Adrien CARALP Séminaire Du CEMI 9 Avril 2015 Les Cycles D'innovation
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Adrien CARALP Séminaire du CEMI 9 avril 2015 Les cycles d’innovation dans le domaine des véhicules militaires Introduction 1) Eléments de départ Une étude des évolutions à l’œuvre dans le domaine des véhicules militaires depuis une vingtaine d’années laisse entrevoir trois éléments marquants : - L’effondrement de la demande sur le marché des chars lourds au niveau mondial ; - Une évolution de la demande vers des véhicules plus légers et polyvalents ; - Des progrès technologiques récents et significatifs dans le domaine des véhicules à roues. Ces trois éléments s’inscrivent dans un contexte de changements majeurs, à savoir la fin de la guerre froide et de l’affrontement bipolaire, mais aussi l’évolution des politiques de défense d’un certain nombre d’Etats avec le passage d’une posture de défense du territoire national à des opérations de projection de troupes à l’étranger. Au niveau industriel, le cas de la France est de ce point de vue un exemple tout à fait éloquent : la production du char lourd Leclerc cesse à l’été 1998 et le principal véhicule militaire actuellement en production est le VBCI, véhicule blindé de combat d’infanterie, plateforme à roues 8x8 qui a vocation à remplacer les véhicules à chenilles AMX-10 P. Ces évolutions sont souvent énoncées, que ce soit dans des rapports d’organisations internationales, de think tanks ou dans la presse spécialisée ; elles ne sont en revanche jamais décrites de façon approfondie. On a en ce sens plutôt affaire à des affirmations qui s’appuient sur l’énumération d’un certain nombre d’exemples concrets. C’est de ce constat que réside l’origine du présent document : recourir à une étude statistique de l’innovation technologique dans le domaine des véhicules militaires en comparant l’évolution dans le temps de plusieurs catégories de plateformes, de façon à avoir une étude scientifiquement recevable des trois évolutions précédemment décrites. Dans ce cadre, l’objectif est d’étudier l’innovation technologique de trois catégories de plateformes : le char lourd qui constitue le véhicule militaire le plus puissant et le plus lourdement armé, mais aussi le véhicule de combat d’infanterie (VCI) à chenilles, catégorie intermédiaire dont le châssis peut être utilisé pour d’autres applications, et enfin le véhicule à roues 8x8, catégorie plus légère mais dont les progrès technologiques récents tendent à les rapprocher des performances des VCI chenillés. L’analyse statistique porte sur trois mesures 1 de l’innovation technologique : le poids maximum au combat (en tonnes), la puissance maximale du moteur (en chevaux) et, synthèse de ces deux éléments, le rapport puissance/masse (nombre de chevaux par tonne). L’objectif étant d’avoir recours à une perspective historique destinée à mieux comprendre la situation présente, l’étude porte sur plusieurs décennies, de 1960 à 2010. Les éléments relatifs aux sources utilisées et à la méthodologie employée sont précisés en deuxième partie. 2) Cadre théorique mobilisé Dans une perspective théorique, le cadre d’analyse qui semble le plus pertinent pour se livrer à une telle étude est celui du cycle de vie de la technologie, souvent formalisé sous la forme d’une courbe en S. Ce modèle postule qu’une technologie, mais aussi un produit ou un secteur d’activité, passe par quatre phases : lancement, croissance, maturité et déclin. Au départ fondamentalement empirique, ce modèle est théorisé en 1986 par Richard Foster dans son ouvrage Innovation. The Attacker’s Advantage. L’auteur s’y interroge sur la difficulté qu’ont les entreprises établies (les défenseurs) lorsqu’elles sont confrontées à l’émergence d’une nouvelle technologie, généralement accaparée avec succès par de nouveaux entrants (les attaquants). L’approche repose sur l’importance pour une entreprise d’apprendre à maîtriser et à animer le processus d’innovation, plutôt que de le considérer comme un élément imprévisible, impossible à contrôler et à diriger. Une telle analyse repose sur le modèle de la courbe en S du cycle de vie de la technologie et de ses quatre phases, et plus particulièrement sur une bonne compréhension des mécanismes à l’œuvre dans la partie haute de la courbe, qui correspond à la fois aux limites (lorsqu’une technologie ne progresse qu’à un taux marginal décroissant) et aux discontinuités (lorsqu’une nouvelle technologie succède à une ancienne). Richard Foster considère que ce modèle constitue un instrument de prévision utile, d’autant qu’il contraint l’entreprise à un certain nombre de décisions a priori contre-intuitives : ne pas hésiter à cannibaliser une technologie et un produit pourtant rentable et mature de façon à pérenniser son activité sur le long terme. L’objectif n’est pas ici de se servir de ce modèle dans une vision prospective, mais de l’employer comme grille de lecture venant faciliter l’analyse en le confrontant aux résultats statistiques afin d’examiner si la succession de différentes phases d’innovation peut être observée dans le secteur des véhicules militaires, selon quelle modalité, et la façon dont ces phases se chevauchent dans le temps selon les trois catégories de plateformes étudiées. 