Journal de la Société des américanistes

99-2 | 2013 tome 99, n° 2

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/jsa/12841 DOI : 10.4000/jsa.12841 ISSN : 1957-7842

Éditeur Société des américanistes

Édition imprimée Date de publication : 30 décembre 2013 ISSN : 0037-9174

Référence électronique Journal de la Société des américanistes, 99-2 | 2013, « tome 99, n° 2 » [En ligne], mis en ligne le 01 janvier 2016, consulté le 23 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/jsa/12841 ; DOI : https://doi.org/10.4000/jsa.12841

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© Société des Américanistes 1

SOMMAIRE

Articles

Une frontière en mouvement : espace public, espace privé dans les cités mayas (Basses Terres centrales et méridionales) Damien Bazy

Narraciones andinas coloniales. Oralidad y visualidad en los José Luis Martínez C. et Paula Martínez S.

Les funérailles charognardes. Homicide, cannibalisme et sacrifice humain pour les Yurakaré (Amazonie bolivienne) Vincent Hirtzel

O território das onças e a aldeia dos brancos: lugar e perspectiva entre os Karajá de Buridina (Brasil Central) Eduardo S. Nunes

Las dinámicas de clasificación y exposición de las colecciones etnográficas en el Museo Etnológico de Berlín a través de algunos ejemplos americanos Margarita Valdovinos

Comptes rendus

BONNISSENT Dominique (éd.), Les gisements précolombiens de la Baie Orientale. Campements du Mésoindien et du Néoindien sur l’île de Saint-Martin (Petites Antilles) Éditions de la Maison des sciences de l’homme, Paris, 2013 Maaike de Waal

DEHOUVE Danièle, L’imaginaire des nombres chez les anciens Mexicains Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2011 Fabienne Wateau

FIGUEROLA PUJOL Hélios, Les dieux, les paroles et les hommes. Rituels dans une communauté maya du Chiapas Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, Paris, 2011 Perig Pitrou

ARNOLD Denise Y. y Elvira ESPEJO, El textil tridimensional. La naturaleza del tejido como objeto y como sujeto Fundación Interamericana/Fundación Xavier Albó/Instituto de Lengua y Cultura Aymara, La Paz, 2013 Francisco Pazzarelli

D’ÉVREUX Yves, Voyage au nord du Brésil (1615) Westensee-Verlag, Kiel, 2012 David Jabin

BOSSERT Federico y Diego VILLAR, Hijos de la selva/Sons of the Forest. La fotografía etnográfica de Max Schmidt/The Ethnographic Photography of Max Schmidt Perceval Press, Santa Mónica, 2013 Isabelle Combès

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INTERNATIONAL WORK GROUP FOR INDIGENOUS AFFAIRS (IWGIA)/CENTRO AMAZÓNICO DE ANTROPOLOGÍA Y APLICACIÓN PRÁCTICA (CAAAP) (eds), Libro Azul Británico: informes de Roger Casement y otras cartas sobre las atrocidades en el Putumayo Lima, 2012 Lorena I. Córdoba

CAIUBY LABATE Beatriz and Henrik JUNGABERLE (eds), The internationalization of ayahuasca Lit Verlag, Münster, 2011 David Dupuis

BILHAUT Anne-Gaël, El sueño de los záparas. Patrimonio onírico de un pueblo de la alta Amazonía Abya Yala Ediciones/FLACSO, Quito, 2011 Andréa-Luz Gutierrez-Choquevilca

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Articles

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Une frontière en mouvement : espace public, espace privé dans les cités mayas (Basses Terres centrales et méridionales) Boundaries between public and private spaces in Maya cities of the Central and Southern Lowlands : a spatial object in movement Frontera entre espacios públicos y espacios privados en las ciudades mayas de las tierras bajas centrales y meridionales : un objeto espacial en movimiento

Damien Bazy

NOTE DE L’ÉDITEUR

Manuscrit reçu en juin 2013, accepté pour publication en septembre 2013.

Cet article est une version modifiée d’une intervention réalisée dans le cadre du Groupe d’Enseignement et de Recherche Maya (GERM) rassemblant les laboratoires Ethnologie et sociologie comparative (LESC) et Archéologie des Amériques (ArchAm). Pour son invitation et relecture, je remercie chaleureusement Aurore Monod-Becquelin, mais aussi Pierre Becquelin et Cédric Becquey. Cette recherche connaît un nouvel élan cette année grâce à la bourse postdoctorale accordée par la Fondation Fyssen. Enfin, j’ai une pensée toute particulière pour Juan Antonio Valdés avec qui j’ai eu l’occasion de partager quelques discussions. Je lui dois de nombreux apports et conseils et je me rappelle qu’il fut l’un des rapporteurs de ma thèse doctorale.

1 Cet article aborde la notion de « frontière » en tant que modalité d’interaction spatiale entre deux catégories d’espaces construits diversement accessibles dans les centres des anciennes cités mayas. L’étude archéologique de l’urbanisme maya classique (250-850/900 apr. J.-C.) a depuis longtemps mis l’accent sur les temples-pyramides et

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les palais articulant les fonctions religieuses et politiques (Harrison 1970), en insistant tantôt sur une séclusion des « épicentres » réservés à une élite liée au roi (Inomata et Houston 2000-2001), tantôt sur la théâtralité de cérémonies politico-religieuses auxquelles aurait assisté toute la communauté (Demarest 1992 ; Inomata 2006). Les analyses étaient freinées par la difficulté à identifier précisément les lieux de résidence, « maison du roi », maisons de la cour royale, bâtiments liés à l’exercice quotidien du pouvoir, quand par ailleurs les fonctions rituelles et cérémonielles étaient aisément repérables dans de nombreux édifices dont les attributs avaient été systématisés (Marcus 1983). Les avancées récentes quant à l’identification archéologique et, dans une certaine mesure, épigraphique de résidences royales et nobles (Andrews et Fash 1992 ; Christie 2003 ; Inomata et Houston 2000-2001 ; McAnany et Plank 2000), a produit une image plus complexe non seulement de ce qui était accessible à tous ou seulement à quelques-uns dans les ensembles monumentaux, mais aussi de ce qui relevait de la collectivité ou répondait plutôt aux intérêts de groupes particuliers. Ce changement de paradigme, qui date au plus tôt des années 1990 avec, en particulier, les découvertes faites à Copan (Fash et al. 1992), a ouvert le champ d’une série de questions pour lesquelles de nouveaux outils analytiques sont nécessaires. Notre recherche sur l’urbanisme des cités mayas dans les Basses Terres centrales et méridionales (Figure 1) nous a conduit à réorganiser les principes d’analyse des secteurs à architecture monumentale dans ces cités. Posant d’emblée, au moins de façon provisoire à des fins méthodologiques, que la dichotomie public/privé est efficace pour comprendre les centres monumentaux, on a pu établir les critères exclusifs qui discriminent les espaces publics des espaces privés, mais aussi les continuités entre eux. Ce type d’analyse, appliqué à un corpus assez large de cités aux séquences temporelles de construction bien contrôlées, permet de produire une certaine forme de « récit historique » concernant les changements intervenus dans leurs organisations tant architecturales que sociopolitiques (Bazy, Valdés et Arnauld 2010 ; Bazy 2013). Construites indépendamment, ces « histoires archéologiques » viennent compléter l’histoire établie par l’épigraphie, fondée sur le déchiffrement et l’interprétation des inscriptions glyphiques des monuments sculptés de ces mêmes cités.

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FIG. 1 – Carte de l’aire maya des Basses Terres centrales et méridionales localisant les cités analysées.

2 Dans les configurations architecturales de ces dernières, il s’agit de concentrer notre attention sur les éléments permettant d’identifier des discontinuités qui distinguent lieux et espaces publics d’autres lieux et espaces privés, et de repérer aussi les continuités qui les articulent ou les superposent en les décalant. C’est ici que la notion de « frontière épaisse » 1 constitue un outil dont l’apport est d’autant plus essentiel que la dichotomie privé/public ne va pas de soi appliquée aux conceptions et aux pratiques des habitants mayas de l’époque classique. Sur les notions de public et privé, il faut, par ailleurs, éviter d’en rester à leur opposition qui, appuyée sur le Droit romain, se veut très tranchée dans nos sociétés modernes, tandis qu’elles sont imbriquées dans les sociétés mayas anciennes, ainsi que dans la plupart des sociétés traditionnelles (Inomata et al. 2002, p. 306).

3 Que désigne le concept de « frontière épaisse » ? Selon les principes de la topologie classique, la frontière est une limite linéaire, constituée des bornes qui séparent les intérieurs des extérieurs, un lieu sans épaisseur. Les travaux de Desclés et les applications linguistiques qu’il propose (2002, 2006 ; Desclés et Guentchéva 2010) placent la notion de « frontière épaisse » au cœur de la réflexion concernant les dynamiques de passage entre deux états. L’étude des propriétés topologiques des lieux abstraits tend à montrer que, en réalité, la frontière est un lieu doué d’une épaisseur et en mouvement (Desclés 2012). Cette épaisseur est support de changement dans une certaine continuité. Autrement dit, il s’agit d’un intervalle médiateur entre opposés, d’un processus de passage, d’un intervalle en quelque sorte liminaire où disparaissent les différences (voir Turner 1990 [1969] ; Monod-Becquelin 2012). Cette notion, appliquée à l’architecture, induit, par exemple, que l’espace situé à l’extérieur, à l’entrée d’une résidence, constitue un intervalle potentiel permettant non seulement d’établir l’identité des habitants, mais aussi de convertir l’étranger en un visiteur (Hillier et Hanson 1984, p. 19).

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4 Transposés à l’archéologie maya classique, ces principes analytiques amènent à considérer que des discontinuités correspondent, certes, à des lignes, comme des clôtures ou des murs ou dénivelés, alors que d’autres sont épaisses ou larges, telles les marges, les marches d’un escalier, les seuils d’un édifice ou les dispositifs d’antichambre. Nous mettrons en évidence qu’il y a peu de discontinuités brutales, topologiques, mais plutôt des continuités portant des changements insensibles dès lors que la frontière entre public et privé n’est plus conçue comme une limite, mais comme un lieu en mouvement doté d’une certaine épaisseur.

5 Dans un premier temps, cette étude reviendra sur les théories récentes qui font des centres des cités mayas des lieux où résidaient ceux qui exerçaient le pouvoir. Puis, on présentera les paramètres permettant de repérer les discontinuités matérielles et conceptuelles entre les catégories duelles d’espaces ici considérés avant d’aborder, à proprement parler, les résultats de notre analyse des relations entre espaces publics et privés dans les cités où les données sont appropriées. La notion de frontière épaisse contribue à l’identification des lieux particuliers à travers lesquels s’opèrent les changements insensibles entre public et privé, ainsi que des relations dynamiques entre ces deux sphères. Elle nous conduira notamment à repenser cette dichotomie dans le contexte sociopolitique particulier des sociétés mayas classiques.

La cité maya classique des Basses Terres : théorie et pratique

6 Les centres monumentaux des cités mayas couvrent une vaste surface (par ex. au maximum 70 ha à Tikal sans les Groupes O, Q et R au nord ; au minimum 5 ha à Dos Pilas), relativement dénuée d’unités résidentielles de bas statut. Il n’y a pas de rues, mais des passages d’une place à l’autre. Cependant, des chaussées maçonnées (sacbeob en maya) relient parfois le centre monumental à des groupes secondaires importants. Le cœur de toutes les cités rassemble la majorité des édifices en pierre taillée reposant sur des soubassements de tailles variables. Aux temples, parfois coiffés d’une crête faîtière, qui surmontent des pyramides hautes de plusieurs dizaines de mètres, s’opposent les palais massifs, tout en longueur. Les palais s’articulent, de proche en proche, autour de cours intérieures et de patios tandis que les pyramides se dressent autour de grandes places, souvent parsemées de stèles et autels. Disposés autour de ces vastes places, des bains de vapeurs, des terrains de jeu de balle, des plates-formes/ autels complètent les fonctions de ces grands ensembles. Au centre, l’ordonnancement des édifices maçonnés et voûtés respecte une certaine orthogonalité. Dans la majorité des cités mayas, les ensembles monumentaux du centre et les complexes résidentiels en périphérie adoptent un même azimut.

7 Faire le choix de fonder des analyses d’espaces urbains architecturés sur la dichotomie entre le public et le privé, fondamentale dans nos sociétés, certainement moins légitimes a priori pour les sociétés mayas anciennes, résulte des avancées notables réalisées récemment dans la compréhension des cités mayas, de leurs configurations et de leur type d’urbanisme (Andrews et Fash 1992 ; Arnauld et Michelet 2004 ; Christie 2003 ; Inomata 1997 ; Inomata et Houston 2000-2001). Sont visés ici leurs secteurs à architecture monumentale qui ont nécessité le travail d’une main d’œuvre nombreuse, dépassant le groupe de parenté. Même si l’ethnographie n’a guère de difficultés à montrer combien les Mayas sont attachés à respecter l’intimité de leurs voisins et à

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s’assurer qu’on respecte bien la leur (Hanks 1990 ; Pierrebourg et al. 2012), l’opposition du privé et du public ne s’applique pas aisément à l’univers urbain ancien. Elle a cependant des vertus heuristiques dans une première tentative d’analyse, en considérant que le sens le plus général qu’on puisse lui attribuer, le particulier s’opposant au collectif, convient bien aux espaces urbains mayas. Il reflète bien l’opposition entre le « résidentiel » et le « cérémoniel » qui a longtemps été perçue comme ordonnant les ruines des sites. Les petits monticules densément répartis autour des quelques grandes places centrales à pyramides se laissaient bien interpréter, les premiers comme domestiques, les secondes comme cérémonielles. Longtemps, l’échelle des constructions et leur abondance relative ont facilement entériné la distinction entre les composantes de l’habitat et celles des grandes cérémonies politico-religieuses. Cette première mise en ordre est vite apparue peu satisfaisante, n’apportant rien de spécifique en termes d’organisation sociopolitique à la connaissance de ces sites labellisés « centres cérémoniels » (voir Becker 1979). Le terme « cérémoniel » a été abandonné au cours des années 1970, celui de « centre » est resté, étant entendu que la « périphérie » demeurait résidentielle. C’est l’épigraphie qui, déchiffrant les inscriptions des monuments sculptés des centres – en somme la signalétique des « centres-villes » –, a conduit à la découverte des royautés mayas qui ont bâti ces édifices, de leurs dynasties, guerres et mariages. On a alors pensé les centres comme des cités au sens politique, dont les édifices monumentaux formaient le décor de la royauté. Les palais ont été identifiés au centre puis, de façon moins prévisible, à la périphérie également (Inomata et Houston 2000-2001).

8 C’est ici, dans ces édifices résidentiels monumentaux qui ne définissent plus la périphérie ni le centre, pas plus qu’ils ne reflètent simplement le domestique ou le cérémoniel, que s’applique, au moins provisoirement, la dichotomie public/privé. En dépit de son caractère plus « etic » qu’« emic », son efficacité intéresse l’analyste : le « privé » regroupe sans trop de difficulté le résidentiel, le domestique, l’intime et le particulier ; le « public » accepte pêle-mêle ce qui est cérémoniel, somptuaire, exhibé et collectif. Les notions de visibilité et d’accessibilité jouent bien évidemment un grand rôle dans le fonctionnement de ces catégories appliquées aux grandes maisons royales et nobles (Inomata 2001 ; Moore 1992), lesquelles comportent des cours extérieures, des couloirs, des galeries et des pièces intérieures plus ou moins visibles et accessibles au visiteur étranger. C’est ici que trouve à s’appliquer la notion de frontière épaisse, dans ces espaces complexes de résidences où siégeaient le pouvoir, l’autorité, la force et avec abondance de biens et de personnes. Précisément parce que la royauté dynastique des sociétés mayas classiques ne distinguait pas, ou mal, le patrimoine privé (propriétés de gestion familiale) du domaine public (ressources administrées collectivement ; voir Bourdieu 1997 pour les sociétés européennes), les résidences royales et, par imitation, celles des nobles, imbriquaient les deux domaines dans une architecture compliquée, non seulement dans leurs bordures, mais jusque dans leur cœur.

9 Pour une série de cités mayas sélectionnées dans les Basses Terres centrales et méridionales (Bazy 2013) ont été analysées synchroniquement et diachroniquement les configurations spatiales et architecturales de chaque centre monumental. Par le biais des caractères discriminants tirés de la culture matérielle, en l’occurrence l’architecture, la morphologie des bâtiments, les modalités d’accès, de rassemblement et de circulation, nous avons cherché à comprendre comment les groupes sociaux ainsi

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distingués, et spatialement circonscrits, étaient articulés au système politico-religieux local, et en réalité le constituaient.

10 Contrairement à une tendance généralement implicite consistant à voir du résidentiel là où l’on ne repère pas de politico-religieux, le postulat de départ consiste ici à envisager les composantes résidentielles monumentales comme ayant déterminé les configurations politico-religieuses (et non l’inverse) au cours de l’histoire de la cité. En d’autres termes, l’objectif de cette analyse consiste à identifier la présence et le rôle structurant de factions politiques distinctes et à modéliser les histoires politiques de ces cités parfois occupées depuis le Préclassique jusqu’au Classique terminal (Figure 2), c’est-à-dire depuis 1000 av. J.-C. pour les plus anciennes jusqu’à 950/1000 apr. J.-C. Les progrès de l’épigraphie ont éclairé de nombreux aspects de l’organisation des sociétés mayas classiques. Ils conduisent aujourd’hui à réinterroger l’architecture urbaine pour restituer les organisations récurrentes, leurs évolutions et leurs dynamiques.

FIG. 2 – Séquences chronologiques des Basses Terres centrales et méridionales fondées sur la céramique, les datations radiocarbone et les dates calendaires des inscriptions mayas.

11 Les recherches de Geertz (1980) et Hillier et Hanson (1984) ont inspiré la nôtre. En particulier, dans leur approche théorique et méthodologique de la relation précise entre l’organisation spatiale et la vie sociale, Hillier et Hanson (ibid.) ont montré que l’interface entre la maison et le monde extérieur constitue la différence la plus importante entre un type de cité et un autre. Ils ajoutent que cette interface doit être envisagée dans ses dimensions dynamiques. Dans les Basses Terres mayas, certains travaux ont aidé à l’élaboration de notre méthodologie (Arnauld, Breuil-Martínez et Ponciano A. 2004 ; Fash 2005 ; Martin 2000 ; Nondédéo 2003 ; Valdés 2005). L’analyse des relations entre la Place Principale et le Groupe Guacamaya du site de La Joyanca (Arnauld, Breuil-Martínez et Ponciano A. ibid., pp. 95-124) suggère que les interactions

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sociopolitiques portées par ces lieux impliquaient des marqueurs sacrés privés et publics dans l’espace de la cité. Les premiers ne concernaient que le groupe de parenté localisé tandis que les derniers « fonctionnaient » pour l’ensemble de la communauté (voir aussi Bazy, Valdés et Arnauld 2010). Arnauld, Breuil-Martínez et Ponciano A. (ibid.) et Martin (2000) proposent qu’il existait, pour un même centre, divers modes d’articulation dans le temps et dans l’espace de ces ensembles construits –, les uns publics, les autres privés.

12 Ces travaux conduisent à s’interroger sur la méthode la plus appropriée de repérage et de définition de cette éventuelle diversité d’articulations. Combien peut-on en définir ? Quelles conclusions en tirer pour établir des organisations sociales spécifiques d’un lieu et d’un moment, et cerner leur sens politique dans des combinaisons spatiales et architecturales, et cela d’un point de vue archéologique parallèle à celui de l’épigraphie ?

Frontière conceptuelle entre public/privé et critères matériels de différenciation

13 Pour analyser les frontières entre deux catégories, qu’elles soient d’ordre spatial, temporel ou notionnel, il importe de connaître le contenu de ce qu’elles délimitent et de bien saisir ce qui est de part et d’autre de la discontinuité. Le rapport dialectique public/privé joue un rôle dans le fonctionnement des lieux construits, depuis la maison jusqu’aux grands espaces collectifs des sociétés aussi bien contemporaines que préhistoriques, et c’est donc un aspect de l’architecture et de l’urbanisme qui dépasse les frontières chrono-culturelles et géographiques. Toutefois, les structures formelles 1, les habitus 2 et les pratiques relatives à ces espaces varient évidemment d’une société à l’autre.

14 Dans les sociétés mayas, les groupes résidentiels ont été construits pour servir les intérêts et illustrer l’identité de la Maison (dans le sens de Lévi-Strauss 1979), c’est-à- dire du groupe social qui l’habitait. En tant que tels, ils peuvent être considérés comme des espaces privés, en particulier leurs autels et sanctuaires domestiques édifiés pour célébrer des rituels propres au groupe local (Figure 3). En revanche, les édifices plus élevés et longs, plus visibles et accessibles qui délimitent de grandes places, ont été construits pour les besoins de la communauté entière, avec de hauts temples qui servaient de cadre pour les cérémonies publiques (Figure 4).

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FIG. 3 – Reconstitution de l’Acropole Sud de Nakum au Classique terminal. S’oppose ici au caractère monumental et a priori collectif de ses pyramides, la ségrégation de cet ensemble monumental dont l’accès est contrôlé par une large et longue galerie (Structure D) [d’après Tobar et González 2007, fig. 1, p. 645].

FIG. 4 – Reconstitution de la place centrale de Nakum au Classique terminal dont l’espace aéré et la libre circulation contrastent avec l’espace fragmenté et les accès contrôlés de l’Acropole (voir Figure 3) [d’après Tobar et González 2007, fig. 13, p. 656].

15 Toutefois, distinguer les espaces privés des espaces publics n’est pas une tâche facile. Des chercheurs ont analysé les agencements spatiaux et les modalités de construction des espaces construits au moyen de divers critères. Tour à tour ont été étudiés le degré d’intimité, ou encore les modalités de la visibilité et de la circulation à l’échelle des édifices (par ex. Arnauld 2001 ; Blanton 1986 ; Inomata 2001, 2006 ; Joyce 2001 ; Liendo 2003 ; Moore 1992, 1996a, 1996b). Or, d’une part, les groupes résidentiels et les édifices publics partagent des agencements spatiaux et des modalités de construction comparables : l’axialité, la centralité, le rôle des portes, la forme générale due à la

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contrainte de la voûte en encorbellement, sont autant de caractéristiques fondamentales de la maison que l’on retrouve depuis les temples jusqu’aux galeries (Arnauld et Michelet 2010). D’autre part, dans les sociétés mayas anciennes, si le domestique suppose l’intimité, il demande aussi de l’ouverture, de la lumière et des lieux permettant les interactions sociales avec l’extérieur. Inversement, les pyramides supportent des édifices abritant une ou plusieurs pièces de petites dimensions, donc intimes, sombres, non visibles et d’accès restreint (Temple I et II de Tikal), qui n’étaient pourtant pas « privées » pour autant. Ces trois paramètres ainsi évalués de façon séparée à l’échelle des édifices pris individuellement ne permettent donc pas de distinguer les lieux dédiés aux affaires publiques de ceux dédiés à la résidence de l’élite. Il faut plutôt les faire interagir simultanément à l’échelle de l’unité-patio et de l’unité- place, en conséquence logique du fonctionnement et de l’agencement de l’habitat maya constitué en unités familiales d’habitat comportant plusieurs résidences et édifices domestiques annexes (cuisines, réserves, oratoires) disposés autour d’une cour (Pierrebourg 1999). Ces ensembles construits des cités mayas se prêtent également à l’analyse de l’ouverture, par opposition à ce qui est compartimenté, ainsi qu’à la distinction entre grands espaces collectifs et petits espaces résidentiels imbriqués. Autrement dit, l’environnement immédiat de l’édifice est discriminant : par ex., s’il est accessible à toute la communauté qui peut y circuler, l’édifice sera certainement plus public que privé puisque le contexte peut suspendre l’intimité et permet des relations d’échanges entre beaucoup d’individus. Inversement, s’il s’agit d’un petit espace résidentiel imbriqué et compartimenté, l’édifice sera certainement plus privé que public puisque peu de gens peuvent y accéder ou, du moins, uniquement des « familiers », membres du groupe de co-résidents. Enfin, sur la base des données archéologiques et par le principe d’abondance, il est depuis longtemps admis que les cités mayas comportent une composante résidentielle majoritaire. Ce paramètre d’abondance 3, opposé à celui de rareté, peut contribuer à établir la dichotomie entre espace « résidentiel » et espace « communautaire ».

16 On fait donc, en réalité, interagir la variation dans quatre paramètres combinés : intimité versus exhibition, confidentialité versus visibilité, fermeture versus accessibilité et abondance versus rareté. Ces quatre paramètres sont qualifiés par des critères discriminants, parmi lesquels l’imbrication, opposée à l’ouverture, définit les degrés d’intimité et d’exhibition, et la compartimentation, opposée à la facilité de circulation, contribue à caractériser le degré de fermeture ou d’accessibilité. En outre, d’autres éléments de la culture matérielle peuvent être pris en considération, en particulier la présence ou l’absence de dépotoirs (marquant en principe le domestique privé) ou de stèles (marquant le politique, public). Ainsi caractérisées et différenciées dans des tableaux de données (Figure 5), les unités spatiales, privées ou publiques, sont codées sur les plans des sites et leurs relations peuvent être analysées.

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FIG. 5 – Exemple d’usage des quatre paramètres combinés et de leurs critères pour différencier les places publiques des espaces privés dans les ensembles monumentaux de Dos Hombres, Belize [Abréviations : PB : publique ; PV : privé ; NF : secteur non fouillé].

Éléments de séparation ou de relation entre unités spatiales

17 Les agencements architecturaux, élaborés dans une conjoncture particulière par les acteurs sociaux, reflètent des types d’interactions normalisées, c’est-à-dire l’organisation de la société et, en particulier, au moins certaines de ses institutions sociales. L’espace construit et reconstruit est chargé de sens dès lors que les acteurs sociaux le conçoivent, le construisent, l’utilisent et le modifient en y inscrivant la vision d’un monde et de valeurs partagés par tous. De façon certainement simplifiée, mais applicable aux données archéologiques, l’analyse de l’interaction sociale dans l’espace consiste à étudier l’action réciproque entre deux ou plusieurs lieux (Lévy et Lussault 2003). Les modalités d’interaction font émerger des dispositifs spatiaux définis par la nature des lieux, mais aussi par la proximité, la séparation et les modalités d’accès. Ces attributs de relations entre lieux construits, accessibles à la seule lecture des relevés topographiques et architecturaux, caractérisent leur degré de séparation, l’épaisseur des limites, des frontières qui les séparent. À La Joyanca, le calcul des distances qui séparent les complexes monumentaux (rang I et II) révèle une fourchette comprise entre 140 m et 200 m, alors que les groupes à patios qui les composent sont toujours séparés les uns des autres de moins de 50 m (Lemonnier 2006, fig. 7-14 ; voir Peterson et Drennan 2005). Nous avons appliqué cet outil de mesure du degré d’interaction à toutes les cités analysées afin d’identifier les unités sociales ou sociopolitiques, en constatant que la distance d’au moins 140 m est en effet pertinente de façon assez générale. Bien entendu, chaque cité a dû s’adapter à une situation topographique particulière. Dans

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certains cas, lorsque la distance n’est pas pertinente, des aspects de la topographie des cités constituent aussi des barrières naturelles entre les composantes spatiales segmentant l’espace urbain : un relief accidenté ou une dépression (marais saisonnier) par exemple. Ainsi, l’Acropole sud et l’Acropole centrale de Tikal ne sont distantes que de 60 m, mais séparées par trois dépressions – le réservoir du temple, celui du palais et le réservoir Escondido –, qui augmentaient la distance perçue entre ces deux complexes architecturaux. Réciproquement deux unités spatiales ayant un côté en commun ou distantes tout au plus de 60 m sont considérées comme proches. La topographie, les distances réelles et perçues contribuent à définir des limites dont l’épaisseur varie et permettent de repérer les discontinuités ou les continuités qui articulent les complexes monumentaux en interne et entre eux.

18 Ce mode de mesure de la distance n’est pas le seul possible. Toutes les composantes de l’architecture qui facilitent l’accès à l’intérieur des espaces construits et la communication entre eux sont des « éléments de circulation ». Les « éléments de séparation » interdisent ou limitent l’accès à l’intérieur des ensembles construits. Ces éléments architecturaux réduisent ou augmentent les distances vécues ou perçues, affinent ou épaississent la frontière entre les catégories duelles d’espaces ici considérés. Ainsi, il convient de faire la différence entre escalier et emmarchement. Les escaliers permettent de souligner une différence de hauteurs entre unités, dont l’une « en impose » ainsi à l’autre. Ils marquent bien une sorte de séparation, bien qu’il s’agisse formellement d’un accès. En revanche, l’emmarchement étendu sur le périmètre complet ou sur l’une des façades d’un soubassement facilite la circulation et la station d’une quantité plus importante d’individus sans accentuer visuellement la dimension de la hauteur. Dans certains cas, ces marches servent de tribunes pour le public assemblé autour d’espaces libres dédiés à des événements ou à des cérémonies. Certains édifices servent à contrôler, à orienter la circulation entre un espace et un autre, en particulier ceux qui ont la forme d’une galerie, ou bien d’une pièce unique, sorte d’antichambre ouverte sur la façade antérieure et postérieure. Ces escaliers ou emmarchements, seuils ou dispositifs d’antichambre constituent des limites plus ou moins épaisses, des intervalles médiateurs, supports de changement entre l’extérieur et l’intérieur d’un édifice ou d’une cour. C’est tout particulièrement autour de ces éléments architecturaux que se joue la notion de frontière épaisse. Le cas de la Structure D à Nakum (Figures 3 et 4) est particulièrement évocateur de ces espaces liminaires entre lieux publics et privés. En effet, cette longue galerie permet de repérer le changement insensible qui s’opère entre la Place Principale publique (Figure 4) et l’Acropole (Figure 3), espace privé où siégeait le pouvoir. Enfin on doit encore signaler un autre élément de circulation spatiale généralement facile à identifier qui a servi d’élément de cohésion sociale entre groupes sociaux : les chaussées ou sacbeob.

Frontières entre place publique et espaces privés : diagnostic

19 Pour évaluer la pertinence de nos outils, une analyse en synchronie des relations entre place publique et espaces privés dans vingt cités mayas des Basses Terres centrales et méridionales de tailles différentes a été effectué (Bazy 2010, chapitre 5). La synchronie signifie que la chronologie garantit ici pour les unités analysées un fonctionnement simultané pendant au moins un temps de l’apogée (généralement le Classique récent),

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sans tenir compte des détails de leur séquence de construction et de modifications. L’opération a révélé que l’usage de nos quatre paramètres combinés permet de différencier aisément les différents espaces publics et privés dans toutes les cités, à condition de reconnaître, près des unités-patios privés et des unités-places publiques, le caractère ambivalent de certains lieux.

20 Dans les complexes de palais, des bâtiments ou, plus souvent, des pièces et des dispositifs spatiaux servent de lieux de réunion, de réception des personnes étrangères aux résidents. Ces espaces, qu’on aurait tendance à considérer comme publics, sont imbriqués en fait dans des lieux privés et ont nécessairement été construits en même temps qu’eux ou après eux. Entre dans cette catégorie le dispositif de réception qu’est la pièce centrale, ou la pièce avant dans le cas des dispositions « en tandem » (i.e. avant- arrière) dans les édifices tripartites (Figure 6).

FIG. 6 – Plan tripartite de la Structure G à Nakum, Petén, Guatemala [modifié de Źralka et Hermes 2012, fig. 12, p. 172].

21 Sous la banquette centrale, était souvent placée la sépulture d’un individu prestigieux soulignant ainsi l’axialité et la centralité du dispositif 1. Ces lieux, ainsi sacralisés, servaient de scènes de réception pour des visiteurs à l’occasion d’activités politiques et religieuses sous l’égide du chef de Maison (Arnauld et Michelet 2010). Ils étaient aussi, en quelque sorte, des sièges du pouvoir. Un système d’accroche de rideaux au niveau de la porte d’accès permettait, selon qu’ils étaient ouverts ou fermés, de rendre cet espace de réception intime et non visible (privé), ou bien ouvert et visible (public). Cette apparente contradiction fonctionnelle entre l’ordre intime et l’ordre social illustre un cas intéressant de frontière épaisse où s’opère un changement insensible d’état entre les sphères privée et publique. Ces microcosmes politico-rituels semi-publics, servant à des stratégies sociales de pouvoir selon des protocoles qu’on imagine ritualisés, étaient malgré tout plus privés que publics de par leur localisation au sein de groupes résidentiels.

22 Selon que les pratiques rituelles associées au temple-pyramide sont accomplies à l’intérieur du temple ou sur la plate-forme supérieure de ce dernier s’exprime la dimension privée ou publique de l’édifice. Toutefois, la monumentalité, l’iconographie dédiée aux dieux ou aux ancêtres, l’étroitesse des pièces et la visibilité réduite de l’intérieur depuis l’extérieur affirment ici un caractère moins privé que sacré, que confère le culte des ancêtres du roi ou de toute grande famille. La monumentalité de telles constructions, marquée par exemple par les crêtes faîtières visibles de loin et les messages idéologiques portés par leur iconographie s’adressent tout de même à une large communauté, car le prestige d’un groupe social élitaire ne se construit que face aux autres groupes. Bien que soient attachées à cet élément architectural des affinités

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et des différences constituées en identités politiques revendiquées par un groupe social particulier à travers le culte aux ancêtres, il s’agit, dans le contexte d’une place, d’un édifice public (ou prétendu tel). En revanche, lorsque celui-ci est érigé au sein d’un patio domestique et familial, il s’agit alors d’un édifice de culte privé (Structures 14 et 15 à Nakum ; Źralka et al. 2007).

23 Par ailleurs, signalons qu’au Préclassique récent ont été inventés des microcosmes architecturaux, les complexes triadiques, dont la symbolique et l’iconographie situaient le gouvernant ou chef de maison (ajaw) au centre de l’univers (Valdés 2001). Ces complexes sont ambivalents car, dédiés au particulier, ils montrent tout de même des caractères propres aux places publiques. Ils résultent de grands projets architecturaux rares dans les agglomérations : la hauteur des trois édifices de plan similaire, parfois couronnés d’une crête faîtière, leur confère un caractère ostentatoire, une grande visibilité. Malgré tout, du fait de la hauteur de la plate-forme, de la faible superficie du patio, de leur fermeture progressive par l’ajout de nouvelles constructions au fil des réfections et de leur caractère intime et de leur faible accessibilité, nous leur attribuons une nature plus privée que publique. Certains de ces complexes triadiques ont, de fait, été transformés en complexes palatiaux résidentiels (par ex. Acropole sud de Nakum ; Acropole A-V de Uaxactun).

24 Ces édifices et lieux ambivalents repérés, il est possible de réfléchir sur la relation entre les espaces construits privés et publics. Le principe général de relation à détecter peut s’énoncer ainsi : « L’expression de l’interaction est la limite, qui peut revêtir des métriques variées » (Lévy et Lussault 2003, p. 522). Les limites les plus repérables sont celles où l’interpénétration des deux espaces est la plus faible, comme dans le cas de frontières matérialisées, ou encore de relation entre espaces à forte opposition de toutes leurs composantes (i.e. échelle, métrique et substance ; ibid.). Inversement, dans les cas d’interpénétration, on a des frontières épaisses dont la spécificité est de ménager des changements dans une certaine continuité. Pour faciliter la lecture et la classification des frontières ou des modalités d’interaction entre place publique et espaces privés, des modèles graphiques ont été élaborés (Figure 7). Les places publiques y apparaissent sous la forme de polygones et les espaces privés de carrés. Ces modèles conservent, autant que possible, la configuration générale de l’établissement. Nous avons montré, à travers de nombreux exemples, que chaque schéma représente un système chargé de sens social et politique, et qu’il évolue en respectant des structures fondamentales propres aux cités mayas (Bazy 2013).

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FIG. 7 – Schémas des quatre dispositifs spatiaux correspondant aux modalités de relation entre place publique et espace privé : 1) séparation spatiale ; 2) séparation mais relation par l’intermédiaire d’une chaussée ; 3) trois unités spatiales séparées, mais imbriquées par leur relation spatiale, architecturale et chronologique ; 4) union spatiale et architecturale [Bazy 2013, fig. 17, p. 45].

25 Dans le cas des cités mayas classiques, la relation dialectique entre place publique et espaces privés s’exprime selon diverses modalités. Elle se décline sous la forme de quatre dispositifs spatiaux (Figure 7). Dans le premier dispositif, les unités-patios privées de groupes sociaux distincts sont séparées et distantes de l’unité-place publique (Figure 7-1). Ce dispositif traduit une certaine autonomie de chaque groupe social, ainsi qu’un probable degré de rivalité, de compétition entre tous, car ils pouvaient, ou non, participer aux activités publiques. Dans le second dispositif, une unité-patio privée est séparée de la place publique, mais reliée par le biais d’une chaussée, ou d’une allée réservée (Figure 7-2). Ce dispositif représente un modèle intermédiaire de relation car la séparation est compensée par une chaussée. Une autre entité sociale rivale aurait pu utiliser à ses fins, au moins pendant un temps, les lieux publics, mais sans les avoir absorbés dans leur complexe résidentiel privé, ou annexés sur un côté. Le troisième dispositif montre une unité-patio privée séparée, mais reliée par le biais d’une chaussée à la place publique, elle-même incluant une unité-patio privée formant hypothétiquement une antenne de la première dans la place (Figure 7-3). Ces trois unités architecturales ainsi séparées sont pourtant, d’une certaine manière, imbriquées (par ex. Ixtonton, La Joyanca). Enfin, dans le quatrième dispositif, une unité-patio privée est intégrée à la place publique (Figure 7-4). Ce modèle de relation forte implique qu’une entité sociale a pu monopoliser les activités publiques, rituelles et politiques de la communauté (par ex. Acropole centrale et Place Principale à Tikal ; Acropole et Place du Groupe Ouest à Piedras Negras).

26 Ces dispositifs spatiaux, bien que différents d’un point de vue social et politique, se sont développés de manière simultanée ou en séquence dans chacun des vingt sites analysés, de sorte que plusieurs arrangements sont possibles dans le même site. Plusieurs articulations entre ces dispositifs spatiaux apparaissent de manière récurrente dans des cités de rangs hiérarchiques distincts, localisées dans des environnements différents,

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de sorte que ces articulations ne répondent ni à des règles prédéfinies d’organisation spatiale, ni à un cosmogramme, ni à une adaptation au cadre naturel. Au contraire, elles ont été construites par des acteurs sociaux au fort potentiel politique. Autrement dit, lesdites articulations reflètent une situation sociale et politique, un certain rapport de force à un moment donné, et attestent de leur historicité.

27 Par exemple, à l’apogée de cités aussi différentes et inégales que La Joyanca (600-750/900 apr. J.-C.) et Copán (600-800 apr. J.-C.), la situation implique plusieurs groupes de co-résidents dont les complexes de palais privés segmentent la composante monumentale des différentes agglomérations. Parmi ces groupes, une Maison plus puissante que les autres mobilisait les activités publiques pour affirmer son autorité et assurer la continuité de la dynastie royale. C’est le cas à La Joyanca où l’entité Guacamaya aurait utilisé à ses fins, pendant un temps au moins, les lieux publics sans les absorber dans son complexe (Figure 8). En revanche, à Copán, la Maison dominante était parvenue à instaurer un régime dynastique : le complexe de palais du Groupe 10L-2 et l’Acropole sont accolés l’un à l’autre dans le complexe de places publiques du Groupe Principal (Figure 9). Les autres complexes de palais privés, avec leurs temples domestiques édifiés pour célébrer les cultes propres, et leur scène de réception, sont, quant à eux, dispersés à distance des palais royaux et de la place publique.

28 Certaines de ces entités coopéraient, notamment celles reliées à la place par une chaussée, quand d’autres étaient en compétition entre elles et avec la lignée royale. Dans certains cas, on observe une tendance à la dualité politique (Figure 10) : les résidences de la Maison dominante étaient là imbriquées dans les places publiques, mais une seconde entité séparée disposait d’une forte relation avec les places publiques par le biais d’une chaussée. Si cette seconde entité avait sa propre place publique (Place du Groupe Sud), celle-ci était en ruine à l’époque d’apogée (Webster et Houston 2004, pp. 439-443 ; voir aussi Bazy 2011). Parfois enfin, s’exprime une forte dualité politique faisant s’affronter deux Maisons de haut rang pour l’acquisition de la suprématie et du pouvoir communautaire (Figure 11).

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FIG. 8 – Plan et schéma de relation entre la place publique et les espaces privés de la Maison dominante à l’époque d’apogée de la cité de La Joyanca ; en pointillé l’allée-perspective entre l’autel 6F-22 du culte privé de la Maison Guacamaya (à droite, avec sa stèle et ses sépultures) et la Structure 6E-12Sub de la Place Principale. Il n’y a pas vraiment de chaussées construites ; l’allée constituant le seul accès formel à la Place Principale est marquée par l’absence de structure sur l’axe et par le remblaiement ancien formant un passage dans un marais.

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FIG. 9 – Plan et schéma de relation entre la place publique et les espaces privés de la Maison dominante à l’époque d’apogée de la cité de Copán, relation forte entre le complexe palatial 10L-2, l’Acropole et le complexe de places publiques, son jeu de balle et son escalier hiéroglyphique.

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FIG. 10 – Exemples de relation entre place publique et espaces privés exprimant une tendance à la dualité (à gauche, Piedras Negras dont la place publique du Groupe Sud a été abandonnée au Classique ancien ; à droite, Altar de Sacrificios dont la place publique du Groupe B a été également abandonnée au Classique ancien).

FIG. 11 – Exemple de relation entre place publique et espaces privés exprimant une forte dualité politique (Dos Hombres, Belize).

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29 En résumé, l’usage combiné des quatre paramètres retenus permet de repérer aisément les deux catégories d’espaces dans toutes les cités. D’autre part, l’analyse spatiale en synchronie met en lumière des constantes, des schémas récurrents de relations entre sphères publique et privée, et permet de distinguer le palais du roi des grandes places publiques, mais aussi d’autres résidences de groupes alliés ou rivaux de la lignée royale, et ainsi d’esquisser en quelque sorte l’ossature d’un rapport de force entre factions politiques à l’apogée de la cité.

Discussion

Dynamique des relations entre espaces publics et espaces privés : une frontière mobile

30 La transformation des modalités d’interactions, des frontières entre les lieux publics et privés par le biais de changements dans l’architecture et l’espace au cours de l’occupation permet donc de restituer une certaine histoire pour chaque site. Les édifices des centres urbains durent au-delà d’une génération et transmettent la mémoire de configurations politiques successives jusqu’à ce que la construction de nouvelles articulations les altère ou les détruise. Par l’analyse spatiale en diachronie, il s’agit d’approcher les dynamiques de négociations (alliance, mariage, rivalité, autonomie, coopération, absorption) entre factions rivales, leurs stratégies à travers les récits biographiques des lieux (Ashmore 2009), en somme l’histoire politique de la cité.

31 L’analyse de dix sites dont la séquence de construction est suffisamment bien connue permet de détecter des convergences dans les histoires locales vers un processus d’évolution générale, malgré des variations propres à chaque cité (Figure 12 ; Bazy 2013). Bien entendu préliminaire, ce schéma général devra être amendé et amélioré. Il ne faut pas voir à travers le modèle interprétatif développé ici un patron immuable. Il s’agit plus d’une mise en ordre et d’une tentative de trouver des cohérences afin d’orienter idéalement les programmes de fouilles archéologiques, avec l’objectif sous- jacent d’établir des modèles de processus de transformation de la cité par l’observation des héritages, des inerties, des trajectoires et des dynamiques inscrits dans le temps long de l’architecture monumentale, pour définir des hypothèses qui permettent de faire des expérimentations.

32 Chaque étape du processus répond à une variation limitée des stratégies sociopolitiques mises en œuvre dans l’espace architecturé par les groupes sociaux pour exercer le pouvoir. L’analyse diachronique nous a donc permis d’identifier des systèmes évolutifs de relations entre espaces publics et privés. Selon les stratégies sociopolitiques développées par les uns et par les autres, ces systèmes évoluent en respectant des structures fondamentales propres aux sociétés mayas. Leur traduction dans l’architecture répond aux contraintes de formes, de techniques et de ressources à disposition.

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FIG. 12 – Schémas des processus d’évolution générale des cités mayas des Basses Terres centrales et méridionales : a) installation dispersée de plusieurs entités sociales autonomes ; b) fondation d’une place publique partagée ; c) translation sur la place publique des éléments symboliques consacrant la Maison dominante ; d) intégration de la place publique dans les espaces privés de la Maison dominante ou vice versa ; e) appropriation de la place publique ; f) abandon de l’ancienne place publique et création d’une nouvelle place publique intégrée au complexe de patios privés de la nouvelle Maison dominante.

33 Au début, dans la première étape de ce processus d’évolution, les vestiges révèlent une installation dispersée de plusieurs entités sociales autonomes (Figure 12a). C’est de loin l’étape la moins connue et la plus problématique. Ces entités se dédiaient à construire peu à peu et à consacrer, par le biais d’activités rituelles privées, la « Maison » physique, lieu central d’un groupe social donné. Dans la deuxième étape, c’est sous l’impulsion de l’une ou plusieurs de ces Maisons fondatrices qu’est définie une place pour des rituels publics collectifs (Figure 12b). En tant qu’instrument de cohésion de la communauté globale, cette place a sans doute représenté un enjeu fondamental lorsqu’un groupe affirmait sa suprématie sur les autres. Dans la troisième étape, en transférant sur la place publique, depuis ses lieux de résidence, les éléments symboliques qui consacraient l’identité du groupe, l’une des Maisons fondatrices, plus puissante que les autres, tentait de mobiliser les activités publiques à son profit pour affirmer son autorité (Figure 12c). Mais c’est seulement dans la quatrième étape, en intégrant la place publique à leurs résidences privées ou vice versa, que les composantes de la Maison perpétuent leur autorité et qu’est instauré le pouvoir dynastique (Figure 12d). Ce processus peut être interrompu à tout moment par l’une ou l’autre des Maisons rivales. C’est en reproduisant les dispositifs spatiaux des deux dernières étapes – i.e., appropriation de la place publique (Figure 12e), création d’une nouvelle place intégrée aux complexes palatiaux privés de la nouvelle autorité (Figure 13f) –, qu’une entité sociale acquiert la possibilité de contester l’autorité et d’instaurer une nouvelle lignée dynastique.

34 Force est de reconnaître que la frontière entre place publique et espaces privés ne ressemble pas à un mur rigide, inébranlable, érigé une fois pour toutes et solidement gardé. Elle fluctue au gré des intentions des acteurs sociaux au fort potentiel politique. Elle est en mouvement, tel un front pionnier. Chaque action visant à modifier cette frontière a de profondes implications symboliques et sociales. Du moins, c’est ce qu’illustre l’analyse diachronique des relations entre places publiques et espaces privés

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dans le champ de l’archéologie. En effet, une dynamique bien spécifique des relations entre la sphère publique et la sphère privée fonde le fonctionnement politique des cités mayas : c’est la translation, vers la place publique, des éléments symboliques qui consacrent rituellement la Maison maya en tant que lieu où s’expriment l’identité et les racines ancestrales d’un groupe social particulier. Par ce processus, ces symboles deviennent les instruments de l’intégration politique de toute la communauté et la translation spatiale représente la condition de possibilité d’exercice de l’autorité sur la communauté toute entière. Ce processus implique une continuité entre deux altérités, une frontière épaisse entre « l’ordre proprement politique des pouvoirs publics, doté de sa logique propre (la raison d’État), de ses valeurs autonomes, de son langage spécifique », et le pouvoir privé de la Maison royale qui « obéit à un mode de gestion et de reproduction patrimoniale » (Bourdieu 1997, p. 63).

Sacralisation et appropriation : pratiques créatrices de discontinuités

35 Ces processus politiques conduisent à reconnaître que l’appréciation juste de la place des frontières entre espaces publics et espaces privés suppose la prise en compte de bien d’autres considérations que la seule mesure des distances spatiales ou les seules limitations matérielles. La matérialité n’est qu’une dimension de la limite.

36 La sacralisation ou l’appropriation, tacite ou licite, d’un lieu par des rites ancestraux sont des gestes extrêmement « tomogènes » (qui produisent des discontinuités ; Lévy et Lussault 2003, p. 208). Dans la sphère privée, depuis les périodes les plus anciennes, la proximité entre les vivants et les morts revêt une importance particulière (McAnany 1995, 1998). Certains individus sont en effet ensevelis sous le sol des patios ou de la maison. Ces cultes, que chaque Maison peut rendre à ses ancêtres, constituent des rites partagés par tous les membres de la société, mais sont en eux-mêmes une part de l’identité de chaque Maison (Godelier 2004, pp. 107-108). À travers leur maintien depuis le Préclassique jusqu’à nos jours, l’ancienneté et la force des rites de fondation et de clôture sont également manifestes. Les acteurs sociaux devaient perpétuer ces marqueurs matériels du sacré afin de maintenir la Maison, pour assurer la reproduction des relations sociales qui lient les membres d’une entité et les distinguent des autres. Quant aux rituels perpétués dans la sphère publique, dans les cités où l’architecture monumentale de pierre taillée se manifeste précocement, ils sont hérités de croyances agricoles profondément ancrées ou d’une conception du monde partagée par tous. Les lieux sacrés où ces rituels sont réalisés constituent des espaces de la communauté, comunitas ou de communion d’individus égaux (sans statut, nom, fonction, ni pouvoir) qui se soumettent ensemble à l’autorité des rituels ancestraux (Turner 1990 [1969]). Ces lieux publics contribuent à rendre visibles les groupes distincts et représentent une image de la totalité de la communauté. Ils offrent une traduction spatiale, parfois cosmologique, de valeurs, de normes socioculturelles et religieuses. Toutefois, selon Turner (ibid.), la comunitas établie par la réalisation des rites est instable. Il s’agit d’une phase, d’un moment, pas d’une condition permanente. C’est pourquoi tout type d’intervention dans cet espace peut changer sa dynamique, sa composition, ses limites, il peut même parfois en modifier le statut et il peut transformer alors de manière profonde le pacte qui fonde le lien communautaire (Berdoulay et al. 2004, p. 12) et les relations sociales et politiques.

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37 Le statut public de l’espace est, en effet, menacé chaque fois que l’on tente d’en faire un lieu où s’attachent des affinités et des différences constituées en identités politiques. Dans le cas où certaines identités de groupes particuliers cherchent une reconnaissance de leur légitimité, cet espace peut se convertir en l’objet de leur appropriation. Il représente un enjeu fondamental lorsqu’un groupe affirme sa suprématie sur les autres. Si la Maison est, chez les Mayas anciens, la matrice des édifices politiques, il est logique que toute faction, qui est de l’ordre du familial (plutôt que du parti politique ou de la société secrète), vise à s’approprier les lieux publics pour les absorber d’une façon ou d’une autre dans sa Maison. Elle ambitionne également de magnifier sa Maison comme lieu public grâce aux mécanismes visant à projeter, vers la place publique, les éléments symboliques qui contribuent à la perpétuation de son patrimoine matériel et symbolique. Cette appropriation des lieux publics se transmettant à travers le réseau des relations familiales conduit à la constitution de véritables dynasties. Les stèles participent également de cette stratégie d’appropriation de la place publique. Les stèles sculptées à l’effigie d’individus de statut royal indiquent aux entités sociales en compétition la propriété d’une place publique.

Langage symbolique et « frontières épaisses » entre lieux publics et privés

38 Parmi les éléments symboliques déployés par un groupe social de façon visible pour se distinguer des autres et ainsi assurer sa propre cohésion interne, des lieux, capables de défier le temps et d’incarner de manière durable l’institution sociale de leur « Maison », sont conservés pour l’archéologue. Au même titre que les pratiques rituelles, ces lieux particuliers étaient investis d’une charge fonctionnelle et symbolique probablement dérivée de la conception matérielle, immatérielle et idéelle maya de la Maison. Il s’agit des lieux sacrés dédiés au culte des ancêtres (temples, autels, voire sépultures) et à l’exercice du pouvoir (dispositif de réception) : le temple familial dédié au culte des ancêtres passe du patio à la place sous la forme du temple dynastique (par ex. à Copán, le Temple familial 10L-16 est transféré depuis l’Acropole vers la Place Principale sous la forme de la Pyramide 10L-26 et son escalier hiéroglyphique ; Bazy 2013). L’édifice tripartite avec son dispositif de réception privé se convertit en galerie de type « siège du pouvoir » public (par ex. à Tikal, le dispositif de réception de la Structure 5D-65 est transféré depuis l’Acropole centrale vers la Place Principale sous la forme de la Structure 5D-120 ; ibid.) ; et, à la transition entre la sphère publique et la sphère privée, le seuil du dispositif de réception transformé en galerie de distribution (au sens architectural) matérialise la frontière entre ces altérités (par ex. Structure D à Nakum). Cette transformation épaissit la distance sociale entre les membres de la Maison imbriquée dans la place publique et les autres Maisons rivales ou alliées.

39 Construire un lieu dont le caractère sacré réside dans sa capacité à intégrer un groupe particulier à une échelle de plus en plus publique (depuis le rituel sous le sol de la maison, en passant par l’autel central ou l’oratoire construit sur un côté de l’unité d’habitat, jusqu’au temple-dynastique sur une place) illustre, non pas tant une frontière prenant la forme d’une ligne de séparation entre deux altérités, mais plutôt un gradient entre deux unités spatiales, une discontinuité épaisse. Ce gradient, allant du privé à ce qui devient de plus en plus public, se rapporte à des capacités proportionnellement accrues de mobilisation sociale de groupes (mesurées par l’architecture monumentale)

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et donc d’exercice du pouvoir de la part de cette Maison. En somme, dans le système politico-religieux qui englobe toutes les Maisons et les hiérarchise, les rituels rendus aux ancêtres constituent un discours visant à perpétuer les droits, le rang, les propriétés matérielles d’une Maison particulière dont le caractère permanent (comme institution) est matérialisé, autour du patio privé et de la place publique, par les édifices auxquels sont en général associés ces rituels. D’un point de vue archéologique, plus vastes sont les segments sociaux auprès desquels une entité sociale légitime sa suprématie, plus les édifices particuliers associés à ces rituels sont visibles et les environnements où ils sont construits, accessibles.

Conclusion

40 La translation spatiale vers la place publique des marqueurs matériels du sacré incarnant l’institution durable de la Maison fonde le fonctionnement politique des cités mayas. Cette stratégie topologique illustre la porosité de la frontière entre espaces publics et privés, un continuum formel et fonctionnel. Reproduites de la simple maison aux complexes palatiaux jusqu’au temple-pyramide, les cérémonies publiques sont ancrées dans les structures constitutives de l’unité d’habitat, c’est-à-dire les relations sociales, les expériences, les normes socio-culturelles de la vie quotidienne du groupe domestique (Inomata 2006). En s’appuyant sur les fondements idéologiques et charismatiques du pouvoir, Inomata (2000, 2006) considère que la capacité d’exercice du pouvoir réside dans les moyens mis en œuvre par les rois mayas pour se mettre en scène, pour se rendre visibles de tous par le biais d’actes « théâtralisés », d’actes de performance, ancrés dans les pratiques et répétés dans les interactions sociales de la maisonnée. Il n’y aurait peut-être pas plus qu’une différence d’échelle entre les rituels (ou les affaires) privés et les rituels (ou les affaires) publics (Bazy et al. 2010 ; Michelet et al. 2010). Autrement dit, la frontière entre vie publique et vie privée est fragile, les deux sphères s’interpénétrant. Le passage de l’espace social le plus petit – l’espace domestique – à la société dans son ensemble s’effectue par une sorte d’emboîtements successifs. Ainsi, la frontière n’est pas le seul type d’interaction entre ces deux catégories d’espaces, l’emboîtement est une interaction par inclusion du petit dans le grand. Ce type d’interaction relie les espaces par une transformation scalaire. L’homothétie peut s’expliquer par le concept emic maya qui ne différenciait pas fondamentalement les principes de la communauté (la cité) de ceux de la famille étendue ou de la Maison. L’ajaw classique correspond à une conception de l’autorité qui valait autant pour le souverain que pour le père de famille ou le chef de maison. Ce concept expliquerait la nature fractale des établissements urbains mayas ; il existe une certaine forme de continuité architecturale entre les espaces civico-cérémoniels publics et les ensembles résidentiels privés (voir Brown et Witschey 2003).

41 La frontière entre espaces publics et privés est donc non seulement un objet spatial en mouvement au gré des histoires particulières à chaque cité, mais cette frontière entre lieu public et lieu privé est fragile. La vie privée et la vie publique s’interpénètrent, le public est perçu comme supérieur, car il renvoie au pouvoir central, mais il implique le privé jusqu’au cœur créant ainsi une frontière épaisse entre ces deux catégories d’espaces. La stratégie topologique visant à projeter les éléments symboliques qui perpétuent les propriétés matérielles et immatérielles de la Maison rend possible, simultanément et dans le même lieu, deux lectures de l’espace. À première vue, telle

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maison privée peut être considérée comme un lieu public dès lors que l’identité politique du groupe social qui y habitait s’est attachée à la place publique sous la forme de multiples points remarquables dans ce dernier espace. Inversement, une place publique peut être considérée comme privée, dès lors que s’y sont attachées des différences et des affinités constituées en identité politique.

42 Ainsi, la dichotomie entre place publique et espaces privés doit être dépassée. Le régime dynastique maya classique perpétue le mode de reproduction familiale de la Maison ignorant ainsi la coupure entre le public et le privé (Bourdieu 1997). Au même titre que les monarchies européennes jusqu’au XVIIe siècle, le régime dynastique maya classique révèle les ambiguïtés d’un système de gouvernement qui mêle le domestique et le politico-religieux, le pouvoir privé (dominium) et la puissance publique (imperium), le palais et la place publique, la « maison du roi » et la « raison d’État » (voir Bourdieu 1997). Cette dernière relation dialectique est peut-être plus appropriée, moins anachronique, pour exprimer l’ambiguïté du domestique devenu politique et du rituel familial devenu religion officielle.

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NOTES

1. Ce thème de « frontière épaisse », autour duquel le Groupe d’Enseignement et de Recherche Maya (GERM) a développé sa réflexion – publiée dans la revue électronique Atelier d’anthropologie [http://ateliers.revues.org/9169] – est une notion qui intéresse aussi les sciences de l’espace social (Lévy 2008, 2010) dont nous nous sommes largement inspiré afin de mieux l’appréhender dans le contexte des cités mayas classiques. 1. Les régularités associées à un environnement social (Bourdieu 2000, p. 256). 2. La matrice des comportements individuels, qui permet à un individu d’une société donnée de se mouvoir dans le monde social et de l’interpréter d’une manière qui, d’une part, lui est propre et, d’autre part, est commune aux membres du groupe social auquel il appartient (ibid.). 3. Le principe d’abondance, testé avec succès, stipule que, dans les sites mayas, les petits monticules, du fait de leur fréquence, représentent les vestiges d’unités résidentielles (Thompson 1886 ; Haviland 1966 ; Willey et al. 1965) : il permet d’assigner une fonction résidentielle, sans fouilles, aux groupes à patio. Ce principe peut être étendu à la composante monumentale des

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cités si l’on reconnaît qu’elle est constituée d’une plus grande quantité d’unité-patios que d’unité-places. 1. À Copán par exemple, la Sépulture VIII-6 marque le dispositif de réception de la Structure 9N-82 (Sanders 1986) et la Sépulture XLII-6 est placée dans l’axe de la Structure 8L-87 (Ashmore 1991, p. 215).

RÉSUMÉS

Cet article traite de l’organisation interne des centres monumentaux des cités mayas classiques à travers une approche innovante. Elle consiste à distinguer les modalités d’interaction spatiale caractérisées par le contact de deux catégories d’espaces, les uns publics et les autres privés, selon une opposition plus efficace que la traditionnelle dichotomie du politico-religieux par rapport au résidentiel. Ce changement de paradigme concernant l’étude de l’urbanisme ouvre le champ d’une série de questions concernant la nature de l’autorité supérieure et les modalités de sa mise en place dans les cités mayas classiques. L’analyse identifie les discontinuités qui séparent les espaces publics des espaces privés, tout autant que les continuités en faisant usage de la notion de « frontière épaisse ». Dans un cadre plus large, les « histoires politiques » produites par l’analyse en synchronie puis en diachronie des plans de cités suffisamment connues contribuent à la recherche sur l’urbanisme classique des cités mayas des Basses Terres centrales et méridionales.

This article discusses the internal organization of Classic Maya monumental centers through an innovative approach. It aims at distinguishing pattern of spatial interaction characterized by the contact of two categories of spaces, the ones public and the others private, a more efficient opposition than the old politico-religious/residential dichotomy. This change of paradigm in the study of Classic Maya city urbanism opens a broad scope of issues concerning the nature of superior authority and the ways of its establishment. The analysis identifies discontinuities that separate public from private spaces, as well as continuities applying the notion of « thick boundaries ». The « political narratives » produced by the synchronic and diachronic analysis of the site maps for selected cities contribute more broadly to the research on Classic urbanism in the Central-Southern Lowland Classic Maya cities.

En este artículo se discute la organización interna de los centros monumentales en las ciudades mayas clásicas según un método innovador. Se trata de distinguir las modalidades de interacción espacial caracterizada por el contacto de dos categorías de espacios, unos públicos y otros privados, según una oposición más eficiente que la tradicional dicotomía entre lo político- religioso y lo residencial. Mediante este cambio de paradigma en el estudio del urbanismo surge una variedad de preguntas acerca de la autoridad superior y las modalidades de su aplicación en las ciudades mayas clásicas. El análisis identifica las discontinuidades que separan los espacios públicos de los espacios privados, así como las continuidades mediante el uso de la noción de « frontera espesa ». En un contexto más amplio, las « historias políticas » producidas a partir del análisis en sincronía y luego en diacronía de mapas de ciudades suficientemente conocidas contribuyen a las investigaciones sobre el urbanismo clásico de las ciudades mayas de las tierras bajas centrales y meridionales.

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INDEX

Palabras claves : espacios públicos, espacios privados, frontera, urbanismo, ciudades mayas, tierras bajas centrales y meridionales Index géographique : Mésoamérique, Mayas, Mexique, Guatemala Keywords : public space, private space, frontier, urbanism, Maya cities, Central and Southern Maya Lowlands Mots-clés : espace public, espace privé, frontière, urbanisme, cités mayas, Basses Terres mayas centrales et méridionales Thèmes : Archéologie

AUTEUR

DAMIEN BAZY

UMR 8096, Archéologie des Amériques, Maison René-Ginouvès, 21 allée de l’Université, 92023 Nanterre ; CEMCA, Sierra Leona 330, Lomas de Chapultepec, 11000 México, D.F., México ; School of Anthropology, University of Arizona, Tucson, AZ [[email protected]]

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Narraciones andinas coloniales. Oralidad y visualidad en los Andes Narrations orales et visuelles dans les Andes coloniales Colonial Andean narratives. Orality and visuality in the Andes

José Luis Martínez C. y Paula Martínez S.

NOTA DEL EDITOR

Manuscrit reçu en juin 2012, accepté pour publication en mai 2013.

Agradecimientos: Este trabajo es resultado del Proyecto FONDECYT 1090110. Una primera versión fue presentada en el VIII Congreso Internacional de Etnohistoria, Sucre, 2011. Agradecemos a nuestros amigos y colegas del equipo FONDECYT, proyecto 1090110, con quienes discutimos las ideas de este trabajo y cuyos comentarios enriquecieron nuestro análisis; a Verónica Cereceda y Alan Durston por sus finos y precisos comentarios y a los pares evaluadores cuyas observaciones contribuyeron de manera notable a mejorar el manuscrito, haciéndolo más sólido. A las directoras, directores y conservadoras, así como a los funcionarios y funcionarias de los Museos de América (Madrid); Nacional de Arqueología, Antropología e Historia del Perú (Lima); Inka de la Universidad San Antonio Abad (Cuzco); Arqueológico de la Universidad Nacional de San Agustín (Arequipa); de Metales Preciosos de la Municipalidad de La Paz; Nacional de Etnografía y Folklore (La Paz); Nacional de Arqueología (La Paz); Chileno de Arte Precolombino (Santiago); National Museum of the American Indian (Smithsonian, Washington DC) y Brooklyn Museum of Art (Nueva York). Todos ellos nos permitieron estudiar sus colecciones, proporcionándonos, en muchas ocasiones, todo su apoyo para que nuestra investigación progresara. Al Museo de América, por permitirnos usar sus fotografías.

1 En este trabajo nos proponemos comparar algunas estructuras narrativas que hemos encontrado en textos andinos, ya sean escritos o visuales. Nuestra propuesta consiste en que tanto en unos como en otros es posible identificar una práctica oral subyacente, que hace que estos distintos textos compartan determinados procedimientos de construcción narrativa similares. Por textos andinos escritos entendemos aquellos que

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son producto o bien de la autoría de un escritor de origen andino, por ejemplo, Felipe Guaman Poma de Ayala (2004 [1616]), o Joan de Santa Cruz Pachacuti Yamqui Salcamaygua (1993 [1613?]), o bien de una situación comunicativa dentro de la cual un informante andino puede ser considerado como fuente principal (el Manuscrito de Huarochirí, Taylor 1987), o aun son fragmentos orales rescatados por algún recopilador, como los que se encuentran en la Relación de Cristóbal de Molina (2010 [1575]), o en el Rituale seu manuale peruanum, de Jerónimo de Oré (1607), y otros. Consideramos, así, como textos orales aquellos que nos han llegado a través de la tradición escrituraria, cuyo origen puede ser asignado – en virtud de las informaciones que podemos obtener gracias al método filológico – a una instancia comunicativa de carácter oral, como los fragmentos rescatados por Taylor (2003) de las pláticas evangelizadoras. Vamos a considerar como textos de origen oral aquellos que conservan las marcas de oralidad como fueron expuestos en Martínez S. (2010), entre los que destacan aquellos que fueron registrados en una instancia de comunicación oral, otros que emulan una situación de oralidad y otros que tienen marcas gráficas de haber sido de origen oral (por ejemplo, el Manuscrito de Huarochirí). Para esta comparación nos centraremos, sin embargo, en aquellos textos más canónicos según la crítica lingüístico-filológica 1 (Guaman Poma de Ayala, el Manuscrito de Huarochirí y Pachacuti Yamqui Salcamaygua).

2 Los queros coloniales (Figura 1) 2, por su parte, son aún poco conocidos por la mayoría de los estudiosos de la sociedad andina colonial 3. Sin embargo fueron símbolos de prestigio para muchas autoridades indígenas coloniales (Del Río 2010), así como concitaron el interés de algunos funcionarios europeos. En efecto, a lo largo del período colonial fueron varios los altos funcionarios de la Corona que, atraídos por la belleza y la singularidad de los queros coloniales, enviaron algunos ejemplares como regalos a los reyes de España 4. Las superficies de estos vasos de madera, primero talladas y posteriormente rellenadas con diversos pigmentos de colores, exhiben bellos paisajes, multitudes de personajes y unas fauna y flora que sorprenden 5. Se trata de un tipo de objeto que tuvo amplia circulación en el espacio andino a lo largo del período colonial y que incluso continuó hasta los albores del período republicano 6, con diversas decoraciones y temas pintados en sus superficies 7. Se conocen escasos antecedentes documentales respecto de su fabricación y circulación durante el período colonial, aunque sí se han realizado estudios sobre las maderas empleadas en su confección 8. Por su parte, la procedencia de la gran mayoría de los ejemplares actualmente conocidos y depositados en museos o colecciones particulares es aún una incógnita, a pesar de que, entre quienes los han estudiado, hay coincidencia que el foco principal de su elaboración entre los siglos XVI y XVIII estuvo en el Cuzco y sus alrededores (Liebscher 1986; Cummins 1988; Flores Ochoa et al. 1998; Ziółkowski 2000, entre otros). Las temáticas de muchas de sus escenas y de sus personajes, vinculados estrechamente a una memoria colonial sobre el pasado inkaico, también apuntan en esa misma dirección. Se podría hablar, aunque sea de manera preliminar, de una tradición principalmente « cuzqueña » en su fabricación 9. Hay antecedentes aislados, sin embargo, que sugieren que en ciertos lugares del altiplano andino también se fabricaron y distribuyeron queros. Es lo que señaló Vázquez de Espinoza en el siglo XVII para el área de la antigua ciudad de La Plata, hoy Chuquisaca (1969 [1630], pp. 431-432; véase Cummins 2004, cap. IX) 10. Asimismo, a juzgar por la procedencia de algunos queros encontrados en comunidades aledañas al lago Titikaka, es posible postular la existencia de una tradición con algunas características propias (volveremos sobre ello más adelante). Es posible que allí se haya producido un tipo de vasos con temáticas más

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propias o no tan vinculadas a los cuzqueños, tal como lo han planteado Flores Ochoa et al. (1997). No se puede descartar, por lo tanto, la existencia de varias tradiciones, con temas comunes y otros propios.

