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AMNESTY INTERNATIONAL

Amnesty International est un mouvement mondial réunissant plus de sept millions de personnes qui agissent pour que les droits fondamentaux de chaque individu soient respectés. La vision d’Amnesty International est celle d’un monde où chacun peut se prévaloir de tous les droits énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et dans d'autres textes internationaux relatifs aux droits humains. Essentiellement financée par ses membres et les dons de particuliers, Amnesty International est indépendante de tout gouvernement, de toute tendance politique, de toute puissance économique et de tout groupement religieux.

Version originale anglaise : Sauf exception dûment Le présent rapport rend compte Amnesty International Ltd, 2017 mentionnée, le contenu de ce des actions et préoccupations Peter Benenson House, 1 Easton document est sous licence d’Amnesty International pour Street, London WC1X 0DW Creative Commons : Attribution - l’année 2016. Royaume-Uni Pas d’utilisation commerciale - Le fait qu’un pays ou territoire Pas de modification - © AILRC-FR 2017 particulier ne soit pas traité ne International 4.0. https:// signifie pas qu’aucune atteinte Index : POL 10/4800/2017 creativecommons.org/licenses/ aux droits humains relevant du by-nc-nd/4.0/legalcode ISBN : 978-2-87666-194-3 mandat de l’organisation n’y a Pour plus d’informations, été commise pendant l’année ISSN : 0252-8312 veuillez consulter la page écoulée. De même, on ne saurait Original : anglais relative aux autorisations sur mesurer l’acuité des notre site : www.amnesty.org préoccupations d’Amnesty amnesty.org International à l’aune de la longueur du texte consacré à tel ou tel pays. D’une manière générale, dans l’ensemble du rapport, lorsqu’un groupe de personnes est composé d’hommes et de femmes, le masculin pluriel est utilisé sans aucune discrimination et dans le seul but d’alléger le texte.

ii Amnesty International — Rapport 2016/17 AMNESTY INTERNATIONAL RAPPORT 2016/17 LA SITUATION DES DROITS HUMAINS DANS LE MONDE iv Amnesty International — Rapport 2016/17 SOMMAIRE RAPPORT ANNUEL 2016/17

Sigles et abréviations 7 Congo 155 Préface 8 Corée du Nord 157 Avant-propos 10 Corée du Sud 160 Résumé régional Afrique 14 Côte d’Ivoire 162 Résumé régional Amériques 24 Croatie 165 Résumé régional Asie- Cuba 167 Pacifique 33 Danemark 169 Résumé régional Europe et Asie Égypte 170 centrale 43 Émirats arabes unis 176 Résumé régional Moyen-Orient et Équateur 179 Afrique du Nord 53 Érythrée 180 Afghanistan 64 Espagne 182 Afrique du Sud 68 Estonie 185 Albanie 73 États-Unis 186 Algérie 75 Éthiopie 192 Allemagne 78 Fidji 194 Angola 80 Finlande 196 Arabie saoudite 84 France 197 Argentine 89 Gambie 200 Arménie 91 Géorgie 202 Australie 93 Ghana 205 Autriche 95 Grèce 206 Azerbaïdjan 96 Guatemala 210 Bahamas 99 Guinée 212 Bahreïn 100 Guinée-Bissau 214 103 Guinée équatoriale 216 Bélarus 106 Haïti 217 Belgique 108 Honduras 219 Bénin 109 Hongrie 221 Bolivie 111 Inde 224 Bosnie-Herzégovine 112 Indonésie 229 Botswana 114 Irak 233 Brésil 116 Iran 239 Brunéi Darussalam 122 Irlande 245 Bulgarie 123 Israël et territoires palestiniens Burkina Faso 125 occupés 247 Burundi 127 Italie 252 Cambodge 131 Jamaïque 255 Cameroun 134 Japon 257 Canada 138 Jordanie 258 Chili 140 Kazakhstan 261 Chine 142 Kenya 264 Chypre 149 Kirghizistan 268 Colombie 150 Koweït 270

Amnesty International — Rapport 2016/17 v Laos 273 Russie 389 Lesotho 274 Rwanda 394 Lettonie 276 Salvador 397 Liban 277 Sénégal 399 Libye 279 Serbie 401 Lituanie 285 Sierra Leone 404 Macédoine 285 Singapour 406 Madagascar 287 Slovaquie 407 Malaisie 288 Slovénie 409 Malawi 291 Somalie 410 Maldives 292 Soudan 414 Mali 294 Soudan du Sud 418 Malte 296 Sri Lanka 422 Maroc et Sahara occidental 297 Suède 425 Mauritanie 301 Suisse 427 Mexique 304 Swaziland 428 Moldavie 309 Syrie 430 Mongolie 311 Tadjikistan 436 Monténégro 312 Taiwan 439 Mozambique 313 Tanzanie 440 Myanmar 315 Tchad 441 Namibie 320 Thaïlande 444 Nauru 321 Timor-Leste 448 Népal 322 Togo 449 Nicaragua 325 Tunisie 451 Niger 327 Turkménistan 455 Nigeria 329 Turquie 456 Norvège 334 Ukraine 462 Nouvelle-Zélande 336 Uruguay 467 337 Venezuela 468 Ouganda 338 Viêt-Nam 473 Ouzbékistan 341 Yémen 476 Pakistan 344 Zambie 480 Palestine 349 Zimbabwe 482 Papouasie-Nouvelle-Guinée 352 Paraguay 354 Pays-Bas 356 Pérou 357 Philippines 359 Pologne 362 Porto Rico 364 Portugal 365 367 République centrafricaine 369 République démocratique du Congo 373 République dominicaine 378 République tchèque 380 Roumanie 382 Royaume-Uni 384

vi Amnesty International — Rapport 2016/17 SIGLES ET ABRÉVIATIONS

CIA ONU Agence centrale du renseignement des États- Nations unies Unis OSCE Comité européen pour la prévention de la Organisation pour la sécurité et la torture coopération en Europe Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements PIDCP inhumains ou dégradants Pacte international relatif aux droits civils et politiques Convention contre la torture Convention contre la torture et autres peines PIDESC ou traitements cruels, inhumains ou Pacte international relatif aux droits dégradants économiques, sociaux et culturels

Convention européenne des droits de Rapporteur spécial des Nations unies sur la l’homme liberté d'expression Convention de sauvegarde des droits de Rapporteur spécial des Nations unies sur la l'homme et des libertés fondamentales promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression Convention internationale contre les disparitions forcées Rapporteur spécial des Nations unies sur la Convention internationale pour la protection torture de toutes les personnes contre les Rapporteur spécial des Nations unies sur la disparitions forcées torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants Convention sur la discrimination raciale Convention internationale sur l’élimination de Rapporteur spécial des Nations unies sur le toutes les formes de discrimination raciale racisme Rapporteur spécial des Nations unies sur les Convention sur les femmes formes contemporaines de racisme, de Convention des Nations unies sur discrimination raciale, de xénophobie et de l’élimination de toutes les formes de l’intolérance qui y est associée discrimination à l'égard des femmes Rapporteuse spéciale des Nations unies sur CPI la violence contre les femmes Cour pénale internationale Rapporteuse spéciale des Nations unies sur la violence contre les femmes, ses causes et LGBTI ses conséquences Lesbiennes, des gays et des personnes bisexuelles, transgenres ou intersexuées UE Union européenne ONG Organisation non gouvernementale UNICEF Fonds des Nations unies pour l’enfance

Amnesty International — Rapport 2016/17 vii PRÉFACE

Le Rapport 2016/17 d’Amnesty International rend compte de la situation des droits humains dans le monde en 2016. L’avant-propos, les cinq résumés régionaux et l’étude au cas par cas de la situation dans 159 pays et territoires témoignent des souffrances de femmes, d'hommes, d'enfants en grand nombre, qui ont subi les conséquences des conflits, des déplacements forcés, de la discrimination ou de la répression. Ce rapport montre aussi que, dans certains domaines, des progrès significatifs ont été accomplis en matière de protection et de sauvegarde des droits humains. Bien que tout ait été fait pour garantir l'exactitude des informations fournies, celles-ci peuvent être modifiées sans avis préalable.

viii Amnesty International — Rapport 2016/17 AMNESTY INTERNATIONAL RAPPORT 2016/17 AVANT-PROPOS ET RÉSUMÉS RÉGIONAUX a été l’incapacité des États, réunis en AVANT-PROPOS septembre lors du Sommet des Nations unies sur les réfugiés et les migrants, à prendre des mesures urgentes et dignes de ce nom pour « En 2016, les notions de faire face à la crise mondiale des réfugiés, qui n’a cessé de s’aggraver durant l’année. dignité humaine et d’égalité, Tandis que les dirigeants mondiaux ne se et l’idée même de famille montraient pas à la hauteur des enjeux, 75 000 réfugiés étaient bloqués dans une humaine, ont été attaquées zone totalement désertique située entre la de façon violente et Syrie et la Jordanie. L’Union africaine avait décidé de faire de 2016 l’« Année africaine incessante dans des discours des droits de l’homme ». Or, trois de ses États membres ont annoncé leur retrait de la Cour remplis d’accusations pénale internationale, fragilisant ainsi les instillant la peur et désignant efforts visant à faire respecter l’obligation de rendre des comptes pour les crimes de droit des boucs émissaires, international. Pendant ce temps, le président propagés par ceux qui soudanais Omar el Béchir se déplaçait librement à travers le continent, en toute cherchaient à prendre le impunité, alors que ses forces utilisaient des armes chimiques contre son propre peuple pouvoir ou à le conserver à au Darfour. tout prix, ou presque. » Sur le plan politique, l’un des événements les plus marquants parmi tous les bouleversements enregistrés au cours de SALIL SHETTY, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL l’année a peut-être été l’élection de Donald Pour des millions de personnes, 2016 a été Trump à la présidence des États-Unis. Il a été une année de souffrance et de terreur, élu à l’issue d’une campagne durant laquelle marquée par de multiples atteintes aux droits il a souvent fait des déclarations de nature à humains perpétrées par des gouvernements semer la discorde, marquées par la et par des groupes armés. Des pans entiers misogynie et la xénophobie ; il a également de la ville d’Alep, auparavant la plus peuplée annoncé vouloir revenir sur des libertés de Syrie, ne sont plus que décombres du fait publiques bien établies et adopter des des frappes aériennes et des combats de politiques allant radicalement à l’encontre rue, tandis qu’au Yémen, les civils ont des droits humains. continué d’être la cible de terribles attaques. Les discours nocifs prononcés par Donald La situation des Rohingyas au Myanmar s’est Trump au cours de la campagne encore aggravée, des homicides illégaux ont présidentielle sont le reflet d’une tendance été perpétrés massivement au Soudan du mondiale allant vers des politiques toujours Sud, les voix dissidentes ont été réprimées plus agressives et clivantes. Dans le monde sans pitié en Turquie et à Bahreïn, et les entier, des dirigeants et des représentants discours de haine se sont multipliés dans politiques ont misé, pour obtenir le pouvoir, une grande partie de l’Europe et des États- sur des discours de peur et de division, Unis. En bref, le monde est devenu encore rejetant sur « les autres » la faute pour tous plus sombre et plus instable en 2016. les griefs, réels ou inventés, de l’électorat. Par ailleurs, le fossé entre les impératifs et Son prédécesseur, le président Barack l’action, et entre les discours et la réalité, Obama, laisse derrière lui un bilan marqué s’est creusé de façon frappante et parfois par de nombreux manquements en matière même effrayante. La meilleure illustration en de protection des droits humains, avec en

10 Amnesty International — Rapport 2016/17 particulier l’extension de la campagne massive exercée contre les dissidents par des secrète de frappes au moyen de drones gouvernements dans presque toutes les menée par la CIA et la mise en place d’un régions du monde. gigantesque système de surveillance massive Dès lors, il est devenu dangereusement révélé par le lanceur d’alerte Edward facile de brosser une image tout à fait Snowden. Les premières informations cauchemardesque du monde et de son émanant du président élu Donald Trump avenir. Pour contrer cette tendance, il est laissent penser qu’il s’oriente vers une urgent, mais aussi de plus en plus difficile, politique étrangère qui va gravement de raviver l’engagement du monde entier en compromettre la coopération internationale et faveur de ces valeurs essentielles dont aboutir à une période de méfiance mutuelle dépend l’humanité. et d’instabilité accrues. Parmi les faits les plus inquiétants relevés Toute tentative d’analyse générale des en 2016, il faut mentionner une nouvelle événements tumultueux de l’an dernier est sorte de marchandage proposé par les sans doute vouée à l’échec. Il n’en reste pas gouvernements aux populations, qui consiste moins que nous entamons l’année 2017 à promettre la sécurité et une embellie dans un monde extrêmement instable et économique en échange de l’abandon de miné par de graves inquiétudes et droits participatifs et de libertés publiques. incertitudes quant à l’avenir. Aucune région du monde n’a été épargnée Dans un tel contexte, les valeurs par la répression sévère exercée contre les exprimées dans la Déclaration universelle des dissidents, parfois ouvertement et dans la droits de l’homme de 1948 sont menacées violence, et parfois de façon subtile et sous de désintégration. Cette Déclaration, rédigée un voile de respectabilité. La volonté de à l’issue d’une des périodes les plus réduire au silence les voix critiques s’est meurtrières de l’histoire de l’humanité, intensifiée et a pris de l’ampleur dans de commence par ces mots : nombreuses régions du monde. « Considérant que la reconnaissance de la L’assassinat de la dirigeante indigène Berta dignité inhérente à tous les membres de la Cáceres au Honduras le 2 mars illustre les famille humaine et de leurs droits égaux et graves dangers auxquels sont confrontées les inaliénables constitue le fondement de la personnes qui se dressent avec courage liberté, de la justice et de la paix dans le contre un État tout-puissant ou contre les monde. » intérêts de certaines entreprises. Sur le Or, malgré les leçons tirées du passé, en continent américain ou ailleurs, ces 2016 les notions de dignité humaine et valeureux défenseurs des droits humains d’égalité, et l’idée même de famille humaine, sont souvent considérés par les ont été attaquées de façon violente et gouvernements comme une menace pour le incessante par des discours remplis développement économique en raison de d’accusations instillant la peur et désignant leurs initiatives visant à dénoncer les effets des boucs émissaires, propagés par ceux qui nocifs sur l’environnement et sur la cherchaient à prendre le pouvoir ou à le population de l’exploitation de certaines conserver à tout prix, ou presque. ressources et de certains projets Le mépris affiché pour ces idéaux s’est d’infrastructure. Le travail accompli par Berta révélé dans toute sa splendeur avec le Cáceres, qui consistait à défendre des bombardement délibéré d’hôpitaux devenu communautés locales et leurs terres, tout habituel en Syrie et au Yémen, le renvoi de dernièrement contre un projet de barrage, réfugiés dans des zones de conflit, l’absence avait été salué dans le monde entier. Les quasi totale de réaction du monde face à ce hommes armés qui l’ont tuée chez elle ont qui s’est produit à Alep – rappelant l’inaction adressé un message effrayant aux autres déjà rencontrée au Rwanda et à Srebrenica militants, en particulier à ceux qui ne en 1994 et en 1995 – et la répression

Amnesty International — Rapport 2016/17 11 bénéficiaient pas de la même attention emprise sur les technologies de la internationale qu’elle. communication. Les questions de sécurité ont été Souvent, ces mesures sévères ont largement invoquées à travers le monde pour uniquement été prises pour tenter de justifier des mesures de répression. En masquer les manquements des autorités, Éthiopie, en réaction aux manifestations comme au Venezuela, où le gouvernement largement pacifiques dénonçant s’est efforcé de réduire au silence ceux qui le l’accaparement de terres sans indemnisation critiquaient, au lieu de résoudre une crise adéquate dans la région Oromia, les forces humanitaire ne cessant de s’aggraver. de sécurité ont tué plusieurs centaines de En plus des menaces et des attaques manifestants et les autorités ont arrêté de directes, on a assisté à une érosion façon arbitraire des milliers de personnes. Le insidieuse, pour des motifs de sécurité, de gouvernement éthiopien s’est appuyé sur la libertés civiles et politiques pourtant bien Loi relative à la lutte contre le terrorisme pour établies. Ainsi, le Royaume-Uni a adopté une exercer une vaste répression contre les nouvelle loi portant sur les pouvoirs en militants des droits humains, les journalistes matière d’enquête, qui a considérablement et les membres de l’opposition politique. accru les pouvoirs les autorités en ce qui À la suite de la tentative de coup d’État du concerne l’interception, la rétention et les mois de juillet, la Turquie a intensifié la autres formes de piratage des répression contre les voix dissidentes dans le communications et données numériques, cadre de l’état d’urgence. Plus de sans qu’il soit nécessaire d’avoir des 90 000 fonctionnaires ont été limogés en soupçons raisonnables à l’égard de la raison de liens présumés avec une personne concernée. En mettant en place « organisation terroriste » ou parce qu’ils une des plus vastes politiques de surveillance étaient accusés de faire peser une « menace de masse au monde, le Royaume-Uni a fait sur la sécurité nationale ». Par ailleurs, un pas important dans le sens d’une société 118 journalistes ont été placés en détention où le droit au respect de la vie privée n’est provisoire et 184 médias ont fait l’objet d’une tout simplement pas reconnu. fermeture arbitraire et définitive. C’est peut-être dans les cas où, pour En Afrique du Nord et au Moyen-Orient, la justifier leurs mesures de répression, les répression de la dissidence était endémique. autorités ont imputé à tel ou tel « autre » En Égypte, les forces de sécurité ont arrêté certains problèmes sociaux réels ou de façon arbitraire, soumis à une disparition supposés que l’érosion des valeurs liées aux forcée et torturé des sympathisants présumés droits humains a été la plus pernicieuse. Les de l’organisation interdite des Frères discours haineux, clivants et déshumanisants musulmans, ainsi que d’autres opposants et ont libéré les plus sombres instincts de l’être détracteurs du gouvernement. Les autorités humain. En rejetant la responsabilité des bahreïnites ont sans relâche poursuivi en problèmes économiques et sociaux sur justice ceux qui les critiquaient, en utilisant certains groupes de la société, souvent des toute une série de motifs liés à la sécurité minorités ethniques ou religieuses, les nationale. En Iran, les autorités ont détenteurs du pouvoir ont donné libre cours emprisonné leurs détracteurs, censuré tous à la discrimination et aux infractions motivées les médias et adopté une loi rendant par la haine, en particulier en Europe et aux passibles de poursuites pénales États-Unis. pratiquement toutes les critiques visant le Une variante de ce phénomène a été gouvernement et ses politiques. observée aux Philippines, avec En Corée du Nord, le gouvernement a l’intensification de la « guerre contre la encore accru la répression déjà extrême drogue », extrêmement meurtrière, menée exercée dans le pays en renforçant son par le président Rodrigo Duterte. Les violences cautionnées par l’État et les tueries

12 Amnesty International — Rapport 2016/17 perpétrées par des milices ont fait plus de gouvernement. En Europe, sur les côtes de la 6 000 morts, à la suite des nombreuses Méditerranée, des citoyens ont réagi face à déclarations publiques du président appelant l’inertie des gouvernements et à leur à tuer ceux qui étaient soupçonnés d’être incapacité à protéger les réfugiés en tirant impliqués dans des infractions à la législation eux-mêmes hors de l’eau des personnes qui sur les stupéfiants. étaient en train de se noyer. En Afrique, des Les personnalités s’autoproclamant mouvements populaires, dont certains étaient « antisystème », qui reprochent aux élites, encore impensables il y a un an seulement, aux institutions internationales et aux se sont formés pour dynamiser et porter les « autres » d’être responsables des différents revendications en matière de droits et de maux sociaux et économiques, se trompent justice. de recette. Les sentiments d’insécurité et Enfin, l’argument selon lequel les droits d’exclusion, qui découlent de facteurs tels humains ne préoccupent que les élites ne que le chômage, la précarité de l’emploi, les tient pas. Le besoin instinctif de liberté et de inégalités croissantes et la perte de services justice ne dépérit absolument pas. Durant publics, exigent des gouvernements qu’ils cette année marquée par les divisions et la s’engagent, allouent les moyens nécessaires déshumanisation, les initiatives prises par et changent de politiques, plutôt que de certains pour réaffirmer les valeurs désigner des boucs émissaires faciles. d’humanité et de dignité inhérentes à chaque De toute évidence, de nombreuses personne ont eu un éclat sans pareil. Cette personnes déçues des politiques en place à réaction altruiste a notamment été incarnée travers le monde n’ont pas cherché à trouver par Anas al Basha, 24 ans, surnommé le des réponses du côté des droits humains. Or, « clown d’Alep », qui a choisi de rester dans les inégalités et le sentiment d’abandon qui la ville pour apporter du réconfort et de la joie alimentent la colère et la déception de la aux enfants, même après le lancement de la population sont en partie dus au fait que les terrible campagne de bombardements par États n’ont pas veillé au respect des droits les forces gouvernementales. Il a été tué le économiques, sociaux et culturels. 29 novembre par une frappe aérienne, et son Les événements qui ont marqué l’année frère lui a rendu hommage en rappelant qu’il 2016 témoignent d’une certaine façon du avait donné du bonheur à des enfants dans courage, de la persévérance, de la créativité « un endroit en proie aux plus sombres et de la détermination des gens face aux ténèbres et aux pires dangers ». immenses défis et aux graves menaces. En ce début d’année 2017, nous vivons Il est apparu, partout dans le monde, que dans un monde instable, où les craintes pour lorsque des structures officielles de pouvoir l’avenir se multiplient. Mais c’est justement sont utilisées pour exercer une répression, en de telles périodes qu’il est nécessaire que des personnes réussissent d’une manière ou s’élèvent des voix courageuses, et que se d’une autre à se dresser contre l’oppression dressent contre l’injustice et la répression des et à se faire entendre. Ainsi, en Chine, héros ordinaires. Nul n’est capable de malgré des mesures de harcèlement et résoudre tous les problèmes du monde, mais d’intimidation systématiques, des militants nous avons toutes et tous la possibilité de ont le trouvé le moyen de commémorer en faire changer les choses là où nous vivons. ligne la répression du mouvement de Chacune et chacun d’entre nous peut Tiananmen en 1989. L’athlète éthiopien dénoncer la déshumanisation, agir au niveau Feyisa Lilesa, arrivé deuxième au marathon local pour défendre la dignité et les droits des Jeux olympiques de Rio, a fait la une des égaux et inaliénables de tous, et bâtir ainsi journaux dans le monde entier en raison du les fondations d’un monde de liberté et de geste qu’il a effectué, en franchissant la ligne justice. L’année 2017 a besoin de héros des d’arrivée, pour attirer l’attention sur la droits humains. persécution du peuple oromo par le

Amnesty International — Rapport 2016/17 13 manifestations pacifiques atteindre de RÉSUMÉ RÉGIONAL nouveaux sommets. Rien, ou presque, n'a été fait pour traiter les causes profondes du AFRIQUE mécontentement largement répandu au sein des populations. En 2016, le continent a été le théâtre de La dissidence a été violemment réprimée, nombreux mouvements, manifestations et comme en témoignent les nombreuses mises mobilisations de masse, souvent exprimés et en cause des manifestations pacifiques et du organisés par le biais des réseaux sociaux. droit à la liberté d’expression. Les défenseurs Les manifestants et les défenseurs des droits des droits humains, les journalistes et les humains ont trouvé des moyens suscitant un opposants politiques ont cette année encore engouement nouveau pour s’élever contre la été en butte à des persécutions et des répression. Des campagnes telles que agressions. Les civils sont restés les #oromoprotests et #amaharaprotests en premières victimes des conflits armés, Éthiopie, #EnforcedDisappearancesKE au marqués par des violations continuelles et de Kenya, #ThisFlag au Zimbabwe et grande ampleur du droit international. #FeesMustFall en Afrique du Sud ont ainsi L’impunité était toujours de mise pour les donné lieu à certains des moments les plus crimes relevant du droit international et les marquants de l’année. atteintes graves aux droits humains. Il restait Compte tenu de l’ampleur de la répression aussi beaucoup à faire pour remédier aux et de son ancrage dans la durée, certains discriminations et à la marginalisation des mouvements de protestation, notamment en plus vulnérables, notamment les femmes, les Éthiopie et en Gambie, auraient été enfants et les personnes LGBTI. inimaginables ne serait-ce qu’une année plus tôt. Les revendications exigeant des RÉPRESSION CONTRE LES changements, une meilleure intégration et MANIFESTATIONS PACIFIQUES plus de libertés ont souvent été spontanées, Cette année a été marquée par virales et lancées par des citoyens ordinaires, l’omniprésence de répressions violentes et en particulier des jeunes qui portent le triple arbitraires contre les rassemblements et les fardeau du chômage, de la pauvreté et de manifestations – en particulier des l’inégalité. Si elles étaient largement interdictions de manifester, des arrestations pacifiques dans un premier temps, certaines arbitraires, des détentions, des passages à campagnes ont fini par comporter des tabac ainsi que des homicides – dans une éléments violents, souvent en réaction à la longue liste de pays qui comprend l’Afrique répression brutale des autorités et à du Sud, l’Angola, le Bénin, le Burundi, le l’absence d’espace permettant aux citoyens Cameroun, la Côte d’Ivoire, l’Éthiopie, la d’exprimer leurs opinions et de se mobiliser. Gambie, la Guinée, la Guinée équatoriale, le Cette résistance croissante, associée à Mali, le Nigeria, la République démocratique l’affaiblissement de la politique de la peur, a du Congo (RDC), la Sierra Leone, le Soudan, suscité de nouveaux espoirs. De nombreuses le Tchad, le Togo et le Zimbabwe. personnes sont descendues dans la rue. Les forces de sécurité éthiopiennes, par Elles ont ignoré les menaces et les exemple, ont systématiquement eu recours à interdictions de manifester et refusé de céder une force excessive pour disperser les face aux répressions brutales, choisissant manifestations, en grande partie pacifiques, plutôt d’exprimer leurs opinions et de qui avaient commencé en Oromia en revendiquer leurs droits au moyen d’actes de novembre 2015, avant de prendre de solidarité, de boycotts et d’un recours l’ampleur et de gagner d’autres parties du important et créatif aux réseaux sociaux. pays, notamment la région Amhara. Ces Parallèlement à ces exemples de courage manifestations ont été violemment réprimées et de persévérance, on a vu la répression des par les forces de sécurité, y compris au

14 Amnesty International — Rapport 2016/17 moyen de tirs à balles réelles, provoquant la excessive. Des centaines de personnes ont mort de plusieurs centaines de personnes et été arrêtées pour leur participation à des l’arrestation arbitraire de milliers d'autres. manifestations pacifiques dans différentes Après avoir déclaré l’état d’urgence, le régions du pays, notamment Evan Mawarire, gouvernement éthiopien a interdit toute chef de file de la campagne #ThisFlag, qui a forme de manifestation. Le blocage de été brièvement placé en état d'arrestation l’accès à Internet et aux réseaux sociaux, qui dans le cadre d'une tentative visant à avait commencé pendant les manifestations, empêcher la dissidence de prendre de a été maintenu. l’ampleur. Craignant pour sa vie, Evan Au Nigeria, l’armée et d’autres forces de Mawarire a fini par fuir le pays. sécurité ont lancé une campagne de Bon nombre de ces manifestations et violences contre les manifestants pacifiques d’autres mouvements protestataires, pro-Biafra, entraînant la mort d’au moins notamment au Congo, en Éthiopie, au 100 manifestants au cours de l’année. Des Gabon, en Gambie, au Lesotho, en Ouganda, éléments ont attesté que l’armée avait utilisé en RDC et au Tchad, ont déclenché la des balles réelles sans sommation – ou répression de certaines activités sur les quasiment sans sommation – pour disperser réseaux sociaux. Des restrictions arbitraires les foules, et que des exécutions ou des blocages de l’accès à Internet ont par extrajudiciaires de masse avaient eu lieu, ailleurs été constatés. dont au moins 60 personnes tuées par balles en l’espace de deux jours à la suite de AGRESSIONS DE DÉFENSEURS DES manifestations marquant la Journée de DROITS HUMAINS ET DE JOURNALISTES commémoration pour le Biafra, le 30 mai. Les défenseurs des droits humains et les Cette répression était similaire aux attaques journalistes ont souvent été les plus exposés et au recours excessif à la force de décembre aux violations des droits humains, le droit à la 2015, quand l’armée avait massacré des liberté d’expression subissant une érosion centaines d’hommes, de femmes et d’enfants constante ainsi que de nouvelles vagues de à Zaria, dans l’État de Kaduna, pendant un menaces. Des tentatives visant à écraser la affrontement avec des membres du dissidence et à étouffer progressivement la Mouvement islamique du Nigeria. liberté d’expression ont été observées sur En Afrique du Sud, les manifestations tout le continent, en particulier au Botswana, étudiantes ont repris en août dans des au Burundi, au Cameroun, en Côte d’Ivoire, universités de tout le pays sous la bannière en Gambie, au Kenya, en Mauritanie, au du hashtag #FeesMustFall. Ces Nigeria, en Somalie, au Soudan, au Soudan manifestations se sont régulièrement du Sud, en Tanzanie, au Tchad, au Togo et conclues par des violences. Si les étudiants en Zambie. se sont parfois rendus coupables de Certaines personnes l’ont payé de leur vie. violences, Amnesty International a recueilli Au Kenya, un éminent avocat spécialiste des de nombreuses informations indiquant que la droits humains, son client et leur chauffeur police avait eu recours à une force excessive, de taxi ont été victimes de disparition forcée notamment en tirant des balles en avant d’être exécutés de manière caoutchouc à faible distance sur les extrajudiciaire par la police. Ils étaient parmi étudiants et plus généralement sur leurs les 177 victimes au moins d’exécutions sympathisants. Un des chefs de file du extrajudiciaires commises par des organes de mouvement étudiant a ainsi reçu 13 balles sécurité durant l'année. Au Soudan, le en caoutchouc dans le dos le 20 octobre à meurtre de l’étudiant Abubakar Hassan Johannesburg. Mohamed Taha (18 ans) et celui de Au Zimbabwe, la police a continué de Mohamad al Sadiq Yoyo (20 ans), perpétrés réprimer des mouvements de protestation et par des agents du renseignement, ont eu lieu des grèves à Harare en utilisant une force dans le contexte d’une répression accrue de

Amnesty International — Rapport 2016/17 15 la dissidence étudiante. Deux journalistes ont systématique d’obligation de rendre des été tués en Somalie par des assaillants non comptes pour ces agissements montrait que identifiés, dans un climat où les journalistes les autorités fermaient les yeux et les et les professionnels des médias étaient toléraient. Lors d’une de ces attaques, les harcelés, intimidés et agressés. assaillants ont battu à mort un agent de Beaucoup d’autres ont été confrontés à sécurité. des arrestations arbitraires et continuaient Des organes de presse, des journalistes et d’être poursuivis en justice et détenus en des personnes actives sur les réseaux raison de leur travail. Malgré des évolutions sociaux ont été confrontés à des difficultés positives en Angola – notamment croissantes dans de nombreux pays. Les l’acquittement de défenseurs des droits autorités de la Zambie ont fait fermer le humains et la libération de prisonniers journal indépendant The Post dans le cadre d’opinion – les procès motivés par des d’une stratégie visant à museler les médias considérations politiques, les procès en exprimant des critiques à l’approche de diffamation et les lois relatives à la sécurité l’élection. Elles ont par ailleurs arrêté des nationale étaient toujours utilisés pour membres de la direction de ce journal et réprimer les défenseurs des droits humains, certains de leurs proches. la dissidence et d’autres détracteurs du Au Burundi, la société civile et les médias gouvernement. En RDC, des mouvements de indépendants, d’ores et déjà décimés, ont jeunes ont été assimilés à des groupes subi des attaques toujours plus nombreuses : insurrectionnels. En Érythrée, on ignorait des journalistes, des membres de groupes toujours où se trouvaient certaines sur les réseaux sociaux et même des lycéens personnalités politiques et certains ont été arrêtés parce qu’ils s’étaient journalistes arrêtés arbitrairement et victimes exprimés. Au Cameroun, Fomusoh Ivo Feh a de disparition forcée depuis 2001, bien que été condamné à 10 ans d’emprisonnement le gouvernement ait annoncé qu’ils étaient pour avoir envoyé un SMS sarcastique sur toujours en vie. Boko Haram. En Mauritanie, bien que la Cour suprême Dans certains pays, de nouvelles lois ont ait ordonné la libération de 12 militants anti- suscité des craintes. Un projet de loi à esclavagistes, trois d’entre eux étaient l’examen devant le Parlement de Mauritanie toujours en détention. Les autorités ont visait à restreindre la liberté de réunion et continué de persécuter des militants et des d’association pacifiques. Au Congo, une loi organisations de lutte contre l’esclavage. renforçant le contrôle du gouvernement sur Outre l’emprisonnement, des défenseurs les organisations de la société civile a été des droits humains et des journalistes ont adoptée. En Angola, l’Assemblée nationale a également subi des agressions physiques validé cinq propositions de loi qui ainsi que des actes d’intimidation et de restreindront de manière inadmissible le droit harcèlement dans de nombreux pays, dont la à la liberté d’expression. Ailleurs, des lois Gambie, le Kenya, la Somalie, le Soudan du existantes, portant notamment sur le Sud et le Tchad. terrorisme et l’état d’urgence, ont été utilisées Le 18 avril, jour anniversaire de pour sanctionner pénalement la dissidence l’indépendance du Zimbabwe, des agents de pacifique. Le gouvernement éthiopien – de la sûreté de l’État ont brutalement agressé le plus en plus intolérant face aux voix frère d’Itai Dzamara, un militant pour la dissidentes – a intensifié sa politique de démocratie et journaliste disparu, car il avait répression contre les journalistes, les brandi une pancarte à un événement où se défenseurs des droits humains et les autres trouvait le président Robert Mugabe, à dissidents en s’appuyant sur la Loi relative à Harare. En Ouganda, une série d’attaques la lutte contre le terrorisme. ont été commises contre des ONG et des En revanche, des actes de militantisme et défenseurs des droits humains. L’absence de courage dans le domaine judiciaire,

16 Amnesty International — Rapport 2016/17 même dans des pays extrêmement simple participation à des manifestations répressifs, ont donné des raisons d’espérer, pacifiques. Trente manifestants ont été parce qu’ils ont défié le recours de l’État au condamnés à trois ans d’emprisonnement droit et à la justice pour étouffer la pour avoir participé à des manifestations dissidence. En RDC, quatre militants en pacifiques et 14 autres attendaient leur faveur de la démocratie ont été libérés, ce procès. Tous ont été libérés sous caution qui a constitué l’une des seules mesures immédiatement après l’élection du positives d’une année très difficile pour la 1er décembre. liberté d’expression dans ce pays. Au Bien qu’il ait dans un premier temps Swaziland, un jugement historique prononcé concédé sa défaite face au chef de file de en septembre contre des lois répressives a l’opposition Adama Barrow, le président représenté une autre victoire pour les droits Yahya Jammeh a ensuite remis en cause les humains. La Haute Cour du Zimbabwe a résultats de l’élection et s’est montré annulé une interdiction de manifester. Bien récalcitrant aux pressions nationales et que cette décision courageuse – prise après internationales lui demandant de quitter le que le président Robert Mugabe eut proféré pouvoir. des menaces contre le pouvoir judiciaire – ait Le gouvernement de l’Ouganda a ensuite été invalidée par un autre jugement empêché l’opposition de contester les de la Haute Cour, elle représentait une résultats du scrutin de février devant les victoire pour la défense des droits humains ; tribunaux. Les forces de sécurité ont arrêté à elle a démontré en outre que le droit de plusieurs reprises Kizza Besigye, un candidat manifester ne pouvait être supprimé sur un à l’élection présidentielle qui s’estimait lésé, coup de tête. En Gambie, plus de ainsi que certains de ses collègues de parti et 40 prisonniers d’opinion, dont certains de ses sympathisants. Elles ont également étaient en détention depuis huit mois, ont été assiégé son domicile et réalisé une descente libérés sous caution immédiatement après dans les locaux de son parti à Kampala. les élections en attendant qu’il soit statué sur En RDC, une répression systématique a leur appel. visé les personnes opposées à la volonté du président Joseph Kabila de rester au pouvoir RÉPRESSION POLITIQUE au-delà de son deuxième mandat Plusieurs élections ont été contestées en constitutionnel (qui a pris fin en décembre). 2016 en Afrique, toutes marquées par une Cette répression a également ciblé les amplification de la répression. Dans plusieurs personnes qui critiquaient les retards dans pays, notamment le Burundi, le Congo, la l’organisation des élections. Les forces de Côte d’Ivoire, le Gabon, la Gambie, sécurité ont arrêté et harcelé les personnes l’Ouganda, la RDC, la Somalie et le Tchad, qui se prononçaient explicitement sur le des dirigeants et des partisans de l’opposition débat constitutionnel ou dénonçaient des ont été la cible de graves attaques. violations des droits humains, les accusant En Gambie, des dizaines de milliers de de trahir leur pays. personnes ont participé à des En Somalie, une grave crise humanitaire rassemblements pacifiques à l’approche de s’est doublée d’une crise politique sur les l’élection présidentielle. À la fin de l’année, collèges électoraux dans le cadre des les résultats de l’élection étaient cependant élections parlementaires et présidentielle : le toujours contestés. groupe armé Al Shabab a rejeté toute forme Les mois précédant l’élection ont été de scrutin et a exhorté ses sympathisants à entachés par de graves violations du droit attaquer les bureaux de vote pour tuer les des citoyens à s’exprimer librement. Des chefs de clan, les représentants du dizaines de membres de l’opposition ont été gouvernement et les députés qui arrêtés et deux d’entre eux sont morts en participaient aux élections. garde à vue après avoir été arrêtés pour leur

Amnesty International — Rapport 2016/17 17 Les autorités du Congo ont maintenu en plus de 170 000 personnes – en majorité des détention Paulin Makaya, président du parti femmes et des enfants – ont été déplacées à Unis pour le Congo (UPC), simplement parce l’intérieur du pays dans toute la région de qu’il avait exercé pacifiquement son droit à la l’Extrême-Nord, à cause des exactions de liberté d’expression. Quand l’opposition a Boko Haram. Au Niger, plus de rejeté les résultats de l’élection présidentielle 300 000 personnes avaient besoin d’aide de mars, les autorités ont arrêté les humanitaire sous l’état d’urgence déclaré principales figures de l’opposition et réprimé dans la région de Diffa, où la plupart des les manifestations pacifiques. attaques étaient commises par Boko Haram. En Côte d’Ivoire, les autorités ont ciblé des De nombreux gouvernements ont réagi à membres de l’opposition et injustement ces menaces en s'affranchissant du droit restreint leurs droits à la liberté d’expression international humanitaire et du droit et de réunion pacifique, à l’approche d’un international relatif aux droits humains, référendum portant sur des modifications notamment au moyen d’arrestations constitutionnelles, en octobre. Des dizaines arbitraires, de détentions au secret, d’actes de membres de l’opposition ont notamment de torture, de disparitions forcées et été arrêtés arbitrairement et placés en d’exécutions extrajudiciaires. détention alors qu’ils participaient à une Au Nigeria, plus de 240 personnes, dont manifestation pacifique. Certains ont ensuite 29 enfants de moins de six ans, sont mortes été déposés en différents lieux de la capitale dans des conditions atroces cette année économique du pays, Abidjan, tandis que dans le centre de détention tristement d’autres ont été abandonnés à une centaine célèbre de la caserne de Giwa, à Maiduguri. de kilomètres de chez eux et contraints de Des milliers de personnes qui avaient été la rentrer à pied. Cette pratique est connue cible d’arrestations massives dans le nord- sous le nom de « détention mobile ». En est, souvent sans aucun élément de preuve octobre, la police a utilisé des gaz contre elles, étaient toujours détenues dans lacrymogènes contre des manifestants des cellules surpeuplées et des conditions rassemblés pacifiquement pour protester insalubres, sans jugement et sans aucun contre le référendum. Les policiers ont contact avec l’extérieur. Au Cameroun, plus matraqué les leaders du rassemblement et d’un millier de personnes – pour beaucoup ont arrêté au moins 50 personnes. arrêtées arbitrairement – étaient détenues dans des conditions catastrophiques et des CONFLITS ARMÉS dizaines d’entre elles sont mortes à la suite Les civils confrontés aux conflits armés en d’actes de torture, de maladies ou de Afrique – en particulier au Cameroun, au malnutrition. Quand les personnes Mali, au Niger, au Nigeria, en République soupçonnées de soutenir Boko Haram centrafricaine, en RDC, en Somalie, au étaient jugées, elles faisaient l’objet de procès Soudan, au Soudan du Sud et au Tchad – ont inéquitables devant des tribunaux militaires subi de graves exactions et violations. Les qui, la plupart du temps, prononçaient la violences liées au genre et sexuelles étaient peine capitale à leur encontre. extrêmement répandues et des enfants ont Au Soudan, la situation sécuritaire et été recrutés comme soldats. humanitaire dans les États du Darfour, du Nil En Afrique occidentale, centrale et Bleu et du Kordofan du Sud demeurait orientale, des groupes armés comme désastreuse. Des éléments faisant état d’un Al Shabab et Boko Haram ont continué de recours à des armes chimiques par les forces perpétrer des violences et des exactions : des gouvernementales dans la région de Djebel centaines de civils ont été tués ou enlevés, et Marra, au Darfour, ont démontré que le des millions de personnes étaient forcées de régime pouvait continuer d’attaquer sa vivre dans la peur et l’insécurité, dans leur population civile sans craindre d’être soumis pays ou dans d’autres États. Au Cameroun, à une quelconque obligation de rendre des

18 Amnesty International — Rapport 2016/17 comptes pour ses violations du droit Soudan du Sud. Quasiment aucune mesure international. n’a été prise, y compris par le Conseil de Malgré la signature de l’accord de paix au sécurité des Nations unies et le Conseil de Soudan du Sud entre le gouvernement et les paix et de sécurité de l’Union africaine, pour forces rivales, les affrontements ont continué faire pression sur le gouvernement du dans différentes parties du pays tout au long Soudan afin qu’il donne accès à l’aide de l’année, et se sont intensifiés dans la humanitaire et qu’il enquête sur les région d’Équatoria, dans le sud du pays, allégations de graves violations et exactions. après que de violents combats ont éclaté en La réaction de l’Union africaine aux crimes juillet dans la capitale, Djouba. Pendant ces relevant du droit international et à d’autres affrontements, les forces armées, en atteintes graves aux droits humains particulier des soldats du gouvernement, ont commises dans le contexte de conflits et de commis des violations des droits humains, crises a été généralement lente, incohérente notamment des homicides et des attaques et limitée, au lieu de s’inscrire dans une ciblés qui visaient entre autres le personnel stratégie globale et cohérente. humanitaire. La Mission des Nations unies au Soudan du Sud (MINUSS) a été critiquée POPULATIONS EN MOUVEMENT pour son incapacité à protéger les civils Les conflits qui secouent l’Afrique, pendant les combats. Une résolution du notamment au Cameroun, au Mali, au Niger, Conseil de sécurité de l’ONU visant à créer au Nigeria, en République centrafricaine, en une force régionale de protection n’a pas été Somalie, au Soudan, au Soudan du Sud et au mise en œuvre. Le Conseiller spécial des Tchad, étaient toujours l’une des principales Nations unies pour la prévention du génocide causes de la crise mondiale des réfugiés, et la Commission des Nations unies sur les ainsi que du déplacement des populations à droits de l’homme au Soudan du Sud ont l’intérieur de leur pays. Des millions de averti que la situation risquait de se femmes, d’enfants et d’hommes ne transformer en génocide. pouvaient toujours pas rentrer chez eux ou En République centrafricaine, malgré des étaient contraints, à cause de nouvelles élections qui se sont déroulées dans le calme menaces, de fuir vers des dangers inconnus en décembre 2015 et en février 2016, la et un avenir incertain. sécurité s’est détériorée par la suite, faisant Les personnes venant d’Afrique craindre un regain de violences meurtrières. subsaharienne représentaient la majorité des Des groupes armés ont lancé de nombreuses centaines de milliers de réfugiés et de attaques : le 12 octobre, des combattants de migrants qui se rendaient en Libye pour l’ex-Séléka issus d’au moins deux factions échapper à la guerre, aux persécutions ou à ont tué 37 civils, peut-être davantage, en ont l’extrême pauvreté, souvent dans l’espoir de blessé 60 et ont incendié un camp pour traverser ce pays pour ensuite s’installer en personnes déplacées dans la ville de Kaga Europe. Les recherches d’Amnesty Bandoro. International ont révélé de graves atteintes Malgré ces massacres et ces souffrances, aux droits humains, en particulier des le monde a moins prêté attention aux conflits violences sexuelles, des homicides, des actes qui faisaient rage en Afrique. La réaction de de torture et des persécutions religieuses, la communauté internationale aux conflits du commises le long des itinéraires des continent a été complètement inadaptée, passeurs menant en Libye et à l’intérieur des comme en témoignent l’échec du Conseil de frontières de ce pays. sécurité des Nations unies en matière de Dans le nord du Nigeria, au moins deux sanctions à l’encontre du Soudan du Sud et millions de personnes étaient toujours les moyens insuffisants des opérations de déplacées et vivaient parmi la population maintien de la paix pour protéger les civils en locale ou parfois dans des camps République centrafricaine, au Soudan et au surpeuplés, où la nourriture, l’eau et les

Amnesty International — Rapport 2016/17 19 conditions sanitaires étaient inadaptées. Des comme l’exigeait l’accord de paix. Ce tribunal dizaines de milliers de personnes déplacées serait le meilleur moyen de veiller à étaient retenues dans des camps sous l’obligation de rendre des comptes pour des surveillance armée de l’armée nigériane et de faits tels que des crimes de guerre et des la Force d’intervention civile conjointe, qui crimes contre l’humanité commis pendant le ont toutes deux été accusées d’exploiter conflit, et d’éviter que de nouvelles atteintes sexuellement des femmes. aux droits humains soient perpétrées. Des milliers de personnes sont mortes La création d’un tribunal pénal spécial a dans ces camps en raison de la malnutrition quelque peu progressé en République aiguë qui y règne. centrafricaine, mais la vaste majorité des Au Tchad, des centaines de milliers de responsables présumés de crimes graves et réfugiés venus de Libye, du Nigeria, de de violations flagrantes des droits humains République centrafricaine et du Soudan se étaient toujours en liberté, sans jamais avoir trouvaient toujours dans des camps où les été arrêtés ou visés par une enquête. Outre conditions de vie étaient déplorables. Selon les graves faiblesses de la mission de l'ONU, plus de 300 000 personnes ont fui le maintien de la paix de l’ONU en République Burundi, la plupart vers des camps de centrafricaine, l’impunité restait l’un des réfugiés en Tanzanie et au Rwanda voisins. principaux facteurs du conflit et les civils Plus d’1,1 million de Somaliens étaient étaient victimes de l’instabilité et de violences toujours déplacés à l’intérieur de leur pays, et meurtrières. 1,1 million de leurs compatriotes étaient Au Nigeria, des preuves irréfutables ont réfugiés dans les pays voisins, ou plus loin. fait état de violations généralisées et Depuis le début du conflit au Soudan du systématiques du droit international Sud, il y a trois ans, le nombre de réfugiés humanitaire et du droit international relatif dans les pays voisins a atteint un million de aux droits humains commises par l’armée, personnes, tandis qu'un total de 1,7 million entraînant non seulement la mort de plus de de personnes étaient toujours déplacées au 7 000 personnes (principalement des jeunes sein du pays ; 4,8 millions de personnes hommes nigérians) dans des centres de étaient par ailleurs confrontées à l’insécurité détention militaires, mais aussi plus de alimentaire. 1 200 exécutions extrajudiciaires. Le gouvernement du Kenya a annoncé son Néanmoins, le gouvernement n’a pris aucune intention de fermer le camp de Dadaab, où mesure pour enquêter sur ces allégations. vivent 280 000 réfugiés. Environ 260 000 Personne n’a été traduit en justice et les étaient somaliens ou d’origine somalienne et violations se sont poursuivies. risquaient, en raison d’autres changements La Cour pénale internationale (CPI) a de la politique kenyane relative aux réfugiés, décidé de mettre fin à l'affaire engagée d’être renvoyés de force dans leur pays, en contre le vice-président kenyan, William violation du droit international. Ruto, et le présentateur radio Joshua Arap Sang, rendant ainsi caduques toutes les IMPUNITÉ ET DÉNI DE JUSTICE affaires soumises à la CPI dans le cadre des L’impunité est restée le dénominateur violences postélectorales survenues au Kenya commun de tous les grands conflits en en 2007 et 2008. Cette décision a été vue Afrique et les personnes soupçonnées de comme un revers considérable par les crimes relevant du droit international et de milliers de victimes qui n’ont toujours pas violations flagrantes des droits humains obtenu justice. n'étaient que rarement tenues de rendre des Trahissant des millions de victimes de comptes. crimes internationaux dans le monde, trois Malgré un mandat clair, l’Union africaine États d’Afrique – l’Afrique du Sud, le Burundi n’a pas pris de mesure concrète pour établir et la Gambie – ont annoncé leur intention de un tribunal hybride pour le Soudan du Sud, se retirer du Statut de Rome.

20 Amnesty International — Rapport 2016/17 L’Union africaine a aussi continué à faisait suite à une première condamnation appeler les États à ignorer leur obligation pour viol comme arme de guerre ainsi qu’à internationale d’arrêter le président une première condamnation fondée sur le soudanais Omar el Béchir, recherché par la principe de la responsabilité du CPI pour génocide. En mai, l’Ouganda n’a commandant. Ce verdict a été un moment pas arrêté Omar el Béchir pour le remettre à clé dans la bataille des victimes de violences la CPI, manquant à ses obligations vis-à-vis sexuelles pour obtenir justice, en République de centaines de milliers de personnes tuées centrafricaine et partout dans le monde. ou déplacées pendant le conflit au Darfour. La CPI a également ouvert le procès de Malgré tout, des moments encourageants l’ancien président de Côte d’Ivoire Laurent et historiques ont eu lieu en matière de Gbagbo, et de son ministre de la Jeunesse, justice internationale et d’obligation de rendre Charles Blé Goudé, tous deux accusés de des comptes. crimes contre l’humanité. Elle a par ailleurs De nombreux États africains membres de déclaré coupable Ahmad Al Faqi Al Mahdi, la CPI ont affirmé leur soutien au Statut de un haut responsable présumé du groupe Rome et leur intention d’en rester partie lors armé Ansar Eddine qui était poursuivi pour de la 15e session de l’Assemblée des États des attaques menées en 2012 contre des parties en novembre. Cet engagement avait mosquées et des mausolées à Tombouctou, déjà été exprimé lors du Sommet de l’Union au Mali, un crime relevant du droit africaine organisé en juillet à Kigali, où de international. nombreux pays – notamment le Botswana, la De son côté, la Cour suprême de l’Afrique Côte d’Ivoire, le Nigeria, le Sénégal et la du Sud a reproché au gouvernement de ne Tunisie – s’étaient opposés à une demande pas avoir respecté ses obligations nationales de retrait massif du Statut de Rome. En et internationales en n’arrêtant pas Omar el décembre, le président nouvellement élu de Béchir lors d’une visite dans le pays en 2015. la Gambie a annoncé son intention d’annuler Cette décision a consolidé la norme la décision du gouvernement de se retirer du internationale rejetant l’immunité pour les Statut de Rome. responsables de crimes internationaux, Parmi les évolutions positives, on peut quelles que soient leurs fonctions officielles. noter la condamnation de l’ancien président tchadien Hissène Habré en mai pour crimes DISCRIMINATION ET MARGINALISATION contre l’humanité, crimes de guerre et actes Les femmes et les filles étaient fréquemment de torture commis entre 1982 et 1990. Les victimes de discrimination, de marginalisation Chambres africaines extraordinaires à Dakar et d’atteintes à leurs droits fondamentaux, l’ont condamné à la réclusion à perpétuité, souvent en raison de traditions et de normes établissant ainsi un précédent pour les culturelles, mais également d’une initiatives visant à mettre fin à l’impunité en discrimination institutionnalisée par des lois Afrique. C’est en outre la première fois que la injustes. Elles subissaient aussi des violences compétence universelle a abouti à un procès sexuelles et des viols lors des conflits et dans sur le continent, et Hissène Habré est le les pays ayant une importante population de premier ancien dirigeant africain à être réfugiés et de personnes déplacées. poursuivi pour des crimes relevant du droit De très nombreux cas de violences liées international devant un tribunal siégeant au genre infligées à des femmes et des filles dans un autre État africain. ont été signalés dans beaucoup de pays, en En mars, la CPI a déclaré coupable Jean- particulier à Madagascar, en Namibie et en Pierre Bemba, ancien vice-président de la Sierra Leone. RDC, de crimes de guerre et de crimes En Sierra Leone, le gouvernement a contre l’humanité commis en République maintenu l’interdiction pour les jeunes filles centrafricaine. La peine de 19 ans enceintes de fréquenter les établissements d’emprisonnement prononcée par la CPI scolaires classiques et de passer des

Amnesty International — Rapport 2016/17 21 examens. Le président a aussi refusé de femmes et les enfants étaient promulguer un texte législatif visant à particulièrement exposés aux homicides et ils légaliser l’avortement dans certains cas, alors étaient parfois pris pour cible par leurs qu’il avait été adopté deux fois par le proches. Parlement et en dépit du taux élevé de Au Soudan, la liberté de religion était mortalité maternelle en Sierra Leone. Le pays menacée par un système juridique selon a rejeté les recommandations des Nations lequel la conversion de l’islam à une autre unies préconisant d’interdire en droit les religion était passible de la peine de mort. mutilations génitales féminines. L’absence d’obligation de rendre des Les mariages précoces et forcés au comptes pour les entreprises contribuait par Burkina Faso volaient leur enfance à des ailleurs à des violations flagrantes des droits milliers de filles, dont certaines n’avaient pas de l’enfant. Des mineurs travaillant de plus de 13 ans ; par ailleurs, le coût de la manière artisanale, y compris des milliers contraception et d’autres obstacles leur d’enfants, extrayaient du cobalt dans des ôtaient la possibilité de choisir d'avoir ou non conditions dangereuses en RDC. Ce cobalt un enfant, ou de déterminer le moment où est utilisé pour alimenter des appareils elles voulaient le faire. Toutefois, à la suite électroniques, notamment des téléphones et d’une campagne intense de la société civile, des ordinateurs portables, et les principales le gouvernement a annoncé qu’il modifierait marques qui vendent ces équipements, dont la loi pour que l’âge légal du mariage passe à Apple, Samsung et Sony, n’effectuent pas les 18 ans. contrôles élémentaires pour faire en sorte Les personnes LGBTI, ou celles jugées que le cobalt extrait par des enfants ne soit comme telles, ont continué de subir des pas utilisé dans leurs produits. violences ou des discriminations dans de nombreux pays, notamment le Botswana, le L’AVENIR Cameroun, le Kenya, le Nigeria, l’Ouganda, le L’Union africaine a déclaré 2016 l’année des Sénégal, la Tanzanie et le Togo. Au Kenya, droits humains, mais de nombreux États deux hommes ont déposé une requête membres n’ont pas su traduire les discours auprès de la Haute Cour de Mombasa pour sur les droits humains en mesures concrètes. que soient déclarés inconstitutionnels les S’il fallait se réjouir d’une chose en 2016, ce examens anaux et les tests de dépistage du serait de la ténacité et du courage des VIH et de l’hépatite B qu’ils avaient été forcés populations, qui ont clairement fait de subir en 2015. La Cour a cependant comprendre que la répression et la politique confirmé la légalité des examens anaux pour de la peur ne pouvaient plus les réduire au les hommes soupçonnés d’avoir des relations silence. sexuelles avec d’autres hommes. Les Les crises qui se sont intensifiées dans des examens anaux forcés sont contraires au pays comme le Burundi, l’Éthiopie, la droit à la vie privée, ainsi qu’à l’interdiction Gambie et le Zimbabwe auraient presque de la torture et des autres mauvais certainement pu être évitées ou atténuées s’il traitements au titre du droit international. y avait eu suffisamment de volonté et de Au Malawi, une vague sans précédent courage politique pour laisser les citoyens d’agressions violentes contre des personnes exprimer librement leurs opinions. atteintes d’albinisme a révélé l’incapacité Malgré des avancées dans certains systémique des autorités à maintenir l’ordre. domaines, les réponses de l’Union africaine Des individus et des groupes de criminels ont aux violations des droits humains, que celles- perpétré des enlèvements, des homicides et ci soient les causes structurelles des conflits des profanations de sépultures qui visaient à ou naissent de ces conflits, sont restées collecter des parties du corps de personnes lentes, incohérentes et limitées dans la albinos, celles-ci ayant la réputation de plupart des cas. En effet, même lorsque renfermer des pouvoirs magiques. Les l’organisation a formulé des préoccupations,

22 Amnesty International — Rapport 2016/17 il lui a manqué la détermination et la volonté politique de s’attaquer de front aux atteintes aux droits humains. Il semble par ailleurs y avoir des lacunes en matière de coordination entre les organes et mécanismes de paix et de sécurité, comme le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine et son Système continental d’alerte rapide, et les institutions régionales de défense des droits humains, ce qui a limité les capacités de réaction de l’Union africaine face aux violations des droits humains menant à des conflits ou en découlant. Il reste moins de quatre ans à l’Union africaine pour réaliser son objectif de « faire taire toutes les armes » sur le continent d’ici à 2020. Il est temps de traduire cet engagement en actions, en mettant en œuvre une réponse efficace aux causes structurelles sous-jacentes des conflits, notamment les atteintes répétées aux droits humains. Des mesures plus efficaces sont également nécessaires pour rompre le cycle de l’impunité, y compris en mettant fin aux attaques contre la CPI motivées par des considérations politiques et en œuvrant pour la justice et l’obligation de rendre des comptes dans les cas de crimes graves et de violations flagrantes des droits humains commis dans des pays comme le Soudan du Sud, entre autres. L’Union africaine a entrepris d’élaborer un plan d’action et de mise en œuvre sur 10 ans consacré aux droits humains en Afrique, ce qui représente une nouvelle occasion de relever ses principaux défis, à commencer par la reconnaissance du fait que les Africains se soulèvent et revendiquent leurs droits malgré la répression et l’exclusion.

Amnesty International — Rapport 2016/17 23 affaiblissement de l’état de droit. Les atteintes RÉSUMÉ RÉGIONAL aux droits humains restaient souvent impunies, et le manque d’indépendance et AMÉRIQUES d’impartialité de la justice ne faisait dans certains cas que protéger davantage les Malgré l’essor économique et tous les intérêts politiques et économiques. discours sur la démocratie, et malgré les Ce contexte était propice à la persistance espoirs de voir enfin cesser le conflit armé en des violations des droits humains. La torture Colombie, le continent américain demeurait et les autres formes de mauvais traitements, l’une des régions les plus violentes et les plus en particulier, restaient des pratiques inégalitaires du monde. courantes, malgré l’existence de lois contre la Dans l’ensemble de la région, l’année torture dans certains pays – le Brésil, le 2016 a été marquée par la présence de Mexique et le Venezuela notamment. propos racistes, discriminatoires et hostiles Les failles des systèmes judiciaires, ainsi aux droits dans le discours de candidats aux que l’incapacité des États à mettre en place élections et de responsables publics, une des politiques de sécurité publique rhétorique reprise et banalisée par les médias permettant la protection des droits traditionnels. Aux États-Unis, Donald Trump a fondamentaux, ont concouru à des niveaux été élu président en novembre, à l’issue de violence importants. Certains pays, d’une campagne durant laquelle il a suscité comme le Brésil, le Honduras, la Jamaïque, la consternation en tenant des propos le Mexique, le Salvador et le Venezuela, discriminatoires, misogynes et xénophobes, affichaient des taux d’homicides parmi les et fait naître de graves préoccupations quant plus élevés au monde. au respect futur des droits humains, dans le Les violences et l’insécurité endémiques pays et à l’échelle de la planète. étaient souvent engendrées – et renforcées – La crise des droits humains dans la région par la prolifération des armes illicites de petit a été accentuée par une tendance à imposer calibre et la progression de la criminalité de plus en plus d’obstacles et de restrictions organisée, qui contrôlait entièrement certains à la justice et aux libertés fondamentales. Les territoires, parfois avec la complicité ou vagues de répression sont devenues plus l’assentiment de la police et de l’armée. manifestes et violentes, certains États ayant à Le « triangle Nord » centraméricain de nombreuses reprises détourné leurs (Guatemala, Salvador et Honduras) était l’une appareils judiciaire et sécuritaire pour des régions les plus violentes du monde : le réprimer et écraser impitoyablement toute nombre d’homicides y était plus élevé que opposition, avec pour effet de renforcer le dans la plupart des zones de conflit de la mécontentement des populations. planète. Le Salvador présentait un taux Les discriminations, l’insécurité, la d’homicides de 108 pour 100 000 habitants, pauvreté et les atteintes à l’environnement soit l’un des plus élevés du monde. De étaient généralisées dans l’ensemble de la nombreuses personnes vivaient sous région. Le non-respect des normes l’emprise de bandes criminelles. internationales en matière de droits humains L’incapacité à lutter contre les violences s’est également manifesté par des inégalités liées au genre, qui demeuraient généralisées, criantes en termes de richesse, de bien-être constituait l’un des échecs les plus graves social et d’accès à la justice, qui étaient des États de la région. La Commission exacerbées par la corruption et le fait que les économique pour l’Amérique latine et les responsables n’étaient pas amenés à rendre Caraïbes [ONU] a indiqué en octobre que de comptes. 12 femmes ou filles étaient tuées chaque jour De nombreux pays de la région étaient dans la région en raison de leur genre, et que confrontés à des difficultés persistantes et ces crimes, qualifiés de « féminicides », généralisées d’accès à la justice, et à un restaient pour la plupart impunis. Selon le

24 Amnesty International — Rapport 2016/17 département d’État américain, une femme Centraméricains, ont dû quitter leur pays sur cinq aux États-Unis était victime d’une pour chercher refuge à l’étranger, souvent au agression sexuelle au cours de ses études risque de leur vie et de nouvelles violations supérieures, et seulement une agression sur de leurs droits fondamentaux. 10 était signalée aux autorités. De nombreux gouvernements ont fait Dans l’ensemble de la région, les preuve d’une intolérance accrue à la critique, personnes LGBTI étaient plus touchées que étouffant la dissidence et muselant la liberté le reste de la population par les violences et d’expression. les discriminations, et rencontraient plus Au Mexique, le refus de la critique était tel d’obstacles que les autres lorsqu’elles que les autorités niaient la crise des droits tentaient de se tourner vers la justice. La humains que traversait le pays. Malgré les fusillade qui a éclaté dans une boîte de nuit à près de 30 000 disparitions signalées, les Orlando, en Floride, a montré que les milliers de personnes tuées dans des personnes LGBTI étaient les plus exposées opérations de sécurité menées dans le cadre aux crimes de haine aux États-Unis. Le Brésil de la lutte contre le trafic de drogue et la restait l’un des pays les plus meurtriers du criminalité organisée, et les milliers monde pour les personnes transgenres. d’hommes, de femmes et d’enfants ayant dû En février, l’Organisation mondiale de la quitter leur foyer en raison de la violence santé (OMS) a décrété un état d’urgence de généralisée, les autorités faisaient la sourde santé publique après avoir constaté une oreille aux critiques de la société civile propagation « explosive » du virus Zika dans mexicaine et des organisations la région. Les craintes que la transmission du internationales, y compris des Nations unies. virus de la mère à l’enfant ne soit associée à Le déni était pareillement emblématique des cas de microcéphalie chez les nouveau- de la détérioration de la situation des droits nés, ainsi que la possible transmission du humains au Venezuela, où le gouvernement virus par voie sexuelle, ont mis en évidence a mis en péril la vie et les droits les obstacles à l’exercice effectif des droits fondamentaux de millions de personnes en sexuels et reproductifs dans la région. refusant d’admettre l’existence d’une crise Le vide laissé au niveau du pouvoir par humanitaire et économique majeure et de l’inaction des États était mis à profit par des faire appel à l’aide internationale. Malgré multinationales de plus en plus influentes, en d’importantes pénuries de nourriture et de particulier des entreprises de l’industrie médicaments, une criminalité en forte extractive, entre autres secteurs liés à hausse et des violations constantes des droits l’accaparement des terres et des ressources humains, dont de nombreuses violences naturelles dans des territoires appartenant le policières, le gouvernement a réduit ses plus souvent à des populations indigènes, à opposants au silence au lieu de répondre aux d’autres minorités ethniques ou à des petits appels à l’aide désespérés de la population. paysans, ou revendiqués par ces personnes, L’année a été particulièrement marquée dont le droit à un consentement préalable, par la visite historique à Cuba du président donné librement et en connaissance de des États-Unis, Barack Obama, qui a placé cause était bafoué. Souvent, la santé, sous les feux des projecteurs internationaux l’environnement, le mode de vie et la culture les défis à relever par les deux pays en de ces populations étaient affectés. matière de droits humains, tels que les Déplacées de force, les communautés mauvais traitements infligés aux migrants aux disparaissaient. États-Unis, les conséquences de l’embargo La répression politique, la discrimination, américain sur la situation des droits humains la violence et la pauvreté ont aggravé une à Cuba, ou encore le manque de liberté crise humanitaire profonde, mais oubliée de d’expression et la répression des activités des beaucoup. Des centaines de milliers de militants à Cuba, entre autres. personnes, pour la plupart des

Amnesty International — Rapport 2016/17 25 La ratification par le Congrès colombien Les défenseurs des droits humains et les d’un accord de paix avec les Forces armées mouvements sociaux qui s’opposaient aux révolutionnaires de Colombie (FARC), après projets de développement de grande ampleur plus de quatre ans de négociations, a mis un et aux multinationales étaient terme au conflit armé qui a dévasté des particulièrement exposés aux représailles. millions de vies pendant 50 ans. Un Les militants des droits des femmes ainsi que processus de paix avec la deuxième plus ceux issus de communautés en butte de grande formation de guérilla du pays, l’Armée longue date à l’exclusion étaient également la de libération nationale (ELN), a été annoncé cible de violences. mais n’avait toujours pas démarré à la fin de Les agressions, les menaces et les l’année, essentiellement en raison du refus meurtres visant les défenseurs des droits de l’ELN de libérer un otage de premier plan. humains se sont multipliés au Brésil. Au En Haïti, un ouragan mortel a provoqué Nicaragua, le gouvernement a fermé les yeux une crise humanitaire majeure et aggravé les sur les violations des droits humains et les dommages causés par les catastrophes persécutions dont ont été victimes des naturelles précédentes. Du fait de problèmes militants. La situation désespérée des structurels et profondément enracinés, tels prisonniers d’opinion au Venezuela et la que le manque de fonds et l’absence de volonté du gouvernement de museler la volonté politique, Haïti s’était déjà montré dissidence ont été mises en évidence avec le incapable de fournir un logement adéquat cas de Rosmit Mantilla, un dirigeant de aux quelque 60 000 personnes vivant dans l’opposition gravement malade qui a été des camps pour personnes déplacées, dans placé en cellule disciplinaire après s’être vu des conditions épouvantables, à la suite du refuser une intervention chirurgicale. À la tremblement de terre de 2010. Les élections suite d’intenses pressions nationales et présidentielle et législatives ont été reportées internationales, il a pu recevoir les soins à deux reprises à la suite d’allégations de médicaux urgents dont il avait besoin, puis a fraude et sur fond de manifestations, au été libéré en novembre. cours desquelles la police aurait fait usage Le Honduras et le Guatemala étaient les d’une force excessive. En novembre, Jovenel pays les plus dangereux du monde pour les Moïse a été élu président. militants des droits liés à la terre, au territoire et à l’environnement : à de multiples reprises, DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS EN ils ont fait l’objet de menaces, d’accusations DANGER forgées de toutes pièces, de campagnes de Dans de nombreux pays du continent, diffamation, d’agressions et de meurtres. En défendre les droits humains restait une mars, l'assassinat de la responsable indigène activité extrêmement dangereuse. de premier plan Berta Cáceres, abattue chez Particulièrement visés, les journalistes, les elle par des hommes armés, a exposé au avocats, les juges, les opposants politiques et grand jour la généralisation des violences les témoins étaient en butte à des menaces, contre les personnes travaillant sur des des agressions, des actes de torture et des questions liées à protection des terres, des disparitions forcées ; certains étaient même territoires et de l’environnement au tués par des acteurs étatiques ou non Honduras. étatiques qui voulaient les réduire au silence. Au Guatemala, les défenseurs des droits Les défenseurs des droits humains étaient humains qui s’opposaient à des projets également confrontés à des campagnes de d’exploitation de ressources naturelles étaient diffamation et de calomnie. Cependant, peu fréquemment qualifiés d’« ennemis de d’initiatives étaient mises œuvre pour l’intérieur » et visés par des poursuites enquêter sur ces actes ou traduire leurs pénales, dans le cadre de procédures sans auteurs en justice. fondement ou résultant d’un usage détourné de la justice. Cette année encore, un nombre

26 Amnesty International — Rapport 2016/17 inquiétant de défenseurs des droits humains, façon arbitraire durant de courtes périodes en particulier de dirigeants communautaires puis libérés sans inculpation, souvent à et de défenseurs de l’environnement, ont été plusieurs reprises au cours du même mois. menacés ou tués en Colombie. En Argentine, la dirigeante associative MENACES PESANT SUR LE SYSTÈME Milagro Sala a été arrêtée et inculpée pour INTERAMÉRICAIN DES DROITS avoir manifesté pacifiquement à Jujuy. Alors HUMAINS que sa remise en liberté avait été ordonnée, Malgré l’ampleur des défis que devait relever de nouvelles poursuites pénales ont été le continent en matière de droits humains, la engagées contre elle dans le but de la Commission interaméricaine des droits de maintenir en détention. En octobre, le l’homme (CIDH), qui joue un rôle essentiel Groupe de travail des Nations unies sur la pour défendre et promouvoir les droits détention arbitraire a dénoncé le caractère fondamentaux et garantir l’accès à la justice arbitraire de sa détention et demandé sa pour les victimes lorsque cela leur est libération immédiate. impossible dans leur propre pays, a été Au Pérou, Máxima Acuña, une paysanne affectée par une crise financière durant qui mène un combat juridique contre presque toute l’année. Cette situation était Yanacocha, l’une des plus grandes mines due à un financement insuffisant de la part d’or et de cuivre du nord du pays, pour la des États membres de l’Organisation des propriété des terres qu’elle occupe, a reçu en États américains (OEA), ce qui illustrait de 2016 le prix Goldman, une récompense manière éclatante l’absence de détermination prestigieuse dans le domaine de politique des États à promouvoir et protéger l’environnement. En butte à une campagne les droits humains à l’intérieur et à l’extérieur de harcèlement et d’intimidation de la part de de leurs frontières. gardes privés, qui s’en seraient pris En mai, la CIDH a déclaré être confrontée physiquement à elle et à sa famille, Máxima à la pire crise financière de son histoire. Ses Acuña ne s’est pas découragée et elle a progrès accomplis dans la lutte contre les refusé d’abandonner son combat pour violations flagrantes des droits humains et la protéger les lacs de sa région et continuer à discrimination structurelle risquaient vivre sur ses terres. fortement d’être remis en cause, au moment En Équateur, les droits à la liberté même où elle était appelée à agir plus d’expression et d’association ont été activement pour garantir que les États sévèrement restreints par des lois restrictives respectent leurs obligations au regard du et des mesures d’intimidation. L’expression droit international relatif aux droits humains. de positions critiques était toujours réprimée, Avec un budget annuel de 8 millions de en particulier lorsqu’il s’agissait de dollars des États-Unis, le système l’opposition aux projets d’extraction de interaméricain des droits humains demeurait ressources sur les terres de communautés le moins bien doté de tous les systèmes de autochtones. protection des droits fondamentaux du À Cuba, malgré les déclarations monde : ses ressources étaient inférieures à d’ouverture politique et le rétablissement des celles des organismes équivalents en Afrique relations avec les États-Unis en 2015, la (13 millions de dollars) et en Europe société civile et les groupes d’opposition ont (104,5 millions de dollars environ). dénoncé une augmentation des actes Bien que la CIDH ait fini par recevoir des d’intimidation à l’encontre de ceux qui financements complémentaires, on craignait critiquaient le régime. Des défenseurs des que la crise politique ne perdure tant que les droits humains et des militants politiques ont États n’accepteraient pas de lui fournir les été qualifiés publiquement de « subversifs » moyens adéquats et de coopérer avec elle, et de « mercenaires anti-cubains ». Certains quelles que soient ses critiques à l’égard de d’entre eux ont été placés en détention de leur bilan en matière de droits humains.

Amnesty International — Rapport 2016/17 27 La CIDH a également rencontré d’autres risquaient des violences extrêmes si on ne difficultés au cours de l’année. Le leur accordait pas une protection, les gouvernement mexicain a cherché à entraver expulsions depuis les États-Unis et le ses travaux dans l’affaire d’Ayotzinapa, Mexique ont augmenté. Un grand nombre de concernant la disparition forcée de personnes ont été renvoyées de force vers les 43 étudiants après leur arrestation par la situations dangereuses qu’elles avaient police en 2014. Les autorités ont affirmé que cherché à fuir ; certaines auraient été tuées les étudiants avaient été kidnappés par une par des bandes criminelles après avoir été bande criminelle et que leurs dépouilles renvoyées. avaient été incinérées et jetées dans une Le Honduras, le Guatemala et le Salvador décharge, mais un groupe d’experts nommés ont contribué à l’aggravation de cette crise en par la CIDH a conclu qu’il était s’abstenant de protéger les populations scientifiquement impossible qu’un si grand contre les violences et de proposer un nombre de corps aient été incinérés dans les programme global de protection pour les conditions avancées par les autorités. En personnes renvoyées de force par le novembre, la CIDH a mis en place un Mexique, les États-Unis ou d’autres pays. mécanisme spécial pour suivre l’application Au lieu d’assumer leurs responsabilités des recommandations des experts, mais il dans cette situation, les gouvernements était difficile de garantir que les autorités concernés se sont contentés de dénoncer les mexicaines lui apporteraient le soutien violations des droits humains infligées aux nécessaire. personnes qui traversaient le Mexique pour rejoindre les États-Unis. Ils ont également RÉFUGIÉS, MIGRANTS ET APATRIDES affirmé, à tort, que la plupart des réfugiés La situation en Amérique centrale a entraîné fuyaient leur pays par nécessité économique une aggravation rapide de la crise des et non en raison des taux élevés de violences réfugiés. Les violences incessantes dans et d’homicides, ou des menaces, extorsions cette région du monde souvent oubliée ont et actes d’intimidation que la majorité de la entraîné de nouveau cette année une forte population subissait quotidiennement dans hausse du nombre de demandes d’asile de les territoires contrôlés par des gangs. ressortissants de pays d’Amérique centrale Des dizaines de milliers de mineurs isolés, au Mexique, aux États-Unis et dans d’autres ainsi que des personnes voyageant avec leur pays. Jamais ce nombre n’avait été aussi famille, ont été appréhendés alors qu’ils élevé depuis la fin des conflits armés dans la tentaient de franchir la frontière sud des région, il y a plusieurs dizaines d’années. États-Unis. Des familles ont été détenues Des centaines de milliers de personnes ont pendant plusieurs mois, sans bénéficier d’un fui vers le Mexique, soit pour y demander accès approprié à un avocat ou à des soins l’asile, soit pour gagner la frontière des États- médicaux. Unis. Beaucoup ont été détenues dans des Tout au long de l’année, la CIDH a exprimé conditions très pénibles, ou ont été tuées, ses préoccupations concernant la situation enlevées ou soumises au racket par des des migrants cubains et haïtiens qui tentaient bandes criminelles, qui agissaient souvent de gagner les États-Unis. avec la complicité des autorités. Les Dans d’autres pays, les migrants et leur nombreux enfants et adolescents non famille étaient en butte à une discrimination accompagnés étaient particulièrement généralisée, à l’exclusion et à des mauvais vulnérables aux atteintes aux droits humains, traitements. Aux Bahamas, de nombreux tandis que les femmes et les filles risquaient migrants sans papiers, venus notamment fortement d’être victimes de violences d’Haïti et de Cuba, ont été maltraités. La sexuelles et de la traite des êtres humains. République dominicaine a expulsé des En dépit d’éléments accablants montrant milliers de personnes d’origine haïtienne, y que beaucoup de demandeurs d’asile compris des personnes nées en République

28 Amnesty International — Rapport 2016/17 dominicaine et réduites à l’apatridie, souvent mauvais traitements ont souvent été infligés au mépris du droit international et des aux manifestants à la suite d’interventions normes internationales en matière militaires destinées à réprimer les d’expulsion. À leur arrivée en Haïti, beaucoup protestations. parmi les expulsés ont dû s’installer dans des Lors des rassemblements qui ont eu lieu à camps de fortune, où les conditions de vie travers les États-Unis après que la police eut étaient déplorables. abattu, en juillet, Philando Castile (dans l’État Bien que les autorités dominicaines du Minnesota) et Alton Sterling (dans l’État nouvellement arrivées au pouvoir se soient de Louisiane), la police a utilisé des engagées à remédier à la situation des équipements antiémeutes renforcés et des apatrides, des dizaines de milliers de armes de type militaire, ce qui a soulevé des personnes étaient toujours concernées à la préoccupations quant au respect du droit des suite d’une décision prise en 2013 par la manifestants à la liberté de réunion Cour constitutionnelle, qui les a privées pacifique. Le niveau de force employée par la arbitrairement et à titre rétroactif de leur police lors des manifestations, nationalité. La CIDH a indiqué en février que essentiellement pacifiques, contre le projet le problème de l’apatridie était d’une ampleur d’oléoduc Dakota Access, à proximité de la sans précédent dans les Amériques. réserve sioux de Standing Rock, dans le Plus de 30 000 réfugiés syriens ont été Dakota du Nord, a également soulevé des réinstallés au Canada et 12 000 autres aux inquiétudes. Et parallèlement, les autorités États-Unis. américaines continuaient de ne pas tenir de décompte exact du nombre de personnes SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DROITS tuées par des agents des forces de l’ordre ; la HUMAINS presse a fait état de près de 1 000 victimes Des acteurs non étatiques, notamment des en 2016 ; par ailleurs, au moins entreprises et des réseaux criminels, 21 personnes seraient mortes après avoir été exerçaient une influence croissante et étaient touchées par des décharges d’armes à l’origine d’un regain de violences et électriques utilisées par des policiers. d’atteintes aux droits humains. Dans Les Jeux olympiques qui se sont déroulés l’ensemble, toutefois, les États ne au Brésil en août ont été entachés par des répondaient pas à cette situation de manière violations des droits humains commises par conforme aux normes internationales, et les forces de sécurité, les autorités et les d’importantes violations des droits humains organisateurs n’ayant pas mis en œuvre les sont intervenues du fait de la militarisation de mesures nécessaires pour prévenir ces abus. la sécurité publique. Les homicides imputables à la police se sont Face à la contestation sociale, y compris multipliés à Rio de Janeiro à l’approche des les manifestations pacifiques, certains États Jeux. Pendant toute la durée de l’événement, confiaient de plus en plus volontiers à la police a mené des opérations violentes et l’armée le soin de mener des opérations de réprimé sévèrement les manifestations, sécurité publique, et ont doté la police et parfois en employant une force injustifiée et d’autres organes de l’application des lois de excessive. Tout au long de l’année, les technologies, d’entraînements et opérations de lutte contre le trafic de drogue, d’équipements militaires. La lutte contre le ainsi que les opérations de sécurité menées crime organisé a souvent été invoquée pour par des policiers puissamment armés, ont justifier des opérations militaires mais ces entraîné de nombreuses violations des droits interventions, au lieu de traiter les causes humains et mis en danger la vie des agents profondes des violences, ne faisaient en des forces de l’ordre. réalité qu’entraîner de nouvelles violations Dans d’autres pays, notamment aux des droits humains. Au Venezuela, par Bahamas, au Chili, en Équateur, en exemple, des actes de torture et d’autres Jamaïque, au Mexique, au Pérou, en

Amnesty International — Rapport 2016/17 29 République dominicaine, au Salvador et au tuées par les forces de l’ordre depuis 2000, Venezuela, la police et d’autres forces de mais seuls quelques responsables ont été à sécurité ont également utilisé une force ce jour amenés à rendre des comptes. En excessive et injustifiée. juin, la commission d’enquête sur les En Jamaïque, des homicides illégaux violations des droits humains qui auraient été étaient fréquemment commis au cours perpétrées durant l’état d’urgence en 2010 a d’opérations policières, une pratique n’ayant préconisé une réforme des forces de police. guère évolué depuis deux décennies. En À la fin de l’année, les autorités n’avaient République dominicaine, un grand nombre toujours pas précisé comment elles des homicides imputables aux forces de comptaient s’y prendre pour mettre en place sécurité auraient été commis en toute cette réforme. illégalité. Ni l’un ni l’autre pays n’ont mis en Au Chili, les crimes commis par des œuvre une quelconque réforme des forces membres des forces de sécurité ayant de sécurité, et les responsables de ces actes frappé, maltraité, et dans certains cas tué étaient rarement amenés à rendre des des manifestants pacifiques et d’autres comptes. personnes sont restés largement impunis. Les tribunaux militaires, compétents pour ACCÈS À LA JUSTICE ET LUTTE CONTRE connaître des affaires de violations des droits L’IMPUNITÉ humains commises par des membres des L’impunité généralisée permettait aux forces de sécurité, omettaient régulièrement responsables d’atteintes aux droits humains d’enquêter en bonne et due forme sur ces d’agir sans crainte des conséquences, ce qui crimes et d’en juger les responsables affaiblissait l’état de droit et privait des présumés. Les procès qui se déroulaient millions de victimes de leur droit à la vérité et devant ces juridictions manquaient à des réparations. généralement de l’indépendance et de Cette impunité était renforcée par le fait l’impartialité les plus élémentaires. que les systèmes de justice et de sécurité En juillet, un tribunal paraguayen a manquaient toujours de ressources, condamné un groupe de paysans à des demeuraient faibles, et souvent corrompus, peines allant jusqu’à 30 ans et souffraient de l’absence de volonté d’emprisonnement pour la mort de six politique nécessaire pour garantir leur policiers et des infractions connexes indépendance et leur impartialité. intervenues en 2012 lors d’un litige foncier Dans une situation où les auteurs de dans le district de Curuguaty. Aucune violations des droits humains n’étaient pas enquête n’avait toutefois été ouverte sur la amenés à rendre de comptes devant la mort des 11 paysans tués durant ces justice, le crime organisé et les pratiques affrontements. Le procureur général n’a abusives des forces répressives pouvaient fourni aucune explication crédible pour s’enraciner et prospérer. justifier l’absence d’investigations sur ces Privées d’un véritable accès à la justice, décès. Il n’a pas non plus répondu aux un grand nombre de personnes au Brésil, en accusations selon lesquelles la scène de Colombie, au Guatemala, au Honduras, en crime avait été maquillée, ni aux allégations Jamaïque, au Mexique, au Paraguay, au faisant état de torture et d’autres mauvais Pérou et au Venezuela, notamment, ne traitements infligés aux paysans lors de leur pouvaient faire valoir leurs droits. garde à vue. En Jamaïque, l’impunité était toujours la À la fin de l’année, soit deux ans et demi règle pour les responsables de l’application après la publication d’un rapport par le Sénat des lois accusés d’avoir commis des des États-Unis à ce sujet, personne n’avait homicides illégaux et des exécutions été déféré à la justice pour répondre des extrajudiciaires au cours des dernières violations des droits humains commises dans décennies. Plus de 3 000 personnes ont été le cadre du programme secret de détentions

30 Amnesty International — Rapport 2016/17 et d’interrogatoires de la CIA, mis en place à des droits humains perpétrés lors du conflit la suite des attentats du 11 septembre 2001. armé de 1980-1992. Les poursuites engagées contre cinq En Haïti, aucun progrès n’a été fait dans membres de la marine mexicaine accusés de l’enquête sur les allégations de crimes contre la disparition forcée d’un homme, retrouvé l’humanité visant l’ex-président Jean-Claude mort plusieurs semaines après son Duvalier et ses anciens collaborateurs. arrestation, en 2013, constituaient une évolution positive et laissaient entrevoir DROITS DES FEMMES ET DES FILLES l’espoir d’une nouvelle politique de lutte Les États n’ont guère progressé dans la lutte contre les innombrables disparitions au contre les violences faites aux femmes et aux Mexique. On ignorait toujours le sort de filles. Cette inaction s’est notamment traduite dizaines de milliers de victimes de par l’absence de mesures pour les protéger disparitions forcées dans tout le pays. contre les viols et les meurtres et pour En Argentine, en Bolivie, au Chili, au amener les responsables de ces actes à Pérou et dans d’autres pays, l’impunité rendre des comptes. Des informations ont fait persistante et le manque de détermination état de violences liées au genre au Brésil, au politique à mettre en œuvre des enquêtes sur Canada, aux États-Unis, en Jamaïque, au les violations des droits humains et les crimes Nicaragua, en République dominicaine, au de droit international, notamment des milliers Salvador et au Venezuela, entre autres pays. d’exécutions extrajudiciaires et de Les nombreuses violations des droits disparitions forcées, perpétrés durant les sexuels et reproductifs portaient gravement dictatures militaires des décennies atteinte à la santé des femmes et des filles. précédentes continuaient de priver les Le nombre de pays où l’avortement était victimes et leur famille de leur droit à obtenir totalement interdit était plus important dans vérité, justice et réparations. les Amériques que dans toute autre région. En Argentine, toutefois, l’ancien président Dans certains pays, les femmes étaient jetées de facto Reynaldo Bignone a été condamné à en prison simplement parce qu’elles étaient 20 ans d’emprisonnement pour son soupçonnées d’avoir avorté, parfois après implication dans des centaines de avoir subi une fausse couche. disparitions forcées intervenues dans le Au Nicaragua, les femmes vivant dans la cadre d’une opération des services du pauvreté demeuraient les principales renseignement menée à l’échelle de la victimes de la mortalité maternelle. Le pays région ; 14 autres militaires ont également affichait l’un des taux de grossesse chez les été condamnés à des peines de détention. adolescentes les plus élevés du continent, et Ces verdicts représentaient une avancée les femmes étaient en butte à des lois sur positive pour la justice et laissaient espérer l’avortement parmi les plus strictes du globe : l’ouverture d’autres enquêtes. celui-ci restait interdit en toutes Une décision marquante est intervenue au circonstances, même lorsque la vie de la Guatemala, où la lutte contre l’impunité ne femme était en jeu. En République progressait que lentement dans l’ensemble : dominicaine, une réforme du Code pénal deux anciens militaires ont été reconnus visant à dépénaliser l’avortement dans coupables de crimes contre l’humanité pour certains cas a de nouveau été repoussée. La des actes d’esclavage domestique et sexuel proposition de réforme législative pour et des violences sexuelles infligés à des dépénaliser l’avortement au Chili était femmes mayas q’eqchis. toujours en discussion. En juillet, la Cour suprême du Salvador a Cependant, quelques lueurs d’espoir ont déclaré inconstitutionnelle la loi d’amnistie. été observées. Au Salvador, la décision d’un Cette décision constituait un grand pas en tribunal de libérer María Teresa Rivera, qui avant en matière de justice pour les crimes avait purgé quatre années de la peine de de droit international et les autres violations 40 ans d’emprisonnement à laquelle elle

Amnesty International — Rapport 2016/17 31 avait été condamnée après avoir fait une naturelles, et que leur participation soit fausse couche, représentait un pas vers la renforcée dans les processus de prise de justice dans un pays où la condition des décision concernant les projets de femmes était effroyable. Autre bonne développement sur leurs terres et territoires. nouvelle pour les droits humains, une femme Au Nicaragua, en mai, les dirigeants de condamnée en Argentine à huit années communautés indigènes et afro- d’emprisonnement à la suite d’une fausse nicaraguayennes du territoire rama et kriol couche a été remise en liberté. La Cour ont déclaré que l’accord pour la construction suprême a estimé que les raisons justifiant du Grand Canal interocéanique avait été son maintien en détention étaient signé sans véritable processus de insuffisantes. consultation. Les violences se sont intensifiées dans la région autonome de DROITS DES PEUPLES AUTOCHTONES l’Atlantique nord, où les communautés Après 17 années de négociations, indigènes miskitos ont été la cible de l’Organisation des États américains a adopté, menaces, d’attaques, d’assassinats, en juin, la Déclaration américaine des droits d’agressions sexuelles et de déplacements des peuples autochtones. forcés imputables à des colons non Cependant, dans toute la région, les autochtones. peuples indigènes continuaient d’être Des évolutions positives étaient également victimes de violences, de meurtres et d’une à relever, notamment avec l’annonce par le utilisation excessive de la force par la police. gouvernement canadien de l’ouverture d’une Leurs droits culturels et leur droit de disposer enquête à l’échelle nationale sur les de leurs terres, territoires et ressources disparitions et les homicides de femmes et naturelles étaient en outre souvent réprimés. de filles autochtones. L’exclusion, la pauvreté, les inégalités et une discrimination systémique faisaient partie de DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET la vie quotidienne de milliers d’autochtones, DES PERSONNES BISEXUELLES, notamment en Argentine, au Brésil, au Chili, TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES en Colombie, en Équateur, au Mexique, au Les progrès accomplis dans certains pays sur Paraguay et au Pérou. les plans législatif et institutionnel, tels que la Des populations autochtones ont cette légalisation du mariage entre personnes de année encore été déplacées de force et même sexe, ne se sont pas forcément chassées de leurs terres par des acteurs traduits par une meilleure protection des étatiques et non étatiques, notamment des personnes LGBTI contre les violences et la entreprises et des propriétaires fonciers qui discrimination. agissaient au nom de leurs propres intérêts. De nombreux cas de crimes de haine, Des projets de développement, d’apologie de la haine, de discrimination ainsi notamment dans le secteur des industries que de meurtres et de persécution de extractives, représentaient une menace pour militants LGBTI ont cette année encore été la culture des peuples autochtones et enregistrés dans toute la région, notamment entraînaient parfois le déplacement forcé de en Argentine, aux Bahamas, aux États-Unis, communautés entières. À de nombreuses en Haïti, au Honduras, en Jamaïque, en reprises, ces populations ont été privées de République dominicaine, au Salvador et au leur droit d’être véritablement consultées et Venezuela. de donner préalablement leur consentement En République dominicaine, toutefois, libre et éclairé. Dans l’ensemble de la région, plusieurs candidats ouvertement LGBTI se les femmes indigènes et les paysannes ont sont présentés à différents scrutins au cours demandé qu’une plus grande attention soit de l’année, dans une initiative visant à portée aux conséquences sur les femmes accroître leur participation et leur visibilité des projets d’extraction de ressources politiques.

32 Amnesty International — Rapport 2016/17 professionnels des médias ont subi des RÉSUMÉ RÉGIONAL agressions au Pakistan, et la place accordée à la société civile s’est réduite dans un ASIE-PACIFIQUE certain nombre de pays, par exemple en Inde. En Asie du Sud-Est, des droits Bien que beaucoup de gouvernements de la fondamentaux, tels que les droits à la liberté région Asie-Pacifique – où vit 60 % de la de pensée, de conscience, de religion, population mondiale – aient accentué la d’opinion, d’expression, d’association et de répression contre les droits humains, des réunion, ont été la cible de multiples avancées positives ont aussi été constatées attaques. Le régime militaire thaïlandais a dans certains pays et certains domaines. mené une répression sans merci, tandis que La liberté d’expression et la justice ont été les autorités malaisiennes tentaient de revendiquées haut et fort, et on a assisté à un réduire l’opposition politique au silence. développement du militantisme et des Parallèlement à la réduction de l’espace mouvements de protestation contre les d’expression de la société civile constatée violations des droits fondamentaux. Les dans de nombreux pays, la discrimination jeunes se sont montrés de plus en plus s’est accrue à plusieurs endroits et dans déterminés à faire entendre leur voix pour différents contextes, en particulier à l’égard défendre leurs droits et ceux d’autrui. Grâce des minorités ethniques ainsi que des aux technologies en ligne et aux réseaux femmes et des filles. sociaux, il est devenu plus facile de partager Beaucoup d’États, comme la Chine, la des informations, de dénoncer les injustices, Corée du Nord, la Malaisie, les Maldives, le de s’organiser et de défendre ses opinions. Népal, les Philippines, Singapour, la Maintes et maintes fois, des défenseurs des Thaïlande, le Timor-Leste et le Viêt-Nam, ont droits humains ont tenu bon face à utilisé la torture et d’autres mauvais l’oppression brutale de certains États, traitements comme outils contre les menant des actions courageuses et défenseurs des droits humains et les groupes mobilisatrices malgré des difficultés extrêmes marginalisés, entre autres. et des moyens limités. Ces violences étaient souvent entretenues Beaucoup l’ont cependant payé très cher. par l’absence d’obligation de rendre des De nombreux gouvernements ont fait preuve comptes pour les tortionnaires et les autres d’un effroyable mépris à l’égard de la liberté, auteurs de violations des droits humains. de la justice et de la dignité. Ils ont fait tout L’impunité, pernicieuse et souvent chronique, leur possible pour museler les voix était une caractéristique commune à de dissidentes et empêcher les protestations et nombreux pays, ce qui privait les victimes de les actions militantes, y compris en ligne, justice, de vérité et d’autres formes de s’appuyant sur la force ou sur l’utilisation réparations. Des progrès ont toutefois été cynique de lois anciennes ou nouvelles pour constatés sur ce plan. Ainsi, même si exercer leur répression. l’impunité demeurait très répandue, des En Asie de l’Est, la transparence mesures timides ont été prises pour gouvernementale a diminué tandis que demander des comptes aux responsables s’accroissait le sentiment d’un fossé de plus présumés des crimes relevant du droit en plus grand entre les pouvoirs publics et la international qui empoisonnaient le Sri Lanka population. La répression persistante dans depuis plusieurs décennies. Par ailleurs, un des pays comme la Chine et la Corée du accord a été conclu entre le Japon et la Nord n’a fait qu’exacerber cette tendance. En Corée du Sud à propos du système Asie du Sud, les critiques et la libre d’esclavage sexuel mis en place par l’armée expression des opinions ont été de moins en japonaise avant et pendant la Seconde moins tolérées ; des blogueurs ont été Guerre mondiale. Cet accord a toutefois été assassinés au Bangladesh, des critiqué car les victimes n’avaient pas été

Amnesty International — Rapport 2016/17 33 invitées à participer aux négociations. Dans demandeurs d’asile contraints de quitter leur une décision historique, un tribunal des pays, souvent dans des conditions Philippines a pour la première fois déclaré un déplorables et au péril de leur vie. Beaucoup policier coupable de torture en vertu de la Loi se sont retrouvés bloqués dans des situations de 2009 contre la torture. Le Bureau du précaires, exposés à de multiples atteintes procureur de la Cour pénale internationale a aux droits humains. Certains gouvernements, annoncé qu’il allait peut-être bientôt ouvrir comme ceux de l’Australie et de la Thaïlande, une enquête en Afghanistan, à propos des ont encore aggravé le sort de ces personnes allégations de crimes commis par les en les renvoyant dans des pays où elles talibans, le gouvernement afghan et les risquaient de subir des violations des droits forces des États-Unis. humains. Les habitants de la région ont aussi Au Myanmar, l’intensification du conflit été très nombreux à se trouver déplacés à dans l’État kachin et l’éruption de violence l’intérieur de leur propre pays. dans le nord de l’État d’Arakan, où une Les entreprises se sont souvent rendues opération de grande envergure des forces de coupables ou complices d’atteintes aux droits sécurité a contraint des membres des humains. Le gouvernement sud-coréen a communautés rohingya et rakhine à fuir de autorisé les entreprises privées à entraver les chez eux, ont aggravé encore davantage la activités légales des syndicats, et n’a réagi situation humanitaire dans le pays, déjà que tardivement aux effets sanitaires néfastes caractérisée par des centaines de milliers de et aux morts causés par l’exposition à des déplacements forcés provoqués par les produits dangereux. En Inde, la société Dow violences de ces dernières années. Les Chemical Company, basée aux États-Unis, et autorités ont empêché l’aide humanitaire de sa filiale Union Carbide Corporation n’ont une parvenir dans ces deux États. Avec le regain fois de plus pas répondu à une citation à d’influence et de pouvoir des talibans, le comparaître devant un tribunal de Bhopal conflit armé s’est poursuivi en Afghanistan, pour y répondre d’infractions liées à la fuite faisant de très nombreuses victimes parmi de gaz survenue en 1984. les civils. La région n’a dans l’ensemble pas suivi la Dans plusieurs pays, l’insécurité et les tendance mondiale à l’abolition de la peine souffrances ont été exacerbées par les de mort. La Chine est restée le premier pays exactions de groupes armés. En Inde, par au monde en termes d’exécutions, même si exemple, ceux-ci se sont rendus coupables leur nombre exact demeurait un secret d’enlèvements et d’homicides illégaux dans d’État. Le Pakistan a exécuté plus de le centre et le nord-est du pays, ainsi que 400 personnes depuis la levée d’un dans l’État de Jammu-et-Cachemire. En moratoire sur les exécutions en 2014. En Indonésie, les attentats à l’explosif et les violation des normes internationales, certains attaques à l’arme à feu du groupe armé se des prisonniers exécutés étaient mineurs au désignant sous le nom d’État islamique (EI) moment des faits qui leur étaient reprochés, ont témoigné d’un profond mépris pour le ou étaient atteints de troubles mentaux ; droit à la vie. La capitale de l’Afghanistan, d’autres avaient été condamnés à l’issue de Kaboul, a été le théâtre d’attentats effroyables procès inéquitables. Au Japon, les exécutions commis par des groupes armés, dont un se déroulaient dans le plus grand secret. Les contre l’organisation humanitaire CARE autorités des Maldives ont menacé de International, qui visait délibérément des reprendre les exécutions capitales, alors civils et constituait par conséquent un crime qu’un moratoire était en place depuis 60 ans. de guerre. Aux Philippines, une proposition de loi visant Le climat de répression, de conflit et à rétablir la peine de mort a été présentée au d’insécurité dans la région a accentué la Congrès. Plus positivement, Nauru est crise mondiale des réfugiés, jetant sur les devenu le 103e pays à abolir totalement la routes des milliers de réfugiés et de peine de mort.

34 Amnesty International — Rapport 2016/17 Parmi les grands changements de l’année, l’absence de volonté politique et les citons l’arrivée au pouvoir, au Myanmar, d’un dispositions de la Constitution sur l’immunité nouveau gouvernement composé presque limitaient l’obligation de rendre des comptes. entièrement de civils et mené de fait par Aung San Suu Kyi à un poste spécialement créé pour elle, après la victoire éclatante de ASIE DE L’EST son parti, la Ligue nationale pour la DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS démocratie, aux élections de 2015. Ce En Asie de l’Est, les défenseurs des droits nouveau gouvernement a pris quelques humains ont fait l’objet d’attaques mesures pour améliorer la situation en concertées, tandis que la liberté de la société matière de droits humains, mais restait civile de soulever des questions jugées confronté à d’énormes difficultés héritées litigieuses par les autorités ne cessait de se d’un demi-siècle de dictature militaire. Son réduire. pouvoir était limité par l’influence persistante La répression s’est poursuivie sous la de l’armée, qui continuait de contrôler des présidence de Xi Jinping en Chine, où les ministères clés et détenait un quart des défenseurs des droits humains, les avocats, sièges au Parlement. Peu d’avancées ont été les journalistes et les militants ont été de plus constatées en ce qui concerne les conflits en en plus souvent la cible de manœuvres cours au Myanmar, la difficile situation des d’intimidation et de harcèlement Rohingyas, l’aide humanitaire aux systématiques, dont des arrestations populations déplacées, l’impunité des arbitraires, des actes de torture et d’autres auteurs de violations des droits humains et la mauvais traitements. Certains proches des réforme des lois répressives. personnes visées ont aussi fait l’objet d’une Aux Philippines, les violences cautionnées surveillance policière, subi des actes de par l’État – principalement des homicides harcèlement et vu leur droit de circuler illégaux – se sont multipliées de façon librement soumis à des restrictions. Les considérable sous la présidence de Rodrigo autorités ont eu de plus en plus recours au Duterte. La « guerre contre la drogue », une placement « en résidence surveillée dans un répression violente à l’encontre des lieu désigné », qui permet à la police de personnes soupçonnées d’être impliquées détenir des personnes hors du système de dans des affaires liées aux stupéfiants, a fait détention officiel pendant une période plus de 6 000 morts. pouvant aller jusqu’à six mois, sans En février, les conséquences dévastatrices possibilité de consulter un avocat de leur du cyclone Winston à Fidji ont mis en choix ni d’entrer en contact avec leur famille. évidence les carences en termes Le nombre de détenus contraints de faire des d’infrastructures dans le pays ; « aveux » à la télévision a aussi augmenté. 62 000 personnes ont été déplacées à la Des milliers de sites Internet étaient toujours suite de la destruction de leurs habitations, la bloqués par les autorités. Les pouvoirs distribution de l’aide s’est caractérisée par publics de la province du Guangdong ont une discrimination à l’égard de certains mené une répression contre les travailleurs et groupes, et la pénurie de matériaux de les défenseurs des droits du travail, construction n’a pas permis de répondre aux empêchant souvent les personnes arrêtées besoins des plus démunis. de consulter un avocat sous des prétextes En mai, le Sri Lanka a ratifié la Convention liés à la « sécurité nationale ». internationale contre les disparitions forcées Le gouvernement chinois a aussi proposé [ONU]. Toutefois, le pays n’avait pas encore et adopté des lois et règlements destinés inscrit le crime spécifique de disparition officiellement à améliorer la sécurité forcée dans sa législation nationale à la fin de nationale, mais qui pourraient être utilisés l’année. Fidji a ratifié la Convention contre la pour réduire au silence les dissidents et torture [ONU] avec des réserves, mais réprimer les défenseurs des droits humains

Amnesty International — Rapport 2016/17 35 au titre d’infractions très floues, comme prisonniers, où la torture et les autres l’« incitation à la subversion » et la mauvais traitements, dont les travaux forcés, « divulgation de secrets d’État ». Il était à étaient généralisés et systématiques. Le craindre que la nouvelle Loi relative à la contrôle exercé par l’État, l’oppression et les gestion des ONG étrangères ne soit utilisée mesures d’intimidation se sont intensifiés pour intimider et poursuivre en justice des depuis l’arrivée au pouvoir de Kim Jung-un défenseurs des droits humains et des ONG, en 2011. Les autorités ont conservé leur et que la nouvelle Loi relative à la mainmise sur l’utilisation des technologies de cybersécurité ne porte atteinte à la liberté l’information, notamment dans le but de d’expression et au respect de la vie privée. couper du monde les habitants et de cacher Tout cela n’a pas dissuadé les militants la situation dramatique en matière de droits d’être imaginatifs. Quatre défenseurs des humains. Les Nord-Coréens pris en train droits humains ont été arrêtés pour avoir d’utiliser un téléphone portable pour appeler commémoré le 27e anniversaire du massacre des proches à l’étranger risquaient l’envoi de Tiananmen, qui s’était déroulé le dans un camp de prisonniers politiques ou 4 juin 1989. Ils avaient publié sur Internet un autre centre de détention. une publicité pour un alcool très consommé Dans la Corée du Sud voisine, les droits en Chine, dont l’étiquette indiquait humains ont eu tendance à régresser. Les « Souvenez-vous, Huit Alcool Six Quatre », droits à la liberté de réunion pacifique et un jeu de mot en chinois faisant référence à d’expression ont été restreints, notamment cette date (le mot alcool se prononçant au moyen de nouveaux outils tels que les comme le chiffre neuf), avec une illustration poursuites au civil. Les autorités ont réduit la rappelant la célèbre photo d’un homme se liberté de la presse en s’ingérant de plus en tenant face aux chars. Cette action a été plus étroitement dans le traitement des largement diffusée sur les réseaux sociaux actualités et ont limité l’exercice du droit à la avant d’être censurée. liberté de réunion pacifique, souvent sous le En octobre, Ilham Tohti, intellectuel prétexte de protéger l’ordre public. ouïghour renommé ayant œuvré pour le L’Assemblée nationale sud-coréenne a dialogue entre les Ouïghours et les Hans, a adopté une loi contre le terrorisme qui reçu le prix Martin Ennals pour les renforce considérablement les pouvoirs de défenseurs des droits de l’homme 2016, qui l’État en matière de surveillance des récompense un engagement important face à communications et de collecte d’informations un risque sérieux. Il purge actuellement une concernant des personnes soupçonnées peine de réclusion à perpétuité pour d’avoir des liens avec le terrorisme. « séparatisme ». En Mongolie, les organisations de la À Hong Kong, les étudiants Joshua Wong, société civile qui œuvraient pour la protection Alex Chow et Nathan Law ont été déclarés des droits humains ont été régulièrement coupables de « participation à un victimes de manœuvres d’intimidation, de rassemblement illégal » pour leur rôle dans harcèlement et de menaces, provenant les événements qui avaient déclenché le principalement de particuliers. mouvement prodémocratique dit « des Plus positivement, le nouveau parapluies » en 2014. gouvernement de Taiwan a abandonné les La Corée du Nord a exercé une répression poursuites contre plus de 100 manifestants extrêmement sévère, violant la quasi-totalité qui avaient participé en 2014 aux des droits fondamentaux. La liberté manifestations étudiantes contre l’Accord d’expression était fortement restreinte, et il commercial sur les services entre les deux n’existait aucun média ni aucune rives conclu entre Taiwan et la Chine – un organisation de la société civile indépendants mouvement connu sous le nom de dans le pays. Jusqu’à 120 000 personnes « mouvement des tournesols ». Le nouveau étaient toujours détenues dans des camps de Premier ministre, Lin Chuan, a déclaré que la

36 Amnesty International — Rapport 2016/17 décision du précédent gouvernement de écrivains ouïghours et des rédacteurs de sites poursuivre les manifestants relevait plus Internet en langue ouïghoure. d’une « réaction politique » que d’une Les Tibétains étaient toujours en butte à « affaire judiciaire ». des discriminations et à des restrictions de leurs droits à la liberté de pensée, de POPULATIONS EN MOUVEMENT conscience, de religion, d’expression, Le Japon a continué de rejeter la plupart des d’association et de réunion pacifique. Le demandes d’asile. En Corée du Sud, le blogueur tibétain Druklo a été condamné à Service national de l’immigration a maintenu trois ans de prison pour « incitation au plus d’une centaine de demandeurs d’asile séparatisme » en raison de ses publications en détention pendant des mois à l’aéroport en ligne sur la liberté religieuse et le dalaï- international d’Incheon. Parmi ces personnes lama, entre autres. Le gouvernement de la se trouvaient 28 Syriens ; un tribunal a région autonome ouïghoure du Xinjiang a finalement jugé qu’ils devaient être libérés et continué de bafouer le droit à la liberté de autorisés à présenter une demande d’asile. religion et a réprimé les rassemblements Des dizaines de demandeurs d’asile d’autres religieux non autorisés. nationalités, notamment égyptienne, étaient toujours détenus à l’aéroport dans des conditions inhumaines. ASIE DU SUD DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS DISCRIMINATION Les défenseurs des droits humains d’Asie du À la suite d’une multiplication des Sud ont été victimes de différents types de manifestations en faveur de la discrimination, violations. Les gouvernements se sont le Parlement japonais a adopté la première appuyés sur une législation draconienne et loi du pays condamnant les appels à la haine sur de nouvelles lois destinées à censurer ou « discours de haine » à l’encontre de l’expression en ligne. résidents d’origine étrangère et de leurs L’Inde a eu recours à des lois répressives descendants. Il a toutefois été reproché à pour restreindre la liberté d’expression et cette loi d’avoir un champ d’application trop faire taire les critiques. Elle a utilisé la Loi étroit et de ne pas prévoir de sanctions. Les relative aux contributions étrangères minorités sexuelles ou ethniques (réglementation) pour limiter la réception de demeuraient en butte à de graves financements étrangers par les organisations discriminations au Japon. de la société civile et pour harceler des ONG. En Chine, la liberté de religion était La législation sur la sédition, utilisée par les systématiquement bafouée. Des Britanniques pour réduire la liberté modifications législatives, proposées une fois d’expression durant la lutte pour encore au nom de la sécurité nationale, afin l’indépendance, a servi à harceler les d’empêcher « l’infiltration et l’extrémisme », détracteurs du gouvernement. Des contenaient des dispositions renforçant les défenseurs des droits humains ont aussi été pouvoirs de contrôle et de sanction des la cible de manœuvres d’intimidation et autorités à l’égard de certaines pratiques d’agressions. Le journaliste Karun Mishra a religieuses. Si elles étaient adoptées, ces été abattu par des hommes armés en Uttar dispositions pourraient être utilisées pour Pradesh, semble-t-il en raison de ses articles accroître encore la répression, en particulier sur l’exploitation minière illégale. Un autre des droits à la liberté de religion et de journaliste, Rajdeo Ranjan, a lui aussi été conviction des communautés chrétiennes abattu ; il avait été menacé par des dirigeants non reconnues par l’État, des bouddhistes politiques à cause de ses écrits. tibétains et des musulmans ouïghours. Dans Dans l’État de Jammu-et-Cachemire, les la région autonome ouïghoure du Xinjiang, le forces de sécurité ont eu recours à la force gouvernement a placé en détention des de manière injustifiée ou excessive contre

Amnesty International — Rapport 2016/17 37 des manifestants. Le gouvernement de cet utilisées pour harceler ceux qui exprimaient État a par ailleurs imposé un couvre-feu des critiques sur les réseaux sociaux. Dilip pendant plus de deux mois. La suspension Roy, étudiant militant, a ainsi été interpellé des services des opérateurs privés de pour avoir critiqué la Première ministre sur téléphonie fixe et mobile et des fournisseurs Facebook. Il risquait une peine de 14 ans de d’accès à Internet a porté atteinte à toute une prison aux termes de la Loi sur l’information série de droits fondamentaux ; des habitants et les technologies de communication, une se sont plaints de n’avoir pas pu contacter les loi formulée en termes vagues et utilisée par services médicaux d’urgence. les autorités pour menacer et punir ceux qui Au Pakistan, les professionnels des exprimaient pacifiquement des points de vue médias étaient confrontés à de nombreux qui ne leur convenaient pas. risques dans le cadre de leur métier, tels que Aux Maldives, où les droits humains ont des enlèvements, des arrestations et été de plus en plus mis à mal ces dernières détentions arbitraires, des actes années, le gouvernement a intensifié ses d’intimidation, des homicides et des attaques contre la liberté d’expression et la manœuvres de harcèlement par les autorités liberté de réunion, imposant des restrictions ou par des acteurs non étatiques. Parmi les arbitraires pour empêcher les manifestations. nombreuses attaques menées contre les Les autorités ont aussi réduit au silence des médias et, plus généralement, contre la opposants politiques, des défenseurs des liberté d’expression, citons par exemple droits humains et des journalistes, en l’attentat à la grenade contre les bureaux de s’appuyant sur la législation qui sanctionnait la chaîne de télévision ARY TV dans la les discours, remarques et autres actes capitale, Islamabad. Cet attentat a été « diffamatoires ». revendiqué par un groupe allié à l’EI dans des tracts retrouvés sur les lieux. POPULATIONS EN MOUVEMENT Au Sri Lanka, Sandhya Eknaligoda, la À cause du conflit en cours, l’Afghanistan femme du dessinateur de presse dissident était le deuxième pays d’origine des réfugiés Prageeth Eknaligoda, a subi de nombreuses dans le monde. La crise a touché menaces et manœuvres d’intimidation après énormément de personnes ; plus de deux l’identification par la police de sept membres millions d’Afghans étaient réfugiés au des services de renseignement militaire Pakistan et en Iran, et de nombreux autres soupçonnés d’être impliqués dans la tentaient de gagner l’UE. Un accord conclu disparition forcée de son mari. Des entre l’UE et l’Afghanistan obligeait celui-ci à manifestations ont notamment eu lieu devant réaccepter sur son territoire tout ressortissant le tribunal où était examinée la requête en afghan débouté du droit d’asile dans l’UE. habeas corpus concernant le dessinateur de Cependant, du fait de l’instabilité persistante, presse, et une campagne d’affichage il était impossible pour beaucoup de réfugiés accusant Sandhya Eknaligoda de soutenir les et de demandeurs d’asile de retourner chez Tigres libérateurs de l’Eelam tamoul (LTTE) a eux volontairement en toute sécurité. été organisée. Les Afghans qui risquaient leur vie en La liberté d’expression a cette année tentant le dangereux voyage vers l’Europe ont encore été attaquée au Bangladesh, où les fait la une des journaux, mais la grande autorités ont fait preuve d’une intolérance majorité des habitants du pays n’avait même croissante à l’égard des médias pas les moyens de partir. Selon les indépendants et des voix critiques. Sur fond estimations, le nombre de personnes de grave détérioration de la situation en contraintes de fuir leur domicile et déplacées matière de droits humains, plusieurs à l’intérieur du pays a plus que doublé en journalistes ont été arrêtés et détenus trois ans, atteignant 1,4 million en 2016. arbitrairement. L’opposition pacifique a été Pendant ces mêmes trois années, l’aide réprimée à l’aide de lois draconiennes, internationale à l’Afghanistan a diminué de

38 Amnesty International — Rapport 2016/17 moitié tandis que l’attention des donateurs ont protesté contre des modifications du droit baissait à la suite du retrait des troupes du travail. Des Noirs ont été confrontés au internationales. Le sort de toutes ces harcèlement, à la discrimination et aux personnes tentant de survivre dans des violences racistes dans plusieurs villes. De conditions effroyables, dans des camps plus en plus de crimes violents et de surpeuplés où elles manquaient d’abris, de violences sexuelles visant des femmes ou des nourriture, d’eau et de soins médicaux, était filles ont été signalés, mais les auteurs de ces en passe de tomber dans l’oubli. actes jouissaient généralement d’une totale La situation des réfugiés afghans au impunité. Les femmes issues de groupes Pakistan était peu réjouissante ; le marginalisés étaient en butte à une gouvernement pakistanais prévoyait en effet discrimination systémique. La législation de procéder au plus grand renvoi forcé de indienne érigeait en infraction le racolage réfugiés que l’histoire moderne ait jamais dans un lieu public, ce qui exposait les connu, faisant peser une menace sur travailleuses et travailleurs du sexe à une quelque 1,4 million de personnes dont série d’atteintes à leurs droits humains. l’autorisation de séjour devait expirer à la fin L’article 377 du Code pénal indien était de l’année. Les autorités ont fixé plusieurs toujours utilisé pour sanctionner pénalement dates butoirs irréalistes, qu’elles ont ensuite les relations sexuelles librement consenties reportées à contrecœur, pour le renvoi des entre adultes de même sexe, bien qu’il ait été réfugiés en Afghanistan. Ces annonces ont contesté devant la Cour suprême. Le suscité des vagues de harcèlement de la part gouvernement indien a adopté une loi de la police et des autorités, tandis que les bancale sur les droits des personnes réfugiés restaient piégés dans les camps, en transgenres, qui a été critiquée par des pleine incertitude quant à leur situation. militants à cause de sa définition Par ailleurs, à plusieurs reprises, le problématique de ce qu’est une personne Pakistan a enfreint le principe de « non- transgenre et de ses dispositions inadaptées refoulement », exposant des réfugiés afghans contre la discrimination. au risque de subir de graves atteintes aux Le Bangladesh a été le théâtre d’une série droits humains. La décision d’expulser d’homicides et d’autres attaques visant des Sharbat Gula dans un pays qu’elle n’avait pas blogueurs, des athées, des étrangers et des revu depuis une génération et que ses personnes LGBTI, semble-t-il pour des enfants ne connaissaient pas a été un raisons militantes. Les autorités ont réagi exemple révélateur de la cruauté du tardivement, arrêtant près de traitement réservé aux réfugiés afghans par le 15 000 personnes. Le gouvernement a Pakistan. Cette femme était l’« Afghane aux souvent transigé avec son obligation de yeux verts » dont la photo en couverture du poursuivre les responsables qui utilisaient magazine National Geographic en 1985 avait des mesures comme la détention arbitraire et marqué les esprits ; elle était restée pendant secrète. Des attaques pour lesquelles des décennies la réfugiée la plus célèbre du personne n’a eu à rendre de comptes, telles monde, symbole de la politique d’accueil que l’assassinat de Xulhaz Mannan, généreuse du Pakistan. rédacteur en chef d’un magazine LGBTI, et de son ami Tanay Mojumdar, ont souligné le DISCRIMINATION manque de protection pour les militants Des milliers de personnes ont manifesté pacifiques. Des défenseurs des droits contre la discrimination et la violence à humains ayant fait l’objet de menaces l’encontre des dalits. Les populations similaires ont déclaré que la police ne les marginalisées ont, cette année encore, été protégeait pas suffisamment ; d’autres souvent méprisées par les gouvernements hésitaient à s’adresser à la police car ils dans leur course à la croissance craignaient d’être inculpés ou harcelés. économique. Des millions de manifestants

Amnesty International — Rapport 2016/17 39 Au Sri Lanka, les personnes LGBTI étaient inculpées, et risquaient jusqu’à 10 ans en butte au harcèlement, à la discrimination d’emprisonnement en vertu d’une nouvelle et à la violence. Les auteurs de violences à ordonnance gouvernementale draconienne. l’égard des femmes et des filles restaient La répression de la liberté d’expression, souvent impunis, y compris les militaires d’association et de réunion pacifique s’est coupables de viol, et peu de mesures ont été intensifiée à l’approche des élections prévues prises pour lutter contre la violence en 2017/2018 au Cambodge, et les autorités domestique. Des Tamouls se sont plaints ont utilisé le système judiciaire de façon de d’avoir été victimes de profilage ethnique, de plus en plus abusive. Les forces de sécurité surveillance et de harcèlement de la part de ont harcelé et puni la société civile afin de policiers qui les soupçonnaient d’être liés aux faire taire les détracteurs. Des défenseurs LTTE. Le Comité pour l’élimination de la des droits humains ont été menacés, arrêtés discrimination raciale [ONU] a conclu que la et incarcérés pour leur travail non violent, et Loi relative à la prévention du terrorisme était l’opposition politique a été prise pour cible. utilisée de manière disproportionnée contre Des militants et des responsables ont les Tamouls. Des chrétiens et des notamment été emprisonnés à la suite de musulmans auraient été harcelés, menacés procès inéquitables. Cette année encore, les et attaqués, notamment par des autorités ont empêché des manifestations sympathisants de groupes politiques pacifiques d’avoir lieu. bouddhistes cingalais extrémistes. La police En Malaisie, les autorités ont utilisé n’a pris aucune mesure à l’encontre des couramment la législation sur la sécurité agresseurs et, dans certains cas, a reproché nationale ainsi que d’autres lois restrictives aux membres des minorités religieuses de les pour étouffer la contestation pacifique et la avoir provoqués. liberté d’expression. Rafizi Ramlin, un parlementaire qui avait joué le rôle de lanceur d’alerte en révélant des informations ASIE DU SUD-EST ET sur une affaire de corruption de grande PACIFIQUE ampleur, a été condamné à 18 mois d’emprisonnement. Des journalistes du site DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS d’information Malaysiakini ont été la cible Les défenseurs des droits humains étaient d’actes d’intimidation et de menaces de la menacés au Cambodge, en Malaisie, en part de membres d’une milice privée. Thaïlande et au Viêt-Nam, entre autres, Au Viêt-Nam, des défenseurs des droits notamment par l’utilisation croissante de lois humains ont été menacés et agressés. Des nouvelles ou déjà existantes érigeant prisonniers d’opinion étaient incarcérés dans l’expression pacifique en infraction. des prisons et des centres de détention et En Thaïlande, sur fond de répression soumis à des disparitions forcées, des actes persistante de l’opposition pacifique depuis le de torture et d’autres mauvais traitements, coup d’État militaire de 2014, rares étaient tels que des décharges électriques, des ceux qui osaient critiquer publiquement les passages à tabac, le maintien prolongé à autorités. Des défenseurs des droits humains l’isolement, parfois dans le noir et le silence ont été inculpés de diffamation pour avoir complets, et la privation de soins médicaux. dénoncé des violations ou soutenu des Les autorités vietnamiennes ont aussi personnes et des groupes vulnérables. Le réprimé des manifestations pacifiques. Alors gouvernement a pris des mesures pour que le pays accueillait le président des États- empêcher le débat avant un référendum sur Unis Barack Obama en mai, elles ont arrêté, le projet de nouvelle constitution. Par intimidé et harcelé des militants pacifiques. exemple, une dizaine de personnes qui Au Myanmar, le nouveau gouvernement avaient fait des commentaires sur Facebook de la Ligue nationale pour la démocratie a à propos de ce texte ont été arrêtées ou pris des mesures pour modifier des lois

40 Amnesty International — Rapport 2016/17 répressives en vigueur depuis longtemps, qui international. Réduisant la protection à son visaient les militants et les professionnels des minimum et portant les souffrances à leur médias. Cependant, un certain nombre maximum, il était conçu pour empêcher des d’affaires, comme l’incarcération en personnes qui en avaient le plus grand novembre de deux professionnels des besoin de venir chercher la sécurité en médias soupçonnés de « diffamation en Australie. ligne » après la parution d’un article faisant Les troubles mentaux et les cas référence à des allégations de corruption au d’automutilation étaient monnaie courante sein du gouvernement, ont montré que chez les réfugiés et les demandeurs d’asile beaucoup restait à faire dans ce domaine. vivant à Nauru. Omid Masoulmali, un réfugié Les forces de sécurité du Timor-Leste ont iranien, s’est donné la mort en s’immolant été accusées d’homicides illégaux, de torture par le feu. D’autres personnes, dont des et d’autres mauvais traitements, enfants, souffraient du manque de soins d’arrestations arbitraires et de restriction médicaux et étaient en butte à des arbitraire des droits à la liberté d’expression agressions verbales et physiques et de réunion pacifique. Les médias de Fidji permanentes, à une hostilité généralisée et à ont été la cible de restrictions arbitraires des arrestations et détentions arbitraires, limitant la liberté d’expression ; des commises en toute impunité. journalistes ont notamment été condamnés à L’Australie a refusé de fermer ses centres des amendes ou à des peines de prison. À de Nauru et de Manus, et prévoyait même Singapour, des blogueurs et des dissidents d’adopter une loi interdisant définitivement ont été harcelés et poursuivis en justice. aux personnes piégées sur ces îles d’obtenir Aux Philippines, des défenseurs des droits un visa australien, ajoutant de l’injustice à humains et des journalistes ont été pris pour l’injustice, en violation du droit international. cible et tués par des hommes armés non La Nouvelle-Zélande a publiquement identifiés et des membres de milices armées. réaffirmé son engagement, inscrit dans un accord conclu en 2013 avec l’Australie, de POPULATIONS EN MOUVEMENT réinstaller chaque année 150 réfugiés L’Australie a maintenu sa politique illicite de provenant de Nauru et de Manus, même si traitement des demandes d’asile hors du l’Australie a depuis refusé de mettre en territoire, à Nauru et sur l’île de Manus, en œuvre cet accord. Papouasie-Nouvelle-Guinée. L’accord de En Malaisie, les conditions étaient difficiles transfert entre l’Australie et Nauru était dans les centres de détention surpeuplés contraire au droit international et revenait de destinés aux migrants. Un millier de fait à piéger les réfugiés et les demandeurs personnes, dont plus de 400 Rohingyas qui d’asile dans une prison à ciel ouvert. Bien avaient été bloqués au large des côtes que n’étant pas, d’un point de vue malaisiennes jusqu’à ce que les autorités strictement légal, placées en détention, ces acceptent de les accueillir en mai 2015, sont personnes n’avaient pas la possibilité de restées détenues pendant plus d’un an dans partir et se retrouvaient isolées sur cette île des conditions déplorables. La majorité des perdue au milieu du Pacifique, même quand Rohingyas ont été libérés en juin et certains le statut de réfugié leur avait été ont bénéficié d’une réinstallation. officiellement reconnu. En l’absence de cadre juridique, de La politique de « traitement » des réfugiés systèmes ou de procédures en matière et demandeurs d’asile mise en place par le d’accueil des réfugiés et des demandeurs gouvernement australien sur l’île de Nauru d’asile en Thaïlande, beaucoup étaient reposait sur un régime délibéré et exposés à la détention arbitraire et à d’autres systématique de négligence et de cruauté, violations de leurs droits. La législation destiné à faire souffrir, s’apparentant ainsi à thaïlandaise ne prévoyant aucune de la torture aux termes du droit reconnaissance officielle des réfugiés et des

Amnesty International — Rapport 2016/17 41 demandeurs d’asile, ceux-ci, y compris les nombre de droits demeuraient restreints, mineurs, continuaient d’être traités comme notamment le droit de circuler librement. des migrants en situation irrégulière ; en L’intolérance religieuse persistait également vertu de la Loi sur l’immigration, ils pouvaient au Myanmar, en particulier à l’encontre de la être incarcérés pendant une durée population musulmane. Exacerbée ces indéterminée dans des centres de détention dernières années par l’absence de véritables pour migrants, qui ne répondaient pas enquêtes sur des actes de violence commis forcément aux normes internationales en sous le précédent gouvernement, elle était matière de détention. souvent alimentée par des groupes Des dizaines de Rohingyas du Myanmar, nationalistes bouddhistes radicaux. venus par bateau en 2015, étaient détenus Les autorités indonésiennes ont souvent dans ces centres depuis leur arrivée. semblé accorder plus d’importance aux En Indonésie, les autorités de la province groupes religieux extrémistes qu’au respect de l’Aceh ont appliqué des tactiques et à la protection des droits humains. Ainsi, le d’intimidation grossières, mettant notamment gouverneur de la capitale, Djakarta, chrétien en danger la vie d’un groupe de plus de et premier Indonésien d’origine chinoise élu à 40 demandeurs d’asile tamouls sri-lankais, ce poste, a fait l’objet d’une enquête pénale dont une femme sur le point d’accoucher et sur des soupçons de « blasphème ». La neuf enfants, en procédant à des tirs de discrimination contre les personnes LGBTI sommation et en menaçant de les repousser s’est intensifiée à la suite de propos en mer, en violation du droit international. incendiaires, totalement inexacts ou trompeurs tenus par des représentants de DISCRIMINATION l’État. Des dizaines de milliers de membres de la En Papouasie-Nouvelle-Guinée, les minorité rohingya du Myanmar ont fui le nord femmes étaient fréquemment victimes de de l’État d’Arakan, où les forces de sécurité violences ; des travailleuses du sexe étaient menaient une vaste opération de représailles frappées, violées, arrêtées arbitrairement et après une attaque contre trois avant-postes tuées sans qu’aucun recours devant la de la police des frontières, qui avait fait neuf justice ne soit disponible. Ce manque de morts parmi les policiers en octobre. Les protection découlait principalement des lois forces de sécurité, sous la direction de érigeant le travail du sexe en infraction, de la l’armée, ont tiré aveuglément sur des stigmatisation de cette activité et des normes villageois, incendié des centaines sociales et culturelles. d’habitations, procédé à des arrestations Deux organes de l’ONU, le Comité des arbitraires, et violé des femmes et des filles. droits de l’homme et le Comité des droits de Un couvre-feu a été instauré dans les villages l’enfant, ont critiqué la surreprésentation des et les organisations humanitaires se sont vu peuples autochtones maoris dans le système interdire l’accès à la zone. Ces représailles carcéral en Nouvelle-Zélande et les taux s’apparentaient à une punition collective élevés de pauvreté infantile et de violence visant toute la population rohingya du nord familiale chez ces populations. Les violences de l’État d’Arakan, et pourraient être sexuelles et les autres formes de violences constitutives de crimes contre l’humanité. De physiques à l’égard des femmes et des filles nombreux réfugiés et demandeurs d’asile demeuraient également très répandues dans rohingyas ayant désespérément besoin d’une le pays, bien que le problème soit largement aide humanitaire sont parvenus à entrer au reconnu et en dépit des tentatives pour y Bangladesh, mais ont été renvoyés de force remédier. au Myanmar. Cette crise est intervenue sur fond de discriminations profondes et incessantes contre les Rohingyas, dont un certain

42 Amnesty International — Rapport 2016/17 un affaiblissement de l’état de droit à tous les RÉSUMÉ RÉGIONAL niveaux et une érosion de la protection des droits humains, en particulier pour les EUROPE ET ASIE réfugiés et les personnes soupçonnées de terrorisme, mais aussi, au bout du compte, CENTRALE pour tous les citoyens. À l’est, les hommes forts de la région, en Le 30 novembre 2016 s’est ouvert à place depuis de longues années, ont encore Budapest, capitale de la Hongrie, le procès consolidé leur mainmise sur le pouvoir. Au d'« Ahmed H. », un ressortissant syrien Tadjikistan, en Azerbaïdjan et au résidant à Chypre accusé d’avoir, en Turkménistan, des amendements à la septembre 2015, joué un rôle de meneur Constitution ont permis la prolongation des dans des affrontements entre policiers et mandats présidentiels. En Russie, le réfugiés, survenus après la fermeture président Vladimir Poutine continuait d’être soudaine par la Hongrie de sa frontière avec porté par une vague de popularité alimentée la Serbie. Ce procès allait dans le sens de par l’intervention des forces russes en l’amalgame pratiqué par le gouvernement Ukraine et le regain d’influence du pays au hongrois entre demandeurs d’asile niveau international, tout en étouffant sa musulmans et menaces terroristes. En société civile. Dans l’ensemble des pays issus réalité, si Ahmed H. se trouvait ce jour-là à la de l’ex-URSS, la répression de la dissidence frontière serbo-hongroise, c’était simplement et de l’opposition politique est restée pour aider ses parents âgés, qui vivaient en implacable et constante. Syrie, à fuir leur pays déchiré par la guerre. Il C’est en Turquie que les secousses ont été a reconnu que, dans la cohue générale, il les plus fortes. Ce pays a connu en effet en avait lancé des pierres sur les policiers, 2016 une situation d’affrontements soulignant toutefois que, la plupart du temps, permanents dans sa région sud-est, une il s’était efforcé de calmer la foule, ce série d’attentats et, au mois de juillet, une qu’attestent de nombreux témoins. Il a violente tentative de coup d’État. La pourtant été déclaré coupable, devenant répression des libertés fondamentales s’est ainsi le symbole tragique et inquiétant d’un très fortement accélérée au lendemain de continent en train de tourner le dos aux droits celle-ci. Ayant désigné Fethullah Gulen, l’allié humains. d’hier devenu ennemi juré, responsable du L’année 2016 a vu les mouvements et les putsch manqué, les autorités turques se sont discours populistes faire irruption sur le rapidement donné pour objectif de devant de la scène. Aux quatre coins de la démanteler le vaste mouvement que celui-ci région, des responsables politiques ont avait créé. Quelque 90 000 fonctionnaires, cherché à surfer sur un sentiment général de présumés « gulenistes » pour la plupart désaffection et d’insécurité, dénonçant tour à d’entre eux, ont été renvoyés par un simple tour les élites politiques, l’Union européenne décret. Quarante mille personnes au moins (UE), l’immigration, les médias progressistes, ont été placées en détention, sur fond les musulmans, les étrangers, la d’allégations de torture et d’autres mauvais mondialisation ou l’égalité des genres, et se traitements. Des centaines d’organes de référant à la menace omniprésente du presse et d’ONG ont été fermés et des terrorisme. Au pouvoir dans des pays comme journalistes, des universitaires et des la Pologne ou la Hongrie, ils ont atteint la parlementaires ont été arrêtés, à mesure que plupart de leurs objectifs. Ailleurs, plus à la répression s’étendait au-delà des cercles l’ouest, ils ont contraint les partis en place, supposés impliqués dans la tentative de coup inquiets, à largement puiser dans leurs idées d’État, pour frapper la dissidence dans son et à ouvrir la voie à nombre d’orientations ensemble et les voix qui s’élevaient pour la qu’ils préconisaient. Cette situation a entraîné défense de la cause kurde.

Amnesty International — Rapport 2016/17 43 grecques demeuraient saturées. À la fin de POPULATIONS EN MOUVEMENT l’année, environ 12 000 réfugiés et Après avoir vu arriver par la mer un peu plus demandeurs d’asile se trouvaient toujours sur d’un million de réfugiés et de migrants en ces îles, entassés dans des centres 2015, les États membres de l’UE étaient d’hébergement de fortune, dans des déterminés à fortement réduire l’afflux en conditions de surpopulation, d’insalubrité et 2016. Ils y sont parvenus, mais aux dépens d’insécurité croissantes. La situation dans les des droits et du bien-être de ces personnes, camps donnait régulièrement lieu à des délibérément sacrifiés au nom de cette émeutes. Des attaques par des personnes nouvelle politique. issues de la population locale accusées d’être À la fin du mois de décembre, environ liées à l’extrême droite ont également été 358 000 réfugiés et migrants avaient atteint signalées. Les conditions de vie des quelque les rivages européens. Le nombre de 50 000 réfugiés et migrants se trouvant dans personnes ayant emprunté l’itinéraire passant la partie continentale de la Grèce n’étaient au centre de la Méditerranée a légèrement que très légèrement meilleures. À la fin de augmenté (environ 170 000 personnes au l’année, la plupart d’entre eux avaient certes maximum), tandis que les arrivées sur les îles trouvé refuge dans des centres d’accueil grecques étaient en très forte baisse (passant officiels, mais ceux-ci étaient pour l’essentiel de 854 000 en 2015 à 173 000 en 2016), des camps de tentes ou des entrepôts en raison, presque exclusivement, de désaffectés, qui ne se prêtaient pas à un l’accord sur le contrôle des migrations conclu hébergement de plus de quelques jours. en mars entre l’UE et la Turquie. En fin d’année, l’accord entre l’UE et la L’Organisation internationale pour les Turquie était toujours en vigueur, même s’il migrations estimait que quelque semblait de plus en plus fragile. 5 000 personnes avaient péri en mer, ce qui Manifestement, il ne s’agissait toutefois que constituait un triste record (environ 3 700 d’une première ligne de défense. La morts avaient été recensés en 2015). fermeture en mars de la route des Balkans, L’accord conclu avec la Turquie était au nord de la Grèce, a été la deuxième typique de l’attitude de l’UE face à la « crise mesure destinée à empêcher les gens des réfugiés ». La Turquie a obtenu six d'arriver en Europe. La Macédoine et, à sa milliards d’euros en échange de l’assurance suite, plusieurs autres pays de la région ont qu’elle surveillerait ses côtes et accepterait le finalement accepté de fermer leurs frontières retour des demandeurs d’asile parvenus à et ont reçu le renfort de gardes venus passer sur les îles grecques. Cet accord était d’autres pays européens. Tout d’abord fondé sur des bases fausses, puisqu’il partait préconisée par le Premier ministre de la du principe que les demandeurs d’asile Hongrie, Viktor Orbán, cette politique a été trouveraient en Turquie toutes les garanties reprise à son compte par l’Autriche. Aux yeux auxquelles ils auraient pu prétendre dans de nombreux dirigeants de l’UE, la détresse l’UE. Or, ce pays dispose d’un dispositif des réfugiés coincés en Grèce était d’asile balbutiant et doit déjà accueillir près manifestement le prix à payer pour de trois millions de réfugiés syriens, qui ont décourager d’autres candidats de tenter toutes les peines du monde à s’en sortir. l’aventure. Dans ces circonstances, la position de l’UE La politique migratoire de la plupart des témoigne de sa volonté de faire passer ses pays membres de l’Union se caractérisait par propres desseins politiques avant les droits et une totale absence de solidarité, aussi bien les conditions de vie des réfugiés. entre eux que vis-à-vis des réfugiés. Ils ne Bien que le nombre de nouveaux arrivants sont apparus unis que par leur volonté ait baissé, avec quelques milliers de commune de limiter les arrivées et personnes supplémentaires par mois en d’accélérer les renvois. L’échec du moyenne, les capacités d’accueil des îles programme phare de relocalisation de l’UE

44 Amnesty International — Rapport 2016/17 est à cet égard symptomatique. Adopté en au Soudan par le Service national de la septembre par les chefs d’État de l’UE dans sûreté et du renseignement (NISS), qui est le but de répartir les responsabilités en impliqué dans de graves violations des droits matière d’accueil des réfugiés, qui arrivaient humains. en grand nombre dans une poignée de pays La politique étrangère appliquée par l’UE seulement, ce programme prévoyait la et ses États membres s’est de plus en plus relocalisation, dans un délai de deux ans, de axée sur un impératif prioritaire : renvoyer le 120 000 personnes depuis l’Italie, la Grèce et plus grand nombre possible de migrants. la Hongrie vers le reste de l’Union. La L’UE et l’Afghanistan ont signé en octobre un Hongrie ayant rejeté cette initiative, estimant accord de coopération baptisé Action qu’elle avait plutôt intérêt à fermer purement conjointe pour le futur. Conclu dans la foulée et simplement ses frontières, son quota a été d’une conférence des donateurs, cet accord redistribué entre la Grèce et l’Italie. À la fin obligeait l’Afghanistan à collaborer au retour de l’année, seules quelque 6 000 personnes des demandeurs d’asile afghans déboutés, y avaient quitté la Grèce pour le reste de l’UE. compris dans le cas de mineurs non Elles étaient un peu moins de 2 000 à avoir accompagnés (le taux de satisfaction des pu faire de même depuis l’Italie. demandes d’asile déposées par des Ce programme de relocalisation était ressortissants afghans était en baisse dans la associé à une autre mesure prise en 2015 plupart des pays, alors que l’Afghanistan par l’UE, l’approche dite des « hotspots » ou connaissait une insécurité croissante). « centres de crise ». Cette initiative inspirée La place centrale occupée par la gestion par la Commission européenne prévoyait la des « flux migratoires » dans la politique mise en place, en Italie et en Grèce, de étrangère de l’UE a été explicitement grands centres de prise en charge, où les confirmée dans un autre document : le cadre réfugiés et les migrants seraient identifiés à de partenariat approuvé en juin par le Conseil leur arrivée et où l’on prendrait leurs européen. Ce document prévoyait de se empreintes digitales, avant d’évaluer servir de leviers dans les domaines de l’aide, rapidement leurs besoins en matière de du commerce et du financement en général protection. Ils seraient alors soit admis au pour faire pression sur les pays, afin de titre d’une procédure d’asile, soit relocalisés réduire le nombre de migrants parvenant sur dans un autre pays de l’UE, soit renvoyés les rives européennes, tout en négociant des vers leur pays d’origine (ou, pour ceux accords de réadmission et de coopération en arrivant en Grèce, vers la Turquie). Le volet matière de contrôle des frontières, y compris relocalisation de ce plan ayant fait long feu, avec des pays coutumiers des atteintes aux l’Italie et la Grèce se sont retrouvées droits humains. confrontées à une tâche gigantesque, Cette volonté d’externaliser la gestion des sommées de recueillir les empreintes migrations vers l’Europe allait de pair avec digitales des nouveaux arrivants, de traiter les des mesures visant, au niveau national, à demandes et de renvoyer le plus grand restreindre l’accès à l’asile et aux avantages nombre possible de migrants. Des cas de auxquels celui-ci donnait droit, une tendance mauvais traitements lors de l’enregistrement observable, en particulier, dans les pays des empreintes ont été signalés, ainsi que nordiques, qui appliquaient jusque-là une des détentions arbitraires et des expulsions politique généreuse. Ainsi, la Finlande, la collectives. Ainsi, au mois d’août, un groupe Suède, le Danemark et la Norvège ont tous d’une quarantaine de personnes, dont modifié dans un sens plus restrictif leur beaucoup étaient originaires du Darfour, a législation en matière d’asile, la Norvège été renvoyé au Soudan, peu après la allant même jusqu’à exprimer son désir signature d’un protocole d’accord entre les d’appliquer « la politique la plus stricte de polices italienne et soudanaise. Ces toute l’Europe en matière de réfugiés ». La personnes ont été interrogées à leur arrivée Finlande, la Suède et le Danemark, de même

Amnesty International — Rapport 2016/17 45 que l’Allemagne, ont restreint ou retardé la Chios, ou les abris de fortune fleurissant possibilité pour les réfugiés de bénéficier du devant les barbelés hongrois. regroupement familial. Les efforts remarquables déployés par Les mesures les plus draconiennes ont été l’Allemagne pour accueillir près d’un million adoptées par les États les plus proches des de personnes, en 2015, et traiter leurs principales frontières extérieures de l’UE. Le demandes d’asile ont probablement constitué gouvernement autrichien a ainsi annoncé en la seule réaction gouvernementale janvier le plafonnement à 37 500 du nombre constructive à la « crise des réfugiés » en annuel de demandes d’asile. Au mois d’avril, Europe. De manière générale, les simples une modification de sa Loi sur l’asile a citoyens ont dû prendre eux-mêmes les habilité le pouvoir exécutif à déclarer l’état choses en main pour manifester une d’urgence en cas d’arrivée massive de solidarité dont leurs dirigeants se montraient demandeurs d’asile, avec pour conséquence incapables. Dans d’innombrables centres le déclenchement d’une procédure accélérée d’accueil, aux quatre coins de l’Europe, des de traitement des demandes à la frontière, dizaines de milliers de personnes ont montré prévoyant le renvoi immédiat et non motivé jour après jour que l’on pouvait envisager des candidats déboutés. sous un autre angle le débat de plus en plus C’est en Hongrie que la dégradation du détestable engagé sur les migrations, en système d’asile européen a été la plus accueillant et en aidant les réfugiés et les spectaculaire. Après avoir édifié une clôture migrants. le long de la majeure partie de sa frontière avec la Serbie en septembre 2015 et modifié LUTTE CONTRE LE TERRORISME ET sa législation relative à l’asile, le SÉCURITÉ gouvernement hongrois a adopté un train de Plusieurs attentats survenus en France, en mesures qui se sont traduites par des renvois Belgique et en Allemagne ont fait plus d’une forcés, sans ménagements, vers la Serbie, centaine de morts et de très nombreux des détentions illégales sur le territoire blessés, tombés sous les balles d'hommes national et des conditions de vie déplorables armés, atteints par l’explosion de bombes pour les personnes en attente à la frontière. lors d’attentats-suicides ou fauchés Les réfugiés ont été abandonnés à leur sort, délibérément par un véhicule, en pleine rue. alors que, dans le même temps, le La protection du droit à la vie et la nécessité gouvernement hongrois engloutissait des de permettre aux gens de vivre, de se millions d’euros dans une campagne déplacer et de penser librement sont publicitaire xénophobe destinée à soutenir devenues des préoccupations de plus en son référendum sur le rejet du programme plus prioritaires pour les gouvernements de de relocalisation (qui a finalement été toute l’Europe. Malheureusement, ils ont été invalidé). Une procédure d’infraction ouverte nombreux à vouloir relever le défi de la par la Commission européenne pour atteintes défense de ces libertés fondamentales en multiples à la législation communautaire et adoptant à la hâte des mesures de lutte internationale en matière de droit d’asile était contre le terrorisme allant à l’encontre du en cours à la fin de l’année. respect des droits humains et des valeurs À l’autre bout de l’Europe, en France, la mêmes qui étaient menacées. « jungle » de Calais, où étaient venus L’année 2016 a vu se dessiner un s’entasser les demandeurs d’asile et les changement radical à travers l’Europe : la migrants, et son démantèlement, au mois notion selon laquelle le rôle du gouvernement d’octobre, sont devenus un symbole de était d’assurer la sécurité, afin que la l’échec de la politique migratoire population puisse jouir de ses droits, a laissé européenne, au même titre que les camps place à l’idée que les gouvernements surpeuplés des îles grecques de Lesbos et de devaient restreindre les droits de la population afin d’assurer la sécurité. En

46 Amnesty International — Rapport 2016/17 conséquence, la frontière entre les pouvoirs soumis au Parlement afin de mettre en place de l’État et les droits des personnes a été des mesures de contrôle administratif dangereusement redéfinie. permettant de réduire le droit de libre Les efforts déployés par certains États pour circulation des personnes sans avoir à faciliter l’instauration ou la prolongation de obtenir au préalable de mandat judiciaire. l’« état d’urgence » ont constitué l’une des Inaugurés en France et au Royaume-Uni, les tendances les plus inquiétantes observées contrôles de ce genre, qui prenaient dans cette année. La Hongrie a ouvert la voie en certains cas la forme de placements en adoptant de nouvelles lois prévoyant des résidence surveillée, étaient imposés sur la pouvoirs exécutifs étendus en cas de foi d’informations classées secrètes, ce qui déclaration de l’état d’urgence, dont empêchait les personnes concernées de l’interdiction des rassemblements publics, contester véritablement des mesures des restrictions draconiennes du droit de entraînant de graves conséquences pour circuler librement et le gel des avoirs, sans le elles et leurs familles. moindre contrôle judiciaire. Le Parlement Des centaines d’individus ont été traduits bulgare a adopté un train de mesures en justice, en violation du droit à la liberté similaires en première lecture au mois de d’expression, pour apologie ou glorification juillet. La France a quant à elle prolongé en du terrorisme, en particulier en France, décembre, pour la cinquième fois, l’état souvent pour des commentaires mis en ligne d’urgence imposé au lendemain des attentats sur les réseaux sociaux, et, dans une de novembre 2015. Les pouvoirs moindre mesure, en Espagne. Un projet de exceptionnels conférés pendant l’état directive de l’UE relative à la lutte contre le d’urgence ont été considérablement étendus terrorisme, qui n’avait pas encore été adopté au mois de juillet, date à laquelle ont été à la fin de l’année, entraînerait la réintroduites les perquisitions sans mandat multiplication des lois de ce type. Une judiciaire (mesure qui avait été abandonnée proposition visant à interdire la « promotion lors d’un renouvellement précédent), ainsi du terrorisme », notion vague, a été déposée que la possibilité, nouvelle, d’interdire des en Allemagne. Des projets de loi similaires rassemblements publics pour des raisons de ont été soumis aux Parlements belge et sécurité publique. Cette possibilité a été néerlandais. utilisée à plusieurs reprises pour empêcher la Un peu partout en Europe, les États ont tenue de diverses manifestations. Les chiffres considérablement renforcé leurs pouvoirs de publiés en décembre par le gouvernement surveillance, au mépris de plusieurs arrêts de indiquaient que 4 292 perquisitions avaient la Cour de justice de l’Union européenne et été réalisées et que 612 personnes avaient de la Cour européenne des droits de été assignées à résidence depuis novembre l’homme. Celles-ci ont en effet jugé que la 2015, ce qui semblait indiquer une utilisation surveillance secrète et l’interception et la excessive des pouvoirs attribués au titre de conservation des données relatives aux l’état d’urgence. communications constituaient une violation Des mesures naguère considérées comme du droit à la vie privée, à moins qu’elles ne exceptionnelles étaient désormais solidement soient fondées sur des éléments permettant inscrites dans le droit pénal ordinaire de raisonnablement de soupçonner l’existence plusieurs pays d’Europe. C’était notamment d’activités criminelles graves, et seulement le cas en Slovaquie et en Pologne, avec la dans la mesure strictement nécessaire pour prolongation de la durée de la garde à vue permettre de lutter contre lesdites activités. des personnes soupçonnées d’infractions à la Les deux cours ont rappelé à plusieurs législation sur le terrorisme. Une proposition reprises que la législation nationale sur la visant à faire de même pour toutes les surveillance devait prévoir des garanties infractions a été déposée en Belgique. Aux suffisantes pour éviter les abus, et Pays-Bas et en Bulgarie, des projets ont été notamment l’obligation d’obtenir au préalable

Amnesty International — Rapport 2016/17 47 l’autorisation d’un tribunal ou d’une autre des signalements, risquaient de développer autorité indépendante. Le Royaume-Uni a l'hostilité à l'égard des communautés adopté en novembre une Loi sur les pouvoirs musulmanes et de porter atteinte à la liberté d’enquête (IPA), qui accorde aux autorités d'expression. La Bulgarie et le Parlement une latitude vraisemblablement unique en suisse ont adopté des lois interdisant le port matière de surveillance globale et ciblée. du voile intégral dans les lieux publics. Un Surnommée « Charte des fouineurs », cette projet de loi similaire était toujours en loi autorise toute une série de pratiques instance devant le Parlement néerlandais à la d’interception, d’ingérence et de conservation fin de l’année. Un autre a été déposé en de données définies en termes vagues, et Allemagne. En France, plusieurs villes impose de nouvelles obligations aux balnéaires ont cherché à interdire le port du entreprises privées en matière de stockage « burkini » sur les plages. Jugées des données relatives aux communications. discriminatoires, ces dispositions ont été Tous les pouvoirs prévus par ce nouveau annulées par le Conseil d'État, mais un texte, que ce soit pour la surveillance à certain nombre de municipalités sont grande échelle ou la surveillance ciblée, passées outre. peuvent être accordés par un membre du Plusieurs pays européens ont connu une gouvernement après examen (dans la plupart augmentation des crimes de haine contre des cas mais pas dans tous) par un organe des demandeurs d’asile, des musulmans ou quasi judiciaire composé de personnes des étrangers. L’Allemagne a enregistré une nommées par le Premier ministre. La Cour de nette augmentation des attaques contre les justice de l’Union européenne a estimé en centres d’accueil de demandeurs d’asile. Au décembre que la législation britannique en Royaume-Uni, les crimes de haine ont bondi matière de surveillance violait le droit à la vie de 14 % au cours des trois mois qui ont suivi privée. le référendum organisé en juin sur la sortie Outre le Royaume-Uni, l’Autriche, la du pays de l’UE (Brexit), par rapport à la Suisse, la Belgique, l’Allemagne, la Russie et même période l’année précédente. la Pologne ont adopté en cours d’année de Les Roms continuaient d’être victimes de nouvelles lois relatives à la surveillance, qui très nombreuses discriminations un peu prévoyaient toutes, à quelques variations partout en Europe, en matière d’accès au près, de larges pouvoirs de collecte et de logement, à l’éducation, à la santé ou à stockage des données électroniques, ainsi l’emploi. Ils restaient exposés aux expulsions que de surveillance ciblée de groupes définis forcées non seulement dans toute l’Europe en termes vagues ou de suspects individuels, centrale, mais également en France et en en dehors de tout réel contrôle judiciaire ou Italie. Les jugements favorables aux autre. Des textes législatifs similaires étaient communautés expulsées avaient tendance à en instance d’examen à la fin de l’année aux se multiplier, mais ils se traduisaient Pays-Bas et en Finlande. rarement par des progrès concrets pour les personnes concernées. Des avancées ont DISCRIMINATION toutefois été constatées en République Un peu partout en Europe, les musulmans et tchèque, où, à la suite de la procédure les migrants étaient exposés à des pratiques d'infraction engagée par l’UE, une série de de profilage ethnique et à des discriminations réformes visant à réduire la surreprésentation de la part de la police, dans le cadre aussi des jeunes Roms dans les établissements bien de la lutte contre le terrorisme que des scolaires spécialisés est entrée en vigueur à opérations habituelles d’application des lois, la rentrée de septembre. comme lors des contrôles d’identité. Des progrès, certes inégaux, ont Les initiatives destinées à combattre les également été enregistrés en matière de violences extrémistes, qui, souvent, obligent droits des personnes LGBTI. La France a notamment les institutions publiques à faire adopté une nouvelle loi permettant la

48 Amnesty International — Rapport 2016/17 reconnaissance du genre à l'état civil sans 2016 de la marche des fiertés balte, le avoir à satisfaire certaines conditions Parlement lituanien a adopté en juin, en médicales jusqu’alors obligatoires, et la première lecture, un projet d’amendement à Norvège a reconnu aux personnes la Constitution en ce sens ; ce projet devait transgenres le droit de faire reconnaître à encore être examiné en seconde lecture. l’état civil leur identité de genre telle qu'elles Les avancées en matière de respect des la perçoivent. Des initiatives similaires étaient droits des femmes ont également été en cours en Grèce et au Danemark. Un contrastées. Malgré le renforcement des certain nombre de pays ont avancé dans la protections prévues par la loi, la violence voie du respect des droits des couples du contre les femmes restait un phénomène très même sexe et de l’adoption coparentale. répandu. La Bulgarie, la République tchèque L’Italie et la Slovénie ont adopté des lois et la Lettonie ont signé la Convention du reconnaissant les unions entre partenaires du Conseil de l’Europe sur la prévention et la même sexe. Une marche des fiertés LGBTI lutte contre la violence à l’égard des femmes s’est déroulée sans incident le 12 juin à Kiev, et la violence domestique (Convention la capitale ukrainienne, avec le soutien des d’Istanbul). La Roumanie et la Belgique l'ont pouvoirs publics et sous la protection ratifiée. Le gouvernement polonais a en renforcée de la police. Rassemblant quelque revanche fait le choix inverse, marquant une 2 000 participants, cette manifestation a été nette régression, en annonçant son intention la plus importante du genre jamais organisée de se retirer de la Convention, un an en Ukraine. seulement après sa ratification, et alors que À l’opposé, les relations sexuelles le nombre de femmes victimes de violences consenties entre personnes du même sexe dans ce pays pourrait atteindre le million. Le constituaient toujours une infraction au Code parti au pouvoir a en outre apporté des pénal en Ouzbékistan et au Turkménistan. Au restrictions aux droits sexuels et reproductifs. Kirghizistan, une proposition de loi prévoyant À la suite d’une grève générale des femmes d'ériger en infraction le fait « d’encourager organisée le 3 octobre, le Parlement polonais une attitude positive » à l'égard des a rejeté une proposition de loi qui se serait « relations sexuelles non classiques » était traduite par l’interdiction presque totale de toujours en cours d'examen devant le l’avortement et aurait rendu les femmes et les Parlement, et une modification de la jeunes filles subissant une interruption de Constitution interdisant le mariage entre grossesse, ou toute personne les y aidant ou personnes du même sexe a été approuvée les y encourageant, passibles de poursuites par référendum au mois de décembre. Un pénales. En Irlande, les appels à une refonte mouvement réactionnaire, animé par des de la législation extrêmement restrictive sur groupes conservateurs de mieux en mieux l’interruption de grossesse se sont amplifiés, organisés et parfois soutenus par les pouvoirs tandis que le Comité des droits de l’enfant publics, s’est par ailleurs manifesté en [ONU] demandait aux autorités de Europe. Une proposition de référendum sur dépénaliser l’avortement. L'avortement était la modification de la définition toujours considéré, à Malte, comme une constitutionnelle du mariage et de la famille, infraction pénale en toutes circonstances. pour en exclure explicitement les couples de même sexe, a été bloquée par le président LIBERTÉ D’EXPRESSION, géorgien. La soumission au Parlement d’une D’ASSOCIATION ET DE RÉUNION initiative analogue a en revanche été PACIFIQUE autorisée par la Cour constitutionnelle de La répression de la dissidence, de la critique Roumanie. Quelques jours seulement après et de l’opposition politique demeurait la une « marche pour l’égalité » qui avait norme dans toute la zone de l’ex-Union rassemblé à Vilnius quelque soviétique. Elle était toujours particulièrement 3 000 personnes à l’occasion de l'édition implacable en Ouzbékistan, au Turkménistan

Amnesty International — Rapport 2016/17 49 et au Bélarus, avec un niveau d’intensité ligne sur les réseaux sociaux se sont globalement inchangé depuis plusieurs multipliées, en violation du droit à la liberté années. Une nette dégradation de la situation d'expression. Plusieurs journalistes de a été enregistrée au Tadjikistan et au premier plan ont en outre été inculpés de Kazakhstan. En Russie et en Azerbaïdjan, la « diffusion de fausses informations en toute tendance à la détérioration visible depuis connaissance de cause » et de détournement longtemps déjà n’a fait que se confirmer. En de fonds. Aux termes d’une modification de Ukraine, la presse prorusse a été plus la Loi sur les communications entrée en attaquée que jamais, tandis que les vigueur en janvier, les internautes étaient personnes qui s’exprimaient en faveur des désormais tenus d’installer un « certificat Tatars ou de l’Ukraine se sont heurtées à de national de sécurité », qui permettait aux sévères représailles en Crimée, ainsi qu’en autorités d'examiner les communications et Russie. La liberté d'expression a été très de bloquer l’accès aux contenus qu’elles fortement mise à mal en Turquie, au estimaient illégaux. lendemain de la tentative de coup d’État. Les Au Tadjikistan, une sévère répression a fait Balkans restaient une région dangereuse suite aux actions menées contre le Parti de la pour les journalistes d’investigation. Des renaissance islamique du Tadjikistan, une dizaines d’entre eux ont fait l’objet de formation interdite dont 14 des dirigeants, poursuites ou ont été victimes d’agressions. inculpés d’atteintes à la législation sur le Au sein de l'UE, la télévision et la radio terrorisme, ont été condamnés à de lourdes publiques étaient muselées par le pouvoir en peines d’emprisonnement à l’issue de procès Pologne, en Hongrie et en Croatie. tenus dans le plus grand secret. Le La Russie a continué de resserrer l’étau gouvernement a promulgué en août un autour des ONG, n’hésitant pas à mener de décret qui l’autorisait à « réguler et véritables campagnes de diffamation dans les contrôler » les contenus de toutes les chaînes médias et appliquant sa Loi sur les agents de de télévision et de toutes les stations de l’étranger pour faire taire les plus critiques. radio, via la Commission d’État de Des dizaines d’ONG recevant des fonds de radiotélédiffusion. Les défenseurs des droits l’étranger ont été ajoutées à la liste des humains ont été soumis à une étroite « agents de l’étranger », qui en comptait surveillance, tandis que les médias et les désormais 146, dont 35 avaient journalistes indépendants se trouvaient en définitivement fermé. Le parquet a par butte aux manœuvres d’intimidation et de ailleurs engagé des poursuites pénales contre harcèlement de la police et des services de Valentina Tcherevatenko, présidente sécurité. Les pouvoirs publics demandaient fondatrice de l’Union des femmes du Don, toujours aux fournisseurs de services en ligne pour « s’être systématiquement soustraite de bloquer l’accès à certains sites aux obligations prévues par la loi ». C’était la d’information et à certains réseaux sociaux. première fois qu’un procès avait lieu devant Un nouveau décret obligeait en outre les une juridiction pénale pour ce motif. La fournisseurs d’accès à Internet et les liberté de réunion pacifique restait elle aussi opérateurs de télécommunications à faire étroitement encadrée. transiter tous leurs services par un nouveau Le Kazakhstan a également invoqué pour centre de communications unique, placé la première fois des dispositions du droit sous l’autorité de la société publique pénal contre des responsables d’ONG. Des Tajiktelecom. dizaines de personnes présentées comme les L’Azerbaïdjan a poursuivi sa politique de « organisateurs » des manifestations d’avril et répression des militants d’opposition, des mai contre le nouveau Code foncier, ainsi ONG de défense des droits humains et de la que des centaines de participants à ces presse indépendante. Si 12 prisonniers manifestations, ont été arrêtés. Les d'opinion ont été remis en liberté, il en restait poursuites pour des commentaires mis en 14 à la fin de l’année, y compris Ilgar

50 Amnesty International — Rapport 2016/17 Mammadov, dont la condamnation a été demeurait partout la règle. Les chances de confirmée en novembre par la Cour suprême, voir enfin les responsabilités établies dans les en dépit d’un arrêt de la Cour européenne violations de grande ampleur perpétrées par des droits de l’homme qui exigeait sa des responsables de l’application des lois lors libération. L’Azerbaïdjan a refusé d’autoriser de l’Euromaïdan en 2013-14, des la venue de délégués d’Amnesty manifestations du parc Gezi en 2013 et des International, imitant en cela l’Ouzbékistan et affrontements interethniques survenus dans le Turkménistan. Les manifestations le sud du Kirghizistan en 2010 semblaient publiques de protestation restaient très s’éloigner dans le cas de l’Ukraine, restaient limitées. Les rares rassemblements qui ont toujours aussi lointaines dans celui de la pu avoir lieu ont été dispersés par la police Turquie, et étaient devenues quasi au moyen d'une force excessive, et des inexistantes dans celui du Kirghizistan. militants politiques ont été arrêtés pour les Au sein de l’UE, les responsables des avoir organisés. complicités européennes dans le cadre du En Ukraine, la presse est restée programme de « restitution » mené par les généralement libre. Un certain nombre de États-Unis n’étaient toujours pas près de médias perçus comme favorables à la Russie rendre des comptes, en dépit des procédures ou aux positions séparatistes, ou en cours devant la Cour européenne des particulièrement critiques à l’égard des droits de l’homme. À la fin de l’année, autorités, ont toutefois fait l’objet d’actes de personne n’avait été déclaré pénalement harcèlement. Les journalistes indépendants responsable de participation aux détentions n’étaient pas en mesure de travailler en illégales et aux actes de torture et autres Crimée, où les autorités russes d’occupation mauvais traitements perpétrés en Pologne, continuaient de restreindre très fortement les en Lituanie ou en Roumanie à l'encontre de droits à la liberté d'expression, d’association personnes soupçonnées de terrorisme. et de rassemblement pacifique. Les Tatars de Après avoir accompli des progrès Crimée étaient tout particulièrement visés par considérables ces 10 dernières années en la répression. matière de lutte contre la torture dans les La liberté d'expression a perdu un terrain lieux de détention, la Turquie a enregistré considérable en Turquie, notamment après une inquiétante hausse des cas signalés au l’instauration de l’état d’urgence, au lendemain de la tentative de coup d’État. lendemain de la tentative de coup d’État du Alors que des milliers de personnes ont été mois de juillet. Cent dix-huit journalistes ont officiellement ou officieusement placées en été placés en détention provisoire et garde à vue, de nombreuses informations 184 organes de presse fermés de façon faisant état de passages à tabac, d’agressions arbitraire et définitive en vertu de décrets de sexuelles, de menaces de viol et de viols ont l'exécutif. La censure d'Internet s’est circulé. Elles ont été systématiquement (et de aggravée et 375 ONG, parmi lesquelles des manière peu crédible) démenties par les groupes de défense des droits de femmes, autorités turques. des associations de juristes et des organisations humanitaires, ont été fermées PEINE DE MORT en novembre par décret. Le président turc Recip Tayyip Erdoğan a promis à la fin de l’année de soumettre au IMPUNITÉ ET OBLIGATION DE RENDRE Parlement la question du rétablissement de DES COMPTES la peine de mort, faisant peu de cas de la La torture et les autres mauvais traitements vague de condamnations suscitée par cette étaient très répandus dans toute l’ex-Union initiative à travers le monde et des obligations soviétique. De timides progrès ont cette de son pays en tant que membre du Conseil année encore été réalisés au niveau des de l’Europe. Le Bélarus, dernier État textes dans quelques pays, mais l’impunité européen à continuer d'exécuter des

Amnesty International — Rapport 2016/17 51 condamnés à mort, a procédé cette année à se réclamant du Parti des travailleurs du quatre exécutions, malgré certaines rumeurs Kurdistan (PKK). Ces opérations, marquées encourageantes émanant du gouvernement à par l’instauration de couvre-feux permanents propos d’une abolition imminente. Ce n'était et l’usage d’une force excessive, avec pas la première fois que de telles rumeurs notamment l’emploi d’armes lourdes, avaient circulaient. Au Kazakhstan, un homme a été pour l’essentiel pris fin au mois de juin, non condamné à mort pour des infractions à la sans avoir auparavant causé la mort de législation sur le terrorisme. centaines de civils, la destruction massive de quartiers entiers et le déplacement forcé de CONFLITS ET VIOLENCE ARMÉE près d’un demi-million de personnes. La Cour pénale internationale a conclu en Les affrontements entre le PKK et les novembre, dans son examen préliminaire des forces turques en dehors des zones urbaines, hostilités dans l’est de l’Ukraine, que celles-ci ainsi que des attaques sporadiques lancées constituaient de fait un conflit armé par les rebelles contre des bâtiments publics, international. Bien que des accrochages se poursuivaient à la fin de l’année, rien ne aient continué de se produire de façon laissant entrevoir une éventuelle reprise du sporadique, la situation générale est restée processus de paix interrompu en 2015. La au point mort, sur le plan tant militaire que perspective d’un redémarrage des politique. Soutenues par la Russie, les pourparlers était largement compromise par autorités en place dans le Donbass ont la sévère répression qui s’est abattue sur les conservé une autonomie presque totale. À la médias, la société civile et l’opposition fin de l’année, la Mission des Nations unies politique kurdes, notamment dans le cadre de surveillance des droits de l'homme en de l’état d’urgence instauré au lendemain de Ukraine estimait que le conflit avait fait près la tentative de coup d’état du mois de juillet. de 10 000 morts, dont au moins 2 000 civils. Aussi bien les autorités ukrainiennes que les forces séparatistes de l’est de l’Ukraine se sont livrées à des détentions illégales de civils soupçonnés d’être favorables au camp adverse, utilisés ensuite comme monnaie dans le cadre d’échanges de prisonniers. Toutes les personnes dont on savait qu’elles étaient détenues secrètement par les forces ukrainiennes avaient été libérées à la fin de l’année. En avril, les hostilités ont brièvement repris entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, dans la région sécessionniste du Haut-Karabakh, soutenue par l'Arménie. Les combats, qui ont duré quatre jours, se sont soldés par quelques pertes civiles et militaires, sur fond d’accusations mutuelles, ainsi que par de modestes gains de territoire pour les forces azerbaïdjanaises. Les autorités turques ont cette année encore mené des opérations fortement militarisées dans de nombreuses zones urbaines du sud-est de la Turquie, en réaction à la mise en place, fin 2015, de tranchées et de barricades par des groupes

52 Amnesty International — Rapport 2016/17 la fin de l’année, le conflit avait causé la mort RÉSUMÉ RÉGIONAL de plus de 300 000 personnes et contraint au moins 11 millions d’hommes, femmes et MOYEN-ORIENT ET enfants à quitter leur foyer – 6,6 millions restaient déplacés à l’intérieur de la Syrie AFRIQUE DU NORD tandis que 4,8 millions avaient cherché refuge dans d’autres pays. Cette année En 2016, des millions de personnes au encore, toutes les forces en présence ont Moyen-Orient et en Afrique du Nord ont vu commis des crimes de guerre et d’autres leur vie bouleversée et précipitée dans la violations du droit international humanitaire, tourmente et la tragédie, ainsi que leur au mépris flagrant de l’obligation de toutes maison et leurs moyens de subsistance les parties d’épargner les civils. détruits par la répression implacable des Les forces gouvernementales syriennes ont États et la poursuite de conflits armés mené des attaques aveugles, larguant des marqués par les crimes abominables et les bombes-barils et d’autres armes explosives et atteintes aux droits humains commis par tirant des obus d’artillerie imprécis sur des toutes les parties en présence. La crise zones peuplées de civils et contrôlées par politique et des droits humains était si aiguë des combattants de l’opposition. Elles ont que des dizaines de milliers de personnes également maintenu certaines de ces zones ont risqué leur vie en tentant une traversée en état de siège, ce qui a provoqué la mort dangereuse de la Méditerranée plutôt que de d’autres civils en raison du manque de rester dans la région. En Syrie, plus de cinq nourriture et de médicaments. Les forces années de combats ont entraîné la plus grave gouvernementales ont aussi mené des crise humanitaire de notre époque imputable attaques qui visaient directement des civils et à l’homme ; les conflits armés en Irak, en des biens à caractère civil, bombardant sans Libye et au Yémen ont également eu un coût relâche des hôpitaux et d’autres élevé pour les civils. Les conflits armés et la établissements médicaux ; dans un cas au répression exploitaient les clivages anciens, moins, elles auraient en outre attaqué un qu’ils exacerbaient ; ils renforçaient la convoi d’aide humanitaire de l’ONU. Les radicalisation politique et religieuse, forces armées russes alliées au compromettant davantage encore le respect gouvernement syrien ont continué de des droits humains. procéder à des frappes aériennes en direction de zones tenues par l’opposition, CONFLIT ARMÉ qui ont fait des milliers de morts et de Les conséquences humaines du conflit qui blessés parmi la population civile et ont dure depuis plus de cinq ans en Syrie étaient détruit des habitations et des infrastructures absolument incalculables. Il n’existait pas de civiles. Le conflit est semble-t-il parvenu à formule claire et évidente permettant de une phase décisive à la fin de l’année lorsque mesurer l’ampleur véritable de la souffrance le gouvernement et les forces qui lui sont causée à la population syrienne – les morts et alliées ont repris le contrôle d’Alep aux forces les blessés, l’éclatement des familles, la d’opposition. Conclu sous l’égide de la Russie désorganisation totale des moyens et de la Turquie, un accord de cessez-le-feu d’existence, ou la destruction des habitations, entre le gouvernement et certaines forces des biens, des sites historiques ainsi que des d’opposition a ouvert la voie à de nouveaux symboles religieux et culturels. Seules les pourparlers de paix. Le Conseil de sécurité statistiques brutes du nombre de personnes de l’ONU a réitéré à l’unanimité son appel à tuées ou déplacées et les images de toutes les parties au conflit pour qu’elles destructions dans des villes telles qu’Alep permettent un accès humanitaire « rapide, donnaient une indication de l’ampleur sûr et sans entraves » aux populations civiles considérable de la crise et de son intensité. À dans toute la Syrie.

Amnesty International — Rapport 2016/17 53 Dans les zones contrôlées ou reprises par zones civiles de l’autre côté de la frontière le gouvernement syrien, les forces de saoudienne. Une coalition militaire de pays sécurité ont continué de réprimer toute forme arabes dirigée par l’Arabie saoudite, qui avait d’opposition. Elles ont placé en détention des pour objectif de restaurer le gouvernement milliers de personnes, dont beaucoup dans yéménite reconnu par la communauté les conditions d’une disparition forcée qui internationale, a mené une campagne privait les familles d’informations sur le sort acharnée de frappes aériennes sur des zones de leurs proches, en particulier le lieu et les contrôlées ou disputées par les Houthis et conditions de leur détention. Le recours à la leurs alliés, tuant et blessant des milliers de torture et aux mauvais traitements contre les civils. De nombreuses attaques étaient détenus restait très répandu ; beaucoup sont disproportionnées ou aveugles ; d’autres ont morts des suites de sévices. semble-t-il visé délibérément des civils et des Les groupes armés ont également commis biens à caractère civil, dont des écoles et des des crimes de guerre et d’autres violations marchés. Des hôpitaux ont été à plusieurs graves du droit international dans le cadre de reprises la cible de frappes aériennes. leurs affrontements contre le régime ou de Certaines attaques de la coalition luttes entre formations rivales. Le groupe constituaient des crimes de guerre. Selon les armé se faisant appeler État islamique (EI) a Nations unies, plus de deux millions mené des attaques visant directement les d’enfants yéménites souffraient de civils dans des quartiers de la capitale, malnutrition aigüe et 18,8 millions de Damas, tenus par le gouvernement, et personnes avaient besoin d’aide humanitaire notamment des attentats-suicides. Il aurait ou de protection à la fin de l’année. utilisé des agents chimiques, assiégé certains Pendant ce temps, des centaines de secteurs et commis des homicides illégaux milliers de civils restaient pris au piège du dans les zones sous son contrôle. D’autres conflit armé en Irak. Appuyées par des groupes armés ont bombardé sans frappes aériennes, entre autres formes de discrimination des zones contrôlées par le soutien militaire de la coalition internationale gouvernement syrien ou par les forces dirigée par les États-Unis, les forces kurdes, tuant et blessant des civils. gouvernementales irakiennes, composées Le Yémen, pays le plus pauvre du Moyen- essentiellement de milices paramilitaires Orient, était toujours en proie au conflit armé chiites et de combattants tribaux sunnites, et opposant différentes forces militaires les forces du gouvernement régional du yéménites et étrangères, qui continuaient de Kurdistan ont repris Fallouja et d’autres villes faire peu de cas de la vie des civils. Elles ont jusque-là contrôlées par l’EI. À la fin de mené des attaques aveugles au moyen de l’année, ces forces étaient engagées dans bombes, de tirs d’artillerie et d’autres armes une offensive pour chasser les combattants imprécises, ainsi que des attaques visant de l’EI de Mossoul, la deuxième ville d’Irak. directement des civils et des structures Toutes les parties au conflit ont commis des civiles. Dans d’autres cas elles ont mis la vie atrocités. Les forces gouvernementales et les de civils en danger en procédant à des tirs milices alliées ont commis des crimes de depuis des zones d’habitation. guerre et d’autres violations du droit Le groupe armé des Houthis et les unités international humanitaire et du droit de l’armée fidèles à l’ancien président Ali international relatif aux droits humains, dans Abdullah Saleh ont bombardé sans la plupart des cas contre des Arabes discrimination des quartiers de Taizz, tuant et sunnites, notamment des exécutions blessant des civils, et empêché l’entrée de extrajudiciaires et d’autres homicides illégaux denrées alimentaires et de matériel médical, ainsi que des actes de torture et la ce qui a provoqué une crise humanitaire. Les destruction délibérée d’habitations. Des Houthis ont également procédé à des tirs centaines d’hommes et de garçons ont été d’artillerie sans distinction en direction de victimes de disparition forcée, et les autorités

54 Amnesty International — Rapport 2016/17 n’ont pris aucune mesure pour élucider le plusieurs mois de combats qui ont entraîné sort des milliers de personnes disparues une nouvelle vague de déplacement de après avoir été capturées les années population. Cette année encore, le conflit a précédentes par les forces gouvernementales été marqué par des violations graves du droit et les milices alliées. international humanitaire, dont des crimes de Dans les zones qu’ils contrôlaient, les guerre, imputables à toutes les parties. membres de l’EI ont continué de tuer dans Différentes forces armées ont attaqué des des conditions qui s’apparentaient à une hôpitaux et procédé à des frappes aériennes exécution des personnes qui leur étaient et à des tirs d’artillerie aveugles qui ont tué et opposées ou qu’ils soupçonnaient de blessé des civils. L’Organisation mondiale de collaborer avec les forces gouvernementales. la santé (OMS) a signalé en juin que 60 % Ils punissaient celles et ceux qu’ils des hôpitaux publics situés dans les zones de accusaient de ne pas respecter leur code conflit avaient cessé de fonctionner ou vestimentaire et comportemental, se livraient étaient inaccessibles. à des enlèvements, torturaient et infligeaient Les groupes armés et les milices agissant des peines de flagellation et d'autres en Libye ont également commis des châtiments cruels. Ils ont soumis des enlèvements, retenant les victimes en otage femmes et des filles yézidies à des violences pour des échanges de prisonniers ou le sexuelles et les ont réduites en esclavage versement d’une rançon. Ils ont capturé des sexuel ; ils ont endoctriné et recruté des civils sur la base de leur origine, de leurs garçons, notamment des yézidis qu’ils opinions ou de leur appartenance politique avaient capturés, pour les utiliser dans les ou tribale présumée. Les forces de l’EI ont combats. À mesure que les forces exécuté sommairement des combattants de gouvernementales progressaient, les groupes rivaux et des civils capturés dans les combattants de l’EI ont empêché les civils de zones qu’elles contrôlaient ou qu'elles fuir les zones de conflit en les utilisant revendiquaient. D’autres forces, notamment comme boucliers humains, en abattant ceux celles affiliées au GUN, se sont elles aussi qui tentaient de s’enfuir et en punissant leur rendues coupables d’homicides illégaux, à famille. Dans d’autres régions, dont la Tripoli et à Benghazi, entre autres. capitale, Bagdad, des membres de l’EI ont Comme dans d’autres pays en proie au perpétré des attentats-suicides et d’autres conflit armé, les années de luttes fratricides attaques meurtrières aveugles ou visant en Libye avaient des conséquences délibérément des civils dans des marchés désastreuses pour la jouissance des droits très fréquentés ainsi que dans des économiques, sociaux et culturels, l’accès à sanctuaires chiites et d’autres endroits la nourriture, à l’électricité, aux soins publics, tuant et blessant des centaines de médicaux, à l’éducation et à d’autres services personnes. étant considérablement restreint. La Libye restait déchirée et divisée par le conflit armé, cinq ans après la chute du INTERVENTION INTERNATIONALE régime du colonel Mouammar Kadhafi. Le Les conflits armés en Syrie, au Yémen, en Conseil présidentiel du Gouvernement Irak et en Libye ont été dans une certaine d’union nationale (GUN) issu de négociations mesure exacerbés par les interventions sous l’égide de l’ONU n’est pas parvenu à étrangères. Des Européens et des consolider son pouvoir sur le terrain. Sa ressortissants d’autres pays se sont rendus légitimité restait contestée par le Parlement dans la région pour combattre pour l’EI, libyen reconnu et par les forces soutenant les tandis que les forces armées russes, anciens gouvernements rivaux basés à américaines, turques et saoudiennes, entre Tripoli, d’une part, à Tobrouk et Al Bayda, autres, ont laissé leur marque meurtrière. d’autre part. L’EI a perdu son fief de Syrte, En Syrie, les forces gouvernementales ont repris par les forces du GUN à l’issue de repris en 2016 des territoires importants à

Amnesty International — Rapport 2016/17 55 des groupes armés d’opposition, avec le qui révélaient des informations qu’ils soutien de milices chiites venues du Liban, souhaitaient dissimuler. À Bahreïn, les d’Irak et d’Iran et grâce à une campagne autorités ont poursuivi et emprisonné des intensive de bombardements russes qui ont défenseurs des droits humains pour fait des milliers de morts et de blessés dans « incitation à la haine contre le régime » et la population civile des zones contrôlées par pour avoir critiqué les frappes aériennes l’opposition. Une coalition militaire dirigée par saoudiennes au Yémen, entre autres motifs les États-Unis a mené des frappes aériennes d’inculpation ; elles ont en outre interdit à contre l’EI et d’autres groupes armés en Syrie des médias d’employer des journalistes et en Irak, tuant et blessant des civils ; considérés comme ayant « insulté » Bahreïn l’armée américaine a procédé à des ou d’autres pays du Golfe. bombardements en Libye et au Yémen. Dans En Iran, les autorités ont poursuivi et ce dernier pays, la coalition militaire dirigée emprisonné de très nombreux détracteurs par les États-Unis a largué des bombes à pacifiques du gouvernement sur la base sous-munitions interdites au niveau d’accusations vagues et fallacieuses international et utilisé d’autres armes, d’atteintes à la sécurité nationale. Parmi les fournies notamment par les États-Unis et le personnes prises pour cible figuraient des Royaume-Uni, pour lancer des attaques défenseurs des droits humains, des aveugles contre des zones contrôlées par les journalistes, des avocats, des syndicalistes, Houthis et leurs alliés, tuant des civils. des cinéastes, des musiciens, des militants Le Conseil de sécurité de l’ONU, paralysé des droits des femmes et des minorités par les divisions entre ses membres ethniques et religieuses, ainsi que des permanents, a continué de faillir à sa mission personnes qui faisaient campagne en faveur de répondre aux menaces contre la paix et la de l’abolition de la peine de mort. Au Koweït, sécurité internationales et de protéger les une nouvelle loi sur la cybercriminalité a civils. Les efforts de l’ONU pour promouvoir érigé en infraction pénale la critique des pourparlers de paix n’ont pratiquement pacifique sur Internet du gouvernement et de pas progressé, tandis que les agences des l’appareil judiciaire, la rendant passible d’une Nations unies avaient le plus grand mal à peine de 10 ans d’emprisonnement ; une répondre aux besoins humanitaires, suscités autre loi a interdit à quiconque avait été par les conflits, des dizaines de milliers de condamné pour insultes à l’égard de l’émir, personnes contraintes de vivre en état de de Dieu ou des prophètes d’être candidat aux siège et des millions d’autres déplacées à élections législatives. Des détracteurs du l’intérieur de leur pays ou qui avaient gouvernement et des journalistes ont cherché refuge à l’étranger. également été emprisonnés en Oman, où les autorités ont fermé un journal qui avait publié LIBERTÉ D’EXPRESSION, des articles dénonçant la corruption D’ASSOCIATION ET DE RÉUNION présumée des autorités, ainsi qu’en Arabie Dans toute la région, les autorités ont saoudite où les tribunaux ont prononcé de indûment restreint, voire empêché, l’exercice lourdes peines d’emprisonnement sur la base des droits à la liberté d’expression, d’accusations formulées de manière trop d’association et de réunion pacifique. La large, comme la « déloyauté envers le plupart des gouvernements ont maintenu et souverain ». En Jordanie, un homme armé a appliqué des lois qui pénalisaient la parole, tué un journaliste accusé par les autorités les écrits et d’autres formes d’expression d’avoir partagé un dessin considéré comme pacifique, les commentaires sur les réseaux « offensant » pour l’islam ; cet homme a par sociaux et autres médias en ligne par la suite été inculpé de meurtre. exemple, considérés comme critiques, Le droit à la liberté d’association a été offensants ou insultants à l’égard des largement restreint dans la région. L’Iran, le autorités, des symboles ou de la religion, ou Koweït, le Qatar et l’Arabie saoudite, entre

56 Amnesty International — Rapport 2016/17 autres, n’autorisaient pas les partis politiques Des groupes armés ont eux aussi restreint indépendants. Les organisations de défense la liberté d’expression et d’association dans des droits humains, notamment celles qui les zones qu’ils contrôlaient en Irak, en Libye, faisaient campagne en faveur des droits des en Syrie et au Yémen. En Irak, des femmes, ont été prises pour cible par les « tribunaux » autoproclamés de l’EI ont autorités dans un certain nombre de pays. En prononcé des peines de lapidation pour Égypte, les autorités ont ordonné la fermeture « adultère » ainsi que des flagellations et d’un centre reconnu pour le traitement des d’autres châtiments corporels contre des victimes de torture et de violences politiques ; personnes qui fumaient ou ne respectaient elles ont gelé les avoirs d’autres groupes de pas le code vestimentaire et d’autres règles défense des droits humains et publié une imposées par le groupe armé. En Libye, des proposition de loi qui, si elle était adoptée, groupes armés ont harcelé, enlevé, torturé et empêcherait les ONG indépendantes de tué des défenseurs des droits humains et des poursuivre leurs activités. En Algérie, le journalistes. gouvernement cherchait à affaiblir les organisations locales de défense des droits SYSTÈME JUDICIAIRE humains, dont Amnesty International Algérie, Dans toute la région, les forces de sécurité et continuait de bloquer leur enregistrement ont arrêté et placé en détention de manière légal. Les autorités marocaines continuaient arbitraire des détracteurs des gouvernements elles aussi de bloquer l’enregistrement de et des opposants, avérés ou supposés, en plusieurs groupes de défense des droits utilisant le plus souvent des lois à la humains. À Bahreïn, les autorités ont formulation vague et large. En Syrie, de suspendu en juin la principale association nombreux détenus ont été victimes de d’opposition, dont le dirigeant avait été disparition forcée après leur arrestation par emprisonné en 2014 ; elles ont saisi ses les forces gouvernementales. Les détenus biens et ont obtenu, en juillet, une décision étaient souvent soumis à une disparition de justice ordonnant sa dissolution. En Iran, forcée en Égypte et aux Émirats arabes unis l’Association des journalistes iraniens a également : coupés du monde extérieur et exhorté le président à honorer l’engagement privés de protection juridique, ils étaient pris lors de la campagne électorale de 2013 torturés et contraints de faire des « aveux » de lever sa suspension, en vain. Les autorités utilisés ensuite par les tribunaux pour les ont refusé de renouveler l’autorisation du condamner. La détention sans jugement était Syndicat des enseignants iraniens, dont des très répandue : les autorités israéliennes ont membres ont été incarcérés à cause de leur emprisonné des centaines de Palestiniens en appartenance présumée « à un groupe vertu d’ordres de détention administrative illégal ». Les gardiens de la révolution ont, renouvelables indéfiniment. Quant aux quant à eux, harcelé des militantes des droits autorités jordaniennes, elles ont continué de des femmes. détenir des milliers de personnes aux termes Les autorités algériennes ont maintenu d’une loi de 1945 qui permet le maintien en l’interdiction de toutes les manifestations détention sans inculpation ni jugement dans la capitale, Alger, en vigueur depuis pendant une période allant jusqu’à un an. 15 ans ; elles ont dispersé d’autres Le recours à la torture et à d’autres formes mouvements de protestation et emprisonné de mauvais traitements contre les détenus des manifestants pacifiques. À Bahreïn, le était monnaie courante, tout particulièrement gouvernement a continué d’interdire les en Arabie saoudite, à Bahreïn, en Égypte, manifestations dans la capitale, Manama, et dans les Émirats arabes unis, en Irak, en les forces de sécurité ont fait un usage Iran, en Israël et dans les territoires excessif de la force pour disperser des palestiniens occupés, en Libye et en Syrie. manifestants dans des villages à majorité Parmi les méthodes couramment utilisées chiite. figuraient les coups, les décharges

Amnesty International — Rapport 2016/17 57 électriques, la privation de sommeil, le aux conflits armés ou à d’autres formes de maintien dans des positions douloureuses, la violence, ainsi qu’à la répression politique ou suspension prolongée par les poignets ou les encore à la dégradation des conditions chevilles et les menaces contre les détenus économiques. Nombre de ces personnes et leurs proches. De nouvelles informations étaient des mineurs, dont certains, non ont fait état du recours à la torture en Tunisie, accompagnés, étaient particulièrement bien qu’un nouveau Code de procédure exposés à la traite, à l’exploitation sexuelle et pénale ait amélioré les garanties pour les à d’autres formes de violence. détenus (à l’exception des suspects dans les Les conflits armés, notamment le conflit affaires de terrorisme) et qu’un nouvel syrien, ont continué d’avoir un impact lourd organisme de prévention créé en 2013 ait pour les pays de la région et au-delà. Selon le peu à peu commencé à prendre forme. Haut-Commissariat des Nations unies pour En raison de l’absence d’indépendance de les réfugiés (HCR), le Liban hébergeait plus la justice et de la persistance de la « culture d’un million de réfugiés venant de Syrie de l’aveu » qui imprégnait de nombreux tandis que la Jordanie en accueillait plus de systèmes judiciaires nationaux, les tribunaux 650 000. Ces principaux pays d’accueil de la région fonctionnaient souvent comme rencontraient des difficultés pour répondre de simples outils de la répression aux besoins économiques, sociaux et autres gouvernementale plutôt que comme des entraînés par l’arrivée d’un aussi grand arbitres indépendants de la justice respectant nombre de réfugiés, alors que l’aide les normes internationales d’équité. En humanitaire internationale diminuait et que Arabie saoudite, en Égypte, dans les Émirats les dispositions de réinstallation des réfugiés arabes unis, en Irak, en Iran et en Syrie, les dans les pays européens, entre autres, procès étaient régulièrement inéquitables, étaient largement insuffisantes. Ces pays surtout dans les cas où les accusés étaient d’accueil ont renforcé les contrôles aux poursuivis pour des atteintes à la sécurité frontières pour empêcher les nouvelles nationale ou des actes de terrorisme, y arrivées, reléguant des milliers de personnes compris lorsqu’ils encouraient la peine de qui tentaient de fuir le conflit dans des mort. À Bahreïn, les autorités ont utilisé les conditions précaires du côté syrien de la tribunaux pour obtenir des décisions privant frontière. Les autorités libanaises ont renvoyé de leur nationalité un religieux qui les de force des demandeurs d’asile en Syrie. critiquait ainsi que de très nombreux Les autorités turques ont procédé à des individus condamnés pour des actes de renvois forcés massifs, y compris illégaux, de terrorisme ; certains ont été expulsés et personnes qui cherchaient refuge. Bien que beaucoup sont devenus apatrides. la communauté internationale ait exprimé sa Cette année encore, les tribunaux préoccupation, les pays du Conseil de saoudiens ont prononcé des châtiments coopération du Golfe n’ont accepté qu’un cruels, entre autres des centaines de coups petit nombre de réfugiés qui fuyaient les de fouet, et les tribunaux iraniens ont conflits armés de la région ; certains de ces condamné des accusés à la flagellation, à États ont apporté un soutien financier à l’aide l’amputation des doigts et des orteils et à humanitaire internationale. l’énucléation. Dans les pays d’accueil, les réfugiés et les demandeurs d’asile vivaient souvent dans RÉFUGIÉS, PERSONNES DÉPLACÉES ET l’insécurité et la pauvreté, se voyaient privés MIGRANTS d’accès au travail ou risquaient d’être arrêtés Dans toute la région, des millions de lorsqu’ils ne possédaient pas de documents personnes (réfugiés, demandeurs d’asile, valables. Les étrangers qui entraient ou personnes déplacées dans leur propre pays séjournaient en Libye de manière irrégulière, et migrants venus de la région ou d’ailleurs) y compris les demandeurs d’asile et les avaient pris la route pour tenter d’échapper réfugiés, étaient la cible d’une répression

58 Amnesty International — Rapport 2016/17 sévère, de même que les migrants, pour la protection du Code du travail, selon un plupart originaires d’Afrique subsaharienne. groupe local de défense des droits des Plusieurs milliers de personnes ont ainsi été travailleurs, ce qui les exposait à la violence arrêtées à des postes de contrôle et lors de et à l’exploitation. descentes de police, et placées en détention illimitée dans des prisons officielles ou des DROITS DES FEMMES centres gérés par des milices. D’autres ont Dans toute la région, les femmes et les filles été enlevées contre rançon et ont été subissaient des différences de traitement par victimes d’exploitation et de violences rapport aux hommes, aussi bien dans la sexuelles aux mains de passeurs et de législation que dans la pratique, et étaient trafiquants d’êtres humains. Ces difficultés, confrontées à des violences liées au genre, entre autres facteurs d’incitation au départ, notamment des violences sexuelles et des ont poussé des dizaines de milliers de crimes perpétrés au nom de l’« honneur ». personnes à chercher refuge ailleurs. Elles En Arabie saoudite, où il était toujours interdit payaient généralement des groupes criminels aux femmes de conduire, les règles de de passeurs pour risquer leur vie dans des « tutelle » masculine restreignaient leur embarcations fragiles et surchargées qui liberté de circuler ainsi que leur accès à partaient des rivages de Turquie et de Libye, l’enseignement supérieur et au travail. notamment, pour tenter, le plus souvent en Un droit de la famille discriminatoire à vain, de traverser la Méditerranée. Des l’égard des femmes en matière de mariage, milliers de personnes ont réussi à entrer en de divorce, de garde des enfants et Europe, où leur avenir était incertain ; des d’héritage restait en vigueur et, dans de milliers d’autres, dont des enfants, ont péri nombreux pays, les lois ne protégeaient pas en mer. les femmes contre les violences sexuelles, Ailleurs dans la région, des travailleurs voire les favorisaient – par exemple en ne migrants, originaires d’Asie pour la plupart, sanctionnant pas pénalement le mariage continuaient d’être exploités et maltraités. précoce et forcé ni le viol conjugal et en Dans les Émirats arabes unis, au Koweït et au permettant à l’auteur d’un viol d’échapper Qatar, où les travailleurs migrants aux poursuites en épousant sa victime. Au constituaient la majorité de la population et cours de l’année, les autorités de Bahreïn ont où l’économie reposait sur leur travail, des supprimé de leur arsenal pénal cette politiques restrictives de parrainage disposition favorable aux auteurs de viol ; la continuaient de lier les travailleurs à leur Jordanie en a pour sa part réduit la portée. employeur, ce qui renforçait la vulnérabilité Autres avancées, des projets de loi contre les des employés migrants. En Arabie saoudite, violences faites aux femmes semblaient de nombreux migrants se sont retrouvés devoir être adoptés prochainement au Maroc démunis après la décision du gouvernement et en Tunisie. Dans d’autres pays, toutefois, de réduire les dépenses pour des projets de des lois continuaient de prévoir des peines construction, entre autres. Les autorités moins lourdes pour les crimes de violence n’ayant toujours pas étendu les garanties faite aux femmes, y compris le meurtre, si fondamentales du droit du travail au secteur l’auteur avait agi au nom de l’« honneur de la du travail domestique, les employés de famille », ou rendaient les femmes passibles maison, des femmes pour la plupart, de poursuites si elles dénonçaient un viol. restaient particulièrement exposés aux Ces lois perpétuaient des conditions qui mauvais traitements infligés par leur favorisaient et dissimulaient un niveau employeur – notamment des violences potentiellement élevé de violence domestique sexuelles et d’autres sévices physiques et contre les femmes et les filles. psychologiques, ainsi que le travail forcé. En En Iran, des militantes des droits des Jordanie, quelque 80 000 employées de femmes ont été arrêtées, emprisonnées et maison étrangères ne bénéficiaient pas de la harcelées par des agents du ministère du

Amnesty International — Rapport 2016/17 59 Renseignement et des gardiens de la accès équitable à l’emploi, à l’éducation, aux révolution. Les autorités utilisaient la « police fonctions politiques et à l’exercice de leurs des mœurs » pour faire respecter les lois droits économiques, sociaux et culturels. En rendant le voile obligatoire pour les femmes, Égypte, où les chrétiens coptes, les régulièrement en butte à des actes de musulmans chiites et les baha’is continuaient harcèlement, des violences, des arrestations de subir des discriminations dans la et des placements en détention à cause de législation et dans la pratique, une nouvelle leur tenue vestimentaire. Parallèlement, des loi a restreint la construction et la rénovation projets de loi répondant à l’appel du Guide des églises. Au Koweït, les autorités ont suprême en faveur d’un plus grand respect continué de priver de la nationalité du rôle « traditionnel » des femmes comme koweïtienne plus de 100 000 bidun qui mères au foyer menaçaient de réduire leur vivaient de longue date dans le pays ; accès à la santé en matière de sexualité et de apatrides, ils ne pouvaient pas bénéficier de procréation. tout un éventail de services publics. Les femmes et les filles étaient particulièrement en danger dans les zones de DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET conflit armé, où elles subissaient l’état de DES PERSONNES BISEXUELLES, siège, les frappes aériennes et d’autres TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES formes d’attaques menées par les forces À Bahreïn, en Égypte, en Iran, au Maroc et gouvernementales et celles de l’opposition. en Tunisie, des personnes LGBTI ont été Beaucoup se retrouvaient davantage arrêtées et emprisonnées pour « débauche » exposées à des mauvais traitements, comme ou « indécence » et persécutées aux termes la traite, à la suite de la mort ou de la de lois érigeant en infraction pénale les disparition de leur mari et d’autres parents de relations sexuelles librement consenties entre sexe masculin. Dans les zones qu’il contrôlait adultes de même sexe. en Irak et en Syrie, l’EI détenait toujours des milliers de femmes et de filles yézidies IMPUNITÉ capturées par ses combattants. Réduites en Sous un épais voile d’impunité, les parties esclavage, y compris sexuel, les victimes aux conflits armés perpétraient des crimes de étaient soumises à des violences sexuelles et guerre ainsi que d’autres violations graves du converties de force. droit international et des atteintes flagrantes aux droits humains. Dans d’autres contextes, DROITS DES MINORITÉS le pouvoir en place commettait des Dans un certain nombre de pays, les homicides illégaux, des actes de torture et membres de minorités ethniques, religieuses d’autres violations des droits fondamentaux et autres étaient toujours en butte à une sans être amené à rendre compte de ses répression exacerbée par la radicalisation agissements. politique croissante qui résultait des conflits Dans certains cas, l’impunité persistait armés auxquels toute la région était en proie pour des crimes commis il y a plusieurs – une radicalisation qui alimentait tout à la décennies. Alors que la loi devrait servir à fois ces conflits. En Arabie saoudite, les punir les responsables, les autorités autorités continuaient de réprimer la minorité algériennes ont continué de protéger les chiite ; des militants chiites ont été forces étatiques responsables de crimes emprisonnés et un dignitaire religieux chiite a graves commis dans les années 1990 en été exécuté. En Iran, les autorités ont érigeant en infraction pénale les appels pour emprisonné de très nombreux militants que justice soit rendue. Au Maroc, 10 ans pacifiques appartenant aux minorités après que l’Instance équité et réconciliation a ethniques ; elles maintenaient toute une série exposé les violations graves des droits de restrictions discriminatoires qui privaient humains commises durant des décennies, la les membres des minorités religieuses d’un politique étatique continuait de protéger les

60 Amnesty International — Rapport 2016/17 responsables de la justice. Le gouvernement extrêmement violente du gouvernement aux israélien a accepté d’indemniser les familles protestations populaires a amené les des Turcs tués par des soldats israéliens en autorités à créer, et à vanter par la suite, des 2010, mais il n’a rien fait pour obliger les mécanismes officiels ayant pour mandat responsables de crimes de guerre de grande d’enquêter sur les violations des droits ampleur et d’autres violations graves du droit humains susceptibles d'avoir été commises international commis par les forces par des membres des forces de sécurité, et à israéliennes lors des conflits armés récents à amener les responsables à rendre des Gaza et au Liban à rendre des comptes. Les comptes. Ces mécanismes ont continué de responsables d’homicides illégaux, d’actes de fonctionner tout au long de l’année, mais de torture et d’autres violations que les soldats et manière insuffisamment efficace et les membres des services de sécurité appropriée ; seul un petit nombre de israéliens continuaient de commettre contre membres des forces de sécurité, de niveau des Palestiniens en Cisjordanie et à Gaza subalterne, ont fait l’objet de poursuites à la n’étaient pas non plus tenus comptables de suite des investigations menées. Aucun leurs agissements. Le gouvernement officier supérieur et aucun agent de l’État palestinien a ratifié les modifications du responsable en 2011 d’actes de torture, Statut de Rome conférant à la Cour pénale d’homicides illégaux ou d’autres formes internationale la compétence sur le « crime d’usage excessif de la force n’avait eu à d’agression ». En revanche, tout comme le répondre de ses actes à la fin de l’année. gouvernement de facto du Hamas à Gaza, il La Tunisie était le seul pays de la région n’a pris aucune mesure pour faire en sorte qui avait entrepris un processus sérieux de que les responsables de crimes commis par justice transitionnelle. L’Instance vérité et des groupes armés palestiniens dans le dignité a annoncé qu’elle avait reçu des cadre des conflits précédents, notamment les dizaines de milliers de plaintes à propos de tirs aveugles de roquettes et de mortier en violations des droits humains commises entre direction d’Israël et les exécutions sommaires 1955 et la fin de 2013, et elle a tenu des de « collaborateurs » présumés, aient à audiences publiques retransmises à la rendre des comptes pour leurs actes. télévision. Toutefois, un projet de loi En Égypte, les forces de sécurité ont prévoyant d’accorder l’immunité aux anciens continué de commettre des violations graves fonctionnaires et dirigeants d’entreprises s’ils des droits fondamentaux, en toute impunité. restituent le produit de la corruption Elles ont pris pour cible des sympathisants menaçait de porter atteinte au travail de présumés des Frères musulmans, l’Instance. mouvement interdit, ainsi que d’autres L’Assemblée générale des Nations unies a opposants et détracteurs du gouvernement également apporté une lueur d’espoir en qui ont été victimes d’arrestations arbitraires, décembre, avec la mise en place d’un de disparitions forcées et d’actes de torture. mécanisme international chargé de garantir Une modification de la Loi relative aux l’obligation de rendre des comptes pour les pouvoirs de la police a interdit aux forces de crimes de guerre et les crimes contre sécurité de « maltraiter les citoyens ». Les l’humanité commis en Syrie depuis mars autorités n’ont toutefois pris aucune mesure 2011. Au cours du même mois, le Conseil de pour obliger les membres des forces de sécurité a fait preuve d’une unité rare en sécurité responsables d’homicides illégaux et réaffirmant que l’implantation de colonies d’autres violations graves des droits humains israéliennes en territoire palestinien occupé commises durant les années de troubles qui depuis 1967 n’avait aucune validité légale et ont suivi le soulèvement populaire de 2011 à constituait une violation flagrante du droit répondre de leurs actes. international ainsi qu’un obstacle à la paix et À Bahreïn, la condamnation au niveau à la sécurité. Plutôt que d’exercer leur droit international qui a suivi en 2011 la réaction de veto, les États-Unis se sont abstenus

Amnesty International — Rapport 2016/17 61 tandis que les 14 autres États membres ont inéquitable ont prononcé des centaines de approuvé cette résolution. Malgré ces sentences capitales depuis 2013. avancées, l’avenir en termes de justice et d’obligation de rendre des comptes restait DÉFENDRE L’HUMANITÉ sombre au niveau international, quatre des Si l’année 2016 a été marquée par certaines cinq membres permanents du Conseil de des pires formes de comportement humain, sécurité – États-Unis, France, Royaume-Uni elle a aussi été éclairée par des conduites et Russie – soutenant activement des forces exemplaires. D’innombrables personnes se qui continuent de commettre des crimes de sont mobilisées pour défendre les droits guerre et d’autres violations graves du droit humains et les victimes de l’oppression, international en Syrie, en Irak, au Yémen et mettant souvent leur vie ou leur liberté en en Libye, et étant eux-mêmes impliqués dans danger. Parmi elles figuraient des membres de tels actes. du personnel médical, des avocats, des journalistes citoyens, des professionnels des PEINE DE MORT médias, des personnes qui faisaient La peine de mort était maintenue dans tous campagne en faveur des droits des femmes les pays de la région, mais il existait de et des droits des minorités, des défenseurs profondes disparités dans la série des droits sociaux et beaucoup d’autres qui d’infractions pour lesquelles ce châtiment sont trop nombreux pour être nommés ou pouvait être prononcé ainsi que dans son énumérés. C’est leur courage et leur application. Aucune nouvelle condamnation détermination face aux atteintes graves aux à la peine capitale n’a été prononcée à droits humains et aux menaces qui donnent Bahreïn, en Oman ni en Israël, pays qui a des raisons d’espérer un avenir meilleur pour aboli la peine de mort uniquement pour les la population du Moyen-Orient et de l’Afrique crimes ordinaires. En Algérie, au Maroc et en du Nord. Tunisie, les tribunaux continuaient de prononcer des condamnations à mort, mais les autorités menaient de longue date une politique consistant à ne procéder à aucune exécution. En revanche, l’Iran, l’Arabie saoudite et l’Irak figuraient toujours parmi les pays du monde pratiquant le plus grand nombre d’exécutions. Les suppliciés avaient souvent été condamnés à l’issue de procès manifestement inéquitables. Certains, la majorité en Iran, ont été envoyés à la mort après avoir été déclarés coupables d’infractions à la législation sur les stupéfiants commises sans violences ; d’autres avaient été condamnés pour des crimes perpétrés alors qu’ils étaient mineurs. Le 2 janvier, 47 prisonniers ont été exécutés en Arabie saoudite dans 12 lieux distincts. Le 21 août, les autorités iraniennes ont exécuté 36 hommes condamnés à l’issue d’un procès sommaire au cours duquel leurs allégations de torture n’avaient pas été prises en compte. Des exécutions ont également eu lieu en Égypte, où des tribunaux, notamment militaires, appliquant une procédure

62 Amnesty International — Rapport 2016/17 AMNESTY INTERNATIONAL RAPPORT 2016/17 SITUATION PAYS PAR PAYS différents, dont des talibans, une délégation AFGHANISTAN de la commission politique des talibans basée à Doha a réaffirmé qu’un processus de République islamique d’Afghanistan paix officiel ne pourrait démarrer qu’après le Chef de l’État et du gouvernement : Mohammad Ashraf départ des troupes étrangères du pays. Elle a Ghani également énoncé d’autres conditions préalables, notamment le retrait des noms de L’intensification du conflit a entraîné des chefs talibans de la liste des sanctions des atteintes généralisées aux droits humains. Nations unies. Des milliers de civils ont été tués, blessés En février, le président Ashraf Ghani a ou déplacés par les violences tandis que nommé Mohammad Farid Hamidi, éminent l’insécurité persistante restreignait l’accès à avocat spécialisé dans la défense des droits l’éducation et à la santé, entre autres humains, au poste de procureur général et le services. Si la majorité des pertes civiles général Taj Mohammad Jahid au poste de ont été le fait d’attaques menées par des ministre de l’Intérieur. Il a également mis en groupes armés insurgés, les forces place un fonds destiné à aider les femmes progouvernementales ont aussi tué et blessé victimes de violence liée au genre, auquel les des civils. Cette année encore, les forces membres du gouvernement ont versé 15 % progouvernementales et les groupes armés de leur salaire de février. ont utilisé des enfants soldats. Le nombre Le Conseil de sécurité de l’ONU a de personnes déplacées à l’intérieur du renouvelé pour un an, en mars, le mandat de pays s’élevait à 1,4 million, soit plus du la Mission d’assistance des Nations unies en double du total recensé en 2013. Quelque Afghanistan (MANUA), dont Tadamichi 2,6 millions de réfugiés afghans vivaient à Yamamoto a été nommé représentant spécial l’étranger, souvent dans des conditions par le secrétaire général de l’ONU. déplorables. Les violences faites aux Le 29 septembre, après des années de femmes et aux filles ont persisté et on a négociations entre le gouvernement et le signalé une augmentation des châtiments Hezb-e Islami, deuxième groupe insurgé du infligés en public à des femmes par des pays dirigé par Gulbuddin Hekmatyar, celui- groupes armés, notamment des exécutions ci a signé avec le président Ashraf Ghani un et des flagellations. Cette année encore, les accord de paix qui lui octroyait, ainsi qu’aux défenseurs des droits humains ont été la membres de son groupe, l’amnistie pour les cible de menaces imputables tant à des crimes relevant du droit international qu’ils agents de l’État qu’à des acteurs non auraient commis. Cet accord prévoyait aussi étatiques, qui les empêchaient de faire leur la remise en liberté de certains prisonniers travail ; des journalistes ont été confrontés appartenant au Hezb-e Islami. à la violence et à la censure. Les autorités L’instabilité politique s’est accrue dans un ont continué de procéder à des exécutions, climat de dissensions croissantes, au sein du le plus souvent à l’issue de procès gouvernement d’unité nationale, entre les inéquitables. partisans du président Ashraf Ghani et ceux du chef de l’exécutif Abdullah Abdullah. En CONTEXTE octobre, une conférence internationale des En janvier, des représentants de donateurs a été organisée par l’Union l’Afghanistan, du Pakistan, de la Chine et des européenne (UE) pour fixer le montant de États-Unis ont mené des négociations au l’aide accordée à l’Afghanistan au cours des sujet d’une feuille de route pour la paix avec quatre prochaines années. La communauté les talibans. Toutefois, lors d’une conférence internationale s’est engagée à verser quelque qui s’est tenue en janvier à Doha et à laquelle 15,2 milliards de dollars des États-Unis afin ont participé 55 responsables de haut niveau de venir en aide à l’Afghanistan, notamment venant d’horizons internationaux très dans les domaines de la sécurité et du

64 Amnesty International — Rapport 2016/17 développement durable. Peu avant cette humanitaire suédoise qui gérait conférence, l’UE et l’Afghanistan avaient l’établissement a affirmé qu’ils avaient frappé conclu un accord permettant l’expulsion par les membres du personnel et tué deux les pays européens d’un nombre illimité patients, ainsi qu’un adolescent de 15 ans d’Afghans déboutés du droit d’asile, et ce en qui s’occupait d’eux. L’OTAN a ouvert une dépit de l’aggravation de la situation en enquête sur cette opération, mais n’avait pas matière de sécurité. communiqué d’informations sur son La crise financière, qui s’aggravait avec la avancement à la fin de l’année. réduction de la présence internationale dans Aucune inculpation n’a été prononcée le pays et l’augmentation du chômage, était contre les responsables du bombardement source de profonde préoccupation. aérien par les forces américaines, en octobre Les attaques menées par les talibans et 2015, d’un hôpital de Kunduz géré par leurs tentatives pour s’emparer de provinces Médecins sans frontières, lors duquel au et de villes importantes se sont rapidement moins 42 membres du personnel médical et multipliées en septembre et en octobre. Les patients avaient été tués ou blessés. Une talibans ont pris le contrôle de Kunduz en dizaine de militaires américains ont toutefois octobre. L’approvisionnement en électricité et fait l’objet de sanctions disciplinaires. En en eau a alors été coupé dans la ville, les mars, le nouveau commandant des forces hôpitaux ont manqué de médicaments et le américaines et des forces de l’OTAN en nombre de pertes civiles a augmenté. Selon Afghanistan a présenté des excuses aux le Bureau de la coordination des affaires familles des victimes. humanitaires des Nations unies (OCHA), environ 25 000 Afghans auraient été EXACTIONS PERPÉTRÉES PAR DES déplacés en une semaine, fuyant Kunduz GROUPES ARMÉS pour la capitale, Kaboul, et les pays voisins. Selon la MANUA, la majorité des pertes civiles – 60 % environ – ont été le fait CONFLIT ARMÉ d’attaques menées par les talibans et Au cours des neuf premiers mois de 2016, la d’autres groupes armés insurgés. MANUA a recensé 8 397 victimes civiles du Le 3 février, les talibans ont abattu un conflit (2 562 morts et 5 835 blessés). Selon garçon de 10 ans qui se rendait à l’école à la MANUA, près de 23 % étaient imputables Tirin Kot, dans le sud de l’Uruzgan. Cet aux forces progouvernementales – à savoir enfant aurait apparemment été tué parce les forces de sécurité nationales afghanes, la qu’il avait combattu les talibans à quelques police locale afghane, les groupes armés reprises aux côtés de son oncle, un ancien progouvernementaux et les forces commandant des talibans qui avait changé internationales. d’allégeance et était devenu chef de la police La MANUA a recensé au moins 15 cas, au locale. cours du premier semestre de 2016, dans Le 19 avril, des combattants talibans ont lesquels les forces progouvernementales ont attaqué une équipe de sécurité chargée de la mené des perquisitions dans des hôpitaux et protection de hauts responsables des centres de santé, retardé ou entravé la gouvernementaux à Kaboul ; 64 personnes fourniture de médicaments ou utilisé des au moins ont été tuées et 347 autres établissements médicaux à des fins blessées. Il s’agissait de la plus grosse militaires, soit une nette augmentation par attaque menée par les talibans dans une rapport à l’année précédente. zone urbaine depuis 2001. Le 18 février, des hommes portant Le 31 mai, des combattants talibans se l’uniforme de l’armée nationale afghane ont faisant passer pour des agents de l’État ont pénétré dans un centre de santé du village enlevé environ 220 civils à un faux poste de de Tangi Saidan (province du Wardak) contrôle sur la route reliant Kunduz à Takhar, contrôlé par les talibans. L’organisation non loin d’Arzaq Angor Bagh, dans la

Amnesty International — Rapport 2016/17 65 province de Kunduz. Dix-sept d’entre eux ont Des groupes armés ont pris pour cible des été tués et les autres ont été secourus ou femmes qui participaient à la vie publique libérés. Au moins 40 autres personnes ont par leur profession, notamment des été enlevées et d’autres tuées le 8 juin dans policières. Ils ont également restreint la la même région. liberté de mouvement des femmes et des Un attentat-suicide perpétré le 23 juillet filles, y compris leur accès à l’éducation et pendant une manifestation pacifique de aux soins de santé, dans les zones qu’ils Hazaras à Kaboul et revendiqué par le contrôlaient. groupe armé État islamique (EI) a fait au La MANUA a signalé une augmentation du moins 80 morts et plus de 230 blessés. nombre de femmes auxquelles les talibans et Le 12 août, trois hommes armés ont d’autres groupes armés ont infligé des attaqué l’université américaine de Kaboul ; châtiments en public au titre de la charia 12 personnes – des étudiants et des (droit musulman). Elle a recensé, entre le enseignants pour la plupart – ont été tuées et 1er janvier et le 30 juin, six châtiments près de 40 autres ont été blessées. Cet prononcés par des structures de justice attentat n’a pas été revendiqué. parallèles et imposés par des groupes armés Le 11 octobre, l’EI a mené une attaque à des femmes accusées de crimes coordonnée contre un groupe important de « moraux » ; deux femmes ont été exécutées personnes qui participaient à une cérémonie et quatre autres ont été flagellées. de deuil dans une mosquée de Kaboul. Les assaillants ont utilisé des explosifs et pris RÉFUGIÉS ET PERSONNES DÉPLACÉES d’assaut la mosquée, prenant semble-t-il en Selon le Haut-Commissariat des Nations otages plusieurs centaines de fidèles. Au unies pour les réfugiés (HCR), près de moins 18 personnes ont été abattues et plus 2,6 millions de réfugiés afghans vivaient dans de 40 autres blessées ; des femmes et des plus de 70 pays, ce qui plaçait l’Afghanistan enfants figuraient parmi les victimes. au deuxième rang mondial des pays d’origine des réfugiés. Environ 95 % d’entre eux VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ET vivaient dans seulement deux pays, l’Iran et AUX FILLES le Pakistan, où ils étaient victimes de Les autorités judiciaires afghanes ont discrimination et d’attaques racistes et annoncé avoir enregistré plus de 3 700 cas étaient confrontés à l’absence de violences contre des femmes et des filles d’infrastructures de base et au risque au cours des huit premiers mois de 2016. La d’expulsion massive. Commission indépendante des droits de Environ 1,4 million de réfugiés installés au l’homme en Afghanistan a elle aussi signalé Pakistan risquaient une expulsion collective, plusieurs milliers de cas au cours des six leur enregistrement devant expirer à la fin de premiers mois de l’année, notamment des l’année. Le HCR estimait qu’un million coups, des homicides, ainsi que des attaques supplémentaire de réfugiés non enregistrés à l’acide. vivaient au Pakistan. Toujours selon le HCR, En janvier dans la province de Faryab, un plus de 500 000 réfugiés afghans homme a coupé le nez de son épouse âgée (enregistrés ou non) ont été renvoyés du de 22 ans. Cette agression a été condamnée Pakistan au cours de l’année. Il s’agissait du dans tout l’Afghanistan, y compris par un chiffre le plus élevé depuis 2002. Les porte-parole des talibans. autorités ont indiqué que, durant les quatre En juillet, une jeune fille de 14 ans, qui premiers jours d’octobre, jusqu’à était enceinte, a été brûlée par son mari et 5 000 retours avaient été enregistrés ses beaux-parents, qui voulaient punir son quotidiennement. La situation a été père de s’être enfui avec une cousine du exacerbée par la signature, le 5 octobre mari. L’adolescente est morte cinq jours plus 2016, de l’accord entre le gouvernement tard dans un hôpital de Kaboul. afghan et l’UE, qui prévoit le renvoi d’un

66 Amnesty International — Rapport 2016/17 nombre illimité de réfugiés afghans par les question ont informé les autorités de ces États membres de l’UE. menaces, et la Direction nationale de la sécurité (le service de renseignement afghan) Personnes déplacées a arrêté deux personnes liées, semble-t-il, En avril 2016, on estimait à 1,4 million le aux talibans. Aucune information n’a nombre de personnes déplacées à l’intérieur toutefois été fournie par la suite à ces du pays. Beaucoup vivaient toujours dans défenseurs des droits humains, qui ont des conditions sordides, privées d’accès à un continué de recevoir des menaces et se sont logement décent, à la nourriture, à l’eau, aux autocensurés dans leurs activités. soins médicaux, à l’éducation ou aux En août, dans une province du sud du possibilités d’emploi. pays, le frère d’une défenseure des droits Selon l’OCHA, 530 000 personnes ont été humains a été enlevé, torturé et tué par des déplacées à l’intérieur du pays entre le individus non identifiés. Les ravisseurs ont 1er janvier et le 11 décembre à cause du utilisé le téléphone de leur victime pour conflit. intimider la militante et sa famille, la La situation des personnes déplacées a menaçant de conséquences fatales si elle ne empiré ces dernières années. La mise en mettait pas fin à ses activités. Personne œuvre de la politique nationale relative aux n’avait été arrêté à la fin de l’année pour personnes déplacées, lancée en 2014, a été l’enlèvement et le meurtre de cet homme. compromise par la corruption, le manque de moyens du gouvernement et le déclin de LIBERTÉ D’EXPRESSION ET DE l’intérêt de la communauté internationale. RÉUNION À l’instar d’autres groupes, les personnes La liberté d’expression, qui s’était renforcée déplacées étaient confrontées à des après la chute des talibans en 2001, a difficultés importantes pour accéder aux progressivement régressé à la suite d’une soins de santé. Les installations publiques série d’attaques violentes, d’actes étaient surchargées et les camps et lieux d’intimidation et de meurtres de journalistes. d’hébergement des personnes déplacées Nai, un organisme afghan de surveillance étaient le plus souvent dépourvus de centres des médias, a signalé plus de 100 attaques de santé. Les médicaments et les cliniques visant des journalistes et d’autres employés privées étaient inabordables pour la plupart des médias, ainsi que des locaux hébergeant des personnes déplacées et l’absence de des médias, entre janvier et novembre. soins de santé maternelle et reproductive Citons, entre autres formes de violences était particulièrement préoccupante. exercées tant par des agents de l’État que Par ailleurs, ces personnes étaient par des acteurs non étatiques, les homicides, régulièrement menacées d’expulsion forcée les coups, les placements en détention, les par des agents du gouvernement et des incendies volontaires et les menaces. acteurs non étatiques. Le 20 janvier, un attentat-suicide contre une navette transportant des employés de DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS Moby Group, propriétaire de Tolo TV, la Cette année encore, les défenseurs des droits principale chaîne de télévision privée du humains ont été pris pour cible et menacés pays, a coûté la vie à sept professionnels des par des groupes armés. Des militantes des médias et blessé 27 autres personnes. Cet droits humains et leurs familles, en attentat a été revendiqué par les talibans, qui particulier, ont reçu des menaces de mort. avaient auparavant menacé Tolo TV. Au début de 2016, une défenseure Le 29 janvier, Zubair Khaksar, journaliste éminente des droits humains a reçu sur très connu qui travaillait pour la télévision Facebook, de la part des talibans, une nationale afghane dans la province du menace de mort qui la visait ainsi que neuf Nangarhar, a été tué par des hommes armés autres personnes. Les 10 militants en

Amnesty International — Rapport 2016/17 67 non identifiés alors qu’il se rendait de notamment en ayant recours à la peine Djalalabad au district de Surkhrood. capitale. Le 19 avril, des policiers de Kaboul ont Il était à craindre que d’autres exécutions frappé deux employés d’Ariana TV qui ne suivent. Quelque 600 prisonniers étaient faisaient leur travail de journalistes. sous le coup d’une sentence capitale. Dans plusieurs provinces à l’extérieur de Beaucoup d’entre eux avaient été déclarés Kaboul, des militants ont affirmé qu’ils coupables de crimes tels que le meurtre, à hésitaient de plus en plus à organiser des l’issue de procès non conformes aux normes manifestations car ils craignaient des internationales d’équité. Une centaine de représailles des autorités. personnes ont été condamnées à mort au cours de l’année pour meurtre, viol suivi de TORTURE ET AUTRES MAUVAIS meurtre ou acte de terrorisme ayant entraîné TRAITEMENTS la mort d’un grand nombre de personnes. Cette année encore, des groupes armés, dont les talibans, se sont rendus responsables d’homicides, d’actes de torture et d’autres atteintes aux droits humains à titre de AFRIQUE DU SUD châtiment pour des actes considérés comme République sud-africaine des crimes ou des délits. Les structures de Chef de l’État et du gouvernement : Jacob G. Zuma justice parallèle étaient illégales. La MANUA a recensé 26 cas d’exécution sommaire, de flagellation, de coups et de La police a fait usage d’une force excessive détention illégale entre le 1er janvier et le contre des manifestants. De nouveaux cas 30 juin. Ces châtiments ont été imposés pour de torture et d’autres mauvais traitements des violations présumées de la charia ainsi en garde à vue ont été signalés, y compris que pour espionnage ou liens avec les forces des viols. Des réfugiés, des demandeurs de sécurité. La plupart des cas ont été d’asile et des migrants, en butte à la signalés dans l’ouest du pays, xénophobie et à des violences, ont été particulièrement dans les provinces de Farah déplacés, blessés ou tués. Les femmes et et de Badghis. les filles, en particulier celles appartenant à Le 14 février, dans le district de Khak-e des groupes marginalisés, étaient toujours Safid (province de Farah), des membres de victimes de l’inégalité entre les genres et de la police locale afghane auraient arrêté, la discrimination liée au genre. Des torturé et tué un berger qu’ils accusaient personnes LGBTI ont fait l’objet de d’avoir posé un engin explosif improvisé discriminations et de crimes haineux, déclenché à distance, qui avait tué deux notamment d’homicides. Des défenseurs policiers. La MANUA a indiqué que, bien des droits humains ont été agressés. qu’il ait été informé de cette affaire, le service des poursuites de la police locale n’avait pas CONTEXTE ouvert d’enquête ni arrêté de suspects. Dans la province du Kwazulu-Natal, des violences politiques ont éclaté à l’approche PEINE DE MORT des élections locales du 3 août. Entre janvier Six condamnés à mort ont été pendus le et juillet, 25 épisodes de violence, 8 mai dans la prison de Pol-e Charkhi, à notamment les homicides de 14 conseillers Kaboul. Ces exécutions ont eu lieu à la suite municipaux, candidats aux élections et d’un discours prononcé le 25 avril par le membres de partis politiques, ont été président Ashraf Ghani, peu après l’attaque signalés. Le ministre de la Police a créé une de grande ampleur lancée par les talibans le équipe spéciale chargée d’enquêter sur les 19 avril. Dans son discours, le président infractions motivées par des considérations s’était engagé à appliquer une justice sévère, politiques qui étaient commises dans la

68 Amnesty International — Rapport 2016/17 province et d’engager des poursuites à commission chargée de déterminer si la l’encontre des responsables présumés de ces directrice nationale de la police, Riah agissements. Phiyega, pouvait continuer d’exercer ses À partir du mois de juillet, après que l’État fonctions a achevé ses investigations et eut annoncé une augmentation pouvant aller devait rendre son rapport final au président. jusqu'à 8 % des frais de scolarité à la rentrée 2017, des étudiants ont manifesté en POLICE masse et souvent de façon violente pour L’IPID a fait état de 366 morts durant des réclamer la gratuité de l’enseignement opérations policières et de 216 autres en supérieur. garde à vue sur la période 2015-2016, ces La justice a affirmé l’indépendance des deux chiffres étant inférieurs à ceux de 2014. institutions de surveillance de l’État. Le Elle a également signalé 145 cas de torture, 31 mars, la Cour constitutionnelle s’est dont 51 viols, et 3 509 agressions imputés à rangée aux conclusions de l’enquête menée des policiers dans l’exercice de leurs par le Bureau de la médiatrice sur les travaux fonctions. Les procédures judiciaires de rénovation, sans lien avec la sécurité, engagées contre des policiers accusés effectués dans la résidence privée du d’homicides illégaux ne progressaient président et a prié celui-ci de rembourser les toujours que lentement. fonds publics utilisés. Le 6 septembre, elle a Le procès de 27 policiers, membres pour jugé inconstitutionnelle la décision du la plupart de l’Unité de lutte contre le crime ministre de la Police, au titre de la Loi relative organisé de Cato Manor (aujourd’hui à l’IPID, de suspendre Robert McBride, dissoute), qui devait s’ouvrir devant la haute directeur exécutif de la Direction cour de Durban, a de nouveau été ajourné, indépendante d’enquête sur la police (IPID). cette fois au 31 janvier 2017. Ces hommes En novembre, les charges de fraude pesant étaient accusés, entre autres, de 28 chefs de sur cet homme ont été abandonnées. meurtre.

