De Quelques REQUIEM En Littérature Comparée
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De quelques REQUIEM en littérature comparée par M. Ferdinand STOLL, membre associé libre Un requiem, ou messe des morts, se compose d'un nombre fixe de textes liturgiques qu'on chante à l'église avant la cérémonie d'enterrement proprement dite. Depuis belle lurette, des compositeurs se sont évertués à broder de savantes variations musicales sur ce corpus liturgique latin, et il faudrait une étude complète pour évoquer les Requiem célèbres, de celui de Gilles à ceux de Fauré ou de Duruflé pour la France, sans oublier les com positeurs lorrains comme Charles d'Helfer, dont Jacques Hennequin a fine ment analysé La Messe de Funérailles des Ducs de Lorraine, ou encore, plus près de nous, Théodore Gouvy. Si Berlioz et Verdi font retentir les trompettes du Jugement Dernier dans leurs Dies Irae respectifs, il faut éga lement mentionner des musiciens qui ne se fondent plus sur des textes latins, mais recourent à d'autres textes sacrés dans leurs langues vernacu- laires respectives, ce qui peut mener à des œuvres non moins impression nantes comme Fin deutsches Requiem de Brahms ou le War Requiem de Benjamin Britten. Mon propos d'aujourd'hui sera de voir comment un certain nombre d'écrivains ont utilisé le concept de REQUIEM pour créer des œuvres lit téraires qu'on pourra considérer comme un sous-genre, à condition d'y pouvoir distinguer, outre la thématique, un certain nombre de constantes. Il faudra d'abord différencier le REQUIEM proprement dit d'un sous- genre littéraire beaucoup plus connu en France, l'oraison funèbre, qu'elle soit religieuse comme au XVIIe siècle avec Bossuet, ou laïque comme au XXe siècle avec Malraux. Je ne considérerai donc que des œuvres portant officiellement le titre de Requiem ou Office des Morts, et non pas des titres connexes. L'écrivain polonais Stanislas PRZYBIZEWSKI (1868-1927) par exemple a publié deux œuvres intitulées l'une Messe des Morts (1899), l'autre De Profundis (1896) où il est certes question de liturgie, mais éga- lement d'éthylisme, d'érotisme et de folie, ce qui est à l'antipode du sens étymologique de REQUIEM qui désigne tout simplement le repos, le calme, l'apaisement. Au fil de mes lectures, j'ai pu trouver des REQUIEM chez six poètes du XXe siècle, dont un Allemand, trois Suisses, un Français et un Belge, à savoir Rainer Maria Rilke, Philippe Jaccottet, Maurice Chappaz, Gustave Roud, Jean Cocteau et Jean Kobs. Je laisse de côté à dessein des prosateurs comme Faulkner (Requiem for a Nun) ou Borges (Deutsches Requiem) dont les œuvres romanesques ne correspondent pas aux caractères du sous- genre esquissés plus haut. 1. Rainer Maria Rilke Sous le titre collectif de Requiem, les éditions Fata Morgana ont publié en 1996 un ouvrage bilingue (la traduction française étant due à Jean-Yves Masson) ne comprenant pas moins de quatre REQUIEM compo sés entre 1900 et 1915, mais toujours au mois de novembre. Chacun de ces REQUIEM comporte entre 6 et 10 pages. En restituant l'ordre chronologique non respecté par l'éditeur, nous trouverons d'abord, composé à Berlin-Schmargendorf le 20 novembre 1900, un REQUIEM de 8 pages dédié à Clara Westhoff, l'épouse de Rilke. Mais contrairement à ce que le titre pourrait suggérer, le poème a été ins piré à l'auteur par la mort de Gretel Kottmeyer, une amie d'enfance de Clara. Le poète se décide à tresser une couronne de lierre pour la jeune morte dont il dit : « Gretel, dès l'origine / il fut décidé que tu mourrais tôt / que blonde tu mourrais. / Depuis longtemps, bien avant qu'il fût décidé que tu vives. /» (p. 49) Le second Requiem est composé Pour une amie et rédigé les 31 octobre, 1er et 2 novembre 1908 à Paris. Il est consacré à une femme peintre de la colonie de Worpswede, Paula Modersohn-Becker, morte en couches le 20 novembre 1907. Il semble à Rilke que la jeune morte n'ait pas trouvé le repos éternel : « Toi seule, tu reviens / sur tes pas; tu m'effleures, tu m'environnes, tu cherches / à heurter quelque chose pour qu'en retentissant / cela trahisse ta présence. /» (p. 11) Le thème symboliste du miroir qui garde le reflet de la morte est éga lement abordé. Le troisième Requiem a été écrit quelques jours plus tard, les 4 et 5 novembre 1908, également à Paris, Pour le Comte von Kalckreuth. Traducteur de Baudelaire et de Verlaine, le jeune comte s'était suicidé à l'âge de vingt ans. Le poème, plutôt hermétique, est écrit à la fois dans la tonalité des Tombeaux de Mallarmé et dans le style des Elégies de Duino rilkéennes. Le dernier Requiem sur la mort d'un enfant est daté de Munich, 13 novembre 1915, et donne la parole au jeune Peter Jaffé, mort à l'âge de 8 ans. C'est à la fois le poème le plus court (4 pages) et le plus simple : « Il doit bien y avoir là-bas des enfants morts qui viendront jouer avec moi. / Il en meurt tout le temps. / Eux aussi d'abord sont restés cou chés comme moi dans leurs chambres ; / et ils n'ont pas guéri. » (p. 71) Deux femmes, deux hommes, morts jeunes : leurs décès ont dû déclencher un choc chez Rilke qui leur consacre quatre poèmes de facture entièrement différente, mais tous empreints d'une profonde sensibilité. 