(1848(1848----1917)1917) L’imprécateur au cœur fidèle

Il y a plusieurs années, des amis cultivés (tous mes amis sont cultivés !) m’ont fait découvrir la vie et l’œuvre de Mirbeau. J’ai lu avec grand plaisir ses romans et ses nouvelles, mais surtout sa biographie par Jean-François Nivet et Pierre Michel, qui m’a enthousiasmé. A mi-chemin du naturalisme et du post-romantisme d’un Barbey d’Aurévilly, Mirbeau fut-il un grand romancier ? Disons plutôt un bon romancier, ce qui n’est déjà pas mal. Mais il fut avant tout un grand journaliste, un polémiste et un pamphlétaire, un homme d’engagements et d’enthousiasmes. De 1880 à 1910, au centre de la vie intellectuelle de son temps, Mirbeau a mené tous les bons combats dans les domaines politique, littéraire et artistique. En littérature et en art, il fait preuve d’un goût très sûr. Ami de Rodin, il découvre et encourage Maillol. Ami de Monet, il soutient Pissarro, et s’entiche de deux pauvres hères, Cézanne et van Gogh, dont il est le premier à acheter deux insignes croûtes : les Iris et les Tournesols ! Agacé par les préciosités du Symbolisme, il fait deux exceptions : Mallarmé et Maeterlinck, excusez du peu ! Adversaire de la littérature catholique, il découvre le génie du jeune Claudel.. En politique, l’esprit de contradiction lui sert d’infaillible boussole. Plumitif d’extrême droite, pourfendeur du parlementarisme, il avait tout, absolument tout, pour se rallier au boulangisme ; eh bien non ! il lui suffit d’une rencontre avec le général Du Balai pour se rallier à la IIIème République ! Dès lors, il évolue vers un anarchisme d’extrême gauche. Il devient avec Clemenceau l’un des premiers adversaires du lobby colonial. Anticlérical et rousseauiste, l’ancien élève des jésuites dénonce la main-mise du clergé sur l’ensei- gnement, et (c’est une première ) la pédophilie de certains prêtres. Antimilitariste et antisémite, il est indifférent au sort d’un officier juif et riche accusé de trahison, mais le J’accuse le bouleverse et le retourne : en une seconde il se réconcilie avec Zola et se met au service de sa cause. Homophobe, il brocarde les préraphaélites anglais efféminés, mais il prend la défense de Georges Eeckhoud et est le premier à accueillir Oscar Wilde en exil. Enfin, lorsque éclate la guerre de 14, voilà déjà longtemps qu’il dénonce la bêtise nationaliste, et les dangers d’une guerre de revanche avec l’Allemagne, mais hélas il est alors trop vieux et malade pour réagir. Bref, chaque fois qu’il est confronté à une situation concrète , Mirbeau prend parti contre ses préjugés premiers. Peu d’intellectuels peuvent en dire autant. Pierre-Jean Hormière

Une enfance malheureuse 1840 . Naissances d’Emile Zola le 2 avril, d’Auguste Rodin le 12 novembre et de Claude Monet le 14. 1848 . 16 février, naissance à Trévières (Calvados) d’Octave-Marie-Henri Mirbeau. Son père, Ladislas, est officier de santé. Ses familles pater-nelle et maternelle sont des familles de notaires. 1849 . En septembre, la famille Mirbeau

1 s’installe à Regmalard (auj. Rémalard, Orne), recueillir la succession de Louis-Amable Mirbeau, notaire du lieu. 1859 . En octobre, il entre comme pensionnaire au collège Saint-François-Xavier de Vannes. Il y est fort malheureux, et a de mauvais résultats. « Au souvenir des années affreuses que je passai dans ce grand collège de Vannes, j’éprouve une haine que le temps ravive au lieu de l’éteindre, et je me demande, non sans effroi, comment il se fait que des pères de famille soient assez imprudents, assez fous, pour confier leurs enfants à ces déformateurs d’intelligence, à ces pourrisseurs d’âmes que sont les jésuites. », écrira-t-il dans L’Aurore en 1898. 1862 . Amitié avec Alfred Bansard des Bois 1, avec lequel il restera lié pendant toute son adolescence. 1863 . Renvoyé brusquement du collège le 9 juin, peu avant la fin de l’année scolaire, dans des conditions suspectes : « Les maisons d’éducation religieuse, ce sont des maisons où se pratiquent des crimes de lèse-humanité. Elles sont une honte et un danger permanent. », écrira-t-il en 1902. Octave Mirbeau a-t-il été violé par un prêtre ? A la rentrée d’octobre, son père le place à la pension Saint-Vincent de Rennes. Premier essai littéraire : Le Meurtre des enfants d’Edouard . 1864 . Octobre-décembre : pension Bréchat à Rennes ou à Caen. 1865 . Prépare son baccalauréat à la pension Delangle à Caen. 28 août : échoue à l’oral. Novembre : nouvel échec. 1866 . En mars, il obtient son diplôme de bachelier-ès-lettres à la troisième tentative. S’inscrit le 14 novembre à la faculté de droit de . 1867 . Travaille dans l’étude de Me Robbe, notaire à Regmalard. Effectue quelques séjours à Paris. En août, échoue à son examen de droit. Novembre : escapade parisienne. Commence un roman sur les tortures de l’amour : Une Page de ma vie , dont il n’écrit que deux chapitres. 1868 . Novembre : s’installe à Paris, où il mène une vie de plaisirs et fréquente la bohème. 1869 . Janvier : tire un mauvais numéro à la conscription ; son père lui achète un remplaçant. Retour à Paris, où il s’endette. Avril : doit rentrer à Rémalard. En novembre, regrette la trahison des républicains qui n’ont pas saisi l’occasion de renverser l’Empire le 26 octobre. 8 décembre : opte pour le notariat, la mort dans l’âme. 1870 . 19 janvier : réintègre l’étude de Me Robbe. 8 juillet : mort de sa mère. 19 juillet : déclaration de guerre à la Prusse. Affecté au 49 e régiment des mobiles de l’Orne, Mirbeau est nommé lieutenant. « Mirbeau − il a vingt-deux ans − voit un jeune soldat allemand, venu se rendre à l’armée française, se faire ligoter à un arbre, puis fusiller par un sergent français. » (Mona Ozouf). 14 décembre : malade, il va se faire soigner au Mans, puis à Alençon. 1871 . 2 janvier : hospitalisé à Alençon, puis évacué sur Flers. 28 janvier : armistice franco- prussien. 21 mars : quitte l’ambulance de Bagnoles-de-l’Orne pour Tours. 31 mars : retour à Rémalard. Il est accusé de désertion, et cette accusation va empoisonner les deux années suivantes. 21-28 mai : semaine sanglante à Paris. 1872 . En janvier, témoin au mariage de sa sœur Berthe. Innocenté par son commandant en septembre, il reprend probablement sa place chez Me Robbe.