2 Une dizaine d’années plus tard, un autre auteur, Clayton Christensen s’interroge à nouveau sur la difficulté qu’ont les entreprises établies à faire face à l’émergence d’une nouvelle technologie. Son ouvrage, The Innovator’s Dilemma. When New Technologies Cause Great Firms to Fail, est publié en 1997. Dans la continuité des travaux de Richard Foster, Clayton Christensen reprend le modèle de la courbe en S du cycle de vie de la technologie tout en renouvelant la distinction traditionnelle entre innovation incrémentale et innovation de rupture. L’auteur y définit une technologie de rupture (disruptive technology) comme l’assemblage de composants issus de technologies déjà existantes et éprouvées en une nouvelle architecture de produits qui offre au client un ensemble d’attributs et une nouvelle proposition de valeur non encore disponible. En ce sens, la technologie de rupture n’implique aucune technologie nouvelle et propose dans un premier temps des performances inférieures à celles de l’offre de référence. Avec le temps cependant, la technologie de rupture progresse et concurrence par le bas l’offre de référence, jusqu’au stade où elle parvient à satisfaire la demande moyenne du marché. Dans les exemples qu’il donne des technologies de rupture potentielles, Christensen mentionne le cas des drones par rapport aux avions de combat : dans un premier temps, le drone offre des performances largement inférieures et se trouve cantonné à des applications spécifiques telles que la surveillance. Les progrès technologiques laissent cependant envisager, à terme, une possible concurrence directe entre la technologie de rupture (le drone) et l’offre de référence (l’avion de combat traditionnel). La question posée est alors de savoir si une logique similaire peut être identifiée dans le domaine des véhicules à roues par rapport aux véhicules à chenilles. 3) Objectif de l’étude et annonce de plan Comme mentionné précédemment, l’objectif est double : Il s’agit d’abord de vérifier par le recours à des données quantitatives la pertinence des trois propositions de départ (perte d’intérêt sur le segment des chars lourds, recentrage sur des plateformes plus légères et progrès majeurs réalisés récemment sur le segment des véhicules à roues lourds) mais aussi l’ampleur de ces évolutions. Dans cette perspective, le modèle du cycle de vie de la technologie tel que proposé par Richard Foster est employé comme grille de lecture venant aider à la classification et à l’interprétation des résultats obtenus. Il s’agit également d’étudier plus spécifiquement les deux dernières catégories de véhicules (véhicule de combat d’infanterie chenillé et véhicule à roues 8x8) de façon à déterminer si les progrès technologiques réalisés dans cette dernière catégorie permettent 3 d’approcher voire d’égaler les caractéristiques des véhicules chenillés. Dans cette seconde perspective, c’est le modèle de l’innovation de rupture tel que proposé par Clayton Christensen qui est mobilisé. La présentation prend la forme d’un plan en trois parties. Sont d’abord présentés les éléments théoriques de départ, à savoir le modèle du cycle d’innovation et la théorie de la discontinuité, puis la théorie de l’innovation de rupture. La deuxième partie porte sur une étude statistique de l’innovation technologique dans le secteur des véhicules militaires des années 1960 à nos jours. Enfin, la troisième partie confronte les modèles théoriques aux résultats statistiques obtenus. I) Eléments théoriques : cycle d’innovation et rupture technologique L’approche de Richard Foster comme celle de Clayton Christensen se situe dans le domaine de la stratégie technologique des firmes. Le point de départ des deux auteurs est identique, à savoir le constat selon lequel des entreprises bien établies, voire en position dominante sur un secteur d’activité, perdent leur hégémonie et sont concurrencées par d’autres entreprises qui utilisent une technologie nouvelle et proposent des produits moins coûteux. Dans le cas de Foster, les entreprises en place gèrent la technologie de façon pertinente dans le cadre d’évolutions et de changements continus, mais se trouvent désarmées face à des situations de discontinuités rapides et brutales. Dans le cas de Christensen en revanche, les entreprises en place gèrent les innovations de continuité, fussent-elles radicales, de façon pertinente, mais se trouvent désarmées face à des innovations de rupture. A) Richard Foster : le modèle de la courbe en S et la gestion des discontinuités 1) Présentation Richard Foster est le premier auteur à avoir mis en avant le modèle de la courbe technologique en S dans un ouvrage de 1986, intitulé Innovation. The Attacker’s Advantage, traduit en français par L’innovation. Avantage à l’attaquant. Son point de départ réside dans la prise de distance avec l’idée, pourtant largement répandue, selon laquelle l’innovation serait un phénomène individuel et hasardeux, impossible à planifier et à diriger de façon significative.