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aNGLEs d’ FÉVRIER 2018

armi les mythes fondateurs, l’histoire d’Adam et Eve tient une place particulière. Malgré sa brièveté –quel- ques lignes au début de la Genèse–, elle explique ce qu’il y a de plus difficile à comprendre (pour les gens ordinaires comme pour les rabbins, les prêtres et les ou- lémas) dans la sexualité, dans l’expérience de la douleur phy- sique, du labeur écrasant, des ravages du deuil. Evidemment, la référence à Adam et Eve ne commence pas avec la Bible. On trouve des récits analogues dans les légen- des mésopotamiennes relatant les débuts de l’humanité, en particulier la grande épopée de Gilgamesh. Ces légendes re- montant à 1.800 ans avant Jésus Christ –soit bien avant les premières versions de la Torah (vers 500 avant J.C.)– racon- tent comment le dieu Marduk, le plus grand dieu babylonien, a créé les humains. «CONTRE-RÉCIT». Elles évoquent même un déluge dévastateur dont nombre de détails se retrouvent dans l’histoire de Noé. Lors de leur exil à Babylone, les Hébreux ont souvent entendu ces narrations. Avant même leur retour à Jérusalem, ils entre- prennent de rédiger un «contre-récit» au puissant mythe de création babylonien afin de se forger une identité propre qui puisse servir d’alternative au Temple détruit. Différences impor- tantes : dans la légende mésopotamienne, les humains ne sont pas jugés moralement pour ce qu’ils font alors que, dans la Genèse, ils sont responsables de leurs actes et de leur désas- tre. Les Hébreux mettent ainsi l’ancienne histoire des origines sens dessus dessous. Ce qui était un triomphe dans Gilga- mesh devient une tragédie dans la Genèse. Qu’un Dieu bon puisse créer l’homme et la femme pour ensuite les chasser du paradis et les condamner à une vie pleine de douleurs, voilà une question qui troublera longtemps théologiens, philosophes et moralistes.

Dans les siècles qui suivent, les interprétations de la Genèse seront de ce fait multiples. Les plus transgressives sont sans doute celles qui apparaissent parmi les communautés chrétiennes aux marges de l’hérésie, comme l’Apocalypse d’Adam qui décrit un Dieu dépas- sé par ses propres créatures sous la conduite non plus d’Adam mais d’Eve. Pour éviter ces dérives, la solution imaginée par Philon d’Alexandrie, philosophe juif hellénisé, est de ne pas prendre la Ge- nèse au pied de la lettre mais comme une allégorie. Cette prudence n’est pas suivie par Augustin pour lequel Adam et Eve ont réelle- ment été chassés du paradis. La raison en est l’angoissante obses- sion d’un saint-Augustin pour le péché originel, cette culpabilité per- manente qui frappe le genre humain. CULPABILITÉ. Dès lors, la certitude du péché originel pèsera lourde- ment sur toute l’histoire du christianisme –voire au-delà. Chose étrange, car personne avant Augustin d’Hippone n’avait ac- cordé à cette idée une telle importance doctrinale. Avec pour consé- quence une accusation durable à l’encontre de la femme, la pre- mière à pécher en cédant à la parole du serpent. Au-delà de sa dimension religieuse, la transgression d’Eve devien- dra alors une donnée anthropologique, voire une caractéristique bio- logique : tous les maux de l’existence trouveraient leur origine dans le geste de la première femme, et ses descendantes en porteraient l’éternelle souillure. Cette injonction céleste trouvera néanmoins ses détracteurs. Ainsi, les révoltes sociales du 14ème siècle vont s’em- parer de l’histoire d’Adam et Eve pour en proposer… une interpréta- tion révolutionnaire. En 1381, le prêtre anglais John Ball lance son fameux mot d’ordre : «Quand Adam bêchait et Eve filait, où donc étaient les gentilhommes ?»… John Ball sera vite exécuté pour cette insolente critique des dominants mais sa question est reprise au 17ème siècle par les révolutionnaires qui se battent pour revenir à l’égalité et à la liberté d’avant la Chute. Pour eux, le fruit défendu n’était pas la pomme mais la propriété privée 

 À la même époque, John Milton dans le Paradis perdu –la plus grande œuvre poétique en langue anglaise– affirme qu’Adam et Eve sont libres puis- que créés à l’image de Dieu. C’est pour être digne de cette liberté conférée par Dieu qu’Eve décide de manger le fruit. Elle choisit donc volontairement de chuter, décision aussitôt imitée par Adam. PHILOSOPHES. De Pythagore, on connaît le théorème. Un peu moins des as- sertions telles que celle-ci : «Il y a un principe bon qui a créé l’ordre, la lumière et l’homme, et un principe mauvais qui a créé le chaos, les ténèbres et la femme». Il est vrai que le philosophe de Samos n’a rien écrit et que ses pro- pos sont seulement rapportés par ses disciples. Mais son cas n’a ici rien de particulier. On aurait pu citer Aristote («Un modeste silence est l’honneur de la femme») ou Schopenhauer («Les femmes sont le sexe second à tous égards, fait pour se tenir à l’écart et au second plan»), choisir presque au hasard, sur vingt-six siècles et à peu près dans toutes les cultures, des penseurs, des écrivains, des historiens, des artistes, des théologiens, des hommes de science… et trouver à foison les phrases et les idées qui ont échafaudé le vi- riarcat, selon lequel la femme est un «mâle mutilé», un être raté et faible, une anomalie de la nature, une chute dans le sentimental, faite pour rester muette, servir, gérer son «intérieur», quand l’homme est élévation dans le théorique, plénitude, force, raison, savoir et pouvoir. Citations…? «Pendant l’instruction, la femme doit garder le silence, en toute soumission. Je ne permets pas à la femme d’enseigner ni de faire la loi à l’homme. Qu’elle se tienne tranquille. C’est Adam en effet qui fut créé le pre- mier, Eve ensuite. Et ce n’est pas Adam qui se laissa séduire, mais la femme, séduite, se rendit coupable de transgression. Néanmoins, elle sera sauvée en devenant mère, à condition de persévérer avec modestie dans la foi, la charité et la sainteté» (Saint Paul).

«La femme est un être occasionnel et accidentel» (Thomas d’A- quin). «Les femmes ressemblent aux girouettes, elles se fixent quand elles se rouillent» (Voltaire). «L'amour a été inventé par les femmes pour permettre à ce sexe de dominer, alors qu'il était fait pour obéir» (Jean-Jacques Rousseau). «Par le mariage la femme devient libre, par lui, l’homme perd sa liberté» (Emmanuel Kant). «A chaque femme correspond un séducteur. Son bonheur, ce n’est que de le rencontrer» (Søren Kierkegaard). «Les femmes sont une propriété, un bien qu’il faut mettre sous clé, des êtres faits pour la domesticité et qui n’atteignent leur perfection que dans une situa- tion subalterne» (Friedrich Nietzsche). Etc, etc… Bien sûr, de semblables allégations conduiraient à juste titre en prison aujourd’hui, car les choses ont changé : les femmes se sont révoltées, ont lutté pour acquérir des droits, pour faire que le sexisme soit un délit, pour dénoncer toute injustice, inégalité ou prévarication dont la cause serait liée à leur sexe, ont accompli une révolution qui a été sans doute la mutation anthropologique la plus importante qu’ait connue l’histoire humaine. Le monde qui avait toujours «appartenu aux hommes» (Simone de Beauvoir) a peu à peu incorporé la voix des femmes, désormais autorisées à étudier, travailler, voter, s’approprier leur corps, leur sexualité, leur fécondi- té et leur argent. La hiérarchie entre les sexes, fondement millé- naire de l’ordre social, a implosé. De femme-objet, la femme s’est transformée en femme-sujet : en droit, l’égale de l’homme. UNE FOIS POUR TOUTE. Il faut croire pourtant qu’au sein de cette «ré- volution du féminin», demeure, invisible, un frein, ou un mors, qui l’empêche de parvenir à achèvement, de s’établir une fois pour tou- tes. On ne comprendrait pas sinon que le discours féministe doive sans cesse être repris et réaffirmé, qu’il lui faille exposer aux nou- velles générations les vérités et les valeurs –sur le respect de la dignité, la liberté de circuler en paix, l’ignominie du harcèlement…– qui étaient acquises par les générations précédentes 