FIG. 1 – Pieza UNSA 1012-64, Coleccíon Yabar, Museo Arqueológico de la Universidad San Agustín, Arequipa [Foto José Luis Martínez].

Un texto visual

3 En las ilustraciones de los queros no sólo destaca la belleza de los arreglos estéticos que portan. Sólo a modo de ejemplo, quisiéramos llamar la atención del lector sobre uno de estos vasos, encontrado por Arthur Posnansky en la Isla del Sol (Figura 2) 11.

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FIG. 2 – Quero que representa, en el campo superior, una escena en la que aparecen dos grupos, uno de cuzqueños (con cascos semi circulares y escudos rectangulares) y otro de guerreros de la selva, antis (con sus rostros pintados con bandas horizontales) [Dibujo Clara Yáñez, de acuerdo a Posnansky 1945, plancha XLIVc].

4 Entre plantas y árboles tropicales, en un paisaje que evoca las tierras bajas y cálidas de los Andes, se encuentran personajes que, por sus trajes, pertenecen a diferentes sociedades prehispánicas. Unos, con cascos, escudos y otros emblemas son reconocibles como soldados y autoridades cuzqueñas 12; los otros, con pelo largo y rostro pintado en franjas de distintos colores, pertenecen a grupos de guerreros chunchus o antis, habitantes precisamente de esas tierras bajas orientales de los Andes.

5 Cuando la mirada se afina, se advierte que los personajes parecen estar agrupados en tres conjuntos. El primero, en el extremo derecho 13, está compuesto por dos hombres, que caminan hacia la izquierda de la escena entre algunos árboles 14; el soldado cuzqueño lleva al anti 15, prisionero, conducido por una soga al cuello. Al otro extremo aparece otro guerrero inkaico que enfrenta a otros dos hombres, uno – pequeño o más lejano – ubicado a su espalda y el otro en su frente, ambos antis o chunchus. Finalmente, podemos identificar un conjunto central, compuesto de dos personajes (uno de ellos es un inka o dignatario cuzqueño y el otro usa el mismo traje que los antis) 16, que son llevados en andas en los hombros de dos personas de menor tamaño, y que se dan mutuamente la espalda, dejando como centro o posible eje de toda la composición, a una imagen solar rodeada a su vez por posibles nubes, y lluvia o granizo 17.

6 Por los elementos que hemos descrito, esta composición forma parte de un conjunto bastante popular en los queros coloniales 18, que otros investigadores han denominado de diversas maneras: como temas o motivos de « relaciones con el Antisuyo » o « batallas » (Flores Ochoa et al. 1998, p. 182 ss.); « motivo Batalla y presentación » (Cummins 1988) o « conflictos armados » (Liebscher 1986, p. 58 ss.).

7 Resulta claro que esta composición está organizada, al menos en un plano superficial, a partir de varias convenciones visuales que remiten a un lenguaje plástico muy elaborado. Tanto el ambiente de la selva como los personajes fueron compuestos a partir de conjuntos significantes relativamente reducidos o acotados: la selva, por las plantas y árboles 19; los cuzqueños, por sus cascos, escudos y trajes decorados; los antis, por sus peinados y caras pintadas, así como por sus camisas o kushmas sin decoración; las autoridades de cada grupo, por las andas; el inka o dignatario, por las plumas en su

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frente; el vencido, por la soga amarrada a su cuello. Ello nos habla de la existencia de determinadas convenciones visuales que parecieran ser suficientes para que un observador andino de tiempos coloniales pudiera reconocer – suponemos – con relativa facilidad el tema representado 20 o, al menos, a algunos de sus componentes. Retomaremos este punto más adelante, ya que es posible que este procedimiento de síntesis se vincule también con otros procesos narrativos.

8 Un sol, a veces antropomorfizado, muy similar al que aparece aquí y en la misma posición, separando dos grupos humanos diferentes, se encuentra a su vez en otros queros coloniales, sobre todo en los que llevan escenas que se han descrito como un encuentro entre los inkas y los collas del borde norte del lago Titikaka 21. En algunos casos se trata de encuentros pacíficos; en otros, es posible que se metaforizaran relaciones de competencia o rivalidad 22 o, incluso, situaciones de enfrentamiento o desencuentro 23. La incorporación de un sol con nubes y posibles lluvias y/o granizo, intermediando entre las autoridades de dos grupos diferentes, independientemente de cuáles sean los grupos involucrados, lleva por tanto a plantear la posibilidad de que, además del tema primario o « central » por así decirlo (el del choque entre cuzqueños y antis), estaría funcionando en nuestra composición otro tipo de convenciones visuales, que remiten ya no tanto a un tema en específico, sino a una breve estructura significativa que, puesta aquí o allá, pudiera remitir a un significado preciso: encuentro o desencuentro. Nuevamente, nos encontramos frente a un elaborado lenguaje plástico, capaz de « decir » o de narrar visualmente. En los queros estaríamos en presencia de un tipo de textos, entonces, que, como ya lo indicamos, circularon profusamente a partir del siglo XVI.

9 Pero, ¿cómo funcionaban esos lenguajes visuales? Es aquí que surgen varios interrogantes, puesto que sabemos muy poco acerca de cómo estaban construidos plástica y narrativamente estos temas o motivos, y el conocimiento de las semióticas visuales puestas en juego durante el período colonial es también reducido. Quien más se ha acercado al problema que estamos planteando aquí, ha sido Cummins (2004, pp. 354-369) que postuló que, en el caso del « motivo de la batalla inkas-antis », no se trataba de un relato histórico vinculado a los ciclos orales cuzqueños que narraban las conquistas de los inkas, sino que lo representado debía entenderse como una metaforización de batallas rituales (o tinku) entre mitades simbólicas, aún en funcionamiento en el período colonial y hasta la actualidad 24.

10 Cummins destaca la existencia de un relato, de una narración visual en la cual el « motivo de la batalla inkas-antis » estaría constituido por distintas escenas que « describen diferentes etapas de la batalla entre los inkas y los guerreros de la selva o antis/chunchos » (ibid., p. 354), que serían metáforas de diferentes episodios de las batallas rituales. Esto nos parece central puesto que, independientemente de si aceptamos una alternativa interpretativa u otra (la histórica/oral, o la metafórica), lo remarcable es que los llimpikamayoq 25 coloniales construyeron unos textos en los cuales era posible para un observador advertir escenas que podían corresponder a secuencias o momentos distintos de una narración mayor. La secuencia visual, tal como la analiza Cummins (ibid., p. 360 ss.), tiene al menos dos momentos, el del enfrentamiento o batalla, en el cual los combatientes del lado cuzqueño aparecen en la mitad derecha o hanan del plano pictórico 26 en tanto que los antis se ubican, indefectiblemente, en la posición urin, la inferior o subordinada según los esquemas simbólicos andinos. Un segundo momento correspondería al de la derrota de los antis, en el cual al menos un

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prisionero anti vencido y sin armas, amarrado con una soga por el cuello, es conducido por un combatiente cuzqueño ante la presencia del Inka, que generalmente aparece sentado en su tiana o asiento de gobernante, exhibiendo todos sus emblemas de poder. Los queros muestran únicamente estas dos escenas, con exclusión de las muchas otras que podrían haberse representado si se tratara de un relato visual que siguiera al pié de la letra a un relato oral.

11 Se trataría, entonces, de un tipo de textos visuales que mostraban escenas; esto es, personajes que realizan acciones que no son aisladas, sino que poseían, como tal escena, un determinado sentido y estructura y que, al mismo tiempo, podían dar cuenta de una cierta temporalidad, de momentos o etapas diferentes que, probablemente para quienes veían y usaban esos queros, formaban parte de un mismo ciclo narrativo. En el caso presente, el del quero publicado por Posnansky, la escena que acabamos de describir correspondería precisamente a uno de esos momentos de las varias etapas que conformaban « la batalla entre los inkas y los guerreros de la selva » tal como lo señaló Cummins (ibid., p. 354).

12 Si en los queros estaban inscritas escenas que remitían a temáticas importantes para las poblaciones andinas, y si estas escenas constituyeron parte de discursos acerca de distintos aspectos de la vida colonial y de las memorias de esos hombres y mujeres andinos sobre su pasado anterior a la invasión europea, ¿cómo funcionaban? No queremos abordar aquí una discusión acerca de los temas a los que se referían esas escenas, sino a la manera en la que ellos fueron construidos, presentados y leídos. Si estamos en presencia de relatos, enunciados por andinos coloniales, ¿es posible encontrar en otros lenguajes de esas sociedades algunas pautas comunes, que nos permitan entender mejor la construcción de estas narrativas visuales?

13 Otros investigadores han avanzado sobre estos posibles planos de relación entre distintos soportes. Se han planteado, por ejemplo, relaciones entre los discursos musicales y textiles (R. Martínez 2009) y se ha enfatizado, igualmente, que ciertos textos visuales presentes en los queros circularon también en vasos de cerámica o de plata. Cummins (2007) ha explorado las relaciones de sentido existentes entre diversos soportes, más allá de sus materialidades diferentes. Nuestra pregunta parece válida entonces, si se acepta, como proponemos, que los textos visuales compartieron con otras semióticas (expresadas en distintos soportes), ciertos modos y estrategias de construcción narrativa. En el caso que queremos abordar aquí, nuestra aproximación privilegia las operaciones de construcción de esos relatos más que la circulación de significantes en uno u otro tipo de materialidad.

14 En trabajos anteriores postulamos la existencia de prácticas comunicativas andinas redundantes, esto es, que ciertas unidades de sentido y determinados relatos podían ser enunciados a través de diferentes soportes 27. Esto es claro, por ejemplo, entre algunas narrativas orales y otras visuales de las que el ciclo de las guerras entre los cuzqueños y los chankas es un ejemplo bastante conocido. Sabemos que en algún lugar cercano al Cuzco existía una pintura rupestre que habían mandado a hacer los inkas, que recordaba a los viajeros los episodios de la huida del Cuzco del Inka Yawar Wak’aq y la defensa de la ciudad por parte de Wiracocha Inka, ante la amenaza de los enemigos chankas (Garcilaso 1991 [1609], libro V, cap. XXIII, tomo I, p. 306). También existieron numerosos relatos orales sobre esos mismos acontecimientos, de los cuales dieron cuenta posteriormente los varios cronistas que los recogieron y escribieron acerca de ellos (Betanzos 1987 [1551]; Cieza de León 1986 [1550]; Sarmiento de Gamboa 2001

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[1572], por mencionar algunos de los más conocidos). Y es posible que esos mismos relatos tuvieran una versión bailada y cantada, que se representaba cuando los inkas recordaban sus triunfos (Betanzos 1987 [1551], cap. XIII, p. 61) 28. Un mismo ciclo narrativo podía circular, entonces, a través de distintos soportes. Nos parece claro que la simultaneidad de esta redundancia debe ser entendida no como un momento de la enunciación, sino como una posibilidad para quien perteneciera a esa sociedad y transitara por los diversos espacios o entornos en los que esos relatos circulaban, ya fuera oral, visual o musicalmente. En esta perspectiva, es cierto, habría que matizar esa simultaneidad en algunos casos con la idea de una complementariedad en la transmisión y circulación de esas narrativas.

15 A pesar de no ser un rasgo exclusivo de las narrativas andinas coloniales, la redundancia implica, desde nuestra propuesta metodológica, que un discurso (con sus variantes) pueda manifestarse en distintos soportes de tal manera que su lectura, ya sea en conjunto o separadamente, permita tener una visión general y complementaria del discurso 29. En este sentido, podemos mencionar como ejemplo la articulación del relato del baile de la soga en al menos dos tipos de soportes: narrativo y quero (Figura 3) 30.

FIG. 3 – Representación del baile de la soga. Pieza UNSA 0183, Museo Arqueológico de la Universidad San Agustín, Arequipa [Dibujo Clara Yáñez, Proyecto FONDECYT 1090110].

[…] a una cassa que llaman moro urco, que estava junto a las cassas del Sol, a sacar una soga muy larga que allí tenían coxida, hecha de quatro colores: negra, y blanca, y bermeja y leonada, al prinçipio de la qual estava hecha una bola de lana colorada gruessa. Y venían todos las manos asidas en ella, los hombres a una parte y las mujeres a otra, haciendo el taqui llamado yaguayra. (Molina 2010 [1575], p. 81) 31

16 Se trata, en este caso, de un ritual que realizaba el Inka gobernante, o Zapan Inka, para simbolizar la toma de posesión de nuevos territorios o para traspasar a sus descendientes y deudos algunos de los recientemente conquistados (Zuidema 1989) 32, y Garcilaso de la Vega (1991 [1609], libro IX, cap. I) cuenta que fue en una de esas celebraciones rituales que el Inka Wayna Qhapaq aprovechó para celebrar el nacimiento de su hijo Titu Kusi Yupanqui, más tarde conocido como Wasqar Inka, en referencia a la wasq’a o soga usada en ese ritual. Cabe mencionar que, si bien esta relación pudiera ser abordada como la « ilustración » gráfica del relato oral, una mirada analítica – desde nuestra perspectiva – debiera apuntar más bien a develar aquellos rasgos que son específicos de cada tipo de soporte en la transmisión del mensaje o relato específico, hecho que sólo es posible gracias a un minucioso estudio, no solamente de la pieza o texto en cuestión, sino también de su vinculación con el sistema completo del soporte.

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17 No se trata de la única relación existente entre oralidades y lenguajes visuales. Veámoslo.

Oralidad y visualidad en los Andes coloniales

18 Existe un consenso respecto de que uno de los rasgos más comunes de la estructura de la poesía quechua era el paralelismo semántico (Husson 1985, 2002; Itier 1992; Fossa 2005; Manheim 1991), un tipo de estructura en el que predominaban los pares o dobletes 33 ya sean semánticos o morfosintácticos. Itier (1992, p. 1013) lo denominó el « ideal sinonímico » y Fossa (2005, p. 40) lo señala como una característica presente en diversas lenguas amerindias, tanto entre los mayas prehispánicos como entre las poblaciones kunas contemporáneas. Se trata de un tipo de forma poética que Husson (2002, p. 391) contrastó con otras, por ejemplo la poesía europea. Su principio operante es la construcción de secuencias que poseen una estructura sintáctica en la cual se construye una relación entre dos términos en los que, de acuerdo a Itier, uno puede ser subordinado a otro (Itier ibid.). Veamos, como ejemplo, un fragmento de una canción que transcribe Guaman Poma: ¿Es el infortunio, reina, que nos separa? ¿Es la desgracia, princesa, que nos separa? ¿Es por ser tú mi florecilla azul, mi flor amarilla? En mi cabeza, En el centro del corazón Te llevaría a todas partes. Como un espejo de agua eres una ilusión. Como un espejo de agua eres un engaño. ¿Dónde estás? ¿Descansaré con mi amada? […] (Guaman Poma 2004 [1616], f. 317 [319]) 34

19 No nos referimos aquí sólo a una posible relación de simetría o sinonimia entre un relato oral y una narración visual, sino también a una característica de las formas poéticas al interior de un mismo texto. Se trata, entonces, de un enunciado que puede repetirse, ya sea dos veces de manera igual o con términos del mismo campo semántico. Los enunciados paralelos son, así, secuencias de un mismo par que presentan semejanzas, que contienen una afinidad semántica, ya sea por la presencia de sinónimos, de parasinónimos o porque remiten a un campo léxico común, que Husson (2002, p. 392) denomina « paralelismo semántico » (los casos en negritas de nuestro ejemplo). Habría tres tipos de apareamientos semánticos: antónimos, cohipónimos y sinónimos (Itier 1992, p. 1013), a los cuales podemos añadir un cuarto, propuesto por Husson; esto es un mismo término que se repite y que denomina « doblete ».

20 ¿Es posible reconocer estas estructuras sintácticas verbales en algunos queros? De ser así, ¿se trataría de un mismo tipo de procedimiento de construcción narrativa, ya sea tanto para textos orales como visuales? Proponemos que el paralelismo sería un tipo de estructura visual que se encuentra ya en los queros pre-toledanos de la segunda mitad del siglo XVI y que continuó presente al menos a lo largo de todo el siglo XVII, aunque después de las transformaciones sociales provocadas durante el gobierno del virrey Toledo se desarrollaron también – y fuertemente – otras estructuras narrativas.

21 Entre los distintos temas narrativos que se pueden identificar en los queros coloniales, hay uno que ha llamado la atención de numerosos especialistas. Nos referimos a un conjunto que Liebscher (1986) denominó como « motivos de arcoíris » 35 y que estaba asociado a antiguos temas andinos, como la representación de las autoridades y el

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poder, así como los de la fertilidad y los momentos de cambio (Cummins 2004, p. 369 ss.; Martínez C. 2012). Los queros con este motivo muestran siempre una misma estructura organizativa: tres campos horizontales entre los que se distribuyen las imágenes. En el campo superior se ubican dos arcoíris que surgen de ambos lados de la cabeza de dos felinos. Sobre estas cabezas suelen aparecer plantas, aves, escudos o, incluso, personajes femeninos o masculinos. Bajo los arcoíris se dan fundamentalmente dos posibilidades de presentación, que son las más recurrentes; ya sea un hombre mirando hacia el arco siguiente y una mujer en el otro, a su vez orientada hacia el personaje masculino 36; o una pareja, masculino-femenina, ambos bajo un mismo arco (lo que se repite a su vez en el siguiente) 37. De la muestra analizada en este artículo, podemos señalar que muy pocos ejemplares muestran la aparición exclusiva de un hombre, o una mujer o un ave heráldica, lo que nos lleva a pensar que las posibilidades de presentación parecen, así, ser variantes de una organización semántica compuesta por la pareja hombre-mujer 38. Las posibilidades de presentación parecen, así, ser variantes de una organización semántica compuesta por la pareja hombre-mujer.

22 Lo que nos interesa aquí es ver cómo se construyó esta narración visual, cuáles fueron las maneras de articularla. Es sorprendente que haya un número significativo de queros en los que se grabaron y pintaron dobletes 39. Como ejemplo, en la Figura 4 40 puede verse un personaje central que aparece ubicado bajo un arcoíris (o k’uychi): se trata de un soldado cuzqueño con chuku o casco, escudo y lanza en cada mano, vestido con un largo unku prehispánico, que aparece flanqueado por dos aves. Es la misma figura que se repite, sin cambios, al otro lado de la superficie curva del vaso. La noción de doblete está remarcada, además, por el segundo grupo de imágenes: desde la parte superior de la cabeza de cada felino (se advierten sus orejas y cejas) surge una planta con cinco flores. Este conjunto también se repite exactamente igual.

FIG. 4 – Quero con un enunciado compuesto a partir de la estructura de paralelismos semánticos del tipo « dobletes ». Pieza Momac 85, Museo Inka-UNSAAC, Cuzco [Dibujo Clara Yáñez, Proyecto FONDECYT 1090110].

23 Nos parece que la estructura de esta imagen visual corresponde a la de los dobletes tal como han sido descritos por Husson (2002) y que reseñamos brevemente. Es importante destacar que aparecen casi exclusivamente, en nuestra experiencia, dentro de los queros con el motivo arcoíris. La Figura 4 ilustra dos ubicaciones para los dobletes: bajo los arcoíris, y entre ellos (esta última posibilidad, con una ocurrencia total de 55 ejemplares de la muestra analizada aquí). Además, como lo mostraremos en breve, la ocurrencia bajo los arcoíris no es privativa de los dobletes, sino que se comparte con los pares semánticos.

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24 Si bien la estructura narrativa de los dobletes es la más frecuente ya que está presente en todas las variantes que describimos más arriba, no es, con mucho, la única manera de estructurar la narración acerca de los personajes ubicados bajo los arcoíris. Es precisamente la existencia de distintas posibilidades de articular el texto visual la que nos lleva a postular que se trata de una estructura de composición semántica y no una opción decorativa.

25 Nos ha sido mucho más difícil identificar el paralelismo semántico, la segunda forma de articulación que utilizaba términos que, sin ser los mismos, remiten a un campo léxico común y en el que, siguiendo a Itier (1992), el estatuto de cada término sería desigual, ya que a un primer término, le sigue otro, « más restringido » (ibid., p. 1013). Nos parece que esto proporciona interesantes pistas para nuestra búsqueda. Si volvemos al conjunto del motivo « arcoíris » lo que se encuentra es que hay diversas sustituciones que reemplazan alguno de los dos términos masculino-femenino que debieran estar ubicados dentro de uno de los dos arcoíris. En la Figura 5 41, por ejemplo, hay un personaje femenino que viste un aksu o anako 42 y lliqlla o mantilla y lleva en su mano una rama de kantuta (Cantu buxifolia) 43 con dos flores, y una amaru 44 o serpiente alada que se ubica bajo el segundo arcoíris. En ambos campos dentro del arcoíris, también aparecen flores acompañando a los personajes centrales, pero mientras en el primer caso hay una misma flor (no identificada) en ambos costados de la mujer, en el segundo aparece una pequeña flor de ñuqchu bajo la amaru y frente a ella una mata que parece ser de maywa (Stenomesson incarnatum).

Fig. 5 – Quero con posible paralelismo semántico en la figura central y doblete en el conjunto felino-planta. Pieza Mo 10395, Museo Nacional de Arqueología, Antropología e Historia del Perú, Lima [Dibujo Clara Yáñez, Proyecto FONDECYT 1090110].

26 Aquí se abren dos posibilidades interpretativas, dependiendo de los datos que se analicen. La primera es postular una relación entre las quya y las amaru, tal como lo sugiere Zuidema cuando señala que este tipo de seres estaría relacionado a lo femenino, ya que Mama Waqo, la mujer mítica fundadora del Cuzco junto a Manqu Qhapaq, era de la « casta de los amarus » (1989, pp. 268-269). Si esto es correcto, tendríamos efectivamente un paralelismo semántico ya que la amaru formaría parte del mismo campo de significados que la imagen femenina ubicada en el primer arcoíris. Se trata de un segundo término « más restringido », siguiendo a Itier, ya que el primero es más amplio (lo femenino) respecto del segundo, en el que la amaru representa sólo una de las posibilidades de ese femenino.

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27 Pero creemos que es posible también interpretar esta estructura en un nivel narrativo más complejo, una segunda opción que hace alusión al motivo « arcoíris » tal como lo revisamos más arriba, compuesto por diversas variantes de una estructura significante « hombre-mujer ». Aquí el paralelismo semántico podría ocurrir entre una figura que ha sido reemplazada, esta vez la masculina, y la que está presente, la amaru. Si esto es correcto, ambas figuras deberían remitir a un mismo campo ya sea semántico o léxico. Esto requiere de una explicación más detallada. ¿Qué relaciones significantes existían para que una amaru pudiera sustituir a un personaje masculino y, aun así, conservar la misma proposición narrativa propia del paralelismo semántico con la mujer ubicada bajo el otro arcoíris? Creemos que una respuesta está dada en las posibilidades que tenían algunos inkas de transformarse en esos seres. Era el inka, masculino, el que podía transformarse en amaru, tal como lo hizo Ataw Wallpa para fugarse de la prisión a la que lo había sometido Wasq’ar Inka (Cieza de León 1986 [1550], p. 208; Zárate 1995 [1555], p. 62). Por su parte, Pachacuti Yamqui Salcamaygua (1993 [1613?], f. 21v) relata que, cuando nació Amaru Yupanqui, hijo de Pachakuti Inka, en las cercanías de la ciudad del Cuzco salió una yauirca o amaru « muy fiera bestia, media legua de largo y gruesso de dos braças y medio de ancho » 45. En esta segunda posibilidad, las amaru están estrechamente vinculadas a lo masculino. No disponemos, por ahora, de otros materiales para dilucidar mejor esta cuestión.

28 ¿Podría significar esto que las imágenes grabadas y pintadas en los queros eran decodificadas y relatadas siguiendo principios que también se encuentran en la oralidad? ¿Que algunos procedimientos de la oralidad, tales como el paralelismo semántico en cualquiera de sus posibilidades, también tenían aplicación en la construcción de los textos visuales? Si se piensa en la información acerca de los quipus, que eran « leídos » y relatados (también bailados) 46, siguiendo igualmente procedimientos lingüísticos (Fossa 2011), es posible, entonces, postular una vinculación entre la construcción de narrativas orales y visuales.

29 ¿Siguió la construcción de las narrativas visuales sobre los queros algunos procedimientos de construcción similares a los de los relatos orales o escritos quechuas coloniales? A pesar de las fuertes influencias de la escritura y la pintura europeas en el siglo XVII, ¿sería posible identificar otras operaciones de organización del relato o de sintaxis comunes a ambos tipos de lenguajes, visuales y lingüísticos? ¿Cómo comparar o relacionar imágenes (su presentación, ordenamiento, posibles secuencias) con los pocos textos escritos por indígenas que se conocen o con los escasos fragmentos de relatos orales en quechua insertos en algunos de esos textos? En lo que sigue usaremos para este análisis básicamente tres textos escritos por andinos a finales del siglo XVI y en el primer cuarto del siglo XVII: el documento conocido como Ritos y Tradiciones de Huarochirí (1608?), la Relacion de antiguedades deste Reyno del Piru, de Pachacuti Yamqui Salcamaygua (1993 [1613?]), y El primer nueva corónica y buen gobierno (2004 [1616]) de Guaman Poma. Los tres son textos coloniales, producidos en un contexto histórico similar a aquel en que fueron elaborados los queros, sometidos a parecidas demandas sociales, políticas o religiosas. Se trata de textos que, como bien lo señaló Salomon (1994, p. 230), son « saturadamente coloniales ». Y esto incluye, por cierto, al documento huarochirano, no ajeno a las influencias librescas de su tiempo 47.

30 Para explorar estas posibles relaciones trabajamos con un concepto operativo: el de modos narrativos, o tipos de relato en los que es posible identificar acciones, unidades temáticas y lógicas organizadoras. Insistimos en el carácter operativo del concepto,

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puesto que lo entendemos como una herramienta para abordar el análisis de ciertas unidades narrativas, especialmente de las visuales. En base a este concepto pudimos identificar al menos dos modos narrativos presentes tanto en los relatos orales o escritos andinos coloniales como en las narraciones visuales inscritas en los queros 48. Uno, que denominamos « simple », o « único » en sus ejes narrativos y composicionales, caracterizado porque la acción que ocurre es una sola, y transcurre en un mismo tiempo. Y un segundo tipo, que denominamos « complejo », en el que al modo narrativo simple se le agregan o introducen fragmentos de otros relatos (unidades temáticamente distintas), o en que el ordenamiento temporal no es secuencial u otros en que la narración se encuentra reducida a elementos mínimos. En todas estas narraciones « complejas », la lógica organizadora parece ser distinta de aquella presente en los tipos « simples ».

El modo narrativo « simple »

31 Este modo narrativo se encuentra en textos cuya organización muestra una unidad, al menos temática, tal como lo enseña este cantar de Inka Yupanqui que Fossa identifica como un jarawi, un tipo de canto practicado al fallecer un gobernante, y de rememoración u origen (Fossa 2005, p. 35): Desde que florecía Como la flor del huerto hasta aquí He dado orden y razón En esta vida y mundo Hasta que mis fuerzas bastaron Y ya soy tornado tierra (Betanzos 1987 [1551], p. 149) 49

32 Es posible identificar el modo « simple » en un número importante de queros 50, en los cuales se desarrolla la narración de una única escena, con personajes unidos en una misma acción y que transcurre ya sea en un tiempo prehispánico o en uno colonial (Figura 6) 51.

Fig. 6 – Baile de chunchos en contexto colonial. Pieza R 1162, Museo Nacional de Etnografía y Folklore (MUSEF), La Paz [Dibujo Clara Yáñez, Proyecto FONDECYT 1090110].

33 En esta pieza todo apunta a la unidad y al desarrollo de la escena. El momento colonial se hace explícito tanto por los trajes con capotes y pantalones bombachos de los músicos que preceden al conjunto de bailarines, como por los pantalones cortos y sueltos que llevan los danzantes. Hay otros detalles que apuntan en el mismo sentido temporal: el contexto urbano denotado por la casa con techumbre de tejas que aparece entre la comparsa, así como el perro que sigue al primer danzante. Y todo guarda

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relación con el tema central: la ejecución de un baile de chunchos. Se trata de una sola acción, con un único tema y una unidad temporal definida.

Los modos narrativos « complejos »

34 Hemos podido identificar al menos cuatro modalidades de complejidad presentes tanto en los textos escritos estudiados como en los visuales de los queros. El elemento compartido para ponerlas en esta categoría es el hecho de que la narración de base ha sido intervenida de alguna manera, ya sea a) agregándole unidades de otros relatos, o b) presentando secuencias distintas de un mismo tema, que debieran – visto desde una perspectiva occidental – estar separadas u ordenadas de una manera secuencial y que no lo están; c) ya sea complejizando los tiempos del relato; o, finalmente, d) reduciendo la narración antes extensa a una presentación mínima.

La presencia de dos tiempos en una misma unidad textual

35 Se trata de una estructura presente en varios queros 52, aunque es evidente que no fue un tipo de construcción narrativa exclusiva para los Andes. Otros ejemplos, como los presentes en el Antiguo Testamento, sugieren que son procedimientos vinculados a las oralidades 53. En la copa que se presenta en la Figura 7 54 se encuentran dos escenas: una que corresponde a un tiempo prehispánico – un enfrentamiento entre inkas y antis o chunchus –, y otra que corresponde a una escena de un ritual de siembra en el que los personajes están vestidos con vestimentas coloniales.

Fig. 7 – Copa de dos caras con escenas de diferentes tiempos. Pieza CFB 3540, Museo de Metales Preciosos de la Municipalidad de La Paz, La Paz [Dibujo Clara Yáñez, Proyecto FONDECYT 1090110].

36 Ambos tiempos, pasado y presente (desde la perspectiva colonial), comparten un mismo soporte y la misma superficie. Lo que queremos destacar aquí es que aparentemente una misma narración, sea oral, escrita o visual, podía referirse, en la misma enunciación a ambos tiempos, en una lógica de relato que admite la presencia de ambos, como una unidad complementaria para la que el paso entre uno y otro tiempos narrativos no fuera una contradicción, sino más bien una posibilidad de enunciación, como si los límites de ellos no fueran excluyentes, de manera tal que se pudiera transitar entre un tiempo narrativo y otro. Ésta es una condición permanente en gran parte del texto del Manuscrito de Huarochirí. Sus redactores lo expresaron claramente: « No sabemos muy bien si este [Cuniraya] existía antes o después [de Huallallo

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Carhuincho] y de Pariacaca », o, « Aquí vamos a escribir sobre lo que hemos mencionado en el segundo capítulo, es decir: si Cuniraya existía antes o después de Pariacaca » 55. La exigencia impuesta al relato por el pensamiento cristiano español requería de un ordenamiento claro y no permeable, en el que el pasado no puede coexistir con el presente, no existe ambigüedad entre un tiempo y otro 56. En cambio, en el mismo Manuscrito de Huarochirí se pasa sin contradicción de una narración que apela a un pasado prehispánico (o purum pacha) y que ocupa los primeros 20 capítulos del manuscrito, a una narración que está expresada en tiempo presente, con referencias a la vida colonial, que se encuentra entre el capítulo XXI y XXVII. Ahí se relata, sin ningún corte o explicación necesaria, un conjunto de situaciones de tiempo presente, para retomar, en el mismo capítulo XXVII, el relato sobre los tiempos pasados, tal como estaba al inicio del texto. Lo que nos parece sugerente es que se trata de una estructura significativa y ordenadora, pasado-presente, que se encuentra también en al menos otro texto contemporáneo a los queros: la Nueva Corónica de Guaman Poma. En ésta, ese ordenamiento es explícito y evidente. Por una parte, hay una gran unidad referida a la memoria sobre el pasado prehispánico (la Nueva Corónica), que abre el relato sobre el mundo andino con la siguiente expresión: « […] unas historias de nuestros antepasados agüelos y mis padres y señores rreys que fueron antes del Ynga y después que fue desde Uari Uira Cocha Runa y Uari Runa y Purun Runa » 57 (Guaman Poma 2004 [1616], f. 6) Y la segunda parte, abocada a una descripción y denuncia de las condiciones de la vida colonial (el Buen Gobierno).

Un orden « autónomo » de las secuencias

37 En el Manuscrito de Huarochirí se encuentra la siguiente situación: en el primer capítulo se describen los tiempos « muy antiguos » (ancha ñawpa pachaca), en los que los hombres no morían sino que resucitaban: – Dicen que en los tiempos muy antiguos había unos huacas llamados Yanañamca y Tutañamca – A estos, en una época posterior, los venció otro huaca llamado Huallallo Carhuincho – Después de haberlos vencido, era Huallallo quien animaba a los hombres a los cuales no consentía que engendrasen más de dos hijos – Uno se lo comía – El otro, el preferido, era criado por los padres En aquella época los hombres resucitaban solo cinco días después de morir (Taylor 1987, cap. I, p. 45)

38 Después de 26 capítulos, en los que se escribieron y relataron mitos, rituales y prácticas de las poblaciones andinas de la sierra central peruana, el texto retoma, sin ninguna justificación ni manifestación de causa, el mismo tema, casi con las mismas expresiones de lo anotado en el primer capítulo: Vamos a describir cómo en los tiempos antiguos los hombres decían al morir que iban a volver al cabo de cinco días. Se dice que en los tiempos muy antiguos, cuando un hombre moría, velaban su cadáver durante cinco días (ibid., cap. XXVII, p. 411)

39 Es decir, se trataría de fragmentos de una misma secuencia que aparecen dispersos dentro de un texto mayor, y que se retoman sin que aparentemente se requiera de una

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mayor justificación. En algunos textos europeos coloniales, se encuentra también ese retorno al tema inicial, pero es introducido, al menos, por una explicación 58.

40 Otra práctica frecuente en algunos textos con matrices orales quechuas se encuentra, asimismo, en el ordenamiento de las secuencias de un determinado ciclo mítico. Uno de los mitos fundadores de la historia del surgimiento del Tawantinsuyu como entidad dominadora en los Andes y de alcances imperiales, es el ciclo de la defensa de la ciudad del Cuzco, la capital inkaica, frente a la amenaza de invasión de otro señorío rival, los chankas. A partir de la defensa exitosa del Cuzco y posterior derrota de los invasores, Pachakuti Inka emprendió las reformas del estado cuzqueño y desarrolló las políticas expansionistas que dieron lugar al desarrollo del Tawantinsuyu que conocieron algunos tiempos más tarde los españoles. Mientras los cronistas europeos y el Inca Garcilaso 59 nos presentaron un relato en el que todos los episodios del enfrentamiento entre los cuzqueños y los chankas ocurrían durante los gobiernos de Wiraqocha Inka y Pachakuti Inka (o entre Yawar Wak’aq Inka y Wiraqocha Inka, si se sigue la versión de Garcilaso), en el texto de Guaman Poma, el relato se encuentra parcialmente dentro del ciclo de Manqu Qhapaq Inka, el fundador del Tawantinsuyu, y también dentro del ciclo de Yawar Wak’aq Inka. Es decir, en tiempos de la fundación del Tawantinsuyu y con hechos atribuidos a varios gobernantes no secuenciados cronológicamente. Aquí no aparece el « orden » cronológico y la secuencialidad impuesta en las crónicas europeas.

41 Como en el texto de Huarochirí, Guaman Poma no parece tener la necesidad de aportar algún argumento explicativo de este diferente ordenamiento de las secuencias. En el tiempo de Manqu Qhapaq Inka, hubo, según el cronista andino, un enfrentamiento entre el Inka y el señor de los chankas, que concluye con la huida de este último hacia las tierras selváticas del Antisuyu. Pero quien conquistó la « provincia de los chankas » habría sido Yawar Wak’aq Inka. La separación física (dentro de la escritura misma) y temporal (en el orden de la narración) es enorme y evidente. Los episodios atribuídos a Manqo Qhapaq Inka se relatan en la p. 85 en tanto que los relativos a Yawar Wak’aq Inka ocurren en la página 105. Temporalmente, se trata del primer y del séptimo inkas, respectivamente. Pareciera que las narraciones orales estaban compuestas de unidades articuladas que podían ser narradas en órdenes aleatorios, algo que por lo demás ya mostró Ong respecto de la estructuración de muchos relatos orales en distintas sociedades (1987).

42 Nos parece que en los queros se puede apreciar una situación similar. Es lo que podemos advertir en los relatos visuales sobre otro ciclo mítico, el de la expansión cuzqueña hacia las tierras bajas orientales. Existe un grupo de vasos en los que aparecen dos episodios de ese ciclo: el enfrentamiento entre cuzqueños y antis (de los que ya hemos visto algunos casos en este trabajo) 60 y el de la victoria cuzqueña 61 (Figura 8). El ciclo aparecería, aquí, completo 62: enfrentamiento inicial y posterior victoria cuzqueña sellada con la presentación de prisioneros al Inka, que aparece sentado en una tiana, el asiento emblemático de las autoridades andinas.

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Fig. 8 – Se observan dos episodios. A la derecha, aparece la escena de presentación de prisioneros y, a la izquierda, un enfrentamiento entre guerreros cuzqueños y antis. Quero Mo 0075, Museo Nacional de Arqueología, Antropología e Historia del Perú, Lima [Dibujo Clara Yáñez, Proyecto FONDECYT 1090110].

43 Lo interesante es que ambas escenas (« batalla » y « presentación de vencidos ») circulaban también independientemente. Tenemos un conjunto de queros en los que se representó únicamente una de ellas 63; nuevamente, y tal como lo sugieren los textos escritos y orales, se trataría de unidades narrativas que podían funcionar de manera separada. Es lo que se puede apreciar en las Figuras 9 y 10 64 y supone la existencia de un meta-relato, conocido por los observadores de los queros, dentro del cual esas secuencias autónomas conservaban su significado.

Fig. 9 – Escena de enfrentamiento entre soldados cuzqueños y guerreros chunchos o antis. Pieza 7511, Museo de América, Madrid [Dibujo Clara Yáñez, Proyecto FONDECYT 1090110, a partir del dibujo del Museo de América, Madrid].

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Fig. 10 – Escena de presentación: a la derecha de la escena aparece el inka sentado en su tiana y al extremo izquierdo unos soldados cuzqueños conducen a un prisionero anti atado por una cuerda a su cuello [Dibujo Clara Yáñez, de acuerdo a Posnansky 1945, plancha XLIVa, vaso procedente de la Isla del Sol].

La inclusión de fragmentos de distintos temas en un mismo relato

44 Esta inclusión puede consistir simplemente en una variante del modo narrativo anterior o constituir un submodo específico de enunciación y de tramar las unidades narrativas, no lo sabemos; pero queremos señalar su ocurrencia 65. Se trata de que en un mismo quero el tema principal, en el modo narrativo « simple », aparece intervenido por la inclusión de pequeñas unidades narrativas visuales que parecieran corresponder a otros temas, o que han sido descritas como componentes de temáticas distintas a las de la escena principal. En el caso de la Figura 11 66, se puede observar que se encuentran representados los dos episodios del enfrentamiento entre cuzqueños y antis o chunchus. Sobre un torreón con lanzas emplumadas y a un costado del mismo, un grupo de soldados inkaicos enfrenta a varios guerreros de arco y flecha, con tocados de plumas y trajes con pieles moteadas de felinos (entre los guerreros se advierten unos árboles y varias aves tropicales). El tema del vencimiento y presentación de prisioneros ocurre al otro extremo de este dibujo. Allí un soldado conduce a dos prisioneros con una soga que les amarra las manos; ellos tienen igualmente tocados de plumas y llevan loros o aves tropicales en sus hombros. El primer problema es que falta el resto de la escena canónica: no aparece el Inka sentado ante quien debieran ser llevados los prisioneros.

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Fig. 11 – Modo narrativo « simple » (enfrentamiento inkas-antis) intervenido por la inclusión de otros fragmentos narrativos: « inka y coya bajo arcoíris » y una escena ritual con mujeres tocando tambores, ubicada sobre el arcoíris. Quero 7521, Museo de América, Madrid [Dibujo Clara Yáñez, Proyecto FONDECYT 1090110, a partir del dibujo de Amparo Moltí, Museo de América, Madrid].

45 En cambio, se representó un fragmento del tema del arcoíris que conceptualmente formaba parte de otro relato. En las narrativas de las luchas contra los antis no aparecen los arcoíris e igualmente a la inversa. Además, sobre uno de los costados superiores del mismo arcoíris se ve a un grupo de tres mujeres de las cuales dos están tocando lo que parecer ser un tambor grande o un bombo que tal vez corresponda a los grandes tambores o wankar 67, típicos de rituales de cantos de memoria inkaica. Definitivamente, la música, ya fuera ritual o correspondiente a alguna de las teatralizaciones de memoria que se hacían en la sociedad inkaica, no aparece en las narrativas visuales del ciclo de los enfrentamientos con los antis, y ya señalamos el enorme rigor y regularidad que tenían esas representaciones. Si bien en algunas pocas ocasiones aparece una mujer acompañando al personaje femenino principal bajo los arcoíris, no hemos visto hasta aquí el caso en que un grupo de mujeres esté tocando un tambor, ya sea dentro o a un costado de esos arcoíris. De modo que debemos concluir que se trata de fragmentos de una tercera narrativa, incluidos o incrustados aquí. Sin embargo, en los modos narrativos escritos, no hemos encontrado, hasta ahora, un equivalente de esta forma de organizar un relato.

Los micro-relatos

46 Se trata de la última de las variantes del modo narrativo « complejo » que hemos podido identificar. En los queros, este modo narrativo es muy claro (lo encontramos en 80 ejemplares de nuestra muestra). Presenta en una imagen muy condensada un conjunto de ocurrencias significativas que remiten a una escena de mayor desarrollo, básicamente del modo narrativo « simple ». Es lo que se puede apreciar, por ejemplo, en un vaso del Museo de América (Figura 12) 68, que muestra una pequeña escena en la cual un soldado cuzqueño aparece tomando por la cabellera a un enemigo, vestido con un traje diferente al cuzqueño (sobre todo destaca su tocado), que lleva un ala en su espalda al parecer atada con unas correas que le cruzan el pecho. A la espalda del combatiente cuzqueño, un ave lleva en su pico una bolsa y una honda. Esta imagen ha sido estudiada por Ramos (2002) quien la postula como parte del ciclo mítico de la defensa del Cuzco contra la invasión de los chankas, tema al que ya nos hemos referido.

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Fig. 12 – Se observa un guerrero cuzqueño sujetando por el cabello a otro combatiente, que, vestido con un traje distinto al cuzqueño, lleva unas alas en su espalda, amarradas con una doble banda sobre su pecho. Vaso 7564, Museo de América, Madrid [Dibujo Clara Yáñez, Proyecto FONDECYT 1090110, a partir del dibujo de Amparo Moltí, Museo de América, Madrid].

47 Si se compara este breve relato visual con el desarrollado en el quero de la Figura 13, es evidente que el primero (Figura 12) es una síntesis o micro-relato que resume lo expresado más latamente en el segundo quero (Figura 13); ambos tratan el mismo tema, pero mientras uno lo hace tomando sólo un elemento del relato, el otro muestra una escena desarrollada en modo « simple » en la cual aparecen otros personajes que completan la narración. El de la guerra entre inkas y chankas es también un tema claramente normativizado. Aunque se conocen pocos queros que lo representen 69, todos ellos comparten la presentación de dos o tres conjuntos de combatientes vestidos de maneras diferentes, en los cuales un grupo está representado ya sea por aves antropomorfizadas o por guerreros que llevan alas en sus espaldas. En tres de los seis queros aparece, además, una mujer decapitando a un enemigo. Este personaje ha sido identificado como la ñusta Chañan Curi Coca, que aparece nombrada en la crónica de Pachacuti Yamqui Salcamaygua (1993 [1613?], f. 19v) y está pintada en un gran cuadro colonial 70. Otro de los personajes frecuentes de este tema es un ave antropomorfizada, vestida generalmente de los colores de los trajes de los chankas. Se trata de aves que combaten ya sea a pie o volando y llevando en su pico hondas o bolsas con piedras para esa arma.

Fig. 13 – Escena del enfrentamiento entre inkas y chankas. Obsérvese que los personajes en el recuadro son los mismos que aparecen en el vaso de la Figura 12 [Dibujo Clara Yáñez, Proyecto FONDECYT 1090110, en base a Ramos 2002, figura 1].

48 En el caso del ejemplo que presentamos aquí (Figura 13), al centro de la escena se encuentra la misma composición visual de un enfrentamiento entre un soldado cuzqueño y un enemigo semi-caído. En los dos casos (Figuras 12 y 13) hay un soldado

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cuzqueño que sostiene por la cabellera a su contrincante; en ambos, los combatientes no cuzqueños llevan un atuendo que incluye un par de alas a la espalda.

49 Una posible interpretación de esto es que el micro-relato mostrado en el quero de la Figura 12 formaba parte de una secuencia mayor que aparentemente podía ser relatada tanto de manera extensiva como reducida, logrando la misma comprensión de parte de quienes miraban esos vasos. La imagen reducida alcanzaría la misma eficacia simbólica que el relato extenso. ¿Estamos en presencia de un modelo de pensamiento, que permitía articular lo extenso y lo reducido, en una codificación visual fácilmente reconocible? ¿Es ésta una relación de tipo metonímico, en la que un breve fragmento o imagen permite enunciar la totalidad, o se trata de otro tipo de relación narrativa significativa?

50 Aquí nos parece necesario realizar una breve digresión, puesto que nuestra línea de búsqueda puede estar cruzada por una variable que no es tan evidente en los otros modos narrativos. Nos referimos a que es posible que este modo pueda ser atribuible a una tradición específica, distinta de la cuzqueña, con la cual guarda relaciones sin embargo. De los 80 ejemplares que hemos estudiado con este tipo de composición narrativa visual, 44 (55%) están en museos de o provienen, según los escasos registros existentes, de algunas localidades ubicadas en ese mismo país 71 y es factible pensar que los restantes tengan un área de origen similar. ¿Es posible que ellos formen un conjunto con características propias, más allá de las narrativas? Esta concentración espacial principalmente en comunidades de la cuenca sur-oriental del lago Titikaka sugiere la posibilidad de que pudiéramos estar frente a formas locales de construcción de narrativas visuales diferentes a las que hemos revisado anteriormente (y que denominamos – por ahora – como « tradición cuzqueña » por ser esa el área más frecuentemente postulada como el origen de esos queros) 72. Una de las características más notables de este conjunto lacustre es la alta frecuencia que tiene la representación de las escenas en el tipo de « micro-relatos » o de presentaciones « abreviadas » de temas que, en los queros de la « tradición cuzqueña », aparecen desarrollados in extenso 73. Es necesario considerar por lo tanto la eventualidad de que el vaso de la Figura 12 corresponda a esa forma distinta de construcción de narrativas visuales. Se trata, efectivamente, de una manera diferente de construcción de un relato visual, porque los queros de este otro conjunto presentan además una misma estructura formal de organización de la decoración de sus superficies, en la que se combina, en el campo superior, un espacio en el que está la escena y otro en el que se incluyen figuras zoomorfas o fitomorfas y otras geométricas (Figura 14) 74, mientras, en el campo inferior, en todos los casos, se representan dos flores alargadas en dirección izquierda- derecha, identificadas como maywa (Stenomessum incarnatum) según Liebscher (1986).

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Fig. 14 – Vaso con « micro-relato » sobre el enfrentamiento entre cuzqueños y chankas (nótese el detalle del ala en la espalda de uno de los guerreros, característico de la forma de representar a los chankas en los queros coloniales). Presenta la estructura formal que organiza la mayoría de este modo narrativo, con el sub-campo lateral de rectángulos y las dos flores de maywa en la parte inferior. Quero R 14, Museo Nacional de Etnografía y Folklore, La Paz [Dibujo Clara Yáñez, Proyecto FONDECYT 1090110].

51 ¿Estamos en presencia de una tradición local – distinta de la colonial cuzqueña – que toma los mismos temas que ésta, pero de una manera propia? Tal como lo señalamos más arriba, la mayoría de los queros que contiene este modo narrativo proviene de comunidades ubicadas en torno al lago Titikaka, por lo cual podríamos sospechar de la existencia de una tradición que llamaremos momentáneamente lacustre. ¿Son una « copia » lacustre de los relatos visuales extensos, posiblemente más apegados a una tradición colonial cuzqueña? En ambos casos, ¿A qué tipo de estructuras narrativas coloniales podría corresponder este tipo, ya sea parte de una tradición cuzqueña o de otra de carácter más lacustre?

52 Este tipo de relatos, reducidos a algunos elementos básicos, que apelan explícitamente a un meta-relato generalmente más extenso, parecen tener una correspondencia con un modo narrativo específico, el de los micro-relatos. Al menos en las prácticas orales andinas contemporáneas, es frecuente encontrar pequeños relatos, a veces incluso una brevísima alusión, sobre un determinado personaje, que remiten a un texto mayor, de común conocimiento de todos los interlocutores, que la mayor parte de las veces permanece no enunciado. En una pequeña localidad del sector alto del río Loa, en Inacaliri 75, Mora refiere una pequeña conversación entre dos de sus anfitriones: – Cerca de Apacheta hay una piedra grande que siempre tiene agua, el Inca clavó su bastón ahí – dice don Damián. – El Inca Atahuallpa es mi amigo, le voy a decir que haga llover, porque dicen que es como un dios – le responde [su interlocutor] (Mora 2010)

53 Sin necesidad de mayor explicación, ambos hablantes se estaban remitiendo a un ciclo narrativo mucho más extenso, el de rey Inka o Inkarri, de importante presencia en la región (Martínez C. 2008a) y uno de cuyos rasgos es, precisamente, la vara – o bastón – de rey Inka, con la cual esta divinidad podía mover cerros o piedras, o conducir el agua desde un lugar a otro. La breve conversación hace alusión a uno de los significantes nucleares del relato mayor, y con ello ya parece funcionar con eficacia significativa para la audiencia de esos habitantes de la localidad de Inacaliri. Es, creemos, precisamente éste el tipo de relación que aparece establecido en este modo de enunciación de micro-relato o de reducción de las unidades significantes a un núcleo básico de significación 76.

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54 Un proceso similar es el que se establece entre una serie de relatos del siglo XVIII, presentes en distintos tipos de soportes (música, pintura y tradición oral y escrita), esta vez en la costa norte peruana, y que aluden a la muerte del Inka Atawallpa sin necesidad de mencionarlo explícitamente. Palmiero (2011, p. 9) aborda esta problemática desde una doble perspectiva: la primera, aquella que relee la historia de la conquista española y la muerte del Inka, y la segunda, como la « persistencia de códigos andinos en la rememoración de ciertos rituales como el llanto ceremonial ». Lo interesante de su propuesta es la posibilidad de que un signo ya no lingüístico, ni visual, sino musical y un gesto ritual, den la clave interpretativa para el discurso enunciado. Así, en los siguientes versos: Cuando la pena en el centro Se encuentra con el sentido Suspiro es aquel sonido Que resulta del encuentro. (tonada El Tupacmaro, Martínez Compañón 1978 [1794], II, f. E 188) En los baños donde estube Luego vine a tu llamada Sintiendo yo tu benida Confuso de tu llegada. (tonada La despedida, ibid., f. E 191)

55 Lo que postula esta autora es que « el contexto musical de las dos tonadas, esto es la escala musical, la armonía y el carácter de la melodía, vendría a ser el mismo. Las dos tonadas podrían inspirarse en el mismo modelo “compositivo”, es decir, como ya se ha dicho, en el mismo tono » (Palmiero 2011, p. 18). Ese tono y el gesto ritual, el del llanto, sin hacer ninguna mención explícita al Inka o a su muerte, construyen la referencia que da significación a la canción 77. Ya nos referimos más arriba a una construcción narrativa semejante en uno de los queros analizados aquí (véase el análisis de la Figura 1), que permitía que determinadas convenciones visuales hicieran reconocible un tema o significante, como el del « encuentro » o « desencuentro », más allá del contexto específico en el que apareciera esa construcción significante.

Conclusiones

56 ¿Cómo funcionaban los relatos andinos? Creemos que nuestra propuesta, que establece la existencia de relaciones estructurales y de pensamiento entre ciertos lenguajes visuales y orales andinos durante el período colonial, nos permite dar un paso hacia esa comprensión. Ambos tipos de relatos compartían similares procesos de construcción, ya sea acudiendo a estructuras poéticas basadas en los paralelismos semánticos, de los que los dobletes o paralelismos duplicados son el caso más claro y numeroso entre los queros, ya sea usando modos narrativos que pueden encontrarse tanto en uno como en el otro tipo de lenguajes. No estamos postulando que todos los sistemas de narración oral pueden encontrarse en las narrativas visuales coloniales de los queros, ni que éstas acudieran exclusivamente a procesos de construcción típicamente orales. Puede haber muchos más casos y complejidades. Lo que señalamos es que, en este conjunto, sí ha sido posible identificar algunos de esos procedimientos.

57 El uso de estructuras narrativas orales en la construcción de los relatos visuales en los queros plantea que estos eran más que la belleza de las escenas que decoraban sus superficies, mostrándonos que tenían igualmente una importante función

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comunicativa y que, por ello, deben ser entendidos también como textos que funcionaron dentro de la sociedad colonial andina.

58 Lo que queremos apuntar aquí, asimismo, es que se advierten relaciones más profundas, a nivel de estructuras organizadoras del pensamiento y de los meta-relatos, que podían ser expresados indistintamente por intermedio de diferentes sistemas de soportes y de tipos de lenguajes, corporales, táctiles, visuales u orales 78.

59 La relación entre los lenguajes orales y los visuales es más compleja que la que se puede suponer inicialmente. De lo entrevisto aquí no se trataría de que los relatos visuales fueran, simplemente, una reproducción de las narrativas orales andinas, conservando los mismos personajes y sus secuencias. De nuestro análisis se desprende la existencia de un conjunto de alternativas a disposición de los enunciantes, aun para narrar un mismo tema, puesto que podían acudir a tipos simples o complejos. Esto nos lleva a preguntarnos si la intención enunciativa (o el programa semiótico) podría condicionar la selección de los procedimientos narrativos. No se trata, nuevamente, sólo de elecciones estéticas sino de intenciones comunicativas. De hecho, como lo vimos en los queros, algunas de las secuencias fueron ordenadas de una manera diferente si las comparamos con las versiones escritas que nos han llegado a través de los textos andinos o de las crónicas (Martínez et al. 2009).

60 Señalado lo anterior, nos parece altamente probable que algunas de las escenas grabadas en los queros formaran parte de tradiciones orales que podían circular a través de diferentes soportes. Esto es particularmente claro en el caso de las escenas que formaban parte de los ciclos narrativos propios a la historia del estado cuzqueño y que hemos explorado también en otros trabajos (Martínez C. 2008b, 2010; Ramos Gómez 2006, 2008). Esto no es contradictorio, sin embargo, con el plano metafórico en que esos mismos relatos pueden haber sido usados para construir nuevas connotaciones, tal como lo ha planteado Cummins (2004).

61 Las relaciones entre oralidades y textos escritos por andinos, por una parte, y lenguajes visuales en los queros, por la otra, tienen importantes consecuencias en lo que respecta a los estudios sobre las sociedades andinas coloniales. Abren el corpus de fuentes conocidas hasta ahora, puesto que nos entregan la posibilidad de estudiar los queros como un corpus alternativo de textos, portadores de voces andinas que funcionaron dentro del sistema colonial, aparentemente al margen de muchas de las restricciones y controles impuestos sobre lo que esas sociedades podían pensar y decir. Al menos, esos vasos no siempre fueron objeto de los mismos controles que los impuestos sobre la escritura alfabética. La posibilidad de comparar los lenguajes visuales y los orales que han quedado en los textos escritos alfabéticamente tiene también importantes consecuencias, dado que permite contrastar los tipos de enunciación orales con un tipo de fuentes independientes y alternativas; resituando, además, el peso casi exclusivo otorgado a la oralidad para el conocimiento de las sociedades andinas.

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NOTAS

1. Véase Itier (1992), Husson (1985, 2002), Taylor (2003), Durston (2007) y Salomon (1994) entre otros. 2. Si bien el alfabeto oficial peruano no admite las vocales /e/ y /o/ (deberíamos escribir qiru, entonces), parte de la bibliografía especializada se refiere a estos objetos como qero. Si nos atenemos a la grafía más común para referirnos al ayllu q’ero, debiéramos emplear una consonante glotalizada. En este trabajo emplearemos la ortografía española (quero) para evitar así los debates y problemas existentes en torno al alfabeto fonológico quechua, sobre todo en la discusión respecto del pentavocalismo versus trivocalismo y de las consonantes glotalizadas o aspiradas, ambos aspectos presentes en las posibles grafías q’ero/qero, y qero/qiru. 3. Para este trabajo estudiamos un universo de 553 queros, de los cuales 367 son del período colonial y su producción abarca desde mediados del siglo XVI hasta inicios del siglo XIX. Pudimos estudiar directamente 504 ejemplares, depositados en diez museos. La lista completa se encuentra más arriba. Los restantes 186 queros son prehispánicos. No los incluimos en este estudio ya que recién hemos iniciado su análisis. 4. El primero de ellos fue el virrey Francisco de Toledo, quien llevó varios queros a Carlos V, además de otros para su colección privada (Julien 1999). También se pueden mencionar al obispo Martínez Compañón y al virrey Amat, ambos en el siglo XVIII (Cabello Carro 1994). 5. Sobre la belleza de los queros y el placer estético que podían provocar, véase el fino análisis de Cummins (2004, p. 255 ss.), con el que coincidimos plenamente. 6. Aunque se conoce al menos un ejemplar producido en el siglo XIX, que representa a un soldado republicano de las guerras por la Independencia, pisando victorioso a un español vencido (Flores Ochoa et al. 1998, p. 271), no existen estudios sistemáticos sobre la producción de queros a partir del siglo XIX. Actualmente se puede identificar una producción campesina, anónima, de vasos rituales de madera, que pueden variar de forma y tamaño, y que no tienen decoración en su superficie; y otra, hecha por artesanos, en la que esos objetos pueden incluso estar firmados, y que reproduce de manera libre la tradición colonial, estando más orientada a la comercialización

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que al uso ritual (véanse, por ejemplo, algunos ejemplares existentes en el Museo Inka, de la ciudad del Cuzco, y en las colecciones del National Museum of the American Indian, en Washington). Hay registros documentales y etnográficos que señalan que en algunas comunidades andinas aún se continúa utilizando estos vasos, ya sea prehispánicos o coloniales, para diversos rituales comunitarios. 7. Aunque su producción se extendió a lo largo de todo el período colonial, los temas y las modalidades de su representación fueron diferentes, vinculados a los cambios político-sociales vividos por las poblaciones andinas (Martínez C. 2012). Durante el gobierno del virrey Francisco de Toledo (1569-1581), se desarrolló una campaña contra las imágenes andinas, consideradas idolátricas, lo que afectó a los queros que circulaban en esa época y que tenían decoraciones abstractas o de animales e insectos. En los queros posteriores a Toledo se desarrollaron sobre todo las narraciones con escenas del tipo que analizamos aquí. 8. Durante el período prehispánico, la madera más utilizada parece haber sido del árbol conocido como chachacoma (del género Escallonia); durante el período colonial los ejemplares analizados han mostrado una preponderancia de algarrobo (Prosopis), aunque también se encuentran ejemplares hechos con chachacoma (Kaplan et al. 1999). 9. En lo que sigue, la mayoría de nuestros ejemplos de queros provienen de esta « tradición cuzqueña ». Más adelante explicitaremos cuando incorporamos otros queros diferentes a este centro de producción y circulación colonial. 10. En una ponencia presentada en el 54o Congreso Internacional de Americanistas (Viena 2012), Ana María Presta estudió testamentos indígenas de la ciudad de La Plata, hoy Sucre, apuntando que muchos indígenas aparecían en posesión de estos vasos coloniales, lo que refuerza el dato proporcionado por Vázquez de Espinoza. 11. Ante la dificultad de obtener fechados absolutos para cada ejemplar, las cronologías propuestas por distintos autores han sido elaboradas básicamente por la identificación de diferencias de estilos (« formal » o « libre » en el caso de Rowe 1961), por asociación corológica (una práctica arqueológica que busca similitudes con motivos que sí pueden ser fechados, como una determinada moda, por ejemplo) o temática (la ya referida al tema de la Independencia, u otra). Recientemente, gracias a un trabajo de análisis de los tipos de pigmentos usados en la decoración de los queros, en especial los distintos pigmentos blancos, se ha podido proponer una cronología más ajustada (Howe et al. 2013). En el caso del quero que presentamos aquí, su datación más probable es del siglo XVII. 12. La composición visual de los guerreros cuzqueños es bastante canónica y distintiva; aparece tanto en los queros como en muchas de las láminas de Guaman Poma y en algunos cuadros cuzqueños de los siglos XVII y XVIII. El traje de esos personajes está compuesto básicamente por una camisa larga, o unku (que puede incluso tener una decoración en la cintura o en el borde inferior) y por el casco, o chucu, de forma semicircular y que tiene a veces plumas en su parte superior. Las armas de esos soldados son un escudo, o pullqana, y una lanza (chuqui o chuquichambi) o una honda (waraq’a) para arrojar piedras. 13. Las convenciones visuales de la época, presentes también en las láminas de Guaman Poma, sitúan al espectador como si éste estuviese dentro del cuadro y no enfrentado a él (Cereceda 1987, p. 150), de modo que la lectura de las posiciones representadas debe hacerse desde ese punto de observación, en un orden espejado. De esta manera, la derecha del espectador corresponde a la izquierda de la escena y viceversa. 14. A espaldas del primero hay un árbol frondoso que no hemos podido identificar y, entre ambos, hay una palmera o chonta de la cual se identifica con facilidad una de sus hojas. 15. Sobre el proceso de identificación de las distintas unidades significativas que componen estas escenas véase Martínez et al. (2009). 16. En este caso, se identifica al inka por ser una autoridad que es llevada en andas (wantu o rampa), sobre los hombros de unos sirvientes y por llevar en su frente una pluma de una ave

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conocida como corequenque (o carancho andino), que sólo el Zapan Inka podía llevar. La configuración de la imagen de la autoridad se completa con su presentación como un personaje sentado, atributo específico de las autoridades andinas. 17. La superficie decorada del vaso se completa con una banda estrecha que tiene una serie de objetos lenticulares y un campo inferior, con dos bandas horizontales de ñuqchu (Salvia sp., Salvia biflora, también Fuchsia boliviana). No las incluimos en nuestro análisis porque se apartan del objeto del trabajo que presentamos aquí. En la identificación de las especies de flores, seguimos a Liebscher (1986). 18. Por popular nos referimos a que se trata de uno de los temas más representados o de los que se conocen actualmente más queros. Cummins (1988, p. 34) lo describe como el tercero en número de ejemplares de su muestra. En nuestra muestra, de 367 vasos coloniales considerados para este estudio, pudimos identificarlo en 35 ejemplares (un 9,5%), lo que representa una frecuencia muy alta. 19. En otros queros, este conjunto significante básico, se amplía a monos y aves tropicales; pero continúa recurriendo a un número acotado de significantes visuales. 20. Recordemos que estos conjuntos visuales circularon desde finales del siglo XVI (véase la nota 7), pero su uso se extendió al menos hasta el siglo XVIII. 21. Gisbert 1980, fig. 28. Estas escenas también han sido tratadas como la representación del encuentro entre Incarí y Collarí (personajes que corresponden al Inka y al señor de los collas del altiplano andino en las narraciones coloniales y contemporáneas, Cummins 2004, pp. 335-343), como el encuentro entre dos grupos distintos de cuzqueños (Ziółkowski et al. 2008, figuras 1 y 2), o como parte de una escena de rituales de agricultura y fertilidad (Liebscher 1986, p. 32 ss.). 22. Cummins 2004, p. 335 ss. Para este autor, en una lectura de nuevos posicionamientos de los espacios coloniales, el tema del encuentro entre el Inka y el Hatun Qolla envuelve una situación de tensión y de rivalidad entre ambos grupos. 23. Ziółkowski et al. (2008) han interpretado algunas de estas escenas como parte de los ciclos de enfrentamientos entre inkas. 24. Más adelante retomaremos esta idea, porque una y otra solución no son necesariamente opuestas, sino que, nos parece, pueden estar reflejando dos propuestas distintas pero intrínsecamente vinculadas. 25. « Quirocamayoc » fue el término empleado por el cronista andino Guaman Poma para referirse a los carpinteros o artesanos de la madera. El mismo autor señala, sin embargo y a continuación, que los encargados de la decoración de los queros y mates (otro tipo de vasos) eran denominados « llinpec »: « decorador[es] en lacre » (Guaman Poma 2004 [1616], f. 191 [193]), aludiendo ya sea a la sustancia empleada para rellenar las figuras de los vasos, o al color rojo de ese material. Llimpikuna era, en otro diccionario colonial, el de González Holguín, « Todas las maneras de colores del lacre con que pintan vasos de madera » (1989 [1608], p. 213). Por esto, preferimos el uso de llimpikamayoq (con una traducción aproximada de « los que saben usar el llimpi ») para referirnos a los especialistas en la decoración de los queros. 26. Como hemos señalado, esto corresponde a la izquierda del observador. 27. Martínez S. 2010. 28. Si se sigue el relato de las teatralizaciones hechas por los indígenas en Potosí en 1555, entre ellas estaba la representación de la victoria inkaica sobre los chankas (Arzáns de Orsúa y Vela 1965 [1735], libro IV, cap. I, p. 95 ss.). 29. Probablemente en este sentido sea sugerente tener en mente el concepto de meta-relato. Según nuestro modo de entender, la diferencia entre una macrosemiótica y un meta-relato radica en la perspectiva de análisis. Mientras la primera apunta a la multiplicidad de soportes y sus mecanismos inherentes de referencia y de significación, el segundo, a partir de la propuesta de Cereceda (1993, p. 229), establece que « distintos textos remiten los unos a los otros y que esas

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conexiones constituyen a su vez un texto aparte, un nuevo mito no narrado, pero presente en el espíritu de aquellos que dominan el conjunto de estos relatos » [traducción de los autores]. 30. De acuerdo a su temática (uno de los ciclos de memoria colonial sobre el pasado inkaico) y por el estilo « libre » (sensu Rowe 1961), este quero de autor anónimo puede ser fechado como del siglo XVII o inicios del XVIII. 31. El baile de la soga se ha ilustrado también en una pintura colonial que representa el funeral de Huáscar (véase Gisbert 1980). 32. El artículo que citamos, « El juego de los ayllus y del amaru » [1967], fue reeditado en 1989 junto a otros trabajos del autor. 33. Husson (2002, p. 392) se refiere a esta característica como la principal que nos permite dilucidar la estructura del género poético y que se identifica como « una misma estructura sintáctica, de modo que a cada vocablo de la una corresponde un vocablo homólogo en la otra. En segundo lugar, considerando los términos homólogos que difieren – los hay que son idénticos –, diremos que forman un doblete. Ahora bien, además de pertenecer a la misma categoría gramatical – consecuencia de la identidad de estructura sintáctica –, los elementos constitutivos de un doblete siempre presentan cierta afinidad a nivel semántico ». 34. Cursivas y negritas de los autores, para marcar ambas variantes. El texto original está en quechua y no tiene la estructura versificada que aquí ponemos para mayor claridad de la lectura. La traducción del original quechua de Guaman Poma es la de G. Urioste publicada en la edición citada. 35. Cummins lo describió como el segundo conjunto más importante por su representatividad en la muestra que el usó para su investigación en 1988 (Cummins 1988, p. 32). Se trata de un motivo importante, también, porque al parecer empezó a representarse a partir de la segunda mitad del siglo XVI y siguió haciéndose, con pocas variantes, probablemente hasta avanzado el siglo XVIII (Martínez C. 2012). 36. 20 casos de un total de 55 queros que tienen este motivo en nuestra muestra. 37. 18 casos del total de 55 ya mencionado. 38. En estos casos, la representatividad es de tres ejemplares para cada uno de ellos. Hay otras posibilidades, pero todas con muy baja representatividad, generalmente de un único caso: mujer/ amaru, hombre cazador/amaru, mujer/ escudo, sirena/sirena. 39. Hasta el momento hemos podido identificar 29 ejemplares de queros en los que ocurre esta forma de enunciación, un 52,7% del conjunto. 40. Por su estilo « formal » o rígido, con figuras en posición frontal (Rowe 1961) y por la técnica de ejecución, este quero puede haber sido confeccionado a finales del siglo XVI. 41. Por su técnica mixta, de figuras incisas-grabadas (los cuadrados concéntricos del campo intermedio) y de inciso areal relleno con pigmentos de colores, este vaso parece ser de la segunda mitad del siglo XVI, posiblemente anterior al arribo del virrey Francisco de Toledo a los Andes, o contemporáneo a ese período. 42. Se trata de un largo trozo de tela que envuelve, tubularmente, el cuerpo de una mujer y es sostenido por dos largos alfileres en la parte superior. 43. En la identificación de las especies de flores, seguimos a Liebscher (1986). 44. El nombre de amaru sirve para nombrar varias manifestaciones de las grandes serpientes en los Andes, ya se trate de aquellas de gran tamaño que habitaban en los espacios selváticos y que eran reconocidas como divinidades por los habitantes del Antisuyu o porción oriental del Tawantinsuyu (Guaman Poma 1615, f. 269 [271]) o de una serpiente mítica, a veces de gran tamaño o monstruosidad, que podía provocar una enorme destrucción. En algunas fuentes coloniales aparece como un animal alado y con patas (Pachacuti Yamqui Salcamaygua 1993 [1613?], f. 21v) de ahí la identificación que se hace de ella para el caso del quero Mo 10395.

