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Transalpina Études italiennes

20 | 2017 Edmondo De Amicis. Littérature et société

Mariella Colin (dir.)

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/transalpina/347 DOI : 10.4000/transalpina.347 ISSN : 2534-5184

Éditeur Presses universitaires de Caen

Édition imprimée Date de publication : 1 septembre 2017 ISBN : 978-2-84133-857-3 ISSN : 1278-334X

Référence électronique Mariella Colin (dir.), Transalpina, 20 | 2017, « Edmondo De Amicis. Littérature et société » [En ligne], mis en ligne le 19 décembre 2019, consulté le 06 novembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/ transalpina/347 ; DOI : https://doi.org/10.4000/transalpina.347

Transalpina. Études italiennes

Edmondo De Amicis Littérature et société Couverture : Maquette de Cédric Lacherez

Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction, sous quelque forme que ce soit, réservés pour tous pays.

ISSN : 1278-334x ISBN : 978-2-84133-857-3

© 2017. Presses universitaires de Caen 14032 Caen Cedex - France TRANSALPINA

ÉTUDES ITALIENNES – 20 –

Edmondo De Amicis Littérature et société

Textes recueillis par Mariella Colin

2017

Équipe de recherche sur les littératures, les imaginaires et les sociétés (erlis) Université de Caen Normandie Direction de la revue Mariella Colin (Université de Caen) Laura Fournier-Finocchiaro (Université de Paris 8)

Comité scientifique (2017) Luca Bani (Université de Bergame), Jean-Yves Frétigné (Université de Rouen), Patrizia Gabrielli (Université de Sienne), Andrea Gareffi (Université Roma 3), Anne-Rachel Hermetet (Université d’Angers), Jean-René Ladmiral (Université Paris Ouest et ISIT), Antonio Lavieri (Université de Palerme), Gilles Pécout (ENS et Université de Paris 1), Pierluigi Pellini (Université d’Arezzo-Sienne), Mariasilvia Tatti (Université Roma La Sapienza).

Comité de lecture Viviana Agostini-Ouafi (Université de Caen), Anna Antoniazzi (Université de Gênes), Nicolas Bonnet (Université de Dijon), Mariella Colin (Université de Caen), Juan Carlos D’Amico (Université de Caen), Maria Pia De Paulis (Univer- sité de Paris 3), Christian Del Vento (Université de Paris 3), Laura Fournier- Finocchiaro (Université de Paris 8), Céline Frigau (Université de Paris 8), Stefano Lazzarin (Université de Saint-Étienne), Xavier Tabet (Université de Paris 8), Alberto Brambilla (Istituto Giuliano di Storia, Cultura e Documenta- zione), Emmanuelle Genevois (Université de Paris 3).

Comité de rédaction Viviana Agostini-Ouafi (Université de Caen), Mariella Colin (Université de Caen), Juan Carlos D’Amico (Université de Caen), Laura Fournier-Finocchiaro (Université de Paris 8), Corinne Manchio (Université de Paris 8). SOMMAIRE

Mariella Colin : Introduction. 9

Michela Dota : Per un canone educativo dell’ufficiale e gentiluomo : La vita militare di Edmondo De Amicis. 17

Alberto Brambilla : « Diserzioni ». Note sul pacifismo e sull’antimilitarismo di Edmondo De Amicis. 33

Laura Fournier-Finocchiaro : Les caractères nationaux des peuples dans les récits de voyage d’Edmondo De Amicis : latinité, orientalisme et européisme. 47

Aurélie Gendrat-Claudel : Surimpressions de Paris : pratiques de la citation dans les Ricordi di Parigi ...... 65

Matteo Grassano : La lingua di Cuore . 81

Mariella Colin : La maestrina degli operai, une nouvelle dérangeante d’Edmondo De Amicis. 99

L’institutrice des ouvriers. Traduction de La maestrina degli operai par Mariella Colin et Emmanuelle Genevois. 113

Laura Nay : La « pelle delle cose » : Edmondo De Amicis e la tentazione « d’architettare un romanzo ». 177

Clara Allasia : Riflessioni semiserie di Edmondo De Amicis intorno al mestiere della scrittura. « Progetti di riforma sociale a un poeta idillico, un romanzo a un latinista » . 193

Varia

Elsa Chaarani Lesourd : Vingt ans après Cuore ou Franti dans les beaux quartiers. Il giornalino di Gian Burrasca hypertexte de Cuore ...... 209

Luca Bani : Sulla condizione del poeta nell’età moderna. Note in margine ad alcune riflessioni intorno alla vita di Torquato Tasso contenute nello Zibaldone . 227 Patrizia Gabrielli : Una galassia femminile : associazionismo laico nell’Italia del secondo dopoguerra . 243

Recension bibliographique

Notes critiques. 261

Comptes rendus . 279 INTRODUCTION

Edmondo De Amicis est internationalement connu comme l’auteur de Cuore, un ouvrage pour l’enfance qui s’est montré profondément novateur en mettant l’école au centre de la narration. Publié en 1886, il est devenu le livre pour les enfants le plus célèbre de l’Italie libérale, où il a été longtemps considéré comme le meilleur qu’on ait jamais écrit pour eux. En dépassant les frontières de la péninsule, son succès s’est rapidement étendu à l’Europe et notamment à la France, où, sous le titre de Grands Cœurs 1 (1892), il est devenu l’un des livres pour la jeunesse les plus populaires de la Troisième République. Ce best-seller s’est transformé ensuite en long-seller, et par la durée de sa lecture il a agi en Italie comme un instrument puissant d’unification culturelle nationale par son interprétation fidèle des aspirations morales et sociales de la bourgeoisie libérale italienne, et par son pouvoir de diffusion de valeurs et de mythes cristallisés autour d’idées et de modèles qui conti- nuèrent d’être longtemps partagés dans la péninsule. Mais le succès durable de Cuore, qui a fait la notoriété de l’écrivain, a fini par nuire à son œuvre, qu’il a commencé par éclipser, avant de la marquer du discrédit dont le livre devint la cible 2 dans le climat de contestation générale des années 1960. Il fut alors vu comme le meilleur exemple d’une « idéologie bourgeoise » nationaliste et réactionnaire marquée par le paternalisme et les intérêts de classe, depuis qu’Umberto Eco, dans un article retentissant 3, l’avait jugé comme « le livre où toutes les tares des mœurs italiennes “préfascistes” (et

1. Sur la diffusion de Cuore en France, cf. M. Colin, « Da Cuore a Grands Cœurs fine ’800 », Belfagor, 31 mai 1986, p. 297-310 ; Id., « Cent ans de Cuore en France : édition, traduction, lecture », in Id., La littérature d’enfance et de jeunesse italienne en France au XIXe siècle. Édition, traduction, lecture, Caen, Presses universitaires de Caen (Cahiers de Transalpina), 2011, p. 113-134. 2. Cf. M. Colin, « Du sacre à la désacralisation », in Id., L’âge d’or de la littérature d’enfance et de jeunesse italienne. Des origines au fascisme, Caen, Presses universitaires de Caen, 2005, p. 165-170. 3. Le titre original de l’article (« Franti, o il Cuore ») dans la revue Il Caffé (p. 3-11) fut modifié en Elogio di Franti dans le recueil Diario minimo, Milan, Mondadori, 1963, p. 85-96. On le trouve en version française dans Le livre Cœur, Paris, Éditions Rue d’Ulm, 2001, p. 337-349.

Transalpina, no 20, 2017, Edmondo De Amicis. Littérature et société, p. 9-16 10 Mariella Colin même “protofascistes”) étaient magnifiées » 4. La critique militante se mit alors à tirer à boulets rouges sur Cuore, qui s’était re-sémantisé et apparais- sait comme le symbole du « conformisme bourgeois » à tous ceux qui lui faisaient un procès anachronique, en oubliant qu’il s’agissait d’un texte né dans l’Italie d’Humbert Ier, très éloignée des mentalités et de la sensibilité de l’Italie de la fin du XXe siècle. Dans ce chorus se distinguèrent les voix discordantes d’Alberto Asor Rosa, qui réserva à Cuore une place importante dans son histoire de la culture italienne 5, et celle d’Italo Calvino, se disant émerveillé par les qualités littéraires d’Amore e Ginnastica, une nouvelle de De Amicis qu’il fit publier par les éditions Einaudi 6, avant que la publication posthume en 1980 de Primo Maggio 7 – le grand roman que De Amicis avait écrit entre 1891 et 1893 après sa « conversion au socialisme » – ne relance le débat sur l’auteur et sur son œuvre, en leur donnant une nouvelle dimension. Depuis, l’écrivain a été largement réhabilité dans le milieu universitaire : son œuvre a été revisitée par la critique et plusieurs colloques lui ont été consacrés 8, tandis que ses écrits, souvent présentés par des intellectuels prestigieux 9, ont connu d’innombrables éditions et rééditions chez les éditeurs (grands et petits) de la péninsule, jusqu’à leur entrée dans la prestigieuse collection « I Meridiani » 10 de Mondadori. En France, De Amicis a été connu au XIXe siècle grâce aux éditions françaises de ses livres de voyage, publiés avec succès par Hachette 11 avant même la parution du Cuore français. Après une longue période d’oubli, sa réception s’est enrichie de plusieurs autres traductions dans ces toutes

4. U. Eco, « Franti strikes again », in Le livre Cœur, p. 351. 5. A. Asor Rosa, « Le voci di un’Italia bambina : Cuore e », in Storia d’Italia. Annali, Turin, Einaudi, 1975, vol. IV, t. 2, La cultura dall’Unità ad oggi, p. 928. 6. Cf. I. Calvino, introduction à E. De Amicis, Amore e ginnastica, Turin, Einaudi, 1971, puis Milan, Mondadori, 2011. 7. E. De Amicis, Primo Maggio, G. Bertone, P. Boero (éd.), Milan, Garzanti, 1980. 8. Entre autres, en 1981 à Imperia (Edmondo De Amicis, F. Contorbia (éd.), Milan, Garzanti, 1985) et en 2008, lors du centenaire de sa mort, à Turin (De Amicis nel Cuore di Torino, C. Allasia (éd.), Alessandria, Edizioni dell’Orso, 2011) et à Imperia (Edmondo De Amicis scrittore d’Italia, A. Aveto et F. Daneri (éd.), Città di Imperia, 2012). 9. Cf. par exemple : A. Arbasino, introduction à Olanda, Gênes, Costa & Nolan, 1986 ; C.A. Madrignani, introduction à Il “Re delle bambole”, Palerme, Sellerio, 1990 ; Id., intro- duction à Nel giardino della follia, Pise, ETSI, 1990 ; A. Gibelli, préface à Sull’Oceano, Reggio Emilia, Diabasis, 2005 ; A. Ascenzi, P. Boero, R. Sani, introduction à Il romanzo d’un maestro, Gênes, De Ferrari, 2007 ; U. Eco, introduction à Costantinopoli, Turin, Einaudi, 2008. 10. E. De Amicis, Opere scelte, F. Portinari, G. Baldissone (éd.), Milan, Mondadori, 1996. 11. L’Espagne, La Hollande, Constantinople, publiés en 1878 par Hachette, connurent plusieurs rééditions, tout comme Souvenirs de Paris et de Londres (1882) et Le Maroc (1882). Introduction 11 dernières années, comme Le livre Cœur 12 (2001) – première version intégrale de Cuore – , Sur l’Océan 13 (2004), Vertiges de l’amour 14 (2005), Souvenirs de Paris 15 (2015), Amour et gymnastique 16 (2016), Le roman d’un maître d’école 17 (2016). Un regain d’intérêt qui trouve une nouvelle confirmation dans ce numéro de Transalpina qui lui est entièrement consacré, dans le but de faire connaître au public français d’aujourd’hui l’un des écrivains les plus représentatifs de l’Italie libérale, dont il fut à la fois protagoniste et témoin par son parcours reliant les batailles du Risorgimento à la naissance du socialisme. En devenant l’auteur italien le plus aimé de son temps 18, par son rayonnement exceptionnel il joua un rôle important de guide et de médiateur, et réalisa le miracle de plaire à la bourgeoisie tout en rendant la littérature accessible à un vaste public, dans un pays où les analphabètes étaient légion. Né en 1846 à Oneglia (aujourd’hui Imperia) en Ligurie, formé à l’École militaire de Modène, il avait servi dans l’armée en qualité de sous-officier et participé à la troisième guerre de l’indépendance italienne 19, avant d’entrer dans la rédaction de L’Italia militare pour écrire des textes de propagande destinés à rendre populaire l’armée. Le jeune officier collabora avec une série de nouvelles dans lesquelles l’institution militaire était mise en scène au travers d’une galerie de portraits de soldats exemplaires, qui démontraient la fonction éducative de l’armée (forger un citoyen modèle). Michela Dota analyse le lexique et les variantes de ces textes, depuis les originaux en revue jusqu’aux éditions en volume de La vita militare 20, afin d’en dégager les représentations modélisatrices et de montrer comment « la grammatica dell’educazione militare » esquisse chez De Amicis un « canone dell’ufficiale gentiluomo » fort éloigné du patriotisme guerrier et de l’exaltation de la

12. Le livre Cœur, trad. P. Caracciolo, M. Macé, L. Marignac et G. Pécout, notes et postface de G. Pécout, Paris, Éditions Rue d’Ulm, 2001. 13. Sur l’océan, trad. O. Favier, Paris, Payot & Rivages, 2004. 14. Vertiges de l’amour, trad. L. Chapuis et T. Gillybœuf, Talence, L’arbre vengeur, 2005. 15. Souvenirs de Paris, trad., notes et postface d’A. Brambilla et A. Gendrat-Claudel, Paris, Éditions Rue d’Ulm, 2015. 16. Amour et gymnastique, suivi d’Un amour de Nellino, trad. E. Genevois, Grenoble, Éditions Cent Pages (précédée par l’édition du même ouvrage en 1988 chez Piquier), 2016. 17. Le roman d’un maître d’école, traduction, introduction et notes de M. Colin, Caen, Presses universitaires de Caen (Cahiers de Transalpina), 2016. 18. Ce qui fut révélé par une enquête menée en 1906 auprès des éditeurs et libraires de la péninsule (cf. C. Tortorelli, « I libri più letti dal popolo italiano : un’inchiesta del 1906 », Prospettive Settanta, 1983, p. 75-101). 19. Cf. M. Colin, « Edmondo De Amicis acteur et spectateur des batailles du Risorgimento », Transalpina, n° 16, 2013, p. 49-68. 20. E. De Amicis, La vita militare : bozzetti, Milan, Treves, 1868, 1869 et 1880. 12 Mariella Colin virilité typiques de ce temps. Cette étude est élargie par la réflexion d’Alberto Brambilla, qui l’étend à la totalité de l’œuvre déamicisienne en suivant l’évolution de l’écrivain face aux questions militaires. D’abord soldat de l’armée du roi Victor-Emmanuel II, De Amicis finira par se présenter comme un soldat de la nouvelle idée socialiste et il usera d’un vocabulaire guerrier pour parler de la lutte que les prolétaires doivent mener contre l’exploitation et l’injustice. Mais il manifestera son hostilité à toute velléité belliciste et prendra ses distances par rapport à la politique coloniale de son pays en refusant de célébrer les soldats morts en Afrique. En 1871, le jeune Edmondo quitta la carrière militaire pour le journa- lisme, et partit pour l’Espagne comme envoyé spécial de La Nazione de Florence ; dans les années suivantes, il se rendra dans d’autres pays pour le compte de L’Illustrazione italiana de Milan. Ces séjours à l’étranger seront à l’origine d’autant de reportages puis d’ouvrages destinés au grand public, entre guides de tourisme et littérature de voyage, qu’il publiera d’abord chez l’éditeur florentin Barbèra (Spagna, 1873 ; Olanda, 1874), puis chez l’éditeur milanais Treves (Ricordi di Londra, 1874 ; Ricordi di Parigi, 1875 ; Marocco, 1876 ; Costantinopoli, 1877-1878). Laura Fournier-Finocchiaro passe en revue cette production pour examiner les représentations des caractères nationaux livrées par De Amicis, et montre comment elles contribuent à la construction de la représentation identitaire italienne. De Amicis présente l’Europe comme un continent culturellement unifié, tout en distinguant un Sud (Espagne, France) et un Nord (Hollande, Angleterre), tandis que l’altérité est offerte par l’orientalisme du Maroc et de Constantinople, source de fascination et de répulsion en constante opposition avec la civilisation occidentale. Ces volumes furent autant de succès de librairie et le firent connaître rapidement comme journaliste et écrivain par un public bourgeois et petit-bourgeois dont il contribua à construire l’imaginaire géographique, en l’émerveillant par l’accumulation de tableaux pittoresques, la valorisation hyperbolique de chaque découverte et la profusion de détails. Une manière de décrire visant à exciter la curiosité des lecteurs qu’Aurélie Gendrat-Claudel remarque également dans la deuxième édition des Ricordi di Parigi (1879), qui inclut Uno sguardo all’esposizione (l’exposition universelle de 1878). Elle s’attache tout particulièrement à décrypter les stratégies narratives et rhétoriques de l’écriture de De Amicis lorsque celui-ci manie la citation, et repère la variété des outils dont l’écrivain s’est doté pour légitimer son entreprise (citer pour se donner du crédit et exhiber sa connaissance de la littérature contemporaine, citer pour convaincre et apporter la preuve de ses affirmations, citer pour amuser par des détournements ludiques de textes, citer pour se venger de Paris ou pour justifier l’amour des Parisiens envers leur propre culture) et rendre brillant un discours guetté par le risque du lieu commun. Introduction 13

En 1878, après la publication de Constantinopoli, De Amicis annonça à son éditeur qu’il souhaitait écrire un livre nouveau et fort, dont l’idée lui était venue en lisant L’Amour de Michelet. Treves le presse d’écrire « il Cuore, il Cuore e il Cuore ! » 21, mais ce n’est qu’au début de l’année 1886 qu’il se consacrera à la rédaction de ce roman, qu’il écrira d’un seul jet en quatre mois. Le livre, qui est devenu un classique de la littérature pour l’enfance et de la littérature tout court, devait aussi contribuer à la nationalisation linguistique des jeunes générations italiennes par sa langue simple et hau- tement communicative, proche de l’italien oral de la bourgeoisie cultivée. Matteo Grassano propose une étude attentive sur la réflexion linguistique de De Amicis, qui recherche un italien unitaire et équilibré, fidèle au modèle linguistique manzonien au plan phono-morphologique et lexical tout en comportant une « touche » de florentinisme dans la phraséologie idioma- tique. Il s’agit d’un choix délibéré de l’auteur, qui éprouve un vif intérêt pour la langue italienne, et lui consacrera par la suite l’un de ses derniers ouvrages, L’idioma gentile (1905). La « révolution » que M. Grassano relève dans l’écriture de Cuore se situe plutôt au niveau syntaxique, par sa structure brisée, riche de juxtapositions, de parataxes et d’accumulations typiques de l’oralité, ainsi que par sa morphologie riche de déformations affectives comme les diminutifs, les superlatifs et les répétitions, typiques du langage enfantin et aptes à influencer le lecteur par l’émotion. C’est ce lien étroit entre la langue et l’idéologie pédagogique qui, d’après Grassano, contribue à transmettre un système de valeurs définies. Mais même si Cuore semble prolonger l’idée directrice de La vita militare par l’importance des thèmes liés au Risorgimento et par le rôle fondamental qui est attribué aux deux institutions censées construire la nation et éduquer les Italiens, l’armée et l’école, la réflexion de De Amicis est déjà parvenue à un tournant. En 1884, lors d’un voyage en Amérique latine, sur un paquebot bondé d’une foule de pauvres Italiens allant cher- cher du travail dans le Nouveau Monde, il avait découvert l’émigration de masse et pris conscience de la grande pauvreté qui pesait encore sur son pays. De cette expérience naîtra Sull’Oceano (1889), un extraordinaire reportage qui est la première œuvre littéraire importante sur l’émigra- tion, dont De Amicis a parfaitement compris l’importance et les causes. L’idéalisation du Risorgimento fait alors place à la déception envers l’État libéral, qui abandonne la population paysanne dans la misère, tout comme il laisse dans des conditions indignes les maîtres d’école. La vie et le tra- vail des enseignants de l’école primaire, déjà esquissés dans Cuore, seront

21. M. Mosso, I tempi del Cuore. Vita e lettere di Edmondo De Amicis ed Emilio Treves, Milan, Mondadori, 1925, p. 363. 14 Mariella Colin détaillés dans Il romanzo d’un maestro (1890) 22, le texte qu’il était en train de rédiger avant d’écrire le livre pour l’enfance. Ce passionnant « romanzo inchiesta », fort bien documenté sur la réalité de l’école et les mille diffi- cultés que devaient affronter les maîtres et les maîtresses dans le royaume d’Italie, est une dure dénonciation et une mise en accusation de la classe dirigeante, que l’écrivain place devant ses responsabilités. Dans la même ligne, De Amicis publia en 1891 une série de nouvelles, ensuite réunies en volume sous le titre Fra scuola e casa (1892), dans lesquelles il continua de représenter l’école réelle du Romanzo et non celle utopique de Cuore. Mariella Colin analyse ici La maestrina degli operai, un récit qui prend à rebours les pages édifiantes de Cuore, en décrivant les écoles ouvrières avec une écriture naturaliste qui ne craint pas de se confronter à la violence et à la sexualité. L’intrigue raconte la descente aux enfers d’une jeune institutrice qui se trouve confrontée à un groupe d’élèves ouvriers dont l’indiscipline ira jusqu’à la criminalité. Parmi ceux-ci, un dangereux voyou qui forme avec elle un couple antagoniste et qui, après l’avoir longtemps persécutée, se fera tuer pour la défendre. Ce texte difficile à classer au sein de l’œuvre déamicisienne est dérangeant à plus d’un titre : il témoigne d’une capa- cité d’analyse psychologique poussée, introduit des éléments sensuels et sadiques inhabituels dans ses écrits précédents, et se situe aux antipodes des thèses de la bonté naturelle du peuple et de l’éducation du cœur qui sont généralement considérées comme ses traits distinctifs. C’est pourquoi il est présenté ici dans la traduction de Mariella Colin et Emmanuelle Genevois, afin de permettre au lecteur français de le découvrir. La vision sociale pessimiste qui se dégage de cette nouvelle surprend, car au moment de sa publication De Amicis avait déjà fait connaître son adhésion au socialisme, et il s’était engagé en mettant sa plume au service d’une cause qu’il croyait profondément juste. Il écrit alors Primo Maggio – son roman le plus ambitieux, qui, sans être un chef-d’œuvre, par son caractère novateur aurait sans doute modifié l’histoire de la littérature italienne s’il l’avait fait paraître de son vivant – , donne des conférences aux ouvriers et écrit des articles militants, avant de publier La carrozza di tutti (1899). Cette œuvre est le fruit d’un projet original : celui de relater pendant une année la vie quotidienne qui se déroule à Turin dans les tramways à chevaux qu’emprunte habituellement l’écrivain. C’est un « romanzo corale » sans véritable intrigue, qui n’existe que par le regard perspicace de l’observateur-narrateur ; il exprime avec force les convictions socialistes de l’auteur, qui en voyant se mélanger dans l’espace d’une voiture toutes

22. Sur ce texte, cf. A. Gramigna, Il romanzo d’un maestro di Edmondo De Amicis, Florence, La Nuova Italia, 1996 ; M. Colin, introduction à Le roman d’un maître d’école, p. I-XXXIV. Introduction 15 les classes sociales a confiance dans l’avènement prochain d’un monde plus juste parce que plus égalitaire. Laura Nay rapproche la structure de ce dernier roman de celle de Sull’Oceano ; le paquebot et le tramway sont deux de ces « mondi a parte » (c’est la définition déamicisienne), comme l’école ou la caserne, que l’auteur privilégie parce qu’ils lui permettent d’appréhender par l’observation, dans le laboratoire de son écriture, des individus appelés à devenir des personnages, sans en être séparés comme le spectateur l’est des comédiens sur scène. De Amicis est l’un des passagers des tramways turinois comme il était l’un des voyageurs à bord du navire en route vers l’Argentine. L. Nay montre avec finesse qu’il ne se limite pas à brosser une série de portraits qui seraient autant de « documents humains » à étudier, et qu’il ne se contente pas de décrire ce qu’il voit et d’enregistrer ce qu’il entend, mais qu’il veut dans les deux cas « architettare un romanzo » et narrer les vicissitudes de tous ceux qui voyagent avec lui en les englobant dans une puissante stratégie narrative. Il parvient ainsi à construire des textes riches et articulés, tout en transformant ces deux lieux clos en miroirs de la société italienne. Dans ses dernières années, De Amicis redevient le journaliste qu’il avait été autrefois, et se plaît à écrire pour les revues et les journaux de la péninsule des articles variés, qui vont de la critique mondaine à la réflexion artistique. Clara Allasia analyse l’un de ces textes tardifs, dans lequel l’auteur livre ses réflexions sur le métier d’écrivain que veulent entreprendre les dilettantes qui lui soumettent leurs manuscrits. Le défaut de jugement que De Amicis constate chez eux n’est pas le monopole des amateurs à leurs premiers essais, car son expérience de journaliste littéraire lui a appris que même les grands auteurs qu’il a interviewés (Manzoni, Zola, Daudet, Alexandre Dumas fils, Jules Verne…) et dont il se sent proche éprouvent aussi des difficultés pour évaluer leurs œuvres et sont tourmentés par la crainte de voir leur inspiration se tarir.

* * *

Les études réunies dans ce numéro de Transalpina offrent ainsi une vision d’ensemble de l’œuvre de De Amicis, dont elles retracent les étapes fondamentales en éclairant par leurs analyses les textes majeurs et mineurs d’un auteur polyvalent et versatile, qui a pratiqué la littérature sous les formes de la nouvelle et du roman, des mémoires et des récits de voyage, de la poésie et de l’écriture militante. Elles nous restituent dans toute sa complexité la parabole d’un écrivain qui débuta par des récits patriotiques pétris de romantisme pour s’élever jusqu’à une modernité 16 Mariella Colin exigeante et dramatique, en restant un intellectuel à l’esprit toujours en éveil, qui sut non seulement exprimer les idéaux et les valeurs typiques de son temps, mais aussi percevoir mieux que quiconque les nouveautés qui commençaient à transformer la société italienne dans les dernières décennies du XIXe siècle.

Mariella Colin ERLIS Normandie Université, Caen PER UN CANONE EDUCATIVO DELL’UFFICIALE E GENTILUOMO : LA VITA MILITARE DI EDMONDO DE AMICIS

Riassunto : Nell’Italia post-unitaria l’esercito, tramite la leva militare, ricopre a lungo una funzione sociogenetica fondamentale per la popolazione maschile : forgiare un cittadino modello e un perfetto gentiluomo, secondo i valori della cultura borghese arricchita dall’operosità self-helpista. La pubblicistica specializzata per le scuole reg- gimentali permette di individuare la grammatica dell’educazione militare, trasmessa da una precisa costellazione di lessemi ricorsivi. In questo panorama i bozzetti della Vita militare propongono una rappresentazione peculiare dell’esercito e degli esiti modellizzanti sulla popolazione maschile. Attraverso l’analisi delle correzioni apportate da De Amicis lungo le tre edizioni dell’opera (1868, 1869, 1880) e nelle precedenti pubblicazioni in rivista, il presente contributo rileva l’innovatività della proposta deamicisiana, senza tacere i paradossi interni e le incongruenze rispetto al canone ufficiale. Résumé : Dans l’Italie post-unitaire, l’armée occupe longtemps, par le biais de la conscription, une fonction sociogénétique essentielle pour la population masculine : forger un citoyen modèle et un parfait gentilhomme, selon les valeurs de la culture bourgeoise enrichie par le dynamisme self-helpiste. Les revues spécialisées destinées aux écoles de régiments permettent de circonscrire la grammaire d’une éducation militaire rythmée par une constellation précise de lexèmes récurrents. Dans ce contexte, les nouvelles de La vita militare proposent une représentation spécifique de l’armée et de l’impact de ses représentations modélisatrices sur la population masculine. Cet article s’attache à analyser les corrections apportées par De Amicis au fil des trois éditions de l’œuvre (1868, 1869, 1880) et de ses publications en revue antérieures, afin de mettre en valeur le caractère novateur de sa proposition, tout en tenant compte des paradoxes internes et des écarts vis-à-vis du canon officiel. – Frutti dell’educazione, disse ; – prepotenza e brutalità. – Mi si rimescolò il sangue ; alzai una mano, la ritenni, la cacciai in tasca, e con tutta la calma di cui fui capace e col più cortese accento che potei metter fuori mormorai nell’orecchio a quel signore : – Quale educazione ? – Quel signore si voltò, fece un atto di sorpresa, impallidì ; ma si rinfrancò subito e rispose con insolente scioltezza : – L’educazione militare 1.

1. E. De Amicis, La vita militare, Milano, Treves, 1880, p. 147.

Transalpina, no 20, 2017, Edmondo De Amicis. Littérature et société, p. 17-32 18 Michela Dota

È questo uno dei molti luoghi della Vita militare 2, tratto dal bozzetto Un mazzolino di fiori, in cui De Amicis tematizza il disprezzo verso l’esercito, corresponsabile (se non proprio artefice) nell’amplificare l’idea di maschilità come categoria improntata agli eccessi, a partire dai « modi bruschi » 3 (pre- potenza e brutalità appunto), coonestati come strutturali, ma biasimati dalla coeva letteratura antimilitarista 4. De Amicis non nega l’inverarsi quotidiano di quel modello (nel racconto il protagonista, reagendo alla provocazione, « tornò a casa con una mano ferita, e i suoi amici gli dissero che quel signore aveva la guancia sinistra divisa in due » 5), ma la sua ritrattistica maschile privilegia, come noto, il sentimentalismo lacrimoso, indigesto tanto ai lettori che condividevano la sua estrazione sociale (quella borghese del « signore » nella citazione) quanto alle fette più politicizzate delle classi subalterne 6. Tuttavia il soldato deamicisiano non collima neppure col modello di maschilità virilista 7, eretto sulla capacità di autocontrollo, sulla forza di volontà e sulle virtù militari (e perciò trasmesso dall’aristocratica

2. L’opera ha avuto tre edizioni (1868, 1869 e 1880), ciascuna caratterizzata da una diversa selezione di bozzetti che nel frattempo De Amicis pubblicava sui quotidiani fiorentini. Ad es., Un mazzolino di fiori fu pubblicato prima sull’Italia militare del 14 febbraio 1869, col titolo Un soldato al corso, per essere riedito poco dopo nella seconda edizione della Vita militare, e ancora nella terza. Per tutti i bozzetti ciascun transito editoriale comportò modifiche linguistiche e di contenuto, spesso ponderate di concerto col salotto Peruzzi. Sull’argomento si rinvia a L. Spalanca, « Fra ordine ed eversione. La Vita militare di Edmondo De Amicis », Esperienze letterarie, XXXIII, 2008 / 4, p. 93-110 ; M. Dillon Wanke, « Il soldato di Custoza : sui bozzetti militari di De Amicis », in Vittoria macchiata. Memoria e racconto della sconfitta militare nel Risorgimento, D. Tongiorgi (a cura di), Roma, Edizioni di storia e letteratura, 2012, p. 103-126 ; M. Colin, « Edmondo De Amicis acteur et spectateur des batailles du Risorgimento », Transalpina, n° 16, 2013, p. 49-68. Per i rapporti tra De Amicis e il salotto Peruzzi : M. Dillon Wanke, « De Amicis e il salotto Peruzzi », in Edmondo De Amicis, F. Contorbia (a cura di), p. 55-145 ; S. Spandre, « Le lettere di Edmondo De Amicis ad Emilia Peruzzi : l’evoluzione di un rapporto e di una personalità », Studi Piemontesi, XIX, n° 1, 1990, p. 31-49. Questi ultimi due contributi trascrivono diverse missive di De Amicis a Emilia Peruzzi, custodite nell’Archivio Peruzzi della Biblioteca Nazionale Centrale di Firenze nelle cassette 52 e 53. Anche il presente contributo ricorre a carte custodite nel fondo e finora inedite, la cui collocazione sarà identificata con il numero della cassetta (cass.) e in successione dai numeri dell’inserto (ins.) e della singola lettera. 3. F. La Cecla, Modi bruschi. Antropologia del maschio, Milano, Mondadori, 2000. 4. Suo principale esponente fu Igino Ugo Tarchetti, che novera tra i frutti dell’educazione militare « la prevalenza della forza brutale, la derisione di ciò che è delicato e gentile » (I.U. Tarchetti, Una nobile follia, Milano, Mondadori, 2004, p. 80). 5. E. De Amicis, La vita militare, 1880, p. 147-148. 6. La considerazione è di D. Baldini, citato in A. Nobile, Cuore in 120 anni di critica deami- cisiana, Roma, Aracne, 2009, p. 64, nota 25. 7. S. Bellassai, L’invenzione della virilità. Politica e immaginario maschile nell’Italia contem- poranea, Roma, Carocci, 2011. Per un canone educativo dell’ufficiale e gentiluomo… 19 letteratura militare precedente 8), la cui fragilità sarà confermata sia dai suc- cessivi studi freudiani sulle nevrosi di guerra, sia da alcune rappresentazioni letterarie coeve ai bozzetti deamicisiani, tra le quali spicca Una nobile follia di Tarchetti. Eppure, sfogliando I migliori libri italiani consigliati da cento illustri contemporanei 9 (1892), o ancora il novecentesco computo de I libri più letti del popolo italiano 10, la Vita militare miete a lungo il favore del pubblico, anche oltre confine 11. In effetti il tema scelto (la quotidianità della leva militare) ammiccava all’immaginario popolare intimamente convinto che la leva equivalesse a un sacramento religioso, ma laico 12 : l’iniziazione alla maschilità. Il servizio militare costituiva un cronotopo di un’esperienza cardinale nella società europea coeva, parificabile a un rito di passaggio (con tanto di segregazione spaziale e sociale garantita dalla caserma e, in parte, dal campo 13), volta a rafforzare i connotati di genere e ad acquisire l’habitus consono a una società gerarchizzata. Anche la vecchia aristocrazia conferiva all’esercito una funzione educativa, poiché i suoi rampolli vi avrebbero esercitato l’obbedienza e sviluppato l’attitudine al comando 14. Su questo consenso eterogeneo alla leva, De Amicis innesta la propria rappresentazione dell’esercito come alma mater : un istituto di formazione

8. È esemplare l’opera savoiarda Un homme d’autrefois (1878), ritenuto dalla critica coeva la quintessenza del « carattere vero del soldato gentiluomo », scolpito nelle sue qualità militari e perciò intrinsecamente virili (P. Villari, L’Italia e la civiltà. Pagine scelte e ordinate da Giovanni Bonacci, Milano, Hoepli, 1916, p. 392-393). Sullo scarto tra il soldato deamicisiano rispetto alla letteratura europea coeva : G. Pécout, « Edmondo De Amicis, socialista reale », in Atlante della letteratura italiana, III. Dal Romanticismo a oggi, D. Scarpa (a cura di), Torino, Einaudi, 2012, p. 358-364. 9. I migliori libri italiani consigliati da cento illustri contemporanei, Milano, Hoepli, 1892. La lettura delle opere di De Amicis è suggerita da 17 intervistati : 5 indicano esplicitamente la Vita militare, cui si possono aggiungere, per il nostro computo, i pareri onnicomprensivi (es. « le opere tutte del De Amicis ») di altri 3 intervistati. 10. I libri più letti dal popolo italiano, Milano, Società bibliografica italiana, 1906, p. 22-23 : dal campione, « ben meschino di fronte al numero grandissimo delle schede distribuite », risulta che tra gli impiegati « De Amicis tiene il primo posto con 44 opere, di cui 12 Cuore, 8 La vita militare, 8 Sull’Oceano » ; tra gli studenti De Amicis si attesta al secondo posto alle spalle di Salgari, mentre tra gli operai e i commessi si classifica sesto. 11. Tra il 1868 e i primi anni Ottanta La vita militare fu tradotta in francese, spagnolo, porto- ghese, tedesco, croato, danese, svedese e olandese. 12. G. Oliva, Esercito, paese e movimento operaio. L’antimilitarismo dal 1861 all’età giolittiana, Milano, FrancoAngeli, 1986, p. 58. 13. Nel bozzetto omonimo, infatti, De Amicis esplicita l’ambizione del campo militare a sostituirsi alla chiesa quale luogo di aggregazione sociale (a riguardo : G. Oliva, Esercito, paese e movimento operaio, p. 66). 14. S. Polenghi, « Educazione militare e stato nazionale nell’Italia ottocentesca », Pedagogia e Vita, LVII, n° 1, 1999, p. 105-146. 20 Michela Dota e di educazione, solidale con la famiglia e con la scuola 15 e in grado di sussumersi le loro rispettive funzioni, secondo una logica già incubata dalla pedagogia prerivoluzionaria e giacobina 16. Dunque l’esercito provvedeva all’alfabetizzazione dei maschi adulti, cui la scuola elementare non poteva più provvedere, insieme all’educazione morale e civica, nell’ovvio rispetto delle consuetudini stabilite dalla gerarchia sociale e della conseguente (im)mobilità. Sul primo aspetto sarà sufficiente menzionare l’istituzione delle scuole reggimentali e della florida pubblicistica scolastica a quelle destinate 17, che novera un’apposita edizione della Vita militare, edita nel 1869 e costituita da una spigolatura dei bozzetti ritenuti « più adatti all’intelligenza del soldato e alla sua morale educazione » 18 : Quel giorno, La sentinella, Il campo, Il mutilato, L’esercito italiano durante il colèra del 1867 e Una medaglia. Da questi e dagli altri bozzetti è possibile desumere un manipolo ricorrente di vocaboli, interpretabili come il precipitato dell’educazione militare, riflesso dalla pubblicistica specializzata e suffragato dalla paraletteratura per adulti lato sensu educativa 19 : esso compone il poligono educativo di riferimento in cui il soldato deve inscrivere la propria persona. Molti vertici del poligono deamicisiano coincidono nominalmente con quelli propalati da quella letteratura affine ; eppure le rispettive rappresentazioni non com- baciano, poiché diverso è il rango attribuito a ciascun tratto, e spesso anche il rispettivo significato. Per comprovarlo si offrirà un’analisi lessicale delle

15. Come ribadirà in Cuore ; in proposito : M. Colin, « Le forze armate italiane nei testi scolastici e nella letteratura per l’infanzia dell’Italia liberale », in L’Italia e il ‘militare’. Guerre, nazioni, rappresentazioni dal Rinascimento alla Repubblica, a cura di P. Bianchi e N. Labanca, Roma, Edizioni di storia e letteratura, 2014, p. 195-215. 16. S. Polenghi, « Educazione militare e stato nazionale », p. 123-124. 17. Sulle scuole reggimentali si vedano almeno G. Della Torre, « Le scuole reggimentali di scrittura e lettura tra Regno di Sardegna e Regno d’Italia, 1847-1883 », Le Carte e la Storia, XVII, n° 2, 2011, p. 84-97 ; G. Mastrangelo, Le scuole reggimentali : 1848-1913 ; cronaca di una forma di istruzione degli adulti nell'Italia liberale, Roma, Ediesse, 2008. 18. Per la precisione : E. De Amicis, Racconti militari. Libro di lettura ad uso delle scuole dell’esercito, Firenze, Successori Le Monnier, 1869, p. 3. L’edizione reggimentale della Vita militare ripropone alcuni bozzetti dell’edizione sessantottina dell’opera, cui aggiunge « Una medaglia », pubblicato per la prima volta nell’ottobre 1869 su La Nazione, e « L’esercito e il colèra » edito sulla Nuova Antologia nel marzo 1869. Del progetto editoriale, promosso dal ministero della Guerra, De Amicis informa Emilia Peruzzi con un bigliettino inedito, datato 7 marzo 1869 (cass. 52, ins. 10, 5) : « Carissima Signora Emilia, zitta ! Zitta, per carità. Sa cosa c’è in aria ? Non lo dica a nessuno. Nientemeno che un trenta o quaranta copie della Vita militare prese dal ministro. Il ministro vorrebbe adottare il libro nell’esercito, in via transitoria. Io verrei a guadagnare cinque o seimila lire. Zitto, angelo, non lo dica a nessuno. Crepacuore ? Ah ! Edmondo ». 19. Si menziona, ad es., il preunitario (ma ristampato sino all’Unità) C. Cantù, Il galantuomo : libro di morale popolare, Firenze, Per gli editori, 1838. Per un canone educativo dell’ufficiale e gentiluomo… 21 voci ricorsivamente riferite ai personaggi militari. Essa sarà condotta sulla terza e ultima edizione che, oltre a serbare la volontà definitiva dell’autore, raccoglie quasi tutti i bozzetti editi nelle precedenti edizioni. Nondimeno saranno considerate le oscillazioni delle occorrenze lungo i diversi stadi di pubblicazione.

Il lessico dell’educazione militare In primo luogo, coraggio registra 36 occorrenze 20, di cui 13 partecipano nella collocazione, variamente declinata, « farsi coraggio ». Le occorrenze aumen- tano nella seconda edizione, laddove la prima, di dimensioni comunque più esigue, contava solo 6 occorrenze. È significativo che 12 delle nuove occorrenze della seconda edizione convoglino nel bozzetto L’esercito italiano durante il colèra, in cui la giacitura « coraggio civile » addita la corretta chiave di lettura del vocabolo : non nella sua declinazione bellica, bensì nel senso di « possedere l’animo nell’affrontare il pubblico disprezzo o la non curanza o l’impopolarità facendo opera buona » 21, come appunto l’eser- cito nel gestire l’epidemia. Ne consegue la collocazione in sintagmi come « coraggio e fortezza », « coraggio e fermezza », e il più frequentato, tanto da essersi sedimentato come formula esortativa nel linguaggio comune, « forza e coraggio » 22.

20. Nel computo si escludono i molti casi in cui « coraggio » è fatismo esortativo nei dialoghi. 21. P. Petrocchi, Nòvo dizionario universale della lingua italiana, Milano, Treves, 1887-1892, 2 voll., sub voce coraggio. Concorda N. Tommaseo, B. Bellini, Dizionario della lingua italiana, Torino, UTET, 1861-1879, 4 voll. Per l’analisi si ricorre, inoltre, al Vocabolario degli Accademici della Crusca nella sua quinta impressione, a G. Giorgini, E. Broglio, Novo vocabolario della lingua italiana secondo l’uso di Firenze, Firenze, M. Cellini e C., 1870- 1897, 4 voll. e a G. Rigutini, P. Fanfani, Vocabolario italiano della lingua parlata, Firenze, Tip. Cenniniana, 1875. Più ragioni concorrono alla selezione dei vocabolari citati : alcuni (Giorgini-Broglio, Petrocchi e Rigutini-Fanfani) sono vocabolari dell’uso, coevi alla Vita militare, verosimilmente consultati da De Amicis, che li custodiva nella sua biblioteca personale (sul tema : M. Grassano « Appunti sulla biblioteca di De Amicis linguista », in L’Idioma gentile. Lingua e società nel giornalismo e nella narrativa di Edmondo De Amicis, G. Polimeni (a cura di), Pavia, Santa Caterina, 2012, p. 237-248 e Edmondo De Amicis a Imperia, D. Divano (a cura di), Firenze, Società Editrice Fiorentina, 2015, II voll.), tessendone le lodi nel posteriore Idioma gentile. 22. Il sintagma, già petrarchesco (stando al corpus della Biblioteca italiana, consultabile in rete : http://www.bibliotecaitaliana.it/Ricerca_Testuale.html), è l’unico dei tre citati ad essersi sedimentato in una collocazione, non ancora fortunatissima nella prosa coeva : per il periodo 1861-1900 i dati del corpus diacronico dell’italiano scritto (consultabile all’indirizzo http://corpora.dslo.unibo.it/DiaCORIS/) contano solo altre due occorrenze, in testi a tema militare ; 5 le occorrenze nella prosa ottocentesca rintracciabili nel corpus della Biblioteca italiana Zanichelli, a cura di P. Stoppelli, Bologna, Zanichelli, 2010. 22 Michela Dota

In questa prospettiva andrà interpretata la frequenza di disciplina (23 occorrenze) : certo « insieme di principi, morali, leggi, regole che for- mano l’ordine necessario a mantenere una istituzione » 23 come l’esercito, ma soprattutto « legge della misera umana natura, che, fallibile, aspetta e quasi richiede che il dolore minacciato, o inflitto, le insegni a operare il bene » 24, come si evince dal picco di occorrenze (12) che interessa ancora L’esercito italiano e il colèra. In particolare si segnala, per emblematicità della visione messianico-educativa dell’esercito, l’occorrenza seguente : « se invece d’essere soldati uniti e soggetti a una disciplina, fossero stati contadini o operai liberi e divisi, avrebbero probabilmente, o tutti o quasi tutti, sfuggito ogni fatica e ogni pericolo, e provveduto ciascuno di per sé alla propria salvezza » 25. Su questo sfondo può interpretarsi una delle correzioni lessicali che distinguono l’originaria pubblicazione del mede- simo bozzetto dalla sua riedizione nella seconda edizione : « moralizzare il paese colle baionette » 26 diventa « incivilire il paese colle baionette » 27, ossia far sì che le persone « cominciano a partecipare e partecipano delle qualità buone della civiltà », poiché, sebbene « dicano anche Moralizzare il popolo ; e non pare pr. ; giacchè innato nell’uomo è il senso morale. Però consiglierei d’astenersi da tale parola » 28. Dunque la disciplina non è la « forma di autocontrollo interiore » 29 consona all’imperturbabilità virilista, ma manifestazione istituzionalizzata del privato « sentimento di deferenza e di delicatezza verso le persone ; riguardo ; necessaria cautela » 30, ossia del rispetto, voce che, variamente declinata, raccoglie 21 occorrenze, compartite tra i bozzetti della prima ora e i successivi. Su cifre invertite si attesta, invece, la frequenza di generosità e derivati, definita dai vocabolari « nobiltà e grandezza d’animo, e la dimostra nel pronto soccorrere altrui » 31 ; non è un caso che 6 delle 12 occorrenze punteggiano al

23. Vocabolario degli Accademici della Crusca, Firenze, nelle stanze dell’Accademia, 1863-1923, sub voce disciplina. 24. N. Tommaseo, B. Bellini, Dizionario della lingua italiana, sub voce disciplina. Affine la definizione in Rigutini-Fanfani. 25. E. De Amicis, La vita militare, 1880, p. 342. 26. E. De Amicis, L’esercito italiano e il colèra del 1867, La Nuova Antologia, 10 marzo 1869, p. 528. 27. E. De Amicis, La vita militare, 1880, p. 309. 28. N. Tommaseo, B. Bellini, Dizionario della lingua italiana, sub voce incivilire. 29. S. Polenghi, « Educazione militare e stato nazionale », p. 115. 30. P. Petrocchi, Nòvo dizionario universale della lingua italiana, sub voce disciplina. 31. G. Rigutini, P. Fanfani, Vocabolario italiano della lingua parlata, sub voce generosità. Simile la descrizione in Tommaseo-Bellini. Per un canone educativo dell’ufficiale e gentiluomo… 23 solito L’esercito italiano e il colèra. Inoltre, una delle occorrenze compare solo nella terza edizione per correzione lessicale : si tratta di « opera santa » 32, mutata in « opera generosa » 33 nel bozzetto Carmela. Il sintagma riassume l’impegno col quale il co-protagonista, ufficiale dell’esercito, recupera dalla follia la protagonista femminile, rinquadrandola nell’ordine borghese e nella condotta, anche di genere, ad esso conforme. Che le sue azioni non siano sante, cioè « che riguardano Dio e da lui derivano » 34, bensì generose perciò agite per iniziativa personale, suffraga l’idea che l’esercito sia in grado di plasmare a tal punto i militanti da farne operatori sociali, capaci di conversioni taumaturgiche persino con gli emarginati. Delle medesime virtù beneficeranno, infatti, altri due emarginati sociali. Il primo è Il figlio del reggimento : orfano accolto da una compagnia militare, grazie alle cure di questa singolare famiglia adottiva che sussume nel contempo le funzioni educative materne (la morale) e paterne (la legge), dismette la selvaticità acquisita per lo stato di abbandono emotivo e materiale – linguisticamente tradotto attraverso similitudini animalesche, in genere applicate a tutto il popolino sparpagliato nei bozzetti 35 – per diventare un ometto « disciplinato, coraggioso » e dalla « vocina rispettosa » 36. Talmente prodigioso da delirare nell’inverosimiglianza (tanto da essere espunto per la ripubblicazione nella seconda edizione) è il secondo caso : un mascalzone consumato, rivale del protagonista de Il più bel giorno della vita, nella versione originaria appare in un cammeo per scusarsi per le proprie malefatte, in seguito alla conversione morale innescata dalla leva ; ecco la sequenza narrativa non

32. E. De Amicis, La vita militare, Firenze, Le Monnier, 1869, p. 201. 33. E. De Amicis, La vita militare, 1880, p. 185. Sul bozzetto si veda E. Comoy Fusaro, Forme e figure dell’alterità. Studi su De Amicis, Capuana e Camillo Boito, Ravenna, Pozzi, 2009, p. 13-78. 34. N. Tommaseo, B. Bellini, Dizionario della lingua italiana, sub voce santo. 35. Soprattutto nella terza edizione De Amicis calca il tratto sui connotati inizialmente bestiali del ragazzino : a « vinto, disordinato e vagabondo per la campagna » (E. De Amicis, La vita militare, 1869, p. 116) aggiunge « come un armento disperso ! » (E. De Amicis, La vita militare, 1880, p. 98) ; oppure perfeziona « coll’avidità d’un affamato » (E. De Amicis, La vita militare, 1869, p. 96) in « coll’avidità d’un animale affamato » (E. De Amicis, La vita militare, 1880, p. 78). Soldati e contadini, invece, sono accostati agli animali più disparati, ma tutti ascrivibili al perimetro domestico e rurale : ad es. il soldato, tipicamente affetto da « asinità » (E. De Amicis, La vita militare, Milano, Treves, 1868, p. 59), può « andarsene via come un cane » (ibid., p. 50) e « russare come una marmotta » (ibid., p. 38). Se immagini simili consolidano le velleità di colonizzazione etica da parte dell’esercito, verso la popo- lazione ritenuta selvatica e incivile, altre reclamizzano l’efficienza dell’esercito giovandosi dello stesso immaginario popolare di sicura icasticità ; perciò « i soldati sono come un popolo di formiche su per la scorza d’un albero » (E. De Amicis, La vita militare, 1880, p. 6) e l’esercito è parificato a un « formicaio » brulicante (E. De Amicis, La vita militare, 1868, p. 66), simbolo atavico di una società operosa e previdente. 36. E. De Amicis, La vita militare, 1880, p. 59 e 89. 24 Michela Dota più leggibile nella Vita militare del 1869 : « Era il giovane con cui m’ero battuto, lui, proprio lui in persona, che s’era arrolato nei bersaglieri per andare alla guerra ; lui colle lacrime agli occhi, che mi domandava scusa, che mi pregava a dimenticar tutto » 37. Identica sorte patisce il segmento seguente, iperbolico per la sbalorditiva conversione morale e sociale dello stesso « manigoldo », divenuto, in seguito all’inquadramento nei ranghi dell’esercito, « un bravo giovane che si faceva voler bene e rispettare da tutti », anche per il brillante cursus honorum compiuto : « diventò caporale, poi sergente e subito dopo la guerra ufficiale » 38 e, non meno rilevante, « migliore amico » dell’antico rivale protagonista. Si diceva, però, della generosità : considerato che in prospettiva inter- culturale essa è ritenuta un requisito connaturato alla maschilità 39, De Amicis dissente dal senso comune quando afferma che « se di tutti gli affetti gentili e di tutte le azioni oneste e generose di cui andiamo superbi si potesse scoprire il primo e vero germe, noi lo scopriremmo quasi sempre nel cuore di nostra madre » 40. Lo scarto dal pensiero comune, celato dalla patina languorosa genericamente attribuita alla prosa del Nostro, non è irrilevante, poiché stabilisce una filogenesi tra femminilità e maschilità in un’epoca che privilegia un canone dicotomico dei generi, dei ruoli e perciò di qualità rispettivamente esclusive. Il medesimo stralcio fornisce l’occasione per una notazione ulteriore : il vocabolo attrae, talvolta fino all’adiacenza, il sostantivo « superbia » e i suoi derivati 41. Qui « superbia » non è sinonimo di alterigia (inammissibile anche per la letteratura educativa generalista 42) quanto « giusto e nobile sentire di sé […] della bell’opera fatta » 43 o « giusto orgoglio » 44. In questo connotato si esaurisce l’unica concessione a un sano narcisismo : non sarà sfuggito che i lessemi citati, diffusi soprattutto nei bozzetti inclusi dalla seconda edizione, proiettino il singolo, latore di quelle qualità, sull’orizzonte della collettività, in virtù di un ideale maschile

37. E. De Amicis, Il più bel giorno della vita, Italia Militare, 21 ottobre 1869, p. 2. 38. E. De Amicis, Il più bel giorno della vita, ibid., 23 ottobre 1869, p. 1. 39. D. Gilmore, La genesi del maschile. Modelli culturali della virilità, Firenze, La Nuova Italia, 1993, p. 102 sq. 40. E. De Amicis, La vita militare, 1880, p. 56. La considerazione appare sin dalla prima edizione. 41. Oltre alle già citate « azioni oneste e generose di cui andiamo superbi », ad es. : « mi pareva di fare un sacrificio generoso e me ne sentivo quasi superbo » (E. De Amicis, La vita militare, 1880, p. 180). 42. Anche per Cantù il galantuomo dovrebbe essere « semplice, calmo, compiacente, non abietto, non superbo ; non presuntuoso, ma non timido » ; inoltre, « l’ingenua fiducia di sé, che infonde confidenza rispettosa » (C. Cantù, Il galantuomo, p. 13) prefigura la superbia concessa al soldato deamicisiano. 43. G. Rigutini, P. Fanfani, Vocabolario italiano della lingua parlata, sub voce superbia. 44. P. Petrocchi, Nòvo dizionario universale della lingua italiana, sub voce superbia. Per un canone educativo dell’ufficiale e gentiluomo… 25 informato dall’etica della responsabilità sociale, dissonante con l’egotismo ipertrofico alimentato dal virilismo della letteratura coeva e successiva 45. Per questo motivo « onore », lessema baluardo dell’autarchico virilismo militare, non raccoglie che 9 occorrenze, di cui 7 cristallizzate nella locu- zione « farsi onore » (« vale Far buona figura, o riuscir bene, in occasioni solenni » 46) e distribuite soprattutto nei bozzetti editi dalla seconda edizione. Parrebbe un tributo doveroso alle attese imposte dal genere letterario abbracciato (la letteratura militare), forse rammentate dai sodali del salotto Peruzzi, e già scosse dall’assestamento semantico che il lessema « onore » esigeva per poter essere condiviso dall’intera popolazione : da sentimento ancorato al ceto aristocratico e ai suoi valori (comprese le virtù propriamente militari), si estende all’accezione di « onore familiare », ossia l’intrinseco valore riconosciuto all’individuo che si riflette nella coscienza soggettiva della propria dignità e di quella dei propri congiunti, fino ai propri con- nazionali 47. In definitiva, un senso dell’onore orientato al bene comune. Del resto la Vita militare, a dispetto del titolo, indugia pochissimo sulle raffigurazioni del patriottismo bellico ; dunque anche la locuzione « farsi onore » si mimetizza nel contesto civile. Lo si evince, ad esempio, dalla seguente correzione, in cui l’espressione subentra alla variante originaria : « esserci distinti nella scuola » 48 muta in « esserci fatti onore alla scuola » 49. Quando pure il soldato sia « istigato coi gesti a farsi onore » in circostanze para–militari (ad es. la repressione dei moti di Torino successivi alla con- venzione di settembre, tristemente nota come « strage di Torino »), all’attesa estrinsecazione dell’onor militare subentra la ben più ardua « pazienza ».

L’insostenibile rigore dell’emotività maschile In definitiva, per la costruzione del canone educativo del gentiluomo, De Amicis recupera molti degli attributi codificati dal canone più consueto del virilismo borghese e nobiliare (coraggio, forza, orgoglio, etc.), ma non ne asseconda la declinazione solipsistica, cioè tesa a soddisfare l’amore del sé talvolta eccedente nella prevaricazione altrui o nello sterile compiaci- mento per la propria millantata unicità rispetto alla massa 50 ; il potenziale

45. S. Bellassai, L’invenzione della virilità. 46. N. Tommaseo, B. Bellini, Dizionario della lingua italiana, sub voce onore. In Rigutini-Fanfani « uomo d’onore è lo stesso che uomo probo, onesto, galantuomo ». 47. S. Polenghi, « Educazione militare e stato nazionale », p. 131 sq. 48. E. De Amicis, Il figlio del reggimento, Nuova Antologia, 8 luglio 1868, p. 561. 49. E. De Amicis, La vita militare, 1869, p. 80. 50. Così il protagonista de Una nobile follia : « incominciai a […] sentirmi sollevato sulla massa degli uomini […]. Io non poteva dissimularmi che era troppo migliore di loro » 26 Michela Dota bellico di quei medesimi attributi è invece incanalato nella realizzazione di finalità civiche. D’altro canto, esaltando la pazienza, De Amicis valorizza l’apporto culturale della classe contadina, necessario a coniare il modello di un galantuomo-soldato dall’operosità virtuosa e paziente 51. Intesa invece come attesa oblativa, la pazienza costituisce un altro punto di tangenza col prototipo del femminile ottocentesco, che consente di abbordare un’altra questione, più celata perché travolta dalle riscritture che interessano il transito dei bozzetti dagli originali in rivista – meno noti – alle raccolte in volume : la resistenza all’idea di virilità fondata sulla negazione di alcuni impulsi proiettati sul femminino. Dietro l’ironia su « quei soldati teneri e lacrimosi, che paiono sempre sul punto di venir meno » 52, primo tassello per l’attribuzione di languo- rosità ormai quasi antonomastica per il Nostro, si intravede l’imbarazzo per l’inadeguatezza della definizione monolitica della maschilità virilista, soprattutto in relazione alle condizioni della vita emotiva tra gli uomini nei gruppi militari, deplorate dalla morale del tempo. Con queste premesse non stupisce che la visione dell’affettività esplicita tra uomini, e delle reci- proche manifestazioni di empatia, sia sempre ritenuta equivoca e perciò da liquidare. Ecco allora che l’ufficiale protagonista di Carmela deve soffocare l’originaria e scomposta ricerca di conforto, appagata dal medico e amico confidente (« si gettò nelle braccia del dottore, che, avendolo ascoltato fino all’ultima parola […], oramai non potea più parlare dalla commozione, e non facea che stringersi sul petto la testa del suo amico, e baciargli e ribaciargli affettuosamente la fronte » 53), e accontentarsi di un più misurato abbraccio, che fughi almeno in parte il duplice spettro della femminilità incombente sulla scena : la passività e la ricerca di accudimento dell’uno, la disponibilità al contenimento emotivo dell’altro (« E stese una mano per pigliar quella del dottore ; questi gli si fece più accosto colla seggiola, e commosso com’era da non trovar più parola, gli pose ambe le mani sulle spalle, lo guardò un istante e l’abbracciò » 54). Ne Il più bel giorno della vita, incluso soltanto nella seconda edizione della Vita militare, scompaiono i gesti materni con cui, nell’originale pubblicato in rivista, il protagonista accoglieva il già menzionato mascalzone redento : « io gli ho levato subito

(I.U. Tarchetti, Una nobile follia, p. 75). Del resto il presupposto per cui la società causa nel carattere umano una « orrenda trasformazione » (ibid., p. 53) sarebbe inconciliabile con la costruzione identitaria deamicisiana protesa alla collettività. 51. Ne parla B. Traversetti, Introduzione a De Amicis, Roma – Bari, Laterza, 1991, p. 24 sq. 52. D. Gnoli, « Rassegna letteraria italiana », Nuova antologia, marzo 1880, p. 367-376. 53. E. De Amicis, Carmela, Nuova Antologia, 9 dicembre 1868, p. 779. 54. E. De Amicis, La vita militare, 1880, p. 180. La riscrittura è identica nella seconda edizione. Per un canone educativo dell’ufficiale e gentiluomo… 27 il cappello, io gli ho stampato un bacio sulla fronte, sulla ferita, che si vedeva ancora » 55. Il medesimo bozzetto offre un mutamente paradigma- tico : un soldato, che nella versione originaria palesa il suo affetto verso il protagonista (« Mi diedi giù a singhiozzare e a ridere come un bambino, appoggiando la testa sul petto del mio camerata. – Quetati, quetati, egli mi disse, ti potrebbe far male. – Io era quasi in delirio » 56), nella riedizione del bozzetto subisce un cambiamento di genere e dunque di ruolo, trasforman- dosi in suora, figura nell’Ottocento socialmente deputata all’assistenza e al conforto morale, che esclude nel contempo l’eventuale fantasma erotico evocabile dal femminile laico : « venne una monaca a darmi da bere […]. Mi diedi giù a singhiozzare e a ridere come un bambino, appoggiando la testa sulle braccia della sorella […] » 57. Sono questi gli interventi più macroscopici di una cosmesi pervasiva che asciuga le lacrime in eccesso dei soldati dalla femminilità integrata, spesso ancora intatta nella prima edizione. Infatti è soprattutto la seconda edizione a reclamare i ritocchi, compiuti all’ombra del salotto Peruzzi ; ad es. l’explicit « forse piangeva » de La Sentinella è una licenza minima rispetto alla originaria profusione di dettagli e di lacrime :

Piangeva ? Forse sì. Ed io ? Non mi ricordo bene, ma parmi che anche a me qualcosa d’umido scorresse giù per le guance. Poiché scrivo per la stampa, voglio lasciar dubitare che quell’umidità fosse di un fiocco di neve squa- gliato. Ma, se avessi da parlar nell’orecchio a un amico, gli direi che qualche lagrimuccia è scappata anche a me 58.

E se nell’originaria Sassata il soldato « singhiozzava colla faccia nascosta nelle mani » 59, nella versione definitiva si contiene nell’« andare colla faccia nascosta nelle mani » 60 o al massimo « ansava forte » ; oppure il mutilato dell’omonimo bozzetto, commosso dall’accoglienza dei familiari, se ancora nella seconda edizione conserva la « voce interrotta dai singhiozzi » 61, nella terza la ricompone in « affettuosa e dolce » 62. L’intenso moto correttorio, di cui si è offerto un piccolo campione, è innescato dalla consapevolezza,

55. E. De Amicis, Il più bel giorno della vita, Italia militare, 21 ottobre 1869, p. 2. 56. Ibid. 57. E. De Amicis, La vita militare, 1869, p. 464. 58. Ibid., p. 238. 59. E. De Amicis, Una sassata, La Nazione, 29 giugno 1868, p. 4. 60. E. De Amicis, La vita militare, 1869, p. 59. 61. Ibid., p. 282. 62. E. De Amicis, La vita militare, 1880, p. 273. 28 Michela Dota forse destata dal salotto Peruzzi 63, che all’epoca uomini adulti che versas- sero lacrime erano ammessi soltanto sul palcoscenico o nella letteratura romantica d’inizio secolo. Almeno dagli anni Novanta dell’Ottocento, infatti, l’espressione pubblica della sfera emozionale maschile, al di fuori di occasioni opportunamente ritualizzate e perciò lecite (i funerali dei propri cari o l’alzabandiera del reggimento), era vissuta con imbarazzo e repulsione, a causa della polarizzazione delle funzioni che delegava alle donne la totale, perciò non di rado esasperata, espressione in pubblico delle emozioni, condivisibile solo dai bambini e dagli idioti, in quanto ritenuti minorati mentali 64. De Amicis focalizza la questione ne L’ordinanza, ritratto del rapporto, di profonda fiducia da diventare amicale, tra un ufficiale e il soldato al suo servizio (l’ordinanza), sempre contraddistinto da « quell’affetto duro, ruvido, muto, che non fa pompa di sé, […] accostumato, quando lo assale il bisogno di piangere, a stringer le labbra e a ribeversi le lagrime per non parer fiacco e sdolcinato » 65. Eppure in occasione del congedo tra i due, la costrizione superegoica collettiva, che esigerebbe l’impassibilità, vacilla (« Questa volta erano lacrime davvero, e le lasciò correre tutte perché gli pareva di sentire un sollievo. Perché l’avrebbe frenate ? Era solo. La sua autorità non ne poteva scapitare » 66) ed è deliberatamente ignorata nella riscrittura per la seconda edizione (« Questa volta erano lacrime davvero ; abbandonò la testa sull’un dei gomiti, e le lasciò scorrere tutte, chè ne aveva proprio bisogno » 67). Ne consegue una marcata perifericità, comune alla letteratura antimilitarista 68, rispetto alle prescrizioni di genere canoniche.

63. In una lettera inedita del 5 settembre 1868 (data ricostruita confrontando l’intestazione – Torino Sabato 5 – con alcuni riferimenti cronologici interni) inviata a Emilia Peruzzi, De Amicis scrive : « Prima di tutto ringrazio il sig. Ubaldino, il sig. Comparetti e tutti gli altri del loro benevolo giudizio sulla Sete. Non credano però ch’io abbia rinunciato alle lagrime per sempre. – Oh mai più ! Piangerò meno che pel passato, ma piangerò ancora » (corsivi nel testo ; cass. 53, ins. 16. L’inserto raccoglie 21 lettere sprovviste di data precisa e perciò non contrassegnate da numeri progressivi). Il bozzetto La sete fu pubblicato su La Nazione il 27 agosto 1868, ma non entrò mai nella raccolta Vita militare, malgrado il desiderio originario dell’autore, documentato in un’altra lettera, di includerlo nella seconda edizione. 64. A. McLaren, Gentiluomini e canaglie : l’identità maschile tra Ottocento e Novecento, Roma, Carocci, 1999, p. 147 sq. 65. E. De Amicis, La vita militare, 1880, p. 9. Il periodo non muta nelle tre edizioni del bozzetto. 66. E. De Amicis, La vita militare, 1868, p. 31. 67. E. De Amicis, La vita militare, 1869, p. 19. 68. Scene ugualmente languorose costellano Una nobile follia, pure caratterizzata da un’affettuosa amicizia tra i due uomini protagonisti. Alla narrativa tarchettiana, inoltre, non era estranea « l’irruzione del femminile nel maschile », come illustra un saggio in V. Roda, Studi sul fantastico, Bologna, Clueb, 2009, p. 1-14. Sull’antimilitarismo di De Amicis, invece, si rinvia a A. Brambilla, « Addio alle armi : appunti sull’antimilitarismo di De Amicis », Rassegna europea di letteratura italiana n° 41, 2013, p. 59-78 ; A. Brambilla, « De Amicis soldato per la Per un canone educativo dell’ufficiale e gentiluomo… 29

Ai margini del canone : il soldato fanciullino Le campionature offerte non sono le uniche aberrazioni rispetto alla vul- gata del canone maschile. Altrettanto centrifughe sono le considerazioni inferibili dal bozzetto Il mutilato, in cui è interdetto il compimento del rito di passaggio rappresentato dalla leva : la conquista dello stato di vir e dell’emancipazione dalla propria famiglia. La descrizione della sorte dei reduci mutilati, oltre a tematizzare la rassegnazione popolare impotente contro obblighi e rischi della leva militare, al pari della dichiarata lettera- tura antimilitarista 69 non nasconde il fallimento dell’esercito come fucina virilista ; ne prospetta, anzi, la potenziale sovversione proprio tra le classi agrarie, prime destinatarie della colonizzazione etica perpetuata tramite l’esercito. La pericolosa sovversione riguarda proprio il contratto sociale e sessuale alla base della società europea secondo ottocentesca, fondato sulla tradizionale spartizione dei ruoli e sulla conseguente gerarchia di potere nella famiglia, prototipo degli altri sistemi di aggregazione sociale. Il pro- tagonista invalido, non più abile alle consuete mansioni virili e regresso a una situazione di dipendenza infantile, è così confortato dalla sua consorte :

– Ma Carlo, perché mi parli in quel modo ? Ma non ci son io per te ? Non ci siamo tutti ? io a cucire in bianco son buona ; capirai, non lo dico mica per lodarmi ; con te, figurati ; e la signora… quella tale, sai, quella della villa qui accanto, m’ha già offerto del lavoro altre volte, ed io ho sempre detto di no ; […] ; ed io mi porterò il lavoro in casa, sta bene ? E lavorerò accanto a te, e tu mi racconterai tutto quello che hai visto […] 70.

