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Martyr au : Le Bienheureux Maurice Tornay

Nous sommes le matin du 11 août 1949, quelque part aux confins du Tibet, dans un paysage de montagnes et de hautes vallées. Parmi les quelques personnes qui franchissent ce jour-là le col du Choula, un missionnaire valaisan, le Père Tornay. Le voici depuis quelques années curé de la seule mission catholique en terre tibétaine, une paroisse « aussi grande que la France »*. Bienheureux Maurice Tornay

L’urgence de vivre de l’Abbaye. Ce déracinement l’invite à pour Dieu écrire à sa famille. Commence ainsi une ien des années plus tôt, en 1910, longue correspondance, qui durera toute B c’est d’autres montagnes qui ac- sa vie. Elle révèle son talent pour l’écriture cueillent la vie du futur bienheureux : et lui permet de dévoiler son cœur : La Rosière est un hameau des Alpes sa foi résolue, son souci des âmes, son valaisannes qui tutoie fonds de vallée désir du don total à Dieu. Durant ces et cimes imposantes. Est-ce cette géo- années, Maurice développe un trait ca- graphie si caractéristique, ou bien la ractéristique de sa spiritualité :l’urgence rudesse du milieu paysan qui forge son de vivre pour Dieu. « Le temps fuit et caractère ? Maurice hérite d’un tempé- s’effondre, mais respecte un moment rament entier, qui parfois éclabousse d’amour passé au sein de l’Amour : nos son entourage. C’est un meneur, et il lui prières. » Plus tard, il écrira à sa sœur : faudra lutter pour s’adoucir, avec la grâce « Il faut nous hâter n’est-ce pas ? Il faut de Dieu. Espiègle et rieur, il possède une nous dépêcher, à notre âge d’autres sensibilité très grande. Il aime se tenir à étaient . » l’écart, pour prier. En 1925, l’Église canonise sainte À 15 ans, Maurice entre au collège Thérèse de Lisieux. La carmélite de- de Maurice, tenu par les chanoines vient la sainte préférée de Maurice.

*Toutes les phrases en italique sont tirées de la correspondance du Bienheureux Maurice 10 biographie biographie 11

Cette amitié contribue certainement à tairement acceptée sera pour nous une par celui des clochers ? Ou bien, il pourrait Au milieu des peines et des joies, adoucir sa personnalité et éveille en lui cause d’union plus grande au Ciel et déjà se faire aussi que l’on coure sans résultat, il y a ce moment tant attendu de l’ordi- le goût de la mission. Il demande à en- sur la terre. Il n’y a que la vie de la foi sans voir les clochers, sans entendre les nation sacerdotale : « Mon cher Louis, trer chez les chanoines du Grand-Saint- qui compte. Vivons donc notre foi. Je ne cantiques ; mais il me semble que courir ton frère est prêtre depuis ce matin... Bernard, congrégation qui dessert sa vous oublie pas. Mais j’ai l’impression pour Dieu est une œuvre morale assez Après-demain, je dirai la messe pour paroisse. Clin d’oeil de la Providence : que vous êtes si loin, si loin ! La Rosière, grande et assez belle en elle-même pour tous les miens. Toutes vos larmes, toute des années plus tôt, Louis Martin, père le , quels espaces immenses m’en se passer de résultat, si la chose était cette douloureuse séparation sera là, sur de Thérèse, avait demandé à entrer dans séparent ! Et je sens qu’une vie nouvelle possible. » l’autel, avec le Christ immolé. Je suis seul, cette même communauté, avant de re- m’attend dans un monde Nouveau. » mais je suis très heureux, parce qu’ainsi, noncer (heureusement !) à son projet. Cette phrase est prémonitoire. La Dieu est davantage honoré. » suite va prendre la forme d’une lente Le temps du noviciat et des études offrande de lui-même, consentie dans À travers son ministère auprès des est l’occasion d’approfondir sa foi et l’anonymat de la terre lointaine. Les populations tibétaines bien-aimées, d’apprivoiser le silence de la montagne. épreuves surviennent : la guerre, qui Maurice va s’avancer dans l’offrande Au témoignage de ses formateurs, il est coupe toute relation et soutien avec de lui-même, jusqu’au bout. En 1945, il le novice qui se transforme et s’appro- L’Europe, les tracas du pouvoir religieux est nommé curé de Yerkalo. Mais bien fondit le plus. Avec humour et franchise, en place, la famine. À sa soeur Anna, il vite, il est victime de la jalousie et de la il conseille son frère Louis : « Écoute le confie : « Porter la croix, cela signifie ne susceptibilité des autorités. Chassé du Christ à l’Eucharistie. Va le chercher. plus savoir où donner de la tête, espérer village, Maurice continue de porter dans Donne-toi. Fais des sacrifices. Ne vis pas contre l’espérance, croire contre toutes son cœur les paroissiens et fait tout pour comme les vaches qui se réjouissent de les apparences, aimer quand rien n’est retourner auprès d’eux. l’herbe fraîche et s’attristent des coups aimable. C’est difficile, n’est-ce pas ? » de bâton. » Son apostolat au Tibet Pressentant que rester près des siens lui serait trop facile, le séminariste opte pour un départ en terre de mis- Les joies de la mission : lors d’un camp de jeunes, sion. Le pape vient en effet de demander avec son confrère Pierre Melly aux chanoines de renforcer la présence chrétienne aux Marches tibétaines. La À son arrivée, Maurice trouve une région a été évangélisée par les Missions mission en bonne santé, plutôt en ex- étrangères de Paris. Plusieurs prêtres y pansion malgré les difficultés. C’est une ont versé leur sang en témoignage de sorte d’apogée. À l’été, il se rend à Latsa, leur foi. un col où se construit une maison d’ac- cueil, sorte de réplique de l’hospice du Maurice quitte donc à 26 ans son Saint-Bernard. L’été est riant, les travaux Valais chéri. Il ne reverra jamais les siens. avancent dans une ambiance joyeuse. Ce déchirement, le missionnaire l’évoque Il écrit : « N’aimeriez-vous pas de ces sur le bateau qui l’emmène vers l’Asie : « pointes ou de ces creux faire surgir des Cette séparation que nous avons volon- clochers, couvrir le tonnerre des fleuves Chrétiens en prière à Yerkalo 12 biographie