RECOURS EXCESSIF À LA FORCE En octobre, la médiatrice a publié un Des policiers ont parfois usé d’une force rapport sur les homicides ciblés perpétrés au excessive en réponse aux manifestations foyer d’hébergement Glebelands, à Durban, étudiantes. Ils ont notamment tiré, à faible entre mars 2014 et novembre 2016, coûtant distance, des balles en caoutchouc sur des la vie à plus de 60 personnes. Elle a établi étudiants et des sympathisants alors qu’une que le différend à l’origine de ces violences telle intervention n’était ni nécessaire ni était lié au fait que la municipalité n’avait pas proportionnée. assumé la responsabilité de la location des Le 11 décembre, le président Zuma a logements. Elle a indiqué que la police avait annoncé les mesures prises au sein des détenu et torturé au moins trois résidents de ministères afin d’appliquer les Glebelands en 2014, sans que les recommandations de la Commission responsables présumés soient inquiétés. d’enquête Farlam, chargée de faire la lumière L’enquête de l’IPID sur la mort en détention sur l’affaire des mineurs grévistes tués par la de Zinakile Fica, un résident de Glebelands, police à Marikana en 2012. Il s’agissait en mars 2014 n’était pas achevée. notamment de la révision des protocoles Dans son rapport, la médiatrice a aussi encadrant le recours à la force, de la mise en conclu que la police n’avait pas rempli ses place, le 15 avril, d’une équipe spéciale missions de prévention, d’investigation en ministérielle destinée à veiller à la forme cas d’infraction et de protection des résidents physique et psychique des policiers, et de la du foyer, mettant en évidence le faible taux constitution, le 29 avril, d’un groupe d’arrestations de meurtriers présumés et de d’experts chargé de revoir les procédures poursuites ayant abouti à une condamnation. relatives au maintien de l’ordre public. La Elle a promis de suivre les enquêtes ouvertes

Amnesty International — Rapport 2016/17 69 sur les tortures et les homicides de résidents construire 5 500 logements pour les mineurs de Glebelands imputables à la police. avant 2011. En 2012, seuls trois étaient En avril, les résidents de Glebelands ont sortis de terre. En août 2016, Lonmin a lancé un appel urgent au haut-commissaire déclaré qu’environ 13 500 de ses aux droits de l’homme des Nations unies afin 20 000 employés permanents n’avaient de demander l’intervention du Conseil des toujours pas de véritables logements. De droits de l’homme dans l’affaire de ces nombreux mineurs continuaient de vivre homicides ciblés. Le responsable d’un comité dans des quartiers informels, à l’image de pour la paix à Glebelands a été abattu le celui de Nkaneng, situé sur le site minier 7 novembre, après avoir quitté le tribunal de exploité par Lonmin. Les habitations de première instance d’Umlazi. Personne n’a été fortune de Nkaneng n’étaient pas conformes arrêté. aux normes internationales les plus élémentaires en matière de logement décent. JUSTICE INTERNATIONALE Par conséquent, les activités de Lonmin Le gouvernement a déposé en octobre bafouaient le droit à un niveau de vie l’instrument de retrait de l’Afrique du Sud du suffisant, notamment à un logement adéquat. Statut de Rome de la CPI, sans avoir consulté le Parlement1. Le retrait du pays prend effet DROITS DES RÉFUGIÉS ET DES au bout d’un an. Cette décision est MIGRANTS intervenue à la suite d’une procédure pour Cette année encore, des réfugiés, des non-coopération engagée par la CPI à demandeurs d’asile et des migrants ont été la l’encontre de l’Afrique du Sud, parce que les cible d’actes xénophobes et de violences, qui autorités n’avaient pas exécuté les mandats se sont traduits par des morts, des blessés et d’arrêt pour génocide, crimes contre des déplacements. Ces actes xénophobes et l’humanité et crimes de guerre qu’elle avait ces violences se sont souvent accompagnés émis contre le président soudanais Omar du pillage ciblé de petits commerces tenus el Béchir lorsqu’il s’était rendu en Afrique du par des étrangers dans des townships. Sud en juin 2015 pour participer au sommet En juin, des échoppes ont été pillées dans de l’Union africaine. Elle faisait également des townships de Pretoria ; au moins suite au rejet, le 15 mars, d’un recours formé 12 réfugiés et migrants ont été grièvement devant la Cour suprême d’appel contre une blessés et des centaines d’autres déplacés. décision rendue en 2015 par la haute cour Plus tôt dans l’année, des habitants de du Gauteng-Nord, qui avait jugé contraire à Dunoon (province du Cap-Ouest) ont pillé la Constitution sud-africaine le fait de ne pas des commerces appartenant à des étrangers. arrêter le président el Béchir. Les autorités En avril, les conclusions d’une enquête sur avaient laissé celui-ci quitter le territoire en les violences infligées à des réfugiés, des violation d’une ordonnance de référé rendue migrants et des demandeurs d’asile en 2015 par la haute cour, qui l’obligeait à demeurer dans la province du Kwazulu-Natal ont été sur place. rendues publiques. Il a été établi que les tensions à l’origine de ces violences étaient RESPONSABILITÉ DES ENTREPRISES dues à la rareté des offres d’emploi et à la De nouvelles investigations ont permis concurrence qui en découlait, dans un d’établir que l’absence de mesures prises par contexte de pauvreté et d’inégalités la société minière Lonmin pour améliorer les socioéconomiques. Plusieurs conditions de logement à Marikana avait recommandations ont été formulées, contribué aux événements d’août 2012. La notamment la formation des fonctionnaires à police avait alors abattu 34 mineurs la question des droits et des titres de séjour grévistes2. Dans son programme social et des étrangers, le renforcement des capacités professionnel de 2006, juridiquement des institutions chargées des migrants, contraignant, la société s’était engagée à réfugiés et demandeurs d’asile, la

70 Amnesty International — Rapport 2016/17 responsabilisation des dirigeants dans leurs baisser le nombre élevé de grossesses chez déclarations publiques, et le lancement de les adolescentes. Même si le message de la campagnes pédagogiques en milieu scolaire campagne mettait en avant l’amélioration de afin de promouvoir la cohésion. l’accès des filles à la santé, à l’éducation et à La fermeture par le passé de trois des six l’emploi, il lui a été reproché de perpétuer bureaux d’accueil pour réfugiés continuait de des stéréotypes négatifs sur leur sexualité. peser lourdement sur ces personnes, car Toujours en juin, la Commission pour elles devaient parcourir de longues distances l’égalité des genres a estimé que l’obligation pour renouveler leur autorisation de séjour. pour les filles de se soumettre à un test de Le projet de loi relatif aux migrations virginité (ukuhlolwa) pour obtenir une bourse internationales présenté en juin reposait sur de l’enseignement supérieur, comme une approche sécuritaire restreignant les l’imposait une municipalité de la province du droits des demandeurs d’asile. Ce texte Kwazulu-Natal, bafouait les droits proposait d’installer des centres de traitement constitutionnels à l’égalité, à la dignité et au des demandes d’asile et de détention respect de la vie privée, et ne faisait administrative aux frontières sud-africaines. qu’entretenir le patriarcat et les inégalités en Les personnes en quête d’asile devaient y Afrique du Sud. Cette obligation a été être hébergées le temps que leur demande supprimée. soit examinée, ce qui allait limiter leur droit Également en juin, la rapporteuse spéciale de travailler et de circuler librement dans des Nations unies sur la violence contre les l’attente d’une décision les concernant. femmes a publié un rapport dans lequel elle a appelé l’Afrique du Sud à adopter une DROITS DES FEMMES approche coordonnée en vue de mettre fin L’inégalité entre hommes et femmes et la aux violences et aux discriminations liées au discrimination fondée sur le genre ont genre, qui étaient généralisées dans le pays ; continué d’aggraver les effets négatifs des elle a d'autre part recommandé de inégalités raciales, sociales et économiques, dépénaliser le travail du sexe. en particulier pour les femmes et les filles En mars, le Conseil national d’Afrique du appartenant à des groupes marginalisés. Sud sur le SIDA (SANAC) a lancé un plan Près d’un tiers des femmes enceintes d’action contre le taux élevé d’infection au étaient infectées par le VIH mais, cette année VIH chez les travailleuses et travailleurs du encore, la mortalité maternelle a reculé grâce sexe, qui reposait notamment sur l’accès à la au traitement antirétroviral gratuit dont elles prophylaxie pré-exposition et aux bénéficiaient plus facilement. Selon les médicaments antirétroviraux. Le SANAC et chiffres du ministère de la Santé, le taux de les militants défendant les travailleuses et mortalité maternelle a poursuivi sa baisse, travailleurs du sexe ont signalé que les lois avec 155 décès maternels pour sud-africaines relatives à la « prostitution » 100 000 naissances vivantes en 2016 risquaient de saper ce plan. contre 197 en 2011. En milieu rural, les problèmes liés à la disponibilité et au coût du DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET transport permettant aux femmes et aux DES PERSONNES BISEXUELLES, jeunes filles enceintes d’accéder aux services TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES de santé ont persisté. Les femmes et les Les personnes LGBTI étaient toujours jeunes filles couraient toujours des risques victimes de crimes haineux, y compris inutiles du fait des obstacles entravant d’homicides et d’agressions, de discours de l’accès à l’avortement. haine et de discriminations. Le nombre En juin, l’État a lancé la campagne She d’actes les visant signalés à la police était, Conquers afin de remédier au taux semble-t-il, très en deçà de la réalité. disproportionné d’infection par le VIH chez En mars, Lucia Naido a été poignardée à les filles et les jeunes femmes et de faire mort à Katlehong (municipalité d’Ekurhuleni).

Amnesty International — Rapport 2016/17 71 La police de Katlehong a ouvert une enquête coupables du meurtre, en septembre 2014, pour meurtre, qui était toujours en cours à la de la militante du droit au logement Thulisile fin de l’année. Ndlovu. Ils ont tous les trois été condamnés à En avril, Tshifhiwa Ramurunzi, un jeune la réclusion à perpétuité. homme ouvertement homosexuel, a été Dans une décision rendue le 17 novembre agressé et grièvement blessé à Thohoyandou et appelée à faire date, la haute cour de (province du Limpopo). Son agresseur a été Bloemfontein a fait droit à l’appel interjeté par inculpé de tentative de meurtre. 94 professionnels de la santé travaillant en Le 6 août, le corps de Lesley Makousaan, milieu associatif et militants de la Campagne un adolescent de 17 ans qui ne cachait pas d’action en vue du traitement du sida (TAC). son homosexualité, a été retrouvé à Ceux-ci contestaient la constitutionnalité de Potchefstroom (province du Nord-Ouest) ; il l’utilisation d’un texte remontant à l’époque avait été étranglé. Un suspect a été arrêté de l’apartheid, la Loi de 1993 réglementant peu après et était en instance de jugement à les rassemblements. Ce texte érigeait en la fin de l’année. infraction les rassemblements de plus de Le corps de Noluvo Swelindawo, lesbienne 15 personnes dans un espace public lorsque déclarée, a été retrouvé à Khayelitsha la police n’avait pas été prévenue à l’avance. (province du Cap-Ouest) le 4 décembre, le La haute cour a jugé que la participation à un lendemain de son enlèvement. Un suspect a rassemblement sans notification préalable ne été arrêté pour effraction, kidnapping et constituait pas une infraction. meurtre, entre autres charges, et a comparu devant la justice le 7 décembre. Le LIBERTÉ D’EXPRESSION 21 décembre, il a retiré sa demande de mise En juin, trois journalistes confirmés de la en liberté sous caution. South African Broadcasting Corporation (SABC) ont été sommairement suspendus DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS pour avoir, semble-t-il, exprimé leur Des défenseurs des droits humains ont été désaccord avec la décision de ne pas couvrir pris pour cible du fait de leurs activités et, une manifestation pacifique contre la dans ces affaires, la justice a été lente. censure et l’abus de pouvoir au sein de la En mars, le militant des droits fonciers SABC, manifestation planifiée par Sikhosiphi « Bazooka » Rhadebe a été abattu l’organisation militante Right2Know. Lorsque à son domicile de Lurholweni (province du cinq autres journalistes de la SABC ont Cap-Est) par deux hommes qui s’étaient contesté ces suspensions, ils ont été accusés présentés comme des policiers3. Il était de faute professionnelle. Les huit employés président du Comité de crise d’Amadiba, une ont ensuite été licenciés. Ils ont saisi la Cour organisation à caractère associatif, et constitutionnelle en juillet, au motif que leur s’opposait à l’extraction à ciel ouvert de titane droit à la liberté d’expression avait été et d’autres métaux lourds sur la commune de bafoué. L’affaire était en instance à la fin de Xolobeni par une filiale locale de l’entreprise l’année. Toujours en juillet, quatre d’entre eux australienne Mineral Commodities Limited. ont obtenu gain de cause auprès du tribunal Le procès d’un policier accusé d’avoir du travail, qui a estimé que la SABC n’avait abattu Nqobile Nzuza, militante du droit au pas respecté les procédures relatives au logement âgée de 17 ans, durant une personnel. Les huit journalistes ont réintégré manifestation dans le quartier informel de l’entreprise, mais ont continué de faire l’objet Cato Crest (Durban) en octobre 2013 devait de menaces. Le 12 décembre, quatre d’entre s’ouvrir en février 2017. eux ont été entendus au nom du groupe Le 20 mai, la haute cour de Durban a dans le cadre d’une enquête parlementaire déclaré deux conseillers municipaux sur la capacité du conseil d’administration de représentant le Congrès national africain la SABC à exercer ses missions. (ANC), parti au pouvoir, et un tueur à gages

72 Amnesty International — Rapport 2016/17 L’organisation Right2Know a témoigné deux recommandé une révision du sixième livre jours plus tard. blanc sur l’éducation en vue d’élaborer le cadre d’une éducation pour tous, prévoyant DISCRIMINATION l’augmentation du nombre d’écoles qui Personnes albinos proposent des services adaptés et l’inclusion Des agressions et des enlèvements de des enfants handicapés dans le système personnes albinos ont été signalés. scolaire classique. Le 21 juin, Maneliswa Ntombel, âgé de quatre ans, a été enlevé par deux hommes 1. Afrique du Sud. La décision de retrait de la Cour pénale près de son domicile, dans la province du internationale représente « une trahison à l’égard de millions de Kwazulu-Natal. Il était toujours porté disparu victimes à travers le monde » (nouvelle, 21 octobre) à la fin de l’année. 2. Afrique du Sud. Quatre ans après Marikana, Lonmin n'a pas amélioré En février, le tribunal régional de les conditions de logement effroyables de milliers de mineurs Mtubatuba a condamné un adolescent de (nouvelle, 15 août) 17 ans à 18 ans de réclusion pour le meurtre 3. Afrique du Sud. Des défenseurs des droits humains menacés (AFR 53/4058/2016) de Thandazile Mpunzi, commis en août 2015 dans la province du Kwazulu-Natal. La dépouille de la jeune femme avait été retrouvée sous une mince couche de terre. ALBANIE Des parties de son corps avaient été vendues à des guérisseurs. Deux autres hommes République d’Albanie ayant plaidé coupable de ce meurtre avaient Chef de l’État : Bujar Nishani été condamnés à 20 ans de réclusion en Chef du gouvernement : Edi Rama septembre 2015. Les Roms et les « Égyptiens » vivaient Législation relative aux crimes de haine toujours dans de mauvaises conditions de L’avant-projet de loi relatif aux crimes motivés logement et risquaient d’être expulsés de par la haine a été déposé en octobre. Il visait force de chez eux. Plus de 20 000 Albanais à lutter contre le racisme, la discrimination ont demandé l’asile dans des pays de raciale, la xénophobie et la discrimination l’Union européenne. fondée notamment sur le genre, le sexe et l’orientation sexuelle en érigeant en infraction DISPARITIONS FORCÉES les agissements reposant sur ces motifs. Des Les autorités n’ont pas progressé dans leurs dispositions de ce texte criminalisant les démarches en vue de traduire en justice les discours de haine prêtaient à controverse, responsables présumés de la disparition car elles pouvaient être utilisées pour forcée, en 1995, de Remzi Hoxha, un restreindre de façon inacceptable le droit à la membre de la communauté albanaise de liberté d’expression. Macédoine. On ignore tout du sort de cet homme et de l’endroit où il se trouve. DROIT À L’ÉDUCATION Le gouvernement a commencé à coopérer Enfants handicapés avec la Commission internationale pour les Cette année encore, les enfants handicapés personnes disparues afin de localiser et ont été confrontés à de multiples problèmes d’identifier les dépouilles des Albanais de discrimination, d’exclusion et de victimes d’une disparition forcée sous les marginalisation qui, entre autres, les gouvernements communistes qui se sont empêchaient d’accéder à l’éducation en succédé entre 1944 et 1991. Cependant, toute égalité, alors même que les cadres aucune nouvelle exhumation n’avait été juridiques et politiques garantissaient un menée à la fin de l’année. Selon les enseignement ouvert à tous. Le 27 octobre, estimations, 6 000 victimes de disparition le Comité des droits de l’enfant [ONU] a forcée n’avaient pas encore été retrouvées.

Amnesty International — Rapport 2016/17 73 fermeture des frontières en Grèce et en DROITS EN MATIÈRE DE LOGEMENT – Macédoine a poussé de nombreuses EXPULSIONS FORCÉES personnes à rechercher une protection en En juin, les autorités locales de Tirana ont Albanie. Certains réfugiés et migrants arrivant menacé d’expulser de force plus de de Grèce ont été sommairement renvoyés. 80 familles, principalement roms et Selon les estimations, 20 000 Albanais ont « égyptiennes », vivant dans les environs de demandé l’asile dans des pays de l’Union Bregu i Lumit, une zone risquant d’être européenne, principalement en Allemagne, inondée par la rivière Tirana. Les autorités mais la vaste majorité d’entre eux ne l’ont pas n’ont pas accordé un préavis suffisant aux obtenu. En juillet, le Parlement européen a personnes concernées, n’ont pas mené de proposé une liste des « pays d’origine sûrs » véritable consultation et n’ont pas fourni de commune à toute l’UE pour le traitement des solution de relogement. Les expulsions ont demandes d’asile. L’Albanie figurait sur cette été temporairement suspendues à la fin du liste, ce qui a soulevé des inquiétudes quant mois de septembre, à la suite de au traitement équitable et individuel des l’intervention de militants en faveur du droit demandes d’asile déposées par des Albanais. au logement et du médiateur de la République d’Albanie. Dans le cadre d’un TORTURE ET AUTRES MAUVAIS « plan d’intervention » proposé par le maire TRAITEMENTS de Tirana, les familles se sont vu proposer Prisons différentes possibilités concernant leur En mars, le Comité européen pour la expulsion et leur relogement. À la fin de prévention de la torture (CPT) a fait part de l’année, on ignorait si toutes les familles ses préoccupations quant aux conditions de pourraient être relogées et si les solutions de détention en Albanie. Le CPT a recueilli les relogement étaient adaptées et durables. témoignages de nombreux détenus, dont des mineurs, faisant état de mauvais traitements SYSTÈME JUDICIAIRE infligés par des policiers qui, dans certains En juin, un juge a suspendu le chef de la cas, équivalaient à des actes de torture. Il a police nationale pour abus de pouvoir et également indiqué que les conditions de participation à l’installation de dispositifs détention restaient mauvaises dans plusieurs d’écoute électronique dans des postes de lieux de détention du pays et que les progrès police. En réponse, le Premier ministre et le étaient insuffisants en ce qui concerne les ministre de l’Intérieur ont accusé le juge de soins médicaux, les activités et les soins servir les intérêts de l’opposition et de porter spécialisés dont peuvent bénéficier les atteinte à l’indépendance de la justice. À la détenus. fin de l’année, le chef de la police nationale était toujours en détention dans l’attente de Droits des enfants son procès. En mai, un scandale national a éclaté lorsque En juillet, une réforme de la justice a été le procureur de district a révélé l’ampleur des adoptée par le Parlement. Des dizaines atteintes commises dans une affaire de d’articles de la Constitution ont été modifiés torture et d’autres mauvais traitements dans le cadre de cette réforme et de infligés à des enfants, notamment des nouvelles lois ont été adoptées afin d’assurer violences sexuelles infligées à des fillettes, l’indépendance et l’impartialité de la justice dans un orphelinat de la ville de Shkodër. et d’empêcher toute intervention politique et Cinq personnes ont été arrêtées, dont toute corruption. l’ancienne directrice de l’orphelinat. RÉFUGIÉS ET DEMANDEURS D’ASILE Plus de 1 000 demandes d’asile ont été déposées auprès des autorités après que la

74 Amnesty International — Rapport 2016/17 qui renforçait les droits culturels des ALGÉRIE Amazighs1. Les autorités ont persisté dans leur refus République algérienne démocratique et populaire d’autoriser l’accès au pays à des Chef de l’État : Abdelaziz Bouteflika mécanismes des Nations unies chargés de Chef du gouvernement : Abdelmalek Sellal veiller au respect des droits humains, notamment ceux dont le mandat porte sur la Cette année encore, les autorités ont torture et les autres formes de mauvais restreint la liberté d’expression, traitements, la lutte contre le terrorisme, les d’association, de réunion et de religion. Des disparitions forcées et la liberté d’association détracteurs pacifiques du gouvernement, et de réunion pacifique. Elles ont également notamment des défenseurs des droits continué d’empêcher des organisations humains, ont été poursuivis dans le cadre internationales, dont Amnesty International, de procès inéquitables. Des réfugiés et des d’effectuer des missions d’enquête sur les migrants ont été expulsés arbitrairement. droits humains. Les responsables d’atteintes graves aux droits humains perpétrées par le passé ont LIBERTÉ D’EXPRESSION ET DE continué de bénéficier de l’impunité. Les RÉUNION tribunaux ont prononcé des peines En n’accusant pas réception de leurs capitales ; aucune exécution n’a eu lieu. demandes d’enregistrement, les pouvoirs publics ont, cette année encore, laissé dans CONTEXTE un vide juridique de nombreuses En janvier, le gouvernement a dissous le associations de la société civile, comme Département du renseignement et de la Amnesty International Algérie. Ces demandes sécurité (DRS), le principal service de étaient exigées par la Loi 12-06 sur les sécurité qui avait été lié à des actes de associations, qui imposait toute une série de torture et d’autres formes de mauvais restrictions arbitraires à leur enregistrement. traitements infligés aux détenus. Le DRS a L’appartenance à une association non été remplacé par la Direction des services de reconnue était passible d’une peine de six sécurité (DSS), placée sous l’autorité directe mois d’emprisonnement et d’une amende. du président. Les autorités restreignaient toujours En janvier également, des modifications strictement la liberté de réunion. Elles ont apportées au Code de procédure pénale sont continué d’interdire toutes les manifestations entrées en vigueur. Ces modifications dans la capitale, Alger, en application d’un comprenaient notamment de nouvelles décret de 2001, et elles ont arrêté et mesures de protection des témoins, limitaient poursuivi des manifestants pacifiques. le droit d’appel dans les affaires de délits En janvier, un tribunal de Tamanrasset a mineurs et autorisaient les suspects à prononcé une peine d’un an contacter leur avocat dès leur placement en d’emprisonnement assortie d’une amende garde à vue sans toutefois leur accorder le contre sept manifestants pacifiques déclarés droit de bénéficier de sa présence lors de coupables d’avoir pris part à un leur interrogatoire. « attroupement non armé » et d’« outrage à Des modifications constitutionnelles ont corps constitué ». Ils étaient poursuivis pour été adoptées en février. L’une d’elles avoir participé à une manifestation organisée instaurait un Conseil national des droits de en décembre 2015 dans le cadre d’un conflit l’homme, destiné à remplacer la Commission foncier. Six d’entre eux ont été libérés en nationale consultative de promotion et de juillet à la faveur d’une grâce présidentielle. protection des droits de l’homme. Parmi les Le septième, Dahmane Kerami, a été autres modifications figurait l’élévation du maintenu en détention ; ce militant purgeait tamazight au rang de langue nationale, ce une peine d’un an de prison prononcée dans

Amnesty International — Rapport 2016/17 75 le cadre d’une autre affaire. Il avait été l’obtention de licences. En juillet, la déclaré coupable d’avoir participé à des gendarmerie a fermé les studios « attroupements non armés » et « entravé la d’enregistrement, obligeant KBC à circulation » lors de manifestations pacifiques interrompre ces deux émissions3. organisées à Tamanrasset, en 2015, pour Le journaliste indépendant Mohamed protester contre l’extraction du gaz de schiste Tamalt a été condamné, en juillet, à deux ans par fracturation hydraulique et en soutien à d’emprisonnement pour « outrage » envers le des travailleurs licenciés par une compagnie président et les institutions publiques en aurifère locale. Il a été libéré le 31 décembre, raison de messages qu’il avait publiés sur au terme de sa peine2. Facebook et sur son blog à propos de la En mars, un tribunal a condamné le corruption et du népotisme de personnes militant Abdelali Ghellam à un an haut placées au sein du gouvernement et de d’emprisonnement et à une amende pour l’armée. Sa peine a été confirmée par une avoir « entravé la circulation » et incité cour d’appel en août, à la suite d’une d’autres personnes à participer à un audience lors de laquelle il a accusé des « attroupement non armé ». Ces chefs gardiens de prison de l’avoir battu. Il avait d’inculpation étaient liés à des messages débuté une grève de la faim en juin, lors de publiés sur Facebook à propos de la son arrestation. Tombé dans le coma en août, manifestation organisée en décembre 2015 à il est décédé à l’hôpital en décembre. Les Tamanrasset. Il a été libéré en avril. autorités n’ont pas mené d’enquête adéquate sur les allégations selon lesquelles il aurait LIBERTÉ D’EXPRESSION été battu en détention, sur son traitement en Des personnes qui avaient critiqué prison et sur sa mort4. pacifiquement le gouvernement ont fait En novembre, un tribunal d’El Bayadh a l’objet de poursuites pénales et des médias condamné Hassan Bouras, journaliste et ont été fermés. militant en faveur des droits humains, à un En mars, un tribunal de Tlemcen a déclaré an d’emprisonnement pour complicité Zoulikha Belarbi, membre de la Ligue d’outrage à des agents de la force publique algérienne pour la défense des droits de et à un corps constitué. Une chaîne de l’homme (LADDH), coupable de diffamation, télévision privée avait diffusé une vidéo dans d’« outrage au président de la République » laquelle il interrogeait trois personnes qui et d’« outrage à corps constitué » et l’a affirmaient que des membres de l’appareil condamnée à une amende. Il lui était judiciaire et de la police étaient corrompus5. reproché d’avoir publié sur Facebook un photomontage satirique montrant le président LIBERTÉ DE RELIGION ET DE Abdelaziz Bouteflika et des responsables CONVICTION politiques. Une cour d’appel l’a en outre Selon les informations relayées par les condamnée à six mois de prison en médias et des groupes de la société civile, à décembre. partir du mois de juin, les autorités ont pris En juin, les autorités ont arrêté le directeur pour cible des membres de la communauté et le producteur de la chaîne de télévision musulmane ahmadie, arrêtant en raison de privée Khabar Broadcasting Corporation leur foi plus de 50 personnes dans les (KBC), ainsi qu’une fonctionnaire du wilayas (préfectures) de Blida et Skikda et ministère de la Communication à propos de ailleurs dans le pays. Peu après les deux émissions satiriques populaires traitant interpellations dans la wilaya de Blida en juin, de questions d’actualité. Ces trois personnes le ministre des Affaires religieuses a accusé ont été détenues pendant plusieurs publiquement les ahmadis d’« extrémisme » semaines, avant d’être condamnées à des et de servir des intérêts étrangers. En peines comprises entre six mois et un an de novembre, un tribunal de Skikda a prison avec sursis pour des irrégularités dans condamné 20 ahmadis à des amendes et à

76 Amnesty International — Rapport 2016/17 des peines allant de un mois à un an affirmait que des agents du DRS l’avaient d’emprisonnement. À la fin de l’année, ces maintenu au secret et torturé au cours de ses personnes étaient en liberté provisoire en interrogatoires après son arrestation, en attendant le procès en appel. 2009, pour corruption et blanchiment En août, Slimane Bouhafs, converti au d’argent. Il était toujours en détention à la fin christianisme, a été condamné par un de l’année en attendant que la Cour suprême tribunal de Sétif à cinq ans statue sur son recours. d’emprisonnement pour avoir « dénigré » l’islam et « insulté » le prophète Mahomet DROITS DES FEMMES dans des messages qu’il avait partagés sur Le Code de la famille restait discriminatoire à Facebook. Sa peine a été ramenée à trois ans l’égard des femmes en matière de mariage, de prison à l’issue de la procédure d’appel6. de divorce, de garde des enfants, de tutelle et d’héritage. En l’absence de loi spécifique, DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS les femmes et les filles ne bénéficiaient Des défenseurs des droits humains ont été toujours pas d’une protection suffisante harcelés et ont fait l’objet de poursuites. En contre les violences liées au genre. Le Code mars, un tribunal de Ghardaïa a inculpé pénal continuait de prohiber le viol sans le Noureddine Ahmine, avocat, d’« outrage à définir ni reconnaître explicitement le viol corps constitué » et de fausse dénonciation conjugal comme un crime, et il permettait à d’une infraction pour avoir déposé une un violeur d’échapper aux poursuites s’il plainte pour torture, en 2014, apparemment épousait sa victime, dans la mesure où celle- au nom de l’un de ses clients. Il a défendu ci était âgée de moins de 18 ans. Par ailleurs, de nombreux manifestants et journalistes l’avortement était encore considéré comme poursuivis pour avoir exercé pacifiquement une infraction pénale. leurs droits fondamentaux. En juin, un juge d’instruction de Ghardaïa DROITS DES RÉFUGIÉS ET DES a décerné un mandat d’arrêt contre Salah MIGRANTS Dabouz, un avocat membre de la LADDH, en Aucune loi protégeant le droit d’asile n’avait raison de commentaires qu’il avait faits à encore été promulguée à la fin de l’année. propos de troubles à Ghardaïa et parce qu’il Des heurts ont opposé des habitants et aurait introduit en prison un ordinateur et des migrants originaires d’Afrique une caméra. subsaharienne, à Béchar et à Ouargla en mars, à Tamanrasset en juillet et à Alger en SYSTÈME JUDICIAIRE novembre. À la fin de l’année, des dizaines de En décembre, les forces de sécurité personnes, arrêtées en 2015 à la suite de auraient arrêté à Alger environ violences intercommunautaires dans la 1 500 migrants et réfugiés venus d’Afrique région du Mzab, restaient maintenues en subsaharienne et auraient expulsé plusieurs détention dans l’attente de leur procès. Elles centaines d’entre eux vers le Niger dans les faisaient l’objet d’une information judiciaire jours qui ont suivi. Les personnes qui n’ont pour terrorisme et incitation à la haine. Parmi pas été expulsées ont été libérées à ces détenus figuraient Kameleddine Fekhar, Tamanrasset, ville située dans le sud du militant politique, ainsi que d’autres partisans pays, et elles n’auraient pas été autorisées à de l’autonomie de la région. utiliser les transports publics. Cette Le Comité des droits de l’homme des interdiction aurait eu pour but de les Nations unies a conclu, en mars, que empêcher de retourner à Alger. l’Algérie avait violé les articles 2, 7 et 9 du PIDCP. Ces conclusions concernaient l’absence d’enquête sur les allégations de Mejdoub Chani, un homme d’affaires qui

Amnesty International — Rapport 2016/17 77 LUTTE CONTRE LE TERRORISME ET SÉCURITÉ ALLEMAGNE Des affrontements ont eu lieu dans plusieurs République fédérale d’Allemagne régions entre les forces de sécurité et des Chef de l’État : Joachim Gauck groupes armés d’opposition. Les autorités ont Chef du gouvernement : Angela Merkel indiqué que les forces de sécurité avaient tué 125 membres présumés de groupes armés Les autorités ont déployé des efforts mais n’ont révélé que peu de détails sur les considérables pour loger les demandeurs circonstances de ces morts, ce qui faisait d’asile arrivés en 2015 et traiter leurs craindre que certains aient été victimes dossiers. Toutefois, le gouvernement a aussi d’exécutions extrajudiciaires. adopté plusieurs lois visant à limiter leurs En mars, le groupe armé Al Qaïda au droits et ceux des réfugiés, avec, par Maghreb islamique (AQMI) a revendiqué une exemple, des restrictions au regroupement attaque à la roquette contre un site de familial. Le nombre d’attaques racistes et production de gaz à Khrechba. Aucune xénophobes contre des foyers de victime n’était à déplorer. demandeurs d’asile demeurait important et les autorités n’ont pas adopté de stratégie IMPUNITÉ de prévention efficace. Cette année encore, les autorités se sont abstenues d’enquêter sur les atteintes graves RÉFUGIÉS ET DEMANDEURS D’ASILE aux droits humains perpétrées dans les Le nombre de nouveaux demandeurs d’asile années 1990 et de traduire en justice les a considérablement baissé par rapport à responsables présumés. Les homicides 2015. Environ 304 900 arrivées ont été illégaux, les disparitions forcées, les viols et enregistrées entre janvier et novembre, les actes de torture commis par les forces de contre 890 000 en 2015. sécurité, ainsi que certaines atteintes aux Au cours de l’année, les autorités ont droits humains perpétrées par des groupes amélioré leur capacité de traitement des armés, pourraient constituer des crimes demandes d’asile. Entre janvier et novembre, contre l’humanité7. environ 702 490 personnes, dont beaucoup étaient arrivées en Allemagne l’année PEINE DE MORT d’avant, ont demandé l’asile. Les autorités Cette année encore, les tribunaux ont ont statué sur 615 520 cas environ. Le prononcé des condamnations à mort. rythme d’obtention du statut de réfugié à part Aucune exécution n’a eu lieu en Algérie entière s’est ralenti pour les Syriens, les depuis 1993. Irakiens et les Afghans ; ils ont été plus nombreux à bénéficier d’une protection subsidiaire et moins nombreux à se voir 1. Algérie. La Constitution doit inclure des garanties plus solides en matière de droits humains (MDE 28/3366/2016) reconnaître le statut de réfugié plein et entier. 2. Algérie. Six manifestants libérés, un autre demeure incarcéré La protection subsidiaire accordait moins de (MDE 28/4437/2016) droits, y compris en matière de 3. Algérie. Il faut lever les restrictions imposées aux médias regroupement familial. Entre janvier et (MDE 28/4369/2016) novembre, 59 % des demandeurs syriens ont 4. Algérie. Craintes pour la santé d’un journaliste algéro-britannique obtenu la reconnaissance de leur statut de (MDE 28/4738/2016) réfugié à part entière, contre 99,6 % pendant 5. Algérie. Un an de prison pour avoir dénoncé des faits de corruption la même période en 2015. (MDE 28/5299/2016) En mars, de nouvelles modifications des 6. Algérie. Un prisonnier d’opinion reste incarcéré (MDE 28/4783/2016) lois sur l’asile sont entrées en vigueur. Le 7. Algérie. Il est temps de mettre fin à l’impunité des atteintes aux droit au regroupement familial a été droits humains passées et présentes (MDE 28/3521/2016) suspendu jusqu’en mars 2018 pour les

78 Amnesty International — Rapport 2016/17 personnes bénéficiant de la protection La Commission conjointe des Länder de subsidiaire. Une nouvelle procédure d’asile l’Agence fédérale pour la prévention de la accélérée a été établie pour diverses torture (mécanisme de prévention créé par catégories de demandeurs, notamment ceux l’Allemagne au titre du Protocole facultatif à originaires de pays jugés « sûrs » ; elle ne la Convention contre la torture [ONU]) fournissait pas de garanties suffisantes continuait de manquer cruellement de concernant l’accès à une procédure d’asile moyens et d’effectifs. équitable. À la fin de l’année, une loi En avril, le bureau du procureur de définissant l’Algérie, le Maroc et la Tunisie Hanovre a clos l’enquête sur les mauvais comme des pays « sûrs » était en instance traitements qu’un agent de la police fédérale devant le Conseil fédéral. La nouvelle aurait infligés en 2014 à deux réfugiés, procédure d’asile accélérée n’avait pas été respectivement afghan et marocain, dans les mise en œuvre à la fin de l’année. cellules de garde à vue de la police fédérale à En mai, le Parlement a adopté la toute la gare centrale de Hanovre. En septembre, première loi sur l’intégration applicable aux le tribunal régional supérieur de Celle a rejeté réfugiés et aux demandeurs d’asile. Ce texte la demande déposée par l’une des victimes visait à offrir aux réfugiés des perspectives en en vue de rouvrir le dossier. matière d’emploi et d’éducation, tout en leur imposant de suivre des cours d’intégration. DISCRIMINATION La loi a également autorisé les Länder à leur La deuxième commission d’enquête créée imposer des restrictions relatives au lieu de par le Parlement en octobre 2015 a poursuivi résidence, durci les conditions de délivrance ses investigations concernant certaines des permis de séjour et réduit encore les affaires où les autorités n’avaient pas enquêté prestations pour ceux qui contreviendraient sur les crimes racistes et xénophobes aux nouvelles règles. perpétrés par le groupe d’extrême droite Au 19 décembre, 640 réfugiés en Clandestinité national-socialiste contre des provenance de Grèce et 455 venus d’Italie membres de minorités ethniques entre 2000 avaient été relocalisés en Allemagne. En et 2007. Aucune enquête officielle n’a été vertu de l’accord passé entre l’UE et la diligentée sur le racisme institutionnel qui Turquie, l’Allemagne a accepté le transfert de aurait pu expliquer ces défaillances, en dépit 1 060 réfugiés syriens arrivant de Turquie. des recommandations formulées en 2015 Malgré la détérioration de la situation par le Comité pour l’élimination de la sécuritaire en Afghanistan, les autorités ont discrimination raciale [ONU] et le renvoyé de force plus de 60 ressortissants commissaire aux droits de l’homme du afghans dont les demandes d’asile avaient Conseil de l’Europe. été rejetées. En 2015, moins de 10 Afghans Des dizaines de manifestations hostiles dont les demandes d’asile avaient été aux réfugiés et aux musulmans ont eu lieu rejetées avaient été renvoyés de force. dans le pays. Sur la même période, les autorités ont enregistré 813 infractions TORTURE ET AUTRES MAUVAIS commises contre des centres d’accueil pour TRAITEMENTS demandeurs d’asile, ainsi que Cette année encore, les autorités n’ont pas 1 803 infractions visant directement des mené d’enquêtes efficaces sur les allégations demandeurs d’asile, dont 254 ont entraîné de mauvais traitements policiers, ni créé de des blessures. Les autorités n’ont pas mis en mécanisme de plainte indépendant chargé œuvre de stratégie nationale adaptée pour d’examiner ces allégations. empêcher les attaques contre les centres À la fin de l’année, les gouvernements de d’accueil pour demandeurs d’asile. Rhénanie du Nord-Westphalie et de Saxe- Cette année encore, des organisations de Anhalt envisageaient d’obliger les policiers en la société civile ont fait état de contrôles service à porter un badge d’identification. d’identité effectués par la police qui étaient

Amnesty International — Rapport 2016/17 79 discriminatoires à l’égard de membres de aux pays destinataires, que les armes minorités ethniques et religieuses. exportées se trouvaient bien là où elles En juin, la Cour fédérale de justice a rejeté devaient être. Les États recevant du matériel la demande d’une personne intersexuée qui militaire allemand devraient produire un voulait être officiellement reconnue comme certificat d’utilisation finale dans lequel ils appartenant à un troisième genre. À la fin de déclareraient consentir à des contrôles sur l’année, l’appel interjeté par cette personne place. De tels certificats ont été signés dans était en instance devant la Cour le cadre d'au moins quatre exportations constitutionnelle fédérale. d’armes légères autorisées. À la fin de l’année, le gouvernement mettait en œuvre la LUTTE CONTRE LE TERRORISME ET première phase pilote de ce nouveau SÉCURITÉ mécanisme. En octobre, le Parlement a voté une nouvelle loi sur la surveillance, qui a conféré à l’Office RESPONSABILITÉ DES ENTREPRISES fédéral de renseignements des pouvoirs En août, le tribunal régional de Dortmund a étendus lui permettant de surveiller les accepté d’être saisi d’une plainte déposée en ressortissants de pays non membres de l’UE 2015 par quatre Pakistanais contre la en dehors de tout contrôle des autorités marque de vêtements allemande Kik et leur a judiciaires et à des fins très diverses, dont la accordé une aide juridique. En septembre sécurité nationale. En août, plusieurs 2012, 260 ouvriers étaient décédés et procédures spéciales des Nations unies, y 32 avaient été grièvement blessés dans compris le Rapporteur spécial sur la liberté l’incendie qui avait détruit l’une des d’expression, ont fait part de leur principales usines de textile pakistanaises où préoccupation quant aux effets négatifs de Kik se fournissait. cette loi sur la liberté d’expression et à En décembre, les autorités allemandes ont l’absence de contrôle par les autorités adopté un plan national d’action visant à judiciaires. mettre en œuvre les Principes directeurs En avril, la Cour constitutionnelle fédérale relatifs aux entreprises et aux droits de a estimé que certains des pouvoirs de l’homme [ONU]. Toutefois, ce plan ne surveillance conférés à la Police fédérale prévoyait pas de mesures permettant de criminelle en 2009 pour lutter contre le satisfaire à toutes les normes énoncées dans terrorisme et plus généralement contre la les Principes et ne garantissait pas l’exercice criminalité étaient inconstitutionnels. d’une diligence raisonnable des entreprises Certaines mesures en particulier ne allemandes en matière de droits humains. garantissaient pas le droit au respect de la vie privée. En attendant leur modification, ces dispositions demeuraient en vigueur. ANGOLA

COMMERCE DES ARMES République d’Angola En mars, le gouvernement a instauré un Chef de l’État et du gouvernement : José Eduardo dos cadre juridique permettant de procéder à des Santos contrôles sélectifs après expédition afin d’améliorer la surveillance des exportations L’aggravation de la crise économique a allemandes d’armes de guerre et de certains déclenché une hausse des prix de la types d’armes à feu. Le but était de veiller au nourriture, des soins de santé, du respect des certificats d’utilisation finale et carburant, des loisirs et de la culture. Dans d’éviter que les armes exportées ne soient ce contexte, les manifestations reflétant le utilisées pour commettre des violations des mécontentement de la population se sont droits humains. Ces dispositions devraient en poursuivies et les droits à la liberté outre permettre de vérifier, après la livraison d’expression, d’association et de réunion

80 Amnesty International — Rapport 2016/17 pacifique ont continué d’être soumis à des restrictions. Les autorités ont utilisé Prisonniers d’opinion l’appareil judiciaire et d’autres institutions Le 28 mars, 17 jeunes militants ont été de l’État de manière abusive pour réduire déclarés coupables de « préparation d’une au silence l’opposition. Les droits au rébellion » et d’« association de malfaiteurs ». logement et à la santé ont été bafoués. Ils ont été condamnés à des peines d’emprisonnement allant de deux ans et trois CONTEXTE mois à huit ans et demi ainsi qu’à des Le recul des cours du pétrole a mis sous forte amendes de 50 000 kwanzas (300 dollars pression l’économie de l’Angola, tributaire de des États-Unis) pour couvrir les frais de cette ressource, poussant le gouvernement à justice, et incarcérés. Quinze d’entre eux revoir le budget du pays de 20 % à la baisse avaient été arrêtés et placés en détention par et à solliciter l’aide du Fonds monétaire les forces de sécurité entre le 20 et le 24 juin international (FMI). En juillet, le Comité des 2015 à Luanda, la capitale angolaise, après droits économiques, sociaux et culturels avoir participé à une réunion pour débattre [ONU] s’est dit préoccupé par les mesures de préoccupations liées à la politique et à la régressives adoptées par l’État dans le cadre gouvernance dans le pays. Les deux autres, de sa politique d’austérité, notamment par deux femmes, avaient elles aussi été l’insuffisance des ressources allouées au inculpées, mais elles n’ont été placées en secteur de la santé. détention qu’après leur condamnation. Le 2 juin, le président José Eduardo dos Immédiatement après le prononcé du Santos a nommé sa fille Isabel dos Santos à jugement, les avocats des militants ont formé la tête de la compagnie pétrolière d’État deux recours, l'un devant la Cour suprême et Sonangol, principale source de revenus l'autre devant la Cour constitutionnelle. Ils ont publics et pièce maîtresse d’un vaste également introduit une requête en habeas système de clientélisme. corpus, qui a été examinée le 29 juin par la Le parti au pouvoir, le Mouvement Cour suprême. Celle-ci a ordonné la populaire de libération de l’Angola (MPLA), a libération conditionnelle des 17 militants réélu en août José Eduardo dos Santos à sa dans l’attente d’une décision définitive. tête pour qu’il brigue un nouveau mandat de Le 20 juillet, l’Assemblée nationale a cinq ans, alors même qu’il avait annoncé en adopté une loi d’amnistie pour des infractions mars son intention de quitter la vie politique commises avant le 11 novembre 2015, ce en 2018. Le président José Eduardo dos qui inclut le cas des 17 jeunes militants. Santos est au pouvoir depuis 1979. Certains d’entre eux ont affirmé que, n’étant coupables d’aucune infraction, ils ne SYSTÈME JUDICIAIRE voulaient pas être amnistiés. Tous étaient des Cette année encore, des procès politiques, prisonniers d’opinion, incarcérés et en diffamation, ou intentés au titre des lois condamnés pour le seul fait d’avoir exercé relatives à la sécurité nationale ont été utilisés leurs droits humains de manière pacifique. pour réprimer les défenseurs des droits Deux jeunes militants ont été sanctionnés humains, les opposants et d’autres pour avoir critiqué la procédure pendant le détracteurs du gouvernement. Même si procès. Le 8 mars, Manuel Chivonde Nito l’arrêt des poursuites contre des défenseurs Alves, l’un des 17 jeunes militants poursuivis des droits humains et la libération de en justice, a déclaré à voix haute devant le prisonniers d'opinion ont constitué des tribunal : « Ce procès est une mascarade. » Il évolutions positives, ces avancées sont a été déclaré coupable d’outrage à magistrat restées fragiles en l’absence d'une réforme et condamné à six mois d’emprisonnement et législative de fond et d’un engagement plein à une amende de 50 000 kwanzas1. Jugeant et entier à l'égard du droit international relatif l’affaire en appel le 5 juillet, la Cour aux droits humains et des normes connexes. constitutionnelle a estimé que plusieurs

Amnesty International — Rapport 2016/17 81 droits garantis par la Constitution avaient été internationales, en raison de restrictions bafoués pendant le procès et a ordonné la imposées indûment. Les banques ont bloqué libération du jeune homme. Les mêmes mots l’accès de ces organisations à leurs comptes. ont été prononcés devant le tribunal le Cette mesure les a non seulement 28 mars par un autre jeune militant, empêchées de mener à bien leurs activités Francisco Mapanda (surnommé Dago Nível légitimes mais a aussi porté atteinte au droit Intelecto), qui a lui aussi été déclaré des associations de chercher et de recevoir coupable d’outrage à magistrat avant d’être des ressources, et a eu des répercussions condamné à huit mois d’emprisonnement. Il plus larges sur les droits humains en général. a été remis en liberté le 21 novembre, sept Elles ont porté plainte auprès d’institutions jours plus tôt que prévu2. publiques chargées de surveiller les activités bancaires, mais n’avaient reçu aucune Défenseurs des droits humains réponse à la fin de l’année. Le 20 mai, à l’issue d’une procédure d’appel devant la Cour suprême, le défenseur des LIBERTÉ DE RÉUNION droits humains et ancien prisonnier d’opinion Les autorités ont souvent empêché la tenue José Marcos Mavungo a été remis en liberté, de manifestations pacifiques alors qu’il la Cour estimant qu’il n’y avait pas n’existe aucune obligation de disposer d'une suffisamment de preuves pour le condamner. autorisation pour manifester en Angola. Le 14 septembre 2015, José Marcos Celles qui ont pu se tenir ont souvent donné Mavungo avait été condamné à six ans lieu à des arrestations et placements en d’emprisonnement pour « rébellion », une détention arbitraires de manifestants atteinte à la sûreté de l’État. Il était détenu pacifiques par la police. depuis le 14 mars 2015 pour avoir participé Le 30 juillet, plus de 30 militants à l’organisation d’une manifestation pacifiques ont été arrêtés arbitrairement et pacifique. maintenus jusqu’à sept heures en détention Le 12 juillet, le tribunal de la province de dans la ville de Benguela. Ils s’apprêtaient à Cabinda a abandonné les poursuites à participer à une manifestation pacifique l’encontre du défenseur des droits humains organisée par le Mouvement révolutionnaire et ancien prisonnier d’opinion Arão Bula de Benguela afin de réclamer des mesures Tempo. Cet homme avait été arrêté le efficaces contre l’inflation. Ils ont tous été 14 mars 2015 et avait bénéficié d’une relâchés sans inculpation. Quelques jours libération conditionnelle deux mois plus tard. plus tard, quatre d’entre eux ont été de Il avait été inculpé de « rébellion » et de nouveau arrêtés, cette fois encore sans tentative de « collaboration avec des mandat. Ils ont été remis en liberté sous étrangers en vue d’entraver le caution. Ils n’avaient pas été formellement fonctionnement de l’État angolais », deux inculpés à la fin de l’année, mais le actes considérés comme des infractions procureur général leur a indiqué qu’ils étaient compromettant la sûreté de l’État. Les soupçonnés de vol aggravé, de trafic de autorités reprochaient à Arão Bula Tempo stupéfiants et de coups et blessures sur des d’avoir invité des journalistes étrangers à partisans du MPLA3. Personne n’a eu à couvrir une manifestation organisée le rendre de comptes pour les arrestations et 14 mars par José Marcos Mavungo. détentions arbitraires4. LIBERTÉ D’ASSOCIATION LIBERTÉ D’EXPRESSION Des organisations de la société civile Le 18 novembre, l’Assemblée nationale a travaillant sur les droits humains, à l’image adopté cinq propositions de loi (lois relatives d’OMUNGA et de SOS-Habitat, n’ont pu à la presse, au statut du journaliste, à la utiliser librement leurs propres fonds, diffusion radio, à la télévision et à l’autorité de notamment ceux reçus de sources régulation des communications sociales) qui

82 Amnesty International — Rapport 2016/17 allaient restreindre davantage encore la liberté d’expression. Des partis d’opposition, DROITS EN MATIÈRE DE LOGEMENT – l’Union des journalistes d’Angola (UJA) et EXPULSIONS FORCÉES d’autres acteurs de la société civile ont Lors de l’examen de la situation de l’Angola critiqué ces textes, car ils renforçaient le en 2016, le Comité des droits économiques, contrôle de l’État sur la télévision, la radio, la sociaux et culturels [ONU] a exprimé sa presse, les réseaux sociaux et Internet. préoccupation quant à la persistance des Parmi les modifications proposées figurait expulsions forcées, notamment dans les la création d’une autorité de régulation des zones d’habitats informels et dans le cadre communications sociales, dotée de vastes de projets de développement, sans que les prérogatives de réglementation et de garanties de procédure nécessaires soient surveillance, dont celles de décider si une apportées ou que les personnes et les communication donnée respecte les bonnes groupes concernés se voient accorder une pratiques journalistiques. Une telle solution de relogement ou une indemnisation disposition constituerait une forme de suffisante. Les populations expulsées étaient censure préalable et un obstacle à la libre relogées dans des habitations de fortune et circulation des idées et des opinions. Les sans accès satisfaisant aux services membres de l’autorité de régulation devaient essentiels tels que l’eau, l’électricité, les pour la plupart être désignés par le parti au installations sanitaires, les soins de santé et pouvoir et le parti disposant du plus grand l’éducation. nombre de sièges à l'Assemblée nationale (le Le 6 août, un militaire a abattu un MPLA dans les deux cas), ce qui laissait adolescent de 14 ans, Rufino Antônio, qui se craindre que cet organe ne soit une tenait devant sa maison pour empêcher sa institution politique faisant taire les voix destruction. Ce jour-là, la police militaire avait critiques et divergentes. été déployée sur les lieux en réponse à une manifestation organisée contre la démolition DROIT À LA SANTÉ – ÉPIDÉMIE DE de logements à Zango II, dans la municipalité FIÈVRE JAUNE de Viana (province de Luanda), dans le cadre Une épidémie de fièvre jaune, d’abord d’un projet de développement. À la fin de signalée à Luanda durant le dernier trimestre l’année, les individus soupçonnés de cet de 2015, sévissait toujours pendant le homicide n’avaient toujours pas été traduits deuxième semestre de 2016, des cas en justice. suspects étant recensés dans les 18 provinces du pays. Sur les 3 625 cas 1. Angola. Un militant angolais condamné à l'issue d'un procès inique déclarés durant cette période, 357 se sont (AFR 12/3464/2016) soldés par la mort de la personne 2. Angola. Un militant libéré une semaine en avance contaminée. La flambée épidémique a (AFR 12/5205/2016) encore été aggravée par une pénurie de 3. Angola. Quatre jeunes militants détenus sans inculpation vaccins au principal hôpital public de la (AFR 12/4631/2016) capitale, où les premiers cas avaient été 4. Amnesty International, Omunga et Organização Humanitária diagnostiqués. Le Comité des droits Internacional demandent aux autorités angolaises de respecter les économiques, sociaux et culturels [ONU] a droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique (AFR 12/4590/2016) recommandé à l’Angola d’accroître les ressources allouées au secteur de la santé, notamment pour améliorer les infrastructures et étoffer l’offre de centres de soins de santé en particulier dans les zones rurales.

Amnesty International — Rapport 2016/17 83 d’Asie du Sud pour la plupart. Les autorités ARABIE SAOUDITE ont lancé en avril le plan Vision 2030 destiné à diversifier l’économie et à mettre un terme Royaume d’Arabie saoudite à la dépendance du pays à l’égard des Chef de l’État et du gouvernement : Salman bin Abdul revenus de l’extraction des combustibles Aziz al Saoud fossiles. En septembre, le gouvernement a annoncé une réduction du salaire des La liberté d’expression, d’association et de ministres et des primes versées aux réunion était soumise à d’importantes fonctionnaires. restrictions. Des détracteurs du La détérioration des relations entre l’Arabie gouvernement et des défenseurs des droits saoudite et l’Iran s’est poursuivie, aggravée humains et des droits des minorités ont été par le soutien apporté par les deux pays à arrêtés et emprisonnés pour des chefs des camps opposés dans les conflits que d’inculpation à la formulation vague. Le connait la région. À la suite de l’exécution le recours à la torture et à d’autres mauvais 2 janvier du dignitaire chiite Sheikh Nimr al traitements contre les détenus, Nimr et d’autres personnes, des manifestants particulièrement pendant les ont pris d’assaut l’ambassade d’Arabie interrogatoires, restait très répandu. Cette saoudite dans la capitale iranienne, Téhéran, année encore, des tribunaux ont retenu à et l’ont incendiée, ce qui a amené l’Arabie titre de preuve des « aveux » obtenus sous saoudite à rompre ses relations la torture et ont déclaré des accusés diplomatiques avec l’Iran et à expulser les coupables à l’issue de procès inéquitables. diplomates iraniens. Les autorités de Téhéran Les femmes faisaient l’objet de ont interdit aux Iraniens de se rendre en discrimination dans la législation et dans la Arabie saoudite pour le Hadj (pèlerinage pratique et elles n’étaient pas suffisamment annuel à La Mecque). protégées contre les violences sexuelles et Le 4 juillet, des attentats-suicides semble- autres. Les autorités ont continué d’arrêter, t-il coordonnés ont été perpétrés contre l’un de placer en détention et d’expulser des des lieux saints de l’islam à Médine ainsi que migrants en situation irrégulière. Les contre le consulat des États-Unis à Djedda et tribunaux ont prononcé de nombreuses une mosquée chiite de . Ces attentats condamnations à mort, y compris pour des ont fait quatre morts. crimes qui n’étaient accompagnés d’aucune En septembre, le Congrès américain a violence et contre des mineurs délinquants. rejeté à une majorité écrasante le veto De très nombreuses exécutions ont eu lieu. opposé par le président Barack Obama à la Les forces de la coalition dirigée par loi dite JASTA (Loi relative à la justice contre l’Arabie saoudite ont commis au Yémen des les soutiens du terrorisme), permettant ainsi violations graves du droit international, dont aux familles des victimes des attentats certaines étaient des crimes de guerre. commis le 11 septembre 2001 aux États- Unis de réclamer des dommages et intérêts CONTEXTE au gouvernement saoudien. L’Arabie saoudite a été confrontée à des En octobre, le Comité des droits de l’enfant problèmes économiques croissants en raison [ONU] a exhorté le gouvernement à mettre de la baisse des cours mondiaux du pétrole immédiatement un terme à l’exécution de et des coûts liés à la poursuite de son personnes condamnées à mort pour des intervention militaire dans le conflit armé au crimes qui auraient été commis quand elles Yémen. Cela s’est traduit par une réduction avaient moins de 18 ans, à remettre sans des dépenses de l’État en matière de délai en liberté tous les mineurs condamnés protection sociale et dans le secteur de la à mort à l’issue de procès inéquitables et à construction, qui a entraîné le licenciement commuer les sentences capitales prononcées de milliers de travailleurs migrants originaires contre les autres, ainsi qu’à modifier la

84 Amnesty International — Rapport 2016/17 législation de manière à prohiber « sans zones peuplées de civils, notamment ambiguïté » la condamnation à mort de et Jizan, dans le sud de l’Arabie saoudite. délinquants âgés de moins de 18 ans au Ces attaques ont tué et blessé des civils et moment des faits qui leur sont reprochés. endommagé des biens civils. CONFLIT ARMÉ AU YÉMEN LIBERTÉ D’EXPRESSION, La coalition militaire dirigée par l’Arabie D’ASSOCIATION ET DE RÉUNION saoudite en vue de soutenir le gouvernement La liberté d’expression est restée soumise à yéménite internationalement reconnu a d’importantes restrictions et les autorités ont continué tout au long de l’année à réprimé la dissidence. Des personnes bombarder des régions contrôlées ou critiques à l’égard des autorités, notamment revendiquées par les Houthis et leurs alliés, des écrivains et des commentateurs en ligne, tuant et blessant des milliers de civils. des militants politiques, des défenseurs des Certaines attaques ont été menées sans droits humains et des droits des femmes discrimination, d’autres étaient ainsi que des membres de la minorité chiite, disproportionnées ou dirigées contre des ont été harcelées, arrêtées et inculpées. civils et des biens à caractère civil, Certaines ont été incarcérées après avoir été notamment des écoles, des hôpitaux, des condamnées à des peines d’emprisonnement marchés et des mosquées. Un certain pour des chefs d’inculpation formulés de nombre constituaient des crimes de guerre. manière vague. La coalition a utilisé des armes fournies par En mars, le Tribunal pénal spécial de les gouvernements américain et britannique, , la capitale, a condamné le journaliste et notamment des bombes à sous-munitions Alaa Brinji à cinq ans d’emprisonnement et à prohibées au niveau international, non une amende, suivis d’une interdiction de discriminantes par nature, et qui présentent quitter le pays pendant huit ans, pour des un risque persistant pour les civils car commentaires qu’il avait publié sur Twitter. nombre d’entre elles n’explosent pas à En mars également, le Tribunal pénal l’impact. En décembre, la coalition a admis spécial a condamné l’écrivain et universitaire que ses forces avaient utilisé en 2015 des islamique Mohanna Abdulaziz al Hubail à six bombes à sous-munitions de fabrication ans d’emprisonnement suivis d’une britannique, et déclaré qu’elle ne le referait interdiction de voyager pendant six ans. Cet plus. Les gouvernements américain et homme, jugé par contumace, a été déclaré britannique ont continué d’aider la coalition coupable d’avoir « insulté l’État et ses en lui apportant des armes et un soutien en dirigeants », participé et incité à participer à matière de formation, de renseignement et des manifestations, et « témoigné sa de logistique, malgré les violations graves du solidarité envers des membres emprisonnés droit international commises par ses troupes de l’Association saoudienne des droits civils au Yémen. et politiques » (ACPRA), qui étaient des En juin, le secrétaire général des Nations prisonniers d’opinion. Le tribunal a unies a retiré l’Arabie saoudite de la liste des également ordonné la fermeture de son pays et groupes armés responsables compte Twitter. d’atteintes graves aux droits des enfants dans Le gouvernement ne tolérait toujours pas les situations de conflit après que le l’existence de partis politiques, de syndicats gouvernement saoudien a menacé de et de groupes indépendants de défense des supprimer des financements qu’il apportait à droits humains. Des personnes qui avaient des programmes importants des créé des organisations non autorisées ou en Nations unies. avaient été membres ont été arrêtées, Les Houthis et leurs alliés ont inculpées et emprisonnées. régulièrement mené des attaques Tous les rassemblements publics, y transfrontalières aveugles et bombardé des compris les manifestations pacifiques,

Amnesty International — Rapport 2016/17 85 demeuraient interdits en vertu d’un décret De très nombreux autres militants et promulgué en 2011 par le ministère de défenseurs des droits humains continuaient l’Intérieur. Des personnes ont été arrêtées et de purger de lourdes peines emprisonnées pour avoir bravé cette d’emprisonnement prononcées pour des interdiction. Les grèves étaient extrêmement chefs d’inculpation similaires liés à l’exercice rares, mais en septembre des employés pacifique de leurs droits fondamentaux. étrangers et saoudiens d’un hôpital privé de En janvier, des membres des forces de Khobar se sont mis en grève car ils n’avaient sécurité ont détenu pendant une courte pas perçu leur salaire depuis plusieurs mois. période Samar Badawi, une défenseure des droits humains, à cause de son rôle dans la DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS campagne en faveur de la libération de son Cette année encore, des défenseurs des ex-mari Waleed Abu al Khair, un avocat droits humains ont été arrêtés, emprisonnés défenseur des droits humains qui était et poursuivis aux termes des lois emprisonné. antiterroristes et de lois destinées à étouffer toute critique pacifique, sur la base de chefs LUTTE CONTRE LE TERRORISME ET d’inculpation à la formulation vague et SÉCURITÉ excessivement large. Parmi les détenus, les Selon les autorités, les forces de sécurité ont prévenus ou ceux qui purgeaient des peines arrêté et placé en détention plusieurs d’emprisonnement figuraient plusieurs centaines de personnes soupçonnées membres de l’ACPRA, une organisation d’infractions liées au terrorisme, parmi indépendante de défense des droits humains lesquelles figuraient des membres et créée en 2009 et que les autorités avaient sympathisants présumés des groupes armés dissoute en 2013. État islamique (EI) et Al Qaïda ; peu de En mai, le Tribunal pénal spécial a détails ont toutefois été fournis sur cette condamné Abdulaziz al Shubaily, l’un des affaire. Certains prisonniers ont été membres fondateurs de l’ACPRA, à huit ans incarcérés dans le Centre de conseil et de d’emprisonnement suivis d’une interdiction soins Mohammed bin Naif, un lieu destiné de voyager pendant huit ans et de aux « terroristes » et aux personnes ayant communiquer sur les médias sociaux. Cet « des idées déviantes ». homme a été déclaré coupable aux termes En avril, les autorités américaines ont de la Loi relative à la lutte contre la transféré en Arabie saoudite neuf détenus de cybercriminalité d’avoir diffamé et insulté des Guantánamo (Cuba), tous de nationalité juges de haut rang. Il avait en outre été yéménite. accusé d’avoir « communiqué avec des Les défenseurs des droits humains et ceux organisations étrangères » et fourni des qui exprimaient des opinions politiques informations sur les violations des droits dissidentes étaient toujours considérés humains à Amnesty International. comme des « terroristes ». Après sa En octobre, Mohammad al Otaibi et libération de la prison d’Al Hair, à Riyadh, où Abdullah al Attawi, cofondateurs de l’Union il avait purgé une peine de quatre ans pour les droits humains, ont comparu devant d’emprisonnement, Mohammed al Bajadi, le Tribunal pénal spécial. On leur a notifié défenseur des droits humains et membre toute une série de chefs d’inculpation liés à fondateur de l’ACPRA, a passé quatre mois leur action en faveur des droits humains ; il au Centre de conseil et de soins Mohammed leur était reproché, entre autres, d’avoir bin Naif, où il a suivi une fois par semaine « participé à la création d’une organisation et des « séances d’accompagnement » religieux annoncé son existence avant d’en avoir et psychologique. obtenu l’autorisation » et d’avoir « brisé Le procès de 32 personnes, dont l’unité nationale, propagé le désordre et 30 membres de la communauté chiite, s’est provoqué l’opinion publique ». ouvert en février devant le Tribunal pénal

86 Amnesty International — Rapport 2016/17 spécial. Elles étaient accusées d’espionnage été détenu au secret pendant les six et de transmission d’informations militaires premières semaines de son incarcération et pour le compte de l’Iran, ainsi que de soutien se trouvait toujours derrière les barreaux à la à des manifestations à Qatif, dans la région fin de l’année. de l’Est, où les chiites sont majoritaires. Le ministère public a requis la peine de mort TORTURE ET AUTRES MAUVAIS contre 25 des accusés. En décembre, le TRAITEMENTS Tribunal pénal spécial a condamné Les membres des forces de sécurité 15 d’entre eux à la peine capitale à l’issue continuaient de torturer et de maltraiter des d’un procès inéquitable. Quinze autres ont détenus, en toute impunité, particulièrement été condamnés à des peines pour leur arracher des « aveux » utilisés à d’emprisonnement allant de six mois à titre de preuve à charge lors de leur procès. 25 ans, et les deux derniers ont été relaxés. Des tribunaux ont souvent déclaré des En novembre, 13 femmes ont comparu accusés coupables sur la seule base devant le Tribunal pénal spécial pour des d’« aveux » obtenus avant le procès et accusations liées à leur participation à des rétractés par la suite. manifestations dans la ville de Buraydah. L’avocat qui assistait la plupart des 32 hommes accusés d’espionnage pour le ARRESTATIONS ET DÉTENTIONS compte de l’Iran a déclaré qu’ils avaient été ARBITRAIRES contraints de faire des « aveux ». Ils avaient En avril, le Conseil des ministres a promulgué été détenus au secret pendant trois mois de nouvelles directives qui ont réduit les après leur arrestation et empêchés de pouvoirs du Comité pour la propagation de la communiquer avec leurs proches et de vertu et la prévention du vice, la police consulter un avocat ; certains avaient été religieuse saoudienne. Ces directives lui placés à l’isolement prolongé. interdisaient, en particulier, de procéder à des arrestations ainsi que de suivre des Châtiments cruels, inhumains ou dégradants suspects et de contrôler leur identité. Cette année encore, les tribunaux ont Cette année encore, les autorités ont arrêté prononcé des châtiments corporels, et de nombreuses personnes de manière particulièrement des peines de flagellation, arbitraire et ont maintenu des prisonniers en qui ont été appliqués en violation de détention prolongée sans les déférer devant l’interdiction de la torture et d’autres formes un tribunal compétent, au mépris du Code de mauvais traitements. En février, le tribunal de procédure pénale, qui dispose que tous général d’ a commué la condamnation à les détenus doivent être présentés à un mort pour apostasie prononcée en 2015 tribunal dans un délai de six mois suivant contre le poète et artiste palestinien Ashraf leur arrestation. Les détenus étaient le plus Fayadh pour ses écrits, et l’a condamné à souvent maintenus au secret pendant les huit années d’emprisonnement et 800 coups interrogatoires et privés du droit de consulter de fouet. un avocat, ce qui portait atteinte à leur droit à un procès équitable et augmentait le risque DISCRIMINATION – LA MINORITÉ qu’ils subissent des actes de torture et CHIITE d’autres mauvais traitements. Les membres de la minorité chiite faisaient En septembre, des membres des forces de toujours l’objet d’une discrimination sécurité ont arrêté arbitrairement Salim al profondément ancrée, qui restreignait Maliki, un défenseur des droits humains qui fortement leur accès aux services avait publié sur Twitter une vidéo montrant gouvernementaux et à l’emploi, ainsi que leur l’expulsion par des gardes-frontières de liberté d’expression religieuse. Cette année membres d’une tribu de la région de Jizan, à encore, des militants chiites ont été arrêtés, proximité de la frontière avec le Yémen. Il a placés en détention et condamnés à des

Amnesty International — Rapport 2016/17 87 peines d’emprisonnement ou à la peine femmes à exprimer leur opposition à ce capitale à l’issue de procès inéquitables système. Selon des militants, en septembre, devant le Tribunal pénal spécial. environ 14 000 Saoudiennes avaient signé En juin, le Tribunal pénal spécial a une pétition en ligne qui appelait le roi condamné à mort 14 membres de la minorité Salman à abolir la tutelle. chiite déclarés coupables, entre autres chefs Le 11 décembre, Malak al Shehri a été d’accusation, d’avoir ouvert le feu sur des arrêtée et interrogée après avoir publié sur membres des forces de sécurité, incité au les réseaux sociaux une photo d’elle sans désordre et participé à des manifestations et abaya (vêtement couvrant intégralement le à des émeutes. Neuf autres accusés ont été corps). Elle a été libérée le 16 décembre, condamnés à des peines d’emprisonnement mais on ignorait quelle était sa situation au et un autre a été acquitté. regard de la justice. DROITS DES FEMMES DROITS DES TRAVAILLEURS MIGRANTS Les femmes et les filles étaient toujours Les autorités ont poursuivi leur campagne confrontées à la discrimination en droit et en contre les migrants en situation irrégulière ; pratique, et elles n’étaient pas suffisamment plusieurs milliers de travailleurs étrangers ont protégées contre la violence sexuelle, entre été arrêtés, détenus et expulsés. autres. Aux termes de la loi, les femmes Des dizaines de milliers de travailleurs étaient subordonnées aux hommes en migrants, sans salaire depuis des mois, ont matière de mariage, de divorce, de garde des été licenciés après que le gouvernement a enfants et d’héritage, et elles ne pouvaient réduit les dépenses consacrées aux contrats pas accéder à l’enseignement supérieur ni passés avec des entreprises du bâtiment, exercer un emploi rémunéré ou se rendre à entre autres. Des Indiens, des Pakistanais, l’étranger sans l’autorisation de leur tuteur. des Philippins et d’autres travailleurs Par ailleurs, il leur était toujours interdit de étrangers ont été laissés livrés à eux-mêmes conduire. sans nourriture ni eau et sans visa de sortie ; Le plan gouvernemental de réforme certains ont bloqué des routes en signe de économique Vision 2030 avait pour objectif protestation. de faire passer de 22 à 30 % la part des femmes dans la main-d’œuvre saoudienne et PEINE DE MORT d’« investir » dans leurs capacités Les tribunaux ont continué de prononcer des productives en vue d’« améliorer leur avenir sentences capitales pour toute une série de et de contribuer au développement de la crimes, y compris pour des infractions à la société et de l’économie ». Aucune réforme législation sur les stupéfiants qui n’étaient législative ou autre mesure nécessaire à la accompagnées d’aucune violence, et qui ne réalisation de ces objectifs n’avait, semble-t- peuvent être punies de mort aux termes du il, été mise en œuvre à la fin de l’année. Le droit international. Ces condamnations ont ministre de la Justice a toutefois décidé, en souvent été prononcées à l’issue de procès mai, que les femmes devaient recevoir une iniques par des tribunaux qui n’ont pas copie de leur acte de mariage, un document ordonné d’enquêtes sérieuses sur les qui doit être présenté en cas de différend allégations des accusés qui se plaignaient juridique entre les époux. Le Conseil que leurs « aveux » avaient été obtenus sous consultatif a débattu d’un projet de loi qui, s’il la contrainte, notamment la torture. était adopté, permettrait aux femmes de se Le 2 janvier, les autorités ont exécuté faire délivrer un passeport sans l’autorisation 47 personnes, dont 43 ont été décapitées et de leur tuteur. quatre passées par les armes, dans 12 lieux En août, une campagne sur Twitter différents à travers le pays. intitulée « Les Saoudiennes exigent la fin de Parmi les condamnés qui risquaient d’être la tutelle » a incité des dizaines de milliers de exécutés figuraient des mineurs délinquants,

88 Amnesty International — Rapport 2016/17 dont quatre chiites condamnés à mort pour été poursuivie pour meurtre avec leur participation à des manifestations en circonstances aggravantes pour l’homicide 2012 alors qu’ils avaient moins de 18 ans. prémédité d’un proche, une infraction passible d’une peine de 25 ans d’emprisonnement. En août, le Comité des droits de l’homme [ONU] a exprimé ses ARGENTINE préoccupations concernant cette affaire, République argentine recommandant au gouvernement d’envisager Chef de l’État et du gouvernement : Mauricio Macri la dépénalisation de l’avortement et appelant à la libération immédiate de l’intéressée. Le Comité a également demandé à l’Argentine Il était difficile pour les femmes et les filles d’assouplir ses lois sur l’avortement et de de recourir à un avortement en toute garantir que toutes les femmes et les filles légalité ; la criminalisation des droits aient accès aux services de santé reproductifs et sexuels s’est accentuée. Les reproductive. Il a également enjoint au populations indigènes étaient toujours en gouvernement de veiller à ce que les femmes butte à des pratiques discriminatoires. ne soient pas contraintes, en raison d’obstacles juridiques, de l’exercice par les CONTEXTE professionnels de la santé d’un droit à Le Congrès national a adopté une loi sur l’objection de conscience ou de l’absence de l’accès à l’information publique (Loi protocoles médicaux, de recourir à des no 27.275). Le Conseil national des femmes a avortements clandestins qui mettent en péril présenté son Plan national d’action pour la leur santé et leur vie. La Cour suprême de prévention et l’éradication des violences Tucumán a finalement ordonné, au mois faites aux femmes et pour l’aide aux victimes. d’août, la remise en liberté de cette femme, En juin et en octobre, des manifestations dans l’attente de sa décision concernant la massives ont eu lieu sous le slogan « Pas une peine de huit ans d’emprisonnement de moins » pour dénoncer les violences faites prononcée par la juridiction inférieure. aux femmes, les féminicides et l’absence de En juillet, une fillette de 12 ans de la politiques publiques visant à mettre fin à ces communauté indigène wichí a été violée par pratiques. un groupe d’hommes non indigènes. La situation en Argentine a été examinée Enceinte, elle a été contrainte de poursuivre par trois instances de l’ONU, le Comité des sa grossesse bien que ses parents aient droits de l’homme, le Comité pour déposé plainte pour viol auprès de la police. l’élimination de la discrimination à l’égard des Elle a été autorisée à accoucher par femmes et le Comité pour l’élimination de la césarienne à 31 semaines, uniquement discrimination raciale. parce que sa grossesse n’était pas viable. En novembre, le Comité pour l’élimination DROITS SEXUELS ET REPRODUCTIFS de la discrimination à l’égard des femmes En avril, une femme de la province de [ONU] a exhorté l’Argentine à faire en sorte Tucumán a été reconnue coupable de que toutes les provinces approuvent des « meurtre » et condamnée à huit ans protocoles visant à faciliter l’accès à un d’emprisonnement après avoir fait une fausse avortement légal ; à garantir que toutes les couche à l’hôpital, comme l’attestait son femmes aient accès à des services dossier médical. Le personnel hospitalier l’a d’avortement et de post-avortement sûrs et dénoncée à la police, affirmant qu’elle avait légaux et à prendre des mesures concrètes elle-même déclenché une interruption de pour empêcher le recours systématique à grossesse. Elle a été maintenue en détention l’objection de conscience par les médecins provisoire pendant plus de deux ans. D’abord qui refusent de pratiquer des avortements, inculpée d’avortement illégal, elle a ensuite en particulier pour les grossesses précoces

Amnesty International — Rapport 2016/17 89 résultant d’un viol ou d’un inceste pouvant 733 le nombre total de personnes s’apparenter à de la torture ; et à accélérer condamnées. l’adoption du projet de loi sur l’interruption En mai, un verdict historique a été rendu volontaire de grossesse afin de favoriser dans l’affaire de l’opération Condor, un plan l’accès légal à l’avortement. coordonné des services de renseignement lancé dans les années 1970 par les régimes DROITS DES PEUPLES AUTOCHTONES militaires qui gouvernaient alors de fait Bien que les droits des peuples indigènes à l’Argentine, la Bolivie, le Brésil, le Chili, le disposer de leurs terres ancestrales et à Paraguay et l’Uruguay. Reynaldo Bignone, participer à la gestion des ressources président de facto de l’Argentine à l’époque, naturelles soient inscrits dans la Constitution, a été condamné à 20 ans de réclusion. les droits fonciers de la plupart des Quatorze autres responsables militaires ont communautés indigènes n’étaient toujours été condamnés à des peines pas officiellement reconnus. d’emprisonnement. En août, un jugement a Les peuples indigènes ont signalé plus de été prononcé dans l’affaire emblématique de 200 cas de violations de leurs droits La Perla, concernant des centres de fondamentaux, notamment de leurs droits à détention clandestins dans la province de la terre, à la consultation et à la participation, Córdoba : 28 personnes ont été condamnées à l’égalité, à la non-discrimination et à la à la réclusion à perpétuité. Neuf peines allant justice. de deux à 14 ans d’emprisonnement ont L’impunité continuait de prévaloir dans également été prononcées, et six personnes l’affaire du meurtre de Javier Chocobar, un ont été acquittées. dirigeant de la communauté indigène de La commission bicamérale créée en 2015 Chuschagasta tué en 2009 pour avoir par la Loi n° 27.217 pour identifier les défendu pacifiquement ses terres dans la acteurs économiques et financiers ayant province de Tucumán, dans le nord du pays. collaboré avec la dictature militaire n’avait toujours pas été mise en place en décembre. DROITS DES RÉFUGIÉS ET DES L’audience publique du procès pour MIGRANTS entrave à l’enquête sur l’attentat perpétré en La Direction nationale des migrations et le 1994 contre l’Association mutuelle israélite ministère de la Sécurité ont annoncé en août argentine (AMIA), dans lequel 85 personnes la création d’un centre de détention pour les avaient été tuées, se poursuivait. L’ex- migrants. Cette mesure était contraire au président Carlos Menem, un ancien juge et droit à la liberté, au droit de circuler d’autres anciens fonctionnaires de haut rang librement et au droit de ne pas être soumis à se trouvaient parmi les accusés. Le principal la détention arbitraire. dossier lié à cet attentat était au point mort Lors du Sommet des dirigeants sur les depuis 2006. En août, le parquet chargé de réfugiés qui s’est déroulé à New York en l’affaire a reconnu Augusto Daniel Jesús septembre, l’Argentine s’est engagée à comme étant la dernière victime non encore accueillir 3 000 Syriens, en priorité des identifiée. familles avec enfants. Les détails du programme de réinstallation n’avaient LIBERTÉ D’EXPRESSION ET DE toujours pas été précisés à la fin de l’année. RÉUNION Des cas de recours injustifié et excessif à la IMPUNITÉ force par les forces de sécurité dans le cadre Des procès publics ont été organisés pour de manifestations publiques ont continué juger les crimes contre l’humanité perpétrés d’être signalés. sous le régime militaire entre 1976 et 1983. Le 16 janvier, la dirigeante associative Entre 2006 et décembre 2016, Milagro Sala a été arrêtée et inculpée pour 173 jugements ont été rendus, portant à avoir manifesté pacifiquement à Jujuy en

90 Amnesty International — Rapport 2016/17 décembre 2015. Sa libération a été ordonnée, mais de nouvelles poursuites ARMÉNIE pénales ont alors été engagées contre elle, dans le but de la maintenir en détention. En République d'Arménie octobre, le Groupe de travail des Nations Chef de l'État : Serge Sarkissian unies sur la détention arbitraire a estimé que Chef du gouvernement : Karen Karapetian (a remplacé sa détention était arbitraire et a appelé à sa Hovik Abrahamian en septembre) remise en liberté immédiate. Le 17 février, le ministère national de la La police a eu recours à une force excessive Sécurité a publié son Protocole sur la pour réprimer les manifestations conduite des forces de sécurité lors des essentiellement pacifiques qui se sont manifestations publiques. Le document déroulées en juillet à Erevan. Des centaines prévoyait la répression de manifestations par de personnes ont été arrêtées les forces de sécurité et l’ouverture de arbitrairement. Nombre d’entre elles ont poursuites pénales contre des personnes ne déclaré avoir été blessées, frappées ou, plus faisant qu’exercer leur droit à la liberté de généralement, maltraitées au moment de réunion pacifique. leur arrestation et pendant leur détention. Le bureau du procureur de Buenos Aires a rendu le 31 mars une décision CONTEXTE (FG N 25/2016) qui risquait fort de faire L’année a été marquée par une grande peser des restrictions excessives sur le droit instabilité économique et politique, ainsi que de réunion pacifique. par une inquiétude croissante pour la sécurité dans la région, en raison des DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS nouveaux affrontements militaires de grande Le défenseur des droits humains Rubén Ortiz ampleur qui ont eu lieu en avril dans le Haut- a été la cible de menaces et de manœuvres Karabakh, région sécessionniste de d’intimidation liées au soutien qu’il apporte l’Azerbaïdjan soutenue par l’Arménie. Le aux communautés paysannes de la province Premier ministre Hovik Abrahamian a de Misiones. Une procédure d’enquête était démissionné le 8 septembre, expliquant que en cours à la fin de l’année. son gouvernement n’était pas parvenu à relever les défis économiques et politiques TORTURE ET AUTRES MAUVAIS auxquels était confronté le pays. Karen TRAITEMENTS Karapetian, ancien maire d’Erevan, la L’Argentine n’avait toujours pas mis en place capitale arménienne, a été nommé Premier de comité national pour la prévention de la ministre le 13 septembre par le président de torture à la fin de l’année, bien que le la République, Serge Sarkissian. gouvernement ait approuvé la création d’un mécanisme national pour la prévention de la RECOURS EXCESSIF À LA FORCE torture, composé de parlementaires, Le 17 juillet, un groupe d’hommes armés a d’instances du pouvoir et de représentants fait irruption dans un centre de la police d’organisations de la société civile. Le comité d’Erebouni, un quartier d’Erevan, tuant un sera chargé notamment d’effectuer des policier, en blessant deux autres et prenant visites dans les centres de détention, de plusieurs personnes en otage. prévenir les risques de surpopulation À la suite de cette action, plusieurs carcérale et de réglementer les transferts. centaines de personnes se sont rassemblées sur la place de la Liberté en signe de solidarité avec les attaquants, dont elles soutenaient l’appel à la libération du militant d’opposition emprisonné Jirair Sefilian (inculpé de détention illégale d’armes). Les

Amnesty International — Rapport 2016/17 91 manifestants demandaient également la attaqué aux manifestants et aux journalistes démission du chef de l’État. La confrontation présents, les rouant de coups. Pendant ce avec la police a duré 15 jours. Elle a temps, la police bloquait la rue pour déclenché une importante vague de empêcher la foule de partir et procédait à manifestations contre le gouvernement à l'arrestation de tous les manifestants. Au Erevan, qui ont été émaillées d’affrontements moins 14 journalistes auraient été avec les forces de sécurité. Les délibérément visés par des grenades manifestations, quotidiennes, ont assourdissantes et frappés – il s'agissait de progressivement perdu de leur ampleur les empêcher de couvrir l’événement en après la reddition des preneurs d’otages, le direct. Une soixantaine de personnes au 30 juillet. La plupart du temps, la police a moins auraient été blessées et hospitalisées. permis le déroulement des rassemblements Certaines souffraient de graves brûlures pacifiques, mais elle a régulièrement procédé occasionnées par l’explosion des grenades. à des arrestations, notamment parmi les Au cours des semaines qui ont suivi, cinq manifestants. À plusieurs reprises, toutefois, policiers ont été suspendus pour recours des manifestations organisées à Erevan ont excessif à la force, le chef de la police été dispersées avec une force excessive. d’Erevan a été renvoyé et 13 policiers, dont Le 20 juillet, des affrontements ont éclaté des hauts gradés, ont été officiellement après que la police eut refusé de laisser des réprimandés pour « ne pas avoir empêché manifestants apporter de la nourriture aux que des manifestants et des journalistes membres du groupe armé retranché à soient violemment agressés ». Les enquêtes l’intérieur des locaux de la police. Certains sur ces deux affaires n’étaient pas terminées manifestants se sont mis à pousser les à la fin de l’année. policiers et à lancer des pierres et des bouteilles d’eau. La police a alors riposté ARRESTATIONS ET DÉTENTIONS sans discernement avec des grenades ARBITRAIRES assourdissantes et des gaz lacrymogènes. De Au lendemain des événements du 17 juillet, nombreux manifestants non violents, ainsi la police a convoqué un certain nombre de que de simples spectateurs, ont été blessés. militants politiques pour interrogatoire. Selon La police a ensuite commencé à disperser le des informations parues dans la presse, rassemblement, en procédant à des environ 200 personnes, essentiellement des arrestations parmi les participants. Selon sympathisants et des militants de plusieurs témoins, les policiers ont l’opposition, ont été conduites dans des pourchassé des manifestants qui fuyaient et commissariats, sans pour autant être arrêtées les ont frappés avant de les arrêter; officiellement. Plusieurs militants ont déclaré 136 personnes auraient été placées en que la police s’était rendue chez eux, avait détention. On aurait dénombré plusieurs menacé leurs proches de les arrêter et s’était dizaines de blessés. livrée à des perquisitions illégales. De La police a également eu recours à une nombreux militants ont été interrogés et force excessive le 29 juillet contre des retenus dans les commissariats pendant des personnes qui manifestaient pacifiquement à heures (plus de 12 heures pour certains), Sari-Tagh, non loin du lieu de la prise avant d’être relâchés sans inculpation. Ils d’otages. La police a demandé à la foule de n’ont pas été autorisés à avertir leur famille se disperser. Peu après, elle a tiré du gaz ou leurs proches de l'endroit où ils se lacrymogène et des grenades trouvaient et n’ont pas non plus eu le droit de assourdissantes de manière aveugle, contacter un avocat. blessant des dizaines de manifestants et plusieurs journalistes. Un groupe d’hommes armés de matraques en bois a ensuite surgi de derrière le cordon de police et s’est

92 Amnesty International — Rapport 2016/17 TORTURE ET AUTRES MAUVAIS TRAITEMENTS AUSTRALIE De très nombreux cas de torture et d’autres Australie mauvais traitements ont cette année encore Chef de l’État : Elizabeth II, représentée par Peter été signalés, impliquant aussi bien la police Cosgrove que le personnel pénitentiaire. Chef du gouvernement : Malcolm Turnbull En février, l’administration de la prison de Noubarachen a obligé Vardges Gaspari à Le système judiciaire manquait toujours à passer un examen psychiatrique. Ce militant ses obligations envers les personnes incarcéré avait accusé les autorités autochtones, en particulier envers les pénitentiaires d’avoir donné l’ordre à ses enfants ; les taux d’incarcération étaient codétenus de le rouer de coups, de le élevés et des cas de violence et de mort en menacer et de l’asperger d’eau froide. détention ont été signalés. L’Australie a Pendant les événements de juillet, un maintenu sa politique draconienne vis-à-vis certain nombre de militants arrêtés par la des demandeurs d’asile, les enfermant dans police en raison de leur participation aux des centres de traitement situés à manifestations se seraient vu refuser, selon l’étranger, en Papouasie-Nouvelle-Guinée et leurs propres témoignages, de l’eau, des à Nauru, ou repoussant ceux qui tentaient médicaments ou l’assistance médicale de rejoindre ses côtes par bateau. Des nécessaire. Certaines de ces personnes ont mesures de lutte contre le terrorisme été retenues pendant plus de 12 heures sans bafouaient les droits fondamentaux. inculpation. Plusieurs ont affirmé avoir été battues ou, plus généralement, maltraitées DROITS DES PEUPLES AUTOCHTONES au moment de leur interpellation puis Le taux d’incarcération des mineurs pendant leur détention, et ne pas avoir été aborigènes était 24 fois plus élevé que celui autorisées à avertir leurs proches ou leurs des enfants issus du reste de la population. avocats. L’âge de la responsabilité pénale était de 10 ans partout dans le pays, alors que le DROITS SEXUELS ET REPRODUCTIFS Comité des droits de l’enfant [ONU] Le gouvernement a modifié en juillet la Loi recommandait de le fixer à 12 ans. Des sur l’interruption de grossesse, afin enfants âgés de 10 ou 11 ans étaient d’interdire les avortements en fonction du détenus dans tous les États à l’exception de sexe du fœtus entre la 12e et la 22e semaine la Tasmanie. Près des trois quarts d’entre eux de grossesse. La nouvelle loi prévoit un délai étaient aborigènes. d’attente de trois jours et une consultation En violation de l’article 37(c) de la obligatoire avec un conseiller une fois le Convention relative aux droits de l’enfant premier rendez-vous pris en vue d'un [ONU], des mineurs âgés de 17 ans étaient avortement. Certains groupes de femmes ont jugés comme des adultes et incarcérés avec fait remarquer que ce délai d’attente pourrait des prisonniers adultes dans le Queensland. être mis à profit pour dissuader les femmes Le gouvernement de cet État a adopté en de subir une IVG et se traduire par une novembre une loi destinée à remédier à cette corruption accrue, des avortements pratiqués situation. En décembre, la cour d'appel de dans de mauvaises conditions et, par Victoria a conclu que la détention de mineurs conséquent, une augmentation de la dans des prisons pour adultes était illégale et mortalité maternelle. Selon des informations a ordonné le transfert des jeunes détenus diffusées par le Fonds des Nations unies dans un établissement judiciaire pour pour la population (FNUAP), les avortements mineurs, mais les autorités de Victoria se en fonction du sexe étaient « courants » dans sont contentées de rebaptiser « centre pour le pays.

Amnesty International — Rapport 2016/17 93 mineurs » un quartier de la prison pour En 2016, au moins trois bateaux adultes. transportant des demandeurs d’asile ont été Des enregistrements de vidéosurveillance repoussés en mer, directement vers le Sri divulgués au grand public ont révélé des Lanka. En juin, un autre l’a été vers le Viêt- sévices et autres mauvais traitements infligés Nam, avant même que les demandes d’asile à des mineurs détenus dans le Territoire du de ses passagers aient été dûment Nord. Des cas similaires de maltraitance ont examinées. Un nombre indéterminé de été signalés dans le Queensland1. Après ces bateaux ont été refoulés vers l’Indonésie. révélations, la création d’une commission L’Australie a poursuivi sa politique de royale sur la détention des mineurs dans le placement systématique des demandeurs Territoire du Nord et la réalisation d’une d’asile en détention pour une durée évaluation indépendante dans le Queensland indéterminée. De ce fait, 1 414 personnes ont été annoncées. étaient ainsi détenues sur le continent au Le risque d’incarcération des adultes 30 novembre. autochtones était 15 fois supérieur à celui En décembre 2016, un peu plus d'un an des adultes non autochtones. Au moins cinq après l'annonce par l’Australie de sa décision Aborigènes sont morts en détention dans d’accueillir 12 000 réfugiés irakiens et différents États et territoires australiens au syriens supplémentaires au titre de la cours de l’année. réinstallation, près de 8 400 étaient arrivés dans le pays. RÉFUGIÉS ET DEMANDEURS D’ASILE En avril, la Cour suprême de Papouasie- DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET Nouvelle-Guinée a jugé illégale la détention DES PERSONNES BISEXUELLES, de quelque 900 hommes retenus dans les TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES centres administrés par l’Australie sur l’île de Malgré le très large soutien en faveur de Manus, en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Elle l’égalité devant le mariage dans la population, a ordonné la fermeture immédiate de ces il n’existait toujours aucune législation en ce centres. À la fin de l’année, ni les autorités sens. La loi en vigueur n’autorisait le mariage australiennes ni celles de Papouasie- qu’entre un homme et une femme. Nouvelle-Guinée n’avaient annoncé une date de fermeture de ces centres (voir l'entrée LUTTE CONTRE LE TERRORISME ET Papouasie-Nouvelle-Guinée). SÉCURITÉ Au 30 novembre, on dénombrait De nouvelles dispositions législatives pour la 383 personnes – 44 enfants, 49 femmes et lutte contre le terrorisme ont été présentées 290 hommes – dans un centre de traitement et adoptées. Parmi les mesures proposées établi à Nauru, où elles continuaient de subir figuraient le maintien en détention de des actes de négligence, des mauvais condamnés après l’expiration de leur peine. traitements et d’autres atteintes à leurs droits. En vertu de la nouvelle législation, les Ces agissements s’inscrivaient dans une mineurs pouvaient faire l'objet d'une politique délibérée visant à dissuader les ordonnance de contrôle dès 14 ans, au lieu demandeurs d’asile de tenter de rejoindre de 16 auparavant. Des lois relatives à la l’Australie par bateau (voir Nauru)2. citoyenneté qui risquaient de faire des Quelque 320 personnes conduites en apatrides sont entrées en vigueur. Australie pour s’y faire soigner risquaient toujours d’être renvoyées soit à Nauru, soit 1. Australie. Une réforme du système judiciaire est indispensable pour sur l’île de Manus. protéger les droits des jeunes issus des communautés indigènes En novembre, le gouvernement australien (communiqué de presse, 31 août) a annoncé que certains des réfugiés détenus 2. Australie. Négligence et violations consternantes à l’égard des à Nauru et sur l’île de Manus seraient réfugiés à Nauru (nouvelle, 2 août) réinstallés aux États-Unis.

94 Amnesty International — Rapport 2016/17 œuvre de ces nouvelles dispositions pourrait AUTRICHE se traduire par des violations du principe de « non-refoulement » et du droit d’avoir accès République d’Autriche à une procédure d’asile juste et efficace. À la Chef de l’État : Heinz Fischer (jusqu’au 8 juillet 2016), fin de l’année, le gouvernement n’avait pas puis collégialement (par intérim) Doris Bures, déclenché cette procédure. Karlheinz Kopf, Norbert Hofer Ces dispositions restreignent en outre Chef du gouvernement : Christian Kern (a remplacé sérieusement les possibilités de Werner Fayman en mai) regroupement familial pour les réfugiés et les personnes bénéficiant d’une protection Le nombre de demandes d’asile subsidiaire. enregistrées a été divisé par deux par Les conditions se sont améliorées dans rapport à l’année précédente. Néanmoins, certains centres d’accueil, mais les au mois d’avril, le Parlement a octroyé au procédures d’asile ne permettaient toujours gouvernement le pouvoir de recourir à une pas de repérer correctement les personnes procédure d’urgence pour réduire le nombre ayant des besoins spécifiques (victimes de de demandeurs d’asile dans le pays. Une torture, de traite des êtres humains ou de nouvelle loi a doté l’agence du violences liées au genre, par exemple) et de renseignement de vastes pouvoirs en leur apporter une aide. Les services matière de surveillance et d’enquête. d’assistance, notamment la prise en charge médicale pour les personnes ayant besoin de DROITS DES RÉFUGIÉS ET DES soins spécifiques, en particulier les mineurs MIGRANTS non accompagnés, restaient insuffisants. Le gouvernement a annoncé en janvier sa décision de limiter à 37 500 le nombre de DISCRIMINATION demandes d’asile pour 2016. Entre janvier et Les autorités ont fait part en juin de leurs novembre, environ 39 600 personnes ont préoccupations concernant des attaques à déposé une demande d’asile en Autriche. caractère raciste perpétrées contre des Près de 32 300 demandes ont été jugées centres d’accueil pour demandeurs d’asile. admissibles. Par comparaison, environ Le même mois, un centre d’accueil pour 81 000 personnes avaient demandé l’asile demandeurs d’asile a été incendié avant son sur la même période en 2015. ouverture officielle dans la ville d’Altenfelden. Le Parlement a adopté en avril une Dans les six premiers mois de l’année, le modification de la Loi sur l’asile octroyant au ministère de l’Intérieur a recensé gouvernement le pouvoir de déclarer une 24 infractions pénales contre des centres situation de menace à la sécurité et à l’ordre d’accueil pour demandeurs d’asile, soit publics en cas d’arrivée d’un grand nombre presque autant que sur l’ensemble de de demandeurs d’asile dans le pays. Cette l’année 2015 (25). déclaration déclencherait la mise en œuvre Une personne intersexuée a porté plainte d’une procédure accélérée pour le traitement en juin après que le bureau d’état civil de des demandes d’asile, en vertu de laquelle il Steyr eut refusé de faire figurer la mention reviendrait à la police des frontières de « neutre » (ni homme ni femme) à la décider de l’admissibilité des demandes de rubrique « genre » la concernant. L’affaire protection internationale. La police pourrait était en instance de jugement devant le aussi renvoyer de force les demandeurs tribunal administratif de Haute-Autriche à la d’asile ayant franchi la frontière vers les pays fin de l’année. de transit voisins, sans avoir à motiver sa En août, plusieurs hauts responsables, décision. L’appel n’étant pas suspensif, les dont le chancelier fédéral, ont exprimé leur demandeurs d’asile ne pourraient déposer un soutien au droit des personnes de même recours que depuis l’étranger. La mise en

Amnesty International — Rapport 2016/17 95 sexe de se marier. Aucune réforme de la souffert de la chute des cours de cette législation en ce sens n’était toutefois prévue. matière première et de la dévaluation de la monnaie nationale, le manat, qui a perdu la LUTTE CONTRE LE TERRORISME ET moitié de sa valeur. Les prix des denrées SÉCURITÉ alimentaires ont augmenté, sans que les La Loi sur la protection de l’État par la police salaires suivent. À partir du début du mois de est entrée en vigueur en juillet. Ce texte janvier, des manifestations spontanées et, la donne à l’agence nationale du plupart du temps, pacifiques contre la renseignement, l’Office fédéral pour la dévaluation du manat et les hausses de prix protection de la Constitution et la lutte contre consécutives se sont étendues à tout le pays. le terrorisme, de vastes pouvoirs en matière Ces mouvements de protestation ont été d’enquête et de surveillance. L’Office peut réprimés par la police et les forces de désormais notamment collecter des données sécurité. Le président Ilham Aliev a signé le à caractère personnel auprès d’une grande 18 janvier un décret augmentant de 10 % le diversité de sources, conserver ces données niveau minimum des retraites et des et lancer des enquêtes sans en informer les rémunérations des fonctionnaires. Cette personnes concernées. L’absence de contrôle mesure n’a cependant pas suffi à enrayer la de la part d’une autorité judiciaire et la détérioration des conditions de vie. latitude dont dispose l’Office dans l’exercice En avril, les hostilités se sont intensifiées de ses pouvoirs soulèvent des inquiétudes entre l’Azerbaïdjan et la région séparatiste du concernant le droit au respect de la vie privée Haut-Karabakh, soutenue par l’Arménie. Les et le droit à un recours effectif, entre autres. combats ont duré quatre jours et se sont soldés par des pertes civiles et militaires dans les deux camps, ainsi que par de modestes gains de territoire pour les forces AZERBAÏDJAN azerbaïdjanaises. République d’Azerbaïdjan Plusieurs modifications de la Constitution Chef de l’État : Ilham Aliev renforçant les pouvoirs présidentiels ont été Chef du gouvernement : Artur Rasi-Zade adoptées par référendum en septembre. Ces modifications allongeaient la durée du Plusieurs prisonniers d’opinion ont été mandat du chef de l’État et habilitaient celui- libérés, mais 14 au moins étaient toujours ci à convoquer des élections présidentielles en détention. La plupart des organisations anticipées et à dissoudre le Parlement. de défense des droits humains qui avaient Au mois de novembre, le Conseil de été contraintes de suspendre leurs activités l’Union européenne a approuvé un nouveau les années précédentes n’ont pas été en mandat de négociation d’un accord mesure de les reprendre. Des journalistes « global » avec l’Azerbaïdjan, destiné à indépendants et des militants ont cette remplacer l’accord de partenariat et de année encore fait l’objet de représailles. coopération de 1996 qui régissait les Plusieurs observateurs internationaux des relations bilatérales entre l’UE et ce pays. Le droits humains n’ont pas été autorisés à se dialogue politique entamé dans le cadre de rendre en Azerbaïdjan. De nombreux cas de l’accord de partenariat était à l’arrêt depuis torture ou d’autres mauvais traitements ont quelques années, en raison de la dégradation été signalés, ainsi que des arrestations de la situation en matière de droits humains arbitraires de personnes critiques à l’égard en Azerbaïdjan. du gouvernement. PRISONNIERS D’OPINION CONTEXTE Cette année encore, des personnes critiques Dépendant essentiellement du pétrole, à l’égard du gouvernement ont été l’économie de l’Azerbaïdjan a beaucoup emprisonnées. Plusieurs personnalités

96 Amnesty International — Rapport 2016/17 connues incarcérées à la suite de procès Il restait à la fin de l’année au moins politiques ont été libérées en début d’année. 14 prisonniers d’opinion dans les prisons Parmi elles figuraient au moins azerbaïdjanaises. Selon des militants locaux 12 prisonniers d’opinion. Aucune des des droits humains, plus d’une centaine de personnes remises en liberté n’a bénéficié personnes étaient incarcérées pour des d’un non-lieu ou d’une annulation de la raisons politiques. procédure pénale dont elle avait fait l’objet. Le Groupe de travail des Nations unies sur la LIBERTÉ D’EXPRESSION détention arbitraire a constaté, à la suite Tous les grands médias restaient contrôlés d’une visite effectuée en mai en Azerbaïdjan, par le gouvernement. Les organes de presse que les défenseurs des droits humains, les indépendants continuaient de subir des journalistes et les dirigeants politiques et pressions de la part des autorités. Lorsqu’ils religieux continuaient de faire l’objet osaient critiquer les pouvoirs publics, les d’arrestations arbitraires. journalistes indépendants étaient en butte à Plusieurs prisonniers d’opinion remis en des actes d’intimidation ou de harcèlement, liberté, dont la journaliste Khadija Ismayilova voire à des violences physiques. et l’avocat défenseur des droits humains Les autorités ont ouvert une information Intigam Aliyev, faisaient l’objet d’une judiciaire le 20 avril concernant Meydan TV, interdiction de se rendre à l’étranger. La une chaîne de télévision indépendante en plupart de ces ex-prisonniers ne pouvaient langue azérie basée sur Internet, pour plus, de fait, exercer leur métier. exercice illégal d’une activité professionnelle, Les poursuites pénales engagées en 2014 évasion fiscale à grande échelle et abus de et 2015 contre un groupe d’ONG de premier pouvoir. Quinze journalistes travaillant pour plan étaient toujours en cours à la fin de Meydan TV, dont plusieurs correspondants à l’année. Ces actions avaient servi de prétexte l’étranger, étaient également visés par une à l’arrestation de plusieurs prisonniers enquête. Ceux qui travaillaient en d’opinion pour évasion et fraude fiscales. Azerbaïdjan ont fait l’objet de restrictions leur Deux jeunes militants, Giyas Ibrahimov et interdisant de quitter le pays. Les enquêtes Bayram Mammadov, ont été placés en sur cette affaire étaient toujours en cours à la détention le 10 mai sur la foi d’accusations fin de l’année. mensongères d’infraction à la législation sur Au mois de novembre, Afgan Sadykhov et les stupéfiants. Il leur était en fait reproché Teymur Kerimov, deux journalistes spécialisés d’avoir réalisé un graffiti politique sur une dans les questions sociales, ont été arrêtés et statue de l’ancien président azerbaïdjanais inculpés de coups et blessures alors qu’ils Gueïdar Aliev. Ils ont tous deux été venaient d’être victimes d’une agression de la condamnés à 10 ans d’emprisonnement, part d’inconnus. respectivement le 25 octobre et le Zamin Gadji, journaliste travaillant pour le 8 décembre. journal d’opposition Yeni Musavat, a été Le 18 novembre, la Cour suprême a rejeté convoqué le 28 novembre dans un poste de le recours formé par le prisonnier d’opinion police de Bakou, où il a fait l’objet de Ilgar Mammadov, confirmant ainsi sa menaces à propos d’un texte mis en ligne sur condamnation à sept années Facebook, dans lequel il critiquait l’absence d’emprisonnement. La Cour européenne des d’enquête de la part du gouvernement dans droits de l’homme avait pourtant estimé plusieurs affaires d’homicides qui avaient fait qu’Ilgar Mammadov avait été arrêté en grand bruit. l’absence de tout élément de preuve et elle Le 29 novembre, le Parlement a approuvé avait réitéré les appels lancés par le Comité une modification du Code pénal visant à faire des ministres du Conseil de l’Europe en des atteintes à l’honneur et à la dignité du faveur de sa libération. chef de l’État formulées sur Internet une

Amnesty International — Rapport 2016/17 97 infraction à part entière, passible d’une modifications limitaient les droits à la amende et de trois ans d’emprisonnement. propriété et autorisaient l’adoption de restrictions de la liberté de réunion, lorsque LIBERTÉ D’ASSOCIATION celle-ci portait atteinte « aux bonnes La plupart des ONG de premier plan militant mœurs ». en Azerbaïdjan pour la défense des droits humains n’ont pas été en mesure de TORTURE ET AUTRES MAUVAIS reprendre leurs activités, leurs avoirs ayant TRAITEMENTS été gelés et leurs membres continuant d’être Les responsables de l’application des lois ont victimes d’actes de harcèlement, y compris continué de se livrer à des actes de torture et sous forme de poursuites pénales. Plusieurs à d’autres mauvais traitements en toute dirigeants d’ONG condamnés sur la base impunité. d’accusations fallacieuses étaient toujours en Selon des défenseurs des droits humains, prison. D’autres ont été contraints de prendre des membres du mouvement Unité le chemin de l’exil pour échapper à musulmane arrêtés lors d’affrontements qui d’éventuelles persécutions. avaient eu lieu avec les forces de sécurité Le gouvernement a dégelé en début dans le village de Nardaran, en 2015, d’année les comptes bancaires de huit ONG auraient été torturés et soumis à d’autres participant à l’Initiative pour la transparence mauvais traitements. Les militants d’Unité dans les industries extractives (ITIE), une musulmane étaient accusés de vouloir plateforme internationale œuvrant pour la changer le système constitutionnel par la promotion d’une gestion ouverte et force et d’avoir mis en place un groupe armé. responsable des ressources pétrolières, Les deux jeunes militants Bayram gazières et minières. Cette décision est Mammadov et Giyas Ibrahimov ont affirmé intervenue après que l’ITIE eut rétrogradé avoir été torturés et maltraités en détention. l’Azerbaïdjan au rang de simple pays Les délégués du Groupe de travail des candidat en 2015, en raison de la répression Nations unies sur la détention arbitraire qui exercée par le gouvernement contre la ont pu leur rendre visite en détention ont société civile. constaté que les deux jeunes gens présentaient des lésions qui tendaient à LIBERTÉ DE RÉUNION confirmer leurs allégations. Ce constat a La police a cette année encore brutalement cependant été ignoré par les juges lors des réprimé et dispersé des manifestations non audiences, aussi bien dans le cadre de la violentes. procédure de placement en détention Lors des manifestations qui se sont provisoire que dans celui des procès déroulées dans tout le pays en janvier, la proprement dits. Un autre jeune militant, police a eu recours à deux reprises au moins Elgiz Gahraman, a confié à son avocat qu’il à une force excessive pour disperser la foule, avait été torturé à la suite de son arrestation alors qu’aucune violence n’était à déplorer, le 12 août. Maintenu en détention au secret arrêtant des dizaines de manifestants pendant 48 heures, il aurait été contraint pacifiques. Un peu partout, les autorités ont « d’avouer » les faits qui lui étaient reprochés en outre convoqué un certain nombre de (détention de stupéfiants). Il était toujours en militants politiques pour les interroger et les détention à la fin de l’année, dans l’attente de arrêter, les accusant d’avoir organisé les son procès. manifestations. Les modifications de la Constitution CONFLIT ARMÉ adoptées à l’issue du référendum du mois de Les forces régulières azerbaïdjanaises et les septembre ont octroyé au gouvernement des forces de la république autoproclamée du pouvoirs renforcés en matière de restriction Haut-Karabakh se sont affrontées pendant de la liberté de réunion pacifique. Ces quatre jours au mois d’avril. L’Azerbaïdjan a

98 Amnesty International — Rapport 2016/17 annoncé que six civils et 31 militaires avaient l’étranger de parents bahamiens risquant été tués. Le ministère arménien de la notamment d’être séparées. Défense a fait état de 93 morts de son côté, dont quatre civils. Les deux parties se sont DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET mutuellement accusées de volontairement DES PERSONNES BISEXUELLES, sous-estimer les pertes militaires et TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES surestimer le nombre de victimes civiles. Les personnes LGBTI étaient toujours en Dans les deux camps, les belligérants s’en proie à l’opprobre et à la discrimination. seraient pris à des biens civils, y compris à En avril, des militants ont fondé le groupe des établissements scolaires. Bahamas Transgender Intersex United. Après la première conférence de presse du groupe, certains membres ont signalé avoir reçu des menaces. En mai, un député a suggéré BAHAMAS d’exiler les personnes transgenres sur une Commonwealth des Bahamas autre île. Chef de l’État : Elizabeth II, représentée par Marguerite Pindling DROIT AU RESPECT DE LA VIE PRIVÉE Chef du gouvernement : Perry Gladstone Christie Des groupes locaux de défense des droits humains ont exprimé leur crainte face à la Cette année encore, de nombreux migrants surveillance exercée en ligne par les en situation irrégulière, originaires autorités. En août, la Cour suprême a jugé notamment de Cuba et d’Haïti, ont subi des que, en se procurant et en lisant au mauvais traitements et d’autres atteintes à Parlement la correspondance électronique leurs droits. Les Bahamiens ont rejeté les privée de membres d’un groupe de défense modifications constitutionnelles proposées de l’environnement, le ministre de lors d’un référendum tenu en juin sur l’Éducation avait enfreint les droits l’égalité des genres en matière de constitutionnels de ces personnes au respect nationalité. Les personnes LGBTI étaient de leur vie privée et à la liberté d’expression. toujours victimes de discrimination. Ce ministre et le ministre des Affaires étrangères avaient affirmé que le groupe ÉVOLUTIONS LÉGISLATIVES, cherchait à déstabiliser le gouvernement et CONSTITUTIONNELLES OU soutenu que l’immunité parlementaire les INSTITUTIONNELLES autorisait à lire ces courriels confidentiels. La Le 7 juin, les Bahamiens se sont prononcés Cour suprême a considéré que l’immunité contre les modifications proposées lors d’un parlementaire était subordonnée à la référendum sur l’égalité des genres en suprématie de la Constitution et a ordonné la matière de nationalité au regard du droit destruction des courriels. On ne savait interne. Ces modifications, soutenues par le toujours pas à la fin de l’année comment le gouvernement, auraient renforcé les gouvernement se les était procurés. garanties contre les discriminations fondées En novembre, la Commission sur le sexe. interaméricaine des droits de l’homme a Les inégalités ont ainsi été maintenues octroyé des mesures conservatoires en faveur dans la législation des Bahamas, les hommes de membres du groupe de défense de et les femmes ne pouvant pas transmettre l’environnement dont la vie et l’intégrité leur nationalité à leurs enfants et à leur physique auraient été menacées en raison de conjoint dans les mêmes conditions. Le leurs activités de défense des droits humains. résultat du référendum mettait également en Le gouvernement a réagi en déclarant que danger les droits à la nationalité des familles, ces allégations de menaces étaient celles composées de membres de différentes mensongères. nationalités ou comprenant des enfants nés à

Amnesty International — Rapport 2016/17 99 Le gouvernement a conclu, également en BAHREÏN mai, un accord économique et commercial avec la Suisse qui contenait deux Royaume de Bahreïn mémorandums juridiquement non Chef de l’État : Hamad bin Issa al Khalifa contraignants relatifs au traitement des Chef du gouvernement : Khalifa bin Salman al Khalifa prisonniers et aux droits des femmes à Bahreïn. Le gouvernement des États-Unis a Les autorités ont renforcé les restrictions bloqué en septembre la vente à Bahreïn pesant sur la liberté d’expression et d’avions de chasse et de matériel connexe d’association et elles ont continué de dans l’attente d’améliorations de la situation limiter le droit de réunion pacifique. des droits humains. Plusieurs défenseurs des droits humains ont Bahreïn est resté membre de la coalition été arrêtés et inculpés tandis que d’autres internationale dirigée par l’Arabie saoudite ont fait l’objet d’interdictions de se rendre à engagée dans le conflit armé au Yémen (voir l’étranger. Le principal groupe d’opposition Yémen). a été dissous ; plus de 80 personnes ont Les autorités n’ont pas permis aux été déchues de leur nationalité bahreïnite représentants d’organisations internationales et quatre d’entre elles ont été expulsées. de défense des droits humains, y compris Cette année encore, des dirigeants de Amnesty International, de se rendre dans le l’opposition ont été incarcérés ; ces pays. hommes étaient des prisonniers d’opinion. De nouvelles informations ont fait état de LIBERTÉ D’EXPRESSION torture et de mauvais traitements ainsi que D’importantes restrictions ont continué de de procès inéquitables. Les femmes peser sur le droit à la liberté d’expression. continuaient de faire l’objet de Des défenseurs des droits humains et des discrimination dans la législation et dans la militants religieux qui avaient critiqué sur les pratique. Les travailleurs migrants ainsi que réseaux sociaux ou lors de rassemblements les lesbiennes, les gays et les personnes publics le gouvernement ainsi que les bisexuelles, transgenres ou intersexuées autorités saoudiennes et dénoncé les frappes étaient en butte à la discrimination. Aucune aériennes lancées au Yémen par les forces condamnation à mort n’a été prononcée et de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite aucune exécution n’a eu lieu. ont été arrêtés et poursuivis en justice. Des dirigeants de l’opposition condamnés les CONTEXTE années précédentes pour leurs activités Bahreïn est devenu partie en mars à la pacifiques ont été maintenus en détention ; Convention sur l’interdiction ou la limitation ces hommes étaient des prisonniers de l’emploi de certaines armes classiques d’opinion. [ONU]. Ebrahim Sharif, ancien secrétaire général En mai, le Comité international de de la Société nationale pour l’action coordination des institutions nationales pour démocratique (Waad), a été condamné par la promotion et la protection des droits de un tribunal en février à un an de prisont pour l’homme a accrédité l’Institution nationale « incitation à la haine et au mépris à l’égard des droits humains de Bahreïn avec un statut du régime ». Il a été remis en liberté en juillet B car elle n’était pas conforme aux Principes à l’expiration de sa peine. Sa condamnation à de Paris. L’un des motifs invoqués par le un an d’emprisonnement a été confirmée en Comité était que des représentants du novembre. Toujours en novembre, les gouvernement siégeaient au conseil autorités l’ont inculpé d’« incitation à la haine décisionnel de l’institution, ce qui portait à l’égard du régime » en raison de atteinte à son indépendance. commentaires qu’il avait faits dans une interview aux médias à propos de la visite du

100 Amnesty International — Rapport 2016/17 prince Charles dans le pays. Ces charges ont par le New York Times et dans une lettre été abandonnées au cours du même mois. publiée par le journal Le Monde. La militante Zainab al Khawaja a été Cette année encore, les autorités ont arrêtée en mars pour purger une peine imposé des restrictions aux médias. En cumulée de 37 mois d’emprisonnement février, le ministre de l’Information a interdit faisant suite à plusieurs condamnations, aux médias d’employer des journalistes notamment pour avoir déchiré des photos du considérés comme « insultant » Bahreïn ou roi. Son incarcération a été largement d’autres pays arabes ou du Golfe. décriée. Remise en liberté en mai pour « raisons humanitaires », Zainab al Khawaja LIBERTÉ D’ASSOCIATION a quitté Bahreïn par la suite. Les autorités ont renforcé les restrictions à la Un tribunal pénal a condamné en avril le liberté d’association. Cette année encore, des militant Saeed Mothaher Habib al Samahiji à dirigeants d’Al Wefaq et d’autres partis un an d’emprisonnement pour avoir critiqué d’opposition ont été emprisonnés, d’autres les autorités saoudiennes sur Twitter. ont subi un harcèlement consistant à les En mai, une cour d’appel a alourdi de convoquer plusieurs fois à des fins quatre à neuf ans la peine d’emprisonnement d’interrogatoire. prononcée en 2015 contre Sheikh Ali Al Wefaq a été suspendu et ses biens Salman, chef de file du principal parti saisis en juin. Les autorités ont obtenu en d’opposition, la Société islamique nationale Al juillet une décision de justice ordonnant sa Wefaq. La cour a annulé son acquittement de dissolution pour des infractions présumées à l’accusation d’incitation à promouvoir la la Loi relative aux associations politiques. réforme du système politique « par la force, la menace ou d’autres moyens illégaux ». LIBERTÉ DE RÉUNION Cette décision a été rejetée en octobre par la Tous les rassemblements publics dans la Cour de cassation, qui a renvoyé l’affaire capitale, Manama, sont demeurés interdits. devant la cour d’appel, laquelle a confirmé Des manifestations fréquentes, qui ont en décembre la peine de neuf ans parfois dégénéré en violences, se sont d’emprisonnement qu’elle avait prononcée poursuivies dans des villages chiites, tout initialement. particulièrement après la dissolution forcée En juin, le défenseur des droits humains d’Al Wefaq. Les forces de sécurité ont fait un Nabeel Rajab a été arrêté et inculpé de usage excessif de la force, notamment du « diffusion de fausses informations et de gaz lacrymogène et des tirs de grenaille, et rumeurs dans le but de discréditer l’État » elles ont arrêté de nombreux militants lors d’interviews à la télévision. Son procès religieux et d’autres manifestants, dont des pour avoir publié en 2015 des commentaires enfants. Au moins un policier et une femme sur Twitter dénonçant des actes de torture qui se trouvait sur place ont trouvé la mort au dans la prison de Jaww et critiquant les cours de violences liées aux manifestations. frappes aériennes menées au Yémen par la En janvier, les forces de sécurité ont coalition dirigée par l’Arabie saoudite a dispersé par la force des personnes qui commencé en juillet. En décembre, le protestaient contre l’exécution de Sheikh tribunal a ordonné sa remise en liberté sous Nimr al Nimr en Arabie saoudite. La police a caution alors que son procès était en cours, utilisé du gaz lacrymogène et des tirs de mais il a été immédiatement réarrêté aux fins grenaille et a arrêté des manifestants. d’enquête sur le chef d’inculpation initial En juin, les forces de sécurité ont bloqué pour lequel il avait été arrêté en juin. Nabeel l’accès au village de Duraz hormis pour les Rajab a également fait l’objet d’autres habitants après que des manifestants se sont poursuites pour des commentaires dans un rassemblés pour un sit-in devant le domicile article intitulé « Letter from a Bahraini du dignitaire chiite Sheikh Issa Qassem, que Jail » (Lettre d’une prison bahreïnite) publié les autorités avaient déchu de sa nationalité

Amnesty International — Rapport 2016/17 101 bahreïnite. Alors que le mouvement de terrorisme, entre autres infractions, lors de protestation continuait, de très nombreux leur interrogatoire par des agents de la manifestants ont été interpellés ou Direction des enquêtes criminelles. Des convoqués aux fins d’interrogatoire ; parmi procès inéquitables ont eu lieu. Les tribunaux eux figuraient au moins 70 religieux chiites et ont continué de condamner des personnes plusieurs défenseurs des droits humains, accusées d’actes de terrorisme sur la base dont certains ont été inculpés de d’« aveux » qui auraient été extorqués sous la « participation à un rassemblement illégal ». contrainte. Onze religieux chiites ont été condamnés à Des détenus des prisons de Dry Dock et des peines comprises entre un et deux ans de Jaww se sont plaints de mauvais d’emprisonnement pour le même motif. traitements, tels que le placement à l’isolement et l’insuffisance de soins DROIT DE CIRCULER LIBREMENT médicaux. Les autorités ont imposé des interdictions administratives qui ont empêché au moins IMPUNITÉ 30 défenseurs des droits humains et d’autres Le climat d’impunité a largement persisté détracteurs du gouvernement de se rendre à bien que le médiateur du ministère de l’étranger, notamment pour assister à des l’Intérieur et l’Unité spéciale d’enquêtes au sessions du Conseil des droits de l’homme sein du parquet aient poursuivi leurs [ONU] à Genève, en Suisse. Au moins 12 de investigations sur les violations des droits ces personnes ont par la suite été inculpées, humains qui auraient été commises par les entre autres de « participation à un forces de sécurité. Plusieurs membres rassemblement illégal ». subalternes des forces de sécurité ont été poursuivis, mais les officiers supérieurs n’ont Déchéance de la nationalité et expulsions pas été inquiétés. forcées Au cours de l’année, l’Unité spéciale Les autorités ont obtenu des décisions de d’enquêtes a recueilli au moins 225 plaintes justice qui ont privé de leur nationalité au et a déféré devant les tribunaux 11 membres moins 80 Bahreïnites déclarés coupables des forces de sécurité pour agression. Au d’infractions liées au terrorisme ; un grand moins quatre membres des forces de nombre d’entre eux sont de ce fait devenus sécurité ont été déclarés coupables et apatrides. En juin, le ministère de l’Intérieur a 12 autres au moins ont été acquittés. En également déchu de sa nationalité Sheikh janvier, la Cour d’appel a porté de deux à Issa Qassem, le chef spirituel d’Al Wefaq, qui sept ans les peines d’emprisonnement n’avait été déclaré coupable d’aucune prononcées contre deux policiers accusés infraction. Quatre Bahreïnites déchus de leur d’avoir causé la mort en garde à vue d’Ali nationalité, parmi lesquels figurait Taimoor Issa Ibrahim al Saqer en 2011. En mars, Karimi, un avocat spécialisé dans la défense elle a annulé le verdict d’acquittement des droits humains, ont été expulsés de force prononcé en faveur d’un policier et l’a par les autorités. Une cour d’appel a conclu condamné à trois ans d’emprisonnement en mars qu’Ibrahim Karimi, prisonnier pour l’homicide illégal de Fadhel Abbas d’opinion, devrait être expulsé de force de Muslim Marhoon en 2014. Bahreïn en 2018, à l’expiration de sa peine La Cour d’appel a confirmé en février de 25 mois d’emprisonnement. l’acquittement d’un policier dont les tirs à faible distance contre un manifestant TORTURE ET AUTRES MAUVAIS pacifique avaient été filmés en janvier 2015. TRAITEMENTS Elle a fait valoir qu’aucun élément ne Cette année encore, des actes de torture et confirmait la présence de la victime ni d’autres mauvais traitements ont été signalés, d’éventuelles blessures subies malgré en particulier sur des suspects d’actes de l’enregistrement vidéo. En mars, la cour a

102 Amnesty International — Rapport 2016/17 annulé les déclarations de culpabilité de trois policiers condamnés en 2015 pour avoir PEINE DE MORT causé la mort en garde à vue de Hassan La peine de mort était maintenue. Les Majeed al Shaikh en novembre 2014, et elle tribunaux n’ont pas prononcé de nouvelles a ramené de cinq à deux ans les peines condamnations à mort, mais la Cour de d’emprisonnement prononcées contre trois cassation a confirmé deux sentences autres policiers. capitales et annulé quatre autres condamnations à mort prononcées les DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET années précédentes, dont trois ont été de DES PERSONNES BISEXUELLES, nouveau imposées par la Cour d’appel. TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES Aucune exécution n’a eu lieu. Cette année encore, les autorités ont inculpé et incarcéré aux termes des dispositions du Code pénal relatives à la « débauche » et à l’« obscénité » des personnes qui avaient des BANGLADESH relations sexuelles avec des personnes de République populaire du Bangladesh même sexe. Chef de l’État : Abdul Hamid En janvier et en février, des tribunaux ont Chef du gouvernement : Sheikh Hasina rejeté les demandes introduites par trois Bahreïnites qui avaient subi des opérations Des groupes armés prétendant agir au nom de changement de sexe à l’étranger et de l’islam ont mené des attaques ciblées voulaient modifier leur genre sur leurs qui ont coûté la vie à plusieurs dizaines de papiers officiels. personnes, parmi lesquelles figuraient des En septembre, 28 hommes qui avaient étrangers, des défenseurs de la laïcité et assisté à une soirée privée au cours de des personnes LGBTI. La réaction du laquelle certains avaient porté des vêtements gouvernement a donné lieu à des violations féminins ont été déclarés coupables de des droits humains, notamment des « débauche » et d’« obscénité » et arrestations arbitraires, des disparitions condamnés à des peines comprises entre forcées, des homicides illégaux, des actes six mois et deux ans d’emprisonnement. En de torture et des mauvais traitements. Les novembre, une cour d’appel a ramené leurs restrictions pesant sur la liberté peines de un à trois mois d’emprisonnement. d’expression ont été renforcées : le gouvernement a appliqué des lois DROITS DES FEMMES répressives et engagé des poursuites Les femmes étaient exposées à des pénales contre des personnes qui le discriminations, dans la législation et dans la critiquaient. pratique. En mai, le Parlement a accepté d’abroger l’article 353 du Code pénal qui LIBERTÉ D’EXPRESSION permettait à un violeur d’échapper à une Les médias et les journalistes indépendants peine d’emprisonnement si sa victime ont été soumis à de fortes pressions de la consentait à l’épouser. part du gouvernement. Plusieurs journalistes ont fait l’objet de poursuites pénales DROITS DES TRAVAILLEURS MIGRANTS arbitraires, le plus souvent parce qu’ils Les travailleurs migrants étaient toujours en avaient critiqué dans leurs écrits la Première butte à l’exploitation et aux mauvais ministre Sheikh Hasina et sa famille, ou le traitements. En juillet, plus de gouvernement de la Ligue Awami. Des 2 000 travailleurs migrants ont participé à journalistes ont signalé une augmentation une manifestation pacifique pour protester des menaces émanant d’agents de l’État ou contre le non-paiement de leur salaire. des services de sécurité.

Amnesty International — Rapport 2016/17 103 En février, plus de 80 procédures Parlement, notamment un projet de loi sur la judiciaires ont été engagées pour sédition et sécurité numérique et une proposition de loi diffamation contre Mahfuz Anam, le relative à la négation des crimes commis rédacteur en chef du quotidien Daily Star. durant la guerre d’indépendance. Ces poursuites étaient liées au fait que le journaliste avait reconnu avoir publié, sous la DISPARITIONS FORCÉES pression d’agents du renseignement militaire, Les disparitions forcées se sont poursuivies à des allégations de corruption infondées un rythme alarmant ; les victimes étaient contre Sheikh Hasina lorsqu’elle avait été pour la plupart des sympathisants du Parti écartée du pouvoir sous le régime militaire nationaliste du Bangladesh et de la Jamaat- des années 1990. Tous les chefs e-Islami, deux partis d’opposition. Odhikar a d'inculpation ont été suspendus par la Haute signalé que l’on était sans nouvelles d’au Cour mais le parquet pourrait les réactiver à moins 90 personnes arrêtées par les forces l’avenir. Shafik Rehman, 82 ans, journaliste de sécurité durant l’année. En août, et sympathisant de l’opposition, a été arrêté Abdullahil Amaan Azmi, Mir Ahmed Bin en avril car il était soupçonné d’être impliqué Quasem et Hummam Qader Chowdhury, tous dans un complot présumé visant à « enlever trois fils d'éminents responsables de et tuer » Joy Wazed, le fils de la Première l’opposition, ont été arrêtés par des hommes ministre. Il a été remis en liberté sous caution en civil, dont certains ont indiqué être des en août après avoir été détenu pendant plus policiers. Les autorités continuaient de nier de quatre mois sans inculpation, dont toute responsabilité et les familles des plusieurs semaines à l’isolement. victimes n’étaient pas informées de l’endroit Cette année encore, le gouvernement a eu où se trouvaient les trois hommes. recours à toute une série de lois répressives en vue de restreindre largement la liberté EXACTIONS PERPÉTRÉES PAR DES d’expression. La Loi sur l’information et les GROUPES ARMÉS technologies de communication, qui limite de Au moins 32 personnes, dont des militants manière arbitraire l’expression en ligne, a été en faveur de la laïcité, des personnes LGBTI de plus en plus utilisée. Selon l’organisation et des membres des minorités religieuses, de défense des droits humains Odhikar, au ont été tuées dans des attaques ciblées moins 35 personnes ont été arrêtées au titre menées par des groupes armés. Ces de cette loi en 2016, contre 33 en 2015 et attaques ont été revendiquées par la Jamaat- 14 en 2014. Des journalistes et des militants, ul-Mujahideen Bangladesh et Ansar al Islam, entre autres, ont été pris pour cible. Parmi deux groupes qui auraient fait allégeance ces personnes figurait le militant étudiant respectivement au groupe armé État Dilip Roy, interpellé en septembre pour avoir islamique (EI) et à Al Qaïda. En avril, critiqué la Première ministre sur Facebook. Il Nazimuddin Samad a été tué à coups de a été remis en liberté sous caution le machette. Il s’agissait du sixième militant en 17 novembre. faveur de la laïcité mort ainsi dans une Le Parlement a adopté en octobre la Loi attaque ciblée en moins de deux ans. Xulhaz relative à la réglementation des dons Mannan, rédacteur en chef de Roopbaan, le provenant de l’étranger (activités bénévoles) seul magazine de la communauté LGBTI du et ainsi renforcé considérablement le contrôle Bangladesh, également défenseur bien du gouvernement sur les ONG. Celles-ci connu des droits des LGBTI, et son ami étaient désormais menacées de radiation si Tanay Mojumdar ont été tués par des elles faisaient des commentaires « hostiles » individus non identifiés. De nombreux ou « désobligeants » envers la Constitution défenseurs des droits humains qui ont été ou des organes constitutionnels. Plusieurs menacés par des groupes similaires ont autres textes législatifs portant atteinte à la déclaré que la police ne les protégeait pas liberté d’expression ont été soumis au suffisamment ; d’autres hésitaient à

104 Amnesty International — Rapport 2016/17 s’adresser à la police car ils craignaient d’être coupables de crimes de guerre et de crimes inculpés ou harcelés. contre l’humanité par le Tribunal pour les En juillet, des hommes armés appartenant crimes de droit international, ont été exécutés à la Jamaat-ul-Mujahideen Bangladesh ont en mai et en septembre, respectivement. Le fait irruption dans un restaurant de Dacca, la 23 août, un groupe d’experts des droits capitale, et tué au moins 22 personnes, dont humains des Nations unies avait fait part de 18 étrangers. La police a réagi en ses préoccupations quant à l’équité des déclenchant une répression « antiterroriste » procès qui se déroulent devant ce tribunal. Il sévère. Au moins 15 000 personnes ont été avait exhorté le gouvernement à annuler la arrêtées. Des groupes de défense des droits condamnation à mort de Mir Quasem Ali et à humains craignaient que plusieurs milliers le rejuger, faisant valoir que la procédure d’entre elles soient des sympathisants de appliquée était « entachée d’irrégularités ». l’opposition arrêtés pour des motifs politiques. Selon la police, au moins TORTURE ET AUTRES MAUVAIS 45 « terroristes » présumés ont trouvé la mort TRAITEMENTS dans des fusillades au cours des mois qui ont Des actes de torture et des mauvais suivi l’attaque de juillet. Deux des otages qui traitements étaient régulièrement infligés aux avaient survécu à l’attaque ont été arrêtés et personnes placées en garde à vue ; les détenus au secret pendant plusieurs plaintes pour torture faisaient rarement l’objet semaines avant d’être présentés devant un d’une enquête. La Loi de 2013 relative à la tribunal le 4 août. L’un d’eux, Hasnat Karim, torture et à la mort en détention (prévention) était maintenu en détention sans inculpation était peu appliquée, du fait d’un manque de à la fin de l’année. volonté politique et de l’absence de sensibilisation des responsables de PEINE DE MORT l’application des lois. Des groupes de défense De très nombreuses condamnations à mort des droits humains ont accusé plusieurs ont été prononcées et plusieurs exécutions branches des forces de sécurité – dont la ont eu lieu. police et le Bataillon d’action rapide – d’actes Un activiste présumé, déclaré coupable du de torture et de mauvais traitements. La meurtre d’un juge commis en 2005, a été torture était utilisée pour arracher des exécuté en octobre. Le gouvernement a « aveux », comme méthode d’extorsion, ou annoncé par la suite l’accélération des pour punir des opposants politiques. procès de personnes accusées d’infractions au titre de la Loi antiterroriste et qui CHITTAGONG HILL TRACTS pourraient encourir la peine de mort. Il a En septembre, la police a demandé à un précisé qu’au moins 64 personnes tribunal de clôturer pour manque de preuves condamnées au titre de cette loi depuis 1992 l’enquête sur la disparition dans les étaient sous le coup d’une sentence capitale. Chittagong Hill Tracts, une région du sud-est Le Tribunal pour les crimes de droit du pays, de Kalpana Chakma, une international, une juridiction bangladaise défenseure des droits des autochtones créée pour enquêter sur les événements de enlevée en 1996. Les restrictions imposées la guerre d’indépendance, en 1971, a par le gouvernement aux personnes qui prononcé six condamnations à mort, peut- souhaitaient se rendre dans les Chittagong être plus. Les procédures ont été entachées Hill Tracts ou entrer en contact avec les de graves irrégularités et de violations du populations « tribales » qui y vivent étaient droit à un procès équitable, telles que la toujours en vigueur, ce qui constituait une limitation arbitraire du nombre de témoins limitation arbitraire du droit à la liberté pouvant être cités par la défense. Motiur d’expression des journalistes et des Rahman Nizami et Mir Quasem Ali, deux organisations de défense des droits humains. cadres de la Jamaat-e-Islami déclarés Les femmes et les filles de cette région

Amnesty International — Rapport 2016/17 105 étaient en butte à de multiples formes de exécutées et quatre autres ont été discrimination et de violence. Elles étaient condamnées à mort. notamment victimes de viols et de meurtres en raison de leur genre, de leur identité CONTEXTE autochtone et de leur statut socio- Le 28 février, l’Union européenne (UE) a levé économique. Cette année encore, les les sanctions qu’elle avait prises contre des victimes de violences liées au genre ont été individus et des entités du Bélarus, à privées d’accès à la justice en raison des l’exception de celles qui concernaient quatre pressions visant à leur faire accepter un anciens responsables soupçonnés d’être règlement à l’amiable, de la non-disponibilité impliqués dans des disparitions forcées des juges et d’autres lenteurs survenues en 1999 et 2000. bureaucratiques. Le 1er juillet, le gouvernement a, entre autres mesures, procédé à une dévaluation VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ET du rouble bélarussien, dont la valeur AUX FILLES nominale a été divisée par 10 000. Le Selon des groupes de défense des droits Bélarus espérait ainsi répondre à la humains, le taux de condamnation pour viol contraction de son économie, en partie due restait extrêmement bas, essentiellement du au ralentissement de l’activité en Russie, son fait de l’absence d’enquêtes sérieuses dans principal partenaire commercial. un délai raisonnable. De nombreuses Toujours en juillet, le mandat du femmes et filles hésitaient à dénoncer un viol rapporteur spécial des Nations unies sur la aux autorités par peur d’être stigmatisées et situation des droits de l'homme au Bélarus, harcelées par la police. L’organisation de poste créé en 2012 par le Conseil des droits défense des droits humains Ain o Salish de l'homme, a été prolongé d’un an. Kendra a confirmé que 671 cas de viol Des élections législatives ont eu lieu en avaient été signalés dans les médias et que le septembre, sur fond de sévère répression nombre réel était probablement beaucoup des libertés de la presse indépendante et de plus élevé. En mars, le viol suivi du meurtre l’opposition politique. Seuls deux candidats de Tonu, 19 ans, a provoqué l’indignation considérés comme favorables à l’opposition générale et des manifestations massives. Des ont été élus. militants ont affirmé que la police avait La première stratégie nationale en matière retardé délibérément l’enquête et exercé des de droits humains a été adoptée le pressions sur la famille de la victime pour 24 octobre. Elle présentait un certain nombre qu’elle fasse de fausses déclarations. de réformes législatives, dont aucune ne concernait la peine de mort, tout en promettant « d’examiner » l’intérêt que le Bélarus pourrait avoir à adhérer à la BÉLARUS Convention européenne des droits de République du Bélarus l’homme, ainsi que la possibilité de mettre en Chef de l’État : Alexandre Loukachenko place un organisme national de protection Chef du gouvernement : Andreï Kobiakov des droits humains.

Les droits à la liberté d’expression, PEINE DE MORT d’association et de réunion pacifique ont Siarhei Ivanou a été exécuté le 18 avril, alors cette année encore fait l’objet qu’un recours avait été introduit en son nom d’importantes restrictions. Le gouvernement devant le Comité des droits de l'homme des refusait toujours de coopérer avec le Nations unies. Il s’agissait de la première rapporteur spécial des Nations unies sur la exécution au Bélarus depuis 20141. situation des droits de l'homme au Bélarus. Siarhei Khmialeuski, Ivan Kulesh et Au moins quatre personnes ont été Hyanadz Yakavitski ont été exécutés aux

106 Amnesty International — Rapport 2016/17 alentours du 5 novembre. Les condamnés à permettait aux autorités d’avoir directement mort étaient généralement exécutés au accès aux communications téléphoniques et Bélarus dans le plus grand secret, sans que Internet des citoyens, ainsi qu’aux données leur famille soit avertie. La Cour suprême a les concernant. Le fait de se savoir rejeté le 4 octobre l’appel interjeté par Siarhei potentiellement sous surveillance empêchait Vostrykau2. Ce dernier attendait à la fin de les défenseurs des droits humains, et plus l’année l’issue de son recours en grâce. Sur généralement les militants de la société civile plus de 400 recours déposés depuis 1994, la ou des formations politiques, ainsi que les grâce n’avait été accordée qu’une seule fois journalistes, d’exercer leurs droits par le chef de l’État. fondamentaux, et notamment leurs droits à la liberté d’association, de rassemblement LIBERTÉ D’EXPRESSION pacifique et d’expression3. Le droit à la liberté d'expression était toujours sévèrement limité par la Loi relative aux LIBERTÉ D’ASSOCIATION médias, qui soumettait de fait tous les Les ONG et les partis politiques étaient organes de presse au contrôle de l’État. Les toujours en butte à des contraintes journalistes bélarussiens travaillant pour la injustifiées, comme le fait d’être obligés presse étrangère étaient toujours tenus d’obtenir l’agrément officiel des autorités. Les d’obtenir une accréditation officielle, qui leur demandes d’agrément étaient souvent était fréquemment délivrée avec retard, voire rejetées de façon arbitraire, pour des points refusée arbitrairement. de détail, voire sans explication véritable. Aux Connu pour son blog politique critique à termes de l’article 193.1 du Code pénal, la l’égard des autorités bélarussiennes et création d’une organisation non agréée, ou le russes, Eduard Palchys, qui réside en fait de participer aux activités d’une telle Ukraine, a été arrêté en janvier alors qu’il organisation, constituait toujours une était de passage à Briansk, en Russie. Il a été infraction passible d’une peine pouvant placé en détention provisoire par les pouvoirs atteindre deux ans d’emprisonnement. publics russes, avant d’être finalement Les anciens prisonniers d'opinion Mikalai extradé le 7 juin vers le Bélarus et de Statkevich et Yury Rubtsou, ainsi que quatre nouveau placé en détention. Il a été reconnu autres militants, étaient soumis à des coupable le 28 octobre d’« incitation à la restrictions, imposées lors de leur remise en haine raciale, nationale ou religieuse » et de liberté anticipée en 2015. « diffusion de pornographie ». Il a été dispensé de peine d’emprisonnement au vu LIBERTÉ DE RÉUNION du temps qu’il avait déjà passé en détention La Loi relative aux événements de grande avant son procès. Il a été remis en liberté à ampleur, qui interdisait tout rassemblement l’énoncé du verdict. Les audiences se sont ou toute manifestation publique non toutes tenues à huis clos, mais le jugement a autorisés par les pouvoirs publics, était été prononcé lors d’une séance publique. toujours en vigueur. Le militant de la société civile Pavel SURVEILLANCE Vinahradau a été placé sous « surveillance Le cadre juridique dans lequel s’exerçait la préventive » du 7 juin au 13 septembre pour surveillance secrète au Bélarus permettait avoir participé à quatre manifestations aux pouvoirs publics de se livrer à de pacifiques « non autorisées »4. multiples activités d’espionnage de la population sans avoir, la plupart du temps, à ÉVOLUTIONS LÉGISLATIVES, se justifier. Le système SORM (Système CONSTITUTIONNELLES OU informatique pour les opérations de INSTITUTIONNELLES recherche), dispositif légal d’interception de L’administration fiscale a indiqué en octobre toutes les communications électroniques, avoir envoyé une mise en demeure à plus de

Amnesty International — Rapport 2016/17 107 72 900 personnes tenues d’acquitter une de sécurité annoncées après les attentats de taxe spéciale, aux termes d’un décret Paris (France) en 2015. présidentiel de 2015 sur « la prévention de la Les autorités ont encore élargi le champ dépendance sociale », parce qu’elles avaient d’application des dispositions concernant les été sans emploi plus de 183 jours au cours infractions terroristes, assoupli les garanties de l’année fiscale. Le non-paiement de cette procédurales et adopté de nouvelles taxe était passible d’une amende ou d’une politiques pour lutter contre la mesure « d’arrestation administrative », « radicalisation ». Certaines mesures étaient assortie de travaux d’intérêt général préoccupantes au regard du principe de susceptibles de constituer une forme de légalité, notamment en ce qui concerne la travail forcé. clarté de la loi, et du respect des libertés d’association et d’expression. En février, le gouvernement fédéral a 1. Bélarus. Amnesty International déplore l’exécution de Siarheï Ivanou (EUR 49/4014/2016) annoncé la nouvelle stratégie « Plan Canal », 2. Bélarus. Le dernier condamné à mort est en danger destinée à lutter contre la radicalisation dans (EUR 49/5274/2016) ; Bélarus. La condamnation à mort de Guennadi plusieurs communes de la région de Iakovitski confirmée (EUR 49/3890/2016) Bruxelles. Dans ce cadre, il était notamment 3. « Il suffit que les gens pensent que ça existe ». Société civile, culture prévu de déployer un nombre accru de du secret et surveillance au Bélarus – Synthèse et recommandations policiers et de renforcer les contrôles (EUR 49/4306/2016) administratifs sur les associations. 4. Bélarus. Un militant condamné arbitrairement pour avoir participé à En avril, le gouvernement fédéral a décidé une manifestation pacifique (EUR 49/4317/2016) de créer une base de données pour faciliter le partage d’informations entre les services gouvernementaux au sujet des personnes BELGIQUE soupçonnées de s’être rendues à l’étranger pour commettre des infractions terroristes. Royaume de Belgique En juillet, il a annoncé une base de données Chef de l’État : Philippe similaire pour les « prédicateurs de haine ». Chef du gouvernement : Charles Michel En décembre, le Parlement a adopté une loi destinée à élargir les pouvoirs de surveillance Les autorités ont adopté un nouvel arsenal de la police. de lois et politiques après les attentats En juillet, le Parlement fédéral a étendu la commis dans la capitale, Bruxelles, en disposition relative à l’incitation à commettre mars. Les organisations de la société civile une infraction terroriste et assoupli les ont continué à recevoir des informations restrictions qui s’appliquaient à la détention faisant état de la pratique du profilage provisoire des suspects d’infraction terroriste. ethnique par la police. Les conditions de En décembre, le Parlement a adopté une loi détention demeuraient mauvaises ; la Cour érigeant en infraction la préparation d’actes européenne des droits de l’homme a de terrorisme et une autre sur la conservation critiqué la Belgique pour son traitement des des données relatives aux passagers. délinquants souffrant de troubles mentaux. Malgré l’engagement pris par le gouvernement en mai, dans le cadre de LUTTE CONTRE LE TERRORISME ET l’Examen périodique universel [ONU], de SÉCURITÉ veiller à ce que les mesures de lutte contre le Le 22 mars, trois individus ont tué terrorisme respectent les droits humains, peu 32 personnes et en ont blessé des centaines d’initiatives ont été prises pour évaluer d’autres dans deux attentats-suicides l’incidence des nouvelles mesures sur les coordonnés à Bruxelles. Au lendemain de droits de la personne. ces attentats, les autorités ont renforcé la mise en œuvre du large éventail de mesures

108 Amnesty International — Rapport 2016/17 d’armes aux parties impliquées dans le CONDITIONS DE DÉTENTION conflit au Yémen, et en particulier à l’Arabie Les conditions de détention restaient peu Saoudite. En 2014 et 2015, ce pays aurait satisfaisantes en raison de la surpopulation, été de loin le plus gros destinataire des de la vétusté des équipements et du manque armes autorisées à l’exportation par la Région d’accès aux services de base, notamment wallonne. aux soins de santé. En avril, les conditions carcérales et l’accès des détenus aux soins VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ET de santé se sont encore détériorés sous l’effet AUX FILLES d’une grève du personnel pénitentiaire, qui a En mars, la Belgique a ratifié la Convention duré trois mois. du Conseil de l’Europe sur la prévention et la Malgré l’entrée en vigueur de lutte contre la violence à l’égard des femmes modifications législatives positives en et la violence domestique (Convention octobre, de nombreux délinquants souffrant d’Istanbul). En juin, les autorités ont adopté de troubles mentaux restaient détenus dans une nouvelle politique contraignante qui les prisons ordinaires, sans pouvoir bénéficier élève la lutte contre la violence liée au genre de soins et de traitements suffisants. En et la violence domestique au rang de priorité septembre, la Cour européenne des droits de pour la police et le parquet. l’homme a conclu, dans l’affaire W.D. En mai, l’Institut national de c. Belgique, que la détention de délinquants criminalistique et de criminologie a indiqué atteints de troubles mentaux sans accès à que 70 % des actes de violence domestique des soins adéquats demeurait un problème signalés n’avaient pas donné lieu à des structurel. Elle a ordonné au gouvernement poursuites pénales et que la politique d’adopter des réformes structurelles dans un judiciaire actuelle n’était pas efficace pour délai de deux ans. réduire le taux de récidive en matière de violence domestique. DISCRIMINATION En avril, Unia, l’organisme belge chargé de la promotion de l’égalité, a fait état d’une augmentation de la discrimination envers les BÉNIN personnes de confession musulmane à la République du Bénin suite des attentats de Bruxelles, en particulier Chef de l’État et du gouvernement : Patrice Athanase dans le domaine de l’emploi. D’après Guillaume Talon (a remplacé Thomas Boni Yayi en plusieurs personnes et organisations de la mars) société civile, la police aurait eu recours au profilage ethnique contre les minorités Les droits à la liberté d’expression et de ethniques et religieuses. réunion pacifique sont restés soumis à des Le gouvernement a approuvé le restrictions. La police a fait usage d’une 9 décembre un projet de loi visant à modifier force excessive contre des manifestants la législation sur la reconnaissance du genre pacifiques, causant la mort d’au moins une à l’état civil. Si elle était adoptée, cette loi personne. Les prisons étaient toujours permettrait aux personnes transgenres de surpeuplées. faire modifier leur genre à l’état civil sur la seule base de leur consentement éclairé, CONTEXTE sans avoir à remplir aucune condition d’ordre Patrice Talon a été élu président en mars. Le médical. Bénin est devenu le huitième État membre de l’UA à autoriser les ONG et les particuliers COMMERCE DES ARMES à saisir directement la Cour africaine des Les gouvernements régionaux continuaient droits de l’homme et des peuples. d’accorder des autorisations de vente

Amnesty International — Rapport 2016/17 109 Conseil des ministres a interdit toutes les LIBERTÉ D’EXPRESSION ET DE activités des associations sur les campus. RÉUNION En novembre, la Haute Autorité de Les autorités ont continué d’imposer des l’audiovisuel et de la communication a pris la restrictions arbitraires à la liberté de réunion, décision arbitraire de fermer sept médias notamment en interdisant plusieurs privés. manifestations organisées par des groupes de l’opposition, en prenant des mesures de HOMICIDES ILLÉGAUX représailles contre des organisateurs de Le caporal Mohamed Dangou a été abattu en manifestations pacifiques et en ayant recours janvier par un membre des services de à une force arbitraire et excessive contre des sécurité dans une base militaire de Cotonou. manifestants. Selon un témoignage, il n’était pas armé. Il En janvier et février, à l’approche de était sur le point d’être arrêté dans le cadre l’élection présidentielle, les autorités ont d’une enquête sur une manifestation à interdit au moins trois manifestations laquelle il avait participé avec d’autres pacifiques organisées par des formations de militaires servant en Côte d’Ivoire. Les l’opposition. Les sympathisants du parti au manifestants réclamaient le paiement de leur pouvoir ont en revanche été autorisés à solde. La Cour constitutionnelle a estimé, en défiler. juillet, que les forces armées avaient violé le Les autorités ont interdit, en février, une droit à la vie de Mohamed Dangou. marche organisée par des groupes de défense des droits humains pour protester CONDITIONS CARCÉRALES contre l’homicide illégal d’un militaire. Le Sous-comité pour la prévention de la En mars, les forces de sécurité ont abattu torture [ONU] a effectué une visite inopinée un homme et blessé par balle neuf autres au Bénin en janvier. Ses représentants ont personnes, dont deux enfants, lors d’une conclu que les centres de détention étaient manifestation à Bantè, dans le département « surpeuplés et manquaient de personnel des Collines. Des témoins ont indiqué que la pénitentiaire adéquat ainsi que d’autres manifestation se déroulait globalement dans ressources ». Au mois de septembre, la le calme jusqu’à ce que les forces de sécurité prison de Cotonou comptait 1 137 détenus, commencent à lancer des grenades alors que sa capacité d’accueil était de lacrymogènes dans la foule et à tirer à balles 500 personnes. réelles. L’Assemblée nationale a adopté un texte En juillet, les forces de sécurité ont utilisé de loi sur le travail d’intérêt général, qui des gaz lacrymogènes et des matraques pour pourrait permettre de désengorger les prisons disperser une manifestation pacifique en remplaçant la détention par des peines d’étudiants à Cotonou. Une vingtaine de non privatives de liberté. personnes ont été blessées. Au moins neuf étudiants ont été arrêtés à la suite des DROITS DES ENFANTS rassemblements étudiants et maintenus en Dans ses observations finales relatives au détention pendant plusieurs semaines, avant Bénin, rendues publiques en février, le d’être relâchés. Vingt et un étudiants Comité des droits de l’enfant [ONU] a soupçonnés d’y avoir participé se sont vu notamment exprimé sa préoccupation quant infliger l’interdiction de s’inscrire à l’université aux meurtres d’enfants nés avec un pendant une période de cinq ans. En août, handicap et à la persistance de certaines l’université a décidé d’invalider l’année pratiques néfastes, telles que les mutilations universitaire pour tous les étudiants de la génitales féminines, en augmentation, et les faculté dans laquelle la plupart des mariages précoces et forcés. Le Comité a manifestants étaient inscrits. En octobre, le souligné qu’un nombre élevé de jeunes filles mouraient des suites d’un avortement illégal

110 Amnesty International — Rapport 2016/17 et a recommandé au gouvernement de veiller à ce que le droit des filles à l’éducation et à IMPUNITÉ l’information ainsi que leur accès à des La Bolivie n’avait toujours pas mis en place produits contraceptifs de bonne qualité de Commission vérité, justice et réconciliation soient garantis. pour les crimes commis sous les gouvernements militaires, alors qu’elle s’y PEINE DE MORT était engagée lors d’une audience publique En janvier, la Cour constitutionnelle a acté devant la Commission interaméricaine des l’abolition de la peine de mort en affirmant droits de l’homme en mars 2015. dans une décision qu’« aucune personne ne peut plus désormais être condamnée au DROITS DES PERSONNES HANDICAPÉES Bénin à une peine capitale ». Le En septembre, le Comité des droits des gouvernement n’avait toutefois toujours pas personnes handicapées [ONU] a publié son adopté de dispositions supprimant ce rapport sur la Bolivie. Il a notamment châtiment de la législation nationale. recommandé à la Bolivie d’améliorer et d’adapter ses mécanismes et procédures de façon à garantir l’accès à la justice aux personnes handicapées, ainsi que de mettre BOLIVIE fin aux stérilisations de personnes État plurinational de Bolivie handicapées pratiquées sans leur Chef de l’État et du gouvernement : Evo Morales Ayma consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause.

Il n’existait toujours pas de Commission LIBERTÉ DE RÉUNION vérité, justice et réparation pour les En juin, des manifestations pacifiques violations des droits humains et les crimes organisées par des personnes handicapées de droit international perpétrés sous les demandant à bénéficier d’une allocation régimes militaires (1964-1982). mensuelle d’invalidité ont été réprimées par L’obligation de consultation des peuples la police au moyen de gaz lacrymogène. Des indigènes en vue d’obtenir leur informations faisant état d’un recours consentement libre, préalable et éclairé excessif à la force pour réprimer ces n’aurait pas été respectée dans le cadre de manifestations sont parvenues en août au projets d’exploration pétrolière en Comité des droits des personnes Amazonie. Des progrès ont été réalisés en handicapées, qui a exhorté les autorités matière de protection des droits des boliviennes à mener une enquête impartiale personnes LGBTI et des droits sexuels et et complète sur ces événements. reproductifs. Les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires DROITS DES PEUPLES AUTOCHTONES demeuraient un motif de préoccupation. En mars, des dirigeants de populations indigènes amazoniennes et le Centre de CONTEXTE documentation et d’information de la Bolivie En août, le vice-ministre de l’Intérieur Rodolfo ont dénoncé le non-respect du principe du Illanes a été tué au cours d’un mouvement consentement libre, préalable et éclairé dans de protestation organisé par des mineurs. Les le cadre de projets d’exploration pétrolière manifestants s’opposaient à une réforme de prévus sur des terres appartenant à des la Loi sur les coopératives minières, qui peuples indigènes. garantit notamment le droit de se syndiquer.

Amnesty International — Rapport 2016/17 111 surpopulation carcérale et de corruption au DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET sein du système pénitentiaire, ainsi que les DES PERSONNES BISEXUELLES, violations des droits humains que continuent TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES de subir les personnes privées de liberté. La chambre basse du Congrès a adopté en mars une Loi relative à l’identité de genre, qui établissait des procédures administratives permettant aux personnes transgenres âgées BOSNIE- de plus de 18 ans de faire modifier leur nom, leur sexe et leur photo sur les documents HERZÉGOVINE officiels. En septembre, le médiateur a approuvé Bosnie-Herzégovine Chef de l’État : une présidence tripartite est exercée une proposition de loi qui autoriserait le par Bakir Izetbegović, Dragan Čović, Mladen Ivanić mariage entre deux personnes de même sexe Chef du gouvernement : Denis Zvizdić et permettrait aux personnes LGBTI de bénéficier des mêmes droits que les autres couples en matière de services de santé et Les minorités vulnérables faisaient l’objet de sécurité sociale. Le texte devait être de discriminations généralisées, malgré soumis à l’Assemblée législative l’adoption d’une loi progressiste destinée à plurinationale avant la fin de l’année. lutter contre ces pratiques. Les journalistes et la liberté de la presse étaient toujours en DROITS SEXUELS ET REPRODUCTIFS butte à des menaces et à des agressions. Le En août, le ministère de la Santé et Tribunal pénal international pour l’ex- l’université de San Andrés ont lancé le Yougoslavie (TPIY) a rendu plusieurs premier Observatoire de la mortalité verdicts concernant des crimes perpétrés maternelle et néonatale. Celui-ci a pour pendant le conflit de 1992-1995. Au mission de surveiller la mortalité maternelle niveau national, les victimes civiles de la et infantile, dont le taux est élevé en Bolivie, guerre n’avaient toujours qu’un accès limité et de la faire reculer. Le ministère de la Santé à la justice et aux réparations. a également annoncé l’élaboration d’un projet de loi visant à garantir un accès en CONTEXTE temps voulu au planning familial. La Bosnie-Herzégovine a déposé en février une demande d’adhésion à l’Union LIBERTÉ D’ASSOCIATION européenne (UE), qui a été acceptée en Une requête contestant la constitutionnalité septembre. de deux articles de la Loi relative à l’octroi de Les autorités de la Republika Srpska (RS), la personnalité juridique et de ses règlements l’une des deux entités constitutives de la a été rejetée par la Cour constitutionnelle en Bosnie-Herzégovine, ont refusé d’appliquer juillet. Cette requête avait été présentée par une décision de la Cour constitutionnelle de le médiateur au motif que la loi était Bosnie-Herzégovine, qui estimait que la Loi susceptible de bafouer le droit à la liberté de la RS sur les jours fériés (qui faisait du d’association en vue de la création d’ONG ou 9 janvier la fête nationale de la Republika de fondations. En octobre, quatre ONG ont Srpska) était inconstitutionnelle et introduit une requête auprès de la discriminatoire à l’égard des non-Serbes Commission interaméricaine des droits de vivant dans l’entité. l'homme concernant cette loi. Les élections municipales qui se sont déroulées dans tout le pays en octobre ont CONDITIONS CARCÉRALES été marquées par une montée des discours Le médiateur a publié en juin un rapport nationalistes. Les chiffres du premier dénonçant les graves problèmes de recensement réalisé depuis la guerre, en

112 Amnesty International — Rapport 2016/17 2013, ont été publiés en juin. La RS a Les personnes LGBTI étaient confrontées à toutefois contesté la méthodologie utilisée des discriminations et à des manœuvres pour ce recensement, ainsi que ses résultats. d’intimidation permanentes. Plusieurs organisations de la société civile ont relevé DISCRIMINATION des cas d’agressions verbales ou physiques Le Conseil des ministres a adopté en avril son et de discrimination. La plupart de ces faits premier Plan d’action pour la prévention de n’ont fait l’objet d’aucune enquête sérieuse. la discrimination. En juin, l’Assemblée En mars, un groupe de jeunes gens a fait parlementaire de la Bosnie-Herzégovine s’est irruption dans un café-cinéma fréquenté par prononcée en faveur d’un certain nombre de la communauté LGBTI de Sarajevo, la modifications de la Loi sur la prévention de la capitale, et s’en est violemment pris aux discrimination. Bien accueillie en général par clients. Plusieurs personnes ont été blessées. la société civile, la loi modifiée dressait la liste Pourtant, la police a considéré l’incident des motifs de discrimination prohibés (dont comme constituant un délit mineur. De la l’orientation sexuelle) et élargissait même façon, les auteurs de l’attaque menée considérablement la notion d’incitation à la en 2014 contre les organisateurs du Festival discrimination, qui ne portait jusque-là que du film queer Merlinka n’ont jamais été sur des critères d’appartenance ethnique, de inculpés. L’édition 2016 de cette religion ou de nationalité. manifestation artistique s’est déroulée sous Le Parlement de la Fédération de Bosnie- haute protection policière. Herzégovine – l’autre entité constitutive de la L'arrêt rendu en 2009 par la Cour Bosnie-Herzégovine – a adopté plusieurs européenne des droits de l'homme dans modifications du Code pénal de l'entité, l'affaire Sejdić-Finci c. Bosnie-Herzégovine, faisant des crimes de haine des infractions à qui concluait que les dispositions sur le part entière. Les motifs permettant de partage du pouvoir énoncées dans la qualifier une infraction de crime de haine Constitution étaient discriminatoires, est resté étaient nombreux, mais les peines prescrites lettre morte. En vertu de ces dispositions, les pour l’incitation à la haine, aux discours de citoyens qui refusaient de déclarer leur haine et à la violence se limitaient aux actes appartenance à l’un des trois peuples fondés sur la nationalité, l’appartenance constitutifs de la Bosnie-Herzégovine (les ethnique ou la religion des personnes et Bosniaques, les Croates et les Serbes) ne n’incluaient pas les discours de haine visant pouvaient pas être candidats à des fonctions d’autres groupes marginalisés. législatives ou exécutives. L’exclusion et la discrimination demeuraient des phénomènes très répandus, LIBERTÉ D’EXPRESSION touchant notamment les Roms et les Les journalistes ont cette année encore fait personnes LGBTI. Bien que le nombre de l’objet de menaces, de pressions politiques et Roms dépourvus de papiers d’identité ait d’agressions. L’Association des journalistes a diminué et que leur accès au logement se recensé des attaques répétées contre des soit légèrement amélioré, les Roms étaient professionnels de la presse, ainsi que des toujours confrontés à des barrières remises en cause de la liberté d'expression et structurelles qui les empêchaient d’accéder à de l’intégrité des médias. l’éducation, aux services de santé et à l’emploi. La Stratégie nationale d’intégration CRIMES DE DROIT INTERNATIONAL des Roms et le Plan d’action l’accompagnant Le TPIY a rendu son verdict en première sont arrivés à leur terme en 2016, sans que instance dans plusieurs affaires mettant en bon nombre des objectifs fixés aient été cause de hauts responsables pour leur rôle atteints. Le Conseil des ministres a réaffecté présumé dans des crimes commis lors du une partie des fonds initialement destinés à conflit de 1992-1995. En mars, il a déclaré financer la mise en œuvre du Plan d’action. Radovan Karadžić, président de la RS

Amnesty International — Rapport 2016/17 113 pendant la guerre, coupable de génocide, de possibilité pour les victimes de solliciter et crimes de guerre et de crimes contre d’obtenir une indemnisation. l’humanité, et l’a condamné à 40 ans Les corps de plus de 75 % des personnes d’emprisonnement. Toujours au mois de ayant disparu pendant la guerre ont été mars, le TPIY a déclaré Vojislav Seselj, leader exhumés et identifiés. Quelque du Parti radical serbe, non coupable des 8 000 personnes étaient cependant toujours crimes contre l’humanité et des crimes de manquantes depuis le conflit. Les opérations guerre dont il était accusé. d’exhumation se heurtaient à des problèmes Le manque de moyens et de ressources, considérables, liés notamment à la baisse du ainsi qu’une mauvaise gestion des dossiers et financement de l’Institut pour les personnes des manœuvres persistantes d’obstruction de manquantes et au manque de compétences la part du pouvoir politique, ont cette année en la matière au niveau national. La Loi sur encore ralenti l’action de la justice et l’accès les personnes manquantes n’était toujours des victimes à des recours devant les pas appliquée et le Fonds pour les familles tribunaux nationaux. Une étude des personnes manquantes n’avait toujours indépendante commandée par l’OSCE et pas été créé. parue en juillet a montré que la Stratégie nationale relative aux crimes de guerre n’avait pas atteint ses objectifs, et que plus de 350 affaires complexes attendaient BOTSWANA toujours d’être traitées par la Cour d’État et République du Botswana les services du parquet. Chef de l’État et du gouvernement : Seretse Khama Ian En dépit des engagements pris par les Khama autorités, l’adoption de la Loi sur la protection des victimes de la torture était toujours au Les droits à la liberté d’expression et de point mort, de même que l’harmonisation des réunion ont fait l’objet de restrictions. Des lois relatives aux entités censées garantir les réfugiés ont vu leurs droits bafoués. Les droits des victimes civiles de la guerre et personnes LGBTI ont continué d’être en destinées à leur permettre d’avoir accès aux butte à des atteintes à leurs droits services, à une aide juridique gratuite et à de fondamentaux. Un condamné à mort a été véritables réparations. exécuté. Un tribunal de la ville de Doboj a accordé en octobre une indemnisation financière à LIBERTÉ D’EXPRESSION une personne victime de viol pendant la Les droits à la liberté d’expression ont été guerre et a condamné l’auteur du crime à soumis à des restrictions. La police a arrêté cinq années d’emprisonnement. C'était la en mars le journaliste indépendant Sonny deuxième fois que des réparations Serite, qui avait reçu d’une personne financières pour crimes de guerre étaient souhaitant alerter l’opinion publique des accordées dans une affaire pénale. De documents concernant une affaire de nombreuses victimes restaient cependant corruption sur laquelle il travaillait. Sonny contraintes d’intenter une action au civil pour Serite a été inculpé de recel. Les poursuites obtenir des réparations, ce qui les obligeait à engagées contre lui ont finalement été révéler leur identité et leur faisait encourir abandonnées en juin. La Loi sur les lanceurs des frais supplémentaires. La Cour d’alerte, qui n’accorde aucune protection aux constitutionnelle a estimé en avril que le délai lanceurs d’alerte qui ont pris contact avec la de prescription s’appliquait aux demandes de presse, est entrée en vigueur le réparations pour des dommages non 16 décembre. matériels et que les requêtes ne pouvaient Au mois d’août, la Haute Cour de Lobatse concerner que les auteurs des faits, et non a estimé qu’Outsa Mokone, rédacteur en l’État, ce qui limitait encore un peu plus la chef du Sunday Standard, pouvait être

114 Amnesty International — Rapport 2016/17 poursuivi pour sédition. Les avocats de celui- nature avec un autre homme » a été ci avaient plaidé que les dispositions du Code condamné à trois ans et demi pénal concernant la sédition portaient d’emprisonnement par le tribunal de atteinte au droit de leur client à la liberté première instance de Gaborone. Le Botswana d’expression et étaient donc contraires à la Network on Ethics, Law and HIV/AIDS Constitution. Outsa Mokone avait été (Réseau du Botswana concernant l’éthique, interpellé en 2014, à la suite de la parution le droit et le VIH/sida, BONELA) a formé un dans le Sunday Standard d’un article recours, estimant que l’article 164 affirmant que le président du Botswana introduisait une discrimination sur la base de s’était trouvé impliqué dans un accident de la l’orientation sexuelle et de l’identité de genre. route. Craignant pour sa sécurité, l'auteur de Ce recours n’avait pas été examiné à la fin de l’article, Edgar Tsimane, s’est réfugié en l’année. Afrique du Sud, où il a obtenu l’asile. L’association Lesbians, Gays and Bisexuals of Botswana (Lesbiennes, gays et personnes LIBERTÉ DE RÉUNION bisexuelles du Botswana, LEGABIBO) a Le droit à la liberté de réunion pacifique a fait remporté en mars le recours qu’elle avait l’objet de restrictions. Aux termes de la Loi présenté devant la Haute Cour afin de sur l’ordre public, toute manifestation est pouvoir être reconnue en tant qu’organisation subordonnée à l’obtention de l’autorisation de indépendante. Le ministère de l’Intérieur la police, qui ne la donne pas toujours. En refusait depuis 2012 de reconnaître juin, Tlamelo Tsurupe, un jeune militant, a LEGABIBO. DAns cette décision importante, été arrêté et détenu brièvement pour avoir la Haute Cour a estimé que le refus de manifesté contre le chômage des jeunes reconnaître officiellement LEGABIBO devant le parlement et avoir refusé de s’en constituait une atteinte aux droits des aller. Il a ensuite lancé demandeurs à la liberté d’expression, #UnemploymentMovement. Ce mouvement a d’association et de réunion. demandé en juillet une autorisation de manifester, mais la requête a été rejetée. Les DROITS DES FEMMES militants se sont malgré tout retrouvés pour Un certain nombre de cas d’abus sexuels manifester, le 8 août, devant le parlement. Ils perpétrés sur des femmes et des jeunes filles ont été frappés par la police et quatre d’entre ont été signalés. Un conseiller municipal de eux ont été arrêtés et retenus jusqu’au Sebina a été accusé d’abus sexuel sur une lendemain au poste de police central, pour jeune fille de 16 ans, et de l’avoir mise « perturbations ». Deux des quatre enceinte. Il n’a cependant pas pu être personnes arrêtées ont eu besoin de soins inculpé de viol sur mineure, infraction prévue médicaux. La police a également interpellé par le Code pénal en cas de relations trois journalistes qui couvraient la sexuelles avec une personne mineure de manifestation et les a contraints à lui remettre moins de 16 ans. Aucune mesure les images vidéo qu’ils avaient tournées. La disciplinaire n’a apparemment été prise à son police a finalement donné son autorisation à encontre par sa formation politique, le Parti une manifestation qui s’est déroulée le démocratique du Botswana (BDP). 13 août. DROIT À LA SANTÉ – MINEURS DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET Le 7 octobre, le gouvernement a fermé sans DES PERSONNES BISEXUELLES, préavis ni consultation les mines de BCL et TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES de Tati Nickel. Ces fermetures soudaines ont Les relations sexuelles entre personnes de remis en question le traitement antirétroviral même sexe restaient interdites. En août, un et l’accompagnement des mineurs affectés homme inculpé, au titre de l’article 164 du par le VIH/sida, le gouvernement n’ayant pas Code pénal, de « relations charnelles contre pris de dispositions sanitaires de substitution.

Amnesty International — Rapport 2016/17 115 Plus de 4 700 mineurs se sont en outre manifestations. Les jeunes et les hommes retrouvés dans l’incertitude quant à leurs noirs – principalement ceux qui vivaient indemnités de licenciement. dans les favelas (bidonvilles) –, ainsi que d’autres groupes marginalisés, étaient visés RÉFUGIÉS ET DEMANDEURS D’ASILE de façon disproportionnée par les violences La politique de cantonnement appliquée par de la part des forces de l’ordre. Les le gouvernement, qui regroupait tous les militants des droits humains, en particulier réfugiés dans le camp de Dukwe, à ceux qui défendaient les droits fonciers et 547 kilomètres de la capitale, Gaborone, environnementaux, étaient en butte à des limitait toujours le droit des réfugiés de menaces et des agressions accrues. Les circuler librement. violences faites aux femmes et aux filles Le gouvernement a annoncé avoir révoqué demeuraient très répandues. Les atteintes le statut de réfugié des Namibiens à compter aux droits des réfugiés, des demandeurs du 31 décembre 2015. Les Namibiens qui d’asile et des migrants, ainsi que les actes avaient fui le conflit dans la région de Caprivi de discrimination à leur encontre, se sont en 1998 continuaient pourtant d’être exposés multipliés. à des persécutions dans leur pays d’origine. Plusieurs réfugiés qui étaient rentrés en CONTEXTE Namibie fin 2015 ont fait l’objet La présidente Dilma Rousseff a été destituée d’inculpations allant de la haute trahison à la le 31 août à l’issue d’une longue procédure sortie illégale du territoire namibien. En devant le Congrès, et remplacée par le vice- janvier 2016, la Haute Cour du Botswana a président Michel Temer. Le nouveau estimé que les réfugiés namibiens ne gouvernement a annoncé plusieurs mesures devaient pas être rapatriés tant qu’une et propositions susceptibles d’avoir une décision n’avait pas été prise concernant un incidence sur les droits humains, dont un recours introduit contre le décret de projet de modification constitutionnelle révocation de leur statut. La décision de la (PEC 241/55) plafonnant les dépenses Haute Cour a été confirmée en appel au mois publiques des 20 prochaines années, ce qui de mars. risquait d’avoir des conséquences négatives sur les investissements dans l’éducation, la PEINE DE MORT santé et d’autres secteurs. Cette modification Patrick Gabaakanye a été exécuté en mai a été adoptée par la Chambre des députés et pour un meurtre commis en 2014, ce qui le Sénat, et a été vivement critiquée par le portait à 49 le nombre de personnes mises à rapporteur spécial des Nations unies sur mort depuis l’indépendance, en 1966. Les l’extrême pauvreté et les droits de l’homme. exécutions se déroulaient toujours dans le Plusieurs propositions compromettant les plus grand secret. Les familles n’étaient pas droits des femmes, des peuples autochtones, informées à l’avance et n’avaient pas le droit des enfants et des personnes LGBTI étaient de se rendre sur le lieu de l’inhumation. en attente d'examen par le Congrès. En septembre une commission spéciale de la Chambre des députés a approuvé des modifications du droit de la famille, celle-ci BRÉSIL étant désormais définie comme l’union d’un République fédérative du Brésil homme et d’une femme. Chef de l’État et du gouvernement : Michel Temer (a Le Brésil n’avait pas encore ratifié le Traité remplacé Dilma Rousseff en août) sur le commerce des armes, ni signé la Convention sur les armes à sous-munitions. Il Comme les années précédentes, la police a jouait un rôle important dans les négociations recouru à une force injustifiée et excessive, en cours sur un traité interdisant les armes notamment dans le contexte de nucléaires, qui devrait voir le jour en 2017.

116 Amnesty International — Rapport 2016/17 En décembre, la Cour interaméricaine des droits de l'homme a reconnu le Brésil Jeux olympiques de 2016 coupable de tolérer l'esclavage et la traite des Ni les autorités ni les organisateurs des Jeux personnes, au vu des conditions de vie et de olympiques de 2016 n’ont mis en œuvre les travail des ouvriers agricoles dans l'État du mesures nécessaires pour empêcher que les Pará, dans le nord du pays. forces de sécurité se livrent à des atteintes aux droits fondamentaux avant et pendant les SÉCURITÉ PUBLIQUE Jeux1. On a ainsi assisté à une répétition des Le taux d’homicides et de violence armée violations qui avaient déjà été constatées lors demeurait élevé partout dans le pays, le d’autres grands événements sportifs nombre de personnes tuées en 2015 étant organisés à Rio de Janeiro, à savoir les Jeux estimé à plus de 58 000. Les autorités n’ont panaméricains de 2007 et la Coupe du pas présenté de plan pour remédier à la monde de football de 2014. situation. Des dizaines de milliers de militaires et Le 29 janvier, 10 personnes ont été tuées d’agents des forces de sécurité ont été et 15 autres blessées par des individus déployés dans tout Rio de Janeiro. Le armés à Londrina, une ville de l’État du nombre de personnes tuées par la police Paraná. Sur les sept personnes arrêtées dans la ville durant la période qui a précédé durant l’enquête sur cette affaire, six étaient les Jeux, entre avril et juin, a augmenté de membres de la police militaire. 103 % par rapport à la même période En mars, à l’issue de sa visite dans le en 2015. pays, la rapporteuse spéciale des Nations Pendant les Jeux olympiques (du 5 au unies sur les questions relatives aux 21 août), les opérations policières se sont minorités a présenté ses recommandations multipliées dans certains quartiers de Rio de au Conseil des droits de l’homme. Elle a Janeiro, notamment dans les favelas d’Acari, préconisé la suppression de la police militaire de Cidade de Deus, de Borel, de et de la pratique consistant à enregistrer Manguinhos, d’Alemão, de Maré, de Del automatiquement les homicides commis par Castilho et de Cantagalo. Les habitants ont des policiers sous la qualification de signalé d’intenses fusillades pendant des « rébellion ayant entraîné la mort » – ce qui heures et des violations des droits humains, laisse entendre que les agents ont agi en état dont des perquisitions illégales, des menaces de légitime défense et ne déclenche pas et des agressions. La police a reconnu avoir d’enquête. tué au moins 12 personnes à Rio de Janeiro Les autorités fédérales ont autorisé en durant les Jeux et participé à 217 fusillades septembre le déploiement de forces armées lors de ses opérations dans l’État de Rio de dans l’État du Rio Grande do Norte pour Janeiro2. épauler la police après plusieurs jours Lors du relais de la flamme olympique d’attaques menées par des bandes dans le pays, la police a fait un usage criminelles contre des bus et des bâtiments excessif et injustifié de la force pour disperser publics. Au moins 85 personnes ont été des manifestations pacifiques organisées à arrêtées pour leur participation présumée à Angra dos Reis et Duque de Caxias, deux ces attaques. villes de l’État de Rio de Janeiro. Des balles Le 18 novembre, sept hommes ont été en caoutchouc, des grenades abattus à Imperatriz (État de Maranhão) assourdissantes et du gaz lacrymogène ont après une tentative de vol et d'agression été utilisés sans discrimination contre des contre un membre de la police militaire qui manifestants pacifiques et des passants, dont n'était pas en service. des enfants. La Loi no 13.284/2016, dite « Loi générale sur les Jeux olympiques », a été signée par la présidente Dilma Rousseff le 10 mai malgré

Amnesty International — Rapport 2016/17 117 les craintes que le texte n’impose des sont soldées par des homicides, commis restrictions excessives à la liberté pour la plupart dans des favelas. Quelques d’expression et de réunion pacifique, en mesures ont été adoptées pour mettre un violation des normes internationales relatives coup d’arrêt à la violence policière dans l’État aux droits humains. Au titre des dispositions de Rio de Janeiro, sans que leurs effets se de ce texte, des dizaines de personnes ont soient encore fait sentir. À la suite d’une été expulsées d’installations sportives résolution du Conseil national des pendant les premiers jours des Jeux, parce procureurs, le ministère public de l’État de qu’elles affichaient des signes de Rio de Janeiro a créé le 5 janvier un groupe contestation, par exemple un slogan sur un t- de travail chargé de superviser les activités shirt ou une banderole. Le 8 août, un tribunal de la police et les informations judiciaires sur fédéral s’est prononcé contre l’interdiction les homicides commis par ses agents. La des actes de protestation pacifiques à police civile a indiqué que toutes les l’intérieur des sites olympiques. enquêtes liées à ce type d’homicides seraient Le jour de la cérémonie d’ouverture, le transférées progressivement à la section 5 août, des manifestants se sont rassemblés spécialisée dans les affaires d’homicides. de manière pacifique à proximité du stade Les homicides commis par des policiers Maracanã (Rio de Janeiro) pour dénoncer les restaient pour la plupart impunis. Vingt ans répercussions négatives des Jeux. La police a après l’homicide illégal d’un enfant de deux fait usage d’une force injustifiée pour ans durant une opération menée en 1996 réprimer le rassemblement, recourant à du par la police militaire à Acari, une favela de la gaz lacrymogène pour disperser des ville de Rio de Janeiro, personne n’avait eu à manifestants à proximité d'enfants qui rendre de comptes. Ce crime est prescrit jouaient. Les policiers ayant participé à depuis le 15 avril. En octobre s’est tenue la l’opération de maintien de l’ordre durant première audience publique devant la Cour cette manifestation n'étaient pour la plupart interaméricaine des droits de l’homme dans pas correctement identifiés. l’affaire concernant 26 personnes tuées Le 12 août, également à proximité du durant des opérations policières à Nova stade Maracanã, un mouvement de Brasilia, une autre favela de Rio de Janeiro, contestation conduit principalement par des en octobre 1994 et mai 1995. Aucune étudiants a été durement réprimé par la enquête n’avait encore été ouverte sur cette police militaire, au moyen d’une force affaire et personne n’avait été traduit en excessive et injustifiée. Un manifestant a été justice. blessé et une cinquantaine d’autres, âgés En juillet, le procureur général a demandé pour la plupart de moins de 18 ans, ont été le transfert à une autorité fédérale de placés en détention. À la fin de l’année, l’information judiciaire sur la mort de certains des détenus faisaient l’objet d’une 12 personnes tuées par des policiers en enquête au titre de la Loi relative aux février 2015 dans le quartier de Cabula, à supporters, qui érige en infraction le fait de Salvador (État de Bahia). troubler l’ordre ou de provoquer des Le 6 novembre, cinq hommes qui avaient violences dans un rayon de cinq kilomètres disparu le 21 octobre après avoir été abordés autour d’une installation sportive. par des responsables de l'application des lois ont été retrouvés morts à Mogi das Cruzes, HOMICIDES ILLÉGAUX dans l'État de São Paulo. Leurs cadavres Le nombre d’homicides commis par la police portaient des traces d'exécution, et les demeurait élevé et a augmenté dans certains premiers éléments de l'enquête semblaient États. Dans l’État de Rio de Janeiro, indiquer l'implication de gardes municipaux. 811 personnes ont été tuées par des policiers Le 17 novembre, quatre jeunes hommes entre janvier et novembre. Selon certaines ont été abattus par un bataillon d'élite ROTA sources, plusieurs opérations policières se

118 Amnesty International — Rapport 2016/17 – une unité de la police militaire – à Jabaquara, dans l'État de São Paulo. LIBERTÉ DE RÉUNION En 2016, plusieurs grandes manifestations, DISPARITIONS FORCÉES largement pacifiques, se sont tenues un peu Le 1er février, 12 policiers militaires ont été partout dans le pays. Parmi les thèmes de condamnés pour torture ayant entraîné la mobilisation figuraient la procédure de mort, fraude procédurale et dissimulation destitution de la présidente, la réforme de d’un cadavre dans le cadre de l’affaire de la l’éducation, les violences faites aux femmes, disparition forcée d’Amarildo de Souza, à Rio les répercussions négatives des Jeux de Janeiro. olympiques de 2016 et la réduction des En avril, l’enquête ouverte par la police sur dépenses publiques dans les secteurs de la la disparition forcée de Davi Fiuza (16 ans) à santé et de l’éducation. La police a souvent Salvador (État de Bahia), en octobre 2014, a réagi avec violence, faisant un usage injustifié permis d’identifier 23 suspects au sein de la et excessif de la force. police militaire. Cependant, l’affaire n’a pas Près de 1 000 établissements été transmise au ministère public et aucune d’enseignement publics ont été occupés de des personnes mises en cause n’avait été façon pacifique par des étudiants qui jugée à la fin de l’année. entendaient dénoncer la réforme de l’éducation et les coupes budgétaires CONDITIONS DE DÉTENTION envisagées par le gouvernement dans ce Le système pénitentiaire était toujours secteur. En juin, la police a eu recours à une marqué par une forte surpopulation, et des force excessive et injustifiée pour disperser informations ont fait état d’actes de torture et des étudiants qui s’étaient rassemblés d’autres mauvais traitements. Selon le pacifiquement dans les bureaux du ministère de la Justice, on recensait à la fin secrétariat d’État à l’Éducation à Rio de de 2015 plus de 620 000 détenus dans les Janeiro. prisons brésiliennes, pour une capacité totale La police a également utilisé une force de quelque 370 000 personnes. injustifiée dans plusieurs États pour disperser Des émeutes ont éclaté en prison un peu des mouvements de contestation contre le partout dans le pays. En octobre, 10 hommes nouveau gouvernement et le projet de ont été décapités ou brûlés vifs dans un modification constitutionnelle (PEC 241/55) établissement pénitentiaire de l’État de prévoyant le gel des dépenses publiques. À Roraima, et huit autres sont morts asphyxiés São Paulo, une étudiante a perdu l’usage de dans une cellule lors d’un incendie qui s’était son œil gauche après l’explosion non loin déclaré dans une prison de l’État de d’elle d’une grenade assourdissante lancée Rondônia. par la police. Le 8 mars, le rapporteur spécial des Rafael Braga Vieira, arrêté après une Nations unies sur la torture a fait part de ses manifestation à Rio de Janeiro en 2013, a été observations concernant, entre autres, la interpellé en janvier pour trafic de médiocrité des conditions carcérales et la stupéfiants, une accusation forgée de toutes fréquence des actes de torture et d’autres pièces. mauvais traitements infligés aux détenus par Le 10 août, un tribunal d’État n’a pas des policiers et des gardiens de prison au reconnu la responsabilité de l’État dans Brésil. l’affaire concernant Sergio Silva. Cet homme En septembre, une juridiction d’appel a avait perdu la vue d’un œil après avoir été annulé le jugement et la condamnation de touché par un projectile tiré par un policier 74 policiers pour leur participation au lors d’une manifestation tenue à São Paulo massacre perpétré dans la prison de en 2013. Le tribunal a estimé que, par sa Carandiru en 1992, au cours duquel participation à la manifestation, il avait 111 hommes avaient été tués par la police.

Amnesty International — Rapport 2016/17 119 implicitement accepté le risque d’être blessé dirigeants ruraux ont été tués dans le seul par la police. État du Pará. La Loi antiterroriste (13.260/2016) a été adoptée par le Congrès et ratifiée par la DROITS DES PEUPLES AUTOCHTONES présidente en mars. Ce texte a suscité de Les processus de démarcation et nombreuses critiques, car il était formulé en d’homologation des terres des peuples des termes vagues et rendait possible son indigènes ne progressaient toujours qu’avec application arbitraire contre la contestation une extrême lenteur, alors que le délai sociale. accordé dans la Constitution pour les mener à bien avait expiré depuis 23 ans. Un projet DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS de modification constitutionnelle (PEC 215) Par rapport à 2015, l’année a été marquée donnant aux législateurs la possibilité de par une hausse des menaces, des agressions bloquer les procédures de délimitation des et des homicides visant des défenseurs des terres – et, de fait, de priver les peuples droits humains. Au moins 47 – dont des indigènes de leurs droits garantis par la petits agriculteurs, des paysans, des Constitution et le droit international – était en travailleurs agricoles, des indigènes, cours d’examen au Congrès. Ces procédures notamment des quilombolas, des pêcheurs, étaient parfois bloquées par de grands des riverains et des avocats – ont été tués propriétaires fonciers qui utilisaient les terres entre les mois de janvier et de septembre pour des cultures destinées à l’exportation. alors qu’ils luttaient pour défendre l’accès à La survie des Guaranis-Kaiowás de la la terre et aux ressources naturelles. Les communauté d’Apika’y, dans le Mato Grosso homicides, les menaces et les agressions do Sul, était gravement menacée. Les visant des défenseurs des droits humains membres de cette communauté ont été faisaient rarement l'objet d'enquêtes et expulsés de force de leurs terres ancestrales restaient généralement impunis. en juillet. Leur expulsion leur avait été Malgré l’existence d’une politique notifiée, mais ils n’avaient pas été consultés nationale et d’un programme de protection ni ne s’étaient vu proposer de solutions de des défenseurs des droits humains, des réinstallation. Les familles ont dû s'installer militants continuaient d’être tués ou menacés au bord d’une voie rapide, avec un accès du fait de moyens insuffisants et de lacunes restreint à l’eau et à la nourriture. dans la mise en œuvre du dispositif. La En octobre, une enquête menée par le suspension en juin de plusieurs accords ministère public fédéral a conclu que Terena conclus entre les autorités fédérales et celles Oziel Gabriel, un indigène, avait été tué par des États pour l'application du programme, une balle tirée par la police fédérale lors de couplée à la réduction des dépenses, a son intervention en 2013 dans la ferme Buriti encore limité son efficacité. (État du Mato Grosso do Sul). Le mois d’avril a marqué le Lors de sa visite au mois de mars, la 20e anniversaire du massacre d’Eldorado dos rapporteuse spéciale des Nations unies sur Carajás ; 19 ouvriers agricoles sans terre les droits des peuples autochtones a avaient été tués et 69 autres blessés lors dénoncé le fait que le Brésil n'ait pas su d’une violente opération à laquelle avaient délimiter les terres des populations participé plus de 150 policiers dans le sud- indigènes, ainsi que la fragilité des est de l’État du Pará. Seuls deux officiers à la institutions publiques chargées de la tête de l’opération ont été déclarés coupables protection des droits de ces populations. de meurtre et de violences. Aucun autre policier ni représentant de l’État n’a été RÉFUGIÉS, DEMANDEURS D’ASILE ET amené à rendre de comptes. Depuis ce MIGRANTS massacre, plus de 271 travailleurs et Environ 1,2 million de demandeurs d’asile, de réfugiés et de migrants vivaient au Brésil

120 Amnesty International — Rapport 2016/17 en octobre. Les pouvoirs publics n’ont pas Les viols en réunion d’une jeune fille le consacré de moyens ni d’efforts suffisants à 21 mai et d’une femme le 17 octobre dans la satisfaction des besoins des personnes en l’État de Rio de Janeiro ont fait grand bruit quête d’asile, par exemple à l’examen de leur dans le pays, confirmant une nouvelle fois dossier. Les délais moyens de traitement des l’incapacité de l’État à respecter, protéger et demandes d’asile étaient d’au moins deux mettre en œuvre les droits des femmes et ans, période durant laquelle les requérants des filles. Entre janvier et novembre, se trouvaient dans une situation juridique 4 298 cas de viols ont été signalés dans l'État incertaine. de Rio de Janeiro, dont 1 389 dans la En décembre, la Chambre des députés capitale. s’est prononcée en faveur d’une nouvelle loi L’année 2016 a également marqué le sur l’immigration qui protégeait les droits des 10e anniversaire de l’entrée en vigueur de la demandeurs d’asile, des migrants et des loi contre la violence domestique. Le personnes apatrides. Le texte était en cours gouvernement ne l’appliquait toutefois pas d’examen au Sénat à la fin de l’année. rigoureusement, et les violences conjugales Des demandeurs d’asile et des migrants demeuraient très répandues, ainsi que ont signalé être régulièrement victimes de l'impunité pour les auteurs. discrimination quand ils tentaient d’accéder aux services publics, notamment dans les DROITS DES ENFANTS domaines de la santé et de l’éducation. En août, un adolescent a trouvé la mort et six Au cours de l’année, 455 Vénézuéliens, autres ont été gravement blessés lors d’un dont de nombreux enfants, ont été renvoyés incendie qui s’est déclenché dans un centre vers leur pays d’origine depuis l’État de de détention pour mineurs de Rio de Janeiro. Roraima, bien souvent au mépris du respect Le mois suivant, l’un des adolescents blessés des procédures légales. qui avait été hospitalisé est mort des suites de ses blessures. Le nombre de jeunes incarcérés dans les centres de détention VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ET pour mineurs de Rio de Janeiro a augmenté AUX FILLES de 48 % durant l’année, ne faisant Le gouvernement fédéral par intérim a qu’aggraver une situation déjà critique, dissous en mai le ministère des Femmes, de caractérisée par une forte surpopulation, des l'Égalité raciale, des Jeunes et des Droits conditions carcérales déplorables et des humains, le réduisant à un département actes de torture et d’autres mauvais rattaché au ministère de la Justice. Ce traitements. changement s’est traduit par une forte Une proposition de modification de la diminution des moyens et des programmes Constitution abaissant de 18 à 16 ans l’âge à dédiés à la protection des droits des femmes partir duquel une personne pouvait être et des filles. jugée comme un adulte, approuvée par la Plusieurs études menées en 2016 ont Chambre des députés en 2015, était toujours révélé que les cas de violences mortelles en cours d’examen au Sénat. contre des femmes avaient enregistré une hausse de 24 % au cours des 10 dernières 1. Brésil. La violence n’a pas sa place dans les Jeux ! Risques années, et confirmé que le Brésil était l’un d’atteintes aux droits humains lors des Jeux olympiques de Rio 2016 des pires pays d’Amérique latine pour les (AMR 19/4088/2016) filles – du fait notamment des taux 2. Brazil: A legacy of violence: Killings by police and repression of extrêmement élevés de violences liées au protest at the Rio 2016 Olympics (AMR 19/4780/2016) genre et de grossesse chez les adolescentes, ainsi que du taux élevé d'abandon de la scolarité avant la fin du secondaire.

Amnesty International — Rapport 2016/17 121 TORTURE ET AUTRES MAUVAIS BRUNÉI TRAITEMENTS Le Code pénal modifié, dont la mise en DARUSSALAM œuvre progressive a commencé en 2014, prévoit des peines de flagellation ou Brunéi Darussalam d’amputation pour des infractions telles que Chef de l’État et du gouvernement : Hassanal Bolkiah le vol simple ou le vol aggravé. La bastonnade est un châtiment qui a été L’absence de transparence rendait difficile régulièrement infligé pour un certain nombre toute évaluation indépendante de la d’infractions, dont celles en matière situation en matière de droits humains. La d’immigration. mise en œuvre progressive du Code pénal modifié s’est poursuivie. Ce Code, qui vise à LIBERTÉ D’EXPRESSION imposer la charia (droit musulman), prévoit Le pays manquait toujours de médias libres l’imposition, pour une série d’infractions, et indépendants. En novembre le Brunei de la peine de mort et de châtiments Times a été fermé après avoir publié un corporels constituant des actes de torture et article politiquement sensible. Le fait d’autres mauvais traitements. Il contient d’« imprimer, faire circuler, importer, diffuser également des dispositions discriminatoires et distribuer des publications contraires à la à l’égard des femmes. La première phase charia » constituait une infraction pour les de mise en œuvre de la charia est arrivée à musulmans et les non-musulmans. son terme. Des infractions passibles de flagellation ou de la peine capitale, comme LIBERTÉ DE RELIGION les fausses affirmations (article 206), le fait Les musulmans comme les membres de pour des non-musulmans de tourner en minorités religieuses subissaient toujours des ridicule des versets du Coran ou des hadiths restrictions de leur droit à la liberté de (article 111), ou l’incitation ou tentative pensée, de conscience et de religion. Des d’incitation à commettre une infraction, infractions telles que le blasphème, l’injure n’avaient pas encore pris effet. En février, le aux hadiths ou aux versets du Coran, le fait Comité des droits de l’enfant des Nations de se déclarer prophète ou, pour un unies a demandé au gouvernement musulman, de s’affirmer apostat, étaient d’abroger les nouvelles dispositions du Code passibles de la peine de mort. pénal qui prévoient l’imposition de la peine de mort et de châtiments corporels à des DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET mineurs, ainsi que de relever l’âge DES PERSONNES BISEXUELLES, minimum du mariage. TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES Les relations sexuelles librement consenties PEINE DE MORT entre personnes de même sexe constituaient Le pays était abolitionniste en pratique, mais une infraction pénale, les « rapports charnels la peine de mort par pendaison restait prévue contre nature » étant passibles de 10 ans pour un certain nombre d’infractions, d’emprisonnement. Le Code pénal modifié notamment le meurtre, le terrorisme et les rendrait obligatoire l’imposition de la peine de infractions en matière de stupéfiants. Aussi mort par lapidation pour la « sodomie ». bien pour les musulmans que pour les L’article 198 érige en infraction « le fait pour minorités religieuses, le Code pénal modifié un homme de se comporter comme une prévoyait la peine de mort par lapidation pour femme ou inversement ». Un homme a été des infractions telles que l’« adultère », la arrêté en août pour « travestissement et « sodomie », le viol, le blasphème et le conduite inappropriée ». S’il était déclaré meurtre. coupable, il pourrait se voir infliger une

122 Amnesty International — Rapport 2016/17 amende de 1 000 dollars de Brunéi (environ renvois forcés illégaux, le Premier ministre 730 dollars des États-Unis) ou une peine de Boïko Borissov a reconnu que son trois mois d’emprisonnement, ou les deux. gouvernement avait adopté une « approche pragmatique » de la crise des réfugiés. Il a LUTTE CONTRE LE TERRORISME ET déclaré que plus de 25 000 personnes SÉCURITÉ avaient été renvoyées en Turquie et en Grèce Cette année encore, des personnes ont été entre janvier et août. arrêtées aux termes de la Loi relative à la Les auteurs des abus dénoncés aux sécurité intérieure, qui permet aux autorités frontières continuaient de jouir de la plus de placer des suspects en détention sans totale impunité. Au mois de juillet, le parquet procès pendant une période de deux ans de la région de Bourgas a classé la renouvelable indéfiniment. procédure ouverte à la suite du décès, en octobre 2015, d’un Afghan non armé abattu par la police des frontières. La majorité des migrants et des réfugiés BULGARIE continuaient d’être placés systématiquement République de Bulgarie en détention administrative, souvent pour Chef de l’État : Rossen Plevneliev une durée dépassant de plusieurs mois la Chef du gouvernement : Boïko Borissov durée légale autorisée. Le fait de tenter à deux reprises de franchir illégalement la La Bulgarie ne fournissait pas aux migrants frontière, que ce soit pour entrer ou pour et aux réfugiés, de plus en plus nombreux sortir du pays, constituait une infraction sur son territoire, tous les services pénale. Des migrants et des réfugiés nécessaires. Elle ne leur permettait pas non appréhendés alors qu’ils tentaient de quitter plus de bénéficier d’une procédure la Bulgarie en dehors d’une procédure adéquate. Elle n’a pas répondu aux régulière ont ainsi été poursuivis en justice et allégations faisant état de renvois forcés incarcérés, dans certains cas pendant plus illégaux et sommaires, ainsi que d’atteintes d'un an. aux droits humains aux frontières. Le climat ambiant de xénophobie et d’intolérance Enfants s’est fortement aggravé. Les Roms étaient Les autorités n’avaient toujours pas renoncé toujours exposés à des discriminations dans à la pratique illégale consistant à placer en tous les aspects de leur vie. Le Parlement a détention des mineurs isolés. Pour adopté en première lecture une nouvelle loi contourner l’interdiction d'emprisonner des contre le terrorisme. mineurs non accompagnés, les services chargés des migrations confiaient DROITS DES RÉFUGIÉS ET DES arbitrairement des enfants arrivés seuls à la MIGRANTS « garde » d’adultes avec lesquels ils n’avaient En réaction aux décisions prises par la Serbie aucun lien de parenté. et la Hongrie de renforcer les mesures de Les centres d'accueil ne disposaient pas contrôle à leurs frontières, les autorités des conditions nécessaires pour accueillir bulgares ont adopté une politique qui visait à des enfants non accompagnés. Les autorités limiter le nombre de migrants et de réfugiés ne veillaient généralement pas à ce que ces cherchant à gagner l’Union européenne (UE) mineurs aient accès aux services d’un avocat en passant par la Bulgarie. Les organisations et d’un traducteur. Elles n’assuraient pas de défense des droits humains ont signalé de davantage leur accès aux services de santé fréquentes allégations de renvois forcés et à l’éducation, à un soutien psychologique illégaux, de brutalités et de vols mettant en et à un cadre dans lequel ils seraient et se cause des membres de la police des sentiraient en sécurité. En l’absence frontières. Sans aller jusqu’à approuver les d’infrastructures spécialement destinées aux

Amnesty International — Rapport 2016/17 123 mineurs, de nombreux enfants non surreprésentés dans les écoles « spéciales », accompagnés étaient détenus en compagnie les établissements de santé mentale et les d’adultes, hors de toute surveillance centres de détention pour jeunes professionnelle adéquate, ce qui les exposait délinquants. Les autorités ont poursuivi les tout particulièrement à d’éventuels sévices expulsions forcées sans proposer de sexuels, à la drogue et à la traite. solutions de relogement décentes, jetant de fait de nombreuses familles à la rue. DISCRIMINATION Xénophobie Les femmes musulmanes Plusieurs organisations de défense des droits Au mois de septembre, l’Assemblée nationale humains ont tiré la sonnette d’alarme a adopté une loi interdisant le port du voile concernant la montée de la xénophobie et de intégral dans l’espace public. Cette loi faisait l’intolérance vis-à-vis de certains groupes, et partie d’un ensemble de textes soumis par le notamment des réfugiés, des demandeurs Front patriotique, membre de la coalition au d’asile et des migrants, qui restaient pouvoir, et qui étaient destinés, selon leurs particulièrement vulnérables aux actes de promoteurs, à prévenir la « radicalisation ». violence et de harcèlement. Les pouvoirs Les autres propositions de loi, qui étaient publics ne faisaient rien pour dénoncer ce toujours en cours d’examen à la fin de climat d’intolérance, et certains représentants l’année, envisageaient un certain nombre de de l’État ont tenu à de nombreuses reprises mesures susceptibles d’avoir de larges des discours discriminatoires ou xénophobes. répercussions, comme la prohibition de Les médias nationaux et étrangers ont « l’islam radical », une interdiction totale de diffusé en avril des images montrant de soi- tout financement étranger des groupes disant « patrouilles volontaires des religieux, quelle que soit la confession, ou frontières » regroupant et retenant encore l’usage obligatoire du bulgare dans la prisonniers des migrants irakiens et afghans liturgie. Quelques mois plus tôt, plusieurs qui tentaient de franchir la frontière depuis la capitales régionales, dont la ville de Turquie voisine, pour ensuite les remettre à la Pazardjik, avaient interdit le port du voile police. Les auteurs de ces « arrestations intégral en public. Les femmes qui portent le citoyennes » illégales ont été dans un voile intégral ou la burka sont très peu premier temps encensés par les autorités et nombreuses en Bulgarie, mais cette une partie de la population. Toutefois, à la interdiction nationale pourrait avoir des effets suite de plaintes déposées par le Comité discriminatoires sur les femmes de la Helsinki de Bulgarie, la police a arrêté minorité turque et de la minorité rom de plusieurs membres de ces « patrouilles » et confession musulmane. le ministère de l’Intérieur a diffusé des communiqués dans lesquels il demandait LUTTE CONTRE LE TERRORISME ET aux citoyens de ne pas arrêter eux-mêmes SÉCURITÉ des réfugiés, des demandeurs d’asile ou des En juillet, l’Assemblée nationale a rapidement migrants. adopté une nouvelle loi de lutte contre le terrorisme, qui définit la notion « d’acte Les Roms terroriste » en des termes vagues et Les Roms étaient toujours victimes de beaucoup trop généraux1. Ce texte permet au l’exclusion et de très fréquentes président de la République de décréter, avec discriminations. Le Comité des droits de l’accord de l’Assemblée nationale, l’« état l'enfant [ONU] s’est dit préoccupé par le fait d’urgence » à la suite d’un acte « terroriste » que les enfants roms n’avaient toujours qu’un perpétré contre le territoire bulgare. Or, accès limité à l’éducation, aux services de pendant l’état d’urgence, les pouvoirs publics santé et à un logement décent. Les Roms peuvent interdire de manière générale étaient toujours très largement l’ensemble des rassemblements, réunions ou

124 Amnesty International — Rapport 2016/17 manifestations, en dehors de tout contrôle effectif et indépendant. Cette loi prévoit en 1. Bulgarie. Le projet de loi antiterroriste serait un revers pour les droits humains (EUR 15/4545/2016). outre toute une série de mesures de surveillance administrative (interdiction de quitter le lieu de résidence, restriction du droit de circuler librement et du droit BURKINA FASO d’association, etc.) applicables à toute personne soupçonnée de « préparer ou de Burkina Faso programmer un acte terroriste ». Chef de l’État : Roch Marc Christian Kaboré Chef du gouvernement : Paul Kaba Thiéba (a remplacé Yacouba Isaac Zida en janvier) Non-refoulement La police bulgare a arrêté en août un ressortissant turc, Abdullah Buyuk, qui La crise politique des deux années résidait en Bulgarie depuis fin 2015, pour précédentes s’est en grande partie calmée. ensuite le remettre en secret aux autorités Des groupes armés ont commis des turques, au mépris du principe de « non- atteintes aux droits humains. Les taux de refoulement » inscrit dans le droit mortalité maternelle et de mariages international. Les autorités ont agi sur la foi précoces et forcés sont restés élevés, bien d’un mandat d’arrêt émis par Interpol à la que le gouvernement ait commencé à demande du gouvernement turc, qui s’attaquer à ces problèmes. souhaitait obtenir l’extradition d’Abdullah Buyuk. Ce dernier avait été inculpé dans son CONTEXTE pays d’origine de blanchiment d’argent et de En septembre, le gouvernement a mis en terrorisme en association avec le mouvement place une commission chargée de rédiger Gülen. Selon son avocat, Abdullah Buyuk n'a une nouvelle constitution instaurant une pas eu la possibilité de le contacter, pas plus « Cinquième République ». que sa famille, et n'a pas pu contester la légalité de son extradition. La demande TRIBUNAL MILITAIRE d’asile en Bulgarie d’Abdullah Buyuk avait En juin, le tribunal militaire a inculpé été rejetée quelques jours auparavant. Il a été 14 personnes, dont l’ancien président Blaise remis aux autorités turques alors que deux Compaoré, pour leur implication présumée décisions de justice s’étaient précédemment dans l’assassinat du président Thomas opposées à son extradition. En mars 2016, le Sankara en 1987. Sept personnes, parmi tribunal de la ville de Sofia et la Cour d’appel lesquelles le colonel Alidou Guébré et le de Bulgarie avaient estimé qu’Abdullah caporal Wampasba Nacouma, ont été Buyuk ne devait pas être extradé, expliquant arrêtées en octobre et inculpées. En mai, le que les charges dont il faisait l’objet étaient Burkina Faso a lancé un mandat d’arrêt manifestement motivées par des international contre l’ancien président et un considérations d’ordre politique et que la autre des inculpés vivant en exil. Turquie ne pouvait pas garantir qu’il serait Entre juillet et octobre, 38 des jugé équitablement. Les services de la 85 personnes inculpées de menaces à la médiatrice de la République ont affirmé dans sécurité de l’État, de crimes contre une déclaration publique que le renvoi l’humanité et de meurtres à la suite du coup d’Abdullah Buyuk en Turquie était contraire à d’État de septembre 2015 ont été libérées à la Constitution bulgare, à la législation titre provisoire. Parmi ces personnes se nationale et aux obligations de la Bulgarie trouvaient les journalistes Caroline Yoda et aux termes du droit international. Adama Ouédraogo. L’ancien ministre des Affaires étrangères Djibril Bassolé et le général Gilbert Diendéré ont été maintenus en détention dans l’attente de leur procès

Amnesty International — Rapport 2016/17 125 devant le tribunal militaire. En avril, les exhaustive et impartiale sur toutes les autorités ont levé le mandat d’arrêt violations des droits humains commises par international visant Guillaume Soro, président les forces armées, notamment par le de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire, qui Régiment de sécurité présidentielle, ainsi que faisait l’objet d’une enquête pour sa pour sanctionner les personnes reconnues participation présumée au coup d’État. coupables de ces violations et offrir réparation aux victimes. EXACTIONS PERPÉTRÉES PAR DES La Commission d’enquête créée en 2015 GROUPES ARMÉS pour enquêter sur des opérations des forces Tout au long de l’année, des groupes armés de sécurité ayant fait au moins 10 morts et ont attaqué des civils et des membres des des centaines de blessés en octobre 2014 a forces de sécurité dans la capitale, remis son rapport au Premier ministre. Ses Ouagadougou, et dans le nord du pays, près conclusions n’ont pas été rendues publiques. de la frontière malienne. En janvier, à Ouagadougou, un groupe DROITS DES FEMMES armé a blessé et tué délibérément des civils Le Comité des droits économiques, sociaux lors d’une attaque aveugle. Cet attentat a été et culturels de l’ONU a constaté que les revendiqué par Al Mourabitoune, un groupe femmes en milieu rural étaient affilié à Al Qaïda au Maghreb islamique. Il a particulièrement défavorisées en matière de fait au moins 30 morts, dont une droits économiques, sociaux et culturels. Il a photographe et son chauffeur qui travaillaient recommandé au Burkina Faso de revoir sa pour Amnesty International. législation sur la prévention et la sanction des En mai, juin, octobre et décembre, les violences faites aux femmes et aux filles, et autorités ont annoncé que des groupes d’aider davantage les victimes de ces armés avaient attaqué des postes de police violences. Il a aussi recommandé que tous près de la frontière malienne, tuant les viols conjugaux soient punis et que les 21 personnes au total et en blessant victimes de tels actes soient encouragées à plusieurs autres. porter plainte. Des kogleweogo, des membres de milices En juillet, le Comité des droits de l’homme d’autodéfense du même nom constituées a estimé que la proportion de femmes dans principalement de fermiers et d’éleveurs, ont la fonction publique n’était pas suffisante. commis des exactions, telles que des passages à tabac et des enlèvements. Des Droits sexuels et reproductifs organisations de la société civile ont reproché Seules 16 % des femmes du pays utilisaient aux autorités de ne pas agir suffisamment une méthode de contraception moderne et, pour empêcher ces violences et y remédier. en zone rurale, près de 30 % des filles et des Le ministre de la Justice s’est engagé à jeunes femmes de 15 à 19 ans étaient mettre un terme aux actions de ces milices. enceintes ou avaient déjà eu un enfant. Un décret visant à réglementer leurs activités Certaines femmes et jeunes filles ont indiqué a été adopté en octobre. ne pas savoir qu’un rapport sexuel pouvait En septembre, quatre kogleweogo inculpés entraîner une grossesse. Beaucoup ont dit ne à la suite d’un rassemblement armé ont été pas utiliser de contraceptifs, ou pas condamnés à six mois d’emprisonnement, et systématiquement, en raison de leur coût. 26 autres à des peines allant de 10 à Ces facteurs favorisent les grossesses non 12 mois de prison avec sursis. désirées et à haut risque, donnant parfois lieu à des avortements clandestins et IMPUNITÉ dangereux1. En juillet, le Comité des droits de l’homme de Au moins 2 800 femmes meurent en l’ONU a souligné que le gouvernement devait couches chaque année au Burkina Faso. En redoubler d’efforts pour enquêter de façon mars, les autorités ont levé quelques-uns des

126 Amnesty International — Rapport 2016/17 principaux obstacles financiers auxquels les s’est emparé de la capitale et d’autres femmes enceintes étaient confrontées, régions du pays. À la fin de l’année, notamment en ce qui concerne les frais de quelque trois millions de personnes avaient césarienne et d’accouchement. besoin d’une aide humanitaire en raison de la crise politique, de l’effondrement de Mariage précoce et forcé l’économie et d’une série de catastrophes Le taux de mariages précoces et forcés au naturelles. Burkina Faso est l’un des plus élevés au monde. Des femmes et des filles ont indiqué CONTEXTE avoir été forcées de se marier à la suite de La crise politique déclenchée en 2015 violences, sous la contrainte ou en raison des lorsque le président Nkurunziza a décidé de pressions liées à l’argent et aux biens offerts briguer un troisième mandat s’est à leur famille lors du mariage. Dans la région progressivement installée et s’est du Sahel, plus de la moitié des filles âgées de accompagnée d’une crise socioéconomique 15 à 17 ans étaient déjà mariées. de plus en plus grave. Les autorités ont adopté une stratégie Les tentatives de médiation lancées sous nationale visant à mettre un terme au les auspices de la Communauté d’Afrique de mariage des enfants d’ici 2025. Ce plan l’Est étaient au point mort, malgré la considère comme enfant toute personne nomination en mars de l’ancien président de âgée de moins de 18 ans et entend par la Tanzanie, Benjamin Mkapa, en tant que « mariage » toute forme d’union entre un médiateur. La Commission nationale de homme et une femme, qu’elle soit célébrée dialogue inter-burundais a indiqué que la par un agent de l’État ou par un chef majorité des participants avaient demandé traditionnel ou religieux. Toutefois, de graves des modifications de la Constitution, inquiétudes demeurent quant au cadre notamment la suppression de la limitation du juridique et aux faiblesses dans l’application nombre de mandats. De nombreux de la loi. Burundais étant exilés ou ayant peur d’exprimer des opinions dissidentes, les conclusions de la Commission risquaient 1. Contraintes et privées de droits. Mariages forcés et barrières à la contraception au Burkina Faso (AFR 60/3851/2016) d’être biaisées. L’Union africaine est revenue sur sa proposition de décembre 2015 de déployer une force de protection et a décidé d’envoyer BURUNDI plutôt une délégation de cinq chefs d’État et de gouvernement africains au Burundi en République du Burundi février. En juillet, le Conseil de sécurité des Chef de l’État et du gouvernement : Pierre Nkurunziza Nations unies a autorisé le déploiement de 228 policiers, ce que le gouvernement a La crise politique n’était plus aussi refusé. ouvertement violente, mais de graves En mai, la Cour suprême a condamné en violations des droits humains – homicides appel 21 militaires et policiers à la réclusion à illégaux, disparitions forcées, torture et perpétuité pour leur participation à la autres mauvais traitements, arrestations tentative manquée de coup d’État en mai arbitraires, entre autres – ont continué 2015. Cinq autres ont été condamnés à deux d’être perpétrées. Les violences faites aux ans d’emprisonnement et deux ont été femmes et aux filles ont augmenté. Les acquittés. Ces peines étaient plus lourdes droits à la liberté d’expression et que celles imposées en janvier. d’association ont fait l’objet de restrictions. Le 20 août, le général Evariste Dans ce contexte de répression accrue et Ndayishimiye a été élu secrétaire général du d’impunité généralisée, un climat de peur parti au pouvoir, le Conseil national pour la

Amnesty International — Rapport 2016/17 127 défense de la démocratie-Forces pour la de sécurité en décembre 2015 avaient été défense de la démocratie (CNDD-FDD). enterrées dans des fosses communes1. En Après plusieurs mois de consultations, février, le maire de Bujumbura a présenté l’Union européenne a décidé en mars de aux médias une fosse qui avait selon lui été suspendre son appui financier direct au creusée par des membres de l’opposition, gouvernement, et de réexaminer dans le quartier de Mutakura. Le périodiquement la situation. En octobre, elle gouvernement n’a pas donné suite aux offres a estimé que les propositions d’engagements du Bureau du haut-commissaire des Nations présentées par le gouvernement face aux unies aux droits de l’homme et de l’Enquête préoccupations exprimées étaient indépendante des Nations unies sur le insuffisantes pour qu’elle reprenne son aide. Burundi visant à enquêter sur les fosses L’UE a renouvelé les sanctions contre quatre communes présumées. hommes « dont les activités ont été Début 2016, Bujumbura a été considérées comme compromettant la régulièrement le théâtre d’explosions de démocratie ou faisant obstacle à la recherche grenades, ainsi que d’homicides ciblés. Le d’une solution politique à la crise 22 mars, le lieutenant-colonel Darius burundaise », car ils avaient encouragé des Ikurakure, un militaire impliqué dans de actes de répression contre des nombreuses violations des droits humains, a manifestations pacifiques ou participé à la été tué par balles au quartier général de tentative manquée de coup d’État. Les États- l’armée. Le 25 avril, des hommes armés ont Unis ont eux aussi émis des sanctions contre tiré sur la voiture du général Athanase trois autres personnes, portant à 11 le Kararuza, le tuant ainsi que son épouse, nombre total de personnes ciblées par des Consolate Gahiro, et son assistant, Gérard sanctions américaines. Vyimana. Grièvement touchée, sa fille, L’accès aux services essentiels était Daniella Mpundu, a succombé entravé par l’insécurité et la dégradation de la ultérieurement à ses blessures. La veille, le situation économique. La suppression d’aides ministre des Droits de la personne humaine, financières extérieures a entraîné de Martin Nivyabandi, et une autre personne, considérables restrictions budgétaires. Diane Murindababisha, avaient été blessés Plusieurs catastrophes naturelles, lors d’une attaque. Le 13 juillet, des hommes notamment des inondations, des glissements armés non identifiés ont tué Hafsa Mossi, de terrain et des orages, ont exacerbé cette ancien ministre et député de l’Assemblée situation. Les organisations humanitaires législative de l’Afrique de l’Est. Un haut estimaient en octobre que trois millions de conseiller du président, Willy Nyamitwe, a été personnes avaient besoin d’assistance, blessé lors d’une tentative d’assassinat le contre 1,1 million en février. Une épidémie 28 novembre. de choléra a été déclarée en août et le nombre de cas de paludisme a quasiment DISPARITIONS FORCÉES doublé par rapport à 2015. De nouvelles disparitions forcées, impliquant souvent le Service national de HOMICIDES ILLÉGAUX renseignement, ont été signalées ; de Des centaines de personnes ont été tuées nombreuses affaires remontant à 2015 illégalement lors d’exécutions ciblées et n’étaient toujours pas résolues. aveugles liées à la crise. Des ONG ont Jean Bigirimana, journaliste pour le média continué de signaler la découverte de indépendant Iwacu, a été vu pour la dernière charniers. Amnesty International a analysé fois le 22 juillet2. Son collègue a reçu un des images satellite et des vidéos d’un site à appel téléphonique lui indiquant qu’il avait Buringa, près de la capitale, Bujumbura. Ces été emmené par des membres présumés du éléments corroboraient les témoignages selon Service national de renseignement. Deux lesquels des personnes tuées par les forces corps dans un état avancé de décomposition

128 Amnesty International — Rapport 2016/17 ont par la suite été retrouvés dans une rivière d’arrêter les personnes présentes à proximité et aucun n’a pu être identifié. du lieu d’une attaque à la grenade car les coupables pouvaient se trouver parmi elles. TORTURE ET AUTRES MAUVAIS Le 25 août, la police a présenté à la presse TRAITEMENTS 93 personnes interpellées dans le cadre de Des actes de torture et d’autres mauvais l’opération « ville propre » et à qui il était traitements continuaient d’être commis à une reproché de pratiquer la mendicité. fréquence alarmante et en toute impunité par le Service national de renseignement, la LIBERTÉ D’EXPRESSION police et les Imbonerakure, la branche La liberté d’expression était étouffée à tous jeunesse du parti au pouvoir. Les méthodes les niveaux de la société. rapportées étaient notamment les suivantes : Des centaines de lycéens ont été exclus coups assénés à l’aide de branches, de temporairement pour avoir gribouillé sur une barres de fer et de matraques, décharges photo du président figurant dans leurs électriques, piétinement des victimes, manuels. En juin, des dizaines d’élèves ont privation de soins médicaux, agressions été interpellés et accusés d’offense au verbales et menaces de mort3. Des président, notamment dans les provinces de personnes qui avaient refusé d’être enrôlées Muramvya, Cankuzo et Rumonge. Deux dans les Imbonerakure ont déclaré qu’elles jeunes ont été inculpés de participation à un avaient été frappées au moment de leur mouvement insurrectionnel et incitation à la arrestation et en détention, selon toute manifestation. Les autres avaient été remis apparence à titre de punition. D’autres ont en liberté à la mi-août. reçu des coups alors qu’elles tentaient de fuir Deux radios privées ont rouvert en février, le pays. mais les journalistes burundais et étrangers étaient en butte à des persécutions. Phil VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ET Moore et Jean-Philippe Rémy, qui AUX FILLES travaillaient pour le quotidien français Le En novembre, le Comité pour l’élimination de Monde, ont été arrêtés en janvier. Julia la discrimination à l’égard des femmes Steers, une journaliste américaine, et Gildas [ONU] s’est dit préoccupé par une hausse Yihundimpundu, un journaliste burundais, des actes graves de violences sexuelles et ont été arrêtés avec leur chauffeur burundais liées au genre dont se rendaient coupables la le 23 octobre. Julia Steers a été conduite à police, l’armée et les Imbonerakure contre les l’ambassade des États-Unis le jour même, femmes et les filles. mais Gildas Yihundimpundu et le chauffeur ont passé la nuit au Service national de ARRESTATIONS ET DÉTENTIONS renseignement. Léon Masengo, journaliste à ARBITRAIRES la radio Isanganiro FM, a été brièvement La police procédait régulièrement à des détenu le 11 novembre alors qu’il faisait un perquisitions et des arrestations dans les reportage sur la comparution en justice d’un secteurs de Bujumbura, où les policier accusé de nombreuses violations des manifestations de 2015 s’étaient droits humains. principalement déroulées. Dans ces quartiers, ainsi que dans d’autres régions du LIBERTÉ D’ASSOCIATION Burundi, la police vérifiait périodiquement les Les opposants politiques étaient en butte à la cahiers de ménage où les habitants doivent répression. être enregistrés. En mars, au moins 16 membres du parti Le 28 mai, la police a arrêté plusieurs des Forces nationales de libération (FNL) ont centaines de personnes dans le quartier de été arrêtés dans un bar de la province de Bwiza, à Bujumbura. Un porte-parole de la Kirundo. La police a déclaré que ces police aurait déclaré qu’il était normal personnes assistaient à une réunion politique

Amnesty International — Rapport 2016/17 129 non autorisée. Des dirigeants locaux de partis 2015, a saisi la Cour suprême en octobre d’opposition qui s’étaient prononcés contre la 2015. L’affaire n’a pas progressé en 2016. réélection du président Nkurunziza ont été Les enquêtes judiciaires manquaient passés à tabac et menacés par les toujours de crédibilité. Le procureur général a Imbonerakure. Dans l’ensemble du pays, ces annoncé en mars les conclusions d’une derniers exerçaient des pressions sur les commission d’enquête sur les exécutions habitants pour qu’ils les rejoignent ou qu’ils extrajudiciaires qui auraient été commises le adhèrent au parti au pouvoir, le CNDD-FDD, 11 décembre 2015 et la découverte et ont mené des campagnes d’intimidation ultérieure de possibles fosses communes. contre ceux qui refusaient. Selon le rapport, à une exception près, toutes L’Assemblée nationale a adopté en les personnes retrouvées mortes dans les décembre deux lois imposant des contrôles quartiers de Musaga, Ngagara et Nyakabiga plus stricts sur les activités des associations à Bujumbura avaient participé aux burundaises et étrangères. affrontements. Un échange de tirs a effectivement eu lieu le 11 décembre, mais DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS ces faits ont été suivis d’une opération de Le travail de défense des droits humains est ratissage au cours de laquelle de devenu de plus en plus dangereux et difficile. nombreuses personnes ont été tuées d’une Le Service national de renseignement a balle dans la tête, et au moins un corps a été renforcé la surveillance des militants des retrouvé ligoté. droits humains et d’autres personnes La phase opérationnelle de la Commission perçues comme étant critiques vis-à-vis du vérité et réconciliation, qui couvre la période gouvernement. Les victimes et les témoins de allant de 1962 à 2008, a été lancée en mars. violations des droits fondamentaux avaient La collecte des témoignages a commencé en peur de dénoncer ces actes. septembre. La Commission ne disposait pas En octobre, le ministre de l’Intérieur a de compétence judiciaire et le tribunal interdit cinq grandes organisations de spécial qui était initialement envisagé n’a pas défense des droits humains dont les activités été créé. avaient été suspendues en 2015. Il en a suspendu cinq autres la semaine suivante. RÉFUGIÉS ET PERSONNES DÉPLACÉES L’une d’elles, la Ligue burundaise des droits Environ 100 000 personnes ont fui le de l’homme Iteka, a été définitivement Burundi en 2016, portant à plus de 327 000 fermée en décembre après qu’elle eut publié le nombre de Burundais ayant dû quitter leur un rapport controversé. pays en raison de la crise actuelle. Le Bureau À la suite de l’examen de la situation au de la coordination des affaires humanitaires Burundi par le Comité contre la torture (OCHA) estimait que 139 000 personnes [ONU] en juillet, un procureur burundais a étaient déplacées à l’intérieur du pays en demandé au barreau de radier quatre raison de la crise et des catastrophes avocats qui avaient contribué au rapport de naturelles. la société civile remis au Comité. Pamela Les personnes qui cherchaient à fuir Capizzi, de l’ONG suisse TRIAL International, étaient victimes d’agressions et de vols. Les a été priée de quitter le pays le 6 octobre membres des Imbonerakure étaient en alors qu’elle avait un visa. grande partie responsables de ces actes, mais les réfugiés ont aussi accusé des OBLIGATION DE RENDRE DES COMPTES individus portant des uniformes de la police Les victimes de violations des droits humains et de l’armée. continuaient d’éprouver de grandes difficultés à obtenir justice. Le journaliste DROITS DES FEMMES Esdras Ndikumana, qui a été torturé en août Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes a

130 Amnesty International — Rapport 2016/17 exprimé ses inquiétudes sur les sujets des droits humains graves, systématiques et suivants : le taux élevé d’abandon au lycée reproduisant un même schéma étaient chez les filles ; l’accès limité des femmes aux perpétrées, et que l’impunité était soins médicaux de base et aux services de généralisée. Pour veiller au suivi de la santé sexuelle et reproductive ; le maintien situation, le Conseil des droits de l’homme a de la criminalisation de l’avortement ; et le créé une commission d’enquête sur le fait que 45 % des femmes incarcérées Burundi. Rejetant cette initiative, le Burundi purgeaient des peines pour avortement ou a interdit en octobre l’accès à son territoire infanticide. Le Comité a souligné la forte aux trois experts de l’Enquête indépendante proportion de femmes travaillant dans le des Nations unies sur le Burundi, et a secteur informel, où elles occupaient des suspendu la coopération avec le haut- emplois non qualifiés et mal payés, sans commissaire aux droits de l’homme de l’ONU protection sociale. Il a également noté en attendant une renégociation. l’absence de protection pour les employés de Le Bureau du procureur de la Cour pénale maison confrontés à l’exploitation et aux abus internationale (CPI) a ouvert en avril un sexuels, ainsi que le maintien du travail des examen préliminaire sur la situation au enfants. Burundi. Le 8 octobre, l’Assemblée nationale et le Sénat se sont prononcés en faveur du SURVEILLANCE INTERNATIONALE retrait de la CPI5. Le secrétaire général de La situation au Burundi a fait l’objet d’une l’ONU a reçu, le 27 octobre, une notification attention très soutenue de la part des officielle du retrait du Burundi du Statut de organes internationaux et régionaux, et les Rome de la CPI, qui prendra effet après un autorités ont réagi avec une hostilité délai d’un an. croissante à ces initiatives. En février, le gouvernement a accepté de 1. Burundi. Les victimes des violences du 11 décembre seraient porter à 200 le nombre d’observateurs des enterrées dans des fosses communes (AFR 16/3337/2016) droits humains et d’experts militaires de 2. Burundi. Un journaliste toujours porté disparu (AFR 16/4832/2016) l’Union africaine. À la fin de l’année, seul un 3. Burundi. Communication au Comité des Nations unies contre la tiers d’entre eux avaient été déployés et torture, rapport spécial 25 juillet-12 août 2016 (AFR 16/4377/2016) aucun protocole d’accord n’avait été signé. 4. Burundi. Déclaration écrite d’Amnesty International en prévision de la En avril, la Commission africaine des droits 33e session du Conseil des droits de l’homme des Nations unies de l’homme et des peuples a présenté au (13-30 septembre 2016) (AFR 16/4737/2016) Conseil de paix et de sécurité de l’Union 5. Burundi. Un retrait de la CPI ne doit pas entraver le cours de la africaine le rapport de sa mission justice concernant des abus commis dans le cadre de la crise d’établissement des faits réalisée au Burundi (nouvelle, 12 octobre) en décembre 2015. Ses recommandations comprenaient notamment la création d’un mécanisme conjoint d’enquête régional et CAMBODGE international. Le Comité contre la torture [ONU] a Royaume du Cambodge demandé un rapport spécial au Burundi, qui Chef de l’État : Norodom Sihamoni a été examiné en juillet. La délégation du Chef du gouvernement : Hun Sen gouvernement n’a assisté qu’à la moitié des séances et n’a pas répondu aux questions. La répression contre les droits à la liberté Elle a toutefois remis des informations d’expression, d’association et de réunion complémentaires en octobre. pacifique s’est accentuée avant les L’Enquête indépendante des Nations unies élections prévues en 2017 et 2018. Les sur le Burundi a présenté son rapport au autorités ont utilisé le système judiciaire de Conseil des droits de l’homme en façon de plus en plus abusive, et les forces septembre4. Elle a conclu que des violations de sécurité ont continué à harceler et punir

Amnesty International — Rapport 2016/17 131 la société civile et à faire taire les détracteurs du gouvernement. Des LIBERTÉ D’EXPRESSION ET défenseurs des droits humains ont été D’ASSOCIATION arrêtés et placés en détention provisoire. Les actions judiciaires contre l’opposition Plusieurs ont été jugés et condamnés, politique ont encore pris de l’ampleur, dans notamment pour d’anciennes infractions l'objectif semble-t-il d'entraver ses activités présumées ; d’autres ont été condamnés à avant les élections locales de 2017. Au moins des peines avec sursis ou étaient toujours 16 militants ou cadres de l’opposition sous le coup d’une inculpation. L’opposition restaient emprisonnés après un procès politique a été prise pour cible. Certains inéquitable. Parmi eux figuraient militants purgeaient de lourdes peines 14 membres du PSNC déclarés coupables infligées les années précédentes, et de d’avoir mené une « insurrection » et/ou d’y nouvelles actions judiciaires ont été avoir pris part, en lien avec une manifestation engagées contre des responsables des partis de juillet 2014. Au moins deux membres de d’opposition, entre autres. Un partis d’opposition étaient en détention commentateur politique connu a été abattu provisoire et au moins 13 autres faisaient et les auteurs d’homicides illégaux commis l’objet de diverses accusations. par le passé restaient impunis. En décembre, Sam Rainsy et deux de ses assistants ont été condamnés à cinq ans CONTEXTE d'emprisonnement pour « complicité » dans Les tensions entre le Parti du peuple une affaire de faux datant de 2015 et cambodgien (PPC), au pouvoir, et le Parti du impliquant un sénateur de l’opposition, Hong sauvetage national du Cambodge (PSNC), Sok Hour, qui a lui-même été condamné en dans l’opposition, restaient vives. La novembre 2016 à sept ans perspective des élections locales en 2017 et d'emprisonnement pour escroquerie et nationales en 2018 suscitait une instabilité provocation. Sam Rainsy et ses deux politique qui menaçait les droits humains. À assistants étaient en exil en France. partir de mai, les députés du PSNC ont En septembre, Kem Sokha a été boycotté l’Assemblée nationale par condamné en son absence à cinq mois de intermittence afin de protester contre les prison pour avoir refusé de témoigner dans le poursuites judiciaires engagées contre le procès de deux députés du PSNC accusés vice-président de leur parti, Kem Sokha, pour de « proxénétisme ». Il a bénéficié d'une défaut de comparution en tant que témoin grâce royale en décembre à la demande du dans une affaire judiciaire. Le président du Premier ministre. PSNC, Sam Rainsy, était toujours en exil Um Sam An, député du PSNC, a été volontaire en France ; en octobre, le condamné en octobre à deux ans et demi gouvernement cambodgien a annoncé d'emprisonnement pour provocation à la officiellement qu’il lui était interdit de rentrer suite de la campagne menée par son parti au au Cambodge. Il a fait l’objet d’une série sujet d’un empiétement présumé du Viêt- d’inculpations pénales pendant l’année. Nam sur le territoire cambodgien. En septembre, 39 États ont publié une déclaration lors de la 33e session du Conseil DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS des droits de l’homme de l’ONU pour faire Des défenseurs des droits humains ont été part de leur inquiétude face à la situation menacés et arrêtés alors qu’ils ne faisaient politique au Cambodge et demander un qu’exercer pacifiquement leurs activités. Les environnement sûr et favorable pour les actes d’intimidation, les menaces et la défenseurs des droits humains et la société surveillance massive ont poussé plusieurs civile. d’entre eux à quitter le pays par crainte pour leur sécurité.