2. Philippe Jaccottet : Requiem (1946) Dans l'édition Fata Morgana (1991), Jaccottet, écrivain suisse né en 1925 et habitant actuellement Grignan (Vaucluse), a fait suivre la réédition de son ouvrage de Remarques datant de 1990 où il expose clairement la genèse et le sens de son Requiem qui : « a dû être écrit en 1945 ou 1946. J'avais donc vingt ou vingt-et-un ans. [...] Un ami [...] m'avait passé toute une liasse de photographies qui montraient des cadavres de jeunes otages ou de jeunes maquisards du Vercors torturés puis abattus par les Allemands. Requiem est né d'une vio lente réaction d'horreur et de révolte devant ces documents, ces scènes que nous autres, à l'abri de nos frontières, n'avions pu jusqu'alors, tout au plus, qu'imaginer. » (p. 35-36) Cette espèce de War Requiem est d'ailleurs « le seul poème engagé d'un écrivain romand. » Le Requiem proprement dit de 13 pages est précédé d'un Dies irae de 2 pages et suivi d'un Gloria de 2 pages également. S'y allient l'amour de la nature, avec le beau paysage du Vercors, et l'horreur de la cruauté. En voici 2 échantillons : (a) « Véga se levait amicale que je cherchais déjà leurs étoiles ... En vain, j'inventais à ces morts un repos qui nous calme : était-ce l'ombre venue, les adieux des amants, qui dénouait les vols de ramiers et nos mains ? » (p. 16) (b) « Enfants écorchés vifs ! Ecorchés, c'est-à-dire la peau des joues livrée aux ongles sales, tirée, puis arrachée, et lacérées les lèvres embrasseuses, à coups de griffes, et quelles piqûres d'aiguilles au creux des paumes, perçant les mains, gonflant les mains, et dans la bouche où les oranges fondaient ces couteaux enfoncés, plantés dans les gencives, au moins pitié pour les yeux qui regardent ! » (p. 18) La suite du texte est encore plus insoutenable, mais la fin renoue avec le repos et l'apaisement : « Repose-toi, souris sans remords : ceux-là n'ont plus besoin qu'on les veille ; tout est bien. Les fontaines tintent aux versants les plus hauts des montagnes ; il y a de grands arbres d'étoiles, et les bergers se lèvent pour la bénédiction de l'espace. Il faut dormir. » (p. 27) Ce sera Philippe Jaccottet qui rédigera, dans la collection Poésie/Gallimard, la préface pour le Requiem de Gustave Roud qui mettra, à son tour, en exergue, un vers tiré de V Office des Morts de Maurice Chappaz : « L'herbe perpétuelle luit ». Il y a donc un lien évident entre les Requiem de ces trois poètes de la Suisse romande. Mais la chronologie nous oblige à parler d'abord du Requiem de Cocteau, lequel a également pour cadre la Suisse. 3. Jean Cocteau : Le Requiem (1964) Le prière d'insérer de l'édition Gallimard est tellement explicite que je ne puis que le reproduire: « Ce long poème de 4000 vers est le testa ment poétique de Jean Cocteau. Il fut écrit au cours d'une longue maladie où l'auteur écrivait entre chien et loup, jusqu'à ne pouvoir se relire ensuite. Cette considérable rhapsodie a été l'objet d'un véritable décryptage de 3 années. Le poète a voulu son caractère d'objet témoin. Témoin d'un état où l'inconscience l'emporte sur la conscience. [...] C'est un gisant qui parle, les yeux fermés et les mains jointes, couché sur le fleuve des morts. » Dans sa préface (1959-1961), Cocteau précise qu'il a été la victime d'une hémorragie profonde, et que sa « convalescence fut longue, son organisme devant refaire ses globules rouges sur les montagnes de l'Engadine. » Et il ajoute : « A l'âge de vingt ans, après quelques graves erreurs de jeunesse, je suis entré en poésie comme on entre dans les ordres. Voilà sans doute la raison qui m'a fait choisir un titre monacal et souvent adopté par la musique religieuse. » L'ouvrage se compose de sept parties dénommées « périodes » et entrecoupées d'un certain nombre de « haltes », en général deux ou trois par période. La lre période est sous-titrée: « Le poète salue sa maladie. 25 février 1959. » En voici un extrait : « Mes amis mes chers amis Où la mort vous a-t-elle mis Je n'avais qu'à tourner la tête Déjà vous étiez où vous êtes Et moi seul de l'autre côté Chacun de vous me fut ôté Comme on se perd dans une fête.