1 Alfred Bansard des Bois (1848-1920) fera carrière dans les contributions directes, avant de devenir député pendant un quart de siècle.

2 Plumitif d’extrême droite . 1873 . S’évade de l’ennui mortifère de Rémalard en devenant le secrétaire de Dugué de la Fauconnerie, député bonapartiste de l’Orne, et nouveau directeur de L’Ordre de Paris . C’est le début d’une longue période de prostitution politique, qui lui sera longtemps reprochée. « Le journaliste se vend à qui le paie », dira-t-il. Après tout, aujourd’hui encore, combien de journalistes de gauche travaillent dans la presse ou des médias de droite ? 1874 . Publie anonymement des comptes rendus dramatiques dans L’Ordre . Vie frénétique. 1875 . 19 avril : joue le rôle du mari dans la pochade de Maupassant, A la feuille de rose, maison turque , en présence de Flaubert et Tourgueniev. 19 octobre : premier article signé de son nom à L’Ordre de Paris . En devient le chroniqueur dramatique attitré. Correspond avec Valtesse de la Bigne. Se lie à Alexis, Maupassant, Henry Laujol, Paul Bourget surtout. Rencontre Villiers, Dierx. Fréquente le milieu de La République des Lettres de Mendès ; possible collaboration sous les pseudonymes de Gérin et Péradon. 1876 . Vie parisienne intense. En janvier, sa signature disparaît de L’Ordre . Accompagne Dugué à Mortagne pour y préparer l’élection législative. 20 février : Dugué est élu au premier tour. Reprend sa collaboration à L’Ordre du 4 avril au 11 juillet. 10 octobre : inaugure la rubrique Chronique de Paris dans L’Ordre : publie un article sur L’Assommoir , défend Wagner, ridiculise les peintres académiques. 1877 . 8 février : dernière intervention à L’Ordre de Paris . 16 avril : présent chez Trapp aux côtés de Maupassant, Alexis, Céard, Huysmans, Hennique, Zola, Flaubert, Edmond de Goncourt. Après le coup de force de Mac Mahon, le 16 mai, Saint-Paul le fait nommer chef de cabinet du préfet de l’Ariège, Lasserre. 27 mai : il est investi officiellement. A Foix, il collabore anonymement au journal conservateur local, L’Ariégeois . 14 octobre : Saint-Paul, à Saint-Girons, est le seul élu bonapartiste en Ariège. 15 décembre : après l’échec de la politique de Mac Mahon, nouvelle valse des préfets. Mirbeau est limogé. Probable voyage en Espagne. 1878 . Mars : retour à Foix ; devient rédacteur en chef de L’Ariégeois ; se retrouve au centre de nombreuses polémiques. Mai : poursuivi pour diffamation envers un professeur. 7 juillet : Saint-Paul perd son siège de député. Polémique avec Jules Grégoire du Journal de l’Ariège ; 2 octobre : les deux hommes se donnent rendez-vous sur le terrain, en Andorre ; les douaniers empêchent le duel, qui est reporté, mais Grégoire se débine. 29 novembre : assiste aux obsèques de Gaston de Saint-Paul à Fabas. 1879 . 21 janvier : fin de sa collaboration à L’Ariégeois . Juin : secrétaire d’Arthur Meyer, qui prend possession du Gaulois . Est introduit dans le monde. A partir du 15 octobre, il fait partie de l’équipe qui signe Tout-Paris des articles intitulés La Journée parisienne . Fin novembre : est l’envoyé spécial du journal à Madrid pour le mariage d’Alphonse XII. 6 décembre : se rend à Murcie, ville dévastée par une inondation deux mois plus tôt. 1880 . 22 mars : publie sa première chronique sous son nom dans Le Gaulois . 9 avril : première chronique politique dans Paris-Journal , sous le pseudonyme de Daniel René. 12 juin-29 octobre : publication de Paris déshabillé (7 chroniques de mœurs) dans Le Gaulois . 25 décembre : collabo-ration à L’Illustration . Campagne contre Turquet, sous-secrétaire d’Etat aux Beaux-Arts. 1881 . 8 janvier : dernière chronique au Gaulois . 19 février : fin de sa collaboration à L’Illustration . Collabore épisodiquement à Paris-Journal . Travaille pour le compte d’Edmond Joubert à la Banque de Paris et des Pays-Bas. Boursicote et s’enrichit. Liaison avec Judith, future inspiratrice du Calvaire .

3 1882 . 19 janvier : krach de l’Union Générale. Il s’endette. Mars-avril : probable voyage en Hongrie. Retour au journalisme : 4 mai-19 juin : publie ses premiers contes cruels à Paris- Journal . 18 juillet : Arthur Meyer reprend possession du Gaulois , qui absorbe Paris- Journal . Il y collabore dès le 22 juillet ; il y retrouve Grosclaude, Bourget, Capus, Maupassant, Hervieu et Robert de Bonnières. 21 août : début de sa collaboration au Figaro (La Chanson de Carmen , Conte à la manière d’Edgar Poë ), d’où il est chassé après le scandale de son article contre les comédiens. Amitié avec Barbey d’Aurevilly. 1883 . janvier-avril : rédacteur en chef de Paris-Midi Paris- Minuit , biquotidien d’informations rapides. 21 juillet : premier numéro des Grimaces − pamphlet hebdomadaire violemment hostile aux républicains et à forts relents antisémites − dont il est le rédacteur en chef. Autres collaborateurs : Grosclaude, Hervieu, Capus. La revue s’attaque en priorité à la bourgeoise d’affaires et fait le procès de la finance républicaine. 7 août : duel contre Eugène Etienne, député d’Oran, membre du lobby colonial. 18 décembre : duel contre Bonnetain. Fin décembre : miné par sa passion dévastatrice pour Judith, il se réfugie à Audierne.

