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10 10 Colophon Avant-propos 5 Antécédents 9 17 Textes et interviews Ont collaboré à cet ouvrage Toute représentation Sam Garbarski 31 Boyd van Hoeij Marc Clement (rédaction ou reproduction, même [email protected] de la version française), partielle, de la présente Julien Beauvois, Mathieu publication, sous quelque Dominique Abel Portraits De Biasio, Louis Héliot, forme que ce soit, est Fabrizio Maltese Geneviève Kinet, Anna interdite sans autorisation & Fiona Gordon 45 www.fabriziomaltese.com Knight, Emmanuelle préalable de l’éditeur. Lambert, Ian Mundell, Cette représentation Conception graphique Rosanna O’Sullivan, Guy ou reproduction, par Micha Wald 59 BaseDesign Trifin, Natasha Senjanovic, quelque procédé que www.basedesign.com Thierry Vandersanden, ce soit, constituerait 73 Ariane Vaughan. une contrefaçon.

Coordination © 2010 Ministère de la 85 Eric Franssen Communauté Française Manager de Belgique/Wallonie- Olivier Masset-Depasse 99 Wallonie Bruxelles Images Bruxelles International/ Tél +32 (0)2 223 23 04 Wallonie Bruxelles Images [email protected] Stéphane Aubier Imprimé par IPM Printing Coédition Imprimé sur Furioso & Vincent Patar 113 Ministère de la Communauté Française Dépôt légal : de Belgique D/2010/4101/1 Ursula Meier 127 Service général de ISBN 2-87263-030-9 l’Audiovisuel et des EAN 9782872630301 Nabil Ben Yadir 141 Multimédias – Centre du Cinéma et de l’Audiovisuel Boulevard Léopold II, 44, B-1080 Bruxelles Tél +32 (0)2 413 35 02 Conclusion 153 Fax +32 (0)2 413 20 68 [email protected] www.audiovisuel.cfwb.be Filmographie sélective 166 Wallonie-Bruxelles Note sur les portraits 174 International Place Sainctelette, 2 B-1080 Bruxelles Note sur les auteurs 175 Tél +32 (0)2 421 83 15/09 Fax +32 (0)2 421 87 66 [email protected] www.wbi.be/culture 4 5

Avant-propos

Les décennies nous aident le succès que l’on sait, leur francophone moderne. Il à dresser des bilans, déga- influence majeure sur cette n’y a pas un mais des ciné- ger des tendances, tirer des nouvelle génération se situe mas belges francophones. perspectives. sans doute davantage dans Une multitude d’univers 2000 – 2010 donc ! la confiance qu’ils ont su dont le seul point commun insuffler, dans cette attitude est d’être chaque fois forts Le cinéma belge franco- décomplexée qui les anime, et singuliers. phone. L’émergence d’une que dans une quelconque nouvelle génération de école stylistique. C’est en tout cas cette diver- réalisateurs. sité, à travers les personna- Et si on a pu lier un temps lités et les œuvres les plus Qu’ont en commun Joachim le cinéma belge au courant marquantes de la décennie Lafosse, Bouli Lanners, Ur- surréaliste et au réalisme écoulée, que nous avons sula Meier, Sam Garbarski, magique, on n’en trouve voulu mettre en lumière Dominique Abel et Fiona plus guère dans la produc- dans cet ouvrage. Gordon ? Quel lien entre tion contemporaine que Olivier Masset-Depasse, Fa- quelques traces éparses et Bien sûr, comme on l’a brice du Welz, Micha Wald, peut-être davantage dans évoqué au début, les bilans Nabil Ben Yadir, Stéphane le processus de production quand ils sont bien pensés Aubier et Vincent Patar ? artisanal de certains films. doivent nous aider à envi- Un style, une trajectoire, sager l’avenir et si tous les une singularité dans le Entre 2000 et 2010, la réalisateurs considérés ici paysage cinématographi- nouvelle génération de préparent un nouveau pro- que international mais aussi réalisateurs belges franco- jet, la décennie qui s’ouvre une convergence spatio- phones aura accouché de devrait nous réserver de temporelle qui les a vus drames intimes et comé- nouvelles surprises. éclore juste après l’an 2000 dies burlesques, d’épopées dans une région au cœur et fresques historiques, Avec une moyenne de dix de l’Europe. de thrillers et drames premiers films chaque sociaux, de comédies et année, nous avançons Cette région, d’autres films d’horreur, de films confiants. réalisateurs, d’autres films d’anticipation ou de giallo, l’ont placée sur l’échiquier d’animations loufoques… Frédéric Delcor mondial du cinéma lors de la (à gauche) décennie précédente : Toto Cette diversité de genres, Directeur le héros (1991), C’est arrivé de couleurs et de lan- Centre du Cinéma près de chez vous (1992), les gues – puisque la Belgique et de l’Audiovisuel frères Dardenne, Frédéric francophone accueille de Fonteyne, Ma vie en rose nombreux réalisateurs Philippe Suinen (1997), ,… d’origines étrangères – est (à droite) paradoxalement la caracté- Administrateur général Si ces figures tutélaires ont ristique qui semble le mieux Wallonie-Bruxelles poursuivi leur route avec définir le cinéma belge International 6 7

Les Barons Simon Belgique Konianski Francophone ± 4.200.000 Habitants

Ça rend Ultranova heureux

Belgique Illégal Eldorado

La Régate

Panique Calvaire Cages au Village 8 9 90–00

Van Haesebrouck, un petit Antécédents : belge francophone frileux, victime d’un gag récurrent : ses camarades prennent 1990-2000 un malin plaisir à mal pro- noncer son nom de famille pour le transformer en… Van Chickensoup. Sans doute, le réalisateur du film, , a puisé dans ses propres souvenirs d’enfan- I. Introduction. à aller à l’encontre d’une ce, où il a dû voir son nom, influence connue. difficile à prononcer pour un Aucun film n’est un phé- Ce volume met en rapport francophone, écorché par nomène isolé ni une œuvre dix jeunes réalisateurs ou plus d’un. Toutefois, ce n’est entièrement originale. Ceci couples de réalisateurs – pas sa nature autobiogra- est d’autant plus vrai pour le jeunes dans le sens où leur phique qui rend cette anec- cinéma belge francophone. émergence ne date pas dote importante, mais bien En effet, la région d’origine de plus longtemps que les ce qu’elle suggère à propos de ses films – la Wallonie et dix dernières années – et de la nature hybride de la la capitale majoritairement permet à beaucoup de ces Belgique, de sa culture et du francophone, Bruxelles – dialogues de prendre forme. cinéma belge en particulier. présente un véritable dia- L’intention des présenta- Que le nom de famille du pe- gramme de Venn d’influen- tions et interventions pré- tit Thomas soit d’origine hol- ces superposées. sentées ici est tout d’abord landaise alors qu’il est lui- Elle partage avec son voi- d’offrir une description de même francophone est une sin, la France – un « géant » l’œuvre de chacun de ces circonstance qui fait allu- du cinéma – la langue et réalisateurs. Mais il s’agit sion à la frontière, poreuse, maintes influences cultu- aussi de mettre l’accent sur entre les deux communau- relles, pendant que des la vitalité et la diversité de tés linguistiques principales frontières territoriales toute une génération de du pays. La transformation communes et un héri- cinéastes née depuis que du terme « Haes » en « Chic- tage national et historique quelques œuvres-clé des ken » évoque une ironie partagé l’unissent à la années 1990 – notamment bilingue délicieusement partie néerlandophone de Toto le Héros, C’est arrivé maligne : chacun de ces ter- la Belgique. Ce sont là les près de chez vous et les mes se réfère, dans l’argot plus évidentes influences films des frères Dardenne de la langue en question, au extérieures qui touchent – ont prouvé que les films caractère couard que l’on le cinéma belge de lan- belges peuvent convaincre attribue respectivement à gue française. On a envie la critique et atteindre un certains animaux (« haes » de dire que sur ces forces public large. Et tout cela signifiant littéralement externes, l’influence que sans se replier sur le style « lièvre » et « chicken » étant chacun des réalisateurs académique si caractéristi- l’anglais pour « poule »). peut avoir sur ses pairs que de la production locale Alors que la blague peut Toto le héros l’emporte. Le cinéma belge depuis l’introduction de paraître facile au premier © Toto & Co francophone est le siège subsides étatiques à la fin abord, le surnom de « Van d’un échange fréquent et des années 1960. Chickensoup » ouvre la voie engagé qui amène facile- à des questions essentielles. ment tel réalisateur à pren- II. Toto le Héros Principalement, il suggère dre comme point de départ et l’identité belge. l’incertitude de Thomas vis- de son film l’œuvre d’un à-vis de sa véritable iden- collègue ; ou qui conduit Dans Toto le Héros tité : en témoigne le fait que un autre – par intention ou (1991), nous faisons la ni son nom de famille ni son par circonstance – à réagir, connaissance de Thomas surnom ne correspondent 10 11 90–00

à sa sphère linguistique. En sans parler de l’influence directement la génération fait, tout le film repose sur culturelle plus forte encore présente de réalisateurs. la notion que Thomas croit des valeurs et idées amé- vivre sous une fausse iden- ricaines propagées par le III. C’est arrivé près de tité : il est persuadé d’avoir cinéma et la télévision, une chez vous : une étude été échangé à sa naissance domination culturelle com- en contrastes. avec Alfred, son voisin né le mune à l’Europe de l’ouest même jour, qui est à la fois depuis la fin de la Seconde Un an après que Toto plus téméraire et plus chan- Guerre Mondiale. se vit décerner la Caméra ceux que lui. Cette impres- De façon quelque peu ironi- d’Or à Cannes, un autre film sion devient si profonde que que, la « recherche d’iden- belge francophone laissa C’est arrivé Thomas finit par envisager, tité » cinématographique son empreinte, indélébile, près de même après des décennies, qui permit à Van Dormael sur la Croisette : C’est arrivé chez vous © Les Artistes de tuer Alfred pour lui avoir de mélanger différents près de chez vous (1992), un Anonymes « volé sa vie ». genres et styles au sein faux-documentaire d’une La référence à « Van Chic- d’un récit cohérent, devint violence extrême et parti- kensoup » introduit un rapidement un jalon de culièrement drôle, réalisé élément anglophone dans référence dans le cinéma par trois étudiants belges ce gag belgo-belge, révé- belge d’aujourd’hui et plus en cinéma. Le film suit les lant l’influence de la culture particulièrement dans le pérégrinations d’un meur- anglo-américaine sur la vie cinéma belge francophone. trier s’attaquant principa- de Thomas. Cette notion Le film rencontra un succès lement aux retraités (un est renforcée par son ad- considérable au box-office choix qui permet d’épargner miration pour les histoires et reçut les éloges de la cri- quelques balles puisque les policières américaines plu- tique, remportant la Caméra personnes âgées sont sou- tôt noires qu’il a regardée d’Or au Festival du Film de vent sujettes, entre autres, à la télévision étant enfant Cannes pour le Meilleur aux arrêts cardiaques), et (et qui ont sans doute eu Premier Film. aux facteurs. L’équipe de une influence directe sur Mais Toto le Héros n’est pas tournage qui documente ce meurtre qu’il complo- tombé du ciel. L’influence les exploits du tueur n’en de- tera des années plus tard). de l’œuvre du cinéaste vient pas moins l’inévitable Toto, le surnom favori de phare André Delvaux, qui complice au fil du film. Thomas, repris dans le s’inscrit dans le cycle du Le titre, C’est arrivé près de titre du film, se calque sur réalisme magique (et dont chez vous, évoque le désir les américains brillants et le dernier film est sorti deux de raconter une histoire à sûrs d’eux qu’il connaît de ans seulement avant le laquelle le public s’identifie la télévision. premier de Van Dormael) y aisément. Il ne s’agit là que Le rêve de Thomas/Toto de fut sans doute considérable, de la première instance d’un devenir Alfred est une méta- tout comme le fut l’analogie mélange de forts contras- phore de la Belgique en soi, de ces deux cinéastes qui tes, de distanciation et d’hu- partagée entre différentes ont réalisé des films ancrés mour noir dont est impré- influences linguistiques dans une réalité belge bien gné le film. Dans sa galerie et culturelles ; ou, dans le spécifique et ont tourné in- d’ancêtres cinématographi- cadre de notre objet, de la différemment dans les deux que, notons Henry, portrait culture et du cinéma fran- langues principales du pays d’un serial killer (1986, 1991 cophones en particulier. (ainsi qu’à l’étranger). Mais en Europe) de John McNau- Les francophones peinent ce sont bien Toto le Héros ghton, cinéaste originaire à s’affirmer non seulement et deux autres films, réali- de Chicago, qui, avec des vis-à-vis de la France voi- sés plus ou moins au même moyens très restreints, sine, mais aussi vis-à-vis moment, qui ont façonné le dressa le portrait effroyable d’autres groupes linguis- cinéma belge francophone, d’un tueur en série. tiques régionaux (les fla- sa perception et sa promes- À l’instar de Toto le Héros, mands néerlandophones et se dans les années qui sui- C’est arrivé près de chez la minorité germanophone), virent, et qui ont influencé vous est un film très drôle. 12 13 90–00

Le fait qu’il fut tourné en noir place dans le monde co- date et originaires de la ville et blanc dans le style ciné- loré et imaginaire de Toto. industrielle de Seraing, près ma-vérité ajoute un contras- De même, les éléments de Liège, tournaient leur te significatif. Contraire- fantasques et enfantins second long métrage de ment à Henry, portrait d’un de ce dernier seraient des fiction : Je pense à vous. serial killer, C’est arrivé près intrus intolérables au sein Falsch, leur premier film de chez vous se veut une de l’extrême perversité du sorti en 1987, avait été un parodie des documentaires premier. Toutefois, les deux drame historique tiré d’une télévisés réalistes, alors que films partagent plus de simi- pièce de théâtre, retraçant le grain et le manque de litudes que de différences : l’histoire d’une famille juive. couleurs des prises de vues tous deux utilisent l’humour Ce nouveau long métrage Je pense l’entraînent indéniablement comme force motrice du voyait les frères faire appel à vous dans une sphère cinémato- récit, dressent le portrait de à leurs talents de documen- © Christine Plenus graphique. Une méta-blague personnages obsédés par taristes, à la fois en terme hilarante illustre parfaite- le meurtre, prônent avec de sujet (le désespoir d’un ment ce paradoxe, lorsque fierté les influences cinéma- ouvrier en sidérurgie de Ben, le meurtrier, zigouille tographiques américaines Seraing qui perd son em- une équipe de journalistes et s’attaquent à la société ploi suite à la fermeture de rivaux parce qu’ils tour- (belge), qu’ils critiquent de l’usine où il travaillait), ainsi nent avec une « simple » façon directe et indirecte. qu’en termes de style. Mais caméra vidéo. Les deux films forcent leurs bien qu’il s’agisse ici d’une Le film fut réalisé par Rémy propositions jusqu’à leur étape nécessaire au déve- Belvaux, André Bonzel et conclusion logique ultime, loppement futur de la filmo- Benoît Poelvoorde, avec et tous deux ont rencontré graphie des frères, ce ne fut Vincent Tavier comme un succès considérable pas une expérience joyeuse. co-scénariste (ce dernier auprès du public. Le scénario, co-écrit par retrouvera plus tard Benoît Salués avec enthousiasme, le scénariste français Jean Poelvoorde sur le film d’ani- deux premiers films primés Gruault (co-scénariste éga- mation Panique au Village, à Cannes et exportés dans lement sur Jules et Jim de longuement analysé dans de nombreux pays, Toto le Truffaut) le casting ainsi que ce volume). Héros et C’est arrivé près de bien d’autres choix artisti- Malgré son statut de film chez vous furent instanta- ques concernant la produc- culte acquis quasi instan- nément considérés comme tion ne furent pas au goût tanément, ce fut le seul et exemples d’un nouveau des frères. Avec Je pense unique film réalisé par ces cinéma belge francophone, à vous, une co-production cinéastes. Rémy Belvaux susceptibles de créer entre plusieurs sociétés de devint un grand réalisateur un précédent. production belges et étran- de films publicitaires en gères, les frères avaient France avant de décéder IV. Les frères Dardenne l’impression de ne pas en 2006, tandis que Benoît et la reconnaissance avoir la mainmise sur leur Poelvoorde, qui tenait le internationale. œuvre… une expérience rôle du tueur dans C’est qui les poussa, vite après, arrivé près de chez vous, Il est amusant de noter à créer leur propre société est aujourd’hui l’un des que deux cinéastes, qui de production, Les Films acteurs comiques les plus allaient ensuite être asso- du Fleuve. connus dans le monde ciés à une nouvelle forme de Quatre ans plus tard, la so- francophone. cinéma belge de qualité, vi- ciété produisit son premier Toto le Héros et C’est ar- vaient une période quelque long métrage, rivé près de chez vous peu frustrante au moment (1996), instantanément pourraient, à première de la sortie de Toto le Héros reconnu comme étant une vue, apparaître comme un et de C’est arrivé près de œuvre significative lors tandem boiteux. La violence chez vous. En 1992, Jean- de l’avant-première Can- extrême de C’est arrivé Pierre et Luc Dardenne, noise. (L’importance de près de chez vous n’a pas sa documentaristes de longue ce festival pour le cinéma 14 15 90–00

belge francophone ne peut protagonistes, outrepassant de réaliser des films si être sous-estimée, même tout risque de mélodrame différents des œuvres des si la quête de bénédiction facile. C’est bien l’espoir, cet frères Dardenne. Mais il est française a souvent empê- élément essentiel que les important de constater que ché les films belges d’être protagonistes des Dardenne pour la Belgique, un pays de réellement belges, du moins semblent mériter plus que contrastes avec des tradi- jusqu’à la sortie de Toto le tout, et qui rend ces films tions très diverses, il n’est Héros, C’est arrivé près de si puissants. pas étrange d’aller dans chez vous et La Promesse.) Puisqu’il est dorénavant la direction inverse de ses En 1999, Rosetta, le film qui aisé de reconnaitre un film prédécesseurs. succéda à La Promesse, dé- des Dardenne, et que leur Dire que la nouvelle généra- crocha la plus belle récom- style a souvent été copié tion de cinéastes est riche pense au Festival du Film de (The Wrestler de Darren et diverse peut sembler fa- Cannes, la Palme d’Or, ainsi Aronofsky est un exemple cile et peu recherché. Mais, que le prix d’interprétation récent parmi tant d’autres), comparant les œuvres des féminine décerné à la toute il est surprenant de remar- réalisateurs présentés dans jeune Emilie Dequenne. Les quer qu’aucun des cinéastes les pages suivantes à celles frères remportèrent une se- influencés par les frères de leurs prédécesseurs, il conde Palme d’Or en 2005 Dardenne ne soit belge. est tout autant impossible pour L’Enfant. Tandis que certains cinémas de leur trouver des simila- Si l’on analyse la filmogra- nationaux en Europe connu- rités claires et nettes que phie impressionnante des rent des périodes dominées de nier qu’il s’agit d’œu- Dardenne, qui comprend en grande partie par une vres originales, uniques et également Le Fils (2002) et école en particulier ou un singulières. Et tout cela sans Le Silence de Lorna (2008), mode d’expression, tels que jamais faire oublier qu’ils il est impossible de ne pas les films du Dogme au Da- ont bien été créés dans un remarquer à quel point leur nemark (1995-2005) ou le même endroit et non dans expression cinématogra- Noul val românesc contem- un vacuum. phique était déjà formée porain (la nouvelle vague du Ce recueil contient peut- dans La Promesse. Le film, cinéma roumain), ceci ne fut être un ou plusieurs pro- qui retrace l’histoire d’un le cas de la Belgique. chains lauréats de la Palme adolescent se retrouvant Compter quelques grands d’Or, bien que dorénavant confronté à des respon- maîtres en guise d’ambassa- les belges n’aient plus sabilités inattendues, deurs du cinéma, cela peut besoin des français pour contient déjà les carac- être une véritable bénédic- valider leur cinéma. Cannes téristiques stylistiques tion pour la visibilité d’un a le grand mérite d’avoir principales qui deviendront petit pays sur la scène ciné- souligné l’individualité et le sceau des films des matographique mondiale. le talent de Jaco Van Dor- Dardenne : un récit moral Mais cela peut aussi repré- mael, des cinéastes de C’est mais non moralisateur, senter un obstacle considé- arrivé près de chez vous et situé dans une Belgique rable pour les jeunes cinéas- des frères Dardenne qui, à sombre et postindustrielle, tes qui essaient de laisser leur tour, ont permis à cette tourné caméra à l’épaule et leur empreinte et luttent nouvelle génération de généralement interprété pour trouver leur voie. cinéastes belges de prendre La Promesse par de tous jeunes acteurs conscience que – même © Christine Plenus inexpérimentés. V. La génération dans la partie sud d’un petit C’est dans la parfaite maî- post-Dardenne. pays européen – le cinéma trise d’une très particulière n’est pas un rêve mais une lueur d’espoir que les frères Il est impossible d’af- possibilité, une industrie excellent. Cette espérance firmer avec certitude que où des voix individuelles semble planer aux limites la nouvelle génération de peuvent se développer, être de l’image, se concrétisant cinéastes belges francopho- encouragées et écoutées. enfin au moment où elle nes ait décidé, consciem- s’immisce dans la vie des ment et collectivement, 16 17

Joachim Lafosse 18 19 Lafosse

Si tous les cinéastes belges fois, par les plans statiques, ses sujets sont durs et son l’obliger à se demander si lui propriété se comportent Joachim de la jeune génération sont trop rigides pour pouvoir approche de la réalisation, serait allé aussi loin que le envers leur mère divorcée à la recherche d’un équili- contenir une situation prête complexe et appréciable à protagoniste. Je préfère que comme des bébés qui ne bre précis entre la narration à exploser. C’est à la fin du plusieurs niveaux. le spectateur vive la ques- supportent pas l’idée qu’elle Lafosse et les aspects formels de film que la caméra bouge tion des limites à travers le s’éloigne d’eux, et ils hurlent leurs films, l’un renforçant soudainement, au grand En conversation avec cinéma plutôt que dans la quand ils apprennent qu’elle l’autre ou lui pouvant servir soulagement de tous. Joachim Lafosse vraie vie, parce que dans le souhaite vendre la maison. de contrepoint, Joachim cinéma cette confrontation Ils sont coincés dans cette Lafosse en a fait sa spécia- Bien que la thématique Dans votre premier film, n’a pas de conséquences. position parce que leur lité. À ce titre, Nue propriété centrale de cette trilogie Folie privée, la circonscrip- La question des limites me mère ne leur a pas transmis est un modèle à suivre pour de films soit l’examen du tion de votre cinéma et les semble assez universelle ; la possibilité de s’éloigner comprendre comment il comportement dérangeant limites qui le typifient sont c’est une question très mo- et de devenir adulte. Elle De tous les cinéastes juxtapose le fond et la forme d’un petit groupe de per- déjà très claires. rale. C’est aussi questionner n’a pas incorporé suffisam- présentés dans ce en vue d’atteindre un résul- sonnes qui ne connaissent Folie privée est inspiré les lois et leur fonction. Le ment de lois dans sa rela- tat final bien plus puissant aucune limite, ils possèdent de la Médée d’Euripide et cinéma peut faire réfléchir tion avec ses enfants pour volume, Joachim que la simple succession chacun leur propre univers d’un fait divers qui s’est le spectateur sur la justi- qu’ils puissent s’émanciper. de scènes. avec leurs propres person- produit dans les Arden- fication des lois et sur ce On dit toujours que c’est Lafosse est le nages (même si certains nes belges. Il m’importait que j’appellerais « les lois le père qui dit « non », qui plus productif, Nue propriété, le troisième noms de personnages ou de montrer le drame d’un universelles », c’est-à-dire impose des limites et qui long métrage du cinéaste, acteurs apparaissent dans homme qui ne supporte l’interdiction de l’inceste, du fait respecter les lois, et j’ai avec quatre longs 1retrace le parcours acca- plusieurs films). pas la séparation d’avec sa meurtre et de l’infanticide. l’impression que, de film blé de conflits d’une mère femme et de sa famille, au Essayer d’établir quelles lois en film, je reparle de cette métrages à son actif divorcée, interprétée par Le premier long métrage point de tuer son fils. L’idée ont été transgressées pour convention. J’essaye de depuis 2004. Les Isabelle Huppert, et de ses de Lafosse, Folie privée, est très proche de mon pro- qu’une tragédie se produise, montrer que, dès que cette deux grands jumeaux, avec se penche sur le refus d’un chain film, Aimer à perdre la c’est pour moi une manière logique n’est pas respectée, titres de trois d’entre qui elle vit toujours. La pre- homme face à la demande raison. Dans tous mes films, de faire réfléchir à la fonc- on avance vers la tragédie. mière bataille, aussi involon- de divorce prononcée par sa la nécessité d’instaurer des tion des lois qui circonscri- eux, Folie privée, taire soit-elle, est déclarée femme. Élève libre retrace limites dans les relations vent nos vies. Dans Élève libre le père et la Nue propriété et par la mère lorsqu’elle an- l’histoire d’un jeune ado- me préoccupe. Folie privée mère sont absents… nonce son projet de vendre lescent, laissé pour compte montre un père incapable Dans vos films, les enfants C’est avant tout un film Élève libre suggèrent la maison et de refaire sa vie par ses parents, qui se fait de s’imposer des limites ont souvent une logique qui sur les abus de pouvoir, et en France avec son compa- insidieusement manipuler dans la relation envers sa leur est propre, comme le l’influence qu‘un adulte d’emblée un thème gnon flamand. La nouvelle par un groupe d’adultes. Les femme et son enfant ; dans petit Thomas qui suggère peut exercer sur un adoles- récurrent : la sphère est une véritable déchirure histoires et les techniques Ça rend heureux, on voit un dans Folie privée que papa cent à travers son discours. pour ses fils, et tout particu- ont beau être très différen- réalisateur qui n’arrive pas et l’amant de maman peu- Je montre comment l’adulte, privée et ses limites lièrement pour Thierry in- tes les unes des autres, la à se limiter vis-à-vis de son vent habiter tous les deux de par sa plus grande expé- terprété par Jérémie Renier. caméra de Lafosse, est, une équipe ; dans Nue propriété avec elle. Mais cette logi- rience, peut manipuler un (une continuité plus Ils ne se sentent pas encore fois de plus, plus qu’un sim- il s’agit d’une mère aux limi- que d’enfant n’est jamais adolescent avec les mots, flagrante encore prêts à laisser derrière eux ple outil d’enregistrement ; tes insuffisantes envers ses loin de comment pensent les théories et les idées. la vie paisible qu’ils me- elle est un véritable instru- enfants ; et dans Élève libre, les adultes. Je voulais faire réfléchir le dans les titres10 de naient en tant que post-ado- ment qui permet au cinéaste d’un professeur qui man- Tous les enfants ont spectateur sur ce qui consti- lescents fainéants au sein de raconter son histoire. que de limites par rapport à envie que leur parents tue la différence – et donc, ces films en anglais, de la maison familiale. un élève. s’aiment, et tous ont envie la limite – entre la trans- Private Madness, Ça rend heureux, son de régler les problèmes mission et la transgression. Lafosse filme le jeu de deuxième long métrage, est Comment impliquez-vous le de famille. Je voulais mon- À partir de quel moment Private Property, pouvoir et de conflit qui un film semi-autobiographi- spectateur dans ce ques- trer ce qui arrive quand un est-ce que cette transmis- s’ensuit en plans fixes, les que et suit un cinéaste qui tionnement ? adulte a un raisonnement sion entre adulte et ado- Private Lessons). images reflétant un senti- essaie de trouver une suite J’aime proposer une enfantin, la tragédie que lescent devient une trans- ment d’inertie et d’impétuo- à son premier film. Le film réflexion aux spectateurs cela peut provoquer. Au fi- gression, quelque chose de sité, illustrant l’entêtement suggère également que La- à travers la manière dont nal, être là tout le temps, ne néfaste ? Quel est le seuil des personnages. Alors fosse (interprété par l’acteur le film est vécu. Je veille pas vouloir se séparer, est qu’il ne faut pas dépasser que la tension va grandis- Fabrizio Rongione dans le à être assez excessif pour fondamentalement la même pour qu’une relation entre sante, l’atmosphère devient film) prend un réel plaisir justement questionner les li- chose que ne jamais être là. un adulte et un adolescent étouffante, renforcée, cette à réaliser un film, même si mites du spectateur et pour Les adolescents dans Nue reste vivable ? 20 21 Lafosse

Ça rend heureux Nue propriété © Jean-François Metz © Hichame Alaouie 22 23 Lafosse

Jonas, l’adolescent, est une est horrible. Il s’agit d’un sent vraiment se renforcer victime, certes, mais est- mécanisme de défense très l’un l’autre. ce qu’il est complètement basique. Cinématographi- Nue propriété était innocent ? quement, ces moments sont scénaristiquement déjà très Le film le montre au très intéressants ; ils carac- formel, dans le sens où je moment précis où il devient térisent les personnages voulais que chaque plan soit adulte, et donc responsa- sans psychologie directe ni comme une maison dont ble – au moment où, tout grands discours. les personnages n’arrive- d’un coup il comprend qu’il raient pas à s’échapper. Il aurait dû dire « non ». C’est Les scènes où l’on mange, me fallait donc des plans à ce moment qu’il devient où l’on se retrouve autour fixes pour montrer que les adulte, mais il est trop tard. d’une table, sont fréquents trois personnages n’avaient C’est terrible, mais il doit dans vos films. pas assez d’espace, qu’ils passer par là pour le com- La table est pour moi devaient toujours se battre prendre. Lui dire : « je ne t’ai le lieu métaphorique de la pour qu’il y en ait un qui dis- jamais forcé », n’est pas tout famille. J’adore filmer les paraisse. Cette logique-là, à fait vrai car Jonas n’avait gens qui mangent parce elle y était dès le début de pas encore les moyens de que je crois que ce qu’on l’écriture. Les personnages dire non. Le film parle de mange, comment on mange se parlent beaucoup, mais ce moment où nous nous en disent long sur une per- souvent pour ne rien se dire. rendons compte qu’une sonne. Manger est aussi un Je ne crois pas que ce qu’ils chose que nous avons choi- acte très sexuel – filmer des disent soit informatif. Je ne sie n’est, en fait, pas bonne gens qui mangent, c’est dire fais pas de films bavards, pour nous. Y figure aussi beaucoup sur leur sexualité plutôt des films sur des gens tout le discours des adultes et sur leur état psychique. qui ne savent pas comment sur la sexualité – une sexua- La table est le lieu de né- se parler. lité qui, pour moi, ne peut gociation et de partage, pas se réduire à un discours et donc parfois de grave Au niveau des moyens tech- ou des idées. Dès que la conflit, ce qui m’intéressait niques, on voit une progres- sexualité est accompagnée dans Nue propriété. Dans sion du format vidéo quasi- d’une théorie, cela me fait Élève libre, c’est plutôt un ment carré de Folie privée très peur. lieu de banalisation. Les au 35 mm en cinémascope adultes n’arrêtent pas de d’Élève libre. Dans Folie privée, il y a une raconter à Jonas comment il Au début, c’était une scène où la famille se trouve faut faire l’amour, ça les fait question de budget, mais il autour de la table et Thomas rigoler autour de la table. y avait aussi l’impératif de commence à raconter des Ils banalisent une chose rester proche de ce que je blagues. Il est tout petit, qui pour moi est grave. racontais. Pour mon deuxiè- mais il semble très bien J’aime bien travailler avec me film, Ça rend heureux, savoir que la situation n’est des contrepoints ; parler j′avais peu de moyens mais pas tenable. de quelque chose de grave le choix du format faisait L’enfant fait le clown dans une situation grave aussi partie d’un ques- dans cette situation parce n’est pas fondamentale- tionnement pertinent sur qu’il sent très bien qu’il y a ment intéressant. Ce n’est le fond et la forme. Je me Eleve Libre une tension. Il essaye donc pas non plus comment les voyais mal tourner un film © Versus production, de faire rire pour soulager choses se passent dans la en 35 millimètres sur un Anne Van Aerschot cette tension. On voit cela vie – sinon on verrait venir cinéaste qui n’a pas d’argent dans beaucoup de familles, les problèmes beaucoup pour faire des films. Il était beaucoup d’enfants jouent plus facilement. cohérent qu’un film sur lui ce rôle. Dans Nue pro- soit tourné en vidéo. Cela priété et dans Élève libre il Le fond et la forme sont apportait une plus grande y a des scènes à table où fortement liés dans tous légèreté ainsi que la possi- tout d’un coup ils rigolent vos films, mais c’est dans bilité de tourner beaucoup. d’une chose qui, en fait, Nue propriété qu’on les À l’époque où je faisais 24 25 Lafosse