 L’une des explications possibles pourrait être que le mythe de la virilité, loin d’être devenu objet de risée, continue de reproduire les préjugés et les dogmes du viriarcat (terme préférable à celui de patriarcat, puis- que l’homme détient le pouvoir, qu’il soit père ou non), qui entravent la diffusion, dans la société, de la politi- que et de l’éthique de l’égalité. C’est donc à une dé- construction de ce mythe qu’il faut se livrer. INDIGNATION. Les rapports entre les sexes s’inscrivent dans un cadre qui n’est jamais monochrome. D’une part, on peut considérer en effet que la femme des pays «démocratiques» peut se réjouir de vivre dans un monde qui a brisé depuis peu ces logiques sexistes immémoriales et, en même temps, constater que non seulement subsistent encore là de «nombreuses dis- criminations», mais qu’à l’échelle de l’humanité «la fem- me moderne et privilégiée des pays riches» n’incar- ne qu’une infime minorité des représentantes de son sexe, et que –dans de très nombreuses régions du monde– être femme, aujourd’hui encore, c’est être mutilée, sous- alimentée, analphabète, exploitée, battue, mariée de for- ce à peine pubère, marchandisée, répudiée, séques- trée, voire lapidée ou brûlée vive. D’autre part, le fait que dans les sociétés civiles des vagues d’indignation se lèvent dès que sont bafoués les droits des femmes, atteste que l’idée de l’égalité femmes-hommes est entrée dans les mentalités, y com- pris dans celles de nombreux hommes. Evidemment, ceux-ci comptent toujours dans leurs rangs des porcs qu’il faut balancer mais, dans leur grande majorité, ils ont été secoués, attaqués, bouleversés par la parole des femmes, puis transformés dans le sens d’une cri- tique de leur propre machisme.

Pour autant, il n’y a donc pas d’un côté «le triomphe du féminin», de l’autre la soi- disant «crise de la virilité». Parce que ledit triomphe est loin d’être total –il sera plus patent quand plus aucune femme ne sera, à situation égale, moins rétribuée, esti- mée, valorisée, reconnue qu’un homme, et quand plus aucune d’elles ne craindra, dans l’espace social ou privé, d’être regardée ou traitée comme un corps-objet. Le système viriarcal voudrait passer pour un ordre naturel, mais est bien évidemment une construction, un assemblage de postulats, de croyances, de principes, de nor- mes, de symboles, de récits, de coutumes…, dont la fonction est de façonner une conception du monde dans laquelle la hiérarchie des sexes apparaisse comme sa- crée, immuable, intangible. Chaque fois qu’on dit à un enfant qu’il est venu au monde parce que «papa a déposé sa petite graine dans le ventre de maman», on réactive cet élément fondateur du «système viriarcal», qui fait de l’homme le détenteur du «patri»moine (génétique, et économique, politique, social…) et de la mère un simple «lieu de passage». ASSIGNATIONS. De la diabolisation du sexe féminin à la sacralisation de la virginité, du «dressage» des corps masculins aux «muscles» de l’esthétique fasciste (en passant par toutes les déclinaisons, guerrières, politiques, religieuses, existentielles, sexuel- les, de la puissance phallique)…, la révolution du féminin sera pleinement accomplie quand aura lieu «la révolution du masculin», quand les hommes se seront libérés des assignations sexuées qui entretiennent, souvent de manière parfaitement incons- ciente, la misogynie et l’homophobie, et auront changé le regard qu’ils portent sur les femmes en changeant celui qu’ils portent sur eux-mêmes 

Jean-Yves GRENIER Robert MAGGIORI

malentendu persiste. Avant le vingtième siècle, il n’y aurait pas eu de femmes ar- UN tistes, ou si peu. Dès lors que les musées sont vides de leurs œuvres, c’est qu’elles ne créaient pas ! De fait, on pourrait les compter sur les doigts d’une main, celles nées avant 1900 dont on a retenu le nom : peut-être Camille Claudel, et encore… Or considérer que les femmes n’ont eu accès à la pra- tique artistique que très récemment est une erreur pa- thétique, qu’il semble encore bien difficile de dissiper. En réalité, il y a toujours eu des femmes artistes, mais on a tout simplement ignoré leur travail et l’Histoire les a volontairement oubliées. PEINTURES PLEIN POTS. Exclues des commandes impor- tantes et des expositions à forte visibilité, elles étaient encouragées jusque dans les années 50 à s’exprimer dans des genres dits mineurs –comme la peinture de fleurs ou les portraits d’enfants–, et elles n’eurent ac- cès à l’enseignement artistique que très tard : dans la plupart des pays, les Ecoles des Beaux-Arts leur furent interdites jusqu’à la fin du 19ème. Ce qui en obligea beaucoup à adopter des stratégies esthétiques diffé- rentes, liées à des pratiques féminines courantes à l’époque, telles la broderie ou le vêtement, mais qui ne leur permettaient pas de faire entrer leurs œuvres au musée ou de rivaliser frontalement sur la scène artisti- que avec les hommes. Une situation que l’on retrouve notamment au sein du Bauhaus : Anni Albers, par exem- ple, fut incitée à s’orienter vers le tissage plutôt que la peinture ou l’architecture –les femmes, selon Walter Gropius, fondateur de l’école, ne sachant penser qu’en deux dimensions 

Mary CASSATT «La Lettre» [1891]

Artemisia GENTILESCHI «Danae» [1612]

Artemisia GENTILESCHI (1593 - 1652)

Artemisia Lomi Gentileschi est née le 8 juillet 1593 à Rome. Elle a rendu l’âme à Naples, en 1652. Vivant dans la première moitié du 17ème siècle, elle reprend de son père Orazio la limpide rigueur du dessin en lui ajoutant une forte accentuation dramatique héritée de l'œuvre du Caravage, ce qui contribua à la diffusion du caravagisme à Naples –ville dans laquelle elle s'installe en 1630. Elle devient une peintre de Cour à succès, sous le patronage des Médicis et de Charles Ier d’Angleterre. Remarquablement douée (et aujourd'hui considérée comme l'une des premières peintres baroques, l'une des plus accomplies de sa génération), elle s'impose par son art à une époque où les femmes peintres ne sont pas facilement acceptées. Elle est également l'une des premières femmes à peindre des sujets historiques et religieux. On attribue à son viol, et au procès humiliant qui s'ensuivit, certains traits de son œuvre, l'obscurité et la violence graphique qui s'y déploient. Ses peintures exprimeront souvent le point de vue féminin.

