la plaine, la poésie

bulletin de l’association des amis de Gustave Roud © Charles-Antoine Subilia © Charles-Antoine Gustave Roud, Promenade bordée de hauts arbres, 1957. Visages et paysages de Gustave Roud L’éclectisme de ce numéro est jusqu’à la mort, mais cultivant à l’image de l’année 2015, des une certaine retenue, comme nombreuses manifestations pour mieux « donner la route ». culturelles, publications et autres rencontres dont Gustave Roud paysans carrougeois était aussi, L’ami des jeunes poètes et des constitue le cœur, plus palpitant on le sait peut-être moins, celui des ouvriers agricoles italiens la richesse de l’œuvre, tant venus travailler en Suisse littéraireque jamais. que Il photographique,reflète également romande ; de même, l’arpenteur du Jorat a parfois délaissé sa qui se prête à des interprétations pénéplaine pour des paysages etdu des poète évocations carrougeois, sans une cesse œuvre transalpins. Ainsi, de nombreuses renouvelées. photographies, dont le portfolio de ce numéro propose un aperçu, Daniel Maggetti, « il existe conservent la trace d’un autre plusieursC’est que, Gustavecomme leRoud suggère », et nous regard de Roud, tourné vers l’Italie et ses habitants. dévoiler les multiples facettes. Ce numéro se place donc bien Dansn’avons ces certainement pages, s’il est pas question fini d’en sous le signe de la diversité ;

et diversité des relations que diversité des visages du poète, tangibledu poète émerge et du photographe, également : unecelle son œuvre continue de nouer defigure l’épistolier, à la fois maïeuticienplus intime età sesplus entre spécialistes, amateurs et néophytes de tous horizons. heures pour un certain nombre d’écrivains débutants (dont Yves E. B.

Velan et Pierre-Alain Tâche), fidèle 2 Actualités

Un site internet : Chez Gustave Roud : une demeure en poésie. Fruit d’un travail collectif dirigé Anne-Frédérique Schläpfer par Antonio Rodriguez, le site (dir.), avec des photographies www.gustave-roud.ch a été de Philippe Pache et de Gustave totalement renouvelé pour créer Roud, accompagnées de textes un nouveau lieu de référence et de Georges Borgeaud, Philippe de médiation où sont présentées Jaccottet, Antonio Rodriguez et valorisées tour à tour les et Pierre-Alain Tâche, Gollion, Infolio, octobre 2015. qui fut également épistolier, diariste,nombreuses traducteur, facettes critique, du poète, éditeur et photographe. Les Pendant plus d’un demi-siècle, galeries thématiques, proposant Roud a vécu dans une ferme bourgeoisele poète et photographe de Carrouge, Gustave dans le souvent inédits, permettent Jorat vaudois. Cette demeure, qui auprès public de 200 de clichésmesurer de toute l’auteur, fut au centre de la géographie Correspondance C.F. Ramuz - l’ampleur et l’intensité de l’activité littéraire romande, reste un lieu Gustave Roud, édition établie et photographique de Gustave Roud. incontournable pour comprendre commentée par Ivana Bogicevic On trouvera également sur les liens et les amitiés en poésie. et Daniel Maggetti, ce nouveau site, désormais La maison accueille de nombreux Cahiers Gustave Roud, n°16, accessible en français et en à paraître en 2016. anglais, une biographie détaillée (, Philippe jeunes poètes de l’après-guerre et abondamment illustrée, des Jaccottet, ), documents audiovisuels rares, leur laissant un souvenir des informations pratiques et un saisissant. Elle représente un lieu exceptionnel de rencontre mais mis à jour. aussi d’écriture que Gustave Roud fil d’actualité régulièrement gustave-roud.ch a mis en scène et photographié.

Trois livres :

Gustave Roud : La plume et le regard. Philippe Kaenel, Daniel Maggetti (dir.), livre collectif illustré de l’année Gustave Roud 2015, Gollion, Infolio, octobre 2015.

Avec la collaboration de Ivana Bogicevic, Sylviane Dupuis, Claire Jaquier, Philippe Kaenel, Dominique Kunz Westerhoff, Daniel Maggetti, Grégoire Mayor, Bruno Pellegrino, Stéphane Pétermann, Guy Poitry, Antonio Rodriguez, François Vallotton, et Irene Weber Henking. Entretien 3

Lettres de Gustave Roud à Yves Velan : Souvenirs d’une amitié « profonde et égalitaire »

Alors que les esthétiques de Roud et de Velan se situent aux antipodes, que leurs conceptions de la littérature divergent même enEva bien Baehlerdes points, la nécessité de la poésie et l’importance vitale, souvent douloureuse, du geste d’écrire les réunit, tout comme leur réserve à l’égard d’une certaine effervescence mondaine.

Originaire de Bassins, dans le canton de , Yves Velan

étudesnaît en de1925 lettres à Saint-Quentin, à l’Université en de France. Lausanne, Il est avant l’élève d’être de engagéGeorges durant Nicole deux au collège ans comme de Nyon, lecteur puis àentreprend l’Université des de Florence. Co-fondateur de la revue littéraire anticonformiste Rencontre (1950-1953) avec entre autres Henri Debluë et communiste. Frappé de l’interdiction d’enseigner dans le cantonMichel Dentan,de Vaud Velanen raison manifeste de ses trèsconvictions jeune son politiques, militantisme il est nommé au Gymnase cantonal de La Chaux-de-Fonds en 1954, où il travaille jusqu’à sa retraite en 1991 ; entre-temps, il effectue également deux séjours aux Etats-Unis, en qualité de professeur de littérature (1965-1966 puis 1968-1978). Auteur de quatre romans (Je, 1959, La Statue de Condillac retouchée, 1973, Soft Goulag Yves Velan vers 1988. © Alan Humerose Le Narrateur et son Energumène n’a pas été publié à ce jour), d’essais, d’un conte pour, 1977 enfants — le ( Lequatrième, Chat Muche , littérature. De l’écriture de Roud, il est en effet peu question, et si celui-ci apparaît d’enseignant, une importante activité de critique littéraire. à la fois bienveillant et discret à l’égard Son1986), œuvre, il a aussi couronnée exercé, par en parallèlele Prix Ramuz de sa enprofession 1990, est du travail de Velan, de vingt-sept ans son engagée, exigeante et inclassable. Selon Pascal Antonietti, cadet, il évoque surtout, avec la distance 4 elle se caractérise par « la place du sujet dans la société, (et parfois l’autodérision) que l’on connaît , les rapports avec l’Autre, la nécessité d’une production son quotidien carrougeois, sa fascination culturelle exigeante, qui lutte contre l’uniformisation pour l’Italie, le poids de ses obligations rampante et joue un rôle de perpétuelle mise en question alimentaires et sociales, ou encore leurs amis politique et esthétique »1. communs tels Jacques Chessex, et surtout Georges Nicole, dont Velan contribuera à 5 Vingt-trois lettres de la main de Gustave Roud adressées éditer les écrits posthumes .

