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NO 33 MAI 2008

était la Base 11/19 / p.51 Chantal Dahan, Jean-Claude Richez La culture populaire au Pôle culture de l’Injep : une histoire de passeurs / p. 57 Gaspar Bouillat-Johnson, Lisa Pignot La liberté en répétition / p.57 Mary Ann De Vlieg Introduction / p.61 Janez Jansa 11 thèses sur N

la liberté en répétition / p. 65 Marko Stamenkovic L’artiste comme exemple à suivre dans les économies néolibérales /p.76 Bojana Kunst O LA REVUE DES POLITIQUES CULTURELLES 33 MAI 2008 Communautés et autres modèles de coopération et d’amitié des années 60 a nos jours /p.82 Jean-Pierre Vincent Michel Guy : un météore ? / p.1 Jean-Pierre Saez Si l’Europe s’ouvre à la culture… / p.3 Edgar Morin Vitalité de la diversité culturelle et mondialisation / p.9 p.85 Pascale Ancel La création contemporaine au regard du droit / p. 87 Daniel Bougnoux Plaidoyer pour le plurilinguisme / p.89 Patrice Meyer-Bisch Les droits culturels enfi n sur le devant de la scène ? / p.14 Patrick Bazin La bibliothèque, une médiatrice ac- Robert Picht Le cosmopolitisme, une nouvelle voie pour repenser l’Europe ? / p.91 Bernard Faivre d’Arcier Coup de projecteur sur les tive des connaissances / p.18 Jean-Luc Bredel, Alain Hayot, Bernard Maarek, Nathalie Moureau, Philippe Teillet, Henri Wetsphal festivals / p.93 Pierre Lévy Internet, révolution économique, politique et culturelle / p. 95 Etienne Féau Exposer l’ailleurs, refl et de Enquête sur les fi nancements publics de la culture en Provence-Alpes-Côte d’Azur / p.22 Guy Saez Politiques culturelles et éducation nos représentations du monde / p.98 Marie-Christine Bordeaux Les départements et l’éducation artistique : un partenariat en émer- populaire. Interaction constante, constant malentendu / p.29 Jean Guibal Cultiver les mémoires du peuple : un enjeu de diversité gence /p.100 Cécile Martin Le soutien des régions au spectacle vivant / p.103 Pascale Chaumet Principaux résultats de la mission culturelle ? / p.32 Les enjeux du dialogue interculturel du quartier à l’Europe / p.36 Nicolas Roméas Un peuple de repérage / p.104 Les formations à l’administration et à la gestion de la culture : bilan, analyse et perspectives d’artistes / p.41 Virginie Foucault Vis + écrou = Boulon : une formule de culture populaire ! / p.47 Guy Alloucherie Au commencement

dossier coordonné par Lisa Pignot et Jean-Pierre Saez LA CULTURE POPULAIRE : FIN D’UNE HISTOIRE ?

22 € NO 33 MAI 2008 Observatoire des politiques culturelles 1, rue du Vieux Temple, 38000 Grenoble [email protected] Tél. 04 76 44 33 26 L’arlequin du cirque Togni Fax 04 76 44 95 00 Dominique Giroudeau www.observatoire-culture.net

ccouv+dosouv+dos 3333 OK.inddOK.indd 1 228/04/088/04/08 14:17:5914:17:59 SOMMAIRE

ÉDITO (1 – 2) TRIBUNE (14 – 17) p.1 : Jean-Pierre Saez p.14 : Patrick Bazin Si l’Europe s’ouvre à la culture… La bibliothèque, une médiatrice active des connaissances

DÉBAT (3 – 13) OBSERVATION CULTURELLE EN REGION (18 – 19) p.3 : Edgar Morin p.18 : Jean-Luc Bredel, Alain Hayot Bernard Maarek, Cécile Martin, Vitalité de la diversité culturelle et mondialisation Nathalie Moureau, Philippe Teillet, Henri Wetsphal p.9 : Patrice Meyer-Bisch Enquête sur les fi nancements publics de la culture Les droits culturels enfi n sur le devant de la scène ? en Provence-Alpes-Côte d’Azur

DOSSIER (21 – 55) DOSSIER IETM (57 – 81) LA CULTURE POPULAIRE : LA LIBERTÉ EN RÉPÉTITION / FIN D’UNE HISTOIRE ? REHEARSING FREEDOM Dossier coordonné par Lisa Pignot et Jean-Pierre Saez Gaspar Bouillat-Johnson et Lisa Pignot p.22 : Guy Saez En partenariat avec l’IETM et le Bunker Politiques culturelles et éducation populaire. constante, p.57 : Mary Ann De Vlieg, Jean-Pierre Saez constant malentendu Introduction / Introduction p.29 : Jean Guibal p.61 : Janez Jansa Cultiver les mémoires du peuple : un enjeu de diversité 11 thèses sur la liberté en répétition / 11 thesis on rehearsing culturelle ? freedom p.32 : Catherine Trautmann p. 65 : Marko Stamenkovic Les enjeux du dialogue interculturel du quartier à l’Europe L’artiste comme exemple à suivre dans les économies p.36 : Nicolas Roméas néolibérales / Artist as a role model in neoliberal economies Un peuple d’artistes p.76 : Bojana Kunst p.41 : Virginie Foucault Communautés et autres modèles de coopération et d’amitié Vis + écrou = Boulon : une formule de culture populaire ! des années 60 à nos jours / communities and other models of cooperation and friendship from the 60’s until now p.47 : Guy Alloucherie Au commencement était la Base 11/19 p.51 : Chantal Dahan, Jean-Claude Richez La culture populaire au Pôle culture de l’Injep : une histoire de passeurs

BIBLIO (82 – 96) SYNTHÈSES D’ÉTUDES (98 – 105) p.82 : Jean-Pierre Vincent p.98 : Marie-Christine Bordeaux Michel Guy : un météore ? Les départements et l’éducation artistique : p.85 : Pascale Ancel un partenariat en émergence La création contemporaine au regard du droit p.100 : Cécile Martin, Jean-Pierre Saez p. 87 : Daniel Bougnoux Le soutien des régions au spectacle vivant Plaidoyer pour le plurilinguisme p.103 : Pascale Chaumet p.89 : Robert Picht Principaux résultats de la mission de repérage Le cosmopolitisme, une nouvelle voie pour p.104 : Cécile Martin repenser l’Europe ? Les formations à l’administration et à la gestion de p.91 : Bernard Faivre d’Arcier la culture : bilan, analyse et perspectives Coup de projecteur sur les festivals p.105 : Philippe Teillet p.93 : Pierre Lévy Libres propos Internet, révolution économique, politique et culturelle AGENDA – COLLOQUES – FORMATIONS (106 – 108) p. 95 : Etienne Féau Exposer l’ailleurs, refl et de nos représentations du monde

ccouv+dosouv+dos 3333 OK.inddOK.indd 2 228/04/088/04/08 14:18:0614:18:06 ÉDITO

Jean-Pierre Saez SI L’EUROPE S’OUVRE À LA CULTURE… Chaque année, l’Union Européenne choisit un thème d’action destiné à sensibiliser gouvernements et citoyens à une cause commune. 2008 est ainsi l’Année Européenne du Dialogue Interculturel (AEDI). Cette initiative témoigne des transformations internes de l’Europe et des nouveaux défi s relationnels qu’elle engendre, mais aussi de la place croissante de la culture dans l’évolution de nos sociétés.

Rapprocher les peuples européens, notamment à travers les cultures qu’ils incarnent est une idée assurément généreuse. Elle vient à point si l’on considère la mobili- sation et l’attente de la société civile qu’elle suscite un peu partout en Europe et en . De très nombreux projets développés dans les champs éducatif, social, artistique, culturel ou économique sont traversés par une dimension interculturelle. S’étant saisis très tôt de cette question, leurs responsables ont le sentiment d’être en phase avec des mutations sociétales essentielles. Mais beaucoup considèrent que leurs actions sont insuffi samment reconnues et trop peu soutenues. Que l’Europe braque le projecteur sur elles est une opportunité pour rendre plus visibles les prati- ques interculturelles, à condition que la lumière ne s’éteigne pas. Cette lumière est d’autant plus précieuse qu’elle pourrait inciter chaque pays européen à se montrer plus audacieux en matière de dialogue interculturel…

TOUT DIALOGUE EST UNE FORME DE NÉGOCIATION

Cette démarche de l’AEDI se situe dans le prolongement de la Convention de l’UNESCO sur la diversité culturelle adoptée en 2005. Tandis que la notion de diversité culturelle insiste d'abord sur la préservation des cultures dans le monde, la notion de dialogue interculturel met l’accent sur la rencontre des cultures comme processus favorisant une meilleure compréhension mutuelle, une ouverture à l’alté- rité, celle des autres comme la sienne propre. Elle pose que la qualité de ce dialogue conditionne celle du vivre ensemble. Certes, dialogue ne signifi e pas nécessairement hybridation des cultures, voire créolisation. Pour E. Glissant, « La créolisation du monde, c’est la création d’une culture ouverte et inextricable, et elle se fait dans tous les domaines, musiques, arts plastiques, littérature, cinéma, cuisine, à une allure ver- tigineuse (...). C’est une façon de se transformer de façon continue sans se perdre. » Parallèlement, A. Appadurai nous rappelle que « tout dialogue est une forme de négociation – et la négociation ne peut pas reposer (…) sur un consensus total qui transcenderait n’importe quelle sorte de frontière ou de différence ». En ce sens, le dialogue interculturel est un risque puisqu’il expose de manière réciproque des dif- férences tout en les invitant à un effort de réfl exivité. Tout dialogue est aussi affaire d’équilibre, comme le rappelle E. Morin dans cette livraison de l’Observatoire.

N’attendons pas de l’Europe qu’elle œuvre pour une culture européenne dont la fi - nalité serait de niveler ses singularités culturelles. Il lui faut au contraire préserver ces singularités et travailler à les relier. Toutefois, cette notion de dialogue interculturel ne doit pas conduire à une lecture exclusivement culturelle de la vie sociale. Réduire les sociétés européennes à des identités culturelles conduirait à une lecture trop simpliste

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec1sec1 228/04/088/04/08 14:21:1614:21:16 voire ethnicisée de l’Europe, alors même que le citoyen européen a cette chance de pouvoir voyager à travers plusieurs cultures en concomitance. Le développement des capacités interculturelles de chacun, voilà précisément l’enjeu auquel l’Europe doit s’atteler dans la dynamique de l’AEDI. Le dialogue interculturel s’élabore à de multiples échelles, de la sphère privée au quartier, du quartier à la métropole. Il traverse les rapports à l’intérieur des nations, entre communautés, nationalités et pays. Il pénètre aussi les champs les plus divers : l’école, le sport, l’entreprise, les médias, les arts, la culture… Quant aux probléma- tiques du dialogue interculturel, elles ne sont pas équivalentes d’un pays à l’autre. Tantôt elles mettent en avant des questions de minorités nationales, régionales ou ethniques, tantôt celles des langues, des religions ou des populations issues de l’im- migration… Une juste politique du dialogue interculturel en Europe doit pouvoir faire écho à cette complexité en fonction de la spécifi cité des situations locales. Elle ne saurait non plus manquer de mettre en débat les frontières de l’Europe, l’inciter à approfondir ses liens symboliques avec le reste du monde. Pour être elle-même, l’Europe ne peut s’enfermer sur elle-même.

Quels seront les lendemains de l’AEDI ? Cette marque d’attention de l’Europe pour une problématique culturelle laisse-t-elle espérer plus qu’un acte de communica- tion ? En tout cas, cette initiative n’est pas isolée. Elle fait suite à l’adoption d’un « Agenda européen de la culture à l’ère de la mondialisation » en 2007, défi ni comme la première stratégie de l’Union Européenne pour la culture. Trois priorités ont été envisagées : encourager la diversité culturelle et le dialogue interculturel, promouvoir la culture comme facteur de croissance et d’emploi, considérer la culture comme élément indispensable des relations internationales. L’élaboration de cet « agenda » s’accompagne d’une concertation inédite des acteurs culturels, no- tamment à travers les plateformes de la société civile pour le dialogue interculturel. L’Europe a besoin d’interlocuteurs. De leur côté, les mondes de la culture, ainsi que les pouvoirs locaux, doivent faire entendre leurs voix et leurs raisons plus clairement en Europe.

Jusqu’ici la culture, toutes additions faites des moyens que l’Europe lui consacre, des fonds structurels au programme Culture, a occupé une place mineure dans la construction européenne. Voici un état de fait dont les gouvernements nationaux ont une large part de responsabilité. Certes, ils contribuent notamment via le fonds euro- péen FEDER au fi nancement de projets culturels – la France a apporté un soutien im- portant au secteur patrimonial par ce biais –. Cependant, ils ne s’étaient pas engagés jusqu’ici à défi nir une stratégie culturelle collective ambitieuse. L’Agenda européen de la culture ouvre des perspectives nouvelles. Les œuvres d’art et de culture, les échanges qu’elles peuvent susciter, constituent des réserves de sens et d’ouverture dont l’Europe pourrait tirer un plus profond bénéfi ce. Mais l’Europe saura-t-elle soutenir un tra- vail d’ampleur en faveur de l’art et de la culture, en acceptant que ses retombées ne se traduisent pas mécaniquement en équations économiques ? Imaginons alors que cette année 2008 se conclue par la présentation d’une charte européenne du dialogue interculturel assortie d’un contrat de l’Europe pour la culture. Ce type de geste repré- senterait pour la citoyenneté européenne un stimulus dont elle aurait bien besoin. La Slovénie puis la France président cette année l’Union européenne et les célébrations de l’Année européenne du dialogue interculturel. Sauront-elles faire en sorte que la culture cesse d’être le parent pauvre du projet européen ?

Jean-Pierre Saez

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec2sec2 228/04/088/04/08 14:21:1714:21:17 DÉBATS VITALITÉ DE LA DIVERSITÉ CULTURELLE ET MONDIALISATION

Entretien avec Edgar Morin

Toute la pensée d’Edgar Morin, depuis plus de cinquante ans, est habitée par la préoccupation de la diversité culturelle. Dans l’entretien exceptionnel qu’il nous a accordé, il expose sa vision de la question à l’ère de la mondialisation.

Jean-Pierre Saez – En quoi le projet des diversités nationales, des diversités début de son parcours scientifi que, il d’une politique de civilisation que sociales et des diversités culturelles. avait totalement intégré le modèle de la vous appelez de vos vœux est-il com- médecine occidentale. Ayant dû traiter patible avec celui de la défense de la L’idée de développement qui s’est impo- de la leucémie, il s’est rendu compte diversité culturelle ? Comment une sée à la planète tout entière est habitée que, dans la médecine traditionnelle politique de l’humanité pourrait-elle par la croyance que tout ce qui vient de chinoise, il y avait un certain nombre de prendre une telle défense ? l’Occident est bénéfi que, tandis que tout pratiques, de recettes, qui pouvaient être ce qui ressort des cultures indigènes est d’un grand secours. Il a déduit de cette Edgar Morin – Au préalable, je souhai- un tissu de superstitions. En réalité, le expérience l’idée que l’on pouvait creu- terais préciser qu’à l’échelle de la planète développement désintègre les solidarités ser une voie qui combinerait l’apport il ne saurait s’agir de mettre en œuvre qui avaient cette capacité de préserver de la tradition médicinale chinoise avec la politique d’une civilisation contre les les structures traditionnelles. Il désin- l’apport de la démarche scientifi que autres, ce qui serait absurde, mais une tègre des sociétés entières. Là où règne occidentale. Mon approche procède de politique des civilisations considérée la monoculture en Afrique, il déporte la la même logique : partout où des sym- comme la construction d’une démarche population rurale, jetée dans des bidon- bioses sont utiles, il faut les réaliser et, cherchant à établir une symbiose entre villes, et crée de nouvelles misères. Les par là même, il faut sauvegarder ce qu’il elles. « alphabétiseurs » méprisent totalement peut y avoir d’authentique et de valable le fait que ceux qu’on alphabétise ont été dans les cultures traditionnelles. Ce que j’ai appelé « politique de l’hu- éduqués, formés dans des cultures orales manité » a pour but de contrecarrer le traditionnelles qui sont, comme toutes C’est la raison pour laquelle j’attache caractère homogénéisateur du dévelop- les cultures, un mélange de sagesse, de une importance particulière à la Décla- pement qui est inspiré par une vision savoir-faire et de superstition en même ration du droit des peuples autochto- purement techno-économique, occi- temps. Nous aussi, Occidentaux, nous nes, adoptée en 2006 par l’ONU, parce dentalocentrée, qu’on applique indif- entretenons nos superstitions, nos pré- que, pour la première fois, elle institue féremment à tous les pays, quelle que jugés. D’où notre diffi culté à construire, un acte de reconnaissance des peuples soit leur singularité, quel que soit leur par exemple, une coopération de la mé- qui sont malheureusement dépourvus état économico social. Cette politique decine occidentale avec des médecines d’État, qui subissent des formes terri- de l’humanité doit chercher à s’adapter traditionnelles, y compris chamaniques ! bles d’exploitation au sein des nations, aux conditions et aux besoins de telle ou Je garde le souvenir d’un médecin-biolo- qui sont, parfois même, en proie à des telle situation, c’est-à-dire qu’elle devrait giste chinois que j’avais connu à l’occa- situations d’extermination aussi bien tenir compte de manière concomitante sion d’un congrès. Il reconnaissait qu’au culturelle que physique ! Le sens de

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec3sec3 228/04/088/04/08 14:21:1714:21:17 cette Déclaration, c’est de lutter pour ché parce qu’elle sont rentabilisées à des mesures de protection, en s’entou- sauvegarder la plus grande diversité l’échelle mondiale. En France, pour évi- rant de fi ls barbelés. En réalité, l’apport culturelle de l’humanité. Diversité à la- ter l’asphyxie de la production cinéma- d’éléments extérieurs peut entretenir quelle participe éminemment ces petites tographique, on a su créer des dispositifs leur propre vitalité. Elles doivent aussi ethnies qui ont élaboré des sociétés, des de soutien originaux qui ont permis de comprendre qu’il est important pour civilisations et des valeurs originales. Je préserver une culture cinématographi- elles-mêmes d’assimiler ce qui vient de suis personnellement très attaché à ce que originale. Il faut aussi faire la part l’extérieur. combat et je suis d’ailleurs membre de des choses : un certain protectionnisme Survival International, qui défend ces culturel peut-être nécessaire, mais il ne En croisant différentes découvertes « petits » peuples. suffi t pas à augmenter la qualité des œu- apparues ces quarante ou cinquante vres quand il n’y a pas le talent… dernières années, on a pu compren- L’idée que je nourris, c’est qu’il faut cher- dre, presque en même temps, que la cher l’osmose entre les civilisations et Il est important de souligner ici qu’il y a diversité des espèces constituait non les cultures, c’est-à-dire se mettre, pour des moyens de défendre les cultures. On seulement un trésor esthétique mais notre part, en situation d’apprendre ce observe, en dépit de grandes diffi cultés, qu’elle représentait aussi un trésor pour qu’il y a d’important chez les peuples in- l’épanouissement d’un cinéma sud-co- la richesse de la biosphère. C’est-à-dire digènes et leur apporter les remèdes sus- réen. Un cinéma chinois s’est également que la diversité crée la complexité et la ceptibles de les sauver. Il y a bien des cas révélé, malgré les conditions de la dic- complexité crée la richesse. En ce qui où il faudrait que l’on puisse proposer concerne l’espèce humaine, nous de- gratuitement l’utilisation des remèdes vons nous rendre compte que son unité élaborés par les laboratoires pharmaceu- Pour moi, universalité et s’est toujours manifestée à travers sa tiques occidentaux. Je songe tout parti- “ diversité. La culture est un phénomène culièrement au traitement antisida dont diversité, loin de se combattre d’humanité, mais personne n’a jamais un certain nombre de pays africains ont sont absolument liées. Il faut vu la culture en soi jaillir de nulle part, un besoin vital, traitement qui leur est reconnaître le tronc commun parce qu’on ne la connaît qu’à travers les inaccessible, pour des raisons de prix, de cultures. La même remarque vaut pour stratégies tarifaires qui les condamnent. d’unités qui a permis aux le langage, un phénomène humain ab- Il faut absolument que nous parvenions diversités de s’épanouir et solument universel, mais qui n’apparaît à instaurer ce que Senghor appelait « le considérer que ces diversités sont qu’à travers les langues, dont l’histoire rendez-vous du donné et du recevoir ». autant de richesses humaines. est faite de divergences et d’emprunts. Voilà la perspective planétaire dans la- ” De même, la musique n’existe qu’à quelle je me situe. Elle considère la di- travers les musiques. Donc, pour moi, versité de l’humanité comme notre bien universalité et diversité, loin de se com- commun. C’est pourquoi, il nous faut la tature. Le génie d’Iñárritu, le réalisateur battre sont absolument liées. Il faut re- sauvegarder. mexicain de 21 grammes et de Babel, l’un connaître le tronc commun d’unités qui des plus grands cinéastes d’aujourd’hui, a permis aux diversités de s’épanouir et J.-P. S. – Qu’est-ce qui différencie les s’est imposé mondialement. On pour- considérer que ces diversités sont autant cultures entre elles dans leur confron- rait citer bien d’autres exemples dans le de richesses humaines. tation avec d’autres cultures ? monde qui témoignent de cette diver- sité merveilleuse qui s’exprime – en dé- J.-P. S. – Vous vous êtes intéressé, dès E. M. – Une culture forte est une culture fi nitive – avec la même technique ! Cela les années 50, aux transformations qui sait intégrer des apports extérieurs montre non seulement que la diversité de la culture sous l’effet des mass me- sans se désintégrer. Une culture faible doit être sauvée, mais qu’elle tend à se dias, des industries culturelles. C’est se désintègre au contact d’apports ex- défendre ! Il faut aider ces défenses. le sujet central de L’esprit du temps térieurs. Parfois, des cultures pourtant publié au début des années 60. Com- pleines de vitalité risquent de périr Chaque culture a ses défauts et ses fai- ment entrevoyez-vous leur relation pour des raisons strictement économi- blesses, ses qualités, ses vertus. Nous ne avec la problématique de la diversité ques. Prenons l’exemple de l’industrie devons pas idéaliser une culture en tant culturelle ? audiovisuelle américaine et de son effet que telle, mais nous devons faire en sorte sur son environnement. Cette industrie que, dans les échanges symbiotiques en- E. M. – Le paradoxe de cette question dispose d’une capacité considérable de tre cultures, le meilleur des unes s’incor- c’est que même un système de pro- diffuser et de vendre des produits, des pore chez les autres. Autrement dit, il ne duction qui est fondé sur les méthodes séries télévisées à travers le monde en- faut pas que les cultures pensent qu’el- les plus industrielles, sur les divisions tier. Elles sont vendues à très bon mar- les vont se sauvegarder uniquement par à l’extrême du travail, et quand bien

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec4sec4 228/04/088/04/08 14:21:1714:21:17 “Il faut absolument que nous parvenions à instaurer ce que Senghor appelait « le rendez-vous du donné et du recevoir ». Voilà la perspective planétaire dans laquelle je me situe. Elle considère la diversité de l’humanité comme notre bien commun. C’est pourquoi, il nous faut la sauvegarder.”

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec5sec5 228/04/088/04/08 14:21:1714:21:17 même il est voué à des fi ns de rentabi- presse féminine lorsqu’elle dit aux fem- développent malgré la banalisation et la lité économique – comme c’est le cas de mes : « l’âge vient, les enfants s’en vont, standardisation générées par les indus- l’industrie du cinéma à Hollywood –, votre mari vous quitte, mais luttez et ré- tries culturelles. un tel système a besoin de création et sistez, soyez fortes... ». On est passé du non de son contraire, sinon il produirait mythe du bonheur à la problématique Le grand changement qui caractérise toujours le même fi lm. L’industrie du du bonheur. C’est un changement très notre époque, c’est qu’il n’y a plus de cinéma a besoin de diversité, d’origina- important dont la charnière se situe à la frontière bien nette entre la culture de lité et c’est pour cela que Hollywood a fi n des années 60. Mai 68 est comme masse et la culture cultivée. À la frontiè- fait appel à des écrivains de la trempe de un moment extrême de cette période re, il y a toutes ces œuvres hybrides dont Faulkner, à des grands créateurs, quitte qui va permettre ce changement. je parle. Malraux lui-même avait déjà re- à les balayer « après usage ». On a vu, levé, avant la seconde guerre mondiale, à Hollywood, des fi lms réalisés sur des Quant à la télévision, quand on observe la valeur d’un Dashiell Hamett qui était modèles apparemment standards se l’évolution des grandes chaînes généra- considéré comme un simple fabricant transformer en modèles archétypiques, listes, on ne peut que constater une pro- d’histoires policières… comme les westerns, et permettre à des gression de la banalisation et la régres- grands réalisateurs comme John Ford de sion de tout ce qui est culturel au sens Il y a, en même temps, une dégradation faire des chefs-d’œuvre. fort du terme. Il y a une époque où je du goût et une élévation du goût. C’est pouvais faire des entretiens d’une demi- un double phénomène qui est très dif- Tout en étouffant bien souvent la créa- heure, voire même d’une heure avec un fi cile à mesurer. De toute façon, dans tion, la machine industrielle et de profi t journaliste. C’était diffusé sur la 2 ou la cette transformation de notre univers a besoin de son antidote intérieur. On 3 vers 23 heures. Mais l’époque où l’on culturel, il y a des choses très positives. retrouve les mêmes ingrédients de cette pouvait développer une argumentation Pour nous autres Européens, la littératu- lutte permanente dans l’industrie de la est complètement passée. Lorsqu’il y a re mondiale c’était le roman anglais, le chanson, tout comme dans de multiples des débats culturels ou littéraires, cela roman russe, la littérature allemande. Le autres domaines culturels. Le même s’apparente beaucoup plus à des shows roman américain s’est imposé plus tard. phénomène est à l’œuvre à Bollywood, où les animateurs espèrent que les inter- On ignorait les œuvres des Tchèques, en Inde, où tous les fi lms ne sont pas locuteurs vont s’engueuler. À l’exception des Serbes, ou de tout autre auteur de exactement les mêmes : il y a aussi des d’Arte, parfois tard le soir, on ne peut petits pays européens. Maintenant, de réalisateurs originaux sur ce continent. plus exprimer des idées élaborées. En nombreuses autres littératures ont pé- même temps, il s’est créé un univers dif- nétré notre univers culturel : le roman L’époque au cours de laquelle j’écris L’es- férencié de chaînes, de canaux (la 5, la latino-americain, le roman chinois, le prit du temps1 correspond à la période chaîne Histoire, la chaîne National Geo- roman japonais… Nous avons vraiment de l’hégémonie du cinéma. Je suis très graphic…) qui représente une sorte de élargi nos références. Il faut dire en conscient, dans ces années-là, que la diversifi cation de l’espace audiovisuel. complément qu’au Japon ou en Chine, culture de masse ce n’est pas seulement on traduit aussi les œuvres occidentales. le cinéma, c’est déjà la télévision nais- La littérature s’est diversifi ée elle aussi : Marx avait dit que le capitalisme crée- sante et c’est aussi les vacances, les loi- des œuvres à forte dimension esthétique rait une véritable culture mondiale. Sa sirs… Autrement dit, un phénomène de côtoient la littérature de gare. L’intelli- prédiction s’est réalisée mais à condition civilisation global se met en place. L’en- gentsia elle-même a compris qu’il y avait d’ajouter en même temps que dans cette semble de ces changements alimente à des qualités esthétiques dans le western culture, il y a des concurrences vives en- l’époque le mythe du bonheur qui s’expri- (à l’époque on disait que ça ne valait tre l’homogénéisation et l’originalité. mait en particulier dans le cinéma à tra- rien). Le fi lm policier a été réhabilité à vers le happy end, mais aussi dans la presse travers le fi lm noir. Le roman policier a J’ai souvent cité le fl amenco comme magazine jusque dans les années 68. lui aussi acquis ses lettres de noblesse. l’exemple même d’une culture à la fois Personnellement, je suis un grand lec- originale et métissée. Le fl amenco, Dans les mêmes années se prépare un teur des romans de Michael Connelly sur moyen d’expression de gitans d’Anda- phénomène de crise culturelle dans le Los Angeles, qui sont non seulement des lousie, a des sources hybrides : indien- monde occidental. Dans le cinéma, cela documents profonds sur la vie d’une cité nes, arabes, juives, etc. Toutes ces in- se traduit par la désintégration du happy américaine mais aussi des œuvres d’art. fl uences se sont intégrées dans le chant end, sous l’infl uence de la nouvelle vague Je suis également fasciné par les romans d’un peuple qui exprime sa souffrance à qui a recours à un cinéma d’auteur plus de Boris Akounine, écrivain géorgien de travers sa musique. L’histoire du fl amen- artisanal et qui n’hésite pas à proposer langue russe… En défi nitive, nous nous co est passionnante à étudier. Dans les des fi lms avec des fi ns tragiques ou équi- apercevons que des formes culturelles années 30, il a commencé à dégénérer voques. Le même état d’esprit traverse la créatives singulières apparaissent et se dans des espagnolades. Sa musique s’est

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec6sec6 228/04/088/04/08 14:21:1714:21:17 alors dégradée, les chanteurs ont fi ni devenue la plus importante au cours des dissement du processus européen et à la par manquer. Longtemps après, on a pu mauvaises années de son histoire. platitude de l’élargissement de l’Europe, assister à une résurrection du fl amenco les deux phénomènes étant liés. Dans en Andalousie parce que des grandes J.-P. S. – Faisons un pas du fl amenco cette crise politique et dans la faiblesse fi rmes de disques comme Ducretet à l’Europe. Aujourd’hui, de plus en des conceptions politiques européennes, Thomson ont produit l’anthologie du plus d’acteurs culturels élaborent des on voit très bien pourquoi la culture cante fl amenco lui-même fondé sur des projets avec l’Europe comme horizon est absente. Seule une politique plus recopilaciónes, c’est-à-dire des reprises de de travail et d’échange. Ces acteurs pensante pourrait considérer qu’il est vieux disques à l’aide de moyens tech- éprouvent le sentiment que les insti- important de faire une plus large place niques permettant de purifi er le son et tutions européennes ne prennent pas à la culture pour construire l’Europe de de retrouver les voix des grands chan- suffi samment la question culturelle demain. Pour cela, il faut aller au-delà de teurs. Tout cela a créé une émulation et à bras le corps. Quel regard portez- ce qui se fait d’intéressant, notamment à travers les échanges universitaires type Erasmus, qu’il faudrait élargir. Je crois “La préservation de la diversité culturelle aussi à la nécessité d’une multiplication des moyens pour favoriser la production en Europe est également liée à la force et la diffusion des connaissances entre les différents pays européens. Pour aller des cultures qui se sont manifestées à dans cette direction, alors que les acteurs culturels y sont prêts, c’est la politique partir des années 60 dans les différentes qui manque. La préservation de la diversité culturelle régions, que ce soit en Bretagne ou dans en Europe est également liée à la force des cultures qui se sont manifestées à d’autres régions européennes. Il faut partir des années 60 dans les différen- tes régions, que ce soit en Bretagne ou remarquer que c’est au moment où le dans d’autres régions européennes. Il faut remarquer que c’est au moment où le breton allait disparaître que les breton allait disparaître que les jeunes jeunes générations ont voulu renouer avec la langue, la musique, la gastrono- générations ont voulu renouer avec mie bretonne. Il est évident que l’État français, jusqu’à cette époque, était un la langue, la musique, la gastronomie grand inhibiteur parce qu’il empêchait de parler breton, même dans la cour de bretonne.” récréation. Aujourd’hui, nous voyons que du point de vue des régions, il y a une renaissance culturelle qui est liée à le fl amenco s’est diffusé à nouveau en vous sur la place de la dimension une renaissance identitaire. C’est une Espagne. J’appartiens, pour ma part, à culturelle dans la construction euro- interprétation trop rigide du projet ré- un club Flamenco à ! Aujourd’hui péenne ? Est-ce que ce pourrait être publicain qui a fait proscrire des langues et depuis un certain nombre d’années, un point d’appui d’un projet politi- régionales. On s’est quand même rendu le fl amenco est marqué par un double que européen ? compte que, quand il y a un festival de mouvement de retour aux sources et de musiques celtiques en Bretagne, ça ne métissage. Il se décline par exemple en E. M. – Je crois d’abord que la faiblesse menace pas l’unité de la République ! fl amenco raï, en fl amenco rock avec les du projet culturel tient à la faiblesse du Gypsie King, etc. Ce qui est remarqua- projet politique européen. La réussite de En ce qui concerne les populations im- ble, c’est que l’on continue en même la part économique du projet européen, migrées, il nous faut comprendre et ac- temps à s’alimenter aux sources profon- au lieu de favoriser la relance du projet cepter le même type de problématique. des de cette musique tout en opérant politique l’a au contraire quasiment ef- Il est tout à fait normal que l’on garde des symbioses, des métissages. Cela en- facé. Nous sommes dans une époque des attaches culturelles, gastronomi- richit le genre tout en réduisant consi- de crise de l’Europe, crise politique qui ques, linguistiques, mais à condition dérablement sa part dégradée qui était tient à l’absence de volonté d’approfon- que cela se fasse dans une perspective

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec7sec7 228/04/088/04/08 14:21:1714:21:17 d’intégration dans la grande nation. Il immigration d’origine européenne, EM – Non, je ne le pense pas. Il faut dire faut rappeler au passage que, sous la d’origine chrétienne, parfois latine (Ita- aussi que toutes les mesures à caractère Révolution, le 17 juillet 1790 marque la lie, Portugal, Espagne, Pologne) à une discriminatoire prises contre les immi- fête des fédérations venues de toutes les immigration beaucoup plus exotique, grés (quotas de reconduite à la frontière, provinces. Que disent-elles alors : nous marquée par le passif de la domination test ADN), se répercutent sur l’ensem- voulons faire partie de la grande nation ! coloniale, de la guerre en Afrique du ble de ceux qui sont ici, mais également Autrement dit, il y avait ce vouloir. Tant Nord notamment mais pas seulement, sur les Français dont les origines sont que ce vouloir existe, l’unité de la Répu- et qui se concentre dans des quartiers multiples. Les séquelles du colonialisme blique n’est pas en danger. urbains pauvres et de plus en plus ghet- restent dans les pratiques quotidiennes. toïsés. En dépit de tous ces facteurs ter- Quand les discriminations continuent Je me souviens d’une discussion avec riblement négatifs, on voit que la force de porter sur la couleur de la peau ou des jeunes descendants d’immigrés, intégrative continue de faire son œuvre. le faciès, il est évident que ceci engen- africains et nord-africains, où l’on voyait À ce propos, on peut remarquer qu’un dre en retour un phénomène de rejet. bien deux types d’attitude se dessiner : chef d’État, de droite, a fait en France ce Un rejeté rejette celui qui le rejette. Pour l’un disait que pour lui, être français, qu’un chef d’État aurait dû faire depuis lutter contre la xénophobie, il faut ap- c’est uniquement une question de carte longtemps, c’est-à-dire nommer des mi- profondir un travail de régénération de d’identité. L’autre mettait en avant son nistres d’origine immigrée, ce qui est un l’idée républicaine. En redonnant à la désir d’appartenir à une communauté et processus tout à fait normal. France sa pleine vocation de patrie des qu’il s’agissait, par là même, d’avoir en droits de l’homme, on contribue à l’in- commun une affi nité, un certain nom- Les immigrés apportent bien des élé- tégration des immigrés. bre de valeurs, parce que nous partici- ments de leur culture au pays : le cous- pons aux joies comme aux malheurs de cous est devenu un produit français ! Il Edgar Morin la communauté à laquelle on appartient, y a eu aussi le rôle des pieds-noirs en Philosophe, sociologue, directeur de recherche émérite au CNRS y compris devant un match de football ! faveur de la diversifi cation de la cuisine Propos recueillis par Jean-Pierre Saez Pour lui, être français c’est participer à française. Elle s’est ainsi agrémentée de Directeur de l’Observatoire des politiques culturelles quelque chose de commun. divers exotismes. Le taboulé s’est fran- cisé, il ne ressemble absolument pas au Dans l’histoire de France où il y a eu taboulé syrien. On pourrait développer des vagues d’immigration très impor- le même type de thèse à propos de la tantes depuis le début du XXe siècle, il pizza, d’ailleurs. En s’universalisant, la y avait un vouloir être Français. Certains pizza ne s’est pas homogénéïsée, elle a arrivaient pour des raisons économi- pris des caractères différents selon cha- DERNIERS OUVRAGES ques, à cause de la misère (les paysans que pays (à La Paz, en Bolivie, on vend PARUS D'EDGAR MORIN italiens, espagnols), mais une fois que « l’authentique pizza de New York ! »). leurs enfants rentraient dans le creuset La France reste la France tant qu’elle Edgar Morin, La méthode, éd. du Seuil, de l’école, de la laïcité républicaine, ils continue de cuisiner l’andouillette, mais coll. Opus, Paris, 2008 (rééd. en 2 vol.). devenaient français à leurs yeux mêmes. c’est très bien qu’elle garde aussi partout Morin Edgar, Vers l’abîme ?, Paris, L’Herne Or aujourd’hui, l’école ne joue plus si des restaurants turcs, chinois, indoné- (« Carnets de l’Herne »), 2007, 181 p.

formidablement ce rôle majeur. Il y a siens, etc. Morin Edgar, Où va le monde ?, Paris, une faiblesse dans la machine à intégrer, L’Herne (« Les cahiers de l’Herne »), qui continue de fonctionner, mais avec J.-P. S. – Vous avez évoqué le vouloir 2007, 108 p.

beaucoup de ratées. Néanmoins, même de l’intégration, ses réussites et ses Hulot Nicolas, Morin Edgar, s’il faut bien appréhender les échecs de faiblesses. La République s’est-elle L’an I de l’ère écologique : la terre dépend l’intégration, il faut aussi considérer les suffi samment réformée pour relancer de l’homme qui dépend de la Terre, Paris, conditions dans lesquelles les migra- une dynamique d’intégration positive Les éditions Tallandier (« Histoire tions ont changé. On est passé d’une selon vous ? d’aujourd’hui »), 2007, 127 p.

Vitalité de la diversité culturelle et mondialisation NOTES 1- Edgar Morin, L’esprit du temps, Éditions du Seuil, 1962.

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec8sec8 228/04/088/04/08 14:21:1714:21:17 LES DROITS CULTURELS ENFIN SUR LE DEVANT DE LA SCÈNE ?

Patrice Meyer-Bisch

On ne peut continuer à développer le respect et la valorisation de la diversité culturelle en ignorant la fonction des droits culturels au sein du système des droits de l’homme. Le faible développement de ce groupe de droits est un trou béant dans le fi let de protection des droits de l’homme.

Ce retard vient partiellement de leur ca- groupe, d’exercer librement des activi- en question de beaucoup de neutralités ractère très sensible au cœur de toutes tés culturelles pour vivre son processus, qui, sous prétexte quelles relèvent de la les questions les plus disputées sur le jamais achevé, d’identifi cation. La réali- raison universelle, étaient considérées fondement des droits de l’homme et de sation de ces droits permet à chacun de comme « au-delà » des cultures. Il s’agit la démocratie : les liens entre modernité se nourrir des œuvres et activités cultu- notamment des neutralités de l’ État, du et culture. Les droits culturels condui- relles comme de la première richesse marché et de l’information (espace pu- sent à repenser la modernité du sujet sociale ; ils constituent la matière de la blic). Face à la raison universelle, « une » en tenant compte de ses liens cultu- communication, avec autrui, avec soi- culture était nécessairement particula- rels, non plus comme des entraves mais même, par les œuvres. riste. L’aveuglement de cette opposition, comme des ressources. S’appuyant sur son oubli de l’histoire, fait place pro- une conception large de la culture, ils LE TOURNANT POLITIQUE : gressivement à la diversité culturelle en peuvent être brièvement défi nis comme tant que vivier d’universalité et de mo- les droits d’une personne, seule ou en LA DIVERSITÉ CHANGE dernité. La diversité culturelle ne peut DE CAMP être réduite aux marges d’interpréta- tion, encore moins aux exceptions. Ces Alors que la diversité culturelle L’adoption, en septembre 2001, de la trois neutralités prétendues demandent “ Déclaration universelle de l’UNESCO à être déconstruites, « reculturées », afi n était considérée comme un frein sur la diversité culturelle puis, en 2005, de respecter et réhabiliter la diversité des au développement, un obstacle à de la Convention sur la protection et la ressources culturelles de toute construc- la modernité et donc au progrès, promotion de la diversité des expressions tion démocratique et, ce faisant, libérer culturelles, représente, symboliquement, ses capacités de progrès. à la science et à la démocratie, le grand virage politique du début de ce elle est aujourd’hui de plus siècle. Alors que la diversité culturelle « Les individus veulent être libres de en plus comprise comme une était considérée comme un frein au dé- prendre part à la société sans avoir à se veloppement, un obstacle à la moder- détacher des biens culturels qu’ils ont ressource pour chacun de ces nité et donc au progrès, à la science et choisis. C’est une idée simple, mais pro- domaines et pour la paix. à la démocratie, elle est aujourd’hui de fondément perturbatrice. » Pourquoi le ” plus en plus comprise comme une res- Rapport du PNUD déclare-t-il que cette source pour chacun de ces domaines et idée est perturbatrice ? Elle bat en brè- pour la paix. Cela signifi e une remise che la prétention à la neutralité cultu-

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec9sec9 228/04/088/04/08 14:21:1714:21:17 relle (ou au monoculturalisme national) la perspective personnaliste des droits que de la nature et des conséquences de de l’État, ce qui revient au même. Cela de l’homme, il y a bien deux pôles : les leur violation, tel est le meilleur moyen signifi e que l’exercice de la citoyenneté personnes et les milieux culturels, mais d’empêcher qu’ils soient utilisés en fa- ne se réduit pas aux droits civils et so- non l’individu et le collectif, comme s’il veur d’un relativisme culturel, allant à ciaux, il implique une reconsidération y avait symétrie. l’encontre de l’universalité des droits de des droits culturels. l’homme, ou qu’ils deviennent prétex- Le personnalisme des droits de l’hom- tes à dresser des communautés, voire Mais toute diversité culturelle n’est pas me ne signifi e pas cependant un mé- des peuples entiers, les uns contre les bonne, encore faut-il qu’elle soit au ser- pris du tissage social et de la valeur des autres. vice des droits de l’homme. Les droits œuvres et des communautés que les culturels sont en première ligne, car ce droits culturels mettent aujourd’hui en Dans les textes normatifs ils sont ac- sont les outils qui permettent de garan- lumière. Les références culturelles sont tuellement, et pour l’essentiel, compris tir le bon usage de la diversité au ser- des liens intra- et inter- personnels, elles dans le droit de participer à la vie cultu- vice de la dignité humaine, universelle, sont les sources de toute identifi cation, relle et dans le droit à l’éducation. Il faut singulièrement présente en chacun et personnelle et commune. Ce qui est ajouter à cela les dimensions culturelles développée grâce à ses ressources cultu- culturel est ce qui relie par le sens, ce qui des libertés classiques : les libertés d’opi- relles. La diversité culturelle n’est pas permet la circulation du sens. Une activité nion, de pensée, de conscience et de un but en soi mais c’est une ressource à est culturelle dès lors qu’elle ne se réduit religion, d’expression et d’association. préserver. L’exercice des droits, libertés pas à une production mais contribue à Ces libertés ont du savoir pour matière. et responsabilités culturels constitue la la communication, en tant que « por- Le droit de participer à la vie culturelle fi n et aussi le moyen de cette préserva- teuse d’identités, de valeurs et de sens » est un dénominateur commun qui re- tion et de ce développement, car cela selon l’expression de la Convention. Par couvre toutes les activités culturelles, signifi e que chacun peut participer à exemple, la dimension culturelle du y compris les libertés linguistiques et cette diversité, y puiser des ressources et droit au travail désigne sa valeur de li- le droit d’accès aux patrimoines. Mais contribuer à son enrichissement. berté et de création, ce qui fait du travail cela n’est pas encore très explicite ; la une activité authentiquement humaine. cohérence des droits culturels n’est pas Les références culturelles ne sont pas des suffi sante : leur défi nition est émiettée. LE LEURRE DU DIALOGUE simples composantes qui s’ajouteraient Ils sont tiraillés entre droits civils et po- DES CULTURES à des besoins dits « primaires », elles litiques, droits économiques et sociaux, relient l’ensemble des activités. C’est encore souvent réduits aux droits des pourquoi les droits culturels, « conduc- minorités. Ce manque de défi nition et Les « cultures », comprises comme tota- teurs de sens », renforcent et relient les de protection constitue une faille face lités homogènes, sont les leurres sociaux autres droits à leur fondement com- aux guerres qui se développent souvent les plus dangereux, sources de toutes les mun : la dignité sous ses mille et une sur le terrain des violences identitaires, discriminations, ingrédients indispensa- formes. La dignité est individuelle et ne et de la pauvreté qui perdure en bonne bles des guerres et de la permanence des peut en aucun cas être relativisée à quoi partie à cause du mépris des ressources pauvretés. Les « cultures » n’ont pas as- que ce soit qui la dépasserait, mais elle culturelles des personnes dans leurs mi- sez de consistance pour être « personna- est inconcevable sans ses modes de fi - lieux. La Déclaration de Fribourg rassem- lisées » au point de parler de « dialogue liation, de transmission, ses écoles, ses ble et explicite les droits déjà reconnus des cultures » : seules les personnes peu- communautés, ses patrimoines, ses mé- de façon dispersée dans de nombreux vent dialoguer, avec leurs cultures brico- dias, ses musées, etc. instruments. Leur présentation en un lées. Seuls existent des milieux culturels seul texte devrait contribuer à leur composites (comme le sont les milieux éclaircissement et à leur développement écologiques), plus ou moins riches d’œu- NÉCESSITÉ D’UNE ainsi qu’à la consolidation du principe vres culturelles auxquelles les personnes CLARIFICATION de l’indivisibilité. peuvent faire référence. Par « œuvres culturelles » ou « biens culturels », on Les droits culturels désignent les peut entendre des savoirs (être, faire, Les droits culturels ont été souvent droits, libertés et responsabilités transmettre) avec leurs supports : des présentés en opposition ou en marge pour une personne, seule ou en grou- choses et des institutions, organisations des droits de l’homme, alors qu’ils en pe, avec et pour autrui, de choisir et ou communautés. C’est la personne qui sont partie intégrante conformément d’exprimer son identité, et d’accéder est au centre et qui choisit et compose au principe d’indivisibilité. Une clari- aux références culturelles, comme à son milieu culturel avec les références fi cation de leur défi nition au sein du autant de ressources nécessaires à son auxquelles elle peut avoir accès. Dans système des droits de l’homme, ainsi processus d’identifi cation. Ce sont les

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec10sec10 228/04/088/04/08 14:21:1714:21:17 droits qui autorisent chaque personne, des œuvres et lui enseignent les diffi - vres culturelles. Cela signifi e que l’accès seule ou en groupe, à développer ses cultés d’interprétation. Il s’agit autant à l’objet suppose une discipline. Chaque capacités d’identifi cation, de communi- de diversité que de qualité de choix : la « objet culturel » – un savoir porté par cation et de création. Les droits culturels diversité permet la liberté de choix, la une communauté, une tradition, un constituent les capacités de lier le sujet à qualité des références permet la liberté livre, une architecture – possède une d’autres grâce aux savoirs portés par des d’être ou d’épanouissement à travers cohérence qu’il convient d’apprendre personnes et déposés dans des œuvres (cho- une discipline culturelle maîtrisée ; la à connaître, sans quoi ces objets sont ses et institutions) au sein de milieux dans richesse ajoute la dimension qualitative inaccessibles ou non respectés. Une lesquels il évolue. Voici une argumenta- à la diversité. La richesse culturelle se liberté devient culturelle lorsqu’elle est tion en trois moments. mesure alors au nombre, à la résistance cultivée, c’est-à-dire qu’elle a su maîtriser a. Les références culturelles, dans leur di- et à la souplesse de ces liens appropriés. une discipline et son langage, quitte à s’en versité, sont des capacités de lien à soi-mê- Une œuvre est outil de liaisons, « mé- affranchir ensuite. Sans recherche d’une me et à autrui, par des œuvres. tier à tisser », un témoin précieux qu’il vérité commune – celle du respect b. Les identités sont des nœuds composés convient d’entretenir, de transmettre et commun de la discipline partagée – les de références choisies par chaque per- de développer. libertés des individus perdent leur sens sonne ; nul ne peut l’assigner à une seule et ne peuvent communiquer : elles sont référence. abandonnées à l’arbitraire et à l’anarchie c. Les droits culturels constituent les capa- LA NOTION CENTRALE du relativisme culturel. cités de lier le sujet à ses œuvres, autre- DE « RESPECT CRITIQUE » ment dit, ils rendent le sujet capable de L’usage d’une liberté peut alors être puiser dans les œuvres comme autant considéré comme régressif, s’il méprise de ressources indispensables à son dé- Là est le point crucial des droits culturels. les savoirs acquis, alors qu’il est progressif veloppement. Par exemple, le droit à Il ne suffi t pas de protéger l’individu si s’il s’appuie sur eux, y compris pour les la langue n’est pas qu’un droit parmi on ne porte pas aussi l’attention sur ses critiquer. Les savoirs acquis constituent d’autres, c’est l’accès à une capacité qui liens appropriés. Le respect des libertés du un seuil d’intelligibilité commune : ouvre sur toutes les autres. Tel est l’effet sujet suppose la considération des œu- l’état d’une rationalité en chantier qui de levier ou effet déclencheur des droits vres. La question est posée aujourd’hui n’est pas un ensemble d’énoncés que culturels : l’accès aux ressources. C’est aussi bien dans le cas des « faussaires de personne ne peut embrasser, encore au sujet de décider quelles sont les ré- l’histoire », ceux qui portent atteinte à la moins une idéologie, c’est plutôt un férences qu’il juge nécessaires, mais il a dignité de la mémoire, que dans le cas du métier, un habitus. Par « respect criti- besoin de s’appuyer sur des personnes « dénigrement » des religions. Il s’agit de que» ou « considération », nous enten- et des institutions d’enseignement et de protéger à la fois les libertés intellectuel- dons que l’attitude critique par rapport communication qui lui donnent accès à les et la qualité des références aux œu- à un savoir, un patrimoine, une activité “Les droits culturels sont en première ligne, car ce sont les outils qui permettent de garantir le bon usage de la diversité au service de la dignité humaine, universelle, singulièrement présente en chacun et développée grâce à ses ressources culturelles.”

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec11sec11 228/04/088/04/08 14:21:1714:21:17 “Les violations des droits culturels sont une humiliation des plus fondamentales et le gaspillage social le plus radical : les hommes sont séparés des ressources de liaison, de recueil”.

ou une institution, n’est légitime que si de la discipline concernée, quitte à les présentes dans le milieu, ainsi que d’al- elle se fonde sur le principe de la bonne contester. Il est permis et souhaitable de ler puiser dans d’autres milieux. L’iden- foi dans la recherche du raisonnable. critiquer, il est interdit de faire comme tifi cation est l’acte par lequel chacun re- si on possédait le savoir, la science connaît et voit reconnaître ses capacités, Le droit au « respect critique », non seu- exacte, la juste doctrine politique. Tel à la fois d’épanouissement personnel et lement permet et tolère, mais appelle la est le commandement fondateur de la de liaison à autrui, cet acte est donc un libre critique : la référence devient elle- démocratie : l’obligation de s’exposer à préalable à l’exercice de tout autre droit. Il même aveugle et liberticide si l’espace la critique ouverte et l’interdit de faire signifi e cette capacité d’interface entre d’interprétation, de critique et d’adap- comme si on était au-dessus. C’est soi, les œuvres et les autres, sans laquel- tation n’est pas garanti et régulièrement fort, et tant pis pour les relativistes, car le l’individu est esseulé, tronqué de ses occupé. Le respect critique est précieux c’est le prix de la considération pour le propres membres. C’est en ce sens que pour protéger l’œuvre de critiques d’ar- culturel. Joseph Wresinski reconnaît aux droits bitraires. Comment distinguer celles-ci culturels un effet de levier : si l’individu, des critiques respectueuses ? Seul le dé- seul et en commun, reconnaît et voit bat public régulièrement institué entre LES LEVIERS DU reconnaître ses capacités, dans les liens les différents acteurs rassemblant les DÉVELOPPEMENT possibles avec les capacités de son mi- connaissances disponibles, peut authen- lieu, alors les autres droits humains de- tifi er des limites raisonnables ainsi que viennent « inéluctables », car les ressour- les marges d’appréciation. L’exercice du Tous les droits de l’homme sont des ces sont appropriées au double sens du respect critique est également précieux facteurs de développement puisqu’ils mot : logique (elles sont adéquates à ses pour protéger l’œuvre collective (com- garantissent l’accès à divers droits, dé- capacités) et actif (elles sont reconnues munauté, institution) de sa propre sclé- gagent des libertés et autorisent des et incorporées par le sujet). Notre défaut rose : non seulement la critique ration- responsabilités. Mais parmi ces droits, consiste à penser les ressources comme nelle vigoureuse est tolérée, mais elle est les droits culturels sont plus encore des extérieures au sujet alors qu’elles sont souhaitée. La condition de respect criti- leviers permettant de prendre appui sur les d’abord en lui ; les droits culturels per- que ne s’oppose donc pas à l’exercice de savoirs acquis car ils garantissent le libre mettent au sujet d’incorporer les œu- la libre critique, elle en est au contraire accès aux références et aux patrimoines. vres, non pas seulement de puiser dans la base raisonnable et la condition de En synthèse, l’argument est celui-ci : un capital de ressources à disposition, ce légitimité : elle permet d’ouvrir la dis- les droits culturels peuvent être défi nis qui est déjà pas mal, mais de reconnaître cussion et donc la libre critique dans comme des « capacités de capacités », et libérer ses propres ressources en adé- la connaissance des « règles de l’art » les capacités de se saisir des capacités quation avec les ressources externes.

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec12sec12 228/04/088/04/08 14:21:1814:21:18 A CONTRARIO : sont sans activité (même si elles ont Il faut oser regarder en face la « pauvreté LES VIOLATIONS DES un emploi), sans utilité sociale ; si elles culturelle », non pas le jugement d’un exécutent des tâches, celles-ci sont pour groupe sur un autre, mais la situation DROITS CULTURELS elles dépourvues de sens, de liberté et de personnes et de communautés dont d’avenir ; elles ne peuvent formuler de l’accès aux ressources culturelles qui A contrario, l’effet paralysant des vio- projet ; elles ne peuvent pas faire l’expé- sont nécessaires à l’exercice de tous leurs lations des droits culturels révèle une rience de rencontrer les autres par la re- droits, est interdit ou défi cient. gravité extrême, largement négligée. connaissance et le partage des œuvres. L’homme pauvre et l’homme violenté, Leur soif de rencontre, de beauté, de En retour, la gravité des violations fait ne peuvent accéder aux libertés que reconnaissance et d’utilité pour autrui apparaître l’effet de levier étonnant des s’ils peuvent s’approprier les liens avec est sans objet. L’homme pauvre est un droits culturels : il ne s’agit plus de lutter les réserves de culture, les « capitaux homme humilié parce que son identité contre une pauvreté qui serait comme un culturels », fournisseurs et révélateurs est niée, enfermée et ignorée. L’analpha- trou noir, mais de respecter et connec- de sens. Sans cet accès à la capacité de bète, dans un monde où tout s’écrit ; ter les ressources présentes, en premier trouver du sens à l’existence, les aides c’est celui qui n’a jamais éprouvé la les ressources humaines avec celles des diverses tombent à plat, elles restent possibilité de l’expression ; celui qui n’a patrimoines. Il convient avant tout de extérieures ; elles ne peuvent atteindre jamais été bouleversé par une œuvre ; faire l’éloge de la richesse, si souvent la source de croissance des capacités. En celui dont le travail n’est que répétitif et gaspillée. Les droits culturels ne sont outre, la ressource que lui-même pour- aliénant. alors qu’un nouvel accomplissement de rait constituer pour autrui est perdue. Les violations de ces droits empêchent la modernité, une confi ance plus auda- Les violations des droits culturels sont le respect de tous les autres droits, car cieuse dans les ressources de chaque être une humiliation des plus fondamentales elles atteignent directement l’intégrité humain, et notamment de sa capacité à et le gaspillage social le plus radical : les de la personne en ce qu’elle a de pro- créer du nouveau tissu social. hommes sont séparés des ressources de pre : son identité. Ce sont autant de liaison, de recueil. négations des capacités du sujet à vivre Patrice Meyer-Bisch Observatoire de la diversité et des droits culturels, son processus libre et jamais achevé Institut Interdisciplinaire d’Éthique et des Droits de La pauvreté culturelle d’une personne d’identifi cation. La pauvreté culturelle l’Homme (IIEDH), et Chaire UNESCO ou d’une communauté se reconnaît à la est la base des autres dimensions de la pour les droits de l’homme et la démocratie. [email protected] pauvreté des références culturelles aux- pauvreté ; elle empêche de sortir de l’en- http://www.unifr.ch/iiedh quelles elle a accès ; cela se traduit par un chaînement des précarités et fait obsta- http://www.droitscullturels.org manque de capacités à se lier aux autres, cle à tout développement individuel et aux choses et à soi-même. C’est : collectif. Il faut oser le normatif, celui du – un dénuement car les personnes se respect mutuel de la diversité et de l’uni- trouvent dépourvues de liens, versalité, l’une par l’autre, à l’inverse du – un désœuvrement, car les personnes relativisme comme de l’ethnocentrisme.