Vers la rédemption . 1884. Au service de Monet et de Rodin. Janvier : s’installe à Audierne ; 26 ème et dernier numéro des Grimaces . Février : retrouve Judith à Rennes, puis retourne à Audierne, où il reçoit des amis de collège. Amitiés avec Amédée de Lécluse de Trévoedal, qu’il soutient en mai dans sa conquête de la mairie. Juillet : randonnée de Paris à Bourbon l’Archambault. Retour à Paris, où il s’installe rue Lincoln. Reprend sa collaboration active au Gaulois sous le pseudonyme d’Henry Lys, puis sous son propre nom. 3 octobre : commence une collaboration à La France de Charles Lalou. Y publie des Notes sur l’art , où il dit grand bien de Corot, Courbet, Degas, Monet, Renoir. Début d’une amitié indéfectible pour Claude Monet et Auguste Rodin, dont il est le premier à décrire la Porte de l’Enfer . Se lie aussi avec Henry Becque, Henri Lavedan, Félicien Rops, Edouard Pailleron. Début de sa liaison avec l’ex-actrice et femme galante Alice Regnault (née en 1849), qui a accumulé un prodigieux patrimoine de manière peu équivoque. Elle est accusée d’avoir vitriolé Gyp. Le 22 décembre, dans le Gaulois , il affirme qu’il faut mettre un terme à la légende du vilain Allemand : il défendra cette idée jusqu’à la guerre de 14. Auguste Rodin, par Nadar 1885 . « J’ai la passion de la vérité, si douloureuse soit- elle.. . » Le 14 janvier, Mirbeau renie son antisémitisme passé. Il dénonce, dans Le Gaulois , la politique colonialiste de Jules Ferry. 1 er -27 mai : couvre le Salon pour La France . Juin : publication du Salon de 1885 . Se met au vert au Rouvray où il reçoit Rodin. Découvre avec enthousiasme Tolstoï et Kropotkine. Décide de consacrer sa vie à la défense du Beau et du Juste. 19 juin : publication du Druide , roman à clefs de Gyp,

4 qui règle ses comptes avec Mirbeau et Alice. Juillet : commence son premier roman, Le Calvaire . Projet de fondation d’un grand journal politique et littéraire avec des fonds fournis par Ismaïl Pacha. 10 juillet : visite de Rodin. Août : est accusé d’avoir révolvérisé Gyp. Période d’inquiétude et de lutte pour la vie. 27 septembre : seconde visite de Rodin. Octobre : projette un livre sur « les artistes de ce temps », qui ne verra jamais le jour. 4 octobre : commence une collaboration au Matin . 27 novembre : parution des Lettres de ma chaumière , recueil de 21 contes. 6 décembre : retour à Paris. Installation rue Lamennais. Début des dîners des Bons Cosaques. 1886 . 19 février : fait la connaissance du général Boulanger, dont l’ambition l’inquiète. Fin de sa collaboration au Matin . 22 mars : reprend sa collaboration au Gaulois sous le pseudonyme d’Henry Lys. Suite de l’affaire Gyp. 3 mai-7 juin : couvre le Salon pour La France . 4 mai : commence une collaboration au Gil Blas , où il publie des contes cruels. 29 juillet : départ pour Noirmoutier. Son premier roman, Le Calvaire , est publié tronqué par la Nouvelle Revue , du 15 septembre au 15 novembre, avant de paraître en librairie le 23 novembre. Le chapitre II, sur la guerre de 1870, fait scandale. Désormais, Mirbeau est classé clairement à l’extrême gauche. Novembre : rend visite à Monet à Belle-Ile, puis reçoit Monet à Noirmoutier. 2 décembre : retour à Paris. Amitié avec Hennequin. Rencontre Sacher-Masoch. 1887 . 31 mars : Monet l’introduit aux dîners des impressionnistes. 6 avril : rentrée au Gaulois . Avril : soutient Wagner contre les patriotards ; organise le banquet Lamoureux. Se marie le 25 mai à Westminster avec Alice Regnault. 18 juin : départ pour Belle-Ile. Juin : s’installe à Kérisper (Morbihan) où il travaille à L’Abbé Jules . Révélation de Dostoïevsky. 18 août : stigmatise le manifeste des Cinq, contre Zola, tout en restant très critique envers La Terre . Octobre : rupture avec Meyer. 19 novembre : rentrée au Figaro . 24 décembre : L’Abbé Jules commence à paraître dans le Gil Blas . Décembre : est absurdement accusé par des lettres anonymes d’avoir participé à un trafic de décorations (affaire Gyp). 1888 . Rupture avec Zola . 13 mars : publication de L’Abbé Jules. 27 avril : séjour dans le Midi pour fuir la fièvre et la justice (Cannes, Menton, Bordighera). 25 mai : retour à Kérisper. Début juin : à Lorient pour enquêter sur l’épidémie de fièvre typhoïde. 9 août : violente article contre Zola dans le Figaro , intitulé « La fin d’un homme ». Réponse prophétique de Zola « D’ailleurs, je suis tranquille, vous êtes un croyant facile aux conversions et, si jamais la vérité se refait en vous sur mon compte, je vous connais d’une assez grande bonne foi pour le confesser . » Septembre : retour à Paris, rue du Ranelagh. 3 octobre : non- lieu dans l’affaire des décorations. Octobre : contrat avec Charpentier, auquel il s’engage à fournir 5 romans. Novembre : commence à collaborer à L’Echo de Paris . Voyage à Menton. Appelle à la grève des électeurs le 28 novembre : « Toutes les époques se valent, et aussi tous les régimes, c’est-à-dire qu’ils ne valent rien. Donc, rentre chez toi, bonhomme, et fais la grève du suffrage universel. (…) Sur le seuil de ta porte, fermée aux quémandeurs d’aumônes politiques, tu regarderas défiler la bagarre, en fumant silencieusement ta pipe ». 18 décembre : assiste à la première de Germaine Lacerteux et prend la défense de Goncourt. 1889 . « Ce balai me fait peur… » Campagne contre Boulanger : « Il y a dans cet impérial bourgeois un curieux mélange de soldat, de paysan, de dandy, d’homme d’affaires et de cabotin … Il est un balai et rien

5 qu’un balai. Or que peut faire un balai, à moins qu’il ne balaie ? Il balaiera. On demande un homme d’Etat qui comprenne son temps, qui, répudiant les anciens systèmes du mensonge, marche d’accord avec la science et la philosophie, et c’est un balayeur qui vient, armé d’un balai. Ce balai me fait peur. Car, malgré son apparence de balai révolté, ce balai est un balai respectueux, respectueux de la tradition et de la sottise humaine qu’il ne saurait balayer, à laquelle, au besoin, il ajouterait. » ( Le Figaro ). 6 mai : ouverture de l’Exposition universelle. Le 31 mai, il s’installe à Levallois-Perret. 15 juin : participe au dîner de la Banlieue avec Goncourt, Geffroy, Monet, Toudouze, Frantz Jourdain. 21 juin : exposition conjointe Monet-Rodin. La Révolte , journal anarchiste de Jean Grave, reproduit de plus en plus souvent ses articles. Rupture avec Paul Bourget. 3 août : déménage aux Damps, près de Pont-de-L’Arche (Eure). Aide Monet dans son projet de souscription pour l’ Olympia de Manet.

