be style be heritage be . be style be heritage be .brussels Numéro spécial Journées du Patrimoine Région de Bruxelles-Capitale be style Septembre 2016 | N° 19-20 be heritage be .brussels Dossier RECYCLAGE DES STYLES JULES JACQUES VAN YSENDYCK LES FORMES DU PASSÉ AU SERVICE DOSSIER DU PROGRÈS DE LA NATION BELGE

BENOÎT MIHAIL CONSERVATEUR DU MUSÉE DE LA POLICE INTÉGRÉE

Hôtel communal d’Anderlecht, vitraux de l'escalier d’honneur (A. de Ville de Goyet, 2015 © SPRB). L’ARCHITECTE JULES JACQUES VAN YSENDYCK, MAÎTRE DE L’ÉCLECTISME DE LA FIN DU XIXe SIÈCLE, EST PASSÉ À LA POSTÉRITÉ COMME L’AUTEUR DES MAISONS COMMUNALES D’ANDERLECHT ET DE SCHAERBEEK, ŒUVRES PHARES DU STYLE DIT NÉORENAISSANCE FLAMANDE. Cet article retrace la carrière de ce bâtisseur et savant à la fois, en insistant sur la modernité que sa démarche représentait à l’époque.

« L’architecture de Van Ysendyck, tout tient pas à la première génération de la race et l’expression artistique, éta- en révélant ses origines, bien plus bâtisseurs qui rejettent le « dogme » bli par le philosophe Taine. Pour le que les Beyaert qui s’essayent dans néoclassique et s’essaient à toutes Belge, c’est donc la Renaissance fla- tous les styles, entre dans la voie sortes de styles anciens ou exotiques mande qui doit permettre l’éclosion des leçons qui servent à la création pour renouveler le vocabulaire archi- d’un style national moderne. Lorsque ultérieure d’une architecture nou- tectural. Il appartient à celle qui, cho- Van Ysendyck assiste à des boulever- velle ». Habituellement très critique à quée par la pratique du recyclage des sements nouveaux dans la société et l’égard de ses contemporains, Victor styles de tous les temps et de tous dans l’art de construire, il fait évoluer Horta a réservé dans ses mémoires les pays, souhaite repartir d’un seul son propre style en conséquence. un sort étonnant à l’auteur de l’hôtel pour créer le style nouveau adapté à Architecte érudit et constructeur communal de Schaerbeek – édifice la société moderne. Le nom le plus rationaliste, tels sont donc les deux qu’il cite ailleurs parmi les réussites célèbre associé à cette tendance qualificatifs les plus adéquats pour du XIXe siècle 1. Pourquoi défendre n’est pas belge, mais français : le ce « Viollet-le-Duc belge » dont le ainsi le principal représentant, avec fameux Viollet-le-Duc, bien sûr. génie, certes plus modeste, s’épa-

Émile Janlet et le fameux Auguste nouit surtout dans le dernier quart du Journées du Patrimoine Beyaert, du style néo-Renaissance Longtemps présenté comme le père XIXe siècle. flamande, si prisé dans les années du rationalisme, le chaînon manquant 1870-1880 ? Peut-être Horta appré- entre les idéologues du néoclassi- ciait-il le souci du détail de son aîné, cisme et les premiers adeptes du UN ARCHITECTE ÉRUDIT qui a dessiné, tout comme lui, d’in- mouvement moderne, Viollet-le-Duc nombrables éléments de décoration a été considérablement réévalué ces Sans entreprendre la biographie intérieure de ses édifices. Peut-être dernières années, la figure du techni- complète du personnage, mal connue respectait-il aussi la parcimonie avec cien laissant place à un génie rêveur du reste, il convient d’insister sur la laquelle Van Ysendyck choisissait ses et visionnaire, tout autant soucieux figure du père. Antoine Van Ysendyck, projets, puisqu’on lui connaît surtout de vaincre les cols des Alpes que de peintre anversois, remporte le Prix de quelques édifices publics et de nom- comprendre la vie d’une cathédrale en 1823 puis, de retour d’Italie, breux chantiers de restauration de à travers le temps. Sa perméabilité s’installe à où Jules Jacques monuments anciens – encore sub- aux théories déterministes – Essai naît en 1836. Il rentre quelques siste-t-il pas mal de zones d’ombres sur l’inégalité des races de Gobineau années plus tard en Belgique avec N°019-020 – NUMÉRO SPÉCIAL - SEPTEMBRE 2016 2 dans son catalogue . (1852) – a également été soulignée. sa famille. Van Ysendyck père vend Van Ysendyck creuse, en quelque beaucoup de portraits et de scènes Si répondre à cette question n’est sorte, le génie de son aîné, qu’il a pu religieuses. Une de ses œuvres les pas en soi le sujet du présent article, croiser ou à tout le moins étudier lors plus réussies évoque néanmoins l’exercice nous ramène au fond du de sa formation parisienne en 1860- le mariage de Léopold Ier, lorsque débat : la place des mouvements de 1861. Les vingt ans qui les séparent ce dernier rencontre le roi Louis- retour au passé dans l’histoire de correspondent à la maturation des Philippe à Compiègne en 1832 – la

l’architecture. Van Ysendyck n’appar- théories sur le lien entre le génie de scène est présentée selon une pers- BRUXELLES PATRIMOINES

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Fig. 1 Réception du roi Léopold Ier par le roi Louis-Philippe à Compiègne en 1832, Antoine van Ysendyck, 1832 (© coll. royale de Belgique).