Sebbene la sposa non si sottragga alla sua funzione assistenziale, né alla prescritta modestia, l’avocare a sé il ruolo di capofamiglia (il cui lavoro è pure dispensato da una donna), mina la credibilità del ruolo del pater familias, per responsabilità della stessa istituzione che vorrebbe rafforzarne il ruolo e che invece, quale effetto collaterale, riduce l’uomo all’impotenza, assecondando, per converso, la temuta affermazione pubblica della donna. Il finale fotografa questo mutamento sociologico inatteso :

pace. Appunti sugli scritti ‘milanesi’ di De Amicis », in Edmondo De Amicis scrittore d’Italia (Atti del Convegno nazionale di studi, Imperia, 18-19 aprile 2008), A. Aveto e F. Daneri (a cura di), Città di Imperia, 2012, p. 191-209, oltre al saggio contenuto in questo volume. 69. In Tarchetti il compendio funesto dell’esperienza militare presagisce nel finale : « quanto tu uscirai di qui […] non sarai più atto ad alcun lavoro di braccia o di mente » (I.U. Tarchetti, Una nobile follia, p. 80). 70. E. De Amicis, La vita militare, 1880, p. 268. Il passo non cambia nei quattro stadi di pubblicazione. 30 Michela Dota

Il mutilato fece un ultimo atto colle mani e col capo, e poi, passato un braccio attorno al collo della giovinetta che lo sorreggeva a sinistra, si volse alla madre che gli stava dall’altro lato, e, con voce interrotta dai singhiozzi, sclamò : – Oh mamma ! Lo vuoi credere ? Io non sono mai stato contento così ! E le lasciò cader la testa sul seno 71.

Proprio quando il soldato avrebbe dovuto conseguire l’indipendenza e un nuovo status, sanciti dal congedo, è invece rifagocitato dalle mura domestiche e sorretto dalla futura moglie e dalla madre, pilastri della fami- glia in un inedito sistema matriarcale. L’anomalia non solo compromette le fondamenta dell’identità di genere all’interno della famiglia, bensì sfata anche la promessa di adultizzazione prevista dalla leva. Ecco dunque pro- filarsi l’altro dato incoerente col canone virilista, già anticipato da alcune citazioni precedenti, nelle quali i soldati erano paragonati ai bambini. I bozzetti abbondano di specimina simili : ad es. l’Ufficiale di picchetto, dimentico dei propri doveri, « sente uno stringimento al cuore come il discoletto che mancò alla scuola per andar coi compagni a far le palle di neve » 72 ; ne Il campo i soldati sembrano « scolaretti nel cortile del colle- gio » 73 ; ne Il coscritto il protagonista lusingato « rise e abbassò la testa come fanno i bambini quando si senton dire che son belli » 74. Se questi stilemi ricorrenti confermano la natura iniziatica della leva, che traghetta il puer, socialmente indistinto, allo stadio di vir informato dall’etica militare, d’altra parte suggeriscono che il soldato deamicisiano temporeggia nella fase di transizione ed è refrattario ad abbandonare lo stadio infantile 75. Ne consegue l’opposizione « all’attivismo della società industriale borghese e a quelle strutture sempre più determinate dal modello dell’industriosità maschile » 76, condiviso invece dal virilismo più canonico e radicale. L’astensione dalla vita adulta sembrerebbe allora l’opzione speculare dell’involuzione psichica e sociale del soldato tarchettiano, che perciò non attribuisce all’esercito alcuna funzione educativa, ritenendo che « l’uomo morale » ne esca « ucciso ». Eppure in De Amicis la paradossale regressione del « cuore » del soldato adulto all’emotività fanciullesca, che « si riapre alle tenerezze più soavi

71. E. De Amicis, La vita militare, 1880, p. 273. 72. Ibid., p. 25. Il paragone, come i tre seguenti, è conservato nelle riedizioni. 73. Ibid., p. 229. 74. E. De Amicis, La vita militare, 1869, p. 151. 75. E. Comoy Fusaro, Forme e figure dell’alterità, p. 17 ; L. Spalanca, « Fra ordine e eversione », p. 99. 76. D. Richter, Il bambino estraneo. La nascita dell’immagine dell’infanzia nel mondo borghese, Roma, Edizioni di storia e letteratura, 2010, p. 254. Per un canone educativo dell’ufficiale e gentiluomo… 31 della prima età, e in quelle vive e si esalta » 77, non implica necessariamente il fallimento del rito di passaggio : invita a conservare quella disposizione primigenia, riscoperta durante il servizio militare, nei ranghi imposti dalla maschilità adulta. Piuttosto bisognerà accantonare « il concetto che s’ha da fanciulli dell’autorità e della prevalenza fisica e morale dei soldati » 78, prodotto dall’iconica (e perciò accattivante) estetica virilista, in quanto « è un concetto smisurato » o, per meglio dire, « favoloso » 79.

Michela Dota Università degli Studi di Milano

77. E. De Amicis, La vita militare, 1880, p. 18. 78. E. De Amicis, La vita militare, 1869, p. 82. 79. E. De Amicis, La vita militare, 1880, p. 65.

« DISERZIONI ». NOTE SUL PACIFISMO E SULL’ANTIMILITARISMO DI EDMONDO DE AMICIS

Riassunto : Edmondo De Amicis è tra i pochi scrittori italiani che hanno partecipato in prima persona alle diverse fasi del Risorgimento e hanno descritto i problemi e le difficoltà della nuova nazione. L’ufficiale De Amicis ha infatti vissuto la sconfitta di Custoza e la gioia di entrare a Roma con le truppe italiane ; e allo stesso modo lo scrittore ha raccontato nella Vita militare le fatiche e le soddisfazioni dei soldati. La riflessione sui problemi reali della nazione e l’incontro con le idee socialiste ha negli anni mutato l’atteggiamento dell’uomo e dello scrittore nei confronti della guerra. Egli infatti ha inizialmente condiviso alcune istanze del pacifismo e poi ha assunto posizioni decisamente antimilitariste : affratellati dagli stessi ideali, i proletari dovevano ingaggiare una guerra diversa, quella contro lo sfruttamento e l’ingiustizia. Résumé : Edmondo De Amicis fait partie des rares écrivains italiens qui prirent activement part aux différentes phases du Risorgimento et qui ont décrit les problèmes et les difficultés de la nouvelle nation. L’officier De Amicis a en effet vécu la défaite de Custoza et la joie d’entrer à Rome avec les troupes italiennes ; et de la même manière l’écrivain a raconté dans La vita militare les peines et les satisfactions des soldats. Ses réflexions sur les problèmes réels de la nation et sa rencontre avec les idées socialistes ont modifié au fil du temps les prises de position de l’homme et de l’écrivain vis-à-vis de la guerre. Il a en effet d’abord partagé certaines idées du pacifisme avant d’adopter des positions clairement antimilitaristes : unis par les mêmes idéaux, les prolétaires devaient mener une guerre différente, celle contre l’exploitation et l’injustice.

Al di là del valore propriamente letterario, per altro sempre difficile da misu- rare, esistono autori che per varie ragioni hanno incarnato nella loro opera e nella loro biografia lo spirito di un’epoca ed hanno avuto la forza intuitiva di descrivere e testimoniare in maniera esemplare l’evoluzione di una società nazionale. Credo che quest’ultimo sia senz’altro il caso di Edmondo De Amicis, uno scrittore, anzi, meglio, un vero e proprio intellettuale che ha saputo come pochi prima forgiare e poi divulgare al meglio i valori fondanti di una comunità, senza tuttavia ignorare i profondi cambiamenti sociali ed economici che nel frattempo si stavano verificando dentro e fuori d’Italia. Anzi, di tali mutamenti egli ha saputo farsi interprete e comunicatore con efficace impegno militante, anche a costo dell’emarginazione.

Transalpina, no 20, 2017, Edmondo De Amicis. Littérature et société, p. 33-46 34 Alberto Brambilla

La sua stessa biografia, del resto, porta i segni indelebili di tale condi- visione ed evoluzione, perché Edmondo non è stato solo un osservatore esterno, ma un vero e proprio attore calato nella viva realtà ; e in questa articolata prospettiva il rapporto di De Amicis con l’esercito ed in genere il mondo militare può risultare davvero esemplare. Nato nel 1846 ad Oneglia, in Liguria, Edmondo si era trasferito con la famiglia in Piemonte, a Cuneo, e aveva più avanti frequentato, sedicenne, il Collegio Candellero di Torino, in vista degli esami di ammissione all’Accademia militare, istituzione che dopo la morte del padre gli avrebbe potuto aprire una brillante prospettiva 1. Quanto tale scelta di intraprendere la carriera militare fosse frutto di autentica vocazione, o più probabilmente, figlia della necessità, è difficile da dimostrare. Rileggendo alcune pagine affidate dallo scrittore ormai più che maturo al volume delle Memorie (1900), oppure a quello dei Ricordi d’infanzia e di scuola (1901), emerge l’immagine di un adolescente come tanti, che gioca coi compagni alla guerra, si innamora del mito di Garibaldi ed è infiammato dalle « guerre nazionali » che a Torino e nello Stato sabaudo erano da decenni pane quotidiano. Ipotesi a parte, Edmondo nel novembre del 1863 è effettivamente ammesso alla Scuola militare di Modena, da cui viene licenziato due anni dopo con il grado di sottotenente di fanteria. Assegnato al 3° Reggimento fanteria della Brigata « Piemonte », partecipa alla terza Guerra d’indipendenza (1866), prendendo parte con l’8ª divisione alla sfortunata battaglia di Custoza. Poco più tardi, il cognato di Edmondo, il colonnello Agostino Ricci, segnalava il giovane con la passione della scrittura (e in particolare della poesia civile, di cui aveva fornito alcune convincenti prove) 2 affinché potesse collaborare attivamente ad un nuovo periodico L’Italia militare, appositamente concepito per migliorare – dopo le recenti cocenti sconfitte – l’immagine pubblica dell’esercito, che dunque aveva bisogno di forze fresche ed idee innovative 3. Come dire che si poteva ugualmente servire l’esercito passando dal fronte alla scrivania, e da Torino a Firenze, città allora ricca di fermenti culturali, dove aveva sede il foglio militare.

1. Per la biografia cf. L. Gigli,De Amicis, Torino, Utet, 1963 ; W. Cesana, Edmondo De Amicis negli anni cuneesi 1848-1962, Cuneo, Nerosubianco, 2008. 2. Penso qui ai primissimi – e mai studiati – testi poetici creati dal giovanissimo Edmondo seguendo l’esempio manzoniano : A Venezia. Canto, Torino, Tip. Italiana di Martinengo Fr. e Comp., 1863 ; Lo Statuto, Tip. del Diritto, diretta da C. Bianchi, 1863 ; Italia e Polonia. Ballata allegorica, Torino, Tipografia italiana di Martinengo Fr. E Comp., 1863 ; Alla Polonia. Canto, Tipografia del Diritto, diretta da Carlo Bianchi, 1863. 3. Ricavo queste notizie biografiche dalla nota introduttiva al volume E. De Amicis,Pagine militari, O. Bovio (dir.), Roma, Ufficio storico dello Stato Maggiore dell’Esercito, 1988, p. 9-13. « Diserzioni ». Note sul pacifismo e sull’antimilitarismo… 35

All’Italia militare il sottotenente De Amicis prestò dunque con entu- siasmo la propria opera scrivendo soprattutto una serie di bozzetti (alcuni a dire il vero usciranno anche in altre testate) che andranno a costituire il nucleo centrale del volume La vita militare ; libro che negli anni sarà oggetto di diverse aggiunte e rifacimenti, e sarà destinato a larghissima fortuna editoriale 4. Anche se non mancano in alcune pagine dei passaggi ispirati ad una certa, forse inevitabile, crudezza, va subito segnalato che in quel libro non appaiono tracce evidenti di militarismo, e tanto meno di fanatismo bellicistico. Tutt’altro era in effetti il compito che De Amicis si era volontariamente assunto. Di fronte ad un esercito regio – composito risultato dell’unione di corpi preesistenti – che proprio sul campo di batta- glia aveva mostrato limiti evidenti (anche a causa di incapacità e gelosie da parte degli alti comandi), De Amicis non poteva certo falsificare la realtà ; ugualmente egli non cadeva nella facile tentazione di celebrare gli antichi valori militari del genio italiano, magari attingendo agli esempi delle invitte legioni o dei valorosi condottieri del passato, che peraltro avevano dato illustri esempi anche nella vincente dinastia sabauda. Egli preferiva invece percorrere una via diversa, meno facile e ovvia, e presentare un’immagine in un certo senso alternativa (ma a suo modo complementare) dell’esercito, puntando piuttosto sul presente e se mai guardando con ottimismo al futuro. De Amicis, pur proponendo in superficie l’immagine di un esercito per molti versi tradizionale, con i suoi caratteristici rituali, lo mostrava impegnato non soltanto sul versante bellico (in cui tuttavia non mancavano episodi di umanità e cavalleria, residui d’un codice in via di estinzione), ma anche nel servizio civile prestato alla comunità nazionale ferita o in difficoltà, come per l’appunto avveniva nel caso di un’epidemia di colera 5. Nella visione di De Amicis le forze armate erano simili ad una famiglia allargata, pronta a sua volta a soccorrere la più grande comunità nazionale.

4. E. De Amicis, La vita militare. Bozzetti, Milano, Treves, 1868, a cui fece seguito un’edizione arricchita, La vita militare. Bozzetti, Firenze, Successori Le Monnier, 1869 ; e infine una « Nuova edizione riveduta e completamente rifusa dall’autore con l’aggiunta di due bozzetti », Milano, Treves, 1880. Sulla complessa storia editoriale e sull’evoluzione stilistica di questi testi cf. R. Fedi, « Il romanzo impossibile : De Amicis novelliere », in Id., Cultura letteraria e società civile nell’Italia unita, Pisa, Nistri-Lischi, 1984, p. 111-155. Si veda altresì L. Spalanca, « Fra ordine ed eversione : la Vita militare di Edmondo De Amicis », Esperienze Letterarie, XXXIII, 2008, p. 93-110 ; M. Dillon Wanke, « Il soldato di Custoza : sui bozzetti militari di De Amicis », in Vittoria macchiata. Memoria e racconto della sconfitta militare nel Risorgimento, D. Tongiorgi (dir.), Roma, Edizioni di storia e letteratura, 2012, p. 103-126 ; M. Colin, « Edmondo De Amicis acteur et spectateur des batailles du Risorgimento », Transalpina, n° 16, 2013, p. 49-68, e in questo stesso fascicolo l’intervento di Michela Dota. 5. Cfr. E. De Amicis, L’esercito italiano durante il colèra del 1867, Milano, Giuseppe Bernardoni, 1869. Pubblicato inizialmente nella Nuova Antologia, IV, 3, marzo 1869, p. 511-554, sarà ristampato nella Vita militare. Bozzetti, Firenze, Le Monnier, 1869, p. 283-348. 36 Alberto Brambilla

Se all’esterno i militari dovevano essere dunque considerati non come un corpo estraneo, se non ostile, ma come dei figli della patria che aiutano i propri fratelli nel momento del pericolo e del bisogno, De Amicis osservava con sguardo rinnovato anche all’interno del mondo militare. Nella sua visione esso non rappresentava un’esperienza negativa, di separazione sociale e di allontanamento dagli affetti più cari (la durata della coscrizione obbligatoria era allora di diversi anni), ma piuttosto una società ideale in cui esisteva una gerarchia condivisa e una comunanza d’intenti. Essa, oltre allo specifico addestramento militare, offriva ai fanti un’opportunità di crescita, psicologica e culturale ; ciò grazie ad una regia intelligente e all’incontro con esperienze diverse, unito alla possibilità di accedere ai primi rudimenti di un’istruzione (anche linguistica), in favore di chi per comprensibili motivi non aveva potuto frequentare la scuola 6. Già appunto, la scuola : perché nella visione propagandistica e ancor più pedagogica di De Amicis lo spazio chiuso della caserma assomiglia per molti aspetti ad un istituto scolastico 7, dove si mettevano in pratica, via via confermandoli con modelli esemplari, i valori patriottici e solidaristici della giovane nazione, senza metterne in discussione l’assetto sociale e la disparità economica. Impossibile qui non pensare a Cuore (1886), pubblicato molti anni dopo, ma che in quest’ot- tica può essere considerato la seconda e necessaria tappa di un percorso educativo organico che De Amicis consapevolmente perseguiva, entrando nel vivo di settori cruciali della società italiana, come erano per l’appunto l’esercito e la scuola 8. Tali erano gli intenti di De Amicis, non sempre facilmente trasferibili, in maniera automatica, sulla pagina della rivista, che pur sempre doveva conservare una patina di propaganda strettamente militare. Naturalmente l’interpretazione particolare della vita militare tentata da De Amicis poteva prestare il fianco a varie critiche di segno anche opposto ; vale a dire sia da parte di coloro che criticavano in toto il mondo militare, sia da coloro che al contrario accusavano De Amicis di aver dato di tale ambiente

6. G. Della Torre, « Le scuole reggimentali di scrittura e lettura tra Regno di Sardegna e Regno d’Italia, 1847-1883 », Le Carte e la Storia, XVII, n° 2, 2011, p. 84-97 ; G. Mastrangelo, Le scuole reggimentali : 1848-1913 ; cronaca di una forma di istruzione degli adulti nell’Italia liberale, Roma, Ediesse, 2008. 7. Si aggiunga, a conferma di quanto scritto, che nel 1869 l’editore Le Monnier pubblica un’edizione ristretta dei Racconti militari, definendolo « Libro di lettura / ad uso delle scuole dell’esercito ». Come dire che i testi deamicisiani svolgono davvero una funzione formativa anche all’interno dell’esercito stesso. 8. Cf. M. Colin, « Le forze armate italiane nei testi scolastici e nella letteratura per l’infanzia dell’Italia liberale », in L’Italia e il ‘militare’. Guerre, nazioni, rappresentazioni dal Rinasci- mento alla Repubblica, P. Bianchi e N. Labanca (dir.), Roma, Edizioni di storia e letteratura, 2014, p. 195-215. « Diserzioni ». Note sul pacifismo e sull’antimilitarismo… 37 un’interpretazione troppo morbida e sentimentale 9. Tra tutte spicca, come è noto, la critica dell’ex militare « pentito » Ugo Iginio Tarchetti (1839- 1869), che nella prefazione alla seconda edizione di Una nobile follia 10 descriverà il libro deamicisiano come opera di un ex-collegiale che parlava di cose militari senza avere mai sperimentato di persona il dolore e la fatica insensata della guerra 11. Paradossalmente il successo insperato de La vita militare dovette con- vincere De Amicis ad accelerare i tempi della decisione che doveva rivelarsi decisiva per il suo futuro, abbracciando finalmente quella che era stata fino ad allora la sua vera passione, la letteratura. Poco dopo la presa di Roma, a cui De Amicis aveva partecipato nella doppia veste di giornalista e mili- tare (come testimonia il volumetto, quasi un instant book, Impressioni di Roma 12), Edmondo con scelta coraggiosa deciderà infatti di vivere di sola scrittura ; del resto da tempo egli aveva manifestato una certa insofferenza per la vita militare. Ciò a causa del comportamento poco responsabile dello Stato maggiore in occasione della Terza guerra di Indipendenza, a cui si aggiungeva il discutibile comportamento dello Stato italiano nei confronti della Francia minacciata dalle truppe prussiane, e quindi impossibilitata ad impedire l’attacco italiano alla Roma papalina. Nonostante tutto, la Francia restava per De Amicis la culla della Rivoluzione e l’alleata generosa che nel 1859 aveva offerto il sangue dei suoi soldati per contribuire all’unità italiana. Non a caso, oltre a festeggiare l’avvenuto ricongiungimento di Roma al Regno, De Amicis, quasi per un malcelato senso di colpa, non esitava a difendere in diversi scritti l’onore della Francia umiliata a Sedan 13.

9. Cf. L. Cepparrone, « Patria e questione sociale nel primo De Amicis », in Aspettando il Risorgimento (Atti del Convegno di Siena, 20-21 novembre 2009), S. Teucci (dir.), Firenze, Cesati, 2010, p. 317-340, che insiste sull’assenza di militarismo nei bozzetti di De Amicis. Per un quadro generale rinvio a G. Oliva, Esercito, paese e movimento operaio. L’antimilitarismo dal 1861 all’età giolittiana, Milano, FrancoAngeli, 1986. 10. Milano, Treves, 1869. 11. Cf. E. Ghidetti, « Una nobile follia : ragioni antimilitaristiche della cultura scapigliata », La rassegna della letteratura italiana, 1, 1964, p. 85-110 ; F. Mattesini, « Tarchetti e De Amicis : ragioni e significato di una polemica », in Igino Ugo Tarchetti e la scapigliatura (Atti del convegno di S. Salvatore Monferrato, 1-3 ottobre 1976), Comune di S. Salvatore Monferrato e Cassa di risparmio di Alessandria, 1976, p. 57-64 ; T. Duccio, D. Tongiorgi, « Le fortunate catastrofi di Custoza e Lissa : Tarchetti, Farina e l’anti-mito della sconfitta militare in area scapigliata », in Vittoria macchiata. Memoria e racconto della sconfitta militare nel Risorgimento, p. 127-147 ; L. Spalanca, « Per un ritratto dell’artista martire », in I.U. Tarchetti, Una nobile follia, introd. di L. Spalanca, Ravenna, Pozzi, 2009, p. 5-22. 12. E. De Amicis, Impressioni di Roma, Firenze, Faverio, 1870. Se ne veda la recente ripropo- sizione (Venezia, Marsilio, 2010) con una Nota della curatrice Gabriella Romani. 13. Cf. E. De Amicis, « Alla Francia », in Id., Ricordi del 1870-71, Firenze, G. Barbèra, 1872, p. 73-95 ; A. Brambilla, « De Amicis e la guerra franco-prussiana del 1870. Un recupero 38 Alberto Brambilla

Era la sua una posizione coraggiosa, che non poteva passare inosservata, soprattutto tra i suoi superiori. Da qui la sofferta decisione di congedarsi e di lasciare la collaborazione con L’Italia militare, ma non la scrittura, cambiando del tutto argomento e registro e dedicandosi negli anni settanta soprattutto alla produzione di libri di viaggio, destinati a un notevole successo editoriale che confermava la bontà di una scelta che in effetti era stata rischiosa. Naturalmente il molto materiale narrativo di argomento militare, prima accumulato e poi rielaborato negli anni, poteva ancora servire e infatti riaffiorava in qualche scritto (ad esempio nel volume delle Novelle) ; od era utilizzato per confezionare una nuova e più ricca edizione della Vita militare. E del resto, pur essendo stato De Amicis un soldato a suo modo « illuminato » e mai vittima del bacillo del militarismo, sarà ancora possibile ritrovare in qualche pagina successiva qualche frammento dell’esperienza passata, magari dominata da un tono eccessivamente patriottico, comunque lontano dalla nostra sensibilità. Erano gli ultimi sussulti di un atteggiamento che il tempo avrebbe a poco a poco modificato. In altra sede ho documentato questo atteggiamento contradditorio, ma in fondo comprensibile, che percorre gran parte dell’opera di De Amicis, perlomeno sino alla cesura degli anni novanta 14. Basterebbe al riguardo riaprire il volume delle Poesie (1881) per incontrare (alle p. 15-26) una sezione di dodici sonetti intitolata La Guerra, che certo non contiene messaggi rassicuranti di pace ; oppure, facendo un passo ulteriore, porre mente ad alcuni racconti mensili di Cuore (ad esempio La piccola vedetta lombarda e Il tamburino sardo, che hanno come noto dei protagonisti adolescenti) per ritrovare un’atmosfera intrisa di retorica risorgimentale che riporta a vecchie pagine della Vita militare. Del resto, per l’ex ufficiale, nel frattempo stabilitosi definitivamente a Torino, era impossibile evadere del tutto dal suo passato ; e del resto non l’aiutava l’ambiente torinese, denso di memorie, in cui la tradizione miltare sabauda manteneva un ruolo di primo piano e di indiscusso prestigio 15.

bibliografico », in ‘L’idioma gentile’. Italiano e italiani nel giornalismo e nella narrativa di Edmondo De Amicis, G. Polimeni (dir.), Pavia, Edizioni Santa Caterina, 2012, p. 29-48. 14. A. Brambilla, « Addio alle armi. Appunti sull’antimilitarismo di Edmondo De Amicis », Rassegna europea di letteratura italiana, n° 41, 2013, p. 59-77. 15. E tuttavia, a riprova di un contesto confuso e non privo di contraddizioni, nello stesso capolavoro deamicisiano non mancano passi in cui si possono ravvisare spunti di segno contrario, come è il caso del brano intitolato Esercito, in cui Enrico Bottini, accompagnato dal padre, si reca a Piazza Castello « a veder la rassegna dei soldati » ; Enrico è catturato da quello spettacolo ed ammira con crescente entusiasmo i vari reparti che via via sfilano tra la folla ; in tale occasione si instaura un dialogo figlio-padre particolarmente istruttivo : « Come è bello ! – io esclamai. Ma mio padre mi fece quasi un rimprovero di quella parola, e mi disse : – Non considerare l’esercito come un bello spettacolo. Tutti questi giovani « Diserzioni ». Note sul pacifismo e sull’antimilitarismo… 39

Nel frattempo però il mondo era cambiato, e non solo nella piccola Torino. Portata a compimento con la presa di Roma l’unità nazionale (anche se restava aperta la ferita dei territori irredenti), morti via via i protagonisti (Cavour, Vittorio Emanuele II, Mazzini, Garibaldi) di quella straordinaria epopea, si doveva tornare alla concretezza della vita quotidiana, in un’Europa che faticosamente auspicava un nuovo equilibrio continentale e nel contempo cercava di trovare mercati nei territori extraeuropei. Anche l’Italia avrebbe desiderato sedersi tra le grandi potenze coloniali, ma muoveva in ritardo le sue poche pedine in uno scacchiere da tempo già occupato da giocatori troppo abili. Non a caso di lì a poco si sarebbe aperta la cosiddetta « questione tunisina » 16 che avrebbe ancora messo in pericolo i rapporti con la Francia, spingendo l’Italia ad allearsi con gli Imperi centrali, abbandonando quindi la tradizionale amicizia con la sorella latina 17. Tuttavia anche in quel frangente, di fronte ad un diffuso sentimento antifrancese dilagante nel paese, De Amicis confessava all’amico Edmond Cottinet il suo debito di riconoscenza, non mancando di sottolineare gli orrori provocati dalla guerra :

Dici che l’Italia non deve nulla alla Francia, primo perché la promessa della intera liberazione non è stata mantenuta, secondo perché avete avuto Nizza e Savoia. Non è giusto, caro Cottinet. L’esercito francese non ha liberato tutta l’Italia ; ma senza l’esercito francese che ha cominciato, l’Italia non avrebbe potuto fare il rimanente ; senza i 200.000 francesi del ’59, l’esercito tedesco non si sarebbe mosso né allora né poi ; e l’insurrezione delle altre provincie, che fu conseguenza del ’59, non sarebbe seguita. Quanto al pagamento di Nizza e Savoia, possiamo dire che tutti l’hanno ricevuto e goduto, fuorché i 20.000 soldati francesi che lasciarono la vita in Lombardia. Abbiamo pagato il governo napoleonico ; non le ventimila famiglie che hanno sofferto e pianto per noi ; non i figli delle vittime, non gli orfani, non le vedove, non le madri,

pieni di forza e di speranze possono da un giorno all’altro esser chiamati a difendere il nostro paese, e in poche ore cader sfracellati tutti dalle palle e dalla mitraglia. Ogni volta che senti gridare in una festa : Viva l’esercito, viva l’Italia, raffigurati, di là dai reggimenti che passano, una campagna coperta di cadaveri e allagata di sangue, e allora l’evviva dell’esercito t’escirà più dal profondo del cuore, e l’immagine dell’Italia t’apparirà più severa e più grande » (E. De Amicis, Cuore, introduzione e note di L. Tamburini, Torino, Einaudi, 1974, p. 341). 16. L. Del Piano, La penetrazione italiana in Tunisia 1861-1881, Padova, Cedam, 1965 ; E. Serra, La questione tunisina da Crispi a Rudinì e il « colpo di timone » della politica estera dell’Italia, Milano, Giuffrè, 1967. 17. A. Brambilla, « I veleni di Tunisi. Vecchi stereotipi e nuovi rancori tra Italia e Francia », Revue des études italiennes, n° 59, 1-4 : Les « rivales latines ». Lieux, modalités et figures de la confrontation franco-italienne, F. Dubard e D. Luglio (dir.), 2013, p. 165-174. 40 Alberto Brambilla

non gli infiniti dolori che furono conseguenza della guerra. Rimane dunque un debito eterno di gratitudine, che nulla può cancellare 18.

De Amicis ribadiva anche pubblicamente la sua fedeltà assoluta nei confronti della Francia, stampando presso Treves, sempre nel fatidico 1881, i Ritratti letterari, interamente dedicati ad autori transalpini. Il libro, frutto di incontri personali con diversi autori francesi (tra cui Hugo, Daudet e Zola), si concludeva con un lungo saggio intitolato Paolo Déroulède e la poesia patriottica 19. Quest’ultimo era consacrato al massimo poeta patriottico francese, nonché soldato intrepido e generoso, autore di Les Chants du Soldat 20 e dei Nouveaux Chants du Soldat 21, alla cui attenta lettura ed interpretazione Edmondo dedicava appunto parecchie pagine del suo libro 22. De Amicis tornava dunque sul terreno scivoloso dell’epopea patriottica, ma cercava in ogni modo di non farsi risucchiare dall’onda del pericoloso revanchismo che scorreva nei versi di Déroulède 23, insistendo piuttosto sugli aspetti più sentimentali e « familiari » che già aveva preso a cuore nei suoi bozzetti consacrati alla vita militare. Insomma, la strada era impervia, e perciò il cammino di De Amicis verso una radicale conversione era ancora lungo ed irto d’ostacoli. Del resto, su un piano più vasto, non era neppure facile l’affermazione del pensiero irenico italiano, come anche conferma la storia interna del paci- fismo italiano. Se quello più noto era incarnato dal futuro Premio Nobel Ernesto Teodoro Moneta e dall’Unione lombarda per la pace e l’arbitrato internazionale, va precisato che in Italia in effetti esistevano diverse anime pacifiste, anche minoritarie e radicali 24. E comunque si deve subito aggiun- gere una precisazione d’ordine generale : in linea di massima, aspirare alla pace tra Otto e Novecento non significava affatto pensare ad una totale

18. La lettera, probabilmente del maggio 1881, è conservata nella Biblioteca Civica di Torino, Fondo Cottinet. Cf. L. Tamburini, « Opere e giorni. Carteggi inediti di Edmondo De Amicis con Clair-Edmond Cottinet (1879-1893) ed altri (1895-1908) », Studi Piemontesi, XXXVI, 1, giugno 2007, p. 3-21. 19. E. De Amicis, « Paolo Déroulède e la poesia patriottica », in Id., Ritratti letterari, Milano, Treves, 1881, p. 227-338. 20. Paris, Levy, 1872. 21. Paris, Levy 1874. 22. Sui rapporti fra i due, cfr. A. Brambilla, « Le poète et le soldat : Paul Déroulède vu par Edmondo De Amicis », La parola del testo, XVI, 2012, p. 177-196 ; Id., « Edmondo de Amicis à Paul Déroulède. Lettres inédites », Studi Piemontesi, XLII, 1, 2013, p. 197-207. 23. Cfr. B. Joly, Déroulède, l’inventeur du nationalisme, Paris, Perrin, 1998. 24. Per un primo quadro generale cfr. C. Spironelli, « Edmondo De Amicis tra pacifismo e antimilitarismo », Almanacco Piemontese di vita e cultura, 26, 1994, p. 52-60 ; C. Ragaini, Giù le armi ! Ernesto Teodoro Moneta e il progetto di pace internazionale, Milano, FrancoAngeli, 1999, con ampia bibliografia finale di e su Moneta. « Diserzioni ». Note sul pacifismo e sull’antimilitarismo… 41 inerzia rispetto ai conflitti, o a un’aprioristica rinuncia all’uso delle armi tout court. Al contrario, quasi sempre accanto al metodo privilegiato del convincimento e del dialogo, il pacifismo non negava ed anzi auspicava la costituzione di un esercito nazionale ben organizzato, in grado di difendersi e quindi di scoraggiare i possibili attacchi dei rivali. Era appunto tale effi- cace presenza militare la condizione necessaria per favorire un accordo consensuale. All’interno di questo quadro composito e fluido, anche la posizione personale del De Amicis scrittore appare piuttosto mobile nel tempo e non cristallizzata in un’unica direzione ideologica. È tuttavia evidente che all’inizio degli anni novanta lo studio e l’interesse per il pensiero economico- sociale, più volte manifestato da De Amicis – quasi fosse una naturale e inevitabile conseguenza del suo sguardo curioso sul mondo –, e poi la sua adesione al Partito Socialista Italiano 25, non poteva che fecondare e quindi modificare l’allora fragile filoirenismo, faticosamente conquistato dall’ex militare 26. Tale « conversione » non giungeva comunque improvvisa o inaspettata, ma era stata in qualche modo preparata dall’analisi di alcuni nodi irrisolti della società italiana, che da tempo vedeva l’intellettuale De Amicis in prima fila. È sufficiente citare al riguardo il romanzoSull’Oceano (1889), un vero e proprio capolavoro, che per la prima volta metteva a fuoco il tema scottante dell’emigrazione, cercando altresì di riflettere sulle sue cause remote, evitando ogni sentimentalismo 27. E ugualmente è da prendere in esame un libro come Il romanzo d’un maestro (1890), spietata radiografia, quasi alla maniera di Zola, della drammatica situazione dell’istruzione nelle aree extracittadine, questa volta osservata – a differenza che inCuore – dalla parte dei docenti. L’adesione al socialismo comportava necessariamente una visione radicalmente diversa dei rapporti tra le classi ; ed anche invitava ad

25. Su ciò vedi ora F. Contorbia, « De Amicis, Serrati e le elezioni politiche del 1892 a Oneglia », in Edmondo De Amicis scrittore d’Italia (Atti del convegno nazionale di studi, Imperia, 18-19 aprile 2008), A. Aveto e F. Daneri (dir.), Città di Imperia, 2012, p. 211-218. 26. Su quest’aspetto molto complesso rinvio alle note di S. Timpanaro, Il socialismo di Edmondo De Amicis, Verona, Bertani, 1983, in particolare alle p. 53-61 e p. 195-200 ; M. Scavino, Con la penna e con la lima. Operai e intellettuali nella nascita del socialismo torinese (1889-1893), Torino, Paravia-Scriptorium, 1999. Se è persino ovvio il rinvio ad un testo come il romanzo inedito Primo Maggio (pubblicato solo nel 1980, per i tipi di Garzanti e la cura di Giorgio Bertone e Pino Boero), da cui prende le mosse il lavoro di Timpanaro, segnalo almeno un testo esemplare come Amor di patria (raccolto in Lotte civili. Raccolta di Bozzetti, Scritti e Conferenze Socialistiche, Firenze, Nerbini, 1899, p. 266-273), in cui De Amicis spiega come il socialismo abbia radicalmente modificato la concezione del patriottismo. 27. Per le tappe principali di questo percorso verso il socialismo rinvio al mio De Amicis : paragrafi eterodossi, Modena, Mucchi, 1992. 42 Alberto Brambilla assumere una prospettiva internazionale, in cui i lavoratori di tutti i paesi si trovavano sullo stesso piano, confusi nell’immensa massa di coloro che erano ingiustamente sfruttati da un gruppo ristretto di profittatori. De Amicis si divide dunque, in maniera un poco schizofrenica, tra lo scrittore forse più amato dalla borghesia italiana (che in quanto tale continua a far uscire libri piacevoli e ad essa adatti, oppure a ristampare i vecchi successi editoriali) e il militante impegnato in un’opera febbrile di proselitismo, affidata a brevi scritti occasionali o a opuscoli propagandistici più volte ristampati in sedi diverse. Di quest’opera, non molto frequentata dai lettori odierni, è documento importante il volume intitolato Lotte civili, Raccolta di Bozzetti, Scritti e Conferenze Socialistiche, stampato nel 1899 dall’editore fiorentino Nerbini 28. Tale libro si apre, non a caso, con uno scritto rivolto Agli Studenti, quasi De Amicis volesse rivolgersi dopo diversi anni agli alunni della Scuola Baretti diventati nel frattempo adulti. Il tema centrale del testo è costituito dall’invito pressante a prendere coscienza della « Quistione sociale », ossia della disparità crescente presente all’interno della società, ineguaglianza che presto scatenerà un inevitabile conflitto di classe :

A che pro’ occuparvi della quistione sociale ? Essa è antica come il mondo […]. Quel che non è antico come il mondo è la coscienza acquistata della uguaglianza di natura e la conquista assodata dell’uguaglianza civile e politica, che fanno sentire più profondamente che mai le disuguaglianze economi- che ; è la cultura maggiore che acuisce nelle moltitudini tutti i patimenti dell’animo derivanti dallo spettacolo delle troppo grandi disparità delle classi ; è la miseria relativa smisuratamente cresciuta col moltiplicarsi delle ricchezze e dei raffinamenti sensuali della vita in un piccolo numero ; è il decadimento progressivo di quello spirito religioso di rassegnazione che faceva sopportare i mali presenti con la speranza di una ricompensa futura ; è infine un clero di tutte le chiese ; che sollecitando delle riforme sociali, ossia riconoscendo che ai mali della terra c’è rimedio, fa comprendere agli sfortunati, se non con le parole, col fatto, che non si può pretendere da loro l’antica rassegnazione 29.

28. Gli scritti lì raccolti saranno più volte ripresi dallo stesso editore (e da altri) in forma spesso diversa, con tagli od aggiunte che è difficile catalogare ; per un primo esame rinvio al catalogo Le Edizioni Nerbini 1897-1921, G. Tortorelli (dir.), Firenze, Giunta Regionale Toscana – La Nuova Italia, 1983. Utili anche 1° Maggio. Repertorio dei numeri unici dal 1890 al 1924, M. Antonioli e G. Ginex (dir.), Milano, Editrice Bibliografica, 1988 ; R. Pisano, Il paradiso socialista. La propaganda socialista in Italia alla fine dell’800 attraverso gli opuscoli di « Critica Sociale », Milano, FrancoAngeli, 1986. 29. E. De Amicis, « Agli studenti », in Id., Lotte civili.…, p. 13-14. « Diserzioni ». Note sul pacifismo e sull’antimilitarismo… 43

Il De Amicis che vergava queste pagine si presentava senza indugi come un soldato della nuova idea socialista, e in quanto tale impegnato in una dura battaglia, che per molti aspetti lo isolerà dal mondo della cultura ufficiale ; e, a livello familiare, lo metterà in rotta di collisione con la moglie Teresa Boassi 30. Ciononostante, De Amicis continuerà a combattere per la sua fede sino alla fine, anche e soprattutto sul piano della scrittura, modalità che qui più ci interessa. E sarà proprio l’esperienza giornalistica intrapresa a Firenze per l’organo delle forze armate ad essere messa a profitto, così da convincere i futuri elettori a passare nelle schiere socialiste. A tal proposito è significativo il trasferimento di diverse terminologie e metafore belliche dall’ambito strettamente militare a quello della nuova sfida politica ; come si può verificare leggendo un passo di questo tenore :

Quello che è nuovo è che di fronte a questi monarchi della ricchezza, e alle loro strapotenti federazioni, che allargano intorno a sé come una landa sinistra la servitù morale e il salariato, siano sorte delle società di settecentomila lavoratori, delle Unioni di mestieri numerose come popoli e organate come eserciti, che in tutte le città dei paesi civili, chiamati a raccolta dalla grande industria, si vadano agglomerando i proletari in battaglioni e in reggimenti, che s’intendono, si disciplinano e si affratellano 31.

Poco più avanti De Amicis continua ad insistere sul medesimo linguag- gio bellico, adattandolo senza apparente sforzo alla lotta politico-sociale :

Nella vasta polemica scientifica che [il socialismo] promuove su tutte le quistioni che gli si legano, e gli si legano tutte, ogni giorno strappa agli avversari una concessione, disarma una resistenza, fa accettare un’idea. Ogni giorno nell’esercito formidabile che gli sta a fronte, nel campo della politica, della scienza e delle lettere, un combattente s’arresta incerto, o butta via l’armi, o le ritorce contro i suoi ; e molti che continuano a combattere si sentono già spuntare nell’anima l’amor del nemico, e hanno già la diserzione nel cuore, e non la compiono se non per ragioni di personale interesse, o per timori e per riguardi sociali, o perché non hanno fede che in un trionfo troppo lontano dalla causa che credon giusta 32.

Certamente allora molti dei lettori di questa pagina avranno pensato, con sentimenti opposti, sia di riconoscenza che di rimprovero, al « disertore »

30. Cfr. L. Tamburini, Teresa e Edmondo De Amicis, Dramma in un interno, Torino, Centro studi Piemontesi, 1990. 31. E. De Amicis, « Agli studenti », p. 14. 32. Ibid., p. 19. 44 Alberto Brambilla

De Amicis, passato appunto, senza apparenti sensi di colpa, dalle fila dell’esercito regio a quelle dell’armata socialista. Del resto il ragionamento di De Amicis è semplice e logico : le classi più deboli dei paesi più progrediti hanno finalmente conquistato la piena consapevolezza dei loro diritti e della loro straordinaria forza sul piano della rappresentanza politica ; per questo motivo essi dovrebbero impegnarsi in un grandioso progetto comune, che porterebbe notevoli miglioramenti sul piano economico e su quello culturale. Dunque non avrebbe senso impegnarsi in una guerra fratricida, che a ben vedere era voluta e decisa da pochi, e il cui scopo era quello appunto di dividere la classe dei lavoratori per mantenere i loro privilegi. Da qui discende l’avversione per ogni tipo di conflitto, e dunque l’insofferenza per ogni velleità bellicista, spesso camuffata da nazionalismo. È questa, in fondo, la ragione del pacifismo e dell’antimilitarismo deamicisiano, che ha dunque radici e motivazioni prettamente politiche, e non sentimentali o umanitarie, come qualcuno potrebbe supporre. De Amicis non mancherà di diffondere le proprie convinzioni colla- borando anche attivamente alle riviste pacifiste, ed in particolare a quelle legate ad Ernesto Moneta 33. Pur non condividendo certo l’impostazione socialista (e antimilitarista) assunta da De Amicis, tali riviste offrivano un fertile terreno per seminare idee alternative allo status quo, e comunque si sposavano alle istanze ireniche di De Amicis. Il quale da parte sua, pur sfruttando l’opportunità offerta dai fogli pacifisti, continuava in altri scritti a collegare strettamente i concetti di socialismo e di pacifismo, giungendo infine, come appena visto, a posizioni antimilitariste. Erano questi concetti piuttosto semplici, logicamente concatenati ; e su di essi De Amicis non si stancherà di insistere, cercando in ogni modo di smontare gli stereotipi e le falsità che da secoli dominavano le coscienze delle classi inferiori anche grazie ad un uso strumentale della cultura e della religione. Da qui dunque sorgeva la necessità di spiegare ai numerosi detrattori di questa sua presa di posizione (comunque allineata a larga parte del pur variegato mondo socialista), che non esisteva affatto contraddizione tra socialismo e religione, così come tra patriottismo – concetto su cui nel passato De Amicis aveva molto insistito – e fede politica ; piuttosto andava radicalmente ripensato il concetto di patria e di popolo e in un certo senso anche di religione 34. Esemplare in questa prospettiva è un altro scritto contenuto nel già citato volume Lotte civili, intitolato Socialismo e Patria,

33. Cfr. A. Brambilla, « De Amicis soldato per la pace. Appunti sugli scritti ‘milanesi’ di De Amicis », in Edmondo De Amicis scrittore d’Italia…, p. 191-209. 34. Si veda al riguardo il dialogo « Madre credente e figlio socialista », inserito in Lotte civili, p. 72-78. « Diserzioni ». Note sul pacifismo e sull’antimilitarismo… 45 dove De Amicis in una sorta di dialogo immaginario (che ricorda, da un lato, le forme retoriche del catechismo cattolico, e dall’altro alcuni dialoghi leopardiani) spiega appunto le ragioni di questa sua presa di posizione :

– È vero che il socialismo combatte l’amor di patria ? – L’amore di patria bugiardo sì. Ma se per amore di patria si intende amare il popolo tra cui siamo nati, con cui abbiamo comuni la lingua, l’indole, la storia e l’avvenire, e amar la terra dove abbiamo passato l’infanzia, dove son nati i nostri figli e son sepolti i nostri morti, l’accusare il socialismo di combattere un tale affetto è cosa stolida e assurda, come sarebbe l’accusare chichessia di combattere l’amor filiale o materno ; il che non è possibile a chi ha viscere umane. – […] Insomma, voi amate la patria a modo vostro. – Certo, e non è colpa. La colpa è di non amarla nel miglior modo. Qui sta la quistione. Ci sono anche diversi modi di amar la propria famiglia. Credette un tempo di amarla più di ogni altro il patrizio che sacrificava tutti i figli al primogenito, destinato egli solo a tener alto il nome e lo splendore della casa, a spese dei suoi fratelli […]. Così v’è un amor di patria che vuole la gloria anche a prezzo della miseria, e si contenta dell’ordine ottenuto con la compressione, e soffia negli odi tra popolo e popolo e si pasce di orgoglio vuoto e di idee morte ; e questa è una passione barbarica che la nostra ragione condanna e il nostro cuore rifiuta. E v’è un amore di patria fatto di carità e di pietà, che vuol la pietà anzi che il fasto, la moralità prima della gloria, la pace nei cuori, la luce e il calore della civiltà equamente diffusi, la patria non sfruttata da alcuno e benedetta da tutti, e cancellata dalla sua faccia, prima d’ogni cosa e a qualunque costo, il marchio vergognoso dell’ignoranza e della fame 35.

È dunque la lotta alla fame ed all’ignoranza – non a caso il « maestro » De Amicis continuerà a insistere sul tasto dell’istruzione – la priorità di un popolo civile, estendendo a tutti un minimo di benessere. Inutile spendere energie a vuoto, tantomeno per una guerra tra coloro che dovrebbero essere compagni di lotta. Nella scia di queste convinzioni De Amicis comincia a ripensare anche all’esperienza passata, ritornando su alcune vecchie pagine, là dove per l’appunto il tema della guerra era stato affrontato con eccessiva veemenza, all’interno di un sistema di valori morali e patriottici, che nel frattempo erano stati mutati e corretti 36. Il sogno di un mondo più giusto, secondo

35. E. De Amicis, « Agli studenti », p. 142 sq. 36. Per alcuni esempi significativi di tale « riscrittura », spesso sfuggita ai lettori, rinvio al mio « Addio alle armi. Appunti sull’antimilitarismo di Edmondo De Amicis », in particolare a 46 Alberto Brambilla i dettami e le aspirazioni socialiste, trascinava infatti con sé, secondo una logica consequenziale, anche un ridimensionamento del valore della competizione internazionale (il cui spirito bellicoso occorreva trasferire dall’ambito militare a quello politico), che ora non era più vista come indispensabile cemento per fortificare l’identità nazionale. Da qui, di passaggio in passaggio, si genererà in De Amicis non solo una generica adesione al pacifismo, ma la conseguente critica al militarismo, ben espressa in alcuni testi a larga diffusione popolare 37 ; ciò mentre invece le classi dirigenti italiane, Crispi in testa, cercavano di risolvere alcuni evidenti problemi interni indicando la via della conquista coloniale, purtroppo destinata a incontrare non pochi ostacoli sul suo cammino. In questo speciale frangente, in cui sembrava risollevarsi la spinta nazionalistica, contrariamente ad altri 38, l’ex ufficiale rimane piuttosto freddo, e anche di fronte alle sconfitte italiane in terra africana (clamorosa quella subita ad Adua il 1° marzo 1896 per mano delle truppe abissine guidate dal negus Menelik II) De Amicis preferirà non commemorare pubblicamente i caduti, prendendo così le distanze dalla classe politica e dalle caste militari 39.

Alberto Brambilla Istituto Giuliano di Storia, Cultura e Documentazione, Gorizia-Trieste

p. 72. Anche nei confronti di un altro pentito come il Tarchetti, che come sappiamo era stato critico acerrimo dei suoi bozzetti militari, De Amicis manifesterà un deciso cambiamento di tono scrivendo : « Era il futuro autore dei Drammi della vita militare e di Tosca, il poeta forte e triste, che doveva morir nel fiore dell’età, appena baciato dalla gloria. Chi m’avrebbe predetto allora che ch’io avrei scritto dieci anni dopo un libro di spirito affatto opposto al suo, che saremmo stati citati mille volte come due antagonisti, e che, dopo averlo tenuto in conto d’un nemico, mentr’era vivo, io l’avrei amato, morto, come un fratello ! » (E. De Amicis, « Nuove amicizie e nuove grullerie », in Id., Ricordi d’infanzia e di scuola, Milano, Treves, 1901, p. 124). 37. Parte di essi sono ora raccolti nella terza sezione (scritti Per la pace, p. 281-307) del volume Lotte civili, nuova edizione curata e prefata da D. Mantovani, Milano, Treves, 1910. 38. Cfr. A. Brambilla, « Tra guerra e pace. Appunti su De Amicis e Carducci », in Profeti inascoltati. Il pacifismo alla prova della Grande Guerra, F. Senardi (dir.), Trieste, Istituto Giuliano di Storia Cultura e Documentazione, 2015, p. 139-158. 39. Ciò persino di fronte alle insistenze di Vittorio Bersezio che lo invitò a celebrare a Peveragno il generoso sacrificio del maggiore Pietro Toselli (1856-1895), morto in difesa della postazione italiana sull’altipiano dell’Amba Alagi, che Edmondo aveva conosciuto di persona : cfr. M. Nani, « Commemorare la “morte eroica” in una “guerra iniqua e sleale” ? Una lettera di Edmondo De Amicis », Contemporanea, IX, 2, aprile 2006, p. 307-316. LES CARACTÈRES NATIONAUX DES PEUPLES DANS LES RÉCITS DE VOYAGE D’EDMONDO DE AMICIS : LATINITÉ, ORIENTALISME ET EUROPÉISME

Résumé : Les récits de voyage publiés par De Amicis entre 1873 et 1878, examinés dans une optique d’histoire culturelle, nous donnent à voir une représentation des caractères nationaux des peuples des villes et pays visités par le journaliste en Europe (Paris, Londres, l’Espagne, la Hollande), en Afrique (le Maroc) et en Orient (Constantinople). On remarque que l’auteur souligne les éléments de ressemblance entre les peuples de race latine, en insistant sur les liens fraternels entre Italiens, Espagnols et Français. S’il semble souscrire à une division au sein de l’Europe entre peuples septentrionaux et méridionaux, on observe que ses déplacements en Orient lui permettent une redéfinition de l’Europe comme un continent culturellement unifié par la civilisation occidentale. Dans la confrontation avec les autres peuples, il contribue surtout à la construction de l’identité de l’Italie unifiée, qu’il inclut pleinement dans l’ensemble européen dont l’Orient est la figure de l’altérité. Riassunto : I libri di viaggio pubblicati da De Amicis tra il 1873 e il 1878, presi in esame da una prospettiva di storia culturale, ci offrono una rappresentazione dei caratteri nazionali dei popoli delle città e dei paesi visitati dal giornalista in Europa (Parigi, Londra, la Spagna, l’Olanda), in Africa (il Marocco) e in Oriente (Costantinopoli). Possiamo notare che l’autore evidenzia gli elementi di somiglianza tra i popoli di razza latina, rilevando i legami fraterni tra italiani, spagnoli e francesi. Se pare sottoscrivere a una dissociazione in Europa tra popoli settentrionali e meridionali, possiamo osservare che i suoi spostamenti in Oriente gli permettono una ridefinizione dell’Europa come continente culturalmente unificato dalla civiltà occidentale. Nel confronto con gli altri popoli, De Amicis odeporico contribuisce soprattutto alla costruzione dell’identità dell’Italia unita, che include pienamente nella collettività europea di cui l’Oriente è la figura dell’alterità.

Rien n’est plus indispensable à la connaissance de soi-même et à la construction de sa propre identité que la confrontation plus ou moins conflictuelle avec l’« altérité » 1. Avec ses récits de voyage publiés entre 1873

1. Cf. F. Orlando, L’altro che è in noi : arte e nazionalità, Turin, Bollati Boringhieri, 1996.

Transalpina, no 20, 2017, Edmondo De Amicis. Littérature et société, p. 47-64 48 Laura Fournier-Finocchiaro et 1878, De Amicis nous livre non seulement des descriptions extrêmement riches et stimulantes de plusieurs villes et pays européens comme Paris, Londres, l’Espagne, la Hollande, et extra-européens comme le Maroc et Constantinople, mais il contribue également à la construction de l’identité de l’Italie unifiée dans la confrontation avec ces autres civilisations. On peut notamment repérer parmi ses textes ceux qui confrontent les Italiens avec les autres peuples latins (Spagna, Ricordi di Parigi), ceux qui distinguent les peuples du Septentrion (Ricordi di Londra, Olanda) et ceux qui mettent en scène la rencontre avec l’altérité antithétique des peuples de l’Afrique du Nord (Marocco) et du Moyen-Orient (Costantinopoli) 2. De Amicis, qui entendait le voyage surtout comme une source d’émo- tions et de divertissements, plus que comme occasion d’enquête et de connaissance, n’a évidemment pas composé des traités d’ethnologie ni de géopolitique. L’auteur souhaite conduire son public de ville en ville en lui transmettant le goût du voyage et en suscitant chez lui des sentiments de bienveillance envers des cultures et des peuples étrangers. Pour flatter son lectorat et plaire à ses éditeurs, De Amicis vise donc à charmer et impliquer émotionnellement ses lecteurs, multipliant les effets et sollicitant leur imagination. Il ne faut donc pas chercher dans ses textes des informa- tions documentaires sous la forme de comptes rendus objectifs, mais les considérer comme des répertoires de visions spectaculaires, de tableaux pittoresques et d’impressions, dont l’objectif est d’exciter la curiosité et de toucher le cœur du public. Par ailleurs, De Amicis a beaucoup puisé dans la littérature de voyage préexistante (prenant parfois même le risque de l’erreur ou du plagiat 3) et, tout comme la plupart des voyageurs, il est profondément attaché à ses propres convictions, qui sont rarement ébranlées par ses pérégrinations qui viennent au contraire les confirmer ou les renforcer. Certains de ses contemporains, comme Carducci, Dossi ou Ghisleri, lui ont reproché son style sentimental et particulièrement dans sa prose de voyage l’accumulation d’images, la profusion de détails et d’adjectifs,

2. La bibliographie sur la littérature de voyage de De Amicis (« De Amicis odeporico ») est très riche. Pour une approche d’ensemble, on peut lire entre autres : F. Surdich, « I libri di viaggio di Edmondo De Amicis », in Edmondo De Amicis (Atti del Convegno nazionale di studi, Imperia, 30 aprile-3 maggio 1981), F. Contorbia (dir.), Milan, Garzanti, 1985, p. 147- 172 ; B. Danna, Dal taccuino alla lanterna magica. De Amicis reporter e scrittore di viaggi, Florence, Olschki, 2000 ; V. Bezzi, Nell’officina di un reporter di fine Ottocento. Gli appunti di viaggio di Edmondo De Amicis, Padoue, Il Poligrafo, 2007 ; C. Damari, Tra Occidente e Oriente. De Amicis e l’arte del viaggio, Milan, FrancoAngeli, 2012. 3. Comme le lui reproche Benedetto Croce dans « Note sulla letteratura italiana nella seconda metà del secolo XIX. III. Edmondo De Amicis », La Critica, 1903 ; puis dans La letteratura della Nuova Italia, vol. I, Bari, Laterza, 1914, p. 161-181. Les caractères nationaux des peuples… 49 les échappées dans le fantastique et la valorisation hyperbolique de chaque découverte, qui laissent le lecteur parfois désemparé et sans ligne directrice pour appréhender un lieu, une ville ou un pays. Mais il reste que le public a globalement été séduit par les spectacles mis en scène par De Amicis et a ainsi été influencé par le contenu de ses livres. Le succès des récits de voyage de De Amicis 4 et leur diffusion dans l’ensemble de la société ont indéniablement contribué à forger et à alimenter un certain rapport au monde et une certaine représentation durable des caractères nationaux des peuples 5 des pays visités qui méritent d’être examinés dans une optique d’histoire culturelle. Nous souhaitons proposer quelques pistes de recherche, en guise de prémisses à des approfondissements futurs, pour tenter de comprendre la conception deamicisienne de l’étranger, en traçant les coordonnées de sa perception du différent et de l’identique. Dans un premier temps, nous nous intéresserons à son idée de la latinité, qu’il interroge lors de son voyage à Rome en 1870 et de ses voyages en Espagne en 1872 et en France en 1873 et 1878 ; puis nous examinerons ses descriptions des peuples du Nord, qu’il découvre lors de son bref séjour à Londres en 1873 et de son voyage en Hollande pendant l’hiver 1873-74 ; enfin nous étudierons sa perception des Orientaux, qu’il croise lors de ses voyages au Maroc et à Constantinople en 1875 6.

« Cette pauvre race latine » La première expérience significative de De Amicis comme reporter se déroule à Rome, où il est présent lors de la prise de la ville par l’armée italienne le 20 septembre 1870 7. Suite à ce voyage, il publie plusieurs articles qui seront en partie repris dans deux volumes : Impressioni di Roma 8 et Ricordi del 1870-71 9. Dans ses chroniques, le jeune journaliste est pris par

4. En 1900, Marocco en était à sa 14e édition, Olanda à sa 15e, Costantinopoli à sa 26e, Ricordi di Londra à sa 22e, Ricordi di Parigi à sa 7e. 5. Pour un cadre général, voir Le caractère national : mythe ou réalité ? Sources, problématique, enjeux, M. Niqueux (dir.), Cahiers de la Maison de la recherche en sciences humaines de Caen, n° 48, 2007. 6. Nous ne prenons pas en compte ici ses voyages en Amérique du Sud, qui donnent matière à ses récits Sull’Oceano (1889) et In America (1897). Dans ces volumes, l’attention du narrateur est avant tout tournée vers le problème de l’émigration italienne. 7. Cf. A. Boccolini, Prospettive di un’analisi odeporica. Il viaggio a Roma di Edmondo De Amicis, Viterbe, Sette Città, 2015. 8. E. De Amicis, Impressioni di Roma, Florence, Faverio, 1870. 9. E. De Amicis, Ricordi del 1870-71, Florence, Barbèra, 1872. 50 Laura Fournier-Finocchiaro l’enthousiasme contagieux des militaires : dans ses Impressioni di Roma, il décrit la joie et la satisfaction générales pour le rétablissement après plusieurs siècles de Rome comme capitale du royaume et il célèbre les manifestations de tous les symboles de l’italianité visibles dans la ville : drapeaux, cocardes, musique, chants… En revanche, il est généralement admis que l’écrivain était peu sensible au mythe de la romanité et qu’il ne participa pas aux célébrations rhétoriques des gloires retrouvées de l’Italie. De Amicis affirme en effet :

Certo il nostro orgoglio nazionale non si può alimentare di quelle glorie ; sono troppo remote, non sono più nostre, il tempo di diseppellire le superbie antiche è trascorso per l’Italia col regno dell’Arcadia 10.