Les droits culturels enfi n sur le devant de la scène ? NOTES 1– Cette présentation peut être considérée comme un commentaire de la « Déclaration de 4– Article 27 de la Déclaration Universelle des droits de l’homme de 1948 et article 15 du Fribourg » relative aux droits culturels, et au programme d’observation des droits culturels Pacte international des droits économiques, sociaux et culturels. mené par l’Observatoire de la diversité et des droits culturels. Voir sur le site : www.droits- 5– Cette défi nition est celle qui sera publiée dans le Commentaire, à paraître. culturels.org. La défi nition de la culture utilisée est celle-ci : « le terme “culture” recouvre 6– « l’expression “identité culturelle” est comprise comme l’ensemble des références cultu- les valeurs, les croyances, les convictions, les langues, les savoirs et les arts, les traditions, relles par lequel une personne, seule ou en groupe, se défi nit, se constitue, communique et institutions et modes de vie par lesquels une personne ou un groupe exprime son huma- entend être reconnue dans sa dignité; » Déclaration de Fribourg, art.2, b. nité et les signifi cations qu’il donne à son existence et à son développement ; » (art. 2, a) 7– « L’action culturelle est effectivement primordiale. Elle permet de poser la question de Cette Déclaration se présente comme un texte « issu de la société civile » et chacun peut l’exclusion humaine d’une manière plus radicale que ne le fait l’accès au droit au logement, y adhérer en ligne. au travail, aux ressources ou à la santé. On pourrait penser que l’accès à ces autres droits 2– Sur les liens entre exception culturelle et « exception française », voir le numéro 16 de devient inéluctable, lorsque le droit à la culture est reconnu. » Joseph Wresinski, Culture et Cosmopolitique : Une exception si française, 2007, Paris, Apogée. grande pauvreté, Paris, 2004, éd. Quart Monde, p. 40. 3– PNUD, 2004 : Rapport mondial sur le développement humain. La liberté culturelle dans un monde diversifi é, Paris, Economica, p.1.

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec13sec13 228/04/088/04/08 14:21:1814:21:18 TRIBUNE LA BIBLIOTHÈQUE, UNE MÉDIATRICE ACTIVE DES CONNAISSANCES

Patrick Bazin

Pendant des siècles, le rôle principal des bibliothèques a été de collecter des livres, de les conserver et de les rendre accessibles physiquement, soit par la consultation sur place soit par le prêt. Le rôle du bibliothécaire n’était donc pas d’intervenir sur les contenus des livres et, encore moins, de produire lui-même des Patrick Bazin Conservateur Général informations ou des connaissances. Son rapport aux contenus des bibliothèques, se limitait à la dérivation de données bibliographiques suscepti- directeur de la Bibliothèque municipale bles de faciliter le classement et le repérage des ouvrages. de Lyon, président de l’Institut d’Histoire du Livre et de Doc Forum, ien sûr, le bibliothécaire avait tout à travers leurs choix et leurs façons de vice-Président de l’Agence Rhône- Bde même intérêt à s’intéresser aux valoriser les livres, à façonner la culture Alpes pour le Livre contenus s’il souhaitait aider effi cace- des communautés qui les fréquentaient. et la Documentation ment les lecteurs dans la recherche des Mais l’infl uence culturelle des bibliothè- et de l’Association ouvrages les plus pertinents. Il pouvait ques a toujours été seconde, indirecte. des Directeurs de même être amené à organiser des expo- Elle a toujours consisté à offrir au public Bibliothèques de Grandes Villes. sitions ou des manifestations culturelles – qu’il s’agisse du grand public ou des Derniers articles parus : et à publier des catalogues ou des actes publics spécialisés – ce que celui-ci était – Après l’ordre du livre de colloques afi n de mettre en valeur di- en droit d’attendre, à un moment donné, (Médium, n°4, 2005) vers aspects de ses collections. Il pouvait en fonction de l’état des connaissances – L’Avenir incertain des bibliothèques aussi, accessoirement, se livrer à des re- et d’un certain consensus culturel. Leur (Synergies Pérou, n°2, cherches personnelles et devenir expert ambition était de refl éter de façon équi- 2007) dans un domaine particulier. Mais, son librée l’état des connaissances, des idées, – Le Livre face à l’écran cœur de métier n’était, en aucun cas, de des sensibilités, dans le respect de leur (Colloque L’Avenir du transformer les contenus dont il avait la diversité. Autrement dit, le rôle culturel livre, 2007) charge et, a fortiori, de proposer ses pro- spécifi que des bibliothèques ne pouvait pres contenus. s’exercer qu’à travers une neutralité de ducteurs de contenus et bibliothécaires, principe et, donc, une absence d’inter- a commencé à voler en éclats dès les Certes, le simple fait d’avoir à sélection- ventionnisme vis-à-vis des contenus. années 90, avec le développement des ner des livres en fonction d’un budget nouvelles technologies de l’information d’acquisition et d’un public particulier LE BIBLIOTHÉCAIRE et de la communication (NTIC) et sur- ou à choisir un système de classement tout de l’Internet. Le développement plutôt qu’un autre donnait au biblio- PRODUCTEUR DE CONTENUS des NTIC a transformé profondément thécaire une certaine capacité à infl uer la problématique de l’accès aux docu- sur les contenus. On peut même affi r- Cette répartition des rôles, multisécu- ments, posant ainsi aux bibliothèques mer que les bibliothèques, surtout les laire, entre production de contenus et des questions totalement nouvelles et bibliothèques publiques, ont contribué, mise à disposition de ceux-ci, entre pro- les mettant face à de nouveaux défi s.

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec14sec14 228/04/088/04/08 14:21:1814:21:18 “les bibliothèques doivent apprendre à intervenir sur le terrain des contenus et non plus seulement sur celui des outils, elles doivent aider le public non plus seulement à trouver le bon document mais à acquérir et organiser les connaissances les plus pertinentes. Le management des connaissances devient leur « nouvelle frontière ».”

Les principaux défi s étaient les suivants : • Il ne suffi sait plus de se contenter d’un Simultanément, le monopole des bi- ensemble de documents circonscrit en bliothécaires sur l’accès aux documents • Il ne s’agissait plus simplement de ras- amont par la recherche bibliographique. tendait à disparaître. En effet, cet accès sembler et de mettre en ordre, au sein de Il devenait possible, donc nécessaire, de devenait de plus en plus aisé et, donc, chaque bibliothèque, un sous-ensemble relier n’importe quelle séquence d’in- de plus en plus répandu. Aujourd’hui, représentatif d’une production de docu- formation à n’importe quelle autre (et n’importe qui peut accéder, par lui- ments stables conditionnés par les édi- quelle que soit sa forme : texte, image même et sans se déplacer, à une di- teurs (les livres). Il devenait nécessaire ou son) en fonction de tous les points versité exponentielle d’informations de donner accès, à l’extérieur de la bi- de vue possibles et de construire, ainsi, et de connaissances. N’importe qui bliothèque, via Internet, à une quantité grâce aux possibilités de l’hypertexte, peut archiver par lui-même ses pro- de documents potentiellement infi nie, autant de parcours de recherche que de pres données et les rendre largement en évolution constante et pas forcément points de vue adoptés. accessibles. Mieux : n’importe qui peut contrôlés par des éditeurs. aisément échanger avec d’autres per- Dès lors, la séparation nette, qui avait pré- sonnes partageant les mêmes centres • Il ne suffi sait plus d’ordonner des valu jusqu’alors, entre contenus et outils d’intérêt. Autrement dit, les fonctions contenus en restant à la surface de d’accès, entre recherche documentaire et d’accès, de traitement documentaire ceux-ci (la page de titre et une lecture traitement des contenus, voire, même, et de socialisation du savoir ne sont en diagonale) et en fonction de critè- entre usage et création des contenus, plus l’apanage des bibliothèques. De res prédéterminés comme les thésauri. commençait à s’estomper. Le bibliothé- plus en plus d’individus, de commu- Il devenait possible, donc nécessaire, caire devait commencer à « entrer » plus nautés, d’entreprises, d’associations et de donner directement accès, au-delà profondément dans les contenus et à en d’institutions les mettent en œuvre et de la notice bibliographique, aux sé- suivre l’actualité de façon plus précise s’il les maîtrisent, détruisant un peu plus, quences d’informations constituant voulait vraiment être utile aux usagers de chaque jour, le monopole des biblio- les contenus, de considérer le contenu la bibliothèque, s’il voulait pouvoir les thèques et forçant celles-ci à redéfi nir même du document comme son pro- aider dans la construction d’un parcours ce qui constitue réellement leur valeur pre index. de recherche. ajoutée spécifi que.

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec15sec15 228/04/088/04/08 14:21:1814:21:18 Le triomphe de la fonction documen- siner et de prétendre organiser un maxi- recherche leur donne un savoir-faire in- taire à laquelle nous assistons en ce mum de document). Mais les bibliothè- comparable. moment à l’échelle planétaire – ce que ques ne pourront assurer ce rôle qu’« en je propose d’appeler la « bibliothécarisa- prouvant le mouvement en marchant », Les réponses sont immédiatement tion » du monde – oblige les bibliothè- c’est-à-dire en manageant et en produi- publiées et consultables par n’impor- ques, si elles veulent continuer à jouer sant elles-mêmes des connaissances. te qui. Ce troisième principe est fonda- un rôle utile dans la société de l’infor- mental car c’est lui qui fait du GdS non mation et de la connaissance, à dépla- C’est ce que la Bibliothèque municipale seulement un service personnalisé, mais cer vers le haut leur niveau d’exigence. de Lyon (BML) tente de faire, depuis un outil de partage des connaissances. Face à une technologie de l’accès et du quelques années, en développant de traitement qui, désormais, se développe nouveaux services comme le Guichet du Les réponses sont capitalisées dans indépendamment d’elles et face à un Savoir ou Point d’actu. une base de connaissance qui vient public de plus en plus expert, les biblio- enrichir l’offre générale de la biblio- thèques doivent apprendre à intervenir thèque. Le GdS fonctionne ainsi com- sur le terrain des contenus et non plus LE GUICHET DU SAVOIR me une encyclopédie dynamique. Cel- seulement sur celui des outils, elles doi- le-ci est accessible soit séparément soit vent aider le public non plus seulement Créé en avril 2004, le Guichet du Sa- en même temps que les autres bases de à trouver le bon document mais à ac- voir (GdS) est un service qui répond, en données de la bibliothèque grâce à notre quérir et organiser les connaissances les moins de 72 heures, aux questions des méta-index Catalog+. Autrement dit, la plus pertinentes. Le management des usagers via Internet. Il repose sur les 5 création de contenus réalisée par les bi- connaissances devient leur « nouvelle principes suivants : bliothécaires en fonction des demandes frontière ». concrètes des usagers vient enrichir l’of- Toutes les questions sont acceptées. fre documentaire. C’est précisément ce Cependant, il est une illusion dont les bi- Tous les sujets, tous les niveaux d’ap- processus de rétroaction et d’élargisse- bliothèques doivent se garder. Leur rôle proche et toutes les formulations sont ment qui nous semble en phase avec les dans le management des connaissances admis (à l’exception, bien sûr, des de- nouveaux réseaux du savoir et une voie ne peut pas, ne peut plus, consister à mandes de consultation médicale ou d’avenir pour les bibliothèques. bâtir une encyclopédie des connaissan- juridique). L’idée de base est que toute ces comme on construit une collection question, même celle qui peut sembler Le GdS est indépendant du site web de livres. Elles n’ont plus vocation à la moins sérieuse ou la plus maladroite, de la bibliothèque. Bien que relié au englober « tous les savoirs du monde », révèle un désir de connaître et peut re- site, il a sa vie propre, renforcée par le pour reprendre le titre de l’exposition cevoir, de toute manière, une réponse fait que c’est une marque déposée. En inaugurale de la Bibliothèque nationale intéressante. effet, nous ne souhaitions pas l’asso- de France (1995). D’abord, le projet cier à l’image d’une bibliothèque, mais, même d’une encyclopédie est devenu Le GdS donnent des réponses préci- au contraire, le promouvoir comme obsolète, car le foisonnement exponen- ses. Certes, des orientations bibliogra- un pur service de questions/réponses, tiel des connaissances et des points de phiques viennent les enrichir et elles avec l’idée que ce soit lui qui, dans un vue la rend aujourd’hui impossible. En- sont rédigées à partir de sources citées deuxième temps, promeuve et enrichis- suite, la « bibliothèque » de toutes ces et validées mais elles doivent être suffi - se la bibliothèque. connaissances est devenue la totalité du samment précises et complètes pour se système mondialisé des réseaux du sa- suffi re à elles-mêmes. C’est en accompa- Au bout de trois ans et demi de fonc- voir, un système qui dépasse largement gnant l’usager dans sa recherche précise tionnement, les résultats ont largement en richesse et en activité chaque biblio- et en lui apportant une réponse concrète dépassé nos espérances avec plus de thèque et, même, l’ensemble du réseau que la bibliothèque peut le mieux jouer 20 000 réponses produites, 1,3 millions des bibliothèques. Un système qui n’in- son rôle pédagogique et donner l’envie, de visites par an et près de 2 millions de clut pas seulement des documents et le cas échéant, d’aller plus loin. réponses lues. des outils de recherche, mais, aussi, des acteurs qui en sont en même temps les Les sources utilisées par les bibliothé- Mais le principal succès du GdS réside usagers. C’est pourquoi le rôle futur des caires sont citées et validées. C’est ce dans la valorisation et le développement bibliothèques sera, à la fois, plus modes- principe qui légitime le rôle des biblio- des compétences des 80 bibliothécaires te et plus exigeant qu’auparavant. Il sera, thécaires. Bien que n’étant pas experts qui y participent. Grâce au GdS no- avant tout, d’aider les gens à devenir des dans chaque domaine, ils ont une ex- tre bibliothèque a véritablement opéré acteurs performants dans la société de pertise de la recherche documentaire et, une révolution culturelle qui a mis la la connaissance (plutôt que d’emmaga- surtout, leur pratique intensive de cette connaissance au cœur de notre métier

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec16sec16 228/04/088/04/08 14:21:1814:21:18 et nous a permis d’être beaucoup plus en tant qu’acteur intellectuel et culturel. à la complexifi cation croissante des ré- performants dans la gestion de la biblio- Bien sûr, à la différence d’un journal, la seaux de la connaissance, qui confi ne thèque au jour le jour. bibliothèque ne prend pas parti. Elle va parfois au chaos, le besoin d’un « espace s’efforcer de présenter chaque sujet de public de la connaissance », c’est-à-dire la façon la plus objective possible. Elle d’un espace neutre, pluraliste, capable POINTS D’ACTU ! va, surtout, proposer à ses lecteurs des de contrôler la traçabilité des informa- pistes et des sources de réfl exion. Son tions et de valider les contenus, se fera Une nouvelle étape dans ce processus de rôle va se situer à mi-chemin entre la de plus en plus sentir. transformation du métier de bibliothé- simple orientation bibliographique et caire a été franchie avec la création, en le traitement complet d’un sujet. C’est Bien sûr, une autre dimension de la bi- avril 2006, d’un autre service innovant, précisément dans cet entre-deux que bliothèque ne doit pas être oubliée : le Points d’Actu ! Avec ce service, il ne s’agit peut se situer aujourd’hui la mission du simple fait d’être un lieu physique de plus de réagir aux demandes des usagers, bibliothécaire. convivialité, proche des gens, où se re- mais de construire une offre de conte- trouvent toutes les composantes de la so- nus en fonction de l’actualité ou, plus Ici encore, le succès est croissant, avec ciété. À bien des égards, c’est cette fonc- précisément, de jeter sur l’actualité un près de 423 000 visites par an. À travers tion sociale de proximité qui, dans un regard de bibliothécaire afi n d’apporter ce genre de service notre bibliothèque monde où la globalisation redonne tout au public des informations susceptibles explore un nouveau modèle que l’on son sens au local, rend la bibliothèque si d’approfondir et de mettre en perspec- pourrait qualifi er de « bibliothèque- désirable. Mais, cette fonction tradition- tive cette actualité. média ». À l’inverse des journaux et nelle n’aurait aucune attractivité si la bi- des télévisions, qui cherchent à donner, bliothèque n’apparaissait pas, en même Points d’Actu ! fonctionne un peu com- à travers les archives et les dossiers de temps, comme un véritable acteur des me un journal électronique. Il est orga- leurs sites Web, une vision de l’actualité réseaux de la connaissance. C’est pour- nisé en cinq rubriques : Monde, Société, plus complète et plus complexe qu’en quoi elle doit impérativement, aussi lo- Sciences et techniques, Culture, Lyon broadcast, nous essayons de rendre plus cale puisse être son expérience, se don- et Rhône-Alpes. L’objectif est de « pu- attractive et plus effi cace notre offre de ner les moyens d’intervenir activement blier », une fois par semaine au moins, contenus en l’articulant à une actualité dans ces réseaux et aider ses usagers à un « article » pour chacune des rubri- que tout le monde partage. Sans avoir, devenir eux-mêmes des acteurs de la so- ques. Le contenu des articles est compo- évidemment, la prétention de rivaliser ciété de la connaissance. sé, d’une part, d’une synthèse rapide du avec les grands médias, nous rejoignons sujet et, d’autre part, d’une présentation ces derniers dans un souci commun commentée d’un nombre volontaire- de nourrir la réfl exion d’un public qui Patrick Bazin Directeur de la Bibliothèque municipale de Lyon ment limité (une dizaine) de documents partage, au même moment, l’expé-

(livres, articles, sites Internet, iconogra- rience des mêmes événements. La prise phie, conférence en ligne, etc.) permet- en compte délibérée de l’événementiel tant d’éclairer le sujet et, le cas échéant, comme source de connaissance caracté- de l’approfondir. rise notre démarche.

À côté des « articles » rapides, traitant d’une actualité brûlante, Points d’Actu ! LA BIBLIOTHÈQUE, propose aussi des « dossiers repères », UN ACTEUR DE LA SOCIÉTÉ plus longs, plus élaborés et, surtout, ap- DE LA CONNAISSANCE pelés à évoluer, à s’étoffer en fonction de l’actualité. À travers les deux exemples que je viens La différence entre Points d’Actu ! et un d’évoquer, j’ai essayé d’esquisser ce que travail classique de bibliothécaire est pourrait devenir une mission importan- évidente. Il ne s’agit plus d’effectuer des te des bibliothèques, à savoir participer recherches bibliographiques mais de directement et activement à la circula- porter un regard sur le monde qui nous tion des connaissances et, donc, à leur entoure, d’apporter la contribution de développement. On pourrait me rétor- la bibliothèque au débat sur l’actualité. quer qu’avec la généralisation d’Internet Il s’agit d’une démarche intellectuelle et des réseaux collaboratifs, le rôle des et culturelle qui engage la bibliothèque bibliothèques diminue. Cependant, face

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec17sec17 228/04/088/04/08 14:21:1814:21:18 OBSERVATION CULTURELLE EN RÉGION ENQUÊTE SUR LES FINANCEMENTS PUBLICS DE LA CULTURE EN PROVENCE- ALPES-CÔTE D’AZUR

La publication récente de l’enquête sur les fi nancements publics de la culture en 2003 en région Provence-Alpes-Côte d’Azur par l’Arcade1, nous incite à revenir sur ce type de travaux qui constitue un des piliers de l’observation culturelle en région tout en res- tant relativement rare. Aujourd’hui, de nombreuses collectivités s’interrogent en effet sur l’intérêt et l’usage possible de ces enquêtes au regard de l’investissement important qu’elles représentent.

Réalisée depuis 1990 en région Provence- pectives d’exploitation, des travaux d’études des sont très utiles, aussi bien au niveau des Alpes-Côte d’Azur, l’enquête sur les fi nan- spécifi ques), et du ministère de la Culture associations de directeurs d’affaires culturelles cements publics de la culture représente un (DEPS) pour la cohérence et la comparabilité de collectivités qu’au niveau local, pour resi- travail d’observation partagé par l’ensemble des données entre les échelles nationales et tuer l’intervention de chaque collectivité dans des collectivités. Ainsi, pour l’année 2003, régionales (nomenclatures). une perspective historique et en dégager les les dépenses de l’ État, de la région, des 6 dé- À un autre niveau, l’ensemble des collectivités principales dynamiques. Il existe en effet très partements et d’un panel de 76 villes ont été territoriales en région (villes, communautés peu de mémoire de l’intervention publique au repérées et qualifi ées afi n de rendre compte d’agglomération et départements) est associé niveau local. des choix d’intervention publique selon les au travers de comités de pilotage ou d’exploi- Par ailleurs pour les professionnels, la possi- secteurs, les territoires, les collectivités et les tations spécifi ques demandées par l’une ou bilité de comparaison est intéressante pour fonctions. l’autre d’entre-elles. positionner les efforts singuliers d’une collec- Nous avons interrogé quelques acteurs impli- tivité par rapport aux moyennes régionales ou qués à différents titres dans cette démarche, QUELS SONT LES INTÉRÊTS nationales… Une politique qui peut paraître afi n de mieux cerner les enjeux et les implica- ET LES USAGES PRINCIPAUX audacieuse, innovante, n’est parfois qu’une tions de telles études. DE CE TYPE D’ENQUÊTE ? politique de rattrapage confrontée aux don- QUELS RÔLES JOUENT-ELLES nées d’autres territoires. COMMENT LES PARTENAIRES Ces enquêtes constituent également un outil DANS L’ORIENTATION DES très dynamique dans les relations entre tech- INSTITUTIONNELS ONT-ILS ÉTÉ POLITIQUES PUBLIQUES ? ASSOCIÉS À CETTE DÉMARCHE niciens et élus. Elles sont particulièrement D’OBSERVATION ? Bernard Maarek, directeur de l’Arcade utiles pour la formation des nouveaux élus, L’intérêt principal est d’offrir une lecture et pour l’élaboration d’argumentaires afi n de Bernard Maarek, directeur de l’Arcade et une analyse partagée sur une question mieux porter tel ou tel dossiers. Cette enquête est conduite avec constance et concernant individuellement et collectivement Enfi n, les travaux sur les fi nancements publics continuité en région Paca depuis 1990. Cela les institutions publiques et leurs territoires représentent des outils prospectifs indispensa- signifi e que les partenaires institutionnels et d’intervention. Les limites principales sont la bles pour conduire la réfl exion actuelle sur le les commanditaires ou utilisateurs de ce travail capacité à replacer le fi nancement public dans rôle de l’État et sur l’évolution des relations ont été étroitement associés depuis l’origine à le cadre plus global de l’économie du secteur, des collectivités entre elles dans le secteur la défi nition des bases méthodologiques de et les diffi cultés à enquêter et offrir des culturel. Ces instruments d’observation doi- l’étude. Ils sont également associés par l’inter- traitements plus fi ns susceptibles de répondre vent pouvoir aider à mieux comprendre ces médiaire des multiples demandes spécifi ques aux questions de l’ensemble des collectivités situations nouvelles. d’exploitation qu’ils formulent. ou des opérateurs culturels. Il s’agit principalement de la Drac, du conseil Alain Hayot, président de l’Arcade et vice- régional Paca et de leurs administrations Henri Wetsphal, directeur général adjoint président du conseil régional délégué à la respectives (associées pour la défi nition du culture, sport, maîtrise d’ouvrage, com- culture et à la recherche, Jean-Luc Bredel, champ enquêté, des nomenclatures, des pers- munauté d’Aix (Aix-en-Provence) Ces étu- vice-président de l’Arcade et directeur ré-

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec18sec18 228/04/088/04/08 14:21:1814:21:18 gional des affaires culturelles (au moment régions, différentes agences mènent un travail Nathalie Moureau, maître de conféren- de la publication de l’étude) comparable (Arteca en Lorraine, Obster en ces en sciences économiques, LAMETA « La présentation des dépenses publiques Languedoc-Roussillon notamment). Université Montpellier I est une photographie et en même temps un Il faut également souligner la richesse de ces Ph.Teillet, maître de conférences en instrument précis et dynamique de lecture données qui recèlent une mine d’informations sciences politiques, PACTE CNRS, Ins- de l’ensemble de l’intervention publique. Elle qui n’ont pu être exploitées, faute de temps titut d’études politiques de Grenoble permet de repérer, à un moment donné mais dans le cadre de ce travail, mais qui pourraient La première amélioration serait de réduire aussi dans leurs évolutions, les convergences l’être dans un autre contexte. le temps séparant la collecte de données et ou les déséquilibres, de mesurer les efforts de leur restitution, car les chiffres publiés ne chaque collectivité, de constater les éventuels L’ARCADE ENVISAGE-T-ELLE peuvent pas être séparés du moment de leur réajustements ou projeter des hypothèses de DE POURSUIVRE CETTE rassemblement par un laps de temps qui est recomposition. ENQUÊTE ET DANS QUELLES presque celui d’un mandat local, même si L’atout de cette enquête à laquelle l’ensem- PERSPECTIVES ? QUELLES ces travaux sont particulièrement lourds à ble des collectivités a contribué, est d’offrir à mettre en œuvre. tous la possibilité d’un suivi et d’une lecture PISTES POURRAIENT ÊTRE Par ailleurs, il serait très intéressant, d’une commune et partagée de la situation. Ainsi EXPLORÉES À L’AVENIR EN part, que cette initiative soit suivie par l’en- les collectivités publiques d’un même terri- MATIÈRE D’ÉTUDES SUR semble des autres régions et, d’autre part, toire peuvent-elles porter un regard collectif LES FINANCEMENTS DE que soit lancé un travail d’homogénéisation sur leurs actions, le soutien aux acteurs et aux LA CULTURE ? à l’échelle nationale. activités qu’ils contribuent à développer seuls Une autre piste serait de connecter ces don- ou ensemble. À cet égard, l’observation à par- Bernard Maarek, directeur de l’Arcade nées avec d’autres concernant l’impact de tir du territoire régional prolonge, complète Si cette enquête est reconduite sur les ces fi nancements. La dépense publique est mais aussi corrige les études nationales dont données 2008, ce sera sur une fréquence au fond un produit de l’activité des admi- les points d’observation semblent bien trop de deux ans au lieu de trois ou quatre et nistrations présentes sur le territoire. Mais éloignés des réalités régionales... » . sur la base d’une nomenclature repensée qu’en est-il de l’impact de ces dépenses sur avec l’ensemble des institutions publiques les territoires concernés ? Sans ces informa- CE TRAVAIL EST-IL NOVATEUR en région, ce qui permettra de respecter la tions, le sens des politiques culturelles reste comparabilité des données avec les années DANS LES DOMAINES DE caché, et ces chiffres ne sont que faiblement antérieures tout en offrant des capacités en mesure d’aider à la défi nition des politi- L’ÉCONOMIE DE LA CULTURE de lectures nouvelles et plus adaptées aux ET DE L’OBSERVATION ques futures. questionnements de chacun. Enfi n, face à une conception de plus en CULTURELLE ? Henri Wetsphal, directeur général ad- plus hégémonique mais souvent réductrice Nathalie Moureau, maître de conférences joint culture, sport, maîtrise d’ouvrage, de l’approche scientifi que, il faut rappeler en sciences économiques, LAMETA Uni- communauté d’Aix (Aix-en-Provence) que des méthodes qualitatives sont souvent versité Montpellier I Il serait intéressant d’affi ner ces outils d’en- beaucoup plus précises et adaptées aux ob- Ph.Teillet, maître de conférences en scien- quête pour améliorer la lecture croisée entre jectifs des politiques culturelles. Si elles ne ces politiques, PACTE CNRS, Institut les champs de l’État et les champs des col- formulent pas leurs résultats sous la forme d’études politiques de Grenoble lectivités territoriales, car actuellement les de tableaux chiffrés, elles n’en sont pas L’échelle régionale constitue un élément relati- possibilités sont limitées par des problèmes moins fi ables et souvent très fécondes pour vement novateur au regard de l’histoire natio- d’harmonisation des nomenclatures. comprendre la situation d’un territoire, des nale de l’observation des dépenses publiques. Il serait également très important de croiser politiques publiques qui s’y déploient ainsi En revanche, les méthodes et préoccupations ce travail avec l’observation d’autres politi- que ce qui pourrait y être mis en œuvre. sont au fond relativement standardisées (col- ques publiques. L’observation culturelle est La production de données statistiques est lecte des données et présentation) ce qui per- trop souvent auto-centrée, et la comparai- indispensable mais ne saurait être exclu- met en principe de favoriser la comparaison son avec d’autres secteurs (sport, éduca- sive. D’autres études menées par l’Arcade le inter-territoriale. Dans le domaine de l’ob- tion…) permettrait une analyse différente montrent bien et ne doivent pas être occul- servation culturelle, le changement d’échelle, qui apporterait très certainement de nou- tées au profi t d’une culture du chiffre. l’antériorité et la récurrence de ces travaux sont veaux arguments pour assurer l’avenir des également novateurs, même si dans d’autres politiques culturelles. Propos recueillis par Cécile Martin Directrice des études, Observatoire des politiques culturelles

NOTES

1– S. Andriantsimahavandy, V. Fayolle, C. Martin, N. Moureau, Ph. Teillet, Les fi nance- relles à la mise en perspectives des données, afi n d’alimenter la réfl exion menée avec les ments publics de la culture 2003 en PACA, collection Repères n°3, ARCADE, décembre partenaires régionaux. L’étude est téléchargeable sur les sites Internet de l’Arcade et de 2007. Pour cette édition, l’Arcade a souhaité associer l’Observatoire des politiques cultu- l’Observatoire des politiques culturelles.

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec19sec19 228/04/088/04/08 14:21:1914:21:19 mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec20sec20 228/04/088/04/08 14:21:1914:21:19 DOSSIER LA CULTURE POPULAIRE : FIN D’UNE HISTOIRE ?

Dossier coordonné par Lisa Pignot et Jean-Pierre Saez

Comment mettre en débat la notion de culture populaire aujourd’hui ? Les représentations contenues dans l’expression elle-même laissent diffi cilement augurer de la possibilité d’une lecture consensuelle. L’histoire de la culture populaire se confond avec celles des confl its et des malentendus qu’elle a suscités et brasse des sentiments d’exaltation autant que de mépris.

La notion de culture contient des extensions infi nies entre son acception la plus p.22 : p.41 : étroite qui la réduit à l’univers des beaux-arts, à son acception la plus large qui la Guy Saez Virginie Foucault Politiques culturelles Vis + écrou = confond avec tout ce qui fait société. Les qualifi catifs de peuple et de populaire et éducation Boulon : une formule posent des problèmes non moins diffi ciles à dénouer. Le peuple apparaît toujours populaire. Interaction de culture populaire ! dans l’histoire comme une valeur disputée. Dans sa version la plus républicaine, celle constante, constant malentendu d’un Michelet, il est l’incarnation de la nation, toutes classes confondues. Rapporté p.47 : Guy Alloucherie au combat politique, il est souvent associé à une seule partie de la cité, de droite ou p.29 : Au commencement de gauche… Parfois, il désigne les plus démunis. Tantôt aussi le peuple est assimilé Jean Guibal était la Base 11/19 à la foule, au vulgaire, tantôt à la convivialité. Mais on dit rarement des quartiers Cultiver les mémoires du peuple : un p 51 : déshérités que ce sont des quartiers « populaires ». On les défi nit plutôt comme les enjeu de diversité Chantal Dahan, quartiers en « diffi culté ». culturelle ? Jean-Claude Richez La culture populaire P. Bourdieu considérait que la culture populaire était une notion sans fondement. p.32 : au Pôle culture de Catherine Trautmann l’Injep : une histoire Curieusement c’est sur ce présupposé que les politiques culturelles se sont construi- Les enjeux du de passeurs tes en France, en séparant l’éducation populaire du champ classique de la culture. dialogue interculturel Cette hiérarchisation des valeurs de la culture perdure-t-elle ? Est-ce qu’au fond du quartier à l’Europe culture cultivée et culture populaire s’opposent ontologiquement ? Qu’est-ce qui est populaire en culture qu’est-ce qui ne l’est pas ? Le Pop Art ? La culture de masse ? La p.36 : contre-culture ? La culture issue des nouveaux territoires de l’art ? L’art doit-il être po- Nicolas Roméas pulaire ? Comment rendre la culture plus populaire à distance de tout populisme ? Un peuple d’artistes

C’est à ce questionnement qu'est consacré ce dossier, librement inspiré du colloque « Faire la culture populaire » organisé par la Région Nord-Pas-de-Calais, Valenciennes Métropole, la Ville de Valenciennes et l’Observatoire en novembre 2007.

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec21sec21 228/04/088/04/08 14:21:2114:21:21 POLITIQUES CULTURELLES ET ÉDUCATION POPULAIRE INTERACTION CONSTANTE, CONSTANT MALENTENDU

Guy Saez

Comprendre les relations diffi ciles entre les politiques culturelles et l’éducation popu- laire, empreintes d’attentes déçues, de désillusions et de profonds malentendus sup- poserait de dresser, avec l’attention qu’elles méritent, les trajectoires historiques et le portrait idéologique croisés de ces deux instances. Chantier immense ! On se conten- tera très modestement ici d’indiquer les quelques motifs – les plus prégnants et les plus constants – qui ressortent des diverses manières d’aborder la question et de les ordon- ner en fonction de leurs enjeux actuels.

TRAJECTOIRES DE de distribuer à toutes les couches de la eux-mêmes une action culturelle, en gé- L’ÉDUCATION POPULAIRE population. Naissent alors des « univer- rant directement des théâtres dans les- sités populaires », cercles associatifs où quels étaient représentées des « pièces se déroulent des conférences, des cours, d’éducation socialiste ». L’éducation populaire est un mouve- des activités de lecture, poésie, théâ- ment social qui se constitue lentement tre, chant, etc. Parallèlement, l’écrivain Le Front populaire est un autre grand au cours du XIXe siècle et qui trouve sa Romain Rolland fi xe pour de longues moment du développement de l’éduca- première formulation d’ensemble à la années la doctrine du théâtre populaire, tion populaire. Le gouvernement met en suite de l’Affaire Dreyfus. Considérant d’où naissent les premières expériences place les prémices d’une politique publi- d’une part, qu’il y avait dans la situation de décentralisation culturelle. Une polé- que des loisirs et confi e aux associations politique d’alors un véritable déni de mique se fait jour à propos de cette pre- d’éducation populaire des missions d’in- justice à l’égard du peuple, notamment mière version de l’éducation populaire. térêt général qui s’adressent surtout aux dans ses capacités réelles à avoir accès « Aller au peuple », c’est en défi nitive jeunes. De leur côté, les syndicats déve- à la culture et aux arts, moyens de son lui apporter un type de culture dont il loppent des cercles d’éducation ouvrière émancipation politique, des intellectuels est certes privé mais ce n’est pas le re- dont le principe sera repris et amplifi é et des artistes cherchent à « aller au peu- connaître en tant que peuple, porteur avec l’institutionnalisation des comités ple ». Ils souhaitent lui apporter les bé- de ses propres aspirations, c’est-à-dire d’entreprise en 1945. La période de la néfi ces culturels qu’eux-mêmes connais- d’une culture populaire autoréférentielle. Libération donne à l’éducation popu- sent, mais que « l’État bourgeois » refuse Peut-être faut-il alors « se faire peuple », laire un nouvel élan. Des associations pour mieux partager sa condition. Déjà, comme la Fédération des maisons de pouvait-on dire, en 1839, avec George jeunes, Peuple et Culture, Culture et Li- Sand, admirative d’« auteurs ouvriers » berté, la Fédération Léo-Lagrange, sem- « Aller au peuple », c’est en “ comme Agricol Perdiguier et Martin blent en phase avec la modernisation de défi nitive lui apporter un type Nadaud, que le roman s’est fait peu- la société française, l’aspiration à une ple. Romain Rolland avait vu le danger plus grande participation politique et de culture dont il est certes privé d’une intervention « récupératrice » de culturelle. Un type-idéal de l’éducation mais ce n’est pas le reconnaître l’État si celui-ci était l’organisateur du populaire est alors constitué que l’on loisir culturel du peuple : il chercherait peut caractériser comme suit : l’éduca- en tant que peuple, porteur de dans le peuple des spectateurs pour ses tion populaire est en son principe un ses propres aspirations, c’est- théâtres et il diffuserait des produits « mouvement social ». Elle se fonde sur culturels lénifi ants ou frelatés, en aucu- un mythe originel, celui du « peuple » à-dire d’une culture populaire ne façon susceptibles de servir à son qu’il faut éclairer. Il ne s’agit pas essen- autoréférentielle. émancipation. Dans le même temps, en tiellement d’augmenter sa capacité de ” Allemagne, les syndicats organisaient jouissance artistique ou, à l’inverse, de

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec22sec22 228/04/088/04/08 14:21:2114:21:21 “L’éducation populaire, héritière d’une idéologie républicaine et passablement jacobine, maintient la vision unifi ante d’un peuple rassemblé à travers sa participation à une culture commune et se trouve peu sensible à la différenciation territoriale”.

lui apporter des services sociaux, mais On se tourne alors vers les deux systè- à des demandes sociales multiformes, d’étendre la capacité d’action civique et mes organisés susceptibles de répondre dépendantes des subventions publiques, d’émancipation collective des citoyens. aux besoins des nouveaux urbains tant chargées de missions contradictoires : Les savoirs, la culture, les arts sont dé- en ce qui concerne leurs problèmes so- assurer un certain niveau d’activités de sirables en tant qu’ils sont les moyens ciaux que leurs problèmes de loisir : le loisirs, favoriser la sociabilité et la par- de cette émancipation. L’éducation po- réseau de l’action sociale (aide au lo- ticipation, symboliser la présence publi- pulaire, malgré sa démarche « utilita- gement, assistance sociale et familiale, que dans les quartiers, être le relais des riste », a tendance à sacraliser l’autorité prise en charge des enfants…) et celui politiques des autorités locales, pacifi er institutionnelle du savoir et de la grande de l’éducation populaire (loisirs sportifs, les relations sociales. Les grandes fédé- culture, c’est d’ailleurs ce qui explique éducatifs et culturels). rations d’éducation populaire sont de qu’elle se soit massivement prononcée plus en plus assimilées à des prestataires en faveur de la création du ministère Des années 50 aux années 70, ces deux de services, à des organismes gestion- des Affaires culturelles en 1959, dont réseaux connaissent un accroissement naires dont la dynamique politique et elle espérait qu’il favorise l’égalité d’ac- quantitatif considérable. C’est à eux que culturelle semble s’être perdue. cès à la culture. L’éducation populaire, sont confi és les équipements de proxi- héritière d’une idéologie républicaine mité construits pour « accompagner la et passablement jacobine, maintient la croissance ». Ils sont alors chargés de LA RUPTURE vision unifi ante d’un peuple rassemblé gérer ces équipements et d’organiser les INSTITUTIONNELLE à travers sa participation à une culture services à la population. Mais, en même commune et se trouve peu sensible à la temps qu’ils connaissent cette expan- différenciation territoriale. sion historique, ils sont amenés à être L’affaiblissement idéologique de l’édu- de plus en plus dépendants des injonc- cation populaire et la dérive du domaine Ce modèle commence à se désagréger tions des pouvoirs politiques nationaux socioculturel vers ce qu’on peut appeler lorsque le pays fait le choix d’accélérer et locaux qui leur assurent les moyens une « indifférence artistique » ne peut ce- son industrialisation et, corollairement, de leur expansion. Devant l’obligation pendant se comprendre sans mentionner entre dans la « consommation de mas- de gérer des activités de plus en plus l’attitude du jeune ministère des Affaires se » et son urbanisation. L’urbanisation nombreuses pour des publics diversifi és, culturelles qui met à distance, au début rapide produit un bouleversement pro- leurs principes idéologiques initiaux se des années 60, ces pratiques et activités fond des équilibres entre société rurale délitent peu à peu. Vers la fi n des années et contribue à les dévaloriser aux yeux et urbaine, intensifi e les mobilités socia- 70, les fédérations d’éducation populai- des artistes et des amateurs d’art. Ainsi les de toutes sortes, modifi e les formes re sont devenues les gestionnaires d’une la construction d’une politique cultu- de sociabilité. Des cités et ensembles ré- animation socioculturelle entièrement relle pilotée par une administration qui sidentiels voient le jour pour lesquels se institutionnalisée. Cette vaste armature veut s’affi rmer comme un « ministère pose la question de leur « animation ». d’équipements de quartiers est soumise des arts » voire un « ministère des ar-

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec23sec23 228/04/088/04/08 14:21:2214:21:22 “Toutes les tentatives visant à « démocratiser » les arts, (…) fût-elle minimale, se sont trouvées confrontées au même dilemme : comment introduire les arts dans la vie quotidienne alors même que la plupart des acteurs des mondes de l’art ne le conçoivent qu’en dehors de la vie sociale ordinaire.”

tistes », accroît la tendance toujours la- quartiers perdaient tout contact avec partage a été institutionnellement enté- tente à l’autonomie de l’art et empêche les équipements où se faisaient la créa- riné au XIXe siècle avec l’autonomisation la convergence entre les problématiques tion et la diffusion d’œuvres de qualité. progressive des sphères d’activités (la sociales et les problématiques artisti- Les deux réseaux d’équipements sui- politique, l’économie, la famille, l’art) ques. Cette politique qui visait d’abord à vront alors des voies différentes, leurs qui sont aussi des univers de valeurs. La soustraire l’activité artistique à l’emprise publics, leurs professionnels évoluant tradition sociologique en a fait, depuis du « commercialisme » et aux pressions indépendamment les uns des autres. Max Weber, une sorte d’équivalent de politiciennes a voulu en même temps la Le socioculturel entre dans une longue la modernité, les sociétés se jugeant à tenir éloignée du « pédagogisme ». Avec crise parce qu’il est privé des deux sour- partir des formes de leur différenciation cette critique du pédagogisme, Malraux ces qui auraient pu lui assurer un statut des sphères d’activité, de la hiérarchie disjoignait de la politique culturelle tout plus enviable : la source civique, celle de de leurs univers de valeurs et du degré ce qui relevait de l’apprentissage, de la l’éducation populaire qui, en s’institu- de leur intégration dans les attitudes et pédagogie à des fi ns sociales. Le débat tionnalisant, a perdu de sa vigueur et la comportements sociaux.1 portait alors sur l’exercice de la tutelle source artistique, celle du rêve de l’accès du ministère sur l’éducation populaire de tous à l’art, d’un humanisme esthé- Mais cette vision de la modernité a pro- et le socioculturel. Il avait pour enjeu tique. Quant au domaine culturel, il est duit en même temps son antidote à la le « non-public » de la culture que ces institutionnellement – et défi nitivement fois dans la dynamique artistique el- mouvements voulaient ramener dans le – coupé de sa ressource de légitimation le-même, dans le mouvement de libé- giron de la politique culturelle. Que fal- par le populaire, ce qui va alimenter un ration politique et dans la conception lait-il mettre en œuvre pour conquérir discours récurrent sur « l’échec de la dé- scientifi que de la culture. Le thème de ce non-public ? Les uns pensaient que mocratisation culturelle ». la conciliation entre l’art et la vie anime le contact avec l’œuvre, le choc électif, une pratique artistique continue, des l’émotion immédiate étaient suffi sants, LA CULTURE, INTERACTION conceptions esthétiques qui courent les autres estimaient nécessaire un tra- dans le temps et sont à l’origine de ENTRE L’ART ET LA VIE vail spécifi que avec ces publics, une « ruptures artistiques » fondamentales. médiation. En abandonnant, en 1964, L’art moderne et contemporain se dis- toute responsabilité à l’égard des mou- Traditionnellement, le domaine des beaux- tingue précisément de celui de périodes vements d’éducation populaire et des arts réclame une autonomie qui se tra- antérieures par la volonté d’esthétiser organismes socioculturels, le ministère duit par des règles sociales (l’art est une la vie quotidienne – songeons à Baude- signait pour longtemps leur marginali- sphère séparée de la politique, de l’éco- laire qui enjoignait au « peintre de la vie sation par rapport aux mondes de l’art. nomie, des loisirs familiaux ou com- moderne » de quitter l’atelier pour s’ins- Il en est résulté une dure bataille doctri- munautaires), des règles intellectuelles pirer du vivant spectacle de la rue – ou nale entre les créateurs et les animateurs (des normes concernant les formes lé- d’introduire dans l’art les objets quoti- (les médiateurs), une radicalisation des gitimes) et de perception (le discours de diens, jusqu’aux plus triviaux (le célè- positions allant jusqu’à la rupture. Il est l’esthétique), tandis que le domaine de bre urinoir intitulé Fountain de Marcel alors devenu clair que les équipements la vie mélange allégrement les multiples Duchamp), le corps dans tous ses états de proximité situés dans les nouveaux aspects de la quotidienneté. Ce grand (la danse contemporaine), l’art hors les

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec24sec24 228/04/088/04/08 14:21:2214:21:22 murs, etc. L’aspiration des artistes à être aux États-Unis ou Marc Fumaroli en assurent le dynamisme de l’action cultu- de plain-pied avec la vie sociale entraîne France qui ont exprimé leur répugnance relle, sont le véritable foyer organisateur également l’aspiration à esthétiser des face à un « mauvais mélange »4. de la vie et de la politique culturelles formes de la culture populaire. dans leur globalité. Retrouvant son ins- Ces différents mouvements qui se croi- piration initiale, on peut qualifi er l’édu- En même temps, la recherche tendue sent et s’interpellent contribuent à redé- cation populaire comme un mouvement d’une réconciliation entre l’art et la vie fi nir les attentes à l’égard de la culture de synthèse entre deux formes de cultu- a animé une idéologie puissante qui et de ses usages sociaux. Ils conduisent res, une médiation créatrice entre l’inef- veut introduire de l’art dans les existen- à des rapprochements diffi ciles mais fable de l’expérience esthétique indivi- duelle et l’emprise collective de cultures ces quotidiennes de tous ceux pour qui inéluctables entre les « deux cultures ». commerciales (ou identitaires ou politi- aimer ou pratiquer les arts comme un Les deux cultures progressent ensem- ques). C’est également un mouvement univers déconnecté de leurs préoccu- ble : démocratisation par le haut, selon de synthèse entre la différenciation tou- pations quotidiennes est un luxe inat- le projet de Malraux, popularisation des jours plus grande de la vie sociale et l’ur- teignable. Toutes les tentatives visant formes culturelles par le bas. Elles pro- gence d’articuler les différentes facettes à « démocratiser » les arts, c’est-à-dire duisent aussi leurs propres malenten- de sa pratique. L’éducation populaire à réclamer pour ceux qui sont sociale- dus. Par exemple, pour se détacher des cherche à mettre fi n aux dualismes, par ment exclus de la jouissance des arts formes d’art conventionnelles « bour- exemple en construisant les « activités » une participation à son univers, fût-elle geoises », et atteindre enfi n la vie, l’art d’une personne en une pratique sociale minimale, se sont trouvées confrontées contemporain a produit des œuvres et qui fait sens. Elle produit une éducation, au même dilemme : comment introdui- un discours de plus en plus « réfl exif » c’est-à-dire des dispositions intellectuel- re les arts dans la vie quotidienne alors qui, paradoxalement, « aveuglent le pro- les (cognitives), morales (éthiques) et de même que la plupart des acteurs des fane » et créent un nouvel élitisme. De sensibilité (esthétique) qui permettent à mondes de l’art ne le conçoivent qu’en son côté, les éléments artistiques issus chacun de s’affronter au monde. dehors de la vie sociale ordinaire. de la culture populaire cherchent à s’es- thétiser, mais se faisant ils se coupent du À la fi n du XIXe siècle se développent terreau où ils sont nés. CONVERGENCES ET des conceptions scientifi ques de la RECOMPOSITIONS culture rassemblant l’ensemble des élé- Ces deux politiques sont en constante ments constituant le mode de vie d’un interaction. La « politique des arts » Au sein des politiques culturelles na- groupe social. Les anthropologues s’at- contient sa propre limite parce que tionales, on a vu apparaître un projet tachent à une saisie globale de la culture nombreux sont les artistes qui la re- volontariste d’intervention fondé sur comprenant les rites, coutumes, repré- fusent et cherchent à établir un lien les notions de solidarité et de citoyen- sentations, croyances, manières de faire, vivant avec les réalités de leur temps, neté. En participant à la « politique de artefacts pour décrire les cultures dont parce que subsiste, au sein même des la ville », le ministère de la Culture s’est ils veulent rendre compte. La culture ne administrations culturelles, un noyau – confronté aux points de vue d’autres peut plus être limitée à une catégorie on peut le localiser, selon les périodes, organisations : le Fonds d’action so- d’objets ou de pratiques, elle ne peut dans le Fonds d’intervention culturel, la ciale, la Délégation interministérielle à plus être vécue par une catégorie d’indi- Direction du développement culturel, la ville, les municipalités. Cela permet vidus, elle s’exprime dans le pluralisme dans la Délégation au développement de sortir du discours étroitement secto- des objets, des pratiques et concerne et à la formation, dans la Direction au riel ou corporatiste tenu sur la culture tous les individus d’un groupe social, et développement et à l’action territoriale et d’envisager l’action publique de ma- tous les groupes sociaux. Cette révolu- –, qui reste attaché à l’idée de culture nière pluridisciplinaire, transversale et tion conceptuelle est loin de faire l’una- populaire. De son côté, la politique du territorialisée, en bref de renouer avec nimité : on s’attache encore à étudier des lien entre culture et social est en perma- les principes initiaux du développement « créations » artistiques, individuelles, nence attirée par la nécessité de prendre culturel. normées et hiérarchisées en les séparant en charge des gestes créateurs, de passer du domaine des sciences sociales. Mais de la créativité à la création, c’est-à-dire celles-ci reconnaissent aujourd’hui que de rejoindre l’univers artistique. On a observé, en retour, une nouvelle la culture est partout comme le disent les démarche des associations d’éducation auteurs post-modernes2 – notamment Les « deux politiques culturelles » ne sont populaire fondée sur la recherche d’une lorsque l’impératif social est de construi- donc pas réductibles à leur dualisme ; il plus grande qualité culturelle et artisti- re sa vie3 –, ce qui excite la virulence des existe, sous des conditions particulières, que des activités socioculturelles et sur critiques exprimées par des intellectuels des possibilités de rencontre et de syn- le rappel de certains des idéaux de l’édu- conservateurs, par exemple Allan Bloom thèse. Ces rencontres et synthèses qui cation populaire. C’est une revendica-

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec25sec25 228/04/088/04/08 14:21:2214:21:22 “Retrouvant son inspiration initiale, on peut qualifi er l’éducation populaire comme un mouvement de synthèse entre deux formes de cultures, une médiation créatrice entre l’ineffable de l’expérience esthétique individuelle et l’emprise collective de cultures commerciales (ou identitaires ou politiques).”

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec26sec26 228/04/088/04/08 14:21:2214:21:22 VERBATIM « Il est indispensable de faire vivre une culture élitaire pour tous, c’est- « Tout est populaire aujourd’hui : les quartiers populaires, l’électorat à-dire une culture populaire exigeante. […] Cette exigence de culture populaire, le rassemblement populaire, le front populaire, le bon populaire, des artistes sont en train de la renouveler tant dans ses formes sens populaire, etc. Et je n’oublie pas non plus le théâtre national que dans ses rapports au public et à la population. Partout en France, populaire de Jean Vilar et Gérard Philipe. […] Si le mot populaire on peut découvrir des centaines d’expériences artistiques étonnantes et est partout, la vraie question serait peut-être de savoir où est le des œuvres qui rencontrent le public. Avec l’investissement des friches peuple. N’y a-t-il pas à craindre une nouvelle forme de populisme industrielles, le développement de pratiques pluridisciplinaires, les qui tord la démocratie en méprisant le peuple tout en le fl attant ? cultures urbaines ouvrent un nouveau rapport à la démocratie culturelle. […] Une autre forme de populisme fréquent consiste à opposer les Les artistes ont compris que l’ensemble de nos concitoyens expriment un unes aux autres les disciplines artistiques, les grandes structures besoin d’art et souhaitent être partie prenante d’activités culturelles. Ce culturelles aux petites, culture populaire et culture savante. » n’est pas l’art qui est en crise ni sa démocratisation mais plutôt la place qu’on lui accorde. Malgré l’investissement de plus en plus important des collectivités locales, l’art et la culture ne sont pas suffi samment Ivan Renar, sénateur du Nord, considérés comme une préoccupation centrale de la société. » vice-président de la commission des Affaires culturelles du Sénat

tion de reconnaissance de gestes artis- avec une action culturelle de qualité, est beaucoup employée en ce moment tiques particuliers à ces quartiers (c’est d’autre part la volonté des politiques pour caractériser un effet générationnel tout le domaine de la culture hip-hop) culturelles d’insister sur la dimension (en gros, des jeunes qui ont aujourd’hui aussi bien que l’exigence de qualité du lien social présente dans les activi- entre 25 et 35 ans), des gestes artisti- des activités culturelles, de rencontre tés artistiques. Comment défi nir cette ques divers, se déroulant dans des lieux avec les artistes (la solution de la « ré- nouvelle synthèse ? Fabrice Lextrait, différents mais qui ont en commun les sidence » d’artistes dans les quartiers a qui avait signifi cativement intitulé son éléments suivants : été souvent employée). Ceci conduit à rapport « une nouvelle époque de l’ac- – une idéologie anti-institutionnelle, à une réévaluation de l’offre des équipe- tion culturelle », considère que dans les tout le moins un comportement « à côté » ments, à une logique de spécialisation expériences traitées par de nouveaux des institutions ; ou de créneau, puisque tous les équi- types d’équipement et de nouveaux – des contenus artistiques sans rapport pements ne peuvent être « bons » dans réseaux (Trans’Europ Halles, Banlieues évident, ou revendiqué, avec les tradi- tout ce qu’ils font, de mise en scène d’Europe) on est en présence d’une per- tions de la formation académique ; des réussites, de pratiques symboliques ception nouvelle où l’activité artistique – des statuts personnels peu stables ou (par exemple renommer les équipe- n’est plus vécue sur le mode autoréfé- menacés (cf. les intermittents du spec- ments pour les soustraire à leur image rentiel mais sur un mode relationnel. tacle) qui conduit à une recherche de socioculturelle). Celui-ci s’ouvre sur des attentes qui solidarité professionnelle originale : les avaient été marginalisées, des expéri- collectifs d’artistes ; Dès 1994, un rapprochement entre mentations de jeunes créateurs qui in- – une structuration en réseaux (pour la quelques-unes de ces associations et le ventent des rapports à l’esthétique, qui production, la promotion, la diffusion) ministère a été organisé sous forme d’un retrouvent un sentiment de responsa- qui s’établissent d’abord localement ; programme de formation à la médiation bilité civique. Une continuité est ainsi – un rapport au public très étroit, qui artistique et culturelle, des recherches recherchée entre les artistes, la vie des cherche à faire l’économie de toute universitaires ont été commanditées5. habitants, les politiques patrimoniales forme de médiation. Très souvent, ce Un protocole interministériel « prati- d’aménagement urbain et la dimension refus de la médiation est l’envers d’un ques artistiques, culture et éducation citoyenne des projets artistiques. sentiment de responsabilité civique de populaire » a même été signé le 31 octo- proximité, à l’égard d’habitants ressentis bre 2001 entre la ministre de la Culture Sans m’attarder sur le débat que suscite comme proches. C. Tasca et celle de la jeunesse et des cette recomposition, son étendue et ses sports, M.-G. Buffet. limites, je me contente de signaler pour b) L’engagement urbain ou territorial. conclure les quatre grandes orientations De nombreuses recherches ont très bien Le double mouvement de convergence à l’œuvre : mis en relief l’importance du cadre ur- que l’on peut observer aujourd’hui6 bain/territorial de ces nouvelles activi- concernent d’une part des expériences a) L’émergence. La notion d’émer- tés. Il s’agit de : issues du domaine social qui renouent gence, issue de l’analyse économique, – modifi er la défi nition de la ville com-

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec27sec27 228/04/088/04/08 14:21:2314:21:23 me espace public et celle de l’art dans et médiatique minimum) leur permet- – une conscience plus vive de l’hybri- l’espace public ; tant de développer leurs activités ; dation, des transferts et des métissages – ressaisir la ville comme une matière, – l’écart repéré entre la fréquentation culturels liée à la conscience du déclin ou un matériau artistique, en s’éloi- des équipements culturels de référence de la « grande-culture-française-univer- gnant des recettes traditionnelles de et la disponibilité d’un public plus nom- selle ». l’architecture ou de l’embellissement de breux pour des manifestations culturel- la ville, ou encore de l’esthétisation de les « différentes », par exemple les « arts Ces problématiques nouvelles sont l’urbain (par des sculptures, du mobilier de la rue » ; loin d’avoir atteint leur plein dévelop- urbain, de l’éclairage scénographique, – une demande sociale plus forte pour pement. Par ailleurs, il ne faut pas se etc.) ; une éducation et des formations artis- cacher qu’elles recèlent nombre de pa- – promouvoir un partage avec les habi- tiques débarrassées des canons acadé- radoxes. On ne sait pas, par exemple, ce tants et non décider d’une « offre cultu- miques. que le début de sollicitude des pouvoirs relle » qui leur serait imposée ; publics à leur égard peut provoquer en – démontrer que la créativité n’est pas d) L’interculturalité. Un des effets de les intégrant dans un cycle récurrent une fonction du génie artistique ou la globalisation culturelle du monde est d’innovation/institutionnalisation. Il d’un statut auto-proclamé mais qu’elle l’introduction, dans notre univers de ré- est donc important que tous les acteurs a son origine dans le principe de « réa- férence, de cultures qui ne sont pas liées de la convergence actuelle entre champ lisation de soi » et dans une vision plu- à la tradition nationale. L’intercultura- social et champ artistique sachent faire raliste de l’art. lité est un mouvement d’hybridation, preuve d’esprit critique et inscrivent de décontraction de cette tradition na- l’aventure présente dans un cadre du- c) La découverte du phénomène des tionale, sous plusieurs aspects : rable. « amateurs ». Depuis la rupture entre – la présence, via les médias de masse, l’éducation populaire et la politique d’expressions culturelles issues du mon- culturelle du ministère de la Culture en de entier, la reconnaissance d’esthéti- Guy Saez CNRS-PACTE, Université de Grenoble 1964, les amateurs, « remords du so- ques plurielles ; ciologue », n’étaient pas pris en compte – la disponibilité de ces expressions par les pouvoirs publics ni par les socio- pour tout un chacun, sans autre fi ltre logues qui les ignoraient parce que les institutionnel que celui des moyens de commanditaires de leurs recherches les communications (bien entendu, ceci est délaissaient. La situation est en évolu- fonction des intérêts de ces moyens de tion en raison de : communications, mais il s’agit là d’un – l’augmentation sensible du nombre autre débat) ; des amateurs, notamment dans le do- – l’entrée dans l’espace public, par la maine musical. Ailleurs, par exemple voie artistique et culturelle, de mino- dans le domaine patrimonial, on peut rités nationales cachées ou stigmati- considérer que la croissance importante sées (les graffeurs, breakers, rappeurs) du nombre d’associations locales du pa- qui contribuent, avec les chanteurs de trimoine relève du même phénomène ; raï, à la reconnaissance de minorités – la pression exercée par ces amateurs d’origine maghrebine et africaine, mais pour disposer de moyens (salles, petites le chant corse ou breton fait aussi pren- subventions, reconnaissance publique dre conscience d’une altérité ;

Politiques culturelles et éducation populaire. Interaction constante, constant malentendu NOTES

1– Tel était le programme de la sociologie américaine de l’après-guerre, cf. H. D Lasswell, 5– Le programme de recherche conjoint du ministère de la Culture, de la Délégation in- A. Kaplan, Power and Society. A Framework for Political Enquiry, New Haven, Yale University terministérielle à la ville, du Fonds d’action sociale intitulé « Cultures, villes et dynamiques Press, 1950. sociales », lancé en 1996. 2– Voir Frederic Jameson, The Cultural Turn, London, Sage, 1998. 6– On trouvera de plus amples informations sur les expériences en cours, les études et 3– Parmi les travaux marquants : Charles Taylor, Les sources du moi (1989), Paris, Seuil, recherches sur cette question sur les sites : http://www.injep.fr et http://www.passeurs- 1998, Christopher Lasch, La culture du narcissisme, Castelnau-le-Lez, Climats, 2000. deculture.fr 4– Voir Philippe Urfalino, L’invention de la politique culturelle, Hachette, 2004.