Nue propriété © Hichame Alaouie 26 27 Lafosse

mon premier long métrage, Je connais les titres en découvrir que je peux être après avoir terminé l’école, anglais mais je ne l’avais autre chose que je m’ima- « Je pensais être quelqu’un d’assez sérieux et j’étais plutôt influencé par jamais remarqué. Je vais ginais être. Je referai un cérébral et je me suis découvert capable de les photographes et des avertir les producteurs film dans cette logique-là et réalisateurs tels que Gus qu’ils trouvent un titre avec avec cette spontanéité-là, faire autre chose. C’est l’un de mes plus grands Van Sant, donc j’aimais « private » pour le cinquième j’en suis sûr. J’ai tourné Folie bien ce format plus carré. aussi ! Effectivement, cela privée et Ça rend heureux plaisirs de cinéaste : de découvrir que je peux être C’est tout à fait l’inverse colle bien aux films en ques- parce que la Commission de autre chose que ce que je m’imaginais être. » depuis que j’ai touché au tion. C’est une façon de dire Sélection des Films jugeait scope. Je trouve que c’est que maintenant, on va re- que je n’avais pas assez d’ex- le format du cinéma parce garder ce que normalement périence pour faire un long qu’il n’exige pas de champs on ne peut pas voir, ce qu’on métrage. J’ai donc fait ces Mais ce côté belge est très dans les autres films, plu- prendre en compte toutes contre-champs. Je peux nous cache. C’est ce qui deux films avec un budget présent dans tous vos films. sieurs noms apparaissent les obsessions de mes films filmer une table avec de rend le cinéma fascinant. En ridicule, avec des personnes Bien qu’ils parlent de choses souvent : François Pirot, qui précédents. Pour la première nombreuses personnes général, si l’on donne une qui n’étaient pas payées – ils universelles, ils se dérou- a co-écrit plusieurs scéna- fois dans mes films, la forme sans devoir couper. caméra aux gens, ils filment étaient d’accord de le faire, lent très concrètement en rios, Hichame Alaouie à la va l’emporter sur le fond, tous la même chose : les an- bien sûr. Quand le deuxième Belgique. Et il y a toujours caméra, Sophie Vercruysse c’est-à-dire que depuis le Je crois qu’il n’y a pas du niversaires, la Saint-Nicolas fut terminé, j’ai eu l’accord ou moins un personnage au montage. début de l’écriture il y a une tout de champs contre- qui se passe bien, un Noël de la Commission, puis l’ac- néerlandophone… Ce qui me passionne le forme que je suis impatient champs dans Nue propriété où tous sourient et rigolent. cord d’Isabelle Huppert, et C’est très important plus dans le cinéma, c’est de traduire sur le plateau. J’ai et Élève libre. À moi, on me donne une ca- nous avons pu tourner Nue pour moi et ce l’était de- que c’est un art collectif, toujours dit qu’on devenait Il n’y en a pas, juste- méra et je filme exactement propriété, qui, en réalité, puis mon tout premier que j’ai le droit d’être celui cinéaste au bout de quatre ment parce que je me rends ce qu’on ne montre pas : les était déjà écrit avant les court métrage. J’ai toujours qui peut recevoir toutes les ou cinq films, et là je sens compte que je fais des moments où l’on se dis- autres. Voilà pourquoi j’ai pu travaillé avec des néerlan- propositions et qui par ses que l’expérience accumulée films sur les liens entre des pute, où il y a des bagarres, tourner trois films en trois dophones : l’acteur Kris choix fait coexister le travail va me permettre de prendre personnages qui ne savent des tensions. ans – je n’arriverai probable- Cuppens a même co-écrit d’une dizaine d’artistes plus de risques et de dévoi- pas imposer des limites, qui ment pas à faire cela sou- plusieurs de mes films. Pour différents. Mon père a été ler une part de ce qui me n’ont pas de limites, donc il Dans votre filmographie, vent. En Belgique, c’est très moi, travailler avec lui est un photographe d’œuvres d’art, préoccupe, avec, j’espère, le est intéressant de ne faire c’est Ça rend heureux compliqué. Personne n’a fait mystère parce qu’il vient de et il m’a appris qu’il fallait plus de justesse possible. Le aucune coupe entre eux, qui est – et qui a – le titre quatre films en cinq ans. Je cette autre culture. J’aime respecter les créations et film est inspiré de « L’affaire de ne pas les séparer d’un atypique. me rends compte que ce beaucoup les acteurs néer- les œuvres des gens avec Lhermitte », un quintuple plan à un autre. Les plans- Oui, mais c’est aussi l’un n’est pas une course, mais je landophones parce qu’ils qui on travaille. En faisant infanticide qui a marqué séquences donnent au des plus intéressants parce pense que cette fréquence ont un rapport au métier qui du cinéma, j’ai pu rester la Belgique. Pour le grand spectateur l’impression de qu’il fait partie des plus un peu hallucinante a ouvert est très concret. Les acteurs dans cette logique-là, ce public, le meurtre d’enfants réellement vivre avec les spontanés – il a été co-écrit des portes à d’autres ci- francophones peuvent avoir que je trouve absolument est une chose inimaginable ; acteurs. J’ai évolué d’une par les comédiens. C’est néastes qui avaient envie de une culture assez théâtrale, formidable. Certes, il peut ce n’est pas nous, c’est les mise en scène peu présente, d’ailleurs aussi un film sur tourner de la même maniè- parfois très réfléchie et y avoir des crises et des autres. Je veux essayer de de films qui s’écrivaient l’importance de la solida- re, un peu sauvagement. spirituelle, et les acteurs fla- conflits humainement com- montrer que, finalement, beaucoup au montage, rité et de la collectivité. Le mands ne fonctionnent pas pliqués à gérer, mais il s’agit cela nous ressemble quand vers des films qui s’écrivent projet s’est écrit en trois Ça rend heureux est un film du tout comme ça. Comme d’une énigme et d’une quête même un peu. Les enfants beaucoup plus sur le pla- mois, tourné en deux mois, qui se passe en ville, dans le dit toujours Kris : « Moi, il passionnante. Le cinéma est n’auront pas les mêmes teau et où le plan-séquence puis monté en quatre mois les rues et les bars. Des lieux faut que j’essaye ». Mes pa- une discipline qu’on ap- noms et ce sera une fiction a fini par l’emporter. Folie et a été distribué tout de qu’on ne voit pas dans vos rents étaient des francopho- prend sur le champ ; c’est en librement inspirée ; comme privée est un film en 500 suite après. C’est le projet le autres films. nes qui vivaient en Flandres faisant des films qu’on dé- tous les auteurs, j’invente. plans, Élève libre n’en a plus plus agréable que j’ai fait et C’est un des rares films et donc la cohabitation m’a couvre ce qu’est le cinéma. Ce qui m’intéresse n’est pas que 83. En anglais, les titres c’est d’ailleurs pour cela que francophones réellement toujours intéressé. Dans le le côté morbide de l’histoire, de Folie privée, Nue proprié- nous avons choisi ce titre. Je bruxellois. Enfin, il y en film que je suis en train de Le tournage de votre cin- c’est vraiment de savoir té et Élève libre commen- ne m’attendais pas à cela, je a eu quelques-uns mais préparer, je vais de nouveau quième film, Aimer à perdre comment on peut en arriver cent tous par le mot « pri- pensais être quelqu’un d’as- vraiment très peu. Je suis parler de cette question et la raison, est prévu pour le là. Si, depuis plus de deux vate ». Il est vrai que les trois sez sérieux et cérébral et je très heureux que ce film il y aura encore des acteurs printemps 2011. millénaires, on rejoue Médée films ressemblent à une me suis découvert capable soit l’un des premiers films néerlandophones. C’est un projet qui me et les grandes tragédies trilogie ; d’un côté dramati- de faire autre chose. C’est francophones qui montre tient beaucoup à cœur parce grecques au théâtre, c’est que, ils sont très proches les l’un de mes plus grands la réalité de Bruxelles et de Ça rend heureux était un que j’ai le sentiment qu’il bien parce qu’elles ont quel- uns des autres. plaisirs de cinéaste : de la Belgique. vrai travail collectif, mais me permet d’aborder et de que chose d’universel. 28 29 Lafosse

Joachim Lafosse Filmographie par Stijn Coninx

Situations douloureuses, réalités difficiles, humour et sen- 2011 2001 sibilité extrême sont autant d’empreintes que laissent les films Aimer à perdre la raison Tribu (court) de Joachim Lafosse. La facilité et la lucidité avec lesquelles en préparation. Meilleur court métrage, il suit ses personnages, ou les enferme dans des plans fixes — Festival du Film où ils laissent libre cours à leur douleur, est le résultat d’un 2008 Francophone de Namur. travail minutieux sur le développement des personnages et Élève libre Mention spéciale, Festival d’une direction d’acteurs magistrale. Simplistes à première Quinzaine des Réalisateurs, du Film de Locarno. vue, ces histoires vont souvent très loin dans la complexité Festival du Film de Cannes. Prix du Président du Jury de l’amour et des rapports humains, des séparations et des Compétition, Festival (Wim Wenders), Festival traumas qu’elles engendrent à la fois pour les parents et pour des Films du Monde international des Films les enfants. Joachim Lafosse jongle avec le drame inhérent de Montréal. d’Ecoles de Munich. à la passion et à la haine, avec l’amour propre et l’impossi- Festival international du — bilité pour beaucoup de vivre en harmonie avec les autres. Film de Rotterdam. Scarface (documentaire) Empreint d’émotions fortes, comme dans Folie privée, ou de — — personnages inflexibles, dans Nue propriété, un véritable dia- 2006 2000 mant à l’état brut, Lafosse est devenu l’un des cinéastes les Nue propriété Égoïste Nature (court) plus uniques de sa génération. Il sait aussi prendre du recul Compétition, Festival Meilleur court métrage, sur lui-même et sur son métier avec légèreté et humour, com- du Film de Venise. Festival du Film me nous le prouve son film Ça rend heureux. Prix SIGNIS Mention Francophone de Namur. spéciale, Festival du Stijn Coninx est le réalisateur des comédies flamandes Film de Venise. Hector (1987) et Coco Flanel (1990), qui ont toutes deux ren- Festival international contré un immense succès, avant de tourner le drame Daens du Film de Toronto. (1993), nominé aux Oscars. Plus récemment, il a réalisé Sœur Festival international Sourire (2009), un film biographique en français sur une du Film de Sao Polo. nonne belge chantante, interprétée par Cécile de France. — Ça rend heureux Compétition, Festival du Film de Locarno. Prix du Jury, Premiers Plans (Angers). Prix du Public, Festival du Film européen de Bruxelles. — 2004 Folie privée Compétition, Festival du Film de Locarno. Prix FIPRESCI, Festival du Film de Bratislava. Prix SACD de la meilleure oeuvre audiovisuelle. — 30 31

Sam Garbarski 32 33 Garbarski

Sam Garbarski

À 62 ans, Sam Garbarski est le plus âgé des jeunes cinéastes présentés ici. Le réalisateur, dont le premier long métrage, Le Tango des Rashevski, date de 2003, a connu une carrière florissante en tant que publiciste avant de se tourner vers le cinéma. Depuis, il 2a réalisé Irina Palm, sorti en 2007, et plus récemment, Quartier lointain.

Garbarski est né en Allema- bien s’appliquer aux deux “On le sent, c’est tout !” à Quartier gne mais vit en Belgique autres longs métrages quoi, un goy s’apprêtant lointain © Entre Chien depuis 40 ans. Étranger d’un cinéaste à tous les à épouser un membre de et Loup également en Allemagne, coups surprenant. la famille, répond du tac puisque ses parents étaient au tac : «Alors je peux être Juifs d’origine polonaise, Dans la comédie dramatique Juif aussi !» ses films traitent tous des Le Tango des Rashevski, notions d’identité10 et de la le décès d’une matriarche Les questions religieuses, façon dont le passé et l’en- juive plonge les membres culturelles, linguistiques et vironnement influencent la de sa famille dans une crise identitaires sont maniées construction personnelle. identitaire. La question avec un mélange de co- principale, même si elle médie et de drame, et de Quartier lointain, sorti en n’est jamais expressément nombreux personnages Allemagne en mai 2010 où il prononcée, est alors de sa- découvriront de nouvelles s’intitule Vertraute Fremde voir ce que signifie être Juif facettes aux personnes (« Des étrangers familiers »), (et plus particulièrement, qu’ils croyaient parfaite- est une adaptation à l’écran ce que veut dire être Juif ment connaître – y compris du manga éponyme de aujourd’hui). Dans un bel eux-mêmes. Jiro Taniguchi. Ce n’est échange assez animé, l’un pas une coïncidence que des personnages explique, Le thème du familier/ ce titre pourrait tout aussi se rapportant à lui-même, étranger revient aussi, de 34 35 Garbarski

manière plus introspective l’adolescent revit alors a pas vraiment et pourtant cette fois, dans Irina Palm, certains des événements c’est du très grand cinéma où une veuve quinquagénai- majeurs de sa jeunesse, belge. Je n’aime pas caser re, interprétée par Marianne illustrant ainsi l’idée de les choses ou être casé Faithfull, se découvre un Wordsworth que « l’enfant moi-même. Comparer un don pour satisfaire les hom- est le père de l’homme. » film belge à un autre, c’est mes. Le film, co-écrit par difficile. Mais, certaines Philippe Blasband (égale- En conversation avec réalités du cinéma belge ment co-scénariste sur les Sam Garbarski existent, et sont pareilles autres longs métrages de pour tout le monde ; le fait Garbarksi), est construit sur Le but de cet ouvrage est qu’on fait des films avec peu une série de contradictions de regrouper des réalisa- de moyens, par exemple. apparentes, à commencer teurs belges francopho- Je crois que c’est Sartre par le choix surprenant de nes. Vous êtes un cas un qui a dit « l’argent n’a pas Faithfull, l’ex-égérie de Mick peu particulier… d’idées ». Quand on fait du Jagger, qui joue le rôle d’une On peut le dire ainsi, cinéma comme ça, on a veuve abstinente et bouffie. oui. Je suis polonais d’ori- besoin d’idées. gine, né en Allemagne, et Outre le fait qu’elle croit maintenant je suis belge. Je Vous venez du monde de la juste devoir servir le café, suis arrivé en Belgique dans publicité. Est-ce que c’était ce qui détermine Maggie les années 1970, en suivant une bonne école, avant dans son choix de deve- une femme ; au départ nous d’entamer une carrière dans nir hôtesse au Sexy World sommes venus en Belgique le cinéma ? club de Soho à Londres est pour un week-end. C’est Je crois que dans ma vie sa volonté de réunir une par pur hasard que je me je n’ai rien fait de volontaire. importante somme d’argent suis retrouvé ici et je me La vie est venue vers moi et pour couvrir les frais d’hos- sens un peu de nulle part et je ne regrette absolument pitalisation de son petit-fils, de partout, mais, au final, rien. J’ai toujours aimé le très gravement malade. De surtout belge. Ça fait pres- cinéma mais je n’avais pas façon ironique, en exploi- que quarante ans que je vis l’intention d’en faire. Un tant une facette latente et en Belgique. Je suis allé à concours de circonstances initialement refoulée d’elle- l’université à Munich, donc m’y a poussé. La publicité même, les choses commen- la langue de ma jeunesse est y était pour quelque chose, Irina Palm cent à tourner en sa faveur. l’allemand, mais mes pa- et il est vrai que mes pubs © Entre Chien rents parlaient le polonais, ressemblaient toujours à et Loup Un mécanisme similaire je parle un peu de yiddish des petites histoires. C’est est à la base de Quartier également (enfin, je le un exercice très intéres- lointain, qui, tout en étant comprends). sant que de condenser en la première adaptation au très peu de temps – vingt, grand écran du cinéaste, a Avez-vous l’impression qu’il trente secondes – une toutes les caractéristiques existe « un cinéma belge » petite histoire, d’en faire un d’un film de Garbarski. Ici, et, si oui, est-ce que vous en « micro métrage ». Je suis le contraste entre le fami- faites partie ? sûr que, sans l’avoir fait lier et l’étranger s’exprime On parle de cinéma intentionnellement, cela m’a à travers une combinaison belge mais si je pense à un beaucoup aidé. de transformations corpo- film des Frères Dardenne et relles et de voyage dans le un film de Yolande Moreau, Est-ce que vous ressentez temps. À ce titre, un homme par exemple, tous les deux que ces expériences dans d’une quarantaine d’années, belges, j’ai l’impression que la pub ont fait de vous interprété par Pascal Greg- cela reste deux films assez quelqu’un qui soigne une gory, revient dans son corps différents. Il y a une auto- approche plus axée vers d’adolescent de 14 ans dérision belge qui peut leur le grand public ? Est-ce lorsqu’il visite le village de être commune, mais encore. que vous avez l’intention son enfance. Avec du recul, Chez les Dardenne, il n’y en de faire des films plus 36 37 Garbarski

c’est mon histoire. Je crois bien emprunter le talent et pour cela nous avons « Pour moi, un film est comme que le fait d’accepter l’autre des autres pour réussir à fait appel à un scénariste et sa différence m’intéresse, faire quelque chose ensem- anglais, Martin Herron. Pour et il n’y a rien de plus enri- ble. Ce qui est magnifique Quartier lointain, où l’on un voyage : on peut partir chissant que d’être confron- avec Philippe, ce n’est pas avait transposé l’histoire ori- té à des cultures différentes seulement qu’il écrit très ginale du Japon en France, chaque année à la mer, et boire et de les partager. C’est bien, mais qu’il raconte on a co-écrit le scénario comme ça que nous gran- mes histoires encore mieux final avec Jérôme Tonnerre, dissons, que nous vivons. que je les ai dans la tête. En un scénariste français. Pour son café sur la même terrasse. principe, j’écris une his- mon nouveau film, je suis Vous avez dirigé votre fille, toire – Quartier lointain était encore dans le même cas : Mais je préfère partir à chaque la comédienne Tania Gar- différent car c’est une adap- j’ai écrit une histoire avec barski, dans Le Tango des tation – assez brièvement : Philippe, et elle se passe à Rashevski et dans Quartier deux, cinq ou dix pages. New York. En ce moment, un fois ailleurs, différemment. » lointain. Vous étiez vous- Après, je discute avec lui scénariste américain est en même à l’affiche d’un film de ce qui est bien, de ce qui train de la « faire exister » à de Claude Miller, Le Secret. ne va pas, et il revient vers New York. Il s’agit surtout de Une affaire de famille ? moi avec une réécriture la raconter dans une réalité Avoir une fille comé- en forme de scénario. Il y a locale, concrète et sociale, dienne, en tant que réalisa- encore des parties à moi là- cela fait toute la différence, teur, c’est formidable. Tania dedans, mais c’est lui qui est et bien sûr le flair pour la est une très bonne actrice et le scénariste. langue est important. Une accessibles que les films peut partir chaque année ce qu’on crée, et en même c’est un plaisir de travailler histoire ne peut pas simple- d’auteur ou les œuvres plus à la mer, au même endroit, temps dans mes trois films, avec elle. C’est au cours du Pour Irina Palm, l’histoire ment être traduite, on doit la expérimentales ? et boire son café sur la il n’y a rien d’explicitement film de Claude Miller que a été transposée en An- réécrire. Il faut demander à Je ne le sais pas, ces même terrasse. Mais je biographique. Mon histoire je me suis rendu compte gleterre par un scénariste des locaux : « est-ce qu’il est frontières sont très floues préfère partir à chaque fois n’est pas aussi intéressante. que faire l’acteur n’est pas anglais. Est-ce important imaginable que cette histoi- pour moi. Évidemment, ailleurs, voir les choses un Si une histoire ne m’émou- vraiment pour moi. Claude de travailler avec quelqu’un re existe ici ? » Si la réponse quand on fait un film, on a peu différemment. Un film a vait pas, s’il n’y avait pas voulait absolument que du lieu pour avoir ce est « non », ne la faisons pas, envie de plaire, on ne le fait une durée de vie de trois ou une partie de moi, je ne je le fasse et j’ai accepté. goût « local » ? parce que nous allons droit pas pour le garder dans un quatre années, donc pour pourrais pas vivre avec mes Je n’aurais jamais imaginé Au départ, l’histoire de- dans un mur. placard. Mais je ne crois pas moi il est essentiel de faire personnages et je ne ferais faire cela de ma vie. L’expé- vait se passer ici, à la Gare que je fais des films pour quelque chose de différent à pas ce film. Le Tango des rience m’a permis de voir du Nord bruxelloise. Les Quartier lointain est l’adap- racoler, pour chercher le chaque fois. Rashevski est une histoire les choses de l’autre côté et producteurs vous deman- tation d’un manga japonais. public le plus large possi- de Juifs comme j’en suis un, elle m’a beaucoup enrichie. dent tous une histoire origi- Qu’est-ce qui vous a attiré ble. Un réalisateur qui fait Votre premier long métrage, moi : un Juif laïc, iconoclaste L’atmosphère, son travail nale et dès que vous en avez dans l’histoire originale ? des films uniquement pour Le Tango des Rashevski, et à la limite de l’athéisme. avec les acteurs étaient très une, elle fait peur. Sébas- Ce qui m’a plu, c’est le lui-même doit être assez parle d’une famille juive Les Rashevski me sont très proches de ce que je fais sur tien, le producteur belge, fait que la création peut être culotté de prendre tout cet et de personnages qui proches, mais leur histoire mes plateaux, donc cela m’a s’est beaucoup battu et et en même temps un travail argent. C’est cher, un film ! cherchent, d’un côté, leurs n’est pas la mienne, même plutôt rassuré. sa tâche était très difficile d’analyse. Au lieu de se Je n’aime pas analyser les racines et, de l’autre, sim- si il y a des moments qui pendant un moment, jusqu’à coucher sur un canapé et de choses de manière entiè- plement ce qu’ils partagent auraient pu être de ma vie. Il Tous vos scénarios ont été ce que nous rencontrions créer l’histoire de son passé, rement rationnelle, mais il en tant qu’êtres humains. y a toujours des expériences co-écrits avec Philippe une productrice anglaise au on peut résoudre un problè- est certain que l’on a envie Est-ce que ce début avait un nous aidant à nous identifier Blasband. festival de Rotterdam qui me qui était là pendant des que son film soit vu, appré- côté autobiographique ? à une histoire. Dans Irina Philippe fait partie de nous a dit : « Pourquoi ne pas années et qui compliquait la cié et partagé. J’ai envie L’écrivain israélien Palm, pour moi, c’est le fait mon histoire, je l’ai connu le faire en anglais ? ». En tant vie. Je crois qu’en compre- de raconter des histoires, Amos Oz a dit dans son livre que mon père avait un bar, quand je travaillais encore que petit belge, je n’aurais nant mieux son passé, on pas trop idiotes, j’espère. Une histoire d’amour et de même si c’était un autre dans la publicité. Il y a des jamais pensé à faire un maîtrise mieux son présent. Prenez mes trois films et ténèbres : « un bon lecteur genre de bar. Dans Quartier réalisateurs qui font tout film en anglais. Ce sont les On dit tous : « si je pouvais pourquoi pas le quatrième, ne cherche pas les traces lointain, il y a un retour vers eux-mêmes, ils écrivent, ils circonstances qui nous ont revivre ça, je le ferais autre- qui est en train de se faire biographiques de l’auteur, les 14 ans du protagoniste ; jouent, ils font la lumière et poussés à le faire, mais je ne ment » ; mais je ne crois pas – ils sont tous totalement mais les siennes ». C’est-à- mon père n’est jamais parti, parfois même la musique. l’ai vraiment pas regretté, que c’est vrai. Les choses différents. Pour moi, un film dire, je crois qu’il y a tou- et l’histoire originale se Je crois que je n’arrive à au contraire. Il fallait trans- essentielles se passent com- est comme un voyage : on jours du biographique dans passe au Japon, et pourtant, rien faire tout seul, et j’aime poser l’histoire en anglais, me elles doivent se passer. 38 39 Garbarski

Le Tango des Rashevski © Jean-Paul Kieffer 40 41 Garbarski

« On dit tous : ” si je pouvais revivre ça, je le ferais autrement ” ; mais je ne crois pas que c’est vrai. Les choses

Le Tango des essentielles se passent comme Rashevski © Jean-Paul Kieffer elles doivent se passer. »

Une fois cela compris, le Je ne me suis jamais et vraiment très drôle. Je me présent devient beaucoup rendu compte de cette suis rendu compte que de- plus intéressant à vivre. relation entre les différentes puis longtemps, j’avais envie histoires. De surcroît, il y a de faire une vraie comédie. Tous vos films ont un petit de nouveau un enterrement Comme je dis toujours à côté mélancolique. Une dans mon prochain film… mon fils : « c’est l’humour qui touche personnelle ? c’est l’histoire de quelqu’un permet de dire les choses J’aime beaucoup ce qui par un concours de les plus graves ». côté mélancolique, je me circonstances est déclaré sens bien dedans. Je pense mort, et qui va à son propre à de belles choses que enterrement pour voir ce j’ai vécues, et remettre ce que les gens pensent vrai- sentiment dans un film me ment de lui. Il est déguisé en plaît, même si je ne le fais sikh, et, manque de chance, pas exprès ; je ne cherche sa femme va trouver cet en aucun cas à lier un nou- indien très séduisant. La veau projet avec les films question d’où l’on vient, précédents. qui on est, et pourquoi les choses se passent d’une Mais il y a bien des éléments certaine manière est peut- récurrents qui contribuent être le thème commun de au ton mélancolique de mes films, mais cela reste chaque film. La mort ou la inconscient la plupart du menace de mort, par exem- temps. Oui, il y a la mort ple, est toujours présente : aussi ; elle fait partie de la la grand-mère morte dans vie et elle nous préoccupe à Le Tango de Rashevski, le des degrés différents au fil petit-fils qui a une maladie des années. Elle fait souvent terminale dans Irina Palm et partie des histoires intéres- le cimetière qui est un lieu- santes. Ce film new-yorkais clé dans Quartier lointain est une comédie dont j’es- en témoignent. père qu’elle sera intelligente 42 43 Garbarski

Sam Gabarski Filmographie par Alain Berliner

Nul n’est prédestiné à faire du cinéma et il n’existe certes 2010 pas un chemin pour faire des films qui ressemblent à un autre. Quartier lointain Mais tout de même, rares sont ceux qui, ayant déjà une vie — d’homme d’affaires couronnée de succès – un accomplisse- 2007 ment en soi – décident de tourner la page et de devenir ci- Irina Palm néaste. Sam Garbarski a fait ce choix. Au début, il en a cer- Compétition, Festival tainement intrigué plus d’un. Fait sourire, peut-être. Voulait-il du Film de Berlin. juste réaliser des films comme on monte des affaires, profiter Meilleur Film de l’Union du « glamour » et des paillettes ? Etait-ce le caprice d’un hom- Européenne, Prix me qui, ayant réussi, « aurait voulu être un artiste » ? Même pas. David di Donatello. Le Tango des Rashevski est le film d’un cinéaste qui fait des Nomination, Meilleure choix, développe un propos, expose son point de vue, bref, Actrice, European Quartier impose son regard. Et mène l’histoire de plusieurs person- Film Awards. lointain © Entre Chien nages en même temps en nous les rendant attachants. Cela Nomination, Meilleure et Loup aurait pu être la chance des débutants. Mais Irina Palm, sur un Acteur, European mode narratif très différent, puisque le film suit cette fois un Film Awards. seul personnage, interprété par Marianne Faithfull, confirme — avec force que Garbarski aime raconter des parcours tordus 2003 de gens pourtant très normaux, qu’il le fait avec une grande Le Tango des Rashevski tendresse et une belle humanité, sans complaisance ou effet Festival du Film facile. En suivant lui-même la logique des personnages qu’il Francophone de Namur affectionne, il est bel et bien devenu cinéaste. — 2000 Alain Berliner est un réalisateur belge. Son premier long Joyeux Noël, Rachid (court). métrage Ma vie en rose (1997) a gagné de nombreux prix, Gryphon de Bronze, dont le Golden Globe du meilleur film étranger. Son film musi- Festival du Film de Giffoni. cal J’aurai toujours voulu être un danseur est sorti en 2007. — La vie, la mort & le foot (court). — 1999 La Dinde (court). 44 45