1. Pascal Antonietti, Yves Velan, Amsterdam et New York, de La Chaux-de-Fonds2, dont la plupart ont été publiées Rodopi, 2005, p. 8. à Yves Velan et conservées à 3la Bibliothèque de la Ville 2. Ms/102/421 et Ms/102/482. dans la revue [vwa] en 1998 , témoignent de la profonde 3. [vwa], n°25, « Le Cabinet des manuscrits », printemps 1998, p. 103-138. 4. Voir notamment Gustave Roud, Correspondance 1920- 1959, Gustave Roud Georges Nicole, éd. établie par Stéphane laisseamitié entrevoir qui a lié les l’intensité deux hommes d’une relation entre la dontfin des le cimentannées 40 Pétermann, Gollion, Infolio, 2009, p. XII-XIII. et la mort du poète carrougeois, en 1976. Cet échantillon 5. Georges Nicole, Poésie, avant-propos d’Yves Velan, ne se limite bientôt plus à l’épistolaire, ni même à la Lausanne, Ed. Carrérouge, 1961. 4 Entretien

Propos recueillis Ensuite je lui ai rendu visite La littérature en général ou par les textes de ses amis ? déménagement à La Chaux-de- La Chaux-de-Fonds, le 2 mai 2015. Y. V. : Aussi ce que faisaient assez régulièrement, mais mon Eva Baehler ses amis. Mais il n’aimait pas Fonds a raréfié nos entrevues. tellement ce que je faisais car Quel est le rapport que vous avez On devine à travers les sa conception de la littérature entretenu, que vous entretenez réponses de Roud et ses allait à l’encontre de la mienne. aujourd’hui avec l’œuvre de encouragements concernant À l’époque, pour moi, la Gustave Roud ? ce qu’il appelle votre « Ingens littérature était étroitement Opus » que vous vous êtes souvent liée au désordre nécessaire, Yves Velan : De Roud, je garde ouvert à lui au sujet des difficultés à la révolution. Pour Gustave le souvenir d’une amitié liées à l’écriture. Diriez-vous Roud, c’était quelque chose qui profonde et d’une admiration qu’il a joué pour vous un rôle de devait être largement libéré des pour l’homme et l’œuvre. Roud confident, voire de conseiller ? liens de la terre. La littérature n’appartenait pas au terrestre. premier plan. Je ne sais pas Y. V. : Il n’est jamais entré en Encore que… Il savait faire des sirestera l’œuvre pour de moiRoud un avait poète une de choses extraordinaires de la importance stylistique pour moi, faisais. Il y avait de sa part une matière vis-à-vis de ce que je mais morale, dans tous les cas. réalité la plus commune. Il n’y La stylistique chez lui n’est pas et d’empathie. avait pas de ressemblances sorte de confiance absolue entre nous, sinon par la position est donné par le texte et son Au long de ses lettres, il manifeste que nous avions à l’égard essence,sur le devant il n’y de a jamais la scène. un Tout mot pourtant un souci régulier de de la littérature. de trop ou de pas assez, c’est l’avancement de vos textes, mais à la fois retenu et ardent. lui-même demeure très discret, Roud mentionne vos « escrimes voire pudique sur ses propres pro- et antiramuziennes » (lettre 6, Y a-t-il un texte de Roud qui vous créations. Lui arrivait-il d’aborder p. 116)1, auxquelles, semble-t-il, a marqué tout particulièrement ? la question dans d’autres vous vous adonniez souvent. contextes (ou d’autres lettres) ? En quoi consistaient-elles ? Y. V. : Non, j’ai un grand respect pour la cohérence de l’ensemble. Y. V. : Non… tout ce qui relevait Y. V : Si je peux me permettre, je ne du pratique dans le texte supporte pas Ramuz. À l’époque, Du fait des ellipses de la je participais à la déférence correspondance, le lecteur transposition dont on ne parlait générale…. Mais un doute s’est passait par une très longue y pénètre pour ainsi dire pas. À propos de l’écriture, ensuite manifesté chez moi et in medias res, par une lettre dont le ton est déjà fort amical. avec Georges Nicole. est tellement vaudois ! Roud, il était en revanche en confidence s’est confirmé depuis. Ramuz Mais à quelle occasion cette lui, est toujours resté un peu à correspondance a-t-elle débuté ? Dans une longue épître, il évoque distance… Je crois qu’il n’a jamais votre roman Je, notamment en été absolument subjugué par un Y. V. : C’est moi qui ai pris ce qui concerne la question de la écrivain. Il éprouvait beaucoup l’initiative de lui écrire. Il était réception de l’œuvre en Suisse d’estime pour Mallarmé. Ponge romande… mais il reste en même était trop concret. répondait toujours aux lettres. d’abord très poli et strict, mais temps relativement laconique sur le roman lui-même. En savez- Mais la figure littéraire qui début, puis notre amitié est vous plus sur « Roud lecteur de demeure la plus présente dans devenueJ’étais très profonde impressionné et égalitaire, au Velan » ? ces lettres est Dino Buzzati, et d’abord à travers les lettres, son roman, Le Désert des qui étaient des moments Y.V. : Ce qui me frappe toujours, c’est Tartares (1940)… comme détachés de l’existence. la distance avec laquelle il lisait. Entretien 5

Y. V. : Oui, c’est un texte qui a Dans ses lettres, Gustave Roud d’« aristocratisme », quelque beaucoup compté dans son apparaît comme un homme chose d’altier. existence. Pourquoi, je ne très occupé, courant après le pourrais le dire. Il faudrait temps et s’excusant beaucoup Vous étiez l’ami de Roud, que je le relise. Mais lui a été de ne pas en avoir assez pour mais aussi son collaborateur, notamment à l’occasion de véritablement happé. vous écrire ou pour vous voir la publication des poèmes de plus régulièrement… Cela, en Georges Nicole… Comment s’est Existait-il d’autres écrivains plus du fait que vous avez vécu mis en place ce projet commun ? dont l’admiration vous liait, ou longtemps à l’étranger, a-t- Y en a-t-il eu d’autres ? au sujet desquels des désaccords il eu une incidence sur votre provoquaient des discussions correspondance ? Y. V. : Je n’en ai que de vagues aussi animées que les joutes souvenirs, mais nous avions peu Y. V. : Le contact a été maintenu. autour de Ramuz ? parlé de la « fabrication ». Nous appartenons à un type de N’oubliez pas que j’étais un Y. V. : Avec [Georges] Nicole, nous personnes pour qui, quand nous môme par rapport à lui… avions de longues discussions donnons notre amitié, il n’est plus nécessaire d’en discuter La dernière lettre publiée dans la la réalité ou l’essence. revue [vwa] date du 4 mai 1967, littéraires. Avec Roud très peu. sans nous occuper d’un livre, et l’ultime missive consultable à Nous restions une après-midi dans une sorte d’immédiateté la Bibliothèque de la Ville de La « Il n’y avait pas de de la vie qui mettait la littérature Chaux-de-Fonds du 5 août 1968… de côté. Il faut dire que j’avais ressemblances entre nous, Que s’est-il passé après ? conscience de la grandeur sinon par la position que Y. V. : La correspondance a poétique de Roud qui m’a nous avions à l’égard continué jusqu’à sa mort… longtemps intimidé. de la littérature. »

Il est très souvent question de avaientÀ la fin, d’autantelle s’est plusfaite d’acuité moins l’Italie dans les lettres de Roud : En tant que proche de Roud, querégulière. son corps Ses problèmes était confronté moraux ses paysages, ses peintres, ses comment compreniez-vous son à la souffrance. villes. À de nombreuses reprises, choix de mener une « vie de reclus quasi-absolu » (lettre 13, Roud confie vous envier votre De manière générale et d’un p. 126), ou encore son « angoisse mobilité, et notamment vos point de vue extérieur, quelle de rencontrer des visages nombreux séjours en Toscane. est pour vous l’importance et la inconnus » (lettre 17, p. 132) ? Avez-vous eu l’occasion d’y pertinence de ce « genre » qu’est aller ensemble ? Y. V. : Tout dépendait du degré la correspondance d’écrivains ? Y. V. : Non. C’était un homme Y. V. : Du point de vue de à cloisons. Il ne fallait pas de confiance qu’il accordait aux l’esthétique, celle de Roud est mélanger les différents cantons gens. Quelque chose de très toujours épatante. Ce sont de la vie. Mais il y avait chez son homosexualité (nous n’en difficile à porter pour lui était des lettres qui sont des textes. Roud une amitié pour l’Italie avons jamais parlé et je ne crois Plusieurs de ses lettres sont masculine et prolétarienne. Il est pas qu’il en ait parlé à qui que ce souvent intervenu en faveur des façon de se rendre maître ouvriers agricoles italiens ; je ne par un reproche permanent demagnifiques, la réalité immédiate on saisit cette soit). Il était très isolé et assailli connais pas les détails, mais il émanant de la religion. Il et la restituer au monde dans leur apportait son aide pour la sa grâce et sa profondeur. lecture et l’écriture. Il y avait à-vis de lui-même beaucoup entre eux une chaleur mutuelle, pluséprouvait qu’à l’égard de la méfiance, d’autrui. vis-Et profonde et chaste. aussi dans la façon d’aborder 1. Toutes les références renvoient à [vwa], n°25, l’existence : il y avait une sorte « Le Cabinet des manuscrits », printemps 1998. 6 Année Gustave Roud

