, TÉMOIN DE 25 ANS D'HISTOIRE

l y a ce mois vingt-cinq ans — du 4 au 11 février 1945 — se I tenait la conférence de Yalta en Crimée. Avant même la capi• tulation de l'Allemagne, Staline, Roosevelt et Churchill s'y con• firmaient le partage du pays vaincu en zones d'occupation et son amputation au profit de la Pologne que l'avancée russe allait déplacer vers l'Ouest. Deux mois plus tard, le 12 avril, le président Roosevelt mou• rait à Warm Springs en Virginie quelques jours avant que s'ouvre la conférence de San Francisco sur la création de l'Organisation des Nations-Unies, ce rêve d'entente mondiale entre les puissances victorieuses en vue d'établir et de garantir la paix universelle. Or trois jours après l'ouverture de la Conférence le général soviétique Bersarin était nommé gouverneur de Berlin — Berlin, capitale en ruines de l'ancien Reich, enclave interalliée au sein de la zone soviétique d'occupation, microcosme où allait parfai• tement se refléter comme dans un verre grossissant l'évolution de la politique soviétique durant vingt-cinq années.

a première période est caractérisée par les illusions pacifistes L des Alliés occidentaux et les efforts méthodiques des So• viétiques pour les utiliser en faveur de leurs politique de puissance. Afin de le bien comprendre, il convient de remonter quelque peu dans le temps. Tout à l'euphorie de leur victoire prochaine, les Alliés avaient omis de préciser, lors du découpage de l'Allemagne en zones d'occupation, les modalités du trafic interzone et notamment de l'accès à Berlin placé sous un con• trôle quadripartite et isolé au milieu de la zone soviétique. En 324 BERLIN, TÉMOIN DE 25 ANS D'HISTOIRE février 1945 les Alliés occidentaux soulevèrent cette question et proposèrent de se garantir réciproquement une totale liberté de trafic sur le territoire de l'ancien Reich vaincu. Par là, pensaient- ils, le libre accès à Berlin serait automatiquement garanti. Mais Staline ne mit aucune hâte à répondre à cette proposition. Ce n'est qu'après la capitulation définitive du Troisième Reich que Truman, nouveau président des Etats-Unis, remit cette question sur le tapis. Le 14 juin 1945 il tenta de lier le retrait des troupes américaines et britanniques des territoires allemands voués à l'occupation soviétique à la garantie accordée par le gouvernement soviétique du libre accès à Berlin par voie de terre, d'eau et d'air. Moscou fit d'abord la sourde oreille et ce problème ne fut réglé que le 29 juin 1945 à la conférence des Représentants du Haut- Commandement Allié à Berlin, c'est-à-dire par une voie qui ne ressortissait pas à un accord contractuel entre puissances et qui en outre limitait l'accès des Alliés occidentaux à l'ancienne capitale du Reich à quelques routes, canaux et couloirs aériens très limi- tativement désignés. Le gouvernement soviétique avait allégué le besoin qu'il avait des voies de communications pour le repli et la démobilisation de son armée. Les Occidentaux s'étaient naïve• ment réservé le droit de revenir ultérieurement sur cette question. La politique de Moscou fut d'abord marquée par le souci affiché de traiter l'ancienne capitale du Reich comme un tout malgré sa division en quatre secteurs d'occupation. Dans toutes les déclara• tions officielles soviétiques il n'était fait mention que du « Gross- Berlin ». Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne n'occupèrent leur secteur que le 3 juillet, la France attendit même le 12 août. Les Soviétiques disposèrent donc de deux à trois mois pour affermir leur influence jusque dans les secteurs qui devaient être occupés par leurs alliés de la veille. C'est dans cette ligne que le gouver• neur soviétique, le général Bersarin, mit en place dès le 17 mai un bourgmestre (Oberbürgermeister) et dix-huit conseillers qui formè• rent le Sénat du Grand-Berlin. Le bourgmestre, l'architecte , passait pour « sans-parti » bien qu'il ait été membre pour quelques mois en 1932 du parti national-socialiste. Il passait aussi pour un homme malléable. Neuf des dix-huit conseillers étaient de vieux communistes. Le Sénat du Grand-Berlin continua à adminis• trer l'ensemble de la ville même après l'arrivée des troupes alliées et cela contribua à donner l'impression d'une harmonie que l'on se plaisait à souligner tant du côté soviétique que du côté communiste allemand. Pourtant l'apparence était fragile et on n'allait pas tarder à s'en apercevoir. L'occasion en fut offerte par les élections communales du 20 octobre 1946. Le résultat de la consultation fut catastrophi- BERLIN, TÉMOIN DE 25 ANS D'HISTOIRE 325

