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Victor Rousseau (1865 - 1954) (attribué à) Le Sommeil (?), années 1890. Bas-relief en plâtre, 17,5 x 32,8 cm Monogramme VR en haut à droite

Plusieurs indications au dos du cadre et du bas-relief (voir infra)

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Trois femmes nues délicatement allongées. Des torses sensuels, des bas-ventres rebondis et une succession rythmée de jambes. Quelques millimètres d’épaisseur pour rendre la profondeur du sommeil et aboutir au rêve, ce domaine de l’idéal. Un bas-relief d’un symboliste épris d’Italie, Victor Rousseau.

Victor Rousseau (Feluy, 1865 - Forest (Bruxelles), 1954)

Né à Feluy (Hainaut) en 1865, Victor Rousseau débutera comme tailleur de pierre, métier appris auprès de son père et de son oncle. Sa famille installée à Bruxelles, il travaille très jeune sur le chantier du Palais de Justice jusqu’en 1883. S’il devient un parfait ornemaniste 1, il commence dès 1887 à pratiquer la sculpture du marbre en récupérant des rebuts. Il suit durant l’année 1888-89 les cours de sculpture de Charles Van der Stappen (1843 - 1910), remportant l’année suivante le prix Godecharle avec Le Tourment de la pensée (fig.1)2. Grâce à sa bourse de voyage, Rousseau va pouvoir se consacrer pleinement à la sculpture et connaître des œuvres qui vont profondément marquer sa pratique. À , il étudie l’œuvre de Rodin, à Londres, les marbres grecs du British Museum et en Italie, il est séduit par l’art florentin, plus particulièrement par Michel-Ange, et par les œuvres du Bernin 3. Il est de retour à Bruxelles en 1893. Commencent alors les années les plus productives et intenses de l’artiste. Entre 1890 et 1910, il participe à plus de soixante expositions 4. Il expose aux salons triennaux (obtenant un grand succès en 1900 avec Déméter ), aux salons idéalistes de Pour l'Art dont il est membre fondateur en 1891, à La Libre Esthétique , ou à Anvers à L’Art contemporain / Kunst Van Heden . À l’étranger,

1 À partir de 1880, il suit les cours de dessin d’ornement à l’école de dessin de Saint-Josse. L’ornemaniste Georges Houstont, son professeur, mais aussi superviseur sur le chantier du Palais de Justice, le remarque et le prend dans son atelier (1883 à 1890). Il suit aussi à partir de 1886 les cours de dessin d’ornement de l’Académie de Bruxelles. 2 Il se marie aussi en 1890. 3 "Ses compositions récentes marquent (…) un talent mûri, sûr de lui-même, à la fois puissant et délicat. Encore qu’il dérive, trop visiblement parfois, des maîtres de la renaissance italienne ." : Octave Maus à propos de Victor Rousseau, cité in : SCHOONBROODT, p.143 / VANDEN EECKHOUDT, 2013, p.19. 4 D’après VANDEN EECKHOUDT, 2013, p.17.

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il expose à Paris, Venise, Munich ou Hambourg 5. À cette époque, Rousseau réalise plusieurs monuments et participe à de nombreux chantiers décoratifs, comme ceux du Jardin botanique et de la Grand-Place à Bruxelles ou encore celui du pont de Fragnée à Liège (1905) (fig.2). Alors que triomphe l’, il collabore avec et Jules Brunfaut. Enfin, c’est aussi durant cette période qu’il devient professeur à l’Académie des Beaux-arts de Bruxelles, institution qu’il dirigera par la suite 6.

Qu’elles soient en buste, en pied ou souvent en couple et trio, Rousseau est un sculpteur de gracieuses et mutiques figures humaines dénudées, surtout féminines. S’il réalise des bronzes, parfois dorés, son esthétique s’harmonise particulièrement bien avec la blancheur du marbre ou de la blanche. Il admire Rodin, De Vigne, Dillens, Vinçotte ou encore Van der Stappen, ses illustres prédécesseurs dans l’esthétique fin-de-siècle. Pour cet adepte de l’Idéalisme, auquel l’a initié son ami Jean Delville, la beauté doit être partout : spirituelle, plastique et technique. Dès lors, Rousseau développe de mystérieuses scènes empreintes de spiritualité dans un style aux lignes souples bien définies (à l’exemple de l’Art nouveau), aux sensuels drapés mouillés et aux formes souples et polies.