« La quête d’un accord entre soi et le monde »

de la formation, de la jeunesse et de la culture du Canton de Vaud, a prononcéMadame la cette Conseillère allocution d’État à l’occasion Anne-Catherine de la soirée Lyon, de cheffe lancement du département de l’année Gustave Roud, le mardi 5 mai 2015 à la Grange de Dorigny.

Pour célébrer les cinquante ans de sa création, le Centre de recherches sur les lettres romandes a choisi d’honorer des plus marquants au xxe un poète d’expression française inscrivant une œuvre sensible siècle : Gustave Roud. Ce poète, également un rôle clé dans laet vieciselée littéraire au fil des annéesans, a joué 1930 et jusqu’à sa mort, servant de

romande,figure tutélaire comme pour Chappaz, d’autres Jaccottetpoètes et etécrivains Chessex en notamment. Suisse Se rassembler pour célébrer Gustave Roud, ses écrits, ses La Conseillère d’État Anne-Catherine Lyon. Félix Imhof © UNIL Roud lui-même était à l’affût des participe d’un mouvement connaître son œuvre. Par son de traverser le siècle et de faire déjàphotographies, bien ancré sesdu vivantinfluences, de choix, le CRLR fait preuve d’un la mémoire de certains paysages, signes. Il a tracé dans ses poèmes l’auteur. Roud avait d’ailleurs été attachement indéfectible à sa ceux de la plaine — opposés mission de valorisation d’un aux paysages alpins — et plus patrimoine littéraire. Célébrer précisément les paysages du enparticulièrement 1957, à l’occasion fêté de pour la son le jubilé d’une institution par Jorat. Il a su exprimer sa quête Fêtesoixantième des Lettres anniversaire, vaudoises, d’absolu ainsi qu’une forme durant laquelle de nombreux plutôt que par un kaléidoscope de désir vibrant dans tous ces le biais d’une grande figure — écrivains et artistes lui avaient des possibilités de recherche paysages. La solitude qui fut la rendu hommage. offertes par de multiples fonds sienne au quotidien, dans un d’archives — est un choix monde rural dont il se faisait En cette année 2015, le CRLR pertinent, fort, que le Conseil le témoin essentiel, apparaît comme le pendant paradoxal de la place centrale qu’il occupait depropose professionnels, diverses voies partenaires d’accès 2015d’État sous a soutenu le signe en de acceptant Gustave déjà alors dans le monde des institutionnelsà ce poète, grâce et à amis un réseau — Roud.de placer officiellement l’année lettres — et qu’il est juste de à l’image des rencontres et rendre encore plus visible amitiés qui ont permis à Roud aujourd’hui. Année Gustave Roud 7

La visibilité de cette œuvre, Roud que vise cette année nous la devons notamment à de célébrations multiples, les curieux en grand nombre, un réseau d’amitiés, au rang grâce à plusieurs publications, etœuvre. servira J’espère d’initiation qu’elle pour attirera expositions et créations certains, tant à la poésie qu’aux Jaccottet a joué un rôle essentiel visuelles. paysages, grâce à diverses dansdesquels la mission le poète d’édition Philippe formes d’expression. L’Université posthume de l’œuvre de Roud. En tant que cheffe du de Lausanne rassemble département de la formation, ses forces pour célébrer le en 1976, l’Association des Amis de la jeunesse et de la culture, deUn Gustavean après Roud la mort a été du fondée, poète les collaborations entre poète, avec les éclairages et ayant parmi ses objectifs de sciences et cultures, hautes Faculté des lettres et du Centre impulsions scientifiques de la valoriser certains inédits ainsi écoles et musées, toutes de recherches sur les lettres que la correspondance de Roud institutions qui entretiennent romandes. L’Association des une mémoire culturelle Amis de Gustave Roud œuvre de son temps. J’aimerais saluer vivante dans notre Canton, comme centre névralgique des lesavec présidents diverses figures successifs littéraires de cette association qui ont œuvré pour à cœur. À l’exemple de la activités autour du poète. Quant la visibilité de l’œuvre de Roud : me tiennent particulièrement cantonale et universitaire, le aux institutions (la Bibliothèque à Lausanne, qui collabore professeure Claire Jaquier, et depuisCinémathèque plusieurs suisse, années sise avec Burnand à , la Maison Musée de Pully, le Musée Eugène le poète Pierre-Alain Tâche, la la section d’histoire du cinéma de l’écriture de la Fondation Rodriguez, actuel président. C’est de l’UNIL. Un lien plus étroit Michalski à Montricher), je suis grâcele poète à leurs et professeur efforts successifs Antonio et entre ces institutions remonte ravie qu’elles participent à cet conjoints que le Sentier Gustave à 2010, avec la signature heureux mouvement Roud de Carrouge, par exemple, d’un accord. Cet accord vise de célébration. a pu être imaginé puis créé, avec à valoriser la richesse des l’appui du Canton de Vaud. Roud nous réunit tous ici dans et à mettre à disposition des un temps suspendu, opposé Ce sont également trois chercheusesfonds de la Cinémathèque et chercheurs, au frénétisme de notre époque personnalités qui se sont étudiantes et étudiants de hyper-connectée. Je vous succédé, en cinquante ans, l’Université de Lausanne des propose de célébrer cette année à la tête du Centre de recherche ressources quasi inépuisables. 2015 comme celle d’une quête sur les lettres romandes : le Que l’université soit ouverte d’un accord entre soi et le professeur Gilbert Guisan, sur la cité et que la recherche monde, tel que le cherchait fondateur, la professeure Doris qui en émane trouve une Jakubec, de 1981 à 2003, puis le valorisation pour toute la le poète. professeur Daniel Maggetti, aux société, voici pour moi une commandes des célébrations source de grande satisfaction. de cette année jubilaire. Il Ce mouvement même, on m’importe de citer les noms de le retrouve au cœur de ceux qui ont permis à un champ l’événement qui nous de recherche de s’établir — celui réunit aujourd’hui. des lettres romandes — puis de rayonner par leurs travaux Revenons donc à Gustave et ceux de leurs collaboratrices Roud. L’année qui s’ouvre et collaborateurs, vers une devant nous, avec tous dimension internationale. ses rendez-vous culturels C’est aussi la reconnaissance passionnants, a été imaginée étendue de l’œuvre de Gustave par des connaisseurs de son 8 Année Gustave Roud

« Le monde des signes et l’univers des choses »

Discours prononcé par Daniel Maggetti lors du vernissage de l’exposition consacrée à Gustave Roud, Le monde des signes et l’univers des choses, dont il était le commissaire, et qui s’est tenue à la fondation Jan Michalski de Montricher en automne 2015.