pective originale et accorde une Ce contexte explique peut-être l’in- À Bruxelles, son premier chantier attention particulière à l’architecture térêt précoce de Jules Jacques pour documenté est celui de l’église néo- ambiante (l’œuvre est conservée l’archéologie, lui qui, en marge de baroque de Saint-Josse-ten-Noode au Palais royal de Laeken) (fig. 1). Il ses cours à l’ Académie de Bruxelles en 1865-1867, où il succède en fait réalise aussi deux tableaux pour le et à l’École des Beaux-Arts de Paris, à un autre architecte, Frédéric Van musée d’Histoire de France inauguré suit une longue formation d’archi- der Rit. Ce dernier a publié, vingt ans en 1836 au château de Versailles. Le tecte-restaurateur à la Commission plus tôt, le premier rapport d'archéo- futur architecte a donc grandi auprès royale des Monuments et Sites. logie sur une autre église, ancienne d’un père qui, non seulement lui fait Celle-ci l’amène assez rapidement à celle-là : la collégiale Saints-Pierre- découvrir l’héritage du passé, mais s’engager sur des chantiers de restau- et-Guidon à Anderlecht. Coïncidence a aussi été un acteur, certes mineur, ration, en province. Il effectue aussi un ou pas, il s’agit du premier grand du « genre historique » en peinture, stage chez Jean-Pierre Cluysenaar, monument bruxellois auquel Van qui annonce la volonté de retour aux l’illustre architecte des galeries Saint- Ysendyck s’attaque comme restau- traditions nationales dans l’architec- Hubert mais aussi de nombreux édi- rateur en 1879. Autre coïncidence ture, quelques années plus tard. Une fices pittoresques rompant clairement à signaler : son grand chantier sui- récente rétrospective a souligné à avec les habitudes néoclassiques – vant, celui de l’église du Sablon, est quel point le genre historique, dont par exemple le château Allard à Uccle d’abord confié à Auguste Schoy, un le principal représentant est Paul (1866, démoli en 1957). architecte moins connu pour ses pro- Delaroche (Van Ysendyck figure avec jets que pour ses écrits abondants, lui au Salon de Paris de 1833), se veut Cluysenaar a-t-il influencé les choix consacrés notamment à célébrer les un effort moderne pour comprendre de Van Ysendyck ? Les œuvres de jeu- qualités de l’art de la Renaissance en le passé et le rattacher à la société nesse de ce dernier sont surtout des Belgique. moderne 3. églises assez modestes.

080 Van Ysendyck évolue donc dans un toutes les époques et à tous les pro- en prônant un respect des tradi- cénacle de collègues très sensibles grammes. Sollicité pour transformer tions nationales. Dans L’Émulation, à l’histoire nationale. Cette sensibilité une ferme ancienne de Watermael- la principale revue belge d’architec- peut d’ailleurs être qualifiée d’histo- Boitsfort en maison de campagne à ture de l’époque, organe de la Société riciste, en ce sens que le passé n’est partir de 1883, il en fait un petit châ- centrale des Architectes, le style pas un simple sujet d’étude mais teau pseudo-Renaissance flamande, néo-Renaissance flamande est sou- une véritable source de réflexion et en y ajoutant une tourelle, un pignon vent accueilli avec condescendance d’inspiration. Concrètement, elle dé - à volutes … Les intérieurs très soi- ou agacement, même si de nom- bouche, d’une part, sur la volonté de gnés de cette demeure, rebaptisée breuses planches font écho à son rendre aux monuments anciens leur Castel Fleuri, font écho aux projets succès croissant. Certains n’appré- forme idéale (qu’ils n’ont peut-être modernes que Van Ysendyck réalise à cient pas trop le mélange de consi- jamais eue) et, d’autre part, sur le l’époque, lorsqu’il est devenu le sym- dérations esthétiques, ou techniques, recours aux formes du passé dans bole d’un nouveau style très discuté 6. et de choix d’ordre politique ou idéo- des projets modernes. Ce mélange logique 7. n’a rien d’exceptionnel, pas plus que l’attachement aux racines natio- L’ÉTENDARD D’UN NOUVEAU Auguste Schoy, qui n’y est guère nales ou jugées telles de l’architec- STYLE NATIONAL cité, est un publiciste abondant, très ture. On le retrouve, par exemple, exalté, qui ne construit pas beau- en Angleterre ou en Allemagne, où Un autre trait de caractère de la géné- coup. L’autre grand pionnier, Charle- fleurissent alors le « old english » ration « historiciste », ainsi qu’indiqué Albert avec sa « Maison flamande » ou le « altdeutsch ». Le professeur plus haut, est le recours aux formes de Boitsfort, est un décorateur de de Norwich Stefan Muthesius, qui du passé dans un contexte tout à fait formation qui fait figure de trublion a étudié en détail ces courants, dis- moderne. À l’instar du mouvement en – un tapissier aux yeux des puristes. tingue les partisans de l’éclectisme, peinture, le goût du passé n’est donc Van Ysendyck a travaillé avec lui sur qui n’attachent pas d’importance pas synonyme de passéisme, pour le son premier grand chantier public, à un style en particulier, et ceux du meilleur et pour le pire. L’intention l'hôtel communal d’Anderlecht. L’édi - « néo », qui construisent une vision de ces bâtisseurs érudits, qui font fice, relativement peu coûteux pour idéale d’un style précis 4. presque figure de contestataires à l’époque, est cependant une révéla- leur époque, est de répondre aux tion en ce sens qu’il apparaît d’em- Dans l’approche historiciste du XIXe bouleversements de la société et à blée comme une sorte de mise

siècle, les artistes engagés sur un la perte de valeurs (notamment suite en scène très parlante du pouvoir Journées du Patrimoine chantier de restauration estiment à l’industrialisation) qu’ils anticipent communal et une vraie synthèse du légitime de corriger les erreurs, oublis ou stigmates du passé. En 1911 déjà, Jules Brunfaut ironise, Fig. 2 dans sa nécrologie de Van Ysendyck, La flèche de la collégiale Saints-Pierre-et-Guidon à Anderlecht (Schmitt-Globalview, 2015 © SPRB). sur le sort réservé à Saints-Pierre- et-Guidon d’Anderlecht, modeste église de bourg transformée en une sorte de petite cathédrale idéale. Précisons qu’ici, la flèche de la tour a été créée de toute pièce, puisqu’elle n’avait jamais été construite, et que les fresques médiévales exception- nelles, découvertes en 1890, ont N°019-020 – NUMÉRO SPÉCIAL - SEPTEMBRE 2016

été largement « complétées » par les peintres engagés aux côtés de Van Ysendyck, Brassine et Meerts (fig. 2). À l’église du Sablon, son intervention est allée nettement plus loin, ainsi que l’a détaillé une étude de 1975 très critique à son égard 5.