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec28sec28 228/04/088/04/08 14:21:2314:21:23 CULTIVER LES MÉMOIRES DU PEUPLE UN ENJEU DE DIVERSITÉ CULTURELLE ?

Jean Guibal

J’ai commencé ma carrière au musée des Arts et Traditions populaires. À l’époque, nous étions tous convaincus d’avoir une mission imprescriptible de réhabilitation des cultures populaires, de mise en valeur de cet immense univers que composent les savoirs, les savoir-faire, la littérature orale, les techniques, les comportements, les modes de vie, les rites d’une culture qui a longtemps été oubliée pour ne pas dire méprisée par la culture savante.

’histoire de cette grande maison qu’un outil culturel chargé de valoriser leur prête un regard européen. Aminata L qu’était le Musée des Arts et Tradi- les cultures populaires. Il vient d’être Traoré, spécialiste des politiques cultu- tions Populaires mérite d’être rappelée fermé pour un nouveau projet puisqu’il relles et ancienne ministre de la culture rapidement. Il a été créé par le Front doit déménager à Marseille et devenir le du Mali, exprime une critique radicale populaire – c’est un acte politique que « Musée des civilisations d’Europe et de de cette forme de valorisation du patri- l’on oublie fréquemment – et il ne sera la Méditerranée ». Ce qui est un nou- moine : « Jusqu’où iront les puissants de jamais un enfant légitime du ministère veau projet d’une tout autre ambition, ce monde dans l’arrogance et le viol de de la Culture bien qu’il en soit un des mais qui revalorise les cultures populai- notre imaginaire ? » éléments parmi la nébuleuse des musées res à une autre échelle, celle de l’Europe nationaux. La Direction des Musées de et de la Méditerranée. C’est une orien- Comment comprendre cette notion de France mettra trente ou quarante ans tation passionnante, mais il faut espé- culture « populaire » que l’on oppose à le doter d’un bâtiment qui sera si- rer que l’échec du musée des ATP sera généralement à la culture « élitiste » ou tué au Bois de Boulogne, avec peu de capitalisé et que l’on veillera surtout à « savante ». Pour ma part, je pense que chance de rencontrer le public. Ouvert ce que les cultures populaires ne soient cela défi nit surtout les cultures domi- en 1969, c’est-à-dire très tardivement pas folklorisées, fi gées dans une vision nées, les cultures qui souffrent, celles après que le projet en eut été conçu, le traditionnelle alors qu’elles sont, com- qui appellent à être connues et qui n’ar- Musée eut toujours du mal à trouver son me toutes les cultures, vivantes et qu’il rivent pas à trouver une place dans les rythme et en vint à péricliter petit à pe- aurait fallu les moderniser, les adapter à cultures savantes. La culture savante, di- tit. Il est vrai que n’ont peut-être pas été la vie contemporaine. rai-je même de façon plus provocatrice, conduites les politiques culturelles qu’il semble se construire sur le mépris des fallait et, très vite, il est devenu un labo- On n’a jamais su valoriser les cultures cultures populaires. Bourdieu nous rap- ratoire sur les cultures populaires plutôt populaires. Je ne parle pas des cultures pelle à juste raison que « Le bon goût populaires « exotiques » sous peine de n’est que le dégoût du goût des autres ». Il faut espérer que l’échec du devoir faire une conférence particulière D’ailleurs, le terme de « culture savan- “ au moment où, après l’abandon du Mu- te » s’emploie au singulier tandis que musée des ATP sera capitalisé et sée de l’Homme et du Musée des Arts « culture populaire » s’emploie au pluriel. que l’on veillera surtout à ce que d’Afrique et d’Océanie, on a cru bon La culture savante prétend être univer- les cultures populaires ne soient de créer un autre musée qui s’appelle le selle, elle est censée couvrir l’ensemble Musée du Quai Branly, pour simplifi er des champs culturels de l’humanité, re- pas folklorisées, fi gées dans une (parce que son concept est innomma- présenter toute sa diversité culturelle. La vision traditionnelle alors qu’elles ble : musée des cultures, des civilisa- langue est un bon exemple pour illustrer sont, comme toutes les cultures, tions, des arts premiers, primitifs, etc.), la question de la diversité des cultures et dans lequel on donne une vision en françaises. La langue qui est, dans cha- vivantes et qu’il aurait fallu les quelque sorte acculturée des cultures que culture, le pivot central car il n’y a moderniser, les adapter à la vie populaires du monde et, surtout, du pas de culture qui ne s’exprime par une contemporaine. Sud. Dans ce cadre, les objets sont essen- langue. Cet exemple me permet de rap- ” tiellement exposés à travers le sens que peler que la Révolution française a voulu

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec29sec29 228/04/088/04/08 14:21:2314:21:23 VERBATIM spontanément. On peut enfi n mettre en place l’histoire de la famille par rap- « À Valenciennes, le label « capitale régionale de la culture » a fait bouger les marges et repousser port à celle de l’église du village, celle certaines frontières de l’action culturelle par rapport au public. Saint-Aybert, par exemple, plus petite commune de la communauté de l’agglomération, a reçu une action de l’espace Pasolini de la Révolution française par rapport à intitulée Résidents du monde qui consiste à faire venir en résidence une danseuse ouïgoure, Napoléon, etc. Je suis au regret de dire un musicien kirghiz, un chanteur d’opéra tibétain, une chanteuse groenlandaise, et un danseur que les politiques publiques de la culture éthiopien. Saint-Aybert est un village de 300 habitants. Le soir de la représentation, 450 personnes ne considèrent pas ce mouvement à sa s’étaient déplacées. Évoquons aussi l’Orchestre national de Lille sur la Place d’Armes, le 28 juste mesure et en tout cas ne mettent septembre dernier, alors qu’il avait plu toute la semaine et jusqu’à 15 heures ce jour-là, il y avait le pas en place les moyens de l’accompa- soir 8 000 personnes qui ont assisté à la représentation pendant 1h30, avec un respect incroyable gner. Pour cela, il aurait fallu une né- des musiciens et avec un public qui pour une grande partie, n’était jamais allé au concert cessaire décentralisation. Il aurait fallu classique. Ce soir-là on a fait bouger les marges aussi. De même qu’avec Carmen, monté par la Cie que les collectivités territoriales puissent OFF, joué en plein air à Anzin et à Condé où un monsieur de cinquante ans parmi le public m’a conduire elles-mêmes leur politique pa- confi é “Je suis chômeur, je n’étais jamais allé au spectacle, j’ai perdu de nombreuses années”.» trimoniale. Qu’une région désigne toute Patrick Roussiès, maire adjoint à la culture, Ville de Valenciennes seule ses monuments historiques n’est actuellement pas permis. Nous avons essayé de le proposer lors de l’expérien- construire l’unité nationale en réduisant trimoine, tout montre qu’il y a eu une ce des « protocoles de décentralisation la diversité linguistique. Puis, tout au véritable appropriation du patrimoine culturelle » menée au début des années long du XIXe et du XXe siècle, l’identité et de la mémoire par la population fran- 2000, mais rien n’y a fait. Le ministère nationale s’est construite en refusant la çaise, et que l’on ne peut en aucun cas de la Culture a toujours beaucoup de diversité des cultures régionales. Nous dire que rien n’a progressé au cours des mal à intégrer l’idée de décentralisation nous sommes appuyés sur un déni de dernières années. Partout c’est un en- culturelle. diversité pour construire l’unité natio- gouement, partout c’est un vrai partage. nale et une culture savante française. Au point même que certaines voix s’élè- Comment aborder la problématique de Les cultures et les langues régionales ont vent pour dire que « Trop, c’est trop ». la mémoire collective dans ce débat ? La été refoulées dans un recoin qu’on ap- Régis Debray nous explique ce qu’est mémoire n’est pas l’histoire, l’appel à la pelle le folklore – avec une connotation l’abus monumental. Henri-Pierre Jeudy mémoire est un acte culturel et elle peut très péjorative – et que l’on ressort les s’inquiète de la « muséomanie ». On en à la rigueur devenir un matériau pour jours de fêtes avec des danses tradition- vient à décrire ce phénomène, cette ap- l’histoire. Mais l’histoire est une disci- nelles. Nous sommes aujourd’hui dans propriation du patrimoine et de l’histoi- pline scientifi que qui doit toujours cri- cette situation paradoxale qui veut que re comme quelque chose d’illégitime : tiquer ses sources, qu’elles soient écrites la France soit l’un des pays, aux côtés cet appel au patrimoine et à la mémoire ou orales. La mémoire est la manifesta- du Canada, qui mène la lutte pour la di- serait le témoin d’une peur de l’avenir, tion d’une volonté d’être présent dans versité culturelle et propose la Conven- exprimerait un réfl exe identitaire, une l’histoire. On peut effectivement imagi- tion de l’Unesco pour la défense de la crispation, quelque chose en tout cas ner qu’il y a là beaucoup de nostalgie, la diversité culturelle alors qu’elle peine à qui fait problème. Il est vrai que le par- peur du futur, la crainte de la mondiali- reconnaître sa propre diversité, celle de tage est diffi cile : quand il y a beaucoup sation, bref un réfl exe sécuritaire. Il y a ses langues et cultures régionales. Rap- de monde pour aller visiter les musées, en tout cas un appel, une revendication pelons-nous la loi Joxe sur le statut spé- c’est gênant. Jean Clair, le conservateur qui, d’ordinaire, n’a pas de place dans cial de la Corse, qui proposait que les de la mélancolie1, nous le dit dans un les ouvrages et les propos des savants et petits Corses apprennent deux langues à ouvrage récent : il y a trop de monde qui dit quelque chose comme « je suis l’école. Ce fut un tollé. Jean-Pierre Che- au Louvre, ce n’est pas normal, les gens présent dans votre histoire ». Donc, vènement nous expliqua que la Républi- ne comprennent pas et tout ne peut pas de mon point de vue d’agent culturel que était en danger. se partager. La culture savante ne peut et de conservateur du patrimoine, la pas imaginer qu’il y ait une trop grande revendication mémorielle est un vrai S’agissant du patrimoine, la démocra- démocratisation de l’accès à la culture. acte culturel. Qu’elle se pose dans le cas tisation culturelle n’est pas un échec Et pourtant, cet accès à l’histoire, au pa- d’identités territoriales qui font appel contrairement à ce que l’on entend ces trimoine, à la mémoire est un tournant à leur mémoire pour redécouvrir une derniers temps. Il y a eu des avancées historique et une prise de conscience de part de leur histoire, qu’il s’agisse de la considérables et singulièrement dans ce la conscience historique, du fait qu’elle mémoire des communautés (d’origines domaine. Du succès du Louvre, à l’in- permet de se situer au-delà des deux étrangères, ethniques, religieuses, pro- térêt que les gens portent à leur four à ou trois générations dans lesquelles fessionnelles), qu’elle soit spontanée ou pain, en passant par les journées du pa- chaque individu tend à se représenter organisée par des institutions culturelles,

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec30sec30 228/04/088/04/08 14:21:2314:21:23 peu importe : toutes ces revendications fallait pour mettre en valeur ces cultu- L’Unesco a proclamé la nécessité de ont une fonction sociale et culturelle. Je res. Qu’il me soit permis d’évoquer le sauvegarder la diversité culturelle qui tiens beaucoup à cette caractérisation travail du Musée Dauphinois que j’ai est, en défi nitive, le premier des patri- culturelle de l’appel aux mémoires. Car longtemps dirigé. Depuis la fi n des an- moines de l’humanité. Elle a également elles sont au cœur de la revendication de nées 80, ce musée a mis successivement déclaré l’intérêt de classer au patrimoine la diversité des cultures. Nous sommes l’accent sur les différentes communautés mondial le patrimoine immatériel, eth- différents d’un lieu à un autre, d’une que le destin a amenées dans la région : nographique. Ce patrimoine a été mis communauté à une autre et il faut le les Italiens, les Arméniens, les Grecs, les en évidence parce que le patrimoine faire valoir. Maghrébins et demain les Tziganes. Ac- mondial, dans son ancienne version, ne tuellement, au Musée de la Résistance et mettait en valeur que le patrimoine clas- Notre diffi culté à aborder ce question- de la Déportation de Grenoble, se tient sique, artistique et monumental, celui nement transparaît à nouveau à travers une exposition sur la grande précarité. des cultures savantes, celui des « gran- les diffi cultés rencontrées par la Cité Le plus intéressant c’est que ce sont les des » civilisations. Pour l’essentiel, cette nationale de l’immigration pour son chômeurs longue durée qui sont venus approche ne permettait pas aux peuples inauguration. Les calendriers des mi- demander au Musée de bien vouloir fai- du Sud et aux cultures populaires en gé- nistres concernés n’étaient pas compa- re une exposition sur eux. Et nous som- néral de voir des éléments de leur patri- moine reconnu au titre du patrimoine de l’humanité. C’est l’ouverture vers ces “Nous sommes aujourd’hui dans cette différentes cultures qui est en jeu, une ouverture dont la France a été l’un des situation paradoxale qui veut que la France moteurs. Sauf que la France tarde à dé- velopper comme elle devrait le faire une soit l’un des pays, aux côtés du Canada, qui politique de reconnaissance à l’égard du patrimoine immatériel comme de la di- mène la lutte pour la diversité culturelle et versité culturelle. propose la Convention de l’Unesco pour la Je crois que la question du partage de la culture, de la démocratisation cultu- défense de la diversité culturelle alors qu’elle relle, demeure un objectif majeur qui doit être poursuivi. Je pense même que peine à reconnaître sa propre diversité, celle ce devrait être, pour les années à venir ; l’obsession des acteurs culturels ou des de ses langues et cultures régionales.” élus à la culture. Nous avons un grand besoin de re-légitimation des politiques culturelles et la question des publics doit tibles... Bizarrement, la CNHI a été ins- mes plus fi ers encore de cet appel au être tout à fait au-devant de toutes nos tallée dans l’ancien palais des colonies musée que de réaliser cette exposition, problématiques. Dans le même temps, au fronton duquel on voit des généraux ce qui en soi n’avait rien d’exceptionnel. il faut se demander quelle place nous conduire des peuples en tenues de sau- Je vous laisse imaginer ce que veut dire souhaitons donner dans les politiques vages vers la modernité et la civilisation. la présence de ces communautés dans culturelles aux « cultures dominées », en Cette démarche culturelle a été conduite ces temples de la culture française que tout cas aux cultures populaires. Peut- à terme – c’est déjà un miracle que l’État sont les musées. Le symbole est impor- être faudrait-il passer par quelques sym- français se dote d’un tel outil – grâce à la tant et mérite d’être médité tandis que boles. Pourrait-on imaginer appeler le détermination de Jacques Toubon sans la Cité de l’immigration rencontre di- ministère « le ministère des cultures » ? qui nous n’y serions jamais arrivés. Alors verses diffi cultés, dont celle de ne pas que l’État n’a jamais su reconnaître la être reconnue par la direction des mu- nécessité de mettre en valeur les cultures sées de France puisqu’elle est considérée Jean Guibal immigrées, de très nombreux établisse- comme un centre culturel et pas comme Conservateur du patrimoine, directeur de la culture ments en région ont su jouer le rôle qu’il un vrai musée. et du patrimoine du Conseil général de l’Isère

Cultiver les mémoires du peuple : un enjeu de diversité culturelle ? NOTES

1– CLAIR Jean (sous la dir.de). Mélancolie, génie et folie en Occident, catalogue de l’expo- sition au Grand Palais, Paris : Gallimard/RMN, 2005.

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec31sec31 228/04/088/04/08 14:21:2314:21:23 LES ENJEUX DU DIALOGUE INTERCULTUREL DU QUARTIER À L’EUROPE

Catherine Trautmann

Dans la question de la culture réside une notion de l’être humain, de l’être à soi qui est fondamentale pour faire société. Le philosophe György Lukacs y rend attentif en disant que « La culture est l’humanité de l’humain ». Ainsi la culture existe au-delà de toute œuvre créée dans un temps donné comme un processus d’édifi cation de soi- même, de prise de conscience, d’exercice de liberté, de pensée et de choix. Ce qui fait la différence entre « être humain » et « être un homme inhumain ». Car si nous n’avons pas conscience que ce que nous avons en partage est précisément cette hu- manité qui nous oblige à nous dépasser, alors nous nous enfermons dans une vision d’une culture identitaire, ethnique. Et je crois que ce serait là le risque de donner ce sens à l’expression de culture populaire.

ous sommes aujourd’hui dans une Nation… C’est une chose que l’on évo- par les droits qu’elle garantit, grâce à Nsituation où n’existe plus la simple que peu et qui, pourtant, fonde ce qui a un modèle qui est une construction de opposition entre culture élitiste, culture été un des actes politiques et culturels culture juridique et politique créatrice savante, culture cultivée et culture popu- majeur : inscrire chaque enfant dans d’une véritable citoyenneté, où la cultu- laire. Il y a une culture de masse qui a été la fi liation de la République, donner la re organise la communication entre les rendue possible avec le développement même valeur à n’importe quel enfant gens. Nous sommes à une époque où de la télévision et des médias en général. qui pouvait naître dans n’importe quelle nous avons des choix à opérer. Certains Il y a une culture grand public et il y a catégorie sociale. La République corres- évoquent le choc des civilisations ; le des cultures spécifi ques, restreintes à des pond à la création d’un modèle démo- dialogue interculturel est précisément groupes minoritaires, mais que l'on ne cratique et d’une nouvelle culture. C’est à l’opposé du choc des civilisations. peut assimiler à une culture populaire. pour cette raison que, dans la Consti- Le dialogue interculturel oblige à pra- Je pense qu’il faut être extrêmement tution, la transmission de la culture et tiquer le respect mutuel, la conscience précis sur l’ensemble des sens possibles de l’éducation est inscrite comme une de l’interdépendance des cultures, de que l’on peut attribuer à l’expression obligation publique majeure. leur enrichissement réciproque, parce « culture populaire ». Si je devais mettre qu’à travers cela, et c’est l’enjeu de la un pluriel, ce serait à « culture » et non à L’EUROPE : UNE UTOPIE diversité culturelle, il y a le respect de « culture populaire ». tout homme et de toute femme. CONCRÈTE Au moment de la Révolution, la Répu- Nous avons compris, après la guerre, à blique naissante a donné un droit de Aujourd’hui, quel est le rôle de la Fran- cause du crime si profondément inhu- fi liation, une identité qui n’était plus ce ? Dans une Europe qui se construit à main de la Shoah, qu’il fallait donner consignée seulement dans les registres pas comptés, avec des moments de crise toute sa dimension aux droits culturels. des paroisses ; à la fi liation familiale ou comme ceux que nous venons de traver- Primo Levi, et d’autres à ses côtés, a naturelle se superposait celle de l’appar- ser et dont nous ne sommes pas encore remarquablement exprimé que quand tenance religieuse par le baptême. La sortis, nous devons nous souvenir que on veut s’en prendre à l’humanité, on nouvelle fi liation républicaine s’inscrit l’Europe est aussi une utopie concrète. ne détruit pas seulement la vie concrète dans l’ordre de la citoyenneté et dans Si nous ne voulons pas d’une Europe des hommes et des femmes que l’on l’ordre des droits. Ainsi les Archives na- qui soit exclusivement conçue comme poursuit ou que l’on tue, on s’en prend tionales, en devenant dépositaires de nos un grand marché ou une zone de libre- à leur pensée, on les dégrade, on s’en identités, ont permis que nous soyons ci- échange, alors nous devons revenir à la prend à ce qu’ils sont au cœur d’eux- toyens à part entière, formant désormais question politique de la construction mêmes au plan spirituel. Nous sommes non plus seulement un peuple mais une européenne par la volonté des peuples, nés de cela.

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec32sec32 228/04/088/04/08 14:21:2414:21:24 L’EXPRESSION CULTURELLE : donc un concept juridique qui consiste dictions. La convention de l’Unesco dé- UN CONCEPT FÉDÉRATEUR à viser la règle la plus générale possible montre que l’on a cherché à sortir de pour qu’elle soit la plus commune possi- la défi nition identitaire. C’est la raison Aujourd’hui, nous nous défi nissons de ble. Que ce soit sur le plan commercial pour laquelle, dans le texte de cette façon ambiguë, selon le double sens ou à d’autres plans. Le problème de- convention, il est fait mention d’« ex- donné à la diversité culturelle. Cette meure lorsqu’ il s’agit de construire une pression culturelle », et non d’identité question a fait l’objet d’un débat politi- politique culturelle et non pas se borner ni de création, ce qui aurait suscité un que entre les Canadiens et les Français. à la défense du patrimoine, ou défendre infi ni débat. La notion « d’expression Je suis en quelque sorte très concer- le caractère d’authentique création des culturelle » nous concerne tous aussi née puisque j’étais, à ce moment-là, œuvres. bien qu’elle touche à la transformation confrontée aux deux sens de la « diver- de la réalité par l’art, par l’entremise sité culturelle ». Nous avions l’excep- Les Canadiens avaient une vision de la des artistes. L’expression culturelle ré- tion culturelle mais nous n’avions pas diversité culturelle que je qualifi erai de pond de cette défi nition que la culture la diversité. L’exception est un outil, un « multiculturelle » : il existe des mino- est l’humanité de l’humain. Lorsque mécanisme grâce auquel lorsqu’un bien, rités ethniques disposant de langues, de l’homme ou la femme s’exprime, il en particulier culturel, est chargé d’une coutumes, d’un patrimoine oral devant pose un acte qui est un acte qu’il peut double valeur économique et non mar- être protégés. C’est la protection de ce mettre en partage. C’est la création chande alors il doit pouvoir être traité à qu’ils appellent les peuples autochto- d’une histoire commune possible, c’est part et non simplement comme un bien nes. Mais il était extrêmement com- la création d’un patrimoine dans lequel commercial. Ce fut tout le problème pliqué de faire coïncider notre vision on s’inscrit, c’est la possibilité aussi de de l’OMC et des négociations. C’est républicaine de la culture, qui a une va- vivre la culture selon une autre défi ni- le principe de la directive Bolkestein : leur universelle, qui ne peut pas être le tion que je vous propose, défendue par on libéralise tout et on uniformise ; on seul bien des Français mais qui doit, en le philosophe suisse Lorenzo Bonoli : met tout au même niveau et ensuite on même temps qu’elle nous caractérise, « la culture est l’expérience de l’altéri- considère ce qui doit faire l’objet d’une être une culture commune à tous. Il fal- té ». Ce qui fait que « je suis », c’est bien exception. Les biens culturels, audiovi- lait traiter un problème économique, de la conscience que celui qui est en face suels, constituent une exception et ont, commerce international, sans tomber de moi peut être semblable, mais en pour cette raison, été « sortis ». C’est dans le piège de ces apparentes contra- même temps profondément différent. “Le dialogue interculturel oblige à pratiquer le respect mutuel, la conscience de l’interdépendance des cultures, de leur enrichissement réciproque, parce qu’à travers cela, et c’est l’enjeu de la diversité culturelle, il y a le respect de tout homme et de toute femme.”

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec33sec33 228/04/088/04/08 14:21:2414:21:24 quand on passe d’une économie indus- “La notion « d’expression trielle à une économie plus immatérielle de la société de l’information, n’est pas qu’économique mais fondamentale- culturelle » nous concerne ment politique et sociale. L’U.E. COMME ESPACE tous aussi bien qu’elle DE RECHERCHE

L’Europe n’est pas une République. On touche à la transformation ne peut pas lui appliquer le modèle dé- mocratique qui est le nôtre et qui est le résultat d’une histoire. En revanche, de la réalité par l’art, par pour reprendre les propos du philosophe Sloterdijk « l’Europe est née de l’aban- don de tout désir d’empire ». Il a bien fallu, pour arriver à construire la com- l’entremise des artistes. munauté européenne, que l’on puisse décider de ne plus transgresser les fron- tières nationales pour envahir le pays d’à Elle répond de cette côté, que l’on puisse le faire ensemble, que l’on sorte des colonies et que l’on se donne les moyens d’organiser cette paix défi nition que la culture durable. Aujourd’hui, le défi n’est plus tant cet acte d’adhésion, l’acceptation d’une perte d’une partie de sa souverai- neté nationale dans ce qu’elle a de plus est l’humanité de chauvin ou de plus belliqueux, mais il est, au contraire, dans la recherche d’une utopie concrète, faite de l’invention et l’humain.” de l’apport volontaire de chacun. Nous sommes donc au milieu du gué : zone Nous avons connu les guerres de reli- nationale qui clive entre ressortissants de libre-échange ou espace politique ? gion, nous avons inventé la laïcité. L’Édit français et ceux qui ne le sont pas. Nous Philippe Busquin, ancien commissaire de Nantes a permis de trouver un cadre sortons du champ culturel et nous re- à la recherche a proposé que l’UE soit dans lequel la liberté de croire ou de ne venons à une conception ethnique de conçue comme un espace de recherche pas croire pouvait s’exercer, la neutralité la France. Or, ce qui fait que dans les et je lui donne raison. C’est dans l’in- des institutions publiques était posée îles, à Vanuatu ou à la Martinique, où vestissement dans la pensée, dans la pour assurer la protection et les droits l’on avait pourtant mis en esclavage des mise en réseau des intelligences, dans accordés au citoyen. Autrement dit, le populations entières, nous pouvons être la possibilité d’y ajouter la création et la citoyen, dans ses obligations, a pour tâ- français malgré des différences d’ori- culture que nous pouvons redonner un che à la fois de respecter les droits dont gine, de couleur de peau, c’est bien le souffl e et un élan à l’UE. il est attributaire, d’en faire un bon usa- fait de partager autre chose qu’un sol, ge civique, mais il a aussi pour tâche de qu’un contexte économique ou juridi- DIALOGUE INTERCULTUREL reconnaître que ceux qui vivent à côté que, c’est la cohabitation, la confron- de chez lui sont aussi des citoyens libres tation et la confusion des cultures. ET DIVERSITÉ CULTURELLE et égaux en droits. Le problème actuel Nous avons souvent beaucoup de mal est que nous vivons dans une société où à reconnaître que cette interculturalité La France aura la présidence dans le 2e nous sommes beaucoup plus centrés sur existe dans la création et qu’il y a, en semestre 2008, au moment de l’année l’individu, beaucoup plus identitaire et, permanence, interférence et inspira- du Dialogue interculturel, moment où je le crains, avec une restriction et un ris- tion réciproques entre culture régiona- l’on devrait construire, sur la base de que majeur dans la vision véhiculée dans le, culture populaire et culture savante. cette vision de la diversité, une politique notre pays d’une défi nition de l’identité Donc, je crois que la question culturelle, européenne qui s’illustre dans les poli-

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec34sec34 228/04/088/04/08 14:21:2414:21:24 tiques nationales. Pour l’instant, vu du que nous pouvons constituer et propo- une politique extérieure qui permette de Parlement Européen, la France est dans ser comme modèle démocratique dans placer la culture comme un bien supé- l’erreur : pas de message, diminution des un monde multipolaire et plus pacifi - rieur, comme un bien suprême, – même crédits, fragilisation des professionnels que. Car ce que nous devons nous appli- s’il peut s’échanger gratuitement –, c’est de la culture, pas d’élan sur le terrain quer à nous-mêmes nous devons aussi un bien aussi important que la vie. C’est européen, pas de prise en compte de pouvoir continuer de le porter comme à cela que renvoie la comparaison entre la chance que représente Internet pour une proposition politique à l’échelle du la biodiversité et la diversité culturelle : réaliser cet objectif. L’initiative politique monde. ce qui est nécessaire à la survie de notre que l’on pourrait attendre ne repose pas espèce est nécessaire aussi à la bonne seulement sur le traité simplifi é mais Au Japon, à Kyoto, j’ai visité une maison marche de nos esprits et inversement. vraiment sur ce que la France peut ap- de thé, un très petit espace dans lequel porter de meilleur, de plus grand et qui a il fallait se pencher pour entrer et dans Je suis, bien entendu, à la recherche de été accepté dans le traité constitutionnel lequel on était coincé. Certains diraient, complices et de soutiens. Ce n’est pas mais que, bien rapidement, nous avons de manière rapide ou quelque peu eth- facile d’expliquer aujourd’hui, dans les balayé d’un revers de main. On aura du nicisante, que les Japonais n’étaient embarras de l’UE, qu’il faut retrouver mal à revenir avec le même message, certainement pas grands à l’époque où une véritable ambition politique et que celui qui permet d’avoir des symboles, cette maison a été construite. Or, il y cette ambition passe par la culture ou les de trouver une image, un territoire sym- a là un geste architectural prévu pour cultures, en tout cas par un projet politi- bolique pour la citoyenneté européenne. que toute personne entrant dans cette que nourri d’une pratique respectueuse L’utilitaire est de retour, dans la gestion maison de thé ne puisse tirer son arme, de la diversité culturelle. et dans la compromission, sinon dans le de même que l’hôte qui le recevait. Par compromis. conséquent, par l’architecture et par la composition de l’espace, on rappro- Catherine Trautmann Je dirai que la question politique croise chait les personnes et on les empêchait Députée européenne aujourd’hui celle de la volonté présente d’utiliser leur arme. Autrement dit, on ou non de pouvoir avancer sur le terrain créait les conditions du dialogue entre européen. Le dialogue interculturel peut les gens. Au fond, l’Europe il faut l’ha- être une réponse aux tenants de la thèse biter. Avec un projet politique, avec des du choc des civilisations. C’est l’affi r- moyens certainement plus importants mation que nous gardons et que nous que le programme culture 2007, avec voulons l’exception culturelle. C’est l’af- davantage d’implication sur tout ce qui fi rmation que la diversité culturelle est peut nous être commun en matière de fondée sur la mutualisation des cultures, formation, d’éducation de coopération sur leur interfertilité (comme on pour- entre les institutions culturelles. Et il rait le dire de la biodiversité) et c’est ce faut bien sûr continuer de construire

VERBATIM « Faire la culture populaire », cette formule, ce mot d’ordre, pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses. Que veut-on ranger dans ce vaste bric-à-brac de la culture populaire souvent affublée des oripeaux de la modernité ? C’est quoi, au fait, être populaire ? De quel peuple parle-t-on ? Oserions-nous aujourd’hui nous hasarder vers des expressions pittoresques du genre « la culture d’en bas » en opposition à la « culture d’en haut » ? Léon Tolstoï, André Malraux et Jean Vilar parlaient de l’accessibilité à tous. Cette formule-là reste pour moi celle qui me guide puisqu’elle est au cœur de mon métier. L’éducation est la condition de tout éveil à la culture, qu’elle soit celle de la pratique ou de la réception et du plaisir. »

Lew Bogdan, directeur de la scène nationale Le Phénix, Valenciennes

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec35sec35 228/04/088/04/08 14:21:2414:21:24 UN PEUPLE D’ARTISTES

Nicolas Roméas

Comment l’art pourrait-il renier ses racines populaires ? « Populaire », il l’est tou- jours à l’origine, en tous lieux, en toutes cultures, en Asie et en Afrique comme aux sources de notre propre civilisation. Et s’il peut fi nalement donner l’impression d’être l’apanage d’une élite, c’est au prix d’un complexe détournement du « bas » vers le « haut ».

a place manque ici pour développer blique s’attacha à consolider. Plus tard, cupation : ces moments de l’Histoire Lce sujet, mais on sait que l’Histoire la relance des mouvements d’éduca- sont propices à l’usage politique de va- de l’évolution des pratiques musicales tion populaire découla directement du leurs immatérielles. La Libération sera en Occident est en grande partie celle Front populaire qui surgit en réaction à l’occasion d’un élan national de démo- du passage de leur circulation dans des la menace de la guerre et du fascisme. cratisation de la culture. C’est ainsi que milieux ruraux à une appropriation L’action du secrétariat d’État aux Sports s’explique la renaissance, à cette épo- progressive par les classes dominantes. et aux Loisirs de Léo Lagrange fut un que, des « mouvements de jeunesse » D’une autre manière, le cheminement moment pionnier de cette évolution. au sein de l’Éducation nationale. Le lien historique du théâtre européen montre Les CEMEA, ou les chantiers de jeu- entre le monde ouvrier et les pratiques une lente évolution qui, des Mystères du nesse, par exemple, sont issus du grand culturelles se renoue grâce aux comités Moyen Âge au théâtre de cour en pas- mouvement de 36, où l’usage du temps d’entreprise et aux stages de réalisation sant par les carnavals et les foires, nous a libéré par les « congés payés » tint une parrainés par la direction de l’Éducation menés, au cours des siècles, à une sorte place importante. populaire. La Ligue de l’enseignement de confi scation. se reconstitue et des mouvements sur- La guerre, puis le gouvernement de Pé- gissent, qui existent encore, comme Tra- Sans remonter aussi loin, ce confl it op- tain, cassèrent cet élan, mais le profond vail et Culture. C’est aussi le début du posant une pratique populaire de l’art mouvement initié en France au début grand mouvement de décentralisation – l’usage collectif de mythes et de sym- du XIXe siècle se continua souterraine- à l’origine des centres dramatiques na- boles – à ce que Bourdieu appelait une ment. Jeune France, organisation dirigée tionaux qui portera dans ce qu’on appe- culture de distinction qui sert à renforcer par Pierre Schaeffer, avait beau dépen- lait des « déserts culturels » l’idéal d’un un mode de domination, est au moins dre du gouvernement de Vichy, cer- théâtre au service de la rencontre entre aussi ancien que notre république. Et il tains, dont lui-même, y poursuivirent les Hommes. s’agit bien, au fond, d’un combat poli- un travail sous-jacent de démocratisa- tique. tion et d’irrigation culturelle des provin- Mais c’est un terrain où les pouvoirs ces. Après la défaite, Joffre Dumazedier, politiques s’affrontent et les clivages ne L’ÉDUCATION POPULAIRE, qui avait organisé des stages ouvriers à manquent pas de réapparaître sous la l’école d’Uriage, fonde, en 1944, Peuple Ve République. Les communistes, qui PRÉMICES DE LA et Culture. Le combat contemporain défendaient l’Éducation populaire, per- DÉMOCRATISATION contre ce qu’on nomme marchandisa- dent un peu de l’aura conférée par la Ré- CULTURELLE tion n’est pas nouveau : en lutte contre sistance. Les vieux « démons féodaux » le capitalisme, il défendait déjà l’idée de resurgissent. Gauche et droite s’affron- « développement culturel » pour s’op- tent autour de cet enjeu : au niveau de En France, les premières grandes asso- poser à celle de « développement éco- l’État, la « Jeunesse », qui comprend le ciations d’éducation populaire, parmi nomique ». théâtre amateur, est coupée de l’Édu- lesquelles la Ligue de l’enseignement, cation. La Culture, quant à elle, prend naquirent des révolutions parisiennes À partir de la Libération, le nouveau de la hauteur, en se séparant des mou- de 1830 et 1848. Et la Commune de gouvernement utilisera l’art et la culture vements d’Éducation populaire sous la Paris provoqua la prise de conscience pour « ravauder » l’identité culturelle tutelle d’André Malraux qui ne veut en- d’une culture ouvrière que la IIIe Répu- d’un pays déchiré par la guerre et l’Oc- tendre parler que de « professionnels ».

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec36sec36 228/04/088/04/08 14:21:2414:21:24 “Lorsqu’il évolue dans un cercle restreint de spécialistes nourris de références coupées de leurs sources contemporaines, l’art se stérilise. Il cesse d’être ce langage utilisé par la collectivité pour se dire à elle-même ce que les mots seuls sont impuissants à dire. Il devient objet de consommation et de distinction. ”

Le combat reprend. Malraux, devenu à-dire tout simplement bourgeoise ». savant. Nous sommes face à un choix ministre des Affaires culturelles, créera Cette déclaration, signée le 25 mai 1968, de civilisation. Un combat entre une so- bien les premières maisons de la culture, répondait au choc des « événements ». ciété de commerce qui ne reconnaît que mais il penche plus vers le « grand art » Une violente reprise de conscience du le profi t et ce monde du symbolique qui que vers une vraie démocratie. vieux clivage qui éveilla fugitivement les a pour horizon l’évolution de la société consciences mais ne transforma pas du- par la transformation des relations entre Un puissant mouvement, dont on voit rablement notre rapport à l’art. La frac- ses membres. à quel point il a partie liée avec une ture entre un art « noble », allégé des conception de la vie en société, est contraintes de son temps, héritier de « L’art, disait Dubuffet, ne naît jamais étouffé dans l’œuf. Et, jusques et y com- l’art pour l’art, et la forme que prennent dans les lits qu’on lui prépare ». Il naît du pris dans les « années Lang », cette ten- les mêmes disciplines lorsqu’elles sont frottement d’une nécessité : le besoin de dance a perduré. D’un côté, les « vrais pratiquées hors des lieux consacrés, n’est sens d’une communauté, avec une forme artistes », de l’autre « l’animation socio- pourtant qu’un trompe-l’œil. L’art n’est artistique qui n’a pas vocation à se fi ger, culturelle ». Surtout, ne pas confondre pas en dehors du monde. Sa force tient mais à se renouveler au contact de la vie. les torchons et les serviettes. à sa capacité à exprimer ce monde en le symbolisant. La séparation de nos vies Lorsqu’il évolue dans un cercle restreint Pourtant, entre-temps, il y eut Mai 68, en problématiques sociales et artistiques de spécialistes nourris de références cou- le théâtre d’improvisations collectives et mène à une impasse. Le renouveau des pées de leurs sources contemporaines, la Déclaration de Villeurbanne signée arts vivants passe par un retour de ces l’art se stérilise. Il cesse d’être ce langage par des gens aussi divers que Francis pratiques vers les communautés qui les utilisé par la collectivité pour se dire à Jeanson ou Roger Planchon… On pou- suscitent et les appellent. elle-même ce que les mots seuls sont vait y lire notamment : « Nous le savons impuissants à dire. Il devient objet de désormais, et nul ne peut plus l’ignorer : LE CLIVAGE ENTRE ART consommation et de distinction. L’ins- la coupure culturelle est profonde. [...] tant de la représentation (ou de l’expo- c’est notre attitude même à l’égard de la ET SOCIÉTÉ sition) n’est que l’un des maillons d’une culture qui se trouve mise en question chaîne : ce qui fait défaut à la création de la façon la plus radicale. Quelle que Il s’agit donc bien d’une lutte, qui prend contemporaine, c’est la conscience de soit la pureté de nos intentions, cette at- aujourd’hui une tournure particulière- cet aller-retour entre source et réception. titude apparaît [...] comme une option ment dangereuse, avec l’offensive d’une Pour que des formes nouvelles aient une faîte par des privilégiés en faveur d’une marchandisation généralisée qui ne lais- chance d’apparaître à l’ensemble de culture héréditaire, particulariste, c’est- sera bientôt même plus place à un art la communauté, il faut leur permettre

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec37sec37 228/04/088/04/08 14:21:2514:21:25 “Si l’on veut que le mot art ait un sens pour les générations futures, il faut avant tout que cette société reconnaisse la valeur de ce qui est immatériel et ne se monnaye pas. Il faut nous souvenir que ce qui soude vraiment un groupe humain, c’est une culture…”

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec38sec38 228/04/088/04/08 14:21:2514:21:25 d’exister dans un territoire commun. VERBATIM Non seulement, en se connectant au réel, l’art ne perd pas sa noblesse, mais « Un des enjeux majeurs d’une politique cinématographique c’est la diffusion : produire de la qualité, dynamiser la diffusion. On doit donc avoir une politique active auprès des cinémas c’est le mouvement-même de sa régéné- indépendants mais aussi d’art et essai que l’on doit aider à se maintenir ou à se développer car ration. Comment, autrement, les formes il faut des structures pour que le public puisse venir à la rencontre d’une œuvre audiovisuelle se renouvelleraient-elles ? de qualité et développer des mécanismes de médiation culturelle autour des salles de cinéma pour inciter un public à voir un cinéma différent, des fi lms de cinéma d’auteur ou qui n’ont pas Dans une société de plus en plus divisée toujours au niveau économique les moyens d’avoir une publicité comparable à celle des grosses entre riches et pauvres, une minorité d’ar- productions. Développer une politique d’éducation à l’image et dire que le cinéma comme la tistes se détache du terrain dont elle est télévision sont des supports pour permettre à la culture d’entrer dans tous les foyers, en donnant issue pour prendre le chemin de la réus- à voir des œuvres de très grande qualité. »

site individuelle, d’autres se regroupent en Marie-France Berthet, conseillère régionale Nord-Pas-de-Calais, présidente du CRRAV chapelles : chacun lutte pour sa survie.

Mais ceux qui œuvrent dans des lieux tité culturelle et la fonction symbolique veillance qui transforment nos lieux de où la culture trouve laborieusement sa de l’art. Un demi-siècle après la création vie commune en espaces contrôlés où ce place (hôpitaux psychiatriques, prisons, du ministère de la Culture, une vraie po- qui échappe à l’échange marchand est milieux ruraux, banlieues, quartiers litique culturelle consisterait à rompre prohibé, le symbolique est condamné. « diffi ciles », lieux d’accueils de sans do- avec le mépris dans lequel sont tenues micile fi xe, etc.), s’ils le font dans une les expériences et les équipes qui tentent Il s’agit d’un combat profond entre deux certaine précarité et une demi-obscu- de se connecter à la société telle qu’elle conceptions de l’existence collective. rité, apportent des réponses aux besoins se vit. Comme le savait Joffre Dumazedier et les plus forts. Il ne s’agit pas de juger sur avant lui Victor Hugo, la conception un résultat, mais de considérer la pro- Si l’on veut que le mot art ait un sens symbolique est le principal adversaire fondeur de l’acte dans le temps. L’art est pour les générations futures, il faut d’une vision du monde quantitative alors vécu comme ce qu’il est : un irrem- avant tout que cette société reconnaisse qui s’efforce en permanence de la sou- plaçable outil d’ouverture au monde. la valeur de ce qui est immatériel et ne mettre. Or, ces deux conceptions sont C’est ainsi qu’il peut inventer de nou- se monnaye pas. Il faut nous souvenir comme l’eau et le feu : lorsqu’il cède velles formes que les écrins mondains que ce qui soude vraiment un groupe devant la norme quantitative, le sym- ne sauraient susciter. Voilà pourquoi humain, c’est une culture, c’est-à-dire bolique disparaît. Conférer une valeur l’action culturelle et artistique doit être un certain nombre d’idées, de mythes marchande à un moment, un geste ou hautement légitimée. et d’utopies. Une mémoire collective. un objet artistique, c’est en détruire la Ce qui constitue – depuis les Grecs en valeur symbolique. C’est ce qui est vé- Ce qu’il nous faut aujourd’hui, c’est une Occident – le fond même d’une culture hiculé dans l’entre-deux relationnel qui volonté politique. Une volonté qui s’ins- partagée. donne sa valeur au moment, au geste, à crive dans le mouvement de l’histoire l’objet – la trace d’un instant. Quanti- en rejetant la pusillanimité ambiante, fi er cela, c’est en effacer la valeur sym- en luttant contre les lobbies, ceux du UN AVENIR SANS CULTURE ? bolique, par défi nition inquantifi able.

commerce comme ceux des barons de la Les arts vivants, ce n’est jamais de la culture. Nous n’avons pas d’autre choix. Quelle place pouvons-nous ménager consommation, c’est du partage, de la Il s’agit de ne laisser personne sur le bas- à cette part essentielle de l’humain, si transmission, une transformation de côté dans le processus de circulation des nous imitons les États-Unis, pays où notre relation. idées et des œuvres. Et, bien que peu de aucun véritable service public n’a ja- responsables en aient conscience, rien mais pu se construire, pas plus en ce qui Chacun, en entrant dans un lieu d’art, n’est plus authentiquement politique. concerne la culture que dans d’autres doit percevoir qu’il est irremplaçable, domaines ? Nous voilà précipités, mal- qu’il n’est pas là seulement parce qu’il a Au moment où notre société se frag- gré notre histoire, vers une inféodation payé un billet. Créer un tel climat dans mente jusqu’à constituer des micro-cul- totale au mode de vie et de pensée un lieu de commerce et de contrôle est tures hermétiques les unes aux autres, « anglo-saxon » et si nous n’inventons un leurre. Pour que l’art puisse agir, il les arts dits vivants sont un champ de pas de nouvelles formes de résistance, faut un état d’esprit, un climat propice reconstruction privilégié. Loin de ca- nous sommes en passe de rendre no- au partage, à l’émotion. Il est important moufl er un travail de moindre impor- tre avenir invivable. Dès lors que nous de rester dans une salle de théâtre pour tance derrière un alibi social, il s’agit de acceptons de laisser s’imposer dans l’es- parler avec la troupe et les gens présents, prendre en compte le lien entre l’iden- pace dit « public » des dispositifs de sur- car l’art est un vecteur de relation.

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec39sec39 228/04/088/04/08 14:21:2514:21:25 Tout est lié. Si nous laissons s’installer tion, à laquelle il faudrait se soumettre. Mais comme tout ce qui échappe aux dans notre pays un climat ultra-sécu- Ce constat masque le fait que la défense impératifs économiques visibles, on ne ritaire, il deviendra impossible que les des valeurs artistiques et culturelles fait pas l’effort, au niveau de l’État, des pratiques artistiques agissent sur nos demande, toujours, une vraie volonté Villes, des Départements, des Régions, vies. Les artistes sont là pour rappeler politique. Il faudrait être en lutte pour de mesurer l’impact dans le temps – un notre humanité, notre fragilité derrière autre chose que du prestige ou quelques temps peu compatible avec les échéan- le rôle social, le costume, le masque. Ils miettes de pouvoir. Il faudrait un état ces électorales – de la culture et de l’art. sont les témoins d’un réel profond, fait d’esprit. État d’esprit qui induit le refus C’est pourtant une question vitale pour d’émotion, de mémoire et d’imaginaire. des labels. Affi rmons que dans les cam- une civilisation en passe d’asphyxie uti- C’est sur ce réel qu’ils agissent. Dans un pagnes et dans les villes de notre pays, litariste. contexte aseptisé qui pousse au forma- des hommes et des femmes luttent pour tage de l’individu sur un modèle uni- contourner les obstacles, les normes, L’unique chance de faire avancer la ré- que, ils ne peuvent agir sur ce réel. Ils ne la non-reconnaissance, pour mettre en fl exion, c’est de revenir à la parole de peuvent que produire de l’ersatz, du di- œuvre en temps réel l’échange artis- l’artiste, tout en ouvrant la fenêtre à vertissement ou une fausse provocation tique. Et que, si les mots ont un sens, des modes de pensée extérieurs. Il faut qui ne transforme rien, mais légitime les ce qu’ils font s’appelle « art ». Nous ne interpeller des sociologues, des ethno- contraintes d’un prétendu « ordre ».

C’est pourquoi les vrais artistes ont une “Ce qu’il nous faut aujourd’hui, c’est forte attraction pour « les lieux de diffi - culté » où sont à la fois questionnés les une volonté politique. Une volonté qui cadres de l’art et le statut social de l’in- dividu, ces territoires de relégation où vibre la réalité du prix humain que nous s’inscrive dans le mouvement de l’histoire payons pour une société qui exclut. en rejetant la pusillanimité ambiante, en Si nous voulons des arts vivants, il faut un minimum de liberté, d’invention, luttant contre les lobbies, ceux du commerce d’inattendu, d’attention à l’autre. Dans un espace sécurisé où la fl amme de comme ceux des barons de la culture.” l’échange est éteinte, où l’on ne peut décider de la façon dont les œuvres sont reçues parce que tout est soumis choisirons pas entre un art valorisé par logues, des historiens, des philosophes, à l’argent, agir sur la relation humaine l’argent – qui induit la mainmise des afi n de reprendre conscience de l’im- devient impossible. Le moment artisti- seigneurs de la mondialisation – et la portance de ces pratiques dans notre que est désactivé, sa réception réduite à renaissance du socioculturel. Nous nous histoire contemporaine. la consommation. battons pour l’art et ce mot nous suffi t. Car il contient une exigence humaine et Il faut redevenir politique. Si nous vou- Ces obstacles invisibles à la circulation politique inextinguible. lons agir avec l’ensemble de la société de l’art et de la pensée sont redouta- et non nous contenter de conforter bles. Les surmonter suppose une prise Quelle que soit l’apparente distance quelques corporations ou lobbies, il de conscience de ces réalités. Personne provoquée par le détour symbolique, il est important de relier la question de ne niera que la France reste (pour com- n’y a pas d’art sans relation dialectique – la culture à celles qui se posent dans bien de temps encore ?) l’un des pays passionnelle – au monde. Voici l’un des d’autres groupes de la société, notam- du monde les mieux dotés en matière plus puissants moteurs d’évolution dont ment par rapport à la marchandisation de service public culturel. Mais, quelque nous disposons : un lieu d’échange sym- du monde. Et la prise de conscience doit chose d’essentiel est en passe d’être dé- bolique, d’aller-retour incessant entre la être aussi puissante en ce domaine que truit et la plupart des responsables bais- communauté humaine et elle-même, dans ceux de l’agriculture, de l’alimen- sent les bras. par le biais du poète. Voilà qui pourrait tation, de l’écologie, ou simplement de être pris en compte par ceux qui disent la démocratie... Ce que l’on entend souvent, c’est que se préoccuper de l’avenir de notre civili- l’art est sorti de la sphère de la liberté sation. Voilà qui mériterait d’être hau- Nicolas Roméas créatrice et de l’échange pour entrer tement valorisé, lorsque l’on prétend se Directeur de Cassandre/Horschamp dans l’ère de la production/consomma- soucier de démocratie et de lien social. (www.horschamp.org)

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec40sec40 228/04/088/04/08 14:21:2514:21:25 VIS + ÉCROU = BOULON UNE FORMULE DE CULTURE POPULAIRE !

Virginie Foucault

Situé à quinze kilomètres de Valenciennes, Vieux-Condé, ville de 10 900 habitants est l’un des principaux pôles urbains secondaires du Valenciennois. Adossée à la fron- tière belge, commune du Parc Naturel Régional Scarpe Escaut, elle fait partie de la Communauté d’agglomération de Valenciennes Métropole. Ma vie et mon engage- ment ont trouvé ici un sens particulier, une terre d’accueil attachante et un terrain ouvert aux expériences artistiques. Depuis maintenant quinze ans, c’est ce territoire qui cultive mon regard et c’est ce territoire que j’aime à travailler et à parcourir sans fi n par l’imaginaire avec la complicité des artistes qui ont choisi la ville comme es- pace de jeu.

histoire, la mémoire et l’identité les moyens de son re-développement au pensent qu’elle n’est pas faite pour eux, L’ de ce territoire, fondées sur son in- travers d’une forte dynamique artistique tous ceux qui sont socialement fragilisés croyable passé industriel et minier font et culturelle comme le démontrent les et peu habitués à pousser les portes du sa particularité. Inutile de dire qu’il a politiques culturelles engagées à Valen- théâtre ? Très vite, ce territoire invite à connu de profondes meurtrissures avec la ciennes ou à Vieux-Condé ; comme en se poser des questions sur la manière de vague de désindustrialisation des années témoigne l’organisation par la Région penser et de faire la culture. Comment 70 et la fermeture des mines, lesquel- Nord-Pas-de-Calais de sa première « Ca- « faire la culture populaire » tout en les ont généré de multiples problèmes, pitale Régionale de la Culture » en 2007 gardant une pertinence sociale et artis- non seulement urbains mais également dans le Valenciennois. tique ? comment s’adresser à la diversité psychologiques, sociaux, éducatifs, éco- de la population ? comment travailler à logiques... Aujourd’hui, ce territoire sem- DES TURBULENTES un rapprochement entre les artistes et ble retrouver de véritables perspectives les populations ? comment inscrire l’art d’avenir et il semble que la culture y est AU BOULON au cœur de la cité ? pour quelque chose. Il a, en effet, trouvé L’histoire du Boulon à Vieux-Condé s’est L’association a donc choisi d’être à tricotée au long cours et a été guidée par l’écoute des formes de création artisti- le territoire. À la source du Boulon, se que qui investissent les espaces publics, L’espace public est un espace trouve la rencontre entre une volonté de sortir le théâtre de ses murs pour al- “ politique et une initiative associative, ler au-devant des habitants. Elle crée, en ouvert ; ouvert à la circulation des hommes et des femmes qui, dès 1999, le festival des arts de la rue du Va- mais également ouvert à la parole, 1981, choisissent de donner à la culture lenciennois « Les Turbulentes » qui est à l’expression, à la manifestation un rôle majeur dans le développement devenu en neuf ans l’une des principales humain, urbain, social de la ville. manifestations du genre dans la Région. et à l’imagination. Partant du À partir de 1993, se développe un pro- Attirant chaque année des milliers de principe qu’il réunit, fait parler, jet de diffusion pluridisciplinaire au sein spectateurs autour du 1er mai, il tire son réagir, agir, il peut légitimement d’un ancien cinéma, l’Espace Boris Vian. essence à la fois de son ancrage local et L’expérience est constructive, un public de sa dimension humaine, de son ouver- être pensé comme un espace se fi délise, le lieu rayonne à l’échelle ture et de son soutien accru à la création tout désigné pour la culture transfrontalière et intercommunale du contemporaine pour l’espace public. populaire. Pays de Condé. Mais comment s’en Car si ce festival a grandi, mûri et pris ” satisfaire, comment ne pas se question- de l’envergure, c’est surtout parce qu’il ner encore et toujours sur tous ceux qui s’inscrit dans un projet d’ensemble en sont éloignés de la culture, tous ceux qui faveur des arts de la rue, qu’il repose sur

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec41sec41 228/04/088/04/08 14:21:2514:21:25 “Il y a, au travers de ces démarches, une volonté de transformer le regard des habitants sur le quotidien, de recréer l’espace du « vivre ensemble » et la mémoire collective commune, de questionner les dysfonctionnements et les contradictions de notre société.”

une permanence artistique dans la ville les lieux. Elle y reçoit. Elle déplace les me de réhabilitation du Boulon un ca- et sur un projet répondant aux enjeux meubles, tord les dimensions, explore dre prioritaire en le déclarant d’intérêt des politiques culturelles locales, territo- ses qualités industrielles, met en scène communautaire. Parallèlement, la mise riales et nationales. et met en vie les espaces, essaye d’inven- en place du « Temps des arts de la rue », ter dans la froidure de ses grandes halles, plan triennal de relance des arts de la LA RECONQUÊTE un nouveau système de rencontres entre rue initié en 2005 par le ministère de DE LA FRICHE les artistes et les gens. Elle y met du sien, la Culture et de la Communication, en de l’affectif et de l’intuitif, qualifi e les concertation avec la Fédération des arts ambiances, prépare la soupe, invite les de la rue, ainsi que la mise en œuvre de En 2002, le projet de l’association ren- artistes et les populations à la même ta- la première « Capitale Régionale Cultu- contre un lieu, une ancienne friche in- ble. C’est une relation différente et plus relle », permettent de conforter le Bou- dustrielle inoccupée depuis plusieurs intense aux habitants qui prend alors vie lon dans sa position de pôle régional de années, propriété de l’agglomération. Le avec les artistes accueillis tout au long de référence. Permettant de consolider le lieu, son architecture, ses dimensions et l’année dans le cadre de la « saison arts maillage national des équipements de ses volumes, sa simplicité et sa poésie ré- de la rue et de la piste » et des résiden- création et de diffusion dédiés aux arts vèlent des potentialités immédiates pour ces de création. Ce sont les chantiers de de la rue et de la piste, le Boulon sera, les arts de la rue. Commence alors, au fabrication qui s’ouvrent aux publics, les au terme des travaux, composé d’une sein de cette ancienne boulonnerie, un choses « en train de se faire » qui sont halle de vie et de travail (la place pu- projet de préfi guration active d’un pôle montrées, les ateliers de pratiques artis- blique), d’un espace d’évolution ouvert pour les arts de la rue. Il faudra cinq tiques qui invitent à « faire ensemble ». aux scénographies à 360°, d’une fa- années pour s’implanter durablement C’est le travail de l’art dans la cité qui brique équipée d’ateliers, d’espaces de et pour travailler avec l’ensemble des se met en marche et un rapport fort au pratiques dédiées à diverses disciplines acteurs de la ville et des institutions à territoire qui se construit. artistiques et aux espaces publics, d’un une approche transversale et territoriale lieu de convivialité et d’une résidence du projet culturel. Le lieu est rebaptisé. DE LA PRÉFIGURATION d’hébergement. Estimée à 6 millions Il s’appellera « Le Boulon » pour sym- d’euros, le projet de réaménagement, boliser le lien et rappeler l’activité in- À LA RÉHABILITATION confi é à l’architecte François Chochon, dustrielle de la zone : la fabrication des constitue une étape essentielle du dé- rivets de la Tour Eiffel ! Au cours de cette préfi guration, l’Agglo- veloppement du projet participant au L’association a commencé par habiter mération décide de donner au program- nécessaire processus de structuration

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec42sec42 228/04/088/04/08 14:21:2614:21:26 VERBATIM QUELQUES BONNES friches industrielles sont souvent dé- RAISONS D’INVESTIR signés comme des arts émergents. Or, « La culture est un élément consubstantiel on ne peut continuer à parler d’émer- de chacun d’entre nous. Il est très LES ESPACES PUBLICS gence à moins de dire que ces champs important de débattre de la culture aujourd’hui, de pouvoir en rediscuter sortent aujourd’hui de l’ombre parce plutôt que de nous réfugier dans le faire, Que ce soit au Boulon, dans la rue ou qu’ils peuvent permettre de donner un dans l’action ou l’hyperactivité qui nous le parc, sur la place, au bord du ca- nouveau souffl e à l’action des collec- exonèrerait de réfl échir à la fi nalité de ce nal…, l’espace public, sous toutes ses tivités publiques et qu’ils représentent que nous mettons en œuvre » formes, constitue le terrain privilégié une forme de questionnement pour les des expériences conduites à Vieux- pratiques institutionnelles. Catherine Génisson Vice-présidente déléguée à la Culture, région Nord- Condé. Mais en quoi ce travail autour Pas-de-Calais, députée du Pas-de-Calais des arts de la rue, cette expérience Si le secteur des arts de la rue est rendu de l’espace public sont-ils vecteurs visible, c’est certainement parce qu’il de culture populaire ? Que recouvre est fl orissant et qu’il crée de l’engoue- cette notion d’espace public ? De façon ment. Il est connu, en France, sous sa générale, l’espace public représente, dans forme actuelle depuis environ 40 ans. et de reconnaissance du champ des arts les sociétés humaines, en particulier ur- On dénombre dans l’Hexagone envi- de la rue en France et à l’aménagement baines, l’ensemble des espaces de passage ron 1000 compagnies et 300 festivals culturel du territoire régional. et de rassemblement qui sont à l’usage de qui peuvent être considérés comme po- tous, soit qu’ils n’appartiennent à per- pulaires dans le sens où ils touchent un LIEU RÉGÉNÉRATEUR sonne, soit qu’ils relèvent du domaine pu- très large public. Les chiffres en témoi- blic. Au-delà de cette notion physique, gnent. L’enquête d’Olivier Donnat sur D’URBAIN l’espace public peut aussi être défi ni les pratiques culturelles des Français comme un espace social (en référence relève que près d’un tiers des français Vecteur d’une alternative par rapport au sens que lui donne Habermas, so- déclarent avoir assisté à un spectacle de aux modes habituels de production et ciologue et philosophe), un espace rue et s’en montrent satisfaits. Alors, à de représentation des arts de la rue, le qui renvoie à la sphère publique, à la l’heure où nous continuons à déplorer Boulon constitue aussi un outil de valo- constitution de l’opinion, aux débats la désaffection du public dans bien des risation urbaine et de cohésion sociale. entre les citoyens. On peut dès lors secteurs de la culture, ou tout du moins Représentant à la fois la mémoire de la considérer que l’espace public est un la stagnation de la fréquentation voire société industrielle, il raconte une his- espace ouvert ; ouvert à la circulation la surreprésentation des catégories so- toire en développement entre un passé mais également ouvert à la parole, à ciales les plus élevées, signe d’un prin- et un avenir ouvert à l’imaginaire. Ce l’expression, à la manifestation et à cipe de démocratisation en souffrance, bâtiment industriel recèle des qualités l’imagination. Partant du principe il paraît impératif de prendre en comp- spatiales extraordinaires répondant aux qu’il réunit, fait parler, réagir, agir, il te ce secteur. besoins et aux écritures spécifi ques des peut légitimement être pensé comme arts de la rue. Il n’a pas de dimension un espace tout désigné pour la culture LES ARTS DE LA RUE : patrimoniale à proprement parler et, populaire. pourtant, il permet de révéler de nou- POPULAIRES, TERRITORIAUX, velles possibilités urbaines. Car c’est Le fait qu’il y ait un usage culturel PARTICIPATIFS… aussi un morceau de ville qui est deve- de l’espace public n’est pas récent. La nu un moteur de transformation pour Grèce Antique, les fêtes romaines, la On peut se demander pourquoi les for- le territoire. Il est situé au cœur d’un commedia dell’arte… nous rappel- mes artistiques qui se développent dans quartier où seront, à terme, regroupés lent combien l’art dans l’espace public l’espace public trouvent un tel écho. le lycée du Pays de Condé, une station prend sa source loin dans l’histoire. Sont-elles populaires justement parce du tramway reliée à Valenciennes, une La journée nationale des arts de la qu’elles se développent dans l’espace pu- médiathèque intercommunale, voire un rue « Rue Libre » qui s’est déroulée blic ? Trois caractéristiques de ce secteur quartier d’habitat et de commerces... De en octobre 2007 le mentionne à tra- artistique peuvent être relevées et nous fait, le projet du Boulon, ses initiatives vers le Manifeste de la Fédération des conduire sur le chemin de la culture po- et son positionnement, ont fait émerger arts de la rue : « Nous sommes nés il pulaire : l’inscription de l’acte artistique une nouvelle lecture des enjeux urbains y a 2500 ans ». Ce renvoi au passé est dans l’espace public ; la volonté systé- participant ainsi à l’amélioration du ca- intéressant à souligner, d’autant plus matique d’aller à la rencontre de tous ; dre de vie et à la réappropriation de la que les arts de la rue, les musiques et enfi n, la relation privilégiée des artis- cité par ses habitants. actuelles, les cultures urbaines, les tes aux habitants.

