaire, le terme « grif » désigne un individu de sexe masculin dont l’un des parents est noir non métissé et l’autre mulâtre. 45. À Saint-Domingue, au XVIIIe siècle, le terme « mestif » désigne, en règle générale, un individu né d’un parent blanc et l’autre quarteron, alors que le mot « tierceron » évoque une personne dont l’un des parents est quarteron et l’autre mulâtre. Le « sang-mêlé », cas très rare,

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correspond, dans le schéma le plus simple, à un individu dont l’un des parents est mestif et l’autre blanc. Sur la palette des couleurs domingoises, voir Rogers (1999, chap. 5). 46. Pour éviter les confusions, dans cet article, le terme « mestif » renvoie à une catégorie de désignation domingoise précise et non à un groupe générique incluant tous les sangs-mêlés quelle que soit leur nuance de couleur. 47. Les termes « mulâtre », « grif » et « quarteron » sont calqués sur l’espagnol, avec respectivement mulato, grifo, cuarterón (Lavallé 1993, p. 153). 48. Sur la catégorie des suspects, voir Debbasch (1967, pp. 66-67) et Ogle (2006, pp. 23-46). 49. Pour un point de vue similaire récent, voir Régent (2004). 50. Archives nationales d’Outre-Mer (ANOM), fonds Colonies, notsdom 200, vente du 18/2/1788. 51. Archives nationales d’Outre-Mer (ANOM), fonds Colonies, notsdom 200, vente du 18/2/1788. 52. Archives nationales d’Outre-Mer (ANOM), fonds Colonies, notariat de Saint-Domingue, Grimperel ancienne cote 845, vente du 18/2/1788. 53. Pendant la Révolution, Jacques Houdaille (1963) a observé une légère préférence pour les Créoles sur les Africains. Plus de 50 % des 150 ateliers analysés étaient dirigés par des Créoles dans la zone occupée par les Anglais. Geggus (1999, p. 41) suggère qu’à la veille de la Révolution les commandeurs de la partie nord étaient principalement des Créoles dans les exploitations de plaine plus anciennes et donc très créolisées (3 Créoles sur 5), mais plutôt des Africains dans les exploitations des mornes, souvent beaucoup plus récentes et pourvues d’ateliers composés de plus d’Africains. 54. Voir l’inventaire de ses 159 papiers commerciaux déposés, en 1786, chez le notaire Paillou. 55. Archives nationales d’Outre Mer, DPPC, notariat de Saint-Domingue, Rivery registre 1545, testament du 12 décembre 1777. 56. Un cas unique. Archives nationales d’Outre-Mer (ANOM), fonds Colonies, 176, Bordier jeune, contrat d’apprentissage du 12/10/1779. 57. Archives nationales d’Outre-Mer (ANOM), fonds Colonies, 649 Funuel de Séranon, acte n° 119, testament du 15/12/1784. 58. Soit 7 cas sur 68 à Port-au-Prince et 12 pour 110 au Cap-Français. 59. Archives nationales d’Outre-Mer (ANOM), fonds Colonies, notsdom 1521, Porée, contrat du 18/10/1785. 60. Archives nationales d’Outre-Mer (ANOM), fonds Colonies, ancienne cote, Funuel de Séranon, 645, acte n° 26 du 25/9/1783 61. Archives nationales d’Outre-Mer (ANOM), fonds Colonies, Guieu, notsdom 889, acte n° 562, testament du 28 août 1783. 62. Pérotin-Dumon (1998, p. 643) évoque une « schizophrénie vécue intimement, mais aussi collectivement entre interdits officiels et liens de fait ». 63. Sur cette idée, voir Fields (1990, p. 114). 64. Sur Jean-Baptiste Gérard, se reporter à l’ouvrage de Jacques de Cauna (1998, pp. 378-381).

RÉSUMÉS

Raciser la société : un projet administratif pour une société domingoise complexe (1760-1791). L’auteur s’intéresse à la pertinence des termes « race », « racisation » et « racisme » pour qualifier les processus à l’œuvre dans la société domingoise française de la fin du XVIIIe siècle. Elle

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distingue ce qui relève des politiques mises en œuvre par les administrateurs métropolitains et les agents du pouvoir local pour lesquelles ces termes peuvent être pertinents, à certains moments (premier comité de législation), mais pas à d’autres (deuxième comité de législation). Elle leur oppose la diversité des comportements des différentes composantes de la population domingoise (Blancs, libres de couleur et esclaves) dont elle invite à approfondir l’étude. S’appuyant sur les travaux de Barbara Fields, elle fait l’hypothèse que la fin du XVIIIe siècle correspond à un moment charnière de l’histoire de la colonie où l’idéologie de la race se met en place et où la société domingoise hésite sur le fonctionnement social à adopter.

Racializing a society: an administrative plan for a complex French colonial society (Saint- Domingue 1760-1791). The author deals with the relevance of the terms « race », « racialization » and « racism » to qualify the processes at work in the colonial society of French Saint-Domingue at the end of the 18th century. She describes what concerns the policies implemented by the metropolitan administrators and their local agents for which these terms can be relevant at certain moments (during the first committee of legislation) but not in others (during the second one). She also takes into account the variety of the behaviour of the various members of the Domingan society (Whites, free people of colour and slaves) and she invites to deepen their study. In the same line as Barbara Fields’s work, she makes the hypothesis that the end of the 18th century is a turning point of the history of the colony when the ideology of race is set up and when the French Saint-Domingue society is hesitating on the social functioning to be adopted.

« Racializar » la sociedad: un plan administrativo para la sociedad colonial francesa compleja de Saint-Domingue (1760-1791). En este artículo se pregunta acerca de la pertinencia de los términos « raza », « racialización » y « racismo » para calificar los procesos que se dieron en la sociedad francesa de Saint-Domingue hacia el final del siglo XVIII. Se describen las políticas implantadas por los administradores metropolitanos y los agentes del poder local en las que estas palabras pueden aplicarse en algunos momentos (primer comité legislativo) pero no en otros (segundo comité). A estas políticas se contraponen los variados comportamientos de los diferentes componentes de la población local (blancos, hombres de color libres y esclavos) que requieren ser estudiados más a fondo. En la continuidad del trabajo de Barbara Fields, se puede hacer la hipótesis que el final del siglo XVIII representa una transición en la historia de la colonia en la que la ideología racial se impone, titubeando la sociedad local acerca de su modo de funcionamiento.

INDEX

Index géographique : Antilles, Saint-Domingue Keywords : race, free people of colour, racialization, Whites, administration Mots-clés : race, racialisation, Blancs, hommes libres de couleur Palabras claves : legislación, racialización, raza, hombres de color libres Thèmes : Histoire

AUTEUR

DOMINIQUE ROGERS

Université des Antilles et de la Guyane, UFR de Lettres et Sciences Humaines, campus de Schoelcher, quartier Ravine Touza, 97275 Schoelcher [[email protected]]

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The politics of « racial » classification in Brazil

Peter Fry

EDITOR'S NOTE

Manuscrit reçu en octobre 2007, accepté pour publication en septembre 2008

The question

1 The very first law that introduced racial quotas in Brazilian universities was enacted in November 2001 by the state legislature of Rio de Janeiro. Apart from the 50% quota for candidates who had studied in public schools which had been enacted a few months previously, this new law reserved 40% of all places in Rio’s state-owned universities for negros or pardos1. From the beginning the Rio authorities were concerned with the best way to classify candidates into these « racial » categories. After consulting « authorities » (myself included), it was decided that there were no objective criteria for defining a person’s race. The method, therefore, would be self classification. Candidates for the 2002 entrance exam were obliged to fill in a form which asked among other things the candidate’s « race ». Question 24 reads thus: « In accordance with decree n.30.766, of 04/03/2002, I declare, under penalties of the law, that I identify myself as negro or pardo: ( ) Yes/( ) No ». If the candidate did not tick one of the boxes, the instructions for filling in the form explained, he or she would be considered branco. Quite clearly, then, candidates were obliged to classify themselves in one of two categories: negro or pardo versus branco eligible or not for the racial quotas. Later the law was changed, the racial quotas were reduced to 20% and candidates were asked whether they were negro or not. No longer were they asked if they were pardo.

2 There were many problems. More than 300 candidates filed suit claiming that they had lost their places to blacks or public school candidates with lower scores. One candidate, who refused to fill in question 24 because he was against the quota system, failed to

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enter the faculty of law although he claimed that he would have done so if he had declared himself negro. Candidates that seemed pretty branco were interviewed on TV claiming African ancestry. The Coordinator of the NGO Educafro which prepares young negros for the entrance exam, Frei David, accused the State University of Rio de Janeiro (UERJ) of permitting « frauds ». 3 It was probably to avoid this kind of problem that the University of Brasília opted for photographs and commissions. In June 2004, under rules introduced that year, candidates for the University of Brasília’s entrance examination formed two queues: one for those competing for the 20% of places reserved for negros and one for the rest. Those claiming to be negro had their photographs taken: on the basis of these pictures a commission dubbed a « racial tribunal » in a recent article (Maio and Santos 2005), composed of a student, a sociologist, an anthropologist and three representatives of Brazil’s Black Movement, decided whether they were really black or not. The commission rejected 212 out of 4,385. 34 of these complained, and were interviewed by a second commission, composed of university teachers and members of non- governmental organizations, which asked among other things whether they had strong links to « black values and culture ». One young man said afterwards that they asked him whether he had belonged to the Black movement and if he had ever had a mulata girl friend. In the end only 13 of the 34 were denied a black identity. 4 Many Brazilian intellectuals expressed some astonishment that one of the leading universities in the country could have adopted racial classification techniques redolent of the eugenics movement of the 1930s. Others wrung their hands at what they saw as an affront to Brazil’s identity as a mestizo republic where racial identity was formally immaterial. Defenders of the newly introduced quotas maintained that Brazil must break with its French republican tradition of colour-blindness. Unequal treatment was necessary, they argued, for those who were, in fact, unequal. To treat all equally was the only way of avoiding dealing with racial inequality (Fry 2004; Maggie and Fry 2002; Maio and Santos 2005; Santos 2004). 5 But the debate concerned not only problems of classification, but also of taxonomy, the classificatory system itself. On the one side, there were those who pointed to centuries of « miscegenation » to argue that the introduction of a bi-racial taxonomy would lead to the formation of opposing racial groups in Brazil with the risk of bringing about racial hatred and strife. The defendants of the quotas argued that Brazil has always been in fact divided into negros and brancos, the latter discriminating against the former (« ask any policeman », was a common comment) (Sales 2006), but that this underlying taxonomy had been masked by « miscegenation » and the myth of racial democracy. On the face of things, the dispute is simply between those in favour of affirmative action and those contrary to it. I would argue, however, that underlying this political confrontation is a dispute over taxonomies; on the one hand taxonomies with multiple categories, and on the other a simple bipolar taxonomy of negros and brancos. 6 In this paper I wish to reflect on the genealogy of Brazilian racial taxonomies as a way of better understanding what is at stake during the present debate on affirmative action and reparation.

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Taxonomies and classifications

7 De quelques formes primitives de classification. Contribution à l’étude des représentations collectives [QFPC] (Durkheim and Mauss 1968) as is well known is the classic text announcing the social genesis of systems of classification. Loin que l’on soit fondé à admettre comme une évidence que les hommes classent tout naturellement, par une sorte de nécessité interne de leur entendement individuel, on doit, au contraire, se demander qu’est-ce qui a pu les amener à disposer leurs idées sous cette forme et où ils ont pu trouver le plan de cette remarquable disposition. (ibid., p. 18) 8 The reply is, of course, society: « Le centre des premiers systèmes de la nature, ce n’est pas l’individu ; c’est la société » (ibid., p. 87). « La société n’a pas été simplement un modèle d’après lequel la pensée classificatrice aurait travaillé; ce sont ses propres cadres qui ont servi de cadres au système. Les premières catégories logiques ont été des classes d’hommes dans lesquelles ces choses ont été intégrées. C’est parce que les hommes étaient groupés et se pensaient sous forme de groupes qu’ils ont groupé idéalement les autres êtres, et les deux modes de groupement ont commencé par se confondre au point d’être indistincts » (ibid., p. 83).

9 However, as so many have noted, the causal explanation of Durkheim and Mauss suffers from petitio principii. How may one derive the logic of a classificatory system from society if social organization itself requires mental categories to exist as such? Avoiding petitio principii, we part from the principle that the social order is itself fashioned through the dispute over alternative systems of classification. 10 This critique of QFPC is particularly relevant to the exercise in hand, for rather than taking as our object of analysis classificatory forms of things, we are concerned with understanding the ways in which members of society themselves come to be classified in « racial » categories. More than is the case with the classification of things, the criteria for constructing taxonomies to classify individuals result in political, economic and existential consequences for the individuals thus classified. It was surely not by chance that Robert Hertz (1980) drew attention to the analogy between the relationship between the two hands and the relationships between sexes and races. The classification of the hands as superior and inferior had, he claimed, the effect of exacerbating whatever differences nature may have given them. The discussion of racial taxonomies is not a purely technical or logical exercise, as for example, is the discussion on the classification of colours in nature (Sahlins 1977). To discuss the colour of people is to enter a complex world of emotions: feelings of guilt and remorse, of anger for past and present suffering, which are in large part derived from the taxonomies and classifications in dispute. 11 Our use of taxonomies and classifications in the plural reveals another problem in using QFPC as a theoretical starting point. Durkheim and Mauss sought the sociological principles of classification through an understanding of what they saw as the most elementary societies. QFPC follows an evolutionary schema, beginning with the extreme simplicity of the aborigines of Australia, then North American India societies, Chinese society and finally modern France. All these societies are treated as coherent and systematic entities, whose systems of classification are shared by all. Our challenge, as we look at contemporary Brazil, is to understand a situation in which more than one racial taxonomy exist, each claiming truth, legitimacy and naturalness. 12 One might argue therefore that QFPC is of little help for this exercise. However, in one absolutely crucial way, QFPC establishes a starting point which opens possibilities for

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an analysis of what we see as taxonomies in dispute. Durkheim and Mauss taught that systems of classification which have their origin in society, project themselves as belonging to the natural order of things. We must therefore search for the mechanisms through which racial taxonomies acquire their « naturalness » through time, and, above all, understand how the bipolar taxonomy became sufficiently strong to be adopted by the State as a basis for affirmative action. 13 A study of this dispute should allow for the suggestion of the possible dialectical relations between taxonomies and subjectivities (both individual and collective). Each requires and at the same time engenders the other. By so doing, it should be possible to delineate possible political, economic and moral consequences for society of the relative preponderance of one or the other

Early perplexities

14 The colours of people, or if one prefers, the appearance of people have always been the subject of perplexity not only for Brazilians themselves but especially among visitors. One of the most often quoted of such visitors is Joseph Arthur Gobineau (1816-1855). After writing his Essai sur l’inégalité des races humaines (1853-1855), he landed in Brazil in the middle of the 1869 carnival. He was horror struck by what he saw as excessive « racial mixture », which he thought would condemn Brazil to ultimate doom. Gobineau described a society – Brazil – in which « not one Brazilian has pure blood since examples of marriages between Whites, Indians and Blacks are so disseminated that nuances of colour are infinite, which leads to the most depressing degeneration as much among the lower as among the upper classes » (Skidmore 1993). Gobineau was the most radical critic of Brazil’s mixture; he found only one exception to the general rule: the family of the Emperor, Dom Pedro II.

15 Brazilian writers noted the predominance of mixture. In his essay As raças humanas e a responsabilidade penal no Brasil (1897), the professor of forensic medicine at the Faculty of Medicine of Bahia Nina Rodrigues described the situation in these terms: Prima facie, it is possible to distinguish within today’s Brazilian population a significant majority of mestizos in various degrees of corssing [sic] and a minority of pure uncrossed anthropological elements. [in a footnote he adds: « the term pure has here only a relative value which merely exists in contrast with the mixing which we observe.] (Rodrigues 1894, pp. 89, 90; author’s translation, P. F.)2 16 He distributed the mestiços in four categories, each one defined by the degree of mixture involved: 1) The mulattos, « product of the crossing of the White with the Black, a very numerous group constituting almost the total population in certain regions of the country » (ibid., p. 91; author’s translation)3. He further divides the mulattos in « mulatos dos primeiros sangues » (mulattos of first bloods), « mulatos claros » (light mulattos) and « mulatos escuros » (dark mulattos). 2) The mamelucos or caboclos, « produto do cruzamento do branco com o índio » (product of the crossing of the White with the Indian) (ibid., p. 91). 3) The curibocas or cafuzos, « produto do cruzamento do negro com o índio » (product of the crossing of the Black with the Indian) (ibid., pp. 91, 92). 4) The pardos, « product of the crossing of the three races but predominantly from the crossing of the mulatto and the Indian, or with mamelucos caboclos. This mestizo,

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which, in the case of an equivalent mixture of the three races, must be the Brazilian product par excellence, and much more numerous that one might suppose » (ibid., p. 92; author’s translation)4.

17 These observers of Brazilian social life at the turn of the twentieth century constructed a taxonomy whose logic was given by three principal categories (the White, Black and Amerindian « races »), which, in their mixture, produce subsequently derived intermediate categories. Mutatis mutandis, this schema informed the analyses of most subsequent Brazilian anthropologists during the first decades of the twentieth century. Roquette-Pinto, for example, divided the population into four « types »: the brancos or leucodermos; the negros, or melanodermos; the mestiços, or faiodermos; and the cafuzos, or xantodermos. What distinguished these theoreticians was less their classificatory schemes and more their prognosis for the future of Brazil. While for Gobineau racial mixture would lead to Brazil’s ultimate ruin (he predicted that the society would cease to exist in about 200 years), Roquette-Pinto and his followers denied any hereditary or constitutional problems deriving from « miscegenation »5. 18 The first Brazilian censuses reflected in part these taxonomies. The first national census of 1872 was based on a taxonomy of four categories: branco, preto, pardo and caboclo (Amerindians). The second census of 1890 substituted pardo for mestiço, in the belief that the colour pardo referred only to the offspring of marriages between brancos and negros. The 1920 census eliminated the item « race » altogether because it was felt that « replies greatly concealed the truth », above all the replies of the mestiços (Carvalho 2004). Even so, in common parlance the population was more simply divided into brancos and homens de cor (people/men of colour). At this early stage in the coining of « racial » taxonomies, therefore, a binary system existed alongside a more complex taxonomy of at least four categories. As Armelle Enders pointed out in her critique of this paper, many 19th century travellers to Brazil, « beaucoup moins obsédés que Gobineau par la question raciale, ont l’impression, en arrivant à Rio de Janeiro, de débarquer en Guinée. Edouard Manet, qui passe quelques semaines dans la ville en 1849 (à la fin de la période intense du trafic négrier), distingue entre, d’un côté, les Noirs et les métis (mêlant déjà les deux catégories) et, de l’autre côté, les « Brésiliens ». Le Brésil de la première moitié du XIXe siècle n’est nullement un “pays métis”, mais une société très cloisonnée où la couleur de la peau correspond quasiment à un statut juridique » (Enders, personal communication 2006).

Brazil’s fame as a hybrid Brazil with « racial » harmony inspires the world

19 The Brazilian modernists, following the same taxonomy of races and their mixture shared Roquette-Pinto’s optimism. For them, hybridism was not the weakness of the country; rather its strength, celebrated in the art of Tarsila, Anita, Portinari and di Cavalcanti and in the literature of Mário and Oswald de Andrade. Mario de Andrade’s Macunaíma was born negro of an Indian single mother whose other children covered the rest of the spectrum, and became branco when he migrated to the metropolis (Maggie 2005). Gilberto Freyre (1933) described Brazil in terms of basic antagonisms between the great houses and the slave quarters, the bourgeois town houses and the shanties, grand tombstones and open graves, masters and slaves, brancos and negros. He argued that these antagonisms were mediated and attenuated by the erotic encounters between members of one and other pole. This led to his utopian vision of a Brazil which

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would finally overcome its antagonisms when all was dissolved into a homogeneous « meta-raça ».

20 This optimistic understanding of a hybrid Brazil without « pure races » and without racial hatred excited the imagination of many, not least the anthropologists of Columbia University in New York and UNESCO’s intellectuals who were avid to find pacific solutions for multi-racial societies in the years following the Second World War (Maio 1997). The research carried out under the auspices of UNESCO reproduced to a certain degree the previous taxonomies recognizing a few brancos and negros and a vast mass of mestiços. But there was a fundamental difference also. In accordance with the insights of the São Paulo sociologist Oracy Nogueira (1991), the categories of Brazil’s taxonomy were not to be understood in terms of descent (origem) as in the United States of the « one drop rule », but in terms of appearance (marca). Other participants in the UNESCO team followed suit. Marvin Harris, for example, provides this description of the people of Minas Velhas based entirely on their physical attributes: Les types les plus courants sont le moreno, le chulo, le mulato, le creolo et le cabo verde. Le moreno a les cheveux ondulés et la peau d’un Blanc fortement hâlé. Le mulato a les cheveux crépus et frisés, et la peau plus foncée que le moreno. Le chulo a les cheveux crépus et bouclés et la peau « de la couleur de caramel ou de tabac ». Le creolo a les cheveux fins et ondulés et la peau presque aussi foncée que le chulo, mais plus lisse. Le cabo verde a les cheveux plats, mais la même couleur de peau que le Noir. (Harris 1951, p. 60) 21 However fascinated they may have been with Brazil’s complex « racial » taxonomy, the authors of Races et classes dans le Brésil rural (Wagley 1951), also noted the presence of a basic logical and socio-economic opposition between brancos and pretos which coincided with the opposition between the rich and the poor. Marvin Harris illustrated his vision of Minas Velhas using a triangle based on a trapeze. In the diagram he drew, the population was divided into brancos and ricos who occupied the superior positions of the triangle, while the pretos or pobres occupied the lower part. By so doing, Harris (1951, p. 86) established the logical relation preto:branco::pobre:rico. Even so, this clear opposition was not deemed present in the political domain. The words of Marvin Harris and another of the Brazilian participants in the UNESCO project, Luiz de Aguiar Costa Pinto (1953), are clear: Objectively, there is a correspondence between class and race in Brazil […]; the more negroid the phenotype the lower the class. Prevention of the development of racial ideology may very well be a reflex of the conditions which control the development of class confrontations. In the United States, racism and racial caste divisions have split and fragmented the lower class. « Black Power » in the United States lacks the revolutionary potential of the preponderant mass; « Black Power » in Brazil contains this potential. The ambiguity built into the Brazilian calculus of racial identity is thus, speculatively at least, as intelligible as the relative precision with which Blacks and Whites identify each other in the United States. (Harris 1970, p. 85) Thus if it be true, as Myrdal suggests, than on the day when the trades unions of the United States expunge the colour line from their ranks in the name of class solidarity, this will produce an explosion which will be heard in the entire world and will lead to a change of direction which will surprise North American civilization, also here one might say, in the light of current opinion in the world in relation to the racial situation in Brazil, that a no lesser explosion will be produced in Brazil if one day the great masses of colour of this country lend their ears to the callings of this race ideology and charge forward along the cul-de-sac which it leads to. (Costa Pinto 1953, p. 291; author’s translation)6

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22 For both these writers, then, the « ambiguity » of Brazil’s racial calculus stands opposed to the clarity of racial identities in the Unites States as class is to race as a principle of mass political action in one society as opposed to the other. Even so, as at the turn of the century which saw a dichotomy of brancos and homens de cor, so the UNESCO researchers recognized the coexistence of bipolar and more complex « racial » taxonomies.