que pour le parti communiste-socialiste soutenu par les autorités soviétiques. Le social-démocrate remplaça Arthur Werner. Ses trois adjoints furent (chré• tien-démocrate), Ffeinrich Acker (communiste-socialiste) et Louise Schroder (sociale-démocrate). Ainsi tous les partis étaient-ils repré• sentés à la tête de l'administration de l'ancienne capitale d'Empire. Les communistes ne pouvaient cependant supporter le résultat de telles élections libres. Soutenus par l'autorité militaire soviéti• que en Allemagne, ils se livrèrent à une obstruction systématique, empêchant même Arthur Werner de passer ses pouvoirs à Otto Ostrowski. Malheureusement ce dernier était loin de se trouver à la hauteur d'une telle situation et le 17 avril 1947 il dut se retirer devant une motion de défiance adoptée à une très grosse majorité. Après un interrègne assuré par Louise Schroder, ce fut qui, le 24 juin, fut élu bourgmestre de la ville. Aucune per• sonnalité ne pouvait gêner davantage les Soviétiques. Né en 1889 dans le nord du Schleswig aujourd'hui danois, très tôt entré au parti social-démocrate, il avait assisté comme prisonnier de guerre en Russie à la Révolution d'octobre 1917 et était même devenu commissaire du peuple dans la République des Allemands de la Volga. Revenu en Allemagne il avait milité dans les rangs com• munistes jusqu'à ce qu'il découvrît la soumission toujours plus grande des différents partis communistes aux seuls ordres et aux seuls intérêts de Moscou. Au début de 1921 il fut exclu du parti. Il revint au parti social-démocrate, entra au Reichstag en 1932, fut mis en camp de concentration jusqu'à la fin de 1934, puis il émigra et enseigna jusqu'en 1945 à l'université de Ankara. Les communistes, conscients qu'Ernst Reuter connaissait parfai• tement leurs méthodes et était doué d'une très grande énergie, re• doublèrent leur obstruction, jusqu'à empêcher l'entrée en fonction du nouveau bourgmestre élu. Jusqu'à la fin de 1948, ce furent ses deux adjoints, Louise Schroder et Ferdinand Friedensburg, qui exer• cèrent ses fonctions. Cependant depuis l'automne de 1947, la Kommandantur alliée avait pratiquement cessé d'exercer ses fonctions. Comme à la com• mission de contrôle alliée pour l'ensemble de l'Allemagne, le repré• sentant soviétique exerçait systématiquement son droit de veto. L'intention était claire. Conscients de l'impossibilité où ils se trou• vaient de s'emparer de Berlin par la voie « légale », les Soviéti• ques entendaient chasser les Occidentaux par la force. En décem• bre 1947 la cinquième session du Conseil des ministres des Affaires étrangères demeura sans résultat. Les Soviétiques prirent l'une après l'autre toute une série de mesures destinées à paralyser la vie de Berlin. Après que la Conférence des Six Puissances à Lon- 326 BERLIN, TÉMOIN DE 25 ANS D'HISTOIRE dres en mars 1948 se fut clairement prononcée pour une « solu• tion occidentale » au problème allemand paralysé par l'attitude soviétique, la commission de contrôle alliée comme la Komman- dantur alliée de Berlin se séparèrent. La décision des Occidentaux d'étendre à leurs secteurs de Ber• lin la réforme monétaire promulguée dans leurs zones d'occupa• tion fournit le prétexte attendu par les* Soviétiques. Tout trafic allié et allemand à travers la zone soviétique d'occupation en direc• tion de Berlin fut progressivement paralysé. Le 23 juin le blocus est total. Le 24, l'Agence de presse officielle de l'Allemagne de l'Est communique : « Il est pour l'instant très difficile de discerner quand le trafic des marchandises et des personnes reprendra. Com• me le ravitaillement des trois secteurs occidentaux dépend des transports empruntant ces voies, de graves soucis en résultent. » Et ce même 24, le gouvernement soviétique interdit tout transport provenant de sa propre zone d'occupation en direction de Berlin- Ouest. A la démarche des représentants occidentaux, le maréchal Sokolowski se contente de répondre que le problème de Berlin n'est qu'un élément de l'ensemble du problème allemand et ne peut être étudié que dans ce cadre. La ville est privée de lumière et de chauffage. Les enfants de lait. 2 400 000 Berlinois sont menacés de famine. Le Conseils Natio• nal de Sécurité des Etats-Unis siégea du 19 au 23 juillet. Le général Clay proposait d'ouvrir par la force la route terrestre la plus direc• te. Le Conseil National de Sécurité choisit la voie aérienne. Ce fut le plus grand pont aérien de l'histoire : presque 200 000 vols, 12 millions de tonnes de marchandises de toutes sortes acheminées, 27 appareils perdus, 74 victimes tombées pour la liberté de Berlin. Ce n'est que le 4 mai 1949 que Staline céda. Le blocus était levé. Mais la division de l'ancienne capitale allemande était désormais parachevée sans que le gouvernement soviétique ait officiellement accordé aucune garantie aux trois secteurs occidentaux unifiés.

