Nouvel Examen Des Langues Des Antilles
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Journal de la Société des Américanistes Nouvel examen des langues des Antilles. C. H. de Goeje Citer ce document / Cite this document : de Goeje C. H. Nouvel examen des langues des Antilles.. In: Journal de la Société des Américanistes. Tome 31, 1939. pp. 1- 120; doi : https://doi.org/10.3406/jsa.1939.1984 https://www.persee.fr/doc/jsa_0037-9174_1939_num_31_1_1984 Fichier pdf généré le 04/05/2018 NOUVEL EXAMEN DES LANGUES DES ANTILLES AVEC NOTES SUR LES LANGUES ARAWAK-MAIPURE ET CARIBES ET VOCABULAIRES SHEBAYO ET GUAYANA (GUYANE), Par C. II. de GOEJE. INTRODUCTION. Au temps de la découverte, les Antilles et l'archipel Bahama étaient habités par des peuplades parlant probablement des langues diverses. Il y a deux de ces langues, le Taino d'Haïti et le Garibe de la Guadeloupe, etc., dont des restes ont été conservés. La langue taino, morte à présent, nous intéresse surtout parce que plusieurs de ses mots ont été adoptés dans les langues européennes (tabac, hamac, cannibale, la Martinique, etc.). Le matériel de cette langue se compose de deux cents mots environ et quelques phrases qui se trouvent éparpillés dans les écrits espagnols et italiens des 15e et 16e siècle. Gilij, puis Rafmesque, von Martius, Richardo (Pichardo?), Biïnton, Tavera-Acosta et Z a vas y Alfonso ont dressé des listes de ces mots et Rafinesque, Brinton et Adam ont fait des recherches sur leurs affinités '. La tentative hardie de Rafinesque a abouti à des fantaisies. Brinton a réussi à constater des affinités entre le Taino et l'Ara wak de la Guyane, mais ses etymologies sont souvent erronées. Adam s'est servi du vocabulaire de Rafinesque-Martius sans se douter que ce vocabulaire est peu sûr et qu il contient des mots empruntés à un dictionnaire caribe. C'est pourquoi je donne ici un nouveau vocabulaire comparé du Taino, 1. Rafinesque (C. S.). The American nations. Philadelphia, 1836 ; Buinton (D. G.). The Araiuack language of Guiana in its linguistic and ethnological relations. Transactions of the american philosophical Society. Philadelphia, 1871 ; Adam (L.). Du parler des hommes et du parler des Jetnmes dans la langue caraïbe. Mémoires de l'Académie de Stanislas. Paris, 1Š78. — Pour mon vocabulaire j'ai de nouveau tiré les mots taino des éditions des Colomb, de Las Casas, Oviedo, Martyr, Chanca et Pane. Société des Américanistes, 1939. 1 2 SOCIÉTÉ DES AMÉR1CAN1STES tenant compte des dernières acquisitions de la linguistique américaine et surtout de mes recherches sur le Caribe des Iles. Le résultat de mon enquête est que le Taino était bien une langue de la famille arawak-maipure de l'Amérique du Sud. Je n'oserais affirmer que le Taino était identique à la langue ancienne des Petites Antilles, Tlneri (dont il sera parlé plus loin), ni que les mots prétendus taino appartenaient tous à une seule langue. (Notons ici que « Taino » n'était pas le nom d'un peuple antilléen ou de sa langue — voir vocabulaire II b « homme d'importance » et Brinton, p. 13 — mais que faute de mieux on peut continuer de se servir de ce nom). Les mots désignant Indien Caribe (II b), canot (III), ananas (VI) et peut-être aussi hochet de l'homme- médecin (II a), client (II b), escabeau (III), Ceyba (VI), urucu (VI) font témoignage d'anciens rapports des Taino avec la terre ferme de l'Amérique du Sud. La langue caribe (Garibe des Iles) est bien mieux connue, surtout par le travail du Père Breton, missionnaire chez les Garibes de la Guadeloupe au 17e siècle. Cette langue est d'un intérêt tout particulier par son bilinguisme : parler des hommes et parler des femmes ; c'est-à-dire exactement : un nombre assez considérable d'idées s'expriment par deux mots- différents ; l'un de ces mots est employé par les hommes et par les femmes quand elles parlent à un homme, l'autre par les femmes quand elles s'entretiennent entre elles. Une tradition des Caribes disait que cette particularité de leur langue provenait des Caribes (tribu kalina de la Guyane) qui avaient envahi les Petites Antilles, habitées jusqu'alors par la tribu iňeri (apparentée aux Arawak de la Guyane). Les conquérants ayant tué et mangé les hommes iňeri et gardé les femmes. En comparant le Garibe des Iles avec le Kalina (ou Galibi) et avec l'Arawak, Adam constata qu'en effet bon nombre de mots du Garibe se retrouvent dans l'une des deux langues de la terre ferme et encore que les mots du parler des hommes correspondent presque toujours avec des mots kalina et les mots du parler des femmes avec des