Brazil becomes a land of racial distinction and discrimination

23 Most subsequent sociological analyses, with the exception of Carl Degler (1986) who posited that the category mulatto served as a kind of « safety valve » which secured the system of racial domination, have underplayed the ambiguity of hybridism to concentrate on what is seen as a fundamental opposition between negros and brancos. Ironically it was Costa Pinto who first described the demography of Rio de Janeiro in terms of Whites and people of colour. He presented his findings in the form of simple bar diagrams.

24 The hierarchy of races and classes as in Harris’ diagram gave way to the depiction of a society cruelly divided into two clear and separate categories. While the triangles ritualize hierarchy and relationship, the bar diagram ritualizes a society divided into two distinct collective identities. Contrary to Nina Rodrigues’s prophecy that Brazil would ultimately become a society of mestiços, it had become in the sociologists’ imagination a society divided into two and only two racial categories. Costa Pinto’s diagram informs, reifies and ritualizes a bipolar taxonomy. 25 How did Costa Pinto construct his diagram? At the time of his research, the Brazilian Geographical and Statistical Institute (IBGE) utilized a four-category taxonomy to establish what they determined as colour: branca, parda, preta, and amerela. (Today it includes one more category: indígena for Amerindians; Nobles 2002). What Costa Pinto did was to group together those who declared themselves pardo or preto to form a new inclusive category which he denominated, reverting to the turn of the century terminology, « de cor », « of colour »: 26 Costa Pinto’s elision of the categories pardo and preto soon became standard practice in Brazilian sociology as can be seen in such titles as Brancos e Negros em São Paulo (Bastide and Fernandes 1971), and A integração do negro na sociedade de classes: o legado da « raça branca » (Fernandes 1978b). But the practice acquired greater authority with the publication in 1979 of sociologist Carlos Hasenbalg’s Discriminação e desigualdades raciais no Brasil (Hasenbalg 1979), which was to have great impact on the Black Movement and on subsequent sociology. He effected statistically that which the black movement had been unable to do in practice, transforming Brazil’s complex taxonomy (what he calls the « colour continuum ») into a simple dichotomous one. In the first chapter of Discriminação e desigualdades raciais no Brasil census data are presented utilizing the categories of pretos, pardos e brancos. But in the later and most important chapters of the book, those which analyse political and social mobility (or the lack thereof), Hasenbalg elides the two categories into one which he calls « non-Whites ». In an article first published in 1985, Hasenbalg justifies this procedure:

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Non-whites are defined as the sum of what the various censuses classify as Blacks [pretos] and Browns [pardos], excluding the category yellow [amarelos]. In all dimensions analysed, the browns occupy an intermediary position between the whites and the blacks, although this position is always closer to that of the Blacks. (Hasenbalg 1988; author’s translation)7 27 As if by magic the continuum had become a dichotomy. But how often is the cool reason of « methodology » in effect the product of the cultural categories of its author? Hasenbalg, as Florestan Fernandes before him, saw himself as a significant ally of the black activists, for whom the division of the Brazilian population into Whites and non- Whites had been their point of departure and the dreamed-of future. After all what is a black movement without Blacks, and, by logical opposition, Whites?

28 In retrospect, I would argue that Discriminação e desigualdades raciais no Brasil became an ideological narrative for the black movement and its sympathizers much as Casa Grande e Senzala had been for the modernists of the 1930s. At the end of his book he makes this point quite explicitly: If processes of social competition and individual social mobility based on market forces operate to the detriment of the racially subordinate group, the analysis should focus on the forms of political mobilization of the non-Whites and to inter-racial conflict. The effect of race on the class structure and the evolution of racial inequalities will depend on the emergence of racial movements and of the forms they take as well as the way in which they relate to other battles and other social movements. (Hasenbalg 1979, p. 221; author’s translation)8 29 More recently and in preparation for Brazil’s participation in the III World United Nations conference for the combat against racism, racial discrimination, xenophobia and correlate intolerance in Durban in October, 2001, the Brazilian government’s Institute for Applied economic Research (IPEA) presented a paper which has had enormous influence on the debate over the racial question in recent years. Once again, Brazilian society is imagined as made up of only two « racial groups » and the diagrams, now much more sophisticated due to computer technology, are redolent of Costa Pinto’s.

30 Thus, statistical analysis has come to the aid of the bipolar taxonomy, eliminating for ever intermediate categories. This form of understanding Brazil, which José Murilo de Carvalho has appropriately called « statistical racial genocide » effectively substitutes the complex taxonomy of the IBGE with a simple bipolar one. It is obvious to anyone that the 39% of pardos in the 2000 census to a large extent are made up of people descended from Indians. There lies, it must be said, the raison d’être of the racial tribunal of the University of Brasília which is charged with distinguishing people of African descent from among the pardos. The monthly research bulletin of the IBGE in 1998 showed that people who were classified as pardos according to the imposed categories of the Institute called themselves morenas (brown) or morenas claras (light brown) in 60% of the cases when left free to define themselves as they wished. Only 34% of the pardos agreed with the Institute’s taxonomy and only 2% defined themselves as mulattos. Research conducted in the Metropolitan Region of Rio de Janeiro in 1997 revealed that 50% of those classified as pardos by the interviewers said that they were brown or white. Another research project carried out in Rio in 2000 showed that 48% of the pardos claimed Indian ancestry. In the northern states, where there was much less African slavery, those descended from Indians form without any doubt the great majority of the pardos. (Carvalho 2004, p. 7; author’s translation)9

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31 Qualitative analyses have also steadily abandoned the gradations and ambiguities so prevalent in the UNESCO research. This new tradition seems to have begun with the São Paulo sociologist Florestan Fernandes, who also participated in the UNESCO project as Roger Bastide’s assistant, and who, quite explicitly adopted as analytical terms the categories used by his « natives », his black activist friends: We found various difficulties in the use of certain words. The term « preto » was always used by the « white » to designate the negro and the mulatto in São Paulo, but calling up a stereotyped and highly negative image socially elaborated in the past. The negros and mulattos themselves preferred, in their first manifestations of autonomy – through protest movements – the self description contained in the word negro. On the other hand, they impugne the word « white », arguing that miscegenation imposes severe restrictions on the pretensions of those paulistas who claim « racial purity ». To avoid susceptibilities or recriminations we utilize the word « preto » when stereotyping by the « Whites » is evident and we put all the words in inverted commas, except for concrete cases where we could discern the gradations of skin colour of the subjects under investigation. Otherwise we use the expressions « men of colour » and « population of colour » quite frequently and with no pejorative intention. (Fernandes 1978a, p. 25; author’s translation)10 32 In this way, the native categories of the black activists (brancos and negros) became the analytical categories of native Brazilian sociology. Needless to say, most American researchers, whose native and analytical categories tend to be based on the bipolar taxonomy which is dominant in North American society, have merely reinforced this tendency11.

The law and the building of a bipolar taxonomy

33 Another important factor in the naturalization of a Brazil of negros and brancos is the fight against racial discrimination which at first sight might appear to negate the existence of races but in practice confirms the existence of but two. Costa Pinto clearly perceived this demarche in his analysis of the passing of the Almino Afonso law against racial discrimination in 1951, arguing that for the first time in Republican law the negro appears as a juridical entity as Brazil is imagined as a nation of white discriminators and black victims: [The law represents] the beginning of a process which, in the context of the racial tensions which exist and which are becoming more serious in the country, will not surprise us if they lead to the situation which is characteristic of the southern cities of the United States and which may be resumed by the formula separate but equal. In fact, until the new law, in Brazil with its republican legislation, the negro appeared as a free man in 1888, as a citizen, in the abstract, juridically equal to all other citizens. He was in the Law by exclusion – all are equal before the law, independently of colour, sex, religion, etc. Now, for the first time, unless I am mistaken, a law has been passed which defines the behaviour of Whites in relation to blacks, and attributed to the latter, as negros, the specific right not to be denied some more general rights which the law already attributed to all citizens regardless of their ethnic condition. […] and to declare that those who violate principles already solemnly present in more general prior legislation are punishable.12 (Costa Pinto 1953, pp. 292-293; author’s translation) 34 He then goes on to suggest that such legislation may be the prelude for effective segregation:

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Such a law could come to be the prelude for subsequent legislation which would substitute it, inspired by the desire to remedy its practical defects, assuring both Blacks and Whites of the right to receive education, recreation, residential districts, social services and other institutionalised sectors of social life equal but separate. For this to come about, one of the pre-conditions now exists: the juridical entity negro, present in the spirit and text of the common Law.13 (ibid.; author’s translation) 35 More recently, Fabiano Dias Monteiro has argued forcefully that this law which so many of us had understood as purely anti-racist constitutes in effect the truth of a bipolar racial taxonomy. It was precisely in the field of the law and the concomitant fight against the « farce of racial democracy » that the black movement was able to strengthen the notion of a racially divided Brazil, what he denominates the Brazilian racial schism (Dias Monteiro 2003).

36 A further step in the strengthening of the legal recognition of a black identity (and by logical extension a white one also) and therefore in the strengthening of a bipolar racial taxonomy was the 1988 Constitution, which defined racism as a crime with no time limit and without possibility of bail, as opposed to being simply a « contravention » as it had been defined under the Afonso Arinos law. The 1988 Constitution also introduced the concept of « communities that are descendants of maroon communities (quilombos) », with rights over titles to their lands. This effectively divided the non-Indian rural population in negros and not negros; in quilombolas and the rest. But it was during the Fernando Henrique Cardoso government (1994-2002) that more direct measures were taken. In 1995 the government launched its National Human Rights Program which contained a series of planned activities in the interests of the « black community ». These included support for « the inter-ministerial working group – created by Presidential Decree on November 20, 1995 – for drawing up activities and policies to recognize the value of the black population », and a « Working Group for the Elimination of Discrimination in the Workplace and in Careers » within the Ministry of Labor. In relation to the legal system, the Program proposed to « stimulate State Secretaries of Public Security to promote refresher courses and seminars on racial discrimination. […] Adopt the principle of the criminalization of racism in the Penal Code and Penal Process. […] Disseminate the International Conventions, articles of the Federal Constitution and infra-constitutional legislation dealing with racism. […] Support the production and publication of documents contributing to dissemination of anti-discriminatory legislation ». The document also suggested the inclusion of racial data in all official documents, the stimulation of the presence of « ethnic groups that make up our population » (grupos étnicos que compõem a nossa população), in institutional propaganda, and « private initiatives to bring about positive discrimination » (ações da iniciativa privada que realizem discriminação positive). It also recommended the implementation of « affirmative action for the access of negros to professional and university courses and to cutting edge technology » (ações afirmativas para o acesso dos negros aos cursos profissionalizantes, à universidade e às áreas de tecnologia de ponta), and the formulation of « compensatory policies that promote the black community socially and economically » (políticas compensatórias que promovam social e economicamente a comunidade negra) (Programa Nacional de Direitos Humanos [PNDH], 1996, my emphasis). The PNDH also proposed that the IBGE eliminate the categories pardo and preto in favour of one single category negro. Most of these ideas remained on paper. It was to be the government of President Luis Inácio Lula da Silva which came to power in 2002 which took them one stage further.

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37 The Lula administration gave greater salience to the issue of race by creating the Special Secretariat for Policies for the Promotion of Racial Equality (SEPPIR) under leadership of Matilde Ribeiro with the status of Minister of State. SEPPIR was charged with: promoting « equality and protection of the rights of individuals and racial and ethnic groups subject to discrimination and other forms of intolerance, with emphasis on the black population » (a igualdade e a proteção dos direitos de indivíduos e grupos raciais e étnicos afetados pela discriminação e demais formas de intolerância, com ênfase na população negra); articulating, promoting and following through « various programmes involving cooperation with public and private organisms, both Brazilian and foreign » (diversos programas de cooperação com organismos públicos e privados, nacionais e internacionais); promoting compliance with the international conventions to which Brazil is signatory, and which refer to the « promotion of equality and combating racial or ethnic discrimination »; and « aiding the Ministry of Foreign Affairs in coming closer to the nations of the African continent »14. 38 This tiny Secretariat with a staff of less than forty has been extremely active in making itself felt in various ministries and in State and municipal governments, encouraging policies directed to negros principally in the fields of health and education. It has also lent its weight to two governmental projects which, if implemented, would definitively install a bipolar racial taxonomy in Brazil. The first is a bill which seeks to implement racial quotas in all federal institutions of higher learning (PL 73/1999) and the second is a bill which proposes the establishment of a Statute for Racial Equality (PL 3.198/2000). 39 The first bill which is still to be debated in Congress extends racial quotas to all federal universities. Each university would distribute places to Indians, Blacks and Whites in accordance with their statistical distribution in the State where the university is situated. In effect, it will oblige all candidates for federal university places to define their colour/race. The Statute of Racial Equality (SRE) is far more wide-ranging in its aims, containing an Introduction and eleven chapters, covering rights to health, education, belief, employment and fair pay, justice, and representation in the media15. Throughout the document Brazil is presented as a country of two races: on the one side, the « Afro-Brazilians », « people who classify themselves as such and/or as negros, pretos, pardos or analogous definition » (as pessoas que se classificam como tais e/ou como negros, pretos, pardos ou definição análoga) (Paim 2006, p. 13) and on the other, un-named but logically present, are the « Whites » (Grin 2006). As if to illustrate a document that refers only to Afro-Brasileiros, the cover of the document portrays a smiling black nuclear family of father, mother and daughter, each one with dreadlocks. 40 Having defined Brazil as a bi-racial society, the Statute claims to be guided by the desire for « reparation, compensation and the inclusion of the victims of inequality and the promotion of racial equality » (reparação, compensação e inclusão das vítimas da desigualdade e a valorização da igualdade racial) (Paim 2006, p. 14). Each chapter exemplifies actions to be taken in each area of social life. Significantly the first chapter (« On the right to health »), establishes essential and supposedly natural differences between black and white bodies, in spite of all evidence on the non-correlation between phenotype and genotype that has been recently demonstrated by Brazilian geneticists (Parra et al. 2003; Pena 2005). This lays the way for justifying the necessity for all citizens to declare their « race/colour » at all encounters with the health system and to alter the curricula of medical faculties to include materials on what are described as « the specific health problems of the afro-brazilian population as transversal themes in

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the curricula in schools of medicine » ([a]s especificidades da saúde da população afro- brasileira como temas transversais nos currículos dos cursos de saúde) (Paim 2006, p. 17). Having established a « natural » difference between Afro-Brazilians and (presumably) Euro-Brazilians, the Statute proceeds to advocate quotas in universities, in the media, and the workplace. If brought into law, the Statute will oblige all citizens of Brazil to declare their « race or colour » at just about every step in their lives.

Brazil in the world

41 In 1994 I gave a course about Brazilian racial relations in Gothenburg University in Sweden. When I was discussing the ideas of Oracy Nogueira (Nogueira 1991) on the Brazilian classification system, talking about the multiple terms used to describe all the various forms of appearance, I noticed that a blonde student wearing her hair in a braids and looking more like Queen Nzinga than Brunnehilde was becoming redder and redder and ever more agitated. Finally, she exploded: « This is ridiculous! This is not possible! How can this be? » and other phrases that expressed her shock and anger. My attempt to win her over to what could be called a more « anthropological » perspective failed. She refused to be convinced that what I was trying to describe could be taken seriously.

42 This seemingly banal event drew my attention to the fact that Brazil’s various taxonomies are perceived to be outrageous (Judith Butler would doubtless use the term « object ») by those who are accustomed to tidy « racial » categories, that is most of the world, especially that great part which is dominated by the thinking of (mainly Anglophone) societies whose colonial past was based on premises of racial and ethnic segregation, and whose post-colonial present celebrates multiculturalism16. 43 Some years back, Loïc Wacquant and Pierre Bourdieu argued that Brazil was the victim of North American cultural imperialism which was imposing a bipolar racial taxonomy on Brazil. « L’impérialisme culturel repose sur le pouvoir d’universaliser les particularismes liés à une tradition historique singulière en les faisant méconnaître comme tels » (Bourdieu and Wacquant 1998, p. 109). Le fait que la sociodicée raciale (ou raciste) ait pu, au cours des dernières années, se “mondialiser”, perdant du même coup ses caractéristiques de discours justificateur à usage interne ou local, est sans doute une des attestations les plus exemplaires de l’empire et de l’emprise symboliques que les États-Unis exercent sur toute espèce de production savante et surtout demi-savante, à travers notamment le pouvoir de consécration qu’ils détiennent et les profits matériels et symboliques que procure aux chercheurs des pays dominés par l’adhésion plus ou moins assumée ou honteuse au modèle venu des États-Unis. (ibid., p. 113) 44 It is true that at least one American foundation has been very generous in its support of non-governmental organisations directed by the most articulate black leaders in Brazil, not to mention its equally generous support for the Brazilian Anthropological Association in its work related to the recognition of the authenticity of indigenous groups and « quilombo communities ». However, Bourdieu and Wacquant could also have highlighted the growing influence of multi-lateral associations, especially the United Nations. Convention 169 on Indigenous and Tribal Peoples in Independent Countries approved by the International Labour Organisation (ILO) on 7/6/1989, and to which Brazil is a signatory, guarantees rights over land and over their own identity « to tribal peoples in independent countries, whose social, cultural and economic, conditions distinguish them from other sectors of the national collectivity, and which

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are governed, totally or partially, by their own customs or traditions, or by special legislation » and « the peoples of independent countries considered indigenous by the fact that they descend from populations who inhabited the country or a geographic region belonging to the country at the time of conquest, or colonisation, or the establishment of the current state frontiers and who, irrespective of their legal situation, preserve all their own social, economic, cultural and political institutions, or part of them ». « The consciousness of their indigenous or tribal identity must be considered as a fundamental criterion to determine the groups to which the provisions of this Convention apply ». Three years after the publication of the article of Bourdieu and Wacquant, the United Nations held the Third United Nations World Conference Against Racism, Racial Discrimination, Xenophobia and Related Intolerance in Durban, South Africa in October 2001 in which 170 States and 1000 NGOs participated. It had the catalysing effect of propelling the demand for affirmative action in Brazil. The 2004 PNUD report on human development had the sub-title: « Cultural Liberty in a Diversified World ». The message of this Report, despite recognising the dangers of the « essentialisation » of culture, is that without cultural diversity there is no development. There is no doubt, therefore, that Brazil has found itself in a network of international relations that is positioned against the old Brazilian ideology of ignoring « race » in the distribution of justice and the largesse of the State. The international conventions are invoked frequently by those in favour of quotas with the clear intention of corroborating the ubiquity and therefore naturalness of affirmative action.

45 Seen in this way, then, the power of the wider world to further the naturalization of a bipolar taxonomy is difficult to underestimate. But it would be fallacious to suggest that it introduces a bipolar taxonomy, which we have shown to be consistently present in Brazilian discourse at least since the end of the 19th century. What it is possible to argue, however, is that the massive presence of the wider world which utilizes predominantly Anglo-Saxon terminologies, plays a significant role in adding to the natural truth of the division of Brasil into negros and brancos; a truth « masked » by « miscegenation » and the « myth of racial democracy ».

The future

46 The notion of racial quotas and the Statute of Racial Equality define Brazil as a society divided between negros and not negros. It brings a legal seal to the gradual growth in salience of a binary racial taxonomy which we have documented in this paper. If the two laws are approved, citizens who visit health centres or compete with one another for university places or positions in the civil service or jobs in the private sector will be obliged by law to classify themselves in one of two categories. The taxonomy of the black activists will have become law.

47 What will be the consequences of the involvement of the State in the sphere of racial taxonomies and classifications? Will it signify the final victory of the bipolar taxonomy and, as some fear, a growing racialization? After all, the recent history of State intervention in racial classification hardly leads to optimism on this score. Or will the new laws have little effect on daily life which will continue to invoke one or other taxonomy in the endless and complex process classification of self and others? Will the new laws impinge upon the subjectivities of Brazilian citizens, strengthening and legitimizing a negro identity, and, by logical extension, a branco one also? Or, as some

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claim, will the law be « assimilated » by the tradition of hybridism and terminological confusion?17 48 I do not wish to reply to these questions, amongst other reasons because I am well aware that the social sciences are more proficient in interpreting the past that in predicting the future. Even so, one might return to Durkheim and Mauss for inspiration. Almost at the end of their essay they point to the speculative character of primitive classification: Les choses n’y sont pas simplement disposées sous la forme de groupes isolés les uns des autres, mais ces groupes soutiennent les uns avec les autres des rapports définis et leur ensemble forme un seul et même tout. De plus, ces systèmes, tout comme ceux de la science, ont un but tout spéculatif. Ils ont pour objet, non de facilitier l’action, mais de faire comprendre, de rendre intelligibles les relations qui existent entre les êtres. (Durkheim and Mauss 1968, p. 82) 49 In the situation I have described, the two rival taxonomies could be seen as speculations on the aesthetic, cultural, economic and political diversity of Brazil. The dispute over taxonomies has certainly produced an unprecedented debate on the nature of Brazilian society. Even so, it is quite evident that the adoption of one or other of these taxonomies is less a case of speculation than of political expedience. Furthermore, the debate is emotionally charged. Defendants of quotas accuse their critics of racism, cynicism and the use of guile to preserve their privilege as a « white elite ». Those who oppose them argue that they merely legalise categories which would be better left to find their own direction in the course of everyday social life. To address inequality between darker and lighter skinned Brazilians, they argue, policies could be directed, as in France, to territories that are predominantly darker and poorer without incurring the legalization of racial categories. What may not be clear to all concerned is that the adoption of the quota law and the Statute of Racial Equality lend the force of law to a bipolar taxonomy which will certainly involve distinct even if not clearly defined practical consequences.

50 Acknowlegments: A first version of this paper was written in collaboration with Professor Yvonne Maggie, and presented at the XXIII Annual Meeting of the National Association of Social Science Programs, Caxambu, 21-25 October 2003. I am more than grateful to Yvonne Maggie for her constant support and lively participation in the debate. I also thank my fellow members of the Observa project (www.observa.ifcs.ufrj.br), in particular Fabiano Dias Monteiro and Durval dos Anjos. My graduate and undergraduate students working on related issues, Robson Cruz, Bruno Chiappetto, Orlando Calheiros and Rafael Wagner have been a source of comfort and ideas.

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NOTES

1. Throughout this essay the terms for color/racial categories are presented in Portuguese in an attempt to avoid distortions through translation into categories which may have distinct meanings in English or French. 2. « À prima facie, pode-se distinguir na população brasileira atual, uma grande maioria de mestiços em graus muito variados de cruzamento, e uma minoria de elementos antropológicos puros, não cruzados. [em nota « o termo puro tem aqui apenas um valor relativo e se opõe tão somente ao mestiçamento que assistimos.] ». 3. « Produto do cruzamento do branco com o negro, grupo muito números, constituindo quase toda a população de certas regiões do país ». 4. « Produto do cruzamento das três raças e proveniente principalmente do cruzamento do mulato com o índio, ou com os mamelucos caboclos. Este mestiço, que, no caso de uma mistura equivalente das três raças, devia ser o produto brasileiro por excelência, é muito mais numeroso que realmente se supõe ». 5. For a description and analysis of the taxonomies of Edgar Roquette-Pinto and his followers, see Gomes da Cunha (2002).