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec43sec43 228/04/088/04/08 14:21:2614:21:26 L’inscription dans l’espace public

La rue rassemble tout d’abord différen- tes formes et esthétiques : du théâtre de rue, du théâtre forain, du théâtre musical, du théâtre déambulatoire, du théâtre de marionnettes, de la danse de rue, du cirque poétique, des fantaisies burlesques, des performances… des scé- nographies monumentales comme des petites formes intimistes ! Ce champ est pluriel et regroupe des démarches hété- rogènes qui peuvent aller du théâtre en boutiques à une grande parade déam- bulatoire. Leur point commun est leur convergence vers l’espace public. De sorte que la rue est, peut-être, tout sim- plement, le point commun qui rassem- ble tous les artistes de ce secteur. Mais la rue n’est pas seulement un décor. Elle est à la fois une scénographie nécessaire au travail artistique mais aussi un espace d’interrogations et de réfl exions. Il y a, au travers de ces démarches, une volon- té de transformer le regard des habitants sur le quotidien, de recréer l’espace du « vivre ensemble » et la mémoire collec- tive commune, de questionner les dys- fonctionnements et les contradictions de notre société. Les artistes descendent dans la rue pour faire entendre leurs vi- sions et s’efforcent ainsi de recréer du débat, de l’échange, du dialogue sur le monde, de l’espace public en somme ! Leur acte est très politique. Il vise à une meilleure compréhension de la société dans laquelle nous vivons et à la trans- formation sociale, chère aux acteurs de la culture populaire. C’est aussi, plus simplement, une manière de faire pren-

dre conscience aux gens que cet espace J. RABILLON public est le leur. Qu’il n’appartient pas seulement aux aménageurs mais aussi tides, les villages, que les métropoles et théâtrale, soucieux d’aller à la rencontre aux usagers ! les capitales ! On les rencontre à Vieux- de tous, soucieux de la rencontre entre Condé, dans le Valenciennois, dans un les artistes et les territoires, soucieux de La volonté d’aller à la rencontre village de 300 habitants ou au pied d’un s’adresser à un « public population » pour de tous immeuble dans un quartier classé en faire référence à Michel Crespin, père zone sensible. Cette volonté de s’adres- fondateur des arts de la rue. Quand la Si la rue est l’aire de jeu des artistes de ser à tous — aux spectateurs convoqués, compagnie Opéra Pagaï invente une En- rue, le territoire l’est aussi. Leur enga- aux passants de hasard, au public averti treprise de détournement à Vieux-Condé gement politique, social et territorial et au public néophyte — reste un des c’est la ville tout entière qui est le théâtre est fort. Ils aiment le territoire dans son fondements essentiels de ce secteur. On de ses visions déroutantes, c’est l’acte ar- intégralité et on les retrouve aussi bien pourrait dire en cela que ce sont les hé- tistique qui est inséré dans le quotidien dans les banlieues, les bourgs, les bas- ritiers des pères de la décentralisation des gens, au plus près de chacun.

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec44sec44 228/04/088/04/08 14:21:2614:21:26 Une relation participative, la co-production Une autre des dimensions essentielles “On peut se demander aux arts de la rue, que l’on retrouve également dans la plupart des friches re- converties en lieux culturels, est la place pourquoi les arts de la rue accordée aux populations. Le public est la plupart du temps considéré comme un partenaire de l’aventure artistique. Il sont encore à la marge. est engagé dans un rapport participatif et non dans une posture de consom- mation. Les petits métiers du Théâtre de Peut-être parce que les l’Unité ne se font pas si les spectateurs ne jouent pas le jeu ; Hollywood Tif du Pud- ding Théâtre ne fonctionne pas s’il n’y a arbitrages politiques ne vont pas de client dans le salon de coiffure… De même, les résidences de création per- mettent de tisser un lien privilégié avec pas dans ce sens. Peut-être la population. Les artistes cherchent à s’imprégner de la ville et à partager leur création avec la population, faire pour et peut-on aussi se demander avec dans une dynamique participative. Au Boulon et ailleurs, quand les artistes sont en résidence, on peut venir voir, si ces pratiques ne découvrir, essayer, discuter de ce qui est en train de se fabriquer, être associé en tant qu’amateur à un projet de créa- constituent pas une forme tion. Quand l’Acte Théâtral construit ses Têtes de lecture, c’est une dizaine de diseurs de mots et de faiseurs de théâ- de culture minoritaire qui tre qui prennent part à l’aventure. Et il est important, à chaque fois, que de nouveaux modes de rencontres et de fa- comme la culture populaire brication soient possibles. Cette « alter manière de faire » a été relevée par Fa- brice Lextrait dans son rapport intitulé est encore et toujours en Une nouvelle époque de l’action culturelle1 et par l’Institut des Villes dans le cadre de sa mission sur les Nouveaux Territoi- quête de reconnaissance…” res de l’Art : « Il faut accepter l’idée que la valeur créée par l’artiste ne se réduit pas (même si c’est une valeur cruciale) aux seules productions (œuvres d’art, pièces de rogée dans sa capacité à reproduire du tion sociale, la rencontre partout et de théâtre, disques, concerts, livres…) et que lien social. Un rôle social qui peut s’ap- tous, la coproduction avec les popula- le temps de travail est lui-même porteur de parenter à celui des maisons de quartiers tions) donnent une certaine vision des valeurs intermédiaires qui peuvent, dans et rejoindre des valeurs et des pratiques pratiques qui se déroulent dans les es- un contexte de « sur-production », être plus portées par les cultures populaires et les paces publics et qui cousinent avec les « productives » qu’une œuvre de plus. » ré- mouvements d’éducation populaire : so- cultures populaires. On peut cependant sume Fabrice Lextrait. lidarité, convivialité, échanges de savoirs, se demander quelle est la place qu’occu- citoyenneté, pratiques amateurs, etc. pent ces formes artistiques dans les poli- Au travers de ces expériences qui favo- tiques publiques : sont-elles reconnues ? risent le processus et l’expérimentation, Ces trois dimensions (l’espace public En voie de reconnaissance ? Considérées c’est bien la valeur de l’art qui est inter- comme espace de jeu et de transforma- comme des formes de seconde zone ou

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec45sec45 228/04/088/04/08 14:21:2714:21:27 VERBATIM « LE BOULON »

« Il n’y a pas de culture populaire sans pratique. Or, une grande partie des milieux popu- L’association « Le Boulon » dont l’origine laires sont aujourd’hui passivement assise devant la télévision et très rarement impliquée remonte à 1981, choisit en 1993 pour dans des pratiques artistiques et culturelles partagées. Les professionnels de la culture ont premier port d’attache un ancien cinéma : une grande diffi culté à penser une alternative à cette dépendance à l’égard des médias de l’Espace Boris Vian. En 1998, elle crée avec masse. Car ils ont très souvent une réelle diffi culté à penser la relation aux œuvres autre- le Foyer Culturel de Péruwelz en Belgique, ment que comme la relation à une offre. Les politiques publiques de la culture – qui ont le pôle culturel transfrontalier « Les essentiellement été des politiques publiques en faveur de l’art – ont, elles aussi, contribué Effronteries » dans le cadre d’un programme à déclasser les pratiques populaires au profi t d’une offre de programmation qui n’intègre de coopération transfrontalière. L’année que très rarement les destinataires des oeuvres. Ceci ouvre un champ extrêmement large suivante naît à Vieux-Condé un projet hors au populisme (qui n’a rien d’une culture populaire) qui nous est servi en prime time à la les murs : le Festival des Arts de la Rue télévision. » « Les Turbulentes », qui sera reconnu, en 2003, d’intérêt communautaire par la Marc Le Glatin Communauté d’Agglomération Valenciennes Directeur du théâtre de Chelles, professeur associé à l’Institut d’études européennes de l’Université Paris 8 Métropole.

En 2002, c’est au Boulon à Vieux-Condé que l’association s’amarre et décide de jeter l’ancre, dans une ancienne friche industrielle comme des formes d’expression artisti- Éclairons alors ce propos à la lumière de la Zone d’Activités « Le Brasseur ». que à part entière ? Globalement, nous du regard de Francis Jeanson, extrait de Elle poursuit alors un projet de pouvons constater que ces champs ont L’action culturelle dans la cité2 : « Aussi développement autour des arts de la rue, combinant diffusion avec son festival et ouvert des brèches et qu’ils s’infi ltrent longtemps qu’il y aura deux cultures sa saison annuelle « arts de la rue et arts peu à peu dans les politiques publiques. dont l’une se prétendra la seule vraie, de la piste », création et production avec Des efforts et des avancées sont percep- essayant de faire passer l’autre pour de l’accueil de résidences d’artistes, et projets tibles, notamment au travers du « Temps l’inculture, aussi longtemps il n’y aura de pratiques artistiques participatives. Le des Arts de la Rue ». Mais malgré toute pas de cité ». Boulon devient alors friche des possibles ! la richesse de ses apports, ce plan n’est Portée par la Communauté d’agglomération pas suffi sant comme n’est pas suffi sant Valenciennes Métropole, co-fi nancée l’accompagnement des compagnies et Virginie Foucault par différents partenaires publics dont Directrice du Boulon, Pôle Régional des arts la Région Nord-Pas-de-Calais dans le des structures qui restent extrêmement de la rue à Vieux-Condé et du Festival des arts de cadre de l’opération « Capitale Régionale fragiles. On peut se demander pourquoi la rue du Valenciennois « Les Turbulentes » les arts de la rue sont encore à la marge. de la Culture : Valenciennes 2007 », la réhabilitation du Boulon confi ée à Peut-être parce que les arbitrages poli- l’architecte François Chochon interviendra tiques ne vont pas dans ce sens. Peut- en 2008. être peut-on aussi se demander si ces « De l’ouvrier à l’œuvrier : Friches industrielles pratiques ne constituent pas une forme reconverties en lieux culturels : (nouveaux) terri- de culture minoritaire qui comme la toires, mémoire, identité, travail et valeurs ». Mé- moire 2002/2003 dans le cadre du DESS « direc- culture populaire est encore et toujours tion de projets culturels », Formation des cadres en quête de reconnaissance… culturels territoriaux à l’Institut d’Études Politiques de Grenoble – Observatoire des Politiques Cultu- relles – Ministère de la Culture. www.leboulon.fr www.lesturbulentes.com 10e édition les 3 et 4 mai 2008

Vis + écrou = Boulon : une formule de culture populaire ! NOTES 1- Fabrice Lextrait, « Friches, laboratoires, fabriques, squats, projets pluridisciplinaires... Une moine et à la décentralisation culturelle, mai 2001, La documentation française, 2001. nouvelle époque de l’action culturelle », rapport à Michel Duffour, Secrétatiat d’État au Patri- 2- Francis Jeanson, L’action culturelle dans la cité, Paris, Editions du Seuil, 1973.

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec46sec46 228/04/088/04/08 14:21:2714:21:27 AU COMMENCEMENT ÉTAIT LA BASE 11/19…

Guy Alloucherie

J’ai pratiqué une certaine forme de théâtre classique et un jour j’ai pensé que le théâ- tre classique ne me correspondait pas. Je crois que je n’avais rien à faire là et que faire du théâtre signifi ait en réalité, pour moi, offrir la possibilité à une autre parole de s’exprimer grâce au théâtre.

e travail qui se faisait au 11/19, à se trouvaient les deux puits de mine de tous les gens que nous rencontrons dans LCulture Commune, à Loos-en-Go- charbon numéro 11 et 19, à Loos-en- les quartiers, devant chez eux, sur le pas helle, dans l’ex-bassin minier du Pas- Gohelle, dans le Pas-de-Calais. de leur porte. Ces images sont intégrées de-Calais, sur les paroles ouvrières est à nos spectacles, mais également aux à l’origine de ma reconversion. Culture Avec toute l’équipe HVDZ et Culture Veillées. Commune a toujours travaillé sur la Commune, nous menons depuis quel- mémoire ouvrière et a archivé au fi l ques années une action artistique spé- Mon père était mineur de fond. Un jour des années une « mine » de témoigna- cifi que dans les quartiers. Une action où nous étions à la maison de retraite ges d’ouvriers, de leurs familles et de que l’on appelle « Les Veillées » et qui de Nédonchel, où il séjournait depuis gens du quartier. Dans le cadre de l’im- consiste tout simplement, par le cirque, plus d’un an, il me dit, alors que je ve- plantation de ma compagnie HVDZ à la danse, le théâtre, la vidéo à aller à nais de discuter avec la directrice : Culture Commune, je me suis investi la rencontre des gens. L’année dernière, « Tu vas me faire passer pour un fl atteur, dans ce travail-là, basé sur des rencon- au cours d’un travail sur une Veillée à les autres y vont dire, y veut s’faire bien tres, des échanges, des prises de parole, Barlin, près de Loos-en-Gohelle, j’ai voir, y est toudis avec la direction. » des témoignages... Et les projets ont rencontré M. Hallez, ouvrier mineur à La directrice se tourne alors vers moi : pris corps, ont évolué au fur et à me- la retraite et responsable du comité des « Votre père y parle pas beaucoup, il est sure des années. Il a fallu aller chercher fêtes à la cité 5 de Barlin. À un moment très renfermé ». loin la possibilité d’exprimer des paro- donné de la discussion, il m’a demandé Je réponds : « Il a toujours été comme les enfermées. Tout simplement parce pourquoi on faisait ça et je lui ai dit : ça ! » que, bien que j’en aie le désir, je ne me « Pour ça, pour cette rencontre-là ! » reconnais pas pleinement cette légiti- Les Veillées sont faites de toutes ces mité. En d’autres termes : faire du théâ- rencontres et d’allées et venues, de pro- Je me suis souvent demandé tre à partir de ces témoignages et des menades, de marches dans les rues et “ paroles recueillies au fi l des rencontres, d’interventions artistiques qui mettent à quoi je pouvais servir, dans les cités, les quartiers, est-ce une en jeu les habitants des quartiers po- pourquoi je faisais ce métier, manière légitime de faire du théâtre ? pulaires et les salariés de la compagnie Avec ma compagnie, nous travaillons pendant le temps de nos résidences. À pour quelle utilité. J’ai de manière quasi exclusive à partir des partir de la Base 11/19 et en lien avec longtemps cru que ce n’était témoignages de vie des habitants de ces Culture Commune, nous menons ces quartiers populaires… de ces corons, de actions artistiques avec les habitants des qu’une question existentielle ces cités d’où je viens. quartiers à Lens, Loos-en-Gohelle, Ca- et je me suis rendu compte lais, Wingles, Lillers, Béthune dans le Après l’aventure du Ballatum Théâtre et Pas-de-Calais où la compagnie est im- en arrivant au 11/19 que son coup d’arrêt en plein vol, en 1997, plantée et ailleurs : Bourges, Bergerac, c’était une question sociale, nous avons atterri à Loos-en-Gohelle, Torcy, Tremblay en France, Saint-Na- à Liévin puis à la Base 11/19. La Base zaire... Jérémie Bernaert, qui travaille politique pour ainsi dire.” 11/19 est un ancien site industriel où pour la vidéo sur les spectacles, a fi lmé

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec47sec47 228/04/088/04/08 14:21:2814:21:28 HVDZ IE MAGGIE DELÈGLISE, C

En fait j’ai pensé en moi-même : « C’est du Channel. Ces Veillées ont donc vu moi ton cahier de correspondance… » comme ça, il ne parle pas à la directrice le jour à la Base 11/19 avec Culture Alors Boltanski a voulu qu’on l’appelle parce que c’est la directrice. Il ne parle Commune. Tout ce que nous faisons par son deuxième prénom, Christian. pas avec la direction. Il est ouvrier et depuis que nous sommes au 11/19 est Mon cousin s’est toujours fait appeler l’ouvrier se bat avec ses camarades, il ne lié politiquement, artistiquement à la Liberté. Il a été gardien d’immeubles à discute pas avec la direction. Il ne veut Base. Nous en avons d’ailleurs fait un Paris. Il est mort il y a deux ans. Il a été pas être roulé dans la farine, même à la spectacle Base 11/19, c’est dire ! enterré à Calonne Ricouart. Ils ont fait maison de retraite. » une messe à l’église polonaise. Christian Boltanski, qui s’appelle Pour faire le spectacle Base 11/19, nous en réalité Liberté Boltanski, porte le Au commencement était donc le 11/19 avons séjourné, au début des répétitions, même prénom que mon cousin Liberté et la fabrique. Nous nous sommes in- pendant une quinzaine de jours à Calais Alloucherie. Mon oncle l’avait appelé téressés aux paroles ouvrières, à l’his- à la scène nationale du Channel. Toute comme ça parce qu’il était commu- toire, à la mémoire, à la condition l’équipe – les acteurs, les danseurs, les niste et délégué CGT et que le journal ouvrière, à cause de notre implanta- acrobates – s’est rendue à Calais pour y communiste dans la région s’appelait tion dans le Pas-de-Calais. J’insiste faire une Veillée. C’est comme un tra- Liberté. Mais Liberté c’est dur à por- sur le fait que je n’aurais probablement vail à inventer avec les gens : inventer ter : « Liberté viens manger ! Liberté, jamais fait ce travail-là si je n’avais pas des formes d’art nouvelles où les gens va t’amuser ! Liberté va faire les com- eu la chance de travailler à Loos-en- se sentent concernés par ce qui s’y dit et missions ! Liberté va chercher ta sœur ! Gohelle, en tant que compagnie asso- ce qui s’y fait. À Calais, nous avons plus Liberté va à la cave chercher des pom- ciée à la scène nationale Culture Com- précisément travaillé avec les ouvriers mes de terre ! Liberté arrête un peu de mune. Et il a sérieusement fallu forcer qui ont construit le nouveau théâtre regarder la télévision ! Liberté montre le destin…

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec48sec48 228/04/088/04/08 14:21:2814:21:28 Pour dire la vérité, en ce qui me sans avenir. Et me voilà à monter des aurait dû nous enseigner la lutte des concerne, je pense qu’en arrivant sur le spectacles avec d’anciens mineurs, alors classes, comme on nous faisait l’ins- site du 11/19, j’étais sérieusement lar- que mon père m’a toujours tenu éloigné truction civique, le catéchisme ou l’his- gué. Après avoir co-dirigé le Ballatum de la mine tant qu’il pouvait… Il m’en toire en général, comme ça on aurait Théâtre et, le temps d’une étincelle, le a très peu parlé, comme à mes frères et appris à se défendre, on aurait su à quoi Centre Dramatique National de Caen, sœurs, pour être sûr que l’on n’y des- s’en tenir et à quel saint se vouer… » je ne savais plus du tout à quel saint me cende jamais. Et voilà que je monte des vouer, ni pourquoi j’avais pris la déci- spectacles, sur un ancien carreau de À la même époque au 11/19, Bruno La- sion un jour de faire du théâtre. Si ce mines… jara travaillait sur 501 Blues, un spec- n’est pour faire comme et avec mon tacle qu’il a monté avec d’anciennes camarade Eric Lacascade. Je me suis Le père de Kader Baraka était mineur ouvrières licenciées de l’usine Lewis à souvent demandé à quoi je pouvais ser- et imam à la mosquée de Fouquières. La Bassée. Tout ce qui se passe à Cultu- vir, pourquoi je faisais ce métier, pour Comme nous sommes des enfants de re Commune réhabilite nos histoires quelle utilité. J’ai longtemps cru que ce mineurs tous les deux, c’était comme personnelles. Le travail de Chantal La- n’était qu’une question existentielle et une culture commune. Nous en par- marre également, tous les spectacles et je me suis rendu compte en arrivant au lions entre nous, de temps en temps. les actions artistiques, la volonté d’ins- 11/19 que c’était une question sociale, On s’est dit que, peut-être, nos histoires crire le bassin minier au patrimoine politique pour ainsi dire. n’intéresseraient personne, parce que mondial de l’Unesco.Tout. c’était des petites histoires d’enfants La première expérience importante que d’ouvriers (pas très nobles, en somme), Au commencement était donc le 11/19. nous avons menée sur le terrain des mais que, puisqu’il était question à On a attaqué la veine, creusé la gale- paroles ouvrières, a été cette fabuleuse Culture Commune de travailler sur la rie, on est allé à l’abattage. Nous avons rencontre avec un groupe composé d’une dizaine d’anciens mineurs et de Colette qui tenait le café « Chez Claude et Colette », avec son mari Claude. Cette expérience a été mise en place “Nous parlons du monde dans lequel on par Chantal Lamarre (responsable de Culture Commune), qui connaissait vit avec le désir violent de se battre, de toutes les personnes du groupe pour les avoir déjà rencontrées au cours de reconstruire avec les gens, de changer le nombreux entretiens. Cela a duré deux semaines environ pendant lesquelles nous nous sommes retrouvés avec les monde, de penser qu’un autre monde, gens tous les après-midi autour d’une tasse de café pour discuter et écrire. malgré tout, est toujours possible.” L’expérience a été fabuleuse. Cela s’est terminé par un spectacle, une mise en espace dans la nef, la grande salle qui servait de vestiaire aux milliers de mi- mémoire ouvrière, nous allions essayer monté Inventaires, Clown Littéraire Avec neurs qui travaillaient sur le site avant de témoigner à notre tour, à notre fa- Élastique, Les Sublimes, La Tournée des sa fermeture. Nous avons joué devant çon… Nous n’étions pas sûr d’avoir Grands Ducs et Les Veillées. Tout notre des centaines de gens qui sont venus suffi samment de matière et nous avi- travail aujourd’hui passe par une prise écouter Colette et les mineurs racon- ons peur d’être ridicules à nous racon- en compte du monde extérieur (en prio- ter leur vie. L’émotion était forte et il ter comme ça. Il y avait aussi le risque rité les cités qui environnent le 11/19) n’était plus question de se demander si d’empirer les choses, à force de raviver et le monde du travail en particulier. nous avions affaire à des artistes ama- tous ces souvenirs, à force de parler de Nous avons créé des spectacles engagés, teurs ou professionnels. nos petites vies, et, pour Kader, de l’Al- politiquement et physiquement. Avec gérie, de l’émigration, du racisme, des des spectacles comme Les Sublimes, Les Il faut savoir que mon père était mineur coups encaissés mais jamais cicatrisés… Veillées, Base 11/19 ou Faut qu’on parle – de fond. Je l’ai déjà dit, et j’ai passé un Pour fi nir, nous avons créé Je m’excuse, interprété, co-écrit et chorégraphié par temps fou de ma vie à vouloir fuir l’ex- un spectacle où Kader jouait seul et ra- Hamid Ben Mahi – nous croisons la pa- bassin minier du Pas-de-Calais parce contait sa vie… Et je me souviens que role des gens, des ouvrier(ère)s, des res- qu’on m’avait dit qu’il était maudit et Kader disait à la fi n du spectacle « On ponsables d’associations, des habitants

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec49sec49 228/04/088/04/08 14:21:2914:21:29 des quartiers avec la danse, le cirque, faisaient, dans le temps, les militants et Je me souviens de mon cousin, Chris- l’art du corps. Nous parlons du monde mon père dans les corons quand ils al- tian Lesur, qui travaillait aux Trois dans lequel on vit avec le désir violent laient vendre Liberté Dimanche, le jour- Matelots à Lillers, le fi ls d’Abel et de de se battre, de reconstruire avec les nal du parti communiste, le dimanche ma tante Miriane. Quand les manèges gens, de changer le monde, de penser matin. étaient démontés, ils laissaient des tra- qu’un autre monde, malgré tout, est ces sur l’herbe. Les manèges laissaient toujours possible. Hier, j’étais avec un J’aimerais souligner, pour fi nir, que leur empreinte. À La Ducasse, j’aimais ami. Son père travaillait à Metaleurop si je n’étais pas revenu au 11/19, je beaucoup les paquets de frites avec de et son frère aussi. Son frère a été licen- n’aurais plus jamais fait de théâtre. Lors la moutarde et du vinaigre. Surtout cié. Aujourd’hui, il est en formation, du premier spectacle que nous avons les morceaux de frites complètement à 45 ans. Sa femme travaille dans une monté ici sur les paroles ouvrières, Les grillées au fond du cornet, noires d’être agence d’intérim, tous les soirs, elle va Étoiles du Nord, j’en étais à me deman- trop cuites…. voir sur une fi che si elle travaille le len- der si c’était du théâtre et dans quoi je demain, ou pas. Il me disait : « Y a des m’étais embarqué, à quoi ça rimait… Je Ferfay était un village divisé en trois semaines, en une semaine elle peut fai- n’aurais pas pu être mineur, je n’étais parties, deux cités et un centre et… les re les trois postes et puis plus rien… » pas assez costaud. « T’em diras, j’aurais gens ne se mélangeaient pas. Les gens fait comme tout le monde. Si j’avais été des corons étaient mal vus. À l’époque, Au commencement était le 11/19 et le pris, j’y serais allé. » les corons faisaient peur et les autres réseau Autre(s)pArts. Parmi les textes nous considéraient comme des gens d’Autre(s)pArts, Philippe Henri écrit : À l’époque de La Ducasse, à Ferfay, le violents et grossiers. Pour eux, ce n’était « il nous semble urgent de réaffi rmer village où j’habitais avec mes parents pas bien vu de fréquenter quelqu’un des la valeur de l’art, non pas l’art en tant dans les corons quand j’étais petit, je corons. Et nous, nous pensions que les qu’œuvre fi gée et défi nitive, mais l’art faisais des allers retours entre chez moi gens de l’extérieur qui s’intéressaient en tant qu’élaboration d’une parole et et El’plache où avait lieu La Ducasse, à nous ne devaient pas être des gens d’une relation sensibles, contemporai- pour réclamer, l’air de rien, quelques bien, puisque les gens bien nous mépri- nes et critiques, l’art agissant ; étendre francs à ma mère pour quelques tours saient. le droit à la culture à un plus grand de manège. « Al allot quère d’el mon- nombre de citoyens, en les rendant plus naie dins sin porte monnaie dins ch’tir- Guy Alloucherie Metteur en scène, directeur de la compagnie HVDZ agents de leur propre développement roir dech’ buffet. » culturel ; passer donc de la démocrati- sation culturelle à une réelle démocra- Un jour, le fi ls Lherbier n’est pas rentré tie culturelle ; attacher la plus grande de la mine. Il est mort dans un acci- importance à la relation entre pratique dent au fond de la mine. On n’en a pas sociale et activités artistiques… »1 beaucoup parlé. Nous savions que cela pouvait arriver n’importe quand. Alors Nous faisons nos veillées dans les quar- nous nous sommes dit que c’était com- tiers pour faire parler de culture, d’art me ça, que parfois ça arrivait, un ébou- et pour parler de la vie, de ce que nous lement et un type disparaissait. C’était pourrions inventer, bousculer, déranger le dernier fi ls de Lherbier. Lherbier le pour que cela change, que nous vivions père, avait été mineur et il réparait nos autrement ensemble. Nous faisons, en- chaussures. C’était le cordonnier des tre autre, du porte-à-porte, comme le corons.

Au commencement était la Base 11/19 NOTES

1– Philippe Henry, Nouvelles pratiques artistiques. Simple aménagement ou réelle muta- tion ? Théâtre Public, n° 157, janvier - février 2001

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec50sec50 228/04/088/04/08 14:21:2914:21:29 LA CULTURE POPULAIRE AU PÔLE CULTURE DE L’INJEP UNE HISTOIRE DE PASSEURS

Chantal Dahan, Jean-Claude Richez

Le Pôle culture de l’INJEP s’attache, depuis sa création en septembre 2002, à favo- riser la confrontation entre les acteurs de l’éducation formelle et non formelle, de la culture et du social afi n de créer un espace commun de réfl exion, d’expérimentation et d’action autour des pratiques artistiques et culturelles des jeunes.

LES AXES D’INTERVENTION la mesure de ces mutations politiques, politiques culturelles territoriales, qui a DU PÔLE CULTURE sociales et culturelles, déterminantes permis de redessiner les contenus des pour la reconfi guration de leurs actions. rôles et des partenariats entre acteurs2. Face aux diffi cultés rencontrées, à la En créant un Pôle culture, l’Institut Na- fois par la démocratisation et la démo- tional de la Jeunesse et de l’Éducation Concernant les collectivités territoria- cratie culturelles, l’idée s’est imposée, Populaire s’inscrivait comme partie les, nous avons constitué un comité à un certain nombre d’acteurs, que la prenante de ce débat, conformément à de pilotage avec les principales asso- vieille utopie de l’éducation populaire ses missions. Le Pôle culture a ainsi dé- ciations (FNCC, Culture et Dépar- devait être revisitée et pouvait connaî- ployé ses activités à la fois comme cadre tements) des fédérations d’éducation tre une actualité nouvelle : certains la de confrontation, d’expérimentation et populaire, des institutions culturelles découvraient alors que d’autres y reve- d’appropriation. et des chercheurs pour collaborer à la naient. Il s’agissait entre autre : construction des rencontres De l’Hi- – de réaffi rmer l’importance de l’accès Un cadre de confrontation ver à l’Eté. Ces rencontres permettent de tous à la culture et la reconnaissance de confronter les positionnements de de « toute » la culture, Il était essentiel, dans un premier temps, chacun sur l’accompagnement des pra- – de prendre également en compte le de redéfi nir un référentiel culture au tiques artistiques et culturelles des jeu- fait que l’éducation, et tout particulière- sein même du ministère de la Jeunesse nes et de croiser expériences de terrain ment dans le champ de la culture, n’est et des Sports, c’est-à-dire des objectifs et avancées de la recherche. L’objectif pas seulement le fait de l’école et du relevant de ses missions dans le champ est la prise en compte, par les acteurs, ministère de la Culture mais bien d’une de la culture. Un travail de conceptua- d’une meilleure connaissance des évo- pluralité de départements ministériels, lisation s’est engagé pendant plusieurs lutions de ces pratiques et de leurs en- des collectivités territoriales, comme mois, avec différents responsables du jeux communs. des associations et des familles, ministère, pour redéfi nir la place et le – de reconnaître enfi n que l’éducation rôle des pratiques artistiques et cultu- Nous travaillons également avec des formelle n’épuise pas la question de relles des jeunes au sein de son action1. institutions culturelles, comme le Cen- l’accès à la culture et que les dimen- Parallèlement, se tenait un séminaire tre Pompidou, pour défi nir ensemble sions informelles prennent une place de avec les fédérations d’éducation po- les transformations de la relation à plus en plus grande dans une société de pulaire pour revisiter la question de la l’art et à la culture des jeunes. Durant la connaissance. Elles renouvellent pro- culture et de l’éducation populaire à deux ans, une fois tous les deux mois, fondément les conditions de légitimité l’aune des transformations historiques nous avons organisé des conférences de l’action publique dans ce champ. et sociales. Plusieurs actions de ré- au sein du Centre Pompidou, invitant fl exion se sont engagées, avec le minis- les meilleurs spécialistes à venir nous L’ensemble des acteurs des politiques tère de la Culture, qui ont notamment en parler. Cette action a abouti à la publiques de la culture doivent prendre abouti à une rencontre nationale sur les co-édition d’un ouvrage, avec le dépar-

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec51sec51 228/04/088/04/08 14:21:2914:21:29 “Les espaces de création sont de plus en plus des espaces intermédiaires où s’imbriquent, à la fois, des références culturelles et artistiques plurielles et des opérateurs jouant de multiples compétences professionnelles : créateurs, mais aussi gestionnaires, organisateurs, managers, etc.”

tement des études et de la prospective tion permet de défi nir ensemble un ac- borer une culture commune, nécessaire du ministère de la Culture, qui reprend compagnement pluriel, en tenant comp- à la mise en place d’actions sur ce terri- l’essentiel de ces conférences et offre, te des contraintes et des objectifs de toire. Nous avons notamment élaboré, en annexe, des éléments statistiques et chacun et en offrant la place la plus large en partenariat avec le Centre Pompi- d’études sur ce sujet3. aux jeunes comme acteurs de premier dou, une formation expérimentale sur plan. C’est, concernant ce dernier point, « comment aborder l’art contempo- Enfi n, les formations de formateurs is- la démarche qui a été notamment suivie rain ». Celle-ci a rassemblé des perma- sus du hip-hop, que nous menons de- pour toutes les rencontres ou formations nents d’équipements socioculturels, des puis 20034, peuvent se révéler comme autour du hip-hop, ou encore dans le ca- personnels des services des collectivités des moments de remise en question des dre de deux recherches actions, menées locales et des responsables de la média- politiques institutionnelles. Ces jeu- avec Hugues Bazin, autour des espaces thèque du territoire de Créteil. Cette nes artistes ont, en effet, revendiqué populaires de création culturelle5. formation a consisté, d’abord, à ce que l’authenticité de leurs pratiques et ex- les stagiaires s’approprient, eux-mêmes, primé la crainte de les voir détournées Un cadre d’expérimentation une forme artistique qui leur était sou- de leur sens, notamment par l’impo- vent étrangère pour ainsi être en mesu- sition de codes chorégraphiques dans Depuis la création du Pôle culture, nous re d’en favoriser la transmission. Notre une visée purement esthétique. menons des formations expérimentales objectif était de déterminer : pour repenser l’accompagnement avec – la place de l’art, et plus particulière- Nous travaillons étroitement avec des nos partenaires nationaux ou locaux. ment de l’art contemporain dans la pra- partenaires tant au niveau national (mi- Ces formations sont à destination des tique de l’acteur éducatif, nistères de la Culture et de l’Éducation, différents acteurs d’un même territoire, – la mise en œuvre de nouvelles coopé- les fédérations d’éducation populaire, le concernés par l’accompagnement des rations entre professionnels du champ Centre Pompidou, etc), que territorial pratiques artistiques et culturelles des socioculturel, institutions culturelles et (les services culture et jeunesse des col- jeunes. Il s’agit, d’une part de mieux personnel des services territoriaux, au lectivités, les équipements culturels, les faire reconnaître l’identité profession- profi t d’un meilleur accompagnement associations locales, etc). Cette coopéra- nelle de chacun et, d’autre part, d’éla- des jeunes.

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec52sec52 228/04/088/04/08 14:21:2914:21:29 De la même manière, et avec le même « traversant des espaces intermédiaires, d’éducation populaire. Propositions type d’acteurs, nous avons engagé « Mo- des entre-deux socio-professionnels démultipliées par une offre de forma- num », une formation destinée à abor- à travers différents statuts et jeux de tion à la carte auprès des associations der le patrimoine de manière innovan- compétence »7. culturelles ou d’éducation populaire, te. Elle propose des parcours sensibles, comme des collectivités. réalisés par des artistes, qui permettent Un cadre d’appropriation aux jeunes une meilleure appropriation Les rencontres De l’Hiver à l’Eté don- d’une mémoire collective6. Les résultats de ces confrontations et nent lieu à deux publications par an, de ces expérimentations ont fait, par disponibles gratuitement sur notre site Mais nous avons également expéri- ailleurs, l’objet d’un travail systémati- et qui rencontrent un succès important menté une formation en danses issues que de dissémination, auprès de l’en- (plus de 6000 diffusions par numéro). de la culture hip-hop qui a permis de semble des acteurs des politiques pu- Au fi l des numéros, nous avons traité construire un pont entre les pionniers bliques de la culture du champ de la des questions comme « L’accompagne- de ce mouvement et la nouvelle géné- jeunesse et de l’éducation populaire. ment des pratiques artistiques des jeu- ration. Cette formation a mis l’accent nes », « La médiation culturelle », « Les sur la connaissance et le respect de l’es- Dans cet objectif, nous avons mis en artistes qui revisitent le social », « La prit d’origine de ces danses. Il s’agissait place le site Internet « Passeurs de décentralisation des enseignements ar- de prôner des valeurs de tolérance et culture »8 qui repère et diffuse toutes tistiques », « Le hip-hop » etc. La pu- de non violence, telles qu’elles étaient les informations susceptibles d’intéres- blication se fait l’écho des rencontres et présentes dans le projet de la « Zulu ser les acteurs. Il rassemble également fait autant la part belle aux chercheurs Nation », tout en les inscrivant dans un des documents et des études sur les qu’aux acteurs, ce qui en fait son origi- mouvement artistique contemporain. évolutions des pratiques artistiques et nalité. culturelles des jeunes, sur la question Enfi n, depuis 2002, ont été dévelop- de l’accompagnement de ces pratiques LES MUTATIONS EN pées, avec Hugues Bazin, deux recher- et sur des expériences innovantes qui en ches actions autour des « espaces popu- permettent une approche différente. QUESTION laires de création culturelle » et de la « professionnalisation » de ces acteurs, Par ailleurs, nous avons recomposé no- « Se cultiver c’est sortir de sa culture dans le cadre de ces espaces. L’enjeu de tre offre de formations sur catalogue. propre » ces recherches est la reconnaissance Les problématiques de conduite des d’une nouvelle génération d’acteurs po- projets artistiques en direction de la Nous sommes convaincus d’un dé- pulaires issus de ce que l’on a pu dési- jeunesse, dans le cadre d’équipements passement des clivages institution- gner comme « émergences culturelles ». socioculturels ont été privilégiées, ainsi nels et idéologiques, qui apparaissent Ces acteurs construisent pour eux-mê- que les questions des politiques cultu- aujourd’hui comme inopérants et dé- mes les conditions de leur propre dé- relles territoriales et la place des pra- mentis par l’évolution des pratiques so- veloppement individuel et collectif, tiques artistiques dans les démarches ciales et culturelles : culturel/sociocul-

VERBATIM « Internet va probablement nous déstabiliser parce que son architecture « Est-ce que la culture populaire c’est la culture qui est aimée du n’a rien à voir avec une fonction verticale de l’offre. Sur la Toile, il peuple, au sens où une vedette, un homme politique ou un produit n’y a pas de centre. Au milieu, on a des réseaux, des connexions alimentaire peuvent être populaires parce qu’ils sont spontané- et l’intelligence est toujours à la périphérie. Elle est placée derrière ment aimés ? Est-ce que c’est une culture pour le peuple, avec ce chaque écran d’ordinateur. Internet est par essence décentralisé et par qu’on peut y mettre d’élévation ou de mépris en disant que c’est essence participatif. Ça n’a rien à voir avec une forme de médiation, une culture au rabais ? Est-ce que cette culture est destinée au que ce soit celle de la médiation commerciale ou que ce soit celle des peuple par des élites? Est-ce qu’elle procède du peuple ? Est-ce institutions publiques de l’art. Ça n’a rien à voir avec cette médiation qu’elle vise à distraire ou à instruire ? C’est un sujet qui n’est pas fi ni du “un vers tous”. On est dans une médiation du “tous vers tous”. » d’être conclu et sur lequel les opinions peuvent diverger. En défi - nitive, on voit bien que tout est ambigu et que rien est établi. »

Marc Le Glatin, directeur du théâtre de Chelles, Dominique Riquet, maire de la Ville de Valenciennes, professeur associé à l’Institut d’études européennes de l’Université Paris 8 conseiller régional Nord-Pas-de-Calais

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec53sec53 228/04/088/04/08 14:21:3014:21:30 VERBATIM formes multiples, souvent peu visibles ; les pratiques en amateur explosent et il « À une époque de « peopleisation » galopante de la culture où la culture se confond avec faut se demander pourquoi ; les initiati- la société du spectacle telle qu’en son temps la prédisait Guy Debord, à une époque de ves dans les territoires relégués ou non, globalisation laminante des cultures où tout est dans tout, il est sans doute grand temps de redéfi nir une idée, une vision, un concept, celui de la culture populaire. Un concept qui, permettent à beaucoup de résister aux malgré certains petits liftings à chacune des générations culturelles qui ont suivi son invention, adversités de toutes sortes, d’affi rmer s’est quelque peu calcifi é et fi gé dans son sens. Il est donc bon, à l’aube de ce XXIe siècle, de leurs identités collectives, leur créativi- le revisiter pour le redéfi nir dans le contexte de notre époque. À l’occasion du cinquantième té, leur dignité »9. En témoigne, en par- anniversaire de la création du ministère de la Culture et il est aussi peut-être utile de reparler ticulier, les cultures que l’on a désignées d’André Malraux, de Jeanne Laurent et d’une culture « accessible à tous. » comme « urbaines », « émergentes », adjectivations concourant à masquer, à Lew Bogdan, directeur de la scène nationale Le Phénix, Valenciennes la fois, leur dimension pleinement ar- tistique et leur caractère éminemment populaire. Les catégories anciennes ne permettent pas de rendre compte de ce qu’elles sont pleinement partie pre- nantes de la culture d’aujourd’hui et du “Nous avons pris le parti patrimoine de demain.

Nous pouvons nous référer, sur ce pro- de nous appuyer, non pas pos, à Jacques Rancière, lorsqu’il écrit : « Je ne pense pas que l’on facilite l’accès de tous à la culture en remplaçant une sur une forme de culture culture savante élitiste par une culture populaire. S’émanciper c’est avoir accès à toute la culture. La culture d’élite ne déterminée, mais sur les garantit pas plus la liberté que la culture populaire la promotion de l’égalité. Se cultiver c’est sortir de sa culture propre. conditions qui favorisent Le problème n’est pas de donner accès à la « culture générale », mais de susciter la capacité de n’importe qui de s’inté- une appropriation resser à n’importe quoi. L’essentiel de la culture de chacun résulte de ce qu’il de la culture.” s’est approprié lui-même. »10 « Passeurs de culture »

Si l’on partage le point de vue de Jac- turel, culture savante légitime et culture modèle de l’homme cultivé, l’élargis- ques Rancière, la question n’est donc populaire. Les frontières, par exemple, sement du cercle des objets suscepti- plus tant celle du caractère de la cultu- entre amateurs et professionnels sont bles d’impliquer une action culturelle re, du professionnel ou de l’amateur, devenues poreuses. Les espaces de créa- publique ainsi que les nouveaux modes de l’artiste et du public, mais bien du tion sont de plus en plus des espaces in- de production et de diffusion artistique passage. La question centrale devient termédiaires où s’imbriquent, à la fois, apportés par les technologies de l’infor- alors celle du passeur, du « passeur de des références culturelles et artistiques mation et de la communication. culture » et de l’accompagnement. plurielles et des opérateurs jouant de Autant d’oppositions remises en cause multiples compétences professionnel- radicalement par l’évolution des pra- D’où la démarche d’une réfl exion les : créateurs, mais aussi gestionnaires, tiques culturelles et qui nous interdi- partagée, que nous avons engagée, organisateurs, managers, etc. sent de comprendre que « la culture autour de l’accompagnement des pra- Le brouillage de ces frontières est am- est ailleurs ». Comme l’écrit René Riz- tiques artistiques et culturelles des plifi é aujourd’hui par les changements zardo : « On parle de désenchantement jeunes. Nous avons pris le parti de sociaux auxquels nous assistons depuis et pourtant, la vitalité artistique et l’in- nous appuyer, non pas sur une forme une trentaine d’années : la crise du novation culturelle foisonnent sous des de culture déterminée, mais sur les

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec54sec54 228/04/088/04/08 14:21:3014:21:30 tion d’harmoniser les actions au niveau national, comme sur les territoires. Ces “La question n’est (donc) plus tant actions prennent place, autant dans le cadre d’une politique de l’offre, que celle du caractère de la culture, du de la demande. Dans cette démarche, l’apport des compétences et ressources de chacun est nécessaire : celles des ac- professionnel ou de l’amateur, de teurs du social, de l’éducation, autant que celles de la culture et des établisse- l’artiste et du public, mais bien du ments culturels.

Le Pôle culture offre ainsi un espace de passage. La question centrale devient frottement permanent entre différents acteurs et différentes cultures, au ser- alors celle du passeur, du « passeur de vice d’une meilleure prise en charge des pratiques artistiques et culturelles culture » et de l’accompagnement.” des jeunes, enfi n considérés comme des ressources. Mais c’est aussi une tenta- tive de reconstruire un projet ou une conditions qui favorisent une appro- recherches, études) de formations ou utopie collective qui réinscrive l’éduca- priation de la culture. Nous nous de rencontres de réfl exion, l’accom- tion populaire au cœur des démarches attachons à identifi er des pratiques, pagnement de l’ensemble des acteurs d’une politique culturelle publique par- à mieux comprendre l’évolution des concernés. tagée. formes artistiques et à repérer les Cette prise en compte de tous les ac- bouleversements des rapports sociaux teurs institutionnels ou associatifs per- et symboliques, dont ces pratiques met, à une action culturelle publique, Chantal Dahan témoignent. Ceci afi n de mieux qua- d’engager différemment son travail en Responsable du Pôle culture lifi er, par l’intermédiaire de la dif- direction de la jeunesse. En s’appuyant Jean-Claude Richez Directeur de l’unité de la recherche, des études fusion d’informations (expériences, sur un partenariat plus large, il est ques- et de la formation

La culture populaire au Pôle Culture de l’Injep : une histoire de passeurs NOTES 1- Chantal Dahan, Les actions artistiques et culturelles soutenues par le MJS, janvier 2002 5- Hugues Bazin, Espaces populaires de création culturelle : enjeux d’une recherche-action 2- Séminaire des 12 et 13 juin 2006 à l’INJEP « Faire vivre la diversité culturelle » et situationnelle, Cahiers de l’action, INJEP, Marly-le-roi, 2006 prochainement un séminaire sur le dialogue interculturel qui aura lieu à l’INJEP les 29, 6- Au château d’Angers et au palais Jacques Cœur à Bourges 30 septembre et 1er octobre 2008 7- Hugues Bazin, Les enfants non reconnus de l’éducation populaire, Agora n°44, 3- Centre Pompidou, DEPS ministère de la Culture et de la Communication, Panorama 2e trimestre 2007, pp.46-61 art et jeunesse, INJEP, Marly-le-roi, 2007 8- http://www.passeursdeculture.fr 4- Universités d’été des danses issues de la culture hip-hop organisées depuis 2004, Col- 9- René Rizzardo, Culture et société, un lien à recomposer, Éditions de l’attribut, loque La danse Hip-Hop : 25 ans pour reconnaître, 25 ans pour structurer ?, juin 2006 et 2008, p.32 les 12 et 13 juin 2008 sur les nouvelles formes d’organisation économique des acteurs 10- Jacques Rancière, Le Monde de l’Éducation, juillet-aout 2006 de la culture hip-hop

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec55sec55 228/04/088/04/08 14:21:3014:21:30 IETMM RRÉSEAU INTERNATIONALL DDES ARTS DU SPECTACLEE

http://www.ietm.org/index.lasso?p=information&q=eventdetail&id=194

mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec56sec56 228/04/088/04/08 14:21:3014:21:30 EUROPE LA LIBERTÉ EN RÉPÉTITION

Dossier coordonné par Gaspar Bouillat-Johnson et Lisa Pignot, en partenariat avec l’IETM et Bunker Productions

INTRODUCTION Mary Ann De Vlieg et Jean-Pierre Saez

L’Europe de la culture se construit à la fois à travers l’initiative des acteurs et les pratiques d’échanges stimu- lées par les réseaux culturels européens. L’IETM, réseau international des arts du spectacle, fait partie des réseaux historiques qui, à partir des années 80, ont marqué la construction d’une société civile européenne de la culture. Lui-même investi auprès des réseaux européens, l’Observatoire des politiques culturelles a toujours été attentif à ce travail de fond entrepris par ces acteurs de la construction européenne par la culture.

Ce dossier présenté autour de « la liberté en répétition » est le fruit d’un désir de Mary Ann De Vlieg, coopération partagée et de mise en débat d’une réfl exion de fond sur l’importance de Jean-Pierre Saez la culture dans la construction de l’Europe, le développement des sociétés démocra- p.57 : Introduction tiques, l’amélioration de notre capacité à vivre ensemble et la promotion du dialogue interculturel. Janez Jansa p.61 : « La liberté en répétition » est le thème de l’Assemblée Plénière de Printemps de 11 thèses sur la l’IETM co-organisé avec Bunker Productions et d’autres structures culturelles telles liberté en répétition que Maska Productions qui se tiendra du 15 au 18 mai 2008. Marko Stamenkovic p.65 : L’IETM rassemble habituellement quelque 600 professionnels du secteur : program- L’artiste comme mateurs/trices, directeurs/trices de festivals, de centres d’art ou de théâtres, de com- exemple à suivre IETM est fi nancé avec le pagnies de théâtre ou de danse, producteurs/trices indépendant(e)s, autorités locales, dans les économies soutien de la Commission néolibérales européenne. instituts culturels et ministères… Cette publication n'engage que son auteur et la Bojana Kunst Commission n'est pas C’est la première fois, depuis 1992, que l’IETM organise son assemblée en Slovénie. p.76 : responsable de l'usage qui pourrait être fait des Seize ans : comment le secteur des arts contemporains a-t-il changé depuis ? Presque Communautés et informations qui y sont vingt ans depuis la chute du Mur de Berlin : quels changements peut-on observer autres modèles contenues. de coopération et Cette publication a été rendu concernant les conditions dans lesquelles les artistes exercent leur droit à la liberté possible grâce au soutien d’expression… à l’Est ? … à l’Ouest ? … dans le monde entier ? d’amitié des années du Fonds néerlandais pour 60 à nos jours les Arts scéniques+.

Alors que, bien avant 1989, l’IETM commençait à tisser des liens avec des collègues du Centre, de l’Est et du Sud-Est de l’Europe, la plupart d’entre nous continuaient

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec57sec57 228/04/088/04/08 14:22:3114:22:31 à croire aux idées des Lumières : le progrès continu de l’humanité (la civilisation ?) vers de meilleures conditions. En 1989, le secteur culturel était optimiste – la chute du Mur semblait augurer des changements positifs ; nous, à l’Ouest nous mettrions en réseau avec nos collègues de l’Est et un prétendu « level playing fi eld » (terrain d’égalité) émergerait au fur et à mesure que leurs économies se développeraient, que leurs infrastructures se moderniseraient, et que le secteur indépendant deviendrait plus solide et plus soutenu par des politiques et des fonds publics.

Au cours des dernières années, même les plus optimistes d’entre nous ont dû admet- tre qu’il s’agit plus d’une lutte constante que d’un progrès continu. Peut-être seule une citation comme « il faut allier le pessimisme de l’intelligence à l’optimisme de la volonté » de Gramsci peut nous encourager à aller de l’avant.

Les situations à l’Est et à l’Ouest de l’Europe ne se sont pas égalisées, ainsi que l’on peut le voir dans les rapports annuels de l’Observatoire de Budapest ; pour les indé- pendants, ni les fonds publics ni les fonds privés n’ont augmenté comme attendu, et en fait, les arguments de politiques publiques à l’endroit des arts du spectacle à l’Ouest se sont dégradés jusqu’à un point jamais vu d’« instrumentalisation ». Espé- rons que les vents tournent et que la prochaine étape du discours public sur les arts portera davantage sur des valeurs intrinsèques que sur leur capacité de régénération urbaine, de lien social, et de médiation inter-religions ou interculturelle (cf. James Purnell, récent Ministre de Culture, des Medias et des Sports du Royaume-Uni).

Cependant, la promesse de 1989 n’était pas l’art, c’était la liberté.

Dans notre monde numérique, de plus en plus caractérisé, ainsi que Rob van Kra- nenburg le dit, par l’omniprésence de l’informatique à quel point sommes-nous li- bres ? Les sites web et les courriels nous hameçonnent avec des lignes de pêche virtuelles pour suivre notre comportement. Nos habitudes de consommation sont ob- servées, analysées et vendues. Nos empreintes digitales (si ce n’est l’ensemble de nos données bio-métriques) sont disponibles à chaque frontière nationale. Des profi ls pré-formatés nous attendent dans chaque campagne politique, publicité ou machine pré-programmée… Quel est le libre environnement du libre individu ?