Durant la première guerre mondiale, Rousseau se réfugie à Londres, où il continue à travailler énormément. Il élabore dès 1917 un monument illustrant l’hommage des Belges à la Grande- Bretagne (fig.3). Ce monument sera inauguré à Londres en 1920. Dans ses sculptures d’alors, on note clairement l’évolution de l’œuvre de Rousseau vers des lignes plus nettes et marquées ainsi que des volumes plus simples, tout en gardant un goût pour les drapés structurant ses compositions. Parmi les monuments bruxellois de cette dernière période, on peut citer ceux dédiés à Max Waller (1919), aux morts de Forest (1922) et aux bourgmestres Buls et Demot (1928) (fig.4). Dans les années 1930, Victor Rousseau, portraitiste réputé, sculpte dans le marbre un emblématique portrait de la future reine Astrid et continue à réaliser des sculptures décoratives pour le Palais du Heysel (1935) et la maison communale de Forest (1937-38), commune où il vit et travaille depuis le début du siècle et où il décèdera en 1954.

5 À Paris, il participe à l’Exposition universelle de 1900 et il expose Salon d’automne. À Venise, il expose plusieurs fois à la Biennale, une première fois en 1912. Dans les années 1920, il participera aux expositions d’art belge à Bangkok, Riga, au Caire ou encore à Budapest. 6 En 1901, il devient professeur de sculpture d’ornement en cours du soir puis, en 1905, professeur de sculpture d’après l’antique. Il remplacera Van der Stappen en 1910. Rousseau dirigera l’académie à deux reprises (1919-22 et 1931-35).

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Bas-relief en plâtre

Au regard de l’entièreté de son immense œuvre, Victor Rousseau a réalisé relativement peu de bas-reliefs7. Cependant, durant sa carrière d’ornemaniste, il a dû réaliser de nombreux reliefs et autres frises, mais sans doute sans réel style personnel. D’ailleurs, par la suite, quand il collabore au décor de bâtiments art-nouveau, il reviendra au bas-relief, dans un style adoptant un vocabulaire art nouveau parfois plus convenu que ses œuvres plus personnelles (fig.5)8. Un bas-relief non daté passé en vente en 2017 doit être mis en relation avec ce type de production décorative (fig.6).

Par contre, au cours des années 1890, époque faste de sa production, Victor Rousseau réalise plusieurs bas-reliefs à l’atmosphère symboliste. C’est d’ailleurs avec l’un d’eux, L’amour virginal , qu’il attira pour la première fois l’attention des artistes et des connaisseurs au salon triennal de 1893 9. Il expose aussi deux bas-reliefs en plâtre à la Libre esthétique en 1895 ( Vers le large ) et 1899 ( L’aveugle destin ). De la même époque, 1896, date le bas relief Cantique d’amour (fig.7), dont le sujet, un couple couché pris dans une draperie comme dans un cocon, est proche de notre relief, qui doit dater de même époque. On retrouve aussi un même apaisement par l’usage de douces lignes courbes et parallèles ainsi que le drapé mouillé repris à la sculpture grecque.

Il faut noter que ces bas-reliefs sont modelés dans l’argile, puis moulés pour présenter dans les expositions des épreuves en plâtre, épreuves qui seront ensuite retravaillées pour les détails ou la patine. Devreese, par sa pratique d’ornemaniste, maîtrisait ce travail de moulage. On peut voir dans les images de son atelier des bas-reliefs et autres sculptures en plâtre ornant les murs (fig.8).

Par la suite, On retrouve quelques bas-reliefs réalisé par Devreese : quelques médailles et plaquettes 10 , ainsi que des sculptures au très faible relief en ivoire.

7 À noter qu’il a réalisé de nombreux haut-reliefs. 8 Il reprend d’ailleurs dans son bas-relief décorant la façade de l’hôtel Hannon (fig.5) le vocabulaire typique de l’art nouveau, comme les rayons du soleil ou les branchages et son drapé qui adopte particulièrement la ligne en arabesque. 9 "L’amour virginal (…) ce fut la première œuvre qui attira l’attention des artistes et des connaisseurs ", Victor Rousseau, cité in : DUJARDIN, p.123. Rousseau réalise aussi l’année suivante, 1894, un bas-relief intitulé la Muse , d’après : DES OMBIAUX, p.42. 10 Voir : DE CALLATAY (François), Victor Rousseau médailleur , in : Exposition rétrospective Victor Rousseau , pp.29-33.