part souterraine, annoncée ou en devenir, des œuvres et des livres, Daniel Maggetti part qui n’a souvent jamais été Il existe plusieurs Gustave Roud. vue jusque-là par le public. Pendant longtemps, il a été vu Intitulée « Le monde des signes rare qui, à défaut de tour d’ivoire, et l’univers des choses », vivaitdans le à publicl’écart commedans sa leferme poète expression reprise de « Visite familiale, entouré de chats et de au moulin », un texte de 1931, l’exposition se propose de intervalles, quelques recueils montrer comment et combien fleurs, publiant, mais à de grands Roud a été un homme aux un paysage, celui du Jorat, qu’il nombreuses facettes, un sillonnaitde prose poétique. en promeneur, Écrivain il était lié à écrivain aux activités littéraires et culturelles multiples, un les écrivains romands des travailleur acharné, aussi, générationsun point de repèresuivantes, pour Jaccottet,

Chappaz ou Chessex, pour ne Le bureau de Gustave Roud dans un miroir, 2010. personnelle et originale nommer qu’eux, qui faisaient © AAGR, Ph. Pache. desconjuguant mondes de et manièredes « la traversée » jusqu’à d’une condition d’isolement pratiques artistiques. Carrouge pour baigner dans d’un autre ordre, tels sont L’exposition s’ouvre par un les deux Gustave Roud les de sa présence. Une sorte de survol biographique, en partie plus couramment pratiqués. monument,l’atmosphère de quasi témoignage, mystique ou illustré de photographies, qui L’exposition montée de bloc erratique, c’est selon. met rapidement en évidence à la fondation Jan Michalski de Montricher a pour ambition décolorée par le temps, s’est sa jeunesse, du monde paysan de dépasser l’une et l’autre substituéeÀ cette image depuis d’Épinal, quelques un peu etl’imbrication de l’univers chez de l’écriture. Roud, dès années celle d’un autre Gustave image. Il s’agit d’une exposition Cette introduction veut aussi Roud : photographe amateur de documents littéraires issus rappeler que Roud a été, depuis de corps de paysans au torse essentiellement des archives de les années 1930, un écrivain dénudé, celui-ci aurait couru les l’écrivain, conservés au Centre reconnu, apprécié de ses pairs campagnes essentiellement pour de recherches sur les lettres et en contact avec eux. En écho à les capturer avec son objectif. romandes de l’UNIL : il faut donc aimer prendre son temps intitulée « Aimé(s) » propose pour lire les traces qui ont été unecette galerie entrée de en portraits matière, dela partie photographies interposées, exhumées, et apprécier cette Poète confiné ou vexillaire, par plusieurs des figures de paysan Année Gustave Roud 9

L’exposition est accompagnée grandes passions de Roud, d’un catalogue qui en donne enfin, met l’accent sur une des transposant.qui ont inspiré l’œuvre du poète, le parcours en condensé. Les et qu’il y a mis en scène en les sous les différentes formes auteurs qui y ont contribué Les cinq sections de la partie qu’ellecelle des a prisesfleurs, chezen la lui, déployant dans la m’ont également assisté dans centrale de l’exposition photographie, dans la presse, la mise en place de l’exposition, illustrent, par des manuscrits, dans sa production poétique. notamment en contribuant aux des dactylogrammes, des panneaux introductifs de chaque imprimés et des photographies, Ces parties d’exposition ne section : il s’agit de Claire Jaquier, les axes de l’activité littéraire constituent nullement, et pour Irene Weber Henking, Ivana de Gustave Roud. Le parcours cause, des secteurs étanches : Bogicevic, Bruno Pellegrino et commence par une évocation en parcourant l’ensemble, on Stéphane Pétermann, que je de sa création poétique, qui constate combien les contenus remercie vivement, tout comme conduit de la note de journal de chacune d’entre elles se la Fondation Jan Michalski, au volume imprimé, en passant jouxtent, jusqu’à se superposer et en premier lieu Natalia par l’étape intermédiaire de la parfois. Un engagement littéraire Granero. Alain Julliard, pour publication en revue. La presse comme celui de Gustave Roud le graphisme, et Laurent Pavy, est précisément au cœur de la n’est pas réductible à des cases pour la scénographie, ont donné séparées, et c’est plutôt à une à l’espace et aux éléments qui un aperçu des relations de Roud circulation entre la production le structurent une physionomie deuxième section, qui présente avec les périodiques par lesquels poétique et la collaboration originale. Avec les institutions il est fréquemment sollicité, aux revues, entre celles-ci et la prêteuses, les ayants droit et l’Association des Amis de et auxquels il propose des pratique de la critique, entre le Gustave Roud, en particulier son contributions sous forme commentaire et l’édition, que le président Antonio Rodriguez, de textes, mais aussi de public est invité. toutes ces personnes ont apporté section se penche sur l’activité un concours décisif à une dephotographies. critique littéraire, La troisième que Roud Un engagement littéraire manifestation qui veut rendre exerce depuis les années 1920, comme celui de Gustave en ambassadeur infatigable Roud n’est pas réductible à œuvre toutes deux à même, pour lehommage dire avec à Philippeune figure Jaccottet, et à une des cases séparées romands. Dans la section de plusieurs de ses confrères outre l’étendue, la profondeur d’ouvrir pour nous entièrement, qu’accompagnateur de textes Seul élément absent, la critique du temps. d’autrui« Éditer »,que c’est nous Roud rencontrons, en tant artistique, qui fera l’objet, dans à travers son engagement à la le cadre des manifestations Guilde du livre, notamment, mais de « L’Année Gustave Roud », aussi comme responsable de d’un volet de l’exposition qui l’édition des Œuvres complètes de se tiendra au musée de Pully Ramuz ou de celle d’un roman de d’octobre à décembre 2015. Félix Vallotton. Avec « Traduire », On en retrouve cependant un on découvre le passeur entre aperçu grâce à un des cinq l’allemand, et l’italien, et le français, non seulement au mandaté par l’Université de films réalisés par David Monti, sein d’un espace éditorial, mais Lausanne, qui donnent la parole aussi en lien avec des milieux à des spécialistes de l’œuvre de qui en sont fort éloignés, Roud, dont ils présentent chacun comme l’entreprise bâloise un aspect marquant. Geigy. La section « Herboriser », 10 Conférence

Roud et les natures mortes

Cet article est tiré de l’ouvrage Gustave Roud : La plume et le regard, dirigé par Philippe Kaenel et Daniel Maggetti, publié au mois d’octobre dernier chez Infolio. Philippe Kaenel, professeur d’histoire de l’art à l’Université de Lausanne, y analyse la place essentielle qu’occupe le genre de la nature

photographiques. morte chez Gustave Roud, ainsi que ses influences, tant picturales que

parfois nocturnes, dans lesquelles l’écrivain s’inscrit par tables de travail soigneusement des fleurs, omniprésentes. Ces Philippe Kaenel procuration et par réfraction. La composées donnent le sentiment Gustave Roud avait un sens de pipe, la plume, la page, le livre, la que l’écrivain vient de les quitter. lampe de travail sont agrémentés l’image affûté par une longue Elles prolongent son regard pratique mais aussi par l’usage d’un appareil Rolleicord. Il faut des paysans amis et aimés (le par les photographies des figures performative, à la façon d’un noter que l’opérateur tient cet portrait encadré d’Olivier avant et sa présence de manière journal visuel, comme dans appareil sur le ventre et cadre tout, mais aussi Edmond Thévoz, son sujet inversé sur un miroir ami de gymnase de Gustave cet extrait de 1917 : carré dépoli — ce qui explique et dédicataire de son premier non seulement le format des recueil, Adieu), ainsi que par clichés pris par Roud, mais encore favorise leur qualité « Je regarde 1 construite : une image se forme, devant moi : quadrangulaire, cadrée, puis des boîtes, une pipe, un couteau, Nulfixée autre par le genre déclencheur. que la nature un vase bleu morte ne permet un tel contrôle et transparent, formel et ludique, une telle deux violettes manipulation des sujets et mortes au fond, des effets. Roud s’y adonne et ma main qui avec assiduité, tant en noir et avance sur cette blanc qu’en couleur. Il faut ici ligne, s’agitant de fruits prises en plein air, qui drôlement avec le nedistinguer ressortissent les vues pas de au fleurs genre et bec d’or qui laisse de la nature morte proprement dite, en intérieur. Deux pôles se mots […] »2. derrière lui ces

dessinent, entre les scènes de © Charles-Antoine Subilia © Charles-Antoine tables de travail et bibliothèques, Gustave Roud, Vases remplis de fleurs et photographie d’Olivier Cherpillod devant une bibliothèque, 1915-1936. comprennentet les natures mortesdiverses florales vues, et « domestiques ». Les premières Conférence 11

l’importance des choses dans leDès rapport 1919, Roudau monde souligne qui fonde sa poétique et que la nature morte médiatise et formalise :