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6. « Assim, se é verdade, como diz Myrdal, que no dia em que os sindicatos trabalhistas nos Estados Unidos, em nome da solidariedade de classes, liquidarem em suas fileiras a linha de cor, isto produzirá um estrondo que será ouvido no mundo inteiro e determinará rumos surpreendentes à civilização norte-americana, também aqui se pode dizer, em face da opinião corrente no mundo a respeito da situação racial brasileira, que estrondo não menor se produziria no Brasil se algum dia as grandes massas de cor deste País dessem ouvidos aos chamamentos dessa ideologia de raça e enveredassem pelos caminhos sem saída que ela lhes apontam. » 7. « [D]esigna-se como não-brancos a soma do que os censos e a PNAD categorizam como pretos e pardos, excluindo-se a categoria “amarelos”. Em todas as dimensões analisadas, os pardos ocupam uma posição intermediária entre brancos e pretos, se bem que essa posição esteja sempre mais próxima do grupo preto ». 8. « Se os processos de competição social calcados no mecanismo de mercado envolvidos no processo de mobilidade social individual operam em detrimento do grupo racialmente subordinado, então o enfoque da analise deve se orientar para as formas de mobilização política dos não-brancos e para o conflito inter- racial. O efeito da raça sobre a estrutura de classes e a evolução das desigualdades raciais dependerá da emergência de movimentos raciais e das formas assumidas por estes, bem como da forma como os movimentos raciais se ligam a outras lutas e movimentos sociais ». 9. « Ora, é óbvio para qualquer um que os 39% de pardos do censo de 2000 se compõem em boa parte de descendentes de indígenas. Aí está, aliás, a razão de ser do tribunal racial da Universidade de Brasília, destinado a apontar entre os pardos os afro-descendentes. A Pesquisa Mensal de Emprego do IBGE, de 1998, mostrou que as pessoas classificadas como pardas pelos critérios impostos, quando deixadas livres para se autoclassificarem se disseram morenas e morenas claras em 60% dos casos. Apenas 34% dos pardos concordaram com essa classificação e apenas 2% se disseram mulatos. Pesquisa feita na Região Metropolitana do Rio de Janeiro em 1997 revelou que 50% dos que foram classificados de pardos pelos entrevistadores se disseram morenos ou brancos. Outra pesquisa no Rio, de 2000, mostrou que 48% dos pardos diziam ter antecedentes indígenas. Nos estados do Norte, onde foi fraca a presença da escravidão africana, os descendentes de indígenas formam sem dúvida a grande maioria dos pardos ». 10. « No uso de certas palavras encontramos várias dificuldades. O termo “preto” sempre foi usado pelo “branco” para designar o negro e o mulato em São Paulo, mas através de uma imagem estereotipada e sumamente negativa, elaborada socialmente no passado. Os próprios negros e mulatos preferiram, em suas primeiras manifestações de autonomia – através dos movimentos reivindicatórios – a autodesignação contida na palavra negro. Doutro lado, impugnam o vocabulário “branco”, alegando que a mestiçagem impõe restrições severas às pretensões de “pureza de sangue” dos paulistas. Para evitar suscetibilidade ou recriminações, usamos a palavra “preto” quando a estereotipação do ‘branco’ entra, visivelmente em jogo, e colocamos todas as palavras entre aspas, com exceção dos casos concretos, onde pudemos discernir as gradações da cor da pele dos sujeitos da investigação. Outrossim, empregamos as expressões “homens de cor” e “população de cor” freqüentemente e sem nenhuma conexão pejorativa ». 11. See e.g. Hanchard (2001) and Sheriff (2001). For a discussion of in-built ethnocentrism in the study of « race » in Brasil, see Fry (1995). 12. « … [a lei representa] o começo de um processo que, dentro das tensões raciais existentes e em agravamento neste País, não será surpreendente se conduzir à situação que caracteriza as relações de raças nas cidades setentrionais dos Estados Unidos e que se pode resumir na fórmula separate but equal. De fato, até então, no Brasil, na legislação republicana, o negro vinha comparecendo como o liberto de 1888, como cidadão, em abstrato, juridicamente igual a todos os cidadãos; estava na lei por exclusão – todos são iguais perante a lei, independentemente de cor, sexo, religião, etc. Agora, pela primeira vez, salvo engano, regulamenta-se em lei o comportamento de brancos em relação a negros, e atribui-se a estes, como negros, o direito específico de não terem praticamente negados alguns direitos mais gerais que a lei já atribuía a todos os cidadãos, independentemente da condição étnica. […] a declarar que são puníveis os que violarem determinados princípios já solenemente presentes em leis anteriores e mais gerais… ». 13. « Ora, uma tal atitude da lei… pode vir a ser… o prelúdio de uma outra legislação substitutiva desta e até inspirada no desejo de remediar sua inoperância pratica, visando assegurar a negros e brancos o direito

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de terem educação, recreação, distritos residenciais, obras de assistência e outro setores institucionalizados da vida social iguais mas separados. Para isto, tecnicamente, uma das pré-condições já existe: a entidade jurídica negro, presente no espírito e no texto da legislação ordinária ». 14. http://www.planalto.gov.br/seppir/, accessed on September 4, 2006. 15. The chapters are: « On the rights to health », « On the rights to education culture, sport and leisures », « On the rights to freedom of conscience and belief and on the free exercice of religious cults », « On the financing of the promotion of racial equality », « On the rights of the Afro-Brazilian woman », « On the rights of descendants of maroon community to their lands », « On the labour market », « On the quota system », « On the media », « On permanent watchdogs in legislative assemblies » and « On access to justice ». 16. In a previous paper I compared British and Portuguese colonial enterprises, formally segregationist and assimilationist, suggesting that the adoption of racial distinctiveness in Brazil might be seen as a final victory of the British colonial doxa as set out by Lord Alfred Lugard (Fry 2000). 17. Anne-Marie Losonczy (2006) observed in her critique of this paper that the phenomenon I describe for Brazil occurs throughout Latin America, above all with incorporation of indigenous identities in constitutions and laws.

ABSTRACTS

The politics of « racial » classification in Brazil. This paper traces the genealogy of « racial » taxonomies in Brazil arguing that recent policies which focus on the « black population » or the « black community » depend upon a belief that Brazilian society is neatly divided into « blacks » and « not blacks », thus superseding taxonomies which produce ambiguous « racial » categories based on the social « appearance » of individuals. The paper argues that such new political orientation may be a form of self fulfilling prophecy, bringing into being that which it assumed to exist.

La politique de classification « raciale » au Brésil. Cet article retrace la généalogie des taxinomies « raciales » au Brésil, et démontre que les récentes politiques publiques en direction de la « population noire » ou de la « communauté noire » reposent sur la croyance que la société brésilienne est clairement divisée entre « noirs » et « non-noirs ». Ces politiques remplacent ainsi des taxinomies produisant des catégories « raciales » ambiguës fondées sur l’« apparence » sociale des individus. L’article montre qu’une telle orientation politique s’apparente à une prophétie auto-réalisatrice, amenant à être ce qui est supposé exister.

Las políticas de clasificación « racial » en Brasil. Este artículo traza la genealogía de las taxonomías « raciales » en Brasil argumentando que las recientes políticas aplicadas a las « población negra » o a la « comunidad negra » parten del presupuesto de que la sociedad brasileña se divide nítidamente entre « negros » y « no negros », suprimiendo, así, taxonomías que producen categorías « raciales » ambiguas basadas en la « apariencia » social de los individuos. El artículo argumenta que esta orientación política se asemeja a una profecía auto- cumplida, estableciendo lo que se presupone que ya existe.

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INDEX

Geographical index: Brésil Subjects: Sociologie, Anthropologie Palabras claves: acción afirmativa, raza, taxonomías raciales Keywords: affirmative action, race, racial taxonomies Mots-clés: discrimination positive, race, Afro-descendants

AUTHOR

PETER FRY

Professor of Anthropology, rua Voluntários da Pátria, 34, casa 15, Rio de Janeiro 22270-010, Brasil [[email protected]]

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Position

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L’auteur malgré lui. Réponse à un texte d’Emmanuel Désveaux

Laurent Barry

1 J’ai, ces derniers jours, pris connaissance d’une position publiée dans la dernière livraison du Journal de la Société des Américanistes où Emmanuel Désveaux, membre du comité de rédaction de cette même revue1, critique sévèrement un ouvrage, La parenté, que j’ai publié chez Gallimard il y a quelques mois de cela.

2 Sa condamnation porte notamment sur le fait que j’y défendrais l’idée selon laquelle la reconnaissance de la parenté serait universellement fondée sur la « ressemblance physique ». Il s’agirait là de la thèse principale de mon argumentaire ou, comme il l’écrit, du « soutènement de toute [ma] démonstration » (p. 214)2. 3 Je n’ai bien entendu jamais, au grand jamais, défendu dans mon essai de thèse qui s’approche ni de près ni de loin (ni même de très loin) de celle qu’Emmanuel Désveaux me prête. Tous les lecteurs de cet essai le savent déjà, et je pense que je n’aurai pas de réelle difficulté à le démontrer aux autres dans la suite de cette réponse. Mais ce n’est pas sur ce point que je veux insister pour l’instant. Ce que j’aimerais d’abord essayer de faire partager, c’est une expérience nouvelle pour moi et sans doute également inédite pour beaucoup. Celle consistant, ne serait-ce que dans l’intervalle de temps qui sépare une recension de la réponse qu’on y apporte, à se trouver en butte à une critique portant non sur ses propres propositions, mais sur celles d’un autre. Bref, cet étrange sentiment qu’il y a à endosser, même si ce n’est que pour le premier acte de la pièce, un habit taillé à la mesure d’autrui, et à devoir interpréter un rôle particulièrement ingrat : celui d’un « auteur malgré lui ». 4 Car, Désveaux ne s’en tient pas là dans son exercice de travestissement de mes propos. Dans les onze pages de développements de sa Position, j’ai eu bien du mal à identifier ne serait-ce que quelques lignes qui évoquent honnêtement mes idées ou mes écrits. Pour le vérifier, et avant de répondre à la charge de mon critique, voici d’abord un petit résumé de son texte où j’userai de ses propres mots. 5 Si l’on en croit Emmanuel Désveaux, j’aurais développé dans mon essai un modèle liant parenté et ressemblance physique aux « relents d’évolutionnisme » (p. 215) et

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comportant un « argument caché » (p. 218) : celui de la « notion de substance ». Ce message subliminal qui serait contenu dans ce livre ferait de moi un « disciple dévoué » et « fidèle » de Françoise Héritier (p. 218) à qui l’on doit cet argument de la « substance ». Je poursuivrais, de la sorte, la tâche de « démantèlement de l’échange matrimonial » que celle-ci aurait entamée de façon « assez erratique » dans ses travaux par le biais d’un concept, celui d’inceste du deuxième type, qui manque « singulièrement de rigueur » (p. 223, note 11). Conscient, toutefois, de ces insuffisances, je m’efforcerais à présent de « remédier aux faiblesses intrinsèques des travaux de Françoise Héritier », travaux « reçus pendant des années dans un silence poli par la communauté des anthropologues » (p. 219). Cependant – et ce thème Dan Brownien du message cryptique qu’il faut lire entre les lignes va revenir comme une antienne – cette défense inconditionnelle de la notion de substance, il ne faut pas que le lecteur espère la trouver franchement exposée dans mon texte. Non, car, même si je « tends à reconnaître les linéaments de la parenté occidentale partout » (p. 219), cet « argument caché » reste toujours chez moi de l’ordre du « non-dit » (p. 219) et, partant, du non-écrit. Or, quand bien même Désveaux reconnaît lui-même que je ne recours à aucun moment à ce concept pour asseoir mon modèle, cela ne m’exonère pas à ses yeux de toute critique, car en réalité je « [m’]avance […] masqué, n’osant pas nommer explicitement ce qui sert de fondement et de fil conducteur à [mon] travail, à savoir cette notion de substance » (p. 219) qui « campe en arrière-fond de [mon] imaginaire théorique ». Et cet argument, qui est le mien à la manière dont Monsieur Jourdain use de la prose, autrement dit sans que je le sache ni sans que le lecteur puisse jamais le lire, « éveille des soupçons à cause de sa connotation biologisante, mais aussi à cause de ses relents d’ethnocentrisme » et « ne peut se comparer avec la réciprocité qui s’était imposée à Lévi-Strauss […] et qui était vouée à un grand rayonnement dans le climat un peu particulier de ressaisissement moral qui marqua l’après-guerre » (p. 219). 6 Après cette ouverture où les propos désobligeants envers Françoise Héritier et moi- même se succèdent et tiennent lieu d’arguments, Désveaux va changer de registre et jouer la carte corporatiste. Il feindra ainsi de s’émouvoir du fait qu’avec cet essai j’en aurais « profité au passage pour critiquer sévèrement les spécialistes des “basses terres d’Amazonie” ». Fort de ce pseudo casus belli, il s’efforcera de rallier nos « différents collègues amazonistes », leur suggérant de se reporter à mon texte « afin de savoir s’ils se sentent visés ou non… » (p. 223). Selon lui, en effet, dans un passage « très étonnant par la vigueur de sa charge », j’aurais pointé du doigt mes collègues américanistes « à propos des incohérences que susciteraient dans leurs écrits les adéquations admises entre classes terminologiques et règles de mariage » (ibid., note 16). Ce sera à cette occasion que Désveaux délivrera l’un des deux seuls renvois qu’il fait dans son texte à mon ouvrage (en indiquant les pages 203 et 71-75 comme loci delicti). Poursuivant sur la voie du réflexe communautaire, il m’accusera alors d’avoir offensé mes collègues américanistes d’une autre manière : en leur tournant ostensiblement le dos cette fois, ce, en raison de l’absence d’exemples ethnographiques issus de l’aire culturelle américaine dans mon essai. Car il y a bien entendu des raisons que l’auteur ignore, mais que Désveaux connaît et nous découvre, à cette absence. Et ici mon « silence est si assourdissant » (p. 220) et relève tellement de « l’acte manqué » que Désveaux ne pouvait pas ne pas le remarquer. Et, une fois encore, ce sera sur ce dont je ne parle pas qu’il aura le plus à redire, car ce non-dit me vaudra pas moins de deux pages de commentaires sur les onze de son texte.

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7 À quoi tient mon silence ? En tout premier lieu, à la crainte. À mon appréhension à affronter le courroux d’un groupe de chercheurs américanistes agissant « sous la houlette » d’Eduardo Viveiros de Castro et dont il donne ici une liste provisoire : Anne Christine Taylor, Carlo Fausto, Aparecida Vilaça et Isabelle Daillant. C’est ainsi des représentants de cette « brillante école franco-brésilienne » (c’est la seule chose que je ne conteste pas dans sa diatribe)3 dont j’aurais eu à craindre les foudres si je m’étais aventuré sur les terres de l’ethnographie amazonienne. C’est la peur que m’inspirent nos collègues – « autant éviter […] de se jeter dans la gueule du loup » (p. 220) –, qui expliquerait ma « désertion » (p. 221) face aux Amériques. Qui rendrait compte du fait qu’il m’a fallu me détourner de ce « “bastion” […] de l’échange matrimonial » qu’est le continent américain et « renoncer à l’investir ». C’est à l’occasion de ce pathétique portrait de l’ethnologue en croquemitaine que nous brosse Désveaux, que nous allons apprendre que ces mêmes collègues sont les véritables gardiens du Temple érigé à la gloire de la pensée lévi-straussienne. Les seuls initiés, comme il l’écrit, restés « fidèles aux enseignements des Structures élémentaires de la parenté ». Car ils « font de la réciprocité la clé d’interprétation privilégiée des comportements sociaux, en général, et matrimoniaux, en particulier » et jamais « aucun d’entre eux ne renonce à la valeur universelle de leur paradigme fétiche » (p. 220). Mais poursuivons. Désveaux connaît si bien mes pensées et mes motivations profondes qu’il est capable d’ajouter à cette première cause – la crainte – deux motifs secondaires à même d’expliquer l’absence, dans mon ouvrage, d’exemples ethnographiques amérindiens. D’abord le fait que la notion de substance – censée être au cœur de mon travail – n’ait pas en Amazonie le sens qu’elle a ailleurs. Ensuite, le fait que les terminologies soient la clé ouvrant à la compréhension de la parenté américaine4, alors que je n’y attacherais aucune importance. Désintérêt total dont témoigne sans ambiguïté, « nouvelle désinvolture » de ma part, le fait que je ne consacre à la question des nomenclatures de parenté que quatre pages sur plus de huit cents, « déniant à cette question ipso facto la moindre pertinence » (p. 221). 8 Voilà donc brièvement résumé l’essentiel de l’argumentaire de ce texte critique d’Emmanuel Désveaux. Quelque désir que j’ai de ne pas m’enliser dans ce qui relève plus, me semble-t-il, de la vendetta que du débat, je ne peux pourtant garder le silence devant certaines de ces élucubrations. Je souhaite donc reprendre et démonter ici les trois arguments principaux de mon contempteur, à savoir : 9 1) Le fait que la thèse principale de mon essai repose sur le lien que j’établis entre ressemblance physique et reconnaissance de la parenté. 2) L’importance que j’accorde à la notion de substance dans ma démonstration. 3) Le fait que l’absence d’exemples ethnographiques empruntés à l’aire culturelle américaniste dans cet ouvrage découle du point 2 ainsi que de mon désintérêt pour la question terminologique.

Ressemblance physique et terminologie

10 Commençons par l’argument le moins crédible pour qui a déjà lu mes travaux ou connaît mon orientation intellectuelle, celui selon lequel je ferais de la ressemblance physique le fondement de la parenté.

11 Non content de déformer à peu près l’ensemble de mes propos, Emmanuel Désveaux prend ici un risque quelque peu inconsidéré : celui de forger de toutes pièces une

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théorie, puis de m’en imputer le mérite. Et si je parle de « risque » ce n’est pas sans raisons, puisque perpétrer ce genre de « plagiat à rebours »5, c’est, à un moment ou à un autre, devoir assumer les conséquences que la découverte de l’imposture peut avoir sur la crédibilité intellectuelle de ceux qui s’y adonnent. Or le dévoilement de la supercherie est ici relativement aisé.

C’est dans les vieux pots…

12 Juste avant cela cependant, j’aimerais faire une incise à propos de l’idée selon laquelle la ressemblance physique entre parents et enfants pourrait être à l’origine de la reconnaissance de la parenté et des formes « familiales » qui en résultent, idée que Désveaux veut m’imputer et dont il semble ignorer qu’elle n’a vraiment rien de bien nouveau.

13 L’hypothèse est en effet une variante bien connue d’un modèle sociobiologique, d’inspiration néo-darwiniste, qui développe une vision « biologisante » de la proposition d’Edward Westermarck sur l’évitement de l’inceste dû à une éducation commune. Dans cette optique, développée par plusieurs anthropologues anglo-saxons (voir, par exemple, Burling 1985 ; McCabe 1983 ; Wolf 1966, 1968, 1970, 1993), mais surtout par un nombre toujours croissant de sociobiologistes ou de psychologues évolutionnistes (voir, par exemple, Bischoff 1975 ; Bixler 1981, 1983 ; Lieberman, Tooby et Cosmides 2003 ; Shepher 1971, 1983 ; Van den Berghe 1983), certains auteurs ont soutenu l’idée d’un phylogenetically programmed negative imprinting (d’une « empreinte négative phylogénétiquement programmée » ; Shepher 1983, p. 72) où des mécanismes de reconnaissance fondés sur les traits phénotypiques (dont précisément la « ressemblance physique »), mais aussi sur les odeurs ou d’autres marqueurs auraient permis à Homo sapiens sapiens de reconnaître ses « parents ». Ce mécanisme de reconnaissance de la parenté fondé sur la ressemblance physique ayant pour finalité d’éviter les accouplements incestueux. 14 Que Désveaux n’ait pas connaissance de ces travaux, admettons. Mais il est plus surprenant qu’il ignore jusqu’à ceux des anthropologues français travaillant sur un domaine qu’il revendique pourtant pour sien, celui de l’anthropologie de la parenté. Or cette thèse qui lie ressemblance physique à reconnaissance de la parenté a effectivement été défendue dans les années 1990, à partir d’autres réflexions que celles des sociobiologistes, par un anthropologue européaniste français, Bernard Vernier (1994). La thèse n’est donc pas nouvelle. Elle est encore moins la mienne.

Savoir lire…

15 L’argument n’est toutefois pas définitif. Examinons-en d’autres6.

16 Que je n’ai à aucun moment soutenu une telle thèse relève d’une première évidence : du simple fait que je conteste l’avoir fait et, qui plus est, que je la juge – comme toutes les thèses fondées sur un tel réductionnisme biologique – passablement ridicule. Si j’avais d’ailleurs défendu noir sur blanc ce modèle, pourquoi, à peine quelques mois après sa publication, le nierais-je farouchement ? Je devrais soit la défendre bec et ongles, soit – si j’avais été touché par quelque contre-argument – en soutenir une version remaniée. Mais pourquoi nier en être l’un des partisans, si cela avait été effectivement le cas, sachant combien il sera aisé de vérifier mes dires en parcourant mon ouvrage ?