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45. A mayor abundamiento, eran algunos de esos gobernantes los que portaban su nombre, como el hijo de Inka Ruqa, Uturunqu Achachi Amaru Inka que fue uno de los conquistadores de las tierras de los antis (Guaman Poma 1615, f. 154 [156]). 46. Véase el análisis hecho por Curatola y de la Puente (2013). 47. Agradecemos a Alan Durston habernos llamado la atención al respecto. 48. Recordemos que para este trabajo analizamos una muestra de 553 queros, de los cuales 367 son coloniales. En 271 de esos queros coloniales (73,8%) se puede identificar una narración; el resto, 96 (26,1%), presenta figuras aisladas o en series en las que no es posible identificar – hasta ahora – una narrativa específica. 49. La versificación es de Fossa (2005, p. 41). Es necesario aclarar que el texto que versifica Fossa no es exactamente el del original de Betanzos. Nosotros hemos respetado el original. 50. Este modo narrativo está presente en 77 de los 271 queros en los que hemos identificado narrativas coloniales. 51. La datación probable de este quero es de la primera mitad del siglo XVIII. 52. Conocemos al menos 8 ejemplares con esta estructura narrativa, véase, por ejemplo, la pieza VA 38404 del Museum für Völkerkunde de Berlín, en Wichrowska y Ziółkowski 2000. 53. Agradecemos nuevamente a Alan Durston habernos llamado la atención en este punto. 54. En este caso, se trata de una copa que posee las mismas características técnicas y decorativas que los otros queros presentados en este trabajo, y de acuerdo a Flores Ochoa et al. (1998) correspondería a formas que son tardías, del siglo XVIII. 55. Taylor 1987, cap. I: 15, p. 49; cap. XV: 1, p. 253. Cursivas de los autores. Para mayor claridad de los lectores no familiarizados con este tema, la respuesta de los redactores andinos del texto de Huarochirí, equivale a que un cristiano de la época señalara no saber si el Apocalipsis era antes o después del Génesis. O no poder indicar si los europeos estaban antes o después que los andinos, ya que cada una de las divinidades andinas mencionadas en la cita representaba una humanidad distinta. Tal como lo han señalado Bouysse-Cassagne y Harris (1987), los tiempos andinos – pasado y presente – son coexistentes y coetáneos, y no excluyentes y sucesivos como ocurre en el pensamiento cristiano europeo de la época. 56. Para una discusión más detallada de la coexistencia de pacha o tiempos/espacios en el pensamiento andino (de pasado y presente, en nuestros términos), véase Bouysse-Cassagne y Harris 1987. 57. « Los hombres de la edad Wari Wira Qucha », « los hombres Wari Runa », « gente de la edad del Purun », respectivamente, en la traducción de Rolena Adorno que acompaña a esa edición digital. 58. Sobre construcciones narrativas europeas durante el período colonial, en las cuales se entrelazan o entrecruzan diversas temporalidades y temáticas, véase el análisis hecho en Martínez C. 2011. 59. Véase Sarmiento de Gamboa (2001 [1572], caps. XXVII ss.), Cabello Valboa (1951 [1586], caps. XIV y XV) o Cieza de León (1986 [1550], caps. XLIV-XLVII, pp. 129-139), Garcilaso de la Vega (1991 [1609], libro IV, caps. XV, XXI-XXIV y libro V, caps. XVII-XXIV, XXVI, tomo I, pp. 228-231, 242-249, 289-310, 314-315). 60. Como ya señalamos, se trata de 35 ejemplares. Este episodio ha sido denominado « motivo batalla » por Cummins (1988, p. 34). Liebscher (1986) y Flores Ochoa et al. (1998) no establecen un motivo específico para el enfrentamiento entre cuzqueños y antis o chunchus, limitándose a incluir en los « enfrentamientos » o « motivos bélicos » todas las escenas de este tipo. 61. Descrito también como « motivo presentación » por Cummins. Para un análisis de un posible significado de estas escenas y tema, véase Cummins (2004, p. 354 ss.). 62. Tenemos identificados dos ejemplares en los que ambos episodios aparecen en un mismo vaso: la pieza Mo 0075 del Museo Nacional de Arqueología, Antropología e Historia del Perú (Lima) y Posnansky (1945, lámina XLIVc).

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63. Para el episodio del enfrentamiento o « batallas », conocemos 19 ejemplares y para el denominado « presentación de prisioneros », tenemos registrados 10 vasos. 64. Por el tallado en relieve de un felino, el quero de la Figura 9 parece ser de elaboración más temprana (siglo XVII) que el de la Figura 10, más propio del estilo decorativo y de algunas técnicas usadas en el siglo XVIII. 65. Hemos identificado, hasta ahora, tres ejemplares con estas características. Se trata de los queros 7521, 7527 y 7572, todos del Museo de América (Madrid). 66. Por sus características formales, con una banda central en relieve, y estilísticas (obsérvese el movimiento de algunos de los personajes), este ejemplar podría ser de finales del siglo XVII o de la primera mitad del siglo XVIII. 67. En el diccionario quechua de González Holguín aparece la siguiente voz: « Huancarhuayñu: mujer muy uamborilera [tamborilera] amiga de tocar » (1989 [1608], primera parte). 68. Su forma, ya alejada de aquella más clásica y conocida, la troncocónica, permite ubicar esta pieza como perteneciente al siglo XVIII. 69. Ramos (2002) publica cuatro ejemplares y Flores Ochoa et al. (1998) agregan uno adicional, proveniente del Museo Nacional de Arqueología de Bolivia. En el Museo de Etnografía de Bolivia, pudimos identificar otro ejemplar con el mismo tema (Musef R 14), precisamente en una versión reducida de la misma narración (Figura 14). 70. Véanse los trabajos de Ramos Gómez (2001, 2002) y Martínez C. (2011). 71. Los 18 queros del Museum für Völkerkunde de Berlín provienen principalmente de las localidades Escoma, Carabuco y Sampaya, todas en el borde oriental del lago Titikaka, en tanto que varios de los 10 existentes en el Museo de Metales Preciosos de La Paz, tienen registro de procedencia de Tiwanaku. De los 12 que se guardan en el Museo Nacional de Arqueología de Bolivia, sólo algunos tienen registro de procedencia, y figuran como parte de la colección Posnansky, quien trabajó fundamentalmente en el borde oriental del lago Titikaka, también en el actual lado boliviano. En los museos peruanos la presencia de este tipo de queros es más bien escasa, no pasando de tres o cuatro ejemplares por museo. Algo similar ocurre con algunos museos de Estados Unidos, que igualmente poseen pocos ejemplares de este tipo (National Museum of the American Indian, American Museum of Natural History y Brooklyn Museum of Art). 72. Flores Ochoa et al. (1997) ya postularon la existencia de un conjunto de vasos que podrían ser parte de tradiciones coloniales aymaras, en las que predominarían escenas lacustres, con sirenas, peces y representaciones del mismo lago Titikaka, por lo que no es una novedad plantear aquí su existencia. La tradición postulada por esos autores, sin embargo, es de orden temática. Para ellos, habría un determinado conjunto de temas más o menos propios del mundo aymara lacustre. 73. Decimos alta frecuencia porque entre los queros provenientes de localidades como Zampaya o Coatí (ambas en Bolivia), también pueden encontrarse queros con otros tipos de representaciones (véase el quero VA 11808 del Museum für Völkerkunde, de Berlín). 74. Ziółkowski (2000, p. 126) identifica algunos de ellos como similares a algunos de los tocapus (o t’uqapu) identificados por Victoria de la Jara, aunque de una factura técnica y composicional de menor calidad que los cuzqueños. De la Jara postuló que esos tocapus (signos visuales, abstractos, de forma generalmente cuadrada) constituían una forma de escritura inka. 75. Ubicada en el norte de Chile, en la actual II Región de Antofagasta. 76. No postulamos, con esto, que esa sea una manera culturalmente singular de narrar, propia únicamente a las culturas andinas. Es bastante frecuente encontrar ese tipo de referencias a relatos mayores también en ciclos narrativos de culturas como la europea medieval u otras. 77. Tal como señaló correctamente uno de los evaluadores de este artículo, este ejemplo ilustra muy claramente que el tipo de relación entre los modos expresivos va más allá de la redundancia (aunque traten de meta-relatos comunes).

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78. En un reciente trabajo, Fossa (2011) ha planteado la existencia de relaciones similares entre los quipus y las oralidades andinas. Y Cummins planteó la existencia de un tipo de relaciones sintácticas entre los queros y los textiles cuzqueños prehispánicos (2007, p. 276).

RESÚMENES

Durante el período colonial (siglos XVI-XVIII), continuaron circulando diversos textos, tanto visuales como orales, producidos o registrados por los pobladores andinos. Entre ellos destacan los queros o vasos de madera usados para beber chicha en contextos rituales y de reciprocidad, y los fragmentos de textos orales recogidos en obras como la de Huarochirí o aquellas de Guaman Poma de Ayala y Pachacuti Yamqui. En este trabajo se propone que existía una estrecha relación semiótica entre, por una parte, las narraciones orales y escritas y, por otra parte, aquellas que se pueden identificar en las escenas que decoraban los queros coloniales. La propuesta permite avanzar en el proceso de comprensión respecto del funcionamiento de los lenguajes visuales y orales andinos de aquel tiempo, ampliando el corpus de fuentes que pueden ser usadas para lograr un mejor conocimiento de las voces andinas de ese período.

Pendant la période coloniale (XVIe-XVIIIe siècles), quelques textes aussi bien graphiques qu’oraux émanant des populations andines ont continué à circuler. C’est particulièrement le cas des queros, gobelets en bois utilisés pour boire de la chicha lors des rituels de réciprocité, et des fragments de textes oraux recueillis dans des ouvrages tels que le récit de Huarochirí ou les chroniques de Guaman Poma de Ayala et Pachacuti Yamqui. On propose ici l’existence d’une étroite liaison sémiotique entre, d’une part, les textes oraux et écrits et, d’autre part, ce qui peut être identifié dans les scènes peintes sur les queros coloniaux. Tout en amplifiant le corpus de sources mobilisables sur cette époque, on parvient ainsi à une meilleure compréhension du fonctionnement des langages andins de la période coloniale.

During the colonial period (16th-18th centuries), various visual and oral texts, produced or registered by Andean people, continued to circulate. Among them, stand out the queros or wooden cups used for drinking chicha in ritual contexts of reciprocity, and the fragments of oral texts collected in works like that of Huarochirí or those of Guaman Poma de Ayala and Pachacuti Yamqui. This paper argues that there was a close connection between the semiotics of oral and written narratives and those that can be identified in the scenes that decorated the colonial queros. This provides a better understanding of the visual and oral Andean language of that period, expanding the corpus of sources that can be used to achieve a better knowledge of the Andean voices of that period.

ÍNDICE

Palabras claves: Andes, queros coloniales, oralidades, narraciones, Colonia, etnohistoria Keywords: Andes, colonial queros, oral discourses, narrations, Colonial times, etnohistory Mots-clés: Andes, queros coloniaux, récits oraux, narrations, période coloniale, ethnohistoire

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AUTORES

JOSÉ LUIS MARTÍNEZ C.

Universidad de Chile, Facultad de Filosofía y Humanidades, Centro de Estudios Culturales Latinoamericanos [[email protected]]

PAULA MARTÍNEZ S.

Universidad Autónoma de Chile [[email protected]]

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Les funérailles charognardes. Homicide, cannibalisme et sacrifice humain pour les Yurakaré (Amazonie bolivienne) Los funerales carroñeros. Homicidio, canibalismo y sacrificio para los yurakaré (Amazonía boliviana) Vulture funerals. Homicide, cannibalism and sacrifice for the Yurakaré (Bolivian Amazonia)

Vincent Hirtzel

NOTE DE L’ÉDITEUR

Manuscrit reçu en octobre 2013, accepté pour publication en décembre 2013.

Le récit de la visite au ciel des guerriers morts a été recueilli sur le haut Sécure auprès de M. Aniceto Herbi. Je le remercie sincèrement de l’avoir partagé avec moi lors d’un de mes séjours dans sa communauté entre 1999 et 2001. La traduction juxtalinéaire de la version yurakaré a été réalisée avec l’aide avisée de M. Jeremías Ballivián. Cet article n’aurait pas pu être écrit sans le concours de MM. Felix Herbi, Adrian José†, Calixto García, Asencio Rocha, Arico Villche, Máximo Flores, Francisco Blanco et Mme Alina Flores. Je suis le seul responsable des interprétations réalisées sur la base des informations qu’ils ont fournies. Une partie des données de terrain exploitées dans cet article ont été collectées durant le projet de documentation DoBeS Yurakaré (2006-2011) par mes collègues linguistes Rik van Gijn et Sonja Gipper auxquels j’adresse également mes remerciements. Cet article est, par ailleurs, redevable aux intenses discussions sur les sources ethnohistoriques régionales réalisées entre 2009 et 2011 dans le cadre du projet PICS (CNRS/British Council) « Les gens du milieu : étude des relations entre Andes et Amazonie sur le piémont andin et de leurs transformations contemporaines », coordonné par Tristan Platt et Isabelle Daillant. Je remercie plus spécialement Isabelle Daillant, Philippe Erikson, Klaus

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Hamberger, Tristan Platt et Pablo Cruz ainsi que les deux lecteurs anonymes du JSA pour les commentaires et suggestions enrichissantes dont ils m’ont fait part sur des versions antérieures de ce texte.

1 Parmi les quelques récits que les Yurakaré, population du piémont andin bolivien 1, ont hérités de l’époque, maintenant lointaine, où ils pratiquaient la guerre, l’un d’eux attire particulièrement l’attention : il raconte comment, lorsqu’ils étaient tués au combat, les guerriers yurakaré voyaient leur âme monter au ciel où elle obtenait pour nouveau corps celui d’un sarcoramphe roi ou vautour pape (Sarcoramphus papa). Avant de s’agréger définitivement à cette gent ailée, les défunts réincarnés revenaient sur terre pour se séparer de leur ex-corps devenu cadavre et procédaient à leur auto- inhumation. Cette ultime étape du rite de passage qu’ils accomplissaient n’avait cependant pas la solennité d’une mise au tombeau. Pour les vivants, en effet, les victimes de guerre réincarnées ne s’enterraient pas, mais mangeaient leur corps devenu charogne.

2 Cette scène frappante, où inhumation et cannibalisme autophage interfèrent, déploie des thèmes dont on reconnaîtra qu’ils sont communs dans les basses terres d’Amérique du Sud 2. La convocation d’une espèce d’oiseau pour attribuer un prolongement existentiel à l’âme d’un mort actualise ce corollaire des « ontologies animistes » selon lequel les animaux, dotés eux-mêmes d’une subjectivité équivalente à celle des humains, sont disponibles pour prêter un corps et une « famille » de substitution à une âme de mort (Descola 2005, Fausto 2007). L’introduction du thème cannibale renvoie à ce leitmotiv amazonien de l’incorporation où la fonction alimentaire est mobilisée pour effectuer des « commutations de perspective » (on peut, suivant les cas, s’identifier à ceux que l’on mange autant qu’à ceux qui nous mangent) dont Viveiros de Castro a développé la théorie en s’appuyant notamment sur son ethnographie araweté, où les âmes des morts sont l’objet d’un repas cannibale qui prélude à leur transformation en divinités (1992, 1996, 2009). Pourtant, si la métamorphose animale et le cannibalisme sont des topiques bien connus dans les terres basses de l’Amérique, leur combinaison dans la scène que rapportent les Yurakaré suscite une impression d’étrangeté qu’un examen plus détaillé confirme.

3 S’il existe de nombreuses situations qui conduisent, dans les groupes amazoniens, à ce qu’un humain puisse acquérir, post mortem, une identité animale et (re)vivre en son sein, la métamorphose sarcoramphe ne correspond pas aux processus de transformation les plus communs (cf. Fausto 2007) 3. Il est fréquent que le devenir animal puisse affecter les chamanes qui, suite à leur décès, poursuivent leur existence auprès de leurs compagnons spirituels ; c’est aussi le cas des humains dont la mort est causée par des actes de (contre-)prédation chamanique réalisés par des animaux eux- mêmes, gibier des humains, qui, à travers la maladie, tuent et consomment le corps de ceux qui les chassent d’ordinaire avant d’accueillir leur âme et d’en faire des parents. La métamorphose en sarcoramphe est d’un autre type : sans rapport avec le chamanisme stricto sensu, elle implique une espèce d’oiseau non comestible qui n’est pas la cause du décès. Quant au cannibalisme que pratique le défunt afin d’être agrégé parmi ses nouveaux « parents », il est encore plus désappointant : non seulement il n’est pas réalisé (métaphoriquement) par ses tueurs qu’en bonne logique prédatrice le mort aurait dû rejoindre, mais il n’est perçu comme tel que par les vivants puisque le trépassé prétend simplement « s’enterrer ». Dans un tel contexte, le cannibalisme, plutôt que de servir de médiation entre soi et autrui, est happé dans une relation

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circulaire ou autoréférentielle qui transforme drastiquement les attendus d’un cannibalisme prédateur ordinairement conçu comme le support d’une identification à autrui. Jugé à l’aune de ces paradoxes, le récit yurakaré acquiert un autre statut. Comment analyser les « torsions » imposées au cannibalisme amazonien « standard » qu’il actualise ?

4 En décryptant par étapes les enjeux de cette visite au ciel des guerriers morts au combat et en s’appuyant, chemin faisant, sur leur ethnographie, le comparatisme régional et l’ethnohistoire, cet article entend montrer que la palingénésie sarcoramphe, dont on verra qu’elle s’étend plus généralement à d’autres victimes de mort violente ainsi qu’à certains assassins, est une métamorphose qui fait sens au vu de l’intensité des rapports que les Yurakaré entretinrent avec certains de leurs voisins des hautes terres à l’époque préhispanique et constitue la trace persistante des problèmes que leur posaient ceux-ci en tant qu’ennemis. Cette étude vise à montrer, d’une part, que ce destin hors du commun s’inscrit lui-même dans une constellation de représentations autocannibales récurrentes sur le piémont andin péruano-bolivien – un sujet qui a peu retenu l’attention des chercheurs, mais sur lequel Renard-Casevitz (1991) a apporté une contribution essentielle – ; d’autre part, elle entend dévoiler les raisons historiques qui permettent de l’expliquer. Le sarcoramphe est en effet plus qu’un oiseau charognard : il réfracte la figure d’un souverain exécuteur andin dont l’ultime manifestation, peut-être la plus éminente, fut l’Inca, un souverain capable d’immoler (ou de faire immoler) des captifs dans un contexte où la guerre impériale, l’intimidation des populations frontalières et la répression des rebelles aux marges de l’empire avaient partie liée avec des pratiques sacrificielles.

5 La démarche archéologique développée dans ce texte vise à cerner l’horizon historique dans lequel a pu se cristalliser l’image d’un sarcoramphe « inca ». Cet amalgame, riche de sens, a percolé au cours du temps et a servi de référence pour appréhender la guerre avec les Espagnols, à bien des égards successeurs des Incas pour les populations du piémont. Dans le présent texte, la mémoire vivante de la guerre coloniale et des conflits sécrétés par l’arrivée des Européens aura sa place, mais sera cependant traitée comme un moyen de régresser vers le passé plus lointain où s’est forgée l’analogie entre l’oiseau charognard et le souverain andin. On ne trouvera donc pas ici d’analyse des guerres coloniales yurakaré, thème abordé ailleurs (Hirtzel 2010). Afin d’éviter toute équivoque, il n’est pas inutile de rappeler, avant de débuter l’analyse, que les matériaux ethnographiques utilisés, bien que récemment recueillis sur le terrain, ne reflètent pas les préoccupations eschatologiques les plus ordinaires des Yurakaré. Ce texte n’a donc pas la prétention de situer la métamorphose sarcoramphe dans la diversité et l’hétérogénéité de celles-ci. Il entend, en revanche, redonner à des pièces et des morceaux aujourd’hui relativement disparates, une cohérence qui reste hors de portée de l’ethnographe et de l’anthropologue sans le renfort d’une herméneutique historique articulée à un comparatisme régional sélectif.

Le destin des victimes de guerre

6 Pour les Yurakaré qui en ont une idée, le devenir sarcoramphe, que devaient assumer leurs aïeux victimes de guerre, n’est pas considéré comme un destin plaisant : c’était un destin avorté, regrettable, qu’ils placent aujourd’hui sous le signe de la « malemort ». Si le motif de l’autocannibalisme, qui marque le destin des victimes de façon

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emblématique, est suffisant pour porter un tel jugement, il n’est cependant pas le seul. Considéré par les Yurakaré comme le « chef des vautours » (sünnü mabuyta), le sarcoramphe est le représentant éminent d’une classe d’oiseaux qui, dans son ensemble, ne brille pas par sa réputation 4. En raison de leur régime alimentaire et de leur odeur hautement repoussante (oyyo), tous les charognards présentent un aspect répugnant, qui fait d’eux une sorte d’incarnation de la putréfaction. L’image est si forte que l’on interdit même aux enfants de montrer les vautours du doigt : non pas tant parce que le geste serait impoli, mais parce qu’il risquerait d’être sanctionné par une infection péri-unguéale purulente 5. Le registre du pourri n’est que la manifestation, dans le domaine sensible, de défauts et de vices plus moraux qui rendent les vautours méprisables : on raille leur appétit insatiable et leur manque de contrôle de soi (on en voit la preuve dans leur incapacité ou leur difficulté à s’envoler une fois qu’ils ont fait bombance) et on les tient pour des êtres qui ne parlent « pas droit », ce qui se manifeste aussi bien par leur tendance à bégayer qu’à mentir. Mais, au-delà de ces considérations, si les Yurakaré ont tenu à imaginer que les victimes de guerre pouvaient renaître sous la forme d’un sarcoramphe, ils ne pouvaient que plus aisément s’y résoudre étant donné le rôle qu’ils ont imparti aux charognards en général, dans le domaine de leur eschatologie et du lien étroit qu’ils établissent entre ceux-ci et la consommation de charogne humaine.

7 Pour les Yurakaré de la communauté d’où provient le récit, l’âme du défunt (a shinojshe, « son cœur ») quitte son corps devenu cadavre pour entreprendre un périlleux voyage de plusieurs jours vers le ciel, dans le dessein d’y rejoindre tata Dios, « père Dieu », et les parents précédemment décédés qui s’y trouvent déjà 6. Souffrant en particulier de la soif, l’âme est soumise au cours de ce périple, dont le succès est loin d’être assuré, à l’agression de divers esprits négatifs, jaguars ou crapauds, d’ordinaire désignés, indépendamment de la forme animale à laquelle ils sont ponctuellement associés, comme des shamata « apparitions/fantômes ». Ces esprits qui cherchent à rapter l’âme du mort, en l’effrayant plus qu’ils ne l’attaquent véritablement, ne sont cependant que le premier danger auquel celle-ci est confrontée. Après avoir surmonté la peur des shamata, l’âme atteint la « rivière des vautours » (sünnü samata) qui précède l’arrivée au ciel. Cette rivière draine une eau putride et nécessite d’être traversée rapidement ; les défunts ne peuvent en aucun cas s’y désaltérer, malgré la soif qui les tourmente, car ils seraient voués à devenir des vautours eux-mêmes et verraient leur voyage s’achever prématurément. Les morts doivent être suffisamment forts (c’est-à-dire maîtres d’eux- mêmes) pour poursuivre leur voyage jusqu’à une seconde rivière, la « rivière des morts » proprement dite (tuwishama samata) dont l’eau limpide leur permet enfin de se rafraîchir. En théorie, toutes les âmes ne sont pas en mesure de gagner le ciel et de passer les épreuves d’autocontrôle qui les en séparent, mais les Yurakaré se plaisent à croire que tous ceux qu’ils appréciaient y sont parvenus et qu’ils y parviendront eux- mêmes. Il n’en reste pas moins que cet optimisme ne les exonère pas complètement de la crainte d’aller tenir compagnie aux vautours.

8 Outre le rôle qu’ils occupent dans l’eschatologie, les charognards ont l’apparence qu’on leur connaît aujourd’hui et se sont vus assujettis au régime alimentaire qui est le leur, en raison de l’avidité orale de l’ancêtre mythique qu’on leur prête. Cet avènement définitif de l’identité charognarde est lié à des circonstances qui ne sont pas anodines : il est articulé à la scène retraçant l’émergence sur terre des humains auxquels les Yurakaré rattachent leur propre origine. Le récit du démiurge Tiri raconte en effet que

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des humains du monde du dessous souhaitaient peupler la terre, mais qu’ils en étaient empêchés par un serpent monstrueux qui tuait systématiquement ceux qui sortaient de l’orifice reliant les deux mondes. Le démiurge Tiri, qui vivait sur cette terre et souhaitait connaître le lieu d’où cette nouvelle humanité émergeait, demanda à Vautour de l’y aider. Celui-ci s’envola et, alerté par un fumet auquel son odorat développé était sensible, eut tôt fait de découvrir l’endroit en question. Il ne put toutefois s’empêcher de manger les cadavres pourrissants qui s’y accumulaient. Le bec ensanglanté, il revint auprès de Tiri qui devina ce qui s’était passé. Face aux accusations de cannibalisme portées contre lui, Vautour tenta de faire croire au démiurge que son bec n’était pas maculé de sang, mais qu’il devait sa coloration aux traces rougeâtres de pulpe de fruits netche (Neea spp.) 7 dont il s’était nourri au passage. La justification lui paraissant trop invraisemblable, Tiri prit alors un couteau et – en guise de châtiment – pela la tête de Vautour tout en le forçant à assumer définitivement le régime alimentaire charognard auquel il s’était montré enclin : « Puisque tu as mangé du pourri, dorénavant tu ne tueras plus. Là où il y a des animaux morts en putréfaction, c’est là que tu vas te rendre pour t’alimenter et ce n’est que de cette manière que tu vas assurer ton existence, avec des champignons 8 aussi, rien qu’avec des choses pourries » 9. Vautour se vit assigner ainsi un régime de charognard assimilé à celui d’un prédateur déchu. Ce statut « postprédateur » du régime de Vautour prend encore plus de relief si l’on ajoute que, dans la version du mythe présentée par d’Orbigny, Vautour était originellement un jaguar femelle : « Pour avoir mangé un homme tué par un autre animal, Tiri dit à la femelle de jaguar : “ Toi et toute ta caste vous vous nourrirez maintenant de ce que les autres tueront” ; et il la changea en gallinaço [urubu] » (1844a, p. 214).

9 Le récit du devenir des victimes de guerre yurakaré n’a, au regard des éléments précédents, rien de surprenant : il en constitue une sorte de développement qui est l’occasion de préciser la nature circulaire et autoréférentielle du régime alimentaire charognard. La version que l’on va lire ici est un résumé fondé sur deux versions enregistrées auprès du même narrateur, dans une communauté du haut Sécure, la première en espagnol et la seconde en yurakaré 10. Autrefois, les aïeux (pëpêshamaw) faisaient la guerre avec des ennemis acharnés appelés Sulustu. Lors d’une de ces rencontres belliqueuses, tous les ancêtres furent tués, sauf l’un d’entre eux. Souillé par le sang d’une des victimes, ce dernier resta paralysé sur le champ de bataille qu’il ne put quitter durant plusieurs jours. Il vit alors arriver, descendant du ciel, l’âme d’un de ses compagnons transformée en sarcoramphe. La victime, réincarnée en charognard, fut surprise de le voir toujours là, incapable de se mouvoir, et l’enjoignit de se lever. Comme il n’était pas en mesure de le faire, le survivant lui demanda de le guérir. Son ex-compagnon défunt lui rendit alors sa liberté de mouvement en usant de son souffle chamanique. Ce service rendu, il demanda au survivant de s’éloigner un peu. Le sarcoramphe commença alors à arracher des lambeaux de son corps (adojo) qui gisait à proximité et à les manger (Figure 1). Le survivant resta abasourdi : « Mais que fais-tu ? Tu manges ton corps ? ». Le sarcoramphe le contredit avec aplomb, lui affirmant qu’il ne le mangeait pas, mais l’enterrait. Le survivant ne pouvant croire des propos démentis par ce qu’il voyait, essaya de dissuader le sarcoramphe de continuer. Mais celui-ci fit la sourde oreille et poursuivit sa besogne. Lorsque le sarcoramphe eut terminé, le survivant lui demanda de l’emmener au ciel, où il vivait désormais, en compagnie de la mère des vautours meme Shëwshë. Le sarcoramphe lui rappela qu’en raison de sa condition de vivant, il lui était impossible de s’y rendre. Mais le survivant s’entêta, souhaitant que le sarcoramphe aille lui chercher un vêtement de charognard (saju) pour qu’il puisse satisfaire sa curiosité. L’oiseau accepta, s’envola,

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puis revint bientôt. L’homme, vêtu alors d’un habit de vautour disponible pour l’occasion, suivit jusqu’aux cieux le sarcoramphe devenu maintenant son guide. Évitant les flèches des vautours aura (basba) qui les attaquèrent en route, les compagnons parvinrent aux cieux dans une maison abandonnée. Le sarcoramphe conseilla au visiteur de ne pas s’aventurer plus loin, en raison du danger qu’il encourait. L’homme accepta, mais confessa qu’il avait très soif et faim. Il demanda de l’eau. Le sarcoramphe lui proposa alors de boire le lait, délicieux, que meme Shëwshë produisait en l’extrayant de ses griffes. Mais la boisson qu’il lui servit était nauséabonde et putride et le visiteur ne put se résoudre à la boire. Ce dernier demanda ensuite quelque chose à manger. Son guide céleste lui proposa du manioc déshydraté (poropo) 11, mais quand le sarcoramphe le lui rapporta, il constata, désappointé, que ce n’était que de vieux os de morts immangeables. Alors le survivant demanda à son compagnon : « N’aurais-tu pas des cacahouètes ? » « Oui, j’en ai », répondit-il. Le sarcoramphe lui en rapporta, mais elles étaient crues et le visiteur les refusa. Le sarcoramphe proposa d’aller chercher du feu et, sur ses conseils, l’homme se rendit dans une maison non loin de là pour se munir d’un récipient afin de griller les cacahouètes. Au lieu de la céramique (tieshtu) 12 qu’il était censé trouver, le visiteur ne vit rien d’autre qu’un alignement d’urubus noirs qui battaient des ailes. Il revint, signifiant à son hôte son incompréhension. Celui-ci s’en fut et ramena un urubu noir sous le bras, puis le mit sur le feu : c’était sa céramique ! Une fois que les cacahouètes furent grillées, le survivant en mangea quelques-unes mais pas beaucoup. Il préféra retourner sur la terre et fut raccompagné, car en tant que vivant, il ne pouvait en effet prétendre s’accommoder à la vie céleste d’un charognard. « Je viendrai te revoir si, à la prochaine guerre, on me tue ou si je tue », dit-il au moment de se séparer du sarcoramphe qui le reconduisit sur terre. Et il retourna chez lui.

FIG. 1 – Un sarcoramphe adulte sur une carcasse [cliché André 2011].

10 Placé dans le contexte d’un conflit avec les Sulustu (appellation d’ennemis sur laquelle on aura l’occasion de revenir), ce récit est moins un récit de guerre, qu’il ne sert à

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renseigner sur ce qui attend les victimes d’homicides. On y apprend qu’elles se trouvent dans l’au-delà sous la protection d’une entité tutélaire féminine, sarcoramphe elle aussi : meme Shëwshë 13. Selon les commentaires du narrateur, celle-ci accueille tous les morts assassinés qui entretiennent avec elle une relation de l’ordre de l’adoption, et les traite « comme si c’étaient ses enfants ». Meme Shëwshë apporte une touche d’amour maternel dans un monde autrement bien sinistre : mère adoptive de tous les assassinés, elle est aussi pourvue d’une fonction nourricière puisqu’elle extrait du lait de ses griffes, une boisson dont ses « enfants » ont l’air de raffoler. Cette « mère » des assassinés est cependant un personnage sur lequel la glose est limitée. Elle entretient toutefois un lien tacite avec cette sorte de « garde-robe » que constituent les vêtements sarcoramphe dont les assassinés se revêtent définitivement et qui, dans des circonstances exceptionnelles, peuvent être prêtés provisoirement à des visiteurs. Le nom de cet habit (saju) est communément employé pour parler du plumage des vautours : il s’agit d’un emprunt à l’espagnol saco « paletot, veston », qui renvoie pour les Yurakaré à un habit masculin marquant distinction et formalisme, à la fois étranger et sortant de l’ordinaire 14.

11 La scène de la rencontre du sarcoramphe descendu du ciel avec le survivant – qui anticipe elle-même la description du repas autocannibale – illustre le thème très couramment mentionné en Amazonie de l’aspect contaminant du sang versé au combat. On remarquera toutefois que l’on n’est pas en présence ici de la scène habituelle où le sang de la victime souille ou « envahit » le meurtrier et s’assimile à une métonymie réifiée de l’âme ou du principe vital de la victime. En effet, le survivant n’est pas un tueur, mais simplement un guerrier ayant réussi à échapper au massacre des Sulustu. Comme le précisa le narrateur dans la version espagnole du récit, le survivant était un excellent chamane et se métamorphosa à temps en imperceptibles aiguilles à coudre (sabía hacerse agujas) 15. S’il est paralysé et littéralement « collé » (popo), c’est par le sang de son parent assassiné ; la victime accomplit donc un acte solidaire « entre parents » en le guérissant (dyaju) de son état cataleptique. Il est toutefois difficile de statuer sur le sens de cette opération en l’absence de données ethnographiques sur les rituels posthomicides que les Yurakaré ont très vraisemblablement dû pratiquer.

12 La divergence de point de vue entre un humain vivant et l’humain assassiné réincarné en sarcoramphe se taille la part belle dans la narration. Comme le signalent les protagonistes du récit, les vivants sont dégoûtés par l’alimentation des assassinés. Mais s’ils ne peuvent que rejeter ce que consomment et ce que font ceux-ci, ce n’est pas seulement parce que la mort les en sépare, mais aussi pour une raison plus profonde. Le destin des assassinés, en effet, est fondamentalement marqué par l’autophagie. L’autocannibalisme nécrophage n’est que la manifestation la plus explicite d’un principe exploité dans toutes les autres incompatibilités alimentaires du récit. Dans le cas de l’autocannibalisme, l’écart entre les points de vue est maximisé. Pour l’assassiné réincarné, l’autoconsommation échappe même au registre de l’alimentation puisque, comme il l’affirme, il s’enterre. Il n’en demeure pas moins que si l’assassiné a bien changé de corps ou du moins acquis un nouvel habit, cette métamorphose ne lui fait pas voir son (ex-)corps comme celui d’un autre. En « s’enterrant », il garde la mémoire de celui qu’il fut et, à défaut de reconnaître qu’il se mange, ne nie pas qu’il agisse sur une charogne dans laquelle il se reconnaît.

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13 L’alimentation céleste des sarcoramphes, que le visiteur rejette, exploite la logique autoréférentielle de diverses manières. Le lait de meme Shëwshë, en premier lieu, nourriture délectable produite par des sarcoramphes pour des sarcoramphes, est une élaboration mythique dont le fondement empirique, assez facile à identifier, explique le dégoût des vivants. Cette boisson que meme Shëwshë tire de ses griffes, renvoie à la fiente blanchâtre que les vautours projettent sur leurs pattes (et donc leurs griffes) afin de pouvoir réguler leur température corporelle. Le « lait » a donc ici pour équivalant perspectif humain un liquide excrémentiel autoconsommé 16. Le manioc déshydraté (poropo) qu’offre le sarcoramphe et que son invité perçoit comme de vieux os de morts est interprétable selon une logique autophagique similaire, quand bien même le récit ne dit pas explicitement qu’il s’agit des os d’assassinés. Un autre récit, raconté par le même narrateur où il est question d’un humain qui reçoit d’un lézard ameive (Ameiva ameiva) des morceaux de manioc déshydraté justifie cette interprétation. L’humain découvre, dégoûté, que ce que le lézard tient pour du traité de la sorte correspond de son point de vue à des morceaux de la queue de son hôte. Cette scène cocasse a pour fondement empirique le fait que la plupart des sauriens ont la possibilité de se défaire de leur appendice caudal en cas de danger et de le régénérer postérieurement. Comme on peut le comprendre, le manioc déshydraté, en clé perspectiviste, est une nourriture attachée à des pratiques autocannibales non perçue comme telle par ceux qui la consomment 17.

14 Les arachides constituent un produit qui se distingue partiellement des précédents. Elles semblent annuler ou suspendre les divergences perceptives initiales des protagonistes 18. Toutefois, si les arachides unissent le visiteur et l’assassiné réincarné, les moyens utilisés pour leur coction les séparent à nouveau, puisque les céramiques dans lesquelles le sarcoramphe les fait griller sont des urubus noirs du point de vue des humains vivants. Outre le fait qu’elle introduit un chiasme catégoriel particulièrement saisissant (ce qui est de l’ordre de la « culture » chez les uns – la céramique – devient de l’ordre de la « nature » chez les autres – un vautour), cette substitution peut s’interpréter comme une forme de cannibalisme métonymique, voire « d’autocuisson » : les sarcoramphes ne mangent pas une nourriture qui serait appréhendée par les humains comme des urubus noirs, mais cuisent leur nourriture avec des urubus qui fonctionnent comme des ustensiles de cuisson. La présence d’une circularité ne peut donc être ignorée dans cette scène surréaliste, l’ustensile n’étant pas n’importe quel autre oiseau, animal ou objet, mais précisément un vautour.

15 En tant que consommateur de charognes, le sarcoramphe (et les vautours en général) permet de concevoir des êtres dont l’horizon relationnel s’atrophie – ou se suspend – par un bouclage sur soi dévoilé par le registre alimentaire. En estimant, d’un point de vue humain, que les sarcoramphes pratiquent l’autocannibalisme nécrophage, l’autocoprophagie, l’auto-ostéophagie, voire l’autocuisson, les Yurakaré admettent que les vautours se caractérisent comme des êtres qui, par définition, ne sont plus prédateurs et n’ont donc plus, ni ennemis, ni proies. À l’instar de Vautour dont le démiurge Tiri a sanctionné le comportement en l’obligeant à ne manger que ce que d’autres que lui tuent et abandonnent, les sarcoramphes ont un régime alimentaire postprédateur qui est dépeint dans le mythe comme une sorte de végétarisme : ils boivent du lait comme des bébés, ils mangent du manioc et des arachides, et leur auto- ingurgitation est un acte qui n’est même plus alimentaire à leurs yeux.

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16 Les images que l’on découvre, en explorant les divers aspects de l’appréhension du sarcoramphe et des charognards, sont suffisamment étayées pour que l’on comprenne que les Yurakaré n’ont pas assimilé à la légère le destin du guerrier tué comme un fait n’ayant rien d’attirant. Que le devenir sarcoramphe soit un devenir des plus déplaisants était un point sur lequel le narrateur insistait d’ailleurs fortement dans ses commentaires. Il affirmait que ce récit était utilisé par les aïeux comme un avertissement ou une dénonciation de la guerre : non pas que la guerre fût condamnable, d’un point de vue moral, mais, d’une façon pragmatique évidente, pour les conséquences eschatologiques qu’elle impliquait. Outre que l’idée de devoir assumer un tel régime alimentaire était peu réjouissante, celle d’être accueilli par meme Shëwshë imposait aussi de s’éloigner à jamais de tata Dios et de ses propres parents. En exposant ces raisons, le narrateur ajoutait toutefois un point supplémentaire dont il est temps de prendre connaissance. À cet effet, il vaut la peine de citer verbatim ses propos : « Quand quelqu’un va [et meurt] à la guerre, on dit que son esprit ne va pas [auprès de Dieu], il va chez les vautours : parce qu’il est mort avec de la poudre, avec de la munition. Tout ce qui sert à tuer. Des machettes. C’est ça l’histoire des anciens ».

17 En évoquant des armes précises – des armes à feu et des armes blanches, des armes explosives et métalliques –, le narrateur opérait une critique de la guerre dans un cadre qui n’est plus exclusivement cosmologique et eschatologique, mais sociologique et historique : les armes à feu et les armes blanches peuvent en effet être qualifiées d’« exogènes », dans la mesure où elles s’opposent à l’arc et aux flèches, dont les Yurakaré maîtrisent le processus de production, alors que les armes exogènes sont fabriquées et, partant, utilisées, de façon caractéristique, par des autres. Ce sont de plus, pour les Yurakaré d’aujourd’hui, les armes par excellence des non-indigènes ou des « Blancs », c’est-à-dire des Karay comme les nomment les Yurakaré 19. De ce point de vue, le narrateur inféodait le devenir sarcoramphe au complexe technologique d’un armement différentiel qui, par métonymie, fait réapparaître la figure particulière du meurtrier : un meurtrier dont le profil de Karay est indiscutable 20.

Soldats et tueurs

18 La récupération de l’image du repas charognard dans le récit du voyage au ciel des assassinés, sous la forme de l’étrange rencontre de l’âme d’une victime réincarnée agissant sur son propre corps, offre à l’imagination une scène qui se déroule dans le paysage du combat accompli où tout mouvement apparaît suspendu. Sur le champ de bataille déserté par les belligérants, il ne reste que les cadavres abandonnés et un survivant, lui-même paralysé, dont la voix seule rappelle sa présence à une âme surprise de l’y trouver. Cette scène d’après combat semble séparer inexorablement les victimes de leurs tueurs. Mais toute médiation entre eux n’en disparaît pas pour autant, bien qu’elle ne soit pas donnée à voir. En conditionnant le devenir sarcoramphe à une mort produite par des armes exogènes, le narrateur exposait une modalité spécifique d’attachement entre la victime et son meurtrier qui a servi de pierre de touche aux Yurakaré pour actualiser à leur manière le plan d’indistinction dans lequel les identités du meurtrier et du tueur se rejoignent.

19 La mention de transformation en charognards des meurtriers est rarement mentionnée par les Yurakaré, mais elle apparaît dans le récit de la visite au ciel des assassinés, comme le lecteur l’aura peut-être déjà repéré dans l’expression un peu sibylline que le

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narrateur met dans la bouche du visiteur céleste au moment où ce dernier prend congé de son parent sarcoramphe : « Je viendrai te voir, si je tue ou si je suis tué ». Cette promesse de retrouvailles indique qu’un tueur, aussi bien qu’une victime, a « accès » au ciel des sarcoramphes. Mais il s’agit plus que de cela. De fait, les tueurs autant que les victimes partagent le même destin. Le résumé que l’on a lu précédemment faisait l’ impasse sur un petit segment narratif qui, en révélant les périls du monde de meme Shëwshë, est explicite sur ce point. En voici le texte intégral pour les deux versions obtenues, en espagnol d’abord, puis en yurakaré :

Llegaron allá, allá en la casa, dice ya. Fucha que habían hartos militares y On dit qu’ils arrivèrent là-bas, là-bas dans la maison. soldados ¿no?, cogiendo mujeres ¿no?... Purée, qu’est-ce qu’il y en avait des militaires et des Y él, deseando dice ¿no? « Aquí me vas a soldats, baisant des femmes… Et lui de les désirer. « Ici, tu esperar hermano, le dijo, porque si vas por vas m’attendre mon frère, lui dit [son guide], parce que si allá, te van a matar. Estos soldados son tu vas là-bas, ils vont te tuer. Ces soldats sont criminels ; bandidos –dice que le dijo – matan. Porque ils tuent. [Tu vas m’attendre], parce que tu n’es pas mort. vos no te has muerto, dice que le dijo. Si te Si tu étais mort, bon, tu passerais sans problème. » haigas muerto, bueno, tranquilo pasabas, dice que le dijo. »

Látiji baliw ; wiwiwya sibëy. Banáj sibbë. Alors ils s’en furent ; ils arrivèrent dans la maison. La Banáj sibbë. « Lani tütcham, chee, tütüya. maison était vide. Complètement vide. « Reste là, Nish tuwim mëë, nish tuwimja. compagnon. Tu n’es pas mort, toi. Prends garde à ce qu’ils Miboboniyu ! Nish tojoto maylejti anu, ne te tuent pas. Ils ne savent pas ce que c’est que de ittaw… soldaw ». prendre soin d’autrui, ceux-là, euh… ces soldats. »

20 Comme l’attestent ces deux extraits, brefs mais combien importants, il y a parmi les sarcoramphes célestes d’autres gens que des victimes réincarnées dont la compagnie pour un vivant n’est pas recommandable : des soldats, des militaires, bref des ennemis karay, explicitement dépeints comme des tueurs, de surcroît s’adonnant au stupre. Inutile d’insister sur le fait qu’il ne s’agit pas de tueurs qui utilisent des arcs et des flèches. La force des images évoquées montre l’enracinement d’une représentation négative des Karay qui renvoie à la longue histoire des conflits qu’ont livrés les Yurakaré à l’époque coloniale, autant qu’aux violences subies à l’époque de l’exploitation du caoutchouc. Pour l’argumentation qui est la nôtre, retenons de ce passage qu’il atteste sans équivoque qu’une réincarnation en sarcoramphe touche aussi des tueurs, mais que, dans le même temps, il marque une distinction : l’existence d’une même identité de vautour et la reconnaissance d’une entité tutélaire commune n’impliquent pas que tous ceux qui se trouvent (ou se retrouvent) dans le monde des sarcoramphes aient la même attitude.

21 Malgré son nouveau statut, sa réincarnation, et le corps qu’elle a mangé, la victime transformée en sarcoramphe garde de son passé un sentiment d’appartenance qui se traduit dans le clair souhait de protéger le visiteur. Elle prend soin de son parent, l’ avertit des dangers qui le guettent, lui indique qu’il peut épier le monde au-delà de la dernière maison, mais doit rester en deçà sous peine de ne plus jamais revenir. Les soldats mentionnés n’ont rien de cet aspect prévenant. Pour reprendre l’expression yurakaré qui les caractérise, ce sont des gens qui « ne savent pas ce que c’est que de prendre soin d’autrui » (nish tojoto ma-yle-jti). L’expression, forte, est difficile à traduire

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sans l’affadir : introduite par la particule négative nish et construite sur le verbe -yle ( « savoir, être habitué à ») suivi du suffixe habituatif -jti, elle dénonce une tare relationnelle intrinsèque, un défaut qui caractérise les tueurs. L’adjectif verbal tojoto désigne en effet « un sentiment très fort », me dira un jour un traducteur qui peinait à en formuler le sens. Rendu souvent par mezquinar, au sens de « garder pour soi », « conserver jalousement », tojoto décrit, sous la forme la plus intense, ce que l’on ressent pour ses proches lorsque l’on tient à ce qu’il ne leur arrive aucun mal, telle cette mère qui serre contre elle son enfant pour le protéger d’un danger ou cet homme qui ne veut pas donner sa fille en mariage à tel autre, redoutant qu’elle ne soit battue ou mal traitée. Bref, être dépourvu de cet affect, c’est faire preuve d’inhumanité, de cruauté, de barbarie. On ne s’étonnera pas que ce terme serve à dépeindre les soldats karay, ni que les parangons les plus connus en la matière soient les jaguars mythiques Púydara qui apparaissent dans la partie initiale de la geste du démiurge Tiri et correspondent aux jaguars du cycle des jumeaux amazoniens 21. De ces félins responsables du meurtre de la mère de Tiri, qui incarnent l’inimitié par excellence, on dit exactement la même chose, mot pour mot : nish tojoto maylejti !

22 Les informations contenues dans la narration indiquent que des victimes de guerre ou des soldats peuvent devenir vautours, mais la « production » de sarcoramphes n’est pas limitée à ce contexte belliqueux du passé. Les représentations chariées par le mythe sont en effet toujours d’actualité. Pour certains Yurakaré du Sécure et de l’Isiboro, rencontrer ou voir un sarcoramphe peut servir de déclencheur pour évoquer la mort violente : dans les quelques exemples de la vie courante où cette connexion a été constatée, c’est moins le destin post mortem d’une victime que celui d’un tueur qui est concerné. Évidemment, tous les sarcoramphes ne sont pas identifiés comme des avatars de meurtriers et tous les Yurakaré n’établissent pas spontanément cette connexion, mais celle-ci demeure possible. La seule fois que j’ai eu l’occasion de voir un sarcoramphe, immobile, perché sur une branche élevée d’un arbre sec dominant les berges escarpées du Sécure, alors que nous remontions en pirogue la rivière, un des compagnons de voyage demanda à son voisin : « Est-ce que celui-là est un tueur ? » Je pris note de la question sans pouvoir obtenir d’explications supplémentaires sinon l’ affirmation réitérée : « Certains sont des tueurs ». Impliquant des parents du narrateur du récit, cette anecdote, intéressante en tant que telle, aurait été trop singulière pour être significative, si elle n’avait pas été confirmée par ailleurs. Dans un contexte fort différent, deux Yurakaré, qui n’étaient ni parents entre eux, ni parents des précédents furent conviés par van Gijn à identifier des photographies d’oiseaux. En voyant défiler des images de sarcoramphes, un des interlocuteurs se demanda si l’un d’entre eux n’aurait pas été un matón 22, un tueur (van Gijn, Hirtzel et Gipper 2011). Il ressortit de cet échange que seuls les sarcoramphes entièrement noirs étaient des réincarnations de meurtriers 23. Dans aucun de ces deux cas il n’a été obtenu d’informations complémentaires qui auraient pu rendre explicite le type d’assassins que l’on estime contraint à poursuivre une existence sous forme de sarcoramphe. Mais, indirectement, les récits de deux meurtres successifs, commis par un père et son fils, dans des circonstances différentes et à bien des années d’écart, semblent apporter des éléments de réponse, précisément en ce qu’ils actualisent un clair contraste entre l’usage des armes à feu et de l’arc pour tuer.

23 Le meurtre commis par le père, dans des circonstances qui lui auraient permis en cour d’assises de plaider la légitime défense, se déroula de la façon suivante. À l’époque des faits, cet homme résidait avec sa famille élargie sur la rivière Maniqui, en territoire

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chimane ; il eut alors une liaison avec une femme chimane mariée, provoquant la colère du mari. Celui-ci, sans rien révéler de ses intentions et en affichant un air faussement affable, vint un jour, accompagné de quelques-uns des membres de sa famille, le retrouver pour boire de la bière de manioc. Lorsque la boisson fut terminée, il invita son rival à le suivre, lui proposant de continuer à boire chez lui, où il avait, disait-il, encore provision de boisson. Le père de l’amant eut le pressentiment que quelque chose de grave se tramait et il conseilla à son fils de prendre discrètement une arme. Et ce que le père redoutait arriva. Alors qu’ils étaient dans la pirogue, l’homme trompé et ses parents changèrent d’attitude : subitement, ils tombèrent sur l’amant. À l’aide de cordages qu’ils avaient amenés avec eux, ils s’apprêtaient à lui lier les mains, dans l’ intention de le jeter par-dessus bord et de le faire se noyer, quand l’homme sortit son arme et tira, profitant de la confusion pour sauter à l’eau et s’enfuir. Un Chimane fut blessé à l’aine et mourut quelque temps après. Le tueur, bien des années plus tard, restait très préoccupé par ce meurtre. Pris de boisson et inquiet, il conta cet épisode biographique, précisément afin d’expliquer pourquoi il était certain de ne jamais voir tata Dios, ni de revoir ses parents. Certes, il ne fit pas allusion à la crainte d’une réincarnation en sarcoramphe, ni même ne laissa entendre qu’il redoutait éventuellement les flammes de l’enfer, mais étant donné la configuration de l’ eschatologie yurakaré qu’il connaissait lui-même, ces précisions n’étaient sans doute pas nécessaires : c’était là l’horizon imaginatif dans lequel il pouvait projeter son destin post mortem.

24 Beaucoup plus récemment, le fils de cet homme fut confronté à une situation en quelque sorte inverse : il ne fut pas contraint à tuer pour se protéger de l’agression d’un amant jaloux, mais décida sciemment d’éliminer un homme qui avait eu des rapports sexuels avec sa femme. Ayant épousé une femme chimane réputée pour sa beauté, il était particulièrement attentif à ce que personne ne s’approchât trop d’elle. Pourtant, dans sa communauté, un étranger – un Karay – qui exerçait de plus la fonction valorisée de professeur, fut séduit par la jeune femme. En l’absence du mari parti en voyage, il fit boire celle dont il voulait être l’amant et profita de son ascendant pour parvenir à ses fins, sans hésiter au reste à juguler des ébauches de résistance par la force. Renseigné par des tiers, le mari trompé planifia sa vengeance et, un jour, à l’aube, abattit son rival à coups de flèches (des rumeurs non confirmées voulant même qu’il s’agît de flèches empoisonnées 24 ). À la différence de son père qui avait dû, dans des circonstances où sa vie était en péril, tirer sur ses agresseurs pour leur échapper, provoquant la mort de l’ un d’eux, le fils prépara l’exécution du violeur, tout en ressortant de la panoplie des armes disponibles, celle qui a priori n’était pas précisément l’arme qu’un Yurakaré emploie aujourd’hui spontanément. L’homme, certes, faisait partie de ceux qui, enfants, avaient appris à manier l’arc et la flèche, avant tout pour pêcher, mais comme tous les membres de sa communauté, il n’en disposait pas moins d’une arme à feu à la maison. Des préoccupations eschatologiques avaient-elles guidé dans ce cas le choix de l’arme, répondant en outre aux interrogations du père à ce sujet ? La question reste ouverte.

25 Avant de poursuivre, résumons les principaux acquis du parcours réalisé jusqu’à présent : d’un côté, les Yurakaré exposent le devenir sarcoramphe des victimes de guerre en insistant sur l’aspect autoréférentiel et non prédateur du régime alimentaire du charognard et donc de la victime ; de l’autre, ils affirment non seulement que les armes exogènes sont la cause de cette palingénésie, mais admettent aussi que les tueurs qui les manipulent peuvent se transformer en cet oiseau. L’horizon d’indistinction entre meurtriers et victimes reçoit un traitement qui s’éloigne du paradigme

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prédateur, du moins dans les formes canoniques qu’on lui connaît : tuer ou être tué avec des armes exogènes génère certes une identification du tueur et de la victime, mais en un troisième terme dont le point de vue se construit sur un modèle charognard et postprédateur, tendant vers le vase clos de l’autoréférentialité 25. Lorsqu’un humain voit un sarcoramphe manger son corps, lorsqu’il l’entend affirmer qu’il l’enterre, on ne peut en effet conclure que le sarcoramphe devient « l’ennemi » de lui-même, ni même qu’il est sa propre proie, puisque précisément une telle scène suppose un troisième terme – le tueur qui est ici exclu. De ce fait, pour les Yurakaré, le tueur ne s’approprie, ni ne devient sa victime, mais s’offre, dans un mouvement retourné sur soi, le même destin que celui qu’il inflige. Tuer avec des armes exogènes, c’est donc, de ce point de vue, forger son propre destin : un destin marqué par l’autoréférentialité d’un devenir sarcoramphe possible. Lorsque l’on tue un ennemi avec une arme à feu ou une arme blanche, ce sont les relations charognardes qui englobent celles de prédation.

L’autocannibalisme victimaire

26 Les enjeux exposés par la palingénésie sarcoramphe des victimes de guerre yurakaré semblent, de prime abord, peu fréquents dans l’ethnographie amazonienne et pourraient passer pour une curiosité. Pourtant, un survol comparatif de l’espace qui longe les Andes du moyen Pérou à la Bolivie, montre que les Yurakaré n’ont pas été les seuls à leur attacher de l’importance. D’un côté, matériellement pourrait-on dire, la narration dans laquelle la figure de l’autocannibalisme se déploie pour les Yurakaré, n’est elle-même qu’une variante d’une famille de récits qui présentent régulièrement, sinon communément, un voyage au ciel des assassinés et sont contés dans des populations appartenant à des familles ethnolinguistiques variées du piémont. On en retrouve l’attestation chez les Chimane, voisins immédiats des Yurakaré et membres de la très réduite famille linguistique Mosetén (cf. Huanca 2008, pp. 56-59), mais aussi, bien plus au nord, chez les Yánesha arawak, résidant aux environs du Cerro de la Sal 26, ou encore parmi les locuteurs de langue takana, réduits dans la mission de Cavinas sur le moyen Beni et connus aujourd’hui comme Caviñenos (Tabo Amapo 2008, pp. 100-102 pour le texte et pp. 238-240 pour les notes). D’un autre côté, si ces récits – ou à tout le moins ceux qui ont pu être réunis – n’accordent pas au sarcoramphe un rôle de premier plan, il existe aussi des populations piémontaises qui, à l’instar des Yurakaré, relient cet oiseau au devenir des assassinés, ainsi qu’à des formes particulières d’autocannibalisme. C’est notamment le cas des Ashaninka et des Matsigenka du piémont andin péruvien (Figure 2).

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FIG. 2 – Carte des principaux groupes ethniques et populations cités dans le texte.

27 Les narrations de la visite au ciel des assassinés et/ou des victimes de guerre, produites par les Chimane, les Yánesha et les Caviñenos, ont plus de points communs entre elles qu’elles n’en présentent toutes ensemble avec la version yurakaré, mais elles forment avec cette dernière une unité indéniable. Le point majeur de divergence tient à ce que les récits de ces trois populations ne situent pas cette visite dans le contexte d’une relation entre un guerrier mort et un compagnon survivant, mais dans le cadre plus intime d’un deuil féminin : dans les trois cas, le personnage principal en est une femme, une mère ayant perdu son fils dans la version chimane, une épouse ayant perdu son mari dans les deux autres exemples. Modulée sur le drame et la frustration d’une séparation regrettée, la visite au ciel peut s’interpréter comme une tentative désespérée de reconstituer une relation irrémédiablement interrompue par la mort violente. Pourtant, si le motif initial du voyage est la perte d’un être cher arraché à l’amour maternel ou conjugal, ces narrations retrouvent la problématique du récit yurakaré lorsqu’elles présentent le statut ontologique des victimes. Toutes les versions octroient un espace céleste circonscrit aux morts tués au combat ou assassinés, des pratiques alimentaires faisant horreur aux vivants parce qu’incompatibles avec les leurs et, en outre, abordent la nature autocannibale de leur régime alimentaire.

28 Dans le cas des Chimane, les victimes de mort violente deviennent des väväjti (« esprits »), terme que certains narrateurs traduisent par l’espagnol demonio (« démons »), dont le lieu de résidence définitif est le ciel (che’ve) ou, plus précisément, « sous le ciel », à savoir dans les nuages (Daillant 2003, p. 255). La spécificité par excellence des väväjti, aux yeux des Chimane, c’est qu’ils boivent une eau immonde toujours souillée de sang, impropre à la consommation pour les humains vivants. Le fils assassiné, dans le récit mentionné plus haut, enjoint ainsi sa mère d’emporter de l’eau : « “In the che’ve [ciel], demons drink dirty water mixed with blood”, said Ococoriyo. “Mother, take your water in a puñuj (pot) and put the puñuj on your head”, he advised her. “You will get on my back and then

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we will fly”. The mother went to bring the water as her son advised » (Huanca 2008, p. 57). Non seulement le reflet du sang colore l’eau céleste des väväjti, mais le rouge est plus généralement la couleur dominante de leur monde vu de la terre. Pour les Chimane, le « rougeoiement vespéral [des nuages] évoque le sang qu’ils ont perdu » (Daillant ibid.). Par ailleurs, si certains affirment que les tueurs deviennent aussi des väväjti à leur mort (Riester 1993, p. 461), ce n’en est pas moins fondamentalement l’image de la victime qui constitue le « prototype » de cette catégorie de morts (Daillant communication personnelle, 2013).

29 Les Yánesha n’auraient pas à produire de grands efforts pour s’accorder avec les représentations des Chimane. Pour eux, les assassinés, mais aussi les noyés, deviennent des sanerr, des êtres qui, pour les vivants, portent les stigmates des causes de leur mort, en particulier des blessures en cas d’assassinat ; ces âmes, qui peuvent effrayer les vivants sous forme de spectres errants appelant les humains (Santos-Granero 2003, pp. 187-188 ; Valadeau 2010, p. 283), possèdent également une demeure particulière, l’étage cosmique supérieur appelé Sanrronesho, littéralement « le monde des assassinés », dont le Soleil n’est autre que la divinité maléfique Yompor Rret̃ (Smith 1977, pp. 92-93). Dans le voyage au ciel des assassinés que content les Yanesha, la veuve qui l’entreprend est aussi confrontée à la nausée : elle découvre, révulsée, que les poux de son mari mort sont des vers, et la bière des assassinés, une boisson immonde, non pas faite à base de tubercules, mais à base de cœur, de foie ou de reins fermentés (ibid., annexe II ; Valadeau ibid., p. 298). L’étage cosmique des assassinés est un monde où se trouvent, « réincarnés » à leur manière, des cadavres mi-sanglants, mi-décomposés, mais où la figure de l’assassin n’apparaît pas ; elle n’est pour le moins jamais mentionnée dans la littérature consacrée à ce mythe.

30 Le récit de la visite au ciel que racontent les Caviñenos recoupe en grande partie ces données, mais avec quelques spécificités. Dans le cas des Caviñenos, les morts, victimes de guerre – en particulier celles tuées par leurs voisins Esse-Ejja – se métamorphosent en une espèce de canidé communément appelée zorro en espagnol local, mais dont le nom vernaculaire cavineño ijawa est identique à celui utilisé pour désigner génériquement les « démons » (le diable ou Satan) (Tabo Amapo 2008, p. 240, note 338). À la différence des récits précédents, la veuve qui demande à son mari tué de lui montrer où il vit, ne constate pas de différence entre la nourriture céleste des victimes et sa nourriture terrestre. Passant outre un avertissement de son mari, elle décide d’y goûter : mal lui en prend, elle sera elle-même tuée par les Esse-Ejja peu de temps après son retour sur terre. Si le sang n’est pas une image qui prédomine dans la description du régime alimentaire, il n’est néanmoins pas absent de la représentation physique des victimes. Lorsque la femme quitte son mari pour rentrer chez elle, celui-ci lui interdit de se retourner, mais elle ne peut s’en empêcher : elle voit alors un instant son mari comme un « vrai mort », c’est-à-dire couvert de sang. Les augures d’assassinat renvoient, pour leur part, à l’image de sang perdu. La lune rousse était le signe pour les Caviñenos qu’un de leurs parents avait été tué par un Esse-Ejja (Nordenskiöld cité dans Tabo Amapo 2008, p. 229, note 257). Par ailleurs, lorsqu’un individu n’est plus en mesure de voir que la viande d’un gibier est cuite et reste persuadé que, malgré la cuisson, elle est toujours gorgée de sang, c’est là le présage qu’il versera prochainement le sien (ibid., p. 106).

31 Dans les différents cas exposés, le sang joue un rôle indéniable pour décrire le monde de ceux qui ont été passés par les armes, sans parler de la possibilité de sa

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consommation explicite ou implicite par les victimes elles-mêmes ; l’image du tueur en tant que telle et, par extension, celle des ennemis sont en revanche beaucoup plus ténues et davantage encore si, par contraste, on compare ces données à celles des Yurakaré. Dans un tel cadre, on n’aura pas de grandes difficultés à concevoir que le régime alimentaire des victimes, en particulier les boissons, toujours immondes d’un point de vue humain, qu’il leur arrive de consommer, renvoie sur un mode impersonnel et générique au sang qu’ils ont perdu, et que des tueurs – absents du ciel et dont il n’est pour ainsi dire pas question – ont fait couler. Pourtant, l’autohématophagie n’en demeure pas moins dissimulée à ceux qui la pratiquent : les assassinés chimane, yánesha ou caviñenos ne se considèrent pas comme des humains blessés ou des vampires s’alimentant du corps de victimes qui, à chaque nouvel homicide, viennent grossir leurs rangs. S’ils sont cannibales, ils l’ignorent, et il faut un vivant pour l’affirmer. Ce décalage essentiel ramène donc à la scène autocannibale du récit yurakaré, où une victime mange son corps dans la perspective d’un humain, mais, pour elle-même, ne fait que l’enterrer. L’apparition du sarcoramphe entraîne toutefois une double accentuation : elle transforme le registre prioritairement liquide de l’hématophagie en celui plus matériel de la nécrophagie et elle coïncide avec l’apparition d’une référence plus claire aux tueurs, qu’il s’agisse d’associer le devenir des uns et des autres ou au moins d’attribuer au sarcoramphe lui-même un statut de meurtrier.

32 Dans la monographie qu’il a consacrée à la cosmologie des Ashaninka de la région du bas Ene et du Tambo, Weiss (1975) indique que les Ashaninka reconnaissent l’existence d’un sarcoramphe mythique (Amémpori), dont ils placent la résidence dans les nuages ; ce personnage, outre qu’il possède de nombreuses filles, serait selon certains un humain cannibale transformé par Pawa, la divinité supérieure identifiée avec Soleil 27. Dans sa demeure céleste, Amémpori accueille les assassins et assassinés après leur mort (ibid., pp. 265, 413 note 1, 438) 28. Bien que l’auteur n’indique pas si ces deux catégories de morts, au cours de leur installation aux cieux, subissent une métamorphose, il note cependant qu’elles deviennent « des sujets » (des « vassaux » pour reprendre une traduction plus littérale du terme anglais liege utilisé par Weiss) de Sarcoramphe qui incarne lui-même une figure de grand chef (koráka) (ibid., pp. 265, 446 note 54) 29. Selon les Ashaninka, Sarcoramphe a un rôle cosmologique important au-delà de l’accueil qu’il réserve aux assassins ou aux assassinés : d’un côté, il se reconnaît lui-même comme un adorateur du « vrai dieu » (Pawa), auquel il offre des messes 30, ce qui ne l’empêche pas de tromper la divinité en se faisant passer pour elle auprès des âmes des morts qui cherchent à l’atteindre, les détournant du devenir post mortem qu’elles souhaiteraient réaliser, selon une modalité, duperie mise à part, qui n’est pas sans évoquer les risques qu’encourent les âmes des Yurakaré sur le chemin des cieux (ibid., pp. 265 et 437-438). Non sans hypocrisie, Sarcoramphe semble cependant rendre aussi des services à Pawa : avec le couteau que celui-ci lui a offert, il tue sur terre des humains ou, à tout le moins (les données sont ambigües), prélève des morceaux de cadavres lorsque ceux-ci n’ont pas été préalablement consommés (et souillés) par les urubus noirs. Amémpori rapporte ces morceaux de choix à son maître Pawa qui les transforme alors en viande comestible – en usant de son souffle – et s’en nourrit (ibid., p. 276, note 23).

33 Les Matsigenka, voisins orientaux des Ashaninka, vivant principalement sur le haut Urubamba, n’ont pas développé une figure quasi divinisée de sarcoramphe et considèrent davantage l’ensemble de ces vautours comme un « peuple » (Renard- Casevitz 1991). Leurs discours portant sur le sarcoramphe n’en sont pas moins fort

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proches de ceux de leurs voisins et renvoient à un modèle semblable. Tandis que les morts noyés deviendraient des urubus noirs (Baer 1979, p. 105), les Matsigenka admettent que « los cuerpos de los que mueren asesinados, son comidos por los sampónero o gallinazos blancos, los cuales respetan el corazón, lo soplan y lo convierten en sampónero como ellos, y lo llevan arriba, a Menkorípatsa, su paradisíaca morada » 31 (García 1936, p. 137). Dans le corpus de récits mythologiques étoffés où ils figurent (Renard-Casevitz ibid.), les sarcoramphes ne paraissent pas incorporer directement des tueurs, mais l’être eux- mêmes occasionnellement, comme les données ashaninka semblent aussi l’indiquer. Par ailleurs, le sarcoramphe représente également une figure de chef se manifestant par l’autorité incontestable qu’il impose aux urubus noirs ; il n’est cependant pas seulement le maître blanc des urubus noirs : les Matsigenka peuvent en faire aussi originellement un « Blanc », un non-indigène ou, pour reprendre le terme d’origine quechua qu’ils ont adopté, un viracocha 32. Dans les récits matsigenka, le sarcoramphe est également équipé d’un couteau (ou d’un sabre métallique) qu’il utilise pour entailler les cadavres, parfois achever des mourants, ou encore pour les décapiter. Le thème de l’autocannibalisme est, sous forme oblique, un trait que l’on retrouve présent chez les Matsigenka, lorsqu’ils affirment par exemple que l’urubu noir est un fervent consommateur de pénélopes, alors que ces oiseaux sont, pour les humains, des urubus (mythe 1, ibid., pp. 21-22, 27 note 5). Tuer, faire revivre pour incorporer, et se manger soi-même sont des actions qui peuvent s’enchaîner dans des scènes vertigineuses. Tel est le cas d’un récit qui raconte comment un humain, épris d’une fille de sarcoramphe, fut un jour éconduit puis mourut ensorcelé par celui qui aurait pu devenir son beau- père (mythe 21, ibid., pp. 145-147). Une fois mort, le malheureux prétendant abandonna son corps et, sous l’emprise du sortilège, vint rejoindre son meurtrier sous forme d’urubu noir. Le sarcoramphe présenta alors à l’homme réincarné son propre corps en guise de repas, mais se reconnaissant, l’urubu refusa de se manger. Saisissant son sabre habituel le sarcoramphe le décapita, arracha son cœur, souffla et le fit revivre, mais pour que l’humain cesse d’identifier ce corps comme sien et accepte de se manger, il dut lui infliger ce traitement à plusieurs reprises.