Ci-contre, Pissarro : le jardin de Mirbeau à Damps

Grands combats artistiques et politiques . 1890 . De Sébastien Roch à Maeterlinck . 11 janvier : départ pour Nice. 2 février : déjeune avec Maupassant, Bauër, Bourget et Jean Lahor à bord du Bel Ami , ancré dans le port de Cannes. Fin mars : s’installe à l’Hôtel des Anglais à Menton. 4 avril : retour aux Damps. 26 avril : publication de Sébastien Roch ; conspiration du silence sur ce livre aux résonances autobiographiques. « C’est le roman d’un adolescent violé par un jésuite, la conséquence de ce viol sur la formation de son esprit et la direction de ses idées », écrit-il à Mallarmé. Rodin réalise son buste. Lance Maeterlinck, écrivain belge alors inconnu, par un article retentissant du Figaro , le 24 août. 22 septembre : commence dans L’Echo de Paris la publication d’une série de saynètes intitulées Les Dialogues tristes .

Sébastien Roch, édition russe (1908)

1891 . Les Iris et les Tournesols . « Cet homme a été vraiment un découvreur en peinture. Il sentait et jugeait bien . » Claude Monet , 1924 Collaboration à L’Art dans les Deux Mondes . Importants articles sur Pissarro, Monet, Gauguin, Van Gogh : « Dans une foule de tableaux mêlés les uns aux autres, l’œil, d’un

6 seul clin, sûrement, reconnaît ceux de Vincent Van Gogh, comme il reconnaît ceux de Corot, de Manet, de Degas, de Monet, de Monticelli, parce qu’ils ont un génie propre qui ne peut être autre, et qui est le style, c’est-à-dire l’affirmation de la personnalité. Et tout, sous le pinceau de ce créateur étrange et puissant, s’anime d’une vie étrange, indépendante de celle des choses qu’il peint, et qui est en lui et qui est lui. Il se dépense tout entier au profit des arbres, des ciels, des fleurs, des champs, qu’il gonfle de la surprenante sève de son être. Ces formes se multiplient, s’échevèlent, se tordent, et jusque dans la folie admirable de ces ciels où les astres ivres tournoient et chancellent, où les étoiles s’allongent en queues de comètes débraillées ; jusque dans le surgissement de ces fantastiques fleurs qui se dressent et se crêtent, semblables à des oiseaux déments, Van Gogh garde toujours ses admirables qualités de peintre, et une noblesse qui émeut, et une grandeur tragique qui épouvante . » ( L’Echo de Paris , 31 mars). Attaque la politique protectionniste de Méline. En mai, dans une lettre à Geffroy, il fait un vif éloge d’un récent discours de Clemenceau : « J’en ai été très ému. Il est très beau. A sa netteté habituelle, Clemenceau a mêlé cette fois une émotion triste. […] Non, vraiment, cet homme me passionne après m’avoir déconcerté. Il m’enchante aujourd’hui, car c’est vraiment un homme. J’ai senti dans son discours le découragement dont nous parlions l’autre jour, et la certitude, si triste, de l’impossibilité des rêves sociaux . » En mai, prend la défense de Rémy de Gourmont qui a perdu son emploi à la Bibliothèque nationale à cause de son article Le Joujou patriotisme , où il explique que l’Alsace et la Lorraine ne valent pas la saignée d’une guerre. Le 20 octobre, la première version du Journal d’une femme de chambre paraît en feuilleton dans L’Echo de Paris . Début d’une grave crise morale (sentiment d’impuissance, neurasthénie, crise du couple). Achète discrètement, à l’insu de sa pingre de femme, les Iris et les Tournesols de Van Gogh au père Tanguy, pour 600 francs. « Je les trouve encore plus extraordinaires depuis que je les ai », dit-il à ses amis.

1892 . Au Journal : un tremplin de 600000 lecteurs . Engagements aux côtés anarchistes. 1 er mai, article sur Ravachol dans L’En-dehors . Couvre le Salon du Champ de Mars pour Le Figaro . 20 septembre : publication de Dans le ciel dans L’Echo de Paris ; le dernier épisode paraîtra le 2 mai 1893. 22 septembre : banquet de lancement du Journal , où Mirbeau commence, sous le pseudonyme de Jean Maure, une collaboration régulière, qui durera dix ans. 1893 . En février, s’installe à Carrière-sous-Poissy. Préface la Société mourante et l’Anarchie de Jean Grave. Mai : couvre les salons du Champ de Mars et de l’Industrie pour Le Journal ; il y parle élogieusement de Paul et de Camille Claudel : « Auguste Rodin peut être fier de son élève, l’auteur de Tête d’or de sa sœur ». 10 juin : Rodin expose son buste à la galerie Georges Petit. Scandalisé par la défaite électorale de Clemenceau dans le Var, Mirbeau lui offre son amitié. Il n’y eut cependant jamais de sympathie naturelle entre ces