Félicie de FAUVEAU (1801 - 1886)

Félicie de Fauveau, née à Livourne en Italie, est morte à l’âge de 85 ans à Florence. C’est une sculptrice française, représentante majeure du style «troubadour»…

 En France, les collections du Louvre –dont le spectre s’étend de l’Antiquité au milieu du 19ème siècle– recen- sent 42 peintures exécutées par 28 femmes, sur un total de 5.387 œuvres. Soit 0,78%... Un chiffre qui illustre l’écra- sante surreprésentation masculine dans les espaces mu- séaux, mais aussi la durable «invisibilisation» des œuvres créées par des femmes dans les collections. BASTION MASCULINISTE. A l’université aussi, l’histoire de l’art moderne s’est écrite contre les femmes : «Faire de l’histoire, c’est faire des choix, donc exclure. En Histoire de l’art, il y a eu une mise à l’écart des femmes, qui n’était pas forcément conscientisée». Une situation qui persiste dans le contexte académique très conservateur et réfractaire aux études de genre, plutôt anglo-saxonnes. Connaissez-vous Ottilie MacLaren ? Pour étudier la vie de cette sculptrice écossaise du début du XXème siècle, il faut aller jusqu’à Edimbourg pour fouiller le fonds de cor- respondance de son mari, le compositeur William Wallace. A Paris, où elle fut élève de Rodin, pas de traces. A peine quelques images de ses sculptures apparaissent-elles dans des photographies conservées au Musée Rodin, et ses œuvres sont quasiment toutes aujourd’hui entre des mains privées. Le cas est typique de la recherche sur les femmes artistes. Un travail d’archéologue qui demande, pour reconstituer un corpus, d’emprunter des voies dé- tournées, via notamment les maris ou les maîtres, et d’aller explorer des sources secondaires 

Henriette BROWNE (1829 - 1901)

Sophie de Bouteiller, dit Henriette Browne, est une peintre de genre –née en 1829 à Paris et morte en 1901. Elle est également connue sous le nom de «Madame de Saux» de par son mariage le 14 juin 1855 avec le diplomate Jules Henry de Saux, ministre plénipotentiaire et Secrétaire du comte Walewksi. Ce dernier, fils naturel de Napoléon Ier, a été ministre et sénateur sous le règne de son cousin Napoléon III.

«La jeune fille qui écrit» [1870]

Berthe MORISOT «Les sœurs» [1869]

Berthe MORISOT (1841 - 1895)

Berthe Marie Pauline Morisot –née le 14 janvier 1841 à Bourges et morte le 2 mars 1895 à Paris– est une peintre française, membre fondatrice et doyenne du mouvement d'avant-garde que fut l'Impressionnisme. Elle était, dans le groupe impressionniste, respectée et admirée par ses camarades. À sa table, se réunissent son beau-frère Édouard Manet qui est le plus mondain, Edgar Degas, le plus ombrageux, Pierre-Auguste Renoir, le plus sociable, et Claude Monet le plus indépendant du groupe. Stéphane Mallarmé l'introduira auprès de ses amis écrivains.

«Le corsage rouge» [1885]

Mary CASSATT (1844 - 1926)

Née le 22 mai 1844 en Pennsylvanie, Mary Cassatt est une peintre et graveuse. Sa famille est issue d’émigrés français arrivés aux Etats-Unis au 17ème siècle, les Cossart, et Mary parle couramment le français. En 1851, alors que Mary a sept ans, les Cassatt quittent les Etats-Unis pour le Vieux continent afin de faire connaitre à leurs enfants l’éducation et le mode de vie européens. Au cours de ce voyage, Mary apprend l’allemand, le dessin, la musique. Elle visite musées et expositions, découvre notamment Ingres, Delacroix, Courbet. En 1855, les Cassatt repartent en Pennsylvanie, où Mary reprend ses cours de dessin. En 1866, elle retourne vivre à Paris, mais les femmes n’y sont pas acceptées aux Beaux-Arts. En 1868, son tableau La joueuse de mandoline est accepté au Salon de Paris. Elle parfait son art en voyageant à Londres, Turin, Parme, Anvers tandis que le Salon de Paris continue à accepter ses tableaux. En 1875 pourtant, le Salon met le holà. C’est à cette époque que Mary rencontre le peintre Edgar Degas qui lui conseille d’exposer au Salon des Impressionnistes. Elle se met à fréquenter Degas, Pissaro et Berthe Morisot. En dépit de ce qui les sépare (le caractère misogyne et chicanier de Degas s’oppose au tempérament volontaire et indépendant de Cassatt), les deux artistes conserveront longtemps des liens d’amitié: partageant les mêmes goûts en littérature, ils appartenaient tous deux au milieu de la grande bourgeoisie (bancaire dans le cas de Degas, liée aux chemins de fer dans celui de Mary)… Pourtant au moment de l’affaire «Dreyfus», cette proximité sera mise à mal. Mary est persuadée de l’innocence de l’officier français accusé d’espionnage pour le compte de l’Allemagne. Par contre, le réactionnaire Degas –fanatique des traditions et de l’armée– se range du côté des antisémites… Les sujets abordés et le style de Mary seront évolutifs. Quand sa sœur Lydia est emportée par la maladie, Mary Cassatt se lance dans une série de portraits de mères et d’enfants, qui deviennent ses thèmes de prédilection. La découverte de la gravure japonaise la marquera fortement et influencera profondément son art. Elle travaille alors la gravure et les eaux-fortes. En 1904, elle reçoit la Légion d’honneur. Profondément affectée par le décès de ses parents et de son frère Gardner, Mary sombre dans la dépression. En 1914, la vision amoindrie par le diabète et la cataracte, elle cesse définitivement de peindre ; elle devient totalement aveugle en 1921. Mary Cassatt meurt le 14 juin 1926.

«Le bain» [1890]

Mary CASSATT «Jeune femme saisissant le fruit de la connaissance» [1892]

«Rêverie» [1892]

Reverie (aka Woman with a Red Zinnia) 1892 Clarissa Turned Left with Her Hand to Her Ear 1895

«Deux femmes dans leur loge au théâtre» [1881]

 Dans cette dynamique de recentrage du regard, les musées ont donc un grand rôle à jouer. Au Musée d’Orsay à Paris, plusieurs expo- sitions ont mis en lumière des femmes artistes, telle celle consacrée à la sculptrice troubadour Félicie de Fauveau. Pour autant, plusieurs femmes peintres bien connues au XIXème siècle n’ont jamais été re- présentées dans ses salles (comme Henriette Browne, Louise Abbé- ma, Virginie Demont-Breton…) 

Louise ABBÉMA (1853 - 1927)

Elle est la fille d'Henriette-Anne-Sophie d'Astoin (1826-1905) et du vicomte Emile-Léon Abbéma (1826-1915), administrateur de la compagnie du «Chemin de Fer de Paris-Orléans», et chef de gare de la station d’Étampes. Louise Abbéma accède à la notoriété grâce à un portrait de Sarah Bernhardt, son amante, réalisé en 1875. Juste retour des choses, Sarah Bernhardt sculptera dans le marbre un buste de Louise (buste qui se trouve au Musée d'Orsay). L. Abbéma fait partie de la délégation de femmes françaises artistes présentées à l'Exposition universelle de 1893 à Chicago, regroupées dans le Woman's Building. Décorée de la Légion d'honneur en 1906, elle décède 20 ans plus tard à l’âge de 73 ans.