Dominique Abel & Fiona Gordon 46 47 Abel & Gordon

et constantes qui prennent Nous avons fait plusieurs l’avoir essayée, souvent Dominique Abel leur origine dans le jeu sur spectacles, puis nous avons nous passons rapidement scène mais exploitent le petit à petit développé une à la répétition pour voir grand écran et certaines de écriture pour le cinéma au ce que cela donne. Nous & Fiona Gordon ses conventions, telles que cours des années nonante jouons nous-mêmes et la rétroprojection, pour ob- pour enfin passer du court Bruno joue tous les autres tenir des effets hilarants. au long métrage en 2005. rôles, donc parfois il y en Gordon : Nous sommes a un qui lui correspond Les plans fixes, dont ils sont un peu les petits-enfants de particulièrement et on sait friands, permettent non Chaplin. Nous aimons beau- d’emblée que ce sera son seulement aux scènes cho- coup son monde de clowns. rôle à l’écran. régraphiées de se dérouler Il existe tout un monde d’ar- Bien que la plupart des films belges francophones sans fausses notes, mais tistes qui travaillent avec Vos films sont très singuliers actuels appartiennent au genre du drame, le pays, placent aussi les specta- leurs propres failles pour dans le paysage du cinéma teurs à une certaine distan- faire rire les gens – ceux-là belge et même mondial, bien connu pour son mouvement surréaliste, produit ce, comparable au théâtre. sont notre famille. du moins de notre époque. Les couleurs ainsi que les Comment décririez-vous vo- également sa part de films plus surprenants. À ce décors, stylisés, y jouent Vous êtes basés à Bruxelles, tre approche à la création ? titre, rien de plus étrange que les films signés par le un rôle essentiel, même si, mais vous réalisez vos films Abel : C’est un peu à l’instar des films de Tati, avec l’acteur et réalisateur comme quand les enfants couple Dominique Abel3 (un Belge) et Fiona Gordon leur univers n’est pas dé- Bruno Romy, qui est installé dessinent un chat et puis pouillé au point d’en devenir en France. cela ressemble à une table, (une Canadienne née en Australie). En collaboration inhabitable. Abel : Bruno était un mais c’est quand même un avec le Français Bruno Romy, le couple, basé à clown de cirque. Nous nous chat, parce que l’enfant y Tandis que L’Iceberg et sommes rencontrés lors voit un chat. Il y a un côté Bruxelles, a réalisé plusieurs courts, puis deux longs Rumba pourraient être d’une tournée théâtrale naïf, des couleurs très qualifiées de comédies dans le Calvados. Il pré- fraîches, toute la personna- métrages inclassifiables : L’Iceberg et Rumba. burlesques, les deux films parait son premier film à lité de l’enfant y est visible. s’attaquent aussi à des l’époque, et parallèlement Nous abordons le cinéma sujets plus profonds tels nous commencions notre comme des enfants. Bien que le bonheur urbain et court métrage et on s’est dit, évidemment, nous nous l’immigration clandestine. Il pourquoi ne pas travailler sommes quand même Co-réalisateurs, co-produc- eux, ont écrit, réalisé et Bien que les dialogues existe une mélancolie sous- ensemble, et ainsi fut ! Il renseignés sur comment Page suivante teurs, Abel et Gordon sont joué dans tous leurs films soient quasiment inexis- jacente aux personnages n’y a pas de répartition des faire un film, parce c’est un L’Iceberg © Laurent aussi les acteurs principaux mais n’ont guère contri- tants, il existe un terme d’Abel et Gordon qui place tâches précise. C’est en es- processus complexe. Mais Thurin de leurs films, et interprè- bué à d’autres projets en français qui qualifie par- les événements dans une sayant qu’on trouve les cho- nous ne voulions en aucun tent un couple dans les tant qu’acteurs. Il est donc faitement les événements réalité certaine, même si les ses, puisque le langage que cas, en passant du théâtre deux longs métrages (Romy justifié de penser que le duo embarrassants et malheu- personnages ressemblent à nous créons est visuel et au cinéma, perdre l’essen- apparaissant systématique- possède son propre univers reux, les incidents imprévus des pantins caricaturaux. physique. Tant que l’un d’en- tiel – ce qui pour nous est ment dans les seconds rôles cinématographique. auxquels sont sans cesse tre nous n’est pas d’accord un regard frais et naïf sur le masculins).10 confrontés les personnages En conversation avec avec ce que nous sommes monde, couplé à un sens de La question se pose alors de d’Abel et Gordon : « Contre- Dominique Abel et en train de faire, on sait qu’il la convention sans lequel le En dehors de ce duo et savoir si le terme d’acteur temps ». Leur maison peut Fiona Gordon y a encore du travail. théâtre ne peut pas exister. de Bouli Lanners, la jeune leur est approprié. Leurs brûler, l’un des deux peut se Gordon : Souvent quand C’est-à-dire, nous ne vou- génération de cinéastes films sont en effet virtuel- retrouver enfermé toute une Vous venez du monde du nous répétons, Bruno nous lions pas devenir réalistes, belges ne compte guère lement muets et les scènes nuit dans la chambre froide théâtre et du burlesque. filme et nous regardons le tout d’un coup, juste parce d’acteurs-réalisateurs. généralement saccadées d’un restaurant – ils persé- Abel : Nous nous som- résultat ensemble. La partie que c’est une des possi- Même si Bouli Lanners n’a se suivent comme autant vèrent envers et contre tout. mes rencontrés dans une d’écriture proprement dite bles manières de faire du pas joué dans Ultranova, de farces burlesques, de école à dans les est différente parce que cinéma. Dans un film, on son premier long métrage, comédies silencieuses, Après avoir travaillé dans années quatre-vingts. Nous chacun écrit dans son coin peut être dans une voiture. il s’est révélé en tant qu’ac- de chorégraphies et de l’univers du mime, du théâ- étions tous deux attirés par et des fois nos idées sont C’est une chose impossi- teur et continue toujours de gags visuels. Le terme tre et de la comédie burles- le jeu en mouvement, le jeu conflictuelles. Comme il est ble au théâtre, où l’on fait travailler devant la caméra. d’interprète semble donc que, Abel, Gordon et Romy visuel, et nous avons com- difficile de juger de la valeur semblant et le public fait Abel et Gordon, quant à plus complet. signent des œuvres typées mencé à faire du théâtre. d’une idée écrite avant de semblant d’y croire. Nous 48 49 Abel & Gordon 50 51 Abel & Gordon

milieux il y a ceux qui sont nous sommes demandé au de dire. Forcément, il faut « Nous sommes un peu les efficaces et ceux qui ne le départ : « comment faire rester à distance avec la sont pas, ce n’est ni particu- comprendre aux gens tout caméra pour bien le mon- lier aux riches en ville ni aux de suite que ce qui suit est trer. Nous affectionnons petits-enfants de Chaplin. pauvres à la campagne. une fable ? ». Pour Rumba, les cadres fixes parce qu’ils Abel : Nous cherchons la c’est plutôt un hasard. Les laissent le rythme à l’acteur Nous aimons beaucoup son beauté dans la différence ou mots employés dans cette au lieu de le déléguer à la dans le défaut. C’est ce qui scène sont presque des technique ; des plans en- nous passionne. gestes. Ils sont comme une tiers pour avoir toute l’émo- monde de clowns. Il existe tout sonorité, une plaisanterie à tion du jeu de A à Z sans Etant donné qu’il n’y a pas ne pas comprendre, donc la truquer. un monde d’artistes qui beaucoup de dialogues – c’est tout à fait autre chose Gordon : Nous ne som- quelle que soit la langue que que de parler pour dire quel- mes pas vraiment intéressés vous utilisez – que les lieux que chose. par la psychologie. Plutôt travaillent avec leurs propres ne sont pas tout de suite Abel : C’est Jacques que de faire deviner ce qui reconnaissables, et que Tati, je crois, qui disait de se passe dans la pensée des failles pour faire rire les gens – deux des trois réalisateurs son film Mon oncle, qu’il personnages, nous mettons ne sont pas nés en Belgique, avait mis le dialogue dans l’accent sur d’autres signes diriez-vous que vous faites les sons. Chez nous, ce susceptibles de faire décou- ceux-là sont notre famille. » des films belges ? n’est pas tout à fait ça, vrir les êtres humains dans Abel : Il y a dans nos mais on n’en est pas loin. nos films. films une autodérision pro- Nous utilisons très peu de Abel : Il y a des bobi- jouons comme des enfants ; donc nous avons toujours possibilités d’ellipses, de pre à beaucoup de Belges. musique ; jusqu’à présent nes entières où l’on ne dit dans les arts vivants il y eu en tête une multitude de découpage et le jeu avec les Nous avions un manager nous n’avons jamais voulu pas un mot. Nous ne nous toute une écriture trans- chemins possibles, que ce cadres qui est très jouissif pour le théâtre, une Pari- appuyer ou sous-titrer les empêchons pas de parler, posée à cet effet et nous soit le cirque, le théâtre, la pour nous. sienne, mère d’un enfant sentiments des personna- ni n’avons la nostalgie du avons voulu la conserver rue ou l’écran. Nous sautons que nous avons connu ges par la musique. Il ne cinéma muet. C’est comme dans le cinéma. de l’un à l’autre en fonction Vous dites que vos films quand il avait cinq ans. Et reste alors peut-être plus une peinture : certains se d’où nous emporte le vent. ne sont pas réalistes, mais à cinq ans il avait déjà un que le son pour exprimer concentrent sur les lignes, Donc vous ne voyez pas le les personnages semblent vocabulaire plus étendu que certaines choses. d’autres sur les couleurs. théâtre et le cinéma comme Qu’est-ce que le cinéma néanmoins assez proches de moi. En Belgique, nous par- Gordon : Ce n’est pas Les couleurs forment un deux choses séparées ? vous a apporté de nouveau, vous-mêmes. lons beaucoup moins qu’en qu’il y aurait, de notre mode d’expression à part Abel : Nous ne nous comment vous a-t-il aidé Abel : Nous ne sommes France – même si on parle part, un refus de la parole. entière, ce sont des signes sommes jamais dit que nous à vous développer en tant pas dans une recherche so- toujours dix fois plus qu’un On improvise, et souvent qui s’adressent aux sens de allions faire « du théâtre ». qu’artistes ? ciologique. Nous ne voulons Aki Kaurismäki. au départ il y a des dialo- la personne, et nous aimons Au départ, nous étions plus Gordon : Les films nous pas dire aux spectateurs : Gordon : Il est vrai que gues. Mais petit à petit, beaucoup ce côté de senti- inspirés par les clowns de permettent de réfléchir un « regardez un peu comment les films belges sont rare- en affinant les scènes, ces ments transposés. cinéma que par ceux qu’on peu plus. Le théâtre a un vous êtes ». Nous voulons ment bavards. Les Frères derniers disparaissent tout connaît du théâtre ou du caractère très éphémère. La plutôt dire : « regardez com- Dardenne ne sont pas ba- naturellement. Les films exhibent un côté cirque. Nous avons com- différence, dans le cinéma, ment nous sommes ». Nous vards, Bouli Lanners ne l’est « fait main » très fort, qui mencé par faire du théâtre c’est que l’on peut créer le essayons de rentrer dans ce pas non plus dans ses films Le cinéma offre la possibilité s’aperçoit surtout au niveau simplement parce que nous cadre et une fois qu’il a été langage. Les clowns, ce sont et il y a beaucoup de ci- de regarder les personnages des trucages. venions d’une école où nous créé, il y restera, et nous quand même des gens qui néastes belges qui trouvent de très près, mais ce n’est Gordon : Le fait que avons appris à jouer sur des sommes heureux qu’il soit ont l’air impuissants dans autre chose que le langage pas quelque chose que l’on nous n’avons pas beaucoup planches. toujours là, sur la pellicule. un monde qui les domine, pour s’exprimer. retrouve dans vos films. Au d’argent pour les tourna- Gordon : Il est vrai que Abel : La grande diffé- des gens trop lents dans niveau du cadrage, vous ges nous oblige à bricoler, les grands clowns du ciné- rence pour nous, c’était le un monde où il faut aller Même si vos longs métrages montrez surtout des corps à réfléchir à des solutions. ma ont souvent commencé travail sur le découpage, qui vite, des gens qui n’ont pas sont presque muets, tous en entier. Nous tenons beaucoup à par le théâtre et sont passés n’existe pas au théâtre. Le un physique idéal dans un deux débutent par la parole. Abel : Nous aimons bien cette touche humaine qui au cinéma par après. Mais à théâtre te présente avec un monde où tout le monde Gordon : Dans L’Iceberg, les corps et comment ils vient des choses bricolées, l’époque où ils ont commen- plan-séquence d’une heure doit être beau. c’est fait exprès, dans le bougent. Il n’y a pas beau- mais nous savons très bien cé, il n’y avait que le théâtre et demie ; c’est une très Gordon : Les lieux où se sens où nous ne savions pas coup de dialogues, donc on que si on nous offrait de ou le music hall. À notre bonne école parce que très passent nos histoires sont comment les gens allaient aime bien mettre en avant faire du numérique, nous ne époque, tout existait déjà, difficile. Au cinéma, il y a les variables ; dans tous les réagir à notre style. Nous ce que le corps est en train resterions pas forcément 52 53 Abel & Gordon

L’Iceberg © Laurent Thurin 54 55 Abel & Gordon

« Nous ne voulions en aucun cas, en passant du théâtre au cinéma, perdre l’essentiel – ce qui pour nous est un regard frais et naïf sur le monde, couplé à un sens de la convention sans lequel le théâtre ne peut pas exister. »

avec la vieille rétroprojec- Gordon : Il nous importe qui revient. C’est un peu tion, juste pour faire comme que ces objets aient un comme si c’était le corps Hitchcock. Jusqu’à présent, élément de vécu. Parfois les qui s’en souvenait mais pas nous avons toujours trouvé gens pensent que nous som- la mémoire, et dans un sens les vieux trucages très mes nostalgiques avec nos cela reflète bien notre style. chouettes. vieux trucs, mais c’est plutôt Abel : Les clowns ont que nous aimons bien que Dans L’Iceberg et dans l’habitude de signaler leur les objets et les vêtements Rumba vous jouez un cou- vision du monde à travers aient une vie antérieure. ple. Est-ce que ce sera de les couleurs, les costu- nouveau le cas pour votre mes, les effets spéciaux et Dans les deux films, on a troisième film, La Fée ? donc, la manière de filmer. l’impression qu’il y a plein Abel : Non, nous ne C’est pour cela que nous de choses que le personna- jouons pas un couple. La Fée cherchons toujours des ge interprété par Dominique est l’histoire d’un veilleur de trucages qui dégagent une ne réalise pas, ou n’arrive nuit, joué par moi, qui tra- connivence. Il faut sentir pas à saisir. vaille dans une ville de bé- qu’on y joue. Dans le théâ- Abel : Partiellement, ton (filmé au Havre). Un soir, tre, si on n’a pas ce sous- c’est dans ma personnalité. je vois arriver une femme entendu avec le public, C’est un thème intéressant, aux pieds nus et en pyjama : on meurt sur scène. Nous quelqu’un qui se sent trans- une fée. Elle me donne droit essayons de créer un ci- parent, qui a l’impression à trois vœux, dont deux se néma qui garde ce lien-là en de n’exister pour personne. réalisent tout de suite, puis vie – où les gens rient parce Un peu comme dans La elle disparaît. Alors j’essaye qu’ils se reconnaissent, Ruée vers l’or, où Chaplin de la retrouver. parce qu’on se montre un arrive dans un bar et il y a Gordon : Dans nos piè- peu maladroit, parce qu’il y une femme qui cherche un ces, nous avons toujours a de l’autodérision. homme, et elle fait tout le joué des personnes qui se tour de Chaplin. rencontraient, sauf dans un, Même avec peu de moyens, Gordon : Elle voit tout qui d’ailleurs n’a pas fonc- vos films sont très forts, sauf lui. Les clowns ont tionné. Néanmoins, avec visuellement. toujours joué avec le fait ce film, nous nous sommes Abel : Nous avons qu’ils sont inexistants dans résolus à faire autre chose toujours développé notre le monde. qu’un couple ! Rumba univers à travers quelques Abel : Mais ils veulent © Laurent Thurin Nal objets seulement, et nous exister, c’est ça le fond des avons un sens de l’épuré clowns, c’est un désir qu’ils qui est presque manda- ne laissent jamais tomber, taire au théâtre. C’est un même s’il peut les faire tom- peu comme la ligne claire ber très bas. Rumba parlait d’un dessin animé ; si on de cette fragilité du bonheur met peu de choses, on sera mais aussi de la fragilité du d’autant plus attentif à ce malheur ; il y a une espèce qu’on y met. d’adaptation avec l’espoir 56 57 Abel & Gordon

Dominique Abel et Filmographie Fiona Gordon par Nathanaël Karmitz

Ce que j’aime dans les films de Abel, Gordon et Romy 2011 Meilleur court métrage c’est que c’est une forme de burlesque contemporain. Chez La Fée belge, Festival du Film MK2, on gère les films de Charlie Chaplin et de Buster Keaton, en production. Francophone de Namur. donc c’est beau de pouvoir dire que, cent ans après eux, il y a — — des films qui continuent dans la même ligne. Je les ai rencon- 2008 1997 trés pour la première fois dans un festival où ils étaient avec Rumba Rosita (court). L’Iceberg, qu’on a ensuite acheté pour la France et le reste du Séance spéciale, Semaine Meilleur court métrage monde. Après, on a produit leur second long métrage, Rum- de la Critique, Festival belge, Festival du Film ba, et aussi leur nouveau film, La Fée. Même si il y a un côté du Film de Cannes. Francophone de Namur. belge au niveau de la sensibilité à l’humour, leur cinéma est Compétition, Festival — un vrai cinéma universel qui s’exporte très bien. C’est un ci- du Film de Stockholm. 1994 néma d’expression avec des histoires simples, très humaines, Prix du Jury Carnet Jove, Merci cupidon (court). basées sur les corps et le gestuel, avec très peu de dialogues. Festival international Ce sont des films qui sont compréhensibles aussi bien en Eu- du Film de Sitges. rope qu’en Asie, aux Etats-Unis et ailleurs. Meilleur Film, Festival international du Nathanaël Karmitz est un producteur français. Il a produit, Film de Zagreb. entre autres, Rumba de Abel, Gordon et Romy, Paranoid Park Prix spécial du Jury, Festival (2007) de , L’Heure d’été (2008) d’Olivier As- River Run Winston Salem. sayas et Copie Conforme (2010) de Abbas Kiarostami. — 2005 L’Iceberg Zabaltegi, Festival du Film de San Sebastian. Cercle Précolombien d’Or, Festival du Film de Bogota. Meilleur Film, Festival international du Film de Zagreb. Meilleur Film, Molodist (Kiev). Prix d’interprétation féminine, Molodist (Kiev). New Directors Film Festival de New York. — 2003 Walking on the Wild Side (court). Festival international du Film de Karlovy Vary. 58 59

Micha Wald 60 61 Wald

Dans le film historique Vo- dicté par les us et coutumes Micha leurs de chevaux, deux cou- spécifiques à l’époque et ples de frères se traquent au milieu. La tension et les « quelque part à l’est en contrastes entre ces dif- Wald 1810 ». Deux frères, Jakub, férents éléments rendent le plus âgé et sauvage des le cinéma de Wald à la fois deux, et son frère cadet, complexe et cohérent. Vladimir, plus timide, se chamaillent dans une rivière Sur un ton bien plus co- lorsqu’un autre couple de mique que le précédent, jeunes frères dérobent leurs Simon Konianski, le second chevaux et s’enfuient. long métrage de Wald, Plusieurs cinéastes opère plus ou moins selon belges ont exploré La séquence d’ouverture les mêmes codes. Le film re- installe d’emblée une sy- trace l’histoire d’une famille les dynamiques métrie parfaite. Le premier moderne juive basée en couple de frères, qui ont Belgique dont aucun mem- familiales, dont été entraînés par les Co- bre ne sait garder sa langue Joachim Lafosse, saques, et le second, se dans sa poche. Tout d’abord, correspondent avec une la fascination envers l’est, Ursula Meier et Sam4 nette domination du frère où l’on retrouve les racines le plus âgé et expérimenté familiales de la famille Ko- Garbarski. Mais sur le plus jeune. La sy- nianski (tout comme celles Voleurs de métrie s’étend ensuite à la de la famille Wald, d’ailleurs) chevaux seul Micha Wald a © Versus narration puisque les deux est toujours présente, mais production, suggéré avec force premiers segments du film le film se penche égale- Stephane Puopolo analysent chaque couple de ment sur les liens masculins que c’est la famille frères séparément avant de tendus au sein d’une famille, et non la situation déboucher sur une vérita- même si dans ce cas précis, ble poursuite acharnée qui il s’agit de ceux qui unissent géographique qui unira à l’écran les deux cou- un grand-père, un père et ples dans la troisième partie un fils. Une fois de plus, il est constitutive du du film. est impossible de compren- véritable chez-soi. dre le clan sans prendre en Malgré une apparente considération les contextes Dans ses deux longs simplicité dans ce monde historiques et sociétaux qui violent et orphelin, le regard l’entourent, même si le film métrages, Voleurs que porte Micha Wald sur se concentre davantage de chevaux et Simon l’amour et les chamailleries sur les protagonistes du fraternels n’est pas aussi film, à l’image de Voleurs Konianski, des10 simpliste qu’il le suggère. En de chevaux. dépit du peu de dialogues, familles se déplacent les rapports entre les deux Le travail de Jean-Paul de mais leur sentiment couples de frères sont com- Zaeytijd, directeur de la plexes et bien réels. photographie (ainsi que d’appartenance reste celui des personnes respon- Le cinéaste, né à Bruxelles, sables pour les repérages) absolument intact. essaie de botteler les traits est un élément-clé qui per- de caractère qui rendent met de comprendre que le ses personnages uniques, chez-soi est universel. Bien les liens universels qu’ils que les deux films soient partagent ainsi que l’en- en partie situés en Europe vironnement dans lequel de l’est, l’environnement ils vivent – un contexte semble ordinaire et permet 62 63 Wald

Simon Konianski © Versus production, Laurent Thurin Nal 64 65 Wald

« Je n’en suis qu’à mes débuts et mon style n’est pas encore assez particulier pour ne pas ressembler à d’autres. C’est rare, les gens qui ont une patte Simon Konianski © Versus production, dès le départ. » Laurent Thurin Nal

aux spectateurs belges et que ce n’est jamais sim- signature ; ce qu’il fait est européens du nord de les plement « un film de Micha très maniéré et les costu- appréhender comme des Wald » ? mes et les décors prennent endroits bien connus et On a toujours besoin une place bien plus impor- non lointains. de citer des références, de tante que les personnages catégoriser et de tenter ou l’histoire. Avec les frères Dans Simon Konianski, c’est des comparaisons. C’est Coen, leurs premiers films en connaissance de cause normal. Après, même pour sont assez différents l’un de que Wald joue avec la fami- moi, chaque projet a ses l’autre. Je pense que la patte liarité. À ce titre, il utilise films de référence. Pour individuelle met du temps des chansons à consonan- Voleurs de chevaux, c’était à venir et ce n’est qu’après ces latines comme contre- Les Duellistes et Dersu plusieurs films qu’une point et fait de la mère du Uzala de Kurosawa que nous structure se démarque clai- fils du personnage principal avons beaucoup regardés rement. Évidemment, on a une goy espagnole et de avec l’équipe. Pour Simon envie de comparer tel débu- son nouvel amant un brési- Konianski, c’était The Big Le- tant à tel maître. On dira que lien, créant ainsi un parfum bowski et La Famille Tenen- Bouli Lanners est le Jim Jar- d’exotisme qui se démarque baum. Mais ne me deman- musch belge, que Joachim clairement de l’est et de dez pas de me placer entre Lafosse est le Haneke belge l’ouest réunis. les frères Coen, Kurosawa, et ainsi de suite. Coller des Wes Anderson, Kubrick et références à un jeune artiste En conversation avec je ne sais pas qui d’autre. Je est facile car, au final, tout a Micha Wald prends un peu de chacun, déjà été fait. Surtout les réa- mais je ne sais pas vraiment lisateurs qui s‘intéressent Dans les critiques de vos me situer. Je n’en suis qu’à intensément aux acteurs films, dans chacune de mes débuts et mon style et aux histoires finissent vos interviews, des noms n’est pas encore assez par- par faire des choses qui ont de grands cinéastes et de ticulier pour ne pas ressem- déjà été faites et vues. Il n’y chefs-d’œuvre semblent bler à d’autres. C’est rare, a rien de grave là-dedans ; bouillonner à la surface… les gens qui ont une patte que tout le monde fasse à sa Comment cela se fait-il, et, dès le départ. Wes Ander- sauce et que ça plaise. À la est-ce que cela vous gène son a tout de suite trouvé sa fin, c’est le but principal. 66 67 Wald

Dans vos deux films, on sent si je fais de l’humour juif ou Simon Konianski est inspiré très fort la présence de ra- de l’humour belge ou un par votre court métrage cines dont les ramifications amalgame des deux. Pour comique Alice et moi. Il partent ailleurs… un peu moi c’est un hasard d’être semble que vous avez tou- comme dans l’histoire de ici et j’en suis très content. Il jours eu l’envie de faire et votre famille. y a beaucoup d’avantages. des comédies et des films Mes grands-parents Mais je pourrais faire des d’aventures… viennent de Pologne et films ailleurs, aussi. Que ce Après Voleurs de che- d’Ukraine tandis que soit Bouli Lanners, Joachim vaux, qui est néanmoins un mes parents et moi som- Lafosse, Olivier Masset-De- film d’époque assez lourd, mes nés ici. Mes parents passe, Fabrice du Welz ou tourné avec une grosse comprenaient encore le moi : on fait des films très équipe, j’ai préféré faire un yiddish, mes grands-parents différents. S’il y a une ca- projet plus familial, qui parle parlaient toutes les langues ractéristique unifiante, c’est d’ailleurs de moi et de ma des pays de l’Est. Je me sens la liberté. Nous sommes famille. Simon Konianski est belge, je me sens juif et je libres de faire un cinéma en effet un film plus simple, me sens assez proche de bien moins formaté qu’en comme Alice et Moi, qui est cette zone Pologne-Ukraine. France parce qu’on n’est certes lié à ma personne En même temps, j’ai de la pas tributaires des chaînes mais beaucoup moins à famille partout. Voleurs de de télé et parce qu’on est mes envies. Ce sont là des chevaux, je l’aurais bien d’accord de faire souvent accidents de parcours. Je fait en russe ou en anglais. des films sous-financés, des n’aurais jamais pensé qu’un Mais pour un premier film, petits films. jour, j’écrirais une comé- je me sentais comme obligé die, mais cela s’est produit de le faire en français. Par Pourquoi étiez-vous si clai- comme ça. Alice et Moi était ailleurs, le faire en russe rement décidé que Voleurs un scénario que j’avais écrit me paraissait compliqué ; de chevaux devait être votre pour régler les comptes en anglais, ça me semblait premier long métrage ? avec une ex ; c’était un film un peu effrayant aussi. Au Parce que c’est le genre pour dire tout le mal que je final, il y avait quand même de film qui m’a fait rêver pensais d’elle. Elle m’a laissé déjà les chevaux, les décors, toute mon enfance. C’est en tomber et j’avais mal. Je les scènes de combat et les voyant Barry Lyndon que j’ai voulais me venger. Voilà, le cascades. Si en plus j’avais eu envie de faire du cinéma, temps passe, l’écriture est dû faire jouer les acteurs en et je me suis dit : si je ne fais devenue drôle, et au final Voleurs de russe, je crois que je serais pas un tel projet mainte- c’est devenu Alice et moi, chevaux © Versus devenu fou. Mais pour le nant, je ne le ferai jamais. celui de mes films qui a le production suivant, qui devrait être en Si j’avais commencé par mieux marché. Bizarrement, anglais, je me dis que c’est Simon Konianski, j’aurais j’y ai pris beaucoup de plai- une nouvelle aventure. peut-être continué dans sir et je voulais creuser dans cette veine-là. Peut-être les choses sur ma famille Est-ce que vous vous sentez que je me cherche encore ; et sur moi, et le résultat est un cinéaste belge ou franco- pour l’instant je n’ai fait Simon Konianski. Mais la phone ? que trois courts et deux comédie est vraiment venue Je ne sais pas très bien longs, ce qui est à la fois très tard. Pendant cinq, six ce que c’est qu’un cinéaste beaucoup et rien. Je ne sais ans il n’y avait que des his- belge. Quand je regarde de pas encore ce que j’aime toires épiques et rugueuses, près les autres réalisateurs ou fais le mieux. Est-ce que des histoires de vengeance, de ma génération, je ne c’est la comédie ou les films de famille. vois pas autant de points épiques et d’aventures ? communs. Il y avait le « film J’aime les deux, et pour La vengeance et surtout social » et le surréalisme le prochain j’espère avoir la famille sont des thèmes belge, mais j’ai l’impres- réglé le problème, car je fais recurrents. sion de n’être ni dans l’un ni les deux à la fois ; c’est une Ce sont les deux grands dans l’autre. Je ne sais pas comédie d’aventures. thèmes essentiels, et dans 68 69 Wald

passer n’importe où et n’im- projet que l’on va tourner en J’écris des personnages qui porte quand. anglais, au Canada. J’espère ont mon âge, ou quelques « Nous sommes libres de faire C’est parce que c’est que ça va rouler comme les années de plus, et dans le finalement l’histoire des deux autres, avec lesquels monde francophone, les un cinéma bien moins formaté personnages qui m’inté- je n’ai pas vraiment eu de 4 ou 5 stars qu’il faut pour resse. Au final, les décors et problèmes, où tout est allé avoir un budget raisonnable tout ce que je mets en place assez vite entre l’achève- sont les mêmes que tout qu’en France parce qu’on n’est m’importent peu. Pour Vo- ment du scénario, le finan- le monde sollicite : Romain leurs de chevaux, je me suis cement et le tournage. Mes Duris, Guillaume Canet… J’ai pas tributaires des chaînes un peu perdu, et à un mo- deux longs étaient très eu deux expériences d’at- ment je me demandais ce compliqués au niveau des tente, pendant des mois et que j’étais en train de faire ; préparatifs, dans le cas du des mois, et jamais je n’ai eu de télé et parce qu’on est j’étais beaucoup plus à l’aise premier, atroce, et même de réponse. Dans le monde dans la deuxième partie, pire pour le deuxième, anglo-saxon, il y a beaucoup d’accord de faire souvent où il n’y avait plus que trois donc je commence à m’y plus de cinq personnes de personnages dans la forêt et connaître. Je me dis, cette 30-45 ans capables de dé- une espèce de duel impla- fois-ci, je serai un peu plus clencher un financement, et des films sous-financés, cable. Même chose pour sage, j’apprendrai de mes ça vaut la peine d’essayer ! Simon Konianski, où la par- erreurs et je ne foncerai des petits films. » tie dans l’appartement entre pas tête baissée en me le père et le fils à Bruxelles disant qu’on va y arriver est la plus réussie. Plus on coûte que coûte. Je vais la famille ce seraient plus « quand même ! », mais il y fois mais à chaque fois, fait, plus on apprend à se essayer de prendre plus de particulièrement les histoi- avait un peu de mon frère j’ai échoué. On a toujours connaître. temps et de faire tout bien res de frères et de fratries. et de moi dans chacun des l’impression que c’est mieux correctement. Peut-être que maintenant couples de frères, donc ça ailleurs, ça fait partie de Votre troisième film est une les histoires de père et de allait. Ce qui est marrant, mes rêves, et le cinéma est comédie d’aventures. Donc encore un projet très fils gagnent en importance c’est que mon producteur a une mise en images de ces Le scénario, qui est ambitieux. Vous n’aimez pas parce que j’ai des enfants. aussi un frère très proche, rêves. J’ai beaucoup voyagé presque écrit, est librement les petits films ? Je viens de déménager et je donc il trouvait ça chouette. quand j’étais jeune, mainte- inspiré de deux nouvelles J’essaye depuis long- suis tombé sur des projets Je fais un cinéma assez pro- nant avec les enfants c’est de Jack London, un écri- temps de trouver une que j’ai depuis que j’ai 18 che de moi, mais à chaque un peu plus difficile. Mais vain que j’adore et que je histoire avec peu de per- ans, et les histoires de deux fois, il faut que le cadre soit dès qu’ils seront un peu lis depuis très longtemps. sonnages, quelque chose frères ou de père et de fils très différent, comme le plus grands, on partira en J’ai redécouvert London que je pourrais faire avec y reviennent à chaque fois. Grand Nord, la forêt amazo- famille, en Mongolie, faire avec Construire un feu et peu de moyens, mais je Nous sommes quatre frères, nienne ou la science-fiction. du cheval dans les pampas. par après, j’ai lu quelques n’y arrive pas. Je ne vous dont un qui a pratiquement J’aime bien le cinéma qui Des choses comme ça nous autres romans. Je me suis parle même pas de tous les le même âge que moi et fait rêver. nourrissent très fort. Pour rendu compte que c’était projets mégalomanes que avec qui j’ai grandi. Avec lui, un cinéaste, c’est vraiment quelqu’un de complètement j’ai écrits mais que je ne j’ai tout fait ; on habitait la Autre chose qui fait rêver, gai de tourner ailleurs. Je différent de ce qu’on voulait peux pas faire maintenant, même petite chambre. On c’est l’envie de voyager de n’ai pas de chance pour présenter au jeune public. parce qu’il faudrait que je était très proche, une vraie vos personnages. l’instant : je me tape soit la C’est quelqu’un d’assez noir sorte un grand succès pour relation de frères, un amour- J’aime beaucoup voya- Pologne soit l’Ukraine, ce ne et de désespéré, qui a une pouvoir les sortir du tiroir. Il haine, où l’on partage tout ger et j’aime surtout la sont pourtant pas les en- vision de l’humanité plutôt y a toujours quelque chose et rien. littérature de voyage. Knut droits les plus merveilleux. terrible et un humour noir qui fait que le projet est Hamsun parle beaucoup J’essaie désespérément de qui me correspond bien. ambitieux, et pas mal de Est-ce que votre famille ap- de vagabonds et de voya- faire un projet dans un pays En plus, cela se passe dans mes projets sont dorénavant précie vos films, bien qu’ils geurs et j’aime bien Conrad, où il fait chaud ! le Grand Nord, et c’est en anglais. J’ai vraiment parlent d’eux ? Melville, Stevenson et les quelque chose qui m’a envie de tourner dans cette Ma famille est fan de récits de voyage, qui sont Vos longs métrages racon- beaucoup attiré. Ce sera langue pour une simple mes films. Ils savent que d’ailleurs souvent des récits tent des histoires inscrites une comédie d’aventures raison : le casting. Pour ne dans le cinéma, tout est initiatiques. J’ai toujours dans un lieu et une époque avec des trappeurs et une pas être bloqué, pour ne pas amplifié. Pour Voleurs de rêvé de quitter la Belgi- très spécifiques, mais qui mine d’or, des indiens et des vouloir les mêmes person- chevaux, mon frère m’a dit que, j’ai essayé plusieurs auraient finalement pu se esquimaux. C’est un gros nes que tout le monde veut. 70 71 Wald