7 deux grands amis de Claude Monet. Clemenceau trouvait Mirbeau « assez fatigant ». Décembre : O.M. s’insurge contre l’expulsion d’Alexandre Cohen. 1894 . Janvier : publication des Contes de la chaumière . Février : dernier article dans L’Echo de Paris . S’engage à fond dans la défense des intellectuels anarchistes (Félix Fénéon, Jean Grave, Elisée Reclus, Laurent Taillade). Craint d’être arrêté dans le cadre des lois scélérates. 7-14 mai : voyage à Londres où il doit faire un compte rendu pour la Pall Mall Gazette. Il brocarde le préraphaélisme. 19 mai : assiste à la générale du Voile du symboliste belge Georges Rodenbach. 20 mai : nouveau voyage à Londres. Dénonce la course aux armements. Août-septembre : prend la défense du pédagogue libertaire Paul Robin, révoqué par Georges Leygues. La crise du couple atteint son paroxysme ; craint de devenir fou. 28 novembre : à Giverny chez Monet avec Rodin, Geffroy, Clemenceau et surtout Cézanne, qu’il découvre et dont il achète deux tableaux. 20 décembre : création de Vieux Ménages au théâtre d’Application. 1895 . Défense d’Oscar Wilde . 10 janvier : reçoit Clemenceau et Mallarmé à Carrières. 16 janvier : au banquet Puvis de Chavannes. 10 mars : à l’enterrement de Berthe Morisot. 19 mars : article sur La Faim , du norvégien Knut Hamsun. 16 avril : reçoit Brunetière qui le persuade de collaborer à la Revue des Deux Mondes . Prend la défense d’Oscar Wilde condamné aux travaux forcés, dénonce l’hypocrisie victorienne et lit avec intérêt Le Portrait de Dorian Gray : « S’il fallait condamner au Hard Labour tous les êtres humains qui ne se conforment pas aux prescriptions mal définies de la nature, aux lois toujours changeantes et contradictoires des sociétés, il est probable que l’on condamnerait tout le monde ». Attaque le régime tsariste. Publie en feuilleton En Mission , première partie du Jardin des supplices . En décembre, les Mirbeau louent un pied-à-terre avenue de l’Alma. Vie mondaine intense. S’en prend aux médecins militaires responsables de la mort de Max Lebaudy. 1896 . Pionnier de l’anticolonialisme. Travaille aux Mauvais Bergers . 16 juillet : mort d’Edmond de Goncourt. En août, attaque le général Gallieni et les parlementaires, responsables de l’intervention militaire française à Madagascar. Séjour à Ostende avec Rodenbach. Octobre : croisière du Havre à Cherbourg avec Monet et Fasquelle. Novembre : première de Peer Gynt d’Ibsen. 1897 . Les Mauvais Bergers . 14 février : début de la publication, dans Le Journal , de la deuxième partie du Jardin des supplices . Avril : location d’un appartement boulevard Delessert. 14 mai : au mariage de Paul Adam. 13 juin : article sur Léon Bloy. Début août : séjour de trois semaines à Luchon, qui lui inspirera Les 21 jours d’un neurasthénique . 30 octobre : lecture des Mauvais Bergers à . 28 novembre : demande la révision du procès d’Alfred Dreyfus. 15 décembre : première des Mauvais Bergers au théâtre de la Renaissance. La pièce, histoire d’une grève et de sa répression, connaît un succès retentissant. Mirbeau s’en prend particulièrement à tous les « mauvais bergers », qu’ils soient « socialistes ou radicaux, monarchistes ou opportunistes, aussi bien qu’aux patrons d’usines, aux chefs d’armée, aux prêtres ».

8 1898 . Retrouvailles avec Zola : l’Affaire . 13 janvier : J’accuse , de Zola. Réaction enthousiaste de Mirbeau, qui aurait dit : « Après ce que vous venez de faire, à vos risques et périls, je suis votre homme ; vous m’entendez, et quoi qu’il arrive, je vous suivrai jusqu’au bout ». 18 janvier : dernière des Mauvais Bergers . Mirbeau fréquente assidûment les bureaux de La Revue blanche et de L’Aurore . Il soutient activement Zola, Picquart et Dreyfus. Du 7 au 23 février : assiste au procès Zola, l’escorte et le protège. Avril : prend l’initiative d’un livre d’hommage à Zola. Mai : aux côtés de Rodin dans l’affaire du Balzac . Rencontre Oscar Wilde à Paris ; Wilde lui enverra un exemplaire dédicacé de le Ballade de la geôle de Reading . 14 mai : création de L’Epidémie . A partir du 2 août, collabore activement à L’Aurore . 8 août : à Versailles, paie au percepteur, de sa poche, les 7555 francs de l’amende à laquelle Zola est condamné. 23 août : obtint de Reinach 40000 francs pour permettre à Zola de payer les dommages et intérêts au trio d’experts. 11 septembre : obsèques de Mallarmé. 21 septembre : procès Picquart. 11 octobre : Mirbeau et Fasquelle empêchent la saisie du mobilier de Zola, rue de Bruxelles. Le soir, meeting à la Bourse du Travail. 23 octobre : manifeste de la coalition révolutionnaire. Participe à de nombreux meetings, à Paris, Toulouse où la manifestation dégénère. Rapprochement avec Jaurès. 28 décembre : obsèques de Rodenbach. 1899 . 5 janvier : meeting de la coalition révolutionnaire. 6 janvier : projet de voyage en Algérie. 15 janvier : meeting à Corbeil. 22 janvier : assiste à la saisie-vente chez Zola. 27 janvier : préside un meeting au théâtre Moncey. 3 février : va voir Zola à Londres. 11 février : meeting à Rouen. 15 février : publication de l’ Hommage des artistes à Picquart , dont Mirbeau a écrit la préface. 1 er mars : collaboration au Journal du Peuple de Sébastien Faure. 14 mars : témoigne en faveur d’Urbain Gohier devant les assises de la Seine. 6 avril : banquet pour la liberté de la presse. 26 avril : préside un meeting « en faveur de la lumière et de la vérité ». 10 mai : meeting à la salle de Grand Orient. 3 juin : arrêt de révision du procès Dreyfus. 8 juin : meeting au théâtre Moncey. 10 juin : banquet en l’honneur de Picquart. 11 juin : manifestation dreyfusiste à Longchamp. Le 13 juin, parution du Jardin des supplices . Juillet : en Normandie. Le 5 août, Mirbeau assiste, à Rennes, au second procès Dreyfus ; il est révolté par la nouvelle condamnation de l’officier juif « avec circonstances atténuantes ». Octobre : voyage en Suisse et en Autriche. Novembre : participe aux réunions de la Revue d’art dramatique pour la création d’un théâtre populaire. 23 décembre : lit Les Mauvais Bergers dans une université populaire.