132 Amnesty International — Rapport 2016/17 En mai, des poursuites ont été engagées les poursuites à leur encontre étaient dans une affaire emblématique contre Ny considérées comme une tentative délibérée Sokha, Yi Soksan, Nay Vanda et Lem Mony, de leur faire perdre leur poste au sein de quatre employés de l’Association pour les cette instance. droits de l’homme et le développement au Try Sovikea, Sun Mala et Sim Samnang, Cambodge (ADHOC) arrêtés le 28 avril, puis militants de l’ONG de défense de inculpés de corruption de témoin. Ny l’environnement Mother Nature arrêtés en Chakrya, ancien employé de l’ADHOC et août 2015, ont été condamnés en juin à secrétaire général adjoint de la Commission 18 mois de prison pour menace de électorale nationale (CEN), a quant à lui été destruction de biens. Ils ont été libérés après inculpé de complicité. Cette affaire porte sur que la part de leur peine non purgée en des conseils et une aide matérielle fournis détention provisoire eut été assortie d’un par l’ADHOC à une femme qui aurait eu une sursis. relation extraconjugale avec Kem Sokha. En octobre, le juge d’instruction a porté la durée LIBERTÉ DE RÉUNION de leur détention provisoire à douze mois. Le Cette année encore, les autorités ont entravé ministre de l'Intérieur, Sar Kheng, a annoncé des manifestations pacifiques. En mai, la en décembre que ces cinq personnes société civile a lancé une campagne seraient libérées, mais aucune mesure pacifique, intitulée « Lundi noir », pour n'avait été prise en ce sens à la fin de demander la libération de quatre employés l'année. La liaison supposée a donné lieu à de l’ADHOC et d’un ancien employé de la trois procédures pénales distinctes contre CEN (voir plus haut). Les manifestants, vêtus huit responsables politiques et acteurs de la de noir, ont participé à des rassemblements société civile, ainsi qu'à une quatrième et veillées hebdomadaires, dont ils ont publié procédure contre la femme mise en cause. les images sur les réseaux sociaux. Les Le PPC a porté plainte contre le autorités ont tenté d’interdire ces commentateur politique Ou Virak pour manifestations et ont menacé, arrêté et diffamation après que celui-ci eut déclaré détenu des participants, qui n’ont que ces poursuites étaient motivées par des généralement été remis en liberté qu’après considérations politiques. Seang Chet, avoir signé l’engagement de ne plus conseiller communal d'opposition, a été manifester. Les militants du droit au logement reconnu coupable de subornation de témoin dans la capitale, Phnom Penh, figuraient dans une de ces affaires en décembre. parmi les personnes régulièrement prises Condamné à cinq ans d'emprisonnement, il a pour cible. été gracié et libéré deux jours plus tard. Tep Vanny et Bov Sophea, habitantes du Dans un autre dossier, Ny Chakrya a été quartier de Boeung Kak, ont été arrêtées le condamné à six mois d’emprisonnement 15 août pendant une veillée du « Lundi pour diffamation, dénonciation calomnieuse noir ». Elles ont été jugées le 22 août et et publication de commentaires visant à condamnées à six jours d’emprisonnement exercer une contrainte illégale sur les chacune pour outrage à fonctionnaire. Bov autorités judiciaires. Il avait critiqué la façon Sophea a été libérée au terme de sa peine, dont un tribunal de Siem Reap avait géré un mais Tep Vanny a été maintenue en conflit foncier en mai 2015. En avril, Rong détention dans le cadre d’une enquête sur Chhun, ancien syndicaliste, a appris qu’il une accusation ayant refait surface, liée à serait jugé pour des infractions pénales en une manifestation de 2013. Dans une autre lien avec une manifestation de 2014, au affaire qui était restée en sommeil, Tep cours de laquelle des ouvriers qui Vanny, Bo Chhorvy, Heng Mom et Kong manifestaient avaient été abattus par les Chantha, toutes du quartier de Boeung Kak, forces de sécurité. Ny Chakrya et Rong ont été condamnées le 19 septembre à six Chhun travaillaient tous deux pour la CEN et mois d’emprisonnement pour outrage et

Amnesty International — Rapport 2016/17 133 entrave à des fonctionnaires en lien avec une décent dans le pays. Les travaux du barrage manifestation de 2011. À la fin de l’année, hydroélectrique Bas-Sésan II, dans la Tep Vanny était toujours emprisonnée ; les province de Stung Tréng, au nord-est du trois autres femmes restaient en liberté en pays, se sont poursuivis. D’après les attendant l’examen de l'appel contre leur estimations, quelque 5 000 membres de condamnation. minorités autochtones allaient devoir être réinstallés en raison des inondations HOMICIDES ILLÉGAUX provoquées par ce barrage. La rapporteuse Le commentateur politique Kem Ley a été spéciale sur la situation des droits de abattu dans la matinée du 10 juillet dans une l'homme au Cambodge [ONU] a demandé station-service où il se rendait régulièrement l’organisation d’une consultation en bonne et pour rencontrer des gens. Il était due forme, une meilleure prise en compte fréquemment invité à la radio et dans les des pratiques culturelles et l'examen de la médias d’information pour livrer son analyse faisabilité des solutions de remplacement sur les événements politiques au Cambodge, proposées par les populations. souvent critique à l'égard du gouvernement. Un ancien soldat, Oeuth Ang, a été arrêté RÉFUGIÉS ET DEMANDEURS D'ASILE peu après, mais les autorités n’ont pas mené En janvier, après avoir d'abord opposé un d’enquête indépendante et efficace, ni fourni refus, le ministère de l’Intérieur a confirmé des informations suffisantes sur les que les demandes de reconnaissance du éventuelles investigations menées à propos statut de réfugié de 170 demandeurs d’asile de cet homicide. Le Premier ministre, Hun montagnards ayant fui le Viêt-Nam seraient Sen, a poursuivi Sam Rainsy en diffamation examinées. Treize autres demandeurs d’asile après que celui-ci eut écrit sur Facebook que ayant déjà obtenu le statut de réfugié ont été le gouvernement pourrait être derrière ce transférés aux Philippines en attendant leur meurtre. La sénatrice de l'opposition Thak réinstallation dans un autre pays. Durant Lany, jugée en son absence, a été reconnue l’année, quelque 29 réfugiés sont rentrés coupable de diffamation et de provocation volontairement au Viêt-Nam avec l'aide du parce qu'elle aurait accusé Hun Sen d'avoir Haut-Commissariat des Nations unies pour ordonné l'assassinat du commentateur les réfugiés. politique. Rien n’a été fait pour amener quiconque à rendre des comptes pour les homicides d’au moins six personnes et la disparition forcée CAMEROUN de Khem Saphath dans le cadre de la République du Cameroun violente vague de répression menée par les Chef de l’État : Paul Biya forces de sécurité contre la liberté de réunion Chef du gouvernement : Philémon Yang pacifique en 2013 et 2014. La nouvelle enquête ordonnée en 2013 sur l'assassinat Le groupe armé Boko Haram a continué de par arme à feu du syndicaliste Chea Vichea, commettre de graves atteintes aux droits commis en janvier 2004 par des tueurs non humains et des infractions au droit identifiés, ne semblait pas non plus avoir international humanitaire, notamment des enregistré de quelconques avancées. centaines d’homicides et d’enlèvements de civils, dans la région de l’Extrême-Nord. En DROIT À UN NIVEAU DE VIE SUFFISANT ripostant, les autorités et les forces de La saisie de terres, les concessions foncières sécurité se sont rendues coupables de économiques allouées à des opérateurs violations des droits humains, y compris privés et les grands projets de d’arrestations arbitraires, de détentions au développement continuaient d’avoir des secret, d’actes de torture et de disparitions répercussions sur le droit à un logement forcées. Du fait du conflit, plus de

134 Amnesty International — Rapport 2016/17 170 000 personnes avaient fui leur moins 34 autres blessées lors de deux domicile depuis 2014. Les libertés attentats-suicides sur des marchés de Mora, d’expression, d’association et de réunion le 21 août et le 25 décembre. pacifique demeuraient restreintes. Des manifestations organisées dans les régions ARRESTATIONS ET DÉTENTIONS anglophones à partir de fin octobre ont été ARBITRAIRES violemment réprimées par les forces de Les forces de sécurité ont encore arrêté sécurité. Des journalistes, des étudiants, arbitrairement des personnes accusées de des défenseurs des droits humains et des soutenir Boko Haram sur la base de preuves membres de partis d’opposition ont été minces, voire inexistantes, et les ont placées arrêtés et parfois jugés par des tribunaux en détention dans des conditions militaires. Les personnes LGBTI étaient inhumaines, qui mettaient souvent leur vie en toujours en butte à la discrimination, à des danger. Plusieurs centaines de suspects ont manœuvres d’intimidation et au été incarcérés dans des lieux de détention harcèlement, bien que le nombre non officiels, comme des bases militaires ou d’arrestations et de poursuites ait continué des locaux appartenant aux services de à baisser. renseignement, sans possibilité d'entrer en contact avec un avocat ni avec leur famille. EXACTIONS PERPÉTRÉES PAR DES Les forces de sécurité ont continué de GROUPES ARMÉS – BOKO HARAM mener des opérations de ratissage, qui ont Le groupe Boko Haram s’est rendu coupable donné lieu à des vagues d’arrestations. de crimes relevant du droit international et d’atteintes aux droits humains, dont des TORTURE, MORTS EN DÉTENTION ET attentats-suicides dans des zones civiles, des DISPARITIONS FORCÉES exécutions sommaires, des actes de torture, Des dizaines d’hommes, de femmes et des prises d’otages, des enlèvements, le d’enfants accusés de soutenir Boko Haram recrutement d’enfants soldats, ainsi que le ont été torturés par des membres de la pillage et la destruction de biens publics, Brigade d’intervention rapide, une unité privés ou religieux. Pendant l’année, il a d’élite de l’armée, sur la base militaire perpétré au moins 150 attaques, dont appelée Salak, non loin de Maroua, ainsi que 22 attentats-suicides, qui ont fait au moins par des agents de la Direction générale de la 260 morts parmi les civils. La population recherche extérieure (DGRE), un service de civile vivant autour du lac Tchad a ainsi été renseignement, à Yaoundé, la capitale. prise pour cible de manière systématique. Certains ont succombé à ces tortures ; Boko Haram a délibérément visé des civils d'autres ont disparu1. en commettant des attentats contre des marchés, des mosquées, des églises, des LIBERTÉ D’EXPRESSION, écoles et des gares routières. Rien qu’en D’ASSOCIATION ET DE RÉUNION janvier, au moins neuf attentats-suicides ont Des défenseurs des droits humains, parmi coûté la vie à plus de 60 civils. Le 10 février, lesquels des militants de la société civile et dans la ville de Nguéchéwé, à 60 kilomètres des journalistes, ont continué d’être victimes de Maroua, deux femmes se sont fait de manœuvres d’intimidation, de exploser lors d’un enterrement, tuant au harcèlement et de menaces. Des journalistes moins neuf civils, dont un enfant, et blessant ont déclaré que, face aux restrictions pesant plus de 40 personnes. Le 19 février, deux sur les libertés d’expression, d’association et autres femmes ont fait de même sur un de réunion pacifique, ils pratiquaient marché extrêmement fréquenté dans le l’autocensure afin de ne pas subir les village de Mémé, non loin de Mora, faisant au conséquences qui découleraient d’une moins 24 morts et 112 blessés parmi les critique visant les autorités, en particulier sur civils. Cinq personnes ont été tuées et au des questions liées à la sécurité.

Amnesty International — Rapport 2016/17 135 Kah Walla, présidente du Parti populaire 2015, s’est ouvert devant le tribunal militaire du Cameroun (PPC), a été arrêtée de Yaoundé le 29 février. Il a été entaché arbitrairement à plusieurs reprises. Le 8 avril, d’irrégularités : entre autres, des témoins elle et 11 membres de son parti ont été n’ont pas été appelés à témoigner et certains emmenés au poste de police judiciaire du documents n’ont pas été transmis aux quartier d'Elig-Essono, à Yaoundé, pour avocats de la défense. Inculpé de complicité « insurrection et rébellion contre l'État », et de non-dénonciation d’actes terroristes, après avoir manifesté pacifiquement contre le Ahmed Abba a été torturé pendant sa gouvernement. Le 20 mai, 15 membres du détention au secret, qui a duré trois mois. PPC, dont Kah Walla, ont été arrêtés et Le procès de trois journalistes – Rodrigue conduits à la Direction de la surveillance du Tongué, Félix Ebolé Bola et Baba Wamé – territoire, à Yaoundé. Inculpés de « rébellion, s’est poursuivi devant le tribunal militaire de incitation à l'insurrection et incitation à la Yaoundé. Ces hommes ont été inculpés de révolte », ils ont été libérés le jour même sans non-divulgation d’informations et de sources aucune explication. Le 28 octobre, Kah Walla en octobre 2014. S’ils sont déclarés a été arrêtée au siège de son parti, à coupables, ils encourent une peine maximale Yaoundé, et conduite au commissariat de cinq ans d’emprisonnement. La central du premier arrondissement de procédure judiciaire a été entachée Yaoundé, de même que 50 de ses d’irrégularités sur le fond et la forme ; les sympathisants avec qui elle était réunie pour juges ont notamment refusé que des témoins une prière à la mémoire des victimes de comparaissent. Aboubakar Siddiki, dirigeant l'accident de train d'Eseka. Ces arrestations du parti politique Mouvement patriotique du ont été effectuées sans mandat. Kah Walla et salut camerounais, et Abdoulaye Harissou, ses sympathisants sont restés détenus un notaire réputé, ont été jugés aux côtés des pendant sept heures sans inculpation, et trois journalistes. Arrêtés en août 2014, ils aucune raison n'a été donnée pour leur ont tous deux été détenus au secret à la arrestation. DGRE pendant plus de 40 jours avant d’être Fin octobre, des avocats, des élèves et des transférés à la prison principale de Yaoundé. enseignants des régions anglophones du Ils ont été inculpés de port et détention Cameroun se sont mis en grève pour illégaux d’armes de guerre, de complicité protester contre ce qu’ils considèrent comme d’assassinat, d’outrage au président de la une marginalisation de la minorité République, d’hostilité contre la patrie et de anglophone. Des manifestations ont eu lieu révolution. dans plusieurs villes du sud-ouest et du Fomusoh Ivo Feh, arrêté en décembre nord-ouest du pays, telles que Bamenda, 2014 à Limbé pour avoir transféré un SMS Kumba et Buea. Les forces de sécurité sarcastique sur Boko Haram, a été camerounaises ont arrêté arbitrairement des condamné le 2 novembre à 10 ans de prison manifestants et ont eu recours à une force par le tribunal militaire de Yaoundé pour excessive pour les disperser. Par exemple, le « non-dénonciation d'acte terroriste ». Il a été 8 décembre, elles ont tué deux à quatre reconnu coupable malgré les nombreuses personnes en tirant à balles réelles lors d’une irrégularités ayant entaché son procès, manifestation à Bamenda, dans le nord-ouest notamment l’absence d'interprète et le fait du pays. que le tribunal se soit basé sur des éléments de preuve limités et invérifiables. PROCÈS INÉQUITABLES Cette année encore, des procès inéquitables IMPUNITÉ devant des tribunaux militaires ont eu lieu. Le 11 juillet, le secrétaire d’État auprès du Le procès d’Ahmed Abba, un ministre de la Défense chargé de la correspondant de Radio France Gendarmerie nationale a indiqué qu’une Internationale arrêté à Maroua en juillet commission serait créée pour enquêter sur

136 Amnesty International — Rapport 2016/17 les crimes commis par les forces de sécurité géré par les Nations unies, dans la région de engagées dans des opérations contre Boko l’Extrême-Nord, mais quelque 27 000 autres Haram. Aucune information complémentaire vivaient péniblement à l’extérieur, où ils n’a été fournie. étaient en proie à l’insécurité alimentaire et En août, le procès du colonel de au harcèlement des forces de sécurité et gendarmerie Charles Zé Onguéné, inculpé de n’avaient pas accès aux services de base. négligence et d’infraction à la législation L'insécurité découlant des actions de Boko relative à la détention, s’est ouvert devant le Haram et de l'armée a aussi entraîné le tribunal militaire de Yaoundé. Cet homme déplacement à l'intérieur du pays d'environ était en charge de la région où, les 27 et 199 000 habitants de la région de l'Extrême- 28 décembre 2014, au moins 25 hommes Nord. Des accords étaient en cours de accusés de soutenir Boko Haram sont morts finalisation à la fin de l’année entre le en détention dans les locaux de la Cameroun, le Nigeria, la République gendarmerie. centrafricaine et le HCR afin de faciliter le retour volontaire des réfugiés. CONDITIONS CARCÉRALES Les conditions carcérales demeuraient DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET désastreuses : surpopulation chronique, DES PERSONNES BISEXUELLES, nourriture insuffisante, soins médicaux TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES limités, et conditions sanitaires et d’hygiène Les personnes LGBTI étaient toujours déplorables. La prison de Maroua abritait victimes de discrimination, de manœuvres 1 400 détenus, soit plus de trois fois la d’intimidation, de harcèlement et de capacité prévue. La population de la prison violences. L’incrimination des relations centrale de Yaoundé était d’environ homosexuelles a été maintenue lors de la 4 000 détenus alors que sa capacité révision du Code pénal, en juin. maximale est de 2 000. Dans cet Le 2 août, trois jeunes hommes ont été établissement, la majorité des détenus arrêtés à Yaoundé et emmenés dans un soupçonnés d’appartenir à Boko Haram ont poste de gendarmerie, où ils ont été battus et été enchaînés en permanence jusqu’en août. insultés et ont eu les cheveux rasés en partie. Plusieurs facteurs expliquent la Des gendarmes leur ont versé de l’eau froide surpopulation carcérale : les vagues sur le corps, les ont forcés à nettoyer le d’arrestations de personnes accusées de bâtiment et ont exigé qu’ils « avouent » leur soutenir Boko Haram, le grand nombre de orientation sexuelle. Ces jeunes hommes ont personnes détenues sans inculpation et été relâchés 24 heures plus tard moyennant l’inefficacité du système judiciaire. L’État a le versement d’un pot-de-vin. promis de bâtir de nouvelles prisons et a lancé la construction de 12 cellules DROIT À UN NIVEAU DE VIE SUFFISANT supplémentaires à la prison de Maroua. Les violences perpétrées par Boko Haram Toutefois, ces mesures étaient considérées n’ont fait qu’aggraver la situation déjà difficile comme insuffisantes. des populations de la région de l’Extrême- Nord, en limitant leur accès aux services DROITS DES RÉFUGIÉS ET DES sociaux de base et en perturbant le MIGRANTS commerce, l’agriculture et l’élevage. Environ Au moins 276 000 réfugiés provenant de la 1,4 million de personnes, principalement des République centrafricaine vivaient dans des enfants, ont connu des crises ou des camps surpeuplés ou des familles d’accueil situations d’urgence en matière de sécurité le long de la zone frontalière du sud-est du alimentaire. Par ailleurs, 144 écoles et Cameroun, dans des conditions très difficiles. 21 centres de santé ont été contraints de Environ 59 000 réfugiés venus du Nigeria fermer en raison de l’insécurité. étaient installés dans le camp de Minawao,

Amnesty International — Rapport 2016/17 137 En vertu d’une nouvelle version du Code En mai, le gouvernement a affirmé son pénal, adoptée en juillet, les locataires ayant soutien inconditionnel à la Déclaration des plus de deux mois de retard dans le Nations unies sur les droits des peuples paiement de leur loyer pouvaient désormais autochtones. Néanmoins, on ignorait encore être condamnés à une peine pouvant aller à la fin de l’année de quelle façon il jusqu'à trois ans d’emprisonnement. Environ collaborerait avec les peuples autochtones un tiers des ménages étaient locataires et pour concrétiser cet engagement. près de la moitié de la population du pays Un rapport financé par le gouvernement vivait en dessous du seuil de pauvreté. provincial a confirmé, en mai, que la pollution au mercure continuait d’affecter la PEINE DE MORT Première Nation de Grassy Narrows, dans la Cette année encore, des personnes accusées province de l’Ontario. de soutenir Boko Haram ont été condamnées En juillet, le gouvernement a délivré des à mort à l’issue de procès inéquitables permis autorisant la poursuite de la devant des tribunaux militaires, mais aucune construction du barrage du site C, dans la n’a été exécutée. Dans la grande majorité des province de la Colombie Britannique, malgré cas, les poursuites ont été engagées au titre les procédures judiciaires en cours de la loi antiterroriste extrêmement partiale concernant les obligations prévues par un adoptée en décembre 2014. traité historique conclu avec les Premières Nations concernées. Après des grèves de la faim et d’autres 1. Bonne cause, mauvais moyens : atteintes aux droits humains et à la justice dans le cadre de la lutte contre Boko Haram au Cameroun manifestations, le gouverneur de la province (AFR 17/4260/2016) de Terre-Neuve-et-Labrador a accepté, en octobre, des mesures visant à réduire les risques posés par le barrage de Muskrat Falls CANADA pour la santé et la culture des Inuits. En novembre, le gouvernement de la Colombie Britannique a reconnu la nécessité  Chef de l’État : Elizabeth II, représentée par David de s’attaquer aux répercussions de Johnston, gouverneur général l’exploitation des ressources naturelles sur la Chef du gouvernement : Justin Trudeau sécurité des femmes et des filles autochtones. Quelque 38 000 réfugiés syriens ont été réinstallés au Canada. Une enquête DROITS DES FEMMES nationale a été ouverte sur la violence à En mars, le gouvernement s’est engagé à l’égard des femmes et des filles promouvoir la santé sexuelle et reproductive autochtones. Le non-respect des droits des et les droits des femmes et des filles en la peuples autochtones dans le cadre des matière par le biais de son programme de projets de développement économique développement international. demeurait préoccupant. Une Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et DROITS DES PEUPLES AUTOCHTONES assassinées a été ouverte en septembre. Sa En janvier, le Tribunal canadien des droits de mission ne couvrait pas explicitement les la personne a conclu que le sous- actions de la police ni l’absence antérieure financement chronique des services de d’enquêtes en bonne et due forme. En protection de l’enfance destinés aux novembre, le Comité pour l’élimination de la Premières Nations était une forme de discrimination à l’égard des femmes [ONU] a discrimination. Le gouvernement a pris acte demandé au Canada de veiller à ce que cette de cette décision, mais n’a pas mis fin à la enquête traite du rôle des forces de l’ordre. discrimination.

138 Amnesty International — Rapport 2016/17 Également en novembre, le parquet du provisoire et détenu à l’isolement pendant Québec a procédé à des inculpations dans plus de quatre ans en Ontario, a suscité de seulement deux des 37 dossiers de plainte vives préoccupations quant au recours très déposés principalement par des femmes fréquent à l’isolement cellulaire. autochtones pour des violences policières. En novembre, le gouvernement du Québec L’observatrice civile indépendante chargée de a ouvert une enquête publique sur la superviser l’examen de ces dossiers s’est dite surveillance de journalistes par la police. préoccupée par l’existence d’un racisme systémique. En décembre, le gouvernement RÉFUGIÉS ET DEMANDEURS D’ASILE du Québec a annoncé l’ouverture d’une Durant l’année, 38 700 réfugiés syriens ont enquête publique sur la manière dont les été réinstallés au Canada dans le cadre d’un organismes provinciaux traitaient les programme gouvernemental et d’un Autochtones. programme de parrainage privé. Le Programme fédéral de santé LUTTE CONTRE LE TERRORISME ET intérimaire, qui assure une couverture aux SÉCURITÉ réfugiés et aux demandeurs d’asile, a été Un projet de loi a été déposé en février pour rétabli dans son intégralité en avril, après abroger les réformes de la Loi sur la l’annulation des restrictions imposées citoyenneté adoptées en 2014 qui permettent en 2012. de déchoir de leur nationalité canadienne les En août, le ministre de la Sécurité personnes ayant une double nationalité publique a annoncé des investissements reconnues coupables d’actes de terrorisme et accrus dans les centres de détention pour d’autres infractions. migrants. Le même mois, le gouvernement a retiré l’appel interjeté contre la décision rendue en RESPONSABILITÉ DES ENTREPRISES 2015 de libérer sous caution Omar Khadr, un Le gouvernement de la Colombie-Britannique ressortissant canadien incarcéré au centre de a autorisé en juin le redémarrage complet détention américain de Guantánamo à l’âge des activités de la mine du Mont Polley, bien de 15 ans et qui y a passé dix ans avant qu’une enquête pénale soit toujours en cours d’être transféré dans une prison canadienne sur la rupture d’une digue de son bassin de en 2012. décantation en 2014 et que le plan à long En novembre, la Cour fédérale a jugé terme de l’exploitant concernant le traitement illégale la pratique du Service canadien du de ses eaux usées n’ait pas encore été renseignement de sécurité consistant à approuvé. En novembre, des poursuites conserver indéfiniment des métadonnées privées ont été engagées contre le provenant de relevés de communications gouvernement provincial et la Mount Polley téléphoniques et électroniques. Mining Corporation pour des infractions à la Le processus de médiation a été Loi sur les pêches. interrompu dans les affaires Abdullah Le cinquième rapport annuel sur les Almalki, Ahmad Abou-Elmaati et Muayyed conséquences en matière de droits humains Nureddin, qui demandent réparation sur la de l’Accord de libre-échange Canada- base d’un rapport d’enquête judiciaire de Colombie a été rendu public en mai. Une fois 2008 traitant du rôle des autorités encore, il a omis d’évaluer les répercussions canadiennes dans leur arrestation, leur des projets d’extraction sur les droits emprisonnement et les actes de torture dont fondamentaux des peuples autochtones et ils ont été victimes à l’étranger. du reste de la population. Le gouvernement n’a pas honoré la SYSTÈME JUDICIAIRE promesse électorale faite en 2015 de Rendu public en octobre, le cas d’Adam nommer un médiateur des droits humains Capay, un Autochtone placé en détention chargé spécifiquement du secteur de

Amnesty International — Rapport 2016/17 139 l’industrie extractive. En mars, le Comité des Le même mois, il a déposé un projet de loi droits économiques, sociaux et culturels visant à ajouter l’identité et l’expression de [ONU] a exhorté le Canada à prendre cette genre à la liste des motifs de discrimination mesure. Le Comité pour l’élimination de la interdits par la Loi canadienne sur les droits discrimination à l’égard des femmes [ONU] a de la personne et par les articles du Code fait de même en novembre. criminel relatifs aux crimes de haine. Trois sociétés canadiennes étaient poursuivies au civil pour des allégations de violations des droits humains dans le cadre de projets à l’étranger. Une affaire CHILI concernant une mine de HudBay Minerals République du Chili au Guatemala était en cours en Ontario. En Chef de l’État et du gouvernement : Michelle Bachelet octobre, un tribunal de la Colombie- Jeria Britannique a statué que la procédure pouvait se poursuivre dans une affaire L’impunité pour les violations des droits concernant une mine de Nevsun Resources humains passées et présentes demeurait un en Érythrée. Une audience en appel s’est motif de préoccupation. Les procédures tenue en Colombie-Britannique en novembre judiciaires engagées en réponse aux pour déterminer si la procédure pouvait se allégations de crimes de droit international, poursuivre dans une affaire concernant une entre autres atteintes aux droits humains, mine de Tahoe Resources au Guatemala. commis dans le passé se sont poursuivies. Dans quelques affaires, les personnes ÉVOLUTIONS LÉGISLATIVES, impliquées ont été emprisonnées. Des CONSTITUTIONNELLES OU affaires de recours excessif ou injustifié à la INSTITUTIONNELLES force par des policiers ont continué d’être Le Canada est revenu en février sur la traitées par des tribunaux militaires politique en vigueur depuis 2007 qui limitait pendant la plus grande partie de l’année. les efforts engagés par le gouvernement pour Cependant, une loi votée en novembre a solliciter la clémence au nom des Canadiens exclu les civils de la compétence des condamnés à mort dans un pays étranger. juridictions militaires. L’avortement Au mois de mars, le Comité des droits demeurait une infraction en toutes économiques, sociaux et culturels a circonstances ; quelques pas ont toutefois demandé au Canada de reconnaître que les été effectués vers une dépénalisation dans droits économiques, sociaux et culturels un nombre restreint de situations. relevaient pleinement de la compétence des tribunaux. CONTEXTE Le gouvernement a approuvé en avril la Entre les mois d’avril et d’août, le vente, pour 15 milliards de dollars canadiens, gouvernement a mené un processus de de véhicules blindés légers à l’Arabie consultation ouvert à tous les citoyens et saoudite, en dépit des préoccupations préalable à l’adoption d’une nouvelle relatives aux droits humains. L’engagement constitution. Héritée du régime militaire du pris en 2015 d’adhérer au Traité sur le général Pinochet, la Constitution actuelle commerce des armes [ONU] n’a pas été contient plusieurs dispositions qui ne sont honoré. pas conformes au droit international relatif En mai, le gouvernement a annoncé son aux droits humains. intention d’adhérer au Protocole facultatif se Une loi établissant un sous-secrétariat des rapportant à la Convention contre la torture droits humains relevant du ministère de la [ONU] et a entamé des consultations avec Justice est entrée en vigueur en janvier. La les gouvernements provinciaux et territoriaux. première sous-secrétaire a été nommée en septembre.

140 Amnesty International — Rapport 2016/17 Le gouvernement a annoncé en avril le armées pour les actes de torture infligés au report pour une durée indéterminée des général Alberto Bachelet en 1973. projets de réforme de la loi sur l’immigration. Des victimes, leurs proches et des On a appris en décembre qu’un projet de loi organisations de la société civile se sont serait déposé en janvier 2017. opposés à plusieurs demandes de libération anticipée de personnes déclarées coupables POLICE ET FORCES DE SÉCURITÉ d’atteintes aux droits fondamentaux Des allégations d’usage excessif ou injustifié commises sous le régime de Pinochet. Une de la force par la police, en particulier dans proposition de loi visant à priver les le contexte de manifestations publiques, ont personnes reconnues coupables de crimes été recensées cette année encore. Parmi les contre l’humanité de toute possibilité de victimes de ces violences policières figuraient libération conditionnelle était en cours des enfants, des femmes, des journalistes et d’examen au Congrès à la fin de l’année. des membres de l’Institut national des droits Une loi érigeant en infraction pénale la humains en leur qualité d’observateurs. torture est entrée en vigueur en novembre. Des violations des droits humains En septembre, le Chili avait été recensé par impliquant des membres des forces de le Sous-comité pour la prévention de la sécurité ont continué d’être traitées par des torture [ONU] parmi les pays qui tardaient à tribunaux militaires. Toutefois, une nouvelle se conformer au Protocole facultatif se loi excluant expressément les civils, qu’ils rapportant à la Convention contre la torture soient accusés ou victimes d’une infraction, en raison de l’absence d’un mécanisme de la compétence des juridictions militaires national de prévention. est entrée en vigueur en novembre. En janvier, l’Institut national des droits DROITS DES PEUPLES AUTOCHTONES humains a intenté une action en justice pour Le Congrès a établi en janvier une que la disparition forcée de José Huenante commission chargée d’enquêter sur les fasse l’objet d’une nouvelle information violences en Araucanie, région la plus judiciaire par les juridictions de droit touchée par les conflits fonciers impliquant commun. L’adolescent de 16 ans a été vu les Mapuches. La commission s’est pour la dernière fois en septembre 2005, lors intéressée aux infractions qu’ils auraient de son arrestation par des policiers. À la suite commises dans le cadre de contestations. de cette démarche, un tribunal militaire a Cependant, les allégations persistantes de également rouvert une instruction. À la fin de recours excessif à la force et d’arrestations l’année, cependant, on ignorait toujours ce arbitraires lors d’opérations de police contre qu’il était advenu de José Huenante et où il des communautés mapuches n’ont pas fait se trouvait, aucune des deux enquêtes l’objet d’investigations, car elles n’entraient n’ayant permis de faire toute la lumière sur pas dans le mandat de la commission. La l’affaire ni d’identifier les responsables de Chambre des députés a approuvé les sa disparition. conclusions de la commission en septembre. La Commission interaméricaine des droits IMPUNITÉ de l’homme a étendu en mai les mesures Plusieurs condamnations pour des crimes conservatoires ordonnées en octobre 2015 à passés relevant du droit international et l’égard de la dirigeante mapuche Juana d’autres violations des droits humains Calfunao. Il s’agissait de protéger d’autres commises sous le régime militaire ont été membres de sa famille vivant dans la confirmées durant l’année. En septembre, la communauté de Juan Paillalef, dans le sud Cour suprême a confirmé les peines de du pays, contre des menaces portant atteinte quatre ans d’emprisonnement prononcées à leur vie et à leur intégrité dans le contexte contre deux anciens responsables des forces d’un conflit foncier.

Amnesty International — Rapport 2016/17 141 En août, le citoyen mapuche Cristián Levinao et le photographe Felipe Durán ont DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET été déclarés non coupables de tous les faits DES PERSONNES BISEXUELLES, qui leur étaient reprochés. Accusés de TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES possession illégale d’armes et d’infractions à En septembre, la commission sénatoriale des la législation sur les stupéfiants, les deux droits humains a approuvé la proposition de hommes avaient été maintenus en détention loi sur l’identité de genre, ce qui constituait provisoire pendant plus de 300 jours. un premier pas vers l’adoption de ce texte, Francisca Linconao, une machi (autorité après trois ans de débat. À la fin de l’année, spirituelle traditionnelle des Mapuches), a été le Sénat et la Chambre des députés ne arrêtée en mars et placée en détention s’étaient pas encore prononcés. Le texte provisoire. Un juge a autorisé à quatre proposait d’établir le droit des personnes de reprises son placement en résidence plus de 18 ans de faire reconnaître leur surveillée en raison de graves problèmes de identité de genre à l’état civil par un santé, mais la décision a systématiquement changement de nom et de genre sur les été annulée en appel, et Francisca Linconao documents officiels dans le cadre d’une a été renvoyée en prison peu de temps procédure administrative, sans qu’elles aient après. Hospitalisée en novembre, elle a à subir une opération chirurgicale de entamé une grève de la faim en décembre changement de sexe ou à fournir de certificat pour obtenir d’être assignée à domicile dans médical, comme l’exige actuellement la loi. l’attente de son procès. Ses défenseurs ont En juillet, le Chili a accepté un règlement à présenté un recours en amparo dans le l’amiable d’une affaire portée devant la même but. Francisca Linconao poursuivait sa Commission interaméricaine des droits de grève de la faim à la fin de l’année. l’homme par trois couples gays qui s’étaient vu refuser le droit de se marier. DROITS SEXUELS ET REPRODUCTIFS L’arrangement incluait l’adoption de plusieurs L’avortement était toujours considéré comme mesures et politiques visant à promouvoir les une infraction pénale en toutes droits des personnes LGBTI. En août, dans le circonstances. Plusieurs femmes ayant reçu cadre de l’accord de règlement, le des soins médicaux pour des complications gouvernement a annoncé la mise en place survenues à la suite d’avortements pratiqués d’un processus participatif avec la société dans de mauvaises conditions risquaient de civile pour la rédaction d’un projet de loi faire l’objet de poursuites pénales après avoir reconnaissant l’égalité en ce qui concerne été signalées aux autorités par des le mariage. professionnels de la santé. En mars, la Chambre des députés a approuvé un projet de loi visant à dépénaliser l’avortement en cas de danger pour la vie de CHINE la femme, de viol ou de malformation grave République populaire de Chine du fœtus. Les dispositions portant interdiction Chef de l’État : Xi Jinping aux professionnels de la santé de déclarer les Chef du gouvernement : Li Keqiang femmes se faisant avorter ont toutefois été supprimées du projet de loi après avoir été Cette année encore, de nouvelles lois rejetées par la Chambre des députés. Le relatives à la sécurité nationale menaçant texte amendé était en instance devant le gravement la protection des droits humains Sénat à la fin de l’année. ont été élaborées et adoptées. La répression menée dans tout le pays contre les avocats spécialisés dans les droits humains et les défenseurs de ces droits s’est poursuivie tout au long de l’année. Les militants et

142 Amnesty International — Rapport 2016/17 défenseurs des droits humains demeuraient publique – chargé du maintien de l’ordre – la systématiquement soumis à une responsabilité de superviser l’enregistrement surveillance, à des manœuvres de de ces ONG ainsi que de surveiller leur harcèlement et d’intimidation, à des fonctionnement et d’approuver leurs activités arrestations et à des incarcérations. De plus en amont. La grande liberté laissée à la en plus de défenseurs des droits humains police dans la supervision et la gestion du ont été maintenus par la police dans des travail des ONG étrangères entraînait un lieux de détention non officiels, parfois sans risque d’utilisation abusive de la loi dans le pouvoir consulter un avocat pendant de but d’intimider et de poursuivre en justice longues périodes, ce qui les exposait au des défenseurs des droits humains et des risque de torture et d’autres mauvais employés d’ONG. traitements. Des libraires, des éditeurs, des L’Assemblée populaire nationale a adopté militants et un journaliste portés disparus le 7 novembre la Loi relative à la dans des pays voisins en 2015 et 2016 cybersécurité, officiellement destinée à sont réapparus en détention en Chine, ce protéger les données personnelles des qui a suscité des inquiétudes quant à une utilisateurs d’Internet contre le piratage et le possible intervention des services chinois vol. Cependant, cette loi oblige les de répression en dehors du territoire. Les entreprises de l’Internet ayant des activités autorités ont renforcé de manière en Chine à censurer les contenus, à stocker significative leur contrôle sur Internet, les les données des utilisateurs dans le pays et à médias et le monde universitaire. La imposer aux internautes un système répression des activités religieuses d’enregistrement sous leur véritable identité, pratiquées en dehors des cultes contrôlés en violation des obligations nationales et directement par l’État s’est intensifiée. internationales en matière de protection du Cette répression est restée particulièrement droit à la liberté d’expression et du droit au sévère dans la région autonome ouïghoure respect de la vie privée. Elle interdit par du Xinjiang et dans les zones à population ailleurs aux personnes et aux groupes de se tibétaine, dans le cadre des campagnes de servir d’Internet pour « nuire à la sécurité « lutte contre le séparatisme » ou de « lutte nationale », « troubler l’ordre social » ou contre le terrorisme ». « porter atteinte aux intérêts nationaux », des termes vagues et mal définis dans le droit ÉVOLUTIONS LÉGISLATIVES, chinois en vigueur, qui pourraient être utilisés CONSTITUTIONNELLES OU pour restreindre encore davantage la liberté INSTITUTIONNELLES d’expression. La loi consacre en outre la Cette année encore, des lois et règlements notion de « cybersouveraineté », justifiant répressifs relatifs à la sécurité nationale ont une censure et des pouvoirs de surveillance été élaborés et adoptés, conférant aux généralisés au nom de la protection de la autorités davantage de pouvoir pour réduire sécurité nationale. l’opposition au silence, limiter ou censurer les Le 7 novembre également, l’Assemblée informations, et harceler et poursuivre les populaire nationale a par ailleurs adopté la défenseurs des droits humains. Loi de promotion de l’industrie La Loi relative à la gestion des ONG cinématographique, qui interdit la réalisation étrangères devait entrer en vigueur le de films dont le contenu menacerait la 1er janvier 2017. Elle ajoutait des obstacles sécurité nationale, inciterait à la haine à supplémentaires à l’exercice des droits à la l’égard d’une ethnie ou serait contraire à la liberté d’expression, d’association et de politique en matière de religions. réunion pacifique, déjà très restreints. Officiellement censée réglementer et même SYSTÈME JUDICIAIRE protéger les activités des ONG étrangères, En raison des failles dans la législation elle transférait au ministère de la Sécurité nationale et des problèmes systémiques au

Amnesty International — Rapport 2016/17 143 sein de la justice pénale, la torture et les librement soumis à des restrictions. Zhao autres mauvais traitements étaient monnaie Wei, assistante juridique, et Wang Yu, courante, de même que les procès avocate, ont été libérées sous caution inéquitables. respectivement début juillet et début août, Les autorités avaient de plus en plus mais elles demeuraient sous le coup de souvent recours au placement en « résidence restrictions à leur liberté de mouvement, surveillée dans un lieu désigné », une forme d’expression et d’association pendant un an de détention au secret dans un lieu non et restaient menacées de poursuites. révélé, qui permet à la police de maintenir Le 2 août, le militant Zhai Yanmin a été des personnes hors du système de détention reconnu coupable de « subversion de l’État » officiel pendant une période pouvant aller et condamné à une peine de trois ans jusqu’à six mois. Les suspects ainsi détenus d’emprisonnement assortie d’un sursis sont totalement coupés du monde extérieur, courant pendant quatre ans. Hu Shigen a été sans la possibilité notamment de consulter condamné à sept ans et demi un avocat de leur choix ni d’entrer en contact d’emprisonnement le 3 août, et l’avocat Zhou avec leur famille, et sont exposés à un risque Shifeng à sept ans d’emprisonnement le élevé de torture et d’autres mauvais 4 août, tous deux pour le même motif que traitements. Cette forme de détention a été Zhai Yanmin. utilisée pour entraver les activités de L’avocat Jiang Tianyong a « disparu » le défenseurs des droits humains, dont des 21 novembre. Sa famille a été informée le avocats, des militants et des pratiquants de 23 décembre qu’il était soupçonné certaines religions. d’« incitation à la subversion de l’État » et avait été placé en « résidence surveillée dans DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS un lieu désigné ». Accusés respectivement À la fin de l’année, cinq personnes étaient d’« incitation à la subversion » et de toujours en détention dans l’attente de leur « divulgation de secrets d’État », les procès pour « subversion de l’État » ou défenseurs des droits humains Liu Feiyue et « incitation à la subversion de l’État », et Huang Qi, qui avait créé un site Internet, ont quatre autres pour avoir « cherché querelle été arrêtés en novembre. et provoqué des troubles » ou « aidé une Les autorités de la province du tierce personne à franchir illégalement la Guangdong, où les conflits sociaux et les frontière nationale ». Leur placement en grèves se multipliaient, ont poursuivi la détention était intervenu à la suite de la répression engagée en décembre 2015 vague de répression sans précédent lancée contre les travailleurs et les défenseurs des par le gouvernement mi-2015 contre les droits du travail. Au moins 33 personnes ont défenseurs des droits humains, notamment été arrêtées ; 31 ont été libérées par la suite. les avocats spécialisés dans ce domaine, Après avoir été privé du droit de consulter un dans le cadre de laquelle au moins avocat, le militant des droits du travail Zeng 248 avocats et militants avaient été interrogés Feiyang a été condamné début octobre à une ou détenus par des agents chargés de la peine de trois ans d’emprisonnement assortie sûreté de l’État. Soupçonnées d’implication d’un sursis courant sur quatre ans. Un autre dans des atteintes à la sûreté de l’État, au défenseur des travailleurs, Meng Han, a été moins 12 de ces personnes, dont d’éminents condamné à un an et neuf mois de prison le avocats défenseurs des droits humains 3 novembre. Très souvent, les centres de comme Zhou Shifeng, Sui Muqing, Li Heping détention n’autorisaient pas dans un premier et Wang Quanzhang, avaient été placées en temps les détenus à consulter un avocat, « résidence surveillée dans un lieu désigné ». arguant qu’il s’agissait d’affaires « mettant en Certains de leurs proches ont fait l’objet danger la sécurité nationale ». d’une surveillance policière, subi des actes Sur les plus de 100 personnes de Chine de harcèlement et vu leur droit de circuler continentale détenues pour avoir soutenu les

144 Amnesty International — Rapport 2016/17 manifestations en faveur de la démocratie à Personne n’a eu de ses nouvelles depuis et Hong Kong fin 2014, six ont été condamnées on ignorait toujours où il se trouvait à la fin de à des peines d’emprisonnement. Parmi elles l’année. Tang Zhishun et Xing Qingxian ont figuraient Xie Wenfei et Wang Mo, dirigeants disparu au Myanmar en 2015, alors qu’ils du Mouvement de la rue du sud, qui se sont aidaient le fils de deux avocats chinois vu infliger des peines de quatre ans et demi emprisonnés. Leur inculpation pour avoir de détention pour « incitation à la « aidé une tierce personne à franchir subversion ». Deux autres parmi les illégalement la frontière nationale » a été personnes arrêtées, Su Changlan, une officiellement notifiée en mai 2016, sans que défenseure des droits des femmes, et Chen les autorités ne fournissent d'explication sur Qitang, étaient toujours en détention sans ce qu’il s’était passé entre-temps. qu’aucune date n’ait été fixée pour leur En mai également, il a été confirmé que procès. Zhang Shengyu, incarcéré pour avoir les militants en faveur de la démocratie Jiang soutenu les manifestations de Hong Kong, Yefei et Dong Guangping avaient été arrêtés s’est plaint d’avoir été frappé, et Su Changlan pour « incitation à la subversion de l’État » et a indiqué que les autorités pénitentiaires lui pour avoir « aidé une tierce personne à refusaient le traitement médical dont elle franchir illégalement la frontière nationale ». avait besoin. Le Haut-Commissariat des Nations unies Les « aveux » soigneusement mis en pour les réfugiés (HCR) leur avait accordé le scène se sont multipliés à la télévision durant statut de réfugié, mais la Thaïlande les avait l’année. Des interviews de défenseurs des renvoyés en Chine en 2015. Pendant les six droits humains emprisonnés ont notamment premiers mois suivant leur retour au moins, été diffusées par les médias d’État et, à deux ni l’un ni l’autre n’a pu entrer en contact avec reprises, par des médias de Hong Kong pro- sa famille ni avec un avocat de son choix ; Pékin. Dépourvus de valeur juridique, ces Dong Guangping n’avait toujours pas cette « aveux » n’en portaient pas moins atteinte possibilité à la fin de l’année. au droit à un procès équitable. La télévision a Miao Deshun, un militant des droits du notamment diffusé les « aveux » des avocats travail arrêté pour avoir participé aux Zhou Shifeng et Wang Yu, du militant Zhai manifestations de la place Tiananmen en Yanmin, du libraire de Hong Kong Gui Minhai faveur de la démocratie en 1989, aurait été et de l’employé d’ONG suédois Peter Dahlin, libéré en octobre, après avoir passé 27 ans qui a été incarcéré puis expulsé. Zhao Wei et derrière les barreaux. Des militants étaient son avocat Ren Quanniu ont publié des toujours détenus pour avoir commémoré les aveux sur les réseaux sociaux après avoir, événements de Tiananmen. C’était semble-t-il, obtenu leur libération sous notamment le cas de deux militants du caution. Sichuan, Fu Hailu et Luo Fuyu1. Plusieurs journalistes et militants portés disparus ailleurs qu’en Chine continentale LIBERTÉ D’EXPRESSION étaient détenus ou présumés détenus sur le En mars, au moins 20 personnes auraient été territoire chinois. Le journaliste Li Xin a arrêtées par la police en lien avec la disparu en Thaïlande en janvier 2016. Il avait publication d’une lettre ouverte critiquant le fui la Chine en 2015 après avoir été soumis, président Xi Jinping et demandant sa selon ses témoignages dans les médias, à démission. Cette lettre ouverte reprochait au une forte pression de la part d’agents de la chef de l’État de tenter de mettre en place un sûreté de l’État chinois qui voulaient qu’il « culte de la personnalité » et d’abandonner joue le rôle d’informateur contre ses la direction collective. Seize personnes collègues et amis. Il a téléphoné à sa travaillant pour Wujie News, le site Internet compagne en février pour lui dire qu’il était qui avait publié la lettre le 4 mars, figuraient retourné « volontairement » en Chine afin parmi les individus arrêtés. d’apporter son aide dans une enquête.

Amnesty International — Rapport 2016/17 145 Le 4 avril, le gouvernement a publié des bâtiments, engagée en 2013, s’est intensifiée lignes directrices visant à renforcer en 2016. Selon des informations relayées par l’application des lois dans le domaine les médias internationaux, plus de culturel, afin de « sauvegarder la culture 1 700 croix avaient été enlevées à la fin de nationale et la sécurité idéologique ». Ces l’année, soulevant un concert de lignes directrices durcissaient la protestations. réglementation concernant de nombreuses La télévision d’État a diffusé le 25 février activités « illégales » ou non autorisées, une vidéo montrant les « aveux » de Zhang notamment en ce qui concerne l’édition, la Kai, un avocat qui proposait une aide distribution des films et des programmes de juridictionnelle aux églises concernées ; sur télévision, la diffusion de chaînes de les images, il paraissait amaigri et épuisé. télévision étrangères par satellite, les Soupçonné d’atteintes à la sûreté de l’État et spectacles et les importations et exportations de « trouble à l’ordre public », il avait été de produits culturels. arrêté en 2015 et placé par la suite en La Chine a continué de prendre des « résidence surveillée dans un lieu désigné ». mesures renforçant son système déjà très Il a été libéré sans explication et est retourné répressif de censure d’Internet. Des milliers chez lui, en Mongolie intérieure, le 23 mars. de sites web et de réseaux sociaux étaient Le 26 février, Bao Guohua et sa femme toujours bloqués, notamment Facebook, Xing Wenxiang, tous deux pasteurs dans la Instagram et Twitter, et les fournisseurs ville de Jinghua (province du Zhejiang), ont d’accès et de contenus étaient tenus été condamnés respectivement à 14 et d’exercer une censure généralisée sur leurs 12 ans d’emprisonnement pour plateformes. détournement de fonds appartenant à leur Six journalistes de 64 Tianwang, un site congrégation et pour avoir « rassemblé une Internet basé au Sichuan, ont été arrêtées foule afin de troubler l’ordre social ». Bao pour avoir couvert des manifestations liées au Guohua s’était opposé haut et fort à sommet du G20 organisé à Hangzhou en l’enlèvement des croix sur les églises. septembre. L’une d’elles, Qin Chao, était Cette année encore, les pratiquants du Fa toujours détenue à la fin de l’année. Lun Gong ont été la cible de persécutions, de détentions arbitraires, de procès iniques ainsi LIBERTÉ DE RELIGION ET DE que d’actes de torture et d’autres mauvais CONVICTION traitements. Chen Huixia, pratiquante du Fa Des propositions de modification du Lun Gong, a été arrêtée en juin et, selon sa Règlement relatif aux affaires religieuses, fille, torturée en détention en raison de ses rendues publiques le 7 septembre, convictions2. élargiraient à plusieurs autorités les pouvoirs de surveillance, de contrôle et de sanction de PEINE DE MORT certaines pratiques religieuses. Ces Le gouvernement a publié en septembre un modifications, qui mettent en avant la livre blanc dans lequel il affirmait que la sécurité nationale et ont pour objectif déclaré Chine « [contrôlait strictement] la peine de d’empêcher « l’infiltration et l’extrémisme », mort et l’utilis[ait] avec prudence afin qu’elle pourraient être utilisées pour accroître encore ne soit appliquée qu’à un tout petit nombre la répression du droit à la liberté de religion de contrevenants ayant commis des crimes et de conviction, notamment à l’encontre des extrêmement graves ». Les statistiques bouddhistes tibétains, des musulmans relatives à la peine de mort et aux exécutions ouïghours et des pratiquants de cultes non étant toujours classées « secrets d’État », il reconnus. était impossible de vérifier le nombre de Dans la province du Zhejiang, la condamnations à la peine capitale campagne de démolition des églises et de prononcées et le nombre d’exécutions démontage des croix chrétiennes des réalisées.

146 Amnesty International — Rapport 2016/17 En décembre, la Cour populaire suprême a infirmé la condamnation de Nie Shubin Droits en matière de logement – expulsions pour viol et homicide volontaire. Le jeune forcées homme avait été exécuté en 1995. La cour a Dans la province du Sichuan, le par ailleurs ordonné que l’affaire soit rejugée gouvernement a commencé en juillet à et a confirmé les conclusions d’une démolir en grande partie Larung Gar, réputé juridiction inférieure selon lesquelles il être le plus grand institut bouddhiste tibétain n’existait pas de preuves évidentes de la du monde, installé dans le comté de Seda culpabilité de Nie Shubin. (Serta), dans la préfecture autonome tibétaine de Ganzi (Garzê). Les autorités RÉGION AUTONOME DU TIBET ET ZONES chinoises locales ont ordonné la réduction à À POPULATION TIBÉTAINE DANS 5 000 personnes – soit une diminution de D’AUTRES RÉGIONS plus de la moitié – de la population de Les Tibétains étaient toujours en butte à des Larung Gar, à des fins de « correction et discriminations et leurs droits à la liberté de rectification ». Des milliers de moines, religion et de conviction, d’expression, religieuses et pratiquants laïques étaient d’association et de réunion pacifique menacés d’expulsion forcée. restaient soumis à des restrictions. Selon des informations relayées par la presse en août, RÉGION AUTONOME OUÏGHOURE DU le moine tibétain Lobsang Drakpa aurait été XINJIANG condamné à trois ans d’emprisonnement lors En mars, le secrétaire du Parti communiste d’un procès à huis clos. Il avait été arrêté par pour la région autonome ouïghoure du la police en 2015 pour avoir mené une action Xinjiang, Zhang Chunxian, a annoncé que individuelle de protestation – une forme de des progrès avaient été réalisés dans le manifestation de plus en plus courante dans maintien de la stabilité sociale dans la région, les zones à population tibétaine3. et que les actes de « terrorisme violent » Au cours de l’année, au moins trois avaient été moins nombreux. Le personnes se sont immolées par le feu dans gouvernement a néanmoins déclaré qu’il des régions à population tibétaine, en signe allait poursuivre, pour une durée de protestation contre la politique répressive indéterminée, sa campagne de « répression des autorités. Le nombre d’immolations par sévère » du « terrorisme violent ». le feu connues depuis février 2009 s’élevait Les autorités détenaient toujours des ainsi à 146. écrivains ouïghours et des rédacteurs en chef Un blogueur tibétain appelé Druklo a été de sites en langue ouïghoure. Zhang Haitao, condamné à trois ans d’emprisonnement en un défenseur des droits humains han, a été février pour « incitation au séparatisme », en condamné à 19 ans d’emprisonnement pour raison de ses publications en ligne sur la « incitation à la subversion » et liberté religieuse, le dalaï-lama et d’autres « transmission de renseignements à questions relatives au Tibet, ainsi que pour l’étranger ». Ses avocats pensent que la avoir été en possession du livre interdit sévérité de sa peine est due en partie à ses Funérailles célestes4. commentaires sur les questions ethniques. Tashi Wangchuk a été placé en détention Cette année encore, le gouvernement a en janvier et inculpé d’« incitation au bafoué le droit à la liberté de religion et a séparatisme » pour avoir défendu réprimé tous les rassemblements religieux l’enseignement en langue tibétaine et non autorisés. Abudulrekep Tumniyaz, accordé une interview au New York Times. Il directeur adjoint de l’Association islamique se trouvait toujours derrière les barreaux à la du Xinjiang, a déclaré en mars que tous les fin de l’année5. lieux de prière clandestins du Xinjiang avaient été fermés.

Amnesty International — Rapport 2016/17 147 Selon des informations parues en octobre maltraité en détention et contraint de faire dans la presse, plusieurs localités de la des « aveux »6. région autonome ont annoncé qu’elles Les étudiants Joshua Wong, Alex Chow et allaient demander à l’ensemble de leurs Nathan Law ont été jugés pour leur rôle dans administrés de remettre leur passeport à la les manifestations organisées devant le siège police. De ce fait, tous les habitants du du gouvernement en septembre 2014, qui Xinjiang devraient ensuite présenter des avaient donné naissance au mouvement données biométriques – telles que des prodémocratique dit « des parapluies ». En échantillons d’ADN ou des scanners – avant juillet 2016, Joshua Wong et Alex Chow ont d’être autorisés à se rendre à l’étranger. Cette été reconnus coupables de « participation à mesure est intervenue dans un contexte de un rassemblement illégal » et Nathan Law répression sécuritaire et de renforcement des d’« incitation à participer à un restrictions de déplacement visant les rassemblement illégal », aux termes de minorités ethniques de la région autonome. dispositions très vagues de l’Ordonnance relative à l’ordre public de Hong Kong. Les Droits culturels appels interjetés par les deux parties étaient Le gouvernement provincial a annoncé en en instance à la fin de l’année. août un plan de grande ampleur prévoyant Le Comité permanent de l’Assemblée l’envoi, dans toute la Chine continentale, de populaire nationale a publié en novembre 1 900 enseignants ouïghours chargés une interprétation de l’article 104 de la Loi d’accompagner les élèves ouïghours qui sont fondamentale de Hong Kong concernant la internes dans des régions peuplées prestation de serment de deux majoritairement de Hans. Il s’est engagé à parlementaires indépendantistes. Cette augmenter le nombre de ces professeurs publication est intervenue avant même que la détachés, avec un objectif de 7 200 d’ici Haute Cour de Hong Kong, saisie par le à 2020. gouvernement de Hong Kong, n’ait pu se Cette mesure est présentée comme un prononcer sur une demande de destitution moyen « de résister au terrorisme, à de ces parlementaires. l’extrémisme violent et au séparatisme et de promouvoir la solidarité ethnique », mais des 1. Chine. Deux autres militants arrêtés pour avoir fait référence à la organisations ouïghoures installées à répression de Tiananmen (ASA 17/4298/2016) l’étranger ont critiqué ce projet, estimant que 2. Chine. Une pratiquante du Fa Lun Gong aurait été torturée en c’était une façon d’affaiblir l’identité culturelle détention (ASA 17/4869/2016) ouïghoure. 3. Chine. Un moine tibétain emprisonné pour avoir protesté (ASA 17/4802/2016) RÉGION ADMINISTRATIVE SPÉCIALE DE 4. Chine. Un tibétain emprisonné pour « incitation au HONG KONG séparatisme » (ASA 17/3908/2016) Cinq libraires disparus en Thaïlande, en 5. Chine. Détention d’un militant en faveur de l’enseignement en Chine continentale et à Hong Kong fin 2015 tibétain (ASA 17/3793/2016) ont réapparu à la télévision chinoise en 6. Chine. Les révélations des autorités sur la détention des libraires de janvier et février 2016. Gui Minhai, Lui Por, Hong Kong sont « de la poudre aux yeux » (nouvelle, 5 février) Cheung Chi-ping, Lee Po et Lam Wing-kee travaillaient pour Mighty Current Media, une maison d’édition de Hong Kong connue pour ses livres sur les dirigeants chinois et les scandales politiques. Lam Wing-kee a regagné Hong Kong en juin et a tenu une conférence de presse, au cours de laquelle il a déclaré avoir été détenu arbitrairement,

148 Amnesty International — Rapport 2016/17 Mostafa, accusé d’avoir détourné un avion de CHYPRE la compagnie EgyptAir pour le faire atterrir à Larnaca en mars 2016. Certaines sources ont République de Chypre exprimé leur préoccupation quant au fait Chef de l'État et du gouvernement : Nicos que, s’il venait à être renvoyé en Égypte, Seif Anastasiades el Din Mostafa risquait fortement de subir des actes de torture et d’autres mauvais Les conditions de détention des réfugiés et traitements. Il a déposé un recours contre sa des migrants étaient toujours inadaptées. détention et son extradition devant la Cour Le commissaire aux droits de l'homme du suprême en octobre. Conseil de l’Europe s’est dit préoccupé par En septembre, 30 réfugiés ont manifesté les conséquences des mesures d’austérité devant le Parlement contre les retards pris pour certains groupes de population. Deux dans le traitement de leur demande de policiers ont été reconnus coupables d’avoir naturalisation. La plupart de ces manifestants battu un détenu dans un poste de police vivaient à Chypre depuis plus de 10 ans. en 2014. Leur statut de résident temporaire, l’impossibilité de se rendre à l’étranger et leur CONTEXTE accès limité à l’emploi faisaient obstacle à Lors des élections législatives de mai, le parti leur intégration. d’extrême droite Front populaire national a remporté ses deux premiers sièges. Tout au DROIT À UN NIVEAU DE VIE SUFFISANT long de l’année, les négociations sur la En mars, le commissaire aux droits de réunification de l’île se sont poursuivies entre l'homme du Conseil de l’Europe a exprimé les dirigeants chypriotes grecs et chypriotes ses inquiétudes quant aux conséquences turcs et des progrès ont été réalisés dans les que la crise économique et les mesures domaines de la gouvernance et du partage prises dans le cadre du programme du pouvoir, des questions européennes et de européen d’ajustement économique la propriété. Cependant, des divergences pourraient avoir pour certains groupes persistaient et la tentative d’accord a échoué sociaux tels que les enfants, les femmes et en novembre. Les négociations ont toutefois les familles de migrants. repris en décembre. DISPARITIONS FORCÉES DROITS DES RÉFUGIÉS ET DES Le Comité des personnes disparues à Chypre MIGRANTS (CMP) a exhumé les dépouilles de En février, le Sous-Comité pour la prévention 96 personnes au cours de l’année, ce qui de la torture [ONU] a exhorté Chypre à porte à 1 192 le nombre total de corps améliorer les conditions de détention dans exhumés depuis 2006. Depuis 2007, les ses centres de détention pour migrants et ses restes de 740 personnes portées disparues postes de police. Le même mois, la Cour (556 Chypriotes grecs et 184 Chypriotes européenne des droits de l’homme a estimé turcs) ont été identifiés. Les informations que Chypre n’avait pas respecté le droit à la provenant de particuliers se faisant de plus liberté d’un ressortissant syrien en ne lui en plus rares et l’accès du CMP aux dossiers proposant aucun recours effectif pour militaires turcs étant toujours entravé, les contester la légalité de sa privation de liberté processus d’exhumation et d’identification (Mefaalani c. Chypre). Le requérant avait été ont commencé à ralentir. maintenu en détention en vue de son expulsion entre août 2010 et janvier 2011, TORTURE ET AUTRES MAUVAIS avant d’être renvoyé en Syrie. TRAITEMENTS En septembre, le tribunal du district de En mai, un tribunal de Paphos a reconnu Nicosie a approuvé l’extradition de Seif el Din deux policiers coupables d’avoir infligé des

Amnesty International — Rapport 2016/17 149 coups et blessures et un traitement inhumain FARC, toutes les personnes soupçonnées et dégradant à un détenu au poste de police d’être pénalement responsables de crimes de Polis Chrysochous en février 2014. Une contre l’humanité et de crimes de guerre vidéo de ces actes, filmée par une caméra de auraient véritablement à rendre des vidéosurveillance, avait été découverte en comptes, conformément au droit août 2015. À l’issue du procès, la international. commissaire à l’administration et aux droits humains s’est dite préoccupée par le soutien PROCESSUS DE PAIX apporté par des policiers aux agissements de En juin, le gouvernement et les FARC ont leurs confrères. signé un accord bilatéral de cessez-le-feu et En août, une policière a été filmée en train de cessation des hostilités1. Cet accord est de proférer des insultes à caractère raciste à entré en vigueur le 29 août, mais un cessez- l’encontre d’un migrant détenu dans le le-feu était en place de fait depuis 2015. Le centre de détention pour migrants de 24 août, les deux parties se sont entendues Mennogeia. Une enquête disciplinaire a été sur un accord de paix2, qu’elles ont signé le ouverte sur cette affaire. 26 septembre à Carthagène3. Cependant, le 2 octobre, cet accord a été rejeté lors d’un DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS référendum, en partie en raison des En septembre, un tribunal de Nicosie a mis inquiétudes quant au caractère trop laxiste fin aux poursuites contre Doros Polykarpou, de ses dispositions en matière de justice. directeur de l’ONG KISA, qui était accusé Le 12 novembre, les deux parties ont d’avoir agressé un policier en avril 2013. Plus annoncé un nouvel accord de paix, qu’elles tôt dans l’année, ce policier avait été reconnu ont signé le 24 novembre. Cet accord a été coupable d’avoir insulté Doros Polykarpou. ratifié par le Congrès le 30 novembre. À partir de cette date, il était prévu que les FARC entament un processus de démobilisation et de désarmement sur six mois, sous le COLOMBIE contrôle et la vérification d’observateurs des République de Colombie Nations unis non armés, entre autres. À la fin Chef de l’État et du gouvernement : Juan Manuel de l’année, les combattants des FARC Santos Calderón n’étaient pas encore arrivés dans les zones de rassemblement où devait débuter le Un accord de paix entre le gouvernement et processus de démobilisation, en raison de le mouvement de guérilla des Forces retards pris dans l’aménagement de ces armées révolutionnaires de Colombie zones pour les rendre habitables. (FARC) a été ratifié par le Congrès en Le 28 décembre, le Congrès a adopté une novembre. Conclu à l’issue de plus de loi prévoyant l’amnistie ou la grâce des quatre ans de négociations, il marquait combattants des FARC et l’arrêt des officiellement la fin du conflit armé qui poursuites pénales contre les membres des opposait les deux parties depuis cinq forces de sécurité, à condition que les décennies. Toutefois, le nombre bénéficiaires ne soient pas sous le coup d’homicides de défenseurs des droits d’une inculpation ou d’une condamnation humains, notamment de dirigeants pour des crimes relevant du droit indigènes, afro-colombiens et paysans, a international. Le texte permettait aussi à ceux augmenté. Le processus de paix avec le qui avaient passé au moins cinq ans derrière deuxième plus grand mouvement de guérilla les barreaux pour de tels crimes de du pays, l’Armée de libération nationale bénéficier, dans certaines circonstances, (ELN), n’avait pas encore commencé à la d’une libération conditionnelle. Les fin de l’année. Il restait difficile de savoir ambiguïtés de cette loi risquaient de si, aux termes de l’accord de paix avec les

150 Amnesty International — Rapport 2016/17 permettre à de nombreux auteurs d’atteintes disparition forcée, au moins 30 000 prises en aux droits humains d’échapper à la justice. otage, plus de 10 000 soumises à la torture Les modifications apportées à l’accord de et quelque 10 800 victimes de mines paix n’ont pas véritablement renforcé les antipersonnel ou de munitions non droits des victimes. Cependant, une explosées. Ces crimes étaient imputables aux disposition imposant aux FARC de fournir un forces de sécurité, aux groupes paramilitaires inventaire des biens qu’elles ont acquis et aux mouvements de guérilla. durant le conflit, qui seraient utilisés pour L’apaisement des tensions entre les forces indemniser les victimes, constituait une de sécurité et les FARC durant l’année a avancée positive, sous réserve qu’elle soit entraîné pour les civils une réduction véritablement mise en œuvre. importante des violences liées aux L’accord de paix prévoyait la mise en place affrontements. Cependant, les communautés d’une juridiction spéciale pour la paix indigènes, afro-colombiennes et paysannes chargée d’enquêter sur les crimes de droit ont continué de subir des violations des international et d’en punir les responsables droits humains et d’autres violences, en (juridiction qui entrera en vigueur après particulier dans les régions suscitant l’intérêt approbation par le Congrès), d’une du secteur agro-industriel ou de l’industrie commission vérité et d’un mécanisme de extractive, ou dans les zones concernées par localisation et d’identification des personnes des projets d’infrastructures. portées disparues à la suite du conflit. En août, quatre indigènes awás ont été Toutefois, malgré des points positifs, cet abattus par des hommes non identifiés lors accord ne respectait pas le droit international de trois attaques distinctes dans le et les normes y afférentes en matière de département de Nariňo. Parmi les victimes se droits des victimes. Par exemple, les trouvait Camilo Roberto Taicús Bisbicús, sanctions prévues ne semblaient pas responsable de la réserve indigène awá de proportionnelles à la gravité de certains Hojal La Turbia, dans la municipalité de crimes, et la définition de la responsabilité Tumaco. hiérarchique pourrait rendre difficile En mars, plus de 6 000 personnes, pour la l’engagement de poursuites contre des plupart issues de communautés indigènes et commandants des FARC et des forces de afro-colombiennes, ont été déplacées de sécurité pour les crimes commis par leurs force de trois vallées fluviales du subordonnés. département de Chocó à cause Le 30 mars, le gouvernement et l’ELN ont d’affrontements entre groupes armés. annoncé qu’ils allaient s’engager dans des négociations de paix. Cependant, ce FORCES DE SÉCURITÉ processus n’avait toujours pas démarré à la Cette année encore, des cas d’homicides fin de l’année car l’ELN n’avait pas libéré l’un illégaux imputables aux forces de sécurité ont de ses otages les plus en vue. été signalés, et des allégations de recours Le Prix Nobel de la paix a été attribué au excessif à la force au cours de président Santos le 7 octobre pour son rôle manifestations, en particulier par l’unité dans la signature de l’accord de paix4. antiémeute de la police, ont été formulées5. Le 29 février, des militaires ont tué Gilberto CONFLIT ARMÉ INTERNE de Jesús Quintero, un paysan du hameau de Au 1er décembre 2016, l’Unité Tesorito, dans la municipalité de Tarazá gouvernementale d’aide aux victimes avait (département d’Antioquia). L’armée a dans recensé près de huit millions de victimes du un premier temps affirmé qu’il était membre conflit depuis 1985, parmi lesquelles près de de l’ELN et qu’il avait été tué au cours 268 000 avaient été tuées (essentiellement d’affrontements. Cependant, des témoins ont des civils), plus de sept millions déplacées de raconté avoir vu des soldats tenter de force, environ 46 000 soumises à une rhabiller son cadavre avec une tenue

Amnesty International — Rapport 2016/17 151 militaire, et l’armée a ensuite reconnu l’avoir Almendras, dans le hameau de Laguna- tué par erreur. Siberia (municipalité de Caldono, Les enquêtes pénales sur les exécutions département du Cauca). Andrés Almendras extrajudiciaires impliquant des membres des n’étant pas chez lui, les deux hommes ont forces de sécurité progressaient lentement. demandé à sa fille où se trouvait son Un rapport du Bureau du procureur de la « mouchard de père » car ils voulaient qu’il Cour pénale internationale rendu public en quitte la région. novembre a indiqué que, en juillet, le parquet colombien enquêtait sur 4 190 cas Groupes paramilitaires d’exécutions extrajudiciaires. En février, Les groupes paramilitaires restaient actifs 961 condamnations avaient été prononcées, dans le pays, malgré leur démobilisation dont très peu concernaient des officiers supposée il y a 10 ans. Agissant seuls ou supérieurs. Selon un rapport du Haut- avec la complicité d’agents de l’État, ces Commissariat aux droits de l’homme [ONU] groupes se sont rendus coupables de paru en mars, 7 773 membres des forces de nombreuses violations des droits humains, sécurité faisaient l’objet d’une enquête notamment d’homicides et de menaces concernant des exécutions extrajudiciaires à de mort7. la fin de 2015. En novembre, un juge a En avril, des ONG locales ont signalé déclaré plus d’une douzaine de militaires qu’un groupe armé composé d’environ coupables des homicides illégaux de cinq 150 paramilitaires du groupe Autodefensas jeunes hommes de Soacha, dans le Gaitanistas de Colombia (AGC) était entré département de Cundinamarca, en 2008. dans la communauté afro-colombienne de Teguerré, située sur le territoire afro- EXACTIONS PERPÉTRÉES PAR DES colombien de Cacarica (département du GROUPES ARMÉS Chocó). D’autres intrusions de l’AGC dans la Groupes de guérilla région de Cacarica ont été signalées tout au L’ELN et les FARC ont continué de perpétrer long de l’année. Certains dirigeants des violations des droits humains, bien que le communautaires ont été menacés par l’AGC, nombre de cas imputables aux FARC ait qui les a désignés comme des « cibles diminué au fur et à mesure que le processus militaires ». de paix progressait. Des informations de plus en plus Des dirigeants indigènes et des nombreuses ont fait état d’incursions journalistes ont été menacés de mort. Par paramilitaires dans la communauté de paix exemple, en juin, un homme prétendant de San José de Apartadó (département appartenir à l’ELN a téléphoné à María d’Antioquia), dont certains membres ont été Beatriz Vivas Yacuechime, dirigeante du menacés8. Conseil régional indigène de Huila, la Au 30 septembre, seuls 180 des plus de menaçant de la tuer et de faire subir le 30 000 paramilitaires censés avoir déposé les même sort à ses proches. En juillet, le armes dans le cadre du processus de journaliste Diego D’Pablos et le caméraman démobilisation lancé par le gouvernement Carlos Melo ont reçu des menaces de mort avaient été condamnés pour des violations par SMS provenant d’une personne qui se des droits humains au titre de la Loi de 2005 revendiquait de l’ELN. Les deux hommes et pour la justice et la paix ; la plupart d’entre leur collègue journaliste Salud Hernández- eux ont fait appel de leur condamnation. Une Mora avaient été retenus en otages plus tôt majorité de paramilitaires ne s’étaient pas dans l’année par l’ELN dans la région de soumis au processus Justice et paix et Catatumbo, dans le nord du pays6. bénéficiaient d’une amnistie de fait. Le 24 mars, deux hommes se revendiquant des FARC ont téléphoné au domicile du dirigeant indigène Andrés

152 Amnesty International — Rapport 2016/17 IMPUNITÉ DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS Rares sont les auteurs présumés de crimes Cette année encore, de nombreux cas de de droit international commis au cours du menaces et d’homicides visant des conflit qui ont été traduits en justice. défenseurs des droits humains, en particulier Cependant, dans le cadre du processus de des dirigeants communautaires, des militants paix, le gouvernement et les FARC ont des droits à la terre et des défenseurs de présenté des excuses officielles pour leur rôle l’environnement, de la paix et de la justice, dans plusieurs cas emblématiques de ont été signalés. Si la plupart des menaces violations des droits humains. ont été attribuées aux paramilitaires, il était Le 30 septembre, à La Chinita, dans la difficile, dans la majorité des cas, d’identifier municipalité d’Apartadó (département les groupes responsables des homicides. d’Antioquia), les FARC se sont excusées Selon l’ONG Somos Defensores, au moins d’avoir tué 35 habitants de ce village le 75 défenseurs des droits humains ont été 23 janvier 1994. tués entre le début de l’année et le Le 15 septembre, le président Santos a 8 décembre, contre 63 durant toute l’année présenté des excuses officielles pour le rôle 2015. En général, ces homicides ont été joué par l’État, dans les années 1980 et commis en dehors des affrontements entre 1990, dans le meurtre de quelque belligérants et constituaient des assassinats 3 000 membres de l’Union patriotique, une ciblés. Plusieurs organisations de défense formation fondée par le Parti communiste des droits humains se sont par ailleurs fait colombien et les FARC dans le cadre du voler des informations sensibles dans leurs processus de paix avorté sous le bureaux. Au 20 décembre, l’École nationale gouvernement de Belisario Betancur. syndicale, une ONG, avait recensé En février, la Cour constitutionnelle a 17 homicides de syndicalistes. confirmé la constitutionnalité de la réforme Le 29 août, trois responsables de l’ONG adoptée en 2015 (Acte législatif n° 1) Comité d’intégration du massif colombien conférant aux tribunaux militaires la (CIMA), Joel Meneses, Nereo Meneses compétence à l’égard des affaires liées au Guzmán et Ariel Sotelo, ont été abattus par service militaire et aux crimes commis en un groupe d’hommes armés dans la service actif. Cette réforme prévoyait municipalité d’Almaguer (département du également que le droit international Cauca). humanitaire, plutôt que le droit international En août, Ingrid Vergara, porte-parole du relatif aux droits humains, s’appliquerait dans Mouvement national des victimes de crimes les enquêtes sur les membres des forces d’État (MOVICE), a reçu des menaces armées impliqués dans des crimes liés au téléphoniques après avoir assisté à une conflit, bien que nombre de ces crimes réunion publique sur les droits humains au n’aient pas été perpétrés au cours des Congrès, dans la capitale Bogotá. Depuis des affrontements et que les victimes soient en années, Ingrid Vergara et d’autres membres grande majorité des civils. Toutefois, la Cour du MOVICE sont régulièrement menacés et a estimé que le droit international relatif aux harcelés en raison de leur action en faveur droits humains devait également être des droits humains. appliqué au cours des enquêtes. On craignait cependant que la décision de la Cour n’aide DROITS FONCIERS guère à mettre fin à l’impunité, étant donné Le processus de restitution des terres, lancé le bilan désastreux du système de justice en 2012 pour rendre à leurs occupants militaire en termes de poursuites à l’encontre légitimes les terres dont ils ont été spoliés des membres des forces armées impliqués pendant le conflit, ne progressait toujours dans des atteintes aux droits humains. que lentement. D’après l’Unité chargée de la restitution des terres, au 5 décembre, les

Amnesty International — Rapport 2016/17 153 juges agraires avaient rendu des décisions concernant près de 62 093 hectares VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ET revendiqués par des paysans et AUX FILLES 131 657 hectares revendiqués par une Cette année encore, des allégations de communauté afro-colombienne et quatre violences sexuelles ont été formulées à communautés indigènes. l’encontre de toutes les parties au conflit. Au Cette année encore, des militants des 1er décembre, l’Unité d’aide aux victimes droits fonciers ont été menacés et tués9. Le avait recensé plus de 17 500 victimes de 11 septembre, Néstor Iván Martínez, un crimes contre l’intégrité sexuelle commis dirigeant afro-colombien, a été abattu par des dans le cadre du conflit depuis 1985. agresseurs non identifiés dans la municipalité En mars, l’ONG Groupe de suivi des arrêts de Chiriguaná (département de César). Cet n° 092 de 2008 et n° 009 de 2015 de la homme militait activement en faveur des Cour constitutionnelle a publié un rapport sur droits environnementaux et fonciers, et avait l’application de ces deux arrêts par les fait campagne contre des activités minières. autorités. Ceux-ci soulignaient le nombre Le 29 juillet, le Congrès a approuvé la important de violences sexuelles infligées aux Loi 1776, qui devrait ouvrir la voie à de femmes dans le cadre du conflit et grands projets agro-industriels appelés Zones ordonnaient à l’État de lutter contre ces d’intérêt pour le développement rural, crimes et d’en traduire les responsables économique et social (ZIDRES). D’après ses présumés en justice. Le rapport concluait détracteurs, cette loi pourrait porter préjudice que, malgré certains progrès dans les aux droits fonciers des communautés rurales. enquêtes menées sur ces actes, l’État n’avait En février, la Cour constitutionnelle a jugé pas pris de mesures concrètes pour garantir anticonstitutionnelle la législation qui le droit des victimes à la vérité, à la justice et prévoyait la non-recevabilité des demandes à des réparations. La grande majorité des de restitution de terres situées dans des responsables présumés de ces crimes zones considérées comme des Projets n’avaient toujours pas été traduits en justice d’intérêt national et stratégique (PINES). La à la fin de l’année. Cour a estimé que ces terres pouvaient être En août, le gouvernement a publié le saisies par l’État, mais que les personnes en décret n° 1314 portant création d’une revendiquant la propriété pourraient commission chargée de développer un bénéficier d’une audience d’expropriation programme exhaustif de garantie pour les officielle et d’un dédommagement fixé par les femmes dirigeantes et défenseures des droits tribunaux. humains, qui inclurait notamment des Le 9 juin, la Cour constitutionnelle a rendu mécanismes de prévention et de protection. publique sa décision de décembre 2015 En juin, le ministère public a rendu d’annuler trois résolutions de l’Agence publique une résolution instaurant un nationale des mines et du ministère des protocole pour les enquêtes sur les crimes de Mines et de l’Énergie, qui déclaraient comme violences sexuelles. Zones minières stratégiques plus de 20 millions d’hectares de terres, notamment SURVEILLANCE INTERNATIONALE indigènes et afro-colombiennes. La Cour a En mars, le haut-commissaire aux droits de estimé que la délimitation des Zones l’homme des Nations unies a publié un minières stratégiques ne pouvait se faire sans rapport dans lequel il félicitait le le consentement préalable des communautés gouvernement et les FARC pour les progrès indigènes et afro-colombiennes qui vivent accomplis en vue de parvenir à un accord de dans les régions concernées. paix. Il s’est toutefois inquiété de ce que les groupes paramilitaires (désignés sous le terme de « groupes post-démobilisation » dans le rapport) menacent en permanence

154 Amnesty International — Rapport 2016/17 les droits humains et la sécurité publique, 6. Colombie. L’ELN doit libérer les journalistes détenus l’administration de la justice et l’instauration (AMR 23/4134/2016) de la paix, y compris la restitution des terres. 7. Colombie. Des défenseurs des droits humains et des syndicalistes menacés de mort (AMR 23/3837/2016) Il a ajouté que le démantèlement des groupes contrôlant les terres volées par la 8. Colombie. La communauté de paix de San José de Apartadó menacée par les activités de paramilitaires (AMR 23/4998/2016) violence ou la menace de violences était un 9. Colombie. Des dirigeants afro-colombiens menacés de mort défi permanent pour la paix. (AMR 23/3938/2016) Dans ses observations finales sur la Colombie, publiées en octobre, le Comité des disparitions forcées [ONU] a reconnu les efforts accomplis par les autorités et souligné CONGO la diminution du nombre de cas de disparitions forcées ces dernières années. République du Congo Chef de l’État et du gouvernement : Denis Sassou- Cependant, il a exprimé sa préoccupation Nguesso concernant la persistance de la Colombie à ne pas reconnaître la compétence du Comité des disparitions forcées pour recevoir et L’élection présidentielle s’est déroulée dans examiner les communications présentées par un climat de violence et de polémique. Des des victimes ou en leur nom, ainsi que opposants politiques ont été placés en l’absence de progrès significatifs en termes détention pour avoir critiqué pacifiquement d’enquêtes sur ces crimes. le déroulement du scrutin. Les forces de En novembre, le Conseil des droits de sécurité ont eu recours à une force l’homme de l’ONU a constaté une réduction excessive et parfois à la torture pour considérable des incidences du conflit armé réfréner la dissidence. Une nouvelle loi sur la population civile. Il s’est toutefois restreignant encore davantage l’espace dont inquiété de ce que des violations disposaient les organisations de la société continuaient d’être commises, notamment civile a été adoptée. des privations arbitraires du droit à la vie, des disparitions forcées et des actes de torture, et CONTEXTE a déploré la persistance de l’impunité. Il s’est Au moment de l’élection présidentielle, le également déclaré préoccupé par les 20 mars, les moyens de communication exactions commises par « des groupes armés (téléphone et Internet) ont été totalement illégaux apparus après la démobilisation des coupés. Denis Sassou-Nguesso a été réélu organisations paramilitaires », ainsi que par président. les allégations faisant état de cas dans Aucun représentant d’Amnesty lesquels certains de ces groupes auraient agi International n’a été autorisé à entrer sur le en collusion avec des agents de l’État. territoire afin de suivre la situation des droits humains avant le scrutin.

1. Colombie. L’accord sur une cessation des hostilités et un cessez-le- feu bilatéraux constitue une avancée historique (AMR 23/4311/2016) LIBERTÉ D’EXPRESSION ET DE 2. Colombie. La fin des négociations autour du conflit offre un espoir de RÉUNION paix (nouvelle, 25 août) Après l’annonce des résultats de l’élection 3. Colombie. L’accord de paix historique doit garantir la justice et la fin présidentielle, que l’opposition a contestés, des atteintes aux droits humains (nouvelle, 26 septembre) les autorités ont arrêté plusieurs 4. L’attribution du prix Nobel de la paix illustre la volonté que la personnalités de premier plan de l’opposition, Colombie ne ferme pas la porte aux espoirs de paix et de justice y compris les responsables de campagne des (nouvelle, 7 octobre) candidats Jean-Marie Michel Mokoko et 5. Colombie. Les forces de sécurité doivent s’abstenir de recourir à une André Okombi Salissa, les accusant de force excessive lors de manifestations rurales (AMR 23/4204/2016) compromettre la sécurité nationale. Parmi les personnes arrêtées qui étaient toujours

Amnesty International — Rapport 2016/17 155 maintenues en détention à la fin de l’année souhaitait organiser à Brazzaville. L’IDC- se trouvaient Jean Ngouabi, Anatole FROCAD a signalé que plusieurs Limbongo-Ngoka, Marcel Mpika, Jacques manifestations avaient été interdites, en Banangazala et Roland Ngambou. général au motif qu’elles risquaient de Entre le 4 avril et le 14 juin, Jean-Marie troubler l’ordre public. La plateforme Michel Mokoko a été assigné à domicile de d’opposition a également indiqué que les fait, les forces de sécurité étant postées documents interdisant ces manifestations autour de chez lui sans autorisation faisaient référence aux violences qui avaient judiciaire. Il a été arrêté le 14 juin. Inculpé éclaté à Brazzaville à la suite de l’élection, d’« atteinte à la sûreté intérieure de l’État » et en avril. de « détention illégale d’armes et munitions de guerre », il a été placé en détention à la RECOURS EXCESSIF À LA FORCE maison d’arrêt de Brazzaville, principale Le 5 avril, les forces de sécurité ont procédé prison de la capitale. Il a ensuite été inculpé à des frappes aériennes sur des zones d’« incitation aux troubles à l’ordre public ». résidentielles du département du Pool, dans André Okombi Salissa a, semble-t-il, fui le le sud-est du pays. Des hélicoptères ont pays en juin, à la suite d’une descente largué au moins 30 bombes sur des quartiers effectuée par les forces de sécurité à son d'habitations. Une école a été touchée dans domicile. la localité de Vindza alors que la cible était Plusieurs personnalités politiques de l’ancien domicile du pasteur Frédéric premier plan, parmi lesquelles Paulin Bitsangou (alias Ntoumi), chef du groupe Makaya, dirigeant du parti d’opposition Unis armé des « Ninjas ». Selon des représentants pour le Congo, et Rigobert Okouya, du du département du Pool, jusqu’à groupe politique Convention d’action pour la 5 000 personnes ont été déplacées. Ces démocratie et le développement (CADD), frappes aériennes faisaient suite à une étaient toujours détenues. Ces personnes flambée de violence survenue à Brazzaville avaient été arrêtées en novembre 2015 pour après que la Cour constitutionnelle a validé avoir protesté contre la modification de la les résultats de l’élection présidentielle, le Constitution. Le 25 juillet, Paulin Makaya a 4 avril. Des tirs ont été échangés dans les été condamné à deux ans d’emprisonnement rues ; des jeunes gens ont dressé des et à une amende équivalente à 3 800 euros barricades à Makélékélé, un quartier du sud pour avoir participé à une manifestation non de la ville ; le bureau d’un maire et deux autorisée. Le recours qu’il a formé le jour postes de police ont été incendiés et des même a été examiné le 6 décembre, soit plus hommes armés ont attaqué une caserne de quatre mois plus tard, bien que le délai militaire. Les pouvoirs publics ont imputé ces maximal prévu par la loi ait expiré et qu’un violences aux « Ninjas ». rappel ait été envoyé aux autorités Le 29 avril, une mission composée de compétentes. L’examen de son recours a été policiers, de journalistes et de représentants reporté deux fois et aucune décision n’avait d’organisations de la société civile et chargée encore été prise à la fin de l’année. Il d’évaluer les conditions de sécurité dans le demeurait un prisonnier d’opinion. département du Pool et d’enquêter sur les Selon la plateforme d’opposition composée bombardements a été mise en place. Elle de l’Initiative pour la démocratie au Congo et n’avait pas encore publié de rapport officiel à du Front républicain pour le respect de la fin de l’année. l’ordre constitutionnel et l’alternance D’autres frappes aériennes ont été menées démocratique (IDC-FROCAD), dans le Pool en septembre. Les informations 121 prisonniers politiques étaient toujours à ce sujet étaient limitées compte tenu des détenus à la maison d’arrêt de Brazzaville. difficultés extrêmes d’accès à la zone, Le 9 novembre, les autorités ont interdit un notamment en raison de restrictions sit-in que le mouvement de jeunes Ras-le-bol imposées par l’État.

156 Amnesty International — Rapport 2016/17 Corée (Corée du Nord) étaient toujours TORTURE ET AUTRES MAUVAIS bafoués. Des Nord-Coréens et des TRAITEMENTS ressortissants étrangers ont été victimes Le 29 septembre, Augustin Kala Kala, d’arrestations arbitraires et condamnés à coordinateur national adjoint de la CADD, a l’issue de procès iniques pour des été enlevé par des membres des forces de « infractions pénales » ne pouvant être sécurité chargées de la protection considérées comme telles au titre du droit présidentielle dans le quartier Sadelmy, à international. De lourdes restrictions ont Brazzaville. Il a indiqué qu’il avait été continué de peser sur le droit à la liberté menotté aux poignets et aux chevilles et d'expression. Les autorités ont envoyé des qu’on lui avait administré des décharges milliers de personnes travailler à l’étranger, électriques et provoqué des brûlures à souvent dans des conditions difficiles. De plusieurs reprises en lui plaçant des sacs en plus en plus de Nord-Coréens se rendaient plastique sur le dos et les mains. Il a en République de Corée (Corée du Sud) également dit avoir été frappé avec des après avoir fui leur pays. bâtons et une ceinture, et avoir passé neuf jours dans un conteneur. Il a été libéré le CONTEXTE 13 octobre et déposé près de la morgue d’un Le gouvernement a procédé à deux reprises hôpital de Brazzaville. Ses allégations n’ont à des essais d’armes nucléaires, en janvier fait l’objet d’aucune enquête. puis en septembre, ce qui a exacerbé les tensions avec la communauté internationale. ÉVOLUTIONS LÉGISLATIVES, L’ONU a durci ses sanctions économiques à CONSTITUTIONNELLES OU l’égard du pays. Des spécialistes nord- INSTITUTIONNELLES coréens et étrangers craignaient une Une proposition de loi déterminant le régime aggravation des pénuries alimentaires et une des associations a été adoptée par le Sénat dégradation supplémentaire des conditions en septembre et devait encore être de vie. D’après les spécialistes, les promulguée par le président de la répercussions économiques potentielles de République. Des organisations de la société cette décision ont pu inciter encore plus de civile ont dénoncé le fait que ce texte avait personnes à quitter le pays. Le risque de été élaboré sans véritable concertation et purge politique, notamment les qu’il limitait la liberté d’association de emprisonnements et les exécutions dont plusieurs manières, notamment en érigeant auraient été victimes certains membres de la en infractions les activités considérées classe dirigeante, a toutefois été perçu comme une menace pour la stabilité des comme un facteur déterminant dans ces institutions, en empêchant les organisations départs. religieuses d’aborder des questions politiques Le Parti des travailleurs coréens a tenu un et en obligeant les associations à obtenir congrès en mai, pour la première fois depuis l’approbation des autorités pour mener leurs 36 ans. Des journalistes travaillant pour des activités. médias internationaux ont été invités dans le pays à cette occasion. Cependant, leur travail a fait l’objet de sévères restrictions et ils n’ont pas été autorisés à couvrir les réunions du CORÉE DU NORD congrès. République populaire démocratique de Corée D’après le Programme alimentaire Chef de l’État : Kim Jong-un mondial, de graves inondations survenues en Chef du gouvernement : Pak Pong-ju août ont causé la mort de 138 personnes et le déplacement de 69 000 autres. Le La plupart des droits fondamentaux des gouvernement a demandé une aide citoyens de la République démocratique de humanitaire, notamment pour procurer aux

Amnesty International — Rapport 2016/17 157 victimes des denrées alimentaires, un interpellés en Chine et renvoyés en Corée hébergement, de l’eau et des installations du Nord. sanitaires. La réponse de la communauté internationale a été minimale, en raison des DROITS DES TRAVAILLEURS MIGRANTS inquiétudes exprimées par de potentiels Cette année encore, le gouvernement a bailleurs de fonds concernant le programme envoyé au moins 50 000 personnes travailler nucléaire du pays. pour des entreprises d’État dans une quarantaine de pays, notamment en Angola, DROIT DE CIRCULER LIBREMENT en Chine, au Koweït, au Qatar et en Russie, Au total, 1 414 personnes sont arrivées en dans différents secteurs tels que la Corée du Sud après avoir quitté la Corée du médecine, le bâtiment, l’exploitation Nord, soit une augmentation de 11 % par forestière et la restauration. Au lieu d'être rapport à 2015. C’était la première fois que directement payées par leur employeur, ces ce chiffre repartait à la hausse depuis personnes recevaient leur salaire du l’arrivée au pouvoir de Kim Jong-un en 2011. gouvernement nord-coréen, qui en prélevait D’après les médias sud-coréens et d'abord une part importante. La plupart ne japonais, ces départs concernaient non bénéficiaient d’aucune information seulement de simples citoyens, mais concernant le droit du travail international ou également des membres haut placés du du pays hôte ; souvent, elles n’avaient pas gouvernement qui ont abandonné leur poste accès aux organismes publics de ces pays, ni et présenté des demandes d’asile. Le aux autres organisations chargées de gouvernement sud-coréen a confirmé en contrôler l’application du droit du travail ou août l’arrivée de Thae Young-ho, d’aider les travailleurs à faire respecter leurs ambassadeur adjoint de la Corée du Nord au droits. Royaume-Uni, et de sa famille. Ces personnes étaient souvent astreintes à Treize employés du secteur de la des horaires excessifs et exposées à des restauration que le gouvernement nord- risques d’accidents du travail et de maladies coréen avait envoyés travailler à Ningbo, en professionnelles. La Pologne a indiqué en Chine, ont gagné la Corée du Sud par un vol juin qu’elle ne laisserait plus les travailleurs direct depuis la Chine en avril (voir Corée du nord-coréens entrer sur son territoire, à la Sud). À leur arrivée, les autorités nord- suite d’informations parues dans les médias coréennes ont affirmé que les 12 femmes du au sujet d’un accident survenu en 2014 sur groupe avaient été enlevées en Chine et un chantier naval et dans lequel un emmenées en Corée du Sud. Dans un travailleur nord-coréen avait trouvé la mort. entretien avec les médias organisé à Malte a annoncé une mesure similaire en Pyongyang par le gouvernement nord- juillet et a refusé de prolonger le visa des coréen, leurs anciens collègues ont déclaré travailleurs nord-coréens déjà présents sur que ces 13 personnes s’étaient vu confisquer son sol. leur passeport en Chine, ce qui aurait restreint leur possibilité de se déplacer ARRESTATIONS ET DÉTENTIONS librement1. ARBITRAIRES D’après les médias et les témoignages de Les autorités nord-coréennes ont condamné Nord-Coréens ayant quitté le pays, le de nombreuses personnes, y compris des gouvernement a renforcé sa surveillance étrangers, à de lourdes peines pour empêcher quiconque de fuir en d’emprisonnement à l’issue de procès traversant la frontière avec la Chine. Ceux qui inéquitables. Frederick Otto Warmbier, avaient réussi à s’enfuir risquaient toujours étudiant américain, a été déclaré coupable d’être arrêtés, emprisonnés et soumis au de « subversion » bien qu’il ait seulement travail forcé, à des actes de torture ou à reconnu avoir volé une banderole de d’autres mauvais traitements s’ils étaient propagande, et a été condamné en mars à

158 Amnesty International — Rapport 2016/17 15 ans de travaux forcés. Il n’a pas été mai ont été brièvement détenus au secret et autorisé à bénéficier d’une assistance interrogés avant d’être expulsés, le diplomatique pendant six mois. Kim Dong- gouvernement ayant estimé que leurs articles chul, un ressortissant américain de 62 ans sur certains aspects de la vie quotidienne à né en Corée du Sud, a été condamné à Pyongyang étaient « irrespectueux ». 10 ans de travaux forcés en avril pour L’Agence France-Presse a ouvert un bureau à « espionnage » ; les autorités n’ont fourni Pyongyang en septembre, devenant l’un des aucune précision concernant les faits qui lui rares médias étrangers à pouvoir travailler étaient reprochés. Ces condamnations ont dans le pays. été prononcées après l’adoption par les La quasi-totalité de la population était Nations unies, plus tôt dans l’année, de privée d’accès à Internet et aux services nouvelles sanctions contre la Corée du Nord, internationaux de téléphonie mobile. Des et avant le congrès du Parti des travailleurs Nord-Coréens vivant à proximité de la coréens, qui a eu lieu en mai, à un moment frontière chinoise ont pris des risques où le pays faisait l’objet d’une attention importants en utilisant des téléphones internationale accrue2. portables de contrebande connectés aux Jusqu'à 120 000 personnes étaient réseaux chinois afin d'entrer en contact avec toujours détenues dans les quatre camps de des personnes se trouvant à l'étranger. Ceux prisonniers politiques connus du pays, où qui n'avaient pas de téléphone de ce type elles subissaient des violations graves, devaient payer un prix exorbitant à des systématiques et généralisées de leurs droits intermédiaires pour passer des appels fondamentaux, notamment des actes de internationaux. Toute personne impliquée torture et d’autres mauvais traitements, et dans l’utilisation de téléphones portables de étaient soumises aux travaux forcés ; contrebande connectés aux réseaux chinois certaines de ces atteintes s’apparentaient à risquait de faire l’objet d’une surveillance des crimes contre l’humanité. De nombreux renforcée, voire d’être arrêtée et placée en prisonniers de ces camps n'avaient été détention pour diverses infractions, déclarés coupables d'aucune infraction notamment pour espionnage3. pénale internationalement reconnue, mais Le réseau informatique existant n’était étaient détenus au titre de la « culpabilité par toujours accessible qu’à un nombre très association », simplement parce que certains limité de personnes, et donnait accès de leurs proches étaient considérés comme uniquement à des sites et services de une menace pour les pouvoirs publics. messagerie électronique nationaux. En septembre, la mauvaise configuration d’un LIBERTÉ D’EXPRESSION serveur nord-coréen a révélé au monde Les autorités ont continué de limiter entier que le réseau du pays n’hébergeait sévèrement la liberté d’expression, en que 28 sites, tous contrôlés par des particulier le droit de rechercher, de recevoir organismes officiels ou des entreprises d’État. et de partager des informations au-delà des frontières nationales. Cette année encore, DISPARITIONS FORCÉES l’accès aux sources d'information extérieures En février, les autorités ont interrompu toutes a fait l’objet de restrictions, et il n'existait pas les enquêtes sur les enlèvements de de journaux, médias et organisations de la ressortissants japonais, revenant ainsi sur un société civile indépendants dans le pays. accord bilatéral conclu en 2014 et dont Les activités professionnelles des rares l’objet était que la lumière soit faite sur ces journalistes étrangers autorisés à entrer dans affaires. Selon les médias, cette mesure a été le pays étaient toujours strictement limitées. prise après que le Japon a décidé, en Des journalistes de la BBC qui se sont réaction aux essais nucléaires menés par la rendus en Corée du Nord à l’approche du Corée du Nord en janvier, de durcir à congrès du Parti des travailleurs coréens en nouveau les sanctions contre le pays, qu’il

Amnesty International — Rapport 2016/17 159 avait précédemment assouplies. Les autorités pour prendre effet, cette motion doit être nord-coréennes avaient auparavant admis validée par la Cour constitutionnelle. que leurs agents de sécurité avaient enlevé 12 Japonais dans les années 1970 et 1980. LIBERTÉ DE RÉUNION Les autorités ont continué de restreindre le droit à la liberté de réunion pacifique, 1. South Korea: End secrecy surrounding North Korean restaurant workers (ASA 25/4413/2016) souvent sous prétexte de protéger l’ordre 2. Corée du Nord. Le secret entoure la condamnation à une peine de public. À la fin de l’année, les autorités travaux forcés prononcée contre un ressortissant américain (nouvelle, n’avaient pas terminé l’enquête sur 29 avril) l’utilisation excessive de la force par la police 3. Corée du Nord. Durcissement des contrôles des communications avec lors du « Rassemblement populaire », une le monde extérieur : un coup dur pour les familles (nouvelle, 9 mars) manifestation antigouvernementale qui s’était déroulée de façon largement pacifique en novembre 2015, ni amené les agents CORÉE DU SUD concernés ou leurs responsables à rendre des comptes. Baek Nam-gi, agriculteur et République de Corée militant expérimenté qui avait été grièvement Chef de l'État et du gouvernement : Park Geun-hye blessé par un canon à eau lors de la manifestation, est mort le 25 septembre, Des restrictions ont continué de peser sur après avoir passé 10 mois dans le coma1. les droits à la liberté d’expression et de Si l’enquête sur les blessures de Baek réunion pacifique. Des demandeurs d’asile Nam-gi a pris du retard, Han Sang-gyun, ont été maintenus en détention et des président de la Confédération coréenne des objecteurs de conscience ont été syndicats, coorganisateur de plusieurs emprisonnés pour avoir exercé leurs droits manifestations et en charge de la fondamentaux. La détention, dans un participation des syndicats aux centre géré par l’État, de 13 employés du Rassemblement populaire, a en revanche été secteur de la restauration originaires de condamné à cinq ans de prison le 4 juillet, République démocratique de Corée (Corée notamment pour avoir incité un petit nombre du Nord) a remis en question la légalité du de manifestants à commettre des actes dispositif de soutien à l’installation des illégaux lors de ces rassemblements ressortissants nord-coréens arrivant dans largement pacifiques. Sa peine a été le pays. ramenée à trois ans de prison le Les autorités n’ont pas empêché des 13 décembre, à l’issue de la procédure en entreprises privées d’entraver les activités appel2. légales des syndicats, et elles n’ont réagi Les détracteurs du gouvernement ont que tardivement aux effets sanitaires également considéré comme une tentative de néfastes et aux morts causés par restreindre la liberté de réunion le fait que la l’utilisation de produits dangereux. La marine coréenne ait porté plainte au civil décision du gouvernement de poursuivre le contre 116 personnes et cinq associations déploiement du système de défense qui s’opposaient à la construction d’une base antimissile à haute altitude Terminal High navale sur l’île de Jeju. En mars, la marine a Altitude Area Defence (THAAD), fabriqué demandé 3,4 milliards de wons (2,9 millions par les États-Unis, a suscité une vive de dollars des États-Unis) à titre de opposition de la part d’associations compensation pour les pertes dues aux nationales et a été condamnée par la Chine retards de construction qui auraient été et la Corée du Nord. causés par des manifestations incessantes Le Parlement a voté la destitution de la qui avaient lieu depuis huit ans. présidente Park Geun-hye le 9 décembre ;

160 Amnesty International — Rapport 2016/17 LIBERTÉ D’EXPRESSION RESPONSABILITÉ DES ENTREPRISES L’Assemblée nationale a adopté une loi En mai, l’entreprise britannique Reckitt contre le terrorisme en mars, après neuf Benckiser a accepté d’assumer l’entière jours d’obstruction de la part de l’opposition, responsabilité de la mort d’au moins qui craignait des risques d’abus. Cette loi 95 personnes et des effets sanitaires néfastes renforce considérablement les pouvoirs de qui en ont affecté des centaines, voire des l’État en matière de surveillance des milliers d’autres. Un produit désinfectant communications et de collecte d’informations pour humidificateurs d’air, commercialisé par concernant les personnes soupçonnées sa filiale coréenne pendant de nombreuses d’avoir des liens avec le terrorisme. années, était en cause. Après s’être rendu Les autorités ont restreint la liberté de la dans le pays en 2015, le rapporteur spécial presse en s’ingérant de plus en plus des Nations unies sur les droits humains et étroitement dans le traitement des actualités, les produits dangereux a conclu, dans un en particulier par les chaînes de télévision. rapport publié en août 2016, que Reckitt En juillet, le syndicat national des Benckiser et d’autres entreprises n’avaient professionnels des médias a dénoncé pas fait preuve d’un niveau suffisant de l’éventail de tactiques utilisées par le diligence requise en matière de droits gouvernement pour influencer la couverture humains pour garantir l’innocuité des des informations, comme la nomination de produits chimiques mis sur le marché. Il a personnes proches du gouvernement au recommandé que Reckitt Benckiser veille à conseil d’administration de grands médias ce que toutes les victimes soient identifiées et publics et influents, ou l’application de obtiennent réparation. mesures disciplinaires à l’encontre de certains journalistes en guise d’avertissement DROITS DES TRAVAILLEURS pour leurs confrères. Ces méthodes ont été Des entreprises, en particulier dans le utilisées de façon flagrante au moment de la secteur du bâtiment, ont continué de faire tragédie du ferry Sewol, en 2014, et lors des obstacle aux activités syndicales de leurs débats sur le système THAAD. employés et des ouvriers travaillant pour le Les autorités ont de nouveau recouru à la compte de sous-traitants, sans être Loi relative à la sécurité nationale, rédigée en sanctionnées par le gouvernement. D’après des termes vagues, pour intimider et un rapport publié en juin par le groupe de emprisonner des personnes faisant usage de travail des Nations unies sur la question des leur droit à la liberté d'expression. Parmi les droits humains et des sociétés personnes arrêtées parce qu’elles auraient transnationales et autres entreprises, enfreint cette loi figuraient des membres de certaines sociétés auraient mis en place des l'Alliance coréenne pour une réunification « syndicats jaunes » qui n’étaient pas indépendante et la démocratie (CAIRD), indépendants et ne répondaient pas aux association contrainte à la dissolution par des normes pour les négociations collectives. actes répétés de répression. Kim Hye-young, D’autres ont engagé des consultants une militante du CAIRD qui souffre d’un juridiques pour développer des mesures cancer de la thyroïde, a été condamnée à « anti-syndicats », ainsi que des agences de deux ans de prison en janvier. Elle avait été sécurité privées pour harceler les arrêtée en juillet 2015 lors d’une syndicalistes. manifestation pacifique3. Yang Ko-eun, une autre représentante du CAIRD, n’a pas été RÉFUGIÉS ET DEMANDEURS D’ASILE autorisée à se rendre à l’étranger en juin pour Le Service national de l’immigration a parler de la situation de ses collègues, et a maintenu plus d’une centaine de été arrêtée en septembre. demandeurs d’asile en détention pendant des mois à l’aéroport international d’Incheon.

Amnesty International — Rapport 2016/17 161 Parmi ces personnes se trouvaient d’alternative ont continué de subir des 28 Syriens ; le tribunal du district d’Incheon a préjudices sociaux et économiques du fait de estimé en juin que ces derniers devaient être l’inscription au casier judiciaire de cette libérés et autorisés à présenter une demande condamnation. À la suite de modifications d’asile. Des dizaines de demandeurs d’asile législatives entrées en vigueur en 2015, les d’autres nationalités, notamment égyptienne, autorités ont publié, le 20 décembre, les étaient toujours détenus à l’aéroport dans des noms et les informations personnelles de conditions inhumaines et sans accès aux 237 objecteurs de conscience sur le site services et équipements de base tels que des internet de l’Administration des effectifs lits, des douches et des installations militaires. sanitaires adéquates, des repas convenant à La Cour constitutionnelle poursuivait leurs pratiques religieuses ou la possibilité de l’examen de la légalité de l’objection de faire de l’exercice en extérieur. conscience dans des cas lui ayant été soumis entre 2012 et 2015. Des tribunaux de ARRESTATIONS ET DÉTENTIONS première instance se sont prononcés en ARBITRAIRES faveur de quatre hommes qui avaient refusé Treize employés nord-coréens travaillant dans d’accomplir leur service militaire ; six autres le secteur de la restauration à Ningbo, en objecteurs avaient déjà bénéficié d’un non- Chine, ont été détenus pendant quatre mois lieu en 2015. Le parquet a fait appel et dans un centre dirigé par le Service national obtenu l’annulation de deux de ces du renseignement après leur arrivée de jugements. En octobre, une cour d’appel Chine, en avril (voir Corée du Nord). Dans s’est prononcée en faveur de deux autres des entretiens avec les médias organisés par hommes qui avaient été condamnés en le gouvernement nord-coréen, des proches première instance et avaient déposé un de ces employés ont déclaré que ces recours contre ces décisions. derniers avaient été conduits en Corée du Sud contre leur volonté. Ces 13 personnes 1. Un manifestant gravement blessé par un canon à eau n’étaient pas autorisées à s’entretenir avec (ASA 25/4503/2016). leur famille ou à consulter l’avocat de leur 2. Corée du Sud. La peine de prison prononcée contre un dirigeant choix, ni à parler des raisons de leur venue syndical porte un coup à la liberté de manifester pacifiquement en Corée du Sud à quiconque en dehors de (nouvelle, 4 juillet) l’endroit où elles étaient retenues. Ces 3. Corée du Sud. Une gréviste de la faim privée de soins médicaux conditions ont compromis l’examen, par une (ASA 25/4150/2016) juridiction indépendante et impartiale, de la 4. South Korea: End secrecy surrounding North Korean restaurant légalité de leur détention, et ont soulevé des workers (ASA 25/4413/2016) questions quant au dispositif de soutien obligatoire mis en place par le gouvernement pour aider les Nord-Coréens à s’installer en CÔTE D’IVOIRE Corée du Sud4. République de Côte d’Ivoire OBJECTEURS DE CONSCIENCE Chef de l’État : Alassane Dramane Ouattara Environ 400 objecteurs de conscience au Chef du gouvernement : Daniel Kablan Duncan service militaire étaient toujours en détention pour le simple fait d’avoir exercé leur droit à Le droit à la liberté d’expression, la liberté de pensée, de conscience et de d’association et de réunion pacifique a été religion, ce qui constituait une détention restreint et de nombreux membres de arbitraire au regard du droit international. l’opposition ont été arrêtés. Plusieurs Ceux qui avaient purgé la peine à laquelle ils dizaines de détenus étaient toujours en avaient été condamnés pour avoir refusé attente de leur procès en lien avec les d’effectuer le service militaire en l’absence violences postélectorales de 2010-2011, et

162 Amnesty International — Rapport 2016/17 il restait préoccupant de constater qu’un publique. Ils ont été libérés deux semaines certain nombre de responsables présumés plus tard. En octobre, à la suite d’une de crimes commis pendant cette période manifestation pacifique contre le référendum échappaient toujours à l’obligation de sur la nouvelle Constitution, au moins rendre des comptes. Le procès de Laurent 50 membres de l’opposition, dont Mamadou Gbagbo et de Charles Blé Goudé s’est Koulibaly, ancien président de l’Assemblée ouvert devant la CPI. Simone Gbagbo n’a nationale, ont été arrêtés arbitrairement à pas été transférée à la CPI, qui avait Abidjan et détenus pendant plusieurs heures. pourtant décerné un mandat d’arrêt à son Plusieurs d’entre eux ont été détenus dans encontre ; son procès a débuté devant un des véhicules de police en mouvement – une tribunal ivoirien. Le Programme des Nations pratique connue sous le nom de « détention unies pour l’environnement (PNUE) a lancé mobile » – sur des kilomètres et contraints à une évaluation de l’impact environnemental regagner leur domicile à pied. Certains ont lié aux tonnes de déchets toxiques qui été emmenés jusqu’à Adzopé, à une avaient été déversés en 2006. Dix-neuf centaine de kilomètres du centre d’Abidjan. personnes, dont un enfant, ont été tuées dans une attaque menée par un groupe IMPUNITÉ armé. En février, 24 militaires inculpés des assassinats de l’ancien président Robert CONTEXTE Guéï, de sa famille et de son garde du corps, Les partis de l’opposition ont manifesté Fabien Coulibaly, perpétrés en 2002, ont été contre le projet de Constitution adopté à jugés devant un tribunal militaire. Trois l’issue d’un référendum national tenu en accusés, dont le général Bruno Dogbo Blé, octobre. La nouvelle Constitution a relevé la ancien commandant de la garde limite d’âge des candidats à l’élection présidentielle, et le commandant Anselme présidentielle, supprimé la condition selon Séka Yapo ont été condamnés à la réclusion laquelle les candidats devaient être nés de à perpétuité. Dix accusés ont été condamnés deux parents de nationalité ivoirienne et créé à 10 ans d’emprisonnement et les autres ont un sénat dont un tiers des membres sont été acquittés. nommés par le président de la République. Au moins 146 partisans de l’ancien En décembre, la coalition du parti au pouvoir président Laurent Gbagbo arrêtés entre 2011 a remporté les élections législatives. et 2015 étaient toujours en attente de jugement pour des infractions qu’ils auraient LIBERTÉ D’EXPRESSION, commises pendant la période de troubles qui D’ASSOCIATION ET DE RÉUNION a suivi l’élection de 2010. Quatre-vingt-sept Les autorités ont restreint le droit à la liberté d’entre eux au moins étaient détenus depuis d’expression, d’association et de réunion 2011 ou 2012. pacifique en vertu de lois érigeant en Bien que le président Alassane Ouattara infraction les manifestations pacifiques, entre se soit engagé à faire en sorte que la justice autres formes d’expression non violente. Plus soit rendue équitablement pendant son de 70 personnes, principalement membres mandat, seules des personnes soupçonnées de partis de l’opposition, ont été arrêtées puis de soutenir Laurent Gbagbo ont été jugées libérées au bout de plusieurs heures, voire pour de graves atteintes aux droits humains plusieurs jours. En juillet, Prospère Djandou, commises pendant et après l’élection de Jean Léopold Messihi et Ange Patrick 2010. En revanche, les membres des forces Djoman Gbata ont été arrêtés alors qu’ils loyales au président Alassane Ouattara qui recueillaient des signatures en faveur de la s’étaient rendus coupables de violences, libération de l’ancien président Laurent notamment de l’homicide de plus de Gbagbo et ont été inculpés d’attroupement 800 personnes à Duékoué en avril 2011 et non armé qui pourrait troubler la tranquillité de 13 personnes dans un camp pour

Amnesty International — Rapport 2016/17 163 personnes déplacées à Nahibly en juillet contraintes de verser elles aussi des pots-de- 2012, n’ont pas été poursuivis. Certains vin pour pouvoir rendre visite à leurs d’entre eux ont pourtant été identifiés par des proches. Par ailleurs, les prisonniers familles de victimes mais, malgré les responsables de la sécurité intérieure enquêtes menées, personne n’avait été infligeaient des châtiments corporels aux traduit en justice à la fin de l’année. autres détenus, ce qui avait entraîné au moins trois décès en 2015. Les autorités JUSTICE INTERNATIONALE n’ont rien fait pour protéger les prisonniers de Le procès de l’ancien président Laurent ces agissements et des autres atteintes à Gbagbo et de Charles Blé Goudé devant la leurs droits fondamentaux. Les soins CPI s’est ouvert en janvier ; il était toujours en médicaux demeuraient insuffisants. cours à la fin de l’année. En février, le En février, lors d’une mutinerie, un président Alassane Ouattara a annoncé surveillant et neuf détenus ont été tués dans qu’aucun autre Ivoirien ne serait déféré à la un échange de tirs. CPI car le système judiciaire national était opérationnel. En mai, le procès de Simone RESPONSABILITÉ DES ENTREPRISES Gbagbo, l’épouse de Laurent Gbagbo jugée En juillet, le PNUE a lancé une évaluation pour crimes contre l’humanité, a débuté environnementale de l’impact à long terme devant un tribunal national, bien que la CPI du déversement de plus de 540 000 litres de ait décerné un mandat d’arrêt contre elle. Un déchets toxiques qui a eu lieu à Abidjan en an auparavant, la CPI avait débouté la Côte 2006. Ces déchets avaient été produits par la d’Ivoire de son appel contestant la compagnie pétrolière multinationale recevabilité de cette affaire devant la CPI. Trafigura. Les résultats étaient attendus pour le début de l’année 2017. Les autorités n’ont JUSTICE NATIONALE signalé que 15 décès alors que plus de David Samba, personnalité de l’opposition et 100 000 personnes ont sollicité des soins président de la Coalition des indignés de Côte médicaux après le déversement, notamment d’Ivoire, une ONG, a été inculpé de menace pour des problèmes graves comme des contre la sécurité nationale alors qu’il difficultés respiratoires. Elles n’avaient purgeait déjà une peine de six mois toujours pas évalué les risques à long terme d’emprisonnement pour trouble à l’ordre liés à l’exposition aux produits chimiques public. À la fin de l’année, il était toujours en contenus dans les déchets et n’avaient pas détention dans l’attente d’être jugé pour ces non plus suivi l’état de santé des victimes. De nouvelles charges. nombreuses victimes n’avaient reçu aucun dédommagement et les demandes CONDITIONS CARCÉRALES d’indemnisation auprès de la compagnie se Les prisonniers étaient toujours détenus dans poursuivaient. des conditions déplorables à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (MACA), EXACTIONS PERPÉTRÉES PAR DES principale prison de la ville. En mars, GROUPES ARMÉS l’administration pénitentiaire a déclaré que En mars, des hommes armés ont attaqué cet établissement surpeuplé, dont la capacité trois hôtels situés sur le front de mer de était de 1 500 détenus, en accueillait en Grand-Bassam, faisant 19 morts dont un réalité 3 694. Des prisonniers ont indiqué enfant. Cet attentat a été revendiqué par Al qu’ils avaient dû payer des pots-de-vin allant Mourabitoun, un groupe armé basé dans le jusqu’à 20 000 francs CFA (32 dollars des nord du Mali et affilié à Al Qaïda au Maghreb États-Unis) à des codétenus chargés de la islamique (AQMI). Plus de 80 personnes ont sécurité intérieure afin de ne pas être placés été arrêtées dans le cadre de cette affaire et, dans des cellules immondes dont le sol était en août, deux militaires ont été condamnés à couvert d’eau et d’urine. Les familles étaient 10 ans d’emprisonnement après avoir été

164 Amnesty International — Rapport 2016/17 déclarés coupables de violation de consignes personnes ont demandé l’asile en Croatie et y et d’association de malfaiteurs. sont restées durant une longue période, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe ont CROATIE déclaré que les conditions de vie dans les République de Croatie centres d’accueil étaient satisfaisantes. Ils ont Chef de l’État : Kolinda Grabar-Kitarović également souligné que, si les réfugiés et les Chef du gouvernement : Andrej Plenković (a remplacé migrants avaient accès à des services tels Tihomir Orešković en octobre, lequel avait remplacé qu’un soutien psychologique ou des cours de Zoran Milanović en janvier) langues, ceux-ci étaient généralement proposés par des ONG. Des organisations de La Croatie a connu une période d’instabilité défense des droits humains ont mis en politique à la suite du vote d’une motion de évidence des lacunes dans la législation en censure contre le nouveau gouvernement. matière d’asile et d’immigration et dénoncé Les conditions d’accueil des demandeurs un projet de loi relative aux étrangers d’asile ont généralement été satisfaisantes, présenté par le gouvernement en mai, et qui sans qu’il existe toutefois de politique était encore examiné par le Parlement en cohérente d’intégration sociale à long décembre. Ce texte comportait des terme. Des membres de minorités dispositions érigeant en infraction l’aide ethniques ont continué d’être victimes de sociale et humanitaire apportée aux migrants discrimination. Des atteintes à la liberté des en situation irrégulière et prévoyait des médias ont été constatées. Le recours accru mesures obligeant les migrants devant être à une rhétorique nationaliste et à des expulsés à payer leur hébergement ainsi que discours de haine a contribué à le coût de leur expulsion. l’augmentation de l’intolérance et de En décembre, la Croatie avait accueilli l’insécurité ethniques. 50 réfugiés, dont 30 Syriens venant de Turquie dans le cadre du programme de CONTEXTE réinstallation de l’UE, ainsi que Un nouveau gouvernement a été formé en 10 demandeurs d’asile venant de Grèce et janvier, deux mois après des élections 10 autres d’Italie dans le cadre du législatives au terme desquelles aucun programme de relocalisation de l’UE. La vainqueur ne s’était vraiment dégagé. Cette Croatie s’est engagée à accueillir un total de fragile coalition a volé en éclats en juin, 1 600 réfugiés et demandeurs d’asile avant la entraînant le vote d’une motion de censure fin 2017, au titre des programmes de contre le gouvernement dirigé par Tihomir réinstallation et de relocalisation de l’UE. Si Orešković, ainsi que la dissolution du les conditions d’accueil à l’arrivée dans le Parlement en juillet. À la suite de nouvelles pays sont restées satisfaisantes, les autorités élections organisées en septembre, le parti devaient encore mettre en œuvre une de centre droit HDZ, qui a obtenu 61 sièges politique globale visant à garantir aux réfugiés sur 151, a mis en place une coalition avec de et aux migrants une intégration sociale à long petits partis de centre droit et a formé un terme qui soit efficace. nouveau gouvernement dirigé par Andrej Plenković. CRIMES DE DROIT INTERNATIONAL Le Tribunal pénal international pour l’ex- RÉFUGIÉS ET DEMANDEURS D’ASILE Yougoslavie a fait part de ses préoccupations La Croatie est demeurée un pays de transit quant à la vitesse et à l’efficacité des pour les migrants et les réfugiés se dirigeant poursuites menées par les tribunaux vers l’Europe occidentale. Tout en étant nationaux concernant les crimes perpétrés conscients qu’un nombre limité de durant la guerre de 1992-1995. La loi portant

Amnesty International — Rapport 2016/17 165 sur le statut des civils victimes de la guerre, durant la guerre (soit plus de la moitié d’entre adoptée en 2015, a facilité l’accès d’une elles) avaient regagné le pays fin 2016. Le partie des victimes à des réparations et à des HCR a néanmoins exprimé des services essentiels. Néanmoins, un certain préoccupations quant aux obstacles auxquels nombre de problèmes subsistaient car toutes se heurtent les Serbes qui tentent de les victimes, en particulier les membres de récupérer leurs biens. minorités ethniques, ne bénéficiaient pas Le nombre de personnes issues de d’un accès égal et effectif à la justice. groupes ethniques minoritaires employées Pour la deuxième année consécutive, dans les services publics est resté en deçà aucun progrès n’a été accompli concernant des objectifs du pays. Les personnes la recherche de la vérité sur le sort de d’origine serbe ont rencontré des obstacles 1 600 personnes disparues au cours de majeurs à l’emploi, tant dans le secteur la guerre. public que privé. Le droit de recourir à des langues et des écritures minoritaires n’était DISCRIMINATION toujours pas respecté dans certaines villes et Les discriminations contre les membres de continuait d’être politisé. minorités ethniques et les Roms sont restées monnaie courante. Si le cadre législatif relatif Roms à la prévention de la discrimination prévoyait Malgré les efforts des autorités pour une protection satisfaisante, il restait améliorer l’intégration des Roms, ceux-ci ont néanmoins très peu utilisé. continué de se heurter à des obstacles considérables qui les empêchaient d’avoir Discours de haine véritablement accès à l’éducation, à la santé, La période d’instabilité politique du début de au logement et à l’emploi. l’année a été accompagnée d’une montée de Le HCR a dénombré 2 800 Roms qui ne la rhétorique nationaliste et des propos disposaient pas d'un permis de séjour haineux ciblant des groupes spécifiques, permanent ou temporaire et risquaient donc notamment les personnes d’origine serbe, les de devenir apatrides. Les Roms ont par réfugiés et les migrants. Des organisations de ailleurs rencontré des difficultés dans la société civile ont constaté de plus en plus l’obtention de documents d’identité, ce qui de cas dans lesquels les médias et certains limitait leur accès aux services publics. représentants de l’État faisaient resurgir l’idéologie fasciste du passé en encourageant LIBERTÉ D’EXPRESSION – MÉDIAS ET le recours à une iconographie provocante et JOURNALISTES en nourrissant plus généralement un La liberté des médias a cette année encore sentiment anti-minorités. été menacée de manière récurrente et des Les incitations à la discrimination, voire à journalistes ont de nouveau fait l’objet la violence, envers des minorités ont d’attaques. En mars, le gouvernement a rarement fait l’objet d’enquêtes. En revanche, brutalement mis fin aux contrats de près de les tribunaux ont régulièrement engagé des 70 rédacteurs en chef et journalistes poursuites pour diffamation et insulte à travaillant pour la radiotélévision publique l’honneur et à la réputation. Ces infractions HRT. Ces licenciements ont été considérés étaient considérées comme des infractions comme une tentative d’influencer la ligne graves relevant du Code pénal. Dans ces éditoriale du groupe. Dans le même temps, circonstances, les journalistes demeuraient les autorités ont décidé de mettre fin aux exposés à des poursuites. subventions allouées aux petits médias sans but lucratif et aux initiatives culturelles Droits des minorités ethniques indépendantes, mettant ainsi davantage en Selon le HCR, environ 133 000 personnes péril le pluralisme médiatique. d’origine serbe qui avaient fui la Croatie

166 Amnesty International — Rapport 2016/17 Dans le classement mondial de la liberté fois plus élevé que celui de 2014, selon le de la presse, la Croatie est passée de la 54e à Pew Research Centre. la 63e place. Tout au long de l’année, la Commission interaméricaine des droits de l’homme s’est dite préoccupée par la situation des migrants cubains qui tentaient de rejoindre les États- CUBA Unis. En août, plus de 1 000 d’entre eux se République de Cuba sont retrouvés bloqués en Colombie, à Chef de l’État et du gouvernement : Raúl Castro Ruz proximité de la frontière avec le Panama. La Commission interaméricaine a noté avec inquiétude qu’ils étaient privés de nourriture En dépit de l’ouverture politique qui est et risquaient d’être victimes de la traite. En censée avoir été amorcée à Cuba, les droits juillet, 121 migrants cubains auraient été à la liberté d’expression, d’association et de expulsés d’Équateur, sans avoir été mouvement restaient soumis à des correctement avertis de leur renvoi ni avoir restrictions. La société civile et des groupes eu la possibilité de contester cette décision. d’opposition cubains ont signalé une hausse À la fin de l’année, Cuba n’avait toujours des placements en détention pour motifs pas ratifié le PIDCP ni le PIDESC, deux traités politiques, ainsi que des actes de pourtant signés en février 2008. Le Statut de harcèlement visant des détracteurs du Rome de la Cour pénale internationale restait régime. lui aussi en attente de ratification. Le pays n’avait pas non plus reconnu la compétence CONTEXTE du Comité contre la torture [ONU] ni celle du Le rétablissement des relations entre les Comité des disparitions forcées [ONU] pour États-Unis et Cuba en 2015 a débouché sur recevoir et examiner des communications une hausse des échanges commerciaux présentées par des victimes ou par d’autres bilatéraux et du tourisme en 2016. Par États parties. exemple, les vols commerciaux entre les deux pays ont repris après une interruption LIBERTÉ D’EXPRESSION ET de plus de 50 ans. D’ASSOCIATION En mars, le président des États-Unis Malgré la reprise des relations avec les États- Barack Obama s’est rendu à Cuba, où il a Unis en 2015, le vocabulaire de la Guerre rencontré le président Raúl Castro. C'était la froide restait de mise, les militants politiques première fois depuis près d’un siècle qu'un et les défenseurs des droits humains étant président américain effectuait une visite à qualifiés publiquement de « mercenaires Cuba1. Fidel Castro est décédé en anti-cubains » ou présentés comme « anti- novembre2. révolutionnaires » et « subversifs ». En 2016, Cuba a accueilli plusieurs L’appareil judiciaire demeurait sous millions de visiteurs étrangers, dont l’emprise du pouvoir politique. Des lois beaucoup venus des États-Unis et d’Europe, relatives au « trouble à l’ordre public », à ce qui s’est traduit par une forte expansion l’« outrage », au « manque de respect », à la du secteur touristique. « dangerosité » et à l’« agression » ont été Cette année encore, des migrants cubains invoquées afin de poursuivre en justice des se sont envolés vers des pays d’Amérique personnes pour des raisons politiques. centrale et du Sud pour rejoindre ensuite les Comme les années précédentes, les États-Unis par voie terrestre. Entre octobre détracteurs du régime étaient victimes de 2015 et juillet 2016, plus de 46 000 Cubains manœuvres de harcèlement, notamment sont entrés dans ce pays, un chiffre d’« actes de répudiation » (manifestations légèrement supérieur à celui de 2015 et deux organisées par des partisans du régime avec

Amnesty International — Rapport 2016/17 167 le concours d’agents des services de la plupart de l’Union patriotique de Cuba, ont sécurité). entamé une grève de la faim pour protester Les restrictions d’accès à Internet massivement contre la répression de plus en demeuraient un moyen essentiel pour le plus violente qui selon eux frappait les gouvernement de contrôler à la fois l’accès à opposants et les militants. l’information et la liberté d’expression. Seuls À la fin de l'année, le graffeur et prisonnier 25 % de la population pouvaient consulter d'opinion Danilo Maldonado Machado, connu Internet, et 5 % seulement des foyers sous le pseudonyme d'El Sexto, était détenu disposaient d’une connexion. En août, on dans la prison de sécurité maximale d'El dénombrait apparemment 178 bornes Wi-Fi Combinado del Este, dans la banlieue de la publiques dans le pays, mais des capitale cubaine, La Havane. Danilo interruptions du service Wi-Fi étaient Machado a été arrêté à son domicile le régulièrement signalées. Les autorités 26 novembre, quelques heures après continuaient de bloquer et de filtrer certains l'annonce de la mort de Fidel Castro. Ce sites, ce qui restreignait l’accès à même jour, le journal 14 y medio, basé à l’information et les critiques contre les Cuba, a indiqué que le graffeur avait écrit les politiques gouvernementales3. mots « Il est parti » (« Se fue ») sur un mur à La Havane5. ARRESTATIONS ET DÉTENTIONS ARBITRAIRES SURVEILLANCE INTERNATIONALE De nouvelles informations ont fait état Les organisations et les mécanismes d’arrestations arbitraires et de détentions de indépendants de défense des droits courte durée visant régulièrement des humains, dont les rapporteurs spéciaux de détracteurs du régime et des militants – dont l’ONU, n'ont pas été autorisés à se rendre des membres des Dames en blanc – qui ne à Cuba. faisaient qu’exercer leurs droits à la liberté Les observateurs indépendants se sont d’expression, d’association, de réunion et de eux aussi vu interdire l’accès aux prisons. circulation4. Cuba demeurait le seul pays de Amériques Les autorités, jouant au chat et à la souris où les pouvoirs publics ne laissaient pas avec les militants, les arrêtaient et les entrer Amnesty International. maintenaient en détention pendant huit à 30 heures avant de les relâcher sans les 1. Rencontre Obama-Castro : il faudra plus qu’une poignée de main inculper, souvent plusieurs fois par mois. pour régler les questions de droits humains héritées de la Guerre La Commission cubaine des droits froide (article, 21 mars) humains et de la réconciliation nationale a 2. Héritage de Fidel Castro en termes de droits humains : un bilan terni recensé, en moyenne, 862 détentions par la répression (nouvelle, 26 novembre) arbitraires par mois entre janvier et 3. Six faits à connaître sur la censure à Cuba (article, 11 mars) novembre 2016 ; ce chiffre était supérieur à 4. Americas: Open Letter from Amnesty International to US President celui enregistré en 2015 pour la même Barack Obama, Cuban President Raul Castro and Argentine President période. Mauricio Macri (AMR 01/3666/2016) Les personnes maintenues en « détention 5. Cuba. Un graffeur transféré dans une nouvelle prison provisoire » pendant de plus longues (AMR 25/5279/2016) périodes n’étaient souvent pas inculpées, et leurs proches ne recevaient que rarement des documents les informant des motifs de leur détention. Aux mois de juillet et d’août, Guillermo Fariñas, lauréat en 2010 du Prix Sakharov de la liberté de pensée décerné par l’UE, et d’autres militants politiques, membres pour

168 Amnesty International — Rapport 2016/17 elles avaient commis une infraction au DANEMARK Danemark ou étaient soupçonnées d'avoir commis des crimes de guerre ou des Royaume du Danemark infractions n'ayant pas de caractère politique Chef de l'État : Margrethe II dans un autre pays, mais qui ne pouvaient Chef du gouvernement : Lars Løkke Rasmussen pas être renvoyées dans leur pays d'origine car elles y étaient exposées à un risque réel Le gouvernement a sévèrement durci la de violations de leurs droits humains. Le législation en matière d'asile et gouvernement a fait part de son intention de d'immigration et a suspendu un accord avec rendre leur séjour « aussi insupportable que le Haut-Commissariat des Nations unies possible ». Les nouvelles restrictions pour les réfugiés (HCR) concernant la prévoyaient notamment une obligation pour réinstallation de réfugiés. Des règles ces personnes de passer leurs nuits au procédurales prolongeaient les délais pour centre de Kærshovedgård, à environ la reconnaissance de l'identité de genre à 300 kilomètres de Copenhague, afin de les l’état civil des personnes transgenres. Une séparer de leur famille. Celles qui plainte pour torture déposée par des enfreignaient les modalités de leur « séjour Irakiens contre le ministère de la Défense a toléré » risquaient d'être condamnées à des été jugée recevable. peines de privation de liberté dans des prisons ordinaires. À la fin de l'année, RÉFUGIÉS ET DEMANDEURS D’ASILE 68 personnes relevaient du régime du En janvier, le Parlement a modifié la Loi « séjour toléré ». relative aux étrangers afin de restreindre le En octobre, le gouvernement a repoussé la droit au regroupement familial. Les mise en œuvre de l'accord avec le HCR personnes bénéficiant d'une protection prévoyant l'accueil et la réinstallation chaque subsidiaire devaient attendre trois ans avant année de 500 réfugiés venant de différents de pouvoir demander un regroupement camps de réfugiés dans le monde. familial. En octobre, quatre Syriens qui s'étaient vu accorder une protection ont DISCRIMINATION – LES PERSONNES engagé des poursuites contre le TRANSGENRES gouvernement au motif que les modifications Des règles procédurales mises en place par de la loi bafouaient leur droit à une vie de les autorités sanitaires danoises en ce qui famille. concerne l'accès aux traitements hormonaux En août, le Comité des droits de l'homme et à la chirurgie de changement de sexe [ONU] a critiqué ces nouvelles dispositions et prolongeaient de manière abusive la a exprimé son inquiétude quant à une autre procédure de reconnaissance de l'identité de modification de la loi qui donnait la possibilité genre pour les personnes transgenres. Les de confisquer les biens des demandeurs examens et questionnaires requis portaient d'asile à titre de contribution aux frais principalement sur des relations sexuelles, ce générés par leur accueil. Des dispositions que de nombreuses personnes transgenres permettaient par ailleurs au pouvoir exécutif jugeaient humiliant. Un seul centre de santé de suspendre le contrôle judiciaire de la était autorisé à prescrire des traitements détention des migrants et des demandeurs hormonaux aux personnes transgenres. Les d'asile lorsque le gouvernement considérait lignes directrices procédurales des autorités que le pays connaissait un fort afflux de sanitaires en matière de traitement de personnes. conversion sexuelle étaient en cours En juin, le gouvernement a également d'examen à la fin de l'année. durci le régime dit du « séjour toléré ». Ce En mai, le Parlement a adopté une régime s'appliquait aux personnes qui ne résolution historique mettant fin, d'ici au pouvaient pas bénéficier d'une protection car début de l'année 2017, à la

Amnesty International — Rapport 2016/17 169 « pathologisation » des identités transgenres, arrêtées par l’Agence de sécurité nationale qui étaient jusqu'alors considérées comme (ASN) ont été soumises à une disparition un « trouble mental ». forcée. Des personnes détenues par des membres de l’ASN et d’autres branches des LUTTE CONTRE LE TERRORISME ET forces de sécurité ont été torturées et SÉCURITÉ maltraitées. Les forces de sécurité ont eu En août, le Comité des droits de l'homme recours à une force meurtrière excessive au [ONU] a fait part de ses inquiétudes quant à cours d’opérations de maintien de l’ordre et la définition excessivement large du lors de faits qui s’apparentaient à des terrorisme dans le Code pénal danois. Il s'est exécutions extrajudiciaires. Cette année inquiété également des pouvoirs de la police encore, des procès collectifs iniques se sont en matière d'interception des déroulés devant des tribunaux civils et communications, qui étaient susceptibles de militaires. Les autorités ne menaient pas mener à une surveillance de masse. Le d’enquêtes sérieuses sur les atteintes aux Comité a demandé au gouvernement de droits humains, et les responsables de tels procéder à un examen approfondi de ses agissements n’étaient pas traduits en pouvoirs en matière de lutte contre le justice. Les femmes étaient toujours en terrorisme afin de les mettre en conformité butte à des violences sexuelles et liées au avec le droit international relatif aux droits genre. Le gouvernement a continué humains. d’imposer des restrictions aux minorités religieuses, et il a poursuivi des personnes TORTURE ET AUTRES MAUVAIS pour diffamation de la religion. Un certain TRAITEMENTS nombre de personnes ont été emprisonnées En août, la haute cour de l'Est a jugé pour « débauche » en raison de leur recevable une action en justice engagée orientation sexuelle présumée. Plusieurs contre le ministère de la Défense par centaines de réfugiés, demandeurs d’asile 11 ressortissants irakiens sollicitant des et migrants ont été arrêtés alors qu’ils dommages et intérêts. Ceux-ci affirmaient tentaient de traverser la Méditerranée. Cette avoir été torturés par des soldats irakiens année encore, les tribunaux ont prononcé pendant une opération militaire dirigée par des condamnations à mort ; des exécutions des membres de l'armée danoise à Bassora, ont eu lieu. en Irak, en 2004. Une audience sur le fond était prévue en 2017. CONTEXTE Réunie le 10 janvier, la Chambre des représentants nouvellement élue a disposé de 15 jours pour examiner et voter les ÉGYPTE décrets-lois pris par le président Al Sissi en République arabe d’Égypte l’absence de Parlement. Elle a approuvé Chef de l’État : Abdel Fattah al Sissi presque tous ces textes législatifs, y compris Chef du gouvernement : Cherif Ismaïl la Loi de lutte contre le terrorisme (Loi n° 94 de 2015), qui réduisait les garanties d’équité Les autorités ont eu recours à des des procès et inscrivait des pouvoirs arrestations arbitraires massives pour d’exception dans le droit interne. réprimer des manifestations et la L’Égypte est restée membre de la coalition dissidence ; des journalistes, des militaire menée par l’Arabie saoudite et défenseurs des droits humains et des engagée dans le conflit armé au Yémen (voir manifestants ont été arrêtés. Des Yémen). Le président Al Sissi a approuvé, en restrictions ont été imposées aux activités janvier, une loi autorisant les forces armées à des organisations de défense des droits intervenir en dehors du territoire national humains. Plusieurs centaines de personnes pendant une année supplémentaire.

170 Amnesty International — Rapport 2016/17 Les relations entre l’Égypte et l’Italie se forces de sécurité, des agents de l’État, des sont dégradées après la mort dans des magistrats et d’autres civils. La plupart de ces circonstances non élucidées de Giulio attaques ont eu lieu dans le nord du Sinaï ; Regeni, un doctorant italien qui effectuait des des attentats à l’explosif et des fusillades recherches sur les syndicats égyptiens. imputables à des groupes armés ont toutefois Lorsque le corps de cet étudiant a été été signalés dans d’autres régions du pays. retrouvé le 3 février, un policier a affirmé aux Bon nombre de ces attaques ont été médias égyptiens qu’il était mort dans un revendiquées par le groupe armé se faisant accident de la circulation, mais des autopsies appeler Province du Sinaï, qui a fait ont conclu qu’il avait été torturé. Le 24 mars, allégeance au groupe armé État islamique 15 jours après que le Parlement européen (EI). Province du Sinaï a annoncé au cours eut condamné fermement ce crime, le de l’année avoir exécuté plusieurs hommes ministre égyptien de l’Intérieur a annoncé qu’il accusait d’espionnage pour le compte que les forces de sécurité avaient tué des des forces de sécurité. membres d’une bande criminelle responsable de la mort de Giulio Regeni. LIBERTÉ D’EXPRESSION, L’Italie a rappelé son ambassadeur en Égypte D’ASSOCIATION ET DE RÉUNION le 8 avril. Le procureur général a déclaré, le Les autorités imposaient, dans la législation 9 septembre, que les forces de sécurité et dans la pratique, des restrictions sévères à avaient brièvement enquêté sur cet étudiant la liberté d’expression, d’association et de avant sa disparition et son meurtre. réunion pacifique. Plusieurs États continuaient de fournir à Des journalistes et des militants, entre l’Égypte des armes ainsi que du matériel autres, ont été arrêtés, inculpés et incarcérés militaire et de sécurité, notamment des pour incitation à manifester ou participation à avions de combat et des véhicules blindés. des mouvements de protestation, diffusion de Selon les chiffres disponibles auprès de « fausses rumeurs », diffamation d’agents de l’Office de secours et de travaux des Nations l’État et atteinte à la moralité. unies pour les réfugiés de Palestine dans le Ouvert en décembre 2015, le procès Proche-Orient (UNRWA), les autorités ont collectif du photographe de presse Mahmoud maintenu fermé le point de passage de Rafah Abou Zeid, connu sous le nom de Shawkan, à la frontière avec la bande de Gaza durant et de plus de 730 autres personnes, s’est presque toute l’année – 24 jours d’ouverture poursuivi. Il se déroulait de manière seulement. inéquitable. Les chefs d’accusation retenus contre Shawkan, arrêté pour avoir couvert un LUTTE CONTRE LE TERRORISME ET sit-in dans la capitale, Le Caire, le 14 août SÉCURITÉ 2013, étaient fabriqués de toutes pièces. Il Les forces armées ont poursuivi leurs était notamment poursuivi pour opérations contre des groupes armés actifs « appartenance à une bande criminelle » et dans le nord du Sinaï. Elles ont utilisé des meurtre. De nombreux accusés étaient jugés véhicules blindés, des tirs d’artillerie et des par contumace. frappes aériennes. Le ministre de la Défense Le 1er mai, les forces de sécurité ont fait a affirmé que plusieurs dizaines de irruption dans les locaux du Syndicat de la « terroristes » avaient été tués dans chacune presse au Caire et arrêté Amro Badr et de ces opérations. L’état d’urgence restait en Mahmoud al Saqqa, des journalistes accusés vigueur dans la plus grande partie de cette notamment d’incitation à manifester et de région, qui était de fait interdite aux diffusion de « fausses rumeurs ». Le Syndicat observateurs indépendants des droits de la presse a condamné la descente de humains et aux journalistes. police et les arrestations. Amro Badr et Des groupes armés ont régulièrement Mahmoud al Saqqa ont été remis en liberté lancé des attaques meurtrières contre les sous caution respectivement le 28 août et le

Amnesty International — Rapport 2016/17 171 1er octobre. Le 19 novembre, Yahia Galash, rassemblements (Loi n° 10 de 1914). Le président du Syndicat de la presse, ainsi que gouvernement a annoncé le 8 juin qu’il avait Khaled Elbashy et Gamal Abd el Reheem, l’intention de modifier la Loi relative aux membres du conseil d’administration, ont été manifestations ; aucun projet n’avait été condamnés à deux ans d’emprisonnement soumis au Parlement à la fin de l’année. pour « avoir abrité des suspects », entre La Cour suprême constitutionnelle a autres chefs. Le tribunal avait fixé un conclu le 3 décembre à l’inconstitutionnalité montant de 10 000 livres égyptiennes d’un article de la Loi relative aux (630 dollars des États-Unis) pour assortir ces manifestations qui conférait au ministre de peines du sursis. l’Intérieur le pouvoir d’interdire de manière Des juges d’instruction ont donné une arbitraire les protestations. nouvelle dimension à une information judiciaire sur les activités d’ONG et leur RECOURS EXCESSIF À LA FORCE financement. Ils ont interrogé des membres Cette année encore, des policiers ont fait du personnel de ces ONG, interdit à usage d’une force meurtrière excessive à la 12 défenseurs des droits humains de quitter suite d’altercations verbales. Onze personnes le pays et gelé les avoirs de sept militants et au moins ont été tuées après des tirs, et plus six organisations. Les autorités ont ordonné la de 40 autres ont été blessées. Deux policiers fermeture d’une organisation de défense des ont été condamnés à 25 ans droits humains. Le Parlement a approuvé un d’emprisonnement dans des affaires texte visant à remplacer la Loi n° 84 de 2002, distinctes de tirs meurtriers, qui avaient qui restreindrait sérieusement les activités entraîné des protestations dans des quartiers. des ONG, leur droit d’être enregistrées Le ministère de l’Intérieur a annoncé à officiellement et leur accès à des plusieurs reprises que les forces de sécurité financements étrangers. La proposition de loi avaient abattu des suspects au cours de n’avait pas été définitivement adoptée à la fin descentes dans des habitations ; parmi les de l’année. victimes figuraient des membres des Frères Le 17 février, des agents du ministère de musulmans et des membres présumés de la Santé ont notifié au Centre Nadeem de groupes armés. Aucun policier n’a fait l’objet réadaptation des victimes de violence un d’une enquête officielle, ce qui laissait ordre mettant fin à ses activités. craindre que les forces de sécurité aient fait L’organisation a continué de fonctionner et a un usage excessif de la force ou, dans formé un recours en justice contre la certains cas, se soient rendues coupables décision des autorités, mais ses avoirs ont été d’exécutions extrajudiciaires. brièvement gelés en novembre. Le 17 septembre, un tribunal du Caire a ARRESTATIONS ET DÉTENTIONS confirmé le gel des avoirs de cinq défenseurs ARBITRAIRES des droits humains et de trois organisations Cette année encore, des opposants et des (l’Institut du Caire pour l’étude des droits détracteurs du gouvernement ont été arrêtés humains, le Centre Hisham Moubarak pour et détenus de manière arbitraire pour le droit et le Centre égyptien pour le droit à incitation à manifester, actes de l’éducation), qui avait été ordonné par des « terrorisme » et appartenance à des groupes juges enquêtant sur leurs activités et leurs interdits, comme les Frères musulmans ou le sources de financement. Mouvement des jeunes du 6 avril. Plusieurs Les 15 et 25 avril, au Caire, les forces de défenseurs des droits humains ont également sécurité ont utilisé du gaz lacrymogène pour été détenus arbitrairement. disperser des manifestants pacifiques et Selon les estimations d’une coalition arrêté environ 1 300 personnes pour d’avocats égyptiens spécialistes des droits infraction à la Loi relative aux manifestations humains, les forces de sécurité ont arrêté (Loi n° 107 de 2013) et à la Loi sur les quelque 1 300 personnes dans tout le pays

172 Amnesty International — Rapport 2016/17 entre la mi-avril et le début de mai, lors prenaient aux sympathisants présumés des d’opérations visant à étouffer des Frères musulmans et à des militants ayant mouvements de protestation. Si la plupart de d’autres affiliations politiques. Certaines ces personnes ont été relâchées, certaines disparitions forcées étaient par ailleurs ont été poursuivies par la suite (voir Procès imputables à des agents du Renseignement inéquitables). militaire. Plus de 1 400 personnes ont été Aser Mohamed, 14 ans, a été arrêté le maintenues en détention provisoire au-delà 12 janvier par des agents de l’ASN, qui l’ont de la durée légale de deux ans prévue pour soumis à une disparition forcée pendant la comparution en procès. 34 jours. Cet adolescent a déclaré qu’on Après avoir passé plus de deux ans en l’avait torturé pour le contraindre à « avouer » détention sans procès, Mahmoud Mohamed des faits liés au « terrorisme » et qu’un Ahmed Hussein a été libéré sous caution le procureur l’avait menacé de nouveaux 25 mars sur ordre d’un tribunal. Il avait été sévices s’il rétractait ses « aveux ». Son arrêté parce qu’il portait un tee-shirt sur procès n’était pas terminé à la fin de l’année. lequel figurait le slogan « Nation sans torture », ainsi qu’une écharpe portant le logo TORTURE ET AUTRES MAUVAIS de la « révolution du 25 Janvier ». TRAITEMENTS Malek Adly, un responsable du Centre Des personnes ont été battues et maltraitées égyptien des droits économiques et sociaux, par des membres des forces de sécurité au a été arrêté le 5 mai par les forces de moment de leur arrestation. Des agents de sécurité et accusé de diffusion de « fausses l’ASN chargés des interrogatoires ont torturé rumeurs » et de tentative de renverser le et maltraité de nombreuses personnes gouvernement. Avec d’autres avocats, il avait soumises à une disparition forcée, dans le intenté une action en justice pour contester but de leur arracher des « aveux » utilisés la décision du gouvernement de céder les contre elles par la suite lors de leur procès. îles de Tiran et de Sanafir à l’Arabie saoudite. Parmi les méthodes signalées figuraient les Un tribunal a ordonné sa remise en liberté le passages à tabac, l’administration de 28 août. décharges électriques et le maintien forcé Ahmed Abdallah, président de la dans des positions douloureuses. Des Commission égyptienne des droits et des groupes égyptiens de défense des droits libertés, et Mina Thabet, directeur de son humains ont recensé des dizaines de cas de département des minorités, ont été mort en détention à la suite d’actes de torture respectivement arrêtés le 25 avril et le et d’autres mauvais traitements, ainsi qu'en 19 mai. Cette organisation avait recueilli des raison du manque d’accès à des soins informations sur des disparitions forcées en médicaux. Égypte. Les deux hommes ont été placés en Le 20 septembre, neuf policiers ont été détention sans être inculpés ; ils ont été condamnés à des peines de trois ans libérés sous caution respectivement le d’emprisonnement pour avoir brutalisé des 18 juin et le 10 septembre. médecins dans un hôpital du quartier de Matariya, au Caire, en janvier. Le tribunal les DISPARITIONS FORCÉES a remis en liberté sous caution en attendant L’ASN a interpellé des centaines de qu’il soit statué sur leur appel. personnes sans mandat judiciaire et les a maintenues au secret pendant de longues PROCÈS INÉQUITABLES périodes, hors du contrôle d’une autorité Les tribunaux pénaux continuaient de judiciaire et en les privant de tout contact conduire des procès collectifs inéquitables avec leur famille ou un avocat1. Les autorités contre des dizaines, voire des centaines, de continuaient à nier l’existence de cette personnes accusées d’avoir participé à des pratique. Les forces de sécurité s’en manifestations et commis des violences à

Amnesty International — Rapport 2016/17 173 caractère politique à la suite du mort en détention ainsi que sur l’utilisation renversement du président Mohamed Morsi généralisée d’une force excessive par les en juillet 2013. forces de sécurité depuis 2011 ; les Dans certains procès où les accusés responsables présumés de tels agissements avaient été soumis à une disparition forcée, n’ont pas été traduits en justice. les tribunaux ont retenu à titre de preuve à Les magistrats du parquet refusaient charge des « aveux » obtenus sous la torture. régulièrement d’ouvrir des enquêtes sur les Aux côtés des juridictions « de circuit » plaintes pour torture et mauvais traitements spécialisées dans les affaires de terrorisme, formulées par des détenus, ainsi que sur les les tribunaux militaires ont jugé des centaines éléments montrant que les forces de sécurité de civils dans le cadre de procès iniques, et avaient falsifié la date d’arrestation, dans les notamment de procès collectifs. En août, les cas de disparition forcée. autorités ont prolongé de cinq ans Le 15 août, le président Al Sissi a l’application d’une loi qui étend la promulgué des modifications de la Loi compétence de la justice militaire aux crimes relative aux pouvoirs de la police qui commis contre des « équipements publics ». interdisent aux membres des forces de Plus de 200 personnes ont été traduites sécurité de « maltraiter les citoyens », de en justice pour avoir participé à des faire des déclarations aux médias sans manifestations contre la décision du autorisation et de se syndiquer. gouvernement de céder les îles de Tiran et de Sanafir à l’Arabie saoudite ; beaucoup ont été DROITS DES FEMMES condamnées à des peines comprises entre Les femmes n’étaient toujours pas deux et cinq ans d’emprisonnement assorties suffisamment protégées contre les violences d’amendes élevées. La plupart des peines sexuelles et liées au genre ; dans la loi et d’emprisonnement ont été annulées par la dans la pratique, elles faisaient en outre suite en appel. l’objet de discriminations liées au genre, Plus de 490 personnes, dont un particulièrement aux termes des dispositions ressortissant irlandais, Ibrahim Halawa, du Code de statut personnel relatives au étaient jugées dans le cadre d’un procès divorce. collectif qui a débuté en 2014 pour Une jeune fille de 17 ans est morte le participation aux violences qui avaient éclaté 29 mai, semble-t-il des suites d’une pendant une manifestation en août 2013. hémorragie, après avoir subi des mutilations Amnesty International considère que les génitales féminines dans un hôpital privé du charges retenues contre Ibrahim Halawa sont gouvernorat de Suez. Quatre personnes – la forgées de toutes pièces. mère de la jeune fille et des membres du Le 18 juin, un tribunal a condamné le personnel médical – ont été déférées en président déchu Mohamed Morsi à 25 ans justice pour avoir causé une blessure ayant de réclusion pour avoir dirigé un « groupe entraîné la mort et pratiqué des mutilations interdit », et à 15 ans supplémentaires pour génitales féminines. vol d’informations classées secrètes. Six Le 25 septembre, le président Al Sissi a autres hommes, dont trois journalistes jugés signé une loi qui augmente les peines en leur absence, ont été condamnés à mort d’emprisonnement pour quiconque pratique dans le cadre de cette affaire. des mutilations génitales féminines. Jusque- là comprises entre trois mois et deux ans, ces IMPUNITÉ peines peuvent désormais aller de cinq à Les autorités n’ont pas mené d’enquête 15 ans de détention. La loi punit également sérieuse sur la plupart des allégations de ceux qui forcent les filles à subir des violations des droits humains, notamment sur mutilations génitales féminines. les cas de torture et d’autres formes de mauvais traitements, de disparition forcée, de

174 Amnesty International — Rapport 2016/17 victimes de la traite et les migrants illégaux DISCRIMINATION – MINORITÉS de peines d’emprisonnement et d’amendes, RELIGIEUSES mais prévoit que les autorités doivent les Les minorités religieuses, notamment les renvoyer dans leur pays d’origine, chrétiens coptes, les musulmans chiites et éventuellement contre leur gré. Il ne précise les baha’is, continuaient de faire l’objet de pas comment les autorités doivent accueillir restrictions discriminatoires dans la les victimes de la traite ainsi que les réfugiés législation et dans la pratique, et n’étaient et les demandeurs d’asile, et n’indique pas toujours pas suffisamment protégées contre s’ils seront protégés contre le renvoi dans un la violence. pays où ils sont menacés. Les chrétiens coptes ont été victimes Un bateau qui transportait des réfugiés, d’attaques répétées. Un attentat à l’explosif des demandeurs d’asile et des migrants perpétré le 11 décembre contre une église irréguliers a chaviré le 22 septembre au large du Caire a tué 27 personnes. L'EI a des côtes égyptiennes ; plus de revendiqué cette attaque, tandis que le 200 personnes ont trouvé la mort. Les forces gouvernement l’imputait à une « cellule de sécurité ont arrêté les membres de terroriste » liée aux Frères musulmans. l’équipage. Signée par le président Al Sissi le 28 septembre, une nouvelle loi réglementant DROITS DES TRAVAILLEURS les églises restreignait de manière arbitraire Les autorités ne reconnaissaient pas les leur construction, leur rénovation et leur syndicats indépendants fonctionnant en expansion. dehors de la Fédération syndicale égyptienne contrôlée par l’État. Cette situation DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET transparaissait dans un projet de loi DES PERSONNES BISEXUELLES, renforçant le contrôle de l’État sur les TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES syndicats. Cette année encore, des personnes ont été Vingt-six civils qui travaillaient pour les arrêtées, détenues et jugées pour chantiers navals d’Alexandrie et s’étaient mis « débauche » aux termes de la Loi n° 10 de en grève ont été traduits devant un tribunal 1961, en raison de leur orientation sexuelle militaire appliquant une procédure et de leur identité de genre, réelles ou inéquitable. présumées. Des organisations égyptiennes de défense des droits humains ont fait observer à DROITS DES RÉFUGIÉS ET DES plusieurs reprises que le gouvernement ne MIGRANTS prenait pas de mesures suffisantes pour faire Selon les chiffres publiés en septembre par le en sorte que sa politique économique, Haut-Commissariat des Nations unies pour notamment la réforme des subventions et la les réfugiés (HCR), les forces de sécurité ont dévaluation de la monnaie, ainsi que les arrêté plus de 4 600 réfugiés, demandeurs modifications envisagées de la Loi sur la d’asile et migrants qui tentaient de traverser fonction publique, n’aient pas de la Méditerranée pour atteindre l’Europe. conséquences négatives pour les personnes Le 8 novembre, le président Al Sissi a à faibles revenus et celles vivant dans la promulgué une loi rendant passible pauvreté. quiconque transporte illégalement des personnes d’un pays à un autre d’une PEINE DE MORT amende de 500 000 livres égyptiennes Cette année encore, les tribunaux ont (32 130 dollars) et d’une peine de 25 ans prononcé des condamnations à mort pour d’emprisonnement. Ce texte, qui n’établit pas meurtre, viol, trafic de drogue, vol à main de distinction entre l’immigration clandestine armée et « terrorisme ». Des personnes et la traite d’êtres humains, exempte les

Amnesty International — Rapport 2016/17 175 condamnées pour meurtre ou pour d’autres crimes ont été exécutées. ÉMIRATS ARABES La Cour de cassation a annulé des sentences capitales, notamment une condamnation à mort prononcée contre le UNIS président déchu Mohamed Morsi. Elle a Émirats arabes unis ordonné la tenue d’un nouveau procès dans Chef de l’État : Khalifa ben Zayed al Nahyan plusieurs affaires, dont au moins un cas de Chef du gouvernement : Mohammed bin Rashed al procès collectif inique lié aux troubles Maktoum de 2013. Des tribunaux militaires ont condamné à mort des civils à l’issue de procès Cette année encore, les autorités ont manifestement inéquitables et entachés restreint de manière arbitraire les droits à la d'irrégularités telles que des disparitions liberté d’expression et d’association, et forcées, des actes de torture et d’autres arrêté et poursuivi en justice, aux termes mauvais traitements. des textes législatifs sur la diffamation et Le 29 mai, un tribunal militaire a des lois antiterroristes, des opposants et condamné à mort six hommes et prononcé des personnes critiques à l’égard du des peines de 15 à 25 ans gouvernement, ainsi que des étrangers. Les d’emprisonnement contre 12 autres, pour disparitions forcées et les procès appartenance aux Frères musulmans, inéquitables restaient des pratiques obtention d’informations classées secrètes et courantes. Les détenus étaient détention d’armes à feu et d’explosifs. Le régulièrement torturés et maltraités. De très tribunal n’a pas tenu compte des plaintes nombreuses personnes condamnées les pour torture et mauvais traitements formulées années précédentes à l’issue de procès par les accusés – tous des civils –, ni des inéquitables se trouvaient toujours en éléments démontrant que les forces de détention ; certaines étaient des prisonniers sécurité les avaient soumis à une disparition d’opinion. Les femmes continuaient de faire forcée après leur arrestation, en mai et en l’objet de discrimination dans la législation juin 2015. Le tribunal a également et dans la pratique. Les travailleurs condamné par contumace huit autres migrants étaient en butte à l’exploitation et hommes : deux à la peine capitale et six à aux mauvais traitements. Cette année des peines d’emprisonnement. Les encore, des tribunaux ont prononcé des condamnés ont interjeté appel devant une sentences capitales ; aucune exécution n’a juridiction militaire supérieure. été signalée.

1. Egypt: ‘Officially, you do not exist’ – disappeared and tortured in the CONTEXTE name of counter-terrorism (MDE 12/4368/2016) Les Émirats arabes unis sont restés membres de la coalition internationale dirigée par l’Arabie saoudite et engagée dans le conflit armé au Yémen (voir Yémen). Ils ont aussi participé aux opérations militaires internationales contre l’État islamique (EI) en Syrie et en Irak. En août, les autorités ont accepté le transfert aux Émirats arabes unis de 15 prisonniers du centre de détention américain de Guantánamo, sur l'île de Cuba. Le gouvernement n’a pas répondu aux demandes du rapporteur spécial sur la

176 Amnesty International — Rapport 2016/17 torture et d’autres experts des droits humains octobre que sa vision se dégradait en des Nations unies qui souhaitaient effectuer détention. des visites dans le pays. En août, le gouvernement a semble-t-il été à l’origine d’une tentative de piratage de LIBERTÉ D’EXPRESSION ET l’iPhone d’Ahmed Mansoor, défenseur des D’ASSOCIATION droits humains. Si cette manœuvre avait Les autorités ont durci la loi relative aux réussi, les autorités auraient eu accès à informations électroniques et limité la liberté distance à toutes les informations contenues d’expression et d’association en ligne ; elles dans le téléphone et auraient pu contrôler les ont adopté des mesures législatives applications ainsi que le micro et la caméra. interdisant l’utilisation des réseaux privés Le logiciel espion perfectionné utilisé pour virtuels. Elles ont également arrêté et cette opération est vendu par le groupe NSO, poursuivi des détracteurs du gouvernement une société américaine basée en Israël qui qui n’avaient pas usé de violence, ainsi que affirme vendre ses produits exclusivement d’autres personnes, dont des étrangers, aux aux gouvernements. termes des dispositions du Code pénal Le défenseur des droits humains relatives à la diffamation, de la loi de 2012 Mohammed al Roken était toujours en sur la cybercriminalité et de la loi détention. Ce prisonnier d’opinion purgeait antiterroriste de 2014. Ces prisonniers ont une peine de 10 ans d’emprisonnement comparu devant la Chambre de la sûreté de prononcée en 2013 à l’issue du procès l’État de la Cour suprême fédérale, qui collectif inéquitable des « 94 Émiriens ». applique une procédure inéquitable, loin de respecter les normes internationales en DISPARITIONS FORCÉES matière d’équité des procès. Les autorités ont soumis de très nombreux Moza Abdouli, accusée d’« insultes » détenus, y compris des étrangers, à une envers les dirigeants des Émirats arabes unis disparition forcée. Ces personnes ont été et les institutions politiques et de « diffusion détenues aux fins d’interrogatoire pendant de fausses informations », a été acquittée en plusieurs mois, dans des lieux tenus secrets mai par la Chambre de la sûreté de l’État de et sans que les autorités reconnaissent les la Cour suprême fédérale. Elle avait été avoir arrêtées. Beaucoup se sont plaintes arrêtée en novembre 2015 en même temps après leur remise en liberté d’avoir été que sa sœur, Amina Abdouli, et son frère, torturées et maltraitées. Mosaab Abdouli. Un autre de ses frères, Abdulrahman Bin Sobeih a été soumis à Waleed Abdouli, interpellé en novembre une disparition forcée pendant trois mois 2015 pour avoir dénoncé la détention de ses après avoir été renvoyé d’Indonésie contre frères et sœurs pendant la prière du son gré vers les Émirats arabes unis en vendredi, a été libéré sans inculpation décembre 2015. Condamné par contumace en mars. en 2013 à 15 ans d’emprisonnement à Tayseer al Najjar, un journaliste jordanien l’issue du procès inéquitable des arrêté en décembre 2015, se trouvait « 94 Émiriens », il a été rejugé et condamné toujours en détention à la fin de l’année, en novembre à 10 ans de prison, suivis de dans l’attente de son procès devant la trois années sous surveillance. Chambre de la sûreté de l’État de la Cour Nasser Bin Ghaith, un universitaire et suprême fédérale. Il était, semble-t-il, économiste arrêté en août 2015, a été poursuivi pour avoir publié sur Facebook des victime de disparition forcée jusqu’en avril, commentaires critiques envers les Émirats date à laquelle il a comparu devant la arabes unis et pour ses liens présumés avec Chambre de la sûreté de l’État de la Cour l’organisation égyptienne interdite des Frères suprême fédérale. Ce prisonnier d’opinion musulmans. Il a confié à sa femme en était poursuivi uniquement pour avoir exercé pacifiquement son droit à la liberté

Amnesty International — Rapport 2016/17 177 d’expression et d’association. Il a déclaré au faire appel de ses décisions a été tribunal qu’il avait été torturé et maltraité, promulguée par le gouvernement. mais le juge n’a pas ordonné l’ouverture En mars, la Chambre de la sûreté de l’État d’une enquête. L’affaire le concernant a été de la Cour suprême fédérale a déclaré transférée à une cour d’appel en décembre. coupables 34 hommes accusés, entre autres, d’avoir créé un groupe appelé Shabab al TORTURE ET AUTRES MAUVAIS Manara (Les Jeunes du minaret) en vue de TRAITEMENTS renverser le gouvernement des Émirats Les détenus, et tout particulièrement ceux arabes unis et de le remplacer par un victimes de disparition forcée, étaient « califat semblable à l’EI ». Ces hommes ont régulièrement torturés et maltraités en toute été condamnés à des peines comprises entre impunité. Le gouvernement et la Chambre de trois ans d’emprisonnement et la réclusion à la sûreté de l’État de la Cour suprême perpétuité. Arrêtés en 2013, ils avaient été fédérale n’ont mené aucune enquête soumis à une disparition forcée pendant indépendante sur les allégations de torture 20 mois. Certains d’entre eux ont, semble-t-il, formulées par des détenus. été déclarés coupables sur la base Entre mars et juin, les autorités ont libéré d’« aveux » qui auraient été extorqués sous six hommes d’origine libyenne sur les 12 au la torture. moins qu’elles avaient arrêtés en 2014 et En juin, la Chambre de la sûreté de l’État 2015. Accusés d’avoir fourni un soutien à de la Cour suprême fédérale a condamné des groupes armés libyens, ils ont finalement Mosaab Ahmed Abdel Aziz à une été acquittés par la Chambre de la sûreté de peine de trois ans d’emprisonnement pour l’État de la Cour suprême fédérale. En 2015, avoir dirigé « aux Émirats arabes unis un au moins 10 d’entre eux avaient été groupe international affilié à l’organisation maintenus en détention au secret et torturés égyptienne des Frères musulmans ». Cet pendant des mois par des membres de homme avait été soumis à une disparition l’Agence de sûreté de l’État avant leur forcée pendant plusieurs mois avant son procès. Ils avaient notamment été battus et procès et a affirmé que, durant cette période, privés de sommeil, et avaient reçu des des agents de la Sûreté de l’État l’avaient décharges électriques. On ignorait ce qu’il torturé pour lui arracher des « aveux ». était advenu de deux autres hommes de ce groupe. Parmi ceux qui ont été remis en DROITS DES FEMMES liberté en 2016 figuraient Salim al Aradi, Les femmes ont continué de subir des ressortissant canado-libyen, ainsi que Kamal discriminations dans la législation et dans la Eldarat et son fils, Mohammed Eldarat, tous pratique, notamment dans le domaine du deux détenteurs de la double nationalité mariage, du divorce, de l’héritage et de la américaine et libyenne. garde des enfants. Elles n’étaient pas suffisamment protégées contre les violences PROCÈS INÉQUITABLES au sein du foyer et les violences sexuelles. Des dizaines de personnes, dont des étrangers, ont comparu devant la Chambre DROITS DES TRAVAILLEURS MIGRANTS de la sûreté de l’État de la Cour suprême Cette année encore, les travailleurs migrants, fédérale, le plus souvent pour des infractions qui forment environ 90 % de la main- liées à la sécurité nationale formulées en d’œuvre dans le secteur privé, ont été termes vagues. Cette juridiction privait les exploités et maltraités. Ils restaient liés à leur accusés du droit à une défense efficace et employeur par le système de parrainage acceptait à titre de preuve à charge des (kafala) et étaient privés des droits à la éléments obtenus sous la torture. En négociation collective. Les syndicats étaient décembre, une loi instaurant la possibilité de toujours interdits et les travailleurs étrangers qui participaient à des grèves risquaient

178 Amnesty International — Rapport 2016/17 l’expulsion et l’interdiction de revenir aux Émirats arabes unis pendant un an. CONTEXTE Les décrets ministériels 764, 765 et 767 Le Comité des droits de l'homme [ONU] s’est de 2015 sont entrés en vigueur en janvier. Ils dit préoccupé par des violations du PIDCP. Il avaient pour but, selon le gouvernement, de a notamment cité l’utilisation récurrente de la combattre certains abus contre les force par la police lors de manifestations travailleurs migrants, notamment la pratique pacifiques, les dispositions juridiques bien établie de la substitution de contrat, par menaçant les droits à la liberté d’association laquelle les employeurs font signer aux et de réunion, et le retard pris par la réforme travailleurs, à leur arrivée dans le pays, un législative visant à garantir une consultation nouveau contrat avec un salaire réduit. adéquate des peuples et nationalités Ces décrets ne s’appliquaient pas aux indigènes et d’autres communautés. Le employés de maison, en grande majorité des Comité a recommandé à l’Équateur de femmes originaires d’Asie et d’Afrique, qui ne redoubler d’efforts pour mettre fin à la bénéficiaient pas des protections accordées discrimination dont sont victimes les par le droit du travail et étaient personnes LGBTI et de prendre des mesures particulièrement exposés à l’exploitation et à pour lutter contre les violences faites aux des atteintes graves à leurs droits, telles que femmes et les violences sexuelles en milieu le travail forcé et la traite des êtres humains. scolaire. PEINE DE MORT LIBERTÉ D’EXPRESSION ET Des tribunaux ont prononcé de nouvelles D’ASSOCIATION condamnations à mort, mais aucune En avril, des dirigeants de peuples indigènes exécution n’a été signalée. La Loi n° 7/2016 ont dénoncé devant la Commission relative à la protection des données et à interaméricaine des droits de l’homme les l’expression a élargi le champ d’application restrictions qui pèsent sur leur droit à la de la peine de mort. liberté d’association. En septembre, les autorités ont dissous l’Union nationale des enseignants (UNE) au motif qu’elle n’avait pas enregistré son ÉQUATEUR Conseil d’administration de manière officielle. République de l'Équateur En décembre, le ministère de l’Intérieur a Chef de l’État et du gouvernement : Rafael Vicente déposé une plainte contre l’association Correa Delgado Action écologique, l’accusant de violences, après la publication par cette organisation Les personnes qui critiquaient le d’informations portant sur l’impact gouvernement, notamment les défenseurs environnemental potentiel des activités des droits humains, ont été la cible de minières dans la province de Morona- poursuites judiciaires et d’actes de Santiago. L’organisation restait menacée de harcèlement et d’intimidation. Les droits à fermeture à la fin de l’année. la liberté d’expression et d’association ont fait l’objet de restrictions. L’obligation de DROITS DES PEUPLES AUTOCHTONES consultation des peuples indigènes dans le En janvier, les Kichwas de Sarayaku ont cadre de projets de développement dénoncé les négociations menées par le affectant leur mode de vie afin d’obtenir gouvernement dans le but d’autoriser des leur consentement préalable, donné entreprises internationales à exploiter du librement et en connaissance de cause, pétrole sur le territoire de cette communauté n’était pas respectée. sans la consulter au préalable1. La Cour interaméricaine des droits de l’homme a publié en juin une résolution dans

Amnesty International — Rapport 2016/17 179 l’affaire Peuple indigène kichwa de Sarayaku demandé que ce rejet soit réexaminé c. Équateur. Elle a estimé que l’État avait conformément aux procédures prévues par le respecté la plupart des injonctions énoncées médiateur. Aucune décision n’avait été dans son jugement de 2012. La Cour a rendue à la fin de l’année. demandé au gouvernement de lui fournir des informations relatives à son obligation de 1. Una vez más Ecuador estaría ignorando los derechos de los pueblos mettre à la disposition des fonctionnaires de indígenas en favor de la explotación petrolera (AMR 28/3360/2016) la justice des programmes de formation 2. Équateur. Des dirigeants communautaires accusés de « terrorisme » continue et de renforcement des capacités (AMR 28/3205/2016) pour les aider à résoudre les affaires concernant des violations des droits des peuples indigènes. D’autre part, la Cour a tenu en décembre une audience visant à ÉRYTHRÉE déterminer si l’État avait respecté des État d’Érythrée décisions qu’elle avait rendues Chef de l’État et du gouvernement : Issayas Afeworki précédemment, relatives au retrait des explosifs présents sur le territoire de Sarayaku et au droit des personnes Cette année encore, des milliers de concernées par les projets d’être consultées personnes ont quitté le pays, souvent pour au préalable. La Cour devrait se prononcer échapper au service national à durée en 2017. indéterminée. Le droit des citoyens de En décembre également, à la suite d’actes quitter le territoire était toujours soumis à de violence et de harcèlement de la part des des restrictions. Le droit à la liberté autorités à l’encontre de membres du peuple d’expression et de religion demeurait indigène shuar en raison de leur opposition à restreint. Les forces de sécurité ont commis un projet minier dans la province de Morona- des homicides illégaux. La détention Santiago, le gouvernement a déclaré l’état arbitraire sans inculpation ni jugement est d’urgence dans la région et a arrêté Agustín restée la norme pour des milliers de Wachapá, président de la Fédération prisonniers d’opinion. interprovinciale des centres shuars. CONTEXTE DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS Le changement de monnaie a eu des En janvier, Manuel Trujillo et Manuela répercussions sur les moyens de subsistance Pacheco, chefs de file d’une communauté des ménages. En vertu de réglementations paysanne, ont été accusés de « terrorisme » du gouvernement, les retraits effectués sur après avoir participé à une campagne contre des comptes bancaires détenus par des la construction d’un barrage hydroélectrique. particuliers étaient limités à 5 000 nakfas Les membres de la communauté estimaient (290 dollars des États-Unis) par mois. que ce barrage porterait atteinte à leur droit à Entre le 12 et le 14 juin, des affrontements l’eau2. Les poursuites contre eux ont été armés ont opposé l’armée érythréenne à abandonnées un peu plus tard dans le mois l’armée éthiopienne. Des centaines de pour manque de preuves. combattants auraient été tués. L’Érythrée et Un coordinateur du Bureau du médiateur l’Éthiopie se sont accusées mutuellement a rejeté en juillet une plainte déposée par le d’avoir été à l’origine du conflit. Les relations Front des femmes défenseures de la entre les deux pays sont demeurées tendues Pachamama, dont les membres affirmaient depuis que l’Éthiopie a demandé à engager avoir été agressées et arrêtées de façon des pourparlers avant l’application de la arbitraire lors d’une manifestation pacifique décision de la Commission du tracé de la contre un projet d’exploitation minière, dans frontière entre l’Érythrée et l’Éthiopie. la province de Cuenca. Ces femmes ont

180 Amnesty International — Rapport 2016/17 regroupement familial étaient obligées de TRAVAIL FORCÉ – SERVICE NATIONAL passer par les frontières terrestres et de Le service national obligatoire à durée prendre des vols au départ d’autres pays. Si indéterminée a perduré, bien que l’État se elles étaient arrêtées par l’armée en chemin, soit engagé en 2014 à y mettre fin. Un grand elles étaient placées en détention sans nombre d’appelés continuaient d’effectuer inculpation jusqu’à ce qu’elles paient des leur service national pendant une période amendes exorbitantes. Le montant dépendait indéfinie, qui pouvait aller jusqu’à 20 ans. de plusieurs éléments, notamment du Bien que la législation fixe l’âge minimum commandant effectuant l’arrestation et du pour effectuer son service militaire à 18 ans, moment de l’année. Les personnes arrêtées dans la pratique, des mineurs ont cette au moment de la fête de l’indépendance, par année encore été astreints à un entraînement exemple, devaient acquitter des amendes militaire au motif qu’ils devaient accomplir plus élevées. Il en était de même pour celles leur 12e année scolaire (études secondaires) qui avaient tenté de traverser la frontière avec dans le camp militaire de Sawa, où ils étaient l’Éthiopie. La ligne de conduite consistant à soumis à des conditions de vie très dures et à « tirer pour tuer » sur toute personne une discipline de type militaire, et formés au essayant de s’échapper et de franchir la maniement des armes. Sur les frontière avec l’Éthiopie a continué d’être 14 000 personnes ayant obtenu leur diplôme appliquée. Les mineurs proches de l’âge de au camp en juillet, 48 % étaient des femmes. la conscription qui étaient interceptés étaient Celles-ci étaient davantage victimes de envoyés au camp d’entraînement militaire mauvais traitements que les hommes, de Sawa. notamment d’esclavage sexuel, de torture et d’autres atteintes sexuelles. HOMICIDES ILLÉGAUX Les appelés étaient mal payés et ne En avril, des membres des forces de sécurité bénéficiaient que de rares permissions ont abattu au moins 11 personnes à Asmara, accordées de façon arbitraire, ce qui se la capitale. Plusieurs appelés du service traduisait souvent par une désorganisation de national avaient tenté de s’échapper alors la vie familiale. Ils servaient dans les forces qu’ils se trouvaient à bord d’un camion de de défense ou étaient affectés à des tâches l’armée. Des passants auraient aussi été dans des secteurs tels que l’agriculture, la tués. Aucune enquête n’avait été ouverte sur construction, l’enseignement et ces homicides à la fin de l’année. l’administration. Le droit à l’objection de conscience n’était prévu par aucune PRISONNIERS D’OPINION disposition. Des milliers de prisonniers d’opinion et de Des personnes âgées étaient toujours prisonniers politiques, notamment d’anciens enrôlées dans l’« Armée populaire », où elles responsables politiques, journalistes et étaient armées et contraintes d’effectuer des pratiquants de religions non autorisées, tâches sous la menace de punitions. La restaient détenus sans inculpation ni conscription touchait des hommes jusqu’à jugement, et sans pouvoir entrer en contact l’âge de 67 ans. avec un avocat ou leur famille. Beaucoup étaient incarcérés depuis bien plus de DROIT DE CIRCULER LIBREMENT 10 ans. Le droit des citoyens de quitter le territoire En juin, le ministre des Affaires étrangères était limité. Les autorités ont continué a annoncé que 21 responsables politiques et d’interdire aux personnes âgées de cinq à journalistes arrêtés en septembre 2001 50 ans de se rendre à l’étranger et étaient en vie et seraient jugés lorsque l’État quiconque tentait de passer la frontière était le déciderait. Il a refusé de révéler aux arrêté arbitrairement. Les personnes familles où ces prisonniers se trouvaient et souhaitant partir pour des questions de quel était leur état de santé1. Les intéressés

Amnesty International — Rapport 2016/17 181 avaient été placés en détention après avoir publié une lettre ouverte au gouvernement et ESPAGNE au président Issayas Afeworki pour réclamer des réformes et un dialogue démocratique. Royaume d’Espagne Onze d’entre eux étaient d’anciens membres Chef de l’État : Felipe VI du conseil central du parti au pouvoir, le Chef du gouvernement : Mariano Rajoy Front populaire pour la démocratie et la justice (FPDJ). À la fin de l’année, ils étaient Cette année encore, des personnes ont été toujours en détention dans l’attente de leur poursuivies en justice pour apologie du procès. terrorisme alors qu’elles n’avaient fait qu’exercer pacifiquement leur droit à la DROITS DES RÉFUGIÉS ET DES liberté d’expression. De nouveaux cas de MIGRANTS torture, d’autres mauvais traitements, de Des milliers d’Érythréens ont fui leur pays recours excessif à la force et d’expulsions cette année encore. Pour les seuls mois de collectives imputés à la police ont été janvier à juillet, le Haut-Commissariat des signalés. Étaient notamment visées des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a personnes qui tentaient d’entrer recensé 17 147 demandeurs d’asile clandestinement dans les enclaves érythréens dans 44 pays. Ils étaient en butte espagnoles de Ceuta et Melilla depuis le à de graves atteintes aux droits humains Maroc. Les allégations de torture et d’autres dans les pays de transit ou de destination. mauvais traitements ne faisaient pas Ainsi, en mai, le Soudan a expulsé des toujours l’objet d’enquêtes sérieuses. Les centaines de migrants vers l’Érythrée après autorités ont accepté la réinstallation et la les avoir arrêtés alors qu’ils tentaient de relocalisation sur le territoire espagnol de gagner la frontière avec la Libye. Par ailleurs, quelques centaines de réfugiés seulement, les Érythréens qui essayaient de se rendre en ce qui était bien en deçà de leurs Europe risquaient d’être victimes de engagements. Elles ont persisté dans leur détention arbitraire, d’enlèvement, de refus de coopérer avec la justice argentine violences sexuelles et de mauvais pour enquêter sur les crimes commis traitements. pendant la guerre d’Espagne et sous le régime de Franco. SURVEILLANCE INTERNATIONALE En juin, la Commission d’enquête sur les LIBERTÉ D’EXPRESSION ET DE droits de l’homme en Érythrée [ONU] a RÉUNION communiqué ses conclusions au Conseil des Tout au long de l’année, les droits à la liberté droits de l’homme [ONU]. Elle a estimé que d’expression, d’information et de réunion ont les autorités érythréennes s’étaient rendues été restreints de façon indue, sur la base de coupables de crimes contre l’humanité modifications de la Loi relative à la sécurité depuis l’accession du pays à l’indépendance publique et du Code pénal qui avaient été en 1991, notamment l’esclavage, les adoptées en 2015. disparitions forcées, la détention arbitraire, la Le 5 février, Alfonso Lázaro de la Fuente et torture, le viol et le meurtre. Raúl García Pérez, deux marionnettistes professionnels, ont été maintenus en détention pendant cinq jours après avoir joué 1. Érythrée. Les prisonniers d’opinion doivent être libérés immédiatement et sans condition (nouvelle, 21 juin) un spectacle dans lequel, notamment, une religieuse était poignardée, un juge était pendu, et des policiers et des femmes enceintes étaient passés à tabac. L’une des marionnettes brandissait également une pancarte avec le slogan « Gora ALKA-

182 Amnesty International — Rapport 2016/17 ETA » (« Vive ALKA-ETA »). Plusieurs long de l’année. Les enquêtes ouvertes sur personnes s’étant dites offusquées par le les allégations de torture et d’autres mauvais spectacle, les marionnettistes ont été arrêtés traitements n’étaient pas toujours efficaces ni et inculpés d’apologie du terrorisme et approfondies. d’incitation à la haine. En septembre, En janvier, le juge d’instruction chargé du l’Audience nationale a relaxé les deux dossier de Juan Antonio Martínez González, hommes du chef d’apologie du terrorisme, mort à Cadix le 4 avril 2015 des suites des mais ils étaient toujours poursuivis pour blessures subies alors que des agents des incitation à la haine à la fin de l’année. forces de l’ordre le maîtrisaient, a rendu sa En avril, le ministre de l’Intérieur a engagé décision. Il a conclu que rien ne venait étayer le Conseil général du pouvoir judiciaire à les accusations portées contre les agents, prendre des mesures contre José Ricardo de soupçonnés d’avoir eu recours à des moyens Prada, qui siège à l’Audience nationale. Lors de contrainte interdits ou outrepassé leurs d’une table ronde organisée par le conseil prérogatives durant l’intervention. À la fin de municipal de Tolosa (province du l’année, un appel interjeté contre cette Guipúscoa), ce juge avait dit partager les décision devant le tribunal provincial de préoccupations d’organisations Cadix avait été déclaré recevable. internationales de défense des droits En mai, dans l’affaire Beortegui Martinez humains, qui s’inquiétaient des obstacles c. Espagne, la Cour européenne des droits de entravant l’efficacité des enquêtes sur les l’homme a une nouvelle fois jugé que affaires de torture en Espagne. En outre, le l’Espagne avait enfreint l’interdiction de la ministère public a soutenu une requête torture et des autres mauvais traitements, introduite par l’Association des victimes de parce qu’elle n’avait pas enquêté de façon terrorisme demandant qu’il soit dessaisi de efficace et exhaustive sur les allégations de deux affaires pénales du fait de son manque tortures infligées à des personnes détenues présumé d’impartialité. L’Audience nationale au secret. Il s’agissait du 7e arrêt en ce sens a rejeté les deux demandes de mesures à rendu contre l’Espagne. l’encontre du magistrat en juin. En mai, dans l’affaire concernant Ester En 2016, l’Audience nationale a rendu Quintana, qui a perdu un œil en 22 jugements de culpabilité contre novembre 2012 après avoir été touchée par 25 personnes accusées d’apologie du une balle en caoutchouc tirée par la police terrorisme. La plupart de ces décisions autonome de Catalogne lors d’une faisaient suite à l’opération « Araignée », axée manifestation à Barcelone, deux policiers ont notamment sur l’interception de messages été jugés par le tribunal provincial de publiés sur les réseaux sociaux. Entre Barcelone. À l’issue du procès, ils ont tous avril 2014 et avril 2016, 69 personnes ont été les deux été acquittés, le tribunal n’ayant pas arrêtées dans le cadre de cette opération. réussi à identifier l’auteur du tir. Certaines ont été détenues au secret, régime En juillet, la Cour suprême a partiellement de détention dont l’utilisation par l’Espagne a annulé la déclaration de culpabilité été critiquée par des organes des droits prononcée par l’Audience nationale contre humains de l’ONU, car le pays l’appliquait Saioa Sánchez en décembre 2015. pendant une durée excessive et en l’absence Saioa Sánchez et deux autres accusés des garanties adéquates. avaient été déclarés coupables d’infractions terroristes par l’Audience nationale. Dans le TORTURE ET AUTRES MAUVAIS recours qu’elle avait présenté devant la Cour TRAITEMENTS suprême, Saioa Sánchez affirmait que Des cas de torture et d’autres mauvais l’Audience nationale avait refusé d’enquêter traitements, notamment de recours excessif à pour savoir si les déclarations l’incriminant la force de la part d'agents de la force faites par l’un des coaccusés, Iñigo Zapirain, publique, ont de nouveau été signalés tout au avaient été extorquées sous la contrainte. La

Amnesty International — Rapport 2016/17 183 Cour suprême a ordonné la tenue d’un en plus de retard et on dénombrait nouveau procès, demandant que soit 29 845 dossiers en attente en août. respecté le Manuel pour enquêter Au moins 60 personnes originaires efficacement sur la torture et autres peines d’Afrique subsaharienne, arrivées sur le ou traitements cruels, inhumains ou territoire espagnol en franchissant les dégradants (Protocole d’Istanbul) afin clôtures séparant Ceuta du Maroc, ont été d’évaluer la véracité du témoignage d’Iñigo expulsées collectivement le 9 septembre. Zapirain. Cette décision tenait compte des Avant d’être renvoyées, certaines ont été préoccupations exprimées par des organes frappées par des agents marocains qui internationaux de protection des droits s’étaient introduits dans la zone située entre humains, qui s’inquiétaient d’une les clôtures, qui est en territoire espagnol. certaine impunité, de l’inefficacité et du Plusieurs de ces personnes expulsées vers le manque de rigueur des enquêtes, ainsi que Maroc ont été blessées lors du des problèmes de qualité et de fiabilité des franchissement des clôtures ou à cause des expertises médicolégales. coups reçus. Alors que, dans le cadre de dispositifs de DROITS DES RÉFUGIÉS ET DES réinstallation, l’Espagne avait accepté MIGRANTS d’accueillir 1 449 personnes en provenance Le nombre d’arrivées irrégulières de réfugiés du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord, et de migrants qui rejoignaient les enclaves seules 289, toutes syriennes, étaient arrivées espagnoles de Ceuta et Melilla depuis le sur son sol en décembre. De même, toujours Maroc en franchissant les clôtures séparant en décembre, on ne recensait que les deux pays a diminué par rapport à 2015. 363 personnes relocalisées dans le pays, En revanche, le nombre global des arrivées, alors que l’Espagne s’était engagée à dont celles enregistrées aux postes-frontières accueillir, au titre du programme de officiels, a augmenté. Cette année encore, les relocalisation de l’UE, 15 888 personnes forces de l’ordre espagnoles de Ceuta et ayant besoin d’une protection internationale Melilla ont procédé à des expulsions et se trouvant en Italie et en Grèce. collectives vers le Maroc. Le dispositif d’accueil des demandeurs d’asile en IMPUNITÉ Espagne n’était toujours pas satisfaisant ; le Cette année encore, les autorités espagnoles nombre de places disponibles dans les ont refusé de coopérer avec le pouvoir centres d’accueil officiels était trop faible et judiciaire argentin dans le cadre des l’assistance portée à celles et ceux qui étaient enquêtes menées sur les crimes de droit hébergés ailleurs insuffisante. L’Espagne international commis pendant la guerre n’avait pas mis en œuvre les directives d’Espagne et sous le régime de Franco. Elles européennes relatives aux personnes ont entravé les investigations du parquet apatrides, aux procédures d’asile et aux argentin dans l’action collective dite de la conditions d’accueil. Six années après son « querelle argentine », l’empêchant de entrée en vigueur, la Loi relative à l’asile recueillir les déclarations de certaines n’était toujours pas appliquée. En victimes et des 19 accusés. Dans une conséquence, les personnes en quête d’asile circulaire datée du 30 septembre, le Bureau n'avaient pas accès de façon égale partout du procureur général a ordonné aux services dans le pays à l'assistance à laquelle elles territoriaux du ministère public de refuser de avaient droit. Entre les mois de janvier et procéder aux informations judiciaires d’octobre, 12 525 demandes d’asile demandées par le parquet argentin, au motif (données d’Eurostat) ont été déposées en qu’il n'était pas possible d’enquêter sur les Espagne, contre 4 513 en 2013. Le crimes signalés, notamment les disparitions traitement de ces demandes accusait de plus forcées et les actes de torture, en vertu de la

184 Amnesty International — Rapport 2016/17 Loi d’amnistie (entre autres textes législatifs) et du fait des délais de prescription. VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ET AUX FILLES DISCRIMINATION – SANTÉ DES En décembre, selon les chiffres du ministère MIGRANTS de la Santé, des Services sociaux et de Les mesures d’austérité continuaient d’être l’Égalité, 44 femmes avaient été tuées par préjudiciables aux droits humains, en leur partenaire ou ancien partenaire. Depuis particulier en ce qui concerne l’accès de l’entrée en vigueur de la Loi relative aux certains des groupes les plus vulnérables à mesures de protection intégrale contre les une protection sociale et aux services de violences liées au genre et l’établissement de santé. La Cour constitutionnelle a déclaré tribunaux spécialisés dans les affaires de conforme à la Constitution la loi adoptée en violences à l’égard des femmes en 2004, les 2012 qui restreignait l’accès gratuit aux répercussions de ce texte n’ont pas fait l’objet soins, y compris aux soins de santé d’un examen participatif et transparent, en primaires, pour les migrants sans papiers. Ce dépit de doutes quant à l’efficacité des nouveau texte a privé 748 835 migrants de poursuites judiciaires et à la pertinence des leur carte de santé, bloquant leur accès au mesures de protection des victimes. système de santé ou le limitant sévèrement, voire mettant leur vie en danger dans certains cas. Cela a eu un impact particulier sur les femmes, en raison des obstacles à ESTONIE l’information et aux services en matière de République d’Estonie santé sexuelle et reproductive. Chef de l’État : Kersti Kaljulaid (a remplacé Toomas Hendrik Ilves en octobre) DROIT AU LOGEMENT Chef du gouvernement : Jüri Ratas (a remplacé Taavi Les sommes allouées par l’État au logement Rõivas en novembre) ont baissé de plus de 50 % entre 2008 et 2015, tandis que les procédures de saisie de Des modifications apportées à la Loi biens hypothéqués étaient toujours aussi relative à la citoyenneté, destinées à réduire nombreuses. D'après des statistiques l’apatridie chez les enfants, sont entrées en publiées par le Conseil général du pouvoir vigueur en janvier, même si elles ne judiciaire, on dénombrait en septembre 2016 concernent que les mineurs de moins de 19 714 expulsions forcées dues à l'exécution 16 ans. Le nombre de demandes d’asile est d'une hypothèque et 25 688 expulsions pour resté bas. impayés de loyers. Aucun chiffre officiel sur le nombre de personnes touchées par ces DISCRIMINATION – LES MINORITÉS procédures de saisie en Espagne n’était ETHNIQUES toutefois disponible. Il n’existait pas non plus En décembre, 79 597 personnes résidant en de données ventilées selon le sexe et l’âge, Estonie étaient toujours apatrides, soit près ce qui rendait impossible l’adoption de de 6 % de la population. La vaste majorité mesures de protection des personnes les d’entre elles étaient russophones. plus vulnérables. Les propriétaires confrontés Des modifications apportées à la Loi à une procédure de saisie immobilière relative à la citoyenneté sont entrées en n’avaient toujours pas accès à des voies de vigueur le 1er janvier. Elles permettaient aux recours satisfaisantes pour faire valoir en enfants nés de parents apatrides d’obtenir la justice leur droit au logement. nationalité estonienne à la naissance de façon automatique, sans qu’un de leur parent ait à en faire la demande comme c’était le cas auparavant. Elles prévoyaient aussi que les enfants nés en Estonie

Amnesty International — Rapport 2016/17 185 pouvaient garder la nationalité d’un autre de même sexe, de faire enregistrer leur pays jusqu’à l’âge de 18 ans. Les enfants cohabitation et de prétendre à des apatrides de moins de 15 ans résidant en prestations sociales. Estonie au 1er janvier 2016 et dont les parents vivaient dans le pays depuis au moins cinq ans devaient aussi recevoir la nationalité estonienne. Ces modifications ne ÉTATS-UNIS s’appliquaient pas aux mineurs de 16 à États-Unis d’Amérique 18 ans ni à ceux nés en dehors du pays de Chef de l’État et du gouvernement : Barack Obama parents apatrides résidant en Estonie. Les Roms ont continué de souffrir de discriminations diverses en matière de droits Deux ans après le rapport d’une économiques et sociaux, notamment en ce commission du Sénat sur des violations des qui concerne l’accès à l’éducation, à un droits humains commises dans le cadre du logement convenable et aux soins de santé. programme de détentions secrètes mené La capacité du gouvernement à remédier à par la CIA, personne n’avait été amené à cette situation était limitée par le fait qu’il ne rendre de comptes pour les crimes de droit procédait pas au recueil et au suivi de international perpétrés dans ce cadre. données socioéconomiques ventilées à Plusieurs détenus ont cette année encore propos des Roms et des autres groupes été transférés hors du centre de détention vulnérables. américain de Guantánamo (Cuba), mais d’autres y demeuraient détenus pour une RÉFUGIÉS ET DEMANDEURS D’ASILE durée illimitée. Des procédures Le nombre de demandes d’asile est resté préliminaires étaient toujours en cours faible par rapport à d’autres pays de l’UE : devant des commissions militaires pour environ 130 demandes ont été enregistrées quelques cas. Le traitement réservé aux durant les neuf premiers mois de 2016. réfugiés et aux migrants, la détention à La Commission européenne a critiqué le l’isolement dans les prisons fédérales et des gouvernement pour avoir rejeté des États ainsi que le recours à la force dans le demandes de relocalisation de demandeurs cadre du maintien de l’ordre étaient d’asile sans justification ou pour des motifs toujours des sources de préoccupation. infondés. Les conditions très strictes que les Vingt personnes ont été exécutées au cours familles devaient remplir pour bénéficier de l’année. Donald Trump a été élu d’une relocalisation dans le cadre du président en novembre ; il devait entrer en programme de relocalisation et de fonction le 20 janvier 2017. réinstallation de l’UE ont aussi été dénoncées. À la fin de l’année, 66 personnes SURVEILLANCE INTERNATIONALE avaient été relocalisées en Estonie. En août, le Comité des droits de l’homme En mars, le gouvernement a approuvé une [ONU] s’est inquiété de ce que l’enquête sur nouvelle réglementation autorisant la les actes de torture commis dans le cadre de construction d’une clôture de 90 kilomètres la lutte contre le terrorisme, que les États- le long de sa frontière orientale avec la Unis ont l’obligation légale de mener, n’avait Russie. pas eu lieu. Le Comité a relevé que les États- Unis n’avaient pas fourni de nouvelles DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET informations concernant le rapport de la DES PERSONNES BISEXUELLES, Commission du Sénat sur le renseignement TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES (SSCI) à propos du programme de détentions La Loi relative à la cohabitation est entrée en secrètes conduit par l’Agence centrale du vigueur le 1er janvier. Elle permettait aux renseignement (CIA) après les attentats du couples non mariés, y compris aux couples 11 septembre 2001. À la fin de l’année, la

186 Amnesty International — Rapport 2016/17 SSCI n’avait toujours pas rendu public son inférieure, qui avait rejeté la demande au rapport complet, de 6 963 pages, qui restait motif que les tribunaux fédéraux n’étaient classé « top secret ». pas compétents, en vertu de l’article 7 de la Le 16 août, le Comité a noté que les États- Loi de 2006 relative aux commissions Unis n’avaient pas communiqué militaires2. d’informations supplémentaires sur les En octobre, la cour fédérale d’appel du rapports indiquant que des détenus et quatrième circuit a infirmé la décision par anciens détenus de Guantánamo n’avaient laquelle un tribunal de première instance pas eu accès à un recours devant un tribunal avait rejeté la requête de ressortissants pour les actes de tortures et autres violations irakiens qui affirmaient avoir été torturés à la des droits humains subis pendant leur prison d’Abou Ghraïb (Irak) en 2003 et 2004, détention par les États-Unis. par des agents employés par la société CACI Premier Technology. La cour a estimé que IMPUNITÉ des faits commis intentionnellement par des Rien n’a été fait pour mettre un terme à agents sous contrat chargés de mener des l’impunité pour les violations systématiques interrogatoires – faits qui étaient illégaux au des droits humains – actes de torture et moment où ils ont été commis – ne pouvaient disparitions forcées notamment – perpétrées être soustraits à l’examen de la justice. dans le cadre du programme de détentions secrètes de la CIA à la suite des attentats du LUTTE CONTRE LE TERRORISME ET 11 septembre 2001. SÉCURITÉ En mai, la cour fédérale d’appel du district À la fin de l’année, près de huit ans après de Columbia a jugé que le rapport de la SSCI l’engagement du président Barack Obama de sur le programme de détentions secrètes de fermer le centre de détention de la CIA était un document interne au Congrès Guantánamo avant janvier 2010, 59 hommes et ne relevait pas de l’obligation de y étaient toujours détenus, dans la majorité divulgation aux termes de la Loi relative à la des cas sans inculpation ni procès. Au cours liberté d’information. Un recours contre cette de l’année 2016, 48 détenus ont été décision a été déposé en novembre auprès transférés hors du centre et remis, selon les de la Cour suprême fédérale. Parallèlement, cas, aux autorités de l’Arabie saoudite, de la en décembre, un tribunal du district de Bosnie-Herzégovine, du Cap-Vert, des Columbia a ordonné à l’administration de Émirats arabes unis, du Ghana, de l’Italie, du conserver à l’abri le rapport de la SSCI et Koweït, de la Mauritanie, du Monténégro, d’en déposer une copie en version d’Oman, du Sénégal ou de la Serbie. numérique ou papier auprès du tribunal afin Le Comité contre la torture [ONU] a relevé qu’elle y soit stockée en toute sécurité. On en août que sa recommandation demandant ignorait à la fin de l’année si le gouvernement qu’il soit mis fin à la détention illimitée sans ferait appel de cette décision. inculpation ni procès – une pratique qui Le 12 août, cette même cour a rejeté une constitue en soi une violation de la action en dommages et intérêts présentée au Convention contre la torture – n’avait pas été nom de Mohamed Jawad. Ce ressortissant mise en œuvre. afghan détenu par l’armée américaine Des procédures préliminaires étaient de 2002 à 2009 avait été soumis pendant toujours en cours devant des commissions cette période à des actes de torture et à militaires pour cinq détenus accusés d’autres traitements cruels, inhumains ou d’implication dans les attentats du dégradants. Il était âgé de moins de 18 ans 11 septembre 2001 et inculpés en 2012 de lorsqu’il avait été arrêté en Afghanistan par faits passibles de la peine capitale aux les États-Unis et transféré au centre de termes de la Loi de 2009 relative aux détention de Guantánamo1. La cour d’appel a commissions militaires. Ces cinq hommes confirmé la décision rendue par la juridiction (Khalid Sheikh Mohammed, Walid bin Attash,

Amnesty International — Rapport 2016/17 187 Ramzi bin al Shibh, Ammar al Baluchi et n’étaient pas des crimes de guerre relevant Mustafa al Hawsawi) avaient été détenus au de la compétence d’une commission secret dans des lieux inconnus par les militaire) a été ajournée cette année, dans autorités américaines, pendant quatre ans l’attente de la décision de la cour d’appel sur pour certains, avant d’être transférés à le cas d’Ali Hamza Suliman al Bahlul, un Guantánamo en 2006. Fin 2016, leur procès détenu de Guantánamo qui purge une peine n’avait pas débuté. de réclusion à perpétuité prononcée en 2008 Une procédure préliminaire était en vertu de la Loi de 2006 relative aux également toujours en cours contre Abd al commissions militaires. Un collège de trois Rahim al Nashiri. Cet homme a été renvoyé juges de la cour avait annulé en 2015 la devant la justice en 2011 pour sa condamnation d’Ali Hamza Suliman al Bahlul participation présumée à des actes commis pour complot en vue de commettre des au Yémen : tentative d’attentat à l’explosif crimes de guerre, au motif que ce chef n’était contre le navire USS Sullivans en 2000, et pas reconnu par le droit international et ne attentats contre l’USS Cole en 2000 et le pouvait faire l’objet de poursuites devant un superpétrolier français Limburg en 2002. Il tribunal militaire. Le gouvernement avait encourt la peine capitale. Avant son transfert obtenu que l’affaire soit réexaminée par la à Guantánamo en 2006, il avait été détenu cour dans sa formation plénière. En par la CIA pendant près de quatre ans dans octobre 2016, celle-ci a confirmé la des lieux tenus secrets. En août 2016, la condamnation pour complot, dans une cour fédérale d’appel du district de Columbia décision acquise à l’issue d’un vote sans a examiné son recours arguant que les consensus. Cinq opinions individuelles ont infractions qu’on lui reprochait ne relevaient été exprimées et la question litigieuse n’a pas pas de la compétence d’une commission été tranchée au final. Trois juges sur neuf ont militaire dans la mesure où elles n’avaient émis une opinion dissidente, faisant valoir pas été commises dans le cadre d’hostilités que le Congrès n’était pas habilité à faire du ni n’étaient liées à de telles hostilités. La cour complot une infraction relevant des a estimé qu’elle devait, avant de se commissions militaires et soulignant que prononcer, attendre que l’affaire aille à son l’effacement du pouvoir judiciaire devant le terme, ce qui n’interviendra probablement pouvoir politique dans les domaines de la pas avant une dizaine d’années. sécurité nationale et de la défense ne devait Omar Khadr, qui a plaidé coupable pas être total. Deux autres juges se sont en 2010 de charges aux termes de la Loi exprimés séparément pour dire qu’il n’était relative aux commissions militaires pas approprié de trancher la question concernant des faits commis en 2002 en litigieuse pour des raisons de procédure ne Afghanistan, alors qu’il était âgé de 15 ans, et concernant que le cas d’Ali Hamza Suliman. qui a été transféré en 2012 vers son pays natal, le Canada, a demandé la récusation de RECOURS EXCESSIF À LA FORCE l’un des juges du Tribunal de révision des Les autorités ne tenaient toujours pas un décisions des commissions militaires décompte exact du nombre de personnes (CMCR), arguant d’un manque d’impartialité. tuées chaque année par des responsables de La cour fédérale d’appel du district de l’application des lois, mais les informations Columbia a écarté sa requête, estimant là recueillies dans la presse plaçaient ce chiffre encore qu’une décision ne pourrait être à près d’un millier de morts. Le ministère de rendue que lorsque l’affaire serait arrivée à la Justice a proposé la mise en place, à partir son terme. de 2017, d’un système de recensement de La décision sur le recours contre sa ces morts dans le cadre de la Loi sur la condamnation déposé par Omar Khadr déclaration des décès en détention. devant le CMCR (notamment au motif qu’il Toutefois, ce programme n’aura pas de avait plaidé coupable d’infractions qui caractère obligatoire pour les organes

188 Amnesty International — Rapport 2016/17 chargés du maintien de l’ordre. Les données mois d’août, la plupart pour violation de recueillies pourraient ainsi ne pas propriété privée et résistance non violente. correspondre aux chiffres réels. D’après les Les autorités s’en sont prises à des quelques données disponibles, les hommes journalistes et à des militants pour des noirs sont surreprésentés parmi les victimes infractions mineures, comme la violation de d’homicides imputables à la police. propriété privée. Au moins 21 personnes, dans 17 États, sont mortes après que des policiers ont fait VIOLENCE PAR ARME À FEU usage contre elles d’une arme à décharge Le Congrès des États-Unis n’est pas parvenu électrique, ce qui porte à au moins 700 le à adopter de loi empêchant la vente d’armes nombre de décès intervenus dans ces d’assaut ou instaurant des vérifications circonstances depuis 2001. La plupart des effectives des antécédents des acheteurs. Il a victimes n’étaient pas armées et ne refusé cette année encore d’allouer au Centre représentaient manifestement pas une de contrôle et de prévention des maladies menace de mort ou de blessure grave des fonds destinés à mener ou à parrainer lorsque l’arme a été utilisée. des recherches sur les causes de la violence par arme à feu et sur les moyens de la LIBERTÉ DE RÉUNION prévenir. En juillet, la mort de Philando Castile à Falcon Heights (Minnesota) et celle d’Alton DROITS DES RÉFUGIÉS ET DES Sterling à Baton Rouge (Louisiane) ont MIGRANTS déclenché une série de manifestations contre Plus de 42 000 mineurs isolés et plus de la police dans tout le pays. Des mouvements 56 000 personnes, dont certaines en famille, de protestation analogues se sont produits ont été interpellés cette année alors qu’ils dans d’autres villes, comme Tulsa franchissaient illégalement la frontière sud du (Oklahoma) et Charlotte (Caroline du Nord). pays. Des familles qui avaient entamé des L’utilisation de tenues antiémeutes renforcées démarches pour régulariser leur séjour aux ainsi que d’armes et équipements de type États-Unis ont été détenues pendant militaire dans les opérations de maintien de plusieurs mois – et certaines pendant plus l’ordre durant ces manifestations a soulevé d’un an. Beaucoup étaient retenues dans des un certain nombre de préoccupations locaux où elles ne pouvaient pas bénéficier concernant le droit de réunion pacifique des de soins médicaux appropriés ni consulter manifestants. librement un avocat. Le Haut-Commissariat Bien que pacifiques dans l’ensemble, les des Nations unies pour les réfugiés a qualifié manifestations tenues à Standing Rock la situation dans le « triangle (Dakota du Nord) et dans les environs pour Nord » (Salvador, Honduras et Guatemala) protester contre la construction de l’oléoduc de crise humanitaire et de la protection. Dakota Access Pipeline, prévu pour le À la fin de l’année, les autorités avaient transport de pétrole brut, ont fait l’objet d’une accepté au titre de la réinstallation plus de intervention musclée de la part des services 12 000 réfugiés syriens. Elles ont déclaré de maintien de l’ordre locaux et de l’État. Les qu’elles allaient porter le nombre de réfugiés services locaux ont érigé un barrage policier admis de 70 000 à 85 000 pour l’année sur la route menant aux sites où les fiscale 2016, puis 100 000 pour l’année protestataires s’étaient rassemblés. Les fiscale 2017. Des parlementaires ont déposé agents sont intervenus avec des armes des propositions de loi visant à empêcher des d’assaut et en tenue antiémeutes, faisant réfugiés admis légalement dans le pays de usage contre les manifestants de gaz poivre, s’installer dans leur État. Invoquant de de balles en caoutchouc et d’armes à prétendus problèmes de sécurité – alors que décharges électriques. Plus de les réfugiés sont soumis à une procédure 400 personnes ont été interpellées après le complète de vérification avant de pénétrer

Amnesty International — Rapport 2016/17 189 aux États-Unis –, le Texas a annoncé en sexuelle ou l’identité de genre au travail, au septembre qu’il se retirait du Programme foyer ou dans l’accès aux soins. Bien que fédéral de réinstallation des réfugiés. Le certains États et certaines villes aient adopté Kansas et le New Jersey ont fait de même. des dispositions sur l’égalité de traitement comprenant des garanties contre la DROITS DES FEMMES discrimination fondée sur l’orientation Les Amérindiennes et les femmes sexuelle et l’identité de genre, la grande autochtones de l’Alaska étaient toujours majorité des États n’offraient aucune 2,5 fois plus exposées que les autres femmes protection juridique aux personnes LGBTI. La au risque de subir un viol ou une autre forme thérapie de conversion, qui a été dénoncée d’agression sexuelle. Les femmes par le Comité contre la torture [ONU] comme autochtones demeuraient en butte à de fortes étant une forme de torture, demeurait légale inégalités dans la prise en charge en cas de dans la plupart des États et territoires. Les viol, notamment en ce qui concerne l’accès à personnes transgenres étaient toujours des examens médicaux, à des « kits post- particulièrement marginalisées. Des lois viol » (qui rassemblent des accessoires discriminatoires en vigueur dans certains permettant au personnel médical de recueillir États (par exemple la « loi sur les toilettes » des éléments de preuve) et à d’autres qui, en Caroline du Nord, interdit aux villes services de santé essentiels. de laisser les personnes transgenres utiliser Les inégalités en matière d’accès des les toilettes correspondant à leur identité de femmes aux soins de santé sexuelle et genre) portaient atteinte aux droits de ces reproductive, y compris la santé maternelle, personnes. Les homicides de femmes perduraient. Le taux de mortalité maternelle a transgenres étaient fréquents. augmenté ces six dernières années ; le risque de mourir des suites de complications CONDITIONS DE DÉTENTION liées à la grossesse était toujours quatre fois À quelque période que ce soit, plus de plus élevé pour les Afro-Américaines que 80 000 prisonniers étaient détenus dans des pour les femmes blanches. conditions de privation physique et La crainte de faire l’objet de sanctions d’exclusion sociale dans les prisons fédérales pénales pour usage de stupéfiants pendant la et les prisons d’État de tout le pays. Le grossesse continuait de dissuader les ministère de la Justice a publié en janvier des femmes appartenant à des groupes principes directeurs et des recommandations marginalisés de s’adresser aux services de visant à limiter l’utilisation dans les prisons santé, notamment pour les soins prénatals. fédérales de la détention à l’isolement et des Toutefois, des dispositions qui avaient régimes restrictifs – encadrés par des règles aggravé celles de la loi du Tennessee sur différentes de celles appliquées au reste de l’« agression contre le fœtus » sont venues à la population carcérale. Ces terme en juillet, après une mobilisation recommandations préconisent de placer les réussie qui a permis d’éviter qu’elles ne détenus dans l’environnement le moins soient définitivement inscrites dans la restrictif possible, de ne pas laisser à législation3. l’isolement les personnes atteintes de maladie mentale, et de restreindre fortement DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET le recours à la détention à l’isolement pour DES PERSONNES BISEXUELLES, les mineurs. TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES La discrimination contre les personnes LGBTI PEINE DE MORT persistait dans la législation fédérale et dans Vingt hommes ont été exécutés, dans cinq celle des États. Il n’existait pas au niveau États, ce qui porte à 1 442 le nombre total de fédéral de garanties interdisant la prisonniers exécutés depuis que la Cour discrimination fondée sur l’orientation suprême fédérale a approuvé, en 1976, le

190 Amnesty International — Rapport 2016/17 rétablissement de la peine de mort. Le chiffre pouvaient par conséquent bénéficier de pour 2016 est le plus bas enregistré nouvelles audiences de détermination de depuis 1991. Environ 30 condamnations à leur peine. mort ont été prononcées. Quelque À la suite de la décision Hurst c. Floride, la 2 900 personnes étaient toujours sous le cour suprême du Delaware a invalidé en août coup d’une sentence capitale à la fin de la loi de l’État relative à la peine capitale, au l’année. motif qu’elle donnait aux juges le pouvoir en Pour la première fois depuis 1996, le dernier ressort de décider si l’accusation Texas a procédé à moins de 10 exécutions. avait ou non apporté tous les éléments Aucune exécution n’a eu lieu dans permettant de prononcer la peine de mort. Le l’Oklahoma, pour la première fois responsable du système judiciaire de l’État a depuis 1994. À eux deux, ces États sont déclaré qu’il ne ferait pas appel de la responsables de 45 % des exécutions décision. intervenues aux États-Unis entre 1976 Les États étaient toujours confrontés à des et 2016. problèmes liés aux protocoles d’injection et Parallèlement au scrutin présidentiel de ont rencontré cette année encore des novembre, les électeurs de l’Oklahoma se difficultés pour se procurer les substances sont prononcés en faveur d’une modification utilisées pour les exécutions. Sous le coup de la Constitution de l’État visant à interdire d’un recours au niveau fédéral concernant le aux tribunaux de l’Oklahoma de qualifier la protocole d’injection qu’elle applique, la peine de mort de châtiment « cruel ou Louisiane ne procédera à aucune exécution inhabituel ». En Californie, l’État où le en 2017. L’Ohio était toujours confronté à des nombre de condamnés à mort est le plus problèmes d’approvisionnement en produits élevé, les électeurs ont choisi de ne pas nécessaires à l’injection létale. Pour la abroger la peine capitale ; au Nebraska, les deuxième année consécutive, l’État n’a citoyens ont voté en faveur de l’annulation de procédé à aucune exécution. En mars, la la loi de 2015 abrogeant la peine de mort. cour suprême de l’Ohio a jugé, par quatre Des moratoires sur les exécutions sont voix contre trois, que l’État pouvait tenter restés en vigueur dans les États de pour la deuxième fois de procéder à Pennsylvanie, de Washington et de l’Oregon. l’exécution de Romell Broom. La première À la suite de l’arrêt Hurst c. Floride, par tentative, en 2009, avait été abandonnée lequel la Cour suprême fédérale a, en janvier, après que l’équipe chargée de l’injection déclaré inconstitutionnel le système en place létale eut tenté en vain, pendant deux en Floride en raison du rôle uniquement heures, de trouver une veine utilisable. consultatif accordé au jury dans le prononcé Aucune nouvelle date n’avait été fixée à la fin de la peine capitale, les exécutions, qui de l’année pour l’exécution de Romell étaient en augmentation ces dernières Broom. années dans l’État, ont été suspendues toute La Cour suprême fédérale est intervenue l’année. Les parlementaires de Floride ont dans plusieurs affaires. En mars, elle a adopté un nouveau texte, mais celui-ci a été accordé le bénéfice d’un nouveau procès à déclaré inconstitutionnel en octobre par la Michael Wearry, condamné à mort il y a cour suprême de l’État, au motif que 14 ans. Elle a conclu que l’accusation avait l’unanimité des jurés n’était pas requise pour commis des fautes (notamment la la condamnation à mort. En décembre, la dissimulation d’éléments à décharge) qui cour suprême de Floride a jugé que l’arrêt avaient enfreint le droit de Michael Wearry à Hurst s’appliquait à tous les condamnés à un procès équitable. En mai, elle a jugé que mort dont la sentence n’avait pas été Timothy Foster, condamné à mort dans l’État confirmée avant 2002 dans le cadre du de Géorgie, devait être rejugé, le choix des recours obligatoire – soit un peu plus de jurés ayant été entaché de discrimination 200 condamnés sur presque 400. Ceux-ci raciale. Timothy Foster, un Afro-Américain,

Amnesty International — Rapport 2016/17 191 avait été condamné à mort par un jury entièrement composé de Blancs, après que ÉTHIOPIE l’accusation eut récusé de manière péremptoire tous les potentiels jurés noirs. République fédérale démocratique d’Éthiopie L’Organisation nationale des Chef de l’État : Mulatu Teshome Wirtu parlementaires hispaniques a Chef du gouvernement : Hailemariam Desalegn « massivement » approuvé en août une résolution appelant à l’abolition de la peine La police a eu recours à une force excessive de mort aux États-Unis. Cette résolution et meurtrière pour réprimer une longue invoquait la discrimination raciale, série de manifestations organisées pour l’inefficacité, le coût et le risque d’erreur. exprimer des revendications politiques, Après avoir passé 42 ans dans une prison économiques, sociales et culturelles. La de Louisiane, Gary Tyler a été remis en liberté répression de l’opposition politique s’est en avril. Cet Afro-Américain avait été traduite par des arrestations arbitraires condamné à la peine capitale pour la mort massives, des actes de torture et d’autres d’un adolescent blanc de 13 ans, tué par mauvais traitements, des procès balles en 1974 lors d’émeutes déclenchées à inéquitables et des violations du droit à propos de l’intégration de Noirs dans un liberté d’expression et d’association. Le établissement scolaire. Âgé de 16 ans à 9 octobre, le gouvernement a proclamé l’époque des faits, Gary Tyler avait été l’état d’urgence, ce qui a entraîné d’autres condamné à mort par un jury exclusivement violations des droits humains. composé de Blancs. Sa condamnation à mort avait été annulée après que la Cour suprême CONTEXTE fédérale eut, en 1976, jugé Face aux manifestations répétées dans les inconstitutionnelle la loi de Louisiane régions Oromia et Amhara, les autorités ont imposant la peine de mort de façon adopté des réformes. Celles-ci n’ont obligatoire. Sa peine d’emprisonnement à cependant pas répondu aux revendications perpétuité a été invalidée en 2012, la Cour des manifestants, notamment en ce qui ayant interdit les peines automatiques de concerne les droits économiques, sociaux et réclusion à perpétuité sans possibilité de culturels, le respect de l’état de droit et la libération conditionnelle pour les crimes libération de prisonniers d’opinion. commis par des personnes âgées de moins Les manifestations qui avaient commencé de 18 ans. L’accusation a annulé la en novembre 2015 en Oromia contre le condamnation pour meurtre et l’a autorisé à Grand programme pour Addis-Abeba, lequel plaider coupable d’homicide involontaire. Il a prévoyait d’étendre la capitale au détriment été condamné à la peine maximale, soit de terres appartenant à des agriculteurs 21 années d’emprisonnement, ce qui oromos, ont continué même après que le représentait moins de la moitié du temps gouvernement a renoncé à ce programme qu’il avait déjà passé derrière les barreaux4. en janvier. À la fin du mois de juillet, des habitants de la région Amhara ont manifesté contre 1. USA: From ill-treatment to unfair trial − the case of Mohamed Jawad, child "enemy combatant" (AMR 51/091/2008) l’arrestation arbitraire de membres du Comité 2. USA: Chronicle of immunity foretold (AMR 51/003/2013) pour l’identité et l’autodétermination du Wolqait et ont demandé plus d’autonomie 3. USA: Tennessee "Fetal Assault" Law − a threat to women’s health and human rights (AMR 51/3623/2016) régionale, conformément à la Constitution. Des manifestations ont également été 4. États-Unis (Louisiane) : le cas de Gary Tyler (AMR 51/089/1994) ; États-Unis (Louisiane). Procès inéquitable (AMR 51/182/2007) organisées par les Konsos de la région des Peuples, nations et nationalités du Sud pour réclamer une plus grande autonomie administrative.