«Dans les fleurs» [1893]

Virginie DEMONT-BRETON «L’homme est en mer» et «Fils de pêcheurs» [1892]

Virginie DEMONT-BRETON (1859 - 1935)

Virginie Élodie Marie Thérèse Demont-Breton, dite Virginie Demont-Breton. Née le 26 juillet 1859 à Courrières et morte le 10 janvier 1935 à Paris. Peintre de genre, son œuvre illustre principalement la vie des pêcheurs du Pas-de-Calais.

Paula MODERSOHN-BECKER (1876 - 1907)

Figure majeure de l'art moderne, cette artiste allemande entreprit en son temps quatre longs séjours parisiens (entre 1900 et 1906) afin de parfaire sa technique... Il nous reste aujourd'hui une oeuvre audacieuse traduisant la fascination pour les avant-gardes (notamment Gauguin et Cézanne). Ses autoportraits, mère et enfant, natures mortes... témoignent d'une approche à rattacher au mouvement expressionniste. En 1895, à Brême, Paula Becker verra pour la première fois une exposition des peintres de Worpswede –région paysanne de Basse-Saxe, encore à l’écart de la modernité industrielle. En 1898, elle s’y installe et devient l’amie d’une jeune sculptrice, Clara Westhoff –qui deviendra l’épouse de l’écrivain Rainer Maria Rilke en 1901, mariage qui ne durera guère. Cette même année, Paula fait de même avec son mari Otto Modersohn –mariage plus malheureux encore puisque, après séparations et retours, Paula meurt dix-huit jours après la naissance de leur fille, Mathilde. Paula Modersdohn-Becker avait 31 ans.

«Devant la fenêtre» [1906] «Autoportrait au sixième jour de mariage» [1906] «Paysanne en robe rouge» [1903] «Fleurs» [1902]

Paula MODERSOHN-BECKER «La jeune fille au chapeau de paille» [1904]

Anni ALBERS (1899 - 1994) Anni Albers –née Annelise Fleischmann le 12 juin 1899 à Berlin. En 1922, Anni Albers obtient son diplôme de l'école du Bauhaus de Weimar, une institution d'avant-garde où elle fait également la rencontre de son mari, le peintre Josef Albers. C’est une étudiante appliquée et une tisseuse habile. Lorsque le Bauhaus est fermé par le parti nazi en 1933, le couple Albers déménage en Caroline du Nord –où tous deux sont employés en tant qu'enseignants par une école libre récemment créée qui deviendra la grande référence de la modernité artistique américaine, le Black Mountain College. Les œuvres d’Anni réalisées dans les années quarante mettent en évidence l'effet libérateur de son expérience au sein de cette communauté, où les idées rationalistes antérieures ont adopté un lyrisme inattendu et intuitif. C'est au cours de cette décennie qu'Anni Albers invente le terme de «tissu pictural» pour se référer aux tapisseries qu'elle réalise à la main sur le métier à tisser. Au niveau formel, on observe la transition du schéma orthogonal de ses débuts vers des motifs plus libres, où la texture dialogue directement avec la couleur, évoquant parfois des visions spirituelles ou des paysages imaginaires. Si Albers a développé l'art du textile, en concevant des pièces uniques abstraites particulièrement ambitieuses, elle a aussi pratiqué la gravure et expérimenté la bijouterie. Par ailleurs, ses tissages mêlent souvent des matériaux traditionnels et industriels –allant jusqu'à combiner du papier, de la cellophane, et du jute pour plus d'effet. Dans l'art du tissage et de la conception textile, elle s'est finalement imposée comme la plus grande artiste du 20ème siècle, décédant en 1994.

Carmen HERRERA

 Elle, elle aura 103 ans au mois de mai ! Elle, c’est Carmen Herrera dont la vie n’aura pas été un roman à l’eau de rose : la reconnaissance lui est tombée dessus à 94 ans, après plus de 70 années de travail quotidien… sans jamais s’écarter de l’abstraction géométrique. CENT TROIS ANS. Carmen Herrera est née à La Havane en 1915. Son père est le fondateur du journal El Mundo, sa mère est journaliste. Entre la France, les États-Unis et Cuba, elle pour- suit des études d’architecture et d’arts plastiques, épouse un enseignant et s’installe avec lui à puis pour une courte et heureuse période à Paris, après la Seconde Guerre mondiale. Elle y expose un peu au Salon des Réalités Nouvelles. Puis retour définitif à New York. Carmen travaille, elle expose très peu, si peu qu’on l’oublie. On ne s’explique pas vraiment cette mise à l’écart d’une artiste qui était pourtant bien intégrée dans la vie culturelle, a fré- quenté Josef Albers, Jean Arp, Sonia Delaunay… Il faut dire qu’elle ne peint ni paysages cubains ni fleurs tropicales –comme on pourrait l’attendre d’une femme-latino-émigrée… Son art est resté abstrait, sans concession aucune, tout au long de son existence. À peine quel- ques motifs identifiables : des chevrons, des cercles, des damiers…, avec une maîtrise de l’espace qui laisse baba. Des surfaces qui penchent légèrement, introduisant une instabilité, voire un suspense dans ses toiles apparemment simplissimes. Depuis quelques années toutefois, les œuvres sur papier de la cubano-américaine se ven- dent à tour de bras, et se retrouvent dans tous les grands musées. «La ligne droite, pour moi, c’est le début et la fin. Je commence avec une ligne droite horizontale ou verticale et de là naît la lutte…, je cherche toujours la solution la plus simple, la plus épurée, l’essence. La géométrie est la structure de la poésie. Et il y a poésie dans ma vision picturale». Le regard vif, un sourire doux-amer aux lèvres, Carmen Herrera raconte ainsi son expérience de femme artiste dans les années 50 à New York. «Je suis allée voir une galeriste, je lui ai montré mes toiles abstraites. Elle m’a répondu : "Vous êtes meilleure que les artistes hom- mes que j’expose, mais je ne montrerai pas votre travail, car vous êtes une femme". Elle m’a dit cela, de femme à femme. Ça a été comme une gifle» 

 À ces initiatives des musées, il faut ajouter celles du marché de l’art, qui participe et profite de ces redécouvertes. Exemple : l’Américaine Ida Applebroog, 87 ans qui, après avoir travaillé pen- dant des décennies dans sa salle de bain, est au- jourd’hui représentée par une galerie à stature in- ternationale, Hauser & Wirth –laquelle lui fournit studio et assistants, et publie son travail. MANNE. Une manne pour les marchands qui valo- risent des lots entiers d’œuvres, mais aussi pour les artistes concernées. Celles-ci, quand elles tra- vaillent encore, se voient mettre à disposition des moyens supplémentaires. Un positionnement qui oblige à ne pas être naïf : la vogue des femmes artistes est un alibi marchand et correspond à une certaine mode féministe, politiquement cor- recte et soutenue par un marketing cynique. Jus- qu’à une époque récente par contre, les créatri- ces ont dû très souvent composer avec les con- traintes d’une vie normée et le désintérêt d’un mi- lieu très masculin. Seule issue : une production souterraine et chaotique. Domination masculine, enfants et vie de famille de rigueur, discriminations culturelles à l’égard des femmes… Malgré de multiples entraves, des artistes ont cependant réussi à produire dans le silence une œuvre qui sera finalement reconnue sur le tard, voire après leur mort 