Le reporter est néanmoins sensible à la mémoire de la grandeur de Rome qui fortifie chez le peuple « il sentimento della patria e della dignità nazionale ». Il explique à ses lecteurs que « l’idea di possedere codesta Roma a poco a poco qualche cosa non gli susciti e non gl’ispiri di nuovo e di generoso nell’anima, è impossibile » 11. Il admet que les Italiens éprouvent naturelle- ment de l’amour pour Rome, car elle est « il primo nome che ci fece battere il cuore da giovanetti e sognare un risorgimento della grandezza antica » ; ils l’aiment aussi car le monde entier la vénère, parce que tous les étrangers la visitent avec révérence et affection et parce qu’elle a été célébrée par les poètes et les peintres. L’histoire de l’Italie est liée à celle de Rome et à son « auguste image », et si De Amicis refuse de se servir de la métaphore de la « sainte génitrice des Italiens », il identifie Rome avec une reine (« l’amiamo perché è una regina scoronata ed afflitta, perché sarà una regina possente e gloriosa, perché è nostra e siam suoi, perché è bella, meravigliosa ed eterna » 12) et il la nomme « madre di tutti i soldati d’Italia » 13. Si dans son texte De Amicis n’insiste pas sur le caractère romain de la nouvelle Italie, amplement chanté par ses contemporains, on peut remar- quer néanmoins qu’il refuse également d’adhérer aux discours sur la fin de l’alliance des races latines 14. La conquête de Rome par le royaume d’Italie

10. E. De Amicis, Impressioni di Roma, p. 15. 11. Ibid. 12. Ibid., p. 15-16. 13. Ibid., p. 182. 14. Sur les débats de l’époque, cf. P. Benvenuto, « Panlatinisme et latinité. Origines et circula- tion d’un projet d’unification européenne, entre réminiscences napoléoniennes et mythe de la race », in Europe de papier. Projets européens au XIXe siècle, S. Aprile, C. Cassina, P. Darriulat, R. Leboutte (dir.), Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2015, p. 267-279 ; F. Zantedeschi, « “Panlatinismes” et visions d’Europe, 1860-1890 », ibid., p. 281-294. Les caractères nationaux des peuples… 51 ouvre en effet une nouvelle période en Europe où tout à coup l’alliance des races latines semble un produit du passé: les Italiens mettent notamment en sourdine leurs racines communes avec les Français et pointent leurs désaccords passés avec Napoléon autour de la question romaine plutôt que les liens anciens avec la sœur latine et les souvenirs de l’alliance avec la France lors de la deuxième Guerre d’indépendance 15. Or De Amicis choisit de passer sous silence dans ses chroniques la crise diplomatique franco-italienne qui accompagne la prise de Rome. Alberto Brambilla 16 parle même d’un déchirement intérieur de l’écrivain face au conflit entre les deux nations, car De Amicis, depuis toujours très attaché à la France, a pourtant désiré sa chute pour que l’Italie recouvre sa capitale historique. Dans ses Ricordi del 1870-71, il se rattrape en exprimant toute sa gratitude envers la France et son armée, notamment dans le chapitre « La battaglia di Solferino e San Martino ». C’est surtout dans le chapitre intitulé « Alla Francia » que De Amicis déclare sa peine pour la défaite française dans la guerre franco-prussienne et célèbre la valeur de l’armée française et de Mac Mahon. Il va jusqu’à affirmer le devoir de tout Italien de respecter et honorer les soldats et les généraux français, car au-delà des circonstances ce sont pour lui des frères : « Noi dobbiamo amare e venerare l’esercito francese fuori d’ogni ragione politica, d’ogni interesse nazionale, d’ogni legame di gratitudine […] voi siete nostri fratelli » 17. De Amicis est incapable d’éprouver de l’antipathie pour les Français et ne comprend pas que certains de ses concitoyens puissent être du côté des Prussiens. Les deux peuples latins sont pour lui unis par des liens fraternels enracinés et indestructibles. La même année où il publie ses Ricordi, De Amicis effectue un voyage en Espagne comme correspondant du journal florentinLa Nazione. Le journaliste aurait préféré voyager en France, mais il doit se soumettre à l’intérêt de l’éditeur et du public pour cette autre nation-sœur où depuis 1870 régnait un prince de Savoie, le roi Amédée Ier d’Espagne. Son voyage débute le 1er février 1872 et dure quatre mois, pendant lesquels De Amicis envoie à Florence une quarantaine de textes, publiés dans La Nazione sous le titre « Lettere dalla Spagna ». Il avait néanmoins déjà en tête d’en

15. Sur ces questions, voir F. Chabod, Storia della politica estera italiana dal 1870 al 1896, vol. I, Le premesse, Bari, Laterza, 1951, notamment le chapitre « L’idea di Roma » ; P. Treves, L’idea di Roma e la cultura italiana nel secolo XIX, Milan, Ricciardi, 1952. 16. A. Brambilla, Edmondo De Amicis et la France (1870-1883) : contacts et échanges entre litté- rature italienne et littérature française à la fin du XIXe siècle, thèse de doctorat, Université de Franche-Comté, 2011. 17. E. De Amicis, Ricordi del 1870-71, p. 83, 88. 52 Laura Fournier-Finocchiaro faire un volume, qui voit le jour l’année suivante 18 : Spagna, qui inaugure sa série de récits de voyages, obtient un succès immédiat, avec près de 30 000 exemplaires vendus 19. Pour son ouvrage, De Amicis complète ses notes de reporter avec des informations tirées de ses lectures historiques, sociologiques, artistiques et culturelles. Il construit ainsi une stratification subtile de références culturelles qui s’ajoutent aux informations plus stric- tement touristiques et folkloriques recueillies sur place 20. La structure de l’ouvrage suit les différentes étapes de son voyage (Barcelone, Saragosse, Burgos, Valladolid, Madrid, Aranjuez, Tolède, Cordoue, Séville, Cadix, Malaga, Grenade, Valence), chaque chapitre constituant un récit indépen- dant. De Amicis a fréquemment recours à des éléments oniriques, subjectifs et fantastiques, finement entrecroisés avec des éléments objectifs et infor- matifs. Même si globalement le livre est d’une qualité inégale, le portrait que le journaliste dresse de l’Espagne semble s’éloigner des stéréotypes de tant d’écrivains romantiques européens, qui décrivaient un pays peuplé exclusivement de beautés andalouses et de toréros ensanglantés. Si les deux topoi de la sensualité des femmes et du « sang chaud » des hommes sont bien présents tout au long du texte, les Espagnols de De Amicis sont avant tout des citoyens européens, qu’il rapproche à plusieurs reprises des autres peuples latins, tout en soulignant çà et là leurs particularités. Suivant l’imaginaire du XIXe siècle, selon De Amicis les peuples sont marqués par un caractère national qui est une donnée naturelle d’origine ancienne. Ainsi le caractère espagnol, bien qu’exacerbé par les passions politiques et les luttes intestines, est selon lui naturellement « buono, leale, capace di sensi magnanimi e di sublimi slanci d’entusiasmo » 21. À plusieurs reprises, De Amicis exprime la proximité qu’il ressent entre le caractère espagnol et le caractère italien, de par leur commune race latine :

18. E. De Amicis, Spagna, Florence, Barbèra, 1873. Son volume s’inspire seulement en partie de ses articles, qui sont profondément remaniés. 19. Sur son voyage en Espagne, voir entre autres C. Asciuti, « Il viaggio in Spagna di Edmondo De Amicis : cultura politica e sessualità rimossa », in Miscellanea di storia delle esplorazioni, vol. XIV, Gênes, Bozzi, 1989, p. 158-174 ; D. De Liso, « Edmondo De Amicis in viaggio. Note sul viaggio in Spagna », Critica letteraria, vol. XXXII / 4, 2004, p. 683-721 ; A. Luzi, « Uno scrittore italiano e la Spagna : Edmondo De Amicis », Rivista di Studi Italiani, vol. XXXV / 1, 2007, p. 169-180 ; R. Ubbidiente, « De Amicis en tour : il racconto del viaggio in Spagna », in Id., L’officina del poeta. Studi su Edmondo De Amicis, Berlin, Frank & Timme, 2013, p. 115-148. 20. Déjà pendant son voyage, De Amicis s’était amplement servi du Voyage en Espagne (1843) de Théophile Gautier. Les différentes sources de De Amicis ont été examinées notamment par D. Giurati, « Su alcune derivazioni della Spagna di E. De Amicis », in Il plagio, Milan, Hoepli, 1903, p. 14-22. 21. E. De Amicis, Spagna, p. 246-247. Les caractères nationaux des peuples… 53

Che ardenti cuori ! Come mi compiacevo, vedendoli ed ascoltandoli, di appar- tenere a questa povera razza latina, di cui diciamo ora le sette pèste, e come mi rallegravo pensando che più o meno siamo tutti fatti su quello stampo, e che, perdio, potremo abituarci a poco a poco a invidiare lo stampo degli altri, ma non riusciremo a perdere il nostro mai 22 ! De Amicis souligne que les Espagnols sont cependant souvent enclins à la fureur en politique en raison d’une contamination ethnique entre Latins et Arabes : le peuple se retrouve alors pris de sauvages élans de passion qui trahissent « la mescolanza del sangue arabo col sangue latino » 23. Dans son dernier chapitre, paraphrasant les mots d’un « illustre Italien » (vraisemblablement Baretti), De Amicis explique la transformation qui s’opère sur les étrangers vivant en Espagne, qui sont conduits petit à petit « a scaldarsi il sangue e a beccarsi il cervello sulla politica, come se la Spagna fosse il suo paese, o le sorti del suo paese pendessero dalle sorti della Spagna » 24. Cette identification est facilitée par la commune origine latine : « non è possibile, a chi nulla nulla sia latino d’immaginazione e di fibra, il rimaner spettatore indifferente ». Mais paradoxalement, tandis que le voyageur devient « spagnuolo fino al bianco dell’occhio », il voit l’Europe s’éloigner : « si scorda l’Europa, come se fosse agli Antipodi, e si finisce col non veder più che la Spagna, come se la governassimo noi, e tutti i suoi interessi fossero nelle nostre mani » 25. On peut ainsi percevoir que dans Spagna De Amicis est déjà à la recherche d’un ailleurs (l’Afrique), des éléments exotiques de l’Orient qui éloignent la péninsule ibérique du continent européen. Ce n’est pas le cas dans ses impressions de voyage à Paris, où De Amicis se rend très brièvement à deux reprises en 1873 et en 1878 26 ; on peut remarquer très clairement que le journaliste ne perçoit pas la France comme un pays relevant de l’étranger 27. Paris a toujours été en effet sa « deuxième patrie culturelle » 28, et le regard que porte De Amicis sur Paris

22. Ibid., p. 247. 23. Ibid. 24. Ibid., p. 476. 25. Ibid., p. 476-477. 26. Sur ses voyages en France, voir l’article d’Aurélie Gendrat-Claudel dans ce volume. 27. Pour une analyse et une bibliographie exhaustive sur le sujet, cf. A. Brambilla, Edmondo De Amicis et la France… 28. Tous les livres de De Amicis sont truffés de citations en langue française et de références à des auteurs français, dont il publie des portraits. Cf. A. Brambilla, « Edmondo de Amicis : un portrait de Victor Hugo », Revue des études italiennes, 3-4, 2012, p. 281-294 ; Id., « Le poète et le soldat : Paul Déroulède vu par Edmondo De Amicis », La parola del testo, XVI, 1-2, 2012, p. 177-196 ; Id. « De Amicis-Daudet : un dossier da riaprire ? », La parola del testo, XIX, 1-2, 2015, p. 197-214. 54 Laura Fournier-Finocchiaro se nourrit de la riche littérature et des expériences des voyageurs italiens dans la capitale tout au long du XIXe siècle 29, si bien que l’impression qui saisit le voyageur au contact du peuple parisien est celle d’un déjà-vu : « la population n’est pas nouvelle » 30. Si De Amicis reprend la plupart des critiques morales (corruption et légèreté des mœurs) adressées à Paris par tous les observateurs, la distance entre les deux peuples italiens et français n’est qu’une illusion, car les deux nations sœurs sont si proches que Paris « ne paraît pas étranger, puisque l’on y retrouve toutes les réminiscences de notre vie intellectuelle » 31. Le plus gros risque que fait courir Paris sur les Italiens est celui du « lenocidio gallico » défini par Gioberti : ce « charme insidieux des Français » 32 peut faire perdre la raison et le sentiment de la patrie aux visiteurs.

Les peuples du Nord En revanche, le journaliste marque une distanciation bien plus marquée lorsqu’il se rend en Europe du Nord. Sa perception de la différence de nature entre les peuples septentrionaux et les peuples méridionaux est guidée en particulier par les réflexions d’Hippolyte Taine 33, qu’il étudie avant de se rendre en Hollande et qui lui fournit des éléments d’interprétation de la division raciale européenne. De Amicis planifie d’abord un bref séjour de détente à Londres avant de prendre la route pour les Pays-Bas. Suite à son voyage, il publie des articles dans La Nuova Illustrazione Universale de l’éditeur Treves, puis le volume Ricordi di Londra en 1874 34. Les textes de De Amicis repré- sentent une cinquantaine de pages et sont suivis d’un texte du journaliste et géologue français Louis Laurent Simonin sur les quartiers pauvres

29. La « capitale du XIXe siècle », pour reprendre l’expression de Walter Benjamin, a inspiré une longue liste d’écrivains, d’artistes et de patriotes de toutes nationalités, qui ont regardé la France tour à tour comme un modèle, un repoussoir et une menace. Cf. Gallomanie et gallophobie. Le mythe français en Europe au XIXe siècle, L. Fournier-Finocchiaro, T.I. Habicht (dir.), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012. 30. E. De Amicis, Souvenirs de Paris. L’Exposition universelle de 1878, A. Brambilla et A. Gendrat- Claudel (éd.), Paris, Éditions Rue d’Ulm, 2015, p. 9. 31. Ibid., p. 18. 32. Selon la traduction d’A. Gendrat. 33. H. Taine, Philosophie de l’art dans les Pays Bas, Paris, Germer Baillière, 1869. 34. L. Pasquini, « Edmondo De Amicis : i Ricordi di Londra e la letteratura di viaggio », in Scrittori italiani in Inghilterra (Atti del Convegno Internazionale, Chieti, 20-22 ottobre 2003), G. Oliva (dir.), Naples, Edizioni Scientifiche Italiane, 2003, p. 187-207 ; A. Brambilla, « Appunti sulla storia editoriale dei Ricordi di Londra di Edmondo De Amicis », Studi e problemi di critica testuale, n° 89, 2014 / 2, p. 257-280. Les caractères nationaux des peuples… 55 de Londres. De Amicis ne cache pas ses difficultés pour se mesurer à la description d’une ville très visitée, et pour Alberto Brambilla il s’agit d’un récit de voyage « atypique, et peut-être le plus faible de De Amicis, non seulement pour sa dimension réduite » 35. Le reporter souligne la richesse commerciale et industrielle de la capitale anglaise, le grand mouvement des foules et des transports. Dans son dernier tableau, il insiste sur le sentiment d’écrasement et d’infériorité ressenti par un voyageur italien face aux peuples du Nord :

La grandezza e la ricchezza di Londra mi facevano ogni momento una impres- sione diversa. Alle volte sentivo il mio amor proprio d’italiano, schiacciato ; ricordavo con dispetto le meschine vanterie a cui ci lasciamo andare in casa nostra, paragonandoci soltanto con noi medesimi ; mi proponevo, quando fossi in Italia, di rintuzzarlo con sarcasmo ; avrei voluto esser nato inglese, per aver diritto di guardare dall’alto in basso i latini 36.

Il fustige aussi la vanité des Anglais : « Altre volte invece, lo spettacolo della superiorità di quel paese mi faceva sentire pel mio un affetto più vivo, misto di pietà gentile » 37. La chronique s’achève sur l’image d’une communauté idyllique des nationalités qui se retrouvent au pub pour boire de la bière : De Amicis a rencontré cinq jeunes hommes sympathiques, formant avec lui un groupe de six États : l’Allemagne, l’Angleterre, la France, l’Italie, l’Espagne et la Hollande : « – tre popoli latini e tre popoli nordici, – quattro monarchie sane e due repubbliche malate » 38. Après être passé par Londres, De Amicis effectue un bref séjour de dix jours en Hollande, puis il y retourne pendant l’hiver 1873-74 afin de rédiger un ouvrage pour l’éditeur Barbèra 39. Le journaliste avait commencé à se documenter sur ce pays lors de son séjour à Paris, et son voyage est totale- ment balisé de ville en ville pour offrir la vision la plus complète possible. Chaque étape est exploitée pour illustrer et commenter un secteur particulier du pays : le commerce à Rotterdam, la peinture à La Haye, la littérature et l’instruction à Delft, l’histoire à Leyde, la philanthropie et l’action sociale à Amsterdam, la floriculture à Haarlem, etc. De Amicis préfère toutefois

35. A. Brambilla, « Appunti sulla storia editoriale… », p. 275. 36. E. De Amicis, Ricordi di Londra. Seguiti da Una visita ai quartieri poveri di Londra di L. Simonin, Milan, Treves, 1874, p. 54. 37. Ibid. 38. Ibid., p. 58. Ce tableau très partiel de Londres est heureusement compensé par le récit de Simonin sur les quartiers pauvres. 39. E. De Amicis, Olanda, Florence, Barbèra, 1874. Nos citations seront tirées de l’édition Treves de 1876. 56 Laura Fournier-Finocchiaro

écarter les informations trop techniques et invente des dialogues, rapporte des légendes et colore sa prose avec toute sorte d’artifices rhétoriques (métaphores, comparaisons, hyperboles), puisant dans ses nombreuses lectures et allant parfois jusqu’au plagiat 40. Son premier chapitre est consacré aux terres arrachées par l’homme à la mer ; il a une fonction importante pour expliquer très positivement le caractère national des Hollandais :

un popolo molto diverso dagli altri. […] Il genio olandese è in perfetta armonia col carattere fisico dell’Olanda. Basta guardare i monumenti della gran lotta combattuta da questo popolo col mare, per comprendere come il suo carattere distintivo debba essere la fermezza e la pazienza, accompagnata da un coraggio calmo e costante 41.

De Amicis, qui a lu l’ouvrage de Taine consacré à la peinture hollandaise, reprend à l’identique sa distinction entre deux groupes de peuples dans la civilisation européenne : d’un côté « les peuples latins ou latinisés » (Italiens, Français, Espagnols et Portugais) et de l’autre les « peuples germaniques » (Belges, Hollandais, Allemands, Danois, Suédois, Norvégiens, Anglais, Écossais, Américains). Selon Taine, « dans le groupe des peuples latins, les Italiens sont, sans contredit, les meilleurs artistes ; dans le groupe des peuples germaniques, sans contredit, ce sont les Flamands et les Hollandais » 42. Tout comme Taine, De Amicis situe les Hollandais parmi les « popoli del settentrione » 43, mais il insiste aussi sur le fait qu’ils présentent une grande variété ethnique :

Tra la Zelanda e l’Olanda propriamente detta, fra l’Olanda e la Frisia, tra la Frisia e la Gheldria, tra la Groninga e il Brabante, malgrado tanti vincoli comuni e la vicinanza grandissima, non v’è meno differenza che fra le provincie più lontane dell’Italia e della Francia : differenza di lingua, di costumi, di carattere ; differenze di razza e di religione 44.

Dans tous les cas, il s’agit d’un peuple bien différent des méridionaux de race latine, comme il le souligne lorsqu’il croise un Hollandais atypique

40. Cf. D. Aristodemo, « L’Olanda di Edmondo De Amicis » in Edmondo De Amicis (Atti del Convegno nazionale di studi, Imperia, 30 aprile-3 maggio 1981), F. Contorbia (dir.), Milan, Garzanti, 1985, p. 173-192, et E. De Amicis, Olanda, D. Aristodemo (éd.), Gênes, Costa & Nolan, 1986. 41. E. De Amicis, Olanda, p. 13-14. 42. H. Taine, Philosophie de l’art dans les Pays Bas, p. 1. 43. E. De Amicis, Olanda, p. 15. 44. Ibid. Les caractères nationaux des peuples… 57 qui fait exception et ressemble à « nous autres Latins » : « Per mia fortuna m’ero imbattuto in uno di quei pochi Olandesi che hanno comune con noi Latini la debolezza di amar il suono della propria voce » 45. Tout son texte tend à faire ressortir ces différences, voire à les exacerber. Par exemple De Amicis, qui n’avait pas manqué de critiquer le caractère bigot des Espagnols, laissant transparaître son exaspération vis-à-vis du cléricalisme, glisse dans son récit hollandais beaucoup de préjugés et de jugements de valeur sur le protestantisme. Il dresse néanmoins au final un portrait très positif d’un pays prospère et satisfait, dessinant une sorte de modèle vertueux que pourrait prendre en exemple la bourgeoisie italienne pour son projet de progrès civil. Dans ses descriptions du caractère national, il insiste sur l’ardeur au travail, les qualités pratiques et économes. L’éthique volontariste et la téna- cité des Hollandais suscitent le respect et même une volonté d’émulation, mais n’inspirent pas l’enthousiasme ni même une sympathie spontanée, comme on peut le comprendre par la fréquence des négations :

Un popolo pacifico, operoso, pratico, riabbassato continuamente, per dirla colle parole d’un gran poeta tedesco, a una realtà prosaica, dalle occupazioni d’una vita volgare e borghese ; che coltiva la sua ragione a spese della sua immaginazione ; che vive, per conseguenza, più d’idee chiare che di immagini belle ; che rifugge dalle astrazioni, che non si slancia col pensiero di là dalla natura, colla quale è in lotta perpetua ; che non vede che ciò che è, che non gode che di ciò che possiede, che fa consistere la sua felicità nella quiete agiata e onestamente sensuale d’una vita senza passioni violente e senza desiderii scomposti 46.

Dans le chapitre « Frisia », De Amicis met en scène un (faux) dialogue avec un Frison qui vise à faire ressortir leurs différences respectives : « Il discorso cadde sull’antica Frisia e sull’antica Roma […] finimmo per discor- rere tale e quale come s’egli fosse stato un frisone dei tempi di Olennio ed io un romano dei tempi di Tiberio, ciascuno facendo l’avvocato del suo paese » 47. Seulement le narrateur s’aperçoit que le Frison connaît Tacite par cœur et bat en retraite. S’il admet que, quant à l’érudition, certains Hollandais peuvent être supérieurs aux Latins, il n’en reste pas moins qu’ils n’ont pas été faits avec le même moule : « E non potevo finir di guardarlo, tanto mi pareva d’uno stampo differente dal mio » 48.

45. Ibid., p. 22. 46. Ibid., p. 81. 47. Ibid., p. 420. 48. Ibid., p. 421. 58 Laura Fournier-Finocchiaro

Orientalisme et européisme : Maroc et Constantinople Cette différence entre Européens du Nord et Européens du Sud est en revanche complètement gommée lorsque De Amicis s’aventure en dehors du continent, lors de ses voyages au Maroc et à Constantinople. Pour les voyageurs et touristes du XIXe siècle qui sont de plus en plus attirés par les espaces extra-européens de l’Orient 49, les peuples septentrionaux et les peuples latins retrouvent miraculeusement leur unité dans la perception d’un Occident triomphalement civilisé. Cette région fantasmatique, perçue comme antinomique de l’Occident, confusément située entre l’Afrique septentrionale et le Japon, est pour tous les voyageurs de l’époque une source à la fois de fascination et de répulsion. Les récits de voyage de De Amicis donnent à voir sa rhétorique de l’exotisme, défini comme « représentation des hommes et des sociétés qui n’appartiennent pas à l’Europe, et qui constituent par là son altérité » 50. La rencontre avec ces régions permet au représentant de la civilisation européenne une autocélébration de soi. Nous verrons ainsi comment, dans Marocco et Constantinopoli, De Amicis contribue à construire l’identité de l’Italie unifiée par un double mouvement d’opposition à l’Orient et d’englobement dans l’ensemble européen : il dépeint les Orientaux en constant rapport d’opposition avec la civilisation occidentale, et il définit en retour la culture européenne comme seul modèle possible, car si l’Orient est un espace pour les sensations, il ne peut prétendre être un modèle culturel. De Amicis est invité en 1875 par Stefano Scovasso, consul général d’Italie à Tanger, à se joindre à la première mission diplomatique du jeune royaume d’Italie auprès du sultan du Maroc, Moulay el Hassan. Marocco est la chro- nique du voyage, fait en grande pompe dans la caravane de l’ambassade, de Tanger jusqu’à Fès 51. Scovasso et le gouvernement italien pouvaient légitimement attendre de lui un texte en accord avec la ligne politique

49. La deuxième moitié du XIXe siècle représente l’âge d’or de l’exotisme. Cf. E. Saïd, L’Orien- talisme. L’Orient créé par l’Occident, 2e éd., Paris Seuil, 1997 ; D. Pageaux, « Orientalisme », in Grand Atlas des littératures, Paris, Encyclopædia Universalis, 1990, p. 310-311 ; M. Moura, Lire l’exotisme, Paris, Dunod, 1992. 50. M. Moura, Lire l’exotisme, p. 14. 51. E. De Amicis, Marocco, Milan, Treves, 1876. Sur ce récit, cf. V. Caratozzolo, « Intervistare, commentare, denigrare : la manipolazione dell’informazione in un diario di viaggio di Edmondo De Amicis », in Miscellanea di storia delle esplorazioni, vol. XVII, Gênes, Bozzi, 1992, p. 199-210 ; V. Bezzi, De Amicis in Marocco : l’esotismo dimidiato : scrittura e avventura in un reportage di fine Ottocento, Padoue, Il poligrafo, 2001 ; M. Pagliara, « Il “Marocco” di E. De Amicis, o “La bella scena in uno spettacolo di un’ora” », La Nuova Ricerca, n° 12, 2003, p. 97-113 ; F. Surdich, « Il Marocco nei resoconti dei viaggiatori italiani del periodo postunitario », Carte di viaggio, n° 1, 2008, p. 1-23 ; D. Valentini, « A view from Africa : Edmondo De Amicis and the formation of a national identity in post-unification Italy », Forum Italicum, n° 47 / 2, 2013, p. 336-345. Les caractères nationaux des peuples… 59 officielle ; De Amicis est parfaitement conscient de son rôle et dans son livre l’engagement de l’écrivain pour célébrer le gouvernement piémontais est évident. De Amicis semble mettre en œuvre « une distanciation qui n’est pas seulement le signe du professionnalisme journalistique de l’envoyé spécial, mais qui suggère également l’absence totale d’identification, la parfaite divergence socio-éthique du locuteur » 52. Dans Marocco, la « divergence » entre l’auteur et les habitants du pays africain est d’autant plus marquée qu’elle est aussi ethnique :

La prima cosa che mi colpì, e più fortemente ch’io non possa esprimere, fu l’aspetto della popolazione. […] Mi passavano accanto faccie bianche, nere, giallastre, bronzine ; teste ornate di lunghissime ciocche di capelli e cranii rapati e lucidi come palle metalliche ; uomini secchi come mummie ; vecchi d’una vecchiezza orrenda ; donne col viso e tutta la persona ravvolta in un mucchio informe di cenci ; bimbi con lunghe trecce ; visi di sultani, di selvaggi, di negromanti, d’anacoreti, di banditi […] sono Arabi 53.

De Amicis emploie des expressions visant à rabaisser les populations africaines surtout lorsqu’il décrit des Noirs. Son racisme 54 est palpable lorsqu’il décrit par exemple l’esclave noire du ministre, qui quitte la pièce « lasciando nella stanza il puzzo nauseabondo di selvaggiume, proprio della razza nera » 55, ou encore un noir de cinquante ans : « la più grottesca, la più spropositata, la più imperiosamente ridicola figura che sia mai comparsa sotto la cappa del cielo. […] E Dio mi perdoni : mi venne più volte l’idea di comprarlo per farmene una pipa » 56. L’image d’ensemble du monde arabo-marocain, comme De Amicis le reconnaît lui-même, ne s’éloigne pas beaucoup des stéréotypes offerts par la littérature de voyage anglaise et française depuis près d’un siècle 57 :

52. Cette position du spectateur distancié, qu’Edwige Comoy Fusaro constate dans le roman Sull’Oceano, est déjà marquée dans les récits de voyage extra-européens de De Amicis. Cf. E. Comoy Fusaro, « Le spectateur controversé : réflexions sur les modalités de la narration dans Sull’oceano de Edmondo De Amicis », Cahiers de Narratologie, n° 14, 2008, p. 2. 53. E. De Amicis, Marocco, p. 4-5. 54. Sur la construction du discours racial et raciste en Italie, cf. Nel nome della razza. Il razzismo nella storia d’Italia 1870-1945, A. Burgio (dir.), Bologne, Il Mulino, 1999 ; G. Gabrielli, Il curricolo « razziale ». La costruzione dell’alterità di « razza » e coloniale nella scuola italiana (1860-1950), Macerata, Edizioni Università di Macerata, 2015 ; Aux origines de la pensée de la « race » en Italie, E. Bovo et A. Aramini (dir.), Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté (à paraître). 55. E. De Amicis, Marocco, p. 34. 56. Ibid., p. 405. 57. Pour une étude comparée, voir V. Vittorini, L’image du monde arabe dans la littérature française et italienne du XIXe siècle : analogies, différences, possibles influences, thèse de doctorat, Université de Nice, 2015. 60 Laura Fournier-Finocchiaro

Più studio questi mori e più tendo a credere che non siano molto lontani dal vero, come mi parvero da principio, i giudizii dei viaggiatori, i quali sono concordi nel chiamarli una razza di vipere e di volpi, falsi, pusillanini, umili coi forti, insolenti coi deboli, rosi dall’avarizia, divorati dall’egoismo, accesi dalle più abbiette passioni che possano capire nel cuore umano 58.

Mais on voit aussi que le spectacle des « milles variétés » de la ville marocaine provoque chez le narrateur une sorte de crise d’identité qui révèle une certaine difficulté à soutenir la rigide répartition des rôles définie au départ. Par exemple, pendant le voyage entre Tanger et Fès, De Amicis raconte une scène où il fait l’expérience de la moquerie des soldats de l’escorte vis-à-vis de la mise des « Européens civilisés ». Inversant les rôles, le narrateur intègre le point de vue des Arabes dans sa culture bourgeoise et paternaliste et il se regarde de l’extérieur, reconnaissant effectivement le caractère plutôt ridicule de l’aspect physique des Européens, tout en affirmant cependant leur indéniable supériorité intellectuelle :

Sì, siamo civili, siamo i rappresentanti d’una grande nazione, abbiamo più scienza nella testa, noi dieci, che non ce ne sia in tutto l’Impero dei Sceriffi ; ma piantati su queste mule, vestiti di questi panni, con questi colori, con questi cappelli, in mezzo a loro, per dio, siamo brutti 59 !

C’est surtout dans le long dialogue final (le seul) entre De Amicis et un Marocain, un commerçant aisé de Fès, que la confrontation entre les civilisations arabo-musulmane et occidentale est abordée le plus longue- ment. Le narrateur presse son interlocuteur pour savoir ce qu’il pense de l’Occident qu’il a pu visiter, mais il n’obtient pas la reconnaissance de la suprématie indiscutable de la civilisation européenne à laquelle il s’attendait. En effet, le commerçant exprime son refus de la modernité que voudraient imposer les Européens au nom d’un conservatisme, teinté de fatalisme, qui reflète selon De Amicis l’opinion de l’élite marocaine : « Lasciateci dunque in pace. Non vogliate che tutti vivano a modo vostro e sian felici come volete voi. Rimaniamo tutti nel cerchio che Allà ci ha segnato » 60. Toutefois, il ne faudrait pas croire que la considération que De Amicis accorde au point de vue du Marocain ne soit pas exempte d’une forte hiérarchisation entre l’identité italienne-occidentale et l’identité arabe. Le narrateur déclare en effet sans ambages que les pays occidentaux visités par le commerçant marocain sont « dei paesi così meravigliosamente diversi e

58. E. De Amicis, Marocco, p. 372-373. 59. Ibid., p. 226-227. 60. Ibid., p. 416. Les caractères nationaux des peuples… 61 superiori al suo » 61. De Amicis se sent naturellement supérieur à l’Arabe, et il le voit comme un enfant face aux merveilles de la civilisation occidentale. S’il le laisse exposer tous ses arguments en respectant la diversité de son point de vue, il souhaite également montrer aux lecteurs qu’il ne considère pas que le commerçant marocain soit capable d’opposer des arguments valables à ses affirmations apologétiques sur la culture européenne. La prise de position est la même dans Costantinopoli 62, publié un an après Marocco, même si le voyage que De Amicis avait fait en compagnie du peintre Enrico Yunck était antérieur. Le livre de De Amicis est une ode triomphale à la gloire de l’orientalisme. Le narrateur s’éloigne de la struc- ture du récit de voyage adoptée pour Spagna ou Marocco : il ne suit pas un parcours ordonné et son texte se déploie comme un labyrinthe où évolue le flâneur qui vagabonde dans la ville en rêvassant. Par ailleurs, le reporter n’avait pas pris beaucoup de notes pendant son bref séjour à Istanbul. C’est par la suite qu’il gonfle son texte publié près de trois ans après son voyage. Après tout ce temps, il lui reste son impression générale, qui est globalement celle d’une déception vis-à-vis du « divino Oriente dei nostri sogni », assombri par « un altro Oriente più lugubre, immondo, decrepito che supera ogni più nera immaginazione » 63. De Amicis perçoit la tension latente dans la ville entre tradition et modernité, les bouleversements mais aussi les résistances face aux réformes entreprises depuis le début du siècle par les souverains. Mais il mentionne très peu l’actualité politique et diplomatique turque et en général le narrateur montre peu d’intérêt vis-à-vis des aspects modernes de la Turquie. En effet, le reporter était parti à la recherche de l’« Orient authentique », et les descriptions des transformations contemporaines de la ville sont souvent connotées négativement dans son texte. Mais au fond, même la beauté de certains quartiers orientaux de la ville n’est qu’une façade : Istanbul est décrite comme une scène de théâtre où tout est mis en œuvre pour créer une belle illusion : « Non v’è nessuna città al mondo, io credo, nella quale la bellezza sia così pura apparenza come a Costantinopoli » 64. Le narrateur-spectateur de ce grand théâtre observe également la popu- lation locale comme s’il s’agissait d’acteurs et de personnages chargés de le divertir. De Amicis se place d’abord « Sur le pont » qui traverse le Bosphore

61. Ibid., p. 409. 62. E. De Amicis, Costantinopoli, Milan, Treves, 1877-1878, 2 vol. Nos citations sont tirées de l’édition en un seul volume de 1883. Sur ce récit, cf. la présentation de Luca Scarlini dans l’édition Costantinopoli, Turin, Einaudi, 2007 ; E. Petrosillo, « L’Orientalismo sadiano nella scrittura di De Amicis », Rivista di studi italiani, a. XXV, 2007 / 1, p. 181-200 ; M. Giammarco, « Costantinopoli : il “sogno orientale” di De Amicis », Carte di viaggio, n° 1, 2008, p. 117-134. 63. E. De Amicis, Costantinopoli, p. 31. 64. Ibid., p. 94. 62 Laura Fournier-Finocchiaro pour examiner la foule, et dans tout le chapitre il veut rendre compte de la variété humaine présente à ce carrefour de l’Europe et de l’Asie : « È un musaico cangiante di razze e di religioni che si compone e si scompone con- tinuamente » 65. Le spectacle auquel il se réfère est celui du carnaval (« una grande processione carnevalesca »), mais qui n’est au fond qu’un immense désordre qui attriste le spectateur :

è un pellegrinaggio di popoli decaduti e di razze avvilite ; una immensità di sventure da soccorrere, di vergogne da lavare, di catene da rompere ; un cumulo di tremendi problemi scritti a caratteri di sangue, e che non si scioglieranno che con torrenti di sangue 66.

Les remarques anthropologiques de De Amicis sur le peuple turc sont souvent énoncées sur le ton de la condamnation ouverte des mentalités encore attachées aux traditions ottomanes, accusées de pourrir les esprits :

Il marcio è nascosto. La corruzione è dissimulata dalla separazione dei due sessi, l’ozio è larvato dalla quiete, la dignità fa da maschera all’orgoglio, la compostezza grave dei visi, che pare indizio di profondi pensieri, nasconde l’inerzia mortale dell’intelletto, e quella che sembra temperanza civile di vita, non è che mancanza di vera vita 67.

L’infériorité du peuple turc est manifeste en tout ; De Amicis décrit un peuple sauvage : « La vita sociale ha appena digrossato in lui l’uomo antico della steppa e della capanna » 68. Mais le pire de ses défauts est son hostilité à la civilisation. L’infériorité de la civilisation turque est visible surtout chez les femmes, qui font l’objet de son chapitre « Le turche ». Après quelques considérations esthétiques, De Amicis condamne sévèrement le manque de rapports entre hommes et femmes et s’attarde longuement sur la pratique de la polygamie, qui nuit à l’éducation des femmes turques. Condamnées à vivre dans l’ignorance crasse et l’ennui dans les harems, elles sont comparées à des enfants quand ce n’est pas à des mollusques 69. Toutes ces remarques ont été maintes fois épinglées par les critiques de De Amicis, qui n’ont pas manqué de souligner ses idées préconçues, son nationalisme (voire son idéologie à tendance colonialiste), son oppor- tunisme bourgeois et son incapacité à accepter la différence 70. Le reporter

65. E. De Amicis, Costantinopoli, p. 35. 66. Ibid., p. 44. 67. Ibid., p. 535-536. 68. Ibid., p. 547. 69. Ibid., p. 327-328. 70. Comme le rappelle M. Giammarco, « Costantinopoli… », p. 130. Les caractères nationaux des peuples… 63 admet cependant ses limites et ses difficultés pour appréhender l’essence du peuple turc, qui au terme de son séjour lui semble encore une énigme :

Fra loro ogni viso è un enimma ; il loro sguardo interroga, ma non risponde ; la loro bocca non tradisce nessun movimento del cuore. Non si può dire quanto pesi sull’animo dello straniero questo mutismo dei volti, questa freddezza, questa uniformità d’atteggiamenti statuari e di sguardi fissi, che non dicono nulla 71.

Dans tous les cas, les différences constamment soulignées entre les populations orientales et occidentales et les éléments de mystère entretenus par l’auteur sont liés à sa volonté de créer un effet de spectacle, de fasciner le lecteur en lui donnant de goût de l’exotisme. On comprend ainsi l’usage immodéré des techniques de la transfiguration et de la théâtralisation dans sa prose 72, qui permettent au narrateur de transporter l’imagination du lecteur et de fournir un répertoire d’images romanesques, qui sera largement exploité par exemple par Emilio Salgari.

Conclusion Il nous semble que la lecture des récits de voyage publiés par De Amicis dans les années 1870 nous permet de repérer quelques-uns des traits prin- cipaux de la vision des peuples qui caractérise les dernières décennies du XIXe siècle : il s’agit d’une vision « italocentrée » partagée par les classes cultivées de l’Italie libérale 73, marquée par la référence à la latinité com- mune des peuples d’Europe du Sud, par la hiérarchisation des civilisations occidentale et arabo-musulmane et par l’orientalisme qui alimente les politiques colonialistes et impérialistes européennes. Pour un examen plus complet et approfondi de la représentation des peuples étrangers, il serait par ailleurs intéressant d’analyser également l’appareil iconographique des volumes deamicisiens, d’autant plus que des illustrations sont ajoutées au fil des nouvelles éditions et traductions, et donnent à voir les stéréotypes qui ont forgé l’imaginaire de nombreuses générations. En nous limitant à la lecture de ses textes, on peut déjà voir combien De Amicis a largement contribué à construire l’identité de l’Italie unifiée :

71. E. De Amicis, Costantinopoli, p. 532-533. 72. M. Giammarco, « Costantinopoli… », p. 125. 73. Comme l’a observé Giorgio Bertone : « De Amicis non tenta di penetrare, osserva e descrive la superficie sovrapponendo interpretazioni psicologiche ed estetiche, come dire, eurocentriche – meglio ancora, diremmo noi, ‘italocentriche’, tipiche cioè del clima culturale ed ideologico dell’Italia umbertina », in Antologia delle Opere di Edmondo De Amicis, G. Bertone (dir.), Imperia, Città di Imperia, 1981, p. 37. 64 Laura Fournier-Finocchiaro lors de ses voyages en Europe, il a souligné les éléments de ressemblance entre les peuples de race latine, en insistant sur les liens fraternels existant entre Italiens, Espagnols et Français. S’il semble souscrire à une division au sein de l’Europe entre peuples septentrionaux et méridionaux, on remarque que ses déplacements en Orient lui permettent une redéfinition de l’Europe comme un continent culturellement unifié par la civilisation occidentale qui lui permet dans un second temps d’inclure pleinement l’Italie dans un « nous » européen dont l’Orient serait l’altérité. Les récits de voyage de De Amicis, au même titre que son bien plus célèbre roman Cuore, ont ainsi eu une véritable fonction pédagogique de formation des Italiens, celle de « raconter aux bourgeois » 74 l’étendue du monde en leur expliquant leur place et leur rôle. Ce type de vision a servi notamment à alimenter le discours colonialiste, même si De Amicis n’a fait que de rares allusions dans son œuvre à l’expérience coloniale italienne. Dans les années 1880, après l’immense succès du livre Cuore, inspiré par un nationalisme latent, l’attraction exercée sur De Amicis par l’idéologie socialiste lui inspirera une nouvelle vision du monde davantage marquée par les préoccupations sociales. Dans ce contexte, il prônera un nouvel européisme militant pour le pacifisme 75, où l’altérité des peuples fait place au rêve de l’union des prolétaires de toutes les nations.

Laura Fournier-Finocchiaro Laboratoire d’études romanes LER Université Paris 8

74. F. Bacchetti, I viaggi « en touriste » di De Amicis. Raccontare ai borghesi, Tirrenia (Pise), Edizioni del Cerro, 2001. 75. Sur le pacifisme de De Amicis, voir l’article d’Alberto Brambilla dans ce volume. SURIMPRESSIONS DE PARIS : PRATIQUES DE LA CITATION DANS LES RICORDI DI PARIGI

Résumé : L’article analyse le jeu des citations dans les Ricordi di Parigi (1879) : il s’agit non seulement d’identifier les sources (françaises, italiennes ou étrangères, fournies par le journaliste de manière tantôt précise, tantôt approximative, quand elles ne sont pas franchement cachées), mais aussi de proposer une typologie des pratiques intertextuelles, afin de mieux comprendre la valeur stratégique que De Amicis confère à la « seconde main » pour évoquer une ville déjà abondamment décrite, connue à travers les livres, intimement liée à la littérature et couverte de signes graphiques (enseignes, affiches, réclame omniprésente…). L’hybridation et l’hétérogénéité, typiques de la prose journalistique, servent ici souvent à resémantiser un discours guetté par le risque du lieu commun. Riassunto : L’articolo analizza il gioco delle citazioni nei Ricordi di Parigi (1879) : si tratta non solo di identificare le fonti (francesi, italiane o straniere, fornite dal giornalista in modo ora preciso, ora approssimativo, quando non sono addirittura nascoste), ma anche di proporre una tipologia delle pratiche intertestuali, allo scopo di comprendere meglio il valore strategico conferito da De Amicis alla « seconda mano » per evocare una città già abondantemente descritta, nota attraverso i libri, intimamente legata alla letteratura e cosparsa di segni grafici (insegne, manifesti, réclame onnipresente…). L’ibridazione e l’eterogeneità, tipiche della prosa giornalistica, servono qui spesso a risemantizzare un discorso per salvarlo dal pericolo del luogo comune.

On sait depuis longtemps que la ville est un « genre littéraire » 1 et que Paris, dans ce genre littéraire, occupe une place privilégiée, notamment au XIXe siècle. On rappellera brièvement le double mouvement, de l’espace urbain au texte et du texte à l’espace urbain, qui justifie cette affirmation déjà abondamment illustrée. D’une part, Paris a très tôt été perçu non pas simplement comme la capitale d’un pays au rayonnement culturel considérable, mais comme la capitale de la modernité occidentale ou, comme dit Benjamin, la « capitale du XIXe siècle » 2. Ce lieu de toutes les

1. M. Butor, « La ville comme texte », in Id., Répertoire V, Paris, Les Éditions de Minuit, 1982, p. 36. 2. W. Benjamin, Paris, capitale du XIXe siècle : le livre des passages, Paris, L’Herne, 2007.

Transalpina, no 20, 2017, Edmondo De Amicis. Littérature et société, p. 65-80 66 Aurélie Gendrat-Claudel expérimentations liées au progrès technique et industriel, de tous les excès et de tous les divertissements, devient le décor privilégié du roman réaliste français, mondialement imité, et attire une foule de voyageurs étrangers qui laissent d’innombrables traces écrites de leur séjour. Paris est une ville qui appelle l’écriture et la lecture, de sorte que la plupart des visiteurs la connaissent, par le biais de la littérature (romans, témoignages, repor- tages, guides…), avant même d’en faire l’expérience concrète : « le texte précède le lieu » et la représentation de Paris se situe « à la croisée de la perception directe, polysensorielle, et de la construction hypertextuelle qui a envahi [l’]encyclopédie intime » des écrivains qui découvrent la ville 3. D’autre part, le Paris du XIXe siècle est un espace saturé d’inscriptions et de traces graphiques, une véritable « capitale des signes », où enseignes et affiches publicitaires étourdissent de mots le promeneur : Barthes disait que l’usager d’une ville est « une sorte de lecteur qui, selon ses obligations et ses déplacements, prélève des fragments de l’énoncé pour les actuali- ser en secret » 4 ; dans le cas du Paris du XIXe siècle, cette déambulation sémiologique est explicite et hyperbolique. Paris est donc, littéralement et métaphoriquement, la ville-livre par excellence 5 : ville déjà écrite et déjà lue, lisible et scriptible à loisir. L’écrivain qui au XIXe siècle entreprend de décrire la capitale française sait qu’il n’est ni le premier ni le dernier à se lancer dans cet exercice : il s’inscrit dans cette chaîne ininterrompue de textes et de représentations en méditant son rapport (médiatisant) avec ses prédécesseurs. C’est cette conscience d’être un parmi d’autres, un après d’autres, que nous souhaiterions analyser dans les Ricordi di Parigi (1879) de De Amicis, en considérant les différentes pratiques de la citation comme un moyen pour l’auteur de relever le défi que constitue l’évocation de la capitale française 6.

3. B. Westphal, La géocritique : réel, espace, fiction, Paris, Les Éditions de Minuit, 2007, p. 247. On lit quelques pages plus haut : « Qu’est en effet un lieu tel que Paris ? Une ville bien réelle, certes, que l’on doit à Haussmann et à quelques autres, à la pléthore de Parisiens de naissance ou d’adoption qui ont donné aux lieux leur configuration. Mais Paris est aussi une ville que l’on pense et que l’on édifie au gré des lectures, sans l’avoir nécessairement parcourue » (ibid., p. 242). 4. R. Barthes, « Sémiologie et urbanisme », in Id., L’aventure sémiologique, Paris, Éditions du Seuil, 1985, p. 268. 5. Voir notamment, dans l’abondante bibliographie sur le sujet, K. Stierle, La capitale des signes. Paris et son discours, traduit de l’allemand par M. Rocher-Jacquin, Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l’homme, 2001, p. 3 : « Paris est le lieu où la plus ample sémiotisation correspond à la plus intense conscience qu’a la ville d’elle-même. Paris est à la fois le monde et le livre ». 6. Le présent travail s’appuie sur l’identification des citations que nous avons entreprise avec Alberto Brambilla (E. De Amicis, Souvenirs de Paris, A. Brambilla et A. Gendrat-Claudel (éd.), Paris, Éditions Rue d’Ulm, 2015). Surimpressions de Paris : pratiques de la citation… 67

Considérations préliminaires : préconnaître, méconnaître, reconnaître S’il n’est pas nécessaire de revenir en détail sur les circonstances qui entourent la publication des Ricordi di Parigi, il convient cependant de rappeler quelques données essentielles 7. Nous insisterons sur trois éléments : la préconnaissance de Paris que De Amicis acquiert par ses lectures ; le lien constitutif qui unit écriture de voyage et intertextualité ; la confession des difficultés liées au reportage sur Paris. Tout d’abord, De Amicis n’échappe pas à la règle qui veut que le discours sur Paris ne soit pas directement tributaire de l’expérience de la ville : l’écrivain commence à parler de Paris avant d’avoir franchi les Alpes, dans le texte intitulé Alla Francia, contenu dans le volume Ricordi del 1870-71 (1872). Il s’agit d’un plaidoyer dans lequel De Amicis tente de faire comprendre à ses lecteurs la signification sociale et historique de ce que les Italiens définissent comme le vice national français : « la blague », un état d’esprit qui n’est pas sans lien avec la suprématie culturelle que le pays exerce partout en Europe, notamment en Italie. De Amicis ne manque pas de dresser l’inventaire de tout ce que la vie quotidienne italienne doit à l’imitation du modèle français et plus précisément parisien, affirmant avec lucidité que le mythe de Paris se construit moins grâce à une expérience qu’à travers le filtre des lectures et des images : « io veggo ora Parigi a traverso le novelle, i romanzi, le commedie, i quadri, le poesie, i giornali, che ce ne resero famigliari gli aspetti, i costumi, i tipi, le consuetudini più minute della vita di strada e di casa » 8. Il faut bien comprendre, sous la plume d’un écrivain qui n’a pas encore visité la ville, la déclaration « io veggo ora Parigi » comme l’affirmation du pouvoir « actualisant » de l’art, grâce auquel un effet de « déjà vu » enveloppe le jamais vu. Ce constat sera reformulé dans les Ricordi di Parigi : « Non ricorda nessuna città italiana ; eppur non par straniera, tanto vi si ritrovano fitte le reminiscenze della nostra vita intellettuale » 9. En mai 1873, De Amicis visite pour la première fois Paris, mais ce séjour, d’où est née la correspondance pour La Nazione, pauvre en descriptions de

7. Pour la chronologie des séjours parisiens de De Amicis, nous nous permettons de renvoyer à A. Brambilla et A. Gendrat-Claudel, « Le futur pédagogue et la “redoutable pécheresse” », in E. De Amicis, Souvenirs de Paris, p. 129-185, surtout p. 136-151. 8. E. De Amicis, Ricordi del 1870-71, Florence, Barbèra, 1872, p. 90. 9. E. De Amicis, Ricordi di Parigi, Milan, Treves, 1879, p. 19. Nous citerons toujours d’après cette édition, quels que soient les mérites de l’édition récemment procurée par Maria Lucia Zito (E. De Amicis, Ricordi di Parigi, M.L. Zito (éd.), Chieti, Solfanelli, 2012). Notre choix s’explique par la nécessité de commenter des choix typographiques que l’édition contemporaine ne respecte pas toujours. Précisons par ailleurs que les numéros de pages seront désormais donnés dans le corps du texte, après les citations, entre parenthèses. 68 Aurélie Gendrat-Claudel la ville, ne nous intéresse pas directement ici 10. De Amicis, qui avait préparé son voyage avec soin, renforçant sa connaissance pré-empirique de la ville 11, paraît avoir eu le sentiment d’être dans une impasse, aussi bien à son arrivée qu’après plus d’un mois de séjour 12 : le journaliste désemparé renonce à poursuivre sa correspondance parisienne et se consacre à la préparation d’autres voyages. Ce premier séjour parisien peut être considéré comme un demi-échec, tant sur le plan personnel que sur le plan professionnel. Il n’est pas impossible que Paris, plus cruellement que d’autres destinations moins célèbres, ait révélé à De Amicis les difficultés et les limites propres à la littérature de voyage, exposée au risque de la banalité et du recyclage. En effet, à cette époque, la carrière de De Amicis repose essentiellement sur la pratique du reportage, qui rencontre la faveur des lecteurs. Envoyé spécial en Espagne, en Hollande, à Londres, au Maroc ou encore à Constantinople, l’écrivain creuse un sillon peu original mais rentable et sûr 13, puisant aussi bien dans l’expérience directe des lieux (souvent assez limitée) que dans

10. Les rares observations que De Amicis a transmises à ses proches au cours de son séjour ne sont guère originales : selon les destinataires, Paris apparaît comme une ville grandiose et animée ou au contraire comme un concentré de corruption. La correspondance pour La Nazione privilégie les considérations politiques, dans le contexte de la défaite de Sedan, de la répression sanglante de la Commune et du regain d’influence des monarchistes et des cléricaux. Pour une analyse des articles envoyés à La Nazione, voir B. Danna, Dal taccuino alla lanterna magica. De Amicis reporter e scrittore di viaggi, Florence, Olschki, 2000, p. 71-74 et E. Genevois, « Le Paris d’Edmondo De Amicis », Chroniques italiennes, 69 / 70, 2002, p. 65-82 (surtout p. 67-69). 11. Cf. une lettre à Emilia Peruzzi du 17 avril 1873 : « Se sapesse quanto ho studiato la pianta della città, e come so dir bene : Qui nacque Madama de Sévigné, qui abitò il Voltaire, qui stava Ninon de Lenclos, qui scrisse la sua prima tragedia il Racine, qui pronunziò i suoi primi discorsi il Bourdaloue » (lettre citée dans A. Brambilla, Edmondo De Amicis et la France (1870-1883). Contacts et échanges entre littérature italienne et littérature française à la fin du XIXe siècle, thèse de doctorat, Université de Franche-Comté, 2011, p. 63). 12. Cf. une lettre à Emilia Peruzzi du 8 mai 1873 (citée dans A. Brambilla, Edmondo De Amicis et la France…, p. 76) : « Eccomi qui come una goccia d’acqua nell’oceano, sbalordito e confuso, senza sapere cosa farò, quanto tempo ci starò, perché son venuto, e se sia tristo o allegro, o che so io […]. Intanto ho visto una gran parte di Parigi, dalla Bastiglia alla porta Maillot, Nôtre Dame, il Louvre, l’Esposizione di quadri nel palazzo dell’Industria etc. […]. In una parola il primo effetto che mi produsse Parigi fu di schiacciare quel po’ di coraggio che avevo partendo dall’Italia : mi par di non essere nulla, di non far nulla, e di non aver mai saputo far nulla ». Et quelques semaines plus tard : « Ma intanto io son qui come un pulcino nella stoppa. Più mi stillo il cervello e meno riesco a scrivere qualcosa che abbia gusto. È impossibile che continui se non voglio perdere la reputazione […] piuttosto che rabescare lettere scipite solo perché me le pagano, preferisco non far nulla e infatti smetterò – con mio grande dispiacere e danno – ma smetterò » (lettre probablement du 24 juin 1873, citée dans A. Brambilla, Edmondo De Amicis et la France…, p. 76). 13. L’activité de De Amicis envoyé spécial et reporter a suscité un intérêt critique croissant au cours des dernières décennies. Cf. la bibliographie sur le sujet dans E. De Amicis, Souvenirs de Paris, p. 191-193. Surimpressions de Paris : pratiques de la citation… 69 des lectures, et offrant ainsi un exotisme « de seconde main » : le collage subreptice de textes antérieurs n’a pas échappé aux contemporains 14. Or on sait bien que le plagiat peut apparaître comme l’antithèse de la littérature, parce que la copie s’oppose à la création, mais qu’il peut aussi, à l’inverse, devenir la définition borgesienne de la littérature, en tant que l’écriture est par essence une pratique intertextuelle 15. La disparition, ou du moins le reflux, du plagiat, qui dissimule l’intertextualité, au profit de la citation, qui la manifeste, nous paraît interprétable dans les Ricordi di Parigi comme un indice de la littérarité que De Amicis confère à son texte, sans toutefois renoncer à la légèreté ludique de la communication journalistique. De Amicis retourne à Paris en 1878, après la parution de ses derniers livres de voyage, Marocco (1876) et Costantinopoli (1877-78), dont la dédicace annonce qu’il s’agit du dernier ouvrage de ce genre que l’auteur a l’intention de publier. Le deuxième séjour en France s’inscrit donc dans le contexte professionnel et psychologique particulier d’un « adieu à la littérature (de voyage) » : De Amicis tourne le dos au genre qui lui a assuré le succès auprès des lecteurs, mais dont il perçoit l’essoufflement. Il a désormais conscience de la nécessité de trouver un angle d’approche original, en dehors des « recettes » habituelles de la littérature de voyage. Nous ne reviendrons pas sur la genèse des Ricordi di Parigi, dont le point de départ – une invitation d’Edmond About à participer au Congrès littéraire international – a rapidement été concurrencé par le projet de l’éditeur Emilio Treves, qui souhaitait également un reportage sur l’Exposition universelle inaugurée le 1er mai 1878 16 et qui associa Giuseppe Giacosa à De Amicis. Dans sa correspondance avec Treves, De Amicis ne cache pas les difficultés rencontrées pour élaborer ses textes (tous rédigés à son retour de Paris) : il fait état de problèmes physiques qui le ralentissent puis l’obligent à un travail forcené 17 dont le résultat lui paraît bâclé, voire malhonnête. Il n’est pas

14. Cf. D. Giuriati, « Su alcune derivazioni della Spagna di De Amicis », in Id., Il plagio, Milan, Hoepli, 1903, p. 14-22 ; et B. Croce, « Edmondo De Amicis » [1904], in Id., Letteratura della nuova Italia, Bari, Laterza, 1914, vol. I, p. 161-181. 15. Cf. T. Samoyault, L’intertextualité. Mémoire de la littérature, Paris, Nathan Université, 2001, p. 37. 16. Comme le rappelle Luigi Surdich (« De Amicis, Parigi, l’Esposizione », in Edmondo De Amicis (Atti del Convegno nazionale di studi, Imperia, 30 aprile-3 maggio 1981), F. Contorbia (éd.), Milan, Garzanti, 1985, p. 193-234, surtout p. 194), les expositions s’étaient révélées une très bonne affaire pour les éditeurs. 17. Cf. un passage d’une lettre adressée à Treves en date du 28 juillet 1878, relative à la composition de la deuxième lettre parisienne : « Figurati che ho tutta la prima “corrispon- denza” da Parigi scritta, che non ho più che da copiarla. È un supplizio caro Emilio, di cui non puoi farti un’idea. Basta, ieri mi son messo con le forze della disperazione e spero di mandarti almeno sette colonne per martedì mattina » (lettre citée dans M. Mosso, I tempi 70 Aurélie Gendrat-Claudel anodin que dans cette confession l’écrivain évoque la nécessité de procéder en rhapsode, de reprendre et d’ajuster tant bien que mal des morceaux épars déjà existants : « Mi nasconderei la faccia, pensando alla birbonata che ho fatta io : un letterone cucito a macchina, pieno di roba da magazzeno, nemmeno spolverata » 18. De graves préoccupations familiales achèvent de compliquer la livraison des articles pour L’illustrazione italiana. Il faut enfin rappeler que les lecteurs italiens étaient inondés de reportages, de guides et d’ouvrages sur l’Exposition universelle de Paris. Treves lui-même publia Zig zag per l’Esposizione universale di Parigi (paru dès juillet 1878) de Folchetto (alias Jacopo Caponi), auteur d’une très fortunée Guida pratica di Parigi (toujours en 1878). Cette abondante production italienne autour de l’attraction parisienne, souvent accompagnée de gravures ou de photographies, venait s’ajouter aux titres français, facilement disponibles en Italie : autant dire que si Paris lançait déjà un défi à l’écrivain en 1873, l’Exposition universelle ne lui simplifiait pas la tâche en 1878.

Une « grande fiera letteraria carnovalesca » et une « inesauribile decorazione grafica » Que De Amicis ait été conscient de la difficulté de traiter un sujet si rebattu, c’est une évidence, comme le montrent, on l’a vu, les retards de livraison et les aveux que l’on peut glaner dans sa correspondance. Cependant, l’écrivain ne fait pas directement état dans les Ricordi di Parigi de l’embarras dans lequel le plonge la nécessité d’écrire sur Paris, contrairement à d’autres écrivains italiens dans sa situation, qui recourent fréquemment à la prété- rition ou à la déclaration métanarrative d’impuissance 19. Du reste, il n’y a pas lieu de s’étonner de l’absence de ce procédé : il eût été assez malvenu de rappeler aux lecteurs de L’illustrazione italiana que le reportage proposé pouvait difficilement contenir quelque chose de neuf. Pour décrire Paris et

del Cuore. Vita e lettere di Edmondo De Amicis ed Emilio Treves, Milan, Mondadori, 1925, p. 140-141). 18. Lettre datée du 3 juillet 1878, citée dans P. Nardi, Vita e tempo di Giuseppe Giacosa, Milan, Mondadori, 1949, p. 373-374. 19. Déjà en 1857, G. Rajberti s’interrogeait sur le sens que pouvait avoir la description de Paris à l’heure de sa « reproductibilité technique » : « E poi, che cosa può dirsi di Parigi che non sia stato detto e scritto da mille autori ? Vuoi sapere i costumi della plebe, del ceto medio, dell’alta società ? Tutti i romanzieri contemporanei ne parlano a sazietà, e ti conducono dai più luridi tugurj fino alle aule dorate. Parigi materiale, monumentale, prospettica, è riprodotta in tutte le guide, in tutti gli albums, in tutte le raccolte periodiche : e ora col sussidio della fotografia puoi leggere perfino i cartelli dei pizzicagnoli e dei parrucchieri, sedendo nel tuo gabinetto di Milano. Oh, che tema esausto e disperato, una gita a Parigi ! » (G. Rajberti, Il viaggio di un ignorante, E. Ghidetti (éd.), Naples, Guida, 1985, p. 31). Surimpressions de Paris : pratiques de la citation… 71 l’Exposition universelle en évitant l’écueil du guide de voyage et du cata- logue, De Amicis met en œuvre diverses stratégies narratives et rhétoriques qu’Emmanuelle Genevois a très finement identifiées, en s’appuyant sur les travaux précédents de Luigi Surdich et Bianca Danna : la fiction de la promenade, qui articule progression dans l’espace et progression dans le temps, narration et description, sensations et informations ; l’implication personnelle de l’écrivain pour contrer le risque de la « nomenclature aride » ; la « gullivérisation » pour créer de saisissants jeux de contraste ; les oxymores et les néologismes pour dire l’incongru, etc. 20. On insistera ici sur le rôle que joue la « seconde main » dans l’écriture de De Amicis, à travers le recours aux citations 21. Ce jeu intertextuel trouve son origine et sa justification implicite dans la nature profondément livresque de Paris, qui donne lieu, dès le premier chapitre, à plusieurs développements illustrant le sentiment de familiarité qui saisit le visiteur dès son arrivée dans la capitale française. Citons le passage le plus explicite :

E poi la popolazione non è nuova. Son tutte figure conosciute, che fanno sorridere. È Gervaise che s’affaccia alla porta della bottega col ferro in mano, è monsieur Joyeuse che va all’ufficio fantasticando una gratificazione, èPipelet che legge la Gazzetta, è Frédéric che passa sotto le finestre diBernerette , è la sartina del Murger, è la merciaia del Kock, è il gamin di Vittor Hugo, o il Prudhomme del Monnier, è l’homme d’affaire del Balzac, è l’operaio dello Zola. Eccoli tutti ! (p. 8)

Les personnages que De Amicis fait défiler ne sont peut-être pas tous identifiés par le lecteur, qui n’a pas nécessairement lu la totalité des auteurs cités 22 – quelle que fût alors leur célébrité – mais ce qui compte, c’est l’effet de ronde entraînante, ainsi que l’autorité conférée à l’écrivain qui, lui, maîtrise et manipule avec aisance les grands noms de cette littérature française contemporaine qu’il a appris à connaître avant son séjour parisien : il reconnaît dans la réalité les types dont la fiction a fait des personnages et les nomme en français (autre exhibition de son savoir).

20. E. Genevois, « Le Paris d’Edmondo De Amicis », p. 73. Le terme « gullivérisation », emprunté à Bianca Danna (Dal taccuino alla lanterna magica…, p. 142) pour désigner les effets de disproportion, souvent comiques, entre le très petit et le très grand, n’est pas employé dans son sens psychanalytique habituel. 21. Notre propos ne relevant pas de la poétique, nous nous permettons d’englober sous le terme général « citation » différentes formes de coprésence textuelle : « vraies » citations (textes rapportés signalés comme tels par des marqueurs typographiques ou énonciatifs), paraphrases, simples références (à travers un titre, un nom d’auteur ou de personnage). 22. Pour l’identification précise des personnages, cf. « Note des traducteurs », in E. De Amicis, Souvenirs de Paris, p. 97-99. 72 Aurélie Gendrat-Claudel

De Amicis est également conscient que cette ville dont on fait l’expé- rience d’abord par la littérature est également une forêt de signes à déchiffrer, un immense texte à ciel ouvert, comme le suggère une page célèbre sur la réclame (« La réclame vi perseguita… Camminando un’ora, si legge, senza volerlo, un mezzo volume », p. 17-18). La prolifération des signes graphiques dans Paris n’est pas un sujet neuf ; c’est même un lieu commun dans les récits de voyage et, pour ne citer que des exemples italiens, on trouverait des pages semblables chez Rajberti et Faldella 23. Du reste, c’est précisé- ment ce caractère second qui fait le prix de ce texte : De Amicis s’y montre en « hyperdescripteur », au double sens du terme, puisqu’il reprend des tableaux parisiens antérieurs, mais en poussant à l’extrême diverses figures (accumulation, anaphore, asyndète, hyperbole, synesthésie…) qui finissent par produire un effet grotesque et déréalisant.

Écrire un texte sur une ville-texte avec d’autres textes Face à cette ville déjà écrite et déjà lue, mais aussi à lire et à écrire, De Amicis adopte la position du « bricoleur » 24 de fragments textuels qu’il coud plus ou moins lâchement (on se souvient qu’il parlait dans sa correspondance d’un texte « cucito a macchina »), plus ou moins librement, tantôt avouant, tantôt camouflant ses larcins, dont certains paraissent n’être que des chapardages involontaires, par étourderie de lecteur omnivore. À ce titre, l’incipit des Ricordi a valeur de programme :

Eccomi preso daccapo a quest’immensa rete dorata, in cui ogni tanto bisogna cascare, volere o non volere. La prima volta ci restai quattro mesi, dibattendomi disperatamente, e benedissi il giorno che ne uscii. Ma vedo che la colpa era tutta mia, ora che ci ritorno … composto a nobile quiete, perché guai a chi viene a Parigi troppo giovane, senza uno scopo fermo, colla testa in tumulto e colle tasche vuote ! Ora vedo Parigi serenamente, e la vedo a traverso all’anima d’un caro amico, che mi fa risentire più vive e più fresche tutte le impressioni della prima volta. (p. 6).

Tout annonce ici la logique de la répétition, de la duplication, de la redite : les premiers mots créent l’illusion d’un dialogue renoué avec le lecteur (dans la continuité idéale de la correspondance pour La Nazione),

23. Comme n’a pas manqué de le relever L. Surdich, « De Amicis, Parigi, l’Esposizione », p. 201-203. 24. A. Compagnon, La seconde main ou le travail de la citation, Paris, Éditions du Seuil, 1979, p. 33. Surimpressions de Paris : pratiques de la citation… 73 en insistant sur le fait que ce séjour à Paris est une récidive. Si l’on songe que De Amicis écrit, quelques pages plus loin, que « Parigi non si vede mai per la prima volta ; si rivede » (p. 19), on comprend que revoir Paris, c’est faire une expérience de déjà vu au carré. À cette perpétuelle redécouverte des lieux fait écho le réemploi des textes : la citation (tronquée) de Giusti 25, que le décrochement typographique signale comme un « corps étranger » appar- tenant à un autre genre littéraire, révèle le besoin de convoquer d’autres auteurs, même lorsque l’expression citée, ni particulièrement originale ni particulièrement célèbre, n’a pas de nécessité formelle ou sémantique. On cite parce qu’il faut citer, parce que tout texte sur Paris inclut fatalement d’autres textes et parce que pour plonger dans Paris, il vaut mieux s’entourer de compagnons de voyage, de talismans littéraires, d’un bric-à-brac d’énon- cés qui rassurent. Quant à la déclaration : « Ora vedo Parigi serenamente » (à laquelle plus d’un passage de l’œuvre apportera un amusant démenti), elle repose sur le filtre amical qu’apporte la compagnie de Giacosa, seule capable de ressusciter les premières impressions, en leur donnant toutefois une nouvelle tonalité. Il reste un détail à commenter dans ce texte inaugural placé sous le signe de la reprise : la métaphore du filet doré sur laquelle s’ouvre le texte n’est pas totalement inédite. Elle peut même apparaître comme la réminiscence d’une image qu’on trouve dans le Viaggio di un ignorante, texte avec lequel les Ricordi di Parigi entretiennent des liens évidents : Rajberti y comparait Paris à un « gran paretajo » 26, attirant des milliers de visiteurs étrangers, autant de proies pour les chasseurs parisiens. L’ouverture des Ricordi di Parigi montre assez que le rapport aux sources est extrêmement libre : de même qu’il écorche les noms propres et les mots français ou étrangers présents dans son texte 27, De Amicis cite plusieurs œuvres de façon approximative et adopte un système peu cohérent pour signaler ses emprunts. Une citation peut être mise en évidence par l’italique, par une incise (« come dice… »), par des guillemets, voire par une combinaison de ces différents signaux, ou au contraire se fondre incognito dans le texte. Cette désinvolture philologique, qui ne doit guère surprendre dans un ouvrage où l’érudition n’est pas de mise 28, n’ôte rien à l’intérêt de

25. « Risorgerai dalle pugne segrete / Del core e della mente / Saggio e composto a nobile quïete » (G. Giusti, All’amico nella primavera del 1841, in La rosa di maggio o collezione di inediti componimenti di amena letteratura, Florence, Le Monnier, 1841, p. 95). 26. G. Rajberti, Il viaggio di un ignorante, p. 42. 27. Ainsi trouve-t-on, entre autres erreurs, Oederstrom [p. 70] au lieu de Cederström, Choume [p. 45] au lieu de Thoune, calembourg [p. 193] au lieu de calembour, etc. 28. Du reste, les marqueurs qui signalent le segment cité instaurent ce que Bernard Vouilloux appelle un « contrat de fidélité littérale » qui possède une force illocutoire propre, indépen- damment du caractère fautif ou approximatif de la citation (B. Vouilloux, « La citation et 74 Aurélie Gendrat-Claudel la pratique intertextuelle dont on s’efforce ici de rendre compte, en limitant l’enquête aux citations littéraires 29 : la « position interdiscursive et surdéter- minée » de la citation offre une voie d’accès privilégiée à la pratique même de l’écriture 30. La typologie proposée s’efforce de tenir compte aussi bien de la forme des citations que de leurs fonctions et visées, afin de contribuer à une caractérisation pragmatique de l’écriture deamicisienne.