Simon Konianski Filmographie par Jonathan Zaccaï

Simon Konianski est partiellement basé sur la vie du réa- 2009 Voleurs de lisateur Micha Wald dont j’avais beaucoup apprécié le court Simon Konianski chevaux © Versus métrage Alice et moi. Le tournage, qui s’est en majorité dé- Festival du Film de Rome. production, roulé dans une voiture, était une vraie aventure, je me suis re- Festival du Film Stephane Puopolo trouvé quasi en huis clos avec mes partenaires hors normes, Francophone de Namur. puisque l’actrice qui interprète ma tante Irene Hertz en était à — son premier film à 85 ans, Abraham Leber qui interprète mon 2006 oncle est à moitié sourd et mon fils de six ans Nassim Ben Ab- Voleurs de chevaux deloumen, très en forme ! C’est donc avec cette joyeuse bande Semaine de la Critique, que nous avons traversé des petits villages ukrainiens et vécu Festival du Film de Cannes. une aventure hors tournage aussi folle que celle à l’image. — Ce tournage restera marqué dans ma mémoire. Je n’oublierai 2004 pas l’émotion d’Irène revoyant l’Ukraine qu’elle avait fui cin- Alice et moi (court). quante ans auparavant. Micha est un réalisateur kamikaze qui Petit Rail d’Or, Semaine peut garder le sourire sous la pluie dans une route boueuse de la Critique, Festival d’Ukraine où même Borat n’aurait pas osé aller ! J’aimerais à du Film de Cannes. nouveau travailler avec lui mais il est clair qu’il faut se méfier Meilleur court métrage de lui, il est dangereux ! belge, Prix Joseph Plateau. Prix du Jury jeune, Festival Jonathan Zaccaï est un comédien belge. Il apparaît dans du Film de Locarno. Le Tango des Rashevski (2003) et Quartier lointain (2010) de Mention spéciale, Festival Sam Garbarski ainsi que dans Élève libre (2008) de Joachim du Film de Locarno. Lafosse. Il tient le rôle titre dans Simon Konianski (2009) de Meilleur court européen, Les Micha Wald. Lutins du Court Métrage. — 2002 Les galets (court). — 1999 La nuit tous les chats sont gris (court). 72 73

Fabrice du Welz 74 75 du Welz

Ses deux longs métrages, de son remplacement. Dans Fabrice Calvaire et Vinyan, pro- les deux films, les person- « Je reste fasciné par la voquent souvent de vives nages principaux essaient réactions, telles des para- à tout prix de résoudre les du Welz des infinies de torture et de contradictions, au détri- représentation de la violence sang. En réalité, les images ment de leurs esprits déjà si de violence et d’horreur y tourmentés. et du sexe à l’écran. » sont très peu nombreuses. En revanche, avant même La perte et le deuil ne sont de voir ces rares scènes pas un moteur typique dans d’épouvante à l’écran, le les films de genre, et la ton général du film est bien façon dont du Welz intègre a été entièrement tourné en voyant un film de Dario avons tous l’espace pour L’étiquette tant pire : l’angoisse de ce qui naturellement la religion en Angleterre et interprété Argento ou de Sergio Mar- développer notre univers et redoutée de va survenir est palpable, ce dans ses deux films est un par des acteurs anglais, tino, je voyais bien une diffé- de surcroît, il y a des liens qui explique certainement exemple de l’attention pré- prouvant encore une fois rence de style, de ton et de avec d’autres cinéastes bel- réalisateur de genre la perception extrême que cise qu’il consacre à la psy- que les frontières du cinéma rigueur. Le cinéma d’auteur ges. Personnellement, j’ai les spectateurs ont des films chologie des personnages, belge ne sont plus aussi comme on l’entend chez un amour considérable pour a souvent collé à la de du Welz. C’est grâce à sa autant qu’un geste de recon- clairement définies qu’elles nous, je ne l’ai découvert André Delvaux, qui est pour peau de Fabrice du maîtrise du rythme, du son naissance envers le monde ne l’étaient. que par après, à l’école et moi le grand cinéaste du et de l’image, que le cinéas- plus vaste dans lequel ils dans ma boulimie cinéphile. fantastique et du réalisme Welz, du moins dans5 te réussit à créer une atmos- vivent. Calvaire, comme le En conversation avec magique franco-belge. Je phère d’effroi constant. titre l’indique, contient de Fabrice du Welz Est-ce que cela vous gène suis très attaché à ce réa- certains milieux nombreuses références à d’être considéré comme lisme magique, ancré dans guindés du cinéma. Bien que Calvaire fut tourné la souffrance chrétienne. Est-ce que vous vous voyez un réalisateur de films de une Belgique étrange, mys- dans les Ardennes avec Vinyan, de l’autre côté, se comme un réalisateur de genre ? Vos films n’ont pas térieuse et bâtarde. Cela me Mais alors que un casting entièrement réfère à la croyance que les « films de genre » ? beaucoup en commun plaît et me correspond tout masculin et Vinyan, en personnes confrontées de J’ai grandi en regardant avec les films d’horreur à fait, mais en même temps, ses films laissent Thaïlande avec Emmanuelle près à la mort vivent telles des films d’horreur. Quand hollywoodiens. j’ai un grand appétit d’aller entrevoir quelques Béart dans le rôle principal, des esprits incapables de j’étais adolescent, j’écrivais Je reste fasciné par la voir au-delà et de voyager. tous deux montrent une trouver la paix. Dans les déjà des scénarios de films représentation de la vio- J’ai toujours voulu faire des images d’os broyés cohérence remarquable deux cas, les références d’horreur débiles, pompés lence et du sexe à l’écran et films partout dans le monde. en termes de thème et de religieuses se corrompent à de Vendredi 13 ; je me disais je n’ai pas honte d’affirmer J’aime aller vers l’inconnu, ou de giclées de narration, au point qu’il tel point qu’elles pourraient que je ferais ce genre de que je fais des films d’hor- me faire peur, prendre des sang, ils sont l’œuvre serait possible d’affirmer s’appliquer à de nombreu- films, un jour. Le cinéma reur. Même si je suis très risques, même si parfois ce que les deux films sont en ses personnes et situations, d’horreur est mon premier loin du cinéma d’horreur désir reste complètement d’un artiste accompli réalité des variations sur un reflétant les âmes tour- amour, mais j’aime le ci- hollywoodien qui a mes inconscient. C’est cela, fina- même thème. mentées des protagonistes néma de manière générale. yeux est souvent puéril et lement, qui m’excite. qui situe la véritable plutôt qu’un impératif moral Il existe de grands films inoffensif, j’ai une approche horreur non dans Dans les deux histoires, la quelconque. d’horreur qui sont aussi des plus introspective de l’hor- Les films de genre réussis- perte d’un proche laisse un grands films de cinéma. La reur, sans doute plus proche sent souvent à attirer plus l’explicitation10 visuelle vide si dévastateur qu’elle Sur un plan plus global, classification de « films de du film d’auteur, ce qui me de monde que les films d’art engendre des compor- Vinyan témoigne également genre » est souvent problé- vaut pas mal de problèmes. et d’essai. de mutilations tements désespérés, qui du désir d’exporter le ciné- matique en Europe, elle est On ne peut pas définir mes En Belgique franco- corporelles mais échappent rapidement au ma belge et de le transpor- un peu déconsidérée. Mais films comme des films phone, la relation entre le contrôle d’un des prota- ter au-delà de la réalité du regardons ce que font les d’horreur pur jus, et ce ne public et les films locaux dans un pouvoir gonistes. La nécessité de cinéma francophone, avec grands metteurs en scène sont pas non plus des films laisse à désirer. En Flan- remplacer l’être aimé par Béart jouant en anglais dans américains actuels, il s’agit d’auteur. Je suis un cinéaste dres, les films de Felix Van iconographique quelque chose de concret un film situé en Thaïlande de films de genre transcen- belge assez décompléxé et Groeningen par exemple, bien plus et tangible existe dans les (son mari est interprété par dés, que ce soit Michael comme beaucoup de réa- arrivent à rencontrer un deux films. La preuve qu’il Rufus Sewell, un acteur Mann ou Martin Scorsese. lisateurs de ma génération public considérable en dépit sombre : l’horreur ou elle est véritablement britannique). De la même Le cinéma de genre est un nous faisons ce que nous d’être des films d’auteur. décédé(e) peut bel et bien façon, Sam Garbarski a ex- cinéma populaire. Je n’ai avons envie de faire, que ce Peut-être sommes-nous psychologique. exister, mais rien n’est porté ses talents de réalisa- pas grandi dans le culte du soit Bouli Lanners, Joachim un peu autistes, mais moins certain lorsqu’il s’agit teur à l’étranger ; Irina Palm cinéma d’auteur, même si, Lafosse ou autres, nous aussi avons-nous un statut 76 77 du Welz

« J’aime aller vers l’inconnu, me faire peur, prendre des risques, même si parfois ce désir reste complètement inconscient. C’est cela, finalement, qui m’excite. »

quelque peu difficile. Nous C’est le point de départ certaine forme de folie, une vivons au sein de la culture d’une vraie quête existen- certaine forme de perdition, française, regardons les tielle. Mais je préfère laisser comment représenter la mêmes chaînes de télévi- ces films vivre, sans trop mort, la sexualité ? C’est la sion que les Français et nos parler des « comments » et grande question, comment vedettes sont françaises. des « pourquois ». Ce qui représenter ? Pour un ci- Nous sommes quelque peu m’importe, c’est d’avoir une néaste c’est ce qui compte, plus bâtards dans ce sens, histoire suffisamment forte à la manière d’un peintre : et pour les Belges fran- pour permettre une expéri- comment parvenir à toucher cophones, le rapport à la mentation formelle, et d’en le spectateur en représen- France est aggravé par un dégager un style. Que l’on tant les choses ? De nom- Calvaire complexe, selon lequel ce pratique le cinéma, la litté- breux films sont des scéna- © Luca Etter qui n’est pas validé par les rature ou la peinture – les rios filmés ; mon ambition Français ne peut pas être mêmes thèmes sont perpé- est de faire du cinéma. C’est bien. Les flamands ont leur tuellement à l’ordre du jour l’outil cinématographique, part d’autonomie culturelle, dans toutes les disciplines l’image, le son, les acteurs, sur base de laquelle ils ont de l’art : l’amour et la mort. les corps et l’inscription des créé leur petit marché, un Ce qui fait la différence en- corps dans les espaces, qui vrai marché qui fonctionne tre les œuvres individuelles, m’intéressent. admirablement bien. À en ce sont le style et le point de voir les chiffres, cela fait rê- vue de l’artiste par rapport à Les deux films surprennent ver. En ce qui me concerne, son travail. Ce qui m’impor- par une assez forte présence je me sens très peu français te, c’est d’avoir des sché- de thèmes religieux. Est-ce et le cinéma vers lequel je mas, avec des personnages que ce sont les symboles, le tends est autre. qui soient toujours entre côté représentatif du reli- raison et folie – et qu’il y ait gieux qui vous fascinent ? Vos longs métrages par- un basculement, parce que La religion y figure un tent tous deux de la même le basculement permet d’ex- peu malgré moi. Bien que situation : une personne ploiter et d’explorer. En pur j’aie été élevé dans des col- absente laisse une vide qui formaliste, je m’occupe de lèges catholiques, au fond, perturbe l’un des personna- la représentation : comment je ne suis pas quelqu’un ges principaux. représenter la violence, une de croyant. Par contre, la 78 79 du Welz

« Les acteurs sont souvent à la limite du sado- masochisme. Ils savent qu’ils vont partir pour un truc qui sera dense, qui constitue une expérience, et ils aiment et ont envie de ça. Souvent, ils me poussent, et alors je les pousse encore plus loin. »

Calvaire religion comme instrument sites mayas pour se rendre des effets potentiellement © Luca Etter de manipulation et d’aveu- compte qu’à un certain beaucoup plus nocifs que la glement, comme proces- moment, la nature repren- violence plate du « torture sus aliénant, m’intéresse dra toujours ses droits, de porn ». Dans Calvaire, toute beaucoup. Le côté rituel m’y manière implacable. la violence est hors-champ, fascine également, parce tandis que dans Vinyan, que dans le cérémonial Vos films sont fréquemment elle est aliénante, c’est une religieux, il y a des procé- caractérisés comme étant confrontation, une guerre dés visuels absolument « violents », mais il n’y a, au des sexes. Il y a une scène incroyables. Dans Calvaire, final, que peu de scènes où qui est un peu violente, mais il y a cette scène de zoophi- la violence est explicite. en même temps elle est lie qui a un peu marqué les Ce qui perturbe sou- très belle à voir. Mon plaisir esprits… Cela m’a beaucoup vent, c’est l’ambiance. On de spectateur est satisfait amusé, de représenter un me reproche souvent que quand un film me retourne cérémonial de petite crèche l’ambiance de mes films est la tête – c’est rare mais en le pervertissant. Le lâ- suffocante et pénétrante. Et j’adore ça. cher de ballons sur la plage précisément, c’est souvent dans Vinyan était une scène le but de mes films. Benoît Comment avez-vous vécu très belle à voir et à repro- Debie, mon chef opérateur le changement du passage duire. Finalement, j’aime et moi aimons créer des d’un film belge, tourné dans explorer la notion du sacré, environnements qui soient les Ardennes, à un pro- et la confronter à l’environ- purement sensitifs. L’idée jet international, filmé en nement, à la nature. Le point serait que les gens soient Thaïlande ? de départ de Vinyan est le empreints du film quand ils Le projet était assez Tsunami, je suis fasciné par quittent la salle. Il y a tel- modeste, au départ. Ce qui la puissance de l’environ- lement de films où tu sors s’est passé, c’est que j’ai nement, du jour au lende- de la salle et tu as déjà tout eu un peu la folie des gran- main, une mer se lève et oublié. Et il est probable que deurs. S’il y a une chose terrasse tout. Il y a ici l’idée même les gens qui ont dé- que j’ai apprise, c’est que que, si à un moment donné testé Vinyan se souviennent si l’on dispose d’un budget nous devenons nocifs pour de la moiteur de certaines de trois millions, on doit notre environnement – ce scènes. faire un film à trois, et non qui semble être le cas – la Nous essayons de créer pas à quatre millions. En nature va en avoir assez une atmosphère à respirer, même temps, j’avais besoin et elle va nous balayer. On de faire en sorte que le film de m’y confronter : le de- peut expliquer le monde sente, pue même et je pense vis était plus élevé que le par Dieu – personnellement que c’est cela qui perturbe. budget. Cependant, je n’ai je n’y crois pas du tout – Sur la violence, on est tout à pas lâché sur mes ambitions ou l’on peut imaginer que fait d’accord, elle m’intéres- artistiques. J’ai lâché sur le l’être humain n’est qu’une se, surtout les mécanismes temps, et je me suis aperçu parenthèse dans l’histoire de la violence. Je me rends à un moment donné que du monde. Il suffit de se aussi compte que la violen- j’en aurais nécessité davan- promener dans les grands ce que j’essaie d’exploiter a tage. Mon camarade Bouli 80 81 du Welz

« Ce qui m’importe, c’est d’avoir des schémas, avec des personnages qui soient toujours entre raison et folie – et qu’il y ait un basculement, parce que le basculement permet d’exploiter et d’explorer. »

Lanners, qui travaille un peu pouvoir exploiter, et surtout concentre sur Alléluia, une comme les Frères Dardenne, ils aiment s’abandonner. J’ai transposition en Belgique n’a pas beaucoup de ma- une formation de comédien de l’histoire improbable de chinerie, par contre, il a du et j’ai un rapport très simple Martha Beck et Raymond temps. Personnellement, avec eux, même si mes films Fernandez, les « tueurs de la je tombe pour les gadgets, sont souvent très techni- lune de miel », morts sur la donc je choisis souvent ques, ce qui peut causer chaise électrique en 1951. la machinerie au péril de certaines frustrations. D’ha- L’idée serait d’ancrer ce manquer de temps. Je cours bitude, nous partons d’une fait divers dans une « vraie » beaucoup, il y a des caren- humanité en quelque sorte Belgique. C’est un petit film ces. Je me suis adonné à factice pour arriver à un état très venimeux, qui sera très une ambition et une prise de régressif qui devient de plus violent et très dérangeant, risques totale, limite incons- en plus bestial et instinctif. une quête d’amour fou. ciente, mais je ne regrette L’instinct peut faire émerger Alléluia est très proche de absolument pas. Si c’était à des choses assez étonnan- Calvaire ; dans Calvaire on refaire, je le referais demain. tes. À la fin de Vinyan, je parlait beaucoup de Gloria, Et même si le film a été un pense qu’Emmanuelle Béart un personnage de femme échec en salles, au final, s’est vraiment abandonnée, absente, que l’on retrouvera Vinyan s’est bien vendu à qu’elle a exploré une chose dans ce film. Je crée des l’international. qu’elle n’a pas forcément liens entre les deux, mais les l’habitude d’explorer. films peuvent toujours se Vos projets offrent à leurs voir séparément. Selon mon acteurs des rôles hors du Votre troisième long métra- idée, il y aurait un troisième commun, pleins de défis. ge s’appellera Alléluia, enco- film… Gloria ayant des en- Comment travaillez-vous re une référence religieuse… fants qu’elle va abandonner avec eux ? J’ai plusieurs projets en pour retrouver son amant. Les acteurs sont sou- cours, dont un film indé- J’aimerais tourner ce troi- vent à la limite du sado-ma- pendant, produit par des sième volet dans quelques sochisme. Ils aiment pous- américains, qui devrait se années, lorsqu’ils seront ser plus loin, aller dans les tourner à New York. C’est un adolescents. Il y a pour moi retranchements et être en polar qui a pour contexte le un côté très jouissif dans la apnée. Ils aiment beaucoup monde de l’art contempo- fabrication de cette petite être bousculés et dirigés. rain et qui est basé sur la vie trilogie ardennaise. Ils savent qu’ils vont partir d’une personne qui a inven- Vinyan pour un truc qui sera dense, té un service de torture sur © Marcel Hartmann qui constitue une expérien- mesure pour des personnes ce, et ils aiment et ont envie riches. Le projet a pris du de ça. Souvent, ils me pous- retard car nous avons voulu sent, et alors je les pousse prendre le temps pour retra- encore plus loin. Parfois, vailler le scénario. Je devais il y a des crises, mais ils tourner ce projet en premier aiment être au centre de lieu, mais il est maintenant quelque chose qu’ils vont plus probable que je me 82 83 du Welz

Fabrice du Welz Filmographie par Yannick Renier

Lorsque j’ai rencontré Fabrice pour la première fois, je de- 2011 vais avoir à peine 16 ans et lui un peu plus. Par hasard, nous Alléluia nous sommes croisés chez un ami commun. À l’époque, je en préparation. commençais à m’intéresser au théâtre, mais de loin, sans oser — m’impliquer. Et là, pendant deux ou trois heures, Fabrice m’a 2008 parlé avec passion de ce que représentait pour lui le travail de Vinyan l’acteur. Je ne me souviens pas des détails de notre conversa- Hors Compétition, Festival tion mais elle m’a laissé une très forte impression. Des années du Film de Venise. plus tard, lorsque je regarde Calvaire et Vinyan, je repense Prix du Jury Carnet Jove, à cette rencontre et je me dis que Fabrice n’a rien perdu de Festival international cette fièvre communicative. En tant qu’acteur, je regarde les du Film de Sitges. films de genre avec attention, car souvent dans ces films, les — acteurs sont poussés à interpréter des situations à la limite 2004 du vraisemblable. Dans ces cas-là, la frontière entre le naturel Calvaire et le ridicule est très fragile. Il faut donc de la part de l’acteur Semaine de la Critique, une grande générosité et une totale confiance dans le réali- Festival du Film de Cannes. sateur. Et de la part du réalisateur, il faut un regard très juste Prix d’Argent du Festival et la faculté de transmettre sa propre imagination. Ainsi, dans du Film fantastique ses films, Fabrice emmène ses acteurs dans leurs derniers re- d’Amsterdam. tranchements, et il nous emmène avec une grande maîtrise, Prix du Jury, Festival nous spectateurs, dans les confins de son imagination. Et elle international du Film vaut le détour ! de Gérardmer. Festival international Yannick Renier est un comédien belge. Il apparaît dans du Film de Toronto. Miss Montigny de Miel van Hoogenbemt et enchaîne des rôles — dans les films de Joachim Lafosse (Nue propriété, Élève libre), 1999 Olivier Ducastel et Jacques Martineau (Nés en ’68, L’Arbre et Quand on est amoureux la forêt) et Christophe Honoré (Les Chansons d’amour). c’est merveilleux (court). Grand Prix, Festival international du Film de Gérardmer. — 1997 Folles aventures de Vinyan Thierry Van Hoost © Marcel Hartmann (animation, court). 84 85

Bouli Lanners 86 87 Lanners

écrasés par la nature qui les Bouli entoure, ou du moins remis à leur place.

Lanners Un élément de distorsion intéressant entre en jeu lorsque Bouli Lanners al- terne les prises de campa- gne et les paysages urbains belges : une tendance déjà présente dans Ultranova mais qui prend tout son C’est par le biais de sa collaboration essor dans Eldorado. L’œil avec Les Snuls, une émission pictural du cinéaste est extrêmement précis et ses télévisée populaire composée prises de vue de paysages belges – si rares, comme le de sketches hilarants, véritables montre l’œuvre des Frères symboles de la Belgitude, que Dardenne, où la nature ne semble exister que pour Bouli Lanners devient6 célèbre combler le vide entre les personnages – y sont consi- en Belgique. Il se fait ainsi très dérés comme de véritables rapidement connaître au début des sujets cinématographiques. Autant qu’ils se trans- années 1990 grâce à une image forment en de véritables d’acteur comique et jovial doté tableaux non-belges. d’une forte présence physique. L’iconographie d’Eldorado rappelle moins Bruegel que les road movies américains. De la même façon, les forêts et les routes ardennaises Ultranova Nul doute que la sortie movie original à travers les auraient tout aussi bien pu © Versus en 2005 d’Ultranova, son Ardennes, en plans larges être filmées dans un coin production premier long métrage, a magistraux, accentuant perdu du Montana. Il n’y dû surprendre bien des ainsi les lignes d’horizon a pas de doute que Bouli téléspectateurs belges. Le basses et les ciels immenses Lanners appréhende ses film, véritable introspec- de cette région. C’est Jean- personnages ainsi que leur tion picturale de la région Paul de Zaeytijd, lui-aussi un environnement avec une semi-industrielle,10 sombre ancien élève des Snuls, qui sensibilité qui lui est propre. et isolée de Liège, évoque signe la photographie des le rapport particulier que le deux films. Ultranova et Eldorado ont cinéaste entretient depuis bien des points en com- toujours avec la peinture. Outre les compositions pic- mun : une photographie Lanners égale ainsi son turales qui sont un véritable composée avec soin, un ton inattendue ascension dans hommage aux paysages sur mélancolique assez poi- Les Snuls, où sa collabora- grand écran, la photogra- gnant et un humour, certes tion en coulisse lui permit phie précise de Bouli Lan- rare mais cinglant, qui sert de devenir l’un des acteurs ners ne délaisse pas sa fonc- à la fois de soupape de réguliers de la troupe. tion narrative. En cela, les sécurité et d’amplificateur personnages de ces deux à des situations malheu- Bouli Lanners tourne Ultra- films semblent littérale- reuses dont il révèle avec nova, puis Eldorado, un road ment et métaphoriquement succès l’absurdité. 88 89 Lanners

Cependant, une grande ce qui se passe en Belgique difficile de parler de mes différence met à part les en ce moment. Cela me cho- influences parce que c’est « Je suis très belge, ça, je le sens ; et mes films deux films. Lanners ne fait que énormément et je suis l’instinct qui me guide. sont très belges aussi, même si je ne sais pas partie du casting dans vraiment en colère contre Ultranova, dans lequel Vin- certaines gens. Dans Eldorado, sur le plan pas pourquoi. Il y a de l’inconscient culturel cent Lecuyer interprète le visuel, il est vrai qu’on n’a protagoniste solitaire. Dans Dans vos films – surtout pas du tout l’impression là-dedans que je ne veux pas développer. Eldorado, par contre, Lan- dans les courts mais aussi d’être en Belgique. Je veux que cela reste instinctif. » ners endosse le rôle d’Yvan, dans les longs métrages – Je viens de la peinture, un vendeur de voitures d’oc- on ressent fortement votre ce qui fait que j’ai toujours casion et sans doute le plus attachement à la Belgique. envie d’avoir des choses très imposant personnage d’un Je ne suis pas sûr. aériennes et très aérées. la mise en scène. S’agit-il qui fait que tous sont po- sa boîte de production et duo improbable – l’autre C’est peut-être vrai pour L’évolution du personnage d’une série de hasards ou lyvalents. Ce n’est pas du il m’a dit « il faut faire un compère, interprété par les premiers, mais dans dans le paysage est pour d’une trajectoire réfléchie ? tout le cas en France. En ce deuxième court » et puis « il Fabrice Adde, étant un jun- Eldorado, par exemple, les moi la clé de la narration – Chaque chose m’ame- moment, le jeu est que les faut vraiment faire un long kie qui fait la connaissance paysages ressemblent plus c’est ce qui me met à part nait à une autre chose sans Français essaient de s’ins- maintenant ». Je pense que d’Yvan en cambriolant sa à des paysages américains des Frères Dardenne par que je ne sache où j’allais pirer de l’école belge. Sur le le couple producteur-réali- maison. Dans Eldorado, Lan- que belges. L’histoire de exemple. Si on n’a peut-être terminer. Jamais je ne me plateau de Louise Michel de sateur est essentiel dans le ners a peut-être trouvé le mon troisième film pourrait pas l’impression que l’histoi- serais dit : « tiens, je se- Gustave Kervern et Benoît cinéma : si je n’avais pas ce metteur en scène qui sait au même ne pas se passer chez re se déroule en Belgique, rai comédien », et encore Delépine, il y avait une producteur-là, je n’en serais mieux mettre en valeur ses nous, parce qu’il n’existe elle se passe pourtant bien moins, réalisateur. Je ne volonté expresse de faire pas arrivé là. nombreux talents d’acteur. pas en Belgique de rivière ici, juste différemment. J’ai savais tout simplement pas comme les Belges, donc, qui permettrait aux gamins essayé d’échapper à tout ce quoi faire au début, et c’est ça se décoinçait et c’était Vous êtes acteur à l’origine, En conversation avec de voyager jusqu’à la mer ; qui est urbain. Et justement en ne le sachant pas que j’ai bien. Il est essentiel pour mais vous avez choisi de ne Bouli Lanners au moins qui ne soit pas parce qu’on n’a pas l’im- fini par trouver mon métier. moi de travailler comme pas jouer dans votre premier entravée par des barrages. pression d’être en Belgique, J’espère pour les autres que acteur en France. Pour film, Ultranova. Vouliez- Vous êtes né près de la fron- J’essaye d’échapper à ce on se rend peut-être plus leur parcours sera plus ra- les cascades et les effets vous vous concentrer sur la tière allemande. Est-ce que côté belge, au dictat que facilement compte que c’est pide que le mien. Je ne suis spéciaux, par exemple, il réalisation pour ce premier cela fait de vous quelqu’un l’histoire doive se passer quelque chose de très belge pas sûr d’avoir définitive- y a des techniciens que je long métrage ? de plus international ou, au en Belgique, avec des bus que d’essayer de faire pas- ment mis à l’écart la peintu- ne trouverais pas ici et j’y Je ne pensais jamais contraire, de plus belge ? belges qui passent. Je suis ser le pays pour autre chose re, mais pour le moment, je apprends énormément de jouer dans mes films. C’est Je suis en effet né à très belge, je suis un filtre ; qu’il n’est. Je crois que je ne m’épanouis complètement choses. Et puis, je rencontre sur Eldorado que ma femme côté de la frontière ; mon j’écris l’histoire et donc l’his- ferai plus de films ici parce dans le cinéma. Dès que régulièrement des comé- et mon producteur m’ont père était douanier. Je suis toire et le film seront indis- que les paysages qui m’inté- j’aurai l’envie et le temps de diens de renom qui ont fait dit : « Tu as écrit un rôle, on très belge, ça, je le sens ; et cutablement belges, mais je ressent disparaissent. Tout changer, je reprendrai peut- 30 ans, 40 ans de cinéma. dirait que c’est toi. Pourquoi mes films sont très belges ne veux pas nécessairement est refait, la campagne n’est être cette activité. Comme je joue des seconds cherches-tu un comédien aussi, même si je ne sais pas que cela se passe en Belgi- plus la campagne et il y a rôles et que j’aime rester sur qui est comme toi ? » J’avais pourquoi. Il y a de l’incons- que. J’aurais bien aimé être des avions qui passent sans Diriez-vous que vos rôles le plateau même quand je un peu peur, mais au final, cient culturel là-dedans né aux Etats-Unis et faire arrêt. J’espère pouvoir aller dans les grandes produc- ne tourne pas, j’ai le temps je me suis beaucoup amusé. que je ne veux pas dévelop- des films américains, mais en Écosse pour l’un de mes tions françaises telles de regarder, d’observer et Dans mon nouveau film, Les per. Je veux que cela reste je ne suis pas américain, prochains films, et égale- que Un long dimanche de d’apprendre. Géants, je ne joue pas non instinctif. Je suis né dans la donc je fais des films bel- ment aux Etats-Unis pour un fiançailles et Astérix aux plus ; par contre, dans le région germanophone, à ges. Ma culture personnelle autre projet. J’aspire à faire Jeux Olympiques vous ont D’où est venue l’envie de film prévu par après, je joue- la frontière de l’Allemagne n’est en effet pas liée à la des films belges ailleurs, aidé en tant qu’acteur et passer de l’autre côté de la rai de nouveau. J’ai beau- et des Pays-Bas, une situa- cinématographie belge du et pas forcément avec des réalisateur ? caméra ? coup de plaisir à être dirigé tion qui fait que les gens y tout, au contraire : je suis acteurs belges. La façon de faire du Le premier court mé- par moi, parce que je sais parlent plusieurs langues plutôt inspiré par le film cinéma est la même dans les trage que j’ai fait était plus exactement ce que je veux. sans aucune difficulté. On anglo-saxon et américain. Vous avez d’abord fait l’école deux pays, si ce n’est qu’en ou moins une blague. Puis C’est le projet qui décide mélange, on passe d’une Il est vrai que la Belgique des Beaux-Arts et pratiqué France tout est beaucoup j’ai rencontré Jacques- tout ; je ne me dis pas, « j’ai langue à l’autre, d’une présente une mixité cultu- la peinture. Ensuite est venu plus rigide, plus hiérarchisé. Henri Bronckart, qui est envie de jouer dans un film, culture à l’autre. C’est une relle impressionnante, avec la déco pour la télévision ; En Belgique, on va très vite, devenu mon producteur. qu’est-ce que je pourrais région où il y a une ouver- une empreinte américaine vous êtes passé devant la parce que le cinéma y est Ce petit projet s’est trans- écrire autour de moi ». Au ture d’esprit énorme qui fait qui s’est rajoutée avec le caméra pour être comé- très jeune. Tout le monde a formé en film 35 mm et début il y avait un rôle qui que je n’accepte pas du tout Plan Marshall. Mais je trouve dien ; au final est venue fait à peu près de tout, ce puis Jacques-Henri a monté aurait pu être un rôle pour 90 91 Lanners