34 Par-delà les parallélismes évidents que présentent les données ashaninka et matsigenka avec celles des Yurakaré, deux remarques générales s’imposent. En premier lieu, l’autocannibalisme générique des victimes par autoconsommation sanguine non assumée explicitement, ne diffère pas foncièrement du cannibalisme des charognards exprimé en particulier par les Matsigenka, qu’il s’agisse des urubus noirs se mangeant les uns les autres sans s’en rendre compte, ou des victimes dont les corps sont engloutis par les sarcoramphes, qui sont déjà des réincarnations des victimes. Ce phénomène d’autoconsommation générique trouve dans le récit de l’humain transformé en urubu noir, décapité à répétition jusqu’à ce qu’il se mange, une formulation radicale, mais tout à fait parallèle au devenir de la victime yurakaré : au lieu de penser, comme celle- ci, qu’il s’enterre tout en se mangeant, il se mange sans plus le savoir, ce qui sous- entend qu’il pense faire autre chose que se manger.

35 En second lieu, il est un point qui fait particulièrement diverger les données ashaninka et matsigenka de celles des autres populations piémontaises : avec le sarcoramphe se trouve introduit un objet absent des autres récits de visites au ciel des assassinés, l’arme métallique – un couteau, un sabre. Or chez les Yurakaré, à côté des armes à feu, ce sont précisément des armes de ce type qui prédéterminent le devenir sarcoramphe, explicitement pour la victime et très probablement pour le tueur qui s’en sert. Cette insistance sur les armes, présente sur le piémont andin au nord du Cuzco, est-elle une

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coïncidence ou est-elle l’indice d’un enjeu dont l’importance reste encore à préciser ? C’est ce qu’il faut examiner en revenant à l’ethnographie et à l’ethnohistoire yurakaré.

Des armes et des ennemis

36 Lorsque l’on sonde les souvenirs, en définitive relativement riches, que les Yurakaré ont conservés de leurs inimitiés passées et des épisodes belliqueux qui ont pu leur être liés, deux types d’ennemis apparaissent, contre lesquels ils auraient eu maille à partir, et dont ils affirment généralement avoir été des victimes. D’un côté, ils peuvent imaginer avoir fait la guerre contre des « Indiens sauvages » : c’est alors aux groupes tupi-guarani de leur voisinage, contactés au cours du XXe siècle, les Siriono ou les Yuqui, qu’ils font référence. Désignés génériquement comme des bárbaru « barbares » par des Yurakaré qui reprennent à leur compte la terminologie régionale, les ennemis d’autrefois auraient été des hommes nus vaguant en forêt. Lorsque les ennemis sont envisagés selon ce paradigme, le contraste entre armes endogènes (arcs et flèches principalement) et armes exogènes (armes à feu, armes blanches) n’est pas un critère d’opposition marquant 33. Mais d’un autre côté, les Yurakaré peuvent également concevoir leurs anciens ennemis d’une façon différente. Il leur paraît également pertinent de les considérer comme des non-indigènes d’autrefois, des « Blancs », des Karay, mais, dans ce cas, le fait qu’ils aient été détenteurs d’un armement spécifique ou, au moins, pourvoyeurs d’outils métalliques devient alors essentiel.

37 Pour faire référence aux ennemis du temps passé, certains Yurakaré mobilisent le terme étymologiquement obscur de Sulustu (Sulujustu ou Shulujushtu selon certains) 34. C’est précisément dans le cadre d’une guerre contre des ennemis appelés ainsi que le narrateur plaçait la palingénésie sarcoramphe. Avec les graphies Solosto et Solostro, ce terme apparaît dans des documents historiques de la fin du XVIIIe siècle et du premier tiers du XIXe siècle, comme le nom attribué à deux fractions ou parcialidades excentrées de Yurakaré, localisées dans le bassin de la rivière Yapacani, à l’est du territoire principal du reste du groupe, et qui maintenaient entre elles et le gros des Yurakaré des relations de conflits dépeints comme violents 35. Les Yurakaré actuels qui ne sont pas – au moins dans leur grande majorité – des descendants de ces Solosto « historiques », ne font plus le lien entre ce terme et des épisodes de guerres intra-ethniques auxquelles ils se seraient livrés au cours du XVIIIe siècle. Pour certains, comme c’était le cas du narrateur du récit de la visite au ciel des assassinés, les Sulustu étaient des bárbaru de type Siriono/Yuqui. Mais pour d’autres, Sulustu renvoie à une variété ancienne de Karay : « Los Sulujustu tenían, creo, armas, nuestros antiguos era con lanza, con flecha. Cuando ya tuvieron, […] las armas, escopetas, con eso […] liquidaron toda nuestra raza […] de ahí ya casi se terminaron los antiguos » (Ribera Paniagua 2006, p. 23, données collectées en 1988) 36. Exterminateurs armés de fusils pour cet interlocuteur, les Sulustu étaient, pour une autre personne, des Karay d’autrefois, iniques et abusifs, qui attaquaient les ancêtres, non pas tant pour les massacrer que pour s’approvisionner en captifs – femmes surtout, mais aussi enfants (garçons et filles) – qu’ils forçaient ensuite à travailler pour eux (van Gijn, Hirtzel et Gipper 2011). Néanmoins, au cours des combats qu’ils livrèrent contre eux, les ancêtres auraient eu le dessus grâce à leurs armes, repoussant leurs ennemis à l’aide de leurs flèches à pointe lancéolée, faites de bambou Guadua (flèches dites toño), qu’ils opposèrent, non pas à des fusils, mais à des frondes et à des « machettes de pierre » qui constituaient l’armement de leurs

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adversaires. Bien qu’elle admît n’être pas certaine de connaître la provenance de ces Sulustu, cette personne conjecturait qu’ils venaient de ou de Santa Cruz avec une préférence pour cette dernière option, mais affirmait qu’il ne s’agissait pas, quoi qu’il en soit, de Collas (c’est-à-dire de « paysans andins »).

38 Sinoro, parfois aussi prononcé Shinoro, est le second terme que les Yurakaré peuvent utiliser pour faire référence aux ennemis d’autrefois 37. Le référent historique le plus ancien auquel il est associé et auquel les sources historiques permettent d’accéder (à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle) est celui des Chiriguano. À cette époque, les Yurakaré les considéraient comme dotés de supériorité guerrière, car ils étaient parvenus à s’emparer de la majorité des mythiques « flèches de soleil ». Celles-ci étaient tombées du ciel lorsque le démiurge Tiri, dans un récit déjà cité, non seulement avait permis à l’humanité du dessous d’émerger sur terre, mais avait ensuite créé en son sein la discorde, d’où naquirent les groupes ethniques et les « nations » dans lesquels elle se décline (d’Orbigny 1844a, p. 214). Aujourd’hui, pour certains Yurakaré, Sinoro est considéré comme un terme synonyme ou, à la rigueur, une sous-classe de Sulustu. Le narrateur du récit examiné précédemment favorisait cette dernière option et précisait même qu’aujourd’hui encore on pouvait en rencontrer dans les lieux les plus reculés de la forêt, ajoutant qu’ils présentaient la particularité d’avoir l’articulation du genou inversée 38. D’autres Yurakaré maintiennent en mémoire un récit de guerre impliquant des Sinoro, de la richesse duquel il n’est pas possible de rendre compte dans ces lignes, mais dont on dira qu’il raconte le rapt d’une femme et d’un enfant, selon un modus operandi similaire à celui prêté dans les sources anciennes aux Chiriguano : rapt de femmes et d’enfants, avec mise à mort des maris mais pas des frères, final du récit mettant en scène un mari tué, puis découpé et placé à cuire sur un bûcher qui évoque évidemment un boucan (van Gijn, Hirtzel et Gipper 2011) 39. Globalement les Sinoro sont considérés comme des ennemis, mais pas systématiquement. Certains Yurakaré voient aussi dans les Sinoro des Karay d’autrefois, pourvoyeurs de biens. Un interloctueur affirmait ainsi que les Sinoro devaient être clairement distingués des Sulustu : « No son bárbaros, son como carayanas. No son indígenas. Hablan idiomas diferentes. Eran hombres ricos. Son de ellos que los antiguos conseguían sus herramientas » (ibid.). Un cousin lointain de cet interlocuteur livra une version particulière d’un mythe bien connu où il est question de l’origine accidentelle des Karay. Selon lui, le héros yurakaré créa par mégarde « Brazil, Perú, Argentina, Alemania, La Paz, Cochabamba. […] Estos son los pueblos de carayanas que se llaman shinoro » (Ribera Paniagua 2006, p. 98).

39 Malgré leur aspect hétérogène, et en dépit des contradictions inévitables qu’ils présentent, les attributs qui permettent aux Yurakaré de considérer les Sulustu et les Sinoro en tant que Karay renvoient globalement à une maîtrise technologique différentielle se manifestant, soit à travers un armement spécifique contre lequel les Yurakaré auraient opposé, avec ou sans succès, leurs arcs et leurs flèches, soit comme des « richesses » consistant en outils métalliques dont on n’oubliera pas qu’il s’agissait aussi d’armes (couteaux, machettes) dans la plupart des cas 40. S’il est aisé d’admettre que les colonisateurs européens ou leurs descendants aient pu être associés à des ennemis dotés d’un armement contrastif face aux armes endogènes des Yurakaré, on doit se garder de penser qu’ils furent les seuls dans ce cas.

40 L’accaparement par les Chiriguano de « flèches solaires » qui expliquerait leur puissance guerrière ou l’usage, aujourd’hui, d’un nom qui fut le leur pour caractériser des pourvoyeurs d’outils, résultent d’un télescopage d’images relatives à une

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expérience historique des Chiriguano, en interférence permanente avec celle des Karay. Rappelons quelques généralités : l’arrivée des Guarani, à l’origine des Chiriguano, depuis le bassin du Rio de la Plata a été, en grande partie, un processus de déplacements parallèles, parfois même suscités par les colonisateurs espagnols 41. La puissance et la supériorité guerrière des uns et des autres étaient évidentes pour les populations indigènes du coude des Andes qui, comme les Yurakaré, eurent à se battre avec eux. Confondre les Chiriguano avec les Karay est encore plus justifié lorsque l’on sait que les Chiriguano n’hésitaient pas à razzier des populations environnantes pour vendre les captifs (piezas « pièces » selon l’euphémisme réificateur de l’époque) aux Espagnols, une pratique dont furent victimes les Yurakaré (Del Castillo 1906 [ca. 1676], p. 372). La « pacification » partielle des Chiriguano par les Espagnols ne changea d’ailleurs par la donne : un peu plus tardivement, ceux réduits à la mission de Porongo, fondée en 1714 près de Santa Cruz, furent utilisés comme une milice au service des colonisateurs pour « contener á los Indios Yucaráes [sic] » (Cosme Bueno 1770).

41 Mais, plus intéressant encore, est de constater que les Chiriguano ont pu, dès le XVIe siècle, susciter une figure de guerrier hautement contrastée avec celle des indigènes locaux, décalque du soldat Karay de l’époque. Comme Saignes l’a montré (1982), dès les années 1570 et pendant les premières décennies du XVIIe siècle, époque durant laquelle leurs contacts avec les Yurakaré étaient les plus fréquents, les Chiriguano furent pourvus d’armes (et en particulier d’arquebuses) par des métis interlopes, en échange d’esclaves. Ils n’hésitaient pas à piller des établissements espagnols frontaliers pour se pourvoir en armes, en outils métalliques ou encore en chevaux qu’ils apprirent rapidement à monter. Lizárraga rapporte que les Chiriguano étaient si puissants qu’ils pouvaient se permettre de racketter les colons de leur voisinage, narguant l’autorité de la Couronne, puisque, dans le langage de l’époque, ces pratiques étaient considérées comme un impôt : « pagábanles tributos, cuchillos, tijeras, algunas hachas » (Lizárraga 1916 [ca. 1604], p. 284). Enfin, au début des années 1580, les Chiriguano tentèrent de fomenter un vaste soulèvement multi-ethnique contre les Espagnols auquel participèrent les Yurakaré et d’autres groupes du piémont (comme les Jores et les Tamacoci), mais aussi des vallées andines (comme les Chuy). Face à cette révolte qui aurait pu conduire à la fin de la colonie de Santa Cruz de la Sierra, les Espagnols déployèrent une lourde campagne militaire qui dura deux ans. L’esclave noir Blas, qui avait été capturé par les Chiriguano et dont les Espagnols s’emparèrent à nouveau, a laissé un éloquent témoignage de ce qui se tramait à l’époque dans cet espace de la jeune province de Charcas : Blas affirme avoir eu la vie sauve en offrant des services de forgeron aux Chiriguano ; il nous apprend par ailleurs comment ses nouveaux maîtres obtenaient, en contrebande, auprès de leurs alliés Chuy – installés à – de la poudre, du souffre, du salpêtre, des munitions, mais aussi des haches, des couteaux, des ciseaux (Blas [esclave] 1585, f. 65v-66r) 42. Bref, on a ici assez d’attestations historiques qui justifient que la mémoire des Sinoro/Chiriguano ait pu fusionner avec celle des Karay.

42 Relativement facile à percevoir derrière l’ennemi Karay, la silhouette des ennemis Chiriguano n’est pourtant pas la seule à s’être maintenue dans la mémoire des Yurakaré d’aujourd’hui : de manière plus ténue sans nul doute, à peine visibles, les frondes et les machettes en pierre dont il est fait mention ci-dessus et, par un autre biais, les « flèches du soleil », également évoquées, sont les traces d’une époque plus lointaine que le temps n’a pas encore totalement effacées. La focalisation des Yurakaré sur les armes exogènes ne s’est pas fixée lors de l’arrivée des colonisateurs européens, maîtres de la

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poudre et du fer. Elle renvoie elle-même à un contraste entre armes endogènes et armes exogènes clairement préhispanique qui perdure aujourd’hui à l’état de vestiges. Ces référents prennent tout leur sens dans un contexte ethnographique et historique un peu plus vaste que celui que l’on a évoqué jusqu’à présent (Figure 3).

FIG. 3a – Inca Pachacuti Yupanqui, Guaman Poma de Ayala (2004 [1615-1616], f. 108).

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FIG. 3b – Asiel Timor Dei, ange arquebusier, huile sur toile, 110.5 × 160.5 cm, XVIIe siècle, Museo Nacional de Arte (La Paz, Bolivie), œuvre du Maître de Calamarca, probablement José López de los Ríos.

43 Un large éventail de données ramène, en effet, à l’époque préhispanique, ou, au moins à sa dernière phase, particulièrement marquante localement, que fut l’expansion de l’empire inca 43. Si les armes à feu sont évidemment les armes par excellence des Karay, le fait que les Yurakaré utilisaient, au début du XIXe siècle, le terme d’origine andine ilapa pour les désigner n’est pas anodin (Adam 1893, p. 81). Dans les hautes terres voisines, ce terme autant quechua qu’aymara désigne la foudre, mais, dès l’arrivée des Espagnols, il servit à nommer les arquebuses et les canons. Pour les sociétés andines, plus qu’une métaphore de la foudre, ces armes étaient une manifestation terrestre de la puissance de divinités célestes à côté du créateur Viracocha et du Soleil. Comme Ziółkowski (1997, pp. 58-59) le fait remarquer, le tonnerre était vénéré sous différentes figurations : l’une d’entre elles était précisément Inti illapa, « foudre du soleil », qu’on ne peut s’empêcher de rapprocher, dans un tel contexte, des « flèches solaires » qu’évoquent les Yurakaré, mais aussi des frondes. Selon Cobo, Inti illapa était une divinité dépeinte comme « un hombre que estaba en el cielo formado de estrellas con una maza en la mano izquierda y una honda en la derecha, vestido de lucidas ropas, las cuales daban aquel resplandor del relámpago cuando se revolvía para tirar la honda; y que el estallido della causaba los truenos » (Cobo 1653 cité dans Ziółkowski 1997). Dans leurs campagnes militaires, les Incas transportaient des représentations matérielles de leurs divinités ou wakas, et notamment la foudre 44. L’Inca guerrier par excellence, Pachacuti, est représenté par Guaman Poma brandissant la fronde et le casse-tête, comme s’il était lui-même une image de l’Inti illapa décrit par Cobo (cf. Figure 3 gauche). Cette caractéristique est au demeurant valable pour tous les souverains des Andes puisque « [e]l Sapan Inka, considerado como “Hermano del Trueno” luchaba durante las batallas con

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“armas religiosas”, imitando simbólicamente a su “hermano celeste”: los proyectiles de oro que lanzaba contra sus enemigos representaban los rayos del Señor del Trueno » (ibid., p. 175).

44 L’intensité destructrice de la foudre, à travers laquelle les Incas légitimaient leur puissance militaire, ne laisse pas indifférents les Yurakaré jusqu’à ce jour, puisqu’ils la considèrent eux-mêmes comme la manifestation du pouvoir d’esprits célestes. La foudre qui éclate dans un bruit tonitruant est l’attribut par excellence d’esprits bienveillants associés aux montagnes, les Mororuma qui prêtaient assistance aux chamanes. Les Yurakaré les considèrent à la fois comme une image parfaite et idéalisée d’eux-mêmes et, dans un discours que l’on ne peut dissocier d’apports venus du christianisme, comme des anges protecteurs mi-guerriers, mi-policiers. Les Mororuma s’opposent en particulier à des esprits négatifs et « diaboliques », maîtres du gibier et généralement associés à l’argile, qu’ils attaquent à coups d’éclairs 45. Mais la comparaison ne s’arrête pas à ces quelques généralités. Certains Yurakaré, résidant sur le haut Isiboro, relatent un vieux récit de guerre dont ils sont parmi les derniers à avoir conservé la mémoire 46. Le récit retrace une victoire légendaire contre des ennemis appelés Oromo, un haut fait dont on prend mieux la mesure en sachant que les Yurakaré s’en vantaient déjà au temps de d’Orbigny (1839, p. 161).

45 Ce récit explique comment un esprit Mororuma, appelé aussi bien Chobiri que Tërërë abonto (fils de l’éclair) prêta main forte aux Yurakaré pour vaincre des ennemis qui ont un parfait profil andin. De façon factuelle, les narrateurs de ce récit précisent que les Oromo étaient aussi des fournisseurs de métal, cependant, disent-ils, ce n’était pas du fer, mais un autre métal qu’ils obtenaient d’eux 47. D’autre part, ils affirment que leur arme de guerre était la fronde. On pourrait s’attendre à ce que la victoire qu’ils s’attribuent ait été obtenue grâce aux armes auxquelles les Yurakaré s’identifient d’ordinaire. Il n’en est rien. Cette victoire fut remportée par Chobiri qui avait acquis le droit d’utiliser l’arme de Dyërërë, le « chef » des Mororuma. Assimilée par un interlocuteur à un bazooka, en référence à des vidéos guerrières, cette arme était plus précisément décrite comme un projectile ressemblant à une balle de fusil qui était lancée contre les ennemis (sans qu’on sache si c’était à la main ou avec une fronde) et qui explosait en les percutant. Ainsi, dans ce récit, les Yurakaré affrontent des guerriers au profil andin, armés de frondes, tout en devant leur victoire à un esprit armé qui s’apparente, pour une part, à la divinité andine de la foudre et à l’Inca et, pour une autre, à un ange « policier », calque de cette puissante image, utilisée à des fins d’extirpation d’idolâtrie, de l’ange arquebusier qui s’épanouit dans les hautes terres boliviennes aux XVIIe et XVIIIe siècles (cf. Figure 3 droite).

46 Les données ethnographiques et historiques concernant les Yurakaré sont suffisamment solides pour démontrer que, par contraste, l’arc et les flèches ont pu également s’opposer à l’armement des sociétés andines et que l’armement des Karay n’a, en réalité, que prolongé une dichotomie qui le précédait. On en trouvera une confirmation dans diverses sources qui ont particulièrement attiré l’attention des ethnohistoriens et des spécialistes des sociétés andines vivant dans la région des vallées mésothermiques de Bolivie, auxquelles on accède depuis les basses terres après avoir passé la première et haute cordillère qui surplombe le territoire yurakaré (cf. Schramm 1993 et Barrágan 1994 pour les premières observations de ce contraste repris par Platt, Bouysse-Cassagne et Harris 2006 et plus particulièrement développé par Sánchez 2008). Dans cette vaste région sillonnée par les formateurs du río Grande ou Guapay, jusque dans la grande vallée intérieure de Cochabamba, puis plus au sud jusqu’aux formateurs

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du Pilcomayo, s’épanouirent des sociétés diverses qui, avant même l’instauration de l’ordre inca, participèrent pour certaines d’entre elles à la puissante confédération aymara Qaraqara-Charka dont les centres politiques étaient localisés dans les étages écologiques supérieurs. Les Chuy, déjà cités, qui fréquentèrent les Yurakaré jusqu’à la fin du XVIe siècle, apparaissent ainsi dans les sources comme une des « nations » de cette entité politique, un statut qu’ils partageaient avec les Chicha et vraisemblablement aussi les Yampara (Platt, Bouysse-Cassagne et Harris ibid., pp. 59-67). Or il semble que ces sociétés des vallées andines – à bien des égards intermédiaires entre les habitants des basses terres et les chefferies aymara de l’Altiplano – auraient eu pour caractéristique distinctive en matière militaire d’employer des arcs et des flèches, à la manière de leurs voisins du piémont. Ce contraste n’aurait pas échappé aux Incas. Barrágan (1994) suggère, en se fondant sur la lecture du Memorial de Charcas, que les contingents de soldats que la confédération Qaraqara-Charka mit à disposition de Huayna Capac, dans sa campagne contre les Cañari et les Chachapoya au nord du Tawantinsuyu, pourraient même avoir été structurés sur cette opposition technologique, agencée institutionnellement de manière dualiste : les troupes de soldats qaraqara et charka qui maniaient des frondes auraient été associées respectivement aux archers chicha et chuy (ibid., p. 145). Indépendamment des problèmes historiques et sociologiques que pose l’articulation des populations des valles à celles du piémont, le contraste entre Indiens archers et Indiens frondeurs était un critère de classification pertinent dans la région, quelle que soit l’altitude. Il s’agit d’un phénomène sociologique sur lequel les Espagnols sont venus se superposer, avec leurs arquebuses, leurs canons et leurs chevaux, se substituant aux Indiens « à fronde ».

Le sarcoramphe et le sacrifice

47 Relever la prégnance du contraste, pour les Yurakaré, entre armes exogènes et armes endogènes fait remonter à la surface un enjeu implicite essentiel de la palingénésie sarcoramphe : ce vautour n’a pas acquis sa place dans l’eschatologie yurakaré – et parmi les populations du piémont andin tels les Ashaninka et les Matsigenka – au seul titre qu’il est un charognard mangeur de pourri et qu’il se substitue localement à un jaguar mangeur de cru, mais parce qu’il présente des particularités écologiques, éthologiques et morphologiques singulières à partir desquelles ceux qui pouvaient l’observer ont été en mesure de forger une analogie avec la figure schématique d’un souverain exécuteur. Si l’on ne peut exclure que cette connexion soit nourrie de la connaissance qu’avaient les habitants du piémont de l’importance accordée au condor (Vultur gryphus) par les Incas et les populations andines en général, elle n’est pas moins spécifique au sarcoramphe, un oiseau que les piémontais avaient tout loisir d’observer chez eux, à la différence du condor qui ne quitte guère les hautes cimes de la cordillère.

48 Bien qu’il se rencontre dans tout le bassin amazonien, avec, semble-t-il, plus de fréquence le long du piémont andin, notamment péruvien et bolivien (Ferguson-Lees et Christie 2001, p. 315, carte), le sarcoramphe n’y est pas un oiseau courant, et il est beaucoup plus rare que les autres espèces de la même famille, au moins dans les régions où il cohabite avec elles, comme c’est le cas le long des Andes. D’Orbigny, qui a consacré de longues pages à cet oiseau (auxquelles on ne peut accorder que plus d’intérêt sachant qu’elles se fondent en grande partie sur des observations réalisées dans les

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basses terres de Bolivie), remarque à cet effet : « À peine, dans les pays qu’il fréquente le plus […] pourrait-on en comparer le nombre à la moité de celui des condors, au quinzième de celui des auras, et au centième […] de celui des urubus » (d’Orbigny 1844b, p. 29). À cette rareté relative s’ajoute un mode de vie fort peu grégaire, qui contraste particulièrement avec celui de l’urubu noir, le plus commun des charognards amazoniens. En termes abstraits, la relation des deux oiseaux est similaire à celle qui oppose l’un au multiple. Ce contraste quantitatif, important à noter, serait peu significatif pourtant, s’il ne se combinait à une autre dimension que révèle la curée des vautours : la hiérarchie. Le sarcoramphe repousse en effet tous ses concurrents, et ne recule que face au condor des Andes (Wallace et Temple 1987, p. 293). Cette domination, attribuée par les ornithologues à sa taille supérieure et à la force de son bec, produit des interactions autour de la charogne, qui ont surpris les observateurs et, sans forcément en être la cause unique, justifie qu’on traite le sarcoramphe comme le « chef des vautours ».

49 Lorsque la dépouille localisée est dans un état de décomposition avancé, les vautours noirs, dont l’avidité a déjà été mentionnée, se mettent à manger sans tarder. Mais quand un sarcoramphe arrive, ils reculent et abandonnent leur repas. Laissant d’abord cet oiseau se servir, ils le regardent à distance, et n’osent revenir sur la bête qu’une fois celui-ci rassasié. Face à une carcasse fraîche, les vautours noirs sont en revanche empruntés car leur bec fluet les empêche d’entailler un animal dont la chair est encore trop résistante. Ils doivent alors attendre l’arrivée du sarcoramphe qui, grâce à son bec recourbé à la fois puissant et tranchant (Figure 4), n’éprouve pas leurs difficultés (Houston 1994). Le sarcoramphe est donc non seulement un charognard dominant doté d’une sorte de préséance, mais il a aussi le privilège de la première entaille.

FIG. 4a – Détail de la tête du sarcoramphe [cliché d’après Gratwicke 2011].

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FIG. 4b – Hachette de cuivre d’origine andine, rivière Chaparé [cliché Hirtzel 2007].

50 Et ce n’est pas tout. En raison du sang dont ils se maculent en dépeçant les cadavres et en enfouissant leur tête dans le corps des charognes, les vautours, pour des raisons d’hygiène, ont perdu les plumes de la tête. Cette absence prend, chez le sarcoramphe, l’allure d’un feu d’artifice. Son bec rouge vermillon est surmonté sur le front de tissus caronculés jaune orangé. Paraissant couverte d’un masque ou d’une cagoule de peau de couleur noire, très légèrement duveteuse (Figure 4 gauche), sa tête prolonge un long cou lui aussi dénudé et violemment coloré : jaune à la gorge et rouge ailleurs. Cette prédominance du rouge ne peut manquer d’évoquer le sang. La connexion est d’autant plus évidente pour les Yurakaré que, dans leur langue, tëbêttëbë (« rouge »), est dérivé de tëbbë (« sang »). Le bec puissant des sarcoramphes n’a pas non plus laissé indifférents les Yurakaré, au point que c’est en référence à ce phanère effilé qu’il doit son nom. Bien qu’opaque aujourd’hui pour de nombreux locuteurs yurakaré, sëlëshunñe se compose du terme shunñe (« homme, personne de sexe masculin »), précédé de la forme sëlë identique à un verbe signifiant « couper ». Pour la plupart des locuteurs, sëlë signifie « couper », « trancher », « débiter », autant d’actions que l’on réalise avec une efficacité indubitable lorsque l’on utilise un outil métallique : couteau, machette ou ciseaux. Certains locuteurs de la rivière Chaparé, consultés à cet égard, réservent sëlë à l’action de découper avec des ciseaux, c’est-à-dire d’ouvrir en séparant, notamment des coupons de tissus (eux-mêmes nommés sëlëta), une action analogue à celle que réalise le sarcoramphe en entaillant la peau 48.

51 Oiseau qui donne à voir la souveraineté par sa présence individuelle et le respect qu’il impose, doté d’un bec renvoyant lui-même à l’action de couper avec un instrument métallique, incisant le premier les corps immobiles de charognes, le sarcoramphe a en effet de quoi évoquer la figure d’un souverain dominant, mais aussi d’un souverain maître du métal en général, maître dans l’art de se servir d’une lame qui tranche un

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corps. Si les Karay, les « Blancs », ont été connus, dès leur arrivée en Amérique, pour être pourvoyeurs d’objets métalliques, particulièrement en fer, les populations des basses terres n’en disposaient pas moins, déjà avant leur arrivée, d’outils de métal produits dans les Andes où la métallurgie est une technologie ancienne. Les Incas, comme on le sait, se sont amplement servis des objets de métal (parures ou outils) comme de biens rares, particulièrement prisés, dont la distribution généreuse servait leur politique d’expansion ou de contrôle des frontières. Très près du territoire yurakaré, le chroniqueur Alcaya rapporte que c’est précisément à travers des objets de ce type qu’un noble inca aurait obtenu l’allégeance de Grigota, le cacique des Tamacoci – dont nous avons vu que les Yurakaré furent un temps alliés 49. Le flux de ces objets métalliques et les modalités du commerce dont ils étaient l’objet sont difficiles à préciser dans la région historiquement occupée par les Yurakaré. La lame de cuivre, fortuitement trouvée par des Yurakaré, en 2007, dans une urne funéraire mise au jour par l’érosion alluviale du moyen rio Chaparé et reproduite ci-dessus (cf. Figure 4 droite), en est une illustration concrète 50. Cet objet de facture andine, communément désigné par les archéologues comme un tumi « couteau », témoigne de ce commerce ancien et de l’importance de tels objets, ne serait-ce qu’en tant que biens funéraires. Quel qu’ait pu être l’usage de cette pièce en particulier ou d’autres similaires, on ne manquera pas de relever que le métal dont elle est faite – un cuivre assez pur avec peut-être un peu d’étain – présente une couleur qui s’accorde bien avec le bec du sarcoramphe 51.

52 Si les matériaux ethnographiques contemporains réunis à ce jour parmi les Yurakaré n’évoquent certes pas directement un souverain andin, ils établissent en revanche une corrélation entre l’apparence corporelle de l’oiseau et la figure de ceux qui se sont historiquement substitués à lui dans le maniement des armes exogènes : les militaires karay. Un interlocuteur du bas Isiboro attribuait ainsi en espagnol le sobriquet de teniente « lieutenant » au sarcoramphe, dans une version d’un récit mythologique largement distribué, où il était mentionné au passage. Confirmant le lien qui l’unit aux soldats karay, ce surnom met en valeur, lui aussi, la position hiérarchique dominante d’un oiseau qu’il serait impropre de comparer à un vulgaire soldat. Par ailleurs, si l’on n’a pas relevé de mention explicite du couteau comme l’un de ses attributs, elle est comprise dans cette déclaration recueillie par Djup (2007, p. 93) selon laquelle les sarcoramphes sont des « soldiers with weapons and “helmets” ». L’espèce de masque, qui épouse la forme de son crâne avec une courbe sinusoïdale, n’est pas sans rappeler, quant à elle, la morphologie de la montera de basane que portent les habitants de Tarabuco dans les Andes boliviennes et, au-delà, le modèle qui lui a servi d’inspiration : le morrion des conquistadors espagnols. Enfin, le terme saju, par lequel les Yurakaré nomment le vêtement de plumes du sarcoramphe dont se revêtent les assassinés (et dont on a déjà mentionné l’aspect masculin et formel), pourrait fort bien avoir été inspiré par une pièce d’uniforme militaire, probablement d’ailleurs davantage en référence à une tenue d’apparat que de combat 52.

53 Les populations arawak du piémont péruvien ont mis en valeur des caractéristiques physiques ou comportementales du sarcoramphe qui ne laissent planer aucun doute sur l’archéologie des connexions établies par les Yurakaré. Le couteau (ou le sabre) est un attribut explicite du sarcoramphe, auquel on peut accorder une origine militaire comme une version d’un récit nomatsigenka l’atteste (Shaver et Shaver 2008 [1976], p. 108). Ce même couteau, dans d’autres cas, est considéré comme l’origine mythique du bec du sarcoramphe ainsi que le rapporte un récit matsigenka (Renard-Casevitz

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1991, mythe 23, p. 148) 53. Si cette arme sert occasionnellement à mettre à mort, comme dans le récit qui conte l’exécution par décapitation à coups de sabre d’un humain réincarné en urubu noir (Matsigenka), elle peut être chargée d’une valeur sacrificielle. C’est le cas lorsque le sarcoramphe découpe et prélève, avec le couteau qu’il a reçu de la divinité, des morceaux de chair « pure » (non souillée par les urubus noirs) pour les offrir à son commanditaire divin (le Soleil) afin qu’il s’en nourrisse (Ashaninka) ou encore lorsqu’il est question de l’extraction du cœur des assassinés par un sarcoramphe qui souffle dessus pour lui redonner vie (Matsigenka).

54 Les données ethnohistoriques autant qu’archéologiques qui ont été recueillies dans les Andes confirment combien pertinente pouvait être pour les piémontais l’idée d’associer le sarcoramphe à un souverain andin, exécutant des victimes dans un tel horizon sacrificiel. En premier lieu, parmi les attributs qui rendaient visible son statut aux yeux de ses sujets, on sait que l’Inca possédait une arme métallique, appellée champi ou tupac yauri suivant les chroniqueurs, souvent décrite comme un sceptre, mais symbolisant plus spécifiquement la puissance du châtiment souverain qu’il pouvait exercer contre ses ennemis (auca). Por última divisa real daban al príncipe una hacha de armas, que llaman Champi, con una asta de más de una braza en largo. […] Al ponérsela en la mano, le decían: Aucacunápac. Es dativo del número plural; quiere decir: para los tiranos, para los traidores, crueles, alevosos, fementidos, etc., que todo esto y mucho más significa el nombre Auca. Querían decirle en sola esta palabra, conforme al frasis de aquel lenguaje, que le daban aquella arma en señal y divisa de que había de tener mucho cuidado de castigar a los tales. (Garcilaso de la Vega 1991 [1609] vol. 1, p. 386)

55 Cet emblème de pouvoir était solennellement remis à l’Inca lors de son investiture et lui conférait le droit de mettre à mort tous ceux qui défiaient sa souveraineté, en particulier ses ennemis ou ses sujets rebelles. Si l’on ne connaît pas précisément la fréquence et les circonstances qui conduisaient l’Inca (ou ses substituts) à mettre en pratique ce pouvoir régalien, il est clair qu’il n’apparaissait pas seulement dans les reconstitutions théâtralisées lors des festivités précédant l’intronisation d’un nouveau souverain 54. Les chroniqueurs mentionnent régulièrement que les Incas, lorsqu’ils vainquaient les ennemis qui refusaient de se soumettre ou s’étaient soulevés, faisaient parmi eux des prisonniers qu’ils mettaient à mort, ou commettaient même des massacres collectifs incluant des civils, par exemple lors des conquêtes des territoires septentrionaux de l’empire et dans des situations de graves crises de succession 55.

56 Sous le règne de Huayna Capac, peu avant l’arrivée des Espagnols, des châtiments de cet ordre semblent avoir été perpétrés contre les habitants d’une portion du piémont qui pourrait avoir inclus des Yurakaré. Deux chroniques tardives, mais particulièrement riches en informations, sur le territoire actuellement bolivien du Tawantinsuyu se recoupent sur ce point. Cobo (1892 [1653], p. 181) indique ainsi que Huayna Capac « envió sus capitanes contra los Chiriguanos y otras naciones de aquellas cercanías y cordilleras, que, fiados en la aspereza de la tierra, llevaban mal la servidumbre del Inca ». Le chroniqueur signale qu’au terme de cette campagne victorieuse, l’Inca s’empara de quelques prisonniers (dont on ne connaît malheureusement pas l’identité), qu’il conduisit jusqu’aux abords du lac Titicaca où ils furent immolés : « Mandó sacrificar allí á su padre el Sol los que traía en prisión de los que se habían rebelado, los cuales no quiso llevar al Cuzco para el triunfo, por ser muy pocos » (ibid.). Ce témoignage est partiellement confirmé par Alcaya qui précise que l’Inca aurait fait périr des captifs chiriguano, mais en les laissant geler, nus, pieds et poings liés, au sommet d’une montagne (1961

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[ca. 1607-1615], p. 56). Si les deux auteurs ne font pas état d’un même type de châtiment, ils sont néanmoins d’accord sur leur dimension sacrificielle, explicitement dans le cas de Cobo, indirectement dans le cas d’Alcaya. Les Incas abandonnaient, en effet, sur les plus hauts sommets des Andes des enfants ou de jeunes femmes qu’ils offraient à leurs divinités. Il apparaît, au regard de ces éléments, que les Yurakaré ont été touchés de près par la vindicte des Incas ; ces témoignages donnent aussi un certain crédit au fait que les Yurakaré auraient été victimes de la « tirania de los yngas » comme l’indique le vice-roi Toledo (1924 [1573], p. 202) lorsqu’il introduit le compte rendu de l’entretien qu’il eut avec certains d’entre eux à Chuquisaca dans une lettre qu’il envoie au roi.

57 À propos du sacrifice humain inca, Verano (2008, p. 1052) insiste sur la différence entre les exécutions capitales de captifs de guerre et les très solennels sacrifices d’enfants et de jeunes femmes désignés au sein de l’empire pour être offerts aux divinités dans les cérémonies connues sous le nom de capac hucha. S’il est incontestable que les exécutions de prisonniers visaient à provoquer l’effroi parmi des ennemis rebelles, ce qui n’était pas le cas de la capac hucha (encore que les informations d’Alcaya, citées ci- dessus, témoignent d’un certain flou à cet égard), il n’en reste pas moins que le sacrifice humain sous toutes ses formes avait une dimension politique forte et était lié à l’expansion de l’empire comme l’a montré Molinié (2004). Sans doute, le sacrifice de prisonniers n’épuise-t-il pas tous les registres et toutes les modalités des pratiques guerrières incas qui, on le sait, comprenaient par ailleurs des prélèvements de trophées, voire occasionnellement du cannibalisme 56. Notre propos n’est pas ici de rendre compte de tous les aspects de la guerre impériale inca, mais simplement de montrer combien le sacrifice humain pouvait marquer des sociétés piémontaises complètement étrangères à ce type de pratiques et leur suggérer que l’Inca était capable d’exécuter et d’immoler aussi bien ses ennemis que ses propres « gens ». Le complexe sacrificiel inca éclaire incontestablement l’analogie entre le sarcoramphe et un souverain exécuteur/sacrificateur et montre tout ce que la palingénésie des guerriers morts yurakaré emprunte à l’histoire. Est-ce à dire que le mythe a été créé à l’époque inca ? L’intensité des conflits frontaliers engendrés par la politique expansionniste cuzquénienne est un argument de poids, mais ne doit pas faire oublier que le sacrifice d’ennemis, dans les Andes centrales, précède l’avènement du Tawantisuyu et remonte (au moins) à l’horizon Wari/Tiwanaku. La possibilité d’une genèse encore plus ancienne n’est donc pas à écarter. Les analyses taphonomiques de restes humains découverts à Tiwanaku – centre cérémoniel par excellence de l’Altiplano et dont l’aire d’influence effective incluait les vallées mésothermiques proches du territoire yurakaré (au moins tel qu’on le connaît depuis le XVIe siècle) – ont démontré l’existence de sacrifices humains, où les victimes, probablement des captifs, une fois exécutées, étaient non seulement démembrées puis exposées au soleil, mais surtout laissées à la merci de charognards (Bloom et al. 2003, p. 445). À de multiples égards, il n’est donc pas étonnant de retrouver le sarcoramphe, le long du piémont, du Cuzco à la Bolivie, en association avec un souverain sacrificateur. Ce fait marquant, dont l’amplitude était passée inaperçue jusqu’à ce jour, pourrait permettre d’éclairer quelques points historiques assez intrigants de l’ethnohistoire régionale. On songe ici à la célèbre mention du Rey blanco, décrit comme un maître ou seigneur du métal, apparaissant dans quelques chroniques espagnoles du río de la Plata (en particulier Ramírez 2007 [1528]) à l’époque où le Tawantisuyu n’était pas encore connu ni tombé dans les mains de Pizarro 57.

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Conclusion

58 Le rapport de contiguïté extrême qui s’établit entre le meurtrier et la victime a engendré des appréhensions plus variables qu’on ne l’estime d’ordinaire dans les sociétés des basses terres sud-américaines. Les Yurakaré, mais aussi les autres populations dont l’ethnographie a été prise en compte dans ce travail, apportent la preuve que le plan d’indistinction où peuvent se retrouver meurtriers et victimes n’est pas obligatoirement la conséquence d’une application d’un modèle prédateur « classique », qui supposerait un processus d’absorption de la victime par le tueur ou son groupe, une victime dont « l’âme » rejoindrait plus ou moins métaphoriquement le camp de ceux qui l’ont tuée, ou qui, plus abstraitement, servirait de médiation pour que le tueur puisse s’autodéfinir par le point de vue que l’ennemi porte sur lui. L’existence, largement attestée au-delà de l’exemple yurakaré, d’un statut ontologique et cosmologique des assassinés parfois étendu aux meurtriers est l’élément le plus probant de l’existence d’une autre explication : en leur attribuant un monde propre, les sociétés qui ont donné un destin personnalisé aux membres assassinés de leur groupe ont en effet clairement explicité le fait que ces victimes échappaient à l’absorption potentielle des ennemis par leur meurtrier ou son groupe, et qu’en cela elles ne servaient pas de « réservoir » identitaire exploitable par leurs ennemis, quelle que soit la forme donnée à celui-ci.

59 L’idée que leurs parents morts dans la violence, à la guerre ou par assassinat, ont un destin singulier qui échappe à leurs meurtriers – ne sont pas mangés par eux – a conduit ces sociétés à les placer dans une situation qui demeure paradoxale. En leur refusant le terme de leur absorption potentielle, elles ont rendu les victimes « orphelines » de leur tueur (jusqu’à ce que celui-ci, après sa mort, ne vienne s’établir dans le même monde). Violemment arrachés à l’affection de leurs parents, ces défunts sanglants, dès lors sorte de parias, se recomposent un monde où partager leur solitude, contraints pour ainsi dire de se tenir lieu d’autres à eux-mêmes dans un processus dont l’horizon autoréférentiel du régime alimentaire (autohématophagie, autocannibalisme) donne la mesure. Dans ces jeux de décalages perspectifs, puissamment mis en scène par tous ceux qui en parlent et où les assassinés affirment l’innocuité de ce qu’ils consomment, on se demande pourtant quelle est la nature de leur point de vue : sont-ils de bonne foi, n’ont-ils plus de mémoire, se mentent-ils à eux-mêmes ? Le doute court le long d’une frontière dont le franchissement n’est pas sans risque.

60 La concrétion du monde autoréférentiel et postprédateur des assassinés semble avoir trouvé le long du piémont andin un épanouissement certain, et un développement particulier chez les Yurakaré et les Arawak pré-andins. Pour ces populations, dont le regard s’est porté avec acuité sur les hautes terres, l’image de la curée des vautours et du rôle singulier qu’y joue le sarcoramphe a rendu possible d’aligner victimes et meurtriers : pas n’importe quelle victime ni n’importe quel meurtrier, mais ceux qu’unissent les armes à feu et métalliques, comme l’exemple des Yurakaré, qui nous a spécifiquement intéressés, l’a mis en évidence. L’horizon de cette unification charognarde de victimes et de meurtriers est le fruit d’un rapprochement ou, plus exactement, d’une analogie qui connecte, dans l’ombre du sacrifice, l’autoréférentialité du statut des assassinés au problème que pose, « vue d’en bas », l’exécution capitale telle que l’inflige un souverain andin, dont l’Inca est le prototype (ou l’ultime avatar).

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Ce que les Yurakaré, les Ashaninka et les Matsigenka ont retenu d’un tel acte, réverbéré à travers l’agir du sarcoramphe, va au-delà d’un simple couplage et pose l’exécution capitale comme une modalité de l’autoréférentialité. Expliquons.

61 En tuant sa victime, le souverain affirme la puissance de son pouvoir sur un condamné. L’acte même de mise à mort n’a rien à voir avec une mort au combat. Elle implique l’immobilisation d’un prisonnier dont l’agentivité est sous contrôle. Lorsque l’Inca, ou son substitut, décidait de châtier un ennemi – un traître de son point de vue –, le temps de l’affrontement et du combat était clos, la défaite avait eu lieu. La victime, dès lors sans aucune échappatoire, n’avait plus d’autre acte à subir que celui, immensément passif, de l’estocade finale. Dans une situation de cet ordre, la victime se voit imposer un processus de réification – elle devient une chose – à mesure de la subjectivation maximale du souverain exécuteur. Mais ce que la métaphore du sarcoramphe et des charognards permet de comprendre, c’est que la réification de la victime est telle que celle-ci est, pour ainsi dire, déjà morte avant que la mise à mort ait lieu. L’exécuteur agit sur un corps immobile : non pas un ennemi, non pas un autre, mais un cadavre anticipé. La suspension de la dimension prédatrice dans l’acte d’exécution peut ainsi rejoindre, dans l’esprit de ceux qui s’en sont servi, l’image d’un sarcoramphe à la curée. En accroissant démesurément la distance qui le sépare de sa victime par la verticalité hiérarchique, le souverain exécuteur dissout le statut d’ennemi de sa victime et, par ce corps où toute résistance a été abandonnée, il peut accomplir un acte narcissique, au nom de sa propre gloire et du soleil qui en est l’hypostase, pour propager l’épouvante sur ses sujets avertis d’avance du prix à payer s’ils étaient enclins à se soulever. Mais celui qui affirme sa puissance, son pouvoir, répand des rumeurs qui font aussi réfléchir ceux à qui elles sont sciemment adressées : « l’Inca sarcoramphe » est cette figure où se mêlent à la fois la grandeur et le sérieux sur un fond qui n’est pas sans ironie et dérision et que se sont donnée certains frontaliers de l’empire, mauvais vassaux, si vassaux ils furent.

62 Dès lors, le plan d’indistinction qui, pour les Yurakaré, unit dans un même devenir sarcoramphe, victimes et tueurs, s’éclaire dans toute sa complexité. S’ils peuvent se côtoyer dans l’au-delà, chez meme Shëwshë, c’est en raison de cette « ligne de fuite » jalonnée par les armes exogènes, le bec du sarcoramphe et, plus lointainement encore, le couteau du sacrifice. Le tueur qui emploie des armes exogènes est donc métaphoriquement un sacrificateur et l’assassiné, tué par ces armes, une victime sacrificielle ; ils constituent bien une totalité, mais cette totalité ne résulte pas d’un acte de prédation. La métaphore du sacrifice implique certes que le sacrificateur et le sacrifié fusionnent, mais ce n’est pas au terme d’un processus où le sacrificateur deviendrait « l’ennemi », puisque la contiguïté qui s’établit entre lui et sa victime provient de ce qu’il en fait son objet, sa chose par l’acte de sa mise à mort, un acte qui est lui-même postprédateur et fondamentalement autoréférentiel. Si l’on souhaitait malgré tout maintenir l’idée que les victimes yurakaré à travers leur palingénésie sarcoramphe deviennent des « ennemis », en invoquant l’argument que cet oiseau est une représentation analogique d’un ennemi particulier, cela ne pourrait être qu’au terme d’une transformation du concept d’ennemi et en le vidant de sa dimension prédatrice. Derrière le sarcoramphe, il n’y a plus, en effet, un ennemi amazonien, mais un exécuteur qui immole du haut de sa souveraineté ce qui lui appartient déjà. Si les Yurakaré avaient voulu affirmer que les Incas, les « Blancs » ou les Chiriguano étaient des « superprédateurs », le jaguar leur offrait la figure idéale : ils lui ont substitué un

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charognard, au-delà de la prédation, car il était seul apte à rendre l’étrangeté de leur inimitié.

63 À cet égard, les représentations associées au sarcoramphe apportent un argument supplémentaire à une idée développée par Menget (1996) qui n’a pas forcément eu l’écho qu’elle méritait. Si, dans les basses terres, des pratiques comme la chasse aux têtes ou le cannibalisme se sont institutionnalisées le plus souvent comme des pratiques en miroir entre ennemis privilégiés, cela suppose que les belligérants admettaient tacitement la convertibilité mutuelle de leurs points de vue. La guerre amazonienne et les pratiques rituelles qui lui sont associées, réglées par des institutions partagées, historiquement constituées, reposent en définitive sur le fait que, tout ennemi qu’il soit, l’ennemi le plus productif est un quasi semblable et, en tous les cas, appartient à « un être collectif de même nature » (ibid., p. 141). On peut donc dire que manger un ennemi, pour « devenir l’ennemi », sensu Viveiros de Castro, c’est aussi accepter de mettre en gage son corps pour une opération symétrique. Les représentations associées au sarcoramphe bloquent cette permutation potentielle : tous les ennemis ne sont pas ennemis au même titre, toutes les guerres ne s’inscrivent pas dans une économie généralisée de prédation, et le piémont andin le démontre incontestablement. L’eschatologie rattachée au sarcoramphe témoigne en somme de rapports sociaux caractérisés par une différence à l’ennemi, « différente » de celle qui oppose d’ordinaire des ennemis amazoniens : l’altérité des ennemis andins (puis Karay) n’est en effet pas du même ordre que celle séparant des ennemis amazoniens.

64 Lutter contre les soldats d’un souverain grand ordonnateur et point de convergence de dualismes sociaux et symboliques multiples (cf. à ce sujet en particulier Bouysse- Cassagne 1997), qui règne et se place au-dessus de tous les points de vue qu’il unifie dans sa personne avec le droit d’exécuter sur un mode sacrificiel ceux qui le contestent, sort en effet d’une modalité d’interaction dont le jaguar peut aisément servir de modèle. La torsion au modèle amazonien de la guerre prédatrice, opérée sur le piémont, pourrait illustrer dans ce sens la confrontation de long terme entre l’animisme et l’analogisme telle que l’entend Descola (2005). Si une figure de souverain exécuteur/sacrificateur se retrouve associée à un oiseau qui n’est certes pas sans grandeur, mais combien repoussant aussi, n’est-ce pas là une objectivation critique, faite d’un point de vue animiste, de la hiérarchie et du sacrifice, eux-mêmes dispositifs de couplage fondamentaux dans les agencements socio-cosmologiques analogiques ? Il semble en tous les cas que les Yurakaré et d’autres habitants du piémont ont trouvé, grâce au sarcoramphe, une espèce animale qui leur a permis de forger une analogie dont l’invention elle-même dévoile le (non-)sens que pouvaient avoir pour eux les pratiques politico-rituelles auxquelles certains de leurs voisins des hautes terres les soumirent.

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NOTES

1. Les Yurakaré, de langue isolée et composant aujourd’hui une population d’environ 4 000 personnes, vivent plus particulièrement dans trois territoires : le TIPNIS (Territoire indigène et parc national Isiboro-Sécure), le territoire yurakaré (rivière Chaparé) et le territoire yuqui-CIRI (rivière Ichilo). On trouve, dans le TIPNIS, les communautés qui ont maintenu le plus de continuité avec leur passé. L’intégralité des données traitées dans cet article provient de cette région. 2. Comme en faisait précocement le constat Menget (1985, p. 138) : « [...] une notion s’impose massivement […] et mérite un plus ample examen, celle de la guerre comme prédation/ consommation. Les guerriers mangent leurs ennemis, et le cannibalisme n’est qu’un cas particulier du phénomène plus vaste de la prédation obligatoire de l’ennemi. Une grande partie des analyses du cannibalisme effectif pourrait être généralisée, semble-t-il, à cette figure imposée du répertoire amazonien qu’est la consommation de l’ennemi ».

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3. On exclut ici les réincarnations successives des âmes des morts dans des espèces animales qui ont, chaque fois, moins d’agentivité et finissent par disparaître complètement, fréquemment mentionnées dans les populations gé, ou encore les réincarnations dans des espèces, souvent ailées, mais tenues pour « inconsistantes » (cf., à propos des Ikpeng, Menget 1979, p. 256). 4. Les Yurakaré utilisent le terme sünnü comme un générique pour tous les vautours « noirs », c’est-à-dire les cathartidés autres que le sarcoramphe. Sünnü est aussi le nom spécifique de l’urubu noir (Coragyps atratus). Basba désigne le vautour aura ou urubu à tête rouge (Cathartes aura), terme étendu également par la plupart des Yurakaré à l’urubu à tête jaune et au grand urubu (C. melambrotus et C. burrovianus respectivement), deux espèces moins fréquentes. Dans la région du haut Sécure et du haut Ichoa, le terme uyata serait utilisé pour ces deux dernières espèces. 5. Cette infection est appelée par métonymie sünnü. 6. Pour une présentation plus détaillée de l’eschatologie yurakaré contemporaine et de ses variantes, tenant compte des influences chrétiennes qui la caractérisent, cf. Hirtzel 2010 ; des données complémentaires, en partie congruentes, ont également été publiées par Djup 2007. 7. Thomas et Vandebroek (2006, pp. 276-277) ont recueilli l’utilisation du terme netche pour Neea boliviana et N. cf. hirsuta. 8. L’évocation des champignons comme une des composantes de la diète du vautour éclaire probablement la raison pour laquelle ce sont des fruits de netche que les Yurakaré ont choisis pour mettre en scène le mensonge de Vautour. Les espèces du genre Neea, non seulement produisent des fruits rouge carmin qui évoquent évidemment du sang, mais elles ont un lien indéniable avec les champignons (et les plus « classiques » d’entre eux, les basydiomicètes) qui ont développé avec elles des relations symbiotiques d’ectomycorhize. Les racines de Neea sont ainsi souvent couvertes de manchons fongiques à partir desquels se développent les sporophores de ces espèces (cf. Tedersoo et al. 2010). 9. Extrait inédit d’une version intégrale de la geste de Tiri ( cf. Hirtzel 2010, p. 65 pour la présentation résumée du même passage). 10. La version rédigée ici reprend une version antérieure, objet d’un premier commentaire (ibid.) avec un certain nombre de corrections et d’améliorations. En particulier, une ambiguïté sur l’identité de la personne décédée a été levée. Contrairement à ce qui figure dans l’édition du texte de 2010, le mort n’est pas un ennemi tué, mais un Yurakaré. Ce récit, rarement raconté, est mentionné brièvement par Djup (2007, pp. 93-94). Il ne fait pas de doute qu’en dépit de sa rareté actuelle, ce récit a joui par le passé d’une plus large diffusion. 11. Les Yurakaré fabriquent occasionnellement du manioc ou des bananes déshydratés, en les exposant au soleil. Ils traduisent régulièrement poropo en espagnol par chuño, terme qui désigne les pommes de terre déshydratées produites dans les Andes. 12. Le terme tieshtu est une adaptation de l’espagnol tiesto. C’est un archaïsme désignant une céramique ronde à fond plat et bord peu relevé, qui semble avoir été en usage dans les basses terres de Bolivie jusqu’au début du XXe siècle. Selon le narrateur, elle servait à faire revenir les graines d’arachides ainsi que le maïs. 13. Le nom qu’on lui attribue, Shëwshë, est considéré opaque. On remarquera qu’il est homonyme d’un verbe qui décrit l’action de passer à la flamme les plumes ou les poils des animaux tués pour les peler (avec un couteau). Or, c’est par un acte similaire que Tiri a châtié Vautour, même si le récit ne nous dit pas qu’il a passé ce dernier à la flamme avant de le « raser ». 14. Dans d’autres récits où il était question de l’habit de plumes de femmes caciques, le même narrateur utilisait le terme bürrü « jupe » dont l’étymologie est inconnue. Comme on le voit, les « habits » des oiseaux sont aisément sexués. 15. Cette allusion, assez sibylline, prend toute sa signification dans l’intertexte des mythes yurakaré. Le même narrateur racontait, dans un récit très largement diffusé, comment ce héros (Aysa) fut capable d’échapper à l’attaque d’un monstre grâce à la même transformation.

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16. Décrite et baptisée ainsi par Kahl (1963), l’urohydrose est utilisée par les cigognes et les vautours du Nouveau Monde. Ces oiseaux défèquent sur les écailles de leurs pattes et, en s’évaporant, le liquide ainsi évacué refroidit leur sang. Pour cette raison, les pattes de ces oiseaux ont un aspect blanchâtre. 17. Ce développement perspectiviste a sans doute aussi quelques fondements biologiques. Certaines espèces de lézards ont en effet la particularité de manger la queue dont elles se sont défaites (Pianka et Vitt 2006, p. 76). L’ameive en fait peut-être partie. 18. L’existence d’objets neutres ou « transperspectifs » semble rare dans le discours amérindien, mais leur statut théorique est capital, puisque leur existence signifie que les points de vue ne sont pas toujours complètement hétérogènes. À l’image leibnizienne d’une collection de monades s’ajoute donc la possibilité de concevoir une « transversalité » dont il resterait à savoir s’il s’agit d’un résidu ou d’une amorce non potentialisée. 19. Le générique Karay est la variante yurakaré de Carayana, terme couramment utilisé dans les basses terres boliviennes, qui désigne, à l’heure actuelle, les Boliviens « nationaux » aussi bien créoles que métis. Dans l’usage qu’en font les Yurakaré (et leurs voisins indigènes des basses terres), ces termes ont avant tout une dimension socio-économique : les Karay sont les « autres » qui sont aussi, par contraste, les riches, les notables, les commerçants, les propriétaires terriens. Les paysans et colons indigènes d’origine andine établis sur le piémont (particulièrement pour y produire de la coca) peuvent leur être assimilés par les Yurakaré qui les côtoient. Historiquement, dans les basses terres de Bolivie, le terme carayana était utilisé pour désigner les Blancs au sens racial du terme. Un voyageur sensible à la question commente qu’à Trinidad, capitale du département du Beni, à la fin du XIXe siècle : « The Bolivians of pure Spanish descent are called “Carayanas”, whilst the mixed races are called “Cholos”, and the pure Indians are termed “Indios”. » (Mathews 1879, p. 154). Les termes Carayana et Karay sont empruntés au guarani, probablement via les Chiriguano et/ou les Guarayos ; ils ont pour origine l’amalgame que firent les locuteurs de cette langue entre la figure de leur prophète (karay) et les Européens. 20. La dichotomie entre armes exogènes et armes endogènes relevée ici renvoie au motif mythique pan-amazonien du « mauvais choix » à l’origine de la différence entre « Blancs » et Indiens, les premiers devenant ce qu’ils sont en s’appropriant le fusil et en laissant l’arc aux Indiens (cf. Hugh-Jones 1988, pp. 145-146). Cette dichotomie s’inscrit aussi dans un phénomène plus général en Amazonie, où l’agentivité prédatrice est modulée et différentielle selon les types d’armes utilisées (Rival 1996) et où, comme le relève Erikson (2001, p. 120) : « Technological choices, most of all regarding weapons, act as a means of relating with the outside, and, as such, partake in foreign policy ». 21. Ce récit pan-amazonien raconte comment une femme enceinte, dans la plupart des cas de jumeaux, séparée de son mari, finit par se perdre en forêt où elle rencontre de féroces jaguars qui la dévorent. Miraculeusement sauvée, la progéniture de la femme est élevée en cachette. Ignorant tout de leur situation, ces orphelins apprennent d’un animal délateur que les jaguars ont tué leur mère. Ils se vengent, mais, dans certaines versions, laissent échapper l’un des meurtriers, ascendant des jaguars actuels. Pour une comparaison systématique des versions yurakaré et chiriguano mobilisant les versions d’une vingtaine d’autres récits, cf. Hirtzel (2012). 22. Le terme matón en espagnol standard, bien que dérivé du verbe matar « tuer », ne signifie pas « tueur », mais « hombre jactancioso y pendenciero, que pretende intimidar a los demás » (Real Academia Española 1992, p. 946). Outre cette acception ou des acceptions proches, le terme s’emploie également en Bolivie comme l’équivalent de sicario (« tueur à gages »). Dans l’espagnol oral des basses terres de Bolivie, l’usage du terme matón semble avoir été remotivé par le verbe source matar et l’acception de « tueur » est courante ; les Yurakaré s’en servent pour traduire le terme tummi (« ennemi ») (cf. Nuevas Tribus 1991, p. 66 ; Djup 2007, p. 91, note 2). 23. On ne dispose pas de données supplémentaires pour mieux comprendre cette subtilité. Remarquons toutefois que les sarcoramphes juvéniles arborent jusqu’à trois ans une tête et un

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cou entièrement noirs à quoi s’ajoute un plumage fuligineux durant leur première année de vie (Eitniear 1996). 24. Aucune information plus spécifique n’a malheureusement pu être obtenue à ce sujet. 25. Bien que rarement explicitée, peut-être cette logique est-elle plus répandue qu’il n’y paraît dans le bassin amazonien. Pour les Katukina du Javari, par exemple, ce ne sont pas tant les meurtriers qui absorbent leurs victimes que ces dernières qui se vengent dans l’au-delà où elles attendent patiemment leur assassin afin de l’y flécher à leur tour après sa mort et métamorphoser son âme en champignon saprophyte (décrit comme de la pourriture) (Deturche 2009, p. 342). La ressemblance avec les données yurakaré est d’autant plus frappante que la vengeance s’accomplit dans le second (et le moins désirable) des mondes célestes, ipina, dont une des caractéristiques est d’être composé pour l’essentiel de métal (ibid., p. 340). 26. La version de référence a été recueillie par Smith (1977, annexe II). Elle a été largement commentée par la suite par les spécialistes de ce groupe (cf. par exemple Santos-Granero 2004, pp. 298-300). Récemment Valadeau (2010, pp. 297-298) a recueilli d’autres éléments sur ce récit. 27. Sans qu’il soit possible ici de développer ce point, relevons que l’on peut interpréter la grande quantité de filles possédées par Amémpori comme une transposition mythique des rapports historiques de l’Inca avec les aclla-cuna, les « vierges du Soleil ». 28. Tout en faisant référence aux données de Weiss qu’il ne conteste pas, Rojas Zolezzi (2006) indique avoir également obtenu des informations selon lesquelles les guerriers ashaninka morts au combat iraient résider dans un monde à part appelé itentari où ils seraient assimilés à des esprits négatifs kamari. 29. Cette configuration hiérarchique, au regard des données matsigenka (cf. ci-dessous), tend à indiquer que les âmes des assassinés et des assassins se retrouvent dans une position d’urubus noirs, mais aucune donnée n’a permis de le confirmer. 30. Il s’agit certainement d’une allusion au fait que le sarcoramphe, à l’instar du condor des Andes, étire ses longues ailes pour se chauffer au soleil, dans une pose qui rappelle celle du prêtre en chasuble célébrant l’eucharistie, les bras ouverts. 31. Menkoripatsa signifie littéralement « le lieu des nuages » et correspond au « premier ciel » (cf. Renard-Casevitz 1991, p. 143, note 14). 32. Cf. de façon générale les chapitres VII-VIII que Renard-Casevitz (ibid.) consacre à l’urubu noir et au sarcoramphe respectivement. Pour l’origine non indigène du sarcoramphe « Blanc au pantalon blanc » cf., mythe 25 (ibid., p. 152) ; pour ses relations avec les urubus noirs, cf. les commentaires de l’auteur (ibid., pp. 159-160). 33. Dans l’un des derniers conflits armés ayant opposé les Yurakaré aux Yuqui, à la fin des années 1940, et dont un des protagonistes a pu me parler, une femme yuqui fut tuée d’un coup de fusil et un Yurakaré blessé par une flèche (van Gijn, Hirtzel et Gipper 2011). 34. Dans un texte antérieur (Hirtzel 2010, p. 134), on évoquait comme possible cognat le verbe sululuta « causer des dégâts » (dañar), mentionné dans le dictionnaire du père franciscain Lacueva (Adam 1893, p. 73). 35. On connaît relativement bien le destin de la première de ces fractions : elle fut réduite dans la mission de San Carlos (cf. la chronique détaillée de cette mission dans van den Berg 2009) ; on ne connaît pas, en revanche, celui de la seconde, qui refusait alors le contact, dont on perd la trace dès la fin du XVIIIe siècle. On trouve dans Hirtzel (2010, pp. 192-200) un examen critique des sources concernant les Sulustu/Solosto. 36. En 2002, le même interlocuteur rapporta ces événements à van Gijn dans un récit mis à disposition dans van Gijn, Hirtzel et Gipper (2011). Influencé alors par des discours bibliques, il assimilait les vieux Yurakaré aux Juifs de la Bible et remplaçait le terme Sulujustu par celui de Filisteos (Philistins), les ennemis acharnés du royaume d’Israël. Bien que les raisons de cette substitution n’aient pas été éclaircies, on relèvera que l’importance de la fronde pour les Yurakaré dans leur mémoire de la guerre (dont on verra des exemples ci-dessous) pourrait en

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partie l’expliquer. L’interlocuteur en question qui, à ses heures, avait fait office de pasteur, n’ignorait pas, comme j’ai pu m’en assurer, que le guerrier philistin Goliath fut tué d’un coup de fronde par le jeune berger juif David. Dans les conversations informelles que j’ai eues avec lui, il n’en était cependant pas moins revenu à la version plus standard qu’il avait déjà confiée à Ribera Paniagua. 37. De même que pour le terme Sulustu, il n’existe pas d’étymologie assurée de l’appellation Sinoro. Il semble raisonnable de penser que le terme dérive de la forme « Chiriono » d’origine vraisemblablement arawak (marque de pluriel -ono), utilisée pour désigner les Chiriguano du XVIe siècle dans la région de Santa Cruz (Suárez de Figueroa 1965 [1897] [1586], p. 404), elle-même homologue du terme Siriono utilisé par les Arawak du Mamoré dès le XVIIe siècle pour désigner un groupe voisin, dont il est cependant difficile de savoir s’il correspondait aux ancêtres des Siriono actuels ou à d’autres tupi-guarani (Orellana 1704, chap.V). 38. La description des Sinoro comme ennemis dotés de genoux « à l’envers » n’a été notée qu’auprès de cet interlocuteur. 39. Pour le parallélisme évoqué ici avec le modus operandi guerrier des Chiriguano, on se fonde sur Matienzo (1967 [1567], p. 256) qui indique à propos de ceux-ci : « toman el hixo dexando el padre, las mugeres dexando al marido, y los maridos dexando allá las mugeres, y de ellos comen luego, en tomándolos, los más gordos, y otros tienen a engordar para este efeto. Otros venden, y de otros se sirven como de esclavos. » 40. La soif d’outils métalliques des Yurakaré horripilait les missionnaires au début du XIXe siècle : « Si les explicaba la necesidad de la confesión a tantos como eran cristianos desde 30 y más años, y el modo de hacerla fructuosa, solían decir: ¿Y qué me dará el Padre si me confieso, me dará machete o hachita o cuchillo o plata? » (Lacueva 1920 [ca. 1818], p. 278). 41. L’exemple de l’expédition du portugais García qui traversa le continent depuis la côte du Brésil, accompagné de « Guarani » et atteignit les marges de l’empire inca au milieu des années 1520, avant Pizarro et Almagro, en est un bon témoignage. Il existe une longue bibliographie sur cette expédition et d’autres expéditions transcontinentales plus ou moins contemporaines. Pour une synthèse actuelle, on peut se reporter à Julien 2005. 42. Cf. aussi Schramm (1999, pp. 280-289) pour les alliances Chuy/Chiriguanaes. 43. Pour une discussion plus argumentée de ce point, cf. Hirtzel 2010, pp. 155-160. 44. « Solía el Ynga, cuando enviaba a la guerra o iba él en persona, llevar la imagen del Sol y del trueno, y otras estatuas e ídolos, como para su defensa y amparo, y con ellas deshacer la fuerza de las huacas e ídolos de sus enemigos » (Murua 2001 [1962] [1616], p. 398). 45. Pour une description plus complète des Mororuma et du chamanisme yurakaré, voir Hirtzel 2010. 46. Cf. au sujet des Oromo (Hirtzel 2010, p. 181) ; on trouve une version résumée et commentée de ce récit (ibid., pp. 290-295). 47. Pour différentes raisons sur lesquelles je n’insiste pas ici, ce métal différent du fer pourrait être du cuivre. 48. De manière métaphorique, le nom d’un autre oiseau de proie confirme cette étymologie : les Yurakaré nomment sëlëtiba (sëlë « découper », -tiba « animal familier ») le milan à queue fourchue (Elanoides forficatus) dont les rectrices évoquent aussi bien une paire de ciseaux qu’une profonde entaille. 49. « [L]levó gran suma de preseas, de vestidos de cumbe, cocos y medias lunas de plata y escoplos y hachuelas de cobre, para presentar al gran cacique Grigotá y a sus vasallos, con el fin de traerlos a su devoción » (Alcaya 1961 [ca. 1607-1615], p. 48). 50. Selon Pablo Cruz, la faible épaisseur de l’objet et le contexte de sa découverte permettent de supposer qu’il s’agit plutôt d’un objet ornemental. 51. Un des termes couramment utilisés dans les Andes pour désigner le couteau, au début de l’époque coloniale, était tumi (cf. pour l’aymara « cuchillo de indios » et « cuchillo a nuestro modo »

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(Bertonio 1612, p. 151); pour le quechua « cuchillo de indios de cobre a manera de segur [couteau à lame courbe] sin cabo » (González Holguín 1608, p. 347). Ce terme est quasiment identique, gémination de la consonne centrale exceptée, au yurakaré tummi, dont l’une des acceptions est « ennemi », « tueur » ou « prédateur ». Il aurait été tentant sur la base de cette quasi identité du signifiant de suggérer que la valeur sémantique yurakaré « ennemi » résulte d’une antonomase de la valeur « couteau » dans la langue source. Toutefois tumi n’est pas la seule source envisageable du mot « ennemi » yurakaré, dans le cas où il s’avérerait être un emprunt. Dans sa seconde acception, le terme yurakaré signifie aussi « habile, capable, intrépide ». Or, en ignaciano, on retrouve un terme tume qui a précisément ce sens (Ott et Burke de Ott 1983, p. 422). 52. Le terme saco est communément utilisé en Bolivie pour désigner la veste militaire. 53. Un homme veillant sur le cadavre de son frère voit arriver un sarcoramphe qui se met à le manger. Il se bat avec lui, s’empare de son couteau et le jette : le sarcoramphe se précipite pour le récupérer et se le plante dans la bouche, « se formant un bec semblable à une navaja ». 54. Pachacuti Yamqui (1993 [ca. 1613], p. 232) mentionne dans ce cadre l’usage de fausses têtes coupées. 55. Mentionnons, par exemple, les 8 000 prisonniers cañari (comprenant des femmes et des enfants) passés au fil de « l’épée » et dont le massacre serait l’origine du toponyme Tumipampa « plaine du couteau » où résideront ensuite les Incas (Montesinos 1840 [1644], pp. 206-207), un chiffre auquel on ne donnera qu’une valeur indicative, mais que l’on peut mettre en regard du très important site funéraire de Guapán (Idrovo 1998 [1988], pp. 77-78) ; le châtiment mieux connu, et commenté dans les sources, infligé aux Huarco vaincus, probablement avant tout par pendaison (cf. Rostworowski 1978-1980) ; ou encore la mise à mort de Huascar et de son groupe de descendance (panaca) au Cuzco, « con unas hachas y porras pequeñas, de una mano, que llaman champi » (Garcilaso de la Vega 1991 [1609] vol. 2., p. 637) lors de la guerre civile qui l’opposa à Atahuallpa. 56. Les Incas pouvaient faire avec les têtes de leurs ennemis les plus importants des récipients pour boire de la chicha ; ils utilisaient également la peau de leur estomac pour faire des tambours (Rowe 1946, p. 279). On trouve aussi la mention d’une sorte de cannibalisme « à l’amazonienne », pratiqué par un capitaine inca dans l’Antiyusu. Betanzos (1987 [1554], pp. 151-152) rapporte une campagne de châtiment menée par les Incas dans une région dont on peut estimer par recoupements avec d’autres sources (par exemple Sarmiento de Gamboa 1943 [1572], pp. 129-130) qu’elle a eu lieu sur le haut Madre de Dios. Un des capitaines qui la dirigeaient, Ynca Achache, défia au cours d’une bataille les ennemis piémontais qui avaient « muerto sus amigos y deudos y comídoselos » en leur montrant qu’il avait dans sa bouche un morceau de chair crue de jaguar. Lorsqu’il tua dans cette bataille un chef Anti, il commença à le manger ou du moins mis un morceau de sa chair dans la bouche, créant la débandade parmi ses ennemis. Guaman Poma (2004 [1615-1616], ff. 155 et 154 [156]) se réfère au capitaine Otorongo Achachi en affirmant, entre autres, qu’il aurait assuré la conquête des Chuncho en devenant jaguar (otorongo), transformation illustrée par un dessin. Comprendre les enjeux de cette métamorphose jaguar et du cannibalisme qui lui est lié nécessiterait une analyse approfondie des rapports entre les conquérants incas et les populations locales ennemies, qui semblent avoir été elles-mêmes cannibales. Avant de postuler l’idée que l’on est face à un véritable cannibalisme d’incorporation du point de vue de l’autre généralisable aux Incas, il faudrait s’assurer qu’il ne s’agit pas ici, d’un cas particulier. 57. Selon des sources anciennes, le sarcoramphe était appelé soit iributí (lit. « urubu blanc », esp. local « cuervo blanco »), soit iriburubichá (lit. « chef des urubus » ou Rey de los iribu) par les Guarani du Paraguay (Granada 1890 [1889], p. 247). Pour ces derniers, il a donc deux attributs : il est blanc et « souverain ». Si l’association de cette couleur et de ce statut est suggestive, comparée à l’expression Rey blanco, elle n’implique pas de connexion entre elles. Ce rapprochement devient en revanche beaucoup plus pertinent grâce aux données mythologiques collectées par Nordenskiöld chez les Chané (de langue originellement arawak, mais guaranisés) du Parapití.