Citer pour donner du crédit La citation d’auteurs français contemporains, souvent en langue originale, a le même statut que les nombreuses expressions et mots français qui émaillent le texte italien : tout en participant de la « couleur locale » que le lecteur attend, elle promeut l’auteur au rang d’expert, qui maîtrise la culture récente du pays visité. Peu importe que le lecteur italien comprenne l’allusion ou sache en retrouver la source exacte quand De Amicis ne la donne pas, car seul compte le tourbillon des détails typiquement parisiens. Prise dans le flot des toponymes et des mots français en italique, la citation d’une réplique entendue dans la bouche de l’acteur Edmond Got, jouant l’un des rôles principaux d’une pièce à succès d’Émile Augier (dont le nom n’apparaît pas), est caractéristique de ce procédé : « Vorreste veder tutto ed esser da per tutto ad un tempo ; a sentire dalla bocca del grande Got l’efface sublime dei Fourchambault, a folleggiare a Mabille, a nuotare nella Senna, a cenare alla Maison dorée ; vorreste volare di palco scenico in palco scenico, di ballo in ballo, di giardino in giardino, di splendore in splendore, e profondere l’oro, lo champagne e i bons mots » (p. 29). De même, lorsqu’il évoque l’ivresse insouciante des bals parisiens, De Amicis n’a pas besoin de nommer l’opéra comique La Fille de Madame Angot de Charles Lecoq, sur un livret de Clairville, représenté pour la première fois à Paris en 1873, dans lequel un chœur de conjurés entonne un air (« Perruque blonde / Et collet noir ») alors extrêmement populaire : « Nelle sale del Bullier, in mezzo al turbinio di trecento ragazze, che ballano tutte insieme cantando a una voce Perruque blonde, invece d’un grido contro la corruzione, ci esce dal

ses autres », in Citer l’autre, M.-D. Popelard et A. Wall (dir.), Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2005, p. 42). 29. Nous laissons de côté, comme extérieures au champ littéraire, les allusions à la presse (le Journal des abrutis, p. 18, et le Figaro, p. 197), ainsi que les expressions typographiquement présentées comme des discours rapportés, mais impossibles à reconduire à une source précise, car il s’agit sans doute de locutions toutes faites ou à la mode (par exemple, « paesi “prediletti dal sole” », p. 47). 30. F. Gai, Citer, acte au cœur du dispositif romanesque mauriacien, in Citations II. Citer pour quoi faire ? Pragmatique de la citation, A. Jaubert et al. (dir.), Louvain-la-Neuve, L’Harmattan – Academia, 2011, p. 37. Surimpressions de Paris : pratiques de la citation… 75 cuore un inno ardente alla gioventù e alla vita » (p. 205). Pour la pièce d’Émile Augier comme pour l’opéra de Charles Lecoq, qui relèvent du divertissement à la mode, c’est-à-dire d’une culture partagée par un groupe social en un instant donné, l’indication précise de la source affaiblirait la citation qui, incomplète, renvoie le lecteur italien au fait que seuls les initiés – dont De Amicis fait partie – saisissent au vol les allusions à ce qui est dans l’air du temps. Lorsqu’il s’agit de reprendre une expression tirée d’une œuvre roma- nesque, De Amicis procède un peu différemment, puisqu’il donne le nom de l’auteur, mais non le titre de l’œuvre : c’est ce qui se produit avec Zola (« il nostro passo comincia a sonare sul marciapiede dei boulevards, come dice lo Zola, avec des familiarités particulières », p. 191) 31 et Dumas fils (« Quel formicolìo di gommeux, mostre di uomini, con quei vestiti da modellini di sarto, da cui spunta la cocca del fazzoletto e la punta della borsina e il guantino e il mazzettino ; environnés, come dice il Dumas, d’une légére atmosphère de perruquier », p. 196). Dans le second cas, il semblerait de surcroît que la citation soit inexacte et empruntée à un texte où il n’est pas question des gandins à la mode 32. Par ailleurs, l’imprécision de la citation va de pair avec son caractère fortuit : il s’agit d’expressions certes bien tournées, mais qui n’appartiennent pas à un répertoire connu, dont la reprise ferait fond sur une expérience de lecture communément partagée. Ce sont au contraire des réminiscences de lecture toutes personnelles, qui permettent à De Amicis de conforter son statut de connaisseur de la litté- rature française, mais aussi d’exhiber ses préférences, tout en s’accordant le plaisir d’un acte d’appropriation.

Citer pour convaincre Dans la dernière partie du texte, sobrement intitulée Parigi, De Amicis fait partager à son lecteur toutes les sautes d’humeur d’un touriste italien chez qui alternent moments d’exaspération, voire d’exécration, et bouffées d’amour passionné pour la capitale française. Lorsqu’il s’agit de dénoncer les travers de la société parisienne, à commencer par son orgueil et sa dépra- vation, les citations avancent masquées ou deviennent de simples allusions : l’écrivain apporte la preuve de ce qu’il affirme sans attaquer frontalement

31. « Ce large trottoir que balayaient les robes des filles, et où les bottes des hommes sonnaient avec des familiarités particulières » (É. Zola, La Curée [1871], Paris, Charpentier, 1872, p. 160). 32. « Regardez l’homme : paysan, ouvrier, négociant, duc et pair, c’est certainement le jour de sa vie [le jour de son mariage] où il a l’air le plus bête avec son habit noir, sa cravate blanche et l’atmosphère du perruquier, qui l’enveloppe toujours un peu » (A. Dumas fils, L’Homme-femme, Paris, M. Lévy, 1872, p. 33). 76 Aurélie Gendrat-Claudel la culture française. Ainsi l’exclamation outrée : « E vi dicono in faccia, dal palco scenico, che i fumi dei suoi camini sono le idee dell’universo ! » (p. 201) est-elle une citation voilée des Misérables 33. De Amicis, dans un texte qui comportait un portrait-interview très élogieux de Victor Hugo, ne pouvait guère incriminer nommément l’écrivain et il préfère attribuer le discours rapporté à un ensemble indéterminé de locuteurs (« vi dicono »). La ponc- tuation expressive marque la distance polémique qui sépare l’auteur de l’énoncé qu’il rapporte pourtant fidèlement. On ne sait guère à qui songe De Amicis lorsqu’il s’en prend à « quella vanità vigliacca che spinge uno scrittore a dichiararsi, nella prefazione d’un romanzo infame, capace di tutte le turpitudini e di tutti i delitti di Eliogabalo e di Nerone » (p. 201). Peut-être s’agit-il de Théophile Gautier, qui avait fait scandale avec la célèbre préface de Mademoiselle de Maupin 34, mais le décalage chronologique (le roman de Gautier était paru en 1835) rend l’hypothèse douteuse : l’allusion de De Amicis, sans doute déjà obscure pour le lecteur italien de l’époque, peine à être déchiffrée aujourd’hui encore. Quoi qu’il en soit, l’exactitude et la possibilité de vérifier la source sont secondaires, puisqu’en pareils cas, De Amicis est la seule autorité : c’est lui qui sait, qui a vu, qui a lu, qui a entendu.

Citer pour amuser Avec ou sans nom d’auteur, la citation en appelle parfois à une complicité amusée avec le lecteur cultivé : ainsi l’italique signale-t-il une célèbre expres- sion de Macbeth (« come se la giornata ardente di Parigi cominciasse allora, come se la grande città avesse ucciso il sonno per sempre e fosse condannata da Dio al supplizio d’una festa eterna », p. 31-32) que De Amicis reprend discrètement à son compte sans alourdir le texte de références 35. Ce qui

33. « Tel est ce Paris. Les fumées de ses toits sont les idées de l’univers » (V. Hugo, Les Misé- rables, IIIe partie, Paris, Pagnerre, 1862, p. 50). L’allusion à la scène suggère que De Amicis a entendu l’expression dans l’adaptation théâtrale du roman. Cf. D. Gleizes, « De l’œuvre de Victor Hugo à ses adaptations : une histoire de filiations », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2004 / 4, n° 51, p. 39-57. 34. « J’ai composé depuis une tragédie antique en cinq actes, nommée Héliogabale, dont le héros se jette dans les latrines, situation extrêmement neuve et qui a l’avantage d’amener une décoration non encore vue au théâtre » (T. Gautier, Œuvres complètes, Section I, Romans, contes et nouvelles, t. 1, Mademoiselle de Maupin, A. Geisler-Szmulewicz (éd.), Paris, Honoré Champion, 2004, p. 93). 35. « Methought I heard a voice cry “Sleep no more / Macbeth does murder sleep” – the innocent sleep […] / Still it cried “Sleep no more !” to all the house : / “Glamis hath murder’d sleep, and therefore Cawdor / Shall sleep no more : and Macbeth shall sleep no more” » (W. Shakespeare, Macbeth, H.H. Furness (éd.), Philadelphie – Londres, J.B. Lippincott, 1903, acte II, scène 2, p. 102 et 104). Surimpressions de Paris : pratiques de la citation… 77 peut faire sourire le lecteur qui reconnaît la source, c’est le changement de contexte : à l’insomnie peuplée d’épouvantes qu’a causée le crime de Macbeth correspond la frénésie parisienne du divertissement nocturne. Quant à l’expression « lenocinio gallico », signalée par l’italique et attribuée à Gioberti (« Quello è davvero il momento in cui la grande città s’impadro- nisce di voi e vi soggioga, se anche foste l’uomo più austero della terra. È il lenocinio gallico del Gioberti », p. 25), elle subit elle aussi un détournement ludique : si elle désigne bien, comme dans Del primato morale e civile degli Italiani, le charme insidieux des Français, elle transpose anachro- niquement les mésaventures d’Arnaud de Brescia, dont il était question chez Gioberti 36, dans le Paris du XIXe siècle. Enfin, l’allusion à un poète italien contemporain permet, dans le chapitre sur l’Exposition universelle, de synthétiser efficacement les excès de raffinement et d’extravagance qui caractérisent les objets présentés : « E in fine le stranezze, i ghiribizzi dell’ingegno umano, del genere dell’ago di refe d’Emilio Praga » (p. 57). Là encore, la citation est approximative 37 – preuve, du reste, que De Amicis traite avec la même désinvolture la littérature nationale et les littératures étrangères – car seul compte le besoin d’achever une énumération par une image aussi absurde que saisissante (empruntée à une poésie fondée précisément sur le principe de l’énumération), ainsi que par un rassurant retour à des références italiennes. Il arrive que le clin d’œil soit si difficile à percevoir qu’il finit, semble- t-il, à ne s’adresser qu’à l’auteur lui-même. Ainsi, au détour des pages laborieuses que De Amicis consacre à la partie artistique de l’Exposition universelle, il cite son cher Hugo à la dérobée, en le traduisant en italien et en recourant à l’italique comme par scrupule, pour avouer l’emprunt sans pour autant le déclarer ouvertement : la Suisse est présentée comme la « patria dal rozzo fianco » (p. 74). L’écrivain, indéniablement mal à l’aise au milieu de toutes les œuvres d’art qui s’offrent à lui, paraît se réconforter en glissant dans l’exercice ekphrastique un souvenir de La légende des siècles 38 qui a de fortes chances de passer inaperçu auprès du lecteur italien : on serait tenté de parler ici de « citation-pendentif », au sens que De Amicis donne à cette image lorsqu’il moque la connaissance superficielle que les

36. V. Gioberti, Del primato morale e civile degli Italiani, Bruxelles, Meline, Cans & Co., 1843, p. 33. 37. « Ch’io danzi coi trampoli / Su un filo di seta, / Che un ago ti fabbrichi / Di carta o di creta ? » (E. Praga, Verità, in Tavolozza, Milan, Gaetano Brigola, 1862, p. 180). 38. « La patrie au flanc rude, aux bons pics arrogants, / Qui portait les héros mêlés aux ouragans » (V. Hugo, La légende des siècles, première série, volume II, Paris, M. Lévy – Hetzel et Cie, 1859, p. 150-151). 78 Aurélie Gendrat-Claudel

Français ont de l’Italie et le besoin qu’ils éprouvent d’étaler leurs notions, moins pour se vanter que pour tromper l’ennui 39.

Citer pour venger On peut regrouper dans une même catégorie les citations qui permettent à De Amicis de régler ses comptes avec Paris, parfois sans porter l’entière responsabilité des jugements négatifs qu’il formule. Pour moquer la laideur impudique des femmes françaises, l’écrivain convoque à la suite Alfieri, le misogallo par excellence, et Giusti 40 :

Il sangue poi ! « Tra due guancie impiastrate un mezzo naso. » La bellezza è tutta nelle carrozze chiuse o nei salotti inaccessibili ; alla luce del sole non ci sono che le acciughe Di lussuria anelanti e semivive o i donnoni che scoppian nel busto, immobili dietro ai comptoirs, come grosse gatte, con quei faccioni antigeometrici, che non dicono il bellissimo nulla. (p. 195-196)

L’effet des citations enchaînées est paradoxal : en montrant que sa sévérité est partagée par d’illustres prédécesseurs, De Amicis lui donne, littéralement, de l’autorité et l’inscrit dans un continuum littéraire, mais d’une certaine manière, il la « dilue » également, l’atténue, la délègue. Il suggère en quelque sorte au lecteur qu’il n’est pas le seul à dire du mal des femmes françaises et que d’autres ont dit bien pis que lui. Que la citation soit souvent à double détente dans les Ricordi di Parigi, c’est ce que montre aussi la paraphrase de Montesquieu, qui permet à la fois d’invectiver Paris et de venger implicitement l’honneur italien. En effet, De Amicis détourne les vers que Montesquieu avait écrits sur Gênes :

39. « Il gentiluomo è stato in Italia, senza dubbio ; ma per poter causer Italie colla bella signora, nel vano della finestra, dopo desinare ; o per appendere il ciondolo Italia, alla catenella delle sue cognizioni, e farlo saltellar nella mano nei momenti d’ozio, con quelle solite formule, che ogni Francese possiede, sul paesaggio, sul quadro e sull’albergo » (p. 200). 40. Si la citation d’Alfieri est tirée d’un sonnet satirique où il est bien question des femmes françaises (« Tra due guance impiastrate un mezzo naso ; / Un sentenziar che l’anima ti schianta… / Fetidi fiori in profumato vaso », V. Alfieri, sonetto CLXVI, inRime , F. Maggini (éd.), Asti, Casa d’Alfieri, 1954, p. 141), le vers de Giusti, en revanche, provient d’un fragment qui moque la corruption du goût chez le citadin incapable d’apprécier les charmes simples des campagnardes : « Le belle contadine / Rossette, disadatte e colorite, / Per lui non han le solite attrattive ; / Assuefatto a queste cittadine / Acciughe elegantissime imbottite, / Di lussuria anelanti e semivive » (G. Giusti, Scritti vari in prosa e in verso, Florence, Le Monnier, 1863, p. 378). Surimpressions de Paris : pratiques de la citation… 79

in capo a un mese scappereste da Parigi mandandole il famoso saluto del Montesquieu 41 a Genova ; Adieu… séjour détestable ; Il n’y a pas de plaisir comparable À celui de te quitter (p. 193).

Inversement, quand la mauvaise humeur est passée, De Amicis défend Paris en appliquant à ses détracteurs la citation d’un auteur italien : « non sono che mancanza di vitalità certe virtù negative di cui menano vanto in faccia a Parigi altri popoli ; ai quali si potrebbe dire come la Messalina del Cossa a Silio : – Siete tanto corrotti che non sopportate la grandezza del vizio. – » 42 (p. 205).

Citer pour pacifier Auteurs français et italiens se taillent la part belle dans le répertoire de citations que De Amicis déploie dans les Ricordi. Toutefois, outre le discret Shakespeare, on trouve deux références allemandes qui ne sont pas dépour- vues d’intérêt. La première, une paraphrase de Heinrich Heine (qui vécut à Paris de 1831 à sa mort en 1856), permet de tourner en dérision le sérieux des contempteurs de Paris (« “i gravi pensieri” di altri popoli ci rammentano un po’ i pensieri di quel tal poeta tedesco, canzonato dall’Heine ; quei pensieri celibi, che si fanno il caffè da sè e la barba da sè, e vanno a cogliere dei fiori pel proprio giorno onomastico nel giardino di Brandeburgo » 43, p. 192). La seconde, tirée de la correspondance de Schiller à Goethe, permet à l’écrivain italien de justifier l’amour exclusif des Parisiens pour leur propre culture et leur tendance à ne parler que de ce qui les concerne directement (« Ha un minor campo da percorrere, come diceva di sè lo Schiller al Goethe ; ma lo

41. « Adieu, Gênes détestable, / Adieu séjour de Plutus. / Si le Ciel m’est favorable, / Je ne vous reverrai plus. / […] / Mais un vent plus favorable / À mes vœux vient se prêter. / Il n’est rien de comparable / Au plaisir de vous quitter » (Montesquieu, Œuvres complètes, vol. II, R. Caillois (éd.), Paris, Gallimard, 1951, p. 1469-1470). Les Adieux à Gênes datent de 1728. 42. « Conosco il tuo costume ; / Sei corrotto così, che non sopporti / La grandezza del vizio » (P. Cossa, Messalina, Turin, F. Casanova, 1876, acte I, scène V, p. 54-55). 43. De Amicis paraphrase un passage d’une lettre de mai 1837 adressée à August Lewald, dans laquelle Heine s’en prenait à son compatriote Ernst Raupach, évoquant un « stérile amas de pensers célibataires, pensers qui se couchent seuls, font eux-mêmes leur café le matin, se rasent eux-mêmes, vont se promener seuls devant la porte de Brandebourg et se cueillent des fleurs à eux-mêmes » (H. Heine, De la France, Paris, M. Lévy, 1857, p. 241). Nous citons une traduction française (anonyme) que De Amicis est susceptible d’avoir consultée à la faveur de lectures sur la France et Paris. 80 Aurélie Gendrat-Claudel percorre perciò in minor tempo in tutte le sue parti » 44, p. 206). La citation d’auteurs qui ne sont ni français ni italiens paraît révéler le besoin d’un tiers culturel qui médiatise la relation ambiguë entre le voyageur piémontais et la société parisienne : le détour par l’Allemagne s’opère dans les pages où se manifeste un désir de réconciliation avec une ville tout à la fois honnie et adulée.

Conclusion Conscient qu’il ne peut rien dire de nouveau sur Paris et pressé par les contraintes du reportage, De Amicis utilise la citation pour légitimer son entreprise en rendant visible sa connaissance de la littérature française contemporaine, mais aussi pour faire du neuf avec de l’ancien, ou plutôt de l’inattendu avec du familier, en greffant des réminiscences italiennes : De Amicis picore des œuvres souvent sans rapport direct avec Paris, mais lorsqu’il transpose Giusti ou Praga – littéralement déplacés – dans le fracas de la ville française, il resémantise des bribes de textes et se tire ainsi de l’embarras des situations narratives, descriptives ou polémiques les plus convenues. Identifier et analyser les citations littéraires qui traversent les Ricordi di Parigi n’autorise pas à célébrer naïvement la littérarité de ce texte mineur (on sait bien que citer, fût-ce des œuvres littéraires, n’est pas le propre du discours littéraire), mais permet de montrer la variété des ins- truments dont se dote le journaliste dans une œuvre profondément hybride, où l’altérité de la parole rapportée contribue à l’hétérogénéité formelle.

Aurélie Gendrat-Claudel Université Paris-Sorbonne

44. Lettre de Schiller à Goethe du 31 août 1794 : « Le cercle de mes idées étant plus petit que le vôtre, je le parcours plus vite et plus souvent, ce qui me met à même de mieux utiliser mon petit avoir, et de remplacer la variété qui manque au fond par celle de la forme » (Correspondance entre Goethe et Schiller, traduction de Mme la baronne de Carlowitz, t. I, Paris, Charpentier, 1863, p. 173). LA LINGUA DI CUORE

Riassunto : L’articolo propone uno studio sulla lingua di Cuore, che consideri sia la riflessione linguistica di De Amicis, improntata a un « manzonismo » moderato, sia l’intento pedagogico del libro. Innanzitutto, l’analisi di aspetti fono-morfologici, lessicali e sintattici rivela la ricerca di un italiano unitario ed equilibrato, ispirato senza eccessi idiomatici alla lingua parlata dalla borghesia colta fiorentina di fine Ottocento. Al contempo, questo modello linguistico s’articola nella costruzione di un testo coeso, le cui scelte retoriche (soprattutto nei racconti mensili e nelle lettere familiari) concorrono a trasmettere un sistema di valori definiti e una visione sociale conservatrice. L’articolo mostra così che esiste uno stretto legame tra la lingua e l’ideologia pedagogica di Cuore, un legame che contribuì in modo determinante al successo del libro. Résumé : Cet article propose une étude sur la langue de Cuore, une étude fondée aussi bien sur la réflexion linguistique de De Amicis, empreinte d’un « manzonismo » modéré, que sur la finalité pédagogique du livre. Tout d’abord, l’analyse de faits phono- morphologiques, lexicaux et syntaxiques révèle la recherche d’un italien unitaire et équilibré s’inspirant sans excès idiomatiques de la langue parlée par la bourgeoisie florentine cultivée de la fin du XIXe siècle. En même temps, ce modèle linguistique s’articule dans la construction d’un texte qui fait preuve de cohésion et dont les choix rhétoriques (surtout dans les récits mensuels et les lettres familiales) servent à transmettre un système de valeurs définies et une vision sociale conservatrice. Aussi cet article montre-t-il qu’il existe un lien étroit entre la langue et l’idéologie pédagogique de Cuore, un lien qui contribua de manière déterminante au succès de ce livre.

La lingua di Cuore nasce dall’interazione tra le posizioni linguistiche di De Amicis e un particolare intento pedagogico. Nelle prime la critica ha variamente riconosciuto, sulla scorta delle riflessioni giovanili delle Pagine sparse 1 e di quelle mature dell’Idioma gentile 2, la professione di un manzonismo moderato 3, la ricerca di una lingua viva ma controllata,

1. E. De Amicis, Pagine sparse, Milano, Società Tipografica Lombarda, 1874 (ed. definitiva 1877). 2. E. De Amicis, L’idioma gentile, Milano, Treves, 1905 (ed. definitiva 1906). 3. Sul moderatismo della posizione deamicisiana, analizzato da punti di vista diversi, si rimanda almeno a C. Marazzini, « De Amicis, Firenze e la questione della lingua » [1986], in C. Marazzini, Unità e dintorni. Questioni linguistiche nel secolo che fece l’Italia, Alpignano

Transalpina, no 20, 2017, Edmondo De Amicis. Littérature et société, p. 81-98 82 Matteo Grassano lontana sia dalle pedanterie e dagli artifici di una certa tradizione lettera- ria, sia dagli eccessi della fiorentinità idiomatica. Per quanto riguarda il secondo aspetto, l’ispirazione educativa alimenta una buona parte della produzione deamicisiana 4 : in Cuore, il fatto di rivolgersi a un pubblico infantile e la volontà di trasmettere un chiaro sistema di valori si riflettono indubbiamente in alcune scelte linguistico-stilistiche. L’analisi qui proposta considererà, dunque, entrambe le prospettive. Purtroppo, lo studio della lingua di Cuore si scontra ancora irrimediabil- mente con una problematica testuale, dal momento che manca un’edizione critica del libro. Tale mancanza è acuita dalla consapevolezza che il testo subì delle modifiche, lievi ma sostanziali, nel corso della sua prima storia editoriale 5. Lo studio prende come riferimento l’edizione Einaudi curata da Luciano Tamburini 6, che riproduce fedelmente la princeps del 1886 ; si avrà però cura di segnalare in nota, dove necessario, alcune varianti delle edizioni successive 7.

Dai Promessi Sposi a Cuore : alcuni aspetti fono-morfologici Come emerge dalla prassi scrittoria giornalistica dell’inizio e della seconda metà del secolo 8, l’italiano dell’Ottocento è una lingua ricca di oscillazioni grafiche, fonologiche e morfologiche. Nella correzione deiPromessi Sposi,

(To), Mercurio, 2013, p. 285-303 ; S. Timpanaro, « De Amicis di fronte a Manzoni e a Leopardi », in S. Timpanaro, Nuovi studi sul nostro Ottocento, Pisa, Nistri-Lischi, 1995, p. 199-234 ; E. Tosto, Edmondo De Amicis e la lingua italiana, Firenze, Leo S. Olschki, 2003 ; L. Tomasin, « De Amicis tra riflessione e prassi linguistica », Lingua Nostra, vol. lxxiii, 2012, p. 92-101 ; e M. Prada, « Fare prosa, e saperlo. L’Idioma gentile, la pratica e la grammatica », in L’Idioma gentile. Lingua e società nel giornalismo e nella narrativa di Edmondo De Amicis, G. Polimeni (dir.), Pavia, Santa Caterina, 2012, p. 163-212. 4. Cfr. R. Bertacchini, « Pubblicistica educativa e tecniche del racconto in Cuore e nel Romanzo d’un maestro », in Edmondo De Amicis (Atti del Convegno nazionale di studi, Imperia, 30 aprile-3 maggio 1981), F. Contorbia (dir.), Milano, Garzanti, 1985, p. 293-316. 5. Alcune modifiche sostanziali entrano tra la 33a e la 43a edizione. A questo proposito, rimando al saggio di A. Brambilla, « Appunti per la storia editoriale di Cuore », ALAI Rivista di cultura del libro, 2, 2016, p. 79-99, che fa opportunamente il punto della situazione sulla questione. 6. E. De Amicis, Cuore, L. Tamburini (dir.), Torino, Einaudi, 2001 (prima ed. 1972). 7. L’edizione Tamburini (sia del 1972 sia del 2001) riporta in nota le varianti più significative, una trentina, rispetto alla cosiddetta edizione del Cinquantenario. Quest’ultima è però priva di autorità, essendo successiva alla morte dell’autore. Di conseguenza, le varianti si segnalano rifacendosi, certo arbitrariamente, a un’edizione intermedia, la 98a del 1889, consultata online sul portale https://archive.org/details/toronto_public_library. 8. Si veda almeno A. Masini, « La lingua dei giornali dell’Ottocento », in Storia della lingua italiana, vol. II (Scritto e parlato), L. Serianni e P. Trifone (dir.), Torino, Einaudi, 1994, p. 635-665 ; e F. Gatta, « Giornalismo », in Storia dell’Italiano scritto, vol. III (Italiano dell’uso), G. Antonelli, M. Motolese e L. Tomasin (dir.), Roma, Carocci, 2014, p. 293-347. La lingua di Cuore 83

Manzoni livellò normalmente in modo sistematico tali oscillazioni, proprie a volte dello stesso fiorentino, in quella ricerca difixité dell’uso linguistico in cui Luca Serianni ha riconosciuto « la grande novità della riforma gram- maticale attuata nell’edizione definitiva del romanzo » 9. Proprio da questi aspetti converrà iniziare a valutare la lingua di Cuore. Per quanto riguarda, innanzitutto, alcune varianti fonetico-ortografiche, Manzoni tentò di adeguare il più possibile la grafia alla pronuncia, abbon- dando nell’elisione e nell’apocope. De Amicis segue una strada simile 10, anche se diffida dall’uso dell’apocope postvocalica (solo in un caso : de’ 61) 11. Comune, come nella Quarantana, è la prostesi di i davanti a s implicata (in iscuola 15, per ischerno 167, ecc.). Abbastanza concorde all’uso manzoniano è poi l’impiego della d eufonica nei monosillabi ad, ed quasi esclusiva- mente davanti a vocale corrispondente. Nessuna preferenza riserva invece De Amicis a uno dei membri della coppia tra / fra, mentre l’autore dei Promessi Sposi uniformò a favore del primo membro. Altri però, e più significativi, sono i fatti fono-morfologici da con- siderare, a partire dall’alternanza tra dittongo uo e monottongo o, che caratterizzava, come ha mostrato sempre Serianni 12, il parlato medio della borghesia fiorentina dell’Ottocento. Manzoni nella Quarantana opta di norma per il monottongo, soprattutto in prossimità di suoni palatali, pur mantenendo sempre il dittongo in alcune voci, come buono, cuore, figliuolo, fuoco, fuori, uomo, e limitando al minimo i doppioni. Più libera è la prassi deamicisiana. Se in Cuore compaiono, infatti, sempre in forma dittongata alcune parole ad alta frequenza (buono, cuore 13, fuori, scuola, nuovo, uomo), in altre vi è una notevole alternanza tra le forme (barcaiuoli 249r e barcaioli 249r, figliuoli 11d e figlioli 8d, fuoco 42 e foco 233, giuoco sost. 46 e gioco

9. L. Serianni, « Le varianti fonomorfologiche dei Promessi Sposi 1840 nel quadro dell’italiano ottocentesco » [1987], in L. Serianni, Saggi di storia linguistica italiana, Napoli, Morano, 1989, p. 141-213. In tutto il capitolo, i riferimenti alla prassi manzoniana si rifanno preva- lentemente a questo saggio ; a M. Vitale, La lingua di Alessandro Manzoni. Giudizi della critica ottocentesca sulla prima e seconda edizione dei Promessi sposi e le tendenze della prassi correttoria manzoniana, Milano, Cisalpino Istituto editoriale universitario, 1992 ; e a T. Poggi Salani, « Paragrafi di una grammatica dei Promessi sposi », Studi di Grammatica italiana, 1990, xiv, p. 395-413. 10. Sull’uso a volte spropositato dell’apocope in Cuore ebbe da ridire G. Pasquali, « Il Cuore di De Amicis », in G. Pasquali, Pagine stravaganti, vol. II, Firenze, Sansoni, 1968, p. 418. 11. I numeri di pagina qui e altrove si rifanno all’edizione citata a cura di Tamburini (2001). Al numero seguono, sotto forma di lettera, alcune indicazioni : r = racconto mensile ; l = lettera familiare ; in mancanza di r o l = parte diaristica. La presenza delle forme nel dialogo si segnala con la lettera d. 12. L. Serianni, « Le varianti fonomorfologiche dei Promessi Sposi 1840 nel quadro dell’italiano ottocentesco », p. 148-157. 13. In due occasioni, però, cor 35 e 152. 84 Matteo Grassano

177rd, muoversi 260r e moversi 128r, ruota 12 e rote 64, suonava 193 e sonava 225r). Si trova il dittongo in bocciuoli 272, bracciuoli 176r, campagnuolo 127r, frecciuola 88, spagnuoli 25, ma il monottongo in erbaiola 191, formaggiole 198, fumaiolo 233, merciaiolo 176r, sassaiola 177r. Un altro tratto riscontrabile nella prosa di Cuore è la presenza o l’assenza della labiodentale in alcune forme dell’imperfetto. Alla prassi generale di mantenimento si inframmezzano, infatti, non poche forme con il dileguo, come avea 17 (e molte altre occorrenze), avean 238r, facean 267r, parea 22, parean 98r, potea 238r, ripeteano 202, spandean 198, volea 64 14. Benché trovi riscontro nel fiorentino plebeo 15, la forma senza labiodentale è connotata letterariamente ed è estranea all’usus manzoniano dei Promessi Sposi. L’atteggiamento di De Amicis, suggerito dai tratti fin qui analizzati, è confermato se si considerano altre oscillazioni fono-morfologiche su cui Manzoni era intervenuto in modo deciso, e decisivo, nel correggere la Ventisettana. In alcuni casi la prassi di Cuore, livellando alternanze che erano proprie della scrittura giovanile dell’autore 16, si inserisce nel solco tracciato dalla Quarantana. Per esempio, per le oscillazioni consonantiche e vocaliche, nel libro per ragazzi si trovano concludere e mai conchiudere, nemico e mai nimico, domanda, -are, domani e mai dimanda, -are, dimani ; per la morfologia verbale, importante è l’assenza della 1a pers. sing. dell’imperfetto indicativo in -a, forma etimologica di carattere ormai letterario ; così come di sieno per siano, o di offerire e sofferire per offrire e soffrire. Tuttavia, in molti altri casi, De Amicis si comporta in modo indipen- dente, compiendo scelte diverse rispetto a quelle manzoniane. Mantiene le allotropie lacrima / lagrima, ci / zi in parole come beneficio, sacrificio, ufficiale ecc. 17, gettare / gittare, uscire / escire (il secondo, però, solo in un caso : riesciva 81) ; opta poi, a differenza di Manzoni, per secreto, soffocare, giovane a discapito di segreto, soffogare e giovine. A livello della morfolo- gia verbale, De Amicis usa esclusivamente debbo e debbono, mentre non ricorre alle forme non sincopate del futuro di andare, come anderò, anderei, preferite nei Promessi Sposi.

14. In alcuni casi, benché minoritari, la v appare ripristinata nella citata edizione del 1889 : p. e. avea 157 → aveva. 15. Cfr. L. Serianni, « Le varianti fonomorfologiche dei Promessi Sposi 1840 nel quadro dell’italiano ottocentesco », p. 173-174. 16. Cfr. M. Grassano, « Primi sondaggi per un’analisi linguistica delle Lettere dalla Spagna », in L’Idioma gentile. Lingua e società nel giornalismo e nella narrativa di Edmondo De Amicis, p. 49-59 ; e M. Dota, « Da Ugo Foscolo ufficiale a Il Capitano Ugo Foscolo : mutamenti linguistico-letterari in un dittico self-helpista di Edmondo De Amicis », ItalianoLinguaDue, 1, 2015, p. 242-264. 17. In alcuni casi, minoritari, si registra, nell’edizione consultata del 1889, il passaggio da zi a ci : p. e. pronunziò 279 → pronunciò. La lingua di Cuore 85

La situazione resta fluida se si esaminano alcuni fenomeni più pro- priamente morfosintattici. C’è accordo con la prassi della Quarantana sulla preferenza per le varianti analitiche, per il, per i, con la, con gli, delle preposizioni articolate (minoritari pel, pei, colla, cogli, non presenti le restanti), con l’eccezione, come in Manzoni, di col, che è maggioritario rispetto a con il. Diversamente dai Promessi Sposi, però, in Cuore troviamo l’uso quasi esclusivo dei pronomi soggetto diretti (lei ricorre solo in funzione allocutiva e, insieme a lui, in usi marcati) 18, con il mantenimento in due casi di ei, 75r e 130r, a sottolineare l’impianto più letterario dei racconti mensili 19 ; l’uso di loro, e mai di gli, per « a loro » ; e l’uso mirato di cosa per che cosa, solo in contesti dialogici 20. Il rapidissimo confronto qui proposto tra alcuni aspetti della fono- morfologia, con qualche escursione nella morfosintassi, dei Promessi Sposi e di Cuore rivela, oltre ai prevedibili punti di contatto, anche alcune diversità. De Amicis accoglie, infatti, a volte soluzioni estranee alla Quarantana e non procede in modo sistematico alla riduzione delle allotropie. Ciò non significa, però, che lo scrittore si muova in un orizzonte non-manzoniano. Al contrario, le oscillazioni mantenute in Cuore, così come alcune soluzioni particolari, a volte connotate su un versante più tradizionale, erano probabilmente tipiche dell’uso vivo della borghesia fiorentina frequentata da De Amicis, il cui linguaggio, naturale e colto, dovette apparire allo scrittore, sulla scorta della propria fede manzoniana, l’unico modello possibile da cui poter partire per scrivere un libro scolastico moderno.

La « patina » fiorentina Benché le scelte deamicisiane finora discusse non siano in molti casi diatopicamente neutre (basti pensare alla questione del monottongamento di uo in forme significative senza palatale quali ovo 198, rote 64), occorre considerare altri aspetti del testo per misurarne meglio la fiorentinità. Per la morfologia, importanti sono le forme a presente monosillabico analitico vo 255rd e 273l e fo 160d e 290, che di norma lasciano il posto a vado e faccio ; le forme apocopate del presente indicativo va’ e fa’ (molte occorrenze, ma fa 69d) come forme imperative 21 ; e l’uso non così marginale

18. Cfr. C. Demuru e L. Gigliotti, « Lingua italiana del dialogo in Cuore di Edmondo De Amicis », in L’Idioma gentile. Lingua e società nel giornalismo e nella narrativa di Edmondo De Amicis, p. 135. 19. Su cui si veda L. Serianni, « Le varianti fonomorfologiche dei Promessi Sposi 1840 nel quadro dell’italiano ottocentesco », p. 192. 20. Cfr. Ibid., p. 196. 21. Nell’edizione citata del 1889, sembra essere ormai stata attuata una normalizzazione nel senso va’→ va ; fa’ → fa. 86 Matteo Grassano della preposizione sur « su », anche nei racconti mensili (256r). A livello morfosintattico, mancano quasi completamente in Cuore tre fenomeni caratteristici della prosa toscana più attenta al registro familiare, che converrà ricordare : la cosiddetta quarta persona verbale analitica del tipo noi s’era (solo un caso, se ho visto bene, depotenziato dall’ellissi del pronome : s’andò 293) ; i pronomi soggetto neutri, atoni (gli, e’, la) o nella forma piena (soprattutto egli, di attestazione anche letteraria), che Manzoni aveva ridotto ma mantenuto nella Quarantana ; la costruzione popolare avere a + infinito, preferita nell’ultima versione deiPromessi Sposi (in Cuore, sempre avere da + infinito : ho da dire 50d, ecc.). Presente, invece, il costrutto c’è + sostantivo plurale (« se c’è dei soldati austriaci » 53rd ; « c’è dei giovani… ce n’è altri » 146d ; « c’è dei ragazzi » 150d). A donare una patina fiorentina al testo contribuiscono poi in maniera significativa il lessico e la fraseologia idiomatica 22. Per il primo 23, si possono elencare le forme : appuntino « colla maggiore esattezza » 62 e 74r, biascicotti « pezzetti di pane o di carta masticati e sputati » 87, briscole « botte » 202, buche « strappi nei pantaloni » 294, Chétati « calmati » 184d, cigna « cinghia » 34, cioccia « seno » 199, frittella « macchia d’unto » 96, grandiglione « grande, detto di ragazzo » 160, grugnone « chi fa il grugno » 16, mele « natiche » 294, muffa « superbia » 121, polpetta « rimprovero » 121, regolizia « liquirizia » 37, risciacquata « sgridata » 70, rivoltoloni avv. 293 24, scoraggito « scoraggiato » 268r, stentito « patito » 57l. Per la fraseologia : fare un viso di cera « avere il viso sbiancato » 289, fare civetta 18 25, dare le croste « picchiare » 160d, non dirsela « avere antipatia » 33, stare fresco « rischiare guai o castighi » 41d, fare gambetta « fare lo sgambetto » 160, non guardare uno quanto è lungo « non curarsene » 121, piantare un melo 197 26, fare una partaccia « dire male parole » 95, mescere fior di pugni 160, far querciola 46 27, un riso che non

22. Alcune indicazioni si trovano in A. Castellani, « Consuntivo della polemica Ascoli-Manzoni », Studi linguistici italiani, 1986, XII, p. 121. 23. Tutti i termini e le espressioni citati si ritrovano sul cosiddetto Giorgini-Broglio, vocabolario di ispirazione manzoniana : E. Broglio, A. Giorgini et al., Novo vocabolario della lingua italiana secondo l’uso di Firenze, Firenze, Cellini, 1877-1897. Solo per alcune forme più particolari si rimanda in nota alla definizione. 24. Poi corretto in rivoltoni. Rivoltoloni non sembra essere un refuso : cfr. Ibid., s. v. rivoltolone : « L’atto del rivoltarsi. Tutta la notte non fece che di gran rivoltoni nel letto ». Si noti, però, come nell’esempio si utilizzi rivoltoni, il termine usato poi da De Amicis nella correzione. 25. Ibid., s. v. Civetta : « § 3. Far civetta : Fam, Abbassare il capo con destrezza per iscansare una percossa ». 26. Ibid., s. v. Melo : « § Piantare un melo, Scherz. Ai bambini, quando, cascando, battono il sedere ». 27. Ibid., s. v. Querciola : « § 2. Far querciola ; Gioco de’ ragazzi che fanno mettendo il capo in terra e le gambe in alto ». La lingua di Cuore 87 si cuoce « un riso forzato, non sincero » 122, dare una scappata « fare una scappata » 42d, al tocco « all’una » 221r e 318. I fiorentinismi sopraccitati, che un lettore moderno può percepire estranei al tessuto linguistico del libro, non essendo entrati a far parte, tranne pochi casi, dell’italiano moderno, non costituiscono delle marche apposte da De Amicis alla propria prosa nel tentativo di fiorentinizzarla 28 ; sono, al contrario, parte integrante del sistema linguistico di riferimento, che è, sulla scia della proposta manzoniana, quello dei fiorentini colti ; un sistema che si dispiega naturalmente in una pluralità di registri. L’omogeneità linguistica di Cuore, anche nelle sue punte più espressive, è così garantita da un uso unico, seppur ideale e frutto di un’interpretazione, ed è rafforzata, per l’aspetto qui considerato, dalla ricerca di un lessico proprio 29, a basso grado di letterarietà e di tono colloquiale, e di una fraseologia ricca di locuzioni e di modi di dire (di cui per ragioni di spazio non si può dare un elenco rappresentativo). A tale aspetto si era affidato, come noto, anche Manzoni nei Promessi Sposi. Tuttavia, la ricerca deamicisiana risponde a dichiarate istanze pedagogico-linguistiche : è chiara nello scrittore la volontà di svecchiare una prosa scolastica che, nella prima metà dell’Ottocento, era, nonostante alcune innovazioni, ancora legata a formule letterarie 30, per loro natura inadatte alle nuove esigenze di comunicazione quotidiana a cui la scuola unitaria doveva rispondere. Più che sulle punte idiomatiche e fiorentine, occorre riportare perciò l’attenzione sulla medietà lessicale di Cuore, spesso passata inosservata per la concordanza quasi totale tra il vocabolario del libro e quello dell’italiano moderno. Eppure, proprio questo fatto testimonia il successo dell’interpretazione deamicisiana del modello fiorentino, che da altri 31 fu declinato in forme meno compromissorie e più arrischiate, e porta a giudicare non marginale il ruolo del volume nel garantire la continuità

28. Non credo, quindi, che si possa parlare di « tentativi di toscanizzare l’italiano postunitario oltre il livello di fisiologica tolleranza di simili travasi » : L. Tomasin, « De Amicis tra riflessione e prassi linguistica », p. 98. 29. Grazie all’insegnamento manzoniano, il concetto di proprietà linguistica arrivò presto a giocare un ruolo anche a livello didattico : cfr. G. Polimeni, La similitudine perfetta. La prosa di Manzoni nella scuola italiana dell’Ottocento, Milano, FrancoAngeli, 2011. 30. Cfr. S. Morgana, « Modelli di italiano nei testi di lettura scolastici e per l’infanzia. Dall’età delle Riforme alla Restaurazione » [1995], in S. Morgana, Capitoli di storia linguistica italiana, Milano, LED, 2003, p. 271-302. 31. In generale, sull’apertura ai toscanismi e ai fiorentinismi nei libri di istruzione del secondo Ottocento si veda L. Serianni, Storia dell’italiano nell’Ottocento, Bologna, Il Mulino, 2013, p. 133-135. 88 Matteo Grassano d’uso di espressioni già attestate e nel favorire la diffusione di altre meno conosciute 32. Infine, è possibile fare qualche brevissima annotazione sui forestierismi e sui dialettalismi in Cuore, dal momento che la critica ha evidenziato la presenza di francesismi e di piemontesismi 33. Il campionario è limitato e non è in grado di minare l’unitarietà linguistica del testo. Oltretutto, se alcune forme non sembrano essere discutibili (il mio piccolo fratello 9 < « mon petit frère », ho fatto il mio possibile 104r < « j’ai fait mon possible », stanza da mangiare 41 e 93 < « salle à manger »), in alcuni casi è bene avere qualche cautela, come per parenti, usato sempre da De Amicis in Cuore al posto di genitori, che trova piena attestazione sul Giorgini-Broglio 34 ; o come per il piemontesismo grazioso, nell’espressione « grazioso con tutti » 50, la cui sostituzione con garbato 35 può essere motivata da variatio, vista la presenza di un graziosa (51) poche righe dopo, o anche dal timore di una sfumatura ironica 36. Importanti sono, per concludere, gli inserti dialettali, che non rispon- dono a semplici esigenze di color locale. Uno sguardo più approfondito rivela, infatti, come il dialetto sia sempre usato in stretto rapporto al mondo infantile. Si possono elencare i piemontesismi madama 200d, rivolto dai bambini dell’asilo alla madre di Enrico, e Pin !, Pinot ! 223d e 225d, urlato dai ragazzi di Borgo Po ; le battute in « veneziano » del pagliaccetto (« Ti vorìa, – mi disse – acetar sti confeti del pagiazzeto ? – Io accennai di sì, e ne presi tre o quattro. – Alora, – soggiunse – aceta anca un baso. – […] – Tò, e portane un a to pare » 142) 37 ; i napoletanismi tata « papà » 127 (e altre occorrenze), la piccirilla 133d 38 e piccirillo 134d nel racconto L’infermiere

32. In un suo importante contributo sulla fraseologia di Pinocchio (« Sul contributo di Pinocchio alla fraseologia italiana », Studi linguistici italiani, xvii, 1998, 2, p. 167-209), più esposta al fiorentinismo popolare rispetto a quella di Cuore, Lucilla Pizzoli ha selezionato una ventina di locuzioni per cui il tramite del libro collodiano è altamente probabile. A questo proposito, sono interessanti due coincidenze con la fraseologia di Cuore : spiccicare parola 133r e essere alto come un soldo di cacio 138d. 33. Cfr. G. Pasquali, « Il Cuore di De Amicis ». Alcune forme sono segnalate nel commento di Tamburini. Trascuro qui la presenza di ispanismi, che si concentra nel racconto Dagli Appennini alle Ande. 34. Giorgini-Broglio, s. v. parente : « § 1. Del padre e della madre ; e in plur. l’uno e l’altra ». 35. Già nella citata 98a edizione del 1889. 36. Cfr. Giorgini-Broglio, s. v. grazioso : « § 4. Fare il grazioso, Studiarsi di rendersi accetto alla persona per mezzo di cortesia affettata, e per soddisfazione di vanità.Vuol fare il grazioso, e fa ridere. Fa il grazioso con tutte le signore ». 37. In seguito ad alcune critiche, il passo sarà così emendato (trascrivo dall’ed. citata del 1889) : « Voresistu – mi disse – agradir sti confeti del pagiazzeto ? Io accennai di sì, e ne presi tre o quattro. – Alora, – soggiunse – ciapa anca un baso […] Tò, e portighine uno a to pare ». 38. Poi corretto, già nella 98a edizione, in u’ nennillo. La lingua di Cuore 89 di Tata ; il lombardismo bagai « ragazzo » 242rd e 253r, e il ligurismo figoeu « ragazzo » 249rd 39 in Dagli Appennini alle Ande. Come ha scritto Giuseppe Langella i racconti mensili di Cuore propongono « un’Italia delle regioni, secondo un disegno politico che recupera le differenze locali, il “molteplice” così caratteristico della nostra identità, nell’orizzonte di un’opera concorde, volta alla crescita omogenea del Paese » 40. L’identità agognata doveva pas- sare, in uno Stato ancora prevalentemente dialettofono, attraverso una diffusione capillare della lingua nazionale, che solo l’istruzione elementare poteva assicurare, affinché i varipiccirilli , bagai e figioeui si riconoscessero e fossero riconosciuti come ragazzi italiani.

Sintassi e testualità : la rivoluzione manzoniana Se il lessico e la fraseologia giocano un ruolo centrale nella resa di una lingua naturale e colloquiale, la vera rivoluzione nella scrittura di Cuore, tramite cui è possibile valutare tutta l’influenza del magistero manzoniano e del parlato, avviene a livello sintattico 41. Innanzitutto, occorre considerare l’ampio spazio riservato tanto dalle pagine di diario quanto dai racconti mensili alle forme dialogiche, un tratto caratteristico, in generale, di tutta la produzione narrativa e giornalistica dell’autore 42. Cecilia Demuru e Laura Gigliotti hanno studiato, prendendo come punto di riferimento la Lingua italiana del dialogo di Leo Spitzer, il dialogo in Cuore e ne hanno messo in luce alcune peculiarità, a partire dall’uso di una sintassi franta, ricca di giustapposizioni e di fenomeni tipici dell’oralità 43. Al contempo, ciò che colpisce è l’uso cospicuo di tali fenomeni anche nelle parti non dialogiche del testo 44 : deissi spaziale (« restò lì » 11, « era

39. Sarà poi corretto in figioeu. L’edizione citata del 1889 ha ancora figoeu. 40. G. Langella, « De Amicis e la pedagogia nazionale : i racconti mensili di “Cuore” », Italia- nistica, 2011 ii, p. 125. 41. Cfr. V. Coletti, Storia dell’italiano letterario [1993], Torino, Einaudi, 2000, p. 278-279 ; e anche E. Testa, Lo stile semplice. Discorso e romanzo, Torino, Einaudi, 1997, p. 86. Per la sintassi manzoniana, si rimanda a I. Bonomi, « Noterelle di sintassi manzoniana », Annali manzoniani, Nuova Serie, iv-v (2001-2003), p. 265-292 ; e O. Mencacci, Le correzioni dei Promessi Sposi. Alcune varianti sintattiche, Perugia, Guerra, 1995. 42. Cfr. M. Grassano, « Su alcuni aspetti della prosa giornalistica deamicisiana : espressioni idiomatiche e discorso diretto », in L’italiano alla prova. Lingua e cultura linguistica dopo l’Unità, F. Pierno e G. Polimeni (dir.), Firenze, Cesati, 2016, p. 159-182. 43. C. Demuru e L. Gigliotti, « Lingua italiana del dialogo in Cuore di Edmondo De Amicis », p. 105-147. 44. Alcuni esempi in L. Nacci, « I romanzi per bambini tra Otto e Novecento : alla ricerca di una lingua », in Editori e piccoli lettori tra Otto e Novecento, L. Finocchi e A. Gigli Marchetti (dir.), Milano, FrancoAngeli, 2004, p. 355-367 ; e L. Ricci, « L’italiano per l’infanzia », in Lingua e identità. Una storia sociale dell’italiano, P. Trifone (dir.), Roma, Carocci, 2009, p. 323-350. 90 Matteo Grassano sempre là » 132r, ecc.) ; forma negativa con mica (anche nei racconti mensili : 178r) ; concordanze a senso (« la gente battevan le mani » 297) ; ci attualiz- zante (ci ho 302, ci hanno 139, ecc.) ; che polivalente (« Garoffi, […] n’aveva già un grosso fascio, per farne qualche suo traffico… che sapremo domani » 169) ; manca, invece, l’uso di cosa interrogativo, che è riservato unicamente ai dialoghi, come è già stato detto, mentre che, che cosa ricorrono senza limitazioni. Significativa è poi la presenza, sempre nelle parti extra-dialogiche, di frasi scisse (« è suo padre briaco che ha rovesciato tavolo e lume » 91), di focalizzazioni pronominali (« Ma fu piccato lui, invece, che non poté recitare la poesia » 109), e soprattutto di dislocazioni, con ripresa pronominale, a destra (« Non l’avrebbe mai detta Garrone, sicuramente, quella parola » 35, ecc.) e a sinistra (« Precossi, suo padre non lo lasciò venire » 92, ecc.). Va poi considerata più nello specifico la struttura del periodo. In generale, la ricerca di un tono colloquiale si traduce nella predilezione per strutture paratattiche. Ciò comporta un uso massivo delle congiunzioni ma e soprattutto e ; quest’ultima, usata tanto nel corpo del periodo quanto all’inizio, per coordinare frasi anche con soggetti diversi, rappresenta l’elemento principale attraverso cui si struttura e procede il discorso nella maggior parte delle pagine di Enrico : Era già tardi : scendemmo correndo e cantando, e camminando per lunghi tratti tutti a braccetto, e arrivammo sul Po che imbruniva, e volavano migliaia di lucciole. E non ci separammo che in piazza dello Statuto, dopo aver com- binato di trovarci tutti insieme domenica per andare al Vittorio Emanuele, a veder la distribuzione dei premi agli alunni delle scuole serali. (296) Comunissime nella prosa del diario sono anche le strutture propria- mente giustappositive, in cui le varie frasi si susseguono una dietro l’altra, separate solo dalla virgola : Non teme nulla, ride in faccia al maestro, ruba quando può, nega con una faccia invetriata, è sempre in lite con qualcheduno, si porta a scuola degli spilloni per punzecchiare i vicini, si strappa i bottoni dalla giacchetta, e ne strappa agli altri, e li gioca, e ha cartella, quaderni, libro, tutto sgualcito, stracciato, sporco, la riga dentellata, la penna mangiata, le unghie rose, i vestiti pieni di frittelle e di strappi che si fa nelle risse. (96) Pur presentando una sintassi più articolata e un andamento generale del discorso più tradizionale, anche la prosa dei racconti mensili e delle lettere familiari fa costante ricorso a moduli paratattici e giustappositivi. L’uso di questi ultimi è spesso finalizzato a ottenere determinati effetti retorici, a cui si avrà modo di accennare. La lingua di Cuore 91

Per quanto riguarda l’ipotassi, la struttura è di norma elementare e non si supera solitamente il 2o grado di subordinazione. Frequenti sono le frasi relative (che, cui e il quale alternano), le causali (da notare l’uso non marginale di ché introduttivo nel diario, 17, ecc., e nei racconti, 104r e 239r) e le temporali. Abbastanza numerose anche le consecutive e le comparative, mentre le concessive trovano poco spazio. Frequente è la subordinata cir- costanziale implicita retta da gerundio con valore modale, che, nel definire a mo’ di didascalia il modus dicendi / faciendi, è accumunabile ai ricorrenti moduli descrittivi con occhio / occhi, con voce, con viso ecc. + aggettivo. Quasi nullo è, invece, il ricorso in Cuore a strutture verbali di stampo letterario. Da menzionare è solo la presenza di alcuni gerundi assoluti, nella parte diaristica (« Il tempo continuando bellissimo, ci hanno fatto passare […] » 200) e nei racconti mensili (« […] non essendo forse arrivata la lettera perché avean storpiato il nome, non ebbero risposta » 238r). Il basso grado di letterarietà e l’impianto colloquiale del discorso sono confermati, infine, da alcune chiare scelte di sintassi topologica. A differenza di quanto avviene in molti manuali di inizio Ottocento 45, estranea al testo è l’enclisi delle particelle pronominali nei modi verbali diversi dall’imperativo, gerundio, infinito e participio. Da notare come il solo esempio reperibile (chiamansi 40d) costituisca una citazione da un manuale scolastico, quasi a sottolineare lo scarto tra la lingua tradizionale dei libri di testo e quella proposta da Cuore. Un altro fenomeno letterario da ricordare è la posposizione dell’ag- gettivo possessivo, che in Cuore si trova raramente : l’anima mia 288l, l’età sua 303. In generale, l’ordine dei costituenti frasali è basico. Le inversioni presenti, per lo più tra soggetto e predicato verbale, non vanno quasi mai nella direzione del preziosismo stilistico, ma sono motivate da esigenze di focalizzazione, come si è visto anche per le dislocazioni con ripresa pronominale. Tuttavia, è indubbio che De Amicis faccia ricorso in alcuni casi a figure di disposizione ereditate dalla tradizione letteraria, cercando di integrarle in un discorso dall’andamento naturale. Frequenti sono le costruzioni ternarie, che abbondano nelle lettere, ma si trovano anche nei racconti e nel diario. Si tratta sia di moduli frasali (« Non capiva un’acca di aritmetica, empiva di spropositi la composizione, non riesciva a tener a mente un periodo, e ora risolve i problemi, scrive corretto e canta la lezione come un artista » 81) sia sintagmatici (« nei naufragi, negli incendi, nelle carestie » 30l ; « sui capi, sulle spalle, sui dorsi » 102r ; « sul cavallo, sul trapezio e sulla corda » 141).

45. Cfr. S. Morgana, « Modelli di italiano nei testi di lettura scolastici e per l’infanzia. Dall’età delle Riforme alla Restaurazione ». 92 Matteo Grassano

Si può citare, infine, qualche esempio di chiasmo, anche con ripetizione di entrambi i membri (« Garrone buono e generoso, che fai generosi e buoni tutti » 302), e di parallelismo (« Quando viene un padre nella scuola a fare una partaccia al figliuolo, egli ne gode ; quando uno piange, egli ride » 95).

Una lingua per bambini ? La necessità di scrivere un libro per l’infanzia porta De Amicis alla ricerca di una lingua semplice e ad alta comunicatività che, se da un lato si accorda quasi spontaneamente al modello generale di un italiano colloquiale, da un altro lato ne determina alcune caratteristiche, a volte anche in una direzione opposta. È perciò opportuno portare l’attenzione su alcuni fatti e fenomeni, precedentemente trascurati, proprio in una prospettiva peda- gogico-ideologica. Innanzitutto, come in Pinocchio 46, frequentissimi sono gli alterati valutativi, che svolgono nel testo una precisa funzione espressiva di rap- presentazione del mondo infantile e di avvicinamento linguistico-affettivo tra i piccoli protagonisti e i piccoli lettori. I suffissi più rappresentativi sono senza dubbio -one e soprattutto -ino, usati di norma non in chiave accrescitiva o diminutiva, ma con un valore vezzeggiativo che esula dai semplici rapporti di grandezza qualitativa e quantitativa. Non è, infatti, sottoposta a un processo di alterazione solo la descrizione dei bambini, nelle loro qualità fisiche o nel loro vestiario, ma anche l’intero mondo che li circonda, dai maestri (avvocatino 45 e 258, maestrina 28 ecc.) al lavoro scolastico (lavorino 166, paginuccie 117, quadernino 62), dal cibo (bocconcini 200, crostina 199, panierini 198) ai giochi (chiavetta 119, coltelluccio 294, vagoncini 119, vaporino 118), all’insegna di una costante deformazione affettiva, che tende a camuffare i reali rapporti di forza tra cose e persone. Un altro aspetto da considerare è l’abbondante aggettivazione, che, pur trovando in parte riscontro anche in altre opere dell’autore, sembra in Cuore fortemente sollecitata per far presa sull’immaginazione dei let- tori. Oltre all’abuso, in un’ottica semplificante, di aggettivi qualigrande e piccolo, si può notare la messa in atto di una particolare strategia retorica, di gusto letterario e trasversale alle varie parti del testo, che consiste nella costruzione di sintagmi aggettivali ternari e binari, a volte anche allitteranti (dolce, limpido, lento 170, tosta e triste 16, fitto e festoso 168, ardito e ridente 253r, e molti altri).

46. Per la lingua di Pinocchio si veda O. Castellani Pollidori, « La lingua di Pinocchio », in C. Collodi, Le avventure di Pinocchio, Edizione nazionale Carlo Collodi, Pescia, 1983, p. lxiii-lxxxiv ; e Scrittura dell’uso al tempo del Collodi, F. Tempesti (dir.), Firenze, La Nuova Italia, 1994. La lingua di Cuore 93

Le coppie aggettivali sono spesso seguite nel testo da una similitudine, una figura retorica molto sfruttata in Cuore per la sua semplicità e che presenta caratteristiche ricorrenti. Nelle parti diaristiche, ma non solo, l’elemento di comparazione è in molti casi fitomorfico (« una faccia tonda come una mela » 16, « col viso fresco come una rosa » 43, ecc.) o zoomorfico (« s’impuntavano come somarelli » 8, « il ragazzo andò su, come un gatto » 54r, « arzillo e lesto come uno scoiattolo » 92, e moltissimi altri). Ad esaurire quasi completamente il bestiario di Cuore si aggiungono alcune metafore (« Siete bestie » 88d, « perché è un po’ orso » 118, ecc.). Tuttavia, in generale, la metafora trova meno spazio nel libro, vista la sua minore leggibilità. Sempre l’aggettivazione contribuisce, attraverso l’uso del superlativo e all’interno di costruzioni iperboliche, a modulare il tono più sostenuto di alcuni passaggi del libro. Per esempio, per quanto riguarda i racconti mensili, è significativo il caso di Dagli Appennini alle Ande in cui agli agget- tivi è affidato il compito di una rappresentazione grandiosa e straordinaria dell’altrove transoceanico : interminabili 241r, immenso 242r, lunghissimo 243r, meraviglioso 248, mostruoso 249r, sterminata 243r, vastissime 249r, ecc. In questa esaltazione di uno spazio esotico illimitato e avventuroso, il racconto acquista, in molti suoi passaggi, una nuance salgariana che fa da contrappunto al mondo piccolo, chiuso, equilibrato, civile 47 del pro- tagonista :

Era mezzanotte ; e il suo povero Marco, dopo aver passato molte ore sulla sponda d’un fosso, stremato di forze, camminava allora attraverso a una foresta vastissima di alberi giganteschi, mostri della vegetazione, dai fusti smisurati, simili a pilastri di cattedrali, che intrecciavano a un’altezza meravigliosa le loro enormi chiome inargentate dalla luna. Vagamente, in quella mezza oscurità, egli vedeva miriadi di tronchi di tutte le forme, ritti, inclinati, scontorti, incrociati in atteggiamenti strani di minaccia e di lotta ; alcuni rovesciati a terra, come torri cadute tutte d’un pezzo, e coperti d’una vegetazione fitta e confusa, che pareva una folla furente che se li disputasse a palmo a palmo ; altri raccolti in grandi gruppi, verticali e serrati come fasci di lancie titaniche, di cui la punta toccasse le nubi ; una grandezza superba, un disordine prodigioso di forme colossali, lo spettacolo più maestosamente terribile che gli avesse mai offerto la natura vegetale. (266-267r)

Queste righe, che descrivono il passaggio notturno di Marco all’interno della foresta, hanno in filigrana il ricordo manzoniano di Renzo che attraversa

47. Sulla prospettiva « in piccolo » di Cuore si veda R. Ubbidiente, L’Officina del poeta. Studi su Edmondo De Amicis, Berlin, Frank and Timme, 2013, p. 207-209. 94 Matteo Grassano il bosco alla ricerca dell’Adda 48. Rispetto alla compostezza di Manzoni però, la scrittura di De Amicis insiste in una continua iperbole, realizzata facendo ricorso alla giustapposizione sintagmatica, a ripetuti paragoni e alla massiccia aggettivazione. Un altro racconto mensile, Sangue Romagnolo, può essere rapidamente considerato per esemplificare alcuni effetti di drammatizzazione ricorrenti nel libro, come la resa della concitazione attraverso costruzione asindetiche di brevi membri frasali o la ricerca della suspence in vista del colpo di scena finale, grazie al reiterarsi di brevi interrogazioni (« Cos’è ? […] Chi c’è ? […] Chi c’è ? » 179rd) o delle esclamative (« Ma non mi pare la pioggia ! – esclamò, impallidendo – … va’ a vedere ! / Ma soggiunse subito : – No, resta qui ! » 179rd). Si tratta, come ha notato la critica 49, di artifici tipici dei romanzi d’appendice e della prassi giornalistica, che De Amicis conosceva bene e che sfrutta qui, in un contesto infantile, non solo per catturare l’attenzione dei lettori, ma soprattutto per accrescere la forza dell’esempio morale-civile. Espedienti simili di enfatizzazione si ritrovano in modo cospicuo anche nelle lettere familiari, che costituiscono i testi più carichi retoricamente. In queste parti è frequente l’uso dell’imperativo, come comando o ammo- nizione. Spesso le forme verbali sono poste in costruzioni anaforiche che modulano le enumerazioni iperboliche e strutturano il discorso (pensa 23-24l, ecc. ; ama, 83l, 216l ; sentirai 106l ; non sai 175l). L’iperbole e la climax sostengono una visione assoluta e totalizzante, che si riflette a livello linguistico, anche nelle parti diegetiche, nell’uso ripetuto dell’aggettivo e del sostantivo tutti e delle forme avverbiali sempre, mai, per sempre, mai più, e ancora in definizioni inalterabili e inoppugnabili nella loro elementarità, spesso affidate alle costruzioni coi verbi essere e avere 50. Poco conta, in fondo, che il bambino non possa intendere pienamente alcuni dei concetti e dei valori, come l’amor di patria, proposti nelle lettere e nei racconti mensili 51 ; ciò che importa, come ha scritto sempre Zaccaria, è che « in questo universo, sapientemente costruito come universalità narrativa, il verbo pedagogico suoni con un’autorità indiscussa, esemplare, che si proietta verso il futuro » 52.

48. Per altri riferimenti in Cuore ai Promessi Sposi si veda G. Zaccaria, « Un Cuore d’appendice ? », in Cent’anni di Cuore. Contributi per la rilettura del libro, M. Ricciardi e L. Tamburini (dir.), Torino, Allemandi, 1986, p. 108. 49. Ibid., p. 105. 50. Ibid., p. 108. 51. Cfr. G. Bini, « De Amicis e la scuola : ideologia e realtà », in Edmondo De Amicis (Atti del Convegno nazionale di studi, Imperia, 30 aprile-3 maggio 1981), F. Contorbia (dir.), Milano, Garzanti, 1985, p. 251-292. 52. G. Zaccaria, « Un Cuore d’appendice ? », p. 109. La lingua di Cuore 95

La ripetizione di alcune parole non serve solo a strutturare una visione totalizzante della realtà, ma anche a ribadire quell’ispirazione del cuore che informa di sé la pedagogia deamicisiana. A questo proposito, parole chiave del libro, che ritornano infatti con grande insistenza, sono il sostantivo cuore e l’aggettivo buono. Più in generale si può ancora evidenziare come i fenomeni di ripeti- zione e di ripresa svolgano una funzione fondamentale in Cuore, sia nella formazione di una lingua per l’infanzia, sia nella costruzione di un sistema testuale coeso 53. Oltre a quanto già evidenziato, va innanzitutto ricordato l’uso dell’epanalessi, soprattutto nelle parti diaristiche e nei racconti mensili, tanto aggettivale-avverbiale (zitti zitti 12, lesto lesto 61, piano piano 74r, 225r e 291 ; ecc.) quanto verbale (E sempre nevica, nevica 68, E scriveva, scriveva 79r, lo guardava, lo guardava 162 e 211 ; ecc.). Molti sono anche i casi di anadiplosi : « Tornò al tavolino e finì di dettare. Finito di dettare […] » 11 ; « […] guardando tutti con l’occhio torvo. E aveva ben ragione di guardare tutti con l’occhio torvo […] » 25r ; ecc.). Ai casi più marcati se ne potrebbero aggiungere altri, dal momento che tutta la prosa di Cuore procede attraverso continue riprese lessicali. Al contempo, l’anadiplosi svolge un’importante funzione di collega- mento tra le diverse parti costitutive del libro, rafforzando i legami tematici, come tra coblas capfinidas : « […] pure ti par duro lo studio ! » 22d / « Sì caro, Enrico, lo studio ti è duro […] » 23l ; « Non essere un soldato codardo, Enrico mio » 24l / « Non sarò un soldato codardo, no » 24r ; ecc. Infine, un altro espediente da sottolineare, caratteristico di una narra- zione elementare e che « corrisponde alle esigenze di una pronta memoriz- zazione, e di un’immediata definizione-identificazione » 54, è l’uso di stilemi fissi per descrivere i singoli personaggi 55 : una volta presentati, i ragazzi ricompaiono di norma con le loro qualità e i loro attributi distintivi, spesso attraverso la costruzione quello che, quello con : « Ernesto Derossi ! – quello che ha sempre il primo premio » 14 ; « […] Crossi, quello coi capelli rossi, che ha un braccio morto […] » 17 ; ecc. Quanto detto evidenzia come la ricerca di una tessitura di tono medio e di andamento colloquiale si combini con precise scelte retoriche, sotto

53. Cfr. K. Martin-Cardini, « Entre chronique et fiction : le statut ambigu de Cuore », Revue des études italiennes, 2005, iii-iv, p. 206-207. 54. G. Zaccaria, « Un Cuore d’appendice ? », p. 108. 55. Sulla stigmatizzazione dei personaggi si veda R. Ubbidiente, L’Officina del poeta. Studi su Edmondo De Amicis, p. 209-219. 96 Matteo Grassano la spinta dell’ideologia educativa. Il risultato è una lingua dinamica, che si articola, nella sua unitarietà, in modo diverso nelle tre parti del testo 56. In conclusione, alla luce dei risultati dell’analisi, si può ora valutare meglio l’operazione compiuta da De Amicis. Sulla scorta della propria fede manzoniana e del suo apprendistato linguistico nel capoluogo toscano 57, lo scrittore scelse di rifarsi alla lingua della borghesia colta fiorentina, interpre- tandola e declinandola in una prospettiva infantile. Si tratta di una lingua naturale ma controllata, definita ma non provinciale, che, senza cadere in eccessi letterari o idiomatici, mantiene una sua proprietà colloquiale, pur nella varietà di registri che caratterizzano le tre diverse sezioni. In queste si può vedere, inoltre, l’intuizione deamicisiana nello sfruttare, all’interno di una struttura innovativa e coesa, tipologie testuali riconoscibili, connesse agli esercizi di composizione e alle letture a cui venivano confrontati i bambini di un terzo o quarto anno elementare 58. Cuore ebbe l’ambizione di proporre tale modello, in un’ottica scolastica e su scala nazionale, nel tentativo di modernizzare la lingua della scuola e di favorire il processo di unificazione linguistica. In questo proposito si riflette l’attenzione all’educazione popolare che contraddistinse parte della classe dirigente dell’Italia postunitaria e che a Firenze aveva trovato un punto di irraggiamento proprio nel salotto Peruzzi frequentato dall’autore. L’equilibrio della prosa deamicisiana, non scevro da una certa retorica, realizza così perfettamente, anche a livello linguistico, l’orientamento, in fondo conservatore e « paternalistico » 59, di un più vasto programma educativo 60 : nel suo fine linguistico-morale, l’educazione del cuore muove,

56. Su questo punto ha insistito F. Cambi, « Rileggendo Cuore : pedagogia civile e società postunitaria », in Il bambino e la lettura. Testi scolastici e libri per l’infanzia, F. Cambi e G. Cives (dir.), Pisa, ETZ, 1996, p. 315-341. 57. Per quanto riguarda lo studio dei primi anni fiorentini di De Amicis e del rapporto con Emilia Peruzzi si veda L. Gigli, De Amicis, p. 79-124 ; M. Dillon Wanke, « De Amicis, il salotto Peruzzi e le lettere ad Emilia », in Edmondo De Amicis, p. 55-145 ; S. Spandre, « Le lettere di Edmondo De Amicis ad Emilia Peruzzi : l’evoluzione di un rapporto e di una personalità », Studi Piemontesi, xix (1990), 1, p. 31-49 ; e R. Melis, « “Una babelica natura” : Sidney Sonnino, Emilia Peruzzi e il problema della lingua a Firenze dopo l’Unità », Lingua Nostra, 2003, lxiv, 1-2, p. 1-32. 58. La struttura di Cuore è stata accostata anche alla pagina di giornale. Cfr. G. Zaccaria, « De Amicis-Cuore », in Letteratura italiana, A. Asor Rosa (dir.), Torino, Einaudi, 1995, p. 1004. 59. Cfr. A. Asor Rosa, « Le voci di un’Italia bambina (Cuore e Pinocchio) », in Storia d’Italia, vol. IV (Dall’Unità a oggi), A. Asor Rosa (dir.), Torino, Einaudi, 1975, p. 931 : « De Amicis vede cioè molto lucidamente che il disegno egemonico della borghesia, cui egli stesso si sente associato, si sarebbe realizzato solo se la classe dominante fosse riuscita ad assorbire nel proprio ordinamento culturale (oltre che politico) anche le classi subalterne, per lo meno quelle urbane ». 60. Sull’ideologia e il programma educativo di Cuore si veda almeno, oltre al saggio di A. Asor Rosa, G. Bini, « De Amicis e la scuola : ideologia e realtà » ; F. Cambi, « Rileggendo Cuore : La lingua di Cuore 97 infatti, verso la costruzione di un sistema sociale e di valori ben definito, improntato alla concordia tra le varie classi. Esiste in Cuore, dunque, un nodo strettissimo tra lingua e ideologia pedagogica, che ne determinò lo straordinario successo. Tuttavia, tale connubio ideale si realizzò proprio quando nuove esperienze e una più approfondita comprensione della situazione socio-culturale italiana iniziavano a far sì che De Amicis guar- dasse da altre prospettive alla questione dell’educazione, come avrebbero dimostrato la pubblicazione del Romanzo d’un maestro (1890) e la successiva conversione al socialismo.