192 Amnesty International — Rapport 2016/17 Des militants ont annoncé une « semaine juge. Parmi les personnes arrêtées de rage » après la mort d’au moins arbitrairement figuraient Befeqadu Hailu, un 55 personnes dans un mouvement de foule membre du collectif de blogueurs Zone 9 ; qui aurait été causé par les violentes Merera Gudina, le président du Congrès opérations de maintien de l’ordre de la police fédéraliste oromo (CFO) ; Anania Sorri et lors de la fête oromo de l’Irrecha, le Daniel Shibeshi, membres de l’ancien parti 2 octobre. Certaines manifestations ont Unité pour la démocratie et la justice dégénéré et des manifestants ont incendié et (Andinet) ; et Elias Gebru, un journaliste. détruit des commerces et des bâtiments Addisu Teferi, Feqadu Negeri, Roman gouvernementaux. Waqweya et Bulti Tessema, tous les quatre Après la déclaration de l’état d’urgence en membres du Conseil éthiopien des droits octobre, les manifestations ont diminué, mais humains, une ONG nationale, ont été arrêtés les violations des droits humains ont à Neqmte, dans l’Oromia. augmenté1. PROCÈS INÉQUITABLES RECOURS EXCESSIF À LA FORCE Des militants politiques ont fait l’objet de Les forces de sécurité ont fait usage d’une procès inéquitables pour des accusations au force excessive et meurtrière contre des titre de la Loi relative à la lutte contre le manifestants. Elles avaient tué au moins terrorisme, qui définit les actes terroristes de 800 personnes entre le début des manière excessivement large et en des manifestations en novembre 2015 et la fin de termes vagues, et qui prévoit des sanctions l’année 20162. pouvant aller jusqu’à 20 ans Les forces gouvernementales ont par d’emprisonnement. exemple tué au moins 100 personnes les 6 et Gurmesa Ayano et le président adjoint du 7 août, lorsqu’un appel à manifester a été CFO Beqele Gerba, tous deux des dirigeants lancé à Addis-Abeba. Plus de de l’opposition, faisaient partie des 1 000 manifestants ont été arrêtés et 22 accusés qui ont fait l’objet d’un procès conduits à la base militaire d’Awash Arba, où inéquitable pour des accusations au titre de ils ont été frappés et forcés à faire des la Loi relative à la lutte contre le terrorisme en exercices physiques intenses par temps raison de leur rôle dans l’organisation des chaud. manifestations de novembre 2015 dans la région Oromia. Le 11 mai, alors qu’ils LIBERTÉ D’EXPRESSION ET DE devaient comparaître devant le tribunal, les RÉUNION autorités ont refusé de les y conduire car ils La répression des défenseurs des droits portaient des costumes noirs en signe de humains, des médias indépendants, des deuil pour les personnes tuées pendant les journalistes, des blogueurs, des manifestants manifestations. Lors de l’audience suivante, pacifiques et des membres et dirigeants de qui s’est tenue le 3 juin, les représentants de l’opposition politique s’est intensifiée au l’administration pénitentiaire les ont conduits cours de l’année, les autorités ayant souvent au tribunal en sous-vêtements. Les accusés eu recours à des dispositions de la Loi de ont déclaré au tribunal qu’ils avaient été 2009 relative à la lutte contre le terrorisme à frappés en détention et que des cette fin3. La proclamation de l’état d’urgence représentants de l’administration a entraîné d’autres restrictions de la liberté pénitentiaire leur avaient pris leurs d’expression, notamment le blocage vêtements. Le tribunal n’a pas ordonné momentané d’Internet. qu’une enquête soit ouverte sur leurs Dans le cadre de l’état d’urgence, plus de allégations de torture et d’autres mauvais 11 000 personnes ont été arrêtées et placées traitements4. en détention sans pouvoir contacter un Desta Dinka, coordinateur des jeunes du avocat ou leur famille, et sans voir aucun CFO, a été maintenu en détention provisoire

Amnesty International — Rapport 2016/17 193 du 23 décembre 2015 à mai 2016, avant situation a tourné à la violence et d’être inculpé au titre de la Loi relative à la l’administrateur du district et deux policiers lutte contre le terrorisme. Le tribunal a ont été tués. La police a arrêté tous les ordonné son placement en détention dans hommes parmi les habitants et a terminé la l’attente de son procès. La loi limite la démolition dans les jours qui ont suivi. détention provisoire à quatre mois. Berhanu Tekleyared, Eyerusalem Tesfaw et ENLÈVEMENTS D’ENFANTS Fikremariam Asmamaw ont été privés de leur Les autorités n’ont pas fait le nécessaire pour droit de présenter une défense lors de leur protéger les habitants de la région Gambela procès pour des accusations liées au des attaques répétées par des membres terrorisme. Ils ont malgré cela été déclarés armés du groupe ethnique des Murles, basé coupables le 20 juillet. au Soudan du Sud, pays voisin de l’Éthiopie. Des centaines d’enfants ont été enlevés IMPUNITÉ pendant ces attaques. En février et mars, des Le gouvernement a rejeté les appels du Haut- combattants murles ont enlevé 26 enfants Commissariat des Nations unies pour les anuaks. Dans la nuit du 15 avril, ils ont réfugiés (HCR) et de la Commission africaine attaqué 13 villages nuers dans les districts de des droits de l’homme et des peuples Jikawo et de Lare (région Gambela) ; ils ont demandant que des enquêtes indépendantes tué 208 personnes et enlevé 159 enfants. En et impartiales soient menées sur les violations juin, les forces éthiopiennes avaient porté des droits humains commises dans le cadre secours à 91 des enfants enlevés. des manifestations qui se sont déroulées dans plusieurs régions. 1. Éthiopie. Certaines mesures draconiennes intensifieront une crise déjà en cours d’amplification (nouvelle, 18 octobre) EXÉCUTIONS EXTRAJUDICIAIRES 2. Éthiopie. Après un an de contestations, il est temps de prendre en La police Liyu, une unité de forces spéciales compte les graves préoccupations liées aux droits humains (nouvelle, de la région Somali, dans l’est de l’Éthiopie, a 9 novembre) procédé à 21 exécutions extrajudiciaires à 3. Éthiopie. Il faut cesser de recourir à la loi antiterroriste pour Jamaa Dhuubed le 5 juin. Quatorze persécuter les dissidents et les opposants (nouvelle, 2 juin) personnes ont été abattues dans la mosquée 4. Éthiopie. Des détenus frappés et forcés de comparaître devant un du village et sept autres personnes dans tribunal dans une tenue inadéquate (nouvelle, 3 juin) d’autres endroits du village. Lorsque les proches des victimes sont venus pour faire leur deuil et enterrer les morts, la police Liyu FIDJI a menacé de les tuer. République des Îles Fidji DROITS EN MATIÈRE DE LOGEMENT – Chef de l’État : Jioji Konousi Konrote EXPULSIONS FORCÉES Chef du gouvernement : Josaia Voreqe Bainimarama Le 30 juin, le gouvernement a expulsé de force au moins 3 000 habitants du district de Fidji a ratifié en mars la Convention contre Lafto, à Addis-Abeba, qui étaient considérés la torture [ONU], en formulant toutefois des comme des « squatteurs ». Les habitants réserves, notamment sur la définition de la n’auraient pas été consultés au préalable, torture. Du fait des dispositions de la aucune solution de relogement ne leur aurait Constitution sur l’immunité et de l’absence été proposée et ils n’auraient bénéficié d’un de volonté politique de mener à bien des préavis d’expulsion que de trois jours. Les poursuites pénales, il était difficile forces gouvernementales ont commencé à d’obtenir que les responsables d’actes de détruire leurs logements alors que les torture et d’autres mauvais traitements habitants rencontraient des représentants de rendent compte de leurs actes. Des l’administration locale pour se plaindre. La restrictions arbitraires au droit à la liberté

194 Amnesty International — Rapport 2016/17 d’expression étaient toujours en place. l’exercice de leur droit à la liberté Faute de plan de réaction aux catastrophes, d’expression et de réunion pacifique. la distribution de l’aide humanitaire après le passage du cyclone Winston a été mal TORTURE ET AUTRES MAUVAIS coordonnée, lente et inéquitable. TRAITEMENTS Trois policiers et deux militaires ont été CONTEXTE arrêtés en novembre 2015 et inculpés Le cyclone Winston a frappé Fidji les 20 et d’agression sexuelle contre Iowane Benedito, 21 février, faisant 43 morts et contraignant un homme torturé en 2012 (« l’affaire 62 000 personnes à quitter leur foyer. Le YouTube »). Les policiers étaient en liberté manque d’infrastructures, l’isolement sous caution et devaient comparaître géographique, la discrimination et la fin 2016. mauvaise coordination de la distribution de En novembre, huit policiers et un militaire l’aide ont entravé les initiatives d’assistance ont été condamnés pour le viol, en 2014, de aux personnes qui en avaient le plus besoin. Vilikesa Soko, un suspect dans une affaire de Du fait de la pénurie de matériaux de vol à main armée, mais personne n’a été construction, un grand nombre de personnes tenu responsable de sa mort. Les auteurs étaient toujours sans abri six mois plus tard, présumés sont restés en poste jusqu’à ce sans possibilité de bénéficier d’un logement que le procureur général intervienne. Ils ont convenable. alors été suspendus de leurs fonctions pour la seconde fois en mars. LIBERTÉ D’EXPRESSION ET DE Enlevé, battu et soumis à des brûlures en RÉUNION PACIFIQUE novembre 2015 après avoir remis à la police Le député autochtone Tupou Draunidalo a des courriels qui révélaient, croit-on savoir, été suspendu en juin après avoir dénoncé des activités illégales, Rajneel Singh a été de devant le Parlement les tentatives nouveau agressé chez lui le 30 août par des persistantes visant à réduire au silence les hommes portant l’uniforme de la police1. La détracteurs du gouvernement. Affirmant que police n’a pris en compte sa plainte qu’à les organisateurs ne disposaient pas de partir du moment où la presse a commencé l’autorisation nécessaire, les pouvoirs publics à évoquer son cas. ont annulé, le 7 septembre, une rencontre de trois jours prévue à Pacific Harbour et portant CHANGEMENT CLIMATIQUE ET sur le thème de l’industrie sucrière. Le RÉDUCTION DES RISQUES DE 10 septembre, cinq personnes (des CATASTROPHE responsables politiques, un dirigeant syndical Les conséquences dévastatrices du passage et un universitaire) ont été arrêtées à Suva et du cyclone Winston ont mis en lumière la placées en détention deux jours durant, au vulnérabilité de Fidji face au risque de motif qu’elles avaient tenu sans autorisation catastrophe naturelle et au changement une réunion pour débattre de la Constitution. climatique, ainsi que le poids de l’impact de La législation ne prévoit pas que les réunions ces phénomènes sur les droits humains. Des privées sont soumises à la délivrance d’une préoccupations ont été exprimées à propos autorisation. de discriminations dans la distribution de Des restrictions arbitraires portant atteinte l’aide durant la catastrophe et de la non-prise au droit à la liberté d’expression, en en compte dans les opérations de secours particulier celle des médias, étaient toujours des besoins spécifiques de groupes tels que en place. Aux termes de la Constitution et de les femmes, les enfants et les personnes divers textes législatifs, les journalistes et souffrant d’un handicap. Six mois après le d’autres acteurs étaient passibles de fortes passage du cyclone, un nombre important de amendes et de peines d’emprisonnement personnes étaient toujours sans abri ou pour certains actes entrant dans le cadre de hébergées dans des structures temporaires.

Amnesty International — Rapport 2016/17 195 Les autorités continuaient de placer des 1. Fidji. Un lanceur d’alerte attaqué par des hommes en uniforme de mineurs non accompagnés et des familles policiers (nouvelle, 1er septembre) avec des enfants en détention en raison de leur situation au regard de la législation sur l’immigration. La durée de la détention de FINLANDE familles avec enfants n'était pas limitée. République de Finlande DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET Chef de l'État : Sauli Niinistö DES PERSONNES BISEXUELLES, Chef du gouvernement : Juha Sipilä TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES La législation sur la reconnaissance de Des modifications de la procédure de l’identité de genre à l'état civil continuait de demande d'asile ont eu des conséquences violer les droits des personnes transgenres. néfastes pour les demandeurs d'asile. Les Au titre de la Loi relative à la reconnaissance services de soutien aux femmes victimes de de l'identité de genre à l'état civil des violence domestique étaient toujours personnes transsexuelles, les personnes insuffisants. La législation sur la transgenres ne pouvaient obtenir une reconnaissance de l’identité de genre à reconnaissance de leur identité de genre à l'état civil continuait de violer les droits des l'état civil qu'à condition d'être âgées de plus personnes transgenres. Un projet de de 18 ans, d'accepter d'être stérilisées et modification de la Constitution limitant le d'avoir été diagnostiquées comme souffrant droit au respect de la vie privée a été de troubles mentaux. proposé. En avril, le Conseil consultatif national d'éthique dans les domaines de la protection RÉFUGIÉS ET DEMANDEURS D’ASILE sociale et des soins médicaux a fait part de En septembre, le droit à une assistance ses inquiétudes quant au fait que des enfants juridique gratuite lors de l'entretien prévu intersexués subissaient des interventions dans le cadre de la procédure d'asile a été médicales injustifiées, sans consentement restreint ; il est maintenant réservé aux pleinement éclairé. demandeurs pour lesquels des raisons exceptionnelles justifient cette assistance. VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ET Les délais de recours ont été réduits, passant AUX FILLES de 30 à 21 jours pour le premier recours, et à Les services proposés aux femmes victimes 14 jours pour le deuxième recours. Ces de violences demeuraient insuffisants et modifications ont augmenté les risques que manquaient de moyens, et étaient très les demandeurs d'asile soient renvoyés de inégaux selon les municipalités. Le nombre force dans des pays où ils pourraient être de refuges et leur accessibilité pour les victimes de violations des droits humains. femmes handicapées n'étaient pas suffisants. Le regroupement familial était limité aux Il n’existait pas de services de permanence personnes ayant un revenu stable et ou de soutien à long terme pour les victimes supérieur à un seuil déraisonnablement de violences. Aucun réseau national élevé. D'autres restrictions administratives et coordonné d'aide aux victimes de violences difficultés pratiques en ce qui concerne la sexuelles n'avait été mis en place. procédure de demande d'asile entravaient la La définition du viol dans le Code pénal ne capacité des réfugiés et des autres contenait pas la notion d'absence de bénéficiaires d'une protection internationale, consentement. La médiation restait très y compris des mineurs non accompagnés, à largement utilisée dans les cas de violences exercer leur droit au respect de leur vie commises par un partenaire intime. familiale. En septembre, le ministère des Affaires sociales et de la Santé a élaboré un

196 Amnesty International — Rapport 2016/17 deuxième projet de décret visant à établir un Nice lorsqu'un homme a délibérément organe de coordination du travail de lutte précipité un camion dans la foule rassemblée contre les violences faites aux femmes. pour célébrer la fête nationale. Le 26 juillet, un prêtre a été assassiné à l’intérieur de son DROIT AU RESPECT DE LA VIE PRIVÉE église dans une ville de la banlieue de En octobre, une proposition de modification Rouen, dans le nord-ouest de la France. de la Constitution limitant le droit au respect Une semaine après l’attentat de Nice, le de la vie privée a été présentée. Elle visait à Parlement a approuvé la prorogation jusqu’au permettre le recueil d'informations sur les 26 janvier 2017 de l’état d’urgence en menaces à la sécurité nationale en autorisant vigueur depuis les attentats terroristes les agences de renseignement militaires et coordonnés perpétrés en novembre 2015 à civiles à mener des opérations de Paris. Le 15 décembre, le Parlement a une surveillance des communications sans qu'un nouvelle fois reconduit l’état d’urgence, lien avec une infraction pénale ne soit jusqu’au 15 juillet 2017. nécessaire. L’état d’urgence conférait au ministre de l’Intérieur et à la police des pouvoirs OBJECTEURS DE CONSCIENCE exceptionnels. Il leur permettait de Cette année encore, des objecteurs de perquisitionner des logements sans conscience ont été sanctionnés parce qu'ils autorisation judiciaire et d’imposer à des refusaient d'effectuer un service civil de personnes des mesures de contrôle remplacement, dont la durée demeurait administratif restreignant leur liberté sur la punitive et discriminatoire. La durée du base d’éléments formulés de manière vague service civil de remplacement était de et qui restaient en deçà du seuil requis pour 347 jours, soit plus du double de celle du l’ouverture d’une procédure pénale1. service militaire le plus court (165 jours). En vertu de ces pouvoirs, les autorités ont procédé à plus de 4 000 perquisitions domiciliaires sans autorisation judiciaire et elles ont pris des arrêtés d’assignation à FRANCE résidence contre plus de 400 personnes. À la République française date du 22 novembre, 95 personnes étaient Chef de l’État : François Hollande soumises à une telle mesure. Les mesures Chef du gouvernement : Bernard Cazeneuve (a d’urgence ont restreint d’une manière remplacé Manuel Valls en décembre) disproportionnée le droit de circuler librement et le droit au respect de la L’état d’urgence a été prolongé quatre fois vie privée. au cours de l’année à la suite de plusieurs Le 10 juin, le Comité contre la torture attaques violentes. Des mesures d’exception [ONU] a exprimé sa préoccupation à propos ont restreint les droits fondamentaux de d’informations faisant état d’un usage manière disproportionnée. En octobre, les excessif de la force par la police au cours de autorités ont démantelé un campement non perquisitions administratives effectuées dans autorisé à Calais, où vivaient plus de le cadre des pouvoirs conférés par l’état 6 500 migrants et demandeurs d’asile. d’urgence, et il a réclamé l’ouverture d’enquêtes sur ces allégations. LUTTE CONTRE LE TERRORISME ET Le Parlement a également adopté des SÉCURITÉ dispositions législatives renforçant les Plusieurs attaques violentes ont été pouvoirs administratifs et judiciaires en commises au cours de l’année. Le 13 juin, matière de lutte contre le terrorisme. Le chef un policier et sa compagne ont été tués à de l'État a promulgué le 3 juin une loi qui leur domicile en région parisienne. Le accorde au ministre de l’Intérieur le pouvoir 14 juillet, 86 personnes ont trouvé la mort à de prendre des mesures de contrôle

Amnesty International — Rapport 2016/17 197 administratif à l’encontre de personnes certains auraient été rejetés en raison de leur supposées rentrer de zones de conflit et qui âge présumé, sans être soumis à une sont considérées comme constituant une évaluation approfondie. Le 2 novembre, le menace à la sécurité publique. Cette loi a Comité des droits de l’enfant [ONU] a étendu le pouvoir des autorités judiciaires exprimé sa préoccupation à propos des d’autoriser des perquisitions domiciliaires à mineurs de Calais laissés sans abri adéquat, tout moment dans le cadre des enquêtes sur sans nourriture ni accès à des services des infractions liées au terrorisme. médicaux lors du démantèlement du camp. Par ailleurs ce texte a érigé en infraction Environ 330 mineurs avaient été transférés pénale la consultation régulière de sites au Royaume-Uni à la mi-novembre. Internet considérés comme incitant au En raison du manque de capacités terrorisme ou faisant l’apologie de tels actes, d’accueil et de moyens pour enregistrer les à moins qu’ils ne soient consultés de bonne demandes d’asile dans la région parisienne, foi, à des fins de recherche ou pour d’autres plus de 3 800 demandeurs d’asile ont vécu raisons professionnelles en vue d’informer le dans des conditions dégradantes et dormi public. La définition vague de l’infraction a dans la rue dans le 19e arrondissement de accru le risque que des personnes fassent Paris jusqu’à ce que les autorités les l’objet de poursuites pour un comportement transfèrent, le 3 novembre, dans des centres relevant de l’exercice légitime de la liberté d’accueil. d’expression et d’information. Le 29 novembre, les autorités ont rejeté la demande d’asile d’un homme originaire du DROITS DES RÉFUGIÉS ET DES Kordofan du Sud, une région du Soudan en MIGRANTS proie à la guerre, et elles l’ont renvoyé de Le 24 octobre, les autorités ont commencé à force dans son pays, où il risquait d’être évacuer plus de 6 500 migrants et persécuté. Un autre Soudanais, originaire du demandeurs d’asile qui vivaient à Calais dans Darfour, qui risquait d’être renvoyé dans son le camp informel connu sous le nom de « La pays d'origine contre son gré, a été libéré le Jungle » ; cette opération a pris plusieurs 20 novembre. jours. Les migrants et les demandeurs d’asile Le gouvernement s’est engagé à accepter ont été transférés dans des centres d’accueil 6 000 réfugiés en vertu de l’accord sur le sur tout le territoire, où ils ont reçu des contrôle des migrations conclu entre l’Union informations à propos de la procédure de européenne et la Turquie, et à réinstaller demande d’asile. Les autorités n’ont pas 3 000 réfugiés en provenance du Liban. mené de consultation en bonne et due forme Le 9 décembre, le Conseil d’État, la plus auprès des migrants et des demandeurs haute juridiction administrative, a annulé le d’asile avant leur expulsion du camp, et elles décret signé par le Premier ministre en ne leur ont pas fourni non plus d’informations septembre 2015, qui autorisait l’extradition préalables suffisantes. vers la Russie du ressortissant kazakh Des organisations de la société civile ont Moukhtar Abliazov pour des infractions exprimé leur préoccupation quant à la financières, au motif que l’extradition de cet procédure suivie pour les quelque homme avait été demandée dans un but 1 600 mineurs isolés qui vivaient dans le politique. campement. Les autorités françaises et britanniques devaient examiner LIBERTÉ DE RÉUNION conjointement la situation de ces mineurs, en Des manifestations ont eu lieu régulièrement tenant compte de leur intérêt supérieur, et entre mars et septembre pour protester envisager leur éventuel transfert au contre le projet de réforme du Code du Royaume-Uni afin qu'ils retrouvent des travail, qui a été adopté en juillet. Une membres de leur famille. Elles n’ont pas été minorité de protestataires se sont livrés à des en mesure d’enregistrer tous les mineurs et violences et ont affronté la police.

198 Amnesty International — Rapport 2016/17 Depuis la quatrième prorogation de l’état atteinte à l’ordre public. Les autorités ont d’urgence, en juillet 2016, les autorités notamment pris des mesures pour interdire étaient expressément autorisées à interdire le port d'une tenue de plage recouvrant les manifestations en arguant qu’elles totalement le corps et appelée « burkini ». Le n'étaient pas en mesure d’assurer le maintien 26 août, le Conseil d’État a suspendu de l’ordre public. Des dizaines de l'interdiction du burkini dans la ville de manifestations ont été interdites et plusieurs Villeneuve-Loubet, dans le sud de la France, centaines de personnes ont fait l’objet de qu’il n’a pas jugée nécessaire au maintien de mesures administratives restreignant leur l'ordre public. droit de circuler librement et les empêchant de participer à des manifestations. RESPONSABILITÉ DES ENTREPRISES La police a fait usage à plusieurs reprises L'Assemblée nationale a adopté le d'une force excessive contre des 29 novembre une proposition de loi obligeant protestataires, notamment en les chargeant certaines grandes entreprises françaises à violemment et en utilisant des grenades mettre en œuvre un « plan de vigilance » en lacrymogènes ainsi que des grenades de vue de prévenir les atteintes graves aux droits désencerclement et des balles en humains et les dommages environnementaux caoutchouc, qui ont fait des centaines de résultant de leurs activités et de celles de blessés. leurs filiales, ainsi que d’autres sociétés avec lesquelles elles entretiennent une relation DISCRIMINATION commerciale établie, et leur imposant des Cette année encore, des Roms ont été amendes en cas de manquement à leurs expulsés de force de campements informels, obligations. De plus, toute insuffisance dans sans véritable consultation ni proposition de le plan qui entraînerait des atteintes aux relogement. Selon des organisations de la droits humains pourrait être utilisée par les société civile, 4 615 personnes ont été victimes pour réclamer des dommages- expulsées de force au cours des six premiers intérêts à la société responsable devant un mois de l’année. Le 13 juillet, le Comité des tribunal français. Le texte était en instance droits économiques, sociaux et culturels devant le Sénat à la fin de l'année. [ONU] a appelé les autorités à donner un délai de préavis suffisant à toutes les COMMERCE DES ARMES personnes concernées par une décision En juin, une famille palestinienne a déposé d’expulsion forcée, et à leur proposer des une plainte contre l’entreprise française solutions de relogement. Exxelia Technologies pour complicité Le Parlement a adopté, en octobre, une d’homicide involontaire et de crimes de disposition législative relative à la guerre dans la bande de Gaza. Trois des fils reconnaissance juridique du genre pour les de cette famille ont été tués en 2014 par un personnes transgenres. Elle a mis en place tir de missile israélien visant leur maison à une procédure permettant aux personnes Gaza. Des investigations ultérieures ont transgenres de solliciter la modification de la révélé qu’un composant de ce missile avait mention du sexe à l'état civil sans avoir à été fabriqué par Exxelia Technologies. La remplir aucune condition médicale. Elle France restait le quatrième exportateur imposait toutefois de répondre à certains d’armes au monde, à destination notamment critères, par exemple un changement de de l’Arabie saoudite et de l’Égypte. prénom ou une apparence physique conforme à leur identité de genre. 1. Des vies bouleversées - L’impact disproportionné de l’état d’urgence Plusieurs maires ont pris des arrêtés en France (EUR 21/3364/2016) réglementant le port de tenues de plage considérées comme contraires à l’hygiène et au principe de laïcité et pouvant porter

Amnesty International — Rapport 2016/17 199 que de textes relatifs à la sédition datant de GAMBIE l'époque coloniale. Marqués par la répression exercée dans le passé contre les République islamique de Gambie professionnels des médias et les défenseurs Chef de l’État et du gouvernement : Yahya Jammeh des droits humains, les journalistes travaillaient dans un climat d'autocensure. Des lois restrictives continuaient d'entraver En décembre 2015, le Groupe de travail le droit à la liberté d'expression. Des des Nations unies sur la détention arbitraire a manifestations pacifiques ont été indiqué que le journaliste Alagie Abdoulie violemment réprimées et des manifestants Ceesay, directeur général de la radio ont été soumis à des actes de torture et indépendante Terranga FM, était d'autres mauvais traitements après avoir été arbitrairement privé de liberté depuis son arrêtés. Trois détracteurs du gouvernement arrestation pour sédition, en juillet 2015. Le au moins sont morts en détention, dont un Groupe de travail a appelé à sa libération qui avait été torturé à mort peu après son immédiate, à une indemnisation et à arrestation. Au moins cinq hommes arrêtés l'ouverture d'une enquête dont serait chargé en 2015 étaient toujours victimes de le rapporteur spécial sur la torture. Alagie disparition forcée. Abdoulie Ceesay s'est soustrait à la surveillance de ses gardiens en avril. CONTEXTE Le 8 novembre, Momodou Sabally, Adama Barrow, le candidat de la coalition de directeur du Service gambien de radio et de l'opposition, a remporté l'élection télévision (GRTS), ainsi que le journaliste présidentielle du 1er décembre. Le président Bakary Fatty, ont été arrêtés par des Yahya Jammeh a rejeté les résultats de membres de l'Agence nationale de l'élection le 9 décembre. Le 13 décembre, renseignement (NIA). Bakary Fatty était les forces de sécurité ont expulsé de leurs maintenu en détention sans avoir été inculpé locaux les membres de la Commission et sans pouvoir contacter sa famille ou un électorale indépendante. Le même jour, avocat. Momodou Sabally a de nouveau été l'Alliance patriotique pour la réorientation et inculpé de plusieurs infractions économiques la construction, le parti du président pour lesquelles il avait bénéficié d'un non- Jammeh, a contesté les résultats du scrutin lieu en 2015. Les deux hommes ont été devant la Cour suprême. L'examen du arrêtés après avoir diffusé des images de la recours supposerait la nomination de nomination d'un candidat de l'opposition. nouveaux juges par le président Jammeh lui- Alhagie Manka, reporter photographe même, ce qui a fait dire à l'Association du indépendant, et Yunus Salieu, journaliste au barreau gambien que l'appel était Daily Observer, ont été arrêtés le « fondamentalement vicié ». Le refus du chef 10 novembre après avoir filmé des de l'État de reconnaître les résultats de sympathisants du président. Yunus Salieu a l'élection a été largement condamné au plan été remis en liberté le lendemain sans avoir international, notamment par le Conseil de été inculpé. Alhagie Manka a lui aussi été sécurité des Nations unies, l'Union africaine libéré sans inculpation, le 16 novembre. et la Communauté économique des États En octobre, la Cour de justice de la d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO). CEDEAO a examiné un recours introduit par la Fédération africaine des journalistes et LIBERTÉ D’EXPRESSION quatre journalistes gambiens exilés, qui Des lois restrictives continuaient d'entraver le contestaient les dispositions draconiennes de droit à la liberté d'expression. Il s'agissait la législation relative à la presse et faisaient notamment de lois érigeant en infraction la valoir que leur application entraînait des critique des représentants de l'État et la violations des droits des journalistes, dont publication de fausses informations, ainsi celui de ne pas être soumis à la torture.

200 Amnesty International — Rapport 2016/17 Le 9 mai, une quarantaine de manifestants LIBERTÉ DE RÉUNION ont été arrêtés alors qu'ils se rendaient à Des manifestations pacifiques ont été Westfield, dans les faubourgs de Banjul, violemment réprimées et des manifestants après les audiences d'Ousainou Darboe et ont été arrêtés. d'autres personnes. L'Unité d'intervention de Le 14 avril, des membres du Parti la police (PIU) les a forcés à s'arrêter, puis les démocratique unifié (UDP, opposition) et a frappés. En réaction, certains manifestants d'organisations de jeunesse ont manifesté ont jeté des pierres et plusieurs personnes, pacifiquement à Serrekunda en faveur d'une dont un membre de la PIU, ont été blessées. réforme électorale. La police a violemment À la fin de l'année, 14 personnes étaient sous dispersé le rassemblement et procédé à le coup d'une procédure à la suite de cette plusieurs arrestations. Certaines des manifestation. Deux femmes ont été remises personnes interpellées ont été grièvement en liberté sous caution en mai ; les blessées et le secrétaire général de l'UDP, 12 hommes ont pour leur part été libérés Solo Sandeng, est mort en garde à vue peu sous caution le 6 décembre. après son arrestation. Les meetings politiques ont été autorisés Vingt-cinq personnes parmi celles qui pendant les deux semaines de campagne avaient été arrêtées ont été inculpées et officielle précédant l'élection présidentielle. placées en détention à la prison Mile 2 de Des milliers de Gambiens y ont participé Banjul, la capitale. Treize ont été remises en pacifiquement. liberté par la suite, les 12 autres étant transférées à la prison de Janjanbureh. TORTURE ET AUTRES MAUVAIS Déclarées coupables le 21 juillet de TRAITEMENTS participation à une manifestation non Les personnes arrêtées pendant les autorisée et d'infractions connexes, manifestations organisées en avril ont été 11 personnes ont été condamnées à une torturées et maltraitées. Parmi elles se peine de trois ans d'emprisonnement. Elles trouvait l'entrepreneure Nogoi Njie. Dans la ont été remises en liberté sous caution le déclaration sous serment effectuée auprès de 8 décembre dans l'attente de l'examen de la Haute Cour, cette femme a expliqué que leur appel. des hommes portant des cagoules et des Le 16 avril, des membres de l'UDP se sont gants noirs l'avaient frappée à coups de rassemblés pacifiquement à Banjul devant la tuyau et de matraque tout en lui versant de maison du dirigeant du parti, Ousainou l'eau sur la tête, au siège de la NIA à Banjul. Darboe, réclamant justice pour la mort de Elle a également déclaré avoir vu le corps Solo Sandeng et demandant la libération des gonflé et sanguinolent de Solo Sandeng. Elle membres de l'UDP arrêtés. La police a utilisé craignait qu'il ne soit mort. des gaz lacrymogènes contre les Le 13 juin 2016, le gouvernement a manifestants et les a frappés à coup de reconnu, dans une réponse à une requête en matraque. Ousainou Darboe et plusieurs habeas corpus, que Solo Sandeng était mort membres de la direction de l'UDP ont été au cours de la procédure d'arrestation et de arrêtés, ainsi que d'autres manifestants et détention et qu'une enquête avait été des personnes qui se trouvaient sur les lieux. ouverte. Aucune autre information n'avait été Le 20 juillet, 19 personnes, dont Ousainou rendue publique à la fin de l'année. Darboe, ont été condamnées à trois ans d'emprisonnement pour participation à une MORTS EN DÉTENTION manifestation non autorisée et infractions Le 21 février, Sheriff Dibba, secrétaire connexes. Elles ont été remises en liberté général du Syndicat national des sous caution le 5 décembre dans l'attente de transporteurs gambiens (GNTCA) est mort l'examen de leur appel. dans un centre médical de Banjul. Victime d'un malaise alors qu'il était en garde à vue,

Amnesty International — Rapport 2016/17 201 il n'avait pas été pris en charge Ousman Jammeh, ancien vice-ministre de immédiatement. Selon la Fédération l'Agriculture, restait lui aussi victime d'une internationale des ouvriers du transport (ITF), disparition forcée. Limogé et arrêté en Sheriff Dibba et huit autres dirigeants du octobre 2015, il aurait été détenu plusieurs GNTCA avaient été arrêtés après que le jours au siège de la NIA avant d'être transféré syndicat eut appelé les autorités à baisser le à la prison Mile 2. Toutefois, ni sa famille ni prix du carburant. L'ITF a saisi l'Organisation son avocat n'ont pu entrer en contact avec internationale du travail (OIT) du cas de lui, et les autorités n'ont donné aucune Sheriff Dibba et sur les « mesures punitives » information sur l'endroit où il se trouvait ni prises contre le GNTCA, dont les activités ont sur les raisons de son arrestation. été suspendues par décret présidentiel. À la Omar Malleh Jabang, un entrepreneur fin de l'année, la famille de Sheriff Dibba partisan de l'opposition, a été emmené par n'avait pas obtenu les résultats de son des hommes en civil le 10 novembre et il n'a autopsie et aucune enquête sur la mort de pas été revu depuis, malgré des requêtes cet homme n'avait été ouverte. auprès des autorités. Ebrima Solo Krummah, un haut Sarjo Jallow a été démis de ses fonctions responsable de l'UDP arrêté le 9 mai et de vice-ministre des Affaires étrangères le détenu à la prison Mile 2, est mort le 21 août 1er septembre. Sa famille et ses avocats n'ont après une opération chirurgicale à l'hôpital. plus été en mesure d'entrer en contact avec On lui aurait refusé des soins médicaux lui dès le 2 septembre, bien qu'on les ait pendant sa détention. À la fin de l'année, informés officieusement qu'il était détenu au aucune information sur les causes de sa mort siège de la NIA. Sa femme était une fervente n'avait été rendue publique et aucune partisane de l'UDP. Le 10 octobre, des enquête n'avait été annoncée. avocats ont déposé un recours en vue de sa remise en liberté. Sarjo Jallow n'avait pas été DISPARITIONS FORCÉES, DÉTENTIONS libéré à la fin de l'année. ARBITRAIRES ET DÉTENTIONS AU SECRET DROITS DES ENFANTS Trois imams arrêtés en 2015 étaient toujours En juillet, la Gambie a adopté une loi soumis à une disparition forcée. Alhagi interdisant le mariage des enfants (c'est-à- Ousman Sawaneh, imam de Kanifing South, dire le mariage de toute personne de moins a été arrêté le 18 octobre 2015 par des de 18 ans). Tout adulte contribuant à hommes en civil. Il aurait été interpellé parce organiser le mariage d'un enfant, y compris qu'il avait adressé au chef de l'État une le mari et les parents de l'enfant, est passible demande de libération d'Haruna Gassama, le de 20 ans d'emprisonnement. Selon l'ONU, président de la coopérative des riziculteurs 40 % des femmes âgées de 20 à 49 ans en qui était alors détenu sans inculpation par la Gambie étaient mariées avant l'âge de 18 ans NIA depuis six mois. Sheikh Omar Colley et et 16 % étaient mariées avant 15 ans. Cherno Gassama ont été arrêtés en octobre et novembre 2015, pour le même motif indiquent certains observateurs. Ces trois imams seraient détenus au secret GÉORGIE dans la prison de Janjanbureh, mais en dépit Géorgie des multiples requêtes de leurs familles, les Chef de l'État : Guiorgui Margvelachvili autorités n'ont pas confirmé où ils se Chef du gouvernement : Guiorgui Kvirikachvili trouvaient. Statuant sur une requête en habeas corpus, la Haute Cour a ordonné, le Une série de décisions favorables au 21 mars, la remise en liberté d'Alhagi gouvernement rendues par les tribunaux Ousman Sawaneh. Aucune suite n'a toutefois dans plusieurs affaires très médiatisées a été donnée à cette décision. de nouveau mis l’accent sur le manque

202 Amnesty International — Rapport 2016/17 d’indépendance du pouvoir judiciaire et travail, à la nourriture et à un niveau de vie l’ingérence du pouvoir politique dans suffisant de la population locale, qui a perdu, l’administration de la justice. De nouveaux partiellement ou totalement, l'accès à ses cas de torture et d'autres mauvais vergers, pâturages et terres agricoles. traitements perpétrés par la police ont été signalés. La mise en place d'une clôture le JUSTICE long des frontières administratives séparant Un certain nombre d’observateurs, aussi bien les régions sécessionnistes de l’Abkhazie et géorgiens qu’étrangers, ont fait part de leur de l’Ossétie du Sud du reste de la Géorgie a inquiétude concernant le manque continué d'avoir des conséquences néfastes d’indépendance de l’appareil judiciaire et le pour les droits économiques et sociaux de caractère sélectif de la justice. la population locale. Le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l'Europe a déclaré, le 12 janvier, CONTEXTE que les tribunaux géorgiens, pour des faits Avec 115 sièges, le parti au pouvoir – le Rêve comparables, avaient tendance à approuver géorgien – a accru sa majorité au Parlement les mesures de détention prises à l’encontre à l’issue des élections législatives qui ont eu de membres du MNU ou à condamner ces lieu le 8 octobre. Principale formation derniers à des peines de privation de liberté, d’opposition, le Mouvement national uni tandis qu’ils libéraient sous caution ou (MNU) a remporté 27 sièges, tandis que condamnaient à une simple amende les l’Alliance des patriotes, parti conservateur de militants favorables au gouvernement. droite, en obtenait six. Le 16 mai, cinq anciens hauts Plusieurs enregistrements clandestins de responsables du ministère de la Défense (qui conversations privées, ainsi que des détails avaient été nommés par l’ex-ministre de la sur la vie intime de personnalités de Défense Irakli Alasania, devenu depuis l’un l’opposition et de journalistes, ont été diffusés des ténors de l’opposition) ont été peu de temps avant les élections. condamnés par le tribunal municipal de Soupçonnées de s’être procuré illégalement Tbilissi à sept années d’emprisonnement les enregistrements, cinq personnes, dont un chacun pour l'« utilisation abusive » de ancien membre des services de sécurité, ont 4,1 millions de laris (2,1 millions de dollars été arrêtées. L’enquête n’était pas terminée à des États-Unis). Ils ont été déclarés la fin de l’année. coupables bien que l’accusation n’ait pas pu En Abkhazie et en Ossétie du Sud, les fournir de preuves convaincantes qu’il y avait autorités de fait et les forces russes présentes eu « intention malveillante », élément sur le terrain continuaient de restreindre la pourtant indispensable pour caractériser circulation entre ces deux régions l’infraction dont ils étaient accusés. sécessionnistes et le reste de la Géorgie. Des Le 10 juin, la cour d’appel de Tbilissi a dizaines de personnes ont été arrêtées. confirmé le jugement prononcé en première Plusieurs d’entre elles ont affirmé avoir été instance en 2015 concernant Roustavi 2, torturées et, plus généralement, maltraitées restituant cette chaîne de télévision favorable (notamment rouées de coups) au cours de à l’opposition à son ancien propriétaire. Ce longues périodes de détention arbitraire. Un dernier affirmait avoir vendu sa société plus homme a été tué par un soldat russe le de 10 ans auparavant sous la pression du 19 mai, alors qu’il tentait de passer en gouvernement MNU de l’époque. La Abkhazie. Une enquête ouverte par les procédure judiciaire, qui est intervenue après autorités de fait de la région était toujours en l’expiration du délai de prescription, aurait cours à la fin de l’année. été, de l’avis de nombreux observateurs, Le renforcement de la clôture installée le encouragée par l’actuel gouvernement, qui long des frontières administratives a eu des aurait ainsi cherché à priver le MNU de son conséquences négatives sur les droits au

Amnesty International — Rapport 2016/17 203 principal relais médiatique à l’approche des sentiments religieux » un délit administratif. élections législatives. Ce texte avait été approuvé par la La Cour européenne des droits de Commission parlementaire des droits l’homme a estimé, dans un arrêt en date du humains. Il visait notamment à sanctionner 14 juin concernant l’affaire Merabishvili les critiques exprimées à l’encontre de c. Géorgie, que la prolongation répétée de la responsables religieux. détention provisoire du requérant, accusé de corruption, n’était pas raisonnable et avait été DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET une occasion de plus d’exercer des pressions DES PERSONNES BISEXUELLES, dans le cadre de l’enquête, sans lien avec TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES cette accusation de corruption, sur la mort de Le 9 août, le président Guiorgui l’ancien Premier ministre Zurab Zhvania et Margvelachvili a refusé d’organiser un les activités financières de l’ancien président référendum sur une modification de la de la République Mikheil Saakashvili. Constitution proposant de restreindre la Le 21 juillet, le président de la Cour définition du mariage, « union volontaire constitutionnelle a déclaré que les autorités fondée sur l'égalité entre les époux », pour la avaient exercé des pressions sur certains remplacer par la formulation suivante : « une juges de la Cour pour qu’ils retardent union entre un homme et une femme ». Le l’énoncé de verdicts ou se prononcent en projet initial de modification de la Constitution leur faveur dans plusieurs affaires de premier avait été approuvé en mai par la Commission plan. Le parquet a ouvert une information sur parlementaire des droits humains. ses allégations le 1er août. Une femme transgenre, hospitalisée après avoir été agressée et frappée par deux LIBERTÉ DE RÉUNION hommes, est morte des suites de ses Le droit à la liberté de réunion pacifique blessures le 23 novembre. Une ONG locale restait généralement respecté, hormis lors de défense des droits des femmes a indiqué d’un petit nombre d’incidents au cours avoir enregistré au moins 35 agressions desquels des partisans du Rêve géorgien contre des femmes LGBTI au cours de s’en seraient violemment pris à des l'année. Le bureau du médiateur public a adversaires politiques (des sympathisants du joint sa voix à celles de groupes locaux de MNU auraient parfois fait de même). défense des droits pour dénoncer l'absence Le 22 mai, une douzaine d’hommes non de véritables enquêtes et d'obligation de identifiés ont agressé un groupe de membres rendre des comptes pour les crimes visant connus du MNU dans un bureau de vote du des personnes LGBTI. village de Kortskheli. Selon des témoins, l’attaque semblait avoir été préparée. Des TORTURE ET AUTRES MAUVAIS images prises lors de l’incident montrent les TRAITEMENTS militants du MNU frappés à coups de poing, Les actes de torture, les autres mauvais jetés à terre et roués de coups de bâtons. traitements, et, plus généralement, les Plusieurs policiers présents sur les lieux n’ont violations des droits humains attribuées aux rien fait pour s’interposer et ont laissé les responsables de l'application des lois agresseurs repartir sans être inquiétés. Le constituaient un sujet de préoccupation. 1er juin, six hommes ont été inculpés de Dans ce contexte, le gouvernement n’a pas « houliganisme » en relation avec cette pris les mesures législatives nécessaires pour attaque. Ils ont tous été remis en liberté sous mettre en place un mécanisme indépendant caution. destiné à enquêter sur les violations des droits humains perpétrées par les forces de LIBERTÉ D’EXPRESSION sécurité. Le 15 février, le Parlement a rejeté un projet Demur Sturua, 22 ans, habitant Dapnari, de loi qui aurait fait de « l’insulte aux un village de l’ouest de la Géorgie, a été

204 Amnesty International — Rapport 2016/17 convoqué le 7 août par un inspecteur de la générales ont eu lieu en décembre ; Nana police locale, qui souhaitait l’interroger sur Akufo-Addo, du Nouveau parti patriotique, a une personne soupçonnée de faire pousser été élu président. du cannabis dans la localité. Le jeune homme s’est suicidé le lendemain. Dans la LIBERTÉ D’EXPRESSION lettre qu’il a laissée, il blâmait l’inspecteur de En février, le projet de loi sur l’interception police, affirmant que celui-ci l’avait frappé et des envois postaux et des messages de menacé. Selon l’avocat de la famille de télécommunication (2015) a été soumis au Demur Sturua, l’autopsie aurait révélé des Parlement. Il prévoyait l’interception de lésions sur le corps de la victime. L’enquête toutes les communications dans le but vague n’était pas terminée à la fin de l’année. de « protéger la sécurité nationale » et de Des informations ont par la suite été « combattre le crime de manière générale ». publiées dans la presse, selon lesquelles des Des voix au sein de la société civile se sont habitants de villages reculés, susceptibles dites préoccupées par le manque de clarté d’avoir été traités de la même manière par la du texte, qui laisserait aux autorités toute police, refusaient de porter plainte parce latitude pour intercepter les communications qu'ils craignaient d’éventuelles représailles et et ont déclaré que le projet de loi n’offrait pas qu'ils n’avaient aucune confiance en les de garanties suffisantes. pouvoirs publics. Le Comité des droits de l’homme a indiqué que le Ghana devait accélérer l’adoption du projet de loi relatif au droit à l’information, tout en veillant à ce que ses GHANA dispositions soient conformes au PIDCP. République du Ghana Chef de l’État et du gouvernement : John Dramani DROITS DES FEMMES Mahama Le Comité des droits de l’homme a fait part de ses préoccupations concernant des Des préoccupations ont été exprimées dispositions juridiques qu’il estimait quant aux droits des femmes et des discriminatoires envers les femmes en enfants, à la discrimination à l’encontre des matière d’accès à la propriété, au crédit et à personnes handicapées et aux lacunes la succession. Il a souligné les retards dans juridiques en matière de protection des l’adoption du projet de loi sur les droits droits humains. Les personnes LGBTI ont patrimoniaux des conjoints, présenté en continué d’être victimes de discrimination, 2013. Il a également publié des de violences et de harcèlement policier. Des recommandations en ce qui concerne les condamnations à mort ont été prononcées. violences domestiques, préconisant entre autres de nouvelles mesures législatives pour CONTEXTE renforcer l’application de la Loi sur les En juin, le bilan du Ghana en matière de violences domestiques de 2007, davantage droits humains a été examiné pour la de services sociaux et de centres d’accueil première fois par le Comité des droits de pour les victimes de violences au foyer, ainsi l’homme [ONU] en vue de vérifier si le pays qu’une amélioration des enquêtes et des respectait ses obligations au titre du PIDCP. poursuites dans ces affaires. En septembre, le Ghana a ratifié le Protocole facultatif se rapportant à la DROITS DES ENFANTS Convention contre la torture [ONU], qui Le Comité des droits de l’homme et des prévoit un système de visites régulières des organisations de la société civile restaient lieux de détention, afin de protéger les préoccupés face à la persistance du travail détenus et les prisonniers contre la torture et des enfants. Le Comité a appelé les autorités d’autres mauvais traitements. Des élections à ouvrir des enquêtes sur les pires formes de

Amnesty International — Rapport 2016/17 205 travail des enfants et à organiser de meilleures campagnes de sensibilisation de PEINE DE MORT la population sur cette question. De nouvelles condamnations à mort ont été prononcées ; la dernière exécution remontait RECOURS EXCESSIF À LA FORCE toutefois à 1993. Le Ghana conserve Le Comité des droits de l’homme a l’application obligatoire de la peine de mort recommandé au Ghana de créer un pour certains crimes, bien que le Comité des mécanisme indépendant pour enquêter sur droits de l’homme condamne cette pratique. les allégations de fautes commises par des À la fin de l’année, le principal quartier des policiers. Il a également demandé aux condamnés à mort réservé aux hommes était autorités de prendre des mesures pour veiller toujours surpeuplé, et les prisonniers à ce que les lois et pratiques du pays soient n’avaient toujours pas accès à des activités conformes aux Principes de base sur le sportives ou éducatives. recours à la force et l’utilisation des armes à Les propositions de la Commission de feu par les responsables de l’application révision de la Constitution en vue de des lois. l'abolition de la peine de mort demeuraient au point mort en raison des retards DROIT À LA SANTÉ accumulés dans le processus de révision Le Comité des droits de l’homme a exprimé constitutionnelle. des préoccupations quant à la stigmatisation et à la discrimination dont sont victimes les personnes handicapées. Selon le Comité, ces facteurs contribuent grandement au GRÈCE traitement inadapté des patients souffrant de République hellénique troubles mentaux et aux conditions d’accueil Chef de l’État : Prokopis Pavlopoulos déplorables dans les établissements Chef du gouvernement : Alexis Tsipras psychiatriques publics. Il s’est également inquiété de l’existence de centaines de À la suite de la conclusion entre l’UE et la « camps de prière » privés et non déclarés Turquie d’un accord sur les migrants, la qui s’occupent de malades, en particulier de Grèce s’est heurtée à des difficultés malades mentaux, et qui exercent leurs considérables pour offrir aux réfugiés, activités sans véritable contrôle et en dehors demandeurs d’asile et migrants des de toute réglementation de l’État. Le Comité a conditions d’accueil correctes et un accès souligné que des actes de torture et d’autres satisfaisant à la procédure d’asile. Il a été mauvais traitements, notamment des cas de établi qu’au moins huit réfugiés syriens maintien sous entrave ou de jeûne forcé, avaient été renvoyés de force en Turquie. En avaient été signalés dans ce type de camps. raison de la fermeture de la route des Balkans, des milliers de réfugiés, de DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET demandeurs d’asile et de migrants se sont DES PERSONNES BISEXUELLES, retrouvés bloqués en Grèce, vivant dans des TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES conditions misérables. De nouveaux cas de Les relations sexuelles entre hommes torture et autres mauvais traitements consentants constituaient toujours une infligés au moment de l’arrestation ou infraction pénale. Des organisations locales pendant la détention par des membres des ont signalé que les personnes LGBTI forces de sécurité ont été signalés. En continuaient d’être victimes de harcèlement décembre, une nouvelle loi a mis en place policier et de discrimination, de violences et un mécanisme permettant de porter plainte parfois de chantage de la part de la contre la police. population en général.

206 Amnesty International — Rapport 2016/17 En mai et juin, un grand nombre de CONTEXTE demandes d’asile soumises par des réfugiés Le Parlement a adopté de nouvelles mesures venant de Syrie qui avaient été rejetées pour d’austérité incluant une hausse des impôts, des raisons de passage par un « pays tiers une baisse des retraites et le transfert d’actifs sûr », ont été validées en appel. Le publics vers un fonds de privatisation. En Parlement a adopté en juin une disposition février, l’expert indépendant de l’ONU chargé modifiant la composition des commissions d’examiner les effets de la dette extérieure a d’appel en matière d’asile afin d’y inclure rendu ses conclusions. Il a indiqué que les deux juges et une personne nommée par le mesures d’austérité adoptées depuis 2010 Haut-Commissariat des Nations unies pour avaient fortement contribué à l’érosion les réfugiés (HCR) ou par la Commission généralisée des droits sociaux et nationale des droits humains. économiques, et à l’aggravation de la Au cours du même mois, deux Syriens qui pauvreté en Grèce. étaient arrivés en Grèce en passant par la Turquie ont été les premières personnes DROITS DES RÉFUGIÉS ET DES exposées au risque d’un renvoi imminent en MIGRANTS Turquie, leur recours ayant été rejeté par une À la fin de l’année, 173 450 réfugiés, commission d’appel pour des raisons de demandeurs d’asile et migrants étaient « pays tiers sûr ». En octobre, un troisième arrivés en Grèce par la mer. Au moins réfugié syrien a été exposé à ce même 434 personnes sont mortes ou ont été risque, à la suite du rejet de son recours par portées disparues en tentant de traverser la une commission d’appel pour les mêmes mer Égée. On recensait environ motifs, et de son placement en détention 47 400 réfugiés, demandeurs d’asile et subséquent. En novembre, le Conseil d’État a migrants en Grèce continentale et 15 384 sur examiné une requête contestant le rejet pour les îles grecques. des raisons de pays tiers sûr d’un recours en matière d’asile, ainsi que la constitutionnalité Accord UE-Turquie sur les migrants de la composition des commissions d’appel. Le 18 mars 2016, l’UE et la Turquie ont Il n’avait pas rendu sa décision à la fin de conclu un accord de large portée sur le l’année. contrôle des migrants aux termes duquel la Il est apparu qu’au moins huit réfugiés Turquie a accepté de reprendre tous les syriens avaient été renvoyés de force en « migrants en situation irrégulière » arrivant Turquie. Ils avaient fait enregistrer leur sur les îles grecques après le 20 mars, en intention de demander l’asile, mais ont été échange d’une aide ciblée de 6 milliards renvoyés depuis Kos le 20 octobre avant d’euros. Tout en prévoyant formellement d’avoir pu déposer leur demande. l’accès à une procédure d’examen des Les réfugiés, les demandeurs d’asile et les demandes d’asile, cet accord permettait le migrants bloqués sur les îles grecques renvoi en Turquie des personnes arrivant sur vivaient dans des camps d’accueil les îles grecques via ce pays sans que leur surpeuplés et insalubres. Ils n’y étaient pas demande ne soit étudiée sur le fond. Cette en sécurité et leur avenir était totalement mesure était basée sur l’idée que la Turquie incertain. Les tensions provoquées par cette était « un pays tiers sûr ». Or des recherches situation ont occasionnellement mené à des menées durant l’année 2016 ont montré que explosions de violence. Des émeutes ont la Turquie n’était pas un pays sûr pour les notamment eu lieu dans les demandeurs d’asile et les réfugiés. Le « hotspots » (centres d’enregistrement) de nombre d’arrivées a chuté après le 20 mars Lesbos, Chios et Leros. et à la fin de l’année, une cinquantaine de migrants en moyenne arrivaient chaque jour dans le pays.

Amnesty International — Rapport 2016/17 207 européens dans le cadre de la relocalisation, Détention de demandeurs d’asile et de migrants alors que le nombre total de places promises En avril, plusieurs milliers de personnes était de 66 400. arrivées sur les îles grecques après l’entrée en vigueur de l’accord UE-Turquie sur les Accès à la procédure d’asile migrants ont été soumises à une détention Les personnes voulant accéder à la arbitraire. Les personnes les plus fragiles ont procédure d’asile se heurtaient à été rapidement remises en liberté et la d’importants obstacles, notamment parce grande majorité des demandeurs d’asile ont qu’elles ne pouvaient pas soumettre leur peu à peu été autorisés à entrer et sortir demande d’asile au moyen de Skype ou n’y librement des « hotspots ». Cependant, un parvenaient qu’après de nombreuses grand nombre de personnes ne pouvaient tentatives. En juin, le service grec des pas quitter l’île où elles avaient débarqué tant demandes d’asile a mis en place un vaste que leur demande d’asile n’avait pas été programme de préenregistrement des examinée. demandes de protection internationale en Grèce continentale. En juillet, les autorités Fermeture de la route des Balkans ont annoncé avoir procédé au En mars, en raison de la fermeture de la préenregistrement de 27 592 personnes, frontière entre la Grèce et la Macédoine, parmi lesquelles 3 481 appartenaient à des plusieurs milliers de réfugiés, de demandeurs groupes vulnérables. d’asile et de migrants se sont retrouvés bloqués en Grèce continentale (voir Droit à l’éducation Macédoine). Des milliers de personnes se En août, le Parlement a adopté des trouvaient dans les immenses camps dispositions législatives portant création de improvisés d’Idomeni et du Pirée, où les classes spéciales pour les enfants en âge conditions de vie étaient très difficiles. d’être scolarisés. En octobre, quelque D’autres avaient trouvé refuge dans des 580 enfants réfugiés, demandeurs d’asile ou camps de réfugiés officiels installés à travers migrants en âge d’être scolarisés ont intégré le pays. Entre les mois de mai et de juillet, les des classes à Athènes, la capitale, et à autorités grecques ont évacué les camps de Thessalonique. Des cas de xénophobie ont Polykastro, d’Idomeni et du Pirée. été signalés. Ainsi, à Oreokastro et à Lesbos, Dans la majorité des camps de réfugiés des parents d’élèves ont refusé que des officiels, les conditions étaient inadaptées migrants et des réfugiés mineurs soient pour l’accueil de personnes, ne serait-ce que intégrés dans le système scolaire. pour quelques jours. Ces camps, qui accueillaient près de 20 000 personnes à la OBJECTEURS DE CONSCIENCE fin de l’année, étaient soit des camps de En septembre, la Grèce a été jugée coupable tentes soit établis dans des entrepôts d’avoir violé l’article 9 de la Convention abandonnés. Ils se trouvaient dans certains européenne des droits de l’homme (dans cas dans des secteurs isolés, loin des l’affaire Papavasilakis c. Grèce) parce qu’elle hôpitaux et d’autres services. À la fin de n’avait pas veillé à ce que les entretiens l’année, 23 047 personnes ayant déposé une auxquels étaient soumis les objecteurs de demande de relocalisation (en particulier des conscience devant une commission spéciale personnes spécialement vulnérables et des se déroulent dans des conditions enfants non accompagnés) avaient obtenu respectueuses de l’efficacité procédurale et un logement dans le cadre d’un programme de la parité. Cette commission spéciale du HCR. examine les demandes de service civil de À la fin de l’année, seuls remplacement. 7 286 demandeurs d’asile avaient été En septembre également, le gouvernement transférés depuis la Grèce dans d’autres pays grec a rejeté les recommandations que lui

208 Amnesty International — Rapport 2016/17 avait adressées le Conseil des droits de Le Parlement a adopté en décembre une l’homme [ONU] afin qu’il instaure un service loi instituant le médiateur grec en tant que civil de remplacement qui n’ait aucun mécanisme national chargé de recevoir les caractère punitif ou discriminatoire, et qu’il plaintes visant la police. Ce mécanisme était veille à ce que les objecteurs de conscience habilité à mener ses propres enquêtes, mais ne soient ni harcelés ni poursuivis en justice. ses recommandations adressées aux organes disciplinaires des forces de l’ordre n’étaient TORTURE ET AUTRES MAUVAIS pas contraignantes. TRAITEMENTS Cette année encore, des cas de torture et CONDITIONS CARCÉRALES d’autres mauvais traitements ont été signalés, Les conditions de détention demeuraient infligés notamment à des réfugiés, des particulièrement préoccupantes. La Cour demandeurs d’asile et des migrants au européenne des droits de l’homme a conclu moment de leur arrestation ou durant leur que la Grèce avait enfreint la Convention détention. européenne des droits de l’homme pour Le 27 septembre, cinq adolescents syriens mauvaises conditions de détention et/ou âgés de 12 à 16 ans ont été interpellés par la absence de recours effectif contre ces police dans le centre d’Athènes parce qu’ils mauvaises conditions dans neuf affaires, qui transportaient des armes factices utilisées concernaient des personnes détenues à comme accessoires dans une pièce de Larissa, Salonique, Trikala et Komotini. théâtre dans laquelle ils allaient jouer. Les garçons ont dit qu’ils avaient été frappés et DISCRIMINATION – LES ROMS forcés à se déshabiller durant leur détention En août, le Comité pour l’élimination de la au poste de police du quartier d’Omonoia. discrimination raciale [ONU] s’est dit Une enquête pénale et une enquête préoccupé par la situation des Roms en disciplinaire ont été ordonnées dans cette Grèce, notamment par les obstacles auxquels affaire. ils se heurtaient concernant l’accès à des L’ONG grecque Greek Helsinki Monitor services de base tels que l’éducation et le (GHM) a signalé que trois hommes roms logement, et par le fait qu’ils étaient avaient été frappés par des policiers pendant fréquemment soumis à des contrôles leur arrestation et leur détention, en octobre, d’identité et harcelés par la police. dans un poste de police situé dans l’ouest d’Athènes. L’un de ces hommes, qui a fait un RACISME accident cardiaque et subi de graves Des agressions motivées par la haine visant blessures, a été hospitalisé. Les victimes et des personnes appartenant à des groupes GHM ont réclamé une expertise vulnérables, notamment des réfugiés, des médicolégale, mais ont essuyé un refus. demandeurs d’asile et des migrants, ont GHM a déposé auprès du procureur continué d’être signalées. d’Athènes chargé des crimes de haine une En juillet, des membres d’un groupe plainte pour torture et manquements des d’extrême droite ont incendié un squat policiers à leurs obligations. abritant des réfugiés à Athènes. Les En octobre également, un tribunal de coupables n’avaient pas été identifiés à la fin Thessalonique a jugé 12 gardiens de prison de l’année. coupables d’avoir infligé des actes de torture En novembre, des activistes d’extrême et de graves blessures à Ilia Karelli, un droite présumés ont attaqué des réfugiés Albanais retrouvé mort dans sa cellule en dans le camp de Souda, sur l’île de Chios, en mars 2014 dans la prison de Nigrita. Ils ont blessant au moins deux. Deux militants qui été condamnés à des peines de cinq à sept tentaient d’aider les réfugiés ont eux aussi été ans d’emprisonnement. agressés. Ils ont dû être hospitalisés. Une enquête pénale a été ouverte.

Amnesty International — Rapport 2016/17 209 Fin novembre, un tribunal du Pirée a domestique dont 11 femmes indigènes ont confirmé en appel la déclaration de été victimes pendant le conflit armé culpabilité rendue en première instance interne. D’autres affaires importantes contre quatre hommes accusés d’avoir, en impliquant d’anciens membres de l’armée 2012, enlevé, dévalisé et gravement blessé ont de nouveau été reportées ou retardées un travailleur migrant égyptien, Walid Taleb. de manière injustifiée. La Commission des Le procès des dirigeants et des membres droits humains du Congrès a présenté une du parti d’extrême droite Aube dorée accusés proposition de loi visant à abolir la peine d’avoir assassiné Pavlos Fyssas en 2013 et de mort. créé une organisation criminelle se poursuivait à la fin de l’année. JUSTICE DE TRANSITION En janvier, le procès de l'ancien président et DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET commandant en chef des armées José Efraín DES PERSONNES BISEXUELLES, Ríos Montt et de l'ex-directeur du TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES renseignement militaire José Mauricio Le ministère de la Justice a créé en mai une Rodríguez Sánchez, accusés de génocide et commission préparatoire chargée de rédiger de crimes contre l’humanité, a été reporté1. le projet de loi portant reconnaissance Le procès a commencé en mars devant un juridique de l’identité de genre des tribunal de risque majeur, puis, en mai, une personnes transgenres et prévoyant une cour d’appel a fait droit à la requête des procédure administrative n’obligeant pas la plaignants, qui demandaient que les deux personne à subir une opération chirurgicale hommes soient jugés séparément. Le procès de changement de sexe. En juin, le tribunal de José Efraín Ríos Montt devait se tenir à de première instance d’Athènes a autorisé un huis clos, en raison des dispositions homme transgenre à modifier son genre sur spéciales adoptées après qu’il eut été établi ses papiers d’identité sans qu’il ait à subir que l’ancien président était mentalement une telle intervention chirurgicale. inapte à comparaître. Les procès des deux hommes étaient au point mort à la fin de l’année. Cinq anciens membres de l’armée, dont GUATEMALA Benedicto Lucas García, ancien chef du Haut République du Guatemala Commandement de l'armée guatémaltèque, Chef de l’État et du gouvernement : Jimmy Morales ont été inculpés dans le cadre de l’enquête Cabrera (a remplacé Alejandro Maldonado Aguirre en sur la détention illégale, les actes de torture janvier) et les violences sexuelles perpétrés contre Emma Guadalupe Molina Theissen, et la Cette année encore, des défenseurs des disparition forcée de Marco Antonio Molina droits humains ont été la cible de Theissen. Des ONG locales ont indiqué que campagnes de diffamation et le système plusieurs audiences avaient été suspendues judiciaire a été utilisé de manière abusive et que les autorités judiciaires avaient imposé pour harceler et intimider certains d’entre certaines restrictions et conditions à la famille eux. Les personnes travaillant sur le droit à de la victime et au public. Des membres de la terre et sur les questions liées au la famille Molina Theissen ont été victimes territoire et à l’environnement étaient d’actes de harcèlement, notamment sur particulièrement exposées. De nouvelles Internet. Des femmes de la famille ont été la personnes ont fui le pays pour échapper aux cible de formes particulières de violences inégalités et aux violences, importantes liées au genre, notamment de harcèlement et dans le pays. Le tribunal A de risque majeur de diffamation. a rendu une décision historique dans une Dans une décision historique prononcée affaire de violences sexuelles et d’esclavage en février par le tribunal A de risque majeur,

210 Amnesty International — Rapport 2016/17 deux anciens militaires ont été reconnus Les poursuites pénales engagées contre le coupables de crimes contre l’humanité pour défenseur des droits humains Daniel avoir réduit en esclavage sexuel et Pascual, accusé de diffamation écrite et domestique 11 femmes indigènes maya- orale, étaient toujours en cours à la fin de q’eqchi et les avoir soumises à des violences l’année. Ces accusations étaient liées à des sexuelles. Ces crimes ont eu lieu pendant le déclarations publiques qu’il a faites en 2013. conflit armé interne dans une base militaire La juge a ignoré la requête de l’accusé qui située dans la localité de Sepur Zarco2. demandait que l’affaire soit examinée au En juin, le tribunal A de risque majeur a regard du droit constitutionnel relatif à la statué que huit anciens militaires devaient liberté d’opinion et non dans le cadre d’une être jugés pour des accusations liées à des procédure pénale ordinaire. Le 7 juin, la Cour affaires de disparitions forcées et d’homicides constitutionnelle a rendu une ordonnance de illégaux commis dans une base militaire référé qui a suspendu provisoirement les aujourd’hui connue sous le nom de poursuites contre Daniel Pascual. Creompaz, dans le département d’Alta Début 2016, une défenseure des droits Verapaz (nord du pays)3. Des proches des humains bien connue a reçu des menaces victimes ont fait l'objet d'une surveillance et de mort dirigées contre elle et ses enfants. ont été la cible de menaces, de harcèlement Ces menaces coïncidaient avec la publication en ligne et d’actes d’intimidation à l’intérieur dans un journal, le 6 avril, d’une annonce comme à l’extérieur de la salle d’audience. publicitaire dans laquelle le président d’une Des organisations de la société civile ont entreprise privée affirmait que le but des continué de militer en faveur de l’adoption de ONG de défense des droits humains était de la Loi n° 3590 relative à la création d’une freiner le développement économique. Il commission nationale pour la recherche des qualifiait en outre ces ONG d’ennemies victimes de disparition forcée et d’autres du pays. formes de disparition. Ce texte, qui a été Le 22 juillet dans la ville de Guatemala, le présenté pour la première fois devant le tribunal A de risque majeur a acquitté sept Congrès en 2006, n’avait pas été débattu à la défenseurs des droits des indigènes de fin de l’année 2016. l’ethnie Maya-Q’anjobal. Ceux-ci avaient été accusés de détention illégale, menaces et DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS incitation à commettre une infraction. Les défenseurs des droits humains ont été en Lorsqu’ils ont été remis en liberté, ils avaient butte de façon répétée à des menaces, des passé plus d’un an en détention provisoire. campagnes de dénigrement, des actes d’intimidation et des agressions. Selon l’ONG DROITS DES RÉFUGIÉS ET DES UDEFEGUA, 14 militants des droits humains MIGRANTS ont été tués. Les défenseurs des droits Depuis plusieurs décennies, des relatifs à l’environnement ont été le groupe le Guatémaltèques émigrent aux États-Unis en plus touché par les agressions. Des passant par le Mexique pour échapper aux défenseurs des droits à la terre et au territoire inégalités et à la violence qui touchent divers et des militants des droits environnementaux groupes marginalisés dans le pays, ont fait l’objet de campagnes de dénigrement notamment les populations indigènes. Un et de manœuvres visant à les faire passer grand nombre d’entre eux ont été renvoyés pour des criminels, venant à la fois de de force au Guatemala au cours des cinq représentants de l’État, par le biais de leurs dernières années. Aucun mécanisme ou déclarations publiques, et de particuliers. protocole adapté n’a cependant été mis en Des poursuites pénales sans fondement ont place pour répondre aux besoins des aussi été engagées contre certains de ces personnes ainsi rapatriées. D'après les militants4. chiffres du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR),

Amnesty International — Rapport 2016/17 211 11 536 ressortissants guatémaltèques ont mauvais traitements ont été signalés. Les demandé l'asile dans d’autres pays entre membres des forces de sécurité impliqués janvier et août. Le Congrès a approuvé en dans des violations des droits humains décembre un nouveau Code de la migration, jouissaient toujours de l’impunité. La peine qui vient remplacer la législation existante, de mort a été abolie pour les crimes de devenue obsolète5. droit commun. Le mariage précoce et forcé a été érigé en infraction pénale. CONFLITS FONCIERS À l'issue d’une procédure concernant CONTEXTE l'absence de tenue d'une consultation Les élections locales ont été reportées à préalable, la Cour suprême a suspendu, en février 2017, ce qui a contribué à la février, la licence d’exploitation de la mine persistance d'un climat social et politique d’El Tambor. Le ministre de l’Énergie et des tendu. Les dernières élections locales Mines a déclaré que la licence avait déjà été remontaient à 2005. accordée et qu’elle ne pouvait donc pas être suspendue. À la suite de cette déclaration, RECOURS EXCESSIF À LA FORCE des habitants de la région où se trouve la Le 17 juin, des soldats ont publiquement mine ont organisé, à partir du mois de mars, infligé des mauvais traitements à un des sit-in devant les locaux du ministère de chauffeur de camion, ce qui a suscité des l’Énergie et des Mines pour demander que la manifestations spontanées dans la ville de décision de la Cour suprême soit appliquée. Mali, dans le nord du pays. L’armée a eu Fin juin, la Cour suprême a définitivement recours à une force excessive pour disperser confirmé sa décision de suspendre la licence les manifestants, notamment au moyen d’exploitation de la mine d’El Tambor. d’armes à feu et de matraques. En l’espace de deux jours, au moins 14 personnes ont été blessées, dont quatre par des tirs à balles 1. Guatemala. La décision de reporter le procès de Ríos Montt entache le système judiciaire du Guatemala (nouvelle, 11 janvier) réelles. Le 16 novembre, 11 soldats ont été 2. Guatemala: Conviction of military in sexual abuse case, a historic inculpés, notamment de coups et blessures, victory for justice (communiqué de presse, 26 février) pillage et incendie volontaire. 3. Guatemala: Decision to take Creompaz case to trial an advance for Le 16 août, la police a abattu Thierno Justice (AMR 34/4218/2016) Hamidou Diallo alors qu’il se trouvait sur son 4. Americas: “We are defending the land with our blood: Defenders of balcon dans la capitale, Conakry, pendant the land, territory and environment in Honduras and Guatemala une grande marche pacifique qui a (AMR 01/4562/2016) rassemblé entre 500 000 et 5. Un retour difficile. Le rôle du Guatemala, du Honduras et du Salvador 700 000 sympathisants de l’opposition. Le dans une crise des réfugiés de plus en plus grave ministre de la Sécurité et de la Protection (AMR 01/4865/2016) civile a annoncé qu’un policier avait été arrêté à la suite de cet homicide1. GUINÉE LIBERTÉ D’EXPRESSION Les forces de sécurité ont harcelé et arrêté République de Guinée arbitrairement des personnes qui exprimaient Chef de l’État : Alpha Condé des opinions dissidentes. Chef du gouvernement : Mamady Youla Le 24 mars, Jean Dougou Guilavogui et quatre autres syndicalistes ont été Les forces de sécurité ont fait usage d’une condamnés à une peine de six mois force excessive contre des manifestants qui d’emprisonnement et à des dommages et protestaient pacifiquement et ont harcelé intérêts pour diffamation et « outrage au chef des personnes qui exprimaient des opinions de l’État ». Jean Dougou Guilavogui a été dissidentes. Des cas de torture et de

212 Amnesty International — Rapport 2016/17 libéré le 25 mars après avoir purgé sa peine, humaine ». Selon les termes de la loi, et ses collègues ont été libérés le 8 avril2. divulguer des données « devant être tenues Le 22 juin, le tribunal de Kankan a secrètes » pour des raisons de sécurité condamné le journaliste Malick Bouya Kébé nationale est assimilable aux crimes de à une amende d’un million de francs trahison ou d’espionnage, des infractions guinéens (environ 100 euros) pour complicité passibles de peines de réclusion à d’outrage au chef de l’État car il n’avait pas perpétuité. Cette disposition pourrait être interrompu une personne qui critiquait le utilisée contre les lanceurs d’alerte3. président pendant une émission de radio où l’antenne était ouverte aux auditeurs. Son TORTURE ET AUTRES MAUVAIS invité, également journaliste, a été condamné TRAITEMENTS par défaut à un an de prison et à une Des cas de torture et de mauvais traitements amende de 1,5 million de francs guinéens ont été signalés. (environ 150 euros) pour « outrage au Le 4 mars, Ibrahima Diogo Sow a été président ». Les deux hommes ont été jugés arrêté et emmené à la Brigade anticriminalité sans avocat. de Kipé, un quartier de Conakry. Les forces Le 25 juin, le journaliste Malick Diallo de sécurité l’ont suspendu par les mains et couvrait une réunion du parti au pouvoir à les pieds à une barre en bois, et l’ont frappé laquelle participait Alpha Condé, à Conakry, à coups de crosse et de bâton pendant trois quand un membre de la garde présidentielle jours. Ibrahima Diogo Sow a déposé une lui a demandé de lui remettre son appareil plainte, mais aucune mesure n’a été prise et photo. Il a refusé et a alors été poussé dans il était toujours en détention à la fin de une voiture et emmené au siège de la garde l’année. présidentielle, où il a été battu et menacé. Le 26 juin, trois gendarmes ont arrêté Les gardes ont pris son appareil photo et Oumar Sylla à Conakry et l’ont emmené dans supprimé certaines de ses photos avant de le un immeuble où ils étaient postés. Ils lui ont relâcher. La police a refusé d’enregistrer sa attaché les pieds et les mains dans le dos. plainte. L’un des gendarmes lui a donné un coup de Une version révisée du Code pénal a été couteau dans le flanc gauche et lui a versé adoptée le 4 juillet. Elle érige en infractions de l’eau bouillante sur le torse. Ils lui ont l’outrage, la diffamation et l’insulte, demandé d’avouer qu’il avait volé une moto, notamment à l’encontre de personnalités ce qu’il a refusé. Il a été emmené le publiques, et prévoit pour ces faits des lendemain à la gendarmerie ECO III, où il a peines allant jusqu’à cinq ans été frappé à coups de ceinture. Craignant d’emprisonnement et une amende. Certaines pour sa vie, Oumar Sylla a « avoué » et a dispositions formulées en des termes vagues signé une déclaration qu’il affirme ne pas risquaient d’ouvrir la voie à des poursuites avoir comprise. contre les personnes exprimant des opinions Le Code pénal révisé a érigé la torture en dissidentes ou dénonçant des violations des infraction pénale, et les auteurs de ces actes droits humains, notamment les journalistes et encouraient jusqu’à 20 ans de prison. les défenseurs des droits humains. Néanmoins, certains actes définis comme La Loi relative à la cybersécurité et à la des actes de torture dans le droit protection des données personnelles, international, tels que le viol, les décharges adoptée le 2 juin, a érigé en infractions les électriques, les brûlures, le maintien dans insultes sur Internet, la diffusion et la des positions douloureuses, la privation communication de « fausses informations », sensorielle et les simulacres d’exécution et de ainsi que la production, la diffusion ou la noyade, ont été classés dans la catégorie des mise à disposition d’autrui de données « de traitements « inhumains et cruels », pour nature à troubler l’ordre ou la sécurité lesquels l'éventail des peines n'était publics, ou à porter atteinte à la dignité pas précisé.

Amnesty International — Rapport 2016/17 213 l’âge légal du mariage à 18 ans. Toutefois, PEINE DE MORT une ambiguïté demeurait en raison d’une La version révisée du Code pénal a aboli la référence au « mariage célébré selon la peine de mort pour les crimes de droit coutume » pour les enfants âgés de 16 ans. commun. Le Code de justice militaire La Guinée compte l’un des taux de mariage prévoyait toujours la peine capitale pour les précoce les plus élevés au monde, avec trois crimes exceptionnels, notamment la trahison filles sur cinq mariées avant l’âge de 18 ans, et la révolte en période de guerre ou d’état selon la dernière étude publiée par le Fonds d’urgence. Un projet de loi visant à des Nations unies pour la population. supprimer ces dispositions était en cours d’examen à l’Assemblée nationale. 1. Guinée. Consternation face à la mort d’un homme par balle (nouvelle, 17 août) IMPUNITÉ 2. Guinée. La condamnation de cinq syndicalistes est une violation du L’enquête sur le massacre perpétré au Grand droit à la liberté d’expression (nouvelle, 25 mars) Stade de Conakry n’a pas connu de véritable 3. Guinée. Le nouveau Code pénal supprime la peine capitale, mais ne avancée. En 2009, les forces de sécurité remédie pas à l’impunité et maintient des dispositions répressives avaient tué plus d’une centaine de (nouvelle, 5 juillet) manifestants pacifiques et en avaient blessé 4. Guinée. Un an après les violences électorales, justice n’a toujours au moins 1 500. Des dizaines de femmes pas été rendue (nouvelle, 10 octobre) avaient été violées. Aucun membre des forces de sécurité soupçonné d’avoir utilisé une force excessive GUINÉE-BISSAU contre des manifestants pacifiques de l’opposition, entraînant des morts et des République de Guinée-Bissau blessés entre 2011 et 2016, n’a été traduit Chef de l’État : José Mário Vaz en justice4. Chef du gouvernement : Umaro Sissoco Embaló (a Aucune enquête n’a été ouverte sur les remplacé Baciro Djá en novembre, qui avait lui-même membres des forces de sécurité ayant remplacé Carlos Correia en mai) participé à des viols et à d’autres formes de torture, au pillage systématique et à la La crise politique persistante a retardé la contamination de l’eau dans le village de mise en œuvre des recommandations de Womey, dans la région de Nzérékoré, en l’Examen périodique universel des Nations septembre 2014. unies de 2015 et entravé les réformes Aucune avancée n’a eu lieu dans le procès économiques et sociales. Rien n’a été fait de quatre membres des forces de sécurité pour améliorer les conditions de détention. accusés d’avoir tué six personnes pendant Les autorités judiciaires n’ont pas toujours un mouvement de grève à la mine de Zogota, respecté les garanties d’une procédure en 2012. régulière et ont été accusées Le Code pénal révisé évoquait en termes d’incompétence et de corruption. flous la « légitime défense », susceptible de justifier certains actes, ainsi qu’une nouvelle CONTEXTE disposition appelée « état de nécessité ». Ces En février, le Conseil de sécurité de l’ONU a dispositions pourraient protéger les membres prolongé d’une année supplémentaire le des forces de sécurité qui, recourant à une mandat du Bureau intégré des Nations unies force excessive, tueraient ou blesseraient des pour la consolidation de la paix en Guinée- personnes. Bissau (BINUGBIS). Les tensions entre le président José Mário DROITS DES FEMMES Vaz, le gouvernement et l’Assemblée La version révisée du Code pénal a érigé en nationale, ainsi qu’au sein du parti au infraction le mariage précoce et forcé, élevant pouvoir, le Parti africain pour l’indépendance

214 Amnesty International — Rapport 2016/17 de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC), se sont l’exige pourtant la loi, et a été relâché au bout accrues, paralysant les procédures d’une semaine. parlementaires. En janvier, la Commission permanente de Obligation de rendre des comptes l’Assemblée nationale a déchu de leur Les enquêtes sur des atteintes aux droits mandat 15 députés, car ils avaient refusé de humains commises par le passé, dont des soutenir le programme du gouvernement. Les assassinats politiques perpétrés entre 2009 tensions politiques se sont encore accrues à et 2012, n’ont pas progressé. Néanmoins, au la mi-mai, quand le Premier ministre Carlos mois de mai, le tribunal régional de Bissorã Correia a été démis de ses fonctions. Deux (région d’Oio), a reconnu quatre policiers semaines plus tard, la nomination de Baciro coupables d’avoir battu à mort Tchutcho Djá à ce poste a déclenché de violentes Mendonça en juillet 2015 alors qu’il se manifestations. La police a recouru à la force, trouvait en garde à vue. Trois d’entre eux ont faisant notamment usage de gaz été condamnés à sept ans et trois mois lacrymogène, pour disperser des d’emprisonnement, le quatrième à cinq ans manifestants qui lançaient des pierres et d’emprisonnement. brûlaient des pneus devant le palais présidentiel. CONDITIONS CARCÉRALES En septembre, la Guinée-Bissau a adhéré Les autorités n’ont rien fait pour améliorer les à la Convention relative au statut des conditions de détention. Les prisons et autres apatrides [ONU] et à la Convention sur la centres de détention n’étaient toujours pas réduction des cas d’apatridie [ONU]. équipés d’installations sanitaires adaptées et restaient caractérisés par une forte JUSTICE surpopulation. La nourriture y était Le système de justice pénale restait précaire insuffisante et les soins de santé très limités. et ne garantissait pas une procédure Les détenus devaient s’en remettre à leur régulière. Dans le rapport qu’elle a publié en famille ou à la bonne volonté d’autres juin sur sa visite dans le pays en 2015, la prisonniers pour obtenir de la nourriture et rapporteuse spéciale des Nations unies sur des médicaments. l’indépendance des juges et des avocats a Dans les centres de détention de la qualifié la situation du système judiciaire de capitale, Bissau, les conditions carcérales « triste » et de « terrible ». Elle a souligné que s’apparentaient à une forme de traitement le manque de ressources, l’incompétence, la cruel, inhumain ou dégradant. Plus de corruption, l’impunité et l’accès limité à la 90 personnes étaient régulièrement retenues justice représentaient les principaux dans les locaux de la police judiciaire, prévus obstacles à l’indépendance de la justice. pour en accueillir 35. Elles n’étaient pas En juillet, il a fallu à la Cour suprême plus séparées selon leur sexe, leur âge ou le type de 20 jours, alors qu’une limite de 10 jours d’infraction qu’elles avaient commis et, bien est prévue par la loi, pour déférer aux souvent, certaines étaient détenues sans requêtes en habeas corpus introduites pour inculpation au-delà des 48 heures prévues contester la détention du député Gabriel So. par la loi. Le tribunal régional de Bissau avait ordonné son arrestation, malgré son immunité parlementaire. Le ministère public a ordonné en août l’arrestation et le placement en détention de João Bernardo Vieira, soupçonné de ne pas avoir respecté les conditions de sa libération conditionnelle. Il n’a pas été conduit devant un juge dans un délai de 48 heures, comme

Amnesty International — Rapport 2016/17 215 GUINÉE LIBERTÉ DE RÉUNION Entre février et mai, plus de 250 personnes ont été arrêtées pour avoir assisté à des ÉQUATORIALE réunions politiques organisées par des partis de l'opposition. Toutes, hormis quatre d'entre République de Guinée équatoriale elles, ont été libérées sans inculpation après Chef de l’État et du gouvernement : Teodoro Obiang Nguema Mbasogo avoir été maintenues en détention pendant plus d’une semaine. Les membres et les sympathisants du parti d'opposition Citoyens Les droits à la liberté d'expression et de pour l'innovation ont été particulièrement pris réunion pacifique ont été fortement pour cible, à l'instar des proches du restreints à l'approche de l’élection secrétaire général du parti, Gabriel Nze. Des présidentielle, qui s’est tenue en avril. La chauffeurs de taxi qui emmenaient des police a eu recours à une force excessive, personnes à ces réunions ont également été notamment en utilisant des armes à feu arrêtés. contre des membres de partis de Le 28 février, des membres des forces de l'opposition. Des centaines de personnes, sécurité en civil ont fait irruption dans une dont des opposants politiques et des réunion de Citoyens pour l'innovation à Bata. ressortissants étrangers, ont été arrêtées Leopoldo Obama Ndong, Manuel Esono Mia, arbitrairement et détenues pour des Federico Nguema, Santiago Mangue Ndong périodes variées, sans inculpation ni procès. et Jesús Nze Ndong, tous membres du parti, Plusieurs ont été victimes de torture. ont été arrêtés et se trouvaient toujours en détention à la fin de l'année, sans avoir été CONTEXTE inculpés pour autant. Plus de 40 autres En avril, le président en exercice, Teodoro personnes ont été arrêtées à Bata au cours Obiang, a remporté l’élection présidentielle des jours suivants, et au moins 10 de plus avec 93,7 % des voix. De nombreuses dans d'autres villes. fraudes électorales et violations des droits En avril, quatre jours avant l’élection humains ont été signalées avant le scrutin. présidentielle, quelque 140 personnes ont Des partis politiques indépendants de été arrêtées à l'aéroport de Bata alors qu'elles l'opposition ont boycotté la constitution des accueillaient le secrétaire général de Citoyens listes électorales ainsi que l’élection, qu'ils pour l'innovation. Plusieurs autres, dont la jugeaient contraires au code électoral. sœur et le frère aîné de Gabriel Nze, ont été interpellées plus tard, à leur domicile. LIBERTÉ D’EXPRESSION Certaines personnes ont été détenues au Des atteintes à la liberté d'expression ont été poste de police de Bata, d'autres à la prison enregistrées. En janvier, la police de Bata a de la ville. Elles ont toutes été libérées plus arrêté de façon arbitraire Anselmo Santos d'une semaine après, sans avoir été Ekoo et Urbano Elo Ntutum, membres de inculpées. Plusieurs d'entre elles ont subi Convergence pour la démocratie sociale. Au des actes de torture et d'autres mauvais moment de leur arrestation pour « trouble à traitements. Un homme a notamment dû l'ordre public », les deux hommes rester allongé par terre pendant que des distribuaient des tracts annonçant une soldats lui sautaient sur les mains. réunion de leur parti d'opposition. Ils ont été remis en liberté 10 jours plus tard sans avoir RECOURS EXCESSIF À LA FORCE été inculpés. Le 22 avril, la police a eu recours à une force excessive à l'encontre de membres de Citoyens pour l'innovation qui s'étaient rassemblés pacifiquement au siège du parti à

216 Amnesty International — Rapport 2016/17 Malabo. Vers 4 heures du matin, des condamnation et ont donc été libérés hélicoptères de la police et des véhicules immédiatement. blindés ont encerclé le bâtiment. Les policiers ont utilisé des gaz lacrymogènes et DROIT À L’ÉDUCATION des balles réelles pour forcer les quelque En juillet, le ministère de l'Éducation a 200 membres du parti présents sur les lieux ordonné que les filles enceintes soient à sortir. Quatre personnes ont été blessées expulsées des écoles. Le vice-ministre de par des tirs et ont dû attendre plus de l'Éducation a justifié cette décision en 24 heures avant d'être emmenées à l'hôpital, affirmant qu’il s'agissait de réduire le taux de après intervention de l'ambassadrice des grossesses chez les adolescentes. Cette États-Unis. Au moins 23 personnes ont été mesure est entrée en vigueur le arrêtées et emmenées à la prison de Black 19 septembre, jour de la rentrée scolaire. Beach, où elles ont été rouées de coups. Toutes ont été remises en liberté sans inculpation le 30 avril. Le siège des bâtiments de Citoyens pour l'innovation par la police HAÏTI s'est poursuivi jusqu'au 4 mai. République d’Haïti Chef de l’État : Jocelerme Privert (a remplacé Michel ARRESTATIONS ET DÉTENTIONS Joseph Martelly en février, en qualité de président par ARBITRAIRES intérim) En février, la police a arrêté de manière Chef du gouvernement : Enex Jean-Charles (a arbitraire Ernesto Mabale Eyang et Juan remplacé Evans Paul en février, en qualité de Premier Antonio Mosuy Eseng, respectivement fils et ministre par intérim) neveu du secrétaire général du parti Coalition de l'opposition pour la restauration d'un État Les élections ont été repoussées à plusieurs démocratique. Juan Antonio Mosuy Eseng reprises. Un ouragan a frappé le pays en avait envoyé à son cousin un courriel octobre, provoquant une grave crise contenant un document qui aurait été signé humanitaire. La République dominicaine a par le ministre de la Sécurité nationale et renvoyé ou expulsé des milliers de ordonnait l'arrestation de responsables personnes vers Haïti, y compris des politiques en exil. Ce document avait été apatrides, ce qui a engendré une situation publié sur Internet la veille. Après une préoccupante sur le plan humanitaire. Peu semaine passée au commissariat central de de progrès ont été faits pour améliorer le Malabo, tous deux ont été transférés à la sort des personnes déplacées à la suite du prison de Black Beach, où ils sont restés tremblement de terre de 2010. plusieurs mois sans inculpation ni jugement et sans pouvoir contacter leur avocat. Le CONTEXTE tribunal de Malabo chargé d’instruire l’affaire Les élections présidentielle et législatives, qui n'a pas répondu à la requête en habeas devaient se tenir le 17 puis le 24 janvier, ont corpus présentée par leur avocat. été repoussées par le Conseil électoral Cependant, en juin, le juge d'instruction a provisoire (CEP) à la suite de violentes réclamé le versement d'un pot-de-vin de manifestations organisées en janvier en 10 millions de francs CFA (15 000 euros) réaction aux allégations de fraude électorale pour les libérer. Fin novembre, les deux lors du premier tour du scrutin présidentiel, hommes ont finalement été officiellement en 2015. La police aurait fait usage de la inculpés, jugés et condamnés à six mois force lors de ces manifestations. d’emprisonnement pour divulgation de Le 5 février, un accord national établissant secrets d’État. Ils avaient déjà passé neufs un gouvernement de transition a été conclu mois en détention au moment de leur pour trouver une solution à la crise politique. Le mandat présidentiel de Michel Martelly a

Amnesty International — Rapport 2016/17 217 pris fin le 7 février. Jocelerme Privert a été élu l’ONU. Haïti a accepté plusieurs président par intérim, et Enex Jean-Charles a recommandations, notamment celles été nommé Premier ministre par intérim. Les l’invitant à adhérer aux conventions de l’ONU élections prévues en avril ont de nouveau été relatives à l’apatridie, à renforcer ses repoussées. La Commission indépendante dispositions juridiques visant à lutter contre d'évaluation et de vérification électorale, mise les violences liées au genre, et à améliorer la en place en avril, a confirmé une fraude protection des défenseurs des droits massive au cours du scrutin d’octobre 2015 humains. Cependant, le pays a rejeté les et a recommandé l’organisation de nouvelles recommandations relatives à la protection élections. Le CEP a présenté un nouveau des personnes LGBTI et à l’adhésion d’Haïti à calendrier électoral, fixant de nouvelles dates la CPI1. en octobre 2016 et janvier 2017. En octobre, l’ouragan Matthew a provoqué PERSONNES DÉPLACÉES la plus grande situation d’urgence L’ouragan Matthew a affecté 2,1 millions de humanitaire qu’ait connue le pays depuis le personnes, dont près de 900 000 enfants, séisme de 2010, en particulier dans les sur l'ensemble du territoire ; provinces méridionales. Cet ouragan a fait 175 000 personnes se sont retrouvées à la plus de 500 morts et presque autant de rue. La situation était d’autant plus grave que blessés. Des inondations considérables et 55 107 hommes, femmes et enfants étaient des coulées de boue ont endommagé des toujours sans abri à la suite du tremblement infrastructures et des bâtiments et entraîné de terre de 2010. Les camps accueillant ces des pénuries d’eau. Dans certaines régions, personnes étaient au nombre de 31 au mois les habitants ont vu leurs moyens de de novembre – un chiffre qui n’avait guère subsistance presque entièrement anéantis, et diminué par rapport à juin 2015. 1,4 million de personnes avaient besoin d'une aide humanitaire d’urgence. Cette DROITS DES RÉFUGIÉS ET DES situation a déclenché une augmentation des MIGRANTS migrations internes des zones rurales vers Des personnes d’origine haïtienne ont des villes surpeuplées, où l’accès à des continué d’arriver de République logements décents était déjà limité. Dans ce dominicaine, certaines de leur plein gré et contexte, les élections ont une nouvelle fois d’autres après avoir été expulsées par les été reportées et se sont déroulées le autorités dominicaines. Environ 2 220 d’entre 20 novembre. Jovenel Moïse a été élu elles se sont installées dans des camps de président et devait être investi le fortune dans le sud du pays, dans la région 7 février 2017. frontalière d’Anse-à-Pitres, où elles vivaient Bien que son mandat soit arrivé à terme le dans des conditions déplorables avec un 14 juin, Jocelerme Privert continuait accès limité à l’eau, aux équipements d’exercer ses fonctions de président par sanitaires, aux services de santé et à intérim à la fin de l’année. La crise politique a l’éducation2. Bien qu’un programme de considérablement limité la capacité du pays réinstallation ait été en place jusqu’en juin, à adopter les lois et politiques nécessaires à des dizaines de familles vivaient toujours l’amélioration de la protection et de la dans ces camps à la fin de l’année. promotion des droits humains. Le mandat de la Mission des Nations unies DROIT À LA SANTÉ – ÉPIDÉMIE DE pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH) a CHOLÉRA été renouvelé en octobre pour une durée de Entre janvier et juillet, 21 661 cas présumés six mois. de choléra et 200 morts liées à la maladie En novembre, le bilan du pays en matière avaient été recensés, auxquels se sont de droits humains a été passé en revue dans ajoutés près de 9 000 cas signalés après le le cadre de l’Examen périodique universel de passage de l’ouragan Matthew. En août,

218 Amnesty International — Rapport 2016/17 l’ONU a reconnu pour la première fois son climat de violence généralisé. Les femmes, rôle dans l’apparition de l’épidémie, et son les migrants, les personnes déplacées et les secrétaire général a présenté des excuses défenseurs des droits humains – en publiques en décembre. Il a également particulier les défenseurs des droits des présenté un plan de lutte contre l’épidémie. personnes LGBTI et les militants des droits Toutefois, l’ONU a continué à refuser de environnementaux et fonciers – étaient tout donner suite aux démarches entreprises par particulièrement la cible de violences. La les victimes pour faire valoir leur droit de faiblesse du système judiciaire contribuait recours. au climat d’impunité. DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET CONTEXTE DES PERSONNES BISEXUELLES, Dans le cadre de ses efforts de lutte contre la TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES violence, la corruption et la criminalité En septembre, des menaces ont été organisée, le gouvernement a confié proférées en public, notamment par certaines tâches de sécurité publique à des plusieurs membres du Parlement, à unités composées d’agents ayant reçu une l’encontre de personnes et d’ONG qui formation militaire. La Commission organisaient un festival de cinéma LGBTI. Le interaméricaine des droits de l’homme s’est même mois, le Commissaire du inquiétée de ce que l’armée conduise des gouvernement près le tribunal de première opérations de sécurité publique et fasse instance de Port-au-Prince a ordonné notamment usage d’une force excessive. La l’annulation de cet événement pour des présence croissante d’unités militaires dans raisons de sécurité. Une nette augmentation les territoires indigènes alimentait les troubles du nombre d’agressions à caractère sociaux. Plus de 100 gradés de la police ont homophobe a été constatée au cours des été démis de leurs fonctions dans le cadre jours suivants. d’une initiative visant à « assainir » les forces de sécurité, accusées d’être infiltrées par le IMPUNITÉ crime organisé. L'enquête pour crimes contre l’humanité visant l’ancien président Jean-Claude DROITS DES RÉFUGIÉS ET DES Duvalier et ses collaborateurs n’avait toujours MIGRANTS pas progressé3. Un grand nombre de personnes – pour la plupart des femmes, des enfants, des jeunes et des personnes LGBTI – ont été contraintes 1. Haiti. Déplacement de personnes à l’intérieur de leur pays, expulsions forcées, apatridie : la liste des violations continue de fuir le pays en raison de la violence (AMR 36/4658/2016) généralisée. Les personnes ayant été témoins 2. « Où allons-nous vivre ? » Flux migratoires et apatridie en Haïti et en d’un crime et celles que les bandes République dominicaine (AMR 36/4105/2016) criminelles accusaient d’avoir refusé de se 3. Haïti. Il faut progresser dans l'affaire de l'ex-dictateur plier à leur autorité étaient régulièrement (AMR 36/3478/2016) harcelées, agressées et rackettées ; les jeunes, en particulier, étaient enrôlés de force dans ces bandes. HONDURAS Les personnes renvoyées de force depuis le Mexique et les États-Unis se retrouvaient République du Honduras dans la même situation que celle qui les avait Chef de l’État et du gouvernement : Juan Orlando contraintes à fuir pour sauver leur vie. Un Hernández Alvarado homme expulsé du Mexique à la suite du rejet de sa demande d’asile a été assassiné Des milliers de personnes ont été en juillet, moins de trois semaines après son contraintes de fuir le pays en raison du retour dans le pays1.

Amnesty International — Rapport 2016/17 219 pour cible. Le président de la Communauté DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS gay de San Pedro Sula, René Martínez, a été Le Honduras restait l’un des pays les plus retrouvé mort le 3 juin. Son corps portait des dangereux d’Amérique latine pour les marques de torture. Selon le Mouvement défenseurs des droits humains, en particulier mondial des droits humains (Fédération pour les défenseurs de l’environnement et du internationale des droits de l’homme – FIDH), droit à la terre. Selon l’ONG Global Witness, 36 cas d’atteintes à la sécurité – meurtres, le Honduras présentait le taux le plus élevé menaces, surveillance et actes de d’assassinats de militants de ces causes harcèlement, notamment – visant des dans le monde, par rapport à sa population2. membres de l’organisation de défense des Berta Cáceres, cofondatrice et dirigeante du droits des LGBTI Asociación Arcoiris ont été Conseil civique d’organisations populaires et enregistrés entre juillet 2015 et janvier 2016. indigènes du Honduras (COPINH), a été tuée L’armée a été accusée d’infiltrer des par balles à son domicile le 2 mars. La mouvements sociaux et d’attaquer des Commission interaméricaine des droits de défenseurs des droits humains. l’homme avait prononcé des mesures La Loi de protection des défenseurs des conservatoires en sa faveur en 2009, mais droits humains, des journalistes, des les autorités n’avaient pas mis en œuvre les commentateurs et des fonctionnaires de dispositions nécessaires pour assurer sa justice n’était pas encore mise en œuvre de protection. Avant sa mort, Berta Cáceres, tout manière adéquate. comme d’autres membres du COPINH mobilisés contre la construction du barrage DROITS DES PEUPLES AUTOCHTONES d’Agua Zarca dans la communauté de Río Les institutions chargées de l’aide aux Blanco, avait été en butte à un harcèlement peuples indigènes souffraient toujours d’un permanent, à des menaces et à des attaques manque de moyens. Plusieurs communautés de la part d’acteurs étatiques et non indigènes ont affirmé que leur droit d’être étatiques. consultées afin de pouvoir donner un José Ángel Flores et Silmer Dionisio consentement préalable, libre et éclairé avait George, du Mouvement paysan unifié de été violé dans le cadre de projets l’Aguán, ont été assassinés le 18 octobre. Les d’exploration et d’exploitation de ressources deux défenseurs des droits humains ont été naturelles sur leurs territoires. Les personnes tués par balle après avoir participé à une indigènes confrontées à des affaires réunion avec des paysans dans la région de d’agression ou d’homicide rencontraient Bajo Aguán, dans le nord-est du Honduras. toujours des difficultés pour accéder à la En novembre, Bertha Oliva, coordonnatrice justice. Outre l’assassinat de Berta Cáceres, du Comité des familles de détenus et un dirigeant indigène tolupán a été tué le disparus du Honduras (COFADEH), a fait 21 février. La Commission interaméricaine l’objet d’une campagne de dénigrement des droits de l’homme avait prononcé des visant à faire croire qu’elle avait des liens mesures conservatoires en sa faveur en avec les cartels de la drogue et à discréditer décembre 2015. Les auteurs de cet homicide son travail en faveur des droits humains. Le n’avaient toujours pas été traduits en justice. COFADEH œuvre de longue date pour la promotion des droits humains des paysans DROITS DES FEMMES dans la région de Bajo Aguán. Les violences contre les femmes étaient un Selon l’ONG ACI-PARTICIPA, plus de 90 % phénomène courant. Entre janvier et juin, de tous les assassinats et actes de violence 227 femmes ont été assassinées. Durant la perpétrés contre des défenseurs des droits même période, 1 498 agressions contre des humains demeuraient impunis. femmes ont été recensées et 1 375 cas de Les défenseurs des droits des personnes violences sexuelles ont été enregistrés. Les LGBTI étaient eux aussi particulièrement pris agressions contre les femmes restaient très

220 Amnesty International — Rapport 2016/17 largement sous-signalées. Le pays ne déclarer l’état d’urgence sur la base de disposait toujours pas de mécanismes critères vastes et peu précis, sans grand spécifiques chargés de collecter et de ventiler contrôle démocratique. Les Roms étaient les données concernant les homicides contre toujours victimes de discrimination et de les femmes. L’avortement était toujours crimes de haine. La Hongrie a continué de considéré comme une infraction pénale dans bafouer de manière systématique les droits tous les cas, y compris lorsque la vie et la des réfugiés et des migrants, malgré les santé de la femme étaient en danger ou critiques internationales croissantes. lorsque la grossesse était le résultat de violences sexuelles. La contraception LUTTE CONTRE LE TERRORISME ET d’urgence restait interdite. SÉCURITÉ Le gouvernement a continué d’étendre son SYSTÈME JUDICIAIRE recours à la législation antiterroriste. En Le Congrès national a élu en février janvier, la Cour européenne des droits de 15 nouveaux magistrats pour siéger à la Cour l’homme a conclu dans l’affaire Szabó et suprême durant les sept prochaines années. Vissy c. Hongrie que la Loi sur la police Plusieurs organisations de la société civile ont portait atteinte au droit des requérants au fait part de leurs inquiétudes quant au respect de leur vie privée et familiale, car elle processus de sélection, qui selon elles n’a autorisait le pouvoir exécutif à intercepter pas été conforme aux normes internationales toute communication sans avoir à fournir de en matière d’impartialité, d’indépendance et preuves et pendant de longues périodes. La de transparence. Cour a estimé que la Hongrie n’avait pas Le Honduras n’avait toujours pas donné garanti un contrôle judiciaire suffisant et des suite à la résolution prononcée en voies de recours effectives contre la octobre 2015 par la Cour interaméricaine des surveillance illégale. droits de l’homme, qui concluait que les En juin, le Parlement a adopté un droits de quatre juges démis de leurs « sixième amendement » à la Loi fonctions pour avoir exprimé leur opposition à fondamentale (Constitution) de la Hongrie, un coup d’État en 2009 avaient été violés. qui a introduit une définition très vague de Ces juges n’avaient pas été rétablis dans l’état d’urgence en cas de « situation de leurs fonctions, et d’autres mesures de menace terroriste » ne satisfaisant pas aux réparation attendaient toujours d’être mises critères exigés par le droit international relatif en œuvre. aux droits humains. Cet arsenal législatif permettrait à l’État de s’arroger de vastes pouvoirs, notamment de limiter la liberté de 1. Un retour difficile. Le rôle du Guatemala, du Honduras et du Salvador dans une crise des réfugiés de plus en plus grave mouvement à l’intérieur du pays, de geler les (AMR 01/4865/2016) avoirs d’États, de personnes physiques, 2. We are defending the land with our blood - Defenders of the land, d’organisations et de personnes morales, territory and environment in Honduras and Guatemala d’interdire ou de limiter les manifestations et (AMR 01/4562/2016) les rassemblements publics, et d’appliquer des mesures spéciales non définies pour prévenir le terrorisme, sans contrôle judiciaire HONGRIE ni parlementaire. Ces pouvoirs pourraient être encore renforcés après 15 jours avec Hongrie l’accord du Parlement. Ce régime conférerait Chef de l’État : János Áder par ailleurs des pouvoirs importants aux Chef du gouvernement : Viktor Orbán forces de sécurité, qui pourraient utiliser des armes à feu dans des circonstances allant Une modification de la Constitution a bien au-delà de ce que permettent le droit donné au gouvernement la possibilité de international et les normes en la matière.

Amnesty International — Rapport 2016/17 221 Fin novembre, un ressortissant syrien a été condamné à dix ans d’emprisonnement pour DISCRIMINATION – LES ROMS « actes de terrorisme » après avoir pris part à En janvier, un tribunal de la capitale, des affrontements avec des gardes-frontières Budapest, a ordonné à la commune de hongrois à la frontière serbo-hongroise en Miskolc d’élaborer un plan d’action pour les septembre 2015. Les deux parties ont fait habitants – principalement roms – qui appel de cette décision de première instance. avaient été expulsés ou devaient faire l’objet d’une expulsion du quartier des « rues LIBERTÉ D’ASSOCIATION numérotées ». Cependant, le plan de En octobre, une décision de justice a enjoint relogement proposé ne prévoyait que à l’Office gouvernemental de contrôle (KEHI), 30 logements pour la centaine de familles censé être indépendant, de dévoiler les concernées et n’allouait pas de fonds arcanes de l’audit qu’il avait fait subir en supplémentaires au titre de l’hébergement ou 2014 à plusieurs ONG ayant critiqué les du dédommagement. politiques gouvernementales. Il a ainsi été En mars, un tribunal d’Eger a estimé en révélé que cet audit avait été ordonné première instance que les enfants roms du personnellement par le Premier ministre. La comté de Heves étaient victimes de procédure d’audit avait donné lieu à des ségrégation illégale dans les écoles et les opérations de police, à la confiscation classes dispensant un enseignement destiné d’ordinateurs et de serveurs et à de longues aux enfants à besoins spécifiques. En juin, la enquêtes, mais rien de pénalement Commission européenne a engagé une répréhensible n’avait été trouvé. Des procédure d’infraction contre la Hongrie pour représentants du gouvernement ont continué discrimination à l’égard des Roms dans à brandir la menace de nouvelles enquêtes l’éducation. contre plusieurs ONG concernées, ce qui a produit un effet dissuasif sur la société civile. Crimes de haine Les enquêtes et les poursuites judiciaires LIBERTÉ D’EXPRESSION – pour crimes de haine continuaient de JOURNALISTES manquer de cohérence. En janvier, la Curia Le journal Népszabadság, critique à l’égard (Cour suprême) a enfin rendu son arrêt dans du gouvernement, a brutalement suspendu la série de meurtres de Roms pris pour cible sa parution en octobre et tous ses en 2008 et 2009 en raison de leur journalistes ont été licenciés. Cette fermeture appartenance ethnique. Six personnes est intervenue quelques jours avant la vente avaient été tuées, dont un garçon de cinq de l’organe de presse à un entrepreneur ans, et plusieurs autres blessées. Trois proche du gouvernement. accusés ont été condamnés à la réclusion à perpétuité sans possibilité de libération JUSTICE conditionnelle (ce qui est contraire au droit En juin, la Grande Chambre de la Cour européen relatif aux droits humains), et le européenne des droits de l’homme a jugé, quatrième à 13 ans d’emprisonnement. dans l’affaire Baka c. Hongrie, qu’il était En avril, une cour d’appel de Debrecen a contraire à la Convention européenne des infirmé une décision rendue en première droits de l’homme d’avoir mis fin au mandat instance dans laquelle les juges avaient du président de la Cour suprême hongroise conclu que la police avait fait preuve de au motif que ce dernier avait formulé des discrimination à l’égard des habitants roms critiques sur des réformes législatives. Elle a de la ville de Gyöngyöspata en ne les conclu à une violation de l’article 6.1 (droit protégeant pas contre des groupes d’extrême d’être entendu par un tribunal) et de droite en 2011. L’Union hongroise des l’article 10 (liberté d’expression). libertés civiles a fait appel de cette décision auprès de la Curia.

222 Amnesty International — Rapport 2016/17 certains cas à recommander purement et RÉFUGIÉS ET MIGRANTS simplement la suspension des transferts au La Hongrie a continué de limiter fortement titre du règlement de Dublin. l’accès du pays aux réfugiés et aux Le pays a continué de placer des demandeurs d’asile, engageant des demandeurs d’asile en détention, sans poursuites pour entrée illégale sur le territoire appliquer les garanties indispensables pour contre des milliers de personnes qui avaient veiller à ce que cette mesure soit légale, franchi les clôtures érigées le long de sa nécessaire et proportionnelle. En juillet, la frontière sud. Le gouvernement a prolongé à Cour européenne des droits de l’homme a plusieurs reprises l’« état d’urgence dû à une conclu dans l’affaire O.M. c. Hongrie que la immigration massive » et, malgré la chute du rétention d’un demandeur d’asile gay portait nombre de nouvelles arrivées, a déployé plus atteinte au droit de l’intéressé à la liberté et à de 10 000 policiers et militaires à la frontière. la sécurité. Elle a jugé que la Hongrie n’avait À la fin de l’année, près de 3 000 personnes pas procédé à une évaluation individuelle avaient comparu devant un tribunal et pour justifier la rétention du requérant, ni avaient été expulsées pour avoir pénétré tenu compte de la vulnérabilité à laquelle il illégalement dans le pays, sans avoir pu était exposé dans son lieu de détention en bénéficier d’un véritable examen de leurs raison de son orientation sexuelle. besoins de protection. Plusieurs Le gouvernement a dépensé plus de modifications législatives ont permis le renvoi 20 millions d’euros en campagnes de immédiat de tous les étrangers interpellés en communication pour dépeindre les réfugiés situation irrégulière à la frontière ou jusqu’à et les migrants comme des criminels et des huit kilomètres à l’intérieur du territoire menaces pour la sécurité nationale. En hongrois et plus de 16 000 personnes n'ont octobre, il a organisé un référendum national pas été autorisées à entrer dans le pays ou sur son opposition à la relocalisation de ont été renvoyées de force, parfois demandeurs d’asile en Hongrie dans le cadre violemment, en Serbie. d’un dispositif concernant toute l’UE. Faute Le 31 mars, le gouvernement a ajouté la d’une participation suffisante, ce référendum Turquie sur sa liste des « pays d’origine a été invalidé. Avec la Slovaquie, le sûrs » et des « pays tiers sûrs ». En mai, gouvernement a contesté devant la Cour de l’Assemblée nationale a adopté une série de justice de l’Union européenne la légalité de la modifications législatives qui ont réduit décision du Conseil européen relative aux sensiblement l’accès des personnes quotas de relocalisation. L’affaire était en bénéficiant d’une protection aux programmes cours à la fin de l’année. de logement, de santé et d’intégration. En novembre, le Comité européen pour la La Hongrie a suspendu sa coopération prévention de la torture a publié un rapport avec les autres pays de l’UE et a refusé sur les centres de rétention pour migrants et d’accueillir des demandeurs d’asile venant demandeurs d’asile dans le pays. Il a d’États participant au système de Dublin. Elle constaté qu’un nombre considérable a tenté de renvoyer vers la Grèce au moins d’étrangers, dont des mineurs non 2 500 demandeurs d’asile qui se trouvaient accompagnés, déclaraient avoir été victimes déjà en Hongrie, alors qu’il existait des de mauvais traitements physiques de la part présomptions contre les renvois en Grèce au de policiers. Le gouvernement a rejeté ces vu des dysfonctionnements généralisés du allégations. système d’asile grec, confirmés par la Cour européenne des droits de l’homme. Les caractéristiques du système d’asile hongrois ont poussé un certain nombre d’autres pays européens à se prononcer contre les renvois en Hongrie, voire dans

Amnesty International — Rapport 2016/17 223 dans plusieurs États tels que le Chhattisgarh, INDE le Jharkand, l’Odisha, le Maharashtra, le Bihar et l’Andhra Pradesh. Ce groupe aurait République de l’Inde utilisé un système de loterie pour enrôler des Chef de l’État : Pranab Mukherjee enfants dans l’État du Jharkand. Il s’en est Chef du gouvernement : Narendra Modi également pris à des antennes de téléphonie mobile et à des véhicules utilisés pour la Les autorités ont utilisé des lois répressives construction de routes et l’exploitation pour restreindre la liberté d’expression et minière. réduire au silence des personnes qui Dans des États du nord-est, tels que critiquaient le gouvernement. Cette année l’Assam, le Manipur et le Meghalaya, des encore, des défenseurs des droits humains groupes armés ont été accusés d’extorsion, et des organisations de défense de ces d’enlèvements et d’homicides illégaux. droits ont été la cible de harcèlement et Quatorze personnes ont été tuées en août à d’intimidation. Des brigades de protection Kokrajhar (État de l’Assam) à la suite d’une des vaches ont mené plusieurs attaques. attaque menée, semble-t-il, par la faction Des milliers de personnes ont protesté Songbijit du groupe armé Front démocratique contre la discrimination et la violence dont national du Bodoland (FDNB). les dalits (opprimés) étaient victimes. Des groupes armés ont également été Plusieurs millions se sont opposées à des soupçonnés d’homicides dans l’État de modifications du droit du travail. Le Jammu-et-Cachemire. En janvier, des gouvernement continuait le plus souvent membres présumés du groupe armé Jaish-e d’ignorer les populations marginalisées Mohammed ont attaqué une base de l’armée dans ses efforts pour accélérer la croissance de l’air à Pathankot (État du Pendjab), tuant économique. Les tensions entre l’Inde et le un civil et sept membres des forces Pakistan se sont accrues à la suite d’une de l'ordre. attaque armée contre une base militaire à Uri, dans l’État de Jammu-et-Cachemire. Le DISCRIMINATION ET VIOLENCE BASÉES couvre-feu est resté en vigueur pendant SUR LA CASTE plusieurs mois dans cet État, où les Les dalits et les adivasis (aborigènes) étaient autorités ont commis des violations des toujours confrontés à des atteintes droits humains. L’interdiction des plus gros généralisées à leurs droits fondamentaux. billets de la monnaie indienne, prononcée Selon des statistiques officielles publiées en afin de lutter contre le marché noir dans le août, plus de 45 000 infractions contre des pays, a eu de graves répercussions sur les membres des castes répertoriées et près de moyens de subsistance de millions de 11 000 infractions contre des membres des personnes. tribus répertoriées ont été signalées en 2015. Dans plusieurs États, les dalits n’étaient pas EXACTIONS PERPÉTRÉES PAR DES autorisés à pénétrer dans des lieux publics ni GROUPES ARMÉS dans des espaces sociaux, et ils étaient en Des groupes armés se sont rendus butte à la discrimination dans l’accès aux responsables de toute une série d’atteintes services publics. aux droits humains dans le centre du pays, En janvier, le suicide de Rohith Vemula, ainsi que dans les États du nord-est du pays étudiant dalit, a provoqué des manifestations et de Jammu-et-Cachemire. Le Parti dans tout le pays et des débats sur la communiste indien (maoïste), groupe armé, discrimination et la violence auxquelles les a été soupçonné d’extorsion, d’enlèvements dalits sont confrontés dans les universités. En et d’homicides illégaux, notamment de mars, des étudiants et des enseignants qui représentants du gouvernement local et manifestaient pacifiquement à l’université d’« informateurs » présumés de la police, d’Hyderabad, où Rohith Vemula avait étudié,

224 Amnesty International — Rapport 2016/17 ont été arrêtés par la police. Des manifestations de grande ampleur ont eu lieu VIOLENCES INTERCOMMUNAUTAIRES ET en juillet à Una (État du Gujarat) à la suite de ETHNIQUES la flagellation en public de quatre dalits par Des brigades de protection des vaches ont des membres d’une brigade de protection harcelé et attaqué des personnes dans des vaches, qui leur reprochaient d’avoir plusieurs États, dont le Gujarat, l’Haryana, le dépouillé une vache morte – une tâche Madhya Pradesh et le Karnataka, au motif traditionnelle pour certains dalits. qu’elles veillaient au respect des lois qui Le gouvernement central a adopté en avril interdisent de tuer des vaches. des modifications de la Loi relative aux castes En mars, les corps de deux marchands de et tribus répertoriées (prévention des bétail musulmans ont été retrouvés pendus à atrocités) qui prévoyaient des mécanismes un arbre dans l’État du Jharkand. En juin, de recours spécifiques pour les victimes de dans l’Haryana, des membres d’une brigade violences fondées sur la caste. de protection des vaches ont contraint deux musulmans qu’ils soupçonnaient de DROITS DES ENFANTS transporter des bovins à manger de la bouse Selon des statistiques publiées en août, le de vache. Dans ce même État, une femme a nombre d’infractions contre des enfants affirmé en août avoir été violée, ainsi que sa signalées en 2015 avait augmenté de 5 % cousine de 14 ans, par plusieurs hommes par rapport à l’année précédente. Aux termes qui les accusaient de manger du bœuf. de nouvelles lois entrées en vigueur en En mai, la haute cour de Mumbai janvier, les autorités chargées de la justice (Bombay), qui jugeait une affaire concernant des mineurs ont ordonné que les adolescents une loi d’interdiction de la viande bovine, a de 16 à 18 ans soient traités comme des conclu qu’empêcher la consommation de adultes dans les cas de crimes graves. En certains aliments pouvait constituer une juin, un conseil de justice des mineurs de violation du droit à la vie privée. Delhi a ordonné qu’un adolescent de 17 ans Une équipe chargée de réexaminer des soit jugé comme un adulte dans une affaire affaires classées liées au massacre des sikhs d’accident de la circulation avec délit de fuite en 1984 a recensé 77 cas nécessitant un présumé. En août, à Delhi, les autorités ont complément d’enquête et invité des ordonné de poursuivre comme un adulte un personnes à témoigner. Le fonctionnement autre adolescent de 17 ans accusé de viol. de cette équipe manquait toujours de Le Parlement a modifié en juillet une loi transparence. sur le travail des enfants en vue d’interdire Des Noirs ont été la cible de harcèlement l’embauche d’enfants de moins de 14 ans, raciste, de discrimination et de violences en prévoyant toutefois une exception pour dans différentes villes. En février, une ceux qui travaillent dans l’entreprise familiale. Tanzanienne a été déshabillée et battue par Les modifications de la législation permettent une foule à Bangalore (État du Karnataka). aussi l’emploi d’enfants de 14 à 18 ans à des En mai, un homme originaire de la travaux qui ne sont pas « dangereux ». De République démocratique du Congo a été nombreux défenseurs des droits des enfants battu à mort par un groupe d’hommes à ont dénoncé ces mesures en affirmant New Delhi. qu’elles allaient encourager le travail des enfants et affecter de manière RESPONSABILITÉ DES ENTREPRISES disproportionnée ceux qui appartiennent à En février, le ministère de l’Environnement a des groupes marginalisés, ainsi que les filles. approuvé l’expansion d’une mine de charbon Le gouvernement central a rendu public gérée par l’entreprise publique South Eastern en août un projet de politique nationale de Coalfields à Kusmunda (État du l’éducation, qui ne mentionnait pas Chhattisgarh), bien que les autorités n’aient l’éducation aux droits humains. pas obtenu le consentement préalable, libre

Amnesty International — Rapport 2016/17 225 et éclairé des communautés adivasis En avril, un tribunal du Bureau central concernées. Le gouvernement central a d’enquêtes (CBI) a déclaré 47 policiers continué d’acquérir des terres en utilisant la coupables de l’exécution extrajudiciaire de Loi relative aux régions carbonifères, qui 10 hommes à Pilibhit (Uttar Pradesh) permet l’acquisition des terres des adivasis en 1991. Les forces de sécurité ont été sans leur consentement. accusées d’avoir procédé à plusieurs En avril, le gouvernement du Gujarat a exécutions extrajudiciaires au Chhattisgarh modifié une loi fédérale relative à l’acquisition durant l’année. des terres en vue d’exempter toute une série En février, un adivasi tué par la police du de projets de l’obligation de recueillir le Chhattisgarh à Bastar a, semble-t-il, été consentement des familles concernées et de victime d’une exécution extrajudiciaire. Au mener des études d’impact social. Au cours cours du même mois, un adivasi a été tué à du même mois, le rapporteur spécial des Rayagada (Odisha) dans des circonstances Nations unies sur le logement convenable a évoquant une exécution extrajudiciaire. La déclaré qu’en Inde la plupart des expulsions police a accusé ces deux hommes d’être des forcées se faisaient en toute impunité. La maoïstes. Cour suprême a rejeté, en mai, une requête En juillet, à Kandhamal (Odisha), cinq contestant la décision de 12 assemblées personnes, dont un nourrisson, ont été villageoises qui avaient refusé en 2013 un abattues par des membres des forces de projet de mine de bauxite géré par une filiale sécurité, qui ont déclaré que ces personnes de la société Vedanta Resources et par une avaient trouvé la mort dans des échanges de entreprise minière d’État. tirs lors d’affrontements avec des groupes En juillet, la société Dow Chemical, basée maoïstes. En novembre, près de Bhopal, huit aux États-Unis, et sa filiale Union Carbide personnes qui s’étaient évadées de la prison Corporation n’ont pas répondu, pour la où elles se trouvaient en détention provisoire quatrième fois, à une citation à comparaître ont été abattues par la police du Madhya devant un tribunal de Bhopal pour y Pradesh. répondre d’infractions liées à la fuite de gaz survenue en 1984. Dans l’État du Jharkand, LIBERTÉ D’ASSOCIATION en août, la police a abattu trois hommes qui Les autorités centrales ont continué d’utiliser manifestaient contre une centrale électrique. la Loi relative aux contributions étrangères En octobre, ce sont quatre villageois qui ont (règlement) – qui limite la réception de été tués par des policiers à la suite d’une financements étrangers par les organisations manifestation contre une mine de charbon de la société civile – pour harceler des ONG. appartenant à l’État. Lawyers Collective, une organisation bien connue de défense des droits humains, a vu EXÉCUTIONS EXTRAJUDICIAIRES son enregistrement aux termes de cette loi En avril, un ancien policier de l’État du suspendu en juin, puis annulé en décembre. Manipur a déclaré à des journalistes qu’il En octobre, les autorités ont refusé de avait participé à plus de 100 exécutions renouveler l’enregistrement aux termes de la extrajudiciaires dans cet État entre 2002 et Loi relative aux contributions étrangères de 2009. La Cour suprême, qui examinait une 25 ONG, sans fournir de raisons valables. En affaire concernant plus de 1 500 exécutions décembre, elles ont annulé celui de sept extrajudiciaires dans l’État du Manipur, a autres ONG, parmi lesquelles Greenpeace conclu en juillet que les membres des forces Inde, Navsarjan, Anhad et deux ONG dirigées armées ne devaient pas bénéficier d’une par Teesta Setalvad et Javed Anand, « immunité systématique » dans les procès éminents défenseurs des droits humains. se déroulant devant des tribunaux civils, et Selon les médias, des sources que les allégations devaient être examinées. gouvernementales auraient déclaré que

226 Amnesty International — Rapport 2016/17 ces ONG avaient agi contre l’« intérêt rendre au Pakistan, c’était comme aller national ». en enfer ». En avril, le rapporteur spécial des Nations Des persécutions ont été commises au unies sur le droit de réunion pacifique et la titre de la Loi relative aux technologies de liberté d’association a déclaré que les l’information. En mars, deux hommes ont été restrictions imposées par la Loi relative aux arrêtés dans le Madhya Pradesh pour avoir, contributions étrangères n’étaient pas semble-t-il, partagé une image satirique d’un conformes aux principes et aux normes du groupe nationaliste hindou. droit international. En juin, les rapporteurs spéciaux sur la situation des défenseurs des DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS droits de l’homme, la liberté d’expression et Des journalistes, des avocats et des la liberté d’association ont appelé le défenseurs des droits humains ont été gouvernement indien à abroger cette loi. harcelés et attaqués en toute impunité. En février, Karun Mishra, journaliste, a été LIBERTÉ D’EXPRESSION abattu par des hommes armés à Sultanpur Cette année encore, des lois répressives ont (Uttar Pradesh). Selon la police, il a été pris été utilisées pour persécuter des personnes pour cible en raison de ses articles sur qui avaient exercé légitimement leur droit à la l’exploitation minière illégale. Rajdeo Ranjan, liberté d’expression. En février, trois étudiants journaliste à Siwan (Bihar), a été abattu en de l’université Jawaharlal Nehru, à Delhi, ont mai ; il avait auparavant été menacé par des été arrêtés par la police pour sédition parce dirigeants politiques à cause de ses écrits. qu’ils avaient, semble-t-il, scandé des Malini Subramaniam, journaliste, a été slogans « hostiles à la nation ». Le même contrainte de quitter Bastar en février à la mois, la police de Delhi a arrêté pour sédition suite d’une attaque contre son domicile et de un universitaire qui aurait scandé des pressions exercées par la police sur le slogans « anti-indiens » lors d’un événement propriétaire de son logement. Prabhat Singh, privé. La législation sur la sédition a aussi été un autre journaliste, a été arrêté pour avoir utilisée pour arrêter au Kerala des personnes partagé en ligne un message qui critiquait un qui avaient diffusé sur Facebook des responsable de la police de Bastar. Bela messages « anti-indiens », dans le Madhya Bhatia, chercheuse et militante, a été Pradesh des personnes qui avaient imprimé intimidée et harcelée par des groupes une carte ne montrant pas l’ensemble du d’autodéfense de Bastar. Des agresseurs non Cachemire à l’intérieur des frontières de identifiés ont lancé un produit chimique au l’Inde, et au Karnataka des personnes qui visage de Soni Sori, militante adivasi. Des avaient organisé une manifestation pour avocats spécialisés dans la défense des réclamer de meilleures conditions de travail droits humains qui fournissaient gratuitement pour les policiers. une aide juridictionnelle à des détenus En août, la police du Karnataka a dressé adivasis en détention provisoire ont eux aussi un procès-verbal introductif pour sédition été contraints de quitter leur domicile à contre des représentants d’Amnesty Jagdalpur (État du Chhattisgarh) à la suite de International, non désignés nominativement. pressions exercées par la police sur leur Il leur était reproché d’avoir organisé un propriétaire. événement « anti-indien » sur les violations Santosh Yadav, un journaliste arrêté des droits humains dans l’État de Jammu-et- en 2015 sur la base d’accusations à Cachemire. Une plainte pour sédition a été motivation politique, se trouvait toujours en déposée, également en août, auprès d’un détention à la fin de l’année. tribunal du Karnataka contre une actrice qui En juin, la police du Tamil Nadu a arrêté avait réfuté les propos d’un ministre du Durai Guna et Boopathy Karthikeyan, gouvernement fédéral selon lequel « se respectivement auteur et militant dalits, sur la base de fausses accusations d’agression. En

Amnesty International — Rapport 2016/17 227 juillet, Eesan Karthik, Muthu Selvan et Piyush publication de journaux locaux pendant trois Sethia, militants écologistes qui avaient jours. En septembre, Khurram Parvez, protesté contre la construction d’un pont militant cachemiri des droits humains, a été ferroviaire, ont été interpelés par la police. arrêté et maintenu en détention pendant plus Irom Sharmila a mis fin en août à la grève de deux mois pour des motifs infondés. Il de la faim qu’elle observait depuis 16 ans avait été empêché la veille de se rendre à pour manifester son opposition à la Loi une session du Conseil des droits de relative aux pouvoirs spéciaux des forces l’homme des Nations unies à Genève armées (AFSPA). Elle a été remise en liberté (Suisse). En octobre, le gouvernement a et un tribunal local a abandonné les ordonné la cessation de l’impression et de la poursuites à son encontre pour tentative de publication d’un journal de Srinagar pour des suicide. Irom Sharmila était une prisonnière motifs vagues. Plusieurs centaines de d’opinion. personnes, dont des enfants, ont été placées En octobre, des policiers et des membres en détention administrative. Des dizaines des forces de sécurité du Chhattisgarh ont d’écoles ont été incendiées par des brûlé des effigies de défenseurs des droits personnes non identifiées. humains après l’inculpation de plusieurs agents accusés d’avoir attaqué et incendié DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET des habitations où vivaient des adivasis à DES PERSONNES BISEXUELLES, Tadmetla, dans le Chhattisgarh, en 2011. TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES En février, la Cour suprême a renvoyé devant JAMMU-ET-CACHEMIRE un collège de juges élargi une requête L’homicide en juillet d’un dirigeant du groupe contestant l’article 377 du Code pénal, qui armé Hizbul Mujahideen a déclenché des érige en infraction les relations sexuelles manifestations de grande ampleur. Plus de librement consenties entre adultes de même 80 personnes, des manifestants pour la sexe. En juin, cinq personnes se définissant plupart, ont été tuées, et des milliers d’autres comme membres de la communauté LGBTI ont été blessées. Au moins 14 personnes ont ont introduit une autre requête devant la trouvé la mort et des centaines d’autres ont Cour suprême pour demander l’annulation perdu la vue à la suite de l’utilisation par les de cet article. forces de sécurité de fusils à plomb, qui sont Le gouvernement a approuvé en juillet un des armes imprécises et non discriminantes projet de loi bancal sur les droits des par nature. Les forces de sécurité ont fait à personnes transgenres. Des militants ont plusieurs reprises un usage arbitraire ou critiqué ce texte à cause de sa définition excessif de la force contre des manifestants. problématique de ce qu’est une personne En août, Shabir Ahmad Monga, chargé de transgenre et de ses dispositions contre la cours, a été battu à mort par des soldats. discrimination qui n’étaient pas conformes à Le gouvernement de l’État de Jammu-et- un arrêt rendu en 2014 par la Cour suprême. Cachemire a imposé un couvre-feu pendant plus de deux mois. Les opérateurs privés de VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ET téléphonie fixe et mobile et les fournisseurs AUX FILLES d’accès à Internet ont suspendu leurs Le nombre d’infractions signalées contre des services durant plusieurs semaines sur ordre femmes et des filles a continué d’augmenter. des autorités locales. L’interruption des Selon des statistiques publiées en août, plus communications a porté atteinte à toute une de 327 000 infractions visant des femmes série de droits fondamentaux. Des habitants ont été signalées en 2015. Les femmes ont indiqué n’avoir pas pu contacter les appartenant aux catégories marginalisées services de secours dans des cas d’urgence. étaient toujours victimes de discrimination En juillet, le gouvernement de l’État de systémique et il leur était plus difficile de Jammu-et-Cachemire a empêché la

228 Amnesty International — Rapport 2016/17 dénoncer des violences sexuelles, entre incarcérés à la fin de l’année. Quatre autres formes de violence. personnes ont été exécutées. En janvier, deux groupes de femmes adivasis ont déclaré avoir été violées et CONTEXTE agressées sexuellement par des membres En janvier, le groupe armé État islamique (EI) des forces de sécurité au cours de a revendiqué une série d’attentats à Djakarta, perquisitions dans leurs villages situés dans la capitale, qui ont fait huit morts – quatre l’État du Chhattisgarh. Peu de progrès ont été assaillants et quatre civils. En réaction, le accomplis dans les deux enquêtes. En avril, gouvernement a proposé des modifications des ouvrières du secteur textile qui du projet de loi antiterroriste qui risquaient manifestaient à Bangalore (Karnataka) ont d’affaiblir les garanties contre la torture et la été victimes d’actes arbitraires et de détention arbitraire et d’étendre le champ violences de la part de la police. Au Kerala en d’application de la peine de mort. En juillet, mai, une étudiante en droit dalit a été le général Wiranto, retraité de l’armée, a été retrouvée morte à son domicile ; elle avait été nommé ministre coordinateur des Affaires violée et tuée. La police n’avait mené aucune politiques, de la Justice et de la Sécurité. Cet enquête sur des plaintes déposées homme avait été inculpé de crimes contre précédemment par sa famille pour l’humanité par un tribunal parrainé par l’ONU discrimination fondée sur la caste. au Timor-Leste. Il avait été désigné comme En juillet, le gouvernement a rendu public, suspect dans l’enquête diligentée en 1999 sans consultation appropriée, un projet de loi par la Commission nationale des droits mal conçu sur la traite d’êtres humains. La humains (Komnas HAM) pour les violations législation indienne continuait d’ériger en flagrantes des droits fondamentaux infraction le racolage dans un lieu public, ce commises au Timor oriental en marge du qui exposait les travailleuses et travailleurs du référendum de 1999. Aucune charge n’avait sexe à une série d’atteintes à leurs droits été retenue contre lui à la fin de l’année. humains. LIBERTÉ D’EXPRESSION Des lois vagues et générales continuaient de limiter arbitrairement les droits à la liberté INDONÉSIE d’expression, de réunion pacifique, République d’Indonésie d’association et de religion ou de conviction. Chef de l’État et du gouvernement : Joko Widodo En juillet, Yanto Awerkion et Sem Ukago, des militants politiques papous de Timika, ont été inculpés de « rébellion » au titre de Des lois vagues et générales ont été l’article 106 du Code pénal. En novembre, utilisées pour limiter arbitrairement les Steven Itlay, prisonnier d’opinion et dirigeant droits à la liberté d’expression, de la section de Timika du Comité national de d’association et de réunion pacifique. Bien Papouasie occidentale (KNPB), a été que les autorités se soient engagées à condamné à un an d’emprisonnement pour traiter les affaires de violations des droits « incitation » au titre de l’article 160 du Code humains commises par le passé, des pénal (voir ci-après). Un autre militant de millions de victimes et leurs familles se Ternate, dans les Moluques du Nord, a été voyaient toujours refuser vérité, justice et inculpé de « rébellion » pour avoir publié sur réparations. Les informations recueillies ont Internet la photo d’un t-shirt avec une fait état de violations des droits humains caricature de la faucille et du marteau, le perpétrées par les forces de sécurité, dont symbole communiste. En mai, Ahmad des homicides illégaux et le recours à une Mushaddeq, Andry Cahya et Mahful Muis force excessive ou injustifiée. Au moins Tumanurung, anciens dirigeants du 38 prisonniers d’opinion étaient toujours mouvement religieux Gafatar, qui a été

Amnesty International — Rapport 2016/17 229 dissous de force, ont été arrêtés et inculpés et dans la province de Yogyakarta. La plupart de blasphème au titre de l’article 156a du ont été libérés sans inculpation au bout de Code pénal et de « rébellion » au titre de ses vingt-quatre heures. Ces arrestations articles 107 et 110. Ils ont fait l’objet de arbitraires témoignaient du climat répressif poursuites pour avoir exercé pacifiquement permanent dans lequel évoluaient les leurs convictions religieuses. militants politiques en Papouasie3. Les formulations vagues de la Loi de 2008 relative aux informations et aux échanges DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET électroniques (ITE) permettaient d’interpréter DES PERSONNES BISEXUELLES, de façon très large les notions de diffamation TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES et de blasphème, et d’ériger en infraction La discrimination contre les personnes LGBTI l’exercice de la liberté d’expression. La s’est intensifiée après que des agents de police, l’armée et l’Agence nationale de lutte l’État ont tenu des propos incendiaires, contre les stupéfiants ont menacé Haris totalement inexacts ou trompeurs en janvier, Azhar, coordinateur exécutif de l’ONG de sous le prétexte de « défendre la moralité et défense des droits humains KontraS, de le la sécurité publiques dans le pays ». En poursuivre en justice pour diffamation au titre février, la police a dispersé les participants à de cette loi. Ces menaces étaient liées à un un atelier organisé à Djakarta par une ONG article qu’il avait publié sur les réseaux de premier plan œuvrant à la défense des sociaux, dans lequel il accusait des agents droits des personnes LGBTI, et a empêché des services de sécurité et des instances un rassemblement pacifique pro-LGBTI de se chargées de l’application des lois d’être tenir à Yogyakarta4. Le même mois, la impliqués dans des affaires de corruption et Commission indonésienne de l’audiovisuel a de trafic de stupéfiants. Les accusations à publié une lettre recommandant à toutes les l’encontre de cet homme ont été chaînes de télévision et stations de radio suspendues1. En août, Pospera, une d’interdire les programmes faisant la organisation favorable au parti au pouvoir, a promotion des activités LGBTI, dans le but porté plainte au pénal pour diffamation « protéger les enfants ». contre I Wayan Suardana, un défenseur des Toujours en février, alors que les discours droits humains de Bali, au titre de la Loi ITE. anti-LGBTI s’intensifiaient, l’école islamique Cette plainte a été déposée après qu’I Wayan Al Fatah pour les personnes transgenres, à Suardana a utilisé Twitter pour tourner en Yogyakarta, a été forcée de fermer après dérision les partisans d’un projet de avoir fait l’objet de menaces et de réhabilitation à grande échelle lancé par un manœuvres d’intimidation de la part du Front promoteur privé à Benoa Bay, dans le sud de islamique djihadiste. En juin, le Bali2. La police était toujours en train gouvernement a voté contre une résolution d’instruire l’affaire à la fin de l’année. Au du Conseil des droits de l’homme [ONU] moins 11 autres militants ont été dénoncés à proposant de nommer un expert indépendant la police par des acteurs étatiques ou non sur la protection contre la violence et la étatiques pour diffamation au titre de la discrimination en raison de l’orientation Loi ITE, pour avoir critiqué des politiques sexuelle et de l’identité de genre, et a réitéré gouvernementales. ce vote à l’Assemblée générale des Nations Entre avril et septembre, au moins unies en novembre. 2 200 militants papous ont été arrêtés pour avoir participé à des manifestations LIBERTÉ DE RELIGION ET DE pacifiques à Djayapura, Merauke, Fakfak, CONVICTION Sorong et Wamena, dans les provinces de Des lois discriminatoires ont cette année Papouasie et de Papouasie occidentale, à encore été utilisées pour limiter les activités Semarang dans la province de Java central, à de membres de minorités religieuses, qui Makassar dans la province de Sulawesi-Sud, faisaient l’objet de harcèlement, de

230 Amnesty International — Rapport 2016/17 manœuvres d’intimidation et d’agressions. En veiller à « l’harmonie et l’unité nationales ». janvier, une foule a incendié neuf maisons Les victimes et les ONG se sont inquiétées de appartenant à des membres du mouvement ce que ce processus risquait d’accorder la Gafatar dans le district de Menpawah priorité à la réconciliation au détriment de la (province de Kalimantan-Ouest). Après ces vérité et de la justice. Les autorités ont cette attaques, au moins 2 000 personnes ont été année encore empêché ou interdit des déplacées contre leur gré par les forces de activités liées aux violations de 1965-1966, sécurité locales vers des centres d’accueil notamment la projection d’un film et un temporaires dans le district de Kubu Raya et festival culturel7. la ville de Pontianak, dans la province de Les autorités ont pris quelques mesures Kalimantan-Ouest, avant d’être transférées limitées en réponse aux graves violations des vers plusieurs lieux sur l’île de Java sans droits humains constatées dans le pays. En consultation préalable. mars, la Commission nationale des droits En février, le ministre des Affaires humains a conclu ses enquêtes sur les religieuses, le procureur général et le ministre violations des droits humains commises de l’Intérieur ont publié le décret ministériel en 2003 par les forces de sécurité dans le conjoint n° 93/2016 interdisant le courant village de Jambo Keupok (district de l’Aceh- religieux Millah Abraham, dont les adeptes Sud). Elle a estimé qu’il existait suffisamment sont d’anciens membres du mouvement d’éléments de preuve pour conclure que des Gafatar5. crimes contre l’humanité, tels que définis par Des membres de la communauté la Loi n° 26/2000 sur les tribunaux des droits ahmadie, dont les enseignements sont humains, avaient été perpétrés. La considérés comme « déviants » par le Commission est arrivée à des conclusions gouvernement, ont été intimidés et menacés similaires en juin en ce qui concerne des à plusieurs endroits6. En février, au moins violations commises par les forces de 12 membres de cette communauté ont été sécurité en 1999 à Simpang KKA (sous- contraints de quitter leurs domiciles sur l’île district de Dewantara, district de l’Aceh- de Bangka, au large de la côte est de Nord). Aucune enquête pénale n’avait été Sumatra, après avoir été victimes d’actes ouverte ni aucune poursuite engagée à la fin d’intimidation de la part d’un groupe d’au de l’année. moins 100 habitants. Ces personnes étaient En juillet, le Parlement de l’Aceh a désigné menacées d’expulsion depuis janvier, date à sept commissaires pour la Commission vérité laquelle le gouvernement du district de et réconciliation de la province, qui doit Bangka leur avait ordonné de se convertir à mener ses travaux entre 2016 et 2020. Cette l’islam sunnite majoritaire ou de quitter le commission a été mise en place pour district. Les autorités locales leur ont permis examiner les circonstances qui ont mené aux de rentrer chez elles après trois semaines, atteintes commises pendant le conflit ayant face à la pression nationale et internationale. opposé les forces de sécurité indonésiennes et le Mouvement pour l’Aceh libre, IMPUNITÉ principalement entre 1989 et 2004. En avril, le gouvernement a organisé un En septembre, le président Joko Widodo colloque sur les violations massives des droits s’est publiquement engagé à résoudre humains perpétrées en 1965 et 1966. Cet l’affaire du défenseur des droits humains événement a rassemblé des survivants de Munir Said Thalib. En octobre, la ces atteintes, des universitaires, des militants Commission d’information publique a jugé et des artistes, ainsi que des représentants que les conclusions de l’enquête de 2005 sur de l’armée et du gouvernement. En octobre, le meurtre de Munir Said Thalib, qui faisaient le gouvernement a annoncé qu’il allait offrir semble-t-il état de l’implication de hauts des réparations pour ces violations, au responsables des services de renseignement, moyen de mesures non judiciaires, afin de devaient être rendues publiques. Le

Amnesty International — Rapport 2016/17 231 gouvernement a déposé un recours contre armes à mauvais escient », à l’issue d’une cette décision. audience disciplinaire interne. Quatre d’entre eux ont purgé une peine de 21 jours de POLICE ET FORCES DE SÉCURITÉ prison et un autre a été condamné à un an Des informations continuaient de faire état d’emprisonnement pour ces coups de feu. d’un recours injustifié ou excessif à la force En octobre, des membres du par la police et l’armée, notamment 501e bataillon d’infanterie de Madiun ont l’utilisation d’armes à feu, ainsi que de attaqué un journaliste de NET TV qui couvrait l’absence de mécanisme indépendant, une rixe entre les membres d’une unité efficace et impartial destiné à enquêter sur militaire et un groupe de personnes les atteintes perpétrées par les forces de pratiquant des arts martiaux à Madiun sécurité. Il était rare que des enquêtes (province de Java oriental). Ils l’ont frappé, pénales soient ouvertes sur les violations des ont détruit la carte mémoire de son appareil droits humains commises par la police, et les photo et l’ont menacé de s’en prendre à lui quelques tentatives d’amener les s’il signalait ces événements. Bien que le responsables présumés à rendre des chef d’état-major des forces armées se soit comptes, principalement à travers des engagé à enquêter sur cette attaque, mécanismes disciplinaires internes, ont privé personne n’avait été amené à rendre des de nombreuses victimes de justice et de comptes à la fin de l’année. réparations. Les responsables de la mort de quatre hommes en décembre 2014 n’avaient PRISONNIERS D’OPINION toujours pas eu à rendre compte de leurs Au moins 38 prisonniers d’opinion étaient actes. Ces quatre hommes avaient été tués toujours en détention, pour nombre d’entre lorsque des policiers et des militaires avaient eux en raison de leurs activités militantes ouvert le feu sur un groupe de manifestants pacifiques en Papouasie et dans l’archipel dans le district de Paniai, en Papouasie. des Moluques. L’administration pénitentiaire L’enquête ouverte en mars par la Commission a retardé l’accès à des soins adaptés et nationale des droits humains n’a pas gratuits pour Johan Teterissa et Ruben Saiya, progressé. qui souffraient de problèmes de santé En avril, le chef de la police nationale chroniques. Les deux hommes faisaient indonésienne a confirmé qu’un homme partie d’un groupe d’au moins neuf soupçonné de terrorisme était mort après prisonniers d’opinion des Moluques détenus avoir été attaqué et frappé par des membres à Java, à plus de 2 500 kilomètres de leur du Détachement spécial 88, une unité famille et de leurs amis. Steven Itlay, antiterroriste. En mai, deux membres de emprisonné à Timika, en Papouasie, était cette unité ont fait l’objet de sanctions dans un état de santé précaire en raison des administratives après une audience interne mauvaises conditions de détention, et ses de la police. contacts avec sa famille et son avocat étaient En août, des agents de la brigade de limités8. police mobile (Brimob) ont abattu un En mai, trois dirigeants du groupe religieux adolescent papou à Sugapa, dans la région Millah Abraham ont été arrêtés et incarcérés d’Intan Jaya, en Papouasie. Otianus par la police nationale indonésienne ; ils ont Sondegau et quatre autres personnes avaient été inculpés de « blasphème » au titre de formé un barrage routier pour demander de l’article 156a du Code pénal et de l’argent et des cigarettes aux personnes « rébellion » au titre de ses articles 107 circulant sur cette route. La police a essayé et 110. de lever ce barrage par la force et a tiré sur les cinq adolescents, qui ont alors lancé des pierres sur les policiers. Cinq policiers ont été déclarés coupables d’avoir « utilisé leurs

232 Amnesty International — Rapport 2016/17 membres refuseraient d’administrer les TORTURE ET AUTRES MAUVAIS castrations. TRAITEMENTS Cette année encore, des informations ont fait PEINE DE MORT état de torture et d’autres mauvais En juillet, un Indonésien et trois étrangers ont traitements. En septembre, Asep Sunandar été exécutés. L’appel de trois d’entre eux était est mort alors qu’il était détenu par la police à encore en cours lors de leur exécution. Dix Cianjur, dans la province de Java occidental. autres détenus qui avaient été transférés sur Il avait été arrêté avec deux autres personnes l’île de Nusa Kambangan, où ont eu lieu les par trois policiers de Cianjur, qui n’ont pas exécutions, se sont vu accorder un sursis de présenté de mandat. Il avait été conduit dans dernière minute afin que leur affaire soit un lieu tenu secret, à la suite de quoi sa mort réexaminée. avait été annoncée. Ses proches ont déclaré que, lorsqu’ils se sont rendus à l’hôpital, ils 1. Indonésie. L’enquête pour diffamation est suspendue ont constaté que son corps portait plusieurs (ASA 21/4734/2016) blessures par balle et que ses mains étaient 2. Indonésie. Un défenseur des droits humains attaqué en diffamation toujours attachées dans son dos. Aucune (ASA 21/4833/2016) enquête n’a semble-t-il été menée sur les 3. Indonésie. Halte aux arrestations de masse et à la répression des circonstances de sa mort. manifestations pacifiques (ASA 21/3948/2016) 4. Indonésie. Halte aux propos incendiaires et discriminatoires qui Châtiments cruels, inhumains ou dégradants mettent en danger les personnes LGBTI (ASA 21/3648/2016) La fustigation était utilisée comme sanction 5. Indonésie. Les autorités doivent abroger un décret ministériel au titre de la charia (loi islamique) en Aceh discriminatoire envers une minorité religieuse (ASA 21/3787/2016) pour plusieurs infractions, notamment la 6. Indonésie. Des membres d’une minorité religieuse expulsés de force vente d’alcool, les relations sexuelles (ASA 21/3409/2016) consenties en dehors du mariage et le fait 7. Indonesia: President must not undermine efforts to seek truth, justice d’être seul(e) avec une personne du sexe and reparation (ASA 21/3671/2016) opposé autre que son conjoint ou un 8. Indonésie. Un militant papou détenu dans de mauvaises conditions membre de sa famille. Au moins (ASA 21/4085/2016) 100 personnes ont subi ce châtiment au 9. Indonésie. Il faut mettre fin aux peines de fustigation dans la province de l’Aceh (ASA 21/3853/2016) cours de l’année. La loi a été appliquée à des personnes non musulmanes pour la première fois en avril, lorsqu’une femme chrétienne a reçu 28 coups de badine pour avoir vendu IRAK de l’alcool9. En octobre, la Chambre des représentants République d’Irak a ratifié la Loi réglementaire gouvernementale Chef de l’État : Fouad Maassoum (Perppu) n° 1/2016 portant modification de Chef du gouvernement : Haider al Abadi la Loi n° 23/2002 relative à la protection des mineurs. Les nouvelles dispositions Dans le cadre du conflit armé interne, les imposaient une castration chimique forcée forces gouvernementales, les milices comme sanction supplémentaire aux paramilitaires et le groupe armé État personnes condamnées pour des violences islamique (EI) ont commis des crimes de sexuelles contre des personnes âgées de guerre ainsi que d’autres violations du droit moins de 18 ans. D’après le texte révisé, la international humanitaire et atteintes castration chimique serait administrée au flagrantes aux droits humains. Les délinquant pendant une période pouvant combattants de l’EI ont perpétré des aller jusqu’à deux ans après que celui-ci a homicides s’apparentant à des exécutions fini de purger sa peine de prison. L’Ordre des contre ceux qui s’opposaient à leur contrôle médecins indonésiens a annoncé que ses et contre des civils qui fuyaient les

Amnesty International — Rapport 2016/17 233 territoires dont ils s’étaient emparés. Ils ont certains types de crimes, par exemple les violé et soumis à d’autres actes de torture actes de terrorisme ayant entraîné la mort ou des femmes qu’ils avaient capturées, se des séquelles permanentes, mais prévoyait sont servis de civils comme boucliers que les personnes déclarées coupables aux humains et ont utilisé des enfants soldats. termes de la Loi antiterroriste, entre autres Des membres de milices ont exécuté lois, dans des affaires où la décision du sommairement, soumis à des disparitions tribunal reposait sur des « aveux » extorqués forcées et torturé des civils qui fuyaient le sous la « contrainte » auraient droit à un conflit, et ont détruit des habitations, entre réexamen judiciaire de leur condamnation. autres biens civils. Des milliers de Des manifestants antigouvernementaux personnes soupçonnées de liens avec l’EI qui réclamaient une réforme des institutions ont été maintenues en détention sans et la fin de la corruption ont pénétré à deux jugement. Le recours à la torture restait très reprises dans la Zone verte hautement courant en détention. Des tribunaux ont protégée de la capitale, Bagdad, où siège le condamné à mort, le plus souvent à l’issue gouvernement. La seconde fois, le 20 mai, de procès inéquitables, des individus les forces gouvernementales ont utilisé du soupçonnés d’actes de terrorisme. Les gaz lacrymogène et tiré des balles en exécutions se sont poursuivies à un rythme caoutchouc et des grenades assourdissantes soutenu. pour disperser les protestataires, ce qui a causé la mort de quatre personnes. Les CONTEXTE autorités ont annoncé l’ouverture d’une Le conflit armé s’est poursuivi entre les enquête, mais elles n’ont fourni aucune combattants de l’EI, d’une part, et les forces information sur ses résultats ni sur gouvernementales, les milices paramilitaires d’éventuelles poursuites. Un projet de loi et les peshmergas (forces armées kurdes) restreignant le droit à la liberté de réunion soutenus par les frappes aériennes de la pacifique, soumis au Parlement pour examen coalition internationale dirigée par les États- en juillet, a finalement été retiré après avoir Unis, d’autre part. L’EI, qui contrôlait des soulevé un tollé. zones du nord-ouest et de l’ouest de l’Irak, a Les derniers exilés politiques iraniens, qui perdu d’importants territoires au cours de résidaient au Camp Liberté à Bagdad, ont été l’année, notamment Falloujah en juin, Al réinstallés en dehors de l’Irak à la fin de Qayyara en août et Sharqat en septembre. septembre. Le camp avait été la cible, le Les opérations militaires pour la reconquête 4 juillet, de tirs de roquettes qui avaient fait de Mossoul, le principal bastion restant de des blessés et causé des dommages l’EI, se poursuivaient à la fin de l’année. matériels. Selon les Nations unies, 6 878 civils ont trouvé la mort et 12 388 autres ont été CONFLIT ARMÉ INTERNE – VIOLATIONS blessés au cours de l’année à la suite du COMMISES PAR LES FORCES conflit armé, d’attentats à la voiture piégée et GOUVERNEMENTALES ET LES MILICES d’autres actes de violence. Les forces gouvernementales et les milices En vertu de l’ordonnance 91 émise en paramilitaires ont commis des crimes de février par le Premier ministre Haider al guerre ainsi que d’autres violations du droit Abadi, et d'une loi adoptée en novembre par international humanitaire et du droit le Parlement, les Unités de mobilisation international relatif aux droits humains, dont populaire créées en juin 2014 et composées les victimes ont été essentiellement des essentiellement de milices chiites ont été membres de la communauté arabe sunnite. désignées comme « formation militaire Elles se sont rendues responsables faisant partie des forces armées irakiennes ». d’exécutions extrajudiciaires, entre autres Le Parlement a adopté en août la Loi homicides illégaux, d’actes de torture et de d’amnistie générale. Le texte ne couvrait pas la disparition forcée de centaines d’hommes

234 Amnesty International — Rapport 2016/17 et de garçons ; elles ont délibérément détruit discrimination ou visant délibérément des des habitations et des biens. civils, dont un certain nombre ont été tués ou À la suite d’un attentat-suicide perpétré le blessés. Les attaques ont été menées dans 11 janvier à Muqdadiya, au cours duquel des marchés très fréquentés, dans des 27 hommes ont été blessés et 41 autres tués, sanctuaires chiites et dans d’autres lieux des membres de milices ont mené des publics, l’EI prenant principalement pour attaques à titre de vengeance contre des cible des lieux situés dans Bagdad. sunnites. Ils ont enlevé et tué des dizaines Selon des responsables et des d’hommes et ont incendié et détruit des informations relayées par les médias, une mosquées sunnites, ainsi que des magasins série d’attaques conduites en mai, pour et d’autres biens. l'essentiel dans les quartiers à majorité chiite Le 3 juin, des membres des Unités de de Bagdad, a fait 150 morts et 214 blessés, mobilisation populaire ont enlevé quelque des civils pour la plupart. 1 300 hommes et garçons qui fuyaient Dans les zones dont ils s’étaient emparés, Saqlawiya, au nord de Falloujah. Trois jours les combattants de l'EI ont perpétré des plus tard, 605 hommes portant des traces de homicides s'apparentant à des exécutions de torture ont réapparu ; on ignorait tout du sort personnes considérées comme s’opposant à de 643 autres. Une commission d’enquête leur contrôle ou soupçonnées de désignée par le gouverneur d’Al Anbar a collaboration avec les forces conclu que 49 d’entre eux avaient été gouvernementales. Ils ont procédé à des tués par balle, brûlés vifs ou torturés à mort. enlèvements, notamment de civils, et Au moins 12 hommes et quatre garçons qui torturaient systématiquement ceux qu’ils fuyaient Al Sijir, au nord de Falloujah, ont été avaient capturés. L’EI imposait un code de sommairement exécutés le 30 mai. Le comportement draconien et réprimait Premier ministre Haider al Abadi a nommé sévèrement toute infraction. Ses une commission chargée d’enquêter sur ces « tribunaux » autoproclamés prononçaient atrocités, mais aucun résultat n'a été rendu des peines de lapidation pour « adultère » public et les autorités n'ont fait état d'aucune et des peines de flagellation, entre autres procédure pénale engagée contre les châtiments corporels, contre les personnes responsables présumés. qui fumaient ou ne respectaient pas le code Tant les Unités de mobilisation populaire vestimentaire ou d’autres règles imposées que les milices de la Mobilisation tribale par le groupe. Des restrictions sévères composées de combattants sunnites auraient pesaient sur l’utilisation du téléphone et recruté des enfants et les auraient utilisés d’Internet ainsi que sur la liberté de dans les combats contre l’EI. mouvement des femmes. L'EI empêchait les Les autorités n’ont pris aucune mesure civils de fuir les régions sous son contrôle et pour faire la lumière sur le sort de plusieurs utilisait certains d’entre eux comme boucliers milliers d’hommes et de garçons arabes humains. Ses combattants tiraient sur ceux sunnites victimes de disparition forcée après qui tentaient de fuir, ils détruisaient leurs avoir été capturés les années précédentes biens et se vengeaient sur leurs proches par des membres des milices et des forces laissés sur place. Le groupe armé gouvernementales à leur domicile, à des endoctrinait des garçons qu’il recrutait, y postes de contrôle ou dans des camps de compris des yézidis faits prisonniers, et qu’il personnes déplacées. utilisait pour les combats et les attentats- suicides. En octobre, l’EI a utilisé des armes EXACTIONS PERPÉTRÉES PAR DES chimiques pour attaquer la ville d’Al Qayyara, GROUPES ARMÉS qui avait été reconquise par les forces Les combattants de l’EI ont commis des irakiennes ; des civils ont été brûlés et ont attentats-suicides et d’autres attaques subi d’autres blessures. meurtrières dans tout le pays, sans

Amnesty International — Rapport 2016/17 235 certains cas dans des conditions équivalant à VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ET une disparition forcée, dans des locaux AUX FILLES dépendant des ministères de l’Intérieur et de Les femmes et les filles étaient victimes de la Défense ou dans des prisons secrètes, où discrimination dans la législation et dans la elles ont été interrogées par des membres pratique ; elles n’étaient pas suffisamment des services de sécurité sans qu'un avocat protégées contre les violences sexuelles et ne soit présent. À la fin de l’année, plusieurs autres violences liées au genre. Quelque milliers de personnes étaient maintenues en 3 500 Yézidies enlevées en Irak étaient détention sans avoir été présentées à une toujours retenues par l’EI en Irak et en Syrie. autorité judiciaire ni renvoyées devant un Elles étaient réduites en esclavage et tribunal pour être jugées. subissaient des viols, des coups et d'autres actes de torture. Celles qui réussissaient à TORTURE ET AUTRES MAUVAIS s’échapper ou étaient libérées après le TRAITEMENTS paiement d’une rançon par leur famille ne La torture et les mauvais traitements restaient bénéficiaient pas d’une aide psychologique et courants dans les prisons et les centres de matérielle adéquate ; plusieurs se sont détention dépendant des ministères de suicidées ou ont tenté de se suicider. l’Intérieur et de la Défense ainsi que dans des lieux aux mains de milices. Des détenus ARRESTATIONS ET DÉTENTIONS ont déclaré qu’ils avaient été frappés à la tête ARBITRAIRES et sur le corps à coups de barre de fer et de Tous les hommes considérés en âge de câble ou suspendus par les bras ou les combattre (c'est-à-dire peu ou prou âgés de jambes dans des positions douloureuses ; 15 à 65 ans) qui fuyaient des zones sous le certains ont reçu des décharges électriques contrôle de l’EI étaient soumis à un et ont indiqué qu’on avait menacé de violer processus de vérification par les forces de les femmes de leur famille. Les actes de sécurité dans des lieux de détention torture avaient manifestement pour but de improvisés ou des centres d’accueil leur arracher des « aveux », d’obtenir des temporaires, où ils étaient détenus pendant informations ou de les punir. Plusieurs plusieurs jours, voire plusieurs mois, dans détenus sont morts des suites de torture. des conditions épouvantables. Ceux En octobre, des combattants de la soupçonnés d’actes de terrorisme étaient Mobilisation tribale ont humilié publiquement remis aux services de sécurité, notamment la et frappé à coups de câble métallique des Direction de lutte contre la criminalité ou la villageois du sud de Mossoul soupçonnés de Direction de lutte contre le terrorisme, ou liens avec l’EI, contre lesquels ils ont bien au Service des renseignements également utilisé des armes à impulsion généraux du ministère de l’Intérieur, dans les électrique. locaux desquels ils risquaient d’être torturés et de subir d’autres formes de mauvais PROCÈS INÉQUITABLES traitements ; ils étaient le plus souvent privés Le système de justice pénale comportait du droit de communiquer avec leurs proches toujours de graves lacunes et les procès et de consulter un avocat. étaient systématiquement inéquitables. Les Les forces de sécurité et les milices ont accusés, en particulier ceux soupçonnés arrêté sans mandat judiciaire à leur domicile, d’actes de terrorisme, étaient régulièrement à des postes de contrôle ou dans des camps privés du droit à une défense effective, du de déplacés des personnes soupçonnées droit de ne pas témoigner contre soi-même d'actes de terrorisme, sans les informer, ni ou de ne pas s’avouer coupable, et du droit informer leur famille, des charges retenues de procéder à un contre-interrogatoire des contre elles. Beaucoup ont été maintenues témoins de l'accusation. Les tribunaux en détention prolongée au secret, dans continuaient de retenir à titre d'élément à

236 Amnesty International — Rapport 2016/17 charge des « aveux » obtenus sous la torture l’EI n’ont pas été autorisés à rentrer dans leur sans ordonner d'enquête sur les allégations foyer ; les logements de certains d’entre eux de torture formulées par les accusés ni ont été délibérément détruits ou saisis. Les d’examen médicolégal. Des prisonniers peshmergas et d’autres forces de sécurité déclarés coupables à l’issue de procès kurdes ont également empêché le retour inéquitables ont été condamnés à mort. dans leur foyer de dizaines de milliers d’Arabes qui vivaient dans des zones RÉFUGIÉS ET PERSONNES DÉPLACÉES contrôlées par le gouvernement régional Plus de 3,1 millions de personnes étaient du Kurdistan et avaient été déplacés par déplacées à l'intérieur du pays. Elles avaient le conflit. trouvé refuge au sein de la population ou dans des camps pour déplacés, des LIBERTÉ D’EXPRESSION – campements informels et des bâtiments en PROFESSIONNELS DES MÉDIAS construction. Beaucoup étaient démunies et Les journalistes travaillaient dans des vivaient dans des conditions misérables, et conditions dangereuses et parfois les organismes humanitaires ont signalé un meurtrières ; certains ont signalé avoir été important écart entre le financement agressés, enlevés, intimidés, harcelés et nécessaire et les fonds internationaux menacés de mort parce qu’ils avaient traité effectivement apportés. Des milliers de de sujets considérés comme sensibles, personnes ont franchi la frontière pour notamment la corruption et les atteintes aux trouver refuge en Syrie. droits humains imputables aux milices. Les autorités irakiennes et celles du Saif Talal et Hassan al Anbaki, qui gouvernement régional de la région semi- travaillaient pour la chaîne de télévision Al autonome du Kurdistan imposaient des Sharkia, ont été abattus le 12 janvier dans le restrictions arbitraires et discriminatoires à la nord-ouest de la province de Diyala alors liberté de mouvement des déplacés arabes qu’ils venaient de faire un reportage sur un sunnites. Des dizaines de milliers de attentat-suicide commis à Muqdadiya et sur personnes étaient empêchées de quitter les des attaques menées en représailles par des camps et n’avaient pas accès au marché du membres de milices contre des Arabes travail ni aux services essentiels parce sunnites. La chaîne de télévision a accusé qu’elles n’avaient pas de parrainage local et des membres de milices non identifiés, mais ne pouvaient donc pas obtenir l’autorisation les autorités n’ont conduit aucune enquête officielle requise pour entrer dans les villes. sérieuse sur ces homicides. Des dizaines de milliers de personnes En avril, la Commission des déplacées ont pu rentrer chez elles dans les communications et des médias a fermé le régions que les forces gouvernementales et bureau de Bagdad de la chaîne Al Jazeera, leurs alliés avaient reprises à l’EI, notamment qu’elle a accusée d’« incitation à la violence les villes de Ramadi et de Falloujah, après et au confessionalisme ». En mars, les avoir subi de très lourds contrôles de autorités ont fermé les bureaux en Irak de la sécurité. Toutefois, plusieurs dizaines de chaîne de télévision Al Baghdadia, milliers d’Arabes sunnites originaires de prétendument parce qu’elle fonctionnait zones reprises à l’EI dans les provinces de illégalement sans autorisation. Cette chaîne, Babel, de Diyala et de Salahuddin ont été qui avait diffusé des reportages sur la empêchés de rentrer chez eux, en raison à la corruption du gouvernement et les fois de procédures bureaucratiques manifestations en faveur des réformes, avait fastidieuses et d'actes d’intimidation été fermée à plusieurs reprises au cours des imputables aux milices et comprenant des dernières années. enlèvements, des placements en détention arbitraire et des exécutions extrajudiciaires. Des proches de combattants présumés de

Amnesty International — Rapport 2016/17 237 Bassema Darwish, une femme yézidie qui RÉGION DU KURDISTAN avait été capturée par l’EI puis arrêtée en Des professionnels des médias, des militants octobre 2014 à Zummar après la reprise par et des responsables politiques qui les peshmergas de cette ville tenue par le critiquaient le Parti démocratique du groupe armé, était toujours détenue sans Kurdistan (PDK, au pouvoir) ont été harcelés procès à Erbil à la fin de l’année. Elle était et menacés ; certains ont été expulsés de la accusée de complicité dans le meurtre de province d’Erbil. Les homicides de trois membres des peshmergas, mais les journalistes et d'autres détracteurs et autorités la privaient du droit de consulter un opposants présumés des autorités kurdes avocat de son choix. Aucune enquête commis les années précédentes n'avaient indépendante n’avait été menée sur les toujours pas fait l'objet d'enquêtes. allégations selon lesquelles des responsables Le 13 août, les proches de Wedad Hussein de la Direction de la sûreté générale à Dohuk Ali, un journaliste qui travaillait pour une l’avaient torturée après son arrestation. publication considérée comme favorable au Cette année encore, les tribunaux de la Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), ont région du Kurdistan ont prononcé des récupéré son corps. Il présentait des lésions condamnations à mort pour des infractions indiquant qu’il avait été torturé, et liées au terrorisme ; aucune exécution n’a notamment des lacérations profondes à la eu lieu. tête. Des témoins ont déclaré à la famille de cet homme qu’il avait été retrouvé vivant plus PEINE DE MORT tôt dans la journée dans un village situé à Les tribunaux ont prononcé des dizaines de l’ouest de Dohuk, après avoir été enlevé dans condamnations à mort par pendaison, et de la rue sous la menace d’une arme par des très nombreuses exécutions ont eu lieu. La hommes non identifiés. Les proches de pression politique et publique exercée sur les Wedad Hussein Ali et ses collègues ont autorités pour qu’elles exécutent des affirmé qu’il avait été interrogé « terroristes » s'est accrue à la suite d'un précédemment par les asayesh (forces de attentat-suicide perpétré le 2 juillet dans le sécurité) à Dohuk et avait reçu des menaces quartier de Karrada, à Bagdad, qui a fait près de mort. Les autorités ont annoncé de 300 morts, des civils pour la plupart. Un l’ouverture d’une enquête deux jours après chef de milice a menacé de tuer des l’homicide de cet homme. Aucun résultat condamnés à mort détenus dans la prison de n’avait été rendu public à la fin de l’année. Nassiriyah si le gouvernement ne faisait rien. Les asayesh et d’autres forces kurdes ont Le 12 juillet, le président Fouad Maassoum a placé en détention des milliers de personnes promulgué une loi modifiant le Code de soupçonnées d’actes de terrorisme, des procédure pénale et limitant la possibilité de hommes et des garçons arabes sunnites pour solliciter un nouveau procès, ce qui avait la plupart. Souvent ces prisonniers étaient pour but d’accélérer les exécutions. présentés très tardivement à une autorité Le gouvernement a annoncé le 21 août judiciaire, étaient privés des visites de leur l'exécution, après ratification par le président famille pendant de longues périodes et Maassoum de leurs sentences capitales, de subissaient d’autres irrégularités de 36 hommes déclarés coupables de procédure. En octobre, les autorités du participation au massacre par des gouvernement régional du Kurdistan ont combattants de l’EI en juin 2014 de quelque déclaré que l’Asayesh Ghishti (Direction de la 1 700 recrues chiites au camp sûreté générale) et la branche de ce service à d’entraînement militaire de Speicher. Ils Erbil avaient arrêté 2 801 personnes avaient été condamnés à l’issue d’un procès soupçonnées d’actes de terrorisme depuis le qui n’avait duré que quelques heures et avait début de l’année. été entaché de violations du droit à un procès équitable. Le tribunal n’avait, entre autres,

238 Amnesty International — Rapport 2016/17 pas ordonné d'enquête sérieuse sur les allégations des accusés qui affirmaient que SURVEILLANCE INTERNATIONALE les « aveux » recueillis dans la période Le Comité des droits de l’enfant [ONU] a précédant le procès leur avaient été arrachés examiné les troisième et quatrième rapports sous la torture. périodiques de l’Iran. Il a critiqué la persistance des exécutions de mineurs délinquants ainsi que l’impact des exécutions publiques sur la santé mentale des enfants IRAN qui y assistent. Le Comité a également République islamique d’Iran déploré la discrimination dont continuent de Chef de l’État [Guide] : Ali Khamenei faire l’objet les filles, les enfants appartenant Chef du gouvernement [Président] : Hassan Rouhani à des minorités religieuses ou ethniques et les mineurs LGBTI, ainsi que l’âge précoce Les autorités ont imposé des restrictions de la responsabilité pénale, en particulier sévères à la liberté d’expression, pour les filles. d’association, de réunion pacifique et de conviction religieuse. Des détracteurs LIBERTÉ D’EXPRESSION, pacifiques du gouvernement, entre autres, D’ASSOCIATION ET DE RÉUNION ont été arrêtés et emprisonnés à l’issue de Le gouvernement a renforcé les restrictions procès iniques devant des tribunaux pesant sur la liberté d’expression, révolutionnaires. Le recours à la torture et à d’association et de réunion pacifique. Des d’autres formes de mauvais traitements détracteurs non violents du gouvernement infligés aux détenus est resté répandu, en ont été arrêtés de manière arbitraire et toute impunité. Des peines de flagellation emprisonnés sur la base d’accusations et d’amputation, entre autres châtiments vagues liées à la sécurité nationale. Parmi les cruels, ont continué d’être appliquées. Les personnes prises pour cible figuraient des membres des minorités religieuses et défenseurs des droits humains, des ethniques étaient en butte à la journalistes, des avocats, des blogueurs, des discrimination et à des persécutions. Les étudiants, des syndicalistes, des cinéastes, femmes et les filles étaient victimes de des musiciens, des poètes, des défenseurs violence généralisée et de discrimination. des droits des femmes ou des minorités La peine de mort a été largement ethniques et religieuses, ainsi que des appliquée ; des centaines d’exécutions ont militants écologistes et des partisans de eu lieu, dans certains cas en public. Au l'abolition de la peine de mort. moins deux mineurs délinquants ont été À la fin de l'année, de nombreux exécutés. prisonniers d'opinion ont entrepris des grèves de la faim pour protester contre le caractère CONTEXTE injuste de leur incarcération, dénonçant les En mars, le Conseil des droits de l’homme abus du système judiciaire iranien. [ONU] a renouvelé le mandat du rapporteur Les autorités ont intensifié leur répression spécial sur la situation des droits de l’homme à l'encontre des défenseurs des droits en République islamique d’Iran. Le humains, dont certains ont été condamnés à gouvernement a continué de refuser aux de longues peines d’emprisonnement en titulaires successifs de ce mandat, de même raison de leurs activités pacifiques. Les qu’à d’autres experts des Nations unies, tribunaux ont cité de plus en plus souvent, l’autorisation de se rendre dans le pays. comme preuve d'un militantisme « criminel » Le gouvernement et l’Union européenne considéré comme une menace pour la ont discuté de la relance du dialogue bilatéral sécurité nationale, la critique de la situation sur les droits humains. des droits humains en Iran sur les réseaux sociaux et la communication avec des

Amnesty International — Rapport 2016/17 239 mécanismes internationaux des droits sans succès, à honorer l’engagement pris humains, et particulièrement le rapporteur durant la campagne électorale de 2013 de spécial sur l’Iran [ONU] et des organisations lever sa suspension. Quatre-vingt-douze de défense des droits humains basées à groupes étudiants ont instamment prié le l’étranger, dont Amnesty International. président de libérer les universités de Les autorités ont également réprimé l’emprise de la peur et de la répression. Les l’expression musicale, perturbant et annulant autorités n’ont pas autorisé le Syndicat des par la force des concerts, dont certains enseignants iraniens à renouveler sa licence avaient été autorisés par le ministère de la et elles ont condamné plusieurs de ses Culture et de l’Orientation islamique. Elles ont membres à de longues peines de prison par ailleurs pris des mesures répressives à pour, entre autres chefs d’inculpation, l'encontre d'activités comme les soirées « appartenance à un groupe illégal ». mixtes, jugées « socialement perverses » ou Cette année encore, des manifestations « non islamiques ». Des centaines de pacifiques ont été réprimées et des participants à de telles soirées ont été manifestants ont été battus et arrêtés de arrêtés, et beaucoup ont été condamnés à manière arbitraire. De nombreuses des peines de flagellation. personnes étaient toujours sous le coup Mir Hossein Mousavi et son épouse Zahra d'une inculpation pour « rassemblement et Rahnavard, ainsi que Mehdi Karroubi, entente contre la sécurité nationale » après personnalités de l’opposition, étaient toujours avoir participé à des manifestations assignés à résidence sans inculpation depuis pacifiques. 2011. Ils ont subi de fréquentes intrusions Une nouvelle Loi relative aux crimes extrêmes dans leur vie privée et ne politiques, adoptée en janvier et entrée en bénéficiaient pas de soins de santé adéquats. vigueur en juin, érigeait en infraction pénale Cette année encore, tous les médias ont toute forme d’expression jugée « contraire à été censurés, des programmes de télévisions la gestion du pays, à ses institutions étrangères par satellite ont été brouillés, des politiques et à sa politique intérieure et journaux, dont Bahar et Ghanoun, ont été étrangère » et « visant à réformer les affaires suspendus, et le magazine Zanan-e Emrooz, du pays sans intention de nuire à la base du spécialisé dans les droits des femmes, a été système ». contraint d’interrompre sa publication. En février, une décision de justice a ajouté TORTURE ET AUTRES MAUVAIS WhatsApp, Line et Tango à la liste des TRAITEMENTS réseaux sociaux bloqués, sur laquelle Le recours à la torture et aux autres mauvais figuraient déjà Facebook et Twitter. L’unité de traitements est resté répandu, en particulier cybercriminalité des gardiens de la révolution durant les interrogatoires, essentiellement a bloqué ou fermé plusieurs centaines de pour contraindre les détenus à faire des comptes Telegram et Instagram. Elle a par « aveux ». Les personnes détenues par le ailleurs arrêté ou convoqué aux fins ministère du Renseignement et par les d’interrogatoire les administrateurs de plus gardiens de la révolution étaient de 450 groupes et canaux Telegram, régulièrement soumises à de longues WhatsApp et Instagram, dont plusieurs périodes d’isolement, ce qui s’apparentait à centaines de stylistes et d’employés de de la torture. boutiques de mode, dans le cadre d’une Les autorités n’ouvraient jamais opération de répression massive des activités d’enquêtes sur les allégations de torture et sur les réseaux sociaux considérées comme d’autres formes de mauvais traitements. Au « menaçant la sécurité morale ». contraire, elles menaçaient parfois les L’Association des journalistes iraniens, plaignants de leur faire subir d’autres actes suspendue, a adressé une lettre ouverte au de torture, ou de les condamner à des peines président Hassan Rouhani pour l’exhorter, sévères. Cette année encore, des juges ont

240 Amnesty International — Rapport 2016/17 retenu à titre de preuve à charge des consommaient de l’alcool ». Il a ajouté qu’ils « aveux » obtenus sous la torture, en violation avaient été déclarés coupables dans les des dispositions du Code de procédure 24 heures qui ont suivi de s’être livrés à des pénale de 2015 déclarant non recevables les actes « incompatibles avec la chasteté, qui déclarations recueillies dans ces conditions. avaient troublé l’opinion publique ». Ils ont Ce Code n’établissait pas la procédure que reçu les 99 coups de fouet auxquels ils les juges et les procureurs devaient suivre avaient été condamnés le jour même à la pour enquêter sur les allégations de torture et suite d’une audience d’un tribunal spécial. pour s’assurer que les aveux avaient été faits Dans la province de l’Azerbaïdjan de volontairement. D’autres dispositions du l’Ouest, les autorités ont infligé des peines Code de procédure pénale, comme celle qui comprises entre 30 et 100 coups de fouet à garantit aux détenus le droit de consulter un 17 mineurs qui avaient protesté contre leurs avocat dès le moment de leur interpellation et conditions de travail et des licenciements à la au cours de l’enquête, étaient souvent mine d’or d’Agh Darreh en 2014. En juin, un ignorées dans la pratique, ce qui favorisait le tribunal pénal de la province de Yazd a recours à la torture. condamné neuf autres mineurs à des peines Les autorités judiciaires, et tout allant de 30 à 50 coups de fouet. particulièrement les services du procureur, En juillet, une cour d’appel a condamné ainsi que les autorités pénitentiaires, privaient Mohammad Reza Fathi, journaliste et souvent les prisonniers politiques, dont blogueur, à 459 coups de fouet pour avoir certains étaient des prisonniers d’opinion, de « publié des mensonges » et « suscité un l’accès à des soins médicaux adaptés à leur malaise dans l’esprit du public » à travers état. Ce traitement avait le plus souvent pour ses écrits. but de punir les prisonniers ou de les En novembre, un homme a été rendu contraindre à faire des « aveux ». aveugle à Téhéran à titre de réparation pour En juin, Nader Dastanpour est mort en avoir aveuglé une fillette de quatre ans en détention à la suite de blessures qui, selon juin 2009. Plusieurs autres prisonniers, dont ses proches, résultaient d'actes de torture qui Mojtaba Yasaveli et Hossein Zareyian, lui avaient été infligés dans un poste de risquaient toujours d’être rendus aveugles. police de Téhéran. Aucune enquête Des médecins liés à l’Organisation de indépendante n’a, semble-t-il, été diligentée. médecine légale d’Iran, organisme officiel, ont donné à la Cour suprême un avis Châtiments cruels, inhumains ou dégradants d’« experts » sur la manière dont l’application Les autorités judiciaires ont continué de des condamnations à l’énucléation était prononcer et d’appliquer des châtiments médicalement faisable, en violation des cruels, inhumains ou dégradants qui principes de l’éthique médicale. s’apparentaient à de la torture, tels que la En avril, les autorités judiciaires de la flagellation, l’amputation et l’énucléation. Ces prison centrale de Meched ont amputé un peines ont parfois été infligées en public. homme condamné pour vol à main armée de En avril, le procureur de Golpayegan quatre doigts de la main droite ainsi que des (province d’Ispahan) a annoncé qu’un orteils du pied gauche. Ces mêmes autorités homme et une femme déclarés coupables ont amputé les doigts d’un autre homme d’avoir « entretenu une relation illicite » condamné en mai pour vol qualifié. En août, avaient été condamnés à une peine de un responsable du pouvoir judiciaire de 100 coups de fouet chacun. Téhéran a annoncé que plusieurs hommes En mai, le procureur de la province de condamnés à l’amputation de quatre doigts Qazvin a annoncé que les autorités avaient d’une main avaient interjeté appel de la arrêté 35 jeunes hommes et femmes qui sentence. En décembre, les autorités « dansaient et se mêlaient lors d’une fête de judiciaires de la prison centrale d'Ourmia ont remise de diplômes […] à moitié nus et [qui] amputé deux frères, qui avaient été

Amnesty International — Rapport 2016/17 241 condamnés pour vol à main armée, de leur famille, leur avocat et des représentants quatre doigts de la main droite. diplomatiques. Ces détenus avaient été condamnés à de longues peines PROCÈS INÉQUITABLES d’emprisonnement sur la base d’accusations Les procès, y compris ceux aboutissant à une vagues comme la « collaboration avec un condamnation à mort, étaient généralement gouvernement hostile » à l’issue de procès iniques. Le pouvoir judiciaire n’était pas iniques devant des tribunaux indépendant. Les tribunaux révolutionnaires révolutionnaires. Les autorités les accusaient et le Tribunal spécial pour le clergé restaient de faire partie d’un « projet d’infiltration » particulièrement sensibles à l'ingérence des orchestré par l’étranger et qui visait à un services de sécurité et de renseignement, qui « renversement en douceur » de la exerçaient des pressions pour que les République islamique. En réalité, ces accusés soient déclarés coupables et condamnations semblaient résulter de leur condamnés à de lourdes peines. exercice pacifique des droits à la liberté Les représentants de l’État qui exerçaient d’expression et d’association. des pouvoirs judiciaires, notamment les agents du ministère du Renseignement et les LIBERTÉ DE RELIGION ET DE gardiens de la révolution, bafouaient CONVICTION systématiquement les garanties d’une Les membres des minorités religieuses, à procédure régulière contenues dans le Code savoir les baha’is, les soufis, les yarsans (ou de procédure pénale de 2015. Citons Gens de la vérité) et les musulmans convertis notamment les dispositions protégeant le au christianisme et sunnites, étaient droit d’être assisté d’un avocat dès le confrontés à la discrimination dans la loi et moment de l’arrestation et durant l’enquête dans la pratique, notamment dans le et le droit de garder le silence. Les avocats de domaine de l’éducation, de l’emploi et de la défense se voyaient le plus souvent refuser l’héritage. Le fait de pratiquer leur foi les l’accès à l’ensemble du dossier de leur client exposait à des persécutions. et n’étaient autorisés à le rencontrer que peu Les autorités, qui se livraient à de la de temps avant le procès. Les prévenus propagande haineuse contre les baha’is et étaient souvent maintenus à l’isolement toléraient des crimes de haine commis contre pendant de longues périodes et n'avaient que ce groupe en toute impunité, ont emprisonné peu, voire pas, de possibilité d’entrer en beaucoup d’entre eux sur la base de fausses contact avec leurs proches ou leur avocat. accusations liées à la sécurité nationale, Des « aveux » obtenus sous la torture étaient formulées à leur encontre pour le simple fait retenus à titre de preuve lors des procès. Le d'avoir pratiqué pacifiquement leurs plus souvent, les juges ne rendaient pas de croyances religieuses. Aucune enquête n'a jugements motivés et les décisions de justice été ouverte sur les allégations de torture n’étaient pas accessibles au public. infligées à 24 baha’is dans la province du Les services du parquet utilisaient Golestan. Les autorités ont fermé par la force l’article 48 du Code de procédure pénale des dizaines d’entreprises appartenant à des pour empêcher les détenus de consulter baha’is et ont emprisonné des étudiants l’avocat de leur choix, en leur disant que baha’is qui leur reprochaient publiquement celui-ci ne figurait pas sur la liste des avocats de les empêcher d’accéder à l’enseignement reconnus par le responsable du pouvoir supérieur. judiciaire, alors qu’aucune liste officielle Plusieurs dizaines de musulmans n’avait été rendue publique. convertis au christianisme ont été Plusieurs étrangers et Iraniens possédant emprisonnés à la suite de descentes dans une double nationalité étaient détenus à la des églises à domicile, où ils s’étaient prison d’Evin, à Téhéran. Ils n’étaient que rassemblés pacifiquement pour pratiquer rarement, voire jamais, autorisés à rencontrer leur culte. Des lieux considérés comme

242 Amnesty International — Rapport 2016/17 sacrés par les baha’is, les sunnites et les de la répression exercée par les autorités à yarsans, dont des cimetières et des lieux de l'égard des expressions de la culture arabe, culte, ont été détruits par des hommes qui notamment de la tenue vestimentaire et de semblaient liés aux forces de sécurité. la poésie. Le maître spirituel Mohammad Ali Taheri a Cette année encore, les forces de sécurité été maintenu à l’isolement dans le ont réprimé des manifestations de membres quartier 2A de la prison d’Evin bien qu'il ait de minorités ethniques. En juillet et en août, fini, en février, de purger la peine de cinq ans plusieurs Azéris ont été arrêtés à la suite de d’emprisonnement à laquelle il avait été manifestations généralement pacifiques qui condamné pour « outrage aux valeurs ont eu lieu dans plusieurs villes pour sacrées de l’islam » parce qu’il avait fondé le protester contre un article paru dans le groupe spirituel Erfan-e Halgheh. Cette journal Tarheh No et jugé offensant par la année encore, plusieurs de ses disciples ont communauté azérie. Des manifestants ont été arrêtés arbitrairement et emprisonnés. également été frappés par des policiers. Il était toujours interdit aux groupes DISCRIMINATION – MINORITÉS ethniques minoritaires d’utiliser leur langue ETHNIQUES comme support d’enseignement dans les Les groupes ethniques défavorisés – Arabes écoles primaires. Le gouvernement a ahwazis, Azéris, Baloutches, Kurdes et annoncé en juin que des cours facultatifs de Turkmènes – étaient toujours victimes d’une turc et de kurde seraient proposés dans les discrimination systématique, tout provinces du Kurdistan et de l’Azerbaïdjan de particulièrement en matière d’emploi, de l’Ouest ; les modalités de mise en œuvre de logement, d’accès aux fonctions politiques et cette mesure demeuraient cependant floues. d’exercice de leurs droits culturels, civils et Des membres de la minorité turkmène ont politiques. L'état d'abandon économique appelé publiquement le président Hassan dans lequel les autorités laissaient les régions Rouhani à leur accorder la même dérogation. où vivaient des minorités ethniques ne faisait qu'accroître la pauvreté et la marginalisation DROITS DES FEMMES de celles-ci. Les autorités ont repris leur répression contre Les membres de minorités ethniques qui les défenseurs des droits des femmes, dénonçaient les violations de leurs droits assimilant de plus en plus toute initiative politiques, culturels et linguistiques risquaient collective en lien avec le féminisme et les d'être arrêtés de façon arbitraire, torturés et droits des femmes à une activité criminelle. maltraités, emprisonnés à l'issue de procès Des militantes des droits des femmes qui manifestement iniques et, dans certains cas, avaient fait campagne en faveur d’une condamnés à mort. meilleure représentation des femmes lors des Plusieurs dizaines de Kurdes auraient été élections législatives de février ont été arrêtés sans mandat en raison de leurs liens, soumises par les gardiens de la révolution à réels ou supposés, avec le Parti des interrogatoires prolongés et oppressifs, et démocratique du Kurdistan d’Iran (PDKI), qui ont été menacées d'emprisonnement sur la a repris en mars son opposition armée au base d’accusations liées à la sécurité gouvernement iranien. De très nombreux nationale. Kurdes purgeaient des peines Les femmes étaient toujours en butte à d’emprisonnement ou étaient sous le coup une discrimination systématique dans la d’une condamnation à mort parce qu’ils législation et dans la pratique, notamment en étaient membres ou sympathisants de matière de divorce, d’emploi, d’héritage et groupes kurdes d’opposition interdits d’accès aux fonctions politiques, ainsi qu’en Des Arabes ahwazis ont été emprisonnés droit pénal. et victimes de torture et d’autres atteintes à Plusieurs projets de loi susceptibles de leurs droits fondamentaux. Ils se plaignaient porter encore davantage atteinte aux droits

Amnesty International — Rapport 2016/17 243 des femmes dans le domaine de la santé La majorité des suppliciés avaient été sexuelle et reproductive étaient toujours en condamnés pour des infractions à la instance. L'accès aux moyens de législation sur les stupéfiants, qui ne contraception modernes et abordables relevaient pas des « crimes les plus graves » demeurait très restreint, les autorités n’ayant au regard du droit international relatif aux pas rétabli le budget du programme public droits humains. La Cour suprême a statué de planification familiale supprimé en 2012. que les personnes condamnées pour des En septembre, le guide suprême Ali infractions liées aux stupéfiants avant Khamenei a rendu publique une politique l’adoption du Code de procédure pénale de familiale nationale prônant le mariage 2015 avaient le droit d’interjeter appel ; de précoce, les grossesses répétées, la nombreux prisonniers sous le coup d’une diminution du nombre de divorces et un plus sentence capitale n’avaient toutefois pas grand respect des rôles « traditionnels » des connaissance de ce droit. D’autres avaient femmes comme femmes au foyer et des été déclarés coupable de meurtre ou de hommes comme soutiens de famille. Cette crimes définis de manière vague comme politique faisait craindre que les femmes « l’inimitié à l’égard de Dieu ». victimes de violence domestique ne soient Après l'exécution groupée de 25 hommes encore plus marginalisées et qu’elles ne sunnites en août, les autorités ont diffusé des fassent davantage l’objet de pressions les vidéos montrant leurs « aveux » forcés, poussant à accepter de se « réconcilier » semble-t-il pour diaboliser ces hommes et avec les auteurs des violences et de rester détourner l'attention des graves irrégularités dans une relation conjugale violente. qui avaient entaché leur procès. Au moins Les femmes et les filles n’étaient toujours deux hommes déclarés coupables pas suffisamment protégées contre les d’« outrage au prophète » ont été condamnés violences liées au genre – sexuelles et à la peine de mort, en violation de leurs droits autres –, telles que le mariage précoce et à la vie et à la liberté d’expression, de forcé. Les autorités n’ont adopté aucune loi conviction et de religion. érigeant en infractions pénales ces pratiques, Au moins 78 mineurs délinquants étaient pas plus que d’autres formes de violence toujours sous le coup d’une sentence telles que le viol conjugal et les violences au capitale. Parmi eux, 15 faisaient l'objet d'une sein de la famille, bien que la vice-présidente première condamnation à mort en vertu des chargée des femmes et des affaires familiales nouvelles directives sur la condamnation de ait appuyé un avant-projet de loi en instance mineurs figurant dans le Code pénal depuis 2012. islamique de 2013, tandis que d'autres Les lois sur le port obligatoire du voile avaient été de nouveau condamnés à la (hijab), qui bafouaient les droits des femmes peine capitale après avoir bénéficié d’un à l’égalité, au respect de la vie privée et à la deuxième procès. liberté d’expression, de conviction et de Amnesty International est en mesure de religion, permettaient toujours à la police et confirmer l’exécution de deux mineurs aux forces paramilitaires de harceler les délinquants, dont Hassan Afshar ; le nombre femmes, de leur infliger des violences et de réel pourrait être beaucoup plus élevé. les emprisonner. Le Code pénal islamique prévoyait toujours la lapidation parmi les méthodes d’exécution. PEINE DE MORT Une femme au moins, Fariba Khaleghi, était Cette année encore, la peine de mort a été toujours sous le coup d’une condamnation à largement appliquée, y compris à des mort par lapidation. mineurs délinquants. Plusieurs centaines Certaines pratiques sexuelles entre d’exécutions ont eu lieu, dans certains cas en personnes de même sexe consentantes public, à l’issue de procès inéquitables. demeuraient passibles de la peine de mort.