Jeanne DUMONT Magali LESAUVAGE

HESSIE «Boîte» [1995]

HESSIE (1936 - 2017)

Carmen Lydia Djuric dite «Hessie», née le 17 avril 1936 à Santiago (Cuba), est décédée à Pontoise (Val-d'Oise) le 9 octobre 2017. Artiste autodidacte, elle a quitté Cuba en 1962. Epouse du peintre Dado, rencontré au début des années 60 à New York, elle devient mannequin –tout en poursuivant patiemment, malgré le silence qui l’entourait, ce qu’elle nomma un art de «survivre par-delà la démission». En 1962, le couple s'installe en France dans un vieux moulin transformé en maison «atelier». Hessie y crée des œuvres textiles, collectant des matériaux pauvres, des objets du quotidien voire des rebuts –papiers d'emballage, vêtements usagés, objets cassés, mais aussi monticules de poussière, végétaux ou peaux d'animaux... –toute chose qu'elle fixe sur des pièces de tissu écrus chinées sur les marchés. Par la suite, entre la fin des années 70 et 2010, on n’entend pratiquement plus parler d’elle. Hessie connaîtra sa première exposition d’envergure dans une institution française aux Abattoirs de Toulouse, après un premier rappel en 2016 à Bruxelles. Féministe, elle était très engagée dans le Mouvement de Libération des Femmes.

Ida APPLEBROOG (1929)

Des femmes, des hommes, des enfants, anonymes et pourtant familiers. Des femmes, des hommes, des enfants… : tels sont, en apparence, les sujets privilégié par Ida Applebroog, une artiste américaine incandescente… Née à New York en 1929, Ida Horowitz a dû attendre la quarantaine pour commencer à exposer sous le nom choisi d’Ida Applebroog. Diplômée en arts appliqués dès 1950, le graphisme et l’illustration ont été sa seule activité jusqu’à ce qu’elle décide d’intégrer l’école d’art de l’Institute of Chicago au milieu des années 1960. A New York, où elle est de retour en 1974, ses dessins et livrets autoproduits popularisent son art au sein d’un réseau alternatif. L’activisme qui caractérise les États-Unis des années 1970 est aussi celui d’Ida Applebroog. Cette dernière s’implique dans des activités proches du mouvement féministe et, sa carrière durant, restera toujours concernée par le statut des femmes. Elle relativise: «Je suis une femme artiste avec des liens féministes» car ses intérêts plastiques sont surtout de tendance humaniste. D’un humanisme cru, quotidien et sans jugement moral. L’artiste, puisant ses images dans les médias, s’appropriant des clichés célèbres, recyclant contes, mythologie ou simplement le contenu informatif de journaux ou magazines…, aborde sans ambages la naissance, le sexe, la mort. L’isolement et l’aliénation, mais aussi, le racisme, le sexisme et la violence sont devenus ses thèmes récurrents. Ils affleurent dans l’évocation dramatisée d’un ordinaire domestique qui, derrière fenêtres ou rideaux, bascule dans une étrangeté anxieuse.

«Sans titre» [1980]

«Love» [1982]

«Modern Olympia» [2001]

«Vous avez besoin d’une ordonnance», articule la laborantine en agitant un bout de papier. Après avoir poussé la porte de quatre pharmacies et avoir reçu la même réponse catégorique, il faut s’y résoudre : impossible d’ache- ter une pilule du lendemain librement en Pologne. «Le produit le plus effi- cace coûte 150 zlotys [36 euros] et la consultation chez un médecin 100 zlotys», explique l’une des pharmaciennes. Une somme, alors que le sa- laire moyen polonais est de 4.200 zlotys par mois, soit environ 1.000 euros. Il reste alors moins de septante-deux heures pour obtenir un rendez-vous chez un médecin, la durée durant laquelle la pilule du lendemain est la plus efficace. Une course contre la montre à laquelle les Polonaises doivent aussi se soumettre depuis l’année passée. Fin juillet 2017, une loi du gou- vernement ultraconservateur Droit et Justice (PiS), au pouvoir depuis 2015, a imposé d’avoir une ordonnance pour acheter ce que l'ex-ministre de la Santé, Konstanty Radziwiłł, a appellé «la pilule d’avortement précoce». URGENCE. Afin de se procurer une ordonnance, il faut d’abord trouver un médecin, qui a toutefois le droit d’invoquer une clause de conscience pour refuser de fournir un contraceptif. Heureusement, il y a internet et les ré- seaux sociaux. On y déniche un collectif de «médecins pour les femmes» créé en juillet. Il réunit 200 professionnels qui s’engagent à fournir gratui- tement une ordonnance pour une contraception d’urgence.

La médecin Natalia Jakacka, à l’origine de l’initiative, explique : «Nous avons environ 20 demandes par jour. C’est énorme. Nous demandons alors aux femmes de nous contacter que si on leur a refusé une ordonnance. Malheureusement, cela arrive souvent, surtout dans les régions les plus conservatrices». Sinon, il ne reste que deux options : la gros- sesse non désirée ou l’avortement. Or, cet acte est interdit en Pologne sauf dans trois si- tuations : en cas de malformation grave du fœtus, en cas de danger pour la femme et en cas de viol. Une des législations les plus restrictives en Europe, avec Malte et l’Irlande. Le gouvernement ultraconservateur espère la limiter davantage encore. Poussé par l’organisation catholique radicale Ordo Iuris, l’Exécutif a essayé de faire passer en 2016 une loi interdisant totalement l’avortement, ainsi que toute forme de contraception. FEMMES EN GRÈVE. Des dizaines de milliers de femmes et d’hommes étaient alors descen- dus dans les rues, poussant le pouvoir à reculer. Ce n’était que partie remise. Début jan- vier, les autorités ont présenté au Parlement «une initiative citoyenne» visant à interdire l’interruption de grossesse en cas de malformation du fœtus, soit plus de 90% des avor- tements réalisés légalement en Pologne. Du coup, les militants de «la grève des femmes» –à l’origine des «marches noires» qui avaient rassemblé fin 2016 près de 250.000 person- nes dans tout le pays– ont, à nouveau, battu le pavé. Face à elles : l’Eglise catholique. Le 31 décembre, la présidence de la Conférence des évêques de Pologne a publié le texte «Aimez, ne tuez pas». Elle y défend la proposition de loi contre l’avortement en cas de malformation du fœtus : «C’est un avortement pour des raisons eugéniques. Il ne peut y avoir de place pour l’assassinat de personnes, surtout d’enfants handicapés et malades !». En réalité, il est déjà quasi impossible de se faire avorter légalement en Pologne. Seuls quelques hôpitaux l’acceptent. Par ailleurs, il n’existe aucun équivalent des plannings fami- liaux comme en Belgique ou en France. La Fédération pour les femmes et le Planning fa- milial, créée en 1991, principale ONG à travailler dans ce domaine en Pologne, ne peut légalement pas fournir de moyens de contraception ou effectuer d’actes médicaux 