L’architecte étend cette pratique à BRUXELLES PATRIMOINES

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Fig. 3a Fig. 3b Hôtel communal d’Anderlecht, salle du conseil (A. de Ville de Goyet, 2015 © SPRB). Hôtel communal d’Anderlecht, salle du conseil, mobilier (A. de Ville de Goyet, 2015 © SPRB).

paysage local en partant de l’histoire. du courant est l’œuvre romanesque Dobbelaere ou le ferronnier d’art Le point d’orgue est l’enfilade de de Charles De Coster, la Légende Prosper Schrijvers, que l’on retrouve la salle du collège et de la salle du d’Ulenspiegel (1867). On retrouve associés aux réalisations embléma- conseil, qui occupent presque toute pas mal de bourgmestres ou dépu- tiques de ce style, en particulier le la largeur du bel étage. Cet espace tés libéraux parmi les mécènes de Palais belge de l’Exposition univer- se distingue par son riche pro- la néo-Renaissance flamande, mais selle de Paris de 1878 : cette œuvre gramme iconographique, des vitraux aussi des « indépendants », un parti d’Émile Janlet se veut une sorte de peints, un plafond à la française et un d’alternance qui ne parvient pas à compilation de tous les matériaux et magnifique mobilier en bois (fig. 3a, s’imposer. Un des principaux édifices de toutes les traditions d’arts appli- 3b, 3c et 3d). privés attribués à Van Ysendyck, la qués présents dans notre pays. Van villa La Clairière à Uccle, appartient à Ysendyck lui-même conçoit un salon Quelles sont finalement les carac- Bernard Van de Corput (1875), can- pour une autre exposition, celle du téristiques de ce mouvement ? didat indépendant aux élections de cinquantenaire de la Belgique en Politiquement l’attrait pour la 1892. Malgré ses transformations, 1880, ainsi que le salon de lecture Renaissance caractérise plutôt la l’édifice montre encore les princi- du Cercle gaulois en 1882 (dans un droite libérale, qui se reconnaît dans pales caractéristiques de la néo-Re- style plus classique). Le mouvement les « gueux » du XVIe siècle, patriotes naissance flamande à son apogée : confine ici à la notion d’œuvre d’art « belges » (en fait, sujets des Pays- des volumes animés mais clairs, le totale, par opposition à la séparation Bas espagnols en révolte face à leur recours à la polychromie des maté- nette des rôles dans la tradition néo- souverain), mais aussi esprits libres riaux en renfort d’un décor historique classique ou éclectique. Cette défense en désaccord avec l’église catho- qui reste cependant discret (fig. 4). débouche même un peu plus tard sur lique. Beyaert, par exemple, devien- une campagne politique menée par le dra conseiller libéral pour la Ville de Dans un contexte de crise écono- peintre et député Ernest Slingeneyer ; Bruxelles. Van Ysendyck lui-même mique des industries d’art, les pro- pour sa part, Van Ysendyck reste plus n’a pas laissé de trace d’un engage- moteurs de la néo-Renaissance fla- effacé, mais lorsque le projet d’inau- ment idéologique quelconque, mais mande mettent l’accent sur la défense guration de son hôtel communal il épouse Isabelle Geefs, la sœur de l’artisanat 8. Sur ses chantiers, Van d’Anderlecht est discuté, il suggère du sculpteur et bourgmestre de Ysendyck travaille avec des hommes de faire participer les délégations de Schaerbeek Guillaume Geefs, libéral de métier renommés, comme l’ébé- toutes les industries locales. et franc-maçon. Le modèle littéraire niste Georges Houtstont, le vitrier

082 Auréolé de son succès, il se lance, rateurs à la recherche de modèles (les planches concernant les édi- entre 1880 et 1889, dans la rédaction fidèles (fig. 5). fices modernes sont dessinées par d’un projet jamais vu : la publication Victor Dargaud, un peintre célèbre de centaines de planches reprenant L’ouvrage se retrouve dans des pour ses vues de chantier) mais le les plus beaux édifices ou motifs du bibliothèques du monde entier, et les but ici est davantage d’éclairer le patrimoine belge du Moyen Âge au exemples de reprise ne manquent passé et de souligner le lien avec le XVIIIe siècle. Son but, ainsi qu’il le pas : ainsi, le Hollandais Isaac présent. Van Ysendyck inclut dans la précise dans la dédicace au roi, est Gosschalk utilise sa planche de partie moderne la présentation de de « mettre en lumière les gloires l’hôtel de ville de Furnes pour une ses propres édifices, comme un pont architecturales de notre passé ». Il maison et pour un bloc d'habitations vers l’architecture de demain. explique ensuite que les Flamands place Alexandre à Hilversum. Dans le des XVIe et XVIIe siècles ont su assi- même esprit, Van Ysendyck encou- Au croisement des recherches de miler les influences étrangères et rage le moulage des pièces d’archi- l’architecte sur le passé et de sa les adapter au climat. Le tout avec tecture intéressantes ; il en aurait contribution à la culture urbaine une qualité de reproduction irré- financé lui-même certains exemples de la fin du XIXe siècle se situe son prochable, puisqu’il fait appel à la déposés au nouveau « musée des œuvre la plus discutée et sans doute nouvelle technique dite phototypie, échanges internationaux », préfigu- la plus importante : l’hôtel commu- qui offre un rendu quasi photogra- ration des Musées d’Art et d’Histoire 9. nal de Schaerbeek. Van Ysendyck phique, sans tramage. Connu sous le Enfin, Van Ysendyck rédige l’article soumet un projet en 1881 (suite à titre de Documents classés, ce corpus consacré aux Pays-Bas (Belgique et un concours) et l’inauguration a ne constitue donc pas un pamphlet, Hollande) de l’Encyclopédie de l’archi- lieu en grande pompe six ans plus comme Schoy quelques années plus tecture et de la construction du ratio- tard. S’il n’avait été détruit en 1911, tôt, mais bien un outil de travail à naliste français Paul Planat ; le souci suite à un incendie, et reconstruit l’attention des architectes et déco- du détail est toujours au rendez-vous entièrement (voir plus loin), l’édifice

Fig. 3c Fig. 3d Hôtel communal d’Anderlecht, salle du conseil, tapisserie Hôtel communal d’Anderlecht, escalier d’honneur, vitrail (A. de Ville de Goyet, 2015 © SPRB). (A. de Ville de Goyet, 2015 © SPRB). Journées du Patrimoine N°019-020 – NUMÉRO SPÉCIAL - SEPTEMBRE 2016

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Fig. 4 La Villa La Clairière, chaussée de Waterloo 876, Uccle (© SPRB).

Fig. 5 Documents Classés de l’Art dans les Pays-Bas du Xe au XVIIIe siècle, recueillis et reproduits par J.J. Van Ysendyck, Architecte, 1880-1889, pl. 6 église Notre-Dame du Sablon à Bruxelles (Liège, Centre Fig. 6a d’Archives et de Documentation de la CRMSF, fonds de la Ville Hôtel communal de Schaerbeek, façade actuelle (© SPRB). de Liège).