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Notre bas-relief insère dans un cadre horizontal trois jeunes femmes nues, au ventre rebondi, délicatement allongées, même si l’une d’entre elles nous présente ses fesses dans une contorsion qui dénote de l’intérêt de l’artiste pour l’anatomie 11 . Le bas-relief permet une sensualité apaisée. Dans Puberté (1901) (fig.9), la scène est proche, mais le haut-relief lui donne une emphase plus rubénienne absente du bas-relief. Ici, Rousseau, grand mélomane 12 , développe une longue ligne courbe régulière associant les torses relevés, à gauche, au drapé, toujours structurant chez Rousseau, à droite. Puis, dans cette phrase, il insère un rythme plus marqué mais secondaire avec cette succession cadencée de jambes. On retrouve le même genre de sujet, de cadrage et de rythme dans les œuvres contemporaines de Gustave Klimt, autre artiste associé à l’Art nouveau et au Symbolisme, dans lesquelles de jeunes nymphes sont emportées par les flots (fig.10).

Au dos du cadre, une indication qui n’est pas de la main du sculpteur, nous donne un titre : Le Sommeil (fig.11)13 . Nous n’avons pas trouvé la confirmation de ce titre, mais l’iconographie correspond. Il y a bien évidemment les corps allongés, dans ce canon allongé typique de l’artiste, ou la présence du drapé, mais on remarquera d’avantage la pose aux bras levés, qui évoque la représentation du sommeil dans l’art antique et qui sera repris largement par la suite (fig.12). La courbe du corps peut aussi être vue comme un écho à la fameuse représentation de la nuit réalisée par Michel-Ange, l’un des artistes fétiches de Rousseau. Le sommeil, domaine du rêve et donc de l’immatérialité, intéressera les artistes symbolistes et plus particulièrement les idéalistes. On se souviendra entre autres du tableau de Jean Delville, ami proche de Rousseau, Les Trésor de Satan (1895). Rousseau lui-même réalisera de nombreuses figures allongées, parfois mises en parallèle, ou des corps qui se tendent ainsi que plusieurs représentations du sommeil (fig.13).

Enfin, on remarquera que Rousseau a réalisé de nombreux groupes associant trois personnages, comme dans son célèbre groupe du parc de Mariemont, Pour la Vie (1908)14 . Dans l’une de ses œuvres maîtresses, Les Sœurs de l’illusion (1901) (fig.14), on retrouve trois femmes nues, certaines

11 Grâce à Georges Houstont (cfr note 1), Rousseau a assisté dans les années 1880 à des classes de dissection à l’université de Bruxelles. 12 Sur son rapport à la musique, voir : VANDEN EECKHOUDT, 2013, p.21. Wagner, cité comme apprécié par Rousseau, utilisera entre autres pour exprimer la passion amoureuse des phrases particulièrement étirées. 13 Différentes indications, plus ou moins fiables (?), indiquent que l’œuvre fut achetée au sculpteur Arthur Craco en 1905 et donne comme date d’exécution les années autour de 1895, tandis qu’une autre indication note que l’œuvre fut réalisée quand l’artiste avait 27 ans (càd 1892). Quoi qu’il en soit, cela va dans le sens d’une datation de l’œuvre dans les années 1890. 14 Commandé à Victor Rousseau en 1908 par Raoul Warocqué pour offrir un pendant aux Bourgeois de Calais de Rodin achetés en 1905. D’après : BeMonumen.

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allongées, dont l’une rappelle particulièrement Michel-Ange, et un drapé qui forme un arc de cercle structurant. Ces mêmes éléments se répètent, avec plus de proximité avec notre bas-relief, dans un projet dessiné pour un monument comportant un relief (fig.15) 15 . Notre bas-relief s’inscrit donc parfaitement dans l’œuvre de Victor Rousseau, l’un des principaux sculpteurs belges du Symbolisme.

Texte et dossier par Laurent Stevens, historien de l’art [email protected] 2019

Illustrations

Dans le texte : Victor Rousseau , photo., in : L’œuvre de Victor Rousseau , 1933

Fig.1 : Victor Rousseau, Le Tourment de la pensée , 1890, plâtre, Bruxelles, Académie des Beaux-arts (photo d’époque, bras levé détruit).

Fig.2 : Victor Rousseau, Candélabre, 1893, Bruxelles, Jardin botanique / Amphitrite , 1905, Liège, Pont de Fragnée.

15 Rousseau a réalisé de nombreux projets qui ne verront pas le jour. Le plus célèbre étant sans doute le Monument à César Franck destiné à Liège. À noter que certains éléments de ce monument, comme la succession de trois corps, typique de l’artiste, sont présents dans notre bas-relief. Sur le Monument à César Franck, voir : CREUSEN.

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Fig.3 : Victor Rousseau, 1916-1919, Belgian War Memorial in Gratitude to Great Britain , 1916 - 1920, Londres, Embankment.

Fig.4 : Victor Rousseau (sculpt.), Joseph Van Neck (arch.), Monument aux morts de Forest (détail), 1921, Forest / Monuments à Charles Buls et Émile Demot , 1928, Bruxelles, Avenue Louise.