Eldorado © Nicolas Bomal 92 93 Lanners

moi dans Les Géants, et puis sur une scène et que l’on Votre bagage de peintre, a- très rapidement il s’est avéré doive la réécrire plusieurs t-il des effets sur le rapport que cela ne marcherait pas fois pour que la mécanique avec Jean-Paul de Zaeytijd, et donc je l’ai enlevé. de la scène fonctionne. Il votre directeur de la photo ? n’y a pas d’improvisation Ça fait 25 ans que nous Qu’est-ce que vous avez ap- une fois que la caméra travaillons ensemble et il pris sur Ultranova qui vous a tourne. La réécriture conti- y a des choses que nous servi pour Eldorado ? nue dans la salle de mon- n’avons même plus besoin Déjà au niveau de tage. Ce n’est que quand les de nous dire. Il connaît l’im- l’écriture, tout s’est passé journalistes me posent des portance que j’attribue au beaucoup plus vite. Ultra- questions que je comprends cadre et lui est un cadreur nova était un scénario très ce que j’ai fait. En peinture, hors-pair, un dieu du cadra- peu construit et très diffi- c’est pareil. Quand on peint, ge. De son côté, il effectue cile à résumer. Dans Eldo- qu’est-ce qui fait que le une réflexion sur mes films rado, l’histoire était plus tableau est fini ? C’est une qui est vraiment intéres- construite, mais une double question que je me posais sante, qui ne traite pas que écriture était tout de même toujours : parfois je rajou- de l’image mais qui est une nécessaire parce que deux tais des trucs et c’était trop. réflexion de fond. Il me fait rôles ont disparu pendant le Les dates butoir m’aident retravailler certains aspects tournage. Dorénavant, j’es- beaucoup, et le fait d’avoir et cela m’aide beaucoup à sayerai d’avoir un scénario un producteur derrière moi réécrire. Nous sommes dans encore plus ficelé, avec une qui dit : « ça coûte trop cher, une collaboration où les narration plus complète. il faut arrêter » ! choses évoluent petit à pe- Je continue à apprendre le tit, que ce soit sur le cadre, métier au fil des tournages. Ultranova et Eldorado sont l’image, les mouvements, Surtout en fonction des des titres très forts, qui certaines implications tech- films que j’ai fait. Je ne sau- suggèrent déjà un certain niques ou la proximité de rais pas donner des cours de nombre de thèmes et d’at- la caméra. mise en scène parce que je mosphères. Est-ce qu’ils ne saurais pas quoi dire – j’ai étaient là dès l’écriture ? Tous vos films ont été tour- toujours l’impression d’être Eldorado m’est venu nés en scope. un étudiant. pendant le tournage, mais Mes peintures étaient je n’ai trouvé Ultranova de grands paysages plats, Ultranova Le ton de vos films est plutôt qu’à la fin du montage son. avec beaucoup de ciel et © Versus sombre, mais il y a aussi de Les t-shirts de fin de tour- des lignes d’horizon tou- production l’humour. nage portaient donc des jours très basses. Je trouve C’est très proche de titres autres que celui du que c’est un format dans moi ; ces situations me font film final… Maintenant, ce lequel les personnages rire quand je les écris. Des sont des pièces de collec- évoluent bien. Mais comme fois, il y en a trop – alors, tion, un peu comme des justement ce décor a une j’en enlève. Puis ça devient t-shirts de films qui n’exis- importance narrative pour trop triste et j’en remets. tent pas ! Souvent, je mets moi, il faut bien évidem- C’est très agréable d’écrire un jambon en jeu, et celui ment que je le mette en des scènes drôles. En qui trouve le titre gagne le scène. Je trouve que le termes de registre, c’est du jambon. Jusqu’à présent, scope reste un format très comique de situation plutôt c’était à chaque fois moi élégant. Notre vue en tant que verbal. Il est important qui ai gagné le jambon – qu’humains est plus pa- que le spectateur puisse cela me motive à trouver le noramique que carrée ou rire d’une façon qui lui titre. Pour le prochain, Les verticale, et donc pour moi permette de mieux plonger Géants, je pense qu’on a ça correspond à une vision dans l’émotion par après. un bon titre, mais ce n’est réelle de la vie. Les person- Le rire ouvre le diaphragme pas moi qui l’ai trouvé. Si on nages respirent mieux, il y pour mieux pleurer. Mais j’ai le garde, je vais peut-être a de l’air ; le format carré horreur que l’on improvise devoir repayer un jambon. m’oppresse un peu. 94 95 Lanners

« Je viens de la peinture, ce qui fait que j’ai toujours envie d’avoir les choses très aériennes et très aérées. L’évolution du personnage dans le paysage est pour moi la clé de la narration. »

Vous tournez toujours même s’il pleut, cela peut partir vers un idéal meilleur. en 35 mm, ce qui, désor- être beau, c’est juste une L’histoire n’est pas autobio- mais, donne un petit côté question de logistique, de graphique, mais j’habite sur « old school »… confort, et de continuité. l’eau, et depuis longtemps Ça coûte un peu plus je voulais intégrer la rivière cher, mais je résiste. Je Vous avez déjà fait réfé- qui m’a fasciné dans l’un de trouve qu’il y a un piqué très rence à votre troisième film, mes projets. Ce sont des fin et doux dans l’argenti- Les Géants, plusieurs fois. obsessions d’enfance et que que l’on n’a pas encore Pourriez-vous en révéler un des lectures, comme Mark trouvé en digital. J’aime tra- peu plus ? Twain par exemple. Je me vailler avec des filtres, aller Le film suit le parcours suis dit que remettre tout chercher dans les basses de trois gamins, dont deux ça dans les yeux de trois lumières qui sont beaucoup frères de 13 et 14 ans qui adolescents, à l’âge où il plus fines. Je sais que je rencontrent un autre garçon y a un désir d’aventure et ferai des films en numéri- du même âge, dans un petit d’émancipation, cela pour- que – je suis bien conscient village perdu. Les frères ont rait bien donner. Je suis de l’évolution de la société été délaissés par leur mère un vieil adolescent, mais – mais tant que je peux le mais non dans le sens d’un aujourd’hui les adolescents faire en 35 mm, je le fais. Les réalisme social, plutôt dans sont de plus en plus jeunes. Géants est également fait le sens qu’elle se fout d’eux. Je suis resté vierge assez avec Jean-Paul, en 35 mm, Elle prend de la cocaïne, elle tard mais j’ai l’impression en scope, avec des filtres et part à Ibiza, alors qu’eux res- qu’aujourd’hui, les choses très peu de digitalisation, tent dans la maison de leur vont beaucoup plus vite. Ultranova voire aucune. Nous serons grand-père. Cet été-là, ils en © Versus production beaucoup à l’extérieur et ont marre et ils décident de ce sera ma mère qui fera la s’amuser avec leur nouveau météo. Elle fait des prières, copain. Leurs aventures elle est toujours créditée au les amèneront dans une générique : « Mme Lanners : situation précaire, mais météo » et jusqu’à présent, avec toujours la rivière et cela a marché. Il devrait l’appel de la nature comme faire beau en été, mais exutoire, leur permettant de 96 97 Lanners

Fabrizio Rongione Filmographie sur Eldorado

J’aime Eldorado parce qu’il parle de l’autre, comment vi- 2011 2001 1996 vre avec l’autre, cet étranger. Nous sommes toujours un peu Les Géants Muno (court). Non Wallonie ta culture étrangers à nous-mêmes, ce qui nous rend souvent peu dispo- en production. Mention spéciale, Torino n’est pas morte (court). sés à rencontrer un inconnu. Le film de Bouli Lanners raconte — International Festival — cette tentative de rencontre. L’envie d’un homme d’aller voir 2008 of Young Cinema. 1995 de l’autre côté. C’est d’autant plus difficile quand de l’autre Eldorado Prix FIPRESCI Mention Les sœurs Vanhoof côté, il découvre un junkie en train de cambrioler chez lui. Qui Prix FIPRESCI, Quinzaine spéciale, Torino (court). est-il ? Comment faire pour se comprendre quand tout nous des Réalisateurs, Festival International Festival sépare et que de ce tout, fait partie la drogue ? On sait que la du Film de Cannes. of Young Cinema. drogue est le symptôme de quelque chose de plus profond ; Prix Europa Cinema, Prix CinemAvvenire et Bouli, à travers son personnage, essaie de nous montrer ce Quinzaine des Réalisateurs, Meilleur court métrage, que ça fait quand on essaie de comprendre ce profond. Il va Festival du Film de Cannes. Torino International prendre sa voiture, faire un bout de route avec ce « tout ca- Prix Regards jeunes, Festival of Young Cinema. bossé » et prendre le temps de lui parler, de l’aider. Pourquoi ? Quinzaine des Réalisateurs, Meilleur court métrage, On ne le sait pas. Un acte gratuit ? C’est d’autant plus beau. J’ai Festival du Film de Cannes. Festival du Film pris ce film en pleine poire, il m’a mis KO. Romain Gary aurait Nomination, Meilleur Film Francophone de Namur. pu l’appeler Les Promesses de l’autre, Bouli décide de l’appe- Étranger, César 2009. Nomination, Meilleur ler Eldorado. Longtemps, je me suis demandé le pourquoi du Prix de la mise en scène, court métrage, European titre. Finalement, je crois que le plus beau combat devait être Festival international Film Awards. la recherche de cet autre, trop bien caché. C’est peut-être ça du Film Buchar-EST. Quinzaine des Réalisateurs, l’Eldorado : un cœur à prendre, une âme en or, perdu au fond Prix du meilleur film, Festival du Film de Cannes. d’une forêt. Existe-t-il trésor plus beau ? La rencontre de deux Festival international Compétition, Festival hommes, même si celle-ci se finit mal. Une vie de chien, c’est du Film Buchar-EST. international du vrai. Mais, si même les chiens méritent de se faire enterrer Prix de L’Union belge de Court Métrage de dans des chefs-d’œuvre, alors ça vaut la peine de se battre la Critique de Cinéma. Clermont-Ferrand. jusqu’au bout. Merci Bouli. — — 2005 Welcome in New Fabrizio Rongione est un acteur belge d’origine italienne. Ultranova Belgique (court). Il tourne plusieurs films avec les frères Dardenne (Rosetta, Le Panorama, Berlin — Silence de Lorna) et tient le rôle principal du réalisateur dans Film Festival. Le Festival de Kanne Ça rend heureux de Joachim Lafosse. Prix C.I.C.A.E., Berlin de Belgique (court). Film Festival. Prix du meilleur film, 1999 Festival international Travellinckx (court). du Film de Gijon Meilleur court métrage Prix de la critique, belge (SABAM). Festival international Mention spéciale, du Film de Gijon. Festival du Film — Francophone de Namur. — 98 99

Olivier Masset-Depasse 100 101 Masset-Depasse

intérêt pour les frontières et pendant six mois. J’ai fait mensonge. Certaines gens les limites. Dans ces deux une dépression assez forte. ont des faux papiers. Ils tra- Olivier films, les personnages sont J’allais tous les jours au vaillent, payent leurs impôts exclus malgré eux. L’on se cimetière. Peut-être que cet et mènent une vie « nor- Masset-Depasse demande alors jusqu’à quel épisode est venu à cause male ». Mais qui a des faux point un couple peut conti- d’un manque de communi- papiers ne peut pas parler nuer à s’aimer (dans Cages) cation dans ma famille. Je de son passé, qui n’est pas et en quelle mesure l’État me l’imagine, bien que je cohérent avec son identité. doit se sentir redevable n’en aie jamais vraiment fait En tant que cinéaste je suis vis-à-vis de ses citoyens, l’analyse. En tout cas, il est fasciné par ces « prisons », mêmes clandestins (Illégal). vrai que certains éléments je trouve surtout qu’il est Plusieurs réalisatrices bel- qui imposent des limites sont récurrents dans mes important de parler aussi Les films belges ges ont été actives au cours très strictes à l’actrice, l’obli- Dans ces deux longs métra- films : le personnage de la des prisons intérieures. réalisés par de jeunes de ces dernières décennies, geant souvent à être créa- ges, le titre permet un nom- femme forte, déterminée, dont et tive, et à ne pas simplement bre d’interprétations, dont qui à mon avis s’apparente Anne Coesens joue le rôle réalisateurs ne Marion Hänsel. Mais elles laisser parler le scénario. Par certaines particulièrement à ma mère, et cette femme principal dans tous vos films. sont devenues plutôt rares conséquent, dans les films poignantes : le traitement qui doit se confronter au Est-ce qu’on pourrait ima- sont pas forcément aujourd’hui. En dehors de du cinéaste, les visages et du personnage principal manque de communication. giner un cinéma d’Olivier masculins. À titre Fiona Gordon, qui fait partie les corps des acteurs sont dans Illégal, par exemple, Masset-Depasse sans elle ? du duo de réalisateurs Abel des éléments essentiels. pourrait être caractérisé de Dans Cages, le personnage Quand j’écris, je ne me d’exemple, ce sont les7 & Gordon, la seule femme moralement illégal. d’Anne Coesens est incapa- dis pas « je vais écrire ça interviewée dans ce volume Dans l’ombre, un des courts ble de parler, alors que dans pour Anne », cela ne donne- femmes qui tiennent est Ursula Meier, qui partage de Depasse, voit Coesens Nue propriété et Elève Illégal, au contraire, elle est rait aucun sens. Mais Anne les rôles principaux son temps entre Bruxelles et interpréter une femme libre de Joachim Lafosse une russe qui parle très bien est un Stradivarius, et il est la Suisse. isolée en raison de son sont dédiés « à nos limi- le français, mais qui ne peut difficile de ne pas jouer avec dans Vinyan de du handicap. Elle espionne son tes » – la même chose est pas parler, ne peut pas révé- elle. Est-ce que ce serait dû Cependant, seul Olivier voisin sans savoir vérita- vraie pour tous les films ler son identité au prix de se à l’amour, aussi ? Je n’en sais Welz et Irina Palm Masset-Depasse se concen- blement comment attirer de Masset-Depasse. retrouver expulsée. rien, ça fait 14 ans que nous de Garbarski, tandis tre exclusivement sur les son attention… Dans le long Tania, cette femme rus- travaillons ensemble, et elle portraits de femmes. Il a métrage intitulé Cages, elle En conversation avec se, ne parle pas beaucoup reste le visage que j’ai envie que Nue propriété filmé sa compagne, l’ac- joue le rôle d’une ambulan- Olivier Masset-Depasse une fois arrivée au centre de voir. J’ai besoin d’Anne trice Anne Coesens, dans cière qui perd l’usage de la fermé. Elle est empêchée parce que je sais que je serai de Joachim Lafosse tous ses courts et ses deux parole à la suite d’un grave Un sujet qui revient souvent de parler à cause de ses meilleur si je travaille avec retrace autant le longs métrages. accident et qui fera tout dans vos films est le man- problèmes d’identité, donc elle, comme j’ai besoin de pour ne pas perdre l’homme que de communication et elle a un problème de com- mon chef opérateur ou de parcours de la Travailler en terrain connu de sa vie. Dans son der- l’impossibilité de s’exprimer munication qui est claire- mon monteur parce que, est manifestement avan- nier long métrage, Illégal, convenablement. ment lié aux secrets et aux sans eux, je suis moins bon. mère que celui de tageux, mais à chaque l’actrice dresse le portrait Oui, les entraves de mensonges. J’ai parlé à des Le réalisateur a son pouvoir ses jumeaux. nouvelle collaboration avec d’une immigrée russe vivant communication me fasci- avocats qui me disaient « j’ai particulier parce que les Coesens, Masset-Depasse clandestinement en Belgi- nent. Même pour les courts, réussi à avoir des papiers à autres membres de l’équipe 10a réussi à révéler des fa- que, qui refuse de révéler je travaillais beaucoup sur des familles qui m’ont avoué le lui donnent. En tant que cettes nouvelles et surpre- son identité lorsqu’elle est les handicaps et l’handicap par la suite qu’ils n’étaient réalisateur, je suis partisan nantes de l’actrice, qui est arrêtée par la police. de la communication en pas de cette nationalité-là ». de la manipulation positive, incontestablement l’un des particulier. C’est une obses- Pour moi, c’était intéres- c’est-à-dire que pour mieux secrets les mieux gardés du Tous ces rôles sont for- sion pour moi, surtout parce sant parce que ça veut dire dominer, il faut mieux servir. cinéma belge. tement marqués par des que je me suis toujours qu’il y a plusieurs niveaux J’ai mes petites fleurs, et je non-dits et des barrières de considéré un peu comme de « prison ». Un sans-pa- dois aller leur parler, je dois Il n’existe aucun doute quant communication, qui forcent un handicapé, dans la vie ; piers est en quelque sorte les arroser pour qu’elles aux interprétations magis- Coesens à appréhender je suis un handicapé social. un prisonnier, car il court donnent ce qu’elles ont de trales que Coesens nous son personnage de façon Je suis heureux d’avoir l’art de grands dangers à cha- meilleur. Je n’ai pas peur du livre à chaque fois. Ceci plus physique. qui me vient en aide main- que fois qu’il se déplace. conflit mais je pense qu’on s’explique en partie par les tenant, mais durant mon Tout devient une question fait mieux son travail quand rôles de femmes ambitieux Les titres des films sug- adolescence il y a eu une de survie. Puis, il y a la on est épanoui, donc j’aime qu’écrit Masset-Depasse, gèrent également un fort période où je n’ai pas parlé prison intérieure qu’est le bien cette méthode de 102 103 Masset-Depasse

Illégal © Versus production, Patrick Muller 104 105 Masset-Depasse

« Le réalisateur a son pouvoir particulier parce que les autres membres de l’équipe le lui donnent. En tant que réalisateur, je suis partisan de la manipulation positive, c’est-à-dire que pour mieux dominer, il faut mieux servir. »

cinéaste communiste. Pour ciblées, je peux me concen- c’était bingo. Il y avait une moi, le cinéma est comme trer sur les personnes de fraîcheur incroyable et à une peinture flamande ; on l’équipe que je connais partir de ce moment-là, a l’impression qu’elle a été moins, c’est mieux. On a mon but était de ne plus les peinte par une personne, toujours plus de facilité faire penser. Je les focali- mais en fait l’équipe en avec ceux qu’on connaît, et sais sur une action ou des comptait vingt-cinq. une autre qualité de tra- détails techniques. Après, vail, aussi. l’accélération a fait qu’ils Comment « arrosez »-vous n’avaient pas le temps de les comédiens ? Et sur le plateau ? réfléchir et ils étaient tout à Au départ je dirigeais Je me suis rendu compte fait naturels. beaucoup Anne, avec plein qu’un réalisateur doit arriver Cages d’exercices même avant le à ne plus faire penser les Vos films sont plutôt fémi- © Luca Etter début du tournage, selon acteurs. Au moment où un nins, aussi parce qu’Anne une méthode très techni- acteur arrive au tournage, tient le rôle principal dans que, très Stanislavski, très il va forcément penser à ce tous vos films. « studio ». Pour Cages, j’ai qu’il doit faire. Pour arriver En général, j’aime bien travaillé toute l’histoire des à un résultat naturel, il lui penser avec la tête d’une personnages avec Saga- faut lâcher prise, et pour femme et cela me fascine more Stevenin et Anne cela il faut qu’il arrête de spécialement de trouver des Coesens. Pour Illégal, penser à ce qu’il doit faire. choses sur ce personnage Anne a beaucoup travaillé Illégal était un succès dans féminin. Il y a beaucoup de avec des coachs russes ce sens, il y avait une vraie moi dans ces femmes, bien qui avaient mené des vies urgence et on a tourné très, que, peut-être un peu moins incroyables dont elle s’est très vite. J’avais une équipe dans Illégal. Des coachs beaucoup nourrie. Puis, il y magnifique derrière moi ; russes nous ont aidés pour a les aspects techniques, un et puis j’avais développé ce rôle, mais comme j’ai cahier de charges qu’Anne une technique qui était de écrit ses réactions, le per- fait presque toute seule tourner « en direct ». On sonnage reste bel et bien aujourd’hui. Elle est assez ne faisait pas de répéti- dans ma logique. J’aime grande et si on se limite tions ; en fait, je tournais bien quand des spectatri- à quelques réunions bien les répétitions. Forcément, ces me disent par après 106 107 Masset-Depasse

« Il est clair que j’aime bien travailler l’ombre, je suis plutôt un néo-néo-expressionniste, dans l’idée en tout cas, parce que plus on travaille sur la lumière plus on doit forcément considérer les ombres. »

Cages qu’elles croyaient que le film à Steenokkerzeel, à 15 kilo- rien appris, enfin, pas sur © Luca Etter était mis en scène par une mètres de chez moi, j’étais le monde, mais pour Illégal femme ; ça veut dire qu’elles un peu perturbé. Des fois, nous avons étudié l’histoire ont ressenti quelque chose on ne comprend pas pour- de la Russie pour le per- de féminin, que cela leur a quoi on réagit si fortement ; sonnage de Tania, pour lui parlé. En même temps, ce ensuite j’ai fait des recher- donner une crédibilité. J’ai qu’elles ont vu est un per- ches sur Internet et plus je fait la découverte du monde sonnage qui est moi, pour creusais le sujet, plus j’étais des sans-papiers, des cen- au moins trois-quarts. C’est, atterré et révolté. Je me suis tres fermés et des rouages là, mon propre petit combat dit, il y a un film à faire. Ce politiques. Je l’ai vraiment féministe. Question de mon- n’était pas prévu comme ça ; fait avec le plus grand soin, trer qu’à l’intérieur, l’homme jusqu’à ce moment, j’étais parce que par rapport à ce et la femme ne sont pas plutôt dans les problèmes genre de film, on ne peut si différents. relationnels. Je n’étais pas le pas se permettre d’être à genre de cinéaste qui aurait côté de la plaque. Illégal est un film beaucoup fait des films militants – plu- plus politique et plus enga- tôt des films humanistes. La presse belge a pu voir gé que Cages et vos courts. le film à Cannes. Comment Quelle était à la base de ce Est-ce que vous avez fait étaient les réactions ? changement de direction ? beaucoup de recherches ? La presse était plutôt Comme tout le monde, En tout, un an d’enquête unanime, les seules re- j’avais entendu parler des avec des journalistes sur marques étaient du genre centres fermés mais je n’en le terrain. Ça me rappelait « pourquoi n’y a-t-il pas de savais pas grand-chose. À les films de Costa-Gavras. flamands dans le film ? ». Il un certain moment, quel- Je me suis dit que quand est vrai qu’il y a cinq centres ques sans-papiers que je tes rêves coûtent 3 millions fermés en Belgique, quatre connaissais personnelle- d’euros, ce qui n’est rien en Flandres et un en Wallo- ment en ont parlé et je me dans le cinéma mais beau- nie. Je voulais que le centre suis rendu compte qu’il ne coup par rapport à la vie montré soit européen avant faut pas partir loin pour en quotidienne, il faut bien que tout, même si c’est quelque trouver. Quand j’ai appris cela rapporte un petit plus. chose de particulièrement qu’il y avait un centre fermé En faisant Cages, je n’ai belge. J’ai fini par m’inspirer 108 109 Masset-Depasse

« J’essaie d’allier l’efficacité du récit américain au portrait européen. Forcément, il y a des contrastes car j’essaie de faire du cinéma sensoriel, ce qui n’est pas évident quand il y a une narration à exécuter. »

du centre de Vottem, près qu’un dialogue. Il est clair de scénario. Je cherche un de Liège, un centre fran- que j’aime bien travailler co-scénariste et j’espère le cophone, aussi pour éviter l’ombre, je suis plutôt un trouver à un certain mo- que les gardiens soient néo-néo-expressionniste, ment. Si je regarde In the flamands, pour ne pas faire dans l’idée en tout cas, par- Mood for Love de Wong dire au film, même indirec- ce que plus on travaille sur Kar-Wai, une histoire que tement, que les « mauvais » la lumière plus on doit forcé- l’on peut résumer en deux étaient flamands. On se- ment considérer les ombres. lignes et le reste, ce n’est rait rentré dans un conflit Avec le chef opérateur, To- que du sensoriel – c’est im- communautaire, alors que masso Fiorilli, c’était un peu pressionnant. Je n’y arrive le sujet du film n’a rien à voir comme avec Anne au début, pas encore, j’ai besoin de avec cela. on regardait des peintures mon action, j’ai besoin que et des films pour nous ins- ça bouge et j’ai besoin de Dans tous vos films il y a une pirer. Nous sommes restés contrastes. C’est sans doute vraie réflexion sur l’image. calés sur l’expressionnisme, parce que je suis encore jeu- Je viens de la bande justement parce qu’il met en ne et que j’ai besoin de bou- dessinée et du dessin, donc avant l’expression et la psy- ger ; je ne pourrais pas faire je suis un visuel avant tout. chologie d’un personnage. de films lents, et pourtant il Pour les gens qui réfléchis- L’expressivité de l’ombre y a beaucoup de films lents sent en termes de dessin ou me permet de mieux puiser que j’aime bien. Mais ce de peinture, la lumière est dans la psychologie. n’est pas dans mon tempé- primordiale, elle doit reflé- rament. Ce que je cherche ter la psychologie des per- L’ombre et la lumière, le en ce moment va plus dans sonnages. Dans Illégal, j’ai travail sur des contrastes en la direction de Hitchcock, l’impression qu’on est plus général, semblent embléma- arriver à faire des films d’ac- dans le documentaire, mais tiques pour vos films. Il suffit tion psychologique. il y a néanmoins ces plans de considérer les premières larges qui m’étaient impor- dix minutes de Cages, avec tants et que j’aime bien. Si ses oscillations extrêmes tu contrains quelqu’un dans entre la vie et la mort, le noir un coin, la moindre de ses et la lumière. réactions sera visible. Ici, j’ai C’est vrai, tout cela essayé d’être plus diversifié est lié au fait que j’essaie Cages dans mon découpage, d’un d’allier l’efficacité du récit © Luca Etter côté parce que le sujet le américain au portrait euro- nécessitait mais aussi parce péen. Forcément, il y a des que je voulais donner de contrastes car j’essaie de la place à la subjectivité à faire du cinéma sensoriel, l’aide de gros plans et des ce qui n’est pas évident plans de caméra volante. quand il y a une narration à Des fois, un mouvement de exécuter. Je n’ai malheureu- sourcil ou un mouvement de sement pas encore trouvé joue fait comprendre plus mon âme sœur en matière 110 111 Masset-Depasse

Olivier Masset-Depasse Filmographie par François Yon

Nous aimons suivre les cinéastes, et nous suivons de 2010 très près cette nouvelle génération de réalisateurs belges. Illégal Nous essayons chaque année de prendre quelques premiers Quinzaine des Réalisateurs, films, et avec Olivier Masset-Depasse, dont nous avions vu les Festival du Film de Cannes. courts, dont nous avons lu le scénario de son projet de long — métrage, Cages, et dont on connaissait le producteur, Jaques- 2006 Henri Bronckart, avec qui on travaille beaucoup – le choix était Cages sans hésitation. Le film est sorti dans un moment difficile, et Festival international souffre peut-être d’un petit excès d’ambition. Il ne s’est pas du Film de Toronto. trop vendu. Par contre, pour son deuxième film, Illégal, c’était Compétition, Festival diffèrent. À la lecture du scénario, on savait que c’était quel- du Film de Rome. que chose qu’Olivier pourrait parfaitement gérer : les lieux, la Prix du public, Festival du Illégal caméra et l’actrice de tous ses films, Anne Coesens. En plus, Film francophone de Namur. © Versus production, le sujet du film est un sujet transnational, quelque chose qui Prix du Jury jeune, Patrick Muller voyage bien ; on venait de faire Welcome de Philippe Lioret, Festival du Film qui est un film sur l’immigration clandestine aussi. Après son francophone de Namur. passage à Cannes, Illégal se vend effectivement très bien. Il — n’est pas du tout vendu comme un film belge ou même un film 2004 francophone mais vraiment sur le sujet, sur son côté politique Dans l’ombre (court). et sa force émotionnelle. Voilà ce qui parle aux gens. Léopard de demain, Festival du Film de Locarno. François Yon est l’un des fondateurs et un partenaire de Prix de la mise en scène, Films Distribution à Paris. Ils gèrent les ventes à l’internationale, d’interprétation féminine entre autres, des films d’Olivier Masset-Depasse, de Bouli Lan- et de la photographie, - ners et de plusieurs titres de Joachim Lafosse. Awards for best direction, best actress and best photography, Les Lutins du Court Métrage. — 2000 Chambre froide (court). Mention spéciale, Festival international du Film de Valence. Meilleur court métrage, Festival du Film de Dresde. Meilleur court métrage, Festival du Film Francophone de Namur. Semaine de la Critique, Festival du Film de Cannes 112 113

Stéphane Aubier & Vincent Patar 114 115 Aubier & Patar

Les mouvements des Patar ont opté pour le grand trouver une ligne directrice de nouvelles idées. Nous Stéphane Aubier personnages sont volon- écran, plaçant directement pour le scénario, notre pre- avions vraiment trouvé la tairement saccadés, telles le film dans le monde du mière envie étant qu’il y ait technique qui collait à notre des marionnettes, comme cinéma plutôt que de la télé- une fête au village. manière de raconter. & Vincent Patar si un enfant articulait les vision, avec des décors bien jouets derrière l’écran. Les plus élaborés que pour les Et d’où vous était venue Pourquoi ces personnages, cinéastes déjouent ainsi épisodes télévisés, comme l’idée de base pour la série ? Cheval, Indien et Cow-boy ? les pièges d’une anima- le montre le long panora- Patar : Pendant nos étu- Aubier : Le principe de tion image par image pour mique dans lequel Facteur des à la Cambre, nous es- Panique au village était parvenir à une véritable roule à vélo à travers la sayions toujours de garder d’avoir beaucoup de person- Ceci s’explique en partie réussite stylistique. campagne avant d’arriver au une certaine spontanéité nages dans des positions La Belgique possède par le fait que la plupart village. Mais ils ont toute- dans notre façon de racon- différentes. Dans les bro- Page suivante des longs métrages d’ani- Les figurines, montées sur fois conservé la structure ter, au contraire de l’anima- cantes, les seuls person- Panique une tradition riche au Village mation en Europe sont de petites plateformes, des épisodes télévisés, qui tion classique, qui est un nages que l’on trouve dans © www.pani- et vivace dans le des co-productions entre donnent l’impression d’avoir reflétaient bien la courte procédé long et laborieux. plusieurs positions sont les queauvillage. com plusieurs pays, la Belgique été produites en série mais capacité d’attention d’un En dernière année, nous indiens, les militaires, les domaine de la bande y étant le plus souvent un sont en réalité fabriquées enfant. Le film, d’une du- avons fait chacun un film de cow-boys et les chevaux. dessinée, avec co-producteur minoritaire. à la main dans les studios rée de 75 minutes, compte fin d’études. J’avais fait un Les soldats ne nous intéres- De plus, les réalisateurs et d’Aubier et Patar. Selon les d’innombrables mini-aven- film avec une marionnette et saient pas parce qu’ils sont des personnages scénaristes sont souvent actions, il existe plusieurs tures plutôt qu’une seule et Stéphane avait eu l’envie de tout bosselés, avec des cas- récurrents tels 8étrangers. À titre d’exemple, versions de chaque per- unique histoire. faire du stop-motion. Il avait ques, ce qui les rend diffici- la productrice belge Viviane sonnage. L’humour tient donc ramené des jouets, et les à modifier. Nous sommes que Tintin, les Vanfleteren a produit deux en grande partie aux diver- En conversation avec c’est comme ça qu’il a fait le donc resté avec les indiens films nominés aux Oscars, ses poses des figurines, Stéphane Aubier et premier Panique au village. et les cow-boys. Comme Schtroumpfs ou Les Triplettes de Belleville toujours filmées en plans Vincent Patar Il était vraiment très punk, nous avions envie de racon- et Brendan et le secret de fixes. Citons par exemple la avec beaucoup d’improvi- ter des histoires dans les encore Lucky Kells, mais aucun des deux scène dans laquelle Cheval Quand avez-vous décidé sation devant la caméra. Ce paysages de la Belgique, Luke. Mais malgré n’a été perçu comme étant lit le journal avec ses pattes qu’il faudrait faire un long petit film nous a fait rigoler nous avons intégré ces un projet belge, puisque avant, allongé sur le canapé, métrage de Panique au bien longtemps. Dix ans personnages aux paysages certaines adaptations situés à l’étranger et réalisés pendant que Cow-boy et In- village ? après, notre producteur belges. De toute façon, des par des réalisateurs français dien terminent chacun leur Aubier : Quand nous Vincent Tavier a revu ce film cow-boys et des indiens, ils au petit ou grand et irlandais, respectivement. douche matinale. sommes arrivé à la fin de la et – tilt –il a tout de suite ac- n’ont que l’apparence. Ce écran, l’animation Le long métrage Panique au production de la série, nous croché. Il nous disait « il faut sont deux personnages cré- village du duo de cinéastes Les aventures de ce trio nous sommes rendu compte développer une série avec tins. Il pourraient tout aussi belge n’a pas la bruxellois Stéphane Aubier hors du commun possèdent à quel point nous aimions cette technique-là, c’est bien être Laurel et Hardy. et Vincent Patar est une un côté plus sombre qu’une raconter des histoires avec génial ». Ainsi, les choses se Si nous avions installé un réputation qu’elle exception à cette règle. Un simple fable enfantine. Le la technique que nous avi- sont mises en place et on cow-boy et un indien dans aurait méritée. film d’animation en stop- scénario ainsi que les voix ons développée. L’univers a avancé sur la série, petit un saloon, nous serions vite motion, adapté de la série de Cow-boy et Cheval, in- que nous avions créé ne à petit. Nous avons pris le arrivés au bout, tandis que télévisée éponyme, il suit terprétées respectivement nous quittait plus. Il sem- temps d’affiner la technique les histoires qui se passent 10les aventures de trois jouets par Aubier et Patar – sans blait prometteur de faire et finalement, nous avons en Belgique, on en connaît, en plastique interprétant les oublier l’acteur belge Benoît une histoire un peu plus trouvé ce que nous avions et c’est facile pour nous d’en personnages « Cow-boy », Poelvoorde qui prête la longue et de pouvoir dévier cherché depuis toujours… trouver. Nous aimons bien « Indien » et « Cheval » dans sienne à Steven, le voisin un peu – nous aimons beau- papier découpé, dessin les confronter au monde un village rural qui pour- bruyant – accentuent le coup l’expérimentation, que hyper dépouillé et une ma- contemporain, aux ordina- rait bien être situé au cœur côté adulte du film. L’accent ce soit dans la technique nière de raconter les choses teurs et autres technologies des Ardennes belges. Si le américain (en français) de ou dans la narration. Par qui était proche du « live du moment, des choses que paysage n’est pas un indice Bruce Ellison, qui prête sa contre, nous n’avions pas à action ». Nous avions toutes nous utilisons tous les jours. immédiat pour le spectateur voix à Indien, offre au film ce moment d’idée précise nos figurines avec des atti- Patar : Dès que l’on se dit étranger, le régime alimen- des gags récurrents. en tête, et ce fut en faisant tudes préparées, et du coup que Cow-boy et Indien sont taire du trio, composé de des réunions de scénario nous étions vraiment à l’aise des villageois comme les gaufres et de bière, devrait Pour passer du court (épi- que nous avons commencé devant la caméra, à chaque autres, alors n’importe quoi faire l’affaire pour situer le sodes de cinq minutes) au à définir nos idées et envies. stade du travail on pouvait peut leur arriver à n’importe film en Belgique. long métrage, Aubier et Puis, nous avons essayé de enrichir la scène et insérer quel moment. 116 117 Aubier & Patar 118 119 Aubier & Patar