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17 Or, et ce sera mon deuxième argument, il se trouve justement qu’un certain nombre de nos collègues ethnologues (Berger 2009 ; Collard 2009 ; Casajus 2008 ; Menget 2008 ; Muller 2009), démographe (Héran 2009), sociologue (Bastin 2008) ou encore philosophe (Keck 2009) m’ont d’ores et déjà fait l’honneur de lire cet ouvrage et d’écrire quelques mots à son propos, soit sous la forme de comptes rendus ou d’« à propos », soit dans le cadre d’articles ou d’essais thématiques. Il semble dès lors plutôt étonnant qu’aucun de ces auteurs, qui comptent pourtant dans leurs rangs d’éminents spécialistes des études de parenté, n’ait lu dans mon essai la moindre hypothèse qui se rapproche de près ou de loin de ce thème de la ressemblance physique dont Désveaux nous affirme qu’il en constitue la trame principale. Tous, en revanche, ont parfaitement saisi et résumé le modèle que je propose, et il n’est qu’à lire ces collègues pour se convaincre que celui-ci n’a pas la moindre relation avec cette question. 18 Mon troisième et dernier argument consistera à me tourner tout simplement vers mon texte. Si j’avais défendu la thèse que Désveaux m’attribue, il devrait être facile de le vérifier en se reportant aux passages incriminés qui devraient être nombreux et conséquents. Hélas, ce recours nous est interdit, et il est impossible de vérifier le moindre des propos que mon critique me prête dans la mesure où, à l’encontre de tous les usages universitaires, il ne cite aucune source7. La raison en est simple : elle tient au fait que non seulement je n’évoque jamais l’idée selon laquelle la parenté serait déterminée par la ressemblance physique, mais que je n’évoque non plus pratiquement jamais le thème de la ressemblance physique, ce à quelque fin que ce soit. 19 Il y a quelques avantages à être l’auteur d’un ouvrage. L’un d’entre eux tient à ce que nous n’ayons pas besoin de le lire pour en connaître le contenu. Un autre découle du fait que nous disposons d’une version électronique de notre manuscrit qui nous permet de retrouver précisément et rapidement l’ensemble des occurrences où nous avons abordé tel ou tel thème. Ayant constaté, à la lecture de la note critique d’Emmanuel Désveaux, à quel point le flou et l’imprécision étaient les fidèles auxiliaires de la mauvaise foi, je m’efforcerai d’être aussi précis que possible. 20 J’ai donc fait appel à la fois à ma mémoire et à celle de mon ordinateur, et le résultat de cette vivifiante collaboration est sans appel. Sur les huit cent soixante-trois pages de mon ouvrage, La parenté, il n’y a que trois paragraphes, chacun de quelques lignes, où il est question du thème de la ressemblance physique. Soit, si l’on en juge à l’aune de la taille de l’ouvrage (863 pages) et surtout de la multiplicité des thèmes qui y sont évoqués, à peu près ε (epsilon). Le Code civil prussien, la réforme grégorienne ou l’archéologie chinoise, par exemple, sont plus souvent et longuement évoqués dans ce volume que la question de la ressemblance physique. 21 Examinons ces occurrences. J’évoque une première fois ce thème de la ressemblance physique p. 19, quand je cite, en introduction de l’ouvrage, certains des usages linguistiques figurés que diverses langues proposent du terme de « parenté ». Parmi d’autres exemples, je mentionne les expressions populaires de « “parenté de vues” pour évoquer une identité de pensée » (p. 19) et celle « de “l’air de parenté” qu’entretiennent diverses choses ou personnes auxquelles l’on impute un certain degré de ressemblance, quelque similitude d’aspect ou de comportement » (ibid.). Je ne fais, dans ce passage ou à sa suite, aucun commentaire personnel ayant trait à cette notion de ressemblance physique. Le thème apparaît également p. 584 dans le cadre d’une citation extraite du récit des Éthiopiques d’Héliodore. Dans ce passage, j’explique ce qu’était la théorie de l’imprégnation dans les sociétés européennes anciennes. L’exemple de cette deuxième

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occurrence est plutôt amusant eu égard aux propos et aux hypothèses qu’on me prête, puisque j’y décris une théorie selon laquelle il n’y a pas vraiment de raisons valables pour que… les enfants ressemblent à leurs parents8. Enfin, ce thème apparaît p. 193 dans le cadre d’une discussion portant sur un système de parenté particulier, le système cognatique, et sur le rôle que les acteurs (et non l’ethnologue, précisons-le) accordent parfois dans celui-ci au critère de la ressemblance physique. Permettez-moi de citer un extrait de ce passage : De même, l’on sait la différence qu’il existe entre voir et reconnaître et que, là où une ressemblance physique entre parents et enfants semblera à certains évidente, elle pourra toujours, comme c’était le cas des habitants des îles Trobriands, être farouchement niée pour l’un d’entre eux, ou encore être certes reconnue, c’est le cas chez les Na du Yunnan, mais sans qu’on attache à cette idée de ressemblance la moindre importance en terme d’identité. 22 Je pense que mon propos est ici suffisamment parlant. J’affirme sans ambiguïté – et je ne suis pas le premier – que là où certaines cultures attachent de l’importance au critère de la ressemblance physique, d’autres s’en désintéressent totalement. Autrement dit, je défends la position exactement inverse de celle contenue dans la thèse que me prête Emmanuel Désveaux selon laquelle les systèmes de parenté dans leur ensemble seraient universellement fondés sur la notion de « ressemblance physique ».

23 Il n’est en définitive, nous venons de le vérifier, aucun passage de mon livre où je défendrais l’idée selon laquelle la ressemblance physique serait au fondement de la « parenté » et pourrait servir de modèle explicatif aux différents systèmes qui la constituent. Je propose bien – à tort ou à raison – une théorie « générale » des systèmes de parenté et d’alliance dans cet essai, mais elle est développée dans les quelque soixante-cinq pages du chapitre III (pp. 166-231). Et le contenu de ce chapitre, tout lecteur pourra aisément en juger, n’a rien à voir avec ce thème de la ressemblance physique auquel Désveaux aimerait tant que je souscrive.

Savoir compter…

24 Mais puisque je viens de montrer que la thèse de la « ressemblance physique », supposée centrale dans mon argumentaire, est en réalité forgée de toutes pièces par Emmanuel Désveaux, autant en profiter pour corriger tout de suite une autre de ses affirmations tout aussi fallacieuses.

25 Examinons le thème des terminologies de parenté dont Désveaux déplore cette fois l’absence puisque, selon lui, je ne l’évoque que dans quatre malheureuses pages sur les huit cent soixante-trois qui composent mon ouvrage. À nouveau, un petit effort de mémoire personnelle (ego) et virtuelle (personal computer d’ego) permettra aisément de trancher et de vérifier que ce thème, s’il n’est pas au centre de mon essai, ce dont je ne disconviens pas, y est pourtant plutôt bien représenté. Pour être très précis, et en adoptant une perspective « comptable » d’administration de la preuve, remarquons que j’aborde cette question aux pages : 22, 30, 35, 36, 48, 71, 72, 73, 74, 75, 81, 92, 93, 114, 163, 177, 297, 304, 319, 320, 332, 334, 342, 357, 358, 368, 369, 379, 381, 382, 383, 389, 391, 400, 402, 430, 431, 437, 466, 483, 499, 525, 526, 530, 534, 555, 568, 569, 639, 712, 722, 751, 754, 760, 766, 771, 773, 774, 776, 777 et 816. 26 Autrement dit, ce ne sont pas moins de soixante et une pages de mon ouvrage qui évoquent, parfois rapidement, parfois longuement, cette question des terminologies de

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parenté qu’Emmanuel Désveaux me reprochait – lui aussi chiffres à l’appui – de n’aborder que dans quatre pages esseulées dérivant sur un océan de texte. À ce nouvel exemple, l’on peut juger de la formidable torsion qu’Emmanuel Désveaux fait subir aux propos et aux écrits de ses collègues9.

Substance, quand tu nous tiens…

27 Venons-en à présent aux deux autres arguments critiques du texte de Désveaux. Ces arguments, qui sont pour partie liés, tiennent à l’absence d’exemples ethnographiques empruntés à l’aire culturelle américaniste et à la place centrale que j’accorderais à la notion de substance dans ma démonstration. Commençons par le dernier point.

28 Comme je le précise à maintes reprises dans cet ouvrage, le concept (et non la catégorie) de « parenté » – concept qui, selon moi, organise les divers traits constituant le domaine traditionnel de cette étude : le mariage et l’alliance, les prohibitions d’inceste, la morphologie des groupes sociaux (filiation, parentèle…) – est fondé sur une notion princeps, celle d’identité. 29 L’usage du concept d’« identité » est, il est vrai, quelque peu galvaudé dans notre discipline à la suite des nombreux travaux qui lui furent consacrés, en particulier depuis la publication du séminaire du même nom par Claude Lévi-Strauss. On a, en effet, rattaché à cette notion de nombreux usages distincts se rapportant de manière plus ou moins métaphorique, soit à des phénomènes d’individuation (la construction du « soi », la spécificité de nos goûts, de nos désirs…), autrement dit à des procès de différenciation, soit au contraire à des idées d’appartenance à un même ensemble (l’identité ethnique, nationale, religieuse…), autrement dit à des procès d’incorporation. Or, si j’ai tenu à conserver ce terme pour ne pas encombrer d’un nouveau néologisme une littérature ethnologique qui en est déjà amplement pourvue, je ne l’utilise pourtant ici dans aucune de ces acceptions, mais dans son sens premier, proche de celui que lui confèrent encore les mathématiques ou la logique contemporaine : celui d’égalité ou de similarité. Dans cette perspective, dire que des êtres partagent une même identité, ce n’est ni nier la singularité des expériences individuelles (faire l’hypothèse d’un esprit collectif à la manière d’un Carl Gustav Jung), ni signifier qu’ils partagent seulement un trait extérieur commun. Des compatriotes, des membres d’une même communauté ou des fidèles qui professent une même foi appartiennent bien à un même ensemble, car ils partagent certaines caractéristiques externes – un récit national, généalogique ou spirituel – et l’on parlera pour eux d’identité nationale, ethnique ou religieuse. Pour autant, deux patriotes américains, deux guerriers zoulous ou deux catholiques fervents ne sont pas des « proches », ni des « semblables », sinon au sens très générique de l’admonestation chrétienne qui nous enjoint à « aimer nos semblables comme nous- mêmes ». En revanche, la relation de parenté produit des ensembles qui se démarquent de ceux résultant de ces autres modes d’affiliations sociales en ce qu’ils substituent à l’idée d’inclusion celle d’ identité (de similarité, d’équivalence) des éléments qui les composent. Et cette opération qui consiste à remplacer une simple répartition taxinomique par une règle d’équivalence, il semble que seul le lien de parenté soit à même de la faire. 30 Ce qui organise maintenant une identité ainsi définie, ce qui lui permet de plonger dans la succession des générations, mais aussi de s’immiscer dans la sphère de l’affinité et de la sexualité, ou ce qui a contrario y met fin et interrompt le sentiment de partage entre

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les êtres, tient pour l’essentiel, c’est du moins l’hypothèse que je soutiens, à la perception culturelle que nous avons des rôles sexués, autrement dit à notre conception locale du genre. Dès lors, le concept de « substance » qui se rattache lui-même à celui d’enracinement biologique de l’humain, s’il est fréquent et surtout récurrent d’un bout à l’autre du globe – c’est toute l’ethnographie comparative mondiale qu’il faudrait récuser pour ne pas reconnaître d’importance à ce thème – n’est, pour moi, que l’un des nombreux supports métaphoriques10 qui expriment l’efficace et la performativité de ces rôles sexués (dynamique que je désigne sous l’expression de « principes de parenté ») et donc leur capacité à constituer des « grumeaux » d’identités que j’appelle « groupes de parenté ». Cette identité générée par la parenté n’est pourtant par essence ni charnelle ni spirituelle, ni pragmatique ni linguistique. Elle ne suit – puisqu’on a ailleurs (Berger 2009) comparé mon modèle à celui proposé par Descola (2005) – aucune des lignes de partage du champ philosophique classique : celle opposant l’âme au corps (« l’intériorité » et la « physicalité »), la nature à la culture, etc. Elle ne découle pas non plus de l’opposition traditionnelle, posée par le concept nietzschéen de « perspectivisme » qu’Eduardo Viveiros de Castro a récemment revisité, entre une identité/altérité définie par le prisme d’un simple changement de point de vue ou de locuteur. Et pourtant, sans s’y identifier, ce concept d’« identité » est tout à fait susceptible de suivre localement les arêtes de chacune de ces lignes de fracture, dans la mesure où, s’il n’est lié à aucun support en particulier, il reste susceptible de les chevaucher tous. 31 L’affirmation, réitérée à maintes reprises dans mon essai, selon laquelle bien d’autres supports métaphoriques que ceux faisant appel à l’idée de substance ou même de biologie peuvent organiser les « principes de parenté » que j’analyse, n’a donc rien d’une simple déclaration de principes. Je consacre ainsi, pour en venir à quelques exemples plus concrets, pas moins de la moitié des chapitres (et les deux tiers des pages dédiées à des examens ethnographiques et historiques) à deux gros dossiers : ceux des sociétés européennes et han. Or, il s’agit là justement de deux ensembles culturels qui ont construit le processus d’identité qu’est la parenté à partir d’autres matériaux que ceux offerts par la métaphore biologique et substantialiste. 32 Pour l’exemple chinois, les choses sont on ne peut plus claires : l’argument de la « substance » est totalement absent de l’analyse que je conduis de « cette société qui a su détacher l’idée même de parenté de pratiquement toute emprise du “biologique” pour accorder à l’homme, au père, une place centrale sinon exclusive dans la construction du lien générationnel » (p. 638). Le monde chinois ancien concevait en effet la parenté, c’est du moins la thèse que je soutiens, à partir d’une trame conceptuelle juridique et religieuse dont les motifs évoquaient surtout la question du statut définitif ou temporaire des femmes – en tant qu’épouses, mères, filles, brus, veuves ou répudiées, etc. –, ainsi que les droits et devoirs liés à la communauté de culte et aux obligations de deuils. La seule mention d’une théorie « physiologique » de la parenté, dans la centaine de pages (pp. 636-740) que je consacre à l’examen de la société han, apparaît ainsi dans le cadre d’un récit populaire rapporté par un autre auteur, Kulp (1925). Un informateur de Kulp évoque en effet un système fondé sur la circulation des « sangs » pour justifier des interdits et des préférences matrimoniales han. Voici le commentaire que j’apporte à cette unique référence à une vision « substantialiste » de la parenté chinoise : Il ne faut sans doute pas accorder un crédit trop exclusif à ce récit étiologique, dans la mesure où il se réfère à des notions « physiologiques », à des idées sur la transmission du sang, qui semblent à première vue assez éloignées des conceptions

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traditionnelles chinoises du mariage. Celles-ci empruntent bien plus, habituellement, à un schème rituel (voire politico-rituel) que « biologique », et recourent à une architectonique qui, je me suis essayé à le montrer, met en avant les idées d’effacement des liens féminins et de ré-affiliation de la femme à son mariage plutôt qu’elles ne proposent un discours sur le corps. (pp. 716-717) 33 L’autre gros dossier historique analysé dans ce volume est celui de l’Europe. Or, contrairement au lieu commun véhiculé par Désveaux selon lequel cette région du monde s’identifierait à une vision « substantialiste » de la parenté, ce n’est en réalité qu’assez récemment – comme Claude Lévi-Strauss (1949) l’avait remarqué bien avant moi –, à compter de la fin du XVIIe siècle en fait, que le thème des « substances » ou, plutôt, du « biologique » apparaît (voir pp. 572-635). Pour les périodes plus anciennes (et j’envisage l’évolution du système de parenté européen du IIe siècle de notre ère jusqu’au XXe siècle) qui servent de toile de fond à la plus grosse partie de mon analyse du dossier européen (pp. 481-572), je montre, m’appuyant sur les beaux travaux de nos collègues romanistes et médiévistes, que le monde romain païen et chrétien, puis le Moyen Âge européen eurent une compréhension de la parenté faisant presque totalement fi de l’idée d’un enracinement « biologique ». La parenté européenne sera d’abord rapportée à des catégories juridiques et terminologiques sous l’Empire romain, puis à un concept théologal complexe, celui de la Una Caro, qui est bien plus proche de l’idée de la métempsychose platonicienne ou de la métamorphose ovidienne, que de la grosse « plomberie » substantialiste et du « liquide qui coule » d’un corps à l’autre qu’y voit Désveaux. Comme je l’écris alors, si la pensée occidentale s’est toujours intéressée, d’un point de vue médical ou philosophique, aux aspects purement physiologiques de la conception et tout particulièrement de la génération humaine, ses réflexions sur ce point ne furent jamais, à l’époque romaine puis dans le christianisme médiéval, le levain à partir duquel prirent forme les représentations cognatiques de la parenté. La conception du « biologique » ne peut, au cours de ces périodes, être considérée comme un élément pertinent d’une conception cognatique du lien familial et il ne semble pas, à ces époques, figurer au nombre des traits qui en assurent la base idéologique et que l’on situera plutôt du côté de l’argument taxinomique et terminologique pour le monde romain et du concept composite, spirituel et charnel, de la Una Caro pour l’Europe chrétienne. (p. 573) 34 Ces deux gros dossiers de l’Europe et de la Chine occupent ainsi près de la moitié de mon ouvrage (pp. 481 à 740). Si l’on ajoute à cela que l’analyse critique que je conduis du « domaine classique » des études de parenté suivie de l’exposé de mon propre modèle occupent le premier quart de celui-ci (les 241 premières pages), cela réduit finalement l’examen d’exemples ethnographiques dont certains mettront l’accent sur des notions de substance (notamment pour l’Inde, la Nouvelle-Guinée et l’Afrique) au quart restant de cet essai (pp. 241-481). Il est alors pour le moins étonnant, si l’on part de l’affirmation de Désveaux selon laquelle mon modèle gravite autour d’un « argument caché » omniprésent, celui de la substance, que j’ai délibérément choisi de consacrer les deux tiers de mes analyses ethnographiques et historiques à des sociétés où justement l’idée de substance est soit totalement absente (la Chine), soit marginale et tardive (l’Europe).

35 Quant aux commentaires, à présent, que j’apporte au fil des analyses que je consacre à d’autres types de systèmes de parenté – aux sociétés pratiquant le « mariage arabe » où la métaphore du « lait maternel » est fréquente, puis aux « systèmes élémentaires » qui font eux aussi souvent appel (que ce soit en Inde, en Afrique ou en Nouvelle-Guinée) à

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des arguments fondés sur des notions de substances –, ils sont, je pense, assez instructifs quant à mon supposé tropisme substantialiste. Par exemple quand, commentant la belle étude que Cécilia Busby consacre aux Mukkuvar (Inde méridionale), j’exprime le regret qu’elle mette « sans doute trop fortement l’accent sur les seules notions de “substances” et de corporéité, sur une conception emic du “biologique” qui – si elle est effectivement prégnante dans de nombreuses régions du monde […] – n’en est pas moins, à mon avis, une simple métaphore culturelle exprimant l’idée plus générale de “parenté” qui peut trouver, nous en verrons des exemples, d’autres supports que “biologiques” où s’inscrire » (p. 403). Ou encore, quand glosant la lecture que Joseph Danqah fait de la transmission genrée (gendered) des savoirs et des métiers chez les Ashanti, je remarque que « cette question de la transmission des savoirs – mais aussi des habitus – est alors d’autant plus intéressante qu’elle nous permet de mieux comprendre comment la notion d’identité partagée, de parenté, peut s’exprimer hors du strict champ des représentations liées à la corporéité, au “biologique”, tout en continuant à exprimer une dimension sexuée, basée sur le genre » (pp. 447-448). 36 On trouvera, en fait, bien d’autres remarques de cet ordre disséminées dans mon ouvrage qui, toutes, témoignent du fait que je n’accorde aucun rôle spécifique ou sui generis à la notion de substance. Quand une telle notion est présente dans les discours des acteurs, je ne cherche pas pour autant à la gommer, mais je la considère pour ce qu’elle est : une pure métaphore culturellement construite qui nous instruit sur l’étiologie locale que les agents accordent aux mécanismes de transmission de cette forme particulière d’identité qu’est la parenté. Et, comme je l’écris un peu plus loin, peu importe […] les supports et les métaphores auxquels elles empruntent provisoirement leurs traits et qui n’appartiennent qu’à l’époque et au lieu, les logiques de la parenté que je cherche à décrire dans cet ouvrage n’en sont pas vraiment dépendantes comme une lecture trop essentialiste des analyses que j’y présente pourrait le laisser croire. Ces supports métaphoriques, dont il ne s’agit pas de nier l’efficace, ne sont limités que par l’imagination humaine, là où les logiques de la parenté qu’elles expriment le sont par des ressorts bien plus contraignants […]. Par l’omniprésence de l’idée de génération et par les différentes manières de concevoir le rôle du sexe dans celle-ci. (pp. 597-598) 37 Pour terminer enfin sur ce thème de mon supposé « substantialisme », je me permettrais de citer à nouveau ces collègues que j’ai évoqués plus haut et qui ont bien voulu se pencher eux aussi sur mon ouvrage. En effet, non seulement ils ne me font pas ce grief de la « naturalisation » des faits de parenté, mais plusieurs d’entre eux insistent sur une lecture inverse. Sur le fait, précisément, que j’ai su éviter dans cet essai le piège consistant à accorder une place indue à une vision « substantialiste » supposée universelle. Je laisserai, sur ce point précis, la parole à l’auteur d’une des sommes les plus érudites qui ait été publiée dans le domaine des études de parenté au cours de ces dernières décennies, à savoir à François Héran (2009, p. 565). [S]i la réflexion de Barry nous paraît digne d’intérêt et même marquer une grande avancée dans les études de parenté, c’est qu’elle fait un usage contrôlé de la « bio- ethnologie », où les parts respectives de l’empirique et du spéculatif sont clairement marquées ; […] ni Athènes ni la Chine des Han, qui occupent pourtant une place centrale dans la théorie de Barry, ne mettent en avant les arguments physiologiques pour étayer leur théorie de l’identité. […] C’est une chose de dire que le corps est un support tout trouvé pour réguler les rapports sociaux de sexe, c’en est une autre de dire que la parenté est dans le corps ou qu’elle est le corps. La théorie de Barry […] ne tourne jamais à la théologie de la présence réelle.

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L’Amérique fantôme

38 Venons-en à présent au dernier point critique de mon contempteur, qui intéressera peut-être plus particulièrement les lecteurs du JSA, celui portant sur l’absence d’exemples ethnographiques amérindiens dans mon ouvrage.