« Posé sur chaque chose, [mon regard véritable] l’épuise lentement, et je savoure tout objet pour lui-même et pour l’accord qu’il forme avec d’autres, sans rien sentir d’autre en moi lui répondre et lui donner un sens ; c’est dire que je ne peux plus traduire, et moins encore interpréter l’univers visible, mais seulement transcrire ce qui transparaît sous l’incessante variation

de l’heure, de ses Subilia © Charles-Antoine 3. Gustave Roud, Fleurs dans un vase sur une table, avec photographie d’Edmond Thévoz au mur, 1915-1936. éléments éternels […] » Il revient sur cette question dans son journal, en 1924 : reniés au même moment les Quoique photographe amateur, photographes publicitaires il sait exploiter avec grand art sa hampe orange touchant le le potentiel des divers supports. « Sur une fenêtre, un clivia fleuri écoles d’art de tradition Tandis qu’il privilégie les subtils français et les élèves des verre épais du plateau rouge germanique, du Bauhaus à pan de bois bleu. Cruche de grès, et noir. L’odeur de cigare des l’école de Gertrud Fehr à Vevey et de netteté dans le noir et jeux de valeurs, de matières dimanches d’hiver. Aux murs un blanc, il explore la couleur de dessin et une huile de Paul, une nature morte d’Auberjonois — il utilise en effet les plaques me semble que je commence à autochromesmanière plus picturale.produites Roudpar saisir ce qu’il m’est possible de Guerre mondiale. Ses essais 4. (deuxLouis Lumièrecents sont dès conservés) la Première transposer, quelle matière offre prise à mon action poétique […] » dans cette technique très au cœur de son « action Walter Peterhans, Nature morte, vers 1928–32. uniques) se sont poursuivis Les effets de matières sont desparticulière années durant, (il s’agit jusqu’à de positifs ce les fruits, les vases, les que les pellicules Agfacolor et photographique ». Les fleurs, Kunstgewerbeschule de Zurich. tissus, les channes, services (dès 1940), en passant par la Kodachrome ne l’emportent à thé, quelques bijoux se Roud aurait sans doute été combinent, s’équilibrent sous séduit par les natures mortes pour des raisons pratiques et des éclairages extrêmement du professeur du Bauhaus, économiques.après leur introduction Certaines en natures 1936, soignés, avec des effets de Walter Peterhans, et par tous les mortes autochromes de Roud netteté d’un professionnalisme travaux conduits dans l’esprit de n’auraient sans doute pas été consommé, que n’auraient pas la Nouvelle Objectivité. reniées par la génération des 12 Conférence

Roud, qui appartient à la génération suivante, a choisi d’expérimenter seul de son côté, tout en se tenant sans nul doute au courant de l’actualité.

« Le seul ou plutôt le principal de mes violons d’Ingres, c’est évidemment la photo. C’est un vice, si je puis dire, assez répandu. » © Charles-Antoine Subilia © Charles-Antoine Gustave Roud, Nature morte avec pommes, vers 1929. Il fréquente d’ailleurs la galerie

photographes pictorialistes, photographe du même nom d’art Émile Gos tenue par le comme Heinrich Kuhn ou (Escaliers du Grand-Pont à le baron Adolf de Meyer, Lausanne). Il visite peut-être notamment le cliché où il l’exposition de l’Union Suisse des dispose des pommes sur un linge photographes professionnels, à côté d’un pot en céramique du Photo-Club de Lausanne et orné de motifs bleus, un de la Fédération romande de hommage explicite aux natures publicité lors du Comptoir Suisse mortes de Cézanne. Ce même de 1933 à Lausanne. Jamais cependant il n’a tenu un discours Paul Cézanne, La maison du pendu, 1873. 6 © Musée d’Orsay, Paris. sur la photographie des autres . modèle pictural est également Roud a opté pour une pratique affiché dans d’autres œuvres Au cours d’un dialogue avec les intime, associée à des échanges

Lausanne en mars 1950, Roud Or, cette économie relationnelle personnels de caractère privé. confesseraélèves du collège : « Le seulde Béthusy ou plutôt à se transforme justement vers le principal de mes violons d’Ingres, c’est évidemment la années trente et surtout durant la fin des années vingt, dans les photo. C’est un vice, si je puis les années de guerre, alors que dire, assez répandu »5. En Roud investit le monde en plein

Heinrich Kühn, Stillleben, 1907-1908. effet, l’écrivain fait partie des essor de l’édition illustrée par © ÖNB, Bildarchiv, Vienne. photographes amateurs qui la photographie. se sont multipliés en Suisse en couleurs : certaines vues de fermes aux formes géométriques en sociétés comme le Photo- Gustave Roud », Cahiers Gustave Roud, n° 5, soulignées par des arbres qui Clubromande Lausanne, après 1900.fondé Réunisen 1899, p.1. Nicolas55-59. Bouvier,« Photographies de 2. Journal, I, 7 mars 1917, p. 50-51. ils exposent collectivement, se 3. Journal, I, 1er juin 1919, p. 69. japonisante rappellent avec le rendent sur le motif, publient 4. Journal, I, 11 janvier 1924, p. 155. découpent le paysage de manière leurs résultats ou commentent 5. Cité par Pierre Smolik, dans Cahiers Cézanne de la Maison du pendu Gustave Roud, n° 4, p. 14. (1873), au Musée du Louvre leur pratique dans le Journal suisse des photographes (1899- critique du numéro d’Arts et métiers à l’époque. graphiques,6. Une exception : son compte rendu 1908) ou dans la Revue suisse photographie. Voir Gustave Roud, « Livres de photographie (1899-1906). d’images », Aujourd’huin° 16, mars 1930, consacré à la

, n° 36, 1930. Souvenirs du Centenaire 13

Centenaire Gustave Roud (1887-1976)

19 avril 1997 par Maurice Chappaz. CetAllocution hommage prononcée a été publié devant initialement la maison par du Lepoète Courrier à Carrouge de la Broye le samedi et du Jorat en mai 1997.