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Dans un récit consacré aux aventures du démiurge Aguaratunpa, l’ethnographe suédois rapporte comment Sarcoramphe ou Condor blanco (appelé par les Chané ururuti, « urubu blanc ») s’approche du démiurge qu’il croit mort pour le manger, mais est fait prisonnier par lui. Sarcoramphe veut absolument recouvrer la liberté. Pour cela, il est prêt à offrir toutes les richesses imaginables au démiurge, au point qu’il affirme : « Llenaré una casa entera de cuencos de plata, “cagua”, y te la daré si me concedes la libertad » (Nordenskiöld 2002 [1912], p. 243). Cet énoncé, étonnante réminiscence de la rançon d’Atahuallpa, comme me l’a justement fait remarquer Platt, atteste que le sarcoramphe avait encore pour les Chané, au début du XXe siècle, le statut d’un véritable « seigneur du métal » qui s’accorde assez bien avec l’expression Rey blanco du XVIe siècle. De telles informations, en tous les cas, remettent en question l’hypothèse développée par Combès (2011) qui voit dans le Rey blanco une évocation cryptée du héros mythologique tupi-guarani Pai Sumé, et conjecture que l’expression espagnole est la traduction d’une forme guarani « pai ti ti », glosée comme « donde vive el Pai blanco » (c’est-à-dire Pai Sumé) ou encore « los Pai blancos » (ibid., p. 108). Les données ethnographiques relevées chez les Chané du Parapití, inscrites elles-mêmes dans un complexe de représentations frontalières bien établies, paraissent en effet mieux ajustées à la situation que les étymologies fragiles dont tire argument l’auteur, et qui l’obligent, de surcroît, à se poser des questions surprenantes : « ¿cómo entender que un nombre guaraní [Paititi] haya sido conocido y empleado en Perú, como sinónimo de la “tierra rica” de Mojos? » (ibid., p. 109).

RÉSUMÉS

Dans les sociétés des basses terres d’Amérique du Sud, les rapports entre le guerrier meurtrier et sa victime ont été interprétés principalement comme l’expression d’une logique cannibale d’incorporation du point de vue de l’autre en tant qu’ennemi. À partir de matériaux yurakaré, complétés par des données provenant du piémont andin, l’article expose une autre interprétation à côté de ce modèle maintenant traditionnel. Associé à une palingénésie de la victime en un oiseau charognard et mobilisant la figure de l’autocannibalisme, le traitement yurakaré de l’homicide implique une dimension circulaire qui renvoie, en dernière instance, à la figure historique d’un souverain andin (en particulier l’Inca) qui exécute ses sujets rebelles. L’analyse met en lumière une transformation du cannibalisme amazonien qui constitue une critique piémontaise de ce type de sacrifice humain et entend ainsi contribuer à une théorie générale de la guerre, du cannibalisme et du sacrifice en Amérique du Sud, au-delà de la division académique entre hautes terres et basses terres.

En las sociedades de tierras bajas de Sur América, los vínculos entre el guerrero homicida y su víctima han sido interpretados como la expresión de una lógica caníbal de absorción del punto de vista del otro como enemigo. A partir de material yurakaré, y otras informaciones procedentes del piedemonte andino, este artículo presenta otra interpretación al lado de este modelo ya tradicional. Asociado a una palingenesia de la víctima en un ave carroñera, y convocando la figura del auto-canibalismo, el tratamiento yurakaré del homicidio implica una dimensión circular que remite últimamente a la figura histórica de un soberano andino (en particular el Inca) quien ejecuta sus sujetos rebeldes. El análisis desvela una transformación del canibalismo amazónico que constituye una crítica de este tipo de sacrificio humano y procura contribuir así a la elaboración de una teoría general de las relaciones entre guerra, canibalismo y sacrificio en América del Sur, más allá de la división académica entre tierras altas y tierras bajas.

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In the indigenous societies of the South American Lowlands, the relationship between the homicidal warrior and his victim has been interpreted mainly as an expression of a « cannibalistic logic » of incorporation of the enemy’s point of view. On the basis of Yurakaré materials and other data from the Andean foothills, this article offers an alternative to this now traditional model. The Yurakaré approach to homicide focuses on the palingenesis of the victim as a carrion bird that eats its own corpse, a circularity which can be linked in the last resort to a historically grounded representation of a powerful Andean sovereign (particularly the Inca) executing his rebellious subjects. This study reveals a transformation of the Amazonian cannibalism which is also a Foothill critique of this kind of human sacrifice and is intended to contribute to a general theory of war, cannibalism and sacrifice in South America, beyond the academic frontier dividing highlands and lowlands.

INDEX

Mots-clés : guerre, cannibalisme, homicide, sacrifice humain Keywords : war, cannibalism, homicide, human sacrifice Palabras claves : guerra, canibalismo, homicidio, sacrificio humano Index géographique : Andes, Yurakaré, Amazonie, Bolivie, Incas

AUTEUR

VINCENT HIRTZEL

Chercheur associé au Centre EREA du LESC (UMR 7186, CNRS/Université Paris Ouest Nanterre La Défense), Nanterre [[email protected]]

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O território das onças e a aldeia dos brancos: lugar e perspectiva entre os Karajá de Buridina (Brasil Central) Le territoire des jaguars et le village des Blancs : lieu et perspective chez les Karajá de Buridina (Brésil central) Jaguars’ territory and Whites’ village: place and perspective among the Karajá of Buridina (Central Brazil)

Eduardo S. Nunes

NOTA DO EDITOR

Manuscrit reçu en octobre 2012, accepté pour publication en mai 2013.

Este artigo é uma versão compactada de um capítulo de minha dissertação (Nunes 2012). Agradeço à leitura atenta e aos comentários de Marcela Coelho de Souza, Fabiano Bechelany, Guilherme José da Silva e Sá e Luis Cayón. Agradeço também a gentil ajuda lingüística de Oiara Bonilla. Pour les primitifs, la représentation de l’espace, comme celle du temps, si tant est qu’ils en aient une expresse, est surtout qualitative. Les régions de l’espace ne sont pas conçues, ni proprement représentées, mais plutôt senties dans des ensembles complexes, où chacune est inséparable de ce qui l’occupe. Chacune participe des animaux réels ou mythiques qui y vivent, des plantes qui y poussent, des tribus qui l’habitent, des vents et

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des orages qui en viennent, etc. (Lévy-Bruhl 1922)

1 Minha etnografia na aldeia karajá Buridina envolveu, desde o princípio, o trânsito a dois tipos de lugar visitados com frequência pelos indígenas, a cidade e o mato. Buridina está incrustada no centro da turística cidade de Aruanã (estado de Goiás – GO), e os Karajá vão à cidade cotidianamente. Por outro lado, a pesca é uma atividade muito importante, o que leva os indígenas (sobretudo os homens) a transitar pelo mato regularmente. Essas incursões a lugares habitados por seres outros sempre me chamaram atenção pela transformação que elas suscitam nos indígenas. Transformação de seus corpos: de suas roupas, no regime de comunicação, nos movimentos, etc. Esse artigo é uma reflexão sobre esses trânsitos, as transformações por eles implicadas, e a articulação dessas questões com os lugares. Centrando-me no conceito de hãwa, « aldeia/território/lugar », argumento que a relação de alguém com uma « aldeia » ou um « território » que não o seu é, fundamentalmente, uma relação com o ponto de vista dos seres habitantes daquele lugar, os seres para os quais aquele lugar é, justamente, uma « aldeia » ou um « território ». Portanto, essa relação, esse trânsito, geralmente implica uma mudança de ponto de vista, pois os lugares – e esse é o argumento central – estabilizam a perspectiva dos seres seus habitantes.

A aldeia Buridina

2 Os Karajá, grupo falante de uma língua tardiamente classificada como pertencente ao tronco Macro-Jê – o inỹrybè 1 –, ocupam imemorialmente a calha do Rio Araguaia. A maior parte de suas aldeias está localizada na Ilha do Bananal (estado do Tocantins – TO). Buridina é a aldeia situada mais à montante deste território, em um trecho onde o Araguaia faz a divisa entre os estados de Goiás (GO) – e é deste lado que a aldeia está – e Mato Grosso (MT) (Figura 1). No início do século XX, Buridina estava situada ao lado – separada apenas pelo córrego Bandeirantes – de um presídio, chamado Santa Leopoldina, em torno do qual cresceu um vilarejo homônimo. Tendo sido outrora a maior aldeia Karajá de que já se teve notícia, na década de 1940 dois incidentes relacionados à feitiçaria dispersam quase toda sua população. A aldeia se vê, então, resumida a um homem, Jacinto Maurehi, que opta por ficar ali e reúne em torno de si, nas décadas subseqüentes, um pequeno contingente de parentes, em torno do qual ela se reestruturou. Na década de 1970, a já então cidade de Aruanã começa a se expandir e atravessa o córrego Bandeirantes. Cerca de uma década depois, a aldeia já está, exceção feita ao lado do rio, rodeada pela malha urbana, restrita a um espaço de aproximadamente 10.000 m2.

3 Os Karajá sempre manifestaram sua vontade de permanecer no local onde estavam, mas o projeto do órgão indigenista do Estado brasileiro era tentar transferir a pequena população para junto de seus parentes na Ilha do Bananal. O órgão não lhes ofereceu praticamente nenhuma assistência até 1986, quando cede a pressões tanto dos índios quanto de alguns regionais e dá início à demarcação. O processo gerou diversos conflitos e se arrastou por muitos anos: o relatório antropológico que fundamentou a delimitação da área data de 1992; sua aprovação data de 1995, e, em 2000, a Terra Indígena Karajá de Aruanã foi homologada, sendo por fim registrada como « próprio nacional » em 2001. A terra, devido à localização da aldeia dentro da malha urbana, não foi demarcada em área contínua, mas sim dividida em três glebas. A Gleba I

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corresponde a uma faixa de 100 m de cumprimento, localizada no centro da cidade, entre sua principal avenida e o rio Araguaia, somando 14 ha; é aí que se situa a aldeia, que conta cerca de 200 pessoas. A Gleba II, uma área de 893 ha, situa-se em território do estado do Mato-Grosso, do outro lado do rio, em frente à aldeia e ao centro de Aruanã. Quando da cheia do rio, essa área fica parcialmente alagada, motivo pelo qual a cobertura vegetal, uma mata densa e alta, nunca foi derrubada para ser transformada em fazenda; o local não é usado para moradia, apenas para coleta de frutos, para a caça e, principalmente, para a pesca. Em uma situação oposta se encontra na Gleba III (705 ha), situada no limite norte da cidade, cujo cerrado foi todo transformado em pasto, restando da vegetação original apenas a mata ciliar, também alagada na cheia do rio; essa área é utilizada pela maioria apenas como espaço de plantio, mas há alguns indígenas que moram ali (aproximadamente 41 pessoas, sendo que 23 destes compõem uma parentela que veio da Ilha do Bananal há alguns anos) 2.

FIG. 1 – Crosquis da Terra Indígena Karajá de Aruanã.

4 O Rio Araguaia, em diversos locais ao longo de sua calha, atrai um imenso fluxo de turistas interessados nas belezas naturais do rio, tanto para descanso e lazer como para a pesca esportiva. No período da seca o nível da água baixa, deixando à mostra grandes praias de areia branca. Aruanã é provavelmente a cidade na beira do Araguaia onde o turismo é mais intenso. Há inúmeras pousadas, hotéis, e mansões de veraneio, algumas delas voltadas para um turismo de luxo, com diárias que chegam a custar cerca de 350.00 reais. Durante o mês de julho, a prefeitura da cidade promove a « Temporada Turística de Aruanã », oferecendo shows gratuitos à população e aos visitantes todas as noites de sexta-feira e sábado durante esse mês. Índios e regionais se referem a essa época simplesmente como « temporada ». A prefeitura estima que, só no mês de julho, mais de 600.000 pessoas passem pela cidade que, segundo o último censo, conta apenas 7.496 pessoas. Outros períodos, como o carnaval, feriados, o aniversário da cidade e o

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mês de maio (quando os cardumes que sobem o rio anualmente estão passando pela região), também atraem turistas para Aruanã, embora em quantidade muito menor que na temporada.

O território das onças

5 Comparados a grupos Tupi e Gê, por exemplo, os Karajá dedicam pouca atenção à agricultura e à caça. A pesca é sua atividade mais valorizada, tanto simbólica quanto quantitativamente. Eles exploram o curso principal do rio assim como os muitos lagos que compõem o sistema hídrico do Araguaia. O Lago do Santana é um dos principais lagos dentro da Terra Indígena (Gleba II) utilizados pelos Karajá de Buridina para a pesca – é o maior deles (Figura 1). Para chegar até lá, eles, após cruzar o rio em suas canoas, geralmente atravessam a pé uma trilha de cerca de 3.5 km que se esconde sob a mata alta. Acompanhei os Karajá em várias dessas expedições de pesca no Lago do Santana e na grande maioria delas as onças (halòè, ♂; halòkòè, ♀) 3 se fizeram notar pelos seus esturros 4. Ainda que nessa região haja onças nos vários pedaços de mata ao longo da margem do rio, não é frequente escutar sua presença. Se nesse lugar no Mato Grosso, a Gleba II da Terra Indígena, quase sempre se ouve seu esturro, é porque « ali é o território das onças », dizem os Karajá.

6 De toda a multiplicidade de seres outros com os quais os Karajá de Buridina estão em relação, as onças são objeto de uma formulação perspectivista mais explícita. Quando se encontra com um desses felinos frente a frente, se ele está com o rabo levantado, é sinal de que vai atacar. O ataque sempre se dá em três movimentos: o predador dá um pequeno salto em direção à vítima, de modo que ela pode chegar para trás e escapar. Depois repete o mesmo movimento. O terceiro salto, porém, é fatal – « a onça pula três vezes, o terceiro é para pegar », dizem. Mas as onças têm um « segredo »: quando se troca olhares com ela, nesta situação prototípica do ataque felino, é preciso mostrar que não se tem medo. Se a pessoa demonstrar coragem de enfrentá-la, não demonstrar medo, « ela amansa », abaixando o rabo. « Aí você faz o que quiser com ela », me disse um homem. Nas histórias de homens valentes que lograram, nessas situações, se impor e fazer a onça abaixar o rabo com uma mera troca de olhares, os protagonistas venceram seu adversário felino com extrema facilidade, brincando com ele, pegando-o pelo rabo, fazendo-o fugir amedrontado, etc. Se o medo transparecer, porém, ela ataca. Em um encontro com uma onça no meio do mato, só pode haver um sujeito, um predador. O outro é sempre uma presa em uma situação de vulnerabilidade passiva, a mercê do que o sujeito resolverá lhe fazer. Se a onça logra impor seu ponto de vista, resta torcer para que se esteja em um dia de sorte, que a onça não esteja com fome ou « parida » 5 e que ela o deixe fugir. O ponto é importante, pois é a onça que deixa sua presa fugir, enfatizam os Karajá, nunca a presa que, num ato de astúcia, logra escapar. Se é o homem, porém, que impõe sua perspectiva, é a onça que precisará contar com a sorte. A estrutura do encontro é sempre a mesma, e só há duas posições possíveis: a de sujeito-predador e a de objeto-vítima 6.

7 Se os Karajá contam histórias sobre alguns homens valentes que « pegavam onça pelo rabo » 7, no mato, essa façanha só pode mesmo depender desse jogo de perspectivas no encontro face a face, pois ninguém nunca avista uma onça, a não ser que ela se deixe ver. Mesmo caminhando sobre as folhas e galhos secos que cobrem o chão da mata, o único sinal da presença do grande mamífero é um barulho que ele faz com as orelhas –

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« ela quebra a orelha », dizem –, produzindo um estalido algo semelhante a um graveto sendo quebrado. Mas nunca se escuta seu caminhar. No mato, a onça está sempre observando os humanos que ali estão e que nunca podem vê-la, exceto quando ela própria se dá a ver. Certa vez, um Karajá estava pescando no Lago do Santana e quando a caixa de isopor que levara para armazenar o pescado refrigerado encheu, ele resolveu voltar até sua casa e esvaziá-la para que pudesse retornar ao lago e continuar pescando. E assim o fez. Quando chegou novamente ao início da trilha, cerca de meia hora depois de tê-la deixado, havia um rastro de onça ao longo de todo o trajeto que ele percorrera. A onça estava em seu encalço, apenas não quis se deixar ver, eis a conclusão dos indígenas.

8 Quando os Karajá caminham pelo território das onças, seus corpos se transformam: ali, eles evidenciam outras capacidades e afecções. Uma das transformações mais marcadas é aquela do regime de comunicação. O cotidiano da aldeia é marcado por uma expansividade comunicativa moderada. Há aqui, me parece, algo semelhante ao que diz Gow (1997a) sobre a fala no contexto do parentesco piro. Estes indígenas da Amazônia peruana não falam sobre o incesto, diz o autor, por que ele é « indizível ». Uma relação que retira abruptamente aqueles que nela se engajam do mundo social, transformando- os em uma coisa marcadamente distinta do humano (Coelho de Souza 2004, 2011), não pode ser verbalizada, pois a fala é justamente o meio privilegiado pelo qual uma qualidade central para a socialidade piro e para seu processo do parentesco, o nshinikanchi, « mente, inteligência, memória, respeito, amor », se dá a conhecer. Por outro lado, a fala em excesso vira o processo no sentido contrário, transformando parentes em Outros. « A alegria tumultuária e contagiosa dos rapazes », diz Gow, « faz deles nshinikatu, “descuidados, esquecidiços, sem nshinikanchi” », (ibid., p. 50), e é isso que faz seu exagero comunicativo essencial nos funerais, pois age no sentido contrário da memória recíproca que os vivos e o morto ainda têm, e que precisa ser rompida (ibid., p. 61, nota 14). É também por uma fala « excessiva » que os homens transformam um outro homem, antes um semelhante, em um diferente: chamando-o por um termo de parentesco para convidá-lo a fazer algo que só um não-parente pode fazer, ele o torna apto a cortar o cordão umbilical de seu filho recém-nascido (ibid., p. 49).

9 Os Karajá operam uma dinâmica similar. A comunicação intra-humana, por meio de uma língua partilhada, é essencial. Mas a expansividade comunicativa, no convívio cotidiano entre parentes, deve ser moderada – este é o ideal. Não se deve falar demais, nem alto demais, não se deve usar certos vocativos (nomes pessoais, por exemplo) para se chamar determinados parentes, etc. Sem a fala, porém, fica-se privado do principal meio de saber se as pessoas sentem falta uma das outras, se ficam contentes com os cuidados que recebem, de reavivar a memória de acontecimentos co-experienciados, etc. – elementos esses por meio dos quais as pessoas se produzem reciprocamente como parentes. Uma comunicação propriamente humana não permite excessos. Sem a fala, porém, uma humanidade plena, i.e., inỹ, não é possível – por mais que a fala não seja tudo. O luto nos serve, aqui, de exemplo, pois é um período de suspensão da vida humana normal, i.e., da socialidade dos vivos: uma morte interrompe imediatamente a atividade ritual, deixando a aldeia « triste », um estado contrário à alegria que reina durante o ritual; durante o luto, os cuidados com o corpo (corte de cabelo, pintura corporal, etc.) ficam suspensos; e, enquanto ele dura, o silêncio reina – não se pode « cantar, falar alto, gritar, rir, ou demonstrar qualquer atitude de alegria » (Rodrigues 1993, p. 374) – só sendo interrompido pelo choro ritual feminino, ibru (iburu em javaé), uma forma estilizada de discurso que poderíamos caracterizar como « excessiva »:

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muito alta, bastante prolongada 8, dotada de uma carga emocional extrema e preenchida com « a acusação nominal e pública dos suspeitos da morte de alguém » 9 ( ibid., p. 72). O luto, em suma, mostra que tanto a escassez de comunicação, o silêncio, quanto seu excesso, o choro ritual, são contrárias a uma socialidade propriamente humana, inỹ.

10 Quando os Karajá caminham no mato, à sombra das árvores que se tocam no alto, o silêncio reina. Troca-se a comunicação intra-humana por uma arguta e concentrada busca por sinais visuais e, principalmente, sonoros da presença de outros seres. O assovio dos pássaros, a algazarra de folhas que acompanha a passagem de um bando de macacos, galhos quebrados de uma maneira específica, rastros, grunhidos, esturros e outros sons característicos de animais específicos, frutas comidas, o barulho que um peixe faz na superfície da água, marcas de facão na vegetação, tudo é observado com muita atenção para que se saiba quais são os seres que estão presentes ali, a que distância estão, a quanto tempo passaram no chão que ora se pisa. São sinais das, aos nossos olhos, pouco visíveis interações que estão acontecendo a todo tempo com esses seres, das quais os Karajá têm viva consciência.

11 Na aldeia, os corpos estão relaxados. No mato, estão como que num estado de alerta, os músculos quase regados de adrenalina. O corpo não é da mesma forma na aldeia e no mato, porque o corpo só é algo, só existe sob uma forma específica, quando embrenhado num nexo de relações; e se a aldeia é um espaço de socialidade propriamente humana, o mato não o é: ali, se está interagindo a todo tempo com seres outros, e a perspectiva humana, que, diga-se, nunca está garantida, ali está menos ainda. A mudança é visível, mesmo que pouco traduzível na escrita, esse código que só se deixa transpassar pelo sensível muito precariamente.

12 Mas foi só depois de ter acompanhado os indígenas duas ou três vezes nesta trilha em direção ao Lago do Santana é que me foi feito um comentário que deixou transparecer o sentido desta mudança de afecções corporais (Viveiros de Castro 1996, 2002). Ao longo da caminhada, minhas tentativas de conversar eram sempre malfadadas, justamente por causa desse silêncio, dessa abdicação temporária da comunicação intra-humana. Sempre que eu perguntava algo, as respostas eram curtas, monossilábicas. Às vezes estavam prestando tanta atenção no mato e em seus habitantes, que minha pergunta era sucedida por um silêncio, só quebrado algum tempo depois como um « o que? ». Em certo momento, entretanto, um homem se virou para mim (que era o último da fila na trilha) e disse para que eu olhasse, de quando em quando, para trás, pois as onças são silenciosas, nunca se escuta seu caminhar. Caminha-se no mato como uma paca, uma capivara, uma cotia, que, sempre observando os sinais da presença de outros seres, i.e., interagindo com eles, se esquivam na tentativa de não se dar a ver a esse predador que tudo vê, quase onipresente e onisciente, a onça. Ela parece estar sempre escondida atrás de uma árvore ou de um arbusto, não se pode entrar em seu território sem que ela saiba, sem que ela veja. No mato, no território das onças, é-se presa: estar lá é apreender-se sob o ponto de vista delas. A menos que se olhe dentro de seus olhos de resina 10 e não se demonstre medo, a menos que, temporariamente, se faça do mato uma aldeia.

13 « Território das onças » é uma expressão em português que serve de tradução para halòè hãwa, « a aldeia/território/lugar (hãwa) das onças (halòè) ». Há, porém, outro termo pelo qual se pode referir a um lugar onde é possível encontrar muitas onças (ou outros seres): ho (♂; haku, ♀) 11. Qualquer lugar onde a presença de um ou mais seres

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determinados se faça notar com frequência pode ser dito um ho. E esses espaços podem ser superpostos. Na Gleba II, por exemplo, há muitas capivaras, antas e peixes, de modo que ali é o ho de todos esses seres, simultaneamente. Se alguém está na aldeia e aponta para essa parte da Terra Indígena e diz kua õri ho, a expressão pode ser traduzida simplesmente como « ali (kua) tem muita anta (õri, ♂; kõri, ♀) ». Um lago pode ser dito utura ho – utura (♂; kutura, ♀) são os peixes. Mas qual seria, então, a diferença entre ho e hãwa? Para que um determinado lugar possa ser dito o hawã de um ser, é preciso que ele habite ali. Em relação às onças da Gleba II da Terra Indígena, por exemplo, Kari me disse que « elas moram ali, ali é a aldeinha delas ». O sentido dessa expressão ficou mais claro quando, posteriormente, conversando com um homem sobre o assunto, ele me ofereceu a expressão halòè hãwa como tradução para « território das onças » e eu lhe perguntei se havia ali, uma aldeia desse felino. Ele inicialmente me respondeu que sim. Mas quando insisti, perguntando se o hàri (xamã) dava notícias da aldeia das onças, como seria, se tinha casas dispostas como as de uma aldeia inỹ, ele me retrucou que não havia nada disso: quando se fala que « ali é a aldeia delas », é no sentido de que « elas moram ali », de que « ali é o território delas », mas sem a implicação da aldeia no sentido humano, um local muito determinado onde casas são construídas e cujo espaço têm que ser cuidado para que o mato não tome conta, por exemplo.

14 Os Karajá transitam por muitos lugares no mato, e algumas das características desse trânsito que descrevo aqui, como a relativa ausência de comunicação intra-humana, acontecem, em maior ou menor grau, em todos eles. É importante frisar, entretanto, que, apesar de eu estar usando o termo genérico « mato » para se referir a essa parte da Terra Indígena, a descrição que ofereço aqui se refere apenas ao trânsito pelo território (hãwa) das onças, e não por outro pedaço de mata qualquer, mesmo que este seja um ho (♂, haku, ♀) destes felinos.

A aldeia dos brancos

15 O que se poderia dizer, então, da relação dos Karajá de Buridina com os tori (os brancos) e sua cidade? Da mesma forma que os Karajá sofrem (ou operam) uma transformação quando estão no território das onças, estar na cidade, que é, afinal, « o território dos brancos » (tori hãwa), também envolve uma dinâmica de alteração. Quando os Karajá vão à cidade, geralmente montados em suas bicicletas, para comprar alimentos em algum dos mercados, pães para seu café da manhã, gasolina ou materiais de pesca, ir ao banco, ou simplesmente quando atravessam um pedaço da cidade no trânsito entre a aldeia (Gleba I) e o Aricá (como chamam a Gleba III), seu corpo também muda, se transforma: na cidade, eles evidenciam outras capacidades e afecções do que quando na aldeia. Assim como no mato, pedala-se em silêncio, como pude igualmente perceber ao acompanhar essas « expedições »: a comunicação intra-humana é colocada de lado em prol de uma arguta e perspicaz observação dos brancos. Observa-se como eles conversam, sobre o que, em que tom e em que situação, como eles fazem seus negócios, o que eles comem, que roupas vestem, como são suas casas, quais são seus trabalhos, o que gostam de fazer no tempo livre, como tratam seus parentes, etc. Assim como no mato, na cidade seus corpos estão sujeitos a uma certa tensão. O relaxamento característico do convívio cotidiano entre parentes na aldeia, onde as pessoas ficam sentadas nas varandas de suas casas, escorados em árvores na beira do rio, conversando entre si, fazendo brincadeiras, etc., é substituído por uma certa contenção corporal 12:

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linguística, tanto no sentido já apontado quanto no da comunicação oral com os brancos – tenta-se usar as expressões e formas de tratamento adequadas à gramática do português local e geralmente não se fala mais que o necessário para o fim em questão (pagar as compras feitas, por exemplo) –, e corporal – os movimentos são mais contidos e tem-se a impressão de uma certa dose de cuidado com eles. Essas interações na cidade contrastam marcadamente com as que têm lugar dentro da aldeia – quando, por exemplo, os Karajá recebem visitas de amigos ou conhecidos tori em suas casas –, que se assemelham às relações diárias entre os próprios índios. Se na aldeia a descontração, muscular e dos humores, é predominante, os Karajá, na cidade, estão geralmente sérios: ali não parece ser um local adequado para o riso, por exemplo. Assim como quando caminham no território das onças, ir para a cidade implica apreender-se a si próprio sob a perspectiva dos brancos – os seres para quem aquele espaço é um « território » –, apreender-se como « índio » 13.

16 Descrever as idas cotidianas dos Karajá à cidade como uma transformação pode dar uma impressão espetacular para uma situação que é, na verdade, absolutamente ordinária. A transformação é comumente associada a contextos ímpares, espetaculares, como o ritual ou o xamanismo, e pensada como operada por indivíduos em posições determinadas ou com treinamentos específicos. Mas, como lembra Praet (2009, p. 748) , falando sobre os Chachi do noroeste do Equador, « transformar-se [shifting shape] não é uma questão apenas de especialistas; na verdade, é algo muito mais comum e menos espetacular do que se poderia pensar » [tradução do autor E. S. N]. Entre os Matis, por exemplo, basta um grito monossilábico para efetuar uma transformação: O que poderia ser imaginado como eminentemente espetacular – homens que se transformam em jaguares – não implica nem tomada de alucinógenos, nem pinturas corporais sofisticadas, nem revestimento com ornamentos marcados pela semântica felina, nem postura, atitude, maneira ou comportamento particularmente evocativos. Um simples monossílabo, reiterado em intervalos regulares durante um tempo relativamente curto (alguns minutos apenas), prosseguindo seu caminho tranqüilamente: a isto se reduzem as metamorfoses matis. (Erikson 2000, p. 43)

17 Se acima vimos como a relação com as onças, quando se as encontra face a face, pode implicar uma transformação que poderíamos ver como extraordinária, no trânsito cotidiano dos Karajá em direção à cidade, como no simples fato de caminhar no território das onças, trata-se, ao contrário, de algo banal, não-espetacular. Há, porém, outros contextos de transformação, associados às relações com os brancos, que são sim espetaculares e que poderíamos com mais facilidade associar a rituais. Nos casos tratados acima, a transformação é algo quase imperceptível: para percebê-la é preciso, digamos assim, saber ver. Nesses outros contextos que tratarei agora, a transformação, como aquelas operadas por máscaras, dá-se a ver: as « máscaras » 14 em questão são as roupas dos tori. Os Inỹ, nesta como em outras aldeias, há muito abandonaram sua forma própria de « vestimenta » 15 e hoje as roupas dos brancos são tão básicas para eles quanto para nós. Mas há roupas e roupas. Até o começo do período letivo, em fevereiro de 2009, eu não havia – nas curtas estadias anteriores – presenciado a movimentação dos jovens em direção à escola. No primeiro dia de aula, fiquei surpreso ao ver todos muito bem vestidos, com roupas e acessórios que, depois de mais de um mês de campo, eu nem mesmo sabia que existiam (em algumas casas): sobretudo calças jeans e tênis impecavelmente limpos. Esses itens servem exclusivamente a esse fim: ir à escola 16, e fazê-lo exatamente da maneira como os tori o fazem, como comentou certa vez um homem.

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18 Na verdade, há uma outra situação em que se pode usá-los: sair para « ver o movimento » ou « o frevo », nas noites de festividades, sobretudo, do mês de julho, durante a temporada. O propósito, entretanto, parece ser o mesmo em ambos os casos. A primeira vez com que me deparei com esta situação foi ainda em fevereiro de 2009, durante o carnaval. Numa noite de sábado, eu havia saído para dar uma volta, comer um cachorro quente e, quando eu já estava indo embora, encontrei com Kari e seu marido Curica (tori). Eles estavam vestidos da mesma maneira que qualquer turista, com « roupas de festa » e perfumados. Os calçados mais uma vez me chamaram a atenção: ele calçava um bonito tênis branco e ela um sapato, brilhante e negro, ostentando um curto salto – ambos também impecavelmente limpos. Caminhamos pela rua e subimos pela praça da Igreja Matriz, onde decidiram sentar-se. Enquanto fiquei ali com eles, foi só isso que fizeram: sentados, observavam o movimento, fazendo, eventualmente, alguns comentários.

19 Algum tempo depois, durante o mês de julho de 2009, acompanhei a família de Renan até a praça Couto de Magalhães, onde, no palco ali armado, assistimos (em dias diferentes) os shows de Elba Ramalho e das bandas Alquimia e Biquini Cavadão. Eles em suas melhores roupas, cruzamos a aldeia rumo ao centro da cidade. Nestes três dias, o roteiro foi basicamente o mesmo: tomar sorvete, andar um pouco, sentar e observar, assistir o show, comer pipoca (ou outra coisa) e voltar para casa. Durante esses passeios, a impressão que se tinha é que as relações internas àquele pequeno grupo indígena davam lugar a uma relação de cada um deles com o ambiente: praticamente não conversavam entre si. Os momentos dos shows foram ainda mais impressionantes, para mim: escutando as músicas, observando os artistas e o público, os corpos dos adultos permaneciam perfeitamente estáticos. As crianças, porém, embora também observassem o movimento, conversavam e brincavam um pouco entre si (mas nada comparado ao ambiente da aldeia). Num desses dias, quando fui ao banheiro público (construído para a temporada turística de 2009), encontrei o cacique Raul Hawakati: com o cabelo preso, ele usava uma camiseta de gola pólo de largas listras horizontais, azuis e roxas, cuidadosamente colocada para dentro da calça jeans, onde se afivelava um cinto, preto como os seus sapatos.

20 Encontramos na literatura Karajá alguns outros relatos sobre essa dicotomia entre as dimensões cotidiana e transformativa da roupa, que certamente soam familiares para pesquisadores e pesquisadoras que trabalham com outros grupos indígenas. Fénelon Costa (1978, p. 31) comenta que « os rapazes de Santa Isabel (e mesmo os homens adultos) usavam no Posto (casa do encarregado e escola, etc.), em 1957 e 1959-1960, apenas um calção, reservando a indumentária completa para irem ao povoado neobrasileiro de São Félix [do Araguaia, Mato Grosso], no outro lado do rio ». Sobre os Karajá de Buridina, dois autores escrevem coisas semelhantes. Baldus (1948, pp. 145-146) diz que « os Karajá tiram a roupa, ou pelo menos parte dela, logo que, chegando em casa, se sentem exclusivamente entre si e fora do contato com os brancos ». Já Wüst (1975, p. 104) fala que « ainda em 1945 não usavam roupa, a não ser quando vinham para a cidade ».

21 O que está em questão nestas situações, acredito, é uma experimentação do ponto de vista dos tori – fazer, como disse, o que eles fazem e, sobretudo, fazê-lo exatamente da mesma maneira que eles. Essas « roupas de festa », poderíamos chamá-las, me parecem poder ser tratadas como dispositivos transformativos comparáveis às máscaras rituais. Usando-as, é-se capaz de acessar um outro ponto de vista. Lembremos que nos mundos

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do mito e do xamanismo são frequentes as transformações que se operam por roupas: virar onça é vestir uma roupa de onça. Por baixo das « roupas de festa », os Karajá não permanecem intactos, pois a roupa não é uma fantasia, ela não esconde uma humanidade inỹ que se preserva inalterada durante o processo. Como nota Viveiros de Castro (2002, p. 393): « trata-se menos de o corpo ser uma roupa do que de uma roupa ser um corpo. [...] Vestir uma roupa-máscara é menos ocultar uma essência humana sob uma aparência animal que ativar os poderes de um corpo outro » [itálicos do autor V. d. C].

22 Nessas situações, penso, os Karajá não estão simplesmente « se passando » por turistas, assim como no trânsito cotidiano à cidade eles não estão « se passando » por aruanenses: o que está em questão é uma alteração. Mas há entre essas duas situações uma diferença importante. Se no segundo caso, como disse, eles se apreendem sob o ponto de vista dos não-indígenas, virando índios para estes, no primeiro, eles acessam a perspectiva tori, virando brancos como eles. De fato, mesmo se, de todos os seres que habitam o cosmos do qual os Karajá são parte, os tori são certamente os menos hábeis no jogo da perspectiva, é nessas situações de festa que a grande maioria dos regionais enxerga os indígenas de Buridina como mais iguais a si, i.e., como índios aculturados. A transformação é algo que depende, não só do próprio esforço, mas também da percepção de outros: só se sabe que a transformação foi bem sucedida quando, além de conseguir enxergar o ser outro no qual se transforma como um semelhante, é-se visto como um semelhante por ele. Assim, o estereótipo que os regionais nutrem sobre os Karajá – pensando-os como « aculturados », « civilizados » ou « iguais a nós » (cf. Nunes 2012, pp. 246-250) – é uma parte importante do processo, pois, justamente, lhes permite, quando « transformados em brancos », conhecerem-se como semelhantes a eles.

23 A questão, porém, é mais complexa que a distinção entre « troca de » (apreender-se sob o ponto de vista do Outro ou trocar de posição com ele, i.e., fazê-lo apreender-se sob o ponto de vista do Eu) e « acesso à » perspectiva (ver-se como um semelhante) e a associação dessas duas formas de alteração a dois contextos distintos. Esse quadro me parece, com efeito, majoritário, mas tanto é possível não acessar o ponto de vista dos brancos nas noites de festa, e ser capturado por ele, quanto acessá-lo nas idas cotidianas à cidade. Vejamos, por exemplo, a seguinte fala de Renan Hãburunatu. Quando a gente vai pra cidade, quando atravessa o portão [da aldeia] ali, tem que tirar a memória indígena, guardar no bolso e colocar a memória de não-índio no lugar [gesticulando com as mãos como se tirasse e colocasse pequenos chips de memória em sua cabeça]. Quando chega pra cumprimentar alguém é « bom dia », « como vão os senhores? », se for uma mulher abraça e dá um beijo no rosto, ou então dá um beijo nas costas da mão. Aí vão saber que quem está ali é um cavalheiro. Porque os índios não se cumprimentam assim, é na distância, não se encostam. Aí quando passa do portão pra dentro tem que tirar a memória do não- índio da cabeça e colocar a memória indígena, que estava guardada [no bolso], no lugar. Aí volta a funcionar do nosso jeito. Então a gente tem que ter essas duas memórias, e as duas são muito importantes pra gente.

24 Esse jogo depende, em última instância, de habilidades particulares que estão a todo o tempo sob teste. Se uma pessoa logra acessar o ponto de vista dos brancos, no cotidiano ou nas noites de festa, nada garante que outra pessoa também logrará. Nada garante que a mesma pessoa repetirá o feito no dia seguinte, ou duas horas depois, ou na próxima loja que entrar, ou com a próxima pessoa que conversar. O mundo indígena é um mundo sem garantias. E, além do mais, se o que está geralmente em questão no trânsito cotidiano dos Karajá para a cidade é uma troca de perspectiva, apreender-se

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sobre o ponto de vista dos brancos, isso não é necessário, nem ideal. O ideal, parece-me, é justamente acessar a perspectiva tori – o mesmo, provavelmente, sendo válido no caso das onças. A relação dos indígenas de Buridina com os brancos poderia ser pensada como um análogo do xamanismo, no sentido de que ambos os casos envolvem uma relação longa e intensa como uma forma de alteridade específica que estabiliza a possibilidade de acesso a seu ponto de vista 17. Mas há xamãs e xamãs. Os mais hábeis nesse jogo conseguem reverter, mesmo nessa situação cotidiana, a assimetria a seu favor: em lugar de ser apreendido pelo ponto de vista de referência, acessá-lo e, assim, afirmar-se como um semelhante frente aqueles seres outros.

25 Tendo em vista essas sutilezas no caso das relações com os tori, o que podemos dizer da relação com as onças? Em relação a estas últimas eu disse que os Karajá ora se apreendem sob o ponto de vista delas, quando caminham em seu território, ora trocam de perspectiva com elas, quando as encontram frente a frente e não demonstram medo. Na discussão acima, relativa aos brancos, chamei essas duas formas de relação distintas de troca de perspectiva, pois em nenhum dos dois casos vê-se o Outro como um semelhante. Uma assimetria sempre se mantém: no mato, os Karajá são presas das onças; ou então, olhando-as nos olhos sem demonstrar medo, eles a transformam em presa. Na relação com os não-indígenas, porém, como apontei, há uma outra possibilidade: pode-se ver os tori como semelhantes, é possível tuteá-los, chamá-los pelo pronome de tratamento « tu ». A segunda pessoa, como nota Viveiros de Castro (1996, p. 135) « é o outro tomado como sujeito, cujo ponto de vista serve de eco latente ao do “eu” ». Poderíamos, então, proceder dedutivamente – abrindo, assim, espaço para investigações futuras – e nos perguntar: seria possível, então, encontrarmos, na relação com as onças, uma forma de acesso à perspectiva? E existiria, na relação com os tori, um equivalente do encontro face à face, da troca de olhares, com as onças (Figura 2)?

26 O xamanismo é, possivelmente, uma das peças que faltam. O hàri, o xamã inỹ, pode « entrar no corpo » de vários animais, entre eles as onças, passando, assim, a dispor das afecções, disposições e habilidades de seus corpos 18. Pode até ser que uma onça que porventura se dê a ver no mato seja, de fato, um hàri-onça. Mas não há um xamanismo desenvolvido em Buridina. Práticas xamânicas, como banhos com ervas para finalidades diversas, se fazem ali presentes, e alguns indivíduos possuem conhecimentos sobre tais ervas (os « remédios ») e capacidades xamânicas como, por exemplo, a visão. Não há, entretanto, xamãs reconhecidos e que tenham passado por uma crise iniciatória. Assim, se esse texto apresenta uma certa assimetria em relação aos casos das onças e dos brancos, o segundo aparentemente mais complexo e com mais nuances, isso não se deve a nada intrínseco a uma relação e que falte à outra.

FIG. 2 – Transformações em onça e em branco.

troca de

transformação perspectiva acesso à

em Outro Outro sob o ponto perspectiva Eu sob o ponto de vista do Outro de vista do Eu

Tori idas cotidianas (guerra) shows (brancos) à cidade

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Halòè Encontro Caminhar no território das onças (xamanismo) (onças) face à face

27 Uma investigação mais aprofundada sobre xamanismo muito possivelmente complexificaria esse quadro de maneira significativa.

28 E o que poderíamos dizer sobre o equivalente, na relação com os tori, do encontro face a face com as onças? A peça que falta, aqui, poderia ser a « guerra » com os brancos. Tomemos o exemplo dos Kayapó-Gorotire. Em meio ao processo que Turner (1993, p. 44) chamou de um « desenvolvimento de uma autoconsciência étnica e cultural », esses índios passaram a assumir « o comando da estrutura institucional de dependência »: o chefe de posto da Funai (o órgão indigenista do Estado brasileiro), o operador de rádio, pilotos de barcos e motoristas de caminhão eram todos Kayapó, além de os brancos, como o piloto de avião, serem contratados diretamente pela comunidade (ibid., p. 48). O dinheiro para o pagamento destes funcionários provinha de dois garimpos localizados dentro de suas terras.

29 Os Gorotire também administram e policiam os garimpos de ouro de Maria Bonita e Cumaruzinho. Neste último, eles mantêm uma força policial de quatro « guerreiros » (como são chamados pelos garimpeiros), que trazem apenas bordunas. Em Maria Bonita, o garimpo maior, eles dispõem de uma força policial idêntica e mais um administrador-chefe, que é também o contador da tribo (ele aprendeu aritmética nas aulas ministradas por dois anos pelos missionários e professoras da Funai). (ibid., pp. 49-50)

30 Impressionante, nesse caso, é o fato de os Gorotire terem controlado os garimpos, locais onde há geralmente muita violência e tentativas de burlar a fiscalização, quando há alguma, com apenas quatro « guerreiros ». Os indígenas usaram a ferocidade a eles associada a seu favor. Assim, não seria o controle policial desses sítios pelos Kayapó- Gorotire – uma forma de « guerra » com os brancos – uma maneira de capturar os garimpeiros em seu próprio ponto de vista e, dessa forma, fazê-los se apreender não como « garimpeiros em área indígena », mas como « garimpeiros em área indígena »? O enfretamento dos regionais pelos Karajá de Buridina para a demarcação e desocupação da Terra Indígena parece ter colocado em cena essa possibilidade. As Glebas II e III foram desocupadas a partir de iniciativa dos Karajá (cf. Nunes 2009, 2012). Quando um jovem indígena cumpriu a ameaça da comunidade e matou uma rês dos posseiros da Gleba II, estes viram que a ameaça era real e desocuparam a área sem oferecer resistência. Não teria sido essa ação da comunidade uma forma de fazer com que esses brancos se apreendessem sob o ponto de vista dos Karajá, vendo-se não como « camponeses » ou « ribeirinhos », mas sim como « invasores »? Algum tempo depois, a desintrusão da Gleba III também se seguiu a uma iniciativa da comunidade. O dono da fazenda Aricá se recusava a sair da área, fazendo ameaças aos indígenas. Aproveitando uma viagem do fazendeiro, um grupo de jovens homens karajá invadiram a sede, fazendo, assim, com que a Polícia Federal fosse até o local e a área fosse desocupada. Também aqui, não teria sido esse enfrentamento por parte dos indígenas uma forma de fazer com que esse tori se apreendesse sob o ponto de vista dos Karajá, vendo-se não como um « fazendeiro », mas sim como um « posseiro » ou « invasor »?

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Hãwa: lugar e perspectiva

31 Passeamos até agora pelo « território das onças » e pela « aldeia dos brancos », mas não pela aldeia indígena. O termo da língua indígena para aldeia é hãwa. Essa palavra, entretanto, guarda uma polissemia, sendo traduzida pelos Karajá ora por « aldeia », ora por « lugar onde se situa/constrói uma aldeia », ora simplesmente como « lugar ». Esse conceito se refere, de fato, a uma configuração espacial que abarca esses três significados, e que os Karajá costumam definir em português como território. « Hãwa é tanto uma “aldeia” quanto um território definido ao redor de uma aldeia » (Rodrigues 2008, p. 247, nota 7), que inclui um trecho do rio, pontos de caça, pesca e coleta e uma área cultivável, basicamente.

32 Se as aldeias inỹ são inỹ hãwa, as cidades dos brancos são tori hãwa, « aldeia/território/ lugar dos brancos » 19. Quando os Karajá se referem ao « território das onças », vimos acima, eles estão também se referindo ao conceito de hãwa. Assim, as três perspectivas tratadas aqui, a dos indígenas, a das onças e a dos brancos, estão ancoradas em três lugares específicos, respectivamente: inỹ hãwa, tori hãwa e halòè hãwa. Para os Karajá, sua aldeia ou seu « território » se opõe aos desses outros seres. Mas há ainda um outro tipo de lugar que poderíamos inserir nesse quadro: as praias. Os Inỹ costumavam se dispersar, divididos em pequenos grupos familiares, pelas praias de areia branca que emergiam com a baixa das águas. Nas praias realizavam-se, inclusive, rituais 20. Elas, portanto, são também um espaço de socialidade inỹ. Isso pode ser visto facilmente. Assim como na aldeia, quando na praia, os corpos estão relaxados, as pessoas conversam descontraidamente entre si, brincam, fazem piadas, etc.: em ambos os lugares, seus corpos são do mesmo modo. Um acampamento sobre a areia é, com efeito, uma pequena aldeia, com casas – as barracas de acampamento – geralmente « habitadas » apenas por parentes próximos, um « terreiro » onde as pessoas se reúnem para conversar e um fogo no qual a comida é preparada – onde uma mulher prepara a comida para seu marido. O mesmo pode ser dito de quando os Karajá estão sobre o rio, em suas canoas: seus corpos aí, são como quando na aldeia. Os Inỹ são um povo ribeirinho, « o pessoal do rio » (berohokỹ mahãdu, os Karajá, e berobiowa mahãdu, os Javaé), mas não apenas por viverem à beira do Araguaia (e do Javaés) e por tirarem das águas parte importante de seu sustento: o rio é também um espaço de vida inỹ, uma extensão da aldeia, por assim dizer (ao menos o trecho que faz parte do território da aldeia).

33 Se a aldeia, o rio, e as praias são lugares propriamente humanos e que, portanto, propiciam uma socialidade propriamente humana, os dois outros, o dos brancos e das onças, são territórios de seres outros, e o que está em questão neles é a alteração. Os hawã, com efeito, parecem se constituir como um locus de estabilização das perspectivas dos seres para quem eles são um lugar, uma aldeia, um território. Me deparei com esse idéia ao conversar com um homem sobre a situação da aldeia Itxalà, cuja população é praticamente toda fruto de casamentos entre Karajá e Tapirapé. Perguntei a ele, provocativamente: se aqueles indígenas eram todos misturados (como eles dizem) de Karajá e Tapirapé, porque eles seriam Karajá e não Tapirapé? Ele respondeu prontamente que eram Karajá porque continuavam morando em uma aldeia karajá. Se eles tivessem ido morar em Urubu Branco, um antigo sítio para o qual os Tapirapé retornaram após viver anos com as Karajá, eles seriam (se tornariam) Tapirapé. Essa fala deve soar familiar para muitos etnólogos e etnólogas. Afinal, habitar

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uma aldeia construída de modo apropriado é comumente um dos elementos definidores da humanidade da pessoa. Esse é o caso dos grupos Jê, em cujas aldeias « é o próprio discurso sociológico que se inscreve e se deixa ler sobre o solo [...]. A todo princípio de organização social é designado um lugar, um espaço, nesse esquema sociológico » (Carneiro da Cunha 1993, p. 85 [tradução do autor E. S. N]). Sobre os Krahó, Mellati (2005 [1967], p. 75) diz que, « de um modo geral, aqueles que, seja qual for seu aspecto físico, habitem nas aldeias circulares, tomando parte nas atividades rituais, são considerados índios » (cf. também Nimuendaju 1946, p. 85). No caso de alguns grupos, seus próprios termos de autodesignação fazem referência a seu local de habitação: o grupo conhecido na literatura como Suyá, por exemplo, se autodenomina mekĩsêdjê, « povo das grandes aldeias circulares » (Seeger 1981, p. 67) 21. Os lugares, com efeito, e mais especificamente aqueles em que se habita, as aldeias, são mais do que um substrato físico sobre o qual as pessoas vivem: eles participam do processo de constituição recíproca das pessoas como propriamente humanas. Vejamos como isso se dá entre os Inỹ.

34 Uma das maneiras pelas quais os Inỹ podem determinar o pertencimento territorial de uma pessoa, sua « origem », como dizem, está relacionada com os lugares: uma pessoa pode ser dita original de uma aldeia porque foi criada ali, e, assim, guarda muitas « memórias espacializadas » de atividades e eventos que dividiu com seus parentes – lembranças de pescar com o pai, avô ou tio em um lago específico, de ver a mãe ou avó assando uma boneca de cerâmica nos fundos da casa, etc. Essas memórias, poderíamos dizer, « estão » nos lugares, eles as retêm. Ao passar por um local específico – um determinado lago em que se costumava pescar com o pai, uma árvore plantada pela avó, o antigo local de moradia de um tio, uma beira de lago onde se fazia roça –, as pessoas rememoram a história desse lugar, sempre ligada a vínculos de parentesco (com efeito, são os próprios lugares que parecem suscitar essas lembranças); e essa é frequentemente a ocasião em que os mais velhos contam narrativas – sobre seus parentes falecidos, sobre como era aquele lugar quando se era criança, sobre o que se costumava fazer na juventude, etc.

35 Os lugares, com efeito, participam do processo de produção de parentes: uma roça que um homem planta e que produz alimentos que sua esposa cozinha, uma casa que ele constrói e que sua esposa limpa, os lagos e trechos do rio onde ele pesca os peixes e tartarugas que sua esposa preparará, por meio desses lugares, os cônjuges se dão a lembrar uns para os outros e, assim, produzem-se como parentes; também por meio dessas lembranças recíprocas e especializadas, eles propiciam os fluxos de alimentos, afetos, cuidados, palavras, etc. que produzirão seus filhos como pessoas propriamente humanas, inỹ 22. E isso também retroativamente: um homem sabe reconhecer um bom ponto para pescar tartarugas, por exemplo, muito possivelmente porque, quando ainda era um rapaz, ele saiu para pescar com seu pai, tio ou avô em locais que este havia escolhido como propício; esse homem mais velho, por seu turno, saiu para pescar porque precisava « colocar comida em casa » 23. A implicação dos mais jovens nesses lugares, assim como a implicação do ouvinte piro de uma narrativa que fala sobre lugares e pessoas, « ocorre por meio da agência das pessoas mais velhas » (Gow 1997b, p. 51). A ligação que as pessoas assim estabelecem com seus « locais de origem » – a aldeia no sentido amplo de hãwa, que inclui não só o aglomerado das casas como também o território a seu redor – é tão forte que mudar de aldeia é um processo quase traumático. « One’s village is the focus of considerable value for the Karajá. There is a feeling of homesickness when away, and never does a Karajá become comfortable in another village »

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(Donahue 1982, p. 174). E isso está certamente relacionado com uma forte preferência pela endogamia de aldeia (cf. Rodrigues 2008, p. 738; Donahue ibid., p. 145; Lima Filho 1994, p. 134).

36 Os grupos domésticos inỹ são concebidos como grupos de descendência matrilinear espacialmente localizados 24. A interpretação original que Patrícia Rodrigues oferece para essa « filiação matrilinear à casa » é bastante sugestiva para a questão que ora nos ocupa. A descendência na América do Sul indígena, sabemos há algum tempo, não é uma relação de tipo jural. Não se trata, aqui, da transmissão de direitos e bens: os grupos corporados ameríndios são, antes, grupos corporais (Seeger, DaMatta e Viveiros de Castro 1979; Seeger 1980). Rodrigues argumenta que, para os Javaé, a descendência, mesmo se formulada em termos de uma conexão de substância para com maternos e paternos – no caso da casa, uma ligação com os parentes matrilineares por meio de « influências menos visíveis das substâncias maternas » (2008, p. 521) –, não pode ser separada da residência, respondendo a uma espacialização da sociedade (ibid., p. 548). Os ancestrais de alguém são referidos como os seus lahina, palavra que contém um componente espacial, ao invés de genealógico, expresso através do sufixo na. Literalmente falando, lahina significa « o lugar (na) da avó (lahi) », indicando que os ancestrais não são um grupo de quem se descende pela via matrilinear, mas um grupo de pessoas que se define pela co-residência em um determinado espaço, associado principalmente à figura das avós ancestrais. (ibid., p. 556 [itálicos do autor E. S. N])

37 A palavra que designa os parentes de alguém, sỹ (wasỹ, « meus parentes »), tem também uma acepção mais ampla de « abrigo », podendo referir-se tanto à « casa » (heto, ♂; hetoku, ♀, o termo mais comumente traduzido por casa, se refere ao aspecto físico da construção) quanto à « aldeia » (o hãwa de que estamos falando): uma pessoa, portanto, pode se referir à sua própria aldeia como « os meus parentes ». Nas palavras de Toral (1992, p. 57), « os Karajá usam uma só palavra [wasy, sic] para se referirem à idéia de “meu lugar” e “minha família”».

38 Como a literatura recente tem apontado, as paisagens ou os lugares não são meras « construções sociais » ou « culturais », no sentido de uma camada de significação adicionada sobre um substrato material bruto, dado, o espaço (cf. Hirsch 1997; Casey 1996; Ingold 2000). A paisagem da floresta amazônica, por exemplo, diz Gow (1997b, p. 44), não é « observada de fora » pelos Piro, eles não a representam, no sentido de uma construção, como um mapa, que « stands for something else in its absence ». Os Piro estão implicados nessa paisagem, sua terra: as atividades que o parentesco propicia, como a pesca, a caça e o plantio (roças de coivara) constituem a floresta; as almas dos mortos ficam presas a lugares específicos, que os vivos evitam; os olhos do xamã podem ver a floresta como espaço habitado por uma pluralidade de Outros « humanos ». Os Piro conhecem sua terra e a transformam não porque a « observam » ou a « representam », mas porque estão implicados em relações de parentesco uns com os outros e em relações com vários seres outros, como os mortos e os « demônios dos ossos » (ibid.). O conhecimento desses lugares, portanto, só pode ser transmitido por narrativas se os ouvintes já estão implicados nessa paisagem – e o próprio ato de narrar e ouvir as histórias depende da implicação recíproca (relações de parentesco) entre o narrador e o(s) ouvinte(s). Por isso as narrativas Piro tem uma imprecisão na localização dos acontecimentos. Quando Gow perguntava « onde exatamente você estava vivendo quando isso aconteceu? », a resposta dos Piro era « um vago “ali” ou “descendo” o rio, logo depois de onde o velho Julio Felipe vai fazer sua nova roça’ » (ibid., p. 51). É apenas quando as pessoas sabem onde esse « ali » ou a nova roça de Julio

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Felipe ficam que a narrativa adquire seu sentido. « Se você não sabe, como isso poderia fazer diferença? » (ibid.). Como diz Casey (1996, p. 18), « não há como conhecer ou sentir um lugar exceto estando naquele lugar, e estar em um lugar é estar em uma posição para percebê-lo » (cf. também Ingold 2000). Os lugares, prossegue Casey, são eles próprios constituídos pelo engajamento das pessoas (« corpos vividos ») com eles. Esse é certamente o caso de uma aldeia inỹ.

39 A aldeia é o lugar onde a vida humana acontece. Por isso, é necessário cuidar dela, não deixar, por exemplo, que o mato tome conta. Os quintais e pátios das casas são constantemente limpos, o mato é cortado, as folhas que caem das árvores são rasteladas, o lixo é varrido e acumulado em um canto, e periodicamente queimado. Nas ruas (que passam na frente das fileiras de casas) e trilhas (que ligam uma fileira à outra) da aldeia, o mato não cresce, porque pessoas (bicicletas e veículos) estão constantemente transitando nelas. Assim, a forma da aldeia, com suas ruas e trilhas, existe mesmo em função da movimentação das pessoas para dentro e para fora da aldeia e entre os grupos domésticos. E também porque casas foram construídas em posições específicas umas em relação às outras. Casais novos saem da casa de seus pais/ sogros, onde residem após o casamento, e constroem casas para si, geralmente próximas à casa do casal sênior 25. As construções também envelhecem e, assim, precisam ser periodicamente reformadas. Para que sejam locais propícios para se viver, elas têm que ser constantemente limpas. As árvores que se erguem à beira do barranco, características das aldeias inỹ, foram plantadas por seus habitantes. Algumas delas perduram por gerações. E tudo isso, é claro, traz a marca do parentesco. Uma aldeia existe sob uma forma adequada devido aos trabalhos recíprocos dos cônjuges, ao trabalho dispensado por eles para criar seus filhos, às visitas que os parentes fazem uns para os outros, etc. É a socialidade inỹ, em suma, que constitui o espaço da aldeia. Ao mesmo tempo, porém, ela é constituída por esse espaço. Em um sentido, são as casas que fazem com que as pessoas morem juntas, dividam o mesmo espaço; são os pátios que reúnem os parentes nos fins de tarde; são os caminhos que conduzem as pessoas para dentro e para fora da aldeia e de sua casa para a casa de seus parentes; e, como disse acima, os lugares retém memórias e, assim, dão os parentes a se lembrar uns dos outros.

40 Se, portanto, engajamento recíproco de pessoas e lugares constitui a ambos (cf. Casey, ibid.), a ligação (afetiva, emocional) que se estabelece com o espaço da aldeia por meio da residência é mais do que metafórica. Ele me parece conferir, enfim, um embasamento etnográfico ameríndio para a passagem de Lévy-Bruhl (1922) que serve de epígrafe a este texto: participando uns dos outros, pessoas e lugares entretêm uma relação metonímica. Isso se expressa em outra forma de legitimar o direito de pertencimento a um lugar, a « origem » de alguém, como dizem: uma pessoal « é original » do lugar onde sua placenta (saa) foi enterrada. Rodrigues (2008, p. 558) diz que uma das expressões pelas quais os Javaé se referem a esse direito é wasaabòròna, « literalmente “o lugar (na) das costas (bòrò) na minha placenta (wasaa)”, que metaforicamente é “o lugar onde se enterrou ou tampou a minha placenta” ». Os Karajá mais velhos de Buridina dizem que a placenta era enterrada no mato, nas proximidades da aldeia (cf. também Donahue 1982, p. 113; Aytai 1979, p. 6; Krause 1943, p. 201). Dizem que era costume que a mãe guardasse a parte do cordão umbilical que fica colado à barriga da criança (binõti) depois que ele secava e se descolava do bebê até que seu filho tivesse idade suficiente para memorizar os acontecimentos. Então, ela mostrava o umbigo 26 ao filho para depois enterrá-lo junto à placenta e ao cordão (cf. também

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Donahue ibid., pp. 113-114). Dizem ainda que « o umbigo chama »: uma pessoa pode andar muito, mudar várias vezes de aldeia, mas acaba escutando a esse chamado e voltando para o lugar onde seu umbigo foi enterrado. Não posso dizer muito sobre a placenta, que, entre outros grupos ameríndios, é um « duplo » ou « o companheiro » da criança, um Outro (cf. Gow 1997a). Mas quando perguntei a um homem se, mesmo depois de enterrado, o umbigo continuava fazendo parte da pessoa, ele me respondeu que sim 27. Assim, talvez seja possível dar ainda um passo além e dizer que os lugares não apenas participam do processo de aparentamento entre as pessoas, mas que é possível se aparentar com os lugares, produzir relações para com eles. Talvez, da mesma forma que os parentes (humanos) assemelham seus corpos por meio do fluxo de palavras, cuidados, substâncias corporais, alimentos, etc., as pessoas se assemelhem a seus lugares de origem: os umbigos são enterrados nas proximidades da aldeia, as pessoas cospem no chão, caminham sobre ele, contam histórias sobre ele, sentadas em cadeiras apoiadas nele; as casas « cuidam » (abrigam) das pessoas, os pátios convidam as pessoas a se sentarem, as árvores bloqueiam o sol para que as pessoas não sintam tanto calor. Talvez também assim os lugares se constituam como partes das pessoas.

41 Mas voltemos ao hãwa. Cada território, hãwa, é a aldeia de alguém e, assim, ele constitui, ao mesmo tempo em que é constituído por, seus habitantes. E se cada lugar tem seus moradores, a maneira de estar ali depende da relação que se estabelece com eles (cf. Coelho de Souza 2009, p. 30). O trânsito entre diferentes lugares (aldeias, territórios), portanto, implica se relacionar com a perspectiva dos seres outros que os habitam. Além do mais, Rodrigues (2008, p. 550) demonstra que o próprio movimento, para os Javaé, está ligado à transformação. É por meio do movimento, uma longa caminhada desde as cabeceiras até a foz do Araguaia, que o demiurgo Tanỹxiwè (Kànỹxiwè, para os Karajá) « deixa a condição de corpo fechado, no início do rio, para tornar-se um pai de corpo aberto quando chega ao fim, onde se encontra com o filho já crescido ». É também por meio do movimento, a mudança de residência implicada pela uxorilocalidade, que os homens abrem seus corpos, produzindo filhos, possibilitando assim a continuidade da vida inỹ. Por mais que a autora confira à « transformação » um sentido bastante preciso, que não cabe explorar aqui, a idéia não deixa de ser produtiva. Esse deslocamento espacial após o casamento não implica, para o homem, também uma mudança de perspectiva? Se na casa da mãe é-se um filho, um semelhante, na casa dos sogros é-se um genro, um diferente 28: o que se é na casa da esposa depende das relações que se trava com seus habitantes, os afins.

42 Se a humanidade tem que ser continuamente produzida, se ela nunca está garantida, se, em suma, os corpos são cronicamente instáveis (Vilaça 2005), e se a relação das pessoas com seus lugares de moradia é metonímica, os lugares (hãwa) estabilizam a perspectiva dos seres seus habitantes. A relação que se estabelece com os « territórios » de seres outros, assim, é, antes de tudo, uma relação com o ponto de vista desses seres. Mesmo se há formas múltiplas de relação, desenvolvidas ao longo de um duradouro histórico de interações, como tentei apontar, a forma básica de se estar num território outro é apreender a si próprio sob a perspectiva de seus moradores, aqueles para os quais tal espaço é um hãwa. O trânsito dos Karajá de Buridina entre sua aldeia, a cidade e o mato é, portanto, um intricado jogo de pontos de vista.