39 Avant d’y répondre, j’aimerais cependant faire part de mon étonnement. Je suis en effet surpris de constater que ce sont toujours les auteurs qui revendiquent un relativisme culturel strict, qui reprochent à ceux qui privilégient au contraire une perspective anthropologique comparative de ne pas y avoir été parfaitement exhaustifs. Pour la petite histoire, cette polémique me rappelle une phrase d’un grand savant, Jacques Berque. Il y a quarante ans de cela, ce grand spécialiste du Maghreb formulait à l’encontre de l’entreprise lévi-straussienne des reproches du même ordre – je ne compare bien entendu que l’histoire, pas les protagonistes. À une petite nuance près toutefois, c’est qu’il intervertissait radicalement les régions concernées. Il remarquait, en effet, sur un ton un peu désabusé, que « l’anthropologie durkheimienne s’est fixée sur les Arunta plutôt que sur les Kabyles, et Lévi-Strauss emprunte plus franchement son matériel aux Indiens d’Amazonie qu’aux Nord-Africains que nous coudoyons » (Berque, cité par Chelhod 1969, p. 26). Que Désveaux me reproche alors de privilégier l’Afrique, l’Orient ou l’Europe au détriment de l’Amérique, très bien. Mais il ne me souvient pas, je peux bien entendu me tromper, qu’il se soit jamais offusqué de l’absence, en miroir, du monde arabe ou du continent européen dans les écrits de Lévi- Strauss11 ? 40 Rappelons, cette remarque faite, que pour Désveaux mon silence sur l’Amérique tient à deux de mes présupposés (je passe sous silence l’argument de la crainte qu’il me prête face à la possible réaction de mes collègues si, d’aventure, j’en venais à empiéter sur le terrain américain). 1) À l’importance que j’attache à la notion de substance et au caractère évanescent que celle-ci revêt dans le monde amérindien, ce qui m’interdirait d’y faire référence. 2) Au fait que toute la « parenté américaine » (les règles de mariage, les interdits d’inceste, les types de filiation, etc.) se réduise, selon lui, à ses aspects terminologiques. 41 Pour ce qui est du premier, je viens d’y répondre longuement. Si, contrairement aux assertions de mon critique, le modèle que je développe n’est pas dépendant de la notion de substance, alors que les sociétés de l’aire amérindienne recourent fréquemment ou non à cet idiome pour exprimer leurs relations de parenté n’a plus la moindre importance12. Il n’y a en effet plus aucune raison de croire que ce critère ait pu, le moins du monde, influer sur ma décision d’évoquer – ou non – l’Amérique. 42 Seul le second point – l’importance des catégories linguistiques dans la construction de la parenté amérindienne – pourrait donc, en définitive, être susceptible d’avoir interféré avec le choix de mes exemples ethnographiques. 43 Si cette question demanderait un développement technique que je ne puis lui consacrer ici, je préciserai pourtant qu’il n’y a aucune raison de croire que j’ai évacué l’aire amérindienne du fait de la spécificité des terminologies qu’on y trouve ou encore de la singularité du lien que celles-ci entretiennent avec la structuration du champ matrimonial ou la morphologie des groupes sociaux. Ce, dans la simple mesure où les terminologies amérindiennes, de même que les formes d’alliance ou les types de

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filiation qu’on trouve sur le continent américain, n’ont, lorsqu’on les envisage du point de vue comparatif qui est le mien, tout simplement rien de bien singulier13. 44 J’espère qu’aucun lecteur du JSA ne verra dans cette affirmation une « attaque » et moins encore une dépréciation du terrain amérindien14. Je ferai la même – j’ai déjà fait la même – observation à propos du continent africain où je travaille, et l’on pourrait sans difficulté étendre cette remarque à l’Asie du Sud-Est, à l’Indonésie, voire à la Nouvelle-Guinée. Dans toutes ces régions en fait, la plupart des systèmes de parenté, des types de nomenclatures et des formes d’alliance que l’ethnologie recense sont co- présents. Et leurs agencements (les associations entre ces différents traits) ne sont en rien propres à ces aires culturelles. Si certains auteurs cherchent parfois, dans une perspective culturaliste, à cultiver chacune des petites différences qu’ils rencontrent sur leurs terrains pour les ériger en marqueurs culturels singularisants, c’est bien entendu leur droit. Mais cela répond surtout, à mon sens, à ce réflexe relativiste si répandu dans les sciences humaines et sociales, à cette tentation du « rien n’est comparable » que le sociologue Cyril Lemieux a bien décrit et dénoncé dans son dernier ouvrage, Le devoir et la grâce (2009). De fait, dans la perspective comparative que je privilégie, je vois moins de distance formelle entre, par exemple, les systèmes de parenté de certaines sociétés des Basses Terres amazoniennes et ceux de groupes situés en Inde du Sud, en Océanie ou même en Europe, qu’entre ces mêmes sociétés et certaines communautés andines situées dans une proximité géographique beaucoup plus immédiate. Certes chaque aire culturelle a ses singularités (la quasi-absence de modèles dravidiens en Afrique, la prévalence des systèmes asymétriques en Indonésie, l’abondance des traits crow-omaha et dravidiens en Amérique, etc.), mais celles-ci n’indiquent que des tendances, jamais de réelles spécificités régionales. Si l’on tient à parler à tout prix de systèmes de parenté qui soient regional-specific, alors ce n’est certainement pas vers ces régions du monde qu’il convient de se tourner. Plutôt vers le Proche-Orient et le Maghreb, par exemple, avec l’étonnante prépondérance du « mariage arabe » qu’on y trouve, ou encore vers l’Australie avec la forte attirance des sociétés aborigènes pour les systèmes à sections, sous-sections, etc. 45 Bien, mais si les diverses raisons avancées par Désveaux pour rendre compte de l’absence d’exemples amérindiens dans cet ouvrage ne sont pas les bonnes, quelle fut ma véritable et principale motivation ? 46 Elle est tellement évidente, eu égard au roman psychologique torturé que mon critique s’est construit, que je crains bien que sa simplicité ne puisse jamais vraiment le satisfaire. D’autant qu’en l’espèce, et contrairement aux autres points de contentieux que j’ai évoqués précédemment, je n’ai plus aucune « preuve » à avancer pour prouver ma bonne foi – sinon ma seule parole –, car l’on ne démontre jamais aux autres que la réalité de ses actes, jamais celle de ses intentions. 47 La raison essentielle15 pour laquelle je ne me suis pas appuyé sur des exemples ethnographiques amérindiens dans cet ouvrage tient très simplement au fait que je n’ai pas construit celui-ci selon un découpage géographique. Mon intention était d’y parler de « systèmes de parenté » et, ne partageant pas les obsessions néo-diffusionnistes et culturalistes d’Emmanuel Désveaux, ma constante préoccupation au cours de la rédaction de ce livre fut que tous les principaux systèmes de parenté y soient représentés (et je pense qu’ils le sont), plutôt que toutes les régions du monde. Je ne me suis donc sincèrement jamais vraiment posé la question, en rédigeant cet essai, de savoir si l’ethnographie que j’utilisais couvrirait bien les cinq continents. Au final, ce ne

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fut pas le cas. Je l’ai remarqué trop tard pour y remédier, et je le regrette, car il eût été facile de pallier cette lacune. Si cette absence a pu alors gêner certains lecteurs américanistes qui ont cru y voir un oubli intentionnel, je leur présente mes sincères excuses, car ce n’était pas le cas. 48 Qu’ils soient en tout cas assurés du fait que, si je n’ai pas emprunté d’exemples à l’ethnographie américaniste, ce n’est en aucune façon dû à une image singulière que j’aurais de la parenté amérindienne, singularité qui m’aurait détourné de son analyse. Moins encore à un possible dédain ou au désintérêt que je manifesterais à l’encontre du Nouveau Monde16. 49 En effet, une telle attitude de ma part irait totalement à l’encontre d’une conviction qui s’est profondément ancrée en moi au fil de mon parcours d’ethnologue. Celle selon laquelle il n’existe qu’une humanité, et non une pléthore d’humanités particulières, et que, par conséquent, les anthropologues ne sauraient se satisfaire du rôle dans lequel certains semblent aujourd’hui vouloir les cantonner : ceux d’experts ou d’« interprètes » de cultures supposées irréductibles les unes aux autres. 50 Il n’est pas, beaucoup d’entre nous en sont désormais convaincus, de « troisième voie » pour les sciences humaines, et l’anthropologie doit à présent choisir son blason : ce sera celui des sciences ou celui d’un sous-genre littéraire. Je conserve pour ma part bien trop de goût pour la littérature pour considérer que la production ethnologique puisse jamais y occuper une place honorable, et je tiens donc pour acquis qu’elle a vocation scientifique. Or le seul moyen dont nous disposions pour nous distinguer de l’expert, du folkloriste ou même de l’écrivain, consiste justement à nous efforcer de dépasser le stade de la simple accumulation d’observations locales pour accéder enfin à cette dimension comparative et humaniste dont j’ai modestement essayé de m’inspirer dans mon ouvrage et qui seule nous autorisera peut-être un jour à dire quelque chose de l’Homme en général, plutôt que du chasseur guarani, du guerrier massaï ou du consommateur nord-américain en particulier.

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NOTES

1. Mais dont le texte fut l’objet, comme tout ce que publie le JSA, d’une évaluation par deux lecteurs indépendants et anonymes et dont les avis, d’ailleurs, ont imposé une refonte profonde du texte initial [note de la rédaction]. 2. Si Désveaux ne cite jamais les propos qu’il m’attribue, je vais au contraire citer les siens : « [Pour Barry] la parenté existe dans toutes les sociétés humaines. Elle procéderait partout d’un même sentiment d’identité […]. Cette identité partagée commande des groupes dits “groupes de parenté’’ […] ». Jusqu’ici, rien à redire. La suite laisse plus à désirer : « Barry voit dans la capacité de détecter des ressemblances physiques entre une progéniture et ses géniteurs le fondement “cognitif” de cette perception d’une identité commune aux uns et aux autres. On doit sérieusement mettre en doute la valeur de cette observation, soutènement pourtant de toute la démonstration » (p. 214). 3. Au sein de laquelle je compte plusieurs amis, me dois-je de préciser à l’attention du lecteur qui aurait pu croire que les rapports que nous entretenons entre collègues aient quoi que ce soit à voir avec le tableau agonistique qu’en brosse Désveaux. 4. Il est, bien entendu, question ici de la thèse personnelle qu’il soutient depuis des années et non, comme il tend à le laisser croire, de l’opinion des américanistes en général travaillant sur la parenté. 5. Il voudrait faire croire en effet que ses inventions sont miennes. 6. La preuve la plus simple et la plus convaincante que je n’ai pas soutenu cette thèse (ou endossé les autres positions que Désveaux me prête) consisterait bien entendu à lire tout bonnement mon ouvrage. Mais, sachant que tous les lecteurs du JSA ne le feront pas dans l’immédiat, il me faut ici en apporter la démonstration d’autres manières. 7. Il n’y a, dans les onze pages de son texte, que deux uniques renvois à mon ouvrage : celui précité où je discute de terminologie et dans lequel Désveaux voit une attaque contre les américanistes (voir note 12, infra), et un autre où Désveaux extrait une phrase de la p. 203 de son contexte pour la rendre incompréhensible et me faire grief de ce manque de clarté. Mais sur la plupart des thèmes principaux qu’il aborde (la ressemblance physique, la substance…) Désveaux ne fournit étrangement ni citation, ni référence. 8. Comme on le sait, dans la théorie de l’imprégnation, les enfants sont censés être physiquement ou psychologiquement marqués non par un quelconque héritage génétique, mais par ce que leur mère a vu ou entendu durant leur grossesse ou pendant l’accouchement. Ainsi, dans les Éthiopiques dont il est question dans ce passage, Chariclée, l’héroïne du roman, est blanche de peau alors que ses deux parents sont noirs. Cela s’explique par le fait que Persinna, sa mère et Reine d’Éthiopie, a contemplé un portrait d’Andromède à l’heure de la délivrance. Là encore, la question de la ressemblance physique évoquée dans ce passage n’entraîne aucun commentaire personnel de ma part. 9. C’est bien l’absence de discussion autour du thème des terminologies dont Désveaux me fait grief dans son texte et c’est donc sur ce seul point que je lui réponds ici. Quant à la question de fond, à son affirmation, qu’il n’étaye par aucun argument, selon laquelle le vocabulaire de parenté serait la clé de lecture de la parenté américaine, si je ne la partage absolument pas, il ne me sera pas non plus possible d’en donner les raisons ici : un tel débat nécessiterait un article à lui seul.

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10. J’en recense un certain nombre dans mon ouvrage. Parmi ceux-ci, citons – et la liste n’est pas exhaustive – les distinctions genrées (gendered) en droit de l’adoption, de la filiation et dans les statuts respectifs des partenaires matrimoniaux, les critères (notamment celui de la bifurcation) pris en considération dans les taxons terminologiques, les règles de commensalité et de co- résidence et leurs incidences sur la socialisation et l’intégration de l’enfant à la famille, la division sexuelle des tâches, la transmission sexuée des savoirs et des techniques aux enfants des deux sexes, les habitus et « qualités » culturellement imputés à l’un et l’autre sexe et leurs modes d’acquisition ou d’apprentissage, l’égale ou l’inégale participation et l’accès différencié, ou non, des hommes et des femmes aux cultes et aux initiations, etc. 11. Or, comme l’ont remarqué plusieurs de nos collègues, de telles absences furent autrement plus conséquentes pour notre compréhension des systèmes de parenté que ne le sera probablement jamais mon silence sur l’Amérique. En effet, le silence lévi-straussien portait non pas uniquement sur des régions, mais bien sur des systèmes entiers : sur le « mariage arabe » ou encore sur les systèmes dits « complexes » renvoyés à une mise à l’écart « provisoire » (Lévi- Strauss 1967, p. 124) qui s’est éternisée. C’est ce que notaient déjà à l’époque, pour s’en réjouir ou pour s’en plaindre, des auteurs tels que Lefébure (1976) ou Dumont (1971). 12. À ce propos, l’aire amérindienne n’est sans doute pas aussi homogène que Désveaux le suppose et le thème du « biologique » dans le champ de la parenté n’est pas si évanescent qu’il le croit. On pourra se reporter, pour un premier survol de cette question, à l’article de Peter Rivière (2004). Entre autres exemples, on citera aussi le texte de Seeger, Da Matta et Viveiros de Castro (1981) qui montre bien que la parenté dans certaines sociétés brésiliennes est structurée par un symbolisme centré sur la construction de la personne et du corps. On mentionnera encore le thème classique de l’opposition entre os et semence masculine et chair et sang féminin chez les Barasana, que nous dévoilent les écrits de Christine Hugh-Jones (1988). Pour citer aussi quelques exemples plus récents, on se reportera avec intérêt aux travaux sur l’Amazonie colombienne de Karadimas (2005) sur les Miraña et de Goulard (2009) sur les Ticuna, auteurs qui insistent, tous deux, sur le symbolisme du corps et son importance dans la structuration du groupe et de la parenté. 13. Comme toujours, à quelques rares exceptions près, par exemple ceux de la terminologie aymara. Ou encore du système des panacas incas décrit par Zuidema (1977). 14. Celle qui m’était reprochée par Emmanuel Désveaux, « sévère » et « étonnante par la vigueur de sa charge », visait un passage (pp. 71-75) dans lequel je parlais du présupposé ethnologique qui rapproche implicitement, depuis les premiers travaux de Lewis Henry Morgan, terminologie et mariage. Or ce préjugé, jamais formellement démontré, mais jamais non plus totalement abandonné, comme je l’écris noir sur blanc, « informe encore aujourd’hui de façon diffuse tous les modèles et toutes les théories de la parenté » (p. 73 ; italiques d’origine). Autrement dit, s’il faut dire les choses encore plus simplement pour espérer qu’elles ne soient pas systématiquement déformées, il concerne toutes les aires culturelles (Amérique, Afrique, Océanie, Europe, etc.) où il existe une certaine congruence dans les systèmes de parenté entre un type de terminologie et une forme de mariage. Si je mentionne l’ethnologie américaniste dans ce bref passage, à côté des études sur l’Inde au demeurant, c’est tout simplement que le système dravidien qui se prête bien à ce type d’association intuitive est particulièrement présent dans ces deux régions. Quant à la page 203 qui était également mentionnée par Emmanuel Désveaux au nombre des loci delicti où j’aurais perpétré cet attentat à l’endroit de l’ethnologie américaniste, ceux qui auront le courage de s’y reporter constateront qu’il n’y a… rien ! Ce n’est pas une page blanche et j’y parle de diverses choses, on s’en doute. Mais il n’y est question ni de terminologie, ni d’ethnologie américaniste ! 15. Il en est quelques autres que je ne développerai pas, qui ont pu jouer un rôle secondaire dans mes choix. Parmi celles-ci, notons l’absence de données quantitatives suffisantes sur les pratiques matrimoniales de beaucoup de travaux (même récents) portant sur l’aire amérindienne

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(avec, heureusement, quelques remarquables exceptions, comme la monographie qu’Isabelle Daillant a consacrée en 2003 aux Chimane de Bolivie, ou encore les travaux, malheureusement en grande partie inédits, de notre regretté collègue argentin Enrique Tandeter sur les communautés incas). J’ajouterai aussi, bien que cela soit plus anecdotique j’en conviens, que l’usage d’un lexique de la parenté très spécifique utilisé par de nombreux auteurs américanistes (pensons aux « affins virtuels », « potentiels » ou « réels », par exemple) rend parfois l’exégèse de leurs travaux assez délicate, sinon ambiguë. Ce particularisme langagier peut alors conduire les ethnologues travaillant comme moi sur d’autres aires culturelles et habitués à un vocabulaire plus « normalisé » à se détourner de ces travaux. 16. Ceux qui me connaissent savent, au contraire, que je me suis toujours intéressé de près aux travaux des américanistes sur la parenté. En témoigne, par exemple, le fait que je suis l’un des rares africanistes à avoir co-publié dans le JSA, et ce peu après la soutenance de ma thèse, un texte portant justement sur l’ethnographie d’une société amérindienne, les Ticuna (Barry et Goulard 1998).

INDEX

Thèmes : Anthropologie sociale Mots-clés : parenté Keywords : kinship Palabras claves : parentesco

AUTEUR

LAURENT BARRY

École des Hautes Études en Sciences Sociales / Laboratoire d’anthropologie sociale, 52, rue du Cardinal Lemoine, 75005 Paris

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Compte rendus

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RABY Dominique, L’épreuve fleurie. Symboliques du genre dans la littérature des Nahua du Mexique préhispanique

Michel Perrin

RÉFÉRENCE

RABY Dominique, L’épreuve fleurie. Symboliques du genre dans la littérature des Nahua du Mexique préhispanique, préface de Miguel León-Portilla, L’Harmattan, Paris, 2003, 350 p., bibl., index

1 Ce livre aborde de manière originale et fine la littérature préhispanique nahua, et son champ est large. L’auteur embrasse mythes et récits, hymnes religieux et discours traditionnels émanant de divers types de locuteurs et rassemblés après la Conquête, au XVIe siècle et au début du XVIIe siècle, ainsi qu’une dizaine de représentations iconographiques extraites de divers codex, dont l’un date d’avant la Conquête. Les récits oraux ont été mis en alphabet latin, souvent écrits en nahuatl, par des religieux ou des Nahua lettrés ayant appris auprès d’eux.

2 Ces textes ont déjà été étudiés, mais l’originalité du travail de Dominique Raby tient à un double choix, du point de vue de l’intention comme de la méthode (chap. II). Il s’agissait avant tout de dégager « les différents systèmes de représentation du genre », de mettre au jour ce qui, implicitement ou explicitement, y était dit des femmes et ce qui leur était dû. Dans cette très riche littérature, l’auteur a donc privilégié les documents qui pouvaient éclairer les rapports entre féminin et masculin. Pour cela, dans des sociétés très hiérarchisées, il ne fallait pas se limiter aux textes des lettrés (les « autorités civico-religieuses », principalement des « nobles ») – textes qualifiés ici de « version officielle » ou de « discours hégémonique » –, mais élargir le champ aux discours plus populaires des conteurs professionnels, des sages-femmes, des

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guérisseuses et guérisseurs « utilisateurs de sortilèges », des sorciers et, enfin, des poétesses. On reconnaît ainsi cinq catégories principales de discours reflétant chacune une symbolique particulière du genre. 3 Avant de pénétrer dans les textes, l’auteur apporte des précisions sur les différentes situations sociales des femmes nahua préhispaniques, les conceptions nahua de l’amour, la sexualité et la procréation. Elle rappelle aussi les positions des spécialistes des sociétés nahua sur ce sujet et sur la problématique du genre dans le panthéon qu’évoquent les récits (chap. III). 4 Dans l’analyse de la mythologie « officielle », consistant en une vingtaine de mythes ici résumés, Dominique Raby s’est imposé un choix compatible avec son projet, en sélectionnant ceux dans lesquels un personnage féminin jouait un rôle important. Elle débrouille d’abord l’écheveau complexe des dieux, déesses et entités associées selon une démarche librement inspirée du structuralisme. Plutôt que d’essayer de trouver les attributs communs aux déesses ou de les définir une à une, comme cela a déjà été fait, elle adopte une perspective nouvelle en dégageant deux ensembles reflétant les relations paradoxales entre féminin et masculin. 5 Le premier est celui relatif au couple Chimalma (encore appelée Cihuacoatl) et Mixcoatl, respectivement mère et père de Quetzalcoatl, pour ainsi dire les « dieux du mariage » (chap. IV). La déesse Chimalma-Cihuacoatl est non seulement associée au mariage, mais aussi à la marche du soleil, donc au cycle journalier, et à la naissance de Quetzalcoatl qui fut à la fois « deuxième soleil, seigneur de Tollan et planète Vénus ». Le second ensemble se forme autour de Xochiquetzal et Tezcatlipoca, les « amants terribles », dont la relation est avant tout d’ordre sexuel, respectivement « éternelle jeune fille et déesse de l’amour » et « dieu universel, dieu de la guerre et de l’érotique masculin, également sorcier » qui prend aussi la forme du coyote, le trompeur (chap. V). La déesse Xochiquetzal, « Plume précieuse fleurie », représente l’amour, ce qui sera développé plus loin, mais elle est également « porteuse de catastrophes » et liée à l’alternance des saisons ainsi qu’à la naissance du maïs. À ces quelques représentants d’un panthéon traditionnel, il faut ajouter, au dernier étage du monde céleste, un « Dieu de la dualité », Ometeotl, dont les aspects féminin et masculin, nommés Omecihuatl (« Dame de la dualité ») et Ometecuhtli (« Seigneur de la dualité »), forment une sorte de couple androgyne. 6 Associés aux cycles temporels, journaliers et annuels, à l’agriculture et à la guerre, ces dieux se métamorphosent, prenant au long du cycle un nom et un aspect différents tout en restant une même entité. Sexualité prénuptiale, mariage et adultère ponctuent leur vie. Tous les mythes nahua, démontre Dominique Raby, témoignent ainsi d’un véritable dynamisme, ce qui est un apport essentiel de son travail : les personnages divins ne peuvent se comprendre que dans une dimension temporelle. L’auteur s’appuie sur cette dimension pour lier entre eux les mythes et leurs héros. Elle montre que les métamorphoses de la déesse Chimalma se rapportent principalement à la création du soleil et à son cycle journalier ; celles de la déesse Xochiquetzal au cycle annuel des saisons. De même, elle remarque que les déesses Chimalma et Itzpapalotl (« Papillon d’obsidienne », déesse guerrière stellaire) étaient le même être à deux moments d’une existence cyclique. 7 En liant à un second degré d’analyse, via le personnage masculin de Tezcatlipoca, les deux personnages féminins Chimalma et Xochiquetzal à partir d’une opposition fondamentale entre mariage et royauté, et amour et saisons, on découvre que

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l’opposition entre masculin et féminin ne se résume pas à une série d’oppositions statiques, terre-fertilité-mort contre ciel-guerre-savoir, etc. Cette opposition est, au contraire, dynamique, ce qui est fondamental pour comprendre les relations de genre et les divinités féminines de la mythologie nahua. 8 Le « cycle aztèque » est original en ce qu’il est relié à l’histoire de l’ascension au pouvoir de ce peuple nahua (chap. VI). Il met en scène les personnages féminins de Malinalxochitl et de Coyolxauhqui, les deux sœurs infortunées d’un dieu tutélaire, Huitzilopochtli, et donc les relations sœur-frère. L’originalité de l’analyse consiste ici à avoir pris en compte plusieurs générations de personnages pour les lier aux événements connus de l’arrivée des Aztèques au pouvoir. Cela permet de ramener le mythe à des paramètres sociaux et d’aller au-delà des interprétations en termes de grandes oppositions, sorcellerie/religion, lune/soleil, défaite/conquête, femme/ homme, même si ces interprétations restent également valides. 9 Dominique Raby s’intéresse ensuite aux « opinions divergentes », c’est-à-dire aux récits et aux points de vue d’un autre secteur de la société, porteur d’un « discours contre- hégémonique », celui des guérisseurs et des spécialistes des sortilèges, où les femmes sont majoritaires et plus prestigieuses que les hommes. Cela révèle une autre symbolique du genre (chap. VII). L’auteur s’appuie en particulier sur le fameux Tratado de las supersticiones de Hernando Ruiz de Alarcón, un curé « extirpateur d’idolâtrie ». De ce texte unique, difficile à circonscrire, elle fait une étude systématique et tire le meilleur parmi les informations foisonnantes qu’il contient. La principale caractéristique de cet ensemble propre aux guérisseurs est de retourner l’aspect maléfique de la déesse Xochiquetzal en bénéfique : ici la sexualité en elle-même (et non de par une naissance qui en résulterait) devient, plutôt qu’une force destructive, une façon de sauver les humains. En effet, aux débuts du monde et grâce à son pouvoir sexuel, la déesse empêche que le venin de scorpion ne devienne trop puissant et mortel. Les dates de calendrier, les couleurs, les outils, etc., qui apparaissent dans les invocations pour qualifier les êtres invoqués servent à l’auteur pour doser les composantes masculines et féminines. Ici, la minutie est poussée jusqu’à tenter une quantification et évaluer un pourcentage, même si le nombre des données est parfois faible. Comme le signale l’auteur, cela n’est fourni qu’à titre d’aide pour « dégager certaines tendances ». 10 Le dernier chapitre, traitant lui aussi des « opinions divergentes », est consacré à la poésie amoureuse et érotique, essentiellement féminine et qui, elle aussi, revêt plusieurs formes (chap. VIII). Aux poétesses, les hommes répondent par des poèmes guerriers. Cette dichotomie est le reflet des attributs du couple divin Xochiquetzal- Tezcatlipoca, étudié précédemment, avec cependant une vision de Xochiquetzal très différente de celle mise en avant par les guérisseuses. Les femmes s’identifient aux attributs de la déesse, les hommes à ceux du dieu. La poésie d’amour est liée intimement aux conceptions religieuses et à l’organisation sociale qu’elle reflète directement, tout en exprimant de manière émouvante et fine des sentiments personnels. Elle exprime la réalité des femmes les plus subordonnées de la société nahua. 11 Les résultats de cette analyse sont jugés à l’aune des travaux anthropologiques concernant les rapports entre société et représentation du genre, dont l’auteur a fait une présentation fouillée en début d’ouvrage (chap. I).