244 Amnesty International — Rapport 2016/17 atteint d’une malformation mortelle. Le IRLANDE Comité a jugé que les souffrances de cette femme étaient aggravées par la réprobation République d’Irlande sociale dont elle était l'objet en raison de la Chef de l’État : Michael D. Higgins criminalisation de l’avortement. Le Chef du gouvernement : Enda Kenny 30 novembre, le gouvernement a accepté d'accorder une indemnisation et une prise en L’interruption de grossesse et la fourniture charge psychologique à la requérante, de renseignements à son sujet étant Amanda Mellet. toujours érigées en infractions pénales, Une assemblée citoyenne, constituée de l’accès à l’avortement et aux informations le 99 personnes sélectionnées aléatoirement et concernant restait extrêmement limité. Les mise en place par les pouvoirs publics pour droits des gens du voyage à un logement formuler des recommandations sur la convenable étaient bafoués. Les réforme constitutionnelle, notamment sur hébergements mis à la disposition des l’avortement, a tenu ses premières réunions demandeurs d’asile au titre du système de en octobre et en novembre. « prise en charge directe » demeuraient un motif de préoccupation. DROITS EN MATIÈRE DE LOGEMENT En janvier, le gouvernement a soumis le droit DROITS SEXUELS ET REPRODUCTIFS au logement à l’attention d’une commission En février, le Comité des droits de l’enfant parlementaire, satisfaisant ainsi partiellement [ONU] a relevé avec préoccupation que la loi à la recommandation formulée en 2014 par n’autorisait l’avortement que lorsque la la Convention constitutionnelle qu’il avait lui- grossesse constituait un « risque réel et même mise en place. Il a toutefois décidé de sérieux » pour la vie de l’adolescente ne pas confier à cette commission l’examen enceinte et qu’elle privait les médecins de la dans son intégralité de la recommandation possibilité de fournir des services conformes de la Convention constitutionnelle, qui aux pratiques médicales objectives. Le préconisait une modification de la Comité a engagé l’Irlande à dépénaliser Constitution pour y intégrer les droits l’interruption de grossesse dans tous les cas économiques, sociaux et culturels. Cette et à revoir sa législation afin de garantir décision est intervenue alors que, en 2015, le l’accès des mineures à l’avortement pratiqué Comité des droits économiques, sociaux et dans de bonnes conditions et à des soins culturels [ONU] avait à nouveau après avortement. Il a également constaté recommandé au gouvernement de prendre qu’il n’y avait « quasiment pas de cours toutes les mesures qui s’imposaient pour d’éducation à la santé sexuelle et garantir l’applicabilité directe des dispositions reproductive ni de contraception d’urgence du PIDESC, et notamment d’incorporer ce pour les adolescents ». texte dans son droit interne. Dans l’affaire Mellet c. Irlande, le Comité La pénurie de logements sociaux et de des droits de l’homme [ONU] a estimé en logements à louer dans le secteur privé juin que la législation irlandaise relative à contribuait à faire perdurer le problème des l’interruption de grossesse était contraire au sans-abri. Le Comité des droits de l’enfant droit d’une femme de ne pas subir de s’est dit vivement préoccupé par les traitement inhumain ou dégradant et de ne informations selon lesquelles les familles pas faire l’objet de discrimination ou sans-abri devaient attendre longtemps pour d’immixtions dans sa vie privée. La bénéficier d'un logement social et vivaient requérante avait dû se rendre au Royaume- souvent pendant une longue période dans Uni pour se faire avorter alors qu’elle était en des logements inappropriés, provisoires ou proie à d’« intenses souffrances physiques et d’urgence. mentales » car le fœtus qu’elle portait était

Amnesty International — Rapport 2016/17 245 « prise en charge directe » demeuraient DISCRIMINATION préoccupantes. Les recommandations visant Roms et gens du voyage à améliorer ces conditions, formulées dans Dans l’affaire Centre européen pour les droits un rapport remis en 2015 par un groupe de des Roms c. Irlande, le Comité européen des travail mis en place par le gouvernement, droits sociaux a conclu en mai que les gens n’étaient que lentement appliquées, ce qui du voyage étaient exposés à une violation de constituait toujours un sujet d’inquiétude. Le leur droit à une protection sociale, juridique Comité des droits de l’enfant a quant à lui et économique, en raison de l’insuffisance de déploré, entre autres, l’absence de services l’offre d’hébergement, de la médiocrité de appropriés de protection de l’enfance, un nombreuses aires d'accueil et de l’absence accès insuffisant à l’éducation et le manque de garanties satisfaisantes en cas de menace de vêtements et de nourriture adaptés. d’expulsion ou pendant les opérations d’expulsion. Réinstallation et relocalisation Le Comité des droits de l’enfant [ONU] Le ministère de la Justice et de l'Égalité a s’est inquiété de la discrimination structurelle confirmé que seuls 240 des dont faisaient l’objet les enfants roms et les 2 622 demandeurs d’asile que l’Irlande avait enfants appartenant à la communauté des accepté d’accueillir au titre de la gens du voyage, notamment en ce qui relocalisation dans l’UE en 2015 étaient concerne l’accès à l’éducation, à la santé et à arrivés sur son sol à la fin de l'année. En un niveau de vie suffisant. revanche, sur les 520 réfugiés syriens convenus, 519 avaient été réinstallés depuis Travailleuses et travailleurs du sexe le Moyen-Orient. L’Irlande s’est engagée en Un projet de loi émanant du gouvernement et juillet à réinstaller 260 autres réfugiés venant érigeant en infraction l’achat de services du Liban. sexuels ne tenait pas suffisamment compte des besoins et des opinions des travailleuses Expulsion au nom de la sécurité nationale et travailleurs du sexe, ni des faits constatés En juillet, les autorités ont expulsé un homme un peu partout dans le monde indiquant que vers la Jordanie, estimant qu’il représentait la criminalisation isolait et marginalisait une menace pour la sécurité nationale car il davantage ces personnes, compromettait leur aurait organisé et facilité les déplacements de sécurité et bafouait leurs droits humains. Ce personnes souhaitant rejoindre le groupe texte ne dépénalisait pas complètement la armé État islamique (EI). Cet homme risquait vente de services sexuels, mais maintenait de subir des actes de torture et d'autres voire alourdissait les sanctions encourues mauvais traitements en Jordanie. Les pour vagabondage et tenue de maison close, requêtes introduites par cet homme auprès accusations souvent portées contre les de tribunaux irlandais et de la Cour travailleuses et travailleurs du sexe. européenne des droits de l’homme ont été rejetées1. DROITS DES RÉFUGIÉS ET DES DEMANDEURS D’ASILE 1. Irlande. Une expulsion vers la Jordanie risquerait de saper le principe Des dispositions de la loi de 2015 établissant de l’interdiction absolue de la torture (nouvelle, 6 juillet) une procédure unique d’examen des demandes de reconnaissance du statut de réfugié et des demandes d’autres formes de protection sont entrées en vigueur le 31 décembre. Les conditions de vie précaires dans les centres d’hébergement prévus pour les demandeurs d’asile au titre du système de

246 Amnesty International — Rapport 2016/17 communauté internationale pour relancer les ISRAËL ET négociations israélo-palestiniennes n’ont pas abouti, le gouvernement israélien continuant de soutenir l’expansion des colonies illégales TERRITOIRES sur des territoires qu’il occupait. Le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté en PALESTINIENS décembre une résolution appelant Israël à arrêter toutes ses activités de peuplement en OCCUPÉS Cisjordanie. Le gouvernement a annoncé en juin la État d’Israël conclusion d’un accord de réconciliation Chef de l’État : Reuven Rivlin entre la Turquie et Israël, qui s’est traduit par Chef du gouvernement : Benjamin Netanyahou la reprise des relations diplomatiques entre les deux pays. Israël a accepté d’indemniser En Israël et dans les territoires palestiniens les familles des citoyens turcs tués par les occupés, les forces israéliennes ont tué forces israéliennes en 2010 lors de illégalement des civils palestiniens, dont l’abordage du Mavi Marmara, un bateau qui des enfants, et ont arrêté plusieurs milliers transportait de l’aide humanitaire. de Palestiniens qui s’opposaient à la En septembre, le gouvernement des poursuite de l’occupation militaire États Unis a accepté d’augmenter son aide israélienne. Plusieurs centaines de militaire à Israël et de lui octroyer personnes ont été placées en détention 3,8 milliards de dollars par an pendant administrative. Des actes de torture et 10 ans à partir de 2019. d’autres mauvais traitements étaient Au cours de l’année, des Palestiniens ont régulièrement infligés aux détenus, en toute tiré et mené des attaques à l’arme blanche impunité. Les autorités ont continué de ou à la voiture-bélier, entre autres, contre des promouvoir les colonies illégales en Israéliens en Cisjordanie et en Israël. Ces Cisjordanie, cherchant notamment à attaques, pour la plupart menées par des « régulariser » des colonies construites sur personnes qui n’étaient pas membres de des terres appartenant à des Palestiniens. groupes armés, ont coûté la vie à Elles ont imposé des restrictions sévères à 16 Israéliens et à un étranger, la liberté de circulation des Palestiniens en essentiellement des civils. Les forces fermant certaines zones à la suite israéliennes ont tué 110 Palestiniens et deux d’attaques menées par des Palestiniens étrangers au cours de l’année. Certains ont contre des Israéliens. Israël a maintenu le été victimes d’homicides illégaux alors qu’ils blocus militaire de la bande de Gaza, ne représentaient pas une menace pour la imposant une sanction collective aux vie d’autrui. 1,9 million d’habitants. Les autorités ont Des groupes armés palestiniens à Gaza continué de procéder à des expulsions ont tiré sporadiquement des roquettes et des forcées et à des démolitions d’habitations obus de mortier sans discernement en palestiniennes en Cisjordanie et dans les direction d’Israël ; aucune personne n’a été villages bédouins du Néguev/Naqab. Elles tuée ou grièvement blessée. Israël a répondu ont emprisonné des objecteurs de par des frappes aériennes et des tirs conscience et ont placé en détention et d’artillerie qui ont causé la mort de trois civils expulsé des milliers de demandeurs d’asile palestiniens, dont deux enfants, à Gaza. africains. CONTEXTE Les relations entre Israéliens et Palestiniens sont restées tendues. Les efforts de la

Amnesty International — Rapport 2016/17 247 ont bouclé des villages et des secteurs DROIT DE CIRCULER LIBREMENT – entiers. BLOCUS DE GAZA ET RESTRICTIONS EN CISJORDANIE ARRESTATIONS ET DÉTENTIONS Le blocus militaire israélien de la bande de ARBITRAIRES Gaza est entré dans sa 10e année, imposant Des milliers de Palestiniens vivant dans les une sanction collective à toute la population territoires occupés ont été arrêtés ou de Gaza. Les contrôles israéliens visant les maintenus en détention, la plupart dans des personnes et les biens entrant à Gaza et en prisons situées en territoire israélien, ce qui sortant, auxquels s’ajoutaient la fermeture constituait une violation du droit international. quasi totale par l’Égypte du point de passage De nombreuses familles de prisonniers, tout de Rafah et le manque de financements, particulièrement celles de Gaza, n’étaient pas nuisaient à l’économie de Gaza et entravaient autorisées à entrer en Israël pour rendre la reconstruction après le conflit. Quelque visite à leurs proches. Cette année encore, 51 000 personnes étaient toujours déplacées plusieurs centaines d’enfants ont été arrêtés à la suite du conflit de 2014 et des civils ont en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est. continué d’être tués ou blessés par des Beaucoup ont été maltraités par des munitions utilisées pendant ce conflit et qui membres des forces israéliennes, et n’avaient pas explosé à l’impact. Le nombre notamment battus et menacés. de Palestiniens quittant Gaza par le point de Des centaines de Palestiniens, y compris passage d’Erez a diminué au cours de des enfants, étaient maintenus en détention l’année à cause du refus ou de l’annulation en vertu d’ordres de détention administrative de permis de voyage, ou du retard avec renouvelables émis sur la base d’informations lequel les autorités israéliennes les qui n’étaient pas communiquées au détenu accordaient aux hommes d’affaires, au ni à son avocat. Le nombre de personnes personnel des organisations internationales détenues depuis octobre 2015 en vertu de ainsi qu’aux malades et à leurs tels ordres était le plus élevé depuis 2007 ; accompagnateurs. on en dénombrait au moins 694 à la fin Les forces israéliennes continuaient d’avril 2016 (dernier mois pour lequel des d’imposer une « zone-tampon » à l’intérieur données fiables étaient disponibles). Des de la frontière de Gaza avec Israël ; elles ont détenus ont observé des grèves de la faim tiré à balles réelles et utilisé d’autres armes prolongées à titre de protestation. Bilal Kayed contre des Palestiniens qui y avaient pénétré a fait la grève de la faim pendant 71 jours ; il ou s’en étaient approchés. Quatre personnes a été libéré en décembre sans avoir été ont ainsi été tuées et plusieurs autres ont été inculpé. Après 90 jours de jeûne, Anas blessées. Elles faisaient également feu sur les Shadid et Ahmad Abu Farah ont cessé leur pêcheurs palestiniens qui entraient dans la mouvement le 22 décembre. « zone d’exclusion » imposée le long de la Trois juifs israéliens qui avaient été placés côte de Gaza ou qui s’en approchaient. en détention administrative ont été libérés. En Cisjordanie, les autorités israéliennes Les autorités ont prolongé de six mois limitaient strictement la liberté de circulation supplémentaires à deux reprises – en juin et des Palestiniens, de manière discriminatoire, en décembre – la détention administrative de particulièrement aux alentours des colonies l’artiste de cirque Mohammed Faisal Abu israéliennes illégales et à proximité du mur/ Sakha, sur la base de preuves secrètes. Un barrière. En réponse aux attaques premier ordre de détention administrative palestiniennes contre des Israéliens, les pour une durée de six mois lui avait été autorités militaires ont imposé des sanctions notifié en décembre 2015. collectives : elles ont annulé les permis de Les Palestiniens de Cisjordanie qui étaient travail en Israël de proches des agresseurs et inculpés d’infractions liées à des mouvements de protestation, entre autres,

248 Amnesty International — Rapport 2016/17 comparaissaient devant des tribunaux incorporé dans son droit interne le principe militaires appliquant une procédure de l’interdiction absolue de la torture. Les inéquitable. Les tribunaux civils israéliens qui responsables israéliens ont fait observer que jugeaient des Palestiniens de Gaza le ministère de la Justice travaillait à prononçaient des peines sévères, même pour l’élaboration d’un projet de loi visant à ériger des délits mineurs. la torture en infraction, mais ce texte n’avait Mohammed al Halabi, un travailleur toutefois pas été soumis à la Knesset humanitaire basé à Gaza, a été soumis à des (Parlement israélien) à la fin de l’année. interrogatoires intensifs pendant trois La Haute Cour a confirmé en septembre la semaines après son arrestation, en juin, sans validité d’une loi de 2015 autorisant être autorisé à consulter son avocat. Cet l’alimentation de force des détenus en grève homme a été inculpé en août de de la faim ; cette loi n’a pas été utilisée détournement de fonds de l’association en 2016. caritative World Vision au profit du Hamas, le gouvernement de facto à Gaza. World Vision HOMICIDES ILLÉGAUX a déclaré ne pas avoir remarqué de faits Durant l’année, des soldats, des policiers et sérieux susceptibles d’étayer cette des agents de sécurité israéliens ont tué au accusation. moins 98 Palestiniens des territoires palestiniens occupés en Cisjordanie, y TORTURE ET AUTRES MAUVAIS compris à Jérusalem-Est, huit dans la bande TRAITEMENTS de Gaza et trois en Israël. Un citoyen Des membres de l’armée, de la police et de palestinien d’Israël responsable de la mort de l’Agence israélienne de sécurité ont continué trois Israéliens à Tel Aviv le 1er janvier a en de torturer et maltraiter les détenus outre été tué en Israël par la police palestiniens, y compris les enfants, israélienne. La plupart des Palestiniens tués particulièrement au moment de leur ont été abattus alors qu’ils attaquaient des interpellation et pendant les interrogatoires, Israéliens ou qu’ils étaient soupçonnés de et ce en toute impunité. Parmi les méthodes vouloir mener de telles attaques. Certains, signalées figuraient les coups, les gifles, le dont des enfants, ont été tués dans des maintien sous entrave ou dans des positions circonstances où ils ne représentaient pas douloureuses, la privation de sommeil et les une menace imminente pour la vie d’autrui et menaces. Bien que des plaintes pour actes ont selon toute apparence été victimes de torture infligés par des agents de l’Agence d’homicides illégaux. israélienne de sécurité aient été traitées depuis 2014 par le ministère de la Justice et Exécutions extrajudiciaires que plus de 1 000 plaintes aient été Des Palestiniens ont semble-t-il été victimes enregistrées depuis 2001, les autorités d’exécutions extrajudiciaires. C’était n’avaient ouvert aucune enquête judiciaire. notamment le cas de Mahmoud Shaalan, Les plaintes selon lesquelles des membres 16 ans, abattu en février par des soldats de la police israélienne infligeaient des actes israéliens à un poste de contrôle de de torture et des mauvais traitements à des Ramallah ; de Mohammed Abu Khalaf, tué demandeurs d’asile et à des membres de la en février par des gardes-frontières à communauté éthiopienne en Israël étaient Jérusalem-Est ; et de Maram Abu Ismaïl et également fréquentes. de son frère âgé de 16 ans, Ibrahim, abattus Le Comité contre la torture [ONU], qui a en avril au poste de contrôle de Qalandia par examiné le cinquième rapport périodique des agents de sécurité privés employés par le d’Israël, a déploré les informations ministère israélien de la Défense. persistantes faisant état de torture et de mauvais traitements, ainsi que l’impunité et le fait que le gouvernement n’ait pas

Amnesty International — Rapport 2016/17 249 Issa Amro faisait également l’objet RECOURS EXCESSIF À LA FORCE d’inculpations liées à ses activités militantes Les forces israéliennes ont fait un usage pacifiques au cours des années précédentes. excessif de la force, dans certains cas Pendant des mois après qu’il eut filmé meurtrière, contre des manifestants l’exécution extrajudiciaire d’Abed al Fatah al palestiniens en Cisjordanie et dans la bande Sharif par un soldat israélien, le 24 mars à de Gaza, tuant 22 personnes et en blessant Hébron, Imad Abu Shamsiyeh, bénévole des milliers d’autres par des tirs de balles pour B’Tselem, a reçu des menaces de mort métalliques recouvertes de caoutchouc et de proférées par des Israéliens vivant dans des balles réelles. Dans de nombreux cas, les colonies illégales voisines. La police l’a manifestants jetaient des pierres ou d’autres éconduit et a menacé de l’arrêter quand il a projectiles, mais le plus souvent ils ne voulu déposer une plainte en août. menaçaient pas la vie des soldats israéliens, Des Palestiniens et des étrangers qui bien protégés, quand ils ont été abattus. aidaient des ONG spécialisées dans la défense des droits humains, comme Al Haq, LIBERTÉ D’EXPRESSION, dans leur action auprès de la Cour pénale D’ASSOCIATION ET DE RÉUNION internationale (CPI) ont reçu des menaces Les autorités ont eu recours à toute une série de mort. de mesures, en Israël et dans les territoires Un certain nombre d’organisations palestiniens occupés, à l’encontre des israéliennes de défense des droits humains défenseurs des droits humains qui ainsi que leur personnel, dont Breaking the dénonçaient la poursuite de l’occupation Silence, B’Tselem et Amnesty International israélienne des territoires palestiniens. Israël, ont été la cible d’une campagne Le 11 juillet, la Knesset a adopté la loi dite lancée par le gouvernement pour saper « Transparence », qui impose de nouvelles leur travail. obligations de déclaration aux organisations En mai, les autorités ont inculpé recevant plus de la moitié de leur Mordechai Vanunu, un ancien prisonnier financement de gouvernements étrangers – il d’opinion et lanceur d’alerte sur les s’agit dans la quasi-totalité des cas de problèmes nucléaires, d’infraction aux groupes de défense des droits humains ou restrictions sévères et arbitraires qui pesaient d’autres ONG critiques à l'égard du sur ses droits à la liberté d’expression et de gouvernement israélien. libre circulation. L’affaire était en instance à la Les autorités ont utilisé des ordonnances fin de l’année. militaires prohibant les manifestations non autorisées en Cisjordanie pour réprimer des DROITS EN MATIÈRE DE LOGEMENT – manifestations de Palestiniens et arrêter et EXPULSIONS FORCÉES ET inculper des protestataires et des défenseurs DÉMOLITIONS des droits humains. À la suite de la En Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est, manifestation organisée chaque année à les autorités israéliennes ont démoli Hébron le 26 février sous la bannière « Open 1 089 habitations et autres bâtiments Shuhada Street » (« Ouvrez la rue des construits sans permis israélien – soit un Martyrs »), les autorités ont engagé des nombre sans précédent de démolitions –, poursuites contre les défenseurs des droits expulsant de force au moins humains Issa Amro et Farid al Atrash, pour 1 593 personnes. Il était toujours avoir participé à une marche sans pratiquement impossible aux Palestiniens autorisation et pénétré dans une zone d’obtenir un permis de construire. Beaucoup militaire fermée. Selon toute apparence, ces de démolitions ont eu lieu dans des deux Palestiniens ont été inculpés pour des communautés bédouines et pastorales que faits relevant de l’exercice pacifique de leurs les autorités israéliennes voulaient déplacer droits à la liberté d’expression et de réunion. contre le gré des populations. Les familles de

250 Amnesty International — Rapport 2016/17 Palestiniens qui avaient mené des attaques forces israéliennes en Israël et dans les contre des Israéliens ont subi des sanctions territoires palestiniens occupés. collectives ; les autorités ont démoli ou rendu Les autorités ont poursuivi plusieurs colons inhabitables 25 maisons, expulsant ainsi de juifs qui avaient mené des attaques force les personnes qui y vivaient. meurtrières contre des Palestiniens. Deux Les autorités ont par ailleurs démoli des Israéliens ont été inculpés, en janvier, centaines d’habitations et d’autres d’incendie volontaire commis en juillet 2015 constructions palestiniennes en Israël, dans et ayant entraîné la mort de trois membres de la plupart des cas dans des villages bédouins la famille Dawabsheh, dont un enfant de du Néguev/Naqab, accusant les habitants de 18 mois. En mai, un tribunal de Jérusalem a les avoir construites sans permis. De déclaré Yosef Ben David coupable de nombreux villages étaient « non reconnus » l’enlèvement et du meurtre, en juillet 2014, officiellement. de Mohammed Abu Khdeir, un Palestinien de 16 ans, et l’a condamné à la réclusion à IMPUNITÉ perpétuité ainsi qu’à une peine Plus de deux ans après la fin du conflit de supplémentaire de 20 ans Gaza (2014) durant lequel quelque d’emprisonnement. 1 460 civils palestiniens avaient été tués, bon La procureure de la CPI a poursuivi son nombre d’entre eux dans des attaques examen préliminaire des allégations de manifestement illégales dont certaines crimes au regard du droit international constituaient des crimes de guerre, les perpétrés par les forces israéliennes et des autorités israéliennes n’avaient mis en groupes armés palestiniens depuis le 13 juin accusation que trois soldats, pour pillage et 2014. Le gouvernement israélien a autorisé obstruction au bon déroulement d’une une délégation de la CPI à se rendre en Israël enquête. En août, l’avocat général militaire a et en Cisjordanie en octobre. annoncé le classement de l’enquête dans 12 cas, bien que des éléments aient VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ET démontré que certains faits devaient faire AUX FILLES l’objet d’investigations en tant que crimes de De nouvelles informations ont fait état de guerre. Les enquêtes menées par l’armée violences faites aux femmes, tout israélienne n’étaient ni indépendantes ni particulièrement au sein de la population impartiales et elles ne rendaient pas justice palestinienne d’Israël. Selon des militants, au aux victimes. moins 21 femmes ont été tuées au cours de Dans un cas faisant figure d’exception, l’année par leur conjoint ou par un membre l’armée israélienne a ouvert une enquête qui de leur famille. Certaines auraient été tuées a débouché sur la mise en accusation et le par leur conjoint violent faute d’une jugement d’Elor Azaria, un soldat qui avait protection suffisante de la part de la police. été filmé en train d’exécuter de manière extrajudiciaire un Palestinien blessé à RÉFUGIÉS ET DEMANDEURS D’ASILE Hébron. Le verdict dans cette affaire devait Les demandeurs d’asile, dont plus de 90 % être rendu en janvier 2017. Dans la plupart étaient originaires d’Érythrée et du Soudan, des cas, les membres des forces israéliennes continuaient de se voir barrer l’accès dans un qui tuaient illégalement des Palestiniens délai raisonnable à une procédure équitable n’étaient pas amenés à rendre compte de de détermination du statut de réfugié. À la fin leurs actes. L’armée israélienne, le ministère de l’année, plus de 3 250 demandeurs de la Justice et la police n’ouvraient pas d’asile étaient maintenus en détention dans d’enquête, ou ne menaient pas le centre de Holot et dans la prison de d’investigations sérieuses, ou classaient les Saharonim, dans le désert du Néguev/ enquêtes ouvertes sur les allégations Naqab. d’homicides illégaux de Palestiniens par les

Amnesty International — Rapport 2016/17 251 Les statistiques du ministère de l’Intérieur précédemment pour avoir refusé d’effectuer faisaient état en octobre de plus de leur service militaire. 37 000 demandeurs d’asile érythréens et soudanais en Israël. Plus de 18 900 demandes d’asile étaient en instance, toujours selon les chiffres d’octobre. ITALIE La Knesset a adopté, en février, la République italienne quatrième version d’une modification de la Chef de l’État : Sergio Mattarella Loi relative à la lutte contre l’infiltration, qui Chef du gouvernement : Paolo Gentiloni (a remplacé permettait aux autorités de détenir des Matteo Renzi en décembre) demandeurs d’asile pendant une durée d’un an sans inculpation. Selon certaines sources, Plus de 4 500 réfugiés et migrants ont les conditions de vie dans les centres de trouvé la mort ou ont disparu en détention étaient très éprouvantes, en raison Méditerranée alors qu’ils tentaient de de l’insuffisance de nourriture et de soins rejoindre l’Italie, soit le chiffre le plus élevé médicaux, du manque d’hygiène et de la jamais enregistré ; plus de 181 000 sont surpopulation. arrivés dans le pays. La mise en œuvre par En septembre, un tribunal de Jérusalem les autorités italiennes de l’approche dite statuant sur les appels concernant la des « hotspots » ou « centres de crise » de détention a invalidé la politique l’UE, qui vise à repérer les réfugiés et à les gouvernementale de rejet automatique des séparer des autres migrants présumés en demandes d’asile de déserteurs érythréens ; situation irrégulière, a donné lieu à des cas des milliers de demandes avaient été rejetées de recours excessif à la force, de détention dans ce cadre. arbitraire et d’expulsions collectives. Les En juin, les autorités ont, pour la première Roms ont continué de faire l’objet d’une fois, accordé l’asile à un Soudanais. Elles ont discrimination en matière d’accès au toutefois continué de faire pression sur des logement. Plusieurs milliers d’entre eux milliers de demandeurs d’asile soudanais et vivaient dans des campements à l’écart du érythréens, notamment ceux retenus à Holot, reste de la population, et plusieurs pour qu’ils quittent Israël « volontairement ». centaines ont subi une expulsion forcée. Le Selon certaines sources, plus de 2 500 Parlement a adopté une loi instaurant une avaient accepté un départ « volontaire » à la union civile pour les couples de même sexe. fin de l’année. Le gouvernement a refusé de L’Italie n’a toujours pas inscrit le crime de fournir des détails sur les accords qui torture dans son Code pénal. auraient été conclus avec le Rwanda et l’Ouganda, et sur d’éventuelles dispositions DROITS DES RÉFUGIÉS ET DES garantissant que les demandeurs d’asile qui MIGRANTS avaient quitté Israël volontairement ne Plus de 4 500 personnes, selon les risquaient pas d’être victimes d’atteintes estimations, ont perdu la vie en Méditerranée graves à leurs droits fondamentaux, ce qui alors qu’elles tentaient de rejoindre l’Italie à constituerait une violation du principe de bord d’embarcations surpeuplées et « non-refoulement ». impropres à la navigation en mer. Il s’agissait du chiffre le plus élevé jamais enregistré. OBJECTEURS DE CONSCIENCE Plus de 181 000 réfugiés et migrants Au moins cinq objecteurs de conscience partis d’Afrique du Nord sont arrivés dans le israéliens ont été emprisonnés pour avoir pays, soit un peu plus que les années refusé d’effectuer leur service militaire. Parmi précédentes. La grande majorité d’entre eux eux figurait Tair Kaminer, incarcérée pendant sont partis de Libye et ont été secourus en près de six mois, soit plus longtemps que mer par des garde-côtes italiens et la marine toutes les autres femmes emprisonnées italienne, par la flotte d’autres pays, par des

252 Amnesty International — Rapport 2016/17 navires marchands et, de façon croissante, franchir la frontière faute d’argent ou de par des ONG. Plus de 25 700 d’entre eux papiers étaient confrontées au risque de étaient des enfants non accompagnés, ce violences ou d’exploitation. chiffre ayant plus que doublé par rapport à Les ressortissants de pays avec lesquels 2015. Les autorités ont eu des difficultés à l’Italie avait négocié des accords de assurer des conditions d’accueil conformes rapatriement ont continué d’être renvoyés de aux normes internationales. force dans leur pays d’origine, souvent La marine italienne a continué de diriger quelques jours seulement après avoir l’opération militaire de l’UE menée dans la débarqué. On pouvait donc craindre qu’ils partie sud de la Méditerranée centrale n’aient pas eu accès à une procédure d’asile (EUNAVFOR MED opération Sophia). En satisfaisante et qu’ils aient été expulsés sans octobre, dans le cadre de cette opération, que les risques encourus par chacun à son une formation a commencé à être dispensée retour n’aient été évalués, en violation de aux garde-côtes libyens, en dépit l’interdiction des expulsions collectives. d’informations faisant état de tirs dirigés vers En août, les forces de police italiennes et des embarcations transportant des réfugiés soudanaises ont signé un protocole d’accord et des migrants, et de cas de personnes visant à renforcer la coopération en matière secourues et renvoyées en Libye qui ont été de « gestion des migrations », notamment au soumises à une détention arbitraire et à la moyen de procédures de rapatriement torture. accélérées. Même si les personnes L’approche dite des « hotspots », ou demandant l’asile en Italie ne peuvent pas « centres de crise », adoptée par l’UE en être renvoyées au Soudan sur la base de cet 2015 dans le but d’accélérer l’identification accord, la procédure d’examen est tellement et le filtrage des réfugiés et des migrants au superficielle qu’elle pourrait aboutir au renvoi point d’arrivée, a continué d’être mise en au Soudan de personnes qui risquent d’y œuvre en Italie. Du fait des pressions subir des violations des droits humains, en exercées par l’UE pour que l’Italie relève les violation du principe de « non-refoulement ». empreintes de toutes les personnes Le 24 août, l’Italie a renvoyé au Soudan un débarquant sur ses côtes, les autorités groupe de 40 personnes, identifiées comme italiennes ont utilisé la détention arbitraire et étant des ressortissants soudanais, sur la une force excessive contre celles qui base de cet accord. Ces personnes, dont refusaient de coopérer. Plusieurs cas de certaines avaient fui la violence au Darfour, mauvais traitements ont également été ont été interrogées à leur arrivée au Soudan signalés. par le Service national de la sûreté et du Des personnes traumatisées et épuisées renseignement (NISS), qui est impliqué dans par leur voyage ont été interrogées à la hâte, de graves violations des droits humains sans avoir été correctement informées de perpétrées dans ce pays. leurs droits ni des conséquences juridiques À la fin de l’année, on dénombrait dans les de leurs déclarations, par des policiers centres d’accueil du pays plus de n’ayant pas reçu de formation leur 176 500 personnes, la plupart d’entre elles permettant de déterminer quelles étaient les se trouvant dans des centres d’urgence. La personnes ayant besoin d’une protection. répartition dans le pays des demandeurs Des milliers de personnes qui n’ont pas été d’asile continuait de se heurter à une forte considérées comme ayant besoin d’une résistance de la part d’autorités locales ou de protection, et qui se trouvaient de ce fait en certaines personnes au sein des populations situation irrégulière dans le pays, ont fait locales. Des manifestations ont eu lieu dans l’objet d’arrêtés d’expulsion ou ont reçu des plusieurs villes, souvent organisées ou avis de refus leur imposant de quitter le pays soutenues par des groupes d’extrême droite par leurs propres moyens. Celles qui avaient ou par la Ligue du Nord. reçu un tel avis et qui ne pouvaient pas

Amnesty International — Rapport 2016/17 253 À la mi-décembre, quelque 120 000 personnes avaient déposé une DISCRIMINATION – LES ROMS demande d’asile en Italie, contre 83 000 en Des milliers de familles roms vivaient toujours 2015. Les Nigérians et les Pakistanais dans des campements à l’écart du reste de la constituaient les groupes les plus nombreux. population. Ces campements étaient souvent Au cours de l’année, 40 % des candidats se situés dans des secteurs isolés, loin des sont vu accorder une forme de protection en services de base. Dans de nombreux camps, première instance. les conditions de vie restaient déplorables et Le programme de relocalisation des souvent contraires aux normes nationales en demandeurs d’asile depuis l’Italie et la Grèce matière de logement ainsi qu’aux normes vers d’autres pays de l’UE, adopté par l’UE internationales. Plusieurs centaines de en septembre 2015, n’a pas été mis en familles roms ont fait l’objet d’expulsions œuvre. Sur les 40 000 demandeurs d’asile se forcées, en violation du droit international. trouvant en Italie qui auraient dû être La Stratégie nationale d’intégration des relocalisés, seuls 2 654 ont été réinstallés Roms n’avait toujours pas été véritablement dans d’autres pays. Aucun mineur isolé n’a mise en œuvre par le gouvernement en ce été relocalisé. qui concerne le logement. Cinq ans après L’Italie a par ailleurs accordé un visa son adoption, aucun plan national n’était en humanitaire à environ 500 personnes place pour combattre la ségrégation dans ces transférées dans le pays grâce à un projet camps. Les autorités continuaient au financé par les ONG confessionnelles contraire de prévoir et de construire de Sant’Egidio et la Fédération des Églises nouveaux camps. évangéliques d’Italie. En février, à Giugliano, près de Naples, les Le gouvernement n’a pas adopté les autorités municipales et régionales ont alloué, décrets nécessaires pour supprimer dans sa avec la préfecture de Naples et le ministère législation l’infraction d’« entrée et séjour de l’Intérieur, 1,3 million d’euros à la illégaux », alors que le Parlement le lui avait construction d’un nouveau camp réservé aux demandé en avril 2014. Roms alors installés dans celui de Masseria En décembre, dans l’affaire Khlaifia et del Pozzo. Le camp de Masseria del Pozzo autres c. Italie, la Cour européenne des droits avait été mis en place en 2013, à proximité de l’homme a estimé que des migrants de décharges où étaient entreposés des tunisiens arrivés en Italie 2011 avaient été déchets toxiques, pour des familles roms qui placés en détention de façon arbitraire et avaient fait l’objet d’expulsions forcées. En privés de voie de recours pour contester leur juin, la justice ayant ordonné que les familles détention, avant d’être renvoyés en Tunisie. vivant à Masseria del Pozzo soient déplacées, En novembre, à Pérouse, en Ombrie, sept les autorités locales ont procédé à l’expulsion policiers et une magistrate, ainsi que trois forcée des quelque 300 habitants, parmi diplomates kazakhs, ont été inculpés lesquels se trouvaient de nombreux jeunes d’infractions liées à l’enlèvement et à enfants. Elles ne leur ont pas laissé d’autre l’expulsion illégale vers le Kazakhstan, en mai choix que d’être emmenés sur un site isolé, 2013, d’Alma Chalabaïeva et d’Aloua dans une ancienne fabrique de feux Abliazova, l’épouse et la fille de six ans de d’artifice, où il n’y avait pas de toilettes en Moukhtar Abliazov, un homme politique état de fonctionnement ni d’électricité et où membre de l’opposition au Kazakhstan. En l’accès à l’eau était extrêmement limité. En juillet 2013, le gouvernement italien a décembre, ces personnes vivaient toujours rétroactivement annulé l’arrêté d’expulsion, sur ce site, dans des conditions inadaptées. reconnaissant que leur renvoi forcé à Almaty En décembre, le Comité pour l’élimination était contraire à la législation italienne. de la discrimination raciale [ONU] s’est dit préoccupé par le fait que les Roms continuaient de faire l’objet d’expulsions

254 Amnesty International — Rapport 2016/17 forcées, d’être placés dans des camps à arrestation s’intéressait aux allégations selon l’écart du reste de la population et de subir lesquelles il serait mort des suites de coups une discrimination quand ils tentaient reçus pendant sa garde à vue. d’obtenir un logement social et d’autres aides en matière de logement. DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET JAMAÏQUE DES PERSONNES BISEXUELLES, Jamaïque TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES Chef de l’État : Elizabeth II, représentée par Patrick En mai, le Parlement a adopté la Loi Linton Allen no 76/2016, qui instaure une union civile Chef du gouvernement : Andrew Michael Holness (a pour les couples de même sexe et institue remplacé Portia Simpson Miller en mars) des règles pour les couples hétérosexuels non mariés, les faisant bénéficier de la Cette année encore, des homicides illégaux plupart des droits accordés aux couples et des exécutions extrajudiciaires ont été mariés. Cette loi ne contient toutefois aucune perpétrés. La situation en matière de disposition concernant l’adoption violences faites aux femmes et de coparentale. discrimination à l’égard des personnes LGBTI n’a pas connu d’amélioration TORTURE ET AUTRES MAUVAIS notable. Les autorités ont continué à placer TRAITEMENTS et maintenir des mineurs en détention sans Le médiateur national chargé de surveiller les respecter les normes internationales. conditions de détention et d’empêcher la torture et les autres mauvais traitements a CONTEXTE pris ses fonctions en mars. Il était également Le Parti travailliste jamaïcain a remporté les chargé de surveiller les renvois par avion des élections législatives en février et Andrew migrants en situation irrégulière. Holness est devenu Premier ministre. Le Parlement n’avait toujours pas introduit Bien que l’État se soit engagé à créer une le crime de torture dans la législation pénale institution spécialisée dans les droits nationale, alors qu’il était tenu de le faire humains, il ne l’avait pas encore fait à la fin depuis la ratification par l’Italie, en 1989, de de l’année. la Convention contre la torture [ONU]. La Jamaïque conservait l’un des taux Le Parlement et le gouvernement n’ont par d’homicides les plus élevés des Amériques. ailleurs pas réussi à se mettre d’accord sur les mesures à adopter pour permettre POLICE ET FORCES DE SÉCURITÉ l’identification des responsables de En juin, une commission d’enquête a publié l’application des lois, telles que le port d’une un rapport très attendu sur des événements plaque d’identification sur l’uniforme, afin de qui s’étaient déroulés à Kingston-Ouest favoriser l’obligation de rendre des comptes pendant l’état d’urgence décrété le 23 mai en cas de violences. 2010, et qui avaient fait au moins 69 morts. Dans ce document de près de 900 pages, la MORT EN DÉTENTION commission a recensé plusieurs cas En juillet, les cinq médecins inculpés de d’exécutions extrajudiciaires présumées et a l’homicide de Stefano Cucchi, mort en 2009, formulé des recommandations importantes une semaine après son arrestation, dans pour réformer la police1. l’unité d’un hôpital de la ville de Rome Dans une réponse officielle, la police réservée aux détenus, ont été acquittés à jamaïcaine a accepté un certain nombre de l’issue d’un second procès en appel ordonné ces recommandations, notamment celle par la Cour suprême. Une deuxième enquête concernant l’ouverture d’enquêtes visant les policiers ayant participé à son administratives sur les agissements des

Amnesty International — Rapport 2016/17 255 agents dont les noms sont cités dans le autorisée par la loi et dans des conditions rapport. Cependant, elle a continué de inhumaines, parce qu’ils étaient considérés nier toute responsabilité dans les violations comme « incontrôlables ». des droits humains et les exécutions extrajudiciaires commises pendant l’état DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET d’urgence. À la fin de l’année, le DES PERSONNES BISEXUELLES, gouvernement n’avait pas encore indiqué TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES officiellement comment il comptait mettre en La loi ne protégeait toujours pas contre la œuvre les recommandations de la discrimination fondée sur l’orientation commission. sexuelle ou l’identité de genre, réelles ou Bien que le nombre d’homicides commis supposées. Faute de protection juridique, les par la police ait diminué ces dernières jeunes LGBTI continuaient d’être victimes de années, 111 personnes ont été tuées par des brimades et de harcèlement. Les relations représentants des forces de l’ordre en 2016, sexuelles entre hommes consentants contre 101 en 2015. Les femmes dont des demeuraient une infraction. proches avaient été tués par la police étaient Entre janvier et juin, 23 personnes ont victimes, de même que leurs familles, d’actes signalé à J-FLAG, une ONG de défense des de harcèlement et de manœuvres droits des LGBTI, qu’elles avaient été d’intimidation généralisés de la part de victimes d’agressions physiques en raison de policiers, et elles se heurtaient à de multiples leur orientation sexuelle ou de leur identité de obstacles lorsqu’elles souhaitaient obtenir genre réelles ou supposées. justice, vérité et réparation. Une enquête publiée par J-FLAG a mis en évidence des attitudes profondément VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ET homophobes. Il en est ressorti, entre autres, AUX FILLES que seuls 36 % des Jamaïcains interrogés Selon des ONG locales, la législation permettraient à leur enfant de rester vivre nationale visant à lutter contre les violences avec eux s’il était gay. En outre, près de 60 % faites aux femmes demeurait insuffisante. La des sondés ont déclaré qu’ils s’en Loi relative aux infractions à caractère sexuel, prendraient à une personne LGBTI si celle-ci par exemple, définissait encore le viol de les abordait. manière extrêmement restreinte,comme En juin, la procureure générale s’est servie étant la pénétration par un homme, au des médias sociaux pour critiquer moyen de son pénis, du vagin d’une femme l’ambassade des États-Unis parce qu’un sans le consentement de cette dernière. De drapeau arc-en-ciel y avait été hissé après même, elle ne prévoyait une protection l’homicide de personnes LGBTI dans une contre le viol conjugal que dans certaines discothèque d’Orlando (États-Unis). circonstances. En décembre, plus de En août, pour la deuxième année 470 femmes et filles avaient signalé avoir été consécutive, J-FLAG a organisé des activités violées au cours de l’année, selon la police. pour célébrer la Semaine des fiertés. Les travailleuses du sexe continuaient d’être considérées comme des délinquantes, JUSTICE INTERNATIONALE ce qui les exposait à la discrimination, aux À la fin de l’année, la Jamaïque n’avait arrestations arbitraires et à des violences toujours pas ratifié le Statut de Rome de la policières2. Cour pénale internationale, signé en septembre 2000, ni adhéré à la Convention DROITS DES ENFANTS contre la torture et à la Convention L’ONG Jamaïcains pour la Justice a signalé internationale pour la protection de toutes les que, cette année encore, des mineurs ont été personnes contre les disparitions forcées. maintenus en détention par la police, souvent pendant une durée supérieure à celle

256 Amnesty International — Rapport 2016/17 Après le suicide de leur fils, dont 1. Jamaica: State of Emergency 2010 – ten things the government must l’homosexualité avait été révélée et qui avait learn, and ten things it must do (AMR 38/4337/2016) subi des persécutions, les parents d’un 2. "I feel scared all the time": A Jamaican sex worker tells her story (nouvelle, 27 mai 2016) étudiant de l’université Hitotsubashi de Tokyo, la capitale, ont engagé des poursuites judiciaires contre l’université et un autre étudiant pour que les responsabilités soient JAPON établies et pour obtenir réparation. Japon DISCRIMINATION – LES MINORITÉS Chef du gouvernement : Shinzo Abe ETHNIQUES En mai, le Parlement a adopté la première loi Le projet de révision de la Constitution condamnant les appels à la haine (le porté par le Parti libéral-démocrate, au « discours de haine ») à l’encontre de pouvoir, a gagné du terrain à l’issue des résidents d’origine étrangère et de leurs élections sénatoriales, ce parti et ses alliés descendants. Cette loi faisait suite à une occupant désormais les deux tiers des multiplication des manifestations en faveur sièges dans les deux chambres du de la discrimination. Son efficacité a été mise Parlement. Ce projet de révision faisait en doute par des organisations de la société craindre un affaiblissement des garanties civile et des avocats en raison de son champ relatives aux droits humains. Plusieurs d’application étroit, et parce qu’elle n’interdit municipalités, ainsi que de grandes pas officiellement le « discours de haine » et entreprises, ont adopté des mesures ne prévoit pas de sanctions. Quelques jours reconnaissant l’union entre personnes de plus tard, fait sans précédent, un tribunal de même sexe, dans un contexte de la préfecture de Kanagawa a rendu une discrimination généralisée à l’égard des ordonnance d’injonction provisoire pour personnes LGBTI. Cette année encore, des empêcher un militant anti-Coréens condamnés à mort ont été exécutés. d’organiser un rassemblement dans un rayon de 500 mètres autour des locaux d’une DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET organisation soutenant les personnes DES PERSONNES BISEXUELLES, d’origine coréenne. TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES En mai également, la Cour suprême a De nouvelles municipalités ont adopté des rejeté un recours contre la surveillance instruments écrits reconnaissant l’union entre généralisée exercée par la police sur la personnes de même sexe. Un nombre communauté musulmane au Japon, y croissant d’entreprises, généralement compris les personnes perçues comme étant multinationales, ont modifié leur politique musulmanes. En 2010, 114 documents intérieure pour étendre les avantages sociaux internes de la police métropolitaine de Tokyo, aux employés ayant formé une union avec qui comprenaient des informations une personne de leur sexe. Les principaux personnelles et financières sur des partis politiques se sont engagés à mener musulmans considérés comme de présumés campagne en faveur des droits des « terroristes » au Japon, avaient été divulgués personnes LGBTI en amont des élections à la sur Internet. La Cour a confirmé que le droit chambre haute du Parlement, en juillet. au respect de la vie privée avait été violé, La discrimination à l’égard des personnes mais n’a pas remis en cause ce type de LGBTI persistait, en particulier dans les collecte de renseignements. régions rurales. Une femme transgenre a intenté un procès à l’État parce qu’on l’avait empêchée de recevoir des injections d’hormones pendant son incarcération.

Amnesty International — Rapport 2016/17 257 coupable afin d’obtenir une peine réduite a VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ET été adopté. L’élargissement du recours aux AUX FILLES écoutes téléphoniques risquait d’entraîner À la suite de l’accord bilatéral conclu entre le des violations du droit à la liberté Japon et la Corée du Sud fin 2015, portant d’expression. sur le système d’esclavage sexuel entretenu En juin, le tribunal du district de par l’armée japonaise avant et pendant la Kumamoto a accordé à Koki Miyata un Seconde Guerre mondiale, le gouvernement nouveau procès, en raison des doutes sud-coréen a lancé en juillet une « Fondation entourant la crédibilité de ses « aveux ». Koki pour la réconciliation et la guérison » Miyata avait purgé une peine de 13 ans financée par le gouvernement japonais. Les d’emprisonnement à la suite de sa autorités japonaises ont insisté sur le fait que condamnation pour meurtre, en 1985. les fonds n’étaient pas accordés à titre de réparations, réaffirmant ainsi leur position LIBERTÉ DE RÉUNION selon laquelle la question des réparations a De nouvelles manifestations, marquées par été réglée dans des accords signés après la des échauffourées entre la police guerre. La société civile en Corée du Sud a antiémeutes et des manifestants, ont eu lieu continué de demander l’annulation de à Okinawa à la suite de la reprise de la l’accord de 2015, considéré comme construction d’une base militaire américaine inconstitutionnel et sans effet car les victimes à Takae. Des manifestants ont été blessés n’ont pas été représentées lors des lors de la dispersion des rassemblements. négociations. Alors que l’Armée impériale japonaise a contraint à l’esclavage sexuel des femmes de toute la région Asie-Pacifique, à la fin de l’année le Japon n’avait pas encore JORDANIE entamé de négociations avec les autres pays. Royaume hachémite de Jordanie Chef de l’État : Abdallah II RÉFUGIÉS ET DEMANDEURS D’ASILE Chef du gouvernement : Hani Mulki (a remplacé Les autorités ont continué de rejeter la Abdullah Ensour en mai) majorité des demandes d’asile. Le gouvernement a fait savoir qu’en 2015, sur Les droits à la liberté d’expression, les 7 586 demandes d’asile qui avaient été d’association et de réunion restaient soumis déposées (chiffre en augmentation de 52 % à des restrictions, et des opposants ainsi par rapport à l’année précédente), seules 27 que des personnes critiques à l’égard du avaient été acceptées. Un demandeur d’asile gouvernement ont été arrêtés et poursuivis du Sri Lanka a engagé des poursuites contre aux termes des lois sur la diffamation et le l’État au motif qu’il avait été privé de son droit blasphème et de la législation antiterroriste. de solliciter l’asile, car il avait été expulsé le Cette année encore, des actes de torture et lendemain du jour où sa demande avait été d’autres mauvais traitements ont été rejetée par le ministère de la Justice. infligés dans des centres de détention. Des procès inéquitables se sont déroulés devant SYSTÈME JUDICIAIRE la Cour de sûreté de l’État. Les femmes Le Parlement a modifié une série de lois faisaient l’objet de discrimination dans la relatives à la justice pénale. L’enregistrement législation et dans la pratique et elles électronique des interrogatoires menés par la n’étaient pas suffisamment protégées police et par les services du procureur est contre les violences sexuelles, entre autres. devenu obligatoire, mais uniquement dans Les employés de maison migrants étaient certains cas. La loi encadrant les écoutes exploités et maltraités. La Jordanie téléphoniques a été élargie et un système accueillait plus de 655 000 réfugiés venus permettant à une personne de plaider de Syrie, mais elle a fermé sa frontière aux

258 Amnesty International — Rapport 2016/17 nouveaux arrivants en juin. Cette année quelconque mesure en ce sens soit entrée en encore, des tribunaux ont prononcé des vigueur au cours de l’année. Les policiers condamnations à mort ; aucune exécution accusés de tels crimes comparaissaient n’a eu lieu. toujours devant des tribunaux spéciaux de la police, qui n’étaient ni indépendants ni CONTEXTE transparents. La Jordanie est restée membre de la coalition internationale dirigée par l’Arabie saoudite et MORTS EN DÉTENTION engagée dans le conflit armé au Yémen En janvier, le Centre Adaleh pour les droits (voir Yémen). humains, une ONG basée à Amman, la En mars, le gouvernement a soumis au roi capitale, a signalé avoir recensé au moins un plan national relatif aux droits humains huit cas de mort en détention des suites de ayant pour objectif d’introduire torture au cours des deux mois précédents. progressivement des améliorations dans ce En avril, le coordinateur gouvernemental des domaine sur une période de 10 ans. droits humains a déclaré que les journalistes En mai, le Parlement a approuvé des et les défenseurs des droits humains seraient modifications de la Constitution qui autorisés à assister à certains procès devant donnaient au roi le pouvoir de nommer des tribunaux spéciaux de la police, et directement les hauts magistrats, les officiers notamment à celui de trois policiers accusés supérieurs de l’armée et de la gendarmerie d’avoir battu à mort Omar al Naser durant sa ainsi que les responsables du Département détention par le Département des enquêtes des renseignements généraux (DRG). Les criminelles en septembre 2015. Ce procès a élections législatives qui se sont tenues en fait l’objet de longs ajournements sans septembre ont utilisé pour la première fois le explication ; il n’était pas terminé à la fin de système de la représentation proportionnelle. l’année. Par ailleurs, aucune information n’a L’insécurité persistait le long de la frontière été fournie à propos d’éventuelles poursuites syrienne. En juin, plusieurs soldats contre les policiers accusés d’avoir battu à jordaniens ont trouvé la mort dans un attentat mort Abdullah Zubi durant sa garde à vue à à l’explosif perpétré à proximité d’une zone Irbid en 2015. frontalière où quelque 70 000 réfugiés syriens étaient bloqués dans des conditions PROCÈS INÉQUITABLES extrêmement dures. À la suite de cette Cette année encore, des partisans présumés attaque, le gouvernement a fermé les points de l’EI et d’autres groupes armés, ainsi que de passage de la frontière, empêchant les des journalistes et des militants de réfugiés qui fuyaient le conflit en Syrie de l’opposition, ont fait l’objet, aux termes des pénétrer en Jordanie. En décembre, lois antiterroristes et d’autres textes législatifs, 10 personnes, dont trois civils, ont été tuées de poursuites pénales devant la Cour de par des hommes armés près de Karak ; cette sûreté de l’État, un tribunal quasi militaire attaque a été revendiquée par le groupe appliquant une procédure non conforme aux armé État islamique (EI). normes internationales d’équité. Parmi les accusés figurait Adam al Natour, TORTURE ET AUTRES MAUVAIS détenteur de la double nationalité TRAITEMENTS jordanienne et polonaise, qui a été Le plan national sur 10 ans relatif aux droits condamné à quatre ans d’emprisonnement humains dressait une liste d’objectifs après avoir été déclaré coupable comprenant le renforcement des protections d’« appartenance à un groupe armé et à une juridiques contre la torture et l’augmentation organisation terroriste » sur la base des poursuites débouchant sur des d’« aveux » qui lui auraient été extorqués « sanctions » contre les auteurs d’actes de sous la torture par des membres du DRG. torture. Il ne semblait toutefois pas qu’une Ceux-ci l’auraient battu et lui auraient

Amnesty International — Rapport 2016/17 259 administré des décharges électriques presse officielle, l’auteur présumé de pendant les trois semaines de sa détention l’assassinat a été arrêté sur les lieux ; l’affaire au secret. Cet homme a ensuite comparu a par la suite été renvoyée devant la Cour de devant le procureur de la Cour de sûreté de sûreté de l’État pour meurtre, entre autres. l’État et a été contraint de signer une S’ils étaient adoptés, des projets de déclaration en arabe, langue qu’il ne modification de la Loi sur les sociétés, soumis comprend pas et ne lit pas. en mars, renforceraient le pouvoir du gouvernement d’empêcher l’enregistrement DÉTENTION ADMINISTRATIVE des ONG ou leurs activités pour des motifs Des dizaines de milliers de personnes ont été liés à la sécurité nationale ou à l’ordre public, incarcérées au titre de la Loi de 1954 relative et les priveraient d’accès à un financement à la prévention de la criminalité. Cette loi international sans aucune justification. Ces autorise le placement en détention, sans modifications n’avaient pas été promulguées inculpation ni jugement et sans possibilité de à la fin de l’année. recours judiciaire, pour une durée pouvant aller jusqu’à un an. DROITS DES FEMMES Les femmes continuaient d’être victimes de LIBERTÉ D’EXPRESSION, discrimination dans la législation et dans la D’ASSOCIATION ET DE RÉUNION pratique, et elles n’étaient pas suffisamment Cette année encore, les autorités ont restreint protégées contre les violences liées au genre, les droits à la liberté d’expression, notamment les crimes « d’honneur ». d’association et de réunion pacifique. Des En avril, une commission législative dizaines de journalistes et de détracteurs du parlementaire a approuvé des modifications gouvernement ont été arrêtés ou poursuivis de l’article 308 du Code pénal, qui au titre des dispositions du Code pénal annulaient la disposition permettant à relatives à la diffamation et de celles des lois l’auteur d’un viol d’échapper aux poursuites antiterroristes, qui érigent en infraction en épousant sa victime. Ces modifications, pénale toute critique de dirigeants ou d’États qui ne s’appliquaient toutefois pas aux cas où étrangers. En juillet, le Centre national des la victime était âgée de 15 à 18 ans, droits humains a signalé une augmentation n’avaient pas été promulguées à la fin des arrestations et des renvois de détracteurs de l’année. du gouvernement et de manifestants En juillet le Comité pour l’élimination de la pacifiques devant la Cour de sûreté de l’État discrimination à l’égard des femmes [ONU] a aux termes de ces textes législatifs. demandé des informations au gouvernement Eyad Qunaibi, un professeur d’université avant l’examen de la situation en Jordanie qui avait été condamné en décembre 2015 à prévu pour 2017. Il a sollicité, entre autres, deux ans d’emprisonnement par la Cour de des détails sur d’éventuels projets sûreté de l’État, a été libéré en mai. Il avait gouvernementaux de modification de la Loi été déclaré coupable d’« atteinte au régime relative à la nationalité en vue de permettre politique […] ou incitation à s’y opposer » aux Jordaniennes mariées à des étrangers de pour avoir critiqué sur Facebook les relations transmettre leur nationalité à leurs enfants et entre la Jordanie et Israël. à leur conjoint dans les mêmes conditions Nahed Hattar, journaliste, a été abattu le que les hommes jordaniens, et en vue de 25 septembre devant un tribunal d’Amman faciliter leur accès aux soins médicaux et à qui le jugeait pour avoir partagé sur l’éducation, entre autres services. Le Comité Facebook une caricature considérée comme a également demandé des informations sur offensante pour l’islam. Il avait été détenu les projets gouvernementaux de modification pendant près d’un mois dans l’attente de son de l’article 308 et d’autres dispositions du procès, avant qu’un tribunal lui accorde une Code pénal qui permettent à l’auteur d’un libération sous caution. Selon l’agence de viol d’échapper aux poursuites et réduisent

260 Amnesty International — Rapport 2016/17 les peines encourues par les auteurs de aussi expulsé plusieurs réfugiés, crimes « d’honneur ». officiellement pour des raisons de sécurité. Les Nations unies ont déclaré qu’en juillet DROITS DES TRAVAILLEURS MIGRANTS la Jordanie n’avait reçu de la communauté Les travailleurs migrants étaient toujours en internationale que 45 % du financement butte à l’exploitation et aux mauvais nécessaire pour répondre aux besoins des traitements. En février, l’ONG Tamkeen, réfugiés de Syrie. Selon certaines sources, basée à Amman, a signalé que quelque 86 % des Syriens installés dans les 80 000 employées de maison étrangères ne zones urbaines de Jordanie vivaient sous le bénéficiaient pas de la protection des lois sur seuil de pauvreté et avaient un accès limité le travail et étaient exposées à la violence, aux services. entre autres mauvais traitements infligés par leur employeur. Au cours d’une visite en PEINE DE MORT Jordanie, la rapporteuse spéciale des Nations Les tribunaux ont prononcé des sentences unies sur la traite des êtres humains a capitales ; aucune exécution n’a eu lieu. En indiqué que les employées de maison février, un porte-parole du gouvernement a migrantes qui fuyaient un employeur qui les démenti des informations diffusées par les maltraitait risquaient d’être victimes de la médias selon lesquelles les autorités avaient traite à des fins d’exploitation sexuelle. Elle a l’intention d’exécuter 13 prisonniers. également signalé que des femmes et des filles réfugiées de Syrie étaient victimes d’exploitation sexuelle. KAZAKHSTAN

RÉFUGIÉS ET DEMANDEURS D’ASILE République du Kazakhstan La Jordanie accueillait plus de Chef de l’État : Noursoultan Nazarbaïev 655 000 réfugiés venus de Syrie, dont Chef du gouvernement : Bakytjan Saguintaïev (a 16 000 Palestiniens, ainsi que près de remplacé Karim Massimov au mois de septembre) 60 000 réfugiés en provenance d’autres pays tels que l’Irak, le Yémen et la Somalie, et Les droits à la liberté d’expression, 2,1 millions de Palestiniens réfugiés de d’association et de réunion pacifique ont longue date. cette année encore fait l’objet de À la fin de l’année, 75 000 réfugiés syriens restrictions. Les pouvoirs publics ont eu étaient bloqués dans la zone désertique recours à la détention administrative pour appelée la « berme », entre les points de empêcher certaines personnes de participer passage de Rukban et Hadalat, à la frontière à des manifestations non autorisées. Ils ont jordano-syrienne, où ils vivaient dans des également engagé des poursuites pénales conditions effroyables. Le gouvernement contre des individus qui s’étaient exprimés refusait l’entrée sur son territoire à la plupart sur les médias sociaux, ainsi que contre des d’entre eux pour des raisons de sécurité. Il a journalistes indépendants. Certains toutefois permis en mai à quelque dirigeants d’ONG – considérés comme une 12 000 réfugiés d’entrer en Jordanie, où ils catégorie de contrevenants à part par le ont été confinés dans le village 5, une zone Code pénal et le Code des infractions clôturée à l’intérieur du camp de réfugiés administratives – ont pour la première fois d’Azraq. Les autorités ont fermé la frontière été sanctionnés avec une sévérité accrue. avec la Syrie le 21 juin à la suite d’un De nouveaux cas de torture et d’autres attentat-suicide, ce qui a interrompu l’accès mauvais traitements sur des suspects et des à l’aide humanitaire pour les réfugiés de la prisonniers ont été signalés. Les très berme. La Jordanie a renforcé depuis 2012 nombreux travailleurs migrants présents les contrôles à sa frontière. Les autorités ont dans le pays étaient souvent exploités et avaient fréquemment des problèmes pour

Amnesty International — Rapport 2016/17 261 accéder aux soins de santé et à l’éducation. D’autres, moins nombreuses, ont été Une condamnation à mort a été prononcée. signalées ailleurs. Les personnes placées en détention dans les postes de police ont dû LIBERTÉ DE RÉUNION signer des déclarations, dans lesquelles elles Le fait d’organiser une réunion publique non reconnaissaient avoir participé à un violente sans avoir obtenu au préalable rassemblement public non autorisé, et l’autorisation des pouvoirs publics, ou de donner leurs empreintes digitales. Elles ont participer à une telle réunion, constituait une été remises en liberté au bout de quelques infraction passible d’une lourde amende ou heures. Selon l’ONG Adil Soz, qui milite pour d’une peine pouvant atteindre 75 jours la liberté d’expression, au moins d’emprisonnement aux termes du Code 48 journalistes ont été arrêtés alors qu’ils pénal et du Code des infractions tentaient de couvrir les manifestations du administratives. Le simple fait d’aider à la 21 mai. Ils ont tous été relâchés au bout de tenue de rassemblements « illégaux », en se quelques heures. servant par exemple de « moyens de communication » (y compris des médias LIBERTÉ D’EXPRESSION sociaux), constituait également une Médias sociaux infraction pénale. Le parquet a fait usage du Code pénal contre Une série de manifestations pacifiques des militants actifs sur les réseaux sociaux. « non approuvées » ont eu lieu dans tout le En janvier, Ermek Narymbaïev et Serikjan Kazakhstan en avril et en mai. Les Mambetaline ont été condamnés à des participants entendaient protester contre un peines d’emprisonnement pour avoir mis en projet de modification du Code foncier, ligne sur Facebook des extraits d’un livre destiné à permettre la location de terres inédit considéré comme offensant pour agricoles inexploitées à des étrangers pour l’ethnie kazakhe. Leurs peines ont été une durée pouvant atteindre 25 ans. Les assorties d’un sursis à l’issue de la procédure autorités ont réagi en bloquant l’accès aux d’appel. Toujours au mois de janvier, la principales places et artères des villes, et en condamnation du blogueur Igor Sytchev à plaçant en détention administrative les cinq années d’emprisonnement a été personnes qui souhaitaient participer aux confirmée en appel. Il lui était reproché manifestations. d’avoir mis en ligne sur un autre site un Des rassemblements contre la sondage appelant les internautes à se modification du Code foncier étaient ainsi prononcer sur un éventuel rattachement de prévus le 21 mai à Astana, la capitale du sa ville de résidence à la Russie. Kazakhstan, à Almaty, la plus grande ville du Le 28 novembre, les prisonniers d’opinion pays, et dans plusieurs autres localités. Entre Max Bokaïev et Talgat Aïan ont été déclarés le 17 et le 20 mai, au moins 34 personnes coupables d’« incitation à la discorde sociale, ont été arrêtées et inculpées en tant nationale, clanique, raciale, de classe ou qu’« organisateurs » des manifestations, pour religieuse », de « diffusion de fausses avoir annoncé sur les réseaux sociaux leur informations en toute connaissance de intention d’y participer ou pour avoir diffusé cause » et d’organisation de rassemblements des informations les concernant. La plupart et de manifestations non autorisés. Les deux de ces personnes ont été condamnées à des hommes ont été condamnés à cinq années peines de 10 à 15 jours de détention au titre d’emprisonnement. Il leur était notamment du Code administratif. reproché d’avoir mis en ligne en avril et en Le 21 mai, dans les villes concernées, la mai, sur Facebook et sur d’autres police a bloqué l’accès aux lieux où les plateformes, des commentaires sur la rassemblements étaient prévus. Plusieurs modification envisagée du Code foncier et sur centaines d’arrestations, jusqu’à 500 selon les manifestations qui se déroulaient alors. Le certaines sources, ont eu lieu à Almaty. chanteur populaire Janat Essentaïev a été

262 Amnesty International — Rapport 2016/17 reconnu coupable en juillet d’infraction au d’associations étaient traités comme une Code pénal, pour plusieurs commentaires catégorie de contrevenants à part, passibles publiés sur Facebook à propos des de sanctions renforcées. La définition du manifestations contre la réforme du Code terme « leader » était large et pouvait en fait foncier. Il a été condamné à deux ans et recouvrir tout membre actif d’une ONG ou demi de mise à l’épreuve. d’une association de la société civile. Ces dispositions ont été invoquées pour la Poursuites pénales contre des journalistes première fois en 2016, notamment dans le La journaliste Gouzial Baïdalinova, cadre du procès intenté au pénal contre Max propriétaire du portail d’informations Bokaïev et Talgat Aïan. indépendant Nakanune.kz, a été condamnée La législation avait été modifiée fin 2015 en mai à un an et demi d’emprisonnement pour permettre la création par l’État d’une pour « diffusion de fausses informations en base de données centrale des ONG. Toute toute connaissance de cause ». Sa peine a ONG ne fournissant pas régulièrement à été assortie d’un sursis au mois de juillet. cette base de données des informations Souvent critique à l’égard du pouvoir en exactes était passible d’une amende ou place, Nakanune.kz avait publié une série d’une suspension temporaire de ses activités. d’articles sur les activités d’une grande L’ONG Initiative juridique internationale banque commerciale. d’Almaty a contesté en février cette En octobre, Seïtkazy Mataïev et son fils disposition devant la justice civile, mais elle a Asset Mataïev ont été condamnés perdu son procès. Peu après, cette respectivement à six et cinq ans organisation a fait l’objet d’un contrôle fiscal d’emprisonnement pour détournement de particulièrement poussé. Les militants de la fonds et évasion fiscale. Seïtkazy Mataïev société civile craignaient que la nouvelle loi était président du syndicat des journalistes ne se traduise par des contraintes excessives du Kazakhstan et du Club de la presse pour les ONG et qu’elle n’entrave national. Son fils était directeur général de leurs activités. l’agence de presse KazTAG. Le syndicat des journalistes soutenait le journalisme Groupes religieux indépendant. Les groupes religieux étaient tenus par la loi de s’enregistrer auprès du ministère de la Internet Justice. Le fait d’appartenir à un groupe Plusieurs modifications apportées à la Loi sur religieux non officiellement reconnu les communications sont entrées en vigueur constituait une atteinte au Code des en janvier. Les internautes étaient désormais infractions administratives. Les lieux de culte tenus de télécharger et d’installer sur leurs étaient soumis à un certain nombre de appareils un « certificat national de restrictions. Les personnes se réunissant ou sécurité », qui permettait aux autorités distribuant des textes à caractère religieux d’examiner les communications acheminées dans des lieux non autorisés s’exposaient à via le protocole HTTPS et de bloquer l’accès de lourdes amendes. Selon l’ONG Forum 18, à certaines pages dont elles estimaient le qui milite pour la liberté de culte, un certain contenu illégal. nombre de pratiquants ont été condamnés à des amendes pour s’être réunis au domicile LIBERTÉ D’ASSOCIATION de membres de leur groupe. Sept fidèles de ONG l’Église baptiste auraient été condamnés en Le fait de diriger une organisation non août à des amendes dans l’est du reconnue officiellement, ou même Kazakhstan. simplement de participer à son activité, constituait à la fois une infraction pénale et une infraction administrative. Les « leaders »

Amnesty International — Rapport 2016/17 263 les secteurs de l’agriculture et du bâtiment. TORTURE ET AUTRES MAUVAIS Beaucoup dépendaient de leur employeur TRAITEMENTS pour leur logement et vivaient souvent La torture et les autres mauvais traitements entassés dans des locaux surpeuplés, dans ont perduré tout au long de l’année. La des conditions médiocres. Certains Coalition des ONG du Kazakhstan contre la employeurs confisquaient en outre le torture a relevé 163 nouveaux cas de torture passeport de leurs employés, ce qui plaçait et d’autres mauvais traitements entre janvier de fait ces derniers en situation de travail et novembre 2016. Le parquet a invoqué forcé. Les travailleurs migrants qui ne l’article 419 du Code pénal (« dénonciation disposaient pas du statut de résident fallacieuse d’une infraction ») pour permanent n’avaient pas accès aux soins de poursuivre les personnes qui avaient affirmé santé gratuits et rencontraient des problèmes avoir été torturées, ou plus généralement pour scolariser leurs enfants. maltraitées, et dont les allégations avaient été Le Kazakhstan n’avait pas ratifié la considérées, après enquête, comme Convention internationale sur la protection infondées. des droits de tous les travailleurs migrants et En septembre, un ancien surveillant de des membres de leur famille. prison a été reconnu coupable de viol et d’autres actes de torture commis sur la PEINE DE MORT personne d’une prisonnière, dans la région Le Kazakhstan a aboli la peine capitale pour d’Almaty. Il a été condamné à neuf ans les crimes ordinaires, mais 17 infractions d’emprisonnement. La victime avait affirmé constituant soit des actes relevant du avoir été violée et rouée de coups par quatre terrorisme, soit des crimes de guerre surveillants ; elle avait eu un enfant à la suite restaient passibles de mort. En novembre, du viol. Les poursuites contre les trois autres Rouslan Koulekbaïev a été condamné à la surveillants ont été abandonnées faute de peine capitale pour actes relevant du preuves suffisantes, et le surveillant terrorisme ayant entraîné la mort de condamné l’a été sur la foi d’un test de 10 personnes en juillet à Almaty. Il s’agissait paternité, qui montrait qu’il était bien le père de la sixième condamnation à mort de l’enfant mis au monde par la victime. prononcée depuis la signature en 2003 par le Cette affaire a mis en lumière la question président de la République, Noursoultan plus générale des violences sexuelles Nazarbaïev, d’un moratoire sur les perpétrées contre les femmes dans les lieux exécutions. Toutes les condamnations à la de détention. peine capitale ont depuis cette date été commuées en peines de réclusion à DROITS DES TRAVAILLEURS MIGRANTS perpétuité. Le Kazakhstan a connu toute l’année des flux de travailleurs migrants assez irréguliers en provenance, essentiellement, du Kirghizistan, du Tadjikistan et de l’Ouzbékistan voisins. KENYA Selon les estimations officielles, il y avait République du Kenya entre 300 000 et 1 500 000 travailleurs Chef de l’État et du gouvernement : Uhuru Muigai migrants dans le pays, un chiffre en nette Kenyatta progression en 2016 par rapport à 2015. La plupart des travailleurs migrants n’avaient Les forces de sécurité se sont rendues pas de contrat écrit et risquaient d’être coupables de disparitions forcées, exploités (longues journées de travail sans d’exécutions extrajudiciaires et d’actes de pause ou presque, rémunération faible et torture en toute impunité, faisant au moins versée de manière irrégulière, conditions de 122 victimes entre le début de l’année et le travail dangereuses, etc.), en particulier dans mois d’octobre. Certaines exactions ont été

264 Amnesty International — Rapport 2016/17 commises par des organes chargés de la ainsi fin à des mois de protestations à propos sécurité dans le contexte d’opérations de du processus électoral. Le 14 septembre, la lutte contre le terrorisme, tandis que Loi portant modification des lois électorales d’autres ont été perpétrées par des agents est entrée en vigueur, ce qui a permis de de police et d’autres services de sécurité lancer le recrutement de nouveaux membres qui n’ont pas été soumis à l’obligation de de l’IEBC. Toutefois, cette procédure a pris rendre des comptes. La police a eu recours du retard quand le comité de recrutement a à une force excessive et meurtrière pour reporté sine die le choix de la personne qui disperser des manifestants qui réclamaient présiderait cette commission, les cinq des pratiques électorales équitables. candidats reçus en entretien ne remplissant L’opposition politique, des groupes pas les critères requis. Ce retard aura une anticorruption et d’autres militants de la incidence négative sur le calendrier de société civile, ainsi que des journalistes et préparation des élections. des blogueurs, ont été harcelés. Des familles vivant dans des implantations EXACTIONS PERPÉTRÉES PAR DES sauvages et des populations marginalisées GROUPES ARMÉS ont été victimes d’expulsions forcées. Al Shabab, un groupe armé basé en Somalie, a continué à mener des attaques au Kenya. CONTEXTE Le 25 octobre, par exemple, dans la ville La corruption restait monnaie courante. Le de Mandera (nord-est du pays), au moins président Uhuru Kenyatta a demandé à près 12 personnes ont été tuées dans une attaque d’un quart de ses ministres de démissionner d’Al Shabab contre une pension qui après que la Commission d’éthique et de hébergeait une troupe de théâtre. lutte contre la corruption (EACC) les eut accusés d’être corrompus. Certains ont été LUTTE CONTRE LE TERRORISME ET traduits en justice et d’autres ont comparu SÉCURITÉ devant des institutions de contrôle. Selon Dans le contexte d’opérations de lutte contre l’EACC, la corruption engloutit chaque année le terrorisme ciblant Al Shabab, les organes au moins 30 % du PIB, soit environ six de sécurité ont participé à des violations des milliards de dollars des États-Unis. Des droits humains, notamment des exécutions autorités locales ont aussi été accusées de extrajudiciaires, des disparitions forcées et corruption, principalement par le gonflement des actes de torture. Malgré une hausse du du coût de leurs achats. Le ministère de la nombre de signalements de telles violations, Santé et le ministère de la Décentralisation et aucune véritable enquête n’a été menée de la Planification étaient visés par une dans le but d’amener les responsables à enquête pour détournement de fonds, rendre des comptes. entre autres. En mai, des organisations de la société EXÉCUTIONS EXTRAJUDICIAIRES civile ont lancé Kura Yangu, Sauti Yangu, un La police et d’autres services de sécurité se mouvement dont le but est de veiller à ce sont rendus coupables d’exécutions que les élections prévues en août 2017 extrajudiciaires ainsi que de disparitions soient légitimes, équitables et bien forcées et d’actes de torture1. organisées. Peu après, la Coalition pour les Willie Kimani, un avocat à la tête d’une réformes et la démocratie (CORD, opposition) association caritative spécialisée dans l’aide a organisé des manifestations juridique, son client Josphat Mwendwa et hebdomadaires pour protester contre la leur chauffeur de taxi, Joseph Muiruri, ont partialité présumée de la Commission été enlevés le 23 juin dans un lieu inconnu. indépendante chargée des élections et des Le 1er juillet, leurs corps ont été retrouvés circonscriptions (IEBC). Le 3 août, des dans une rivière du comté de Machakos, membres de l’IEBC ont démissionné, mettant dans l’est du Kenya ; les autopsies ont révélé

Amnesty International — Rapport 2016/17 265 qu’ils avaient été torturés. Josphat Mwendwa, forcées se sont produites dans le comté de chauffeur de mototaxi, avait accusé un Mombasa au cours des huit premiers mois membre de la police administrative de de 2016. Le journal Daily Nation a répertorié tentative de meurtre, car cet agent lui avait 21 cas d’exécutions commises par la police tiré dans le bras pendant un contrôle routier pendant la même période. de routine. L’agent l’avait ensuite verbalisé pour l’intimider et le pousser à retirer sa LIBERTÉ DE RÉUNION plainte. L’enlèvement a eu lieu alors que À Nairobi et dans d’autres villes, la police a Willie Kimani et Josphat Mwendwa venaient eu recours à une force excessive et de quitter le tribunal de Mavoko, dans le meurtrière pour disperser des manifestants comté de Machakos, à la suite d’une qui protestaient contre l’IEBC. audience dans l’affaire de l’infraction au code Le 16 mai, un homme qui manifestait à de la route. Le 21 septembre, quatre agents Nairobi a été blessé par balle lors d’un de la police administrative – Fredrick ole affrontement avec la police, quand des Leliman, Stephen Cheburet Morogo, Sylvia habitants du bidonville de Kibera ont voulu Wanjiku Wanjohi et Leonard Maina Mwangi – former un cortège jusqu’aux locaux de la ont été reconnus coupables du meurtre des commission électorale. trois hommes. À la fin de l’année, ces quatre Le 23 mai, la police a utilisé des policiers étaient en détention provisoire dans matraques, du gaz lacrymogène, des canons l’attente du prononcé de leur peine. à eau et parfois des balles réelles pour L’exécution des trois hommes a déclenché disperser des manifestants dont le cortège se des manifestations à l’échelle nationale et a dirigeait vers les bureaux de la commission mobilisé les organisations de défense des électorale. Une vidéo a montré trois policiers droits humains, les médias et des en train de frapper un manifestant, associations professionnelles, notamment notamment à coups de pied, alors qu’il était juridiques, pour exiger que des mesures à terre2. Le même jour, au moins deux soient prises contre les disparitions forcées et personnes ont été tuées et 53 blessées les exécutions extrajudiciaires. pendant une manifestation dans la ville de Job Omariba, infirmier dans la ville de Kisumu, dans l’ouest du pays. Meru (est du pays), aurait disparu à Nairobi le 21 août. Son corps a été retrouvé à la LIBERTÉ D’EXPRESSION morgue de Machakos le 30 août. Ce même Les autorités ont continué à restreindre la jour, l’Unité spéciale de prévention de la liberté d’expression en intimidant et en criminalité a arrêté trois policiers soupçonnés harcelant des journalistes, des blogueurs et de l’avoir enlevé et tué. d’autres membres de la société civile, Le 29 août, deux policiers sont entrés dans notamment en utilisant l’ambiguïté de la Loi l’hôpital de Mwingi et ont tué par balles relative à l’information et à la communication. Ngandi Malia Musyemi, un vendeur Au moins 13 personnes ont été jugées au ambulant qui avait signalé à la police avoir titre de l’article 29 de cette loi, qui comprend été victime du vol à main armée de son des termes vagues tels que « extrêmement véhicule. Sa sœur a été témoin de l’homicide. insultant » et « indécent ». Le 19 avril, la Des agents des comtés de Nairobi, de Haute Cour a conclu que l’article 29 était Machakos et d’Embu ont été chargés contraire aux dispositions constitutionnelles d’enquêter sur cette affaire. sur le droit à la liberté d’expression. Le Kenya ne dispose d’aucune base de Le journaliste Mbuvi Kasina était toujours données officielle répertoriant les homicides sous le coup de six chefs d’inculpation pour commis par la police ou encore les usage abusif d’un système officiel de disparitions forcées. Selon Haki Africa, un télécommunications, après avoir remis en groupe de défense des droits humains, cause les dépenses du Fonds de 78 exécutions extrajudiciaires et disparitions

266 Amnesty International — Rapport 2016/17 développement de la circonscription En mai, le gouvernement a supprimé le électorale de Kitui South. service ministériel en charge des réfugiés, Le 27 septembre, la police a harcelé et créé conformément à la Loi de 2006 relative agressé Duncan Wanga, journaliste et aux réfugiés, et l’a remplacé par un caméraman de la chaîne de télévision K24, secrétariat chargé des réfugiés. Cette puis a détruit sa caméra, alors qu’il couvrait instance n’est pas établie par la loi et elle se une manifestation dans la ville d’Eldoret, trouve sous la tutelle du ministère de dans l’ouest du pays. l’Intérieur et de la Coordination du Le 1er octobre, le vice-président a menacé gouvernement national. d’intenter un procès à Boniface Mwangi après qu’il eut tweeté qu’il existait un lien DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET entre le vice-président et le meurtre de DES PERSONNES BISEXUELLES, l’homme d’affaires Jacob Juma, survenu en TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES mai. Les avocats du vice-président ont exigé Le 16 juin, la Haute Cour de Mombasa a que le militant présente des excuses, se confirmé qu’il était légal d’imposer un rétracte et clarifie ses propos sous sept jours. examen anal aux hommes soupçonnés Les avocats de Boniface Mwangi se sont d’avoir des relations sexuelles avec d’autres réjouis de la perspective d’affronter le vice- hommes. Deux hommes avaient déposé une président lors d’un procès, faisant valoir des requête auprès de cette instance pour que affaires de la CPI et les allégations d’un ces examens anaux soient déclarés député sur l’exécution de Jacob Juma afin de inconstitutionnels, de même que les tests de montrer que la réputation du vice-président dépistage du VIH et de l’hépatite B qu’ils n’avait pas été entachée par le tweet. avaient été forcés de subir en février 2015. La cour a estimé que leurs droits et la loi RÉFUGIÉS ET DEMANDEURS D'ASILE n’avaient pas été enfreints. En vertu du droit En mai, peu après avoir révoqué le statut international, les examens anaux et le présumé de réfugié des Somaliens qui dépistage forcé du VIH sont contraires au avaient fui au Kenya, le gouvernement a droit au respect de la vie privée, ainsi qu’à annoncé que le camp de réfugiés de Dadaab l’interdiction de la torture et des autres serait fermé le 30 novembre. Pour justifier sa mauvais traitements. La décision de la Haute décision, le gouvernement a mis en avant la Cour enfreint plusieurs traités relatifs aux sécurité nationale et la nécessité pour la droits humains ratifiés par le Kenya. communauté internationale de partager la responsabilité de l’accueil des réfugiés. Le DROITS EN MATIÈRE DE LOGEMENT – camp de Dadaab accueille plus de EXPULSIONS FORCÉES 280 000 réfugiés, dont 260 000 viennent de Des familles qui vivaient dans des Somalie. Le délai très court, les déclarations implantations sauvages, ainsi que des du gouvernement sur le processus de populations marginalisées, ont été expulsées rapatriement et l’insécurité en Somalie ont de force dans le contexte de grands projets fait craindre les Somaliens ne soient renvoyés d’infrastructures. de force, en violation du droit international, et Dans le bidonville de Deep Sea, à Nairobi, que la vie de dizaines de milliers de 349 familles ont été expulsées de force le personnes ne soit mise en danger3. Selon le 8 juillet pour permettre la construction de Haut-Commissariat des Nations unies pour l’axe reliant l’autoroute de Thika à la rocade les réfugiés, 27 000 réfugiés somaliens de Westlands. L’expulsion a eu lieu sans avaient quitté Dadaab à la mi-octobre pour préavis et alors qu’une consultation était en retourner en Somalie, volontairement pour la cours entre la population concernée et plupart. Le 16 novembre, les autorités ont l’Autorité de la voirie urbaine du Kenya déclaré qu’elles repousseraient de six mois la (KURA). Les habitants ont été agressés fermeture du camp. pendant les expulsions par des jeunes

Amnesty International — Rapport 2016/17 267 armés, arrivés dans des engins de chantier appartenant à l’État et dans des véhicules KIRGHIZISTAN privés. Des policiers armés étaient présents et ont menacé de tirer sur les habitants s’ils République kirghize résistaient à l’expulsion. La KURA et l’UE, qui Chef de l’État : Almazbek Atambaïev finance la route, avaient assuré aux habitants Chef du gouvernement : Sooronbaï Jeenbekov (a de Deep Sea qu’ils ne subiraient pas remplacé Temir Sariev au mois d’avril) d’expulsion forcée. La KURA a assumé la responsabilité des Le prisonnier d’opinion Azimian Askarov violations des droits des habitants pendant était toujours emprisonné, alors même que une réunion avec les dirigeants de la le Comité des droits de l’homme [ONU] communauté de Deep Sea. Dans une lettre à avait recommandé sa libération immédiate. la population, l’instance a accepté de Une proposition de loi sur les « agents de prendre des mesures en urgence pour l’étranger », qui aurait eu des remédier à la situation, notamment de conséquences négatives pour les ONG, a remettre en état les installations sanitaires, de été rejetée. Une autre proposition de loi faciliter la reconstruction de maisons et de concernant la propagande des « relations fournir une aide humanitaire, en particulier sexuelles non classiques » était en des équipements pour cuisiner et des revanche toujours en discussion. Plusieurs couvertures pour ceux qui avaient tout perdu. modifications de la Constitution La KURA et les habitants de Deep Sea ont représentaient une menace pour la convenu que les habitants permanents protection des droits humains. Les auteurs recevraient chacun 20 000 shillings du d’actes de torture et de violences contre les Kenya (environ 200 dollars des États-Unis) et femmes jouissaient d’une totale impunité. que cette somme serait indépendante de La police a mené des opérations à caractère l’indemnisation des pertes encourues discriminatoire contre des travailleuses du pendant l’expulsion forcée. sexe. Les autorités n’avaient toujours pas Des représentants du peuple autochtone pris de mesures sérieuses pour enquêter swenger ont signalé que le Service des forêts efficacement sur les violences survenues en du Kenya avait incendié des habitations à de juin 2010 à Och et Djalal-Abad. multiples reprises dans la forêt d’Embobut. Des tribunaux locaux ont examiné des PRISONNIER D’OPINION affaires concernant des Sengwers qui avaient Le 31 mars, le Comité des droits de l’homme été arrêtés parce qu’ils se trouvaient dans la [ONU] a exhorté le Kirghizistan à libérer forêt, alors qu’une requête introduite par les immédiatement le prisonnier d’opinion Sengwers pour contester leur expulsion était Azimian Askarov, défenseur des droits en cours d’examen et que la Haute Cour humains appartenant à la communauté siégeant à Eldoret avait ordonné la ouzbèke, condamné en 2010 à la réclusion à suspension des arrestations et des expulsions perpétuité pour avoir participé, selon les pendant l’examen du recours en justice. autorités, aux violences interethniques qui avaient éclaté cette année-là, ainsi qu’au meurtre d’un policier. Le Comité estimait en 1. Kenya. Il faut mettre sur pied une commission chargée d’enquêter sur les centaines de disparitions forcées et d’homicides (nouvelle, effet qu’Azimian Askarov avait été placé en 30 août) détention de façon arbitraire, torturé et privé 2. Kenya. Une enquête doit être ouverte sur les violences policières de son droit de bénéficier d’un procès contre des manifestants (nouvelle, 17 mai) équitable. En réponse, la Cour suprême du 3. Kenya. Des représentants du gouvernement poussent des réfugiés à Kirghizistan a réexaminé l’affaire les 11 et retourner en Somalie, un pays ravagé par la guerre (nouvelle, 12 juillet, mais au lieu de libérer le prisonnier, 15 novembre) conformément aux recommandations du Comité, elle a ordonné qu’il soit rejugé. Son

268 Amnesty International — Rapport 2016/17 nouveau procès s’est ouvert le 4 octobre l’article sur le mariage et la famille dispose devant le tribunal régional de Tchouï. Il s’est que cette dernière est constituée sur la base poursuivi jusqu’au 20 décembre, et le verdict de l’union entre une femme et un homme, ce était attendu en janvier 2017. Azimian que ne précise pas en ces termes l’actuelle Askarov a participé aux 10 audiences, assis Constitution. dans une cage métallique. DISCRIMINATION – LES TRAVAILLEURS LIBERTÉ D’ASSOCIATION ET TRAVAILLEUSES DU SEXE En mai, le Parlement a rejeté en troisième En juin et juillet, la police a mené une série lecture la proposition de loi sur les « agents d’opérations coordonnées et ciblées dans des de l’étranger », initialement déposé en 2014. quartiers fréquentés par des travailleuses du Si elle avait été adoptée, les ONG recevant sexe dans la capitale, Bichkek, dans la région une aide de l’étranger et se livrant, sous une voisine de Tchouï et dans la ville d’Och (dans forme ou sous une autre, à des « activités le sud du pays). Un certain nombre de politiques » – une notion définie en termes femmes qui se trouvaient dans ces secteurs vagues – auraient été contraintes de se ont été placées en détention et sanctionnées. présenter publiquement sous l’étiquette Le travail du sexe ne constitue pas une « agent de l’étranger », un qualificatif bien infraction pénale au Kirghizistan. Cependant, peu engageant. plusieurs femmes ont été condamnées à une amende administrative pour « houliganisme DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET mineur » ou pour non-présentation de pièces DES PERSONNES BISEXUELLES, d’identité. Plusieurs hauts responsables de la TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES police ont fait en juin des déclarations de En mai, la Commission parlementaire nature discriminatoire et méprisante à l’égard chargée du droit, de l’ordre et de la lutte des travailleuses du sexe. Ils ont parlé de contre la délinquance a retiré une proposition « nettoyer » les rues et encouragé la mise en de loi qui proposait d’ériger en infraction le place de « patrouilles de voisinage », qui se fait « d’encourager une attitude positive » à chargeraient de photographier les personnes l’égard des « relations sexuelles non soupçonnées d’être des travailleuses du sexe classiques », pour que le texte soit de et de communiquer ensuite les photos aux nouveau examiné avant d’être soumis au vote services de police. Une telle attitude ne des parlementaires. Des militants des droits faisait qu’accroître le risque pour les des personnes LGBTI ont déclaré que, même travailleurs et travailleuses du sexe d’être sans avoir encore été adoptée, cette loi soumis à des actes d’intimidation ou de « planait » déjà au-dessus de leurs têtes et violence de la part de groupes nationalistes et que leurs activités s’en trouvaient restreintes. d’autres acteurs non étatiques qui s’en sont déjà pris à eux dans le passé. ÉVOLUTIONS LÉGISLATIVES, Les ONG engagées aux côtés des CONSTITUTIONNELLES OU travailleurs et travailleuses du sexe ont pu INSTITUTIONNELLES constater que les femmes exerçant dans ce Lors d’un référendum organisé le secteur étaient confrontées à des obstacles 11 décembre, les votants ont accepté des en matière d’accès aux soins de santé, et modifications de la Constitution qui fragilisent notamment aux services de santé sexuelle et la protection des droits humains. Ces reproductive. Le travail du sexe était très mal modifications introduisent des dispositions vu au Kirghizistan. Le personnel soignant concernant les « valeurs suprêmes de l’État » avait souvent une attitude discriminatoire à et affaiblissent la prévalence du droit l’égard des travailleurs et travailleuses du international sur la législation kirghize, telle sexe, refusant de les prendre en charge ou qu’elle est reconnue dans la Constitution leur proposant des traitements au rabais, et actuelle. Par ailleurs, une modification de ne respectant pas le devoir de confidentialité.

Amnesty International — Rapport 2016/17 269 Nombre de travailleurs et travailleuses du plupart du temps, les femmes victimes de sexe n’avaient pas de pièces d’identité, car il violences n’allaient pas voir la police, en était difficile de faire refaire ses papiers raison de la réprobation sociale et des lorsque l’on n’était pas officiellement comportements discriminatoires associés à domicilié à une adresse fixe. Cette absence ces questions. À cela s’ajoutait le fait qu’elles de papiers limitait également l’accès des avaient peu confiance en la police et en la travailleurs et travailleuses du sexe aux soins justice. Dans un contexte où il lui était de santé et à d’autres services essentiels. difficile de trouver des moyens de subsistance, une femme battue avait IMPUNITÉ beaucoup de mal à quitter son conjoint et à La torture et les autres traitements cruels, devenir indépendante, surtout si elle voulait inhumains ou dégradants, ainsi que emmener ses enfants avec elle. l’impunité dont jouissent généralement les Selon la Commission nationale de la auteurs de tels actes, restaient monnaie statistique, 4 960 cas de violence courante. Les procédures judiciaires domestique auraient été enregistrés entre les concernant des allégations de torture mois de janvier et d’octobre ; 158 seulement traînaient souvent pendant des mois, voire auraient donné lieu à des poursuites. des années. Une loi visant à mieux protéger les Les autorités n’ont pas fait preuve d’une adolescentes du mariage forcé et précoce a réelle volonté d’enquêter sérieusement sur été adoptée en dernière lecture par le les violences interethniques qui se sont Parlement en octobre et promulguée par le produites en juin 2010 dans le sud du président le 18 novembre. Cette loi introduit Kirghizistan. Lors de ces violences, qui ont des sanctions pénales pouvant aller jusqu’à été le fait aussi bien de membres de la cinq ans d’emprisonnement contre communauté kirghize que de la communauté quiconque organise ou célèbre un mariage ouzbèke, c’est parmi cette dernière que les religieux où l’un au moins des époux est âgé morts et les blessés ont été les plus de moins de 18 ans. Cette disposition nombreux et les dégâts matériels les plus concerne aussi bien les responsables importants. Or, les poursuites engagées religieux que les parents des jeunes mariés. visaient de manière disproportionnée des personnes appartenant à la communauté ouzbèke. Personne n’a eu à répondre de la mort KOWEÏT d’Ousmanian Khalmirzaïev, un ressortissant État du Koweït russe d’origine ouzbèke qui a succombé à Chef de l’État : Sabah al Ahmad al Jaber al Sabah ses blessures en août 2011, après avoir été Chef du gouvernement : Jaber al Mubarak al Hamad al arrêté et passé à tabac par la police. Le Sabah 22 juillet, un juge du tribunal régional de Tchouï a confirmé l’acquittement prononcé Les autorités ont renforcé les restrictions à en octobre 2015 au bénéfice de quatre la liberté d’expression et elles ont poursuivi policiers soupçonnés d’avoir été mêlés au et emprisonné des détracteurs du décès de la victime, au motif que les preuves gouvernement aux termes des lois sur la étaient insuffisantes. diffamation ; certains d’entre eux étaient des prisonniers d’opinion. Les membres de VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ET la minorité bidun (Arabes apatrides) AUX FILLES continuaient de faire l’objet de La violence domestique, le mariage forcé et, discrimination et étaient privés des droits plus généralement, les violences faites aux relatifs à la citoyenneté. Les travailleurs femmes et aux filles sous diverses formes étrangers ne bénéficiaient toujours pas restaient très répandus dans la société. La d’une protection suffisante contre

270 Amnesty International — Rapport 2016/17 l’exploitation et les mauvais traitements. Parlement a adopté une loi sur les médias Des tribunaux ont prononcé de nouvelles électroniques, qui règlemente toutes les condamnations à mort, mais aucune publications en ligne, à savoir les services de exécution n’a été signalée. presse électroniques, les journaux en ligne, la télévision, les réseaux sociaux et les blogs, CONTEXTE qui sont légalement tenus d’obtenir du Le 31 décembre 2015, le Parlement a adopté gouvernement une licence d’exploitation. Les une nouvelle loi abaissant l’âge de la majorité autorités ont commencé à appliquer la de 18 à 16 ans. Après l’entrée en vigueur de nouvelle loi en juillet. La Loi sur les cette loi en janvier 2017, tout suspect de 16 publications a été modifiée en février pour ou 17 ans sera jugé comme un adulte et couvrir les publications en ligne. Une pourra, dans certains cas, encourir la peine nouvelle loi entrée en vigueur en juin interdit de mort. à quiconque a été condamné pour insultes Le Comité contre la torture [ONU] a envers Dieu, les prophètes ou l’émir de faire examiné en juillet le troisième rapport acte de candidature pour le Parlement, ce périodique du Koweït1. Il a ensuite exprimé qui a pour effet d’empêcher certains sa préoccupation à propos de modifications opposants du gouvernement d’être élus. du Code de procédure pénale qui, si elles Abdulhamid Dashti, député chiite de étaient adoptées, porteraient à quatre jours la l’opposition, a été privé de son immunité durée pendant laquelle la police peut détenir parlementaire en mars. Réfugié à l’étranger, il des suspects sans les présenter à un juge et faisait l’objet de poursuites pour diverses feraient passer la durée de la détention charges dans deux procès séparés, provisoire aux fins de l’enquête de 10 à notamment pour avoir publié sur les réseaux 21 jours maximum. sociaux et dans d’autres médias des En juillet, après l’examen du troisième commentaires critiquant pacifiquement les rapport périodique du Koweït sur l’application gouvernements de Bahreïn et d’Arabie du PIDCP, le Comité des droits de l’homme saoudite. Il encourait au total plus de 40 ans [ONU] a soumis des recommandations au de prison. En décembre, une cour d’appel a gouvernement, portant notamment sur la annulé son acquittement dans une des réforme des lois sur le blasphème et l’insulte, affaires et l’a condamné à 10 ans la criminalisation des violences au sein de la d’emprisonnement. Il ne pouvait pas faire famille, y compris le viol conjugal, et des appel sans retourner au Koweït. Il devait mesures pour mettre fin à l’apatridie également être jugé pour d’autres chefs des bidun2. d’inculpation liés à la liberté d’expression. Le Koweït est resté membre de la coalition L’ancien député Musallam al Barrak, internationale dirigée par l’Arabie saoudite détracteur bien connu du gouvernement, engagée dans le conflit armé au Yémen continuait de purger une peine de deux ans (voir Yémen). d’emprisonnement pour avoir critiqué les autorités dans un discours. Il faisait LIBERTÉ D’EXPRESSION ET DE également l’objet de poursuites pour d’autres RÉUNION chefs d’inculpation. En novembre, la Cour Les autorités ont renforcé les restrictions à la d’appel a confirmé les peines liberté d’expression. Une nouvelle loi sur la d’emprisonnement avec sursis prononcées cybercriminalité entrée en vigueur en janvier contre 13 personnes pour avoir publié ou a restreint encore davantage l’expression en récité des extraits du discours de Musallam ligne en érigeant en infraction pénale la al Barrak. critique pacifique du gouvernement et du En février, la Cour d’appel a confirmé la pouvoir judiciaire, entre autres ; les peine d’une année d’emprisonnement suivie contrevenants risquent jusqu’à 10 ans de l’expulsion du Koweït prononcée en 2015 d’emprisonnement. En janvier également, le à l’encontre d’Abdulhakim al Fadhli,

Amnesty International — Rapport 2016/17 271 défenseur des droits des bidun, pour avoir à des peines comprises entre cinq ans participé à un « rassemblement illégal » d’emprisonnement et la réclusion à pacifique. Il a été arrêté en avril pour purger perpétuité pour « espionnage en faveur de sa peine, qui a été confirmée en mai par la l’Iran et du Hezbollah », entre autres Cour de cassation. En juin, la Cour de charges. Certains des 26 accusés ont affirmé cassation pour les délits mineurs a ordonné que des membres des forces de sécurité les sa remise en liberté en attendant qu’il soit avaient torturés pendant leur détention statué sur son appel ; elle a confirmé en provisoire afin de leur arracher des « aveux ». septembre la peine prononcée en première La cour n’a mené aucune enquête sur leurs instance. Abdulhakim al Fadhli a été remis allégations de torture. En juillet, une cour en liberté en août après avoir purgé une d’appel a confirmé une sentence capitale peine de trois mois d’emprisonnement dans cette affaire, réduit d’autres peines et prononcée dans une autre affaire, mais il acquitté neuf accusés. Les autorités ont s’est livré aux autorités en septembre après la ensuite renvoyé 17 des accusés devant un décision de la Cour de cassation pour les tribunal pour de nouvelles infractions liées délits mineurs. au terrorisme. LUTTE CONTRE LE TERRORISME ET DÉCHÉANCE DE LA NATIONALITÉ SÉCURITÉ En avril, la Cour de cassation administrative a Le nombre d’arrestations et de procès liés au rejeté une décision de la Cour d’appel terrorisme a augmenté. Au moins deux administrative, qui s’était déclarée accusés ont été condamnés à mort et incompétente dans une procédure intentée d’autres à des peines d’emprisonnement. par l’ancien député Abdullah Hashr al Une loi de 2015 obligeant tous les Barghash contre une décision ressortissants et les résidents du pays à gouvernementale de le déchoir de sa fournir aux autorités un échantillon d’ADN est nationalité koweïtienne. L’ancien député a été entrée en vigueur en juillet, malgré des débouté par la Cour de cassation en appels nationaux et internationaux décembre. demandant qu’elle soit modifiée au motif qu’elle était disproportionnée et constituait DISCRIMINATION – LES BIDUN une atteinte à la vie privée. Aux termes de Plus de 100 000 bidun, Arabes apatrides cette loi, toute personne qui refuse résidant au Koweït, continuaient d’être privés d’obtempérer ou n’a pas d’excuse valable de la nationalité koweïtienne. En mai, le pour ne pas fournir un échantillon d’ADN est Parlement a approuvé un projet de loi qui passible d’une peine maximale d’un an devait accorder la nationalité koweïtienne à d’emprisonnement et/ou d’une amende un maximum de 4 000 bidun et l’a renvoyé pouvant aller jusqu’à 10 000 dinars devant le gouvernement ; la loi n’avait pas été koweïtiens (33 150 dollars des États-Unis). promulguée à la fin de l’année. Le En mai, la Cour de cassation a confirmé la gouvernement des Comores a déclaré en mai condamnation à mort d’un homme déclaré qu’il envisagerait d’accorder la « nationalité coupable d’avoir perpétré l’attentat à économique » aux bidun s’il recevait une l’explosif de juillet 2015 contre la mosquée demande officielle des autorités de l’imam Sadiq, à Koweït, et elle a ramené à koweïtiennes. 15 ans d’emprisonnement la peine de son co-accusé. La cour a retenu à titre de preuve DROITS DES FEMMES des déclarations qui auraient été arrachées Les femmes continuaient de subir des sous la torture et d’autres mauvais discriminations dans la législation et dans la traitements. pratique. En mai, la Commission En janvier, le Tribunal pénal a condamné parlementaire des affaires législatives et deux hommes à la peine capitale et 20 autres juridiques a approuvé un projet de

272 Amnesty International — Rapport 2016/17 modification de la Loi sur la nationalité qui liberté en mars après avoir passé près de devrait autoriser les Koweïtiennes à 17 ans en prison. transmettre leur nationalité à leurs enfants, L’enquête sur la disparition forcée d’un quelle que soit la nationalité du père. La loi membre de la société civile en 2012 n’avait modifiée n’avait pas été promulguée à la fin pas progressé à la fin de l’année. La peine de l’année. de mort est demeurée automatique pour les infractions graves liées aux stupéfiants. DROITS DES TRAVAILLEURS MIGRANTS Les travailleurs migrants, notamment ceux CONTEXTE travaillant comme domestiques ou dans le Le Parti révolutionnaire du peuple laotien, au secteur de la construction, étaient toujours pouvoir, a désigné un nouveau secrétaire exploités et maltraités en vertu du système de général et un nouveau bureau politique à parrainage (kafala), qui lie les travailleurs à l’issue d’un scrutin interne qui s’est tenu en leur employeur et les empêche de changer janvier. Les élections législatives de mars ont d’emploi ou de quitter le Koweït sans son donné lieu à la nomination d’un nouveau autorisation. En juillet, les autorités ont publié président et d’un nouveau Premier ministre. un décret instaurant un salaire minimum Le Laos demeurait un État à parti unique. pour les employés de maison, qui sont pour Les procédures spéciales des Nations la plupart des femmes. unies ont exprimé leur vive inquiétude au sujet des répercussions que pourrait avoir le PEINE DE MORT barrage de Don Sahong sur les moyens de Des tribunaux ont prononcé des subsistance de millions de personnes au condamnations à mort pour meurtre et Laos et dans les pays situés en aval, infractions liées aux stupéfiants, entre autres. notamment sur les droits des populations Aucune exécution n’a été signalée. concernées à une nourriture suffisante, à un logement adéquat, à l’information et à la participation, ainsi que sur les droits des 1. : Amnesty International submission to the UN Committee against Torture (MDE 17/4395/2016) peuples autochtones. 2. Kuwait: Amnesty International submission to the UN Human Rights Le Laos a par ailleurs assumé la Committee (MDE 17/4145/2016) présidence de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) en 2016. DISPARITIONS FORCÉES LAOS Le sort de Sombath Somphone, un membre République démocratique populaire laotienne bien connu de la société civile, demeurait Chef de l’État : Bounnhang Vorachith (a remplacé non élucidé à la fin de l’année. Celui-ci a été Choummaly Sayasone en avril) enlevé en 2012 devant un poste de police à Chef du gouvernement : Thongloun Sisoulith (a Vientiane, la capitale du pays. Des caméras remplacé Thongsing Thammavong en avril) de vidéosurveillance l’ont filmé alors qu’il était arrêté par la police et emmené dans un Les droits à la liberté d’expression, véhicule. d’association et de réunion pacifique ont Les autorités n’ont fourni aucune cette année encore fait l’objet information sur le lieu où se trouvait Kha d’importantes restrictions. L’État a renforcé Yang, un Laotien de la minorité hmong, qui a son contrôle sur les médias et la société été arrêté après son second renvoi forcé de civile alors que plusieurs sommets Thaïlande en 2011. Il avait déjà fait l’objet internationaux se sont tenus dans le pays. d’un renvoi forcé en 2009, alors même que La répression contre les défenseurs des le Haut-Commissariat des Nations unies pour droits humains s’est poursuivie. Deux les réfugiés (HCR) lui avait accordé le statut prisonniers d’opinion ont été remis en

Amnesty International — Rapport 2016/17 273 de réfugié, et avait de nouveau fui en a diffusé une séquence dans laquelle ils Thaïlande en 2011. présentaient des excuses pour leurs agissements et avouaient avoir protesté LIBERTÉ D’EXPRESSION contre les politiques du gouvernement. La Les organisations de la société civile ont famille de Somphone Phimmasone lui a continué d’être soumises à un contrôle brièvement rendu visite en prison en rigoureux de l’État. septembre. Les trois militants étaient toujours En janvier, un décret a restreint les en détention à la fin de l’année. activités de presse de certains médias internationaux et d’autres organismes. Ce CONFLITS FONCIERS décret prévoyait notamment une obligation Cette année encore, des cas de conflits de soumettre à l’approbation de l’État tout fonciers entre l’État et des particuliers ont été matériel avant sa publication. En novembre, signalés. Les mécanismes en place pour la Loi de 2008 relative aux médias a été gérer les griefs liés à la terre étaient modifiée pour que les médias se plient inadaptés. strictement aux politiques du gouvernement et fassent la promotion de celles-ci. 1. Laos. Trois militants laotiens détenus au secret (ASA 26/4603/2016) En vertu du Décret 327, qui interdit de critiquer l’État en ligne, les autorités ont continué de surveiller Internet. En août, une personne travaillant pour le ministère de la LESOTHO Sécurité publique a déclaré que la police surveillait les activités sur Facebook de toutes Royaume du Lesotho les personnes ayant un lien avec trois Chef de l’État : Letsie III Chef du gouvernement : Pakalitha Mosisili militants détenus, à savoir Lodkham Thammavong, Somphone Phimmasone et Soukan Chaithad. L’instabilité politique persistait après une Le Laos a finalement refusé d’organiser la tentative de coup d’État en 2014 et Conférence de la société civile de l’ANASE/le l’homicide d’un ancien chef des armées Forum des peuples de l’ANASE, invoquant en 2015. Plusieurs membres de partis des fonds insuffisants et le risque que des d’opposition étaient toujours en exil. Le acteurs de la société civile étrangers droit à la liberté d’expression restait soumis n’utilisent cet événement pour critiquer des à d’importantes restrictions. Des gouvernements membres de l’ANASE. journalistes ont fait l’objet de manœuvres d’intimidation, d’agressions physiques et de DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS poursuites pénales engagées pour des Lodkham Thammavong, Somphone motifs politiques en raison de leurs Phimmasone et Soukan Chaithad ont été activités, ce qui a poussé plusieurs d’entre arrêtés en mars après être revenus de eux à fuir le pays. Les droits à la santé et à Thaïlande. Selon certaines sources, ces un niveau de vie suffisant étaient menacés. personnes ont été maintenues en détention au secret pendant au moins six mois et elles INSTABILITÉ POLITIQUE ont été privées d’avocat1. Les trois militants Le rapport de la commission chargée par la ont été accusés d’atteintes à la sécurité Communauté de développement de l’Afrique nationale après avoir critiqué sur Internet le australe (SADC) d’enquêter sur l’instabilité au gouvernement laotien alors qu’ils se Lesotho a été rendu public en février. Les trouvaient en Thaïlande. Ils avaient par investigations de la commission ont porté ailleurs participé à une manifestation entre autres sur l’homicide du général pacifique devant l’ambassade du Laos à Maaparankoe Mahao par des soldats en juin Bangkok en 2015. En mai, la télévision d’État 2015, après qu’il eut été relevé de ses

274 Amnesty International — Rapport 2016/17 fonctions au sein des Forces de défense du demandaient à être placés sous « arrestation Lesotho (LDF) et remplacé par le général Tlali ouverte », annulant donc la décision de la Kamoli. Les soldats ont affirmé que Haute Cour. Leur procès devant un tribunal Maaparankoe Mahao avait ouvert le feu sur militaire a été reporté à plusieurs reprises. eux lorsqu’ils avaient tenté de l’arrêter, le Les cinq avocats qui représentaient les soupçonnant de comploter une mutinerie. Le soldats ont tous reçu des menaces de mort2. rapport de la SADC n’a trouvé aucun élément L’un d’entre eux a été arrêté et inculpé de corroborant ces soupçons et a conclu qu’il parjure pendant qu’il défendait les soldats avait été tué délibérément. Il préconisait détenus. De nouveaux chefs d’accusation l’ouverture d’une information judiciaire sur ce (fraude, outrage à magistrat et entrave à la meurtre et le limogeage de Tlali Kamoli. Le justice) ont été ajoutés à son acte gouvernement a annoncé le départ à la d’inculpation. retraite du général à compter du 1er décembre. TORTURE ET AUTRES MAUVAIS Le Premier ministre, Pakalitha Mosisili, a TRAITEMENTS chargé une équipe spéciale mixte, composée Comme les années précédentes, les de policiers et de militaires, d’enquêter sur membres des LDF emprisonnés étaient les circonstances de l’homicide de soumis à un traitement cruel, inhumain et Maaparankoe Mahao. La famille du général a dégradant3. Après une marche organisée par estimé que cette initiative manquait leurs enfants le 16 juin, certains des d’impartialité. militaires détenus ont été placés à l’isolement Lors de son sommet de juin, la SADC a et privés de nourriture. L’un d’entre eux s’est exhorté les dirigeants de l’opposition qui vu refuser des soins médicaux spécialisés et avaient fui le Lesotho après avoir reçu des d’autres ont été entravés. Makoae Taoana, un menaces de mort en 2015 à revenir dans le médecin qui a examiné les soldats après pays d’ici le mois d’août afin de participer qu’ils ont été arrêtés et torturés, est décédé aux réformes constitutionnelles et dans le dans un accident inexpliqué en juillet. La secteur de la sécurité qu’elle recommandait. police a annoncé qu’elle enquêtait sur les En novembre, le gouvernement a présenté circonstances de sa mort. un projet de loi d’amnistie qui, s’il était adopté, permettrait que de graves violations LIBERTÉ D’EXPRESSION des droits humains restent impunies. Des journalistes travaillant à la télévision, à la radio, dans la presse écrite ou sur les PROCÈS INÉQUITABLES réseaux sociaux étaient toujours en butte à Quinze membres des LDF inculpés de des agressions et à des actes de sédition et de mutinerie en mai 2015 étaient harcèlement. Le 23 juin, après avoir publié toujours détenus à la prison de sécurité un article avançant que Tlali Kamoli devait maximale de Maseru, alors que l’enquête de recevoir une indemnité de départ de la SADC n’a mis en évidence aucune preuve 50 millions de rands (3,5 millions de dollars convaincante de mutinerie et qu’elle a des États-Unis), la journaliste du Lesotho recommandé leur libération1. En Times Keiso Mohloboli a été interrogée au octobre 2015, la Haute Cour avait ordonné la siège de la police de Maseru et enjointe de libération de tous les soldats sous révéler ses sources. Le lendemain, elle a été « arrestation ouverte », une forme de caution arrêtée et interrogée aux côtés du rédacteur militaire, mais seuls sept d’entre eux ont été en chef du journal, Lloyd Mutungamiri. Le relâchés. Refusant de se conformer à la 5 juillet, Lloyd Mutungamiri et Basildon Peta, décision de la Haute Cour, Tlali Kamoli a été l’éditeur du Lesotho Times, ont été soumis à inculpé d’outrage à magistrat. Le 29 avril, la un interrogatoire. Basildon Peta a été inculpé cour d’appel a débouté de leur requête les de diffamation et d’une infraction connexe en soldats maintenus en détention, qui raison d’une chronique qui tournait en

Amnesty International — Rapport 2016/17 275 dérision Tlali Kamoli. Le 9 juillet, des hommes armés non identifiés ont attaqué et LETTONIE blessé Lloyd Mutungamiri devant chez lui. À la connaissance d’Amnesty International, République de Lettonie aucune enquête n’a été ouverte. Lloyd Chef de l’État : Raimonds Vējonis Mutungamiri avait été inculpé de diffamation Chef du gouvernement : Māris Kučinskis (a remplacé en septembre 2014 pour avoir publié des Laimdota Straujuma en février) informations sur la corruption de la police. Aucune suite n’a semble-t-il été donnée à Le Conseil de l’Europe et l’ONU ont cette affaire. Craignant pour sa vie, Keiso exprimé leur préoccupation quant à la Mohloboli a fui le Lesotho. situation des enfants handicapés. La Lettonie comptait plus de DROIT À LA SANTÉ 247 000 apatrides. Un certain nombre de Le système de santé publique était en proie à personnes risquaient encore d’être une crise de plus en plus grave, due en expulsées du pays. grande partie aux dettes contractées auprès de l’Afrique du Sud et de la Banque DISCRIMINATION mondiale pour financer la prestation de soins Personnes apatrides de santé. Les patients qui n’avaient pas les Le nombre d’apatrides est demeuré élevé : moyens de s’acquitter des nouveaux frais plus de 247 000 personnes en juillet, selon d’hospitalisation demandés pour couvrir les les chiffres les plus récents publiés par le remboursements des dettes étaient invités à gouvernement. Les personnes apatrides, se rendre en Afrique du Sud, le pays voisin, dont la grande majorité étaient d’origine pour bénéficier de soins gratuits, mais sans russe, n’étaient pas autorisées à exercer leurs que leurs frais de déplacement ne soient pris droits politiques. en charge. Droits des personnes handicapées DROIT À UN NIVEAU DE VIE SUFFISANT À l’issue d’une visite de cinq jours dans le Des villageois, du bétail et des tombes pays en septembre, le commissaire aux ancestrales ont été déplacés et réinstallés droits de l’homme du Conseil de l’Europe dans la ville de Mokhotlong pendant la s’est inquiété de la situation des personnes construction du barrage de Polihali, vaste handicapées dans les institutions, en projet entrepris au Lesotho pour alimenter particulier des enfants souffrant de l’Afrique du Sud en eau. Ne disposant que handicaps intellectuels et psychosociaux. Ses d’un espace restreint à Mokhotlong, les commentaires ont fait écho aux villageois ont perdu leurs moyens de préoccupations soulevées par le Comité des subsistance, puisqu’ils vivaient de l’élevage et droits de l’enfant des Nations unies, qui avait de l’agriculture vivrière. Les populations demandé en mars au gouvernement de vivant à proximité du barrage n’avaient prendre des mesures exhaustives pour toujours pas accès au réseau d’eau potable privilégier l’inclusion scolaire des enfants ni à l’électricité. handicapés plutôt que leur placement dans des institutions spécialisées.

1. Lesotho. Les conclusions d’une commission d’enquête indiquent qu’il faut relâcher immédiatement des soldats incarcérés RÉFUGIÉS ET DEMANDEURS D’ASILE (AFR 33/3444/2016) Le nombre de demandes d’asile est resté 2. Lesotho. Nouvel ajournement du procès de 23 militaires faible, avec quelque 350 dossiers déposés au (AFR 33/3481/2016) cours de l’année. 3. Lesotho. Des militaires détenus toujours victimes de mauvais La Commission européenne a critiqué le traitements (AFR 33/4411/2016) gouvernement pour avoir rejeté des demandes de relocalisation de demandeurs

276 Amnesty International — Rapport 2016/17 d’asile en provenance d’autres pays réfugiés palestiniens installés de longue européens sans justification ou pour des date au Liban continuaient d’être victimes motifs infondés. À la fin de l’année, la de discrimination. Le Parlement a adopté Lettonie avait relocalisé 148 demandeurs une nouvelle loi créant un Institut national d’asile dans le cadre du programme de des droits humains. Cette année encore, relocalisation et de réinstallation de l’Union des tribunaux ont prononcé des européenne. Le caractère non suspensif des condamnations à mort ; aucune exécution recours formés en cas de décision négative n’a eu lieu. dans le cadre de la procédure d’asile accélérée demeurait un sujet de CONTEXTE préoccupation. Cette procédure accroît la Le pays se trouvait toujours dans une probabilité pour les demandeurs d’être impasse politique en raison des tensions renvoyés dans des pays où ils risquent de entre les principaux partis. Toutefois, en subir de graves atteintes aux droits humains. octobre, le Parlement a élu un nouveau En mars, le Comité des droits de l’enfant président ; ce poste était vacant depuis mai s’est inquiété de la détention de demandeurs 2014. Les manifestations contre l’incapacité d’asile mineurs en attendant qu’il soit statué persistante du gouvernement à mettre en sur leur demande d’asile et a demandé au œuvre des solutions durables à la crise de gouvernement de mettre un terme à cette gestion des déchets ont été moins pratique. nombreuses qu’en 2015. La situation en matière de sécurité s’est détériorée ; plusieurs attentats à l’explosif ont eu lieu dans la capitale, Beyrouth, ainsi que LIBAN dans le gouvernorat de la Békaa. Cinq République libanaise personnes ont été tuées et 28 autres Chef de l’État : Michel Aoun (entré en fonction en blessées le 27 juin dans une série octobre) d’attentats-suicides perpétrés dans le village Chef du gouvernement : Saad Hariri (a remplacé de Qaa, à majorité chrétienne, situé dans la Tammam Salam en décembre) vallée de la Békaa. La plupart des victimes étaient des civils. À la suite de ces attaques, La situation des droits humains subissait l’armée a arrêté plusieurs dizaines de toujours le contrecoup du conflit armé en réfugiés accusés d’être en situation Syrie. Le Liban accueillait plus d’un million irrégulière au Liban. de réfugiés en provenance de Syrie, mais Les régions frontalières étaient toujours la les autorités ont fortement limité leur droit cible de tirs en provenance de Syrie, où le à l’asile et maintenu les restrictions qui groupe armé État islamique (EI) maintenait fermaient de fait les frontières du Liban aux en captivité des soldats libanais et des personnes fuyant la Syrie. La plupart des membres des forces de sécurité qu’il avait réfugiés étaient confrontés à des difficultés enlevés au Liban en 2014. économiques graves. Les femmes Les autorités judiciaires ont mis en subissaient des discriminations dans la accusation, en septembre, deux membres législation et dans la pratique, et elles des services de renseignement syriens à qui n’étaient pas suffisamment protégées ils reprochaient d’avoir commis des attentats contre les violences sexuelles et autres. Les à l’explosif simultanés en 2013 contre deux travailleurs migrants étaient en butte à mosquées de Tripoli, dans le nord du pays. l’exploitation et aux mauvais traitements. Ces attentats avaient fait 42 morts et quelque Les autorités n’ont pris aucune mesure pour 600 blessés – des civils pour la plupart. Ni enquêter sur le sort des milliers de l’un ni l’autre de ces deux hommes n’avait personnes enlevées ou portées disparues été arrêté à la fin de l’année. pendant la guerre civile de 1975-1990. Les

Amnesty International — Rapport 2016/17 277 déplorables, dans des logements surpeuplés TORTURE ET AUTRES MAUVAIS et des quartiers densément peuplés. TRAITEMENTS L’appel humanitaire des Nations unies en En octobre, le Parlement a adopté une faveur des réfugiés syriens au Liban n’était nouvelle loi visant à créer un Institut national financé qu’à 52 % à la fin de l’année, et le des droits humains, comportant une nombre de places de réinstallation offertes commission chargée d’enquêter sur le dans d’autres pays demeurait insuffisant. La recours à la torture et à d’autres formes de diminution des financements a amené les mauvais traitements dans tous les lieux de Nations unies à réduire le montant de leur détention, à savoir les prisons, les postes de soutien aux réfugiés de Syrie au Liban, ainsi police et les centres de détention pour que le nombre de bénéficiaires de ce migrants. soutien. Le 8 janvier, en violation du principe de RÉFUGIÉS ET DEMANDEURS D’ASILE « non-refoulement », les forces de sécurité Outre quelque 280 000 réfugiés palestiniens en poste à l’aéroport de Beyrouth ont renvoyé installés de longue date et plus de de force en Syrie plus d’une centaine de 20 000 réfugiés originaires, entre autres, Syriens qui tentaient de se rendre en Turquie d’Irak, du Soudan et d’Éthiopie, le Liban en passant par le Liban. accueillait plus d’un million de réfugiés Les réfugiés palestiniens, dont beaucoup syriens. étaient installés de longue date au Liban, Le Liban n’était toujours pas partie à la étaient toujours soumis à des lois Convention de 1951 relative au statut des discriminatoires qui les privaient de leur droit réfugiés [ONU] ni à son protocole de 1967. de posséder des biens ou d’en hériter, ne Cette année encore, les réfugiés syriens ont leur permettaient pas d’accéder à été confrontés à des restrictions importantes l’enseignement public et aux services de de leur droit de solliciter l’asile, les autorités santé, et les empêchaient d’exercer au moins libanaises ne les reconnaissant pas 35 professions. Au moins 3 000 Palestiniens officiellement comme réfugiés. Les critères dépourvus de papiers d’identité officiels stricts introduits en janvier 2015 ont été étaient également confrontés à des maintenus et tous les réfugiés de Syrie qui ne restrictions pour faire enregistrer naissances, les remplissaient pas se sont vu refuser mariages et décès. l’entrée au Liban, ce qui, en pratique, revenait à fermer les frontières libanaises aux DROITS DES FEMMES personnes fuyant le conflit et les persécutions Les femmes restaient soumises aux lois sur le en Syrie. Une décision prise en mai 2015 par statut personnel qui contenaient des le gouvernement interdisait toujours au Haut- dispositions discriminatoires en matière de Commissariat des Nations unies pour les mariage, de divorce, de garde des enfants et réfugiés (HCR) d’enregistrer les réfugiés d’héritage. Les Libanaises mariées à des nouvellement arrivés. Au Liban, les réfugiés étrangers n’avaient toujours pas la possibilité syriens rencontraient des problèmes de transmettre leur nationalité à leurs financiers et administratifs pour obtenir un enfants, une restriction qui ne s’appliquait permis de séjour ou le faire renouveler, ce pas aux Libanais mariés à des étrangères. qui les exposait en permanence au risque Les femmes n’étaient pas protégées contre d’être arrêtés de manière arbitraire, placés en le viol conjugal, que la Loi de 2013 relative à détention et renvoyés de force en Syrie. Ils la protection des femmes et des membres de étaient également confrontés à des difficultés la famille contre la violence familiale n’avait économiques graves. Selon les Nations pas érigé en infraction pénale. Cette loi a été unies, 70 % des familles de réfugiés syriens utilisée en 2016 pour inculper les maris de vivaient en deçà du seuil de pauvreté et plus Roula Yaacoub et de Manal Assi, qui avaient de la moitié vivaient dans des conditions battu leur épouse à mort, respectivement

278 Amnesty International — Rapport 2016/17 en 2013 et en 2014. Manal Assi a été d’outrage à magistrat pour n’avoir pas condamné à mort ; sa peine a été ramenée respecté une décision de justice qui leur en juillet à cinq ans d’emprisonnement. ordonnait de supprimer des informations sur Les réfugiées syriennes et palestiniennes des témoins confidentiels. Le 29 août, le de Syrie étaient exposées à de graves tribunal a condamné Ibrahim al Amine à une atteintes à leurs droits humains, notamment amende de 20 000 euros et le journal à des violences liées au genre, à l’exploitation Al Akhbar à une amende de 6 000 euros. et au harcèlement sexuel, en particulier dans des lieux publics. Celles qui étaient chefs de IMPUNITÉ famille risquaient tout particulièrement d’être Cette année encore, les autorités n’ont rien harcelées par des hommes lorsqu’aucun fait pour mettre en place un organe national parent de sexe masculin ne vivait avec elles indépendant chargé d’enquêter sur le sort au Liban. De nombreuses réfugiées de Syrie des milliers de personnes victimes de étaient dépourvues de permis de séjour disparition forcée, ou portées disparues, valable, raison pour laquelle elles craignaient pendant la guerre civile de 1975-1990, et qui de dénoncer aux autorités libanaises le ont probablement été victimes d’homicides harcèlement ou d’autres formes de violences. illégaux. Cette inaction ne faisait que prolonger la souffrance des familles des DROITS DES TRAVAILLEURS MIGRANTS disparus, qui continuaient de se heurter à Les travailleurs migrants ne bénéficiaient pas des obstacles administratifs, juridiques, des protections prévues par le droit du sociaux et économiques liés à la disparition travail, risquant ainsi d’être exploités par leur forcée de leurs proches. employeur et soumis à des mauvais traitements physiques, sexuels et PEINE DE MORT psychologiques. Les employés de maison Les tribunaux ont prononcé au moins (essentiellement des femmes), employés 107 condamnations à mort pour des crimes sous le système de parrainage (kafala), qui liés au terrorisme. Aucune exécution n’a eu lie le travailleur à son employeur, étaient lieu depuis 2004. particulièrement vulnérables. JUSTICE INTERNATIONALE Tribunal spécial pour le Liban LIBYE Le procès par contumace de quatre hommes État de Libye accusés de complicité dans l’assassinat de Chef de l’État : litigieux l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, tué Chef du gouvernement : Fayez Serraj avec plusieurs autres personnes dans l’explosion d’une voiture piégée à Beyrouth Des forces armées affiliées à deux en 2005, s’est poursuivi devant le Tribunal gouvernements rivaux et d’autres groupes spécial pour le Liban (TSL), basé aux Pays- armés et milices ont commis des violations Bas. Les quatre accusés n’avaient toujours graves du droit international et des atteintes pas été arrêtés. Un cinquième est mort aux droits humains, en toute impunité. en Syrie. Toutes les parties au conflit ont mené des Le 8 mars, la chambre d’appel du TSL a attaques aveugles ou visant directement des acquitté la journaliste libanaise Karma Khayat civils, qui ont entraîné le déplacement de et son employeur, la chaîne de télévision milliers de personnes à l’intérieur du pays Al Jadeed TV, d’entrave au bon et provoqué une crise humanitaire. En fonctionnement de la justice. Le 15 juillet, le l’absence d’un système judiciaire TSL a inculpé le quotidien Al Akhbar et son opérationnel, plusieurs milliers de rédacteur en chef, Ibrahim al Amine, personnes ont été maintenues en détention d’entrave à l’administration de la justice et sans jugement ; le recours à la torture et

Amnesty International — Rapport 2016/17 279 aux mauvais traitements restait très d’anciennes unités militaires et des milices répandu. Des groupes armés, dont l’État tribales sous le commandement du général islamique (EI), ont enlevé, détenu et tué en retraite Khalifa Haftar, a renforcé son des civils et ont sévèrement restreint les pouvoir et pris le contrôle d’importantes droits à la liberté d’expression et de parties du territoire dans l’est du pays. Dans réunion. Les femmes faisaient l’objet de les régions qu’elle contrôlait, l’ANL a discrimination et elles ont été victimes de remplacé des chefs de conseils municipaux violences sexuelles et d’autres formes de issus des urnes par des gouverneurs violence, infligées particulièrement par des nommés par l’armée, et ses forces se sont combattants de l’EI. Les réfugiés, emparées en septembre de terminaux demandeurs d’asile et migrants étaient pétroliers importants qui étaient aux mains soumis à de graves atteintes aux droits d’un groupe armé allié au GUN. L’ALN a humains, notamment la détention pour une continué de participer aux combats contre le durée indéterminée ainsi que des actes de Conseil consultatif des révolutionnaires de torture et des mauvais traitements infligés Benghazi (CCRB), un groupe armé basé par les autorités et par des groupes armés dans cette ville, et a mené des frappes et des passeurs. La peine de mort était aériennes à Derna. maintenue ; aucune exécution n’a été L’EI contrôlait des quartiers de la ville signalée. côtière de Syrte et revendiquait d’autres secteurs. En février, une cinquantaine de CONTEXTE personnes, dont deux Serbes retenus en La Libye est restée profondément divisée. otage par l’EI, auraient trouvé la mort dans Deux gouvernements rivaux ont continué de une frappe aérienne américaine contre un revendiquer leur légitimité politique et de se camp d’entraînement présumé de l’EI à disputer le contrôle du pays dans un climat Sabratha, une ville de l’ouest du pays. En d’effondrement de l’économie et d’anarchie mai, des forces du GUN, formées généralisée, dans lequel les groupes armés et essentiellement de groupes armés de les milices se livraient à des enlèvements Misratah, ont lancé une offensive contre des contre rançon et commettaient des positions de l’EI à Syrte. Elles ont reçu en homicides illégaux en toute impunité. août le soutien de frappes aériennes Le Conseil présidentiel du gouvernement américaines et ont pris le contrôle de la ville d’union nationale (GUN), soutenu par les début décembre. Nations unies, est entré dans la capitale, En avril, l’Assemblée constituante a rendu Tripoli, en mars et s’est emparé du pouvoir public un projet de constitution révisé, qui exercé jusque-là par le gouvernement de devait être soumis à un référendum national salut national (GSN), avec le soutien de pour approbation ; aucune date n’avait groupes armés basés dans des villes de toutefois été fixée pour cette consultation à la l’ouest du pays qui appuyaient auparavant le fin de l’année. GSN. Celui-ci a continué de revendiquer sa Le Conseil de sécurité [ONU] a prolongé légitimité et a tenté sans succès de jusqu’au 15 septembre 2017 le mandat de la reconquérir le pouvoir par la force en Mission d’appui des Nations unies en Libye octobre. Sur fond d’affrontements (MANUL). sporadiques entre groupes armés, y compris dans les régions qu’il contrôlait, le GUN n’est CONFLIT ARMÉ INTERNE pas parvenu à conforter son pouvoir. Sa Pilonnages aveugles et attaques visant légitimité restait par ailleurs contestée par le directement des civils parlement officiel libyen, la Chambre des Les groupes armés liés à toutes les parties au représentants (CDR), basée à Tobrouk. conflit ont commis des crimes de guerre, L’Armée nationale libyenne (ANL), un notamment des attaques visant directement groupe armé allié à la CDR et regroupant des civils, ou des attaques aveugles utilisant

280 Amnesty International — Rapport 2016/17 des armes imprécises comme des obus de ainsi qu’en provoquant des déplacements mortier et d’artillerie, qui ont tué et blessé de massifs de population. Beaucoup d’habitants très nombreuses personnes. Les combattants ont du mal à subvenir aux besoins de leur de l’EI ont mené des attaques sans famille en raison de l’effondrement de discrimination au moyen d’engins explosifs l’économie. improvisés et ont commis des attentats- L’Organisation mondiale de la santé (OMS) suicides contre des forces alliées au GUN. a annoncé en avril que le système de santé À Benghazi, l’ANL a mené des frappes libyen s’était pratiquement effondré ; elle aériennes et des tirs d’artillerie en direction estimait, en juin, que près de 60 % des du faubourg de Ganfouda et d’autres zones hôpitaux publics situés dans les zones de civiles contrôlées par le CCRB, lequel a conflit étaient fermés ou inaccessibles. procédé à des tirs d’artillerie visant d’autres Des centaines de civils étaient bloqués à secteurs densément peuplés de civils. Le cause des combats à Ganfouda, en 1er juillet, deux civils ont été tués à Ganfouda périphérie de Benghazi, et privés d’accès à dans une frappe aérienne de l’ANL. Le l’eau potable, à la nourriture, à l’électricité et 4 octobre, trois civils ont trouvé la mort à Sidi aux soins médicaux. Hussein, un quartier du centre de Benghazi, Selon le Bureau de la coordination des à la suite de tirs d’artillerie aveugles affaires humanitaires des Nations unies imputables, semble-t-il, aux forces du CCRB. (OCHA), en octobre, 1,3 million de Des attaques menées par des groupes personnes avaient besoin d’aide humanitaire. armés et des milices à Benghazi ont pris pour cible des hôpitaux et d’autres bâtiments Enlèvements et prises d’otages civils. Un attentat à la voiture piégée perpétré Des groupes armés, dont certains étaient liés le 24 juin à l’hôpital Al Jalaa a fait cinq morts aux deux gouvernements rivaux, ont enlevé et 13 blessés, des civils pour la plupart. et détenu des civils du fait de leur origine, de Des frappes aériennes de l’ANL qui leurs opinions et de leur affiliation politique visaient des groupes armés liés à Al Qaïda ou tribale présumée. La montée de la ont tué des civils à Derna, une ville de l’est criminalité en l’absence d’un système de la Libye. Selon la MANUL, des frappes judiciaire opérationnel a également favorisé aériennes de l’ANL ont tué six civils, dont des l’enlèvement contre rançon de civils par des enfants, en juin. groupes armés et des bandes à Tripoli et Des civils ont également été tués et dans d’autres villes. blessés dans des combats entre groupes Parmi les personnes enlevées figuraient armés rivaux à Tripoli, Al Zawiyah et dans des militants politiques et des droits d’autres villes de l’ouest de la Libye, ainsi que humains, entre autres, des journalistes, ainsi dans des affrontements tribaux dans le sud que des magistrats et d’autres fonctionnaires. du pays. Le 16 octobre, des échanges de tirs Des étrangers ont été pris pour cible en d’obus aveugles entre les forces du GUN et raison de leur religion, de la couleur de leur des groupes armés affilés au GSN ont atteint peau ou de leur nationalité. Certains ont été un camp de personnes déplacées à Tripoli, libérés après le versement d’une rançon ou tuant une civile et blessant plusieurs autres grâce à une médiation locale. personnes. Des groupes armés ont continué de retenir en otage des civils enlevés en 2014 afin de Conséquences humanitaires les utiliser pour des échanges de prisonniers. Le conflit a eu des conséquences En septembre, un groupe armé basé à Zintan désastreuses pour les civils, en restreignant a libéré Suleiman al Zubi, ancien membre du fortement, voire en empêchant, leur accès à Congrès général national enlevé en 2014, la nourriture, aux soins médicaux, à semble-t-il en échange de prisonniers l’éducation, à l’électricité, et à originaires de Zintan qui étaient détenus l’approvisionnement en carburant et en eau, à Misratah.

Amnesty International — Rapport 2016/17 281 L’EI a enlevé et détenu des membres de infligés à Saadi Kadhafi, aurait été réintégré groupes armés rivaux et des civils, dont des dans ses fonctions. étrangers employés dans le secteur pétrolier, La CPI s’est engagée, en novembre, à des travailleurs migrants et des réfugiés. privilégier en 2017 ses investigations sur les D’autres groupes armés ont également crimes qui continuent d’être commis en capturé des étrangers pour obtenir le Libye, notamment ceux perpétrés par l’EI et paiement d’une rançon. Au nombre des d’autres groupes armés, et à décerner de victimes figuraient deux Italiens et un nouveaux mandats d’arrêt. Elle n’a toutefois Canadien enlevés le 19 septembre sur leur pas ouvert de nouvelles enquêtes en 2016, lieu de travail à Ghat, dans le sud-ouest de la invoquant des problèmes de sécurité et le Libye, et qui ont été relâchés au début de manque de moyens. novembre. Saif al Islam Kadhafi, qui faisait l’objet d’un mandat d’arrêt décerné par la CPI pour des Homicides illégaux crimes contre l’humanité commis durant le Des groupes armés, donc certains étaient conflit de 2011, était toujours détenu par une affiliés aux gouvernements rivaux, ont milice à Zintan. commis des homicides illégaux de Aucune des parties au conflit n’a mis en combattants de groupes adverses faits œuvre les dispositions relatives aux droits prisonniers et de civils enlevés qu’ils humains de l’Accord politique libyen conclu considéraient comme des opposants. en décembre 2015 sous l’égide de l’ONU, et En février, les forces de l’EI auraient notamment celles qui les obligeaient à libérer décapité 11 membres d’une force de sécurité les personnes détenues sans aucun locale qu’elles avaient capturés à Sabratha. fondement légal. En juin, 12 hommes détenus pour des infractions présumées commises sous le PERSONNES DÉPLACÉES régime de Mouammar Kadhafi auraient été Le nombre de personnes déplacées à abattus peu après leur remise en liberté de la l’intérieur du pays avait atteint près de prison d’Al Baraka, à Tripoli, gérée par le 350 000 en août, selon l’Organisation ministère de la Justice. Ils ont apparemment internationale pour les migrations (OIM). été victimes d’exécutions extrajudiciaires. Parmi elles figuraient quelque En juillet, les corps de 14 hommes ont été 40 000 habitants de Tawargha qui avaient été retrouvés à Al Laithi, un quartier de Benghazi contraints de quitter leur foyer cinq ans plus que l’ANL avait repris au CCRB. Ils avaient tôt. Des représentants de Misratah et de les mains et les pieds liés et avaient été Tawargha ont signé, en août, un accord de abattus, mais on ignore par qui. réconciliation visant à faciliter leur retour. Les gouvernements rivaux n’ont pas mené La plupart des habitants civils de Syrte ont d’enquête sérieuse ni indépendante sur ces fui la ville en mai au moment de l’offensive homicides et les responsables n’ont pas eu à du GUN contre l’EI. Certains ont pu rentrer rendre compte de leurs actes. chez eux bien que les combats aient causé des dommages considérables. Le conflit à IMPUNITÉ Benghazi et les affrontements tribaux dans le L’impunité persistait bien que le procureur sud du pays ont également entraîné des général ait informé, en janvier, la Cour pénale déplacements de population. internationale (CPI) que des mandats d’arrêt avaient été décernés contre trois agents de LIBERTÉ D’EXPRESSION, l’État accusés d’avoir torturé Saadi Kadhafi D’ASSOCIATION ET DE RÉUNION en détention. On ignorait si ces trois hommes Cette année encore, des groupes armés et avaient été arrêtés et inculpés. Le directeur des milices ont harcelé, enlevé, torturé et tué de la prison d’Al Hadba, qui avait été des défenseurs des droits humains et des suspendu à la suite des actes de torture

282 Amnesty International — Rapport 2016/17 militants politiques, entre autres, ainsi que La Cour suprême n’avait toujours pas des journalistes. réexaminé à la fin de l’année les En mars, des personnes non identifiées condamnations à mort prononcées à ont tué le militant des droits humains Abdul l’encontre de Saif al Islam Kadhafi, Basir Abu Dahab , dans un attentat à la d’Abdallah al Senoussi et de sept autres voiture piégée à Derna. Le même mois, des anciens hauts responsables. membres d’un groupe armé ont saccagé les locaux de la chaîne de télévision Al Nabaa, à Torture et autres mauvais traitements Tripoli, et agressé des journalistes ; des Le recours à la torture et aux mauvais hommes armés ont en outre enlevé le traitements restait monnaie courante, en blogueur et journaliste Ali al Asbali à Al Marj, particulier lors des arrestations ou des dans l’est du pays ; il a été libéré quatre mois enlèvements et pendant la détention dans plus tard. des prisons officielles ou non officielles, en En août, à Tripoli, des membres d’un toute impunité. groupe armé ont enlevé et retenu pendant Les conditions carcérales se sont une courte période Aboubaker al Bizanti, détériorées dans les lieux de détention journaliste pour la chaîne de télévision Al officiels, notamment dans les prisons d’Al Ahrar, qui avait critiqué la présence de Hadba et d’Al Baraka, où étaient détenus, groupes armés et de milices dans la capitale. entre autres, d’anciens hauts responsables Des personnes qui participaient à des du régime de Mouammar Kadhafi. L’état de rassemblements publics et à des santé de nombreux prisonniers s’est dégradé manifestations ont été agressées. En mai, des en raison de l’insuffisance de nourriture et du individus non identifiés ont tiré des obus de manque de soins médicaux appropriés ; la mortier en direction de personnes qui torture aurait été utilisée pour punir manifestaient sur la place Al Kish, à les détenus. Benghazi ; six civils ont été tués. DROITS DES RÉFUGIÉS ET DES SYSTÈME JUDICIAIRE MIGRANTS Le système judiciaire était en état de Des réfugiés et des migrants ont été victimes délabrement et les tribunaux ne parvenaient de graves atteintes à leurs droits pas à traiter les dossiers de milliers de fondamentaux commises par des membres détenus qui n’avaient pas été jugés, dont de groupes armés, des passeurs et des certains étaient en instance depuis 2011. trafiquants d’êtres humains ainsi que par des Plusieurs milliers de personnes étaient gardiens dans les centres de détention toujours détenues, sans jugement, dans des officiels. prisons et des centres de détention officiels L’OIM a annoncé en octobre avoir recensé ainsi que dans des prisons non officielles 276 957 migrants en Libye, mais elle estimait gérées par des groupes armés. Des que le nombre réel était compris entre prisonniers ont été libérés à la faveur 700 000 et un million. Le Haut-Commissariat d’amnisties ; c’était notamment le cas de des Nations unies pour les réfugiés (HCR) 17 hommes détenus à Misratah et qui ont avait enregistré 38 241 réfugiés à la fin recouvré la liberté en mars. de l’année. Le procès de Saadi Kadhafi, toujours Le droit libyen érigeait toujours en détenu dans la prison d’Al Hadba à Tripoli, infractions l’entrée, la sortie et le séjour n’avait pas encore eu lieu. En avril, le Groupe irréguliers dans le pays. De nombreux de travail sur la détention arbitraire [ONU] a migrants et demandeurs d’asile en situation déclaré que la détention de cet homme et de irrégulière avérée ou présumée ont été 11 autres anciens hauts responsables du appréhendés à des postes de contrôle et lors régime de Mouammar Kadhafi était arbitraire de descentes dans des habitations, ou et dépourvue de fondement légal. dénoncés aux autorités par leur employeur.

Amnesty International — Rapport 2016/17 283 Des milliers étaient maintenus en détention perpétrées par des bandes criminelles, et dans des locaux du Service de lutte contre notamment d’enlèvement, d’extorsion, de l’immigration illégale pour une durée violences sexuelles, voire d’homicide. Les indéterminée, dans l’attente de leur combattants de l’EI ont également enlevé des expulsion . Bien qu’ils dépendent réfugiés et des migrants, forçant certains à se officiellement du ministère de l’Intérieur, ces convertir à l’islam ; ils ont fait subir des centres étaient souvent gérés par des violences sexuelles à des réfugiées et des groupes armés en dehors du contrôle effectif migrantes, dont certaines auraient été du GUN. Les détenus, qui étaient enfermés mariées de force. L’OIM a indiqué en octobre dans des conditions sordides, étaient torturés que 71 % des migrants qui avaient suivi la et maltraités par les gardiens ; ils étaient route de la Méditerranée centrale pour se battus, essuyaient des tirs, et étaient rendre d’Afrique en Europe se plaignaient exploités et soumis à des violences sexuelles. d’avoir subi des pratiques s’apparentant à de Le HCR a recensé 24 centres de rétention la traite et que 49 % avaient été victimes dans le pays. d’enlèvement et d’extorsion en Libye. Le 1er avril, des gardiens ont abattu au moins quatre migrants qui tentaient de DROITS DES FEMMES s’évader du centre d’Al Nasr, à Al Zawiyah. Les femmes continuaient de faire l’objet de Des milliers de réfugiés, demandeurs discrimination dans la législation et dans la d’asile et migrants tentaient de quitter la pratique et elles étaient marginalisées sur le Libye et de traverser la Méditerranée pour se plan social, politique et économique. Le rendre en Europe à bord de bateaux projet de Constitution rendu public en avril inadaptés à un voyage en mer fournis par envisageait de garantir aux femmes 25 % des des passeurs. Selon l’ONU, 5 022 personnes sièges à la CDR et dans les conseils locaux s’étaient noyées à la fin de l’année en tentant pendant 12 ans. le voyage depuis l’Afrique du Nord, la plupart À Syrte et dans d’autres régions qu’ils d’entre elles à partir de la Libye. contrôlaient, l’EI et d’autres groupes armés L’Union européenne a renouvelé en juin faisaient une interprétation stricte de la l’opération Sophia, mission navale de lutte charia, qui restreignait le droit des femmes contre les passeurs, dont le mandat a été de circuler librement et leur imposait un code étendu à la formation des garde-côtes vestimentaire ; ils auraient par ailleurs libyens, qui a commencé en octobre. Ceux-ci approuvé la pratique des mariages d’enfants. ont intercepté des milliers de personnes qui Des groupes armés ont menacé et harcelé tentaient de traverser la Méditerranée et les des femmes qui militaient dans l’espace ont ramenées en Libye, où elles ont été public. placées en détention pour une durée indéterminée dans des centres gérés par le PEINE DE MORT Service de lutte contre l’immigration illégale. La peine de mort restait en vigueur pour Les gardes-côtes ont, dans certains cas, toute une série de crimes ; aucune exécution commis des violations des droits humains, n’a été signalée. notamment en tirant sur des embarcations, en les abandonnant en mer et en frappant des migrants et des réfugiés à bord de leurs bateaux et à terre. Selon le HCR, les gardes- côtes libyens avaient intercepté ou secouru plus de 14 038 personnes à la date du 18 décembre. Des réfugiés, des demandeurs d’asile et des migrants ont été victimes d’atteintes graves à leurs droits fondamentaux

284 Amnesty International — Rapport 2016/17 introduit une requête contre la Lituanie LITUANIE devant la Cour européenne des droits de l’homme. République de Lituanie Chef de l’État : Dalia Grybauskaitė DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET Chef du gouvernement : Saulius Skvernelis (a DES PERSONNES BISEXUELLES, remplacé Algirdas Butkevičius en novembre) TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES Le 18 juin, 3 000 personnes ont participé à la La Marche pour l’égalité organisée à Vilnius Marche pour l’égalité de Vilnius, à l’occasion dans le cadre de la Baltic Pride 2016 s’est de la Baltic Pride 2016. La marche s’est déroulée sans incident majeur. Un déroulée sans incident majeur et a bénéficié ressortissant saoudien qui affirmait avoir d’une bonne protection policière. été emprisonné et torturé dans un centre de Le 28 juin, le Parlement lituanien a voté en détention secret de la CIA situé en Lituanie faveur d’une proposition de modification de s’est vu refuser le statut de victime. Il a la Constitution visant à restreindre la maintenant épuisé tous les recours définition de la « famille » contenue dans nationaux. l’article 38 afin d’en exclure les couples de même sexe. Deux votes au Parlement sont LUTTE CONTRE LE TERRORISME ET nécessaires avant l’adoption officielle de cette SÉCURITÉ modification. En juin, la Cour européenne des droits de l’homme a examiné une affaire dans laquelle DISCRIMINATION – LES PERSONNES la Lituanie était accusée de complicité dans HANDICAPÉES le programme mondial de détentions En mai, le Comité des droits des personnes secrètes et de « restitutions » mis en œuvre handicapées [ONU] a rendu publiques par la CIA, que les États-Unis ont engagé à la plusieurs recommandations et exprimé un suite des attentats du 11 septembre 20011. certain nombre d’inquiétudes, notamment en Abu Zubaydah, un homme apatride d’origine ce qui concerne l’accès à l’éducation et les palestinienne né en Arabie saoudite et obstacles systémiques à l’accès aux services incarcéré au centre de détention américain de santé pour les personnes handicapées. de Guantánamo (sur l’île de Cuba), avait introduit une requête contre la Lituanie en 1. Cour européenne des droits de l’homme. Deux victimes de 2011. Il affirmait avoir été soumis à une « restitution » par la CIA poursuivent la Roumanie et la Lituanie disparition forcée et torturé dans un centre (nouvelle, 29 juin) de détention secret de la CIA à Antaviliai entre 2005 et 2006, et reprochait à la Lituanie de ne pas avoir mené d’enquête MACÉDOINE satisfaisante sur sa détention secrète. À la fin de l’année, la Cour n’avait pas encore rendu Ex-République yougoslave de Macédoine sa décision dans cette affaire. Chef de l’État : Gjorge Ivanov En juin, le tribunal régional de Vilnius a Chef du gouvernement : Emil Dimitriev (a remplacé jugé que Mustafa al Hawsawi, ressortissant Nikola Gruevski en janvier) saoudien détenu à Guantánamo, ne pouvait prétendre au statut de victime dans l’enquête Les poursuites engagées à la suite des nationale sur la complicité de la Lituanie révélations en 2015 de faits de corruption dans le programme de la CIA. Mustafa au plus haut niveau ont été ralenties par al Hawsawi affirmait avoir été détenu dans le des querelles politiques, et la protection centre de détention secret d’Antaviliai, des témoins a été limitée. Les Roms ont été soumis à une disparition forcée et torturé victimes de discrimination dans l’accès aux entre 2004 et 2006. En décembre, il a droits et services fondamentaux. Les

Amnesty International — Rapport 2016/17 285 réfugiés et les migrants ont régulièrement protection des témoins pour les témoins fait l’objet de renvois forcés illégaux (push- concernés. backs) à la frontière avec la Grèce ou ont été placés en détention dans des DISCRIMINATION – LES ROMS installations inadaptées en Macédoine. En septembre, la Cour européenne des droits de l’homme a transmis à la Macédoine une CONTEXTE plainte concernant 53 personnes roms qui La crise politique déclenchée en 2015 par la contestaient leur expulsion forcée du quartier diffusion d’enregistrements sonores mettant informel « Polygone » à Skopje en août. Cette en évidence des faits de corruption au sein expulsion les avait contraintes à s’abriter du gouvernement et l’existence de pratiques dans des tentes et des abris de fortune en illégales de surveillance généralisée a périphérie de la capitale. perduré en 2016. Un gouvernement Quelque 600 réfugiés, principalement des technique de transition, composé de députés Roms, qui avaient fui le Kosovo en issus de la majorité et de l’opposition, a été 1999-2000, risquaient toujours de perdre formé après la négociation d’un accord leur accès à des moyens de subsistance et appuyé par la médiation de l’UE et des États- de voir d’autres de leurs droits bafoués, dans Unis. la mesure où les autorités continuaient de En avril, le président a annoncé l’amnistie leur retirer le droit de rester dans le pays de 56 responsables politiques de premier pour des motifs douteux liés à la sécurité plan qui faisaient l’objet d’une enquête pour nationale. À la fin de l’année, plus de leur implication dans le scandale des 80 d’entre eux (dont 30 enfants) s’étaient vu écoutes. En juin, il est revenu sur cette retirer leur statut de protection pour ne pas décision à la suite d’une vague de avoir satisfait à des contrôles de sécurité de manifestations baptisée la « révolution de routine menés dans le cadre du couleur ». renouvellement annuel de leur protection Des élections législatives ont finalement eu temporaire. La nature de ces contrôles lieu en décembre, après avoir été reportées n’ayant pas été communiquée aux personnes plusieurs fois. Le parti qui était au pouvoir concernées, il était impossible de la contester (l’Organisation révolutionnaire macédonienne devant les tribunaux. Une femme rom dont le interne – Parti démocrate pour l’unité statut de protection n’a pas été renouvelé a nationale macédonienne) s’est maintenu à la par la suite présenté un recours devant la tête du pays. Le principal parti de Cour européenne des droits de l’homme. l’opposition, ayant échoué de peu à recueillir la majorité des voix, a contesté les résultats. DROITS DES RÉFUGIÉS ET DES MIGRANTS JUSTICE Début mars, le ministère de l’Intérieur a La procureure spéciale nommée par le annoncé la fermeture de la frontière sud avec Parlement en septembre 2015 pour enquêter la Grèce, empêchant ainsi l’entrée de sur les représentants de l’État impliqués dans réfugiés et de migrants dans le pays (voir le scandale des écoutes et les infractions Grèce). Jusqu’à leur expulsion en mai, des commises par des personnalités politiques a milliers de réfugiés et de migrants étaient continué de subir des pressions dans bloqués dans le camp de fortune d’Idomeni, l’exercice de son travail. En octobre, le du côté grec de la frontière. Tout au long de Parlement de transition a rejeté une l’année, les autorités ont continué de proposition visant à prolonger le délai renvoyer sommairement des réfugiés et des accordé à la procureure, initialement fixé à migrants vers la Grèce, parfois de manière juin 2017, pour conclure toutes ses enquêtes violente. Le Haut-Commissariat des Nations et améliorer l’accès aux programmes de unies pour les réfugiés n’a pas enregistré de nouvelles entrées officielles après la

286 Amnesty International — Rapport 2016/17 fermeture de la frontière en mars. Les réfugiés et les migrants qui se voyaient CONTEXTE interdire l’entrée en Macédoine faisaient Madagascar avait du mal à surmonter l’objet de renvois forcés illégaux ou l’instabilité provoquée par cinq années de poursuivaient clandestinement leur route à crise politique. En avril, après des semaines travers le pays. de conflit politique, Olivier Mahafaly En septembre, huit personnes originaires Solonandrasana a remplacé Jean de Syrie, d’Irak et d’Afghanistan ont introduit Ravelonarivo au poste de Premier ministre. une requête auprès de la Cour européenne L’extrême pauvreté était généralisée et des droits de l’homme pour contester leur environ 91 % de la population vivait avec expulsion sommaire de Macédoine vers la moins de deux dollars des États-Unis par Grèce en mars. jour. Dans le sud, une période de sécheresse En septembre également, le haut- a aggravé la situation humanitaire déjà commissaire des Nations unies aux droits de catastrophique. Selon les organes des l’homme a reproché aux autorités d’avoir Nations unies, 1,2 million de personnes abandonné des centaines de réfugiés et de (environ 80 % de la population) vivant dans migrants, arrivés avant la fermeture de la le sud se trouvaient dans une situation frontière, dans des centres de transit d’insécurité alimentaire, dont 600 000 en inadaptés situés aux frontières nord et sud insécurité alimentaire grave. du pays, et dans le centre de détention pour étrangers de Gazi Baba, à Skopje. Des DROIT À LA SANTÉ migrants en situation irrégulière et des Les taux de mortalité néonatale et maternelle demandeurs d’asile ont continué d’être restaient très élevés et la détérioration du placés en détention de fait sans motifs système de soins de santé primaires était un juridiques et sans pouvoir contester la légalité obstacle majeur à l’accès aux services de de leur détention. santé les plus fondamentaux. L’accès limité à l’eau potable, le manque d’installations d’assainissement et les mauvaises pratiques en matière d’hygiène étaient particulièrement MADAGASCAR préoccupants, notamment au vu de République de Madagascar l’ampleur de la malnutrition chronique. Chef de l’État : Hery Rajaonarimampianina Chef du gouvernement : Olivier Mahafaly DROITS DES ENFANTS Solonandrasana (a remplacé Jean Ravelonarivo en À Madagascar, 47 % des enfants souffrent avril) de retards de croissance et près de 10 % de malnutrition aiguë. Dans un contexte de pauvreté généralisée, Alors que les familles tentaient de faire la malnutrition était très répandue et face aux conséquences de la sécheresse, l’accès aux soins de santé primaires se des informations ont fait état d’une hausse détériorait. Les droits de l’enfant étaient alarmante de l’exploitation économique. Des régulièrement bafoués. La police enfants ont notamment été employés dans commettait des violations des droits des mines, ou pour garder du bétail, et des humains en toute impunité et des cas d’exploitation sexuelle et de mariages fonctionnaires corrompus participaient à d’enfants ont été signalés. Les taux des activités de traite. Les femmes d’abandon de la scolarité dans les écoles continuaient de subir des discriminations primaires ont atteint 40 % dans certains dans la législation et dans la pratique. Le villages, selon l’UNICEF. droit à la liberté d’expression était restreint. La traite des enfants à des fins de Les conditions carcérales étaient toujours prostitution s’est poursuivie, souvent avec extrêmement dures. l’implication de membres de la famille. Ce

Amnesty International — Rapport 2016/17 287 phénomène était particulièrement répandu lequel les journalistes et les médias dans les zones touristiques et près des internationaux protestaient depuis des mois. exploitations minières. Ce code controversé prévoyait de lourdes amendes pour des infractions telles que IMPUNITÉ l’outrage, la diffamation ou l’insulte contre un Le gouvernement ne faisait pas respecter représentant de l’État. l’état de droit, permettant ainsi que des Des militants écologistes ont indiqué avoir violations des droits humains soient fait l’objet de menaces et d’actes de commises en toute impunité. Des harcèlement pour avoir porté sur la place affrontements mortels entre la police, des publique certaines pratiques comme le trafic villageois et des voleurs de bétail armés de bois de rose ou d’espèces menacées. Ils (dahalos) ont de nouveau éclaté dans le sud ont dénoncé le manque de protection de la du pays, faisant des victimes parmi la part du gouvernement. population civile. Des organisations de la société civile ont CONDITIONS DE DÉTENTION dénoncé l’absence d’accès libre et équitable Les conditions carcérales restaient à la justice, la corruption des représentants extrêmement dures, notamment en raison de l’État et leur implication dans des activités d’une forte surpopulation et d’infrastructures de traite des êtres humains. inadaptées. Près de 50 % des détenus Madagascar restait un pays souffraient d’une malnutrition modérée d’approvisionnement pour la traite à des fins à grave. de travail forcé et de prostitution. Malgré Environ la moitié des prisonniers n’avaient quelques mesures récentes, le gouvernement pas encore été jugés, la durée de la détention ne faisait pas le nécessaire pour empêcher la provisoire dépassant souvent la peine traite, protéger les victimes et traduire en maximale encourue. justice les trafiquants présumés, notamment les fonctionnaires complices de ces actes. DROITS DES FEMMES MALAISIE La Loi relative à la nationalité ne permettait Malaisie pas aux femmes de transmettre leur Chef de l’État : Muhammad V (a remplacé Abdul Halim nationalité à leurs enfants au même titre que Muadzam Shah en octobre) les hommes, ce qui créait de nombreux Chef du gouvernement : Najib Tun Razak apatrides. La prédominance du droit coutumier Cette année encore, les droits à la liberté favorisait les pratiques traditionnelles d’expression, de réunion pacifique et néfastes, en particulier les mariages d’association ont été réprimés. Des policiers arrangés, forcés et précoces. Les violences responsables de violations des droits sexuelles et autres formes de violences humains n’ont pas été tenus de rendre des physiques contre les femmes restaient comptes. Anwar Ibrahim, dirigeant de répandues, mais les taux de signalement l’opposition et prisonnier d’opinion, qui étaient faibles et les procès très rares. Les avait été reconnu coupable de « sodomie » initiatives visant à prévenir les violences liées sur la base d’accusations forgées de toutes au genre et à fournir des soins et traitements pièces, se trouvait toujours derrière les aux victimes étaient toujours insuffisantes. barreaux, où il purgeait une peine de cinq ans de prison. Des réfugiés et des LIBERTÉ D’EXPRESSION demandeurs d’asile fuyant des persécutions La Haute Cour constitutionnelle a approuvé ont été maintenus en détention pendant de en août un projet de loi instaurant un longues périodes dans des conditions nouveau Code de la communication, contre déplorables.

288 Amnesty International — Rapport 2016/17 du gouvernement, notamment le dessinateur LIBERTÉ D’EXPRESSION et militant politique Zunar. Des lois restrictives, telles que la Loi relative à la sédition et la Loi sur les communications et LIBERTÉ DE RÉUNION ET le multimédia, étaient toujours utilisées pour D’ASSOCIATION réduire au silence les détracteurs du Des défenseurs des droits humains et des gouvernement, qui étaient harcelés, intimidés parlementaires de l’opposition ont été jugés et souvent placés en détention. pour avoir participé à des manifestations En mars, The Malaysian Insider, un portail pacifiques3. En octobre, des manifestants qui d’actualités indépendant, a été fermé pour sillonnaient le pays en convoi pour faire des raisons commerciales après avoir été campagne en faveur d'une réforme électorale bloqué par le gouvernement. Avant cela, le et sensibiliser la population au site avait couvert de façon critique un rassemblement Bersih 5 ont fait l’objet scandale de corruption impliquant le Premier d’agressions physiques et de manœuvres ministre et concernant le détournement de d’intimidation ; les dirigeants de ce centaines de millions de dollars américains mouvement ont reçu des menaces de mort4. du fonds d’investissement d’État 1Malaysia Development Berhad (1MDB)1. ARRESTATIONS ET DÉTENTIONS Des militants politiques et des détracteurs ARBITRAIRES du gouvernement ont cette année encore été Des lois relatives à la détention provisoire ont visés par des poursuites. En mai, le militant cette année encore été utilisées pour placer politique Hishamuddin Rais a été déclaré en détention des personnes soupçonnées coupable de sédition par la Cour d’appel et d’infractions liées à la sécurité. La condamné à une amende de 5 000 ringgits formulation de la Loi sur la prévention du (1 140 dollars des États-Unis) pour avoir terrorisme était trop vague et susceptible de demandé une réforme électorale2. La même donner lieu à une utilisation abusive. En effet, amende a été infligée au militant étudiant elle ne définissait pas ce que l'on entendait Adam Adli pour le même chef d’inculpation. par « participer à la perpétration ou au Le jeune militant Mohd Fakhrulrazi a été soutien d’actes terroristes ». Elle permettait condamné à huit mois de prison pour aux autorités d’arrêter des personnes sans sédition après avoir réclamé la libération indiquer les motifs de la détention et de les d’Anwar Ibrahim. maintenir en détention jusqu'à 60 jours sans La Loi sur les communications et le inculpation ni jugement. La Loi sur les multimédia a été de plus en plus utilisée à atteintes à la sécurité autorisait un maintien l’encontre des détracteurs du gouvernement en détention pour une durée pouvant et des dissidents. En juin, le militant Fahmi atteindre 28 jours sans que le suspect ne soit Reza a été inculpé deux fois au titre de cette inculpé ni jugé. loi pour avoir caricaturé le Premier ministre Selon l’ONG de défense des droits sous les traits d’un clown. Accusé d’avoir fait humains La Voix du peuple malaisien des commentaires insultants à l’encontre du (Suaram), au moins 13 personnes ont été prince de Johore sur Facebook, Muhammad torturées et maltraitées pendant leur Amirul Zakwan a plaidé coupable et a été détention, en janvier et février, au titre de la condamné à deux ans en établissement Loi sur les atteintes à la sécurité. Ces d’éducation surveillée. Au moins trois autres personnes auraient notamment été battues, personnes ont été inculpées, détenues ou ont piétinées et forcées à se déshabiller et à se fait l’objet d’une enquête pour des livrer à des actes sexuels en présence des publications critiques à l’égard du prince sur autorités. À la fin de l’année, des enquêtes les réseaux sociaux. de la Commission malaisienne des droits Des interdictions arbitraires de sortie du humains étaient en cours. territoire ont été infligées à trois détracteurs

Amnesty International — Rapport 2016/17 289 La Loi sur le Conseil national de sécurité, centres de détention pour migrants de qui est entrée en vigueur en août, a accordé Malaisie étaient surpeuplés et les conditions des pouvoirs étendus à l’exécutif, notamment y demeuraient difficiles. la possibilité de procéder à des arrestations, Face au manque de transparence des des perquisitions et des saisies de biens sans autorités au sujet des enquêtes sur les mandat, d’imposer des couvre-feux et de charniers découverts à la frontière entre la contourner des mesures d’obligation de Thaïlande et la Malaisie en 2015, ainsi qu’en rendre des comptes, comme les enquêtes ce qui concerne l’identification des sur les causes de la mort de personnes tuées dépouilles, de nouveaux appels ont été dans les « zones de sécurité »5. lancés aux pouvoirs publics afin qu’ils En novembre, la présidente de Bersih, prennent des mesures adéquates pour Maria Chin Abdullah, a été arrêtée en lien enquêter sur ces morts. avec l’organisation de la manifestation Bersih (voir plus haut). Interpellée en vertu de la Loi PEINE DE MORT sur les atteintes à la sécurité pour avoir La condamnation automatique à la peine de « tenté de mener des activités préjudiciables mort continuait de s’appliquer pour un à la démocratie parlementaire », elle est certain nombre d’infractions telles que le restée détenue à l’isolement pendant trafic de stupéfiants, le meurtre et l’utilisation 11 jours dans un lieu inconnu, dans des d’une arme à feu dans l’intention de tuer ou conditions déplorables, et sans avoir été de blesser dans certaines circonstances. Les inculpée ni présentée à un juge. réformes de la peine capitale annoncées par le gouvernement en 2015 ne s’étaient POLICE ET FORCES DE SÉCURITÉ toujours pas concrétisées. Alors que des L’impunité était toujours la règle pour les cas exécutions et de nouvelles condamnations à de mort en détention et de recours excessif à mort continuaient d’être recensées, il la force. En avril, la Commission d’intégrité de n’existait toujours pas de procédure dûment l’Agence de l’application des lois a établi que établie pour informer les familles des les policiers chargés d’interroger exécutions prévues8. N. Dharmendran, décédé en garde à vue en 2013, étaient responsables de sa mort, due à 1. Malaysia: Drop investigations against members of the Malaysia Bar l’usage de la force physique, et que les (ASA 28/3758/2016) policiers avaient ensuite forgé des preuves 2. Malaisie. Une peine d'emprisonnement annulée, une amende pour dissimuler le traitement que cet homme confirmée (ASA 28/4051/2016) avait subi pendant son interrogatoire. 3. Malaisie. Il faut mettre fin à la répression contre les militants de Cependant, en juin, la haute cour de Kuala- Bersih (nouvelle, 18 novembre) Lumpur a acquitté les quatre policiers 4. Malaisie. Menaces de mort contre des organisateurs du inculpés du meurtre de cet homme. Sa veuve rassemblement Bersih (ASA 28/5014/2016) a intenté un procès au civil contre la police et 5. Malaisie. La Loi sur le Conseil national de sécurité donne aux le gouvernement6. autorités des pouvoirs abusifs échappant à tout contrôle (nouvelle, 1er août) RÉFUGIÉS ET DEMANDEURS D’ASILE 6. Malaisie. La police doit rendre des comptes pour la mort d'un homme en garde à vue (nouvelle, 29 juin) En mai 2015, face à une pression internationale intense, la Malaisie a accepté 7. Malaisie. Un an après, toujours pas de justice pour les victimes de la crise des « boat people » (nouvelle, 28 mai) d’accueillir 1 100 personnes bloquées au large de ses côtes. Le groupe, qui comptait 8. Malaisie. Il ne faut pas qu'ait lieu la pendaison de prisonniers, prévue pour le 25 mars (nouvelle, 23 mars) plus de 400 Rohingyas, a été maintenu en détention prolongée pendant plus d’un an dans des conditions éprouvantes. En juin 2016, la majorité des Rohingyas ont été libérés et certains ont été réinstallés7. Les

290 Amnesty International — Rapport 2016/17 non identifiés dans le village de MALAWI Mweneipenza 5, près de la frontière avec la Tanzanie. Pour persuader son mari d’ouvrir République du Malawi leur porte, un des agresseurs avait prétendu Chef de l’État et du gouvernement : Arthur Peter avoir besoin d’aide. Mutharika Le 19 août, un chef de village a été arrêté après avoir tenté de vendre un garçon Les agressions contre les personnes albinos âgé de sept ans dans le district de atteintes d’albinisme se sont poursuivies. Phalombe. Il a été placé en détention Au moins sept personnes ont été tuées et provisoire en attendant son procès. leurs corps mutilés. Les personnes albinos L’ignorance qui règne au sein de la société souffraient toujours d’isolement social. Les concernant l’albinisme et la stigmatisation manifestations étudiantes liées à la hausse des personnes albinos expliquent aussi des frais de scolarité ont été violemment pourquoi celles-ci voient leurs droits réprimées. Des opposants politiques au économiques, sociaux et culturels très gouvernement ont été arrêtés et inculpés souvent bafoués. Elles souffrent notamment de trahison. des atteintes suivantes : exclusion des programmes publics de réduction de la DISCRIMINATION – PERSONNES pauvreté ; absence de soutien dans les ATTEINTES D’ALBINISME écoles pour remédier au harcèlement et aux Cette année encore, des personnes atteintes difficultés d’apprentissage ; incapacité à d’albinisme ont été victimes d’agressions répondre à leurs besoins médicaux violentes et de mutilations1. Bien que de spécifiques ; et manque de perspectives sur hauts responsables du gouvernement, le plan économique. notamment le président, aient condamné publiquement ces attaques, les victimes et RÉPRESSION DE LA DISSIDENCE leurs proches n’avaient encore obtenu ni En février, trois parlementaires du Parti du justice ni réparations. Congrès du Malawi ont été arrêtés : la porte- En mars, un conseiller juridique spécial a parole du Congrès Jessie Kabwila, ainsi été nommé pour assister le ministère public qu’Ulemu Msungama et Peter Chankwantha. dans les affaires de crimes liés aux Ils ont été inculpés de trahison en raison de personnes atteintes d’albinisme. En juillet, le messages sur les réseaux sociaux, avant Parlement a modifié la Loi sur l’anatomie et le d’être libérés sous caution. Leur arrestation Code pénal pour alourdir les sanctions contrevenait aux dispositions protégeant les prévues en cas de vente de tissus humains et parlementaires à cet égard. de possession d’un cadavre ou de tissus En juillet, des étudiants de l’université du humains. Ces modifications ont été Malawi ont manifesté contre la multiplication promulguées en septembre. par trois des frais de scolarité imposée par le Au moins sept personnes albinos ont été gouvernement. Au Chancellor College, à tuées en 2016 et de nombreuses autres ont Zomba, la police a débarqué dans des foyers subi des agressions. Parmi les personnes et a procédé à des tirs de gaz lacrymogène tuées par des bandes criminelles se sur les étudiants qui cherchaient à se trouvaient Whitney Chilumpha, âgée de réfugier dans leurs chambres. Une vidéo a 23 mois, et Harry Mokoshoni, âgé de montré des policiers en train de gifler deux neuf ans. étudiantes. Le 26 juillet, 14 étudiants de En mai, des hommes non identifiés ont tué l’établissement Malawi Polytechnic, près de et mutilé Fletcher Masina, un homme Blantyre, ont été arrêtés et inculpés de albinos, alors qu’il travaillait dans son jardin. comportement susceptible de troubler l’ordre En juillet, Lucia Kainga a été attaquée et sa public. Ils ont finalement été libérés sous main droite a été coupée par des hommes caution. Onze étudiants de l’école d’infirmier

Amnesty International — Rapport 2016/17 291 Kamuzu ont aussi été arrêtés et inculpés contre des opposants politiques. Le 10 juin, d’« incitation à la violence ». Ils ont l’ancien vice-président Ahmed Adeeb a été finalement été libérés sous caution. condamné à une peine de 15 ans de réclusion après avoir été reconnu coupable de complot visant à assassiner le président. 1. « Nous ne sommes pas des animaux que l’on chasse ou que l’on vend » – Violence et discrimination contre les personnes albinos au L’équité de son procès a suscité de sérieux Malawi (AFR 36/4126/2016) doutes. En février, Sheikh Imran Abdulla, dirigeant du parti Adhaalath, a été condamné à 12 ans d’emprisonnement pour terrorisme MALDIVES à l’issue d’un procès qui a été très critiqué pour son iniquité et ses motivations République des Maldives politiques. La Cour suprême a confirmé les Chef de l’État et du gouvernement : Abdulla Yameen longues peines de prison prononcées à Abdul Gayoom l’encontre de l’ancien président Mohamed Nasheed et de l’ancien ministre de la Le gouvernement a intensifié sa répression Défense Mohamed Nazim, tous deux des libertés d’expression et de réunion condamnés à l’issue de procès dont l’iniquité pacifique. Les autorités ont utilisé de flagrante a été dénoncée. nouvelles lois et eu recours à des poursuites judiciaires pour réduire au silence les SYSTÈME JUDICIAIRE opposants politiques, les défenseurs des L’appareil judiciaire est demeuré sous droits humains, les journalistes et la société l’emprise du pouvoir politique. En juillet, un civile. Le manque d’indépendance du tribunal civil a menacé de sanctionner le pouvoir judiciaire est demeuré un motif de procureur de la République pour atteinte à préoccupation. Le gouvernement a pris des l’autorité du tribunal après que le parquet eût mesures en vue d’une reprise des annoncé son intention de faire appel d’une exécutions, après une interruption de plus décision interdisant aux anciens employés du de 60 ans. journal Haveeru de travailler pour un autre organe de presse pendant deux ans. Le CONTEXTE gouvernement n’a pas pris les mesures La coalition au pouvoir a adopté de nouvelles nécessaires pour renforcer la Commission lois limitant les manifestations pacifiques et la des services judiciaires afin de garantir liberté d’expression. Une coalition l’impartialité du pouvoir judiciaire. d’opposition, l’Opposition unie des Maldives, a vu le jour sous la direction de l’ancien vice- LIBERTÉ D’EXPRESSION président Mohamed Jameel et avec pour Une nouvelle loi sur la diffamation, érigeant conseiller l’ancien président Mohamed en infraction les propos, remarques ou autres Nasheed, à qui le Royaume-Uni a accordé actes « diffamatoires », a été adoptée par le l’asile politique. La coalition au pouvoir a Parlement et ratifiée par le président en août. montré des signes de plus en plus nombreux Cette loi, au champ d’application très large et de division entre les factions qui soutiennent formulée en termes vagues, offrait toute l’actuel président et celles qui sont restées latitude aux autorités pour s’en prendre à fidèles à l’ancien président Maumoon Abdul celles et ceux qui critiquaient pacifiquement Gayoom. le gouvernement et les réduire au silence1. Des médias libres et indépendants ont été PROCÈS INÉQUITABLES confrontés à des manœuvres de Les autorités ont eu tendance à ignorer de harcèlement, telles que des poursuites plus en plus les garanties en matière de judiciaires et des interdictions. Les nouveaux procès équitables, comme l’ont montré toute organes d’information Haveeru, DhiTV, une série de poursuites judiciaires engagées AdduLIVE et Channel News Maldives ont vu

292 Amnesty International — Rapport 2016/17 leurs activités bloquées à plusieurs reprises gouvernement. En août a été adoptée une loi ou ont été contraints de fermer. Quatre exigeant une autorisation écrite de la police journalistes de la chaîne de télévision pour organiser une manifestation à Malé. favorable à l’opposition Raajje TV ont été poursuivis pour entrave aux forces de l’ordre CHÂTIMENTS CRUELS, INHUMAINS OU après avoir couvert une manifestation ; une DÉGRADANTS décision de justice était attendue Cette année encore, les tribunaux ont début 2017. prononcé des peines de flagellation, « Lucas » Jaleel, militant sur les réseaux essentiellement contre des femmes, le plus sociaux, a été arrêté en juillet pour souvent pour « fornication ». Bien que la « incitation à la haine » après avoir accusé la flagellation constitue un châtiment cruel, police, dans une série de tweets, d’avoir inhumain et dégradant, le gouvernement est recouru à la force de manière abusive. resté ferme sur son intention de ne pas abolir En avril, la police a reconnu que le ce châtiment dans le droit national. journaliste Ahmed Rilwan avait été enlevé devant chez lui en 2014, alors qu’elle avait PEINE DE MORT affirmé jusque-là qu’aucun élément ne Les autorités ont annoncé à maintes reprises permettait d’accréditer la thèse d’un qu’elles allaient reprendre les exécutions et enlèvement. En mai, devant le Groupe de mettre fin au moratoire sur la peine de mort travail des Nations unies sur les disparitions en place depuis plus de 60 ans. Le forcées ou involontaires, le gouvernement a gouvernement a déclaré qu’il exécuterait les nié toute implication dans la disparition de condamnés dans les 30 jours suivant la cet homme. confirmation de leur condamnation par la En septembre, une descente de police a Cour suprême, et a annoncé un changement eu lieu dans les locaux du journal Maldives de méthode d’exécution, l’injection létale Independent au motif que celui-ci était étant remplacée par la pendaison. Les soupçonné d’être impliqué dans un projet de condamnations à mort de trois personnes ont coup d’État. Cette opération policière est été confirmées par la Cour suprême en juin intervenue quelques heures après la et en juillet, malgré des arguments solides première diffusion d’un documentaire concernant l’iniquité du procès dans au d’Al Jazira accusant le président et un certain moins un des cas3. Aucune exécution n’a eu nombre de ministres importants de lieu car les négociations avec les familles des corruption passive à grande échelle, victimes à propos d’un éventuel pardon en documentaire dans lequel la rédactrice en vertu de la loi islamique n’étaient pas chef du journal était interviewée. terminées. Sur les 17 prisonniers se trouvant sous le coup d’une condamnation à mort, au LIBERTÉ DE RÉUNION moins cinq avaient été condamnés pour des Les activités des manifestants pacifiques et actes commis alors qu’ils étaient âgés de des défenseurs des droits humains ont moins de 18 ans. continué de faire l’objet de restrictions arbitraires. En février, la police a interdit une 1. Maldives. Proposed defamation law is an attack on freedom of manifestation contre la corruption qui devait expression (ASA 29/4573/2016) se tenir dans la capitale, Malé. En avril, 2. Maldives. Arrestation de 16 journalistes : la liberté de la presse 16 journalistes ont été arrêtés après avoir menacée (ASA 33/3773/2016) manifesté pacifiquement devant le bureau du 3. Maldives. Il faut renoncer à procéder à la première exécution depuis président contre la loi sur la diffamation2. Des plus de 60 ans (ASA 29/4364/2016) journalistes ont également été empêchés de manifester contre cette même loi en août. En juillet, l’Opposition unie des Maldives s’est vu refuser l’autorisation de manifester par le

Amnesty International — Rapport 2016/17 293 l’année, tuant 25 membres des forces de MALI maintien de la paix et six civils qui travaillaient pour l’ONU. Des mines terrestres République du Mali utilisées par les groupes armés ont tué et Chef de l’État : Ibrahim Boubacar Keïta mutilé des civils ainsi que des membres des Chef du gouvernement : Modibo Keïta forces de maintien de la paix et des forces de sécurité. Le conflit armé interne et l’instabilité se En janvier, Béatrice Stockly, une sont intensifiés. Des groupes armés se sont missionnaire suisse, a été enlevée à rendus coupables d’exactions, tuant Tombouctou par Al Qaïda au Maghreb notamment des soldats de maintien de la islamique (AQMI). Elle avait déjà été capturée paix. Des membres des forces de sécurité et par ce groupe et gardée en otage durant neuf des forces de maintien de la paix des jours en 2012. Sophie Pétronin, une Nations unies ont eu recours à une force Française travaillant pour une organisation excessive et meurtrière, entre autres contre humanitaire, a été enlevée par AQMI à Gao des manifestants. en décembre. À la mi-mai, le groupe armé Ansar Eddine CONTEXTE a abattu cinq membres tchadiens des forces L’instabilité s’est étendue depuis le nord de maintien de la paix et en a blessé trois jusqu’au centre du pays et un nombre autres au cours d’une embuscade à 15 km croissant de groupes armés ont mené des au nord d’Aguelhok, dans la région de Kidal, attaques. Ainsi, en juillet, 17 soldats ont été à l’est du pays. Plus tard dans le même mois, tués et 35 autres blessés au cours de un membre chinois des forces de maintien l’attaque d’une base militaire dans le centre de la paix a été tué et d’autres ont été blessés du Mali. La ville de Kidal, dans le nord du au cours d’une attaque contre un camp de la pays, est restée aux mains de groupes MINUSMA dans la ville de Gao, dans le nord- armés. La mise en œuvre de l’accord de paix est du pays. Cette attaque a été revendiquée d’Alger, signé en 2015, a été entravée par la par AQMI. prolifération des groupes armés. En juillet, à la suite de plusieurs attaques perpétrées RECOURS EXCESSIF À LA FORCE notamment dans le nord et dans la capitale, Des membres des forces de sécurité et des Bamako, les autorités ont décidé de forces de maintien de la paix ont recouru à la maintenir l’état d’urgence jusqu’en force de manière excessive et ont été mars 2017. accusés d’exécutions extrajudiciaires. L’ONU En juin, le Conseil de sécurité de l’ONU a a signalé 24 cas d’homicides, d’exécutions prolongé le mandat de la Mission sommaires et de disparitions forcées en mars multidimensionnelle intégrée des Nations et en mai. En mai, l’Organisation a annoncé unies pour la stabilisation au Mali que, parmi les 103 personnes arrêtées en (MINUSMA) jusqu’en juin 2017. Plus de 2016 par les forces maliennes et 10 000 soldats de maintien de la paix étaient internationales pour des accusations liées au stationnés dans le pays. terrorisme, trois avaient été sommairement En raison du conflit, plus de exécutées et 12 avaient été torturées par les 135 000 Maliens restaient réfugiés dans les forces maliennes. pays voisins. En avril, deux manifestants ont été abattus et quatre autres blessés à l’aéroport de Kidal EXACTIONS PERPÉTRÉES PAR DES au cours d’une manifestation contre les GROUPES ARMÉS arrestations menées par les forces Les attaques de groupes armés contre la internationales. La MINUSMA a ouvert une MINUSMA se sont multipliées. Plus de enquête. 62 attaques ont ainsi été menées durant

294 Amnesty International — Rapport 2016/17 En juillet, les forces maliennes ont tiré à radio Maliba FM, a été arrêté et inculpé balles réelles lors d’une marche organisée à d’atteinte aux mœurs et de propos Gao par le Mouvement de résistance civile. démobilisateurs de troupes. Il avait critiqué Mahamane Housseini, Seydou Douka Maiga l’armée et réclamé la démission du chef et Abdoulaye Idrissa ont été tués, et d’état-major. Il a été libéré deux jours plus 40 autres personnes blessées. tard et placé sous contrôle judiciaire. Son émission de radio a été interdite. IMPUNITÉ Malgré quelques progrès, peu de mesures DROIT À L’ÉDUCATION ont été prises pour que les victimes du conflit Selon les Nations unies, 296 des obtiennent justice, vérité et réparations. 2 380 écoles des régions de Gao, Kidal, L’expert indépendant des Nations unies sur la Ségou et Tombouctou ont été fermées pour situation des droits de l’homme au Mali a des raisons d’insécurité, sans que des souligné l’absence d’amélioration, en solutions alternatives ne soient proposées. Le particulier concernant l’accès à une justice Comité pour l’élimination de la discrimination digne de ce nom pour les femmes victimes à l’égard des femmes [ONU] a souligné la de violences. Les principaux obstacles mauvaise qualité de l’enseignement, liée au pointés étaient l’insécurité et le manque de grand nombre d’élèves par enseignant, ainsi soutien logistique apporté aux magistrats. qu’au manque de manuels scolaires et En mai, 12 personnes inculpées de faits d’enseignants qualifiés. Il a en outre pointé en lien avec le terrorisme ont été les disparités existant entre les zones rurales condamnées à des peines de prison. et urbaines en matière de scolarisation. Sept Certaines d’entre elles avaient été libérées au groupes armés ont continué d’occuper titre de l’accord de paix. des écoles. En novembre s’est ouvert le procès du général Haya Amadou Sanogo, jugé pour des DROIT À UN NIVEAU DE VIE SUFFISANT charges liées à l’enlèvement et à l’exécution, Plus de 33 000 Maliens étaient encore en 2012, de soldats accusés de soutenir le déplacés à l’intérieur du pays en raison du président renversé, Amadou Toumani Touré1. conflit, tandis qu’environ 3 millions de La Commission vérité, justice et personnes étaient exposées à l’insécurité réconciliation, créée en 2014 pour enquêter alimentaire, dont plus de 423 000 à un degré sur les graves violations des droits humains de gravité élevé. Des attaques de convois commises entre 1960 et 2013, n’était humanitaires par des groupes armés dans les toujours pas opérationnelle fin 2016. régions de Gao et de Ménaka ont entravé l’aide, notamment en matière de soins de JUSTICE INTERNATIONALE santé. En juin, à Kidal, un entrepôt où était En septembre, la Cour pénale internationale stockée de la nourriture pour plus de a condamné Ahmad Al Faqi Al Mahdi à neuf 10 000 personnes a été pillé. années de prison pour avoir dirigé des attaques contre des bâtiments religieux et DROITS DES FEMMES des monuments historiques. Membre du En juillet, le Comité pour l’élimination de la groupe armé Ansar Eddine, il avait été discrimination à l’égard des femmes [ONU] a inculpé pour son rôle dans la destruction, en exprimé ses préoccupations quant à la faible 2012, de neuf mausolées et d’une mosquée représentation des femmes au niveau dans la ville de Tombouctou, dans le nord du décisionnel après la signature de l’accord de pays. Il a plaidé coupable. paix, ainsi qu’au sein de la Commission vérité, justice et réconciliation. Il s’est LIBERTÉ D’EXPRESSION également inquiété du très faible taux de En août, Mohamed Youssouf Bathily (dit Ras réussite des filles dans l’enseignement Bath), un journaliste qui travaillait pour la secondaire, entre autres à cause des

Amnesty International — Rapport 2016/17 295 mariages d’enfants, des grossesses précoces, migrants arrivés dans le pays des coûts indirects de l’éducation, du travail clandestinement. Une période de détention à des enfants et du choix d’envoyer plutôt les l’arrivée, dans les nouveaux centres d’accueil garçons que les filles à l’école. Le Comité a initial, a toutefois été maintenue. Au cours de enjoint au Mali de réformer sa législation afin cette détention de 70 heures environ, les de mettre un terme à la discrimination envers personnes en quête d’asile et migrantes sont les femmes et de finaliser le projet de loi soumises à un examen médical, à une visant à interdire les mutilations génitales vérification d’identité et à une évaluation féminines. devant permettre de savoir si elles peuvent être libérées ou doivent rester en détention. Si cette détention initiale ne devrait 1. Mali. Justice est attendue lors du procès de l’ancien leader de la junte pour enlèvements, torture et homicides (nouvelle, 28 novembre) théoriquement pas dépasser sept jours, elle pourrait cependant être prolongée en cas de préoccupations en matière de santé. Le nouveau cadre a également prévu des motifs MALTE juridiques de détention, une assistance juridique gratuite, la possibilité de contester République de Malte les ordres de placement en détention et un Chef de l’État : Marie-Louise Coleiro Preca Chef du gouvernement : Joseph Muscat examen automatique de ceux-ci. Des inquiétudes persistaient cependant quant à l’interprétation des motifs juridiques Un nouveau système d’accueil a été de placement en détention, au manque de instauré pour les demandeurs d’asile et les clarté sur les circonstances dans lesquelles migrants. Il a mis un terme à la détention d’autres solutions que la détention peuvent automatique et obligatoire des personnes être envisagées, et au manque de garanties qui entrent clandestinement dans le pays. pour un recours à la détention proportionné. Néanmoins, des craintes subsistaient quant Le HCR a en particulier souligné que aux garanties contre les détentions certaines des nouvelles directives destinées arbitraires et illégales, jugées insuffisantes. aux autorités chargées de l’immigration L’avortement restait interdit en toutes n’étaient pas pleinement conformes au droit circonstances. international et aux normes afférentes, et pourraient mener à des détentions DROITS DES RÉFUGIÉS ET DES arbitraires. MIGRANTS Aucune personne réfugiée ou migrante En janvier et février, le Haut-Commissariat n’est arrivée directement d’Afrique du Nord des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et par bateau de manière clandestine, dans la des ONG nationales ont accueilli mesure où la plupart ont été secourues en favorablement certains éléments du nouveau mer et emmenées en Italie. Toutefois, cadre juridique et politique pour l’accueil des 29 personnes nécessitant d’urgence une demandeurs d’asile et des migrants à Malte. assistance médicale au moment de leur Approuvé fin 2015, ce cadre a été instauré sauvetage en pleine mer ont été transportées grâce à des modifications apportées aux lois à Malte. Dans le cadre de l’opération Triton relatives à l’immigration et aux réfugiés, à de de l’agence Frontex et de l’opération Sophia nouvelles réglementations et à la publication (EUNAVFOR MED), les forces armées d’un nouveau document d’orientation par le maltaises ont continué de participer au ministère de l’Intérieur et de la Sécurité sauvetage de réfugiés et de migrants qui nationale. traversent la Méditerranée centrale sur des Il a mis fin au système problématique de embarcations surchargées et non adaptées à détention automatique et obligatoire à long la navigation en mer. À la fin du mois de terme des demandeurs d’asile et des novembre, 1 600 personnes étaient arrivées

296 Amnesty International — Rapport 2016/17 à Malte, par avion ou par ferry, pour y obtenu une protection temporaire lui avaient demander l’asile. Plus du tiers de ces été signalés. nouveaux arrivants étaient Libyens. Les personnes autorisées à rester au titre DROITS SEXUELS ET REPRODUCTIFS du programme de relocalisation de l’Union L’avortement restait interdit en toutes européenne (elles étaient 80 fin novembre) circonstances, même lorsque la vie de la étaient maintenues dans les nouveaux femme était en danger. centres d’accueil initial pendant 70 heures environ pour être soumises à un examen ÉVOLUTIONS LÉGISLATIVES, médical. Cette pratique a été critiquée par CONSTITUTIONNELLES OU le HCR. INSTITUTIONNELLES En janvier, la Cour européenne des droits En janvier, la Cour européenne des droits de de l’homme a estimé que Malte avait violé l’homme a estimé que Malte avait violé l’article 5-4 de la Convention européenne des l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, relatif au droit de toute droits de l’homme, qui garantit, entre autres, personne privée de sa liberté d’introduire un l’accès à un avocat dès le début d’un recours devant un tribunal afin qu’il statue à interrogatoire de police. Un homme bref délai sur la légalité de sa détention. Les condamné par la justice maltaise s’était plaint requérantes étaient deux Somaliennes, de ne pas avoir eu droit à une assistance détenues d’août 2012 à août 2013 pour être juridique lors de son interrogatoire par la entrées clandestinement dans le pays tandis police durant sa garde à vue. que l’ancien système d’accueil était encore en vigueur. Elles ne disposaient alors d’aucun recours adapté leur permettant de contester la légalité de leur détention. MAROC ET SAHARA En juin, le Groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire a publié un rapport sur OCCIDENTAL Malte, à la suite d’une visite dans le pays en 2015. Il a pris note de la réforme législative Royaume du Maroc Chef de l’État : Mohammed VI concernant la nature automatique des Chef du gouvernement : Abdelilah Benkirane placements en détention. Il a également observé que les programmes d’intégration des migrants, des demandeurs d’asile et des Des restrictions continuaient de peser sur la réfugiés au sein de la société maltaise liberté d’expression, d’association et de demeuraient inadaptés. réunion. Les autorités ont poursuivi des Le ministère de l’Intérieur et de la Sécurité journalistes et dispersé par la force des nationale a annoncé en novembre le manifestations. Les femmes faisaient l’objet réexamen du système de certificats de de discriminations dans la législation et Protection humanitaire temporaire – nouvelle dans la pratique. La loi sanctionnait (THP-n), accordés à des personnes dont les toujours pénalement les relations sexuelles demandes d’asile ont échoué. Des ONG ont consenties entre personnes de même sexe. fait part de leurs préoccupations face à cette Les tribunaux ont prononcé des décision, estimant qu’elle pourrait entraver condamnations à mort ; aucune exécution l’accès de ces personnes aux services n’a eu lieu. élémentaires, comme la santé ou l’éducation. Le HCR a recommandé la prudence dans CONTEXTE l’application des décisions de rapatriement En mars, les Nations unies ont été découlant de ces examens, car des cas de contraintes par les autorités marocaines de personnes qui auraient dû bénéficier d’une fermer un bureau de liaison militaire de la protection internationale mais ont à la place Mission des Nations unies pour l’organisation

Amnesty International — Rapport 2016/17 297 d’un référendum au Sahara occidental loi visant à modifier et à compléter le Code (MINURSO) et de retirer des membres de pénal. Ce texte contenait des dispositions leur personnel civil, après que Ban Ki-moon, progressistes mais ne remédiait pas aux secrétaire général des Nations unies, a fait lacunes importantes du code actuel référence à l’« occupation » du Sahara concernant, entre autres, la peine de mort et occidental par le Maroc. En avril, le Conseil les restrictions injustifiées de la liberté de sécurité des Nations unies a une fois de d’expression et de religion. Ce projet de loi plus renouvelé pour un an le mandat de la n’avait pas encore été adopté à la fin de MINURSO sans y ajouter de volet concernant l’année. Un avant-projet de loi portant la surveillance de la situation en matière de modification du Code de procédure pénale droits humains. La MINURSO n’avait pas était toujours en cours d’examen. retrouvé sa capacité antérieure à la fin de l’année1. LIBERTÉ D’EXPRESSION Le Maroc a présenté, en septembre, une Cette année encore, les autorités ont demande d’adhésion à l’Union poursuivi des journalistes et des détracteurs africaine (UA). du gouvernement qui n’avaient fait Des manifestations liées à des qu’exercer pacifiquement leur droit à la revendications socioéconomiques ont eu lieu liberté d’expression. Parmi eux figurait Ali en octobre dans différentes régions. Des Anouzla, un éminent journaliste indépendant, habitants ont affronté la police lorsque les inculpé en janvier d’apologie du terrorisme, autorités ont commencé à démolir des de soutien et d’incitation au terrorisme en quartiers informels dans la ville de Sidi Bibi, relation avec un article publié en 2013 sur le proche d’Agadir. Des milliers de personnes site d’information Lakome.com. S’il est sont descendues dans la rue dans les déclaré coupable, il risque jusqu’à 20 ans grandes villes, notamment à Rabat, la d’emprisonnement. Sept journalistes et capitale, et à Marrakech, après que militants ont été poursuivis pour « atteinte à Mouhcine Fikri, un vendeur de poisson, a la sûreté intérieure de l’État » et trouvé la mort en tentant de récupérer sa « manquement au devoir de signaler des marchandise confisquée par des agents de financements étrangers » pour avoir pris part l’État à Al Hoceima, dans la région du Rif. à un projet financé par des fonds étrangers Des manifestations de grande ampleur ont qui visait à former des membres du public au également eu lieu dans cette ville. Les journalisme citoyen. Ils encourent des peines protestations ont baissé d’intensité au bout pouvant aller jusqu’à cinq ans de quatre jours, quand les autorités ont d’emprisonnement3. inculpé 11 personnes liées à la mort de En février, le Conseil supérieur de la Mouhcine Fikri. magistrature a révoqué le juge Mohamed el Le Comité des droits de l’homme des Haini, qui avait été accusé par le ministère Nations unies a examiné, en octobre, la de la Justice et des Libertés d’avoir enfreint situation des droits humains au Maroc et au son devoir de réserve et exprimé des Sahara occidental2. opinions politiques en critiquant sur des réseaux sociaux, entre autres, les projets de SYSTÈME JUDICIAIRE loi sur le Conseil supérieur du pouvoir Les autorités ont poursuivi le processus de judiciaire et le statut des juges. réforme du système judiciaire. En février, le Un nouveau Code de la presse adopté en Parlement a adopté des lois relatives au août a supprimé les peines Conseil supérieur du pouvoir judiciaire et au d’emprisonnement pour exercice de la liberté statut des magistrats, qui n’ont toutefois pas de presse, un mois après la modification du instauré l’indépendance du pouvoir Code pénal qui érigeait en infraction judiciaire. En juin, le Conseil de certaines formes d’expression pacifique. gouvernement a approuvé un avant-projet de

298 Amnesty International — Rapport 2016/17 Elles ont dispersé des manifestations non LIBERTÉ D’ASSOCIATION ET DE violentes, engagé des poursuites pénales RÉUNION contre des militants sahraouis qui prônaient Cette année encore, les autorités ont bloqué l’autodétermination du Sahara occidental ou l’enregistrement officiel de plusieurs dénonçaient des atteintes aux droits organisations de défense des droits humains, humains, et soumis ces militants à des notamment des branches locales de restrictions. Des défenseurs des droits l’Association marocaine des droits humains, humains ont été interrogés à leur retour de de Freedom Now et de la Coordination l’étranger. Des organisations de défense des maghrébine des organisations des droits droits des Sahraouis, comme le Collectif des humains. défenseurs sahraouis des droits de l’homme Elles ont également empêché des groupes (CODESA), se voyaient toujours refuser de défense des droits humains, entre autres l’enregistrement officiel. associations, d’organiser des manifestations En juillet, la Cour de cassation a conclu publiques et des réunions. Des journalistes, que 23 manifestants et militants sahraouis des défenseurs des droits humains et des emprisonnés à la suite d’affrontements militants étrangers ont été expulsés ou se meurtriers à Gdeim Izik en 2010 devaient sont vu refuser l’entrée sur le territoire. En être rejugés par un tribunal civil. La plupart juin, l’Institut International pour l’action non avaient été condamnés à de lourdes peines violente (NOVACT), une organisation non d’emprisonnement en 2013, à l’issue d’un gouvernementale espagnole, a fermé son procès inéquitable devant un tribunal bureau au Maroc après que deux de ses militaire, sur la base d’« aveux » qui auraient membres se sont vu refuser l’entrée dans le été obtenus sous la torture. Le nouveau pays. Amnesty International a poursuivi le procès civil a ouvert fin décembre mais a été dialogue avec les autorités en vue d’obtenir la renvoyé à janvier 2017. Vingt et un des levée des dernières restrictions qui 23 Sahraouis se trouvaient toujours derrière entravaient ses propres activités de les barreaux à la fin de l’année5. recherche au Maroc et au Sahara occidental. Cette année encore, les autorités ont La liberté de réunion pacifique restait expulsé du Sahara occidental des journalistes soumise à des restrictions. En janvier, la et des militants étrangers, ainsi que des police a dispersé par la force des défenseurs des droits humains, ou les ont manifestations pacifiques d’enseignants empêchés de s’y rendre. Une délégation stagiaires à Inezgane et dans d’autres villes. composée d’un juriste belge, d’un juge Selon des témoins, les protestataires ont été espagnol et d’avocats français et espagnols frappés à coups de matraque et de bouclier ; qui s’étaient rendus à Rabat pour intervenir plus de 150 personnes ont été blessées. en faveur des prisonniers de Gdeim Izik a été En août, huit militants ont été condamnés, expulsée en avril. à l’issue d’un procès inique, à des peines allant de quatre mois à un an TORTURE ET AUTRES MAUVAIS d’emprisonnement pour avoir participé à une TRAITEMENTS manifestation pacifique à Sidi Ifni, dans le En avril, les forces de sécurité ont arrêté sud du pays4. Leurs déclarations de Brahim Saika, militant de la Coordination des culpabilité ont été confirmées en appel ; une chômeurs sahraouis à Guelmim, alors qu’il peine de quatre mois d’emprisonnement a quittait son domicile pour participer à une été réduite à trois mois. manifestation pacifique en vue de réclamer des emplois. Inculpé d’insultes et de voies de RÉPRESSION DE LA DISSIDENCE – fait contre des agents de l’État, ainsi que MILITANTS SAHRAOUIS d’outrage à une institution publique, il a Les autorités ont continué de réprimer la entamé une grève de la faim pour protester dissidence pacifique au Sahara occidental. contre les mauvais traitements qui lui

Amnesty International — Rapport 2016/17 299 auraient été infligés par la police. Il est mort toujours en cours d’examen devant la peu après à l’hôpital, alors qu’il était en chambre haute à la fin de l’année7. Il détention. Selon des informations relayées contenait des éléments positifs, notamment par les médias, une autopsie officielle a des mesures en vue de protéger les victimes conclu qu’il avait succombé à un virus. de violence pendant la procédure judiciaire Aucune enquête indépendante n’a toutefois et par la suite, mais, sans renforcement été diligentée sur les circonstances de sa notable, il n’assurerait pas aux femmes une mort, alors que ses proches l’avaient véritable protection contre la violence et la demandé, et il a été enterré contre la volonté discrimination. de sa famille. Par ailleurs, l’avortement était toujours Ali Aarrass, qui possède la double érigé en infraction pénale. Les autorités ont nationalité belge et marocaine, se trouvait proposé des modifications prévoyant des toujours en détention plus de trois ans après exceptions en cas d’inceste ou de viol et pour que le Groupe de travail des Nations unies certaines raisons médicales. Ces sur la détention arbitraire eut conclu que cet modifications prévoient toutefois l’obligation homme avait été déclaré coupable à l’issue d’informer un tiers et d’obtenir son accord, d’un procès inique s’appuyant sur des ce qui risque de retarder l’accès à un « aveux » obtenus sous la torture. En juin, Ali avortement légal et de mettre en danger la Aarrass a affirmé dans une lettre ouverte santé des femmes enceintes. Ces avoir subi des mauvais traitements, ainsi que modifications n’avaient pas été adoptées à la d’autres détenus. Il a été transféré à la prison fin de l’année. locale de Tiflet II en octobre et placé à En juillet, le Parlement a adopté une loi l’isolement, où il se trouvait toujours à la fin réglementant le travail des employés de de l’année. La Cour de cassation n’avait maison, des femmes et des filles pour la toujours pas statué sur son cas, plus de plupart. Ce texte fixait à 18 ans l’âge quatre ans après avoir examiné son pourvoi6. minimum des employés de maison, tout en Des prisonniers ont protesté contre la prévoyant une période de transition de cinq dureté des conditions de détention, ans durant laquelle des mineurs de 16 et notamment le manque d’hygiène et d’accès 17 ans pourraient continuer à effectuer ce aux soins médicaux, la nourriture insuffisante type de travail. et la surpopulation importante. Plus de deux ans après son adhésion au Protocole DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET facultatif se rapportant à la Convention contre DES PERSONNES BISEXUELLES, la torture [ONU], le Maroc n’avait toujours TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES pas mis en place le Mécanisme national de Cette année encore, des personnes LGBTI prévention prévu par cet instrument. ont été poursuivies et incarcérées aux termes de l’article 489 du Code pénal, qui érige en IMPUNITÉ infraction les relations sexuelles consenties Les autorités n’ont rien fait pour mettre en entre personnes de même sexe. En mars, œuvre les principales recommandations deux hommes victimes d’une agression émises par l’Instance équité et réconciliation, homophobe menée par des jeunes gens 10 ans après la publication par cet organe de dans la ville de Béni Mellal ont fait l’objet de son rapport sur les atteintes aux droits poursuites. La vidéo de cette agression, qui a humains commises entre 1956 et 1999. circulé sur Internet, a suscité la réprobation générale. L’une des victimes a été DROITS DES FEMMES condamnée à quatre mois d’emprisonnement En juillet, la chambre basse du Parlement a au titre de l’article 489, assortis d’un sursis adopté un projet de loi contre les violences en appel, et à une amende ; l’autre a été faites aux femmes, qui était attendu de condamnée à trois mois d’emprisonnement longue date. Ce texte était cependant avec sursis. Selon des informations parues

300 Amnesty International — Rapport 2016/17 dans la presse, deux des agresseurs ont été condamnés en appel à des peines PEINE DE MORT respectives de quatre et six mois Les tribunaux ont continué de prononcer des d’emprisonnement. condamnations à mort ; aucune exécution n’a eu lieu depuis 1993. En juillet, les DROITS DES RÉFUGIÉS ET DES autorités ont commué les sentences capitales MIGRANTS de 23 prisonniers en réclusion à perpétuité. Les autorités continuaient d’empêcher des personnes originaires d’Afrique 1. L’ONU doit effectuer un suivi des droits humains au Sahara subsaharienne de pénétrer de façon occidental et dans les camps de réfugiés sahraouis (nouvelle, irrégulière dans les enclaves espagnoles de 26 avril) Ceuta et Melilla, dans le nord du Maroc. 2. Maroc. Les autorités doivent mettre en œuvre rapidement les Certains migrants ont fait état d’un recours recommandations du Comité des droits de l’homme des Nations excessif à la force de la part des autorités unies (MDE 29/5158/2016) marocaines et espagnoles. Selon des groupes 3. Le Maroc intensifie la répression de la liberté de presse avec un procès contre le journalisme citoyen (nouvelle, 26 janvier) de défense des droits humains, des campements improvisés autour de la ville de 4. Maroc. Les manifestants de Sidi Ifni doivent bénéficier d’un procès en appel équitable et être libérés à moins que les accusations de Nador, dans le nord-est du pays, ont été violences ne soient prouvées (MDE 29/4763/2016) détruits et des dizaines de personnes ont été 5. Maroc et Sahara occidental. Des prévenus sahraouis seront rejugés transférées dans des villes du sud du Maroc. par un tribunal civil (MDE 29/4615/2016) Les législateurs ont adopté en juillet une 6. Maroc. Un homme ayant été torturé est maintenu en détention malgré disposition législative approuvant la les appels de l’ONU en faveur de sa libération immédiate ratification par le Maroc de la Convention 143 (MDE 29/4119/2016) de l’OIT sur les travailleurs migrants. En août, 7. Maroc. Le projet de loi contre la violence à l’égard des femmes doit le gouvernement a promulgué une nouvelle comporter des garanties plus fortes (MDE 29/4007/2016) loi pour lutter contre la traite des êtres humains. En décembre, le roi Mohammed VI a annoncé une nouvelle vague de MAURITANIE régularisation de migrants sans papiers. Les autorités n’avaient toujours pas mis en République islamique de Mauritanie place de système national d’asile, mais elles Chef de l’État : Mohamed Ould Abdel Aziz permettaient aux réfugiés d’avoir accès aux Chef du gouvernement : Yahya Ould Hademine droits fondamentaux et à des services de base, dont l’éducation. Les Syriens Des opposants au gouvernement et des enregistrés auprès du Haut-Commissariat défenseurs des droits humains, en des Nations unies pour les réfugiés (HCR) particulier des organisations luttant contre ont reçu des documents les protégeant de l’esclavage, ont fait l’objet de poursuites l’expulsion, sans qu’une décision soit prise judiciaires pour des motifs politiques. La sur leur statut définitif. liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique restait soumise à des CAMPS DU FRONT POLISARIO restrictions. La torture et les autres formes Cette année encore, le Front Polisario n’a pris de mauvais traitements étaient monnaie aucune mesure pour mettre fin à l’impunité courante en détention. Des groupes formant dont bénéficiaient ceux qui étaient accusés jusqu’aux deux tiers de la population d’avoir commis des atteintes aux droits étaient en butte à une discrimination humains durant les années 1970 et 1980 systématique, et la pauvreté extrême restait dans les camps qu’il contrôlait. Brahim Ghali répandue. Les pratiques esclavagistes a été élu secrétaire général du Front Polisario n’avaient pas disparu. après la mort de Mohamed Abdelaziz en mai.

Amnesty International — Rapport 2016/17 301 des 13 militants et réduit la peine de sept DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS autres, qui ont été remis en liberté dans le Des lois – notamment celles relatives à l’ordre mois. Elle a toutefois prononcé des peines public, à la rébellion et à l’appartenance à d’emprisonnement contre les trois derniers une organisation non reconnue – ont été membres du groupe – un an pour deux utilisées pour engager des poursuites à d’entre eux et six mois pour le troisième. motivation politique contre des opposants du gouvernement et des défenseurs des droits LIBERTÉ D’EXPRESSION, humains, en particulier des militants luttant D’ASSOCIATION ET DE RÉUNION contre l’esclavage. L’exercice du droit à la liberté d’expression, En mai, la Cour suprême a réduit la peine d’association et de réunion pacifique a de prison à laquelle avaient été condamnés encore été restreint. Des journalistes, des Biram Ould Dah Abeid et Brahim Bilal, deux défenseurs des droits humains et des militants anti-esclavagistes, et a ordonné leur détracteurs du gouvernement ont été arrêtés libération. Ces deux prisonniers d’opinion, et inculpés par des magistrats politisés2. membres de l’Initiative pour la résurgence du En avril, la cour d’appel de Nouakchott a mouvement abolitionniste (IRA), avaient été confirmé la condamnation à mort pour arrêtés en novembre 2014 après avoir apostasie de Mohamed Mkhaïtir. Il s’agissait participé à une manifestation pacifique. Ils de la première sentence capitale prononcée avaient été condamnés à une peine de deux pour ce motif en Mauritanie. Cet homme ans de prison pour appartenance à une avait été condamné à mort en décembre organisation non reconnue, participation à un 2014 à Nouadhibou, après avoir passé un an rassemblement non autorisé, désobéissance en détention provisoire, pour avoir écrit un et outrage aux forces de l’ordre. Un autre billet de blog critiquant ceux qui utilisent membre de l’IRA, Djiby Sow, condamné à la l’islam pour introduire des discriminations à même peine, avait été libéré en juin 2015 l’égard des moulamines (forgerons) ainsi que pour raisons médicales. des descendants d’esclaves et des griots. La En juin et en juillet, 13 autres membres de cour d’appel a transmis l’affaire à la l’IRA ont été arrêtés à la suite d’une Cour suprême. manifestation contre l’expulsion forcée de En juillet, Cheikh Baye, responsable du personnes qui vivaient dans le bidonville de site d’information Meyadine, a été condamné Bouamatou, à Nouakchott, la capitale. Bien à trois ans d’emprisonnement pour avoir usé qu’aucun des membres de l’IRA n’ait de violence à l’égard d’une autorité publique. participé à cette manifestation, ils ont été Il avait accusé un porte-parole du condamnés en août pour rébellion et recours gouvernement de mentir et lui avait lancé sa à la violence, entre autres. Le tribunal a chaussure pendant une conférence de refusé d’examiner les allégations de torture presse. Cinq personnes qui avaient critiqué le formulées par les prévenus1. En octobre, un verdict ont été déclarées coupables du même groupe d’experts des Nations unies s’est chef d’accusation en août. Trois d’entre elles déclaré profondément préoccupé par le fait ont été condamnées à deux ans de prison et que ces militants aient été pris pour cible par les deux autres à des peines avec sursis. les autorités à cause de leur engagement Cette année encore, les autorités ont contre l’esclavage. Il a indiqué que le bloqué l’enregistrement officiel de plusieurs gouvernement était hostile aux groupes de la ONG et organisations de défense des droits société civile qui critiquaient sa politique, humains. C’est ainsi que l’Association des surtout ceux, comme l’IRA, dont les veuves mauritaniennes, une organisation qui membres appartenaient à la minorité demande que la vérité soit faite sur les haratine et faisaient campagne contre exécutions sommaires et les disparitions l’esclavage. Un mois plus tard, en novembre, survenues dans les années 1990, attend la cour d’appel de Nouadhibou a relaxé trois

302 Amnesty International — Rapport 2016/17 depuis 1993 d’être reconnue ; elle avait renouvelé sa demande en 2010. DISCRIMINATION – LES HARATINES ET LES NÉGRO-MAURITANIENS TORTURE ET AUTRES MAUVAIS Le rapporteur spécial des Nations unies sur TRAITEMENTS l’extrême pauvreté et les droits de l’homme, À la suite de sa visite en Mauritanie en qui s’est rendu en Mauritanie en avril, a février, le rapporteur spécial des Nations souligné que les Haratines et les Négro- unies sur la torture s’est félicité des Mauritaniens étaient absents de évolutions législatives, et notamment de pratiquement toutes les positions de pouvoir l’introduction d’une nouvelle loi sur la torture, et exclus de nombreux aspects de la vie ainsi que de la mise en place d’un économique et sociale, notamment à travers mécanisme national de prévention. Il a l’impossibilité pour eux d’obtenir une carte souligné que l’appareil judiciaire devait d’identité nationale. Ces deux groupes redoubler d’efforts pour mettre en œuvre ces forment les deux tiers de la population. Le garanties et a mis en évidence le manque rapporteur spécial a affirmé que, bien que les d’enquêtes sur les allégations de torture. Il a droits économiques, sociaux et culturels également attiré l’attention sur l’utilisation de soient mentionnés dans le préambule de la lieux de détention non officiels et Constitution, ils ne sont abordés dans aucune l’impossibilité pour les personnes disposition. Il a fait observer que dans soupçonnées d’actes de terrorisme de certaines régions rurales seuls 10 % des consulter un avocat pendant une période enfants accèdent à l’enseignement pouvant aller jusqu’à 45 jours. secondaire et que le taux de mortalité Des prisonniers, hommes et femmes, ont maternelle reste l’un des plus élevés au affirmé à la mi-2016 qu’ils avaient été monde. En 2015, selon la Banque mondiale, torturés et maltraités en garde à vue et par on observait un ratio de 602 femmes des gardiens de prison. Un détenu arrêté en décédées pour 100 000 naissances vivantes. mars et inculpé d’une infraction liée au terrorisme a déclaré qu’on l’avait battu après ESCLAVAGE lui avoir attaché les mains et les pieds dans Bien que l’esclavage ait été officiellement le dos pour le contraindre à faire aboli en 1981 et qu’il soit reconnu comme un des « aveux ». crime dans le droit national, des Les membres de l’IRA arrêtés en juin et en organisations de défense des droits humains, juillet ont été détenus séparément dans des dont SOS Esclaves et l’IRA, ont régulièrement lieux de détention tenus secrets : ils n’ont pas dénoncé la persistance de cette pratique3. été autorisés à parler à leur famille et à leur En mai, le Tribunal spécial contre avocat. Ils ont été interrogés la nuit et privés l’esclavage s’est ouvert à Nema et, au cours de sommeil et d’accès aux toilettes. Au moins du même mois, deux anciens propriétaires quatre d’entre eux ont eu les mains et les d’esclaves ont été condamnés à un an de pieds attachés pendant plusieurs heures prison et à quatre ans avec sursis, dans des positions douloureuses et ont été respectivement, et à verser une indemnité à suspendus au plafond par des cordes. deux femmes victimes de cette pratique. D’autres ont été déshabillés, insultés et Pourtant, également en mai et dans la même menacés de mort. Malgré le programme du ville, le président Mohamed Ould Abdel Aziz nouveau mécanisme national de prévention, a nié l’existence de l’esclavage et a appelé les qui entend inspecter les lieux de détention, Haratines, les anciens esclaves, à avoir un membre de cet organe n’a pas été moins d’enfants pour faire disparaître les autorisé à rencontrer des membres de l’IRA séquelles de l’esclavage et combattre la qui étaient maintenus au secret. pauvreté.