Cet amour du berger pour son Doci (Dominique), son fidèle serviteur troupeau, le Seigneur lui accordera de s’effondre. Maurice tombe à genoux le signer par son sang, réalisant ainsi et lui donne la bénédiction. Les balles pleinement le don pressenti quelques crépitent, il s’écroule. Le missionnaire a années plus tôt : « J’aime beaucoup ces donné sa vie pour ceux qu’il aime ... Marches tibétaines, je leur ai donné mon intelligence, quand le temps sera venu, elles auront aussi mon cœur et ma force, car avec la grâce de Dieu, je veux bien tout m’user, pour ramener à son Centre et à son équilibre ces populations si assoiffées de Dieu. » Le temps du martyre Expulsé de sa paroisse, Maurice entreprend de multiples démarches pour retrouver les siens. Ultimement, il Chrétiens aujourd’hui au Tibet projette d’aller plaider sa cause au loin, jusqu’à Lhassa, sûr que le Dalaï Lama Maurice Tornay a été béatifié par le l’écoutera. Avec quelques compagnons, pape Jean-Paul II en 1993. Aujourd’hui, il se déguise en marchand de thé pour vivant dans la gloire du Ciel, il veut rejoindre une caravane marchande et être pour chacun de nous un précieux voyager incognito vers la capitale. compagnon, en particulier pour ceux qui peinent dans les difficultés... mais aussi Mais son entreprise est démasquée, pour ceux qui doivent lutter contre leur et c’est le retour forcé. À vues humaines, caractère parfois difficile ! Nous pouvons toutes les solutions pour retrouver ses lui demander la persévérance joyeuse, paroissiens ont été épuisées. Ses com- le goût de l’effort et du courage. Nous pagnons d’infortune sont inquiets et fati- lui confions aussi les jeunes générations, gués. C’est le temps de la Croix. « si assoiffées de Dieu », confiant que l’amour du Seigneur Jésus est de toujours Soudain, quatre "lamas" (moines à toujours. bouddhistes) surgissent à l’improviste d’un fourré. Ils sont armés. Deux com- Bienheureux Maurice Tornay, pagnons de Maurice bondissent et se priez pour nous ! cachent pour observer. « Ne tirez pas ! On peut discuter... » Un coup de feu claque : Chanoine VOUTAZ curé d’Orsières (Suisse)

Pour mieux connaître le Bienheureux Maurice Tornay : www.mauricetornay.ch