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12 L’épreuve fleurie (In xochiyecolli, en langue nahua) est un étrange et beau titre, emprunté à une poétesse autochtone. Que signifie-t-il ? L’auteur nous en dévoile partiellement le sens au tout début de l’ouvrage en précisant que la poétesse désignait ainsi sa relation avec son amant. On perçoit qu’il s’agit d’une expression symbolisant les relations nahua de couple qui sont amour et sexualité, signifiées par les fleurs, mais aussi épreuve, c’est-à-dire ce que l’on expérimente et ce que l’on subit. C’est ce que disent, entre autres, les récits et les poésies. 13 Tout au long du livre, Dominique Raby a donc cherché, avec opiniâtreté et passion, la dimension féminine, les différentes « voix » colorées par la présence plus ou moins importante, plus ou moins influente, des femmes. Tous les documents sont analysés avec grand soin et subtilité pour dégager ce qui concerne la variabilité des rapports entre les genres, selon que l’on soit homme ou femme ou bien, ici ou là dans la société, mais aussi pour juger de ce qui relève davantage du « novohispanique » que du préhispanique. On est mené pas à pas, les hypothèses sont soigneusement justifiées et bien distinguées des faits. Une vingtaine de tableaux et de schémas, souvent éclairants, aident à la compréhension ou résument l’analyse ou les données. On mesure d’autant plus la tâche accomplie si on se rappelle la réflexion de Claude Lévi-Strauss dans le premier tome des Mythologiques : « C’est de propos délibéré que nous évitons d’utiliser les mythes des hautes civilisations de l’Amérique centrale et du Mexique qui, en raison de leur mise en forme par des lettrés, exigeraient une longue analyse syntagmatique avant tout emploi paradigmatique » (Le Cru et le cuit, Plon, Paris, 1964, p. 184, note 2). 14 En bref, L’épreuve fleurie est une présentation et une analyse brillantes de la littérature nahua du Mexique préhispanique mettant en lumière une part jusque-là négligée. Découlant d’une magistrale thèse de doctorat en anthropologie considérée par le jury comme « exceptionnelle », cet ouvrage imposant, dense et de haute tenue scientifique atteste également un talent littéraire et une grande sensibilité.

AUTEURS

MICHEL PERRIN

Laboratoire d’anthropologie sociale

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SILVERMAN Gail P., A woven book of knowledge. Textile iconography of Cuzco, Peru

Annabel Vallard

RÉFÉRENCE

SILVERMAN Gail P., A woven book of knowledge. Textile iconography of Cuzco, Peru, The University of Utah Press, Salt Lake City, 2008, 226 p., bibl., gloss., index, nombr. ill. N&B, 16 p. de pl. coul., tabl.

1 A woven book of knowledge est un ouvrage doublement attendu de ceux qui s’intéressent aux textiles et à leur iconographie. D’abord, il s’agit de la traduction en anglais de la version révisée de quelques-uns des articles de Gail P. Silverman qui se consacre depuis une vingtaine d’années aux textiles de Cuzco et de sa région et qui étaient connus, jusqu’alors, des seuls hispanophones. Cette publication est ainsi une porte ouverte sur les travaux de cet auteur et permettra de les diffuser auprès d’un public élargi – dont je fais partie – partageant un intérêt pour les textiles, sans être pour autant spécialiste ni des mondes andins, ni plus généralement des mondes latino-américains. Attendu, cet ouvrage l’est également en raison de la place qu’occupent les Andes dans l’imaginaire des amateurs de textiles, qu’ils soient ou non anthropologues, archéologues ou historiens de l’art. L’ancienneté des pièces archéologiques découvertes dans la région, la diversité de leurs homologues contemporaines ainsi que l’extrême sophistication de leurs techniques et de leurs décors contribuent, en effet, à alimenter une passion internationale et une bibliographie abondante.

2 Parmi les recherches publiées en anglais ou en français, Gail P. Silverman évoque, par exemple, celles de Verónica Cereceda (1978), Sophie Desrosiers (1982), Lynn Meisch (1991) ou Ann P. Rowe (1975 ; 1977) et, à travers elles, celles de Raoul d’Harcourt (1934), l’un de leurs plus fameux précurseurs. La riche bibliographie sur laquelle l’auteur s’appuie dans A woven book of knowledge rappelle combien, dans le cadre stricto sensu des

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Andes péruviennes, l’attention des chercheurs s’est principalement focalisée sur les textiles préhispaniques, notamment ceux des cultures Paracas (Anne Paul 1990) et inca (John Murra 1962 ; Ann P. Rowe 1978, 1992, 1997), laissant quelque peu dans l’ombre les textiles modernes et contemporains, à l’exception notable des tapisseries coloniales (Elena Phipps et al. 2004), des costumes de la fin du XXe siècle (Blenda Femenías 1987) ou encore des tissus de l’île de Taquile (Mary Frame in Rowe 1986 ; Elayne Zorn 2004) et de Cuzco (Christine et Edward Franquemont in Rowe 1986 ; Ann P. Rowe 1975, 2002). Ceux- ci ont été aussi abordés par le biais des changements sociaux qu’ont connus, ces dernières décennies, les pratiques textiles de la région selon des perspectives ayant trait à l’économie, au genre, au tourisme ou encore aux constructions identitaires locales, régionales et même nationales. 3 Précisons qu’il n’est pas rare, au sein de cette bibliographie, qu’un même auteur traite, dans des publications parfois distinctes, de périodes historiques très différentes. En ce sens, les recherches sur les textiles ne dérogent donc pas au penchant général des études andines, qui tendent à élaborer leurs modèles sur un axe diachronique plutôt que sur un axe synchronique, et considèrent les sociétés actuelles comme les héritières de leurs illustres prédécesseurs, inca plus particulièrement (Molinié 2003). Si les chercheurs sont peu nombreux à publier à la fois sur les textiles préhispaniques et contemporains (Ann P. Rowe 1975, 1978, 1984, 1992, 1997, 2002 ; Sophie Desrosiers 1982, 1985, 1988, 1998), tous les spécialistes des textiles de la période coloniale, et beaucoup de ceux qui travaillent sur les textiles contemporains, font référence aux textiles incas, même s’ils ne remontent pas aux cultures plus anciennes (Sophie Desrosiers, communication personnelle). Cette tendance est principalement fondée sur le fait que, parallèlement au métier à pédales d’origine européenne, des métiers à tisser du même type que ceux des périodes préhispaniques (permettant par exemple de produire des textiles à quatre lisières) sont toujours utilisés dans ces régions, souvent avec une division des tâches liée au genre (aux hommes les premiers, aux femmes les seconds). Plus encore, alors que des influences extérieures sont visibles dans les matériaux employés et dans certains des motifs réalisés, une continuité existe manifestement dans les types d’armures produites ainsi que dans les façons de les tisser (Desrosiers 1985 ; 1988). Ces comparaisons restent cependant difficiles dans la mesure où les textiles préhispaniques conservés grâce au climat désertique l’ont plutôt été sur la côte, tandis que les textiles contemporains sont presque uniquement produits dans les hautes terres. Du fait de cette différence régionale, il est dès lors encore malaisé de comprendre ce qui était tissé dans les hautes terres avant les Incas, à l’exception des tapisseries dont les décors peuvent être comparés à ceux qui ont été peints sur les céramiques (Sophie Desrosiers, communication personnelle). 4 Dans A woven book of knowledge, Gail P. Silverman va plus loin que la seule comparaison diachronique et prend comme postulat de départ – j’y reviendrai – que les Q’ero, du fait essentiellement de leur isolement géographique, « ont davantage conservé le mode de vie des Incas que leurs voisins métis [mestizo] » (p. 3). Si l’auteur propose de démontrer que l’iconographie textile contemporaine de la région de Cuzco fonctionne comme une écriture non alphabétique, c’est donc toujours en référence au monde inca préhispanique sur lequel les Q’ero sont supposés ouvrir une fenêtre. Pour étayer son hypothèse, Gail P. Silverman a, tout au long de ses années de terrain, non seulement procédé à un recueil extensif des motifs tissés par les Q’ero, mais les a « lus » à l’aide d’une approche méthodologique conjuguant apprentissage du tissage et enquête terminologique (en quechua) auprès des tisseuses et villageois, cela à l’intérieur et hors

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contexte des pratiques textiles. Elle a également demandé aux Q’ero de dessiner leurs villages, leurs champs, l’espace céleste ou encore les temps saisonniers afin de comparer ces représentations graphiques avec les décors tissés. 5 Il résulte de cette étude un ouvrage richement illustré en neuf chapitres commençant par une présentation générale des Q’ero (chap. I) et une description de leurs matériaux, techniques et productions textiles (chap. II) et se poursuivant par une analyse des motifs et de leurs significations. Gail P. Silverman propose surtout un décryptage des divers losanges quadripartites très largement représentés dans le corpus textile q’ero et des éléments minimaux les composant (lignes, triangles isocèles, croix, etc.). Elle montre ainsi comment ils figurent des concepts cosmologiques et spatiaux (chap. III), ainsi que les temps quotidiens (chap. IV) et saisonniers (chap. V). Elle se penche ensuite sur la classification des couleurs utilisées dans le champ textile et qui, selon elle, servent, à l’instar des quipu incas, à représenter des biens spécifiques comme des animaux ou de la nourriture (chap. VI), puis sur la représentation graphique du mythe de l’Incarri (chap. VII). Les derniers chapitres de l’ouvrage sont consacrés au lexique graphique des motifs q’ero représentés sous forme de diagrammes accompagnés de leur appellation et du champ de leur signification sémantique (représentation du temps ou de l’espace) (chap. VIII) ainsi qu’à un retour sur les principales conclusions de l’auteur (chap. IX). 6 La proposition de Gail P. Silverman de considérer les textiles non seulement comme un langage (c’est-à-dire avec des règles à décoder), doté en somme d’un vocabulaire, d’une grammaire et/ou d’une syntaxe, mais comme une écriture est très intéressante, notamment parce que d’autres chercheurs la considèrent plutôt comme un langage visuel (Cereceda 1978 ; Zorn 2004) et que, dès lors, un dialogue théorique se dessine comme perspective d’étude comparative dans le futur. Néanmoins, A woven book of knowledge présente, selon moi, deux limites épistémologiques et méthodologiques qu’il est nécessaire de préciser. 7 D’une part, il me semble difficile d’aborder le monde q’ero contemporain sans préciser la place que ce groupe ethnique occupe aujourd’hui dans l’imaginaire régional et national péruvien. En effet, comme l’a montré Yann Le Borgne (2003), la première expédition ethnographique consacrée aux Q’ero menée en 1955 par l’indigéniste Óscar Núñez del Prado « transforma le Q’ero en figure éponyme de l’authenticité recherchée pour construire le Pérou à venir » (in Le Borgne 2003, p. 143). Depuis lors, les Q’ero sont identifiés comme les derniers Incas. Cette figure mythique du Q’ero représentant « Lo andino », c’est-à-dire ce qui était, pour les indigénistes, propre aux Andes, aux Incas et par extension à Cuzco, a d’abord été à usage politique et s’est construite en opposition avec celle de criollo liée à la côte et à Lima (ibid., p. 144). Fondée notamment sur le mythe d’Inkarri (auquel Gail P. Silverman consacre un chapitre de son ouvrage), cette figure mythique s’exprime depuis une vingtaine d’années dans le domaine rituel. Les Q’ero sont ainsi de nos jours considérés par les Cuzquéniens comme des spécialistes de la divination et de l’offrande à la Terre mère et aux montagnes sacrées (ibid., p. 153). À ce titre, ils exercent en milieu urbain où ils sont très appréciés. En retour et du fait de leur inscription au cœur de la mystique globale du New Age (Galinier et Molinié 2006), ils font l’objet d’un tourisme ésotérique. Cette double combinaison influence la perception que certains Q’ero – comme ceux de Hatun Q’ero, siège de la quasi-totalité des études qui leur sont consacrées et des voyages touristiques ésotériques – ont désormais des caractéristiques de leur identité qu’ils lient à leur statut de dépositaires

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d’une tradition incaïque réinventée (Le Borgne 2003, pp. 156-157). L’ouvrage de Silverman aurait gagné en force si l’auteur avait évoqué cette affiliation fictive des Q’ero avec les Incas – qu’elle soit apposée et/ou revendiquée – et si, en ne la tenant dès lors pas pour réelle, elle avait discuté de manière critique les terminologies textiles recueillies sur le terrain, terminologies qui font justement référence, selon l’auteur, à des concepts préhispaniques et plus particulièrement incaïques. 8 Il me semble, d’autre part, qu’une étude sur les textiles et leur iconographie ne peut faire l’économie d’une recontextualisation élargie et ne peut se résumer aux seuls entretiens, recueils de terminologies et dessins réalisés sur demande comme si les motifs étaient signifiants par eux-mêmes en dehors de leur mobilisation humaine effective. Si un langage textile existe, je ne pense pas qu’il puisse se résumer à une iconographie de surface. Il s’ancre dans des épaisseurs textiles, épaisseurs tout à la fois matérielles et sociologiques. Or ces épaisseurs naissent des relations qui se nouent entre les humains qui les fabriquent, les portent, les imaginent, et dans les rapports intimes quotidiennement renouvelés que ces derniers entretiennent avec le tissu. Formée aux techniques de tissage et investie depuis de longues années sur le terrain q’ero, il est dès lors étonnant que Gail P. Silverman n’insiste pas plus dans son ouvrage sur les contextes de production textile et, plus encore, sur les usages des étoffes réalisées. Elle ne donne en effet pas la mesure de l’imbrication étroite que les individus entretiennent localement avec le tissu, imbrication qui aurait sans doute éclairé cet imaginaire qu’ils projettent sur eux et expriment notamment, mais pas seulement, par le biais de leur iconographie. 9 Malgré ces limites, A woven book of knowledge est une entrée richement illustrée dans le monde jusqu’alors peu connu, pour les non-hispanophones, des textiles q’ero. Ce volume rejoint le très bien documenté et très beau catalogue d’exposition que le Musée des textiles de Washington DC leur a consacré (Rowe et Cohen 2002). Ce dernier en propose une approche très différente qui, sur de nombreux points, contredit les conclusions de A woven book of knowledge. Néanmoins, la déconstruction en autant d’unités minimales des motifs étudiés réalisée par Gail P. Silverman – notamment celle des losanges quadripartites – tout comme les représentations graphiques qu’elle leur consacre fait de son ouvrage un objet d’intérêt pour ceux qui s’appliquent, ici ou ailleurs, à la lecture des iconographies textiles. Ayant d’ores et déjà inspiré des chercheurs hispanophones (par exemple Molinié 1993-1994), sa traduction en anglais servira sans aucun doute, comme l’auteur l’appelle de ses vœux, de point de départ à de nouvelles études sur le sujet.

BIBLIOGRAPHIE

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LE BORGNE Yann 2003 « Évolution de l’indigénisme dans la société péruvienne. Le traitement du groupe ethnique q’ero », Ethnographies du Cuzco, Ateliers du LESC, 25, pp. 141-159.

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MOLINIÉ Antoinette 1993-1994 « Héros mythique, dieu étatique : soleil aquatique », Bulletin de la Société suisse des américanistes, 57-58, pp. 25-36

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PHIPPS Elena, Johanna HECHT et Cristina ESTERAS MARTÍN (éds) 2004 The colonial Andes: tapestries and silverwork, 1530-1830, Metropolitan Museum of Art/Yale University Press, New York/New Haven.

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ZORN Elayne 2004 Weaving a future: tourism, cloth, and culture on an Andean Island, University of Iowa Press, Iowa City.

AUTEURS

ANNABEL VALLARD

Docteur en ethnologie. Laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative

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NIMUENDAJU Curt, Les Indiens Palikur et leurs voisins

Philippe Erikson

RÉFÉRENCE

NIMUENDAJU Curt, Les Indiens Palikur et leurs voisins, présentation et notes de Pierre Grenand, traduit de l’allemand par Wolfgang Steiner et Joëlle Lecler, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques/Presses universitaires d’Orléans, coll. « Encyclopédie palikur », Paris/Orléans, 2008, 183 p., bibl., nombr. ill. N&B, carte

1 Originellement publié en 1926, cet ouvrage de Curt Unkel (alias Nimuendaju) inaugure le volet palikur de la superbe série que promet d’être la collection Encyclopédies des peuples de Guyane, dirigée par Françoise Grenand. Catalogue d’exposition virtuelle plutôt que véritable monographie, ce livre est abondamment illustré de 46 figures, pour l’essentiel des photos noir et blanc de l’auteur représentant les gens et les objets dont il est question dans le texte, auxquelles s’ajoutent quelques cartes et croquis.

2 En raison de la brièveté de son séjour sur le terrain (cinq mois au total) et parce que ses bailleurs de fond s’intéressaient avant tout à la collecte d’objets, Nimuendaju a construit son ouvrage comme une juxtaposition de fiches, avec quarante micro- chapitres consacrés aux Palikur (pp. 32-139), vingt-neuf aux Indiens de l’Uaçá (pp. 140-157) et une courte vignette sur les Brésiliens du rio Curipy (pp. 158-161). L’ouvrage se termine (pp. 162-178) par une série de brefs lexiques palikur, galibi du rio Uaçá, auruá et maraón, ce dernier ne comprenant que deux entrées – « bonjour » et « je suis un vieil homme » – qui fleurent bon l’ethnographie de sauvetage. Relevons toutefois que Nimuendaju semble avoir surtout, sur le terrain, utilisé la langue créole. 3 L’essentiel du texte est consacré à une présentation générale des Palikur, suivant un plan à tiroirs d’un parfait classicisme. On trouve d’abord une présentation générale des gens et du milieu (pp. 32-62 : l’histoire, l’ethnonyme, la région, la démographie, les clans, l’hygiène, la division des tâches). Suit une partie plus spécifiquement consacrée à

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la culture matérielle (pp. 63-99 : armes, navigation, poteries, calebasses, vannerie, filage, instruments ménagers, instruments de musique, arts plastiques, costume, parures) et aux activités de subsistance (pp. 100-105 : agriculture, pêche, chasse, animaux domestiques). Viennent ensuite des développements sur la vie familiale et sociale (pp. 106-113 : caractère et morale, statut de la femme, mariage, naissance, nom), avant d’aborder des considérations plus abstraites sur les croyances et la vie cérémonielle (pp. 114-124 : rituels de puberté, funérailles, religion, astronomie, chamanisme, fêtes), puis de conclure sur l’organisation politique, les relations extérieures et une rapide description de la langue (pp. 131-139). Les chapitres sont très courts, le plus long étant celui consacré à la description des fêtes de boisson (pp. 124-130). 4 La deuxième partie, consacrée au colluvies gentium (p. 142) constitué par les Indiens de l’Uaça, reprend le même plan, dans une optique comparative souvent prétexte à un laconisme renforcé. Le titre de la rubrique 8, par exemple, « Répartition du travail », est presqu’aussi long que le texte qui la compose : « Autant que j’ai pu le voir, elle est identique à celle des Palikur ». L’entrée « hygiène » se réduit à : « Sans être malpropres, les Indiens de l’Uaça ne sont pourtant pas aussi propres que les Palikur. Il y a souvent des poux et on les mange » (p. 146). Des instruments de musique du Uaça, on apprend seulement que : « Ce sont les mêmes que ceux des Palikur, les sifflets en terre et en bois en moins. Les tambours et les violons fabriqués par les paysans brésiliens, et même l’accordéon, prennent le dessus » (p. 46). On est loin de la description détaillée de la toilette des Palikur, qui va jusqu’à évoquer le lien entre les odeurs et les soins donnés aux mourants (p. 61) ; loin aussi des cinq pleines pages consacrées à l’organologie arawak dans la partie précédente (pp. 85-89)… 5 Sa relative concision stylistique, alliée à une précision extrême dans le choix des termes employés, confère à cet ouvrage un charme dépouillé. Ceux qui ne le savaient pas déjà apprendront en lisant ce livre que la partie de la kuyeraha qui se met en bouche se nomme le « cuilleron » (p. 84) ; qu’une pagaie comprend trois parties, la poignée, le manche et la pale (p. 69) ; qu’une pièce du costume féminin peut s’appeler le « gorgerin » (p. 93) ; que la soupe d’amidon de manioc se prépare à partir de l’« empois », tandis que la farine se fait à partir des tubercules « rouis », etc. À cet égard, saluons au passage la rigueur et la qualité de la traduction, exemplaire à un détail près : l’emploi du terme « compas », au lieu de « boussole », pour rendre l’allemand kompass (p. 104). Soulignons également la grande qualité de l’appareil critique qui complète l’ouvrage, sous forme d’une présentation générale (pp. 10-24), d’une bibliographie complémentaire (pp. 181-183) et surtout de quelque 182 notes de bas de page d’une précision admirable signées Pierre Grenand, dont le travail vaut autant par les corrections et les compléments d’informations qu’il apporte au texte de Nimuendaju (notamment sur les identifications botaniques et zoologiques), que par l’hommage qu’il lui rend en faisant ainsi écho à son goût du détail et du travail méticuleux. 6 Sans doute cet ouvrage n’est-il pas toujours d’une lecture exaltante. On pourrait même en déplorer le caractère souvent austère et parfois désuet. Signalons cependant que ce travers se voit assez régulièrement contrebalancé par les discrètes touches d’humour qui parsèment le texte et à travers lesquelles la personnalité particulièrement attachante de l’auteur transparaît à intervalles réguliers. Les lecteurs moins intéressés par les techniques amérindiennes que par la dimension humaine du travail

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d’ethnographe retiendront les passages où l’auteur raconte ses déboires avec l’uxorilocalité, la tyrannie des épouses et les caprices des jeunes filles palikur (pp. 106-110), ou encore son effroi admiratif devant le spectacle de très jeunes enfants se gorgeant dans l’obscurité la plus profonde de poissons truffés d’arêtes (p. 102). Nimuendaju est certes frustrant quand il se contente de noter sèchement que la flûte turaká « avait été utilisée pendant la guerre contre les Galibi, qui d’ailleurs en étaient les inventeurs » et qu’elle ne servait désormais plus qu’aux jeux de séduction entre jeunes gens (p. 88). On aimerait vraiment en savoir plus sur cet aérophone enchanté, dont « le son sauvagement passionné et plaintif me procurait toujours, particulièrement dans le silence du soir, une émotion profonde » (p. 88). Notre auteur se départit également de sa froideur dans ses touchantes descriptions de la noblesse d’âme et de la générosité désintéressée de ses informateurs, pourtant « assez sots pour avoir honte de leur pauvreté » (pp. 107-108). Rien d’étonnant à lire, qu’au moment où il prenait congé, le chef puis le chamane lui aient déclaré n’avoir jamais vu chez eux « un étranger qui les eût si bien traités » (p. 107). Relevons en outre, s’il faut en croire l’auteur (p. 47), qu’à la suite de ses travaux, le gouverneur de l’État de Para a octroyé aux Palikur 25 000 ha en propriété commune. Rien que pour cela, ce travail doit être salué comme une réussite. 7 Sur le plan ethnographique, ce livre n’apporte sans doute rien d’absolument exceptionnel. On relèvera cependant des données éparses sur des thèmes rarement abordés, mais qui n’ont pas échappé à l’œil attentif de Nimuendaju : les techniques d’enfumage vespéral (p. 58) ou le recours aux imposantes plaques de granite de la savane pour échapper aux agressions nocturnes des moustiques (p. 60) ; la composition de la mèche des briquets de quartz et d’acier d’antan (p. 59) ; les lieux d’excrétion et l’utilisation de bâtonnets en guise de torche-culs (p. 59) ; le badigeonnage des pointes de flèches de bambou pour les protéger contre les insectes xylophages (p. 67) ; les techniques pour mener une pirogue dans la vase en prenant appui sur la perche utilisée comme passerelle (p. 69) ; le zèle et la ferveur des petites filles à s’adonner à la poterie (p. 75) ; la baignade séparée des hommes et des femmes et l’utilisation de tessons pour brûler les lèvres des jeunes filles, lors du rituel de puberté, afin de les rendre plus discrètes (p. 107) ; l’emploi par le jeune père d’objets miniatures grâce auxquels il emporte l’âme de son enfant avec lui en forêt (y compris à la chasse) (p. 112) ; la récupération de perles dans les urnes anciennes déterrées par hasard (pratique aujourd’hui désuète) (p. 116) ; l’existence ancienne de femmes chamanes (pp. 121-122) ou encore le système de comput permettant de déterminer le jour et l’horaire de début d’une fête au moyen d’une sorte de calendrier de l’avent en bâtonnets à découper (p. 124). 8 En dépit d’un prix qu’on ne saurait qualifier de bon marché, ce livre soigné, magnifiquement mis en page et pourvu d’une iconographie de qualité, est susceptible de toucher un public varié, du touriste à l’universitaire. Les Palikur y trouveront des bribes de leur histoire récente ; les étudiants y découvriront un modèle de rigueur ; historiens, ethnologues et muséologues y dénicheront des pépites. Les linguistes resteront sans doute un peu sur leur faim. Ils trouveront néanmoins de quoi aiguiser leur curiosité, en attendant les prochains ouvrages de cette collection, notamment ceux portant sur les langues. Souhaitons donc bon vent et bonne route à cette Encyclopédie des Guyanes, dont on signalera en conclusion qu’un autre volume vient de paraître (Grenand 2009).