Matteo Grassano Université de Nice – Sophia Antipolis

pedagogia civile e società postunitaria » ; A. Faeti, « Cuore », in I luoghi della memoria. Personaggi e date dell’Italia unita, M. Isnenghi (dir.), Roma – Bari, Laterza, 1997, p. 101-113.

LA MAESTRINA DEGLI OPERAI, UNE NOUVELLE DÉRANGEANTE D’EDMONDO DE AMICIS

Résumé : L’article analyse La maestrina degli operai (1891) d’Edmondo De Amicis, en montrant combien cette nouvelle est difficile à classer au sein de son œuvre. Ce texte, qui semble vouloir prendre à rebours les pages édifiantes dédiées à l’école du soir dans le livre Cuore, est proche du réalisme cru avec lequel Il romanzo d’un maestro décrit les acteurs principaux (les élèves et les enseignants) de l’univers scolaire. L’intrigue raconte la descente aux enfers d’une jeune institutrice confrontée à un groupe d’élèves adultes dont l’indiscipline ira jusqu’à la criminalité ; parmi ceux-ci, un dangereux voyou, qui forme avec elle un couple antagoniste et qui, après l’avoir longtemps persécutée, se fera tuer pour la défendre. De cette histoire, qui se déroule dans une atmosphère oppressante jusqu’au drame final, se dégage une vision sociale pessimiste, aux antipodes de la bonté naturelle du peuple et de l’éducation du cœur, considérées comme les traits distinctifs de l’auteur, qui ne laisse entrevoir aucun espoir d’émancipation pour la classe ouvrière. Ce qui ne peut que surprendre, car au moment de la publication De Amicis avait déjà fait connaître son adhésion au socialisme. Riassunto : L’articolo analizza La maestrina degli operai (1891) di Edmondo De Amicis, mostrando quanto questa novella sia difficile da classificare all’interno della sua opera. Questo testo, che sembra voler prendere a rovescio le pagine edificanti dedicati alle scuole serali nel libro Cuore, è vicino al realismo crudo con cui Il romanzo d’un maestro descrive gli attori principali (allievi e insegnanti) dell’universo scolastico. L’intreccio racconta la discesa all’inferno di una maestrina confrontata ad un gruppo di allievi adulti la cui indisciplina andrà fino alla criminalità ; fra costoro, un pericoloso teppista, che forma con lei una coppia antagonista, dopo averla a lungo perseguitata si farà uccidere per difenderla. Da questa storia, che si svolge in un’atmosfera opprimente fino al dramma finale, emana una visione sociale pessimista, agli antipodi della bontà naturale del popolo e dall’educazione del cuore considerate come i tratti distintivi dell’autore, che non lascia intravvedere nessuna speranza di emancipazione per la classe operaia. Il che non può non sorprendere, poiché al momento della pubblicazione De Amicis aveva già resa nota la sua adesione al socialismo.

Dans l’une des pages les plus édifiantes du livreCuore , « Le scuole serali », le jeune narrateur Enrico Bottini raconte ses impressions lors de sa visite à son école, faite en compagnie de son père, au moment où sont accueillis

Transalpina, no 20, 2017, Edmondo De Amicis. Littérature et société, p. 99-112 100 Mariella Colin les ouvriers qui assistent aux cours du soir. En complément de l’école élé- mentaire obligatoire pour les enfants instituée par la loi Coppino en 1877, depuis 1880 en effet avaient été ouvertes par les municipalités des écoles du soir (pour les hommes) et du dimanche (pour les femmes) pour l’alpha- bétisation des classes populaires. Mais il n’y a pas que des adultes dans ces cours : la scolarité obligatoire n’allant que de six à neuf ans, dans ces classes on trouve des gens de tout âge : « dei ragazzi da dodici anni in su, e degli uomini con la barba, che tornavano dal lavoro » 1, appartenant à tous les corps de métier urbains, qui défilent en silence : « c’eran dei falegnami, dei fochisti con la faccia nera, dei muratori con le mani bianche di calcina, dei garzoni fornai coi capelli infarinati » 2. Diversifiés par leur métier mais unis par le désir d’apprendre, ces travailleurs entrent calmement dans la classe, et lorsque la leçon commence, Enrico est tout émerveillé de constater « come tutti stavano attenti, con gli occhi fissi » 3, malgré la fatigue accumulée pendant le jour. La fin donne lieu à une scène tout aussi édifiante : dans la rue, les épouses, en compagnie de leurs enfants, attendent leurs maris, et à leur sortie « gli operai pigliavano in braccio i bambini, le donne si facevan dare i libri, e andavano a casa così » 4. Ému par le spectacle auquel il a assisté, Enrico s’exclame : « Non avevo mai visto com’è bella una scuola serale ! » 5. Il sera tout aussi ému dans la deuxième page de Cuore qui vient compléter la première : « La distribuzione dei premi agli operai », où il décrit la remise des prix aux élèves les plus méritants du cours du soir lors d’une cérémonie solennelle, qui se tient au théâtre Vittorio Emanuele de Turin. Lorsqu’il songe aux efforts et aux privations qu’ont dû leur coûter ces prix, il éprouve « non so che nel cuore, come un grande affetto e un grande rispetto » 6 pour ces travailleurs qui ont sacrifié leur repos et leur sommeil pour s’instruire.

À l’école du soir Quelques années après, dans La maestrina degli operai – publiée d’abord dans la Nuova Antologia (1891), puis en volume dans Scuola e casa (1892) – l’écrivain semble prendre le contre-pied de ce qu’il avait écrit dans Cuore, en donnant d’une école du soir des descriptions diamétralement opposées, bien que semblables dans les détails. Le groupe des élèves auxquels fera

1. E. De Amicis, Cuore [1886], Turin, Einaudi, 1972, p. 193. 2. Ibid. 3. Ibid. 4. Ibid. 5. Ibid. 6. Ibid., p. 352. La maestrina degli operai… 101 cours la maestrina, la jeune institutrice protagoniste de la nouvelle, sera également composé d’une foule bigarrée d’ouvriers appartenant à diverses catégories : « alunni di ogni età, dai dodici ai cinquant’anni : operai della fabbrica di ferramenti e di quella d’acido solforico, operai d’una conceria, muratori, contadini, pastori » 7, dont l’aspect sale et grossier remarqué par la maîtresse suscite une tout autre impression : « capigliature irte o arruffate, barbe incolte, visi neri, cravatte rosse, camice sudicie, rozze giacchette gonfiate dalle doppie sottovesti e dalle grosse maglie, che uscivan fuor dalle maniche » 8. Après la description du début du cours, la sortie des élèves se déroule dans une ambiance aux antipodes de l’atmosphère de paix et d’amour familial qui régnait dans Cuore :

Pareva l’uscita d’un teatro popolare una sera di martedì grasso : strilli, salve di fischi, zufolii, urlate, un fracasso di zoccoli, un chiamarsi per nome a squarciagola, uno schiamazzo di domande e di risposte, in cui la maestra sentì più volte il proprio nome e dei commenti sulla sua persona, seguiti da risate clamorose, da canti, da versi d’animali, da esclamazioni buffe e da scaracchi sonori ; e da tutte le parti fiammelle di zolfanelli e di carte accese sulle pipe, che offrirono per un momento lo spettacolo d’una luminaria nella nebbia 9.

Le retournement systématique auquel semble vouloir se livrer De Amicis dans ces passages l’éloigne de la rhétorique des bons sentiments qui était la sienne, pour le rapprocher d’une écriture naturaliste qui n’hésite pas devant les détails les plus crus. Il décrit ici, de manière documentée, les conditions réelles dans lesquelles se déroulaient les cours du soir dans les faubourgs ouvriers, comme il avait décrit précédemment la situation réelle des écoles rurales dans Il romanzo d’un maestro 10, en prenant en considération les problèmes sociaux et en mettant en œuvre « l’assunzione di una prospettiva critica e la conseguenza di un’indagine di tipo psicologico e antropologico » 11. La maestrina degli operai se situe dans cette production

7. Nous citons la version numérisée de la Biblioteca Nazionale Braidense (http://www. braidense.it) d’après l’édition suivante : E. De Amicis, La maestrina degli operai, in Fra scuola e casa. Bozzetti e racconti, Milan, Treves, 1908, p. 143. Cette édition est la dernière publiée du vivant de De Amicis, et elle est identique à celle de 1892. Tout lecteur peut la consulter à l’adresse https://liberliber.it/online/autori/autori-d/edmondo-de-amicis/fra- scuola-e-casa. 8. Ibid. 9. Ibid., p. 148-149. 10. Pour plus de détails, nous renvoyons à notre édition française du Roman d’un maître d’école, notamment à notre « Introduction » (Presses universitaires de Caen, 2016, p. i-xxxiv). 11. M. Dillon Wanke, « Fra scuola e casa : un polpettone, che desidero passi inosservato », in Edmondo De Amicis scrittore d’Italia (Actes du colloque d’Imperia, 18-19 avril 2008), A. Aveto et F. Daneri (éd.), Città di Imperia, 2012, p. 169. 102 Mariella Colin déamicisienne plus complexe et moins connue, où l’auteur n’est plus « pronto a commuoversi e a commuovere la borghesia umbertina » 12 comme dans La vita militare et dans Cuore, et prend donc place dans le sillon du Romanzo d’un maestro. La continuité avec le Romanzo se manifeste dans la caractérisation des personnages et la description des milieux où ils évoluent, et notamment dans les figures des maîtres et des maîtresses présents dans le récit. Les ensei- gnants qui côtoient la maestrina composent un ensemble de personnages médiocres, incompétents et lâches, en contraste total avec les éducateurs exemplaires de Cuore, qui vivent leur métier comme une mission et se consacrent à leurs élèves avec un dévouement allant jusqu’au sacrifice ; ils sont en revanche proches des instituteurs et des institutrices qui peuplent les pages du Romanzo d’un maestro et qui forment une galerie de types très divers, sur lesquels De Amicis ironise volontiers. Ils sont transformés par l’auteur en autant de caricatures : Mlle Mazzara est une arriviste qui cherche à plaire et à s’introduire dans tous les milieux influents ; Mlle Latti est une hypocondriaque perpétuellement convaincue d’être atteinte par mille maladies imaginaires ; Mlle Baroffi est une mythomane qui se prend pour une grande intellectuelle et néglige ses cours pour rédiger des conférences qu’elle ne tiendra jamais ; enfin le maître Garallo (le directeur de l’école) et sa femme, également institutrice, passent le plus clair de leur temps à faire d’innombrables calculs sur les salaires, les indemnités et les pensions de tout le corps enseignant. Ici, point de divertissement. L’équipe pédagogique de l’école du fau- bourg Sant’Antonio, constituée de gens méprisables, isole encore davantage Enrica Varetti, douce et timide institutrice au visage angélique et au corps d’adolescente, née d’une famille noble et éduquée dans un pensionnat reli- gieux, qui nourrit des sentiments de charité chrétienne et vénère la mémoire de son père, un officier mort sur les champs de bataille du Risorgimento. Elle ne pourra pas compter sur l’aide de ses collègues pour surmonter les obstacles qui vont se dresser devant elle, lorsqu’elle se verra confier une mission redoutable : celle de devoir faire l’école du soir à quarante ouvriers de tout âge, parmi lesquels elle redoute « quei contadini del suburbio, guasti dalla vicinanza della città, dove andavano a passar la domenica », « gli operai, meno rispettosi dei contadini e meno maneggevoli, fra i quali si diceva che ci fossero dei socialisti », et, plus malfaisants encore que les adultes, « tutti quei ragazzi tra i dieci e i sedici anni […], maneschi, sboccati, insolenti […], più

12. S. Timpanaro, Il socialismo di Edmondo De Amicis. Lettura del « Primo maggio », Vérone, Bertani, 1983, p. 10. La maestrina degli operai… 103 sfrontatamente corrotti e viziosi dei grandi » 13, qui viennent à l’école non pas pour apprendre, mais pour être au chaud et se retrouver tous ensemble pour faire du chahut. La tâche qu’elle doit remplir est d’autant plus au-dessus de ses forces que la jeune fille est habitée par une crainte démesurée du peuple, provoquée par un traumatisme remontant à son enfance, lorsqu’elle avait assisté à une rixe sanglante entre ouvriers. Depuis, elle est hantée par la vision d’un univers mystérieux et terrible, « nel quale correvano rigagnoli di vino e di sangue e lampeggiavan coltelli e sonavan grida d’assassinati e bestemmie orrende e canti osceni di malfattori e di donnacce » 14, qui la terrorise et lui donne un sentiment d’impuissance insurmontable, « una debolezza mortale dalla nuca alle reni » 15 qui l’empêchera d’agir lorsqu’elle sera confrontée à des événements dramatiques. Car si le protagoniste du Romanzo d’un maestro se heurte à des écoliers abrutis par la misère, qu’il doit libérer de la saleté avant de pouvoir leur apprendre l’alphabet, la jeune maîtresse Varetti devra faire face à des difficultés hors du commun : ses bonnes intentions se briseront contre la résistance d’un groupe composé d’hommes violents et vulgaires et de petits garnements cyniques, de pères de famille craintifs et de complices muets et impuissants. Dans cette école ouvrière où les pires éléments vont vite dominer et faire la loi aux plus honnêtes en les réduisant au silence, l’histoire suivra la descente aux enfers de la maîtresse, objet d’une véritable persécution dans une classe où l’indiscipline ira jusqu’à la criminalité. Parmi ses pires persécuteurs figure d’abord le jeune Muroni, un voyou buveur, bagarreur, prompt à dégainer son couteau surnommé Saltafinestra, puis sa place sera prise par il piccolo Maggia, un garçon effronté et manipulateur de la pire espèce.

La demoiselle et le voyou C’est avec Saltafinestra qu’elle formera le couple antagoniste qui sera le moteur du récit. Dès l’incipit, ce personnage est associé à la terreur morbide éprouvée par la maîtresse pour cette partie de la plèbe qui viole toutes les lois sociales et finit en prison pour expier ses crimes ; et il s’agit, à tous les effets, d’un individu dangereux qui a déjà été condamné pour avoir grièvement blessé un adversaire. Mais ce mauvais garçon, un de ceux qui « non han paura di nulla e che ti freddano un uomo per una parola » 16, ne

13. E. De Amicis, La maestrina degli operai, p. 134. 14. Ibid., p. 135. 15. Ibid. 16. Ibid., p. 137. 104 Mariella Colin manque pas de charme ; d’après Mlle Mazzara, c’est « un bel giovane » 17 qui a du succès auprès des femmes, parmi lesquelles il aime à multiplier les conquêtes. Elle en fait le portrait à son amie, en le décrivant comme un homme avenant, « non tanto alto, ma forte e svelto, dei bei capelli neri, con un ciuffo sulla fronte, una bella vita » 18 ; mais lors du premier cours, le regard de Mlle Varetti verra en lui un mélange de bellâtre et de malfaiteur, et remarquera surtout l’expression dure et vindicative des yeux perçants de celui qui est venu s’inscrire aux cours du soir avec l’intention délibérée de la séduire. Dans le monde adulte des cours du soir, la question de la sexualité ne pouvait manquer de se manifester, car l’institutrice 19, qui était alors en Italie la seule figure féminine à laquelle ses fonctions imposaient d’« esporsi al pubblico senza essere pubblica » 20, ne pouvait échapper aux regards des ouvriers. Ceux-ci ressentent l’influence de sa féminité, tandis qu’à leur contact la jeune maîtresse découvre la sexualité qui émane malgré elle de sa personne, lorsqu’elle s’aperçoit que certains la détaillent de la tête aux pieds, en s’arrêtant sur toutes les parties de son corps comme pour lui prendre les mesures, tandis que d’autres ont dans leurs yeux « dei bagliori di simpatia […] e anche dei lampeggiamenti di pensieri amorosi o lubrici che alcuni si esprimevano l’un l’altro nell’orecchio » 21. Mais Saute-fenêtre, qui domine le récit avec sa sensualité brutale, ne se contentera pas de la fixer par des regards exprimant tour à tour la menace ou le désir, il entreprendra aussi de la courtiser par tous les moyens qu’il connaît. Après lui avoir déclaré sa passion dans une lettre que la maîtresse déchirera en public, il essaiera à plusieurs reprises de la piéger sur son chemin, pour lui déclarer sa flamme et chercher vainement à l’embrasser. Cependant leur rapport ne se limitera pas à une série d’assauts de la part de l’un et de rejets de la part de l’autre, mais sera beaucoup plus com- plexe. La stratégie narrative de l’auteur suivra avec minutie et exactitude la progression lente et tortueuse de la relation entre les deux protagonistes, au fur et à mesure que le jeune homme s’apercevra des différences profondes existant entre les femmes qu’il a l’habitude de fréquenter et celle qu’il a devant lui pendant les cours – « una creatura al tutto diversa da quella

17. E. De Amicis, La maestrina degli operai, p. 137. 18. Ibid. 19. Sur la condition des maîtresses et le harcèlement dont elles étaient alors victimes, cf. M. Colin, « Introduction », in Le roman d’un maître d’école, p. xii-xvi, où l’on trouvera une bibliographie sur le sujet. 20. S. Soldani, « Nascita della maestra elementare », in Fare gli italiani. Scuola e cultura nell’Italia contemporanea, S. Soldani (éd.), Bologne, Il Mulino, 1993, p. 100. 21. E. De Amicis, La maestrina degli operai, p. 154. La maestrina degli operai… 105 che s’era raffigurata, e oscura in parte alla sua intelligenza » 22 – et que la maîtresse observera les changements d’attitude de son élève dans toutes leurs nuances, en cherchant à les interpréter (« cercava di penetrare nei suoi pensieri con l’aiuto di quella scarsa e vaga cognizione dello spirito della sua classe ch’ella aveva » 23). Les sentiments de Saute-fenêtre sont filtrés par le narrateur, tandis que les états d’âme de la maîtresse sont élucidés par l’introspection, mais ils passent constamment chez les deux par le croisement des regards (froids, insolents, puis admiratifs et amoureux de Muroni ; furtifs, craintifs, toujours investigateurs de Mlle Varetti), par lesquels ils s’étudient et s’interrogent mutuellement. De Amicis livre ici un récit qui, au lieu d’être naïf ou moralisateur, révèle une capacité d’analyse psychologique en profondeur, et se montre audacieux en introduisant « quell’elemento sensuale e sessuale molto persuasivo, un erotismo che non conoscevamo in questa dimensione e che incrina la com- pattezza austera della gravità drammatica del tema, nell’equivoco rapporto della maestrina col Muroni » 24. Si la jeune maîtresse refuse résolument toutes les avances du jeune homme et lui échappe à chaque rencontre, son corps en revanche semble répondre au désir amoureux par des actes manqués : une première fois, lorsqu’elle le heurte involontairement de son genou quand il marche devant elle dans la neige 25 ; une deuxième fois, lorsqu’elle serre tout aussi « involontairement » sa main en sortant de l’église 26. Deux gestes qui provoqueront en retour des tentatives d’enlacement auxquelles elle se soustraira à grand-peine. Lorsque le désir brutal de Muroni laisse place à la passion amoureuse, l’adoration muette avec laquelle il se met à la contempler, et les menus services qu’il commence à lui rendre, seront remarqués par la classe, qui s’amusera à le railler. C’est notamment le groupe des plus jeunes, exci- tés par le petit Maggia, qui saisit l’occasion de le faire enrager en faisant subir toute sorte d’insultes à la maîtresse, jusqu’au moment où il voudra venger son honneur. Le drame sanglant qu’on sentait comme inévitable dès les premières pages de la nouvelle est une répétition de la scène qui avait terrorisé la jeune fille dans son enfance, lorsqu’elle avait assisté à une bagarre meurtrière entre ouvriers. Il explose à la fin, après avoir été retardé par de savants procédés narratifs, lorsque Muroni, voulant punir le petit Maggia qui a outragé Mlle Varetti, sera mortellement blessé dans une rixe

22. Ibid., p. 156. 23. Ibid., p. 153. 24. F. Portinari, « Introduzione » à E. De Amicis, Opere scelte, Milan, Mondadori, 1996, p. lxiv. 25. Cf. infra, p. 150 de la traduction. 26. Cf. infra, p. 168 de la traduction. 106 Mariella Colin sanglante. Et c’est alors que la jeune institutrice, appelée en toute hâte au chevet du mourant, est envahie par « una immensa pietà e una tenerezza infinita pensando ch’egli moriva per lei » 27, et qu’elle lui donnera enfin ce baiser qu’il lui avait si souvent demandé et qui n’était pas envisageable autrement. Ce rapprochement du couple sur le lit de mort de Muroni, comme l’a remarqué Alberto Brambilla, est imposé par la logique même du récit, « che imponeva un finale patetico » 28 par lequel advient le rachat final de Saute-fenêtre. Un final édifiant et moralisateur avec lequel De Amicis, « con gli occhi del romanziere d’appendice » 29, renonce à son audace pour se rapprocher des topoi conventionnels des romans d’Eugène Sue ou de Victor Hugo. Ce final néanmoins, quelque vingt ans après, suscita l’intérêt du poète et dramaturge russe Vladimir Maïakowski, qui voulut le traduire en images avec la collaboration du metteur en scène Yevgenij Slavinskj 30. Une adap- tation qui n’est pas aussi surprenante que le pense Claudio Bertieri, car La maestrina degli operai fut publiée dès 1891 (lors de sa parution en revue) à Saint-Pétersbourg 31, puis à Moscou dans une nouvelle édition plusieurs fois réimprimée 32. Dans ce film, qui s’intitulaitBaryshnya i khuligan (La demoiselle et le voyou), Maïakovski transposa l’histoire dans une école de campagne de la Russie du XXe siècle, et interpréta lui-même le personnage de Muroni 33. Ce film, écrit en 1918 et projeté en 1919, fut alors considéré comme étant très révolutionnaire pour l’art cinématographique 34, et connut à l’époque une large diffusion 35.

27. E. De Amicis, La maestrina degli operai, p. 180. 28. A. Brambilla, « Un borghese verso il socialismo. Appunti di lettura su Fra scuola e casa », in Id., De Amicis : Paragrafi eterodossi, Modène, Mucchi, 1992, p. 99. 29. B. Traversetti, Introduzione a De Amicis, Rome – Bari, Laterza, 1991, p. 100. 30. Cf. C. Bertieri, « Un Cuore in fotogrammi per tutte le stagioni », in Edmondo De Amicis scrittore d’Italia, p. 153-162. 31. Outchitelnitsa (L’institutrice), Saint-Pétersbourg, 1891 (sans nom de traducteur), paraît dans une série de petits livres publiés mensuellement en complément de l’hebdomadaire Nedelia (La semaine). Ce supplément est daté d’octobre-novembre 1891. La nouvelle fut rééditée en 1895. Nous remercions Michel Niqueux pour cette information et pour la suivante (note 32). 32. Outchitelnitsa rabotchikh (L’institutrice des ouvriers), trad. N.I. Bronstein, Moscou, V. Antilk & C., 1907. Cinq réimpressions entre 1907 et 1918, que Maïakovski a sans doute pu lire. 33. A.V. Rebikova jouait le rôle de la jeune maîtresse. 34. Cf. J. Leyda, Kino, histoire du cinéma russe et soviétique, Lausanne, Éditions L’Âge d’homme, 1976. 35. Il est aujourd’hui visible sur Youtube, à l’adresse https://www.youtube.com/watch?v=M8U_ UliJVPw (consulté pour la dernière fois le 15 mai 2017). La maestrina degli operai… 107

Le peuple est-il bon ? Ce questionnement parcourt tout le récit, ponctué par les discussions que Mlle Varetti, en quête de solutions aux difficultés qu’elle rencontre pour rétablir la discipline dans sa classe, entretient avec ses collègues, qui lui répondent par leurs certitudes absolues sur la bonté naturelle du peuple. Comme l’a bien mis en évidence Alberto Brambilla, De Amicis compose ici « una sorta di campionario ideologico che in qualche modo definisce alcuni atteggiamenti filantropici o paternalistici della borghesia di fine Ottocento » 36. Des clichés qu’on peut ranger sous l’intitulé générique de populisme, lorsque dans le discours littéraire il y a une évaluation positive du peuple, au plan éthique ou idéologique, et qu’on le représente comme un modèle 37. Mlle Mazzara, à qui Mlle Varetti confie d’abord ses peurs, l’assure que « la gente del popolo è buona » 38, et qu’elle n’a rien à craindre. Son amie, qui vient d’un milieu populaire, lui garantit que « gli operai specialmente, son gente di buona pasta, di cui si fa quel che si vuole » 39 ; aucune raison d’en avoir peur, car parmi eux elle peut être sûre de rencontrer « della gente di cuore, rozza, ma schietta, e anche rispettosa » 40. La maîtresse Baroffi, qui se pique de littérature, voit dans le peuple « un bel soggetto di studio » 41 ; fondant ses opinions sur des lectures surannées, elle l’assure que « l’operaio è ingenuo perché è incolto, e buono perché lavora » 42 ; avec lui, la parole peut tout, et il suffit de le toucher « nel sentimento patrio, nell’amore del bello e del grande » 43 pour obtenir son plein consentement. « Vedrà », confirme le directeur Garallo, « col popolo si sta bene » 44. Mais la narration démontrera à l’envi que la violence et la méchanceté dominent largement dans la classe ; quant aux gens honnêtes et bons comme Perotti, le seul élève-ouvrier qui soit unanimement considéré comme « un buon operaio e un buon padre di famiglia » 45, il devra renoncer, sous la menace de devoir affronter Muroni en combat singulier, à défendre la maîtresse contre les insultes. Et lorsque Mlle Varetti exposera à ses collègues les agressions qu’elle vient de subir,

36. A. Brambilla, « Un borghese verso il socialismo… », p. 96. 37. Cette définition est d’Alberto Asor Rosa dansScrittori e popolo. Il populismo nella letteratura italiana contemporanea, Rome, Savelli, 1966, p. 13. 38. E. De Amicis, La maestrina degli operai, p. 136. 39. Ibid., p. 137. 40. Ibid., p. 138. 41. Ibid., p. 141. 42. Ibid. 43. Ibid. 44. Ibid., p. 149. 45. Ibid. 108 Mariella Colin pour obtenir concrètement leur aide et leur soutien, elle n’aura en retour que cette ritournelle : pour que le peuple révèle sa bonté, il faut l’aimer. Son amie lui redira que si le peuple « par malvagio qualche volta, è appunto perché non è amato » 46 ; il ne faut donc pas l’irriter ou l’avilir. De même, la maîtresse Garallo assènera : « Il popolo vuol essere amato ! » 47, et son mari, le directeur Garallo, voudra lui faire comprendre que « il popolo vuol essere trattato in un modo particolare, bisogna saperlo prendere… » 48, parce qu’il considère que Mlle Varetti « non capisce il popolo ; non sa star col popolo » 49. Mais ceux qui soutiennent ces arguments ne sont pas crédibles ; le directeur lui-même, qui se vante de posséder l’énergie et la franchise nécessaire pour se faire respecter (« il popolo ama i caratteri forti e franchi. Io li tengo tutti nel pugno » 50), cache une peur au moins aussi forte que celle de la jeune maîtresse, laquelle l’empêchera de faire preuve d’autorité devant les ouvriers et le poussera à se cacher lorsque les circonstances réclameront son intervention. Quant à « la tesi della bontà naturale » 51 soutenue par Lorenzo Gigli, selon lequel la fin édifiante de la nouvelle est dictée par le fait que, chez De Amicis, « il miglioramento degli individui » passe toujours « attraverso l’educazione del cuore e l’esercizio assiduo della bontà » 52, elle résulte d’une lecture ramenant toute l’œuvre de l’écrivain au modèle de Cuore. Mais la critique contemporaine, qui ne la partage pas, ne voit plus dans la maîtresse « un personaggio allegorico », ni, dans la scène finale, le triomphe de « la forza morale che vince la forza bruta » 53, et encore moins le salut de l’âme de Saltafinestra obtenu grâce à la religion, mais, plus simplement, « il primato dell’amore » 54.

Quid du socialisme ?

La question de la « bonté naturelle » du peuple doit être complétée par la réflexion sur le socialisme, qui devenait alors centrale dans la société

46. E. De Amicis, La maestrina degli operai, p. 163. 47. Ibid., p. 166. 48. Ibid. 49. Ibid. 50. Ibid., p. 142. 51. L. Gigli, De Amicis, Turin, UTET, 1962, p. 347. 52. Ibid., p. 348. 53. Ibid. 54. A. Brambilla, « Un borghese verso il socialismo… », p. 100. Sur la primauté de l’amour à la fin de la nouvelle, cf.infra , la traduction, p. 175. La maestrina degli operai… 109 italienne. Dans les villes du Nord qui, comme Turin, s’industrialisaient, la classe ouvrière augmentait d’autant, surtout dans les faubourgs périphé- riques, et commençait à se doter de structures politiques et syndicales dont la force naissante effrayait la bourgeoisie 55. Mlle Varetti incarne bien cette frayeur de la classe à laquelle elle appartient par ses origines sociales ; même si elle est consciente que les causes du crime et de l’abrutissement sont à rechercher du côté « dell’ingiustizia sociale, della miseria, dell’ignoranza e del malo esempio » 56, et qu’elle se reproche sa terreur comme une faute morale, elle reste incapable de vaincre sa peur quand il lui arrive de passer « davanti a una delle fabbriche del sobborgo mentre n’usciva l’onda nera e tumultuosa degli operai » 57. Une répulsion que son amie Garoffi, qui se dit « mezza socialista » 58, lui reprochera, en l’accusant de nourrir des préjugés sociaux et de ne pas réagir comme elle le devrait parce qu’elle considère que les gens de sa classe sont supérieurs aux gens du peuple. La maîtresse sait aussi que parmi les ouvriers qui sortent des usines du faubourg Sant’Antonio « si diceva che ci fossero dei socialisti » 59, et elle sera effectivement confrontée à l’un des membres de ce nouveau parti qu’elle redoute. Un homme aux longs cheveux blonds, plus propre et mieux mis que les autres, se révélera être « quell’operaio socialista della fabbrica di ferramenti, del quale aveva sentito parlare molte volte, come d’un giovane d’ingegno ardito e bizzarro » 60 ; elle en aura la certitude lorsqu’il mettra au bas de son devoir cette signature : « Lamagna Luigi, suo eguale, non servo » 61. Mais à celui qui devrait être le représentant de l’élite politique de la classe ouvrière, l’auteur donne une connotation essentiellement négative, en ne lui attribuant aucune des qualités qui pourraient lui conférer une véritable stature morale. Avec ses camarades, son militantisme se limite à une fonction purement oratoire dont il souligne les limites : « predicava il verbo nuovo nei crocchi, terminando ogni discorso col raccomandare l’ ‘orgoglio di classe’, come principio e fondamento necessario della emanci- pazione avvenire » 62. L’orgueil, que la maîtresse a immédiatement lu dans ses yeux, est en réalité le trait dominant de son caractère. Il ne manquera pas d’en donner plusieurs fois la démonstration par ses airs de supériorité,

55. Cf. F. Navire, Torino come centro di sviluppo culturale : un contributo agli studi della civiltà italiana, Berne, Peter Lang, 2009, p. 414 sq. 56. E. De Amicis, La maestrina degli operai, p. 135. 57. Ibid. 58. Ibid., p. 137. 59. Ibid., p. 134. 60. Ibid., p. 147. 61. Ibid. 62. Ibid. 110 Mariella Colin en refusant d’accepter les remarques et les corrections de l’enseignante ou en les écoutant avec un sourire compatissant, car il prétend devoir être tenu dans une considération particulière, « non messo a mazzo con altri » 63. Quant à sa foi politique, il la manifestera en saisissant tous les prétextes pour affirmer à tort et à travers ses convictions, par son emploi de la rhétorique socialiste : lorsqu’il écrira « uno sfruttato » 64 à la place d’« un operaio », ou bien qu’il se moquera des textes moralisateurs du livre de lecture 65. Il tient dans une pauvre considération la maîtresse, à laquelle il veut faire comprendre que, quant à lui, « non riconosceva in lei alcuna superiorità sociale, che la considerava, per esempio, come una popolana sua pari, che invece di spacciar derrata da un banco, spacciava cognizioni da un tavolino » 66. Et lorsque ses camarades lui manquent de respect, au lieu de la défendre, il se montre dérangé par leur mauvaise conduite au nom de la « fierté de classe » qu’il aime tant leur prêcher : « perché, secondo lui, l’operaio avrebbe dovuto insegnar l’educazione ai signori, e invece di farsi disprezzare da loro con la villania, farli arrossire con la sua dignità » 67. L’auteur ne prête donc aucun crédit moral à l’unique socialiste du récit, et se moque ouvertement de celui qui aurait dû, en toute logique, se montrer solidaire et être porteur d’espoirs d’émancipation et de renouveau ; si bien que le seul personnage capable de générosité, qui se rachète par sa mort courageuse en affrontant dans une bagarre des ouvriers encore moins estimables que lui, est un voyou – donc un individu en marge de la classe ouvrière. Aucune promesse ne semble venir non plus des nouvelles générations ; à en croire la maîtresse, ses petits écoliers sont apathiques « a segno che non si cacciavan neppure le mosche dal naso » 68, et déjà endurcis : « quanto al penetrar nel loro cuore, l’impresa era così difficile, che in un anno e più che si trovava a Sant’Antonio, essa non era ancora riuscita a farne piangere uno solo » 69. La vision sociale pessimiste de La maestrina degli operai ne peut que surprendre de la part de De Amicis, qui s’était déclaré socialiste dès 1890, avant même la fondation de Critica sociale par Turati, et qui lisait alors les textes marxistes avec l’aide du germaniste Arturo Graf. En 1891, au moment même où paraissait la nouvelle, sa conversion au socialisme était

63. E. De Amicis, La maestrina degli operai, p. 147. 64. Ibid., p. 176. 65. Ibid. 66. Ibid., p. 154. 67. Ibid., p. 165. 68. Ibid., p. 135. 69. Ibid. La maestrina degli operai… 111 effective ; ouvertement engagé dans cette mouvance, il collaborait déjà à Critica sociale, Il grido del popolo et Ventesimo secolo. Ce dernier journal avait même proclamé officiellement l’adhésion de l’écrivain au socialisme, et il annonçait la parution prochaine de son roman Primo maggio, qui sera terminé à la fin de l’année 1893 70. Doit-on supposer que De Amicis, journaliste et écrivain chevronné, différencie le contenu de ses textes en fonction de ses lecteurs, et qu’il leur propose ce qu’ils ont envie de lire : aux uns, des articles socialistes, aux autres – les lecteurs bourgeois de la Nuova Antologia – une narration qui, tout en correspondant à leurs craintes, les traduit par une vision plus problématique, en s’interrogeant sur les causes de la question sociale 71 ? Ce ne serait pas impossible. D’autres hypothèses sont également envisageables. Si la nouvelle a bien été publiée en 1891, rien n’assure qu’elle ait été effectivement écrite cette même année. De Amicis en effet laissait parfois de côté ses manuscrits, en donnant la priorité à ceux qui lui semblaient pouvoir remporter un succès immédiat ; ce fut notamment le cas pour Cuore et Il romanzo d’un maestro : le premier parut en 1886, et le deuxième en 1890, alors que l’ordre de la rédaction avait été l’inverse (Il romanzo d’un maestro avait été rédigé en 1885 72). Les personnages et les situations de la Maestrina sont d’ailleurs proches de ceux du Romanzo, comme nous avons déjà eu l’occasion de le souligner, tout comme la problématique, qui est encore celle de la réflexion de De Amicis sur les réalités de l’école. Dans ce roman, la question sociale est effectivement abordée, mais dans des termes très vagues (le maître se voit méprisé par les notables du village où il enseigne, et en cherche les raisons) ; le terme de socialisme n’est pas mentionné, et les théories marxistes y sont jugées sans fondement 73. La génétique textuelle pourrait sans doute nous en dire davantage sur l’origine de cette nouvelle, la date effective de sa composition et les motivations de l’auteur, si les brouillons, les manuscrits et les carnets de De Amicis n’avaient pas été détruits en très grande partie par sa femme lors de leur séparation, puis par son fils Ugo lors de son décès 74. Sans leur apport, ce texte continuera de garder sa part d’énigmes et de paraître dérangeant,

70. Cf. S. Timpanaro, Il socialismo di Edmondo De Amicis. Lettura del « Primo maggio ». 71. C’est une hypothèse avancée par Alberto Brambilla, « Un borghese verso il socialismo… », p. 100-101. 72. Cf. M. Colin, « Introduction » au Roman d’un maître d’école, p. i-ii. 73. E. De Amicis, Le roman d’un maître d’école, p. 41-46. 74. Une « stesura preliminare incompleta », non datée, de la nouvelle, est néanmoins conservée dans les archives de la bibliothèque municipale d’Imperia (cf. D. Divano, Edmondo De Amicis a Imperia, Florence, Società Editrice Fiorentina, 2015, vol. 1, p. 11). 112 Mariella Colin ou eterodosso 75, comme dirait Alberto Brambilla, par rapport à l’évolution idéologique de l’auteur. Pour le faire découvrir au public français, nous avons décidé de le présenter ici dans une traduction inédite effectuée par Emmanuelle Genevois et moi-même.

Mariella Colin ERLIS Normandie Université, Caen

75. Nous faisons allusion au titre de l’ouvrage d’Alberto Brambilla portant sur des aspects controversés de l’œuvre de De Amicis (Paragrafi eterodossi), déjà cité. Sur De Amicis « eterodosso », cf. aussi E. Comy Fusaro, Forme e figure dell’alterità : studi su De Amicis, Capuana e Camillo Boito, Ravenne, Pozzi, 2009. L’INSTITUTRICE DES OUVRIERS 1

Une des plus jolies écoles des faubourgs de Turin, qui sont toutes neuves et de bel aspect, est celle de Sant’Antonio, petite localité située à une lieue des portes de la ville et habitée en grande partie par des paysans et des ouvriers de deux grandes usines de fer blanc et d’acide sulfurique, qui l’emplissent de bruit et la recouvrent de fumée. Le faubourg est formé d’une seule route droite, bordée de maisonnettes et de potagers, qui débouche sur un large boulevard courant en pleine campagne : au bout de celui-ci, se trouve une église solitaire, et sur l’un des côtés, en bordure d’un champ, l’école. L’édifice, petit et gracieux, compte cinq grandes pièces au rez-de-chaussée, pour les cinq classes élémentaires, et deux petites chambres pour le cantonnier et sa femme, qui servent d’appariteurs ; au-dessus, les petits appartements pour les quatre institutrices et un instituteur, qui ont chacun deux petites chambres et une cuisine. Aux enseignants appartiennent cinq potagers minuscules, enserrés dans le mur d’enceinte de la cour et cultivés par l’appariteur, qui garde pour lui les légumes et donne au premier étage les fraises et les fleurs. Cette petite famille scolaire, rarement visitée par l’inspecteur de Turin, vit là comme dans une petite villa, tranquille et libre, si ce n’est que les délices de la villégiature sont considérablement diminués par quatre mois de froid et de brouillard, pendant lesquels le lieu est désagréable et la solitude triste. C’était justement une journée grise et froide de fin novembre, et la jeune maîtresse, Mlle Varetti, était en train de regarder avec plus de tristesse que d’habitude, depuis la fenêtre de sa chambrette, les toits bas du faubourg, au- dessus desquels fumaient les hautes cheminées des usines, et la vaste plaine couverte de neige, fermée au loin par les Alpes blanches voilées par le brouil- lard. La tristesse de la saison et du lieu était accrue par l’idée déplaisante de devoir commencer le lendemain l’école du soir pour les adultes à laquelle

1. La maestrina degli operai parut d’abord en revue dans Nuova Antologia en trois parties, publiées respectivement le 1er juin, le 16 juin et le 1er juillet 1891, puis dans le recueil Fra scuola e casa, Milan, Treves, 1892. L’édition en volume comportait un grand nombre de variantes par rapport à l’édition en revue. Par la suite, le texte conserva cette dernière forme dans toutes les éditions suivantes. Pour une comparaison entre les deux rédactions, cf. l’édition Mondadori des Opere scelte dans la collection « I meridiani » (Milan, 1996), p. 1183-1193.

Transalpina, no 20, 2017, Edmondo De Amicis. Littérature et société, p. 113-176 114 L’institutrice des ouvriers l’avait destinée la Direction des écoles de Turin. Ceci parce que l’épouse du maître Garallo avait été dispensée de cette charge en raison d’une baisse soudaine de la vue, au bout d’un mois et demi d’enseignement. Elle n’aurait pas été aussi inquiète si elle avait dû donner ces cours dans n’importe quel autre village, mais elle se faisait du souci à cause de ces paysans du faubourg corrompus par la proximité de la ville, où ils allaient passer le dimanche et d’où tous les jours fériés arrivait une troupe de barabba 2 pour jouer et se soûler dans les cabarets, dont le nombre avait triplé depuis qu’il y avait le tramway. Elle était davantage intimidée par les ouvriers, moins respectueux et moins dociles que les paysans, parmi lesquels on disait qu’il y avait des socialistes ; et, plus encore que les adultes, par ces garçons entre dix et seize ans qu’elle voyait sortir en bande des usines, violents, vulgaires, insolents et, d’après ce qu’on lui disait, plus effrontés, dissolus et dépravés que leurs aînés. Mais son inquiétude provenait également de raisons particulières propres à son naturel et à sa vie. Fille d’un major d’infanterie de noble famille mort à la bataille de Custoza, ayant vécu jusqu’à dix-huit ans dans un austère pensionnat de province, timide et gentille par nature, elle avait depuis son enfance une espèce de terreur démesurée de la plèbe, effet d’une grave maladie provoquée par une violente frayeur, pour avoir vu de sa fenêtre une rixe sanglante entre des ouvriers mineurs. Elle croyait beaucoup plus nombreuse, et aussi plus mauvaise qu’elle n’est, l’infime partie du peuple qui vit dans un état de rébellion perpétuelle à toutes les lois sociales, et qui donne aux prisons et aux pénitenciers la majeure partie de sa population ; celle-ci, dans son imagination, elle se la représentait presque comme la plèbe entière, et la pensée de ce vaste souterrain ténébreux, qu’elle s’imaginait ouvert sous ses pieds, où couraient des ruisseaux de vin et de sang, luisaient des couteaux et résonnaient des cris de gens assassinés, d’horribles jurons et des chants obscènes de malfaiteurs et de prostituées, la tourmentait presque continuellement, comme une affreuse vision dont elle ne pouvait se libérer. Quand passait près d’elle quelqu’un qui lui semblait faire partie de ces gens, un frisson courait dans ses veines ; s’il parvenait à ses oreilles une phrase de leur jargon, elle avait la chair de poule, et rien qu’à voir dans la rue un début de bagarre, elle pâlissait comme une morte, sentait ses forces l’abandonner et rentrait chez elle tremblant de la tête aux pieds, désespérant de l’humanité et de l’existence. Elle ressentait néanmoins pour

2. Ce terme est utilisé à Turin à la fin du XIXe siècle, lorsqu’on se met à opposer « l’onesto lavoratore » au barabba. Ce dernier est l’ouvrier dont le travail est irrégulier et parfois illicite. Souvent bagarreur, il mène une vie déréglée, fréquente volontiers les cafés et dérange les autres habitants (cf. F. Navire, Torino come centro di sviluppo culturale : un contributo agli studi della civiltà italiana, Berne, Peter Lang, 2009, p. 414). Traduction de La maestrina degli operai 115 ces êtres une curiosité vive et inquiète, qui la forçait à les regarder, quand elle pouvait, en cachette, à méditer leurs phrases saisies au vol comme des manifestations partielles de leur âme, à rechercher des détails de leur vie et de leur nature dans les pages des journaux où étaient racontées leurs prouesses. Cette terreur morbide, elle essayait pourtant de la vaincre de toutes les manières, car, bonne et religieuse comme elle l’était, elle sentait qu’elle venait d’une source impure, d’une compréhension insuffisante, d’un sentiment peu profond de l’injustice sociale, de la misère, de l’ignorance et du mauvais exemple, premières causes de l’abrutissement et du crime. Et quand elle était plongée dans ses méditations, elle comprenait et ressentait tout cela vivement, s’apitoyait sur ceux qui la terrifiaient, les aimait d’un amour chrétien, rêvait même d’une œuvre rédemptrice, d’une légion de dames missionnaires propageant bonté et gentillesse parmi la plèbe, se voyait se consacrer elle-même à cette œuvre, pénétrait en pensée dans les lieux les plus abjects pour tenter d’ouvrir et d’amollir les cœurs. Il lui semblait qu’elle réussirait, et elle s’excitait dans cette imagination jusqu’à en pleurer de tendresse, se donnait l’illusion d’avoir acquis, comme par miracle, assez de courage en elle pour décider dans son for intérieur de se mettre à l’épreuve à la première occasion. Mais une heure après, s’il lui arrivait de passer devant l’une des usines du faubourg lorsqu’en sortait la vague noire et tumultueuse des ouvriers, elle était reprise par le sentiment habituel dans toute sa force, et tous les efforts qu’elle faisait pour résister étaient vains. Lorsque le dimanche soir, de sa fenêtre, elle voyait à l’extré- mité du boulevard la lanterne rouge et la porte éclairée du cabaret La Gallina, au premier son des voix déformées et menaçantes qui annonçaient une querelle, à l’image exécrée, qui se présentait tout de suite à elle, des couteaux brandis et d’un cadavre étendu dans la rue, elle était prise d’une faiblesse mortelle de la nuque aux reins, d’un sentiment inexprimable d’impuissance, comme une paralysie soudaine du corps et de l’âme, qui lui laissait à peine la force de fermer les volets. Ne pouvant rien faire d’autre, elle essayait de fortifier son esprit en se familiarisant avec ses petits élèves de la seconde classe, en pensant que plusieurs d’entre eux, une fois grands, deviendraient également semblables à ces hommes qui la terrorisaient tant, buveurs, bagarreurs, prompts au couteau, féroces. Et avec cette idée elle les observait avec curiosité, les interrogeait, s’ingéniait à découvrir en eux les germes des passions violentes et brutales qui les agiteraient plus tard. Mais ses recherches ne lui apportaient pas grand-chose. La plupart étaient apathiques au point qu’ils ne chassaient même pas les mouches de leur nez et de leurs yeux quand ils lisaient, et pour ce qui était de pénétrer dans leur cœur, l’affaire était tellement difficile que pendant une année et plus encore qu’elle était à Sant’Antonio, elle n’avait pas réussi à en faire 116 L’institutrice des ouvriers pleurer un seul. La classe sociale qui troublait son âme demeurait devant son imagination aussi mystérieuse et terrible qu’auparavant. Toute absorbée par cette pensée, elle suivait de l’œil un train au loin sur la voie ferrée, qui sillonnait la plaine blanche, lorsqu’elle fut distraite par une visite qu’elle n’attendait plus à cette heure-là. C’était sa collègue, Mlle Mazzara, arrivée de Turin par le tramway : elle venait une fois par mois, presque toujours le jeudi après déjeuner, rendre visite à son amie du faubourg, comme elle l’appelait. Elle avait dix ans de plus qu’elle ; grande et sèche, un paquet de nerfs, un teint rouge de jambon cru, elle avait deux beaux yeux gris inquisiteurs, brillant au-dessus d’un nez en faucille sous lequel jaillissait un jet de paroles intarissables, semblant s’engorger parfois et ne pouvoir sortir tant elle se hâtait. Elle embrassa son amie et lui raconta ce qu’elle avait déjà fait dans sa journée : une tournée impensable ! Levée à sept heures, elle était allée trouver une amie française, religieuse, institutrice au Sacré-Cœur, pour lui demander des nouvelles d’une autre, malade, enseignante à l’Institut Falconi, puis recommander un garçon à Don Bosco, à l’Oratoire de la rue Cottolengo ; elle avait ensuite remis l’article d’une amie à la direction de l’Unione degl’insegnanti, fait un saut, pour une de ses affaires, à la Société du chant choral, dont elle faisait partie. – Après ça – conclut-elle – j’ai encore voulu voir mon Enrica. – Mais alors qu’elle s’approchait d’elle pour l’embrasser une nouvelle fois, elle nota sa tristesse et, changeant immédia- tement de visage, de ton et d’attitude : – Qu’y a-t-il ? – lui demanda-t-elle. – Qu’as-tu ? Qu’est-il arrivé ? La jeune fille la fit asseoir en face d’elle dans l’embrasure de la fenêtre et lui parla de l’école du soir et de ses craintes. – Ce n’est que ça ? – demanda l’autre vivement en souriant. – Oh, pauvre petite ! Tu devrais être contente ! Passons sur le fait que tu gagnes quatre-vingts lires de plus par mois… Mais tu te fais des idées. Je t’assure que tu te trouveras très bien au contraire. Les gens du peuple sont de braves gens ; il ne faut pas s’en tenir à la surface ; tu leur découvriras des qualités que tu ne n’imagines même pas. Tu verras, tu verras. Eh, tu sais bien que je suis à demi socialiste. Elle était aussi socialiste, en effet ; elle était un peu de tout. Religieuse avec les familles religieuses, démocrate avec les familles du peuple, aristo- cratique avec l’aristocratie, partisane de l’émancipation des femmes avec ses amies « émancipées », et affectueusement flagorneuse avec tout le monde ; elle avait des relations avec la moitié de Turin, hantait cent maisons, don- nait des leçons et acceptait des repas, connaissait des prêtres, des députés, des journalistes, des personnes dans le besoin, qu’elle recommandait de tous côtés ; elle s’était fait des amies dans tous les établissements scolaires distingués, était la confidente de cinq ou six directrices, et pour obtenir des Traduction de La maestrina degli operai 117 autographes, écrivait des lettres de louange à des hommes ou des femmes illustres, se rendait aux obsèques de personnalités, se mêlant à la parenté afin de se faire passer pour l’amie de la famille, présentait les uns aux autres ses connaissances du monde scolaire et littéraire ; elle rendait service à tous, était au courant de tout, s’entendait en tout. Seulement, elle n’écrivait pas car le temps lui manquait ; mieux, elle ne parlait jamais de littérature, qui lui importait peu ; elle n’était née que pour l’action, n’avait pas la moindre vanité littéraire ; sa suprême ambition était de devenir directrice d’une école municipale. Mais son amie ne fut pas rassurée par ses paroles. Elle savait que les élèves d’un cours du soir à Sant’Andrea étaient allés jusqu’à tracer des dessins obscènes sur le tableau, avaient provoqué un tel esclandre pendant la classe que la maîtresse avait dû faire venir son père pour assister aux cours. Une autre institutrice avait trouvé une lettre ordurière sous son encrier et avait failli tomber malade de frayeur quand on lui avait mis un rat vivant dans le tiroir de sa table. Une autre enfin, dans un autre faubourg, avait porté plainte aux autorités à cause de deux grands élèves perturbateurs ; ceux-ci l’avaient ensuite guettée sur la route où elle devait passer et l’avaient jetée dans un fossé. Mlle Mazzara haussa les épaules. C’étaient des inventions, des exagéra- tions. Les maîtresses prenaient au tragique la moindre broutille. – Crois-moi – dit-elle – le peuple, les ouvriers en particulier, ce sont de bonnes pâtes, on en fait ce qu’on veut, il suffit de savoir bien les prendre ; ceux qui en disent du mal ne les connaissent pas. Je parle des hommes, les femmes, c’est une autre affaire. Et histoire de réconforter son amie par son exemple personnel, elle se mit à raconter toutes les peines qu’elle avait à faire classe à l’école du dimanche de la Section Norberto Rosa. – Tu t’imagines, cinquante élèves de tous âges, de dix ans jusqu’à cinquante, des couturières, des bonnes, des ouvrières, des boutiquières, des patronnes d’auberges, des filles de magasin, des rouées… et pire encore. Elles entrent en classe en faisant un chahut infernal, se disputent à coups de poing les places près de la fenêtre pour voir leurs amants dans la rue. Et quel amour-propre ! Les femmes d’un certain âge refusent que je corrige leurs devoirs à voix haute et répondent par des impertinences à mes réprimandes ; les jeunes rient quand je fais la morale ; celle-ci ne veut apprendre qu’à faire des comptes pour son auberge ; cette autre ne voudrait qu’écrire des lettres pour s’exercer aux correspondances amoureuses ; l’une veut sortir avant parce que la cuisine l’attend ; une autre s’endort parce qu’elle a passé la nuit à coudre ou à Dieu sait quoi. Crois-moi, Enrica, il vaut bien mieux avoir affaire à des paires de moustaches ! 118 L’institutrice des ouvriers

Tandis qu’elle discourait, son amie remarqua la belle robe en lainage bis très fin, qu’elle ne l’avait jamais vue porter, un peu trop voyante pour elle, et elle lui demanda combien elle coûtait. L’autre rougit un peu et répondit négligemment : – Une vieillerie –. Mais il vint à l’esprit de son amie un soupçon déplaisant : que cette robe, comme celle de l’été passé, était une robe déjà portée… qui lui avait été donnée par une belle jeune fille qui avait fait fortune sans se marier et qui prenait des leçons particulières d’orthographe avec elle pour faire « bonne impression » dans la société. Elle reprit : – Et il faut les voir à la sortie. Quand la cloche sonne, elles se sauvent toutes avec une telle précipitation que parfois elles tombent les unes sur les autres et c’est un miracle qu’il n’arrive rien. Dehors, elles s’envoient des boules de neige, courent les unes après les autres. Si tu les voyais, un scandale ! Mais ce n’est pas le pire. Il y a toujours un troupeau d’hommes à la porte. À les entendre, ce sont tous des frères ou des cousins. Il y a aussi des chefs d’équipe. Et ils se prennent sous le bras sans façons, sous le nez de la directrice. Il y en a une, entre autres, une petite bonne, une vipère, qu’il faudra bien mettre à la porte un de ces jours tant elle nous fait damner. On n’a jamais vu une effronterie pareille. Elle aussi a un cousin, comme les autres. Tu verrais quel beau gars ! Il vient exprès de Turin pour l’attendre, un gibier de potence, un de ces barabba, tu sais, qui n’ont peur de rien et qui te descendent un homme pour un seul mot. Et le plus beau, c’est qu’alors qu’il lui fait la cour, il en a après les autres. Il les voudrait toutes pour lui. Il s’est déjà disputé avec tout le monde. Mais tous le craignent parce qu’il a déjà été un an en prison pour un coup de couteau. Il faut voir la tête qu’il a : des yeux qui te donnent des frissons. Et cette effrontée s’en vante, elle joue les reines, tu comprends, elle voudrait en imposer aux autres, et menace de faire trouer la peau à leurs frères et à leurs fiancés. Dimanche dernier, il en a giflé un, il y a eu du grabuge et les carabiniers sont arrivés. On le tuera, un de ces jours. Mais il n’y a rien à dire : un beau gars. L’année dernière, il a participé à des concours de lutte à l’Arena torinese et il paraît qu’il les a tous envoyés par terre. Il n’est pas très grand, mais il est costaud, svelte, il a de beaux cheveux noirs avec une mèche sur le front, une taille bien dessinée. Quand il est posté là, au coin de la rue, pendant la classe, impossible de tenir la douzaine d’élèves qui sont près des fenêtres. Je ne comprends pas… À moi il me ferait peur. Mais à ces mots, elle se mit à rire, ce qui déplut à son amie, qui y voyait une réaction en désaccord avec ses paroles et en comprenait la raison. Fille d’un ouvrier agricole – un piètre personnage – élevée avec trois frères, des garnements de mèche avec la pègre de Turin qui avaient séjourné plusieurs fois en prison à la suite de désordres et de bagarres, Mlle Mazzara était sortie de son milieu familial par l’étude et grâce à sa qualité d’âme naturelle ainsi Traduction de La maestrina degli operai 119 que par quelques contacts haut placés ; mais il lui était resté, pour son milieu d’origine, une sorte de sympathie de race qui, sans oser se manifester ouvertement, se laissait deviner à cause d’une sorte d’indulgence souriante, poussée parfois jusqu’à une admiration vulgaire de leurs hauts faits qui choquaient la délicatesse de son amie. Cette dernière oublia un moment leur bonne amitié de trois ans, ainsi qu’un service important qu’elle lui avait rendu dans une douloureuse affaire, et se leva, agacée par ces paroles. L’autre lui demanda si elle devait sortir. Elle répondit que oui, qu’elle allait à la « bénédiction » comme chaque jour. Alors sa collègue changea brusquement de visage et de ton et lui dit, avec la douceur d’une dévote : – Tu fais bien, mon enfant. Moi aussi je ressens la nécessité d’aller à l’église tous les jours dédier une pensée à Dieu. Je me sens mieux après. Il lui fallait cependant rentrer à Turin. Elle devait encore rendre visite à une amie, parente d’une institutrice qui avait été préceptrice dans la famille du prince Carignano et elle devait faire une commission au curé de la Consolata, une foule d’affaires. – Donc – lui dit-elle en lui prenant le menton à deux doigts – va de bon cœur assurer l’école du soir. Je suis sûre que tu y trouveras des gens cordiaux, rudes mais authentiques, et même respectueux. Il suffit de les traiter sans suffisance, simplement, à leur façon. Tu verras, dans un mois ils t’adoreront. La jeune fille hocha la tête. – J’ai de mauvais pressentiments – répondit- elle. – Des chimères ! – reprit l’autre. Le peuple, c’est comme le diable, il est beaucoup moins mauvais qu’on l’imagine. Puis elle lui fit part d’une idée : pour les premiers soirs, elle pourrait faire venir le cantonnier. L’autre sourit. Le cantonnier était un pauvre petit vieux qui faisait le bravache, mais qui tremblait de peur au point que lorsqu’il entendait les cris d’une dispute dans la rue, il n’y avait plus moyen de mettre la main dessus, il semblait passer à travers les murs, comme un fantôme. – En somme – conclut Mlle Mazzara – tout ira pour le mieux, je te l’assure, moi. Je reviendrai bientôt te voir et tu me diras que tu es contente. La jeune fille sortit avec elle pour la raccompagner jusqu’au boulevard, tandis que l’autre lui donnait encore précipitamment des nouvelles d’une dizaine d’amies. Une fois arrivées à la porte de la cour, elles rencontrèrent un jeune homme avec un chapeau mou, la pipe à la bouche, qui les fixa toutes deux du regard, se rangea pour les laisser passer puis entra dans l’école et se retourna pour regarder la jeune maîtresse Varetti. Mlle Mazzara se montra très étonnée et s’exclama : – C’est lui ! – Qui, lui ? – demanda l’autre, troublée. 120 L’institutrice des ouvriers