evant la détermination montrée par les Alliés, Moscou avait D desserré l'étau, mais les accords Jessup-Malik n'avaient fait que prendre acte de la levée du blocus sans parvenir à une solution plus claire. Les voies d'accès à Berlin étaient « rétablies ». On reve• nait au statu quo ante. Mais celui-ci n'en était pas moins un pur état de fait, un compromis de fait entre ce qu'avaient demandé les Alliés et ce qu'avaient accordé les Soviétiques. Seule la détermi• nation des couloirs aériens (que les Américains avaient porté à trois malgré toutes les dénégations soviétiques : Berlin-Hambourg, Ber- lin-Buckeburg et Berlin-Francfort) résultait d'un document signé, BERLIN, TÉMOIN DE 25 ANS D'HISTOIRE 327

mais signé des personnalités de rang si modeste qu'on ne peut qu'à peine le qualifier de diplomatique : le Premier secrétaire Kudriavt- sev, le colonel américain Gerhardt, le général de brigade anglais Grazebrook et le fonctionnaire français Calvy. Il est vrai que cet accord fut contresigné plus tard à la commission de contrôle alliée. Mais c'était là le plus important texte existant lorsque la fin du blocus ramena à la situation antérieure. Ainsi le gouvernement soviétique avait moins reculé que mis fin à son offensive. Mais il demeurait dans une situation floue, hésitant entre le fait de considérer Berlin comme une entité à part et la volonté d'y voir une partie intégrante de cette « République Démo• cratique d'Allemagne » dont il allait installer les instances dans sa zone d'occupation. Hésitation propice qui ressemblait à une menace et dont le caractère profond allait bien apparaître lorsque en octobre 1958, après quelque dix ans durant lesquels avaient et-, proclamés les charmes de la « coexistence pacifique », les Sovié• tiques repartirent à l'assaut. C'est Walter Ulbricht, alors un des principaux dirigeants de la « République Démocratique » dont il devait devenir en 1960 le chef d'Etat, qui donna le signal de l'offensive communiste, ainsi manifes• tement concertée. Le 27 octobre 1958, il déclara au cours d'une ma• nifestation à Berlin-Est : « Lorsqu'en 1945 les différentes zones d'occupation furent créées, Berlin n'en devint pas une cinquième. L'ancienne capitale demeura partie intégrante de la zone d'occupa• tion soviétique, même après que des troupes des puissances occi• dentales eurent participé à son occupation commune ». Et il ajouta : « La position de Berlin comme capitale de la République Démocratique repose sur son lien indissoluble avec les autres ré• gion de la R.D.A. Berlin constitua de tout temps, économiquement et politiquement, une unité avec son arrière-pays... Berlin tout en• tier se trouve sur le territoire de la République Démocratique. Berlin tout entier est placé sous la souveraineté de la République Démocratique... » On le voit, une thèse toute nouvelle se faisait jour. Le maintien du statut d'occupation à Berlin contredisait, selon Ulbricht, les do• cuments « de droit international ». La R.D.A. était selon lui un Etat « pleinement souverain » ainsi qu'il résultait des lettres échan• gées entre les ministres des Affaires étrangères soviétique et est- allemand Zorine et Bolz. Et, tandis que ces lettres précisaient jus• tement que le contrôle des voies de communication « en ce qui concerne les garnisons américaines, britanniques et françaises à Berlin-Ouest » demeurerait du ressort des organismes soviétiques, Ulbricht proclamait : « Une telle clause n'exclut cependant pas la compétence de la R.D.A. en ces questions... Le trafic entre la R.D.A. 328 BERLIN, TÉMOIN DE 25 ANS D'HISTOIRE et les secteurs occidentaux de Berlin comme le trafic à l'intérieur de Berlin n'est en aucune manière concerné par ces dispositions. » Ainsi Ulbricht procédait selon la méthode typique de l'amalga• me, réclamant à la fois et sans laisser apparaître