À quoi pouvons-nous aujourd’hui prétendre quant à l’art actuel et ses liens avec la liberté ? En tant que sujet et objet, nous devons trouver des moyens de préserver l’es- pace public en tant que lieu d’échange libre et ouvert, malgré les subtiles – cachées ou manifestes – manipulations du processus politique et des économies néolibérales à l’ère d’Internet. Nous espérons que les auteurs choisis pour cette publication soulè- veront les bonnes questions, identifi eront les meilleurs partenaires, et focaliseront sur les questions les plus cruciales…

Mary Ann De Vlieg Secrétaire générale de l’IETM Jean-Pierre Saez Directeur de l’Observatoire des politiques culturelles

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec58sec58 228/04/088/04/08 14:22:3814:22:38 REHEARSING FREEDOM

Coordination : Gaspar Bouillat-Johnson and Lisa Pignot, in partnership with IETM and Bunker Productions

INTRODUCTION Mary Ann De Vlieg, Jean-Pierre Saez

The European cultural sector is built both by key actors and good practices of exchange stimulated by the Euro- pean cultural networks. IETM, international network for contemporary performing arts belongs to these historic networks that since the 80’s have facilitated the integration process of a European civil society of culture. L’Ob- servatoire, the French cultural policy observatory, itself involved in European networks, has always maintained an awareness towards this essential work tackled by these actors of European integration through culture.

This dossier, built up around « rehearsing freedom », results from our shared desire Mary Ann De Vlieg, to cooperate in debating and thinking about the importance of culture in the process Jean-Pierre Saez of European integration, in the development of democratic societies, in improving our p.59: Introduction capacity to live together, and in promoting intercultural dialogue. Janez Jansa ’’Rehearsing freedom’’ is the theme of the 2008 Annual Spring Plenary Meeting of p.63 : IETM, co-organised together with Bunker Productions and other Ljubljania cultural 11 thesis on organisations such as Maska Productions, to be held from 15 – 18 May 2008. rehearsing freedom

Marko Stamenkovic IETM usually attracts around 600 professionals from the sector : festival directors, p.71 : programmers, arts centre and theatre directors, directors of performing theatre and Artist as a role dance companies, independent producers, local authorities, cultural institutes and model in neoliberal IETM is funded with ministries. economies support from the European Commission. Bojana Kunst This publication refl ects the This will be the fi rst IETM meeting in Slovenia since 1992. Sixteen years: how has views only of the author, and p.79 : the Commission cannot be held the contemporary arts sector changed? Twenty years since the fall of the Berlin Wall: Communities and responsible for any use which may be made of the information what are the changes to the conditions in which artists exercise their right to free other models of contained therein. expression… in the East? ...in the West? ...in the World? cooperation and IETM is supported by the Dutch friendship from the Fund for Performing Arts+. 60’s until now When, even before 1989, IETM started making links with colleagues in the Central, Eastern and South Eastern parts of Europe, many still believed in the last traces of the Enlightenment proposition: the steady progress of humanity (civilization?) towards better conditions. In 1989, the culture sector was optimistic – the fall of the Wall

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec59sec59 228/04/088/04/08 14:22:3814:22:38 seemed to augur positive changes; we in the West would network with our colleagues in the East and a so-called ’level playing fi eld’ (equality) would emerge as their eco- nomies grew, their infrastructures modernised and the independent sector became stronger and increasingly supported by public policies and funds.

In the last few years, even the most optimistic of us have to admit that it is more like a constant struggle than steady progress. Perhaps only Gramsci’s formulation of ’pessimism of the intellect; optimism of the will’ keeps us going.

Situations in the West and East of Europe have not equalised, as can be seen in Budapest Observatory’s annual monitoring exercises; neither public nor private funds for independents in the Eastern part of Europe have grown as expected, and in fact, policy arguments for contemporary arts even in the West have degraded to a state of unparalleled “instrumentalisation”. Hopefully the tide is turning and the next phase of public discourse for the arts will focus on intrinsic values rather than on their ability to regenerate urban areas, solve social exclusion problems and mediate religious and cultural tension (cf James Purnell, recent UK Minister of Culture, Media and Sport).

But the promise of 1989 was not art, it was freedom.

In our digital world, increasingly characterised, as Rob van Kranenburg tells us, by pervasive computing, where websites and emails hook us with virtual fi shing lines in order to follow our behaviour, where our personal consumer behaviour is observed, analysed and sold, where our fi ngerprints (if not all of our bio-data) are available at every national border, how free are we? With pre-formatted profi les waiting for us inside every pre-programmed machine, advertising or political campaign, what is the free environment of the free individual?

What can we claim today about contemporary art and its links to or with freedom? As both subjects and objects, we must fi nd ways to keep the public space a place of free and open exchange, despite the subtle, hidden or overt – manipulations of the political process and neoliberal economies in the age of the internet. We hope that the authors selected to contribute to this publication will raise the right questions, identify the best partners, and focus on the most crucial questions.

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec60sec60 228/04/088/04/08 14:22:4114:22:41 11 THÈSES SUR LA LIBERTÉ EN RÉPÉTITION QUESTIONS INTRODUCTIVES

Janez Janša

L’IETM – Réseau international des arts du spectacle – se réunit à Ljubljana, en Slovénie, du 15 au 18 mai pour discuter, entre eux et avec des experts invités, d’un large éventail de questions sur le statut de l’art dans les sociétés contemporaines.

“C’est si simple, pression « artiviste ». Considérons-nous politique élargi. En ce sens, le système une expression artistique « réussie » de l’art devient de plus en plus un systè- que c’en est dur lorsqu’elle a un impact direct sur la réa- me de contrôle : c’est par défi nition un lité, lorsqu’elle génère des changements lieu de stratégies critiques et subversi- à comprendre.” dans la réalité politique et sociale ? ves et en tant que tel protégé et margi- nalisé. Il fonctionne de façon similaire Jan Machacek 02. Cette question est devenue ex- aux politiques dissidents du bon vieux trêmement pertinente et largement communisme : les dissidents étaient es discussions touchent à 4 ques- débattue dans le champ de l’art visuel autorisés à parler et à voyager pour être L tions majeures : après la Documenta X et nombre d’ex- sous contrôle. – les stratégies d’action/travail dans les positions organisées de façon sembla- années 60, 80 et 2000 ; ble, qui exposaient le plus souvent de 03. Nous devons ici rouvrir le vieux – communautés, scènes, cercles, ré- la documentation dans laquelle l’artiste débat de la place et du rôle/fonction seaux et autres modèles de coopé- collectait et montait des informations de l’art dans la société. Ma position est ration et d’amitié, des années 60 à sur un problème politique ou social. Le ici très claire : l’art n’a pas de fonction aujourd’hui ; dilemme fondamental est comment ces dans la société. L’éthique de l’art est – l’artiste comme exemple à suivre dans informations, qui sont d’un large inté- exactement basée sur le fait de ne pas les économies néolibérales ; rêt, pénètrent-elles l’arène publique ? avoir de but ou de rôle explicite. L’art – les frontières de l’expression artisti- Quels sont les effets des informations est le champ de l’activité humaine qui que dans les sociétés néolibérales ; collectées ? évite la fonctionnalisation et la systé- misation et en tant que tel il ne peut Voici 11 thèses qui pourraient donner jamais réussir. La seule chose politique forme à certaines des discussions. “Nous avons bel que l’art fasse est une constante recon- figuration de ses propres conditions – 01. Pourquoi sommes-nous toujours et bien la liberté de ou, pour le tourner plus poétiquement, déjà déçus par le politique dans l’art ? l’art répète la liberté.1 Essayer, résister, Tâchons de répondre frontalement : penser. À présent, échouer, développer, négocier, subver- dans les conditions du capitalisme néo- tir, improviser, s’éclipser, transpercer, libéral (ou, si vous préférez, dans les nous avons juste se perdre, entamer, découvrir… L’art conditions de la ’’fi n de l’histoire’’ de ne change pas les choses, il génère les Fukuyama), tout se fait absorber, tout besoin des pensées.” conditions pour voir (et faire) les choses est marchandisé (à condition d’être Karl Krauss différemment. S’il intervient dans un vendable) et tout effet subversif poten- régime dominant de perception, il est tiel est neutralisé. Alors, si nous pen- politique et il est contemporain. sons à l’expression politique ou activiste La plupart des questions mises en for- dans l’art, nous devrions d’abord défi - me dans les expositions n’ont à peu près 04. Mais quel besoin avons-nous d’être nir l’éventail d’effets d’une certaine ex- aucun impact sur le contexte social ou politique (dans l’art) ? Pourquoi n’ap-

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec61sec61 228/04/088/04/08 14:22:4114:22:41 précierions-nous pas simplement l’imagination et la créativité ? Pourquoi n’offririons-nous pas aux gens quelque “L’art répète la liberté. Essayer, résister, chose de sublime, relaxant et beau à la fi n d’une dure journée de travail ? échouer, développer, négocier, subvertir, 05. Pourquoi devrions-nous aborder improviser, s’éclipser, transpercer, se la question de la liberté au sein de nos sociétés néo-libérales ? La question de perdre, entamer, découvrir…” la liberté est-elle toujours pertinente après tous les mouvements de libération du XXe siècle, après la chute du Mur de principalement par la logique capitalis- 09. La question de la liberté est aussi Berlin, après la marche mondiale de la te ainsi que par la protection de la libre culturellement et géopolitiquement condi- démocratie, enfi n et surtout après l’ab- circulation des capitaux. Les espaces tionnée. Entendons-nous la liberté de négation postmoderne de la pensée uto- publics sont de plus en plus privatisés : la même manière hors de l’Occident ? piste ? les problèmes rencontrés par les lieux La démocratie occidentale est-elle l’ul- publics sont toujours plus liés à l’idée time modèle d’une société libre ou bien 06. Nous proposons une compréhen- de capital. Il en va de même pour les le moins pire des modèles existants ? « La sion de la liberté en tant que processus. mass médias et la recherche scientifi - liberté en répétition » est-elle un concept La liberté n’est pas un état. Il s’agit d’un que, qui sont tous soumis aux intérêts issu des « jeunes démocraties » ? Si dans le ensemble dynamique de relations au de leurs propriétaires. néolibéralisme développé on ne peut être sein des sociétés. Les sociétés démocra- artiste contemporain à moins d’être occu- tiques se sont fondées sur la protection 08. Comment l’Art peut donc s’opé- pé à une « critique du système », comment de divers droits, dont le droit de la li- rer dans une sphère toujours plus peut-on être critique dans des conditions bre circulation des personnes, le droit restreinte de la liberté d’expression ? où il n’y a pas de système (de l’art) ? à la liberté de religion, d’expression Formons-nous la seule opposition de scientifi que et artistique. Ces droits notre époque ? Comment est-ce que 10. Enfi n et surtout, à quel point la sont incontestables et garantis aux ci- nous percevons, conditionnons, répé- liberté artistique est-elle conditionnée toyens par les régimes démocratiques. tons, mettons en scène et communi- par la sécurité et les règlements liés ? Mais la liberté en tant qu’ensemble de quons la liberté ? Je m’oppose évidem- Les règlements de sécurité incendie, la relations dans ces sociétés sera conti- ment au réalisme capitaliste – l’art qui législation sur les espaces publics non nuellement réinventée. Au cœur même traite de questions d’un point de vue fumeurs ou la protection des droits de la liberté se trouve la constante re- politiquement correct. Il compte ha- des animaux sont-elles des atteintes à mise en question de ses frontières. Au bituellement sur un effet conscience/ la liberté artistique ? Par le diktat de cours de son évolution, l’Art a été par- cathartique. Le premier effet secon- la mobilité qui infl uence fortement ticulièrement sensible sur ce point. La daire de ce point de vue est la division : la standardisation des modes de pro- liberté est constamment répétée : elle nous contre l’autre. Le second effet duction et dicte des modèles mentaux est inventée, réinventée, expérimentée, secondaire de ce point de vue est que pragmatiques pour artistes (« perfor- abandonnée, formée, formatée, refor- l’on n’atteint pas l’autre. On continue mances valises ») ? matée, améliorée, confrontée… Tout ce à convaincre des convaincus. C’est en que nous pouvons dire sur le processus relation à la guerre qu’apparaît la dé- 11. Vous aurez déjà deviné ce que sera la de répétition vaut également pour la li- faillance criante de l’art. Je ne parviens 11e thèse : les artistes ont seulement in- berté. pas à penser à quelque projet artistique terprété le monde de manières différentes ; actuel qui ait été en faveur de la guerre la question est de continuer à le faire, de 07. L’Art est considéré comme étant dans l’histoire récente. Chaque artiste manières (encore plus) différentes.2 l’un des derniers domaines, ou subdivi- est contre la guerre. Le meilleur de l’art sion, de la liberté d’expression dans les actuel rend le système nerveux. L’art est Janez Janša sociétés néo-libérales. Tous les autres politique lorsqu’il expose « la vérité » de Directeur de Maska Productions metteur en scène secteurs ont été lourdement régulés, son objet. et auteur de performances interdisciplinaires

11 thèses sur la liberté en répétition NOTES

1– « Art is rehearsing freedom » [NDT] 2– Paraphrase de la fameuse pensée de Karl Marx (Thèses sur Feuerbach) « Les philosophes ont seulement interprété le monde, de différentes manières ; la question est de le changer. »

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec62sec62 228/04/088/04/08 14:22:4214:22:42 (11) THESIS ON REHEARSING FREEDOM INTRODUCTORY QUESTIONS

Janez Janša

IETM – International Network for contemporary performing Arts meets in Ljubljana, Slovenia from May 15th to 18th to discuss a vast range of questions on the status of art in contemporary societies.

ture. Do we consider an artistic gesture ted as well as marginalized. It functions “It is so simple, “successful” when it has a direct impact in a similar way as dissident politics in in reality; when it generates changes in good old communism: dissidents were that it is hard to political and social reality? allowed to speak and travel in order to be controlled. understand.” 02. This question became extremely relevant and widely discussed in the 03. Here we need to reopen the old de- Jan Machacek Visual Arts domain particularly after bate on the place and role/function of Documenta X and many other similarly art in society. My position here is very hese discussions will touch 4 major curated exhibitions, which mostly dis- clear: art has no function in society. The T questions: played documentary material in which ethics of art are based precisely on not – strategies of artistic action/work in the artists collected and edited information having any explicit goal or role. Art is 60s, 80s and in 2000’s; on a certain social or political issue. The a fi eld of human activity which avoids – communities, scenes, circles, networks basic dilemma is : how does that infor- functionalization and systemization and other models of cooperation and mation, which is of wide interest, enter and as such it can never be successful. friendship from the 60’s until now; into the public arena? What are the ef- The only political thing art does is to – artist the as a model in neoliberal eco- fects of collected information? constantly reconfi gure its own condi- nomies; tions – or, to put it more poetically, - borders of artistic expression in neoli- art is rehearsing freedom. Trying, resis- beral societies. ting, failing, developing, negotiating, "We do have subverting, improvising, slipping away, Here are eleven thesis which might sha- piercing through, getting lost, breaking pe some of the discussions. freedom of thought. through… Art doesn’t change things; it generates conditions to see (and make) 01. Why are we always already disap- Now we just need things different. If it cuts into the domi- pointed with the intrusion of politicism nating regime of perception, it is politi- in art? the thoughts." cal and it is contemporary. Let’s try to answer straight forwardly: in Karl Krauss conditions of neoliberal capitalism (or, if 04. But, why do we need to be political you prefer, in the conditions of Fukuya- (in art)? Why don’t we just enjoy ima- ma’s “end of history”), everything gets The majority of issues generated at exhi- gination and creativity? Why don’t we absorbed, everything gets commodifi ed bitions have almost no impact on wider just offer people something sublime, re- (if it has selling potential) and any poten- political or social contexts. In that sense, laxing and beautiful at the end of a hard tially subversive effect is neutralized. So, the art system is increasingly becoming working day? if we think about the political or activist a control system: it is by defi nition a gesture in art we should fi rst defi ne the place of critical and subversive strategies 05. Why discuss the question of free- range of effect of a certain artivistic ges- and as such is, at the same time, protec- dom in conditions of neoliberal socie-

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec63sec63 228/04/088/04/08 14:22:4214:22:42 ties? Is the question of freedom still 07. Art is considered one of the last in art’s relationship to war. I can hardly relevant after all the emancipatory mo- fi elds or subsystems of free expression in think of any contemporary artistic pro- vements of the 20th Century, after the neoliberal societies. All the other fi elds ject which supported war in recent his- fall of the Berlin wall, after the global have been heavily regulated, mainly by tory. Every artist is against war. march of democracy, and last but not the logic of capital, as well as by the Contemporary art at its best makes the least after the postmodernist denial of protection of the free fl ow of capital. system nervous. Art is political when it utopian thinking? Public space increasingly privatised and displays “the truth” of its object.

09. The question of freedom is also culturally and geo-politically condi- tioned. Do we understand freedom in “Art is rehearsing freedom. Trying, the same way outside of the West? Is Western democracy the ultimate model resisting, failing, developing, negotiating, of a free society or is it the least worse of the existing ones? Is the “rehearsing subverting, improvising, slipping away, freedom” concept coming from “young democracies”? If, in developed neolibe- piercing through, getting lost, breaking ralism, you cannot be a contemporary artist unless you are busy with “system through … ” critique”, how can you be critical in conditions where there is no (art) sys- tem?

the issues raised in the public space are 10. Last but not least, how much is ar- 06. We propose the understanding of increasingly capital driven. The same tistic freedom conditioned by safety and freedom as a process. Freedom is not a holds for mass media which are driven related regulations? Are the fi re regula- state. It is a dynamic set of relations in by the interests of owners, as well as for tions, the legislation on non-smoking in societies. Democratic societies are based scientifi c research, heavily conditioned public spaces or animal rights protection on the protection of different rights in- by the interests of corporate capital. attacks on artistic freedom? How much cluding the right of free movement of is it conditioned by the dictate of mobi- people, religious, scientifi c and artistic 08. Then, how is art operating in these lity which strongly infl uences standardi- expression. These rights are unques- conditions of a shrinking space for free sation of production modes and dictates tionable and guaranteed to citizens of expression? Are we actually the only artists’pragmatic mental patterns (“suit- democratic regimes. But freedom as opposition of our time? How do we case performances”)? a set of relations in societies is always understand, condition, rehearse, stage to be reinvented. In the very core of and communicate freedom? Certainly, 11. You already guessed what will be freedom is a constant questioning of I stand against capitalist realism – art the eleventh thesis: Artists have only its borders. Art, throughout its history, which deals with issues from a politi- interpreted the world, in various ways; has been very sensitive precisely on that cally correct point of view. This usually the point is to continue doing it, in (even issue. That’s why we think freedom is counts on awareness / cathartic effect. more) various ways.1 constantly rehearsed, in other words, The fi rst side effect of this standpoint invented, reinvented, tried out, aban- is division: we against the other. The doned, shaped, formatted, reformatted, second side effect of this standpoint is Janez Janša Director of Maska Productions, author improved, confronted… everything we that you don’t reach the other. You go and director of interdisciplinary performances can say about the rehearsing process we on preaching to the converted. This is- can say about freedom. sue always appears in its clearest form

11 thesis on rehearsing freedom NOTES

1– Paraphrase of the famous thought by Karl Marx (ThesisOn Feuerbach), “The philosophers have only interpreted the world, in various ways; the point is to change it.”

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec64sec64 228/04/088/04/08 14:22:4214:22:42 L’ARTISTE COMME EXEMPLE À SUIVRE DANS LES ÉCONOMIES NÉOLIBÉRALES

Marko Stamenkovic1

En 1925, l’Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels eut lieu à Paris. L’Union soviétique engagea Constantin Melnikov, un architecte, et Alexandre Rodtchenko, un artiste sculpteur, photographe et graphiste, pour organiser le pavillon soviétique.

’extérieur du pavillon et la concep- aujourd’hui, pour questionner nos pro- mercialisables) est un point de départ Ltion de l’intérieur pour un foyer de pres modes de travail et de vie dans possible que l’on doit prendre en consi- travailleurs faisait offi ce de solution pra- les conditions actuelles du capitalisme dération pour élargir les champs et les tique qui émergea d’un désir explicite- mondial ? Comment sommes-nous visions des potentialités productives. ment politique du programme offi ciel supposés lire, comprendre et réarticuler Agir dans l’arène pour les discussions soviétique de l’époque, et de son comi- aujourd’hui le dualisme d’hier entre le ouvertes, débats, échanges d’opinions, té de sélection : l’exposition était une modèle soviétique prolétaire et l’envi- attitudes, expériences et codes compor- occasion d’auto-promotion soviétique, ronnement bourgeois4 du reste de l’ex- tementaux est l’une des tâches les plus une tentative pour représenter l’URSS position de 1925 à Paris ? Est-il possible exigeantes aujourd’hui – engager les comme une nation commerçante bien pour l’art contemporain et les artistes gens à parler dans une certaine arène organisée, moderne, à égalité avec les d’échapper à la pratique commerciali- et à ouvrir la possibilité pour un mo- puissances occidentales.3 sée… et comment ? Et peut-être propo- ment politique d’apparaître dans l’art. ser des contre-modèles ? C’est exactement cette sphère discursive Suivant l’exemple de ce fameux projet commune qui fournit une plateforme constructiviste russe, quelle sorte de Les aspects politiques, sociaux, et éco- conjointe pour un travail de type colla- nouvelle relation (« à la personne, à la nomiques de la société contempo- boratif, les valeurs et signifi cations qui femme, aux choses », ainsi que le dé- raine peuvent être reconnus comme constituent la production de savoir. L’ar- crit Rodtchenko dans sa lettre de Paris une alliance entre le régime néolibéral ticulation des voix pour qu’elles soient en 1925) peut-on imaginer et penser prédominant de mondialisation et les entendues et comprises dans la « so- politiques dites démocratiques qui ca- ciété muette » du néo-libéralisme actuel ractérisent aujourd’hui la plupart des (« donner la voix » exactement comme “La lumière qui vient de l’Est sociétés capitalistes avancées. De nos « donner l’image » à ceux auparavant n’est pas seulement la libération jours, quand l’ensemble de la société est muets et/ou invisibles, à ceux que le pen- des travailleurs, la lumière productif, et devient un lieu pour l’ar- seur brésilien Paulo Freire appellerait des ticulation du capital (la question de la « oppressés » dans sa célèbre publication qui vient de l’Est est dans la productivité étant placée sous les condi- The Pedagogy of the Oppressed) doit jouer nouvelle relation à la personne, tions d’un consumérisme planifi é, sou- un rôle signifi catif dans la défi nition des à la femme, aux choses. Les tenu et inévitable), il est nécessaire de statuts et positions des artistes face au choses dans nos mains doivent concevoir l’idée d’une production (artis- néolibéralisme. Comme Marina Grzinic, être égales, camarades. Et non tique et culturelle) dans les conditions théoricienne et philosophe slovène, pro- données, sans être réduit à un projet fesseur à l’Académie des Beaux Arts de ces esclaves noirs et mornes, tels culturel simplement consumériste. Vienne, l’affi rmerait : « Lorsque l’on parle qu’ils sont ici.” Approcher les artistes comme des ci- d’art, il y a aujourd’hui beaucoup de ques- Aleksandr Rodtchenko2 toyens et des êtres intellectuels (plutôt tions, si l’art, et spécialement l’art qui est que des créateurs orientés vers une pro- connecté au marché de l’art – la majeure duction d’objets esthétiques et com- partie de ce que nous percevons comme art

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec65sec65 228/04/088/04/08 14:22:4314:22:43 “Le champ de l’art contemporain doit être abordé comme une arène publique où de nombreuses possibilités de partage et de production de savoir, de débat intellectuel, et d’échange d’informations politiques et culturelles doivent être offertes et examinées via la conception participative de plateformes discursives.”

est commerciale et n’a plus aucun sens – a socialiste », une forme non capitaliste néolibéralisme. Ce sera une tentative du sens non en termes d’être productif, en de modernité, et une contre-proposi- d’interrogation des questions susmen- tant qu’artiste, sinon pour développer des tion constructiviste au type occidental tionnées et d’ouverture de l’espace pour moyens de résistance : en termes de chan- de relations possessives (telles qu’elles un dialogue et un débat public concer- gement, dans un sens utopique, du contex- ont été expérimentées dans un monde nant la position de l’artiste au sein des te culturel, social et politique. Je dirais donc basé sur des principes de fétichisme des conditions néolibérales. que si quelque art importe, ce peut-être des biens marchands et de règles orientées pratiques non perçues comme art, des pra- vers le marché)6, est-il toujours possible Je voudrais par conséquent insister tiques culturelles, du travail, des questions – et à quelles conditions – de partici- pour proposer une re-contextualisation de mise en réseau, le mouvement mondial, per à un tel affrontement du désir de des pratiques culturelles contemporai- l’ouverture à ce qui se passe dans le champ biens tel qu’il est organisé sous le capi- nes comme l’unique façon de s’opposer du travail et dans la façon de casser cette talisme ? Le champ de l’art contempo- aux environnements neutralisés, dépo- image de soi du dieu du Capitalisme, qui rain doit être abordé comme une arène litisés et décontaminés de la production parle tout le temps de découvertes de pau- publique où de nombreuses possibilités culturelle capitaliste et de s’atteler aux vres gens inventant des moyens de survie. de partage et de production de savoir, besoins de zones confl ictuelles (vir- Alors, peut-être est-il nécessaire de chan- de débat intellectuel, et d’échange tuelles) d’intérêt ; ce sont les zones de ger et de parler de pratiques culturelles, de d’informations politiques et culturelles potentialité, où la parole publique et découvrir les pratiques culturelles en tant doivent être offertes et examinées via la l’opinion publique (comme formes ul- que nouvelles formes d’art. Je dirais sim- conception participative de plateformes times d’activité discursive aujourd’hui) plement : ne pensez pas à l’art, pensez aux discursives. doivent constamment être re-dévelop- pratiques qui peuvent changer, motiver, pées et disséminées pour le salut d’une mettre sans dessus dessous cette incroyable Bien qu’important, ce n’est que le pre- vie publique démocratique convenable, légèreté du système aux prises avec les sans- mier pas vers la proposition d’une telle et aussi pour renforcer la sphère publi- abri, aux prises avec la précarité du travail, plateforme : dans ce qui suit, nombre que politique démocratique par l’art, seulement aux prises avec la civilisation d’artistes, curateurs, théoriciens de aujourd’hui. des images du Premier-Monde capitaliste, toute l’Europe ont été approchés d’une images que l’on fait circuler partout, mais manière très directe avec une demande Marko Stamenkovic pas dans le cœur du système capitaliste ».5 unique : réfl échir à leur propre per- Historien d’art, critique et curateur – travaillant à Belgrade (Serbie) ception de la question toute proche, Si le foyer de travailleurs de Rodtchenko c’est-à-dire leur propre position et est un exemple du concept d’« objet conception de la liberté sous la loi du

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec66sec66 228/04/088/04/08 14:22:4314:22:43 Philippe Mairesse (artiste, Paris) : David Maroto (artiste, Rotterdam) : Valerio del Baglivo (curateur, Rome/ Si nous ne voulons pas être un modèle En premier lieu, je considère que le Venise) : pour l’économie, l’économie doit être cliché de l’artiste romantique en tant Franchement, répondre à vos questions un modèle pour nous, ce qui veut dire : qu’individu solitaire, outsider, extrava- signifi e : quelque chose à quoi nous donnons une gant persiste toujours dans des produc- (1) impliquer l’idée d’artiste vu comme posture, à quoi nous donnons une for- tions médiatiques grand public et par- un sorcier absolument hors de contact me, que nous informons et représentons. tant de là, dans l’imaginaire collectif. avec la société ; Que les artistes amplifi ent le modèle Cela contribue au système capitaliste (2) soutenir l’idée, très répandue dans le ou qu’ils le trahissent est une question pour justifi er son existence comme champ de l’art, que le seul travail res- d’art, pas d’économie. Peut-on utiliser s’il y avait toujours une « voie de sor- pectable dans notre société, est d’être un l’économie néolibérale comme maté- tie », une alternative à ce dont l’artiste artiste. riau pour les arts ? Si nous entendons les romantique serait le paradigme. De (3) ne pas voir que même les artistes (y arts comme représentant la condition l’autre côté, il y a le modèle de l’artiste compris les superstars) sont absolument humaine, cela signifi e une croyance en en tant que professionnel. Seth Siege- impliqués dans les dynamiques néolibé- l’humanité de l’homme, que ce soit un laub dit, dans une interview, qu’il y a rales contemporaines ; manager néolibéral, un « prosumer »7 quelques décennies encore il n’y avait (4) et, quatrièmement, considérer l’ar- ou un parieur. Un pari. Détecter et re- pas de mot tel que celui de « carrière » tiste comme personne capable de trou- présenter des motifs humanistes au sein pour faire référence à la pratique d’un ver une « solution créative » aux problè- des économies contemporaines est une artiste. Progressivement, loin d’être un mes sociaux et politiques. gageure, un pari sur l’humanisation de modèle de liberté personnelle, l’artiste l’économie. Quoi d’autre ? a été forcé d’adopter des rôles issus Pour moi, il est plus intéressant d’essayer d’autres aires pour devenir un « pro- de défi nir les privilèges et les contradic- fessionnel », construisant une « carriè- tions qu’il y a à être un artiste dans la re »… autrement dit, pour faire partie société d’aujourd’hui. Voici une liste de Veronika Tzekova (artiste, Sofi a) : d’un système néolibéral conduit par des sujets, en désordre : J’ai l’impression qu’être appelée « ar- exigences telle que la compétitivité. tiste » aujourd’hui signifi e constamment PRIVILÈGES : Je pense que le premier fl otter entre les disciplines, les sphères Des alternatives ? D’un côté, je suis privilège évident à être artiste dans l’ère sociales et que cela implique de redéfi nir d’accord avec Hans Haacke, qui défend capitaliste est d’avoir un contrôle réel son identité comme telle. Ce type d’ar- le rôle de l’État comme mécène pu- de son temps propre (spécialement en tiste fonctionne majoritairement comme blic. L’investissement de fonds publics comparaison aux autres catégories de médiateur d’idées et porteur d’approches pour soutenir la création artistique doit travailleurs). Ce qui veut dire, en gros, nouvelles et alternatives quant à la grande être vue comme faisant partie d’une avoir un vécu différent du quotidien. diversité des questions qui dépassent les plus large défense de l’État-providence Deuxièmement, cela veut dire avoir une frontières souvent fermées et égocentri- contre l’hégémonie des lois du marché. conscience claire et bien défi nie de ses ques de ce qui est considéré comme l’art En ce sens, la liberté doit être comprise propres choix : parce que chacun des (véritable). Ils peuvent eux-mêmes servir comme le non-conditionnement de choix est fait en fonction d’une urgence d’exemples à suivre avec leur fl exibilité et la création par les exigences du mar- particulière à chacun. Et, troisièmement, leur capacité à entraîner les changements ché. D’un autre côté, je crois que la li- être un artiste veut dire, je suppose, être rapides et les innovations. berté (schizophrène par nature, comme un « créateur de sens », ce qui est un Deleuze et Guattari l’ont remarqué) ne privilège peu répandu dans la société ac- profi te qu’à long terme d’un affronte- tuelle. ment ouvert avec le système à travers un procédé d’assimilation bien connu. CONTRADICTIONS : Je vois essen- Si quoi que ce soit doit être fait, ce n’est tiellement des paradoxes dans le rôle “Si nous ne voulons pas être un pas depuis un hypothétique « dehors » de l’artiste aujourd’hui. Le premier pa- outil pour l’économie, l’économie mais de l’intérieur du système dans le- radoxe évident est de travailler avec un quel nous vivons. Nous pouvons utiliser système artistico-économique sans rè- doit être un outil pour nous” les règles établies pour les détourner, gles. Un marché économique qui n’est Groupe Accès local, 2000 pour trouver les fi ssures et les espaces pas très éthique. Deuxièmement, être vides, pour en user en faveur de buts un créateur de sens aujourd’hui signifi e créatifs et transformationnels. aussi être un créateur de valeur. Et cela veut simplement dire : avoir une posi- tion très élevée dans la structure sociale,

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec67sec67 228/04/088/04/08 14:22:4314:22:43 je dirais même une position de pouvoir. travail d’autres groupes sociaux qui ont Mladen Hrvanovic (artiste, Belgrade) : Et fi nalement : même si l’acte artistique à travailler dans des conditions précai- Afi n de donner une opinion appropriée empiète parfois sur le royaume social, res – tels que le personnel d’entretien, sur le sujet, je ne peux que dire que il opère sans être chargé de la même les infi rmières, les vendeurs de journaux mon activité principale provient des responsabilité (par exemple un artiste ambulants ou les travailleurs sans pa- pratiques des nouveaux médias et des qui travaille sur des questions environ- piers du bâtiment. réalités cybernétiques. Il s’agit d’inter- nementales n’a pas le même niveau de roger les voies par lesquelles les artis- responsabilité qu’un politicien). La plupart des artistes sont très instruits, tes se positionnent entre les structures ils ont des moyens et des qualifi cations auto-organisées et autogérées mais aussi et, pour certains, il existe une chance réa- celles afférentes à de plus larges sché- liste d’avoir du succès dans le monde de mas organisationnels et institutionnels Cicero Egli (artiste, Genève) : l’art. Pour ces gens qui sont contraints à en équipe. Étant basé à Belgrade (Ser- Un artiste est un type de travailleur pré- des conditions précaires, avec de moin- bie) mes conditions de vie et de travail caire non conformiste. dres pouvoirs de négociation dans les ont toujours été déterminées par un en- Je travaille en ce moment avec un grou- sociétés capitalistes, la fl exibilité devient semble très précis de circonstances, soit pe de personnes essayant d’analyser la tout simplement la « fl exploitation ». Il politiques, sociales ou économiques, et question du « statut social de l’artiste » n’y a pas d’avantages pour l’employé, toujours connectées avec l’agitation si (dans les contextes de Genève, la Suisse mais seulement pour l’employeur. Alors caractéristique de la Yougoslavie post- et l’Europe). Pour moi, cela veut dire : je pense que cette position quelque peu socialiste. Mes principaux points de ré- comment un artiste suisse (ou n’importe privilégiée de l’artiste pourrait, dans une férence, dans l’art visuel contemporain, quel autre artiste occidental) fait pour certaine mesure, être également utilisée ont toujours été conduits par cette idée manger et vivre de son travail ? Pour aller pour combattre la généralisation de leur de faire quelque chose ensemble, et avec plus loin, cela interroge l’État-providen- mode de travail comme exemple à sui- des professionnels différemment posi- ce et les assurances sociales dont l’artiste vre pour la société en général, et pour tionnés (pas seulement ceux venant du travailleur peut bénéfi cier. Et cela peut s’impliquer en faveur des droit sociaux monde de l’art, mais aussi d’autres ty- toucher également le « star-system » globaux et pour un revenu minimum. pes de « producteurs »). La production qui permet aux artistes de vivre de leur elle-même, et une production publique, travail. C’est, bien sûr, aussi la question en équipe vers des solutions ouvertes des emplois précaires, des conditions du dans des environnements publics, poli- travail à temps partiel, et des lieux de vie Cris Faria (artiste, Zurich) : tiques, ont toujours été à la base de mes et de travail, comme les squats ou les es- Quel est le rôle d’une galerie d’art néo- constructions créatives. Dans le futur, paces urbains à loyer modéré. libérale mondialisée ? Pourquoi deman- ma principale préoccupation profes- der cela encore ? Parce que nous pen- sionnelle tournera autour de sujets ras- sons qu’une réponse est nécessaire à semblant un travail socialement et poli- cette question. La question de la scène tiquement engagé avec un large éventail Oliver Ressler (artiste, Vienne) : artistique néo-libérale est une image de questions orientées vers l’économie, Il est vrai qu’il y a un parallèle à faire en- en miroir des problèmes économiques le marché au sein et hors des tendan- tre la façon dont les artistes actuels orga- et politiques mondiaux. Donc, si nous ces principales des esthétiques et de la nisent leur travail aujourd’hui et l’état de considérons que l’art ne devrait pas culture contemporaines. fl exibilité que les champions de droite être présenté dans des lieux commer- des économies néolibérales voudraient ciaux telles que des galeries et si nous atteindre pour tous les travailleurs. considérons que l’art devrait être une La majorité des artistes que je connais « métaphore » pour les idées (et, pour travaillent de façon auto-organisée, ils cette raison, il ne peut pas être tout juste endossent l’entière responsabilité et le commercialisé) ; et si nous considérons risque fi nancier de leur travail, ils ont que tout ce qui est au-dessus est vrai, habituellement un niveau très bas de que l’art ne peut être vendu alors l’art ne sécurité sociale, pas d’horaires ni de tra- devrait pas être art. vail réguliers, et – s’ils tombent malades ou partent en vacances – ils n’ont pas de revenu du tout. Mais il doit aussi être clair que le travail d’un artiste, même s’il/elle travaille pour un revenu très bas, ne peut pas vraiment être comparé au

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec68sec68 228/04/088/04/08 14:22:4414:22:44 Mark Brogan (artiste, Belgrade et Lon- Marco Baravalle (curateur, Venise) : a pas d’extérieur. L’être et la nostalgie dres) : L’art est peut-être la discipline où l’on dans une nation étrangère. Imagination Je me vois de plus en plus devenir un peut exprimer le plus haut degré de et transmission de diaspora. Comment agent double des effets des politiques liberté d’expression mais, en même consolider la nécessaire déterritorialisa- néolibérales, à la fois sur un plan voyeu- temps, l’art a le plus haut niveau de cris- tion d’une pratique culturelle critique ; riste et sur un plan commercial. La na- tallisation dans le domaine du capital et le savoir produit par leur mobilité et ture de ma relation – circonstancielle et, fi nancier. C’est donc la nature de ce pa- leur temporalité diverse ? Le rôle de la dans une certaine mesure, résignée – à radoxe qui doit être interrogée. culture et de sa production de savoir l’agenda néo-libéral est d’essayer d’as- sombrera-t-il vers une simple écono- similer le regard du public avec mon L’art contemporain a le statut de travail mie de biens ? Comment réenvisager la propre regard par le médium du fi lm. La intellectuel et même si l’objet ne venait relation entre expérience et être-spec- dépendance de ma pratique à une cri- pas à disparaître, l’art traite des langages, tateur ? L’artiste est un narrateur ambi- tique néo-libérale génère pour moi une de l’information, des nouvelles tech- valent. Auto-exploitation ou auto-capa- brouille, une séparation. Cette distance nologies, etc. La structure du système citation8 ? La liberté en répétition. Il n’y par rapport au monde que j’habite et la mondial de l’art est le réseau, un réseau a pas de commencement, de début où gêne que j’éprouve à la transformation en fait de gens, de produits et d’informa- que ce soit. un tel artiste deviennent le sujet de mon tion. Si l’artiste peut être nomade, il/elle travail. Paraphrasant le terme de « dis- travaille dans des conditions de relative tanciation » ou Verfremdungseffekt, forgé liberté de pensée dans une structure qui par Bertholt Brecht, j’essaie d’empêcher n’est pas strictement hiérarchique. Mais Peter Fuchs (artiste et théoricien des le public et moi-même de nous perdre chacun d’entre nous sait que, depuis le médias, Budapest) : passivement et complètement dans les commencement du post-fordisme, le Le rôle de l’artiste a été inventé à une personnages de mes fi lms, ce qui conduit réseau est lui-même, précisément, un époque où la reproduction d’image était par conséquent le public à être un ob- modèle capitaliste de production. basée sur des dons et compétences en servateur consciemment critique. Citant Donc, si l’on envisage que plus encore production de savoir (visuel). Très peu de Wikipedia : « En laissant voir et en ren- que d’être un exemple à suivre dans gens étaient capables d’accomplir ce pro- dant évidents les stratagèmes manipula- une économie néolibérale, il serait pré- cessus ennuyeux d’obtention des compé- toires et les qualités “fi ctives” du médium, férable de travailler à l’intérieur de ses tences de fabrication d’image, et même le spectateur est aliéné de toute forme contradictions, nous devons également cela n’assurait pas d’un revenu régulier passive d’acceptation et d’amusement du dire que comprendre le Net-Art est plus à « l’élite » contemporaine, qui possé- fi lm comme simple “divertissement”. Au devenu une stratégie pour les artistes dait assez de capital pour se permettre la lieu de cela, le spectateur est conduit de et curateurs pour acquérir une position commande de ces images. Alors que la force vers un schéma de pensée critique hégémonique sur le marché qu’une stra- reproduction d’image devient plus aisée, et analytique qui sert à le détromper de tégie pour partager et produire un savoir les compétences deviennent de plus en l’impression que ce qu’il regarde est né- collectif et critique. plus largement répandues, et s’identifi er cessairement une narration autonome et aux images devient de plus en plus im- inviolable. Cet effet d’aliénation sert une portant : je suis l’image que je possède, fonction didactique dans la mesure où il sur moi ou sur mon mur – c’était un enseigne au spectateur à ne pas considé- Delphine Bedel (artiste, Amsterdam) : principe fondamental de la haute société rer la forme et le fond comme allant de La culture et le patrimoine historique bourgeoise qui a développé le système soi, parce que le médium lui-même est voient leur sens et leur identité changer des arts actuel. très élaboré et dépendant de nombreu- à travers le temps, en fonction, entre ses conditions économiques et culturel- autres, des politiques de mémoire do- Comme la production d’images aug- les. » En tant qu’artiste dans cet espace minantes. La mémoire est aussi faite mentait de volume en termes d’accessi- particulier, je dois déployer des techni- de blessures et de fractures. S’adresser bilité et de technologie, à mesure que les ques auto-réfl échies dans mon travail, à et comprendre les ombres du passé savoirs migraient de la pure reproduc- endosser le rôle du voyeur et rendre ma et leur représentation est une nécessité tion de la réalité vers la compréhension position suffi samment séduisante pour urgente. Une diversité de points de vue de la réalité et la traduction de l’expé- le public, et par conséquent révéler ces et de prises de parole est requise pour rience vers un message visuel non néces- caractéristiques de mon sujet néo-libéral donner du sens à nos représentations saire sous forme d’art, les artistes se sont que seul un voyeur savourerait vraiment : du monde ambivalentes et fragmentai- plus rapprochés des analystes que des les parties sordides et pourries. res, pour regarder vers le futur ou vers reproducteurs mécaniques de la réalité le passé. L’artiste comme narrateur pos- – comme ce travail est fait par d’autres sible. Appartenance et aliénation. Il n’y professionnels, artisans, dans des do-

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec69sec69 228/04/088/04/08 14:22:4414:22:44 maines variés, des fi lms d’Hollywood ques)/les institutions gouvernementales aux maçons spécialisés en sculpture fu- ou fi nancières au sommet de la pyra- néraire kitsch. mide. Le sommet ne se préoccupe pas d’une répartition appropriée du capital ; L’économie néolibérale a-t-elle besoin dans cette situation donnée, les artistes d’un analyste dont le travail est de ré- peuvent seulement être des exemples à fl échir sur la société en question en pro- suivre imaginaires/fi ctionnels dans les duisant des images, des textes et en for- économies néo-libérales. Mon souhait mulant des questions et des arguments ? personnel est que les artistes soient Un concept clé de notre néolibéralisme vraiment des exemples à suivre, ce qui est de laisser les choses se passer sans amène à poser la question : comment intervention d’aucuns intérêts – cela faire pour que les artistes deviennent des signifi e-t-il de ne pas réfl échir ni inter- exemples à suivre dans les économies venir non seulement dans le marché, néo-libérales ? mais aussi lorsque des intérêts sociaux et moraux sont en jeu ? Si la créativité – visuelle ou non – est seulement limi- tée au commentaire, comme le design Vlado Alonso (artiste, Genève et Pa- le fait en certains cas, alors l’artiste vivra ris): des temps diffi ciles dans les prochaines Je ne me demande qu’une seule chose années. par rapport à votre question : quelle sorte d’acte créatif pourrait se revendi- quer d’une promesse de transparence ? Probablement aucun. Même en pho- Nada Prlja (artiste, Londres et Skopje): tographie. Il pourrait seulement se Cette question en appelle-telle une concentrer sur la mise en œuvre d’une autre ? Par un simple ré-arrangement de relation sociale. Premièrement, en af- ces mots, on peut se demander : l’artiste frontant l’omniprésence de l’image, est-il un exemple à suivre pour les éco- en interrogeant son témoignage et son nomies néo-libérales ? – ou, plus préci- historicité pour échapper à une simple sément : l’exemple à suivre des écono- réactivation de l’idéologie dominante. mies néo-libérales peut-il être l’artiste ? Deuxièmement, parce que le question- La position de l’artiste en tant qu’in- nement fait par un artiste à propos de dividu qui peut défi er les institutions la réalité ne fait sens que s’il est par- culturelles, économiques ou politiques tagé, que si l’œuvre est en même temps est ambiguë. Malheureusement, le mo- un appel, un acte social et une création dèle hiérarchique du système pyramidal sociale. est toujours manifeste – les artistes (en bas)/suivis par les institutions (artisti-

L’artiste comme exemple à suivre dans les économies néolibérales NOTES 1– Avec les contributions de : Oliver Ressler, Philippe Mairesse, Veronika Tzekova, David 5– Interview with M. Grzinic by Kerstin Kellemann for Augustin, homeless people maga- Maroto, Valerio del Baglivo, Cicero Egli, Mladen Hrvanovic, Cris Faria, Peter Fuchs, zine, February 2005 Marco Baravalle, Delphine Bedel, Vlado Alonso, Mark Brogan, Nada Prlja 6– C. Kiaer, Imagine No Possessions. The Socialist Objects of Russian Constructivism, Ibid. 2– Aleksandr Rodchenko, “Rodchenko v Parizhe. Iz pisem domoi,” Novyi Lef no. 2 7– Le concept de prosumer, vient de la contraction de producer (producteur) et de (1927):20 (letter of May 4, 1925). Also: “The Socialist Object”, in Christina Kiaer, consumer (consommateur) dans la nouvelle économie de l’information dite Web 2.0 Imagine No Possessions. The Socialist Objects of Russian Constructivism, The MIT Press, [NDT]. Cambridge, MA, 2005, p. 1 8– L’empowerment, terme anglais traduit par autonomisation ou capacitation est la 3– “Rodchenko in Paris”, in Christina Kiaer, Imagine No Possessions. The Socialist Objects prise en charge de l’individu par lui-même, de sa destinée économique, professionnelle, of Russian Constructivism, The MIT Press, Cambridge, MA, 2005, p. 199-240. familiale et sociale. Wikipedia [NDT] 4– en français dans le texte (NDT)

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec70sec70 228/04/088/04/08 14:22:4414:22:44 ARTIST AS A ROLE MODEL IN NEOLIBERAL ECONOMIES

Marko Stamenkovic 1

In 1925, the International Exhibition of Applied and Industrial Arts (Exposition In- ternationale des Arts Décoratifs et Industriels) was held in Paris. The Soviet Union engaged Konstantin Melnikov, an architect, and Alexander Rodchenko, a visual artist, to arrange the Soviet pavilion.

he exterior of the pavilion and the capitalism? How are we supposed to attitudes, experiences, and behavior–co- Tdesign for the interior of a Wor- read, understand and re-articulate no- des is one of the most demanding tasks kers’ Club stood for a utilitarian solu- wadays the previous dualism between nowadays – to engage people to speak tion that emerged from an explicitly the proletarian Soviet model and the in a certain arena and to open up the political desire of the offi cial Soviet bourgeois environment of the rest of possibility for a political moment to program at the time, and its respective the 1925 Paris exhibition? Is it possi- appear in art. It is exactly this common selection committee: the exhibition ble for today’s art and artists to escape discursive sphere that provides a joint was an opportunity for Soviet self- the commercialized practice and how? platform for collaborative type of work, promotion, an attempt to represent And to propose the counter-models, the values and meanings that constitute the USSR as a modern, well-organized perhaps? the production of knowledge. The arti- trading nation on a par with Western The dominant political, social and eco- culation of voices to be heard and un- powers.3 nomic aspects of the contemporary so- derstood within the “silenced society” of ciety can be recognized as an alliance contemporary neo-liberalism (“Giving Following the example of this famous between the predominant neoliberal the voice”, just as “giving the image” Russian Constructivist project, what regime of globalization and the so-cal- to those previously unheard and/or kind of new relation (“to the person, led democratic politics that now charac- unseen, to those whom Brazilian thinker to woman, to things”, as Rodchenko terizes most of the advanced capitalist Paulo Freire would name “oppressed” in describes it in his letter from Paris in societies. Today, when the whole of so- his renowned publication The Pedagogy 1925) could we imagine and think ciety is productive, and becomes a site of the Oppressed) must play a signifi cant about nowadays, in order to question for the articulation of capital (the issue role in defi ning the status and positions our own ways of working and living in of productivity as understood under of contemporary artists in the neolibe- the contemporary conditions of global the conditions of planned, fostered and ralism. As Marina Grzinic, Slovenian inevitable consumerism), it is necessary theoretician, philosopher and professor to deal with the idea of (artistic and at the Academy of Fine Arts in Vienna, “The light from the East is not cultural) production in the given condi- would claim: only the liberation of workers, tions, without being reduced to a simply the light from the East is in the consumerist cultural subject. “If we talk about art, today there are a lot new relation to the person, to of questions, if art, and especially art which Approaching artists as citizens and in- is connected with the art market – most of woman, to things. Our things tellectual beings (rather than as creators what we perceive as art is commercial and in our hands must be equals, oriented towards the production of aes- has no point of meaning anymore – has comrades. And not these thetic, marketable objects) is a possible meaning not in terms of being productive black and mournful slaves, starting point that one needs to take as an artist, but to develop ways of resis- into consideration in order to enlarge tance: in terms of changing, in a utopian as they are here.” the fi elds and visions of productive po- way, changing the cultural, social and po- Alexander Rodchenko2 tentialities. Acting in the arena for open litical context. So I would tell that if any talks, discussions, exchange of opinions, art matters, it is maybe such practices not

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec71sec71 228/04/088/04/08 14:22:4514:22:45 “The contemporary art fi eld must be approached as a public arena, where numerous possibilities for knowledge sharing and production, intellectual debate, and exchange of political and cultural information need to be offered and examined through the participatory design of discursive platforms.”

perceived as art, it is cultural practices, be approached as a public arena, where be constantly re-developed and dissemi- working, questions of networking, the glo- numerous possibilities for knowledge nated for the sake of a proper democra- bal movement, of opening to what is going sharing and production, intellectual tic public life, and also – for strengthe- on in the fi eld of labor and in which way debate, and exchange of political and ning of the democratic political public to break this self image of the God of Ca- cultural information need to be offered sphere through art, today. pitalism, which is always talking about and examined through the participatory discoveries of poor people inventing how to design of discursive platforms. survive. So, maybe it is necessary to change Marko Stamenkovic and to talk about cultural practices, disco- This is only the fi rst, though important, Art historian, critic and curator based in Belgrade (Serbia) ver cultural practices as new forms of art. I step towards proposing such a platform: will just say: do not think about art, think in what follows, a number of artists, about practices that can change, motivate, curators and theorists from across Eu- put upside down this unbelievable lightness rope have been approached in a most of the system dealing with the homeless, direct way with a single request – to dealing with precariousness of labor, dea- refl ect on their own perception of the Philippe Mairesse (artist, Paris): ling only with the civilization of images of issue at hand, i.e. their own position and If we do not want to be a model for the First Capitalistic World, images which conception of freedom under the rule of economy, economy has to be a model are circulated everywhere, but not in the neoliberalism. It will be an attempt to for us, which means: something that we core of the capitalist system”.4 question the aforementioned issues and give a pose, that we shape, inform and to open up the space for a dialogue and represent. Whether artists magnify the If Rodchenko’s Workers’ Club is an public debate concerning artist’s posi- model or betray it is a matter of art, not example of the concept of the “socia- tion within the neo-liberal conditions. economy. Could we use neoliberal eco- list object”, a non-capitalist form of I would therefore insist on proposing a nomy as a material for the arts? If we modernity, and a Constructivist coun- political re-contextualization of contem- understand arts as portraying the hu- terproposal to the Western type of porary cultural practices as the only way mane condition, it would mean a belief possessive relations (as experienced in to oppose the neutralized, de-politici- the world based upon the principles zed and de-contaminated environments If we do not want to be a of commodity fetishism and market- of capitalist cultural production, and to “ oriented rules)5, is it still possible – and address the needs for confrontational tool for economy, economy under which conditions – to participate (virtual) zones of interest; these are the has to be a tool for us . in such a confrontation to the desire for zones of potentiality, where the public ” commodity as organized under capita- speech and public opinion (as ultimate Groupe Accès local, 2000 lism? The contemporary art fi eld must forms of discursive activities today) must

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec72sec72 228/04/088/04/08 14:22:4514:22:45 in the humanity of man, to be the neo- the hegemony of market rules. In this ning-creator”, a privilege that is not very liberal manager, pro/con-sumer or gam- sense, freedom must be understood as common in the contemporary society. bler. A bet. Detecting and representing non-conditioning of creation by market humanistic motives within contempo- requirements. CONTRADICTIONS: I basically see rary economies is a bet, a gamble on the On the other hand, I believe that an some paradoxes in the role of the artist humanisation of economy. What else? open confrontation to the system only today. The fi rst evident paradox is wor- benefi ts it in the long term (it is schi- king with an “artistic-economic” system zophrenic by nature, as Deleuze and without rules. An economic market that Veronika Tzekova (artist, Sofi a): Guattari noticed) through a well-know is not very ethical. Second, being a crea- I feel like to be called an artist nowadays process of assimilation. If anything is tor of meaning today means also being a is to be constantly fl oating between dis- to be done is not from a hypothetical value-creator. And this basically means: ciplines and social spheres and redefi - “outside”, but from inside the system having a very high position in the social ning one’s identity as such. This type of in which we live. We can use the esta- structures, I would even say – a power artists mainly function as a mediators of blished rules to bend them, to play with position. And fi nally: even if the artistic ideas and carriers of a new and alterna- them, to fi nd the cracks and empty spa- act sometimes makes an overstep into tive approaches to a great diversity of is- ces, to use them in favor of creative and the social realm, it operates without ha- sues, which exceed the often closed and transformational purposes. ving the same responsibility (for exam- self-absorbed borders of what is consi- ple, an artist who works with environ- dered to be (true) art. They can truly mental issues does not have the same serve as a role model itself with their Valerio del Baglivo (curator, Rome and level of responsibility as a politician). fl exibility and ability to prompt changes Venice): and innovations. Frankly, answering to your question means: Cicero Egli (artist, Geneva): (1) implying the idea of the artist as a Artist is a non-conformist type of the David Maroto (artist, Rotterdam): wizard absolutely not in contact with precarious worker. In the fi rst place I consider that the cli- the society; I work at the moment with a group ché of the romantic artist as a solitary, (2) sustaining the idea, very common in of people trying to analyze the issue outsider, extravagant individual still per- the art fi eld, that the only respectable of “the social status of the artist” (in sists in main stream media productions job in our society, is being an artist. the contexts of Geneva, Switzerland, and hence, in the collective imaginary. (3) not seeing that even the (superstar-) and Europe). For me personally, this It contributes to the capitalist system to artists are absolutely involved in the means: the question is how a Swiss (or justify its existence as if there was still contemporary neoliberal dynamics; any other Western) artist lives and eats a “way out”, an alternative to it, from (4) and fourth, considering the artist from his work. Further on, it questions which the romantic artist would be the as someone capable to fi nd a “creative the welfare state and social assurances paradigm. solution” to the political and social pro- that the working artist can benefi t from. On the other side there is the model blems. And it can touch also the “star-system” of artist as a professional. Seth Siege- that makes it possible for artists to live laub says in an interview that just a few For me, it is more interesting trying to off their work. It is, of course, also the decades ago there was no such word as defi ne the privileges and the contradic- question of precarious jobs, part-time “career” to refer to an artist’s practice. tions of being an artist in today’s society. work conditions and of living and wor- Progressively, far from being a model for Here a messy list of topics: king spaces, like squats or cheap-rental personal freedom, the artist has been urban spaces. compelled to adopt roles from other PRIVILEGES: I think that the fi rst evi- areas in order to become a “professio- dent privilege of being an artist in the nal”, building up a “career”... in other capitalist era is to have a real control of Oliver Ressler (artist, Vienna): words, to become part of a neoliberal your own time (especially in comparison It is true there is a parallel between how system led by market requirements – to other types of workers). This basically many contemporary artists organize such as competitiveness. means: having a different experience their work nowadays and the state of Alternatives? On the one hand, I agree of everyday life. Secondly, it means ha- fl exibility right-wing advocates of neo- with Hans Haacke, who defends the role ving a clear, well-defi ned consciousness liberal economies would like to achieve of the State as a public sponsor. Inves- about our one’s choice: because every for all working people. ting public funds in supporting artistic single choice is made in the name of The majority of artists I know do self-or- creation must be seen as part of a wi- one’s own urgency. And third: being ganized work, take the full fi nancial risk der defense of the welfare state against an artist means, I guess, being a “mea- and responsibility for their work, usually

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec73sec73 228/04/088/04/08 14:22:4514:22:45 only have got a very low level of social the ways through which artists position vely and completely in the characters security, no regular working hours, and themselves in-between the self-organi- in my fi lms which consequently lead – if they get sick or are on holiday – they zed/self-managed structures and those the audience to be a consciously criti- don’t get any income at all. But it also pertaining to larger organizational and cal observer. Quoting from Wikipedia: has to be clear that the work of an artist, institutional team-based frameworks. “By disclosing and making obvious the even if s/he works at a very low income, Being based in Belgrade, Serbia, my li- manipulative contrivances and ’fi ctive’ cannot really be compared with the ving and working conditions have always qualities of the medium, the viewer is work of other social groups, who have been determined by a very specifi c set alienated from any passive acceptance to work in precarious conditions, such of circumstances, either political, social and enjoyment of the fi lm as mere as cleaners, nurses, newspaper distri- or economic, and always in connection ’entertainment’. Instead, the viewer is butors or undocumented construction with the turmoil so characteristic for the forced into a critical, analytical frame workers. post-socialist Yugoslavia. My main refe- of mind that serves to disabuse him of Most artists are highly educated, they rence points in contemporary visual arts the notion that what he is watching is have special skills and resources, and have always been driven by this idea of necessarily an inviolable, self-contained for some there is a realistic chance to doing something together, and together narrative. This alienation effect serves become successful in the art world. For with differently positioned professio- a didactic function insofar as it teaches those people who are forced into pre- nals (not only those coming from the the viewer not to take the style and carious conditions with less negotiation art-world, but also other types of “pro- content for granted, since the medium power in capitalist societies, fl exibility ducers”). The production itself, and a itself is highly constructed and contin- simply becomes “fl exploitation”. It is of team-based, public production towards gent upon many cultural and economic no advantage for the employed person, open common solutions in the public, conditions.” As an artist in this particu- but only of the person who employs. political environments, have always lar space, I must deploy self-refl ective So I think this somehow privileged po- fi gured out as the basis of my creative techniques in my work, inhabit the role sition of the artists could to some ex- constructs. In the future, my main pro- of the voyeur and make my position suf- tent also be used for fi ghting against the fessional concern will revolve around fi ciently seductive to the audience, and generalization of their work model as a the issues that put together socially and therefore reveal those characteristics role model for society in general, and to politically engaged work with a broad of my neo-liberal subject which only a involve in the struggles for global social range of economic, market oriented voyeur would truly relish, the sordid and rights and basic income. issues, within and outside the mains- tainted parts. treams of contemporary aesthetics and culture. Cris Faria (artist, Zurich): Marco Baravalle (curator, Venice): What is the role of a neo-liberal glo- Art is maybe the activity where one can balised art gallery? Why ask it again? Mark Brogan (artist, Beograd and Lon- express the highest level of freedom of Because we think the question needs don): expression but, at the same time, art has to be answered. The neo-liberal global I see myself more and more becoming a the highest level of crystallization within art scene matter is a mirrored image of double agent of the effects of neo-liberal the fi nancial capital. So it is the nature world economic and political problems. policies, both voyeuristically and com- of this paradox that has to be inquired. So, if we consider that art should not mercially speaking. The nature of my Contemporary art has the status of in- be presented in commercial places such relationship, circumstantial and to some tellectual labour and even if objecthood as galleries; and if we consider that art extent with resignation, to the neo-li- did not disappear, art deals with lan- should be a “metaphor” for ideas (and, beralist agenda is to try to assimilate guages, information, new technologies, for this reason, it cannot be barely com- the gaze of the audience with my own etc. The structure of the global art sys- mercialised); and if we consider that gaze through the medium of fi lm. The tem is the Net, a net made of people, everything above is true, then art cannot dependency of my practice on a neo- products and information. If the artist be sold and art should not be art. liberal critique generates for me estran- can be perceived as a role model in the gement. This distance from the world neoliberal economy it is partly due to which I inhabit and my discomfort with the fact that often he is nomadic, he transformation into such an artist beco- works under conditions of relative free- Mladen Hrvanovic (artist, Beograd): mes the subject of my work. Paraphra- dom of thought in a structure which In order to give a proper opinion on the sing the term “the distancing effect” or is not strictly hierarchical. But all of topic, I could only say that my main acti- Verfremdungseffekt, coined by Bertholt us know that since postfordism began vity stems from the new media practices Brecht, I seek to prevent myself and the the net is exactly a capitalist model of and cybernetic realities, and questions audience from losing ourselves passi- production.