Fig.5 : Victor Rousseau, La Fileuse , Bruxelles, façade de l’hôtel Hannon de Jules Brunfaut (1903-04).

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Fig.6 : Victor Rousseau, bas-relief en plâtre, coll .part.

Fig.7 : Victor Rousseau, Cantique d’amour , 1896.

Fig.8 : L’atelier de Victor Rousseau, 1905 (le sculpteur est à droite).

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Fig.9 : Victor Rousseau, Puberté , 1901.

Fig.10 : Gustave Klimt, Sang de poisson, 1898 / Serpent d’eau II, 1904-07, coll.part.

Fig.11 : Dos du bas-relief.

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Fig.12 : Le Sommeil d’Andimion , Antiquité romaine, Londres, British Museum / Miche- Ange, La Nuit , , Nouvelle sacristie de St Laurent /Rembrandt, Sommeil d'Antiope , 1659, eau-forte, Londres, British Museum / Charles Auguste Fraikin, Le Sommeil , Bruxelles, MRBAB.

Fig.13 : Victor Rousseau, Les Amies , terre cuite, coll.part / Le Repos des bergers , 1909, dessin, Bruxelles, MRBAB / bronze, coll.part. / Causerie , plâtre, Bruxelles, MRBAB.

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Fig.14 : Victor Rousseau, Les Sœurs de l’illusion , 1901, marbre, Bruxelles, Musées royaux des Beaux-arts de Belgique.

Fig.15 : Victor Rousseau, Projet de monument, dessin à l’encre, Bruxelles, Musées royaux des Beaux-arts de Belgique.

Ressources utilisées

BAUDSON (Pierre), Victor Rousseau , in : Académie royale des Beaux-arts de Bruxelles, 275 ans d’enseignement , Bruxelles, Musées royaux des Beaux-arts de Belgique / Crédit communal, 1987, pp.369-373.

CREUSEN (Alexia), Art public à Liège au début du XX e siècle. Regard sur trois projets monumentaux non réalisés , in : Bulletin de la Classe des Beaux-Arts de l’Académie royale de Belgique, 2003, T. 14, pp. 11-39 (publié online, in : Koregos , 2015).

DES OMBIAUX (Maurice), Victor Rousseau , Bruxelles, G. Van Oest, 1908.

DUJARDIN (Jules), L’Art flamand : Les artistes contemporains , Bruxelles, Arthur Boitte, 1900, vol.6.

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ENGELEN (Cor), MARX (Mieke), La Sculpture en Belgique à partir de 1830 , Louvain, Cor Engelen - Mieke Marx, 2006, Tome 6, pp.3100-3111.

SANCHEZ (Pierre), Le Salon des XX et de La Libre Esthétique : Répertoire des exposants et liste de leurs œuvres : Bruxelles 1884-1915 , Dijon, L’Échelle de Jacob, 2012.

SCHOONBROODT, Artistes belges de l’Art nouveau : 1890 - 1914 , Bruxelles, Editions Racine, 2008.

VANDEN EECKHOUDT (Denise), Victor Rousseau , in : Nouvelle biographie nationale , Bruxelles, Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique, 1990, vol.2, pp.328-335.

VANDEN EECKHOUDT (Denise), Victor Rousseau , in : VAN LENEPP (Jacques) (dir.), La Sculpture belge au XIX e siècle , Bruxelles, Générale de Banque, 1990, pp.534-539.

VANDEN EECKHOUDT (Denise), Victor Rousseau : 1865 - 1954 , Bruxelles, Éditions Bern’Art, 2013.

VAN LENEPP (Jacques), Catalogue de la sculpture. Artistes nés entre 1750 et 1882 , Bruxelles, Musées royaux des Beaux-arts de Belgique, 1992.

Auteurs divers ou anonyme :

Be-Monumen : répertoire participatif des bronzes et fontes belges (be-monumen.be).

Exposition rétrospective Victor Rousseau , Forest, Abbaye de Forest, 1992.

Exposition Victor Rousseau , Bruxelles, Galerie Georges Giroux, 1925.

L’œuvre de Victor Rousseau , Bruxelles, Palais des Beaux-arts, 1933.

Victor Rousseau , Bruxelles, Galerie Patrick Lancz, 2009.

Victor Rousseau - La beauté féminine , Bruxelles, Galerie Patrick Lancz, 2013.

Iconographie :

Catalogue online du British Museum (britishmuseum.org).

La Renaissance et le rêve : Bosch, Véronèse, Greco…, Paris, Musée du Luxembourg, 2013.

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