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Nota final

43 As descrições que fiz aqui das transformações que caminhar no território das onças ou transitar na cidade implicam para os Karajá são, certamente, muito sumárias. E isso foi, pelo menos até certo ponto, proposital. Pretendi mais apontar que os corpos indígenas dispõem diferentes afecções e capacidades na aldeia, no mato e na cidade, e menos descrever detalhadamente essas diferenças. É claro que uma série de informações adicionais – sobre a forma inỹ do processo do parentesco, sobre a dinâmica de constituição dos grupos domésticos (e sua relação com a morfologia da aldeia), sobre os componentes da pessoa (alma, sangue) e sua relação com a produção de pessoas humanas, inỹ, etc.; assuntos esses que desenvolvi em mais detalhes em minha dissertação (Nunes 2012) – tornariam o argumento mais sólido. Porém, se optei por fazer descrições mais breves, foi pelo benefício da comparação entre as relações com dois tipos de seres outros (as onças e os brancos) que são comumente tratadas em separado – como remetendo a esferas distintas, esferas de análise e, por vezes mesmo esferas da vida indígena. Um dos objetivos desse artigo, embora tangencial, é apontar para a produtividade de se utilizar um mesmo quadro de análise para tratar tanto das relações com os brancos como das relações com outras figuras da alteridade. Se, para os índios, os brancos são Outros, figuras da alteridade, vale considerar mais detidamente a possibilidade de comunicação entre as relações com seres tão distintos quanto as onças e os brancos. Nesse texto, tentei mostrar que, embora haja diferenças – sempre as há –, os trânsitos dos Karajá no mato e na cidade colocam em cena processos análogos.

44 Outro ponto importante é que, como disse no início, esse artigo é uma reflexão sobre as transformações que esses trânsitos por territórios outros suscitam nos Karajá. Os índios, entretanto, dificilmente explicitam verbalmente essas mudanças de afecções, disposições e capacidades corporais, no que tange especificamente às idas à cidade e ao mato. Entretanto, no que se refere a outros aspectos das relações com os brancos – o uso de uma série de utensílios não-indígenas (luz elétrica, gasolina, redes de pesca de nylon, ferramentas diversas, etc.), falar o português (ao lado da língua karajá), usar roupas industrializadas cotidianamente ou comer « comida tori », por exemplo –, é comum ouvir asserções mais explícitas quanto a « virar branco »; o que torna possível perceber como os Karajá entendem a transformação. Desenvolvi esse ponto em outro lugar (Nunes 2012, cap. 6). Nesse texto, porém, minha abordagem foi fenomenológica: tentei descrever mudanças de afecções, capacidades e disposições corporais que, embora por vezes pouco perceptíveis, são bastante concretas, do ponto de vista do engajamento dos corpos karajá tanto com o mato quanto com a cidade e com os habitantes desses diferentes hãwa.

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NOTAS

1. « Inỹ » é o termo de auto-designação dos Karajá, Javaé e Xambioá; rybè significa « fala », « língua », « modo de falar ». Essa língua apresenta uma diferenciação da fala segundo o sexo do falante, geralmente caracterizada pela queda, na variante masculina, de uma consoante (majoritariamente a oclusiva velar surda /k/), localizada entre duas vogais ou no início de palavras da fala feminina (Ribeiro 2012, cap. III). As formas masculina e feminina das palavras são indicadas respectivamente pelos símbolos ♂ e ♀. 2. Para mais detalhes sobre a situação espacial da aldeia e informações sobre história da aldeia e da cidade (Nunes 2009, 2012). 3. Os Karajá distinguem três tipos de onça: a onça pintada, a onça preta e a onça vermelha. Para a biologia, as duas primeiras são uma única espécie, « Panthera onca ». Quarto maior felino do mundo, é o maior das Américas, possui corpo largo e musculoso e cauda curta. Pesa em média 61.4 kg (de 35 kg a 130.5 kg), com um comprimento médio de corpo de 1.32 m (de 1.10 m a 1.75 m) e de cauda de 57.6 cm (de 40 cm a 68 cm). É encontrada das planícies costeiras do México até o norte da Argentina, em toda a Amazônia até o leste do Maranhão, Brasil central, e pantanal. A onça vermelha, mais conhecida alhures como onça parda, espécie « Puma concolor », é o segundo maior felino do Brasil. Possui corpo grande, cauda longa e cor uniforme. Pesa em média 39.2 kg (de 22.7 kg a 73.8 kg), com um comprimento médio de corpo (cabeça + corpo) de 1.08 m (de 0.9 m a 1.53 m) e de cauda de 61.5 cm (de 46.9 cm a 81.5 cm). É encontrada numa área mais extensa que a onça pintada, do oeste do Canadá ao extremo sul da América do Sul e praticamente em todo território brasileiro (Oliveira e Cassaro 1999, pp. 41-46). Os Karajá, por seu turno, distinguem a onça pintada, halòè ou halòè ràti, considerada como a maior das três, da onça preta, halòè lyby, reservando para a onça vermelha os termos obryra (♂; kobryra, ♀) ou halòè sò. A palavra halòè (♂, halòkòè, ♀), porém, é usada também como um termo genérico para qualquer tipo de onça. 4. O « esturro » é um som grave que as onças emitem, uma espécie de roncado – mas não se trata de seu rugido. 5. Quando a onça está com filhotes pequenos, ou como dizem os Karajá, quando ela está « parida », ela é muito mais perigosa do que normalmente, podendo atacar e matar sua presa mesmo que não a deseje comer, abandonando o cadáver no mato. 6. Ao falar da posição de sujeito(-predador), faço aqui referência à formulação de Viveiros de Castro (1996, p. 126) do perspectivismo ameríndio. Diz o autor: « todo ser a que se atribui um ponto de vista será assim sujeito [...]; ou melhor, ali onde estiver o ponto de vista, também estará a posição de sujeito. Enquanto nossa cosmologia construcionista pode ser resumida na fórmula saussureana: o ponto de vista cria o objeto – o sujeito sendo a condição originária fixa de onde emana o ponto de vista –, o perspectivismo ameríndio procede segundo o princípio de que o ponto

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de vista cria o sujeito; será sujeito quem se encontrar ativado ou “agenciado” pelo ponto de vista » [itálicos do autor E. S. N]. A posição de objeto(-vítima), assim, é uma extensão dessa idéia. 7. Lévi-Strauss (1976) há muito nos ensinou que a mitologia não opera com as coisas do mundo necessariamente como elas são: ora ela as reproduz, narrando-as como de fato são na vida indígena, ora ela as espelha, produzindo uma imagem invertida. A mitologia Karajá sobre as onças é um exemplo claro disso: predador voraz, prototípico, no mundo da vida, a onça é um benevolente quase bobalhão no mundo do mito. Personagem que sempre se presta ao diálogo e a ajudar os protagonistas das narrativas, a onça mítica Karajá é sempre enganada, feita de bobo, por outras personagens: tem sua cabeça amassada pelo tracajá (cf. Pimentel da Silva e Rocha [2006, pp. 156-157] para uma versão publicada desse mito), se deixa amarrar e serve de montaria ao coelho, perde seus olhos por sua ingenuidade de não perceber as artimanhas do tamanduá (cf. nota 10). 8. « Nos primeiros dias após a morte, há um número maior de mulheres chorando, cada uma em sua casa, por toda a aldeia, o que vai decrescendo com o passar dos dias. A voz das mulheres, intensa e forte no começo, vai enfraquecendo e, alguns dias depois, ouve-se apenas fios de vozes insistentes, mulheres completamente roucas e quase afônicas, mas que persistem em chorar pelo morto » (Rodrigues 1993, p. 370). 9. E continua a autora, em uma formulação também válida para os Karajá: « falar o nome de alguém em público, em tom de acusação, é considerado grave pelos Javaé. Só as mulheres, durante o luto, podem fazer isso, sem que lhes aconteça nada» (ibid., p. 372). 10. Duplamente enganada pelo tamanduá bandeira, a onça joga seus olhos para o alto, na segunda prova ardilosa proposta pelo seu opositor, e os perde, substituindo-os depois por outro par feito de resina, narra um mito Karajá. Esse tema é comum na mitologia sul-americana (cf. Lévi-Strauss 1964), mas é mais frequentemente de água que os novos olhos da onça são feitos. 11. Haku é a forma da fala feminina para ho, na fala dos homens. A despeito de parecerem duas palavras distintas, a segunda pode ser derivada da primeira por meio de processos fonológicos regulares: quando a queda do /k/ na fala masculina provoca o encontro vocálico entre /a/ e /u/, as vogais se fundem dando origem a um /o/. O mesmo processo ocorre em outras palavras, como bèraku, na fala feminina, ou bero [bèrau > bero], na fala masculina, « rio » (cf. Ribeiro 2012, cap. III). 12. A vida diária na aldeia, é claro, também tem suas tensões; quando falo do relaxamento característico desse ambiente me refiro à sociabilidade, ao convívio pacífico, entre parentes, e não, por exemplo, às querelas que ocorrem entre parentelas – essas são também constitutivas da socialidade inỹ, mas tem um caráter mais incidental. 13. Refiro-me a imagem do « índio » tal como ela aparece no imaginário popular. 14. Se eu estiver certo quanto à intuição de que os ijasò, os Aruanãs que vão dançar nas aldeias durante o Hetohokỹ (ritual de iniciação masculina) e as festas de Aruanã, são seres Outros, se, a despeito de serem os ancestrais dos Karajá, eles não são os « humanos originais » mas sim os « Outros originais », o ritual inỹ nos fornece um exemplo de transformações efetuadas por máscaras: os dançarinos vestem máscaras de palha, que são réplicas dos corpos dos ijasò, tal como observados pelo hàri (xamã) em suas visitas aos mundos desses seres, e, ao fazerem isto, transformam-se eles mesmo nos Aruanãs – vestir a máscara é, também, vestir a pele velha [tyytàby , ♂; tàkytàby, ♀] do Aruanã (justamente a parte de sua pessoa-corpo trazida pelo xamã à aldeia). Um homem me descreveu, certa vez, a atividade dos xamãs por meio da expressão hàri rityytàbynỹmỹhỹre, que poderia ser traduzida aproximativamente por « o xamã confere alma »: tyytàby é um componente imaterial da pessoa que poderíamos, grosso modo, traduzir como « alma », e -nỹ é um verbalizador, de modo que o nome verbalizado rityytàbynỹ significa, aproximadamente, a ação de « conferir alma »; -mỹhỹ é um continuativo, que, associado à posposição -re, um imperfectivo, indica que se trata de uma ação ou atividade usual, algo que se faz com certa regularidade. Lourenço (2009, p. 108) diz que « no ritual, os Aruanãs ocupam os corpos dos dançarinos ou como me explicaram (nos bastidores), que os homens usam o tykytyby

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dos Aruanãs para dançar e cantar ». Esse, porém, é um tema pouco explorado na literatura inỹ, e uma pesquisa mais aprofundada sobre o assunto seria fundamental para levar adiante a reflexão sobre como os Karajá entendem a transformação e para desenvolver a analogia entre as « roupas de festa » e as máscaras rituais. 15. No caso dos homens, uma forma de « estojo peniano » que consistia em amarrar a pele do pênis com um cordão de algodão untado de urucum, de modo a esconder a glande. No caso das mulheres, uma tanga de entrecasca chamada inỹtu, « couro (tu) de gente (inỹ) ». 16. Aqui faço referência ao Colégio Estadual Dom Cândido Penso, localizado fora da aldeia (apesar de dentro da Glaba I da Terra Indígena). Quando se trata de ir ao Colégio Maurehi, a escola indígena localizada dentro da aldeia, nunca vi esforço comparável de se vestir ao modo tori – a indumentária é bem próxima da cotidiana. 17. Sobre a comunicabilidade entre as relações com os brancos e o xamanismo, cf. Vilaça (2000, 2007), para o caso Wari’, e Kelly (2011), para o caso Yanomami. 18. Não há referência, na literatura específica, sobre se essa capacidade xamânica de entrar no corpo de outros seres implica uma mudança de perspectiva; que, por exemplo, ao entrar no corpo de uma onça, o hàri veja o mundo com os olhos do felino. Entretanto, é a essa conclusão que meu material etnográfico me conduz, tanto no que diz respeito às onças quanto em relação a outros seres, como o pirarucu (Arapaima gigas) que frequentemente servem de abrigo às peles velhas ou « almas » alheias (cf. por exemplo, M5(2) em Nunes 2012, p. 377). Ainda sim, seria necessária uma pesquisa mais densa para sustentar o ponto, a colocação do xamanismo nesse lugar de meu quadro, portanto, tendo um caráter mais especulativo que conclusivo. 19. Esta informação está também presente nas etnografias de Donahue (1982, p. 172) e de Bonilla (1997, p. 81). Outro termo para cidade, e que, ao menos em Buridina, é raramente usado, é hãwahakỹ, literalmente « aldeia (hãwa) grande (hakỹ) » (cf. Fortune 1973, p. 138; Donahue ibid., p. 172). 20. Essa dispersão pelas praias do Araguaia, é claro, ocorria na época da seca. À medida que o rio ia baixando mais e mais, as famílias iam mudando de acampamento, entrando pelos afluentes, indo para as beiras de lagos, sempre à procura dos pontos de maior fartura. Quando caiam as primeiras chuvas, as famílias iam regressando, até se concentrarem novamente na aldeia, época na qual se realizavam (e ainda se realizam) os grandes rituais coletivos, sobretudo o Hetohokỹ (iniciação masculina). Sobre essa mobilidade sazonal, cf. Toral (1992, pp. 63-67), Baldus (1979, p. 165). Hoje, esses deslocamentos estão reduzidos a um mínimo. Ao menos em Buridina, entretanto, penso que ela ainda tem um impacto importante na vida indígena, pois, mesmo que não seja realizada do mesmo modo, ainda há uma diferença nítida de socialidade nos períodos da seca e da cheia (cf. Nunes 2009, pp. 12-13). 21. Mais precisamente, o termo mekĩsêdjê poderia ser seccionado na seguinte forma: me = « gente », kĩ = « aldeia », sêd = « queimar » e jê é um pluralizador, « gente das aldeias queimadas ». O termo « se refere à prática de queimar tudo em volta, de modo a limpar bem: entre os fundos das casas e as roças ficam apenas os pomares de banana, os pequizais, etc., e não mato », i.e., ao modo como as grandes aldeias circulares são produzidas (Coelho de Souza, comunicação pessoal). 22. Em outro lugar (Nunes 2012, cap. V) tratei da relação entre a produção de parentesco e a memória entre os Karajá, argumentando que pessoas se produzem reciprocamente como parentes ao lembrarem-se umas das outras, propiciando, assim, fluxos de afetos, palavras, doenças, alimentos, substâncias corporais, enfim, toda a gama de elementos cuja circulação assemelha seus corpos. 23. Os cônjuges trabalham um para o outro, desempenhando atividades complementares. No caso dos homens, isso é geralmente resumido pela injunção da necessidade de « colocar comida em casa ». 24. Mais precisamente, vários autores caracterizaram o sistema karajá como de dupla descendência, apontando para a dualidade entre uma afiliação patrilinear aos grupos rituais

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masculinos ijoi e matrilinear ao espaço doméstico da aldeia (cf. Lipkind 1948, p. 186; Dietschy 1963, p. 44 e 1978, p. 77; Donahue 1982, p. 186-7; Pétesch 1993, p. 373; Toral 1992, p. 18; Fénelon Costa 1978, p. 39). 25. Os Karajá apresentam uma tendência uxorilocal amplamente documentada na literatura específica (cf. por exemplo, Lima Filho 1994; Toral 1992; Rodrigues 2008). Em Buridina, porém, devido aos casamentos com brancos, parte dos casamentos são virilocais, pois o comum é que, ao se casarem, homens e mulheres tragam o cônjuge tori para morar na aldeia. 26. Os Karajá de Buridina chamam de « umbigo » tanto a placenta e o cordão umbilical quanto a parte deste último que fica colado à barriga da criança (binõti). 27. Luis Cayón (2008) mostra que também a pessoa makuna, se bem que por meios distintos dos Inỹ – uma série de curações xamânicas iniciadas no nascimento da criança e que continuarão a ocorrer ao longo de toda a vida – estabelece uma relação metonímica com vários lugares. 28. A única posição, aliás, para a qual a terminologia de parentesco karajá reserva um termo específico de afinidade: waralyby, genro; literalmente, « meu sobrinho (wara) negro (lyby) » (cf. Dietschy 1978, p. 80; Donahue 1982, pp. 332-333; Pétesch 1992, pp. 372 e 376).

RESUMOS

O presente artigo descreve os deslocamentos dos Karajá de Buridina (Brasil Central) rumo a dois tipos de lugares, o mato e a cidade, os territórios (hãwa) das onças e dos brancos, respectivamente. Esses trânsitos envolvem uma dinâmica de transformação, as afecções, capacidades e disposições corporais dos Karajá mudando quando caminham no mato e quando vão à cidade. Argumento que os lugares e as pessoas se constituem reciprocamente, de modo que os lugares estabilizam a perspectiva dos seres seus habitantes. Assim, estar em um lugar implica estabelecer uma relação com a perspectiva dos seres para os quais aquele lugar é uma aldeia ou um território.

Cet article décrit les déplacements des Karajá de Buridina (Brésil central) vers deux types de lieux, la forêt et la ville, correspondant respectivement au territoire (hãwa) des jaguars et à celui des Blancs. Cette circulation implique une transformation des affects, des capacités et des dispositions des corps karajá lorsqu’ils marchent dans la forêt ou se rendent en ville. L’argument est que les lieux et les personnes se constituent réciproquement, de sorte que les lieux stabilisent la perspective des êtres qui les habitent. Ainsi, être dans un lieu implique d’établir une relation dans la perspective des êtres pour lesquels ce lieu est un village ou un territoire.

The present paper describes the movements of the Karajá of Buridina (Central Brazil) towards two kinds of places, the bush and the city, territories (hãwa) of the jaguars and of the Whites, respectively. These movements involve a dynamics of transformation, a change in the affections, capabilities and bodily dispositions of the Karajá when they walk in the bush and when they go to the city. I argue that places and persons mutually constitute one another, so that places stabilize the perspective of the beings that inhabit it. Being in a place, then, imply establishing a relation with the perspective of the beings to whom that place is a village, or a territory.

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ÍNDICE

Índice geográfico: Karajá, Brésil, Amazonie Palabras claves: lugar, perspectiva, transformação, socialidade Keywords: place, perspective, transformation, sociality Mots-clés: lieu, perspective, transformation, socialité

AUTOR

EDUARDO S. NUNES

Programa de Pós-Graduação em Antropologia Social (PPGAS), Departamento de Antropologia, Universidade de Brasília (UnB), Brasília, Brasil [[email protected]]

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Las dinámicas de clasificación y exposición de las colecciones etnográficas en el Museo Etnológico de Berlín a través de algunos ejemplos americanos Dynamiques de classification et d’exposition des collections ethnographiques du Musée ethnologique de Berlin à travers quelques exemples américains Dynamics of classification and exhibition of ethnographic collections in the Ethnological Museum of Berlin through some American examples

Margarita Valdovinos

NOTA DEL EDITOR

Manuscrit reçu en novembre 2012, accepté pour publication en octobre 2013.

Agradezco a la Fundación Alexander von Humboldt su apoyo moral y económico, ambos indispensables para la realización de mi investigación. Agradezco igualmente la guía del Dr. Richard Haas, los consejos invaluables de la Dra. Manuela Fischer, la orientación del Dr. Peter Bolz y los comentarios y sugerencias del Dr. Johannes Neurath y de la Dra. Barbara Göbel. Finalmente, agradezco a Jutta Billig, Barbara Hille, Sabine Pöggel y Birgit Wichmann de la Biblioteca del Museo Etnológico de Berlín, quienes me facilitaron enormemente la búsqueda de libros y fuentes. En cuanto a mi trabajo en los archivos de esta institución, no quiero dejar de dar las gracias a Anja Zenner, Boris Gliesmann y Maike Sommer por su ayuda, así como por el permiso de publicar todas las fotografías utilizadas aqui. Para terminar, quiero agradecer los comentarios de los dictaminadores anónimos del JSA que me han permitido mejorar la forma y el contenido de este texto.

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1 Una de las colecciones etnográficas más sorprendentes del mundo se localiza en el Museo Etnológico de Berlín1. Actualmente ubicado en Dahlem − al extremo suroeste de la capital alemana −, este museo presenta en sus salas espléndidos objetos provenientes de los rincones más recónditos de Oceanía, África y América. Más sorprendente aún que los objetos que se exhiben en sus salas es el conjunto de piezas que se encuentra resguardado en sus almacenes. Así, por su cantidad y calidad, esta colección conduce inevitablemente a reflexionar sobre los acontecimientos que están detrás de tan impresionante conjunto de objetos etnográficos.

2 Sin duda, la mejor forma de presentar el desenvolvimiento de los procesos de clasificación del Museo es a través de un recorrido por la historia de los reacomodos de sus colecciones. Para poder profundizar en la presentación de esta travesía, conduciré mi exposición a través de algunos ejemplos de la Sección Americana del Museo Etnológico. Dividiré mi exposición en cinco apartados. En cada uno de ellos presentaré un momento particular de la dinámica de clasificación y organización de los objetos etnográficos del Museo.

3 El primer apartado está dedicado al encuentro del pensamiento humanista con las culturas no europeas. Es justamente en el seno del Museo que comienza a prestarse atención a estas culturas y a entenderlas a partir de sus producciones materiales. En el segundo apartado abordaré la manera en la que el proyecto humanista se confronta con la llegada de la Primera Guerra Mundial. Durante este periodo, el Museo y sus colecciones sufrirán diferentes reestructuraciones que se convertirán en el preludio de sus transformaciones futuras. Presentaré en el tercer apartado indicios de la adopción de nuevos paradigmas antropológicos en la organización de las colecciones. Para ello, abordaré el caso de la integración al Museo de la colección reunida por el etnólogo alemán Konrad Theodor Preuss luego de su expedición a México (1905-1907). En el cuarto apartado expondré de qué manera las políticas gubernamentales de los años 1930 comenzaron a afectar progresivamente la práctica museográfica, hasta conducirla al olvido definitivo del proyecto humanista y a una lectura particular de las corrientes historicistas de la antropología germánica. Con la llegada inminente de la Segunda Guerra Mundial, los objetos etnográficos serán resguardados y no aparecerán sino hasta luego de la derrota de Alemania. La quinta sección narra el proceso de vuelta de las colecciones al Museo una vez establecida la paz.

4 La historia del Museo Etnológico de Berlín está lejos de ser común. Sus colecciones etnográficas sufrirán desplazamientos y reacomodos ligados a los diversos acontecimientos históricos en los que se vio envuelta Alemania durante el siglo XX, en particular con las dos guerras mundiales y la consiguiente división/reunificación del país. Sin embargo, estos reacomodos también guardan una estrecha relación con las dinámicas institucionales y con el desarrollo de la disciplina antropológica. En efecto, todo reacomodo implica la aceptación de una nueva forma de clasificar que responde, a su vez, a un distinto paradigma en el pensamiento antropológico.

La creación del Königliches Museum für Völkerkunde

5 Para dar una idea de la importancia que se ha otorgado a las colecciones etnográficas en la tradición alemana a lo largo de la historia, debe iniciarse desde su origen. Los objetos de la primera colección etnográfica pertenecían a la Cámara de Objetos y

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Curiosidades de los reyes de Prusia. A cierto punto, estos objetos son separados del resto de la colección de curiosidades para constituir una colección independiente.

6 Desde sus inicios, se busca resguardar esta valiosa colección etnográfica en los más respetados edificios de la ciudad de Berlín. En 1825 se inicia la construcción del Altes Museum, pensado para albergar, junto con otras curiosidades del Reino de Prusia, a la Colección etnográfica (Westphal-Hellbusch 1973, p. 8). Sin embargo, en 1829 la sección etnográfica es llevada al Königliches Schloß para formar la « Colección independiente de objetos etnográficos de la Königliche Kunstkammer » a cargo del barón Leopold von Ledebur (Krieger 1973, p. 101).

7 Esta primera colección etnográfica del Reino de Prusia (Fischer y Gaida 1993 [1992], p. 13) va siendo enriquecida progresivamente, por lo que es reagrupada y subdividida constantemente. Es justamente bajo la dirección de Ledebur que se lleva a cabo uno de los reacomodos más significativos jamás realizados en las colecciones etnográficas del mundo: los objetos comienzan a ser organizados y expuestos a partir de criterios geográficos, es decir, de acuerdo a su lugar de origen (Bolz 2011, pp. 124-125)2. Es como resultado de esta subdivisión que se crea la primera Sección Americana de objetos etnográficos.

8 Paralelamente a la gran colección de arte egipcio a la que se acordaba gran atención en ese entonces, Ledebur busca crear una importante colección de arte antiguo del Nuevo Continente y, en particular, de la cultura azteca (Bolz 1999, p. 29), cuyas representaciones gráficas habían causado gran fascinación en Europa justamente con la publicación de los trabajos de Alexander von Humboldt (1810)3. Sin embargo, piezas originarias de toda América comienzan a ser reunidas en el Museo, en donde se congregan las colecciones americanas más famosas de la época, como la que el mismo Humboldt había reunido durante su viaje a México (Fischer y Gaida ibid., p. 15)4. En poco tiempo, la Sección Americana llega a contar con más de 4,000 piezas, convirtiendo a Berlín en la sede de la colección más grande de antigüedades americanas en Europa (Eisleb 1973, p. 178).

9 En 1843 se ordena la construcción del Neues Museum en el centro de Berlín, pensado para exhibir varias de las colecciones pertenecientes a las antiguas Cámaras de Curiosidades de los reyes de Prusia. La colección de Egipto es transferida a esta nueva sede en 1850; le sigue la colección de las antigüedades del Norte en 1855 y, un año más tarde, la colección etnográfica (Bolz 2011, p. 127). En 1859, el Neues Museum abre sus puertas exhibiendo, por primera vez, un espacio dedicado exclusivamente a los objetos etnográficos americanos (Bolz 2007, pp. 183-184).

10 La colección etnográfica del Neues Museum crece tan apresuradamente que en 1873 se decide otorgarle un edificio propio (Westphal-Hellbusch 1973, pp. 1-2). Por diferentes razones, este proyecto tomará 13 años en realizarse. Así, de 1880 a 1886 se construye en la esquina de la Prinz Albrecht Straße y la Königgrätzer Straße − cerca del Potsdamer Platz − el edificio de estilo renacentista italiano que albergará finalmente las colecciones etnográficas (Nevermann 1937, p. 27).

11 El 18 de diciembre de 1886 se inaugura el Königliches Museum für Völkerkunde (Figura 1), el primer museo dedicado exclusivamente a colecciones etnográficas. En la ceremonia de inauguración, el ministro de cultura elogia ampliamente los méritos de su director, Adolf Bastian (Figura 2), considerado el responsable de la nueva organización de la colección etnográfica5.

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FIG. 1 – Königliches Museum für Völkerkunde.

FIG. 2 – Adolf Bastian.

12 Con la apertura del Königliches Museum für Völkerkunde se inaugura la historia de los museos etnológicos en Alemania. La propuesta museográfica de Bastian resulta tremendamente innovadora para su época. Cabe recordar que, en ese mismo periodo,

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en los museos etnológicos del mundo anglosajón se utilizaban los planteamientos del evolucionismo para organizar las colecciones etnográficas. Como se puede aún observar en el Pitt Rivers Museum de Oxford – en el que se conserva hasta nuestros días la museografía original –, los objetos etnográficos están organizados temáticamente siguiendo la morfología de su diseño6.

13 Bastian busca evitar cualquier referencia a las teorías evolucionistas. Por el contrario, se interesa por entender la universalidad del pensamiento humano7. En sus reflexiones puede distinguirse una nueva interrogante ligada al estudio de los pueblos no occidentales, a los que se hacía entonces referencia con el término de Naturvölker: a diferencia de las culturas clásicas, los pueblos ágrafos no cuentan con fuentes escritas que pudieran ser analizadas tal como lo establecían los métodos dictados por la filología clásica. La solución que Bastian plantea para sobrepasar esta dificultad consiste en el análisis de las evidencias materiales.

14 Es así como los objetos etnográficos comienzan a tomar el estatus de creaciones mentales de las personas que los producen (Koepping 1983, p. 69). Puesto que Bastian estaba convencido de que el estudio del pensamiento humano debía llevarse a cabo a partir de los mismos criterios de ordenamiento que proponían entonces las ciencias naturales (ibid., pp. 77-79), surge la idea de crear un museo que pudiera contener un muestrario organizado de la variedad de objetos producidos por todas las culturas del mundo.

15 Para Bastian, los objetos culturales de los pueblos sin escritura son tan valiosos como los textos en las culturas clásicas8. Por ello, para expresar toda la variedad de las ideas elementales de quienes los producieron, las colecciones etnográficas deben estar lo más completas posible (Bolz 2007, p. 186). Es bajo esta premisa que, desde antes de la inauguración del Museo en 1886, se busca aumentar la cantidad de objetos etnográficos que se tienen a disposición9.

16 Es interesante señalar que son justamente las colecciones etnográficas del Nuevo Continente las primeras en comenzar a crecer. Según un recuento realizado en 1880, la Sección Americana poseía entonces 21,000 piezas (Bolz 2011, p. 132). Lejos de detenerse en su empresa, el Museo incita a sus integrantes a seguir coleccionando, tal como lo muestran los resultados de la expedición Jacobsen − primer viaje financiado por el Comité de Ayuda a la Ampliación de Colecciones del Museo creado por el mismo Bastian en 1881. Esta expedición logra colectar 3,000 objetos de la costa noroeste de Estados Unidos y 4,000 de Alaska (Bolz 1999, pp. 32-33)10.

17 El crecimiento de la Sección Americana no es una excepción. Más bien se trata de un ejemplo de la tendencia que siguen las colecciones etnográficas alemanas en este periodo y hasta bien entrado el siglo XX (cf. Penny 2002). La continua adquisición de colecciones etnográficas responde a un interés intelectual: la comprensión de las culturas no europeas a partir del conjunto de sus producciones materiales. En este sentido, la estrategia del Museo se inscribe como la continuación del proyecto humanista alemán que atribuía al pensamiento humano una posición central en tanto objeto de estudio y promovía el coleccionismo como método privilegiado de análisis.

18 El proyecto humanista tal como se emprende desde el Museo tendrá consecuencias muy particulares. El interés intelectual por la riqueza cultural del mundo se enfrentará con su realidad material: los objetos etnográficos ocupan amplios espacios y necesitan mantenimiento. Así, la propuesta de Bastian – que consistía justamente en reunir

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amplias colecciones de objetos etnográficos – se convertirá en el más grande de sus problemas (Penny 2003, pp. 102-103).

El Museo en torno a la Primera Guerra Mundial

19 Adolf Bastian muere en 1905, a casi veinte años de la inauguración del Königliches Museum für Völkerkunde de Berlín. Su muerte coincide con el fin de la fase de consolidación del Museo y con el inicio de una nueva etapa que, de cierta forma, se encontraba ya en gestación: la reestructuración. La cantidad de piezas arqueológicas y etnográficas coleccionadas supera rápidamente las posibilidades concretas del Museo para preservar, exhibir y estudiar sus propios acervos. El Museo busca combatir estas dificultades utilizando nuevos criterios de ordenamiento inspirados en las nuevas escuelas de pensamiento antropológico que se desarrollan en el mundo de habla alemana a principios del siglo XX.

20 Antes de alcanzar una solución definitiva, el Museo debe atender circunstancias apremiantes de orden social, económico y político: la llegada de la Primera Guerra Mundial y la resultante crisis económica prolongan cualquier anhelo de reestructuración del Museo por 20 años más. Durante este periodo se aplican únicamente soluciones para los problemas más inmediatos, lo que atiza la tensión existente entre el crecimiento constante de las colecciones y la limitación de recursos y de espacio museográfico.

21 En las dos últimas décadas del siglo XIX, las colecciones etnográficas llegan a duplicarse en cantidad (Krieger 1973, p. 109). Una vez entrado el siglo XX, los investigadores del Museo siguen trayendo colecciones enteras de sus viajes de exploración alrededor del mundo11. A cierto punto, el Museo se ve obligado a tomar medidas urgentes para gestionar sus colecciones, pues su edificio original resulta insuficiente para albergar todas las piezas de sus colecciones. En este tiempo surge la idea de asignar un espacio en el Dominio Dahlem − gran terreno ubicado al suroeste de Berlín − a la construcción de un edificio que pudiera albergar al menos algunas de las colecciones del Museo. En 1907 se define el terreno a utilizar y se encargan los planes al arquitecto Bruno Paul (Westphal-Hellbusch 1973, p. 29).

22 Mientras tanto, los miembros del Museo siguen buscando distintas estrategias para solucionar los problemas de espacio. En 1910, se solicita a los responsables de las colecciones, por ejemplo, que envíen a otros museos las piezas repetidas o Dubletten (Krieger ibid., pp. 110-111)12. Gracias a la guía del Museo publicada en 1914 se sabe de qué manera la cantidad excesiva de objetos afectó la Sección Americana13. En este mismo año, sólo una parte de esta colección estaba expuesta al público. Una gran parte había sido ya trasladada al edificio provisional de Dahlem para su almacenamiento, mientras que la parte que permanecía en el Museo ya no podía visitarse debido a que muchas salas habían tenido que ser cerradas al público por la gran acumulación de objetos que en ellas se encontraban14.

23 Al iniciar los trabajos en Dahlem para el nuevo edificio, se decide emprender inicialmente la construcción del espacio pensado para el Asiatisches Museum, en el que se albergaría de manera independiente a la Sección Asiática (Hartmann 1973, p. 231). Las obras se inician el 17 de abril de 1914, pero los trabajos son interrumpidos por mandato del Ministerio de Guerra el 11 de noviembre de 1916 (Westphal-Hellbusch

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1973, pp. 31-32). La Primera Guerra Mundial marca también el cese de la productividad adquisitiva del Museo y transforma el ritmo del trabajo científico que allí se lleva a cabo. Esto se debe en gran parte a la pérdida de las colonias y de la posibilidad de realizar los numerosos viajes de exploración que se habían realizado hasta entonces (Krieger ibid., p. 118).

24 Al final de la Primera Guerra Mundial, el nuevo edificio que pensaba destinarse al Museo seguía sin terminarse (Eisleb 1973, p. 192). Además, la crisis económica en la que sumerge el Tratado de Versalles al país pinta un panorama más bien pesimista. El Museo y su estructura interna permanecen paralizados ante esta gran crisis y el único cambio aparente consiste en que, con la caída de la monarquía de Prusia, el Museo deja de ser Museo Real (Königliches Museum) para convertirse en parte de los Museos Estatales (Bolz 1999, p. 37).

25 No es sino hasta 1921 que se retoma la idea de mejorar las condiciones del Museo, donde las colecciones seguían abarrotando las salas. A falta de fondos para retomar las ambiciosas obras de Dahlem, se decide simplemente remodelar el espacio de exhibición del edificio original de la Königgrätzer Straße. Se planea comenzar por separar la Sección Asiática del resto de las colecciones etnográficas. Originalmente, se pretendía enviar esta colección a su propio edificio en Dahlem. Sin embargo, tras la suspensión de trabajos en este sitio debido a la crisis financiera, se opta por abrir el Asiatisches Museum en un edificio anexo al antiguo Museo, en el que se albergaba hasta entonces al Kunstgewerbe Museum (Museo de Artes y Oficios) (Figura 3).

FIG. 3 – Interior del Asiatisches Museum o Völkerkunde-Museum II.

26 El nuevo proyecto conduce a dividir la colección restante en otras dos partes que no volverán a estar juntas sino hasta los años 1990. Una pequeña parte permanece en el Museo para ser mostrada (Schausammlung), mientras que el resto de las piezas son trasladadas a una sala de estudio (Studiensammlung) ubicada en una bodega provisional en Dahlem, donde ya se contaba con un espacio de almacenamiento provisional desde

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1910 (Krieger ibid., pp. 110-111). Así, en 1923 se comienzan a trasladar las piezas al espacio de almacenamiento (Westphal-Hellbusch ibid., p. 32), dejando en el edificio de la Königgrätzer Straße sólo una pequeña porción de las colecciones (Eisleb ibid., pp. 192-193).

27 La renovación de las salas americanas del nuevo museo se vuelve posible gracias a la liberación de espacio que permiten los dos factores antes mencionados: el desplazamiento de la Colección Asiática a otro edificio (Preuss 1926a, p. 71) y el almacenamiento de la muestra de estudio a un espacio exterior al Museo.

Reapertura del Museum für Völkerkunde

28 El 26 de junio de 1926 se inaugura la nueva exposición de las colecciones etnográficas en Berlín bajo el nombre de Museum für Völkerkunde. A este punto, las clasificaciones empíricas basadas en la mera división de los continentes – tal como había propuesto Ledebur y procedido Bastian – ya no son suficientes para organizar la crecida colección etnográfica. Así, la nueva exposición de los objetos exige la adopción de nuevos paradigmas de organización que estarán influenciados por las distintas corrientes de estudio de las culturas extra-europeas. De manera general, el nuevo reacomodo de las piezas expone una tendencia historicista, pero incluye también influencias de varias corrientes teóricas que van desde los estudios culturales comparativos hasta la escuela difusionista.

29 A este punto cabe recordar la dinámica de la Sección Americana. Esta sección se había dividido en dos partes coordinadas por Eduard Seler (Figura 4)15 desde 1904 (Pilgermann 2010, p. 155): la subsección « Nord- und Südamerika » constituida principalmente por objetos etnográficos estaba a cargo de Karl von den Steinen, mientras que la subsección « Zentralamerika » constituida por la colección arqueológica de las antiguas civilizaciones mexicanas estaba a cargo del mismo Seler (Königliches Museum zu Berlin 1905a, p. 2).

30 La calidad del trabajo de Seler definirá la importancia de su papel en la escena antropológica de la época. Sin embargo, otro factor favorecerá el desarrollo de la « Altamerikanistik », la escuela de estudios mexicanos creada por él: el soporte material ofrecido por Joseph Florimond, duque de Loubat. En junio de 1899, el duque de Loubat pone a disposición de la Friedrich-Wilhelms-Universität en Berlín el dinero necesario para crear la cátedra de arqueología precolombina de América que ocupará Seler de 1899 a 1920 (Díaz de Arce 2007, pp. 49-53)16.

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FIG. 4 – Eduard Seler.

31 En 1920, un poco antes de la transformación que conduce a la reestructuración del Museo, Seler se retira dejando en su lugar como director de la Sección Americana a Konrad Theodor Preuss (1869-1938) (Figura 5) (Hartmann 1973, p. 231). Preuss quedará a cargo de la Sección del Norte y Centroamérica, mientras que Max Schmidt (1874-1950) será nombrado responsable de la Sección Sudamericana (ibid.). Es esta nueva generación de investigadores la que se verá directamente involucrada en la renovación de la exhibición.

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FIG. 5 – Konrad Theodor Preuss.

32 En el nuevo proyecto, tanto Preuss como Schmidt buscarán adoptar una museografía que permita el estudio comparativo de las culturas (cf. Preuss 1926b, pp. 2-15; Schmidt M. 1926, pp. 93-95). Sin embargo, la organización concreta de la exposición permanente deja ver la influencia del difusionismo que tan popular se había vuelto en la Alemania de los años 1920. En la nueva exposición, los objetos etnográficos se exponen organizados por grupos culturales siguiendo un recorrido que va de la región más septentrional del continente americano, hasta su extremo meridional17.

33 Dentro de esta secuencia organizada geográficamente, se busca ilustrar también de qué manera ciertas culturas más antiguas habían tenido influencia sobre culturas cercanas o más recientes. Así, detrás de la aparente neutralidad de la exposición, puede entreverse la influencia de las ideas difusionistas y, en particular, de la teoría de los círculos culturales que comenzaba a ganar adeptos en esta época. Para ilustrar este encuentro de teorías, se abordará aquí en detalle la integración de la colección etnográfica reunida por Konrad Theodor Preuss en el Noroeste de México (1905-1907). A pesar de la ausencia de documentos sobre la transformación de las exhibiciones del Museo, los datos encontrados sobre este caso parecen suficientes para ilustrar no solamente la inclusión de esta colección a las vitrinas del Museo, sino también su transformación a lo largo del tiempo y, en particular, su adaptación a la museografía de la nueva exhibición.

34 Las guías de visita del Museo, los archivos y las descripciones de las vitrinas de esa época muestran que, a pesar del crecimiento desmesurado de las colecciones y el consecuente caos en su organización (cf. Penny 2002), las nuevas colecciones etnográficas iban siendo integradas a las salas de exhibición del Museo de manera claramente metódica. En esta dinámica, los avances de las investigaciones de los

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miembros del Museo juegan un rol esencial, particularmente durante la remodelación del Museo que concluye en 1926.

35 La primera mención en las guías sobre los coras y los huicholes – los pueblos indígenas visitados por Preuss – tiene lugar en 1905, año en que Preuss parte rumbo a México18. Esta mención se limita a señalar la existencia de los dos grupos indígenas sobre un mapa (Königliches Museum zu Berlin 1905b, pp. 152-153)19. En su viaje, Preuss se consagrará a la obtención de objetos etnográficos, datos lingüísticos y observaciones sobre las prácticas rituales de los pueblos indígenas cora, huichol y mexicanero del Noroeste de México. Preuss mandará continuamente los materiales etnográficos que irá coleccionando a Berlín, pero solicitará a los responsables del Museo que se espere su retorno para iniciar la organización y catalogación de la colección obtenida20.

36 La colección etnográfica de los coras y los huicholes será mencionada por primera vez en 1908, apenas unos meses después del regreso de Preuss al Museo. En la guía de este año, los grupos indígenas visitados por Preuss serán también mencionados en el texto que presenta el contenido de las vitrinas de los Indios Pueblo21. En la guía publicada en 1911 aparece una innovación: en vez de « Pueblo-Indianer », la sección en la que se menciona a los coras y a los huicholes lleva un nuevo título: « Pueblo-Indianer und Stämme des nordwestlichen Mexiko » (Indios Pueblo y tribus del Noroeste de México; Königliches Museum zu Berlin 1911a, p. 117).

37 Los objetos coras y huicholes permanecerán en las vitrinas junto con los objetos de los Indios Pueblo hasta el regreso de Preuss de su segunda exploración etnográfica, esta vez realizada en Colombia (1913-1919). La siguiente organización del contenido de las vitrinas corresponde con la preparación de la nueva exposición a inaugurarse en 1926. En la nueva sala de América del Norte se incluye entonces una pequeña introducción en la que se presenta la lógica de la nueva exposición: las culturas americanas han sido ordenadas en nueve secciones siguiendo una secuencia geográfica del norte al sur del continente22.

38 Sabemos por Preuss que más de la mitad del espacio destinado a la Sección Americana se ocupa con la colección arqueológica de los aztecas y los mayas, dejando poco lugar para las colecciones etnográficas (Preuss 1926a, p. 69). Algunos detalles permiten tener una idea precisa de la sala y del contenido de las vitrinas en donde se encontraban los objetos coras y huicholes desde la reapertura del Museo en 1926. Así, se sabe que la sala V alberga, dentro de sus paredes de color azul grisáceo, tanto las colecciones de los agricultores del Suroeste norteamericano como las de los grupos del Norte de México (Preuss 1927, pp. 12-13).

39 La última sección de esta sala presenta un hecho interesante con respecto al acomodo anterior: los objetos de los grupos del Norte de México aparecen en una vitrina independiente, separada de la de los Indios Pueblo (Staatliche Museen zu Berlin 1926, pp. 62-64). La vitrina de objetos del Noroeste lleva por título « Völker des nordwestlichen Mexiko-Sonorische Stämme » (Pueblos del México noroccidental- Tribus sonorenses) (ibid., p. 50)23. En esta nueva clasificación, los coras y los huicholes se presentan junto con los pueblos pima, pápago, tarahumara y tepéhuan con los que conforman la familia lingüística sonorense (ibid., pp. 50, 64-65)24. El uso de este término lingüístico pone de manifiesto el fin de la clasificación puramente geográfica para la organización de los objetos y la emergencia de nuevas formas de clasificar las culturas a partir de nuevos criterios como las relaciones lingüísticas, históricas y culturales entre grupos humanos.

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40 Al señalar la continuidad de las lenguas y la religión de las antiguas culturas del centro de México y las culturas que él mismo visita en el Noroeste de México, Preuss busca demostrar la proximidad entre las prácticas y las creencias religiosas de tales grupos (Preuss 1912)25. Preuss irá aún más lejos y mostrará, a través del estudio de los objetos ceremoniales de los pueblos del Noroeste, la existencia de un corredor de influencias culturales que conectaban a los coras y los huicholes con los aztecas, pero también con las culturas del Suroeste de Norteamérica (Staatliche Museen zu Berlin 1926, p. 64).

41 Como puede observarse con el caso de la colección mexicana de Preuss, el Museum für Völkerkunde abierto en 1926 ofrece un espacio de reajuste en las tendencias museográficas usadas hasta entonces. Ante el fracaso de la institucionalización del ideal del proyecto humanista, la práctica museográfica retoma principalmente planteamientos historicistas para hacer sentido de la amplitud de las colecciones etnográficas. Cabe mencionar aquí la gran influencia que tienen las teorías difusionistas que, aunque no alcanzan a imponerse en la lógica del Museo berlinés, abren la puerta a una época de transformaciones epistemológicas que tendrá importantes consecuencias sociales, pero que debe también considerarse en su complejidad.

42 Preuss, por ejemplo, ve en la difusión de rasgos culturales un factor importante en la historia de la humanidad, pero permanece crítico a la idea de reducir toda explicación a la mera difusión (Preuss 1911, pp. 293-294). De igual forma, Preuss reconoce la alternativa que ofrece la etnología comparativa, aunque observa que este tipo de análisis sólo hace sentido si se realiza a partir de materiales suficientemente detallados y consistentes, condiciones pocas veces reunidas por la mayor parte de los estudios comparativos en boga, caracterizados por carecer de una investigación etnográfica profunda (ibid.).

43 Para el estudio de los materiales recopilados en sus viajes, Preuss recurrirá a una solución intermedia: el estudio comparativo y detallado de pueblos vecinos a partir del cual pueden definirse complejos o « círculos culturales » compactos capaces de definir una serie de elementos comunes (ibid.). Tanto en sus publicaciones como en la curaduría de la exhibición de objetos etnográficos en el Museo, Preuss buscará exponer la existencia de estos « círculos culturales » basándose en el origen común de algunos de sus elementos, pero sin limitarlos a fronteras fijas y zonas de influencia claramente predefinidas26.

44 El caso de la colección mexicana de Preuss nos ofrece un ejemplo del dinamismo conceptual que se hace sentir en la nueva exhibición del Museo. En este caso puede observarse la adopción de ciertos planteamientos de corte historicista que serán adoptados por las instituciones alemanas y llevados en diferentes direcciones a lo largo de los años 1930. Estos nuevos paradigmas historicistas se incorporarán también a algunas tendencias políticas de la época.

En vísperas de la Segunda Guerra Mundial

45 La llegada al poder del Nacional-socialismo coincide con un periodo de la historia del Museo del que se tiene poca información. Se sabe al menos que en este tiempo las teorías historicistas ofrecen una nueva alternativa para explicar la variación cultural y que ciertos postulados difusionistas han sido adoptados junto con la idea de un análisis comparativo en la reorganización de las colecciones etnográficas para la nueva

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exposición. Si bien hasta este punto el Museo berlinés se mantiene a distancia de las propuestas evolucionistas comunes en los museos anglosajones (Penny 2003, pp. 110-124) y sostiene una postura siempre crítica sobre las propuestas de este tipo adoptadas por los museos americanos27, los paradigmas historicistas proveerán la suficiente ambigüedad para ser utilizados por la sociedad y los medios políticos para sustentar todo tipo de ideas, incluso de corte racial.

46 Es el alemán Friedrich Ratzel (1844-1904) quien sienta las bases para la escuela histórico-cultural. Este contemporáneo de Bastian interesado por la migración humana y por los préstamos culturales, integra ambos aspectos a su estudio geográfico de las culturas humanas (Ratzel 1912). Bajo la influencia de sus trabajos nacerán más tarde las escuelas de la « Kulturkreislehre » y de la « Kulturmorphologie » (Rössler 2007, p. 8). A través de ambas teorías, el difusionismo extremo se convertirá en uno de los paradigmas más sobresalientes de los años 1910 a los 1940 (ibid., p. 9).

47 Ratzel es el primero en entender los hallazgos geográficos de acuerdo a secuencias temporales (cf. Márquez Miranda 1941, p. 248), abriendo con ello la puerta a los estudios de los efectos de la geografía en los individuos y las sociedades (Ratzel ibid.). Esta propuesta permitirá a Leo Frobenius desarrollar su concepto de la « Kulturkreise » con el que se definen áreas determinadas con una distribución común de ciertos rasgos culturales (Frobenius 1898). Fritz Graebner y Bernhard Ankermann retoman la propuesta de Frobenius y la desarrollan aplicando el concepto de « Kulturkreise » en estudios regionales (Graebner 1905, pp. 28-53; Ankermann 1905, pp. 54-90). Para Graebner, esta noción hacía referencia a amplios territorios en los que, más allá de los límites de una mera cultura, se encontraban elementos comunes (Graebner 1911, pp. 125-151). Más tarde, el padre Wilhelm Schmidt aplicará estos principios a nuevas áreas buscando establecer comparaciones a nivel mundial (cf. Schmidt W. 1913, pp. 1014-1124, 1129-1130).

48 Las diferentes teorías de la escuela histórico-cultural serán tomadas desde diversas perspectivas y serán llevadas hasta las más diversas conclusiones. Aunque estas ideas no buscaban siempre establecer jerarquías entre culturas diferentes, terminarán evocando la idea de la evolución cultural. Aunado a las circunstancias sociopolíticas de la Alemania de los años 1930 y a la instauración del partido Nacional-socialista, este cambio de paradigma conducirá los museos etnográficos de manera inevitable a convertirse en lugares concebidos para la reflexión sobre la civilización mundial y sus orígenes.

49 Volviendo a la dinámica del Museo berlinés, cabe mencionar que el manejo de las colecciones etnográficas durante el Tercer Reich ha sido muy poco documentada28. Sin embargo, algunas descripciones sobre actividades concretas celebradas en este periodo permiten hacer ciertas observaciones sobre la dinámica institucional. Como se verá, las tensiones sociales ejercen una presión creciente sobre las actividades del Museo hasta llegar a su clausura durante la guerra. Esta última provocará la destrucción de gran parte de sus acervos29.

50 El nuevo tratamiento reservado a los fondos del Museo inicia probablemente desde la separación de las colecciones asiáticas de las demás colecciones etnográficas del Museo. Esta separación, realizada para la reinauguración del Museo en 1926, encarna la importancia desigual que se atribuye en los años a venir a cada una de estas dos partes de la colección: mientras que las colecciones de las culturas asiáticas reciben el soporte incondicional del régimen nazista − cuyos miembros profesaban una abierta

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admiración por sus grandes civilizaciones −, las colecciones etnográficas de África, América y Oceanía reciben mucha menos consideración30.

51 Hay evidencias de que, durante este periodo, los objetos de las colecciones etnográficas se utilizan para armar dos tipos de exposiciones organizadas desde dos estructuras gubernamentales diferentes. Por un lado, los miembros del Museo preparan exposiciones con temas totalmente ajenos a la situación política y social de Alemania, como « Las costumbres alimentarias de los pueblos de los Mares del Sur » o « Los pueblos pescadores de la costa noroeste de los Estados Unidos » (Westphal-Hellbusch 1973, pp. 47-48). Por otro lado, la dirección de los museos organizaba grandes exposiciones transversales reuniendo colecciones de todos sus museos. En estas exposiciones se evocaba abiertamente el tema de la guerra (ibid.).

52 La neutralidad de las exposiciones organizadas al interior del Museo puede entenderse como una manera de mantenerse fuera de la fuente de conflicto social. Sin embargo, tal neutralidad resulta también una forma de ocultar los conflictos que existían entre los miembros del Museo, cuyas tensiones personales y académicas fueron llevadas progresivamente hasta niveles políticos. En efecto, existen numerosas controversias bien documentadas que demuestran que los conflictos laborales y académicos entre algunos miembros del Museo llegaron a convertirse en acciones y represalias políticas concretas, como renuncias anticipadas, acusaciones e incluso denuncias públicas (cf. Kisch 1947, pp. 211-217; Díaz de Arce 2005).

53 En el Museo, este clima de tensiones permanece presente y en crescendo durante todo el periodo en el que el régimen Nacional-socialista estuvo en el poder. Para entender la fuerza de esta afirmación cabe sólo recordar que, en este tiempo, el edificio principal del Museo se ubicaba en la Königliche Straße, en pleno centro de Berlín, y prácticamente a un costado de las oficinas generales de la Gestapo, de las que lo separaba únicamente el edificio asignado al Asiatisches Museum31.

54 En los años 1930, la perspectiva de una guerra trae consigo ciertos cambios irreversibles para la organización de las colecciones del Museo: desde 1934, el Gobierno solicita a la administración que prevea una estrategia de resguardo de las colecciones en caso de un ataque aéreo (Krieger 1973, p. 125). El 20 de septiembre de 1934, la administración general ordena dividir la colección en 3 partes para que, en caso necesario, se proceda a su resguardo: cosas irremplazables, cosas particularmente valiosas y todo lo demás32. En realidad, no es sino hasta 1938, ante el inicio inminente de la guerra, que se aplican las medidas de resguardo (ibid.). En este momento, se almacenan en el sótano del Asiatisches Museum los objetos considerados irremplazables y una parte de los objetos valiosos (Höpfner 1993, p. 157).

55 Las salas del Museo se mantienen abiertas al público, aunque sólo presentan una exhibición que incluye una pequeña selección de objetos (ibid.). Las piezas de esta pequeña exhibición son expuestas hasta mediados de 1941 (Westphal-Hellbusch 1973, p. 49), cuando la intensificación de los ataques aéreos en Berlín conduce a otra decisión: construir barricadas para proteger las ventanas del edificio y trasladar las piezas a un lugar más seguro (ibid.). Poco después se decide cerrar el Museo al público y se empacan todas las piezas (Höpfner ibid.).

56 En noviembre de ese mismo año las piezas son definitivamente transportadas a los bunkers de las torres de ataque (Flaktürme) ubicadas en el Tiergarten y en Friedrichshain (Westphal-Hellbusch ibid.)33. Otra parte importante de la colección se traslada a la bodega subterránea del edificio del Tieftresor der Reichsmünze (Höpfner

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ibid., p. 158). A fines de 1942, una parte de la colección del Museo resguardada en las torres de ataque es llevada a unas minas situadas en las afueras de la ciudad, en donde permanece oculta hasta julio de 1944 (ibid., pp. 158-159). Se sabe además que al menos una parte de la Sección Americana se lleva a la mina de Bleicherode, en Turingia (Westphal-Hellbusch 1973, p. 50). La evacuación de las piezas que se encuentran almacenadas en Dahlem se realiza más tarde (ibid.). A fines del 1943 se empacan las piezas que se encontraban en las bodegas y salas de estudio para mandarlas a las minas de Bleicherode, Grasleben y Schönebeck. Este traslado se extiende hasta 1945, año en que se mandan todavía 93 cajas a la mina de Kaiseroda (Hartmann 1973, p. 239).

57 El 3 de febrero de 1945, el edificio principal del Museum für Völkerkunde es alcanzado por un bombardeo aéreo, el cual causa un incendio que logra destruir una parte del edificio (Figura 6). La mayor parte de las colecciones se encuentran ya entonces resguardadas en otros lugares. Sin embargo, el incendio logra consumir una parte considerable de los fondos de la biblioteca34.

FIG. 6 – El casco del edificio original del Museum für Völkerkunde tras ser derrumbado.

La reunificación y las colecciones etnográficas

58 Durante los tiempos de guerra, los museos iban evacuando objetos y colecciones enteras a lo largo y ancho del territorio alemán. Así, al final de la Segunda Guerra Mundial, las piezas de los museos de Berlín se encontraban dispersas en distintos refugios. Cuando Alemania pierde la guerra, los países aliados (Inglaterra, Rusia y USA) reúnen las piezas de arte y los objetos valiosos que van encontrando en el territorio alemán. Los americanos y los ingleses congregan las colecciones que encuentran en centros de acopio denominados Art Collecting Points. Por su parte, los rusos embarcan hacia su país todos los objetos que van encontrando35. Los primeros van devolviendo progresivamente las colecciones bajo su custodia. En cambio, hasta 1989 se desconoce el

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paradero de los objetos extraídos por los rusos (Bolz 1999, p. 41). Ambas situaciones hacen que, al término de la Segunda Guerra Mundial, los museos se encuentren prácticamente desprovistos de sus colecciones.

59 Cada museo sigue un proceso particular para recuperar sus colecciones. El proceso de reintegración de las colecciones perdidas del Museum für Völkerkunde se realiza en dos etapas: primero se negocia la devolución de los objetos ubicados en los Art Collecting Points y, más tarde, se obtienen los objetos sustraídos por los rusos. A continuación se abordarán los procesos seguidos por el Museo para la recuperación de sus colecciones.

60 Además de las cuestiones políticas, el problema con el que se enfrenta el Museo en este momento es su imposibilidad para garantizar un espacio propicio para recibir y albergar las colecciones. En 1945, el edificio principal del Museo se encuentra en muy mal estado y para almacenar los objetos que se van recuperando sólo se cuenta con sus sótanos y el del edificio del Asiatisches Museum (Westphal-Hellbusch 1973, p. 53). A pesar de que el edificio central no se encuentra tan afectado como otras partes36, se acuerda la construcción de un nuevo centro cultural en donde se incluiría al Museo. Sin embargo, se resuelve que en aquel momento hay otros problemas más urgentes que resolver y en 1948 se decide establecer de manera provisional el Museo en Dahlem (Figura 7) (Hartmann 1973, p. 239)37. En 1956 se decide finalmente construir un centro cultural en Dahlem y en 1960 se opta por incluir allí al Museum für Völkerkunde (Westphal-Hellbusch ibid., pp. 55-58). Sin embargo, las obras no darán inicio sino hasta 1964.

FIG. 7 – El edificio del Museo en Dahlem.

61 Durante este largo periodo en el que se inician los planes para renovar o construir los edificios que debían albergar las colecciones, estas últimas se encuentran en manos de los aliados y, en su mayor parte, no han sido aún localizadas por sus respectivos museos.

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62 El 18 de octubre de 1947, el Museo recibe un informe del Hamburger Museum en el que algunos de sus empleados afirman haber encontrado en el Art Collecting Point del Celler Schloß − castillo ubicado en la región de Niedersachsen − cerca de 500 cajas conteniendo objetos de las colecciones etnográficas y arqueológicas (Hartmann ibid.). Más tarde se comprueba que, entre septiembre de 1945 y marzo de 1946, el castillo Celle recibió en realidad 2,915 cajas con gran parte de las colecciones del Museo (Koch 1973, pp. 377-383). Se inicia entonces un complejo proceso para lograr el regreso de los objetos de este Art Collecting Point al Museo. Walter Krickeberg, quien asume la dirección del Museo en 1945 (Hartmann ibid.), estará a la cabeza de estas negociaciones (cf. Krieger y Koch 1973).

63 Ante la imposibilidad de recuperar todos sus fondos, se procede por etapas. En agosto de 1953 Krickeberg viaja personalmente a Celle, en donde permanece 3 semanas para seleccionar las piezas para una exposición sobre los pueblos americanos (Hartmann ibid.). Las piezas seleccionadas − 2,164 objetos de la « Altamerikanistik » y 262 objetos de la colección de oro americano − serán únicamente prestadas por los aliados al Museo a través de un proceso que se extiende casi todo un año (Eisleb 1973, p. 202). El 19 de febrero de 1955 se inaugura la exposición, cuya curaduría iniciada por Krickeberg será retomada por Hans Dietrich Disselhoff (ibid., p. 203)38.

64 En este tiempo se utilizan los edificios de una bodega militar ubicada en Lichterfelde, cerca de Dahlem, para reunir el conjunto de las colecciones dispersas que no pueden ser almacenadas en el edificio aún inconcluso de Dahlem (ibid., p. 205). Las obras de Dahlem se concluyen en 1966, permitiendo finalmente a la Sección Americana juntar de nuevo las 23,657 piezas que integran su colección (Bolz 1999, p. 43). El 9 y 10 de mayo de 1970 se abren allí las salas de exhibición de las colecciones del Mar del Sur (Oceanía) y de Arqueología Americana (Sub-sección Mesoamérica) que pueden observarse todavía en la actualidad39.

65 La segunda etapa de reintegración de las colecciones etnográficas del Museo inicia hasta después de la caída del Muro de Berlín. Esta vez se trata del regreso de una serie de objetos que se habían dado por perdidos durante muchos años, pero que resultaron haber sido transportados ilegalmente a Rusia luego del fin de la guerra40.

66 Poco antes de la caída del Muro de Berlín (1989) se reporta que una gran parte de las colecciones del Museo se encontraba almacenada en el Grassi Museum, el Museo Etnológico de Leipzig (Haas 2003, pp. 43-50). Más tarde se descubre que los objetos que los rusos habían tomado como botín de guerra en 1945 y depositado en el Museo Etnológico de Leningrado habían sido ofrecidos en 1975 (Höpfner 1993, p. 161) como gesto amistoso a la recién formada República Democrática Alemana (Bolz 1999, p. 46)41.

67 El transporte de los objetos de Rusia a Alemania Oriental tuvo lugar entre 1977 y 1978 (Höpfner ibid.). Luego de su regreso a Berlín y de una nueva catalogación, se registraron 46,675 objetos de los cuales 9,510 pertenecen a las colecciones etnográfica y arqueológica de América (ibid., p. 169). Los objetos etnográficos se depositaron secretamente en el Ethnologisches Museum de Leipzig. Allí permanecen empacados en sus cajas durante 12 años sin recibir ningún tratamiento particular (ibid., p. 163). Con el tiempo, muchos de los objetos sufrirán algunos contratiempos que los llevarán a deteriorarse (ibid., p. 161). Sin embargo, una parte de la colección permanecerá intacta.

68 Los miembros del Museo, entonces situado del lado de Alemania Occidental, desconocieron por muchos años el paradero de las piezas extraídas por los rusos aun

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después de que las piezas fueron devueltas a Alemania Oriental. Esta situación explica que no se supiera de los objetos por varios años y que no fuera sino hasta después de la reunificación de Alemania que se procedío a negociar el regreso de esta parte de la colección a los acervos del Museo en Dahlem (ibid., pp. 157-171).

69 Dos meses después de la caída del Muro se reunieron los directores de los museos etnológicos de Leipzig y de Berlín para acordar la devolución de los objetos a su museo de origen. La operación inició en agosto de 1990, pero no concluyó sino hasta 1993 (ibid., pp. 167-169). La cantidad de objetos en cuestión exigía una organización suplementaria para poder transportar, desempacar, identificar, descontaminar, restaurar y clasificar la totalidad de los objetos involucrados (Figura 8).

FIG. 8 – El regreso de las colecciones.

70 A partir de este punto, el Museo en Dahlem inicia un nuevo periodo que se extenderá hasta el presente. A partir de los años 1980, la Sección Americana se organiza en cuatro subsecciones, dos dedicadas a la parte sur del continente y otras dos al centro y norte. Estas dos regiones de América cuentan con una subsección de arqueología y otra de etnología. Esta división no tiene un equivalente exacto en las salas de exhibición del Museo, que más bien han conservado prácticamente la misma museografía que se estableció desde el final de la guerra.

71 Para terminar, cabe mencionar que, a pesar de su tamaño, el actual Museo Etnológico sólo exhibe cerca del 3 por ciento del total de la colección reunida luego de la reunificación alemana. El resto permanece en las bodegas reproduciendo la división propuesta en su organización anterior entre colecciones de exhibición y colecciones de estudio.

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Conclusión

72 La primera fase de la historia del Ethnologisches Museum de Berlín ilustra la gestación de un proyecto intelectual ligado al reconocimiento de los pueblos no europeos como fuentes de saber. En este contexto surge un nuevo proceder analítico en el que convergen las propuestas básicas del pensamiento alemán cercano a la filología y al estudio de las culturas clásicas, por un lado, y los anhelos del naciente proceder científico que se apoya en la creación de muestras y colecciones para el análisis comparativo de las culturas del mundo, por el otro. Ambos enfoques convergen en el estudio de la cultura material de los países no europeos que toma forma con las colecciones etnográficas reunidas gracias al innovador proyecto museográfico berlinés.

73 Sin descartar la presencia de una tendencia colonialista, debe reconocerse que la tradición museográfica berlinesa y su incursión al estudio de las culturas consideradas entonces como exóticas amplía el horizonte epistemológico europeo. La tarea museográfica conduce a plantear firmemente la necesidad de adoptar nuevos métodos que permitan entender y explicar aquellas culturas que, aun en ausencia de textos, poseen una producción intelectual tan rica y variada como la de las culturas clásicas.

74 El desarrollo del proyecto de Adolf Bastian conduce a otro proceso, esta vez situado en la relación que se establece entre la adopción de su ambicioso proyecto intelectual y la realidad económica e institucional de un país en constante reformulación como lo era Alemania a finales del siglo XIX y durante el primer tercio del siglo XX. Aquí, el olvido progresivo de la tradición intelectual gestada en el Museum für Völkerkunde ilustra la tensión entre los ideales originales de esta tradición humanista y las limitaciones impuestas por el contexto sociopolítico y económico.

75 Ya desde el periodo de entre guerras, el Museum für Völkerkunde deja de crecer y se concentra más bien en buscar una manera de sobrevivir. Los esfuerzos de los investigadores por mantener una tradición científica en el Museo contrastan cada vez más con el clima político. En lo que respecta a los objetos, su valor se reduce progresivamente al de meros bienes del Estado que son evaluados de acuerdo con los intereses de este último. La tradición antropológica alemana ligada al Museo se ve obligada a abandonar definitivamente sus bases humanistas para explorar nuevos horizontes epistemológicos relacionados con diversas teorías historicistas.

76 A pesar de la neutralidad de la mayor parte de las teorías historicistas en boga en Alemania durante la República de Weimar, son algunos de sus planteamientos los que abren la puerta a un clima montante de racismo. La posición oficial ante los pueblos y las culturas extranjeras alcanza el punto máximo de su tensión tras la adopción del Nacional-socialismo. El nuevo clima político que se instala entonces en Berlín conduce a la subordinación total del proyecto humanista y de los intereses científicos de los miembros del Museo ante la política represora y racista del régimen nazi. Si bien en las salas del Museo se busca mantener un clima de neutralidad, las tensiones aparecen en las relaciones entre los investigadores y funcionarios del Museo.

77 En tiempos de la guerra inicia un proceso en el que los objetos etnográficos dejan de ser el rastro material del pensamiento de los distintos pueblos del mundo para convertirse en el reflejo de la historia interna de Alemania. Las colecciones etnográficas berlinesas se conciben entonces como un potencial botín de guerra y objetos de intercambio cuyo valor adquiere ingerencia en las relaciones diplomáticas entre las distintas naciones

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involucradas en los conflictos políticos internacionales. Esta perspectiva materialista se prolonga más allá del fin de la Segunda Guerra Mundial, cuando las colecciones etnográficas berlinesas vuelven a ser objeto de tensiones y negociaciones entre Alemania Occidental y Oriental.

78 La colección etnográfica y arqueológica berlinesa no es reunida sino después de la unificación. Entonces, se presenta de nuevo al público como la materialización de la variedad de las culturas del mundo. En este nuevo periodo de la historia del Museo los objetos etnográficos son valorados tanto por lo que nos enseñan de las culturas a las que representan como por lo que ilustran sobre el proyecto humanista que dio lugar al establecimiento de la colección de la que forman parte.

79 Actualmente, la colección etnográfica de Berlín sigue al centro de las miradas de Alemania. Es en gran parte para albergar esta colección que se ha pensado el nuevo proyecto cultural alemán: el Humboldt-Forum en el Stadtschloß de los Hohenzollern, complejo cultural que se construye frente a la Isla de los Museos (Museumsinsel), en el centro de la ciudad de Berlín, en el emplazamiento exacto que ocupaba antes el Palast der Republik −, sede del gobierno de la Alemania Oriental. 80 En la mirada alemana, las culturas no europeas se han convertido en importantes fuentes de inspiración artística, tal como se puede observar en su fascinación por la música étnica o en la presencia de las artes « primarias » en el ámbito del arte contemporáneo. Mucho menor atención ha recibido el estudio de sus corrientes etnográficas y museográficas. Ahora habrá que esperar todavía unos años para observar la tendencia que adoptará el nuevo proyecto museográfico que la etnología alemana prepara para albergar sus colecciones.