de gradations entre ses exigences : le retrait de Berlin des Alliés occidentaux, l'incor• poration de l'ancienne capitale tout entière dans le territoire de l'Allemagne de l'Est, la reconnaissance de cette Allemagne comme « Etat souverain » et le droit de régler à sa convenance le trafic à l'intérieur de Berlin même. Et en ce dernier point on voit déjà l'avenir se profiler ! , qui depuis le 3 octobre 1957 avait succédé à comme bourgmestre-régnant de Berlin, repoussa catégorique• ment ces prétentions. Washington confirma que « la responsabilité particulière des trois puissances occidentales à Berlin conservait toute sa valeur ». Et le secrétaire d'Etat John Foster Dulles pré• cisa : « Je crois que, tant que nous restons fermes sur nos posi• tions et que les communistes savent que nous le resterons, Berlin- Ouest ne se trouve pas en danger. » Mais on pouvait encore se demander si Moscou suivrait dans cette nouvelle querelle les dirigeants de l'Allemagne de l'Est pres• sés de s'affirmer. Devant l'attitude américaine en effet, les Sovié• tiques avaient renoncé, on l'a vu, à faire contrôler les convois mili• taires alliés par les Allemands. On fut cependant bientôt fixé par le discours que prononça Khrouchtchev le 10 novembre 1958 à Mos• cou : « Que reste-t-il donc des accords de Potsdam ? En fait il n'en est resté qu'une seule chose : ce qu'on appelle le statut quadri• partite de Berlin, en d'autres termes une situation qui permet aux trois puissances occidentales de faire des affaires à Berlin et de transformer une partie de cette ville, la capitale de la R.D.A., en une sorte d'Etat dans l'Etat... Le temps n'est-il pas venu de réviser notre attitude à l'égard de cette partie des Accords de Potsdam et d'y renoncer ? » Ainsi ces accords sont bons lorsqu'ils permettent de protéger la liberté d'action de Moscou derrière les frontières du glacis qui leur y a été accordé (Hongrie ou Tchécoslovaquie), mais suscepti• bles de révision lorsqu'ils permettent aux Alliés de se maintenir à Berlin. La tension montait. A Berlin on se serait cru revenu aux heures les plus sombres du blocus. La note soviétique du 27 novembre accrut encore les inquiétudes des gouvernements occidentaux. Elle commençait en termes pathétiques, rappelant quelque peu les notes allemandes d'avant Munich : « Ici, dans la capitale historique de l'Allemagne, sont au contact immédiat deux mondes et, peu à peu, s'élèvent les barrières de la guerre froide... Berlin, témoin du gran- BERLIN, TÉMOIN DE 25 ANS D'HISTOIRE 329 diose triomphe dans la lutte commune de nos pays contre l'agres• sion fasciste, est devenu aujourd'hui le dangereux carrefour des oppositions entre les grandes puissances — les Alliés de la der• nière guerre. » A cette « ouverture » succédaient les menaces, l'af• firmation que l'Union soviétique n'était ni la Jordanie ni l'Iran et l'offre de reconnaître que les mesures prises au sujet de l'Allema• gne « vers la fin de la guerre » n'avaient plus lieu d'être mainte• nues et qu'il était mieux de reconnaître enfin ainsi un « état de fait ». Quant à Berlin, « la solution la plus juste et la plus natu• relle de cette question serait la réunification de la partie occiden• tale de la ville, qui aujourd'hui se trouve en fait séparée de la R.D.A., à la partie orientale, car ainsi Berlin serait une ville réunie appartenant à l'Etat sur le territoire duquel elle se trouve ». Sinon, les puissances occidentales ne devraient pas s'étonner des désa• gréments qui pourraient leur arriver en cas de refus d'une telle solution. Naturellement il s'agissait encore là d'un amalgame puis• que cette exigence supposait d'abord résolu le problème de la reconnaissance de la R.D.A. toujours refusée par les Alliés occi• dentaux qui n'y voyaient pas un Etat fondé en Droit mais des organes de direction de