Fig. 6b Hôtel communal de Schaerbeek, façade actuelle, détail (© SPRB).

084 serait probablement aujourd’hui la meilleure illustration de la synthèse réussie entre récupération du passé, encouragement des arts appliqués et symbolique municipale. Le pro- gramme iconographique extérieur est plus riche et historiciste que jamais (fig. 6a et 6b). On y retrouve, par exemple, le motif de la ruche avec trois abeilles, une devise par- lante qui évoquerait les trois pouvoirs mais aussi les trois ordres de l’An- cien Régime 10. À l’intérieur, la plu- part des grands artisans de l’époque ont imprimé leur marque, guidés par Van Ysendyck – représenté d’ail- leurs dans la salle du conseil sur un grand tableau du peintre d’histoire Alexandre Markelbach qui le montre en train d’exhiber les plans de l’édi- Fig. 7 fice (fig. 7) 11. Maison communale de Schaerbeek, salle du collège en 1903. Au-dessus de la cheminée, le tableau d’Alexandre Markelbach représentant Jules Jacques Van Ysendyck soumettant au collège les plans de la maison communale. Le tableau fut détruit par l’incendie de 1911 Pourtant, à l’époque, la critique se (© coll. du Fonds Local de Schaerbeek). fait moins tendre dans ses com- mentaires : abus de polychromie, motifs décoratifs inutiles… En fait, déjà, lorsqu’il est architecte provincial sements) ; le beau mur d’enceinte le climat a changé. La référence his- du Brabant, entre 1871 et 1874, ses d’origine a malheureusement dis- torique fatigue les critiques d’art, missions l’entraînent à faire preuve paru. À Saint-Josse-ten-Noode, Van ainsi que les programmes icono- de polyvalence et d’attention à l’égard Ysendyck reçoit la commande d’un graphiques trop complexes. Van des besoins nouveaux de la société. marché couvert en 1877. Le contraste En effet, ce fonctionnaire constitue est saisissant entre la modernité du

Ysendyck en est conscient. Il réalise Journées du Patrimoine encore une troisième maison com- une sorte de relais du pouvoir cen- programme et le traitement de la munale néo-flamande, celle de Jette tral (l’administration des Ponts et façade sur rue : ici, une composition (inaugurée en 1901), mais dans une Chaussées), amené à contrôler d’in- néo-baroque assez chargée, coif- optique différente : plus simple et nombrables bâtiments communaux fée d’un toit à la française, là des 12 pittoresque avec sa tour désaxée, mais aussi à en dresser les plans . espaces fonctionnels couverts par elle s’inscrit dans la vogue régiona- On retrouve par la suite le nom de Van une charpente de fer et de verre. Le liste encouragée par le ministre des Ysendyck associé à plusieurs de ces tout disparaît en 1958 au profit d’un Transports, Jules Vandepeereboom, chantiers publics rendus nécessaires immeuble à appartements – à l’instar pour la construction des gares ou par l’expansion de la capitale. de la plupart des édifices similaires (à des bureaux de poste. À la demande l’exception des halles de Schaerbeek de ce dernier, le fils de Van Ysendyck, À Anderlecht, il construit, dans les ou du marché Saint-Géry). Maurice, réalise d’ailleurs, toujours années 1870, deux écoles dont celle en 1901, la poste de Halle. de la rue Wayez, belle illustration de Avec l’accroissement des faubourgs,

l’adaptation de la néo-Renaissance Van Ysendyck l’historiciste est appro- N°019-020 – NUMÉRO SPÉCIAL - SEPTEMBRE 2016 flamande à un programme écono- ché pour des projets d’ordre presque

AU SERVICE DE LA SOCIÉTÉ mique : un bloc simple mais égayé urbanistique. En 1895, il présente au MODERNE par les ressauts discrets de la façade conseil communal de Schaerbeek et les jeux de couleur entre la pierre un monument aux Bienfaiteurs des La carrière de Van Ysendyck ne se et la brique. Les détails strictement Pauvres conçu avec le sculpteur résume pas à la quête d’un style historiques se limitent à des pignons Godefroid Devreese dans le but d’or- national fondé sur le retour à la lisses, un médaillon et quelques ner la place Liedts, dans la foulée Renaissance flamande. À ses débuts éléments décoratifs (les amortis- du nouveau plan d’aménagement BRUXELLES PATRIMOINES

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LA GARE DU SUD À ANVERS

Parmi les œuvres tardives de Van Ysendyck, la gare du Sud à Anvers mérite d’être évoquée. D’abord, elle constitue une de ses réussites majeures et, ensuite, son sort rap- pelle celui des grandes gares bruxel- loises du XIXe siècle. Construite entre 1896 et 1898, cette gare terminus est inaugurée en 1902. L’architecte la conçoit avec l’aide de son frère Paul, sur lequel on sait peu de choses sinon qu’il est ingénieur directeur des travaux publics de la commune de Forest, et un membre très actif

de la Société belge de Géologie, de La gare du Sud à Anvers, carte postale ancienne (coll. SNCB – Train World Heritage) Paléontologie et d’Hydrologie !

Elle illustre, quelques années avant tradition et modernité aura été aussi Elle doit finalement être abattue en celle de Gand (Louis Cloquet, 1912) surprenant. La façade sur la rue 1965-1969 pour faciliter les travaux mais vingt ans après celle de Bruges présente deux gros pavillons asymé- du tunnel Kennedy, qui passe sous (Joseph Schadde, 1877, disparue), la triques, celui de droite, le plus impo- l’Escaut. Il ne subsiste que la gare de notion de grande gare dans un style sant, étant prolongé par une halle marchandises, conçue quant à elle historiciste, non pas néogothique vitrée apparente destinée à abriter par Seulen, l’auteur des splendides comme les deux autres mais un les voitures. gares de Jette et Schaerbeek. néo-roman mâtiné de Renaissance flamande, avec en particulier un Après la guerre, durant laquelle la immense beffroi arborant une hor- gare est utilisée pour la déportation loge. Rarement le mélange entre des juifs, les trains se font rares.