caricaturales. Nous préfé- Aubier : Les petits des- travailler comme nous le fai- finalement, il faut un plan- « Nous nous concentrons rons garder une démarche sins préparatoires étaient sions à l’école. Nous n’avons ning. On fixe le jour, l’heure sur nos personnages, nous plutôt réaliste, avec des voix carrés. Donc au début, nous commencé à déléguer du et on met la caméra devant naturelles, comme des gens avons mis deux, trois objets travail qu’avec nos premiè- tel décor. Nous sommes ar- essayons de les faire vivre, qu’on croise dans la rue. sur la table et nous les avons res séries pour la télé, en rivés le matin et les plateaux C’est juste un peu contrasté, cadrés avec un appareil sollicitant l’aide de nos co- étaient déjà prêts à tourner. et si cela nous amuse, poussé, histoire de relever photo, pour voir l’effet du pains pour mettre nos des- Pendant que l’animateur fai- c’est que c’est bon. » le goût. cinémascope par rapport à sins en couleur, par exem- sait son animation, l’équipe Aubier : C’est un peu l’original. Nous n’avions pas ple. Nous avons conservé installait un autre plateau. comme dans Jour de fête l’habitude de voir l’espace cette manière de travailler Patar : L’espace était de Jacques Tati où on ne comme ça. Tout paraissait de façon plus officielle avec divisé en six plateaux. Il y en Vous faites également les Un avantage de cette tech- comprend pas toujours très un peu vide. Mais au final, Panique au village. Pour avait dans un premier temps voix de Cheval et Cow-boy. nique est qu’on a beaucoup bien ce qui est dit, mais la dès qu’on avait décoré l’es- la série, nous avions une trois en simultané, pendant Aubier : La voix de Cow- de possibilités pour affiner manière dont c’est dit est pace, cela devenait tout à équipe de cinq personnes. que l’équipe lumière tra- boy était facile à trouver les voix. très amusante. fait naturel. Nous avons toujours voulu vaillait sur le décor et l’ins- [c’est la voix de Stéphane Patar : Pendant nos tests travailler en petit comité et tallation des autres. Il y en lui-même]. Pour Cheval, on Est-ce que vous écrivez un Le ton du récit amalgame image, nous nous sommes de façon artisanale. avait toujours trois de prêts. s’était dit que Vincent allait scénario traditionnel, avec une sensibilité adulte et un vite rendu compte que ce Aubier : Il importe de Aubier : Les cadrages la faire parce qu’il a une voix des dialogues formulés, ou côté très enfantin… n’était pas la seule chose qui trouver une bonne énergie doivent être systématisés plus grave, et puis c’est un est-ce que vous travaillez Aubier : Nous voulons allait changer. Même au ni- entre collaborateurs. Nous aussi. On commence par peu le chef de la maison. surtout avec des « story être le plus honnête possi- veau des détails, il y avait un essayons pour chaque les plans larges, car il faut Pour Indien, Vincent avait boards » ? ble avec nos personnages et monde de différence. Pre- projet de monter une équipe changer l’objectif en fonc- fait une autre voix, mais Patar : Nous préparons avec nous-mêmes, raconter nons l’exemple du scénario : de gens avec lesquels nous tion des scènes en cours. Et celle-là ne fonctionnait pas une version « animatique » l’histoire de la façon la plus nous pensions le faire en avons la plus grande affinité, finalement, il faut travailler du tout. On s’est demandé pour laquelle nous filmons dynamique et naturelle six mois – finalement, nous et qui apportent vraiment en fonction de la lumière : longuement comment faire et mettons vraiment ensem- possible. avons mis trois ans, rien que quelque chose au projet. début ou fin de journée, tout vivre cet Indien face à une ble tous les petits dessins Patar : Nous ne nous de- parce que c’était un long et Quand nous avons consti- ça doit se mettre en place. voie aiguë et une voix grave préparatoires, pour voir si mandons pas pour qui nous que c’était notre premier. tué l’équipe pour le long Aubier : À un moment et nous sommes tombés sur notre histoire tient la route. avons écrit l’histoire ; on l’a Donc à tous les stades, nous métrage Panique au village, nous avions du retard, Bruce Ellison, un américain Mais, il y a aussi un scé- fait pour nous. Nous nous avons dû préciser et tra- nous sommes passés de donc il fallait trouver des qui s’est installé en Belgi- nario avec des dialogues, concentrons sur nos per- vailler davantage les détails. cinq personnes à dix-sept. solutions pour le combler. que et qui a une voix un peu même si on les retravaille sonnages, nous essayons de Au niveau de l’image et du En plus, c’était une co-pro- On a fini par enlever une « cartoon ». Du coup, cela a beaucoup par après. Il y a les faire vivre, et si cela nous décor nous avons dû trouver duction entre la Belgique, séquence – elle aurait dû donné quelque chose de dé- une base assez précise au amuse, c’est que c’est bon. des éléments plus tran- la France et le Luxembourg, avoir lieu dans un nouveau calé par rapport aux expres- niveau des personnages Aubier : Il est vrai que chants, sans pour autant donc il fallait trouver des décor que nous n’avons pas sions de Cow-boy et Cheval, principaux, parce que ce quand ce film est sorti, abandonner l’aspect bricolé. français, des belges et des fait faute de temps. Puis on ce qui nous plaisait bien. sont eux qui donnent une les gens l’ont souvent vu Pour la série, nous avions luxembourgeois. a restructuré les séquences Patar : Parce qu’on ne énergie et un rythme bien comme un film pour en- l’habitude de découper les Patar : Au départ, nous de poursuites, par exemple, voit pas bouger les bouches précis au récit. fants, alors que c’est peut- figurines au cutter et de les ne sommes pas forcément pour en réduire le nombre des personnages, nous Aubier : Au début du être plutôt un film pour un recoller au pistolet à colle. tombés sur des gens que de plans… pouvons enregistrer les voix tournage au plus tard, nous public adulte qui amène des Pour répondre aux besoins nous connaissions mais Patar : Finalement nous après le tournage, ce qui avons besoin de savoir enfants. Enfin, la réaction de notre scénario, nous plutôt sur des gens qui nous avons terminé le tournage donne une liberté supplé- exactement ce que disent dépend des pays. avons cette fois-ci fait des avaient été conseillés. Nous un jour avant la date pré- mentaire et beaucoup plus les personnages. Heureuse- moulages, des vraies copies ne connaissions pas le jeune vue, et les producteurs de possibilités au niveau de ment qu’à ce moment, nous Une grande différence entre des figurines standard. animateur luxembourgeois étaient contents. la finition. Quand les voix ne avons la voix de l’acteur en la série et le film est que le Olivier Pesch, par exemple, sont pas parfaites, on voit tête. Quand on a la voix, on film est tourné en scope. Comparé aux autres mai- et nous avons fait beaucoup un jouet en plastique bou- a également un caractère Patar : C’est Vincent sons de production, votre de rencontres sur le terrain. ger devant la caméra – et on en tête, ce qui simplifie la Tavier qui nous a proposé avantage doit être que vous n’y croit plus. Quand Bruce formulation. cette idée. Au départ, nous pouvez presque tout faire Comment s’organise une a fait Indien, ou quand Patar : Nous essayons avions un peu peur, parce « in-house », chez vous, du journée de tournage pour un Benoît Poelvoorde a fait d’éviter que les voix virent que le format que nous début jusqu’à la fin. film stop-motion ? Fermier pour la première trop au style « cartoon », aimons bien est le format Patar : Oui, nous Aubier : C’est un peu fois, c’était une révélation. même si elles sont assez carré des films muets. avons toujours continué à comme la fiction, parce que 120 121 Aubier & Patar

Panique au Village © www.paniqueauvillage.com 122 123 Aubier & Patar 124 125 Aubier & Patar

Vincent Patar Filmographie et Stéphane Aubier commune par Frédéric Fonteyne

Vincent Patar, Stéphane Aubier et moi faisons vraiment 2009 1998 partie de la même génération. On s’est retrouvé dans les mê- Panique au village Les Baltus au Cirque mes festivals quand on faisait des courts métrages. Récem- (animation). (animation, court). ment, Vincent a retrouvé une petite brochure que je viens Hors Compétition, Festival — aussi de retrouver pendant mon déménagement, et on s’est du Film de Cannes. 1997 rendu compte qu’on avait participé au même concours de Festival international Pic Pic André Show bande dessinée quand on était encore adolescents et bou- du Film de Toronto. – Le deuxième tonneux (enfin, moi en tout cas, eux, je ne sais pas). Ce que Nomination, Meilleur Film (animation, court). j’aime chez eux, c’est eux justement, la manière dont ils réa- Étranger, César 2010. — gissent quand ils trouvent une idée rigolote, quand ça vit. Ce — 1995 que j’aime chez eux, c’est l’exigence de ce qu’ils cherchent. 2003 Pic Pic André Show – Et, bizarrement, ça peut rejoindre des choses que je cherche Panique au village The First (animation, court). aussi dans mes films. Quelque chose qui a à voir avec la sur- (animation, série Meilleure animation, prise. Une idée de Vincent Patar et Stéphane Aubier, ça fait un TV, 20 court). Media 10/10 (Namur). trou dans le cerveau, ça désaxe. Et les idées, chez eux, il y en Nomination, Meilleur Court, — a presque chaque seconde. Après avoir vu un de leurs films, European Film Awards. 1993 c’est comme si je sortais des montagnes russes de la foire du — Le voleur de cirque (avec midi, ou mieux encore, le Rotor, ce vieux truc en bois ou on 2001 Benoît Marcandella) reste collé au mur. Pic Pic, André et leurs (animation, court). amis (animation). Prix José Abel, Festival Frédéric Fonteyne est un réalisateur belge. Son premier — international du Film long métrage, Max et Bobo, sort en 1998. Suivent Une liaison 2000 d’animation d’Espinho. pornographique (1999), avec Sergi López et Nathalie Baye, et L’ours, la femme et le — La Femme de Gilles (2004), avec Emmanuelle Devos et Clovis chasseur (animation, court). 1988 Cornillac. — Pic Pic André Show Panique à la cuisine (animation, court). (animation, court , Meilleure animation, Festival compilation de courts). du Film de Bruxelles. Meilleur pilote TV, Festival du Film d’Animation d’Annecy. — Rupture (animation, court). — Pic Pic André Show – 4-1 (docu-fiction, TV court). — Ufo’s boven Geel (docu-fiction, court). Meilleur documentaire, Media 10/10 (Namur). — 126 127

Ursula Meier 128 129 Meier

Ursula Meier

Impossible de nier que la cinéaste Ursula Meier, d’origine franco-suisse, est bien une femme. Cependant, ceci ne fait pas de la réalisatrice, qui partage son temps entre la Suisse et la capitale belge, une cinéaste féminine. Ses deux longs métrages, Des9 épaules solides et Home, sont basés sur le renversement de conventions cinématographiques bien établies. Et vu son penchant pour l’inversion, il serait plus justifié de la qualifier de réalisatrice non-masculine.

Des épaules solides retrace d’un plaidoyer pour l’égalité solides, le second long mé- Home l’histoire d’une adoles- des sexes. Contrairement trage d’Ursula Meier, Home, © Jérôme Prébois cente suisse qui se destine à la plupart des drames à traite de l’idée opposée : à remporter une médaille thématique sportive, Des l’impassibilité de l’homme olympique. Cherchant à épaules solides insinue que face au changement. Dans masculiniser son corps, elle le désir extrême de gagner une campagne déserti- rêve de pouvoir rivaliser est malsain, et qu’il est plus que s’étend une autoroute avec les garçons,10 les plus important, sur le long terme, inactive. Au bord du bitume forts d’entres eux, et de les de connaître ses limites que se trouve une maison dans vaincre. Lorsqu’elle s’éprend de monter sur le haut du po- laquelle vit une famille de de Rudy, un nouveau venu, dium. Tout en contournant cinq personnes. Lorsque les on se demande si elle l’aime un message (ou une criti- travaux vont reprendre et pour sa bonté ou parce qu’il que) féministe, le film est que l’on annonce l’ouverture est l’un des coureurs les le témoignage du scénario prochaine de l’autoroute à plus rapides de l’école. d’Ursula Meier et de son co- la circulation, les habitants Au fil des images, on com- scénariste Frédéric Videau, restent imperturbables face prend rapidement qu’il ne qui se concentre sur les à la nouvelle. s’agit pas d’une typique personnages et leurs pro- Malgré les inconvénients histoire d’adolescente. Ni blèmes, non sur leur genre. provoqués par l’autoroute – d’un pamphlet simpliste S’il s’agit du dépassement le bureau du père et l’école sur le pouvoir féminin, ou des autres dans Des épaules des enfants se trouvent de 130 131 Meier

part et d’autre du monstre, lisait, il ne ressemblait pas faisant beaucoup d’aller-re- sans aucun passage clouté à un scénario traditionnel. tours avec la Suisse. J’oscille « Le plateau est vraiment pour traverser – la famille Il y avait vraiment tout ce entre les deux, ce qui est choisit l’emmurement plutôt qu’on déconseille pour un très fatiguant mais en même que le déménagement. Il premier long métrage : un temps, j’ai l’impression que l’endroit pour contrôler les s’agit d’un road movie sans décor construit de A à Z, des c’est ce qui me procure un road trip, sans personna- enfants, un chat, des voi- certain équilibre. Il me faut choses et en même temps ges loufoques rencontrés tures. Même la forme était du mouvement, comme au bord de la route, sans compliquée : le film mélange dans Home et comme dans réelles leçons à tirer. La les genres et les tons et frise mon prochain film. Je suis faire en sorte que cela photographie mêle la ca- à la fois le surréalisme et le restée en Belgique à cause méra à l’épaule et les plans film d’horreur. Ce n’est pas de la Belgique. Il n’y a pas puisse déraper, échapper, très posés, reflétant ainsi un film naturaliste ; il y a un que son surréalisme ou sa le marasme dans lequel fort désir de décoller du réa- folie douce qui m’ont plu, cette famille s’est embour- lisme. Faire un téléfilm a en je pense plutôt qu’au fond, pour qu’après, on recontrôle bée sans aucune volonté quelque sorte désacralisé je l’avais déjà en moi. J’ai de changer la situation. S’il mon premier long métrage. besoin de ce regard décalé et redirige. » existe un point commun C’était vraiment une com- sur les choses. entre les personnages des mande : il y avait un thème, deux films, c’est bien leur un budget défini, un nombre Mais vous avez aussi besoin entêtement. de jours de tournage limité. de voyager… Grâce à ses deux longs En plus, j’ai tourné avec Dans Home, j’ai vu métrages, Ursula Meier, qui une petite caméra vidéo – l’autoroute comme une seraient pas ce qu’ils sont qu’on épuise le lieu jusqu’à Voilà qui est à la base de a étudié le cinéma à Bruxel- mais ces contraintes, je frontière. Je pensais beau- si je n’avais pas été à l’école ce qu’on l’ait filmé et sur- tout. Mes personnages les où elle passe encore les ai trouvées plutôt créa- coup au documentaire Mur de cinéma à Bruxelles. Les filmé. Cela aide à poser les vont tous jusqu’au bout. aujourd’hui la moitié de son tives. Après, pour Home, de Simone Bitton, un film gens qui ont vu mon moyen vraies questions du cinéma. Comme le disait le réalisa- temps, est devenue une j’avais envie de faire tout sur le mur entre la Palestine métrage Tous à table le Pour Home, l’enjeu de l’écri- teur sino-malaysien Tsai cinéaste inclassifiable si ce le contraire. et Israël. Le prochain est trouvent très belge, et en ture et de la mise en scène Ming-liang : « Quand on est n’est qu’elle aime renverser semblable, c’est un film en même temps il me ressem- était que le danger n’allait dans une situation pénible, les conventions établies. Vous êtes domiciliée entre va-et-vient, comme si un ble énormément. pas venir de l’extérieur, de c’est seulement en arrivant Bruxelles et la Suisse. Ce métronome au fond du film l’autoroute, mais des per- à son bout, là où il n’y a plus En conversation avec n’est donc pas étonnant que lui donnait son rythme, sa Donc, si on veut, vous faites sonnages et de l’intérieur. d’autre échappatoire, que Ursula Meier l’on retrouve des thèmes tension et son air. Je vis de des films sans frontières l’on trouve la force de s’en comme le mouvement et les cette manière, donc je ne mais sur les frontières. Vos personnages ne vont sortir. » Il y a quelque chose Vous avez débuté deux fois : frontières dans vos films. sais plus si c’est le cinéma Oui ! Pour Home, je ne pas bien loin – physique- d’assez pur là-dedans, un d’abord avec Des épaules Mon père est suisse- qui me fait vivre comme ça voulais pas que l’on sache ment, ils restent plus ou côté d’épuration mystique. solides, un long métrage qui allemand et ma mère est ou si le fait de vivre comme où cela se situe, ni géo- moins sur place. Mais ils était un téléfilm à la base, et française. J’ai grandi en Nor- ça me fait faire des films graphiquement, ni dans vont très loin dans leurs Vos personnages vont qui a été montré dans beau- mandie et près de Genève, comme ça. Je me rends le temps. C’est une fable. envies, leurs désirs et jusqu’au bout et ont besoin coup de festivals ; et puis de mais en France, dans une clairement compte que Finalement, il a été filmé au leurs folies. de se perdre pour se retrou- nouveau avec Home. espèce de « no man’s land » j’en ai besoin ; au bout de fin fond de la Bulgarie. C’est Mes décors sont sou- ver. Est-ce que vous êtes le Le téléfilm m’a beau- qui s’appelle France voisine. trois jours, j’ai besoin de marrant, parce que l’une vent des non-décors : des genre de cinéaste qui laisse coup aidée. C’est à la fois de Je passais la frontière quatre bouger. Maintenant, je fais de mes références était bords d’autoroute, des une place à la folie sur le la télé et un long métrage. fois par jour, et je pense que des coproductions avec la l’Amérique et je cherchais frontières. C’est peut-être plateau, pour voir ce que ça Je l’ai fait en très peu de mes films sont vraiment im- France, comme n’importe un paysage qui avait en une peur de m’enfermer ; j’ai donne ? temps avec un budget très prégnés de cela. Je voulais quel réalisateur belge. Mes même temps quelque chose peur de l’enfermement men- Sur le plateau je cherche restreint, et le film a eu pas faire l’école de cinéma mais premiers courts, par contre, d’européen et de « western ». tal, c’est quelque chose qui vraiment à tout contrôler, mal de reconnaissance. Le ni en France, ni en Suisse, et étaient des co-productions Au début, quand il y a cette m’effraie. En plus, la Suisse parce que, comme je l’ai dit, fait d’avoir déjà fait un long étant donné que je ne suis avec la Suisse et la Belgi- autoroute vide et quand est un pays qui a tendance je suis une grande obses- métrage était rassurant pas très douée en langues, que seulement, et c’était la première voiture arrive, à se refermer sur lui-même. sionnelle. J’ai une forte pour Home, qui était vrai- j’ai choisi Bruxelles. J’adore bien aussi, ces deux petits c’est comme si les cow-boys Je suis une grande obses- exigence de contrôle et en ment très atypique pour un cette ville et depuis mes pays. J’ai l’impression que débarquaient de l’horizon. sionnelle, et je pense vrai- même temps je pousse pour premier film. C’était un pari études, j’ai toujours gardé mes films sont européens, C’est bien de faire tout un ment en termes d’espaces que les choses m’échap- de cinéma, et quand on le un appartement ici, en mais en même temps, ils ne film au même endroit, parce fermés et de lignes de fuite. pent, pour qu’il y ait un 132 133 Meier

Home © Jérôme Prébois 134 135 Meier

« J’avais vraiment l’impression d’être un chef d’orchestre ; j’avais mes instruments qui étaient ces comédiens et des énergies qui leur correspondaient ; et je gérais les énergies et les silences comme une partition musicale. »

Des épaules dérapage, une instance de pendant six mois avec les Les Oiseaux d’Hitchcock. La Home solides l’inattendu. Dans le scenario champions d’athlétisme, première voiture qui passe, © Jérôme © Need Prébois Production de Des épaules solides, il y elle a vraiment vu et vécu c’est comme le premier avait deux ou trois moments la transformation de son oiseau qui attaque. Et puis, où il fallait que l’actrice, corps. Elle s’est musclée à il y a l’évolution de l’auto- Louise Szpindel, pleure. l’entrainement et elle vomis- route et de sa cadence Mais elle n’a pas pleuré. sait après, elle s’est donnée jusqu’aux vacances… Nous Puis, à un moment donné, a fond. Elle n’aimait pas son sommes allés voir au bord elle a pleuré et ce n’était corps pendant le tournage, d’une autoroute ce qu’était pas du tout prévu et absolu- d’ailleurs. J’ai compris en un trafic dense, à compter ment bouleversant, ma- faisant Des épaules solides les voitures à la minute, gnifique. Donc, le plateau que je suis passée du sport pour utiliser toutes ces est vraiment l’endroit pour au cinéma en faisant ce film. infos pendant l’écriture. En contrôler les choses et en Sur le tournage il y avait des lisant le scénario, les gens même temps faire en sorte vrais athlètes, et je me suis disaient avoir du mal à respi- que cela puisse déraper, dit qu’au fond, le cinéma et rer, toutes ces voitures, c’est échapper, pour qu’après, on le sport ne sont pas si loins horrible ! Moi je résonne recontrôle et redirige. l’un de l’autre. Ils partagent vraiment avec les énergies une mise en scène du corps et j’ai besoin de trouver cela Votre cinéma est très cor- et un regard. On a besoin pour comprendre le film porel. On le voit surtout d’être regardé pour exister, en général. dans Des épaules solides, que ce soit par le coach ou qui montre beaucoup les par le metteur en scène. Au Dans vos films, les dialo- corps de ces jeunes athlè- final, la performance n’est gues sont souvent moins tes adolescentes en pleine pas forcément l’élément le importants que les corps, transformation. plus intéressant. la tension, le rythme. Com- Cette contradiction ment est-ce que cela se entre le corps qui devient Est-ce que vous travaillez le traduit sur le plateau ? Com- masculin à cause du sport rythme à l’écriture ou plutôt ment travaillez-vous avec de haut niveau et le corps dans la salle de montage ? les acteurs ? qui devient féminin à cause Tout d’abord, Susana Ça dépend des films et de l’âge, donne sa tension Rossberg, qui a monté mes de comment ils sont tour- au film. Tant que je n’avais deux longs métrages, amè- nés. Des épaules solides pas trouvé cela, je ne ne quelque chose qui lui est était tourné avec une petite pouvais pas filmer, c’était propre. Après, il est vrai que caméra et la limite entre le essentiel. Une fois qu’on a le rythme doit être présent plateau et le hors-champ trouvé ça, cette corporalité, dans le scénario, même si était très floue. De temps en on peut raconter des histoi- par après, on y applique des temps, j’allais dans le champ res, en faire une comédie, changements. Pour moi, le pour expliquer ou montrer peu importe. Je crois beau- rythme vient de la tension, des choses. La direction coup à la vérité du corps du nerf. Home était un film d’acteurs est une énergie. pour jouer quelque chose. très rythmé dans son écri- Mon moyen métrage Tous Louise s’est entraînée ture ; je pensais souvent à à table était extraordinaire 136 137 Meier

« Pour moi, le fond et la forme doivent se marier dès la genèse du projet. S’il n’y a pas un enjeu de cinéma en même temps qu’un enjeu narratif, cela ne risque pas de m’exciter beaucoup. »

Home pour ça, avec douze comé- absorbe la folie des autres. il a conservé un côté très © Jérôme diens autour d’une table qui Je l’ai dirigé de façon très spontané même en disant Prébois devaient répondre à une énergique, comme le per- un texte appris et en faisant devinette. J’avais vraiment sonnage. Isabelle Huppert, des actions très précises. l’impression d’être un chef c’est quelqu’un à qui il faut Cet équilibre entre spon- d’orchestre ; j’avais mes donner des indications. Pas tanéité et contrôle, c’est instruments qui étaient ces trop non plus, mais elle a be- tout mon cinéma. Cela m’a comédiens et des énergies soin de faire sa cuisine par donné envie de continuer à qui leur correspondaient ; après, elle propose quelque travailler avec lui et d’écrire et je gérais les énergies et chose, on le retravaille et on un rôle spécifiquement les silences comme une en discute. Olivier Gourmet pour lui. Home est un film partition musicale. J’ai un part plutôt du concret, chez complètement horizontal, rapport assez physique avec lui c’est vraiment la mé- une espèce de road movie les acteurs et très vite, j’ai moire du corps qui le fait, et à l’envers, où le pari était besoin de les toucher. Il y a c’est assez génial, parce que de faire un film d’une heure quelque chose de très ani- je fonctionne de la même et demie au bord de l’auto- mal entre eux, tout comme manière ; c’est très impor- route. Le prochain, je ne il y a quelque chose de très tant, les corps. peux pas mieux le décrire intuitif et cérébral. C’est-à- qu’en disant que c’est un dire, je leur parle un peu des Que pouvez-vous nous dire film vertical, situé entre une personnages mais pas trop, de plus sur votre deuxiè- plaine industrielle et une parce que jouer c’est aussi me – ou troisième – long station de ski extrêmement agir. Avec Home je n’ai com- métrage ? riche. C’est un film entre pris qu’après le tournage Je suis en pleine écri- le haut et le bas, avec des que j’avais dirigé les acteurs ture d’un projet destiné au mouvements de va-et-vient. exactement comme de- jeune garçon qui a joué dans Pour moi, le fond et la forme vaient fonctionner les per- Home, Kacey Mottet Klein. Il doivent se marier dès la sonnages. Le petit gamin, n’avait jamais joué avant de genèse du projet. S’il n’y a par exemple, est quelqu’un faire Home, et nous avons pas un enjeu de cinéma en qui essaye par son énergie beaucoup travaillé avec lui même temps qu’un enjeu de s’en sortir, parce qu’il est avant le tournage. C’était narratif, cela ne risque pas une espèce d’éponge qui formidable de voir comment de m’exciter beaucoup. 138 139 Meier

Home Filmographie par Marion Hänsel

Il y a quelques années, j’avais été séduite par un téléfilm 2008 2001 produit par ARTE et réalisé par une jeune cinéaste, Ursula Home Tous à table (court). Meier, dont j’avais déjà apprécié le court métrage Tous à table. Semaine de la Critique, Prix du Public, Festival Quel bonheur de découvrir son premier long métrage Home. Festival du Film de Cannes. international du Ce film très personnel mélange la comédie et le drame. L’hu- Nomination, Meilleure Court-Métrage de mour y est teinté de pudeur et d’impudeur. Mais surtout, il photographie, César 2009. Clermont-Ferrand. en émane une belle tendresse pour tous les personnages de Nomination, Meilleur Prix de la Presse, cette famille proche de la folie. La cohérence du travail fait premier film, César 2009. Festival international sur l’image, les effets spéciaux et la bande sont remarquable. Nomination, Meilleurs du Court-Métrage de La direction d’acteurs aussi célèbres qu’Isabelle Huppert et décors, César 2009. Clermont-Ferrand. Olivier Gourmet, qui pour moi interprète ici un de ses rôles Prix SACD 2009, Nouveau Léopard de demain, Festival les plus touchants, ainsi que celle des jeunes adolescents Talent Cinéma. du Film de Locarno. sans expérience, est étonnante de maîtrise. Voici un film qui — Prix de la jeunesse, Festival émeut profondément en parlant de la force et de la fragilité 2004 du Film de Locarno. d’une famille qui résiste. À voir absolument. Monique Jacot (court — documentaire, TV). 2000 Marion Hänsel est une réalisatrice et productrice belge. — Autour de Pinget Depuis ses débuts avec en 1982, elle a réalisé neuf films, Alain de Kalbermatten (documentaire). dont Between the Devil and the Deep Blue Sea (1994) et Si le (court documentaire, TV). — vent soulève les sables (2006). — 1999 2003 Des heures sans Des épaules solides (TV). sommeil (court). Film d’ouverture, Prix Spécial du Jury, Section ACID, Festival Festival international du Film de Cannes. du Court-Métrage de Prix du Jury, Cinéma Clermont-Ferrand. Tout Écran. — Meilleur Premier Film, 1994 Lauriers du Jury de la Radio Le songe d’Isaac (court). et de la Télévision française Léopard de demain, Festival sous l’égide du Sénat. du Film de Locarno. — 2002 Pas les flics, pas les noirs, pas les blancs (documentaire, TV). Prix de la TSR, Festival International du Cinéma Documentaire Visions du Réel. — 140 141