Amnesty International — Rapport 2016/17 303 s’est traduit par des manifestations massives 1. Mauritanie. Il faut abandonner toutes les charges retenues contre et des barrages routiers dans tout le pays, les des militants anti-esclavagistes et les libérer (nouvelle, 1er août) syndicats demandant au gouvernement de 2. Mauritanie. Une nouvelle loi compromet l’exercice du droit à la liberté d’association association (nouvelle, 2 juin) renoncer à sa réforme de l’éducation engagée en 2013. 3. Mauritania: Amnesty International calls for an end to slavery and torture and ill-treatment (AFR 38/3691/2016) À l’issue d’une période préparatoire de huit ans, le Mexique a achevé sa transition d’un système judiciaire inquisitoire, fondé sur l’écrit, à un système s’appuyant sur des MEXIQUE procès oraux. Toutefois, cette réforme était loin de résoudre tous les problèmes de États-Unis du Mexique l’ancien système ; par exemple, la Chef de l’État et du gouvernement : Enrique Peña Nieto présomption d’innocence n’était toujours pas respectée. Dix ans après le début de la « guerre contre Le programme en 10 points sur la sécurité la drogue et le crime organisé », des annoncé par le président Enrique Peña Nieto militaires continuaient d’être affectés à des en novembre 2014 n’était pas encore opérations de sécurité publique et la totalement appliqué ; le gouvernement n’avait violence demeurait généralisée dans le notamment pas adopté ni mis en œuvre les pays. Cette année encore, des cas de lois promises contre la torture, les torture et d’autres mauvais traitements, de disparitions forcées et les disparitions aux disparitions forcées, d’exécutions mains d’acteurs non étatiques. Le Congrès a extrajudiciaires et de détentions arbitraires adopté un ensemble de lois destinées à lutter ont été signalés. L’impunité persistait pour contre la corruption. Beaucoup ont reproché les violations des droits humains et les à ces nouvelles lois d’avoir perdu une grande crimes de droit international. Le Mexique a partie de leur substance par rapport aux reçu un nombre record de demandes premières versions. d’asile, principalement de personnes fuyant Selon les statistiques officielles, le nombre la violence au Salvador, au Honduras et au de soldats de l’armée de terre et de la marine Guatemala. Des défenseurs des droits prenant part à des opérations de maintien de humains et des observateurs indépendants l’ordre dans le pays a augmenté. Le ministre ont fait l’objet d’intenses campagnes de de la Défense a reconnu en octobre que les dénigrement. Comme les années forces armées étaient épuisées par la précédentes, des journalistes ont été tués « guerre contre la drogue » et a demandé ou menacés en raison de leurs activités. Les que leur participation aux tâches de sécurité violences à l’égard des femmes et des filles publique s’inscrive dans un cadre juridique restaient une source de préoccupation plus clair. Certains parlementaires se sont majeure et des alertes liées au genre ont dits déterminés à examiner des projets de été lancées dans les États du Jalisco et du réforme concernant le rôle des forces armées Michoacán. Le Congrès a rejeté l’un des dans les opérations de sécurité. deux projets de loi déposés en vue d’autoriser les couples de même sexe à se POLICE ET FORCES DE SÉCURITÉ marier et à adopter des enfants. Avec 36 056 homicides recensés par les autorités pour les 11 premiers mois de CONTEXTE l’année, contre 33 017 pour l’ensemble de Le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI, au l’année 2015, la violence s’est nettement pouvoir) a perdu des postes de gouverneur aggravée. Ce chiffre était le plus élevé jamais dans plusieurs États lors des élections de enregistré depuis le début du mandat du juin. Un long conflit social entre le président Enrique Peña Nieto, en 2012. gouvernement et les syndicats d’enseignants

304 Amnesty International — Rapport 2016/17 En réaction aux manifestations massives 43 personnes tuées dans cette opération des enseignants, les autorités ont mené un avaient été victimes d’exécutions arbitraires, certain nombre d’opérations policières, dont et que la police avait falsifié des preuves, certaines ont fait des morts et des blessés notamment en plaçant des armes sur parmi les civils. Plusieurs dirigeants du les victimes. mouvement enseignant ont été arrêtés et L’enquête sur la mort de 22 personnes incarcérés dans des prisons fédérales. La tuées par des soldats en 2014 à Tlatlaya, plupart ont ensuite été libérés dans l’attente dans l’État de Mexico, n’avait toujours pas des résultats de l’enquête. donné de résultats concrets. Les autorités n’ont pas reconnu leur responsabilité dans EXÉCUTIONS EXTRAJUDICIAIRES l’ordre d’« abattre les criminels » qui a été à Les exécutions extrajudiciaires ne faisaient l’origine des opérations militaires dans cette pas l’objet d’enquêtes rigoureuses et leurs région en 2014, ni ouvert d’enquête sur les auteurs restaient généralement impunis. Les officiers qui assuraient la direction de ces forces armées ont continué de participer aux opérations. enquêtes sur les affaires impliquant des Selon les informations disponibles, militaires, en violation des dispositions de la personne n’a été poursuivi pour la mort de réforme du Code de justice militaire adoptée 16 personnes tuées en 2015 par des en 2014. Pour la troisième année membres de la police fédérale et d’autres consécutive, les autorités n’ont pas publié de forces de sécurité à Apatzingán, dans l’État statistiques concernant le nombre de du Michoacán. Les autorités n’ont pas mené personnes tuées ou blessées lors de heurts d’enquête satisfaisante sur ces homicides ni avec la police et les forces militaires. cherché à établir la responsabilité des Plusieurs dizaines de fosses communes officiers en charge. ont été découvertes à travers le pays, souvent à l’initiative de collectifs de familles plutôt TORTURE ET AUTRES MAUVAIS que des pouvoirs publics ou d’experts TRAITEMENTS médicolégaux officiels. Dans la municipalité Les auteurs d’actes de torture et d’autres de Tetelcingo (État de Morelos), les autorités mauvais traitements continuaient de jouir locales ont enterré illégalement plus de d’une impunité presque totale. De nombreux 100 cadavres non identifiés dans au moins témoignages ont fait état de passages à une fosse commune. Les auteurs de ce tabac, de quasi-asphyxie au moyen de sacs massacre demeuraient inconnus. en plastique, de décharges électriques, de Le 19 juin, huit personnes au moins ont viols et d’autres agressions sexuelles infligés été tuées et plusieurs dizaines d’autres durant des opérations policières ou militaires. blessées dans la ville de Nochixtlán (État Les violences sexuelles étaient couramment d’Oaxaca), lors d’une opération de police utilisées comme torture lors des arrestations visant à lever un barrage dans le cadre d’une de femmes1. Pour la première fois depuis manifestation contre la réforme de deux ans, le Bureau du procureur général de l’éducation. Des images diffusées dans les la République a annoncé, en avril, médias sont venues contredire la version l’inculpation pour torture de cinq officielle selon laquelle les policiers n’étaient responsables fédéraux, après la révélation pas armés. d’une vidéo montrant des policiers et des En août, la Commission nationale des soldats torturer une femme. En avril droits humains (CNDH) a conclu que des également, un juge fédéral a condamné un policiers fédéraux avaient torturé au moins général de l’armée à 52 ans deux personnes dans la municipalité de d’emprisonnement pour avoir ordonné en Tanhuato (État du Michoacán) en mai 2015 2008 une opération qui avait donné lieu des durant une opération de maintien de l’ordre. actes de torture et des homicides, ainsi qu’à Elle a également établi qu’au moins 22 des la destruction d’un cadavre, dans l’État de

Amnesty International — Rapport 2016/17 305 Chihuahua. Ce type de condamnation restait La mise en œuvre du plan Frontière sud a toutefois très rare. cette année encore donné lieu à une Toujours en avril, le Sénat a adopté un multiplication des opérations de sécurité le projet de loi générale sur la torture, qui était long de la frontière séparant le Mexique du conforme aux normes internationales. Le Guatemala et du Belize. De nombreux cas texte, amendé, n’avait pas été soumis au vote d’extorsion, de renvois massifs, du Congrès à la fin de l’année. d’enlèvements et d’autres atteintes aux droits Le service spécial du Bureau du procureur humains contre des migrants ont été général de la République en charge de la signalés. Durant les 11 premiers mois de torture a indiqué que 4 715 dossiers l’année, 174 526 migrants en situation d’enquête sur des cas de torture étaient en irrégulière ont été arrêtés et placés en cours de réexamen au niveau fédéral. détention, et 136 420 renvoyés dans leur Comme les années précédentes, la pays. Pas moins de 97 % de ces derniers procédure spéciale d’examen médical prévue étaient originaires de pays d’Amérique par les services du procureur général de la centrale. Selon des informations rendues République en cas d’allégations de torture publiques en février par le Congrès des États- n’a pas été appliquée dans la plupart des Unis, le gouvernement américain prévoyait cas. Plus de 3 000 requêtes étaient en d’allouer 75 millions de dollars à la sécurité attente. Souvent, les enquêtes sur les cas de et au contrôle de l’immigration à la frontière torture ou d’autres mauvais traitements sud du Mexique, dans le cadre de l’initiative n’avançaient pas sans examen officiel. Mérida. En septembre, constatant que le Mexique Le Bureau du procureur général de la n’avait pas suivi ses recommandations République a créé un nouveau service concernant 11 femmes victimes de torture chargé d’enquêter sur les infractions sous la forme de violences sexuelles à San commises contre des migrants. Des Salvador Atenco en 2006, la Commission organisations de la société civile ont participé interaméricaine des droits de l’homme a saisi à la conception d’un mécanisme mexicain de la Cour interaméricaine des droits de coordination de l’aide étrangère en matière l’homme. de recherches et d’enquêtes, qui visait à coordonner les efforts menés par les autorités DROITS DES RÉFUGIÉS ET DES mexicaines et centraméricaines pour rendre MIGRANTS justice aux migrants victimes de disparition Un nombre record de demandes d’asile aux mains d’acteurs non étatiques, entre (6 898 entre janvier et octobre) ont été autres crimes. enregistrées ; 93 % des demandeurs étaient Lors d’un sommet de l’ONU organisé en des ressortissants du Salvador, du Honduras septembre, le président Enrique Peña Nieto a et du Guatemala. Seules 2 162 personnes officiellement reconnu que le Mexique et ont obtenu le statut de réfugié, alors que le l’Amérique centrale étaient confrontés à une nombre de migrants franchissant crise des réfugiés et a annoncé la mise en illégalement la frontière sud du Mexique était place d’un plan spécifique. Celui-ci prévoyait estimé à plus de 400 000 par an, dont la une augmentation de 80 % des fonds alloués moitié pourraient remplir les conditions pour à l’agence mexicaine en charge des réfugiés obtenir ce statut, selon des organisations et un renforcement de l’intégration des internationales et des universitaires. Dans la réfugiés dans le pays. Il contenait aussi un majorité des cas, les autorités omettaient engagement à ne pas incarcérer de migrants d’informer correctement les migrants de leur âgés de moins de 11 ans. Un rapport spécial droit de demander l’asile au Mexique. de la CNDH rendu public en mai a fait état Une réforme inscrivant le droit à l’asile d’au moins 35 433 personnes déplacées à dans la Constitution est entrée en vigueur l’intérieur du pays. D’autres estimations en août. crédibles établies à partir de données

306 Amnesty International — Rapport 2016/17 officielles citaient toutefois des chiffres au Humberto del Bosque Villarreal, retrouvé moins quatre fois plus élevés. En octobre, la mort plusieurs semaines après son CNDH a publié un rapport dénonçant les arrestation arbitraire en 2013, dans l’État du mauvaises conditions de vie dans les centres Nuevo León. de détention pour migrants, en particulier En avril, le Groupe interdisciplinaire pour les mineurs non accompagnés. d’experts indépendants (GIEI) nommé par la Commission interaméricaine des droits de DISPARITIONS FORCÉES l’homme a rendu public son deuxième Les disparitions forcées impliquant l’État et rapport sur la disparition forcée de les disparitions imputables à des acteurs non 43 étudiants d’un institut de formation étatiques demeuraient très répandues, et les d’enseignants à Ayotzinapa, dans l’État de responsables de ces actes jouissaient Guerrero, en septembre 2014. Il a confirmé toujours d’une impunité quasi totale. Les qu’il était scientifiquement impossible que, enquêtes sur les cas de disparitions restaient comme l’affirmaient les autorités, les entachées d’irrégularités et anormalement étudiants aient été tués et leurs corps brûlés lentes. Les autorités ne lançaient dans une décharge locale. Le GIEI a aussi généralement pas de recherches immédiates révélé que, en octobre 2014, des agents lors de la disparition d’une personne. s’étaient rendus illégalement sur un site qui a À la fin de l’année, 29 917 personnes par la suite été associé à ce crime et avaient (22 414 hommes et 7 503 femmes) étaient manipulé des preuves importantes sans portées disparues par les autorités. Les autorisation et sans consigner leurs actes. Un chiffres du Registre national des personnes homme détenu en lien avec cette affaire avait disparues ne comprenaient pas les affaires été contraint de les accompagner sur les fédérales survenues avant 2014, ni les lieux en l’absence de son avocat et sans affaires classées dans d’autres catégories de qu’aucun juge n’en soit informé. Ce crimes, telles que les prises d’otages ou la déplacement a eu lieu la veille du jour où les traite des êtres humains. autorités ont découvert à cet endroit un Les disparitions forcées et les disparitions morceau d’os, identifié par la suite comme imputables à des acteurs non étatiques appartenant à l’un des étudiants, Alexander étaient source de graves préjudices pour les Mora Venancio. L’enquêteur responsable de familles des victimes, et constituaient une cet épisode a démissionné de ses fonctions forme de torture ou de peine ou traitement au sein du Bureau du procureur général de cruel, inhumain ou dégradant. Selon les la République, alors qu’une enquête était en données disponibles, la majorité des victimes cours sur ses actes. Il a immédiatement été étaient des hommes. À l’inverse, la majorité nommé par le président Enrique Peña Nieto des proches qui cherchaient la vérité, à un autre poste fédéral haut placé. En réclamaient justice et demandaient des novembre, la Commission interaméricaine réparations étaient des femmes. Certaines des droits de l’homme a présenté son projet personnes qui recherchaient des proches de mécanisme de suivi de cette affaire, à la disparus ont reçu des menaces de mort. suite des recommandations du GIEI et des Dans le cadre de l’examen du projet de loi mesures conservatoires qu’elle avait prises générale sur les disparitions présenté au en 2014, qui ordonnaient au Mexique de Congrès par le président Enrique Peña Nieto déterminer ce qu’il était advenu des en décembre 2015, le Sénat a entendu des 43 étudiants disparus et où ils se trouvaient. proches de disparus lors d’audiences publiques. Ce projet de loi était toujours en DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS ET instance devant le Congrès. JOURNALISTES Des poursuites ont été engagées en mars Cette année encore, des défenseurs des contre cinq membres de la marine mexicaine droits humains et des journalistes ont été accusés de la disparition forcée d’Armando menacés, harcelés, intimidés, agressés ou

Amnesty International — Rapport 2016/17 307 tués. Onze journalistes au moins ont été tués au cours de l’année. Le Mécanisme fédéral DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET de protection des défenseurs des droits DES PERSONNES BISEXUELLES, humains et des journalistes n’offrait pas à ces TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES personnes une protection suffisante. En En mai, le président Enrique Peña Nieto a février, des organisations internationales de présenté au Congrès deux projets de loi défense des droits humains ont dénoncé la portant modification de la Constitution et du campagne de dénigrement dont faisaient Code civil fédéral. La proposition de l’objet le GIEI et les ONG locales impliquées modification constitutionnelle visant à dans l’affaire d’Ayotzinapa – une campagne garantir expressément le droit au mariage semble-t-il tolérée par les autorités. Le sans discrimination a été rejetée par le nombre de demandes de protection au titre Congrès en novembre. du Mécanisme est resté stable par rapport à La réforme du Code civil interdirait la l’année précédente. discrimination liée à l’orientation sexuelle et à Humberto Moreira Valdés, ancien l’identité de genre dans le mariage et gouverneur de l’État de Coahuila et ancien l’adoption. Elle prévoit également le droit président du Parti révolutionnaire pour les personnes transgenres de faire institutionnel, a intenté une action au civil reconnaître leur identité de genre à l’état civil. contre Sergio Aguayo, un journaliste de Ce projet de loi n’avait pas encore été premier plan, réclamant 550 000 dollars des examiné par le Congrès. États-Unis de dommages et intérêts pour le En septembre, la jurisprudence de la Cour préjudice moral qu’il estime avoir subi pour suprême reconnaissant aux couples de atteinte à sa réputation dans un article même sexe le droit de se marier et d’adopter d’opinion. Le montant faramineux de la des enfants sans discrimination liée à somme réclamée pourrait être considéré l’orientation sexuelle et à l’identité de genre comme une forme de sanction et est devenue contraignante pour tous les d’intimidation susceptible de porter atteinte à juges du pays. la liberté d’expression dans le débat public. Le militant écologiste et prisonnier VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ET d’opinion Ildefonso Zamora a été libéré en AUX FILLES août, après neuf mois d’emprisonnement sur Les violences contre les femmes et les filles des accusations forgées de toutes pièces. demeuraient endémiques. En avril, plusieurs dizaines de milliers de personnes ont LIBERTÉ DE RÉUNION manifesté dans tout le pays, exigeant qu’il La Cour suprême a continué d’examiner un soit mis fin aux violences à l’égard des recours judiciaire formé contre la Loi de 2014 femmes, dont le harcèlement sexuel. Après sur la mobilité de la ville de Mexico. Elle a les États de Morelos et de Mexico en 2015, jugé en août que cette loi ne devait pas être les États du Jalisco et du Michoacán ont été interprétée comme une obligation d’obtenir dotés du mécanisme d’alerte liée au genre. une autorisation préalable pour manifester, Le manque de données précises, récentes et mais seulement comme une règle permettant ventilées sur les violences liées au genre aux personnes d’informer à l’avance les constituait un obstacle majeur pour autorités de toute manifestation prévue. La combattre ce problème. Cour a estimé que l’absence de disposition sur les manifestations spontanées ne DROITS DES PEUPLES AUTOCHTONES signifiait nullement que celles-ci étaient En raison d’une information communiquée à interdites. Enfin, elle s’est prononcée en la dernière minute par le ministère de faveur d’une règle interdisant les l’Économie concernant la révocation de deux manifestations dans les avenues principales concessions minières accordées à des de la ville. entreprises dans le territoire de San Miguel

308 Amnesty International — Rapport 2016/17 Progreso, la Cour suprême a refusé d’examiner les effets de la Loi de 1991 CONTEXTE relative à l’industrie extractive sur les droits Le climat politique restait caractérisé par un des indigènes. La question de l’adoption d’un sentiment d’impuissance face à la corruption cadre juridique sur le droit des peuples et à la dégradation du niveau de vie, autochtones à un consentement préalable, suscitant le mécontentement de la population libre et éclairé demeurait largement absente et des manifestations sporadiques. Après du débat législatif, bien qu’une proposition l’arrestation soudaine de l’ancien Premier de loi ait été débattue dans des forums ministre Vladimir Filat en octobre 2015, des publics et que la CNDH ait émis, en octobre, rumeurs d’ingérence politique de la part d'un une recommandation demandant au Congrès oligarque en vue ont provoqué des de légiférer dans ce domaine. En septembre, manifestations massives. Le pays a retrouvé la municipalité indigène de Guevea de une certaine stabilité politique en janvier à la Humboldt, dans l’État d’Oaxaca, a autorisé suite d’obscures tractations en coulisses pour la première fois les femmes de la entre les partis, qui ont permis la nomination communauté à exercer leur droit de vote lors du nouveau Premier ministre. La Cour des scrutins locaux. constitutionnelle a jugé le 3 mars que le président du pays devait être élu au suffrage universel direct. Cet arrêt a conduit à la 1. Surviving Death: Police and military torture of women in Mexico (AMR 41/4237/2016) première élection présidentielle directe depuis 1996, avec un premier tour le 30 octobre et un second tour le MOLDAVIE 13 novembre. LIBERTÉ DE RÉUNION République de Moldova Les manifestations dans la capitale Chişinău Chef de l’État : Igor Dodon (a remplacé Nicolae Timofti en novembre) et dans d’autres lieux sont restées pacifiques, Chef du gouvernement : Pavel Filip (a remplacé hormis quelques affrontements sans gravité Gheorghe Brega en janvier) entre manifestants et policiers. La police a globalement réagi de façon mesurée, même La police a parfois eu recours à une force si elle n’a pas toujours évité un recours injustifiée ou excessive lors de injustifié ou excessif à la force, notamment manifestations sur la voie publique. Les au gaz lacrymogène et aux coups de poursuites pénales engagées dans plusieurs matraque. affaires médiatisées ont suscité des Le procès des sept manifestants du inquiétudes quant à l’iniquité des procès, et « groupe Petrenco » (jugés pour avoir tenté notamment au caractère sélectif de la de pénétrer de force dans le bureau du justice. Dans l’ensemble, les médias procureur général lors d’une manifestation le restaient libres mais le pluralisme était en 6 septembre 2015) s’est poursuivi. Tous recul par rapport aux années précédentes. étaient inculpés de « tentative d’organiser Aucun progrès n’a été fait pour remédier des troubles massifs » ; six d’entre eux ont aux causes structurelles de l’impunité dont passé plus de six mois en détention. À la jouissent les auteurs de torture et d’autres suite de nombreuses critiques en Moldavie et mauvais traitements. La surpopulation et au sein de la communauté internationale, les les mauvaises conditions de détention six accusés détenus ont été placés en étaient la règle dans certaines prisons. La résidence surveillée le 22 février, puis libérés législation permettait d’interner contre leur un mois plus tard tout en restant soumis à gré des personnes handicapées dans des des restrictions de mouvement. établissements psychiatriques et de leur administrer un traitement de force.

Amnesty International — Rapport 2016/17 309 PROCÈS INÉQUITABLES TORTURE ET AUTRES MAUVAIS Les poursuites pénales engagées contre le TRAITEMENTS « groupe Petrenco » et dans un certain Aucun progrès n’a été fait pour remédier aux nombre d’autres dossiers faisaient craindre causes structurelles de l’impunité dont une absence de neutralité politique. jouissent les auteurs de torture et d’autres Après huit mois de détention, Vladimir mauvais traitements. De plus, les poursuites Filat a été déclaré coupable le 27 juin de judiciaires contre les responsables présumés « corruption passive » et de « trafic de tels actes restaient extrêmement rares. d’influence » en relation avec une fraude Entre janvier et juin, 331 personnes ont porté commise en 2014, qui a coûté à la Banque plainte auprès du parquet pour torture et nationale plus d’un tiers de ses réserves. Il a autres mauvais traitements. Sur 19 affaires été condamné à une peine de neuf ans jugées par les tribunaux, 15 se sont soldées d’emprisonnement. Son procès à huis clos a par une condamnation, mais seuls deux des soulevé davantage de questions qu’il n’a 18 accusés déclarés coupables se sont vu apporté de réponses, notamment sur infliger une peine privative de liberté. l’absence d’enquêtes visant d’autres Sa famille et son avocat ont affirmé à responsables politiques. La défense a fait plusieurs reprises que Vladimir Filat avait appel du jugement et invoqué des vices de subi des mauvais traitements. Il aurait procédure et une absence d’égalité des notamment été placé à l’isolement, dans des armes entre les parties. Les autorités ont conditions qui s’apparentaient d’après eux à rejeté ce second argument, mais aucun des de la torture. Ces déclarations ont de deux n’a pu faire l’objet d’une vérification nouveau placé sous le feu des projecteurs indépendante compte tenu du huis clos. l’établissement pénitentiaire n° 13 de Pendant son procès, Vladimir Filat aurait fait Chişinău, qui avait fait l’objet de critiques de une grève de la faim pendant 20 jours et la part d’observateurs indépendants les perdu une fois connaissance dans la salle années précédentes. Toutes les demandes d’audience. déposées (y compris par Amnesty International) afin de rencontrer Vladimir Filat LIBERTÉ D’EXPRESSION – MÉDIAS en toute indépendance ont été rejetées, Si la liberté des médias était généralement même après sa condamnation. Amnesty respectée, la concentration des médias aux International a toutefois pu se rendre dans mains de quelques propriétaires continuait l’établissement et a confirmé que, si les de susciter des craintes quant à leur conditions s’étaient visiblement améliorées indépendance. Au moins deux journalistes dans certaines cellules (généralement aux connus ayant tenu des propos critiques se frais des familles des détenus), la sont plaints de menaces anonymes. En août, surpopulation et les mauvaises conditions une balle a été tirée dans une fenêtre de sanitaires et d’hygiène demeuraient la règle l’appartement de la fille de Constantin dans les autres. Cheianu. Ce journaliste avait reçu des SMS Le Comité européen pour la prévention de l’avertissant qu’il serait « stoppé » s’il la torture a rendu public en juin le rapport de continuait d’écrire sur le système sa visite de septembre 2015 en Moldavie. Il a oligarchique. La présentatrice de télévision constaté des progrès depuis 2011 mais Natalia Morari a déclaré avoir reçu des restait préoccupé par le recours excessif de avertissements similaires provenant d’une la police à la force durant les arrestations, par source qu’elle a qualifiée de crédible. Les les mauvais traitements infligés aux détenus deux journalistes ont porté plainte auprès des lors de l’« interrogatoire préliminaire », et par autorités. la surpopulation, qui atteignait des « proportions inquiétantes » dans certaines prisons.

310 Amnesty International — Rapport 2016/17 ÉVOLUTIONS LÉGISLATIVES, CONSTITUTIONNELLES OU MONGOLIE INSTITUTIONNELLES Mongolie Les modifications introduites dans le Code de Chef de l’État : Tsakhiagiin Elbegdorj procédure pénale sont entrées en vigueur le Chef du gouvernement : Jargaltulga Erdenebat (a 26 mai. Elles renforcent les garanties contre remplacé Chimediin Saikhanbileg en juillet) l’usage arbitraire de la détention provisoire et imposent de privilégier autant que possible Le Parti populaire mongol, principal parti des mesures non privatives de liberté. d’opposition, a obtenu la majorité des sièges au Grand Khoural (Assemblée DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET nationale) lors des élections législatives de DES PERSONNES BISEXUELLES, juin. Le nouveau gouvernement a reporté la TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES mise en application de cinq textes La plus grande marche des fiertés que le approuvés par le gouvernement précédent, pays ait jamais connue s’est déroulée le dont le nouveau Code pénal qui abolissait la 22 mai à Chişinău et a réuni environ peine de mort, et n’a pas protégé les 300 participants. Quelques contre- défenseurs des droits humains contre des manifestants ont tenté d’agresser des menaces et des agressions de la part militants qui défilaient pour les droits des d’organes de l’État et d’acteurs non personnes LGBTI. La police a mis en place étatiques. La torture et d’autres formes de un cordon de sécurité efficace mais a décidé mauvais traitements sont restées monnaie d’évacuer les participants en bus juste avant courante, en particulier durant les gardes à la fin du parcours. vue. Les habitants de la capitale, Oulan- Bator, ont cette année encore été exposés à DISCRIMINATION – LES PERSONNES des expulsions forcées et à des atteintes à HANDICAPÉES leur droit à un logement convenable, la La rapporteuse spéciale des Nations unies législation dans ce domaine n’étant pas sur les droits des personnes handicapées a conforme au droit et aux normes en matière demandé au gouvernement de mettre fin de de droits humains. toute urgence au placement des personnes handicapées dans des établissements DROITS EN MATIÈRE DE LOGEMENT psychiatriques ou psychoneurologiques. Malgré le stade avancé du projet de Plusieurs lois autorisent l’internement forcé réaménagement urbain à Oulan-Bator, les de personnes handicapées et l’administration lois et politiques en la matière étaient forcée d’un traitement psychiatrique, ainsi toujours en décalage avec la situation réelle, que l’interruption non volontaire de grossesse tant au niveau national que local. Dans la en cas de troubles psychosociaux ou de capitale, le réaménagement à grande échelle déficiences intellectuelles. des quartiers de yourtes (ger), qui n’offrent pas un accès suffisant aux services essentiels, a été entamé il y a dix ans pour faire face à la croissance démographique inattendue et à l’augmentation de la pollution1. Or, en l’absence d’une réglementation gouvernementale adaptée, d’une véritable consultation et de mesures de contrôle, les personnes concernées par ce réaménagement étaient exposées à toute une série d’atteintes à leurs droits fondamentaux,

Amnesty International — Rapport 2016/17 311 notamment à leur droit à un logement 2. Mongolie. Deux cents personnes risquent d'être privées de logement convenable. (ASA 30/3743/2016) et action complémentaire (ASA 30/4793/2016) Dans un cas en particulier, les plans de réaménagement ont eu des conséquences extrêmement difficiles pour certains MONTÉNÉGRO habitants. Au cours de l’hiver 2015-2016, des personnes vivant dans un bâtiment Monténégro délabré du district de Sukhbaatar, à Oulan- Chef de l’État : Filip Vujanović Bator, parmi lesquelles se trouvaient des Chef du gouvernement : Duško Marković (a remplacé personnes handicapées et des familles avec Milo Đukanović en novembre) de jeunes enfants, sont en effet restées sans chauffage par -30 °C. Les autorités les ont Les élections législatives du mois d’octobre installées dans des logements temporaires en ont renforcé la coalition au pouvoir dirigée octobre. En l’absence de garanties efficaces par Milo Đukanović. Des irrégularités ont et de mécanismes de réparation, les cependant été signalées dans des dizaines personnes relogées restaient exposées à de de bureaux de vote par des observateurs. nombreuses atteintes à leurs droits humains2. LUTTE CONTRE LE TERRORISME ET SÉCURITÉ DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS Le Monténégro a accueilli deux anciens Des hommes et des femmes défenseurs des détenus du centre de détention américain de droits humains ont cette année encore été la Guantánamo, à Cuba, respectivement en cible de menaces physiques et janvier et en juin. psychologiques et d’agressions de la part Le gouvernement a signé en septembre le d’acteurs étatiques et non étatiques. Une Protocole additionnel à la Convention du enquête était toujours en cours concernant la Conseil de l’Europe pour la prévention du mort suspecte, fin 2015, de terrorisme, avec la volonté de résoudre le Lkhagvasumberel Tomorsukh, un militant problème des « combattants terroristes écologiste de la Fondation pour la protection étrangers ». du léopard des neiges. La Commission nationale des droits humains de Mongolie a DISCRIMINATION – LESBIENNES, GAYS signalé que la loi sur les ONG et d’autres lois ET PERSONNES BISEXUELLES, nationales ne protégeaient pas pleinement TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES les droits des défenseurs des droits humains. En mai, deux organisations de défense des droits des personnes LGBTI ont porté plainte TORTURE ET AUTRES MAUVAIS auprès d’un tribunal administratif contre le TRAITEMENTS ministère de l’Intérieur. Elles l’accusaient La torture et d’autres formes de mauvais d’avoir manqué à son obligation de garantir le traitements sont demeurées monnaie droit à la liberté de réunion pacifique en courante dans les centres de détention. Les permettant à la police d’interdire trois fois de autorités ont fréquemment transféré des suite la marche des fiertés de Nikšić, la personnes d’un centre de détention à un deuxième ville du pays. Ces deux autre ou dans des prisons éloignées de leur organisations s’étaient d’abord plaintes foyer, dans le but de les intimider et de auprès du ministère, qui avait rejeté leur compliquer les visites de leurs familles ainsi requête. Le tribunal administratif a à son tour que leur accès à un avocat. rejeté la plainte au mois de juin. Elles se sont adressées à la Cour constitutionnelle pour demander une révision en constitutionnalité. 1. Falling short: The right to adequate housing in Ulaanbaatar, Mongolia (ASA 30/4933/2016)

312 Amnesty International — Rapport 2016/17 bénéficié de l’assistance nécessaire pour DISPARITIONS FORCÉES obtenir une protection internationale Les autorités n’avaient toujours pas donné officielle, la citoyenneté monténégrine ou des suite, à la fin de l’année, aux droits de résidents permanents, ce qui les recommandations du Comité sur les empêchait d’avoir accès aux services les plus disparitions forcées [ONU], qui conseillait élémentaires, comme les soins de santé ou le que la disparition forcée figure dans le Code marché de l’emploi. pénal en tant qu’infraction à part entière. Les autorités n’ont pas non plus permis aux victimes d’obtenir justice et réparation. En outre, le Monténégro n’a pas fait en sorte que MOZAMBIQUE la nature continue de la disparition forcée soit République du Mozambique reconnue dans son système de droit pénal. Chef de l’État et du gouvernement : Filipe Jacinto Nyusi Aucune enquête n’avait été menée pour déterminer ce qu’il était advenu des 61 personnes toujours portées disparues Les forces de sécurité, ainsi que les depuis les conflits armés qui ont ensanglanté membres et les sympathisants de l’ex-Yougoslavie entre 1991 et 1999. l’opposition, se sont rendus coupables d’atteintes aux droits humains, notamment LIBERTÉ D’EXPRESSION – d'exécutions, d'actes de torture et d’autres JOURNALISTES mauvais traitements, en toute impunité. Cette année encore, des journalistes ont reçu Des milliers de réfugiés ont fui au Malawi et des menaces et les bureaux de plusieurs au Zimbabwe. Les personnes qui organes de presse ont été saccagés. Le exprimaient des idées dissidentes ou ministère de l’Intérieur a annoncé en juin que critiquaient les violations des droits le Code pénal serait modifié pour lutter humains, l’instabilité politique et militaire, contre l’impunité dont jouissaient ou encore les dettes cachées du pays, ont généralement les auteurs d’agressions contre subi des agressions et des actes des journalistes. Aucun projet de texte n’avait d’intimidation. été soumis à la fin de l’année. Le procès du journaliste d’investigation CONTEXTE Jovo Martinović, en détention depuis octobre Dans le centre du pays, de violents 2015, s’est ouvert à la fin du mois d’octobre affrontements ont continué à opposer le parti 2016. Il était accusé d’être impliqué dans le au pouvoir, le Front de libération du réseau criminel sur lequel il enquêtait. Des Mozambique (FRELIMO), au principal parti groupes de défense des droits humains et d’opposition, la Résistance nationale des associations de journalistes craignaient mozambicaine (RENAMO). que les chargent retenues contre lui l’aient Le 5 mars, le président Nyusi a invité été en raison de son travail d’investigation. Afonso Dhlakama, dirigeant de la RENAMO, à participer à des pourparlers pour RÉFUGIÉS ET PERSONNES DÉPLACÉES « restaurer la paix au sein du pays ». Le Plus de 1 600 personnes venues se réfugier dialogue entre les équipes du FRELIMO et de au Monténégro pour fuir le conflit en ex- la RENAMO a commencé. Le 10 juin, les Yougoslavie attendaient toujours une solution deux camps ont convenu de convier des durable. Elles vivaient encore dans des médiateurs internationaux pour faciliter les conditions précaires dans des camps, sans échanges sur quatre points : laisser la bénéficier de programmes complets visant à RENAMO gouverner les six provinces où elle permettre leur intégration. Ces réfugiés revendique la victoire aux élections de 2014 ; étaient majoritairement des Roms originaires mettre un terme aux activités armées ; créer de Serbie/du Kosovo. Ils n’avaient pas des forces armées et des services de police

Amnesty International — Rapport 2016/17 313 et de renseignement conjoints ; procéder au traitements, des détentions arbitraires et la désarmement et à la réinsertion des destruction de biens immobiliers figuraient membres de la branche armée de au nombre de ces violations. L’impunité la RENAMO. restait de mise pour ces crimes de droit En août, les médiateurs ont remis un international et ces atteintes aux droits projet d’accord. Néanmoins, les parties ne se fondamentaux. sont pas entendues sur le retrait des forces Le 10 mai, Benedito Sabão, un petit armées gouvernementales postées dans la paysan de la ville de Catandica (province de région de Gorongosa, où est basé Afonso Manica), a été arrêté arbitrairement et Dhlakama, et aucun accord n’a été conclu. maltraité par des agents appartenant semble- Les pourparlers se poursuivaient à la fin de t-il aux services secrets, en raison de son l’année. soutien présumé à la RENAMO. Également En avril, des emprunts d’un montant de blessé par balle, il a survécu mais a continué plus d’un milliard de dollars des États-Unis, de recevoir des menaces2. À la fin de levés dans le secret dans les domaines de la l’année, les responsables présumés de cette sécurité et de la défense, ont été mis au jour. attaque n’avaient pas été traduits en justice, Cette révélation a poussé le Fonds monétaire ni même identifiés. international (FMI) et d’autres bailleurs de En juin, plusieurs petits paysans fonds internationaux à suspendre l’aide mozambicains vivant dans un camp de financière au Mozambique dans l’attente réfugiés au Malawi ont indiqué que leur d’un audit international indépendant. Une village, dans la province de Tete au commission d’enquête parlementaire a Mozambique, avait été pris d’assaut par également été mise en place en août, mais quatre véhicules avec à leur bord une elle comptait une majorité de membres du soixantaine de civils brandissant des armes à FRELIMO et a été boycottée par la RENAMO. feu et des machettes, car il était considéré Le 9 décembre, les conclusions de la comme un bastion de la RENAMO. Les commission ont été examinées à huis clos agresseurs ont incendié le village et les par le Parlement. Le rapport n’avait pas été cultures dont les paysans tiraient leur rendu public à la fin de l’année. subsistance. Selon les réfugiés, ces hommes Le bilan du Mozambique en matière de appartenaient aux forces armées. droits humains a été examiné en juin dans le Des membres et des sympathisants de la cadre de l’Examen périodique universel des RENAMO auraient pillé des centres de santé Nations unies (EPU) ; le Mozambique a et mené des attaques sur les routes et dans accepté 180 recommandations et en a des postes de police, faisant des victimes rejeté 30, dont celles l’invitant à ratifier la dans la population. Ils s’en sont également Convention internationale contre les pris à la police et aux forces armées. Le disparitions forcées et le Statut de Rome de gouvernement n’a pas enquêté sur ces la CPI, et celles concernant la liberté crimes contre la population civile commis par d’expression et la responsabilité des des membres ou des sympathisants de la entreprises1. RENAMO, ni traduit leurs auteurs en justice. En mai, des médias locaux et OBLIGATION DE RENDRE DES COMPTES internationaux et des organisations de la Des membres des forces armées, des hauts société civile ont signalé la découverte de fonctionnaires de la police et des agents des corps non identifiés et d’un charnier près de services secrets auraient commis des la région de Gorongosa. Une enquête a été violations des droits humains contre des ouverte en juin, mais ni les dépouilles ni les personnes qu’ils soupçonnaient d’être des responsables présumés n’avaient été membres ou des sympathisants de la identifiés à la fin de l’année. RENAMO. Des exécutions extrajudiciaires, Le 8 octobre, Jeremias Pondeca, haut des actes de torture et d’autres mauvais responsable de la RENAMO et membre de

314 Amnesty International — Rapport 2016/17 l’équipe de médiation chargée de mettre fin sociaux. Le 25 avril, la police a annoncé que au conflit entre la RENAMO et le toute manifestation non autorisée serait gouvernement, a été tué par balle dans la réprimée. Les 28 et 29 avril, elle a renforcé capitale Maputo par des individus non sa présence dans les rues de Maputo mais identifiés qui appartiendraient à un escadron personne n’a manifesté. de la mort constitué de membres des forces En mai, les partis politiques sans de sécurité. À la fin de l’année, les auteurs représentation parlementaire et des présumés de cet homicide n’avaient pas été organisations de la société civile ont appelé à identifiés. manifester pacifiquement contre les dettes cachées du pays et son instabilité politique et RÉFUGIÉS ET DEMANDEURS D’ASILE militaire. Toutefois, le conseil municipal de Selon le Haut-Commissariat des Nations Maputo n’a pas autorisé la tenue de la unies pour les réfugiés (HCR), près de manifestation. 10 000 Mozambicains ont fui au Malawi et João Massango, membre dirigeant du Parti au Zimbabwe au cours de l’année. Les écologiste, était l’un des organisateurs de pouvoirs publics mozambicains ne cette manifestation. Le 20 mai, à Maputo, il a considéraient pas qu’il s’agissait de réfugiés, été victime d’une tentative d’enlèvement et a mais plutôt de migrants économiques. été passé à tabac par des hommes armés non identifiés qui appartiendraient à un LIBERTÉ D’EXPRESSION escadron de la mort constitué de membres Les personnes exprimant des opinions des forces de sécurité. Ses agresseurs divergentes ou critiques, notamment les n’avaient pas été identifiés à la fin de l’année. journalistes et les défenseurs des droits humains, ont été en butte à des manœuvres 1. Mozambique: Amnesty International welcomes commitment to d’intimidation et à des agressions tout au investigate extrajudicial executions, torture and other ill-treatment long de l’année. (AFR 41/4449/2016) Le 23 mai, le commentateur politique et 2. Mozambique. Accusé d’être un membre de l’opposition, il est la cible professeur d’université José Jaime Macuane de tirs (AFR 41/4099/2016) a été enlevé devant chez lui, à Maputo, par des individus non identifiés qui appartiendraient à un escadron de la mort MYANMAR constitué de membres des forces de sécurité. Ses ravisseurs lui ont tiré dans les jambes et République de l’Union du Myanmar l’ont abandonné sur le bas-côté d’une route Chef de l’État et du gouvernement : Htin Kyaw (a dans le district de Marracuene, à remplacé Thein Sein en mars) 30 kilomètres au nord de Maputo, en lui disant qu’ils avaient pour ordre de l’estropier. La constitution d’un nouveau gouvernement José Jaime Macuane avait publiquement civil n’a pas entraîné d’amélioration abordé des questions de gouvernance significative de la situation des droits politique, les affrontements récurrents entre humains. Les Rohingyas, minorité le FRELIMO et la RENAMO, les dettes persécutée, étaient en butte à des violences cachées et les violations du droit à la liberté et des discriminations accrues. On a assisté d’expression. Les responsables de son à une montée de l’intolérance religieuse, enlèvement et des tirs n’avaient pas été notamment à l’encontre des musulmans. identifiées à la fin de l’année. Les affrontements entre l’armée et les groupes armés de différentes minorités LIBERTÉ DE RÉUNION ethniques se sont intensifiés dans le nord Après la révélation des dettes cachées en du pays. Le gouvernement a durci les avril, un appel à manifester a été lancé de restrictions d’accès des organes de l’ONU manière anonyme par SMS et sur les réseaux et d’autres organisations humanitaires aux

Amnesty International — Rapport 2016/17 315 populations déplacées. Malgré la libération au moins 27 000 ont fui au Bangladesh. Ces de plusieurs dizaines de prisonniers représailles s’apparentaient à une punition d’opinion, la liberté d’expression, collective visant toute la population rohingya d’association et de réunion pacifique du nord de l’État d’Arakan, et le demeurait restreinte. L’impunité était comportement des forces de sécurité pourrait toujours de mise pour les atteintes être constitutif de crimes contre l’humanité. persistantes aux droits humains et pour Le gouvernement a nié catégoriquement que celles commises par le passé. les forces de sécurité aient commis des atteintes aux droits fondamentaux. La CONTEXTE commission d’enquête qu’il a établie en Après les élections de novembre 2015, qui décembre n’était pas crédible, car elle était ont vu la victoire écrasante de la Ligue dirigée par un ancien général de l’armée et nationale pour la démocratie, les députés ont incluait le responsable de la police parmi ses siégé au Parlement pour la première fois le membres. 1er février. Htin Kyaw a été élu président en La situation restait grave ailleurs dans l’État mars et la passation officielle des pouvoirs a d’Arakan, les Rohingyas et d’autres groupes eu lieu ce même mois. Au regard de la musulmans subissant des restrictions Constitution, Aung San Suu Kyi ne pouvait draconiennes à leur liberté de mouvement. toujours pas être élue à la présidence mais, Ils ne pouvaient quitter leur village ou le en avril, elle a été désignée conseillère d’État, camp pour personnes déplacées où ils poste créé spécifiquement pour elle et la vivaient, et étaient séparés des autres propulsant de facto à la tête du communautés. Ils n’avaient qu’un accès très gouvernement civil. Malgré tout, l’armée limité à des moyens de subsistance, aux conservait de puissantes prérogatives soins de santé, y compris en cas d’urgence politiques, 25 % des sièges lui étant attribués vitale, et à l’éducation. Leur sécurité au Parlement, ce qui lui permettait d’opposer alimentaire était particulièrement précaire. son veto aux modifications constitutionnelles Les Rohingyas demeuraient pour la et de contrôler des ministères stratégiques. plupart privés de nationalité. Les efforts Elle continuait de se soustraire à toute déployés par le gouvernement pour relancer surveillance civile. le processus de vérification de la nationalité étaient au point mort, beaucoup de membres DISCRIMINATION de la communauté ayant refusé d’y participer La minorité rohingya car ce processus reposait sur la Loi de 1982 La situation des Rohingyas s’est relative à la citoyenneté, aux dispositions considérablement dégradée après l’attaque, discriminatoires. en octobre, d’avant-postes de la police des Pour tenter de débloquer la situation, le frontières dans le nord de l’État d’Arakan, gouvernement a mis en place deux entités : semble-t-il par des militants rohingyas. Neuf en mai, le Comité central pour la mise en policiers ont été tués. Les forces de sécurité œuvre de la paix, de la stabilité et du ont riposté par une vaste opération de développement dans l’État d’Arakan, présidé sécurité : elles ont mené des « opérations de par Aung San Suu Kyi et, en août, la nettoyage » et bouclé la zone, empêchant Commission consultative sur l’État d’Arakan, ainsi les organisations humanitaires, les présidée par l’ancien secrétaire général des médias et les observateurs indépendants des Nations unies Kofi Annan. droits humains de s’y rendre. Elles se sont rendues coupables d’homicides illégaux, de LIBERTÉ DE RELIGION ET DE tirs aveugles sur des civils, de viols et CONVICTION d’arrestations arbitraires1. Plusieurs dizaines L’intolérance religieuse, notamment à de milliers de personnes ont été déplacées à l’encontre des musulmans, et les la suite de la destruction de leur logement, et discriminations se sont aggravées, en

316 Amnesty International — Rapport 2016/17 particulier après les attaques d’octobre dans kachin et le nord de l’État chan en réponse, l’État d’Arakan. Les autorités n’ont rien fait a-t-elle affirmé, aux attaques que menait pour lutter contre les incitations à la haine l’armée myanmar. religieuse, ni pour traduire en justice les Cette année encore, des informations ont auteurs d’attaques contre des minorités fait état de violations du droit international religieuses. humanitaire et relatif aux droits humains À la suite d’une émeute en juin dans la dans les zones de conflit armé. Parmi les région de Bago, un homme a été blessé et violations recensées figuraient le viol et des bâtiments appartenant à des d’autres violences sexuelles, les travaux musulmans, dont une mosquée, ont été forcés, les arrestations arbitraires, la torture détruits. Le Premier ministre de la région a et d’autres mauvais traitements, l’utilisation indiqué aux médias que les auteurs de mines terrestres et le recrutement présumés de cette attaque ne seraient pas d’enfants soldats. inquiétés2. En juillet, une foule a attaqué une L’armée du Myanmar avait démobilisé salle de prière musulmane, dans la 101 enfants et jeunes adultes à la fin de municipalité de Hpakant (État kachin). Cinq l’année. personnes ont été arrêtées, mais aucune n’avait été traduite en justice à la fin de RESTRICTIONS À L’AIDE HUMANITAIRE l’année. À partir du mois d’avril, le gouvernement a durci les restrictions d’accès des organismes CONFLIT ARMÉ INTERNE et acteurs de l’aide humanitaire, en En août, le nouveau gouvernement a particulier de ceux des Nations unies, aux organisé la « conférence de paix de Panglong personnes déplacées vivant dans des zones du 21e siècle », dont l’objectif était de faire du nord du pays qu’il ne contrôlait pas3. Il a progresser le processus de paix dans le pays. envisagé d’obliger ces personnes à franchir Elle devait se réunir tous les six mois. les lignes de conflit interne pour recevoir de L’armée, des représentants de la plupart des l’aide – une mesure qui, si elle était mise en groupes ethniques armés et le secrétaire œuvre, serait contraire au droit international général des Nations unies ont assisté à humanitaire. l’événement. Dans l’État d’Arakan, des organisations Malgré ces efforts, les combats se sont humanitaires internationales ont dû se poursuivis dans certaines régions du pays. soumettre à des procédures fastidieuses pour Entre avril et septembre, le conflit entre obtenir les autorisations de circulation l’Armée pour l’indépendance kachin (KIA) et nécessaires afin d’apporter des services aux l’armée myanmar s’est intensifié ; les forces populations vulnérables. Après les attaques armées ont mené des frappes aériennes et d’octobre dans le nord de l’État, tous les des bombardements, faisant des morts et services d’aide humanitaire en place ont été des blessés dans la population civile. Des suspendus, plus de 150 000 personnes se combats opposant les garde-frontières et retrouvant alors dans le besoin. Même si ces l’armée à une faction de l’Armée bouddhiste services ont repris dans certains secteurs, on karen démocratique ont éclaté dans l’État estimait à 30 000 le nombre de personnes kayin durant le mois de septembre. D’autres déplacées qui étaient privées d’aide affrontements ont également eu lieu entre humanitaire en raison des opérations de l’armée du Myanmar et l’armée de l’Arakan sécurité à la fin de l’année. dans l’État d’Arakan. En novembre, la Fraternité de l’alliance du Nord, une nouvelle RÉFUGIÉS ET PERSONNES DÉPLACÉES coalition regroupant quatre groupes Selon le Bureau de la coordination des ethniques armés du nord du pays, a lancé affaires humanitaires [ONU], on dénombrait des offensives coordonnées contre des avant- plus de 250 000 personnes déplacées à postes des forces de sécurité dans l’État l’intérieur du Myanmar. Ce chiffre incluait

Amnesty International — Rapport 2016/17 317 plus de 100 000 personnes déplacées par que peu de perspectives en matière les combats dans l’État kachin et le nord de d’emploi. Il n’existait pas de programme l’État chan, et 150 000 personnes déplacées gouvernemental d’assistance et de dans l’État d’Arakan, des Rohingyas réinsertion pour les anciens prisonniers ou essentiellement. leurs familles. Quelque 100 000 réfugiés vivaient toujours dans neuf camps érigés en Thaïlande. En LIBERTÉ D’EXPRESSION, octobre, 71 personnes sont rentrées dans D’ASSOCIATION ET DE RÉUNION leur pays dans le cadre du premier Le nouveau gouvernement a amorcé une programme pilote de retour volontaire, avec révision de certaines lois répressives et a l’appui des autorités du Myanmar et de la abrogé la Loi de 1975 relative à la protection Thaïlande, du Haut-Commissariat pour les de l’État et la Législation d’exception réfugiés [ONU] et d’autres organismes. de 1950, deux textes utilisés pour Beaucoup d’autres se trouvaient toujours en emprisonner des détracteurs pacifiques de Thaïlande et continuaient d’avoir peur de précédents gouvernements. Cependant, retourner au Myanmar. d’autres lois répressives demeuraient en vigueur, ce qui exposait toujours les PRISONNIERS D’OPINION défenseurs des droits humains au risque Le 8 avril, une semaine après la prise de d’être arrêtés et emprisonnés du fait de leurs fonctions du nouveau gouvernement, activités pacifiques5. Le processus de plusieurs dizaines de manifestants étudiants réforme législative manquait de incarcérés depuis mars 2015 ont été transparence, et le Parlement n’a pas mené relâchés. Le 17 avril, 83 détenus, dont de véritable consultation de la société civile et beaucoup de prisonniers d’opinion, ont été des juristes. Les propositions de remis en liberté à la faveur d’une grâce modifications de la Loi de 2012 relative aux présidentielle4. rassemblements et aux défilés pacifiques ne Des personnes demeuraient incarcérées satisfaisaient pas aux obligations au regard du fait de leurs opinions, tandis que d’autres du droit international relatif aux droits étaient toujours arrêtées et détenues pour humains et des normes en la matière6. Un des motifs politiques. Plusieurs dizaines de projet de loi sur la sécurité et le respect de la personnes ont fait l’objet d’enquêtes pour vie privée contenait plusieurs dispositions « diffamation en ligne » au titre de la Loi qui, si elles étaient adoptées, risquaient de de 2013 relative aux télécommunications, restreindre arbitrairement le droit à la liberté texte rédigé en des termes vagues et de plus d’expression, entre autres droits. en plus souvent invoqué pour étouffer la Les défenseurs des droits humains, les critique pacifique des autorités. En octobre, avocats et les journalistes étaient toujours Hla Phone a été condamné à deux ans exposés à des actes d’intimidation et de d’emprisonnement pour « diffamation en harcèlement ainsi qu’à des mesures de ligne » et « provocation », car il avait critiqué surveillance de la part des autorités. Certains le gouvernement précédent et l’armée ont indiqué qu’ils avaient été suivis, qu’on les myanmar sur Facebook. avait pris en photo alors qu’ils assistaient à Les personnes qui avaient été des événements ou des réunions, que leur emprisonnées du fait de leurs opinions bureau et leur domicile avaient été fouillés étaient toujours en butte à toute une série de dans la nuit et que des membres de leur problèmes découlant des effets de leurs famille avaient été harcelés. Les femmes qui conditions carcérales et de leur statut défendaient les droits humains risquaient d’anciens détenus. Elles ne bénéficiaient tout particulièrement d’être intimidées ou notamment pas d’une prise en charge harcelées sexuellement. médicale et psychologique satisfaisante, et n’avaient qu’un accès limité à l’éducation et

318 Amnesty International — Rapport 2016/17 rendre des comptes et d’offrir justice, vérité RESPONSABILITÉ DES ENTREPRISES et réparations aux victimes et à leurs familles. Le Parlement a adopté une nouvelle Loi sur Les responsables d’atteintes aux droits l’investissement en octobre. Ce texte ne fondamentaux présentes et passées comportait toutefois pas de dispositions continuaient d’échapper à la justice. protégeant les personnes contre l’expulsion En janvier, quelques jours seulement avant forcée ou contre les effets de la pollution sa dissolution, le Parlement a adopté la Loi provoquée par les entreprises. relative à la sécurité des anciens présidents, Les manifestations ont repris sur le site qui pourrait valoir une immunité de minier de Letpadaung en mai, après poursuites aux anciens présidents pour les l’annonce du démarrage de la production de crimes commis alors qu’ils étaient au pouvoir, cuivre. Deux organisatrices des y compris pour les crimes contre l’humanité, manifestations ont par la suite été inculpées. les crimes de guerre et d’autres crimes de Elles encouraient une peine pouvant aller droit international7. jusqu’à quatre ans d’emprisonnement. Le Chose rare, l’armée a reconnu projet minier de Letpadaung était marqué de publiquement ses torts en juillet, annonçant longue date par des expulsions forcées et la que sept soldats avaient tué cinq villageois répression brutale de manifestations contre le dans le nord de l’État chan, et que l’affaire projet, même si personne n’a eu à rendre était en cours de jugement devant un tribunal de comptes. militaire. Les soldats ont été condamnés en En octobre, le ministère de l’Industrie a septembre à cinq ans de prison assortis de renouvelé la licence d’exploitation de l’usine travaux forcés. Même si cette affaire de fabrication d’acide de Moe Gyo, qui traite constituait un pas en avant vers une le cuivre extrait dans les mines de transparence de l’armée, elle mettait aussi en Letpadaung et de S&K. Cette mesure a été évidence la nécessité de réformer la justice prise alors qu’on craignait vivement que cette tant civile que militaire. Au titre de la usine n’ait des conséquences néfastes pour Constitution de 2008, l’armée conserve la la santé des villageois vivant à proximité, et main sur ses procédures judiciaires, même alors que les autorités municipales de en cas d’allégations de violations des droits Salyingyi avaient décidé de ne pas renouveler humains. la licence de l’usine tant qu’une évaluation La Commission nationale des droits de son impact environnemental et sanitaire humains demeurait incapable de traiter n’aurait pas été réalisée. efficacement les atteintes aux droits fondamentaux qui lui étaient signalées et PEINE DE MORT manquait d’indépendance. En octobre, Aucune exécution n’a eu lieu, mais les quatre de ses membres ont démissionné tribunaux ont continué de prononcer des après la diffusion par les médias condamnations à mort. En janvier, le d’informations sur un accord financier qu’ils président alors en exercice Thein Sein a avaient négocié dans une affaire de travail commué les sentences capitales de forcé et de maltraitance de mineurs. 77 détenus en peines de réclusion à perpétuité. Le Parlement a abrogé en octobre SURVEILLANCE INTERNATIONALE la Législation d’exception de 1950, qui Pour la première fois depuis 25 ans, prévoyait la peine de mort. Ce châtiment était l’Assemblée générale de l’ONU n’a pas maintenu au regard d’autres lois. adopté de résolution sur le Myanmar après la décision de l’UE de ne pas proposer de OBLIGATION DE RENDRE DES COMPTES version préliminaire d’une telle résolution. Le cadre législatif et institutionnel contenait Parmi les grandes recommandations relatives toujours des obstacles empêchant d’amener aux droits humains qui figuraient dans les les auteurs de violations des droits humains à

Amnesty International — Rapport 2016/17 319 résolutions précédentes, aucune n’avait été 8. Myanmar. Pourquoi une résolution de l’Assemblée générale des pleinement mise en œuvre8. Nations unies reste nécessaire (ASA 16/4745/2016) La rapporteuse spéciale des Nations unies 9. Myanmar: Amnesty International calls on Myanmar to protect the rights of Rohingya and to release all prisoners of conscience sur la situation des droits humains au (ASA 16/3670/2016) Myanmar a effectué deux visites officielles 10. Myanmar: Briefing to the UN Committee on the Elimination of dans le pays. Même si elle a pu se déplacer Discrimination against Women (ASA 16/4240/2016) plus librement, elle a indiqué que des membres de la société civile qu’elle avait rencontrés étaient surveillés et harcelés. Elle a également signalé avoir trouvé un dispositif NAMIBIE d’enregistrement installé par un représentant République de Namibie du gouvernement lors d’une réunion locale Chef de l’État et du gouvernement : Hage Gottfried dans l’État d’Arakan. Geingob En mars, le Conseil des droits de l’homme [ONU] a adopté les conclusions issues de l’Examen périodique universel sur le Les prévenus qui avaient été acquittés à Myanmar. Le pays a accepté plus de la l’issue du long procès dans l’affaire de moitié des recommandations formulées, mais trahison de Caprivi vivaient dans la crainte il a rejeté des recommandations importantes d’une nouvelle arrestation après que le sur les droits à la liberté d’expression, procureur général eut décidé de faire appel d’association et de réunion pacifique, ainsi de la décision du tribunal. Les cas de que sur la situation des Rohingyas9. En juillet, violences liées au genre – notamment de le Comité pour l’élimination de la viol – contre les femmes et les filles étaient discrimination à l’égard des femmes [ONU] nombreux. Le droit à la liberté d’expression s’est déclaré préoccupé par les lois a de nouveau été bafoué. discriminatoires, par les obstacles que rencontraient les femmes et les filles pour CONTEXTE obtenir justice et par leur sous-représentation Malgré les appels en faveur d’un revenu dans le processus de paix10. minimum universel lancés au terme d’un Aucun accord n’avait été conclu à la fin de projet pilote concluant, le gouvernement a l’année pour l’ouverture d’un bureau du annoncé son intention de mettre en place Haut-Commissariat aux droits de l’homme des banques alimentaires dans les zones [ONU] au Myanmar. urbaines et périurbaines, sans prendre de mesures pour lutter contre l’extrême pauvreté dans les zones rurales. 1. “We are at breaking point”: Rohingya - Persecuted in Myanmar, neglected in Bangladesh (ASA 15/5362/2016) 2. Myanmar. Il faut enquêter sur la destruction violente d’une mosquée DÉTENUS DE CAPRIVI (nouvelle, 24 juin) En butte à des menaces et des actes 3. Myanmar. Les restrictions touchant l’aide humanitaire doivent être d’intimidation, 42 détenus de Caprivi remis immédiatement levées (nouvelle, 24 octobre) en liberté après avoir été acquittés, entre 4. Myanmar. Il faut poursuivre les efforts en vue de libérer tous les 2013 et 2015, des charges de trahison qui prisonniers d’opinion (ASA 16/3981/2016) pesaient sur eux depuis leur arrestation en 5. New expression meets old repression: Ending the cycle of political 1999, vivaient toujours dans la peur. Ils ont arrests and imprisonment in Myanmar (ASA 16/3430/2016) été informés le 17 mai que le procureur 6. Myanmar: Open letter on amending the Peaceful Assembly and général allait se pourvoir contre leur Peaceful Procession Act (ASA 16/4024/2016) acquittement. 7. Myanmar. Il faut abroger ou modifier la nouvelle loi qui pourrait valoir Retief Kangongo, le vice-président du une immunité de poursuites aux anciens présidents (nouvelle, Caprivi Concerned Group (CCG, un groupe 28 janvier) de soutien aux détenus acquittés), a disparu le 30 avril après avoir, selon certaines

320 Amnesty International — Rapport 2016/17 informations, reçu des menaces de la part de corps a montré que cette femme, qui était l’inspecteur général de la police namibienne. enceinte, avait été violée avant d’être Il aurait demandé l’asile au Botswana. assassinée. La Cour suprême a rendu en août une La police a lancé quelques enquêtes dans décision favorable à Boster Mubuyaeta des affaires de violences liées au genre, mais Samuele, l’un des détenus de Caprivi. Cet les efforts en vue d’éradiquer les violences à homme avait fui au Botswana. En l’égard des femmes et des filles restaient décembre 2002, il avait été enlevé dans ce insuffisants. pays par les forces de sécurité namibiennes et conduit dans son pays d’origine pour y être jugé. Il avait alors passé 13 années en prison. Boster Mubuyaeta Samuele a réussi à faire NAURU valoir que les tribunaux namibiens n’étaient République de Nauru pas compétents pour le poursuivre dans la Chef de l’État et du gouvernement : Baron Waqa mesure où des agents de l’État namibien avaient enfreint le droit international en l’enlevant et en le plaçant arbitrairement en La Loi de 2016 relative aux infractions détention. contenait des dispositions visant à protéger les droits humains, mais elle n’était pas LIBERTÉ D’EXPRESSION correctement appliquée. La négation des Deux journalistes japonais travaillant pour le droits à la liberté d’expression et de réunion groupe de télévision japonais Asahi ont été pacifique, ainsi que les restrictions détenus pendant une courte durée par les imposées à la liberté de mouvement et à forces de sécurité namibiennes le 15 avril, l’accès des médias étrangers au pays après avoir interviewé la vice-Première demeuraient des motifs de préoccupation. ministre, Netumbo Nandi-Ndaitwah, à Les passeports de plusieurs anciens l’aéroport international Hosea Kutako. Ils députés ont été suspendus. Nauru l’avaient interrogée sur la construction en continuait de retenir plusieurs centaines de Namibie, par des ressortissants de la réfugiés et de demandeurs d’asile dans un République populaire démocratique de Corée centre, tandis que d’autres vivaient au sein (Corée du Nord), d’une usine de fabrication de la population aux termes d'un accord de de munitions. Les forces de sécurité transfert conclu avec l’Australie. La peine namibiennes ont confisqué leurs appareils de mort a été abolie pour tous les crimes en photos et leurs ordinateurs portables. mai. VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ET DROITS SEXUELS ET REPRODUCTIFS AUX FILLES Entrée en vigueur en mai, la Loi de 2016 Les violences liées au genre – notamment les relative aux infractions a dépénalisé les viols – contre les femmes et les filles étaient relations entre personnes de même sexe et toujours très répandues, les autorités ne les avortements réalisés par des prenant pas les mesures nécessaires pour professionnels de la santé. Le viol conjugal y lutter contre ce problème. était également érigé en infraction. Les Le 20 juin, par exemple, Janet Haoes a été autorités n’ont pris aucune mesure pour étranglée avec un câble électrique, lardée de appliquer cette loi de manière à protéger les coups de couteau et frappée avec un femmes et les filles contre les violences liées marteau par son partenaire à Otjomuise, au genre ou à garantir leur accès à des dans la banlieue de Windhoek, la capitale. Le services et à l’information en matière de 26 août, le cadavre de Rosina Gaoses a été santé sexuelle et reproductive. Les femmes et retrouvé dans le lit de la rivière à Dolam, les filles vivant dans des lieux isolés ou dans dans la banlieue de Windhoek. L’examen du

Amnesty International — Rapport 2016/17 321 des communautés marginalisées étaient les particuliers. Les soins de santé prodigués plus touchées par leur inaction. n’étaient pas satisfaisants, et beaucoup La nouvelle loi incriminait l’achat et la d’enfants n’étaient pas scolarisés. Des vente de services sexuels, entravant l’accès tentatives de suicide et des cas des travailleuses et travailleurs du sexe aux d’automutilation étaient fréquemment services et à l’information en matière de signalés. Omid Masoumali, un réfugié syrien, santé sexuelle et reproductive et les est mort après s’être immolé par le feu en exposant, entre autres, à l’exploitation, à des avril. Les autorités ne faisaient rien pour violations de leurs droits et à des violences. protéger les réfugiés et les demandeurs Ce texte avait aussi des répercussions d’asile contre les agressions et les insultes négatives sur la prévention et le traitement dont ils continuaient d’être la cible de la part du VIH. de la population insulaire, ni contre les arrestations et détentions arbitraires. Les DROIT DE CIRCULER LIBREMENT conditions qui leur étaient réservées En septembre, de nouvelles lois ont donné au s’apparentaient à une forme de torture et ministère des Affaires étrangères le pouvoir provoquaient des ravages sur le plan d’annuler des passeports en l’absence de psychologique1. tout contrôle judiciaire. Vingt Nauruans ont En août, le journal britannique The affirmé que le ministère avait révoqué leur Guardian a révélé au grand public plus de passeport. Parmi eux figuraient des députés 2 000 fiches de signalement (les de l’opposition qui avaient été suspendus du « Nauru files ») rédigées par le personnel du Parlement après avoir fait l’objet de centre régional de traitement. Ces documents poursuites en 2015 à la suite d’un faisaient état, entre autres, de sévices rassemblement en faveur de la démocratie physiques et sexuels à l’encontre de réfugiés organisé en 2014. En septembre, l’ancien et de demandeurs d’asile, dont des enfants, député Sprent Dabwido n’a pas été autorisé à à Nauru, ainsi que de cas de grèves de la quitter Nauru pour se faire soigner. Le faim, d’automutilation et de situations gouvernement est par la suite revenu sur sa d’urgences médicales. décision. Roland Kun, un autre ancien En novembre, les pouvoirs publics député, s’est vu confisquer son passeport australiens ont annoncé qu’une partie des en 2015 après avoir été inculpé parce qu’il réfugiés détenus à Nauru et sur l’île de avait parlé à des médias étrangers et Manus, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, participé à des manifestations seraient réinstallés aux États-Unis (voir antigouvernementales. Il a fui Nauru en Papouasie-Nouvelle-Guinée). juillet, après s’être vu accorder un passeport néo-zélandais. 1. L’île du désespoir. L’Australie procède au « traitement » des réfugiés à Nauru (ASA 12/4934/2016) RÉFUGIÉS ET DEMANDEURS D’ASILE On dénombrait encore quelque 1 200 réfugiés et demandeurs d’asile à Nauru. Au 30 novembre, 383 se trouvaient NÉPAL dans le centre régional de traitement République démocratique fédérale du Népal administré par l’Australie – 44 enfants, Chef de l’État : Bidhya Devi Bhandari 49 femmes et 290 hommes (voir Australie). Chef du gouvernement : Pushpa Kamal Dahal (a Environ 800 autres vivaient au sein de la remplacé Khadga Prasad Sharma Oli en août) population. Des mineurs auraient été agressés par des employés d’entreprises engagées par le Des dizaines de milliers de personnes gouvernement australien pour gérer le centre restaient privées de certains de leurs droits régional de traitement, ainsi que par des fondamentaux, en particulier du droit à un

322 Amnesty International — Rapport 2016/17 logement convenable, depuis le En juillet, le Comité des droits de l’enfant tremblement de terre de 2015. Des groupes [ONU] a fait part de ses inquiétudes quant marginalisés se sont plaints du fait que les aux conséquences du tremblement de terre modifications apportées à la Constitution ne sur les droits des enfants. Il s’est également mettaient pas fin à toutes ses dispositions dit préoccupé par le nombre de mineurs discriminatoires. Aucune enquête efficace vivant dans des camps pour personnes n’a été menée sur le recours à la torture et déplacées ou dans des camps de fortune, à une force excessive ou injustifiée contre sans bénéficier d’une alimentation suffisante des manifestants de la région du Teraï. Peu ni d’un accès satisfaisant à l’eau potable, à de progrès ont été réalisés pour permettre des installations sanitaires, aux soins ou à que justice soit rendue dans les cas de l’éducation. graves violations des droits humains commises pendant le conflit armé. Des RECOURS EXCESSIF À LA FORCE travailleurs migrants ont été exploités par Aucune enquête efficace n’a été menée sur des entreprises de travail temporaire en le recours à la torture et à une force dépit de nouvelles mesures mises en place excessive et injustifiée contre des par le gouvernement pour réglementer le manifestants de la région du Teraï. Des secteur. Les discriminations fondées sur le Madheshis et d’autres groupes marginalisés genre, la caste, la classe sociale, l’origine de la région du Teraï ont continué de ethnique, l’orientation sexuelle, l’identité protester contre la Constitution de 2015 et les de genre et la religion persistaient. Les modifications qui y ont été apportées en femmes et les filles n’étaient pas janvier et qui étaient, d’après eux, suffisamment protégées contre les violences discriminatoires à leur égard et les privaient liées au genre. d’une représentation politique équitable. Des manifestants ont bloqué des postes-frontières DROIT À UN LOGEMENT CONVENABLE entre le Népal et l’Inde, ce qui a entraîné de Des centaines de milliers de personnes graves pénuries de carburant, de nourriture, frappées par le tremblement de terre d’avril de médicaments et de matériaux de 2015 vivaient toujours dans des abris construction. temporaires. L’Autorité nationale de En août, une commission officielle a été reconstruction a commencé son travail en mise en place pour enquêter sur des janvier et la reconstruction a officiellement atteintes aux droits humains, notamment sur débuté en avril. En décembre, des des cas de recours à une force excessive par évaluations détaillées des dégâts dans le les forces de sécurité, commises dans la secteur du logement avaient été menées à région du Teraï pendant ces manifestations. terme pour 11 des 14 districts les plus Vingt-sept hommes, quatre femmes et six touchés. La distribution de subventions enfants avaient été tués. Les travaux de cette devant permettre aux victimes de commission n’ont cependant que très peu reconstruire leur logement ayant été retardée, avancé. les personnes concernées se préparaient à passer un autre hiver sans un abri décent et DROITS DES TRAVAILLEURS MIGRANTS avec un accès réduit ou inexistant aux Le secteur du travail temporaire était toujours services de base. Le Premier ministre, mal réglementé, ce qui a donné lieu à des Pushpa Kamal Dahal, a annoncé en violations généralisées des droits des septembre une augmentation du montant migrants. Soumis à des frais d’embauche des subventions, qui devait ainsi passer exorbitants, les Népalais travaillant à d’environ 1 850 à 2 800 dollars des États- l’étranger risquaient de se retrouver dans des Unis. Cette augmentation a été approuvée situations de servitude pour dettes et étaient par le gouvernement fin décembre. exposés au trafic de main-d’œuvre et au travail forcé. Les violences contre les

Amnesty International — Rapport 2016/17 323 migrants népalais dans les pays d’accueil nouveau procès pour le second chef car le étaient facilitées par les législations jury n’avait pas été en mesure de parvenir à restrictives en matière de migration de la une décision. main-d’œuvre, d’une part, et par la mauvaise application des lois, d’autre part. Des agents IMPUNITÉ locaux ou des agences privées n’ont que très En mai, le Parti communiste népalais (Union rarement fait l’objet d’enquêtes ou de marxiste-léniniste), au pouvoir, et le Parti poursuites pour ces atteintes. communiste du Népal (centre maoïste) se Les lois et politiques en matière de sont entendus pour accorder une amnistie migration de la main-d’œuvre étaient aux auteurs de violations des droits humains inefficaces et peu d’améliorations des commises pendant le conflit. En juillet, le mécanismes de protection des travailleurs Parti communiste du Népal (centre maoïste) migrants ont été constatées. Le système et le Parti du Congrès népalais sont parvenus gouvernemental visant à ce que les à un accord pour former un gouvernement personnes n’aient pas à payer de frais pour de coalition, à la condition que la être recrutées a été un échec en raison d’une Commission vérité et réconciliation et la mise en œuvre et d’un suivi insuffisants. Commission d’enquête sur les victimes de Du fait des limites d’âge imposées aux disparition forcée se concentrent sur la travailleuses migrantes, les femmes se réconciliation et l’indemnisation et non sur tournaient souvent vers des réseaux les poursuites pénales pour des violations informels pour trouver un emploi à l’étranger, des droits humains passées. ce qui leur faisait courir le risque d’être La Loi de 2014 sur la Commission vérité et victimes de la traite des êtres humains. réconciliation était formulée de telle sorte qu’elle permettait de prononcer des TORTURE ET AUTRES MAUVAIS amnisties pour des crimes graves relevant du TRAITEMENTS droit international, et ce en dépit d’une Cette année encore, la police a eu recours à décision de la Cour suprême de 2015 la torture, notamment pendant la détention s’opposant à ces dispositions. Le provisoire à des fins d’intimidation et pour gouvernement n’a pas modifié la loi. La extorquer des « aveux ». Commission vérité et réconciliation et la Le projet de loi intitulé Torture et Commission d’enquête sur les victimes de traitements cruels, inhumains ou dégradants disparition forcée ont commencé à recueillir (contrôle) a été mis à l’ordre du jour des des plaintes mi-avril, soit 14 mois après leur débats du Parlement en septembre, mais il mise en place. Des représentants des deux n’avait pas été adopté à la fin de l’année. Il commissions ont fait part de leurs contenait des dispositions qui n’étaient pas inquiétudes quant aux retards et au manque conformes aux normes internationales en de coopération du gouvernement, à matière de droits humains, notamment une l’insuffisance des moyens et aux délais bien définition excessivement limitée de la torture trop courts pour déposer une plainte. et un délai maximal de 90 jours pour déposer une plainte. LIBERTÉ D’EXPRESSION En vertu du principe de compétence En avril, alors que Khadga Prasad Sharma Oli universelle, Kumar Lama, colonel dans était encore en poste, le bureau du Premier l’armée népalaise, a été jugé devant un ministre a convoqué des membres de la tribunal britannique en février pour deux Commission nationale des droits humains chefs d’accusation liés à des actes de torture pour les interroger à propos d’une déclaration commis au Népal. Il a été déclaré non de la Commission lors de l’Examen coupable de l’une des charges en juillet périodique universel du Népal devant les avant d’être libéré en septembre, l’accusation Nations unies. ayant décidé de ne pas demander un

324 Amnesty International — Rapport 2016/17 En mai, la Commission d’enquête sur les abus d’autorité a arrêté Kanak Dixit, NICARAGUA journaliste et militant, pour corruption. Dix jours plus tard, la Cour suprême a statué que République du Nicaragua le maintien de cet homme en détention était Chef de l’État et du gouvernement : Daniel Ortega illégal et a ordonné qu’il soit libéré. Kanak Saavedra Dixit a déclaré que son arrestation visait à l’empêcher d’exprimer ses opinions critiques. Dans la région autonome de l’Atlantique Le même mois, Robert Penner, un nord, des conflits liés à la terre ont donné ressortissant canadien vivant au Népal, a été lieu à de violentes attaques contre les arrêté et expulsé pour incitation à la indigènes miskitos. Les défenseurs des « discorde sociale » sur les réseaux sociaux. droits humains étaient toujours en butte à Plusieurs militants, dont le militant madheshi des menaces et des actes d’intimidation en Chandra Kant Raut, ont été inculpés au raison de leurs activités. Des communautés cours de l’année de multiples charges de indigènes et afro-nicaraguayennes ont sédition pour avoir exprimé pacifiquement dénoncé des violations de leur droit d’être leurs opinions politiques. consultées et de donner un consentement préalable, libre et éclairé dans le cadre du DISCRIMINATION projet de Grand Canal interocéanique. Des Les discriminations fondées sur le genre, la habitants et des organisations de défense caste, la classe sociale, l’origine ethnique, des droits humains ont exprimé des craintes l’orientation sexuelle, l’identité de genre et la que le canal n’ait des répercussions religion persistaient. Les modifications négatives sur leur vie. L’interdiction de apportées à la Constitution n’ont pas permis toute forme d’avortement demeurait en aux femmes de bénéficier des mêmes droits vigueur. que les hommes en matière de citoyenneté ; elles n’ont pas non plus apporté de CONTEXTE protection contre la discrimination aux Daniel Ortega, du Front sandiniste de groupes marginalisés, notamment les dalits libération nationale (FSLN), a été réélu en et les personnes LGBTI. novembre pour un troisième mandat La loi érigeant le viol en infraction a été consécutif à la tête de l’État. Son épouse, modifiée pour augmenter le délai de Rosario Murillo, a été élue vice-présidente. Il prescription de 35 jours à 180 jours, au lieu s’agissait de son premier mandat. Selon la de le supprimer purement et simplement presse, le FSLN a également accru sa comme l’exigent les normes relatives aux représentation au Congrès. droits humains. La discrimination fondée sur le genre entravait toujours la capacité des DROITS DES FEMMES femmes et des jeunes filles à contrôler elles- L’impunité pour les violences liées au genre mêmes leur sexualité et à faire des choix perpétrées contre des femmes restait de éclairés en matière de procréation, à refuser mise. Un observatoire mis en place par des les mariages précoces et forcés, et à recevoir organisations nicaraguayennes de défense les soins prénatals et de santé maternelle des droits des femmes a relevé appropriés. Elles restaient exposées aux 44 féminicides entre janvier et octobre, parmi violences familiales, comme le viol conjugal. lesquels 30 n’avaient pas donné lieu à des Les femmes appartenant à des groupes poursuites à la fin de l’année. marginalisés, notamment les dalits et les Les femmes vivant dans la pauvreté populations autochtones, étaient étaient toujours les principales victimes de la particulièrement vulnérables aux mortalité maternelle. Le Nicaragua présentait discriminations croisées. par ailleurs l’un des taux les plus élevés de grossesse chez les adolescentes de la région

Amnesty International — Rapport 2016/17 325 Amériques. L’avortement était interdit en recours devant la Cour suprême, qui n’avait toutes circonstances, même lorsque la vie de pas statué à la fin de l’année4. la femme était en jeu. DROITS DES PEUPLES AUTOCHTONES GRAND CANAL INTEROCÉANIQUE Des violences ont embrasé la région Le projet de construction du Grand Canal autonome de l’Atlantique nord. Des indigènes interocéanique soulevait toujours des miskitos ont été menacés, agressés, soumis à polémiques, et les organisations de la société des violences sexuelles, tués ou déplacés de civile ont signalé un certain nombre de force par des colons non indigènes. possibles violations des droits humains dans Dans ce contexte de conflit territorial et en ce contexte. Selon des organisations l’absence de mesures effectives de protection nicaraguayennes, la construction du canal de la part de l’État, la Commission entraînerait l’expulsion forcée de dizaines de interaméricaine des droits de l’homme a milliers de personnes et aurait des prononcé des mesures conservatoires en répercussions directes sur les moyens de faveur des Miskitos. Elle a en outre ordonné à subsistance des petits paysans et des l’État, en septembre, d’adopter indigènes, entre autres. immédiatement toutes les mesures En avril, des membres du Conseil national nécessaires pour mettre un terme à la de défense de la terre, du lac et de la violence qui sévit actuellement et garantir le souveraineté nationale ont présenté au respect des droits à la vie, à l’intégrité premier secrétaire de l’Assemblée nationale personnelle et territoriale et à l’identité une proposition de loi d’initiative citoyenne culturelle. soutenue par près de 7 000 personnes et réclamant l’abrogation de la loi encadrant le DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS projet. La proposition a été rejetée le même En juin, un centre d’accueil géré par la mois par l’Assemblée nationale, qui s’est Fondation civile d’aide aux femmes victimes déclarée incompétente1. L’affaire a été portée de violences a été vandalisé. Aucun élément devant la Cour suprême, qui n’avait pas ne permettait de croire que les autorités rendu de décision à la fin de l’année2. s’efforçaient réellement d’enquêter sur cet En février, les dirigeants de communautés incident. indigènes et afro-nicaraguayennes du Six militants écologistes étrangers ont été territoire rama et kriol concernées ont déposé arrêtés en juin et expulsés du pays. Plusieurs un recours auprès d’une juridiction nationale. personnes qui avaient exprimé publiquement Ils ont expliqué que les autorités avaient fait leurs inquiétudes concernant les pression sur les communautés pour qu’elles répercussions qu’aurait le Grand Canal donnent leur accord à ce projet. Selon le interocéanique sur leurs moyens de recours, le canal impacterait les subsistance ont été arrêtées et détenues communautés autochtones et d’origine pendant une courte durée. africaine du territoire rama et kriol sur 52 % En août, la Commission interaméricaine de son tracé3. des droits de l’homme a prononcé des Les autorités des communautés du mesures conservatoires en faveur de territoire rama et kriol ont saisi la Cour défenseurs des droits humains du Centre d’appel en mai au motif que l’accord de pour la justice et les droits humains de la consentement préalable libre et éclairé pour côte Atlantique du Nicaragua. Selon la la mise en œuvre du projet de Grand Canal Commission, les intéressés avaient indiqué interocéanique avait été signé sans la tenue avoir reçu des menaces de mort en raison de d’une véritable consultation. La Cour d’appel leur travail sur les droits des populations a rendu en juin une décision d’irrecevabilité. indigènes. En juillet, les dirigeants et les autorités des La Cour interaméricaine des droits de communautés ont déposé un nouveau l’homme a tenu en octobre une audience

326 Amnesty International — Rapport 2016/17 dans l’affaire Acosta et al. vs Nicaragua. migrants qui traversaient le Niger étaient Selon sa famille, Francisco García, tué bafoués. en 2002, a été pris pour cible en raison des activités de défense des droits humains de sa CONTEXTE femme, qui était directrice du Centre d’aide Le président Mahamadou Issoufou a été juridique aux peuples indigènes. Ses proches réélu en mars, à l’issue d’une élection accusent l’État de ne pas avoir enquêté avec boycottée par les principaux partis diligence sur cette attaque. d’opposition. Son principal opposant, Hama La coordinatrice du Conseil national pour Amadou, était en détention pendant le la défense de la terre, du lac et de la scrutin, inculpé de complicité de supposition souveraineté a signalé des actes d’enfant. Il a été libéré peu après l'élection. d’intimidation et de harcèlement dirigés Le Niger a été soumis à l’Examen contre elle-même et sa famille. Elle avait périodique universel (EPU) des Nations activement dénoncé les possibles unies. Le pays a accepté presque toutes les répercussions du Grand Canal recommandations, y compris celles qui interocéanique sur les communautés l’appelaient à abolir la peine de mort, à paysannes du Nicaragua. protéger les défenseurs des droits humains, à prendre des mesures pour éradiquer les pratiques traditionnelles néfastes, comme le 1. Nicaragua: The state must guarantee the security and integrity of communities peacefully demonstrating their concerns over mariage précoce et forcé et les mutilations construction of the Canal (AMR 43/3887/2016) génitales féminines, et à garantir le droit à 2. Nicaragua: Authorities must listen to those expressing concern over l’alimentation. Il a toutefois rejeté une the Grand Interoceanic Canal (AMR 43/4744/2016) recommandation sur la participation des 3. Le Nicaragua met sur la touche des communautés autochtones au populations autochtones à la prise de profit d’un canal de plusieurs milliards de dollars (nouvelle, 9 février) décisions. 4. Nicaragua: El Estado nicaragüense no debe ignorar a las comunidades indígenas y afrodescendientes que demandan el EXACTIONS PERPÉTRÉES PAR DES respeto a sus derechos (AMR 43/4919/2016) GROUPES ARMÉS Des civils, dont certains étaient des réfugiés originaires du Nigeria, ont cette année encore NIGER été touchés par le conflit armé, qui se concentrait surtout dans la région de Diffa. Le République du Niger nombre exact de victimes civiles était Chef de l’État : Mahamadou Issoufou impossible à déterminer, mais les Nations Chef du gouvernement : Brigi Rafini unies estimaient qu’au moins 177 civils avaient été tués depuis février 2015. Boko Le conflit armé s’est poursuivi, en Haram a mené plus de 50 attaques dans la particulier dans la région de Diffa, au sud- région de Diffa en 2016. est du pays, où la plupart des attaques D’autres groupes armés étaient actifs dans étaient menées par le groupe armé Boko les régions de l’ouest, à la frontière avec le Haram. Plus de 300 000 personnes avaient Mali. En octobre, un groupe non identifié a besoin d’aide humanitaire en raison de ce attaqué le camp de réfugiés de Tazalit, dans conflit et du maintien de l’état d’urgence la région de Tahoua, et un travailleur dans la région de Diffa. Plus de humanitaire américain a été enlevé à Abalak, 1 400 personnes soupçonnées d’appartenir dans cette même région. Le 17 octobre, le à Boko Haram étaient en prison. La plupart groupe armé État islamique (EI) a commis un étaient placées en détention provisoire attentat contre le centre de détention de pendant de longues périodes, dans de haute sécurité de Koutoukalé, près de mauvaises conditions, et risquaient d’être Niamey, dans la région de Tillabéri. torturées. Les droits des réfugiés et des

Amnesty International — Rapport 2016/17 327 notamment inquiété du travail forcé des PERSONNES DÉPLACÉES travailleurs migrants, dont des enfants, en Selon le Bureau de la coordination des particulier dans le secteur du service affaires humanitaires de l'ONU, plus de domestique et dans les mines. 300 000 personnes déplacées avaient besoin d’une assistance humanitaire dans la région LUTTE CONTRE LE TERRORISME ET de Diffa à la fin de l’année. Parmi elles, plus SÉCURITÉ de 184 000 étaient des personnes déplacées Plus de 1 400 personnes accusées d’être à l’intérieur du pays, 29 000 des Nigériens membres de Boko Haram étaient toujours en de retour dans leur pays et 88 000 des détention, souvent inculpées au titre de la loi réfugiés nigérians. Beaucoup vivaient dans nigérienne contre le terrorisme. La plupart des camps de fortune, dans des conditions d’entre elles avaient été arrêtées dans la déplorables. L’insécurité empêchait l’accès région de Diffa à partir de 2013, même si aux biens et services de base, notamment à certaines étaient en prison depuis 2012. Un la nourriture, à l’eau et à l’éducation, et le certain nombre étaient des Nigérians, maintien de l’état d’urgence entravait notamment des réfugiés fuyant des zones où l’activité économique. Boko Haram était présent. La grande majorité de ces détenus restaient en détention DROITS DES RÉFUGIÉS ET DES provisoire pendant de longues périodes. Le MIGRANTS procureur chargé des affaires de terrorisme a Le Niger accueillait dans les régions de indiqué en juin que la plupart des Tillabéri et de Tahoua plus de arrestations faisaient suite à des 60 000 réfugiés originaires du Mali, qui dénonciations, et qu’aucune enquête efficace avaient eux aussi besoin d’aide. n’avait pu être menée dans la région de Diffa Le nombre de personnes passant par le en raison de l’insécurité et de l’état Niger pour tenter de rejoindre l’Europe ne d’urgence. cessait d’augmenter, Agadez étant le En juin également, les autorités ont principal point de transit pour les personnes déclaré qu’elles prévoyaient d’extrader vers le originaires d’Afrique de l’Ouest. En octobre, Nigeria tous les détenus nigérians adultes une enquête de l’Organisation internationale afin de réduire la surpopulation carcérale et pour les migrations (OIM) a révélé que 70 % parce que le Nigeria était plus à même de des personnes arrivant en Italie par bateau, mener des enquêtes sur ses ressortissants. dont une grande partie avait transité par le Ce projet a été officiellement annoncé en Niger, avaient été victimes de traite ou septembre. d’exploitation, en particulier des milliers de Or, la torture et les autres mauvais femmes et de filles forcées à se prostituer en traitements restaient couramment utilisés au Libye ou en Europe. En dépit d’une loi contre Nigeria, en particulier contre les personnes la traite adoptée en 2015, le Niger n’a pas accusées de soutenir Boko Haram. fait grand-chose pour empêcher ces Les autorités ont annoncé que le Code de pratiques. procédure pénale allait être modifié afin Un nombre indéterminé de personnes a d’étendre la durée de la garde à vue de cinq trouvé la mort au Niger au cours de à 15 jours, renouvelables pour 15 jours dangereuses traversées du désert. En juin, supplémentaires. 14 adultes et 20 enfants qui avaient quitté la ville de Tahoua dans le but de rejoindre CONDITIONS DE DÉTENTION l’Algérie ont été retrouvés morts dans le Les conditions de détention étaient toujours désert. déplorables malgré les mesures prises pour En octobre, le Comité sur les travailleurs les surveiller. Le grand nombre de personnes migrants de l'ONU a soulevé un certain arrêtées pour des liens présumés avec Boko nombre de préoccupations. Il s’est Haram a aggravé le problème. Pendant

328 Amnesty International — Rapport 2016/17 l’année, le centre de détention de Koutoukalé a accueilli plus du double de sa capacité de NIGERIA 250 détenus, dont 400 membres présumés de Boko Haram. République fédérale du Nigeria Chef de l’État et du gouvernement : Muhammadu DISPARITIONS FORCÉES Buhari On ignorait toujours ce qu’il était advenu de huit personnes arrêtées par les forces de Le conflit opposant l’armée nigériane et le sécurité en mai 2015. El Hadj Kannaï Kouliyi, groupe armé Boko Haram s’est poursuivi. Il Malam Bandama, Ari Kannai, Abor Madou, a provoqué une crise humanitaire qui a Awa Malloumi, El Hadj Katchouloumi, touché plus de 14 millions de personnes. Mouché Ali Kou Lawan Dalla et El Hadji Bara Comme les années précédentes, les forces ont été arrêtés à N’Guigmi, dans la région de de sécurité ont été responsables de Diffa. Les demandes des familles, qui violations graves des droits humains, voulaient savoir où se trouvait leur proche, notamment d’exécutions extrajudiciaires et sont restées sans réponse. de disparitions forcées. La police et l’armée ont continué de pratiquer la torture et LIBERTÉ D’EXPRESSION d’autres formes de mauvais traitements. Des personnes ont été poursuivies pour avoir Les conditions de vie dans les centres de exercé leur droit à la liberté d’expression. détention de l’armée étaient éprouvantes. En juin, Ousmane Moumouni, président Des violences intercommunautaires ont du Cadre d’action pour la démocratie et les éclaté dans de nombreuses régions du pays. droits humains au Niger, a été condamné à Des milliers de personnes ont été expulsées six mois de prison avec sursis pour de force de leurs habitations. « proposition faite de former un complot en vue d’un changement constitutionnel » après CONFLIT ARMÉ avoir publié un message sur Facebook à Boko Haram propos de la situation sécuritaire au Niger au Cette année encore, Boko Haram a commis lendemain d’une attaque de Boko Haram. des crimes de guerre et des crimes contre En juin également, les journalistes Ali l’humanité dans le nord-est du Nigeria, qui Soumana et Moussa Dodo se sont vu infliger ont touché 14,8 millions de personnes. Ce une peine de trois mois de prison avec sursis groupe a continué de mener des attaques et pour « publication de commentaires tendant des raids de moindre ampleur tout au long à exercer des pressions sur la justice ». Ils de l’année. Les forces armées nationales et avaient publié dans le journal Le Courrier une régionales ont repris des villes importantes liste de personnes accusées d’essayer qui étaient contrôlées par Boko Haram. d’influencer un examen national. Cette liste En réponse aux attaques menées par Boko comprenait des personnes influentes, Haram, les militaires ont, cette année encore, comme la présidente de la Cour arrêté de manière arbitraire et placé en constitutionnelle. Les journalistes ayant été détention des combattants présumés de ce poursuivis au titre du Code pénal, et non de mouvement, auxquels ils ont infligé des la Loi relative à la presse, leurs peines ont été mauvais traitements ; certains de ces plus sévères. prisonniers ont été exécutés sommairement. Ces actes constituaient des crimes de guerre, voire des crimes contre l’humanité. En mai, 737 membres présumés de Boko Haram détenus par l’armée ont été transférés à la prison de Maiduguri, capitale de l’État de Borno. Ils ont été accusés d’être des « vagabonds incorrigibles », une infraction

Amnesty International — Rapport 2016/17 329 passible de deux ans d’emprisonnement et/ Banki et Bama, dans l’État de Borno, ont été ou d’une amende. arrêtés de manière arbitraire par les En avril, le ministère de la Défense a lancé militaires. Ces arrestations reposaient l’opération Couloir de sécurité en vue de largement sur un profilage aléatoire des « rééduquer » dans un camp « les hommes, tout particulièrement les jeunes, combattants de Boko Haram repentis et qui plutôt que sur un motif raisonnable de les s’étaient rendus ». soupçonner d’avoir commis une infraction À la suite de négociations, Boko Haram a dûment reconnue par la loi. Dans la plupart libéré, le 13 octobre, 21 lycéennes enlevées des cas, les arrestations ont eu lieu en à Chibok en 2014. Une autre jeune fille a été l’absence d’enquête sérieuse. D’autres retrouvée en novembre ; 195 lycéennes personnes ont été arrêtées de manière étaient toujours portées disparues à la fin arbitraire alors qu’elles tentaient de fuir les de l’année. attaques de Boko Haram. Les suspects arrêtés par l’armée étaient privés de tout PERSONNES DÉPLACÉES contact avec leur famille ou un avocat et ils Au moins deux millions de personnes se n’étaient pas présentés à un tribunal. Plus de trouvaient toujours déplacées dans le nord 1 500 détenus ont été libérés durant l’année. du Nigeria ; 80 % d’entre elles vivaient parmi Les arrestations massives par les militaires la population, et les autres dans des camps. de personnes qui fuyaient Boko Haram ont À Maiduguri, les camps étaient surpeuplés et entraîné une surpopulation dans les centres l’accès à la nourriture, à l’eau potable et aux de détention de l’armée. Dans le centre de installations sanitaires était insuffisant. détention de la caserne de Giwa, à Dans les territoires dits inaccessibles de Maiduguri, les cellules étaient surpeuplées et l’État de Borno, des dizaines de milliers de les maladies, la déshydratation et la famine personnes déplacées étaient retenues dans étaient endémiques. Au moins 240 détenus des camps sous surveillance armée de sont morts au cours de l’année. Ils ont été l’armée nigériane et de la Force enterrés en secret dans le cimetière de d’intervention civile conjointe (CJTF), une Maiduguri par le personnel de l’agence de milice civile soutenue par l’État et formée protection de l’environnement de l’État de pour lutter contre Boko Haram. La plupart Borno. Au moins 29 enfants et bébés, âgés n’étaient pas autorisées à quitter les camps de quelques jours à cinq ans, figuraient au et ne bénéficiaient pas de nourriture, d’eau ni nombre des victimes. de soins médicaux suffisants. Plusieurs Dans la caserne de Giwa, les enfants de milliers de personnes sont mortes dans ces moins de cinq ans étaient détenus dans trois camps des suites de malnutrition aiguë. En cellules pour femmes surpeuplées et juin, l’ONG Médecins sans frontières a insalubres, dans chacune desquelles étaient signalé que plus de 1 200 corps avaient été entassées au moins 250 femmes et enterrés au cours de l’année écoulée dans adolescentes. Certains enfants étaient nés un camp gardé situé à Bama (État de Borno). en détention. La CJTF et l’armée ont été accusées d’exploiter sexuellement des femmes dans OBLIGATION DE RENDRE DES COMPTES les camps de personnes déplacées en Cette année encore, les membres des forces échange d’argent ou de nourriture, ou d’une de sécurité qui avaient commis des violations autorisation de quitter les camps. graves des droits humains n’ont pas eu à rendre compte de leurs actes. Aucune ARRESTATIONS ET DÉTENTIONS enquête indépendante et impartiale n’a été ARBITRAIRES diligentée sur des crimes commis par des Des milliers de jeunes hommes, de femmes militaires en dépit des promesses répétées et d’enfants qui cherchaient refuge dans les du président en mai. Plusieurs responsables villes reprises à Boko Haram, notamment militaires de haut rang soupçonnés de crimes

330 Amnesty International — Rapport 2016/17 au regard du droit international n’ont fait l’objet d’aucune enquête ; le général de Delta du Niger division Ahmadu Mohammed a été réintégré En janvier, le groupe armé Vengeurs du Delta dans l’armée en janvier. Il dirigeait les du Niger a commencé à attaquer à l’explosif opérations lorsque les militaires ont exécuté des oléoducs. Le gouvernement a réagi en plus de 640 détenus à la suite d’une attaque renforçant considérablement la présence du centre de détention de la caserne de Giwa militaire dans la région. Les activités des par Boko Haram le 14 mars 2014. Vengeurs du delta du Niger ont entraîné un Dans son rapport préliminaire, en ralentissement de la production de pétrole. novembre, le Bureau de la procureure de la CPI a annoncé qu’il poursuivrait l’examen de PEINE DE MORT toute nouvelle allégation de crimes commis Trois hommes ont été exécutés en secret le au Nigeria ainsi que son évaluation de la 23 décembre à la prison de Benin, dans recevabilité des huit cas potentiels recensés l’État d’Edo. L’un d’eux avait été condamné à en 2015, afin de déterminer si les critères mort en 1998 par un tribunal militaire, ce qui d’ouverture d’une enquête étaient remplis. signifie qu’il n’avait eu droit à aucun recours. Les juges ont continué de prononcer des RESPONSABILITÉ DES ENTREPRISES sentences capitales tout au long de l’année. En juin, le gouvernement a lancé un À la suite d’une multiplication des programme de nettoyage de la pollution enlèvements dans tout le pays, le Sénat a résultant des déversements d’hydrocarbures décidé, le 4 mai, d’adopter une loi prévoyant et de restauration de l’environnement en la peine de mort pour les auteurs pays ogoni, dans le delta du Niger. Des d’enlèvement. Un certain nombre d’États ont centaines de déversements ont eu lieu promulgué ou proposé des lois similaires. durant l’année. Le gouvernement n’avait toujours pas LIBERTÉ D’EXPRESSION – obligé les compagnies pétrolières, dont Shell, JOURNALISTES à rendre des comptes. Il n’assurait pas le Au moins 10 journalistes et blogueurs ont été contrôle requis pour veiller à ce que les arrêtés et placés en détention, dans certains compagnies empêchent les déversements ou cas sans jugement. y remédient. L’Agence nationale pour la Abubakar Usman, un blogueur influent, a détection et la réaction aux déversements été arrêté en août à Abuja, la capitale, par la accidentels de pétrole (NOSDRA) était Commission des infractions économiques et toujours inefficace et elle continuait de financières (EFCC), un organisme de lutte délivrer des certificats de dépollution pour contre la corruption, et accusé d’avoir des zones qui restaient polluées. enfreint la Loi relative à la cybercriminalité. En mars, deux communautés du delta du La commission n’a pas précisé les Niger touchées par des déversements dispositions spécifiques que cet homme d’hydrocarbures ont intenté une nouvelle n’avait pas respectées. Abubakar Usman a action en justice contre Shell devant les été libéré sans avoir été inculpé. En tribunaux britanniques. septembre, Jamil Mabai a été arrêté et Les compagnies pétrolières continuaient détenu par la police pour avoir publié sur d’attribuer leur incapacité d’empêcher les Facebook et Twitter des commentaires fuites de pétrole, ou de restaurer les zones critiques à l’égard du gouvernement de l’État polluées, à des actes de sabotage et au vol de Katsina. d’hydrocarbures. Leurs affirmations L’éditeur Emenike Iroegbu a été arrêté à reposaient sur une enquête entachée Uyo (État d’Akwa-Ibom), au début du mois d’irrégularités menée par les compagnies de septembre, pour diffamation. pétrolières plutôt que par la NOSDRA. Le 5 septembre, l’armée a lancé un avis de recherche visant Ahmed Salkida, un

Amnesty International — Rapport 2016/17 331 journaliste nigérian installé dans les Émirats de sécurité ont arrêté de manière arbitraire et arabes unis, qui a été ensuite arrêté par les tué au moins 100 membres et sympathisants services de la sûreté de l’État à son arrivée au du groupe Peuple indigène du Biafra (IPOB). Nigeria. Il faisait partie d’un groupe de trois Certains ont été victimes de disparition forcée personnes arrêtées et détenues brièvement à après leur arrestation. cause de leurs liens présumés avec Boko Le 9 février, des militaires et des policiers Haram et parce qu’elles auraient facilité la ont ouvert le feu sur quelque 200 membres diffusion d’une vidéo réalisée par ce groupe de l’IPOB rassemblés pour une réunion de sur les jeunes filles enlevées à Chibok. prière au lycée national d’Aba (État d’Abia). Ahmed Salkida a été remis en liberté par la Des vidéos montrent des soldats en train de suite, mais son passeport ne lui a pas été tirer sur des membres de l’IPOB pacifiques et restitué. non armés ; 17 personnes au moins ont été tuées et de très nombreuses autres blessées. LIBERTÉ DE RÉUNION Les 29 et 30 mai, 60 personnes au moins Les forces de sécurité ont interrompu, parfois ont trouvé la mort dans une opération de violemment et en faisant un usage excessif sécurité menée conjointement par l’armée, la de la force, des réunions et des police, le Service de sécurité de l’État et la manifestations pacifiques. Le 6 septembre, marine contre des militants pro-Biafra qui des policiers ont interpellé des membres du s’étaient rassemblés à Onitsha à l’occasion mouvement Bring back our girls (« Ramenez de la Journée de commémoration pour le nos filles »), qui avaient informé la police de Biafra. Aucune enquête sur ces homicides leur manifestation et s’étaient rassemblés n’avait été ouverte à la fin de l’année. pacifiquement devant le bureau et la résidence du président à Abuja pour exiger la DISPARITIONS FORCÉES libération des jeunes filles enlevées à Chibok. Chijioke Mba a été arrêté le 3 avril à Enugu et Le 22 septembre, à Abuja, la police a tiré détenu par l’unité de lutte contre les des grenades lacrymogènes pour disperser enlèvements, un service de la police, pour une manifestation pacifique du Mouvement appartenance à une organisation interdite. Sa islamique du Nigeria (MIN), faisant plusieurs famille et son avocat ne l’avaient pas revu blessés légers. depuis le mois de mai. Des partisans de l’indépendance du Biafra Sunday Chucks Obasi a été enlevé le étaient maintenus en détention, bon nombre 16 août à son domicile d’Amuko Nnewi (État d’entre eux depuis la fin janvier, pour avoir d’Anambra) par cinq hommes armés tenté d’organiser des rassemblements soupçonnés d’être des agents des services pacifiques ou d’y participer. À plusieurs de sécurité nigérians et qui circulaient dans reprises, les forces de sécurité ont eu recours un véhicule portant une plaque à une force excessive contre des militants d’immatriculation spécifique au pro-Biafra dans tout le sud-est du pays. gouvernement. Selon des témoins, il aurait été blessé lors de son enlèvement. On était HOMICIDES ILLÉGAUX sans nouvelles de lui à la fin de l’année. L’armée a été déployée dans 30 des 36 États du Nigeria ainsi que dans le territoire de la TORTURE ET AUTRES MAUVAIS capitale fédérale, Abuja, où elle remplissait TRAITEMENTS des fonctions ordinaires de maintien de Les policiers et les militaires recouraient l’ordre, telles que le contrôle des toujours à la torture et à d’autres formes de manifestations non violentes. Ce déploiement mauvais traitements au cours des militaire a entraîné des exécutions interrogatoires de suspects ou de détenus extrajudiciaires et des homicides illégaux. pour obtenir des informations et des Depuis janvier, en réponse à l’agitation « aveux ». Les membres de la Brigade persistante de militants pro-Biafra, les forces spéciale de répression des vols (SARS), un

332 Amnesty International — Rapport 2016/17 service de la police, utilisaient régulièrement paître le bétail sur des terres non affectées à la torture et d’autres formes de mauvais cette utilisation. traitements au cours des interrogatoires. En septembre, l’inspecteur général de la LIBERTÉ D’ASSOCIATION police a mis en garde le SARS contre le Ibrahim El Zakzaky, dirigeant du Mouvement recours à la torture et a encouragé les islamique du Nigeria (MIN), était détenu au membres de ce service à respecter les secret, sans jugement, depuis son arrestation principes du droit. en décembre 2015. Plus de Chibuike Edu est mort le 18 mai en garde 350 manifestants et sympathisants du MIN à vue ; arrêté pour vol avec effraction, il avait ont été tués par l’armée entre le 12 et le été détenu pendant deux semaines par le 14 décembre 2015 dans deux endroits SARS à Enugu. Les autorités policières ont distincts à Zaria (État de Kaduna). ouvert une enquête, mais personne n’avait Plusieurs centaines de membres du MIN eu à rendre de comptes pour la mort de cet ont été arrêtés et étaient toujours détenus au homme à la fin de l’année. secret à la fin de l’année dans des centres de Le Parlement fédéral n’avait toujours pas détention des États de Kaduna, de Bauchi, voté le projet de loi sur la prohibition de la du Plateau et de Kano. torture ayant pour objet d’interdire cette Le 11 avril, les autorités de l’État de pratique et de l’ériger en infraction pénale. Kaduna ont reconnu devant une commission Ce texte a été adopté en première lecture par d’enquête judiciaire qu’elles avaient enterré le Sénat en juin. Il avait été voté plus tôt par en secret 347 corps dans un charnier deux la Chambre des représentants et a été révisé jours après le massacre de décembre 2015. par la Commission nigériane de réforme Le 15 juillet, la commission d’enquête a législative. À la fin de l’année, le Sénat devait remis au gouvernement de l’État son rapport, examiner la version révisée. qui accusait l’armée nigériane d’homicides illégaux. Dans son livre blanc sur ce rapport, VIOLENCES INTERCOMMUNAUTAIRES rendu public en décembre, le gouvernement Des violences intercommunautaires ont de l’État de Kaduna a rejeté la plupart des éclaté dans de nombreuses régions du pays. recommandations de la commission. Beaucoup de cas de violences étaient liés à Le 22 septembre, la Commission nationale des conflits persistants entre éleveurs et des droits humains a publié un rapport qui cultivateurs. accusait le MIN d’avoir provoqué les Au moins 45 personnes ont trouvé la mort affrontements qui ont entraîné la morts de en février à Agatu (État de Benue) à la suite plusieurs de ses membres, et l’armée d’être d’attaques attribuées à des éleveurs. En avril, responsable des homicides de membres du neuf personnes au moins ont été tuées par MIN. Le même jour, la police a bloqué des des individus présumés être des éleveurs protestataires du MIN et tiré des grenades dans la localité d’Ukpabi-Nimbo (État lacrymogènes en direction de membres de d’Enugu). Les habitants ont affirmé qu’ils ce mouvement qui manifestaient pour avaient prévenu les autorités de l’imminence réclamer la libération de leur dirigeant. Le de l’attaque, mais que les services de 6 octobre, le gouverneur de l’État de Kaduna sécurité n’avaient rien fait pour l’empêcher. a déclaré le MIN illégal. À la suite de cette Cinq personnes arrêtées par la police à la annonce, des membres du MIN ont été la suite de ces homicides n’avaient toujours pas cible d’attaques violentes dans plusieurs été jugées à la fin de l’année. États, notamment ceux de Kaduna, de Kano, Au moins deux personnes ont été tuées en de Katsina et du Plateau. Plusieurs ont mai dans la localité d’Oke-Ako (État d’Ekiti), également été arrêtés et placés en détention semble-t-il par des éleveurs. Le par l’armée. gouvernement de l’État a réagi en août en promulguant une loi interdisant de faire

Amnesty International — Rapport 2016/17 333 l’égard des femmes. Bien que le Nigeria ait DROITS EN MATIÈRE DE LOGEMENT ratifié en 1985 la Convention sur les femmes Des milliers de personnes ont été expulsées [ONU], il ne l’avait toujours pas intégrée dans de force de leurs habitations dans deux États sa législation nationale. au moins, ainsi que sur le territoire de la capitale fédérale, Abuja, ce qui a eu des DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET répercussions sur beaucoup de leurs droits. DES PERSONNES BISEXUELLES, En février, un tribunal d’enquête mis en TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES place par le gouvernement de l’État de Lagos La loi prohibant les mariages entre personnes a conclu que les autorités n’avaient pas du même sexe restait en vigueur. Cette véritablement consulté ni correctement année encore, des personnes LGBTI ont été indemnisé les populations agricoles qui arrêtées par la police. Des hommes avaient été expulsées de force de leurs soupçonnés d’être gays ont été attaqués par habitations et de leurs terres cultivables entre la foule et victimes de chantage et 2006 et janvier 2016, et ne les avaient pas d’extorsion. relogées, contrairement à leurs engagements. Entre le 2 et le 5 juillet, le gouvernement DROITS DES ENFANTS de l’État de Rivers a expulsé de force plus de L’État de Bayelsa a adopté, en mai, la Loi 1 600 habitants d’Eagle Island, affirmant que relative aux droits de l’enfant, ce qui portait à cette mesure visait à lutter contre la 23 le nombre d’États ayant promulgué cette criminalité. loi. Le Parlement de l’État d’Enugu a aussi À la suite d’expulsions forcées en mars et adopté ce texte en août, mais le gouverneur en septembre, le gouverneur de l’État de ne l’avait pas encore approuvé à la fin Lagos a rendu public, le 9 octobre, un projet de l’année. de démolition de tous les quartiers informels situés au bord de l’eau dans cet État. Les autorités ont justifié cette mesure par la nécessité de lutter contre les enlèvements NORVÈGE dans l’État de Lagos. Aucune consultation Royaume de Norvège préalable des personnes concernées n’était Chef de l’État : Harald V prévue. Chef du gouvernement : Erna Solberg Le 15 octobre, plusieurs centaines de personnes qui vivaient au bord de l’eau à Des restrictions importantes de l’accès à Ilubirin ont été expulsées de force de leurs l’asile ont été introduites dans la loi relative habitations. Les 9 et 10 novembre, plus de à l’immigration. Une nouvelle loi accordant 30 000 habitants d’Otodo Gbame, un aux personnes transgenres le droit à la quartier informel établi au bord de l’eau dans reconnaissance de leur identité de genre à l’État de Lagos, ont été expulsés de force l’état civil a été adoptée. Le viol et les alors que la police incendiait leurs logements autres violences faites aux femmes étaient et les démolissait au bulldozer. Le toujours un grave motif de préoccupation. 11 novembre, toujours dans l’État de Lagos, plusieurs centaines de personnes ont été RÉFUGIÉS ET DEMANDEURS D’ASILE expulsées de force d’un quartier du bord de Le gouvernement a présenté en avril une l’eau voisin, Ebute Ikate. proposition comportant 40 modifications de la loi sur l’immigration visant à durcir l’accès DROITS DES FEMMES à l’asile, conformément aux intentions de la En septembre, le Sénat a adopté en ministre de l’Immigration et de l’Intégration, deuxième lecture le projet de loi relatif au qui entendait faire en sorte que la Norvège genre et à l’égalité des chances, qui vise à soit dotée de « la politique la plus sévère à éliminer toutes les formes de discrimination à l’égard des réfugiés en Europe ». Il était

334 Amnesty International — Rapport 2016/17 notamment proposé d’autoriser la police aux violences engendrées par un comportement frontières à évaluer le besoin de protection discriminatoire à l’égard des personnes internationale d’une personne (prérogative transgenres n’étaient toujours pas érigées en revenant jusqu’alors aux services de crime de haine dans le Code pénal. l’immigration et à la commission de recours contre les décisions relatives à l’immigration). DISCRIMINATION – LES TRAVAILLEUSES Le droit au regroupement familial et les droits ET TRAVAILLEURS DU SEXE des demandeurs d’asile mineurs faisaient Bien que la vente de services sexuels ne soit également l’objet de restrictions pas illégale, les travailleuses et travailleurs du draconiennes. Les mesures les plus sévères sexe demeuraient soumis à une forte envisagées n’ont pas été adoptées, mais les surveillance policière et à de multiples modifications législatives approuvées par le sanctions pénales. Ils étaient exposés à des Parlement en juin et mises en application à violations des droits humains (violences partir du mois d’août constituaient un retour physiques et sexuelles, dont le viol, en arrière important dans l’approche de la exploitation et harcèlement) et risquaient des Norvège en matière de protection sanctions pénales s’ils s’adressaient à la internationale. En vertu des nouvelles police. L’utilisation des lois relatives au travail dispositions, les réfugiés faisant une du sexe, aux troubles à l’ordre public et à demande de permis de séjour permanent l’immigration pour perturber ou empêcher le devaient notamment être en mesure de commerce du sexe exposait les travailleuses prouver qu’ils avaient suffisamment d’argent et travailleurs du sexe aux risques pour vivre pendant 12 mois. Par ailleurs, un d’expulsion forcée, de surveillance policière, « mécanisme de crise » permettait les d’amendes, de discrimination, de perte de expulsions à la frontière en cas d’arrivées leurs moyens de subsistance ou d’expulsion massives de demandeurs d’asile. En août, du pays1. 84 enfants de demandeurs d’asile déboutés étaient détenus avec les membres adultes de VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ET leur famille au centre de détention pour AUX FILLES migrants de Trandum, administré par la Les cas de viol et d’autres violences sexuelles police et installé non loin de l’aéroport d’Oslo- infligés à des femmes et à des filles Gardermoen, dans l’attente de leur renvoi demeuraient très répandus. La définition vers leur pays d’origine. juridique du viol dans le Code pénal ne Début décembre, 40 jeunes hommes reposait pas sur la notion de consentement. afghans, dont certains affirmaient avoir moins Le taux d’abandon des enquêtes et des de 18 ans, ont été renvoyés en Afghanistan poursuites dans les affaires de viol et dans le cadre de la politique de renvoi des l’absence de considération accordée aux demandeurs d’asile afghans menée par le questions de genre par les juges non gouvernement. professionnels examinant ce type d’affaires étaient toujours de graves motifs de DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET préoccupation. Les droits des femmes à une DES PERSONNES BISEXUELLES, protection juridique et à l’égalité devant la loi TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES étaient systématiquement bafoués. Le En juin, le Parlement a adopté une loi nombre de viols signalés à la police a accordant aux personnes transgenres, à augmenté de 12 % en 2015 par rapport à partir de l’âge de 16 ans, le droit de faire l’année précédente selon les statistiques reconnaître à l’état civil leur identité de genre policières publiées en mai 2016. telle qu’elles la perçoivent. Les enfants âgés de six à 16 ans peuvent eux aussi demander JUSTICE INTERNATIONALE à changer d’état civil avec le consentement Le 24 juin, le ministère de la Justice a de leurs parents ou de leur tuteur. Les autorisé l’extradition vers son pays d’origine

Amnesty International — Rapport 2016/17 335 d’un Rwandais de 43 ans, accusé de complicité dans le génocide de 1994 et ayant RÉFUGIÉS ET DEMANDEURS D’ASILE épuisé ses voies de recours. Cet homme Le gouvernement a annoncé qu’il prévoyait, n’avait pas encore été extradé à la fin d’ici à 2018, de passer de 750 à 1 000 le de l’année. nombre annuel de places disponibles au titre de la réinstallation pour les personnes réfugiées. En mars, deux réfugiés étaient 1. The human cost of ‘crushing’ the market: Criminalization of sex work in Norway (EUR 36/4034/2016) retenus dans les mêmes locaux que des personnes en détention provisoire. Le Comité des droits de l’homme s’est dit préoccupé par les disparités, en matière de qualité, NOUVELLE- entre les services fournis aux réfugiés arrivant dans le pays dans le cadre du système de ZÉLANDE quota humanitaire et ceux fournis aux autres catégories de réfugiés. En juin, la Nouvelle- Nouvelle-Zélande Zélande a publiquement réaffirmé son Chef de l’État : Elizabeth II, représentée par Patricia engagement à réinstaller chaque année dans Lee Reddy (a remplacé Jerry Mateparae en septembre) le pays 150 réfugiés de Nauru et de Manus. Chef du gouvernement : Bill English (a remplacé John Un accord en ce sens avait été passé avec le Key en décembre) gouvernement australien en 2013, mais l’Australie a depuis refusé de le mettre La Nouvelle-Zélande a été critiquée par en œuvre. deux organes des Nations unies, le Comité des droits de l’homme et le Comité des VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ET droits de l’enfant, en raison de la AUX FILLES surreprésentation des peuples autochtones Bien que le problème soit largement reconnu maoris dans le système carcéral et des taux et en dépit des tentatives pour y remédier, les élevés de pauvreté infantile et de violence violences sexuelles et les autres formes de familiale chez ces populations. Le quota de violences physiques à l’égard des femmes et réfugiés pouvant être accueillis dans le pays des filles demeuraient très répandues. Le au titre de la réinstallation a été revu Comité des droits de l’homme a fait part de légèrement à la hausse. sa préoccupation quant aux faibles taux de signalement et de poursuites judiciaires SYSTÈME JUDICIAIRE visant les auteurs de ces violences. Une Les Maoris restaient surreprésentés parmi les révision des lois en matière de violence personnes poursuivies par la justice. Une familiale a été annoncée. Le gouvernement a enquête du médiateur a été ouverte sur les indiqué que 46 millions de dollars néo- circonstances entourant le maintien d’un zélandais (33 millions de dollars des États- homme mentalement déficient dans un Unis) seraient alloués aux services dédiés établissement de santé pendant cinq ans, aux victimes de violences sexuelles. Ces souvent à l’isolement, dans des conditions services étaient insuffisamment financés équivalant à un traitement cruel, inhumain depuis des années. ou dégradant. Le gouvernement a annoncé qu’il envisageait l’adoption d’un traité officiel DROITS DES ENFANTS d’extradition avec la Chine, où les personnes Le rapport technique de 2016 sur la pauvreté soupçonnées d’infractions pourraient être infantile a établi que près d’un tiers des exposées à de graves violations des droits enfants néo-zélandais vivaient sous le seuil humains. de pauvreté. Le Comité des droits de l’homme a exprimé son inquiétude face au nombre élevé d’enfants victimes de violences

336 Amnesty International — Rapport 2016/17 physiques et psychologiques, ainsi que de unies (EPU). Il en a rejeté d’autres, négligence. Le gouvernement a annoncé la notamment l’abolition de la peine de mort et création d’un ministère consacré aux enfants la mise en conformité de la liberté vulnérables, qui devrait voir le jour en 2017. d’expression et de réunion avec les normes internationales. ÉVOLUTIONS LÉGISLATIVES, En mars, le Comité des droits de l’enfant CONSTITUTIONNELLES OU [ONU] a appelé Oman à cesser de harceler INSTITUTIONNELLES les défenseurs des droits humains œuvrant À la fin de l’année, le gouvernement n’avait dans le domaine des droits des enfants et à toujours pas donné suite officiellement aux autoriser les femmes omanaises à recommandations formulées par le Comité transmettre leur nationalité à leurs enfants à consultatif constitutionnel de 2013, qui égalité avec les hommes. l’invitaient à améliorer la Loi de 1990 portant En juin, le Comité des Nations unies pour Charte des droits. Les droits économiques, l’élimination de la discrimination sociaux et culturels n’étaient toujours pas raciale [ONU] a fait part de ses pleinement protégés dans le droit interne, préoccupations au sujet des restrictions malgré les recommandations du Comité imposées par le gouvernement aux ONG, de consultatif. la discrimination raciale et des droits des travailleurs migrants. Le gouvernement a promulgué en avril un nouveau Code pénal, ainsi que des lois OMAN prohibant le blanchiment d’argent et le Sultanat d’Oman financement du terrorisme. Chef de l’État et du gouvernement : Qabous bin Saïd al En janvier, les autorités ont accepté le Saïd transfert de 10 détenus, tous yéménites, du centre de détention américain de Cette année encore, les autorités ont Guantánamo, à Cuba. restreint la liberté d’expression et d’association. Des détracteurs du LIBERTÉ D’EXPRESSION ET gouvernement et des défenseurs des droits D’ASSOCIATION humains ont été arrêtés et placés en Les autorités ont restreint la liberté détention. La plupart ont été libérés d’expression et d’association. Des agents de quelques jours plus tard, mais certains ont la sûreté de l’État ont arrêté et placé en fait l’objet de poursuites et ont été détention des journalistes de la presse papier condamnés à des peines et de la presse en ligne, ainsi que des d’emprisonnement, ce qui a favorisé blogueurs, entre autres. La plupart ont été l’autocensure. Les femmes ont continué de interrogés avant d’être libérés sans subir des discriminations dans la législation inculpation au bout de quelques jours, mais et dans la pratique. Les travailleurs au moins huit personnes ont été migrants étaient en butte à l’exploitation et condamnées à des peines de prison aux aux mauvais traitements. La peine de mort termes de dispositions législatives à la a été maintenue ; aucune exécution n’a été formulation vague concernant l’ordre public, signalée. les insultes ou la sécurité nationale, alors qu’elles n’avaient fait qu’exprimer de manière CONTEXTE pacifique leurs opinions. Oman a accepté un certain nombre de Parmi ces huit personnes figuraient recommandations formulées en 2015 à la Hassan al Basham, ancien diplomate, suite de l’examen du bilan du pays en condamné en février à trois ans matière de droits humains dans le cadre de d’emprisonnement pour avoir publié sur l’Examen périodique universel des Nations Facebook des commentaires que les

Amnesty International — Rapport 2016/17 337 autorités ont considéré comme des insultes matière de divorce, de garde d’enfants, envers Dieu et le sultan, Naser al Busaidi, d’héritage et de transmission de leur dont la condamnation à un an de prison pour nationalité à leurs enfants. avoir critiqué des responsables gouvernementaux a été confirmée en février DROITS DES TRAVAILLEURS MIGRANTS par la cour d’appel de Nizwa, et Sayyid Les travailleurs migrants étaient en butte à Abdullah al Darouri, dont la peine de 18 mois l’exploitation et aux mauvais traitements. Les d’emprisonnement prononcée en 2015 pour employés de maison, essentiellement des sédition et trouble à l’ordre public a été femmes originaires d’Asie et d’Afrique, se ramenée à six mois en février. plaignaient que leurs employeurs, auxquels L’ancien député Talib al Maamari a été ils étaient liés par le système de parrainage libéré en mai après avoir été gracié par le (kafala), confisquaient leur passeport, les sultan. Il purgeait une peine de quatre ans obligeaient à travailler un nombre d’heures d’emprisonnement, prononcée à l’issue d’un excessif sans leur accorder de temps de procès inéquitable en 2014, pour avoir repos, ne leur versaient pas la totalité de leur participé à une manifestation en faveur de la salaire, ne leur donnaient pas suffisamment à protection de l’environnement. manger et leur imposaient des conditions de Saeed Jaddad, blogueur et prisonnier vie inadéquates. Le système de kafala d’opinion incarcéré après avoir été n’accorde pas aux employés de maison les condamné en septembre puis en novembre protections prévues par le droit du travail. 2015, a été libéré en août1. Ceux-ci restaient exposés à des mauvais Les autorités ont fermé en août le traitements dans des domiciles privés. quotidien Azamn. Le rédacteur en chef et deux journalistes ont fait l’objet de poursuites PEINE DE MORT pour avoir publié des articles faisant état La peine de mort était toujours en vigueur d’allégations de corruption au sein du pour toute une série de crimes. Des gouvernement et de la magistrature. Quatre modifications du Code pénal ont confirmé le chefs d’inculpation ont été retenus contre recours au peloton d’exécution comme mode Ibrahim al Maamari, rédacteur en chef d’application de la peine capitale. Aucune d’Azamn, un seul contre Zaher al Aabri, exécution n’a été signalée. responsable des informations locales, et six contre Yousef al Haj, rédacteur en chef 1. Oman. Libération d’un prisonnier d’opinion (MDE 20/4758/2016) adjoint. Des agents du Service de sécurité intérieure ont arrêté Hamoud al Shukaily, également journaliste, qui avait publié sur Facebook des articles critiquant les mesures OUGANDA prises contre les journalistes d’Azamn. En décembre, une cour d’appel a annulé République d’Ouganda l’interdiction de parution qui frappait le Chef de l’État et du gouvernement : Yoweri Kaguta Museveni quotidien, a déclaré Zaher al Abri non coupable des faits qui lui étaient reprochés et a réduit les peines prononcées contre Les droits à la liberté d’expression, de Ibrahim al Mamari et Yousef al Haj. réunion et d’association ont été sévèrement limités dans le cadre d’élections générales DROITS DES FEMMES entachées d’irrégularités. Les activités des Les femmes faisaient l’objet de discrimination défenseurs des droits humains ont fait dans la législation et dans la pratique. Le l’objet de nouvelles restrictions, et certaines Code pénal, le Code du statut personnel et organisations ont été victimes d’actes de les lois sur la famille ne leur reconnaissaient harcèlement. Les droits des personnes pas l’égalité des droits avec les hommes en LGBTI continuaient d’être bafoués.

338 Amnesty International — Rapport 2016/17 Besigye a de nouveau été arrêté alors qu’il CONTEXTE tentait de sortir de son domicile pour obtenir Les cinquièmes élections présidentielle et les résultats détaillés auprès de la législatives ont eu lieu le 18 février. D’après la Commission électorale, en vue de contester mission d’observation électorale mandatée l’issue du scrutin1. Le 12 mai, la veille du jour par le Commonwealth, ces élections ont été où Yoweri Museveni devait être investi à la loin de respecter les principales exigences présidence, une vidéo publiée sur Internet a démocratiques. La mission d’observation montré Kizza Besigye prêter serment et se électorale de l’Union européenne a affirmé déclarer le président du peuple. Il a été que le scrutin s’était déroulé dans un climat immédiatement arrêté par la police et accusé d’intimidation, la police ayant utilisé une de trahison. L’affaire était toujours en cours à force excessive contre les responsables la fin de l’année. politiques de l’opposition, les médias et les citoyens. Le président Yoweri Museveni a été LIBERTÉ D’EXPRESSION déclaré vainqueur de l’élection présidentielle Pendant la période qui a précédé les le 20 février. Il était déjà au pouvoir depuis élections, des agents des forces de sécurité 30 ans. s’en sont pris aux médias qui, selon eux, Le 1er mars, Amama Mbabazi, candidat de critiquaient les politiques et les actions du l’opposition, a introduit une requête devant la gouvernement. Cour suprême pour contester le résultat des Le 20 janvier, la radio privée Endigyito FM élections, au motif que le parti au pouvoir a été fermée après avoir invité à une avait acheté des voix, utilisé des émission le candidat d’opposition Amama fonctionnaires et des ressources publiques à Mbabazi. des fins politiques et perturbé les activités de Le 13 février, la police a fait irruption dans l’opposition. Le 9 mars, jour où les les locaux de la radio North FM à Lira, dans déclarations sous serment devaient être le nord du pays, pour y arrêter le journaliste remises à la Cour, des dossiers et des Richard Mungu et l’un de ses invités. La ordinateurs ont été dérobés dans les bureaux police a affirmé que Richard Mungu avait de deux de ses avocats. Le 31 mars, la Cour détérioré des affiches de campagne du suprême a jugé que les éléments à sa président Yoweri Museveni, l’accusant de disposition n’étaient pas suffisants pour destruction volontaire de biens. Les charges prouver que des irrégularités avaient affecté retenues contre lui ont ensuite été le résultat du scrutin. requalifiées en complicité de crime, toujours en référence semble-t-il aux affiches LIBERTÉ D’ASSOCIATION ET DE détériorées. Richard Mungu a été libéré sous RÉUNION caution le 17 février. La police a sévèrement restreint les droits des Le jour des élections, la Commission partis politiques d’opposition à la liberté ougandaise des communications (UCC) a d’association et de réunion pacifique avant, bloqué les accès à Facebook, Twitter et pendant et après les élections. WhatsApp entre 6 heures et 9 h 30 du matin, Trois jours avant les élections, Kizza sous prétexte qu’une menace non précisée Besigye, candidat à la présidence pour le pesait sur la sécurité nationale. Mobile parti d’opposition Forum pour le changement Telecommunications Network (MTN), l’un démocratique (FDC), a été arrêté alors qu’il des principaux opérateurs de téléphonie se rendait à un meeting de campagne. La mobile et fournisseurs d'accès à Internet du police a ensuite barricadé la route menant à pays, a écrit sur son compte Twitter que son domicile, le plaçant de fait en résidence l’UCC lui avait ordonné de désactiver tous les surveillée, au prétexte qu’elle disposait réseaux sociaux et services mobiles de d’informations selon lesquelles il s’apprêtait à transfert d’argent « en raison d’une menace à causer des troubles. Le 20 février, Kizza l’ordre public et à la sécurité ». Ces mesures

Amnesty International — Rapport 2016/17 339 ont empêché les citoyens d’exercer leur droit de rechercher et de recevoir des DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS informations. La Loi sur les organisations non Le président adjoint de la Cour suprême a gouvernementales est entrée en vigueur le annulé une manifestation pacifique que le 14 mars. Certaines dispositions de ce texte, FDC et Kizza Besigye avaient prévu rédigées en termes vagues, pourraient être d’organiser le 5 mai. Cette décision faisait utilisées pour museler les organisations de la suite à la demande du procureur général société civile. Par exemple, cette loi limite les adjoint d’appliquer des mesures provisoires activités des organisations qui « portent pour empêcher la « campagne de préjudice à la sécurité, aux intérêts ou à la provocation » du FDC. La campagne du FDC dignité du peuple ougandais », sans pour visait, entre autres, à obtenir un audit autant définir ces termes. international des résultats de l’élection Entre avril et mai, les locaux du Forum des présidentielle. La Cour d’appel a pourtant éducatrices africaines (FAWE), du Forum de estimé le 30 avril que cette campagne était sensibilisation et de promotion des droits contraire à plusieurs articles de la humains (HRAPF) et du Réseau des droits Constitution. humains pour les journalistes-Ouganda Le 14 septembre, 25 femmes ont été (HRNJ-Ouganda) ont été cambriolés par des arrêtées et maintenues en détention pendant personnes non identifiées. Dans les locaux plusieurs heures, puis remises en liberté du FAWE, un serveur Internet, des sans inculpation. Elles s’apprêtaient à ordinateurs, des caméras et des projecteurs remettre au Parlement une pétition contre la ont été volés. Sur les images de proposition de modification de l’âge vidéosurveillance enregistrées dans les obligatoire de la retraite des magistrats et des locaux du HRNJ-Ouganda, on peut voir un commissaires électoraux prévu par la visiteur offrir de la nourriture contenant Constitution. Le président du Parlement a vraisemblablement des sédatifs aux agents rejeté cette proposition et demandé au de sécurité, laissant la voie libre aux gouvernement de prévoir à la place un cambrioleurs pour fouiller les locaux une fois ensemble complet de modifications les gardiens endormis. L’inspecteur général constitutionnelles. de la police a mis en place en juin une commission d’enquête sur ces effractions, HOMICIDES ILLÉGAUX mais les organisations concernées ont D’après la police, au moins 100 personnes déploré l’absence de véritables investigations. ont été tuées et 139 autres arrêtées le Ces cambriolages n’ont donné lieu à aucune 28 novembre lors d’affrontements entre les arrestation, inculpation ni poursuite3. forces de sécurité et la garde royale du souverain local dans la ville de Kasese, à DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET l’ouest du pays2. Les forces de sécurité ont DES PERSONNES BISEXUELLES, notamment procédé à des exécutions TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES sommaires puis se sont débarrassées des Le 4 août, la police a interrompu un concours cadavres le long de berges ou dans des de beauté organisé dans le cadre d’une fête taillis. Ces affrontements faisaient suite à des des fiertés ougandaise, à Kampala. Seize attaques perpétrées par la garde royale personnes ont été arrêtées, pour la plupart contre plusieurs postes de police le des défenseurs ougandais des droits des 26 novembre, au cours desquelles au moins personnes LGBTI, puis relâchées une heure 14 policiers avaient été tués. Charles Wesley plus tard environ. Un homme a été Mumbere, souverain du royaume de grièvement blessé après avoir sauté de la Rwenzururu, a été arrêté et transféré à la fenêtre du sixième étage par crainte d’être capitale, Kampala, où il a été inculpé de malmené par la police. meurtre.

340 Amnesty International — Rapport 2016/17 Le 24 septembre, la police a empêché quand il était enfant et recruté de force par la plus de 100 personnes de participer à une LRA. Il est notamment accusé de crimes marche des fiertés sur une plage, à Entebbe. contre l’humanité, de crimes de guerre, de Les policiers ont obligé les manifestants à crimes sexuels et liés au genre, et remonter dans leurs minibus, leur intimant d’enrôlement et d’utilisation d’enfants soldats de quitter les lieux. Les manifestants ont alors dans le nord de l’Ouganda. tenté de se rendre sur une autre plage, mais la police les a de nouveau empêcher de LUTTE CONTRE LE TERRORISME ET défiler. SÉCURITÉ Le HRAPF et la Coalition de la société Le 26 mai, la Haute Cour a condamné sept civile pour les droits humains et le droit des 13 personnes inculpées dans l’affaire constitutionnel (CSCHRCL), qui regroupe des attentats perpétrés à Kampala, en 2010, 50 organisations ougandaises, ont déposé lors de la finale de la Coupe du monde de une requête devant la Cour de justice football. Le groupe armé Al Shabab, basé en d’Afrique de l’Est, arguant que la Loi Somalie, avait revendiqué ces attentats, qui ougandaise contre l’homosexualité était avaient fait 76 morts. La Cour a estimé que contraire aux règles du droit et aux principes l’accusation n’avait pas réussi à prouver de bonne gouvernance définis par le Traité l’implication de cinq des accusés dans ces pour l’établissement de la Communauté attaques. Les cinq personnes en question ont d’Afrique de l’Est. Le 27 septembre, la Cour a été immédiatement réarrêtées et ont fait rejeté leur requête au motif que la loi contre l’objet de nouvelles inculpations. Elles ont été l’homosexualité avait été déclarée nulle et de accusées d’avoir fabriqué des documents et nul effet par la Cour constitutionnelle du matériel à la prison de Luzira, en lien avec ougandaise en août 2014. « des préparatifs visant à aider, assister ou inciter des complices à entreprendre des CRIMES DE DROIT INTERNATIONAL actes terroristes en Ouganda ». L’audience préliminaire dans le procès de l’ancien commandant de l’Armée de 1. Ouganda. Un parti d’opposition empêché de contester le résultat de résistance du Seigneur (LRA), le colonel l’élection présidentielle (nouvelle, 26 février). Thomas Kwoyelo, s’est ouverte le 15 août 2. Ouganda. Les homicides illégaux doivent être dénoncés et devant la chambre de la Haute Cour de l’obligation de rendre des comptes doit être respectée à la suite l’Ouganda chargée des crimes d’affrontements meurtriers (nouvelle, 28 novembre). internationaux. Il est accusé d’avoir commis 3. Ouganda. Il faut enquêter sur les cambriolages qui visent les des crimes de guerre et des crimes contre bureaux d’organisations (nouvelle, 13 juin) l’humanité dans le nord du pays. L’audience a été reportée car ses avocats n’avaient pas été informés de la date suffisamment à OUZBÉKISTAN l’avance. Le parquet a également ajouté de nouvelles charges de violences sexuelles et République d’Ouzbékistan de violences liées au genre. En septembre, Chef de l’État : Chavkat Mirziyoyev (a remplacé Islam un tribunal de Guru, dans le nord du pays, a Karimov en septembre) estimé que les victimes pouvaient prendre Chef du gouvernement : Abdoulla Aripov (a remplacé part à la procédure, comme c’est le cas lors Chavkat Mirziyoyev en décembre) des procès devant la CPI. Thomas Kwoyelo, arrêté par l’armée ougandaise en 2008, se La torture restait une pratique courante trouvait toujours en détention. dans les centres de détention et les prisons Le 23 mars, le Chambre préliminaire de la du pays. Les autorités ont obtenu que CPI a confirmé que 70 charges étaient soient rapatriées, notamment dans le cadre retenues contre Dominic Ongwen, un ancien de « restitutions » secrètes, des centaines commandant de la LRA qui avait été enlevé de personnes qu’elles soupçonnaient de

Amnesty International — Rapport 2016/17 341 s’être rendues coupables de diverses prisonniers à « avouer » des infractions ou à activités criminelles, d’appartenir à incriminer des tiers. l’opposition ou de constituer une menace Les juges ont continué d’ignorer ou de pour la sécurité nationale. Toutes ces rejeter, en les qualifiant d’infondées, les personnes risquaient d’être torturées. Le accusations de torture ou d’autres mauvais travail forcé constituait une pratique traitements, même lorsque des preuves fréquente. Le droit à la liberté d’expression crédibles avaient été produites à l’audience. et d’association a cette année encore fait En février, le tribunal pénal régional de l’objet d’importantes restrictions. Les Djizak a déclaré Aramais Avakian, défenseurs des droits humains continuaient pisciculteur de profession, et quatre autres d’être régulièrement en butte à des actes de personnes coupables de conspiration en vue harcèlement et de violence. de commettre des actes anticonstitutionnels et d’appartenance à une « organisation CONTEXTE extrémiste ». Ils ont été condamnés à des Islam Karimov est décédé le 2 septembre, peines allant de cinq à 12 ans après avoir passé 27 ans à la tête du pays. d’emprisonnement. Les autorités ont contrôlé toutes les Aramais Avakian a toujours nié les charges informations concernant sa mort et ont mené pesant sur lui et a déclaré lors de son procès une véritable offensive sur les réseaux avoir été enlevé par des agents du SSN, puis sociaux contre les organes de presse détenu au secret pendant un mois, torturé et indépendants et les militants des droits contraint de faire des « aveux ». Ses humains qui osaient critiquer le bilan du tortionnaires lui ont cassé plusieurs côtes et président défunt. lui ont administré des décharges électriques. Nommé président par intérim en Pendant le procès, plusieurs témoins à septembre, Chavkat Mirziyoyev a été élu chef charge ont affirmé avoir été arrêtés et torturés de l’État le 4 décembre. par des agents du SSN, qui les auraient obligés à témoigner contre Aramais Avakian TORTURE ET AUTRES MAUVAIS et ses coïnculpés. Lors du procès en appel TRAITEMENTS qui s’est tenu en mars, l’un de ceux-ci, Les pouvoirs publics continuaient de Fourkat Djouraïev, a déclaré au juge qu’il démentir catégoriquement toutes les avait lui aussi été torturé. Les juges, aussi informations faisant état d’une banalisation bien en première instance qu’en appel, ont du recours à la torture et à d’autres mauvais cependant ignoré les allégations de torture traitements par des responsables de formulées devant eux et ont déclaré l’application des lois. Le directeur du Centre recevables les « aveux » des accusés national pour les droits humains a déclaré en extorqués sous la contrainte. octobre que les allégations de torture étaient fondées sur des éléments forgés de toutes LUTTE CONTRE LE TERRORISME ET pièces et étaient « manifestement destinées à SÉCURITÉ servir de moyen de désinformation [...] pour Les autorités ont cette année encore obtenu exercer des pressions » sur l’Ouzbékistan1. le rapatriement (entre autres dans le cadre Des défenseurs des droits humains, des de procédures d’extradition) de nombreux anciens prisonniers et des proches de ressortissants ouzbeks qu’elles détenus ont pourtant continué de fournir des soupçonnaient de diverses activités informations crédibles selon lesquelles des criminelles ou qu’elles considéraient comme agents de la police et du Service de la des opposants ou des personnes sécurité nationale (SSN) avaient représentant une menace pour la sécurité régulièrement recours à la torture pour nationale. contraindre des suspects, des détenus et des

342 Amnesty International — Rapport 2016/17 ouzbèkes confirment qu’il avait été placé en Retours forcés détention dans la région de Kachka-Daria le Les pouvoirs publics ont déclaré en octobre jour suivant sa sortie de prison en Russie. Il avoir obtenu le rapatriement de était, selon elles, en détention provisoire, 542 personnes entre janvier 2015 et juillet dans l’attente de son procès pour infractions 2016. contre l’État. Il a dû attendre un mois pour Le gouvernement offrait aux autorités des pouvoir s’entretenir avec un avocat. pays acceptant de renvoyer des ressortissants ouzbeks l’assurance que ceux- Persécution de proches ci pourraient recevoir la visite d’observateurs Les autorités ont intensifié les pressions sur indépendants et de diplomates, qui seraient les proches des personnes soupçonnées ou autorisés à les voir librement et en toute déclarées coupables d’infractions contre confidentialité, et qu’ils auraient droit à un l’État, notamment de personnes travaillant ou procès équitable. Dans les faits, l’accès aux réfugiées à l’étranger. personnes rapatriées était limité. Certains Les autorités n’hésitaient pas à brandir la diplomates ont dû attendre jusqu’à un an menace d’une inculpation d’appartenance à pour obtenir l’autorisation de voir un détenu un groupe islamiste interdit contre un proche ou un prisonnier. Ils étaient en outre détenu pour empêcher les familles de généralement accompagnés par des dénoncer les violations des droits humains et représentants de l’État, ce qui empêchait de demander de l’aide à des organisations de toute conversation privée. défense des droits humains en Ouzbékistan Les agents du SSN continuaient de ou à l’étranger. pratiquer la « restitution » secrète (en Les comités de proximité (mahalla) ont d’autres termes l’enlèvement) de personnes continué de collaborer avec les forces de résidant à l’étranger. En Russie, les services sécurité et l’administration locale et nationale, de sécurité n’hésitaient pas à se rendre exerçant une surveillance étroite des complices de cette pratique – dans les rares habitants, à l’affût du moindre signe d’activité cas où les autorités russes refusaient ou de comportement jugé répréhensible, officiellement de donner suite à une suspect ou illégal. Des comités de proximité demande d’extradition. ont dénoncé publiquement des habitants Les personnes enlevées ou renvoyées de « fautifs » et leurs familles et ont pris des force en Ouzbékistan étaient placées en sanctions contre eux. détention au secret, souvent sans que leur En février, l’épouse d’Aramais Avakian a lieu de détention soit révélé. Elles étaient été informée par des membres du comité de soumises à la torture ou à d’autres mauvais son quartier que la population locale avait traitements par les autorités, qui cherchaient décidé de l’expulser, ainsi que ses enfants, ainsi à obtenir des « aveux » ou à les en raison « des actions de son mari contraindre de dénoncer des tiers. Très terroriste » et parce qu’elle avait accordé des souvent, les forces de sécurité faisaient interviews à des journalistes étrangers, pression sur les familles, afin qu’elles ne diffamé des représentants des autorités cherchent pas à obtenir le soutien locales et porté atteinte à la réputation de d’organisations de défense des droits l’Ouzbékistan. humains et qu’elles ne portent pas plainte pour violations des droits humains. TRAVAIL FORCÉ Le 4 mars, des agents des services russes Le travail forcé a été pratiqué dans l’industrie du renseignement ont interpellé à sa sortie du coton. Selon plusieurs organisations de prison Sarvar Mardiev, un demandeur internationales, les autorités ont obligé plus d’asile incarcéré en Russie, et l’ont emmené d’un million d’employés du secteur public à à bord d’un véhicule. Il a fallu attendre le travailler dans les plantations de coton, au mois d’octobre pour que les autorités moment de la préparation des champs, au

Amnesty International — Rapport 2016/17 343 printemps, et lors de la récolte, à l’automne. L’Ouzbékistan occupait la deuxième place du PAKISTAN Global Slavery Index 2016, dont l’objectif est d’estimer les pratiques relevant de République islamique du Pakistan l’esclavage moderne. Chef de l’État : Mamnoon Hussain Chef du gouvernement : Muhammad Nawaz Sharif LIBERTÉ D’EXPRESSION – DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS Comme les années précédentes, des Les droits à la liberté d’expression et groupes armés ont mené des attaques d’association ont cette année encore fait ciblées contre des civils, notamment des l’objet d’importantes restrictions. fonctionnaires, qui ont fait des centaines de Des militants qui cherchaient à réunir des victimes. Les forces de sécurité, et tout informations sur le recours au travail forcé particulièrement à Karachi les Rangers, dans les plantations de coton ont été la cible formation paramilitaire, ont commis des à plusieurs reprises d’arrestations et de violations des droits humains dans une perquisitions. impunité quasi totale. Les autorités ont Le 8 octobre, Elena Ourlaïeva, directrice continué de procéder à des exécutions, le de l’ONG indépendante Alliance des plus souvent à l’issue de procès défenseurs des droits humains inéquitables. Les membres des minorités d’Ouzbékistan, le photographe indépendant religieuses ont été l’objet de discrimination Timour Karpov, ainsi que deux militants exercée tant par des agents de l’État que français ont été arrêtés par des policiers et par des acteurs non étatiques. Des crimes des agents du SSN dans le district de Bouk d’« honneur » ont continué d’être signalés (région de Tachkent). Ces quatre personnes bien qu’une nouvelle loi visant à protéger étaient venues interviewer des professionnels les femmes contre la violence ait été de la santé et des enseignants envoyés par adoptée au Pendjab. Des défenseurs des les autorités dans les champs de coton. droits humains et des employés des médias Elena Ourlaïeva a expliqué qu’elle avait été ont été victimes de menaces, d'actes de conduite jusqu’à une salle d’interrogatoire du harcèlement et d’atteintes à leurs droits poste de police de Bouk par un groupe de fondamentaux imputables aux forces de femmes. Deux d’entre elles l’auraient tirée sécurité et à des groupes armés. Les par les cheveux, frappée à coups de poing et membres des minorités continuaient de injuriée. Les policiers présents n’auraient pas faire l’objet de discriminations lorsqu’ils cherché à s’interposer. Au contraire, ils tentaient d’accéder à toute une série de auraient menacé Elena Ourlaïeva et auraient droits économiques et sociaux. L’accès à refusé d’appeler quelqu’un pour lui prodiguer des soins de santé de qualité restait limité, des soins. Elena Ourlaïeva a finalement été particulièrement pour les femmes pauvres relâchée sans inculpation au bout de six et celles vivant dans des régions rurales. heures. Timour Karpov a quant à lui été détenu pendant 10 heures et a fait l’objet de CONTEXTE menaces. Leur matériel d’enregistrement et L’armée pakistanaise a poursuivi l’opération les documents qu’ils avaient avec eux leur Zarb-e Azb, une offensive militaire débutée ont été confisqués. en juin 2014 contre des groupes armés non étatiques dans les agences tribales du Waziristan du Nord et de Khyber. Le conflit 1. Uzbekistan: Fast-track to torture − abductions and forcible returns from Russia to Uzbekistan (EUR 62/3740/2016) armé et la violence politique ont continué à un niveau élevé, tout particulièrement dans les provinces de Khyber Pakhtunkhwa, du Baloutchistan et du Sind ainsi que dans les

344 Amnesty International — Rapport 2016/17 zones tribales sous administration blessées dans un attentat à l’explosif contre fédérale (FATA). un autobus qui transportait des employés du Bien que son budget ait finalement été gouvernement2. approuvé par le Parlement, la Commission Le 8 août, un attentat-suicide a fait au nationale des droits humains mise en place moins 63 morts, des avocats pour la plupart, en mai 2015 manquait toujours de personnel et plus de 50 blessés à l’hôpital civil de et d’autres moyens. Son mandat limité en ce Quetta, dans le sud-ouest du Pakistan. Ces qui concerne les enquêtes sur les cas de personnes s’étaient rassemblées pour violations des droits humains imputables à accompagner le corps de Bilal Anwar Kasi, des organes de l’État restait source de président du barreau de la province du préoccupation. Baloutchistan, assassiné plus tôt dans la À la fin de septembre, les tensions journée par des individus armés3. transfrontalières entre l’Inde et le Pakistan se sont intensifiées, les deux pays s’accusant POLICE ET FORCES DE SÉCURITÉ mutuellement de violations des droits Les forces de sécurité, dont les Rangers, une humains devant le Conseil des droits de force paramilitaire placée sous le l’homme [ONU]. Le cessez-le-feu conclu en commandement de l’armée pakistanaise, ont 2003 a été régulièrement violé par les deux commis des violations des droits humains, pays, qui ont échangé des tirs de part et notamment des arrestations arbitraires, des d’autre de la ligne de contrôle. L’Inde a actes de torture et d’autres mauvais affirmé avoir mené des « frappes traitements, ainsi que des exécutions chirurgicales » contre des extrémistes de extrajudiciaires. Les lois et pratiques en l’Azad Cachemire, sous administration matière de sécurité, ainsi que l’absence de pakistanaise, ce qui a été démenti par le mécanismes indépendants chargés de Pakistan. mener des enquêtes sur les forces de sécurité et de les obliger à rendre des EXACTIONS PERPÉTRÉES PAR DES comptes, permettaient aux forces GROUPES ARMÉS gouvernementales de se livrer à de tels Malgré l’existence d’un plan national d’action agissements dans une impunité quasi totale. contre le terrorisme, des groupes armés ont Parmi les victimes figuraient des membres de mené des attaques cette année encore. Ce partis politiques, en particulier le Mouvement plan a été mis en application à la suite de national unifié (MQM), et des défenseurs des l’attentat perpétré en décembre 2014 à droits humains. Peshawar contre une école privée où étaient Aftab Ahmed, membre important du scolarisés des enfants de militaires et qui MQM, a été arrêté le 1er mai par des policiers avait fait au moins 149 morts, en civil. On a appris sa mort le 3 mai, essentiellement des enfants. intervenue après sa remise aux Rangers. Des Le 20 janvier, des hommes armés ont tué photos ont circulé sur lesquelles on pouvait au moins 30 personnes, des étudiants et des voir des blessures résultant selon toute enseignants pour la plupart, à l’université apparence d’actes de torture4. Le directeur Bacha Khan de Charsadda, dans le nord- général des Rangers pour le Sind a reconnu ouest du pays. Un commandant des talibans publiquement qu’Aftab Ahmed avait été pakistanais qui aurait organisé l’attentat de torturé pendant sa détention, mais a nié que 2014 contre l’école de Peshawar gérée par les Rangers soient responsables de sa mort. l’armée a revendiqué cette attaque, mais Selon les médias, cinq membres des cette affirmation a été contestée1. L’armée a Rangers ont été suspendus à l’issue d’une annoncé par la suite avoir appréhendé cinq enquête ordonnée par le chef d’état-major ; « facilitateurs » de l’attaque. aucune autre information n’a été rendue Le 16 mars, à Peshawar, 15 personnes au publique. moins ont été tuées et 25 autres grièvement

Amnesty International — Rapport 2016/17 345 Peu de progrès avaient été constatés à la La Cour suprême, qui a statué pour la fin de l’année dans l’affaire d’Asim Hussain, première fois en août sur des affaires jugées membre de premier plan du Parti du peuple par ces tribunaux, a confirmé les verdicts et pakistanais (PPP) et ancien ministre fédéral, les sentences capitales concernant 16 civils. qui aurait été maltraité et privé de soins Elle a conclu que les appelants n’avaient pas médicaux alors qu’il était détenu par les apporté la preuve que l’armée avait violé Rangers en 2015. Cet homme avait été arrêté leurs droits constitutionnels ou n’avait pas pour, entre autres charges, « implication respecté la procédure. Selon certains dans des infractions liées à un détournement avocats, les accusés se sont vu refuser de fonds, pour avoir encouragé et soutenu l’accès à un conseil de leur choix et n’ont pas des activités terroristes et pour d’autres liens pu consulter les dossiers du tribunal militaire et activités criminelles associés à l’usage de pour préparer leur appel. Certains auraient son autorité, faits réprimés par la loi été victimes de disparition forcée ainsi que antiterroriste de 1997 ». d’actes de torture et de mauvais traitements, Plusieurs militants politiques ont été et deux au moins étaient semble-t-il âgés de détenus sans jugement par les forces de moins de 18 ans au moment de leur sécurité au cours de l’année. Certains arrestation. risquaient toujours d’être victimes d’actes de torture et d’autres mauvais traitements. DISCRIMINATION – MINORITÉS Selon des informations publiées en août RELIGIEUSES par la Commission d’enquête sur les Cette année encore, les membres des disparitions forcées créée par le minorités religieuses, musulmanes et non gouvernement pakistanais, 1 401 des plus de musulmanes, ont fait l’objet dans la 3 000 cas de disparition signalés n’avaient législation et dans la pratique de toujours pas fait l’objet d’enquête. discriminations exercées par des agents de l’État et des acteurs non étatiques. Les lois PEINE DE MORT sur le blasphème étaient toujours en vigueur Plus de 400 exécutions ont eu lieu depuis la et plusieurs nouveaux cas ont été signalés, levée, en décembre 2014, du moratoire de essentiellement dans la province du Pendjab. six ans sur les exécutions. Des prisonniers Les lois violaient les droits à la liberté qui étaient mineurs au moment des faits ou d’expression, de pensée, de conscience et de présentaient des troubles mentaux figuraient religion. Les membres des minorités, tout au nombre des suppliciés. particulièrement les ahmadis, les hazaras et Des condamnations à mort ont été les dalits, étaient toujours confrontés à des prononcées par des tribunaux civils et des restrictions dans l’accès à l’emploi, aux soins juridictions militaires, dans bien des cas à de santé et à l’éducation, entre autres l’issue de procès inéquitables. Au rang des services de base. 28 infractions passibles de la peine capitale Mumtaz Qadri, garde du corps reconnu figuraient des crimes n’ayant pas entraîné la coupable d’avoir assassiné le gouverneur du mort d’autrui, ce qui est contraire au droit Pendjab en 2011 parce qu’il avait critiqué les international. lois sur le blasphème, a été exécuté en février. Des milliers de personnes ont assisté TRIBUNAUX MILITAIRES à ses funérailles, qui ont été suivies de En 2015, les tribunaux militaires ont reçu manifestations à Islamabad, la capitale, ainsi compétence pour juger toutes les personnes qu’à Lahore et à Karachi. Des protestataires accusées d’infractions liées au terrorisme, y se sont heurtés à la police, ont endommagé compris les civils. En janvier 2016, le des biens publics et s’en sont pris à des gouvernement avait instauré 11 tribunaux locaux de médias. militaires pour juger ce type d’affaires. Asia Noreen, une chrétienne condamnée à mort pour blasphème en 2010, était toujours

346 Amnesty International — Rapport 2016/17 incarcérée à Sheikhupura. La Cour suprême de nombreux cas ne sont pas dénoncés ou devait examiner son appel en dernière sont présentés à tort comme des suicides ou instance le 13 octobre, mais a renvoyé des morts de cause naturelle. Qandeel l’audience à une date indéterminée. Baloch, une intervenante bien connue sur les Des membres de groupes armés ont mené réseaux sociaux, a été droguée et tuée par une attaque dans un parc de Lahore le son frère en juillet. Celui-ci a avoué l’avoir 27 mars, au cours de laquelle au moins assassinée parce qu’elle avait « déshonoré le 70 personnes, dont beaucoup d’enfants, ont nom de Baloch ». été tuées, et de nombreuses autres ont été Les mariages d’enfants restaient source de blessées. Cette attaque a été revendiquée par préoccupation. En janvier, un projet de loi Jamaat ul Ahrar, une faction des talibans visant à porter l’âge légal minimum du pakistanais, qui a indiqué avoir pris pour mariage à 18 ans pour les filles a été retiré cible des chrétiens qui célébraient Pâques. sous la pression du Conseil de l’idéologie islamique, qui le considérait comme « non VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ET islamique et blasphématoire ». AUX FILLES Près de 3 000 cas de violences contre des DROIT À LA SANTÉ – FEMMES ET FILLES femmes et des filles, dont des meurtres, des L’accès à des soins de santé de qualité, tout viols et des viols en réunion, des actes de particulièrement pour les femmes pauvres et sodomie, des violences domestique et des celles vivant dans des régions rurales, restait enlèvements, ont été recensés par la limité en raison d’obstacles à l’information, Commission des droits humains du de la distance et du coût, ainsi que des Pakistan (HRCP). normes perçues à propos de la santé et du Malgré l’opposition de partis islamiques, la bien-être des femmes. Loi de protection des femmes contre la violence (Pendjab) a été adoptée en février LIBERTÉ D’EXPRESSION – par l’assemblée provinciale du Pendjab. JOURNALISTES Une modification de la loi sur les crimes Cette année encore, des professionnels des dits d’« honneur » a été adoptée. Il s’agissait médias ont été harcelés, enlevés et, dans de mettre un terme à l’impunité pour ces certains cas, tués. Ceux qui travaillaient dans crimes, mais le texte instaurait la possibilité les FATA et au Baloutchistan, ou sur des de prononcer la peine de mort. Par ailleurs, questions liées à la sécurité nationale, étaient les auteurs pouvaient voir leur peine réduite particulièrement en danger. dans les cas où la famille de la victime leur Selon les éléments recueillis par la accordait son pardon. On ne savait pas Fondation de la presse pakistanaise, deux exactement comment les autorités allaient professionnels des médias au moins ont été établir la distinction entre un « crime tués, 16 autres ont été blessés et un a été d’honneur » et un autre type de meurtre, enlevé dans le cadre de leur travail entre quels critères seraient retenus en matière de janvier et octobre. Le plus souvent les preuve et quelles peines seraient applicables. autorités ne leur accordaient pas une Des ONG et des défenseurs des droits protection suffisante contre les attaques de humains ont fait valoir que la peine groupes armés non étatiques, des forces de prononcée ne devait pas dépendre du fait sécurité, de militants politiques et de groupes que la famille de la victime ait ou non religieux. Sur les 49 homicides de pardonné au meurtrier. Selon la HRCP, au professionnels des médias intervenus depuis moins 512 femmes et filles ainsi que 2001, quatre affaires seulement avaient 156 hommes et garçons ont été tués en débouché sur une condamnation à la fin de 2016 par des membres de leur famille pour l’année. En juin, un homme déclaré coupable des raisons d’« honneur ». Le nombre réel du meurtre, en 2013, du journaliste Ayub était probablement beaucoup plus élevé car

Amnesty International — Rapport 2016/17 347 Khattak, a été condamné à une peine de éminent défenseur des droits humains et réclusion à perpétuité et à une amende. rédacteur d’un site Internet. Un porte-parole Zeenat Shahzadi, une journaliste enlevée d’une faction des talibans pakistanais a en août 2015 à Lahore par des hommes déclaré que cet homme avait été tué à cause armés, était toujours victime de disparition de sa campagne contre Abdul Aziz, un forcée. Selon la HRCP, elle a été enlevée par religieux de la mosquée rouge à Islamabad. les forces de sécurité. En octobre, Cyril Le militant des droits humains Saeed Almeida, rédacteur en chef adjoint du Baloch, qui défend les communautés de quotidien Dawn, a été inscrit durant une pêcheurs, a été arrêté à Karachi le 16 janvier courte période sur la liste des personnes qui par des membres des Rangers. À la suite de n’ont pas le droit de sortir du Pakistan. Les pressions au niveau local et international, il a services du Premier ministre s’étaient élevés été présenté le 26 janvier à un tribunal et contre un de ses articles portant sur les remis en liberté sous caution en août. tensions entre le gouvernement civil et Selon des témoins oculaires, le défenseur l’armée. Quelques semaines plus tard, les des droits humains Wahid Baloch a été autorités ont imputé au ministre de enlevé le 26 juillet à Karachi par des hommes l’Information la responsabilité de la fuite des en civil dont le visage était masqué, qui informations ayant donné lieu à l’article de appartenaient semble-t-il aux forces de Cyril Almeida. sécurité5. Il a été remis en liberté le L’Autorité pakistanaise de régulation des 4 décembre. médias électroniques (PEMRA), organisme Une mesure appliquée depuis le début de fédéral qui réglemente les médias 2016 obligeait les ONG internationales à audiovisuels, restreignait les émissions en obtenir l’autorisation du gouvernement pour imposant des amendes ainsi qu’en menaçant mener leurs activités et recueillir des fonds. d’annuler des licences de radiodiffusion et, Les forces de sécurité ont harcelé et intimidé dans certains cas, d’engager des poursuites plusieurs membres du personnel d’ONG, pénales. Des journalistes pratiquaient dans un climat de plus en plus hostile envers régulièrement l’autocensure à cause de ces la défense des droits humains. mesures et par crainte d’être la cible de Affirmant qu’elle se livrait à « des activités représailles des services du renseignement et douteuses », le ministère de l’Intérieur a des groupes armés. fermé en septembre Taangh Wasaib, une Une nouvelle loi sur la cybercriminalité – la ONG œuvrant pour les droits des femmes et Loi relative à la prévention des infractions contre l’intolérance religieuse. électroniques – a été adoptée en août. Elle accordait au gouvernement de vastes RÉFUGIÉS ET DEMANDEURS D’ASILE pouvoirs de surveillance des citoyens et de La situation juridique des 1,4 million de censure des contenus en ligne. On craignait réfugiés afghans enregistrés était de plus en que cette loi ne porte atteinte au droit à la plus précaire tandis que l’hostilité envers eux liberté d’expression ainsi qu’au respect de la se renforçait et que les pratiques abusives à vie privée et à l’accès à l’information. leur égard, y compris les agressions physiques, se multipliaient. Les autorités DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS estimaient qu’un million de réfugiés afghans Des agents de l’État et des acteurs non non enregistrés vivaient par ailleurs dans étatiques ont continué de harceler, de le pays. menacer, d’arrêter, voire de tuer des Des hauts responsables pakistanais ont défenseurs des droits humains, menacé d’accélérer le retour forcé de tous particulièrement au Baloutchistan, dans les les réfugiés afghans. Le droit des réfugiés FATA et à Karachi. enregistrés de séjourner légalement au Le 8 mai à Karachi, les talibans Pakistan a été prolongé le 29 juin, mais pakistanais ont abattu Khurram Zaki, jusqu’en mars 2017 seulement.

348 Amnesty International — Rapport 2016/17 À la suite de l’attaque de décembre 2014 militaires ; des personnes étaient contre l’école privée de Peshawar gérée par maintenues en détention sans inculpation l’armée, la police a pris pour cible des ni jugement en Cisjordanie. Les femmes et quartiers afghans et démoli les habitations ; les filles étaient victimes de discrimination des réfugiés ont été arrêtés de manière et de violences. Les tribunaux de Gaza ont arbitraire et harcelés. continué de prononcer des condamnations à mort et le Hamas a procédé à des DROITS DES TRAVAILLEURS exécutions ; en Cisjordanie, aucune La pratique du travail forcé persistait, tout sentence capitale n’a été prononcée et particulièrement dans les briqueteries et aucune exécution n’a eu lieu. dans le secteur textile ainsi que parmi les castes répertoriées (dalits), malgré la Loi de CONTEXTE 1992 relative au système de travail forcé Les négociations entre Israël et l’Organisation (abolition). de libération de la Palestine (OLP) dirigée par le président Mahmoud Abbas sont restées au point mort toute l’année, malgré les efforts de 1. Pakistan. L’attaque armée contre l’université de Bacha Khan pourrait constituer un crime de guerre (nouvelle, 20 janvier) la communauté internationale pour les 2. Pakistan. Le gouvernement doit rendre justice aux victimes de relancer. Les tensions persistantes entre le l’explosion d’un bus (nouvelle, 16 mars) Fatah et le Hamas ont affaibli le 3. Pakistan. L’attentat visant un hôpital de Quetta témoigne d’un gouvernement d’unité nationale formé en juin « mépris total pour le caractère sacré de la vie » (nouvelle, 8 août) 2014. Gaza continuait d’être administrée de 4. Pakistan. Il est essentiel d’ouvrir une enquête après qu’un militant facto par le Hamas. politique de Karachi a été torturé et tué en détention (nouvelle, Le blocus aérien, maritime et terrestre 4 mai) imposé par Israël à Gaza sans interruption 5. Pakistan. Un défenseur des droits humains risque la torture depuis juin 2007 est resté en vigueur. Les (ASA 33/4580/2016) restrictions persistantes à l’importation de matériaux de construction imposées dans le cadre du blocus, ainsi que le manque de PALESTINE financements, retardaient considérablement la reconstruction des habitations et des État de Palestine infrastructures endommagées ou détruites Chef de l’État : Mahmoud Abbas lors des récents conflits armés. Par ailleurs, Chef du gouvernement : Rami Hamdallah les restrictions persistantes aux exportations paralysaient l’économie et aggravaient Les autorités palestiniennes de Cisjordanie l’appauvrissement généralisé des 1,9 million ainsi que le gouvernement de facto du d’habitants de Gaza. La fermeture quasi Hamas dans la bande de Gaza ont continué totale par les autorités égyptiennes du point d’imposer des restrictions à la liberté de passage de Rafah complétait l’isolement d’expression, notamment en procédant à de Gaza et aggravait les effets du blocus l’arrestation et au placement en détention israélien. de personnes critiques et d’opposants Le Premier ministre Rami Hamdallah a politiques. Ils ont restreint également le annoncé, en juin, la tenue d’élections droit de réunion pacifique et ont utilisé une municipales le 8 octobre. La Haute Cour force excessive pour disperser certaines palestinienne a toutefois décidé en manifestations. Les actes de torture et septembre que les élections devaient être autres mauvais traitements contre les suspendues pour une période indéterminée détenus restaient une pratique courante à au motif que les contrôles israéliens Gaza et en Cisjordanie. À Gaza, les autorités empêchaient les Palestiniens de Jérusalem- continuaient de soumettre des civils à des Est de participer au scrutin et en raison de procès inéquitables devant des tribunaux l’illégalité des tribunaux locaux de Gaza. Les

Amnesty International — Rapport 2016/17 349 autorités palestiniennes de Cisjordanie et de levé en décembre l’immunité de cinq Gaza ont harcelé des candidats de membres du Conseil législatif palestinien, l’opposition et les ont placés en détention dont des opposants politiques. Cette initiative dans la période précédant la décision de la a soulevé des critiques de la part Haute Cour. d’organisations de la société civile, qui ont Les tensions se sont renforcées à dénoncé les coups portés à l’état de droit et à Naplouse, à Jénine et dans d’autres la séparation des pouvoirs. gouvernorats du nord de la Cisjordanie, où La Palestine a ratifié en juin les des personnes ont trouvé la mort à la suite amendements de Kampala au Statut de d’affrontements entre des hommes armés Rome de la Cour pénale internationale relatifs affiliés au Fatah et les forces de sécurité. au crime d’agression. Des représentants du Bureau du procureur de la CPI ont effectué ÉVOLUTIONS LÉGISLATIVES, une visite en Israël et en Cisjordanie, mais ils CONSTITUTIONNELLES OU ne se sont pas rendus à Gaza. INSTITUTIONNELLES En février, le président Abbas a promulgué la ARRESTATIONS ET DÉTENTIONS Loi de protection des mineurs, qui a ouvert la ARBITRAIRES voie à la création, en mars à Ramallah, du Les services de sécurité de Cisjordanie, premier tribunal pour enfants de la notamment la Sécurité préventive et les Cisjordanie. Renseignements généraux, ainsi que ceux de En mars, le président Abbas a approuvé la Gaza, notamment la Sécurité intérieure, ont Loi relative à l’assurance nationale, qui a arrêté et incarcéré arbitrairement des établi un système public de sécurité sociale personnes qui les critiquaient, dont des pour les travailleurs du secteur privé et leur sympathisants d’organisations politiques famille. La nouvelle loi porte notamment sur rivales. En Cisjordanie, les forces de sécurité les pensions de retraite et les allocations pour ont utilisé la détention administrative sur les handicapés, ainsi que sur les prestations ordre des gouverneurs pour maintenir des en cas d’accident du travail pour les personnes en détention sans inculpation ni travailleurs du secteur privé palestinien. Des jugement, pendant des périodes s’étendant organisations de la société civile l’ont parfois sur plusieurs mois. critiquée, faisant valoir qu’elle n’établissait pas de normes minimales de protection et de PROCÈS INÉQUITABLES justice sociale et qu’elle risquait de En Cisjordanie et à Gaza, les autorités marginaliser davantage les personnes les politiques et judiciaires ne faisaient rien pour plus vulnérables. garantir le respect des droits fondamentaux Une Cour suprême constitutionnelle de la défense, notamment le droit de palestinienne composée de neuf juges a été consulter sans délai un avocat et d’être créée par décret présidentiel en avril. La inculpé ou, à défaut, remis en liberté. En nouvelle juridiction a la suprématie sur les Cisjordanie, les forces de sécurité autres tribunaux palestiniens. Cette initiative palestiniennes ont maintenu des personnes a été largement considérée comme un en détention prolongée sans procès sur ordre exemple sans précédent d’ingérence du des gouverneurs régionaux ; dans des pouvoir exécutif dans le système judiciaire. dizaines de cas, elles n’ont pas respecté une Le président du Haut Conseil judiciaire a été décision de justice ordonnant la libération de démis de ses fonctions en octobre. Il a détenus, ou ne l’ont fait qu’avec retard. À déclaré dans une interview à la presse qu’il Gaza, des tribunaux militaires du Hamas avait été contraint de signer sa démission au continuaient de prononcer des moment où il est entré en fonction. condamnations, y compris de civils, à l’issue À la suite d’un arrêt de la Cour suprême de procès inéquitables. Des peines capitales constitutionnelle l’y autorisant, le président a ont été infligées dans certains cas.

350 Amnesty International — Rapport 2016/17 les investigations se poursuivaient à la fin TORTURE ET AUTRES MAUVAIS de l’année. TRAITEMENTS La police et les autres forces de sécurité LIBERTÉ D’EXPRESSION, palestiniennes de Cisjordanie et celles du D’ASSOCIATION ET DE RÉUNION Hamas à Gaza continuaient de torturer et Des restrictions sévères pesaient sur la liberté maltraiter des détenus en toute impunité. d’expression, d’association et de réunion Des enfants figuraient parmi les victimes, tant pacifique en Cisjordanie et à Gaza. Dans les en Cisjordanie qu’à Gaza. La Commission deux territoires, les forces de sécurité ont indépendante des droits humains, organe harcelé, arrêté et placé en détention des national de surveillance, a indiqué avoir personnes qui critiquaient les autorités ainsi recueilli entre janvier et novembre que des sympathisants d’organisations 398 allégations de détenus faisant état de politiques rivales. Des manifestations ont été torture et d’autres mauvais traitements : dispersées par la force et des journalistes, 163 en Cisjordanie et 235 à Gaza. Dans les entre autres, ont été agressés. deux territoires, la plupart de ces plaintes En Cisjordanie, le professeur d’université mettaient en cause la police. Ni le Abd al Sattar Qassem a été arrêté en février gouvernement d’unité nationale ni le par la police après avoir critiqué les autorités gouvernement de facto du Hamas à Gaza palestiniennes sur la chaîne de télévision n’ont mené d’enquête indépendante sur les Al Quds TV, qui est affiliée au Hamas. allégations de torture ou obligé les Inculpé de provocation, il a été détenu responsables présumés de ces actes à pendant cinq jours puis remis en liberté sous rendre des comptes. caution. Basel al Araj, Ali Dar al Sheikh et trois À Gaza, le journaliste Mohamed Ahmed autres hommes ont affirmé que des agents Othman a été détenu pendant une courte des Renseignements généraux les avaient période en septembre par des agents de la maintenus au secret et torturés et maltraités Sécurité intérieure, qui l’auraient torturé et pendant près de trois semaines après leur maltraité pour le forcer à révéler la source arrestation, le 9 avril. Ils ont déclaré qu’ils d’un document gouvernemental qu’il avait avaient été battus, forcés de rester dans des publié. Libéré le lendemain sans inculpation, positions douloureuses et privés de sommeil, il a été convoqué deux fois dans les deux ce qui les avait amenés à entamer une grève jours qui ont suivi sa remise en liberté. de la faim le 28 août pour protester contre En février, un débrayage de deux jours par ces mauvais traitements. Ils ont ensuite été des enseignants de Cisjordanie qui placés à l’isolement pendant la durée de leur réclamaient une hausse de leur salaire a grève de la faim. Remis en liberté sous dégénéré en plusieurs semaines de grèves caution, les cinq hommes ont comparu massives et de manifestations à la suite de devant le tribunal de première instance de l’intervention brutale des forces de sécurité Ramallah le 8 septembre pour détention palestiniennes, qui ont érigé des barrages illégale d’armes, entre autres chefs routiers autour de Ramallah pour empêcher d’inculpation. La procédure à leur encontre des professeurs de se joindre aux était en cours à la fin de l’année. manifestations. Vingt-deux enseignants ont Ahmad Izzat Halaweh est mort le 23 août été arrêtés et remis en liberté sans dans la prison de Jeneid, à Naplouse, peu inculpation. Le harcèlement des enseignants après son interpellation. Un porte-parole du continuait à la fin de l’année et visait ceux qui gouvernement d’unité nationale a déclaré avaient formé un nouveau syndicat. que cet homme avait été passé à tabac par des agents des services de sécurité avant sa HOMICIDES ILLÉGAUX mort. Les autorités ont ouvert une enquête En Cisjordanie, les forces de sécurité ont tué sous la direction du ministère de la Justice ; au moins trois hommes et blessé d’autres

Amnesty International — Rapport 2016/17 351 personnes dans le cadre de leurs activités de maintien de l’ordre. PEINE DE MORT Le 7 juin, Adel Nasser Jaradat a été abattu La peine de mort restait en vigueur pour les par les forces de sécurité de Cisjordanie à meurtres et d’autres crimes. Les tribunaux de Silet al Harethiya, un village situé au nord- Cisjordanie n’ont prononcé aucune ouest de Jénine. Les responsables de cet condamnation à mort au cours de l’année. homicide n’ont pas été amenés à rendre En mai, des membres de Changement et compte de leurs actes. réforme, le groupe parlementaire du Hamas, Le 19 août à Naplouse, les forces de ont ouvert la voie permettant aux autorités de sécurité ont tué Fares Halawa et Khaled al Gaza d’exécuter des prisonniers dont la Aghbar dans des circonstances peu claires. sentence capitale n’avait pas été ratifiée par Bien que les autorités locales aient affirmé le président palestinien, en violation de la Loi qu’ils avaient trouvé la mort au cours fondamentale palestinienne de 2003 et du d’affrontements, des témoins ont déclaré Code de procédure pénale de 2001. qu’ils étaient vivants et n’étaient pas armés au moment de leur interpellation. L’enquête ouverte sur ces homicides n’était pas terminée à la fin de l’année. PAPOUASIE- À Gaza, les brigades Ezzedine al Qassam, branche armée du Hamas, ont exécuté NOUVELLE-GUINÉE sommairement le 7 février Mahmoud Rushdi Ishteiwi, un de leurs membres, après avoir État indépendant de Papouasie-Nouvelle-Guinée Chef de l’État : Elizabeth II, représentée par Michael annoncé que leurs « autorités militaires et Ogio judiciaires » l’avaient déclaré coupable Chef du gouvernement : Peter Charles Paire O’Neill d’« excès comportementaux et transgressions morales ». La famille de cet homme a indiqué qu’il était détenu au secret par les Les autorités n’ont pas fait le nécessaire brigades depuis le 21 janvier 2015. Le pour empêcher les nombreuses violences gouvernement de facto du Hamas à Gaza n’a contre les enfants, les femmes, les pris aucune mesure pour diligenter une travailleurs et travailleuses du sexe, les enquête ni pour traduire en justice les demandeurs d’asile et les réfugiés. Les responsables de cet homicide. affaires de violence faisaient rarement l’objet d’enquêtes. Certaines pratiques DROITS DES FEMMES ET DES FILLES culturelles, notamment la polygamie, Les femmes et les filles continuaient de faire continuaient de porter atteinte aux droits l’objet de discriminations dans la législation des femmes. La protection contre la torture et dans la pratique. Elles n’étaient pas et les autres formes de mauvais traitements suffisamment protégées contre les violences, était toujours insuffisante. La police a sexuelles et autres, notamment les crimes continué de faire usage d’une force d’« honneur ». Plusieurs cas de femmes et excessive contre des manifestants. La de filles assassinées pour des questions pauvreté était toujours endémique, d’« honneur » par des proches de sexe particulièrement dans les zones rurales, en masculin ont été signalés. dépit de la richesse économique générée Le procureur général a émis en février une par l’industrie minière. La peine de mort directive instituant une unité spécialisée au était maintenue. Aucune exécution n’avait sein du parquet chargée de mener des eu lieu depuis 1954. enquêtes et des poursuites dans les affaires de violences contre les femmes.

352 Amnesty International — Rapport 2016/17 l’éducation et de l’emploi, ainsi qu’au sein de LIBERTÉ D’EXPRESSION ET DE la population en général, forçaient de RÉUNION PACIFIQUE nombreuses femmes, notamment des Les manifestations pacifiques menées femmes transgenres, et des hommes pendant plusieurs semaines par des homosexuels à vendre des services sexuels étudiants de l’Université de Papouasie- pour survivre. Des travailleurs et travailleuses Nouvelle-Guinée contre la corruption du sexe ont été victimes d’atteintes à leurs présumée de membres du gouvernement ont droits fondamentaux aux mains de policiers, pris fin dans la violence le 8 juin, lorsque la notamment de viols, d’agressions physiques, police a ouvert le feu sur des manifestants d’arrestations et de détentions arbitraires et pacifiques et les a brutalisés. Trente-huit d’autres formes de mauvais traitements. Le personnes ont été blessées et ont reçu des fait que les relations sexuelles entre soins médicaux, dont deux qui avaient été personnes de même sexe et le travail du sexe touchées par des tirs. Des enquêtes ont été soient érigés en infraction a continué de ouvertes par la police, le médiateur et une motiver et d’aggraver les violences et la commission parlementaire, mais leurs discrimination contre les personnes résultats n’avaient pas été dévoilés à la fin homosexuelles et transgenres. Cela a de l’année. également entraîné des discriminations dans le domaine de l’accès à la santé et a entravé VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ET la prévention et le traitement du VIH. AUX FILLES Le gouvernement n’a rien fait pour apporter RÉFUGIÉS ET DEMANDEURS D’ASILE une réponse, en droit ou en pratique, au Au 30 novembre, environ 900 réfugiés et problème généralisé des violences sexuelles demandeurs d’asile, tous des hommes, ou liées au genre. Certaines pratiques étaient maintenus en détention dans deux culturelles restaient permises, notamment la centres de détention gérés par l’Australie sur coutume selon laquelle les femmes mariées l’île de Manus, en Papouasie-Nouvelle- sont obligées de rembourser une « dot » à Guinée (voir Australie). En avril, la Cour leur mari si elles souhaitent s’en séparer, ce suprême a statué que leur détention − qui qui met d’autant plus en danger les femmes durait depuis plus de trois ans − était illégale prises au piège d’un mariage violent. Les et anticonstitutionnelle. Elle a ordonné aux femmes accusées de « sorcellerie » étaient gouvernements d’Australie et de Papouasie- victimes de violences collectives. Nouvelle-Guinée de fermer immédiatement Les services de soutien psychosocial, les ces camps. À la fin de l’année, les deux centres d’accueil pour les femmes et les camps étaient toujours ouverts. autres services destinés à protéger les Des réfugiés et des demandeurs d’asile femmes des violences domestiques étaient ont intenté une action devant un tribunal civil en outre restreints. pour demander la fermeture de ces camps, l’autorisation de retourner en Australie et une DISCRIMINATION – TRAVAILLEURS ET indemnisation pour leur détention illégale. TRAVAILLEUSES DU SEXE Un réfugié soudanais, Faysal Ishak Les travailleurs et travailleuses du sexe Ahmed, est mort le 24 décembre après avoir étaient souvent victimes de violences été transporté par avion depuis l’un des commises par des acteurs étatiques et non centres de détention vers un hôpital étatiques en raison de leur identité de genre, australien à la suite d’une chute et de de leur orientation sexuelle ou de leur convulsions. Des réfugiés de ce centre ont profession, et du fait de la législation érigeant déclaré que son état de santé s’était détérioré en infraction le travail du sexe1. Les inégalités depuis plusieurs mois, mais qu’il n’avait pas et les discriminations liées au genre reçu de soins médicaux appropriés. systémiques dans les domaines de

Amnesty International — Rapport 2016/17 353 Des informations faisaient toujours état de violences contre les réfugiés et les CONTEXTE demandeurs d’asile pour lesquelles les Un nouveau médiateur de la République a responsables étaient rarement amenés à été nommé en octobre ; ce poste était vacant rendre des comptes. En avril, deux depuis sept ans. ressortissants de Papouasie-Nouvelle-Guinée employés dans l’un des centres de détention SURVEILLANCE INTERNATIONALE ont été déclarés coupables du meurtre en En janvier, le bilan du pays en matière de 2014 de Reza Berat, un demandeur d’asile. droits humains a été passé en revue dans le D’autres personnes qui auraient également cadre de l’Examen périodique été impliquées n’ont cependant pas été universel (EPU) des Nations unies. Le poursuivies. Conseil des droits de l’homme [ONU] a En novembre, le gouvernement australien formulé un certain nombre de a annoncé que certains des réfugiés détenus recommandations à l’adresse du à Nauru (voir Nauru) et sur l’île de Manus gouvernement, l’exhortant notamment à allaient être réinstallés aux États-Unis. adopter le projet de loi visant à éliminer toutes les formes de discrimination fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de 1. Outlawed and abused: Criminalizing sex work in Papua New Guinea (ASA 34/4030/2016) genre, à élaborer des instruments juridiques pour prévenir et sanctionner les violences faites aux femmes et aux filles, à renforcer la protection des droits des peuples indigènes, PARAGUAY à protéger le libre exercice de la liberté de la presse et à lutter contre l’impunité pour les République du Paraguay violations des droits humains commises à Chef de l’État et du gouvernement : Horacio Manuel Cartes Jara l’encontre des défenseurs des droits humains et des journalistes. Le Paraguay a accepté toutes les recommandations sauf celles La pauvreté a reculé, mais les enfants et les concernant la dépénalisation de l’avortement. adolescents continuaient d’être les plus En octobre, le Comité pour l’élimination de touchés. Les peuples indigènes étaient la discrimination raciale [ONU] a publié son toujours privés de leur droit à la terre et à rapport et ses observations finales sur les un consentement préalable, donné quatrième, cinquième et sixième rapports librement et en connaissance de cause sur périodiques du pays. Il a notamment les projets les concernant. Les peuples recommandé au Paraguay de prendre des indigènes tout comme les populations afro- mesures d’action positive afin d’éliminer la paraguayennes étaient en butte à la discrimination structurelle à l’encontre des discrimination raciale. Un projet de loi peuples autochtones et des Afro- visant à éliminer toutes les formes de Paraguayens. Il a également pointé du doigt discrimination était en attente d’adoption à la faible protection accordée par l’État pour la fin de l’année. Selon certaines garantir le respect du droit à la consultation informations, des défenseurs des droits préalable et des droits des peuples humains et des journalistes ont été victimes autochtones de disposer de leurs terres, de de persécutions et de violations de leur leurs territoires et de leurs ressources. droit à la liberté d’expression. L’avortement En novembre, la rapporteuse spéciale des était toujours considéré comme une Nations unies sur le droit à l’alimentation infraction pénale, et le taux de grossesse s’est rendue au Paraguay, où elle a rencontré chez les fillettes et les adolescentes des représentants des autorités publiques et demeurait un sujet de préoccupation. de la société civile. Elle devait présenter son rapport sur cette visite en 2017.

354 Amnesty International — Rapport 2016/17 cours entre des Guahorys et des DROITS DES PEUPLES AUTOCHTONES représentants de l’Institut national de En février, la Commission interaméricaine des développement rural et de la terre pour faire droits de l’homme a pris des mesures le point sur les régimes fonciers au sein de la conservatoires en faveur des communautés communauté. ayoreos totobiegosodes qui vivent dans un En septembre, des organisations de isolement volontaire, et appelé le défense des droits humains ont signalé gouvernement à les protéger de ceux qui l’expulsion forcée de la communauté avá- voudraient mettre la main sur leurs terres guaraní de Sauce, en lien avec le barrage ancestrales. Le Comité pour l’élimination de hydroélectrique d’Itaipu. la discrimination raciale a demandé en octobre au Paraguay d’appliquer pleinement JUSTICE ces mesures conservatoires. En juillet, le haut-commissaire des Nations En octobre, la communauté yakye axa unies aux droits de l’homme a exprimé ses n’avait toujours pas pu se réinstaller sur ses préoccupations quant à la condamnation de terres, bien que la Cour interaméricaine des 11 paysans à la suite d’un massacre survenu droits de l’homme ait ordonné au en 2012 à Curuguaty, qui avait fait 17 morts. gouvernement de construire une route Selon certaines informations, le droit des d’accès. Le Comité pour l’élimination de la accusés de bénéficier d’une défense discrimination raciale a demandé au satisfaisante et d’une procédure régulière Paraguay de redoubler d’efforts pour mettre n’aurait pas été respecté en raison véritablement en œuvre la décision de d’irrégularités au cours de la procédure. la Cour. En octobre, à la suite d’une L’affaire concernant l’expropriation des recommandation émise dans le cadre de terres de la communauté sawhoyamaxa était l’EPU, le Sénat a lancé une procédure en vue toujours en cours à la fin de l’année, bien de créer une commission indépendante qu’en juin 2015 la Cour suprême ait rejeté chargée d’enquêter sur le massacre de l’appel formé par une société d’élevage pour Curuguaty et de garantir l’accès à la justice retarder les effets d’une loi visant à restituer pour les victimes et leurs proches. les terres à cette communauté. En octobre, le Comité pour l’élimination de DROITS DES FEMMES ET DES FILLES la discrimination raciale a exhorté le En décembre, la Chambre des députés a Paraguay à prendre des mesures concrètes adopté la Loi 5.777 sur la protection pour résoudre les problèmes de malnutrition exhaustive des femmes contre toutes les infantile et d’accès à la nourriture, à l’eau formes de violence. Le féminicide a été potable et aux services d’assainissement reconnu comme un crime distinct, passible auxquels sont confrontées les communautés d’une peine minimale de 10 ans autochtones et afro-paraguayennes en d’emprisonnement. L’obligation d’imposer zone rurale. une conciliation entre les victimes de violences et leurs agresseurs a été levée. DROITS EN MATIÈRE DE LOGEMENT – Cette loi devait entrer en vigueur au bout EXPULSIONS FORCÉES d’un an. En septembre, des membres du Sénat ont Le taux élevé de grossesse chez les déposé une plainte auprès du procureur enfants et les jeunes adolescentes était général contre l’expulsion forcée de préoccupant. D’après les chiffres publiés en 200 familles de la communauté paysanne octobre par le Centre de documentation et guahory et le refus du gouvernement d’études, entre 500 et 700 filles âgées de d’enquêter sur cette affaire. Une autre 10 à 14 ans tombaient enceintes chaque expulsion a eu lieu en décembre dans cette année. Des préoccupations similaires ont été communauté, alors qu’un dialogue était en exprimées par le FNUAP dans un rapport sur

Amnesty International — Rapport 2016/17 355 la jeunesse paraguayenne, selon lequel le nombre de grossesses dans cette tranche PAYS-BAS d’âge avait augmenté de 62,6 % au cours des 10 dernières années. Les violences faites Royaume des Pays-Bas aux femmes, l’exclusion sociale et la culture Chef de l’État : Willem-Alexander machiste ont été mentionnées comme les Chef du gouvernement : Mark Rutte principales causes de cette hausse. De nombreux migrants en situation LIBERTÉ D’EXPRESSION irrégulière continuaient d’être privés de En novembre, un projet de loi a été présenté liberté et le gouvernement n’avait toujours en vue d’instaurer des mécanismes de pas réfléchi convenablement à des protection pour les journalistes, les alternatives à la détention. Le profilage professionnels des médias et les défenseurs ethnique par la police restait des droits humains. Cette demande de particulièrement préoccupant. protection renforcée a notamment été motivée par le fait qu’aucune enquête ni DROITS DES RÉFUGIÉS ET DES poursuite n’avait été menée sur les MIGRANTS homicides de 17 journalistes survenus Après l’incendie d’un établissement depuis 1991. pénitentiaire à Rotterdam le 25 mai, plusieurs migrants ont été placés à DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS l’isolement à titre de sanction pour « trouble L’avocate et défenseure des droits humains à l’ordre public » pendant l’évacuation. Julia Cabello Alonso a été prévenue qu’elle Un projet de loi sur la détention des serait radiée du barreau du Paraguay et migrants a été mis à l’ordre du jour du empêchée d’exercer au motif qu’elle n’aurait Parlement en octobre. Il prévoyait quelques pas respecté l’éthique professionnelle en améliorations mais n’apportait pas de défendant des peuples autochtones qui réponse aux principales préoccupations, réclamaient la restitution de leurs terres. puisque les migrants en situation irrégulière Dans son rapport publié en octobre, le pouvaient être privés de liberté pour de Comité pour l’élimination de la discrimination nombreux motifs. Le caractère punitif du raciale a recommandé au Paraguay de régime de détention était par ailleurs prendre des mesures pour renforcer la maintenu et le projet de loi permettait de protection des défenseurs des droits maintenir des migrants dans une cellule humains, notamment des responsables pendant au moins 16 heures par jour. indigènes et des personnes qui défendent les droits des peuples autochtones, contre les DROIT À UN NIVEAU DE VIE SUFFISANT intimidations, les menaces et les actes Les autorités n’étaient toujours pas disposées arbitraires de la part de représentants des à appliquer la recommandation du Comité pouvoirs publics. européen des droits sociaux [Conseil de De même, le Conseil des droits de l’Europe] selon laquelle toutes les personnes, l’homme a recommandé au Paraguay de y compris les migrants en situation combattre l’impunité pour toutes les irrégulière, devraient avoir accès sans violations commises contre des défenseurs conditions à un logement et aux produits de des droits humains, y compris les homicides, première nécessité. ainsi que d’enquêter sur les allégations de pratiques abusives de la part des forces de DISCRIMINATION l’ordre visant des indigènes, et de poursuivre Profilage ethnique par la police les responsables de ces actes. Le profilage ethnique pratiqué par la police continuait de susciter une vive inquiétude. Bien que les autorités aient reconnu ses

356 Amnesty International — Rapport 2016/17 conséquences préjudiciables, elles n’ont pas légitimerait les vastes pouvoirs de élaboré de plan global pour une mise en surveillance des Services de renseignement œuvre correcte et efficace des pouvoirs et de sécurité, qui pourraient entraîner des d’interpellation et de fouille. La police a violations du droit au respect de la vie privée, persisté dans son refus de contrôler et du droit à la liberté d’expression et du droit à d’enregistrer systématiquement les la non-discrimination. Il est assorti de opérations d’interpellation et de fouille. Il était garanties insuffisantes contre les abus de par conséquent difficile d’évaluer si les pouvoir des Services de renseignement et de mesures de lutte contre le profilage ethnique, sécurité. En outre, il y a fort à craindre que comme la formation, la gestion de la diversité certaines communications soient partagées et le dialogue avec les communautés, étaient avec d’autres pays, dans lesquels ces efficaces pour réduire la discrimination. informations pourraient servir à commettre des violations des droits humains. Interdiction partielle de dissimuler son visage Un projet de loi interdisant de porter des DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS tenues qui dissimulent le visage dans Depuis février, Nada Kiswanson, une avocate certains lieux, comme les transports publics spécialiste des droits humains basée à et les établissements publics d’enseignement La Haye qui représente l’ONG palestinienne ou de santé, a été adopté en novembre par la Al Haq, fait l’objet de menaces incessantes chambre basse du Parlement mais devait liées à son travail à la Cour pénale encore être examiné par le Sénat. Une telle internationale. Elle a été menacée de mort à interdiction restreindrait les droits aux libertés plusieurs reprises, a subi des intrusions dans de religion et d’expression, en particulier ses communications et a été victime pour les musulmanes. d’intimidation, de harcèlement et de diffamation. Il a fallu attendre le mois d’avril LUTTE CONTRE LE TERRORISME ET pour que les autorités néerlandaises adoptent SÉCURITÉ des mesures spécifiques pour la protéger et En mai, la chambre basse du Parlement a ouvrent une enquête. adopté deux projets de loi controversés sur des mesures administratives de lutte contre le terrorisme. Ces deux textes devraient être examinés par le Sénat début 2017. S’ils PÉROU étaient définitivement adoptés, ils République du Pérou permettraient au ministre de la Sécurité et de Chef de l’État et du gouvernement : Pedro Pablo la Justice d’imposer à des personnes un Kuczynski Godard (a remplacé Ollanta Moisés Humala contrôle administratif, notamment à travers Tasso en juillet) des interdictions de déplacement, sur la base d’éléments indiquant que ces personnes Cette année a vu une augmentation pourraient représenter un futur risque marquée des violences contre les groupes terroriste. Ces deux textes auraient aussi pour marginalisés, en particulier les femmes et effet de déchoir de la nationalité néerlandaise les filles, les populations indigènes ainsi les binationaux qui ont quitté le pays pour que les personnes LGBTI. Ces groupes rejoindre un groupe terroriste étranger et qui n’étaient pas suffisamment protégés. Le sont considérés comme une menace pour la gouvernement a ratifié le Traité sur le sécurité nationale. Les procédures de recours commerce des armes. contre ces mesures ne présentaient pas suffisamment de garanties effectives. CONTEXTE En octobre, un projet de loi sur les Pedro Pablo Kuczynski Godard a été élu à la Services de renseignement et de sécurité a tête de l’État au second tour de l’élection été présenté au Parlement. S’il était adopté, il présidentielle, en juin.

Amnesty International — Rapport 2016/17 357 Plus de 200 mouvements de protestation indigènes du bassin amazonien. Des sociale ont été enregistrés, dont quelque organisations indigènes des zones touchées 70 % étaient liés à des conflits entre des se sont mises en grève en septembre pour communautés, des entreprises d’extraction et demander au gouvernement de s’attaquer à le gouvernement, au sujet de la propriété, de des problèmes tels que la santé de la l’utilisation et de l’exploitation de ressources population et d’accorder des réparations pour naturelles, ainsi que de la protection de la dégradation de l’environnement. Le l’environnement. gouvernement et les organisations indigènes ont signé un accord sur cette question en DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS décembre. Cette année encore, des défenseurs des Le tribunal pénal de Bagua a acquitté en droits humains ont été harcelés, menacés et septembre 53 personnes indigènes accusées attaqués dans le contexte de protestations notamment de l’homicide de 12 policiers sociales, notamment celles liées à des pendant des affrontements avec les forces de revendications relatives à la terre, au territoire sécurité en 2009. À la fin de l’année, aucun et à l’environnement. La police a eu recours à responsable public n’avait été poursuivi pour une force excessive et injustifiée, y compris à répondre du rôle de l’État dans l’aggravation des armes meurtrières, pour réprimer des du conflit. manifestations. En octobre, Quintino Cereceda est mort après avoir été touché IMPUNITÉ d’une balle dans la tête lorsque la police a Quelques progrès ont été réalisés dans dispersé une manifestation contre un projet l’enquête sur les violations des droits minier à Las Bambas, dans la région humains commises durant le conflit armé d’Apurímac. interne (1980-2000). Máxima Acuña et ses proches ont été La Loi sur la recherche des personnes attaqués et intimidés à deux reprises par des disparues a été promulguée en juin. membres des services de sécurité de Le procès de 11 militaires accusés d’avoir l’entreprise d’exploitation minière Yanacocha, infligé des violences sexuelles à des femmes qui ont détruit leurs cultures. L’entreprise a vivant en milieu rural entre 1984 et 1995 à affirmé qu’elle avait exercé son « droit Manta et Vilca, dans la région de possessoire de défense ». La Commission Huancavelica, s’est ouvert en juillet. interaméricaine des droits de l’homme avait En août, 10 militaires ont été déclarés prononcé en 2014 des mesures coupables de l’exécution extrajudiciaire de conservatoires en faveur de Maxima Acuña, 69 personnes dans le village d’Accomarca, ses proches et 48 militants et paysans de la en 1985. Vingt-trois enfants figuraient parmi région de Cajamarca, afin de garantir leur les victimes. sécurité. En septembre, trois hauts responsables ont été inculpés de la disparition forcée de DROITS DES PEUPLES AUTOCHTONES deux étudiants et d’un professeur qui avaient L’enquête sur la mort de quatre dirigeants de été placés en détention dans les sous-sols du la communauté asháninka de la région siège des services du renseignement militaire d’Ucayali, qui auraient été tués en 2014 par en 1993. des bûcherons opérant illégalement, n’avait En octobre s’est ouvert le procès de pas abouti à la fin de l’année. Ces dirigeants 35 anciens soldats de la marine pour le avaient dénoncé l’exploitation forestière massacre commis à la prison d’El Frontón en illégale continue sur leurs terres. 1986, au cours duquel 133 détenus accusés Au cours de l’année, l’oléoduc Norperuano d’infractions liées au terrorisme avaient été a été à l’origine de 13 déversements exécutés de manière extrajudiciaire. d’hydrocarbures, qui ont contaminé l’eau et les terres appartenant à des populations

358 Amnesty International — Rapport 2016/17 Une proposition de loi en vue de la VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ET reconnaissance du genre des personnes AUX FILLES transgenres a été déposée au Parlement en Les violences infligées aux femmes et aux décembre. filles continuaient. Selon certaines Dans une décision de juillet confirmée en informations, 108 femmes ont été tuées par décembre, le ministère public a classé leur conjoint et 222 femmes et filles ont fait l’enquête visant les responsables présumés l’objet d’une tentative de meurtre. La plupart de la stérilisation forcée, dans les années de ces affaires ne donnaient lieu à aucune 1990, de plus de 2 000 hommes et femmes enquête, ou bien débouchaient sur une indigènes. Seuls cinq membres du personnel condamnation à une peine médical faisaient encore l’objet d’une d’emprisonnement avec sursis. enquête pour leur rôle dans ces actes. Le recensement des victimes de Traite à des fins d’exploitation sexuelle stérilisation forcée a commencé dans cinq Les femmes représentaient 80 % des régions du pays. À la fin de l’année, plus de victimes de la traite des êtres humains ; 2 000 victimes avaient été recensées. 56 % des victimes avaient moins de 18 ans En août, un tribunal de première instance et la majorité d’entre elles étaient exploitées à de Lima, la capitale, a ordonné au ministère des fins sexuelles dans les régions minières. de la Santé de procéder à la distribution En septembre, la chambre pénale gratuite de contraceptifs oraux d’urgence. permanente de la Cour suprême a validé un L’avortement restait une infraction dans acquittement dans une affaire de traite des presque tous les cas, ce qui poussait les êtres humains concernant une adolescente femmes à avoir recours à des avortements de 15 ans. Le tribunal a affirmé que le fait de clandestins dans des conditions travailler plus de 13 heures par jour en tant dangereuses. En octobre, plusieurs qu’« escort-girl » dans un bar d’une parlementaires ont déposé une proposition exploitation minière illégale ne s’apparentait de loi au Congrès en vue de la dépénalisation pas à de l’exploitation par le travail ou à de de l’avortement dans les cas de violences l’exploitation sexuelle, car « le travail sexuelles. n’épuisait pas la travailleuse ». DROITS SEXUELS ET REPRODUCTIFS Le taux de grossesse chez les adolescentes a PHILIPPINES augmenté. Dans certaines régions de République des Philippines l’Amazonie, il atteignait 32,8 % des femmes Chef de l’État et du gouvernement : Rodrigo Roa et des filles âgées de 15 à 19 ans ; 60 % des Duterte (a remplacé Benigno S. Aquino III en juin) grossesses chez les filles âgées de 12 à 16 ans étaient le résultat d’un viol. Le gouvernement a lancé une campagne Des ONG ont enregistré huit meurtres et antidrogue dans le cadre de laquelle plus 43 cas de « danger pour la sécurité de 6 000 personnes ont été tuées. Des personnelle » (cas de menaces ou d’actes défenseurs des droits humains et des d’intimidation) concernant des personnes journalistes ont également été pris pour lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres ou cible et tués par des tireurs non identifiés intersexuées. Une réforme du Code pénal qui et des membres de milices armées. La aurait érigé en infraction la discrimination et police continuait de recourir à une force les agressions motivées par l’orientation injustifiée et excessive. La justice a rendu sexuelle ou l’identité de genre n’a pas été une décision importante, condamnant pour adoptée, du fait du changement de la première fois un policier pour torture au gouvernement et de Congrès. titre de la Loi de 2009 contre la torture.

Amnesty International — Rapport 2016/17 359 ouverte par le Bureau national d’enquête, qui CONTEXTE a recommandé que des poursuites soient En septembre, les Philippines ont accepté engagées contre les policiers présumés d’assumer la présidence de l’Association des responsables de la mort du maire. Le nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) président s’est engagé à protéger la police. en 2017. La « guerre contre la drogue » a poussé au Des manifestations ont eu lieu en moins 800 000 personnes à « se rendre » novembre, après que la dépouille de l’ancien aux autorités, de peur d’être prises pour cible président Ferdinand Marcos, dont la période car on les soupçonnaient d'implication dans au pouvoir a été marquée par des violations des affaires de stupéfiants, ce qui a exacerbé généralisées des droits humains, eut été le problème déjà critique de la surpopulation déplacée pour être enterrée au cimetière des en milieu carcéral. héros. Cette décision avait été soutenue par Les journalistes étaient toujours menacés, le président Rodrigo Roa Duterte. Les et au moins trois d’entre eux ont été tués Philippines ont fait l’objet d’un examen par dans l’exercice dans leurs fonctions. Alex trois comités des Nations unies : le Comité Balcoba, un journaliste spécialisé dans les contre la torture, le Comité des droits affaires criminelles travaillant pour le journal économiques, sociaux et culturels et le People’s Brigada, a été tué d’une balle dans Comité pour l’élimination de la discrimination la tête en mai par un homme non identifié à l’égard des femmes. devant le magasin de sa famille, dans le district de Quiapo, à Manille, la capitale. Des HOMICIDES ILLÉGAUX familles de victimes ont marqué le septième En juin, le gouvernement a lancé une anniversaire du massacre de Maguindanao, campagne de lutte contre la drogue qui a au cours duquel 32 journalistes et 26 autres entraîné dans tout le pays une vague personnes avaient été tués. À la fin de d’homicides illégaux, dont beaucoup l’année, personne n’avait été amené à rendre s’apparentaient à des exécutions de comptes pour ces faits. extrajudiciaires1. Ces homicides ont été commis après l’élection à la tête du pays de TORTURE ET AUTRES MAUVAIS Rodrigo Roa Duterte, qui a cautionné, TRAITEMENTS publiquement et à de nombreuses reprises, De nouveaux cas de torture et d’autres le fait d’arrêter et de tuer les personnes mauvais traitements en garde à vue ont été soupçonnées de consommer ou de vendre signalés cette année. En mars, le policier de la drogue. Aucun policier ni aucun Jerick Dee Jimenez a été déclaré coupable particulier n’a fait l’objet de poursuites pour de torture sur la personne de Jerryme Corre, les plus de 6 000 morts recensées sur un chauffeur de bus, et condamné à deux l’année. Témoins et familles de victimes ans et un mois d’emprisonnement. Il craignaient de se manifester, redoutant des s’agissait de la première condamnation au représailles. titre de la Loi de 2009 contre la torture. Il semble que la majorité des victimes Cependant, justice n’avait toujours pas été étaient de jeunes hommes, dont certains rendue dans de nombreuses autres affaires2. étaient soupçonnés d’avoir consommé ou L’autopsie d’un père et de son fils, Renato et vendu de petites quantités de J. P. Bertes, menée en juillet par la méthamphétamine. Le maire d’Albuera, Commission philippine des droits humains, a Rolando Espinosa Senior, figurait parmi les fait état de marques de torture. Les deux victimes. Emprisonné, il a été abattu dans sa hommes avaient été abattus en garde à vue. cellule alors qu’on lui présentait un mandat Une proposition de loi visant à mettre en de perquisition. Rodrigo Duterte l’avait place un mécanisme national de prévention publiquement qualifié de trafiquant de de la torture est restée au point mort durant drogue de premier plan. Une enquête a été l’année. En mai, le Comité contre la torture

360 Amnesty International — Rapport 2016/17 [ONU] a fait part de ses inquiétudes quant le faible nombre d’enquêtes, de poursuites et aux actes de torture commis par la police et a de condamnations en lien avec ces instamment demandé aux Philippines de violences. fermer tous les lieux de détention secrète où les détenus, y compris des enfants, étaient PEINE DE MORT victimes d’actes de torture et d’autres En juillet, des parlementaires issus du parti mauvais traitements. au pouvoir ont présenté des propositions de loi visant à rétablir la peine de mort pour un RECOURS EXCESSIF À LA FORCE large éventail d’infractions. Si ces La police a continué de faire usage d’une propositions venaient à être adoptées, ce force injustifiée et excessive. En avril, elle a châtiment, qui avait été aboli en 2006, eu recours à la force, y compris à des armes pourrait s’appliquer à des infractions telles à feu, pour disperser plus de que le viol, l’incendie volontaire, le trafic de 5 000 agriculteurs qui avaient mis en place stupéfiants et la détention de petites un barrage sur une route nationale, dans la quantités de drogue. Les textes ont suscité ville de Kidapawan, lors d’une manifestation l’indignation d’organisations de défense des pour réclamer des sacs de riz promis comme droits humains, qui ont dénoncé le fait que aide alimentaire. Au moins deux personnes de telles lois bafoueraient le droit sont mortes au cours de ces événements et international relatif aux droits humains et des dizaines d’autres ont été blessées3. En souligné qu'elles n’auraient pas d’effet juillet, la Commission philippine des droits dissuasif4. Ces textes prévoyaient également humains a publié un rapport indiquant que la de ramener l’âge de la responsabilité pénale police avait eu recours à une force excessive à neuf ans. et injustifiée pendant ces événements. Cependant, aucun policier n’avait été EXACTIONS PERPÉTRÉES PAR DES poursuivi pour ces faits à la fin de l’année. GROUPES ARMÉS La police a violemment réprimé un Des milices armées ont continué de bafouer rassemblement qui s’est tenu en octobre, à le droit international humanitaire et le droit l’initiative d’organisations de défense des international relatif aux droits humains. Plus peuples autochtones, devant l’ambassade d’un an après le meurtre, en 2015, de trois des États-Unis. Les manifestants dirigeants de la population indigène lumad à demandaient que cessent la militarisation de Lianga, dans la province de Surigao del Sur, terres ancestrales et l’empiétement sur ces les responsables présumés n’avaient pas été terres. En novembre, au moins deux poursuivis, et plus de 2 000 personnes personnes ont été blessées lorsqu’un fourgon déplacées n’avaient pas pu rentrer chez de police a renversé des manifestants elles. Jimmy P. Sayman, qui militait contre les rassemblés devant l’ambassade des États- activités minières, est mort en octobre des Unis à Manille. suites d’une blessure par balle à la tête qu’il avait reçue la veille, lors d’une attaque DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS menée par des hommes armés non identifiés La militante écologiste Gloria Capitan a été dans la ville de Montevista, sur l’île de tuée en juillet par deux hommes armés à Mindanao. Des organisations locales de Mariveles, dans la province de Bataan. Elle défense des droits humains ont affirmé que faisait partie des personnes opposées à un des paramilitaires étaient responsables de projet de mine de charbon dans sa région. cette attaque. En octobre, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels [ONU] DROIT À UN NIVEAU DE VIE SUFFISANT, s’est dit préoccupé par le harcèlement, les À L’ÉDUCATION ET À LA JUSTICE disparitions forcées et les homicides de Le Comité des droits économiques, sociaux défenseurs des droits humains, ainsi que par et culturels a condamné le fait que

Amnesty International — Rapport 2016/17 361 seulement 13 % de la population active Pologne a répondu qu’elle n’appliquerait pas bénéficiait du salaire minimum, et a dénoncé les recommandations, « basées sur des l’absence de salaire minimum dans plusieurs postulats erronés ». secteurs. Les juges élus par le précédent Parlement n’ont pas été nommés et le Premier ministre a refusé la publication de plusieurs arrêts du 1. Philippines. Les 100 jours de carnage du président Rodrigo Duterte (nouvelle, 7 octobre) Tribunal constitutionnel. En juillet, une 2. Philippines. Après une action menée par Amnesty, la justice modification de la Loi sur le Tribunal philippine a rendu une décision cruciale sur le recours de la police à constitutionnel a instauré une obligation la torture (nouvelle, 1er avril) d’examiner les affaires dans l’ordre de leur 3. Philippines. Les policiers qui ont fait usage d’une force excessive enregistrement, ce qui prive le Tribunal de sa contre des manifestants doivent rendre des comptes compétence de fixer les priorités concernant (ASA 35/3800/2016) les dossiers. 4. Philippines. Les parlementaires doivent s’opposer de toute urgence En novembre, le Comité des droits de aux initiatives prises pour rétablir la peine capitale (ASA 35/5222/2016) l’homme [ONU] a publié ses observations finales sur la Pologne, recommandant entre autres que l’État garantisse le respect et la protection de l’intégrité et de l’indépendance POLOGNE du Tribunal et de ses juges et qu’il veille à l’exécution et à la publication de tous les République de Pologne arrêts du Tribunal1. Chef de l’État : Andrzej Duda Chef du gouvernement : Beata Szydło À la suite de l’adoption de trois lois relatives au Tribunal constitutionnel et de la nomination d’un nouveau président à la tête Le gouvernement a entrepris de vastes de celui-ci, la Commission européenne a réformes législatives, qui portaient en exprimé de nouvelles inquiétudes et émis particulier sur le Tribunal constitutionnel. une recommandation complémentaire en Pas moins de 214 modifications législatives décembre. Elle a donné deux mois à la et textes de loi ont été adoptés depuis Pologne pour remédier à la menace l’arrivée au pouvoir du parti Droit et Justice systémique envers l’état de droit dans en octobre 2015. L’empressement à mener le pays. les réformes et la consultation insuffisante de la société civile ont suscité de SYSTÈME JUDICIAIRE nombreuses critiques. En vertu de la nouvelle Loi sur le parquet adoptée en janvier, les fonctions de ÉVOLUTIONS LÉGISLATIVES, procureur général et de ministre de la Justice CONSTITUTIONNELLES OU ont été fusionnées, et les compétences du INSTITUTIONNELLES procureur général étendues. Ces réformes Plusieurs modifications apportées à la Loi sur ont eu de lourdes conséquences sur le droit le Tribunal constitutionnel ont aggravé la crise à un procès équitable et sur l’indépendance constitutionnelle qui a éclaté en 2015 ; elles de la justice2. ont été jugées totalement ou partiellement En juin, le président Duda a refusé de inconstitutionnelles au regard du règlement nommer neuf juges que le Conseil national du Tribunal en mars et en août. de la magistrature proposait de promouvoir à En janvier, la Commission européenne a des juridictions supérieures, et un autre juge engagé pour la première fois un dialogue que le Conseil recommandait pour un poste. structuré avec la Pologne au titre du cadre La décision du chef de l’État n’a pas été pour l’état de droit, lui accordant jusqu’au motivée. 27 octobre 2016 pour présenter les mesures adoptées en vue de remédier à la crise. La

362 Amnesty International — Rapport 2016/17 communications des avocats n’était pas LUTTE CONTRE LE TERRORISME ET interdite3. SÉCURITÉ Le Comité des droits de l’homme [ONU] a Une nouvelle loi de lutte contre le terrorisme recommandé notamment que la Pologne a été adoptée en juin dans le cadre d’une veille à ce que le Code pénal définisse les procédure accélérée. Elle a consolidé les infractions liées au terrorisme en termes vastes pouvoirs conférés à l’Agence de d’intention et qu’il donne une définition sécurité intérieure, dont les décisions ne précise de leur nature et du terme « incident peuvent être soumises à un mécanisme de terroriste ». contrôle indépendant pour empêcher les L’information judiciaire ouverte sur la abus et garantir la transparence. coopération de l’État avec la CIA et l’accueil Les infractions et « incidents » liés au d’un site de détention secrète sur son sol terrorisme avaient une définition très large était toujours en cours. Les arrêts rendus par dans la législation et la réglementation. Les la Cour européenne des droits de l’homme étrangers étaient particulièrement visés dans en 2015 dans les affaires Al Nashiri et Abu la nouvelle loi, qui autorisait leur surveillance Zubaydah n’avaient pas été pleinement secrète, y compris par des écoutes et un exécutés. contrôle des communications électroniques et des réseaux ou dispositifs de LIBERTÉ D’EXPRESSION – télécommunications, en dehors de tout cadre JOURNALISTES judiciaire pendant trois mois. Au-delà de ce Le Conseil national des médias est devenu délai, la surveillance pouvait être prolongée effectif en juillet ; il nomme et révoque les sur décision de justice. Ces mesures instances de gestion et de surveillance des pouvaient être employées en cas de médias de service public. Sa composition et « crainte », plutôt que de soupçon ses règles de vote permettaient au parti au raisonnable, que la personne soit impliquée pouvoir de contrôler ses décisions. dans des activités liées au terrorisme. La Loi Le contrôle effectif exercé par le relative à la lutte contre le terrorisme gouvernement sur les médias publics et les prévoyait d’autres dispositions, comme la restrictions qui en découlaient pour la liberté recevabilité de preuves obtenues de la presse ont fait chuter la Pologne dans le illégalement, l’allongement à 14 jours de la classement mondial 2016 de la liberté de la durée maximale de la garde à vue et la presse de la 18e à la 47e place sur 180 pays. suppression de certaines garanties Selon des éléments recueillis par la Société concernant le recours licite à la force létale de journalistes, 216 journalistes et dans le cadre des opérations antiterroristes. personnels administratifs qui travaillaient Au titre de la Loi modifiée sur la police, les pour des médias publics ont été licenciés, pouvoirs de surveillance ont été étendus pour contraints de démissionner ou mutés à des habiliter les tribunaux à autoriser la postes moins influents durant l’année. En surveillance secrète pendant trois mois décembre, une proposition du président de (durée pouvant être portée à un maximum de la Diète (chambre basse du Parlement) en 18 mois) sur la base d’une longue liste vue de restreindre sévèrement l’accès des d’infractions et sans obligation d’examiner la journalistes au Parlement a déclenché des proportionnalité de la mesure. Les protestations massives et fait éclater une modifications autorisaient également la police crise parlementaire. Des députés de à avoir directement accès aux métadonnées l’opposition ont « occupé » la tribune. sans passer par un juge. La confidentialité des informations couvertes par le secret LIBERTÉ DE RÉUNION professionnel, dont jouissent par exemple les Malgré les avis défavorables du commissaire avocats pénalistes, était également polonais aux droits humains et de la Cour compromise car la surveillance des suprême, et les critiques vigoureuses de près

Amnesty International — Rapport 2016/17 363 de 200 ONG, le Parlement a adopté, en une commission parlementaire à la fin décembre, une modification restrictive de la de l’année. Loi relative aux rassemblements. Le président À la suite de manifestations massives et n’a pas promulgué le texte et a saisi le d’une grève générale des femmes le Tribunal constitutionnel. 3 octobre, le Parlement a rejeté une proposition de loi voulant instaurer une DISCRIMINATION interdiction quasi totale de l’avortement, mais Il subsistait de graves lacunes dans la loi en aussi la criminalisation des femmes et des matière de discrimination et de crimes de jeunes filles ayant eu recours à l’avortement haine liés à l’âge, au handicap, au genre, à et de toute personne les aidant ou les l’identité et à l’expression de genre, à encourageant à avorter4. l’orientation sexuelle et à la situation sociale ou économique. Le Conseil pour la 1. Poland: Submission to the United Nations Human Rights Committee. prévention de la discrimination raciale, de la 118th session, 17Oct - 04 Nov 2016 (EUR 37/4849/2016) xénophobie et de l’intolérance qui y est 2. Poland: Dismantling rule of law? Amnesty International submission associée a été supprimé en avril. for the UN Universal Periodic Review – 27th session of the UPR working group, April/May 2017 (EUR 37/5069/2016) DROITS DES RÉFUGIÉS ET DES 3. Pologne. La nouvelle loi sur la surveillance porte gravement atteinte MIGRANTS aux droits humains (EUR 37/3357/2016) La Pologne n’acceptait pas d’accueillir des 4. Pologne. Les femmes obtiennent un revirement historique concernant réfugiés dans le cadre du quota obligatoire la proposition de loi visant à interdire l’avortement (nouvelle, 6 octobre) ; Un recul dangereux pour les femmes et les jeunes filles de relocalisation depuis les autres États en Pologne (nouvelle, 19 septembre) membres de l’UE. Cette année encore, les autorités ont fait un usage disproportionné de la détention à l’encontre des migrants et des demandeurs d’asile. PORTO RICO Des organisations de la société civile ont Commonwealth de Porto Rico dénoncé l’existence d'obstacles dans l’accès Chef de l’État : Barack Obama à la procédure d’asile, citant notamment de Chef du gouvernement : Alejandro García Padilla nombreux cas où des personnes étaient dans l’incapacité de demander une protection internationale au poste-frontière de Brest/ Des progrès ont été réalisés en matière Terespol, qui sépare le Bélarus et la Pologne. d’égalité et de justice concernant les droits En juin, la Cour européenne des droits de fondamentaux des personnes LGBTI. l’homme a communiqué au gouvernement Cependant, ces personnes étaient toujours les affaires A.B. c. Pologne et T.K. et S.B. en butte à des discriminations en ce qui c. Pologne. Ces dossiers concernaient une concerne leur santé et leur bien-être. Les famille de trois ressortissants russes qui effets de la réforme de la police avaient vainement tenté à quatre reprises de demeuraient limités et des cas de recours à pénétrer sur le territoire polonais à la frontière une force excessive ont été signalés. La Brest/Terespol pour déposer une demande nouvelle Loi fédérale sur la supervision, la d’asile. gestion et la stabilité économique de Porto Rico (loi PROMESA) a suscité de graves DROITS SEXUELS ET REPRODUCTIFS inquiétudes quant à ses éventuelles Les femmes continuaient de faire face à des répercussions sur les droits économiques, difficultés systémiques pour bénéficier d’un sociaux et culturels, en particulier pour les avortement sûr et légal ; un texte d’initiative populations les plus vulnérables. populaire proposant de restreindre encore les possibilités d’accès était en instance devant

364 Amnesty International — Rapport 2016/17 DROIT À UN NIVEAU DE VIE SUFFISANT POLICE ET FORCES DE SÉCURITÉ Dans un rapport présenté à la Commission En 2013, le gouvernement a signé un accord interaméricaine des droits de l’homme en avec le ministère de la Justice des États-Unis avril, des organisations universitaires se sont visant à réformer en profondeur les politiques inquiétées des conséquences des mesures et les pratiques de la police portoricaine. Cet d’austérité fiscale prises par le gouvernement accord a débouché sur l’adoption de sur le niveau de vie des Portoricains. Il était à nouvelles politiques importantes dans des craindre que ces mesures n’aggravent la domaines tels que le contrôle du recours à la pauvreté des groupes vulnérables et force et les relations avec les personnes n’exacerbent l’exclusion, les inégalités et les transgenres. Cependant, des organisations discriminations. de la société civile ont exprimé de sérieux doutes quant à la légitimité de cette réforme DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET en raison du manque de transparence et de DES PERSONNES BISEXUELLES, véritable participation de la société civile au TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES processus. Les mécanismes d’obligation de Bien que des progrès aient récemment été rendre des comptes internes à la police accomplis pour garantir les droits des demeuraient inefficaces, et aucun dispositif personnes LGBTI, des violations des droits de contrôle externe n’avait encore été mis en liés à l’accès aux services de santé ont cette place malgré les demandes répétées de la année encore été signalées, en particulier société civile. pour les personnes transgenres. Les Cette année encore, des organisations de politiques du ministère de la Santé sur la société civile ont signalé des cas l’égalité d’accès aux services de santé n’ont d’utilisation excessive de la force par la pas été modifiées et, bien que le police, de menaces de mort proférées par gouvernement ait autorisé le changement de des policiers à l’encontre de citoyens et de genre à l’état civil, des cas de discrimination recours excessif aux armes à impulsions lors de l’établissement de papiers d’identité électriques, notamment contre des ont été recensés tout au long de l’année. personnes souffrant de troubles mentaux ou À la suite de l’adoption de la Charte 19, qui ne se soumettaient pas aux ordres des une nouvelle politique interne du ministère policiers. de l’Éducation visant à intégrer une perspective de genre au programme scolaire PEINE DE MORT des écoles publiques, des cas de Bien que la peine de mort ait été abolie à discrimination et de harcèlement d’élèves Porto Rico en 1929, elle pouvait toujours être LGBTI ou perçus comme tels ont été imposée au titre de la loi fédérale des États- signalés. Selon certaines informations, des Unis. Aucune condamnation à mort n’a été élèves auraient été suspendus pour avoir prononcée en 2016. porté une tenue ou arboré une coupe de cheveux « ne correspondant pas à leur sexe biologique ». En juillet, le gouvernement fédéral PORTUGAL américain a publié une directive selon République portugaise laquelle les élèves transgenres devaient être Chef de l’État : Marcelo Rebelo de Sousa (a remplacé autorisés à utiliser les toilettes correspondant Aníbal António Cavaco Silva en mars) au genre auquel ils s’identifient. Cette Chef du gouvernement : António Costa directive n’a pas été pleinement appliquée. Certaines mesures d’austérité ont restreint les droits des personnes atteintes d’un handicap. Des informations ont fait état de

Amnesty International — Rapport 2016/17 365 mauvais traitements et de conditions médiocres dans les prisons. Les TORTURE ET AUTRES MAUVAIS discriminations contre les Roms étaient TRAITEMENTS toujours aussi nombreuses. Des cas de recours excessif ou injustifié à la force de la part d’agents de la force publique DISCRIMINATION ont été signalés tout au long de l’année. Le Portugal n’avait toujours pas fait le Selon un rapport publié en octobre par nécessaire pour que les crimes de haine une ONG portugaise, 13 détenus de la prison soient prohibés en droit. Il n’avait pas non de Carregueira (district de Lisbonne) ont été plus créé de système national de collecte de frappés par des gardiens durant l’inspection données sur ce type d’infractions. de leurs cellules. Au moins trois d’entre eux ont dû recevoir des soins à l’hôpital. Les personnes handicapées En avril, le Comité des droits des personnes CONDITIONS CARCÉRALES handicapées [ONU] a demandé au Portugal Comme les années précédentes, les de réviser les mesures d’austérité qui ont conditions carcérales étaient médiocres, voire limité l’accessibilité des services pour les se sont dégradées dans certains personnes atteintes d’un handicap et ont établissements pénitentiaires. Elles étaient réduit nombre d’entre elles à l’indigence ou à caractérisées par un manque d’hygiène, une l’extrême pauvreté. Il s’est également dit nourriture de mauvaise qualité et des préoccupé par les coupes budgétaires difficultés d’accès aux soins médicaux et aux affectant l’accès des enfants handicapés à médicaments. un enseignement inclusif et l’aide fournie à leurs familles. Ces mesures avaient des effets DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET particulièrement négatifs sur les femmes qui, DES PERSONNES BISEXUELLES, dans la plupart des cas, s’occupaient TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES d’enfants en situation de handicap. En février, le Parlement a confirmé une loi autorisant l’adoption d’enfants par les Les Roms couples de même sexe, passant ainsi outre En juin, la Commission européenne contre le au veto présidentiel à ce texte, initialement racisme et l’intolérance a indiqué que le adopté en novembre 2015. La nouvelle loi est Portugal n’avait pas pleinement mis en entrée en vigueur en mars. œuvre les mesures qu’elle avait recommandées en 2013 pour combattre le DROITS DES RÉFUGIÉS ET DES racisme et la discrimination à l’égard des MIGRANTS Roms, en particulier celles concernant la Trente-neuf réfugiés qui avaient été collecte de données et la simplification des sélectionnés aux fins de réinstallation au procédures de signalement des actes de Portugal entre 2014 et 2016 étaient arrivés discrimination auprès du Haut-Commissaire dans le pays fin 2015. Le gouvernement s’est pour les migrations. engagé à réinstaller plus de 260 réfugiés en 2016-2017. DROIT À LA SANTÉ À la fin de l’année, seuls 781 des L’Observatoire portugais des systèmes de 1 742 demandeurs d’asile que le Portugal santé a fait état en juin de la persistance des s’était engagé à accueillir avaient été inégalités d’accès aux soins de santé, en transférés depuis la Grèce et l’Italie au titre particulier pour les personnes les plus du mécanisme de relocalisation de l’UE. marginalisées. En octobre, la municipalité d’Amadora a expulsé de force au moins quatre familles migrantes sans les avoir au préalable dûment

366 Amnesty International — Rapport 2016/17 consultées ni leur avoir proposé de solution condamnations à mort ; aucune exécution satisfaisante de relogement. n’a été signalée. DROITS SEXUELS ET REPRODUCTIFS CONTEXTE Le Parlement a approuvé en février des Le Qatar est resté membre de la coalition modifications législatives concernant l’accès internationale, dirigée par l’Arabie saoudite, aux services de santé sexuelle et qui participait au conflit armé au Yémen reproductive. Le nouveau texte voté n’impose (voir Yémen). plus de prise en charge psychologique et sociale aux femmes souhaitant se faire LIBERTÉ D’EXPRESSION, avorter. D’ASSOCIATION ET DE RÉUNION En mai, une nouvelle loi a autorisé toutes La liberté d’expression, d’association et de les femmes à recourir à la procréation réunion pacifique restait soumise à des médicalement assistée (PMA), dont la restrictions excessives. Les partis politiques fécondation in vitro, quelles que soient leur indépendants n’étaient pas autorisés et seuls situation matrimoniale et leur orientation les citoyens qatariens pouvaient former des sexuelle. Ce texte a mis fin aux restrictions syndicats ouvriers, sous réserve de remplir limitant la PMA aux femmes mariées ou aux des critères stricts. Les réunions publiques femmes ayant conclu un partenariat civil ne pouvaient avoir lieu que si elles avaient avec un homme. été autorisées et, en l’absence d’autorisation, étaient dispersées. Les lois érigeant en VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ET infraction toute forme d’expression AUX FILLES considérée comme insultante à l’égard de En novembre, le gouvernement a annoncé l’émir ont été maintenues en vigueur. qu’il projetait d’exempter des frais de justice Le poète Mohamed al Ajami, aussi connu les victimes de harcèlement sexuel, de viol, sous le nom d’Ibn Dheeb, prisonnier de mutilations génitales féminines, d’opinion, a été remis en liberté le 15 mars d’esclavage et de la traite. après que l’émir lui eut accordé une grâce Selon des chiffres communiqués par inconditionnelle. Cet homme avait été l’ONG UMAR, fin novembre, 22 femmes condamné en 2012 à une peine de 15 ans avaient été tuées et 23 autres avaient été d’emprisonnement pour avoir rédigé et victimes d’une tentative de meurtre. déclamé des poèmes jugés insultants à l’égard de l’État et de l’émir. L’accès au site d’information indépendant Doha News a été bloqué au Qatar en raison QATAR de « problèmes de licence ». Des articles État du Qatar étaient parus sur le site à propos de sujets Chef de l’État : Tamim bin Hamad bin Khalifa Al Thani sensibles dans le pays, ce qui pourrait avoir Chef du gouvernement : Abdullah bin Nasser bin été à l’origine de ce blocage par les deux Khalifa Al Thani fournisseurs d’accès à internet locaux.