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec74sec74 228/04/088/04/08 14:22:4614:22:46 So, if we consider that more than being around skills and competence in (visual) Nada Prlja (artist, London and Skopje): a role model in a neoliberal economy knowledge production. Only a very few Does this question intend to be answe- it would be better to work within its people were able to go trough the tire- red by a question? Through a simple re- contradictions, we must also say that some process of obtaining the skills of arrangement of those words, we could understanding the Net-art has become image-making, and not even that ensu- wonder: Is the artist a role model of the more a strategy for artists and curators red a steady income from the contem- neo-liberal economies or, more accura- to gain a position of hegemony in the porary “elite”, who possessed enough tely: Could the role model of the neo- market than a strategy to share and pro- capital to afford the commission of liberal economies be an artist? The ar- duce critical and collective knowledge. these images. As the image reproduc- tists’ position as an individual who can tion become easier, the skills become challenge the role of cultural, economic more and more widespread, and one’s or political institutions is ambiguous. Delphine Bedel (artist, Amsterdam): identifi cation with the images become Unfortunately, the hierarchical model Culture and historical heritage see their more and more important: I am what of the pyramidic system is still evident meaning and identity shifting over time, image I own, about myself or on my wall – the artists (at the bottom) / followed according to, among others, the politics – that was a basic principle of the upper by (art) institutions / government or fi - of memory that prevails. Memory is also bourgeoisie society which developed the nancial institutions at the top the pyra- made of wounds and fractures. Addres- system of arts prevailing today. mid. The ’top’ does not take care of the sing and understanding the shadows As image production expanded in terms appropriate distribution of capital; in of the past and their representation is of accessibility and technology, and as this given situation, artists could only be urgently needed. Multiple perspectives the skills were migrated from the sheer fi ctional/imaginary role models in neo- and polyvocality are requested to make reproduction of reality to the understan- liberal economies. My personal wish is sense of our ambivalent and fragmenta- ding of reality and translating the expe- for artists to truly be role models, which ry representations of the world, to look rience to a not-necessary visual message will bring the interest toward the ques- towards the future or the past. The artist in the form of art, artists have become tion: How to make artists become role as possible narrator. Belonging and alie- much more like analysts than mechani- model in neo-liberal economies? nation. There is no outside. Being and cal reproducers of reality – as this work longing in an alien nation. Diasporic is done by other professionals, crafts- imagination and transmission. How to men, in many forms, from Hollywood Vlado Alonso (artist, Geneva and Paris): consolidate the necessary deterritoria- movies to masons specialized in kitsch I am asking myself only one thing re- lization of critical cultural practice; and funerary sculptures. garding your question: what kind of the knowledge produced by their mobili- Does Neoliberal economy need such an creative act could actually assert itself ty and diverse temporality? Will the role analyst whose job is it to be refl ective as a promise of transparency? Probably of culture and its knowledge production on the very society by producing ima- none. Even in photography. It could shrink to a mere commodity economy? ges, texts, formulating questions and only focus on implementing a social How to reconsider the relation between arguments? A key concept of our neoli- relationship. First by confronting the experience and spectatorship? The artist beralism is to let things happen without image pervasiveness, by questioning its as an ambivalent narrator. Self-exploita- intervention of any means – does this evidence and its historicity in order to tion or self-empowerment? Rehearsing mean, that we are not even refl ective escape a mere passive reactivation of the freedom. There is no beginning, start and do not intervene in not only the dominant ideology. Secondly, because anywhere. market, but also moral and social in- the interrogation made by an artist terests that are involved? If creativity – about reality only makes sense if it is visual or not – is only limited in com- shared, if the work is at the same time Peter Fuchs (media theorist and artist, menting, like design does in some cases, appeal, social act and social creation. Budapest): then the artist will have a hard time in The role of artist was invented in a time the coming years. when image reproduction was based

Artist as a role model in neoliberal economies NOTES 1– With contributions by: Oliver Ressler, Philippe Mairesse, Veronika Tzekova, David 3– “Rodchenko in Paris”, in Christina Kiaer, Imagine No Possessions. The Socialist Objects Maroto, Valerio del Baglivo, Cicero Egli, Mladen Hrvanovic, Cris Faria, Peter Fuchs, of Russian Constructivism, The MIT Press, Cambridge, MA, 2005, p. 199-240. Marco Baravalle, Delphine Bedel, Vlado Alonso, Mark Brogan, Nada Prlja 4– Interview with M. Grzinic by Kerstin Kellemann for Augustin, homeless people maga- 2– Aleksandr Rodchenko, “Rodchenko v Parizhe. Iz pisem domoi” Novyi Lef no. 2 zine, February 2005 (1927):20 (letter of May 4, 1925). Also: “The Socialist Object”, in Christina Kiaer, 5– C. Kiaer, Imagine No Possessions. The Socialist Objects of Russian Constructivism, Ibid. Imagine No Possessions. The Socialist Objects of Russian Constructivism, The MIT Press, Cambridge, MA, 2005, p. 1

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec75sec75 228/04/088/04/08 14:22:4614:22:46 COMMUNAUTÉS ET AUTRES MODÈLES DE COOPÉRATION ET D’AMITIÉ DES ANNÉES 60 À NOS JOURS

Bojana Kunst

Si les individus ont naturellement tendance à travailler l’un avec l’autre, souhaitent être ensemble et partager leur travail, on peut s’interroger sur ce qui les fait tenir ensemble dans la durée. Le philosophe français Jean-Luc Nancy remanie l’idée corrompue de communauté comme fi nalité de l’être ensemble : « la communauté est au contraire le simple “être ensemble“, sans aucune hypothèse d’identité commune, sans aucune in- tensité importante, mais exposée à la banalité, au commun de l’existence »1.

e n’est donc pas la représentation chose qui est « toujours déjà là ». Il n’y sorte une temporalité schizophrène ou Cdu « commun » dominé par le dé- a pas d’échange, d’universalité, d’éco- simultanée où le temps de la révolution, terminisme (l’homme total, la société nomie, de cohérence ni d’identité dans celui qui est encore à venir, existe pa- sans classe, le corps libéré, la subjectivité la communauté car rien ne peut être rallèlement au temps présent (la struc- libérée, etc.). Ce n’est pas non plus le partagé ; la communauté est réalisée à ture temporelle de l’État révolutionnaire « commun » enchevêtré à la transfor- partir du recul du commun2. étant toujours partagée entre le temps mation dynamique de l’histoire du XXe de la révolution et celui du régime en siècle, c’est plus simplement l’ordinaire LES COMMUNAUTÉS place).4 Si l’on transpose cette struc- « être ensemble », privé de sa charge his- ture de temps simultané à l’échelle de torique. Si nous suivons le raisonnement FANTÔMES la structure collaborative des commu- de Jean-Luc Nancy, c’est le « commun » nautés (artistiques), le futur est un but d’un « toujours déjà là », quelque chose Hormis sa critique visionnaire de la so- seulement lorsque le temps présent est que nous avons déjà partagé trivialement ciété du spectacle et son célèbre alcoolis- entièrement activé dans son agence- (comme la question de notre fi nitude, me, Guy Debord était aussi connu pour ment collaboratif – alliances, collabo- par exemple). C’est un « profane sacra- sa manière d’exclure sans pitié ses plus rations, travailler ensemble, être les uns lisé » qui nous met ensemble, quelque proches amis et collaborateurs du mou- avec les autres. Néanmoins – et ici nous vement situationniste. C’est ainsi qu’afi n traitons de son côté schizophrène – le d’éliminer ses premiers collaborateurs, futur n’est possible que lorsque le temps “Paradise Now est le plus Debord publiait leur nécrologie3. présent est simultanément sacrifi é, lors- célèbre exemple de ce que les alliances urgentes de la commu- qu’on peut appeler des Ironiquement, nulle autre forme que la nauté sont continuellement effacées et nécrologie ne révèle mieux l’écoulement exterminées, ou encore lorsque, dans le « communautés d’amour » du temps, signifi catif des mouvements temps présent, nous sommes tous en- qui n’ont pas seulement artistiques du XXe siècle et caractéristi- semble comme des fantômes. Le temps révélé l’aspect ritualiste de que des mouvements d’avant-garde en des événements présents – défi ni par politique et en art. Mais il est intéres- des modalités comme les amitiés, les l’art des années 60 mais qui sant de découvrir à quel point une ligne alliances, l’amour, le travail en équipe, ont aussi permis de mettre à de temps est une chose profondément la collaboration, l’être ensemble – de- jour une notion différente de ambivalente qui déchire les communau- vient d’une certaine façon spectral, sous tés artistiques avant-gardistes lesquelles, le fardeau du temps encore à venir. Les communauté et de sa structure à première vue, paraissent en phase avec communautés tournées vers le même collaborative.” le futur de la société. Ainsi que Susan objectif futur ne se fondent donc pas Buck-Morrs l’analyse, c’est en quelque tant sur l’effacement de la subjectivité

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec76sec76 228/04/088/04/08 14:22:4714:22:47 dans une ressemblance collective, mais ture collaborative. Ce spectacle est né Les communautés d’amour sont sans plutôt sur une certaine spectralisation dans une période marquée par de très aucun doute très différentes des collec- de l’autre fût-il plus proche. fortes déceptions quant aux questions tifs militants avec leurs membres fantô- sexuelles et politiques, avec un besoin mes dont nous avons parlé précédem- Trop de fantômes et d’échecs dans l’histoi- aigu de libération et d’exploration de ment. L’une des plus grandes différences re artistique du XXe siècle ont malheureu- nouvelles façons d’être ensemble. L’une peut être trouvée dans la structure col- sement contribué au fait qu’aujourd’hui, des phrases polémiques tirée du specta- laborative, qui n’a plus affaire à cette les communautés porteuses de cet idéal cle est précisément à même de décrire structure ambivalente du temps mais commun sont tournées en ridicule ; ce qui était au cœur de ces explorations : qui s’inscrit dans le pouvoir du temps l’idée même de communauté suscitant « Je ne suis pas autorisé à me désha- présent, à travers son agencement créatif beaucoup de déception. Néanmoins, est- biller. Je suis en-dehors des portes du sans fi n et son pouvoir d’émancipation il possible qu’une communauté puisse paradis ». Paradise Now, comme le titre du présent. Alan Kaprow, dans ses no- exister et ne tombe pas dans une telle l’indique, était une manière de libérer tes sur le « happening », écrit que tous structure bi-temporelle où l’Autre n’est les désirs personnels, intimes et sexuels. nos sens doivent être en alerte, afi n que proche qu’en tant que spectre et parado- Les nouvelles communautés apparais- les situations artistiques puissent fl eurir, xalement aussi comme un miroir ? sent alors comme des communautés de se dédoubler aussi naturellement que le personnes égales, d’amis, de frères, de vent agite les feuilles d’un arbre, et que LES COMMUNAUTÉS sœurs et d’amants, qui peuvent « être quelque chose transpire. Cette mise en ensemble » dans le temps présent de la alerte des sens peut être atteinte grâce D’AMOUR sensation et du plaisir et dans le temps à des actes rituels qui restituent plus ou présent de la réorientation esthétique, moins violemment la communauté : ci- En 1967, les acteurs et les membres du de la perception et de la sensualité. C’est tons, par exemple, le sacrifi ce en direct Living Theatre invitèrent leur public à aussi pourquoi les membres du public du poulet à la fi n de la célèbre représen- manifester et à se joindre à un acte com- étaient invités à rejoindre les acteurs sur tation Pupilija papa Pupilo pa Pupilcki, mun de libération corporelle et sexuelle scène, à explorer et chercher ensemble réalisée en collaboration avec Gleda- sur scène. Paradise Now est le plus cé- avec les membres de la troupe, des che- lis e Pupilije Ferkewerk à Ljubljana en lèbre exemple de ce qu’on peut appeler mins de libération et – ce qui est très im- 19695. Citons encore l’exemple du col- des « communautés d’amour » qui n’ont portant –, de nouvelles voies pour faire lectif slovène d’art visuel OHO dans les pas seulement révélé l’aspect ritualiste de l’art. Personne n’était à priori exclu, années 60, pour leur exploration de la de l’art des années 60 mais qui ont aussi tout le monde était au contraire accueilli performance du langage, de la nature permis de mettre à jour une notion dif- comme étant capable de collaborer et de et des gestes du quotidien. Même si ces férente de communauté et de sa struc- faire de l’art pratiques ont un bagage idéologique “Comment défi nir alors la teneur de la communauté contemporaine ? Peut-être est- ce simplement un mouvement, un murmure d’intensité, une articulation de nuages, un écoulement de singularités, ou encore une constante réarticulation de l’espace et du temps avec le discours, issus du mouvement et des gestes de personnes qui œuvrent ensemble.”

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec77sec77 228/04/088/04/08 14:22:4714:22:47 et esthétique différents, nous pouvons met alternativement de participer et Par ailleurs, on peut avancer que la com- leur trouver quelques similarités. Nous d’explorer tous les possibles. Ce que l’on munauté contemporaine a peu à voir retrouvons à travers ces deux exemples peut qualifi er de « paradoxe » au sens avec la perspective d’un but commun, ou une notion différente de la communau- où chaque forme de liberté participative avec l’altruisme, le partage, la responsa- té, où les corps sont en collaboration requiert pourtant un scénario établi. Pa- bilité de ses actes et le respect de l’autre. les uns avec les autres, où les alliances radoxe que l’on retrouve aujourd’hui en- La communauté n’a rien à voir non plus sont passées entre les énergies libidina- core au cœur de la production contem- avec le consensus en vue d’une collabo- les et les imaginations communes, où poraine du désir, où les scénarios de ration ni avec des procédures pluralistes l’être ensemble se fonde sur le désir et liberté sont de plus en plus unifi és, pri- en vue d’une propagation démocratique. la révélation de l’intimité. Et on peut vatisés et contrôlés. Ce n’est pas non plus la conséquence de avancer que cette prise de conscience la propriété partagée, démocratique- des sens et cette mise à niveau de toute LES COMMUNAUTÉS QUI ment distribuée et proportionnellement matérialité n’est possible que parce que allouée. Comment défi nir alors la teneur les communautés sont démocratisées et N’ONT RIEN EN COMMUN de la communauté contemporaine ? que l’autre-collaboratif apparaît comme Peut-être est-ce simplement un mou- un corps d’amour. « Nous pouvons seulement parler à la vement, un murmure d’intensité, une première personne. Nous ne sommes articulation de nuages, un écoulement La structure collaborative des commu- ni des interprètes, ni des porte-parole de singularités, ou encore une constante nautés d’amour est donc très différente des actions et pratiques de chacun. réarticulation de l’espace et du temps de celles des communautés fantômes. La Nous ne parlons pas au nom d’un autre avec le discours, issus du mouvement et collaboration se fait ici dans la légèreté parce que je suis « l’autre » lorsque j’ex- des gestes de personnes qui œuvrent en- des choix infi nis et dans l’exploration prime ce que je ressens et ce en quoi semble. Cependant, même si elles sem- de la libération tel que cela est exprimé je crois, à l’intérieur d’un scénario qui blent modestes, de telles communautés dans Paradise Now : « toutes les actions n’était jamais donné ou emprunté »6. peuvent être dévorantes. Les alliances, créatives prennent forme à partir d’une Ces mots de Maria Galindo, artiste fé- les amitiés, les collaborations sont da- certaine liberté, et rien de tenable n’ar- ministe et activiste bolivienne, peuvent vantage le résultat d’une dépossession rive sans cette liberté même ». L’autre- révéler d’importantes apparitions ou de savoir, d’imagination et d’affects. collaboratif est présent, mais seulement disparitions de l’autre collaboratif d’un Les modes de collaboration et d’amitiés à travers une liberté de choix immédia- point de vue contemporain, en particu- ne peuvent être effectifs que si nous les te, et c’est exactement avec cette liberté lier parce qu’il semble à nouveau néces- comprenons comme un moyen possible de choix qu’il trouve aussi son corps, ses saire de penser à la notion de commu- pour atteindre la connaissance comme sens, ses désirs particuliers et ses éner- nauté, malgré les déconvenues passées. une façon de découvrir d’autres modes gies créatives. C’est pourquoi, la liberté Le besoin de parler à la première per- de réalité, de production ou d’affecter participative sans fi n de collaborateurs, sonne est extrêmement signifi ant. Ga- notre appréhension du futur. La com- par l’intermédiaire de leur corps, et la lindo est très claire à ce sujet : « Je suis munauté est donc, en ce sens, une sorte spontanéité des communautés démo- l’autre lorsque j’exprime ce que je crois de geste stratégique, où « nous nous pla- cratiques de cette période ne sont possi- et ressens ». Ce qui se joue ici c’est la çons à côté d’un autre, dos à dos, l’un bles qu’à travers une série de protocoles continuelle réarticulation du temps et devant l’autre, selon les nécessités de précis de techniques, qui permettent un de l’espace qui s’exprime en prenant la chaque combat »7. scénario « libre » nécessaire à la collabo- parole. Au moment où nous parlons de ration. La liberté participative apparaît façon explicite, nous sommes l’Autre et Bojana Kunst donc comme une liberté de réalisation, la connexion entre le sens, le lieu et le Philosophe et théoricienne de l’art à travers un certain protocole qui per- temps devient visible.

Communautés et autres modèles de coopération et d'amitié des années 60 à nos jours NOTES 1– Jean Luc Nancy : The Inoperative Community, Edited by Peter Connor, University of International, Éditions Black Dog, 2005, p. 42) Minessota Press, Minneapolis, London, 2004, p. XIII. 4– Susan Buck-Morrs : Dreamworld and Catastrophe, The Passing of Mass Utopia in East 2– « Le recul ouvre et continue à laisser ouvert cet étrange « être-celui-avec-l’autre » and West, The MIT Press, Cambridge, Massachusets, London, 2002. auquel nous sommes exposés ». Ibidem. P. XXXIX. 5– La représentation a été donnée à l’identique en 2006 par Janez Jansa (Emil Hrvatin) 3– Ce fut notamment le cas de Wolman, dont la nécrologie fut communiquée dans et produite par Maska. Potlach en 1957. « Wolman avait un rôle important dans l’organisation « Lettriste Left- 6– Maria Galindo : Peut importe combien tu m’aimes, je ne veux pas t’appartenir, wing » en 1952, puis au sein de la fondation de LI. Auteur de poèmes « megapneumic », http://www.republicart.net/disc/publicum/galindo01_en.htm d’une théorie de la « chronicité du cinéma » et d’un fi lm, il était délégué Lettriste au 7– Ibidem congrès d’Alba en septembre 1956. Il avait 27 ans » . (Simon Ford : The Situationists

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec78sec78 228/04/088/04/08 14:22:4714:22:47 COMMUNITIES AND OTHER MODELS OF COOPERATION AND FRIENDSHIP FROM THE 60’S UNTIL NOW.

Bojana Kunst

People do tend to work with each other, they want to be together and share work to- gether, but hence, what is it that holds them together? French philosopher Jean-Luc Nancy offers us a way to bring back the corrupted notion of community by shifting the notion of community as fi nality to an ordinary being together. “Community on the contrary is ordinary being together, without any assumption of common identity, without any strong intensity, but exposed to banality, to the ’common’ of existence.”1

t is thus not the depiction of the their inappropriate character and pu- moment, when the urgent alliances of I common dominated by fi nality (to- blished their obituary.3 the community are continuously erased tal man, society without classes, libe- Ironically, no other form than obituary and exterminated, when we are together rated body, liberated subjectivity, etc.). can better disclose the main fl ow of in the present as ghosts. The time of Neither is it the ’’common’’ which time, which was signifi cant for many present events - defi ned with processes is tightly intertwined with the active collaborative artistic movements in the like friendships, alliances, love, co-wor- transformation of 20th Century history, 20th Century and was especially charac- king, collaboration, being together - is but this is simply the ordinary ’’being teristic of the political and artistic avant- somehow spectralised under the heavy together’’, deprived of all the historical garde movements. But it is interesting to burden of the time which still has to tasks. If we follow Nancy, this would be disclose how such a timeline is a deeply come. Communities oriented towards the “common” of “always already”, this ambivalent one and it splits apart avant- the common future goal are not based that we already share in relation to our garde artistic communities which are on so much on the erasure of subjectivity in banal and daily life (like the question fi rst sight collectively tuned to the future the collective sameness but on the cer- of our own fi nality, for example). This society. As Susan Buck-Morrs writes, it tain spectralization of even the closest is the “sacred profane” which arranges is a kind of schizophrenic temporality or other. us together, something that is “already simultaneous temporality, where the re- always there”. This then, is the commu- volutionary time, which still has to come, Nevertheless, too many ghosts and too nity, where there is no exchange, no uni- exists in parallel to the present time : the many failures in the artistic history of versality, no economy, no coherence, no time structure of the revolutionary state, identity, because, at the same time, no- is always divided into the time of the re- thing can be shared; the community is volution and the time of the regime.4 If “Paradise Now was the title made from the retreat of the common.2 we try to implement this simultaneous of the most famous example time structure on a smaller scale in the of the “loving communities”, GHOSTLY COMMUNITIES collaborative structure of the (artistic) community oriented towards fi nality, which not only revealed the Guy Debord was, alongside his visio- the future can be the goal only when re-awakening of the ritualistic nary critique of spectacular society and the present time is fully activated in its his notorious drunkness, famous also collaborative agency – alliances, colla- character of 60’s art, but for his ruthless exclusions of even the borations, working together, being with can also reveal a different closest friends and collaborators from each other. Nevertheless – and here we the Situationist movement. One of the are dealing with its schizophrenic cha- notion of community and its fashionable ways to cut off former col- racter: the future is only possible when collaborative structure.” laborators, Debord publicly announced the present time is sacrifi ced at the same

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec79sec79 228/04/088/04/08 14:22:4714:22:47 “Then, what is the contemporary community about? Maybe it is only a movement, a murmur of intensity, an articulation of swarms, a fl ow of singularities, or a constant re-articulation of space and time with speech, movement and gestures of people being together.”

the 20th Century contributed to the fact core of these explorations: ’I’m not al- the present. Alan Kaprow in his notes that today communities with this col- lowed to take my clothes off. I’m outside on the new art of happening, writes lective ideal are ridiculed and generally the gates of paradise.’ Paradise Now, as that all our senses have to be alert, only there is a lot of disappointment with the title precisely formulates, was then then the artistic situations can unfold the idea of community. But is it possible the way to liberate personal, intimate themselves as naturally as the wind ruf- that community nevertheless can exist and sexual desires. New communities fl es the tree leaves and something can and doesn’t fall into such a double time can be built as communities of equals, transpire. The alertness of the senses can structure where the other is near only as friends, brothers, sisters and lovers, who be achieved with the help of ritualistic a spectral ghost, and paradoxically also can all ’’be together’’ in the present time acts, which more or less violently restore as a mirror? of sensation and pleasure, in the pre- the community; like the famous act of sent time of aesthetic reorientation of killing the chicken at the end of the fa- LOVING COMMUNITIES perception and sensuality. That’s also mous performance Pupilija papa Pupilo why members of the audience were in- pa Pupilcki, made by the collaborative vited to join the scene on the spot and group Gledališ e Pupilije Ferkewerk in In 1967, actors and members of the Li- to explore and search together with the Ljubljana in 1969. An other example ving Theatre invited their audience to members of the theatre group for ways can be found with the alertness of the protest and join in a common act of bo- of liberation and also – which is very senses was also part of how materiality dily and sexual liberation on the stage. important – for ways to do art. Nobody was understood in the Slovenian visual Paradise Now was the title of the most was excluded in advance, everybody was art collective OHO from the sixties, the, famous example of the “loving commu- welcomed as being capable to collabo- especially in their exploration of the nities”, which not only revealed the re- rate and do it (do art, of course). performativity of language, nature and awakening of the ritualistic character of everyday gestures. Even if these practi- 60’s art, but can also reveal a different The loving communities are without ces have different ideological and aes- notion of community and its collabora- doubt very different from the militant thetic backgrounds, we can fi nd many tive structure. The performance happe- collectives with their ghostly characters similarities between them. These two ned in a period of huge political disap- aforesaid. One of the biggest differen- examples show us a different notion of pointment about political and intimate ces can be found in the collaborative community, where bodies are collabo- matters, and in the period of a strong structure, which no longer fell into the rating with each other, where alliances need for liberation and exploration of split of an ambivalent time structure, are made between libidinal energies and new ways of being together. One diso- but is disclosed in the power of the pre- common imaginations, where being bedient sentence from the performance sent time, through its endless creative together is grounded in desire and the can precisely describe what was at the agency and the emancipatory power of disclosure of intimacy. And we can say

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec80sec80 228/04/088/04/08 14:22:4814:22:48 that such a high awareness of the senses COMMUNITY WITHOUT red, democratically disseminated and and such an equality of all materiality HAVING ANYTHING proportionally allocated property. Then, are possible only if the communities are what is the contemporary community democraticised and if the collaborative IN COMMON about? Maybe it is only a movement, other appear as a loving body. a murmur of intensity, an articulation “We can only speak in the fi rst person. of swarms, a fl ow of singularities, or a The collaborative structure of the loving We are neither interpreters nor spokes- constant re-articulation of space and communities is therefore very different women of each other’s practices and time with speech, movement and gestu- from the collaboration of ghosts. The actions. We do not speak in the name res of people being together. Even if they collaboration here happens under the of one another because I am ’the other’ seem modest, such communities can be light burden of endless choices, under when I express what I believe in and voracious. The alliances, friendships, which is also the exploration of libera- feel, within a scenario that was never collaborations result of dispossessing tion in Paradise Now: ’all creative ac- given or borrowed.” These words from knowledge, imagination and affects. tions take form out of some kind of free- Maria Galindo, artist, feminist and Modes of collaboration and friendships dom, nothing bearable happens without activist from Bolivia, can reveal some can be effective only if we understand some kind of freedom’. The collabora- important dis/appearances of the col- them as the way to access knowledge, tive other is present only through an im- laborative other, from the current per- as the way to disclose other modes of mediate freedom of choice and exactly spective, especially because there seems reality and production and to affect our with this freedom of choice he/she also to be a strong need to think about the imagination of the future. Community gets his / her body, his / her senses, his community again, despite all the previ- is a kind of strategic gesture, where “we / her very particular desires and creative ous disappointments. The need to speak place ourselves next to one another, energies. Therefore the endless partici- in the fi rst person is extremely signifi - back to back, one in front of the other, patory freedom of bodily collaborators, cant. Galindo is clear at this point: “I’m according to the necessities of each spe- the spontaneity of the democratic com- the other when I express what I believe cifi c struggle.” munities from that period, are only pos- and feel.” What is happening here is the sible through a series of strict protocols continuous rearticulation of time and which, precisely because they are merely space when speaking: at the moment Bojana Kunst Philosopher and contemporary art theoretician technical, enable a “free” scenario for we speak explicity, we are the other and collaboration. Participatory freedom is the connection between meaning, place thus always the freedom of realization and time becomes visible. through a certain protocol, which in turn allows us to participate and do whatever Community then has little to do either we desire without interruption. What with the future common goal, or with we can qualify a paradox because every being selfl ess, sharing, taking respon- form of participatory freedom requires sibility for one’s actions or respecting the same scenario. Paradox that is today the other. Furthermore, community has in the core of the contemporary produc- nothing to do with consensus for colla- tion of desire, where scenarios for free- boration, with pluralistic procedures for dom are increasingly unifi ed, privatized democratic dissemination. Neither is it and controlled. an outcome of the distribution of sha-

Communities and other models of cooperation and friendship from the 60’s until now NOTES 1– Jean-Luc Nancy: The Inoperative Community, Edited by Peter Connor, University of (Simon Ford: The Situationists International, Black Dog Publishing, 2005, p. 42) Minnesota Press, Minneapolis, London, 2004, p. XIII. 4– Susan Buck-Morrs: Dreamworld and Catastrophe, The Passing of Mass Utopia in East 2– “The retreat opens and continues to keep open, this strange being-the-one-with-the- and West, The MIT Press, Cambridge, Massachusets, London, 2002. other to which we are exposed.” ibidem. p. XXXIX 5– The performance was reconstructed in the year 2006 by Janez Jansa (Emil Hrvatin) 3– as in the case of Wolman, published in Potlach in 1957. “Wolman had an important and produced by Maska. role in the organization of the Lettriste Left-wing in 1952, then in the foundation of LI. 6– Maria Galindo: No matter how much you love me, I do not want to belong to you, Author of “megapneumic” poems, a theory of “cinematochronicity” and a fi lm, he was http://www.republicart.net/disc/publicum/galindo01_en.htm a Lettriste delegate at the congress of Alba in September 1956. He was 27 years old.” 7– Ibidem

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec81sec81 228/04/088/04/08 14:22:4814:22:48 BIBLIOGRAPHIE

MICHEL GUY : UN MÉTÉORE ? Michel Guy, Secrétaire d’État à la culture 1974-1976 un innovateur méconnu, Michèle Dardy-Cretin, Paris, Comité d’histoire du ministère de la Culture, 2007, 319 p., ISBN : 978-2-11-096203-4, 22 €

Diffi cile d’imaginer deux hommes plus différents, voire antithétiques, que Michel Guy et moi. Nos vies, nos trajectoires et nos engagements, au-delà (ou en deçà) d’un amour de l’art qui peut tout transcender, auraient dû nous éviter toute rencontre. Et c’est le contraire qui s’est produit. Oh, nous n’étions pas « cul et chemise », non ! Notre altérité éclatait à tout instant. Mais notre chamaillerie, pleine de mutuelle estime, a toujours été empreinte d’une gaieté particulière.

Nous avons beaucoup ri, l’un de l’autre et ensemble : de cela, à l’Art, aux arts (qu’ils soient « Beaux » ou pas beaux). Quels que je peux en tout cas témoigner. Ce fut d’abord dans les bureaux soient les hauts et les bas que ce ministère a pu connaître par la exigus et les couloirs en boyaux de ce théâtre Le Palace où nous suite, cet alliage avec la communication aura sourdement miné la partagions un peu d’espace et de promiscuité quotidienne avec confi ance et le sens de la particularité des tâches pour tous ceux le jeune Festival d’Automne. Nous, c’est-à-dire d’abord le Théâ- qui ont la charge de faire marcher cette machine. Comme si, à tre de l’Espérance, la Compagnie Vincent/Jourdheuil, mais aussi partir d’un certain moment de la politique française, la « Culture » le « TexPop » (Théâtre Expérimental Populaire), imaginé là avec (c’est-à-dire l’organisation des rapports entre les arts et le dévelop- Jacques Garnier, Brigitte Lefèvre pour la danse, et Diego Masson pement social) avait besoin d’une béquille pour être encore digne pour la musique. Ce que Michel appelait notre bolchevisme l’aga- d’intérêt. Béquille du côté de la Communication, mais aussi de çait bien, mais il n’était pas mécontent de nous voir ainsi secouer l’Enseignement, ou du Social… le landerneau. Ce qui m’a frappé, et me frappe encore, à propos de Michel Guy Puis, en ce printemps 1974, se produisirent plusieurs événements occupant la rue de Valois, c’est qu’il y a incarné la curieuse et forte concomitants : le Théâtre de l’Espérance commençait à trouver rencontre entre la « part maudite » (ou la « dépense improduc- sa limite dans le temps ; j’avais accepté, pour prendre l’air, de se- tive ») chère au philosophe Georges Bataille, et le sens de l’État : conder Peter Brook venant s’installer aux Bouffes du Nord ; le très vivant paradoxe ! Autant Duhamel personnifi ait un intérêt Président Pompidou était mort, Valéry Giscard D’Estaing avait du politique envers l’art et la culture vivante (Duhamel détenait la barré la route à François Mitterrand, pour notre grande décep- clef centriste de la majorité : c’était sa force, et son poids) ; autant tion. Et voilà que le nouveau Président transformait le ministère Michel Guy personnifi ait à mes yeux un mouvement de l’art vers en secrétariat d’État, ce qui ne pouvait que nous mettre en fureur. le politique. Bien qu’éminent « amateur », Michel Guy n’était pas Mais voilà aussi qu’il nomma à sa tête l’ami Michel, ce qui nous lui-même un artiste, mais il a abordé les diverses questions de déconcerta grandement. Curieux moment, quand votre voisin de ce ministère en artiste. On s’aperçoit qu’il n’a pas été seulement palier se retrouve propulsé vers les sommets décisionnels… On un lutin imaginatif sur deux ou trois domaines de prédilection, ne le voit pas spontanément assumer la gravité de l’ensemble des mais que son « ludisme sérieux » a animé ou réanimé tous les tâches qui vont lui incomber ; surtout venant après un homme de domaines, toutes les sphères d’infl uence de ce ministère. Ces deux profond sérieux tel que Jacques Duhamel, très grand ministre. Un hommes ont été des preuves vivantes qu’il peut y avoir de grands secrétariat d’État confi é à un amateur en politique, cela sentait à ministres de la Culture à droite ! C’est possible ! Et c’est pourquoi priori son libéralisme liquidateur des politiques publiques !... l’étude de ce passé peut être utile aujourd’hui. Comme le suggérait Walter Benjamin : « Articuler historiquement le passé ne signifi e Il n’en fut pas ainsi. Michel Guy, quoique bien différent d’un Jac- pas le connaître tel qu’il a été effectivement, mais bien plutôt devenir ques Duhamel, fut un ministre de la Culture effectif. Cette brève maître d’un souvenir tel qu’il brille à l’instant du péril ». Repenser appellation de « secrétariat d’État » n’aura jamais empêché qui- à Michel Guy (et à ceux qui l’entouraient à l’époque, fonction- conque de continuer à parler du « ministère », et Michel Guy fut naires ou non), ce n’est pas se complaire dans une remémoration tout simplement un grand ministre. La dénomination n’est pas le amicale, c’est prendre assez de distance pour mesurer « le péril ». vrai problème, à condition de savoir ce que l’on met dessous. Ce Et il y a aujourd’hui, bien évidemment, péril en la demeure. qui était encore essentiel à l’époque, c’est que ce secrétariat était « à la Culture », et non « à la Culture et à la Communication » ! Mais venons-en à ce qui m’amène ici : la « révolution théâtrale » de Cet ajout fl atteur, qui intervint plus tard, fait partie des éléments 1974. Il est inutile, je pense, d’énumérer dans le détail le nombre qui ont transformé profondément le ministère dans son rapport impressionnant de décisions prises en quelques mois par Michel

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec82sec82 228/04/088/04/08 14:22:4814:22:48 Guy et ses collaborateurs. On les trouve dans le livre de Michèle Dardy-Cretin, pp. 31-32 en particulier. Ces décisions touchaient tous les secteurs, institutions, compagnies installées, compagnies BRÈVES émergentes… Elles témoignaient bien sûr d’une connaissance concrète de l’État et des tendances de la création théâtrale, mais L’ARME DE LA CULTURE d’abord d’un goût profond et affi rmé pour les choses de l’art – – LES STRATÉGIES DE LA de cet art-là comme de tous les autres. On ne peut sans doute DIPLOMATIE CULTURELLE pas demander à tout ministre arrivant rue de Valois d’en savoir autant sur la question que Michel Guy. Mais ce que l’on devrait NON GOUVERNEMENTALE pouvoir demander aujourd’hui à la classe politique, à la classe Jean-Michel Tobelem (dir.), Paris, L’Harmattan, 2007, 264 p., (ou caste) dirigeante, seule susceptible d’envoyer l’un(e) de ses ISBN : 978-2-296-03543-0, 22,50 € représentant(e)s diriger ce ministère, c’est d’en savoir un peu plus sur l’art et sa réelle fonction, actuelle et potentielle, dans notre société. Ma longue fréquentation de ces milieux me per- L’originalité de cet ouvrage collectif découle de la réfl exion menée met de témoigner simplement de la lente déculturation – ose- par les onze auteurs sur le nouvel agencement des « guerres rais-je dire « désartifi cation » ? – de la classe politique depuis, culturelles ». À l’heure notamment de la mondialisation des musées, disons, une vingtaine d’années. Les causes en sont multiples, se dessine un nouveau rôle pour les structures ou équipements mais c’est un fait. Si un dirigeant, quel que soit d’ailleurs son culturels, en termes d’enjeux diplomatiques. Sous l’angle d’une vision à la fois pluridisciplinaire, historique et contemporaine, l’ouvrage domaine d’exercice, ne réserve pas, d’abord pour lui-même, à nous pousse à réfl échir à la question de l’infl uence des acteurs non usage intime, cette part de l’imaginaire gratuit, de rêverie criti- gouvernementaux sur les politiques culturelles mondiales. Cette que et/ou utopique sur le monde, cet « ailleurs » de la pensée, confi guration inédite de « guerres culturelles » accorde aux initiatives s’il n’en prend pas le temps, alors ce n’est pas seulement la poli- privées une importance croissante, alors que l’on assiste au recul de tique culturelle qui perd son sens, mais la politique tout court. la légitimité étatique. Mais toute la qualité de cet ouvrage, dirigé par La politique culturelle devient une part d’héritage lourde à gé- Jean-Michel Tobelem, sera de nous éloigner de l’unique hypothèse rer, un simple « budget » dont on peut jurer qu’il est au moins d’une pure et simple économisation des institutions culturelles, pour maintenu, voire en progression constante, mais dont le contenu nous faire raisonner sur leur stratégie diplomatique, et donc politique. apparaît de moins en moins précis et évident pour ceux qui le votent. Et la politique tout court connaît une crise de contenu, de profondeur, d’humanité, d’utopie anticipatrice…

À propos de budget, il faut bien constater que le petit secrétariat d’État fut doté en 1975 des moyens de sa politique. Ici encore, les ARTISTES ET MARCHÉS quelques tableaux comparatifs du livre de Michèle Dardy-Cretin Xavier Greffe, Paris, La Documentation française, 2007, 304 p., sont éclairants ! Le bouleversement apporté par Michel Guy et son ISSN : 1763-6191, 19,30 € entourage n’a pas eu à prendre le nom pompeux de « réforme », mais le mouvement général fut considérable. Il est très diffi cile de « réformer » sans « relancer », fi nancièrement s’entend. Une À la Renaissance, l’art s’émancipe peu à peu des préoccupations volonté réformatrice qui ne peut s’appuyer sur des moyens réels, religieuses ou politiques, alors que la logique de l’économie quelles que soient ses bonnes intentions, ne peut qu’en rester à marchande régit progressivement l’organisation de la société. un plan de bouts de chandelle, voire même à une pensée et à une Les artistes doivent assumer désormais les aléas d’un marché action malthusiennes (« faire mieux et plus avec moins » : c’est incertain. Aujourd’hui, cet environnement a créé des situations contrastées : de la superstar à l’artiste bohème, des sommes hélas le contenu essentiel du mot « réforme » aujourd’hui). En démesurées à la sous rémunération d’une grande partie des artistes. 1974-75, les idées et le goût furent soutenus par des moyens. Mi- D’autres directions ont été initiées afi n de trouver de nouvelles chel Guy a fait « bouger les lignes », pour reprendre une expression sources de revenus pour ces derniers : l’art comme lien social ou d’aujourd’hui. L’orée utopique du septennat de VGE n’y fut pas l’art au service de territoires attractifs. Ces propositions ne se révèlent pour rien. Il nous a fallu déchanter plus tard, durant les années pas non plus satisfaisantes, dans la mesure où elles contraignent la noires (au moins pour l’art et la culture) de la fi n du même sep- liberté de l’artiste, instrumentalisé, soumis à des donneurs d’ordres. tennat. La nouvelle donne générée par Internet et le rapport inédit au spectateur permettra-elle une renaissance de la créativité ? Nous savons tous aujourd’hui qu’une grande analyse menant à une nouvelle conception, à une nouvelle organisation du théâtre public, est nécessaire : la leçon de Michel Guy, c’est qu’une telle

Jean-Pierre Vincent (suite p. 84)

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec83sec83 228/04/088/04/08 14:22:4914:22:49 réforme, car c’en est bien une, doit s’appuyer sur un désir et sur des moyens. Il ne s’agit pas forcément de demander une pure et simple augmentation des crédits accordés au ministère : l’ensemble des BRÈVES fi nancements accordés ici et là dans le pays, dans toutes les col- lectivités publiques, autrement pensés et répartis, suffi raient sans LES BIBLIOTHÈQUES doute à relancer une politique ambitieuse. Mais il y faut d’abord le CONGOLAISES : ÉTAT DES LIEUX désir de théâtre. C’était, si je me souviens bien, le raisonnement qui a amené Michel Guy à imaginer les chartes culturelles : on devrait Christophe Cassiau-Haurie, Jacques Hellemans (Dir), 2007, L’Harmattan, Paris, 309 p., ISBN : 978-2-296-03795-3, 27,5 € s’y pencher de nouveau de façon ambitieuse.

Michel Guy nous est certes apparu, à nous « théâtreux », comme Des professionnels du livre et de la lecture de la République un grand ministre… du théâtre. Mais à étudier l’ensemble de son Démocratique du Congo se sont réunis en 2005 sous l’égide de action, on s’aperçoit vite que le fourmillement d’idées et d’initia- l’ABADOM (Association Congolaise de Bibliothécaires, Archivistes, tives a touché tous les domaines du ministère ; que cet homme Documentalistes et Muséologues) pour faire le point sur la situation de l’art et des artistes a pu rapidement assumer une responsabilité des bibliothèques dans leur pays. La question de l’environnement de ces équipements (édition, librairies…) est abordée (budgets largement politique. Et l’ensemble de ses décisions a orienté et d’acquisition inexistants, absence de public, et surtout de jeune marqué pour longtemps la structure de notre vie théâtrale. Jusqu’à public, vieillissement des fonds, désert éditorial, illettrisme, faible aujourd’hui, en fait. Météore ou OVNI ? Loin du centre énergé- réseau de librairies, sous équipement en bibliothèques) ; ce sont tique de la politique proprement dite ? Il représente plutôt pour autant de paramètres alarmants qui empêchent la population d’avoir moi l’exemple même de ce que pourrait être une classe dirigeante accès au livre. Se posent ainsi les questions de l’apprentissage et éclairée par l’aventure artistique. Peut-elle le devenir, le re-deve- de la pratique de la lecture, mais aussi, de manière plus générale, nir ? Il ne faut pas seulement le souhaiter ; il faut se battre pour de l’instruction et d’une forme de développement. Les projets de cela. Nous n’avons pas besoin qu’un ministre de la Culture soit un coopération internationale semblent encore prépondérants pour la vie copain des artistes, un rejeton de notre sérail. C’est le pays qui a du secteur, pour lequel une véritable structuration nationale reste à besoin, non seulement d’un homme ou d’une femme, mais d’une construire. http://www.aib.ulb.ac.be génération qui reprenne profondément goût à ce que la fameuse « part maudite » peut apporter à la vie républicaine.

Un peu plus tard, au milieu des années 80, Jack Lang m’avait lancé dans l’aventure périlleuse de la Comédie Française. Michel était redevenu Directeur de « son » Festival d’Automne. Nous avions CINÉMAS PUBLICS D’ART ri un peu moins ensemble quand il était « ministre ». Mais il était ET D’ESSAI toujours « ministre » dans l’âme (et dans notre regard), et de nou- veau nous avons bien ri – et de nouveau nous nous sommes bien Frédéric Volle, Ariane Desneux, Christian-Marc Bosseno, Paris, Weka, 2007, 146 p., ISBN : 978-2-7337-0212-3, 30 € engueulés : sur la pyramide de Pei, sur la Révolution Française, sur le mécénat… Nous avons monté tous les deux, en compagnie de la sensible et fi dèle Marie Collin, une co-production autour de Alors que le mastodonte UGC, suivi par MK2, s’attaque au projet la sublime Bérénice de Racine montée par Klaus-Michaël Grüber, d’expansion du cinéma municipal Le Méliès à Montreuil (Seine- Salle Richelieu. Les répétitions étaient strictement fermées à tout Saint-Denis), il apparaît plus que nécessaire de soutenir les salles regard extérieur. Michel Guy le passionné voulait absolument voir de proximité qui proposent une programmation alternative à celle et entendre : car on lui racontait des merveilles à propos de ce qui des multiplexes. Les cinémas publics ont une mission de service public et dans cette optique, ils doivent promouvoir une production se passait, de ce qui se disait là. Et il ne voulait pas se contenter cinématographique originale de qualité. Mais remplir une telle de la vidéo espionne de mon bureau. Je l’ai donc fait entrer dans mission n’est pas évident. Après un état des lieux de la situation une loge de corbeille à quatre pattes, comme un gamin : nous actuelle, ce petit livre développe donc, de manière concrète et deux en costume-cravate, à quatre pattes, en train de jouer aux pratique, tout ce qu’il faut savoir pour mettre en place et gérer indiens pour écouter Grüber… Aucun ministre ne m’a plus jamais un cinéma public d’art et d’essai, à savoir la programmation, le demandé une telle chose… fonctionnement de l’équipement, les institutions à connaître. Cet ouvrage propose également une méthodologie pour créer un cinéma Jean-Pierre Vincent de ce type. Metteur en scène, directeur du Théâtre National de Strasbourg (1975-83), administrateur général de la Comédie-Française (1983-86), directeur du Théâtre des Amandiers à Nanterre (1990-2001)

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec84sec84 228/04/088/04/08 14:22:5014:22:50 LA CRÉATION CONTEMPORAINE AU REGARD DU DROIT BRÈVES À qui appartient l’œuvre d’art ?, Françoise Chaudenson, Paris, Armand € Colin, 2007, 309 p., ISBN : 978-2-200-34723-9, 27,50 EUROPE, SCÈNES PEU COMMUNES À qui appartient l’œuvre d’art ? Voici une question Textes réunis par Emmanuel Wallon, Études théâtrales, Louvain-la- ambitieuse à laquelle s’engage à répondre Françoise Neuve, 2007, 144 p., ISBN : 2-930416-24-6, 17 € Chaudenson dans cet ouvrage consacré à la nature

de l’œuvre artistique. L’écriture vivante refl ète Qu’en est-il des théâtres en Europe ? À travers une quinzaine de l’enthousiasme de l’auteur, manifesté lors de la contributions, cet ouvrage aborde la question de l’art dramatique sur le continent européen selon le point de vue du jeu, de la mise réalisation de sa thèse dont est issu le livre. Foisonnant en scène, mais aussi des échanges artistiques, de l’organisation d’exemples, d’anecdotes et de révélations, l’analyse du secteur ou bien encore celui du lieu de représentation. Quels

de Françoise Chaudenson confronte la création liens entre théâtre et Europe ? Critiques, universitaires, hommes de théâtre, responsables institutionnels et associatifs dessinent ici contemporaine aux questions de propriété littéraire et l’image plurielle d’une discipline profondément liée à l’Europe, mais artistique. handicapée par le manque d’un véritable espace culturel européen.

La première partie historique retrace l’évolution du statut social de l’artiste, la construction de la notion d’œuvre et l’élaboration du droit d’auteur qui en découle. Rappelant les principales éta- pes socio-économiques et juridiques qui ont présidé à l’émanci- pation de l’artiste et à l’affi rmation sociale de sa singularité, elle inscrit ce processus dans le mouvement général d’individuation LA POLITIQUE CULTURELLE EN dont le créateur deviendra la principale fi gure. ESPAGNE

Elle conclut par un chapitre consacré à ce qu’elle nomme « les Lluis Bonet, Emmanuel Négrier, Paris, Editions Karthala, 2007, Centre de Science Politique Comparative, IEP Aix-en-Provence, délits de l’art », ces faits de détournements, plagiats et copies 178 p., ISBN : 978-2-84586-918-9, 20 € qui, loin d’être insignifi ants, apportent un éclairage nouveau sur les critères, tant esthétiques que moraux, de constitution de la valeur des œuvres. Trente ans après le retour de la démocratie, l’Espagne est, du point de vue des politiques culturelles, un cas à part. État souvent La seconde partie s’intéresse aux transformations qui affec- qualifi é de multinational, ni centralisé, ni fédéral, participant de la tent le travail de l’artiste et la notion même d’œuvre à l’ère du tradition napoléonienne mais en ayant dénoncé depuis longtemps numérique. L’auteur analyse surtout les domaines cinémato- l’héritage, l’Espagne est un laboratoire singulier. Elle partage avec les autres pays du sud européen le legs diffi cile des années graphiques, musicaux et littéraires et leurs nouveaux modes noires de la dictature. Mais elle s’en distingue par la trajectoire de production, d’exploitation et de consommation. Mettant suivie dans l’organisation des politiques publiques, par une forte sur le même plan Michel Houellebecq, Thomas Kinkade et décentralisation du système. S’il existe un ministère et une tradition, André Rieu, elle dresse les portraits de trois « artistes entrepre- comme en France, d’intervention publique dans la culture, le neurs » qui ne semblent déléguer à personne la promotion de modèle espagnol, par bien des aspects, se conjugue au pluriel leurs œuvres, plus préoccupés par des intérêts fi nanciers que de ses acteurs et de ses identités. Au-delà de ses spécifi cités, par de véritables enjeux esthétiques. Si la comparaison est dis- cet ouvrage met aussi l’accent, depuis l’Espagne, sur la profonde cutable, elle éclaire cependant tout un pan inconnu du public similarité des problèmes que les politiques culturelles affrontent de l’activité de certains artistes. dans le concert européen.

Traitant de la même manière l’ensemble des disciplines artis- tiques et culturelles, l’étude glisse du champ de l’art à celui de l’industrie culturelle. Faisant passer la problématique juri- dique au second plan, elle insiste sur l’importance croissante de la logique de marché, rappelant les pratiques d’alliances

Pascale Ancel (suite p. 86)

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec85sec85 228/04/088/04/08 14:22:5114:22:51 entre producteurs et opérateurs de télécommunication qui s’arrogent des droits et des privilèges. Évoquant les négocia- tions et les monopoles des grandes fi rmes et des majors, elle BRÈVES s’interroge sur les conséquences pour le créateur, les œuvres et le consommateur, de ce formidable essor de l’industrie ARTS VIVANTS EN FRANCE : culturelle. TROP DE COMPAGNIES ?

À l’ère du numérique et de la mondialisation, l’accès à la mu- Ouvrage collectif coordonné par Philippe Henry, en partenariat avec le SYNAVI, Paris, L’espace d’un instant, 2007, 230 p., sique, et au savoir d’une façon générale (fi lms, livres, informa- ISBN : 978-2-915037-34-0, 10 € tions), par l’intermédiaire d’Internet constitue une révolution dont on entrevoit à peine les conséquences. Les pratiques de piratage et de téléchargements illégaux, menées à une échelle D’abord, les contributeurs proposent un état des lieux : quelle est la internationale, posent de façon cruciale la question de la pro- réalité des compagnies professionnelles à la fois « indépendantes » priété de l’œuvre à laquelle, on s’en souvient, a répondu de et liées au réseau d’équipements publics ? Ils montrent que ce qui façon très médiatisée la justice française ; ces affaires ayant re- semble être un « continent noir » est en fait un monde très riche, lancé le débat sur le droit à la culture, la protection du créateur qui s’adapte aux contraintes contre lesquelles il doit lutter. Dans un second temps, l’ouvrage fait la part belle à des témoignages sur ces et, bien sûr, l’intérêt du producteur. compagnies provenant de professionnels du monde de la culture aux regards très différents. L’ouvrage se penche sur quatre secteurs Face à l’ampleur du sujet abordé, le livre répond partiellement spécifi ques : la danse, les musiques actuelles, les arts de la rue et à la question posée. Le lecteur s’étonnera parfois de quelques le jeune public. Finalement, les rédacteurs proposent des solutions rapprochements hasardeux et de la multiplication d’exemples qui permettraient aux compagnies de continuer à exister, comme le risquant de brouiller l’analyse. Mais sous une forme en appa- développement de certaines formes de mutualisation. rence éclectique, la démarche de Françoise Chaudenson reste stimulante ; dépassant le thème de l’appropriation de l’œuvre et de son cadre juridique, cette étude actualise le regard porté habituellement sur les formes d’expression artistique.

L’approche juridique et économique privilégiée par Fran- LA SCÈNE MISE À NU çoise Chaudenson, loin d’enfermer le sujet et de le réduire Théâtre S, n°26, 2e semestre 2007, Presse Universitaires de Rennes, à un discours d’expert, permet une meilleure compréhension 164 p., ISBN : 978-2-7535-0575-9, 8,50 € des nouvelles problématiques liées aux mutations de l’art et à l’évolution des supports de création et de diffusion. Elle convainc, si besoin en était, de la pertinence d’une réfl exion L’association « Théâtre S » en Bretagne consacre le dernier numéro pluridisciplinaire en matière d’art et de culture. de sa revue à l’espace scénique vidé de son décor : plateau mis à nu, scénographie minimale. Les auteurs – chercheurs en études théâtrales, comédiens, scénographes – abordent cette problématique Pascale Ancel en faisant appel à leurs propres expériences ou à celles de metteurs Maître de conférences en scène d’hier et d’aujourd’hui, qui ont « renoncé à l’idée de Université Pierre Mendès France - Grenoble décor ». De quel théâtre est-il question lorsque l’on parle de « mise à nu » de la scène ? Quelles en sont les conséquences spatiales, esthétiques, voire morales ? Quelles en sont les répercussions sur le spectateur ?...