Nabil Ben Yadir 142 143 Ben Yadir

Nabil « J’essaie de filmer ce qu’on ne voit pas, un côté de la Belgique qui existe bel et bien mais qui Ben Yadir est ignoré par les cinéastes. Je parle surtout de moi et de mon entourage – et le biais de l’humour me permet de rire de tout le monde. »

mélodramatique que par la indisciplinée des Barons. que je montre, non pas le Tandis que les autres cinéastes répertoriés dans ce satire ou le constat politique En bref, des expériences et Bruxelles des cartes posta- volume comptent au moins deux longs métrages à (même si, et il est important des intérêts riches et variés les. Il n’y a pas de cars japo- de le signaler, faire ce film qui devraient contribuer à la nais qui passent par-là, et en leur actif (ou un long métrage et une série télévisée), est un constat politique en réussite des prochains films général, personne n’a rien soi, puisqu’il met en lumière de Nabil Ben Yadir. de positif à dire au sujet de Nabil Ben Yadir, natif de Bruxelles, n’en a réalisé qu’un une communauté largement Molenbeek. J’avais vraiment seul : Les Barons. La raison pour laquelle le réalisateur sous-représentée sur les En conversation avec envie de montrer ce quartier écrans belges). Nabil Ben Yadir autrement parce que j’adore est toutefois 10repris ici est simple : de tous les films ma ville. J’ai grandi ici, j’y Ce sont les dialogues, Dans Les Barons, vous mon- suis né, et j’avais envie de la locaux sortis au cours de ces dix dernières années, constitués d’une accu- trez un côté de la Belgique, rendre belle, parce qu’elle son film fut l’un des plus grands succès du box-office, mulation de sketches mis et plus particulièrement de est belle. Tout dépend du bout à bout, qui font des Bruxelles, que l’on n’a en- point de vue. un domaine où de nombreux autres films locaux, Barons une véritable comé- core rarement vu à l’écran. die. C’est un scénario qui J’essaie de filmer ce Votre film est un film très même applaudis par la critique, échouent encore. trouve sa source dans le qu’on ne voit pas, un côté bruxellois, donc, très belge. rêve d’Hassan, le person- de la Belgique qui existe bel J’aime beaucoup les nage principal du film, de et bien mais qui est ignoré films belges, aussi fla- pouvoir un jour monter sur par les cinéastes. Je parle mands. Quand je vois un scène. Mais il ne faut pas surtout de moi et de mon film comme Daens ou même croire que Nabil Ben Yadir entourage – et le biais de un polar bien ficelé comme Sorti en novembre 2009, cinéma belge : la comédie. d’Europe du Nord, où des et Laurent Brandenbour- l’humour me permet de rire La Mémoire du tueur, je Les Barons, réalisé par un ci- D’autre part, il s’agit du comédies à succès telles ger, co-scénariste du film, de tout le monde. La pre- les vois comme des films néaste inconnu du public et premier film dans l’histoire que Jalla ! Jalla ! (Suède, ne sont bons qu’à écrire mière personne sur qui je belges. Peut-être qu’il y a des acteurs plutôt novices de la Belgique francophone 2000) et Shouf Shouf des dialogues hilarants ; tape, c’est moi-même. Puis des films belges franco- en la matière, avait déjà en- où les immigrés maghrébins Habibi ! (Pays-Bas, 2004) le court métrage de Yadir, viennent mes potes. Tout phones et des films belges registré plus de 100 000 en- de deuxième génération ont à la fois fait la leçon aux intitulé Sortie de clown, cela a un grand avantage : flamands, très bien – mais trées avant la fin de l’année. sont représentés autre- sociétés nationalistes et également co-écrit par le vu que je n’édulcore pas ce je me sens proche d’une À titre de comparaison,10 Le ment que dans des rôles de amusé le public. duo, est principalement un qui me touche, je peux me multitude de réalisateurs, Silence de Lorna, le dernier méchants ou de victimes. film muet. L’histoire d’un permettre de critiquer mes qu’ils soient francopho- film des Frères Dardenne, La mère du cinéaste fait à ce En plus de divertir, l’hu- croquemort qui partage sa proches. Et si je n’épargne nes, flamands ou même champions inégalés du box- propos une réflexion amu- mour peut servir d’arme vie entre la morgue d’un pas mes proches, cela me étrangers. La Belgique est office, avait cumulé près de sante et révélatrice dans le pour dénoncer les sujets hôpital la nuit et l’habit de donne la permission de un pays compliqué, cela 70 000 entrées en 2008. dossier de presse : pourquoi tabous. Ben Yadir en est clown qu’il revêt le jour pour taper sur tout le monde. Les se reflète dans le cinéma. la police est-elle toujours certainement conscient divertir les enfants malades Français tournent souvent Dès que tu fais un film entre L’intérêt du film de Ben présente à l’écran lorsque lorsqu’il dresse le portrait repose sur la représentation à Bruxelles, et ils se font francophones et flamands, Yadir, dont l’histoire se l’on filme des membres de d’une bande de jeunes de deux mondes totalement croireque c’est Paris. Ce tu as l’impression de faire déroule à Bruxelles dans sa communauté ? chômeurs maghrébins qui opposés qui se fondent n’est pas ce côté-là, ni cette une coproduction interna- le quartier populaire de se partagent la même bé- lentement l’un dans l’autre image-là de la ville qui me tionale avec des russes ou Molenbeek, est double. Tout Enfin, Les Barons place dé- hème. Cependant, Ben Yadir pour trouver un équilibre touchent. Dans mon film, des chinois. Mais je sais qu’il d’abord, il innove dans un finitivement la Belgique au semble bien plus intéressé qui est loin, très loin de la c’est le Bruxelles de Molen- y a un cinéma belge, et on genre sous-représenté du même niveau que les pays par le potentiel comique et comédie hilarante et parfois beek, le quartier populaire, ne peut pas le nier. 144 145 Ben Yadir

Les Barons © Entre Chien et Loup 146 147 Ben Yadir

Vous êtes un jeune réalisa- Les Barons était en route, autodidacte, c’est de pou- teur autodidacte. D’où est et je voulais faire un projet voir transcrire l’humour de « La Belgique est un pays venue votre envie du faire qui n’avait rien à voir, mais la vie dans le cinéma sans la du cinéma ? qui pour autant raconterait pression de devoir délivrer J’ai toujours rêvé faire mon histoire : l’histoire d’un une pointe tous les vingt compliqué, cela se reflète dans du cinéma. Mais au début, mec qui passe ses journées secondes, même si c’est au je ne voulais pas en faire, à faire un travail purement péril de perdre le public. À le cinéma. Dès que tu fais un film parce que pour moi « vou- alimentaire et qui essaye la télé, on perd facilement loir », c’était dire qu’on allait de faire des choses artis- le public, il peut zapper. y arriver. Pour moi, c’était tiques le matin. La grande Au cinéma, le spectateur entre francophones et flamands, une chose inimaginable, différence avec Les Barons a acheté son billet et il va tout comme il m’était im- est l’absence de dialogues. regarder, tu lui as donné tu as l’impression de faire une possible de faire du dessin. Mais il y a des points com- l’envie de venir et à partir Je pense qu’en Belgique, il y muns au niveau thématique : de ce moment, tu pourras a plein de jeunes des quar- l’envie de donner du bon- dire ce que tu voudras. Bien coproduction internationale avec tiers populaires qui, dans heur, et la capacité de rire heureusement, je n’ai donc leur for intérieur, voudraient de tout, même des choses pas ce côté mécanique, je des russes ou des chinois. » faire du cinéma et parler de les plus graves. Et puis les peux rester instinctif, mon- leurs quartiers et de leurs protagonistes se ressem- trer l’humour des quartiers vies. Mais est-ce que les blent beaucoup : Hassan, populaires et non pas un portes de l’INSAS ou des l’un des Barons, a cette humour formaté. Tout le autres grandes écoles leur envie de monter sur scène monde dit qu’il est difficile sont ouvertes ? Il faut se et de devenir quelqu’un, de faire rire le public, mais fois, mon GSM est rempli de qu’il y a une violence physi- le film. C’est ce qui est drôle rendre compte de ces voix d’être vu par les autres. Le si tu le fais sincèrement, dialogues, à chaque fois que que extrême, que je revendi- et dangereux en même et de ce qu’elles ont à dire. croquemort est lui aussi sans te poser la question, tu j’ai une idée, je la note, je la que pourtant expressément. temps : les gens le prennent Mon cas est le suivant : si je amer parce que personne seras naturel, et il n’y aura garde, et puis je vois où je Il y a un deuxième moment comme ils veulent, c’est eux vois une porte fermée, je me ne le connaît, et la seule ma- aucun problème. peux la placer. de violence et d’humiliation, qui décident. dis qu’il doit y avoir quelque nière de changer cela est de au cabaret, qui a suscité des chose d’intéressant der- mener une double vie. Tout Est-ce qu’il y a eu beau- Mais ces deux films ont réactions semblables. Pour Votre film a attiré beaucoup rière. D’abord, je frappe – s’il comme Hassan : dans le coup d’improvisation sur aussi un côté beaucoup plus moi, la violence des mots de gens qui vont rarement n’y a personne, je casse. quartier, tout le monde croit le plateau pour ces scènes sérieux… est aussi forte que la vio- au cinéma, notamment dans qu’il est un Baron comme comiques ? Oui, c’est sûr. On y parle lence des coups. Raconter la communauté maghrébine. Vous avez d’abord tourné un les autres, mais le reste du Non, tout est très écrit. des Barons qui s’enferment la vie de quelqu’un, cela ne C’est un argument court métrage quasiment temps, il se retrouve dans Il ne peut y avoir qu’une dans leur quartier, qui se peut pas être que drôle, et facile. Quand les gens di- muet, Sortie de clown. des cabarets à faire du sorte d’humour dans le film, sentent étrangers. Ce sont ça ne peut pas être que tris- sent que c’est un film sur la J’ai mis dix ans à écrire Les stand-up. Hassan, c’est moi, inutile d’en avoir quarante. des gens que l’on traite de te. Il n’y a que le juste équi- communauté maghrébine, Barons, avec mon co-scéna- ce qui explique les facilités, J’ai mon humour à l’écrit, voleurs quand ils aident un libre qui fait que les gens je ne suis pas d’accord, c’est riste Laurent Brandenbour- tout comme les difficultés et si les comédiens font gars à pousser sa voiture s’identifient à l’histoire, en un film sur des Bruxellois. ger. Pendant cette écriture, (cela dépendait vraiment entrer leur humour à eux, pour la démarrer. Il m’est se disant : « tiens, il m’a fait Quand ils disent que c’est un la question du court mé- des moments) que j’avais à à un moment donné, cela arrivé, quand j’ai demandé rire, il m’a fait pleurer, c’est film sur les francophones, trage s’est posée en partie travailler ce personnage. ne ressemble plus à rien. Il « elle est où la gare ? », que des moments de vie. » La non, je ne suis pas d’accord, pour sonder les réactions y a un humour écrit qu’un les gens m’aient répondu forme attire : l’affiche, les c’est un film sur des belges et voir si un long métrage C’est quoi l’humour, pour acteur doit transformer « elle est dans ton pays ». couleurs et les personnages bruxellois du quartier de pourrait trouver une réso- vous ? pour le rendre cinémato- C’est drôle, mais c’est vrai, ramènent les gens au ciné- Molenbeek. Les gens sont nance… Je travaillais dans Je dirais qu’il y a deux graphique, mais ce sont des et dès que l’on se rend ma. Une fois assis devant le partis voir le film parce un parking à la Gare du Midi écoles dans l’humour. D’un moments vrais, et non des compte que c’est vrai, ça film, ils sont obligés de voir qu’ils ont entendu que l’on et un après-midi, j’ai essayé côté, il y a l’humour très ma- « brainstorms » collectifs fait moins rire. L’équilibre et de ressentir cette forme, y parlait d’eux – des gens des rencontrer des gens du thématique, où il faut qu’il pour trouver les meilleures de mes films en souffrirait les deux sont importants. qui ont boudé le cinéma cinéma. Je leur ai raconté y ait un rythme bien pré- pointes. J’écris en parlant, trop si j’essayais d’y mettre Il faut que ambiguïté reste pendant vingt ans parce l’histoire d’une personne cis, une chorégraphie. De j’invente, je suis beaucoup du drame gratuitement. Il intacte. Si les gens sortent que rien ne les intéressait. qui était un clown le matin l’autre côté, il y a l’humour dans l’expression. Je vais y a des gens qui trouvent en se disant « On est des Ils sont allés voir par cu- et qui travaillait les soirs en instinctif, naturel, l’humour trouver une blague en que le film se casse avec la Barons », et qu’ils se promè- riosité. Nous avons fait un tant que croquemort dans des dialogues et des situa- discutant. Je commence bagarre, au moment où la nent avec des t-shirts des grand travail de promotion un hôpital. Je savais que tions. L’avantage d’être un par des dialogues à chaque caméra est très proche et Barons, il faut qu’ils revoient en amont, prévenant que le 148 149 Ben Yadir

« La grande question à se poser serait de savoir si c’est véritablement un public qui boude le cinéma, ou si on ne serait pas en présence d’un cinéma qui boude son public. Le public des Barons est un public très dur. »

film allait sortir, surtout par dit : « Decleir, jamais il ne du cinéma, je ne filme pas Internet, et les jeunes du va te dire oui ». Mais je suis le réel : le réel, je le re- quartier étaient au courant allé le voir et cela c’est transcris dans un monde que le film allait sortir alors bien passé. Il avait lu le cinématographique. que beaucoup de journa- scénario, et pendant trois listes en ignoraient encore heures on a parlé de la vie Les Barons est sorti l’année tout. Les vrais barons de la et pas du tout du scéna- dernière. Sur quoi travaillez- vie ne vont pas acheter le rio. Il avait besoin de me vous en ce moment ? journal Le Soir pour savoir connaître et j’avais besoin Je suis sur deux projets, s’il y a un film belge qui de le connaître. Il a répété dont un polar belge, tourné sort. Il y a des médias moins avec les autres acteurs et en Flandres et en Wallonie, exploités à ces fins, et là, je il a beaucoup contribué au avec, j’espère, Jan Decleir, m’en suis pleinement servi. personnage d’Aziz. Dans le et puis un autre projet qui La grande question à se cas d’Edouard Baer, c’était sera probablement produit poser serait de savoir si c’est une rencontre, tous ces par Djamel Bensalah, une véritablement un public qui gens sentaient qu’il y avait comédie entre le Maroc et boude le cinéma, ou si on ne une aventure dans le projet. l’Algérie. Ils sont en cours serait pas en présence d’un J’avais besoin d’internatio- d’écriture et j’essaye de me cinéma qui boude le public. naliser le quartier. Ce n’est départager. Je prends mon Le public des Barons est un pas parce je faisais un film temps ; je n’ai pas envie public très dur. Il a l’habi- sur mon quartier que j’al- d’écrire vite, je préfère tude de voir les gros films lais prendre des vrais gens écrire bien. J’écris toujours américains, et il ne va pas du quartier. J’avais besoin avec Laurent, nous sommes hésiter à sortir de la salle s’il d’acteurs ; le décor allait un binôme complémentaire. reste sur sa faim. Il s’en fout être vrai, les acteurs sont Généralement, c’est moi un peu. Là, j’ai dû bien faire, des acteurs. Des « acteurs qui apporte l’idée initiale, il est resté jusqu’à la fin du naturels » cela semble exis- et puis on la développe film, il est allé le revoir, et ter partout, mais envoyez ensemble, c’est comme du il a conseillé à ses proches une caméra et le naturel a ping-pong. Nous discutons d’aller le voir. disparu. Il faut du travail. En beaucoup ; il y a quelques plus de Jan Decleir, Edouard mois de discussions avant Aux côtés d’acteurs peu Baer, Julien Courbey et le même de commencer. connus, on retrouve dans grand Fellag sont venus ici Les Barons Les Barons des acteurs de pour tourner. Ils ne sont pas © Entre Chien et Loup renom tels Jan Decleir et venus faire un film français Edouard Baer. Ont-ils été en Belgique, ils sont venus faciles à convaincre de faire un film bruxellois, donc participer à ce premier film ils s’adaptaient, c’était su- bruxellois ? per. Les gens s’attendaient Je n’avais rien à perdre. à une caméra à l’épaule, Je connaissais Jan Decleir à une image un peu sale, de la télé. Des gens du selon l’adage « nous allons milieu du cinéma m’avaient filmer le réel ». Mais je fais 150 151 Ben Yadir

Nabil Ben Yadir Filmographie par Jan Decleir

Nabil Président ! 2010 Pour rien au monde je n’aurais manqué un rendez-vous avec Les Barons Nabil Ben Yadir, qu’il ait ou non réalisé Les Barons. C’est un Festival du Film homme intelligent, bourré d’humour, et extrêmement dis- Francophone de Namur. cret. Je soupçonne qu’il vive au nom de l’amour. Il a un besoin Prix Spécial du Jury, extraordinaire de faire et de réaliser des choses. Son film est Festival de Marrakech. une véritable œuvre d’art ! Vive Nabil Ben Yadir ! Chicago International Film Festival. Jan Decleir est un des plus grands acteurs du cinéma bel- Prix d’interprétation ge. Il a joué dans Daens (1993), nominé aux Oscars et dans les masculine, Festival films hollandais Antonia et ses filles (1995) et Character (1997), international du qui ont tous deux remporté un Oscar. Il a reçu les éloges de la Film d’Amiens. critique pour son interprétation d’un tueur à gages atteint par — la maladie d’Alzheimer dans La Mémoire du tueur (2002). 2006 Sortie de clown (court).

Les Barons © Entre Chien et Loup 152 153

Vincent Lecuyer sur Quand la mer monte Conclusion

Je connaissais le travail de Yolande Moreau en tant que co- I. Un regard élargi. métrage, Un honnête com- les deux réalisateurs pri- médienne, et dès que son premier film en tant que réalisa- merçant, en 2002. Ses films vilégient des films à rôles trice est sorti, je suis allé le voir au cinéma. Je crois qu’il est À côté des dix jeunes et scénarios se jouent fré- féminins forts. toujours intéressant de voir ce que les acteurs-réalisateurs réalisateurs mis en avant quemment des conventions écrivent comme rôles pour eux-mêmes ; souvent ce sont des dans ce volume, 38 autres de genres traditionnelles et À côté de son travail ré- rôles qu’ils ne trouvent pas facilement dans des films d’autres cinéastes (ou couples de ci- traitent de la langue – un su- gulier pour Garbarski (Le réalisateurs. Dans Quand la mer monte, Yolande n’est pas du néastes) belges francopho- jet peu abracadabrant pour Tango des Rashevski, Irina tout ce personnage simple, un peu bête qu’elle a joué à plu- nes ont réalisé un premier un écrivain – et des problè- Palm, Quartier lointain) et sieurs reprises. Il s’agit ici d’un très beau rôle, plus dramatique long métrage depuis l’an mes de communication. Frédéric Fonteyne (Max et et romantique que d’habitude. Je viens du monde du théâtre 2000. En résulte un nombre Bobo et Une Liaison Por- et j’ai beaucoup aimé comment le film réussit à suggérer la de premiers long métrages Dans Un honnête com- nographique à la fin des solitude que représentent les tournées en province pour les qui approche les 50 sur merçant, un trafiquant de années 1990, La femme de comédiens. Comme dans Ultranova et Louise-Michel, qui font une décennie, une quantité drogue majeur est interrogé Gilles, en 2004), Philippe partie, dans un certain sens, de la même famille, le film parle impressionnante pour n’im- par la police, mais semble a aussi écrit ou co-écrit les des gens normaux, pas de héros, et il y a un petit côté déses- porte quel pays, et certaine- en besoin de s’exprimer vis- scénarios de deux autres péré qui est assez typique pour la Belgique et le Nord de la ment pour une région d’un à-vis des agents plus sou- débuts des années 2000 : France. J’aime beaucoup ces films où l’on sort des sentiers peu plus de quatre millions vent que ces derniers n’ont J’ai toujours voulu être une battus, où les personnages sont plus complexes et où l’am- d’habitants. besoin de lui extirper des in- sainte, réalisé par Gene- biance est souvent aussi importante que l’histoire. formations. La Couleur des viève Mersch, et Thomas est Une liste complète de tous mots raconte l’histoire d’une amoureux par Pierre-Paul Vincent Lecuyer est un acteur belge de théâtre et de cinéma. Il les films produits avec le femme dysphasique, inter- Renders. Tous deux traitent tient le rôle principal dans Ultranova (2005) de Bouli Lanners support de la Commission prétée par Aylin Yay. Coque- de jeunes gens et de leur et le court métrage Alice et Moi (2004) de Micha Wald. de Sélection des Films du licots, le troisième film de désir, explicite ou non, d’en- Centre du Cinéma et de Blasband, est situé dans le trer en communication avec l’Audiovisuel, de la période milieu de la prostitution à le monde qui les entoure. de 2000 à 2010 peut être Bruxelles, et offre un aperçu Renders a fait suivre son consultée à l’arrière de ce de ce qu’aurait pu devenir long-métrage de Comme volume. Tous les premiers Irina Palm de Garbarski si tout le monde, qui explore longs métrages y sont le scénario n’avait pas été des thèmes semblables, marqués d’un astérisque. transposé en Angleterre. sans être écrit par Blasband Il est intéressant dans ce mais par le réalisateur et contexte de relever certains Son dernier film, Mater- auteur de bandes dessinées des noms et tendances qui nelle, se concentre sur une Denis Lapière. s’y dissimulent. relation mère-fille difficile, un élément déjà important La fluidité culturelle de la Un premier nom qui mérite dans La Couleur des mots, Belgique et son ouverture d’être mentionné est celui et voit son habituée Aylin aux influences externes du scénariste prolifique et Yay occuper le premier rôle. ont amené plusieurs de réalisateur occasionnel Phi- Leur collaboration durable ses cinéastes à tourner des lippe Blasband, qui a notam- reflète en quelque sorte projets – labellisés ici films ment co-écrit tous les films celle entre Olivier Masset- belges francophones – dans de Sam Garbarski. Blasband Depasse et l’actrice Anne d’autres langues. Vinyan et a réalisé son premier long Coesens, surtout parce que Irina Palm, par exemple, ont 154 155

été tournés en anglais et J’ai toujours voulu filmés, du moins en partie, être une sainte par à l’étranger. Miel van Hoogenbemt Plusieurs réalisateurs d’origine étrangère habi- tent la Belgique en plus d’y avoir fréquenté une école de cinéma dans certains cas, comme par exemple la réalisatrice franco-suisse Comme tout C’est en 1987 que j’ai commencé à m’intéresser au travail Ursula Meier. En font éga- le monde de Geneviève Mersch. Je tournais alors un moyen métrage à lement partie, de manière © Bernard Spauke Benidorm sur lequel elle a collaboré. Un petit groupe de fu- remarquable, deux talents turs cinéastes, encore étudiants en cinéma à l’époque, dont hispanophones non men- Mersch, Frédéric Fonteyne et Caroline Strubbe participèrent tionnés jusqu’ici : la cinéaste au projet. C’est Geneviève qui, pour finir, a réalisé son pre- uruguayenne Beatriz Florez mier long métrage J’ai toujours voulu être une sainte, deux Silva et l’ex-directeur de ans avant moi ! C’est l’honnêteté envers le thème et l’inter- la photo argentin Diego prétation magistrale de Marie Kremer, l’actrice principale, Martinez Vignatti. Tous deux que j’affectionne tout particulièrement dans ce film. Il est ont connu leurs débuts dans absolument essentiel que le cinéaste fasse preuve d’honnê- les années 2000 : Silva en teté, même face à la pression extérieure. J’aime aussi sa tou- 2001 avec Putain de vie (En che féminine. En tant qu’homme, il y a certains films, comme la puta vida) et Vignatti, qui Lost Persons Area de Caroline Strubbe par exemple, que je était chef opérateur des n’aurais jamais pu réaliser. C’est la raison pour laquelle j’es- deux premiers longs métra- saie toujours de travailler avec des femmes sur mes films. El- ges du réalisateur mexicain les sont plus souples, plus subtiles aussi. Carlos Reygadas, en 2005 avec La Marea. Les deux ont Miel van Hoogenbemt, né à Bruxelles, a débuté en tant que depuis fait un second long documentariste avant de réaliser son premier long métrage métrage chacun : Masange- Miss Montigny (2005), un drame francophone. Il réalise ensui- les et La Cantante de tango, te Perfect Match (2007), une comédie dramatique flamande. Il respectivement. Confor- travaille actuellement sur Fils unique, avec Patrick Chesnais. mément aux attentes, dans Putain de vie et La Cantante de tango spécialement, l’Europe ainsi que la patrie du réalisateur jouent un rôle important.

Un cas spécial d’étrangers tournant en Belgique sont les réalisateurs français ayant délocalisé vers le La cantante nord. Le romancier et dra- de tango maturge Eric-Emmanuel © Tarantula Schmitt a débuté en tant que réalisateur avec Odette Toulemonde, dans lequel Catherine Frot – une actrice française ! – joue une ven- deuse belge. Son deuxième film, Oscar et la Dame rose, basé sur son propre roman 156 157 Conclusion

qui suit un jeune garçon Le jour où Dieu atteint d’une maladie terminale, a lui-aussi été est parti en voyage co-produit par la Belgique. par Christophe Rossignon Français de naissance, les frères Guillaume et Stépha- ne Malandrin ont co-réalisé le polar psychologique Où est la main de l’homme sans tête, situé en Belgique, avec Cécile de France et Bouli Je connaissais vaguement [le directeur de photographie] Lanners. Guillaume avait Philippe Van Leeuw et je l’ai présenté au producteur Patrick réalisé auparavant Ça m’est Quinet, un ami proche avec qui j’avais souvent travaillé. Pa- égal si demain n’arrive pas, trick est ainsi devenu le producteur du film Le jour où Dieu pendant que Stéphane avait est parti en voyage, le premier long métrage de Philippe en co-écrit plusieurs scénarios, tant que réalisateur. C’est un film poignant sur le génocide dont Ça m’est égal et un rwandais, un sujet dont on n’entend pas suffisamment parler autre début belge, 25 de- d’après moi. Il ne s’agit pas du premier film à ce sujet, certes, grés en hiver par Stéphane mais comparé aux autres génocides de l’histoire, très peu de Vuillet, en 2004. films en parlent. Le film, très dur et austère, m’a littéralement abasourdi. Le plan fixe sur cette femme, interprétée par une Les films d’animation for- actrice extraordinaire, qui a perdu ses enfants, qui a tout per- ment un cas à part en ce qui du, est un des moments les plus forts du film. Le film manque concerne leur classification peut-être de contexte ou de repères historiques, mais la tra- linguistique, les voix étant gédie humaine du génocide est très vivement exprimée. enregistrées séparément. Pour Panique au village, par Christophe Rossignon est un producteur français qui a vu exemple, la version flaman- le jour à 100 mètres de la frontière belge. Il a produit entre de a été réalisée presqu’en autres La Haine (1995), Irréversible (2002), Welcome et L’Af- simultané avec la version faire Farewell (2009). Il a également co-produit le long métra- française, avec des dialo- ge belge de Frédéric Fonteyne, La femme de Gilles (2004). gues et blagues légèrement divergents. Une partie du financement pour ce film provenait de la commu- nauté flamande. Ce genre de coopération nationale permet au film d’être mon- tré dans les salles des deux parties du pays. De manière semblable, Ben Stassen, un animateur né en Wallonie, a surveillé le travail sur ses deux long métrages animés, Fly Me Beyond the Steppes to the Moon et Sammy’s © Need Production Adventures : The Secret Passage depuis son studio à Bruxelles, soustrayant des financements flamands pour son premier film et des subsides en provenance des deux communautés pour le second. Venant d’un 158 159 Conclusion

Amer Le jour où Dieu © Anonymes est parti en Films, Tobina voyage Film © Les Films du Mogho & Artémis Productions

Un ange La Régate à la mer © Marjorie © Dragons Jesper Films 160 161 Conclusion

contexte de développement La Régate en technologie 3D, Stas- sen a fait les deux films en par Sergi López 3D essayant visiblement d’égaler ce que produisent les studios d’animation américains. Les dialogues de Sammy’s Adventures ont été enregistrés d’abord en anglais.

Une Liaison pornographique de Frédéric Fonteyne fut le À la fin de la décennie, on a Où est la main tout premier film belge sur lequel j’ai travaillé. Je me suis fait pu constater chaque année de l’homme sans tête alors de nombreux amis sur le plateau de tournage. En tant que plus de deux débuts d’ex- © Luca Etter Catalan, je me sens proche des belges, on partage les mêmes ception. Les premiers longs joies, la même simplicité, la même transparence. Lorsque j’ai métrages de 2009 souli- commencé à travailler sur le film de Bernard Bellefroid, La Ré- gnent une nouvelle fois la gate, j’y ai retrouvé certains de mes anciens collègues, les re- diversité du cinéma belge trouvailles furent joyeuses, et ce fut agréable de travailler une francophone : il y avait un fois de plus avec un jeune cinéaste tournant son premier long « giallo » belge, Amer, par métrage. Le scénario m’avait fortement impressionné en ce Hélène Cattet et Bruno sens qu’il semblait raconter une histoire vraie. Il s’agit d’une Forzani ; l’impressionniste histoire triste racontée de manière très réaliste. C’est, en fait, Un ange à la mer de Fré- une histoire semi-autobiographique que personne n’aurait pu déric Dumont, un drame inventer, si ce n’est le cinéaste. de famille situé au Maroc ; l’intense Le Jour où Dieu est Sergi López est un acteur espagnol qui a joué en espagnol, parti en voyage, un film sur catalan, anglais et français. Il a, entre autres, joué dans Le La- le génocide rwandais par byrinthe de Pan (2006), Loin de chez eux (2002), Harry, un ami le réalisateur et ex-direc- qui vous veut du bien (2000) et Une Liaison pornographique teur de la photo Philippe (1999), dans lequel il partage l’affiche avec Nathalie Baye. Van Leeuw et La Régate par Bernard Bellefroid, un des rares films dont on peut maintenir qu’il a des Oscar et la touches Dardennesques, dame rose © Oscar Films du moins dans sa manière de scruter des relations familiales endolories dans un contexte de classe ouvrière wallonne.

Beaucoup des films en post- production au moment de la finalisation de ce volume augurent bien : Beyond the Steppes de Vanja d’Alcan- tara, un drame historique situé en 1940 et co-produit avec la Flandres et la Po- logne ; le drame mère-fille contemporain Marieke, Marieke par Sophie Schou- kens ; le drame sur fond de holocaust Rondo par 162 163 Conclusion

Olivier Van Malderghem et Amer par Viva Riva ! par Djo Tunda Wa Jaco Van Dormael Munga, situé en Afrique. II. Défis.

Les films de Joachim Lafosse et Bouli Lanners, d’autres titres comme Les Barons, Illégal et Cal- vaire, voire même Panique Marieke Je ne suis pas un habitué du genre « giallo », et en général au village, jouent dans Marieke quand il a y du sang, je regarde mes pieds en attendant que ça une Belgique recon- © Alain Marcoen passe. Mais ce que Bruno Forzani et Hélène Cattet ont réussi naissable bien que non dans Amer dépasse le film de genre, et amène quelque chose nécessairement réaliste. d’hypnotique. C’est une expérience sensorielle de « Arte Po- vera ». Avec une très petite équipe, un directeur photo qui a D’autres, y inclus les œu- su inventer un 16 mm flamboyant, une grammaire très pré- vres rassemblées d’Ursula cise, ils créent un voyage sensoriel dans lequel la logique Meier, de Dominique Abel du cerveau se met en panne pour se faire supplanter par la et Fiona Gordon ainsi que logique de la peau. L’essentiel est rarement visible, flou, ou des films tels Irina Palm, hors champ. Les très gros plans et les aplats de couleurs do- Quartier lointain, Voleurs minent, le réel n’est donné qu’à imaginer. Ce n’est pas la des- de chevaux et Vinyan jouent cription du réel, c’est la description de la perception. Les ima- soit à l’étranger, soit dans ges sont mentales, le son raconte autre chose que l’image. Ils des pays non spécifiés – ces ont réalisé le rêve de beaucoup de cinéastes, faire du cinéma territoires où seuls les films comme on fait de la musique, avec une bande d’amis, de l’Arte peuvent exister. Povera riche, et avec peu de moyens ils ont trouvé un style très personnel. Une façon très moderne de faire du cinéma Ce que tous ces films ne non industriel. peuvent pour autant igno- rer, c’est la réalité du mar- Jaco Van Dormael est un réalisateur belge. Son premier ché domestique et interna- film, Toto le héros (1991), vaut la Caméra d’Or à Cannes. Sui- tional. Là où Toto le héros, Viva Riva! vent Le huitième jour (1996) et, plus récemment, son premier C’est arrivé près de chez © Kiripi film en anglais, Mr. Nobody (2009). vous et les films des Dar- Katembo Siku denne – du moins après La Promesse – ont tous assuré à la caisse, ce ne fut pas tou- jours le cas des autres films mentionnés ici.