Roud, Gustave Roud. Il est né Le premier envol ce fut il y a cent ans (dans un autre Cendrars à Neuchâtel par la fenêtre à quinze ans, puis des l’enfance il fut éternellement trains, des trains jusqu’à Moscou. ici.lieu, Le pas temps très glisse,loin) mais je me depuis Non loin de moi, il y eut une nuit, rapproche si vite de ce qui se quinze ans aussi, « une veillée noie dans l’ombre et hésite dans d’armes » féminine. Quelques notre cœur avec ce toujours qui autres départs tels des éclairs repasse comme un nuage. Voilà secrets. Quelles coupures de pourquoi nous sommes devant vie ! avec leur bonhomie puis cette maison avec la fontaine leur tragique : nous prononçons qui coule, le banc, le jardin, certains noms avec affection, respect, une admiration qui nous Maurice Chappaz devant la maison de Gustave Roud, 1997. l’ombre de la grange ... © Alain Burki Une porte s’ouvre ... Combien blesse presque. Depuis Cendrars de fois suis-je venu ! Son visage bien des « Transsibériens à débris de leur petite étoile dans apparaît et il y a ce mélange de pied » si je cite quelqu’un. la main. Si je puis tenter de confusion et de joie — * comprendre cette parole qui m’a en chacun. Maintenant je veux vous dire que toujours hanté : « Le royaume Vous voilà aussi. personne n’a été plus loin que des cieux est en vous », elle a ... Déjà le petit tram bleu Roud. Un seul en vivant parmi été vécue naturellement, sans s’éloigne. nous n’est jamais revenu. Roud a aucun secours, par notre ami. Littéralement. « L’éternel » est Gustave. Il est parti une fois. Et il été « un écrivain ». un désert qui retient l’humain. persévéré en poète, il n’a jamais est toujours sur la route invisible Si je reprends l’exemple de Je ne veux pas continuer sur — visible — et proche. Le plus Cendrars avec son bras arraché ce chemin. grand acte poétique en Suisse romande, c’est son Adieu. à son retour de la guerre, eh * Il y eut une douzaine de départs bienqui n’a ! Roud plus avaitrelancé perdu de poèmes plus que Nous sommes devant sa maison. sa main droite dans une autre Elle nous rappelle comme il a fulgurants et furtifs. Ces sortes mêlée où toutes les différences répondu, sans se séparer, par très beaux dans ces cent ans, d’entrée en écriture, soudaines sont jetées, où tout ce qui est un accueil, une amitié aussi et si lentes comme une source, hommes, femmes, social, intime, attentive que l’humilité du et précédées par quelque chose vivants et morts s’associe, se désespoir. Pour tous, les voisins d’impossible au fond du ciel délivre et se brûle. Certains en qui s’inséraient si noblement comme au fond de la chair. reviennent à peine, avec les et utilement dans la nature, 14 Souvenirs du Centenaire

majeures qui ont fait émerger l’émotion d’une présence et une identité « comme du sel sur la

parlait ainsi d’une étoile). Campagnehache ». (Un perdue solitaire poète russe des écrits du Vaudois, et résume à l’envers de son aventure signifie chacunune civilisation paysanne : avec l’abîme qu’il peut receler un certain visage du paradis. Je ne puis séparer pas plus que et Maurice Chappaz, 1997. intérieure et le © Alain Burki pays extérieur. Ils sont réels l’un parRoud l’autre. notre Lefigure monde purement existentiel est dénué de sens et les autres qui épellent les et si nous ne participons pas lettres, les témoignages de maintenant à l’éternité nous n’y ceux qui sont partis. Le sien participerons peut-être jamais.

Que le regard de Roud s’allume en L’absoluparticulièrement. se dessine comme un nous ! Tant de souvenirs restent manque.Car son mystère Il a écrit est pour en nous.nous en moi. Je n’ose pas plus les les requiems, les adieux. Son exprimer en ce moment que premier et comme unique lui ne se risquait à prendre la corne pendue au mur qui hélait un « mort au monde » (comme poème a tout anticipé. Il contient les faucheurs pour retirer de songeaient les ermites) qui veut l’ombre la ferme natale. Je vais vers le bout de ma vie et voix antérieure à tout ce qui se de toutes les routes vivantes, rejoindre la création entière. La manifeste est là. dormantes, je m’arrête un Tel il entendait le bouvreuil, instant ici : nous entendons Roud dans nos à Gustave vies. (Une seule note et l’hiver est dit — sa seule note va outre- et à tous les êtres innocents qui ont participé à sa vie et dont les tombe, elle chante, insiste). ainsi qu’à Madeleine, la sœur si intelligemment fidèle, Nous lisons ses livres avec le prénoms se joignent aux leurs, auxquels nous nous associons tous, silence qu’il y a autour. Son acte je dis poétique est en même temps un merci. acte de naissance de Carrouge dans la mémoire. En elle frémira Maurice Chappaz le grand adieu temporel de 19 avril 1997 toute une race d’hommes. Il a ressuscité un lieu, il nous a transmis, telle une musique pure, passionnée, nos sources toutes simples. Notre pays a été traversé une ou deux fois par des oeuvres Portfolio 15

L’Italie de Gustave Roud

L’Italie, telle que Roud nous la donne à voir à travers ses photographies,Eva Baehler revêt plusieurs aspects : ainsi, les imposants monuments romains, renaissants ou baroques, les villages de pêcheurs bucoliques et les allées bordées de pins de Campanie ne sauraient éclipser la réalité des êtres qui habitent ces lieux et qui parfois les ont quittés. Des autochtones anonymes (rencontrés lors du voyage de 1957) aux ouvriers déracinés venus travailler dans le Jorat, ils ont

laissé une trace importante dans l’œuvre photographique du poète.

© Photographies : Fonds Gustave Roud. Charles-Antoine Subilia, BCU, Lausanne.

Village de pêcheurs en Italie, 1957. 16 Portfolio

Renato, jeune serveur italien devant l’entrée d’une trattoria, 1957.

Colonnes antiques, 1957. Portfolio 17

Jeune homme devant une gare, 1957.

Cour intérieure d’un immeuble en Italie, 1957. 18 Portfolio

Luigi Visca et un autre ouvrier italien sous la neige devant le jardin de la ferme de Roud, 1950-1960.

La fontaine de Trevi, 1957. Portfolio 19

Un homme et une femme devant la ferme Roud, avec des ouvriers italiens, dont les frères Visca, 1950-1960.

Falaises sur la côte italienne, 1957. 20 Hommage

D’un autre Pierrerequiem Voélin

J’avais posé un titre, Poèmes d’hiver — ce qui ne m’arrive jamais, et, en quelques heures, comme par miracle, étaient venus s’inscrire sur la page heures de veille dans sa maison, oùPlus elle tard, reposait, après lesoù longuesnous avions dans les jours qui suivirent. Nous étions au mois d’octobre, l’automne pu la garder, mes sœurs et moi, quelques suites de mots, six ou sept, guère plus, retravaillées légèrement d’hyacinthe et d’or, tendresses de roses mûres en train de s’éteindre, les pleurs mêmes gelaient sur déposait l’une après l’autre ses armes splendides, larges feuilles lesau cimetièrevisages. donc, « en solier »,

et ce tremblement de la lumière à l’horizon, sur les collines, et la douceur de froidl’air, tout et de le gel bleu alors mystère même qui que trempe la saison sa lèvre heureuse dans sela prolongeaitcoupe de l’été deuil suivit son cours, et la vie, Quelques mois passèrent, le démesurémentindien… Mais pourquoi ? cette soudaine volonté d’aligner des poèmes avec ses hauts et ses bas, reprit ses droits, oui, ce quelque Cette question, à peine formulée sur le moment, comme une vague chose, qui recommençait, inquiétude mêlée de surprise, je la compris mieux deux mois plus l’incessant travail de la vie, en tard : il s’agissait, dans le plus grand secret, à mon insu, d’accueillir sous-œuvre, et les jours bientôt dans le linceul des mots cette « morte » (mais plus vivante que nous, demanda d’écrire un sonnet — s’allongèrent — quelqu’un me plus tard, au cours de la nuit du 18 au 19 décembre 2009, dans sa un sonnet ! Mais oui, débrouillez- maisondésormais), du chemin ma mère, des elle Cras, qui sur s’éteindrait les hauts dedans la petiteson sommeil ville de deuxprovince mois qu’elle habitait. Aurais-je pu deviner en ces jours-là, tout à fait bénis, que vous ! Et j’écrivis le poème qui l’on écrit quelquefois pour devancer le temps ? Je le savais, bien sûr, on défunte : suit en souvenir de ma mère me l’avait dit, sans doute. Quelque chose nous fait signe dans le mat et le discret des jours, et nous continuons d’habiter la langue muette sans Mère je t’ai vue, l’hiver, rien voir ni savoir, en quête de signes alors que tout est dévoilé, que nous dans cette neige poudreuse ne regardons plus « comme à travers un miroir », que tout est clair d’une que le vent vient souffler aux vitres. clarté de cristal. Je t’ai suivie par les persiennes de minuit C’est ainsi que des mots s’en étaient allés en quête de l’incertain, de Et tes mains — vues dans le jardin d’automne. l’inatteignable, de ce monde enseveli qui soudain avait surgi devant Elles taillent les tiges des fleurs fermées ; moi, me laissant aveugle et désemparé. la terre à nu — plus noire et plus légère à chaque coup de pioche. Quand on la retrouva, au matin, assoupie, tranquillement assise dans

son fauteuil, une jambe étendue sur une chaise qu’elle avait tirée au- Jamais mieux qu’avec les étoiles printanières, toi seule — en compagnie de l’effraie, une console, la cire rouge creusée en son centre, et les bords développés, oh ! ses vols brefs dans le verger. devant d’elle, une bougie continuait de brûler derrière son épaule, sur