 Sa directrice, Krystyna Kacpura, occupe un petit local, au rez-de-chaussée d’un im- meuble d’habitation décrépi. L’intérieur est plus coloré. Dans une vitrine, des dépliants promouvant l’usage du préservatif. «Sous le communisme, l’avortement était autorisé jus- qu’à douze semaines en Pologne, raconte-t- elle. De nombreuses Européennes venaient ici pour se faire avorter, des Françaises, des Belges notamment». «COMMUNISME». Non seulement, l’avortement était légal en Pologne entre 1955 et 1993 mais il était gratuit dans les hôpitaux publics. En 1989, au moment de la fin du régime «communiste», un petit parti chrétien sortira un projet de loi «pour la protection de l’enfant conçu» interdisant l’avortement sous peine de prison pour le médecin pratiquant. Ce pro- jet de loi semblait tellement aberrant aux yeux de la société polonaise, en pleine ébulli- tion sociale, qu’on pensera à une provoca- tion. Face au sursaut populaire, le projet ne sera pas examiné au Parlement. Durant les deux années suivantes –la dégra- dation des conditions économiques due aux transformations ultralibérales entraînant une baisse générale de la mobilisation sociale–, l’Eglise pourra continuer sa propagande pour la criminalisation de l’avortement via ses par- tis ou directement dans les lieux de cultes. Tant que les manifestations étaient suivies par les médias internationaux, les députés polonais renvoyaient le fameux projet en Commission. Mais fin 1992 (la transformation ultralibérale de la Pologne étant garantie, no- tamment par des gouvernements auxquels participa l’extrême droite fondamentaliste), les médias occidentaux cesseront de s’inté- resser à la question.

C’est ainsi qu’en janvier 1993 (après une spectaculaire apparition du chef de l’Eglise polonaise au Parlement où il menaça de retirer le soutien du culte aux réformes ultralibérales), les députés –soucieux de sauvegarder leurs privilèges de nouvelle élite, acquis aux thèses ultralibérales et mas- culins dans l’écrasante majorité– voteront l’interdiction de l’avortement. Lorsque le parti socialiste reviendra au pouvoir en 1993 et surtout après l’élection de M. Kwasniewski (chef du PS) au poste de Président de la République, les électeurs demanderont au gouvernement d’abroger la loi anti-avortement car c’était là une des promesses électorales du parti. Un projet de loi –autorisant l’avortement en cas de danger pour la mère, de malformation de fœtus, en cas de viol et en cas de «situation sociale diffi- cile de la mère»– sera ainsi promulgué, mais le Tribunal Constitutionnel en abrogera la dernière disposition, comme étant contraire à la Constitu- tion. Depuis, l’avortement n’est autorisé que dans les trois premiers cas, mais les obstructions du corps médical sont telles que le nombre d’avor- tements légaux pratiqués est ridiculement bas. Selon la Fédération pour le Planning Familial, il y a –chaque année– entre 80.000 et 200.000 avorte- ments illégaux en Pologne pratiqués par des médecins dans des Cabinets privés pour des sommes allant de 2.000 à 4.000 zlotys (500 à 1.000 eu- ros). Outre les complications que peuvent poser certains de ces actes illégaux (le médecin risque 3 ans de prison), il s’avère que l’interdiction de l’avorte- ment est une façon facile de privatiser l’accès aux soins, un des objectifs majeurs des politiques ultralibérales. Car ce sont les mêmes médecins qui pratiquaient avant 1993 des avortements gratuits et légaux qui effectuent les mêmes actes devenus illégaux pour des sommes extrêmement éle- vées. C’est le montant de cette somme qui détermine aujourd’hui l’accès des femmes polonaises à l’avortement. Une femme aisée peut payer cette somme et ne pas ressentir l’injustice de la loi criminalisant l’acte médical, mais une femme issue des classes défavorisée ou de la campagne n’a comme choix que les avortements sauvages pratiqués par les non- spécialistes –avec tous les risques que cela comporte pour sa vie et sa santé, l’endettement ou l’infanticide… L’EUROPE LAISSE FAIRE. La lutte pour la liberté de l’avortement n’a donc jamais cessé en Pologne, malgré la propagande quotidienne de l’Eglise contre «la culture de la mort» et les attaques parfois physiques des partis d’extrême droite. Mais l’élite politique polonaise est convaincue qu’elle ne peut maintenir le régime politique et social sans le soutien de l’Eglise 

 Il suffit donc à cette dernière de faire un chantage permanent pour que tout projet de loi autorisant l’avortement soit abandonné sans débat politique. Par exemple, l’Eglise a signé en 2000 un ac- cord avec le gouvernement socialiste stipulant qu’elle ne soutiendrait l’adhésion de la Pologne à l’Union Européenne que si les socialistes s’engageaient à maintenir l’avortement interdit. Ainsi fut fait : les so- cialistes ajoutèrent au Traité d’adhésion à l’Union la réserve de maintenir la prérogative nationale sur cette question. Et l’Union lais- sa faire…, les droits des femmes n’étant visiblement pas dans ses objectifs. Selon les sondages, en 1989 70% des Polonais (femmes et hommes) se prononçaient pour la liberté de l’avortement ; en 2003, ils étaient toujours 60% après une décennie de propagande cléricale. HOTLINES. Pour éviter la bataille médicale et judiciaire, beaucoup de Polonaises doivent trouver refuge à l’étranger. En vingt-cinq ans, les cliniques spécialisées se sont multipliées en Slovaquie, en Allema- gne et en République tchèque. Il suffit d’une recherche sur internet pour trouver une kyrielle d’établissements étrangers, dont les sites sont en polonais, avec des hotlines où des opérateurs prodiguent renseignements et conseils. Un business souvent qualifié de «tourisme de l’avortement». Chez Mediklinik, en Slovaquie, avorter coûte 380 euros. «La patiente peut quitter la clinique dans l’après-midi», affirme l’établissement, qui propose aussi le transport depuis plusieurs villes de Pologne. Sur son site, la clinique slovaque Nemocnice précise : «Contrairement aux cliniques en Allemagne ou aux Pays-Bas, vous n’avez pas plu- sieurs jours d’attente». Pour les Polonaises, l’étranger est la stratégie de dernier recours quand il est trop tard pour prendre un traitement abortif par pilules. Ces médicaments ne sont bien sûr pas disponibles en pharmacie. Nouvelle plongée dans les forums et autres groupes facebook. On peut y dénicher deux sites d’ONG de défense des droits des fem- mes où il est possible de se faire livrer depuis l’étranger des pilules abortives ou du lendemain : Women on Web et Women Help Wo- men. La commande met environ dix jours à arriver, «dans un paquet discret». D’autres organismes profitent de la détresse des femmes pour faire circuler des produits factices, voire dangereux.