9 La gloire 1900 . Le journal d’une femme de chambre . 6 mars : achète deux Renoir à la vente Tavernier : « Il est vraiment le peintre de la femme ». 7 avril : première réunion de l’académie Goncourt : fait élire Elémir Bourges ; élection de Léon Daudet et Lucien Descaves. 14 avril : ouverture de l’Exposition universelle. 1 er juin : exposition Rodin au pavillon de l’Alma. 9 juin : Mirbeau joue le rôle du maire dans L’Epidémie à la Maison du peuple de Montmartre. Sortie, le 10 juillet, du Journal d’une femme de chambre ; grand succès de vente. Ce roman sera deux fois porté à l’écran, par Jean Renoir en 1946, par Luis Bunuel en 1963. Août : séjour à Honfleur ; reçoit Rodin et Monet. Signe, avec 80 confrères, une pétition de soutien à l’écrivain flamand Georges Eekhoud, poursuivi pour son roman à sensibilité homosexuelle Escal-Vigor . Septembre : premier voyage en automobile, à Interlaken et Lucerne. 10 octobre : mort de son père. Novembre-décembre : campagne néo-malthusienne dans Le Journal . Décembre : installation à Cannes ; commence à travailler aux Affaires sont les affaires . 1901 . Les Vingt et un jours d’un neurasthénique . Janvier : à Nice, villa Ibrahim. Mars-mai : lit Les Affaires à Claretie ; réception « à corrections » des Affaires à la Comédie-Française ; fureur de Mirbeau. 25 mai : premiers d’ Amants aux Grand Guignol. Juillet : à Veneux-Nadon ; crise d’appendicite. Août : publication des Vingt et un jours d’un neurasthénique . Fin août : grave accident d’Alice. La mort de son chien, Dingo, en septembre, lui inspirera plus tard son dernier roman. En novembre, vient habiter rue du Bois de Boulogne. 19 novembre : reprise de Vieux Ménages au Grand Guignol. Intervient pour faire réintégrer dans l’armée son ancien condisciple de Vannes, le général Geslin de Bourgogne, malgré leurs divergences politiques. 1902 . Nouveaux enthousiasmes : Debussy, Maillol… et l’automobile . Le 19 février, création du Portefeuille au théâtre Renaissance-Gémier. Avril-mai : se bat pour Pélléas et Mélisande , de Debussy. 25 mai : dernier article dans Le Journal . Réalise entièrement le numéro du 31 mai de L’Assiette au Beurre . 15 juin : publication du Jardin des supplices illustré par Rodin. Fin juin : s’enthousiasme pour le sculpteur catalan Aristide Maillol. Août : voyage en voiture (la future 628-E-8) en Auvergne, dans le Jura, en Savoie et en Suisse, puis installation à Bray-Lu. Tombe malade. 29 septembre, mort d’Emile Zola ; le 5 octobre, Mirbeau assiste à son enterrement, aux côtés de son ami Anatole France. 1903 . Les Affaires sont les affaires . Se bat pour Maillol au sein de la commission pour la statue de Zola. 10 avril : préside un banquet des amis de la Raison. Le 20 avril, première de Les Affaires sont les affaires ; la pièce obtiendra un énorme succès en France et dans le monde. 30 juin : banquet Rodin à Vélizy. Juillet-août : à Sainte-Geneviève par Vernon. Du 28 septembre au 8 octobre : voyage à Berlin et à Vienne pour la création des Affaires . 15 novembre : obsèques de Camille Pissarro. 21 novembre : préside le banquet de La Plume . 25 novembre : à Munich, pour la création des Affaires . 21 décembre : pour l’attribution du premier prix Goncourt, il vote pour John-Antoine Nau, à défaut de pouvoir couronner Charles-Louis Philippe ou Paul Léautaud. Collabore au Canard Sauvage et à L’Auto . 1904 . Compagnon de route des socialistes . 30 janvier : à Marseille pour la création des Affaires . Le 1 er février : création d’ Interview au théâtre du Grand Guignol. Hiver-printemps : participe aux réunions de la commission Becque. Mars, acquisition d’un manoir à Cormeilles-en-Vexin. Le quotidien L’Humanité est fondé par Jaurès le 18 avril ; Mirbeau fait partie de la rédaction littéraire aux côtés d’Anatole France, Lanson, Blum, etc. S’attaque au militarisme, à l’autocratie tsariste et participe au combat pour la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Juin : contrat de 50000 francs

10 avec Hertz pour trois tournées des Affaires en France et à l’étranger. Fin juillet : voyage en automobile. 19 septembre : création des Affaires à New York. Du 10 décembre au 5 janvier, il séjourne à Berne, puis à Lugano, pour soigner la neurasthénie d’Alice. 1905 . Le millionnaire rouge . Très actif dans la lutte contre le tsarisme (pétitions, meetings). Fin janvier, prend l’initiative d’une protestation en faveur de Gorki. 26 février : participe à la fondation de la Société des amis du peuple russe. 18 mars : meeting des amis du peuple russe ; s’élève contre l’emprunt russe. 1 er avril : important article sur Maillol dans La Revue . 2 mai : départ en automobile pour Bruxelles, puis la Hollande et l’Allemagne ; ce pays l’enthousiasme : « En France, nous nous endormons, tandis que les autres pays marchent, marchent. Dame ! Quand on a un Delcassé !!! ». 1 er juin : subit une perquisition après l’attentat contre Alphonse XIII et Loubet. Juillet : au sein du comité Blanqui, se bat pour Maillol. Août : cure à Pougues. Obsèques d’Heredia, et de son éditeur Charpentier. 5 décembre : enthousiasmé par Nono de . 1906 . 4 mars : cérémonie pour la centième des Affaires . Fin mars : a achevé Le Foyer , le retravaille en vue de le raccourcir. Juin : cure à Vichy. Juillet : lecture du Foyer à Claretie ; refus de Claretie. Fin août : Lucien Guitry prend Le Foyer à la Renaissance. 21 octobre : Mirbeau retire sa pièce à Guitry, sans exiger d’indemnités. 14 décembre : vote pour Charles- Louis Philippe. 15 décembre : Claretie accepte Le Foyer , après une visite d’Alice, avec l’espoir de l’édulcorer. 1907 . Le premier roman sur l’automobile : la 628-E-8. Mars : recommande Paul Léautaud à Briand. Alice est très malade. 15 mai : obsèques d’Huysmans. Débute une série d’articles contre la faculté de médecine et le système hospitalier dans Le Matin . Cure à Contrexéville. 1 er octobre : premier numéro de Comoedia ; Mirbeau n’y publie qu’un article. Le 31 octobre, il fait élire Jules Renard à l’académie Goncourt. 1 novembre : mort dans la misère du pataphysicien Alfred Jarry, que Mirbeau a aidé financièrement au cours des derniers mois. Novembre : parution de La 628- E-8. Polémique sur la mort de Balzac, qu’il se résigne à supprimer. Mais c’est au tour des belges de s’indigner du chapitre qui leur est consacré, et des chauvins de s’indigner du bien qu’il dit de l’Allemagne… 1908 . L’affaire du Foyer . 5 février : Lecture du Foyer aux comédiens. « Le catholicisme fait eau de toutes parts ; seul recours défensif, et par cela même offensif, entre les mains de ceux qui combattent à son bord, il lui reste la « charité », les « œuvres charitables ». Le Foyer l’a frappée au visage, la charité catholique, carrément, et le poing fermé », dira Mirbeau à propos de cette pièce. 10 février : Claretie épouvanté, parle de démissionner, arrête les répétitions. Mars : sommation à Claretie de les reprendre, et assignation de Claretie. 2 avril : interpellation à la Chambre sur Le Foyer . 29 avril : plaidoirie d’Henri-Robert. 20 mai : Claretie est condamné à reprendre les répétitions. Juillet-octobre : cure à Contrexéville ; séjour en Forêt-Noire ; crise d’hémoptysie ; convalescence. Novembre : répétitions du Foyer. 3 décembre : vote pour Valéry Larbaud au premier tour et pour Viollis au second. Achète un terrain à Triel. 7 décembre : première du Foyer à la Comédie-Française.