mots arawak. Mais les conclusions d'Adam n'ont pas été universellement acceptées. Leur côté faible était qu'elles ne s'appuyaient que sur environ 270 mots et formes grammaticales sur un total de plus de 2.500. L'analyse complète du Garibe que je présente ici, ne laisse plus aucun doute que les conclusions d'Adam étaient justes. En même temps elle rend accessible aux linguistes et aux américanistes les restes considérables de riňeri (famille arawak-maipure) cachés dans la. langue mixte qu'est le Caribe et des données importantes sur le Kalma du temps de l'invasion, c'est-à-dire du 14c-15e siècle. J'y ai inséré les résultats d'une NOUVEL EXAMEN DES LANGUES DES ANTILLES analyse du Chribe du Honduras, parlé par les descendants des Caribes,! déportés, en ce pays en 1796. Voici les résultats sous forme de statistique (h parler des hommes, f parler des femmes, с parler commun aux deux sexes) 1. Arawak- pas Esp. Kalina Maipure identifié anc. Franc. f с f f с grammaire 30 1 50 0 11 97 3 7 16 0 32 corps 34 1 21 27 44 3 3 46 0 1 religion 10 0 16 9 6 0 0 7 2 14 famille 28 0 28 23 13 10 3 19 6 16 village- 36 6 M 22 34 10 8 51 31 70 nature 28 1 34 0 21 25 23 0 2 animaux о 1 62 0 6 35 151 7 7 plantes 16 2 36 1 15 27 14 9 101 verbes 226 5 150 16 114 157 66 79 320 64 Pour les conquérants les femmes ineri, arawak et taino dont ils s'étaient emparés n'étaient pas des épouses en titre ; les enfants issus de ces unions ont été considérés comme appartenant à la tribu de leurs pères et non à la tribu de leurs mères ; dans ce cas la loi du matriarcat n'a pas trouvé application. On peut se figurer qu'au commencement les Kalina ne connaissant que leur langue к eux, ont exigé de ces femmes qu'elles apprennent le Kalina. Mais quand ces femmes s'entretenaient entre elles, elles se ser- , vaient naturellement de la langue qui leur était familière, c'est-à-dire de' riîieri (ou dé l' Arawak ou du Tamo, ou d'un mélange). Les entants ont appris l'Ineri de leurs mères ; puis les fils allant avec leurs pères et rencontrant souvent des Kalina de la terre ferme, se sont efforcés de parler la langue de leurs pères et par orgueil national exigaient que les femmes en s'adressant à eux se servissent aussi autant que possible de mots et de formes grammaticales kalina. Ce bilinguisme est ensuite devenu chose 1. Le dictionnaire du P. Breton contient quelques erreurs évidentes (par exemple prune jaune h ubu, (momben; Kalina торс, Arawak bobu, Taino hobo), sans lesquelles le nombre de correspondances entre des mots du parler féminin et des mots kalina ou des mots du parler viril et des mots arawak-maipure serait encore de moindre importance. — II y a de lég-ères différences avec ma communication au Congrès international des Linguistes à Home en 1933 (Atti, Firenze, 1935, p. 404-7; aussi De West-Indische Gids, La Ba\re, t. X VrI I ) , résultant de ce qu'ap'ès le Congrès j'ai continué mes recherches. 4 SOCIÉTÉ DES AMÉRIflAMSTES d'étiquette. Une telle coutume pouvait facilement s'établir parce que chez les tribus arawak-maipure ainsi que chez les Kalina il y a certaines expressions propres aux hommes et des expressions équivalentes employées par les femmes. Peu à peu certains mots kalina ou ineri sont tombés en désuétude, de sorte qu'au temps de Breton il y avait une langue caribe qui n'était autre que la langue iňeri dans laquelle plusieurs mots avaient été remplacés par des mots d'origine kahfia. Mais il y avait un certain nombre de mots, probablement presque tous d'origine iňeri, que les hommes, tout en les connaissant, n'employaient pas. Au lieu de ces mots ils se servaient de mots de provenance kalina. Au vingtième siècle il y avait encore quelques restes de l'ancien bilinguisme. En examinant la grammaire et le vocabulaire comparés on verra : 1. que l'Ineri (ou le mélange Iňeri-Arawak-Taino) était assez étroitement apparenté à Г Arawak. 2. que l'autre élément du Caribe des Iles n'est pas une langue quelconque de la grande famille caribe, mais du Kalina pur, dont quelques mots se rapprochent un peu plus d'autres langues de cette famille que du Kalina moderne. 3. que les mots de provenance tupi du Caribe des Iles se retrouvent en Kalina, ainsi que le mot matultt, table à trois pieds, qui pourrait être d'origine de l'Amérique Centrale. 4. qu'il serait possible que l'Ifieri ainsi que le Taino aient emprunté quelques mots à des populations plus anciennes des Antilles, mais qu'aucune indication ne le prouve. J ai ajouté au vocabulaire taino un supplément à mon vocabulaire comparé des langues de la famille arawak-maipure de 1928.