Et «depuis peu, les douanes se sont mises à arrêter les paquets à la frontière», raconte Klementyna Suchanow, une des leaders du mouvement Women Strike, créé lors des grandes manifestations «pro-choix» de 2016. La voix traînante, le teint fatigué, elle assure que rien n’arrêtera le gouvernement dans sa volonté d’interdire l’avortement : «S’ils essayent de faire voter l’interdiction au Parle- ment, ils ont la majorité. Mais nous descendrons dans la rue comme en 2016. Seulement, ça ne suffira pas. Ils feront inscrire l’interdiction dans la Constitution, car ils contrôlent le Tribunal cons- titutionnel». POLICE DES ÂMES. Le gouvernement n’est pas seulement «anti- avortement», il s’attaque plus largement aux droits des femmes avec la volonté politique de renforcer les idéaux catholiques dans la société. L’été passé, la ministre de l’Education nationale a ainsi supprimé les programmes, déjà facultatifs, d’éducation sexuelle dans les écoles –«alors qu’il faudrait, au contraire, que nos gou- vernants pensent à y promouvoir une éducation sexuelle digne de ce nom, et non des cours de relations conjugales prodigués par des bonnes sœurs !», selon Agata Czarnacka. Plusieurs ONG de défense des femmes se sont vues couper leurs subventions. «Il y a même eu des descentes de police dans plusieurs de nos locaux, ils ont pris toutes nos données. Une tentative d’intimidation», témoi- gne Urszula Nowakowska, Présidente du Centrum Praw Kobiet contre les violences faites aux femmes. «Intimidation» qui fonction- ne : plusieurs femmes leur ont déjà annoncé ne plus vouloir les contacter de peur d’être repérées par la police. Klementyna Su- chanow s’est, elle, faite tabassée par des policiers. «La pression monte, dit-elle. En quelques mois, on a vu des policiers devenir de plus en plus violents. Le gouvernement nous harcèle pour que nous perdions espoir». Mais dans son acharnement, il a réveillé une partie de la population. Le nombre de Polonais en faveur d’une libéralisation de l’avortement a triplé en un an. Et les associations ont vu affluer les dons 

Beata DYMONSKA Jean-Claude SERVIER

Zeny

Est-ce que l’exploitation des femmes philippines –forcées à l’exil et corvéables à merci– finira jour ? un jour ? Oui, un jour viendra… Mais pour qu’advienne cet avenir, il y a lieu d’énoncer le présent pour mieux le dénoncer. Avec des photos, sans clichés. Des hauts-le- corps sans retouches, détourant des servantes qui tendent leurs mains nues et abîmées –leur seule force de travail. Car ces domestiques des temps modernes ont dû quitter leur pays pour devenir femmes de peines –comme tant de leurs compatriotes exploitées à Bruxelles, Paris, Rome, Dubaï ou New York. S’alignent ici des portraits verticaux de femmes assises, impassibles, les mains étourdies posées sur les ge- noux. Rien de bien surprenant, sinon le cadrage en contre- plongée donnant une vision hypertrophiée des tâches manuelles accomplies jusque-là. Hommage autant que réquisitoire, la recen- sion fournit comme unique précision signalétique une une liste de prénoms. Il y a là, Zeny, Mila, Lory, Conchita ou Rose. Cette dernière n’est autre que la mère de Ryan Arbilo, l’auteur des photos 

Lory

Mila

Pink

Conchita

Rose

assem Tamimi remet un morceau de charbon dans le poêle puis refait du café pour les jour- nalistes dans son salon. Il a l’habitude, eux aussi. Chacun a droit à un affectueux «habi- bi», qu’ils soient ici pour la première ou la vingtième fois. Ce lundi, il devait se rendre de nouveau au tribunal militaire d’Ofer pour assis- ter à l’audience devant décider de la remise en liberté ou du maintien en détention de sa fille Ahed. Las, le juge a décidé qu’elle resterait en prison et que le procès se pas- serait désormais à huis clos (prochaine séance mi-mars, l’étirement sans fin de la procédure étant un art militaire). LA GIFLE. Le 19 décembre, les soldats l’ont arrêtée à 4 heures du matin, la sortant de sa chambre aux murs ro- ses couverts de vieux autocollants «Bob l’éponge». Qua- tre jours plus tôt, , 16 ans, avait insulté deux soldats israéliens –qui avaient pris position dans la cour de leur maison pour déloger des lanceurs de pierre–, avant de frapper du pied puis de gifler l’un d’entre eux. Le tout sous les yeux de sa cousine Nour, 20 ans, et devant la caméra du smartphone de sa mère, Nariman, qui diffu- sait l’altercation en direct sur les réseaux sociaux.

EN 2012, alors âgée de 11 ans, Ahed TAMIMI menace un soldat israélien de lui «éclater la tête».

Depuis, la vidéo est devenue virale et l’effigie d’Ahed, menton haut et crinière blonde, s’affiche sur les murs de Cisjordanie comme sur les abribus de Lon- dres. Nour a été libérée sous caution mais Nariman est toujours sous les ver- rous. ÉLEVÉE. Ahed Tamimi n’est pas devenue un symbole cet hiver. Elle l’était déjà avant cette vidéo et, s’il y a bien une chose sur laquelle s’accordent Palesti- niens et Israéliens, c’est qu’elle a été élevée pour ça. Pour être une résistante, une «freedom fighter», comme dit son père avec fierté. Pour être une «provo- catrice», une «actrice», raillent les Israéliens. Voilà presque dix ans qu’Ahed participe aux manifestations hebdomadaires qu’organise son père. Le vendre- di après la prière, des dizaines d’habitants de ce village palestinien d’environ 600 habitants, souvent rejoints par autant d’activistes étrangers et de journa- listes, se mettent en marche vers un cours d’eau de l’autre côté de la route, où se trouve la colonie cossue de Halamish, avec ses fiers drapeaux frappés de l’étoile de David, ses barbelés et ses lotissements proprets à l’américaine. Les habitants, qui depuis des générations ont pris l’habitude de se baigner dans le ruisseau, se battent contre le détournement de la source par les colons qui, peu à peu, l’ont investie et en ont fait une sorte de lido privé. Aux deux entrées du village ont été installées deux lourdes barrières en métal, afin que l’armée, postée dans une base tout près, en contrôle l’accès le jour des manifestations. Lesquelles finissent systématiquement en affrontements, plus ou moins vio- lents 

 Les militaires bloquent la route et balancent grenades assourdissantes et gaz lacrymogène les bons jours, tirent au flash-ball les mauvais. Les enfants du village, les chebab, tentent de débusquer les soldats à coups de pierres selon des tactiques imaginées pendant la semaine. En huit ans, presque un habitant sur six a été arrêté. Les colons, eux, se plaignent des odeurs de gaz. «». Les Tamimi filment tout : les bavures, les insultes, les blessu- res. L’oncle a même fondé une agence d’information au nom du clan, Tamimi Press. Le rituel a conféré une aura internationale à Nabi Saleh, devenu dans l’imaginaire pro-palestinien une sorte de village d’Astérix combattant quasi- ment seul l’occupation dans l’abnégation et la non-violence. Aux journalistes, Bassem Tamimi le répète : si une troisième intifada a lieu, elle partira d’ici. Les Israéliens, eux, y voient le fief de ce qu’ils dénigrent sous le nom de «Pally- wood», un théâtre de la provocation utilisant des enfants comme chair à ca- non pour quelques clics. Une vision flirtant allègrement avec le complotisme, relayée par les plus hautes autorités de l’Etat hébreu. «La famille Tamimi, qui pourrait ne pas être une vraie famille, déguise des enfants avec des vête- ments américains et les paye pour provoquer les troupes de l’" Defence Forces", devant les caméras. Cette utilisation cruelle et cynique des enfants est de la maltraitance !», a osé sur twitter Michael Oren, ex-ambassadeur israélien à Washington et Secrétaire d’Etat à la Diplomatie.