11 1909 . Contre la peine de mort . Janvier-février : incidents à Paris et en province lors de la représentation du Foyer . 10 février : obsèques de Catulle Mendès. Mirbeau s’engage pour faire abolir la peine de mort. Fait construire la maison de ses rêves à Cheverchemont près de Triel. 23 mai : dîne chez Sée avec Jules Renard. Juillet : troisième cure à Contrexéville. Août-septembre : victime d’une paraphlébite, il part en villégiature à Dijon chez son médecin. Découvre Utrillo. 24 octobre : proteste publiquement après l’exécution de l’anarchiste Francisco Ferrer. 7 décembre : triomphe du Foyer au Kammerspiel de Berlin. Amitiés avec Edmond Sée, Francis Jourdain, Georges Besson et Léon Werth. Mi-décembre : coup de foudre pour Marie-Claire , de Marguerite Audoux. 22 décembre : mort de Charles-Louis Philippe.

Déclin et trahisons 1910 . 1 er janvier : Mirbeau reçoit la visite de Gide et de Copeau ; dialogue de sourds entre deux générations. 15 janvier : collaboration à Paris-Journal . Ecrit la préface du catalogue pour l’exposition Vallotton. Visites à Jules Renard. Fin janvier : dramatiques inondations à Paris. 7 février : assiste à la première de Chantecler . Visite l’exposition Matisse. 10 mai : publication de Marie-Claire de Marguerite Audoux dans la Grande Revue . 22 mai : mort de Jules Renard. 7 août : à Giverny. 20 août : reçoit Rodin et la duchesse de Choiseul. Début septembre : reçoit Monet et Rodin. Le 15 octobre, avec Anatole France, il s’en prend à Briand qui réprime sévèrement la grève des cheminots. Fin novembre : visite à Montfort. 8 décembre : donne son vote à Marguerite Audoux, puis à Louis Pergaud. 15 décembre : signe avec Jack London une pétition adressée à l’ambassadeur du Japon pour obtenir la grâce d’intellectuels japonais dissidents. Demande la grâce de Durand. 1911 . Sa santé se détériore. 6 avril : à la générale des Karamazov au théâtre des Arts. Juin : reçoit Léon Werth. Juillet : séjour chez Sacha Guitry à Yainville. Septembre : prend l’initiative d’une protestation contre l’arrestation d’Apollinaire. 6 septembre : à Giverny. 5 octobre : intervient dans l’affaire Métivier. Novembre : Maurice Maeterlinck obtient le prix Nobel. 4 décembre : soutient Neel Doff pour le prix Goncourt. 1912 . 30 janvier : préside le comité d’action pour la liberté d’opinion. Le 6 février, dans Paris-Journal , prend la défense de Gustave Hervé, et en profite pour attaquer de nouveau les républicains. 22 février : se rallie à un manifeste en faveur de Rousset. Début mars : victime d’un accident vasculaire ; paralysie du côté droit. Mai : soutient l’initiative en faveur d’un musée Rodin. Juin : vent les Iris et les Tournesols de Van Gogh, à Berheim- Jeune, pour la somme de 90000 Francs. Juin-juillet : Werth l’aide à terminer Dingo . Octobre : premier numéro des Cahiers d’aujourd’hui . 4 décembre : soutient Vildrac, puis Benda pour le prix Goncourt. 1913 . 2 mai : publication de Dingo , après une prépublication dans Le Journal . 28 mai : reçoit Werth et Rosny. Fin août : avec Monet chez Sacha Guitry, qui fait son portrait. Octobre : visite de Monet et Geffroy. Soutient Léon Werth (futur ami de Saint-Exupery) pour le prix Goncourt. 1914 . Devant l’irréparable . Rares voyages à Paris, où il retrouve Gustave Geffroy. 16 mai : reçoit Léautaud, Besson et Sée. 1 er août : mobilisation générale. Désespéré par la guerre, Mirbeau décline préma- turément. 23, 26 juillet et 3 août : reçoit ses voisins, Albert Adès et Albert Josipovici. 1 er septembre et 5 octobre : visites de Monet. 31 octobre : déjeuner Goncourt.

12 1915 . Passe le 1 er janvier à Giverny. 27 février : visite de Monet. 9 mars : signe l’appel des intellectuels contre le vandalisme de l’armée allemande. 20 juin : organise chez lui, avec Alice et Mme Lara, une matinée au profit des soldats convalescents. Le 28 juillet 1915, publie un appel A nos soldats dans Le Petit Parisien . Plaide pour une réconciliation franco- allemande au lendemain de la victoire indispensable. Mi-août : reçoit Jules Lefranc. 22 novembre : projection du film de Sacha Guitry, Ceux de chez nous , où l’on voit Mirbeau pendant quelques secondes. 24 novembre : s’installe à Paris, rue Ampère. 1916 . Fait d’Alice sa légataire universelle. 11 mai : retour à Triel. 5 juin : reçoit les académiciens Goncourt. 17 juin : chez Monet avec Geffroy, Hennique, Descaves. 25 octobre : préface de Goba le Simple , écrite sous son nom par Francis Jourdain. 30 octobre : s’installe rue Beaujon. 15 décembre : attribution du prix Goncourt 1914 à Barbusse et du prix 1916 à Adrien Bertrand. 1917 . Mort et trahison . 21 janvier : visite de Robert de Montesquiou. Le 16 février, jour de ses 69 ans, Mirbeau meurt vers 7 heures du matin, rue Beaujon. Sacha Guitry est le dernier à l’avoir vu vivant : « Mirbeau est mort entre mes bras. Il me regardait fixement depuis une heure, quand il fit un petit mouvement de la tête. Je m’approchai de lui. Il m’embrassa longuement et me dit à l’oreille : « Ne collaborez jamais ! » ». Le 19, Le Petit Parisien publie son prétendu Testament politique , aux accents fortement patriotiques, probablement fabriqué de toutes pièces par Gustave Hervé avec la complicité d’Alice Mirbeau. Ce même jour, lors de son enterrement au cimetière de Passy-Trocadéro, ses plus fidèles amis protestent contre cette imposture. Son ami Rodin meurt le 17 novembre.