de celle-ci. Mais l’emplacement est POUR LA SCIENCE … d’Hygiène et de Bactériologie, d’une refusé par Léopold II et le monument part, et celui de Physiologie, d’autre ne voit le jour qu’après la mort de Au début des années 1890, Van part ; vient ensuite Raoul Warocqué, l’architecte. À la même époque, il est Ysendyck franchit un pas décisif en qui finance celui d’Anatomie, achevé chargé d’un projet à cheval entre l’ur- dehors de la référence à l’histoire en 1898. Mentionnons aussi parmi banisme, l’archéologie et l’architec- avec une série de trois instituts les bienfaiteurs, le banquier Georges ture : le démontage pierre par pierre scientifiques érigés dans le parc Brugmann, celui-là même qui offre de la façade de l’église des Augustins, Léopold pour l’Université libre de le terrain pour l’église de la Trinité à place de Brouckère (XVIIe siècle), pour Bruxelles. À l’étroit dans ses locaux Ixelles. On ne sait comment le nom servir à la construction d’une nou- du centre-ville, celle-ci ne recherche de Van Ysendyck est apparu, mais son velle église fermant la perspective pas ici une solution d’ensemble à son choix semble confirmer l’idée d’une de la rue du Bailli depuis l’avenue problème, mais plutôt une réponse convergence de vue entre les férus Louise : l’église de la Trinité à Ixelles à un besoin ponctuel et pressant de la science et ceux de l’étude du et Saint-Gilles. En fait, le sanctuaire formulé par le professeur de méde- passé national. Un courrier de Héger érigé derrière la façade remontée est cine Paul Héger, et soutenu par des à la Ville de Bruxelles (dont dépend très modeste, confortant la fonction industriels prestigieux 14. Le premier l’université) s’indigne d’ailleurs de de décor urbain de celle-ci – du faça- d’entre eux est Ernest Solvay, qui l’absence de son nom, et de celui de disme avant l’heure 13. propose, dès 1892, la construction de son collaborateur Louis Foettinger, deux bâtiments. Ce seront l’Institut sur la liste des invités à la cérémonie

086 Fig. 8a Fig. 8b Ancien Institut de Physiologie Solvay, façade principale (Lycée Émile Jacqmain), parc Léopold, Ancien Institut de Physiologie Solvay, entrée Bruxelles-Extension est (© SPRB). (Lycée Jacqmain), parc Léopold, Bruxelles- Extension est (© SPRB). Journées du Patrimoine

Fig. 8c Fig. 8d Vue ancienne de l’Institut de Physiologie Solvay, parc Léopold, Bruxelles-Extension est Vue ancienne de l’Institut de Physiologie (© AAM). Solvay, grand auditoire parc Léopold, Bruxelles-Extension est (© AAM). d’inauguration de 1895 15. En outre, Jules Brunfaut, le biographe de Van beaux hôtels communaux néo-Re- les deux principaux mécènes ne Ysendyck. Quant à Raoul Warocqué, naissance flamande de Wallonie. sont pas étrangers au petit monde son père Arthur a présidé la com- de la néo-Renaissance flamande. mission belge pour l’Exposition de De style historique à proprement par- N°019-020 – NUMÉRO SPÉCIAL - SEPTEMBRE 2016

Ernest Solvay a fait construire à Paris en 1878, celle de la façade ler, il n’en est cependant pas ques- Watermael-Boitsfort une villa dans Janlet (voir plus haut), et a d’ailleurs tion ici. À l’image de la nouvelle aile ce style (parc Tournay-Solvay), puis prononcé, après l’événement, un dis- du musée des Sciences naturelles, réaménager, à Ixelles, l'intérieur d’un cours retentissant encourageant le bâtie juste à côté par Émile Janlet en hôtel particulier dans le même es- retour à la Renaissance flamande. 1891, Van Ysendyck adapte son voca- prit – à chaque fois par Bosmans et À Morlanwelz, Georges Warocqué, bulaire aux nécessités de la science Vandeveld. Plusieurs usines Solvay le frère aîné de Raoul, encourage la moderne. L’Institut de Physiologie est

de par le monde sont l’œuvre de construction en 1895 d’un des plus un bâtiment à structure métallique BRUXELLES PATRIMOINES