AHED. En août 2015, l’adolescente s’interpose, avec d’autres membres de sa famille, entre un soldat et son petit frère Muhammad 12 ans.

Bassem Tamimi, lui, assume tout, à coups de punchlines que ce militant de longue date du Fatah a eu le temps de peaufiner pendant ses décennies d’activisme, et qui lui ont valu de passer quatre ans dans les prisons israéliennes pour son implication dans la lutte armée. Par le passé, des membres du clan «Tamimi» ont pris part à des actes terro- ristes. «Aujourd’hui, la caméra est l’arme la plus puissante, la plus efficace pour la lutte, théorise le père de famille. Elle nous donne le pouvoir moral sur le pouvoir matériel de notre ennemi. Les Israéliens sont en colère car ils ne peu- vent plus monopoliser les médias. Il y a les réseaux so- ciaux. On filme tout, on peut tout prouver. S’ils veulent dire que c’est du cinéma, ça m’est égal, je me fiche de leur analyse». Régulièrement, une image particulièrement édifiante des vendredis à Nabi Saleh fait le tour du monde. Et à chaque fois, Ahed y sort du lot. En 2012, on la voyait, frêle mais fougueuse gamine de 11 ans, lever le poing face à un sol- dat et le menacer de lui «éclater la tête». Le chef de l’Etat turc, Recep Tayyip Erdogan, lui avait même offert une ré- ception très officielle ainsi qu’un iPhone flambant neuf pour continuer à filmer. Les Israéliens la rebaptisent alors «Shir- ley Temper» –jeu de mots mêlant «sale caractère» en an- glais et une référence à l’enfant-star hollywoodienne Shir- ley Temple. Trois ans plus tard, on la voyait, en tee-shirt rose à l’effigie du Titi de Warner Bros, mordre au poignet un soldat tentant d’immobiliser son petit frère. Le cliché lui avait valu d’être reçue cette fois par le Président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas –à cette occa- sion, Ahed avait revêtu une salopette à motif camouflage. TROUBLE. Bassem Tamimi le sait et en joue : l’apparence de sa fille trouble l’opinion publique internationale. Ses bou- cles blondes, l’absence de voile, ses tenues d’ado, sa lan- gueur mutine très millennial : comme l’a noté un éditoria- liste israélien, on pourrait la croiser au centre commercial et ne pas se retourner. «Quand ils voient Ahed, les Occi- dentaux, qui restent pour la plupart racistes, voient leur fille, explique le patriarche Tamimi. L’oppressée est blan- che. Ça casse le stéréotype du Palestinien basané qui est un terroriste avec une arme à la main. Ça les remue» 

LA PETITE AHED avec ses parents, Bassem et Nariman

 Côté israélien, c’est le geste, l’humiliante gifle, qui a remué l’opinion. Sur la vidéo, les soldats ne bronchent pas pour éviter l’escalade. «Ils ne l’ont même pas arrêtée ce jour-là, ils n’ont pas même écrit un rapport, souligne , l’avocate d’Ahed Tamimi. Ils l’ont arrêtée quatre jours plus tard, après que la vidéo est devenue virale et que les politiques s’en sont mêlés». Dans un premier temps, les commentateurs israéliens ont salué le flegme des militaires, nouvelle preuve de «la moralité» de l’armée israélienne. Mais rapidement, les ténors de la droite nationaliste ont fait entendre une autre musique. Sur la radio de l’armée, , ministre de l’Education et leader des ultranationalistes du Foyer juif, a appelé à ce qu’Ahed et sa cou- sine «finissent leurs vies en prison». Le député du Likoud Oren Hazan, répu- té pour ses outrances, a certes félicité les soldats pour leur «retenue», mais c’était pour mieux expliquer qu’à leur place, il aurait «envoyé ces petites ter- roristes à l’hosto le plus proche», avant de se dire «humilié» par le leadership militaire qui ne laisse pas les soldats «montrer qui est le vrai proprio de la maison». A la télé israélienne, on débat sans fin sur la manière de faire taire une bonne fois pour toutes les Tamimi. La surenchère culmine dans un édi- torial du quotidien Maariv, où le célèbre chroniqueur Ben Caspit estime que «dans le cas des filles, nous devrions leur faire payer le prix à la prochaine opportunité, dans le noir, sans témoins ni caméras». Un sous-entendu inter- prété comme un appel au viol par une partie de la gauche israélienne. «AUCUNE TOLÉRANCE». «Au lieu d’avoir un débat sur l’Occupation, qui est la vraie cause derrière tout cela, la conversation nationale s’est limitée à la meilleure manière de gérer une ado», se désole Hagai El-Ad.

Pour le Directeur de l’organisation B’Tselem, l’affaire démontre qu’il n’y a plus «aucune tolérance pour la résistance palestinienne. C’est presque une blague : si un Palestinien filme une manifestation, c’est du terrorisme médiatique ; s’il demande le boycott, c’est du terro- risme économique ; s’il veut aller devant un tribunal international, c’est du terrorisme légal. Tout ce qui ne consiste pas à se réveiller le matin en remerciant Israël pour l’Occupation est flanqué de cet ad- jectif…». «ASSAUT». Tout indique que la justice militaire israélienne –où le taux de condamnation des Palestiniens est de 99% selon les ONG– veut faire d’Ahed Tamimi un exemple. Avec le corollaire prévisible d’en faire une icône encore plus importante qu’elle n’est aujourd’hui. Douze chefs d’inculpation ont été retenus contre elle, dont presque la moitié pour «assaut» –et cinq contre sa mère, accusée d’incitation à la violence. Certains faits reprochés remontent à plusieurs mois, d’autres sont relatifs à des «menaces» proférées lors de son arres- tation –à une militaire lui demandant ce qu’elle avait fait aux soldats israéliens, elle aurait répondu : «Enlève les menottes et je te mon- tre». Le week-end du 6 janvier, a dévoilé les images cho- quantes du visage défiguré de son cousin Mohammed, 15 ans, tou- ché en pleine tête par une balle en caoutchouc une heure avant le tournage de la vidéo. Preuve que non, décidément, ce n’est pas que du théâtre. Bassem Tamimi, lui, a un «volcan» dans le ventre. «Je suis triste, je suis inquiet, mais je suis aussi fier et confiant. Ahed est très forte. Elle est devenue l’esprit de sa génération». Il n’a aucun regret mais s’agace quand on demande s’il a sacrifié l’enfance de sa fille pour la cause. «Oui, j’ai entraîné mes enfants pour résister, dit-il. Mais s’il n’y avait pas l’Occupation, j’enverrai ma fille à son cours de danse» 

Guillaume GENDRON

LA MILITANTE est incarcérée depuis le 19 décembre à la prison militaire d’Ofer