– Lui, celui dont je viens de te parler ; il vient tous les dimanches attendre sa cousine. Je ne savais pas qu’il était à Sant’Antonio, tu dois le connaître. Elle répondit en balbutiant qu’elle le connaissait de vue. – C’est sans doute un élève de l’école du soir – dit alors sa collègue, mais la jeune fille était sûre que non. – Alors – dit son amie – il est sûrement venu s’inscrire. Que veux-tu qu’il vienne faire ici ? L’autre pâlit. Mais son amie ne s’en aperçut pas et lui dit joyeusement : – Ce sera à toi de le convertir. Ne reste pas ici à attraper froid. Adieu, Enrica ! Elle lui donna un baiser et fila dans la neige. La maîtresse rentra le cœur battant. Était-il vraiment venu se faire inscrire à l’école du soir ? Et pourquoi avait-il attendu qu’elle y soit affectée ? Elle eut tout de suite l’idée d’aller vérifier cela chez Garallo, qui, faisant fonction de directeur, recevait les inscriptions, mais elle fut retenue par la crainte qu’il devine son inquiétude, et la traite de pusillanime. Elle n’eut plus de doutes une minute après, en voyant de la fenêtre de la cour le jeune homme en train de parler avec le maître, qui le congédia d’un geste de ses doigts ouverts semblant vouloir dire : – À huit heures. – Elle connaissait cet individu plus que de vue car dans le faubourg tout le monde en parlait. C’était un certain Muroni, surnommé Saute-fenêtre parce que, étant enfant, pour échapper à une colère de son père qui voulait le tuer, il avait sauté par la fenêtre de chez lui en se cassant la jambe sur le pavé de la rue. Son père, ouvrier dans une des usines de Sant’Antonio, était mort d’un coup reçu par une courroie de transmission sous laquelle il s’était introduit en état d’ivresse, après avoir fait souffrir pendant dix ans les peines de l’enfer à son épouse, une pauvre femme très dévote qui travaillait dans une tannerie. Leur fils travaillait chez un forgeron, quand il en avait envie ; il passait des journées entières à Turin, avait été un an en prison pour coups et blessures, et avait rendu fous les carabiniers en leur filant dix fois entre les doigts ; il fréquentait la pègre de la ville et des environs, était joueur, ivrogne, que- relleur, tyrannique, sans pitié avec sa mère, à laquelle il arrachait jusqu’au dernier centime en la menaçant d’aller faire des scènes à l’église ou de raturer les images pieuses de la maison ; enfin, il était accusé par la rumeur publique de toutes les friponneries et de toutes les violences commises la nuit à Sant’Antonio dont on ne découvrait pas les coupables. La maîtresse l’avait toujours eu en horreur, et plus encore depuis quelque temps, car, par sympathie ou bien pour le plaisir de l’intimider et de la confondre par son regard, il s’était mis à la dévisager chaque fois qu’il la rencontrait, et à s’arrêter pour la regarder encore après son passage ; et en effet, sous le regard de ses yeux noirs brillant d’un éclair sinistre, elle changeait de couleur et restait sans souffle. Pourquoi était-il venu se faire inscrire à l’école du soir ? Traduction de La maestrina degli operai 121 se demandait-elle. Sûrement pas pour s’instruire. Et lui passaient par la tête les idées les plus noires : offensé par l’aversion qu’elle lui montrait malgré elle, il voulait venir à l’école pour se venger, ou bien, prenant son trouble pour de l’émotion née d’un élan de sympathie, il voulait s’en approcher pour faire sa conquête ; deux soupçons qui l’effaraient de la même manière. Maintenant, il lui semblait déraisonnable de s’en être tant préoccupée auparavant, alors qu’elle savait pourtant qu’il ne faisait pas partie de la classe. À présent, en revanche, elle avait bien raison d’être angoissée. Mon Dieu, qu’allait-il se passer ? Comment s’en tirerait-elle ? Agitée par ces pensées, elle se mit à marcher dans sa chambre. Elle s’arrêta un instant devant un portrait de son père en uniforme accroché au mur, comme pour prendre conseil et courage de son effigie ; ensuite elle s’arrêta devant son miroir, comme pour interroger sa propre personne, savoir si elle allait imposer le respect ou bien encourager l’impertinence, si elle arriverait à la freiner en inspirant de la sympathie, ou même de la pitié. Mais le miroir ne disait rien qui la rassure. Vingt-quatre ans environ, grande pourtant, elle en faisait dix-huit ; elle avait un joli corps d’adolescente, le visage d’une blancheur laiteuse, des traits menus de petite fille et une petite bouche décolorée, d’où sortait une voix faible et douce de malade. Quelle autorité pouvait-elle avoir ? Même le léger défaut de strabisme qui donnait à ses yeux bleus un air rêveur, séduisant selon beaucoup, lui semblait devoir se prêter aux blagues et aux moqueries, tout comme son teint délicat et sa grâce distinguée, qui faisaient un contraste trop vif avec l’allure de ses élèves. Elle resta quelque temps devant son miroir, en lissant distraitement de sa main longue et blanche ses cheveux châtains qui descendaient sur ses tempes, et en se demandant quelle expression elle devrait adopter devant la classe le lendemain soir, pour s’attirer d’emblée un peu de bienveillance. Mais soudain elle s’en éloigna, plus inquiète que jamais, et s’approcha de la fenêtre, pour fixer d’un regard scrutateur l’extrémité du boulevard, là où à travers le brouillard du soir resplendissait déjà la lanterne rouge de ce terrible cabaret, qui lui faisait imaginer tant d’horreurs et trembler. Deux coups qu’elle entendit alors dans le mur, de l’autre côté de sa chambre, la tirèrent de ses pensées. C’était sa collègue, Mlle Baroffi, qui l’appelait pour dîner dans sa chambre. Depuis un mois elles dînaient ensemble, elles deux et Mlle Latti, se contentant de la cuisine rustique de la femme du cantonnier, qui faisait parfois aussi le service à table, entre deux coups de balai. Désireuse de dis- traction, la jeune fille accourut immédiatement et trouva ses commensales déjà assises à une petite table ronde où la soupière et la lampe à pétrole se disputaient l’espace, en fumant de concert. Mais à son regret, la conver- sation dévia immédiatement sur l’école du soir. Mlle Latti avait traversé le 122 L’institutrice des ouvriers village peu de temps auparavant et entendu un aide-maçon dire à l’un de ses camarades avec un clin d’œil : – Dis donc, demain nous aurons la petite institutrice. – Et elle plaisanta à ce propos avec son amie. Mais sa bonne humeur était une exception à la règle. Cette petite personne souffrait d’une mélancolie monomaniaque, que ne laissait abso- lument pas supposer son petit corps grassouillet et son minois noir et vif de jeune gitane : elle se croyait toujours malade, d’une maladie qui variait tous les quinze jours ; dans sa chambre, elle possédait une pharmacie com- plète, avait toujours dans sa poche des pilules et des poudres, savait par cœur Comment être son propre médecin, recherchait les remèdes dans la page quatre des journaux, tenait une correspondance avec un clinicien de Turin et, entre autres maux, était tourmentée par une toux permanente, ou plutôt par un soupçon permanent de toux, qui l’amenait à se lancer dans de perpétuels efforts d’expérimentation, tel un chanteur qui aurait perdu sa voix. À ses élèves, elle donnait souvent comme rédactions des lettres destinées à consoler des malades éloignés, ou bien à raconter une maladie personnelle. Parfois, au début du cours, elle disait : – Mes petites, c’est une des dernières leçons que vous tient votre pauvre maîtresse ! – Lorsqu’elle passait devant un cimetière avec des amies, elle soupirait : – C’est là qu’on m’attend ! – Les plus malignes de ses élèves n’avaient qu’à s’approcher d’elle et lui dire : – Qu’avez-vous, ce matin, madame, pour être aussi pâle ? – et elle, même quand elle allait bien, était prise d’une terrible agitation. Bonne comme le pain au demeurant, dominant toutes les petites misères et les menus emportements de l’univers scolaire, comme quelqu’un qui croit être déjà passé d’un monde dans l’autre. C’était la fille d’un agent municipal. Mlle Varetti ne répondit pas à ses plaisanteries. Alors Mlle Baroffi la réconforta. – Moi je t’envie – dit-elle avec sa grosse voix, levant son pâle visage poupin de mère noble, couronné d’une chevelure au désordre poétique, et lançant un regard par-dessus la tête de son amie comme si elle parlait à une personne debout derrière elle. – Tu pourras étudier le peuple : un beau sujet d’étude qui n’a jamais été exploré à fond. Tu pourras faire un grand bien. Je voudrais être à ta place et je pense que je ferais ce que je voudrais de cette classe. La maîtresse Garallo ne comprenait pas les élèves, ne savait pas toucher les cordes sensibles… En un mot, elle n’est pas douée pour la parole. Mais une jeune fille intelligente et de cœur doit pouvoir les tenir en quatre leçons. La jeune fille secoua la tête d’un air incrédule. – Tu es trop théorique – lui dit-elle. C’était bien vrai. En dépit de ses trente-huit printemps, elle croyait encore en l’image de l’ouvrier des manuels de lecture qui chante les joies de Traduction de La maestrina degli operai 123 la pauvreté honnête et plaint les riches accablés de soucis. Plongée comme elle l’était dans la littérature, elle n’avait aucune connaissance pratique de la vie, aucune base d’observation faite directement sur les hommes et sur les choses ; rien qu’un bric-à-brac désordonné et bizarre de jugements livresques, de concepts convenus, de phrases toutes faites, qu’elle combinait continuellement, comme une mosaïque, pour ses conférences idéales. La conférence tenait chez elle d’une vraie frénésie mentale, qui lui avait fait négliger l’école et se faire reléguer de la ville au faubourg Sant’Antonio où elle souffrait de nostalgie littéraire, l’esprit toujours tourné vers Turin, terrain de ses modestes gloires d’antan, tel un paradis perdu. Sa passion atteignait un tel degré qu’elle ne pouvait voir une table et une chaise sans penser tout de suite à une conférence ; elle aurait tenu des conférences aux arbres du boulevard, elle pratiquait des expériences oratoires sur elle- même, dans sa chambre, elle ne pensait quasiment à rien d’autre ; tout ce qui entrait dans sa tête par le biais de la conversation ou des livres prenait automatiquement la forme d’un discours académique, à l’instar de ces matières qui prennent une forme donnée dans une machine donnée. Elle offrait donc en cela un cas curieux de cleptomanie littéraire car, d’instinct, innocemment, elle ne faisait que piller les pensées des autres et y appliquer son sceau comme la chose la plus naturelle du monde ; par exemple elle s’emparait de la conférence de quelqu’un, la remaniait et la faisait sienne, sans lui apporter rien d’autre qu’une certaine teinte lyrico-pédagogique uniforme qu’elle dispensait partout ; et quand elle pouvait la lire, elle y apportait de douloureux accents dramatiques, gesticulant comme un nau- fragé qui appelle au secours. Quelques années auparavant, elle avait publié un indigeste livre de lecture, qui, d’un bout à l’autre, ressemblait à un dépôt d’objets de provenance suspecte, sur lequel elle avait fait imprimer « droits de propriété réservés », et à présent, dans son ermitage, elle accumulait les fruits d’un ample et inlassable saccage, pour le jour où elle reviendrait à Turin. La seule chose qui l’inquiétait, c’était son poids croissant et la prolifération de ses cheveux gris, ce qui, selon elle, nuirait quelque peu à ses succès futurs. L’observation de la jeune fille la piqua un peu. – Non, je ne suis pas théorique – répondit-elle. – J’ai plus d’expérience que toi, je connais le peuple mieux que toi, et j’ai remarqué que le peuple, les ouvriers en particulier, on ne sait pas l’instruire. L’ouvrier est ingénu parce qu’il est inculte, et bon parce qu’il travaille, et ainsi prompt à tous les enthousiasmes. Il faut donc le toucher dans le sentiment patriotique, dans l’amour de ce qui est beau et grand ; il faut faire briller à son esprit les idéaux de la jeunesse, avec le langage de l’enfance. C’est ce qu’on ne sait pas faire et que je ferais moi, chère amie. 124 L’institutrice des ouvriers

– Mon Dieu ! dit avec tristesse la jeune fille. – Quand il vous lance une insulte en pleine figure, c’est vraiment utile de lui répondre avec des idéaux ! – Moi, on ne m’insulterait pas – répliqua l’autre. La discussion, qui menaçait de s’envenimer, fut interrompue au bon moment par Mlle Latti qui, après avoir dévoré comme un jeune loup, laissa brusquement tomber sa fourchette en s’écriant : – Cet appétit me sera fatal ! Ses camarades sourirent. – À propos – dit Mlle Baroffi –, Garallo m’a dit qu’il venait d’inscrire Saute-fenêtre. Elles le connaissaient toutes de réputation. Mlle Varetti fit signe qu’elle le savait. – En voilà un par exemple – ajouta la conférencière – que je me ferais fort de faire pleurer comme un enfant. – Je voudrais t’y voir – dit la jeune fille. – Et tu m’y verrais – répondit l’autre en secouant sa chevelure. Parfois ces démons déchaînés, qui font peur à tout le monde, ont des cœurs d’enfants. Il suffit de trouver le bon chemin, et la parole peut tout. Regarde comme Garallo les a en main. Garallo avait la seconde classe de l’école du soir. Mais l’exemple n’était pas probant, car dans la seconde il n’y avait pas d’hommes mûrs. Par ailleurs, la jeune fille ne croyait pas du tout qu’il était ferme sur la discipline comme il s’en vantait. Il avait coutume de dire : – Dans ma classe on entendrait une mouche voler – et elle, le soir, de sa chambre, elle entendait un raffut du diable. – C’est une autre chose – intervint Mlle Latti, qui s’était remise à man- ger – Garallo est républicain ; ça lui est plus facile de les tenir, le peuple a de la sympathie pour les républicains. Mais la conférencière dit que Garallo était républicain, de principes et de cœur ; chez lui il y avait des portraits de Mazzini, d’Aurelio Saffi et d’Alberto Mario ; son père avait été mazzinien, il restait fidèle aux idéaux de son père, mais à l’école il ne faisait pas de propagande, il s’abstenait seulement des adulations et des menteries obligatoires. – C’est ça, c’est un républicain silencieux – fit observer la jeune fille – il se garde bien de se compromettre, ça n’entre pas dans ses comptes. Ce jeu de mots involontaire fit rire les deux autres. Garallo et sa femme étaient réputés comme les deux comptables les plus passionnés du corps enseignant, ils faisaient des calculs à n’en plus finir sur leurs propres trai- tements et augmentations quinquennaux, et sur ceux des autres ; ils étaient continuellement occupés par des questions de contentieux scolaire financier, étudiant les bulletins du Monte delle pensioni et ceux de la Cassa Società degl’insegnanti, les relations avec la Cassa pensioni de la Municipalité, méditant propositions et observations à faire lors des réunions, enregistrant Traduction de La maestrina degli operai 125 les « liquidations » 3 de leurs collègues, discutant le budget du Ministère de l’instruction publique, élevant des lamentations sans fin, en duo, au sujet de toute augmentation de dépense que l’on faisait sur les autres budgets de l’État. Ils ne sortaient presque jamais de leur trou, et on disait qu’ils passaient toutes leurs soirées en calculs et raisonnements de cette espèce, grignotant, au milieu des chiffres, les saucissons et les ricotte dont les parents de leurs élèves leur faisaient cadeau. Les deux maîtresses plaisantèrent un moment sur le sujet et elles étaient justement en train de dire que les deux époux connaissaient sur le bout des doigts les traitements, les indemnités et les « à-côtés » des instituteurs du monde entier, de Saint-Pétersbourg jusqu’à la Californie, lorsque Mlle Varetti entendit dans le couloir le pas de Garallo qui s’arrêta devant la porte de son logis. Alors qu’elle se levait pour aller chez lui, elles entendirent au contraire que l’on frappait à la porte de Mlle Baroffi, laquelle courut ouvrir et fit entrer le maître qui tenait une grande feuille de papier à la main. C’était un étrange personnage : la quarantaine environ, de petite taille, râblé, une tête énorme avec une épaisse chevelure noire ébouriffée, le visage pâle et sérieux, avec deux moustaches courtes et hirsutes, des lunettes fumées et une voix de basse. Il ne voulut pas s’asseoir. Il venait, envoyé par sa femme, apporter à Mlle Varetti la liste des inscrits à sa classe du soir. Celle-ci prit le papier, y jeta un coup d’œil : il y en avait quarante. Elle regarda le dernier nom. Hélas ! c’était celui de Muroni, Saute-fenêtre. Garallo tira une autre feuille, plus petite, où les élèves étaient répartis en deux sections : ceux qui savaient lire et écrire sommairement et ceux qui débutaient. – Vous savez sans doute – dit-il – qu’il y a un nouvel inscrit. Elle répondit qu’elle l’avait vu. – Ne vous faites pas de souci – lui dit le maître d’une voix bourrue, remarquant son visage inquiet –, lui et les autres on les fait tous filer doux de la même façon. Inutile de faire des phrases, de faire du sentiment. Il faut de la franchise et de l’énergie, montrer qu’on ne craint personne. Le peuple aime les caractères forts et francs. Je les ai tous en main, les miens, et ils ne pipent pas. En tout cas, s’il y avait quelque chose, faites-moi appeler : il suffira que je me montre. La jeune fille le remercia, avec un léger sourire ironique ; le maître lui souhaita le bonsoir et s’apprêta à sortir. Arrivé près de la porte, il se retourna pour annoncer une bonne nouvelle à ses collègues. Il semblait que

3. Crédits qui sont accumulés tout au long d’une carrière et qui sont versés au moment de la retraite. 126 L’institutrice des ouvriers le Ministère se fût enfin décidé à accorder une réduction sur les billets de train aux enseignants de l’école élémentaire. – Il était temps – dit-il, et sortit. Les deux maîtresses souhaitèrent la bonne nuit à Mlle Baroffi et ren- trèrent dans leurs chambres au moment où le cantonnier barricadait la porte de la cour, et la maison solitaire demeura dans un profond silence. Le lendemain matin, alors qu’elle s’apprêtait à descendre à l’école des enfants, Mlle Varetti reçut une visite inattendue : la mère de Saute-fenêtre. Cette dernière entra timidement dans la chambre en faisant une révé- rence, comme devant une grande dame, et tout en regardant autour d’elle avec un air de curiosité respectueuse, elle sembla un instant étonnée de voir accroché au mur le portrait d’un officier. C’était une petite femme trapue, avec un fichu jaune sur la tête qui laissait voir ses cheveux gris, habillée en paysanne, mais propre ; un visage d’âme en peine, creusé par un sillon au milieu du front, et deux yeux inquiets et luisants, où brillaient deux larmes figées et comme cristallisées. Elle commença par une question singulière, à voix basse, comme si elle parlait dans un confessionnal : elle demanda à la maîtresse si elle savait pour quelle raison son fils avait décidé d’aller à l’école du soir. La maîtresse fut étonnée par la question : que pouvait-elle en savoir ? Et le soupçon que cette femme imaginât un lien, ne serait-ce que de mots, entre elle et le jeune homme, lui fit monter le sang aux joues. Alors, d’une voix tremblotante, parlant tout bas, presque à l’oreille, la vieille lui recommanda son fils au cas où il ne se comporterait pas bien et commettrait quelques… imprudences, elle priait la demoiselle de l’excuser autant que possible, de ne pas le prendre de front… à cause de son mauvais caractère. Malgré tous les torts qu’il lui avait faits, elle semblait encore croire qu’il était plutôt perverti par ses mauvaises fréquentations qu’avec un mauvais fond. Mais la vérité sortit de sa bouche malgré elle, quand elle aperçut dans la jeune fille une expression fugitive de compassion. – Ah ! Madame la maîtresse ! – s’exclama-t-elle, en joignant ses mains –, si vous saviez quelle vie est la mienne ! Ce fils auquel je donnerais tout mon sang ! Sainte Vierge ! Et dire que depuis l’âge de treize ans il n’a plus voulu ni se confesser ni communier ! Et elle se mit à pleurer. Oui, tout le reste lui aurait semblé peu de chose, si seulement il avait voulu aller à la messe le dimanche. C’était même la raison de sa venue. Si madame la maîtresse, en faisant la classe, sans y toucher, petit à petit, avait pu lui inculquer un peu de religion, un peu de crainte de Dieu, avec ces mots que les gens instruits savent trouver, elle aurait fait une œuvre de bien, et elle-même l’aurait bénie toute sa vie. À ce moment, elle s’interrompit pour s’approcher de la fenêtre et regarder le boulevard, sans se montrer aux vitres, parce qu’elle craignait Traduction de La maestrina degli operai 127 que son fils l’ait vue entrer ou bien qu’il la voie sortir. Son allure comme tous ses gestes révélaient un souci habituel et ancien, qui était devenu une sorte de maladie chronique chez elle, et qui laissait deviner une histoire pitoyable de douleurs et de peines, de nuits veillées à attendre son fils, avec la hantise qu’on le lui ramène blessé ou mort, de persécutions et de coups reçus de son mari, de terreur continuelle de la justice humaine et divine, vingt années d’existence qui avaient été un long martyre sans réconfort et sans repos. Ensuite elle recommanda à nouveau son fils avec des mots humbles, où perçait néanmoins une certaine fierté craintive de sa sinistre célébrité. Les mauvais camarades et les femmes de mauvaise vie le recherchaient, tout le monde le voulait, le faisait boire et jouer, il était fier, s’offensait pour deux fois rien, n’avait peur de rien… Mais dans son enfance il avait été aussi gentil que les autres. Et ce souvenir la fit fondre en larmes une nouvelle fois. – Si on m’avait dit – s’exclama-t-elle en pleurant dans ses mains ouvertes –, quand je le portais dans mes bras, qu’il m’aurait déchiré le cœur de cette façon ! – Et tandis que la maîtresse lui disait quelques mots de consolation, elle ôta les mains de son visage et se mit à la regarder dans une attitude de gratitude et d’admiration, comme si elle observait pour la première fois sa figure distinguée et sa voix suave. – Ah ! ma pauvre petite ! – dit-elle – une demoiselle comme vous… devoir faire la classe à tous ces démons ! – Et elle s’en alla, après avoir lancé un autre regard inquiet par la fenêtre. L’école du soir devait commencer à huit heures. Un quart d’heure plus tôt, Mlle Varetti, regardant par les vitres, vit en bas, dans le brouillard du boulevard, de noirs groupes d’ouvriers qui de leurs pipes et de leurs cigares allumés piquetaient l’obscurité comme autant d’yeux enflammés. Ce soir-là, elle avait mis une robe de lainage, couleur café, un peu large, qui lui semblait la plus apte à ne pas attirer les regards sur sa personne. Dix minutes avant l’heure, Garallo vint la chercher pour la présenter aux élèves. En passant par le couloir, ils rencontrèrent le cantonnier, un petit vieux sec au long nez, l’air arrogant. Garallo lui ordonna d’avoir à l’œil la classe de la jeune fille… – Dedans ? – demanda-t-il en s’assombrissant. Le maître lui répondit : – Dehors – et l’homme respira. – Dedans ou dehors – dit-il –, cela revient au même pour moi. La jeune fille entra avec le maître dans la salle qui était celle où Mlle Baroffi faisait la classe aux enfants le jour. Il n’y avait encore que six ou sept élèves à leurs pupitres au fond ; les autres entraient peu à peu. Le maître et la maîtresse montèrent sur l’estrade, là où se trouvait le bureau, et se tinrent debout devant le tableau, sous la petite flamme du gaz, assistant à l’entrée. 128 L’institutrice des ouvriers

Ils entraient un par un, par trois, par cinq, à la queue leu leu, livres et cahiers à la main, les hommes tapant des pieds à cause du froid, les jeunes garçons dans un grand bruit de sabots, et tous, en entrant, lançaient un regard de vive curiosité à la nouvelle institutrice ; certains faisaient même halte un instant ; et au fur et à mesure qu’ils se glissaient sur leurs bancs, ils exprimaient à voix basse à leurs voisins leur impression. C’étaient des élèves de tout âge, de douze à cinquante ans : des ouvriers de l’usine de fer blanc et de celle d’acide sulfurique, ceux d’une tannerie, des maçons, des paysans, des bergers, de ceux qui descendent des Alpes pour hiverner à Turin avec leurs bêtes, vendre du lait et des fromages, ou pour pelleter la neige : des chevelures hirsutes ou ébouriffées, des barbes incultes, des visages noirs, des cravates rouges, des chemises sales, des vestes grossières gonflées par leurs doubles gilets et leurs gros tricots qui leur sortaient des manches. Les hommes mûrs, un peu honteux de venir à l’école, allaient s’asseoir presque tous à la dernière rangée, le dos contre le mur, sur lequel on voyait d’énormes taches d’encre, presque jusqu’au plafond. Lorsqu’ils furent tous à leur place et tranquilles, le maître Garallo fit de sa voix de taureau, mais fort courtoisement, la présentation : – Je vous présente votre nouvelle maîtresse. Je vous recommande obéissance et respect. Après quoi, il sortit en hâte, sans en dire plus, et la jeune fille resta un instant immobile, debout face à ses élèves qui la regardaient en silence. Un observateur étranger aurait deviné que tous faisaient mentalement une comparaison entre la nouvelle maîtresse et la précédente, Mme Garallo, une petite boulotte d’une trentaine d’années qui avait l’air d’être la sœur de son mari ; et il aurait également compris que la comparaison était toute à l’avantage de la première. Dans presque tous les regards brillait un sourire manifestant des pensées difficiles à exprimer. La jeune fille demeura un peu embarrassée, le regard incertain, ne sachant par quoi commencer. Puis elle s’assit devant son bureau. C’est à cet instant qu’entra Saute-fenêtre. Un long murmure se fit entendre et tous les yeux se tournèrent pour le regarder, lui, et la maîtresse ; et celle-ci, déduisant de cet acte que tous savaient qu’il venait à l’école pour elle, pâlit légèrement. Le jeune homme, désinvolte et tranquille, passa devant le bureau, lan- çant à la maîtresse un rapide coup d’œil de biais, se dirigea vers le premier banc à droite, là où se trouvait une place vide contre le mur, mit une main sur le pupitre, et d’un mouvement très leste, sauta sur le siège et s’assit. Avant tout, la maîtresse aurait dû faire passer un bref examen au nou- veau venu pour s’assurer qu’il pouvait faire partie de la section des plus avancés, où il s’était installé de son propre chef ; mais justement l’attente Traduction de La maestrina degli operai 129 de cet examen, qu’elle vit dans les yeux des élèves, lui ôta le courage de le faire. Elle commença immédiatement la leçon. Sa collègue lui avait indiqué brièvement sa méthode et l’endroit où ils en étaient restés. Suivant ses traces, elle se mit à écrire sur le tableau, d’une main hésitante, une série de syllabes simples, afin tout d’abord de faire lire, puis de faire écrire la section de gauche ; tandis que ces derniers écrivaient, elle ferait lire les autres dans le livre de lecture. La leçon avait l’air de bien commencer ; pendant un certain temps on n’entendit aucun murmure : ceux qui n’étaient pas attentifs à la lecture semblaient absorbés par l’examen de sa personne. Timidement, tandis que les premiers lisaient, l’un après l’autre, elle examina d’un regard furtif ses élèves. Les plus grands se trouvaient presque tous sur sa gauche, avec ceux qui étaient les moins avancés. Celui qui la frappa avant les autres, sur le banc le plus proche d’elle, c’était une sorte d’Hercule en miniature, tout voûté, à la tête démesurée et difforme, le front très bas, un mufle de bœuf : un visage stupide qui laissait apparaître un entêtement de brute, mais qui, malgré l’expression torve du regard, laissait percer je ne sais quelle droiture d’âme. Il prêtait une attention profonde à ses paroles et à la lecture de ses camarades. La maîtresse remarqua que son porte-plume était fait d’une clef dont la pointe pour écrire était enfoncée dans le trou. Quand arriva son tour de lire, elle lui demanda son nom. Il répondit d’une façon à peine intelligible : – Carlo Maggia. – C’était un garçon boucher qui avait trente-cinq ans et en paraissait dix de plus. Aux premières syllabes qu’il lut, d’une voix de dogue, aurait-on dit, quelques garçons de l’autre section se mirent à rire ; mais au lent regard qu’il promena sur eux, ils se turent. L’attention de la jeune fille fut attirée par un autre élève de la section de droite, qui devait être le plus âgé de tous les adultes : un homme d’une cinquantaine d’années, de haute taille, avec une barbe fournie grisonnante, un visage las et bienveillant d’honnête travailleur, qui la réconforta. C’était un certain Perotti, ouvrier à la tannerie, qui, à deux rangs derrière lui, dans la même classe, avait un fils de onze ans, travaillant dans la même tannerie, sérieux et sympathique comme lui. Un peu plus bas, elle remarqua la tête blonde d’un autre ouvrier, plus propre que les autres, qui lui fit impression : un homme sur la trentaine, aux cheveux longs, bien peignés, avec un visage distingué au grand nez aquilin, de petits yeux d’un bleu intense, où brillait l’intelligence, mêlée à une expression d’orgueil, qui se fit plus vive lorsque leurs regards se rencontrèrent. De ce côté de la classe, la plupart étaient de jeunes garçons : des visages vifs, agités, sales, impertinents : ils laissaient entendre immédiatement qu’ils venaient à l’école plus pour profiter de la chaleur et chahuter que pour apprendre. L’un d’eux suscita en elle une véritable inquiétude : c’était un garçon de quatorze ans environ, assis au bout 130 L’institutrice des ouvriers du deuxième banc, un jeune maçon apparemment, qui sourit ouvertement, avec un air de familiarité nullement respectueux, lorsqu’elle le regarda. Des nombreuses têtes de vauriens qu’elle avait remarquées à la sortie des usines, c’était la plus effrontée : des yeux irradiant tous les vices, un bout de nez retroussé – l’insolence incarnée –, une bouche où l’on devinait, sans qu’il l’ouvre, des obscénités, une peau couleur de cendre, un corps long et décharné, un peu voûté, et le sourire cynique du gamin qui a déjà parcouru un bon bout de tous les chemins qui mènent à l’hôpital ou à la prison. Puis son regard se porta sur le premier rang ; mais, ayant jeté un coup d’œil furtif sur Muroni, elle tourna son regard du côté opposé, portant son attention aux élèves qui lisaient tous ensemble les syllabes du tableau, épelant et chantant comme des enfants qui colleraient leurs bouches à un entonnoir. Pendant ce temps, s’était répandue dans l’école une forte odeur qui commençait à offenser ses narines : celle des pipes et des mégots de cigares éteints depuis peu, un fort relent mêlé de vin, de graisse de machines, de peaux tannées, d’étable, de chaussures trempées. Dans le chœur des lecteurs, elle entendit certains élèves forcer leurs voix pour faire une farce mais elle fit semblant de ne pas y prêter attention. Quand ils eurent fini, elle leur demanda d’écrire les syllabes sur leurs cahiers, et elle s’adressa à l’autre section. Mais avant qu’elle ne commence, des bancs du fond de la classe descendirent trois grands élèves, leur cahier à la main, parmi lesquels, Perotti ; ils vinrent la trouver comme ils le fai- saient avec Mme Garallo, afin qu’elle clarifie leurs doutes sur la rédaction qu’elle leur avait donnée. Un peintre aurait pu imaginer un tableau inédit et charmant avec le groupe que forma pendant un instant l’aimable visage de cette jeune institutrice timide et un peu embarrassée, penchée sur les cahiers, au milieu des rudes têtes échevelées des trois ouvriers, penchés eux aussi pour examiner les corrections. Sa collègue avait donné comme travail la lettre de congé d’un ouvrier au directeur de l’usine. Lorsque les trois grands élèves eurent retrouvé leurs places, elle en appela un au hasard, après avoir parcouru la liste, pour lui faire lire son devoir à voix haute. Au nom de Lamagna Luigi, l’ouvrier aux longs cheveux blonds se leva. Tous firent silence, y compris dans l’autre section, et se tournèrent pour le regarder, comme s’ils s’attendaient à ce qu’il lise quelque chose de singulier. Il commença sa lecture avec une certaine aisance et une négligence affectée, comme s’il feignait de penser à autre chose. Dans sa lettre, il y avait des phrases qui n’avaient pas grand-chose à voir avec le sujet, introduites presque de force, où se dévoilait de façon plus manifeste la suffisance qu’elle avait déjà lue dans ses yeux. Elle lui fit quelques remarques grammaticales, auxquelles il opposa quelques objections, sans impertinence, mais sur un ton destiné à faire comprendre qu’il voulait être considéré d’une façon Traduction de La maestrina degli operai 131 particulière, ne pas être mis dans le même sac que les autres. La lettre portait la signature : Lamagna Luigi, votre égal, non votre serviteur. Ces mots l’éclairèrent soudain. Ce Lamagna était à coup sûr l’ouvrier socialiste de l’usine de fer blanc dont elle avait entendu parler bien souvent, comme d’un jeune homme à l’intelligence audacieuse et singulière, tenu en grande estime par ses camarades auxquels il prêchait le verbe nouveau dans de petits groupes, concluant chacun de ses discours en recommandant la fierté de classe, comme principe et fondement nécessaire de l’émancipation future. La maîtresse lui fit encore une observation sur un mot de la conclusion et il s’assit en murmurant ses objections à son voisin, avec un sourire empreint de dignité. Jusque-là, à l’exception de quelques légers chuchotements, la classe se comportait bien, et la maîtresse prenait courage. Elle fit ouvrir le livre de lecture l’Artiere italiano, que tous les élèves du côté droit possédaient, et lut la première phrase. En lisant, elle songeait qu’il lui faudrait faire lire à tout prix après elle Muroni, tant pour rompre la glace que pour ne pas susciter dans la classe le soupçon qu’elle en eût peur ; d’autre part, en partant de la droite du rang le plus proche, il était le premier. Elle fit donc un effort, et dès qu’elle eut fini sa lecture, se tournant vers lui, elle lui dit : – Relisez. Tous firent silence. Le jeune homme se leva, le livre à la main, souriant avec l’air vaniteux de celui qui sait être l’objet de la curiosité et de l’attente. C’était la première fois qu’elle fixait ses yeux sur lui et elle en ressentit la plus forte répugnance qu’elle eût jamais ressentie de sa vie. Cette tête petite, avec ses cheveux divisés au milieu, comme ceux d’une femme, ce visage semblable à celui d’un gamin monté en graine, d’une pâleur livide, avec deux petits yeux noirs au regard perçant, à l’expression dure et résolue, où l’on devinait une rage vengeresse et sans pitié, cette bouche mince, sans lèvres, qui avait l’air d’une blessure faite au couteau, garnie seulement de deux petites moustaches retroussées, avait quelque chose de féroce et de maniéré à la fois, qui impressionnait plus terriblement que le visage d’un grossier malfaiteur perverti. Tout son corps, bien proportionné et mince, révélait des muscles d’acier et une agilité de saltimbanque. À la chevelure pom- madée, au nœud relâché de la cravate qui laissait découvert le cou jusqu’à la fontanelle de la gorge, aux pantalons étroits qui s’évasaient en forme de cloche sur le pied, aux larges poignets de couleur qui couvraient la moitié des mains, on reconnaissait le typique barabba ambitieux, un mélange de bellâtre et de chenapan, dévoré de mille appétits, qui n’était retenu que par le frein de la pauvreté, prêt à toute heure à n’importe quelle entreprise et à toute friponnerie la plus audacieuse. Toute sa personne, assise de guingois, 132 L’institutrice des ouvriers avec une épaule plus haute que l’autre, les éclairs intermittents de ses yeux, le ton de sa voix rauque étaient l’indice d’un orgueil démesuré et sauvage, qui, ne trouvant aucune voie, s’épanchait dans un mépris goguenard de tous et de tout ; de ces mépris de malfaiteurs, s’élevant, croissant peu à peu depuis la poussière de la rue qui les a vus naître jusqu’au summum de toute mesure humaine. Lisant avec difficulté, il faisait semblant de bredouiller par caprice et non par ignorance, et lorsqu’il levait son visage du livre, il lançait parfois un coup d’œil à la maîtresse qui ne voyait que le blanc de ses yeux et en éprouvait une sensation de froid dans les veines. En dépit de ses efforts, chaque fois qu’elle devait le corriger, elle n’osait pas le regarder en face ; elle ne regardait que sa main droite, celle qui tenait le livre, songeant en frémissant que c’était celle qui avait plongé le couteau dans le flanc d’un ami. Quand, la lecture une fois finie, il se rassit, elle se sentit comme délivrée d’une oppression au cœur. Lorsque ce fut le tour de lire pour le garçon du deuxième rang, celui qui lui avait causé une si fâcheuse impression, elle comprit, à sa façon de se lever et au mouvement de curiosité qu’il causait chez ses camarades, qu’il devait avoir l’habitude de susciter hilarité et désordre dans la classe ; ayant lu son nom, Pietro Maggia, espérant s’attirer ainsi un peu de ses bonnes grâces, elle lui demanda s’il était parent de l’autre Maggia, cette sorte de grosse brute de l’autre section. – C’est mon tonton – répondit le gamin, avec une grimace comique qui fit rire ses voisins. L’oncle occupé à écrire avec sa clef ne se retourna pas. Et l’autre commença à lire en contrefaisant sa voix, une de ses performances d’artiste, avec laquelle il imitait celle d’un malheureux estropié du faubourg qui demandait l’aumône. Tous les gamins éclatèrent de rire. Mais trois ou quatre hommes firent sentir leur désapprobation ; parmi lesquels, Perotti qui, depuis son banc du fond lui dit âprement : – Boucle-la ! – Pourquoi me manquez-vous de respect ? – lui demanda la maîtresse encouragée par ces interventions. Le garçon s’assit, en faisant mine de friser une moustache. La maîtresse passa à un autre. Quand ce fut le tour de Lamagna, elle lui dit : – Faites mieux entendre le double « t » – et celui-ci répondit avec hauteur : – Il me semble l’avoir fait entendre –. Les autres se comportèrent bien. Alors, elle leur indiqua la phrase à recopier et elle revint à la première section. Cependant, furtivement, elle regardait de temps en temps Muroni pour déduire de son comportement ses intentions. Il écrivait ; mais il la regardait très souvent ; et ses regards, sans dévoiler clairement sa pensée, la confirmaient malheureusement dans la certitude qu’il était venu avec une idée derrière la tête : poussé par une sympathie brutale, ou bien pour faire quelque bravade, peut-être en raison d’un pari passé avec ses camarades, ou Traduction de La maestrina degli operai 133 encore avec le seul dessein de lui faire peur et de lui causer du chagrin, par méchanceté ; ou par Dieu sait quoi. Chaque fois qu’il la regardait, passait furtivement un sourire sur cette bouche sans lèvres, comme l’éclat d’un couteau, le sourire menaçant, sournois, fuyant de quelqu’un qui couve un projet maléfique. Et à chacun de ces sourires, elle se troublait, si bien qu’elle devait faire un effort pour ne pas perdre le fil de la leçon, et lui s’en apercevait, et ses yeux lançaient un éclair de complaisance triomphale, qui la troublait davantage. Mais pendant toute la leçon, il garda un maintien correct, ne se retournant jamais pour bavarder avec ses voisins, comme s’il était absorbé par son idée. Ces deux heures interminables passèrent, avec l’aide de Dieu. Le samedi et le dimanche étant chômés, la maîtresse donna en devoir à la section la plus avancée une lettre destinée à une sœur imaginaire éloignée. Puis elle recommanda timidement à tout le monde de sortir en silence. À ces der- nières paroles, le jeune Maggia émit un léger sifflement qui, heureusement, passa inaperçu entre le tintement de la cloche et le bruit que tous faisaient dans leurs préparatifs. Ils sortirent dans un grand désordre. En passant devant elle, Muroni lui lança un regard qu’elle esquiva. Un grand nombre d’hommes la salua. Mais c’est dehors qu’éclata le plus grand vacarme. Les élèves de Garallo quittaient l’école eux aussi. On se serait cru là à la sortie d’un théâtre populaire, une soirée de Mardi gras : des cris, des salves de sifflements, des sifflotements, des hurlements ; un fracas de sabots, des appels de noms à tue-tête, un tohu-bohu de questions et de réponses, où la maîtresse perçut plusieurs fois son propre nom ainsi que des commentaires sur sa personne, suivis d’éclats de rire bruyants, de cris d’animaux, d’exclamations comiques et de raclements de gorges sonores ; et de tous côtés, la lueur des allumettes et des papiers enflammés sur les pipes, qui offrirent un instant le spectacle d’une fête des lumières dans le brouillard. Puis le tintamarre s’éloigna peu à peu, on n’entendit plus que des cris et des chants dans le faubourg, auxquels succéda enfin un profond silence. Mlle Varetti sortit de l’école plutôt tranquillisée. Sa classe était moins redoutable que ce qu’elle s’était imaginé ; il y avait des figures d’honnêtes hommes, qui lui semblaient disposés à tenir en respect les garnements, et elle était surtout rassurée par l’image de ce Perotti, sur le visage duquel elle avait quasiment vu une promesse de protection paternelle. Elle demanda ensuite à son sujet des renseignements à Garallo, qu’elle rattrapa dans les escaliers, et en eut d’excellents. C’était un bon ouvrier et un très bon père de famille, qui avait travaillé comme menuisier avant d’entrer à la tannerie, et fabriqué deux ou trois petits meubles très jolis pour le musée pédagogique que le maître se proposait de mettre sur pied. Lui et son fils avaient une si 134 L’institutrice des ouvriers grande volonté de s’instruire qu’à peine sortis de la tannerie ils allaient à l’école sans manger, restant ainsi à jeun pendant dix heures ; et le petit, qui avait fait la seconde élémentaire, corrigeait en outre le travail du père, après dîner. – Vous verrez – conclut Garallo – que cela se passe bien avec le peuple. Si des désordres devaient survenir, vous me ferez appeler par le cantonnier, et je n’aurai qu’à me montrer à la porte : tout le monde rentrera dans le rang. Bien qu’encore troublée par sa peur de Saute-fenêtre, Mlle Varetti se représenta à l’école avec une meilleure disposition d’esprit que trois jours auparavant. Mais elle s’aperçut malheureusement dès le début que, n’étant plus distraits par la curiosité qu’elle avait suscitée le premier soir, et parce qu’ils avaient aussi deviné son naturel timide, les garçons n’entendaient pas se contenir comme la fois précédente. Elle entendit des rires réprimés, et comprit qu’on devait faire des gestes inconvenants dans son dos, tandis qu’elle écrivait des syllabes au tableau. Les plus jeunes commencèrent à parler fort ; certains s’endormaient, l’un d’eux ronflait et elle dut le réveiller. Elle fut obligée deux ou trois fois de s’interrompre, effrayée, attendant que les grands, irrités d’être dérangés, imposent le silence. Le petit Maggia amusait ses voisins avec une gymnastique continuelle des mains et des pieds, sous son pupitre, et quand elle le regardait, il la fixait avec une expression de feint étonnement si impertinente qu’elle devait tourner la tête d’un autre côté. Une fois terminée la lecture de la première section, le silence général se fit lorsqu’on vit Saute-fenêtre sortir de son banc le cahier à la main pour monter sur l’estrade demander des explications sur son travail. La maîtresse trembla, prise par le pressentiment d’un geste d’audace imminent. Le jeune homme s’approcha d’elle avec une parfaite tranquillité, en simulant même un grand sérieux, et après avoir déposé devant elle son cahier ouvert, lui posa une question à propos d’une phrase. Surmontant la répugnance qu’elle ressentait en étant si proche de lui, en tremblant et en se recroquevillant presque sur elle-même, comme pour éviter son contact, elle pencha son visage sur le cahier, et lut les premières lignes de la rédaction : c’était une lettre adressée à une sœur. Tout à coup, poussée par un élan d’indignation plus fort que toute crainte, elle saisit la feuille à deux mains, la déchira en deux morceaux et repoussa le cahier loin d’elle. Elle venait de lire le début d’une déclaration amoureuse. Le jeune homme reprit son cahier et retourna à sa place, tête baissée, avec un sourire sinistre. La maîtresse demeura quelques instants blanche comme un linge. Ensuite, à grand-peine, elle recommença la leçon. Cet événement mystérieux, immédiatement commenté par un vif murmure, permit de maintenir parmi les élèves un bref silence de curiosité Traduction de La maestrina degli operai 135 et d’attente. Mais vers la fin, tandis que la maîtresse tournait à nouveau le dos à la classe pour écrire des syllabes avec sa craie, elle fut troublée par le bruit d’une grosse boule de papier mâché qui s’abattit au beau milieu du tableau et retomba à ses pieds. Elle se retourna, le visage en flammes, pour chercher le coupable : ce ne pouvait être Muroni, parce que la boule était venue du milieu de la classe. Elle regarda le petit Maggia, mais il avait une figure impassible. Elle regarda les autres garçons : ils étaient tous immobiles comme des statues. – Qui a fait ça ? – dit-elle d’une voix émue. Personne ne répondit. Elle chercha le visage de trois ou quatre hommes plus âgés, qu’elle croyait disposés à la protéger : celui de Perotti entre autres, mais ils baissèrent tous la tête. Alors, découragée, elle fit un effort pour ravaler ses larmes, et poursuivit la leçon. Ce nouvel affront qui lui avait été fait au vu de tous lui serrait le cœur plus que le premier, qui l’avait néanmoins offensée plus intimement en tant que femme ; et son émotion plus que visible contribua à assurer un peu de retenue parmi les élèves, à l’exception du petit Maggia, qui essaya deux ou trois fois de faire rire la classe. Mais les adultes, indignés, le firent taire. Elle continua tristement à faire lire, ne regardant Muroni que vers la fin du cours. Mais les yeux qu’elle vit à ce moment-là la bouleversèrent : ce n’était plus le regard à la fois curieux et moqueur du premier soir, mais un regard aigu et froid, jetant des éclairs entre ses paupières mi-closes, où transparaissaient son orgueil offensé, un projet résolu de vengeance, une menace ouverte. Sur le coup elle se vit attaquée, frappée, blessée, étendue par terre sur la neige, sentit couler du sang chaud le long de son flanc, et ses genoux tremblèrent comme lors d’une fièvre. À la sortie, elle vit plusieurs élèves se presser dans le couloir autour de Muroni pour lui demander la révélation du mystère. Perotti fut parmi les derniers à sortir. La maîtresse l’appela. Il s’approcha avec une attitude de respect, le chapeau à la main. – Vous avez vu – dit la maîtresse d’une voix encore tremblante – l’affront qu’ils m’ont fait, au tableau. Si je ne fais pas punir le coupable, ils en feront davantage. Pourquoi ne me dites-vous pas qui a fait cela, vous qui êtes un honnête homme ? Perotti baissa la tête un peu honteux, sans répondre. – Pourquoi ne dénoncez-vous pas le coupable ? – répéta la maîtresse. – Eh, ma chère dame – répondit franchement l’ouvrier – pour ne pas prendre un coup de couteau. La maîtresse eut un mouvement d’horreur. 136 L’institutrice des ouvriers

– Mais seul un garçon peut avoir fait ça ! – dit-elle. – Justement – répondit l’autre – ils sont pires que les adultes. La maîtresse ne dit plus rien, et Perotti s’en alla, tête basse. Sa première idée fut d’arrêter les leçons. Puis le sentiment de la dignité l’emporta en elle. Il aurait été lâche de céder immédiatement devant l’inso- lence d’un petit groupe, le pire de la classe. Et elle décida non seulement de tenir bon mais surtout de garder enfouis en elle ses chagrins et ses craintes. Mais Mlle Baroffi la ramena sur ce sujet le lendemain matin, au petit déjeuner, en se plaignant de ce que ses élèves du soir avaient percé le fond des encriers fixés sur les pupitres, de sorte que toute l’encre s’était répandue sur les vêtements des filles. Alors Mlle Varetti évoqua ses ennuis. Mais elle, de son timbre empâté de mère noble, reprenait toujours son refrain : – Mais parle-leur, une bonne fois pour toutes ! Fais-leur un beau discours qui les émeuve ! Tant qu’ils ne t’entendront pas, tu n’arriveras à rien. Si tu veux, je te rédige une petite harangue, moi. Ta devise doit être : Sursum corda ! Ah, si j’étais à ta place, moi ! Je les amènerais à me baiser les mains, comme des esclaves reconnaissants. Il n’y a rien d’autre que la parole, ma chère petite ! – Mais Mlle Varetti ne souffla mot de ce qu’avait fait Muroni car, au fond, bien qu’il l’eût offensée, il l’avait au moins soulagée d’une incertitude angoissante en lui dévoilant le dessein pour lequel il était venu à l’école, et même la nouvelle crainte qu’elle nourrissait à présent au sujet d’une vengeance née de son orgueil blessé, dans sa clarté, l’angoissait moins que la peur mystérieuse d’avant. Cela dit, la troisième leçon fut encore plus orageuse que la deuxième. Dès le début, elle s’aperçut que les pires éléments de la classe avaient dû s’entendre pour faire du tapage. L’attitude même de Muroni lui sembla d’emblée volontairement changée. Assis sur son banc, il prit un air de défi, les mains dans les poches de son gilet, une jambe sur l’autre, fixant sur elle un regard qui passait sans cesse de son visage à ses pieds, et de ses pieds à son visage, un regard qu’accompagnaient un balancement de la tête et un sourire continuel, comme s’il voulait lui faire comprendre le désir sensuel qui l’amenait à caresser d’un œil insolent toute sa personne. Elle découvrit son entente avec le petit Maggia, auquel il lançait des coups d’œil pour l’encourager dans ses impertinences. Elle tint bon cependant, tant qu’elle le put, sans faire de reproches. Mais, sans le vouloir, ce fut le socialiste Lamagna qui déclencha le chahut. Lorsqu’un élève du côté droit lut à haute voix une proposition de l’Artiere italiano énonçant : « L’honnête homme, même lorsqu’il est pauvre, est toujours content et honoré », Lamagna eut un rire ironique, et dit d’une voix forte : – Quelles calembredaines on voudrait nous fait avaler ! – Et tous les garçons rirent en chœur. Malgré ça, à chaque interruption ou polissonnerie de leur part, elle fut réconfortée Traduction de La maestrina degli operai 137 de voir la plupart des hommes, et en particulier les paysans et les bergers, donner des signes d’étonnement et de réprobation, jusqu’à élever la voix contre les perturbateurs ; et quelques-uns, des visages honnêtes et graves, se montrèrent sincèrement désolés. Cela lui donna du courage au point qu’elle en vint à menacer certains d’une expulsion définitive ; mais sa voix aimable et tremblante donnait si peu de force à ces menaces qu’aucun ne se les tint pour dites. À un certain moment, à une interruption bruyante du petit Maggia, son oncle, cette sorte de brute, rendu furieux comme une bête maltraitée, se leva et lui montra un poing énorme, les yeux révulsés ; mais la crainte de ce poing ne le tint tranquille que quelques minutes. Le gamin ne faisait à vrai dire rien qui permît qu’on l’attrape et qu’on le chasse ; la maîtresse n’arrivait jamais à le surprendre en flagrant délit. Avec une variété et une rapidité étonnantes de gestes, de grimaces et de lazzis, il excitait et dérangeait ses camarades, proches ou lointains, se débrouillant toujours à temps pour prendre à nouveau un air de stupeur bouffonne lorsqu’elle le regardait. À la fin, éclata le scandale. Après avoir été appelé pour lire, Saute-fenêtre, la lecture finie, au moment de se rasseoir, pivota sur lui-même en tournant le dos à la maîtresse. Comme elle avait le visage penché sur le livre, elle ne vit pas la manœuvre mais le rire de toute la bande lui fit suspecter l’injure, et elle blêmit. Divers cris d’indignation éclatèrent, parmi lesquels s’éleva distinctement celui de Perotti, qui s’exclama : – C’est une honte ! Muroni se tourna d’un bond dans sa direction et fixa sur lui deux yeux effrayants où brillait la résolution d’une vengeance. Puis il dit entre ses dents : – À plus tard ! La maîtresse sentit son sang se glacer ; elle crut voir brandi en l’air un couteau, tout s’assombrit devant ses yeux, elle n’eut plus la force d’articuler un mot de reproche. L’imminence d’une bagarre tint la classe en silence. La malheureuse jeune fille aurait voulu que la leçon ne finisse jamais. Vers la fin, elle eut encore la force de dire d’un filet de voix : – Sortez en silence, je vous prie ; rentrez immédiatement chez vous ; ne me causez pas de chagrin. Saute-fenêtre attendit Perotti sur le boulevard, devant l’école. Tremblant comme une feuille, la maîtresse mit son visage à l’entrebâillement de la porte, après avoir inutilement exhorté le cantonnier à courir dehors et à s’interposer : il disait qu’il accourrait quand ils en viendraient aux mains, et restait immobile derrière elle. Elle vit les élèves se disposer en cercle comme pour assister à un combat. Perotti et Muroni se plantèrent, face à face, sous la lumière du réverbère, les visages dressés qui semblaient presque se toucher. Dans le silence de la foule, elle entendit leurs voix. 138 L’institutrice des ouvriers

– Répète un peu ce que tu as dit ! – lança Muroni. À cet instant, on entendit la voix en pleurs du fils de Perotti qui suppliait son père de s’en aller, et il semblait s’efforcer de l’entraîner loin de là. La maîtresse sentit une sueur froide perler sur son front. Mais aux premiers mots de Perotti, elle comprit qu’il se dérobait. Elle lui entendit dire confusément : – …entre camarades… ça ne vaut pas la peine… quand on donne son avis… Toute l’assemblée lança ce ah ! prolongé par lequel on prend acte d’une rétractation. Muroni dit d’une voix forte, au milieu du murmure général : – On ne me lance pas de remarques, à moi – et il continua à parler avec animosité, sans que la maîtresse comprenne, comme s’il sifflait presque ce qu’il disait. La voix de Perotti se fit encore plus conciliante qu’au départ. La bagarre était évitée. Les deux adversaires et la foule s’ébranlèrent. La jeune fille respira. Mais elle comprit que dorénavant elle n’aurait plus aucun protecteur courageux contre ceux qui l’insulteraient. À présent, comment pouvait-elle continuer à faire la classe sans rétablir la discipline ? Et comment la rétablir ? Elle songea à demander de l’aide à Garallo ; mais elle le connaissait, il l’aurait exhortée à patienter encore, en lui répétant sa promesse de se montrer quand la situation aurait encore empiré. Elle pouvait recourir au surintendant, mais c’était un bonhomme impossible à trouver, toujours à Turin quand on le cherchait à Sant’Antonio, toujours ici quand on le demandait là ; de plus, il s’était fixé comme règle commode de ne jamais avoir affaire avec les ouvriers à l’extérieur de son usine. Mlle Varetti était encore tourmentée par l’incertitude le lendemain soir, quand on vint la prier de faire un saut dans le faubourg, pour rendre visite à l’un de ses petits élèves gravement malade. Il n’y avait qu’à parcourir l’allée de l’église et faire encore une centaine de pas dans le village, et comme il faisait encore jour, n’ayant rien à craindre de la part de Muroni, elle y alla tout de suite. Mais elle fut retenue chez le malade plus longtemps qu’elle ne l’avait prévu, et quand elle sortit, la nuit commençait à tomber. Elle eut l’idée de chercher quelqu’un qui l’accompa- gnât ; mais elle en eut honte, on aurait ri d’elle. Elle continua donc d’avancer à pas rapides. Quand elle se trouva à l’entrée du boulevard, voyant qu’il était désert, elle s’arrêta. Ensuite elle reprit résolument sa route par un petit chemin tracé dans la neige gelée, en jetant des coups d’œil inquiets à droite et à gauche. Elle n’avait jamais trouvé le boulevard aussi long, et il lui semblait qu’elle ne parviendrait jamais à la moitié, signalée par un banc en pierre. Et elle y était à peine arrivée quand elle vit un homme sortir tout à coup de derrière le tronc d’un des grands arbres du côté gauche, et se Traduction de La maestrina degli operai 139 planter à cinq pas devant elle. Un frisson courut dans ses veines : elle avait reconnu la silhouette de Saute-fenêtre. Elle s’arrêta comme paralysée. L’autre fit un pas en avant ; elle, clouée sur place, ne réussit pas à bouger. Le jeune homme lui demanda, de sa voix rauque et basse : – Pourquoi avez-vous déchiré mon cahier ? – La maîtresse ne répondit pas. – On n’humilie pas ainsi un homme – dit-il. Elle se tut encore, en tremblant de la tête aux pieds. – Je pourrais vous le faire regretter – ajouta-t-il. Elle tremblait si fort que l’autre s’en aperçut. – Pourquoi avez-vous si peur ?… – demanda-t-il en regardant tout autour. – Il n’y a personne… Donnez-moi un baiser. – Et il allongea sa main. La jeune fille éclata en sanglots. À ce moment une ombre apparut au fond du boulevard. – C’était pour rire – dit le jeune homme. Et il ajouta sur un ton mena- çant : – Pas un mot ! La maîtresse se dirigea à pas précipités vers l’école. Elle rentra chez elle tellement effrayée qu’elle ne songea pas même un instant à dénoncer l’affaire aux autorités. Lorsqu’elle se fut un peu ressaisie, à l’idée d’avoir échappé à cette rencontre sans rien de plus sérieux qu’une belle frayeur, il lui sembla nécessaire de remercier Dieu pour une telle chance. Et elle décida fermement de ne plus jamais sortir le soir sans être accompagnée ; mais elle essaya aussi de se réconforter en pensant qu’il n’oserait plus l’agresser une deuxième fois de cette façon, que sa terreur et ses larmes avaient peut-être éveillé en lui un peu de pitié, ou avaient du moins suffi à satisfaire son ressentiment. Et en effet elle nota en lui, à la leçon du soir même, un changement : il ne provoqua plus de désordres, il s’abstint de tout acte offensant. Mais dans son attitude, il y avait quelque chose qui lui faisait presque désirer qu’il n’ait pas changé : il semblait avoir opéré un retour à ses pensées primitives, lorsqu’il n’avait pas encore commencé à la tourmenter, et qu’il s’y montrait à présent plus concentré et plus résolu qu’alors. Son regard ne courait plus sur sa personne avec cette expression de curiosité sensuelle et insolente ; mais loin de manifester de la bienveillance, il semblait exhaler une haine qu’il n’avait pas par le passé. Il la regardait, et songeait, en se rongeant les ongles. Il semblait manigancer quelque chose, une série de choses, contrarié de n’en trouver aucune de satisfaisante. Il en fut ainsi plusieurs soirs, mais il était de plus en plus sombre et morose. Sa mine était insupportable pour la maîtresse. Elle aurait voulu parfois s’adresser à lui hardiment, et l’interroger, lui ordonner de s’expliquer, le supplier même afin qu’il la délivre de cette perpétuelle menace muette qui l’oppressait, estimant que quelles que fussent ses intentions menaçantes, 140 L’institutrice des ouvriers elles étaient sans doute moins graves que celles qui lui passaient confusé- ment par l’esprit. Et quand elle était seule, en raisonnant, elle tentait de pénétrer dans ses pensées à l’aide de cette faible et vague connaissance qu’elle avait de la mentalité de sa classe qu’elle ne connaissait que par ouï-dire. Par exemple, il devait tout à la fois la désirer par instinct brutal, comme n’importe quelle autre femme, et la détester à cause de l’aversion qu’elle lui vouait ; il devait haïr en elle la classe supérieure à laquelle il estimait qu’elle appartenait et dont l’aversion pour les jeunes gens de son espèce était certainement la plus vive et la plus évidente qu’il ait jamais vue : il devait désirer se venger de cette aversion en l’outrageant ou en l’agressant et être excité dans ce désir par sa peur même, une peur qui aiguisait la fierté de sa cruauté et de ses abus de pouvoir ; il devait être tourmenté par la curiosité féroce à voir comment elle se débattrait, supplierait, demanderait grâce, crierait, sangloterait, souffrirait, serait saisie d’horreur sous ses mains. Il devait tout à la fois la désirer et l’insulter intimement, chercher à la déshonorer dans son estime en lui prêtant les expressions les plus vulgaires de son horrible langage, jouir en imaginant la battre et l’abaisser en présence de tous. Cela, on le percevait dans son regard torve, dans ses yeux qui s’enflammaient parfois, devenant livides comme ceux d’une bête sauvage, et par la façon dont, par moments, il aspirait l’air de sa bouche privée de lèvres, comme pour retenir une explosion – imaginait-elle – de dépit et de rage. Et cette pensée la faisait frissonner : elle la chassait, mais elle y retombait, à son corps défendant. Cependant les garçons, n’étant plus excités par Muroni, se conduisirent un peu mieux pendant quelques leçons. Le responsable des désordres était toujours le petit Maggia. Un soir, la maîtresse dut le chasser de l’école parce qu’il avait placé une petite planche de travers parmi les bancs, pour faire trébucher les élèves qui allaient au tableau, et l’un d’eux, en tombant, avait fait une mauvaise chute. Les grands continuaient à ne pas l’ennuyer, sauf quand ils étaient agacés par les railleries des petits, lorsqu’ils faisaient de grosses erreurs de lecture ou d’écriture, et elle craignait qu’ils ne les frappent une fois sortis. Mais cela n’arriva pas. Le gros Maggia continuait à étudier avec l’obstination d’un mulet. Les bergers se montraient très diligents. Elle n’eut qu’une fois une courte discussion avec Lamagna, qui par ailleurs ne lui manquait pas de respect : il voulait seulement lui faire comprendre qu’il ne lui reconnaissait aucune supériorité sociale, qu’il la considérait, plutôt, comme une femme du peuple à égalité avec lui, qui au lieu de vendre des denrées derrière un comptoir, débitait des connaissances derrière un bureau. Elle fut très étonnée par une idée qu’il avait exprimée dans une rédaction sur le travail récompensé par la conscience : à sa manière, il avait voulu dire Traduction de La maestrina degli operai 141 que dans la société, s’il y avait une justice, celui qui a plus de talent qu’un autre ne devrait pas pour cette raison gagner davantage, mais devrait gagner moins, parce que le talent facilite le travail et est une récompense en soi. La maîtresse, tout en comprenant que cette idée ne devait pas venir de lui, lui fit très gentiment quelques objections, auxquelles il répondit sèchement : – « C’est ma façon de penser » –. Mais cela n’alla pas plus loin. Et la jeune fille crut qu’avait commencé une période de calme durable. Toutefois, au fur et à mesure que la classe se familiarisait avec elle, elle remarquait, surtout chez les grands, un changement. Il lui semblait que, peu à peu, ils ressentaient l’influence de son sexe, et que cela se transmettait des plus jeunes aux plus âgés. Elle commençait à voir dans leurs regards une intense et longue fixité, des lueurs de sympathie, des expressions de respect et de sollicitude où l’on comprenait leur intention de capter sa bienveillance, et aussi des idées amoureuses ou lubriques fugitives, que certains s’échangeaient mutuellement à l’oreille, en ricanant. Elle remarqua chez d’autres adultes l’intention manifeste de s’attirer ses bonnes grâces en feignant de lui prêter une profonde attention, en opinant de la tête à ses paroles, et en faisant leurs devoirs avec une grande diligence. Plusieurs venaient lui demander des explications à son bureau, sans vraiment savoir ce qu’ils voulaient ; beaucoup, qui l’avaient regardée au début avec une complète indifférence, la détaillaient de la tête aux pieds, en s’arrêtant sur toutes les parties de sa personne, comme pour prendre les mesures d’un habit ; d’autres, parmi les plus âgés, prenaient avec elle des manières de protection bienveillante, en désapprouvant avec ostentation les perturbateurs, et elle voyait passer comme une lueur sur leurs visages à certaines inflexions douces de sa voix, et devinait en eux, plus qu’elle ne le voyait, quelque chose d’inhabituel, un mouvement, presque l’irruption d’une pensée soudaine, quand elle s’approchait des pupitres pour voir leur écriture. Et tous ces signes l’inquiétaient : elle n’osait pas s’avancer entre les rangées, devait mesurer ses gestes et ses attitudes, elle hésitait, avec une timidité de petite fille, à faire des éloges pourtant mérités, à prononcer certaines phrases qui pouvaient comporter un double sens, à lire certains passages du manuel qui demandaient l’intonation d’un sentiment. Et malgré cela, au cœur même de cette expression de pensées et de désirs qui la troublaient, elle croyait voir briller chez beaucoup de bonnes qualités d’âme, des délicatesses qu’elle n’avait jamais imaginées, comme un mélange vague et confus de sentiments aimables, habituellement cachés sous la rudesse des manières, par l’emploi d’un langage grossier, d’une vulgarité plus délibérée que naturelle. Les seuls incorrigibles étaient pour la plupart des garçons, et Muroni était le seul des grands qui suscitait en elle une répugnance qu’elle ne pouvait vaincre. Un événement l’augmenta encore : 142 L’institutrice des ouvriers un dimanche soir parvint jusque dans sa chambre comme un son de cris lointains qui sortaient du cabaret La Gallina. Elle courut à sa fenêtre et vit une foule à l’extrémité du boulevard : c’était une rixe. Un homme, semblable à une ombre, se détacha de cette masse noire et emprunta le boulevard avec la rapidité d’une flèche ; un autre s’élança après lui. Quand le premier passa devant l’école, la maîtresse entendit un cri perçant : – Au secours ! Au secours ! – qui résonna au plus profond de son âme ; l’homme tourna derrière l’église, et l’autre, à toute vitesse, suivit ses traces. Le cantonnier, qui regardait derrière la porte, reconnut dans le poursuivant Saute-fenêtre. La jeune fille en fut bouleversée, dans l’attente de la nouvelle d’un crime. Il ne se passa rien : le fugitif n’avait pas été rattrapé. Mais ce cri de Au secours, où elle avait perçu la terreur désespérée de la mort, laissa dans son esprit une nouvelle et violente horreur de son ennemi. Ce sentiment était encore vif en elle lorsque, le lendemain, tandis qu’elle traversait le champ couvert de neige derrière l’école pour aller faire quelques courses au village, pensant justement qu’il était impossible que Muroni l’arrête là, en plein jour, à quelques pas des maisons, elle le vit venir à sa rencontre, depuis l’autre bout du champ. Terrorisée, elle regarda autour d’elle et n’aperçut qu’une ribambelle d’enfants qui faisaient des glissades le long du boulevard, à une centaine de pas. Elle n’avait plus le temps de rebrousser chemin, sinon en courant ; mais elle estima que ce serait d’une lâcheté méprisable. Alors, sous l’effet d’une peur excessive, elle fut prise du courage du désespoir et alla directement vers lui, la démarche mal assurée, mais la tête haute. Ils ne pouvaient que se rencontrer sur l’étroit sentier tracé dans la neige. À trois pas l’un de l’autre, ils s’arrêtèrent tous les deux. Il ôta la pipe de sa bouche et la mit dans une poche de sa veste en la pressant de son pouce, et il la regarda avec un sourire qui la fit frémir. Il semblait chercher une phrase pour parler. La maîtresse eut un vif mouvement d’indignation. – Mais que me voulez-vous à la fin ? Pourquoi m’arrêtez-vous ? Que vous ai-je fait ? Le jeune homme jeta un coup d’œil rapide autour du champ : elle redouta une violence de sa part. – Pourquoi ne me respectez-vous pas ? – cria-t-elle, des pleurs dans la voix, reculant d’un pas… – Pourquoi vous en prenez-vous à une femme qui ne peut se venger ? Respectez au moins la mémoire de mon père !… Je suis la fille d’un soldat, mort sur le champ de bataille ! Et à cet instant, sur son visage contracté par un sanglot, la terreur disparut pour faire place à une indignation altière et à la sainte mémoire invoquée. Traduction de La maestrina degli operai 143