La question de savoir pour- quoi le public domestique n’achète pas plus de billets pour voir des films locaux dont la qualité ne sem- ble jamais mise en cause, dépasse le cadre de notre argument. Mais, il est juste de noter que les problèmes d’identité qu’affrontent les réalisateurs – qu’est- ce qui définit la Belgique et la Belgitude dans une 164 165 Conclusion

région fortement dominée au-delà des simples dis- Fiona Gordon se dévoilent des jeunes réalisateurs 9 mm par par les modèles culturels tinctions linguistiques. à travers le langage des présents bénéficiait d’une français et américain ? – clowns, du théâtre et des avance perceptible. Anne Coesens s’étendent aux schémas Alors que Paris par exemple, films muets. de distribution. la capitale du cinéma fran- Et si leur succès initial çais, par exemple, forme un Stéphane Aubier et Vincent rappelle les louanges Non seulement les ciné- sorte de huis clos culturel Patar animent les histoires perçues par Toto le héros mas sont-ils engorgés des et linguistique, Bruxelles qu’ils ont envie de voir. et C’est arrivé près de chez grands titres commerciaux se situe exactement à la Micha Wald maintient que le vous, ces nouvelles têtes en provenance de la France ligne de démarcation entre chez-soi, c’est la famille. Oli- semblent plus productives et des États-Unis, mais des les sphères culturelles vier Masset-Depasse arbore que les réalisateurs de ces Le scénario de 9 mm de Taylan Barman m’a fort touchée. productions de ces pays et linguistiques latine et des femmes volontaires qui deux films – considérant Il aborde une thématique qui m’est chère : le manque de com- mangent également une germanique – une intersec- affrontent les vicissitudes que la moitié tournent leur munication. Ici il s’insinue au sein d’une famille et provoque bonne partie du marché du tion des mentalités dont de communication. Fabrice prochain film au moment le drame. Le film se déroule sur 24 heures. On comprend très cinéma d’art et d’essai, qui les différences et tensions du Welz raconte des his- de l’édition de ce volume, vite à travers le quotidien de cette journée que chaque mem- semble le plus propice à aiguillonnent une créativité toires d’amour et de deuil tandis que l’autre moitié bre de la famille s’est peu à peu retranché derrière ses pro- offrir un public potentiel à la moins uniforme. C’est une qui augurent mal. Bouli a au moins un projet en blèmes et enfoncé dans un silence égoïste. Pourtant, il aurait plupart des films présentés circonstance qui se reflète Lanners regarde ses per- préparation. fallu si peu durant cette journée fatale pour éviter le pire. Pour ici. L’exception qui confirme clairement dans les films sonnages évoluer dans le moi, la mère était un rôle difficile parce que toute en demi- la règle est Les Barons, qui qu’on y produits. paysage belge. Comme présagé dans l’in- teintes, sans éclat, peu sympathique et en partie fautive. Il a largement dépassé les troduction, aucun de ces fallait accepter cette part sombre sans tenter de l’amoindrir standards du box-office de Ce dont ces films ont be- Avec une moyenne de deux cinéastes n’emboîte direc- ou de l’excuser. Taylan, un directeur d’acteurs calme, précis, la dernière décennie et at- soin, c’est d’une visibilité sur longs métrages à leur actif, tement le pas aux frères exigeant et très à l’écoute, ne voulait tourner qu’en plans-sé- tiré un public qui ne va pas, les marchés non-nationaux les réalisateurs et cinéastes Dardenne, que ce soit en quences, ce qui est toujours synonyme pour un acteur d’une d’habitude, au cinéma. et non-francophones. Sur interrogés et profilés ici ont termes de matière ou de grande liberté de jeu. Même si la pression est plus forte. Le la scène internationale, le des filmographies déjà fort style. Au revers, une jeune tournage s’est révélé très agréable. En général, plus un film Étant donné que la Belgique cinéma belge francophone singulières. Il serait difficile génération prolifique et est sombre, plus on rigole. francophone est un petit devrait construire sur l’at- de confondre un film de diverse a fleuri. marché, il est indispensable tention et la reconnaissance l’un d’eux avec celui d’un Anne Coesens est une comédienne belge. Elle apparaît aux producteurs et cinéas- dont ont bénéficié les frères autre, même si, à présent, La forte présence de co- dans tous les films de son compagnon, Olivier Masset-Depasse, tes de trouver au-delà des Dardenne pour mettre en leur véritable griffe ainsi médies individuelles et de ainsi que, entre autres dans Des épaules solides (2003) d’Ur- frontières des partenaires avant cette génération qui que leur œuvre ne peuvent films de genre, aux côtés du sula Meier et Élève libre (2008) de Joachim Lafosse. de production et des pu- leur succède avec tant de être estimées qu’au stade cinéma d’art et d’essai qui blics potentiels. Le choix zèle. À tous de développer embryonnaire. d’habitude prédomine la naturel est souvent le voisin plus loin l’idée d’un cinéma production des petits pays, immédiat, la France, mais belge francophone aux Micha Wald le cite bien semble suggérer que le des co-productions avec le multiples facettes produi- dans notre entretien : cinéma belge francophone Canada, l’Allemagne et la sant autant de talents et de « Développer une patte évolue vers un cinéma plus Flandre se font de plus en films individuels. met du temps » et elle ne compréhensif, typique de plus souvent. sera « développée qu’en pays normalement beau- III. 10/10 faisant d’autres films. » Ce coup plus grands qu’une Ce qui démarque les films qu’ils ont pu atteindre en simple communauté linguis- belges francophones de Joachim Lafosse défri- quelques années, et avec tique comptant quelques leurs frères français et che les limites des relations si peu de titres, relève de quatre millions d’habitants. de bien d’autres cinémas humaines. Nabil Ben Yadir l’exception. nationaux est la multitude montre un coin de Bruxelles Alors que la Belgique en de voix créatives et indi- négligé à travers un prisme Le monde s’est arrêté pour tant qu’unité politique est viduelles qu’il comporte, comique. Sam Gabarski prendre note de l’œuvre des difficile à gouverner avec sa reflétant ainsi la nature de découvre les origines, le frères Dardenne après des multitude de voix si distinc- la nation belge elle-même : destin et la fatalité dans des années de besogne dans la tes, c’est là bien ce qui rend depuis sa création pendant drames comiques contem- réalisation documentaire et ces films uniques – et si la première moitié des porains. Les personnages au troisième long métrage, singulièrement belges. années 1800, la Belgique a d’Ursula Meier vont jusqu’au La Promesse, seulement. En été un « melting pot » bien bout. Dominique Abel et comparaison, la semence 166 167 00–10

2000 Le Roi danse (The King Putain de vie (En la puta Filmographie Is Dancing), Gérard vida), Beatriz Flores En vacances (Holiday), Corbiau (K2) Silva (Saga Film) Yves Hanchar (Les Interprétation : Benoît Interprétation : Mariana sélective Films de l’Etang) Magimel, Boris Terral, Santangelo, Silvestre, Josep Interprétation : Luc Picard, Tcheky Karyo, Colette Linuesa, Andrea Fantoni, 2000–2010 Didier De Neck, Luigi Emmanuelle, Cécile Rodrigo Speranza, Agustín Diberti, Hilde Van Mieghem, Bois, Claire Keim, Johan Abreu, Fermi Herrero, Florence Giorgetti, Floriane Leysen, Idwig Stephane. Augusto Mazzarelli. Devigne, Catherine Hosmalin, Jessica Paré. Thomas est amoureux 2002 (Thomas In Love) *, Les films belges francophones Fragments de vie *, Pierre-Paul Renders Un couple épatant – soutenus par la Commission François L. Woukoache (Entre Chien et Loup) – Après la vie (An Amazing (PBC Pictures) Interprétation : Benoît Couple – On the Run – de Sélection des Films. Interprétation : Tshilombo Verhaert, Magali Pinglaut, After Life), Lucas Belvaux Lubambu, Deneuve Aylin Yay, Micheline Hardy, (Entre Chien et Loup) Djobong, Jean Bediebe, Frédéric Topart, Alexandre Interprétation : Gilbert Jérôme Bolo, Thérèse Von Sivers, Serge Larivière, Melki, Dominique Blanc, Ngo Ngambi, Hélène Abdelmamek Kadi. Ornella Muti, François Beleck, Salomon Tatmfo, Morel, Catherine Frot, Christine Dahlia. 2001 Lucas Belvaux. * Premier long métrage. Pleure pas Germaine (Don’t Au-delà de Gibraltar *, Le Fils (The Son), Luc et Cry Germaine) *, Alain de Taylan Barman & Mourad Jean-Pierre Dardenne Halleux (Y.C. Aligator Film) Boucif (Saga Film) (Les Films du Fleuve) Interprétation : Rosa Interprétation : Mourad Interprétation : Olivier Renom, Dirk Roofthooft, Maimouni, Bach-Lan Lê-Bà Gourmet, Morgan Marinne, Catherine Grosjean, Benoit Thi, Abdelslam Arbaoui, Isabella Soupart, Nassim Skalka, Iwana Krzeptowski, Elias Preszow, Samir Rian, Hassaïni, Kevin Leroy, Anne Simon de Thomaz. Rachida Chbani, Asmah Closset, Félicien Pitsaer. Sheik, Noureddine Zerrad. Que faisaient les femmes Un honnête commerçant pendant que l’homme Nuages, lettres à mon fils (Step by Step) *, Philippe marchait sur la lune ? *, (Clouds, Letters to My Son), Blasband (Artémis Chris Vander Stappen Marion Hänsel (Man’s Films) Productions) (Banana Films) Voix : Catherine Deneuve. Interprétation : Benoît Interprétation : Marie Bunel, Verhaert, Philippe Hélène Vincent, Mimie Petites misères (Dead Man’s Noiret, Yolande Moreau, Mathy, Tsilla Chelton, Macha Hand) *, Philippe Boon & Frédéric Bodson, Serge Grenon, Christian Crahay. Laurent Brandenbourger Larivière, Patrick Hastert, (Artémis Productions) Jean-Michel Vovk. Regarde-moi *, Frédéric Interprétation : Albert Sojcher (Prima Vista) Dupontel, Marie Trintignant, Hop *, Dominique Standaert Interprétation : Carmen Serge Larivière, Bouli (Executive Productions) Chaplin, Mathieu Carrière, Lanners, Olivier Massart, Interprétation : Kalomba Claire Nebout, Jean-Paul Sjarel Branckaerts, Mboyi, Jan Decleir, Comart, Claudio Bigagli, Christian Crahay. Ansou Diedhiou, Antje Sandrine Blancke, Marc De Boeck, Alexandra Ponette, Eddy Letexier. Vandernoot, Serge-Henri Valcke, Emile M’Penza. 168 169 00–10

Une part de ciel (A Piece of Michael Blanco *, Stephan Demain on déménage Quand la mer monte (When L’Enfant (The Child), Luc Ultranova *, Bouli Lanners Sky) *, Bénédicte Liénard Streker (M.G. Productions) (), the Sea Rises) *, Yolande & Jean-Pierre Dardenne (Versus production) (Tarantula Belgique) Interprétation : Michaël Chantal Akerman Moreau & Gilles Porte (Les Films du Fleuve) Interprétation : Vincent Interprétation : Séverine Goldberg, Larry Moss, (Paradise Films) (Stromboli Pictures) Interprétation : Jérémie Lecuyer, Hélène De Caneele, Sofia Leboutte, Lily Holbrook, Judy Interprétation : Sylvie Interprétation : Yolande Renier, Déborah François, Reymaeker, Michaël Josiane Stoléru, Naïma Dickerson, Alfred J. Carr Testud, Aurore Clément, Moreau, Wim Willaert, Bouli Jérémie Segard, Fabrizio Abiteboul, Vincent Hirèche, Annick Jr., Seymour Willis Green, Jean-Pierre Marielle, Lanners, Jan Hammenecker, Rongione, Olivier Belorgey, Viviane Keusterman, Yolande Jake Speer, Jonathan Levit. Natacha Régnier, Lucas Vincent Mahieu, Jacky Gourmet, Anne Gerard, Robert, Marie Du Bled. Moreau, Gaëlle Müller, Belvaux, Dominique Berroyer, Philippe Bernard Marbaix. Olivier Gourmet. Des plumes dans la tête Reymond, Gilles Privat, Duquesne, Olivier Gourmet. Vendredi ou un autre (Feathers in My Head) *, Anne Coesens. L’Iceberg *, Dominique Abel, jour (Friday or Another 2003 Thomas de Thier (Magellan) Trouble (Duplicity), Harry Fiona Gordon & Bruno Romy Day), Yvan Le Moine Interprétation : Sophie L’Enfant endormi (The Cleven (To Do Today) (Courage Mon Amour) (AA Les Films Belges) 25 degrés en hiver (25 Museur, Francis Renaud, Sleeping Child) *, Interprétation : Benoît Interprétation : Fiona Interprétation : Philippe Degrees in Winter) *, Ulysse de Swaef, Alexis Den Yasmine Kassari (Les Magimel, Natacha Régnier, Gordon, Dominique Abel, Nahon, Alain Moraïda, Stéphane Vuillet Doncker, Bouli Lanners, Films de la Drève) Olivier Gourmet, Nathan Philippe Martz, Lucy Ornella Muti, Hanna (Man’s Films) Colette Emmanuelle, Jo Interprétation : Mounia Lacroix, Christian Crahay, Tulugarjuk, Thérèse Fichet, Schygulla, Philippe Interprétation : Jacques Rensonnet, Jean Ceuterickx. Osfour, Rachida Brakni, Patrick Descamps. Georges Jore, Ophélie Grand’Henry, Jean Gamblin, Ingeborga Nermine Elhaggar, Rousseau, Robin Goupil. Hermann, Jean-Paul Dapkunaïte, Carmen Les Suspects (The Fatna Abdessamie, 2005 Ganty, Valérie D’Hondt. Maura, Raphaelle Molinier, Suspects) *, Kamal Khamsa Abdessamie, Miss Montigny *, Miel Pedro Romero, Valérie Dehane (Saga Film) Issa Abdessamie, Belhorizon *, Inès Rabadan Van Hoogenbemt (Entre 2006 Lemaitre, Maureen Interprétation : Sid Ali Mimoun Abdessamie, (Need Productions) Chien et Loup) Leleux, Bouli Lanners. Kouiret, Nadia Kaci, Kamel Driss Abdessamie. Interprétation : Emmanuel Interprétation : Sophie Cages *, Olivier Masset- Rouini, Hamid Chakir, Salinger, Ilona Del Marle, Quinton, Ariane Ascaride, Depasse (Versus L’autre (The Missing Half), Larbi Zekkal, Mohamed La Femme de Gilles (Gilles’ Nathalie Richard, Claude Johan Leysen, Fanny production) Benoît Mariage (K2) Adjaimi, Rachdi Bahia, Wife), Frédéric Fonteyne Perron, Saskia Mulder, Hanciaux, Agathe Interprétation : Anne Interprétation : Dominique Bendaoud Athmane. (Artémis Productions) Bruno Putzulu, Frédéric Cornez, Magalie Dahan, Coesens, Sagamore Baeyens, Philippe Interprétation : Emmanuelle Dussenne, Manuel Morón. Ségolène Schmitt. Stevenin, Micheline Grand’Henry, Laurent Le Tango des Rashevski Devos, Clovis Cornillac, Goethals, Adel Bencherif, Kuenhen, Jan Decleir, (Rashevski’s Tango) *, Laura Smet, Alice & Blanche Neige, la suite Nuit noire *, Olivier Nasser Zerkoune, Colette Emmanuelle, Sam Garbarski (Entre Chloé Verlinden, Colette (Snow White : The Sequel), Smolders (Parallèles Michel Angely. Bouli Lanners, Michaël chien et loup) Emmanuelle, Gil Lagay. Picha (Y.C. Aligator Films) Productions) Goldberg, Eddy Letexier. Interprétation : Hippolyte Interprétation : Cécile de Interprétation : Fabrice Ça rend heureux Girardot, Ludmila Mikael, Folie privée (Private France, Jean-Paul Rouve, Rodriguez, Yves-Marina (Whatever Makes You J’ai toujours voulu être Michael Jonasz, Daniel Madness) *, Joachim Marie Vincent, Jean-Claude Gnahoua, Raymond Happy), Joachim Lafosse une sainte (I Always Mesguich, Nathan Lafosse (Ryva) Donda, Gérard Surugue, Pradel, Marie Lecomte, (Eklektik Productions) Wanted to Be a Saint) *, Cogan, Jonathan Zaccaï, Interprétation : Kris Benoît Allemane, François Philippe Corbisier, Iris Interprétation : Fabrizio Geneviève Mersch Tania Garbarski. Cuppens, Catherine Barbin, Mona Walravens. Debuschere, Raffa Chillah. Rongione, Kris Cuppens, (Artémis Productions) Salée, Vincent Cahay, Catherine Salée, Mariet Interprétation : Marie 2004 Mathias Wertz, Stéphane Bunker paradise *, Ordinary Man, Vincent Eyckmans, Dirk Tuypens, Kremer, Barbara Roland, Bissot, Isabelle Darras, Stefan Liberski (Artémis Lannoo (Hélicotronc) Cédric Eeckhout. Thierry Lefevre, Janine Calvaire (The Ordeal) *, Nicole Valberg. Productions) Interprétation : Carlo Godinas, Julien Collard, Fabrice du Welz (La Interprétation : Jean- Ferrante, Christine Comme tout le monde Raphaëlle Blancherie, Parti Production) Paul Rouve, François Grulois, Stefan Liberski, (Mr. Average), Pierre- Hervé Sogne. Interprétation : Laurent Vincentelli, Audrey Marnay, Georges Siatidis, Elladé Paul Renders (Entre Lucas, Brigitte Lahaie, Bouli Lanners, Sacha Ferrante, Vera Van Doren, Chien et Loup) Gigi Coursigny, Jean- Bourdo, Yolande Moreau, Olivier Gourmet. Interprétation : Khalid Luc Couchard, Jacky Jean-Pierre Cassel. Maadour, Caroline Berroyer, , Dhavernas, Thierry Philippe Grand’Henry. Lhermitte, Gilbert Melki, Chantal Lauby, Delphine Rich, Amina Annabi. 170 171 00–10

La Couleur des mots (The La Raison du plus Formidable (Lollypop Men), 2008 Où est la main de l’homme Vinyan, Fabrice du Colour of Words), Philippe faible (The Right of the Dominique Standaert sans tête (Where is the Welz (One Eyed) Blasband (Climax Films) Weakest), Lucas Belvaux (Artémis Productions) 9 mm, Taylan Barman Hand of the Headless Man), Interprétation : Emmanuelle Interprétation : Mathilde (Entre Chien et Loup) Interprétation : Stéphane (Saga Film) Guillaume Malandrin, Béart, Rufus Sewell, Petch Larivière, Aylin Yay, Serge Interprétation : Lucas De Groodt, Serge Larivière, Interprétation : Morgan Stéphane Malandrin Osathanugrah, Julie Demoulin, Benoît Verhaert, Belvaux, Natacha Astride Akay, Isabelle Marinne, Serge Riaboukine, (La Parti Production) Dreyfus, Amporn Pankratok, Martine Willequet, Serge Régnier, Eric Caravaca, Defosse, Sabrina Leurquin, Anne Coesens, Filip Peeters, Interprétation : Cécile Josse De Pauw, Omm. Larivière, Laurent Capelluto. Claude Semal, Patrick Philippe Grand’Henry. Ayham Vatandas, Nabil de France, Ulrich Tukur, Descamps, Gilbert Melki. Ben Yadir, Martin Swabey. Edouard Piessevaux, Tamar 2009 J’aurais voulu être un Irina Palm, Sam Garbarski van den Dop, Bouli Lanners, danseur (Gone for a Si le vent soulève les sables (Entre Chien et Loup) Eldorado, Bouli Lanners Jacky Lambert, Joseph Amer *, Hélène Cattet Dance), Alain Berliner (Sounds of Sand), Marion Interprétation : Marianne (Versus production) Mazy, Jan Hammenecker. et Bruno Forzani (Artémis Productions) Hänsel (Man’s Films) Faithfull, Miki Manojlovic, Interprétation : Philippe (Anonymes Films) Interprétation : Vincent Interprétation : Carole Kevin Bishop, Jenny Agutter, Nahon, Bouli Lanners, Le Prince de ce monde *, Interprétation : Cassandra Elbaz, Cécile de France, Karemera, Issaka Siobhan Hewlett, Dorka Stefan Liberski, Renaud Manu Gomez (Monkey Foret, Charlotte Eugène Jean-Pierre Cassel, Circé Sawadogo, Asma Nouman Gryllus, Jules Werner. Rutten, Fabrice Adde, Didier Productions) Guibbaud, Marie Bos, Lethem, Pierre Cassignar, Aden, Saïd Abdallah Toupy, Jean-Luc Meekers, Interprétation : Laurent Bianca Maria D’Amato, Jeanne Balibar, Simon Mohamed, Moussa La marea *, Diego Jean-Jacques Rausin. Lucas, Robert Guilmard, Lio, Harry Cleven, Jean- Buret, Franck Monier. Assan, Emile Abossolo Martinez Vignatti (Entre Charlotte Vandriessche, Michel Vovk, Delphine M’bo, Marco Prince. Chien et Loup) Elève libre (Private Jean-Claude Dreyfus, Brual, Bernard Marbaix. Komma *, Martine Doyen Interprétation : Eugenia Lessons), Joachim Lafosse Eugénie Alquezar, (La Parti Production) 2007 Ramirez Miori, Eduardo (Versus production) Serge Baudoux. Un ange à la mer (Angel Interprétation : Arno Leivar, Omar D’Allassana, Interprétation : Jonas at Sea) *, Frédéric Dumont Hintjens, Valérie Lemaître, Control X *, Bernard Marcela Ferradas, Bloquet, Jonathan Rumba, Dominique Abel, (Dragons Films Productions) Edith Scob, François Leclercq & Thomas François Juan Ignacio Leivar, Zaccaï, Claire Bodson, Fiona Gordon & Bruno Romy Interprétation : Martin Négret, Amarante Pigla (Entre Chien et Loup) Sebastián Adolfo Ureta. Yannick Renier, Pauline (Courage Mon Amour) Nissen, Olivier Gourmet, de Vitry d’Avencourt, Interprétation : Bruno Etienne, Anne Coesens, Interprétation : Fiona Anne Consigny, Julien Charles Pennequin, Borsu, Simon Fraud, Mehdi Odette Toulemonde *, Johan Leysen. Gordon, Dominique Abel, Frison, Pierre-Luc François Neyken. Hammouti, Magloire Eric-Emmanuel Schmitt Philippe Martz, Bruno Romy, Brillant, Louise Portal, Goblet, Camille de Leu. (Les Films de l’Etang) Home *, Ursula Meier Clément Morel, Morgan Jacques Germain. Nue propriété (Private Interprétation : Catherine (Need Productions) Ade, Ophélie Anfry. Property), Joachim Lafosse Coquelicots, Philippe Frot, Albert Dupontel, Interprétation : Isabelle Les Barons (The Barons) *, (Tarantula Belgique) Blasband (Climax Films) Fabrice Murgia, Nina Hupert, Olivier Gourmet, Le Silence de Lorna Nabil Ben Yadir (Entre Interprétation : Isabelle Interprétation : Céline Drecq, Nicolas Buysse, Kacey Mottet, Madelaine (Lorna’s Silence), Luc & Chien et Loup) Huppert, Kris Cuppens, Peret, Laurent Capelluto, Laurence d’Amelio, Julien Budd, Kacey Mottet Jean-Pierre Dardenne Interprétation : Nader Jérémie Renier, Yannick Véronique Dumont, Martine Frison, Camille Japy. Klein, Ivailo Ivanov, Jean- (Les Films du Fleuve) Boussandel, Mourade Renier, Dominique Willequet, Aylin Yay, François Stévenin. Interprétation : Arta Zenguendi, Mounir Ait Reymond, Raphaëlle Françoise Oriane, Serge Voleurs de chevaux (In the Dobroshi, Jérémie Renier, Hamou, Amelle Chahbi, Lubansu, Patrick Descamps, Larivière, Valérie Lemaître. Arms of My Enemy) *, Micha Masangeles, Beatriz Fabrizio Rongione, Alban Julien Courbey, Jan Didier de Neck. Wald (Versus Production) Flores Silva (Saga Film) Ukaj, Morgan Marinne, Decleir, Edouard Baer. Cow-boy, Benoît Interprétation : Adrien Interprétation : Antonella Olivier Gourmet, Anton Pom le poulain *, Olivier Mariage (K2) Jolivet, Grégoire Colin, Aquistapache, Ignacio Yakovlev, Grigori Manukov. La Cantante de tango Ringer (Ring Productions) Interprétation : Benoît Grégoire Leprince- Cawen, Martín Flores, (The Tango Singer), Interprétation : Richard Poelvoorde, Julie Depardieu, Ringuet, François-René Nicolás Furtado, Juan Les Tremblements lointains Diego Martinez Vignatti Bohringer, Morgan Marinne, François Damiens, Gilbert Dupont, Mylène Saint- Gamero, Elisa García, (Distant Tremors), Manuel (Tarantula Belgique) Philippe Grand’Henry, Melki, Bouli Lanners, Sauveur, Igor Skreblin. Myriam Gleijer. Poutte (La Dolce Vita Films) Interprétation : Eugenia Olivier Bonjour, Alain Eloy, Jean-Marie Barbie. Interprétation : Amélie Ramirez Miori, Nicolas Gilbert Cotty, Renaud Daure, Papa Malick Cazalée, Dora Baret, Rutten, Emmanuel Wautier. Ndiaye, Daniel Duval, Patrick Descamps, Jean-François Stévenin, Bruno Todeschini, Pieter Pape Diouf, Adama Diallo, Embrechts, Oscar Ferrari. Mamadou N’dour. 172 173 00–10

Le Jour où Dieu est parti Rapt, Lucas Belvaux 2010 Quartier lointain (A en voyage (The Day (Entre Chien et Loup) Distant Neighbourhood), God Walked Away) *, Interprétation : Yvan Attal, Beyond the Steppes *, Sam Garbarski (Entre Philippe Van Leeuw Anne Consigny, André Vanja d’Alcantara Chien et Loup) (Artémis Productions) Marcon, Christophe (Need Productions) Interprétation : Pascal Interprétation : Ruth Kourotchkine, Françoise Interprétation : Agnieszka Greggory, Jonathan Nirere, Afazali Dewaele, Fabian, Patrick Descamps, Grokowska, Olga Justa, Zaccaï, Alexandra Maria Lola Tuyaerts, Laetitia Sarah Messens. Borys Szyc, Ahan Zolanbiek, Lara, Léo Legrand, Reva, Pierrick le Pochat, Tatiana Tarskaj. Pierre-Louis Bellet, Laura Aphrodice Tuyizere, La Régate (The Boat Martin, Laura Moisson. Ismail Dusengimana, Race) *, Bernard Bellefroid Hitler à Hollywood (Hitler Pacifique Niyotwizera. (Artémis Productions) in Hollywood), Frédéric Rondo *, Olivier Van Interprétation : Joffrey Sojcher (Saga Film) Malderghem (Saga Film) Maternelle (Motherly), Verbruggen, Thierry Interprétation : Maria de Interprétation : Julien Frison, Philippe Blasband Hancisse, Sergi López, Medeiros, Micheline Presle, Jean-Pierre Marielle, Aurore (Climax Films) Pénélope Leveque, David Wim Willaert, Wim Wenders, Clément, Claire Vernet, Interprétation : Anne Murgia, Hervé Sogneo, Hans Meyer, Nathalie Alice Mazodier, Marine Girouard, Benoît Verhaert, Stéphanie Blanchoud. Baye, Arielle Dombasle. Kobakhidze, Nina Mazodier. Aylin Yay, Philippe Résimont, Didier De Neck, Sans rancune! (No Illégal (Illegal), Olivier Le Vertige des possibles Nathalie Laroche, Chloé Hard Feelings!), Yves Masset-Depasse (Vertigo of Possibilities) *, Struvay, Cédric Juliens. Hanchar (To do Today) (Versus production) Vivianne Perelmuter Interprétation : Thierry Interprétation : Anne (Iota Production) Mr. Nobody, Jaco Van Lhermitte, Milan Mauger, Coesens, Olivier Schneider, Interprétation : Christine Dormael (Toto & Co Films) Marianne Basler, Christian Esse Lawson, Alexandre Dory, François Barat, Interprétation : Jared Crahay, Benoit Van Golntcharov, Frédéric Vincent Dieutre, Leto, Diane Kruger, Sarah Dorslaer, Benoît Cauden, Frenay, Christelle Maxime Desmons, Polley, Linh Dan Pham, Alexandra Vandernoot. Cornil, Olga Zhdanova, Olivier Costemale, Rhys Ifans, Toby Regbo, Tomasz Bialkowski. Marie Payen, Liao Yi Lin, Juno Temple, Clare Stone. Sens interdits *, Sumeya Bojena Horackova. Kokten (Hemione Marieke, Marieke *, Sophie Oscar et la dame rose Production) Schoukens (Sophimages) Viva Riva! *, Djo Tunda Wa (Oscar and the Lady in Interprétation : Valèrie Interprétation : Hande Munga (MG Productions) Pink), Eric-Emmanuel Muzzi, Edwige Baily, Serra Kodja, Barbara Sarafian, Interprétation : Manie Schmitt (Oscar Films) Erciyes, Canan Gol. Jan Decleir, Caroline Malone, Patsha Bay Interprétation : Amir, Berliner, Philippe Van Mukuna, Hoji Ya Henda Michèle Laroque, Max Von Simon Konianski, Micha Kessel, Bernard Graczyk, Braga Fortuna, Tomas Sydow, Amira Casar, Mylène Wald (Versus production) Karim Barras, Michel Israel. Euricio Bie, Alex Herabo, Demongeot, Constance Interprétation : Jonathan Marlene Longage, Dolle, Simone-Elise Girard. Zaccaï, Popeck, Abraham Noir Océan (Black Ocean), Diplome Amekindra, Leber, Irene Herz, Nassim Marion Hänsel (Man’s Films) Angelique Mbumba. Panique au village (A Town Ben Abdelmoumen, Marta Interprétation : Adrien Called Panic) *, Stéphane Domingo, Ivan Fox. Jolivet, Nicolas Robin, Le Voyage extraordinaire de Aubier et Vincent Patar Romain David, Alexandre Samy (Sammy’s Adventures : (La Parti Production) Sœur Sourire (Sister de Seze, Jean-Marc The Secret Passage), Ben Interprétation : Jeanne Smile), Stijn Coninx (Les Michelangeli, Steve Stassen (nWave Pictures) Balibar, Benoît Poelvoorde, Films de la Passerelle) Tran, Nicolas Gob, Voix : Isabelle Fuhrman, Vincent Patar, Stéphane Interprétation : Cécile De Antoine Laurent. Tim Curry, Melanie Griffith, Aubier, Bouli Lanners, France, Sandrine Blancke, Jenny McCarthy, Anthony Nicolas Buysse, Véronique Chris Lomme, Marie Kremer, Anderson, Kathy Griffin, Dumont, Bruce Ellison. Jo Deseure, Jan Decleir, Filip Stacy Keach, Ed Begley Jr. Peeters, Christelle Cornil. 174 175

Note sur Note sur les portraits les auteurs

J’avais déjà rencontré et photographié la plupart des réa- Boyd van Hoeij, néerlandais de naissance et éduqué au lisateurs présents dans cet ouvrage pendant les différents Royaume-Uni, est un écrivain indépendant de cinéma et d’art. festivals de cinéma au fil des années. Il contribue régulièrement par ses articles et critiques aux pa- Ce projet m’a donné l’opportunité de les rencontrer de ges du magazine d’industrie Variety et de l’International Film nouveau, mais à l’aise dans leur milieu, sans contrainte de Guide; il est également responsable des pages cinéma du ma- temps ni le stress d’un festival où leur œuvre doit être présen- gazine Winq et correspondant pour Cineuropa.org. tée et discutée. J’ai eu la possibilité de revoir quelques-uns de leurs films, de discuter avec eux comment réaliser la photo et Fabrizio Maltese, italien, est un photographe indépendant de leur demander de me montrer leurs lieux préférés. spécialisé en cinéma, portraits et voyages. Faces of French Les photographies ont été prises en utilisant une Pentacon Cinema, une collection de ses portraits de comédiens et ci- Six TL sur pellicules Kodak Porta, et une Canon 5D MkII pour néastes français, a été exposée à Édimbourg, Sao Paulo et le numérique. Lisbonne. Son travail a été publié, entre autres, sur les pages Le choix du format carré – natif en 6x6 pour la Pentacon de Madame Figaro, Le Monde, Première, The Independent et et recadré pour la Canon – si loin du format « cinéma » tradi- American Popular Photography. Plus de détails sur ses œu- tionnel, m’a obligé à faire une réflexion sur le cadrage pour vres à l’adresse www.fabriziomaltese.com. obtenir un portrait en gardant une composition cinématogra- phique qui laissait de la place aux détails des lieux ainsi qu’au Boyd van Hoeij et Fabrizio Maltese gèrent ensemble visage du réalisateur. l’agence EF Press depuis le Luxembourg et collaborent sou- Les sujets ont été photographiés pour la plupart chez eux vent sur des articles et reportages de cinéma et voyages. Ils ou dans des milieux qui leur sont familiers, toujours en utili- comptent parmi leurs clients Elle, Winq, Männer, IndieWIRE, sant la lumière naturelle ou disponible. the Auteurs/MUBI, De Filmkrant et Spartacus Traveler. Les couleurs, qui par choix devaient être très présentes pour représenter la nouvelle saison du cinéma belge franco- phone, ont été rendues encore plus vives grâce à la lumière d’un début d’été exceptionnellement ensoleillé en Belgique.

Fabrizio Maltese