La liberté d’expression, d’association et de TORTURE ET AUTRES MAUVAIS réunion pacifique restait soumise à des TRAITEMENTS restrictions excessives. Un prisonnier Le 2 mai, la Cour de cassation de Doha, la d’opinion a été gracié et remis en liberté. capitale, a confirmé la déclaration de Les travailleurs migrants étaient en butte à culpabilité et la condamnation à une peine l’exploitation et aux mauvais traitements. de 15 ans d’emprisonnement de Ronaldo Les femmes continuaient de subir des Lopez Ulep, ressortissant philippin accusé discriminations dans la législation et dans d’espionnage. Sa déclaration de culpabilité, la pratique. Les tribunaux ont prononcé des prononcée en 2014, était largement fondée

Amnesty International — Rapport 2016/17 367 sur des « aveux » en arabe, une langue qu’il d’évaluer les mesures prises par le ne lit pas. Il a affirmé que des membres des gouvernement pour répondre aux questions forces de sécurité l’avaient forcé à signer ces soulevées dans une plainte liée au respect de « aveux » au moyen d’actes de torture et la Convention sur le travail forcé et de la d’autres mauvais traitements, mais aucune Convention sur l’inspection du travail. Le enquête n’a été menée à ce sujet. Ni la Cour rapport de la délégation a reconnu les actions d’appel, qui avait réduit à 15 ans des autorités qatariennes visant à remédier d’emprisonnement sa peine de réclusion à aux abus dont sont victimes les travailleurs perpétuité, ni la Cour de cassation n’ont migrants, tout en indiquant que de nombreux ordonné d’enquête sur ses allégations de défis restaient à relever. L’organe de torture lorsqu’elles ont confirmé sa gouvernance de l’OIT a choisi de reporter à déclaration de culpabilité. En prison, il n’était mars 2017 sa décision de désigner ou non toujours pas autorisé à voir sa famille. une commission d’enquête sur le Qatar. Le système de protection des salaires, qui DROITS DES TRAVAILLEURS MIGRANTS rend obligatoire leur versement par virement Les travailleurs migrants, qui constituent la bancaire, a été appliqué tout au long de grande majorité de la population du Qatar, l’année. Selon les chiffres fournis par le étaient toujours exploités et maltraités. La loi gouvernement, environ 1,8 million de n° 21 de 2015, entrée en vigueur le travailleurs en bénéficiaient en novembre. 13 décembre 2016, soit plus d’un an après Certains travailleurs migrants employés sur sa promulgation, a remplacé la loi de 2009 des chantiers prestigieux ont été relogés dans sur le parrainage et apporté quelques légères les complexes de Labor City et de Barwa al améliorations, telles que la suppression de Bahara, construits par le gouvernement pour l’interdiction faite aux travailleurs migrants accueillir dans de meilleures conditions et qui quittent le Qatar d’y revenir avant deux dans des installations adaptées jusqu’à ans. Cette loi a toutefois maintenu des 150 000 travailleurs migrants à faible revenu. aspects essentiels de la loi de 2009 qui Une loi de 2010 qui interdisait, de fait, aux favorisent des atteintes graves aux droits travailleurs migrants d’habiter dans les humains, notamment le travail forcé. Aux quartiers résidentiels des villes continuait de termes de la nouvelle loi, les travailleurs limiter l’offre de logements pour ces migrants demeuraient dans l’obligation personnes, ce qui aggravait la surpopulation d’obtenir l’accord de leur employeur pour dans les autres quartiers et condamnait la quitter le Qatar, ce qui constituait une plupart des travailleurs migrants à des violation de leur droit de circuler librement. Si conditions de vie précaires. En avril, selon les les travailleurs n’étaient pas autorisés à partir, données du recensement publiées par le ils pouvaient introduire un recours. Aucune ministère de la Planification du directive officielle n’a toutefois été publiée développement et des Statistiques, quant aux modalités de ces recours. La loi 1,4 million de personnes vivaient dans des autorisait également les employeurs à camps de travail. empêcher les travailleurs migrants de Les employés de maison, essentiellement changer d’emploi pendant une durée des femmes, étaient toujours pouvant aller jusqu’à cinq ans, en fonction particulièrement exposés à l’exploitation et des conditions de leur contrat, et à garder aux mauvais traitements car ils restaient leurs passeports avec leur accord écrit, exclus des mesures de protection prévues entérinant cette pratique que les employeurs par le droit du travail. Une loi pour la qui exploitent les travailleurs migrants protection des droits des employés de utilisaient déjà pour les contrôler. maison, proposée de longue date, n’avait Une mission de haut niveau de toujours pas été adoptée. En juillet, la l’Organisation internationale du travail (OIT) Commission nationale qatarienne des droits s’est rendue au Qatar en mars 2016 afin humains a recommandé l’adoption d’une loi

368 Amnesty International — Rapport 2016/17 visant à protéger les droits fondamentaux des de l’héritage, de la garde des enfants, de la employés de maison migrants et à leur nationalité et du droit de circuler librement. donner accès à la justice pour les mauvais traitements dont ils sont victimes. PEINE DE MORT Face aux preuves de mauvais traitements Les tribunaux ont prononcé de nouvelles subis par des travailleurs migrants présents condamnations à mort et des cours d’appel sur le chantier de rénovation du stade en ont confirmé d’autres. Aucune exécution international Khalifa et de l’Aspire Zone, le n’a été signalée. complexe sportif au sein duquel il est situé et qui doit accueillir la Coupe du monde de football en 2022, le gouvernement a annoncé en avril que le ministère du Développement RÉPUBLIQUE administratif, du Travail et des Affaires sociales allait ouvrir une enquête sur les CENTRAFRICAINE entreprises en cause. Le Comité suprême des réalisations et du patrimoine, instance République centrafricaine Chef de l’État : Faustin-Archange Touadéra (a chargée de superviser tous les chantiers de remplacé Catherine Samba-Panza en mars) la Coupe du monde 2022, a annoncé des Chef du gouvernement : Simplice Sarandji (a remplacé programmes de « rectification » pour les Mahamat Kamoun en avril) employeurs impliqués dans les mauvais traitements et a imposé des restrictions au principal sous-traitant concernant les futurs Le conflit s’est poursuivi entre groupes appels d’offres autour de la Coupe du armés et milices et au sein de ces monde. Des sociétés de fourniture de main- formations, ainsi qu’entre celles-ci et les d’œuvre, dont une ayant recours au travail soldats de la force internationale de forcé, ont reçu l’interdiction de travailler sur maintien de la paix. Il a donné lieu à de des chantiers de la Coupe du monde 2022. graves atteintes aux droits humains, En novembre, le Comité suprême a signé un notamment des crimes de droit accord d’un an avec l’Internationale des international. Les auteurs présumés de ces travailleurs du bâtiment et du bois, un agissements restaient impunis. Plus de syndicat international, pour que soient 434 000 personnes déplacées à l’intérieur menées des inspections conjointes des du pays vivaient dans des conditions très conditions de travail et de logement de difficiles, et au moins 2,3 millions de certains migrants travaillant dans le bâtiment, personnes dépendaient de l’aide et que soient publiées les informations humanitaire. Cette année encore, des relatives à ces inspections. Cet accord était accusations d’atteintes sexuelles ont été limité aux chantiers de la Coupe du monde et portées contre des membres des forces ne concernait pas les projets d’infrastructures internationales de maintien de la paix. connexes, comme les routes, les réseaux ferrés ou les hôtels. CONTEXTE À partir du mois de juin, après une période DROITS DES FEMMES d’accalmie relative, les combats entre Les femmes faisaient toujours l’objet de groupes armés se sont intensifiés, et les discriminations dans la législation et dans la attaques visant des civils se sont multipliées. pratique, et elles n’étaient pas suffisamment Le conflit, qui a débuté en 2013 avec protégées contre les violences au sein de la l’éviction du président François Bozizé, a fait famille. Les lois relatives au statut personnel des milliers de morts. Des groupes armés, en étaient toujours discriminatoires à leur égard particulier les forces de l’ex-Séléka et des dans les domaines du mariage, du divorce, milices anti-balaka, contrôlaient toujours de

Amnesty International — Rapport 2016/17 369 vastes parties du pays, aidés en cela par la humains, notamment d’homicides illégaux, circulation massive des armes légères. d’actes de torture et d’autres mauvais Des élections ont eu lieu pour remplacer le traitements, d’enlèvements, d’agressions gouvernement de transition et un nouveau sexuelles, de pillages et de destructions de gouvernement a été formé le 11 avril. biens, ainsi que d’attaques contre du Dans le cadre de la Mission personnel et des locaux d’organisations multidimensionnelle intégrée des Nations humanitaires. Certaines de ces exactions Unies pour la stabilisation en République constituaient des crimes de droit centrafricaine (MINUSCA), dont le mandat a international. Selon les Nations unies, plus de été renouvelé jusqu’au 15 novembr 2017, 300 agressions visant des agences de quelque 12 870 membres du personnel en secours ont été recensées, et au moins cinq uniforme ont été déployés. Les forces de la travailleurs humanitaires ont été tués. Plus de MINUSCA ont été renforcées à la suite de 500 civils ont également été tués lors de ces critiques portant sur sa capacité à réagir aux violences, selon des ONG internationales. attaques1. Son aptitude à protéger les civils Pour les musulmans vivant dans des restait toutefois limitée en raison de la taille enclaves dans diverses parties du pays, le du pays et de la présence importante de droit de circuler librement continuait d’être groupes armés et de milices. Les forces restreint en raison des risques d’attaque par françaises, déployées dans le cadre de des combattants anti-balaka et leurs l’opération Sangaris, avaient presque achevé sympathisants. leur retrait en octobre. Le 3 septembre, deux civils ont été tués La République centrafricaine a adhéré lors d’affrontements opposant des sans réserve, en octobre, à la Convention combattants de l’ex-Séléka à la population contre la torture et à son Protocole facultatif, locale et aux forces anti-balaka près de la à la Convention internationale pour la ville de Dékoa, dans la préfecture de Kémo. protection de toutes les personnes contre les Ces combattants de l’ex-Séléka avaient disparitions forcées, au Protocole facultatif à échappé trois semaines plus tôt à la la Convention sur l’élimination de toutes les MINUSCA, qui avait arrêté 11 membres de formes de discrimination à l’égard des l’ex-Séléka faisant partie d’un convoi de femmes et au Protocole facultatif au Pacte dirigeants armés de premier plan, parmi international relatif aux droits économiques, lesquels Abdoulaye Hissène et Haroun Gaye, sociaux et culturels [ONU]. Toutefois, les qui étaient parvenus eux aussi à prendre autorités n’ont pas reconnu la compétence la fuite. des organes de suivi de ces traités. Le 10 septembre, dans le sud du pays, Une importante conférence des donateurs 19 civils ont été tués lors de combats entre pour la République centrafricaine s’est tenue les anti-balaka et l’ex-Séléka près de la ville à Bruxelles le 17 novembre. Le plan de de Kouango (préfecture d’Ouaka). Quelque redressement et de consolidation de la paix 3 500 personnes auraient été déplacées et pour 2017-2021 a été présenté aux 13 villages réduits en cendres. donateurs ; il nécessitait 105 millions de Le 16 septembre, à la suite de tensions dollars des États-Unis sur une période de entre l’ex-Séléka et les anti-balaka dans le cinq ans pour soutenir les mesures visant à nord du pays, des combattants de l’ex-Séléka renforcer le système judiciaire du pays et à ont tué six civils dans le village de Ndomété, rendre opérationnel le tribunal spécial. près de la ville de Kaga-Bandoro (préfecture de Nana-Grébizi). EXACTIONS PERPÉTRÉES PAR DES Au moins 11 civils ont été tués et GROUPES ARMÉS ET CRIMES DE DROIT 14 autres blessés dans la capitale, Bangui, INTERNATIONAL entre le 4 et le 8 octobre, lors d’attaques de Des groupes armés et des milices se sont représailles déclenchées par l’assassinat d’un rendus coupables d’atteintes aux droits ancien colonel de l’armée par des membres

370 Amnesty International — Rapport 2016/17 d’une milice basée dans l’enclave Des pays dont des soldats participant à la musulmane du PK5 à Bangui. force de maintien de la paix en République Le 12 octobre, des combattants de l’ex- centrafricaine étaient accusés d’atteintes Séléka ont attaqué et incendié un camp de sexuelles ont aussi pris quelques mesures personnes déplacées à Kaga-Bandoro pour pour garantir l’obligation de rendre des venger la mort d’un des leurs. Cette attaque a comptes, mais les poursuites judiciaires fait au moins 37 morts et 60 blessés parmi restaient rares. Trois soldats de maintien de les civils, et provoqué le déplacement de plus la paix congolais accusés d’atteintes de 20 000 personnes. sexuelles en République centrafricaine ont Le 15 octobre, des membres présumés de comparu en avril devant un tribunal militaire l’ex-Séléka ont attaqué un camp de en République démocratique du personnes déplacées à Ngakobo, dans la Congo (RDC). préfecture d’Ouaka, tuant 11 civils. À Bangui, le 24 octobre, quatre civils ont RÉFUGIÉS ET PERSONNES DÉPLACÉES trouvé la mort et neuf autres ont été blessés Plus de 434 000 personnes étaient toujours lors d’une manifestation contre la MINUSCA déplacées à l’intérieur du pays. Installées menée par des civils infiltrés par des dans des camps de fortune, elles vivaient combattants armés. dans des conditions très difficiles, sans accès Le 27 octobre, des affrontements entre suffisant à la nourriture, à l’eau, aux services l’ex-Séléka et les anti-balaka dans les villages de santé de base et à des installations de Mbriki et de Belima, près de Bambari sanitaires satisfaisantes. Le retour spontané (préfecture d’Ouaka), ont fait 15 morts. d’un petit nombre de personnes déplacées a Fin novembre, les combats entre des provoqué des tensions intercommunautaires factions rivales de l’ex-Séléka à Bria ont fait dans certaines régions, en particulier dans le au moins 15 morts et 75 blessés parmi les sud-ouest du pays. Les retours ont fortement civils. diminué à la suite du regain de violence à Le sud-est du pays a aussi été le théâtre partir de juin. de violences, commises notamment par l’Armée de résistance du Seigneur (LRA), un IMPUNITÉ groupe armé. Des ONG internationales ont Rares étaient les enquêtes et les procès signalé que 103 attaques avaient été visant des membres de groupes armés, de perpétrées par la LRA depuis le début de milices ou des forces de sécurité soupçonnés l’année et que celles-ci avaient fait au moins d’avoir commis des atteintes aux droits 18 victimes parmi la population civile et humains et des crimes de droit international. donné lieu à au moins 497 enlèvements. Certains suspects semblaient jouer un rôle dans la persistance de la violence armée, des VIOLATIONS COMMISES PAR LES atteintes aux droits humains et des crimes de FORCES DE MAINTIEN DE LA PAIX droit international dans le pays, et quelques- Cette année encore, des civils ont dénoncé uns occupaient des postes de pouvoir. C’était des atteintes sexuelles commises par des le cas notamment de Haroun Gaye, dirigeant soldats de la force internationale. À la suite bien connu de l’ex-Séléka sous le coup d’un du rapport rendu par un groupe d’experts mandat d’arrêt international et de sanctions indépendants en décembre 2015 et de la de l’ONU, qui a reconnu avoir organisé visite en avril de la coordonnatrice spéciale l’enlèvement de six policiers à Bangui le pour l’amélioration de la réponse des Nations 16 juin, ainsi que d’Alfred Yekatom (« colonel Unies à l’exploitation et aux abus sexuels, la Rambo »), commandant redouté des anti- MINUSCA a adopté des mesures visant à balaka, qui figurait également sur la liste des renforcer la surveillance, le signalement et sanctions de l’ONU et siégeait à l’Assemblée l’obligation de rendre des comptes pour ce nationale depuis son élection en tant que type de cas. député au début de 2016.

Amnesty International — Rapport 2016/17 371 La MINUSCA a arrêté 194 personnes au abouti à la déclaration de culpabilité d’un titre des mesures temporaires d’urgence commandant militaire de nationalité prévues dans son mandat, dont un dirigeant congolaise, Jean-Pierre Bemba Gombo. de premier plan de l’ex-Séléka, Hahmed Celui-ci a été condamné à 18 ans Tidjani, le 13 août. d’emprisonnement pour crimes de guerre et Les efforts pour amener les responsables crimes contre l’humanité, dont des meurtres, présumés à rendre des comptes étaient des viols et des pillages commis par sa compromis par la faiblesse du système milice. judiciaire national. La présence et le fonctionnement des institutions judiciaires CONDITIONS DE DÉTENTION restaient limités, en particulier en dehors de Les conditions de détention étaient toujours Bangui. Dans les zones contrôlées par des très mauvaises et la sécurité n’était pas groupes armés, comme la ville de Ndélé assurée en prison. Sur les 38 centres de (chef-lieu de la préfecture de Bamingui- détention officiels du pays, seuls huit étaient Bangoran), la justice était administrée par opérationnels. ces groupes ou par les chefs traditionnels. En septembre, des gardiens ont passé à Les autorités judiciaires manquaient de tabac 21 détenus de la prison de Ngaragba, moyens pour enquêter sur les crimes, à Bangui. Cela a déclenché une tentative notamment les graves atteintes aux droits d’évasion, que les gardiens ont déjouée à humains, et pour en poursuivre les auteurs grand renfort de gaz lacrymogène. Une présumés. Dans les rares cas où des affaires enquête a peu après été ouverte sur ces d’atteintes aux droits humains ont été jugées, événements par les autorités nationales. les accusés ont été acquittés ou reconnus coupables d’infractions mineures et RESSOURCES NATURELLES immédiatement libérés car ils avaient déjà Dans le cadre du Processus de Kimberley, purgé l’équivalent de leur peine en détention initiative mondiale visant à empêcher les provisoire. En outre, les témoins et les « diamants du sang » d’entrer sur le marché victimes n’ont pas osé venir témoigner par international, la République centrafricaine crainte de représailles. s’est vu interdire toute exportation de diamants en mai 2013. Cependant, le JUSTICE INTERNATIONALE commerce du diamant s’est poursuivi dans le Peu d’avancées ont été constatées dans la pays, notamment au profit de groupes armés mise en place d’un tribunal spécial, qui serait impliqués dans des violences. En composé de juges nationaux et juillet 2015, le Processus de Kimberley a internationaux et chargé de juger les auteurs autorisé la reprise des exportations de présumés de graves violations des droits diamants provenant de « zones conformes ». humains et de crimes de droit international Durant l’année 2016, les zones de Berbérati, commis depuis 2003. Boda, Carnot et Nola, dans le sud-ouest du La Cour pénale internationale (CPI) a pays, étaient considérées comme poursuivi sa deuxième enquête sur la « conformes ». République centrafricaine (RCA II), qui portait sur les crimes de droit international DROIT À UN NIVEAU DE VIE SUFFISANT commis dans le pays depuis 2012. Deux Selon les Nations unies, 2,3 millions de équipes distinctes ont travaillé personnes sur une population de 4,8 millions respectivement sur les exactions perpétrées avaient besoin d’aide humanitaire, et par l’ex-Séléka et sur celles imputées aux 2,5 millions restaient touchées par anti-balaka et à leurs alliés. Le 20 juin, l’insécurité alimentaire. Le conflit a fait chuter l’enquête RCA I de la CPI, qui concerne les les revenus des ménages et flamber les prix crimes contre l’humanité et les crimes de des denrées alimentaires. Face à guerre commis depuis le 1er juillet 2002, a l’effondrement du système de santé, les

372 Amnesty International — Rapport 2016/17 organisations humanitaires étaient de protéger correctement la population pratiquement les seules à fournir des civile. services médicaux de base et des médicaments. Moins de la moitié de la CONTEXTE population avait accès à des soins de santé Le désaccord suscité dans la classe politique dignes de ce nom, et presque aucun soutien par l’éventualité du maintien au pouvoir du psychologique n’était disponible. Selon les président Joseph Kabila, à l’expiration de son Nations unies, environ un tiers seulement de deuxième mandat le 19 décembre, a la population avait accès à de l’eau potable et déclenché de nombreuses manifestations. En à des installations sanitaires appropriées. mars, la Commission électorale nationale indépendante a annoncé que les élections ne pourraient pas se tenir dans les délais prévus 1. Un mandat pour protéger. Les ressources pour réussir ? Renforcer le maintien de la paix en République centrafricaine par la Constitution. En mai, la Cour (AFR 19/3263/2016) constitutionnelle a estimé que le président pouvait rester en poste après le 19 décembre, jusqu’à ce que son successeur RÉPUBLIQUE soit en place. Elle a de nouveau approuvé en octobre le report de l’élection présidentielle. L’opposition et la société civile ont contesté le DÉMOCRATIQUE DU caractère légal de la deuxième décision de la Cour constitutionnelle, car elle avait été CONGO rendue à cinq juges alors que, au regard de la loi, elle devait l’être à sept. L’accord conclu République démocratique du Congo à l’issue d’un dialogue conduit par l’Union Chef de l’État : Joseph Kabila africaine et reportant les élections à Chef du gouvernement : Samy Badibanga Ntita (a avril 2018 a été rejeté par la plupart des remplacé Augustin Matata Ponyo Mapon en novembre) partis d’opposition, la société civile et des mouvements de jeunes. Le 31 décembre, La République démocratique du Congo sous la médiation de l’Église catholique, un (RDC) a été le théâtre de troubles politiques nouvel accord a été signé par des durant l’année, la fin du mandat du représentants de la coalition de la majorité, président Joseph Kabila provoquant des de l’opposition et d’organisations de la mouvements de contestation. Les forces de société civile. Cet accord prévoyait sécurité ont répondu aux manifestations par notamment que Joseph Kabila ne briguerait un usage excessif de la force, et les droits à pas de troisième mandat et que les élections la liberté d’expression, d’association et de auraient lieu à la fin de 2017. réunion pacifique des participants ont été L’incertitude politique a contribué à bafoués. Les conflits armés se sont l’exacerbation des tensions dans l’est du poursuivis dans l’est du pays : des groupes pays, toujours en proie aux conflits armés. armés se sont rendus coupables de Les tensions accrues entre les différentes nombreuses exactions à l’encontre de civils, ethnies et communautés qui ont dont des exécutions sommaires, des accompagné la longue période préélectorale, homicides, des enlèvements, des violences ainsi que le manque de réactivité de l’État sur sexuelles et des pillages. Les forces de les plans administratif et sécuritaire, ont sécurité se sont quant à elles livrées à des favorisé les violences et de nouveaux exécutions extrajudiciaires, entre autres recrutements dans les groupes armés. violations des droits humains. Ni l’armée Les efforts déployés dans le cadre de congolaise ni la Mission de l’ONU pour la l’opération Sokola 2 menée conjointement stabilisation en République démocratique par l’armée congolaise et la MONUSCO pour du Congo (MONUSCO) n’ont été en mesure neutraliser les Forces démocratiques de

Amnesty International — Rapport 2016/17 373 libération du Rwanda (FDLR), groupe armé la LUCHA et de Filimbi, autre mouvement de basé dans l’est de la RDC et constitué de jeunes en faveur de la démocratie, ont été Hutus rwandais liés au génocide de 1994 au arrêtés avant, pendant ou après des Rwanda, se sont poursuivis. Ils n’ont pas manifestations pacifiques. Ces deux permis la capture de Sylvestre Mudacumura, mouvements de jeunes et d’autres encore, commandant des FDLR. qui demandaient à Joseph Kabila de quitter Plusieurs centaines de combattants sud- le pouvoir à l’expiration de son deuxième soudanais faisant partie de l’Armée populaire mandat, ont été qualifiés de groupes de libération du Soudan-Opposition (APLS- insurrectionnels. Les pouvoirs publics locaux Opposition) ont pénétré sur le territoire ont déclaré la LUCHA « illégale » parce congolais après des affrontements à Djouba, qu’elle n’était pas enregistrée, alors que ni le la capitale sud-soudanaise, en juillet (voir droit interne, ni le droit international ne font Soudan du Sud). de l’enregistrement une condition préalable à L’aggravation de la crise économique a la création d’une association. exacerbé la pauvreté, déjà forte, et le pays a Les autorités ont également interdit la été touché par des épidémies de choléra et tenue de réunions privées pour débattre de de fièvre jaune qui ont fait des centaines de sujets politiques sensibles, dont les élections. morts. Des membres de la société civile et des partis d’opposition se sont heurtés à des difficultés LIBERTÉ D’ASSOCIATION ET DE pour louer des locaux où tenir des RÉUNION conférences, des réunions ou d’autres Le droit à la liberté de réunion pacifique a été manifestations. Le 14 mars, une réunion qui bafoué, essentiellement dans le contexte de se déroulait dans un hôtel de Lubumbashi la mobilisation contre la prolongation du entre Pierre Lumbi, président du Mouvement mandat du président Joseph Kabila. De social pour le renouveau (MSR), et des nombreuses manifestations, organisées pour membres de sa formation a été interrompue la plupart par l’opposition politique, ont été de force par l’Agence nationale de décrétées non autorisées alors que, au renseignements. regard du droit congolais et du droit Des représentants de l’État, dont le international, les organisateurs sont ministre de la Justice et des Droits humains, simplement tenus d’informer les autorités ont menacé de fermer des organisations de locales et non d’obtenir leur autorisation. En défense des droits fondamentaux au titre revanche, les rassemblements organisés par d’interprétations restrictives des lois la Majorité présidentielle, la coalition au encadrant l’enregistrement des ONG. pouvoir, se sont déroulés très généralement sans que les autorités n’y trouvent rien à RECOURS EXCESSIF À LA FORCE redire. Les forces de sécurité ont régulièrement fait Dans la capitale, Kinshasa, dans les villes usage d’une force injustifiée, excessive et, de Lubumbashi et de Matadi, ainsi que dans parfois, meurtrière (notamment des gaz les provinces du Mai-Ndombe (ex-province lacrymogènes et des tirs à balles réelles) pour du Bandundu) et du Tanganyika, les réprimer des mouvements de contestation manifestations publiques ont été frappées pacifiques. d’interdiction ou, si elles l’étaient déjà, le sont Le 19 septembre, les forces de sécurité restées. ont tué des dizaines de personnes à Au cours de l’année, 11 militants du Kinshasa lors d’une manifestation organisée mouvement de jeunes Lutte pour le pour réclamer le départ du président Joseph changement (LUCHA) ont été déclarés Kabila à la fin de son deuxième mandat. coupables d’infractions après avoir organisé Les 19 et 20 décembre, des manifestants des rassemblements pacifiques ou y avoir sont de nouveau descendus dans la rue face participé. En outre, plus de 100 militants de au refus de Joseph Kabila de quitter le

374 Amnesty International — Rapport 2016/17 pouvoir. Plusieurs dizaines d’entre eux ont obligations fiscales. Le Conseil supérieur de été tués par les forces de sécurité à l’audiovisuel et de la communication, Kinshasa, à Lubumbashi, à Boma et à l’autorité chargée de réguler les médias en Matadi. Des centaines de personnes ont été RDC, a indiqué que les taxes dues avaient arrêtées arbitrairement avant, pendant et été réglées et a demandé la réouverture des après les manifestations. deux chaînes. Elles sont pourtant restées Les forces de sécurité ont également tué fermées toutes les deux. des personnes qui manifestaient avec Plusieurs dizaines de journalistes ont été d’autres revendications dans les villes de détenus arbitrairement. Les 19 et Baraka, de Beni et de Kolwezi, ainsi que 20 septembre, au moins huit journalistes de dans la région de l’Ituri. médias nationaux et internationaux ont été arrêtés et placés en détention pendant qu’ils LIBERTÉ D’EXPRESSION couvraient les mouvements de protestation. Le droit à la liberté d’expression a été soumis Certains ont été harcelés, dévalisés et à des restrictions et régulièrement bafoué frappés par les forces de sécurité. dans le contexte préélectoral1. Les Le 5 novembre, le signal de Radio France responsables politiques opposés à la Internationale (RFI) a été coupé et l’était prolongation du deuxième mandat de Joseph toujours à la fin de l’année. À peu près à la Kabila ont été tout particulièrement pris même période, le signal de Radio Okapi, la pour cible. station de radio de l’ONU, a été interrompu La police militaire a détenu le dirigeant de pendant cinq jours. Le 12 novembre, le l’opposition Martin Fayulu pendant une demi- ministre de la Communication et des Médias journée en février, alors qu’il appelait à une a signé un arrêté interdisant l’attribution grève générale pour demander le respect de d’une fréquence locale aux stations de radio la Constitution. En mai, la police de la non installées physiquement sur le territoire province du Kwilu l’a empêché d’organiser congolais. Aux termes de cet arrêté, à trois réunions politiques. compter du mois de décembre, ces stations La police a empêché Moïse Katumbi, ne pouvaient émettre que par le biais d’un ancien gouverneur de l’ex-province du partenariat avec une station de radio Katanga et candidat à la présidentielle, de congolaise, avec l’accord du ministre. prendre la parole en public lors de rassemblements après qu’il eut quitté le Parti DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS du peuple pour la reconstruction et la Au moins trois défenseurs des droits démocratie, la formation du président Joseph humains ont été tués par des membres Kabila. En mai, le procureur a ouvert une avérés ou présumés des forces de sécurité information judiciaire contre cet homme pour dans les provinces du Maniema, du Nord- le recrutement présumé de mercenaires, Kivu et du Sud-Kivu. Un policier a été déclaré mais l’a par la suite autorisé à quitter le pays coupable du meurtre d’un militant des droits pour se faire soigner. Moïse Katumbi a humains au Maniema et condamné à la ultérieurement fait l’objet d’autres poursuites, réclusion à perpétuité. Sa peine a été dans le contexte d’un litige immobilier, et a ramenée à 36 mois d’emprisonnement en été condamné par contumace à trois années appel. Dans l’affaire concernant l’homicide d’emprisonnement. Ce jugement l’a rendu dans le Nord-Kivu, un procès s’est ouvert en inéligible à la présidence. septembre. Le 20 janvier, le ministre de la Les autorités ont continué de s’en prendre Communication et des Médias a ordonné la aux défenseurs des droits humains qui se fermeture de Nyota Radio Télévision et de prononçaient publiquement sur la question Télévision Mapendo, deux chaînes dont de la limitation du nombre de mandats Moïse Katumbi est le propriétaire, au motif présidentiels ou qui recensaient des atteintes qu’elles n’avaient pas satisfait à leurs aux droits fondamentaux motivées par des

Amnesty International — Rapport 2016/17 375 considérations politiques. De nombreux groupe armé ougandais disposant de bases militants étaient en butte à des arrestations dans l’est de la RDC. arbitraires, à des actes de harcèlement et à des pressions accrues, l’objectif visé étant de Violations commises par les forces de sécurité les faire cesser leurs activités. Des soldats se sont rendus coupables En février, le gouvernement du Sud-Kivu a d’atteintes aux droits fondamentaux au cours pris un décret sur la protection des d’opérations menées contre des groupes défenseurs des droits humains et des armés. Certains ont également procédé à des journalistes. À l’échelon national, l’ONU, la exécutions extrajudiciaires de civils qui Commission nationale des droits de l’homme protestaient contre l’absence de protection et plusieurs ONG œuvrant en faveur des de la part de l’État. droits fondamentaux ont élaboré une proposition de loi destinée à protéger celles Violences faites aux femmes et aux filles et ceux qui défendaient ces droits, mais le Plusieurs centaines de femmes et de filles texte n’avait pas encore été examiné par le ont subi des violences sexuelles dans les Parlement. zones de conflit. Parmi les auteurs de ces violences figuraient des soldats et d’autres CONFLIT DANS L’EST DU PAYS agents de l’État, mais aussi des combattants Les atteintes aux droits fondamentaux de groupes armés tels que les Raïa demeuraient très courantes dans l’est de la Mutomboki (coalition de groupes armés), les RDC, où le conflit continuait de faire rage. FRPI et les Maï Maï Nyatura (milice hutu). L’absence de pouvoirs publics locaux et les lacunes dans la protection des civils ont Enfants soldats provoqué des morts. Plusieurs centaines d’enfants ont été recrutés par des groupes armés, dont les FRPI, les Exactions perpétrées par des groupes armés Maï Maï Nyatura, les FDLR et leur branche Les groupes armés ont perpétré toute une armée officielle, les Forces combattantes série d’exactions, parmi lesquelles des Abacunguzi (FOCA), et l’Union des patriotes exécutions sommaires, des enlèvements, des pour la défense des innocents (UDPI). traitements cruels, inhumains et dégradants, Comme les années précédentes, ils étaient des viols et d’autres sévices sexuels, et des utilisés en tant que combattants, mais aussi pillages de biens civils. Les FDLR, les Forces pour cuisiner, nettoyer, récolter les taxes de résistance patriotique d’Ituri (FRPI) et imposées et transporter des marchandises. plusieurs groupes armés maï maï (milices locales et communautaires) figuraient au Violences intercommunautaires nombre des responsables des atrocités Les violences intercommunautaires opposant commises contre la population civile. Les les Hutus et les Nandes se sont intensifiées combattants de l’Armée de résistance du dans les territoires de Lubero et de Walikale Seigneur (LRA) étaient toujours actifs et ont (Nord-Kivu). Les deux communautés ont continué de se livrer à des atteintes aux reçu le soutien de groupes armés – des droits humains dans les zones frontalières du FDLR pour les Hutus et de groupes maï maï Soudan du Sud et de la République pour les Nandes –, ce qui a donné lieu à un centrafricaine. grand nombre de morts et de lourds dégâts à Dans le territoire de Beni (Nord-Kivu), des des biens civils. Aux mois de janvier et de civils ont été massacrés au moyen février, les combats ont atteint une ampleur généralement de machettes, de houes et de alarmante. Le 7 janvier, les FDLR ont tué au haches. Dans la nuit du 13 août, moins 14 Nandes du village de Miriki, dans 46 personnes ont été tuées à Rwangoma, un le sud du territoire de Lubero. Quand les quartier de la ville de Beni, par des membres habitants ont manifesté pour dénoncer présumés du Front démocratique allié (ADF), l’absence de protection à la suite de

376 Amnesty International — Rapport 2016/17 l’attaque, l’armée a tiré à balles réelles, faisant au moins un mort parmi les TORTURE ET AUTRES MAUVAIS manifestants. Quelques semaines plus tard, TRAITEMENTS au moins 21 Hutus ont été tués, 40 autres Des agents de l’État et des membres de blessés et plusieurs dizaines d’habitations groupes armés ont commis des actes de incendiées au cours d’attaques lancées par torture et d’autres traitements cruels, des miliciens nandes. inhumains et dégradants. L’Agence nationale Le 27 novembre, plus de 40 personnes de renseignements s’est rendue coupable ont été tuées lors d’une attaque menée par d’enlèvements et de formes de détention un groupe d’autodéfense nande contre un prolongée au secret qui enfreignaient le droit village hutu. des personnes détenues d’être traitées avec Dans la province du Tanganyika, les humanité et l’interdiction absolue de la affrontements entre les Batwas et les Lubas torture ou d’autres mauvais traitements. ont repris en septembre, faisant un nombre élevé de morts et d’importants dégâts IMPUNITÉ matériels. Ces affrontements incessants ont Rares étaient les agents de l’État, en donné lieu à des exécutions sommaires, des particulier à des postes importants, ou les violences sexuelles et des déplacements combattants de groupes armés à être massifs. D’après des chefs locaux et des poursuivis en justice et condamnés pour des organisations de la société civile, plus de atteintes aux droits humains. L’insuffisance 150 écoles de la province ont été réduites en de moyens financiers et l’absence cendres lors de violences d’indépendance du pouvoir judiciaire intercommunautaires. constituaient toujours des obstacles importants à l’obligation de rendre des RÉFUGIÉS ET PERSONNES DÉPLACÉES comptes pour ces crimes. Les combats entre l’armée et les groupes Le 11 octobre, Kyungu Mutanga, armés ont été à l’origine de vastes également appelé Gédéon, s’est livré aux déplacements. En février, plus de autorités de la province du Haut-Katanga, 500 000 réfugiés congolais étaient accompagné de plus de 100 combattants enregistrés dans les pays voisins. Au 1er août, maï maï. Il s’était évadé de prison en 2011 on recensait neuf millions de personnes après avoir été condamné à mort pour crimes déplacées en RDC, dans les deux provinces contre l’humanité, insurrection et terrorisme. du Kivu pour la plupart. À la suite d’allégations selon lesquelles des CONDITIONS CARCÉRALES membres de groupes armés, notamment des En raison de la surpopulation, de la FDLR, se dissimulaient dans les camps, le décrépitude des infrastructures et du gouvernement a fermé plusieurs des camps manque de financements, les conditions de mis en place en collaboration avec le Haut- détention étaient déplorables. Les personnes Commissariat des Nations unies pour les incarcérées étaient pour la plupart en attente réfugiés (HCR) pour accueillir les personnes de procès. La malnutrition, les maladies déplacées. Cette mesure, largement critiquée infectieuses et le manque de soins médicaux par les organisations humanitaires, a touché ont provoqué la mort d’au moins environ 40 000 personnes et a entraîné de 100 prisonniers. On estimait à 1 000 le nouveaux déplacements ainsi qu’une plus nombre de ceux qui s’étaient évadés. forte insécurité. Lors de la fermeture des camps, nombre de leurs résidents ont été DROIT À UN NIVEAU DE VIE SUFFISANT victimes de violations des droits humains aux L’extrême pauvreté demeurait généralisée. Le mains de soldats. Programme alimentaire mondial (PAM) estimait que 63,6 % de la population vivait en dessous du seuil de pauvreté national et

Amnesty International — Rapport 2016/17 377 ne pouvait pas subvenir à ses besoins élémentaires. Beaucoup de Congolais RÉPUBLIQUE n’avaient en effet pas accès à une alimentation satisfaisante, à l’eau potable, à l’assainissement, à des services de santé DOMINICAINE adaptés et à l’éducation. Selon les République dominicaine estimations, plus de sept millions de Chef de l’État et du gouvernement : Danilo personnes étaient touchées par l’insécurité Sánchez alimentaire et près de la moitié des enfants de moins de cinq ans souffraient de malnutrition chronique. Une crise La loi portant réforme de la police est économique a provoqué la dégringolade du finalement entrée en vigueur. Le Congrès a cours du franc congolais face à celui du adopté une version modifiée du Code pénal dollar des États-Unis, ce qui a fortement qui maintenait la criminalisation de entamé le pouvoir d’achat de la population. l’avortement dans presque toutes les circonstances. De nombreuses personnes DROIT À L’ÉDUCATION demeuraient apatrides. Des consultations Bien que la Constitution garantisse la gratuité ont été menées au sujet d’un projet de loi de l’enseignement primaire, le contre la discrimination. fonctionnement du système éducatif continuait de reposer sur la pratique CONTEXTE institutionnalisée du versement de frais dits Des élections législatives, présidentielle et de « motivation » pour couvrir les salaires des locales ont eu lieu en mai. Le président enseignants et les dépenses courantes des sortant Danilo Medina Sánchez, candidat du établissements scolaires. L’éducation était Parti de la libération dominicaine (PLD), a été quasi absente du budget de l’État. De jeunes réélu. Le PLD a conservé la majorité aux militants qui manifestaient pacifiquement à deux chambres du Congrès. Plusieurs Bukavu (Sud-Kivu) pour dénoncer les frais candidats ouvertement LGBTI se sont de scolarité à verser en début d’année présentés aux élections législatives et locales scolaire, en septembre, ont été arrêtés et afin d’accroître leur participation et leur brièvement détenus. visibilité politiques. Les conflits armés ont eu de graves En janvier, la République dominicaine a répercussions sur l’éducation. Des dizaines pris la présidence de la Communauté des d’établissements scolaires ont servi de camps États d’Amérique latine et des Caraïbes. destinés aux personnes déplacées ou de L’Assemblée générale de l’Organisation des bases militaires pour l’armée ou des groupes États américains (OEA) s’est tenue à Saint- armés. Des milliers d’enfants ont été privés Domingue, la capitale du pays, en juin. de scolarité à cause de la destruction De nouveaux membres ont été élus au d’écoles ou du déplacement d’enseignants et Conseil électoral central, l’institution en d’élèves. charge de l’état civil, qui a toujours restreint pour les Dominicains d’origine haïtienne la possibilité d’obtenir des papiers d’identité. 1. Démantèlement de la dissidence − Répression de la liberté d’expression sur fond de retard des élections en République Le gouvernement n’a pas finalisé ni mis en démocratique du Congo (AFR 62/4761/2016) œuvre le projet de plan national relatif aux droits humains à propos duquel il avait consulté des organisations de défense des droits humains en 2015. Un projet de loi exhaustif contre la discrimination a été élaboré et soumis pour consultation à différents secteurs de la

378 Amnesty International — Rapport 2016/17 société. Si ce texte est adopté, il s’agira de la première loi de ce type aux Caraïbes. DISCRIMINATION – LES PERSONNES Plusieurs dizaines de milliers de APATRIDES personnes ont été déplacées par les fortes En février, la Commission interaméricaine des inondations qui ont touché de vastes zones droits de l’homme a publié un rapport sur la du nord du pays en octobre et en novembre. situation des droits humains en République dominicaine et a abouti à la conclusion que POLICE ET FORCES DE SÉCURITÉ le problème de l’apatridie, toujours pas Le parquet a recensé 74 homicides totalement corrigé par les mesures adoptées imputables à des membres des forces de par l’État dominicain, atteignait « une sécurité entre janvier et juin, soit près de ampleur encore jamais atteinte sur le 10 % du nombre total d’homicides commis continent américain ». dans le pays. Les circonstances de ces Entre août 2015 et juillet 2016, le Haut- homicides laissaient souvent supposer qu’il Commissariat des Nations unies pour les pouvait s’agir d’exécutions illégales. réfugiés (HCR) a examiné 1 881 cas de Après plusieurs années de débats, une personnes nées en République dominicaine nouvelle loi portant réforme de la police (la et arrivées en Haïti, volontairement ou à la Loi 590-16) a été adoptée en juillet. suite d’une expulsion, qui étaient apatrides ou risquaient de le devenir. Un certain DROITS DES RÉFUGIÉS ET DES nombre de personnes nées en République MIGRANTS dominicaine ont été expulsées vers Haïti en Cette année encore, de nombreuses violation du droit international, ce que les personnes d’origine haïtienne, dont des autorités dominicaines refusaient toujours de migrants haïtiens et leurs familles, ont été reconnaître. expulsées. Selon l’Organisation internationale Malgré les mesures adoptées par le pour les migrations, les autorités ont expulsé gouvernement en 2014, des dizaines de plus de 40 000 personnes vers Haïti entre milliers de personnes, principalement janvier et septembre, et près de d’origine haïtienne, étaient toujours apatrides 50 000 autres ont quitté la République à la fin de l’année2. Rien n’a été fait pour dominicaine « spontanément », dans certains trouver une solution au problème des cas à la suite de menaces ou par crainte personnes nées en République dominicaine d’une expulsion violente. Plus de de parents étrangers et dont la naissance 1 200 mineurs non accompagnés présumés n’avait jamais été enregistrée à l’état civil ont été recensés à la frontière entre Haïti et la dominicain (personnes dites du République dominicaine. « groupe B »), ce qui les empêchait de Malgré quelques améliorations dans les demander la naturalisation au titre de la procédures d’expulsion, les autorités n’ont Loi 169-143. pas pleinement respecté les garanties internationales contre les expulsions DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS arbitraires. Par exemple, elles n’ont pas En septembre, l’avocat et défenseur des délivré d’arrêtés d’expulsion ni proposé de droits humains Genaro Rincón Mieses a été mécanismes permettant aux personnes agressé verbalement et physiquement à placées en détention et expulsées de Saint-Domingue, la capitale du pays, en contester la légalité, la nécessité et la raison de ses activités de défense des droits proportionnalité de leur détention et de leur des Dominicains d’origine haïtienne4. Cette expulsion1. agression a eu lieu alors que se multipliaient les informations faisant état de menaces, d’insultes et de manœuvres d’intimidation visant les défenseurs des droits humains luttant contre l’apatridie. À la fin de l’année,

Amnesty International — Rapport 2016/17 379 personne n’avait été amené à rendre des 3. République dominicaine. Des lois absurdes brisent la carrière comptes pour cette agression. prometteuse d’un boxeur (nouvelle, 4 février) ; République dominicaine. 50 000 personnes demandent une solution à la crise des « citoyens fantômes » (communiqué de presse, 20 septembre) DROITS SEXUELS ET REPRODUCTIFS 4. République dominicaine. Un militant contre l’apatridie agressé En décembre, le Congrès a approuvé une (AMR 27/4901/2016) nouvelle version du Code pénal, après de 5. Dominican Republic: President Medina must stop a regressive reform nombreuses années de débat5. Cette réforme for women’s rights (nouvelle, 15 décembre) maintenait les sanctions pénales en cas d’avortement, à une seule exception très restrictive : quand la grossesse met en RÉPUBLIQUE danger la vie de la femme ou de la fille enceinte, mais seulement à condition que « tout ait été tenté pour sauver à la fois la vie TCHÈQUE de la femme et celle du fœtus ». Des République tchèque organisations de défense des droits des Chef de l’État : Miloš Zeman femmes se sont dites préoccupées par le fait Chef du gouvernement : Bohuslav Sobotka que cette disposition se traduirait, en pratique, par une impossibilité d’avorter pour les femmes et les filles dont la vie est Le gouvernement a adopté des mesures menacée. visant à répondre aux inquiétudes de la Commission européenne quant à la VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ET discrimination à l’égard des enfants roms AUX FILLES dans l’éducation. Cette année encore, des Selon les statistiques officielles, le nombre de manifestations hostiles aux réfugiés et aux femmes et de filles tuées a baissé de 2 % migrants ont eu lieu et des groupes de durant les six premiers mois de 2016 par soutien aux réfugiés ont été la cible de rapport à la même période en 2015. menaces venant de groupes d’extrême En mai, le nombre de plaintes enregistrées droite. par les autorités pour des violences sexuelles avait augmenté de près de 10 % par rapport DISCRIMINATION – LES ROMS à la même période de 2015. Droit à l’éducation Le Parlement n’avait toujours pas adopté Une modification de la Loi relative à la loi de portée générale visant à prévenir et l’enseignement scolaire est entrée en vigueur réprimer les violences faites aux femmes qui le 1er septembre. Celle-ci avait été adoptée en avait été approuvée par le Sénat en 2012. 2015 en réponse à la procédure d’infraction engagée par la Commission européenne au DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET titre de la directive sur l’égalité raciale. Des DES PERSONNES BISEXUELLES, réformes positives ont été mises en œuvre, TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES parmi lesquelles des mesures de soutien aux Des organisations de la société civile ont enfants identifiés comme ayant des besoins cette année encore signalé des crimes particuliers en termes d’enseignement ; inspirés par la haine visant des l’introduction d’une année obligatoire d’école personnes LGBTI, notamment des meurtres maternelle pour tous les élèves ; et l’objectif de femmes transgenres. d’intégrer tous les enfants présentant un « handicap mental léger » dans le système scolaire classique en leur offrant un système 1. « Où allons-nous vivre ? » Flux migratoires et apatridie en Haïti et en République dominicaine (AMR 36/4105/2016) d’enseignement inclusif. Plusieurs ONG 2. « Sans papiers, je ne suis personne. » Les personnes apatrides en nationales et internationales ont salué ces République dominicaine (AMR 27/2755/2015) réformes, soulignant toutefois que d’autres mesures étaient nécessaires pour lutter

380 Amnesty International — Rapport 2016/17 contre les comportements portant atteinte personnes en charge de l’organisation de ce aux enfants roms et pour allouer des moyens camp, la police locale n’a pas envoyé suffisants au soutien éducatif à l’attention des d’agents sur les lieux malgré leurs appels à élèves qui en ont besoin. l’aide répétés. En septembre, une enquête menée par un bureau de police régional a Stérilisation forcée rejeté ces accusations mais a conclu que cet En mars, le Comité pour l’élimination de la incident n’avait pas fait l’objet d’une enquête discrimination à l’égard des femmes [ONU] a approfondie. recommandé la mise en place d’un mécanisme pour l’indemnisation des femmes RÉFUGIÉS ET DEMANDEURS D’ASILE roms victimes de stérilisation forcée. Il a Le gouvernement a accepté de continuer à également recommandé la désignation d’un réinstaller des personnes et de poursuivre le organisme indépendant chargé d’enquêter programme de relocalisation approuvé par sur toute l’ampleur des conséquences de la l’UE, sous réserve de contrôles de sécurité stérilisation forcée. À la fin de l’année, le renforcés. Seuls 52 réfugiés avaient été gouvernement n’avait pas encore pris de réinstallés et 12 relocalisés dans le pays à la mesures allant dans le sens de ces fin de l’année. Les demandeurs d’asile et les recommandations. migrants étaient toujours couramment placés en détention. RACISME ET XÉNOPHOBIE Cette année encore, des manifestations DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET hostiles aux migrants et aux réfugiés ont eu DES PERSONNES BISEXUELLES, lieu. En février, des milliers de personnes ont TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES participé à une manifestation antiréfugiés En juin, la Cour constitutionnelle a jugé dans la capitale, Prague, à la suite de anticonstitutionnel l’article 13(2) de la Loi laquelle le bureau de l’organisation de relative au partenariat enregistré, qui défense des droits des réfugiés Klinika a été interdisait à toute personne ayant conclu un attaqué. Une personne a été blessée dans partenariat enregistré avec une personne de cette attaque. En avril, plusieurs commerces même sexe d’adopter un enfant et d’en être qui participaient à une campagne faisant la l’unique tuteur ou tutrice. Cette disposition a promotion de « zones sans haine » à Prague été abrogée. Cependant, l’adoption conjointe ont été attaqués ; des messages de haine et d’un enfant par un couple LGBTI de même des symboles d’extrême droite ont été tagués sexe ayant conclu un partenariat enregistré, sur leurs devantures. En septembre, cinq où les deux partenaires pourraient donc jouir personnes ont été inculpées pour des pleinement de leurs droits parentaux, dégradations volontaires et pour avoir demeurait interdite. « exprimé de la sympathie pour un mouvement visant à empêcher l’exercice des DROITS DES FEMMES droits humains et à étouffer les libertés ». Par En mai, la République tchèque a signé la la suite, une manifestation contre la haine a Convention du Conseil de l’Europe sur la été organisée dans la ville et a réuni plusieurs prévention et la lutte contre la violence à centaines de personnes. Le président Miloš l’égard des femmes et la violence Zeman a continué de présenter les réfugiés domestique, en vue de la ratifier d’ici le et les demandeurs d’asile comme « une milieu de l’année 2018. En mars, le Comité menace » et de tenir des discours hostiles pour l’élimination de la discrimination à aux migrants. En août, un homme a tiré des l’égard des femmes [ONU] a constaté que le coups de feu en l’air et a proféré des injures nombre de procès pour discrimination liée au racistes à l’encontre d’un camp d’été pour genre intentés dans le pays était enfants roms dans le village de Jiřetín pod anormalement faible et a recommandé la Jedlovou (district de Děčin). D’après les mise en place d’un système d’aide

Amnesty International — Rapport 2016/17 381 juridictionnelle gratuite pour ce type d’actions logements sociaux. En juin, le commissaire en justice. Le Comité a également exprimé aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe des inquiétudes quant à l’écart persistant a exprimé des préoccupations similaires. entre les salaires des hommes et ceux des femmes, qui était d’environ 21 %, soit le Droits en matière de logement – expulsions troisième plus élevé de l’UE. forcées La Cour européenne des droits de l’homme a annoncé en mars des mesures provisoires engageant les autorités roumaines à ROUMANIE suspendre l’expulsion de 10 familles roms République de Roumanie dans la ville d’Eforie. Ces familles étaient Chef de l’État : Klaus Iohannis menacées d’expulsion pour la troisième fois. Chef du gouvernement : Dacian Julien Cioloș Elles faisaient partie des 101 personnes, parmi lesquelles 55 enfants, dont les foyers Les Roms ont cette année encore été avaient été détruits en 2013. En juin, le victimes de discrimination systématique, tribunal départemental de Constanţa a jugé d’expulsions forcées et d’autres violations ces démolitions illégales et déclaré que la de leurs droits fondamentaux. La municipalité devait fournir aux familles des Convention du Conseil de l’Europe sur la logements satisfaisants. La situation de ces prévention et la lutte contre la violence à familles en matière d’hébergement restait l’égard des femmes et la violence cependant précaire à la fin de l’année. domestique est entrée en vigueur au mois Les 300 Roms expulsés de force du centre de septembre. La Cour européenne des de Cluj-Napoca en 2010 et relégués dans le droits de l’homme a tenu une audience secteur de Pata Rat – qui abritait deux publique sur une affaire mettant en cause décharges, dont une pour produits la Roumanie pour complicité présumée chimiques, et où étaient déjà implantés deux dans le cadre des programmes de campements roms – poursuivaient leur « restitution » et de détention secrète mis combat pour obtenir justice devant les en place par les États-Unis. Aucune tribunaux roumains, avec l’assistance d’une décision n’avait cependant été prise à la fin ONG, le Centre européen des droits des de l’année dans cette affaire, pourtant Roms (CEDR). Selon les habitants de la zone ouverte quatre ans auparavant. et plusieurs ONG, certains habitants À la suite des élections législatives de souffraient de troubles respiratoires en raison décembre, Sorin Mihai Grindeanu a été des fumées toxiques dégagées par plusieurs nommé Premier Ministre par le président et feux allumés sur de nouvelles décharges. Le devait prendre ses fonctions le rapporteur spécial sur l’extrême pauvreté et 4 janvier 2017. les droits de l’homme s’est rendu dans le secteur de Pata Rat et a condamné les DISCRIMINATION – LES ROMS « conditions primitives » dans lesquelles Dans son rapport d’avril, le rapporteur spécial vivaient les habitants, qui étaient notamment sur l’extrême pauvreté et les droits de privés d’électricité et contraints de vivre l’homme [ONU] a demandé aux autorités de entassés dans des pièces humides. reconnaître les graves discriminations dont sont victimes les Roms, de mettre en œuvre Droit à l’éducation la Stratégie 2015-2020 relative à l’intégration Deux ONG, le CEDR et le Centre rom pour des Roms et de prendre des mesures ciblées l’intervention et les études sociales (CRISS), en matière d’enseignement, de santé et ont demandé en mai à la Commission d’emploi, en mettant notamment en place européenne d’ouvrir une enquête sur les des garanties juridiques contre les expulsions atteintes à la législation européenne contre la forcées et en améliorant l’accès aux discrimination qu’aurait commises la

382 Amnesty International — Rapport 2016/17 Roumanie en persistant dans sa politique de racisme institutionnel généralisé, entre autres ségrégation des enfants roms dans les problèmes. établissements scolaires. Au terme d’une étude menée en partenariat avec le Centre DISCRIMINATION – LES PERSONNES de ressources pour la participation publique HANDICAPÉES (CERE) sur 112 municipalités du nord-est de La Roumanie a ratifié en 2011 la Convention la Roumanie, le Centre pour le plaidoyer et relative aux droits des personnes les droits humains a pu constater que 82 des handicapées. Elle a bien créé un mécanisme 394 établissements scolaires de la région de suivi, comme l’exige ce traité, mais celui- pratiquaient une forme ou une autre de ci n’était toujours pas opérationnel à la fin de ségrégation à l’égard des enfants roms. En l’année 2016. novembre et en décembre, le ministère de l’Éducation a mené une consultation DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET publique sur un projet de cadre interdisant la DES PERSONNES BISEXUELLES, ségrégation à l’école. Ce cadre élargissait les TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES critères d’inclusion scolaire, établissait de Le Code civil interdisait le mariage et l’union nouvelles obligations et sanctions pour les civile entre personnes du même sexe. Les autorités et définissait le rôle de la unions de ce type contractées à l’étranger Commission nationale de déségrégation et n’étaient pas reconnues. Un recours d’inclusion. concernant un couple de personnes du même sexe demandant la reconnaissance de POLICE ET FORCES DE SÉCURITÉ leur mariage célébré en Belgique était En janvier, la Cour européenne des droits de toujours en cours d’examen par la Cour l’homme a estimé que la Roumanie avait constitutionnelle. En novembre, celle-ci a violé les droits fondamentaux de quatre adressé à la Cour de justice de l’Union membres de la famille Boaca (Ion, le père, et européenne une demande de décision ses trois enfants). Elle a conclu que ces préjudicielle sur l’interprétation harmonisée derniers avaient subi des actes de torture et du droit européen relatif à la liberté de d’autres mauvais traitements et avaient été mouvement et de résidence des couples de victimes de discrimination. Ces quatre même sexe. personnes avaient fait l’objet de violences en La Coalition pour la famille, qui regroupe mars 2006 au poste de police de Clejani, une une trentaine d’associations et de fondations, ville du département de Giurgiu. Frappé à a mené campagne jusqu’au mois de mai en coups de poing et à coups de pied dans les faveur d’une proposition de loi suggérant de côtes par des policiers, Ion Boaca avait dû restreindre la définition du terme « famille » rester hospitalisé pendant 19 jours. figurant dans la Constitution. Si cette En juin, le Comité des ministres du Conseil proposition était adoptée, la « famille », de l’Europe a décidé de mettre un terme au actuellement définie comme fondée sur le suivi de l’exécution d’un ensemble d’arrêts « mariage entre deux conjoints », deviendrait majeurs de la Cour européenne des droits de fondée sur le « mariage entre un homme et l’homme (appelé groupe Barbu Anghelescu) une femme ». En juillet, la Cour concernant des violences policières à constitutionnelle a accepté que ce projet de caractère potentiellement raciste commises loi soit soumis au Parlement afin qu’il décide contre des Roms sans qu’aucune enquête s’il convenait d’organiser ou non un sérieuse n’ait été menée. Le CEDR, le CRISS référendum national sur la question. Aucune et le Comité Helsinki de Roumanie ont décision n’avait encore été prise à la fin déploré cette décision, expliquant que le de l’année. gouvernement roumain n’avait pas pris les La Cour européenne des droits de mesures nécessaires pour appliquer les l’homme a estimé en avril que les autorités arrêts en question ni pour s’attaquer au avaient manqué à leur obligation d’enquêter

Amnesty International — Rapport 2016/17 383 sérieusement sur l’agression dont avaient été représentait qu’une petite partie de la réalité. victimes en 2006 des participants à la En juillet, plusieurs ONG ont demandé au marche des fiertés de Bucarest, ainsi que sur gouvernement d’accélérer l’adoption de les motivations potentiellement mesures destinées à lutter contre les discriminatoires de cette agression. violences faites aux femmes et la violence domestique. La Convention du Conseil de LUTTE CONTRE LE TERRORISME ET l’Europe sur la prévention et la lutte contre la SÉCURITÉ violence à l’égard des femmes et la violence La Cour européenne des droits de l’homme a domestique (Convention d’Istanbul) est tenu en juin une audience publique sur entrée en vigueur au mois de septembre. l’affaire mettant en cause la Roumanie pour complicité présumée dans le cadre des 1. Cour européenne des droits de l’homme. Deux victimes de programmes de « restitution » et de détention « restitution » par la CIA poursuivent la Roumanie et la Lituanie secrète mis en place par les États-Unis et (nouvelle, 29 juin) gérés dans le monde entier par la CIA au lendemain des attentats du 11 septembre 20011. Abd al Rahim al Nashiri, un ROYAUME-UNI ressortissant saoudien actuellement incarcéré au centre de détention américain Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de Guántanamo, à Cuba, avait introduit une Chef de l’État : Elizabeth II requête contre la Roumanie en 2012, Chef du gouvernement : Theresa May (a remplacé affirmant avoir été victime, entre 2004 David Cameron en juillet) et 2006, d’une disparition forcée et d’actes de torture dans un centre de détention secret Les responsabilités n’avaient toujours pas dont disposait la CIA à Bucarest. Il accusait été pleinement établies en ce qui concerne également la Roumanie de ne pas avoir les allégations de torture mettant en cause mené d’enquête sérieuse sur son placement les services du renseignement et les forces en détention secrète. Quelques mois plus tôt, armées du Royaume-Uni. Une loi sur la en février, le secrétaire général du Conseil de surveillance au champ d’application l’Europe avait mis un terme de façon extrêmement large a été adoptée. De sommaire à l’enquête ouverte au titre de lourdes restrictions à l’accès à l’avortement l’article 52 sur l’implication de certains États pesaient sur les femmes en Irlande du européens dans les opérations de la CIA. Nord. Le gouvernement n’a pas procédé à Cette décision constituait un coup sévère l’examen des effets des réductions pour le principe de l’obligation de rendre des budgétaires appliquées à l’aide comptes. Le gouvernement roumain a rejeté juridictionnelle pour les procédures civiles. les accusations portées contre lui et affirmé Les crimes de haine ont nettement qu’une enquête était en cours. La Cour augmenté après le vote par référendum en européenne n’avait pas encore rendu sa faveur de la sortie du Royaume-Uni de décision à la fin de l’année. l’Union européenne. VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ET ÉVOLUTIONS LÉGISLATIVES, AUX FILLES CONSTITUTIONNELLES OU Selon les données de l’Inspection générale INSTITUTIONNELLES de la police, 8 926 cas de violences En juin, la majorité des électeurs au familiales ont été enregistrés au cours des six Royaume-Uni et à Gibraltar se sont premiers mois de l’année 2016 ; 79 % des prononcés par référendum contre le maintien victimes étaient des femmes et 92,3 % des du pays dans l’UE. agresseurs étaient des hommes. Plusieurs Bien que la nouvelle ministre de la Justice ONG roumaines estimaient que ce chiffre ne ait annoncé en août que le gouvernement

384 Amnesty International — Rapport 2016/17 entendait toujours remplacer la Loi relative de la législation antiterroriste à l’égard du aux droits humains (qui incorpore la caractère excessivement large de la définition Convention européenne des droits de juridique de ce terme, la ministre de l’homme dans le droit national) par une l’Intérieur a confirmé en octobre que le Charte britannique des droits, le procureur gouvernement n’avait aucune intention de la général a laissé entendre à la fin de l’année modifier. que les projets concrets attendraient la fin du processus consécutif au référendum sur la Contrôles administratifs sortie de l’UE. En novembre, le Parlement a prorogé de cinq ans la Loi de 2011 relative aux mesures JUSTICE d’investigation et de prévention du terrorisme Un nombre croissant de voix se sont fait (TPIM). Ces mesures sont des restrictions entendre pour réclamer l’examen des administratives imposées par l’État à des réductions budgétaires appliquées à l’aide personnes soupçonnées d’implication dans juridictionnelle pour les procédures civiles au des actes de terrorisme. titre de la Loi de 2012 relative à l’aide Dans son rapport annuel publié en juridictionnelle, à la condamnation et à la novembre, le contrôleur indépendant a sanction des contrevenants (LASPO). Cet indiqué que les nouveaux pouvoirs conférant examen devait être réalisé à la lumière des le droit d’interdire les déplacements des effets de ces coupes sur les personnes « combattants terroristes étrangers » vulnérables et marginalisées dans différents présumés avaient été exercés à 24 reprises domaines, dont celui des enquêtes en 2015, et que ceux préexistants de judiciaires en cas de mort violente ou confiscation de passeports à des suspecte, de l’immigration, de la protection ressortissants britanniques l’avaient été à sociale, des affaires familiales et du 23 reprises. En revanche, une disposition logement1. Selon les statistiques officielles autorisant depuis 2015 l’exclusion temporaire publiées en juin par le Bureau d’aide de « combattants terroristes étrangers » juridictionnelle, le nombre d’admissions à revenant sur le territoire britannique n’avait l’assistance judiciaire au civil a été divisé par pas été invoquée. trois depuis l’adoption de la Loi LASPO. En juillet, le Comité des droits économiques, Politique de « lutte contre l’extrémisme » sociaux et culturels [ONU] a engagé les Le gouvernement a annoncé en mai son autorités à réévaluer les effets des réformes intention de préparer un projet de loi relatif à du système d’aide judiciaire. Le la protection et à la lutte contre l’extrémisme, gouvernement n’a pris aucune mesure en mais aucune proposition concrète n’avait été ce sens. présentée à la fin de l’année. Des recherches effectuées par des ONG LUTTE CONTRE LE TERRORISME ET sur l’obligation légale, appelée « devoir SÉCURITÉ d’empêcher », imposée à certains Les pouvoirs en matière de lutte contre le organismes publics, dont les établissements terrorisme et les initiatives politiques scolaires, de « tenir dûment compte de la connexes destinées à contrecarrer nécessité d’empêcher des individus de se l’« extrémisme » restaient source de laisser entraîner dans des activités préoccupation. terroristes », ont établi que cette obligation créait un risque grave de violation des droits Définition du terrorisme humains, notamment du droit à la liberté En dépit d’un arrêt rendu en janvier par la d’expression exercé pacifiquement, et que Cour d’appel, donnant une définition plus son application dans les secteurs de étroite du terrorisme, et des critiques que n’a l’éducation et de la santé sapait la confiance. cessé de formuler le contrôleur indépendant

Amnesty International — Rapport 2016/17 385 En avril, le rapporteur spécial des Nations Libye, au su de responsables britanniques et unies sur le droit de réunion pacifique et la avec leur coopération. En novembre, les deux liberté d’association a déclaré que l’approche familles – Abdel Hakim Belhaj et Fatima suivie par le gouvernement à l’égard de Boudchar, et Sami al Saadi, son épouse et l’« extrémisme non violent » risquait de leurs enfants – ont formé un recours bafouer ces deux droits. En juillet, la judiciaire contre la décision du parquet. Commission parlementaire conjointe des droits humains a recommandé d’appliquer la Forces armées législation existante plutôt que d’élaborer de On a appris en septembre que la police nouveaux textes confus. militaire royale enquêtait sur quelque 600 cas de mauvais traitements et de Drones violences qui auraient été infligés en En mai, la Commission parlementaire détention en Afghanistan entre 2005 conjointe des droits humains a rendu public et 2013. son rapport d’enquête sur l’utilisation de En novembre, l’Iraq Historic Allegations drones pour procéder à des homicides Team (IHAT), une instance enquêtant sur les ciblés. Elle s’est intéressée au tir de drone allégations de sévices subis par des civils effectué en 2015 par l’armée de l’air irakiens aux mains de soldats britanniques, britannique dans la région de Raqqa, en avait fini de traiter 2 356 des 3 389 plaintes Syrie, qui a tué trois membres présumés du reçues, ou était sur le point de le faire. groupe armé État islamique (EI), dont au L’Iraq Fatality Investigations, autre instance moins un ressortissant britannique. Elle a établie en 2013, a présenté en septembre demandé au gouvernement de clarifier sa son rapport sur la mort d’Ahmed Jabbar politique d’homicides ciblés dans le cadre Kareem Ali, concluant que cet adolescent de d’un conflit armé ainsi que sa participation à 15 ans s’était noyé après avoir été contraint des homicides ciblés commis par d’autres par des soldats britanniques de se jeter dans États hors conflit armé. un canal de Bassora (sud de l’Irak) en 2003. Le ministère de la Défense a présenté ses TORTURE ET AUTRES MAUVAIS excuses. TRAITEMENTS Les allégations de crimes de guerre Détention sans jugement en Irlande du Nord commis par les forces armées britanniques En décembre, le gouvernement a répondu en Irak entre 2003 et 2008 faisaient toujours aux questions que lui a soumises la Cour l’objet d’un examen préliminaire mené par le européenne des droits de l’homme à la suite Bureau de la procureure de la Cour pénale d’une demande en révision introduite internationale. en 2014 par le gouvernement irlandais et concernant l’arrêt rendu en 1978 dans SURVEILLANCE l’affaire Irlande c. Royaume-Uni sur les La Loi sur les pouvoirs d’enquête (IPA), qui techniques de torture utilisées contre des constituait une refonte des différents textes personnes détenues sans jugement en législatifs britanniques existants sur la Irlande du Nord en 1971 et 1972. surveillance, a été promulguée en novembre. Elle conférait aux pouvoirs publics des « Restitution » pouvoirs accrus en matière d’ingérence dans Le parquet a décidé en juin qu’il n’y avait pas les communications et les informations lieu de poursuivre l’information ouverte sur privées au Royaume-Uni et à l’étranger. Elle les allégations de deux familles libyennes ; autorisait une large palette de pratiques celles-ci affirmaient avoir été victimes de d’interception, d’intrusion et de conservation « restitution », d’actes de torture et d’autres des données, définies en des termes vagues, mauvais traitements infligés en 2004 par le et imposait de nouvelles obligations aux gouvernement des États-Unis et celui de la entreprises privées, facilitant la surveillance

386 Amnesty International — Rapport 2016/17 exercée par les autorités par la création de s’appliquent également aux cas de torture, fichiers de données de connexion à Internet. de violence sexuelle et de détention illégale, Ces pratiques n’étaient pas subordonnées à et non plus uniquement aux cas de décès, l’obtention d’une autorisation judiciaire en veillant à ce qu’elles tiennent compte de préalable claire. la dimension de genre. Le rapporteur spécial En octobre, l’Investigatory Powers Tribunal a également demandé aux pouvoirs publics (IPT), le tribunal chargé de juger les abus de de restreindre l’invocation de la « sécurité pouvoir en matière d’enquête, a jugé que la nationale » en réponse aux demandes de collecte massive et secrète de données de réparation et de veiller au traitement communications britanniques et étrangères rigoureux et systématique de la réparation et la collecte en masse de données pour toutes les victimes. personnelles constituaient autrefois des Le président de la Haute Cour de justice violations du droit au respect de la vie privée, d’Irlande du Nord a exposé un plan détaillé mais étaient désormais légales. sur cinq ans pour traiter l’arriéré des Une affaire portant sur la légalité du enquêtes judiciaires historiques menées par régime de surveillance de masse et des le coroner, mais n’a pas reçu de pratiques de partage de renseignements financements de la part du gouvernement avant l’adoption de la Loi IPA était en d’Irlande du Nord ni du gouvernement du instance devant la Cour européenne des Royaume-Uni. droits de l’homme. La Cour de justice de l’UE Le gouvernement continuait de refuser la a jugé en décembre que la conservation mise en place d’une enquête publique généralisée et indifférenciée des données de indépendante sur l’assassinat de Patrick communications au titre de la Loi de 2014 Finucane, en 1989, alors qu’il avait relative à la conservation des données et aux précédemment reconnu qu’il y avait eu pouvoirs d’enquête n’était pas autorisée. « collusion » dans cette affaire. IRLANDE DU NORD : AFFAIRES DROITS SEXUELS ET REPRODUCTIFS HISTORIQUES En Irlande du Nord, l’accès à l’avortement L’ancienne secrétaire d’État pour l’Irlande du restait limité à des cas exceptionnels, dans Nord et le secrétaire d’État actuellement en lesquels la vie ou la santé de la femme ou de fonction ont tous les deux affirmé que ceux la jeune fille étaient en danger2. La loi nord- qui formulaient des allégations de collusion irlandaise relative à l’avortement a été ou se polarisaient sur les violations des droits critiquée par deux instances de l’ONU, le humains commises par des agents de l’État Comité des droits économiques, sociaux et cherchaient à réécrire l’histoire dans une culturels et le Comité des droits de l’enfant. intention malveillante. Les ONG mobilisées En Irlande du Nord, les femmes étaient pour obtenir que les responsables présumés passibles de poursuites pénales si elles rendent des comptes redoutaient que ce type prenaient des médicaments approuvés par de propos ne mette en danger leurs activités l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de défense des droits humains. pour provoquer une interruption de En novembre, le rapporteur spécial des grossesse. Une femme s’est vu infliger une Nations unies sur la promotion de la vérité, peine de trois mois d’emprisonnement avec de la justice, de la réparation et des garanties sursis après avoir plaidé coupable de deux de non-répétition a engagé le gouvernement infractions au titre de la loi de 1861 du Royaume-Uni à se pencher sur la encadrant l’avortement en Irlande du Nord. dimension structurelle ou systémique des D’après les statistiques officielles, violences et des atteintes aux droits humains 833 femmes d’Irlande du Nord se sont au lieu de se limiter aux efforts déployés rendues en 2015 en Angleterre ou au Pays jusqu’ici au cas par cas. Il a suggéré d’élargir de Galles pour se faire avorter, tandis que le champ des mesures prises pour qu’elles

Amnesty International — Rapport 2016/17 387 16 avortements légaux ont été pratiqués cette année-là en Irlande du Nord. DROITS DES RÉFUGIÉS ET DES En juin, la Cour d’appel d’Irlande du Nord MIGRANTS a examiné des recours présentés contre une La Loi relative à l’immigration a été décision rendue en 2015 par la Haute Cour, promulguée en mai. Elle aggravait les qui avait estimé que la loi sur l’avortement de sanctions infligées aux propriétaires qui la région était incompatible avec les louaient leurs biens à des personnes dont le dispositions du droit national et du droit statut au regard de la législation sur les international en matière de droits humains. étrangers ne les autorisait pas à louer de En novembre, la Première ministre logement, et leur accordait parallèlement des d’Écosse a présenté des propositions visant à pouvoirs d’expulsion plus larges. En outre, ce permettre aux femmes et aux filles d’Irlande texte renforçait les pouvoirs de suspension du Nord de bénéficier de services du droit de recours, déjà limité, contre une d’interruption de grossesse via le système de mesure d’expulsion du Royaume-Uni, son santé public écossais. exercice n’étant plus possible qu’après que la personne visée eut quitté le pays. Il mettait DISCRIMINATION également en place un dispositif autorisant le Les statistiques officielles publiées en juin et transfert entre pouvoirs publics locaux des en septembre par le Conseil national de la mineurs isolés sollicitant l’asile dans le pays. police ont mis en évidence une hausse de Cette année encore, le gouvernement a 57 % des infractions motivées par la haine refusé d’assumer une plus grande part de signalées dans la semaine qui a suivi le responsabilité dans l’accueil des réfugiés. Il a référendum sur le maintien dans l’UE. Ce annoncé en avril que le pays accueillerait chiffre a ensuite baissé, mais restait d’ici mai 2020 jusqu’à 3 000 personnes en supérieur de 14 % par rapport à la même provenance du Moyen-Orient et de l’Afrique période de l’année précédente. Le haut- du Nord. En octobre, le Royaume-Uni a commissaire aux droits de l’homme [ONU] a accepté sur son sol quelques dizaines de exprimé sa préoccupation en juin. D’après mineurs isolés qui vivaient dans le les statistiques rendues publiques en octobre campement informel de Calais (France), ainsi par le gouvernement, les infractions inspirées qu’un nombre plus important d’enfants par la haine ont augmenté de 19 % par relocalisés au titre des dispositions du rapport à 2015, 79 % des faits signalés étant règlement Dublin III pour retrouver leur classés dans la catégorie des « infractions famille. motivées par la haine raciale ». En novembre, En janvier, une enquête indépendante le Comité pour l’élimination de la menée sur les conditions de vie des discrimination raciale [ONU] a engagé le personnes vulnérables en détention a Royaume-Uni à prendre des mesures pour vivement critiqué l’ampleur et la durée de la faire face à la hausse de ce type détention en matière d’immigration. En d’infractions. réponse à ces conclusions, le ministère de À l’issue d’une enquête inédite, le Comité l’Intérieur a élaboré une nouvelle ligne de des droits des personnes handicapées [ONU] conduite à l’égard des « adultes en danger ». a publié un rapport consacré aux effets Des ONG ont toutefois fustigé cette ligne de cumulés des modifications législatives sur les conduite, car elle supprimait encore des prestations sociales, les soins de santé et garanties contre le caractère dommageable l’assistance judiciaire, faisant état de de la détention, en proposant notamment « violations graves ou systématiques des l’utilisation d’une définition étroite de la droits des personnes souffrant d’un « torture » lors de l’examen du risque posé handicap ». Le gouvernement a exprimé son par la détention pour le bien-être de la désaccord avec les conclusions du Comité. personne incarcérée. En novembre, la Haute Cour de justice a jugé recevable un recours

388 Amnesty International — Rapport 2016/17 contre cette ligne de conduite, et ordonné que la précédente définition de la torture, RUSSIE plus large, soit utilisée dans l’immédiat. Fédération de Russie VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ET Chef de l’État : Vladimir Poutine AUX FILLES Chef du gouvernement : Dmitri Medvedev En décembre, la Chambre des Communes s’est prononcée en faveur de la ratification de Les restrictions imposées à la liberté la Convention du Conseil de l’Europe sur la d’expression, d’association et de réunion se prévention et la lutte contre la violence à sont aggravées. Les personnes qui avaient l’égard des femmes et la violence domestique pris part aux manifestations de la place (Convention d’Istanbul), signée par le Bolotnaïa contre le gouvernement faisaient gouvernement en 2012. En juillet, le Comité toujours l’objet de poursuites et la manière des droits de l’enfant [ONU] a recommandé dont celles-ci se déroulaient suscitait l’amélioration de la collecte d’informations certaines inquiétudes quant au respect des sur les violences contre les mineurs, y normes d’équité. Les défenseurs des droits compris sur les violences au sein de la humains risquaient des amendes, voire de famille et sur celles liées au genre. faire l’objet de poursuites pénales, en La baisse du budget des services raison de leurs activités. Des poursuites ont spécialisés venant en aide aux femmes pour la première fois été engagées pour victimes de violence ou de maltraitance au infraction à la Loi sur les « agents de foyer demeurait une source de profonde l’étranger ». Un certain nombre de préoccupation. Des recherches menées par personnes ont été inculpées au titre de la l’organisation de défense des droits des législation contre l’extrémisme pour avoir femmes Women’s Aid ont révélé que les critiqué la politique du gouvernement et centres d’accueil pour femmes n’avaient avoir exhibé publiquement ou détenu des d’autre choix que de refuser deux victimes textes ou des objets présentés comme sur trois, par manque de place ou parce « extrémistes ». Des cas de torture et qu’ils n’étaient pas en mesure de répondre à d’autres mauvais traitements ont été leurs besoins, et que ce ratio était de quatre signalés dans les établissements victimes sur cinq pour les femmes pénitentiaires. Les carences en matière de appartenant à des minorités ethniques. soins médicaux dans les prisons mettaient en danger la vie même des détenus. De DROITS SYNDICAUX graves atteintes aux droits humains La Loi relative aux syndicats, qui prévoyait commises dans le cadre des opérations de des restrictions accrues sur l’organisation de sécurité menées dans le Caucase du Nord grèves par les syndicats, est entrée en ont été signalées cette année encore. Des vigueur en mai. Durant l’année, le rapporteur personnes qui avaient osé critiquer le spécial des Nations unies sur le droit de pouvoir en place en Tchétchénie ont été la réunion pacifique et la liberté d’association et cible d’agressions de la part d’acteurs non le Comité des droits économiques, sociaux et étatiques et de poursuites en justice. Des culturels [ONU] ont demandé au défenseurs des droits humains travaillant gouvernement de réviser ce texte. dans la région ont été victimes d’actes de harcèlement, également de la part d’acteurs non étatiques. La Russie a fait face à de 1. United Kingdom: Cuts that hurt: The impact of legal aid cuts in England on access to justice (EUR 45/4936/2016) nombreuses critiques de la communauté 2. United Kingdom: Submission to the UN Committee on Economic, internationale concernant les crimes de Social and Cultural Rights (EUR 45/3990/2016) guerre dont ses forces se seraient rendues coupables en Syrie. La Cour pénale internationale (CPI) a poursuivi son examen

Amnesty International — Rapport 2016/17 389 préliminaire de la situation en Ukraine, et payer une amende ou purger une courte notamment des crimes perpétrés dans l’est peine de détention administrative. de ce pays et en Crimée. La Russie ne Quatre personnes condamnées pour avoir respectait pas les droits des demandeurs participé à la manifestation du 6 mai 2012 d’asile et des réfugiés. sur la place Bolotnaïa, à Moscou, purgeaient toujours leur peine. Deux personnes ÉVOLUTIONS LÉGISLATIVES, supplémentaires ont été inculpées en 2016 CONSTITUTIONNELLES OU pour leur implication présumée dans ces INSTITUTIONNELLES événements. Dans l’affaire Frumkin vs Une série de modifications de la législation Russia, la Cour européenne des droits de de lutte contre le terrorisme, appelée « train l’homme a estimé, le 5 janvier, que le droit à de mesures de Iarovaïa », a été adoptée le la liberté de réunion pacifique de Evgeni 7 juillet. Ces nouvelles dispositions étaient en Froumkine avait été violé et que celui-ci avait grande partie contraires aux obligations été détenu arbitrairement pendant 15 jours internationales de la Russie en matière de pour refus d’obtempérer aux injonctions de la droits humains. Elles interdisaient en effet police, à la suite de sa participation à la toute forme d’activité missionnaire hors des manifestation de la place Bolotnaïa. La Cour établissements religieux spécifiquement a considéré que l’arrestation et la détention désignés à cet effet, obligeaient les du requérant, ainsi que la peine fournisseurs de technologies de l’information administrative prise à son encontre, à conserver pendant six mois toutes les constituaient des mesures totalement conversations (les métadonnées pendant disproportionnées et visaient à le dissuader et trois ans), augmentaient de quatre à huit ans à dissuader d’autres personnes de participer d’emprisonnement la peine maximale à des manifestations ou de militer dans encourue pour « extrémisme », et faisaient l’opposition. passer de cinq à 10 années Le 12 octobre, Dmitri Boutchenkov a été d’emprisonnement la peine dont étaient inculpé de participation à des troubles de passibles les personnes reconnues masse et de six chefs d’usage d’une « force coupables d’avoir incité des tiers à participer non meurtrière » contre des policiers, lors de à des troubles de masse. la manifestation de la place Bolotnaïa. L’intéressé affirmait pourtant qu’il se trouvait LIBERTÉ DE RÉUNION à Nijni Novgorod au moment des faits et qu’il La législation régissant les rassemblements n’avait pas pris part à la manifestation. Arrêté publics a été étendue en mars aux cortèges en décembre 2015, il était toujours en motorisés « non autorisés ». Cette nouvelle détention un an plus tard. disposition a été invoquée fin août pour poursuivre un groupe de paysans du LIBERTÉ D’ASSOCIATION – Kouban, dans le sud du pays, qui se DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS rendaient à Moscou en tracteur et en voiture Plusieurs dizaines d’ONG indépendantes pour protester contre l’accaparement des recevant des financements de l’étranger ont terres par de grands groupes agricoles. Leur été ajoutées en cours d’année à la liste des leader, Alexeï Voltchenko, a été condamné à « agents de l’étranger ». Cela a été le cas, 10 jours de détention administrative pour entre autres, de la Société internationale avoir pris part à une manifestation « non d’histoire et de défense des droits humains approuvée »1, peu après avoir participé à une de Memorial. réunion entre les paysans et le représentant Les ONG qui ne respectaient pas la plénipotentiaire régional adjoint du président législation relative aux « agents de de la Fédération de Russie. D’autres l’étranger » continuaient de faire l’objet personnes présentes à cette réunion ont dû d’amendes administratives. Le 24 juin, Valentina Tcherevatenko, présidente

390 Amnesty International — Rapport 2016/17 fondatrice de l’Union des femmes du Don, a législation concernaient des commentaires été informée que des poursuites pénales exprimés ou relayés sur les réseaux sociaux. avaient été engagées contre elle pour « s’être Faisant suite à une requête du Centre SOVA systématiquement soustraite aux obligations et de plusieurs autres ONG, le plénum de la prévues par la Loi sur les organisations à but Cour suprême a émis le 3 novembre des non lucratif remplissant les fonctions d’un instructions à l’attention des juges agent de l’étranger », infraction passible de concernant l’application de la législation deux années d’emprisonnement. C’est la contre l’extrémisme, précisant que, pour que première fois que l’article du Code pénal des propos soient considérés comme définissant cette infraction était invoqué constituant une incitation à la haine, ils depuis son adoption, en 2012. L’information devaient comporter un élément de violence judiciaire ouverte contre Valentina tel qu’un appel au génocide, à la répression Tcherevatenko était en cours à la fin de de masse, à l’expulsion ou à la violence. l’année. Les membres du personnel de Ekaterina Vologjeninova, une vendeuse l’Union des femmes du Don ont été d’Ekaterinbourg, dans l’Oural, a été reconnue interrogés à de multiples reprises par les coupable le 20 février d’« incitation à la haine enquêteurs, qui ont également mis sous et à l’inimitié sur la base de l’appartenance surveillance toutes les publications de ethnique », au titre de l’article 282 du Code l’organisation. pénal, après qu’elle eut critiqué sur Internet Lioudmilla Kouzmina, bibliothécaire à la l’annexion de la Crimée par la Russie et retraite et coordinatrice de l’antenne de l’implication de son pays dans la région du Samara de l’organisation Golos, qui s’attache Donbass, dans l’est de l’Ukraine. Ses à vérifier la régularité des élections, a fait commentaires étaient constitués pour l’objet de poursuites de la part de l’essentiel d’articles repris de la presse l’administration fiscale, qui lui réclamait ukrainienne. Ekaterina Vologjeninova, qui est 2 222 521 roubles (31 000 euros). mère célibataire et s’occupe seule de sa L’administration fiscale avait reclassé en mère âgée, a dû effectuer 320 heures de bénéfice une subvention accordée à « rééducation par le travail », non l’organisation par l’organisation américaine rémunérées. La juge a également estimé que USAID, cette dernière ayant été déclarée son ordinateur devait être détruit, dans la « indésirable ». Le fisc accusait Lioudmilla mesure où il constituait « l’arme du crime ». Kouzmina d’avoir fait une fausse déclaration. Le procès de la prisonnière d’opinion L’administration fiscale, qui avait fait appel de Natalia Charina, directrice de la Bibliothèque la décision du tribunal de district de Samara, publique de littérature ukrainienne de en date du 27 novembre 2015, estimant que Moscou, s’est ouvert le 2 novembre. Cette Lioudmilla Kouzmina n’avait pas fraudé le femme était accusée d’« incitation à la haine fisc d’une telle somme et n’avait pas utilisé et à l’inimitié par abus de fonction », au titre l’argent pour son propre profit, a obtenu gain de l’article 282 du Code pénal, et d’utilisation de cause le 14 mars 2016. Peu après la frauduleuse des fonds de son établissement, victoire en appel de l’administration, un deux infractions pour lesquelles elle risquait huissier a saisi la voiture de Lioudmilla jusqu’à 10 années d’emprisonnement. Un Kouzmina et le versement de sa retraite a été certain nombre de livres classés interrompu. « extrémistes » auraient été trouvés parmi les ouvrages non inscrits au catalogue de la LIBERTÉ D’EXPRESSION bibliothèque. Placée en résidence surveillée La législation de lutte contre l’extrémisme le 30 octobre 2015, elle l’était toujours était toujours appliquée de manière abusive, fin 2016. en violation du droit à la liberté d’expression. Selon le Centre SOVA, une ONG, 90 % des condamnations prononcées au titre de cette

Amnesty International — Rapport 2016/17 391 Les dirigeants tchétchènes continuaient CAUCASE DU NORD d’exercer des pressions directes sur le De graves atteintes aux droits humains, système judiciaire. Le 5 mai, Ramzan notamment des disparitions forcées et de Kadyrov a convoqué tous les juges et a possibles exécutions extrajudiciaires, auraient contraint quatre d’entre eux à démissionner. cette année encore été commises dans le Cette initiative n’a suscité aucune réaction de cadre d’opérations menées par les forces de la part des autorités fédérales. sécurité dans le Caucase du Nord. Les défenseurs des droits humains étaient PROCÈS INÉQUITABLES également menacés. Le 9 mars, deux Mykola Karpiouk et Stanislav Klykh, tous membres de l’organisation de défense des deux de nationalité ukrainienne, ont été droits humains Groupe mobile conjoint condamnés le 26 mai par la Cour suprême (JMG), six journalistes de la presse russe, de Tchétchénie à 22 ans et six mois et à norvégienne et suédoise, ainsi que leur 20 ans d’emprisonnement, respectivement. chauffeur, ont été attaqués alors qu’ils se La peine a été confirmée en appel par la rendaient en Tchétchénie depuis l’Ossétie du Cour suprême de Russie. Ils avaient été Nord. Leur minibus a été bloqué par quatre déclarés coupables, à l’issue d’un procès voitures non loin du poste de contrôle à la inéquitable, d’avoir été à la tête d’un groupe frontière administrative entre l’Ingouchie et la armé accusé d’avoir tué 30 soldats russes Tchétchénie. Une vingtaine d’hommes lors du conflit qui a ensanglanté la masqués les ont sortis de leur véhicule et les Tchétchénie entre 1994 et 1996. Les deux ont roués de coups, avant de mettre le feu au hommes affirmaient avoir été torturés à la minibus. Deux heures plus tard, le bureau du suite de leur arrestation, en mars et en JMG en Ingouchie a été mis à sac. Le août 2014 respectivement. Pendant plusieurs 16 mars, le dirigeant du JMG, Igor Kaliapine, mois, leurs avocats n’ont pas été autorisés à a été prié de quitter l’hôtel dans lequel il était les rencontrer et n’ont pas pu savoir où ils se descendu à Grozny, la capitale tchétchène. trouvaient. Stanislav Klykh, qui n’avait pas Le directeur de l’établissement lui reprochait d’antécédent de maladie mentale, est apparu de « ne pas aimer » Ramzan Kadyrov, gravement perturbé pendant toute la durée l’homme fort de la Tchétchénie. Igor du procès, qui s’est ouvert en octobre 2015. Kaliapine a ensuite été pris à partie par une Son comportement pourrait s’expliquer par foule en colère. Il a reçu plusieurs coups de les séquelles des actes de torture qu’il aurait poing et a été la cible de jets d’œufs, de subis2. L’avocat de Mykola Karpiouk a affirmé gâteaux, de farine et de produit désinfectant. que des informations capitales pour la Le 5 septembre, Jalaoudi Gueriev, un défense qui étayaient l’alibi de son client ont journaliste indépendant connu pour sa été écartées du dossier et que le juge a position critique à l’égard des dirigeants de la refusé que les témoins soient interrogés en Tchétchénie, a été condamné à trois ans Ukraine. d’emprisonnement par le tribunal de district de Chali, pour détention de 167 grammes de TORTURE ET AUTRES MAUVAIS marijuana. Lors de son procès, il a rétracté TRAITEMENTS ses « aveux » et déclaré avoir été arrêté le La torture et les mauvais traitements étaient 16 avril par trois hommes en civil, qui toujours aussi répandus et systématiques au l’auraient fait monter de force dans une cours de la phase initiale de détention et voiture, puis l’auraient amené dans un bois dans les colonies pénitentiaires. situé à la périphérie de Grozny, où ils Le 30 août, Mourad Raguimov et son père l’auraient torturé. Il aurait ensuite été remis à ont été roués de coups et torturés pendant des responsables de l’application des lois, deux heures, dans la cuisine de leur qui l’auraient obligé à faire des « aveux ». appartement de Moscou, par des agents du Détachement spécial de réaction rapide

392 Amnesty International — Rapport 2016/17 (SOBR), qui dépend du ministère de provisoire russes et qui n’avaient pas été l’Intérieur. Mourad Raguimov était accusé par correctement soignées avaient été de fait ses tortionnaires d’avoir tué un policier au soumises à la torture ou à d’autres mauvais Daghestan et d’avoir combattu dans les rangs traitements. Dans un rapport au Conseil de la de l’État islamique en Syrie. Le cousin du Fédération en date du 27 avril, le procureur jeune homme a été attaché par des menottes général a indiqué que le manque de à la table de la cuisine, tandis que les médicaments antirétroviraux dans les prisons policiers torturaient Mourad Raguimov avec mettait en danger la vie des prisonniers une matraque à décharge électrique et au affectés par le VIH. Selon un rapport de moyen d’un sac en plastique (par asphyxie). l’ONG Zona Prava publié en novembre, le Les policiers ont finalement annoncé qu’ils budget des services sanitaires des prisons avaient trouvé de la drogue dans les poches était très insuffisant, ce qui se traduisait par de leur victime. Mourad Raguimov a ensuite des pénuries d’antirétroviraux pour la prise été conduit au poste de police. Inculpé en charge des patients séropositifs pour d’infractions à la législation sur les le VIH. Toujours d’après ce rapport, de stupéfiants, il était toujours en détention à la nombreuses maladies n’étaient fin de l’année. diagnostiquées qu’en phase très avancée et Ildar Dadine a adressé à sa femme une le personnel médical, qui dépendait de lettre dans laquelle il a expliqué avoir été l’administration pénitentiaire, n’était pas torturé et, plus généralement, maltraité dans assez indépendant. La loi permettait en la colonie pénitentiaire de Segueja, en Carélie principe la libération anticipée pour raisons (nord de la Russie). Il a dit avoir été roué de de santé, mais les demandes en ce sens coups, à plusieurs reprises, par des groupes n’étaient satisfaites que dans un cas de 10 à 12 surveillants ; le directeur de sur cinq. l’établissement aurait même participé à l’un Amour Khakoulov est mort début octobre de ces passages à tabac. On lui aurait d’insuffisance rénale à l’infirmerie d’une enfoncé la tête dans la cuvette des toilettes. Il prison de la région de Kirov, dans le centre aurait également été pendu par des menottes de la Russie. Le 15 juin, un tribunal avait et menacé de viol. Ildar Dadine a été placé refusé sa libération pour raisons médicales, sept fois en cellule disciplinaire depuis son malgré l’avis favorable des experts médicaux. arrivée à la colonie pénitentiaire, en Amour Khakoulov était en détention septembre 2016. À la suite de ces depuis 2005. Selon sa famille, la maladie allégations, l’administration pénitentiaire a rénale chronique dont il souffrait serait mené une inspection et a conclu à l’absence apparue alors qu’il était en prison. de tout mauvais traitement. Ildar Dadine avait été en 2015 la première personne à être CONFLIT ARMÉ – SYRIE condamnée pour avoir participé à une La Russie s’est livrée, aux côtés du manifestation pacifique au titre de gouvernement syrien, à des attaques menées l’article 212.1 du Code pénal, qui sanctionne sans discrimination et à des attaques directes les atteintes à la réglementation sur le contre des civils et des biens à caractère déroulement des rassemblements publics. Il civil, y compris des quartiers habités, des avait été condamné à trois ans établissements médicaux et des convois d’emprisonnement, peine ramenée à deux d’aide, faisant des milliers de morts et de ans et demi en appel. blessés parmi la population civile.

Absence de soins médicaux appropriés JUSTICE INTERNATIONALE En 2016, la Cour européenne des droits de Le 14 novembre, la procureure de la CPI a l’homme a conclu dans 12 affaires que des déclaré que la situation en Crimée et à personnes qui étaient en détention dans des Sébastopol constituait de fait un conflit prisons ou des centres de détention international entre la Russie et l’Ukraine. Une

Amnesty International — Rapport 2016/17 393 étude était en cours au sein des services de la procureure pour déterminer s’il en était de RWANDA même de la situation dans l’est de l’Ukraine. Le 16 novembre, le président Vladimir République rwandaise Poutine a annoncé que la Russie n’avait plus Chef de l’État : Paul Kagame l’intention d’adhérer au Statut de Rome de la Chef du gouvernement : Anastase Murekezi CPI, qu’elle avait signé en 2000, mais qu’elle n’avait jamais ratifié. À l’approche de l’élection présidentielle prévue en 2017, il était toujours difficile de DROITS DES RÉFUGIÉS ET DES débattre librement et d’exprimer des MIGRANTS opinions dissidentes. Des militaires de haut Comme les années précédentes, la Russie a rang ont été condamnés à de lourdes peines renvoyé en Ouzbékistan et dans d’autres à l’issue de procès entachés d’irrégularités. pays des demandeurs d’asile, des réfugiés et des travailleurs migrants qui risquaient d’être CONTEXTE torturés et, plus généralement, maltraités à Le président Paul Kagame a annoncé un leur retour chez eux3. Les personnes ainsi remaniement ministériel important en rapatriées de force l’étaient souvent pour octobre et la fermeture du ministère de la avoir dépassé la durée de leur visa ou parce Sécurité intérieure, dont les fonctions ont été qu’elles n’avaient pas les documents exigés reprises par le ministère de la Justice. par le Code administratif, qui n’imposait pas Le Rwanda a accueilli le sommet de aux tribunaux de tenir compte de la gravité l’Union africaine en juillet. de l’infraction commise, de la situation de la personne et des conséquences potentielles LIBERTÉ D’ASSOCIATION ET DE de son expulsion. Le Code administratif ne RÉUNION comportait pas non plus de disposition En mars, le Parti démocratique vert du garantissant à l’individu concerné le droit à Rwanda, parti politique d’opposition une assistance juridique gratuite. officiellement reconnu, a annoncé qu’il ne Le demandeur d’asile ouzbek Olim participerait pas à l’élection si le Otchilov a été renvoyé de force le 1er juillet de gouvernement ne répondait pas à ses la Russie vers l’Ouzbékistan, au mépris des demandes de réformes politiques et mesures provisoires prises le 28 juin par la électorales. L’Office rwandais de la Cour européenne des droits de l’homme pour gouvernance a rejeté ces demandes de s’opposer à son retour contre son gré en réformes en septembre. Le parti a désigné Ouzbékistan, où il risquait d’être torturé. son candidat à la présidentielle le 17 décembre. Il s’agissait de son président, Frank Habineza. 1. Russie. Des agriculteurs et des camionneurs emprisonnés pour avoir manifesté sans violence contre la corruption (EUR 46/4760/2016) Les Forces démocratiques unifiées (FDU- 2. Russie. Condamné à l’issue d’un procès inique, la santé d’un Inkingi), un parti d’opposition non enregistré, prisonnier en danger (EUR 46/4398/2016) se heurtaient toujours à d’importantes 3. Uzbekistan: Fast track to torture, abductions and forcible returns difficultés. L’une de ses membres, Illuminée from Russia to Uzbekistan (EUR 62/3740/2016) ; Le renvoi en Iragena, a disparu alors qu’elle se rendait à Ouzbékistan d’un demandeur d’asile par la Russie constitue une son travail le 26 mars. Ses proches pensent violation flagrante du droit international (EUR 62/4488/2016) qu’elle a été illégalement placée en détention et torturée, et qu’elle est peut-être morte. Des membres de sa famille ont demandé à la police d’ouvrir une enquête, mais ils n’ont reçu aucune réponse officielle. Une autre membre du FDU-Inkingi, Léonille Gasengayire, a été arrêtée et

394 Amnesty International — Rapport 2016/17 maintenue en détention pendant trois jours en mars, après avoir rendu visite à la CRIMES DE DROIT INTERNATIONAL présidente du parti, Victoire Ingabire, à la Des personnes soupçonnées d’avoir participé prison centrale de Kigali. Elle a de nouveau au génocide de 1994 ont été jugées au été arrêtée en août à Kivumu, dans la Rwanda et en Suède. commune de Rutsiro, et accusée d’incitation En mars, les autorités congolaises ont au soulèvement. Elle se trouvait toujours en transféré Ladislas Ntaganzwa au Rwanda afin détention dans l’attente de son procès. qu’il soit jugé pour génocide et crimes contre l’humanité, conformément au mandat d’arrêt LIBERTÉ D’EXPRESSION décerné par le Mécanisme pour les tribunaux La Commission rwandaise de la réforme du pénaux internationaux [ONU], l’organisme droit a entamé des discussions avec les chargé de poursuivre le travail du Tribunal professionnels des médias en début d’année pénal international pour le Rwanda, dont les en vue de réviser la Loi de 2013 régissant les activités ont officiellement cessé en médias. Dans sa feuille de route pour la mise décembre 2015. en œuvre des recommandations acceptées En avril, la Haute Cour de la République a par le Rwanda à l’issue de l’Examen condamné à la réclusion à perpétuité Léon périodique universel (EPU) de 2015, le Mugesera, extradé du Canada en 2012. Il a gouvernement s’est engagé à dépénaliser la été reconnu coupable d’incitation à « diffamation ». commettre un génocide, d’incitation à la Le journaliste John Ndabarasa a été vu haine ethnique et de persécution constitutive pour la dernière fois à Kigali le 7 août. La de crime contre l’humanité. Il a été acquitté Commission rwandaise des médias a signalé des chefs d’accusation de préparation et de sa disparition à la police, qui a ensuite planification de génocide et d’entente en vue annoncé l’ouverture d’une enquête. On ne de commettre un génocide. savait pas si cette disparition était liée aux En mai, un tribunal suédois a reconnu activités professionnelles de John Ndabarasa Claver Berinkindi coupable de génocide, le ou à ses liens familiaux avec Joel Mutabazi, condamnant à la réclusion à perpétuité. Des ancien garde du corps du président Paul dommages et intérêts de 3 900 à Kagame, qui purge une peine 13 000 dollars des États-Unis ont été d’emprisonnement à vie pour trahison. accordés à 15 personnes qui avaient assisté à la mort d’un proche ou échappé elles- DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS mêmes à la mort. Le 28 mai, le ressortissant congolais Epimack En décembre, un tribunal français a Kwokwo, coordinateur du programme de la confirmé la condamnation à 25 ans de prison Ligue des droits de la personne dans la de Pascal Simbikangwa, ancien responsable région des Grands Lacs (LDGL), une ONG des services de renseignement rwandais, régionale, a été expulsé du Rwanda lorsque pour génocide et complicité de crimes contre son permis de travail est arrivé à expiration, l’humanité. après que d’importants retards ont été pris D’autres procédures ont été engagées dans le réenregistrement de l’ONG. Lors d’un contre des personnes soupçonnées de rendez-vous aux bureaux de l’immigration, il crimes liés au génocide. s’est vu notifier son expulsion et a été conduit En juillet, Enoch Ruhigira, chef de cabinet à la frontière avec la République de l’ancien président Juvénal Habyarimana démocratique du Congo, sans être autorisé à en 1994, a été arrêté en Allemagne à la retourner à son domicile pour récupérer ses demande des autorités rwandaises, qui affaires ou informer sa famille. Le demandent son extradition pour des réenregistrement de la LDGL a été approuvé accusations de génocide. en novembre. Le 28 septembre, le professeur d’université Léopold Munyakazi a été expulsé

Amnesty International — Rapport 2016/17 395 des États-Unis vers le Rwanda. Il a été interrogatoire et a par conséquent demandé inculpé de génocide, de complicité de le retrait de son témoignage, mais les juges génocide, d’entente en vue de commettre un n’ont pas tenu compte de ces éléments de génocide, d’extermination et de négation de façon adéquate. La Cour a estimé qu’il n’avait génocide. Il avait été arrêté après le génocide pas fourni d’éléments prouvant qu’il avait été mais relâché en 1999, faute de preuves. Le torturé, en violation du principe selon lequel il Rwanda avait décerné un mandat d’arrêt incombe à l’accusation de démontrer, au- international à son encontre en 2006, un delà du doute raisonnable, que les preuves mois après qu’il eut affirmé dans un discours ont été obtenues en toute légalité. La loi que les massacres de 1994 s’apparentaient rwandaise sur l’administration de la preuve davantage à des conflits fratricides qu’à un interdit aux tribunaux de retenir à titre de génocide. Lors d’une audience en octobre, preuve des éléments obtenus sous la torture. Léopold Munyakazi a plaidé non coupable. Frank Rusagara et François Kabayiza étant Le 12 novembre, Jean-Claude tous deux à la retraite, leurs avocats ont Iyamuremye et Jean-Baptiste Mugimba, plaidé qu’ils ne devaient pas être jugés par soupçonnés de génocide, ont été extradés un tribunal militaire et ont demandé que les des Pays-Bas et transférés à la prison deux affaires soient traitées de façon centrale de Kigali. Le 17 novembre, Henri distincte, ce que la justice a refusé. Malgré Jean-Claude Seyoboka a été expulsé du de multiples demandes, Frank Rusagara n’a Canada et accusé d’avoir participé au pas été autorisé à appeler sa femme au génocide. Il avait omis de mentionner sa Royaume-Uni avant qu’elle ne meure, en carrière militaire dans sa demande d’asile. août, des suites d’un cancer en phase terminale. PROCÈS INÉQUITABLES Le 31 mars, la Haute Cour militaire de RÉFUGIÉS ET DEMANDEURS D’ASILE Kanombe a condamné le colonel Tom Cette année encore, des Burundais ont Byabagamba et le général à la retraite Frank demandé l’asile au Rwanda, mais dans des Rusagara respectivement à 21 et 20 ans de proportions moins importantes qu’en 2015. À prison. Les deux hommes ont été reconnus la fin de l’année, le Rwanda accueillait plus coupables d’incitation au soulèvement et de 80 000 réfugiés burundais. À la suite d’activités visant à ternir l’image du pays d’allégations selon lesquelles des réfugiés alors qu’ils occupaient de hautes fonctions. étaient recrutés dans des camps au Rwanda Ils ont été condamnés, en violation de leur et recevaient une formation militaire, le droit à la liberté d’expression, pour avoir gouvernement a annoncé en février qu’il partagé par courrier électronique des articles prévoyait de réinstaller des réfugiés critiques publiés sur Internet et pour avoir burundais dans d’autres pays. Plus tard, il a formulé certains commentaires lors de déclaré qu’il n’avait pas de projet de réunions entre amis. Le colonel Tom réinstallation et que le Rwanda continuerait Byabagamba a aussi été condamné pour d’accueillir des réfugiés en provenance du dissimulation de preuves et outrage au Burundi. drapeau, ce qui lui a valu d’être déchu de Cette année encore, des demandeurs son grade et de ses décorations militaires. d’asile érythréens et soudanais auraient été Frank Rusagara a également été condamné envoyés d’Israël au Rwanda (voir Israël et pour détention d’armes illégale. Son ancien territoires palestiniens occupés). Lors d’une chauffeur, le sergent à la retraite François conférence de presse conjointe avec le Kabayiza, a été condamné à cinq ans président Paul Kagame, en visite en Israël le d’emprisonnement pour dissimulation de 6 juillet, le Premier ministre israélien preuves. Il a fait appel de cette décision. Benjamin Netanyahou a déclaré que ces Face à la cour, François Kabayiza a personnes n’étaient pas des demandeurs déclaré avoir été torturé lors de son d’asile mais des « demandeurs d’emploi ».

396 Amnesty International — Rapport 2016/17 Le président Paul Kagame a affirmé que des d’intervention spécialisée de 1 000 policiers discussions étaient en cours à ce sujet entre et militaires pour lutter contre les bandes les deux pays. criminelles. Selon les médias, les détracteurs de ces mesures craignaient que le recours à l’armée dans des opérations de sécurité publique n’entraîne des violations des droits SALVADOR humains. République du Salvador Chef de l’État et du gouvernement : Salvador Sánchez RECOURS EXCESSIF À LA FORCE ET Cerén EXÉCUTIONS EXTRAJUDICIAIRES Des membres des forces de sécurité ont été Les actes de violence étaient toujours plus accusés d’avoir commis des violations des nombreux, affectant les droits des citoyens droits humains lors d’opérations de lutte à la vie, à l’intégrité physique, à l’éducation contre le crime organisé. En avril, le Bureau et à la liberté de circulation. Des du médiateur des droits humains a indiqué informations ont fait état de cas que la police comme l’armée avaient utilisé d’utilisation excessive de la force par les une force excessive et s’étaient livrées à des forces de sécurité, et d’une hausse exécutions extrajudiciaires dans le cadre de importante des demandes d’asile déposées deux opérations de sécurité en 2015. Le par des Salvadoriens auprès de plusieurs médiateur a également déclaré à la presse pays de la région. L’interdiction totale de que des enquêtes étaient en cours sur l’avortement menaçait les droits des d’autres affaires similaires. femmes. Cependant, une proposition visant à dépénaliser l’avortement dans certaines DROITS DES FEMMES circonstances était examinée par Les droits des femmes continuaient d’être l’Assemblée législative à la fin de l’année. menacés. L’avortement était toujours Une défenseure des droits humains a été totalement interdit, même en cas de viol ou jugée pour dénonciation calomnieuse et de risque pour la vie de la femme enceinte. diffamation. La Cour suprême a déclaré En mai, María Teresa Rivera a été libérée inconstitutionnelle la loi d’amnistie de après avoir passé quatre ans en prison ; elle 1993. L’impunité persistait pour les actes avait été condamnée pour homicide avec de violence et les autres crimes commis circonstances aggravantes après avoir fait contre des personnes LGBTI. une fausse couche. Le juge a ordonné sa libération après avoir examiné sa CONTEXTE condamnation et statué qu’il n’existait pas Le pays était toujours en proie à des niveaux suffisamment d’éléments de preuve pour élevés de violence et de criminalité résultant étayer les accusations dont elle faisait l’objet1. principalement des activités des gangs, avec Plus de 20 femmes purgeaient toujours de 3 438 homicides recensés au cours des six longues peines d’emprisonnement à la suite premiers mois de l’année, contre 3 335 pour de complications liées à leur grossesse ou la même période en 2015. La presse a d’une urgence obstétrique. également signalé des cas de violences En juillet, une nouvelle proposition a été sexuelles infligées à des femmes et à des présentée par un groupe de parlementaires jeunes filles par des membres de gangs. issus du principal parti d’opposition, En avril, les autorités ont approuvé un train l’Alliance républicaine nationaliste (ARENA), de « mesures extraordinaires » destinées à pour amener à 50 ans, contre huit ans endiguer la vague de violences qui ravageait actuellement, la peine maximale le pays, adoptant notamment des réformes d’emprisonnement pour les femmes législatives visant à durcir les régimes de accusées d’avoir avorté. Cette réforme n’avait détention et à mettre en place une force pas été approuvée à la fin de l’année2.

Amnesty International — Rapport 2016/17 397 En octobre, des parlementaires du Front criminelles. Ne pouvant obtenir ni protection Farabundo Martí de libération nationale ni justice, certaines personnes LGBTI n’ont (FMLN), le parti au pouvoir, ont présenté une eu d’autres choix que de quitter le pays pour proposition visant à dépénaliser l’avortement échapper à la violence. dans quatre circonstances, notamment en Le nombre d’expulsions de ressortissants cas de risque pour la vie de la femme salvadoriens, en particulier depuis le enceinte ou de grossesse résultant d’un viol. Mexique, a augmenté. Cependant, le Cette proposition était toujours en instance à Salvador n’a mis en place aucun protocole ou la fin de l’année. mécanisme efficace pour identifier et Les chiffres relatifs aux violences liées au protéger les personnes renvoyées de force genre étaient élevés. Entre janvier et juillet, sur les lieux qu’elles avaient fuis3. 338 femmes ont été tuées contre 249 pour la même période en 2015, selon les statistiques IMPUNITÉ officielles. Le Salvador a adhéré au Statut de Rome de la Cour pénale internationale en mars. DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS En juin, la Cour interaméricaine des droits En août, la défenseure des droits humains de l’homme a tenu une audience de contrôle Sonia Sánchez Pérez a été acquittée de de conformité concernant deux affaires de toutes les charges qui pesaient sur elle. Son disparitions forcées qui avaient eu lieu au procès faisait suite à une plainte déposée par cours du conflit armé. En septembre, la Cour une entreprise privée qui l’accusait de a rendu son jugement dans l’une des dénonciation calomnieuse et de diffamation, affaires, Contreras et autres c. El Salvador, en raison des déclarations qu’elle avait faites ordonnant à l’État de lui transmettre des sur les conséquences environnementales, détails et des informations à jour sur les affectant sa communauté, d’un projet enquêtes criminelles et l’ensemble des efforts d’infrastructure de cette entreprise. Elle avait accomplis pour identifier et traduire en également dénoncé les menaces proférées justice les responsables présumés de crimes contre elle par des agents de sécurité privée. relevant du droit international et de violations L’entreprise a interjeté appel de cette des droits humains. décision. En juillet, la Cour suprême a déclaré anticonstitutionnelle la loi d’amnistie de DROITS DES MIGRANTS 1993, ce qui a représenté une avancée Un grand nombre de personnes qui importante pour les victimes de violations des cherchaient à quitter le pays voulaient droits humains commises par le passé qui échapper aux conséquences du contrôle cherchent à obtenir justice4. croissant exercé par les gangs dans certaines Quatre militaires qui faisaient l’objet d’un régions du pays, notamment aux mandat d’arrêt décerné en 2011 par un juge répercussions de cette mainmise sur les espagnol pour leur implication dans le droits à la vie, à l’intégrité physique, à meurtre de six prêtres jésuites, de leur l’éducation et à la liberté de circulation des domestique et de sa fille en 1989 auraient populations locales. été arrêtés en février. Cependant, selon les Les personnes LGBTI ont fréquemment médias, la Cour suprême a rejeté leur fait l’objet d’abus, d’actes d’intimidation et de demande d’extradition en août. violences en raison de leur orientation En septembre, un tribunal a ordonné la sexuelle ou de leur identité de genre. En réouverture de l’affaire du massacre d’El particulier, les femmes transgenres, qui Mozote, au cours duquel des centaines de avaient souvent encore plus de difficultés à civils ont été exécutés par des militaires en accéder à la justice en raison de décembre 1981. discriminations, ont été victimes de violences Durant l’année 2016, deux anciens et d’extorsions de la part de bandes militaires qui avaient été ministres de la

398 Amnesty International — Rapport 2016/17 Défense lors du conflit armé ont été expulsés des États-Unis vers le Salvador. Ils étaient LIBERTÉ DE RÉUNION accusés d’avoir commis des atteintes aux Les autorités ont interdit des manifestations droits humains au cours des années 19805. pacifiques et arrêté des manifestants. En octobre, les forces de sécurité ont utilisé du gaz lacrymogène pour disperser 1. Salvador. La libération d’une femme emprisonnée après une fausse couche est une victoire pour les droits humains (nouvelle, 20 mai) une manifestation pacifique organisée par 2. Salvador. La proposition d’alourdir les peines de prison pour les l’opposition. Le préfet de Dakar avait cherché femmes accusées d’avoir avorté est scandaleuse (nouvelle, 12 juillet) à imposer au cortège un autre itinéraire que celui prévu et avait justifié sa décision en 3. Un retour difficile Le rôle du Guatemala, du Honduras et du Salvador dans une crise des réfugiés de plus en plus grave invoquant un décret de 2011 qui interdisait (AMR 01/4865/2016) toute réunion dans certaines zones du 4. Le Salvador rejette la loi d’amnistie à l’occasion d’une décision de centre-ville. justice historique (nouvelle, 14 juillet) 5. El Salvador debe abolir la Ley de Amnistía y enfrentar su sangriento LIBERTÉ D’EXPRESSION pasado (communiqué de presse, 14 janvier) Des journalistes et des artistes qui exprimaient, notamment dans leur manière de s’habiller, des choix dissidents ont subi SÉNÉGAL des actes d’intimidation ou de harcèlement ; certains ont été arrêtés arbitrairement. République du Sénégal En février, Mamadou Mouth Bane, Chef de l’État : Macky Sall journaliste et président du mouvement social Chef du gouvernement : Mohammed Dionne Jubanti, a été convoqué par la Division des investigations criminelles et interrogé Les autorités ont continué d’imposer des pendant plus de 12 heures en raison de restrictions à la liberté d’expression et de commentaires jugés « séditieux » prononcés réunion pacifique. Les prisons étaient à la télévision à l’approche du référendum toujours surpeuplées. Plusieurs agents de sur la Constitution. Il a par la suite été police ont été reconnus coupables relâché sans avoir été inculpé. d’homicides illégaux, mais l’impunité En juin, la rappeuse Ramatoulaye Diallo, demeurait un sujet de préoccupation. Des alias Déesse Major, a été maintenue en hommes et des femmes ont été arrêtés en détention pendant trois jours et inculpée raison de leur orientation sexuelle, réelle ou d’« attentat à la pudeur et atteinte aux supposée. Malgré des initiatives visant à bonnes mœurs » en raison de ses choix réduire la mendicité des enfants dans les vestimentaires dans des vidéos mises en rues, l’impunité continuait de régner pour ligne sur les réseaux sociaux. Toutes les l’exploitation et la maltraitance infantiles. charges retenues contre elle ont été abandonnées et elle a été remise en liberté. CONTEXTE Au moins deux personnes ont été arrêtées En mai, la capitale, Dakar, a accueilli les à Dakar pour injures envers la religion. Chambres africaines extraordinaires, qui ont condamné à la réclusion à perpétuité l’ancien LUTTE CONTRE LE TERRORISME ET président tchadien Hissène Habré, reconnu SÉCURITÉ coupable de crimes contre l’humanité, de L’Assemblée nationale a adopté des textes crimes de guerre et d’actes de torture portant modification du Code pénal et du commis au Tchad entre 1982 et 1990. Code de procédure pénale, qui pourraient Des modifications ont été apportées à la être utilisés pour étouffer la dissidence. Ces Constitution à la suite d’un référendum en textes introduisaient des définitions floues et mars, dont une qui réduit à cinq ans la durée générales des infractions liées au terrorisme, du mandat présidentiel. érigeaient en infraction la production et la

Amnesty International — Rapport 2016/17 399 diffusion de contenus « contraires aux illégaux et de morts en détention survenus bonnes mœurs » sur Internet et habilitaient depuis 2007. les autorités à restreindre l’accès aux En janvier, le conducteur du véhicule de « contenus illicites » en ligne. police qui avait tué un étudiant, Mamadou Les modifications apportées au Code de Diop, pendant une manifestation pacifique à procédure pénale portaient atteinte au droit à l’approche des élections de 2012 a été la liberté, car elles étendaient à 12 jours la condamné à deux ans d’emprisonnement et période pendant laquelle une personne à une amende pour « coup mortel » et pouvait être détenue avant d’être présentée « coups et blessures volontaires ». Un de ses devant un juge dans les affaires liées au collègues, qui se trouvait avec lui à bord du terrorisme. Elles fragilisaient également le véhicule, a été condamné à trois mois de droit à un procès équitable, car elles ne prison pour « non-empêchement d’un délit précisaient pas que les personnes devaient contre l’intégrité physique ». Le tribunal a bénéficier d’un avocat dès lors qu’elles également ordonné aux deux policiers de étaient privées de liberté. verser des indemnités à la famille de Au moins 30 personnes se trouvaient en Mamadou Diop. détention pour des infractions relatives au Le policier qui avait abattu Bassirou Faye terrorisme. Plusieurs détenus ont soulevé des en août 2014 pendant une manifestation préoccupations quant aux conditions de leur pacifique à l’université Cheikh Anta Diop, à arrestation et de leur détention. Par exemple, Dakar, a été reconnu coupable de meurtre en Alioune Badara Ndao, un imam resté en juin. Il a été condamné à 20 ans de travaux détention provisoire toute l’année pour forcés, ainsi qu’à verser des indemnités à la plusieurs chefs d’inculpation, notamment famille de la victime. « actes de terrorisme » et « apologie du En juin également, un policier a été terrorisme », n’était autorisé à quitter sa condamné à deux années d’emprisonnement cellule que 30 minutes par jour. en lien avec l’homicide de Ndiaga Ndiaye, ou Matar Ndiaye, mort des suites d’une blessure CONDITIONS CARCÉRALES ET MORTS par balle reçue à la jambe lors d’une EN DÉTENTION opération policière en 2015. Les prisons étaient toujours surpeuplées. La En juillet, quatre policiers ont été reconnus maison d’arrêt de Rebeuss à Dakar comptait coupables de l’homicide d’Ibrahima Samb environ 2 090 détenus, pour une capacité en 2013 et condamnés à 10 ans de travaux d’accueil maximale de 1 600 personnes. forcés. Ibrahima Samb avait suffoqué après Au moins six personnes sont mortes en avoir été maintenu enfermé par ces agents détention en 2016. Un gardien a notamment dans le coffre d’une voiture pendant plus de été tué par balles pendant une mutinerie à la 16 heures. prison de Rebeuss en septembre. Quarante- et-une autres personnes ont été blessées, DISCRIMINATION EN RAISON DE dont 14 gardiens de prison. L’ORIENTATION SEXUELLE Au moins sept hommes et une femme étaient IMPUNITÉ en détention en raison de leur orientation Après de longues procédures judiciaires, des sexuelle supposée. avancées ont été réalisées dans quatre En janvier, la cour d’appel de Dakar a affaires relatives à des homicides illégaux acquitté sept hommes accusés d’avoir commis par les forces de sécurité. commis des « actes contre nature ». Ils Néanmoins, aucun responsable hiérarchique avaient été arrêtés en juillet 2015 et n’a eu à rendre des comptes pour n’avoir pas condamnés en août de la même année à empêché des recours excessifs à la force, et 18 mois d’emprisonnement, dont 12 mois personne n’a été traduit en justice pour les avec sursis. dizaines d’autres cas de torture, d’homicides

400 Amnesty International — Rapport 2016/17 serbe partie au conflit en Bosnie- DROITS DES ENFANTS Herzégovine – pour des crimes de guerre En juillet, le gouvernement a lancé une commis contre des civils à Srebrenica opération visant à retirer de la rue les enfants en 1995. qui y étaient envoyés pour mendier. En mars également, le Tribunal pénal Toutefois, cette année encore, les autorités international pour l’ex-Yougoslavie a acquitté n’ont pas appliqué pleinement les lois Vojislav Šešelj, président du Parti radical pénalisant l’exploitation et la maltraitance des serbe. Il avait été inculpé pour trois chefs de enfants, et rares étaient les cas faisant l’objet crimes contre l’humanité (persécutions, d’une enquête ou d’un procès. expulsion et actes inhumains de transfert forcé) et six chefs de crimes de guerre (meurtre, torture, traitements cruels, destruction sans motif, destruction ou SERBIE endommagement délibéré d’édifices République de Serbie, y compris le Kosovo consacrés à la religion ou à l’éducation et Chef de l’État : Tomislav Nikolić pillage de biens publics ou privés). Chef du gouvernement : Aleksandar Vučić L’accusation a interjeté appel ; ce recours n’avait pas encore été examiné à la fin de Des médias progouvernementaux ont l’année. Après les élections d’avril, Vojislav continué de mener des campagnes de Šešelj a repris ses fonctions à l’Assemblée diffamation contre des journalistes nationale. indépendants et des défenseurs des droits humains, ainsi que contre le bureau du LIBERTÉ D’EXPRESSION médiateur. Les poursuites pour les crimes Les poursuites engagées contre Radomir de droit international commis pendant le Marković, ancien chef des services de la conflit armé des années 1990 étaient sûreté de l’État, et trois anciens agents des toujours au point mort. Plusieurs expulsions forces de sécurité pour le meurtre, en avril forcées ont eu lieu à Belgrade. Les réfugiés 1999, du journaliste Slavko Čuruvija étaient et migrants bloqués en Serbie après avoir au point mort car un témoin clef ne s’est pas tenté de gagner l’Union européenne ne présenté au tribunal. bénéficiaient pas d’une protection adéquate Des associations de journalistes et n’avaient pas accès aux services de base. indépendants ont recensé des dizaines d’actes de violence contre des journalistes, CONTEXTE notamment des agressions physiques et des Lors des élections anticipées d’avril, le Parti menaces de mort. progressiste serbe a consolidé sa majorité et le premier ministre Aleksandar Vučić, DROITS EN MATIÈRE DE LOGEMENT dirigeant du parti, est resté à la tête du Plus de 200 familles avaient été expulsées du gouvernement. centre de Belgrade depuis le début des travaux de réhabilitation des quais de CRIMES DE DROIT INTERNATIONAL Belgrade en 2015. En avril, une expulsion Les poursuites engagées contre les auteurs forcée a été menée en pleine nuit par présumés de crimes de guerre et de crimes 30 hommes masqués, qui ont détruit les contre l’humanité étaient toujours au point logements des habitants. La police locale a mort, le poste de procureur général chargé été alertée mais a refusé d’intervenir. Le des crimes de guerre étant resté vacant toute médiateur et des groupes de militants ont l’année. En mars, le parquet a confirmé la condamné ces actes et plusieurs mise en examen de huit anciens membres manifestations ont été organisées pour de la Brigade spéciale du ministère de demander que les autorités municipales et l’Intérieur de la Republika Srpska – l’entité nationales aient à rendre des comptes. Le

Amnesty International — Rapport 2016/17 401 ministre de l’Intérieur a par la suite poursuivi groupes apportant une aide à ces personnes un journal pour diffamation, celui-ci ayant qu’ils devaient cesser toute activité en dehors affirmé que le ministre et le ministère des centres d’accueil officiels, lesquels portaient la responsabilité de l’absence étaient surpeuplés et inadaptés au logement d’intervention pendant les démolitions. Fin à long terme. De nombreux réfugiés et novembre, un tribunal a confirmé les faits de migrants ont ensuite été expulsés et renvoyés diffamation et condamné le journal à verser au sud, où ils risquaient toujours de faire au ministère 300 000 dinars serbes l’objet de renvois sommaires et illégaux vers (2 400 euros) de dommages et intérêts. l’ex-République yougoslave de Macédoine et Après sa mission en Serbie, la rapporteuse la Bulgarie. spéciale des Nations unies sur le logement La vaste majorité des demandeurs d’asile convenable a dénoncé la situation déplorable enregistrés n’avaient pas accès à une des personnes, particulièrement des Roms, procédure d’asile juste et individualisée, vivant dans des campements informels sans notamment à une procédure de accès aux services de base. En plus de détermination du statut de réfugié, la Serbie préconiser une loi sur le logement interdisant se considérant comme un pays de transit les expulsions forcées et mettant fin à la vers l’Union européenne. Les autorités serbes discrimination, la rapporteuse spéciale a compétentes en matière d’asile autorisaient souligné la nécessité de régler en priorité le la plupart des demandeurs d’asile à rester problème de la précarité de l’occupation et le dans des centres d’accueil jusqu’à ce qu’ils manque d’accès aux services publics pour soient autorisés à entrer en Hongrie sur la les personnes sans lieu de résidence déclaré. base d’une liste d’attente informelle gérée Un projet de loi réglementant les conjointement par les demandeurs d’asile et expulsions et les réinstallations a été adopté à les autorités serbes et hongroises. Certains la fin de l’année. des centres d’accueil en théorie ouverts restreignaient la liberté de mouvement des DROITS DES RÉFUGIÉS ET DES demandeurs d’asile et étaient dans les faits MIGRANTS des lieux de détention arbitraire. Plus de 120 000 réfugiés et migrants ont Des patrouilles internationales de police traversé la Serbie pour gagner l’UE. Cette ont été déployées aux frontières avec la baisse significative par rapport à 2015 était Macédoine et la Bulgarie à partir du en partie due à la fermeture des frontières 22 juillet, ce qui a considérablement réduit le sud et nord aux migrants en situation nombre de réfugiés et de migrants arrivant irrégulière. En raison du refus de la Serbie de en Serbie. D’après le ministère de la Défense, fournir un hébergement aux plus de plus de 16 000 personnes avaient été 6 000 réfugiés et migrants présents en empêchées d’entrer sur le territoire à la fin permanence sur son sol, des milliers de du mois de novembre. Les autorités ne personnes étaient bloquées dans des camps déployaient pas de manière systématique du de fortune informels à la frontière avec la personnel civil suffisamment formé aux côtés Hongrie, dans des bâtiments désaffectés ou des gardes-frontières afin que les arrivants dans des parcs à Belgrade ou ailleurs dans le puissent déclarer à la frontière leur intention pays, dans des conditions déplorables. Des de demander l’asile, comme le requièrent le groupes de bénévoles et des organisations droit serbe et le droit international. médicales ont signalé des infections et des Les autorités serbes ont maintenu la maladies graves parmi les réfugiés et les suspension d’un accord de réadmission avec migrants. leur voisin du nord, la Hongrie. Des milliers En novembre, le ministère du Travail et de de personnes renvoyées par les autorités l’Emploi, qui est chargé d’organiser hongroises en dépit de la suspension de cet l’hébergement et la prise en charge des accord se sont retrouvées bloquées en Serbie réfugiés et des migrants, a informé les

402 Amnesty International — Rapport 2016/17 sans statut légal ni accès aux services Le Bureau du procureur spécial du Kosovo de base. manquait toujours de personnel et avait des Plus de 12 000 demandes d’asile ont été difficultés à recruter des magistrats ayant la déposées durant l’année, mais seules formation et l’expérience nécessaires pour 74 décisions avaient été rendues fin octobre : enquêter sur des crimes de droit 17 demandeurs ont obtenu le statut de international, en poursuivre les responsables réfugié, 17 ont obtenu une protection et ouvrir de nouvelles enquêtes. subsidiaire et 40 demandes d’asile ont été Les chambres spécialisées pour le Kosovo, rejetées. Presque la moitié des demandes un tribunal d’exception délocalisé chargé de d’asile émanaient de mineurs. poursuivre les anciens membres de l’Armée de libération du Kosovo (UÇK), ont été mises KOSOVO en place à La Haye. À la fin de l’année, elles Un accord de stabilisation et d’association n’avaient pas encore prononcé leurs entre l’Union européenne et le Kosovo est premières mises en examen. Le Conseil de entré en vigueur en avril. Le premier conseil l’Union européenne a alloué 29 millions de stabilisation et d’association entre les deux d’euros à la mise en place et au parties s’est tenu en novembre, ouvrant la fonctionnement de ces chambres voie à la future adhésion du Kosovo à l’UE. délocalisées pour la période allant d’avril Le gouvernement de facto du Kosovo était 2016 à juin 2017. toujours assuré conjointement par les En janvier, Oliver Ivanović, dirigeant d’un autorités du Kosovo et la mission « État de parti serbe du Kosovo, a été condamné droit » de l’Union européenne au Kosovo devant un tribunal de première instance de (EULEX). Peu d’avancées ont été constatées Mitrovicë/Mitrovica, par un jury composé de dans le dialogue organisé sous l’égide de l’UE juges internationaux, à neuf ans entre la Serbie et le Kosovo. d’emprisonnement pour avoir ordonné le meurtre de membres de la communauté Accès à la justice albanaise de la ville en avril 1999. Il était En juin, le Groupe consultatif sur les droits de toujours en résidence surveillée à la fin de l’homme de la Mission d’administration l’année, l’appel de sa condamnation étant en intérimaire des Nations unies au Kosovo cours d’examen devant la cour d’appel de (MINUK) a publié un rapport final Pristina/Pristinë. extrêmement critique, reprochant à la MINUK de n’avoir pas garanti l’obligation de Disparitions forcées rendre des comptes pour les violations des Plus de 1 600 personnes étaient toujours droits humains commises durant son mandat portées disparues depuis le conflit armé. ni suivi une seule de ses recommandations. Aucune nouvelle fosse commune n’a été mise au jour en Serbie ou au Kosovo, bien Crimes de droit international que plusieurs exhumations aient été menées Le mandat de l’EULEX a été prolongé dans des lieux où l’on supposait que des jusqu’au mois de juin 2018. Cependant, la charniers pouvaient exister. Les accords de mission « État de droit » a annoncé qu’elle coopération entre les deux parties n’étaient n’ouvrirait pas de nouvelles enquêtes sur des toujours pas mis en œuvre. crimes de droit international. À la fin de l’année, des centaines d’affaires en cours Discrimination – les Roms, les Ashkalis et les devaient être transférées aux autorités du « Égyptiens » Kosovo, bien que la Commission européenne En tant que personnes déplacées à l’intérieur ait déclaré que le système judiciaire du pays du pays, les Roms, les Ashkalis et les était « lent » et « exposé à une influence « Égyptiens » ont cette année encore été en politique excessive ». butte à une discrimination institutionnelle, particulièrement en ce qui concerne l’accès à

Amnesty International — Rapport 2016/17 403 des solutions de logement durables et à n’ont pas pu passer leurs examens. Des l’emploi. Ces personnes vivaient toujours conflits fonciers ont donné lieu à des dans des quartiers informels surpeuplés, tensions grandissantes. sans accès suffisant à l’eau et aux autres services de base. SURVEILLANCE INTERNATIONALE En février, le Groupe consultatif sur les Après avoir été soumise à son deuxième EPU droits de l’homme a publié son avis sur une en avril, la Sierra Leone a accepté 177 des plainte déposée par des familles roms, 208 recommandations qui lui ont été faites1. ashkalis et « égyptiennes » qui avaient été Le pays a notamment accepté de ratifier des empoisonnées au plomb dans un camp pour traités internationaux relatifs aux droits personnes déplacées géré par les Nations humains ou d’y adhérer, comme les unies à Mitrovicë/Mitrovica, dans le nord du Protocoles facultatifs au PIDCP, au PIDESC, à Kosovo. Le Groupe a conclu que la Mission la Convention contre la torture et à la des Nations unies avait soumis les familles à Convention sur l’élimination de toutes les un traitement inhumain et dégradant, avait formes de discrimination à l’égard des bafoué leurs droits au respect de la vie privée femmes. La Sierra Leone a consenti à et familiale et à la santé, et avait fait preuve abroger ou modifier des lois utilisées pour de discrimination à leur égard en raison de restreindre la liberté d’expression et leur appartenance ethnique. Le Groupe a d’association, mais a refusé de légiférer pour jugé que les actions des Nations unies interdire les mutilations génitales féminines, avaient été particulièrement préjudiciables d’autoriser les jeunes filles enceintes à aller à pour les femmes et les enfants, victimes de l’école ou de garantir les droits fondamentaux discriminations multiples. Le Groupe a des personnes LGBTI2. En septembre, le demandé à la MINUK de reconnaître pays a fait l’objet d’un examen par le Comité publiquement qu’elle n’avait pas respecté les des droits de l’enfant de l’ONU, qui lui a normes relatives aux droits humains et l’a adressé plusieurs recommandations portant appelée, entre autres mesures, à indemniser sur la lutte contre l’exploitation sexuelle et les correctement ces familles. La MINUK n’avait mutilations génitales féminines. pas mis en œuvre ces recommandations à la fin de l’année. LIBERTÉ D’EXPRESSION, DE RÉUNION ET D’ASSOCIATION Cette année encore, la liberté d’expression, de réunion et d’association a fait l’objet de SIERRA LEONE restrictions injustifiées. République de Sierra Leone Le 27 avril, jour de la fête de Chef de l’État et du gouvernement : Ernest Bai Koroma l’indépendance, 29 personnes ont été arrêtées et placées en détention pour plus d’une semaine après un défilé organisé par le La Sierra Leone a accepté de devenir partie Parti du peuple de Sierra Leone (SLPP), qui à plusieurs traités internationaux relatifs appartient à l’opposition. La police a affirmé aux droits humains, mais a rejeté un certain que le défilé n’avait pas été autorisé et a fait nombre de recommandations formulées usage de gaz lacrymogène pour mettre fin à dans le cadre de l’Examen périodique la manifestation. Plusieurs personnes ont été universel (EPU) des Nations unies. Cette blessées, notamment Lulu Sheriff, cheffe de année encore, la liberté d’expression, de file des femmes du parti. En août, six des réunion pacifique et d’association a fait 29 personnes arrêtées ont été condamnées à l’objet de restrictions injustifiées. Les six mois de prison et une autre à neuf mois, violences contre les femmes et les filles notamment pour défilé illégal et étaient très répandues et des jeunes filles comportement séditieux. Toutes ont fait appel enceintes ont été exclues de leur école et de leur condamnation. Le procès des

404 Amnesty International — Rapport 2016/17 22 personnes restantes était toujours en cours. DROITS DES FEMMES Le procès de 15 membres du SLPP et Les cas de violence envers les femmes et les d’un haut responsable de la Commission des jeunes filles sont restés fréquents. Des droits humains, qui avaient été arrêtés dans organisations spécialisées venant en aide aux la ville de Kenema le jour de la fête de femmes et aux jeunes filles risquaient de l’indépendance, en 2015, à l’issue d’une devoir fermer en raison de contraintes manifestation, n’était pas terminé à la fin de budgétaires. l’année 2016. En mars, le président Ernest Bai Koroma a En juillet, la police a refusé d’autoriser des refusé de promulguer un texte législatif visant groupes de femmes à se rassembler devant à légaliser l’avortement dans certains cas, un centre de conférences de la capitale, alors qu’il avait été adopté deux fois par Freetown, pendant le processus de révision le Parlement3. constitutionnelle. Elles réclamaient une Le taux de mutilations génitales féminines meilleure protection des droits relatifs au (MGF) était élevé en Sierra Leone. Pendant genre dans le projet de constitution. l’épidémie d’Ebola, les MGF ont été interdites Le 24 juillet, le journaliste Sam Lahai a été et cette mesure n’avait pas été officiellement placé en détention pour deux jours par la levée à la fin de l’année. Pourtant, il restait police après avoir utilisé les réseaux sociaux courant que des filles et des femmes soient pour remettre en question le rôle du vice- victimes de mutilations génitales. ministre de l’Intérieur. Il a été libéré sous En septembre, une jeune femme âgée caution après l’intervention de l’Association d’un peu moins de 30 ans a été mutilée et des journalistes de Sierra Leone, qui enfermée dans une maison pendant quatre demandait depuis de nombreuses années jours à Kenema. Elle a été secourue par la une réforme de la législation restrictive en police et a décidé de vivre cachée. La femme matière de diffamation. accusée d’avoir procédé à la mutilation a été En août, deux hommes ont été abattus et placée en détention par la police, avant d’être plusieurs personnes ont été blessées par la libérée à la suite d’une manifestation police à Kabala lors d’une manifestation organisée devant le commissariat par contre l’annulation de l’ouverture d’un centre plusieurs personnes pratiquant des MGF. de formation pour jeunes. Un couvre-feu a été imposé après l’incendie de plusieurs bâtiments. Dix-sept personnes ont comparu DROIT À L’ÉDUCATION devant la justice, notamment pour des faits Les jeunes filles enceintes ont reçu d’incendie volontaire et de comportement l’interdiction de fréquenter les établissements séditieux. Le Bureau indépendant des scolaires classiques et de passer leurs plaintes contre la police, récemment créé, a examens, en violation de leurs droits à lancé une enquête sur des allégations selon l’éducation et à la non-discrimination. La lesquelles la police aurait fait usage d’une seule possibilité pour elles de poursuivre force excessive. Les recommandations qu’il a leurs études était de participer à un adressées au substitut du Procureur général « programme alternatif d’éducation et à l’Inspecteur général de la police n’ont temporaire », proposant un enseignement pas été rendues publiques. restreint. Ce programme temporaire a pris fin Une réglementation sur la politique liée en août, mais un nouveau programme devait aux ONG a été proposée, avec des lui succéder. Après la naissance de leur dispositions qui, selon des défenseurs des enfant, nombre de ces jeunes filles n’avaient droits humains, restreindraient les activités pas les moyens de s’acquitter des frais de de ces organisations. scolarité et ne pouvaient donc pas reprendre leurs études4.

Amnesty International — Rapport 2016/17 405 En septembre, le Comité des droits de l’enfant de l’ONU a vivement engagé la Sierra SINGAPOUR Leone à lever immédiatement l’interdiction discriminatoire, pour les jeunes filles République de Singapour enceintes, d’être scolarisée dans des Chef de l’État : Tony Tan Keng Yam établissements scolaires classiques et de Chef du gouvernement : Lee Hsien Loong passer leurs examens, et à veiller à ce que les mères adolescentes bénéficient d’un Les autorités ont continué de harceler et de soutien leur permettant de poursuivre une poursuivre en justice des blogueurs et des scolarité normale5. dissidents. Cette année encore, les médias ont été soumis à un contrôle strict au titre CONFLITS FONCIERS de la Loi relative aux journaux et à la Les problèmes fonciers ont donné lieu à des presse. La peine de bastonnade et la peine tensions croissantes. En février, six personnes de mort ont continué d’être appliquées. ont été condamnées à six mois de prison ou à des amendes pour avoir détruit des LIBERTÉ D’EXPRESSION ET DE palmiers à huile lors de manifestations qui RÉUNION avaient eu lieu en 2013 dans le district de Des militants politiques, des blogueurs et des Pujehun pour protester contre un projet de détracteurs du gouvernement ont fait l’objet production d’huile de palme piloté par Socfin. de poursuites et d’autres représailles pour Des propriétaires terriens affirmaient qu’ils avoir exercé sans violence leurs droits à la n’avaient pas donné leur accord pour l’achat liberté d’expression et de réunion pacifique. de leurs terres. Le projet de loi intitulé Administration de la En février, la Haute Cour a ordonné à une justice (protection), adopté en août, a suscité entreprise chinoise, Orient Agriculture des inquiétudes car il pourrait concerner les Limited, de rendre un peu plus de défenseurs des droits humains qui critiquent 600 hectares de terres à environ 70 familles les tribunaux ou l’administration de la justice. de la chefferie de Nimiyama, dans le district Au titre de ce texte, toute personne déclarée de Kono. En 2013, la société avait signé, coupable d’outrage à l’autorité de la justice avec le chef traditionnel souverain et les risquerait jusqu’à trois ans dirigeants locaux, un accord qui l’autorisait à d’emprisonnement et des amendes pouvant acheter des terres à bas prix sans que les atteindre 100 000 dollars singapouriens propriétaires ne soient mis au courant. (70 000 dollars des États-Unis). En juin, la blogueuse et militante politique Han Hui a été déclarée coupable d’avoir 1. Sierra Leone: Amnesty International Submission to the UN Universal Periodic Review (AFR 51/2905/2015) participé à un rassemblement illégal et 2. Sierra Leone must protect and promote women’s and girls’ human d’avoir « troublé l’ordre public », ce qui l’a rights, including to education and physical integrity empêchée de se présenter aux élections (AFR 51/4353/2016) législatives. Elle a été condamnée à une 3. Sierra Leone. Le projet de loi permettant des avortements sans risque amende de 3 100 dollars singapouriens pour doit être promulgué (nouvelle, 4 février) avoir mené une manifestation pacifique, en 4. Sierra Leone. L’interdiction d’aller à l’école en cas de grossesse et 2014, au parc Hong Lim, le seul endroit où la l’absence de protection des droits menacent l’avenir des population avait le droit de manifester sans adolescentes (nouvelle, 8 novembre) autorisation de la police. Elle a fait appel de 5. Sierra Leone: Submission to the Committee on the Rights of the Child sa condamnation1. (AFR 51/4583/2016) En juin également, les militants politiques Roy Ngerng et Teo Soh Lung ont été soumis pendant plusieurs heures à une enquête parce qu’ils avaient posté des messages sur Facebook la veille d’une élection, jour « de

406 Amnesty International — Rapport 2016/17 réflexion » durant lequel il est interdit de faire campagne2. 1. Singapore: End harassment of peaceful protesters (ASA 36/4342/2016) En septembre, Amos Yee, blogueur 2. Singapore: Government critics, bloggers and human rights defenders adolescent, a été condamné à six semaines penalized for speaking out (ASA 36/4216/2016) d’emprisonnement pour avoir mis en ligne 3. Singapour. Un blogueur encourt jusqu’à trois ans de prison des vidéos dans lesquelles il aurait « heurté (ASA 36/4685/2016) les sentiments religieux d’autrui »3. La Cour d’appel de Singapour a prolongé de deux ans l’interdiction d’exercer prononcée à l’encontre de l’avocat M. Ravi. SLOVAQUIE Certaines sources craignaient que cette République slovaque décision repose sur des motifs politiques. Chef de l’État : Andrej Kiska PEINE DE MORT Chef du gouvernement : Robert Fico Cette année encore, des condamnations à mort ont été prononcées et les autorités ont Les Roms étaient toujours victimes de procédé à des exécutions. En juin, Kho discrimination, et rien ou presque n’avait Jabing, un ressortissant malaisien déclaré été fait pour que le droit des enfants roms à coupable de meurtre, a été exécuté quelques l’éducation devienne enfin une réalité. Une heures seulement après le rejet de son procédure d’infraction de la Commission dernier recours. La peine capitale demeurait européenne était toujours en cours contre la la sentence obligatoire pour diverses Slovaquie pour atteinte au principe de infractions, dont certaines ne relevaient pas l’égalité raciale. des « crimes les plus graves » au regard du droit international. CONTEXTE Le parti du Premier ministre Robert Fico, LUTTE CONTRE LE TERRORISME ET Direction-Démocratie sociale (Smer-SD), a SÉCURITÉ remporté les élections législatives du mois de La Loi relative à la sécurité intérieure, qui mars, mais il a perdu la majorité absolue qu’il autorise la détention sans jugement pour une détenait auparavant et a dû constituer un période de deux ans renouvelable gouvernement de coalition réunissant quatre indéfiniment, a continué de susciter des formations politiques. Pour la première fois, inquiétudes. Cinquante-huit personnes une formation d’extrême droite, le Parti auraient été placées en détention au titre de populaire-Notre Slovaquie, a fait son entrée cette loi depuis janvier 2015. au Parlement, obtenant 14 sièges. La Slovaquie a pris, le 1er juillet, la Présidence DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET tournante du Conseil de l’Union européenne, DES PERSONNES BISEXUELLES, pour une durée de six mois. TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES L’article 377A du Code pénal, qui érige en DISCRIMINATION – LES ROMS infraction les relations sexuelles entre Police et forces de sécurité hommes consentants, est resté en vigueur. L’absence de résultats et la lenteur de la En juin, le ministère de l’Intérieur a demandé procédure dans plusieurs affaires de recours aux entreprises parrainant le festival Pink excessif à la force par la police contre des Dot, un rassemblement LGBTI qui a lieu tous Roms étaient préoccupantes. La Cour les ans, de cesser de soutenir cet européenne des droits de l’homme a estimé événement. en juillet que la Slovaquie n’avait pas enquêté comme elle l’aurait dû sur certaines allégations de mauvais traitements qu’aurait infligés la police à un détenu rom en 2010.

Amnesty International — Rapport 2016/17 407 Le gouvernement a annoncé en août que Les enfants roms continuaient pourtant la Loi sur la police allait être modifiée, pour d’être surreprésentés dans les classes et placer le Service du contrôle et de établissements scolaires « spéciaux » l’inspection (SKIS), qui dépendait jusqu’alors réservés aux « handicapés mentaux légers ». du ministère de l’Intérieur, sous l’autorité du Dans le système scolaire classique, ils étaient parquet, afin de renforcer son indépendance. souvent placés dans des écoles et des Cependant, la Slovaquie ne disposait toujours classes à part. La Commission européenne pas à la fin de l’année d’un mécanisme avait engagé en 2015 une procédure véritablement indépendant et transparent d’infraction contre la Slovaquie pour non- d’obligation de rendre des comptes respect de l’interdiction de toute concernant la police. discrimination figurant dans la Directive Plusieurs enquêtes sur des mauvais relative à la mise en œuvre du principe de traitements présumés de Roms par des l’égalité de traitement entre les personnes policiers étaient en cours à la fin de l’année. sans distinction de race ou d’origine En novembre, l’enquête ouverte par le SKIS ethnique. Malgré cette procédure, qui sur la brutalité excessive avec laquelle la concernait l’accès des Roms à police aurait mené une opération dans le l’enseignement et qui était toujours en cours, quartier rom de Vrbnica, en avril 2015, a le gouvernement n’avait manifestement pris abouti à l’inculpation du policier qui avait aucune mesure efficace pour éviter ou régler dirigé cette opération. Le SKIS a en revanche le problème. Cette inaction a été soulignée jugé que les preuves n’étaient pas suffisantes par la Commission européenne dans son pour inculper les autres policiers impliqués. évaluation annuelle des programmes Les familles roms ont fait appel de cette d’intégration des Roms, ainsi que par le décision en décembre. Comité des droits de l’enfant [ONU]. L’enquête ouverte par le SKIS sur le Un recours introduit en 2015 au nom de comportement de la police lors d’une l’intérêt public par le Centre des droits civils opération dans le quartier rom de Moldava et humains contre le ministère de l’Éducation nad Bodvou, en juin 2013, a été interrompue et la municipalité de Stará Ľubovňa pour en mars 2016. Soutenues par le Centre ségrégation des élèves roms dans une école européen pour les droits des Roms et le primaire a été rejeté le 6 octobre 2016 par le Centre des droits civils et humains (Poradňa), tribunal de district de Bratislava. Le Centre a les victimes ont fait appel de cette décision. fait appel et l’affaire était en instance à la fin L’affaire était en instance devant la Cour de l’année. constitutionnelle à la fin de l’année. Le parquet a fait appel de l’acquittement Stérilisation forcée de 10 policiers accusés d’avoir maltraité six Le tribunal de district de Košice II a estimé jeunes garçons roms dans un poste de police en février que l’hôpital universitaire Louis de Košice en 2009. Ce jugement a été Pasteur de Košice avait illégalement soumis annulé en avril et l’affaire a été renvoyée une femme rom à une stérilisation forcée en devant le tribunal de district. 1999. Cette femme, qui venait d’accoucher par césarienne, avait été stérilisée sans avoir Droit à l’éducation donné son consentement éclairé. Il aura fallu Une modification de la Loi sur les plus de 10 ans pour que la justice slovaque établissements scolaires interdisant de placer se prononce sur cette affaire et accorde à la des enfants issus de milieux socialement victime 17 000 euros de dommages et défavorisés dans des établissements intérêts. Une procédure en appel initiée par « spéciaux » au seul motif de leur origine l’hôpital était en cours à la fin de l’année. socioéconomique est entrée en vigueur au mois de janvier.

408 Amnesty International — Rapport 2016/17 LUTTE CONTRE LE TERRORISME ET SÉCURITÉ SLOVÉNIE Un certain nombre de dispositions République de Slovénie antiterroristes récemment inscrites dans la Chef de l’État : Borut Pahor Constitution, le Code pénal et le Code de Chef du gouvernement : Miro Cerar procédure pénale, ainsi que plusieurs autres lois, sont entrées en vigueur en janvier. Elles Les procédures d’examen des demandes prévoyaient notamment la prolongation de la d’asile étaient lentes. La Loi sur la durée de la garde à vue jusqu’à 96 heures protection internationale a été modifiée pour les personnes soupçonnées pour que des procédures accélérées aux d’infractions relevant du terrorisme. frontières y soient introduites. Les Roms étaient toujours en butte à des RÉFUGIÉS ET DEMANDEURS D’ASILE discriminations. Bien qu’elle ait fait de « l’immigration durable » l’une des priorités de son RÉFUGIÉS ET DEMANDEURS D’ASILE programme pendant qu’elle exerçait la Avant la fermeture de la route des Balkans présidence de l’Union européenne, la occidentaux en mars, 99 187 réfugiés et Slovaquie restait opposée aux quotas migrants étaient entrés en Slovénie. La obligatoires d’accueil de réfugiés en grande majorité d’entre eux ont traversé le provenance d’autres pays membres de pays pour rejoindre l’Autriche. Des l’Union. Elle s’est toutefois dite prête à demandes d’asile ont été déposées par accueillir 100 réfugiés en provenance de 1 308 personnes, dont la plupart étaient Grèce et d’Italie d’ici la fin 2017, en signe de originaires de Syrie, d’Afghanistan ou d’Irak. bonne volonté. Seules trois familles avaient Après la fermeture de cette route, les bénéficié d’une relocalisation depuis la Grèce personnes entrées en Slovénie qui n’avaient à la fin de l’année. pas demandé l’asile, y compris des mineurs, ont été détenues dans le centre pour DISCRIMINATION étrangers de Postojna. En juillet, les autorités En août, le Centre national slovaque pour les ont proposé d’autres logements aux mineurs droits humains et l’Inspection nationale du non accompagnés. commerce ont estimé que les propriétaires Les procédures d’asile étaient lentes, d’une maison d’hôte de Bratislava s’étaient notamment en raison de la capacité limitée rendus coupables de discrimination à l’égard des autorités à traiter les demandes. Au de trois étudiants turcs. Les propriétaires cours de l’année, plus de 100 demandeurs avaient en effet refusé leurs demandes de d’asile, dont des mineurs non accompagnés, réservation au motif que leur établissement ont attendu une décision de première « n’acceptait pas les personnes originaires de instance pendant plus de six mois. Turquie ou des pays arabes, pour des raisons En mars, l’Assemblée nationale a modifié de sécurité ». la Loi sur la protection internationale en y Le Premier ministre, Robert Fico, introduisant des procédures accélérées aux continuait de faire publiquement l’amalgame frontières pour les personnes ayant exprimé entre le terrorisme, les musulmans et les leur intention de demander l’asile à la réfugiés, n’hésitant pas à tenir un discours frontière slovène ou dans les zones de transit ouvertement hostile aux migrants. Le Parti des aéroports ou des ports. Cette loi a populaire-Notre Slovaquie a organisé des également supprimé le droit à une aide de manifestations contre les Roms et contre 288 € au cours du premier mois suivant l’immigration en janvier, en mars, en juin, en l’octroi d’une protection internationale. juillet et en octobre. Fin 2016, la Slovénie avait accueilli 124 demandeurs d’asile venant de Grèce et

Amnesty International — Rapport 2016/17 409 d’Italie dans le cadre du programme de Après l’expiration en 2015 du Programme relocalisation de l’Union européenne. Le pays d’action nationale pour l’intégration des s’est engagé à en accueillir 567 avant la Roms, le gouvernement a lancé un fin 2017. processus visant à adopter de nouvelles mesures. Une stratégie nationale globale DISCRIMINATION concernant les Roms devait encore être En avril, l’Assemblée nationale a adopté la Loi adoptée par le gouvernement, conformément sur la protection contre la discrimination, aux recommandations de la commission harmonisant ainsi la législation slovène avec parlementaire pour les droits humains. le droit européen en la matière. Cette loi constitue un jalon dans la lutte contre la DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET discrimination liée notamment à l’identité de DES PERSONNES BISEXUELLES, genre, à l’expression de genre, au statut TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES social ou à l’état de santé. Elle renforce le En avril, le Parlement a adopté la Loi sur les mandat et l’autonomie du Défenseur du partenariats. Si cette nouvelle loi donne aux principe d’égalité en tant qu’organe couples de même sexe les mêmes droits que indépendant de lutte contre la discrimination. ceux qui découlent du mariage, elle n’octroie Ce poste particulier a été créé pour prévenir cependant pas celui d’adopter et d’avoir et éradiquer la discrimination, notamment en accès à des services d’assistance à la examinant des plaintes et en fournissant une procréation. aide aux victimes de discrimination. ÉVOLUTIONS LÉGISLATIVES, « Personnes effacées » CONSTITUTIONNELLES OU Les atteintes aux droits humains subies de INSTITUTIONNELLES longue date par les « personnes effacées », En novembre, la Constitution a été modifiée d’anciens résidents permanents de Slovénie pour y inscrire le droit à l’eau potable. Selon originaires d’autres républiques de l’ex- cette modification, les ressources hydriques Yougoslavie, ont persisté. Depuis l’expiration, doivent être prioritairement utilisées pour en 2013, de la Loi sur le statut juridique, fournir de l’eau potable à la population et de aucune nouvelle solution n’a été proposée l’eau aux ménages. La Constitution disposait aux personnes qui restaient « effacées » pour que ces ressources représentaient un bien leur permettre de retrouver leur statut public qui ne pouvait être transformé en juridique et les droits associés. marchandise. En novembre, la Cour européenne des droits de l’homme a classé sans suite la plainte déposée contre la Slovénie par certains « effacés » dont le statut légal avait SOMALIE déjà été régularisé. Cependant, fin 2016, République fédérale de Somalie d’autres affaires relatives aux droits humains Chef de l’État : Hassan Sheikh Mohamud des « personnes effacées » restaient en Chef du gouvernement : Omar Abdirashid Ali instance devant la Cour. Sharmarke Président de la République du Somaliland : Ahmed Roms Mohamed Mahamoud Silyano La majorité des Roms étaient toujours victimes de discrimination et d’exclusion Le conflit armé opposant les forces du sociale. Beaucoup vivaient dans des gouvernement fédéral somalien et les logements inadaptés dans des quartiers à soldats de maintien de la paix de la Mission l’écart, sans sécurité d’occupation ni accès à de l’Union africaine en Somalie (AMISOM) l’eau courante, à l’électricité, aux services au groupe armé Al Shabab s’est poursuivi d’assainissement ou aux transports publics. dans le centre et le sud du pays. Les forces

410 Amnesty International — Rapport 2016/17 gouvernementales et celles de l’AMISOM en particulier dans les districts contrôlés ont gardé le contrôle des régions du centre tantôt par l’AMISOM, tantôt par Al Shabab. et du sud du pays dont elles étaient Des civils ont été tués ou blessés lors maîtresses. Plus de 50 000 civils ont été d’échanges de coups de feu et d’attaques tués, blessés ou déplacés par le conflit ciblées, de l’utilisation de grenades ou de armé et la violence généralisée. Toutes les bombes artisanales, d’attentats-suicides et parties au conflit se sont rendues d’attaques complexes. Toutes les parties au coupables, en toute impunité, d’atteintes conflit ont commis des crimes de guerre. aux droits humains et au droit international La résolution 2275 adoptée en mars par le humanitaire, parfois constitutives de crimes Conseil de sécurité des Nations unies a de guerre. Les groupes armés ont continué prorogé jusqu’au 31 mars 2017 le mandat de d’enrôler des enfants et d’enlever et torturer la Mission d’assistance des Nations unies en des civils, ou de commettre des homicides Somalie (MANUSOM), et la résolution 2297 illégaux contre la population civile. Le viol adoptée en juillet a prolongé celui de et les autres formes de violences sexuelles l’AMISOM jusqu’au 31 mai 2017. Les forces étaient des pratiques répandues. L’accès de sécurité gouvernementales et les milices des organisations humanitaires à certaines alliées, ainsi que l’AMISOM, étaient toujours régions était entravé par la poursuite des soutenues par la communauté internationale. combats, l’insécurité et les restrictions À la suite de pressions pour que les parties imposées par les parties au conflit. Quelque au conflit rendent compte de leurs actes, 4,7 millions de personnes avaient besoin neuf soldats ougandais de l’AMISOM ont été d’une aide humanitaire ; 950 000 condamnés à des peines d’emprisonnement souffraient d’insécurité alimentaire. Des pour avoir violé les règles du maintien de dizaines de milliers de personnes ont été la paix. expulsées de force de leur domicile. La La situation humanitaire demeurait très liberté d’expression a fait l’objet de précaire et il était à craindre que le retour de restrictions : deux journalistes ont été tués Somaliens de pays voisins n’exacerbe la et d’autres ont été agressés, harcelés ou crise. Au moins 4,7 millions de personnes, condamnés à des amendes. soit 40 % de la population, avaient besoin d’assistance ; les plus de 1,1 million de CONTEXTE personnes déplacées étaient les plus Le gouvernement fédéral somalien et vulnérables. l’AMISOM ont gardé le contrôle de la Le pays a été confronté à une crise capitale, Mogadiscio. Ils sont également politique à propos des collèges électoraux restés maîtres de zones prises à Al Shabab pour les élections législatives et en 2015 et ont consolidé leur contrôle par présidentielle, qui devaient avoir lieu l’intermédiaire des administrations fédérales respectivement en septembre et en octobre. dans les États du Galmudug, du Sud-Ouest Un forum mis en place par des dirigeants et du Jubaland. L’AMISOM et les Forces politiques a finalement convenu que armées nationales somaliennes ont affronté 275 collèges électoraux, formés chacun de Al Shabab par intermittence, sans que cela 51 délégués choisis par les chefs de clans, n’entraîne un changement en termes de éliraient chacun un député. Les élections contrôle du territoire. À la fin de 2016, pour les chambres haute et basse du Al Shabab restait maître de nombreuses Parlement, qui étaient prévues zones rurales, tout particulièrement dans les respectivement en septembre et en octobre, régions de Bay, de Gedo, du Bas-Shabelle et ont été reportées deux fois. De son côté, de Juba centre. Les combats ont entraîné de Al Shabab a rejeté toute forme d’élection et nouveaux déplacements de population. Les intensifié ses attaques. Le groupe a appelé affrontements entre clans et les attaques ses partisans à attaquer les bureaux de vote d’Al Shabab contre des civils ont continué, et à tuer les chefs de clans, les responsables

Amnesty International — Rapport 2016/17 411 gouvernementaux et les députés qui causé la mort d’au moins 10 civils. Le participaient aux élections. 30 août, l’explosion d’un camion devant l’hôtel SYL de Mogadiscio, à proximité du EXACTIONS PERPÉTRÉES PAR DES palais présidentiel, a fait au moins 15 morts GROUPES ARMÉS et 45 blessés. Attaques menées sans discernement Al Shabab a commis des attentats meurtriers Des civils directement pris pour cible aveugles dans des secteurs bien gardés de Des civils ont également été directement Mogadiscio et d’autres villes, faisant des visés lors des attaques, particulièrement par centaines de morts et de blessés parmi la des membres d’Al Shabab et des milices population civile. Les cibles très en vue claniques. Le 15 juin, Al Shabab a tiré des étaient exposées à ce type d’attaques. Il était obus de mortier contre des zones densément difficile d’établir le nombre de civils tués dans peuplées de Mogadiscio ; cinq fortes ces attaques en raison de l’absence de explosions ont été entendues, mais aucun système fiable de suivi des données sur les décès n’a été signalé. Le 6 août, des victimes civiles. membres d’Al Shabab ont tiré des obus de Le 21 janvier, une attaque d’Al Shabab mortier contre un quartier proche de l’hôpital contre l’hôtel Beach View et le restaurant de général de Baidoa ; un homme a été tué et fruits de mer Lido, sur la plage du Lido, à six autres personnes blessées. Mogadiscio, a fait au moins 20 morts. Un Par ailleurs, cette année encore, les attentat-suicide à la voiture piégée contre un membres d’Al Shabab ont torturé et tué poste de police de Mogadiscio a coûté la vie illégalement des personnes qu’ils accusaient à trois personnes le 9 mars. Au moins quatre d’espionnage ou qui ne se conformaient pas personnes ont été tuées et sept autres à leur interprétation de la loi islamique. Ils ont blessées le 9 avril lors d’un attentat-suicide procédé à des exécutions en public, contre un restaurant à proximité d’un notamment par lapidation et décapitation, bâtiment de l’administration locale à ainsi qu’à des amputations et des Mogadiscio. Cinq personnes au moins ont flagellations, en particulier dans les régions trouvé la mort le 9 mai à la suite d’un d’où l’AMISOM s’était retirée. Le 19 janvier, attentat-suicide à la voiture piégée contre le dans le district de Kurtuwary, des membres siège de la police de la route à Mogadiscio. d’Al Shabab ont tué un homme qu’ils Le 26 juin, une attaque d’Al Shabab contre accusaient de sorcellerie. Trois hommes l’hôtel Nasa Hablod de Mogadiscio a fait au accusés d’espionnage au profit du moins 15 morts plus de 20 blessés. Quatorze gouvernement fédéral ont été décapités le civils ont été tués dans des échanges de tirs 20 mai par Al Shabab dans le district de le 18 juillet lors d’affrontements entre des Buur Hakaba (région de Bay). Le 17 août, un combattants d’Al Shabab et les Forces homme également accusé d’espionnage au armées nationales somaliennes dans la profit du gouvernement fédéral a été fusillé région de Bay. Le 26 juillet, 10 personnes au en public par un peloton d’exécution moins – des civils et des membres des forces d’Al Shabab à Biyoley, non loin de Baidoa. de sécurité – ont trouvé la mort lors de Cette année encore, des milices claniques l’explosion de deux voitures piégées devant ou alliées au gouvernement se sont rendues un bureau des Nations unies à Mogadiscio. responsables d’exécutions extrajudiciaires, Deux attentats-suicides perpétrés le 21 août d’extorsion, d’arrestations arbitraires et de contre le siège du gouvernement local à viols. Le 7 août, une milice clanique a tiré Galkayo, dans le Puntland, une région semi- des obus de mortier contre des civils dans le autonome du nord-est de la Somalie, ont tué district de Qansax Dheere (région de Bay) ; 20 civils au moins. Le 26 août, une attaque trois personnes ont été tuées. Plusieurs civils d’Al Shabab contre le restaurant de plage ont trouvé la mort en août lors Banadir, sur la plage du Lido à Mogadiscio, a

412 Amnesty International — Rapport 2016/17 d’affrontements entre clans dans la région de accueillant des demandeurs d’asile et des Bay. réfugiés somaliens, dont le Danemark et les Pays-Bas, ont exercé des pressions sur les ENFANTS SOLDATS Somaliens pour qu’ils rentrent dans leur Cette année encore, toutes les parties au pays, affirmant que la sécurité s’y était conflit ont perpétré des atteintes graves aux améliorée. droits fondamentaux des enfants. La Somalie est partie à la Convention relative aux droits DROITS EN MATIÈRE DE LOGEMENT – de l’enfant [ONU], mais le gouvernement EXPULSIONS FORCÉES fédéral n’a pas mis en œuvre les deux plans Les expulsions forcées de personnes d’action signés en 2012 et visant à mettre un déplacées et de personnes pauvres vivant en terme au recrutement et à l’utilisation milieu urbain demeuraient un problème d’enfants soldats, ainsi qu’aux homicides et majeur, particulièrement à Mogadiscio. Au aux mutilations dont sont victimes des cours du premier semestre de l’année, les enfants. pouvoirs publics et des propriétaires privés En juin, l’UNICEF a déclaré avoir recensé ont procédé à l’expulsion forcée de près de jusqu’à 5 000 enfants soldats en Somalie, 31 000 personnes dans les districts de recrutés pour la plupart par Al Shabab et les Deynile, Dharkeinly, Hamar Weyne, Heliwa, milices claniques. Hodan, Kaxda et Wardhigley, à Mogadiscio. Plus de 14 000 personnes ont été expulsées PERSONNES DÉPLACÉES, RÉFUGIÉS ET de force durant le seul mois de janvier. La DEMANDEURS D’ASILE plupart de ces personnes se sont installées Plus de 1,1 million de Somaliens étaient dans des zones peu sûres et isolées à la toujours déplacés à l’intérieur du pays. La périphérie de la capitale, où les services plupart d’entre eux ont continué de s’installer sociaux étaient limités ou non existants et où le long du corridor d’Afgooye, entre elles vivaient dans des conditions Mogadiscio et Afgooye. Les affrontements déplorables. sporadiques opposant les Forces armées nationales somaliennes et leurs alliés de LIBERTÉ D’EXPRESSION l’AMISOM à Al Shabab ont perturbé le Des journalistes et d’autres professionnels commerce dans plusieurs régions. Les des médias ont cette année encore été Forces armées nationales somaliennes et victimes d’agressions, de harcèlement et de l’AMISOM contrôlaient les villes principales manœuvres d’intimidation. Deux journalistes tandis qu’Al Shabab bloquait les voies ont été tués. Le 4 juin, des hommes armés d’approvisionnement et taxait la population non identifiés ont abattu Sagal Salad Osman, civile dans les districts qu’il contrôlait. La une journaliste qui travaillait pour la radio- poursuite du conflit menaçait d’exacerber la télévision d’État. Abdiasis Mohamed Ali, de situation humanitaire déjà désastreuse. Radio Shabelle, a été tué par deux hommes Le Parlement fédéral a adopté, en janvier, armés le 27 septembre à Mogadiscio. une loi visant à protéger et réinsérer les Plusieurs organes de presse ont été fermés. réfugiés somaliens et les personnes Le 9 juillet, des policiers ont effectué une déplacées, mais sa mise en application était descente dans les locaux de la radio City FM, lente. On recensait plus de 1,1 million de qu’ils ont fermée. Le rédacteur en chef, réfugiés somaliens dans les pays voisins et Abdishakur Abdullahi Ahmed, et son adjoint, dans la diaspora plus lointaine. Les Abdirahman Hussein Omar Wadani, ont été Somaliens réfugiés au Yémen, fuyant arrêtés. Le matériel de la station de radio a l’escalade de la violence dans ce pays, ont également été saisi. Ali Dahir Herow, un continué de rentrer en Somalie. Ils étaient journaliste indépendant, a été arrêté le plus de 30 500 à l’avoir fait à la fin de 13 août par la police de la région de l’année. Par ailleurs, d’autres pays Beledweyn. Al Shabab a continué d’imposer

Amnesty International — Rapport 2016/17 413 des restrictions aux médias et a maintenu Mandera ont été exécutés en janvier. Un l’interdiction d’Internet dans les zones sous tribunal civil de Berbera a condamné huit son contrôle. hommes à mort le 25 juillet. Cette année La liberté des médias était également encore, des tribunaux civils ont prononcé des réduite dans le Somaliland, qui ne dispose sentences capitales ; 50 personnes au moins pas de loi sur les médias protégeant les étaient sous le coup d’une condamnation à journalistes. Le gouvernement de ce territoire mort à la fin de l’année. restreignait la liberté d’expression des personnes qui critiquaient sa politique. En octobre, neuf journalistes ont été arrêtés pour avoir exercé leur profession ; sept d’entre eux SOUDAN ont fait l’objet d’inculpations pénales. Ahmed République du Soudan Mouse Sakaaro, un journaliste basé à Burao, Chef de l’État et du gouvernement : Omar Hassan a été arrêté le 25 mai et inculpé d’incitation à Ahmad el Béchir la violence. Des policiers ont interpellé en juin Abdirashid Abdiwahaab Ibraahim, Les autorités ont refusé d’exécuter des éditeur du journal indépendant Foore, et mandats d’arrêt décernés par la Cour Mohamed Mahamoud Yousuf, rédacteur en pénale internationale (CPI). Cette année chef, auxquels il était reproché d’avoir rendu encore, la situation sécuritaire et compte d’un accord sur la gestion du port de humanitaire est demeurée préoccupante au Berbera conclu entre le gouvernement du Darfour et dans les États du Nil bleu et du Somaliland et une société privée basée à Kordofan du Sud, où les violations du droit l’étranger. Deux journalistes, Cabdirashid international humanitaire et relatif aux Nuur Wacays et Siciid droits humains étaient répandues. Des Khadar, respectivement éditeur et rédacteur éléments ont laissé à penser que des armes en chef de Hubsad, ont été arrêtés en mai ; chimiques avaient été utilisées par les le journal a été fermé. En outre, le forces gouvernementales au Darfour. La gouvernement a suspendu la publication de liberté d’expression, d’association et de Haartif ; un tribunal a annulé l’autorisation de réunion pacifique a été soumise à des parution de ce journal et la police a occupé restrictions arbitraires. Des détracteurs du ses locaux. gouvernement et des opposants présumés ont été arrêtés arbitrairement et incarcérés, PEINE DE MORT entre autres violations de leurs droits. La Somalie a continué de recourir à la peine L’usage excessif de la force par les autorités de mort malgré son soutien à la résolution de pour disperser des rassemblements a fait de l’Assemblée générale des Nations unies en nombreuses victimes. faveur d’un moratoire. Peu d’exécutions ont été signalées, mais le Tribunal militaire, qui CONTEXTE appliquait une procédure non conforme aux Les conflits armés qui ont persisté au Darfour normes internationales d’équité, a prononcé et dans les États du Nil bleu et du Kordofan des sentences capitales. Parmi les du Sud ont entraîné des pertes en vies condamnés à mort figurait un ancien humaines ainsi que des perturbations et des journaliste accusé d’avoir aidé Al Shabab à souffrances généralisées pour la population tuer cinq autres journalistes. Le 14 août, à civile. Garowe, un tribunal militaire du Puntland a En mars, le Groupe de mise en œuvre de ordonné de passer par les armes un officier haut niveau de l’Union africaine pour le de l’armée. On ignorait si l’exécution avait Soudan (AUHIP) a proposé une feuille de eu lieu. route pour la paix et le dialogue en vue de Dans le Somaliland, six condamnés à mort mettre un terme aux conflits. Les parties s’y détenus dans la prison de haute sécurité de engageaient à mettre fin aux conflits au

414 Amnesty International — Rapport 2016/17 Darfour et dans les États du Nil bleu et du Kordofan du Sud et à permettre l’accès COUR PÉNALE INTERNATIONALE humanitaire à toutes les populations de ces Les autorités refusaient toujours d’exécuter trois régions. Elles convenaient également cinq mandats d’arrêt décernés par la CPI d’entamer un processus de dialogue national contre des ressortissants soudanais, dont ouvert. Le gouvernement a signé cet accord deux contre le président Omar el Béchir pour en mars, mais les groupes d’opposition ont génocide, crimes contre l’humanité et crimes dans un premier temps refusé de faire de de guerre présumés au Darfour. même. L’accord a finalement été signé le 8 août CONFLIT ARMÉ par quatre groupes d’opposition : l’Oumma Darfour (Parti de l’indépendance), le Mouvement La situation sécuritaire et humanitaire populaire de libération du Soudan-Nord demeurait dramatique au Darfour, où le (MPLS-N), le Mouvement pour la justice et conflit armé est entré en 2016 dans sa l’égalité (MJE), et la faction Minni Minnawi du treizième année. Mouvement de libération du Soudan (MLS- Les forces gouvernementales ont lancé en MM). Les négociations ont repris le janvier une offensive militaire de grande lendemain à Addis-Abeba, en Éthiopie, sur ampleur dans la région du Djebel Marra. Des deux axes : entre le MPLS-N et le localités de cette zone ont été la cible gouvernement d’une part, et sur le Darfour à d’attaques aériennes et terrestres propos de la fin des hostilités et de l’accès à coordonnées jusqu’en mai. Ensuite, la saison l’aide humanitaire d’autre part. Les des pluies a rendu le terrain impraticable pourparlers entre le gouvernement et les pour les forces terrestres dans presque toute groupes armés d’opposition – le MPLS-N, le la zone, mais les opérations aériennes se MJE et le MLS-MM – ont toutefois échoué le sont poursuivies jusqu’à la mi-septembre. 14 août. Les deux parties se sont reproché Un grand nombre de crimes au regard du mutuellement d’être à l’origine de l’échec. droit international et de violations des droits À l’issue de l’examen du bilan du pays en humains imputables aux forces matière de droits humains dans le cadre de gouvernementales soudanaises ont été l’Examen périodique universel des Nations recensés. Celles-ci ont notamment bombardé unies en mai, le Soudan a accepté un certain des civils et des biens à caractère civil (c’est- nombre de recommandations, notamment la à-dire qui n’étaient pas des objectifs ratification de la Convention contre la torture militaires), tué illégalement des hommes, des [ONU], ainsi que des efforts en vue femmes et des enfants, enlevé et violé des d’empêcher le recours à la torture et aux femmes, déplacé de force des civils, et pillé traitements inhumains. Il a toutefois rejeté les et détruit des biens civils, dont des villages recommandations l’invitant à supprimer les entiers. dispositions sur l’impunité de la Loi de 2010 Des éléments de preuve portent également relative à la sécurité nationale et à garantir à croire que les forces gouvernementales l’ouverture d’enquêtes indépendantes soudanaises ont utilisé à plusieurs reprises débouchant sur des poursuites pour les des armes chimiques lors de leurs attaques crimes au regard du droit international et les dans le Djebel Marra2. Des images satellite, violations des droits humains imputables à plus de 200 entretiens approfondis avec des des membres du Service national de la victimes et l’analyse par des experts de sûreté et du renseignement (NISS), des plusieurs dizaines de photos ont révélé qu’au forces armées et de la police1. moins 30 attaques probables à l’arme Le Parlement a adopté en janvier une chimique avaient eu lieu dans le Djebel modification législative qui portait de deux à Marra entre janvier et septembre 2016. cinq ans d’emprisonnement la peine Quelque 200 à 250 personnes, dont maximale pour participation à une émeute. beaucoup, voire la plupart, étaient des

Amnesty International — Rapport 2016/17 415 enfants, sont vraisemblablement mortes des (TRACKS). Ils ont saisi des téléphones suites d’une exposition à des agents mobiles et des ordinateurs portables, ainsi chimiques. La grande majorité des victimes que des documents, les passeports des des attaques présumées à l’arme chimique personnes présentes et deux véhicules. Le n’ont pas pu bénéficier de soins médicaux directeur de TRACKS, Khalafalla Mukhtar, a appropriés. été retenu pendant six heures, de même qu’un autre employé de l’organisation et un Kordofan du Sud et Nil bleu visiteur, Mustafa Adam, directeur d’une autre Le 24 avril, le Front révolutionnaire organisation de la société civile appelée Al soudanais, une coalition de quatre groupes Zarqaa4. Huit personnes liées à TRACKS, armés d’opposition, a annoncé un cessez-le- dont des employés, ont été arrêtées le 22 mai feu unilatéral pour une durée de six mois, par le NISS. Cinq d’entre elles ont été dans le prolongement d’un précédent libérées sous caution en juin. Les trois autres cessez-le-feu proclamé en octobre 2015. Le ont été maintenues en détention sans président el Béchir a décrété, le 17 juin, la inculpation pendant près de trois mois par le cessation unilatérale des hostilités pour bureau du procureur en charge de la sûreté quatre mois dans les États du Nil bleu et du de l’État, avant d’être transférées à la prison Kordofan du Sud. En octobre, il a prolongé d’Al Huda dans l’attente de leur procès5. Au cette mesure jusqu’à la fin de l’année dans total, six employés de TRACKS et personnes ces deux régions. liées à l'organisation ont été inculpés en août Malgré la proclamation de la cessation des de différentes infractions, notamment de hostilités, des affrontements sporadiques ont crimes contre l’État passibles de la peine opposé les forces gouvernementales au capitale. Leur procès n’était pas terminé à la MPLS-N dans les zones contrôlées par fin de l’année6. l’Armée populaire de libération du Soudan- Entre le 23 et le 28 mars, quatre Nord (APLS-N). Le conflit armé était représentants de la société civile ont été caractérisé par des attaques aériennes et interpellés à l’aéroport international de terrestres menées par les forces Khartoum par des agents des services de gouvernementales, dont beaucoup visaient sécurité alors qu’ils se rendaient à une des biens à caractère civil, ainsi que par réunion de haut niveau avec des diplomates l’entrave de la fourniture d’aide humanitaire à Genève (Suisse) pour préparer l’Examen aux civils3. périodique universel de la situation des droits humains au Soudan7. LIBERTÉ D’ASSOCIATION Cette année encore, les autorités ont Des militants de la société civile ont été empêché des partis politiques d’opposition victimes d’arrestations et soumis à des d’organiser des activités publiques restrictions arbitraires de leurs activités. pacifiques. Le NISS a empêché le Parti Le 28 janvier, le NISS a empêché la tenue républicain de commémorer l’anniversaire de d’un séminaire organisé au club Al Mahas, à l’exécution de son fondateur, Mahmoud Khartoum, la capitale, par un comité opposé Mohamed Taha, le 18 janvier. En février, des à la construction des barrages de Kajbar et agents du NISS ont interdit à deux partis de Dal, dans l’État du Nord. Les membres de d’opposition, le Parti communiste soudanais ce comité affirmaient que les barrages (PCS) et le Parti du Congrès soudanais auraient un impact social et environnemental (SCP), d’organiser une réunion publique à négatif. Douze personnes ont été interpellées Khartoum. par le NISS et relâchées dans la journée. Des agents du NISS ont effectué le LIBERTÉ D’EXPRESSION 29 février une descente dans les locaux La liberté d’expression était toujours soumise d’une ONG, le Centre de Khartoum pour la à des restrictions arbitraires. Des numéros de formation et le développement humain journaux étaient régulièrement saisis. Douze

416 Amnesty International — Rapport 2016/17 journaux ont ainsi vu leurs numéros détenus sans inculpation à Khartoum8. Ils ont confisqués à 22 reprises durant l’année. été remis en liberté à la fin d’avril, mais Plusieurs dizaines de journalistes ont été certains ont de nouveau été arrêtés en mai. arrêtés et interrogés par le bureau des Le 5 mai, des agents du NISS ont effectué médias du NISS et le parquet en charge de la une descente au cabinet de Nabil Adib, presse et des publications à Khartoum. éminent avocat spécialiste des droits En avril, des agents du NISS ont saisi sans humains, où ils ont arrêté 11 personnes, dont fournir aucune explication le tirage complet huit étudiants qui avaient été exclus, des quotidiens Akhir Lahzah, Al Sihaa et temporairement ou définitivement, de Al Tagheer. En mai, les journaux Alwan, l’université de Khartoum. Toutes ces Al Mustagilla et Al Jareeda ont été saisis dans personnes avaient été libérées à la fin du les imprimeries par le NISS. Al Sihaa et mois de juin. Al Jareeda ont été de nouveau saisis en Dix hommes qui avaient rencontré l’envoyé octobre. spécial des États-Unis pour le Soudan et le Le 14 août, le Conseil national de la presse Soudan du Sud en visite dans la région ont et des publications a suspendu sine die la été arrêtés le 31 juillet par des agents du publication de quatre journaux : Elaf, NISS dans le Darfour central. Sept d’entre Al Mustagilla, Al Watan et Awal al Nahar. Il a eux étaient des personnes déplacées. Ils ont affirmé que cette mesure avait été prise car tous été remis en liberté en septembre9. ceux-ci persistaient à violer la règlementation établie par la Loi relative à la presse et aux RECOURS EXCESSIF À LA FORCE publications. Les autorités ont imposé des restrictions arbitraires à la liberté de réunion et, dans ARRESTATIONS ET DÉTENTIONS bien des cas, ont utilisé une force excessive ARBITRAIRES pour disperser des rassemblements, faisant Dans tout le pays, des membres de partis plusieurs morts et de nombreux blessés. d’opposition, des défenseurs des droits Aucune enquête n’a été menée sur humains, des étudiants et des militants ces décès. politiques ont été arrêtés et détenus de En février, des agents du NISS et des manière arbitraire, entre autres violations de étudiants affiliés au Parti du Congrès national leurs droits fondamentaux, par des agents du (NCP), au pouvoir, ont violemment NISS et des membres d’autres branches des interrompu un séminaire public organisé par forces de sécurité. un parti d’opposition à l’université Le 1er février, des agents du NISS ont d’El Geneina. Un certain nombre d’étudiants arrêté à Khartoum quatre étudiants ont été grièvement blessés et l’un d’entre originaires du Darfour à la suite d’une eux, Salah al Din Qamar Ibrahim, a manifestation organisée par le Front succombé à ses blessures. populaire unifié, affilié à la faction Abdul Le 19 avril, Abubakar Hassan Mohamed Wahid Al Nour du Mouvement de libération Taha, 18 ans, étudiant à l’université du du Soudan, contre le conflit dans le Kordofan, a été abattu d’une balle dans la Djebel Marra. tête par des agents du NISS à Al Obeid, En avril, des affrontements violents ont capitale du Kordofan du Nord. Les étudiants opposé durant trois semaines des étudiants défilaient pacifiquement quand ils ont été aux forces de sécurité à l’université de interceptés par des agents du NISS Khartoum. Le mouvement de protestation lourdement armés, qui auraient ouvert le feu avait été déclenché par des informations sur la foule pour les empêcher de participer selon lesquelles le gouvernement avait aux élections étudiantes. Vingt-sept autres l’intention de vendre certains bâtiments de étudiants ont été blessés, dont cinq l’université. Plusieurs dizaines d’étudiants ont grièvement. L’homicide d’Abubakar Hassan été interpellés ; cinq d’entre eux ont été

Amnesty International — Rapport 2016/17 417 Mohamed Taha a provoqué des avril s’est effondré à la suite de combats manifestations étudiantes dans tout le pays10. acharnés qui ont opposé les forces Mohamad al Sadiq Yoyo, 20 ans, étudiant gouvernementales et celles de l’opposition en deuxième année à l’université Al Ahlia en juillet à Djouba. La communauté d’Omdourman, dans l’État de Khartoum, a internationale a reconnu le gouvernement été abattu le 27 avril par des agents du NISS. qui s’est reconstitué à Djouba, mais le chef Le 8 mai, dans la ville de Kosti (État du Nil de l’opposition, Riek Machar, et ses alliés blanc), des policiers ont dispersé par la force l’ont rejeté. La poursuite des combats a eu un sit-in pacifique organisé par l’Association des conséquences humanitaires graves pour des étudiants de la faculté d’ingénierie de les civils. Les services de sécurité du l’université Al Imam al Mahdi. Les policiers gouvernement ont réprimé activement les auraient utilisé du gaz lacrymogène et des voix indépendantes et critiques émanant de matraques ; sept étudiants environ ont été l’opposition, des médias et de la société blessés, dont quatre grièvement. civile.

1. Sudan: Amnesty International public statement at the 33rd session of CONTEXTE the UN Human Rights Council (AFR 54/4875/2016) La mise en œuvre de l’Accord sur la 2. Terre brûlée, air empoisonné. Darfour : la région du Djebel Marra résolution du conflit en République du dévastée par les forces gouvernementales soudanaises (Résumé) Soudan du Sud (ARCSS) a été lente et elle (AFR 54/4877/2016) s’est heurtée à de nombreux obstacles, 3. Sudan: Five years and counting - Intensified aerial bombardment, notamment à des désaccords portant sur le ground offensive and humanitarian crisis in south Kordofan state nombre d’États, le cantonnement des (AFR 54/4913/2016) combattants de l’opposition et les 4. Soudan. Dix militants de la société civile harcelés par le Service dispositions de sécurité dans la capitale, national de la sûreté et du renseignement (AFR 54/3634/2016) Djouba. 5. Soudan. Trois défenseurs des droits humains toujours détenus Le chef de l’opposition, Riek Machar, est (AFR 54/4267/2016) rentré à Djouba le 26 avril pour prendre ses 6. Sudan: Drop all charges and release activists detained for exercising their rights (nouvelle, 29 août) fonctions en qualité de premier vice- président du TGoNU ainsi que le prévoyait 7. Sudan blocks civil society participation in UN-led human rights review (AFR 54/4310/2016) l’accord de paix. Les ministres du TGoNU ont prêté serment au cours de la semaine 8. Soudan. Des militants étudiants détenus sans inculpation (AFR 54/3861/2016) suivante. 9. Soudan. Huit hommes arrêtés et portés disparus (AFR 54/4617/2016) Au début de juillet, à Djouba, une série d’affrontements violents entre les forces 10. Soudan. Le gouvernement doit enquêter sur l’homicide d’un étudiant de 18 ans attribué à des agents des services de renseignement gouvernementales et celles de l’opposition (nouvelle, 20 avril) ont exacerbé les tensions et débouché sur une fusillade meurtrière entre les gardes du corps du président Salva Kiir et ceux du premier vice-président Riek Machar à SOUDAN DU SUD l’extérieur du palais présidentiel, où se tenait République du Soudan du Sud une rencontre entre les deux dirigeants. Des Chef de l’État et du gouvernement : Salva Kiir Mayardit affrontements intenses ont opposé les forces gouvernementales à celles de l’opposition les Le conflit entre les forces gouvernementales 10 et 11 juillet à Djouba. et celles de l’opposition s’est poursuivi Les combats dans la capitale ont contraint malgré la signature de l’accord de paix. Les Riek Machar et les forces de l’opposition à parties ont bafoué le droit international fuir vers le sud, où ils ont échappé aux humanitaire et relatif aux droits humains troupes gouvernementales, qui les ont lors des combats. Le Gouvernement d’unité poursuivis activement durant le mois suivant. nationale de transition (TGoNU) formé en Le président Salva Kiir a limogé le premier

418 Amnesty International — Rapport 2016/17 vice-président Riek Machar, qu’il a remplacé, gouvernement au mandat de la FPR et à sa le 25 juillet, par Taban Deng Gai, une figure mise en place, le Conseil de sécurité n’a de l’opposition. Riek Machar a dénoncé son toutefois pas adopté en décembre une limogeage, ce qui a entraîné une scission au résolution qui aurait imposé un embargo sur sein du Mouvement/Armée populaire de les armes. libération du Soudan-Opposition (MPLS/ APLS-Opposition). La communauté CONFLIT ARMÉ INTERNE internationale a finalement reconnu le Malgré l’accord de paix, des combats ont eu nouveau gouvernement, qu’elle a exhorté à lieu tout au long de l’année dans de reprendre la mise en œuvre de l’ARCSS. nombreuses régions du pays. Les parties au Un calme relatif a été rétabli à Djouba conflit ont commis des atteintes au droit après la fuite de Riek Machar et des forces international humanitaire et relatif aux droits d’opposition, mais les combats dans la humains. Elles se sont notamment rendues capitale ont déclenché un regain de violence responsables d’homicides, de pillages et de dans la région de l’Équatoria, au sud du destructions de biens à caractère civil, ainsi pays, qui a été le théâtre d’homicides de que d’enlèvements et de violences sexuelles. civils, de pillages et de détentions arbitraires. Les 17 et 18 février, des combats ont Les comtés de Lainya, de Yei, de Kajokeji, de éclaté sur le site de protection des civils des Morobo et de Maridi ont été particulièrement Nations unies à Malakal, qui hébergeait touchés. Quelque 394 500 personnes ont environ 45 000 personnes. Des soldats des trouvé refuge dans le nord de l’Ouganda forces gouvernementales ont pénétré sur le entre juillet et décembre en raison de site et participé aux combats. Environ un tiers l’insécurité. du camp a été réduit en cendres et au moins En septembre, le Conseil de sécurité de 29 personnes déplacées ont été tuées. l’ONU a adopté la résolution 2304, qui Au début de 2016, des soldats des forces autorisait la mise en place d’une Force de gouvernementales ont attaqué des civils dans protection régionale (FPR) de le Bahr el Ghazal occidental. Ils ont tué, 4 000 membres, en complément des torturé, y compris violé, des civils et ont pillé 12 000 membres de la force de paix de la et incendié des habitations. Quelque 70 000 Mission des Nations unies au Soudan du Sud personnes ont été déplacées et plusieurs (MINUSS). La FPR aurait pour mandat de dizaines d’autres tuées à la suite faciliter la libre circulation dans Djouba et aux d’affrontements entre les forces alentours, de protéger l’aéroport et les gouvernementales et celles alliées à installations essentielles de la capitale, et de l’opposition dans la ville de Wau les 24 et combattre tout acteur qui préparerait ou 25 juin. mènerait des attaques contre des civils ou Lors des combats qui ont eu lieu en juillet des intervenants humanitaires, ainsi que à Djouba, des acteurs armés, et contre le personnel et les locaux des Nations particulièrement des soldats des forces unies. Cette force n’avait toutefois pas été gouvernementales, ont bafoué le droit mise en place à la fin de l’année. international humanitaire et relatif aux droits La même résolution prévoyait que le humains. Ils ont tué des civils, commis des Conseil de sécurité envisagerait l’imposition violences sexuelles et pillé des biens civils et d’un embargo sur les armes si le Soudan du ceux d’organisations humanitaires. Des Sud mettait des entraves politiques ou soldats des forces gouvernementales ont opérationnelles à la concrétisation de la FPR également tiré des coups de feu sans ou empêchait la MINUSS de mener à bien sa distinction à proximité de sites de protection mission. Bien que des informations aient fait des civils et, dans certains cas, ont pris état d’attaques et de manœuvres délibérément ces sites pour cible. Selon les d’obstruction visant le personnel de la Nations unies, 54 personnes déplacées ont MINUSS, et malgré l’hostilité du été tuées sur ces sites au cours des combats.

Amnesty International — Rapport 2016/17 419 Le nombre de réfugiés ayant fui dans les Loreom Joseph Logie, détenu de manière pays voisins depuis le début du conflit, en arbitraire par le NSS depuis septembre 2014, décembre 2013, a atteint un million en est mort le 17 juillet. Il souffrait d’une septembre. Le nombre de personnes parasitose intestinale qui, non soignée, avait déplacées ayant trouvé refuge sur les sites de endommagé son foie. protection des civils a augmenté tout au long Un lieu de détention situé sur une base de l’année pour atteindre 204 918 en militaire à Gorom, à une vingtaine de octobre. Au total, 1,83 million de personnes kilomètres au sud de Djouba, a été utilisé, au étaient toujours déplacées à l’intérieur du moins entre novembre 2015 et mai 2016, pays et 4,8 millions souffraient d’insécurité pour incarcérer des soldats et des civils alimentaire. accusés d’entretenir des liens avec l’opposition. Ils étaient détenus sans DÉTENTIONS ARBITRAIRES, TORTURE inculpation ni jugement dans des containers ET AUTRES MAUVAIS TRAITEMENTS de transport maritime, sans aération ou Cette année encore, des membres du Service presque, ne recevant de la nourriture qu’une national de la sûreté (NSS) et de la Direction à deux fois par semaine et de l’eau potable du renseignement militaire ont été en quantité insuffisante. Beaucoup sont responsables d’arrestations arbitraires, de morts en raison de la dureté des conditions détentions prolongées et, dans certains cas, de détention ; d’autres ont été victimes au secret, ainsi que de disparitions forcées d’exécution extrajudiciaire. d’opposants présumés. Des prisonniers ont Des prisonniers étaient toujours soumis à été torturés et maltraités dans de nombreux la détention arbitraire et au secret, à des lieux de détention. actes de torture et à des disparitions dans la Plus de 30 hommes étaient détenus par le caserne militaire de Giyada, à Djouba. Les NSS dans un bâtiment de deux étages situé conditions carcérales étaient particulièrement dans l’enceinte du siège de ce service, dans éprouvantes dans une cellule du le quartier de Djebel, à Djouba. Ces hommes, renseignement militaire située au sous-sol, qui étaient accusés d’être des sympathisants où les prisonniers ne voyaient pas la lumière du MPLS/APLS-Opposition, n’ont pas été naturelle et ne disposaient pas d’installations inculpés ni présentés à un tribunal. Aucun sanitaires. d’entre eux n’avait été autorisé à consulter un Elias Waya Nyipouch, ancien gouverneur avocat à la fin de l’année. Le NSS restreignait de l’État de Wau, a été arrêté à son domicile leurs contacts avec leur famille et ne leur le 26 juin. Détenu à la caserne militaire de fournissait pas les soins médicaux Giyada, à Djouba, il a été transféré le appropriés. Certains ont été battus et soumis 21 octobre à la caserne de Bilpam, située à d’autres formes d’agressions physiques, en elle aussi dans la capitale. Il était maintenu particulier au cours des interrogatoires ou à en détention sans inculpation ni jugement à titre de punition pour avoir enfreint le la fin de l’année. règlement intérieur de la prison. Certains de ces prisonniers étaient détenus depuis plus OBLIGATION DE RENDRE DES COMPTES de deux ans. Aucune enquête crédible n’a été menée sur George Livio, journaliste qui travaillait pour les atteintes au droit international Radio Miraya, la station de radio des Nations humanitaire et relatif aux droits humains, et unies, était maintenu en détention par le aucun responsable de tels actes n’a fait NSS, sans inculpation ni jugement, à Djouba. l’objet de poursuites sérieuses et été jugé par Cet homme avait été arrêté à Wau le 22 août un tribunal civil dans le cadre d’un procès 2014. Le NSS a rejeté les demandes de équitable. Des soldats des forces visites formulées par son avocat et a limité gouvernementales accusés de crimes contre ses contacts avec sa famille. des civils auraient été traduits devant des tribunaux militaires, malgré une disposition

420 Amnesty International — Rapport 2016/17 de la Loi du Soudan du Sud relative à été remis en liberté sous caution le 29 juillet. l’Armée populaire de libération du Soudan La date de son procès n’avait pas encore été (APLS) prévoyant que les militaires fixée à la fin de l’année. coupables d’infractions contre des civils Le 12 septembre, les membres du doivent être jugés par un tribunal civil. personnel du journal Nation Mirror ont été Bien que l’ARCSS ait prévu la mise en convoqués par le NSS et se sont vu remettre place, par la Commission de l’Union une lettre ordonnant « la fermeture [du africaine, d’un Tribunal hybride pour le journal] car ils avaient eu des activités Soudan du Sud, peu de progrès ont été incompatibles avec leur statut ». Cet ordre accomplis dans ce sens. La création d’une faisait suite à la publication d’un éditorial Commission vérité, réconciliation et guérison condamnant la corruption au sein des forces et d’une Autorité en charge des réparations armées et d’un article faisant état et de l’indemnisation des victimes d’allégations de corruption visant des (organismes également prévus par l’accord responsables gouvernementaux. de paix) n’avait guère progressé non plus. LIBERTÉ D’ASSOCIATION LIBERTÉ D’EXPRESSION Deux lois règlementant les activités des ONG L’espace de liberté des journalistes et des ont été promulguées en février. Ces lois défenseurs des droits humains n’a cessé de restreignaient le droit à la liberté d’association se réduire depuis le déclenchement du en imposant à toutes les ONG de se faire conflit. Les autorités, et tout particulièrement enregistrer ; celles qui n’effectuaient pas les membres du NSS, ont continué de cette démarche se voyaient interdire toute harceler et d’intimider des journalistes, les activité. La Commission pour les secours et la convoquant à des fins d’interrogatoire et les reconstruction détenait de vastes pouvoirs en arrêtant et les détenant de manière arbitraire. matière d’enregistrement et de surveillance De nombreux journalistes et défenseurs des des ONG et pouvait annuler l’enregistrement droits humains ont fui le Soudan du Sud, où de celles qui n’étaient pas jugées conformes leur sécurité leur paraissait menacée. à la Loi relative aux ONG. Les « objectifs » Joseph Afandi, journaliste au quotidien acceptables des ONG énumérés par cette loi El Tabeer de Djouba, a été arrêté par le NSS ne comprenaient pas l’action en faveur des le 23 décembre 2015 car il avait critiqué droits humains ni les activités de plaidoyer. dans un article le bilan en matière de droits humains du Mouvement populaire de DROIT À LA SANTÉ – SANTÉ MENTALE libération du Soudan (MPLS). Détenu au Bien que le nombre de personnes présentant secret au siège du NSS à Djouba jusqu’à sa des symptômes correspondant à un remise en liberté en février, il a été torturé et syndrome de stress post-traumatique et de maltraité durant son incarcération. dépression soit toujours élevé, peu de Alfred Taban, journaliste et rédacteur en services de santé mentale et de soutien chef du quotidien Juba Monitor, a publié le psychosocial étaient disponibles et 15 juillet un article dans lequel il affirmait accessibles. L’hôpital universitaire de Djouba, que Riek Machar et Salva Kiir avaient seul établissement médical public dispensant « complètement échoué » et qu’ils « ne des soins psychiatriques, ne disposait que de devraient pas rester en fonction ». Il a été 12 lits dans son service de psychiatrie. Les arrêté le lendemain par des agents du NSS et médicaments psychotropes n’étaient détenu au siège de cet organisme, à Djouba, disponibles que par intermittence et en pendant une semaine. Il a ensuite été remis quantité limitée. Le pays ne comptait que à la police et inculpé de « publication ou deux psychiatres en exercice, tous deux transmission de fausses déclarations portant installés à Djouba, et dont aucun ne préjudice au Soudan du Sud » et d’« offense consultait à temps plein. Compte tenu du au président ou atteinte à son autorité ». Il a manque de services et d’établissements

Amnesty International — Rapport 2016/17 421 adaptés, les personnes souffrant de troubles commencé à élaborer des mécanismes de mentaux continuaient d’être jetées en prison, vérité, de justice et de réparation, et à mettre même si elles n’avaient commis aucun en place des réformes juridiques et crime. Les soins médicaux qui leur étaient procédurales afin que les graves atteintes aux dispensés en prison étaient insuffisants ; droits humains qui ont gangréné le pays elles étaient, dans certains cas, enchaînées pendant des dizaines d’années ne se ou maintenues à l’isolement pendant de reproduisent plus. Des consultations longues périodes. publiques ont été lancées à propos de ces mécanismes, mais la mise en œuvre de ce ÉVOLUTIONS LÉGISLATIVES, processus n’a pas bénéficié d’un soutien CONSTITUTIONNELLES OU suffisant. INSTITUTIONNELLES Le Soudan du Sud a ratifié en mai la Charte ARRESTATIONS ET DÉTENTIONS africaine des droits de l’homme et des ARBITRAIRES peuples et la Convention de l’Union africaine Des Tamouls soupçonnés d’être liés aux régissant les aspects propres aux problèmes Tigres libérateurs de l’Eelam tamoul (LTTE) des réfugiés en Afrique. étaient toujours détenus au titre de la PTA, qui autorise la détention administrative prolongée et fait reposer la charge de la preuve sur les prisonniers qui affirment avoir SRI LANKA subi des actes de torture ou d’autres mauvais République socialiste démocratique du Sri Lanka traitements. En 2015, le gouvernement s’était Chef de l’État et du gouvernement : Maithripala engagé à abroger cette loi et à la remplacer Sirisena par une législation conforme aux normes internationales, mais cet engagement n’avait Bien que ce processus soit lent, le Sri toujours pas été honoré à la fin de Lanka a poursuivi la mise en œuvre de ses l’année 2016. Bien qu’introduisant des engagements en matière d’obligation de garanties contre la torture, la proposition de rendre des comptes pour les crimes ligne de conduite et de cadre juridique présumés relevant du droit international. De soumise au gouvernement pour approbation nombreuses menaces continuaient de peser en octobre en vue de l’adoption d’une sur les droits humains, avec notamment législation de remplacement conservait la l’utilisation par les autorités de la Loi plupart des éléments les plus problématiques relative à la prévention du terrorisme (PTA) de la PTA. pour arrêter et détenir des suspects, ainsi En juin, le président Maithripala Sirisena a que le recours à la torture et à d’autres ordonné à la police et aux forces armées de formes de mauvais traitements en garde à se conformer aux directives de la vue. En outre, un climat d’impunité Commission des droits humains du Sri prévalait toujours en ce qui concerne les Lanka, destinées à protéger les personnes disparitions forcées et d’autres exactions. arrêtées au titre de la PTA et d’autres Les victimes d’atteintes aux droits humains dispositifs d’urgence, ainsi qu’à mettre fin à commises lors du conflit armé éprouvaient des pratiques susceptibles de déboucher sur des difficultés à reconstruire leur vie et à des violations des droits humains. Parmi ces retrouver un moyen de subsistance, car pratiques figurent la non-identification des aucun programme cohérent d’assistance et agents en charge des arrestations, le de réparation n’avait été mis en œuvre. transport des suspects à bord de véhicules banalisés et la détention dans des lieux non CONTEXTE officiels. Ces directives garantissent Le Sri Lanka a démarré un processus de également aux détenus la possibilité de réforme constitutionnelle. Il a également contacter un avocat, y compris durant leur

422 Amnesty International — Rapport 2016/17 interrogatoire, mais elles ne sont pas militaires en août 2013 alors qu’ils pleinement respectées. réclamaient l’accès à de l’eau potable. En Fin août, Lakshan Dias, avocat spécialisé octobre, une magistrate a conclu qu’il dans les droits humains, a déposé une s’agissait d’un crime et a ordonné de requête auprès de la Cour suprême, nouvelles auditions en 2017 en vue de accusant le Service d’enquête sur le déterminer si les éléments de preuve étaient terrorisme (TID) de la police de violer ces suffisants pour entamer des poursuites. directives en lui interdisant de rencontrer l’un de ses clients. Une proposition de DISPARITIONS FORCÉES modification du Code de procédure pénale En mai, le Sri Lanka a ratifié la Convention qui aurait empêché les personnes arrêtées internationale pour la protection de toutes les de contacter un avocat avant que la police personnes contre les disparitions forcées, n’ait enregistré leur déclaration a été retirée mais à la fin de l’année il n’avait toujours pas en octobre face aux protestations des adopté de législation érigeant la disparition avocats. forcée en infraction dans le droit national. La Commission présidentielle d’enquête sur les TORTURE ET AUTRES MAUVAIS plaintes relatives aux personnes disparues a TRAITEMENTS été dissoute en juillet, après avoir reçu plus Le rapporteur spécial sur la torture [ONU] de 19 000 plaintes de civils. Néanmoins, peu s’est rendu au Sri Lanka en mai. Il a constaté de progrès ont été accomplis dans la que la police continuait de se rendre recherche d’informations sur le sort des coupable de graves actes de torture, bien personnes disparues, ainsi que dans la que ceux-ci soient probablement moins comparution en justice des responsables répandus que durant le conflit armé, et que présumés de ces disparitions forcées. En l’impunité persistait tant pour les actes août, le Parlement a contourné la récents que pour ceux commis par le passé. consultation publique en adoptant une loi Il a par ailleurs observé que certaines règles portant création d’un Bureau des personnes de procédure, telles que la détention disparues pour aider les familles à retrouver arbitraire prolongée sans jugement au titre de la trace de proches disparus et reprendre les la PTA, constituaient pour ainsi dire une dossiers laissés par la Commission. incitation à faire de la torture et des mauvais traitements une méthode de travail IMPUNITÉ habituelle. En août, le Sri Lanka a présenté L’impunité persistait pour les crimes de droit une déclaration en vertu de la Convention international présumés commis pendant le contre la torture [ONU], reconnaissant la conflit armé. De nombreuses autres atteintes compétence du Comité contre la torture aux droits humains restaient également [ONU] pour recevoir et examiner des impunies, dont l’exécution extrajudiciaire par communications présentées par ou pour le les forces de sécurité de cinq étudiants à compte de particuliers dénonçant des Trincomalee en janvier 2006, ou l’assassinat atteintes à leurs droits au regard de cette de 17 personnes travaillant pour Convention. l’organisation humanitaire Action contre la faim, tuées à Muttur en août 2006. RECOURS EXCESSIF À LA FORCE En mai, l’ancien ministre des Médias a De nouveaux cas de recours excessif à la témoigné dans le cadre d’une requête en force dans le cadre du maintien de l’ordre habeas corpus concernant la disparition, en ont été signalés. L’impunité persistait pour les décembre 2011, des militants politiques atteintes aux droits humains perpétrées par Lalith Weeraraj et Kugan Muruganandan. Il a le passé. Aucune poursuite n’avait été affirmé s’être basé à l’époque sur des engagée concernant les homicides de informations reçues du ministère de la manifestants non armés tués par des Défense pour affirmer que ces deux

Amnesty International — Rapport 2016/17 423 personnes étaient détenues par les autorités politique et ses liens supposés avec le crime dans un lieu qui ne pouvait être révélé. Une organisé. Il a de nouveau été menacé par enquête était en cours concernant l’un de ses agresseurs présumés lorsqu’ils se l’implication de membres des services de sont retrouvés au tribunal, après qu’il l’eut renseignement militaire dans la disparition, désigné lors d’une séance d’identification. en 2010, du dessinateur de presse dissident L’impunité était toujours de mise pour les Prageeth Eknaligoda. En août, un tribunal de agressions de personnes travaillant dans les la capitale, Colombo, a ordonné une nouvelle médias commises par le passé, dont autopsie du corps de Lasantha 44 homicides recensés par des ONG de Wickrematunge, rédacteur en chef d’un défense des médias depuis 2004. journal, assassiné en 2009. Des personnes engagées dans des actions militantes dans le nord et l’est du pays se DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS sont plaintes du harcèlement et de la En août, Balendran Jeyakumary, une surveillance imposés par les forces de militante qui lutte contre les disparitions sécurité. forcées, a été une nouvelle fois convoquée pour interrogatoire. Elle avait déjà passé un ÉVOLUTIONS LÉGISLATIVES, an en détention sans inculpation au titre de CONSTITUTIONNELLES OU la PTA. Sur décision de justice, le défenseur INSTITUTIONNELLES des droits humains Ruki Fernando n’avait Le Sri Lanka a lancé un processus de toujours pas le droit de s’exprimer à propos réforme constitutionnelle dans le but de d’une enquête policière en cours concernant garantir un meilleur contrôle du pouvoir son travail de plaidoyer sur le cas de exécutif et un partage plus équitable du Balendran Jeyakumari. Ses appareils pouvoir entre les groupes ethniques. Les électroniques confisqués ne lui avaient pas résultats des consultations publiques sur le été restitués. contenu de la nouvelle Constitution ont été Sandhya Eknaligoda, la femme du publiés en mai. Le Parlement devait débattre dessinateur de presse dissident Prageeth d’un projet de Constitution début 2017. Eknaligoda, victime de disparition, a subi de En juillet, le Sri Lanka a adopté la Loi nombreuses menaces et manœuvres relative au droit à l’information. En août, le d’intimidation. Des manifestations ont gouvernement a approuvé une Politique notamment eu lieu devant le tribunal où était nationale de solutions durables pour les examinée la requête en habeas corpus personnes déplacées à la suite du conflit. concernant son mari, et une campagne L’objectif de cette politique était de protéger d’affichage l’accusant de soutenir les LTTE a les droits humains en aidant à la restitution été organisée après l’identification par la des terres privées confisquées par l’armée, police de sept membres des services de en créant des moyens de subsistance et des renseignement militaire soupçonnés d’être activités génératrices de revenus pour les impliqués dans la disparition du dessinateur personnes déplacées et en portant assistance de presse. aux réfugiés qui reviennent dans le pays. Elle mettait l’accent sur la non-discrimination et LIBERTÉ D’EXPRESSION, DE RÉUNION sur l’accès à la justice et à des réparations. ET D’ASSOCIATION Sa mise en œuvre devait débuter en En juin, le journaliste Freddy Gamage a été février 2017. roué de coups par des hommes qu’il a reconnus comme étant des partisans d’un DISCRIMINATION responsable politique de la ville de Negombo. Cette année encore, des Tamouls se sont Il avait auparavant reçu des menaces pour plaints d’avoir été victimes de profilage avoir écrit des articles dénonçant la ethnique, de surveillance et de harcèlement corruption présumée de ce responsable de la part de policiers qui les soupçonnaient

424 Amnesty International — Rapport 2016/17 d’être liés aux LTTE. En août, le Comité pour les violences domestiques, comme le viol l’élimination de la discrimination raciale conjugal. Des défenseurs des droits des [ONU] a conclu que la PTA était utilisée de femmes favorables à des réformes manière disproportionnée contre les Tamouls constitutionnelles ont prôné l’abrogation de et engendrait de fait une discrimination. l’article 16(1), qui maintient des lois Des chrétiens et des musulmans ont antérieures à la Constitution actuelle alors signalé des actes de harcèlement, des même qu’elles sont contraires à ses menaces et des violences physiques de la dispositions. On y retrouve, entre autres, des part de membres de la population et de principes du droit personnel musulman qui sympathisants de groupes politiques autorisent le mariage des enfants et ne bouddhistes cingalais extrémistes. La police reconnaissent pas le viol conjugal. n’a pris aucune mesure à l’encontre des agresseurs et, dans certains cas, a reproché PEINE DE MORT aux membres des minorités religieuses de les Des condamnations à mort ont continué avoir provoqués. En juin, des manifestations d’être prononcées ; aucune exécution n’a eu contre la construction d’une mosquée dans lieu. En septembre, un ancien député a été la ville de Kandy ont été attribuées à un condamné à mort pour le meurtre d’un rival groupe se faisant appeler Sinha Le (Sang de politique. lion). Le même mois, les sympathisants de ce groupe ont lancé sur les réseaux sociaux une campagne de menaces et d’intimidation contre Equal Ground, une organisation de SUÈDE défense des droits humains et politiques de Royaume de Suède la communauté lesbienne, gay, bisexuelle, Chef de l’État : Carl XVI Gustaf transgenre, intersexuée et en Chef du gouvernement : Stefan Löfven questionnement (LGBTIQ) du Sri Lanka. En juin également, le ministère de la Santé De nouvelles restrictions sont entrées en a constaté que « les personnes transgenres vigueur en matière de permis de séjour et se retrouvent souvent socialement, de regroupement familial pour les réfugiés économiquement, politiquement et et d’autres personnes bénéficiant d’une juridiquement marginalisées […] et sont protection. Les Roms et les Sâmes étaient vulnérables au harcèlement, aux violences et victimes de discriminations persistantes. aux agressions sexuelles ainsi qu’à la Une commission parlementaire a publié des discrimination dans l’accès aux espaces recommandations préconisant une réforme publics ». Le ministère a ordonné que des de la législation relative au viol, jugée services de santé soient dédiés à ces insuffisante. personnes, et a demandé notamment l’établissement par les médecins de RÉFUGIÉS ET DEMANDEURS D’ASILE certificats de reconnaissance de genre En juin, le Parlement a adopté une loi destinés à faciliter la modification des temporaire affectant les personnes ayant certificats de naissance afin que ceux-ci droit à une protection internationale. Cette loi, soient en accord avec l’identité de genre de qui restera en vigueur pendant trois ans à la personne. compter de sa date de promulgation en juillet, limite la durée de validité des permis VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ET de séjour accordés aux personnes AUX FILLES bénéficiant d’une protection : au lieu de L’impunité demeurait la règle en ce qui permis de séjour permanents, seuls seront concerne les violences à l’encontre des délivrés des permis temporaires, valides trois femmes et des filles, notamment les viols ans pour les personnes dont le statut de perpétrés par des militaires ou des civils et réfugié a été reconnu et 13 mois pour les

Amnesty International — Rapport 2016/17 425 personnes bénéficiant d’une protection subsidiaire. De plus, au titre de cette loi, les DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET personnes bénéficiant d’une protection DES PERSONNES BISEXUELLES, subsidiaire ne pourront plus demander un TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES regroupement familial. En avril, le gouvernement a annoncé la création d’une procédure visant à accorder DISCRIMINATION – LES ROMS ET LES une indemnisation financière aux personnes SÂMES transgenres qui ont été forcées de subir une Deux comités des Nations unies ont exprimé stérilisation pour pouvoir modifier leur genre de graves préoccupations face au traitement à l’état civil. réservé par les autorités suédoises aux Roms originaires d’autres pays européens. Ainsi, en VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ET avril, le Comité des droits de l’homme a AUX FILLES demandé à la Suède de veiller à ce que les En octobre, la Commission sur les infractions Roms bénéficient des mêmes conditions sexuelles, créée en 2014, a présenté ses d’accès aux services que le reste de la propositions au gouvernement. Elle a population, exprimant en particulier des notamment recommandé d’élaborer une inquiétudes quant à leur accès limité à définition du viol fondée sur la notion de l’éducation, à l’emploi, au logement et aux consentement et d’établir une responsabilité soins médicaux. Le Comité des droits pénale pour négligence dans les cas économiques, sociaux et culturels a fait part, d’infractions sexuelles1. en juillet, de préoccupations similaires, notamment en ce qui concerne le risque COMMERCE DES ARMES d’expulsion forcée auquel sont confrontés de L’Inspection suédoise des produits nombreux Roms vivant dans des quartiers stratégiques (l’organisme national chargé de informels. Les Roms étaient toujours exposés contrôler le matériel de défense et les à des crimes de haine motivés par leur produits à double usage et de veiller à leur origine ethnique. conformité) a approuvé la vente par le groupe En juillet également, le tribunal de district Saab du système de surveillance avancée de Stockholm a statué que la base de GlobalEye aux Émirats arabes unis. Les données tenue par la police de Scanie sur inquiétudes exprimées par des journalistes près de 5 000 personnes roms suédoises quant au manque de diligence requise avant s’apparentait à de la discrimination ethnique la vente, en 2010, du système de détection et était contraire à la législation nationale. Le et de commandement aéroporté Saab 2000 tribunal a accordé des réparations aux Erieye à l’Arabie saoudite sont restées sans plaignants pour le préjudice subi. L’État a réponse, car les dossiers de l’Inspection formé un recours et l’affaire était en instance suédoise des produits stratégiques étaient à la fin de l’année. toujours confidentiels. La possible utilisation En avril et juillet respectivement, le Comité de ces technologies par la coalition dirigée des droits de l’homme et le Comité des droits par l’Arabie saoudite pour commettre ou économiques, sociaux et culturels ont faciliter de graves violations du droit indiqué qu’ils restaient préoccupés par le fait international relatif aux droits humains et du que les Sâmes ne semblaient pas pouvoir droit international humanitaire dans le cadre jouir pleinement de leurs droits en tant que du conflit au Yémen demeurait un sujet de peuple autochtone, notamment de leurs préoccupation. droits fonciers.