Muroni la dévisagea attentivement puis dit à voix basse, sur un ton apparemment très tranquille : – Je n’ai pas du tout l’intention de vous faire du mal. À cette réponse, sa peur diminua et ses larmes purent couler. Lui la regardait toujours, comme stupéfait. – Je ne veux pas qu’on m’arrête ! – dit-elle. – Je ne vous ai pas arrêtée – répondit-il en regardant autour de lui. – Alors, laissez-moi passer ! Le jeune homme s’écarta dans la neige, et tandis qu’elle passait, sur un ton de plainte plus que de ressentiment, il dit encore à voix basse, comme pour lui : – Je ne suis tout de même pas un assassin. Craignant qu’il ne prenne son silence pour une injure, elle se retourna, et d’une voix où frémissaient encore les pleurs et qui, malgré elle, se faisait presque suppliante : – Non – dit-elle… – mais ne m’arrêtez jamais plus ! À ses paroles, elle s’étonna de ne pas croiser son regard, qui l’évita. Elle poursuivit son chemin d’un pas vif et, une fois arrivée au bout du champ, involontairement, elle se retourna. Le jeune homme tournait à présent le dos. Il n’avait plus fait un pas jusqu’alors. Enfin, elle revint chez elle encore épouvantée et tremblante, mais presque réconfortée par la conscience d’une victoire, et plus encore par l’idée d’avoir montré un courage qu’elle ne croyait pas posséder. Le fait d’avoir évité son regard, quand elle s’était retournée, lui sembla dans un premier temps un signe de repentir et de honte, qui donnait de bons espoirs pour l’avenir. Elle se rappela des conseils de Garallo, qui disait qu’avec le peuple il fallait de la hardiesse et de la vigueur, tout comme des idées de la maîtresse Baroffi, d’après laquelle il suffisait d’une parole noble et passionnée pour ouvrir les cœurs les plus endurcis. Mais elle revint bien vite de ses illusions en repensant à l’horrible passé du jeune homme, à sa cruauté envers sa mère, à son cynisme et à sa mauvaise conduite, à cet inoubliable cri Au secours de ce malheureux qu’il poursuivait et qui croyait avoir la mort à ses trousses, et elle ne vit plus dans son attitude récente que la crainte d’une résistance vigoureuse de sa part, qui aurait pu engendrer une lutte et des appels au secours. Néanmoins elle alla ce soir-là faire sa leçon en étant moins anxieuse que curieuse de voir quelle nouvelle attitude il adopterait devant elle. Le comportement de Muroni fut nouveau en effet, sans correspondre nullement à celui qu’elle avait imaginé. Il ne lui montrait plus de haine, et ne semblait plus ruminer de funestes projets, mais il montrait, comme la première fois, une sorte de curiosité attentive, où le ressentiment pour la répugnance qu’elle lui manifestait semblait atténué. Et si elle avait pu pénétrer dans son cerveau, elle aurait 144 L’institutrice des ouvriers découvert que c’étaient justement son indignation de quelques heures auparavant, ses pleurs étranglés, sa fière invocation de la mémoire paternelle qui l’avaient changé de cette manière. Non que son aspect et ses paroles lui eussent touché le cœur, mais parce qu’ils avaient constitué pour lui une chose nouvelle, une révélation de sentiments et de forces inconnues qu’il n’avait jamais vus, ni imaginés, dans l’âme d’une femme. Il la regardait avec curiosité comme une créature tout à fait différente de celle qu’il s’était imaginée, et en partie impénétrable à son intelligence ; il la regardait comme s’il comprenait pour la première fois qu’au-delà des raisons, qu’il pouvait s’expliquer, de son aversion à son égard, il y en avait une plus profonde, plus délicate, plus forte, plus intimement enracinée dans son âme, qu’il n’arrivait pas vraiment à saisir. En outre lui aussi, même si c’était plus tard que les autres, commençait à ressentir l’influence de la présence, qui était presque une compagnie, de cette femme, si différente d’aspect, d’esprit et de manières de toutes les femmes qu’il avait connues jusqu’alors. Des dames, il n’avait jamais vu que celles qui passaient dans la rue et il n’avait pas appris par expérience qu’elles étaient différentes du concept que lui- même et ses pairs, selon leur propre nature, s’en faisaient : c’est-à-dire que pour eux, entre ces créatures et celles qu’ils fréquentaient, il n’y avait que la différence des vêtements et des manières ; et s’il y en avait eu une autre, ce devait être, chez les premières, une perversion plus raffinée, une corruption plus éhontée, bien que cachée, de l’âme et du corps, produite par la mollesse et l’existence plus aisée. Mais celle qu’il avait devant lui corrigeait sensiblement ses idées. C’était la première dame qu’il voyait de près et à son aise, tous les soirs ; la première qui lui parlait souvent et qui, dans un certain sens, s’occupait de lui ; la première dont il sentait, pour ainsi dire, le souffle et la chaleur, et dont il pouvait observer tout à son aise, comme chez lui, pendant deux longues heures tous les jours, chaque geste, chaque mouvement du visage, chaque inflexion de la voix. Il commença à remarquer tout cela, dès que son orgueil apaisé lui restitua sa capacité d’observation ; tout cela était pour lui singulier et commençait à lui faire songer que toute cette gentillesse n’était pas seulement un vernis ou un artifice de l’éducation, comme il le croyait auparavant. C’était vraiment une créature d’une nouvelle espèce pour lui. Malgré son orgueil de sauvage, né, comme pour quelques camarades de sa trempe, d’une ambition aussi irrésistible qu’indéterminée et d’une conscience confuse de facultés peu communes, mais étouffées par la pauvreté et par l’ignorance, il commençait à reconnaître vaguement chez elle quelque chose qui lui était supérieur, et qui l’humiliait sans l’aigrir. Il se mit à suivre attentivement, avec ses yeux et son esprit, tous ses actes, ainsi que les expressions de son visage et ses accents, cherchant presque la cause de l’effet qu’ils produisaient sur lui, Traduction de La maestrina degli operai 145 comme on cherche ce que signifie une musique. Et il lui arrivait souvent de se révolter contre cette cause avec des railleries, en revenant à son soupçon habituel d’un art consommé de la coquetterie, mais sans pouvoir demeurer plus longtemps avec ce soupçon. Il essayait aussi de se révolter contre lui-même, en suscitant dans son esprit des images obscènes, en plaçant sa figure dans des lieux et des scènes vivantes dans sa mémoire, où elle pouvait lui apparaître comme transformée et souillée par leurs couleurs dégoûtantes, en recherchant dans son imagination ce qu’il pouvait y avoir en elle de moins éloigné de sa propre nature : ses pensées les plus occultes, des faiblesses, des aberrations, des choses honteuses. Mais quoi qu’il fît, sa personne finissait inévitablement par s’élever au-dessus de l’ombre et de la fange où il s’efforçait de la plonger, et se présentait de nouveau à lui toujours ainsi, comme elle apparaissait derrière son bureau, avec ce front immaculé, cette grâce enfantine, cette timidité pleine de dignité, ce je ne sais quoi d’étrange et de subjuguant dont il ne pouvait comprendre la véritable nature, et qui tout à la fois lui plaisait et l’agaçait, l’étonnait, l’avilissait, l’apprivoisait et lui faisait cracher de plus gros jurons et des obscénités plus brutales au moment de la sortie, comme pour réveiller la force de sa nature contre l’amollissement qu’il sentait pénétrer dans son sang. Cet effet fut lent à venir et la maîtresse ne s’en aperçut pas tout de suite tant il voulait parfois, semblait-il, garder intacte, auprès de ses camarades, sa réputation de casse-cou, d’homme sans peur et sans respect, semant scandale et tintamarre par une provocation. Mais il s’y prenait autrement, plus pour appeler l’attention sur sa personne que pour faire affront à la maîtresse ; et elle, devinant cette pensée, ne s’en offusquait pas comme par le passé. D’ailleurs, au bout de quelques jours, elle nota chez lui certaines nouveautés : une application dans l’écriture pour les devoirs à la maison, un léger changement d’intonation dans la lecture, comme s’il s’efforçait de surmonter ses accents rauques et de mieux moduler sa voix, ainsi qu’une façon d’accepter ses corrections qui n’était plus celle du début ; en outre, il tentait presque de les prolonger avec des objections et de brèves questions monosyllabiques, comme il l’aurait fait pour une conversation affable. Un soir, comme le porte-plume de la maîtresse était tombé et qu’il avait roulé jusque sous le premier banc, il se jeta précipitamment dessous, le ramassa et le lui tendit, provoquant un murmure de stupeur dans la classe. Il lui rendit un autre service, encore plus courtois. On voyait apparaître parfois à la bouche du calorifère des rats énormes qui venaient de la tannerie voisine, passant par les canalisations ; sans qu’aucun ne bouge pour les chasser, les élèves s’amusaient à voir les gestes de dégoût de la maîtresse lorsqu’elle entendait leur tapage contre la grille métallique. Un soir, comme les rats étaient réapparus et que la maîtresse manifestait comme d’habitude sa 146 L’institutrice des ouvriers répulsion au milieu du rire des gamins, il se glissa en un éclair sous son pupitre et alla donner un coup de pied contre la grille, après quoi, pour masquer l’amabilité de son geste, il regagna sa place en lançant une blague dans son affreux jargon, ce qui suscita de nouveaux rires. En tout cas, ce geste aussi fut remarqué et, ajouté aux autres indices, il commença à éveiller des soupçons chez les élèves les plus perspicaces. Un des premiers à s’en apercevoir fut le petit Maggia. Il se mit à surveiller la maîtresse et le jeune homme, courant continuellement de l’un à l’autre de ses yeux de fouine, avec une rapidité inouïe, toussant légèrement quand elle interrogeait le jeune homme, donnant des coups de coude à son voisin et faisant des clins d’œil vers les autres quand Muroni restait en contemplation trop attentive devant la demoiselle ; mais il prenait les précautions d’usage car il connaissait le personnage et pas question de plaisanter avec lui. Mlle Varetti s’en aperçut et bien que, instinctivement, à présent qu’elle le voyait changé, elle fût disposée à le regarder avec moins de méfiance et à l’interroger plus souvent, elle faisait l’une et l’autre chose le plus rarement possible, intimidée, tourmentée par la surveillance de ces deux yeux souriants et futés du garçon, en train de fouiller son âme. Mais, en fin de compte, elle était délivrée de son pire tourment et vivait plus sereinement. Elle vivait plus sereinement parce que, ignorant le caractère des jeunes gens de cette classe et de cette trempe, elle pensait que son changement s’arrêterait là. Mais lorsque Muroni s’aperçut que, après que la peur et l’ancienne répugnance eurent cessé sous l’effet de sa nouvelle attitude, ce n’était pas la sympathie qui en prenait la place, mais une indifférence égale à celle qu’elle manifestait aux autres, il fut saisi d’une nouvelle déception, qui l’enflamma davantage. Dans l’aversion craintive qu’elle éprouvait aupa- ravant pour lui, il trouvait en tout cas une certaine satisfaction d’amour- propre, car elle lui apparaissait comme le résultat de sa sinistre célébrité, de sa réputation d’homme capable de toutes les audaces. Au moins, à cette époque-là, la maîtresse ne le confondait pas avec les autres ; même à l’école, il jouissait devant elle de la suprématie dont il se vantait à l’extérieur ; enfin, il se réjouissait de produire en elle une impression forte, quelle qu’elle fût. Ce pouvoir ayant disparu, il se trouvait quelque peu désarmé, sans autre moyen d’attirer son attention et de la toucher, et dans sa sympathie croissante il enrageait de ressentir davantage la diversité de leur condition sociale, l’infériorité de sa culture, la différence d’éducation, de manières, de tout, qui l’empêchaient d’espérer une réciprocité. C’est ainsi que s’insinuait en lui, peu à peu, une nouvelle gêne plus cuisante envers son état, une ambition nouvelle et confuse, aux visées tout autres que les précédentes, quand il cherchait la gloire dans les canailleries, la violence, les succès dans les rixes. Mais comme sa nouvelle ambition n’avait pas d’issue possible, Traduction de La maestrina degli operai 147 elle brûlait en lui comme une flamme cachée, en redoublant l’ardeur de son autre passion. Néanmoins, par instinct, il cherchait à se rapprocher d’elle comme il le pouvait, presque sans y penser. Un regard attentif aurait observé en lui, d’un jour sur l’autre, la mèche ôtée de son front, son visage et ses mains plus propres, une mise plus soignée, quelque chose dans sa conduite à l’école, et même des trouvailles à côté des grosses fautes de ses travaux, qui annonçaient une volonté de raffinement de sa personne et de son esprit, en quelque sorte l’imitation d’un modèle idéal. La maîtresse ne s’aperçut pas tant de cela que d’un changement dans sa façon de la regarder, si bien qu’elle aurait presque soupçonné en lui des sentiments opposés à ceux qui l’animaient. C’était un regard sombre, insistant, mais davantage adressé à sa personne qu’à ses yeux, qu’il semblait éviter ; une attention dissimulée, mais fixe et perçante, qui s’attachait au moindre de ses mouvements, comme s’ils avaient pour lui la signification d’une parole écrite en quelque langue étrangère peu intelligible. Il méditait visiblement sur toutes les phrases qu’elle disait, si elles sortaient un tant soit peu du langage pédagogique habituel, comme si elles étaient autant d’ouvertures par lesquelles il pouvait pénétrer par la pensée dans son esprit, et regarder ce qu’il y avait de nouveau et d’étrange qui émettait ces mots qu’il n’avait jamais entendus. Mais les manifestations de la courtoisie et du respect n’augmentaient pas pour autant ; il était encore suffisamment maître de lui pour veiller à ne pas se faire découvrir. À la sortie et à l’entrée de l’école, cependant, et dans les moments où il croyait pouvoir la regarder sans être vu, la maîtresse rencontrait son regard aigu, étincelant, non plus audacieux mais sévère, inquiet, avide, mécontent, voilé d’une ombre de honte, qui n’était pas la honte de ses insolences passées, mais de sa passion naissante. Toutefois la maîtresse, croyant à la première hypothèse et ne soupçonnant rien d’autre, se rassurait. La situation en était là quand, un matin, tandis qu’elle se promenait au soleil de la cour, pendant la récréation de ses petits élèves, Mlle Varetti vit se montrer à la porte la mère de Muroni qui la cherchait. Elle eut un geste de regret comme si la familiarité excessive de cette femme installait quelque chose de commun entre elle et son fils. La pauvre vieille femme s’avança, les mains sous son tablier, lançant un regard circonspect de ses doux yeux de victime, où deux larmes semblaient s’être figées, s’approcha avec un sourire de la demoiselle, comme si de bons rapports d’amitié s’étaient déjà engagés entre elles, et lui dit à voix basse, d’un air mystérieux, avec un accent de satisfaction timide : – Il va mieux, vous savez. Il va un peu mieux depuis quelque temps. On dirait qu’il s’est calmé. Il ne me traite plus mal, il ne va plus à La Gallina. Je crois rêver, en vérité. Le soir, il reste à travailler. Je remercie le bon Dieu, jour et nuit ! 148 L’institutrice des ouvriers

Et elle regarda avec suspicion vers la porte. Elle attribuait ce change- ment à l’école, et elle venait justement la remercier ainsi que pour la prier de quelque chose. – Ce serait – lui dit-elle – pardonnez vraiment ma liberté, mademoiselle : mais ce serait de profiter de ce bon moment, où il semble si bien disposé, pour tenter ce que je vous ai dit le premier jour : faire entrer dans son cœur un peu de religion, qu’il se décide une fois pour toutes à accomplir ses devoirs, déjà dix ans qu’il ne s’approche plus des Sacrements. Dieu miséricordieux, dix ans, vous m’entendez ! Et dire que je dois lui donner de temps en temps mes derniers sous pour qu’il récite un Pater et un Ave, qu’il n’aille pas se coucher comme un chien, et j’ai tout de même dans l’idée qu’il dit bien autre chose, à la façon qu’il a de remuer la bouche ! Si vous vouliez faire cette œuvre de charité, madame la maîtresse, vu que vous lui enseignez toutes sortes de belles choses, de lui faire bien comprendre que la première, c’est de sauver son âme, et que j’aie cette consolation, avant de fermer les yeux, de le voir réconcilié avec le Seigneur ! Parce que, si on ne profite pas de ce moment, croyez-moi, un pareil, on ne le retrouvera plus ; je ne l’ai jamais vu aussi gentil, depuis que le bon Dieu me l’a envoyé, je le jure sur mon âme ! La maîtresse regarda ailleurs pour ne pas montrer la satisfaction d’amour-propre que lui causaient ces derniers mots. Et elle répondit qu’elle ferait ce qu’elle pourrait mais qu’elle pouvait faire bien peu. – De toute façon – dit la femme, en lançant un coup d’œil à la porte entrouverte – il faut bien dire que l’école est une grande bénédiction, si elle fait du bien même à mon fils. Parce que c’est l’école, il n’y a pas à dire. Là, comme saisie d’une idée nouvelle, elle resta un peu songeuse, fixant le sol ; puis elle dit doucement, en levant les yeux : – À moins que… La maîtresse la regarda. – À moins que – continua-t-elle, regardant à nouveau par terre – qu’il y ait quelque sympathie de sentiment… comme l’année dernière pour la petite bouchère. La maîtresse eut un soupçon, mais rapide : on voyait que la pensée de la mère était à mille lieues d’elle. – Et pourtant – ajouta celle-ci, en réfléchissant – j’ai eu beau chercher, poser des questions, je n’ai jamais pu en deviner aucune. Puis elle revint brusquement à la religion. La maîtresse lui demanda pourquoi elle n’en parlerait pas au curé. Seigneur Dieu béni, ce brave petit vieux, haut comme ça, si gentil avec tout le monde, c’était un saint homme ; mais il ne voulait pas s’en mêler. Elle devinait qu’il était un peu « intimidé » par son fils. Et cette « timidité », c’est-à-dire cette peur, était une parole de repli, où l’amour maternel y mettait aussi une once de vanité. Et c’était la Traduction de La maestrina degli operai 149 même chose pour les autres : le cavaliere Sanis, le propriétaire de l’usine, le docteur, qui auraient pu lui lancer quelques avertissements, lui donner des conseils, tous tant qu’ils étaient, semblaient être un peu « intimidés » ; ils plaisantaient même avec lui quand ils le rencontraient ; personne ne voulait le heurter. – Enfin – dit-elle – Notre Seigneur continuera à me venir en aide, puisqu’il a commencé à le faire. Et en partant, alors qu’elle remerciait la maîtresse avec une expression humble et affectueuse d’admiration, son regard s’arrêta et se porta un moment sur elle, comme s’il lui venait une pensée… Mais la pensée passa. – Je vais aller prier pour vous, mademoiselle – lui dit-elle sur la porte, et tournant son pauvre petit dos courbé de vieille martyre, elle se dirigea vers l’église. « En conclusion, il est dompté ! », se dit intérieurement la maîtresse. Elle n’avait plus à craindre ni les insultes ni les violences, elle pouvait se promener tranquillement dans le village, elle était libre, elle était contente, et aussi un peu fière de son œuvre. Et avec ces pensées, elle n’hésita pas un instant à sortir seule de chez elle le lendemain au soir, quand arriva un garçon avec les clés de l’appartement de Mlle Latti et un billet, écrit au crayon, avec lequel son amie la priait de prendre dans sa chambre certains médicaments et de les lui apporter tout de suite au village, chez le boulanger où elle s’était réfugiée, après s’être sentie mal dans la rue. Elle fourra dans ses poches les flacons, mit son petit chapeau et son manteau, et s’en alla à pas rapides, sous une neige qui tombait à gros flocons, et qui avait déjà tout recouvert. Elle trouva sa collègue allongée sur un sofa, assistée par la femme du boulanger et ses filles, qui souriaient du bout des lèvres. – Ah Enrica ! – s’exclama-t-elle, en lui tendant mollement la main. – Je te vois encore ! Son visage, toutefois, ne justifiait pas la tristesse mortelle de ce salut. Ayant mal à la tête, elle avait glissé dans la rue après un faux pas, et croyait être tombée à cause d’un afflux de sang au cerveau, avec lequel s’étaient déchaînés sur elle, en saisissant l’occasion, tous ses autres maux. Transportée à l’étage, elle s’était fâchée avec le médecin – un gros bonhomme blond et blagueur – qui, pour tout traitement, lui avait conseillé l’air de Massaoua 4 et ensuite elle était retombée dans un grand abattement… – Va – dit-elle d’une voix faible à Mlle Varetti, après avoir avalé à la hâte les médicaments –, je n’ai plus besoin de toi. Ces braves gens m’amèneront à la maison plus tard… morte ou vive. Quand Mlle Varetti, masquant un sourire, prit congé d’elle, la nuit tombait. Il neigeait toujours, sur le boulevard il y avait déjà un pied de

4. Ville sur la mer Rouge, en Érythrée, qui était alors une colonie italienne. 150 L’institutrice des ouvriers neige. Elle hésita un instant avant de s’engager, puis elle se dépêcha. Les deux réverbères à gaz, voilés par la neige, trouèrent à peine l’obscurité avec leurs deux disques de lumière pâle ; le vacarme des machines des usines proches arrivait affaibli, comme s’il sortait de sous terre, et le son de l’enclume du forgeron, qui se trouvait à l’entrée du village, semblait venir de très loin. Lorsqu’elle eut parcouru un tiers du boulevard, il lui sembla voir une ombre se mouvoir derrière un arbre ; elle s’arrêta, le souffle oppressé, ensuite elle reprit courage et se remit à marcher. À deux pas de l’arbre surgit devant elle Muroni. Elle allait pousser un cri, qu’elle retint en voyant qu’il ôtait son chapeau. – Encore vous ! – s’écria-t-elle indignée. – Que voulez-vous ?… Laissez- moi passer. Il répondit de sa voix rauque, mais sur un ton respectueux : – Il y a la neige, je vous fraie un chemin… si vous permettez. – Je ne veux pas ! – répondit la maîtresse. – Écartez-vous, ou je crie au secours. – Pourquoi donc ?… – demanda-t-il à voix basse. – Vous me croyez vraiment… Croyez-vous que je n’aie pas, moi aussi, un peu de cœur ?… Vous n’avez guère à vous plaindre de moi, depuis quelques jours. Et sans lui donner le temps de répondre, il sauta à cinq pas devant elle et se mit à marcher vers l’école, le dos courbé, en frottant rapidement ses pieds collés l’un à l’autre, pour lui ouvrir un sentier dans la neige. La maîtresse, un peu rassurée, le suivit un bon bout, sans le perdre de vue ; mais ensuite, reprise par une peur subite, en s’élançant en avant pour s’enfuir, au moment où il ralentissait, elle le heurta de son genou. L’autre perdit la tête, et se tournant brusquement avec un ah ! étouffé, la prit des deux mains à la taille et chercha son visage avec sa bouche. La maîtresse se débattit furieusement sous son haleine chargée, qui sentait l’eau-de-vie et le tabac. – Donnez-moi un baiser – dit-il, d’une voix rauque comme dans un râle – un baiser et je vous laisse partir… un baiser et je vous laisse partir… En disant cela, d’un geste violent, il ôta ses mains de la taille de la maîtresse pour prendre sa tête : d’un bond elle s’échappa de ses bras et se mit à courir désespérément vers l’école en criant : – Au secours ! Au secours ! – mais d’une voix si étouffée que personne ne l’aurait entendue. Il la suivit, haletant, prononçant des mots incompréhensibles, d’une voix sifflante. Dans la terreur qui la rendait folle, il lui sembla entendre dire : « Ca scüsa ! ca scüsa ! » (Excusez-moi, excusez-moi). Puis elle n’entendit plus rien, même pas ses pas. Traduction de La maestrina degli operai 151

Elle arriva hors d’haleine à l’école, entra en chancelant dans le couloir, et lorsqu’elle rencontra la femme du cantonnier avec sa lampe, se laissa aller dos au mur, blême, presque évanouie. – Qu’y a-t-il ? – demanda la femme, effrayée. – Un voleur ! – répondit-elle. Le cantonnier accourut. – Un voleur ? un voleur ? – Et après avoir saisi un rondin, il s’élança dehors, traversa la cour… et ferma la porte. La pauvre maîtresse passa la nuit avec de la fièvre, se demandant quel était le meilleur moyen de recourir à la justice, car elle en voyait désormais la nécessité : ou bien rapporter le fait à Garallo, en sa qualité de directeur, pour qu’il chasse Muroni de l’école et le dénonce aux carabiniers, ou bien aller tout de go chez le cavaliere Sanis, qui était le personnage le plus influent du faubourg, pour qu’il s’en charge de la façon qu’il jugerait la plus opportune. Elle était en tout cas résolue à faire une démarche, ne pouvant supporter l’idée de devoir subir une fois encore un affront et une frayeur comme ceux qu’elle avait connus ; elle en tremblait encore rien qu’à y songer. Elle se leva le lendemain matin, décidée à aller chez le surintendant, après avoir prévenu, par devoir de délicatesse, Garallo. C’était dimanche : elle comptait aller d’abord à la messe et ensuite à l’usine du cavaliere Sanis. Mais alors qu’elle terminait de s’habiller, voilà Mlle Mazzara qui arrive, essoufflée et affairée, comme toujours, le sourire aux lèvres et un tas de papiers entre les mains. Elle était déjà allée chez la maîtresse Baroffi lui demander un article pour une Strenna que plusieurs maîtresses voulaient publier au bénéfice d’une collègue, veuve d’un garde douanier. Elle ne pouvait rester que quelques minutes. Elle devait galoper toute la journée dans Turin pour préparer une représentation d’amateurs au théâtre Scribe, en l’honneur de la fondation d’une école maternelle à la Crocetta ; elle devait faire une visite à l’école d’horticulture de la rue Garibaldi, où l’une de ses camarades apprenait à écrire à quarante jardiniers ; elle voulait aller aussi à l’institut du Bon Pasteur voir ce qu’il y avait de vrai dans un bruit rapporté par un journal, selon lequel les sœurs institutrices faisaient apparaître le diable la nuit pour épouvanter les jeunes filles récalcitrantes. Lorsqu’elle eut dit tout cela, elle reprit son souffle ; ensuite elle demanda des nouvelles de l’école du soir à son amie, et se montra chagrinée de la voir triste. – Qu’as- tu ? Pourquoi es-tu pâle ? Que t’ont-ils fait ? À vrai dire, elle ne semblait pas à Mlle Varetti être la confidente la plus opportune pour ce qu’elle avait à dire ; mais n’en ayant pas d’autres, elle lui raconta tout, jusqu’à la scène de la veille au soir. – Mais tu l’as donc rendu amoureux ! – s’exclama-t-elle avec vivacité. – C’est pour cela qu’on ne l’a plus vu à l’école du dimanche ! 152 L’institutrice des ouvriers

Et elle demeura un peu pensive, comme si elle goûtait ce qu’il y avait de romanesque dans l’aventure. Mlle Varetti lui dit résolument son intention. Son amie resta silencieuse quelques instants. Ensuite elle répondit gravement, en hochant la tête : – Je ne te donnerais pas ce conseil. Interrogée sur le pourquoi, elle expliqua son idée. – Parce que tu ne connais pas l’âme de ces gens. Tu vas provoquer une vengeance. – Mais quelle vengeance veux-tu que je provoque ? – demanda Mlle Varetti en haussant les épaules. – Que peut-il me faire de pire que ce qu’il a fait ?… Me tuer ? – Eh bien, à toi il ne fera rien – répondit l’autre – ça se comprend. Mais s’il ne se venge pas sur toi, il se vengera sur ceux qui le puniront, tu peux en être sûre, comme si c’était déjà fait. Non, ne mets pas ce remords sur ta conscience. – Mais enfin – s’exclama lleM Varetti avec ressentiment – je dois donc avaler l’affront et rester à en attendre d’autres ? Son amie se tut un moment. – Mais enfin, il ne t’a même pas embras- sée ! – dit-elle. Mlle Varetti fit un geste d’étonnement et d’indignation. Mais l’autre ne la laissa pas parler. – Je comprends, il y a eu bel et bien un affront. Toutefois… tu dis qu’il t’a demandé pardon… À la fin, tu dois aussi considérer quel homme il est, ou mieux qu’il était. C’est déjà une belle victoire de l’avoir réduit ainsi, de lui avoir inspiré un sentiment… Que dois-je te dire ? À ta place, j’attendrais encore. Je voudrais achever mon œuvre, finir de le convertir… C’est un cas rare, vraiment. Et après avoir regardé un peu son amie : – Ah ! ma pauvre petite Enrichetta – lui dit-elle en souriant et lui prenant le menton avec deux doigts – avec ce minois de petite princesse ! La jeune fille essuya deux larmes. – Suis mon conseil – reprit l’autre – pardonne encore une fois. Je suis sûre qu’il ne se passera plus rien. Tu ne connais pas ces jeunes gens du peuple. À condition de ne pas les irriter ou les humilier, on en fait ce qu’on veut, même des plus mauvais. Celui-là, tu verras, deviendra un agneau ! Il t’a fait un chemin avec ses pieds, il te le fera avec ses genoux. Son amie sembla perplexe. Ah ! le peuple ! – poursuivit Mlle Mazzara – crois-moi, le peuple est mal connu. C’est pourquoi il n’est pas aimé. Et s’il semble méchant parfois, c’est justement parce qu’il n’est pas aimé. Suffit. Je viendrai bientôt te revoir. Je suis curieuse de savoir comment cela finira. Qu’as-tu décidé ? Traduction de La maestrina degli operai 153

– Je ne sais pas – répondit Mlle Varetti, en fixant à travers la fenêtre les cheminées des usines, comme si elles étaient une donnée du problème qui la tenait en suspens. Mlle Mazzara, en s’en allant, lui donna encore à la va-vite une flopée de nouvelles turinoises : il y avait un mariage à l’école Sclopis ; la comtesse Di Rosa avait invité à l’un de ses bals magnifiques les deux institutrices de ses filles ; au couvent de la Visitation, une jeune fille avait tenté de s’empoi- sonner parce qu’on lui avait confisqué une lettre d’amour ; à San Filippo, au prochain carême, viendrait prêcher l’abbé Calandra. Et elle en ajouta encore une sur le seuil : M. Malon, le célèbre socialiste français, devait tenir une conférence aux ouvriers de Turin, et elle espérait pouvoir y aller. – Du courage – dit-elle enfin dans la rue, avec un sourire flatteur – ma belle dompteuse ! Après avoir longtemps hésité, Mlle Varetti décida d’attendre encore, et elle retourna à l’école du soir, le lundi, un peu troublée intérieurement, mais d’apparence sereine, comme s’il ne s’était rien passé. À peine assise à son bureau, elle s’aperçut, sans regarder Muroni, qu’il se tenait dans une attitude qu’elle ne lui avait jamais vue, les poings appuyés sur le pupitre et le menton sur les poings ; et il lui suffit, un instant après, de le regarder à la dérobée pour s’apercevoir qu’il avait bu. Il avait à nouveau la mèche au milieu du front, les yeux hébétés et somnolents, la cravate en désordre, et il lui sembla revoir, à travers le voile épais de l’ivresse, son expression mauvaise et torve des premiers jours, comme s’il était revenu à l’intention de se moquer d’elle et de lui faire peur. Mais il ne provoqua aucun désordre ce soir-là, ni ne changea d’attitude, et la maîtresse ni ne l’interrogea, ni ne le fit lire. Le lendemain soir, quand il vint à l’école il était redevenu lui- même, avec son visage habituel, et dès lors elle le revit toujours attentif, à la regarder, l’écouter avec cet air d’admiration pensive et presque sombre qu’il avait montré avant leur dernière rencontre sur le boulevard. Seu- lement, dans sa conduite n’apparaissait plus aucun signe d’ambition ou de vanité, pas plus que sur sa personne ; il montrait à nouveau un visage et des mains guère propres, lisait avec négligence, faisait son travail à la diable ou ne le faisait pas, et il semblait désirer ne pas être interrogé, être laissé tranquille dans son coin, à la regarder en silence, comme un chien de chasse. Mais sa contemplation, parfois si prolongée qu’il ne suivait plus sur son livre la lecture des autres, et qu’il se mettait dos au mur, en se tournant complètement à droite pour mieux la voir, quand elle était du côté de la première section, finit par attirer l’attention même des élèves les moins observateurs. Les grands comme les petits, de temps en temps, se le montraient par des signes de la tête, et en parlaient entre eux à l’oreille. Tiens ! C’était donc vrai : Saute-fenêtre était tombé amoureux de la petite 154 L’institutrice des ouvriers maîtresse. Quelle belle histoire ! Cette fois cependant, il resterait sur sa faim. On avait beau avoir la gueule de Saute-fenêtre, il fallait une bonne dose de prétention. Personne n’aurait jamais pensé que ce voyou-là, qui en avait déjà fait de toutes les couleurs, aurait sombré dans les enfantillages de cette façon. Et les adultes se seraient moqués de lui les premiers, s’ils n’avaient su qu’avec lui il y avait des risques à courir. Mais les garçons, plus hostiles et moins prudents, ne se modéraient pas autant. Néanmoins, en raison de la crainte qu’il inspirait, aucun scandale n’aurait éclaté s’il ne s’était pas laissé aller à le provoquer lui-même. Muroni qui, les premiers jours, avait poussé la classe à rire et à causer du désordre par aversion envers la maîtresse, voyait maintenant d’un mauvais œil que d’autres que lui l’importunent ou l’offensent. Il commença à regarder de travers ceux qui faisaient du tapage, tout d’abord presque involontairement, comme quelqu’un d’étourdi par une idée fixe, puis se proposant ouvertement de les en empêcher, en repérant l’un après l’autre les perturbateurs. Lorsque ceux-ci s’en aperçurent, ils prirent peu à peu courage à se sentir unis et devinrent plus malfaisants ; si bien qu’à l’irritation du début s’ajouta en lui le ressentiment de l’injure qui lui était faite. Pendant quelques soirs, ils ne dépassèrent pas les bornes ; puis il s’échauffa. Les perturbateurs récalcitrants n’étaient que les garçons mais il se sentait d’autant plus blessé dans son orgueil qu’il n’arrivait pas à se faire respecter par une poignée de galopins, lui qui avait fait trembler des hommes faits. Lorsqu’ils se lançaient effrontément dans quelque fripon- nerie, il se mit à lâcher quelques impertinences, à menacer de régler les comptes à la sortie de l’école. Mais aucun ne se risquait à lui répondre face à face ; c’est tous ensemble qu’ils ripostaient en imitant le bruit sourd du chien en train de gronder ou le râle des chats ronronnant ; ce qui le mettait hors de lui. Le plus acharné était le petit Maggia, une belle étoffe de Saute-fenêtre à venir, de taille à s’en prendre même à un homme. Ce devait être son œuvre, ce petit couplet en dialecte que Mlle Varetti l’entendit fredonner un soir avec ses camarades, où maestra et Saltafinestra rimaient, à la fin de deux vers qui la firent rougir. Elle se trouvait dans un embarras éprouvant, pénible, ne pouvant en aucune façon accepter une protection trop évidente de celui qui avait la plus mauvaise réputation de la classe, pas plus qu’elle ne savait par quel moyen la faire cesser. Mais il y avait pire. Cette passion manifeste de Muroni pour elle, son admiration permanente, avide et muette, ravivaient chez les autres, par effet de sympathie, cette petite flamme, mélange de sensualité et de sentiment, qu’elle avait sentie dès les premiers jours. À présent, même de la part de quelques hommes plus sérieux, elle percevait des regards plus attentifs et plus audacieux : elle devinait des commentaires plus libres sur sa personne ; elle saisissait au Traduction de La maestrina degli operai 155 vol de petites manifestations de jalousie, même chez cette tête à claques du petit Maggia ; lequel, alors qu’elle marchait un soir entre les bancs, lui donna l’impression de passer la main sur sa robe. Les seuls à rester immuables étaient Perotti avec son honnête barbe de bon père de famille, qui traitait toujours la maîtresse avec le respect d’un vieux serviteur ; cette sorte de brute de l’oncle Maggia, toujours acharné à l’étude, penché sur son pupitre comme un animal affamé à sa mangeoire, et Lamagna, le socialiste. Celui-ci, sans faire montre d’aucune servilité face à l’institutrice, qu’il considérait comme une camarade d’atelier, semblait irrité par la mauvaise conduite de ses condisciples, et donnait des signes de dégoût devant leurs provocations les plus grossières ; car, selon lui, l’ouvrier aurait dû enseigner l’éducation aux bourgeois, et, au lieu de se laisser mépriser par sa grossièreté, les amener à rougir par sa dignité. À la fin, le désordre arriva à un point tel qu’un soir la maîtresse décida de faire appel au maître Garallo. Dix minutes après la leçon, tandis qu’on entendait encore sur le boulevard les sifflements et les chants grossiers des élèves, pleine de tristesse et frémissante de colère, elle alla frapper à la porte de son appartement. Deux voix graves lui répondirent en même temps : – Entrez ! – Elle trouva mari et femme assis des deux côtés d’une table couverte de papiers, tous les deux avec leurs grosses têtes ébouriffées, petits et corpulents ; on les aurait dits frère et sœur. Leur petit salon, d’une austérité républicaine, n’avait d’autres ornements que des gravures avec les portraits de Mazzini, de Saffi et d’Alberto Mario, accrochés à un mur ; sur l’autre pendait un grand tableau écrit à la main, divisé en compartiments colorés, où étaient marqués les salaires des enseignants élémentaires de tous les États civilisés ; la table était éclairée par une petite lampe de cuisine, placée sur une boîte à sucre vide. – Ah ! vous voilà ! – dit le maître, et il s’engagea aussitôt dans son dis- cours préféré, à propos d’une pétition qu’il était en train d’écrire, afin que la ville de Turin accepte de valider, pour les droits à la retraite, les années de service effectuées par les enseignants dans d’autres communes. – Parce que c’est de la justice sacro-sainte ! – s’exclama-t-il. Mais Mlle Varetti l’interrompit, et d’une voix agitée lui exposa sa situa- tion. Elle avait patienté jusqu’alors, pour ne pas l’ennuyer, mais elle ne pouvait plus continuer avec cette classe indisciplinée, qui lui manquait de respect de toutes les manières, et faisait de l’école un bazar. Il était absolument nécessaire que le maître vienne le lendemain soir donner un avertissement solennel à tous, et une leçon particulière aux plus malfaisants. Le maître se gratta l’oreille et sembla ennuyé par cette demande. – Je viendrai – répondit-il – mais… Je vous l’avais dit que dans cette école il faut de l’énergie. 156 L’institutrice des ouvriers

– Mais quelle énergie peut avoir d’après vous une jeune fille seule devant quarante hommes ? – demanda Mlle Varetti. – Moi, je les tenais – dit Mme Garallo avec une sonorité de trombone. – Je n’ai pas, moi, votre vertu – répondit vexée la demoiselle. – Vous en imposiez davantage, grâce aussi à votre aspect… Mme Garallo la dévisagea. – Je n’arrive pas à me faire craindre – continua l’autre – je ne sais pas comment faire, ils ne tiennent pas compte de mes reproches, je fais tout ce que je peux, ils me réduisent au désespoir. C’est un supplice que je ne peux plus supporter. – C’est inutile – dit le maître, perdant patience – le peuple veut être traité d’une façon particulière, il faut savoir le prendre… Il ne faut pas se présenter à lui avec des manières, je ne dis pas aristocratiques, ce n’est pas ça, mais pas trop distinguées non plus ; il ne faut pas lui laisser voir qu’on a presque… horreur de lui. Mlle Varetti fut émue par ces mots. – Qui vous a dit que j’ai des manières aristocratiques ? – demanda-t-elle avec ressentiment. – Qui vous a dit que j’ai horreur du peuple ? – Le peuple veut être aimé ! – déclara Mme Garallo. – Et moi je l’aime ! – s’écria la jeune fille, dans un grand élan d’amour et d’indignation. – Qu’est-ce qui peut vous faire penser le contraire ? – Allons – conclut Garallo, sur un ton conciliant – on va faire comme ça. Pour le moment je donnerai au cantonnier l’ordre d’assister à vos leçons. Sa présence suffira à tenir en respect les garçons. Vous, de votre côté, vous me donnerez soir après soir les noms des perturbateurs. S’il arrive ensuite quelque chose de grave, le cantonnier viendra me chercher, et alors… je n’aurai qu’à me montrer. En attendant, armez-vous de courage. La maîtresse, agacée, allait lui répondre : – Armez-vous vous-même – mais elle retint ces mots sur le bout de ses lèvres. Elle se contenta de saluer sèchement et s’en alla. Alors qu’elle sortait, elle entendit la voix de Garallo qui disait tout bas : – Elle ne comprend pas le peuple, ne sait pas comment se comporter avec le peuple – et la curiosité la retint un moment l’oreille tendue. Mais l’autre parlait déjà des enseignants du Brésil qui, outre le logement et le jardin, ont droit à une prime pour chaque élève reçu. S’étant résignée, le lendemain soir elle retourna à l’école. Il neigeait dru depuis plusieurs heures ; les élèves arrivaient, les chapeaux et les épaules recouvertes de neige, en secouant leurs vêtements et en frappant des pieds avec grand bruit. Au milieu du couloir, la maîtresse fut arrêtée par le can- tonnier, qui lui demanda la permission de lui dire un mot en confidence. Le maître Garallo lui avait ordonné d’assister aux leçons pour assurer Traduction de La maestrina degli operai 157 l’ordre, mais il avait une proposition à lui faire : il lui semblait plus politique de rester dans le couloir, l’oreille tendue à la porte, et d’entrer ensuite sans crier gare, quand il entendrait du bruit, parce que, de cette façon, il pour- rait prendre sur le fait les coupables. En disant cela, il lui fit un clin d’œil, pour faire mieux comprendre sa ruse. En voilà un autre qui avait peur ! La maîtresse le regarda avec pitié, en lui disant de faire ce qu’il voulait, et lui, dissimulant sa satisfaction, prit résolument position à côté de la porte. Il manquait ce soir-là plus d’une douzaine d’élèves. La maîtresse en demanda la raison et sut qu’ils étaient allés, avec beaucoup d’autres per- sonnes, passer la soirée dans une étable, où un vieux paysan de retour d’Amérique, un esprit facétieux et original, avait invité la moitié du faubourg à écouter l’histoire de ses aventures. C’était un petit soulagement pour elle, mais des garnements, malheureusement, il n’en manquait aucun. Dès les premiers moments, elle s’aperçut que Muroni était plus sombre que d’habitude, signe qu’il avait eu des mots avec les autres avant d’entrer. Elle vit aussi, sur les dix ou quinze visages des élèves les plus insolents, l’expression d’une pensée commune, comme s’il y avait un accord passé entre eux ; probablement pour se soutenir mutuellement si l’un d’eux, après l’école, était assailli par Saute-fenêtre, qu’ils avaient décidé de provoquer. En effet, dès qu’elle se tourna vers le tableau pour écrire, elle entendit derrière son dos un frémissement de rires et de chuchotements plus impertinents que d’ordinaire ; et elle en eut le cœur serré, devinant d’après le son particulier de ce rire les grimaces obscènes, les actes et les mots licencieux qui devaient courir entre les bancs. À un moment donné, comme le bruit augmentait, le cantonnier mit son visage dans la porte entrouverte et dit : – Silence ! Ce ne sont pas des manières ! –, puis il disparut avec une rapidité si comique que la moitié de la classe éclata de rire. Quelques instants après, tandis qu’elle écrivait à nouveau, une flèche en papier tomba à ses pieds, puis une écorce de châtaigne. Mais ces affronts ne la blessaient plus. Elle ne ressentait plus d’indignation, mais une tristesse profonde, et en même temps une sorte de force nouvelle dans son âme, qui la maintenait là, ferme et intrépide, comme pour une mortification méritée, une expiation volontaire, telle une religieuse au chevet d’un malade souffrant d’une maladie répugnante. Elle voulait résister et souffrir jusqu’au bout, voir jusqu’à quel point ils arriveraient, et si sa patience de sainte ne finirait pas par les rendre honteux de leur conduite. Mais soudain elle entendit un Oooooh ! fort et prolongé de plusieurs voix, un son de dérision et de défi, et, en se tournant, elle vit Muroni debout sur son banc, les yeux flamboyants de colère et les dents serrées, qui montrait son poing à la classe. Elle ouvrit la bouche pour héler le cantonnier… 158 L’institutrice des ouvriers

À cet instant la porte s’ouvrit toute grande, et un personnage inconnu entra dans l’école. Se fit alors un profond silence. C’était le nouvel inspecteur général de Turin, que la maîtresse n’avait jamais vu. Il faisait souvent cette prouesse, d’aller visiter les écoles des faubourgs durant les pires soirées d’hiver, quand on l’attendait le moins. Sa voiture s’était approchée sans bruit, à cause de la neige ; il était entré brusquement dans le couloir, en faisant signe au cantonnier épouvanté de ne pas l’annoncer, et après avoir accroché son manteau en toile cirée à un crochet, et être resté quelque temps devant la porte à écouter le vacarme infernal, il avait fait cette entrée théâtrale. Sa haute silhouette de vieil offi- cier, aux moustaches et à la barbe blanches, habillé de noir, sanglé dans ses vêtements comme dans un uniforme, inspirait la sympathie et imposait le respect. Dans une poche saillante à son côté se dessinaient les formes d’un revolver. Il était indigné. – Où sommes-nous ? – demanda-t-il en s’adressant à la classe, après avoir dit qui il était. – C’est ainsi que vous respectez votre école et ceux qui vous enseignent ? Êtes-vous d’honnêtes ouvriers, ou bien quoi ? Je ne peux pas croire que ce soient les hommes qui fassent ce tapage, mais je m’étonne, je m’indigne qu’ils le supportent sans rougir de honte, qu’ils laissent insulter d’une manière si indigne l’école du peuple –. Ensuite, en se tournant vers la maîtresse, d’un ton sévère, sans baisser sa voix comme il aurait dû : – Et vous, mademoiselle, comment tolérez-vous une pareille conduite ? Comment maintenez-vous la discipline ? Ne serait-ce que pour votre dignité, si ce n’est par nécessité de votre charge, vous ne devriez pas permettre qu’on vous manque de respect jusqu’à ce point ! Dites-moi : est-ce ainsi tous les soirs ? La pauvre fille, debout devant son juge, blême, voulut articuler quelques mots pour se disculper ; mais son esprit se troubla et sa voix ne vint pas ; vint en revanche un flot de larmes, qu’elle ne put retenir ; elle sortit son mouchoir et se mit à pleurer comme une petite fille. – Reprenez-vous – lui dit d’une voix un peu plus douce l’inspecteur – cela ne sert pas à vous redonner l’autorité que vous avez perdue –. Ensuite il adressa à nouveau à la classe des mots vigoureux, que tous écoutèrent en silence, avec cette attention fixe et étonnée que le peuple prête aux acteurs, excepté le socialiste Lamagna, qui regardait par la fenêtre, avec une distrac- tion feinte, un arbre chargé de neige, éclairé par le bec de gaz de l’école. Après avoir passé ce savon, l’inspecteur fit un signe à la maîtresse, qui, les yeux rougis et la voix tremblante, reprit le fil de la leçon, tandis qu’il surveillait les élèves de ses yeux sévères. Tout à coup il lui demanda : – Quels sont vos perturbateurs habituels ? Traduction de La maestrina degli operai 159

La maîtresse les connaissait tous, mais par pure bonté d’âme et non pas par peur, car il ne lui semblait pas digne de faire châtier par d’autres ceux qu’elle n’avait pas su contenir, répondit d’une voix douce, qui paraissait sincère : – Personne, monsieur l’inspecteur. Le désordre de ce soir a été un hasard. Tandis qu’elle disait cela, le regard de l’inspecteur se fixa sur Muroni, attiré par le contraste entre la rude fierté de ce visage et le sentiment qui y était gravé à ce moment, lequel semblait inspiré par la réponse généreuse de la maîtresse, dont il avait compris l’aimable pensée. – C’est bien, mademoiselle – dit-il. – Je vous attends après l’école – et après avoir donné un dernier avertissement aux élèves, il sortit au pas d’un soldat. La classe, retenue par le soupçon d’une réapparition soudaine du per- sonnage, se tint décemment jusqu’à la fin, et sortit dans un ordre inhabituel, n’émettant qu’un sourd murmure. Mais tandis qu’elle assistait à la sortie de la cour des derniers élèves, avant d’aller chercher son rapport chez l’inspecteur, la maîtresse entendit sur le boulevard la voix rauque de Muroni en colère, qui criait : – Lâches ! – et d’autres voix, étouffées par la neige épaisse, qui lui répondirent des insultes au loin. À partir de ce soir-là, la passion pour elle et la haine contre ses ennemis semblèrent s’accroître toutes deux chez Muroni, qui méditait apparemment de déverser la seconde, dans l’impuissance de le faire pour la première. Mais sa passion se manifestait d’une manière toute personnelle. La maîtresse ne vit jamais sur son visage l’expression propre à l’amour ou à la bienveillance : son visage semblait s’assombrir de plus en plus, et son regard se faire plus fixe et plus sinistre, comme si avec le sentiment qu’elle lui inspirait mûrissait peu à peu le projet d’un crime. Un grand tumulte de ses idées et de ses sentiments s’ensuivait sous son petit crâne et dans son cœur exaspéré de rebelle au monde : un dégoût croissant de lui-même, un mépris de plus en plus furieux envers ses propres semblables ; l’âcre ambition d’être éduqué, instruit, bien habillé, riche par un coup de chance ou d’audace, ou sous l’effet d’un miracle ; une succession monstrueuse, quand il était face à elle, de désirs violents, d’impulsions compatissantes, de fantaisies affectueuses, cruelles ou lascives, de brusques retournements d’âme, où il l’insulterait et la battrait comme une fille publique, ou alors il s’humilierait, baiserait, polirait de sa langue la semelle de ses bottines. Il avait l’air d’un homme tantôt stupéfait, tantôt furieux et honteux de ce qui se passait en lui. Mais quels que fussent les mouvements de son esprit, il maintenait intactes les formes du respect envers la maîtresse. Il semblait même les rendre plus 160 L’institutrice des ouvriers visibles pour susciter le soupçon d’une correspondance secrète, ce qui, au moins en apparence, alimenterait son amour-propre. Et en effet ce soupçon surgit chez les élèves qui les épiaient assidûment tous les deux. L’effort déployé par la maîtresse à ne le regarder presque jamais, à faire montre d’ignorer le zèle rageur avec lequel il la protégeait, ne paraissait pas naturel à nombre d’entre eux, qui commençaient à penser qu’il s’agissait d’un effort destiné à masquer une attirance. Du reste c’était un beau jeune homme, connu pour ses conquêtes amoureuses dans son propre milieu ; et ses camarades ne pouvaient pas comprendre que ce qui attirait à lui les femmes de son espèce, sa triste renommée, devait représenter pour la demoiselle une puissante raison de répugnance, et ils n’étaient même pas en mesure de bien saisir la distance que mettait entre elle et lui la différence d’éducation. La maîtresse se rendit parfaitement compte de ce nouveau soupçon à la façon soudaine et ostentatoire dont ils se tournaient vers elle et vers lui, chaque fois qu’elle l’interrogeait, et par la toux affectée, les ricanements, les demi-mots qu’ils laissaient échapper, en la regardant, même les plus sages, avec des yeux rieurs ; et cela la troublait au point qu’elle devait se faire violence avant de l’appeler pour lire, et se préparer presque mentalement et nerveusement pour chasser la rougeur qui risquait de lui monter aux joues s’il prenait à Muroni l’idée de lui poser une question. Et elle vivait dans l’anxiété perpétuelle de ne pas être toujours capable de cacher son trouble, car, sans aucun doute, les élèves ne le prendraient pas pour un effet de sa timidité ou de honte de ses soupçons, mais pour une révélation d’amour. Heureusement pour elle, un soir où elle redoutait le plus sa présence, il ne vint pas et s’absenta plusieurs jours. Elle le vit, un beau matin, de la fenêtre, errer dans le pré, de l’autre côté du boulevard, la tête basse, les mains dans les poches, comme enfermé dans ses pensées. Quelques heures plus tard, elle le revit encore là, assis sur un tas de graviers, les coudes sur les genoux, les mains dans les poches et les poings sous le menton, tourné vers l’école ; mais si loin qu’elle ne put distinguer son visage. Le soir même, à la nuit tombante, passant devant le cabaret La Gallina, elle entendit sa voix éraillée, avinée, au milieu du brouhaha assourdissant des joueurs de mourre, et elle apprit le lendemain matin par le cantonnier qu’il y avait eu une bagarre sanglante entre lui et certains barabba de Turin, que le cabaret avait été saccagé et que le patron lui-même avait pris la fuite ; on voyait encore dans la rue des bouts de cravate et des touffes de cheveux éparpillés sur la neige. On disait même que Muroni était au lit après une bastonnade. Enfin, le troisième jour au matin, en descendant par la grand-rue, Mlle Varetti le vit dans un coin, assis sur une borne, le chapeau rejeté en arrière, la mèche entre les yeux, les mains dans les poches de son pantalon, immobile et livide, le menton Traduction de La maestrina degli operai 161 souillé par le jus noir d’un mégot de cigare qui lui pendait des lèvres, la chemise ouverte comme en plein été. Lui jetant un regard à la dérobée avant d’être vue, elle lut, comme écrits sur son visage, trois jours et trois nuits d’inaction, d’altercations, de jeux et de cuites, un abrutissement qui lui serra le cœur et la fit frissonner à la seule idée de devoir croiser son regard. Ne pouvant pas rebrousser chemin, elle tenta de passer outre sans tourner la tête ; mais quand elle s’aperçut qu’il l’avait vue et qu’il se levait lentement, sans oser s’approcher, elle fut vaincue par un sentiment de pitié et elle le regarda. Il était ivre ; il put péniblement soulever son chapeau, qu’il ne trouva pas tout de suite, et, se découvrant, sans parvenir à lever son visage, il lui lança un regard long et profond, accompagné d’un sourire étrange, triste, stupide, tendre, horrible qui lui fit horreur et pitié, et la laissa bouleversée. Le lendemain soir, il revint à l’école, dessoûlé et propre, et dès qu’il revit la maîtresse et, plus encore, dès qu’il entendit sa voix, comme si tous les sentiments qu’il avait mis en veilleuse pendant trois jours revivaient en lui avec plus de vigueur, il retrouva son attitude d’avant, contemplative, immobile et sombre ; ce qui fit reprendre les plaisanteries et le tapage de la petite meute. Mais cette fois-ci on aurait dit qu’il avait changé d’idée. Il ne lançait plus de menaces : il se retournait pour regarder untel ou untel, comme pour fixer dans sa mémoire le nom et les insultes et, à cet instant, sa physionomie froide et tranquille était plus sinistre et plus inquiétante que lorsqu’il menaçait. C’est ce qu’il fit pendant deux ou trois soirs. Puis il manqua l’école, encore deux fois. La maîtresse sut qu’une nouvelle bagarre avait éclaté la nuit dans un cabaret au bout du village, entre lui et certains paysans d’une bourgade voi- sine : on avait vu le matin des traces de sang sur les marches extérieures d’une chapelle. Une nuit, elle reconnut sa voix mêlée à d’autres, qui passèrent en chantant dans le pré derrière l’école et qui s’éloignèrent en pleine campagne ; le matin suivant, à peine était-elle levée qu’elle fut étonnée de le voir assis dans le fossé du boulevard, sous sa fenêtre, le dos appuyé contre l’arbre et le menton sur la poitrine, endormi au milieu de la glace. Puis il revint à l’école, un soir, saoul, à demi sommeillant, et il resta immobile pendant deux heures, les yeux brillants, pris d’une admiration stupide et infantile pour une de ses nouvelles robes, couleur gris cendre. Il se secoua vers la fin, furibond contre un garçon qui avait lancé une peau de rat sur l’estrade, aux pieds de l’institutrice. À la sortie, elle entendit tout un tumulte et sut le jour suivant qu’il avait giflé et roué de coups le garçon. Puis il disparut pendant deux jours et on lui dit qu’il avait été arrêté. Ce n’était pas vrai ; mais on ne le voyait plus depuis un jour et une nuit, certains disaient qu’il était à Turin. Mlle Varetti l’apprit un matin par 162 L’institutrice des ouvriers sa mère qui vint la voir, toute en pleurs, dans un état d’agitation fébrile, la frayeur peinte sur son visage. – Ah ! Madame la maîtresse – s’écria-t-elle, à son entrée dans la chambre – où peut se trouver mon fils qu’on ne le voit plus ! Qu’est-ce qui a pu lui arriver ? Comment je vais pouvoir supporter cette vie, Dieu miséricordieux, ce fils qui semblait déjà plus sage ! – Et elle se prit la tête à deux mains, en disant qu’elle avait l’impression qu’il devenait fou, qu’il n’y avait plus moyen de le raisonner, qu’il l’avait menacée avec un marteau. – Dites-moi un peu, madame la maîtresse – lui demanda-t-elle d’une voix anxieuse – il a eu des ennuis avec ses camarades d’école, pas vrai ? Qu’est-ce qui est arrivé ? Qu’est-ce qu’ils ont après lui ? La pauvre femme venait en cachette le soir, à l’heure de la sortie des élèves, se poster derrière les arbres du boulevard, et plusieurs fois, dans les groupes qui passaient, elle avait entendu des menaces, des projets de vengeance contre son fils. La maîtresse, par compassion, crut devoir lui dire qu’elle ne savait rien et elle essaya de la rassurer, mais sans trouver les mots car elle était distraite par une certaine expression qu’elle distinguait dans les yeux de la femme, une expression à la fois suppliante et inquisitrice, qu’elle ne lui avait jamais connue. Celle-ci reprit ses exclamations : – Ah, mademoiselle, le cœur me dit qu’il va sûrement arriver un malheur ! Dieu du ciel, si jamais on me l’amenait une nuit avec un coup de couteau, j’ai le cœur qui saigne, je perds la tête rien qu’à y penser ! Et brisée par la douleur qu’elle ressentit à cette idée, elle trouva le courage d’ouvrir complètement son cœur. – Je m’en étais bien doutée – dit-elle à voix basse, en prenant une des mains de l’institutrice, sans oser la regarder en face – je m’en étais bien doutée que tout ça était dû à une sympathie ; je ne m’étais pas trompée… Et brusquement, en joignant les mains, avec un accent d’ardente sup- plication : – Oh, mademoiselle – murmura-t-elle, en la regardant droit dans les yeux – si vous vouliez être assez charitable pour lui dire un mot gentil, un seul mot… Mais elle s’interrompit, comme interdite, à un regard de la maîtresse. – Qu’êtes-vous en train de me dire ? – lui demanda la jeune fille. – Quel rôle jouez-vous ? La femme se mit à pleurer. – Ah ! c’est vrai – dit-elle ensuite – pardonnez-moi, mademoiselle… pardonnez à une pauvre maman qui ne sait plus ce qu’elle dit – et elle lui prit la main, la lui baisa dans un élan d’affection si humble et si douloureux que la maîtresse, brusquement émue, dégagea sa main droite et la posa dans un geste caressant de pitié sur ses cheveux blancs, en lui disant : – Prenez Traduction de La maestrina degli operai 163 courage, pauvre femme, prenez courage ; vous verrez qu’il n’arrivera rien. Et puis… je vais voir… je vais voir, je lui dirai quelque chose… – Que Dieu vous bénisse ! – répondit la vieille en relevant son visage – Que Dieu vous bénisse ! Rien qu’un mot… quelque fois…, qu’il ne fasse pas mourir sa mère de désespoir, elle qui a déjà eu tant de peine, qu’il n’aille pas courir quelque vilain risque, par pitié de mes derniers jours, qu’il sauve son âme ! Mais au moment où elle s’en allait, elle fut reprise par son terrible pressentiment. – J’ai peur qu’on me le tue ! – s’écria-t-elle en se mettant à pleurer. – Mon cœur me dit que ça va mal finir, j’ai peur qu’on me le tue ! Que Dieu garde ses saintes mains sur notre tête ! Et elle était déjà sur le seuil de la porte quand elle revint sur ses pas pour baiser la main de la jeune fille. Puis elle s’en alla, le visage enfoui dans les mains. Mlle Varetti, par pitié envers la pauvre vieille femme, décida de prendre sur elle et de tenir sa promesse de donner un avertissement affectueux au jeune homme, pour l’inciter, au moins, à ne pas s’acharner contre sa mère. Mais elle ne savait pas à quel moment ni dans quel lieu lui parler, car il ne lui venait pas même à l’idée, vu l’état d’esprit de la classe, de l’appeler en particulier, à l’entrée ou à la sortie. Elle resta toute la journée dans cette incertitude. Le soir, Saute-fenêtre se rendit en classe. Son visage était encore plus livide que les autres jours et l’altération de ses traits trahissait une cuite à l’eau-de-vie qu’il n’avait pas encore cuvée. Son entrée fut accueillie par un murmure qu’il fit taire immédiatement, en se plantant au milieu de la classe et en promenant son regard sur les bancs. Puis il se rendit à sa place, où il reprit sa pose habituelle, mais avec un visage mauvais, fermé, immobile, comme s’il avait décidé d’entreprendre un coup, le soir même. Par pitié pour sa mère, par crainte de le voir en venir à quelque provo- cation atroce, et dans l’espoir de la prévenir, la maîtresse fut amenée à tenter une démarche qui lui sembla extrêmement risquée. Elle y songea quelque temps le cœur battant, puis elle saisit le moment où la classe lui sembla tranquille, ne faisant pas attention à elle, et se tourna vers Muroni, dont elle était certaine de croiser comme toujours le regard, et le fixa pendant quelques secondes, ce qu’elle n’avait jamais fait, avec une expression voilée d’indulgence, de bonté, de prière. Le jeune homme resta un moment, les traits immobiles, comme quelqu’un qui entendrait soudain la voix d’une personne invisible qu’il lui semblerait entendre prononcer son nom ; puis il regarda autour de lui, regarda à nouveau la maîtresse qui ne le regardait plus, et il se passa une main sur le front. Et dès cet instant, une agitation nouvelle sembla naître 164 L’institutrice des ouvriers en lui, une nouvelle disposition d’esprit. Les garçons recommencèrent leur tapage et leurs railleries habituelles envers la maîtresse, pour l’offenser, lui. Il n’y prêta pas attention pendant un moment. Mais tout d’un coup, après avoir entendu le petit Maggia marmonner une obscénité en direction de la jeune fille, qui ne l’entendit pas, il se retourna d’un bond, comme un tigre, et lui dit : – Maggia, je vais te couper la gorge. Différentes voix répliquèrent : – Attends un peu ! – T’excite pas ! – C’est ce qu’on verra ! – et une grosse voix de l’autre côté de la classe mugit : – Gare à moi ! C’était l’oncle Maggia, avec sa grosse tête difforme, qui s’était levé, pris de fureur. Bien qu’il n’eût aucune affection pour le gamin qui l’agaçait avec ses polissonneries, il se dressait en défenseur d’un parent menacé, sans connaître la raison de la menace, sans poser de question, sans réfléchir, comme une brute, parce qu’il avait entendu son nom. – Je te ferai la peau à toi aussi ! – lui répondit Muroni. La maîtresse lui fit un signe impérieux. – Vous savez qui je suis – dit encore le jeune homme à l’adresse de la classe ; il se rassit, et ses yeux lancèrent des éclairs livides. La maîtresse, peinant à retrouver sa voix, imposa le silence et tous obéirent, non par respect pour elle, mais parce qu’ils pressentaient une chose grave, annoncée par la détermination des visages et l’entrée en lice de l’oncle Maggia, renommé pour sa force et ses fureurs de taureau. La maîtresse eut l’âme en peine jusqu’à la fin de la leçon, où elle parla avec un filet de voix. Tous sortirent en silence. Elle s’élança dans la cour où elle chercha en vain le cantonnier et s’approcha de la porte, toute tremblante, s’attendant à une bagarre épouvantable. Elle entendit en effet différentes voix qui lançaient : – Place ! Place ! pour dégager de l’espace en vue du combat ; puis la voix de Muroni : – En garde ! – et celle de l’oncle Maggia : – Me voici ! – et elle s’appuya au mur pour ne pas tomber. Mais au lieu des coups et des cris qu’elle attendait, elle perçut un chu- chotement imprévu, comme un avertissement, qui courait de bouche en bouche, puis le frottement des pieds de la foule qui se dispersait en silence. Dans ce silence, elle entendit encore la voix de Muroni, déjà éloignée : – Au revoir, à demain –. Différentes voix répétèrent : – À demain –. Et d’autres, plus proches, sur un ton d’avertissement : – Rentrez chez vous, les jeunes gens, rentrez chez vous. C’était la patrouille des carabiniers qui faisait dégager la rue. Mlle Varetti ne s’était jamais sentie aussi proche comme ce soir-là de la terreur qui avait mis sa vie en danger pendant son enfance, lorsqu’elle avait été spectatrice d’une rixe sanglante entre ouvriers mineurs. Elle avait senti passer dans l’air le souffle d’un crime. Et pendant toute la nuit elle Traduction de La maestrina degli operai 165 avait éprouvé un dégoût, une inquiétude angoissante qui multiplia dans ses rêves toutes les images les plus épouvantables qui l’avaient accablée au cours de sa vie, et se réveilla abattue, remplie de noirs pressentiments, cherchant anxieusement, sans le trouver, un moyen d’empêcher ce qui allait arriver. Elle poussa un soupir de soulagement en voyant apparaître à la porte la maîtresse Mazzara. Elle arriva si enthousiaste de ses propres desseins qu’elle oublia tout d’abord de lui demander des nouvelles de l’école du soir et de Saute-fenêtre, qui était la raison qui l’avait conduite jusqu’à elle, malgré le froid et le brouillard. Elle voulait faire écrire à Mlle Baroffi un article sur la mauvaise alimentation des enfants des écoles maternelles, où l’on faisait un abus into- lérable de haricots ; elle cherchait des adhérents pour demander une réforme de l’enseignement du chant dans les écoles élémentaires, où, dans l’illusion que les enfants apprennent la musique, on les dressait laborieusement à chanter des chœurs sans inspiration et sans vie, des rengaines funèbres qui endormaient chanteurs et auditeurs ; elle voulait promouvoir une souscrip- tion pour rendre hommage à une maîtresse aveugle, d’une grande beauté, de l’Institut d’Azeglio, un ange de grâce et de bonté… Enfin, quand elle eut terminé, elle posa des questions et écouta avec beaucoup d’attention son amie, qui lui dit par le menu ce qui s’était passé et ce qu’elle craignait. Mais, hélas ! que ce fût à cause d’une mauvaise disposition secrète de Mlle Mazzara ou bien de la nature scabreuse du sujet, cette conversation devait peu durer et mal se terminer. Lorsque Mlle Mazzara eut tout entendu, elle donna un conseil, dont Mlle Varetti soupçonna qu’elle l’avait mûri à l’avance, tant elle l’énonça sur- le-champ. – Ma chère – lui dit-elle sur le ton d’une sœur aînée –, mon avis est celui-ci : qu’on doit mettre fin à cette histoire à tout prix, et que c’est à toi de la faire cesser. Tu ne dois pas permettre qu’on commette un crime à cause de toi. Et il n’y a qu’un moyen. Tu dois profiter de l’« ascendant » que tu as sur lui, le prendre à part et lui ordonner ré-so-lu-ment de renoncer à toute réaction ou provocation, de sacrifier son orgueil, de céder et de se résigner, dans ton intérêt. De cette façon, il ne se passera rien et il changera. Si tu le lui ordonnes, il t’obéira. Il n’y a pas d’autre moyen. Tu dois le faire par acquit de conscience. Voilà mon sentiment. – Mais pourquoi crois-tu qu’il m’obéira ? – demanda Mlle Varetti, qui ne comprenait pas encore son idée. Mlle Mazzara hésita. Ensuite elle répondit franchement : – C’est à toi de l’obliger à obéir, à la fin. – Très chère ! – s’exclama son amie, se levant avec un sourire fier –, pour éviter un malheur je suis disposée à faire n’importe quel sacrifice, sauf celui de m’humilier. 166 L’institutrice des ouvriers

L’autre fut piquée au vif, et sentit que son sang de femme du peuple ne faisait qu’un tour, en songeant que la jeune fille aurait donné la même réponse même s’il s’était agi d’un de ses frères. Et, refrénant son dépit, elle répondit avec un sourire forcé : – Ce sont des préjugés sociaux. – Des préjugés sociaux ? – répliqua Mlle Varetti avec vivacité – Mais ce sont les préjugés de la dignité et de l’honneur ! Je rougirais devant le portrait de mon père rien qu’à penser d’y manquer. – Oh mon Dieu ! – s’exclama Mlle Mazzara en frémissant sans le laisser voir. – Les hommes de toutes les classes sociales se valent, sauf que leurs vices et leurs fautes n’ont pas la même couleur : les bourgeois boivent du vin plus fin, fréquentent de mauvaises femmes mieux habillées, et donnent des coups de sabre au lieu des coups de couteau. Mlle Varetti retint un mouvement d’indignation, et lui dit fièrement : – Tu déraisonnes. Mon père s’est battu en duel, et toi, tu le mettrais au même niveau que ceux qui assènent des coups de couteau dans les tavernes ?… C’est une honte ! – Une honte ?… – répondit l’autre, la voix étouffée par la colère – une honte ? Eh bien, je te dis que je me flatte d’être une fille du peuple, que je suis fière de ma famille, que je méprise la vanité de l’aristocratie et que je n’ai que faire des amies aristocratiques ! – Cela dit, elle sortit à grands pas, les larmes aux yeux. Mlle Varetti lui courut après, l’appelant par son prénom et la priant de rentrer. Mais l’autre se retourna irritée, et lui répondit : – Je reviendrai une autre fois : aujourd’hui ce n’est pas le moment ! – Et elle disparut. La jeune fille se laissa tomber sur une chaise, profondément décou- ragée. Même son amie l’abandonnait le jour où elle avait tant besoin de distraction et de réconfort. Ne pouvant résister seule, elle alla chercher la compagnie de la maîtresse Baroffi. Elle la trouva à son bureau, les cheveux en désordre et avec son large sourire de vieille actrice, penchée sur une dizaine de cahiers ouverts, où elle recopiait des phrases et des sentences d’écrivains, de journalistes et de conférenciers, lesquelles, après s’être décan- tées pendant un mois dans son bric-à-brac, devenaient siennes ; et elle les considérait si consciencieusement comme siennes que, s’il lui arrivait de les relire ailleurs, elle croyait qu’on les lui avait volées. Mlle Varetti lui dit ses peines et ses peurs. – Ah la chère petite – lui répondit-elle avec sa grosse voix pleine d’emphase – toi qui t’obstines à ne pas m’écouter ! Mais parle donc, touche leurs cœurs. Lis-leur quelques belles pages de Thouar 5