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec86sec86 228/04/088/04/08 14:22:5314:22:53 PLAIDOYER POUR LE PLURILINGUISME à paraître Quand quelqu’un parle, il fait jour. Une autobiographie linguistique, Abraham Bengio, Thierry Renard, Paris, Éditions La passe du vent, 2007, 183 p., ISBN : 978-2-84562-125-1, 13 € L’INTERCOMMUNALITÉ CULTURELLE EN FRANCE, ÉTAT DES LIEUX, ENJEUX DE DÉVELOPPEMENT ET DE RECOMPOSITION Voici le livre d’un enthousiaste, d’un fou de langues. CULTURELLE DES TERRITOIRES Né à Tanger, élevé en Espagne, descendant d’une Observatoire des politiques culturelles illustre fi gure du judaïsme marocain, Rabbi Mordejaï Sous la direction scientifi que d’Emmanuel Négrier (CEPEL-CNRS Bengio, Abraham eut au moins deux langues Montpellier) et Philippe Teillet (Université de Grenoble PACTE- CNRS), avec la collaboration d’Alain Faure (Université de Grenoble maternelles, la « jaketia » du judéo-espagnol et le PACTE-CNRS) et de Julien Préau (CEPEL-CNRS Montpellier). français, qui l’a fait naître une seconde fois si l’on en croit le récit autobiographique qui précède dans ce livre son entretien avec Thierry Renard. Depuis le début des années 1990, l’Observatoire des politiques culturelles suit l’évolution de la coopération culturelle intercommunale qui constitue un des enjeux majeurs des transformations actuelles de ce secteur. En effet, depuis la loi sur la simplifi cation et le À lui les dictées, les exquises subtilités de l’orthographe, l’infi - renforcement de la coopération intercommunale de juillet 1999, nie complication des grammaires ! Ce qui rebute ordinairement les intercommunalités se sont progressivement investies dans l’écolier semble l’avoir tout spécialement enchanté. Le premier le domaine culturel jusqu’à être aujourd’hui plus de 75 % à intérêt de cet ouvrage est d’apporter un témoignage, doublé intervenir d’une façon ou d’une autre. En 2008, au terme d’un d’une solide réfl exion, sur les bénéfi ces du plurilinguisme : com- premier mandat pour un grand nombre d’intercommunalités, il ment l’infi nie diversité du monde se laisserait-elle contenir ou est particulièrement utile de se pencher sur un état des lieux de résumer par un seul idiome ? Plus nous connaissons de langues cette dimension culturelle intercommunautaire, afi n d’interroger les et mieux nous embrassons la richesse du réel ; ou, pour le for- expériences passées et les orientations futures qui s’inscriront dans muler avec André Breton qu’Abraham Bengio ne cite pas mais le nouvel agencement politique et territorial des années à venir. L’étude réalisée entre 2005 et 2007 par l’Observatoire des avec lequel il tomberait sûrement d’accord, « La médiocrité de politiques culturelles repose sur un partenariat inédit qui a notre univers ne dépend-elle pas essentiellement de notre pou- rassemblé la Délégation interministérielle à l’aménagement et voir d’énonciation ? ». Le père du surréalisme plaide en faveur à la compétitivité des territoires (DIACT) et le ministère de la du détour poétique, qui apporte un gain de connaissance, et Culture et de la Communication (DAT et DEPS), l’Assemblée des l’on trouverait chez Wittgenstein la même idée exprimée sous Communautés de France, Dexia – Crédit Local, ainsi que les une forme voisine. Pour le philosophe comme pour le poète, quatre agglomérations à l’origine du Club des agglomérations pour jamais nous n’aurons à notre disposition trop de « symbolique » la culture (Amiens, Annecy, Clermont-Ferrand et Rennes). pour cartographier la foisonnante diversité sensible et intelli- gible ; tout effort pour raffi ner, préciser ou multiplier en nous Elle avait pour ambition de dresser un panorama complet de et entre nous les langues conduit à une meilleure conscience, l’intercommunalité culturelle, et de répondre aux besoins d’information, d’analyse et d’évolution de l’État, de ses services déconcentrés, et à l’enrichissement de ce que faute de mieux nous appelons, des collectivités territoriales et des EPCI. Elle présente deux hors des mots, le réel. Et c’est pourquoi il faut lutter sans relâ- nouveautés fondamentales par rapport aux enquêtes précédentes : che contre ceux qui mutilent la langue, ou qui se contentent la prise en compte des formes d’intercommunalités urbaines mais de pauvres idiomes, opposés parfois avec défi aux détenteurs également des communautés de communes, et l’apport d’éléments du beau et haut langage : dans les banlieues, les collèges, mais statistiques beaucoup plus précis que ceux utilisés jusqu’alors. aussi à travers tant de radios ou de médias qui n’ont de cesse, Les résultats de cette étude seront présentés dans un au nom du matraquage publicitaire et d’une facile connivence, ouvrage publié par l’Observatoire des politiques culturelles à d’humilier et de piétiner le propre de l’homme… l’automne 2008. Des éléments de synthèse sont disponibles dès à présent sur le site Internet de l’Observatoire. Il n’est pas évident de proclamer l’illustration et la défense de la langue, comment s’y prendre ? Car souvent, l’amoureux sé- questre ou étouffe son objet par excès de désir. Or, une langue « fi xée » dans son ordre symbolique, ou par le corset de ses usages scolaires ou trop académiques, peut cesser de respirer,

Daniel Bougnoux (suite p. 88)

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec87sec87 228/04/088/04/08 14:22:5414:22:54 ou d’inspirer ; le monolinguisme peut s’enchaîner à la mono- culture, favoriser la crampe identitaire ou le narcissisme d’une petite patrie. Une langue, d’autre part, n’est pas un être inerte, BRÈVES elle ne cesse d’évoluer et de s’enrichir au croisement des autres langues, des littératures ou des idiomes qui en font un usage L’ART AU CŒUR DES inattendu ou déviant. Le plurilinguisme, à condition qu’il ne APPRENTISSAGES, DES ARTISTES dégénère pas en analphabétisme dans chacune des langues À L’ÉCOLE MATERNELLE (mal) pratiquées, est l’aiguillon d’une conscience en éveil. Et nous comprenons mieux, à lire ce témoignage, à quel point le Colloque national Lyon en mars 2004, Enfance art et langages, plus précieux des dons est, peut-être, le don des langues. Lyon, 2005, 151 p.

Comme Hermès, A. Bengio se tient ainsi au carrefour. Ce haut fonctionnaire de la culture dans la région Rhône-Alpes a le pri- À partir de l’expérience conduite à la ville de Lyon depuis 2002 vilège de soutenir, donc de hiérarchiser, les initiatives des créa- (le programme « Enfances et langages », proposé dans une teurs et des artistes. Comment maintenir face au tohu-bohu dizaine d’écoles maternelle de la ville, où se rencontrent artistes des cultures une certaine universalité ou idée des valeurs ? Ce et enseignants autour d’ateliers d’éducation artistique), des problème a de quoi obséder tout responsable de l’argent pu- pédagogues, des acteurs culturels, des artistes, des psychologues et des philosophes ont partagé, dans le cadre d’un colloque blic, confronté à l’océan des demandes qu’il ne pourra, par dé- organisé en 2004, un moment de réfl exion sur l’éducation artistique fi nition, pas satisfaire ; il est rassurant, lisant notre auteur, de à la maternelle. Cet ouvrage reprend les principales interventions vérifi er son appétit renouvelé d’échanges, d’ouvertures, et la et échanges de ce colloque, où l’art est pensé comme un outil pertinence du regard qu’il porte sur le monde contemporain : de construction d’une école plus démocratique, où l’importance sur le confl it israélo-palestinien, sur la construction de l’Eu- de la pratique et de l’éducation artistique comme constitutives rope et la part faite aux pays du Sud, sur la mondialisation ou de l’ensemble des apprentissages est rappelée, tout comme sur la disparité des cultures, on lira avec intérêt ses réponses l’importance de favoriser, dès le plus jeune âge, son potentiel aux questions de T. Renard. Sur Sartre également, il n’était pas créatif, imaginatif et critique. mauvais de redresser les thèses simplifi catrices des Réfl exions sur la question juive, et de rappeler d’une façon générale com- ment Camus, alors très décrié, eut sur tant de points raison contre leur auteur… UNE POLITIQUE CULTURELLE Les effets en nous et entre nous de la langue, comme média- PRIVÉE EN FRANCE ? LES tion et comme média, sont très largement inconscients ; la NOUVEAUX COMMANDITAIRES fonction symbolique par excellence ne se contente pas de dé- crire, elle prescrit, elle ferme et elle ouvre, elle formate et elle DE LA FONDATION DE FRANCE hiérarchise, elle conditionne et elle autorise selon des modes Emmanuel Négrier, Paris, L’Harmattan, Collection Logiques sociales, qui nous échappent nécessairement. Le capital symbolique de 2006, 336 p., ISBN : 2-296-01427-5, 28 € chacun s’avère en effet clôturant, et « auto vérifi ant » ; en nous enfermant dans une culture et un monde propres, notre langue nous donne de notre monde une lecture évidente – mais qui Depuis 1991, le programme « Nouveaux Commanditaires » de n’a rien d’évident pour les autres. Sur ce point il me semble, la la Fondation de France soutient des projets d’artistes, via une réfl exion du littéraire et du linguiste amateur (au meilleur sens démarche originale, en permettant à des citoyens de passer du terme) qu’est Abraham Bengio ne peut que croiser celle commande à des artistes. Ce dispositif, imaginé par l’organisme du philosophe, et réveiller de leur sommeil monolinguistique privé qu’est la FdF, positionne celle-ci dans un champ d’intervention qui, en France, relève plus traditionnellement du secteur public. ceux qui prétendent dépasser les querelles de mots, ou se pas- L’auteur en tire plusieurs enseignements, analysant fi nement en quoi ser des langues étrangères. et comment une politique privée fonde et construit sa différence, au sens où celle-ci résulte d’une intervention volontairement décalée par rapport à la logique d’intervention publique. En s’appuyant Daniel Bougnoux sur l’environnement conceptuel et matériel qu’auront contribué Philosophe, professeur émérite à l’Université Stendhal Grenoble à construire plus de quarante ans de politiques publiques, une politique privée en faveur de l’art contemporain trouve sa place en imposant ses propres fi gures, comme celle, par exemple, de la médiation territoriale.

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec88sec88 228/04/088/04/08 14:22:5414:22:54 LE COSMOPOLITISME, UNE NOUVELLE VOIE POUR REPENSER L’EUROPE ? BRÈVES Pour un empire européen, Ulrick Beck, Edgar Grande, Paris, Flammarion, € 2007, 412 p., ISBN : 978-2-0812-0312-9, 29 UNESCO’S CONVENTION OF THE Le traité de Lisbonne remet l’Europe institutionnelle PROTECTION AND PROMOTION sur les rails, mais il n’en résout pas les questions OF THE DIVERSITY OF CULTURAL fondamentales. Les citoyens européens comprennent EXPRESSIONS : MAKING IT WORK moins que jamais la voie dans laquelle ils se sont Nina Obuljen, Joost Smiers, Culturelink, Institute for International engagés. Face à une Europe nébuleuse, ils réclament Relations, Zagreb, 2006, 402 p., ISBN : 953-6096-40-4 plus de coopération et de présence européennes devant les grands défi s internationaux. Le 20 octobre 2005, la Conférence Générale de l’Unesco a adopté la Convention sur la Protection et la Promotion de la Diversité des Expressions Culturelles. Cette convention est conçue pour donner aux États la possibilité de prendre les mesures qu’ils estiment Ce défi cit politique est, dans une large mesure, relié à un défi - nécessaires pour la protection et la promotion de la richesse et la diversité des expressions artistiques. cit intellectuel et affectif. Nous avons du mal à comprendre cet Cet instrument de construction juridique international ne peut pas ensemble disparate d’États et de nations qui s’est réuni progres- soustraire la diversité culturelle à toutes les menaces qui pèsent sur sivement dans l’Union Européenne, dans une construction vo- elle ; l’avenir apportera de nouveaux défi s, à la fois dans les médias lontairement ambiguë qui navigue entre deux pôles : l’approche traditionnels et dans le monde numérique. Ce livre analyse la valeur communautaire qui met en commun des éléments essentiels légale de la convention, son impact potentiel, et tente d’envisager les de l’action publique, et l’approche interétatique qui maintient stratégies les plus appropriées pour son implémentation effective. jalousement la souveraineté des états tout en progressant – avec le traité de Lisbonne – vers le vote à la majorité pour un nombre important de décisions politiques. L’Union avance à reculons dans une structure où le Conseil des chefs d’état et de gouver- nement – des hommes politiques à la recherche permanente de légitimité nationale – joue un rôle primordial. L’intérêt national prime, ou ce qui est considéré comme tel par des représentants souvent populistes.

Mais il se peut que cette vieille antithèse entre national et su- pranational soit elle-même un schéma d’interprétation obsolète pour décrire un ensemble jamais vu dans l’histoire. Car l’Europe réelle existe et progresse de jour en jour, au-delà et différem- ment de nos représentations et de ces discours offi ciels à ca- ractère fantasmagorique. D’une manière inattendue et imper- ceptible, elle produit des interdépendances transnationales qui infl uencent les comportements de millions de citoyens.

L’horizon de l’Europe et de ses nations n’est plus l’Europe à elle seule, séparée d’un environnement international lointain. Deux facteurs transforment profondément la vie quotidienne de cha- cun et les processus économiques et politiques dans lesquels on doit se positionner : la modernisation accélérée des technolo- gies et l’ouverture des frontières que l’on désigne par le terme de globalisation – lui aussi souvent confus.

En tant que sociologues, Beck et Grande ne se limitent pas aux jeux des institutions et aux mécanismes politiques. Ils essaient

Robert Picht (suite p. 90)

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec89sec89 228/04/088/04/08 14:22:5514:22:55 de montrer comment toutes ces évolutions transforment les habitudes de vie, les comportements et les intérêts des hommes qui vivent dans un espace aux échanges et aux interdépendan- BRÈVES ces toujours plus intenses. Allons-nous vers une société euro- péenne, hautement diversifi ée et culturellement hétérogène ? SOCIOLOGIE DES ORGANISATIONS THÉÂTRALES En quête de données, les auteurs ont constaté que les études se cantonnent au territoire national : instruments conceptuels et Gaëlle Redon, Paris, L’Harmattan, Collection Logiques sociales, 2006, 296 p., ISBN : 2-296-01513-1, 25,50 € statistiques pour décrire les évolutions, dans le cadre restreint et spécifi que d’un pays particulier, ce qui rend toute comparaison diffi cile. Comment décrire ces millions d’échanges et de coo- Cet ouvrage porte un regard sociologique sur le fonctionnement pérations entre entreprises, ces programmes d’échange comme des entreprises théâtrales amateurs ou professionnelles, en les Erasmus, les migrations et la formation de réseaux de toutes abordant comme le produit du « travail » de groupes d’individus, sortes ? Nombreux sont ceux qui, dans leur pratique, sont euro- de leurs négociations et de leurs confl its. À partir d’une enquête péens sans même le savoir. basée en région Languedoc-Roussillon et plus particulièrement dans le département des Pyrénées-Orientales, l’auteur se penche sur le théâtre en tant que fonction sociale d’intégration. Ces organisations La constatation est similaire dans l’analyse des mécanismes ins- théâtrales se situent au croisement des mondes domestique et titutionnels et politiques. À travers une multitude de proces- marchand, des sphères privée et publique. Le modèle de la famille, sus de communication et de concertation, l’Europe fonctionne dans ses évolutions et ses transformations, semble imprégner autrement que nous le pensons et plutôt bien. Mais nous com- l’évolution des groupes théâtraux dans leur organisation, comme prenons diffi cilement cette gouvernance souvent informelle qui dans leur fonctionnement. fonctionne par réseaux. Nous continuons à penser l’Union se- lon les schémas de l’État national, en refusant ou en projetant l’Europe en tant que Super-État, ce qu’elle ne sera jamais.

Comment donc la désigner ? Beck et Grande choisissent le ter- me « d’empire ». Il est hautement ambigu et peut renvoyer soit au Commonwealth selon la tradition britannique, à la domi- nation postcoloniale selon la tradition française, ou encore au Moyen Âge allemand où l’empereur avait peu de pouvoir direct mais agissait comme fédérateur de territoires disparates, tout comme à l’Union Européenne à laquelle tant de pays souhaitent adhérer. S’agit-il d’un empire sans empereur ? C’est peut-être dans ce paradoxe que repose sa force et son attractivité.

Le titre français de l’ouvrage ne permet pas de restituer l’argu- ment central de Beck : le « cosmopolitisme ». Modernisation et globalisation font que les Européens sont, qu’ils le veuillent ou non, citoyens du monde. S’ils arrivent à assumer cette réalité, ils auront toutes les chances de réussir l’Europe, s’ils essaient de se replier sur eux-mêmes, ils manqueront la chance historique qui leur est offerte. Robert Picht Chaire Hendrik Brugmans d’Études Européennes Interdiscipinaires, directeur du Programmes d’Études Générales

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec90sec90 228/04/088/04/08 14:22:5614:22:56 COUP DE PROJECTEUR SUR LES FESTIVALS BRÈVES Les nouveaux territoires des festivals, Emmanuel Négrier, Marie-Thérèse Jourda, Paris, Éditions Michel de Maule, 2007, 207 p., ISBN : 978-2876232105, 16 € LES POLITIQUES CULTURELLES EN MILIEU RURAL, MÉTHODOLOGIES ET BONNES Le titre de ce très sérieux ouvrage est trompeur. Il PRATIQUES ne s’agit pas d’une exploration des nouvelles formes de festival, ni des nouveaux territoires de l’art. Mais Jean Lafond-Grellety et Laurent Mazurier, Voiron, Editions Territorial, 2007, 123 p., ISBN : 978-2-35295-130-8, 39 € d’une enquête fort bien documentée construite sur un échantillon de festivals existants. Rédigé par des spécialistes de l’action culturelle qui interviennent régulièrement auprès des collectivités locales, Paradoxalement, nous manquons en France d’études exhausti- cet ouvrage retiendra l’attention de tous les acteurs territoriaux ves sur l’organisation et le fi nancement de nos festivals. Certes qui ont la responsabilité et l’envie de promouvoir l’action les budgets des festivals d’Aix et d’Avignon ont été régulière- culturelle en milieu rural. Avant d’élaborer un véritable guide méthodologique de la mise en œuvre de politiques culturelles, ment analysés, mais cette spécifi cité française – par l’histoire et les auteurs s’attardent sur la fi gure de l’élu rural et son rapport le nombre – n’a pas encore fait l’objet d’une analyse complète. à la culture, ainsi que sur les différentes échelles de territoires. Cette publication, hélas, ne fait pas exception. Car elle a été, en Leur approche méthodologique est illustrée par de nombreux effet, commandée pour un colloque par l’Association France exemples d’actions culturelles, plus ou moins bien réussies, Festivals qui ne regroupe que des festivals de musique et une observées au sein de communes, intercommunalités et pays. dizaine de festivals de danse. Manquent donc les événements consacrés aux musiques actuelles, au théâtre, au cirque, aux arts de la rue ainsi que les festivals dits pluridisciplinaires comme le Festival d’Automne à Paris. Il est dommage que cet échan- tillon ne soit donc pas davantage représentatif des festivals du pays. Et, même dans le domaine musical on remarquera que les adhérents de France Festivals ne représentent pas le rock, la techno ou le jazz (sauf Marciac). À côté de la musique classi- que, on y trouve des festivals lyriques comme Orange mais pas le Festival d’Aix.

Il est d’autant plus regrettable que ce panel soit aussi disparate que, pour les festivals étudiés, l’analyse en est très riche et très documentée. La fi che d’identité de ces festivals est en effet très complète et permet de dater leur apparition (21 ans pour la musique classique, 10 ans pour les musiques du monde et la danse). Elle montre comment les festivals se sont répandus, au-delà des grandes migrations estivales, à tous les territoires. Elle donne des renseignements très précis sur la fréquentation médiane (et non moyenne) des spectateurs ou, plus exacte- ment, des entrées.

Les auteurs reconnaissent eux-mêmes qu’il est diffi cile d’in- terpréter des résultats globaux et que, dès lors, une analyse au cas par cas reste nécessaire. On peut cependant y voir la confi rmation de certaines évolutions déjà remarquées. Les fes- tivals offrent une grande variété de spectacles, ceux-ci n’étant donnés le plus souvent qu’une seule fois. Ce qui rappelle qu’en France on a besoin d’insister sur la diffusion des créations, no-

Bernard Faivre d’Arcier (suite p. 92)

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec91sec91 228/04/088/04/08 14:22:5814:22:58 tamment pour la danse, comme l’avait déjà pointé le rapport Latarjet en 2005. vient de paraître L’étude décrit de façon systématique le partenariat de ces fes- tivals, constatant que ceux-ci – y compris ceux de petite en- VILLES ET PAYS D’ART ET D’HISTOIRE EN vergure – doivent multiplier les partenariats pour survivre. On RHÔNE-ALPES : ÉVOLUTION ET ENJEUX y discerne bien des évolutions générales : le recours toujours recherché et souvent déjà élevé au « sponsoring » privé, la re- Observatoire des politiques culturelles, Drac Rhône-Alpes, cherche systématique de tous les partenaires possibles, dont les décembre 2007 Sous la direction scientifi que de Guy Saez (directeur de recherches en sociétés de droit. Même si l’intercommunalité se développe et sciences politiques) et de Pierre-Antoine Landel (maître de conférences vient en soutien des fi nancements strictement municipaux, le en géographie), avec la participation de Samuel Périgois (docteur en festival reste identifi é à la ville siège. Le cœur de l’identité d’un géographie, Grenoble) et d’Annie Marderos (consultante spécialiste festival reste porté par une municipalité, fut-elle de toute pe- des musées et du patrimoine, Lyon) en tant que chargés d’étude. tite taille, comme Prades (Festival Pau Casals) ou Marciac. Ce qui n’empêche pas des festivals multisites d’exister dans des ré- Initié en 1985 par le ministère de la Culture et de la Communication gions comme la Haute-Normandie (Automne en Normandie) dans un contexte de renouvellement des politiques patrimoniales, le label « Villes et Pays d’art et d’histoire » correspond à une politique ou le Festival d’Ile-de-France. de valorisation et d’animation du patrimoine menée en partenariat avec les collectivités territoriales. Sur l’ensemble du territoire national, Les départements ont une vocation déjà ancienne de soutien environ 130 villes et pays ont obtenu le label VPAH depuis plus de fi nancier des festivals et l’apport des régions suit la même évo- 20 ans. En région Rhône-Alpes, 11 sites bénéfi cient désormais du lution avec un décalage dans le temps. Chacun essaye, avec label. Ils constituent un réseau dynamique qui s’est développé et se plus ou moins de résultat, de recentrer ses interventions par développe encore qualitativement et quantitativement. Ce réseau est le recours au conventionnement pluriannuel. Les auteurs af- animé par la Direction régionale des affaires culturelles de Rhône- fi rment que le retrait de l’État est plus un sentiment répandu Alpes qui fait partie des DRAC les plus investies sur ce dispositif. dans les cercles professionnels qu’une réalité budgétaire. De fait, le ministère de la Culture, suivant en cela la Directive Na- En 2007, à l’initiative de la DRAC Rhône-Alpes et avec l’aide de la Direction de l’architecture et du patrimoine (DAPA), une étude a été tionale d’Orientation qu’il s’est lui-même donnée, concentre confi ée à l’Observatoire des politiques culturelles, qui s’est rapproché ses aides sur un nombre restreint de festivals à forte visibilité du laboratoire PACTE (Université de Grenoble-CNRS) pour la mettre en médiatique. œuvre. L’objectif était de dresser un état des lieux de cette politique au niveau régional et de dégager des perspectives pour les années à venir. La deuxième partie de cette étude est consacrée à l’économie de cet échantillon de festivals. La conclusion de l’ouvrage (pour L’étude s’est attachée à développer quatre grandes problématiques : les lecteurs qui manqueraient de temps ou que les graphiques la première concerne le label en tant que plan d’action partenarial, un peu ternes rebuteraient) synthétise parfaitement cette cou- commun à l’État et aux collectivités territoriales. En second lieu, l’étude pe au scanner. Tout y passe : la répartition des dépenses et des interroge les logiques symboliques du patrimoine, les représentations ressources, la question de la tarifi cation et de la gratuité, l’em- et attentes des acteurs vis-à-vis du label et la façon dont ces éléments ploi, les effets économiques induits. Plusieurs témoignages de sont révélateurs de leurs motivations et des choix opérationnels qu’ils effectuent. Le troisième axe d’analyse porte sur la nature des objets responsables de festivals viennent à point nommé donner chair mobilisés et leur élargissement ; sont ainsi mobilisés aujourd’hui non aux analyses chiffrées. Peut-on retirer de ce travail scientifi - seulement le patrimoine bâti, mais aussi le patrimoine industriel, que, mené avec rigueur par deux chercheurs du CNRS, une celui du XXe siècle, la mémoire des habitants, les savoir-faire… réfl exion de « politique culturelle » à propos des festivals ? Pas Enfi n, l’analyse s’est également centrée sur le système d’acteurs vraiment. La tentative de classement des festivals de l’échan- impliqués, leurs partenariats et les formes de gouvernance du label. tillon, dressé à la fi n de l’ouvrage, n’est pas très convaincante. Ce n’était pas, certes, le cahier des charges de cette étude. Mais Au-delà des résultats, cette étude nourrit une réfl exion sur les stratégies on regrette qu’une postface n’ait pas été écrite pour donner de « territorialisation » du patrimoine et de « patrimonialisation » quelques perspectives au débat qui se poursuit sur le rôle artis- du territoire. Elle dégage des perspectives pour les années à tique des festivals. venir et propose des pistes de réfl exion pour réformer un label reconnu par tous comme un outil pertinent et un gage de qualité pour la construction partagée de politiques patrimoniales. Bernard Faivre d’Arcier Ancien directeur du Festival d’Avignon Le rapport d’étude et sa synthèse sont en ligne sur les sites Internet de la DRAC Rhône-Alpes et de l’Observatoire des politiques culturelles. Ils peuvent également être commandés sous format papier à l’Observatoire des politiques culturelles.

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec92sec92 228/04/088/04/08 14:22:5914:22:59 INTERNET, RÉVOLUTION ÉCONOMIQUE, POLITIQUE ET CULTURELLE BRÈVES Internet, un séisme dans la culture ? Marc Le Glatin, Paris, TOUS LES VOYAGES… Éditions de l’Attribut, 2007, 167 p., ISBN : 2-916002-06-4, 13 €

Atelier d’écriture n°9, Reims, Bibliothèque municipale, Maison de Le premier fait mis en lumière par le livre de Marc quartier du Chemin Vert, 2007, 192 p., ISBN : 978-2-901816-29-4 Le Glatin est le caractère massif, irréversible et rapide de l’adhésion du public aux nouveaux Cet ouvrage regroupe des textes qui ont été écrits dans le cadre d’un moyens de communication. En outre, le caractère atelier d’écriture conduit par l’écrivain Gisèle Bienne à la bibliothèque participatif, collaboratif, ouvert et propice municipale du Chemin Vert à Reims, entre janvier et avril 2007. Qu’il s’agisse de textes en prose ou en vers, de récits ou d’exercices d’Internet à la constitution de réseaux sociaux imposés, tous nous parlent de voyages, de cet état où l’on sort de se confi rme chaque jour. C’est principalement soi-même, de ces bouts du monde où l’on se met à rêver, à imaginer, l’utilisateur qui fait et qui « est » le contenu. à s’aventurer, à se laisser emporter, que l’on soit chez soi ou à des milliers de kilomètres. Cet ouvrage vient compléter une collection commencée en 1999. On ne peut que féliciter cette initiative originale proposée conjointement par la ville de Reims et la Direction régionale Finalement, pour en venir au sujet principal de l’ouvrage, des Affaires culturelles de Champagne-Ardenne. les pratiques de téléchargement, le plus souvent illégales, se multiplient et se banalisent. La bande passante d’Internet est consommée à 80 % par les réseaux de P2P, c’est-à-dire les réseaux de communication pair-à-pair où s’échangent les fi - chiers de façon décentralisée. Les techniques de compression se perfectionnent, les capacités de stockage augmentent, la bande passante s’élargit et de nouvelles classes d’âge « nées avec Internet » ne vont pas manquer de se présenter...

Le Glatin (à qui l’on pourrait reprocher de ne quasiment ja- mais citer ses sources intellectuelles) rappelle que les nouvelles technologies remettent en question le rapport « classique » en- tre le créateur et le consommateur d’art. Comme les informa- ticiens, adeptes de la programmation libre, qui recombinent et améliorent des modules logiciels puisés un peu partout en ligne, les artistes de toutes disciplines pratiquent l’échantillon- nage, l’emprunt et le mélange. Les mutations esthétiques sont largement supportées par la structure non centralisée, « tous vers tous » du réseau. Elles s’appuient également sur la dispo- nibilité d’outils personnels de création numérique à bas prix de qualité professionnelle.

Les éditeurs, critiques, conservateurs et autres intermédiai- res du monde de la culture sont court-circuités en ligne par des relations auto-organisées entre critiques amateurs ou par des relations directes avec les auteurs. Vu la multiplication du nombre des acteurs participatifs et les pratiques créatives d’échantillonnage, de mixage et de réemploi ; compte tenu du caractère décentralisé et ouvert du médium ; étant donné la tombée des barrières économiques à la création et à la diffu- sion, l’auteur considère – à juste titre – qu’Internet constitue plutôt « une chance pour la diversité culturelle ».

Pierre Lévy (suite p. 94)

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec93sec93 228/04/088/04/08 14:22:5914:22:59 À la suite des réunions du GATT, puis de l’OMC dans les années 80 et 90, à l’occasion desquelles la francophonie a fait à signaler valoir la notion « d’exception culturelle » aux règles du libre échange, une convention internationale centrée sur la notion Jack Lang. Une vie entre culture et politique, de « diversité culturelle », entendue comme bien commun Laurent Martin, Paris, Éditions Complexe, 2008, 419 p., de l’humanité, fut signée en 2005 à l’Unesco. Néanmoins, ISBN : 978-2-8048-0135-9, 23 € avec l’accélération du téléchargement sans frontières, les po- litiques de quotas perdent progressivement leur sens. Quant Cet ouvrage fera l’objet d’une contribution de Philippe à la propriété intellectuelle, elle est remise en question dans Poirrier, dans le prochain numéro de L’Observatoire. les faits : dès qu’elles sont numérisées, les œuvres ne sont plus Art, culture et éducation au cœur d’une passion, des biens rares puisque leur reproduction n’a quasiment plus Jean-Gabriel Carasso, Entretien avec Emile Lansman, de coût. Mais alors, comment rétribuer les auteurs ? Le Glatin Carnières Morlanwelz (Belgique), Éditions Lansman, énumère trois positions possible avant d’énoncer la sienne : 2008, 62 p., ISBN : 978-2-87282-632-2, 9 € 1) la criminalisation des internautes – mais il y en a trop, 2) Un ouvrage en forme d’entretien portant sur des logiciels interdisant la libre copie – mais les programmes le parcours riche et diversifi é de Jean-Gabriel sont rapidement décodés, 3) le téléchargement gratuit avec Carasso, comédien, metteur en scène, formateur, fi nancement publicitaire – mais personne n’aime la pub. La enseignant – entre autres métiers exercés quatrième solution serait la bonne : une « licence globale », en 40 ans – et militant de l’éducation artistique ! c’est-à-dire un « forfait sur les abonnements à Internet en compensation du droit au téléchargement et à la mise à dispo- AGORA Débats/ jeunesse, Technologie sition illimitée d’œuvres protégées ». La taxe devrait-elle être de l’information et de la communication, perçue sur les ordinateurs, les lecteurs MP3, les téléphones n°46, Paris, L’Harmattan, 4e trimestre 2007, 355 p., portables...? Quels seraient les principes de redistribution des ISBN : 978-2-296-05041-9, 13 € fonds prélevés ? Et fi nalement, qui doit redistribuer et selon La revue de l’INJEP propose régulièrement de très quels critères ? La réponse de Le Glatin invoque une « ins- intéressants dossiers sur les questions de jeunesse tance de concertation », qui devrait s’appuyer sur des accords et de société. Cette livraison traite des technologies multilatéraux entre États dans le cadre de l’ONU. de l’information et de la communication comme outils de construction de soi et d’autonomie. Après plusieurs pages lyriques sur la « mutation anthropologi- Le cinéma dans la décentralisation, synthèse que » et l’éclatement probable des superstructures politiques, de la rencontre professionnelle organisée par Le Glatin ne propose pas davantage que « l’alliance des inter- Centre Images, 6 décembre 2007, 25 p. nautes avec les États de droit ». L’auteur va jusqu’à dire (p.78) que l’État constituerait une « transcendance hors des rapports Ce livret présente les débats de la table ronde nationale de domination » et qu’à ce titre, la puissance publique devrait organisée sur la place du cinéma et de l’audiovisuel dans les politiques culturelles territoriales à l’occasion contrôler les processus de destruction créative de la diversifi - du 16e festival du fi lm de Vendôme. cation culturelle. Mais, au fait, qui criminalise les internautes ? Site : www.centreimages.fr Qui tente d’imposer des censures politiques sur le Net ? On ne peut attendre d’un groupement de pouvoirs territoriaux Les métropoles françaises au tournant des politiques qu’ils innovent dans la création d’un espace sémantique in- culturelles. La culture au cœur de l’action des fi ni, accueillant la mémoire commune de l’humanité dans son grandes villes, Actes du colloque de l’Association des évolution vers la complexifi cation et la diversifi cation. Pour Maires des Grandes Villes de France, 16 octobre 2007, ma part, j’aurais tendance à invoquer, plutôt que l’État (cette Cité nationale de l’architecture et du patrimoine création du néolithique), l’effet de collectifs intelligents déter- www.grandesvilles.org/spip.php?article1010 ritorialisés, quelque chose comme une société civile planétaire explorant – en le produisant – l’univers des signes humains. Culture et recherche, n°114-115, Paris, Mission Recherche et Technologie du ministère de la Culture, hiver 2007-2008, 72 p., ISSN : 0765-5991

Prof. Pierre Lévy La revue de la mission Recherche et Technologie Chaire de Recherche du Canada en Intelligence collective, du ministère de la Culture propose un numéro Université d’Ottawa exceptionnel avec 40 contributions sur la diversité culturelle et le dialogue interculturel. www. culture.gouv.fr/culture/editions/r-cr.htm

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec94sec94 228/04/088/04/08 14:23:0014:23:00 EXPOSER L’AILLEURS, REFLET DE NOS REPRÉSENTATIONS DU MONDE vient de paraître Le goût des autres : de l’exposition coloniale aux arts premiers, Benoît de l’Estoile, Flammarion, Paris, 2007, 454 p., 28 € CULTURE ET SOCIÉTÉ UN LIEN À RECOMPOSER Il aura fallu dix ans de gestation pour que soit ouvert au public, selon le vœu du président Chirac, un nouveau Sous la direction de Jean-Pierre Saez Avec les contributions d’Edgar Morin, Alain Touraine, Michel musée réunissant les collections de deux grandes Wieviorka, Bernard Stiegler, Jean Viard, Françoise Benhamou, Serge institutions parisiennes, le Musée de l’Homme, créé en Regourd, Bernard Maarek, Xavier Dupuis, Emmanuel Négrier, Philippe Teillet, Jean-Paul Bozonnet, Olivier Donnat, Abraham 1937 sur les vestiges de l’ancien musée d’ethnographie Bengio, Jean-Marie Pontier, René Rizzardo et Jean-Pierre Saez. du Trocadéro, et le musée des Arts d’Afrique et d’Océanie, héritier du musée de la France d’Outre-mer Dans le prolongement du cycle de conférences qui s’est tenu en installé au lendemain de l’Exposition coloniale de 1931. 2007 à Nantes, les éditions de l’Attribut publient, en partenariat avec le Conseil général de Loire-Atlantique et l’Observatoire des politiques culturelles, un ouvrage qui reprend les interventions des 17 philosophes, sociologues, économistes, juristes, La première étape, au printemps 2000, a été d’ouvrir une ga- politologues qui ont participé à ce cycle de rencontres... lerie permanente des « arts premiers » au Louvre, présentant Quelle est la place de la culture dans la vie sociale aujourd’hui ? De 140 objets phares des civilisations d’Afrique, d’Océanie et des quelle manière la diversité culturelle s’inscrit dans la sphère intime Amériques, choisis pour leurs qualités essentiellement esthéti- et l’espace public, du local à l’international ? À quelles résistances ques par le collectionneur marchand Jacques Kerchache, insti- est-elle opposée ? Comment les pratiques culturelles évoluent-elles gateur du projet. La seconde fut celle de la construction d’un et comment comprendre les changements dont elles témoignent ? bâtiment aux formes audacieuses, œuvre de Jean Nouvel, sur les Comment les politiques culturelles les ont-elles accompagnées rives de la Seine, quai Branly, pour abriter l’ensemble des col- des années 1960 à aujourd’hui, de l’échelle nationale à l’échelle territoriale ? Quel rôle jouent les industries culturelles face à ces lections et toutes les fonctions d’un musée moderne… Depuis enjeux ? En quoi la culture peut-elle contribuer à renforcer le lien son ouverture en mai 2006, le nouvel établissement a connu un social ? Comment en défi nitive articuler enjeux culturels, enjeux de réel succès auprès du grand public mais, dans le même temps, a société et politiques publiques aujourd’hui ? C’est à ces différentes suscité l’insatisfaction, voire l’indignation d’un certain nombre questions que tentent de répondre les auteurs de cet ouvrage. d’intellectuels, de professionnels de musées et d’anthropolo- gues, qui contestent à juste titre la faiblesse du concept initial POUR COMMANDER CE LIVRE : (les arts premiers ne sont pas une catégorie reconnue par les ÉDITIONS DE L’ATTRIBUT anthropologues ni par les historiens de l’art !), lequel fausse le (HTTP://WWW.EDITIONS-ATTRIBUT.FR ) contenu et la forme des nouvelles prestations, singulièrement des expositions permanentes. C’est souvent de l’étranger qu’ont fusé les critiques les plus virulentes, facilitées par l’objectivité distanciée. On retiendra notamment celle de l’anthropologue américaine Sally Price1...

« Quel sens un musée des Autres revêt-il dans un monde postcolonial où se redéfi nissent les frontières entre Nous et les Autres ? » Telle est la question posée dans l’ouvrage de Benoît de l’Estoile, anthropologue ayant fait son terrain au Brésil, enseignant à l’École normale supérieure et chercheur associé au CNRS. Il s’agit, selon le projet de l’auteur, « d’une anthropologie réfl exive » qui montre que le musée du quai Branly est, à son insu, le digne héritier des modes de repré- sentation de l’altérité forgés à l’époque coloniale.

La première partie de l’ouvrage, intitulée « De l’Exposition coloniale au Musée de l’Homme » rappelle que le goût des

Etienne Féau (suite p. 96)

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec95sec95 228/04/088/04/08 14:23:0014:23:00 autres a pris corps en France dans l’entre-deux-guerres, sous meilleur à l’époque, à savoir Paul Rivet, Georges-Henri Ri- la double forme d’une passion nouvelle pour l’« Art Nègre » vière ou Marcel Griaule, tandis que le second a été rêvé par et du passage de l’ethnographie à l’ethnologie. Tandis que des marchands et construit par des énarques dont les préju- l’Exposition coloniale de 1931 célébrait la variété des civili- gés n’ont pas évolué, scientifi ques et conservateurs compé- sations de l’Empire en même temps que leur potentiel éco- tents sur le sujet n’ayant joué qu’un rôle secondaire. Benoît nomique, le Musée de l’Homme servait la cause coloniale de l’Estoile aurait pu également creuser davantage le point en envoyant ses ethnologues aux quatre coins de la planète de vue des représentants patentés des cultures concernées et pour réaliser l’inventaire des productions humaines et rap- suggérer que l’avenir de ce musée, qui prône le « dialogue porter de riches collections, à l’instar de la mission Dakar- des cultures », devra passer à court ou moyen terme par un Djibouti menée par Marcel Griaule et Michel Leiris. partenariat véritable avec les musées du Sud, fondé sur la réciprocité des regards croisés. Dans la seconde partie intitulée « les Musées des Autres, en- tre mythes et histoire », Benoît de l’Estoile montre comment Citons ce vœu pieux de Benoît de l’Estoile : « Au total, ni cette évolution s’inscrit dans un cadre plus général, inter- l’architecture du bâtiment, ni les choix muséographiques rogeant la catégorie même de musée des Autres dans son ne suffi sent à défi nir le sens que prendra le musée : ce sont histoire et en comparant les expériences dans les différents les divers usages auxquels il donnera lieu, ceux initiés par pays d’Europe et des Amériques. « Que signifi e la distinction ses responsables, mais aussi et surtout par ses visiteurs, ses entre Nous et les Autres dans le monde où nous vivons ? usagers, qui construiront un sens peut-être éloigné de celui Quel sens prend la proposition d’un voyage de découver- imaginé par ses concepteurs. » tes des Autres quand la présence de populations originaires des autres continents brouille la frontière entre Nous et les Etienne Féau Autres ? » Conservateur en chef du patrimoine, Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France, ministère Cet ouvrage, très agréable à lire, offre un ensemble effi cace de la Culture et de la Communication de rappels historiques et de réfl exions très actuelles. Une seule critique, infi me ! Benoît de l’Estoile compare la créa- tion du musée du quai Branly à celle du Musée de l’Homme, ce qui paraît exagéré : le premier a été imaginé et créé par des hommes d’une envergure intellectuelle d’exception, représentants de ce que la science française a produit de

Exposer l’ailleurs, refl et de nos représentations du monde NOTES

1– Sally Price, Paris Primitive, ’s museum on the quai Branly, Chicago University Press, 2007.

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec96sec96 228/04/088/04/08 14:23:0214:23:02 NO 33 MAI 2008

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec97sec97 228/04/088/04/08 14:23:0214:23:02 SYNTHÈSES D’ÉTUDES

Les départements et l’éducation artistique : un partenariat en émergence Marie-Christine Bordeaux les dispositifs dits « d’excellence » (ateliers de pratiques artis- Cette étude sur les actions d’éducation tiques, options en lycées, classes culturelles) montrent leurs artistique et culturelle à l’échelle d’un limites en matière de développement quantitatif des prati- ques artistiques en partenariat dans le cadre scolaire. L’enjeu département résulte d’une commande de de l’éducation artistique et culturelle devient alors territorial l’ADMS (Association Danse et Musique à trois égards. D’abord, par la création d’un cadre d’action en Savoie), avec le soutien de la Direction qui prend en compte, tout en le dépassant, le partenariat interindividuel entre enseignant, groupe-classe et artiste in- régionale des affaires culturelles et du tervenant : c’est au niveau des établissements scolaires, voire Conseil général de la Savoie. Elle a été du groupement d’établissements, et au niveau des structures réalisée au cours de l’année 2006-2007 culturelles qu’est recherchée la cohérence du partenariat. Il ne s’agit pas, bien sûr, de se substituer au partenariat de et fi nalisée en novembre 2007. réalisation, qui s’établit entre les acteurs directs des projets, mais de construire un partenariat plus large, le partenariat La Savoie a longtemps été un département précurseur en d’organisation, qui s’établit entre les structures4. On répond matière de construction du partenariat entre État et col- alors à une question nouvelle : comment attirer dans des lectivité pour le développement culturel, ainsi que pour démarches partenariales des enseignants a priori hésitants l’éducation artistique et culturelle : ce département fi gurait ou peu motivés, afi n qu’un nombre plus important d’élèves déjà en bonne place parmi les quelques expériences dépar- d’une zone géographique bénéfi cie de la présence d’artistes tementales qui ont servi de référence pour la construction et de professionnels de la culture ? Deuxièmement, par la interministérielle des sites expérimentaux dimension de la coopération entre collectivités publiques : d’éducation artistique (1993-1997)1, puis Le cas de la Savoie illustre le territoire de l’éducation artistique, c’est le temps de vie pour les Chartes départementales de déve- de l’enfant, qu’il soit en situation scolaire ou en situation de bien comment l’intervention loppement de la pratique vocale et chorale loisir : le rôle des politiques en faveur de la jeunesse et de de la collectivité, pour (2002)2. L’étude retrace cette histoire, et l’animation est à cet égard déterminant. Enfi n, en troisième peu qu’elle ne soit pas propose une analyse rétrospective de dix point, le pilotage départemental a pour but d’établir un large années de partenariat entre État et collec- diagnostic sur les ressources et leur partage entre des zones sollicitée pour compléter tivité territoriale (1996-2006) ; elle défi - géographiques inégalement pourvues : ce pilotage a tout à fi nancièrement des dispositifs nit également des préconisations pour la gagner à la présence active des conseils généraux. pensés au niveau des poursuite et le développement des actions. administrations centrales, est Elle est menée au moment où l’ADMS Dans ce contexte national, la Savoie développe des dé- réalise par ailleurs l’état des lieux des en- marches singulières. La première est un copilotage entre une garantie de continuité. seignements artistiques et coordonne la trois administrations d’État (Éducation, Culture, Jeunesse défi nition des principes d’orientation du et sports) et trois directions au sein du Conseil général schéma départemental de ces enseignements : cet élément (Culture, Éducation et Jeunesse). Le point de départ de de contexte est fondamental, car les préconisations qui en l’implication du département n’est donc pas exclusive- résultent en matière de fonctions culturelles des écoles de ment, comme on peut l’observer dans d’autres cas, une po- musique concernent de près les nouvelles perspectives qui litique centrée sur les collèges, mais l’accompagnement et se dessinent à l’avenir pour les projets en milieu scolaire et le développement des dynamiques locales. Le rôle joué par hors temps scolaire. un opérateur tiers, l’ADMS, permet de maintenir, avec cer- tes des rééquilibrages réguliers, un système de type « pla- L’étude s’inscrit dans une continuité de travail au sein de te-forme » plutôt que de type « chef de fi le » comme c’est l’Observatoire sur la dimension territoriale de l’éducation généralement le cas avec les communes, et dans certains artistique et culturelle3 et sur l’investissement des collec- départements. On voit donc apparaître une nouvelle struc- tivités territoriales dans ce secteur. Le cas de la Savoie est turation du partenariat pour l’éducation artistique : non exemplaire pour illustrer le « second âge » de l’éducation plus binaire, mettant en prise deux départements ministé- artistique, qui intervient dans les années 90 au moment où riels (Éducation et Culture), mais ternaire, associant État,

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec98sec98 228/04/088/04/08 14:23:0214:23:02 collectivité et opérateur culturel. À l’heure où de nombreu- culturelle. L’ouverture est apportée aussi par les rencontres ses ADDM5 ont disparu en tant que structures distinctes avec la petite enfance, le secteur du handicap, la dimension des services du département, il est important de mettre en intergénérationnelle. valeur les bénéfi ces d’une délégation de service public à un opérateur culturel. L’opération qui cristallise les énergies et les « arts de faire », au terme de trois chartes successives pour le développement La deuxième singularité est relative à la durée du partena- de l’expression artistique de l’enfant et de l’adolescent6, riat. Le cas de la Savoie illustre bien comment l’interven- s’intitule Les arts et les autres. 65 projets artistiques et cultu- tion de la collectivité, pour peu qu’elle ne soit pas sollicitée rels, concernant 44 communes et 10 intercommunalités, pour compléter fi nancièrement des dispositifs pensés au ont mobilisé 76 établissements scolaires et 12 associations niveau des administrations centrales, est une garantie de du secteur jeunesse au cours de l’année 2003-2004. 100 continuité. Il ne s’agit pas de pérennité des dispositifs, car représentations publiques au total, réparties sur 21 scènes les actions menées en Savoie ne relèvent pas de l’applica- départementales. Au-delà de la réussite spectaculaire de tion de dispositifs, mais bien de continuité de l’action pu- productions mettant en scène les pratiques artistiques des blique, fondée sur une communauté de références entre enfants et des jeunes, cette opération est l’occasion de po- partenaires de nature différente. ser des questions fondamentales pour l’éducation artistique et culturelle. Comment attirer de nouveaux participants, La troisième singularité tient à une particularité locale : le qui seraient hésitants ou réticents, en leur proposant un Conseil général de la Savoie s’est doté de la compétence « cadre facilitateur »7, et non une confi guration de projet jeunesse, ce qui lui permet d’élargir son intervention au- requérant une grande implication personnelle ? Quel est delà des collèges et du temps scolaire. D’autre part, le sché- le sens de la dimension expérimentale des projets : expé- ma départemental des enseignements artistiques met en rimentation en vue d’une généralisation, ou expérimenta- avant le rôle de ressource culturelle que devront jouer les tion en vue de l’innovation et du changement sur des su- écoles de musique dans l’avenir. L’éducation artistique et jets ciblés ? De quel type de démocratisation culturelle les culturelle s’inscrit donc dans une politique centrée autour projets sont-ils porteurs : éducation du public de demain, de bassins de vie, progressivement organisés en conseils accès aux pratiques, accès aux œuvres et aux lieux ? Quel culturels de territoires et dans lesquels les écoles de musi- est le sens de la présentation en public des travaux réalisés que sont appelées à jouer un rôle nouveau. par les enfants ? Ces questions restent vives en Savoie, de même qu’elles le sont encore au niveau national. L’affi r- Dernière singularité : la transversalité entre les arts, entre mation d’une politique qui prend en compte et valorise les âges de la vie et entre les mondes sociaux. La plupart l’« enfant créateur » fait l’objet, dans l’étude, d’une analyse des projets se déroulent en milieu scolaire, mais certains critique ; elle a néanmoins le mérite de poser, en des ter- mettent en relation des enfants ordinaires et des enfants mes non plus exogènes (l’éducation artistique au service handicapés, des primaires et des collèges, des enfants et d’objectifs purement scolaires ou comportementaux), mais les habitants d’une maison de retraite. Les porteurs de endogènes (l’éducation artistique comme une fi n en soi, projets sont aussi incités à mêler approches picturales et comme un des chemins vers une implication dans des pra- approches chorégraphiques, musique et théâtre, danse et tiques artistiques), les fi nalités de l’art à l’école. patrimoine. Cette transversalité de domaines est destinée à encourager l’esprit de projet, à ne pas fi ger les actions dans L’étude aborde enfi n les problèmes spécifi ques induits par des dispositifs et à développer une plus grande ouverture l’éducation artistique en matière d’emploi culturel. En Sa-

NOTES 1– Ces sites expérimentaux ont été lancés à l’initiative des ministères de la Culture, de l’Édu- J-Gabriel, Cettolo Hélène, Lefebvre Alain, Mise en réseau des ressources culturelles de la commu- cation nationale, de la Jeunesse et des sports, et de l’Enseignement supérieur. Ils avaient une nauté d’agglomération de Castres Mazamet, 2000, Observatoire des politiques culturelles. vocation départementale et ont été parfois animés, sur le plan institutionnel, par la préfecture 4– Cette distinction est adaptée de celle proposée par Françoise Buffet (Buffet F. (dir.), 1998, de département. Bien avant le plan Lang - Tasca lancé conjointement en décembre 2000, Entre école et musée : Le partenariat culturel d’éducation, Lyon : Presses universitaires de Lyon), et l’invention des classes à PAC (projet artistique et culturel), ces sites tentent, dès 1993, et approfondie dans l’étude précitée sur les parcours culturels de la ville d’Annecy. Dans cette de mettre en cohérence formation, projets, ressources territoriales, et sont le creuset d’un conception, le partenariat est distingué à trois niveaux : le partenariat interindividuel (réali- nouveau format pour les projets des groupes-classes : le « parcours culturel », qui préfi gure sation) ; le partenariat entre structures (organisation) ; le partenariat instituant entre collec- la classe à PAC. tivités publiques (impulsion). 2– Circulaire conjointe n°2002-139 du 14 juin 2002. 5– Associations départementales pour le développement de la musique. 3– Citons notamment : Bordeaux Marie-Christine (dir.), Bando Cécile, Bouillon Marine, L’in- 6– Chartes signées par l’État, le Département et l’ADMS en 1993-1995, 1996-1998, vention d’un cadre local de coopération pour l’éducation artistique et culturelle : Évaluation des par- 2002-2005. cours culturels de la Ville d’Annecy, novembre 2005, Observatoire des politiques culturelles / ville 7– Expression employée dans le rapport d’inspection L’éducation aux arts et à la culture de d’Annecy, 140 p. ; Bordeaux Marie-Christine, « Éducation artistique et territoire : Synthèse de janvier 2003 (Anne Chiffert et Marie-Madeleine Krynen pour le ministère de la Culture, l’Université d’été de Chambéry », L’Observatoire [23], hiver 2002-2003, p. 13-16 ; Carasso Christine Juppé-Leblond et Gérard Lesage pour le ministère de l’Éducation nationale).

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec99sec99 228/04/088/04/08 14:23:0214:23:02 SYNTHÈSES D’ÉTUDES

voie comme ailleurs, les artistes sont de plus en plus sol- tants équipements culturels, de grande qualité, et une licités pour des projets dont la durée d’intervention et les réelle diffi culté pour les compagnies indépendantes à fi nancements se réduisent au fi l des années. Cela crée une résider dans le département. L’emploi culturel est donc situation paradoxale, entre augmentation de la demande une des données importantes à prendre en compte pour et émiettement des moyens alloués à chaque projet. Cet- le développement de l’éducation artistique et culturelle. te situation résulte assez naturellement de politiques qui, L’étude, à cet égard, préconise de défi nir les conditions sur le plan national aussi bien que local, conduisent à d’un missionnement d’équipes artistiques, à la fois rési- une multiplication quantitative de projets. La tendance dant dans le département et extérieures au département. générale est au rétrécissement des heures d’intervention Ce missionnement pose aussi la question d’une politique par classe, le modèle des ateliers de pratique et des clas- de soutien à la création, qui est la base même du dévelop- ses culturelles ne pouvant être généralisé. La dynamique pement des pratiques artistiques et culturelles à l’école et de partenariat en Savoie ne peut plus faire l’économie en dehors de l’école. d’une réfl exion de fond sur les conditions d’emploi des artistes, qui ne peuvent être régies par une perspective Marie-Christine Bordeaux Maître de conférences en sciences de la communication, additionnelle d’heures effectuées çà et là. Comme l’étude Université Stendhal Grenoble 3, chercheure au GRESEC le relève, la Savoie souffre d’un décalage entre d’impor-

Le soutien des régions au spectacle vivant Cécile Martin, Jean-Pierre Saez

Les régions ont progressivement développé Pour affronter ces différentes problématiques, un renfor- leurs interventions dans le champ culturel cement du besoin de coopération entre collectivités pu- bliques s’est fait sentir, et les régions se sont trouvées au en cherchant le plus souvent à les articuler cœur de ce questionnement. En effet, la recomposition autour de leurs compétences de base : la du paysage territorial engagé depuis deux décennies et formation, l’aménagement du territoire et les incertitudes actuelles sur le repositionnement de l’État dans le domaine culturel, accentuent la nécessité pour le développement économique. Avançant les régions de prendre une part plus active dans les poli- à des rythmes différents, elles se dotent tiques culturelles. Dans ce contexte, nombre de régions progressivement de politiques culturelles s’interrogent sur l’évolution de la structuration de leurs politiques culturelles, avec le sentiment d’avoir atteint régionales, de stratégies territoriales et de leurs limites en matière de fi nancement, en l’état actuel programmes de soutien à la création et à de leurs ressources, de leurs obligations et de la fi scalité la diffusion artistique dans le domaine des locale (même s’il faut préciser que la contribution des ré- gions à la culture présente des situations contrastées à arts vivants notamment. l’échelle nationale). Par ailleurs, l’ouverture de la crise du régime d’assurance- chômage des intermittents du spectacle et de l’audiovi- UNE MISSION DE REPÉRAGE suel (2003) a constitué un élément déclencheur à partir POUR UNE RÉFLEXION PARTAGÉE duquel les régions ont essayé de repenser leurs politiques À L’ÉCHELLE RÉGIONALE en faveur du spectacle vivant, lesquelles mobilisent dé- sormais bien souvent plus de 50 % de leur budget consa- Si l’on perçoit globalement l’importance et la diversité cré à la culture. des interventions régionales dans le domaine culturel, il n’existe pas aujourd’hui d’état des lieux des modalités Ces dernières années, la plupart des régions ont ainsi voulu d’intervention et d’accompagnement de la vie artistique donner une priorité fi nancière et symbolique au spectacle engagées par ces collectivités. Ce constat a déterminé vivant dans leur politique culturelle, tout en cherchant à l’établissement public de coopération culturelle AR- aborder le sujet de la manière la moins confl ictuelle possi- CADI (Action régionale pour la création artistique et la ble et en ayant également pour préoccupation d’intervenir diffusion en Ile-de-France) à prendre l’initiative d’une de manière soutenable. démarche de repérage sur les politiques de soutien des

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec100sec100 228/04/088/04/08 14:23:0214:23:02 régions au domaine du spectacle vivant. Il en a confi é la de cohérence dans l’action de leurs différentes structures réalisation à l’Observatoire des politiques culturelles1 qui au regard de l’évolution de l’environnement artistique et s’est rapproché de la commission culture de l’Association culturel mais également institutionnel. Les régions doi- des régions de France (ARF), afi n de mettre en place une vent-elles soutenir le fonctionnement de structures régio- démarche partagée. nales et jusqu’à quels niveaux ? Doivent-elles privilégier une politique de soutien direct au projet culturel ? Peu- L’objectif de cette enquête, qui s’est déroulée sur l’année vent-elles concilier ces deux logiques ? 2007, consistait à dresser un état des lieux descriptif des politiques menées par les conseils régionaux en faveur Par ailleurs, la mise en place de différents types de concer- du spectacle vivant, afi n d’établir un outil de travail pour tations avec les acteurs culturels a constitué un point d’ap- faciliter la circulation de l’information entre les services pui pour la redéfi nition des politiques culturelles de plus et les responsables politiques des régions et alimenter la d’une région sur deux, ce qui montre bien l’esprit pros- réfl exion des différents acteurs et partenaires de ces po- pectif dans lequel ces collectivités se sont engagées dans ce litiques publiques. Ce repérage n’avait pas pour vocation domaine. Ces travaux ont également joué un rôle impor- d’établir des données comparatives, mais plutôt d’identi- tant pour aider les services régionaux et les professionnels fi er les grandes tendances, les similitudes et les spécifi ci- du secteur à affronter la complexité des questions posées tés dans les modes d’intervention des régions. Il s’agissait et, pour ces derniers, à mieux se structurer de rassembler des informations disponibles auprès des en interlocuteurs collectifs. Parallèlement, Ces dernières années, la services régionaux sur quelques thématiques jugées prio- l’attitude des acteurs culturels à l’égard des ritaires, afi n de constituer une base de référence pour la collectivités territoriales et en particulier des plupart des régions ont poursuite éventuelle d’études plus approfondies. régions, a considérablement évolué en quel- voulu donner une priorité ques années. Le discours sur l’État impartial, fi nancière et symbolique au garant de la liberté de création et de l’équité spectacle vivant dans leur DES POLITIQUES RÉGIONALES territoriale, est peut-être en train d’être sup- TRANSVERSALES ET INNOVANTES planté par un discours d’attente, d’exigence politique culturelle, tout et d’espoir vis-à-vis des régions. Longtemps en cherchant à aborder le L’Observatoire des politiques culturelles s’est investi dans nostalgiques de l’époque où l’État était l’in- sujet de la manière la moins ce travail car il vient alimenter, de façon très utile, des tra- terlocuteur principal qui donnait le ton des confl ictuelle possible et vaux antérieurs2 et des réfl exions à venir (démarches enga- politiques culturelles (ce qui avait souvent gées par certaines fédérations de collectivités territoriales pour corollaire une méfi ance vis-à-vis des en ayant également pour dont l’ARF, Entretiens de Valois mis en place par l’État en collectivités territoriales avec une mise en préoccupation d’intervenir de ce début d’année 2008…). doute de l’impartialité de leurs responsa- manière soutenable. bles), les acteurs professionnels ont décou- Nous retiendrons ici quelques thématiques qui sont au vert le niveau de collectivité « régional » et cœur des interrogations régionales, tout en soulignant le la manière de travailler avec les services correspondants caractère bien souvent innovant des politiques mises en au fur et à mesure de la prise en charge par les régions œuvre par ces collectivités. de plus grandes responsabilités dans le domaine des arts vivants. On peut parler d’un processus de construction Tout d’abord, les régions s’interrogent sur la manière dont d’une culture commune des politiques culturelles, du fait elles doivent s’organiser pour renouveler leurs politi- du développement de ces responsabilités, et, surtout, du ques. L’enquête montre que la plupart d’entre elles ont fait de l’évolution des manières de travailler ensemble. développé leurs services culturels ces dernières années parallèlement à la montée en puissance de leurs budgets Les régions ont ainsi pu renforcer leur légitimité, au mais également à un besoin de professionnalisation et de point qu’elles peuvent apparaître aujourd’hui comme le compétences internes nouvelles. Cette restructuration des médiateur politique de base au niveau régional, facilitant services s’est le plus souvent accompagnée d’une réfl exion la réfl exion sur l’articulation entre les politiques locales sur les missions et l’organisation des agences régionales et prenant en charge ou animant un certain nombre de ou organismes régionaux associés, afi n d’apporter plus questions de fond qui se posent aujourd’hui au spectacle

NOTES 1– La réalisation de cette enquête a été confi ée à Pascale Chaumet en tant que chargée conseil général des Pyrénées-Atlantiques, Observatoire des politiques culturelles, 2006 ; d’étude pour l’Observatoire des politiques culturelles. Ph.Chaudoir, E.Brandl, Évaluation de la convention des scènes régionales Rhône-Alpes, Ob- 2– Citons notamment : F.Liot (dir.), La politique de soutien au spectacle vivant du servatoire des politiques culturelles, 2005.