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BIBLIOGRAPHIE

GRENAND Françoise 2009 Encyclopédies palikur, wayana et wayapi. Fascicule 0 : langue, milieu et histoire, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques/Presses universitaires d’Orléans, Paris/Orléans.

AUTEURS

PHILIPPE ERIKSON

Université Paris Ouest Nanterre La Défense

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VILAÇA Aparecida and Robin M. WRIGHT (eds), Native Christians. Modes and effects of Christianity among Indigenous Peoples of the Americas

Florent Kohler

RÉFÉRENCE

VILAÇA Aparecida and Robin M. WRIGHT (eds), Native Christians. Modes and effects of Christianity among Indigenous Peoples of the Americas, Ashgate, Farnham, 2009, xii + 252 p., bibl., index, ill., cartes

1 Aparecida Vilaça et Robin Wright sont des références dans le champ des études sur les conversions indigènes au christianisme, notamment grâce à leurs écrits portant respectivement sur les Wari’ et les Baniwa. Leurs travaux s’inscrivent dans un domaine de réflexion plus vaste portant sur les modes de conversion, avec tout ce qu’ils entraînent comme bouleversement des valeurs, d’adaptation ou d’imposition de cosmologies chrétiennes sur des modes d’être et de penser indigènes. L’ouvrage qu’ils viennent de coéditer est le résultat d’un symposium tenu lors du Congrès des Américanistes de Séville à l’été 2006, réunissant onze contributions qui couvrent le Nord et le Sud du continent américain, selon une perspective posée en introduction : Our decision to focus on the native point of view does not mean that we have ignored the viewpoints of other agents. Rather, the latter are subsumed by the former insofar as the native perspectives provide us with the categories for comprehending the process of Christianization. In other words, we seek to understand the Christian experience of these peoples via their cosmological concepts, and their social, political and economic organizations. (p. 2) 2 On sait ce qu’il en est des problématiques proposées au moment d’organiser un symposium ou un séminaire : bien souvent, il n’en reste nulle trace passée

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l’introduction. Ce n’est pas le cas ici, où se dégage, contribution après contribution, un réel effort pour constituer un corpus cohérent d’analyses.

3 En guise de contrepoint, Allan Greer propose en ouverture une approche comparative des méthodes de conversion jésuite au Canada et au Paraguay au XVIIe siècle. Ces méthodes, liées aux idéologies dominantes dans les pays d’origine des missionnaires, se traduisaient par des politiques plus ou moins oppressives sur les populations indigènes, respectivement Iroquois et Guarani. Ce sont, selon lui, les différences marquées qui incitent, non pas à rapprocher ces démarches, mais à les comparer, sachant que, dans un cas comme dans l’autre, tant les jésuites que les catéchumènes avaient pour objectif commun de se soustraire, autant que possible, à l’influence des colons. 4 Peter Gow s’intéresse aux formes stabilisées qui, dans la région du Bas Huallaga au Pérou, permettent à des cosmologies de franchir les étapes historiques de conversions successives, par des systèmes de correspondance qui se reconstituent dans le passage d’un régime religieux à un autre. L’équivalence sémantique des termes Cristiano et « humain » est l’axe principal de cette continuité, qui affecte la perception du passé : les régimes successifs ne sont pas perçus comme des ruptures ontologiques. 5 L’enquête de Giovanna Bacchidu porte sur les conversions épisodiques au protestantisme dans des populations traditionnellement catholiques, au sud du Chili, dans l’île d’Apiao. S’élevant contre les suggestions d’« immuabilité » et de résistance passive aux changements, elle cherche à démontrer les tensions suscitées par le comportement des convertis qui s’affranchissent des règles élémentaires de la sociabilité. Son étude de cas complète utilement certains travaux menés sur des conversions affectant des individus ou des familles isolées, comme ceux de Véronique Boyer (2009) ou Gabriele Grossi (2004), et amène à regretter que l’auteur ne se soit pas posé, in fine, la question suivante : et si la conversion était la conséquence, et non la cause, de tensions internes à la communauté étudiée ? 6 Emilia Ferraro aborde le rôle social et religieux joué par l’argent, comme valeur et comme symbole, dans le village quechua de Pesillo, au nord de l’Équateur. Moteur de la transition entre l’Église catholique et les ONG qui gagnent en influence à mesure que s’instaure le crédit, l’argent opère comme un médiateur entre la cohésion communautaire que réclament ces instances et les formes de réciprocité anciennement établies entre les habitants, c’est-à-dire les emprunts contractés localement à l’occasion de la Saint-Jean, système dénommé el castillo. 7 C’est la question du genre que pose le chapitre rédigé par Ana Mariella Bacigalupo, à propos des chamanes mapuche (région centrale du Chili), dont les pouvoirs reposent sur des comportements génériquement attribués aux femmes : porter des jupes, ne pas se livrer à certains travaux masculins. Ces comportements entrent en conflit avec les représentations du colonisateur castillan concernant la virilité. L’auteur aborde l’histoire des glissements et réappropriations successifs des fonctions politiques et chamaniques attribuées respectivement aux hommes et aux femmes, à travers une redistribution des pouvoirs (pouvoir d’intercession par la piété, pouvoir de guérison par la connaissance…), observant, au long des XIXe et XXe siècles, une montée en puissance des femmes dans les fonctions chamaniques. Les machi masculins ont regagné leurs prérogatives en se soumettant tantôt à une hétérosexualité passant par la vie de couple, tantôt un célibat du type de celui assumé par les prêtres.

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8 Pour Vanessa Elisa Grotti, dont l’étude porte sur les Trio et Akuriyo du Surinam, populations de langue karib, on ne peut appréhender, au sein des villages qu’ils partagent, les rapports qu’entretiennent ces deux groupes si l’on se réfère uniquement à la perception qu’en ont les évangélisateurs protestants. Les Akuriyo ont été sédentarisés dans les années 1970, et la charge de leur socialisation fut assumée par les Trio, qui voient en eux des créatures intermédiaires, incomplètement humanisées, donc encore susceptibles de transformation. Tandis que les missionnaires appréhendaient les Akuriyo comme des convertis intellectuellement difficiles à manier, les Trio voyaient avant tout leur conversion sous la forme d’une transformation des corps. Les Trio considèrent, en effet, que leur propre conversion a eu pour principal résultat de les fixer corporellement. Les Akuriyo demeuraient, de ce point de vue, des humains inachevés. 9 Les Indiens Paumari du bassin du Purus (au sud-ouest de l’Amazonie brésilienne) ont fait l’objet d’une ethnographie de longue haleine par Oiara Bonilla. Les Paumari furent marqués par la prégnance du système de l’aviamento mettant en relation un « patron » et des « clients » (pamoari) qui lui fournissaient du caoutchouc en échange de biens de consommation. L’irruption de missionnaires protestants, qui les guérirent de la pinta (maladie bactérienne provoquant l’irruption de taches épidermiques), fut perçue comme le passage d’une ancienne vie (ou « peau ») à une nouvelle, mais aussi d’une situation de dépendance à une autre, résultat d’une « décision collective de se soumettre à la domestication d’un nouveau patron, dont on attend qu’il accorde de l’attention et des soins à la mesure de ses connaissances et de son pouvoir » (p. 142). 10 La perspective inverse est adoptée par Aparecida Vilaça, dont le point central est de discuter l’opportunisme économique et politique des conversions, pour lui opposer une continuité perspectiviste : l’adoption du « point de vue de l’ennemi », thème central des réflexions de cette auteur afin de maintenir « une position de prédateur dans une relation prédateur/proie » (p. 158). De là le caractère repoussant de l’enfer chrétien où les âmes « rôtissent » comme du gibier, cependant que le paradis est perçu comme un lieu neutre, où certes l’affinité laisse place à la consanguinité (brotherhood), mais sans que soit reconstituée une vie communautaire. Vilaça attire l’attention sur les systèmes qui contiennent structurellement, comme l’affirmait Lévi-Strauss, la place de l’Autre marquée en creux. 11 Frédéric Laugrand et Jarich G. Oosten proposent une étude centrée sur les Inuits de la côte de Kivalliq, au nord de la mer de Baffin. Ils s’intéressent avant tout aux rapports entre missionnaires et chamanes, les pouvoirs des premiers semblant transcender ceux des seconds : pouvoir de classification, pouvoir de vision et, bien entendu, de guérison. Les chamanes inuits ont donc aisément adopté le christianisme, en toute cohérence avec une pratique qui exige une innovation et un apprentissage permanents. Comme ce fut le cas chez nombre de convertis amazoniens – et comme je l’ai moi-même observé chez les Palikur de l’Oyapock – les pouvoirs dévolus aux esprits-maîtres sont transférés à Dieu ou à son fils. Les auteurs s’interrogent finalement, à l’unisson des chamanes, sur la perte de connaissances locales spécifiques que représente l’adoption d’une nouvelle religion, dans ce monde très particulier en termes de ressources alimentaires que représente le Nord canadien. 12 Les projets de développement durable, tels ceux portant sur l’artisanat, font l’objet d’une réflexion extrêmement détaillée de la part de Robin Wright, qui a suivi de près une expérience portant sur des paniers tressés chez les Baniwa du Haut Rio Negro,

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expérience encadrée par l’Instituto Socioambiental (organisation indigéniste installée à São Paulo). Wright souligne la concomitance entre le succès commercial de l’expérience et sa relative limite, dans la mesure où elle s’inscrit dans un schéma de montée en puissance des associations évangéliques – protestantes –, en particulier l’OIBI. La réflexion de Wright porte plus particulièrement sur ce que les ONG négligent le plus souvent : la nécessité de s’affranchir de la logique de succès mercantile de ces opérations pour prendre en considération les logiques sociales à l’œuvre chez ceux qui souhaitent y participer. Se référant à un cas d’ensorcellement d’un des principaux porteurs du projet, Wright place en perspective les problèmes liés à la brusque ascension sociale des agents indigènes du développement, confrontés à des mécanismes de contrôle social tels que l’empoisonnement. 13 C’est également un projet de développement – portant cette fois sur la baie du Guarana – qui sous-tend l’étude de Wolfgang Kapfhammer. Les Sateré-Mawê, groupe tupi résidant aux alentours de la ville de Parintins (cours moyen de l’Amazone), relèvent, selon les mots de l’auteur, d’une « modernité sceptique » : populations d’abord considérées comme des entraves au progrès, aujourd’hui portées à ses avant- postes par les expérimentations socio-économiques dont elles font l’objet. Kapfhammer relate donc la manière dont la production durable du guarana s’insère dans la cosmologie des Sateré-Mawê et, plus largement, dans l’ensemble prophétique que constitue la Terre sans Mal. L’étude est riche de références, en particulier de références germaniques qui, pour des raisons linguistiques, sont méconnues en France. L’auteur s’attache à décrypter les incohérences cosmologiques suscitées par la culture du guarana (à des fins individualistes dans une société du partage ; planté par des hommes en saison humide, tandis que le manioc est planté par les femmes en saison sèche) et les discours légitimateurs de telles pratiques portés par la religion protestante. 14 Le mot de la fin revient à Joel Robbins, qui propose une lecture de l’ouvrage à la lumière de ses propres travaux, principalement menés en Mélanésie, visant à dégager les grandes lignes d’une anthropologie du christianisme. Robbins observe avec raison que les études proposées, si l’on excepte celles de Greer et de Vilaça, portent avant tout sur les cosmologies indigènes et sur les éléments de continuité ou de discontinuité que l’on observe après la conversion. Une approche centrée sur le christianisme en lui-même eût probablement permis de charpenter différemment cet ouvrage, en s’éloignant quelque peu du paradigme amazonien pour s’insérer dans une réflexion plus ample sur la conversion à cette religion particulière ; religion qui n’est pas dépourvue en soi de signification, qui ne peut être considérée comme un simple support ou véhicule et, finalement, qui est lourde de conséquences pour l’insertion dans une société interconnectée comme l’est le monde contemporain. Les études présentées dans cet ouvrage n’en sont pas moins cohérentes entre elles et forment ainsi une bonne introduction à une telle réflexion.

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BIBLIOGRAPHIE

BOYER Véronique 2009 Expansion évangélique et migrations en Amazonie brésilienne, Karthala, Paris.

GROSSI Gabriele 2004 Ici nous sommes tous parents. Fêtes et rituels chez les Pataxo du Mont Pascal, thèse de doctorat, EHESS, Paris.

AUTEURS

FLORENT KOHLER

Université François Rabelais, UFR Lettres et langues, Tours

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WRIGHT Robin M. (ed.), Transformando os deuses. Vol. 2 - Igrejas evangélicas, pentecostais e neopentecostais entre os povos indígenas no Brasil • CABRERA BECERRA Gabriel, Las Nuevas Tribus y los indígenas de la Amazonía: historia de una presencia protestante

Jean-Pierre Goulard

RÉFÉRENCE

WRIGHT Robin M. (ed.), Transformando os deuses. Vol. 2 - Igrejas evangélicas, pentecostais e neopentecostais entre os povos indígenas no Brasil, Editora da Unicamp, Campinas/Saõ Paulo, 2004, 407 p., réf. dissém., ill. CABRERA BECERRA Gabriel, Las Nuevas Tribus y los indígenas de la Amazonía: historia de una presencia protestante, Edición Cabrera Becerra, Bogotá, 2007, 224 p., bibl., ill., cartes

1 Le phénomène du néo-religieux en milieu indigène pose de nombreuses questions en anthropologie, ce qui explique la multiplication des études sur ce thème dans des contextes socioculturels variés et sur tous les continents. La prégnance de nouvelles normes religieuses, manifestement influencées par l’Occident, interpelle les conduites des observés comme celles des observateurs. Il conviendrait donc d’interroger les motivations des uns et des autres. Les résultats présentés dans les deux ouvrages retenus ici rendent compte de l’analyse de l’impact de courants religieux qui ont surgi au cours du XIXe siècle aux États-Unis au sein de populations qui, a priori, ont peu à voir

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avec les basses terres amazoniennes. Pourtant, les différences sont-elles vraiment si importantes ? L’insertion et la permanence de certains des traits importés sont les signes d’une appréhension possible de l’extériorité par lesdites populations d’accueil. Certes, elles ont déjà connu des échanges par contact et/ou affrontements, ne serait-ce qu’avec des populations voisines. Par exemple, on sait que le « complexe arawak » a posé son empreinte sur une grande partie du Nord-Ouest amazonien. Les groupes ont été normés et ont partagé des pratiques rituelles et des croyances dont le prophétisme n’était pas absent. Les rives de l’Amazone ont été ensuite « infiltrées » par le monde tupi qui a introduit à son tour certaines de ses valeurs. Puis, à leur tour, les Européens ont imposé, peu ou prou, certaines des leurs. Ainsi, en un millénaire, trois « conquêtes » successives ont remodelé le paysage ethnique et ont donc influencé les populations des basses terres du Nord-Ouest amazonien.

2 À leur arrivée, les Espagnols et les Portugais se retrouvèrent face à une mosaïque de groupes ethniques qui furent rapidement décimés. L’adhésion au catholicisme fut proposée aux survivants comme « planche de salut ». De nos jours, cette option chrétienne est souvent, et peut-être plus que jamais, perçue comme une oppression, à l’image de l’esclavage, de la servilité, de l’exploitation… Au cours du XXe siècle, les « résidus » de ces populations originelles ont rejeté le catholicisme et se sont tournées facilement vers l’offre des néo-religions à orientation protestante. Le travail de pénétration de ces mouvements s’est étalé sur plusieurs décennies en développant des stratégies propres, au niveau national (politique) comme local (linguistique). Les missionnaires ont nécessairement dû s’adapter aux conditions posées implicitement par chaque groupe indigène pour emporter l’adhésion. Le facteur temps et leur immersion permettent de comprendre cette réussite. Tout d’abord rejetés, puis maintenus à distance, ils ont enfin été accueillis au prix de concessions et les indigènes ont progressivement accepté certaines de leurs propositions. Les populations concernées ont en même temps tiré profit de cette proximité, sous forme d’avantages, matériels et autres, tandis que certaines d’entre elles ont été associées à un travail linguistique qui a souvent abouti à la traduction de la Bible dans leur propre langue. Il s’en est suivi une offre de scolarisation et l’accès à des pans du monde des Blancs. 3 L’adhésion est-elle alors une réaction au système antérieur et/ou est-elle la conséquence du contact devenu permanent avec les Blancs ? L’acceptation de ces mouvements a sans doute été renforcée par la reconnaissance du fait indigène dans les nouvelles constitutions des principaux pays latino-américains (Colombie en 1991 ; Brésil en 1988). Il en a résulté une prise de conscience de leur indianité, non plus comme facteur d’opprobre, mais bien au contraire comme une marque identitaire forte opposable à la société dominante. Le discours des néo-religions, comme des ONG, s’est saisi de cette opportunité pour promouvoir, au sein de ces populations, une plus grande autonomie, tout en imposant l’abandon de certaines pratiques et l’acceptation de nouvelles contraintes venues de l’extérieur, dont certaines sous un motif religieux (prohibition de l’alcool et du tabac, abandon de la polygynie…). 4 Parmi toutes les offres proposées, celle du « salut » occupe une place préférentielle. Un tel discours salvateur trouve un écho favorable chez un nombre de plus en plus important de communautés indigènes qui se sont longtemps perçues comme délaissées et abandonnées. Cette proposition induit une nouvelle perception de Soi et de l’Autre qui est prise en compte quand un groupe interroge son éventuelle adhésion à une néo- religion. Mais la réception du discours eschatologique induit est-elle la même pour

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tous ? Sont-ce les mêmes schèmes qui font écho chez les uns et chez les autres ? S’agit-il des mêmes stratégies ethniques, des mêmes correspondances idéologiques ? Une appréhension ainsi partagée doit bien, jusqu’à un certain point, répondre à une attente, à un besoin ou à une nécessité. Les deux ouvrages dont il est question apportent quelques réponses à travers des études de cas qui couvrent une bonne partie de l’Amazonie. 5 L’étude de Gabriel Cabrera Becerra est exemplaire à plus d’un titre. L’auteur met en perspective le parcours d’un groupe ethnique nomade, les Nukak, dont la survie est l’objet d’un véritable enjeu idéologique. Ce groupe d’environ 500 personnes est devenu emblématique, pour la Colombie, « d’un patrimoine culturel et ethnologique ». Ce cas est un exemple et met l’emphase sur une situation que connaît peu ou prou l’ensemble du pays, soit l’occupation du territoire national disputée par différents acteurs : la guérilla, les groupes d’autodéfense, les paramilitaires, les narco-trafiquants, l’État à travers ses différents organismes et, bien sûr, les indigènes. Au-delà des affects de l’ethnologue, la situation des Nukak, qui vaut par ailleurs pour beaucoup d’autres populations, condense la situation des « déplacés » que l’auteur analyse dans la perspective proposée par Hannah Arendt (reprise in Cabrera Becerra, p. 93). Le résultat est un plaidoyer pro domo ancré dans l’engagement personnel de longue date de l’auteur, à côté d’autres, pour la défense de ce groupe dont le premier contact avec les Blancs remonte à 1987. Dans tous les cas, les conséquences de ce contact sont impressionnantes, faites de nombreux décès, de rapts, de maladies et du déplacement forcé du restant de la population. 6 Pourtant, en raison de leur situation paroxystique (de rejet !) en milieu métis et pour des raisons de survie (du moins peut-on le penser, puisque le point de vue indigène apparaît peu tout au long de ce travail), la majorité de ces survivants a entrepris, contre l’avis de leurs mentors institutionnels, et peut-être au soulagement de la population régionale, de retourner au cours de l’année 2007 sur leur territoire (communication personnelle de Carlos Franky et Dany Mahecha), pour le meilleur ou pour le pire, terres devenues inaccessibles à tous les organismes, ceux de l’État et d’autres. Partant de ce constat, Cabrera Becerra élargit son propos. Il détaille l’intrusion et la permanence de la présence des Nuevas Tribus parmi les Nukak, en insistant sur l’épopée de Sophie Müller (missionnaire américaine adventiste qui sillonna durant plus de trente ans le bassin de l’Orénoque pour convertir les populations indigènes à l’évangélisme), pour donner un aperçu de la présence protestante dans toute la région. 7 Peut-être eût-il été préférable qu’il publiât des textes séparés, car l’intérêt de la première partie de son travail a tendance à se dissoudre dans la seconde, confusion entretenue par un style alternant entre la chronique et l’analyse. La présence protestante relève, en effet, d’une problématique dont l’étude, même si elle est circonscrite dans son propos, rejoint celle de bien des populations indigènes et s’inscrit en même temps dans le concert des nations… 8 Finalement il s’agit d’un travail linéaire, le plus souvent descriptif, dont l’apport est indubitable par les nombreuses informations fournies, mais dont les enjeux idéologiques qui sous-tendent la situation ne sont pas toujours développés. On peut supposer que le tableau des Nuevas Tribus dressé par Cabrera cherche à mettre en perspective la démarche idéologique poursuivie dans la plus grande discrétion, mais il eût été nécessaire de disposer de plus d’informations quant aux « débats » et