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apparente : salle de cours d’un côté, des traditions, mais en partant des Laeken – en effet, les grenadiers sont laboratoires de l’autre, avec un racines locales et dans une optique chargés de la surveillance des deux amphithéâtre au centre ; le plan a plus abstraite. Crespin dessine, par résidences royales. Dans aucun des presque l’équilibre d’une villa palla- exemple, la belle affiche de l’exposi- deux cas, l’architecte ne révolutionne dienne (fig. 8a, 8b, 8c et 8d). L’Institut tion d’art ancien bruxellois en 1905 ; la conception d’une caserne. Il res- d’Hygiène, plus modeste, annonce il figure aussi – aux côtés de Horta – pecte l’image de la cour d’honneur celui d’Anatomie avec un soubas- parmi les protagonistes d’une nou- entourée de pavillons, avec un bloc sement de pierre, poncif de l’histo- velle société d’art régional, qui ne plus prestigieux en toile de fond. ricisme, surmonté de façades très verra finalement pas le jour, mais ouvertes et avec structure métal- aurait visé à défendre le respect des Il continue, en outre, de jouer sur les lique apparente. L’Institut d’Anatomie caractères essentiels et abstraits références historiques, de manière reprend le principe mais présente propres à la race, plutôt que des toujours aussi personnelle : Jules une façade très allongée incluant motifs historiques précis 16. Brunfaut, son biographe, compare à droite, les services de médecine d’ailleurs la caserne du Sablon aux légale et à gauche, les laboratoires Les instituts ont été construits « pages violemment orchestrées » de d’anatomie proprement dits, plus une pour répondre à un besoin urgent la Salomé de Richard Strauss. Les serre et un vaste auditoire qui s’étage et répondent à des exigences très travaux commencent en 1896 par les sur trois niveaux. spécifiques – celui d’Hygiène et de bâtiments le long de la rue des Petits Bactériologie abrite surtout le ser- Carmes. Van Ysendyck leur donne À l’intérieur, la disposition et la finition vice de Sérothérapie, une technique l’apparence d’un édifice baroque fla- sont guidées par les critères assez médicale mise au point quelques mand du début du XVIIe siècle, avec stricts posés par le concepteur scien- mois plus tôt seulement. La science un soubassement constitué d’un tifique, le docteur Héger. Partisan de avançant à grand pas, ils s’avèrent bossage de pierres en diamant. Le méthodes d’enseignement inno- trop petits ou inadéquats quelques roi lui-même aurait donné son avis vantes, il impose, par exemple, des années à peine après leur construc- sur le dessin de ces façades 17. Il faut sièges volontairement inconfortables tion. L’Institut d’Anatomie fait l’objet préciser que le lieu est chargé d’his- et des tablettes trop petites pour y de travaux d’agrandissement dès toire. La caserne occupe l’emplace- écrire, afin de garantir l’attention 1905. Après la guerre, l’université a ment de l’hôtel de Culembourg, où se permanente des élèves. Pour le l’opportunité d’enfin faire construire déroula, en 1566, le fameux Banquet reste, le souci du détail qui caracté- une véritable faculté de médecine et des Gueux, et la plaque commémo- rise les œuvres de Van Ysendyck est déserte les laboratoires en 1930. Le rative, réalisée en 1881, a été dûment toujours là, et il sait s’entourer d’ar- Lycée Jacqmain et les services d’hy- réutilisée pour le mur de la caserne. tisans de talent. Le résultat, si l’on giène de la Ville de Bruxelles (labo- À côté, le Palais d’Egmont (alors se réfère à l’état d’origine, fait pen- ratoire intercommunal de chimie et propriété privée de la famille d’Aren- ser à un décor d’un roman de Jules de bactériologie) se partagent les berg) et le square du Petit Sablon, qui Verne. L’amphithéâtre de Physiologie locaux, à l’exception du pavillon d’hy- célèbre les gloires nationales du XVIe est décoré par Adolphe Crespin qui giène qui est rasé au profit de l’Insti- siècle, renforcent encore la référence y déploie des motifs géométriques tut dentaire Eastman. à la Renaissance flamande. Les répétitifs, en harmonie avec la struc- autres blocs sortent de terre entre ture métallique apparente, ainsi 1897 et 1907. Les ailes réservées à que des compositions symbolistes ; … ET POUR L’ARMÉE la troupe sont l’œuvre d’un collabo- au-dessus de la chaire, un grand rateur, mais Van Ysendyck réalise soleil blanc sert aux projections de La carrière de Van Ysendyck s’achève avant sa mort, au fond de la cour diapositives rondes, une innovation avec un certain panache puisqu’il est d’honneur, le Pavillon de l’Horloge, de l’époque qui ne s’imposera pas. chargé de la conception (avec des que précède un bel escalier en fer à Considéré comme le pionnier du collaborateurs) des deux casernes cheval ; en fait il s’agit pratiquement sgraffite à Bruxelles, des régiments des grenadiers – l’élite d’un décor de théâtre car l’exiguïté avec son ami l’architecte Paul de l’armée belge. La première vient du site ne permettait pas de bâtir Hankar, Crespin n’a rien d’un copieur s’installer sur les décombres de la derrière – encore un bel exemple de passéiste. Sa présence sur un chan- prison dans un quartier déjà très « façadisme » avant l’heure, exécuté tier du maître de la néo-Renaissance dense, celui du haut du Sablon, vers le avec brio (fig. 9a et 9b). flamande n'est pas surprenante ; Palais royal ; la seconde occupe un bel lui-aussi milite en faveur du respect espace de nature à côté du château de À Laeken, l’architecte a le champ

088 Fig. 9a Fig. 9b Caserne du Sablon (Club Prince Albert), rue des Petits Carmes, Bruxelles Caserne du Sablon (Club Prince Albert), (A. de Ville de Goyet, 2015 © SPRB). escalier d’honneur, rue des Petits Carmes, Bruxelles) (A. de Ville de Goyet, 2015 © SPRB). libre pour s’étendre davantage. Il 1880. Impressionné par le luxe de cements. Un autre bloc moderne est curieux qu’un ensemble aussi l’ensemble, le journal l’Écho de l’Ar- abrite des facilités communes et fait ambitieux n’apparaisse pas dans la mée évoque un hôtel plutôt qu’une le trait d’union entre les différentes principale notice nécrologique de caserne. sections, qui ont également chacune l’auteur ; ceci dit, la caserne est inau- une gamme chromatique distincte gurée en 1902, un an après la mort Après quelques errements, les (couleurs très chatoyantes pour les de Van Ysendyck ; son fils Maurice deux casernes vont connaître une jeunes enfants, plus discrètes pour (voir ci-dessous) a probablement nouvelle vie. Celle du Sablon a été les adolescents). beaucoup contribué au résultat et amputée de nombreux éléments,

il est possible que son biographe mais il subsiste les morceaux de Journées du Patrimoine Brunfaut y ait vu une œuvre moins choix de Van Ysendyck, l’actuel Club CONCLUSION : L’HÉRITAGE personnelle. On retrouve pourtant Prince Albert (un mess, propriété de DU MAÎTRE bien la patte de l’artiste. La cour a la Défense nationale) à front de rue des proportions parfaites bien que les et le Pavillon de l’Horloge. Quant à Jules Jacques Van Ysendyck est un pavillons latéraux soient décalés par celle de Laeken, après avoir abrité architecte dont l’œuvre répond à une rapport au bloc de l’administration. l’école des cadets pendant plus d’un certaine éthique et revêt une cohé- Le dessin des façades, simple avec demi-siècle, elle est devenue l’École rence indéniable, d’où probablement peu de motifs historiques, rappelle européenne de Bruxelles IV après le respect dont Horta put faire preuve celui de l’école d’Anderlecht ; seul le des travaux de rénovation pharao- à son égard. Si l’histoire constitue bloc côté parc est plus orné, toujours niques menés par l’association de son fil conducteur, la démarche his- dans ce style néobaroque caractérisé quatre cabinets d’architectes, dont toriciste de son auteur correspond par sa sévérité et ses belles pierres Archi 2000 et Conix Architecten. Ici en fait à une approche plus générale saillantes. Quant aux décorations encore, l’essentiel est sauvegardé, ce de l’époque : la recherche du pro- intérieures conservées, en particulier qui mérite d’être souligné. Les réno- grès (et de la vérité) à travers l’étude N°019-020 – NUMÉRO SPÉCIAL - SEPTEMBRE 2016

celles de ce bloc (qui abrite un bureau vateurs réussissent le tour de force méthodique de l’histoire, mais aussi pour le Roi), elles font écho aux de rassembler les édifices anciens de la nature, la science… Voici pour- plus belles créations de la néo-Re- d’une caserne, par nature éclatés, quoi l’architecte a pu si facilement naissance flamande à son apogée, sans lui faire perdre son essence. s’adapter à différents programmes, vingt ans plus tôt (fig. 10a et 10b). Des bâtiments ultramodernes sont mais aussi continuer à travailler L’entrepreneur général du chantier, ajoutés, comme l’école maternelle ; lorsque l’intérêt pour les formes du la firme Wouters-Dustin, était déjà les pavillons sont quelque peu adap- passé commence à s’estomper, ou

présent lors des fêtes nationales de tés, notamment au niveau des per- plutôt à évoluer vers une adaptation BRUXELLES PATRIMOINES

089 JULES JACQUES VAN YSENDYCK

élus de Boulogne-Billancourt, près de Paris, qui y voient une source d’ins- piration pour leur nouvelle « usine municipale » qui sera finalement dessinée par Tony Garnier dans un style très monumental au début des années 1930.