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec101sec101 228/04/088/04/08 14:23:0314:23:03 SYNTHÈSES D’ÉTUDES

vivant : l’emploi et la formation bien entendu, mais aussi Enfi n, la plupart des régions et les agences qui leur sont la mutualisation des moyens, la mise en réseau des acteurs, attachées se posent la question de l’interrégionalité, à la problématique de la diffusion infra et extra régionale, la travers la problématique de la mobilité des équipes artis- mobilité des artistes, l’équilibre entre institutions et com- tiques. Pourtant si chacun appelle au développement de pagnies indépendantes, la vie artistique et culturelle dans l’interrégionalité dans le spectacle vivant, les institutions les territoires… régionales ont du mal à défi nir une stratégie en la matière. Des expérimentations existent dans divers domaines et Parmi les nombreuses pistes de travail ouvertes par l’en- entre différents territoires régionaux, y compris à l’échelle quête présentée ici, il est intéressant de mettre en exergue transfrontalière, et mériteraient d’être mieux connues et l’avancée des régions en matière d’évaluation et d’obser- partagées. vation culturelles. Il semble en effet que les régions sont de plus en plus nombreuses à pouvoir établir directement Derrière ces questionnements, il s’agit de comprendre ou par le biais de partenaires régionaux des stratégies en quelle pourrait être la place des régions dans une architec- la matière, et qu’elles privilégient systématiquement le ture redessinée des rôles des collectivités publiques en ma- spectacle vivant (pour avoir une vue plus nette de la si- tière de spectacle vivant. Les régions ont-elles la capacité tuation en matière d’emploi, de formations, d’irrigation de devenir chefs de fi le de ces politiques ? Le souhaitent- du territoire...). Il serait intéressant de regarder comment elles ? Ce positionnement est-il pertinent ? Le débat avorté elles diffusent et transforment ces éléments d’information sur la notion de chef de fi le laisse cependant penser que ce et d’analyse pour faire évoluer leurs politiques. Là encore, concept n’est pas consensuel pour les collectivités. Faut-il elles paraissent hésitantes à « métaboliser » cette observa- alors parler d’un rôle de coordination, de médiation ? Ce tion à la fois pour des raisons politiques et des questions rôle doit-il être défi ni par la loi ou par le contrat ? Dans ce de méthode. Les COREPS paraissent à cet égard un pre- dernier cas, comment l’inciter ? mier niveau de travail expérimental pour un certain nom- bre de régions, ce qui permet d’engager un débat à la fois Les incertitudes pesant sur les moyens affectés à la décen- relativement ouvert et maîtrisé sur les questions d’emploi tralisation rendent les collectivités territoriales (dont les et de formation dans le spectacle vivant, entre une variété régions) prudentes dans le renforcement de leur investisse- d’acteurs et de partenaires. Mais cette approche n’est pas ment notamment en faveur de la culture. Toutes ces ques- partagée par l’ensemble des régions, pour des raisons di- tions soulignent l’intérêt pour les collectivités territoriales, verses qui sont également liées à la qualité des relations de réfl échir à la mise en place d’une approche mutualisée nouées avec les services de l’État. de l’évaluation de leurs politiques culturelles.

Cécile Martin Directrice des études, OPC Jean-Pierre Saez Directeur de l’OPC

REPÉRER LES ACTEURS DU DIALOGUE INTERCULTUREL EN EUROPE : WWW.LABFORCULTURE.ORG

Réalisée à la demande du LabforCulture, par l’Observatoire des politiques culturelles et Banlieues d’Europe sous la forme d’un repérage, cette enquête nationale regroupe environ soixante-dix structures artistiques et culturelles françaises impliquées dans les échanges transfrontaliers, européens et internationaux. Cette enquête est partie intégrante d’un large panorama des acteurs artistiques et culturels à travers toute l’Europe : l’Ukraine, la Biélorussie, l’Espagne, la Pologne, la Moldavie, la Turquie, le Portugal, la Roumanie et la Bulgarie ont déjà apporté leur contribution, suivis dernièrement par les pays nordiques (Danemark, Islande, Suède, Finlande, Norvège). Plus globalement, ce repérage pourra être enrichi par d’autres rubriques qu’offre le site labforculture : chacun peut, en effet, proposer son organisme via la rubrique « Ajouter un contenu », qui viendra alimenter les ressources de cette plateforme de coopération culturelle.

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec102sec102 228/04/088/04/08 14:23:0314:23:03 PRINCIPAUX RÉSULTATS DE LA MISSION DE REPÉRAGE Pascale Chaumet

L’enquête réalisée en 2007 est basée sur des en- l’État. La crise des intermittents a en effet conduit fréquemment cités, soit comme une réalité déjà tretiens téléphoniques auprès de représentants des les régions à consentir des efforts budgétaires par- effective, soit comme une injonction forte auprès 22 conseils régionaux métropolitains, ainsi que sur ticuliers ainsi qu’à mettre en place des mesures des acteurs concernés. La mutualisation de lieux une analyse documentaire1. en faveur de la consolidation de l’emploi culturel et de matériel est en revanche très peu citée. Les ou de son observation. Toutefois, les régions ont réseaux, quant à eux, sont rarement soutenus en UNE FORTE PRISE EN COMPTE DE LA DIMENSION conscience qu’elles ne peuvent résoudre seules ce tant que tels mais certains dispositifs sont typique- TERRITORIALE DU SPECTACLE VIVANT problème, et souhaitent rester dans leur domaine ment des incitations à la mise en réseau. Il arrive Le spectacle vivant représente le plus gros bud- de compétence (formation et aides indirectes à même que la région l’impose aux acteurs, tout par- get du poste culture, bien souvent de l’ordre de l’emploi). ticulièrement dans le cadre des politiques territo- 50 % et parfois plus selon les dispositifs pris en Sur le plan budgétaire, ces évolutions se traduisent riales. Les agences et les pôles ressources jouent compte et les disciplines agrégées. Il n’est cepen- par une hausse régulière des budgets depuis 2004 un rôle particulièrement important dans cette mise dant pas forcément considéré comme prioritaire dans presque toutes les régions. En 2007, la ten- en réseaux qui fait le plus souvent partie de leurs en tant que tel, et la politique menée en sa faveur dance générale est au ralentissement : une petite missions. La question de l’expertise, le rôle des s’inscrit souvent dans des objectifs plus larges, moitié seulement des régions poursuit l’augmen- agences régionales, l’organisation des services in- liés à des contextes régionaux ou à des politi- tation budgétaire, les autres vont vers une stabi- ternes ainsi que l’observation culturelle sont traités ques transversales. Ainsi, la plupart des politiques lisation. Les collaborations menées avec d’autres dans le chapitre consacré aux modalités de mise régionales répondent-elles à des préoccupations directions régionales permettent, dans certains en œuvre de l’action régionale. d’aménagement culturel du territoire, plutôt qu’à cas, d’agréger des crédits en provenance d’autres une approche sectorielle du spectacle vivant ou lignes budgétaires (ceci montre l’intérêt d’accéder DES POLITIQUES PARTENARIALES ENTRE qu’à un soutien direct à la création. Ceci se mani- à des données budgétaires consolidées, ce qui COLLECTIVITÉS PLUS OU MOINS DÉVELOPPÉES feste par des mesures de rééquilibrage géographi- n’est pour l’instant guère possible). Le degré de structuration des partenariats entre que, également par des mesures de rééquilibrage collectivités est très variable d’une région à l’autre. entre disciplines. Outil d’intervention culturelle mo- DES DISPOSITIFS EN PRISE AVEC L’ÉVOLUTION L’axe le plus complexe semble être le développe- bile, facilement opérationnel, point d’appui pour DES PROBLÉMATIQUES RÉGIONALES ment culturel des territoires (investissements et le développement culturel, le spectacle vivant est La comparaison des dispositifs entre régions est projets). La région joue un rôle incitateur, parti- reconnu pour son impact en termes d’emplois. Il rendu diffi cile par la disparité des intitulés et la di- culièrement auprès des pays qui, selon la plupart permet une représentation de la culture aussi bien versité des objectifs poursuivis. On observe néan- de nos interlocuteurs, se révèlent être une bonne en zones rurales qu’urbaines et il est fréquemment moins deux grandes tendances : l’une cherche à échelle pour relayer la diffusion de la politique ré- utilisé pour revaloriser l’image d’une région ou fa- couvrir tout le champ d’intervention par un grand gionale. Les régions qui s’engagent fortement sur la voriser son rayonnement. nombre de dispositifs et des procédures d’attri- mobilisation de cet échelon ont souvent mis en pla- bution complexes, l’autre concentre l’intervention ce des méthodes ad hoc très créatives sur le plan RÉNOVER ET OPTIMISER L’INTERVENTION RÉGIONALE autour d’un nombre restreint de dispositifs. On des procédures et des modes d’administration. La Lors des entretiens, 18 régions sur 22 ont déclaré note par ailleurs que les politiques de résidences et présence de volets culturels dans les contrats de avoir accompli un travail important pour reconsidé- de conventionnement se développent fortement. pays est toutefois loin d’être systématique. rer leurs politiques en faveur du spectacle vivant. La plupart des régions, et notamment celles qui Trois types de démarches sont identifi ables : la ont renouvelé leurs cadres ou règlements d’inter- La question des festivals est également un thème première correspond à un renforcement, une amé- vention, ont mené un travail conséquent sur la sensible : presque toutes les régions subissent une lioration ou une correction de dispositifs déjà en question des critères d’instruction qui sont sou- infl ation de l’offre (et des demandes de subven- place ; la deuxième concerne la création de nou- vent maintenant consultables en ligne. En matière tions) sur leur territoire. Cette situation a conduit veaux dispositifs d’intervention, ainsi que la prise d’évaluation, les régions reconnaissent le manque de nombreuses régions à mettre en place une po- en compte de nouvelles nécessités ; enfi n, la troi- d’outils dont elles disposent, tout en soulignant la litique de régulation, voire à ce désengager de ce sième se traduit par une transformation profonde nécessité de ces démarches. Cependant, dans secteur. Mais l’enquête montre également que les des dispositifs et des procédures, ainsi que par la bien des cas, les critères d’instruction des dossiers festivals constituent souvent le seul outil de déve- mise en place de nouveaux cadres d’intervention. et d’évaluation sont confondus, et l’évaluation est loppement culturel opérationnel sur certains terri- Soulignons que la plupart des régions ont construit conduite au moment de l’instruction d’une nouvelle toires, et que des projets pérennes émergent par- la rénovation de leurs modes d’intervention à par- demande de subvention, à partir des bilans opéra- fois de la dynamique qu’ils ont créée. Ils sont alors tir de constats et selon des objectifs relativement tionnels et fi nanciers fournis par les bénéfi ciaires. reconnus comme des outils de structuration et de similaires : prendre en compte toute la chaîne du D’autres indicateurs sont toutefois recherchés a renforcement des partenariats entre collectivités, spectacle vivant et toutes les disciplines ; rompre posteriori : partenariats professionnels noués, per- ce qui explique que certaines régions continuent à avec la politique de guichet ; optimiser, simplifi er, tinence artistique, réalité de la diffusion en région, soutenir l’émergence de nouvelles manifestations. mettre en cohérence et « critériser » les disposi- travail auprès des publics. tifs ; rationaliser l’action par la mise en réseau et la Pascale Chaumet structuration du territoire ; ou encore, mieux mettre En ce qui concerne la mutualisation, le degré Chargée de mission auprès de l’OPC en relation les artistes et le public à travers des ré- d’avancement de la réfl exion est très différent sidences sur des territoires. d’une région à l’autre. C’est principalement par le NOTES Ces évolutions ont souvent été motivées par la si- biais des aides à l’emploi que la mutualisation se 1– La synthèse complète de cette enquête est en ligne sur tuation de l’emploi culturel et le désengagement de concrétise. Les groupements d’employeurs sont le site www.observatoire-culture.net

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec103sec103 228/04/088/04/08 14:23:0314:23:03 SYNTHÈSES D’ÉTUDES

Les formations à l’administration et à la gestion de la culture : bilan, analyse et perspectives Cécile Martin Le développement de l’emploi culturel dans les années culturelles. En termes de professions visées, les métiers de la 1980, en France comme dans bon nombre de pays euro- médiation et de la communication sont fréquemment cités péens, a eu pour corollaire un fort besoin de professionnali- (24 %). Les formations tournées vers l’international (3 %) et sation des champs de l’administration et de la gestion de la les formations à dominante artistique (3 %) restent quant à culture. Apparues dans ces mêmes années et accompagnées elles très marginales. Tout ceci se traduit par une mauvaise un temps par le ministère de la Culture, les formations dans lisibilité de ce secteur, pour les recruteurs potentiels comme ces domaines ont connu une expansion considérable à par- pour les futurs étudiants. tir de la décennie suivante, sans qu’il y ait eu pour autant de réfl exion sur l’adéquation entre cette offre et l’évolution RÉGIONALISATION OU EUROPÉANISATION du marché de l’emploi. Face à ce constat, le ministère de la DES FORMATIONS ? Culture et de la Communication (DEPS et DDAI) a confi é à l’Observatoire des politiques culturelles une étude1 qui avait L’enquête souligne le rôle capital joué par l’ancrage dans les pour objectif de recenser les formations su- milieux professionnels (au moins régional) et la structura- périeures diplômantes ainsi que d’engager tion des réseaux d’anciens étudiants, en termes de passe- L’ouverture des frontières, une réfl exion sur l’articulation entre ces for- relles entre les formations et l’emploi. Ainsi, l’importance des réseaux (professionnels, d’anciens étudiants, régionaux), la dynamique des mations et les besoins du secteur culturel. traditionnellement développés dans le secteur culturel, n’a échanges artistiques et UNE OFFRE DE FORMATIONS pas disparu avec l’augmentation du nombre de diplômés culturels internationaux, PLÉTHORIQUE, INFLATIONNIS- sur le marché de l’emploi. Le rôle des professionnels reste l’européanisation des systèmes TE ET PEU LISIBLE… donc capital, renforcé par l’injonction (paradoxale) pour les étudiants d’acquérir de l’expérience professionnelle tout en d’enseignements supérieurs, 282 formations à la gestion et à l’adminis- étant en formation. autant d’éléments qui tration de la culture ont été recensées dans Par ailleurs, l’inscription régionale des formations constitue constituent sans aucun doute le cadre de l’étude, dont 168 de niveau I une tendance forte qui favorise l’investissement sur le long un défi que ces formations (principalement des masters), 93 de niveau terme des professionnels du territoire, fait entrer les étu- II et 21 de niveau III. Parmi ces formations, diants dans un réseau plus restreint mais plus personnalisé devront relever dans les 75 % ont été créées après 1990 et 32 % de- et plus approfondi. La formation s’inscrit dans un bassin années à venir. puis 2004. Ajoutons que 37 % des masters d’emploi, et la répartition géographique locale et nationale ont été créés dans les 5 dernières années, et des formations est ainsi mieux équilibrée. Il faut néanmoins 50 % entre 1991 et 2003. relier cette réfl exion au besoin évident de mobilité (pour Ces formations sont majoritairement dispensées par les uni- la qualité des formations et pour l’avenir des étudiants) à versités (88 %), mais il faut souligner la présence croissante l’échelle nationale, européenne et internationale. des Écoles supérieures de commerces, ainsi que la création Un constat plus étonnant est celui de la faiblesse de la prise de formations spécialisées au sein des grandes écoles artisti- en compte des questions européennes et internationales ques comme la Fémis ou l’École du Louvre. Que ce soit en dans les formations à l’administration et à la gestion de la termes de champ disciplinaire de rattachement, de volumes culture, que ce soit dans les contenus pédagogiques (ensei- horaires (de 300 h à 2500 h) et de contenus des enseigne- gnement de l’environnement et de l’administration de la ments, ou encore d’origine des publics (fi lières artistiques, culture dans d’autres pays mais également des langues), la sciences humaines, sciences politiques, économie, écoles de participation des professionnels ou d’enseignants étrangers, commerce) et de modes de recrutement des promotions, les ou encore la mobilité des étudiants à l’international. formations à l’administration et à la gestion de la culture se L’ouverture des frontières, la dynamique des échanges ar- présentent comme un secteur particulièrement hétérogène. tistiques et culturels internationaux, l’européanisation des 40 % des formations se déclarent généralistes, et 70 % di- systèmes d’enseignements supérieurs, autant d’éléments qui sent préparer aux métiers de l’administration culturelle de constituent sans aucun doute un défi que ces formations façon globale. On constate néanmoins une spécialisation devront relever dans les années à venir, d’autant que leurs croissante de ces formations, en particulier des plus récentes, homologues européens connaissent des évolutions et des notamment dans les secteurs du patrimoine et des industries problématiques similaires à bien des égards.2

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec104sec104 228/04/088/04/08 14:23:0314:23:03 QUESTIONS À PHILIPPE TEILLET Maître de conférences en sciences politiques, directeur des masters « Direction de projets culturels » de l’IEP de Grenoble La question desAGENDA formations à l’administration et (respect de règles générales de droit et de gestion), Quelles seront selon vous les conséquences de à la gestion de la culture vous paraît-elle spécifi - ainsi que par une relative spécialisation des tâches la réforme actuelle de l’université sur ce secteur que ? Est-elle comparable à celle des formations qui en a autonomisé certaines par rapport aux de formation ? dans d’autres secteurs ? enjeux proprement culturels. De leurs côtés, les Si la loi relative à l’autonomie des universités avait L’existence de ces formations répond à la construc- secteurs du social, de l’environnement, des sports, réellement pour effet de donner à ces dernières tion de la culture en « secteur différencié », ce qui, par exemple, sont aussi des champs d’intervention plus d’autonomie, il n’y aurait pas de réponse à par rétroaction, a justifi é la création de formations où le militantisme a cédé du terrain face à la pro- cette question : les université pouvant emprun- distinctes… Il est probable aussi que la trajectoire fessionnalisation et où des logiques privées non ter des chemins divers voire divergents. Mais tel des métiers de la culture, passés d’une forme de lucratives et parfois lucratives occupent une place n’est pas le cas… En outre, la mutation induite professionnalisation du militantisme à un profes- importante, voire croissante. par la réforme LMD (en faveur d’une plus grande sionnalisme idéologiquement neutre, caractérise Peut-on en outre considérer comme spécifi ques la professionnalisation de l’enseignement supérieur) ces formations qui doivent arbitrer entre inculcation diffi culté des organisations professionnelles à défi nir va se prolonger. On peut penser que sur ce point de valeurs et maîtrise d’outils dits « techniques ». des référentiels de métiers et fournir des éléments les universités vont développer plus que par le De même, marquées par la forte administration des précis sur le marché de l’emploi ? Ou le contraste passé, des outils de connaissances sur l’insertion affaires culturelles dans ce pays, ces formations entre la sélectivité de certaines de ces formations et professionnelle des étudiants. Mais la relative ont aussi dû intégrer, au risque de l’écartèlement, leur faible capacité à assurer rapidement aux jeunes autonomie des universités peut aussi avoir pour l’existence de débouchés professionnels variés, diplômé(e)s stabilité professionnelle et rémunéra- effet de renforcer le poids de stratégies locales dans le secteur privé, lucratif et non lucratif. Sur tions convenables ? Enfi n, les enjeux contemporains dans les questions concernant l’élaboration de ce plan, il n’est pas certain que le cas des forma- appellent à croiser des préoccupations culturelles, l’offre d’enseignement. Ce que leur degré actuel tions à l’administration et à la gestion de la culture politiques, sociales, environnementales ou économi- d’autonomie a déjà permis, selon des modalités soit spécifi que. En effet, la professionnalisation du ques, plaidant ainsi pour plus de transversalité dans d’une rationalité (très) limitée. secteur s’est traduite par sa « dédifférenciation » les formations à la gestion culturelle.

UNE ABSENCE DE RÉGULATION À mations produites émanent en effet des formations elles- L’ÉCHELLE RÉGIONALE ET NATIONALE mêmes et sont basées sur du « déclaratif »). En revanche, les responsables de formation s’accordent pour constater la L’étude met en évidence l’absence de régulation des for- baisse des conditions générales d’accès à l’emploi dans ce mations et tente d’en identifi er les causes. Tout d’abord, secteur (faiblesse des salaires, précarité des statuts, surqua- la disparité des établissements certifi cateurs ou formateurs lifi cation des candidats). Parallèlement, il existe une vision (universités, écoles supérieures de commerce, écoles artis- fragmentaire du marché de l’emploi culturel et une relative tiques rattachées au ministère de la Culture, établissements méconnaissance des besoins à venir dans les domaines de privés à but lucratif) fait qu’il n’existe pas de contrôle l’administration et de la gestion de la culture, qui ne peu- unique et direct sur la création de nouvelles formations. vent qu’inquiéter les partenaires publics et les profession- Cette situation est renforcée au sein même du système nels au regard du nombre d’étudiants formés dans ce do- universitaire par l’éclatement des champs disciplinaires de maine chaque année (au minimum 5000 étudiants, tous rattachement des formations liées à l’administration cultu- niveaux confondus, selon les estimations de notre enquête relle. L’infl uence européenne, en particulier l’application quantitative)… du processus de Bologne, a également joué un rôle avec l’entrée en vigueur de la réforme LMD et l’injonction de Tous ces paramètres montrent bien la nécessité de se doter professionnalisation des cursus universitaires. Par ailleurs, d’outils d’observation et d’évaluation permettant à terme certaines formations semblent s’être créées en réponse à une meilleure régulation de l’offre de formations. Citons une demande croissante qu’elle émane de groupements ici les travaux menés en ce sens par la Commission pa- professionnels soucieux de créer une formation adaptée à ritaire nationale emploi formation du spectacle vivant des besoins spécifi ques (musiques actuelles, patrimoine), (CCPNEFSV), ou encore les refontes des référentiels de de collectivités engagées dans des démarches d’aména- métiers engagées par la Commission nationale de la cer- gement culturel du territoire, ou encore d’une demande tifi cation professionnelle ou le CNFPT. Mais les outils les diffuse d’un public étudiant fortement attiré par la sphère plus prometteurs semblent se situer à l’échelon régional culturelle. ou interrégional, avec l’investissement des conseils régio- naux sur le terrain de la formation, la présence (dans cer- QUELLES ARTICULATIONS ENTRE FORMA- taines régions) d’observatoires culturels, la mise en place TIONS ET MARCHÉ DE L’EMPLOI ? de COEF, et, sans doute, la perspective d’une meilleure concertation à cet échelon, entre responsables de forma- L’étude confi rme la faiblesse des données sur l’insertion tion et professionnels. professionnelle des diplômés des formations à l’adminis- Cécile Martin tration et à la gestion de la culture (les seules et rares infor- Directrice des études, Observatoire des politiques culturelles

NOTES 1– Cette étude a été réalisée en 2006 par A.-M. Autissier, G. Bertholom, J. Bonniel, X. et de l’Observatoire des politiques culturelles. Dupuis, C. Martin, M. Pongy, V. Roy et Ph. Teillet. L’étude complète et la synthèse sont dis- 2– Voir à ce sujet l’étude réalisée en 2006 par l’ENCATC sur l’impact du processus de ponibles sur les sites Internet du ministère de la Culture et de la Communication (DEPS) Bologne.

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec105sec105 228/04/088/04/08 14:23:0314:23:03 AGENDA

MAI JUIN ,26-27 juin, Strasbourg e ,15-16 mai, Paris ,4-11 Juin, Cerisy-la-Salle 2 édition des rencontres territoriales de Jazz et musiques improvisées : quels L’activité marchande sans le marché ? la culture enjeux aujourd’hui ? Ce colloque, ouvert aux chercheurs de toutes L’INET, le pôle culture du CNFPT et Colloque organisé par l’Association des Fes- disciplines, s’efforcera d’explorer les différen- l’ENACT de Nancy organisent les rencon- tivals Innovants en Jazz et Musiques Actuel- tes formes prises par l’activité marchande et tres territoriales de la culture dont le thème les en partenariat avec l’OPC. par sa gestion. général sera « les nouvelles relations entre COURRIEL : contact@afi jma.asso.fr COURRIEL : [email protected] l’économie et la culture ». SITE : www.afi jma.asso.fr SITE : http://www.ccic-cerisy.asso.fr CONTACT : Sandrine Bonvillain TÉL. : 03 88 15 53 76 ,16 mai, Paris ,12-13 juin, Marly-le-Roi COURRIEL : [email protected] L’économie, et le droit des moteurs de L’économie de la culture hip-hop ,27 juin, Paris recherche Ce colloque est organisé par l’INJEP en Colloque sur la création artistique en Colloque organisé par le Centre d’Economie partenariat avec les ministères de la Santé, Afrique de la Sorbonne (Université Paris1), en colla- de la Jeunesse et des Sports, de la Culture, Organisé dans le cadre de l’année européen- boration avec la Chaire Innovation et régu- DRDJS d’Ile-de-France, FFMJC, Adiam 91, ne du dialogue interculturel, ce colloque lation des services numériques (École Poly- Ariam Ile-de-France, et des associations de aura pour thème la création artistique en technique et Télécom ParisTech) et l’Institut hip-hop. Ces rencontres qui s’adressent aux Afrique et ses liens avec l’Europe. En paral- Français de la Communication. Inscription acteurs du mouvement hip-hop, aux acteurs lèle, plusieurs spectacles de danse et de mu- gratuite mais obligatoire. culturels et socioculturels des équipements et sique ayant pour point commun la culture COURRIEL : [email protected] des services permettront de mesurer les dif- africaine auront lieu au Parc de la Villette. SITE : http://www.univ-paris1.fr/ férentes formes d’organisation économique Entrée libre. de cette culture ainsi que les richesses géné- , SITE : http://www.villette.com 23-24 mai, Grenoble rées par ce mouvement à travers la diversité Transmettre. L’art et la manière de leurs formes d’action. ,26-28 juin, Paris Colloque de clôture du festival des Arts du COURRIEL : [email protected] Récit organisé par le Centre des Arts du Récit L’édition francophone de jeunesse face à la mondialisation - Histoire, probléma- au CRDP. ,12-15 Juin, Reims tiques TÉL. : 04 76 51 21 82 54e congrès de l’ABF COURRIEL : [email protected] Ce colloque organisé à la Maison des Scien- « Parcours en bibliothèques, des adonais- ces Humaines à Paris proposera un état des sants aux jeunes adultes » tel est le thème ,23-24 mai, Saragosse (Espagne) lieux de l’édition de jeunesse francophone de ce congrès qui propose trois jours de L’art dans l’espace public : quartiers dans le contexte actuel. conférences et ateliers fortement axés sur la artistiques et revitalisation urbaine CONTACT : Francine Guezo question des pratiques de ces publics (entre Le service culturel de la municipalité de Sa- TÉL. : 01 49 40 44 89 ragosse organise, avec l’équipe de recherche bibliothèques municipales et bibliothèques COURRIEL : [email protected] de l’Observatoire aragonais de l’art public universitaires, les usages des étudiants et les SITE : http://www.mshparisnord.org (Université de Saragosse), un séminaire in- cultures adolescentes…) ternational, dans le cadre du programme de COURRIEL : [email protected] SITE :www.abf.asso.fr recherche du ministère espagnol de l’Éduca- JUILLET tion et des Sciences « L’art public pour tous : ,24-27 juin, Nîmes ,10 juillet, Avignon sa muséalisation et sa diffusion publique ». Les TIC : des ponts entre les cultures ? Journée professionnelle sur la coopéra- Inscription gratuite mais obligatoire. Théories, obstacles, bonnes pratiques tion culturelle COURRIEL : centrodehistoria@zaragozacultural. Cette conférence internationale a pour but Dans le cadre de la réunion des points de com de présenter les dernières recherches sur la contact culture de l’Union européenne, le manière dont les éléments culturels façonnent Relais Culture Europe et ses partenaires or- la création et l’utilisation des technologies de ganisent une journée professionnelle sur la l’information et de la communication. coopération culturelle européenne. SITE : http://www.scils.rutgers.edu SITE : http://www.relais-culture-europe.org

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec106sec106 228/04/088/04/08 14:23:0314:23:03 « Art, culture et société » Cycle de conférences-débats 2007/2008 Auditorium de la région Alsace, Strasbourg L’Agence culturelle d’Alsace et le AOÛT , Conseil régional d’Alsace proposent, ,18 juin 2008 10-15 août, Québec (Canada) La fête, l’événement Congrès mondial des bibliothèques et de en partenariat avec l’Observatoire e artistique dans la cité l’information et 74 conférence générale des politiques culturelles, d’ouvrir de l’IFLA avec Jean Blaise, concepteur artistique, une série de débats sur quelques-uns Le congrès aura pour thème « bibliothèques directeur de Lieu Unique, Nantes des principaux enjeux artistiques sans frontières : naviguer vers une compré- et culturels essentiels d’aujourd’hui et Emmanuel Wallon, politologue, hension globale ». Il a pour objectif d’ame- et sur les questions qu’ils posent Université de Paris X Nanterre. ner la communauté internationale a réfl échir à la cité. Ce cycle se déroule de ,15 octobre 2008 aux rôles et missions des bibliothèques dans un monde en profonde mutation. décembre 2007 à octobre 2008. Faire exister l’Europe : Il s’adresse notamment à des élus, TÉL. : +31 70 314 0884 une ambition culturelle ? COURRIEL : ifl a@ifl a.org à des professionnels de la culture, avec Bronislaw Geremek, historien, SITE : http://www.cfi fl a.asso.fr à des acteurs de la société civile, à député européen, ancien ministre des , des étudiants et à des universitaires. Affaires étrangères du gouvernement 14-21 août, Cerisy-la-salle polonais, vice-président de la Société Les universités populaires, hier et ,14 décembre 2007 aujourd’hui européenne de culture, et Bernard Crise du modèle culturel français ? Ce colloque aura deux volets : d’une part, Stiegler, philosophe, directeur du avec René Rizzardo, ancien adjoint un éclairage historique, en France et ailleurs ; Développement culturel, Centre à la Culture de la ville de Grenoble, d’autre part, quelques présentations des acti- Georges Pompidou, Paris. ancien directeur de l’Observatoire vités diverses qui sont aujourd’hui proposées des politiques culturelles. Débats animés par Jean-Pierre Saez, sous cette appellation. directeur de l’Observatoire des COURRIEL : [email protected] ,1er février 2008 politiques culturelles. SITE : http://www.ccic-cerisy.asso.fr Que peut l’art pour le lien social ? avec Yves Michaud, philosophe, RENSEIGNEMENTS : AGENCE CULTURELLE D’ALSACE ancien président de l’Université 03 88 58 87 58 SEPTEMBRE de tous les savoirs. WWW.CULTURE-ALSACE.ORG ,11-13 septembre, Lyon 15e Rencontres du réseau « Altérité, créativité, diversité » , , 11-13 juillet, Arles 18-19 juillet, Avignon Cette manifestation, organisée en partena- Narcisse photographe (Réalité et image Réunion des Directeurs des affaires riat avec le Défi lé de la Biennale de la Danse, de soi) culturelles aura pour thème les « Transformations ur- Ce séminaire vise une meilleure compréhen- La seconde réunion du CLIDAC, (comité de baines et nouvelles pratiques culturelles des sion des phénomènes à l’œuvre dans la ma- liaison des DAC) aura lieu dans la matinée quartiers en Europe ». Elle a pour objectif de nière d’affronter la réalité et « la construction du 18 juillet, l’assemblée générale de l’ADAC mettre en perspective des projets innovants de soi », chez l’enfant et l’adolescent, dans les GVAF (association des DAC des grandes vil- dans les quartiers populaires, à l’aide de re- moments de rencontre avec la photographie les) se tiendra quant à elle le 18 juillet après gards croisés d’artistes, d’habitants, de cher- de mode et dans la pratique de l’autoportrait midi et le 19 au matin. cheurs, d’élus, d’urbanistes, d’économistes photographique. COURRIEL : [email protected] venus de différents horizons. COURRIEL : [email protected] SITE : http://www.banlieues-europe.com , 15-16 juillet, Orange ,11-14 septembre (lieu à déterminer) Université d’été dans le cadre du proto- Les territoires de France, l’Europe et la cole d’accord ROF – AFDAS – CNFPT Culture » Organisé en partenariat avec le ministère de Cette réunion des élus français est organisée la Culture et de la Communication et l’Ob- par l’association Les Rencontres en collabo- servatoire des politiques culturelles. ration avec la FNCC. CONTACT : Réunion des Opéras de France COURRIEL : [email protected] TÉL. : 01 42 56 49 70 SITE : www.lesrencontres.eu

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec107sec107 228/04/088/04/08 14:23:0414:23:04 ,22-23 septembre, Paris OCTOBRE NOVEMBRE Quel français enseigner ? La question ,11 octobre, Paris ,17-19 novembre, Paris de la norme dans l’apprentissage/ensei- Musique et globalisation Colloque de clôture de l’année euro- gnement Cette journée d’étude organisée par la Cité péenne de la diversité culturelle Organisé par la section de français du Dépar- de la musique a pour objectif de s’interroger Un colloque européen se tiendra au Centre tement des Langues, Cultures & Communi- sur la sauvegarde des musiques traditionnel- Pompidou afi n de faire la synthèse des ré- cation de l’École Polytechnique, ce colloque les à l’heure de la globalisation. fl exions et des initiatives qui auront été me- international a pour thème l’aspect « norma- SITE : http://www.cite-musique.fr nées en 2008 dans les 27 états membres, de tif » lié à toutes les facettes de l’enseignement présenter des propositions afi n de promou- de la langue française. Inscription gratuite ,16-18 octobre, Lille voir le dialogue interculturel en Europe au- mais obligatoire. L’éducation à la culture informationnelle delà de la fi n de l’année 2008. Organisé en COURRIEL: [email protected] Ce colloque international est organisé par partenariat avec l’Observatoire des politiques SITE : http://www.dglfl f.culture.gouv.fr/ l’Équipe de recherche technologique en édu- (rubrique actualités) culturelles. cation (ERTÉ) « Culture informationnelle et COURRIEL : [email protected] ,26 septembre, Paris curriculum documentaire ». SITE : http://dialogue.interculturel.culture.fr États généraux du multilinguisme SITE : http://ertecolloque.wordpress.com/ Dans le cadre de la présidence française de , l’Union européenne et à l’occasion de la 16-18 octobre, Lyon Journée européenne des langues, la France Le dialogue interculturel organise les « États généraux du multilin- et les projets de manage- guisme » qui réunira des responsables de ment : nouveaux program- l’ensemble des pays européens pour débattre mes de formations dans un de la question du multilinguisme sous quatre contexte de grands défi s e angles : les systèmes éducatifs, la circulation La 16 conférence annuelle des biens culturels, la compétitivité écono- de l’ENCACT (Réseau euro- mique et la cohésion sociale. En marge de péen des centres de formation cette rencontre se tiendra une Fête des lan- d’administrateurs culturels) gues destinée à sensibiliser la population à la sera organisée à Lyon en diversité linguistique de l’Europe. coopération avec l’Univer- sité Lyon 2. Le thème sera la CONTACT : Florence Gendrier TÉL. : 01 40 15 35 08 convention internationale de COURRIEL : fl [email protected] l’Unesco pour la protection et la promotion de la diversité ,29 septembre-1er octobre, Marly-le-Roy culturelle. Culture, cultures à l’épreuve de l’alté- COURRIEL : rité : quelle(s) pédagogie(s) de l’inter- [email protected] culturel ? SITE : http://www.encatc.org L’objectif de ce séminaire organisé par le ministère de la Culture et de la Communi- cation, le ministère de la Santé, le ministère de la Jeunesse et des Sports et l’INJEP est de réfl échir sur une pédagogie du dialogue interculturel et plus particulièrement dans la sphère de l’éducation non formelle. COURRIEL : [email protected]

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec108sec108 228/04/088/04/08 14:23:0414:23:04 COMMANDE ABONNEMENT

Titres parus

NO32 Il n’y a pas de public spécifi que automne 2007 NO31 Éducation artistique et culturelle : perspectives internationales hiver 2007 NO30 Les défi s de la diversité culturelle - 2e partie été 2006 NO29 Les défi s de la diversité culturelle - 1e partie hiver 2006 NO28 Compétences et modes d’action de l’État et des collectivités territoriales en matière culturelle été 2005 NO27 Décentralisation culturelle : nouvelle étape hiver 2005 NO26 Ce que les artistes font à la ville été 2004 NO25 Les politiques culturelles au tournant hiver 2003-2004 NO24 Cultures d’Outre-mer : regards croisés été 2003 NO23 Portrait d’un passeur culturel hiver 2002-2003 NO22 Débattre de la culture, plus que jamais printemps 2002 NO21 Compétences et modes d’action de l’État et des collectivités territoriales en matière culturelle automne 2001 NO20 La Culture est-elle encore un enjeu politique ? hiver 2000-2001 NO19 La Culture dans l’intercommunalité été 2000 NO18 Les Réseaux culturels en Europe automne-Hiver 1999 NO17 Service public et culture printemps 1999 NO16 Pratiques artistiques, développement culturel et régénération urbaine automne 1998 NO15 Politiques culturelles : ce que l’État sait faire, ce qu’il peut faire avec les collectivités territoriales printemps 1998 – épuisé NO14 Décentralisation, déconcentration : vraies questions et mauvaises craintes automne 1997 – épuisé NO13 Quelle refondation de la politique culturelle ? printemps 1997 – épuisé NO12 L’art, la culture, le populisme automne 1996 – épuisé NO11 De l’éducation artistique et culturelle hiver 1996 NO10 Refonder les politiques culturelles été-automne 1995 – épuisé NO9 L’Éducation artistique à l’âge électronique automne-hiver 1994-1995 NO8 Le Retour du territoire printemps-été 1994 SUPPL. NO8 Éducation artistique et développement culturel printemps-été 1994 – épuisé NO7 L’Europe de la culture et les collectivités territoriales automne-hiver 1993-1994 NO6 Action culturelle en milieu rural printemps 1993 NO4-5 Décentralisation et dialogue culturel Nord-Sud automne 1992 – épuisé NO3 De l’administration à la culture ou la formation au service de la passion janvier 1992 NO2 La gestion des équipements culturels locaux juin-juillet 1991 – épuisé

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec109sec109 228/04/088/04/08 14:23:0514:23:05 COMMANDE ABONNEMENT

Abonnez-vous

F JE SOUHAITE RECEVOIR ABONNEMENT COLLECTION ABONNEMENT PLATEFORME LE DERNIER NUMÉRO PARU : 22 € F Abonnement d’un an (2 numéros) CULTURE COLLECTIVITÉS + une collection de 10 anciens TERRITORIALES JE M’ABONNE À L’OBSERVATOIRE numéros : 150 € Abonnement 1 an + 8 services : (PARUTION SEMESTRIELLE) F Abonnement CdRom lettre d’information électronique, F 1 an (2 numéros) (archives pdf des numéros à partir études et publications de l’OPC, France Métropolitaine et Dom Tom : 40 € du no15 – 1998) : 100 € courrier juridique, services dédiés Europe et international : 45 € Renouvellement tous les 2 ans : 50 € sur le Web, réduction de 10 % F 2 ans (4 numéros) : sur toutes les formations courtes, France Métropolitaine et Dom Tom : 80 € TARIFS SPÉCIAUX POUR ACHAT dîners-débats, dossier annuel Europe et international : 85 € GROUPÉ D’ANCIENS NUMÉROS sur les politiques culturelles. DE LA REVUE (VOUS REPORTER F Je laisse mes coordonnées TARIF ETUDIANTS / À LA LISTE FIGURANT PAGE PRÉCÉDENTE) pour recevoir les tarifs ainsi qu’une DEMANDEURS D’EMPLOIS 1 exemplaire (sauf numéro en cours) : 18 € information complète accompagnée (MERCI DE JOINDRE DES JUSTIFICATIFS) 2 exemplaires : 30 € du bulletin d’inscription. Prix au numéro : 12 € 3 exemplaires : 36 € F Abonnement 1 an (2 numéros) : 20 € Exemplaire supplémentaire : 12 € F Je souhaite commander TARIF RÉSERVÉ AUX MEMBRES les numéros de l’Observatoire suivants : DE L’ASSOCIATION RÉSEAU DE L’OPC no / / / / / F Abonnement 1 an à –15% : 34 € / / / / / / F Abonnement 2 ans à –15% : 68 €

COORDONNÉES FACTURATION Nom Prénom Fonction Organisme Adresse Code Postal Ville Pays Tel. E-mail Je m’abonne à partir du numéro :

MODE DE RÈGLEMENT F Chèque bancaire Libellé à l’ordre de : Observatoire des politiques culturelles F Virement Joindre un RIB F Mandat administratif Collectivité, précisez le nom et coordonnées de la collectivité publique effectuant le règlement : Nom Adresse Code Postal Ville

Merci de bien vouloir indiquer ci-dessous l’adresse d’expédition si elle n’est pas identique aux coordonnées de facturation Nom Adresse Code Postal Ville

BULLETIN À RENVOYER AVEC VOTRE RÈGLEMENT à l’Observatoire des politiques culturelles, 1 rue du Vieux Temple 38000 Grenoble – France Tél. +33 (0) 4 76 44 33 26 – Fax +33 (0) 4 76 44 95 00 – E-mail : [email protected]

Frais de port inclus sauf pour les envois dépassant 500 g.

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec110sec110 228/04/088/04/08 14:23:0514:23:05 Cycle de rencontres 2008 « Culture et société »

Le Conseil général de Loire- ,Mardi 20 Mai 2008 Atlantique organise en 2008, en « Quelle place pour la culture dans partenariat avec l’Observatoire des le développement durable ? » politiques culturelles, un cycle de six Katerina Stenou, directrice de la conférences sur les enjeux culturels Division des politiques culturelles et du dialogue interculturel, Unesco d’aujourd’hui et les questions qu’ils Eduard Miralles, directeur des Affaires posent aux politiques culturelles. extérieures au Département de la culture Les conférences seront animées par de la Diputación de Barcelone Jean-Pierre Saez (directeur de Pascale Bonniel-Chalier, ancienne l’Observatoire des politiques culturelles), adjointe au maire de Lyon chargée avec la collaboration de Marie-Christine des grands événements Bordeaux (maître de conférences ,Mardi 10 Juin 2008 en sciences de l’information et de la « Inventer la ville de demain » Dragan Klaic, théâtrologue, Communication, Université Stendhal, Bernard Reichen, architecte, expert des politiques culturelles Grenoble), sur les thèmes suivants : Reichen et Robert, lauréat du Grand européennes, Université de Leiden ,Jeudi 14 février 2008 Prix de l’Urbanisme 2005 Jean-Marc Ferry, philosophe, professeur Conférence d’ouverture François Barré, ancien délégué aux Arts ordinaire à l’Université libre de Bruxelles « Vers l’abîme ? » plastiques au ministère de la Culture, en Science politique et en Philosophie Edgar Morin, philosophe ancien président du Centre Georges morale (sous réserve de confi rmation) Pompidou, président des Rencontres , , Mardi 29 Avril 2008 Internationales de la Photographie Mardi 21 Octobre 2008 « Les pratiques amateurs aujourd’hui : d’Arles, président d’Arc-en-rêve Colloque de clôture une culture populaire ? » « Les industries culturelles sont-elles les Christine Détrez, maître de conférences ,Mardi 30 septembre 2008 ennemies de la création artistique ? » à l’École normale supérieure Lettres « L’Europe peut-elle se passer d’un projet culturel ? » CONTACT : et Sciences Humaines de Lyon CONSEIL GÉNÉRAL DE LOIRE-ATLANTIQUE François Ribac, compositeur, Catherine Trautmann, députée européen, JEAN-LOUIS BOUILLÈRE - 02 40 99 15 89 musicien, sociologue ancienne ministre de la Culture [email protected]

Quelle gouvernance territoriale pour l’éducation artistique et culturelle ? 29 mai 2008 – Centre de Congrès Le Manège à Chambéry À partir des résultats de l'étude Art, développement de l’éducation artistique ? enfance et territoire placée sous la direction – Au-delà des problématiques propres scientifi que de Marie-Christine Bordeaux aux départements, comment leur rôle (maître de conférences en sciences de s’articule-t-il avec celui des autres la communication à l’Université de collectivités territoriales, les villes, Grenoble III), pilotée par l’Observatoire les agglomérations, les régions et les des politiques culturelles sur la politique politiques nationales soutenues par d’éducation artistique menée depuis 10 ans l’Éducation nationale et la Culture ? dans le Département de la Savoie, ce – Constate-t-on le renforcement colloque se penchera sur le rôle grandissant d’une culture commune, d’une vision Colloque national organisé par le des départements dans la défi nition partagée de l’éducation artistique et la mise en œuvre de l’éducation entre les services centraux et Conseil général de la Savoie avec le artistique. Si les Conseils généraux sont déconcentrés de l’État, les collectivités soutien de la DRAC Rhône-Alpes, de des partenaires incontournables pour la territoriales, le monde enseignant, les l’Inspection académique de la Savoie démocratisation des pratiques culturelles opérateurs culturels et les artistes ? et de l’Association Danse et Musique et artistiques, leur implication dans ce – En bref, quelle nouvelle gouvernance en Savoie (ADMS), en collaboration domaine est encore, il est vrai, inégale. inventer pour faire de l’éducation – Quels nouveaux horizons les artistique et culturelle une politique avec l’Observatoire des politiques départements peuvent-ils envisager pour le ambitieuse et partagée ? culturelles. RENSEIGNEMENTS ET INSCRIPTIONS : HTTP://WWW.CNEAC.INFO – TÉL. 04 79 33 30 30

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mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec111sec111 228/04/088/04/08 14:23:0514:23:05 L’Observatoire des politiques culturelles (OPC) est un organisme national, conventionné avec le Ministère de la Culture et de la Communication. Il bénéfi cie également du soutien de la Région Rhône-Alpes, du Dé- partement de l’Isère, de la Ville de Grenoble, de l’Université Pierre Mendès France et de l’IEP de Grenoble. Son projet se situe à l’articulation des enjeux artistiques et culturels et des politiques publiques territoriales, du local à l’international. Il accompagne les services de l’État, les collectivités territoriales – élus, responsables de services et d’équipements –, les acteurs artistiques et culturels dans la réfl exion sur les politiques culturelles territoriales et leur mise en œuvre. Son positionnement singulier entre le monde de la recherche, de l’art et de la culture et des collectivités publiques lui permet d’être un interlocuteur pertinent pour éclairer la réfl exion, suivre et impulser les innovations et le développement de l’action publique. À la fois force de proposition et d’analyse, l’OPC a acquis depuis sa création, en 1989, une expérience signifi cative des politiques territoriales en Europe comme en région.

1, rue du Vieux-Temple 38000 Grenoble Iconographie : Dominique Giroudeau / Jean Guibal / Alain Hayot / Mladen Hrvanovic / Tél. : +33 (0)4 76 44 33 26 Jef Rabillon / Maggie Delèglise Janez Janša / Alice-Anne Jeandel / Bojana Kunst / Fax : +33(0)4 76 44 95 00 Conception graphique : pixelis-corporate.fr Marc Le Glatin / Pierre Lévy / Bernard Maarek / Courriel : [email protected] Relecture et Mise en page : Cnossos Philippe Mairesse / David Maroto / Cécile Martin / Site : www.observatoire-culture.net Agenda : Héloïse Cuvelier Patrice Meyer-Bisch / Edgar Morin / Nathalie Président de l’association : Michel Fontès Secrétariat : Émilie Chassard Moureau / Robert Picht / Lisa Pignot / Nada Prlja / Directeur de la publication et rédacteur en chef : Ont collaboré à ce numéro : Guy Alloucherie / Vlado Ivan Renar / Elisabeth Renau / Oliver Ressler / Jean-Pierre Saez Alonso / Pascale Ancel / Marie Angleys / Karine Ballon / Jean-Claude Richez / Dominique Riquet / Rédactrice en chef adjointe : Lisa Pignot Marco Baravalle / Patrick Bazin / Delphine Bedel / Nicolas Romeas / Patrick Roussiès / Guy Saez / Comité de rédaction : Pascale Ancel / Karine Ballon / Marie-France Berthet / Lew Bogdan / Marie-Christine Jean-Pierre Saez / Marko Stamenkovic / Philippe Françoise Benhamou / Luis Bonet / Marie-Christine Bordeaux / Daniel Bougnoux / Gaspar Bouillat- Teillet / Catherine Trautmann / Veronika Tzekova / Bordeaux / Biserka Cvjeticanin / François Deschamps / Johnson / Jean-Luc Bredel / Mark Brogan / Clara Vaquez / Jean-Pierre Vincent / Henri Wetsphal. Aurélie Doulmet / Michèle Ferrier-Barbut / Bertrand Pascale Chaumet / Héloïse Cuvelier / Chantal Fabrication : Imprimerie du Pont de Claix Legendre / Cécile Martin / Raymonde Moulin / Philippe Dahan / Valerio del Baglivo / Mary Ann De Vlieg / Tél. : 04 76 40 90 38 Mouillon / Bruno Péquignot / Jean-Pascal Quilès / Aurélie Doulmet / Cicero Egli / Bernard Faivre d’Arcier / No ISSN : 1165-2675 Élisabeth Renau / Ferdinand Richard / Guy Saez / Cris Faria / Étienne Féau / Michèle Ferrier-Barbut / Dépôt légal, 1er trimestre 2008 Philippe Teillet / Emmanuel Wallon. Virginie Foucault / Peter Fuchs / Catherine Génisson /

L’association Observatoire des politiques culturelles est conventionnée avec le ministère de la Culture et de la Communication, la Région Rhône-Alpes, le Conseil général de l’Isère, la Ville de Grenoble, l’Institut d’études politiques et l’Université Pierre-Mendès France de Grenoble.

mmaqaq OObsbs 3333 dderOK.indderOK.indd sec112sec112 228/04/088/04/08 14:23:0714:23:07 SOMMAIRE

ÉDITO (1 – 2) TRIBUNE (14 – 17) p.1 : Jean-Pierre Saez p.14 : Patrick Bazin Si l’Europe s’ouvre à la culture… La bibliothèque, une médiatrice active des connaissances

DÉBAT (3 – 13) OBSERVATION CULTURELLE EN REGION (18 – 19) p.3 : Edgar Morin p.18 : Jean-Luc Bredel, Alain Hayot Bernard Maarek, Cécile Martin, Vitalité de la diversité culturelle et mondialisation Nathalie Moureau, Philippe Teillet, Henri Wetsphal p.9 : Patrice Meyer-Bisch Enquête sur les fi nancements publics de la culture Les droits culturels enfi n sur le devant de la scène ? en Provence-Alpes-Côte d’Azur

DOSSIER (21 – 55) DOSSIER IETM (57 – 81) LA CULTURE POPULAIRE : LA LIBERTÉ EN RÉPÉTITION / FIN D’UNE HISTOIRE ? REHEARSING FREEDOM Dossier coordonné par Lisa Pignot et Jean-Pierre Saez Gaspar Bouillat-Johnson et Lisa Pignot p.22 : Guy Saez En partenariat avec l’IETM et le Bunker Politiques culturelles et éducation populaire. constante, p.57 : Mary Ann De Vlieg, Jean-Pierre Saez constant malentendu Introduction / Introduction p.29 : Jean Guibal p.61 : Janez Jansa Cultiver les mémoires du peuple : un enjeu de diversité 11 thèses sur la liberté en répétition / 11 thesis on rehearsing culturelle ? freedom p.32 : Catherine Trautmann p. 65 : Marko Stamenkovic Les enjeux du dialogue interculturel du quartier à l’Europe L’artiste comme exemple à suivre dans les économies p.36 : Nicolas Roméas néolibérales / Artist as a role model in neoliberal economies Un peuple d’artistes p.76 : Bojana Kunst p.41 : Virginie Foucault Communautés et autres modèles de coopération et d’amitié Vis + écrou = Boulon : une formule de culture populaire ! des années 60 à nos jours / communities and other models of cooperation and friendship from the 60’s until now p.47 : Guy Alloucherie Au commencement était la Base 11/19 p.51 : Chantal Dahan, Jean-Claude Richez La culture populaire au Pôle culture de l’Injep : une histoire de passeurs

BIBLIO (82 – 96) SYNTHÈSES D’ÉTUDES (98 – 105) p.82 : Jean-Pierre Vincent p.98 : Marie-Christine Bordeaux Michel Guy : un météore ? Les départements et l’éducation artistique : p.85 : Pascale Ancel un partenariat en émergence La création contemporaine au regard du droit p.100 : Cécile Martin, Jean-Pierre Saez p. 87 : Daniel Bougnoux Le soutien des régions au spectacle vivant Plaidoyer pour le plurilinguisme p.103 : Pascale Chaumet p.89 : Robert Picht Principaux résultats de la mission de repérage Le cosmopolitisme, une nouvelle voie pour p.104 : Cécile Martin repenser l’Europe ? Les formations à l’administration et à la gestion de p.91 : Bernard Faivre d’Arcier la culture : bilan, analyse et perspectives Coup de projecteur sur les festivals p.105 : Philippe Teillet p.93 : Pierre Lévy Libres propos Internet, révolution économique, politique et culturelle AGENDA – COLLOQUES – FORMATIONS (106 – 108) p. 95 : Etienne Féau Exposer l’ailleurs, refl et de nos représentations du monde

ccouv+dosouv+dos 3333 OK.inddOK.indd 2 228/04/088/04/08 14:18:0614:18:06

NO 33 MAI 2008

était la Base 11/19 / p.51 Chantal Dahan, Jean-Claude Richez La culture populaire au Pôle culture de l’Injep : une histoire de passeurs / p. 57 Gaspar Bouillat-Johnson, Lisa Pignot La liberté en répétition / p.57 Mary Ann De Vlieg Introduction / p.61 Janez Jansa 11 thèses sur N

la liberté en répétition / p. 65 Marko Stamenkovic L’artiste comme exemple à suivre dans les économies néolibérales /p.76 Bojana Kunst O LA REVUE DES POLITIQUES CULTURELLES 33 MAI 2008 Communautés et autres modèles de coopération et d’amitié des années 60 a nos jours /p.82 Jean-Pierre Vincent Michel Guy : un météore ? / p.1 Jean-Pierre Saez Si l’Europe s’ouvre à la culture… / p.3 Edgar Morin Vitalité de la diversité culturelle et mondialisation / p.9 p.85 Pascale Ancel La création contemporaine au regard du droit / p. 87 Daniel Bougnoux Plaidoyer pour le plurilinguisme / p.89 Patrice Meyer-Bisch Les droits culturels enfi n sur le devant de la scène ? / p.14 Patrick Bazin La bibliothèque, une médiatrice ac- Robert Picht Le cosmopolitisme, une nouvelle voie pour repenser l’Europe ? / p.91 Bernard Faivre d’Arcier Coup de projecteur sur les tive des connaissances / p.18 Jean-Luc Bredel, Alain Hayot, Bernard Maarek, Nathalie Moureau, Philippe Teillet, Henri Wetsphal festivals / p.93 Pierre Lévy Internet, révolution économique, politique et culturelle / p. 95 Etienne Féau Exposer l’ailleurs, refl et de Enquête sur les fi nancements publics de la culture en Provence-Alpes-Côte d’Azur / p.22 Guy Saez Politiques culturelles et éducation nos représentations du monde / p.98 Marie-Christine Bordeaux Les départements et l’éducation artistique : un partenariat en émer- populaire. Interaction constante, constant malentendu / p.29 Jean Guibal Cultiver les mémoires du peuple : un enjeu de diversité gence /p.100 Cécile Martin Le soutien des régions au spectacle vivant / p.103 Pascale Chaumet Principaux résultats de la mission culturelle ? / p.32 Catherine Trautmann Les enjeux du dialogue interculturel du quartier à l’Europe / p.36 Nicolas Roméas Un peuple de repérage / p.104 Les formations à l’administration et à la gestion de la culture : bilan, analyse et perspectives d’artistes / p.41 Virginie Foucault Vis + écrou = Boulon : une formule de culture populaire ! / p.47 Guy Alloucherie Au commencement

dossier coordonné par Lisa Pignot et Jean-Pierre Saez LA CULTURE POPULAIRE : FIN D’UNE HISTOIRE ?

22 € NO 33 MAI 2008 Observatoire des politiques culturelles 1, rue du Vieux Temple, 38000 Grenoble [email protected] Tél. 04 76 44 33 26 L’arlequin du cirque Togni Fax 04 76 44 95 00 Dominique Giroudeau www.observatoire-culture.net

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