la zone soviétique d'occupation. Dans le même temps d'ailleurs — tant il est vrai que Berlin n'est qu'un miroir grossissant — Otto Grotewohl, président de la R.D.A., proposait un plan de confédération entre « les deux Alle- magnes ». Mais, en réponse à une suggestion du sénateur de Ham• bourg, Ernst Plate, il précisait aussitôt qu'il ne s'agissait nullement d'organiser des élections libres dans les deux pays afin de susciter des instances démocratiques communes, mais de signer un traité d'Etat à Etat. Ce qui impliquait une reconnaissance de jure de cette « Allemagne de l'Est » qui en a besoin comme de l'air — toujours refusé — et qu'elle recherche à travers tous les prétextes. La rencontre entre Khrouchtchev et John Kennedy à Vienne le 3 juin 1961 sembla calmer les esprits, à défaut de régler les pro• blèmes. La crise la plus grave fut évitée. En fait elle ne fut que différée. L'Union soviétique, sentant une fois de plus la résistance, relâcha sa pression pour se laisser le temps de mieux préparer sa nouvelle offensive contre Berlin. C'est qu'en vérité la vraie cause de l'inquiétude des dirigeants communistes était ailleurs — dans la fuite des Allemands de l'Est qui, de plus en plus nombreux, se réfugiaient à l'Ouest en passant par Berlin. A partir du 6 juillet 1961, les autorités de l'Allemagne de l'Est prirent toute une série de mesures draconiennes dont, le 28 juillet, la menace de trois années de prison pour toutes personnes qui au• raient eu connaissance de l'intention de départ d'un concitoyen 330 BERLIN, TÉMOIN DE 25 ANS D'HISTOIRE sans le dénoncer. Loin de diminuer le nombre des passages à l'Ouest, cela ne fit que les précipiter. A partir du 12 juillet partaient chaque jour plus de 1 000 personnes. Dans la seule avant-dernière semaine plus de 9 000, pour la plupart des jeunes. Dans la semaine du 5 au 11 août on enregistra 12 448 départs et entre le 12 et le 14, 6 904. On pouvait donc parfaitement savoir à l'ouest que quelque chose de très grave se préparait. Ce fut la construction du mur coupant la ville en deux. Dans les premières heures du 13 août 1961 — on avait à des• sein choisi un dimanche — le verrouillage fut mis en place. La Volkspolizei et les unités spéciales barraient les voies d'accès. Des pionniers amenèrent les éléments préfabriqués du mur. Plus loin à l'arrière, des troupes soviétiques se tenaient en réserve. Tandis que les propagandistes de l'Est poussaient à la radio de véritables cris de triomphes contre les « fuyards de la Républi• que », on était à l'Ouest complètement abattu et inquiet. Les Ber• linois attendirent la visite d'Adenauer qui ne vint pas et ils attri• buèrent son hésitation aux conseils des Alliés. Le gouvernement américain se décida enfin à répéter sa garantie de la sécurité de Berlin-Ouest et, le 20 août, des unités américaines firent leur en• trée dans la ville au soulagement de la population. Des troupes britanniques arrivèrent à leur tour. Le 21, le vice-président John• son et le général Clay arrivèrent à Berlin et prirent la parole au cours d'une puissante manifestation pour souligner la volonté amé• ricaine de maintenir la liberté de Berlin-Ouest. Mais on ne parlait plus que de Berlin-Ouest. Berlin-Est était bien abandonné aux Soviétiques. Deux ans plus tard, à l'été 1963, John Kennedy vint à Berlin. Devant une foule énorme il lança la fameuse phrase : « Tout hom• me libre, où qu'il puisse se trouver, est citoyen de cette ville et c'est pourquoi, en tant qu'homme libre, je suis fier de pouvoir dire : Je suis un Berlinois ! » Et il est vrai que Berlin est un symbole. Le chancelier Willy Brandt en a été le bourgmestre et il peut savoir comment sur cette ville les pressions soviétiques depuis 1945 ne se sont par instants relâchées que le temps nécessaire pour mieux assurer une prise. BERNARD GEORGE