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interrogations qui n’ont certainement pas manqué au sein du groupe, tant sur le plan religieux que l’auteur aborde peu que sur les autres champs de la vie de la société. 9 À l’inverse de cette perspective avant tout diachronique, l’ouvrage dirigé par Robin Wright inscrit son collectif dans une approche synchronique. Dans la continuité d’un premier volume paru il y a quelques années (Wright 1999), est présentée une vision panoramique qui facilite une approche comparative de la confrontation résultant de la problématique de l’implantation des néo-religions protestantes au sein de plusieurs groupes amazoniens. 10 Pour éviter toute compassion, il convient de rappeler encore que les sociétés amérindiennes dont il est question ici sont pour la plupart en interrelation avec le monde occidental, parfois depuis des siècles. C’est donc à un moment précis de leur parcours à côté du monde des Blancs, que ces groupes ont eu à connaître le protestantisme, dont le positionnement est de mettre fin, par adhésion, à une « vie de souffrances et d’afflictions » (Wright, p. 10). Ce cadre religieux est facilement associé à la civilisation, en opposition avec la tradition associée au catholicisme. Une des conséquences de cette démarche est d’inscrire le monde indigène dans une perspective historique. Ce rapport à l’histoire, concept nouveau pour l’indigène, procède d’une linéarité (versus la civilisation) qui succèderait à une cyclicité (versus la tradition). Dans sa préface, Wright s’interroge sur cette démarche : est-elle nécessaire pour une transformation culturellement acceptable dans ce nouveau rapport avec l’extérieur pour réintroduire l’ethnicité, non tant comme une alternative que comme un chemin obligé ? 11 Même si le religieux n’est pas seul à participer du renouveau indigène, il tend à focaliser cette revendication. Le cadre étant perverti, il s’est ainsi fortifié par une appropriation de ce qui, vu de l’extérieur, est un emprunt, alors qu’il n’en va pas de même en interne. Si la conversion au protestantisme est un acte individuel, il est plutôt vécu comme collectif dans le contexte indigène. Ce qui fait la force des variantes du protestantisme tient pour partie à l’approche émotive ou émotionnelle entretenue principalement lors de rituels festifs et qui est souvent confortée par des visions communes au cours du culte. Ce qui frappe encore c’est l’impact spécifique de l’adventisme. Sa lecture littérale de l’Ancien Testament exige, par exemple, de ne pas travailler le dimanche et de respecter des tabous alimentaires, pratiques empruntées par cette branche du protestantisme au judaïsme et qui sont observées par les « convertis » indigènes. 12 Il ressort de toutes les contributions que la pénétration des néo-religions au sein des groupes indigènes va crescendo jusqu’à ce qu’elles soient reconnues en interne et deviennent parfois la « religion » d’un groupe dans son entier (comme, par exemple, chez les Curripaco). 13 D’autres questions ne manquent pas de surgir. Permettent-elles malgré tout le maintien des cosmologies (même au prix de certaines adaptations par analogies et autres procédés) ? Dans le même ordre d’idées, cette adhésion ne permet-elle pas de rétablir un cadre ethnique qui est parfois considéré de l’extérieur comme ayant été perverti par dégénérescence en raison des allers-retours de la croyance ? Elle réunifierait alors l’ethnique, conforté par une appropriation de ce qui, vu de l’extérieur, serait un emprunt, à l’inverse du ressenti des communautés indigènes impliquées dans cette démarche.

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14 Dans cette nouvelle configuration, la « religion » permettrait en effet à ces sociétés de perdurer comme un tout. Elle serait unificatrice, permettant à l’ensemble des personnes qui s’en revendiquent de s’y identifier. C’est encore la place de la coutume ou de la tradition qui est questionnée et, implicitement, celle des rituels et du chamanisme. Dans le cas du chamanisme, il y a en effet des tentatives de substitution par des néo-officiants qui reprennent certaines de leurs fonctions, mais souvent il y a plutôt une recombinaison. Le positionnement face au chamanisme est double. D’une part, de nouvelles significations sont introduites par l’usage d’équivalences inversées qui incitent à l’abandon de certaines pratiques. D’autre part, le maintien de la culture vaut par la conservation de connaissances, telles celles d’ordre phyto-thérapeutique avec les plantes et leur efficacité symbolique, mais également l’ascendance morale du chamane au sein d’un groupe. Ce que confirme Robin Wright quand il propose que, malgré les apparences, les analogies et les ruptures ne sont pas opposées dans les cosmologies, car les analogies concernent le fond, alors que les ruptures sont de pure forme. 15 Tous les textes de ce livre montrent, s’il en est encore besoin, comment perdurent les sociétés amazoniennes, comment l’identité est revendiquée dans le cadre actuel face à un certain discours pessimiste tenu à leur sujet. Toutefois, la revendication d’une visibilité indigène se combine avec d’autres facteurs. Le cadre politique national et international offre une reconnaissance des droits de plus en plus souvent exigés par les acteurs indigènes, avec parfois l’aide de personnes et d’organismes extérieurs. Ceci implique, ou conduit à, comme le notent plusieurs auteurs, la création et l’exacerbation des postes et des fonctions (enseignants, pasteurs, promoteurs de santé) qui induisent l’introduction d’une hiérarchie là où elle était absente jusqu’à présent. S’y ajoute un cadre économique avec lequel il faut désormais composer avec une « économie de l’intime », d’une part, et une « économie de l’externe », d’autre part. In fine, il y a une mutation putative de la cosmovision, souvent à partir de « résonances » (Wright, p. 47). Les questions posées en introduction de l’ouvrage ont alors toute leur place et conduisent à interroger la combinaison entre transcendance et essentialisme. 16 Bien des traits sont ainsi partagés par les sociétés présentées ici, ne serait-ce que celui lié au fait qu’elles traversent des « situations de crise », lesquelles conduisent à l’adhésion à une « néo-religion ». D’une telle rencontre, propose Kapfhammer (in Wright pp. 102-103), naît une « mythopraxis » que partagent ensuite les « néo- croyants ». C’est alors qu’est induite une certaine transculturalité, avec une diffusion depuis une Tour de Babel, et la présence d’un Dieu, si possible unique. Cette situation est rendue possible par la construction d’une terminologie biblique et d’un glossaire spirituel par détournement sémantique du lexique usuel. Ce qui retient encore l’attention des auteurs est la rapidité d’intégration de ces concepts déviés, une génération étant parfois suffisante pour y parvenir. Glissements sémantiques, glissements comportementaux sont les premiers ingrédients utilisés. Une autre force de ces mouvements est de fonder leur endoctrinement sur l’usage exclusif de la langue native. Au terme d’un réel effort fourni pour l’apprentissage d’une langue, le missionnaire devient alors un interlocuteur privilégié. Dans un deuxième temps, ce dernier complète son œuvre en traduisant la Bible ou des extraits dans ladite langue. 17 Un autre trait commun à toutes ces sociétés est que les communautés se partagent entre les catholiques, associés à la tradition, et les croyants, ceux qui ont adhéré à la « religion ». Si, d’une part, la situation actuelle (modes de communication,

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reconnaissance par les États, etc.) a renforcé l’identité ethnique en englobant peu ou prou l’ensemble de la population s’en revendiquant, les néo-religions ont introduit une nouvelle identité. Cette identité religieuse vient à son tour subdiviser le groupe. Les conséquences sont alors notables. Elles touchent aux modes de relation entre les personnes tant sur le plan de l’organisation sociale, avec la pratique de rituels spécifiques, des alliances matrimoniales, qui se déroulent exclusivement au sein du groupe « religieux » concerné, ce qui n’est pas sans conséquences sur le plan économique et sur les rapports à l’extériorité. Fondées sur le religieux, se mettent en place ou se surajoutent une nouvelle consanguinité et, conséquemment, une nouvelle affinité qui, de plus, sont localisées spatialement. 18 La condamnation du personnage du chamane déjà suggérée se retrouve dans la « néo- idéologie » mise en place. La question est alors de savoir s’il y conserve une place. Il est condamné, certes, mais encore ? Toute la difficulté est de savoir si son profil est ou non transféré sur de nouveaux personnages. Le pasteur semble, en effet, récupérer certaines de ses attributions. Son rôle de guérisseur associe souvent des emprunts au chamanisme et un comportement de type occidental. Pourtant, dans la pratique, et sous certaines conditions, la présence bien tempérée du chamane semble plutôt acceptée, ou, tout du moins, tolérée. L’essence même du chamanisme est donc conservée, même si son représentant traditionnel en porte l’ambiguïté et peut à ce titre être condamné. 19 Dans tous les cas, les différentes approches relèvent d’une anthropologie de la contemporanéité. Malgré les règles contraignantes et exclusives que semblent imposer ces néo-religions, il n’en demeure pas moins que chaque société garde son (ou ses) secret(s). Malgré les apparences, tout n’est jamais pour ou contre. Ainsi du puratig̃ des Sateré-Mawê. Cet objet aux spécificités détaillées par Kapfhammer (in Wright, pp. 114-115) est précieux. Il est hérité des temps primordiaux par une lignée de chamanes qui le conservent aux limites d’une terre qui leur a été attribuée. Or la lecture de cet objet que propose un informateur « croyant » est que le dessin gravé serait le support d’une « transformation par écrit » de la révélation des temps mythiques, un « texte de référence moral ». L’une des deux faces renseigne sur « le “bon”, l’unité et le travail », l’autre sur le « mauvais, la guerre et la discorde » (in Wright, p. 120). Si bien que l’ethnothéorie indigène associe la révélation et la technologie comme la prémisse de la connaissance de l’écriture (in Wright, pp. 120-121). Bien des sociétés mettent en avant ce dualisme de la fonction du chamane et du chamanisme, mais peu en fournissent un exemple à partir d’un objet dont le pouvoir montre à souhait la subjectivation dont il est investi. Cela permet de comprendre son inscription dans un héritage généalogique qui ne se retrouve pas dans d’autres sociétés pouvant toutefois inventer d’autres processus pour ethnothéoriser l’adhésion à une néo-religion. 20 Ce qui ressort des divers cas présentés c’est que, malgré les spécificités de chaque groupe, la mythologie est pervertie. Certes, celle qui peut être tenue pour traditionnelle est déjà une (re)construction, une recombinaison prenant en compte les aléas et les processus historiques du groupe. La dernière combinaison, celle qui s’enracine avec l’introduction des néo-religions, est actualisée. Elle intègre des données immédiates de toutes sortes (événementielles, bibliques) pour se recréer une intégrité primordiale qui devient peu à peu la mythologie orthodoxe du groupe. Elle tend à devenir rigide car elle est fixée sur le papier. Son oralité vaut à partir de la lecture qui

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n’est le propre que de quelques-uns. Ajoutée aux nouvelles conditions environnementales, l’adoption d’une néo-religion vise à revitaliser l’image de Soi et sa relation à l’Autre. De cette manière, il est possible de se rapprocher, au moins d’être proche de l’Autre, jusqu’à parfois se confondre avec lui par le partage de mêmes concepts alternatifs. L’ordre social reprend toute sa place. Les néo-religions offrent l’alternative symétrique inverse de la proposition de départ qui a favorisé leur acceptation par certains groupes indigènes, avec le cataclysme et la fin du monde comme communauté de destin et que les acteurs indigènes reprennent à leur compte.

BIBLIOGRAPHIE

WRIGHT Robin M. (éd.) 1999 Transformando os Deuses. Os múltiplos sentidos da conversão entre os povos indígenas no Brasil, Editora da Unicamp, Campinas.

AUTEURS

JEAN-PIERRE GOULARD

Docteur en ethnologie EREA/LESC

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CERIANI CERNADAS César, Nuestros hermanos lamanitas. Indios y fronteras en la imaginación mormona

Diego Villar Traduction : Isabelle Combés

RÉFÉRENCE

CERIANI CERNADAS César, Nuestros hermanos lamanitas. Indios y fronteras en la imaginación mormona, Biblos, Buenos Aires, 2008, 285 p.

1 Ce livre analyse le processus d’absorption de la religion mormone chez les Toba Takshik de l’Est de la province de Formosa en Argentine, qui vivent entre autres dans les localités de Clorinda, La Primavera et Misión Taacaglé. Loin de se limiter à une ethnographie du mormonisme toba, l’ouvrage s’attache à démonter les mécanismes idéologiques qui structurent l’imagination culturelle des adeptes, indiens comme créoles, de cette religion. Pour ce faire, il retrace une brève histoire du mormonisme depuis sa fondation aux États-Unis, sous la tutelle du prophète Joseph Smith (1805-1844), jusqu’à ses plus scabreuses prolongations, comme le stigmate qui entoure la société secrète des Danites, ces implacables « anges de la mort » que le fameux roman de Sir Arthur Conan Doyle, A study in scarlet, faisait sévir dans les banlieues de Londres en 1887. Le principal objectif du livre consiste à démonter une icône récurrente de la cosmovision mormone : les Lamanites. D’après Le livre de Mormon, annale orthodoxe de l’histoire universelle, le continent américain aurait été colonisé par deux courants migratoires israélites, les Néphites et les Lamanites, idolâtres dégénérés et apostats, qui anéantirent les premiers ; l’imaginaire mormon voit précisément dans ces héritiers directs, mais maudits, des tribus d’Israël, les ancêtres des Indiens américains. À partir de cette étiologie, César Ceriani Cernadas retrace les différentes significations de la catégorie dans les perspectives réciproques des Créoles et des Indiens du Chaco, qui façonnent une fabuleuse conception des temps anciens, mêlant dinosaures, migrations

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inconcevables, trésors cachés, crimes sanglants et jusqu’à des présomptions de cannibalisme.

2 Pour suivre les avatars du mormonisme dans le Gran Chaco, le livre nous raconte l’origine de la mission évangélique Emmanuel, fondée en 1937 par John Church (« Juan Church » pour les Toba). L’établissement se convertit en un point stratégique de coagulation démographique pour les différentes bandes nomades de l’Est de Formosa : plus attirés par les nouvelles sur la bonne disposition, la technologie et les richesses des gringos que par un supposé désir de conversion théologique, les Toba se concentrèrent rapidement autour des missions mormones. Peu de temps après, cependant, ils manifestèrent leur célèbre inconstance en participant au mouvement millénariste, constitué autour de la figure de « Dieu Luciano » (1940-1950), qui fut interprété par les mormons comme une rebelle survivance païenne. Ceriani s’efforce de démêler les processus de changement et de continuité dans la chefferie guerrière, l’autorité charismatique traditionnelle ou chrétienne et ce que l’inimitable Branislava Susnik a appelé l’autorité « transactionnelle », médiatrice entre les deux mondes créole et indien. En analysant, à partir de cas particuliers, les crises existentielles qui motivent l’adoption du culte (alcoolisme, violence, adultère, maladie) ainsi que les idées récurrentes dans la rhétorique mormone de l’individualité, du progrès personnel et de l’émulation individuelle, l’auteur décrit la même « exégèse pragmatique et sécularisante » qu’Edgardo Cordeu avait rencontrée chez les Toba de Bartolomé de las Casas : l’adoption du christianisme en tant qu’instrument privilégié de socialisation dans le monde doqshi (blanc), un dépassement progressif des préjugés que la société nationale nourrit envers les Indiens du Chaco, prétendument ignorants, fainéants, sales, ivrognes, etc. 3 L’ouvrage s’efforce, à tout moment, de décrire un mormonisme déchiré par des tensions et fissures qui configurent un champ ouvert, extrêmement dynamique, terrain de processus de mélange, combinaison et permutation d’images. Les conceptions des mormons créoles et toba sont indissociables : les fabuleuses richesses des gringos se traduisent dans la croyance répandue au sujet des tapados, fantastiques trésors cachés qui hantent le folklore régional. Le fil conducteur du livre consiste à démontrer, sous différents angles, la complexité de ces religiosités contemporaines. Il décrit, par exemple, les harmonies et frictions entre les différents cultes qui rivalisent pour attirer les mêmes clientèles. Ces aspects sont perceptibles dans la méfiance mormone envers les missionnaires mennonites qui, grâce à leurs talents linguistiques, convertissent des Toba en assistants idéaux pour leurs démarches légales et bureaucratiques. Ou, encore, ils sont visibles dans l’amertume envers les églises évangéliques, auxquelles les austères mormons reprochent une démesure de l’extase émotionnelle. Ce même facteur est à relier à son tour à l’influence de la proximité relative des villages créoles : tandis que les Indiens les plus indépendants préfèrent une religiosité plus sentimentale, corporelle et extatique, ceux qui sont les plus immergés dans le monde créole paraissent se tourner progressivement vers une rationalité moralisante, façonnée dans la prédication à travers la parole. Dans cette perspective, la perception toba de la catégorie de « catholique » s’avère fascinante, en tant que désignation générique, résiduelle et négative, qui s’applique à tous ceux qui fument, boivent de l’alcool et n’ont de rapports avec les mormons qu’à l’occasion d’activités sportives, festives ou sociales. 4 Subsistent quelques questions à peine esquissées, qu’il aurait été intéressant d’approfondir. L’une est le lien symbolique entre la sacralité du mormonisme toba et

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l’opposition chaud/froid, timidement suggérée dans la discussion sur le rôle du maté dans la sociabilité quotidienne (p. 163) ; une autre, la fascination toba pour le service militaire que les Indiens, loin d’en souligner les rigueurs et la discipline obligée, perçoivent comme une exceptionnelle opportunité de socialisation et d’extension de leurs relations sociales (pp. 94-98). 5 On pourrait aussi discuter, naturellement, quelques nuances exégétiques. Lorsqu’il examine les ambivalences implicites dans les représentations mormones, le livre suggère que le « vampirisme » peut se constituer en un authentique genre narratif parmi les Toba. Ceriani décrit d’une façon très vivante la circulation des rumeurs, ragots et on-dit sur la Reine Moronia, un être séducteur, mais monstrueux, qui se nourrit du sang des jeunes vierges. Il explique cette fascination macabre à la façon de Gluckman, Pitt-Rivers ou Turner, en associant ces images à des boucs émissaires, des schismes religieux, des disputes de légitimité politique ou des rivalités entre cultes. Il propose aussi, dans le style des métaphores d’aliénation coloniale de Michael Taussig, d’insérer la reine cannibale dans un ensemble plus vaste de représentations qui inclut des êtres comme le pishtaco andin ou le familiar du Chaco. Ceriani présente sa recherche comme un croisement entre trois variables : religion, frontière et expansion coloniale. De fait, « colonial » est l’épithète le plus fréquent de l’argumentation : les Lamanites sont une « catégorie néo-coloniale », un « récit colonial de frontière », une « mytho- praxis coloniale », une « métaphore d’aliénation coloniale », etc. Sans réfuter cette interprétation, il semble possible d’élargir le spectre comparatif. Si on s’attache à des images similaires comme le saca-caras des Piros ou « l’Inca mesquin » des Panos, au mythe chiriguano de la répartition des armes, qui ramène l’inégalité technologique entre Indiens et Blancs à un choix malencontreux des armes de bois plutôt que de fer de la part de leur ancêtre, ou même à des phénomènes d’actualité comme la traite internationale d’enfants, la « fuite des cerveaux » vers les pays puissants ou la croyance latente qui veut que les anthropologues deviennent millionnaires grâce à des patentes de plantes médicinales, des photographies ethnographiques ou des collections de mythes, il est tentant de penser en un univers de représentations bigarré, mais cohérent, caractérisé par ce que Louis Dumont a appelé la « complémentarité asymétrique ». Dans des registres divers, ce fonds commun démontre une même structure formelle de relations dans laquelle le puissant est décadent ou, au moins, incomplet et a, pour cela même, un besoin impératif de la réserve dynamique et de la vitalité de l’inférieur exploité – en d’autres termes, la contrepartie ambivalente, terrible, de l’« ouverture à l’autre » que Lévi-Strauss détecte à la racine des cosmologies amérindiennes. Les meilleures études sur des figures ambiguës comme le pishtaco ou l’Inca amazonien ont démontré que le jeu d’asymétries entre « Indiens » et « Blancs » – si tant est que cela puisse se formuler en termes aussi simples – se greffe sur des oppositions préexistantes dans les diverses sociétés indiennes, comme celles entre les Incas et les Chunchos, les Chiriguano et les Chané, les Caduvéo et les Chamacoco, etc. Ce genre de phénomènes nous oblige, en somme, à nous demander si l’histoire indienne commence avec l’arrivée des Espagnols, et donc s’il est vraiment pertinent de parler de « métaphores d’aliénation coloniale » au lieu du jeu de mutations symboliques propre des représentations de la domination en général : des images nivelées, complexes, polysémiques, parmi lesquelles le fait colonial n’est qu’un des registres possibles. 6 Dans le classique débat anthropologique entre structure et histoire, ce livre opte résolument pour cette dernière. Qui y chercherait une ethnographie classique de la religiosité toba serait déçu : en commençant par le sous-titre lui-même (« Indiens et

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frontières dans l’imagination mormone »), Ceriani propose explicitement une déconstruction de l’imaginaire sur les Lamanites à partir du point de vue des croyants indiens et créoles. La partie dédiée à l’histoire critique du mormonisme est d’ailleurs beaucoup plus volumineuse que celle qui touche à l’ethnographie du Chaco. Lorsque l’argument requiert l’explication de concepts clés de la cosmovision toba, comme jaqa’a, piguem ou haloik, Ceriani n’hésite pas à recourir aux ouvrages de linguistes et ethnologues spécialistes. C’est sans doute pour cela aussi que sa méthodologie privilégie des voies comme la critique textuelle, la micro-histoire ou l’histoire de vie, au détriment de la traditionnelle observation participante. 7 Quelques erreurs (les Toba caractérisés comme « patrilinéaires », p. 13) n’empêchent pas que Nuestros hermanos lamanitas… soit un livre recommandable autant pour les spécialistes du Chaco que pour ceux qui s’intéressent à la religiosité en général. L’ouvrage analyse impartialement les logiques régionales du mormonisme sans sombrer ni dans une critique destructrice ni dans une apologie ingénue. Il s’agit d’un livre amène, d’agréable lecture et profondément argentin, dont les titres comme « Des montagnes Rocheuses au pays du maté et de la milonga » (p. 19), et les explications de la logique mormone doivent autant à Max Weber qu’à Sarmiento et Paul Groussac.

AUTEURS

DIEGO VILLAR

Conicet, Buenos Aires

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