Sache que le cœur muet — ostensoir d’undélicatement couteau, tordus,la queue en mince longs etpétales les pelures de fleur. de Àla côté,pomme son qu’elle livre de avait [de la nuit prières ouvert à la page du « Magnificat ». Sur le bord de la fenêtre, près le cœur, oui, je l’ai haussé jusqu’à toi, ô tendre — ô mère impardonnée. mangée, son dernier repas, plutôt frugal, après la fête de ce jour : car le repas de midi, elle l’avait pris avec ses frères dans un élégant restaurant, cetteune « « bonne revoyure table » sans» d’Alsace, imaginer après un un instant voyage que de les quelques embrassades dizaines et de 14 avril 2010 kilomètres ; ils s’étaient quittés, les frères et la sœur, tout joyeux de

les « au revoir » prendraient la forme de l’adieu définitif… Hommage 21

L’espaceChristian Doumet est à tout le monde

M’éloignant vers les vignes par la à terre, les yeux toujours rivés sur le chemin parcouru qui, si j’ose ruelle dont le Gouverneur et sa femme occupent l’ultime bâtisse, l’étendue de la route elle-même, le cycliste n’a d’autre objet à observer dire, maintenant me contient. J’y suis seul, et à moins qu’il considère et déjà sur la route déserte à cette que ce piéton isolé qui vient et qui, depuis un moment, l’observe lui- même. M’a-t-il entendu, ou senti approcher ? Trouve-t-il quelque j’ai devant moi la silhouette d’un chose de suspect dans cette présence en rase campagne ? Plus les cycliste.heure tardive Trop loinde l’après-midi, pour que je regards portent loin, plus les hommes éprouvent le sentiment de leur puisse la reconnaître, distinguer incongruité, et presque de leur culpabilité à habiter ce monde. même s’il s’agit d’un homme, d’une femme ou d’un enfant. homme un peu âgé vêtu d’une canadienne et coiffé d’un béret. Peut- Elle oscille au rythme des efforts être,Je suis tant assez qu’il près y est, de va-t-illui, maintenant, s’évaporer pour sous discerner mes yeux, qu’il tenter s’agit quelque d’un est grise, de la couleur de la terre leçon, ou simplement de m’épater. Une telle issue, sous les nuages et quiqu’impose borde le la chemin. légère pente. Ces efforts, Elle dansopération le soir magique qui monte, comme ne serait afin de pas m’en inimaginable. remontrer, de me donner une à distance, paraissent répondre à une nécessité surhumaine, Mais il me laisse venir à lui. On dirait qu’il m’attend. Son intention est à un dessein qui dépasse de loin d’être claire, et un instant me vient le projet de rebrousser chemin. beaucoup les contingences de Mais à quoi bon ? Et comment ne pas aggraver lourdement alors les mes semblables ; une sorte de nécessité primordiale, aux dimensions de la vue qui sourd intrus.soupçons Je ne qui le pèsent dévisage déjà pas sur ; jemoi fais ? mineJ’arrive de à déclarer sa hauteur : l’espace ; lui, toujours est à de toute part. Je n’entends pas toutpied leà terre,monde immobile, — mais me l’air garde méfiant, bien me de regarde parler. Jepasser passe. comme L’homme un est les ahans, et pourtant ce tas de un inconnu et je le suis pour lui. Nous ne déclarons pas un seul signe boue qui branle entre les murs Nous pourrions nous humer comme des chiens. Prendre la mesure de notreinspiré différence. par la connivence Rien. À peine de l’espèce, si j’ai le pas temps un geste de saisir de reconnaissance. à la volée un peu silencede pierre général. sèche aLes la tenueanimaux, d’une eux, voix longuement filée dans le humide et de la sécheresse de tout le reste, un fragment de couperose, hollandaises, pour l’essentiel, de cette face rougie par le froid, un peu de cette paupière inférieure arborantn’y prêtent leurs guère mappemondes). attention (des sommes sans reconnaissance l’un pour l’autre. Dans la haine. C’est une voix pour la vue seule, la balafre des lèvres en couteau. C’est un homme d’ici et cependant nous accordée aux rares bruits qui Il n’est pas excessif de dire que nous nous haïssons lorsque nous se dispersent sous le ciel bas nous rejoignons. Que serait en effet la haine, la haine la plus intense d’octobre. [...] d’incompatibilité a priorique, ce dégoût sans raison de l’humanité et la plus aveugle, si ce n’est cette défiance avant tout, ce sentiment Je le regarde et voici que quelque concentré dans un seul specimen ? Il n’est pas douteux qu’il éprouve chose d’imprévu se produit : à mon endroit la même sorte d’aversion, et qu’à l’instant même nous le cycliste parvenu presque au pourrions nous jeter l’un sur l’autre, nous déchirer sans un seul mot sommet de la côte et au plus d’explication, si une poche d’indifférence ne contenait cette animosité. lent de sa course, se retourne Tandis que je l’ai déjà largement dépassé, je ne l’entends pas repartir. sans raison, regarde dans ma direction, paraît hésiter, vacille quelques instants, pose pied Atteignant finalementExtrait le desommet, Notre Condition je me retourne atmosphérique, : il a disparu. Fata Morgana, 2014. 22 Hommage

DonnerPierre-Alain la route Tâche

La route, chez Gustave Roud, est d’abord une invite. Elle s’offre en occasion, je ne puis me défaire réponse à l’appel intérieur, engage l’être entier et l’aide à prendre de l’idée qu’elle excédait de congé. Elle portera l’errance d’un marcheur « ivre d’une solitude » qui beaucoup ce qu’imposeraient l’accompagne jusque sous les étoiles ! La suivre alors est cheminement de vie. « La route, ma seule patrie », écrira-t-il. Il arrivait qu’elle échappe choseles règles à lui d’une dire quecivilité son ordinaire ainsi de recueillir les éclats d’un monde en train de disparaître, donnant admirationface à qui n’avait maladroite guère oud’autre son leurà la nuit, juste qu’elle poids auxpénètre mots au d’une sein quêted’une douloureuse.harmonie et qu’elleMais la permette distance