L’exemple n’est pas choisi au hasard car il renvoie au débat exposé en introduction sur la place à accorder à Viollet-le-Duc – et à ses émules comme Van Ysendyck – dans l’his- toire de l’architecture, ou plutôt sur la remise en cause éventuelle de la présentation classique de celle-ci.

Fig. 10a Jean-Michel Leniaud, promoteur de Ancienne caserne des grenadiers (École européenne), hall d’entrée, Bruxelles-Laeken (A. de la grande rétrospective Viollet-le-Duc Ville de Goyet, 2013 © SPRB). en 2014, en vient, de manière un peu provocatrice, à contester la notion de rationalisme, mais aussi celles d’éclectisme ou d’historicisme héri- tés, selon lui, des écrits de Louis Hautecœur (un auteur très attaché à relier la tradition classique au mou- vement moderne) 18. En fait, on réalise à travers l’œuvre d’un Van Ysendyck que la filiation existe bel et bien : les défenseurs du retour à l’art national ont nourri en partie les expérimen- tations de la génération contesta- trice du tournant du siècle, celle qui invente aussi bien l’Art nouveau que le régionalisme et, par la suite, n’ont pas été rejetés tout à fait par la géné- ration suivante, celle des grands pro- Fig. 10b jets de l’entre-deux-guerres. C’est Ancienne caserne des grenadiers (École européenne), Bruxelles-Laeken (A. de Ville de Goyet, avant tout le changement d’échel- 2005 © SPRB). le survenu après la Seconde Guerre mondiale qui fait basculer le monde plus vague – disons régionaliste pour Palais du Midi et restaure les églises des architectes dans la logique faire simple. du Sablon et de la Chapelle exacte- fonctionnaliste et condamne par là ment comme son père l’aurait fait. Sa une grande partie de l’héritage du Bien sûr, l’approche historiciste a ses réussite principale demeure d’avoir XIXe siècle. Dans cette curée, Van limites créatives en ce sens que l’ins- relevé le défi de reconstruire, après Ysendyck a eu la chance d'avoir piration reste toujours bridée par cer- son incendie en 1911, l’hôtel commu- nombre de ses œuvres préservées, taines traditions académiques et par nal de Schaerbeek à l’identique, tout et de figurer aujourd’hui en bonne la routine. Rien ne l’illustre mieux que en l’agrandissant et en modernisant place parmi le patrimoine bruxellois. la carrière de Maurice Van Ysendyck, certaines parties. Inauguré après la collaborateur puis successeur de guerre, le monument reste plus que son père sur tous ses chantiers. jamais un modèle, mais plutôt pour la Celui-ci participe à la reconstruc- qualité de ses aménagements. Il est tion de Louvain, refait les façades du d’ailleurs visité en 1925 par quelques

090 NOTES l’asbl APEB, sur le site de la Direction Jules Jacques Van Ysendyck. des Monuments et Sites. The forms of the past serving 1. , Mémoires, éditées par 12. Voir CORNILLY, J., « Het belangen- Belgian national advancement. Cécile Dulière, 1985, p. 313. conflict tussen architecturaal ontwerp en toezicht. Het ambt van provin- The architect Jules Jacques Van 2. Notamment sur les œuvres de ses ciaal architect in het 19de-eeuwse débuts et sur l’hypothèse de chantiers België », in Belgisch Tijdschrift voor Ysendyck, a master of late aux Pays-Bas, comme mentionné dans Nieuwste Geschiedenis, XL, 2010, 4, 19th century Eclecticism, is l’Expansion Belge, IV/1-6, 1911, p. 194. p. 569-70. Il n’existe pas de biographie détaillée de remembered as the designer of the cet architecte depuis les notices nécro- 13. L’église elle-même est à peine Anderlecht and Schaerbeek town construite à la mort de l’architecte ; logiques d’époque, en particulier celle halls, leading works of the Flemish de Jules BRUNFAUT dans l’Annuaire de elle sera réalisée par Fernand l’Académie royale de Belgique, 1911, Symons en 1907-1908. L’édifice Neo-Renaissance style. This article p. 165-75. attend aujourd’hui une nouvelle retraces the career of this equal destination. 3. BANN, St. et PACCOUD, St. (dir.), parts builder and scholar, focusing L’ Invention du passé. Histoires de cœur 14. Sur ce qui suit, voir principalement on the modernity embodied by his BRAUMAN, A. et DEMANET, M., Le et d’épée en Europe, 1802-1850, Hazan, approach at the time. Paris, 2015. Parc Léopold 1850-1950. Le zoo, la cité scientifique et la ville, Bruxelles, 4. MUTHESIUS, St., « Old English, 1985, p. 170 et DESPY-MEYER, A. et His works bear testament to a Altdeutsch. Some nineteenth Century DEVRIESE, D. (dir.), Ernest Solvay et Appropriations of a ‘Homely’ Past », in son temps, Bruxelles, Archives de certain ethic and possess an un- coll., Rocznik Historii Sztuki, vol. XXX, l’Université libre de Bruxelles, 1997. deniable consistency. While history Varsovie, 2005, p. 259-283. 15. Lettre de Héger au bourgmestre, constitutes its central theme, the 5. DESSAER-DE MAESSCHALCK, M. et 9/10/1895 et lettre de Léo Errera, historicist approach of their creator GEERAERTS, R. « À propos des restaura- rappelant la démarche de Héger, is, in fact, in keeping with a more tions successives de l’Église Notre- 18/10/1895. Archives de la Ville de Dame du Sablon à Bruxelles », Bruxelles, Fêtes et Cérémonies, general approach of the time: in Bulletin de la Commission Royale XV-14-2, Université libre. the quest for progress (and truth) des Monuments et des Sites, 1975-76, Inauguration des instituts universi- through the methodical study of not p. 17-79. taires. Octobre 1895. À noter que pour ces projets, Van Ysendyck collabore only history but also of nature and 6. Cet édifice nous est connu dans son aussi avec un ingénieur, Léon Gérard. science. This is why the architect état primitif mais aussi par une série de photographies réalisées après 1914- 16. VAN HOECKE-DESSEL, A., « L’art was not only able to adapt so easily 1918, alors qu’il abrite un institut pour régional », in La Tribune Artistique, to different programmes but also to II-19/20, 1905, p. 114. aveugles de guerre mis à disposition par continue to work when the interest son propriétaire, le banquier Georges de 17. MATTHYS, gén.-major, Le Club Prince in historical forms began to wane.