1. Sweden: Submission to the UN Committee on the Elimination of Discrimination against Women (EUR 42/3305/2016)

426 Amnesty International — Rapport 2016/17 l’éducation soit respecté est entrée en SUISSE vigueur. Les restrictions imposées à la liberté de circulation des demandeurs d’asile dans Confédération suisse la plupart des centres d’accueil fédéraux Chef de l’État et du gouvernement : Johann Schneider- suscitaient toujours des préoccupations. Ammann (a remplacé Simonetta Sommaruga en janvier) POLICE ET FORCES DE SÉCURITÉ En juillet, la Commission nationale de Une nouvelle loi sur l’asile a introduit une prévention de la torture a déploré le recours aide juridique gratuite pour les demandeurs de la police à une force disproportionnée d’asile. Cependant, des préoccupations dans certains cantons au cours des persistaient au sujet du respect des droits opérations d’expulsion de migrants. des réfugiés et des migrants. Les autorités Des craintes subsistaient quant aux ont procédé au renvoi forcé illégal (push- tentatives d’expulsion de demandeurs d’asile back) de milliers de demandeurs d’asile souffrant d’une grave maladie mentale. En vers l’Italie. En septembre, la nouvelle loi juin, les autorités de Neuchâtel ont essayé sur le renseignement a été approuvée par d’expulser un demandeur d’asile kurde vers référendum. la Bulgarie, alors qu’il avait précédemment tenté de se suicider. En septembre, deux DROITS DES RÉFUGIÉS ET DES demandeuses d’asile syriennes qui avaient MIGRANTS été admises dans un hôpital psychiatrique de En juin, une nouvelle loi sur l’asile, qui avait Schaffhouse ont fait une tentative de suicide été adoptée en septembre 2015, a été peu après que la police fut venue les approuvée par référendum puis est chercher à l’hôpital pour les expulser. Le partiellement entrée en vigueur. Celle-ci a ministère public de Zurich a rapidement mis en place plusieurs mesures positives, ouvert une enquête sur ces événements. dont l’aide juridique gratuite pour les demandeurs d’asile à partir de 2019 et DISCRIMINATION l’obligation légale de tenir compte des En mai, la Chambre basse du Parlement besoins des demandeurs d’asile vulnérables. fédéral (Conseil national) a voté en faveur Dans la seconde moitié de l’année, des d’un projet de loi autorisant l’adoption par le organisations de la société civile ont indiqué second parent dans les couples de que les autorités avaient procédé à des même sexe. renvois forcés illégaux vers l’Italie, qui En juillet, l’interdiction du port du voile concerneraient plusieurs milliers de intégral est entrée en vigueur dans le canton demandeurs d’asile, dont plusieurs centaines du Tessin. En septembre, le Conseil national de mineurs non accompagnés ; certaines de a adopté une proposition de loi visant à ces personnes avaient des proches établis en interdire le port du voile intégral au niveau Suisse. national. Ce texte était devant la Chambre En juillet, le Tribunal administratif fédéral a haute (Conseil des États) à la fin de l’année. conclu que le Secrétariat d’État aux En novembre, le tribunal de district de migrations n’avait pas enquêté de manière Zurich a rejeté le recours déposé par effective sur le cas d’une demandeuse d’asile Mohamed Wa Baile, un Suisse d’origine nigériane qui aurait été victime d’un réseau kenyane qui avait affirmé en février 2015 que de traite des personnes vers la Suisse. le contrôle d’identité dont il avait fait l’objet à Les enfants demandeurs d’asile en centre la gare de Zurich de la part de la police d’accueil n’avaient toujours pas accès à constituait une discrimination raciale. l’enseignement. Le 1er octobre, une nouvelle Le 2 décembre, le gouvernement a loi contraignant les autorités cantonales à présenté un projet de loi autorisant la veiller à ce que le droit de ces enfants à ratification de la Convention du Conseil de

Amnesty International — Rapport 2016/17 427 l’Europe sur la prévention et la lutte contre la réseau de recherche AfroBaromètre a violence à l’égard des femmes et la violence indiqué qu’environ la moitié de la population domestique (Convention d’Istanbul). affirmait souvent manquer de nourriture et d’eau, tandis que plus d’un tiers signalait des LUTTE CONTRE LE TERRORISME ET soins médicaux insuffisants. SÉCURITÉ En mai, le secrétaire d’État aux migrations a ÉVOLUTIONS LÉGISLATIVES engagé une procédure pour déchoir de sa En mai, le roi a désigné sept avocats nationalité suisse un binational de 19 ans qui expérimentés pour être juges à la Cour aurait rejoint le groupe armé État islamique, suprême. Ces nominations étaient contraires sans que le jeune homme ait été inculpé à l’article 153 de la Constitution, qui stipule d’une infraction pénale. que les juges doivent être choisis au terme En septembre, la loi sur le renseignement, d’un processus ouvert, transparent et qui avait été adoptée en septembre 2015, a concurrentiel. Par conséquent, le Conseil de été approuvée par référendum. Celle-ci l’ordre du Swaziland a boycotté la session de octroie de vastes pouvoirs au Service de la Cour suprême en novembre et a exigé la renseignement de la Confédération, qui peut nomination de juges permanents ainsi accéder aux informations personnelles conformément à la Constitution. provenant d’un large éventail de sources, à En septembre, la Haute Cour a déclaré des fins définies de manière vague, comme nuls certains articles de la Loi de 1938 la lutte contre les menaces terroristes. relative à la sédition et aux activités subversives et de la Loi de 2008 relative à la répression du terrorisme, car ils allaient à l'encontre de droits protégés par la SWAZILAND Constitution, tels que les droits à la liberté Royaume du Swaziland d’expression, d’association et de réunion. Cet Chef de l’État : Mswati III arrêt a été rendu après que certaines Chef du gouvernement : Barnabas Sibusiso Dlamini dispositions de ces lois ont été contestées dans les requêtes déposées en 2009 par La législation était toujours utilisée pour l’avocat Thulani Maseko, spécialiste des réprimer la dissidence. La Haute Cour a droits humains. Thulani Maseko avait été statué que la législation relative à la inculpé en 2009 au titre de la Loi relative à la sécurité portait atteinte aux droits à la sédition et aux activités subversives. Une liberté d’expression, d’association et de autre requête a été introduite en 2014 par réunion, qui étaient protégés par la Mario Masuku et Maxwell Dlamini, dirigeants Constitution. Les conclusions d’une du Mouvement démocratique populaire uni enquête sur la mort d’une personne en (PUDEMO) – un parti d’opposition interdit –, garde à vue n’avaient toujours pas été ainsi que par Mlungisi Makhanya et sept rendues publiques. Les protections contre autres personnes. Tous avaient été inculpés la torture et les autres mauvais traitements au titre de ces deux lois en 2014. Le étaient insuffisantes. La législation gouvernement a fait appel de la décision de accordait à la police des pouvoirs la Haute Cour en septembre. L’appel devait considérables en matière de recours à la être entendu début 2017. force meurtrière, en violation du droit international relatif aux droits humains et LIBERTÉ DE RÉUNION ET des normes en la matière. D’ASSOCIATION Le projet de loi relative à l’ordre public, s’il est CONTEXTE adopté, porterait atteinte aux droits à la Deux tiers de la population vivaient toujours liberté de réunion pacifique et d’association. sous le seuil de pauvreté. En octobre, le Ce texte érigerait notamment en infraction le

428 Amnesty International — Rapport 2016/17 fait d’organiser un rassemblement sans en informer au préalable les autorités. Ce projet TORTURE ET AUTRES MAUVAIS de loi, qui devait être adopté par le Sénat TRAITEMENTS avant d’être ratifié par le roi, était toujours Les autorités n’ont pas modifié la législation, dans sa version provisoire à la fin de l’année. qui n’offrait pas une protection suffisante contre les actes de torture et les autres LIBERTÉ D’EXPRESSION formes de mauvais traitements. Le Swaziland En juin 2016, le magazine The Nation a n’a pas fait le nécessaire pour adopter des publié un article de Thulani Maseko dans lois nationales visant à mettre en œuvre ses lequel celui-ci mettait en doute obligations au titre de la Convention contre la l’indépendance de la justice. Par la suite, torture [ONU], à laquelle le pays a adhéré en Thulani Maseko et le rédacteur en chef du 2004, ni pour ratifier le Protocole facultatif se magazine, Bheki Makhubu, ont reçu des rapportant à cette Convention. assignations pour diffamation émises par un L’article 15(4) de la Constitution autorisait juge par intérim de la Cour suprême, qui la police à recourir à la force meurtrière dans avait été nommé en mai. un éventail de circonstances, notamment William Mkhaliphi, un homme âgé pour défendre des biens immobiliers, pour originaire de Vuvulane (dans le nord-est du réaliser une arrestation légale ou empêcher Swaziland) qui cultive la canne à sucre, a été l’évasion d’une personne détenue arrêté par la police en août après avoir légalement, pour réprimer une émeute, ou exprimé des inquiétudes concernant les pour éviter qu’une grave infraction pénale ne investissements et l’appropriation illicite de soit commise. Ces motifs n’étaient pas terres dont se rendrait coupable la royauté. Il conformes au droit international relatif aux s’était exprimé lors de la réunion droits humains et aux normes en la matière. traditionnelle du Sibaya, l’assemblée du Il n’existait pas de mécanisme d’enquête peuple organisée par le roi à la résidence indépendant sur les violences commises par royale de Ludzidzini, où la population était la police. En février, Ayanda Mkhabela, invitée à donner son avis sur des questions étudiante à l’université du Swaziland nationales. William Mkhaliphi a été inculpé à (UNISWA), a été renversée par un véhicule la suite d’allégations fallacieuses de vol, puis de police blindé pendant une manifestation libéré sous caution par un tribunal de étudiante. À la fin de l’année, aucune première instance à Simunye au cours du enquête n’avait été ouverte sur cet incident, même mois. Son procès n’avait pas encore qui a laissé la jeune fille paralysée. commencé à la fin de l’année. DROITS DES FEMMES MORT EN DÉTENTION Malgré l’ampleur des violences liées au Les autorités n’avaient toujours pas rendu genre, le projet de loi relatif aux crimes publiques les conclusions d’une enquête sur sexuels et à la violence domestique, présenté la mort en garde à vue de Luciano Reginaldo au Parlement en 2009, n’avait toujours pas Zavale, un ressortissant du Mozambique, en été adopté. Le droit national offrait très peu juin 2015. Des éléments médicolégaux de recours aux femmes et aux filles victimes indépendants indiquaient qu’il n’était pas de violences liées au genre. Il ne les mort de cause naturelle, et une enquête avait protégeait pas non plus suffisamment contre été ouverte en août 2015. Selon les les mariages forcés ou précoces. informations disponibles, les enquêteurs ont rendu leurs conclusions avant la fin de 2015. DROIT À UN NIVEAU DE VIE SUFFISANT Luciano Reginaldo Zavale est mort le jour de En mai, le bilan du Swaziland en matière de son arrestation, survenue car il était accusé droits humains a été évalué dans le cadre de d’être en possession d’un ordinateur l’Examen périodique universel (EPU) de portable volé. l'ONU, au cours duquel un certain nombre

Amnesty International — Rapport 2016/17 429 de préoccupations ont été soulevées. Il a forcée, à une longue période de détention notamment été recommandé aux autorités de ou à un procès inéquitable. Les forces de supprimer les obstacles empêchant l’accès à sécurité ont systématiquement pratiqué la l’enseignement primaire ; de prendre des torture et d’autres formes de mauvais mesures pour permettre aux adolescentes de traitements sur les détenus, dont certains réintégrer le système éducatif après avoir sont morts en détention. Elles ont donné naissance ; de garantir un accès non également perpétré des homicides illégaux, discriminatoire aux services de santé et à y compris des exécutions extrajudiciaires. l’éducation, quelle que soit l’orientation Le groupe armé État islamique (EI) a sexuelle ou l’identité de genre réelle ou assiégé des civils et mené des attaques supposée ; et de prendre des mesures pour aveugles ou visant délibérément des civils, combattre et éradiquer le travail forcé. et il aurait utilisé dans certains cas des agents chimiques ; il a également commis PEINE DE MORT de nombreux homicides illégaux et réduit Aucune condamnation à mort n’a été des milliers de femmes et de filles en prononcée en 2016. Malgré les esclavage sexuel, entre autres exactions. recommandations appelant à un moratoire D’autres groupes armés non étatiques ont sur la peine de mort formulées dans le cadre procédé à des tirs d’artillerie aveugles et de l’EPU, la peine de mort était maintenue au assiégé des zones majoritairement peuplées Swaziland. de civils. Les forces emmenées par les États-Unis ont procédé à des frappes aériennes contre l’EI et d’autres cibles, provoquant la mort de plusieurs centaines SYRIE de civils. À la fin de l’année, le conflit avait République arabe syrienne causé la mort de plus de Chef de l’État : Bachar el Assad 300 000 personnes, provoqué le Chef du gouvernement : Imad Khamis (a remplacé déplacement à l’intérieur du pays de Wael Nader al Halqi en juin) 6,6 millions d’habitants et contraint 4,8 millions d’autres à chercher refuge à Les parties au conflit armé ont commis des l’étranger. crimes de guerre, ainsi que d’autres violations graves du droit international CONTEXTE humanitaire et atteintes flagrantes aux Le conflit armé interne s’est poursuivi tout au droits humains, en toute impunité. Les long de l’année avec une participation forces gouvernementales et leurs alliés internationale constante. Les forces russes ont mené des attaques aveugles et gouvernementales et leurs alliés, tels que le des attaques visant directement des civils Hezbollah libanais et d’autres milices et et des biens à caractère civil, procédant à groupes armés étrangers, contrôlaient la plus des frappes aériennes et à des tirs grande partie de l’ouest du pays et ont d’artillerie qui ont fait des milliers de progressé dans d’autres régions disputées. victimes civiles. Selon certaines sources, Elles étaient soutenues par les forces armées les forces gouvernementales ont également russes, qui ont mené des frappes aériennes utilisé des agents chimiques. Elles ont par de grande envergure dans toute la Syrie, ailleurs tenu de longs sièges contre des tuant et blessant des milliers de civils selon civils qui se sont retrouvés piégés et privés des organisations de défense des droits d’accès à des biens et services de première humains. Certaines de ces attaques nécessité. Les autorités ont arrêté semblaient aveugles ou s’apparentaient à des arbitrairement et maintenu en détention des attaques visant directement des civils et des milliers de personnes. Beaucoup parmi biens civils, ce qui pourrait constituer des celles-ci ont été soumises à une disparition crimes de guerre.

430 Amnesty International — Rapport 2016/17 Les groupes armés non étatiques qui de garantir l’obligation de rendre des luttaient principalement contre les forces comptes pour les crimes de guerre et les gouvernementales contrôlaient le nord-ouest crimes contre l’humanité perpétrés en Syrie du pays et d’autres zones, tandis que les depuis mars 2011. forces de l’administration autonome contrôlaient la plus grande partie des régions CONFLIT ARMÉ INTERNE – VIOLATIONS frontalières du nord de la Syrie à majorité PERPÉTRÉES PAR LES FORCES kurde. L’EI tenait des zones de l’est et du GOUVERNEMENTALES ET LEURS ALLIÉS, centre du pays, mais a perdu du terrain au NOTAMMENT LA RUSSIE cours de l’année. Attaques aveugles ou visant des civils Le Conseil de sécurité de l’ONU restait Comme les années précédentes, les forces divisé sur la Syrie et n’est pas parvenu à gouvernementales et leurs alliés ont commis obtenir un accord de paix. Les efforts des crimes de guerre et d’autres violations déployés par l’envoyé spécial des Nations graves du droit international, dont des unies pour la Syrie en vue de promouvoir des attaques ciblées contre des civils et des pourparlers de paix ont largement échoué. attaques aveugles. Les forces En février, une résolution du Conseil de gouvernementales n’ont cessé d’attaquer les sécurité a entériné l’accord américano-russe zones contrôlées ou revendiquées par des de cessation des hostilités, mais la trêve n’a groupes armés d’opposition, tuant et blessant pas duré. En octobre, la Russie a opposé son illégalement des civils et endommageant des veto à un projet de résolution du Conseil de biens à caractère civil. Elles ont sécurité appelant à l’arrêt des régulièrement procédé à des frappes bombardements aériens sur Alep et à un aériennes contre des zones habitées par des accès humanitaire sans entrave. Après que civils en utilisant des armes explosives ayant les forces gouvernementales eurent pris le un grand rayon d’action, notamment des tirs contrôle d’Alep, en décembre, le président d’artillerie et des « bombes-barils » non russe Vladimir Poutine a annoncé que le guidées et hautement explosives larguées gouvernement et certaines forces de depuis un hélicoptère. Ces attaques ont fait l’opposition étaient parvenus, sous le de nombreux morts et blessés parmi les parrainage de la Russie et de la Turquie, à un civils, y compris des enfants. accord de cessez-le-feu devant être suivi par Les forces gouvernementales et leur allié l’ouverture de négociations de paix en janvier russe ont mené plusieurs frappes aériennes 2017. Le 31 décembre, le Conseil de sécurité apparemment délibérées contre des de l’ONU a adopté à l’unanimité une hôpitaux, des cliniques et d’autres résolution saluant les nouveaux efforts en vue établissements médicaux, ainsi que des d’instaurer la paix et demandant que les convois d’aide humanitaire, tuant et blessant organismes humanitaires bénéficient d’un des civils, dont des membres du personnel « accès rapide, sûr et sans entrave à de santé. l’ensemble du territoire syrien ». Au fil de l’année, les forces La Commission d’enquête internationale gouvernementales, avec le soutien de la indépendante sur la République arabe Russie, ont intensifié les attaques contre l’est syrienne créée par le Conseil des droits de d’Alep, touchant des habitations, des l’homme [ONU] en 2011 a poursuivi sa installations médicales, des écoles, des mission d’enquête et d’information sur les marchés et des mosquées, et tuant des violations du droit international commises en centaines de civils. Des bombes à sous- Syrie. Le gouvernement syrien l’empêchait munitions de fabrication russe qui ont toutefois toujours de se rendre dans le pays. également été projetées sur toute la zone et En décembre, l’Assemblée générale des n’avaient pas explosé à l’impact Nations unies a décidé la création d’un représentaient un risque permanent pour mécanisme international indépendant en vue les civils.

Amnesty International — Rapport 2016/17 431 Deux « bombes-barils » qui contenaient, habitants de la ville à accepter d’être évacués selon certaines sources, du chlore ont été à la fin du mois d’août. larguées le 1er août par des avions À partir de juillet, les forces appartenant semble-t-il aux forces gouvernementales ont assiégé quelque gouvernementales, sur deux zones 275 000 personnes dans l’est d’Alep et d’habitation contrôlées par des groupes intensifié les frappes aériennes, y compris les armés non étatiques à Saraqeb (gouvernorat bombardements des forces russes, sur cette d’Idlib) ; au moins 28 civils auraient été partie de la ville. Le 19 septembre, à Urum al blessés. Kubra, des avions qui appartenaient semble- Le 26 octobre, des bombardements t-il aux forces gouvernementales et russes attribués à des avions gouvernementaux ou ont bombardé un convoi humanitaire des russes ont visé une école à Haas Nations unies et du Croissant-Rouge syrien (gouvernorat d’Idlib), tuant 35 civils au qui était destiné à l’est d’Alep ; 18 civils au moins, dont 22 enfants et six enseignants. moins, dont des travailleurs humanitaires, ont été tués et des camions qui transportaient Sièges et privation d’aide humanitaire l’aide ont été détruits. Les forces gouvernementales ont assiégé de manière prolongée des zones essentiellement Attaques contre des installations médicales et civiles qui étaient contrôlées ou revendiquées le personnel de santé par des groupes armés, notamment dans la Cette année encore, les forces Ghouta orientale, à Mouadhamiyah al Sham, gouvernementales ont pris pour cible des à Madaya et à Daraya, ainsi, à partir de établissements médicaux et des septembre, que dans l’est d’Alep, exposant professionnels de la santé présents dans les les civils à la famine et les privant de soins zones contrôlées par des groupes armés médicaux et d’autres services de première d’opposition. Elles ont régulièrement nécessité. Les habitants de ces zones étaient bombardé des hôpitaux et d’autres en outre régulièrement soumis à des établissements médicaux et bloqué ou limité bombardements aériens et à des tirs les colis médicaux dans les convois d’aide d’artillerie, entre autres attaques. humanitaire destinés aux zones assiégées ou Les civils assiégés ne pouvaient quitter la difficiles d’accès. Elles ont également arrêté zone pour recevoir des soins médicaux. C’est et placé en détention des membres du ainsi que le 19 mars, un garçon de trois ans personnel de santé, employés et bénévoles, blessé à la tête serait mort à Al Waer, un perturbant, voire empêchant totalement, la quartier de Homs, après que les forces délivrance de soins médicaux dans ces gouvernementales l’eurent empêché de sortir zones. En juin, l’organisation Physicians for de la zone pour se faire soigner. Human Rights a accusé les forces Le 12 mai, les forces gouvernementales gouvernementales et leurs alliés d’être ont refusé d’autoriser l’entrée dans la ville de responsables de plus de 90 % des Daraya d’un convoi d’aide humanitaire, qui 400 attaques visant des établissements aurait été le premier depuis 2012. Elles ont médicaux et de la mort de 768 membres du ensuite procédé à des tirs de mortier en personnel médical depuis mars 2011. direction d’une zone résidentielle, tuant deux Selon l’ONU, 44 établissements de santé civils. En juin, les forces gouvernementales ont été attaqués au cours du seul mois de ont permis à deux convois limités d’entrer juillet. Les 23 et 24 juillet, des dans Daraya, mais elles ont, en même bombardements aériens ont touché une temps, intensifié leurs attaques aveugles en banque du sang et quatre hôpitaux dans l’est utilisant des « bombes-barils » et une d’Alep ; l’un d’eux, un hôpital pour enfants, a substance incendiaire semblable au napalm, été frappé deux fois en moins de 12 heures. entre autres, ce qui a contraint les derniers

432 Amnesty International — Rapport 2016/17 des droits fondamentaux, au moins 14 civils CONFLIT ARMÉ INTERNE – EXACTIONS ont été tués le 3 novembre. PERPÉTRÉES PAR DES GROUPES ARMÉS Homicides illégaux Des groupes armés non étatiques se sont Les forces de l’EI ont exécuté sommairement rendus coupables de crimes de guerre ainsi des civils, des membres de groupes armés que d’autres violations du droit international rivaux et des soldats de l’armée humanitaire et d’atteintes graves aux droits gouvernementale qu’elles avaient capturés. humains. Dans les zones de Raqqa, de Deir ez Zor et de l’est d’Alep qu’ils contrôlaient, des Attaques aveugles ou visant des civils membres de l’EI ont procédé à de Les forces de l’EI ont mené des attaques nombreuses exécutions publiques, aveugles et d’autres visant délibérément des notamment de personnes accusées civils, qui ont fait des victimes parmi la d’espionnage, de contrebande, d’adultère et population. L’EI a revendiqué une série de blasphème. d’attentats-suicides et d’attentats à l’explosif Le 28 juillet, des membres de l’EI auraient dans le quartier de Sayida Zeinab, dans le sommairement exécuté au moins 25 civils sud de Damas ; 83 civils ont notamment été (des hommes, des femmes et des enfants) tués dans une attaque perpétrée le 21 février. dans le village de Buwayr, à proximité Les forces de l’EI auraient également de Manbij. utilisé des armes chimiques, notamment en Une vidéo diffusée sur Internet le 19 juillet août et en septembre dans le nord de la montrait des membres du Mouvement Nour Syrie. Des munitions tirées par l’EI le el Dine al Zinki en train de maltraiter un 16 septembre en direction de Um Hawsh, un jeune garçon qu’ils ont ensuite décapité. village proche de Marea (gouvernorat d’Alep), ont entraîné la formation de cloques sur la Sièges et privation d’aide humanitaire peau, entre autres symptômes indiquant une Les forces de l’EI ont assiégé des quartiers de exposition au gaz moutarde. Des civils Deir ez Zor tenus par le gouvernement, figuraient parmi les personnes affectées. contre lesquels elles ont parfois procédé à Fatah Halab (Conquête d’Alep), une des tirs d’artillerie sans discernement. Les coalition de groupes armés d’opposition, a agences de l’ONU ainsi que les forces russes régulièrement mené des attaques ont régulièrement effectué des largages aveugles ,notamment des tirs d’artillerie, de d’aide humanitaire sur les zones assiégées. roquettes et de mortiers, contre le quartier de Des militants locaux des droits humains ont Sheikh Maqsoud à Alep, contrôlé par les toutefois affirmé que les forces Unités de protection du peuple kurde (YPG). gouvernementales présentes dans ces Ces attaques ont fait au moins 83 morts et quartiers s’étaient emparées de la plus plus de 700 blessés parmi la population civile grande partie de l’aide destinée aux civils. entre février et avril. Au moins quatre civils habitant ce quartier ont dû recevoir des soins Enlèvements médicaux en mai pour des symptômes Plusieurs groupes armés non étatiques, dont laissant à penser qu’ils avaient été exposés à l’EI, ont enlevé des civils qu’ils ont retenus en du chlore. otages. Des groupes armés d’opposition ont utilisé En janvier, des membres de Jabhat al des armes imprécises, telles que des obus de Nusra ont enlevé 11 civils au moins à leur mortier et des missiles, dans des attaques domicile dans la ville d’Idlib. On ignorait tout contre l’ouest d’Alep, une zone contrôlée par de leur sort et de l’endroit où ils se trouvaient le gouvernement ; selon le Réseau syrien à la fin de l’année. pour les droits humains, un groupe On restait sans nouvelles de la défenseure indépendant de surveillance de la situation des droits humains Razan Zaitouneh et de

Amnesty International — Rapport 2016/17 433 son mari, Wael Hamada, ainsi que de Nazem Hamadi et de Samira Khalil. Ces quatre CONFLIT ARMÉ INTERNE – EXACTIONS personnes avaient été enlevées le COMMISES PAR L’ADMINISTRATION 9 décembre 2013 par des hommes armés AUTONOME DIRIGÉE PAR LE PYD non identifiés à Douma, une localité Les forces de l’administration autonome contrôlée par Jaish al Islam et d’autres dirigée par le Parti de l’union démocratique groupes armés. (PYD) contrôlaient la plus grande partie des On ignorait ce qu’il était advenu régions frontalières du nord du pays à d’Abdullah al Khalil, un défenseur des droits majorité kurde. Selon le haut-commissaire humains enlevé dans la nuit du 18 mai 2013 des Nations unies aux droits de l’homme, les par des membres présumés de l’EI à Raqqa. forces du PYD ont démoli en février à Tal Tamer (gouvernorat d’El Hassaké) les CONFLIT ARMÉ INTERNE – FRAPPES habitations de plusieurs dizaines de civils AÉRIENNES MENÉES PAR LES FORCES arabes qu’elles accusaient de soutenir l’EI. Le DE LA COALITION DIRIGÉE PAR LES haut-commissaire a également signalé le ÉTATS-UNIS recrutement forcé de 12 enfants par La coalition internationale emmenée par les l’Asayesh (les forces de sécurité kurdes) et États-Unis a poursuivi sa campagne de par le PYD. frappes aériennes entamée en septembre Selon le Réseau syrien pour les droits 2014, essentiellement contre l’EI mais aussi humains, au moins 23 civils ont été tués par contre certains autres groupes armés dans le des bombardements et des tireurs nord et l’est de la Syrie, notamment Jabhat embusqués du PYD dans des quartiers Fatah al Sham (anciennement Jabhat al d’Alep aux mains de l’opposition entre février Nusra). Ces bombardements, dont certains et avril. semblaient aveugles et d’autres disproportionnés, ont fait des centaines de RÉFUGIÉS ET PERSONNES DÉPLACÉES morts et de blessés parmi la population civile. Des millions de personnes étaient toujours Des frappes aériennes présumées de la déplacées par le conflit. Quelque 4,8 millions coalition non loin de Manbij ont ainsi tué au de personnes ont fui la Syrie entre 2011 et la moins 73 civils à Al Tukhar le 19 juillet et fin de 2016, dont 200 000 en 2016, selon le environ 28 autres à Al Ghandoura le Haut-Commissariat des Nations unies pour 28 juillet. Selon les informations diffusées, la les réfugiés (HCR). Le Bureau de la coalition a admis le 1er décembre avoir coordination des affaires humanitaires [ONU] provoqué la mort de 24 civils près de Manbij a indiqué qu’au cours de la même période de en juillet, tout en affirmant que cette attaque six ans, environ 6,6 millions de Syriens, dont était conforme aux lois régissant les conflits la moitié étaient des enfants, ont été armés. déplacés dans leur pays. La Turquie, le Liban et la Jordanie, pays voisins de la Syrie qui CONFLIT ARMÉ INTERNE – ATTAQUES accueillaient presque tous les réfugiés (y MENÉES PAR LES FORCES TURQUES compris les Palestiniens de Syrie), ont limité Les forces turques ont elles aussi mené des l’entrée des réfugiés, les exposant à de attaques terrestres et aériennes dans le nord nouvelles attaques et à la précarité en Syrie. de la Syrie visant l’EI et des groupes armés Plus de 75 000 réfugiés en provenance de kurdes. Le 28 août, une frappe aérienne Syrie sont entrés en Europe par voie maritime turque aurait tué 24 civils à proximité de ou terrestre, mais de nombreux pays, Suraysat, un village situé au sud de Jarablus. européens ou autres, n’assumaient pas l’accueil d’une part équitable des réfugiés de Syrie par la réinstallation ou d’autres voies sûres et légales.

434 Amnesty International — Rapport 2016/17 DISPARITIONS FORCÉES PROCÈS INÉQUITABLES Les forces gouvernementales détenaient sans Des opposants présumés ont été traduits jugement des milliers de personnes, le plus devant le Tribunal antiterroriste et un tribunal souvent dans des conditions qui militaire d’exception, qui appliquent une s’apparentaient à une disparition forcée. Par procédure manifestement inique. Les juges ailleurs on ignorait tout du sort et du lieu de n’ont pas ordonné d’enquêtes sur les détention de dizaines de milliers de allégations formulées par des accusés qui se personnes arrêtées par les forces plaignaient d’avoir été torturés et maltraités gouvernementales et soumises à une telle ou d’avoir été amenés par la contrainte à disparition depuis 2011. Parmi elles faire des « aveux » utilisés à titre de preuve à figuraient des détracteurs du gouvernement charge lors de leur procès. et des opposants non violents, ainsi que des proches de personnes recherchées par les HOMICIDES ILLÉGAUX autorités qui étaient détenus à leur place. Les forces gouvernementales et leurs alliés Au nombre des personnes soumises à une ont perpétré des homicides illégaux, y disparition forcée figuraient Khalil Maatouq, compris des exécutions extrajudiciaires. Le avocat spécialisé dans la défense des droits haut-commissaire des Nations unies aux humains, disparu depuis octobre 2012 avec droits de l’homme a indiqué le 13 décembre son ami Mohamed Thatha. Des détenus que les forces gouvernementales et leurs libérés ont déclaré avoir vu Khalil Maatouq alliés avaient pénétré dans des habitations dans une prison officielle, mais les autorités civiles lors de leur avancée dans l’est d’Alep niaient détenir ces deux hommes. Des le 12 décembre et, selon de nombreuses milliers de personnes, des islamistes pour la sources, avaient tué au moins 82 civils, dont plupart, étaient portées disparues depuis leur 13 enfants. arrestation par les forces de sécurité à la fin des années 1970 et au début des DROITS DES FEMMES années 1980. Le 15 juin, la Commission d’enquête indépendante a conclu que des milliers de TORTURE ET AUTRES MAUVAIS femmes et de filles yézidies avaient été TRAITEMENTS emmenées de force par les combattants de La torture et les mauvais traitements étaient l’EI de Sinjar (Irak) jusqu’en Syrie, pour y être toujours pratiqués de manière systématique vendues sur les marchés à des fins sur les détenus par les services de sécurité et d’esclavage, y compris sexuel. De du renseignement, ainsi que dans les prisons nombreuses femmes et filles ont été victimes officielles. Le nombre de morts en détention de violences sexuelles, de viol et d’autres des suites de torture et de mauvais formes de torture. Celles qui avaient tenté de traitements restait élevé et s’ajoutait aux s’évader ont subi des viols collectifs ou ont milliers de cas de mort en détention recensés été torturées, entre autres châtiments. Une depuis 20111. femme a affirmé que le combattant qui l’avait En août, le Human Rights Data Analysis achetée avait tué plusieurs de ses enfants et Group, une ONG qui utilise une approche l’avait violée à maintes reprises après qu’elle scientifique pour analyser les violations des eut tenté de s’enfuir. droits humains, a estimé qu’au moins 17 723 personnes étaient mortes en PEINE DE MORT détention des suites de torture et de mauvais La peine de mort était maintenue pour de traitements entre mars 2011 et nombreuses infractions. Les autorités ne décembre 2015. communiquaient guère de détails concernant les sentences capitales prononcées, et

Amnesty International — Rapport 2016/17 435 aucune information n’était disponible sur les au-delà des prochaines élections, et exécutions. l’interdiction des partis politiques constitués sur des critères de religion ou de nationalité figuraient parmi les dispositions adoptées. Le 1. Torture, conditions inhumaines et morts massives de détenus dans les prisons syriennes (nouvelle, 18 août) fait « d’insulter le chef de la nation » est devenu une infraction au Code pénal en novembre. Au moins 170 personnes ont été TADJIKISTAN poursuivies, puis jugées et condamnées à des peines d’emprisonnement pour leur République du Tadjikistan participation présumée à des affrontements Chef de l’État : Emomali Rahmon Chef du gouvernement : Qohir Rassoulzoda armés entre les forces gouvernementales et des groupes armés survenus dans la capitale, Douchanbé, en septembre 2015. L’espace permettant l’expression d’opinions Ces violences avaient été présentées par les dissidentes a continué de se réduire comme autorités comme une tentative de coup d’État une peau de chagrin. Les autorités ont menée par l’ancien vice-ministre de la invoqué de possibles menaces pour la Défense Abdoukhalim Nazarzoda. sécurité nationale, ainsi que la lutte contre L’information étant presque totalement le terrorisme, pour justifier l’imposition de contrôlée par les pouvoirs publics, la version restrictions de plus en plus draconiennes à officielle des événements n’a guère été la liberté d’expression et à la liberté commentée de manière indépendante, d’où d’association. Inculpés au titre de la un certain nombre d’interrogations sur les législation contre le terrorisme, plusieurs procès intentés. membres du Parti de la renaissance Des militants en exil du Parti de la islamique du Tadjikistan (PRIT), une renaissance islamique du Tadjikistan (PRIT), formation d’opposition interdite, ont été et du « Groupe 24 », un autre mouvement condamnés à de lourdes peines d’opposition, se sont rendus en septembre à d’emprisonnement (certains à la réclusion à la Réunion annuelle de l’OSCE sur la mise en perpétuité) à l’issue de procès qui se sont œuvre des engagements concernant la déroulés dans le plus grand secret et dans dimension humaine, qui avait lieu à Varsovie. des conditions totalement inéquitables. Ils ont organisé à cette occasion une Certaines allégations selon lesquelles des manifestation. Selon certaines sources, la agents de l’État les auraient torturés pour police et les services de sécurité ont menacé, leur extorquer des « aveux » n’ont pas arrêté arbitrairement, interrogé et, dans donné lieu à une enquête approfondie et certains cas, brutalisé des proches de ces impartiale. Des avocats représentant des militants restés au Tadjikistan, en représailles membres du PRIT ont été victimes d’actes de l’action pacifique menée dans la capitale de harcèlement, de détention arbitraire, de polonaise. La délégation officielle tadjike a poursuites, voire de lourdes peines quitté la réunion plus tôt que prévu, en signe d’emprisonnement après avoir été jugés de protestation contre la décision d’autoriser pour raisons politiques. une « organisation terroriste interdite au Tadjikistan » à participer à la rencontre en CONTEXTE tant que membres de la société civile. Diverses modifications de la Constitution d’une portée considérable ont été adoptées PROCÈS INÉQUITABLES en mai à l’issue d’un référendum national. La Les autorités continuaient de rejeter suppression de la limite du nombre de catégoriquement les allégations selon mandats présidentiels, permettant de fait à lesquelles 14 responsables du PRIT auraient Emomali Rahmon de rester à la tête du pays fait l’objet d’un procès politique et inéquitable

436 Amnesty International — Rapport 2016/17 et auraient été victimes d’actes de torture et préoccupation. « Le gouvernement accuse le d’autres mauvais traitements, en raison du PRIT et ses membres de crimes graves, mais rôle qu’ils auraient joué dans les refuse que le procès et les éléments de affrontements de septembre 2015. Ce procès preuve soient rendus publics », a-t-il en outre a eu lieu devant la Cour suprême en février. Il constaté1. s’est déroulé dans le plus grand secret, à l’intérieur du centre de détention provisoire Des avocats victimes de harcèlement du Comité de sûreté de l’État. Tous les Les avocats chargés de défendre les accusés ont été reconnus coupables en juin. 14 dirigeants du PRIT ont fait l’objet d’actes Deux des vice-présidents du PRIT, Oumarali de harcèlement et d’intimidation. Certains Khissaïnov (également connu sous le nom de d’entre eux ont même été placés en Saïdoumour Khoussaïni) et Makhmadali détention de façon arbitraire et ont été Khaïtov (Moukhammadali Haït), ont été poursuivis en justice. Le tribunal de la ville de condamnés à la réclusion à perpétuité. Douchanbé a ainsi condamné Condamnée à deux ans d’emprisonnement, Bouzourgmekhr Iorov et Nouriddine Zarafo Khoujaïeva (Rakhmoni) a été libérée le Makhkamov, deux avocats représentant 5 septembre aux termes d’une mesure de plusieurs des accusés du procès du PRIT, à grâce présidentielle. Les autres accusés ont 23 et 21 ans d’emprisonnement, été condamnés à des peines comprises entre respectivement. Les deux hommes n’ont pas 14 et 28 ans d’emprisonnement. été jugés dans des conditions équitables. Les rares informations qui avaient été Seule la première audience, en mai, a été initialement diffusées par les autorités ouverte au public et à la presse. Toutes les concernant le procès des dirigeants du PRIT, autres se sont déroulées à huis clos. Les et notamment les chefs d’inculpation retenus deux juristes ont été reconnus coupables contre eux, ont disparu dès fin 2015 des d’avoir « suscité l’hostilité nationale, raciale, sources officielles sur lesquelles elles avaient locale ou religieuse », de fraude, d’« appels été publiées (entre autres du site Internet des publics à un changement violent de l’ordre services du procureur général et des constitutionnel de la République du documents de l’agence de presse officielle Tadjikistan », et d’« appels publics à des Khovar). Aucune information nouvelle n’a été activités extrémistes ». Bouzourgmekhr Iorov autorisée. Les avocats des prévenus ont été a en outre été reconnu coupable de faux et contraints de signer des accords de usage de faux. Ils ont tous deux rejeté les confidentialité concernant les détails de accusations portées contre eux et un appel l’affaire et les procédures judiciaires. Le était en cours à la fin de l’année. Ils ne verdict et les procès-verbaux des audiences pourront reprendre leur métier à leur n’ont pas été publiés officiellement. Une libération que si le verdict prononcé contre copie du verdict obtenue grâce à une fuite a eux en première instance est totalement été publiée en ligne au mois d’août. Le invalidé2. parquet général a refusé de s’exprimer sur Djamched Iorov, le frère de l’authenticité de ce document, mais la Bouzourgmekhr Iorov, lui aussi avocat de la personne soupçonnée d’être à l’origine de défense dans l’affaire des dirigeants du PRIT, cette fuite a fait l’objet de poursuites (voir a été arrêté le 22 août pour « divulgation de plus loin). secrets d’État ». Il était accusé d’être à « Les mesures drastiques prises à l’origine de la fuite qui avait rendu public l’encontre du PRIT constituent une l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire du régression grave pour un environnement PRIT. Il a été remis en liberté le politique transparent », a indiqué en mars 30 septembre. 2016 le rapporteur spécial de l’ONU sur la Un second procès contre Bouzourgmekhr promotion et la protection du droit à la liberté Iorov s’est ouvert le 12 décembre, au sein du d’opinion et d’expression, qui a fait part de sa centre de détention provisoire no 1 de

Amnesty International — Rapport 2016/17 437 Douchanbé. L’intéressé était cette fois accusé les décisions sur les déclarations obligatoires, d’outrage à magistrat et à des représentants par les ONG, des financements provenant de de l’État, pour des propos tenus lors de sa l’étranger. Il n’indiquait pas non plus si une déclaration finale devant le tribunal de la ville subvention pouvait être utilisée avant sa de Douchanbé. déclaration officielle. Ce projet de décret limitait les inspections des ONG à une tous TORTURE ET AUTRES MAUVAIS les deux ans, tout en laissant une large place TRAITEMENTS à l’interprétation quant aux modalités et aux Les garanties juridiques destinées à protéger motifs desdites inspections. les détenus contre la torture et les autres Un tribunal de district a invalidé en janvier mauvais traitements ont été renforcées au la procédure de liquidation entamée par la mois de mai. Parmi les mesures adoptées Commission fiscale contre le cercle de figuraient : la limitation à trois jours de la réflexion Nota Bene, organisation reconnue durée maximale pendant laquelle une se consacrant aux questions touchant aux personne peut être maintenue en détention droits humains et à la démocratie. sans inculpation ; la définition de la détention comme prenant effet au moment de la LIBERTÉ D’EXPRESSION privation de fait de liberté ; le droit du détenu Les autorités ont continué d’intensifier la d’avoir accès à un avocat, dans des répression de la liberté de la presse et de conditions de confidentialité, dès l’instant où réduire les possibilités d’accès à une il est privé de liberté ; et l’obligation de information indépendante. Le gouvernement procéder à un examen médical des suspects a pris en août un décret valable pour cinq avant de les placer en détention provisoire. ans l’autorisant à « réguler et contrôler » les Il n’existait toujours aucun mécanisme contenus de tous les réseaux radiotélévisés indépendant chargé d’enquêter sur les via la Commission d’État de allégations de torture ou d’autres mauvais radiotélédiffusion. traitements. L’ONG Coalition contre la torture Les organes de presse et les journalistes a recensé 60 plaintes pour torture. Elle indépendants ont fait l’objet d’actes estimait toutefois que ce chiffre ne reflétait d’intimidation et de harcèlement de la part de qu’une toute petite partie de la réalité. la police et des services de sécurité dans le Le Conseil des droits de l’homme [ONU] a cadre de la couverture du procès des adopté en septembre les conclusions de dirigeants du PRIT et d’autres questions l’Examen périodique universel (EPU) sur le politiques sensibles. Un certain nombre de Tadjikistan. Le gouvernement a rejeté les journalistes ont été contraints de partir à recommandations du Conseil qui l’étranger. Le journal indépendant Nigoh et le l’enjoignaient de ratifier le Protocole facultatif site Internet indépendant Tojnews ont se rapportant à la Convention contre la annoncé en novembre qu’ils cessaient leurs torture et de mettre en place un mécanisme activités, « les conditions permettant national de prévention. Il a en revanche l’exercice d’un journalisme libre et accepté celles concernant l’abolition totale de indépendant n’étant plus réunies ». Nigoh la peine capitale et la ratification du avait notamment couvert le procès de Deuxième Protocole facultatif se rapportant Bouzourgmekhr Iorov. au PIDCP. Les pouvoirs publics ont cette année encore exigé des fournisseurs de services en LIBERTÉ D’ASSOCIATION ligne qu’ils bloquent l’accès à certains sites Le ministère de la Justice a fait part d’un d’information et à certains réseaux sociaux, projet de décret d’application de la Loi sur les sans toutefois le reconnaître publiquement. associations publiques, telle que modifiée. Ce Les particuliers et les groupes touchés par texte ne précisait cependant pas les délais ces mesures n’ont pas eu la possibilité de les précis dans lesquels devaient être rendues contester effectivement devant les tribunaux.

438 Amnesty International — Rapport 2016/17 Un décret gouvernemental obligeait en outre droits économiques, sociaux et culturels les fournisseurs d’accès à Internet et les (PIDESC). opérateurs de télécommunications à faire transiter tous leurs services par un nouveau 1. Tadjikistan. Une année marquée par le secret, la peur et l’injustice centre de communications unique, placé croissante (EUR 60/4855/2016) sous l’autorité de la société publique 2. Tadjikistan. Une année marquée par le secret, la peur et l’injustice Tajiktelecom. Le rapporteur spécial de l’ONU croissante (EUR 60/4855/2016) sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression a déploré en mars le blocage très fréquent des sites et des réseaux, y compris des services mobiles, qu’il TAIWAN jugeait abusif et incompatible avec les Taiwan normes internationales. Chef de l’État : Tsai Ing-wen (a remplacé Ma Ying-jeou en mai) DROITS À L’EAU ET À Chef du gouvernement : Lin Chuan (a remplacé Mao L’ASSAINISSEMENT Chi-kuo en mai) Le rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’eau potable et à l’assainissement a publié À l’issue des élections de janvier 2016, Tsai en juillet son rapport sur le Tadjikistan. Il Ing-wen, la candidate du Parti constatait notamment qu’environ 40 % de la démocratique progressiste (PDP), est population (près de 50 % dans les zones devenue la première femme présidente du rurales) dépendaient d’un approvisionnement pays. Des évolutions positives ont été en eau souvent insuffisant ou non conforme notées dans trois affaires de longue date aux normes de qualité. Cette situation avait dans lesquelles les personnes mises en des conséquences particulièrement lourdes cause risquent la peine de mort, mais pour les femmes et les enfants, dont certains plusieurs faits de violence ont suscité des consacraient en moyenne de quatre à six appels publics au maintien de ce heures par jour à la corvée d’eau. Le châtiment. Le nouveau gouvernement a rapporteur spécial notait que le manque décidé d’abandonner les poursuites d’eau et d’installations sanitaires dans les engagées contre plus de 100 manifestants établissements publics avait des du « mouvement des tournesols » lancé en répercussions néfastes directes sur d’autres 2014. Le registre d’état civil pour les droits, tels que les droits à la santé, à couples du même sexe a été étendu à l’éducation, au travail ou à la vie. Il priait 10 municipalités et comtés. La commission instamment le gouvernement de faire judiciaire du Conseil législatif a adopté des disparaître les inégalités en matière d’accès à modifications du Code civil proposées par l’eau et à l’assainissement et de répondre aux deux législateurs du PDP, qui constituaient besoins des catégories les plus vulnérables, une première étape vers la légalisation du notamment des femmes et des filles en zone mariage entre personnes de même sexe. rurale, des personnes réinstallées, des réfugiés, des demandeurs d’asile et des LIBERTÉ DE RÉUNION apatrides. Le 23 mai, le Premier ministre Lin Chuan a Le gouvernement a accepté les annoncé que le nouveau gouvernement recommandations formulées à l’issue de la abandonnait les poursuites engagées contre procédure d’Examen périodique universel qui 126 manifestants. Il a déclaré que la décision l’invitaient à améliorer l’accès à l’eau potable. du précédent gouvernement de poursuivre Il a toutefois rejeté la recommandation qui les manifestants relevait plus d’une « réaction l’enjoignait de ratifier le Protocole facultatif se politique » que d’une « affaire judiciaire ». En rapportant au Pacte international relatif aux mars 2014, des manifestations avaient été organisées par des étudiants pour protester

Amnesty International — Rapport 2016/17 439 contre l’Accord commercial sur les services 14 juillet. Si ce texte était promulgué, il entre les deux rives conclu entre Taiwan et la s’agirait de la première loi de cette nature à Chine. Ce mouvement, appelé « mouvement Taiwan et elle pourrait permettre aux des tournesols », s’était traduit par 24 jours demandeurs d’asile de Chine continentale de de manifestations, l’occupation du Conseil demander l’asile politique à Taiwan. législatif (le parlement de Taiwan) et l’occupation pendant 10 heures du Conseil exécutif (les bureaux du gouvernement). TANZANIE

PEINE DE MORT République-Unie de Tanzanie Deux semaines avant la fin du mandat du Chef de l’État : John Magufuli précédent gouvernement, en mai 2016, la Chef du gouvernement : Kassim Majaliwa chambre de Taichung de la Haute Cour de Chef du gouvernement de Zanzibar : Ali Mohamed Taiwan a libéré Cheng Hsing-tse sous caution Shein en attendant qu’il soit rejugé. En prison depuis 14 ans, cet homme avait été Les droits à la liberté d’expression et de condamné pour le meurtre d’un policier lors réunion pacifique ont fait l’objet de d’un échange de coups de feu dans une salle restrictions. Rien n’a été fait pour remédier de karaoké à Taichung en 2002. Le parquet a aux discriminations fondées sur l’identité demandé un nouveau procès en mars, de genre et l’orientation sexuelle. invoquant de nouveaux éléments de preuve soulevant des doutes sur sa condamnation. LIBERTÉ DE RÉUNION C’est la première fois qu’un nouveau procès Les mois qui ont précédé les élections de est demandé dans une affaire pour laquelle mars à Zanzibar ont été marqués par des la Cour suprême a confirmé la condamnation violences. Au moins 200 personnes ont été à mort dans sa décision finale. blessées, 12 femmes ont été victimes En juillet 2016, le procureur général a d’agressions sexuelles et une femme a été demandé un recours extraordinaire pour violée. Plus de 100 membres du Front Chiou Ho-shun. Emprisonné depuis 1989, civique unifié (CUF), dont le directeur de la cet homme est le détenu de l’histoire communication de ce parti d’opposition, ont moderne de Taiwan ayant passé le plus de été arrêtés pour avoir manifesté contre la temps dans le quartier des condamnés à tenue d’un nouveau scrutin, après mort. La demande invoque le fait que les l’annulation des élections générales de 2015 tribunaux précédents n’ont pas exclu certains en raison de plaintes concernant des éléments obtenus lors d’« aveux » forcés. irrégularités. Des cas de recours excessif à la Chiou Ho-shun avait été torturé pendant sa force contre des partisans du CUF de la part détention et forcé à « avouer », avant d’être de policiers et d’un groupe armé non déclaré coupable de vol, d’enlèvement et de identifié, composé d’hommes cagoulés meurtre. utilisant des véhicules gouvernementaux, ont Le 13 octobre, la Cour suprême a confirmé été rapportés. Les autorités ont reçu de la décision de la Haute Cour d’acquitter Hsu nombreuses plaintes, mais aucune poursuite Tzi-chiang, qui avait fait appel à plusieurs n’a été engagée à l’encontre de la police. reprises de sa condamnation pour En juin, le président John Magufuli a enlèvement, extorsion de fonds et meurtre interdit tous les rassemblements politiques en 1995. jusqu’en 2020. Les partis d’opposition ont réagi en appelant à des manifestations RÉFUGIÉS ET DEMANDEURS D’ASILE pacifiques sous la bannière UKUTA (Alliance La commission de l’administration intérieure contre la dictature en Tanzanie), ce qui a du Conseil législatif a adopté un projet de loi conduit la police à étendre l’interdiction aux sur les réfugiés en deuxième lecture le réunions internes des partis. Deux dirigeants

440 Amnesty International — Rapport 2016/17 de l’opposition et 35 sympathisants loi sur le mariage, qui autorisaient le mariage originaires du continent et de Zanzibar ont pour les jeunes filles de moins de 18 ans. Le été interpellés et inculpés de diverses taux de mariage précoce en Tanzanie est l’un infractions, notamment d’incitation à des plus élevés au monde (37 % des filles de manifester. moins de 18 ans sont mariées). Le procureur général a fait appel de cette décision. LIBERTÉ D’EXPRESSION – JOURNALISTES DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET Quatre organes de presse ont été fermés et DES PERSONNES BISEXUELLES, des journalistes ont été arrêtés et inculpés de TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES diverses infractions au Code pénal, à la loi Les autorités ont entamé une répression à sur la cybercriminalité et à la loi relative à la l’encontre des personnes LGBTI, menaçant presse. L’hebdomadaire Mawio a fait l’objet de suspendre les organisations qui les d’une fermeture définitive et trois journalistes soutiennent. En août, des membres du ont été inculpés de sédition pour avoir rendu personnel de l’organisation Community compte des élections à Zanzibar et de la Health Education Services and Advocacy ont crise politique qui a suivi. Après avoir publié été arrêtés et des documents ont été un article mettant en cause un haut confisqués lors d’une descente de police fonctionnaire du gouvernement dans une dans les locaux de cette association. affaire de corruption, l’hebdomadaire Mseto a Le même mois, la police a interpellé été interdit pour une durée de trois ans, pour 20 personnes LGBTI à Dar es Salaam. La violation de la loi relative à la presse. Les plupart d’entre elles ont été maintenues en stations Radio Five et Magic FM ont détention pendant plus de 48 heures avant également été fermées au motif qu’elles d’être libérées sans inculpation. Les autorités diffusaient des enregistrements séditieux. ont suspendu en novembre les programmes Deux femmes et six hommes ont été locaux de prévention du VIH/sida à inculpés au titre de la loi sur la destination des homosexuels. cybercriminalité pour avoir publié sur Facebook des informations relatives aux élections et au président. TCHAD

DROITS DES FEMMES République du Tchad La Tanzanie n’a pas suivi les Chef de l’État : Idriss Déby Itno recommandations émises par le Comité pour Chef du gouvernement : Albert Pahimi Padacké (a l’élimination de la discrimination à l’égard des remplacé Kalzeubé Pahimi Deubet en février) femmes [ONU] dans l’affaire de 2015 E. S. et S. C. c. la République-Unie de Tanzanie. Cette année encore, le groupe armé Boko Soumise au Comité en 2012, cette affaire Haram a commis des atrocités dans la concernait deux veuves tanzaniennes qui, au région du lac Tchad, où il s’est rendu titre du droit successoral coutumier, n’avaient coupable d’homicides, des pillages et de pas été autorisées à gérer les biens fonciers destructions de biens. Ces violences et la de leur épou décédé ou à en hériter. En réaction des pouvoirs publics ont entraîné 2016, le Comité a recommandé de réformer le déplacement de dizaines de milliers de le droit coutumier local (Déclaration n° 4), personnes, qui se sont retrouvées dans des discriminatoire à l’égard des femmes en conditions déplorables avec un accès matière de gestion et de transmission de extrêmement limité à l’eau et aux biens immobiliers. installations sanitaires. L’élection En septembre, les tribunaux ont rendu une présidentielle d’avril s’est déroulée sur fond décision historique en déclarant de restrictions de la liberté d’expression, de inconstitutionnels les articles 13 et 17 de la recours excessif ou injustifié à la force

Amnesty International — Rapport 2016/17 441 contre des manifestants pacifiques et de 14 avril. Le 14 avril, ils ont été condamnés à disparitions forcées. Plus de une peine de quatre mois d’emprisonnement 389 000 réfugiés vivaient toujours avec sursis, assortie d’une interdiction de péniblement dans des camps surpeuplés. prendre part à des activités « subversives ». Les Chambres africaines extraordinaires Le 4 avril, Albissaty Salhe Alazam, un autre (CAE), siégeant au Sénégal, ont condamné militant, a été inculpé de « provocation à un l’ancien président Hissène Habré à la attroupement non armé », « trouble à l’ordre réclusion à perpétuité pour des crimes public » et « désobéissance à un ordre contre l’humanité, des crimes de guerre et légitime » parce qu’il avait organisé une des actes de torture commis au Tchad entre manifestation pacifique prévue pour le 1982 et 1990. lendemain afin de réclamer la libération des quatre militants susmentionnés. Il a été EXACTIONS PERPÉTRÉES PAR DES condamné à quatre mois de prison avec GROUPES ARMÉS sursis. Au cours de l’année, Boko Haram a mené À la mi-avril, deux défenseurs des droits des attaques contre des civils et contre les humains ont fui le pays après avoir reçu des forces de sécurité, se rendant coupable menaces de mort par SMS et lors d’appels d’homicides, de pillages et de destructions téléphoniques anonymes ; ils avaient de biens privés et d’installations publiques. participé, avant le scrutin, à des Le 31 janvier, deux attentats-suicides manifestations contre la réélection perpétrés par Boko Haram dans les villages d’Idriss Déby. de Guié et de Miterine, près du lac Tchad, Le 17 novembre, 11 militants de ont fait au moins trois morts, dont un l’opposition ont été arrêtés pendant une membre d’un groupe d’autodéfense, et au manifestation non autorisée contre la crise moins 56 blessés. économique et inculpés de participation à un « rassemblement non armé ». Les poursuites LIBERTÉ D’EXPRESSION ET DE ont été abandonnées et ces personnes ont RÉUNION été libérées le 7 décembre. Les droits à la liberté d’expression et de réunion ont été bafoués. Cette année encore, RECOURS EXCESSIF À LA FORCE des défenseurs des droits humains ont été Les forces de sécurité ont eu recours à une victimes de menaces et de manœuvres force excessive ou injustifiée pour disperser d’intimidation, et l’accès aux réseaux sociaux des manifestations à N’Djamena et dans a été régulièrement restreint. Le 19 mars, d’autres villes, et ce en toute impunité. l’État a interdit toutes les manifestations sans En février et mars, les forces de sécurité lien avec la campagne électorale. ont dispersé violemment plusieurs Le 6 février, 17 manifestants pacifiques manifestations pacifiques organisées dans ont été arrêtés à N’Djamena, la capitale. Ils tout le pays afin de réclamer justice au nom ont été détenus pendant deux jours au siège de Zouhoura Ibrahim, une lycéenne de de la police judiciaire ; ils y ont été battus et 16 ans violée le 8 février. Les auteurs du gaz lacrymogène a été répandu dans leur présumés de ce crime sont cinq jeunes cellule. Au moins deux d’entre eux ont dû hommes entretenant des liens avec les être admis à l’hôpital en soins intensifs. autorités et les forces de sécurité. Le Entre le 21 et le 23 mars, quatre militants 15 février, la police a tué un lycéen de 17 ans ont été arrêtés et inculpés de « trouble à lors d’une manifestation pacifique à l’ordre public » et de « désobéissance à un N’Djamena et, le 22, les forces de sécurité ordre légitime » parce qu’ils projetaient ont abattu un élève de 15 ans et ont blessé d’organiser une manifestation pacifique. Ils au moins cinq autres personnes dans la ville ont été détenus à la maison d’arrêt de Faya-Largeau. d’Amsinene, à N’Djamena, du 24 mars au

442 Amnesty International — Rapport 2016/17 Le 7 août, la police a utilisé des armes à enlevés, avant de les torturer dans des feu pour disperser une manifestation centres de détention aussi bien officiels pacifique organisée à N’Djamena afin qu’officieux. Quarante-neuf de ces militaires d’empêcher la réélection d’Idriss Déby, tuant ont été libérés mais, à la fin de l’année, on un jeune homme et faisant plusieurs blessés ignorait toujours ce qu’il était advenu des graves. 15 autres. Sous la pression de la communauté internationale, le procureur de ARRESTATIONS ET DÉTENTIONS la République a ouvert une enquête ARBITRAIRES – JOURNALISTES concernant cinq de ces militaires, mais Cette année encore, des journalistes ont été l’affaire a été classée sans suite après leur la cible de manœuvres d’intimidation et libération. Aucune enquête n’a été menée beaucoup ont été arrêtés de manière sur les allégations de torture et les autres arbitraire et placés en détention pendant de disparitions. courtes périodes parce qu’ils avaient exercé leur droit à la liberté d’expression. RÉFUGIÉS ET PERSONNES DÉPLACÉES Le 28 mai, un présentateur d'une station Plus de 389 000 réfugiés venus de de radio nationale a été interrogé par des République centrafricaine, du Nigeria et du agents de la Direction des renseignements Soudan vivaient toujours dans des camps, où généraux à la suite d’un lapsus sur le nom du les conditions étaient déplorables. président, qu’il avait appelé Hissène Habré Les attaques et les menaces de Boko au lieu d’Idriss Déby pendant une émission. Haram, ainsi que les opérations de sécurité Il a été libéré sept heures plus tard et de l’armée tchadienne, ont entraîné le suspendu de cette émission. déplacement à l’intérieur du pays de Le 30 août, Stéphane Mbaïrabé Ouaye, 105 000 personnes, ainsi que le retour dans directeur de la publication du journal Le Haut le bassin du lac Tchad de 12 000 autres qui Parleur, a été arrêté, interrogé par des agents avaient trouvé refuge au Nigeria et au Niger. de la Direction des renseignements généraux La dégradation des conditions de sécurité et inculpé de « tentative d’escroquerie et dans les zones frontalières proches du lac chantage » après s’être entretenu avec le Tchad à partir de la fin du mois de juillet a eu directeur de l’hôpital Mère-Enfant de des répercussions sur l’accès à l’aide N’Djamena au sujet d’allégations de humanitaire et la protection des populations corruption. Relaxé, il a été libéré le en danger. Les personnes déplacées dans la 22 septembre. région du lac Tchad vivaient dans des Le 9 septembre, Saturnin Bemadjiel, un conditions déplorables et n’avaient qu’un journaliste de la station de radio FM Liberté, accès extrêmement limité à l’eau et à des a été arrêté pendant qu’il couvrait une installations sanitaires, en particulier à Bol, manifestation, alors même qu’il était en Liwa et Ngouboua, près de Baga Sola. possession de sa carte de presse. Il a été interrogé au commissariat central et libéré au DROIT À UN NIVEAU DE VIE SUFFISANT, bout de quatre heures. À L’ÉDUCATION ET À LA JUSTICE Cette année encore, la population de la DISPARITIONS FORCÉES région du lac Tchad a tenté d’échapper à Le 9 avril, au moins 64 militaires ont été l’escalade de la violence, qui a perturbé victimes de disparition forcée après avoir l’agriculture, le commerce et la pêche, avec refusé de voter pour le président sortant. Des de lourdes conséquences économiques et témoins ont expliqué que les forces de sociales. L’instabilité n’a fait qu’exacerber sécurité avaient identifié les militaires l’insécurité alimentaire. En septembre, l’ONU soutenant des candidats de l’opposition, leur a estimé à 3,8 millions le nombre de avaient fait subir des mauvais traitements personnes vivant dans l’insécurité dans les bureaux de vote et les avaient

Amnesty International — Rapport 2016/17 443 alimentaire, dont un million au-delà du seuil crimes contre l’humanité, de crimes de de crise ou d’urgence. guerre et d’actes de torture commis au Tchad Les retards dans le versement des salaires entre 1982 et 1990. Ses avocats ont interjeté ont déclenché des grèves régulières dans le appel. secteur public, ce qui a restreint l’accès à Le 29 juillet, les CAE ont accordé l’éducation et à la justice. 20 millions de francs CFA (33 880 dollars En août, l’État a adopté 16 réformes des États-Unis) à chacune des victimes de d’urgence destinées à endiguer la crise viols répétés et d’esclavage sexuel, économique liée à la chute des cours du 15 millions de francs CFA (25 410 dollars) à pétrole ; il a en particulier supprimé les chacune des victimes de détention arbitraire bourses qui permettaient aux étudiants des et d’actes de torture, ainsi qu’à chacun des zones rurales de poursuivre leurs études. En prisonniers de guerre et rescapés de réaction, des étudiants ont organisé des massacres, et 10 millions de francs CFA manifestations – certaines pacifiques, (16 935 dollars) à chacune des victimes d’autres violentes – dans les principales villes indirectes. du pays, notamment à N’Djamena, Sarh, Pala et Bongor. DROITS SEXUELS ET REPRODUCTIFS THAÏLANDE Bien que le droit national dispose que Royaume de Thaïlande chaque personne, en couple ou non, doit Chef de l’État : Maha Vajiralongkorn pouvoir décider librement d’avoir ou non des Bodindradebayavarangkun (a remplacé Bhumibol enfants, du moment où ils sont conçus, de Adulyadej en décembre) leur nombre et de l’intervalle entre les Chef du gouvernement : Prayut Chan-O-Cha naissances, gérer sa santé reproductive et avoir accès à l’information et aux moyens Les autorités militaires ont renforcé les nécessaires pour ce faire, de nombreuses restrictions à l’exercice des droits humains. personnes ne bénéficiaient d’aucun L’opposition politique pacifique, qu’elle soit renseignement ni soin en la matière, en exprimée à travers des prises de parole ou particulier dans les zones rurales. Le Fonds des manifestations, et les actes perçus des Nations unies pour la population comme critiques vis-à-vis de la monarchie (FNUAP) estimait que seules 3 % des étaient sanctionnés ou interdits. Des femmes utilisaient un moyen de responsables politiques, des militants et contraception. Selon les chiffres de 2014 de des défenseurs des droits humains ont fait l’Institut national de la statistique, des études l’objet d’enquêtes et de poursuites pénales, économiques et démographiques (INSEED), notamment pour avoir fait campagne contre seules 5 % des femmes mariées avaient un projet de constitution et pour avoir fait recours à des moyens de contraception état d’informations sur des violations des modernes. droits humains commises par l’État. De En décembre, l’Assemblée nationale a nombreux civils ont été jugés devant des adopté une réforme du Code pénal portant tribunaux militaires. Le recours à la torture de 16 à 18 ans l’âge légal du mariage pour et à d’autres formes de mauvais traitements les filles. était très répandu. Des militants des droits fonciers ont été arrêtés, poursuivis ou JUSTICE INTERNATIONALE soumis à des violences pour s’être opposés Le 30 mai, l’ancien président Hissène Habré à des projets de développement et pour a été condamné à la réclusion à perpétuité avoir défendu les droits des populations par les CAE, une juridiction créée dans le locales. cadre d’un accord entre l’Union africaine et le Sénégal. Il a été déclaré coupable de

444 Amnesty International — Rapport 2016/17 CONTEXTE LIBERTÉ D’EXPRESSION, La Thaïlande était toujours sous l’autorité du D’ASSOCIATION ET DE RÉUNION Conseil national pour la paix et l’ordre Des détracteurs pacifiques du régime ont été (CNPO), un groupe de responsables poursuivis pour avoir exercé leur droit à la militaires au pouvoir depuis le coup d’État de liberté d’expression, de réunion pacifique et 2014. Un projet de constitution accordant d’association. Des personnes considérées des pouvoirs considérables à l’armée a été comme des sympathisants des détracteurs adopté par référendum en août. Des du gouvernement – notamment leurs élections étaient prévues pour la fin de proches, des simples citoyens, des avocats et l’année 2017 au plus tôt. des journalistes – ont également fait l’objet de L’ancienne Première ministre Yingluck harcèlement et de poursuites. Shinawatra était toujours poursuivie pour des La Loi de 2016 relative au référendum accusations de négligence dans le cadre de constitutionnel, qui a régi le référendum la gestion d’un programme de subvention du d’août, prévoyait jusqu’à 10 ans riz. En octobre, le gouvernement l’a d’emprisonnement pour les activités et les condamnée à payer une amende de déclarations « semant la confusion pour 35,7 milliards de bahts (1 milliard de dollars troubler l’ordre pendant le scrutin », des États-Unis) pour les pertes notamment par l’emploi d’un langage gouvernementales dues à ce programme. « choquant » ou « grossier » pour influencer L’Union européenne n’était toujours pas le vote. La loi a été utilisée contre les satisfaite des mesures prises par les autorités personnes opposées au projet de pour mettre fin à la pêche illicite et non constitution. Plus de 100 personnes auraient réglementée et aux pratiques de travail été inculpées pour des infractions liées au abusives. référendum2. Les modifications de la Loi relative aux SYSTÈME JUDICIAIRE infractions dans le domaine de l’informatique Le président du CNPO a continué d’utiliser permettaient une surveillance constante sans les pouvoirs exceptionnels que lui conférait autorisation judiciaire préalable et n’ont pas l’article 44 de la Constitution provisoire pour mis la législation en conformité avec le droit émettre des ordonnances, dont certaines international et les normes internationales en restreignaient arbitrairement l’exercice des matière de droit au respect de la vie privée et droits humains, notamment les activités de droit à la liberté d’expression. Les politiques pacifiques. En mars, il a émis une autorités ont également envisagé de renforcer ordonnance étendant les pouvoirs répressifs la surveillance en ligne et le contrôle des flux des militaires : ceux-ci étaient désormais sur Internet. autorisés à placer des personnes en Plusieurs personnes ont été inculpées ou détention pour un large éventail d’activités condamnées en vertu de l’article 112 du criminelles, sans l’aval de la justice1. Code pénal pour avoir critiqué la monarchie. Des civils ont été jugés devant des Cet article prévoyait une peine pouvant aller tribunaux militaires pour violations des jusqu’à 15 ans d’emprisonnement. Les ordonnances du CNPO, atteintes à la sécurité tribunaux militaires interprétaient les nationale et injures à la monarchie. En dispositions de cet article de manière large et septembre, le président du CNPO a publié ont prononcé des peines allant jusqu’à une ordonnance supprimant la compétence 60 ans d’emprisonnement contre des des tribunaux militaires pour les affaires prévenus devant répondre de plusieurs impliquant des civils. Cette ordonnance infractions similaires, y compris des n’était cependant pas rétroactive, et des personnes souffrant de troubles mentaux. La procès se sont poursuivis devant des libération sous caution était régulièrement tribunaux militaires.

Amnesty International — Rapport 2016/17 445 refusée aux personnes arrêtées au titre de des agents de l’immigration ont arrêté Joshua l’article 112. Wong et l’ont renvoyé de force à Hong Kong. Plusieurs personnes ont été inculpées ou Ce militant en faveur de la démocratie avait condamnées en vertu d’une interdiction des été invité à prendre la parole lors d’une rassemblements politiques de cinq cérémonie de commémoration du massacre personnes ou plus imposée par une de manifestants étudiants par les autorités ordonnance émise par le président du CNPO thaïlandaises en 19765. en 2015. Cette ordonnance a été particulièrement utilisée contre des groupes ARRESTATIONS ET DÉTENTIONS d’opposition politique et des militants en ARBITRAIRES faveur de la démocratie. En juin, les autorités Les autorités ont continué d’avoir recours à ont engagé des poursuites pénales contre l’ordonnance 3/2015 du président du CNPO 19 membres du Front uni pour la démocratie pour placer des personnes en détention et contre la dictature qui avaient tenu une arbitraire au secret sans inculpation pendant conférence de presse à l’occasion de une durée pouvant aller jusqu’à sept jours, l’ouverture d’un centre destiné à surveiller le dans le cadre de séances de « rectification référendum constitutionnel. Dans de des comportements »6. nombreux cas, des poursuites pénales ont Le journaliste Pravit Rojanaphruk faisait été engagées contre des étudiants et toujours l’objet de conditions restrictives, militants en faveur de la démocratie pour leur comme de nombreuses autres personnes implication dans des manifestations remises en liberté après avoir été placées en pacifiques et d’autres activités publiques détention arbitraire. Il a été empêché de se contre le régime militaire et le projet de rendre à Helsinki pour une cérémonie constitution de la Thaïlande. organisée par l’UNESCO à l’occasion de la Les autorités ont essayé de réduire au Journée mondiale de la liberté de la presse. silence des personnes qui exprimaient des inquiétudes quant à des actes de torture et DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS d’autres mauvais traitements. En septembre, Des défenseurs des droits humains ont été Amnesty International a été contrainte poursuivis devant la justice, emprisonnés, d’annuler une conférence de presse prévue à harcelés et soumis à des violences physiques Bangkok, la capitale, pour le lancement d’un en raison de leurs activités, pourtant rapport sur la torture, après que les autorités pacifiques. Sirikan Charoensiri, une éminente eurent menacé d’arrêter les intervenants3. avocate spécialiste des droits humains, a été Somchai Homla-or, Anchana Heemmina et inculpée de sédition, entre autres chefs, en Pornpen Khongkachonkiet ont été inculpés raison de ses activités professionnelles. Elle de diffamation et de violations de la Loi encourait une peine de 15 ans relative aux infractions dans le domaine de d’emprisonnement. l’informatique pour avoir recueilli des Des militants des droits économiques, informations sur des actes de torture sociaux et culturels ont fait l’objet de perpétrés par des militaires dans le sud de la poursuites et de procès intentés par des Thaïlande4. Une femme de 25 ans était sous entreprises privées, souvent pour des le coup de charges similaires pour avoir fait accusations de diffamation ou de violations campagne afin que les militaires de la Loi relative aux infractions dans le responsables de la torture et du meurtre de domaine de l’informatique. Une entreprise son oncle, un élève officier, rendent compte d’extraction d’or a lancé des poursuites de leurs actes. pénales et civiles contre au moins Les autorités ont annulé de nombreux 33 personnes qui s’étaient opposées à ses événements pendant lesquels des débats sur activités. Andy Hall, un militant des droits des les droits humains étaient prévus, ainsi que migrants, a été condamné en septembre des rassemblements politiques. En octobre, pour sa contribution à un rapport sur des

446 Amnesty International — Rapport 2016/17 violations des droits du travail commises par juge9. Des informations ont fait état de la une entreprise de production de fruits7. mort de deux appelés dans des camps Les défenseurs des droits humains, en militaires, à la suite d’actes de torture ont particulier les personnes travaillant sur les affirmé certains. Des actes de torture et conflits fonciers ou avec des associations d’autres formes de mauvais traitements par d'habitants, étaient en butte à des actes de les forces de sécurité dans le cadre harcèlement, des menaces et des violences d’opérations de routine ont également été physiques. En avril, des individus non signalés. Des fonctionnaires de police et des identifiés ont tiré sur Supoj Kansong et l’ont militaires se sont également rendus blessé. Cet homme est un militant des droits coupables de violations des droits humains fonciers du village de Khlong Sai Pattana, contre des membres de populations dans le sud de la Thaïlande. Quatre militants vulnérables – notamment des travailleurs de ce village avaient déjà été tués. À la fin de migrants, des membres de minorités l’année, personne n’avait été amené à rendre ethniques et des personnes soupçonnées de de comptes pour ces homicides8. En octobre, consommer de la drogue – dans des postes le Service des enquêtes spéciales a informé de police, à des barrages routiers et dans la famille de Somchai Neelapaijit que, faute divers lieux de détention non officiels. de preuves, il allait classer l’enquête sur la La Thaïlande envisageait l’adoption d’une disparition forcée, en 2004, de cet avocat loi érigeant en infraction la torture et les spécialiste des droits humains. disparitions forcées. CONFLIT ARMÉ RÉFUGIÉS ET DEMANDEURS D’ASILE Peu d’avancées ont été réalisées dans les La législation ne prévoyait aucune négociations en vue de résoudre le conflit reconnaissance officielle des réfugiés et des opposant depuis des années le demandeurs d’asile, ce qui plaçait nombre gouvernement à des séparatistes d’origine de personnes dans une situation de malaise dans le sud de la Thaïlande. Les vulnérabilité. Les demandeurs d’asile, y insurgés ont mené de nombreuses attaques compris les enfants, pouvaient être placés en contre des cibles militaires et civiles dans la détention illimitée pendant des mois ou des région, et les deux parties au conflit ont été années dans des centres pour migrants accusées de graves violations des droits surpeuplés. Des dizaines de Rohingyas humains. En mars, des groupes d’insurgés venus par bateau lors de la crise migratoire ont mené des attentats à la bombe contre qu’a connue la région en 2015 étaient des civils et ont attaqué un hôpital de la détenus dans ces centres depuis leur arrivée. province de Narathiwat. Les autorités n’ont pas répondu de manière adéquate à leurs besoins de protection en TORTURE ET AUTRES MAUVAIS tant que demandeurs d’asile et possibles TRAITEMENTS victimes de la traite d’être humains. Cette année encore, des membres de l’armée se sont livrés à des actes de torture contre 1. Thailand: Human rights groups condemn NCPO Order 13/2016 and des personnes soupçonnées de liens avec les urge for it to be revoked immediately (ASA 39/3783/2016) insurgés du sud du pays et contre des 2. Thailand: Open letter on human rights concerns in the run-up to the détenus soupçonnés d’infractions politiques constitutional referendum (ASA 39/4548/2016) ou d’atteintes à la sécurité dans d’autres 3. Thaïlande. Les victimes de la torture doivent être entendues régions. Ces pratiques étaient rendues (nouvelle, 28 septembre) possibles par des textes législatifs et 4. La présidente d’Amnesty International Thaïlande et d’autres militants réglementaires permettant aux militaires de risquent la prison pour avoir dénoncé des actes de torture (nouvelle, placer des personnes en détention dans des 25 juillet) lieux non officiels pour des périodes pouvant aller jusqu’à sept jours, sans contrôle d’un

Amnesty International — Rapport 2016/17 447 5. Thaïlande. Le refus d’entrée opposé à un militant étudiant en 2005 par la Commission d’accueil, de hongkongais est une nouvelle atteinte à la liberté d’expression recherche de la vérité et de réconciliation (nouvelle, 5 octobre) (CAVR). Beaucoup de celles sur l’impunité 6. Thaïlande. Un prisonnier d’opinion doit être libéré (ASA 39/3866/2016) n’avaient pas été suivies à la fin de l’année. L’expulsion, en 2014, de juges étrangers 7. Thaïlande. Un militant des droits humains est injustement pris pour cible (nouvelle, 20 septembre) continuait d’entraver le déroulement des 8. Thaïlande. Les autorités doivent protéger les défenseurs des droits procès de personnes accusées de crimes humains en ligne de mire (ASA 39/3805/2016) graves. 9. “Make Him Speak By Tomorrow”: Torture and other ill-treatment in Thailand (ASA 39/4747/2016) POLICE ET FORCES DE SÉCURITÉ Les informations faisant état d’un recours excessif ou injustifié à la force, d’actes de torture et d’autres mauvais traitements de la TIMOR-LESTE part des forces de sécurité, et l’impunité dont République démocratique du Timor-Leste elles bénéficiaient pour ces actes, Chef de l’État : Taur Matan Ruak demeuraient des motifs de préoccupation. En Chef du gouvernement : Rui Maria de Araújo août, un garde-frontière a abattu un homme souffrant de troubles mentaux à Suai. Des victimes de graves violations des droits Toujours en août, un policier a frappé un humains commises durant l’occupation journaliste à Dili. À la fin de l’année, indonésienne (1975-1999) ont continué à personne n’avait eu à rendre de comptes demander que justice soit faite et que des pour les actes de torture et les autres réparations leur soient accordées. Les mauvais traitements infligés à des dizaines forces de sécurité ont été accusées de de personnes arrêtées lors d’opérations de s’être livrées à des homicides illégaux, à sécurité conjointes menées dans le district de des actes de torture et à d’autres mauvais Baucau en 2015. Ces opérations avaient été traitements, ainsi que d’avoir procédé à des lancées à la suite des attaques dont la police arrestations arbitraires et restreint avait été l’objet dans les sous-districts de arbitrairement les droits à la liberté Laga et Baguia et qui auraient été menées d’expression et de réunion pacifique. par Mauk Moruk (Paulino Gama) et son mouvement interdit, le Conseil CONTEXTE révolutionnaire maubere1. En août, plusieurs centaines de militants de la société civile se sont réunis à Dili, la LIBERTÉ D’EXPRESSION capitale du pays, lors d’une conférence En janvier, les forces de sécurité ont sommé organisée en marge d’un sommet de un militant de l’ONG Yayasan HAK d’ôter son l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est tee-shirt, où était écrit « Libérez la Papouasie (ANASE) pour évoquer les droits humains et occidentale ». Elles ont également menacé d’autres thématiques régionales. En d’autres militants des droits humains de les novembre, le bilan du pays en matière de arrêter, parce qu’ils avaient participé à droits humains a été examiné dans le cadre l’organisation d’un rassemblement pacifique de l’Examen périodique universel des en marge d’une visite du président Nations unies. indonésien et qu’ils avaient signé une déclaration conjointe dans laquelle ils IMPUNITÉ réclamaient que les auteurs de crimes contre Un groupe de travail a été créé en mai par le l’humanité commis sous l’occupation Premier ministre. Investi d’une mission indonésienne aient à répondre de leurs consultative auprès du gouvernement, il était actes2. chargé d’émettre des avis sur la mise en œuvre des recommandations formulées

448 Amnesty International — Rapport 2016/17 Le 11 avril, deux journalistes ont été inculpés dans le cadre d’une procédure pour CONTEXTE diffamation. En septembre, le Togo a ratifié le Deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ET international relatif aux droits civils et AUX FILLES politiques, visant à abolir la peine de mort. Les violences liées au genre demeuraient un Le pays a été soumis à l’Examen problème grave. Une enquête a révélé que, périodique universel (EPU) en octobre1. À parmi les femmes âgées de 15 à 49 ans qui cette occasion, les États membres des avaient déjà entretenu une relation Nations unies ont exprimé leur préoccupation amoureuse, trois sur cinq avaient été concernant, entre autres, l’impunité et les victimes de sévices sexuels et d’autres restrictions pesant sur la liberté d’expression violences physiques aux mains d’un époux et la liberté de réunion pacifique. Les États se ou d’un partenaire de sexe masculin. Le sont aussi inquiétés de l’incapacité des Timor-Leste est devenu en avril le troisième autorités à garantir un enregistrement gratuit pays d’Asie du Sud-Est à adopter un Plan des naissances, ce qui peut compromettre d’action national consacré aux femmes, à la l’accès des enfants à l’éducation, aux soins paix et à la sécurité pour la période de santé et à d’autres services sociaux. 2016-2020. RECOURS EXCESSIF À LA FORCE En janvier, des policiers et des gendarmes 1. Timor-Leste: Still no justice – Submission to the UN Universal Periodic Review, novembre 2016 (ASA 57/4531/2016) ont lancé des grenades lacrymogènes lors 2. Timor-Leste. Une ONG harcelée pour avoir organisé un d’une manifestation organisée à l’université rassemblement pacifique (ASA 57/3334/2016) de Lomé ; cinq étudiants et trois agents des forces de sécurité ont été blessés. En août, les forces de sécurité ont blessé au moins 10 personnes au cours d’une TOGO manifestation tenue à Abobo-Zéglé. Les République togolaise participants protestaient parce qu'ils avaient Chef de l’État : Faure Gnassingbé été expulsés de leurs terres pour permettre Chef du gouvernement : Komi Sélom Klassou l’extraction du phosphate. Les forces de sécurité ont chargé les manifestants à grand renfort de gaz lacrymogène, de coups de Cette année encore, les forces de sécurité matraques et de tirs à balles réelles. Les ont eu recours à une force excessive face à habitants considéraient qu’ils n’avaient pas des manifestants. Les arrestations et été suffisamment indemnisés pour leur détentions arbitraires, la torture et les expulsion. autres formes de mauvais traitements, ainsi que l’impunité en cas de violations des TORTURE ET AUTRES MAUVAIS droits humains, avaient toujours cours. Une TRAITEMENTS loi portant révision du Code pénal a été En octobre, l’Assemblée nationale a adopté adoptée, qui a supprimé la prescription une loi portant révision du Code pénal, qui a pour les actes de torture. D’autres mis la définition de la torture en conformité évolutions législatives, en revanche, ont mis avec celle figurant dans la Convention contre à mal l’indépendance de la Commission la torture [ONU] et a rendu ce crime nationale des droits de l’homme et le droit imprescriptible. à la liberté d’association. Une fois encore, des actes de torture et d’autres mauvais traitements ont été signalés tout au long de l’année.

Amnesty International — Rapport 2016/17 449 En juin, Ibrahim Agriga a été arrêté à son qui n’est pas conforme aux normes domicile, à Guérin-Kouka, par trois policiers. internationales. En effet, ce texte dispose que Il a été emmené dans un poste de police et a les « associations étrangères ou reçu des coups de matraque sur les fesses et internationales » doivent obtenir une la plante des pieds, dans le but de lui faire autorisation afin de pouvoir mener leurs « avouer » le vol d’une moto. Libéré sans activités au Togo. Il précise également que inculpation au bout de trois jours, il a porté les associations doivent respecter les lois plainte auprès du tribunal de Guérin-Kouka. nationales et la moralité. Cette disposition À la connaissance d’Amnesty International, pourrait être utilisée de façon discriminatoire aucune enquête n’avait été ouverte à la fin contre les personnes LGBTI, les relations de l’année. sexuelles consenties entre adultes de même sexe étant toujours interdites par la loi. En ARRESTATIONS ET DÉTENTIONS outre, le projet de loi permet la dissolution ARBITRAIRES des associations sur décision du Conseil des Les autorités ont continué de pratiquer la ministres, ou du ministre de l’Administration détention arbitraire, en particulier à l’égard territoriale dans le cas des « associations des personnes qui exprimaient des opinions étrangères et internationales ». Enfin, le texte dissidentes. prévoit des mesures d’incitation fiscale pour Le 1er avril, Adamou Moussa et Zékeria les associations qui accepteraient que leurs Namoro ont été détenus arbitrairement à objectifs et leurs activités fassent l’objet d’un Dapaong après avoir réclamé justice pour les contrôle renforcé de la part de l’État. personnes tuées lors de manifestations qui s’étaient tenues à Mango en novembre 2015 IMPUNITÉ (sept civils et un policier avaient alors trouvé L’impunité demeurait la règle pour les la mort). Durant l’interrogatoire, les auteurs de violations des droits humains. gendarmes ont accusé Zékeria Namoro En mars, une loi relative à la liberté d’avoir fourni des informations sur la situation d’accès à l’information et à la documentation des droits humains à Mango à des publique a été adoptée en vue d’accroître la journalistes, des groupes de la diaspora et transparence et l’obligation de rendre des des organisations de défense des droits comptes. Cependant, en avril, l’Assemblée humains. Adamou Moussa et Zékeria nationale a adopté un nouveau Code de Namoro ont été inculpés d’« incitation à justice militaire qui risque de favoriser commettre une infraction » et libérés sous l’impunité. En effet, il donne aux juridictions caution le 6 septembre. militaires le pouvoir d’instruire et de juger des Cinq hommes étaient toujours détenus infractions de droit commun commises par sans jugement pour leur rôle présumé dans du personnel militaire, notamment le viol et la les manifestations de Mango. On pouvait torture, et il reconnaît leur compétence pour craindre que ce soit le simple fait d’avoir été juger des civils. les organisateurs de ces manifestations qui La Commission nationale des droits de leur vaille cette incarcération. l’homme (CNDH) a rendu public, en mars, Sur les 10 hommes déclarés coupables en son rapport sur les manifestations de septembre 2011 de participation à la novembre 2015 à Mango. Bien qu’elle ait tentative de coup d’État de 2009, sept – dont conclu qu’« un manque de Kpatcha Gnassingbé, demi-frère du professionnalisme de la part de certains président – demeuraient derrière les agents des forces de l’ordre et de sécurité et barreaux à la fin de l’année 2016. une insuffisance des éléments déployés sur le terrain » avaient entraîné « un usage LIBERTÉ D’ASSOCIATION excessif de la force », aucun membre des En avril, le Conseil des ministres a adopté un forces de sécurité n’avait été jugé et aucune projet de loi relatif à la liberté d’association, victime indemnisée à la fin de l’année.

450 Amnesty International — Rapport 2016/17 Plus de 11 ans après la mort de près de suffisamment protégées contre les violences 500 personnes au cours des violences qui liées au genre. Les relations sexuelles entre avaient émaillé l’élection présidentielle du personnes du même sexe étaient toujours 24 avril 2005, les autorités n’avaient toujours érigées en infraction pénale, et les pris aucune mesure pour identifier les personnes LGBTI risquaient d’être arrêtées responsables présumés de ces homicides. et emprisonnées. Cette année encore, les D’après les informations disponibles, aucune tribunaux ont prononcé des sentences des 72 plaintes déposées par des familles de capitales ; aucune exécution n’a eu lieu. victimes auprès des tribunaux d’Atakpamé, d’Amlamé et de Lomé n’a fait l’objet d’une CONTEXTE enquête exhaustive. Le gouvernement a renouvelé l’état d’urgence en vigueur dans l’ensemble du pays depuis ÉVOLUTIONS LÉGISLATIVES, novembre 2015, et il a annoncé en février CONSTITUTIONNELLES OU l’achèvement de la construction d’un mur de INSTITUTIONNELLES sécurité le long de la frontière avec la Libye. En mars, l’Assemblée nationale a adopté une Des affrontements armés entre les forces loi autorisant le président à nommer les gouvernementales et des membres du membres de la CNDH sans contrôle groupe armé État islamique (EI) basés en parlementaire. Le texte portait également Libye ont pourtant eu lieu dans les zones création du Mécanisme national de frontalières. Au moins 68 personnes, dont prévention de la torture (MNP) – chargé de sept civils, ont trouvé la mort le 7 mars lors prévenir la torture et d’enquêter sur les cas d’affrontements qui ont eu lieu après que les de torture – au sein de la CNDH, ce qui jetait forces gouvernementales eurent repoussé le doute sur sa capacité à fonctionner en une attaque de l’EI contre des bases toute indépendance. militaires et un poste de police à Ben Guerdane, une ville située dans le sud du pays. Cette année encore, des affrontements 1. Les États participant doivent demander la protection du droit à la liberté d’association, de réunion pacifique et d’expression au Togo entre des groupes armés et les forces de (AFR 03/5064/2016) sécurité, qui ont fait des victimes dans les deux camps, ont eu lieu le long de la frontière avec l’Algérie. TUNISIE Les autorités ont annoncé en octobre la composition du nouveau Conseil supérieur République tunisienne de la magistrature, qui est chargé de Chef de l’État : Béji Caïd Essebsi sélectionner, désigner, muter, révoquer, Chef du gouvernement : Youssef Chahed (a remplacé sanctionner et former les juges et les Habib Essid en août) procureurs. La mise en place de cet organe a enfin permis la création de la Cour Cette année encore, les autorités ont constitutionnelle, dont il doit désigner un tiers restreint les droits à la liberté d’expression des membres. et de réunion et elles ont utilisé les Le Parlement a approuvé un projet de loi pouvoirs liés à l’état d’urgence et les lois sanctionnant pénalement la discrimination antiterroristes pour imposer des restrictions raciale, entre autres formes de arbitraires à la liberté et au droit de circuler discrimination ; ce texte n’avait pas été librement. De nouvelles informations ont promulgué à la fin de l’année. fait état d’actes de torture et de mauvais Le Comité contre la torture [ONU] et le traitements infligés à des détenus. Les Comité des droits économiques, sociaux et femmes continuaient de faire l’objet de culturels [ONU] ont respectivement examiné discriminations dans la législation et dans la situation des droits humains en Tunisie en la pratique, et elles n’étaient pas mai et en septembre. Le Sous-comité pour la

Amnesty International — Rapport 2016/17 451 prévention de la torture [ONU] a effectué une voyager ou encore restrictions au droit de visite en Tunisie en avril. circuler librement – qui ont entravé leurs droits économiques et sociaux, notamment le JUSTICE DE TRANSITION droit au travail. L’Instance vérité et dignité, créée pour examiner les crimes politiques, économiques LUTTE CONTRE LE TERRORISME ET et sociaux et enquêter sur les violations des SÉCURITÉ droits humains commises entre le 1er juillet Des membres des forces de sécurité ont 1955 et décembre 2013, a fait savoir en juin harcelé et intimidé de nombreux proches qu’elle avait reçu plus de 62 000 plaintes d’individus soupçonnés d’être des membres concernant toute une série de violations des ou des sympathisants de groupes armés en droits fondamentaux, notamment des cas de effectuant des descentes répétées à leur détention arbitraire, de torture, de procès domicile et des perquisitions, en les iniques, de violences sexuelles ainsi que de menaçant et les interrogeant, en les discrimination religieuse et ethnique. harcelant sur leur lieu de travail et en L’Instance a tenu ses premières audiences restreignant leur droit de circuler librement. publiques le 17 novembre. Les forces de sécurité ont également harcelé Le Parlement a repris en juin l’examen et intimidé un grand nombre d’anciens d’un projet de loi controversé qui prévoyait prisonniers condamnés aux termes de lois l’immunité de poursuites pour certains répressives sous le régime de l’ancien crimes financiers. La discussion de ce texte, président Ben Ali, ainsi que d’autres initialement proposé par le président Essebsi, personnes à cause de leur apparence, avait été suspendue en 2015 à la suite de notamment des hommes qui portaient la protestations menées par le mouvement barbe et des hommes et des femmes dont la Manich Msameh (« Je ne pardonnerai tenue vestimentaire était considérée par les pas »). Si ce projet de loi était adopté, il autorités comme un vêtement religieux. accorderait l’amnistie et l’immunité de poursuites aux fonctionnaires et dirigeants TORTURE ET AUTRES MAUVAIS d’entreprises accusés de corruption et de TRAITEMENTS détournement de fonds sous le régime de De nouvelles informations ont fait état d’actes l’ancien président Zine el Abidine Ben Ali, de torture et d’autres mauvais traitements s’ils restituaient les gains spoliés. De plus, les infligés à des détenus, dans la plupart des dispositions relatives à l’immunité cas au moment de leur arrestation et entraveraient les enquêtes menées dans le pendant leur détention provisoire. Plusieurs cadre du processus de justice de transition. personnes arrêtées à la suite de l’attaque Ce projet de loi n’avait pas été adopté à la fin perpétrée en mars à Ben Guerdane ont de l’année. affirmé que des policiers et des membres de la brigade antiterroriste les avaient torturées ARRESTATIONS ET DÉTENTIONS pendant les interrogatoires à Ben Guerdane ARBITRAIRES, ET DROIT DE CIRCULER ainsi qu’à Tunis, la capitale du pays. Ces LIBREMENT détenus auraient subi la méthode du « poulet Les autorités ont utilisé les pouvoirs conférés rôti » – la victime est suspendue à une barre par l’état d’urgence pour procéder à des horizontale par les mains et les pieds –, ainsi milliers d’arrestations et de perquisitions que des coups et des agressions sexuelles, et domiciliaires, en l’absence de mandat ils auraient été placés à l’isolement pendant judiciaire dans de nombreux cas. Plusieurs de longues périodes. Certains ont été remis centaines de personnes ont fait l’objet, de la en liberté, mais d’autres étaient toujours en part des autorités, de mesures – décision détention à la fin de l’année. administrative d’assignation à résidence, Le Parlement a adopté en février des mise en résidence forcée, interdiction de modifications du Code de procédure pénale,

452 Amnesty International — Rapport 2016/17 qui sont entrées en vigueur en juin et qui ont police, qui aurait, dans certains cas, utilisé renforcé les garanties contre la torture et les une force excessive. mauvais traitements. Ces réformes ont En janvier, des manifestations contre le ramené de six à quatre jours la période chômage ont eu lieu à Kasserine après qu’un maximale durant laquelle une personne peut diplômé sans emploi a été électrocuté en être détenue sans inculpation, et elles ont escaladant un poteau électrique à titre de accordé aux détenus le droit d’entrer en protestation, car il s’était vu refuser un emploi contact sans délai avec un avocat et avec dans la fonction publique. Les manifestations leurs proches et d’être assistés d’un avocat ont rapidement gagné d’autres villes. Des pendant les interrogatoires. Selon ces centaines de protestataires et de personnes nouvelles dispositions, le placement en qui se trouvaient sur les lieux ont été arrêtés ; détention doit être autorisé par un procureur, certains ont fait l’objet de poursuites et été et les membres du parquet et de la police condamnés à des peines d’emprisonnement. judiciaire doivent autoriser les détenus à Parmi eux figuraient 37 hommes interpellés recevoir des soins médicaux et à rencontrer le 22 janvier à Gabès et condamnés à des un médecin si eux-mêmes, leur avocat ou peines comprises entre un et trois ans leur famille en font la demande. Ces réformes d’emprisonnement pour avoir « enfreint le n’ont toutefois pas eu d’incidence sur le couvre-feu ». pouvoir des autorités de maintenir en En avril, à El Kef, des manifestants qui détention sans inculpation jusqu’à 15 jours protestaient contre le chômage ont affirmé durant des individus soupçonnés d’actes de que la police avait eu recours à une force terrorisme, de les priver de contact avec un excessive pour les disperser. avocat pendant les 48 heures suivant leur Les autorités ont continué de restreindre la interpellation et de les interroger en l’absence liberté d’expression en vertu de lois sur la de leur avocat. Le gouvernement a nommé diffamation promulguées sous le régime de en mars les 16 membres de l’Instance l’ancien président Ben Ali. En août, la police nationale de prévention de la torture créée en a arrêté la blogueuse Salwa Ayyari ainsi que vertu d’une loi de 2013, et exigée par le son mari et quatre de leurs enfants devant le Protocole facultatif se rapportant à la palais présidentiel à Tunis. La famille a été Convention contre la torture, que la Tunisie a détenue sans eau ni nourriture et empêchée ratifié. Le manque de transparence quant au de prendre contact avec un avocat pendant fonctionnement et au financement de cette plusieurs heures, durant lesquelles des instance compromettait sa capacité à remplir policiers ont insulté et maltraité Salwa Ayyari ; pleinement son rôle. ils l’ont également battue, lui fracturant un bras. Ces personnes ont ensuite été LIBERTÉ D’EXPRESSION ET DE transférées dans un autre poste de police, où RÉUNION Salwa Ayyari a été accusée d’avoir agressé le Les autorités ont utilisé leurs pouvoirs policier qui lui avait fracturé le bras. Elles ont découlant de l’état d’urgence pour interdire toutes été relâchées après avoir été détenues les grèves et manifestations, pour disperser pendant 13 heures. Salwa Ayyari a tous les rassemblements considérés comme cependant été inculpée d’outrage au une menace pour l’ordre public, et pour président, une infraction punie d’une peine contrôler et censurer la presse écrite et pouvant aller jusqu’à deux ans audiovisuelle ainsi que d’autres médias et d’emprisonnement, et de violences sur un publications. De nouvelles manifestations ont policier. En décembre, elle a été relaxée du pourtant eu lieu contre le chômage, le chef d’outrage au président et condamnée à manque de développement, tout une amende de 200 dinars tunisiens particulièrement dans l’intérieur du pays, et (86 dollars des États-Unis) pour violences sur les conditions de vie précaires. Ces un policier. manifestations ont été dispersées par la

Amnesty International — Rapport 2016/17 453 poursuivies en vertu de lois qui réprimaient DROITS DES FEMMES pénalement l’« outrage à la pudeur » et les Les femmes et les filles continuaient de faire actes considérés comme portant atteinte à la l’objet de discrimination dans la législation et morale publique. dans la pratique, et elles n’étaient pas Des hommes accusés d’avoir eu des suffisamment protégées contre les violences relations sexuelles avec d’autres hommes ont sexuelles et les autres violences liées au été contraints de subir un examen anal, en genre. Le Code pénal n’érigeait pas violation de l’interdiction de la torture. explicitement le viol conjugal en infraction En mars, la cour d’appel de Sousse a pénale, et il permettait au violeur d’une jeune confirmé la déclaration de culpabilité rendue fille âgée de 15 à 20 ans ou au ravisseur contre six hommes poursuivis pour sodomie d’une fille de moins de 18 ans d’échapper au titre de l’article 230 du Code pénal. Leur aux poursuites pénales si la victime peine de trois ans d’emprisonnement a consentait à l’épouser. cependant été ramenée à la période qu’ils Les services sociaux et de santé destinés avaient déjà passée derrière les barreaux, et aux victimes de violences sexuelles et liées l’interdiction de séjour dans la ville de au genre étaient limités et insuffisants. Les Kairouan pour une période de cinq ans a été victimes de viol étaient confrontées à des annulée. Ces hommes avaient été arrêtés et difficultés particulières pour accéder aux condamnés en décembre 2015 par le services de prévention des grossesses et à tribunal de première instance de Kairouan. une prise en charge psychologique, entre En avril, un tribunal de Tunis a relaxé huit autres soins de santé nécessaires. Par hommes arrêtés en mars et poursuivis au ailleurs, en raison du manque de titre de l’article 230 du Code pénal en raison mécanismes de protection, notamment de d’une absence de preuve, car ils n’avaient foyers d’accueil pour les femmes et les filles pas été soumis à un examen anal forcé. victimes de violences, celles-ci étaient Des militants des droits des LGBTI ont exposées à de nouvelles agressions. également été la cible de harcèlement et de Le Conseil des ministres a adopté en juillet mauvais traitements. En janvier, le tribunal de un projet de loi sur la lutte contre la violence première instance de Tunis a ordonné la faite aux femmes et aux filles, qui a été suspension pour une durée de 30 jours de soumis au Parlement pour examen. Ce texte Shams, un groupe de défense des droits des visait essentiellement à remédier aux lacunes LGBTI, après que le gouvernement eut de la législation et à celles constatées dans la affirmé qu’il avait enfreint la loi sur les pratique, et à améliorer l’accès des victimes à associations en déclarant qu’il avait pour la protection et aux services d’aide. Il n’avait objectif de « défendre les homosexuels ». pas été adopté à la fin de l’année. Shams a obtenu gain de cause en appel en février. DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET En avril, une attaque verbale contre les DES PERSONNES BISEXUELLES, LGBTI faite à la télévision par un acteur TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES tunisien célèbre a déclenché une flambée Cette année encore, des personnes LGBTI d’homophobie ; des affiches interdisant ont été incarcérées au titre de l’article 230 du l’entrée aux LGBTI ont été placardées dans Code pénal, qui érige en infraction pénale les des restaurants, des cybercafés, des relations librement consenties entre épiceries et des taxis. En mai, le Comité personnes du même sexe. Elles ont aussi été contre la torture [ONU] a dénoncé la victimes de violences, d’exploitation, répression pénale des relations librement d’agressions sexuelles et d’autres mauvais consenties entre personnes du même sexe, traitements infligés par la police. Les ainsi que les examens anaux forcés, et il a personnes transgenres étaient également exhorté les autorités à abroger l’article 230 exposées au risque d’être arrêtées et du Code pénal.

454 Amnesty International — Rapport 2016/17 salariés du secteur public, notamment les PEINE DE MORT enseignants, le personnel médical et, plus Cette année encore, les tribunaux ont généralement, les fonctionnaires, à participer prononcé des condamnations à mort ; à la récolte. Les personnes réquisitionnées aucune exécution n’a eu lieu depuis 1991. étaient tenues de remplir des quotas fixés par l’État, sous peine de perdre leur emploi. Les enfants aidaient souvent leurs parents pour leur permettre d’atteindre les volumes exigés TURKMÉNISTAN d’eux. La Commission d’experts pour Turkménistan l’application des conventions et Chef de l’État et du gouvernement : Gourbangouly recommandations de l’Organisation Berdymoukhammedov internationale du travail a instamment prié le Turkménistan de mettre fin à des pratiques Malgré le lancement, en avril, d’un Plan qui se traduisent dans les faits par du travail national d’action pour les droits humains forcé dans le secteur cotonnier. sur la période 2016-2020, la situation en matière de droits fondamentaux ne s’est ÉVOLUTIONS LÉGISLATIVES, pas améliorée. Cette année encore, les CONSTITUTIONNELLES OU organisations de la société civile INSTITUTIONNELLES indépendantes n’ont pas pu fonctionner Une loi concernant la création d’un poste de librement. Le Turkménistan est resté fermé commissaire aux droits de l’homme aux observateurs indépendants des droits (médiateur) était toujours en cours humains. La liberté d’expression, d’élaboration. d’association et de religion était Une nouvelle Constitution a été adoptée le extrêmement limitée et le droit de circuler 16 septembre. Elle portait à sept ans la durée librement restait très encadré. Les relations du mandat présidentiel et supprimait la limite sexuelles entre hommes constituaient d’âge prévue auparavant pour l’exercice de la toujours une infraction pénale. fonction de chef d’État. LIBERTÉ D’EXPRESSION DISPARITIONS FORCÉES Les médias restaient contrôlés par l’État, qui On était toujours sans nouvelles d’un certain ne tolérait aucun organe indépendant. Les nombre de détenus, victimes de disparitions autorités ont continué de harceler et forcées au lendemain de la tentative d’intimider des journalistes, y compris d’assassinat présumée menée en 2002 lorsqu’ils étaient basés à l’étranger. contre le président de l’époque, Le journaliste indépendant Saparmamed Saparmourad Niazov. Nepeskouliev était toujours en prison. Il avait été condamné en août 2015 pour infraction à LIBERTÉ DE RELIGION ET DE la législation sur les stupéfiants, après avoir CONVICTION couvert des affaires de corruption. Selon le site d’informations Alternative L’accès à Internet était surveillé et limité. Turkmenistan News, les autorités de la ville Les sites des réseaux sociaux, en particulier, de Dachogouz auraient arrêté plusieurs ont été fréquemment bloqués. hommes barbus de moins de 50 ans, puis les auraient soumis à un interrogatoire TRAVAIL FORCÉ concernant leurs convictions et leurs Les pouvoirs publics ont continué à avoir pratiques religieuses. Certains auraient été recours au travail forcé pour la récolte du rasés de force. coton, dont le Turkménistan est l’un des La nouvelle Loi relative à la liberté de premiers producteurs mondiaux. Les conscience et aux organisations religieuses a autorités locales obligeaient de nombreux été promulguée en mars. Elle maintenait

Amnesty International — Rapport 2016/17 455 l’interdiction faite aux citoyens, inscrite dans Mary, a été condamné en 2012 pour atteinte un texte précédent, d’exercer en réunion leur à la législation sur les stupéfiants, à l’issue droit à la liberté de religion et de conviction d’un procès non équitable. sans la permission des pouvoirs publics. Aux termes de cette nouvelle loi, pour qu’un SURVEILLANCE INTERNATIONALE groupe religieux puisse être officiellement Le Turkménistan a continué de se soustraire reconnu, il devait compter au moins à toute surveillance internationale. Il a rejeté 50 membres fondateurs, contre cinq ou ignoré toutes les demandes des seulement dans la loi précédente. rapporteurs spéciaux des Nations unies Les objecteurs de conscience s’exposaient souhaitant effectuer une visite dans le pays. à des poursuites judiciaires. Forum 18, une organisation de défense des droits humains DROIT DE CIRCULER LIBREMENT qui défend la liberté de religion, a indiqué Les citoyens du Turkménistan n’ont plus qu’un jeune témoin de Jéhovah avait été besoin d’un « visa de sortie » pour se rendre condamné à une peine de rééducation par le à l’étranger depuis 2006. Dans la pratique, travail pour avoir refusé d’effectuer son toutefois, les déplacements à l’étranger service militaire. restaient soumis à des restrictions arbitraires frappant les proches des personnes TORTURE ET AUTRES MAUVAIS accusées d’être impliquées dans la tentative TRAITEMENTS d’assassinat dont aurait fait l’objet en 2002 Le site Alternative Turkmenistan News a l’ancien président, Saparmourad Niazov. Ces recueilli les témoignages d’anciens restrictions touchaient aussi les proches de prisonniers qui dénonçaient des conditions militants d’opposition réfugiés à l’étranger, de détention déplorables et des actes ainsi que des militants de la société civile, constituant des mauvais traitements ou des étudiants, des journalistes ou d’anciens relevant de la torture. Selon ces témoignages, travailleurs migrants, notamment. les surveillants frapperaient les prisonniers et les obligeraient parfois à rester debout dehors pendant des heures, en période de forte chaleur. Certains membres du personnel TURQUIE pénitentiaire se livreraient également à des République de Turquie actes d’extorsion. Les prisons étaient Chef de l’État : Recep Tayyip Erdoğan surpeuplées et les détenus n’étaient pas Chef du gouvernement : Binali Yildirim (a remplacé correctement nourris. Certains étaient Ahmet Davutoğlu en mai) contraints de dormir par terre ou dans la cour. La prévalence de la tuberculose était À la suite d’une tentative de coup d’État, le élevée au sein de la population carcérale et gouvernement s’est engagé dans une les personnes atteintes ne bénéficiaient pas campagne de répression massive visant les toujours de soins adaptés. fonctionnaires et la société civile. Les Selon les informations reçues, cette année personnes accusées d’être liées au encore des responsables de l’application des mouvement Fethullah Gülen en ont été la lois ont recouru à la torture ou à d’autres principale cible. Plus de 40 000 personnes mauvais traitements pour obtenir des ont été placées en détention provisoire en « aveux » de la part de détenus ou pour les l’espace de six mois d’état d’urgence. Des contraindre à incriminer des tiers. Le militant éléments ont mis en évidence que des Mansour Minguelov était toujours en prison à détenus avaient été torturés après la la fin de l’année. Cet homme, qui avait tentative de coup d’État. Près de dénoncé les actes de torture et les autres 9 000 fonctionnaires ont été limogés ; mauvais traitements infligés à des membres plusieurs centaines de médias et d’ONG ont de la communauté baloutche de la région de été fermés ; des journalistes, des militants

456 Amnesty International — Rapport 2016/17 et des parlementaires ont été arrêtés. Cette la Turquie. Cet accord a aussi eu pour effet année encore, les forces de sécurité ont de mettre en sourdine les critiques de l’UE commis en toute impunité des violations portant sur les atteintes aux droits humains des droits humains, en particulier dans le perpétrées en Turquie. sud-est de la Turquie, à population Le 15 juillet, des factions des forces majoritairement kurde, où les habitants des armées ont mené une violente tentative de villes ont été soumis à un couvre-feu en coup d’État, déjouée en partie par de simples vigueur jour et nuit. Près d’un demi-million citoyens descendus dans les rues pour faire de personnes ont été déplacées dans le face aux chars. Les autorités ont annoncé pays. L’Union européenne (UE) et la que 237 personnes (dont 34 putschistes) Turquie ont conclu un accord visant à avaient été tuées, et 2 191 autres blessées empêcher l’arrivée dans l’UE de migrants dans les violences qui ont eu lieu durant la en situation irrégulière. Cet accord a nuit, notamment lors du bombardement du entraîné le renvoi de plusieurs centaines de Parlement et d’attaques visant d’autres réfugiés et de demandeurs d’asile, et l’UE a bâtiments administratifs et infrastructures modéré ses critiques portant sur le bilan de civiles. la Turquie en matière de droits humains. À la suite de la tentative de putsch, le gouvernement a annoncé l’instauration de CONTEXTE l’état d’urgence pour une période de trois Le président Erdoğan a renforcé ses pouvoirs mois, prolongée pour trois mois tout au long de l’année. Un projet de réforme supplémentaires en octobre, dérogeant ainsi de la Constitution prévoyant l’élargissement à toute une liste d’articles du Pacte des pouvoirs du chef de l’État a été soumis international relatif aux droits civils et au Parlement en décembre. politiques et de la Convention européenne Les affrontements armés entre le Parti des des droits de l’homme. Il a adopté une série travailleurs du Kurdistan (PKK) et les forces de décrets qui ne garantissaient pas le armées turques se sont poursuivis, respect de droits et de libertés déjà réduits. principalement dans les régions de l’est et du Près de 90 000 fonctionnaires, parmi sud-est du pays, à population lesquels des enseignants, des policiers, des majoritairement kurde. Le gouvernement a militaires, des médecins, des juges et des remplacé les maires élus de 53 municipalités procureurs, ont été limogés au motif qu’ils par des administrateurs nommés par lui ; étaient liés à une organisation terroriste ou à 49 de ces maires appartenaient au Parti une menace pesant sur la sécurité nationale. démocratique des régions (DBP), une La plupart étaient semble-t-il accusés d’avoir formation kurde d’opposition. Tout comme de des liens avec Fethullah Gülen, un ancien nombreux autres élus locaux, neuf allié du gouvernement accusé par ce dernier parlementaires du Parti démocratique des d’avoir fomenté la tentative de coup d’État. La peuples (HDP), une formation kurde de loi ne prévoyait aucune voie de recours gauche, ont été placés en détention précise contre ces décisions. Au moins provisoire en novembre1. Les autorités ont 40 000 personnes ont été placées en bloqué une mission d’enquête de l’ONU détention provisoire parce qu’elles étaient envoyée dans le sud-est du pays, et elles ont accusées d’être liées à la tentative de coup également entravé les activités d’ONG d’État ou au mouvement Gülen, qualifié par nationales et internationales, parmi lesquelles les autorités d’« organisation terroriste de Amnesty International, les empêchant de Fethullah Gülen » (FETÖ). rassembler des informations sur les atteintes En août, la Turquie a déclenché une aux droits humains commises dans la région. intervention militaire dans le nord de la Syrie L’UE et la Turquie ont conclu en mars un ciblant le groupe armé État islamique (EI) et accord visant à empêcher les migrants en les Forces de défense du peuple, un groupe situation irrégulière d’arriver dans l’UE depuis armé kurde affilié au PKK. En octobre, le

Amnesty International — Rapport 2016/17 457 Parlement a prolongé d’un an le mandat Syrie. Selon le gouvernement, les camions en permettant à la Turquie de mener des question convoyaient de l’aide humanitaire interventions militaires en Irak et en Syrie. destinée aux Turkmènes. Un appel interjeté contre la décision de justice était toujours en LIBERTÉ D’EXPRESSION cours à la fin de l’année. Accusés d’avoir La situation de la liberté d’expression s’est commis des infractions pour le compte de la considérablement dégradée au cours de FETÖ et du PKK, 10 autres journalistes ont l’année. À la suite de l’instauration de l’état été placés en détention provisoire en octobre. d’urgence, 118 journalistes ont été placés en En août, la police a fermé les bureaux détention provisoire et 184 médias fermés de d’Özgür Gündem, le principal quotidien façon arbitraire et définitive par décret ; les kurde, à la suite d’une décision de justice médias de l’opposition ont ainsi été soumis à ordonnant cette fermeture en raison d’une de sévères restrictions2. Les personnes enquête en cours sur une affaire de exprimant des opinions dissidentes, en terrorisme, alors que la loi ne prévoit pas une particulier en ce qui concerne la question telle sanction. Deux responsables de la kurde, ont fait l’objet de menaces de publication et deux journalistes ont été violences et de poursuites judiciaires. La inculpés d’infractions liées au terrorisme et censure sur Internet s’est accrue. En placés en détention dans l’attente de leur novembre, au moins 375 ONG, dont des procès. Trois d’entre eux ont été remis en groupes de défense des droits de femmes, liberté en décembre, mais le rédacteur en des associations d’avocats et des chef İnan Kızıkaya a été maintenu en organisations humanitaires, ont été fermées détention3. En octobre, un décret pris par par décret de l’exécutif. l’exécutif a ordonné la fermeture définitive En mars, un tribunal d’Ankara, la capitale d’Özgür Gündem, ainsi que celle des du pays, a ordonné le placement sous tutelle principaux autres médias nationaux à judiciaire du groupe de presse Zaman dans coloration kurde. le cadre d’une enquête en cours liée au Les signataires d’une pétition lancée en terrorisme. À la suite d’une descente de janvier dans le cadre d’une « initiative des police dans les bureaux de Zaman, une universitaires pour la paix », qui réclamait la équipe éditoriale progouvernementale a été reprise des négociations de paix et la prise en imposée à la tête des journaux et des chaînes compte des demandes du mouvement de télévision du groupe. En juillet, les politique kurde, ont été menacés de organes du groupe de presse ont été fermés violences, d’une enquête administrative et de de façon définitive, en même temps que poursuites judiciaires. Quatre personnes ont d’autres médias liés au mouvement Gülen. été maintenues en détention jusqu’à leur De nouvelles publications, qui avaient été comparution devant un juge, en avril ; elles créées à la suite de la prise de contrôle par le ont été remises en liberté, mais pas gouvernement du groupe Zaman, ont elles acquittées4. À la fin de l’année, 490 des aussi été fermées. universitaires concernés faisaient l’objet En mai, le rédacteur en chef de d’une enquête administrative et 142 avaient Cumhuriyet, Can Dündar, et le représentant à été limogés. Depuis la tentative de coup Ankara de ce quotidien, Erdem Gül, ont été d’État, plus de 1 100 signataires de la déclarés coupables d’avoir « révélé des pétition avaient officiellement fait l’objet d’une secrets d’État » et condamnés enquête pénale. respectivement à une peine de cinq ans et La censure sur Internet s’est intensifiée, dix mois d’emprisonnement et à une peine les autorités prenant des mesures de cinq ans d'emprisonnement, pour avoir automatiquement validées par le pouvoir publié des articles affirmant que les autorités judiciaire pour supprimer ou bloquer des avaient tenté de faire passer secrètement des contenus, y compris des sites et des comptes armes à des groupes d’opposition armés en sur les réseaux sociaux, mesures contre

458 Amnesty International — Rapport 2016/17 lesquelles il n’existait pas de recours effectif. un avocat commis d’office – ont été En octobre, les autorités ont coupé l’accès au restreints. Des examens médicaux ont été réseau Internet dans le sud-est de la Turquie pratiqués en présence de policiers, et les et ont entrepris de freiner les activités de avocats de détenus se sont vu refuser plusieurs services de réseaux sociaux. arbitrairement la communication des rapports médicaux. LIBERTÉ DE RÉUNION Le pays ne disposait d'aucun mécanisme Invoquant des motifs fallacieux, les autorités national de surveillance indépendante des ont interdit pour la quatrième année lieux de détention à la suite de la consécutive les manifestations du Premier suppression, en avril, de l’Institution Mai à Istanbul, ainsi que, pour la deuxième nationale des droits humains, remplacée par année consécutive, la marche des fiertés un organe qui n'était toujours pas annuelle dans cette ville. La police a utilisé opérationnel. Le Comité européen pour la une force excessive contre des personnes qui prévention de la torture [Conseil de l’Europe] tentaient malgré tout de défiler. Après le mois a effectué des visites dans des centres de de juillet, les autorités ont utilisé les lois détention en août et adressé ses conclusions relatives à l’état d’urgence pour interdire aux autorités turques en novembre. À la fin totalement les manifestations dans plusieurs de l’année, le gouvernement n’avait toutefois villes à travers la Turquie. Là encore, la police pas rendu public ce rapport. Le rapporteur a eu recours à une force excessive contre spécial des Nations unies sur la torture, dont des personnes qui essayaient d’exercer leur la visite avait été reportée à la demande des droit à la liberté de réunion pacifique malgré autorités turques, s’est rendu dans le pays en ces interdictions. novembre. Alors que les autorités avaient affirmé leur TORTURE ET AUTRES MAUVAIS adhésion à la politique de « tolérance zéro TRAITEMENTS pour la torture », leurs porte-parole ont Le nombre de cas de torture et d’autres parfois rejeté de façon expéditive des mauvais traitements en détention signalés a informations les mettant en cause, déclarant augmenté, notamment dans les secteurs que les putschistes méritaient d’être soumis au couvre-feu dans le sud-est de la maltraités et que ces allégations ne Turquie, puis de façon plus prononcée donneraient pas lieu à des enquêtes. À la encore à Ankara et à Istanbul suite de la publication par Amnesty immédiatement après la tentative de coup International et Human Rights Watch d’un d’État. Les enquêtes ouvertes sur ces abus rapport conjoint sur la torture et les mauvais ne se déroulaient pas de manière effective. traitements, les autorités ont accusé les deux L’état d’urgence a privé les détenus de ONG d’être des instruments de certaines protections et autorisé des l’« organisation terroriste FETÖ5 ». Trois pratiques auparavant interdites, ce qui a associations d’avocats travaillant sur les favorisé le recours à la torture et aux mauvais violences policières et sur la torture ont été traitements : la durée maximale de garde à fermées en novembre par décret de vue est passée de quatre à 30 jours, et des l’exécutif. mesures ont été adoptées pour empêcher Des avocats ont déclaré que 42 personnes l’accès à un avocat pendant les cinq arrêtées à Nusaybin en mai après des premiers jours de la garde à vue, permettre affrontements entre des individus affiliés au l’enregistrement des conversations entre PKK et les forces gouvernementales avaient l’avocat et son client pendant la détention été frappées et soumises à d’autres mauvais provisoire et transmettre ensuite ces traitements durant leur détention par la éléments au parquet. L’accès des détenus à police. Ils ont indiqué que ces personnes, un avocat et le droit de consulter le conseil parmi lesquelles se trouvaient des adultes et de son choix – plutôt que de se voir attribuer des enfants, avaient eu la tête recouverte

Amnesty International — Rapport 2016/17 459 d’une cagoule et avaient été frappées armés, et qui a provoqué des déplacements pendant leur interrogatoire par la police, et massifs et forcés de population. qu’elles n’avaient pas pu recevoir les soins En janvier, un journaliste d’IMC TV, Refik médicaux dont elles avaient besoin en raison Tekin, a été blessé par balle à Cizre, une ville de leurs blessures. placée sous couvre-feu, alors qu’il emmenait Les informations recueillies ont fait état des blessés pour qu’ils reçoivent des soins d’une pratique généralisée de la torture et médicaux. Sa caméra a continué de tourner des mauvais traitements contre les après qu’il eut été touché par une balle tirée personnes soupçonnées de participation à la selon toute apparence depuis un véhicule tentative de coup d’État, dans la période qui blindé de la police. Il a par la suite été arrêté a suivi immédiatement le putsch raté. En et une enquête a été ouverte à son sujet au juillet, des cas de passages à tabac, titre de la législation antiterroriste. d’agressions sexuelles, de viols et de menaces de viol ont été signalés, alors que IMPUNITÉ des milliers de personnes étaient retenues L’impunité est restée de mise pour les dans des lieux de détention de la police, atteintes aux droits humains commises par officiels et non officiels. Si les pires mauvais les forces de sécurité. Les autorités se sont traitements physiques ont semble-t-il été abstenues d’enquêter sur des allégations de réservés aux militaires, selon les informations violations massives des droits humains reçues, la plupart des détenus étaient commises dans le sud-est du pays, où maintenus dans des positions douloureuses, aucune mesure de base, ou presque, n’a été les mains menottées dans le dos, sans prise pour traiter ces affaires, y compris en recevoir suffisamment de nourriture ni d’eau cas d’homicide. De plus, dans certains cas, et sans pouvoir aller aux toilettes. Souvent, des témoins ont fait l’objet de menaces. En les avocats et les proches de détenus juin, des modifications de la législation ont n’apprenaient que ceux-ci se trouvaient en été adoptées ; elles visaient à soumettre les détention qu’au moment de leur inculpation. enquêtes sur les agissements de responsables militaires lors d’opérations de RECOURS EXCESSIF À LA FORCE sécurité à l’autorisation du gouvernement, et Les forces de sécurité ont mené jusqu’au prévoyaient que les éventuels procès se mois de juin des opérations contre des tiendraient devant des tribunaux militaires, individus armés affiliés au PKK qui avaient qui se montrent particulièrement cléments creusé des tranchées et installé des quand il s’agit de juger des officiers accusés barricades dans des zones urbaines dans le d’atteintes aux droits humains. sud-est de la Turquie. Le recours fréquent à Les déclarations du gouvernement rejetant des couvre-feux en vigueur jour et nuit, qui les allégations de torture et d’autres mauvais interdisaient totalement aux personnes de traitements infligés par la police à des quitter leur domicile, ainsi que la présence détenus à la suite de la tentative de coup dans les rues d’armement lourd, notamment d’État étaient préoccupantes. de chars postés dans des zones densément Bien qu’ayant ratifié la Convention du peuplées, représentaient une réaction Conseil de l’Europe sur la prévention et la disproportionnée et abusive face à un grave lutte contre la violence à l’égard des femmes problème de sécurité, et pourraient et la violence domestique (Convention s'apparenter à une punition collective6. d’Istanbul), les autorités n’ont rien fait ou Certains éléments laissent penser que les presque pour mettre fin à la violence au forces de sécurité ont adopté face à des foyer, qui était généralisée ; elles n’ont pas individus armés une stratégie consistant à davantage mis en place de procédure pour « tirer pour tuer », qui les a également enquêter sur les mobiles haineux dans les amenées à tuer et blesser des habitants non affaires où la victime semblait avoir été tuée

460 Amnesty International — Rapport 2016/17 en raison de son orientation sexuelle ou de funérailles d’Ethem Sarisülük. Le tribunal a son identité de genre. estimé qu’elle était dans son tort car il Les enquêtes ouvertes à la suite de la mort s’agissait d’une « manifestation illégale ». d’environ 130 personnes réfugiées dans des sous-sols pour échapper à des affrontements EXACTIONS PERPÉTRÉES PAR DES pendant le couvre-feu à Cizre en février n’ont GROUPES ARMÉS pas progressé. Les autorités ont avancé que Les attaques menées sans discrimination et les ambulances avaient été bloquées par le les attaques visant directement des civils se PKK. Or, selon des sources locales, ces sont multipliées, témoignant d’un mépris personnes blessées avaient besoin de soins pour le droit à la vie et pour le principe médicaux en urgence et elles sont mortes d’humanité. Ces attaques ont été imputées à des suites de leurs blessures ou ont été tuées l’EI, au PKK, aux Faucons de la liberté du quand les forces de sécurité ont pris d’assaut Kurdistan (TAK, groupe issu du PKK) ou au les bâtiments où elles s’étaient réfugiées. Parti-Front révolutionnaire de libération du Le gouverneur du département d’Ağrı, peuple, ou bien directement revendiquées dans l’est de la Turquie, a refusé d’autoriser par ces groupes armés. l’ouverture d’une enquête visant la police et portant sur la mort, à Diyadin, de deux RÉFUGIÉS ET DEMANDEURS D’ASILE jeunes gens âgés de 16 et 19 ans. Les La Turquie était le pays du monde accueillant autorités ont affirmé que des policiers avaient le plus grand nombre de réfugiés et de tiré sur eux en état de légitime défense, mais demandeurs d’asile. D’après les estimations, les analyses balistiques ont montré que 3 millions de réfugiés et de demandeurs l’arme à feu saisie sur les lieux n’avait pas été d’asile résidaient dans ce pays, dont un très utilisée ; les enquêteurs n’ont en outre pas grand nombre d’Afghans et d’Irakiens ainsi trouvé sur cette arme les empreintes digitales que 2,75 millions de Syriens enregistrés, qui de l’un ou l’autre de ces jeunes gens. avaient obtenu une protection temporaire. En Aucun progrès n’a été enregistré en ce qui mars, l’UE et la Turquie ont conclu un accord concerne l’enquête sur l’homicide, en visant à empêcher les migrants en situation novembre 2015, de Tahir Elci, bâtonnier de irrégulière d’arriver dans l’UE. Faisant fi des Diyarbakir et éminent défenseur des droits nombreuses lacunes en matière de humains. Les investigations ont été entravées protection constatées en Turquie, il prévoyait par un examen incomplet de la scène de le renvoi de réfugiés et de demandeurs crime et par la disparition d’enregistrements d’asile dans ce pays7. La frontière entre la du système de vidéosurveillance. Turquie et la Syrie est restée fermée. Malgré En cours depuis trois ans, l’enquête sur quelques améliorations, la majorité des l’utilisation de la force par la police lors du enfants syriens réfugiés n’avaient pas accès à mouvement de protestation du parc Gezi n’a l’éducation, et la plupart des adultes ne pas donné de résultats satisfaisants. Elle n’a pouvaient occuper légalement un emploi. De abouti qu’à une poignée de poursuites nombreuses familles de réfugiés vivaient judiciaires décevantes. Le policier accusé dans des conditions misérables, n’ayant pas d’avoir tué par balle à Ankara le manifestant la possibilité de subvenir correctement à Ethem Sarisülük a été condamné, à l’issue leurs besoins. d’un nouveau procès, à une amende de Les forces de sécurité turques ont soumis 10 100 livres turques (3 000 euros). Un des Syriens à des retours forcés massifs tribunal a réduit de 75 % l’indemnité qui durant les premiers mois de l’année, et de avait été accordée à Dilan Dursun pour les nombreux cas de renvois forcés illégaux lésions permanentes qu’elle a subies : elle (push-backs) vers la Syrie ont été enregistrés. avait été touchée à la tête par une grenade Il a également été signalé que des gardes- lacrymogène lancée par la police lors de frontières turcs avaient tiré sur des personnes manifestations tenues à Ankara le jour des

Amnesty International — Rapport 2016/17 461 ayant besoin d’une protection, tuant et blessant certaines d’entre elles. UKRAINE

PERSONNES DÉPLACÉES Ukraine Plusieurs centaines de milliers de personnes Chef de l’État : Petro Porochenko qui vivaient dans des zones sous couvre-feu Chef du gouvernement : Volodymyr Hroïsman (a dans le sud-est de la Turquie ont été remplacé Arseniy Iatseniouk en avril) déplacées. La mise en place de couvre-feux annoncés quelques heures seulement à Des combats de faible intensité se sont l’avance a contraint ces personnes à quitter poursuivis dans l’est de l’Ukraine, les deux leur domicile en laissant derrière elles tous camps se rendant responsables de leurs biens ou presque. Dans de nombreux violations de l’accord de cessez-le-feu. Les cas, les personnes déplacées se sont vues forces ukrainiennes et les combattants privées de certains de leurs droits sociaux et séparatistes pro-russes jouissaient toujours économiques tels que les droits à un de l’impunité pour les atteintes au droit logement convenable et à l’éducation. Elles international humanitaire – y compris des n’ont en outre pas reçu d’indemnisation crimes de guerre – commises, telles que les satisfaisante pour compenser la perte de actes de torture. Les autorités ukrainiennes leurs biens et de leurs moyens de et celles contrôlant les républiques subsistance. Leur droit au retour était populaires autoproclamées de Donetsk et de gravement compromis par les importantes Louhansk se sont livrées à des arrestations destructions et par des projets de illégales de personnes considérées comme réaménagement susceptibles d’exclure les favorables au camp adverse, notamment anciens habitants des secteurs concernés8. pour les utiliser dans le cadre d’échanges de prisonniers. Destiné à enquêter sur les violations commises par l’armée et les 1. Turquie. Arrestation de députés du HDP dans un climat de répression grandissante contre l’opposition kurde (nouvelle, 4 novembre) responsables de l’application des lois, le 2. Turquie. Répression de masse contre les médias en Turquie Bureau national d’enquête a enfin été (EUR 44/5112/2016) officiellement créé, mais il n’était toujours 3. Turkey: End pre-trial detention of Özgür Gündem guest editors pas opérationnel à la fin de l’année. La (EUR 44/4303/2016) presse et les militants indépendants ne 4. Turquie. Des universitaires détenus pour avoir signé un appel à la pouvaient pas travailler librement sur les paix ont été libérés (EUR 44/3902/2016) territoires des républiques populaires de 5. Turquie. Les dispositions de l’état d’urgence qui bafouent les droits Donetsk et de Louhansk. Dans les territoires humains doivent être abrogées (EUR 44/5012/2016) contrôlés par le gouvernement ukrainien, 6. Turquie. Des opérations de sécurité dans le sud-est du pays risquent les médias considérés comme pro-russes de marquer un retour aux violations des droits humains faisaient l’objet d’actes de harcèlement. généralisées (EUR 44/4366/2016) Kiev, la capitale, a accueilli la plus 7. Turkey: No safe refuge − asylum-seekers and refugees denied importante marche des fiertés de son effective protection in Turkey (EUR 44/3825/2016) histoire. Cette manifestation en faveur des 8. Turkey: Displaced and dispossessed − Sur residents’ right to return droits des personnes LGBTI a obtenu le home (EUR 44/5213/2016) soutien de la ville et a bénéficié d’une protection effective de la police. En Crimée, le pouvoir en place a poursuivi sa campagne de répression de toute dissidence pro- ukrainienne. S’appuyant de plus en plus sur la législation russe de lutte contre l’extrémisme et le terrorisme, il a engagé des poursuites pénales contre des dizaines

462 Amnesty International — Rapport 2016/17 de personnes coupables à ses yeux de ne Affectée par le conflit, l’économie a pas lui être favorables. néanmoins connu un timide redémarrage, avec une progression de 1 % du PIB. Les CONTEXTE prix des prestations et des services de base, Le 12 avril, après deux mois d’une crise comme le chauffage et l’eau, ont continué politique marquée par la démission au sein d’augmenter, aggravant la baisse du niveau du gouvernement de plusieurs responsables de vie de la majorité de la population. Dans politiques réformateurs, en raison, selon eux, les secteurs contrôlés par les séparatistes, les d’une corruption généralisée, le Parlement a conditions de vie ont également continué de accepté la démission d’Arseniy Iatseniouk. se dégrader. Celui-ci a été remplacé par Volodymyr Hroïsman. TORTURE ET AUTRES MAUVAIS Des combats sporadiques et des échanges TRAITEMENTS de tirs ont continué de se produire entre les La procédure visant à traduire en justice les forces gouvernementales et les combattants responsables de l’application des lois à séparatistes soutenus par la Russie. Des l’origine de l’usage abusif de la force lors des civils ont cette année encore été tués ou manifestations de l’Euromaïdan, qui avaient blessés par balle ou par des éclats d’obus ou eu lieu à Kiev en 2013-2014, avançait très des munitions qui n’avaient pas explosé. lentement. L’enquête se heurtait à des Selon les estimations de la Mission de obstacles administratifs. Le 24 octobre, le surveillance des droits de l’homme de l’ONU procureur général a réduit les effectifs et les en Ukraine, depuis 2014, le conflit avait fait prérogatives du service spécialement chargé plus de 9 700 morts, dont environ d’enquêter sur les abus commis dans le 2 000 civils, et au moins 22 500 blessés. cadre de l’Euromaïdan, et a mis en place une La Cour pénale internationale (CPI) a nouvelle unité exclusivement chargée de publié le 14 novembre son premier examen mener des investigations sur le rôle de préliminaire de la situation en Ukraine. Elle l’ancien président de la République Viktor concluait que « la situation au sein du Ianoukovitch et de son proche entourage. territoire de la Crimée et de Sébastopol Destiné à enquêter sur les violations constitu[ait] un conflit armé international commises par l’armée et les responsables de entre l’Ukraine et la Fédération de Russie » l’application des lois, le Bureau national et que la somme des renseignements d’enquête a été officiellement créé en février, disponibles « laiss[ait] supposer l’existence mais la désignation de son directeur, qui d’un conflit armé international dans le devait se faire dans le cadre d’une procédure contexte des hostilités survenues dans l’est de recrutement ouverte, n’avait toujours pas de l’Ukraine ». Un amendement à la eu lieu à la fin de l’année1. Constitution différant pour une période de Le Sous-comité pour la prévention de la trois ans la ratification du Statut de Rome de torture [ONU] a suspendu le 25 mai sa visite la CPI a été adopté au mois de juin. en Ukraine, après le refus des services de Les autorités ukrainiennes continuaient de sécurité ukrainiens (SBU) de l’autoriser à limiter très sévèrement les déplacements des visiter certains de ses centres situés dans personnes habitant dans les régions tenues l’est du pays – centres où, selon certaines par les séparatistes de Donetsk et de informations, des personnes étaient Louhansk et souhaitant se rendre en territoire secrètement détenues, et torturées ou contrôlé par le gouvernement. autrement maltraitées. Le Sous-comité a Les autorités russes ont organisé en repris et terminé sa visite en septembre, et a Crimée des élections législatives, dont la rédigé un rapport dont les autorités légitimité n’a pas été reconnue par la ukrainiennes n’ont pas autorisé la communauté internationale. publication.

Amnesty International — Rapport 2016/17 463 Des dizaines de personnes ont été placées DISPARITION FORCÉE en détention secrète dans les locaux du SBU L’avocat Iouri Grabovski a disparu le 6 mars. à Marioupol, Pokrovsk, Kramatorsk, Izioum et Son corps a été retrouvé le 25 du même Kharkiv, ainsi, peut-être, que dans d’autres mois. Avant sa disparition, il s’était plaint localités. Certaines d’entre elles ont été d’actes d’intimidation et de harcèlement dont échangées contre des prisonniers détenus il aurait été victime de la part des autorités par les séparatistes. Amnesty International et ukrainiennes, qui cherchaient apparemment Human Rights Watch ont reçu de trois à le faire renoncer à défendre l’un de ses sources distinctes les noms de 16 personnes clients. Ce dernier avait été capturé avec un présentées indépendamment par chacune autre homme dans l’est de l’Ukraine par les de ces trois sources comme étant détenues forces régulières ukrainiennes ; ces deux secrètement par le SBU à Kharkiv depuis individus étaient accusés d’être des militaires 2014 ou 2015. La liste de ces noms a été russes. Le procureur militaire en chef de communiquée aux autorités ukrainiennes. Au l’Ukraine a annoncé lors d’une conférence de moins 18 personnes, parmi lesquelles presse, le 29 mars, que deux suspects figuraient ces 16 prisonniers, ont été avaient été arrêtés dans le cadre de l’enquête discrètement relâchées par la suite, sans que sur le meurtre de Iouri Grabovski. À la fin de leur détention n’ait jamais été reconnue l’année, ces deux hommes étaient toujours officiellement. Trois d’entre elles, Viktor en détention provisoire et l’enquête était en Achykhmine, Mykola Vakarouk et Dmytro cours2. Koroliov, ont décidé de protester publiquement et de porter plainte5. ARRESTATIONS ET DÉTENTIONS Les « ministères de la Sûreté de l’État » ARBITRAIRES mis en place dans les républiques populaires Les autorités ukrainiennes et les forces autoproclamées de Donetsk et de Louhansk séparatistes de l’est de l’Ukraine se sont ont fait usage des pouvoirs que leur livrées à des détentions illégales dans les conféraient les « décrets » pris par les territoires qu’elles contrôlaient autorités locales pour placer en détention respectivement. Les civils soupçonnés d’être arbitraire certaines personnes pour une favorables au camp adverse étaient utilisés durée pouvant atteindre 30 jours, en pour des échanges de prisonniers3. Ceux reconduisant plusieurs fois cette mesure. Igor dont personne ne voulait restaient en Kozlovskyi (arrêté le 27 janvier) et Volodymyr détention, souvent clandestine, pendant des Fomitchev (arrêté le 4 janvier) ont été tous mois, sans le moindre recours juridique ni la deux accusés de détention illégale d’armes, moindre perspective de libération. ce qu’ils niaient, et de « soutien » au « camp Enlevé et placé en détention secrète, ukrainien ». Le 16 août, un tribunal de Kostiantin Bezkorovaïnyi est rentré chez lui le Donetsk a condamné Volodymyr Fomitchev à 25 février. Son cas avait fait l’objet d’une deux ans d’emprisonnement. À la fin de campagne internationale, qui avait débouché l’année, Igor Kozlovskyi était toujours en sur la reconnaissance officielle indirecte de détention provisoire. sa détention4. Le procureur militaire en chef de l’Ukraine a promis en juillet qu’une PERSONNES DÉPLACÉES enquête digne de ce nom serait menée sur Dans son examen de la situation en Ukraine ses allégations selon lesquelles il aurait été en 2016, le Comité pour l’élimination de la victime d’une disparition forcée, de torture et discrimination raciale a fait part de sa de détention secrète pendant 15 mois aux préoccupation concernant les difficultés que mains du SBU. L’enquête n’avait toutefois rencontraient les personnes déplacées. Il produit aucun résultat concret à la fin déplorait notamment le fait que le versement de l’année. des prestations sociales, telles que les retraites, soit conditionné au statut de

464 Amnesty International — Rapport 2016/17 personne déplacée et de résident dans les Le 20 juillet, à Kiev, le journaliste Pavel régions contrôlées par le gouvernement Cheremet a été tué par l’explosion d’une ukrainien. bombe dissimulée dans la voiture qu’il conduisait. Les coupables n’avaient pas été LIBERTÉ D’EXPRESSION – identifiés à la fin de l’année. L’enquête sur JOURNALISTES l’assassinat du journaliste Oles Bouzina, Les organes de presse considérés comme abattu en 2015 par deux hommes masqués, pro-russes ou favorables aux séparatistes, n’avait pas non plus donné de résultat. notamment ceux qui critiquaient tout Les journalistes exprimant des opinions particulièrement les autorités, étaient soumis pro-ukrainiennes ou travaillant pour des à des actes de harcèlement, y compris à des organes de presse ukrainiens ne pouvaient menaces de fermeture ou à des violences pas exercer ouvertement leur métier dans les physiques. La chaîne de télévision Inter a été zones contrôlées par les séparatistes et en menacée à plusieurs reprises de fermeture Crimée. Une équipe de la chaîne de par le ministère de l’Intérieur. Le télévision russe indépendante Dojd TV a été 4 septembre, une quinzaine d’hommes arrêtée à Donetsk et renvoyée en Russie par masqués ont tenté, sans succès, de pénétrer le ministère de la Sûreté de l’État après avoir de force dans les locaux de la chaîne, à enregistré une interview avec un ancien laquelle ils reprochaient d’avoir une commandant séparatiste. couverture de l’actualité trop favorable aux En Crimée, les journalistes indépendants Russes. Ils ont ensuite lancé des cocktails ne pouvaient pas travailler ouvertement. Les Molotov dans le bâtiment, provoquant un journalistes venant de l’Ukraine continentale début d’incendie. ne pouvaient pas se rendre dans la péninsule Le permis de travail du très populaire et étaient refoulés à la frontière de facto. Les présentateur de télévision Savik Shuster (qui journalistes et les blogueurs locaux qui possède la double nationalité italienne et dénonçaient l’occupation russe et l’annexion canadienne) a été invalidé par les services illégale de la Crimée s’exposaient à des ukrainiens de l’immigration, en violation de la poursuites. Rares étaient d’ailleurs ceux qui procédure en vigueur. La cour d’appel de osaient s’exprimer sur la question. Mykola Kiev l’a rétabli le 12 juillet. L’administration Semena, un journaliste chevronné, faisait fiscale a ensuite engagé des poursuites l’objet d’une information judiciaire pour pénales contre 3STV, la chaîne de télévision « extrémisme » – il risquait jusqu’à sept ans de Savik Shuster. Le 1er décembre, ce dernier d’emprisonnement – et d’une mesure de a finalement décidé de fermer cette chaîne, restriction de ses déplacements. Il avait en raison des pressions subies et par publié en ligne sous un pseudonyme un manque d’argent. article dans lequel il se disait favorable au Rouslan Kotsaba, journaliste indépendant « blocus » de la Crimée par les militants pro- et blogueur originaire d’Ivano-Frankivsk, a été ukrainiens, qu’il considérait comme une condamné le 12 mai à trois ans et demi mesure nécessaire pour obtenir le « retour » d’emprisonnement pour « obstruction aux de la péninsule dans le giron ukrainien. Il a activités légitimes des forces armées été qualifié officiellement de « sympathisant ukrainiennes pendant l’état d’exception ». Il de l’extrémisme », et son compte en banque avait été arrêté en 2015 après avoir mis en a été bloqué. L’enquête le concernant était ligne sur YouTube une vidéo dans laquelle il toujours en cours à la fin de l’année. demandait l’arrêt immédiat des combats dans le Donbass et appelait les hommes DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET ukrainiens à l’insoumission à la conscription. DES PERSONNES BISEXUELLES, Le 12 juillet, il a été acquitté en appel de tous TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES les chefs d’accusation et immédiatement Le 19 mars, un tribunal de Lviv, dans l’ouest remis en liberté. de l’Ukraine, a estimé que le Festival de

Amnesty International — Rapport 2016/17 465 l’égalité LGBTI ne pouvait pas se tenir dans la informelle ayant eu lieu à Kouroultaï, le Mejlis rue, pour des raisons de sécurité publique. du peuple des Tatars de Crimée, destiné à Les organisateurs ont alors décidé de représenter la communauté tatare, a été maintenir la manifestation, mais dans une suspendu le 18 avril, pour être finalement salle. Cette salle a été attaquée le 20 mars interdit le 26 avril par une décision de justice par un groupe de militants d’extrême droite le qualifiant « d’extrémiste ». Cette masqués. Cette agression n’a apparemment interdiction a été confirmée le 29 septembre fait aucun blessé, mais les organisateurs ont par la Cour suprême de la Fédération de été contraints d’annuler l’événement. Russie9. Une marche des fiertés LGBTI, organisée Le procès du vice-président du Mejlis, avec le soutien des autorités de Kiev et Ahtem Tchiïgoz, s’est poursuivi. Celui-ci était bénéficiant d’une importante protection accusé, sur la base d’éléments forgés de policière, s’est déroulée dans le centre de la toutes pièces, d’avoir organisé des « troubles capitale le 12 juin. Quelque 2 000 personnes de grande ampleur » le 26 février 2014, à y ont participé, ce qui en faisait la plus Simferopol (il s’agissait en fait d’un importante manifestation de ce genre jamais rassemblement essentiellement pacifique qui organisée en Ukraine6. avait eu lieu à la veille de l’occupation russe, et qui avait été marqué par quelques CRIMÉE affrontements entre manifestants pro-russes Aucune des disparitions forcées qui ont eu et pro-ukrainiens). Il était interné dans un lieu à la suite de l’occupation russe n’a fait centre de détention provisoire situé à l’objet d’une véritable enquête. Membre du proximité du tribunal, et n’était autorisé à Congrès mondial des Tatars de Crimée, Ervin participer aux audiences que par liaison Ibraguimov, a été victime, le 24 mai, d’une vidéo, sous prétexte qu’il représentait un disparition forcée près de son domicile de « danger ». Ahtem Tchiïgoz continuait de Bakhtchissaraï, dans le centre de la Crimée. figurer au nombre des prisonniers d’opinion Des images filmées par une caméra de détenus en Crimée. Ali Assanov et Moustafa sécurité montrent des hommes en uniforme Deguermendji étaient eux aussi maintenus le faisant monter de force à bord d’un en détention provisoire parce qu’ils auraient minibus, puis l’emmenant vers une participé à ces mêmes « troubles de grande destination inconnue. Une enquête a été ampleur » le 26 février 2014. ouverte, mais elle n’avait pas progressé à la Les autorités russes se sont livrées à des fin de l’année7. perquisitions et à des arrestations dans la Les restrictions déjà draconiennes pesant communauté des Tatars de Crimée (qui sont sur les libertés d’expression, d’association et dans leur majorité musulmans), accusant les de réunion pacifique ont été encore personnes visées de détenir des renforcées. Les sites Internet de certains des « documents extrémistes » ou d’appartenir à organes de presse indépendants contraints l’organisation islamiste Hizb ut-Tahrir. Au les années précédentes d’aller s’installer en moins 19 hommes ont été arrêtés pour Ukraine continentale ont été bloqués par les appartenance présumée à cette organisation. autorités de facto en Crimée. Le 7 mars, le Quatre d’entre eux, originaires de Sébastopol, maire de Simferopol, la capitale de la ont été traduits devant un tribunal militaire péninsule, a interdit tous les rassemblements siégeant en Russie, en violation des règles de publics autres que ceux organisés par les droit international humanitaire relatives aux autorités. territoires occupés. Ils ont été condamnés à Les Tatars de Crimée étaient toujours les des peines allant de cinq à sept ans premières victimes de la campagne menée d’emprisonnement. Pendant leur procès, par le pouvoir de facto pour faire disparaître presque tous les témoins à charge ont tenté les dernières traces de dissidence pro- de se rétracter, affirmant que leurs ukrainienne8. Élu lors d’une rencontre déclarations initiales avaient été extorquées

466 Amnesty International — Rapport 2016/17 par les services de sécurité russes, qui les En juillet, le Comité pour l’élimination de la auraient menacés de poursuites judiciaires. discrimination à l’égard des femmes [ONU] a exhorté l’Uruguay à intensifier son action de lutte contre la discrimination à l’égard des 1. Ukraine. Deux ans après l’Euromaïdan, les perspectives de justice sont menacées (EUR 50/3516/2016) femmes d’ascendance africaine et à 2. Ukraine. Le corps d’un avocat disparu a été retrouvé améliorer leur accès à l’éducation, à l’emploi (EUR 50/3734/2016) et à la santé. Il a par ailleurs déploré, entre 3. "You don’t exist": Arbitrary detentions, enforced disappearances, and autres sujets de préoccupation, l’absence de torture in eastern Ukraine (EUR 50/4455/2016) mécanisme spécifique de réparation pour les 4. Ukraine. Les autorités doivent révéler le sort d’un homme disparu femmes qui ont été victimes de violences (EUR 50/3275/2016) sexuelles sous le régime militaro-civil. 5. Ukraine. Cinq hommes en détention secrète (EUR 50/4728/2016) En août, le Comité des droits des 6. Ukraine. La marche des fiertés de Kiev, une véritable célébration des personnes handicapées [ONU] a demandé la droits humains (EUR 50/4258/2016) création de mécanismes de consultation pour 7. Ukraine. Un militant tatar de Crimée victime d’une disparition forcée les personnes handicapées, afin de leur (EUR 50/4121/2016) permettre de participer à l’adoption des 8. Ukraine: Crimea in the Dark - The silencing of dissent politiques publiques et des mesures (EUR 50/5330/2016) législatives, et de leur offrir des moyens 9. Ukraine. Crimée. L’action intentée pour obtenir la fermeture du Mejlis accessibles de signaler les cas de est le point culminant d’une série de mesures répressives visant les discrimination liée au handicap. tatars de Crimée (EUR 50/3655/2016) CONDITIONS DE DÉTENTION En juin, le commissaire parlementaire aux URUGUAY affaires pénitentiaires a facilité, avec l’aide d’autres institutions nationales et du Haut- République orientale de l’Uruguay Commissariat aux droits de l’homme [ONU], Chef de l’État et du gouvernement : Tabaré Vázquez l’organisation d’ateliers à destination des directeurs de prison sur le thème de Malgré les efforts du groupe de travail l’éducation aux droits humains. L’objectif de Vérité et justice, les rares procédures ces ateliers était de faire en sorte que les judiciaires engagées pour des crimes de fonctionnaires connaissent mieux les droit international et des violations des méthodes fondées sur les droits humains afin droits humains perpétrés sous le régime d’éviter les conflits internes et le recours militaro-civil (1973-1985) n’ont guère excessif à la force. avancé. La discrimination contre les personnes handicapées persistait et les IMPUNITÉ inégalités entre les genres demeuraient Le groupe de travail Vérité et justice, créé en préoccupantes. L’Uruguay a accueilli la mai 2015 pour enquêter sur les crimes Conférence internationale sur les droits contre l’humanité commis entre 1968 humains des LGBTI. L’exercice de et 1985, a continué de recueillir des l’objection de conscience par des témoignages, de procéder à des exhumations professionnels de santé continuait et de localiser les restes des personnes d’entraver fortement l’accès des femmes à disparues. Il a aussi obtenu l’accès à des un avortement sûr et légal. documents importants, notamment aux archives du siège des fusiliers marins. Ses CONTEXTE conclusions doivent être rendues publiques Le plan d’action 2016-2019 « pour une vie en 2017. sans violence liée au genre », rédigé par le Conseil consultatif national contre la violence domestique, est entré en vigueur.

Amnesty International — Rapport 2016/17 467 DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET DES PERSONNES BISEXUELLES, VENEZUELA TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES République bolivarienne du Venezuela L’Uruguay a accueilli en juillet la Conférence Chef de l’État et du gouvernement : Nicolás Maduro internationale sur les droits humains des Moros personnes LGBTI. Le pays a présidé le groupe de discussion thématique demandant Le gouvernement a déclaré l’état d’urgence l’intégration des personnes LGBTI dans le et l’a prolongé à quatre reprises. La plupart Programme de développement durable à des responsables présumés de crimes l’horizon 2030 [ONU]. relevant du droit international et de L’Uruguay a pour la première fois effectué violations des droits humains commis un recensement des personnes transgenres durant les manifestations de 2014 afin de mieux comprendre leur situation. Les n’avaient toujours pas été traduits en personnes transgenres continuaient de faire justice. Le pays restait confronté à des l’objet de diverses formes de discrimination, problèmes de surpopulation et de violence malgré les mesures adoptées et les politiques dans les prisons. Les victimes de violences mises en œuvre pour améliorer leur situation. liées au genre se heurtaient à d’importants Des établissements de santé sans obstacles lorsqu’elles tentaient de se homophobie ont été créés avec succès. tourner vers la justice. Les défenseurs des Toutefois, les personnes LGBTI n’avaient droits humains et les journalistes étaient toujours pas accès à des soins de santé régulièrement la cible de campagnes de complets. dénigrement, d’agressions et d’actes d’intimidation. Les opposants politiques et DROITS SEXUELS ET REPRODUCTIFS les détracteurs du gouvernement étaient Le Comité pour l’élimination de la toujours en butte au risque discrimination à l’égard des femmes [ONU] a d’emprisonnement. Des informations ont salué la réduction drastique de la mortalité fait état d’un recours excessif à la force de maternelle en Uruguay, et l’amélioration de la part de la police et des forces de l’accès des femmes aux services de santé sécurité. sexuelle et reproductive. Il a toutefois déploré le fait que cet accès était toujours limité dans CONTEXTE les zones rurales. Il s’est par ailleurs inquiété Le 15 janvier, le président Maduro a décrété de l’usage généralisé de l’objection de un état d’urgence générale et d’urgence conscience par les professionnels de santé, économique qui a été maintenu toute qui limitait l’accès des femmes aux services l’année. Le décret contenait des dispositions d’avortement sûr et légal. Le Comité a appelé susceptibles de restreindre les activités de la le gouvernement à évaluer la disponibilité à société civile et des ONG, les autorités étant l’échelle nationale des services de santé par exemple autorisées à vérifier des accords sexuelle et reproductive afin d’identifier les conclus par des organisations nationales et zones insuffisamment desservies et de des entités juridiques avec des entreprises ou prévoir un financement approprié. Il lui a des institutions à l’étranger. aussi demandé de prendre des mesures pour Les autorités n’ont pas communiqué les garantir aux femmes un accès à l’avortement résultats de la mise en œuvre du Plan légal et aux services post-avortement, ainsi national des droits humains, approuvé que d’imposer des conditions plus strictes en 2015. pour contrer l’usage généralisé de l’objection À la fin de l’année, les décisions rendues de conscience à pratiquer un avortement. par la Cour interaméricaine des droits de l’homme sur le Venezuela n’avaient pour la plupart toujours pas été appliquées.

468 Amnesty International — Rapport 2016/17 Les pénuries de nourriture et de n’avaient toujours pas accès à la justice, à la médicaments se sont considérablement vérité et à des réparations. aggravées, ce qui a provoqué des Malgré la condamnation, en décembre, de manifestations dans tout le pays. En juillet, deux fonctionnaires pour les meurtres de les instances dirigeantes ont annoncé la mise Bassil Da Costa et de Geraldine Moreno lors en place temporaire d’un nouveau régime de des manifestations de 2014, le processus travail obligatoire autorisant le transfert visant à traduire en justice les responsables d’employés du public et du privé vers des présumés de la mort des 41 autres entreprises de production alimentaire personnes, dont des membres des forces de administrées par l’État, ce qui s’apparentait à sécurité, et des actes de torture et autres du travail forcé. mauvais traitements infligés à des Le haut-commissaire des Nations unies manifestants, progressait lentement. Parmi aux droits de l’homme a déclaré en octobre les suspects figuraient des membres des que plusieurs rapporteurs spéciaux avaient forces de sécurité. D’après les informations rencontré des difficultés pour se rendre dans fournies par le procureur général lors de le pays, le gouvernement ne leur ayant pas l’EPU du Venezuela, neuf d’entre eux avaient octroyé les autorisations nécessaires. été déclarés coupables de diverses En novembre, le bilan du Venezuela en infractions et 18 autres faisaient l’objet d’une matière de droits humains a été examiné enquête, alors même que 298 informations pour la deuxième fois dans le cadre de judiciaires avaient été ouvertes en 2015. l’Examen périodique universel (EPU) des Cependant, les seules données officielles Nations unies. rendues publiques par les services du Il était à craindre que le caractère ministère public concernaient la provisoire des postes de plus de 60 % des condamnation d’un homme pour le meurtre juges n’expose ces derniers à des pressions d’Adriana Urquiola, commis en 2014 à Los politiques. En violation des normes Teques, dans l’État de Miranda. internationales relatives aux droits humains, Selon un rapport présenté en janvier des civils ont été jugés devant des tribunaux devant le Parlement par les services du militaires. Les forces de police ont refusé ministère public, plus de 11 000 crimes d’appliquer des remises en liberté ordonnées relevant du droit international et violations par la justice. des droits humains présumés ont été Les pouvoirs de l’Assemblée nationale, signalés en 2015, alors que seuls 77 procès dominée par l’opposition, étaient grandement se sont ouverts durant l’année. Personne n’a limités par des résolutions de la Cour été traduit en justice pour l’homicide de huit suprême, ce qui empêchait les députés de membres de la famille Barrios, ni pour les représenter correctement les peuples menaces et les intimidations dont d’autres autochtones. La Cour suprême a également membres de cette famille sont victimes dans annulé une déclaration parlementaire sur la l’État d’Aragua depuis 1998. Alcedo Mora non-discrimination dans le contexte de Márquez, dirigeant associatif et employé du l’orientation sexuelle et de l’identité de genre, secrétariat du gouvernement de l’État de ainsi qu’une autre appelant au respect des Mérida, a disparu en février 2015. Avant sa décisions émises par des organisations disparition, il avait remis des rapports sur le intergouvernementales. comportement répréhensible des pouvoirs publics locaux. IMPUNITÉ Vingt-huit mineurs ont disparu en mars En raison du retrait du Venezuela de la Cour dans l’État de Bolívar. En octobre, les interaméricaine des droits de l’homme services du ministère public ont présenté un (effectif depuis 2013), les victimes de rapport où ils indiquaient avoir retrouvé les violations des droits humains et leurs proches dépouilles des mineurs et identifié les responsables de leur disparition. Douze

Amnesty International — Rapport 2016/17 469 personnes ont été inculpées de meurtre, vol En juin, Raquel Sánchez et Oscar Alfredo et « privation de liberté »1. Ríos, avocats et membres de l’ONG Forum pénal vénézuélien, ont été agressés par un RECOURS EXCESSIF À LA FORCE groupe d’individus encagoulés qui ont cassé Cette année encore, des informations ont fait le pare-brise avant et les rétroviseurs du état d’un recours excessif à la force par les véhicule à bord duquel ils circulaient dans forces de sécurité, en particulier dans le l’État de Táchira. Raquel Sánchez a été contexte de la répression des mouvements grièvement blessée après avoir reçu un coup de contestation contre le manque de à la tête alors qu’elle sortait du véhicule3. nourriture et de médicaments. Jenny Ortiz Gómez est morte en juin des suites de ses CONDITIONS CARCÉRALES blessures à la tête. Elle avait été touchée par Le système pénitentiaire était toujours plusieurs balles lors d’opérations de maintien marqué par une forte surpopulation et, de l’ordre menées par des policiers. Le malgré l’annonce de la construction de responsable présumé a été inculpé nouveaux centres de détention, les d’homicide volontaire et d’utilisation abusive conditions de vie des détenus – notamment d’armes à feu. leur accès à la nourriture et à la santé – se D’après l’Observatoire vénézuélien des sont dégradées. La détention d’armes par les conflits sociaux, 590 manifestations en prisonniers demeurait un problème que les moyenne chaque mois ont été recensées en autorités n’ont pas réussi à résoudre. D’après 2016. Les revendications des manifestants l’OVP, les établissements pénitentiaires portaient pour l’essentiel sur les droits dépassaient de 190 % leurs capacités économiques, sociaux et culturels, en d’accueil durant le premier semestre. Des particulier sur l’accès à la nourriture, à la ONG locales ont également dénoncé la santé et au logement. situation désespérée dans les centres de détention provisoire. DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS En mars, 57 personnes, dont quatre Comme les années précédentes, des détenus, un gardien et le directeur de prison, défenseurs des droits humains ont fait l’objet ont été blessées dans l’établissement d’attaques et de manœuvres d’intimidation pénitentiaire de Fenix (État de Lara). de la part des médias d’État et de hauts Sept personnes ont été tuées et plusieurs responsables gouvernementaux. autres blessées par des grenades lors d’une En avril, le directeur de l’Observatoire émeute qui a éclaté en août à la prison de vénézuélien des prisons (OVP), Humberto l’État d’Aragua. Prado Sifontes, a de nouveau été victime de En octobre, des détenus ont été expulsés menaces et d’insultes. Ses comptes de de la prison générale du Venezuela à l’issue messagerie et de réseaux sociaux ont été de plusieurs semaines de confrontation avec piratés après la publication d’une interview la Garde nationale bolivarienne, qui aurait fait où il avait donné des informations sur la crise usage d’une force excessive. pénitentiaire et sur les violences en prison2. Le médiateur a annoncé un projet de En mai, Rigoberto Lobo Puentes, membre réduction de la surpopulation dans les de l’Observatoire des droits humains de centres de détention provisoire. Dans son l’université des Andes, a été touché au rapport annuel présenté au Parlement, il niveau de la tête et du dos par des plombs indiquait que 22 759 personnes étaient tirés par des policiers de l’État de Mérida toujours détenues à titre provisoire dans des utilisant des armes à air comprimé, alors qu’il locaux de la police. Elles étaient donc venait en aide à des personnes blessées entassées les unes sur les autres, et les durant une manifestation. Les policiers ont maladies tout comme les violences se continué de tirer sur lui après qu’il fut monté propageaient facilement. dans son véhicule.

470 Amnesty International — Rapport 2016/17 d’abord, qui avait critiqué le gouvernement4. ARRESTATIONS ET DÉTENTIONS Marco Trejo et Andrés Moreno Febres- ARBITRAIRES Cordero ont été libérés en novembre. L’avocat Marcelo Crovato était toujours assigné à domicile à la fin de l’année. Après PRISONNIERS D’OPINION avoir été arrêté en avril 2014 parce qu’il avait Les opposants au gouvernement risquaient défendu des habitants dont le logement avait toujours d’être emprisonnés. En juillet, une été la cible d’une descente de la part des juridiction d’appel a débouté le prisonnier autorités durant les manifestations, il avait été d’opinion Leopoldo López de son recours maintenu en détention sans jugement avant contre sa peine d’emprisonnement, sans d’être placé en résidence surveillée en 2015. tenir compte de l’absence d’éléments dignes À la fin de l’année, les autorités n’avaient de foi venant étayer les accusations et les toujours pas appliqué un certain nombre de déclarations publiques faites par les autorités décisions du Groupe de travail sur la avant sa condamnation, compromettant ainsi détention arbitraire [ONU], notamment celles sérieusement son droit à un procès sur les cas de Daniel Ceballos et d’Antonio équitable. Cet homme avait été condamné à Ledezma, deux personnalités critiques à 13 ans et neuf mois de réclusion. l’égard du gouvernement. Selon le Forum pénal vénézuélien, plus de Francisco Márquez et Gabriel San Miguel, 100 personnes se trouvaient toujours en deux militants du parti d’opposition Volonté détention pour des motifs politiques. populaire, ont été arrêtés en juin alors qu’ils Rosmit Mantilla, militant LGBTI détenu se rendaient de Caracas, la capitale, à l’État depuis 2014 en raison de ses opinions, a été de Portuguesa pour soutenir l’organisation remis en liberté. On ignorait toujours à la fin d’activités électorales. Gabriel San Miguel a de l’année les circonstances et les conditions été remis en liberté en août à la suite de dans lesquelles sa libération était intervenue. l’intervention du gouvernement espagnol ; Francisco Márquez a été libéré en octobre. POLICE ET FORCES DE SÉCURITÉ Emilio Baduel Cafarelli et Alexander Tirado On ne disposait toujours pas de données Lara ont été transférés à trois reprises dans officielles récentes sur les homicides. des centres de détention réputés dangereux, L’Observatoire vénézuélien des violences a ce qui faisait craindre que leur vie et leur indiqué que le pays présentait le deuxième intégrité physique ne soient menacées. Les taux d’homicides le plus élevé des deux hommes avaient été condamnés pour Amériques. provocation, intimidation au moyen d’engins Les services du ministère public ont explosifs et association de malfaiteurs au indiqué en janvier que des enquêtes avaient cours des manifestations de 2014. été ouvertes sur 245 morts survenues dans Les membres de l’opposition Coromoto des affrontements armés présumés avec les Rodríguez, Yon Goicoechea, Alejandro Puglia forces de sécurité lors de l’Opération pour la et José Vicente García ont été interpellés libération et la protection du peuple (OLP), respectivement en mai, août, septembre et mise en place par le gouvernement en octobre, dans des circonstances qui juillet 2015 pour lutter contre la forte s’apparentaient à des arrestations arbitraires. criminalité. Le nombre élevé de victimes Coromoto Rodríguez et Alejandro Puglia ont civiles donnait à penser que les forces de été relâchés en octobre. sécurité avaient pu recourir à une force Arrêtés en septembre, Andrés Moreno excessive ou se livrer à des exécutions Febres-Cordero, Marco Trejo, James extrajudiciaires. Mathison et César Cuellar ont été traduits, Douze jeunes gens ont été arrêtés bien que civils, devant un tribunal militaire arbitrairement le 12 octobre dans la région pour avoir participé à la réalisation d’une de Barlovento (État de Miranda) lors d’une vidéo destinée au parti politique Justice opération de l’OLP. Leurs corps ont été

Amnesty International — Rapport 2016/17 471 retrouvés dans une fosse commune le 28 novembre. Selon les services du ministère DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET public, 18 membres des forces armées ont DES PERSONNES BISEXUELLES, été interpellés pour leur participation TRANSGENRES OU INTERSEXUÉES présumée au massacre. L’Assemblée nationale a approuvé en mai la Le Comité des droits de l’homme [ONU] reconnaissance du 17 mai comme « Journée s’est dit préoccupé par les informations contre l’homophobie, la transphobie et la faisant état de violations commises par les biphobie ». forces armées à l’encontre de peuples Le ministère de l’Intérieur et de la Justice indigènes installés dans la municipalité de et le ministère public ont accepté en août Guajira (État de Zulia), à la frontière avec la que les personnes transgenres expriment Colombie. librement leur identité de genre sur la photo de leurs papiers d’identité. Cependant, LIBERTÉ D’EXPRESSION aucun progrès n’avait été réalisé en matière Les autorités ont continué de s’en prendre à de législation pour garantir l’égalité des des médias et des journalistes qui se droits, notamment pour autoriser la montraient critiques à leur égard. modification par une personne de son nom, En mars, David Natera Febres, directeur de son genre et d’autres renseignements sur du journal régional Correo del Caroní, s’est vu des documents officiels de sorte qu’ils infliger une peine de quatre années correspondent à son identité de genre, et il d’emprisonnement et une amende pour avoir n'existait toujours aucune loi érigeant en publié des informations sur la corruption. Il infraction les crimes de haine fondés sur n’avait pas encore été incarcéré à la fin l’orientation sexuelle, l’identité de genre ou de l’année. son expression. En juin, 17 journalistes et professionnels des médias qui couvraient les mouvements DROITS SEXUELS ET REPRODUCTIFS de contestation contre la pénurie alimentaire L’accès à la contraception, notamment à celle à Caracas ont été agressés et se sont fait d’urgence, était de plus en plus limité du fait voler leur matériel. Les faits ont été signalés des pénuries de médicaments. L’avortement au ministère public, mais en vain. restait considéré comme une infraction pénale en toutes circonstances, hormis dans VIOLENCES FAITES AUX FEMMES ET les cas où la vie de la femme ou de la jeune AUX FILLES fille enceinte était menacée. La mise en œuvre de la loi de 2007 qui D’après un rapport publié par le Fonds des érigeait la violence liée au genre en infraction Nations unies pour la population (FNUAP), le progressait toujours avec lenteur, faute de taux de mortalité maternelle était de ressources. À la fin de l’année, il n’y avait 95 décès pour 100 000 naissances vivantes, toujours pas de centres d’accueil pour les un niveau nettement supérieur à la moyenne victimes qui cherchaient à se mettre à l’abri. régionale de 68 décès pour D’après les statistiques des services du 100 000 naissances vivantes. Le Venezuela ministère public, 121 168 plaintes pour affichait des taux de pratique contraceptive violences liées au genre avaient été déposées de 70 % pour les méthodes traditionnelles et en 2015. Des poursuites pénales ont été de 64 % pour les méthodes modernes, engagées dans 19 816 cas, et des mesures contre 73 % et 67 % respectivement au de protection, par exemple des mesures de niveau régional. restriction, ont été accordées dans moins de 50 % des cas. Selon des organisations de DROITS DES PEUPLES AUTOCHTONES défense des droits des femmes, dans 96 % Les dispositions législatives garantissant ou des affaires jugées, aucune déclaration de encadrant la consultation des peuples culpabilité n’a été prononcée. indigènes sur les questions touchant à leurs

472 Amnesty International — Rapport 2016/17 moyens de subsistance n’étaient pas la Coalition des organisations pour le droit à respectées. Des personnes qui militaient en la vie et à la santé et des organisations faveur des droits de ces peuples et des droits professionnelles ont estimé à 75 % la pénurie environnementaux auraient été poursuivies de médicaments onéreux et à 90 % celles de en justice. Les répercussions sur médicaments essentiels. l’environnement et sur les territoires des peuples autochtones de grands projets 1. Venezuela. Il faut déterminer où se trouvent les mineurs et mineuses d’extraction dans la région dite de l’Arc disparus (AMR 53/3602/2016) minier, dans le sud du pays, suscitaient des 2. Venezuela. Un défenseur des droits humains menacé inquiétudes. La mise en œuvre de ces projets (AMR 53/3952/2016) a été approuvée, sans que les communautés 3. Venezuela. Des défenseurs des droits humains agressés indigènes vivant dans la région aient été (AMR 53/4223/2016) consultées ni qu’elles aient donné au 4. Venezuela. Arrêtés et jugés par un tribunal militaire préalable leur consentement libre et éclairé. (AMR 53/5029/2016) DROIT À LA SANTÉ – PÉNURIE DE NOURRITURE ET DE MÉDICAMENTS VIÊT-NAM La crise économique et sociale que traversait le Venezuela a continué de s’aggraver. Face à République socialiste du Viêt-Nam l’absence de statistiques officielles, des Chef de l’État : Tran Dai Quang (a remplacé Truong Tan organismes privés et indépendants tels que Sang en avril) le Centre de documentation et d’analyse pour Chef du gouvernement : Nguyen Xuan Phuc (a les travailleurs ont calculé une inflation de remplacé Nguyen Tan Dung en avril) 552 % pour les produits alimentaires entre novembre 2015 et octobre 2016, ce qui Cette année encore, les droits à la liberté rendait extrêmement difficile l’achat de ces d’expression, d’association et de réunion produits par les Vénézuéliens – à supposer pacifique ont fait l’objet d’importantes qu’ils parviennent à en trouver. Selon restrictions. L’État contrôlait toujours les l’Observatoire vénézuélien de la santé, médias et l’appareil judiciaire, ainsi que les 12,1 % de la population ne faisait que deux institutions politiques et religieuses. Des repas par jour, voire moins. La Fondation prisonniers d’opinion ont été torturés ou Bengoa pour l’alimentation et la nutrition autrement maltraités, et jugés lors de estimait que 25 % des enfants souffraient de procès inéquitables. Les agressions malnutrition. physiques contre des défenseurs des droits Des études réalisées sur les conditions de humains se sont poursuivies et des vie par trois grandes universités ont révélé militants de renom ont fait l’objet d’une que 73 % des ménages dans le pays surveillance et d’un harcèlement souffraient de pauvreté monétaire en 2015, quotidiens. Des dissidents pacifiques et des alors que le taux officiellement publié par détracteurs du gouvernement ont été arrêtés l’Institut national de statistique était et condamnés pour des accusations liées à de 33,1 %. la sécurité nationale. Les manifestations Le gouvernement refusant de laisser les étaient réprimées ; des participants et des organisations d’aide internationale intervenir organisateurs ont été arrêtés et torturés. La dans la crise humanitaire et fournir des peine de mort était maintenue. médicaments, la situation en matière de santé, déjà grave, s’est dégradée. La CONTEXTE médiocrité des services de santé publique a Le Congrès du Parti communiste vietnamien, entraîné une hausse des maladies que l’on organisé tous les cinq ans pour désigner les peut éviter et soigner, le paludisme ou la nouveaux dirigeants du pays, s’est tenu en tuberculose par exemple. Des ONG telles que janvier. En mai, ce sont 900 membres du

Amnesty International — Rapport 2016/17 473 Parti communiste nommés par les autorités d’activités visant à renverser le gouvernement centrales ou des collectivités locales et populaire »). 11 candidats indépendants qui ont participé En l’espace de huit jours, en mars, sept aux élections législatives visant à renouveler militants et détracteurs du gouvernement ont les 500 sièges de l’Assemblée nationale. Plus été condamnés à une peine de 100 candidats non affiliés à un parti qui d’emprisonnement pour avoir exprimé avaient tenté de s’inscrire, dont des pacifiquement leurs opinions. Parmi ces détracteurs du gouvernement connus, personnes se trouvaient Nguyễn Hữu Vinh, comme Nguyễn Quang A, n’ont pas été fondateur du blog populaire Anh Ba Sàm, et autorisés à se présenter pour des motifs son assistante, Nguyễn Thi Minh Thúy. Tous administratifs peu convaincants. Certains ont deux ont été déclarés coupables aux termes subi des actes de harcèlement et de l’article 258 et condamnés à des peines d’intimidation. de cinq et trois ans de prison La mise en œuvre de nouvelles lois respectivement2. Ils avaient passé près de importantes, prévue en juillet, a été reportée deux ans en détention provisoire. en raison de lacunes dans la version révisée L’éminent avocat spécialisé dans les droits du Code pénal. Outre le Code pénal révisé, le humains Nguyễn Văn Đài et son assistante Code de procédure pénale, la Loi sur Lê Thu Hà étaient maintenus en détention au l’organisation des services d’enquêtes secret après avoir été arrêtés au titre de criminelles et la Loi sur la mise en œuvre de l’article 88 en décembre 20153. la détention provisoire et de la détention de En octobre, la célèbre militante Nguyễn courte durée figuraient parmi les textes dont Ngọc Như Quỳnh, connue en tant que la mise en œuvre a été reportée. blogueuse sous le nom de Mẹ Nấm (Mère champignon), a été arrêtée au titre de RÉPRESSION DE LA DISSIDENCE l’article 88 en raison de publications Toute critique pacifique des politiques critiquant le gouvernement sur son blog4. gouvernementales continuait d’être muselée Une personne déclarée coupable d’infraction par des moyens judiciaires et extrajudiciaires. à cet article risque une peine de trois à Des militants ont été soumis à une 20 ans d’emprisonnement. surveillance et à un harcèlement de grande Des défenseurs des droits humains et des ampleur, notamment ceux qui avaient membres de leurs familles ont continué manifesté contre la catastrophe écologique d'être régulièrement roués de coups. En avril, causée par l’entreprise Formosa, qui a peu après avoir rencontré une délégation des touché quelque 270 000 personnes (voir États-Unis en visite au Viêt-Nam, Trần Thị plus bas). Les agressions contre les Hồng, épouse du pasteur et prisonnier défenseurs des droits humains étaient d’opinion Nguyễn Công Chính, a été arrêtée monnaie courante1. et violemment frappée alors qu’elle se Les autorités ont continué d’avoir recours à trouvait en détention provisoire5. des lois formulées en termes vagues pour condamner des militants pacifiques au titre LIBERTÉ DE RÉUNION du chapitre sur la sécurité nationale figurant Après la catastrophe provoquée par Formosa, dans le Code pénal de 1999, en particulier de nombreuses manifestations pacifiques de l’article 258 (« utilisation abusive des libertés grande ampleur ont été organisées. Les démocratiques pour porter atteinte aux rassemblements hebdomadaires dans les intérêts de l’État et aux droits et intérêts centres urbains du pays, en avril et en mai, légitimes des organisations ou des se sont soldés par des arrestations massives citoyens »), l’article 88 (« diffusion de et des agressions perpétrées contre des propagande contre la République socialiste participants par des policiers et des individus du Viêt-Nam ») et l’article 79 (« conduite en civil qui feraient partie de la police ou qui travailleraient sous ses ordres. Un grand

474 Amnesty International — Rapport 2016/17 nombre des personnes arrêtées ont été politiques, des adeptes de différentes torturées ou autrement maltraitées ; elles ont religions, des membres de minorités notamment reçu des coups et des décharges ethniques, ainsi que des défenseurs des électriques6. Les manifestations se sont droits humains et de la justice sociale. poursuivies toute l’année et celles qui avaient La militante des droits fonciers Bùi Thị lieu dans les provinces touchées par la Minh Hằng et la bouddhiste Trần Thị Thúy, catastrophe de Formosa ont pris de de la mouvance Hòa Hảo, étaient toujours l’ampleur. Selon certaines informations, privées de soins médicaux adéquats depuis 30 000 personnes ont manifesté en août à 2015 ; le militant catholique Đặng Xuân Diệu Vinh (province de Nghệ An). a été détenu à l’isolement pendant de longues périodes et torturé ; Trần Huỳnh Duy CONFLITS FONCIERS Thức a été transféré entre plusieurs prisons En juillet, à Buôn Ma Thuột (province de Đắk depuis 2009, apparemment à titre de Lắk), une manifestation ayant réuni quelque sanction ou pour l’intimider. 400 villageois appartenant à la minorité ethnique Ede opposés à la vente de RÉFUGIÉS ET DEMANDEURS D’ASILE 100 hectares de terres ancestrales de leur En avril et en mai, dans deux affaires communauté à une entreprise privée a été distinctes, huit demandeurs d’asile faisant violemment réprimée par les forces de partie de groupes interceptés pendant leur sécurité ; au moins sept manifestants ont été fuite vers l’Australie et renvoyés de force au arrêtés et placés en détention au secret7. Viêt-Nam ont été condamnés à des peines En août, la militante des droits fonciers comprises entre deux et quatre ans Cấn Thị Thêu a été déclarée coupable de d’emprisonnement au titre de l’article 275 du « troubles à l’ordre public » par un tribunal Code pénal pour avoir « aidé et/ou contraint de la capitale, Hanoï, au titre de l’article 245 d’autres personnes à fuir à l’étranger ou à du Code pénal ; elle a été condamnée à rester illégalement à l’étranger »10. 20 mois d’emprisonnement8. Elle était accusée d’avoir appelé à manifester contre DROIT À UN NIVEAU DE VIE SUFFISANT des expropriations de terrains dans le Une catastrophe écologique qui s’est quartier de Hà Đông à Hanoï en publiant des produite début avril a décimé les stocks de photographies en ligne. poissons le long des côtes des provinces de Nghệ An, Hà Tĩnh, Quảng Bình, Quảng Trị et TORTURE ET AUTRES MAUVAIS Thừa Thiên-Huế, affectant les moyens de TRAITEMENTS subsistance de 270 000 personnes. Au La torture et d'autres mauvais traitements, terme d’une enquête de deux mois, les dont la détention au secret, l’isolement autorités ont confirmé les allégations de la prolongé, les coups, le déni de traitement population, à savoir qu’une aciérie médical et les transferts punitifs entre appartenant au groupe taïwanais Formosa établissements, ont été pratiqués contre des Plastics était à l’origine de rejets de déchets prisonniers d’opinion dans tout le pays9. À la toxiques. Fin juin, Formosa a reconnu fin de l’année, au moins 88 prisonniers publiquement sa responsabilité et annoncé d’opinion étaient détenus dans des l’octroi d’une indemnisation de 500 millions conditions éprouvantes après des procès de dollars des États-Unis. En octobre, un inéquitables, et certains d’entre eux tribunal de Hà Tĩnh a rejeté 506 plaintes subissaient des coups et des décharges déposées par des victimes. Les plaignants électriques, étaient maintenus à l'isolement réclamaient une indemnisation accrue pour de façon prolongée et privés de soins le préjudice causé à leurs moyens de médicaux. Parmi eux figuraient des subsistance. blogueurs, des défenseurs des droits du travail et des droits fonciers, des militants

Amnesty International — Rapport 2016/17 475 hôpitaux et d’autres infrastructures civiles, PEINE DE MORT et mené des attaques aveugles qui ont fait De nouvelles condamnations à mort ont été des morts et des blessés parmi les civils. Le prononcées, notamment pour des infractions groupe armé des Houthis et les forces qui à la législation sur les stupéfiants. Les lui sont alliées ont bombardé sans statistiques officielles dans ce domaine discernement des zones habitées par des restaient un secret d’État. La presse a signalé civils dans la ville de Taizz ; ils ont mené que des personnes avaient été condamnées aussi des attaques transfrontalières, à la peine capitale. Aucune information procédant à des tirs d’artillerie aveugles en n’était disponible sur les exécutions. direction de l’Arabie saoudite, qui ont tué et blessé des civils. Les Houthis et leurs alliés ont imposé des restrictions sévères 1. Viet Nam: Crackdown on human rights amidst Formosa related activism (ASA 41/5104/2016) aux droits à la liberté d’expression,

2. Viet Nam: Convictions of Nguyễn Hữu Vinh and Nguyễn Thị Minh d’association et de réunion pacifique dans Thúy are an outrageous contravention of freedom of expression les régions sous leur contrôle. Ils ont arrêté (ASA 41/3702/2016) de manière arbitraire des personnes qui les 3. Il faut en finir avec la torture des prisonniers d’opinion au Viêt-Nam critiquaient ou qu’ils considéraient comme (nouvelle, 12 juillet) leurs opposants, notamment des 4. Viêt-Nam. Une blogueuse vietnamienne défendant les droits humains journalistes et des défenseurs des droits arrêtée (ASA 41/4979/2016) humains, et ont contraint des ONG à 5. Viêt-Nam. Un pasteur détenu en grève de la faim depuis le 8 août fermer. Des détenus ont été victimes de (ASA 41/4759/2016) disparition forcée ou soumis à des actes de 6. Viêt-Nam. Le gouvernement sévit contre des manifestations torture et à d’autres mauvais traitements. pacifiques et se rend coupable de violations des droits humains (ASA 41/4078/2016) Les femmes et les filles continuaient de subir de profondes discriminations et 7. Viêt-Nam. Une manifestation de membres d’une minorité violemment réprimée (ASA 41/4509/2016) d’autres atteintes à leurs droits fondamentaux, notamment le mariage forcé 8. Viet Nam: Failing to uphold human rights as land rights activist sentenced to 20 months in prison (ASA 41/4866/2016) et les violences au sein de la famille. La 9. Des prisons à l’intérieur des prisons : la torture et les mauvais peine de mort a été maintenue. Aucune traitements des prisonniers d’opinion au Viêt-Nam information n’a été rendue publique sur les (ASA 41/4186/2016) condamnations à mort et les exécutions. 10. Viet Nam: Imprisonment of asylum-seeker forcibly returned by Australia would be unlawful and could be disastrous for her young CONTEXTE children (ASA 41/4653/2016) Le conflit armé opposant le gouvernement internationalement reconnu du président Hadi, soutenu par une coalition internationale YÉMEN emmenée par l’Arabie saoudite, au groupe armé des Houthis et à leurs alliés, parmi République du Yémen lesquels figuraient des unités de l’armée Chef de l’État : Abd Rabbu Mansour Hadi restées fidèles à l’ancien président Ali Chef du gouvernement : Ahmed Obeid bin Daghr (a Abdullah Saleh, s’est poursuivi tout au long remplacé Khaled Bahah en avril) de l’année. Les Houthis et les forces loyales à l’ancien président Saleh contrôlaient toujours Toutes les parties au conflit armé qui s’est la capitale, Sanaa, et d’autres régions du poursuivi ont commis des crimes de guerre pays. Le gouvernement du président Hadi et d’autres violations graves du droit contrôlait des régions du sud du Yémen, international, en toute impunité. La notamment les gouvernorats de Lahj et coalition emmenée par l’Arabie saoudite et d’Aden. qui soutenait le gouvernement Le groupe armé Al Qaïda dans la internationalement reconnu a bombardé des péninsule arabique (AQPA), qui contrôlait

476 Amnesty International — Rapport 2016/17 toujours des zones du sud du Yémen, a perpétré des attentats à l’explosif à Aden et CONFLIT ARMÉ dans la ville portuaire de Mukalla, que les Exactions perpétrées par des groupes armés forces gouvernementales ont reprise en avril. Les Houthis et leurs alliés, dont les unités de L’armée des États-Unis a poursuivi ses tirs de l’armée fidèles à l’ancien président Saleh, ont missiles contre les combattants de l’AQPA. Le régulièrement commis des violations du droit groupe armé État islamique (EI) a également international humanitaire, notamment des commis des attentats à l’explosif à Aden et à attaques aveugles et disproportionnées. Ils Mukalla visant essentiellement des ont mis en danger les civils dans les régions responsables gouvernementaux et les forces qu’ils contrôlaient en lançant des attaques à gouvernementales. partir des alentours d’écoles, d’hôpitaux et Selon le Haut-Commissariat des Nations d’habitations, exposant les résidents à des unies aux droits de l’homme, 4 125 civils, attaques des forces progouvernementales, dont plus de 1 200 enfants, ont été tués et notamment des frappes aériennes de la plus de 7 000 autres blessés depuis le début coalition dirigée par l’Arabie saoudite. Ils ont du conflit, en mars 2015. Faisant le point sur également utilisé sans discernement des la situation en octobre, le Bureau de l’ONU armes explosives à large champ d’action, de la coordination des affaires humanitaires dont des obus de mortier et d’artillerie, en (OCHA) a indiqué que plus de 3,27 millions direction de zones habitées qui étaient de personnes avaient été déplacées par le contrôlées ou revendiquées par leurs conflit et que près de 21,2 millions, soit 80 % opposants, tout particulièrement à Taizz, de la population du Yémen, dépendaient de tuant et blessant des civils. Selon certaines l’aide humanitaire. sources, en novembre, les Houthis et leurs Des pourparlers de paix entre les parties alliés avaient perpétré au moins 45 attaques au conflit ont débuté en avril au Koweït, sous illégales à Taizz, qui avaient fait de très l’égide des Nations unies ; ils se sont nombreux morts et blessés parmi les civils. accompagnés d’une brève accalmie dans les Les Nations unies ont indiqué que 10 civils, combats, qui se sont cependant intensifiés dont six enfants, ont été tués et 17 autres après l’échec des négociations, le 6 août. Le blessés à la suite d’une attaque menée le secrétaire d’État américain John Kerry a 4 octobre dans une rue proche du marché annoncé le 25 août une « nouvelle approche Bir Basha. Les Houthis et leurs alliés ont des négociations », qui n’avait débouché sur également continué de poser des mines aucun résultat clair à la fin de l’année. terrestres antipersonnel interdites au niveau Les Houthis et leurs alliés ont désigné un international, qui ont provoqué des pertes Conseil politique suprême de 10 membres civiles. Cette année encore, ils ont enrôlé et pour gouverner le Yémen, lequel, à son tour, utilisé des enfants soldats. En juin, le a chargé l’ancien gouverneur d’Aden, secrétaire général des Nations unies a Abdulaziz bin Habtoor, de former un annoncé que les Houthis étaient gouvernement de « salut national ». En responsables de 72 % des 762 cas vérifiés septembre, le président Hadi a ordonné le de recrutement d’enfants soldats dans le transfert de la Banque centrale de Sanaa à cadre du conflit. Aden, ce qui a aggravé la crise fiscale due à À Sanaa et dans d’autres régions qu’ils la diminution de ses réserves – ainsi que la contrôlaient, les Houthis et leurs alliés ont crise humanitaire, en réduisant la capacité arrêté et détenu de manière arbitraire des du gouvernement de facto des Houthis à personnes qui les critiquaient ou qu’ils Sanaa d’importer des denrées alimentaires considéraient comme leurs opposants, ainsi essentielles, du carburant et des fournitures que des journalistes, des défenseurs des médicales. droits humains et des membres de la communauté baha’i ; beaucoup ont été victimes de disparition forcée. De

Amnesty International — Rapport 2016/17 477 nombreuses personnes ont été arrêtées par imposait a restreint davantage encore des hommes armés appartenant à l’importation de nourriture et d’autres Ansarullah, la branche politique des Houthis, produits de première nécessité, ce qui a à leur domicile, sur leur lieu de travail, à des exacerbé la crise humanitaire due au conflit postes de contrôle ou dans des lieux publics et empêché les vols commerciaux à tels que des mosquées. Ces arrestations ont destination de Sanaa. eu lieu sans mandat judiciaire ni motif Les frappes aériennes de la coalition visant officiel, et sans que soit révélé le lieu où les des régions contrôlées ou revendiquées par personnes étaient emmenées ou allaient être les Houthis et leurs alliés, tout détenues. particulièrement dans les gouvernorats de De nombreux détenus ont été retenus Sanaa, d’Hajjah, d’Hodeida et de Saada, ont dans des lieux non officiels, y compris des fait des milliers de morts et de blessés parmi habitations privées, sans être informés des les civils. De nombreuses attaques visaient motifs de leur détention et sans avoir la des cibles militaires, mais d’autres étaient possibilité d’en contester la légalité ; ils disproportionnées ou aveugles, ou visaient n’avaient notamment pas la possibilité de directement des personnes et des biens consulter un avocat ni de saisir les tribunaux. civils, notamment des rassemblements pour Certains ont été victimes de disparition forcée des funérailles, des hôpitaux, des écoles, des et incarcérés dans des lieux tenus secrets. marchés et des usines. Certaines attaques de Les Houthis refusaient de reconnaître leur la coalition ont visé des infrastructures détention, de fournir des informations à leur stratégiques, comme des ponts, des sujet ou de les autoriser à rencontrer un installations de distribution d’eau et des tours avocat et leurs proches. Des détenus ont été de télécommunications. Le principal pont sur torturés et maltraités. En février, une famille a la route reliant Sanaa à Hodeida a été détruit raconté qu’elle avait vu des gardes battre l’un en août. Certaines attaques de la coalition de ses proches dans le centre de détention constituaient des crimes de guerre. de la Sécurité politique à Sanaa. En août, l’ONG humanitaire Médecins Les forces anti-Houthis et leurs alliés ont sans frontières (MSF) a déclaré qu’elle avait mené une campagne de harcèlement et perdu « confiance dans la capacité de la d’intimidation contre le personnel des coalition d’éviter des attaques meurtrières ». hôpitaux, et mis en danger des civils en MSF a retiré son personnel de six hôpitaux stationnant des combattants et en établissant dans le nord du Yémen après qu’un avion de des positions militaires à proximité la coalition eut bombardé pour la quatrième d’établissements médicaux, en particulier fois en un an une structure de soins qu’elle lors des combats dans la ville de Taizz, dans soutenait ; cette attaque a fait 19 morts et le sud du pays. Trois hôpitaux au moins ont 24 blessés. Début décembre, l’Équipe dû fermer en raison des menaces lancées conjointe d’évaluation des incidents (JIAT) contre leur personnel. créée par la coalition menée par l’Arabie Par ailleurs, les Houthis et leurs alliés ont saoudite pour enquêter sur les allégations de restreint la liberté d’association dans les violations commises par ses forces a conclu zones qu’ils administraient de facto. que cette frappe était « une erreur involontaire ». La déclaration publique de Violations perpétrées par la coalition dirigée la JIAT était en contradiction avec les par l’Arabie saoudite résultats de l’enquête menée par MSF, selon La coalition internationale qui soutenait le lesquels il ne s’agissait pas d’une erreur mais gouvernement du président Hadi a commis de la conséquence des hostilités menées des violations graves du droit international « dans le mépris total du statut protégé des humanitaire et du droit international relatif hôpitaux et des structures civiles ». aux droits humains, en toute impunité. Le Selon les Nations unies, 26 civils, dont blocus aérien et maritime partiel qu’elle sept enfants, ont trouvé la mort et 24 autres

478 Amnesty International — Rapport 2016/17 ont été blessés le 21 septembre à la suite avoir accès à une grande partie du pays et d’une frappe aérienne de la coalition sur un s’est concentrée presque exclusivement sur quartier d’habitation d’Hodeida. Le 8 octobre, les atteintes aux droits humains imputables plus de 100 personnes qui assistaient à des aux Houthis et à leurs alliés. funérailles à Sanaa ont été tuées et au moins La JIAT, créée par la coalition menée par 500 autres blessées par une frappe aérienne l’Arabie saoudite pour enquêter sur les de la coalition. Après avoir nié dans un allégations de violations commises par ses premier temps être à l’origine de cette forces, présentait également de graves attaque, la coalition a reconnu sa défauts. Elle n’a fourni aucun détail sur son responsabilité à la suite de la condamnation mandat, sa méthodologie ou ses pouvoirs, au niveau international de la frappe aérienne. notamment sur la manière dont elle Elle a affirmé que le bombardement avait été détermine les faits qui doivent faire l’objet mené sur la base d’« informations erronées » d’une enquête et mène ses investigations ou et que les responsables seraient sanctionnés. vérifie les informations ; elle n’a pas Les forces de la coalition ont utilisé des davantage précisé le statut de ses munitions imprécises, dont de grosses recommandations auprès des commandants bombes de fabrication américaine ou de la coalition ou des États qui en sont britannique ayant un grand rayon d’action et membres. qui provoquent des pertes humaines et des destructions au-delà de leur point d’impact. RESTRICTIONS À L’AIDE HUMANITAIRE Cette année encore, dans les gouvernorats Toutes les parties au conflit ont exacerbé les de Saada et d’Hajjah, la coalition a utilisé des souffrances des civils en restreignant la bombes à sous-munitions de fabrication distribution d’aide humanitaire. Les Houthis américaine et britannique ; il s’agissait et leurs alliés ont continué d’entraver tout au d’armes non discriminantes par nature dont long de l’année l’acheminement de denrées l’utilisation était largement interdite au niveau alimentaires et de fournitures médicales de international. Ces armes qui projettent de première nécessité à Taizz, la troisième ville petites bombes sur une vaste zone du pays, ajoutant ainsi aux souffrances de représentent un risque permanent pour les milliers de civils. Par ailleurs, les travailleurs civils car, le plus souvent, elles n’explosent humanitaires ont accusé les services de pas au premier impact. En décembre, la sécurité des Houthis d’imposer des coalition a admis que ses forces avaient restrictions arbitraires et excessives à la utilisé en 2015 des bombes à sous-munitions circulation des biens et des personnels dans de fabrication britannique, et déclaré qu’elle le but de compromettre l’indépendance des ne le referait plus. opérations humanitaires, et de fermer par la force des programmes humanitaires. IMPUNITÉ Des travailleurs humanitaires ont accusé la Toutes les parties au conflit armé ont commis coalition menée par l’Arabie saoudite des violations graves du droit international, d’empêcher la distribution de l’aide en en toute impunité. Les Houthis et leurs alliés imposant des procédures trop lourdes qui n’ont pas mené d’enquêtes sur les violations impliquaient de l’informer des opérations graves perpétrées par leurs combattants, et prévues afin qu’elles ne soient pas les responsables de ces agissements n’ont éventuellement prises pour cible. pas eu à rendre compte de leurs actes. Le mandat de la commission nationale PERSONNES DÉPLACÉES d’enquête instituée par le président Hadi en Le conflit armé a entraîné des déplacements septembre 2015 a été prolongé d’un an en massifs de civils, particulièrement dans les août. Cette commission a mené des gouvernorats de Taizz, d’Hajjah et de Sanaa. investigations, mais elle n’était ni En octobre, le Bureau de la coordination des indépendante ni impartiale ; elle n’a pas pu affaires humanitaires [ONU] a signalé que

Amnesty International — Rapport 2016/17 479 quelque 3,27 millions de personnes, dont la sexuelles et autres, notamment les moitié étaient des enfants, étaient déplacées mutilations génitales féminines et le mariage à l’intérieur du Yémen, soit une augmentation forcé. de plus de 650 000 individus depuis décembre 2015. PEINE DE MORT La peine de mort était maintenue pour toute SURVEILLANCE INTERNATIONALE une série de crimes. Aucune information n’a Le Groupe d’experts des Nations unies sur le été rendue publique sur les condamnations à Yémen a publié son rapport final le mort ni sur les exécutions. 26 janvier. Il concluait que toutes les parties au conflit avaient régulièrement attaqué des civils et des biens de caractère civil, et recensait « 119 frappes de la coalition liées à ZAMBIE des violations du droit international République de Zambie humanitaire », dont beaucoup Chef de l’État et du gouvernement : Edgar Chagwa « comportaient des frappes aériennes Lungu multiples sur de nombreux biens de caractère civil ». Un rapport ultérieur d’un L’élection présidentielle, dont les résultats nouveau groupe d’experts remis au Conseil ont été contestés, a été marquée par une de sécurité des Nations unies, qui a fait intensification des violences politiques. La l’objet d’une fuite en août, accusait toutes les Loi relative à l’ordre public a été utilisée parties au conflit d’atteintes au droit pour réprimer les droits à la liberté international humanitaire et et du droit d’expression, de réunion et d’association, international relatif aux droits humains. tandis que la police a fait usage d’une force En juin, le secrétaire général des Nations excessive pour disperser des réunions de unies a retiré la coalition menée par l’Arabie partis d’opposition. Les autorités ont pris saoudite de la liste annuelle des pays et des mesures de répression contre des groupes armés qui portent atteinte aux droits médias indépendants et ont harcelé des des enfants dans les situations de conflit journalistes. En avril, des étrangers ont été armé, après que le gouvernement saoudien victimes d’une vague de violence eut menacé de suspendre son financement xénophobe. de programmes importants de l’ONU. En août, le Haut-Commissaire des Nations CONTEXTE unies aux droits de l’homme a demandé la Edgar Chagwa Lungu a été reconduit à la tête création d’« un organe d’enquête de l’État au terme de l’élection présidentielle international et indépendant qui sera chargé du 11 août, qui a été marquée par une de mener des enquêtes approfondies » au tension et une violence accrues, en Yémen. Le Conseil des droits de l’homme particulier entre les membres du Front [ONU] a toutefois décidé en septembre que patriotique, au pouvoir, et ceux du Parti uni le Haut-Commissaire continuerait d’apporter pour le développement national (UPND), qui une assistance technique à la commission appartient à l’opposition. L’élection s’est nationale créée en 2015, et il a affecté des tenue selon les modalités prévues par la experts internationaux supplémentaires à son nouvelle Constitution, promulguée le 5 janvier bureau au Yémen. à l’issue d’un processus controversé. L’UPND, qui avait introduit un recours DROITS DES FEMMES ET DES FILLES auprès de la Cour constitutionnelle, a remis Les femmes et les filles ont continué de faire en cause l’indépendance du pouvoir l’objet de discriminations dans la législation judiciaire après le rejet de sa requête par et dans la pratique. Elles n’étaient pas trois juges constitutionnels, qui ont pris cette suffisamment protégées contre les violences décision sans faire intervenir deux autres

480 Amnesty International — Rapport 2016/17 juges de la Cour et sans entendre les Les presses du journal The Post ont été arguments du parti. saisies le 20 juin par l’administration fiscale Le référendum constitutionnel organisé le et ses activités ont été arrêtées. Quelques 11 août, en même temps que les élections jours plus tard, le 27 juin, la police a roué de générales, n’a pas recueilli suffisamment de coups et arrêté le rédacteur en chef du suffrages pour permettre la modification de la journal, Fred M’membe, ainsi que sa femme charte des droits du pays. Mutinta Mazoka-M’membe, et le directeur En avril, à la suite d’allégations de adjoint de la rédaction, Joseph Mwenda. Il sacrifices rituels, des étrangers ont été la leur était notamment reproché d’être entrés cible d’une vague de violence xénophobe par effraction dans le bâtiment du Post. dans les quartiers de Zingalume et Le 22 août, l’autorité nationale de de George. Des boutiques appartenant à des régulation des médias a suspendu les Rwandais et à des Zimbabwéens ont été licences de trois médias indépendants : pillées. Deux Zambiens ont été brûlés vifs Muvi TV, Komboni Radio et Radio Itezhi. lors de ces attaques xénophobes. Les auteurs Quatre employés de Muvi TV qui se sont présumés de ces actes ont été arrêtés et présentés au travail – John Nyendwa, déclarés coupables d’homicide. Mubanga Katyeka, Joe Musakanya et William Selon l’indice de la faim dans le monde Mwenge – ont été arrêtés et inculpés de 2016, la Zambie était à la troisième place des violation de propriété. Les licences ont été pays les plus touchés par la famine. Près de rétablies par la suite. la moitié de sa population souffrait de Le 5 octobre, alors que Komboni Radio malnutrition. avait récupéré sa licence, la directrice de la station, Lesa Kasoma Nyirenda, a été rouée LIBERTÉ DE RÉUNION de coups par six policiers armés, qui l’ont Les autorités ont utilisé de manière sélective empêchée d’accéder aux locaux. Elle a la Loi relative à l’ordre public, promulguée en également été accusée d’avoir agressé un 1955 ; elles ont arbitrairement restreint le policier. droit à la liberté de réunion des partis politiques d’opposition. La police a employé DROITS DES ENFANTS une force excessive pour disperser des En mars, le Comité des droits de l’enfant des foules. Le 8 juillet, à Chawama – un township Nations unies a publié ses observations de Lusaka, la capitale –, des policiers ont tiré finales sur la Zambie. Le Comité s’est à balles réelles sur des manifestants pour les inquiété du fait que les enfants appartenant à disperser, tuant une jeune sympathisante de certains groupes ne bénéficiaient pas des l’UPND, Mapenzi Chibulo. mêmes conditions d’accès que les autres Hakainde Hichilema et Geoffrey Mwamba, enfants à différents services, notamment dirigeants de l’UPND, ont été arrêtés le dans les domaines de la santé et de 5 octobre et inculpés de réunion illicite et de l’éducation. Les taux de mortalité infantile et pratiques séditieuses après une brève des enfants de moins de cinq ans restaient réunion avec des sympathisants du parti élevés, tandis que les adolescents ne dans un village du district de Mpongwe1. Ils disposaient pas d’un accès suffisant à des ont été libérés sous caution le même mois, services et à des informations adaptés en dans l’attente de leur procès. matière de santé reproductive. Le Comité a également attiré l’attention sur l’application LIBERTÉ D’EXPRESSION de frais de scolarité dans l’enseignement Le 21 mars, Eric Chanda, dirigeant du parti primaire et sur le taux élevé d’abandon politique Quatrième révolution, a été arrêté scolaire chez les filles en raison de et inculpé de diffamation envers le président comportements traditionnels discriminatoires pour des faits datant de 2015. et de l’exclusion des jeunes filles enceintes.

Amnesty International — Rapport 2016/17 481 (ZANU-PF), le parti au pouvoir, ont continué 1. Zambie. Les charges de sédition pesant sur des dirigeants de d’entraver le fonctionnement du l’opposition doivent être abandonnées (nouvelle, 19 octobre) gouvernement. LIBERTÉ D’EXPRESSION ZIMBABWE Le gouvernement a essayé d’étouffer les informations critiques dans les médias privés. République du Zimbabwe En janvier, George Charamba, le secrétaire Chef de l’État et du gouvernement : Robert Gabriel permanent du ministère de l’Information, des Mugabe médias et des services de radiodiffusion, a menacé les médias privés de procéder à des Des militants et des défenseurs des droits arrestations s’ils publiaient des informations humains se sont mobilisés pour amener le sur les tensions entre les différentes factions gouvernement à rendre des comptes sur de la ZANU-PF. Ses déclarations faisaient l’augmentation de la corruption, du suite à l’arrestation en janvier de trois chômage, de la pauvreté et des inégalités. employés de Newsday : Nqaba Matshazi, le Face à cette mobilisation croissante, les rédacteur en chef adjoint ; Xolisani Ncube, autorités ont intensifié la répression contre un reporter ; et Sifikile Thabete, une les détracteurs du gouvernement, imposant assistante juridique. Les deux journalistes ont à plusieurs reprises une interdiction pure et été inculpés de publication de fausses simple de manifester dans le centre de informations. À la fin de l’année, leur procès Harare, la capitale, et arrêtant des était en attente d’une décision de la Cour journalistes et des militants, dont certains constitutionnelle sur la validité de la loi au ont été torturés. titre de laquelle ils ont été arrêtés. Dans le cadre de la Journée mondiale de CONTEXTE la radio célébrée en février, Anywhere Selon un rapport du Comité d’évaluation de Mutambudzi, directeur des communications la vulnérabilité du Zimbabwe publié en juillet, urbaines au sein du ministère de environ 4,1 millions de personnes seront l’Information, a menacé de donner un tour de dans une situation d’insécurité alimentaire vis aux radios locales, affirmant qu’elles entre janvier et mars 2017 en raison de la fonctionnaient dans l’illégalité. Le sécheresse provoquée par El Niño. gouvernement n’a pas accordé une seule À cause des pénuries de liquidités, le licence à une radio locale depuis l’adoption gouvernement a eu des difficultés à verser de la Loi de 2001 relative aux services de aux fonctionnaires leur salaire mensuel, ce radiotélédiffusion. qui l’a conduit à proposer l’utilisation de billets d’obligation. La crainte que ceux-ci Journalistes deviennent une monnaie sans valeur et que Des journalistes couvrant des manifestations le pays replonge dans une période ont été victimes d’actes de harcèlement, d’hyperinflation similaire à celle de 2008 a d’arrestations et d’attaques. L’Institut des provoqué des manifestations qui n’ont pas médias d’Afrique australe (MISA) a recensé cessé jusqu’à la fin de l’année. 32 agressions contre des journalistes entre Le gouvernement a émis en juin janvier et septembre. l’Instrument statutaire 64, dans l’espoir de Paidamoyo Muzulu, un journaliste de limiter les importations bon marché et de Newsday, a été arrêté et placé en détention promouvoir la production nationale, ce qui a en juin, en même temps que 15 autres provoqué des manifestations des personnes militants qui avaient organisé un opposées à cette mesure. rassemblement de protestation sur Africa Les tensions au sein de l’Union nationale Unity Square à Harare. Il a été inculpé de vol africaine du Zimbabwe-Front patriotique avec violence et d’entrave ou obstacle à

482 Amnesty International — Rapport 2016/17 l’exercice de la justice. Les militants ont été lors d’une manifestation à Bulawayo. Roué inculpés de vol avec violence et de rébellion. de coups dans un camion, il a été hospitalisé Tous ont été libérés sous caution dans dans un établissement privé pour y être l’attente de leur procès. soigné de ses blessures. Il a été inculpé de Cinq journalistes ont été interpellés alors nuisance publique. qu’ils couvraient des manifestations contre le En août, des agents des services de séjour prolongé du vice-président dans sécurité et du renseignement portant des l’établissement cinq étoiles Rainbow Towers vêtements militaires se sont rendus à Hotel. Ils ont été maintenus en détention plusieurs reprises chez Trevor Ncube, pendant six heures, puis remis en liberté l’éditeur d’Alpha Media Holdings. Il s’agissait sans inculpation. de toute évidence de l’intimider. Le journaliste indépendant Godwin Mangudya et trois autres journalistes d’Alpha Réseaux sociaux Media Holdings – Elias Mambo, Tafadzwa Les autorités ont essayé de museler les Ufumeli et Richard Chidza – ont été réseaux sociaux. brièvement placés en détention au poste de Le président Mugabe a menacé en avril de police de Marimba pour avoir couvert des mettre en place des lois restreignant l’accès à manifestations dans la banlieue de Mufakose Internet. le 6 juillet. Les policiers les ont libérés après Face au mécontentement grandissant leur avoir ordonné de supprimer les photos exprimé sur les réseaux sociaux, les autorités des manifestations. ont présenté en août un avant-projet de loi Mugove Tafirenyika, une journaliste du sur l’informatique et la cybercriminalité, dont Daily News, a été agressée au siège de la l’objectif était de donner un coup d’arrêt aux ZANU-PF par des sympathisants du parti le critiques contre le gouvernement. Le texte 27 juillet alors qu’elle effectuait un reportage n’avait pas été adopté à la fin de l’année. sur un rassemblement d’anciens Lors d’une grève générale organisée le combattants. 6 juillet en signe de protestation contre la Le 3 août, sept journalistes (Lawrence corruption, un mouvement lié aux réseaux Chimunhu et Haru Mutasa, d’Al Jazira, ainsi sociaux et conduit sous la bannière que Tsvangirayi Mukwazhi, Christopher #ThisFlag, des applications numériques telles Mahove, Tendayi Musiya, Bridget Mananavire que WhatsApp ont été bloquées par le et Imelda Mhetu) ont été attaqués par la gouvernement. police alors qu’ils suivaient des manifestations contre le projet du RÉPRESSION DE LA DISSIDENCE gouvernement d’introduire des billets Des militants et des défenseurs des droits d’obligation. Ils ont tous les sept été remis en humains ont été victimes d’actes liberté sans inculpation. d’intimidation, de harcèlement et Le 24 août, la journaliste indépendante d’arrestations imputables aux autorités et à Lucy Yasin a été frappée par des policiers des membres de la branche jeunesse de la antiémeutes alors qu’elle effectuait un ZANU-PF, et ce en toute impunité. reportage sur une marche du Mouvement Pour le seul mois de juillet, 332 personnes pour le changement démocratique (MDC-T), ont été arrêtées dans le cadre des un groupe d’opposition ; un autre journaliste manifestations antigouvernementales. Des indépendant, Tendai Mandimika, a été arrêté centaines de personnes ont été interpellées et inculpé de violences sur la voie publique. dans tout le pays en raison de leur Le 31 août, Crispen Ndlovu, un reporter- participation aux manifestations organisées photographe indépendant basé à Bulawayo, par l’Initiative nationale pour une réforme a été interpellé et frappé par la police électorale, une coalition de 18 partis antiémeutes parce qu’il avait pris des photos politiques faisant campagne en faveur de de policiers s’en prenant à Alfred Dzirutwe réformes électorales. Des organisateurs de

Amnesty International — Rapport 2016/17 483 manifestations ont été attaqués la veille des intensifiée à la suite de la publication d’un rassemblements. communiqué de presse de l’Association Pendant les célébrations de nationale des anciens combattants du commémoration de l’indépendance du pays, Zimbabwe rejetant l’autorité du président en avril, des agents de la sécurité de l’État Robert Mugabe et l’accusant d’être s’en sont pris brutalement à Patson Dzamara responsable de la détérioration de la situation et ont procédé à son arrestation. Cet homme économique. La police a arrêté cinq anciens avait brandi, seul, une pancarte devant le combattants et les a inculpés d’atteinte à président Robert Mugabe. Il protestait contre l’autorité du président ou injure à l’égard de l’enlèvement et la disparition de son frère, Itai ce dernier en violation de l’article 33(2) du Dzamara en mars 2015. Patson Dzamara a Code pénal. Tous ont été remis en liberté par la suite été libéré sans inculpation. Il a sous caution. À la fin de l’année, leur procès cependant été enlevé et violemment frappé était repoussé à une date indéterminée. par des hommes armés en novembre, peu de temps avant une manifestation contre le LIBERTÉ D’ASSOCIATION gouvernement. Le président Robert Mugabe a lancé une Environ 105 personnes ont été arrêtées et offensive contre le pouvoir judiciaire après inculpées de violences sur la voie publique d’importantes décisions reconnaissant le lors d’une grève de chauffeurs de bus le droit de manifester. Il a critiqué les juges du 4 juillet à Bulawayo et Harare, durant laquelle pays, les qualifiant d’« irresponsables » et les les protestataires ont bloqué des routes avec mettant en garde contre toute négligence. des pierres et des pneus enflammés. Ces En septembre, face au nombre croissant personnes ont finalement été remises en de rassemblements, la police a imposé une liberté sous caution. interdiction des manifestations pour deux Evan Mawarire, le chef de file du semaines dans le district central de Harare, mouvement #ThisFlag, a été arrêté par la au titre de l’Instrument statutaire 101 A. Un police le 12 juillet et inculpé d’incitation à la juge de la Haute Cour a cependant levé violence publique. Pendant sa comparution l’interdiction, la déclarant contraire à devant le tribunal, le procureur a modifié les la Constitution1. chefs retenus contre lui et requalifié les faits Le 16 septembre, la police a imposé une en « subversion d’un gouvernement élu interdiction des manifestations pour un mois constitutionnellement ». Evan Mawarire a été dans le district central de Harare au titre de libéré après que le juge eut statué que cette l’Arrêté gouvernemental n° 239 A de 2016. requalification était illégale et contraire à la La justice a rejeté un appel demandant Constitution. Face aux persécutions l’annulation de cette interdiction2. persistantes du régime, cependant, Evan Le 29 septembre, trois étudiants de Mawarire a quitté le pays en juillet. l’Université du Zimbabwe (Tonderai Dombo, En août, des photos montrant Lillian Andile Mqenqele et Zibusiso Tshuma) ont été Chinyerere Shumba, une femme de 62 ans, arrêtés pour avoir brandi devant le président violemment frappée par la police antiémeutes Robert Mugabe, lors de la cérémonie devant le tribunal de première instance de annuelle de remise des diplômes, des Harare ont été révélées. Les autorités ont pancartes demandant plus d’emplois. Ils ont également arrêté Sten Zvorwadza, le été inculpés de nuisance publique et président du Syndicat national des vendeurs condamnés à une amende de 10 dollars des du Zimbabwe, et Promise Mkwananzi, le États-Unis. porte-parole de la campagne Tajamuka/ Sesjikile (« On en a assez ! »), et les ont TORTURE ET AUTRES MAUVAIS inculpés d’incitation à la violence publique. TRAITEMENTS La répression sans précédent contre les Des militants ont signalé des tentatives anciens soutiens de la ZANU-PF s’est d’enlèvement par des groupes armés non

484 Amnesty International — Rapport 2016/17 identifiés souvent liés aux forces de sécurité violences sur la voie publique, puis a été de l’État. Ces tentatives d’enlèvement ont eu remis en liberté sous caution. lieu pendant la nuit ou juste avant des manifestations prévues. Certaines des ÉVOLUTIONS LÉGISLATIVES ET personnes enlevées et conduites au siège de CONSTITUTIONNELLES la ZANU-PF ont été soumises à des actes de En janvier, la Cour constitutionnelle a interdit torture, y compris des violences sexuelles. le mariage des enfants en fixant l’âge légal Dans la nuit du 13 septembre, l’acteur et pour le mariage à 18 ans. réalisateur bien connu Silvanos Mudzvova, En février, la Cour constitutionnelle a membre militant du mouvement Tajamuka/ statué que la loi érigeant la diffamation en Sesjikile, a été enlevé chez lui par six infraction pénale était invalide et contraire à hommes armés que l’on pense être des la Constitution. membres des services de sécurité. On lui a bandé les yeux et il a été conduit près du lac PEINE DE MORT Chivero, où il a été torturé. On lui a injecté Dans son rapport soumis aux Nations unies une substance inconnue et il a été laissé pour l’Examen périodique universel, le pour mort. Hospitalisé pour de graves gouvernement a indiqué que 10 détenus blessures, notamment un traumatisme condamnés à mort avaient été graciés cette abdominal, il était toujours en convalescence année après en avoir fait la demande. à la fin de l’année. Le 27 septembre, des hommes non DROIT À LA SANTÉ identifiés circulant à bord de cinq véhicules Après l’examen du deuxième rapport ont enlevé dans la capitale Kudakwashe périodique soumis par le Zimbabwe, le Kambakunje, le président de la branche du Comité des droits de l’enfant [ONU] a quartier central commerçant de Harare du souligné, en janvier, les conséquences Syndicat national des vendeurs du néfastes du fort ralentissement économique Zimbabwe. Il a été retrouvé à 22 kilomètres sur les services pour les enfants. Il a fait part de la ville, gravement blessé. Il avait été de ses graves préoccupations quant aux taux violemment frappé et soumis à l’injection élevés de mortalité maternelle, néonatale et d’une substance inconnue. infantile, quant à la malnutrition parmi les Des photos ont été publiées en septembre enfants de moins de cinq ans, et quant au sur lesquelles on pouvait voir les graves grand nombre de morts parmi les enfants de lacérations infligées à Esther Mutsiru et moins de cinq ans en raison du manque Gladys Musingo pendant leur garde à vue à d’installations sanitaires et d’eau potable. Harare. Les deux femmes avaient été Dans un contexte d’insécurité alimentaire arrêtées et torturées après avoir participé à généralisée et continue, qui touchait une manifestation de l’Initiative nationale particulièrement les foyers pauvres dans le pour une réforme électorale. sud du pays, la Commission des droits Ostallos Siziba, militant et responsable des humains du Zimbabwe a critiqué le relations publiques du Syndicat des gouvernement pour avoir favorisé cinq enseignants en milieu rural, a été enlevé le districts dans l’attribution d’aides alimentaires 26 août avant des manifestations de et de subventions agricoles. l’Initiative nationale pour une réforme électorale. Il a été conduit au siège de la DROITS DES ENFANTS ZANU-PF, où il a été passé à tabac. Il a Le Comité des droits de l’enfant [ONU] a fait déclaré que ses ravisseurs avaient essayé de part de ses profondes inquiétudes le forcer à avoir des rapports sexuels avec concernant le niveau élevé de violence une femme âgée, ce qu’il avait refusé. Il a sexuelle auquel sont confrontées les ensuite été livré aux agents du commissariat adolescentes ainsi que le nombre de central de police de Harare et inculpé de grossesses et de mariages précoces, et leur

Amnesty International — Rapport 2016/17 485 lien avec le taux d’abandon scolaire chez les adolescentes. DROITS EN MATIÈRE DE LOGEMENT Le 21 janvier, le conseil municipal de Harare a démoli plus de 100 habitations appartenant à des membres de la coopérative de logement de Nyikavanhu dans le quartier d’Arlington, sans respecter la procédure légale, notamment la consultation et le préavis raisonnable pour les habitants. Les démolitions ont eu lieu après que le président Robert Mugabe eut ordonné que les occupants soient déplacés.

1. Zimbabwe. Il faut que l’État autorise les manifestations publiques, comme l’y oblige une décision de justice (nouvelle, 7 septembre) 2. Zimbabwe. Il faut annuler la décision de justice confirmant l’interdiction de manifester imposée par la police (nouvelle, 5 octobre)

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