Combes, où il fut un jour « admis vivant à l’éternel », il n’en tirera bientôt Saamour bienveillance du poème, était son certes besoin parcourue embue l’âme ; et le poète a beau se souvenir du bois des naturelle,(et la difficulté) mais n’était-elle d’en écrire. du réel accroîtront la cendre de la différence, la route cessera d’être pas aussi l’expression d’une aucun secours ! C’est ainsi qu’au fil des ans, quand les désillusions agissante pour n’être plus que la ligne de fuite d’un silence rompu, une lassitude ? La grande différence ultime fois, pour conduire l’œuvre à son terme. d’âge a joué son rôle. Mais il y a autre chose encore : je n’avais Une trajectoire se dessine et se mesure ainsi. En effet, si la route pas tout risqué pour la poésie, Adieu tout engagé, d’entrée de jeu, de Campagne perdue. Roud y évoque alors l’instant où, fermant les au contraire d’un Chappaz ou apparaît à la première ligne d’ , elle est présente encore à la fin yeux, il se revoit suivant l’une d’elles — l’une d’entre celles qu’il sait d’un Jaccottet. Nous en étions « éternelles » et qui « dorment en [lui] depuis toujours ». Il dit avoir conscients l’un et l’autre, mais sans en parler pour autant. Sont- ce là les raisons pour lesquelles vainement « tenté jadis de les peupler de présences », mais savoir enfin fuite n’est possible : la même Présence, celle-là plus réelle chaque jour, Roud répugnait à se livrer sur « où elles mènent ». Et c’est la dernière phrase du dernier livre : « Nulle veille à toutes les issues ». son propre travail, lors de nos rencontres, se bornant à faire Nous voilà donc avertis par qui est arrivé au bout du chemin. Nous état de ses « petits » livres ou à devrions nous exercer, à notre tour, à évoquer la mort comme une

y a donc cela — que nous ne voulons pas voir — au bout de l’écriture. midi,évoquer nous les prenions poètes qu’il congé aimait sur le? « Présence », puisque telle est l’identité paradoxale de cette dernière. Il Pour qui se hasarde à prendre la plume (et, qui plus est, en poésie) le seuil,C’est possible.sous la glycine À la fin ; puis,de l’après- selon un rituel immuable, il me disait : tenu compte, pendant longtemps, feignant de croire que l’écriture aurait pouvoirconstat dede Roudnier la constitue camarde un ou, sérieux du moins, avertissement. de la narguer Je àn’en la faveur ai guère de « Je vous donne la route », je ne sais quelle célébration du monde ! Aujourd’hui que l’illusion est joignant le geste à la parole dissipée, me voici confronté, à mon tour, à l’évidence que j’avais cru pouvoir écarter en l’imputant à un destin solitaire autant que singulier, était libre. après s’être assuré que la voie au temps où il m’est arrivé d’entreprendre la « traversée ». J’ai soupçonné, je ne sais J’ai déjà eu l’occasion d’évoquer la gêne que j’éprouve au souvenir des profonde de cette expression pas revenir ici sur ses causes, qui me sont largement imputables. Sauf quand, que la signification àheures dire, tout volées de aumême, gré de que mes l’une pèlerinages d’elles pourrait à Carrouge bien tenir— et àje l’extrême n’entends de beaucoup celle qu’il convenait affabilité de Gustave Roud. Pour en avoir été l’objet, à plus d’une délicieusement désuète excède

de lui donner très concrètement, Hommage 23

autrefois. Elle énonce, en rapport au monde pour m’approcher (peut-être) d’un « ailleurs » qui effet, des dons autrement plus ne soit pas, qui ne pouvait être à l’image du sien — et c’est un autre don importants. encore, dont je mesure la grande générosité.

Le premier, on l’aura compris, Rien ne fut imposé de la sorte, mais seulement induit, suggéré, à fut celui d’une indulgence la faveur d’une attitude prévenante. Et rien ne fut, dans le même éclairée sans laquelle je n’aurais mouvement, lâché ou concédé quant à ce qui ne pouvait être partagé. pas pu poursuivre dans la voie En ce sens-là, s’il fut un maître, Gustave Roud ne l’aura pas été à raison que je m’étais choisie. Je ne me de la transmission d’un savoir. Il le fut par la mise en œuvre d’une souviens pas ainsi que Roud ait maïeutique attentive qu’autorisait son exemplarité et qui n’exigeait entrepris de me faire entrevoir simplement, à me montrer, à chaque fois, le chemin — à me reconduire, Bien au contraire, il encourageait avecrien quebienveillance, je ne puisse au-devant découvrir de par mon moi-même. propre chemin. Elle consistait, très mesles faiblesses essais. Il nede m’ames pas poèmes. non plus prodigué, à leur sujet, des conseils que je n’osais d’ailleurs pas lui demander. plus long terme : sachant que j’avaisLe deuxième lu Rilke, don il m’a porte conseillé, effet à à son tour, « une patiente attente », me faisant percevoir que le « poëme est chose vivante » et qu’il constitue « une expérience de tout l’être ». (Et exactement, dans la Note qui accompagnej’eus pu retrouver sa traduction ces mots, des très Lettres à un jeune poëte.) Que faisait-il d’autre, alors, sinon me rendre attentif à ce qui constitue la condition et la réalité de l’expérience poétique ?

Et puis, il y a la « route » qu’il me montrait ainsi et qui n’était autre que celle de mon propre devenir poétique ; la « route » qu’il m’appartenait de prendre à mon tour pour aller au bout d’une trouble nostalgie, cherchant à dénouer l’énigme de mon 24 Adieu

Sur une photographie de Gustave Roud

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Gilbert Salem, journaliste et écrivain, travaille à la rédaction du quotidien 24 heures depuis 1980.Gilbert Il est l’auteur Salem de Gustave Roud, Lyon, Éditions de La Manufacture, collection « Qui suis-je ? », 1986. la plaine, la poésie ISSN 2234-9812 / version électronique : ISSN 2234-9820

Une apologie de la pénéplaine bulletin de l’Association des Amis de Gustave Roud :

En septembre 1930, Gustave Roud est secrétaire général de l’élégante A.A.G.R. revue Aujourd’hui, éditée par Henry-Louis Mermod et dont Ramuz est 1084 Carrouge – VD www.gustave-roud.ch l’impérieux timonier. Dix-neuf ans séparent l’auteur d’Aline, déjà adulé [email protected] à Paris, de ce discret trentenaire qui vit dans un Jorat plutôt rural, mais connaît mieux que tous la poésie romantique allemande et l’histoire de

la peinture française — de Nicolas Poussin à Cézanne. Ramuz et Roud Directeur de la publication : se dissemblent mais s’estiment jusqu’à une intimité de pensée, tout Antonio Rodriguez en se disant vous. Et jusqu’à se fâcher, en amants improbables, sur une thématique encore plus essentielle que la querelle qui opposa jadis Coordinatrice : Eva Baehler Anciens et Modernes, classiques et romantiques : celle d’une Ont participé à ce numéro : Eva Baehler, Alain Burki, Dans un échange de lettres ouvertes, publiées dans leur hebdomadaire Christian Doumet, Philippe Kaenel, configuration mystique des paysages. Anne-Catherine Lyon, Daniel Maggetti, commun, Ramuz préconise esthétiquement la verticalité alpine (plus Gilbert Salem, Pierre-Alain Tâche, souvent valaisanne que vaudoise) avec ses « possibilités plastiques », Yves Velan, Pierre Voélin. « toutes ses échelles contradictoires », « disposées à inspirer le cinéma ». Mise en pages : En randonneur chevronné, Roud rétorque en faisant l’apologie des plaines. Plutôt de la pénéplaine, avec ses creux et ses moellons, ses RubriqueMarie-Laure « Hommage Alvès » : Mary-Laure Zoss

Petit traité de la marche en plaine par ce Relecture : floraisons saisonnières et ses mosaïques céréalières. Deux ans plus tard, Mary-Laure Zoss desen 1932, glaciers il entame sublimes, son confondant célèbre la grandeur et le nombre, s’émerveille Émilien Sermier bonnementdéfi à la montagne du dédale ramuzienne de sommets : « Sur qui la l’entourent. pointe des Il4000 s’efforce m, l’homme d’ordonner Bulletin imprimé par i comme imprimeurs S.A. un chaotique vocabulaire qu’annule la seule phrase d’une colline. » à Renens (Suisse) – 4e trimestre 2015.