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NOTAS

1. Por razones prácticas, me referiré al Museo Etnológico de Berlín con el término « Museo ». Esta institución berlinesa, denominada originalmente Königliches Museum für Völkerkunde, será llamada Museum für Völkerkunde luego de la Primera Guerra Mundial. Luego de la Segunda Guerra Mundial se integrará a la Red de Museos Estatales de Berlín (Staatliche Museen zu Berlin) y recibirá su nombre actual: Ethnologisches Museum. 2. Aún en la actualidad se utiliza el sistema clasificatorio propuesto originalmente por Ledebur y retomado luego por Bastian (Bolz 2011, pp. 124-126). 3. En su libro Vues des Cordillères, et monumens des peuples indigènes de l’Amérique, Humboldt (1810) presenta por primera vez en Europa una serie de ilustraciones sobre fuentes antiguas y sitios arqueológicos que exponen la riqueza de la tradición gráfica prehispánica del centro de México. 4. Los primeros objetos del continente americano provenían de Brasil (Haas 2005, pp. 16-25) y se reportan a inicios del siglo XVII, pero no queda rastro de ellos (Bolz 1999, p. 25). Más tarde, en 1819, se adquieren los que parecen ser los objetos más antiguos de la colección actual, esta vez provenientes de Norteamérica. Dichos objetos pertenecían a una colección del capitán James Cook que había sido subastada en Londres (ibid., pp. 23, 35). La primera referencia a una colección mexicana aparece en 1837, con la adquisición de la colección de Ferdinand Deppe (Hartmann 1973, p. 221). 5. Bastian es asistente del director de la colección desde 1869 (Krieger 1973, p. 103). Ledebur deja su cargo en 1873 y la Königliche Kunstkammer se disuelve en 1875. Un año después, Bastian es nombrado director de la colección etnográfica y prehistórica (Fischer, Bolz y Kamel 2007, p. 298). En 1886 se le adjudica la posición de director del Museum für Völkerkunde (Westphal-Hellbusch 1973, p. 12). 6. La disposición de las colecciones retomaba la evolución de las formas como prueba de un cierto tipo de evolución social y cultural que pretendía justificar la posición de Inglaterra con respecto a sus colonias. 7. Bastian propone tres campos de análisis para analizar el pensamiento de los hombres: la reconstrucción de los Elementargedanken (ideas elementales), que se mantenían ocultas detrás de la diversidad cultural; el desarrollo de los Völkergedanken (ideas de los pueblos), que se desarrollaban entre las culturas en un momento particular de su historia; y el surgimiento de los Menschheitsgedanken (pensamiento colectivo de la humanidad) (Chevron 2007, p. 34). 8. Es importante aquí insistir en la distinción que aparece en este momento entre objetos etnográficos y arqueológicos. Mientras que las colecciones arqueológicas eran consideradas un complemento de los textos en el estudio de las culturas clásicas, Bastian (1885, p. 40) concibe a los objetos etnográficos como los textos mismos. 9. En su libro Objects of culture, Penny (2002) expone cómo los museos alemanes adquieren sus colecciones etnográficas y cómo estas últimas irán creciendo más rápido que la capacidad del museo para administrarlas. Cabe resaltar la compra de colecciones obtenidas por particulares y la colaboración de los centros gubernamentales alemanes y extranjeros ligados a la administración colonial (ibid., pp. 51-94).

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10. A esta imponente colección se unen 120 piezas aportadas por Franz Boas en 1887 −quien regresa a Berlín a estudiar la colección Jacobsen entre 1885 y 1886 (Königliche Kunstsammlungen 1887, p. xxxxiv) − y más de 70 piezas colectadas por Karl von den Steinen en 1897 (Bolz 1999, p. 34). 11. La revista Berliner Museen ilustra cómo entre 1900 y 1940 también se obtienen numerosas piezas a través de donaciones privadas. 12. Markus Schindlbeck expone en su libro Gefunden und Verloren un caso ejemplar de cómo se resuelven los problemas de espacio que tenía el Museo. A través de la historia de la familia de Arthur Speyer, el autor expone todo un circuito de intercambios que permitían al Museo no nada más « deshacerse » de sus Dubletten (dobles), sino también obtener beneficios económicos de este proceso (Schindlbeck 2012). 13. La guía presenta la situación de la sala de la siguiente forma: « Amerika, die Sammlungen – sowohl die Altertümer, wie die Ethnologica der modernen Völker – sind im 1. und 3. Stockwerk aufgestellt. Außerdem Skulpturen im Lichthof. Große Teile der Sammlungen mußten aus Raummangel vorläufig im Magazinschuppen in Dahlem untergebracht werden. Infolge des bedeutenden Zuwachses der Abteilung mußten Teile der beiden Hauptsäle des 1. Stockwerkes sowie der Saal VIII dem Publikum verschlossen werden. » (Museum für Völkerkunde 1914, p. 9). 14. Esta situación se manifiesta apenas algunos años después de la inauguración del Museo (Penny 2003, pp. 102-110), pero se agrava a tal punto que las autoridades llaman la atención de los responsables del Museo argumentando que consideran « peligroso para los visitantes » pasearse entre tantos objetos (Bolz, comunicación personal 2012). 15. Eduard Seler (1849-1922) comienza su labor en el Museo en 1884, coincidiendo con la incorporación de Alemania a las filas de las potencias coloniales europeas (Kutscher 1967, p. 93). Cabe señalar que esta nueva situación de Alemania es de gran importancia para el Museo, ya que conduce al crecimiento aún más acelerado de algunas de sus colecciones etnográficas, en particular las de Asia y África (Krieger 1973, p. 105). 16. El duque de Loubat financia también una serie de expediciones etnográficas y arqueológicas que llevarán al Museo a ampliar el tamaño de sus colecciones americanas. Ellas incluyen las compras de materiales arqueológicos traídos por el propio Seler de los 6 viajes que realiza en México y Guatemala entre 1887 y 1911 (Eisleb 1973, pp. 180-181), pero también de los viajes de otros miembros del Museo, como el de Preuss a México. 17. Este formato de exhibición se conservará hasta la erupción de la Segunda Guerra Mundial en 1939 (Westphal-Hellbusch 1973, p. 33). 18. El viaje a través del Occidente de México del antropólogo noruego Carl Lumholtz – cuyos trabajos fueron publicados en 1900 y 1902 – fue de gran influencia para la organización de una expedición etnográfica entre los coras y los huicholes (Valdovinos 2012). 19. A partir de 1905, las guías incluirán siempre un mapa de la sección « Mittelamerika » en donde se mantendrá la mención de los coras y los huicholes (Königliches Museum zu Berlin 1906, pp. 152-153; 1908b, pp. 142-143; 1911b, pp. 120-121). 20. Preuss irá publicando progresivamente reportes de su viaje en diferentes revistas científicas de la época (Preuss 1906a, 1906b, 1906c, 1907a, 1907b, 1907c, 1908). 21. En la sección dedicada a los « Pueblo-Indianer » del Suroeste norteamericano se menciona que en la sala VII ubicada en el primer piso (planta alta) se exhiben en las repisas 71 a 74 los objetos culturales y utensilios de los coras y los huicholes provenientes de la colección mexicana de Preuss (Königliches Museum zu Berlin 1908a, p. 140; 1911a, p. 117). 22. En palabras de Preuss, la nueva sala dedicada a América es accesible para el visitante de la siguiente manera: « Steigt man die rechte Treppe zum ersten Stock empor, so führt oben rechts eine kleinere Tür in die geographisch von Norden nach Süden angeordneten Naturvölkersammlungen Nord- und Mittelamerikas, deren Räume (I-VI) sich längs der Straßenseite (Königgrätzer Straße) hinziehen » (Preuss 1927, p. 16).

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23. A partir de este momento, Preuss compartirá la curaduría de la sala de Norteamérica con Adrian Jacobsen (Staatliche Museen zu Berlin 1926, p. 65), especialista de los grupos pima y yuma (ibid. 1929, p. 74). 24. Esta definición no se mantiene en las futuras guías del Museo; el término « sonorense » será remplazado por « yuma y pima » en la guía de 1929 (Staatliche Museen zu Berlin 1929, pp. 72-73). 25. Preuss incluye el análisis de la lengua en sus objetos de estudio sobre la cultura de los pueblos amerindios, inscribiéndose así en un grupo de investigadores de su época que buscaba la continuidad histórica entre los pueblos indígenas de ese tiempo y las antiguas sociedades americanas cuya lengua y cultura eran ya objeto de numerosos estudios en Alemania (cf. Seler 1893). El trabajo etnológico de Preuss se desarrolla justamente en este sentido. Así, en su libro Die Nayarit-Expedition (1912) puede verse claramente cómo los textos en lengua nativa cobran gran parte de su valor por permitir interpretar de manera más adecuada los códices y fuentes del México prehispánico. 26. Siguiendo un planteamiento similar, otro estudiante de la escuela alemana desarrollará más tarde la noción de Mesoamérica: Paul Kirchhoff (1900-1972). 27. Otis T. Mason (1839-1903), el primer curador de etnología del Museo Nacional en Washington, introdujo el sistema histórico-cultural del alemán Gustav Klemm a la antropología americana (Rutsch 2007, p. 209). Con este modelo, Mason identifica regiones a partir de la estructura y función de los objetos, llegando así a un concepto similar al de « círculos culturales » desarrollado en el mundo germano-parlante (ibid., p. 210). Boas criticará ya desde 1887 el agrupamiento evolutivo de los objetos realizado por Mason al considerar que tal clasificación no refleja ni la totalidad, ni el contexto cultural (ibid., p. 213). 28. Algunos trabajos exponen en detalle ciertas situaciones vividas por algunos miembros del Museo durante este periodo, pero informan poco sobre la actividad concreta de la institución (cf. Kisch 1947, pp. 211-217; Díaz de Arce 2005). 29. Durante la Segunda Guerra Mundial, se pierden cerca de 60,000 piezas de la colección etnográfica del Museum für Völkerkunde (Westphal-Hellbusch 1973, pp. 51-52). 30. Además de la admiración por el Lejano Oriente, en el Museo existía una fuerte inversión y orientación del Reich hacia la arqueología de Turquía y otros países de Oriente Medio (Rutsch 2007, p. 408). 31. Este último edificio fue llamado entonces Völkerkunde-Museum II (Bolz 1999, p. 38). Hoy corresponde al Martin-Gropius-Bau y es el único edificio que aún está en pie. 32. En caso de emergencia, el primer grupo debía ser inmediatamente transportado fuera de la ciudad, el segundo grupo resguardado en un lugar seguro en el edificio del Museo y el tercero dejado al destino (Westphal-Hellbusch 1973, pp. 48-49). 33. Las Flaktürme eran las torres de defensa aérea en donde se colocaban las armas para disparar a los aviones enemigos. Estas construcciones fabricadas con anchos muros de cemento se utilizaban también como almacenes para los bienes del Estado alemán, pues se consideraban los edificios más seguros con los que entonces contaba la ciudad. 34. En el caso de la Sección Americana de libros, por ejemplo, sólo se logra salvar la colección de revistas (Heink 1973, p. 406). 35. Ciertos registros indican que, desde 1945, transportes militares rusos se llevaron 75 cajas pertenecientes al Museo que se encontraban en la bodega de la torre de ataque del Tiergarten (Höpfner 1993, p. 160). Se sabe también que los rusos se llevaron 38 cajas conteniendo 2,500 materiales impresos de la colección de la Sección Americana (Bolz 1999, p. 42). 36. En este mismo periodo, la directora del Museo de Historia Antigua y Prehistoria, Gertrud Dorka, logra obtener en concesión el casco de dicho edificio y en él reabre sus puertas el museo a su cargo en 1955 (Kühnel-Kunze 1986, p. 342). 37. En un principio, se considera renovar el edificio original del Museo para convertirlo, junto con el del Asiatisches Museum, en un corredor cultural. Sin embargo, luego de la construcción del

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Muro de Berlín en 1961 se abandona la idea, pues esta barrera entre las dos partes de la ciudad pasa justo enfrente de las entradas principales de ambos edificios. Tras la creación de la fundación Preußischer Kulturbesitz, órgano encargado de velar por las colecciones de arte de Alemania, se decide hacer un centro de museos en otro lugar (Kühnel-Kunze 1986, p. 352). Así, en diciembre de 1961 se dinamita el edificio original del Museo (Bolz 1999, p. 43) y, sólo gracias a una decisión de última hora, se acuerda restaurar el edificio anexo para albergar en él la colección de la Berlinische Galerie (Kühnel-Kunze ibid.). 38. En 1949, las colecciones que se encuentran en Celle pasan a ser administradas por las provincias de Hessen y Niedersachsen antes de ser devueltas a sus respectivas instituciones de origen (Eisleb 1973, p. 198). Los objetos utilizados en la exposición no son entregados oficialmente a la provincia de Berlín sino hasta inicios del 1956. 39. Durante este periodo, la Colección de Etnología Americana, la Colección Europea, la del Oeste Asiático y la de Etnomusicología, así como unas secciones de las colecciones de Asia del Sur, África y Oceanía, sólo serán exhibidas de manera temporal (Westphal-Hellbusch 1973, pp. 60-61). 40. Años después se ha descubierto que los rusos reunían todos los objetos de arte que se encontraban a su paso para enviarlos a Rusia, en donde pretendían crear un megamuseo (Akinscha y Koslow 1995). 41. Esta ola de devoluciones de Rusia hacia Alemania Oriental no involucraba únicamente colecciones del Museo. En ella se incluyeron también objetos de varios museos estatales. 300 camionetas fueron mandadas de Rusia a la DDR con 1,569,176 objetos y 121 cajas de libros y fotografías que se mantuvieron en depósitos de los museos de Moscú, Leningrado y Kiev (Bolz 1999, pp. 46-47). Para dar una idea de la magnitud de los objetos extraídos, cabe mencionar la presencia, entre ellos, del Altar de Pérgamo, hoy exhibido en Berlín en el museo del mismo nombre (ibid., p. 46).

RESÚMENES

Este texto ofrece una aproximación a las dinámicas de clasificación y exposición de las colecciones etnográficas del Museo Etnológico de Berlín desde fines del siglo XIX hasta la primera mitad del siglo XX. Desde antes de la instauración de este museo, las colecciones etnográficas que integrarán sus acervos serán testigos de un constante deambular. Diferentes acontecimientos harán que esta dinámica prevalezca a través del tiempo. Como se mostrará con algunos ejemplos de las colecciones americanas, será la interacción entre los planteamientos teóricos y las circunstancias económicas, sociales y políticas, lo que irá determinando la organización y el reacomodo de las colecciones etnográficas berlinesas.

Ce texte propose une approche des dynamiques de classification et d’exposition des collections ethnographiques du Musée ethnologique de Berlin depuis la fin du XIXe siècle et durant la première moitié du XXe siècle. Dès avant la création de ce musée, les collections, qui feront plus tard partie de ses fonds, ont fait l’objet de multiples mouvements. Différents événements ont perpétué cette dynamique à travers le temps. Comme nous le démontrons par quelques exemples issus des collections américaines, c’est l’interaction entre les positions théoriques et les circonstances économiques, sociales et politiques qui ont déterminé la mise en ordre et la réorganisation des collections ethnographiques berlinoises.

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This text offers a close look to the dynamics of classification and exhibition of the ethnographic collections of the Ethnological Museum of Berlin from the end of the 19th Century to the first half of the 20th Century. Even before the instauration of this museum, the ethnographic objects that will become part of its collections will be subject to constant movements. Different events have extended the duration of these dynamics through time. As it will be shown with some examples of the American collections, it is the interaction between the theoretical propositions and the economic, social and politic circumstances that determined the order and the reorganization of the Berliner ethnographic collections.

ÍNDICE

Mots-clés: musées, collections etnographiques, expéditions scientifiques, Amérique, traditions anthropologiques Palabras claves: colecciones etnográficas, museos, tradiciones antropológicas, expediciones científicas, América Keywords: ethnographic collections, scientific expeditions, museums, anthropological traditions, America

AUTOR

MARGARITA VALDOVINOS

Ethnologisches Museum, Lansstraße 8, 14195 Berlin, Ibero-Amerikanisches Institut, Potsdamer Straße 37, 10785 Berlin [[email protected]]

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Comptes rendus

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BONNISSENT Dominique (éd.), Les gisements précolombiens de la Baie Orientale. Campements du Mésoindien et du Néoindien sur l’île de Saint-Martin (Petites Antilles) Éditions de la Maison des sciences de l’homme, Paris, 2013

Maaike de Waal

RÉFÉRENCE

BONNISSENT Dominique (éd.), Les gisements précolombiens de la Baie Orientale. Campements du Mésoindien et du Néoindien sur l’île de Saint-Martin (Petites Antilles), Éditions de la Maison des sciences de l’homme, coll. « Documents d’archéologie française » 17, Paris, 2013, 245 p., index, bibl., fig., tabl.

1 Dans cette monographie, Dominique Bonnissent présente ses résultats de recherche sur les sites archéologiques de la Baie Orientale sur l’île Saint-Martin, réalisées en 2000 par l’Association pour les fouilles archéologiques nationales (Afan), devenue l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap). Ces recherches comptent parmi les premières grandes opérations d’archéologie préventive réalisées dans les Antilles françaises, suivant les obligations juridiques découlant des dispositions de la Convention de Malte de 1992. Respectant ces dernières, l’aménageur a facilité toutes les recherches (diagnostic, évaluation et fouille) précédant la construction d’un complexe touristique.

2 La monographie, avec des contributions de plusieurs archéologues spécialisés dans l’étude des sites précolombiens des Petites Antilles, représente un important travail, publié dans une édition richemement illustrée. Les résultats des recherches de terrain

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sont présentés de manière détaillée, ce qui permet une bonne compréhension de l’occupation méso-indienne (« précéramique » ou « a-céramique ») et néo-indienne (« céramique ») de la Baie Orientale (partie nord-est de Saint-Martin).

3 L’ouvrage présente deux sites archéologiques : un site méso-indien et un site néo- indien. Depuis 2000, Dominique Bonnissent et son équipe ont déjà fourni de nombreux rapports de fouilles et articles sur ces sites, qui sont également exposés dans sa thèse de doctorat (Bonnissent 2008). La dernière publication s’enrichit d’une présentation détaillée de la base de données, constituée de données brutes des assemblages de matériel archéologique, de dessins, de photos, de tableaux et d’analyses spatiales détaillées des faits et des différents types d’artéfacts, particulièrement bien illustrés. Les dessins et les photos sont de très bonne qualité et la présentation de dessins de certains artéfacts lithiques à côté de photos des mêmes objets permet d’en apprécier les plus petits détails. L’ouvrage est particulièrement accessible. Chaque chapitre s’ouvre par des résumés en anglais et en espagnol (à noter que l’ampleur de l’ouvrage aurait justifié des résumés en français).

4 La publication est constituée d’une introduction générale, d’un cadre chronologique et géographique (premier chapitre), d’une présentation des vestiges du site méso-indien (deuxième chapitre) et de celle du site néo-indien (troisième chapitre). Le quatrième chapitre comporte une synthèse, évaluant les changements culturels dans la diachronie. Le but des recherches, s’agissant d’une opération de sauvetage, est particulièrement clair et se concentre naturellement sur la documentation de ce qui pourrait être détruit par les activités de construction de l’aménageur. Dans son introduction, l’auteur ne présente toutefois pas les questions de recherche plus spécifiques qui étaient à l’origine de ses fouilles. Cela rend difficile l’évaluation de la stratégie de recherche et des analyses des matériaux archéologiques, puisque le lecteur ne connaît pas les questions auxquelles les recherches archéologiques répondent.

5 La plus grande partie du volume est constituée de descriptions des sites archéologiques de la Baie Orientale même, listant les méthodes d’investigation et de recherche et les résultats des analyses spatiales des sites. Dans un deuxième temps, les différents matériaux archéologiques sont décrits : artéfacts et fragments en coquillage, en silex et autres matériaux lithiques ou en corail ; restes de la faune vertébrée et, concernant le site néo-indien, céramique.

6 Le site méso-indien de Baie Orientale (Baie Orientale 1), diagnostiqué sur une surface de plus de 500 m2, consiste en une succession d’aires de campement précéramiques. Les campements, datés entre 800 av. J.-C. et 100 apr. J.-C., sont associés à des activités de subsistance et de production d’outils en coquillage, pierre et corail. Le site a été attribué à la série Ortoiroïde (Rouse 1992). À l’origine, il était installé sur un ancien haut de plage. Cinq zones bien conservées y ont été distinguées. Différents types d’éléments ont été documentés, parmi lesquels des foyers, des concentrations de roches chauffées, de coquillages et plusieurs dépôts intentionnels.

7 Les groupes qui fréquentaient le site se nourrissaient, entre autres, de coquillages (surtout Strombus gigas, Cittarium pica, Nerita peloronta et Nerita versicolor) et de crustacés. Très peu de poissons ont été identifiés, ce qui peut suggérer que les occupants du site n’ont pas exploité les ressources marines vertébrées intensivement, ou bien que les conditions de conservation n’étaient pas favorables à moins que les méthodes de tamisage n’aient biaisé les résultats. Les occupants du site y fabriquaient des outils en coquillage, en matière lithique et en corail.

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8 L’auteur soutient une vision des groupes méso-indiens fréquentant la mer Caraïbe de façon saisonnière, s’installant et se réinstallant régulièrement sur les différents sites. L’activité technologique la plus importante découverte sur le site est la production d’outils en Strombus gigas. Cela laisse penser que ce lieu était utilisé pour y construire et entretenir des pirogues. Une même vision du mode de vie des groupes méso-indiens, mettant l’accent sur leur mobilité saisonnière et leur utilisation des ressources variées des différentes îles, a également été présentée pour le site de Plum Piece à Saba (Hofman et al. 2006).

9 L’importance du site méso-indien réside surtout dans sa conservation exceptionnelle, la possibilité d’en fouiller une grande partie (en grandes surfaces), et l’abondance des artéfacts et des faits. Tout ceci a permis aux chercheurs de délimiter et de bien connaître l’organisation spatiale et temporelle du site. Ils ont identifié des zones liées aux activités domestiques, comme une zone de cuisson et de consommation des coquillages avec des foyers, et des zones liées aux activités technologiques, comme la fabrication d’outils en Strombus gigas. Ils ont également recueilli des indications sur des activités symboliques, sous forme de dépôts intentionnels et certains artéfacts qui semblent ne pas s’inscrire dans les activités domestiques ordinaires.

10 Les analyses spécialisées et précises des objets fouillés contribuent également à la connaissance détaillée du mode de vie des occupants de ce site pendant la période méso-indienne. Concernant les coquillages, ces analyses ont été accompagnées de tests expérimentaux, démontrant la manière dont ils étaient cuits dans leurs coquilles sur des roches chauffées. En outre, des remontages des fragments lithiques ont amélioré la compréhension des distributions d’artéfacts lithiques dans le site. Au vu d’un tel niveau d’analyses, tous les co-auteurs mériteraient d’être mentionnés dans le sommaire, et pas uniquement dans la liste des contributeurs au début de l’ouvrage.

11 Les descriptions du site méso-indien s’achèvent par un paragraphe sur la composition des repas, essentiellement constitués de coquillages, et sur leur mode de cuisson. Puis les productions matérielles et les activités technologiques (production des outils en coquillage) sont brièvement synthétisées. Néanmoins, entre ces deux sujets, figure un paragraphe particulièrement intéressant consacré à la conservation des ossements, qui devrait se trouver dans la section de l’analyse des restes de la faune vertébrée. De même, dans le paragraphe sur les processus technologiques et les artéfacts qui en résultent, l’auteur présente des remarques sur des éléments possibles à caractère symbolique ou rituel. Si elles aboutissent à la conclusion que ces éléments pourraient démontrer l’existence d’un univers de la pensée esthétique et symbolique, sa forme et sa portée pour les populations qui occupaient le site originellement ne sont pas traitées. L’auteur conclut par une vision des campements se réinstallant régulièrement à proximité des ressources alimentaires et des matières brutes pour produire des artéfacts en coquillage (nécessaires à la production des pirogues) et en corail. Des roches non-locales, venant de Long Island ou bien d’Antigua, furent apportées sur le site, pour y produire d’autres artéfacts, ce qui peut révéler une certaine mobilité. Comme cela a déjà été mentionné, ce type de mouvements saisonniers est décrit pour le site de Plum Piece (Hofman et al. 2006).

12 Le site néo-indien (Baie Orientale 2) consiste en un dépotoir avec un seul niveau de débris d’environ 200 m2, fort d’un abondant assemblage archéologique, ce qui représente une accumulation intentionnelle des débris des activités industrielles et domestiques.

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13 Le site se trouve sur un cordon sableux, au nord-est du site méso-indien. Il a été interprété comme étant un campement spécialisé, un satellite d’un village précolombien. Les datations du site indiquent des activités entre la fin du VIIIe siècle et le milieu du Xe apr. J.-C. La céramique fut attribuée à la série Mamorran-Troumassoïde (Rouse et Faber Morse 1998 ; Petersen et al. 2004). Les activités industrielles sont représentées par des fragments en céramique et des artéfacts lithiques, parmi lesquels des perles et un zémi trigonolite ainsi qu’un débitage en coquillage et corail. Les restes des activités domestiques se composent de débris des repas, tels des fragments de coquillages alimentaires, de crustacés et, cela est à noter, un unique fragment de poisson. Les chercheurs ont également découvert des roches chauffées, du charbon de bois et des cendres. Le classement de la céramique dans le style Mill Reef de la série Mamorran-Troumassoïde repose sur des caractéristiques stylistiques et sur la datation du matériel. Dans l’introduction, l’auteur remarque qu’il s’agit d’un assemblage céramique jusque-là inconnu à Saint-Martin. La figure 4, en revanche, démontre l’existence de deux autres sites archéologiques à Saint-Martin avec un assemblage céramique du même style, à savoir Pointe du Canonnier et Petite Plage1.

14 Les analyses détaillées et spécialisées de la céramique, des artéfacts lithiques (et de l’origine de leurs matières premières, constituées surtout de matériaux locaux avec peu de silex), des fragments de corail, des restes d’invertébrés marins et des artéfacts en coquillage contribuent tous à la compréhension du site. Il faut signaler que, contrairement aux occupants méso-indiens de la Baie Orientale, dont l’alimentation était constituée surtout de Strombus gigas, les occupants néo-indiens semblent avoir surtout savouré des Cittarium pica qu’ils ont probablement préparés par ébouillantage dans des contenants céramiques. Ils ont, eux aussi, exploité les coquillages faciles à récolter en grandes quantités, tout près du site.

15 Les chercheurs ont émis l’hypothèse selon laquelle le site serait un campement, peut- être saisonnier, avec des activités liées à l’exploitation des ressources marines. Comme ils n’ont pas découvert d’indices de structures ou d’autres zones de rejet, qui normalement auraient pu attester de l’existence d’un habitat amérindien, ils ont choisi d’interpréter ce site comme étant un établissement satellite, vraisemblablement lié au village de Pointe du Canonnier, qui se trouve de l’autre côté de l’île, dans sa partie ouest.

16 Enfin, la synthèse régionale présente, entre autres, des conclusions générales sur le mode de vie des Méso-Indiens, caractérisé par une grande mobilité saisonnière. Sont évoqués des restes de campements spécialisés, liés à des aspects symboliques (qui demeurent un peu vagues) et économiques (comme la production d’outils en coquillage, liée à celle des pirogues).

17 Il est intéressant que la présence de dépôts intentionnels, d’outils et d’autres objets, stockés pour un usage ultérieur, soit expliquée comme un signe d’appropriation territoriale méso-indienne. L’auteur utilise cette explication pour suggérer que des groupes méso-indiens auraient déjà adopté un mode de vie plutôt semi-sédentaire et proto-agriculturelle. Néanmoins, elle souligne que la transition entre le Méso-indien et le Néo-indien dans la région Caraïbe reste assez mal connue.

18 En conclusion, quoique Dominique Bonnissent et son équipe ne fournissent pas de données en mesure de changer complètement la vision de la vie méso-indienne dans la Caraïbe, comme annoncé au début de l’ouvrage, celui-ci constitue un formidable rapport de fouille pour les sites de Baie Orientale 1 et 2. Il offre surtout des

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renseignements particulièrement intéressants sur le site méso-indien. Grâce à sa superbe conservation, à la grande taille des surfaces fouillées, à la quantité et au bon état de conservation des objets trouvés, sans parler des méthodes de fouille et des analyses spécialisées très précises, les données sur ce site offrent un apport important aux connaissances déjà accumulées sur d’autres sites méso-indiens de la région.

19 Notons, pour terminer, que la publication de ce rapport mérite d’autant plus d’être saluée qu’elle s’inscrit dans un contexte académique dans lequel il est demandé aux chercheurs un tel nombre de publications que cela entraîne la raréfaction des grandes monographies de sites archéologiques, notamment dans la région Caraïbe. Raison de plus pour féliciter l’auteur.

BIBLIOGRAPHIE

BONNISSENT Dominique 2008 Archéologie précolombienne de l’île de Saint-Martin, Petites Antilles (3300 BC-1600 AD), thèse de doctorat, Université de Provence-Aix Marseille I, Marseille.

HOFMAN Corinne L., Alistair J. BRIGHT et Menno L. P. HOOGLAND 2006 « Archipelagic resource procurement and mobility in the Northern Lesser Antilles : the view from a 3000-year-old tropical forest campsite on Saba », Journal of Island and Coastal Archaeology, 1, pp. 145-164.

PETERSEN James B., Corinne L. HOFMAN et L. Antonio CURET 2004 « Time and culture : chronology and taxonomy in the Eastern Caribbean and the Guianas », in André Delpuech et Corinne L. Hofman (éds), Late Ceramic Age Societies in the Eastern Caribbean, BAR International Series 1273, pp. 17-32.

ROUSE Irving 1992 The Taïnos : rise and decline of the people who greeted Columbus, Yale University Press, New Haven.

ROUSE Irving et Birgit FABER-MORSE 1998 « The Mill Reef period : a local development on the island of Antigua », in G. Richard (éd.), Proceedings of the XVIth International Congress for Caribbean Archaeology, Conseil régional de Guadeloupe, Basse-Terre, vol. 2, pp. 322-332.

NOTES

1. En réalité, la figure 4 présente un troisième site (Cul-de-Sac), mais cela est peut-être une erreur. En effet, la légende de cette même figure liste ce site dans la catégorie des sites Cédrosan- Saladoïdes.

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AUTEURS

MAAIKE DE WAAL

Faculté d’archéologie, département de l’archéologie de la Caraïbe, Université de Leyde, Pays-Bas

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DEHOUVE Danièle, L’imaginaire des nombres chez les anciens Mexicains Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2011

Fabienne Wateau

RÉFÉRENCE

DEHOUVE Danièle, L’imaginaire des nombres chez les anciens Mexicains, Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2011, 283 p.

1 Cet ouvrage, tout à fait intéressant, porte sur les modes de calcul, les mathématiques et les représentations des nombres dans l’espace maya et aztèque – soit, plus précisément, dans celui occupé par deux populations majeures de l’ancien Mexique avant la conquête espagnole jusqu’à leurs descendants d’aujourd’hui. Cette contribution offre des matériaux nouveaux à l’analyse, traduits des manuscrits en nahuatl des anciens Indiens, mais reprenant aussi les carnets des premiers ethnographes ou les recherches archéologiques. Organisé en douze chapitres, l’ouvrage porte sur les dimensions sociales et culturelles du nombre, en décryptant successivement les nombres eux- mêmes, les systèmes numériques, les mesures du temps et du corps, les cosmogrammes, les almanachs, les jeux de divination et de hasard, les symbolismes numériques, la comptabilité rituelle, les rites et les jours, ou, enfin, les dépôts rituels. Danièle Dehouve, ethnohistorienne selon ses termes, rassemble ici une documentation fort riche et précieuse, fruit de ses recherches depuis de longues années sur l’espace considéré. Elle montre notamment que le chiffre, plus que simple opérateur mathématique, permet de tisser des liens entre les hommes et les dieux, l’espace et le temps, les êtres et les choses, le visible et l’invisible. Son appréhension des mathématiques est donc avant tout sociologique, le décryptage des codes et des logiques servant à expliquer les modes de représentation du temps et de l’espace, la symbolique des nombres et, de ce fait, les gestes et les pratiques associés aux rituels et à la vie quotidienne.

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2 L’impression d’ensemble est celle d’une abondance et d’une richesse maîtrisées. Tous les chapitres, néanmoins, ne sont pas d’égale qualité analytique ou littéraire, certains peut-être trop proches d’une traduction littérale des manuscrits (chapitre 4), d’autres, en revanche, parfaitement dominés et stimulants intellectuellement (en particulier les chapitres 5, 6 et 12). Le lecteur occidental est bousculé dans ses repères et ses réflexes de comptage, invité à comprendre le cosmos non plus à partir des quatre points cardinaux mais de points solsticiels, de signes (les « 20 signes », traduits par des noms d’animaux, de végétaux, d’éléments, d’artéfacts ou de situations : crocodile, roseau, vent, silex, mort, etc.), de nombres (les « 13 nombres », dont le 4 et le 5 occupent une place particulière), de couleurs (rouge, noir, blanc, bleu), et de calendriers, solaire de 365 jours et divinatoire de 260 jours, en articulation. Il est aussi question du cycle temporel des 52 ans et du Long Compte maya, de roulement, de micro et de macrocosme, de prédiction. La complexité est réelle et à la fois nécessaire et opératoire dans ce contexte, et sans doute un ethno-mathématicien aurait-il aussi grand plaisir à décrypter ces logiques numériques et récurrences mathématiques. On comprend assez vite par cet ouvrage combien l’analyse de l’univers des nombres et des codifications devient une des façons heuristiques d’entrer dans les modes de pensée d’une société ou, pour le moins, des sociétés ici considérées, « organisées de façon à mettre le monde des hommes en harmonie avec l’ordre cosmique afin d’assurer le bon fonctionnement de l’univers » (p. 253). À signaler également un film de ce même auteur intitulé Des nombres pour les dieux (2010), qui décrypte avec grande minutie la complexité des codex.

3 Danièle Dehouve conclut en reprenant les principes fédérateurs et les constantes de cette logique de calcul et d’organisation sociale, à savoir des ensembles classificatoires et complets désignant une collection d’objets (par le corps humain décomposé qui sert des systèmes de numération en base 20, 10 ou 5 ; dans les procédures rituelles et l’agencement harmonieux des objets cérémoniels, etc.), des jeux d’échelles (entre le corps humain et le monde) et des nombres (avec un usage différent chez les Mayas et les Aztèques, notamment par l’absence du Long Compte – et donc du zéro – chez les seconds).

4 Si, comme le précise l’auteur, « le nombre aztèque était avant tout un objet politico- religieux » (p. 253), sans doute l’articulation entre l’ethnologie et les mathématiques gagnerait-elle à être encore développée. L’introduction et le premier chapitre focalisent sur l’approche ethnocentrique que quelques mathématiciens ont proposée. Georges Ifrah (1994), auteur d’une histoire universelle des chiffres initialement publiée en 1981 y est ainsi attaqué (attaque reprise de surcroît sans doute par mimétisme dans la préface de Philippe Portier), alors que le débat date, et que ce professeur de mathématiques n’a fait qu’ordonner, certes selon sa propre logique, les données disponibles de l’époque. Il reste donc encore aux anthropologues, tel que le propose précisément cet ouvrage, à fournir des matériaux nouveaux et à enrichir le débat sur l’usage des nombres dans les sociétés. D’autres auteurs auraient pu être sollicités, notamment sur l’aire amérindienne, tels M. et R. Ascher (1981), M. Ascher (1991) ou Closs (1986) qui ont avancé, sur les mathématiques ou les jeux, des lectures et des interprétations semble-t-il plus utiles ici. Il est aussi étonnant de ne pas voir mentionné Kula (1984), en particulier dans le chapitre 6, dont l’ouvrage sur les mesures et les hommes reste une référence, ou encore l’étude de Coquery, Menant et Weber (2006) sur les modes d’écriture. Car le sujet se prêtait, précisément dans l’introduction, à une considération plus universelle sur le calcul, les mathématiques, l’inscription des

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représentations dans des processus mnémotechniques spécifiques, les cosmogonies ou encore « l’obsession pour le nombre » (p. 147) (voir aussi Paulos 2002 et Wateau 2012). Soit, en d’autres termes, à ce que l’anthropologie peut apporter à la compréhension de ce type de logiques et d’opérations cognitives.

5 Souhaitons donc bien vite une suite à cet ouvrage, qui considère plus largement l’univers de ces savoirs et de ces possibles, pour ne plus avoir à regretter, en effet, « que tout reste à faire dans ce domaine de recherche » (p. 25).

BIBLIOGRAPHIE

ASCHER Marcia 1991 Ethnomathematics, Wadsworth, Belmont.

ASCHER Marcia et Robert ASCHER 1981 Mathematics of the Incas. Code of the Quipu, Dover Publications, New York.

CLOSS Michael (éd.) 1986 Native American mathematics, University of Texas Press, Austin.

COQUERY Natacha, François MENANT et Florence WEBER (dir.) 2006 Écrire, compter, mesurer. Vers une histoire des rationalités pratiques, Éditions Rue d’Ulm/Presses de l’École normale supérieure, Paris.

DEHOUVE Danièle 2010 Des nombres pour les dieux, film ethnographique, 48 min., Tonaltepec Production, Paris.

IFRAH Georges 1994 Histoire universelle des chiffres, Robert Laffont, Paris [1981].

KULA Witold 1984 Les mesures et les hommes, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, Paris.

PAULOS John Allen 2002 Era uma vez um número. A lógica matemática oculta nos historias, Editorial Bizâncio, Lisbonne.

WATEAU Fabienne 2012 « Compter et conter. Ou comment les mathématiques, les histoires et les mesures se mêlent et s’emmêlent pour faire culture », in Ana Paula Guimarães et Adérito Araújo (éds), Contas, contos, cantos e que mais. Cumplicidades entre literatura e matemática, Gradiva, Lisbonne, pp. 10-22.

AUTEURS

FABIENNE WATEAU

CNRS, LESC, Nanterre

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FIGUEROLA PUJOL Hélios, Les dieux, les paroles et les hommes. Rituels dans une communauté maya du Chiapas Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, Paris, 2011

Perig Pitrou

RÉFÉRENCE

FIGUEROLA PUJOL Hélios, Les dieux, les paroles et les hommes. Rituels dans une communauté maya du Chiapas, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, coll. « En temps & lieux », Paris, 2011, 336 p., bibl., gloss., ill., photos, cartes, fig.

1 Alors que trop de textes anthropologiques s’engagent dans des constructions théoriques à partir de matériaux ethnographiques lacunaires, Les dieux, les paroles et les hommes est le résultat d’une longue expérience de vie menée par Figuerola Pujol à Cancuc, une communauté villageoise paysanne d’Indiens tzeltal du Chiapas. La quantité de données recueillies (souvent totalement inédites, concernant les conceptions autochtones de la personne ou la cosmologie), mais surtout la manière dont Figuerola Pujol semble se les être appropriées, prouvent qu’avec les habitants de ce village il a pleinement « consommé la mesure de sel », pour reprendre l’expression d’Aristote à propos du temps nécessaire à la construction d’une amitié authentique. Pourtant, si la familiarité avec une langue et une culture est une condition sine qua non pour espérer tenir un discours crédible sur elles, à partir d’un moment, l’allongement de l’imprégnation risque lui-même de fermer la voie à l’exploration : trop proche, l’enquêteur ne parvient plus toujours à objectiver les fragments d’une expérience qu’il partage avec un groupe humain à l’intérieur duquel il s’insère chaque fois davantage. Au moment de faire lire ce qui n’était au départ qu’« un essai, une sorte de médiation sur la parole » (p. 9), Figuerola Pujol a pleinement conscience de la gageure que représente la conversion d’une expérience vécue en un objet textuel, comme en témoigne la multiplication des éléments paratextuels qui encadrent le développement

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proprement dit : l’introduction est précédée de remerciements, d’un avant-propos et d’un avertissement, tandis que la bibliographie s’ouvre sur une note rappelant (trop) brièvement les travaux ethnologiques consacrés aux populations autochtones du Chiapas. Parmi toutes ces précautions, c’est sans doute l’avant-propos qui aide le mieux à saisir l’originalité de la démarche puisque la référence à Borges, par laquelle commence ce court texte de deux pages, place immédiatement le propos sur le terrain de la littérature et des questions que soulève le rapport du texte à la réalité et à la vérité, ou encore la fonction de l’auteur. Aux yeux du scripteur qui s’adresse à nous, les informateurs « parlent avec plus de justesse et de sens que nous ne pouvions l’écrire nous même », ce qui le conduit à affirmer que : « dans ce travail particulier, l’auteur nous semble être un auteur collectif » (p. 10). Dans cette perspective, la lourdeur du « nous » académique devient moins dissonante si l’on y entend la voix de tous ceux que Figuerola Pujol a écoutés avant de tenter de fixer leur parole vive – en particulier celle des prières énoncées dans des contextes rituels – dans un livre, entreprise dont on connaît les dangers depuis le Phèdre de Platon. Précautionneux, le scripteur souhaite également « prévenir le lecteur […] que le style de travail est le fruit de notre incapacité à exprimer avec la précision requise et la pertinence scientifique, les observations faites, comme on le dit, sur le terrain » (p. 10). Pour autant, le texte rédigé et publié dans une collection de sciences humaines n’est pas une œuvre littéraire, mais une « recherche scientifique […], soumise à la dure nécessité d’apporter des preuves dont le lecteur avisé, voudra, peut-être, s’efforcer patiemment et laborieusement de vérifier l’exactitude » (p. 9). Un pacte de lecture aussi inhabituel indique d’emblée que l’on se trouve en face d’un livre singulier ; prévenu de la sorte, le lecteur sait à quoi s’en tenir : tout en restant à distance des débats théoriques contemporains qui animent la discipline anthropologique, il lui est proposé de se plonger, presque sans médiation, dans le monde tel qu’il est conçu et vécu par les Tzeltal. Disons-le tout de suite, le voyage vaut le détour : en dépit des limites du projet scientifique soulignées par l’auteur, l’exceptionnelle richesse des matériaux ethnographiques contenus dans Les dieux, les paroles et les hommes en fait un ouvrage que tous les spécialistes du monde mésoaméricain devraient lire.

2 Même si la répartition du texte en 15 chapitres – certains ne faisant que trois pages ! – ne fait pas apparaître un ordre argumentatif, on repère grosso modo une progression générale dans la présentation : après avoir exposé les conceptions tzeltal de la personne (chap. 2-4), de l’environnement et du cosmos (chap. 5-12), l’auteur montre comment s’établissent des relations entre ces différents niveaux, au travers de prières, d’oblations et de sacrifices adressés à une multitude de destinataires non humains (chap. 13-15). La spécificité des représentations relatives aux composantes de la personne en Mésoamérique a fait couler tellement d’encre que les premiers chapitres donnent une impression de déjà-vu, tant la concordance avec les données publiées par d’autres anthropologues est évidente : Guiteras Holmes, Köhler, Pitarch ou Villa Rojas sont ainsi souvent mentionnés, sans être vraiment discutés toutefois, ce que l’on peut regretter, car cela aurait permis de mieux saisir les apports propres à chacun. Dans le même temps, il faut dire clairement que la quantité de détails que Figuerola Pujol apporte, sur cette question comme sur toutes celles traitées dans l’ouvrage, est incomparablement plus importante que celle de tous ses prédécesseurs. Là où les analystes cherchent parfois à dégager un principe d’unité ou à trouver des opinions moyennes concernant des représentations (oniriques, imaginaires, mythiques, etc.), l’auteur semble ici suivre toutes les ramifications produites par les explications

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données par les spécialistes rituels (les ch’abajom) qu’il a longtemps fréquentés et observés. Ces derniers semblent en effet intarissables lorsqu’il faut narrer les innombrables aventures qui arrivent aux entités animiques, plus ou moins extériorisées et instanciées dans des êtres (animaux, phénomènes météorologiques), qui influent sur la vie des humains. Je laisse au lecteur le soin de découvrir dans les premiers chapitres – et dans une figure placée page 47 – la multiplicité des êtres (lab, ch’ulel, ombre) ainsi connectés à l’existence humaine.

3 À un premier niveau, cette complication s’explique par la nécessité de penser la dimension fluctuante et accidentelle de la vie individuelle, en particulier lorsqu’il faut donner un sens à des souffrances psycho-corporelles dont les causes ne sont pas immédiatement visibles : les péripéties des doubles non humains sont autant d’événements qui peuvent métaphoriser la maladie et, plus largement, les situations d’antagonisme interhumain. Mais, plus profondément, un des grands intérêts des développements proposés par l’auteur tient à ce qu’ils font apparaître une continuité entre les pratiques thérapeutiques et les procédures de résolution de conflits réalisées dans le cadre de la justice coutumière. Même si les travaux d’auteurs tels que Nader, Collier, Sierra, Greenhouse ou Fry ont considérablement accru la connaissance du fonctionnement des institutions judiciaires traditionnelles dans les communautés indiennes de Mésoamérique, la participation des agents non humains demeure encore insuffisamment étudiée. De ce point de vue, les descriptions des ch’iibal, notamment dans le chapitre 10, se révèlent particulièrement instructives. Chacun de ces lieux associés à un des clans du village est logé au cœur des montagnes et réplique l’organisation communautaire : les doubles des personnes humaines ou des personnages ancestraux y vivent dans une sorte de société parallèle dans laquelle des tribunaux sont chargés de juger et de punir ceux qui transgressent les règles. Selon moi, il ne suffit pas d’interpréter ces espaces imaginaires comme des formes d’idéalisation grâce auxquelles un groupe humain se représente une organisation dans laquelle les tensions seraient aisément surmontées et les solidarités réaffirmées (pp. 139, 155). En vérité, il existe une profonde porosité entre les univers humain et non humain, comme le montre le très bon documentaire, Rites de vie et de mort (2010) réalisé à Cancuc par Figuerola Pujol. Dans le livre, on apprend tout d’abord que, lors des délibérations judiciaires, l’évaluation du rôle des lab – des doubles plus ou moins agressifs ayant une forme humaine, animale ou météorologique – dans la conduite d’une personne peut conduire à la déclarer pénalement irresponsable (p. 60). La continuité entre les univers est même plus grande, puisque c’est le déroulement même des procès qui se fait de manière similaire dans les ch’iibal et le palais municipal du village ; dans chacun de ces contextes, les spécialistes rituels sont réputés connaître les procédures pour solliciter ceux qui ont le pouvoir : les prières à faire, les cadeaux à apporter, les alliances à rechercher. C’est d’ailleurs pourquoi les pratiques thérapeutiques s’interprètent comme des formes de procès lors desquels ces spécialistes interviennent comme des intermédiaires soucieux de rétablir les équilibres et de trouver les justes compensations. Dans un tel cas, un spécialiste peut prononcer une prière à l’intention d’un tribunal d’entités non humaines (les me’il-tatil « mères- pères », des ancêtres claniques) pour demander pardon au nom du patient, ces prières étant assimilées « à une supplique faite aux divinités pour que ces dernières, à leur tour, dans une sorte de plaidoirie, défendent leur cas devant le tribunal du ch’iibal » (p. 231)1. La photo n° 7 qui représente une prison en bois construite dans la cour d’une école offre, quant à elle, une bonne illustration de l’enchevêtrement concret entre les

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règnes : l’auteur précise en effet qu’« il n’est pas rare que les écoles soient construites au pied d’un ajaw [lieu particulier de l’espace habité par un esprit-maître, l’ajwalil] pour que son ajwalil surveille le comportement des enseignants et protège les enfants ».

4 Au fil des pages, on comprend donc que l’imbrication entre le monde humain et non humain va bien au-delà de la simple ressemblance métaphorique : elle implique tout un réseau d’influences qui façonnent continuellement le monde et la personne, pour le meilleur et pour le pire. On en trouve un excellent exemple dans le chapitre 5 consacré aux chanul-ja’, des couleuvres d’eau qui, selon les habitants, provoquent des éboulements et des inondations : tout comme les accidents des entités animiques extériorisées ont des répercussions sur le corps, cette construction du relief atteste de l’existence d’un système relationnel extrêmement sophistiqué à l’intérieur duquel les êtres des univers parallèles sont effectivement en contact avec les humains. Par-delà le rapport de forces, les développements sur la justice – et plus largement sur les relations de pouvoir et de contrôle – montrent que l’intervention des non-humains est également à penser à partir de relations relevant de la tiercéité, pour reprendre un terme de Peirce : non seulement parce qu’ils interviennent comme des tiers dans les conflits, mais aussi parce que les interactions avec eux sont médiatisées par des règles abstraites, en particulier numériques. Les chapitres 14 et 15 consacrés à la logique du don et du sacrifice ne font guère avancer la réflexion sur deux thèmes fondamentaux pour l’anthropologie ; ils ont cependant le mérite de faire comprendre comment le fonctionnement global de la justice est inséparable d’un complexe système économique dans lesquels les transactions avec les non-humains sont monnaie courante, si l’on peut dire. Même si les rapports entre le sacrifice et la dette sont bien connus, les pages consacrées à ces questions font apparaître à quel point il ne s’agit pas d’une interprétation anthropologique, mais bien d’une mode d’explication que les Tzeltal mobilisent constamment et de façon littérale.

5 Dans un monde aussi dense et surpeuplé, l’infinie diversité des êtres a quelque chose d’un peu angoissant, comme le font sentir les nombreux extraits de prières retranscrits par l’auteur qui sont, le plus souvent, consacrés à résoudre des conflits ou à empêcher qu’ils ne surviennent ou se développent. Le chapitre 13 est sans doute un des plus importants : c’est à travers les paroles rituelles qui y sont étudiées que l’auteur a progressivement eu accès à l’univers décrit par le menu dans le livre. De ce point de vue, même si les pages consacrées au « rythme de la prière » (p. 196) aident à visualiser ce qui se déroule dans la pénombre des églises ou lors des rites secrets des spécialistes rituels, on regrettera que Figuerola Pujol n’ait pas davantage pris soin de contextualiser les prières. Bien qu’il insiste à juste titre sur le pouvoir de la parole et son entrelacs avec des processus matériels, trop souvent les discours en langue vernaculaire sont proposés en fragment sans être connectés à des séquences d’actions, ni véritablement étudiés dans le détail. Sans entrer dans les subtilités d’une analyse ethnolinguistique poussée, il aurait certainement été possible d’aller au-delà du simple décodage de certaines métaphores. Par conséquent, s’il fallait ajouter un reproche à ceux que l’auteur exprime lui-même à l’encontre de son texte, on pourrait dire qu’en dépit de l’incroyable profusion des informations rapportées à l’issue de la plongée dans l’univers tzeltal, on a parfois du mal à voir émerger l’existence réelle de ceux avec qui Figuerola Pujol a vécu. Plutôt que le manque de scientificité évoqué dans l’avant-propos, l’origine de ce problème est peut-être à chercher dans des choix littéraires : un effet de réel plus grand aurait pu être obtenu en restituant dans une continuité textuelle le mélange d’actions et de paroles. À tout le moins un corpus de prières aurait pu et dû être

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reproduit en annexe pour saisir dans son intégralité le déroulement de cette parole complexe, ne serait-ce qu’à partir de quelques exemples. Incontestablement, grâce à la confiance qu’il a su instaurer avec les habitants de Cancuc, Figuerola Pujol est devenu le détenteur d’un véritable trésor de savoirs et de discours rituels retranscrits. Même si le diamant n’est pas toujours pleinement extrait de sa gangue, Les dieux, les paroles et les hommes est un livre remarquable qui nous fait voir une partie de cette richesse et offre au lecteur une occasion très rare de se faire une idée de la complexité de la vision du monde des Tzeltal.

6 PITROU Perig 2013 « Justice et agentivité distribuée chez les Mixe de Oaxaca (Mexique). Approche cosmopolitique », Ateliers d'anthropologie, 39 [en ligne : http://ateliers.revues.org/9475].

NOTES

1. Sur la continuité entre les hiérarchies humaines et non humaines, voir aussi les pages 231-232 et 247. Des phénomènes similaires s’observent également chez les Mixe, cf. Pitrou (2013).

AUTEURS

PERIG PITROU

CNRS, LAS, Paris

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ARNOLD Denise Y. y Elvira ESPEJO, El textil tridimensional. La naturaleza del tejido como objeto y como sujeto Fundación Interamericana/Fundación Xavier Albó/Instituto de Lengua y Cultura Aymara, La Paz, 2013

Francisco Pazzarelli

REFERENCIA

ARNOLD Denise Y. y Elvira ESPEJO, El textil tridimensional. La naturaleza del tejido como objeto y como sujeto, Fundación Interamericana/Fundación Xavier Albó/Instituto de Lengua y Cultura Aymara, La Paz, 2013, 379 p. Amparaña waxt’sma: « Te he dado mi propia mano ».

1 Así es como se resumiría el sentimiento de una tejedora qaqachaqueña obligada a entregar alguno de sus textiles; y es que claro, desde el momento de su fabricación, los tejidos ya son parte de su cuerpo. Denise Arnold y Elvira Espejo se ocupan de explorar los fundamentos de una afirmación de este tipo en su nuevo libro, El textil tridimensional. La naturaleza del tejido como objeto y como sujeto. Desde hace ya varios años, las autoras se encuentran dedicadas a un análisis profundo (etnográfico, lingüístico, histórico) de las estructuras textiles que dan fundamento a los desarrollos tecnológicos andinos, con una mirada sensible a las propias relaciones ontológicas que configuran estos devenires técnicos (que son, a la vez, vitales) de los textiles y sus productores. En esta oportunidad, el argumento propone la tridimensionalidad como carácter indispensable para una comprensión acabada de los textiles en los Andes. Lo tridimensional viene a hacerle frente aquí a aquellos análisis que tienen a los textiles como productos acabados, desvinculados de los procesos concretos que permiten fabricarlos y traerlos a la vida. Por el contrario, Arnold y Espejo proponen que los textiles, como las personas, son continuamente fabricados a través de técnicas específicas que se encuentran en

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relación de continuidad con aquellos carácteres (como los motivos) que observamos en los productos (o personas) acabados. Como afirman las tejedoras de la región, adentro del textil están su « espíritu » y sus « corazones »; y es a esta tercera dimensión a donde desean introducirnos las autoras.

2 Este libro tiene que comprenderse, además, en el marco de un esfuerzo mayor y como corolario de una trilogía iniciada hace ya tres años, con la publicación de otros dos libros sobre el tema1. El trabajo de campo sobre el que se funda proviene de la región de Qaqachaka (sur de Oruro, Bolivia), de donde Espejo es originaria y donde Arnold lleva décadas trabajando. Pero también incorpora datos del norte de Potosí, de los departamentos de Cochabamba y La Paz, de la región lacustre (Isla del Sol e Isla de la Luna), de los valles interandinos de La Paz, y casos comparativos del sur de Perú y de la región de Cusco.

3 El textil tridimensional se divide en tres secciones. La primera de ella, « Prolegómenos », consta de un capítulo introductorio que sienta las bases para la mirada posterior. Son dos los movimientos argumentativos que realizan las autoras en este punto: en primer lugar, la insistencia por un abordaje etnográfico sobre la cultura material, uno que se preocupe por considerar los procesos técnicos que permiten traer los objetos a la vida (los textiles en este caso). Es a partir de esta preocupación etnográfica que se discute la aproximación « de superficie » que muchos análisis anteriores han brindado al textil: como un producto terminado cuya iconografía se imprime sobre una tela anterior, antes que como un objeto siempre en proceso de fabricación (un argumento que bien podría extenderse a consideraciones similares sobre otros tipos de cultura material andina). El segundo movimiento, el más interesante desde mi punto de vista y a partir del cual se comprende cabalmente todo lo demás, es la necesidad de asumir el punto de vista de las tejedoras en la escritura del libro: los temas y las exégesis de los textiles y de sus procedimientos de fabricación siguen las estructuras conceptuales nativas, sin preocuparse (al menos, en un primer momento) por si éstas coinciden o no con aquellas instaladas en el discurso académico. El punto de vista de la tejedora es el punto de partida del libro.

4 La segunda sección, « La producción textil », es quizá aquella que más se vincula con los libros anteriores de la trilogía. A lo largo de cuatro capítulos desarrolla, con el detalle etnográfico al que las autoras nos tienen acostumbrados, los derroteros técnicos involucrados en el proceso de traer a la vida un textil: desde la alimentación y esquila de los animales, su hilado y teñido, el urdido, el manejo de telares, los instrumentos de planificación de los diseños (las warañas) y las cuestiones técnicas vinculadas a la k’isa. Es a través de estos derroteros que las autoras exponen los « campos de fuerzas » dentro de los cuales se insertan los textiles, demostrando que cada tejido no es sino una articulación de relaciones que para nada se reducen a la fibra o al telar de un lugar. El análisis de los procesos de teñido, de las teorías locales del color y de las circulaciones de las fibras teñidas entre regiones demuestra este punto con excelencia, al ilustrar cómo ciertos textiles de las tierras altas se constituyen parcialmente de las relaciones tintóreas de tierras lejanas.

5 Otro punto interesante de esta sección es la afinada crítica histórica que las autoras realizan a ciertos desarrollos tecnológicos. Ello permite contextualizar algunas técnicas típicamente andinas en el marco de procesos globales de más amplio alcance, sin por ello reducir las estructuras locales a puros reflejos del exterior o a consecuencias de eventos históricos (el capítulo « La k’isa intrusa… » tal vez sea el más significativo al

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respecto). En este sentido, aquel espíritu de cierto « orden andino de las cosas » sigue presente en los argumentos de este libro (Arnold, Jiménez y Yapita 1992).

6 La tercera y última sección, « El textil como documento social », recupera algunas de las discusiones presentadas por las autoras en publicaciones previas, enfatizando el rol que las estructuras textiles tienen para la codificación de la producción (sobre todo, agrícola), así como para el intercambio de materias primas (granos, carnes, sal) y de productos transformados (chuño, charqui, harinas). En este punto, el abordaje de las técnicas deviene indispensable para comprender cómo ciertos motivos (los del peinecillo especialmente: patapata y k’uthu) se vinculan con actividades productivas (como la organización de los campos agrícolas) que poseen relaciones de continuidad con aquellas expresadas por las mujeres en sus telares. En este sentido, lejos de una representación de actividades que se encontrarían más allá del textil, estas técnicas y motivos codifican y posibilitan otras relaciones productivas en tanto los sentidos que ordenan las técnicas en uno y otro dominio (que a partir del argumento del texto, ya no son ni « uno » ni « otro ») se revelan como idénticos. Finalmente, esta última sección se ocupa de exponer una comparación de los ciclos vitales del textil y de las personas, así como de ambos tipos de cuerpos, considerando los modos en los que ambos se constituyen mutuamente, trayendo a escena discusiones similares planteadas, entre otros, por Tim Ingold.

7 El libro de Arnold y Espejo se ocupa, durante todos sus capítulos, de demostrar que « todo es textil », revelando la similitud de ciertas estructuras técnicas con los conceptos más generales que organizan la vida en la región. En este sentido, contiene una gran cantidad de sugerencias, proposiciones e hipótesis que seguramente darán lugar a más de un debate. Quisiera resaltar aquí al menos dos de estos puntos.

8 En primer lugar, el interés explícito por iniciar nuevos debates respecto de la cultura material en los Andes, particularmente desde enfoques orientados por la perspectiva nativa. Esto que parecería obvio para cualquier enfoque etnográfico no resulta siempre así: según las autoras, a pesar del insistente lenguaje técnico de las mujeres tejedoras al hablar de sus textiles (ver Arnold y Pazzarelli 2013), la mayoría de los análisis que existen hasta el momento no se han concentrado en este punto. El lenguaje técnico, aquél que permite pensar el textil con un reverso, con un anverso y con un interior (y con un corazón), ha sido un lenguaje olvidado que Arnold y Espejo pretenden escuchar, rescatando parte de la tradición arqueológica-antropológica andina, en especial los trabajos de Heather Lechtman sobre la organización tecnológica.

9 Lo anterior, además, se vincula con trabajos previos de Arnold, donde caracteriza las técnicas textiles femeninas como verdaderas herramientas para la guerra, utilizadas para incorporar subjetividades ajenas al interior del grupo (en la forma de cabezas trofeo, de técnicas o de diseños que se roban a otros) (Arnold y Yapita 2005). Ello resume una interpretación andina (respecto de grupos como los qaqachaqueños, que históricamente han sido caracterizados como guerreros) sobre procesos vinculados a aquella « depredación ontológica » propuesta y analizada por Eduardo Viveiros de Castro para Amazonía. Esto no sólo permite reubicar el estudio de los textiles en el marco de otras actividades productivas y bélicas, sino también generar hipótesis comparativas acerca del manejo femenino de ciertas técnicas textiles y tejidos con respecto al manejo masculino de khipus y cabezas trofeo.

10 De hecho, las referencias a las tierras bajas y a sus sistemas cosmológicos se encuentran presentes desde el primer capítulo, en donde las autoras recuperan parte de la

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producción contemporánea del área (de la antropología brasilera, particularmente) sugiriendo vínculos entre las estructuras textiles (como la del peinecillo) de estas regiones (lo que, consecuentemente, supone relaciones conceptuales y cosmológicas). Este punto en particular (que llevado a sus máximas consecuencias supondría la revisión de ciertos problemas y preguntas clásicas de la antropología andina) es uno de los más interesantes del libro, aunque el mismo precise todavía de más análisis comparativos. Desde hace unos años, Denise Arnold particularmente ha abierto el campo y el interés a una comparación de este tipo (con una buena dosis de intuición etnográfica, hay que decirlo); sin embargo, faltan todavía análisis concretos que permitan seguir avanzando en estas comparaciones y comprender sus alcances y consecuencias, sobre todo en el terreno de los conceptos indígenas implicados en estas definiciones tecnológicas.

11 El argumento anterior se vincula con el segundo punto que deseo señalar aquí: la mirada de las mujeres puesta en primer lugar. Este aspecto no sólo destaca por el interés demostrado por las tejedoras durante el proceso de investigación (las mismas condujeron varias de las entrevistas e indagaciones que luego formaron parte de los capítulos), sino por las consecuencias que ello tiene sobre la antropología que realizan las autoras. Arnold y Espejo han colocado en pie de igualdad los conceptos andinos vinculados al textil y a su fabricación con aquellos generados por arqueólogos y antropólogos respecto a temas similares, comparando y confrontando puntos de vista. Este ejercicio no corresponde, no obstante, a ningún procedimiento metodológico de contrastación; más bien, intenta (y logra) tornar serios los conceptos qaqachaqueños (y de otras regiones), considerando así sus consecuencias sobre el propio pensamiento andino y sobre el antropológico (en un sentido similar a Viveiros de Castro 2010).

12 Esto sólo es posible luego de demostrar que el textil no resume los significados de una cosmología subyacente (tampoco sirve de fundamento para que las personas los impriman sobre él) sino que fabrica sus propios conceptos. El textil, « como las plantas sagradas de las tierras bajas » afirman las autoras, es la ciencia de los Andes: cruzar los hilos es fabricar los conceptos de los que ese mundo se compone2. Desde ese lugar es que la expresión Amparaña waxt’sma tampoco resume una representación de las vinculaciones entre mujeres y textiles: más bien, revela las « conexiones parciales » (Strathern 2004) que existen entre las relaciones internas que constituyen (de una misma y diferente forma a la vez) a unos y otros. Según el argumento del libro, los textiles son también dividuos y, en muchos de sus pasajes, se nos presentan como verdaderos ciborgs andinos. No sólo porque en ellos está el cuerpo de las tejedoras, sino porque ellos están también en su mano.

BIBLIOGRAFÍA

ARNOLD Denise Y. y Elvira ESPEJO 2010 Ciencia de las mujeres. Experiencias en la cadena textil desde los ayllus de Challapata, Fundación Xavier Albó/Instituto de Lengua y Cultura Aymara, La Paz.

Journal de la Société des américanistes, 99-2 | 2013 190

2012 Ciencia del tejer en los Andes: estructuras y técnicas de faz de urdimbre, Fundación Cultural del Banco Central de Bolivia/Fundación Interamericana/ Fundación Xavier Albó/Instituto de Lengua y Cultura Aymara, La Paz.

ARNOLD Denise Y. y Francisco PAZZARELLI 2013 « Los caminos del guerrero. Entrevista con Denise Arnold », Revista del Museo de Antropología, 6, pp. 167-174.

ARNOLD Denise Y. y Juan de Dios YAPITA 2005 El rincón de las cabezas. Luchas textuales, educación y tierras en los Andes, Facultad de Humanidades y Ciencias de la Educación, UMSA/Instituto de Lengua y Cultura Aymara, La Paz.

ARNOLD Denise Y., Domingo JIMÉNEZ ARUQUIPA y Juan de Dios YAPITA 1992 Hacia un orden andino de las cosas: tres pistas de los Andes meridionales, HISBOL/ILCA, La Paz.

HENARE Amiria, Martin HOLBRAAD y Sari WASTELL 2007 « Introduction », in Amira Henare, Martin Holbraad y Sari Wastell (eds), Thinking through things. Theorising artefacts ethnographically, Routledge, Londres, pp. 1-31.

STRATHERN Marilyn 2004 Partial connections, Updated edition, Altamira Press, Washington, DC.

VIVEIROS DE CASTRO Eduardo 2010 Metafísicas caníbales. Líneas de antropología postestructural, Katz, Madrid.

NOTAS

1. La trilogía se completa con otros dos libros, dedicados a la exploración de las experiencias del proyecto de recuperación textil en los ayllus de Challapata (Bolivia) (Arnold y Espejo 2010), y a una sistematización de las técnicas de faz de urdimbre (ibid. 2012) que hoy otorgan argumento a buena parte de El textil tridimensional. 2. Algo que recuerda aquel desafío de tratar las cosas en tanto « significados sui generis » (Henare, Holbraad y Wastell 2007, p. 3).

AUTORES

FRANCISCO PAZZARELLI

Instituto de Antropología de Córdoba-CONICET, Universidad Nacional de Córdoba, Argentina

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D’ÉVREUX Yves, Voyage au nord du Brésil (1615) Westensee-Verlag, Kiel, 2012

David Jabin

RÉFÉRENCE

D’ÉVREUX Yves, Voyage au nord du Brésil (1615), édition critique du texte complet établie par Franz Obermeier, Westensee-Verlag, coll. « Fontes Americanae » 4, Kiel, 2012, 429 p., ill., introduction, index, bibl.

1 À l’heure où internet permet à tout un chacun de se procurer certains documents historiques jadis relativement difficiles à consulter, doit-on encore s’enthousiasmer pour la réédition d’une chronique somme toute assez connue ? Dans le cas de cette quatrième édition en français du célèbre ouvrage du capucin Yves d’Évreux, la réponse est clairement affirmative. Comme nous allons le découvrir, Franz Obermeier a sorti de l’oubli de larges passages du livre que l’on croyait irrémédiablement perdus. Pour bien comprendre l’importance de cette découverte bibliographique, il nous faut revenir brièvement sur le contexte politique de l’écriture de cette chronique et évoquer sa tumultueuse histoire éditoriale.

2 La France Antarctique (1555-1560) fut la première tentative de colonisation française sur les côtes du Brésil, plus exactement dans la baie de Rio de Janeiro. Pour rappel, elle constitua le décor des aventures de Jean de Léry, d’André Thevet, mais aussi de Hans Staden. Après cet échec cinglant, les Français essayèrent à nouveau de s’établir sur ces rivages, plus exactement sur l’île de Maranhão, située plus de 2 000 kilomètres plus au nord. Ils y fondèrent l’éphémère colonie désignée sous le nom de France Équinoxiale1 (1612-1615), donnant naissance à la ville de São Luis do Maranhão. Yves d’Évreux y était responsable de l’évangélisation des populations indigènes locales, mission dans laquelle il fut accompagné, entre autres, par l’illustre Claude d’Abbeville, dont il était le supérieur hiérarchique. Le missionnaire normand, avant de rédiger son Voyage…,

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séjourna au Brésil, aux côtés des fameux Indiens tupinamba, durant deux années entières, soit bien plus longtemps que ses trois compatriotes missionnaires et chroniqueurs sus-cités2. Il laissa derrière lui un riche témoignage de l’observation d’un monde indigène en pleine transformation, dont il est ici question.

3 En 1614, les nouvelles de ces lointains rivages exerçaient depuis plus d’un demi-siècle une influence non négligeable sur la vie des idées en Europe. La parution de l’ouvrage de Claude d’Abbeville fournit alors au public français l’opportunité d’enrichir sa connaissance du Brésil et des anthropophages Tupinamba. Dès 1615, Yves d’Évreux tenta, lui aussi, de publier le récit de son voyage missionnaire, pensé comme une suite ou, plutôt, un complément indispensable à celui de son coreligionnaire3. Mais l’auteur et son livre tombèrent brusquement dans l’oubli pour une période de 250 ans : l’ouvrage fut interdit pour des raisons politiques et, à peine imprimés, les premiers exemplaires furent lacérés dans leur quasi-totalité4.

4 Miraculeusement, un exemplaire avait toutefois survécu à la destruction et fut offert au jeune roi Louis XIII par l’amiral de Razilly, instigateur de la colonie et lieutenant du souverain en Maranhão. Cet exemplaire était cependant incomplet, le militaire ayant pris soin de retirer de nombreuses feuilles comprenant des passages susceptibles de froisser personnellement le souverain ou de l’embarrasser d’un point de vue politique. L’ouvrage resta inconnu du public jusqu’à ce que l’érudit américaniste Ferdinand Denis le retrouve à la Bibliothèque impériale. C’est à partir de cet « unique » exemplaire, aujourd’hui conservé à la Bibliothèque nationale de France, qu’il publia en 1864 le texte d’Yves d’Évreux, accompagné d’une introduction et d’un appareil critique magistraux.