Un long oubli « Cher Mirbeau ! Cher grand énergumène, ardent, sensible, généreux et tendre. Méconnu . » Francis Jourdain 1918 . Alice Mirbeau fait don de la villa de Cheverchemont à la Société des gens de lettres. Les éditions Flammarion commencent à publier des recueils de contes et de chroniques, soigneusement expurgées : on n’y trouve aucune chronique anarchiste, aucun article de L’Aurore ni de L’Humanité . 1919 . Mars et juin : vente aux enchères de la collection Mirbeau. Tableaux, sculptures, manuscrits et lettres : Le Père Tanguy de Van Gogh, Le Jardin d’Octave Mirbeau de Pissarro, Le Conciliabule de Camille Claudel, L’Homme assis de Rodin, Le Pêcheur à la ligne et Au jardin de Cézanne, ainsi que d’innombrables toiles de Renoir, Gauguin, Monet, Berthe Morisot, Seurat, Vuillard, Bonnard, Utrillo, Jongkind, Roussel, Signac, Carrière… 1920 . Parution d’ Un gentilhomme , roman inachevé de Mirbeau. 1926 . Le 5 décembre, mort de Claude Monet. 1929 . Le 24 novembre, mort de Clemenceau. 1930 . Jean Maurienne tente de mettre sur pied une Société des amis de Mirbeau : c’est un échec. 1931 . Mars : création du Roman d’une femme de chambre , pièce en 14 tableaux, par André Heuzé et André de Lorde, au théâtre de la Renaissance. 12 juillet : décès d’Alice Mirbeau, qui a légué tous ses biens à… l’Académie des sciences, qu’a si souvent pourfendu Mirbeau ! 1932 . 11 septembre : inauguration à Trévières d’une plaque commémorative, apposée sur la maison natale de Mirbeau en présence de Sacha Guitry.

13 1934-1936 . Publication des Œuvres illustrées en dix volumes aux Editions Nationales, avec une présentation de Roland Dorgelès. 1938 . Reprise du Foyer au théâtre du Peuple. 1977 . Hubert Juin et Christian Bourgois entreprennent la réédition de Sébastien Roch , l’Abbé Jules , La 628-E-8, Les Vingt et un jours d’un neurasthénique (UGE, 10/18). 1981 . Création du Journal d’une femme de chambre par Jacques Destoop dans le cadre du festival du Marais. 1983 . 15 octobre : Les Affaires sont les affaires au théâtre du Rond-Point, dans une mise en scène de Pierre Dux. 1985 . Création du Jardin des supplices au théâtre de la Huchette, dans une mise en scène de Nicolas Bataille. 1989 . Le Foyer , mis en scène par Régis Santon, obtient le Molière 89 du meilleur spectacle subventionné. Publication par L’Echoppe (Caen) de Dans le ciel , recueilli pour la première fois en volume. La librairie Séguier (Paris), L’Echoppe (Caen), les éditions du Lérot (Tusson, Charente) et les éditions du Limon (Montpellier) entreprennent l’édition intégrale des contes, des chroniques et de la correspondance de Mirbeau. 1990 . Publication de la première biographie « Octave Mirbeau, L’imprécateur au cœur fidèle », par Pierre Michel, Jean-François Nivet (Librairie Séguier), qui relancent les études mirbelliennes.

Références : Pierre Michel, Jean-François Nivet : Octave Mirbeau, l’imprécateur au cœur fidèle (Libraire Séguier, 1990) Octave Mirbeau : Lettres à Alfred Bansard des Bois (1862-1874) Jean-Baptiste Duroselle : Clemenceau (Fayard, 1988) Mona Ozouf : Un tendre imprécateur (Le Nouvel observateur, 2 juin 2005) Sources Internet nombreuses.

Gide chez Mirbeau

Gide a raconté dans son Journal son entrevue du 1 er janvier 1910 avec Mirbeau. Entre l’ancien et le futur maître à penser de la France intellectuelle, on aurait rêvé une passation de témoin émouvante, sinon empathique. Ce fut hélas un dialogue de sourds et, pour tout dire, un four. Le récit qu’en donne Gide est digne de La Bruyère… et de Mirbeau !

J’ai rendez-vous à 2 heures et demie, avec Copeau, chez Mirbeau. Nous passons là trois heures environ ; et sortons fourbus l’un et l’autre. Nous allions chez Mirbeau, non pour le médiocre et fatigant plaisir de l’entendre, mais pour lui apporter le roman d’Iehl et l’exciter sur cette lecture. Pour lui parler aussi de Marguerite Audoux. Dès qu’on va chez quelqu’un pour lui demander quelque chose, on dépense infiniment plus que ce que l’on attend de lui. Vers 5 heures nous étions ruinés, claqués d’énervement et de fatigue ; et nous n’avions rien obtenu. Rien obtenu qu’une incohérente suite de récits anecdotiques comme Mirbeau excelle à les faire. Sur Claretie, sur la baronne de Z., sa propriétaire et voisine, sur Gregh, sur des « savants » qu’il prétend ridiculiser. « J’en connais un qui, depuis des mois, prépare un rapport… Savez-vous sur quoi ?… Sur les muscles des araignées ! Les muscles des araignées ! Mais il n’en a seulement

14 jamais vu, des araignées… Et naturellement il en tire des conclusions d’intérêt mondial… J’en connais un autre qui a fait paraître en 1900 une étude sur « le mécanisme de la digestion chez les acridiens »… C’est énorme !  L’avez-vous lu ? demande Copeau timidement.  J’ai lu le titre, oui. Je l’ai vu. Vous ne trouvez pas ça prodigieux ? Je vous assure qu’ils sont tous les mêmes. Tous les mêmes ! » Et il circule dans la pièce en répétant ces mots. Assurément sa verve est assez plaisamment colorée ; mais ce qu’il grossit de chacun, c’est toujours le défaut le plus vulgaire ; il ne ridiculise qu’aux dépens de la vérité. Je crois bien qu’il ne sent jamais, de chacun, la particularité importante. Le voici qui traite Claretie de bandit, d’assassin. « Je vous affirme que c’est un assassin » ; tout à l’heure il ne parlera pas différemment de Descaves. (…) Et que lui resterait-il à faire, à Mirbeau, s’il ne pourfendait point ? C’est là sa vocation et son occupation première. Il retomberait à plat s’il ne s’imaginait environné de monstres. Au demeurant il ne m’est point antipathique ; au contraire ; et son contact est chaleureux. Mais rien à apprendre près de lui. Pas même moyen de se renseigner exactement. Plus un humoriste est intelligent, moins il a besoin de déformer la réalité pour la rendre signifiante.

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