Laveleye ; lire Entre la drève du duc et Journées du Patrimoine Albert, ancien Mess des Officiers des l’avenue de l’Arbalète, métamorphoses Grenadiers, slnd, p. 17. d’un paysage champêtre, Watermael- The proponents for a return to na- Boitsfort, HISCIWAB, 2015. 18. LENIAUD, J.-M. et DE FINANCE, L. (dir.), Viollet-le-Duc. Les visions d’un tional art fuelled, in part, the experi- 7. Pour en savoir plus : MIHAIL, B., architecte, Paris, Norma, 2015. mentation of the turn-of-the-cen- « Un mouvement culturel libéral à Bruxelles dans le dernier quart du XIXe tury anti-establishment generation, siècle, la ‘néo-Renaissance flamande’ », who invented both Art Nouveau in Revue belge de philologie et d'histoire, and Regionalism, and were not, vol. 76, n° 4, 1998, p. 979-1020. subsequently, entirely rejected by 8. Voir dans ce numéro la contribution de Daniela Prina, p. 66 à 77. the next generation, the generation behind the major projects of the in- 9. Une rare illustration du patrimoine. Un livre monumental de l’architecte J.J. terwar period. It was, primarily, the Van Ysendyck (1836-1901), Bruxelles, change of scale that occurred after Commission royale des Monuments, the Second World War that pushed Sites et Fouilles, 2011, p. 7 (disponible en ligne sur le site de la CRMSF). the architectural world towards N°019-020 – NUMÉRO SPÉCIAL - SEPTEMBRE 2016

the logic of Functionalism and, in 10. ADRIAENSEN, P., Iconografie van de honingbij in de Lage Landen: bijenkunst doing so, condemned a large part en bijensymboliek in het straatbeeld of the heritage of the 19th century. en toegankelijke gebouwen, Maklu- In this mad scramble, Van Ysendyck Uitgevers, Antwerpen, 1998, p. 158-59. was lucky to see a number of his 11. Il fait l’objet d’un buste en marbre, ainsi works preserved and, today, they que de son fils. Pour une description complète de l’édifice, on trouvera en feature prominently in the heritage

ligne un dossier très complet réalisé par of Brussels. BRUXELLES PATRIMOINES

091 COLOPHON

COMITÉ DE RÉDACTION ÉDITEUR RESPONSABLE Jean-Marc Basyn, Stéphane Demeter, Arlette Verkruyssen, directeur général Paula Dumont, Murielle Lesecque, Cecilia de Bruxelles Développement urbain de la Paredes et Brigitte Vander Brugghen. Région de Bruxelles-Capitale, CCN – rue du Progrès 80, 1035 Bruxelles. RÉDACTION FINALE EN FRANÇAIS Stéphane Demeter Les articles sont publiés sous la responsabilité de leur auteur. Tout droit RÉDACTION FINALE EN NÉERLANDAIS de reproduction, traduction et adaptation Paula Dumont réservé.

SECRÉTARIAT DE RÉDACTION CONTACT Murielle Lesecque Direction des Monuments et Sites – Cellule Sensibilisation COORDINATION DE L’ICONOGRAPHIE CCN – rue du Progrès 80, 1035 Bruxelles. Paula Dumont et Julie Coppens http ://www.monument.irisnet.be [email protected] COORDINATION DU DOSSIER Paula Dumont CRÉDITS PHOTOGRAPHIQUES Malgré tout le soin apporté à la AUTEURS / COLLABORATION recherche des ayants droit, les éventuels RÉDACTIONNELLE bénéficiaires n’ayant pas été contactés Werner Adriaenssens, Jean-Marc Basyn, sont priés de se manifester auprès de Guy Bovyn, Guy Conde-Reis, la Direction des Monuments et Sites Thomas Coomans, Georges De Kinder, de la Région de Bruxelles-Capitale. Jan De Maeyer, Paula Dumont, Claudine Houbart, Christophe Loir, Cristina Marchi, LISTE DES ABRÉVIATIONS Leen Meganck, Benoît Mihail, AAM – Archives d’Architecture Moderne Barbara Pecheur, Daniela N. Prina, ARB – Académie royale de Belgique Christophe Van Gerrewey, AVB – Archives de la Ville de Bruxelles Brigitte Vander Brugghen, CDBDU – Centre de Documentation de Eugène Warmenbol, Eva Weyns. Bruxelles Développement urbain DMS – Direction des Monuments et Sites TRADUCTION KBR – Bibliothèque royale de Belgique Gitracom, Data Translations Int. KIK-IRPA – Koninklijk Instituut voor het Kunstpatrimonium / Institut royal du RELECTURE Patrimoine artistique Martine Maillard et le comité de rédaction. KVS – Koninklijke Vlaamse Schouwburg MRAH – Musées Royaux d’Art et d’Histoire GRAPHISME MVB – Musées de la Ville de Bruxelles The Crew Communication SPRB – Service public régional de Bruxelles IMPRESSION VUB – Vrije Universiteit Brussel IPM Printing sa ISSN DIFFUSION ET GESTION 2034-578X DES ABONNEMENTS Cindy De Brandt, DÉPÔT LÉGAL Brigitte Vander Brugghen. D/2016/6860/013 [email protected] Dit tijdschrift verschijnt ook REMERCIEMENTS in het Nederlands onder de titel Baumschlager Eberle, Ricardo Bofill, « Erfgoed Brussel ». Grégory Creten, Martine De Maeseneer, Kevin De Vlieger, Jaspers-Eyers Architects, Marius Grootveld, Lucien Kroll, Francis Metzger, Jan Pollers, Claudia Schwind, Anne Somers.