5 Pendant très longtemps, les écrits d’Yves d’Évreux ne furent connus qu’au travers de cette admirable édition du XIXe siècle, hélas incomplète. C’est en effet de celle-ci qu’étaient tirées, jusqu’à très récemment, toutes les rééditions et traductions de l’ouvrage, tant françaises que brésiliennes. Avant Franz Obermeier, seule Hélène Clastres avait fait l’effort de rééditer Yves d’Évreux en langue française (1985), en se fondant, elle aussi, sur l’édition de Ferdinand Denis. Cette anthropologue spécialiste du monde tupi-guarani avait cependant pris le parti de moderniser l’écriture et d’amputer l’ouvrage de nombreux chapitres superflus à son sens5. Ce choix éditorial peut aujourd’hui surprendre ; même si ces larges remaniements semblent compréhensibles dans le contexte scientifique de l’époque, ils sont révélateurs d’un traitement particulier des sources historiques, et en particulier des sources missionnaires, par les anthropologues6. Ils n’en sont pas moins regrettables, car ils privent le lecteur de données fondamentales, décontextualisent le propos et empêchent de comprendre la logique de l’auteur.

6 Au cours du temps, le Voyage au nord du Brésil a donc subi plusieurs censures aux causes politiques, puis idéologiques, pour la plus grande irritation du lecteur avide d’en savoir plus. On connaissait pourtant depuis longtemps l’existence de deux autres exemplaires de l’édition princeps, dont l’existence était déjà évoquée au début du siècle dernier par Marcel (1907, pp. 181-182). L’un était conservé à la bibliothèque de Chartres, et disparut lors de son incendie en 19447 ; l’autre, plus complet, appartenait à un collectionneur français et fut vendu avant qu’on en perde la trace. On ignora durant plus de cent ans son lieu de conservation. Selon Obermeier (p. IV), c’est ce dernier exemplaire qui est apparu à la Public Library de New York au début du XXe siècle sans que l’on puisse retracer son histoire. Obermeier l’assure : il est le premier à avoir lu cet exemplaire dont il propose une analyse dans sa thèse (1995) puis dans un article (2005)8. Il propose

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aujourd’hui la première édition en langue française de cette version (presque) complète de l’œuvre du capucin.

7 Dans cette nouvelle édition, une introduction fournie (57 pages) offre au lecteur une idée très claire des contextes idéologique, littéraire et historique dans lesquels s’inscrit l’ouvrage. Une partie de cette introduction est dédiée à l’analyse des motifs de la censure opérée sur ces différents exemplaires. Franz Obermeier l’explique « par le fond de la conception politique et théologique de l’époque plutôt que par le mariage du roi qui était le point de départ de la censure, non sa raison » (p. XI).

8 Les exemplaires de Paris et de New York incluent une introduction du Cardinal de Razilly, soupçonné par Franz Obermeier d’avoir lui-même retiré çà et là de nombreuses pages de l’ouvrage. Mais quelle est la proportion de l’ouvrage touchée par cette censure ? Dans l’exemplaire de Paris, il manque 7 feuillets du corps du texte, soit 112 pages de l’œuvre originale in octavo, ce qui représente plus d’un septième de l’ouvrage9. Concrètement, Franz Obermeier a retrouvé avec l’exemplaire de New York 4 des 7 feuillets perdus, soit 64 pages. Ces pages complètent 8 chapitres auparavant largement tronqués.

9 Quant au contenu de ces quatre feuillets retrouvés, il est difficile d’en rendre compte de manière exhaustive dans le cadre de cette recension. Le lecteur peut cependant être assuré qu’il trouvera là de nombreux matériaux linguistiques, ethnographiques et historiques de toute première importance. Évoquons, par exemple, quelques-uns de ces passages retrouvés. Dans le premier traité, la fin du chapitre 23, intitulé De la consanguinité qui est parmi ces sauvages, et celle du chapitre 26, De l'Oeconomie des Sauuages, apportent un nouvel éclairage sur la parenté tupinamba, le traitement des captifs et le sort des « bâtards ». Par ailleurs, on retrouve le début de certains chapitres aux titres auparavant inconnus : comme le chapitre 27 du premier traité intitulé De l’inclination générale qu’on les Sauuages de paroistre, que la nature leur donne, tant-en leurs gestes qu’à rechercher des noms honorables, ou encore le chapitre 15 du second traité, Des points de nostre religions, ausquels facilement les Sauuvages prestent leur consentement: et des diverses questions qu'ils nous faisoient.

10 Si l’effort de publier le texte dans sa langue d’origine, accompagné d’une introduction et de 409 notes en français est fort louable, on aurait souhaité que Franz Obermeier fût davantage assisté dans son travail de relecture. L’appareil critique est en effet émaillé de nombreuses coquilles et barbarismes, et ce, dès les premières lignes. Bien peu de soin a été apporté à la mise en page : le lecteur peine par exemple à distinguer les titres des chapitres. En outre, le manque d’iconographie et l’étonnante absence de table des matières (pourtant présentes dans les éditions précédentes) laissent à penser que l’édition la plus complète d’un texte si précieux aurait mérité plus bel écrin.

11 Les notes relatives aux éléments de théologie et à l’histoire de la colonisation sont très riches. En revanche, l’analyse des matériaux ethnographiques s’avère bien insuffisante à nos yeux. Mais doit-on en tenir rigueur à Franz Obermeier ? Nous ne le pensons pas : grâce à un méticuleux travail de recherche, l’historien offre ici aux spécialistes de ces questions une belle opportunité de s’atteler à cette tâche.

12 Ces quelques critiques relatives à la forme plutôt qu’au fond ne doivent pas minimiser la découverte et l’analyse de Franz Obermeier. Cet ouvrage présente un intérêt scientifique indéniable pour les anthropologues, linguistes, historiens et autres chercheurs intéressés par la France Équinoxiale et les populations qui s’y trouvaient au

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début du XVIIe siècle. À n’en pas douter, il deviendra l’édition de référence de l’œuvre d’Yves d’Évreux et prendra bien vite place dans les bibliothèques tant des spécialistes des peuples tupi-guarani que de ceux de l’histoire coloniale et de la « conquête spirituelle » du Brésil.

BIBLIOGRAPHIE

CASTELNAU-L’ESTOILE Charlotte de 2011 « De l’observation à la conversion : le savoir sur les Indiens du Brésil dans l’œuvre d’Yves d’Évreux », in Charlotte de Castelnau-l’Estoile, Marie-Lucie Copete, Aliocha Maldavsky et Ines G. Županov (éds), Missions d’évangélisation et circulation des savoirs (XVIe-XVIIIe siècle), Casa de Velázquez, Collection de la Casa de Velázquez 120, Madrid, pp. 269-293.

ÉVREUX Yves d’ 1864 Voyage dans le nord du Brésil par le Père Yves d’Évreux publié d’après l’exemplaire unique conservé à la bibliothèque impériale de Paris, avec une introduction et des notes par Ferdinand Denis, Librairie A. Franck, coll. « Biblioteca Americana », Leipzig/Paris.

1985 Voyage au nord du Brésil fait en 1613 et 1614, présentation par Hélène Clastres, Payot, Paris [1615].

2009 Histórias das coisas mais memoráveis, ocorridas no Maranhão nos anos de 1613 e 1614, Fundação Darcy Ribeiro, Rio de Janeiro.

MARCEL Gabriel 1907 « Le Père Yves d’Évreux », Journal de la Société des Américanistes de Paris, nouvelle série, 4, pp. 175-184.

OBERMEIER Franz 1995 Französische Brasilienreiseberichte im 17. Jahrundert. Claude d’Abbeville : Histoire de la mission, 1614, Yves d’Évreux : Suitte de l’histoire, 1615, Romanistischer Verlag, Bonn.

2005 « Documentos inéditos para a história do Maranhão o do nordeste na obra do capucinho francês Yves d’Évreux Suitte de l’histoire (1615) », Boletim do Museu Paraense Emílio Goeldi, coll. « Ciências Humanas » 1 (1), Belém, pp. 195-251.

PIANZOLA Maurice 1991 Des Français à la conquête du Brésil (XVIIe siècle), L’Harmattan, coll. « Recherches et documents, Amérique Latine », Paris.

NOTES

1. À ne pas confondre avec les tentatives homonymes ultérieures sur le territoire de l’actuelle Guyane française. 2. Claude d’Abbeville s’en retourna après 4 mois de séjour. Quant à Jean de Léry et André Thevet, leur présence dans la baie de Guanabara n’excéda pas 10 mois pour le premier, et 10 semaines pour le second !

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3. En témoigne le titre original de l’œuvre : Suitte de l’Histoire de la mission des choses plus memorables advenues en Maragnan, és annees 1613 & 1614. 4. En cette même année, 1615, les Couronnes de France et d’Espagne scellèrent une alliance stratégique par un double mariage princier. Par ailleurs, durant la période connue sous le nom d’Union ibérique (1580-1640), le Portugal et son empire colonial se trouvaient sous souveraineté espagnole. La colonisation française du Maranhão menaçait donc l’alliance franco-espagnole et le livre fut alors l’objet d’une totale censure. 5. L’ouvrage est organisé en deux traités, l’un qualifié de « temporel » et l’autre de « spirituel ». C’est dans le deuxième traité qui a, dans une certaine mesure, trait au récit de l’évangélisation des Amérindiens, qu’Hélène Clastres a décidé de supprimer 7 chapitres complets et d’en réduire partiellement un huitième. 6. Pour une réflexion sur la question, voir en particulier de Castelnau-l’Estoile (2011). 7. Pianzola 1991, p. 206. 8. Il existe cependant une traduction brésilienne de l’exemplaire de New York parue peu avant celle dont il est ici question : voir d’Évreux (2009). 9. Dans ce format, le feuillet plié par trois fois permettait l’impression de 16 pages en recto-verso.

AUTEURS

DAVID JABIN

Centre EREA du LESC, Nanterre

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BOSSERT Federico y Diego VILLAR, Hijos de la selva/Sons of the Forest. La fotografía etnográfica de Max Schmidt/ The Ethnographic Photography of Max Schmidt Perceval Press, Santa Mónica, 2013

Isabelle Combès

REFERENCIA

BOSSERT Federico y Diego VILLAR, Hijos de la selva/Sons of the Forest. La fotografía etnográfica de Max Schmidt/The Ethnographic Photography of Max Schmidt, edición de Viggo Mortensen, versión bilingüe español/inglés, Perceval Press, Santa Mónica, 2013, 136 p, ill.

1 Tímido, retraído o hasta « recluso » según aquellos que lo conocieron, el antropólogo Max Schmidt (1874-1950) sólo parecería haber dejado una huella furtiva en la historia de la disciplina; fue, en todo caso, « relegado a una posición académica periférica » por gran parte de sus contemporáneos (p. 12). Sesenta y tres años después de su solitaria muerte en Asunción, Hijos de la selva… rinde un vibrante y erudito homenaje al « abnegado sabio » (p. 2) que, junto a Erland Nordenskiöld, Curt Unkel Nimuendajú, Branislava Susnik (su sucesora en el museo Andrés Barbero) y Alfred Métraux, figura entre los padres fundadores de la etnología sudamericana y particularmente del Chaco y del Mato Grosso.

2 Este libro está dividido en dos partes: una nutrida « introducción » escrita por Federico Bossert y Diego Villar, y presentada en versión bilingüe español/inglés; y una colección de 82 fotografías de indígenas guatós, paresís, umotinas, kayabis, isoseños, chorotes,

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chiriguanos, wichís, nivaclés, tapietes, tobas y makás tomadas por Max Schmidt entre 1900 y 1935.

3 El texto de Bossert y Villar reconstruye la trayectoria científica de Schmidt y, a través de ella, lo poco que puede conocerse de su vida personal. En el ámbito de la etnografía alemana de las postrimerías del siglo XIX, los autores destacan, en particular, la influencia de Adolf Bastian y su alumno Karl von den Steinen en la formación intelectual del joven Schmidt. A través de sus notas y de sus diarios de campo, siguen luego a Schmidt en sus viajes etnológicos a la región del Xingú, al Mato Grosso y finalmente a través de un Gran Chaco duramente golpeado por la guerra entre Bolivia y Paraguay entre 1932 y 1935. La tercera parte de la introducción, que cubre los últimos años de su vida, también se detiene en la etnografía pionera de Max Schmidt y, particularmente, sobre los registros fotográficos que nos legó.

4 La etnografía de Max Schmidt se entiende, por una parte, en los términos del espíritu preponderante de su época: el afán de reunir muestras de las culturas de los diversos pueblos, de rescatar los objetos materiales antes que desaparezcan los pueblos « primitivos », de emprender una colección y recolección urgentes para los grandes museos de Europa. Schmidt, que empezó su carrera en el museo de Berlín y la acabó en el de Asunción, no escapó a esta tendencia generalizada. Sin embargo, por otro lado, y sobre todo, la etnografía del alemán fue también diferente, personal, y sorprendentemente moderna. Sus viajes y expediciones no se parecían en nada a los de sus antecesores, que movilizaban a gran cantidad de gente y de equipamiento. En palabras del propio Schmidt, su primer viaje al Xingú (y los siguientes adoptaron el mismo padrón) « se distinguió esencialmente de las expediciones anteriores por la tentativa de viajar apenas un solo explorador, auxiliado apenas por los más indispensables compañeros de viaje, y de permanecer por mayor espacio de tiempo con una tribu, penetrando más profundamente en el mundo mental de indios todavía aislados » (p. 16). A decir verdad, los anhelos de permanencia de Schmidt se vieron frustrados por múltiples imponderables. Pero la novedad está ahí, anunciando lo que hoy es el método etnográfico por excelencia, la larga estadía en el grupo, que muy pocos en la época de Schmidt practicaron – una excepción célebre es la de su coterráneo Nimuendajú. Una anécdota ilustra bien los propósitos de Schmidt. Llegado a una aldea bacairí, arrojó su ropa para quedarse desnudo como sus anfitriones, y permitió que le tatúen el brazo (p. 18); una manera inusitada en la época de convivir con los « hijos de la selva » – la expresión es del propio Schmidt, y es empleada varias veces en sus escritos (pp. 14, 22). Algo o mucho de romanticismo impregnan por cierto su visión del trabajo etnográfico. Más allá de ello, este anhelo traduce por cierto lo que los autores llaman el « acérrimo empirismo » de Schmidt (p. 42). Sus extraordinarios y precisos registros etnográficos – incluyendo en ellos su colección fotográfica – no son, por lo general, acompañados por mayores análisis teóricos o incursiones en debates candentes. Como señalan Bossert y Villar: « con muy pocas excepciones, no es en los grandes debates teóricos donde hallaremos las claves para comprender los problemas abordados por Schmidt » (p. 10) – aunque no pueda obviarse, entre estas excepciones, su tesis doctoral de 1917 sobre los arawak y lo que hoy suele llamarse su « diáspora », que se convirtió en un ineludible clásico sobre el tema, y cuyas interpretaciones, sin seguir la moda del difusionismo a ultranza de la época, anuncian los estudios contemporáneos sobre el tema.

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5 Entre los métodos pioneros de Max Schmidt figura su afán por el registro fotográfico, concebido ante todo como una « forma de registro científico » (p. 42). Cuesta imaginar hoy a un joven explorador alemán acarreando a cuestas el pesado material necesario para poder fotografiar, no sin desventuras, a los « hijos de la selva » no siempre confiados en presencia de la extraña máquina. Una pequeña anécdota contada por Schmidt fue escogida por los autores para figurar en la contratapa del libro: « conseguí convencer a uno de los caciques del carácter inofensivo de mi aparato fotográfico. Le pedí que mirara en el espejo de la cámara, y me coloqué delante de la lente. Al comprobar que ser reflejado así no me provocaba ningún daño, siguió mi ejemplo y así pude fotografiar a todo el grupo ».

6 Ésta es sólo una de las anécdotas y desaventuras reportadas por Schmidt y contadas por Bossert y Villar con la misma mezcla de humor y melancolía: malaria, infortunios, indios que roban y distribuyen hasta la última baratija; indios desconfiados, o peleando entre sí – no pocas veces Schmidt debió la vida, o al menos la tranquilidad, a las melodías ejecutadas en su maltrecho violín, que sin dudas debió constituir, junto con su cámara, su más valiosa posesión en sus exploraciones.

7 Las fotografías de Schmidt, testimonios etnográficos de su época, constituyen hoy un registro invalorable en términos más históricos; a ellas está dedicada la segunda parte de este libro, que reúne 82 tomas hechas en el Xingú, en el Mato Grosso y en el Gran Chaco, incorporando cada vez que fue posible la leyenda explicativa redactada por el propio Max Schmidt. Los negativos en placas de vidrio, conservados en el museo Andrés Barbero del que fuera director Schmidt, fueron llevados a Estados Unidos para ser digitalizados y editados con la máxima resolución posible por los editores del libro. El resultado es una publicación estéticamente muy acabada, un libro que definitivamente posee el « valor tanto académico como artístico » que declara haber buscado en su prefacio el editor Viggo Mortensen.

8 Cuando se encontró con Schmidt en Asunción, en 1939, Alfred Métraux apuntó: « Veo en él como un último lazo con el pasado, con Nordenskiöld, con los pioneros de América del Sur » (p. 50). El lazo no se rompió: lo constituye hoy esta publicación en la cual jóvenes antropólogos claman por la herencia de pioneros como Schmidt. Es pues pecando por exceso de modestia que Bossert y Villar califican su ensayo de simple « introducción »; a todas luces, su texto va mucho más allá de este sencillo calificativo. Al igual que en el ensayo que dedicaron hace pocos años a « la etnología chiriguano de Alfred Métraux » (Bossert y Villar 2007), los autores unen biografía, homenaje y emoción en un texto que es a la vez una poderosa llamada de atención. Si bien en la falta de elaboración teórica puede residir « la fuerza y la debilidad » de la obra de Schmidt (p. 42), Bossert y Villar enfatizan decididamente la fortaleza de sus escritos y de su obstinado empirismo – característica además de otros de los « grandes » de la etnología chaqueña, como Susnik. Lo que nos dicen los autores es, sencillamente, que no existe buena etnología sin buena etnografía. E Hijos de la Selva… es, para nuestro deleite, muestra de que ambas son posibles.

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BIBLIOGRAFÍA

BOSSERT Federico y Diego VILLAR 2007 « La etnología chiriguano de Alfred Métraux », Journal de la Société des Américanistes, 93 (1), pp. 127-166.

AUTORES

ISABELLE COMBÈS

IFEA (UMIFRE 17), CNRS/MAE

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INTERNATIONAL WORK GROUP FOR INDIGENOUS AFFAIRS (IWGIA)/CENTRO AMAZÓNICO DE ANTROPOLOGÍA Y APLICACIÓN PRÁCTICA (CAAAP) (eds), Libro Azul Británico: informes de Roger Casement y otras cartas sobre las atrocidades en el Putumayo Lima, 2012

Lorena I. Córdoba

REFERENCIA

INTERNATIONAL WORK GROUP FOR INDIGENOUS AFFAIRS (IWGIA)/CENTRO AMAZÓNICO DE ANTROPOLOGÍA Y APLICACIÓN PRÁCTICA (CAAAP) (eds), Libro Azul Británico: informes de Roger Casement y otras cartas sobre las atrocidades en el Putumayo, Lima, 2012, 320 p.

1 Cuando los gobiernos divulgan documentos diplomáticos para su cuerpo legislativo, así como también para la opinión pública, esas publicaciones suelen recibir el nombre de Blue Books. En esta oportunidad, los editores nos acercan documentos de este tipo nunca antes publicados en español, y ni siquiera compilados en una misma serie. Este libro es pues la primera traducción completa al castellano de las cartas cruzadas entre el Ministerio de Relaciones Exteriores británico y sir Roger Casement mientras cumplía su labor de cónsul en Río de Janeiro e investigaba las denuncias contra la empresa cauchera The Peruvian Amazon Company (en adelante, PAC) 1. Además, contiene transcripciones de los interrogatorios que efectuara Casement a treinta trabajadores

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oriundos de la isla de Barbados sobre su experiencia de trabajo en las instalaciones de dicha compañía.

2 La historia del auge cauchero y sus profundas consecuencias políticas, sociológicas y culturales se escribió a partir de voces de múltiples actores. En este contexto, el escándalo por las atrocidades cometidas contra los boras, huitotos, andoques y ocainas – entre otros pueblos indígenas de la zona del Putumayo – suscitó diferentes opiniones tanto a favor como en contra del emprendimiento cauchero. La historia no siempre coincide entre esas voces, que muchas veces plantean miradas contrapuestas sobre los hechos sucedidos en el territorio selvático que disputaron Colombia y Perú durante los inicios del siglo XX. Una de las primeras preguntas que surgen es por qué el accionar de la firma del barón cauchero peruano Julio César Arana tomó estado público y trascendió las fronteras del Perú. ¿Por qué Roger Casement fue enviado por el gobierno británico en calidad de cónsul para investigar las denuncias periodísticas contra la PAC? ¿Qué influencia tuvo la participación británica? ¿Cuáles fueron las acusaciones que cruzaron recíprocamente Julio César Arana y Casement? Es preciso, entonces, recordar el origen del escándalo del Putumayo para poder apreciar en su debido contexto los documentos que los editores de esta obra presentan al público.

3 La compañía perteneciente a Julio César Arana se registró en Londres con un capital de un millón de libras esterlinas en septiembre de 1906, bajo el nombre de Arana y Hermanos, cambiando al mes su denominación por el nombre que la haría tristemente célebre: The Peruvian Amazon Company. De sus siete directores, tres eran ingleses. La empresa asentó su cuartel general en la pujante ciudad de Iquitos, instaló el epicentro extractivo en la región del Putumayo y estableció velozmente una red de comercio internacional con los principales puertos de Europa y Estados Unidos. Contando con más de cuarenta establecimientos gomeros en los ríos Caraparaná e Igaraparaná, Arana reclutó en 1904 un grupo de trabajadores de la isla de Barbados – protectorado dependiente de Gran Bretaña – para oficiar de capataces en dichas propiedades, contando con la complicidad del gobierno colonial para fomentar la emigración de esta mano de obra barata.

4 Arana se dedicaba al caucho desde hacía ya varios años, durante los cuales consolidó sus ganancias, su red de negocios y su reputación como hábil comerciante. Pasó de exportar 35 000 libras en 1900 a 1,4 millones en tan sólo seis años, tal como afirma el historiador Jordan Goodman (2010, p. 41) para inicios de la década de 1910: « Arana estaba en la cima del mundo. Él tenía el control de un vasto territorio productor de caucho – más de 10.000 millas cuadradas –, el más grande de este estilo en Sudamérica, dentro del cual uno no podía aventurarse sin su conocimiento y su permiso ».

5 En el seno de ese inmenso imperio ya habían surgido varias denuncias, publicadas por los periódicos de Iquitos La Felpa y La Sanción así como también por el Jornal do Commercio de Manaos (Brasil). Las mismas criticaban el accionar de Arana en el territorio del Putumayo, los malos tratos que recibían los indígenas conchabados bajo su dominio, así como también la modalidad laboral cuasi-esclavista que reinaba en sus instalaciones. Sin embargo, estas denuncias periodísticas habrían quedado limitadas al interior de Perú y Brasil si no hubiera sido por el libro que escribió un joven ingeniero americano que había viajado por la zona del Putumayo, quien presenció las metodologías de trabajo a las que eran sometidos los indígenas y padeció en carne propia la rudeza de los empleados de Arana. Nos referimos a Walter Hardenburg, quien con 21 años y en compañía de su amigo Walter Perkins llegó a Buenaventura (Colombia)

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para seguir viajando por el río Putumayo hasta la confluencia con el Amazonas y de ahí hasta Brasil, donde planeaba trabajar en la reciente construcción del ferrocarril Madera-Mamoré. Sin embargo entre Colombia y Perú ambos jóvenes fueron detenidos en uno de los establecimientos gomeros de Arana y tomados prisioneros al ser considerados espías del gobierno colombiano – no hay que olvidar que la zona del Caquetá fue una región fronteriza conflictiva entre Perú y Colombia durante ese período, y que la lucha por la misma concluiría recién en 1922, con la firma del tratado Salomón-Lozano.

6 Luego de varios reclamos ante el vicecónsul americano por los malos tratos y el robo de sus pertenencias, los amigos tomaron distintos caminos: Perkins regresó a Norteamérica y nunca más volvería a encontrarse con Hardenburg, ni a reclamar por el episodio. El joven Hardenburg, por otro lado, siguió buscando sin éxito la reparación económica por la pérdida de sus bienes, se instaló en Iquitos y comenzó a enseñar inglés a los niños de la clase privilegiada peruana. Por esos azares de la vida conoció así al hijo de Benjamín Saldaña Rocca, dueño del periódico La Sanción, quien por entonces estaba en una lucha personal contra el imperio de Arana. El periodista le cedió todo el material que tenía contra el cauchero. Sumando esta información a su experiencia personal, Hardenburg compuso un libro titulado The Putumayo: the devil’s paradise (1912)2.

7 Unos años antes, en 1909, Handerburg había viajado a Inglaterra y se había puesto en contacto con el editor del periódico londinense Truth, que publicó varios fascículos que detallaban las atrocidades inusitadas de aquella región perdida. Estalló así el escándalo en las calles de Londres con el titular del 22 septiembre de 1909: The devil’s paradise: a British-owned Congo. La sociedad inglesa ya no podía quedar al margen del escándalo, y varias voces – con la Sociedad Antiesclavista a la cabeza – pronto comenzaron a cuestionar los malos tratos que padecían los empleados barbadenses, al fin y al cabo súbditos de la corona y por tanto ciudadanos inmersos en una insólita situación de esclavitud (Mitchell 1997, pp. 60, 203).

8 Es ahí cuando entra en escena el joven Roger Casement, quien ya había realizado una misión de consulado para el gobierno británico en el Congo belga y había denunciado los malos tratos que había presenciado – inspirando, así, el célebre relato Heart of darkness del escritor polaco Joseph Conrad, afinidad explotada al máximo por la reciente novela de Mario Vargas Llosa (2010) sobre Casement. Con muy alta estima por parte del gobierno a partir de este antecedente, viajó entonces Casement al Putumayo comisionado por la Oficina de Asuntos Exteriores para determinar si los barbadenses de la PAC habían sufrido maltrato o incluso se hallaban en calidad de esclavos. Pasado un año del primer artículo sobre el escándalo en el Truth, Casement escribe desde Perú: « Putumayo es un capítulo cerrado aún en Iquitos – es sorprendente cuan temerosos están casi todos o quieren hacer que no saben nada » (Goodman 2010, p. 106). Casement pasó dos meses en el establecimiento gomero La Chorrera en calidad de « huésped » de la compañía, con la idea de que comprobase que todas las denuncias eran falsas (cf. Chirif y Cornejo Chaparro 2009). Finalmente, en 1912 el Foreign Office publicó el informe de Casement detallando las entrevistas a los trabajadores, las relaciones de esclavitud en la cual vivían gran parte de los indígenas que trabajaban en la goma y los castigos corporales a los cuales estaban sometidos en caso de no reunir suficiente materia prima. Otra vez la sociedad inglesa tenía bajo sus narices la discusión sobre la esclavitud de trabajadores ingleses y las atrocidades cometidas en nombre del progreso.

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De indignados sermones en el púlpito de la abadía de Westminster hasta apasionados debates en la Cámara de los Comunes, el escándalo cundió.

9 Sin embargo, las investigaciones que encargó el gobierno para saber si los directores ingleses sabían o consentían las formas inhumanas de trabajo en el Putumayo comenzaron a diluirse. Los cruces dialécticos entre los testimonios de Arana y Casement, entre otros, frenaron la resolución del conflicto. Los meses pasaron hasta que llegó marzo de 1914 y el comité de la Cámara de los Comunes no había decidido ninguna acción concreta. En agosto de ese mismo año, Inglaterra entró en guerra con Alemania: los periódicos ya tenían otros titulares que publicar. Por una ironía del destino, de todos los involucrados que tuvo el conflicto en el Putumayo, el único que terminó siendo juzgado y condenado a la horca en 1916, por el cargo de traición a la patria, fue el propio sir Roger Casement: al terminar su trabajo como cónsul en Sudamérica comenzó a trabajar para la liberación de Irlanda, fue apresado por los británicos tras un alzamiento fallido y recluido en la Torre de Londres, donde finalmente fue colgado.

10 Hoy, por medio de este volumen, llega al público hispanohablante la traducción del extenso trabajo que realizara Casement, las entrevistas y las cartas sobre el tema con diferentes agentes oficiales. Leer su trabajo no solamente ayuda a entender un poco más la época del auge cauchero en la Amazonía; además, permite escuchar la propia voz de los protagonistas: « Así, donde el primitivo salvaje redaba a su vecino salvaje por razones que le parecían buenas, el hombre blanco que vino en una supuesta misión de civilización para acabar con el salvajismo primitivo redaba, a su vez, a su semejante blanco por razones que al indio le parecían totalmente equivocadas, puesto que acarreaban su segura esclavitud. Los constantes robos de indios de un “cauchero” a otro condujeron a represalias más sangrientas y asesinas que cualquier cosa que los indios jamás hubieran podido hacer contra otro indio. En estos conflictos desesperados, con frecuencia se perdía de vista el objetivo principal de recolectar caucho, el cual solamente podía ser obtenido con el trabajo de los indios » (carta de Casement a sir Grey, p. 50).

BIBLIOGRAFÍA

CHIRIF Alberto y Manuel CORNEJO CHAPARRO (eds) 2009 Imaginario e imágenes de la época del caucho: Los sucesos del Putumayo, CAAAP/IWGIA/UPC, Lima.

GOODMAN Jordan 2010 The devil and Mr. Casement. One man’s battle for human rights in South America’s heart of darkness, Farrar, Straus and Giroux, Nueva York.

HARDENBURG Walter 1912 The Putumayo: the devil’s paradise, T. Fisher Unwin, Londres.

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MITCHELL Angus (ed.) 1997 The Amazon journal of Roger Casement, Anaconda Ediciones, Londres/The Lilliput Press, Dublí n.

VARGAS LLOSA Mario 2010 El sueño del celta, Alfaguara, Barcelona.

NOTAS

1. En otras palabras, la presente obra profundiza la reciente publicación de documentos sobre el escándalo cauchero en el Putumayo: hace pocos años la colección « Monumenta Amazónica » reeditó El proceso del Putumayo y sus secretos inauditos del juez Carlos Valcárcel (2004), originalmente escrito en 1915. La misma colección publicó al año siguiente La defensa de los caucheros (2005), con textos de Andrew Gray, Alberto Chirif, Carlos Rey de Castro, Pablo Zumaeta y otros. Finalmente, el mismo Chirif, junto a Manuel Cornejo Chaparro, coeditó Imaginario e imágenes de la época del caucho: los sucesos del Putumayo (2009). 2. A partir de las desventuras que relata Hardenburg en su libro, a su vez, el escritor Richard Collier publicó posteriormente su novela de 1968 titulada The river that God forgot.

AUTORES

LORENA I. CÓRDOBA

Universidad de Buenos Aires-CONICET, Argentina

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CAIUBY LABATE Beatriz and Henrik JUNGABERLE (eds), The internationalization of ayahuasca Lit Verlag, Münster, 2011

David Dupuis

RÉFÉRENCE

CAIUBY LABATE Beatriz and Henrik JUNGABERLE (eds), The internationalization of ayahuasca, Lit Verlag, coll. « Performances: Intercultural studies on ritual, play and theatre » 16, Münster, Allemagne, 2011, 448 p.

1 Le terme « ayahuasca » – qui signifie « liane des esprits » ou « liane des morts » en quechua – désigne à la fois une plante précise (Banisteriopsis caapi) et la préparation aqueuse dont elle est toujours l’ingrédient, unique ou principal. Cette boisson, aux puissants effets psychoactifs et émétiques, utilisée le plus souvent à des fins initiatiques, thérapeutiques ou divinatoires, constitue un outil central des chamanismes du bassin amazonien. En 1930, le Santo Daime, une religion syncrétique d’inspiration chrétienne, s’élabore autour de sa consommation et l’érige au rang de sacrement. Depuis, d’autres églises accordant au breuvage un statut central sont apparues au Brésil, comme l’União do Vegetal (UDV). À partir de la fin du XXe siècle, ces groupes religieux essaiment dans de nombreux pays, notamment en Amérique du Nord et en Europe. À la même époque, dans d’autres pays d’Amérique latine (Pérou, Colombie, Bolivie, Équateur), les usages indigènes du breuvage commencent à attirer l’attention de la population urbaine nationale ainsi que celle des Occidentaux. On voit alors apparaître un « tourisme chamanique » qui n’aura de cesse de se développer. De nombreux centres de « stages chamaniques » sont ainsi apparus, notamment en Amazonie péruvienne, près des villes de Tarapoto, Iquitos et Pucallpa. Certains ont des relais dans les pays occidentaux et fonctionnent comme des communautés thérapeutiques, proposant des stages réservés aux étrangers à la recherche

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d’« initiation ». Les principales étapes de ces séjours consistent en des sessions d’ingestion de plantes vomitives en vue d’une « désintoxication », suivies par des rituels incluant la consommation d’ayahuasca, puis de retraites impliquant celle d’autres végétaux. Ces activités sont accompagnées de conférences, d’échanges en groupe et d’entretiens avec des psychothérapeutes.

2 Le succès de ces institutions auprès des Occidentaux s’inscrit dans la continuité du mouvement New Age, qui a largement contribué à l’élaboration de la figure du « chamane », détenteur d’un savoir exotique et « primitif », susceptible d’éclairer et de guérir l’homme occidental. L’Amazonie, région de forêt « primaire », incarne, dans cet imaginaire, le cœur du monde primitif, un envers de l’Occident, chargé de mystères. Si l’« Indien d’Amazonie » apparaît comme susceptible de guider l’homme occidental dans sa recherche existentielle, c’est précisément parce qu’il constitue pour lui la figure d’une humanité « préservée », épargnée par les affres de la modernité et qui aurait conservé quelque chose d’essentiel. Il constitue donc un contre-modèle à la modernité et son contact permettrait de s’en affranchir. Cette vision primitiviste invite à voir dans les rites indigènes et, particulièrement dans ceux usant de plantes hallucinogènes, des moyens pour l’homme occidental de se régénérer et de trouver un remède à des maux perçus comme inhérents à sa modernité.

3 Le développement de cette quête a conduit à l’élaboration de réseaux locaux, nationaux ou internationaux reliant des groupes indigènes, des guérisseurs métis, des leaders religieux et des « néochamanes » occidentaux. Ces différents acteurs voyagent entre les pays d’Amérique latine, mais aussi en Amérique du Nord et en Europe en vue, notamment, de conduire des rituels d’ayahuasca. Le développement de l’usage et de la visibilité de l’ayahuasca a rapidement provoqué une réaction des États nouvellement concernés par sa consommation. Des procès impliquant des consommateurs ont eu lieu dans divers pays, parallèlement à un débat sur le statut juridique de la substance. En 2005, les autorités françaises ont ainsi pris la décision de la classer au tableau des stupéfiants.

4 La rapidité et l’intensité de la globalisation de la consommation de l’ayahuasca intéressent des disciplines aussi variées que la botanique, la pharmacologie, l’anthropologie, la psychologie ou le droit. Les 27 contributions qui composent l’ouvrage The internationalization of ayahuasca tentent de dresser un état de l’art de la question. Ce livre est, pour l’essentiel, issu de la conférence organisée par l’anthropologue brésilienne Bia Labate en mai 2008 à l’université d’Heidelberg qui a rassemblé des chercheurs de ces différentes disciplines.

5 L’ouvrage débute par une préface du sociologue Charles Kaplan qui présente le rôle de l’ayahuasca dans la culture contemporaine et l’impact du phénomène de globalisation de sa consommation sur les dispositifs juridiques de contrôle de consommation des substances psychotropes. Selon lui, le cas de l’ayahuasca invite le législateur à envisager des options autres que les mesures prohibitionnistes qui étaient jusque-là employées, le DMT, principe actif de l’ayahuasca, étant inscrit au tableau 1 de la convention internationale de 1971 sur les psychotropes. Ainsi, l’ayahuasca, souvent consommée dans le cadre d’une pratique religieuse, pose la question de la frontière entre la liberté de pratique religieuse et le respect de la loi touchant la consommation et la détention des stupéfiants. Ce premier article donne le ton de l’ouvrage, qui accorde une large place aux enjeux politiques et juridiques de l’internationalisation de l’ayahuasca.

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6 L’ouvrage se compose de trois grandes parties thématiques. La première (« Ayahuasca in South America and the world ») dresse un tableau historique des origines de l’ayahuasca en Amérique du Sud et de sa diffusion dans le reste du monde. Nous retiendrons notamment l’article de Brabec de Mori qui défait un préjugé diffusé par de nombreux acteurs de ce champ à propos du caractère supposé « immémorial » de l’utilisation de l’ayahuasca en Amazonie. L’auteur démontre qu’il n’existe aucune preuve que l’usage de la combinaison la plus répandue (Banisteriopsis caapi et Psychotria viridis) remonte à plus de trois cents ans. Les autres articles reviennent sur l’histoire de l’ayahuasca qui, après avoir été utilisée en Amazonie, s’est diffusée dans des régions voisines comme les Andes péruviennes, sans que nous ne connaissions précisément les modalités de ce transfert. Les connaissances sont, au contraire, abondantes quant à la manière dont la substance a été adoptée par des populations métisses, puis combinée à des éléments chrétiens et africains. On apprend également comment, plus récemment, les églises brésiliennes ont ajusté leurs pratiques en vue de légitimer sa consommation dans le contexte d’un conflit juridique avec l’État brésilien. C’est ainsi qu’en 2001, l’UDV a standardisé la formule de l’ayahuasca au sein de ses églises, en vue de limiter les possibilités d’interactions chimiques dangereuses pour les participants, tandis que le Santo Daime a renoncé à l’usage de la « Santa Maria » (Cannabis sativa) qui était souvent associé à celui de l’ayahuasca.

7 La seconde section de l’ouvrage (« Medical, psychological and pharmacological issues : how safe is the use of ayahuasca ? ») est consacrée aux enjeux médicaux et pharmacologiques de la consommation de l’ayahuasca. On y trouve les résultats d’études sur ses risques et ses bénéfices qui semblent indiquer que la substance est peu dangereuse pour la santé physique et mentale lorsqu’elle est consommée dans le contexte d’un dispositif supervisé et que les participants ont été présélectionnés pour éviter les contre- indications médicales majeures. Deux articles donnent, par ailleurs, la voix à des « praticiens » de l’ayahuasca évoquant les bénéfices de son usage thérapeutique. Il est intéressant de noter que, dans leur effort de légitimation, les deux grands églises ayahuasqueras brésiliennes ont accepté d’accueillir des chercheurs et des spécialistes de la santé mentale dans le cadre d’études menées sur de longues périodes. L’UDV et le Santo Daime semblent même proactifs dans ce domaine en développant eux-mêmes des conditions régulant la consommation de leur sacrement, comme la présélection des participants sur des critères de santé, avec, pour but évident, d’éviter des incidents qui pourraient nuire à leur recherche de légitimation et d’institutionnalisation.

8 La troisième section de l’ouvrage (« The development of a global debate on ethics and legalization »), à nos yeux la plus intéressante, offre une synthèse inédite et détaillée des conflits juridiques touchant la consommation de l’ayahuasca dans la plupart des pays concernés (Brésil, Pays-Bas, États-Unis, Canada, France, Espagne, Italie). Pour l’essentiel, les contributions ont été rédigées par des acteurs directement impliqués dans des procès touchant l’ayahuasca en Europe et en Amérique du Nord. Nous retiendrons notamment l’article « One hundred days of ayahuasca in France » (Bourgogne) qui retrace l’histoire du processus de classification de la substance au tableau des stupéfiants français, que l’on découvre lié à deux procès impliquant une dizaine de consommateurs en France appartenant, d’une part, au Santo Daime et, d’autre part, à « La maison qui chante » (dont l’auteure est l’actuelle présidente), antenne française du centre Takiwasi (Pérou). Ce cas est ainsi exemplaire de l’internationalisation des problématiques liées à l’ayahuasca. On découvre également, dans cette partie, la

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description du processus par lequel le Brésil a accordé, au terme d’un long conflit juridique, la reconnaissance de l’usage de l’ayahuasca dans un contexte religieux. La lecture de cette section offre ainsi un riche panorama des conflits juridiques touchant la question de la consommation de l’ayahuasca dans divers pays, certains conduisant à une reconnaissance de son usage dans le cadre du respect du droit à la liberté religieuse (comme aux États-Unis en 2006), d’autres à une prohibition stricte (comme en France en 2005). Cette section a l’intérêt de montrer comment l’ayahuasca a provoqué, dans presque tous les pays concernés, une confrontation entre le régime international de classement des stupéfiants et les lois protégeant la liberté de pratique religieuse, en démontrant, dans la plupart des cas, la fragilité de ces dernières.

9 On regrettera toutefois l’absence d’une analyse du cas du Pérou qui, en déclarant en 2008 patrimoine culturel immatériel « les connaissances et usages traditionnels de l’ayahuasca pratiqués par les communautés natives amazoniennes » (Ugaz Villacorta 2008), a eu une approche originale de cette question. En effet, le cas péruvien ne s’appuie pas sur la liberté religieuse mais sur la reconnaissance de pratiques indigènes qui n’ont pas seulement des finalités religieuses, mais également « thérapeutiques et d’affirmation culturelle », alors que, dans tous les autres cas (Brésil, pays anglo-saxons etc.), c’est l’usage religieux de l’ayahuasca qui est reconnu, tandis que tout usage thérapeutique est condamné. Cet exemple illustre la principale faiblesse de l’ouvrage qui se concentre trop strictement sur les religions ayahuasqueras brésiliennes, leur expansion et leurs efforts pour légitimer la consommation de leur sacrement. En effet, ces dernières ne sauraient, à elles seules, rendre compte du processus d’internationalisation de l’ayahuasca, qui implique notamment l’explosion du tourisme chamanique en Amazonie péruvienne et le développement d’un « néochamanisme » occidental. À cet égard, le recueil récemment publié par Baud et Ghasarian (2010) apporte un complément intéressant à l’ouvrage de Labate et Jungaberle. Ce dernier a toutefois le mérite de constituer une synthèse inédite, documentée et rigoureuse touchant la récente et fulgurante globalisation de la consommation de l’ayahuasca, de dresser la liste des problèmes posés par cette dernière (droit, santé publique, environnement) et de formuler des ébauches de réponse inspirantes.

UGAZ VILLACORTA Javier 2008 Résolution directoriale nationale n° 836, INC, Lima.

BIBLIOGRAPHIE

BAUD Sébastien et Christian GHASARIAN (éds) 2010 Des plantes psychotropes. Initiations, thérapies et quête de soi, Imago, Paris.

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AUTEURS

DAVID DUPUIS

EHESS/LAS, Paris

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BILHAUT Anne-Gaël, El sueño de los záparas. Patrimonio onírico de un pueblo de la alta Amazonía Abya Yala Ediciones/FLACSO, Quito, 2011

Andréa-Luz Gutierrez-Choquevilca

RÉFÉRENCE

BILHAUT Anne-Gaël, El sueño de los záparas. Patrimonio onírico de un pueblo de la alta Amazonía, Abya Yala Ediciones/FLACSO, Quito, 2011, 376 p.

1 Etayé par la description de la revitalisation d’un peuple amérindien, ce livre explore la transformation des régimes de savoirs traditionnels à l’aune des processus contemporains de patrimonialisation des cultures amazoniennes1. Mine d’une densité ethnographique remarquable, El sueño de los záparas donne à percevoir un processus de patrimonialisation vécu de l’intérieur et promu par une poignée d’acteurs indigènes devenus « auteurs » d’une tradition déclarée il y a peu en voie de déliquescence. Ils étaient jadis invisibles, ils sont aujourd’hui intangibles. Qui sont-ils ? Les Zápara, ce groupe amérindien que les cartes ethniques équatoriennes déclaraient, il y a peu, disparu et absorbé par l’ensemble quichua amazonien, ont surgi sur le devant de la scène nationale et internationale. Près de trois cents individus sont recensés, distribués parmi cinq communautés sur les rios Conambo, Pindoyacu, Curaray en Équateur, auxquels s’ajoutent leurs lointains parents localisés sur le rio Tigre au Pérou. Le 19 mai 2001, la culture zápara était proclamée « chef d’œuvre du patrimoine oral et immatériel de l’humanité ». Témoin privilégié de cette reviviscence indigène, Anne-Gaël Bilhaut met en lumière dans ce livre les antécédents nocturnes de ce coming out médiatisé par l’UNESCO : les rêves de jeunes leaders, Twáru et Kiawka – frère et sœur, porte-paroles de la Fédération zápara. Outre l’actualité de la problématique abordée2, le tour de force réussi par l’auteur est de révéler, à travers le prisme onirique – et pratiquement in vivo, c’est là toute la finesse de l’ouvrage –, la réflexivité propre aux Zápara : l’attitude

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récursive d’une tradition qui se prend elle-même pour objet de pensée et de reconstruction. L’auteur révèle ainsi les multiples points d’achoppement entre l’appréhension chamanique du monde et de la politique. C’est le pari de ce livre de retracer fil à fil les enjeux de la reconstruction atypique de l’histoire d’un peuple amérindien.

2 Comment peut-on être Zápara à l’heure où nombre de traditions amérindiennes renaissantes sont tenues de soumettre leur dossier de candidature à l’UNESCO ? Cette interrogation, qui eût pu hanter l’ouvrage, est évoquée sans être abordée frontalement. On ne trouvera ici nulle exploration des rouages de l’horlogerie administrative moderne qui rythme ce mouvement de renaissance indigène. La question du « devenir zápara » est abordée au plus près de l’ethnographie, telle qu’elle s’est vue formulée par les Zápara eux-mêmes. Sous quelles conditions un savoir est-il reconnu comme « traditionnel » ? La réponse que donnent les Zápara est astucieuse. C’est parce qu’un tel savoir fait l’objet d’une transmission engageant un acte cognitif spécial, le rêve – muskuy –, qu’il vient s’intégrer à la tradition de ce peuple. Ce que Manuela Carneiro da Cunha nomme la « culture » avec des guillemets (2010, pp. 74-80) se voit ici défini au sens littéral par les modalités particulières de transmission d’un savoir, plutôt que par une somme encyclopédique ou un attirail de parures emplumées. Le rêve (muskuy) dénote à la fois un état de conscience et son objet : la construction idoine et cumulative d’une mémoire collective sans cesse actualisée et enrichie par les expériences oniriques individuelles. Le fruit de l’exégèse qui en ressort est taxé de « patrimoine onirique », inscrit dans les cahiers « intangibles » de l’UNESCO et stocké dans le laboratorio onirique zápara, une « maison de pierre » résistant à la force corrosive de l’oubli...

3 La première partie s’ouvre sur une analyse du cheminement politique des Zápara vers une reconnaissance légale à l’échelle nationale et internationale. L’auteur signale un contre-exemple qui mérite toute l’attention : le cas des derniers représentants de la famille linguistique záparo au Pérou. Alors que les représentants des Zápara équatoriens font ostensiblement preuve d’une véritable opiniâtreté dans le champ de l’ethnicité et du politique, leurs « cousins » péruviens, assimilés aux groupes quechuaphones Alama demeurent quant à eux parfaitement silencieux. Dans la vallée du rio Tigre, l’espagnol tend à s’imposer au détriment des langues indigènes – y compris quechua –, et au prix d’une dissolution quasi complète des derniers vestiges culturels zápara. Ce recul indigène advient en dépit des efforts prodigués pour réunir les deux fédérations dans un projet de coopération binationale. Là où les uns arborent avec fierté un « label » ethnique, les autres n’évoquent pas leurs aïeux sans une pointe de dédain assumé, au point que le sobriquet adopté par les Quichua Alama à l’endroit des Zápara n’est autre que ishpauka, les « sales » (« ceux qui urinent »)... Une telle bifurcation entre les trajectoires identitaires de chaque ensemble laisse percevoir en filigrane la corrélation entre les initiatives de revitalisation culturelle sui generis – portées par les organisations autochtones –, et les stratégies de soutien financier et juridique promues par les organismes internationaux. À en juger par l’effacement politique des Zápara du Pérou et la résistance quasi nulle d’un autre groupe survivant de la même famille linguistique – les Arabela du Moyen Curaray –, tout porte à croire qu’en l’absence d’une telle mainmise externe favorisant la mise en place des dossiers de candidature pour l’UNESCO, les initiatives de revitalisation culturelle restent temporairement vouées à l’échec. Le soutien des organismes internationaux a-t-il un prix ? Bien que le sujet, que d’aucuns trouveront délicat, ne soit pas frontalement traité

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ici, l’auteur pointe du doigt, plus tardivement (p. 315), quelques contraintes de « style » accompagnant la candidature des Zápara équatoriens du rio Conambo : le rôle décisif d’une scénographie du « bon sauvage » dans la production d’un documentaire sur la disparition de la langue zápara, destiné à émouvoir le jury international. Une vieille femme zápara dénudée se répand dans un monologue sans sous-titres...

4 Mais la complexité de l’histoire zápara n’est pas la cible principale de ce livre qui, pour sacrifier à l’une des thématiques classiques de l’ethnographie régionale, enchaîne aussitôt sur une ethnothéorie de la personne. L’auteur constate la flexibilité des catégories contribuant à la définition des sujets zápara, humains et non humains. Sont passés au crible quelques paramètres familiers – multiplicité, caractère composite, hybride, transformatif –, au fil d’un continuum où nul ne paraît totalement privé de la faculté de rêver ou d’être rêvé par autrui. Le rêve, fil d’Ariane de cette ethnothéorie de la subjectivité zápara y est comparé à une toile qui se tisse, reliant les composantes immatérielles de la personne zápara. Twáru décrit ainsi la représentation visuelle des âmes aya alma « ombre », kawsak alma « âme de vie » et esprits animaux (âmes auxiliaires) comme des points reliés au corps humain par des « fils » invisibles, à l’instar des motifs graphiques en zigzag observés sur le bouclier zápara rapporté par Charles Wiener en 1880 du Napo, aujourd’hui dans la collection du Musée du quai Branly (p. 74). L’un des titres de chapitre, Desovillar las almas (« Débobiner les âmes » dans la version française du manuscrit), est significatif à la fois du style et de l’approche adoptée par l’auteur. Ici, nulle clef des songes, mais une prolifération d’exégèses ajustées aux événements de la vie moderne des Zápara équatoriens : réunions fédératives, arrivées de dirigeants, rencontres internationales à l’UNESCO, conférences de presse, interactions avec l’ethnologue, etc. Avec subtilité, l’auteur dénoue l’écheveau des images rêvées et se joint aux intéressés pour interpréter les songes les plus incongrus. Le philosophe de l’Ancien Monde, Jean-Jacques Rousseau en personne, se voit promu interlocuteur onirique du jeune dirigeant Twáru, fasciné par le Contrat Social (pp. 223 et 320). À maintes reprises, Anne-Gaël Bilhaut voit son image portée au cœur des productions oniriques de ses hôtes, comme jadis Lucien Sebag était apparu dans les rêves de Baipurangi, jeune femme aché dont il s’était fait l’analyste3. C’est sur un curieux véhicule qu’elle apparaît tourbillonnant dans le rêve de Kiawka : « De ahí soñé a ti Ángela, yo en esta noche durmiendo soñé a ti. Tú has venido dando la vuelta en un helicóptero brilloso, estabas dando la vuelta arriba tak, tak, tak… » (p. 158).

5 Pour qui les Zápara rêvent-ils ? L’auteur pousse plus loin l’intimité ethnographique. Réservant dans la facture du livre une large place à la mise en récit de ses propres rêves, Anne-Gaël Bilhaut aura volontairement brouillé les pistes sur la position qu’elle occupe. Il n’est pas rare que le « je » autobiographique de l’auteur côtoie le « je » cité des acteurs, dans un jeu de va-et-vient constant entre les vécus oniriques. Loin de se laisser déconcerter par la théâtralisation des rêves zápara, l’ethnologue joue ici un rôle stratégique. À la fois réceptrice de rêves4 et interlocutrice onirique privilégiée – dont dépend précisément la mise en récit de l’expérience onirique –, elle est, de son propre aveu, partie prenante active de la reconstruction d’une mémoire collective zápara. C’est une nouvelle forme d’engagement ethnographique qui transparaît entre les lignes d’un ouvrage « affecté » par les émotions et les songes survenant au fil des interactions entre l’auteur et ses hôtes, dans un espace-temps éclaté entre Roissy-Montreuil et Puyo-rio Conambo, au cœur de l’Amazonie équatorienne. Le concept familier d’« informateur » se voit lui-même très heureusement frappé d’anachronisme par la démarche adoptée. D’aucuns s’interrogeront peut-être à la lecture : qui ethnographie

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l’autre ? Sans nul doute, cette méthode était la voie d’accès la plus efficace à la compréhension des mécanismes de patrimonialisation d’un objet aussi intime que le rêve, marquant pour de bon la dissolution des frontières séparant l’ethnographe et son double.

6 Dans la lignée des travaux classiques de l’anthropologie du rêve, Anne-Gaël Bilhaut montre que la pratique onirique a pour les Zápara un effet performatif immédiat : celui d’« autoriser » les acteurs à dresser le portrait rêvé de leur propre tradition, pour en définir les conditions de transmission et de survie. En deux mots, récuser la célèbre prophétie de Piatsaw, le démiurge zápara qui aurait prédit la disparition de son peuple... La principale modalité d’accès à ce savoir traditionnel, le rêve muskuy ou la rétrogression visuelle, est considérée par les acteurs comme un gage et un indice épistémique fondamental : rêver « fait l’histoire » – une histoire conçue comme « vraie » – et légitime ipso facto la position d’autorité du rêveur, reconnu comme le dépositaire d’un savoir « traditionnel ». Ce dispositif est conditionné par la possibilité d’occuper soi-même une position de « vision » identique à celle des ancêtres, position dont l’accès est exclusivement réservé, d’après l’idéologie zápara, au contexte d’interaction onirique. Ainsi, les rêveurs chevronnés parviendront à faire revivre sous leurs yeux des événements de l’histoire ensevelie du peuple zápara : ils accèdent à la mémoire biographique des aïeux et du dernier chamane (shímano) Imatini, au souvenir des guerres interethniques entre Zápara et Achuar à la confluence des rios Conambo et Tigre, etc. Cet usage de la rétrogression visuelle est troublant, au point que Kiawka, informatrice-clef dont l’âge demeure aussi improbable qu’incertain – entre 107 et 130 ans d’après ses propres déclarations ! (p. 257) – aurait assisté à sa propre naissance (« el nacimiento de mi persona »). Ce spectacle lui aurait été livré à travers les yeux de son aïeul Ahepaño, lors d’un rituel d’ingestion d’ayahuasca auquel assiste l’auteur. Par un singulier emboîtement de perspectives, le champ de vision du sujet rêveur est soumis à un éclatement qui coïncide avec la capture de multiples fragments de regards. La scène de la naissance de Kiawka porte en creux la trace d’une relation de filiation inversée, sans doute emblématique de l’histoire de ce peuple devenu capable d’engendrer la mémoire de ses propres aïeux. Niant au temps sa linéarité, l’histoire rêvée désamorce d’un même élan toute considération sur la « civilisation » ou l’« acculturation » des Zápara modernes.

7 Un tel recours au potentiel introspectif de Twáru et Kiawka permet à l’auteur d’aborder la question de la revitalisation ethnique sous un jour neuf, bousculant au passage l’idée convenue que l’ethnicité et les discours réflexifs sur la culture seraient en Amazonie une affaire diurne qui se joue collectivement ou dans le cercle d’une élite de porte- paroles indigènes5. Différence majeure, car, ici, ce n’est pas sur la place centrale en asamblea, mais dans les coulisses idiosyncratiques de la nuit que l’on voit émerger la conscience politique des représentants du peuple zápara, sans cesse interpelés en rêve par leurs ancêtres kallari rukukuna (« les vieux du commencement »), leurs interlocuteurs Blancs ou leurs ennemis. En décrivant les logiques internes d’une sociologie des interactions oniriques, l’auteur martèle l’idée que l’exploration des « frontières » de l’identité zápara prend place dans un espace situé au croisement des relations interethniques et des interactions quotidiennement tissées avec une cohorte de sujets non humains, bêtes ou esprits. L’une des conséquences majeures de cette analogie est que la prise de décision politique des leaders zápara s’inspire d’abord des affaires diplomatiques menées avec les esprits, selon un rythme de balancement régulier entre la sphère publique et privée. L’acte de rêver constitue un ressort

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indispensable de la formation politique des acteurs zápara, à la fois comme source de légitimation et science de l’occasion ou kaïrologie amérindienne. C’est en effet la vision du dernier chamane, Imatini, qui aurait motivé la mission internationale du leader de cette reviviscence indigène, Twáru. Un autre rêve de sa sœur, Kiawka, serait aussi à l’origine du départ d’une petite délégation de représentants zápara au Pérou pour effectuer une rencontre binationale avec les ultimes ressortissants zápara ayant migré vers le rio Tigre… Inversement, les interactions avec la bureaucratie nationale équatorienne inspirent aussi aux Zápara les règles d’une diplomatie originale déployée avec les esprits. L’usage de certains objets mnémoniques, des pierres, « documents d’identité » indispensables pour accéder à la « maison de la mémoire » zápara ne manquera pas d’exciter l’attention des anthropologues sensibles à l’appropriation par les peuples amérindiens des instruments réels ou figurés de la bureaucratie étatique. L’exploration de cette réflexivité spécifique du politique suscitera sans doute de multiples comparaisons dans les basses terres. Au Pérou notamment, les pratiques actuelles des leaders des fédérations indigènes quechua et achuar, rompus aux séances de prise d’ayahuasca sous les auspices d’une ONG bienfaitrice, confirmeront ce lien étroit entre politiques modernes et techniques chamaniques plus traditionnelles destinées à façonner la biographie des nouveaux leaders amérindiens.

8 Les seconde et troisième parties de l’ouvrage ont pour objet commun l’exploration des effets originaux que ces actes oniriques impliquent, en termes de production d’un patrimoine matériel et immatériel, composé d’archives de rêves et d’objets hybrides devenus les témoins révélateurs de l’histoire oubliée de ce peuple. Si l’on parle dans ce livre de patrimonialisation – c’est-à-dire de la mise en place d’un corpus explicitement valorisé de savoirs et de pratiques –, le lecteur sera ravi d’apprendre que l’auteur se garde bien d’essentialiser la culture zápara. À l’heure où d’autres peuples amazoniens font de la « cultura » la part visible de leur identité – parures, objets rituels, livres, etc. –, les Zápara évoquent un aspect invisible à l’œil nu puisqu’il s’agit d’un processus cognitif : la « mémoire en acte » – le terme qu’ils emploient est l’infinitif quechua yuyay (« penser, se souvenir ») –, productrice d’images et de nouveaux supports d’identification culturelle. Ici, à la différence de ce que l’on observe dans le Xingu au Brésil6, la « cultura zápara » ne fait l’objet d’aucun commerce revendiqué et la prolifération d’images qui émanent de ce foisonnement onirique ne se monnaye guère à un public d’ethnologues ou d’indigénistes déconfits. Une série d’interrogations surgissent à la lecture. Serait-ce faute d’une plus grande « visibilité » de la culture zápara – en l’absence d’un complexe cérémoniel plus sophistiqué ou de spectaculaires rituels emplumés ? L’exemple zápara montre avec brio que la corrélation entre visibilité et patrimoine peut être habilement détournée par la clause « intangible », qui dénote un ensemble de savoirs difficilement quantifiables et observables à l’œil nu.

9 L’intérêt d’une patrimonialisation du rêve est sans doute ailleurs. Pourquoi Twaru et Kiawka nourrissent-ils ce désir d’« être histoire » (ser historia p. 257, pp. 228-229) ? C’est probablement la corrélation explicite entre la reconstruction du patrimoine par le rêve et le dispositif d’apprentissage chamanique qui est à l’origine de ce décalage perçu entre le discours zápara et celui versé par d’autres peuples amazoniens, pour qui la « culture » est passible d’être vendue pour une « poignée de dollars »7. En ce sens, l’ouvrage s’inscrit dans un débat plus large concernant les régimes d’historicité – « historical agency » – et la position relationnelle de « maître » longuement glosée en Amazonie et jusqu’en Mélanésie8. On apprend en effet, aux chapitres 5 et 6, que l’appropriation par les Zápara des images et des objets du passé collectif s’apparente, à

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bien des égards, à une relation de maîtrise (mastership plutôt que ownership). Devenir zápara, lit-on, c’est devenir maître « amu » de ces objets mnémoniques qui constituent le passé collectif, sujets à des transactions, à un apprivoisement ou une capture au cours d’une rencontre rêvée. L’exclusive matérialité des objets oniriques se voit ici redéfinie à bon compte. Le patrimoine auquel accèdent les Zápara est en effet la cible d’un processus ambigu de subjectivation et de réification. Les souvenirs apparaissent tantôt comme des sujets individués et anthropomorphes, partenaires d’un échange communicatif – ce que l’auteur nomme les « agents » du rêve ou les interlocuteurs oniriques : personnalités fantasques, esprit de l’anaconda, ennemis déguisés sous des livrées animales, etc. Tantôt, ces mêmes souvenirs se voient matérialisés sous la consistance d’objets hétéroclites manifestant plusieurs degrés d’animéité. Ce sont des livres, des cassettes, des pierres, permettant à leur maître d’accéder à une « maison de la mémoire » identifiée comme une roche immense dont l’intérieur s’apparente à une médiathèque borgésienne. Parmi le stock des artéfacts oniriques, les uns seront soumis à des processus vitaux (nourris, par exemple, avec du jus de tabac), tandis que d’autres recevront un nom, tels Jotacachi ou Chonta... Ils font alors l’objet d’une véritable incorporation, la plupart du temps sous la forme de minéraux chamaniques dont la biographie nous est livrée avec talent par l’auteur. Signes tangibles devenus appendices du corps du rêveur, ces artefacts mnémoniques deviennent ainsi l’enjeu d’un processus d’« archivage » original, qui ne laisse pas d’évoquer une conception matérialiste du savoir chamanique, stocké dans le corps de l’initié et/ou cristallisé sous la forme d’objets transformateurs9.

10 Autre analogie majeure, la réappropriation individuelle d’un stock d’images et de savoirs hérités des ancêtres zápara (noms propres, aptitudes chamaniques, limites territoriales et objets rituels) ne peut être mise en œuvre qu’au travers d’un dispositif d’apprentissage exhibant de multiples ressemblances avec le rituel d’initiation chamanique. Plusieurs caractéristiques en témoignent. Tout d’abord, apprendre à « bien rêver » présuppose une ascèse corporelle stricte incluant précautions alimentaires, « pratiques d’endormissement », le choix de guides oniriques, puis de récepteurs des récits de rêve, etc. Au même titre qu’une initiation, cet apprentissage est facteur d’individuation par un mécanisme analogue d’enchâssement des points de vue. L’expérience du rêve engendre en effet une identification complexe du rêveur avec ses agents oniriques, transformant ainsi durablement son identité personnelle. Il devient désormais possible à l’initié de cumuler plusieurs « secretos », ou âmes auxiliaires. Mieux qu’un simple accès à la capitalisation des objets mnémoniques sous la forme de patrimoine, le rêve permet à Kiawka de faire l’expérience cruciale d’un « devenir ancêtre » (p. 258 : « volverse uno mismo un “antiguo” »), qui rappelle à bien des égards d’autres expériences extatiques de transmission rituelle donnant lieu à l’intériorisation d’une perspective étrangère, observées parmi les Tupi-Arawete, Suya ou Xavante du Brésil10. Si le corps des rêveurs est, à lui seul, devenu « patrimoine », on ne s’étonnera pas de l’ingénieuse translation par laquelle les Zápara en sont venus à ériger le rêve au rang de marqueur diacritique de leur identité ethnique.

11 Ce régime de savoir ne paraîtra guère étranger aux amazonistes et s’inscrit dans une logique qui préexiste à la fois au concept et au projet proprement dit de patrimonialisation de la culture zápara, tel qu’il a pu être formulé par l’UNESCO. Outre l’intérêt que l’abondance des données ethnographiques suscitera pour les spécialistes du chamanisme amérindien, l’analyse de ces techniques oniriques d’autoproduction identitaire zápara ajoute une pierre à l’actuel débat concernant le processus de

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« traduction », indispensable à l’ajustement des peuples autochtones avec les politiques nationales et internationales. La prophétie du démiurge Piatsaw et sa réfutation par les Zápara actuels dévoilent à l’anthropologue que l’émergence d’un métadiscours sur la culture n’est pas nécessairement le produit de la colonisation11. On voit ici se résoudre de façon optimale le paradoxe énoncé par Manuela Carneiro da Cunha, entre la « culture », objectivée par un contexte interethnique comme l’enjeu d’un dispositif de reconnaissance légale, et la culture sans guillemets, sujette au droit coutumier et aux techniques de transmission du savoir traditionnel12. Le cas des Zápara est exemplaire puisqu’il démontre que ces deux formes de réflexivité peuvent coexister de manière dynamique en un seul et même système. Kiawka n’accède-t-elle pas au statut d’ethnographe lorsque, parvenue dans la « maison de la mémoire », elle brandit son enregistreur ophidien pour capturer la voix des ancêtres ? « Estaba fumando un tabaco y yo tenía la grabadora según yo. ¿Sabes qué era esa grabadora? ¡Esa era boa, pues! ¡Chiquita, así! Yo tenia eso, boca abierta, y grababa eso, grababa por la cola, entraba la boca, grababa por la cola, y con eso estaba grabando. » (p. 236).

12 Si la gageure de restituer in vivo la réflexivité de la culture zápara est relevée avec succès, on regrettera peut-être la rareté des transcriptions en langue vernaculaire, quechua ou, le cas échéant, zápara. Ainsi, l’usage de constructions grammaticales spécifiques – l’emploi de la formule causative ou de certaines particules évidentielles13, le glissement des embrayeurs personnels – permettant de cerner la position exacte occupée par les acteurs et le statut conféré à l’expérience onirique dans l’épistémologie zápara, échappe-t-il partiellement à l’analyste. Une attention plus poussée aux logiques gouvernant la mise en récit de l’expérience onirique eût certes permis une étude comparative avec les traditions voisines. Ces menues remarques n’atténuent néanmoins en rien le caractère résolument novateur de l’approche adoptée, pour l’anthropologie des basses terres, et l’excellence de cette monographie. Une question subsiste : si l’ouvrage s’apparente bien à l’une des pièces manquantes du puzzle zápara, quelle réception aura-t-il sur le rio Conambo ?

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NOTES

1. Précisons que l’ouvrage est la version remaniée de la thèse de doctorat en ethnologie soutenue par l’auteur en 2007 sous la direction de Jacques Galinier à l’Université Paris X-Nanterre, sous le titre Le réveil de l’immatériel. La production onirique du patrimoine des Indiens Zapara (Haute Amazonie). 2. Carneiro da Cunha 2010. 3. Sebag 1964 : rêve n° 12. 4. Souvent, d’ailleurs, par téléphone ou par internet, pp. 158-160. 5. Citons le modèle de l’assemblée adopté par les peuples de langue tukano du Pirá Parana et du Vaupés colombiens ou encore la transformation des espaces publics chez les Yucuna de langue arawak sur le bas Caqueta (Hugh Jones 1997 ; Jackson 1994 ; Fontaine 2013). 6. Barcelos Neto 2006 ; Fiorini et Ball 2006 ; de Vienne et Allard 2005. 7. De Vienne et Allard 2005. 8. Fausto 2008 ; Taylor 2007 ; Strathern 1999. 9. On pense aux pierres yuka et nantag attirant le gibier ou favorisant la croissance végétale parmi les Aguaruna (Brown 1986, pp. 85-88 et 115-118), mais aussi aux petits cristaux de roche chamaniques wiriki que les Makiritare du Venezuela identifient comme l’origine du démiurge Wanadi (Sullivan 1988, p. 712), ou encore aux pierres awocóhamwo conservées par les chamanes yagua dans leur estomac (Chaumeil 1983, p. 127). 10. Viveiros de Castro 1996 ; Seeger 1987, pp. 53-54 ; Graham 1995. 11. Dans une perspective analogue, Harrison (2000) démontre que l’objectivation des « héritages culturels » (kastam) en Mélanésie n’est pas étrangère au régime traditionnel de circulation des savoirs et des biens de prestige. 12. Carneiro da Cunha 2010, p. 87. 13. On consultera, à titre d’exemple, l’analyse de l’usage de la particule évidentielle reportative ra’u présente dans l’ensemble des récits de rêve en langue tupi-kagwahiv, généralement traduite en portugais par « diz que ». Cette particule employée par les Parintintin exprime que la source de connaissance est indirecte, et que l’autorité du discours est attribuée à une instance externe à la conscience vive du sujet (Kracke 2009). On signale également que l’usage de cette particule exprime le rapport d’intertextualité implicite établi entre le rêve et la mythologie...

AUTEURS

ANDRÉA-LUZ GUTIERREZ-CHOQUEVILCA

EPHE/LAS, Paris

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