5. Pietro Thouar, écrivain toscan auteur de nombreux livres d’école et de livres de littérature pour l’enfance de la première moitié du XIXe siècle. Traduction de La maestrina degli operai 167 ou de Lambruschini 6, et tu les verras changer sous tes yeux du tout au tout ! Ah si j’étais à ta place ! – Mais malgré la tristesse de son amie, elle ne prolongea pas ce discours. Elle était tout excitée par la description d’une solennité survenue à l’Université de Londres, où, dans l’aula magna, en présence du chancelier, de tout le corps enseignant et d’une grande foule d’étudiants et d’autres citoyens, une jeune dame avait été reconnue digne du grade de docteur ès sciences. Cela aurait été le rêve suprême de son ambition. – Imagine, ma chère – s’exclama-t-elle avec enthousiasme – cette belle dame avec sa livrée rouge et or de docteur, dans ce lieu, devant tous ces gens, au milieu des applaudissements, et tout Londres qui en parle ! Je voudrais connaître cette gloire et mourir une heure après ! Mlle Varetti la laissa à ses rêves, plus triste qu’avant, et alla chercher Mlle Latti. Elle la trouva en train d’écrire, devant une espèce de petit autel d’ampoules et de boîtes d’épicerie, tandis que ses larmes tombaient sur une feuille. Elle ne fit pas de mystères. Elle ressentait depuis deux jours des symptômes si sûrs de sa fin qu’elle s’était décidée à écrire ses dispositions testamentaires. Mlle Varetti sourit alors pour la première fois de la journée. Mais si le testament était comique, la testatrice était vraiment épouvantée et affligée, et sa compagnie ne pouvait lui être d’aucune utilité. Elle la laissa et retourna dans sa chambre compter le temps, quart d’heure après quart d’heure, aux coups de la cloche de l’église. Elle reprit ses esprits vers quatre heures et alla chez le maître Garallo pour lui présenter la situation et demander s’il ne croyait pas opportun d’avertir les carabiniers pour qu’ils passent ce soir aussi devant l’école. Elle le trouva en train de boire tout seul, un peu excité, sans doute moins par le vin que par de bonnes nouvelles financières dans le monde de l’école. Il ne parut pas de son avis. – Si – dit-il – nous donnons aux élèves l’habitude de voir les carabiniers du roi à notre porte, nous provoquerons sans aucun doute un désordre la première fois qu’ils ne viendront pas. Et puis cela nuirait au prestige de l’école. Il ne faut pas se montrer méfiants envers le peuple. Néanmoins, il ne méconnaissait pas la gravité de la situation. Et après cinq minutes d’hésitation, il prit une résolution héroïque. – Ce soir – dit-il en se levant, en plantant son index contre sa poitrine – c’est moi qui me montrerai. Et la maîtresse s’en alla, un peu réconfortée. Mais à la tombée de la nuit, elle fut à nouveau assaillie par l’anxiété, la tristesse et la peur. Elle ne pouvait s’éloigner de la fenêtre par où elle regardait

6. Raffaele Lambruschini, pédagogue toscan de la première moitié du XIXe siècle, directeur des revues La guida dell’educatore et Letture per fanciulli. 168 L’institutrice des ouvriers ce boulevard solitaire, comme pour lui demander ce qui arriverait ce soir sous ses arbres, et lui paraissait de mauvais augure ce brouillard épais qui recouvrait toute chose, ne laissant apercevoir que confusément l’arbre le plus proche de l’école. Les tintements de la cloche qui sonnait les heures, le sombre vacarme des machines dans les fabriques, le bruit lointain de l’atelier du forgeron, la lanterne rouge de La Gallina qui brûlait au loin tel un œil sanglant, tout lui semblait lugubre et menaçant, lui rappelant les sinistres paysages des affiches dans les foires où sont peintes des scènes d’assassinats qui lui faisaient une si profonde impression dans son enfance. À une certaine heure, elle sentit le besoin d’aller prier. Elle ne mit qu’un capuchon, traversa le boulevard à pas furtifs, entra dans l’église et s’agenouilla près d’un pilier. L’église était sombre ; ne brillait qu’une lampe près du maître-autel ; çà et là quelques femmes étaient agenouillées ; au fond, on entendait le pas sonore du sacristain. Elle pria, évoqua sa mère, invoqua son père afin qu’il lui insuffle du courage et elle eut l’impression qu’il l’exauçait. Elle pensa ensuite aux si nombreux exemples de force et de courage puisés dans la religion et dans l’histoire, qu’elle avait si souvent racontés ou lus à ses petits élèves avec l’ardeur de celle qui se sent capable de les imiter ; et elle éprouva de la honte en pensant que la vertu qui lui était nécessaire était une bien piètre chose au regard des vertus anciennes ; qu’il lui suffisait d’occuper dignement sa charge ; qu’elle ne courait aucun danger en elle-même et que, en fin de compte, la peur était tout autant une lâcheté chez une enseignante que chez un soldat. – Du courage ! – se dit-elle résolument en se redressant, et ranimée, impatiente de se confronter à la peur, elle se dirigea vers la sortie. Arrivée à la porte tambour, tandis qu’elle soulevait le lourd rideau de cette sorte de petite chambre qui se trouvait entre elle et la porte, elle vit un homme devant elle. Elle reconnut immédiatement Muroni et trembla à l’idée de se retrouver seule avec lui dans ce lieu clos et sombre. Mais elle se reprit immédiatement, pensant qu’il était impossible qu’il tente une violence là, dans l’église. Et elle avança. – Maîtresse – dit le jeune homme d’une voix triste et ferme à la fois – priez pour moi. Elle voulait répondre ; mais la voix lui manqua. Au même instant, elle sentit qu’on lui prenait une main, avec respect, comme si on ne voulait que la saluer ; mais dans l’effort qu’elle fit pour la dégager, elle eut une contraction des doigts, qui serrèrent les siens, et elle eut encore assez de lucidité pour comprendre que le geste qu’il fit tout de suite après n’était pas prémédité, mais entraîné par un bouillonnement imprévu du sang suscité par son étreinte. En un éclair, elle sentit qu’on lui enserrait la taille, puis les bras, les épaules, et elle respira l’haleine de cette bouche qui cherchait son visage : elle résista de toutes ses forces en Traduction de La maestrina degli operai 169 appuyant ses mains sur sa poitrine, se tordit, se débattit, tenta de lui échapper en s’agenouillant, entendit sa voix rauque : – Un baiser… un baiser… un baiser, au nom du Christ ! – La lutte dura un moment, désespérée, dans cette obscurité fleurant l’encens, rompue par des halètements ardents et des sanglots étranglés… Lorsque résonna un pas proche, à l’intérieur de l’église, il la lâcha, elle s’élança dehors. Elle venait d’enfiler le boulevard, rajustant son capuchon de ses mains convulsées, lorsqu’elle entendit, derrière elle, sa voix dans le brouillard, une voix angoissée et suppliante : – Pardonnez-moi ; j’ai été un lâche. Je ne le ferai jamais plus ; je vous le jure sur mon âme ! Mais elle ne se retourna pas, courut vers l’école, monta en toute hâte jusqu’à sa chambre, tomba à genoux devant le portrait de son père, et éclata en sanglots. Mais le pressentiment confus qu’il devait s’agir de leur ultime rencontre, et qu’il y avait dans l’air quelque chose de plus grave que cette nouvelle violence qui lui avait été faite, la détourna, cette fois encore, d’entreprendre une quelconque démarche. Non seulement, mais plus encore au moment de se présenter à l’école, elle sentit en elle bien plus de courage qu’elle n’en eût jamais espéré, peut-être, justement, sous l’effet de ce pressentiment annonciateur d’un terme, quel qu’il fût, de ses tourments. Dans le couloir, au moment où les élèves entraient, le cantonnier l’arrêta et lui dit, la mine inquiète : – Prenez garde, madame la maîtresse, parce que… j’ai entendu de ces mots : ça risque de tourner vraiment mal ce soir –. Elle entra ; la classe était au grand complet, en dépit du froid et du brouillard très dense qui recouvrait la campagne comme une immense nappe de fumée. Elle perçut une puanteur plus forte que d’habitude, de tabac, de graisse de machines et de liqueurs. Lorsqu’elle monta sur l’estrade et qu’elle se tourna vers les élèves, un silence inhabituel se fit, accompagné de l’expression nouvelle d’une curiosité. Et en effet, le trouble ressenti pendant toute la journée, ses larmes versées il y a peu, la lassitude qui l’oppressait depuis quelques jours avaient encore affiné et anobli son beau visage juvénile, dont une robe de lainage noir faisait ressortir, plus pure encore, la blancheur exquise ; et de sa silhouette frêle et élancée émanait une grâce languissante de malade qui la rendait encore plus belle que les autres soirs. Jetant un regard rapide sur la classe, elle s’aperçut qu’aucun de ses élèves qui la tourmentaient ne manquait, Muroni inclus. Elle venait de s’asseoir lorsque la porte s’ouvrit et que le maître Garallo fit son apparition. La maîtresse, qui désespérait déjà de le voir maintenir sa promesse, se réjouit. À sa façon d’entrer, en secouant sa grosse tête chevelue, tapant des pieds et jetant de foudroyants regards sur les élèves, il y avait lieu de prévoir 170 L’institutrice des ouvriers qu’il allait faire une remontrance implacable à la classe. Une fois monté sur l’estrade, en effet, il sembla quelque temps comme suffoqué par l’indi- gnation et le poids des paroles solennelles qu’il devait prononcer. Puis il commença, sur le ton de la plus affable familiarité : – Qu’ai-je entendu dire, les enfants, qu’il y a de l’animosité entre vous ? Cela me déplaît… et il ne le faut pas. Que diable ! Qui va être d’accord en ce bas monde, si les ouvriers ne le sont pas entre eux ? Et puis, il paraît que vous ne vous conduisez pas très bien. Je ne comprends pas pourquoi. Dans ma classe ils sont sages comme des images. (À cet instant on entendit le boucan de ses élèves). Vous devriez vous comporter beaucoup mieux par respect et par égard pour madame la maîtresse. Allons donc, soyez sages, et ne nous causez pas de désagréments… si vous ne voulez pas en avoir vous-mêmes. Et rappelez-vous bien – conclut-il avec un regard très expressif – que ce n’est qu’avec la concorde et l’instruction que la classe ouvrière pourra amener ses destins à maturité. Une fois cette phrase lancée, que personne ne comprit, il disparut en quatre bonds. Certains garçons se mirent à rire ; les grands restèrent muets et indifférents. Un peu déçue, la maîtresse commença la leçon. À son grand étonnement, la classe respecta un silence inédit, ce dont, au début, elle fut satisfaite. Mais peu après, elle s’inquiéta justement de cette absence de bruit. Elle vit sur de nombreux visages comme l’attente songeuse d’une chose qui devait advenir bientôt, une chose inévitable : l’idée fixe d’une action concertée entre un certain nombre d’élèves ; entre eux et Muroni, plus agité qu’à l’ordinaire, se croisaient d’incessants regards inquisiteurs. Même cette brute de l’oncle Maggia, si fortement accroché à sa leçon les autres soirs, lui apparaissait distrait et inquiet. Hélas donc, ses pressentiments ne l’avaient pas trompée. Mais celui qui la souciait le plus, c’était cette tête à claques du petit Maggia, avec l’air de défi qu’il lançait, son rire bravache et mauvais de garnement sans conscience et sans cœur, qui se sent épaulé et poussé à commettre une mauvaise action, qui en savoure à l’avance la joie vénéneuse et la gloire infâme. Pour la première fois, il évitait ses yeux, abaissant son regard diabolique quand elle le fixait et dissimulant son sourire malfaisant derrière une main sale, avec laquelle il tourmentait le duvet de sa lèvre supérieure. La maîtresse imagina qu’il avait été chargé par la petite clique de lui faire, à un certain moment, une grave offense pour provoquer Saute-fenêtre. Cependant une grande partie de la leçon se déroula sans désordres. Ils avaient peut-être décidé de passer à l’acte vers la fin de la leçon pour qu’un conflit inévitable puisse succéder presque instantanément à la provocation. Il n’y eut qu’un incident notable, une brève discussion littéraire entre la maîtresse et Lamagna, à propos d’un mot qu’il avait employé dans sa rédaction. Il avait écrit : – « À ce Traduction de La maestrina degli operai 171 moment-là entra un autre exploité ». À la maîtresse, profane en matière de vocabulaire socialiste, ce participe passé, jeté là comme un substantif pour exprimer le concept d’« ouvrier salarié, exploité par son patron », n’était pas intelligible ; et à l’explication que lui fournit Lamagna, elle fit quelques objections, purement grammaticales, que celui-ci reçut avec un sourire de compassion respectueuse. Enfin, alors qu’on ne se trouvait plus qu’à un quart d’heure de la sortie, comme depuis divers bancs on faisait des signes d’incitation au petit Maggia, prise de crainte, elle eut l’idée de prévenir ce qui devait arriver, en descendant courageusement entre les bancs et en s’approchant d’un air bienveillant du garçon, pour regarder son cahier. Elle pensait que ce geste aimable le détournerait peut-être de son projet. Elle parvint en effet à empêcher ce qui avait été décidé, c’est-à-dire le jet d’un objet indécent sur son bureau ; mais il arriva pire. Tandis qu’elle était penchée sur le pupitre, touchant presque de sa tête celle du garçon, celui-ci passa un bras autour de sa taille. Un grand éclat de rire résonna sur divers bancs. Elle se dégagea, poussant un léger cri ; Muroni fit un bond et se dressa sur son banc pour se jeter sur le garçon. – Muroni ! – cria la maîtresse en rassemblant toutes ses forces – Restez à votre place ! Muroni se rassit, en se mordant le poing. La maîtresse ordonna au garçon de quitter la classe. Celui-ci prit ses livres et s’en alla en roulant les épaules ; mais sur le seuil, il se tourna encore pour lancer un regard moqueur à Muroni qui, grinçant des dents, lui fit un geste de sa main tendue : – Attends voir. La maîtresse revint à sa place, vidée de sang dans les veines, en proie à un violent tremblement, moins pour l’affront qu’elle avait reçu que pour les conséquences immédiates qu’elle prévoyait. Le silence profond qui s’ensuivit dans la classe lui fit peur. Tous les visages étaient devenus sérieux. Sur celui de Muroni, on lisait la haine et une résolution, qui faisait comprendre qu’aucune parole humaine ne pourrait l’en détourner. Le reste de la leçon passa pour elle comme un songe angoissant. Elle entendit sur le boulevard le sifflotement moqueur du petit Maggia, qui ne devait pas se trouver très éloigné de la porte. Elle aurait voulu envoyer le cantonnier appeler les carabiniers, faire appeler le maître, ordonner à Muroni de ne pas quitter l’école ; mais elle fut incapable de faire quoi que ce soit. Son mal organique, cette terrible faiblesse de la moelle épinière qui la privait de volonté, de mouvements et de voix, l’avait saisie de la nuque aux reins et la paralysait, la rendait stupide, comme si elle vivait une agonie. Le tintement de la cloche qui annonça la fin du cours lui fit l’effet d’une sonnerie annonçant l’heure de sa mort. Elle se laissa tomber sur son siège et posa sa tête sur sa main. 172 L’institutrice des ouvriers

Muroni fut le premier à sortir, ou plutôt à disparaître, traversant l’école comme un éclair. Tous les autres se précipitèrent dehors dans un grand désordre, les uns pour aller défendre le petit Maggia, les autres pour aller voir, les plus prudents pour ne pas se retrouver sur le terrain de la lutte. Parmi eux, la maîtresse vit passer, comme une ombre, Perotti et son fils, et elle eut la force de l’appeler : – Perotti ! – pour lui recommander d’interve- nir ; mais il se sauva sans lui répondre, traînant après lui le gamin effrayé. À cet instant, elle entendit des cris aigus sur le boulevard et un moment après elle vit entrer dans l’école déjà vide le cantonnier, livide, peut-être en quête d’un abri. – Que s’est-il passé ? – demanda-t-elle. – Saute-fenêtre a cassé la figure au petit Maggia – répondit-il, et il s’échappa pour ne pas recevoir l’ordre d’accourir dehors. Cependant sur le boulevard on entendait un fracas confus de cris et de piétinements précipités. La maîtresse sortit de l’école en se tenant aux murs, monta dans sa chambre d’où elle entendit les cris d’effroi de lleM Baroffi et de Mlle Latti depuis la chambre voisine. Les cris et les pas du dehors sem- blaient s’éloigner. Se ressaisissant, elle courut ouvrir la fenêtre et regarda dehors. Le brouillard très épais cachait tout. À la lueur du réverbère, elle vit par terre, devant l’école, des cheveux éparpillés et un rondin. Plus loin, l’obscurité était dense et mystérieuse ; il en sortait des cris comme étouf- fés, qui paraissaient tantôt lointains, tantôt proches, de personnes qui se poursuivaient en tournant les unes derrière les autres. – Par ici ! – Prends par là ! – Saute-lui dessus ! – Salaud ! – Fonce ! – Crevez-le ! – Trois ou quatre ombres passèrent en courant devant l’école et disparurent derrière l’église. La maîtresse entendit des coups secs et sinistres, comme le choc d’un rondin sur un crâne, puis un cri perçant, plaintif, furieux comme le rugissement d’un animal blessé : – Assassins ! – puis d’autres cris angoissés : – Filez ! – Dégagez ! – et elle vit d’autres ombres passer en toute hâte dans le brouillard, sous sa fenêtre, et d’autres encore où il lui sembla distinguer les chapeaux des carabiniers. Puis elle ne vit plus rien et un silence de mort tomba. Alors elle s’écarta de l’appui de la fenêtre, sans songer à la fermer, et, titubant, en pressant une main sur son cœur, elle courut vers son lit où elle s’abattit, sans forces. Peu après elle entendit entrer Mlle Baroffi, affolée, qui d’une voix dramatique lui posa beaucoup de questions auxquelles elle ne répondit pas. Celle-ci l’aida à se lever et elles allèrent toutes deux à l’autre fenêtre, celle qui donnait sur la cour où résonnaient plusieurs voix ; elles ouvrirent ; elles entendirent Garallo qui incitait le cantonnier à aller prendre des nouvelles, lui répétant que tout était fini. Mais lui, il hésitait, en répondant : – C’est ça, ils peuvent encore me prendre… comme témoin. – Le maître Traduction de La maestrina degli operai 173 lançait des jurons, le traitant de tous les noms, mais ne lui donnait pas le bon exemple. Elles revinrent à l’autre fenêtre. Sur le boulevard, dans le brouillard, on voyait circuler des lumières, on entendait les murmures de nombreuses personnes. Brusquement éclatèrent les cris et les sanglots désespérés d’une femme. La jeune fille reconnut cette voix et elle s’abandonna dans les bras de son amie qui la porta presque sur le lit. Quelques minutes plus tard se fit à nouveau un grand silence. Mlle Baroffi reprit ses questions : on devait avoir blessé ou tué quelqu’un. – Il est arrivé quelque chose à l’école ? Comment la dispute a-t-elle com- mencé ? Quel est celui qui… ? – Je n’en sais rien – répondit Mlle Varetti en tremblant – je suis incapable de parler, ne me dis rien ! Son amie se remit de nouveau à la fenêtre du boulevard et s’écria : – Oh, mon Dieu !… On est allé chercher le curé ! L’autre fondit en larmes. À cet instant on frappa à la porte. C’était le couple Garallo qui deman- dait la permission d’entrer pour donner des nouvelles et en demander. Mlle Baroffi les avertit de se taire en leur montrant son amie, effondrée sur son lit. Mais le maître dit de sa voix de basse : – On a blessé Saute-fenêtre. Il y a plusieurs blessés. Mais en entendant pleurer la jeune fille, tous deux se retirèrent pour aller assister Mlle Latti qui s’était mise au lit en disant que sa dernière heure avait sonné. Les deux institutrices restèrent un moment silencieuses. Trois coups vigoureux frappés à la porte d’entrée de la cour les firent sursauter. Elles entendirent la voix du cantonnier qui parlementait de l’intérieur avant de se décider à ouvrir. – Vite ! – cria une voix impatiente de femme – Un message de monsieur le curé ! Mlle Varetti sentit instinctivement que la commission était pour elle, et devina en quoi elle consistait ; et grâce à un de ces retournements immédiats qui, dans les âmes bonnes et nobles, cèdent à l’appel d’un devoir élevé, elle sentit s’évanouir tout à coup en elle faiblesse, peur, dégoût, et dans un élan généreux s’écria : – J’arrive ! –, saisit son capuchon et descendit en courant, suivie à grand-peine par son amie. C’était bien ce qu’elle avait pensé. La femme venait de la part du curé et de la mère de Muroni la supplier de se rendre au chevet du blessé. – Me voici ! – répondit la jeune fille, et laissant le cantonnier stupéfait par son courage, sans répondre à Mlle Baroffi qui lui recommandait de prononcer quelque belle parole, elle s’élança sur le boulevard, en compagnie de la femme. 174 L’institutrice des ouvriers

Elle courait tellement que la femme, la lanterne à la main, avait du mal à la suivre. Elles couraient sans parler. Elles passèrent dans le brouillard près de plusieurs groupes de badauds, qui marchaient çà et là sur le boulevard à la recherche des traces de sang, commentant l’événement. Une fois arrivées au bout, elles virent une foule devant le cabaret La Gallina, et, après avoir tourné, d’autres groupes au coin des rues et devant les portes ouvertes et éclairées. Face à la boucherie, elles rencontrèrent deux carabiniers qui emmenaient un type menotté, accompagnés par beaucoup de gens qui parlaient tous ensemble. Mlle Varetti tourna son visage d’un autre côté, tandis que le brouillard empêchait la femme de reconnaître l’homme arrêté. – Ah ! Ils en ont pris un autre ! – s’exclama-t-elle. – Assassins ! Ils se sont mis à dix contre un ! – La maison de Muroni se trouvait à côté du bureau de tabac. La maîtresse la reconnut, avant de la voir, grâce à la foule nombreuse qui s’était amassée devant, et qui s’ouvrit en deux rangs pour lui laisser le passage, la regardant avec une vive curiosité. En passant, elle entendit des mots qui la firent frissonner. – La pointe du couteau – disait une voix – a entaillé la moelle épinière, tu comprends ; il n’y a plus rien à faire. – Elle avait à peine mis le pied sur le petit escalier d’accès qu’elle entendit au premier étage les sanglots de la vieille femme et faillit perdre courage ; cependant elle surmonta ce moment de faiblesse. Elle monta en toute hâte, vit une porte ouverte et une lampe allumée, et entra directement. La vielle courut à sa rencontre comme une folle, agitant les mains et sanglotant : – Il meurt ! Mon fils meurt ! Dieu de miséricorde ! À vous d’essayer ! Il a rejeté le crucifix ! Mon fils meurt comme un désespéré ! Sauvez son âme, vous, pour l’amour de Jésus, pour l’amour de vos morts, sauvez son âme s’il vous reconnaît encore ! La maîtresse entra tout droit dans une petite chambre nue et basse de plafond, et vit le blessé sur son lit, le visage bouleversé et blême, les traits déjà marqués par la mort, les cheveux ébouriffés, la chemise tachée de sang, qui se débattait, furieux, jurant, grinçant des dents, repoussant le curé qui lui présentait le crucifix, donnant des coups de poing en l’air, déjà pris par la paralysie qui le suffoquait. Dans un coin, le gros médecin blond se lavait tranquillement les mains dans un petit seau. Il y avait de par la chambre un horrible désordre de couvertures et de chiffons ensanglantés. Le vieux petit curé, l’air résigné, entre deux tentatives pour faire baiser la croix au mourant, la nettoyait d’une main de la poussière qui l’avait salie sur le sol, où le mourant l’avait jetée d’un revers de main. La maîtresse s’approcha hardiment de son chevet. Dès qu’il la vit, le jeune homme se calma tout à coup et tourna vers son visage ses yeux déjà voilés, comme par une mince feuille de verre humide, et se mit à la regarder avec une expression de profonde stupeur. Traduction de La maestrina degli operai 175

Sa mère, debout à côté d’elle, dit en sanglotant : – Mon cher fils ! Regarde, mon chéri : c’est ta maîtresse. Tu ne la reconnais pas ? Le curé saisit ce moment pour approcher à nouveau le crucifix de son visage ; mais il le repoussa d’un geste violent de la main, sans détacher les yeux de la maîtresse. Un sourire imperceptible brilla dans ses yeux et sur sa bouche, et, en haletant, il tendit une main hésitante vers elle et prononça quelques mots confus. – Mon Dieu ! – s’exclama sa mère en joignant ses mains. – Il a dit mon Dieu ! Il n’avait pas dit mon Dieu. Seule la maîtresse avait compris ses mots parce que, avec une tout autre voix et dans de tout autres moments, elle les lui avait déjà entendu dire plusieurs fois. – Donnez-moi un baiser – avait-il voulu dire. Et à cet instant elle fut prise d’une immense pitié et d’une tendresse infinie en pensant qu’il mourait pour elle. Elle prit d’une main sa main gauche, posa son autre main sur son front, se pencha et le baisa sur la bouche. Quant elle releva la tête, elle le vit changé. Il avait sur son visage une expression de reconnaissance paisible et bonne. Lentement, sans lâcher la main de la maîtresse, ni cesser de la regarder, il tendit l’autre main vers le curé, prit le crucifix, l’approcha de sa bouche et lui donna un baiser ; ensuite il le serra contre sa poitrine. Sa mère jeta un cri de reconnaissance à Dieu et tomba à genoux, aban- donnant sa tête sur le flanc de la maîtresse. Et le blessé continua à serrer la main de la jeune fille et à la fixer les yeux dans les yeux, jusqu’à ce qu’il expira.

Traduction par Mariella Colin et Emmanuelle Genevois

LA « PELLE DELLE COSE » : EDMONDO DE AMICIS E LA TENTAZIONE « D’ARCHITETTARE UN ROMANZO »

Riassunto : L’articolo prende le mosse dalla definizione di mondo a parte deamicisiano per dimostrare come in questa categoria si possano includere lo studio dell’autore, descritto nel celebre racconto La mia officina, e la sua stessa pratica scrittoria. Parti- colare attenzione meritano poi i mondi a parte, per così dire, in movimento, ovvero il piroscafo di Sull’Oceano e il tram a cavalli della Carrozza di tutti. In queste opere De Amicis mette a punto la sua modalità narrativa e, pur non dimenticando la ben sperimentata tecnica descrittiva basata sull’osservazione, mostra di saperla articolare per farne prassi narrativa di ampio respiro. Attento a non cadere nella trappola di un romanzo sganciato dal reale, l’autore sa andare oltre la « pelle delle cose » grazie a un’inesausta attenzione all’ambiente sociale che lo circonda.

Résumé : L’article commence par la définition du monde à part déamicisien pour démontrer comment on peut inclure dans cette catégorie tant le bureau de l’auteur, décrit dans le célèbre récit La mia officina, que sa pratique de l’écriture. Une atten- tion particulière doit être portée aux mondes à part qui sont, pour ainsi dire, en mouvement, c’est-à-dire le paquebot de Sull’Oceano et le tramway à chevaux de La carrozza di tutti. Dans ces œuvres, De Amicis met au point ses modalités narratives et, sans oublier pour autant sa technique éprouvée fondée sur l’observation, démontre comment savoir l’articuler pour la transformer en une puissante stratégie narrative. L’auteur, attentif à ne pas tomber dans le piège d’un roman détaché du réel, sait aller au-delà de la « peau des choses » grâce à une attention inépuisable au milieu social qui l’entoure.

Quanti bastimenti abbandonano la costa e quante « carrozze » attraversano le strade di Torino nelle pagine di De Amicis ? Come ho già scritto in altra occasione 1, Edmondo è scrittore di mondi a parte quali la scuola, la caserma, il manicomio o addirittura i paesi che il cronista De Amicis visita,

1. L. Nay, « “Es un mecanismo de nada” : la scienza e l’ “abisso” », in Id., « Anime portentosamente multiple ». Le strade dell’io nella narrativa moderna, Alessandria, Edizioni dell’Orso, 2012, p. 173-188.

Transalpina, no 20, 2017, Edmondo De Amicis. Littérature et société, p. 177-192 178 Laura Nay tutti mondi a parte stabili, così come i piroscafi e le carrozze sono, per così dire, mondi a parte in movimento 2. A dire il vero, De Amicis stesso si ritrae in una dimensione, quella della scrittura, che già lo colloca in una sorta di mondo a parte, in una condizione che può essere condivisa solo con poche persone : « un […] grande piacere è quello di discorrere intimamente delle cose proprie con un amico della nostra stessa professione », si legge in Gli amici dove l’essere scrittore è presentato nei termini di un lavoro che sfianca e che si risolve in un lungo ed estenuante conflitto fra il letterato e l’idea che la pagina vuole catturare : « siamo […] operai che si logoran l’anima intorno allo stesso masso di granito nelle viscere della stessa montagna » 3 conclude De Amicis rivolgendosi all’amico. « Operaio », « lavoratore » 4, egli offre ai lettori l’immagine di una professione, quella dello scrittore, che coloro che gli vivono accanto non sono in grado di comprendere. Le lunghe ore al tavolino, la consapevolezza che il « tiranno » che lo governa non cederà il passo a nulla, la soddisfazione di lasciarsi trasportare da una ridda di ricordi che si confondono con le immagini che la fantasia ha creato : tutto questo appartiene a una dimensione del vivere che De Amicis sa di non poter condividere con la maggioranza delle persone. « Quale forza di volontà », « non ti pesa la solitudine ? » : con tali battute lo incalzano coloro che sono con lui in villeggiatura e che non si capacitano della sua scelta di trascorrere lunghe ore a scrivere nella pace della stanza « dall’albergo del Cervino » (ecco un altro mondo a parte, quello della montagna e di questa montagna in particolare 5) :

2. « Attraversando l’oceano De Amicis vivrà un’esperienza odeporica diversa – osserva Bianca Danna chiamando in causa uno dei due testi di cui intendo occuparmi in queste pagine – e metterà a frutto le tecniche del reportage in una sorta di “documento umano” (altri ha detto “romanzo-inchiesta”) » (B. Danna, Dal taccuino alla lanterna magica. De Amicis scrittore e reporter di viaggi, Firenze, Olschki, 2000, p. 14). Cameroni aveva recensito nel « Sole » il 19 aprile 1889 Sull’Oceano sottolineandone proprio la diversità dalle pagine di viaggio : « Sull’Oceano vale molto meglio degli altri libri di viaggi » annota il critico e non solo perché « meno enfatico » o « meno artificioso », ma soprattutto perché « assurge quasi alla dignità di opera sociale ». La citazione è cavata dall’articolo di Bianca Danna, « De Amicis e i lavoratori », in Edmondo De Amicis scrittore d’Italia (Atti del Convegno nazionale di studi, Imperia, 18-19 aprile 2008), A. Aveto e F. Daneri (a cura di), Città di Imperia, 2012, p. 43. 3. E. De Amicis, Gli amici, Milano, Treves, 1907, p. 224, 226. 4. La definizione deriva dal racconto « Il canto d’un lavoratore », compreso nella raccolta Pagine allegre, che cito qui nell’edizione Milano, Treves del 1906. 5. Sulla « predilezione » di De Amicis per la montagna e sulla « centralità di una “presenza” (il Cervino) » si veda F. Contorbia, « Notizie dall’ “officina” », in Edmondo De Amicis. Le immagini, i libri (Mostra del centenario a cura di Franco Contorbia), Albenga, Litografia Bacchetta, 2008, p. 9-19. La « pelle delle cose »… 179

Forza di volontà dovrei esercitare per sottrarmi alla tirannia di questo non so quale spirito imperioso e infaticabile che m’incalza di continuo e mi fa far ciò che vuole, con la violenza, con le blandizie, con la persuasione, con mille arti di bella donna o di mago, fino a mettermi dinanzi uno specchio maraviglioso, in cui vedo la mia immagine coi capelli neri 6.

La scrittura è dunque un modo per guardare la propria immagine che lo specchio della fantasia restituisce, ma non è certo solo questo : per De Amicis la scrittura è soprattutto il luogo privilegiato dal quale osservare il mondo e coloro che lo abitano. Per questo tanta importanza acquista nelle di lui pagine lo spazio fisico in cui tale attività è svolta : penso naturalmente a uno dei suoi racconti più noti, La mia officina 7, che si apre con la descrizione dello studiolo, del suo mondo a parte. È qui che il « fabbro di periodi » – ecco un’altra etichetta che De Amicis si attribuisce – lavora circondato da montagne di libri, osservato dai ritratti che a sua volta osserva (i ritratti sono « ricordi visibili della mia vita » scrive) di amici e di colleghi nella maggioranza scomparsi nella sua memoria e che improvvisamente, complice lo sguardo, prendono la forma di « larve umane » e fanno « risuonare » la stanza di « cento voci » 8. Eppure quel mondo a parte dove De Amicis ha trascorso tante ore in compagnia dei suoi libri, scrivendo molte pagine dei suoi racconti gli è infine divenuto ostile al punto di essere descritto come una « una tenda che da un’ora all’altra una raffica di vento debba portar via » 9. Le pareti che prima lo proteggevano ora lo « soffocano […] come la cella » di un carcere sebbene, ancora una volta e per sempre, quello studiolo continui ad essere il « rifugio » a cui tornare, per ritrovarsi, al solito, « con la penna in mano » 10. In chiusura di quel racconto De Amicis propone di sé un’immagine utile per comprendere cosa sia diventata per lui la pratica letteraria : « Perché scrivere ? – Sta bene ; ma : – E che far altro ? – Scrivo, però, come scrive le ultime lettere nell’ufficio d’uno scalo il viaggiatore pronto a partire, mentre il piroscafo fuma. E di qui non mi muoverò più,

6. E. De Amicis, Il canto d’un lavoratore, p. 2, 3. 7. Il racconto uscì su « La Lettura ». Rivista mensile del Corriere della Sera il 7 luglio 1902, p. 577-583. Il testo è stato ripubblicato nel volume a cura di Antonio Faeti, Scritti per « La Lettura » 1902-1908, Milano, Fondazione Corriere della Sera, 2008, p. 111-136. Oggi La mia officina può essere letto per le cure di Roberto Ubbidiente secondo la prima edizione, preceduto da importanti osservazioni sulla « Stanza della scrittura » e riccamente annotato. Da questa edizione si cita, R. Ubbidiente, L’Officina del poeta. Studi su Edmondo De Amicis, Berlino, Franz & Timme, 2013. 8. Ibid., p. 72, 82, 91. Ubbidiente ha osservato al riguardo che « l’Officina deamicisiana è anche museo o Stanza della memoria », ibid., p. 29. 9. Ibid., p. 98. 10. Ibid., p. 99. 180 Laura Nay per quanto io debba aspettar la partenza » 11. Sono queste le parole di chi guarda ciò che lo circonda con il distacco di colui che sente di non farne più parte e si limita a osservare la vita che gli scorre attorno attraverso l’angusto vano di una finestra, come si legge nel racconto Alla finestra pubblicato postumo sull’« Illustrazione Italiana » 12. Ma non così era stato in passato, quando lo scrittore non aveva « aspettato la partenza » ma era salpato su quel piroscafo, era salito su quella carrozza, due mondi a parte che godono di un proprio statuto perché, come ho detto, sono in movimento, subiscono l’influsso di quanto avviene fuori di essi, sia la nevicata per le vie di Torino o la tempesta che rischia di far affondare il piroscafo, due mondi in cui il narratore vive, personaggio fra personaggi. Il piroscafo e la carrozza sono due grandi palcoscenici sui quali si avvicendano individui le cui storie si intrecciano e si confondono fino a formare la tela di una sola e avvincente narrazione 13 : infatti se è pur vero che il mondo che si agita sul Galileo è composto sempre dagli stessi « mille e seicento passeggieri di terza classe » (anche se un bimbo nasce durante la navigazione e un contadino muore) ugualmente i passeggeri del tram a cavalli, perlomeno quelli che incuriosiscono il narratore, sono sempre i medesimi. Ma la metafora del palcoscenico deve essere impiegata con cautela, perché i mondi a parte della narrativa non possono essere confusi con i palcoscenici dell’arte dramma- tica per molte ragioni 14 : una sopra le altre merita la nostra attenzione e la si legge nel racconto La tentazione del teatro, in cui De Amicis chiarisce di quale differente pasta sono fatti i personaggi a cui dà vita l’autore di

11. Ibid. Non si dimentichi che l’inizio del nuovo secolo era stato celebrato da De Amicis, ormai piegato dai dolori e dai lutti che avevano segnato la sua esistenza, con un’invocazione alla morte, che lo scrittore attendeva con ansia essendo orami consapevole che nulla avrebbe potuto riscattarlo dalla condizione di profonda sofferenza in cui viveva. Così si concludeva il racconto Capo d’Anno : « e ora va ; prometti, affanna, consola, semina e costruisci, uccidi e feconda, trasforma e distruggi. Milioni d’uomini, in questo giorno, invocando da te grazie e fortune, alzano i calici. Io rovescio il mio ». Il racconto fa parte della raccolta Capo d’Anno. Pagine parlate, Milano, Treves, 1902, p. 36. 12. « Alla finestra » è stato poi raccolto in Nuovi racconti e bozzetti, Milano, Treves, 1908, p. 55-78. 13. Ha notato Folco Portinari come De Amicis possegga « l’occhio “giornalistico” » non tanto da intendersi come stile ma come scelta degli argomenti, perché « egli ha […] una percezione della storia e dei fenomeni che l’attorniano quale nessun altro ebbe […]. Nel senso che ci arriva prima » (F. Portinari, « Testo e contesto », in Edmondo De Amicis scrittore d’Italia (Atti del Convegno nazionale di studi, Imperia, 18-19 aprile 2008), A. Aveto e F. Daneri (a cura di), Città di Imperia, 2012, p. 12-13). 14. Nel racconto Il dialogo nell’arte e nella realtà, De Amicis mette a confronto i dialoghi teatrali e quelli reali sottolineando come i primi simulino la realtà ma senza riuscire a rappresen- tarla : « ah, l’arte la gran bugiarda ! » esclama lo scrittore (il racconto è stato pubblicato sulla « Illustrazione Italiana » il 27 maggio 1906 e quindi raccolto in Cinematografo cerebrale, bozzetti umoristici e letterari, Milano, Treves, 1909, p. 229). La « pelle delle cose »… 181 teatro e quelli che popolano le pagine dei suoi libri. A suo dire i primi si formano e agiscono « quasi persone reali », perché la loro forza è nella loro immediatezza, mentre i secondi non possono mai dirsi del tutto autonomi rispetto a chi li ha creati. I personaggi che prendono vita in teatro suggeriscono e consigliano, parlano da sé prima di noi, e si cercano gli uni con gli altri, si formano e s’integrano per una forza logica che è in loro, e di cui non abbiamo tempo a turbare il processo, come nel romanzo e nella novella, dove troppo spesso, facendoli parlare indirettamente, sostituiamo alla loro psiche la nostra. Si è attori e spettatori ad un tempo. Si pensa, si vede, si ascolta, si move 15. Ecco la formula del suo essere « romanziere »-« attore »-« spettatore ». Proviamo allora a partire da qui : « si pensa » (la riflessione precede la scelta di un soggetto che si fa narrazione), « si vede » (l’osservazione come modalità per far proprio il mondo), « si ascolta » (l’udire la voce del mare come i discorsi degli altri passeggeri, furtivamente attraverso le pareti sottili del piroscafo) e infine « si move », perché una cosa è certa, ovvero che De Amicis, anche quando si fa personaggio, o se si preferisce usare una terminologia meno approssimativa, si fa narratore omodiegetico, non dimentica mai di essere lui a condurre la narrazione, ad attirare l’attenzione del lettore su questo o su quello, a scegliere quale avventura raccontare. Così accade in Sull’Oceano che si apre proprio sul rapporto fra lo scrittore e i personaggi del suo romanzo : da un lato c’è Edmondo che « arriva, verso sera » all’im- barco – come è noto De Amicis partì dal porto di Genova per « il viaggio dei viaggi » 16 nel marzo del 1884 alla volta dell’America Meridionale 17 –

15. E. De Amicis, « La tentazione del teatro », ibid., p. 259. 16. « Fu il viaggio della sua vita » aggiunge Giorgio Bertone, infatti De Amicis « reduce dalla personale esperienza transoceanica insieme con gli emigranti, […] inizierà a riflettere sull’emigrazione e a studiarla dal punto di vista sociologico e politico. Di lì a poco farà la più bella short story di Cuore (1886), il libro italiano più letto al mondo, Dagli Apennini alle Ande (allora si scriveva con una “p” sola) […] e con Sull’Oceano (1889) scriverà il suo libro più impegnato e più autentico ». Ancora Bertone ricorda l’entusiastica recensione di Pasquale Villari che riconosce allo scrittore il merito di essere stato il primo a studiare l’emigrazione, « ed essa gli ha ispirato alcune pagine stupende, quelle che danno il maggiore e il più permanente valore al suo nuovo libro », ovvero a Sull’Oceano (G. Bertone, « De Amicis, l’emigrazione, l’identità nazionale », in Edmondo De Amicis scrittore d’Italia (Atti del Convegno nazionale di studi, Imperia, 18-19 aprile 2008), A. Aveto e F. Daneri (a cura di), Città di Imperia, 2012, p. 121, 127). 17. Sull’interesse di De Amicis per l’America ha fornito un’importante testimonianza il Catalogo della biblioteca a cura di Diego Divano, catalogo che può essere ripercorso, per quanto riguarda l’argomento che qui ci interessa, nella sezione « la “biblioteca americana”, composta da libri dedicati all’Argentina e all’Uruguay », come scrive il curatore del volume, D. Divano, « Introduzione » al « Catalogo della biblioteca », in Edmondo De Amicis a Imperia, D. Divano (a cura di), Firenze, Società Editrice Fiorentina, 2015, p. IX. 182 Laura Nay e vede « insaccar miseria », ovvero assiste alla « processione interminabile di gente » che va in America in cerca di fortuna mescolata a coloro che, come Edmondo, compiono quella traversata spinti da altri interessi e in tutt’altre condizioni (« di tratto in tratto passavano tra quella miseria signori vestiti di spolverine eleganti, preti, signore con grandi cappelli piumati, che tenevano in mano o un cagnolino, o una cappelliera, o un fascio di romanzi illustrati, dell’antica edizione Lévy ») 18. E poi ancora « bovi, montoni » destinati al macello durante la traversata, tutti insieme in quella che sempre più si configura come una sorta di moderna Arca di Noè. De Amicis sembra per ora limitarsi a osservare uno « spettacolo » che lo rattrista 19, perlomeno fino a quando, raggiunto il suo « camerino » di prima classe, il viaggio ha inizio. Da quel momento per lui tutto cambia, perché trovarsi nel ristretto perimetro del piroscafo non significa per lo scrittore sentirsi prigioniero ma, all’opposto, essere finalmente libero :

Io però non mi annoiavo : un sentimento mi riempiva l’anima, nuovo e piacevolissimo, che non si può provare in nessun luogo, in nessuna con- dizione al mondo, fuorché sopra un piroscafo che attraversi un oceano : il sentimento d’un’assoluta libertà dello spirito 20.

Ed è proprio in virtù di tale condizione di felice separatezza che il letterato può applicare la sua ricetta e guardare al variopinto mondo della terza classe come a una « molteplicità e varietà di casi psicologici e di fatti, quale appena suol darla a terra, nello spazio di un anno, una popolazione quattro volte maggiore » 21 : insomma il laboratorio dello scrittore è allestito. Nel piccolo Stato del Galileo 22 De Amicis vede riprodursi tutti i meccanismi dell’organismo sociale. C’è una « città forte, detta castello centrale […] formata dai dormitori della seconda classe, dai camerini degli ufficiali, dei macchinisti, del medico e dei cuochi, dai forni, dalla cucina, dai bagni, dalla pasticceria, dalla calderina, dai depositi dei viveri, della biancheria, dei fanali, della posta » : questa è la « città del mezzo » che divide la prima dalla terza classe 23. Ciò che unisce questi universi tanto lontani è, innan- zitutto, il mare, che non è certo solo lo sfondo della narrazione, ma ne è, in diversi momenti, il protagonista. Spesso De Amicis descrive al lettore l’aspetto che il mare assume durante le lunghe ore di navigazione : si leggono

18. E. De Amicis, Sull’Oceano, G. Bertone (a cura di), Genova – Ivrea, Herodote, 1983, p. 3. 19. Ibid., p. 7. 20. Ibid., p. 17. 21. Ibid., p. 19. 22. Ibid., p. 21. 23. Ibid., p. 23. La « pelle delle cose »… 183 così pagine assai felici sulla gaiezza delle onde « morbide e lucide di cento sfumature verdi e azzurre di cristallo, di velluto, di raso, sormontate di ciuffi e di pennacchi d’argento e di criniere bianche arricciate », un mare amico che De Amicis riconduce immediatamente a panorami che gli sono più familiari (« e si sarebbe rimasti per ore a contemplare quel formarsi e dissolversi continuo di catene di monti nevosi, di valli cupe, di province solitarie e fantastiche ») 24. In altri momenti il mare dà voce alla noia che assale i passeggeri : « immobile sotto una volta bassa di nuvole gonfie e inerti, di colore giallo sporco, d’un’apparenza viscida, come se fosse tutta una belletta di terra grassa […] ; e pareva che non vi dovessero guizzare dei pesci, ma delle bestie deformi e immonde, del suo stesso colore » 25. Per arrivare in ultimo alle meritatamente famose pagine che De Amicis dedica alla tempesta, in cui è più all’udito che egli affida la narrazione della furia delle onde :

ricordo la voce immensa del mare, più strana e più formidabile d’ogni più spaventosa immaginazione, una voce come di tutta l’umanità affollata e forsennata che urlasse mescolata ai ruggiti e ai bramiti di tutte le belve della terra, a fragori di città crollanti, a urrà d’eserciti innumerevoli, a scoppi di risa beffarde di popoli interi 26.

Il mare dunque accomuna coloro che vivono nel piccolo stato del Galileo, sottoponendoli alla medesima legge, anche se, proprio durante la tempesta, i passeggeri di prima possono rifugiarsi nelle cabine mentre quelli di terza, ammassati nei dormitori, sbalzati dall’incessante urto delle onde perdono definitivamente la loro individualità e si trasformano in una sorta di creatura mostruosa fatta di corpi aggrovigliati :

masse intricate di corpi umani, gli uni sopra e a traverso agli altri, colle schiene sui petti, coi piedi contro i visi, e le sottane all’aria ; viluppi di gambe, di braccia, di teste coi capelli sciolti, striscianti, rotolanti sul tavo- lato immondo, in un’aria ammorbata, in cui d’ogni parte suonavano pianti, guaiti, invocazioni di santi e grida di disperazione 27.

Oltre al mare a mantenere un legame fra questi universi tanto distanti sono personaggi quali « la signorina di Mestre », una giovane tisica che porta su di sé i segni del destino che l’attende e che si reca nella terza

24. Ibid., p. 43, 44. 25. Ibid., p. 90. 26. Ibid., p. 211-212. 27. Ibid., p. 219. 184 Laura Nay classe in compagnia della zia portando con sé piccoli involti che consegna agli emigranti più bisognosi 28 e lo stesso De Amicis. Anch’egli scende fra i passeggeri di terza con l’intenzione di mescolarsi a loro (lo sappiamo « si vede, si ascolta » per fare un romanzo), ma si rende immediatamente conto dell’ostilità di costoro che lo considerano un « abitante di quel piccolo mondo privilegiato di poppa » e, sulla terra ferma, un « vampiro » che avrebbe loro succhiato il sangue in America come aveva fatto in patria 29. De Amicis è cosciente del malcontento che serpeggia fra gli emigranti e, a differenza di alcuni suoi compagni di prima che discorrono dell’emigrazione mentre consumano ricche colazioni e fanno « corse d’esploratori nelle terze classi » 30 mossi da ragioni poco nobili (come il marsigliese che pattuglia il dormitorio femminile con lo scopo di sedurre qualche giovane) lo scrittore considera « scusabile » l’astio che coglie negli sguardi di chi vede occupata dalle cabine di prima la gran parte del piroscafo (« noi che rubavamo loro tanta parte del piroscafo, ingombrando noi soli, tra men di cento, quasi altrettanto spazio di quello che occupavan essi ») e vede sfilare ogni giorno i piatti che arrivano al desco di costoro (« noi che ingollavamo tutti quei piatti fini, ch’essi vedevano passare sulla piazzetta due volte al giorno, e di cui ricevevano il fumo nel naso ») 31. « Essi erano stufi alla fine di quel lungo contatto forzato con l’agiatezza spensierata, di sentirsi come pigiati nella propria miseria, dentro a quella gran piccionaia piena di stracci e di cattivi odori » 32, conclude De Amicis che rinuncia qui alla prediletta tecnica descrittiva, o meglio – è questa una fine lettura di Brambilla – usa la descrizione per rappresentare la condizione dei passeggeri di terza classe, per « ribadire a livello stilistico e formale quell’ingombro, quella mancanza

28. La violenza del mare non risparmia questa giovane che, dopo la tempesta, appare stre- mata ma allo stesso tempo determinata a non venir meno al suo impegno e, al momento dello sbarco, viene salutata dai passeggeri di terza classe come una santa : « allora tra gli emigranti, che s’erano affollati al parapetto del castello centrale, proruppe l’ammirazione e la gratitudine per quella creatura angelica, che avevan visto tante volte in mezzo a loro, impietosita delle loro miserie, dolce con tutti come una sorella, e da cui tanti di essi avevan ricevuto conforti e benefizi » (ibid., p. 259). 29. Ibid., p. 54. 30. Ibid., p. 79. 31. Ibid., p. 195. Con queste parole De Amicis commenta la situazione degli emigranti : « o miseria errante del mio paese, povero sangue spillato dalle arterie della mia patria, miei fratelli laceri, mie sorelle senza pane, figli e padri di soldati che han combattuto e che combatteranno per la terra in cui non poterono e non potranno vivere, io non v’ho mai amati, non ho mai sentito come quella sera che dei vostri patimenti, della diffidenza bieca con cui ci guardate qualche volta, siamo colpevoli noi, che dei difetti e delle colpe che vi rinfacciano nel mondo, siamo macchiati noi pure, perché non v’amiamo abbastanza, perché non lavoriamo quanto dovremmo pel vostro bene » (ibid., p. 137). 32. Ibid., p. 195-196. La « pelle delle cose »… 185 di spazio vitale […] che costituirà via via un tratto distintivo e apertamente simbolico di un’oppressione più profonda » 33. « Una lunga navigazione è come una breve esistenza a parte » 34 scrive De Amicis legittimando così la definizione di mondi a parte che ho speso fino a questo momento, un’esistenza che gli consente di rac- contare quel segmento di vita in quel « frammento palpitante della sua patria » 35 – « niente era più funzionale del racconto del destino di coloro che avevano dovuto abbandonare la patria, per riscaldare il sentimento patrio in chi restava », nota Bertone 36 – senza però limitarsi a osservare e a presentare al lettore un lungo rosario di ritratti, di documenti umani, per usare una definizione di moda in quegli anni. Che De Amicis vada al di là della « pelle delle cose » per prendere in prestito la caustica definizione di Dossi che lo accusa di fare « sempre descrizione, mai osservazione » 37 e confezioni un testo narrativo più articolato di quello a cui aveva abituato i suoi lettori, lo si comprende dall’atteggiamento stesso del narratore che, metaforicamente, con il taccuino in mano osserva i « casi psicologici », trasformandoli in personaggi (« quello era l’ “innamorato”, un personaggio che a bordo non manca mai ») e costruisce su di loro un plot narrativo che si apre e si chiude circolarmente con la già accennata immagine della « processione » degli emigranti, « processione » che all’imbarco era « interminabile » e in chiusura è « triste » 38. Ma non è solo questa la diffe- renza : nella « processione » con cui iniziava il romanzo i poveri, i ricchi e gli animali si mescolavano confusamente, mentre giunti a destinazione i

33. A. Brambilla, « Dittico per Sull’Oceano », in Id., De Amicis : paragrafi eterodossi, Modena, Mucchi, 1992, p. 50. 34. E. De Amicis, Sull’Oceano, p. 95. 35. Ibid., p. 17. A un « lembo natante del suo paese » De Amicis paragona il Galileo, quando ormai sbarcato volge ancora una volta il suo sguardo verso il piroscafo, con una chiusa che Portinari ha definito una « formula cinematografica » : « quando misi piede a terra, mi voltai a guardare ancora una volta il Galileo, e il cuore mi batté nel dirgli addio, come se fosse un lembo natante del mio paese che m’avesse portato fin là. Esso non era più che un tratto nero sull’orizzonte del fiume smisurato, ma si vedeva ancora la bandiera, che sventolava sotto il primo raggio del sole d’America, come un ultimo saluto dell’Italia che raccomandasse a una nuova madre i suoi figliuoli raminghi » (ibid., p. 261). La citazione di Portinari è tratta da Testo e contesto, p. 17. 36. G. Bertone, La patria in piroscafo. Il viaggio di Edmondo De Amicis, p. XLIII. A quanto scritto da Bertone è bene aggiungere le osservazioni di Alberto Brambilla, « De Amicis, l’America, Trieste : ancora in margine alla conferenza I nostri contadini in America », in Id., De Amicis : paragrafi eterodossi, Modena, Mucchi, 1992, p. 165-175. Sull’importanza di questa conferenza in rapporto alla genesi del romanzo si sofferma ancora Brambilla, aggiungendo preziose precisazioni a quanto indicato da Bertone, nel capitolo « Filologia deamicisiana : postille alla conferenza I nostri contadini in America », ibid., p. 123-159. 37. C. Dossi, Note azzurre, D. Isella (a cura di), Milano, Adelphi, 1964, p. 139. 38. E. De Amicis, Sull’Oceano, p. 19, 109, 3, 252. 186 Laura Nay ricchi vedono sfilare gli emigranti paragonati da De Amicis a « un armento, del quale non importava a nessuno di conoscere i nomi » 39. E ancora : all’arrivo in quella processione lo scrittore trova modo di descrivere anche coloro che poco spazio hanno avuto nella narrazione, al punto di far dire a Bertone che in realtà il romanzo è costruito su una opposizione binaria (poveri-ricchi, terza e prima classe) 40, ovvero « i borghesi, le mezze signore che portavano ancora in dosso qualche segno dell’antica agiatezza – e che – passavan con la testa bassa, vergognandosi » 41. Infine, ma lo si è colto dalle citazioni fatte, che De Amicis non resti, per usare un’immagine già evocata, alla finestra, lo si comprende dalle pagine in cui riflette su quanto accade nel « piccolo Stato », su come quel mondo a parte finisca con l’essere lo specchio della terra ferma arrivando addirittura, come ha finemente osservato ancora Bertone, a usare differenti « registri di scrittura », ovvero riservando ai personaggi della prima classe « un facile e collaudato bozzettismo » e « concentrando nella rassegna » dei personaggi di terza « il tentativo di penetrare la realtà di un problema sociale di portata ed impatto forse non previsti » 42. Forse è stata proprio la consapevolezza di essere ormai passato dalla narrativa breve al romanzo a far sì che nell’altro mondo a parte in movi- mento a cui ho fatto cenno, la « carrozza di tutti », lo scrittore dichiari fin dalle prime pagine l’idea che lo coglie osservando la gente che sale e scende dal tramvai a cavalli (« To’ uno studio… un libro… la carrozza di tutti ! » 43). In questi termini De Amicis ne scrive a Treves :

È una specie di romanzo in tranvai […] ; tipi, scenette, incontri, conversazioni con operai, episodi tristi e buffi, amore e socialismo, disgrazie e galanterie, con molti personaggi che si ripresentano, legati da vari fili, in modo da dare unità al lavoro. La varietà delle stagioni dà luogo a una grande varietà

39. Ibid., p. 252. 40. Spiega Bertone : « intanto la seconda classe a bordo quasi non esiste se non come appendice della superiore. Pochi erano in quel tempo i piroscafi anche di rango che la possedevano, e pochi comunque i passeggeri ivi ospitati […]. Per di più nel nostro caso la seconda ospita dei “preti vecchi”, come dire, per De Amicis, fantasmi. Navigavano dunque la prima classe, ossia l’alta borghesia e l’aristocrazia, e la terza, il proletariato ; la borghesia media e “magra”, così si chiamava allora la piccola, navigava semmai comprando Sull’Oceano, oppure insieme con gli emigranti in infima sede » (G. Bertone, La patria in piroscafo…, p. XXV-XXVI). 41. E. De Amicis, Sull’Oceano, p. 253. 42. G. Bertone, La patria in piroscafo…, p. XXVI. 43. E. De Amicis, La carrozza di tutti. La Torino d’allora (1896). Illustrazioni originali di Massimo Quaglino. Presentazione di Giovanni Tesio. A cura di Andrea Viglongo, Torino, Viglongo, 1980, p. 18. La « pelle delle cose »… 187

d’aspetti e di casi. Il dialogo ci ha una gran parte. È un romanzo a lanterna magica, con Torino per isfondo 44.

Nuovamente un libro dedicato a raccontare un piccolo Stato, ma questa volta un piccolo Stato democratico. E ancora una volta un De Amicis che si muove sul sottile crinale che divide la descrizione dall’osservazione riuscendo ad andare oltre 45 :

mi maravigliai di non avere mai badato, in tanti anni, ad alcuno di quei contrasti sociali che pure sono così frequenti in quei carrozzoni ; nei quali soltanto, non essendovi separazione di classi, può accadere che gente del popolo infimo si trovi per qualche tempo a contato con gente della signoria, con tutto l’agio di esaminarla, di fiutarla e di ascoltarne i discorsi 46.

Insomma se il piroscafo manteneva intatta la distinzione fra le classi sociali, distinzione che la traversata confermava e lo sbarco certificava, la « carrozza democratica » consente all’opposto che « tutte le classi conti- nuamente si tocchino e si confondano » 47. Sono passati diversi anni dal precedente romanzo e ora De Amicis, più consapevole delle proprie doti di romanziere – non dimentichiamo che nel frattempo aveva stampato Cuore, romanzo composto in parallelo a Sull’Oceano, ma pubblicato, per ragioni editoriali, con una battuta di ritardo, una contemporaneità di stesura, come ha notato Fedi, che non può essere « messa da parte come una pura coincidenza » 48 – può concedersi il lusso di puntinare il testo di riflessioni

44. La lettera del 3 gennaio 1897 può essere letta in Edmondo De Amicis. Mostra bio-bibliografica e iconografica, F. Contorbia (a cura di), Imperia, Palazzo Comunale, 30 aprile-3 maggio 1981, p. 44. 45. Secondo Luigi Surdich, il « tentativo di coniugare curiosità bozzettistica e attenzione a un problema sociale […] si risolve in un privilegio concesso al gusto descrittivo e all’osservazione di una lunga rassegna di figure, tipi, personaggi che appartengono al quotidiano della vita cittadina », mentre a detta di Antonio Faeti nella Carrozza De Amicis è sì « descrittore », ma anche autore di pagine in cui « racconta una storia », cerca la strada per un « tentativo coscientemente realizzato per concedere a tutti il diritto a diventare protagonisti, proprio uno di quei diritti che sono impliciti nelle perorazioni delle Lotte civili […] quanto nella pedagogicamente astuta contrapposizione di diario e racconto mensile nelle pagine di Cuore » (L. Surdich, « Edmondo De Amicis : prigionieri, prigioni e altri luoghi di coercizione », in Edmondo De Amicis scrittore d’Italia (Atti del Convegno nazionale di studi, Imperia, 18-19 aprile 2008), A. Aveto e F. Daneri (a cura di), Città di Imperia, 2012, p. 59 ; A. Faeti, « Edmondo dalle molte tentazioni », in Edmondo De Amicis. Scritti per « La Lettura » 1902- 1908, Milano, Fondazione Corriere della Sera, 2008, p. 70). 46. E. De Amicis, La carrozza di tutti, p. 17. 47. Ibid., p. 18. 48. Sul rapporto fra il « romanzo-inchiesta sull’emigrazione » e il « romanzo-non romanzo » Cuore si leggano le osservazioni di R. Fedi, « Una spina nel Cuore », in De Amicis nel Cuore di Torino (Convegno internazionale di studi, Torino, 9-10 dicembre 2008), C. Allasia 188 Laura Nay metanarrative sulla scelta dell’opera da stendere 49. Subito dopo aver ipo- tizzato di scrivere uno « studio » si legge infatti : « il giorno stesso questa idea mi fu attraversata da un’altra. Ripassando in rassegna i “personaggi” che m’eran più vivi nella mente mi fermai sopra due, sui quali fui tentato d’architettare un romanzo. Erano un giovine e una ragazza » 50. Si tratta dei « due amanti di borgo S. Donato » le cui vicende saranno sì narrate, ma unitamente a quelle degli altri passeggeri, perché così come la carrozza è democratica anche la narrazione deve esserlo. Per questo l’idea che si presenta alla mente di De Amicis poco dopo – quella di « fare uno studio […] sugli impiegati dei tranvai », argomento che gli avrebbe consentito di « rappresentare in un quadro forte la lotta disperata degli innumerevoli cercatori di piccoli impieghi » – non avrà seguito, così come quella che affiora in marzo di comporre « una modestissima Guida, ma scritta con amor di figliuolo e di poeta » delle linee tranviarie che attraversano la città 51. Alla fine del mese di gennaio – la narrazione è, come in Cuore, calendarizzata mensilmente – finalmente De Amicis definisce il progetto del libro e le sue finalità :

a questo punto il libro mi si disegnò nel pensiero lucidamente : scrivere quello che vedevo sui tranvai, giorno per giorno, per il corso d’un anno, dipingendo le persone più notevoli che v’avrei rivedute più sovente ; rappresentare le relazioni e l’azione che esercitano l’una sull’altra, mescolandovisi, le varie classi sociali, senza forzare il vero ad alcun fine ; ritrarre, insomma, il più fedelmente possibile, quella varia commedia umana, sparsa e fuggente per quindici lunghissime linee 52.

Anche in questo caso la tecnica che De Amicis sceglie fa perno sulla « facoltà d’osservazione » definita in questo modo : « ebbi ancora una spinta

(a cura di), Alessandria, Edizioni dell’Orso, 2011, p. 3-13. La cit. è a p. 6. Sempre di Fedi si vedano ancora le pagine dedicate a Sull’Oceano, « Mare crudele », in La letteratura del mare (Atti del Convegno di Napoli, 2004), Roma, Salerno editore, 2006, p. 245-287. 49. Faeti ha definito la Carrozza di tutti « un testo che è come una “dichiarazione di poetica” » (A. Faeti, Edmondo dalle molte tentazioni, p. 19). 50. E. De Amicis, La carrozza di tutti, p. 18. 51. Ibid., p. 24, 75. « A questo punto, poco mancò ch’io non mettessi da parte tutti i miei personaggi per dar corpo a una nuova idea che mi venne percorrendo per la prima volta tutta la linea da piazza Emanuele Filiberto al corso del Valentino : la descrizione di tante corse a traverso Torino quante sono le linee di tranvai che l’abbracciano ; una Guida, sì, […] nella quale si succedessero di volo i quartieri, i monumenti, le memorie, le colline, le montagne, nella luce e nei colori diversi di ogni ora e di ogni stagione, come si succedono, fuggendo, allo sguardo di chi sta sul tranvai, portato via dai cavalli a trotto rapidissimo. Cedo l’idea a chi la vuole » (ibid., p. 75). 52. Ibid., p. 33. La « pelle delle cose »… 189 a scrivere esperimentando quante più cose abbracci e penetri la facoltà d’osservazione quando invece d’aspettare, come di solito, il richiamo degli oggetti, si fa una facoltà attiva, che interroga e cerca, acuita dalla curiosità e stimolata da uno scopo » 53. Lo scrittore, dopo averci fatto entrare nel suo laboratorio e aver eletto a studio la carrozza – « piccolo specchio del mondo », « sala di studio ambulante » 54 – può dunque iniziare a dipanare la matassa del racconto, alternando le vicende dei compagni di viaggio, vicende che vengono interrotte e riprese seguendo il va e vieni dei personaggi sulla scena, i loro discorsi, il trascorrere delle stagioni e le ricorrenze che passano nel corso dell’anno. Agli « effetti politici » si alterna così l’« erotismo tranviario », alla celebrazione del Primo maggio, la riflessione sulla vecchiaia e sulla difficoltà di rassegnarvisi, in una girandola di avventure e di personaggi con i quali, come era accaduto in Sull’Oceano, De Amicis intrattiene rapporti, o sui quali fantastica (è il caso della « vergine morta ») 55. Giorno dopo giorno, per un intero anno, De Amicis prende posto sulla carrozza, osserva, ascolta le vicende di coloro che gli sono accanto, al punto di avvertire, arrivato al mese di novembre, l’angoscia del momento in cui dovrà separarsi da loro, una separazione tanto più dolorosa perché quello che egli ha tentato di scrivere finisce addirittura con l’essere qualcosa di più di un romanzo. « Triste » sarà per De Amicis il momento della separazione, « come per il romanziere separarsi dal mondo del suo romanzo » e anche di più perché lui « non si separa da fantasmi, ma da gente viva » 56. Certo quelle stesse persone avrebbero continuato a salire sulla « carrozza di tutti », ma Edmondo non sarebbe più stato in grado di prendere parte alla loro vita : « con la mente occupata da altri pensieri, non osservando più che per caso, non facendo più gite con quel proposito, non più tendendo l’orecchio, né cercando o interrogando ; e i miei personaggi familiari si sarebbero sbiaditi poco a poco ai miei occhi, per rientrare poi e finir con perdersi nella folla » 57. Ben oltre la « pelle delle cose » si è spinto allora De Amicis, perché i personaggi che condividono con lui questo studiolo in movimento non sono « larve umane » e nemmeno frutto della sua immaginazione, ma sono individui in carne e ossa che grazie a lui hanno conosciuto una doppia

53. Ibid., p. 31. 54. Ibid., p. 87, 224. 55. Ibid., p. 27. Come ha scritto Contorbia le pagine dedicate al Primo Maggio sono « stra- tegicamente collocate all’inizio del capitolo quinto della Carrozza di tutti » e « segnano il definitivo congedo di De Amicis dal progetto forse più ambizioso della sua vicenda di scrittore : il romanzo socialista Primo Maggio » (F. Contorbia, De Amicis, « Primo Maggio », il socialismo, Modena, Mucchi, 1995, p. 10). 56. E. De Amicis, La carrozza di tutti, p. 271. 57. Ibid. 190 Laura Nay esistenza, quella reale e quella letteraria : « ah, dunque […] lei ci vuol mettere tutti in poesia ? » 58 gli chiede Carlin, uno dei passeggeri / personaggi meglio riusciti. Ed è esattamente questo che Edmondo vuole fare, un romanzo che parte dall’osservazione per narrare le vicende di tutti coloro che viaggiano sulla carrozza : passeggeri / personaggi e scrittore / personaggio. Per questo, giunto ormai al termine della sua avventura letteraria e umana, De Amicis sceglie di aprire il racconto dell’ultimo mese dell’anno con un intervento metanarrativo che vale la pena di leggere per intero :

Col nuovo mese fui preso da un nuovo ardore di correre su tutte le linee alla caccia dei personaggi e delle avventure, illuso da questa ingenua speranza da almanaccone superstizioso ; che perché avevo un libro da finire m’avrebbe aiutato la fortuna, presentandomi casi e scene singolari, adatti a dare alla Carrozza di tutti una chiusa di romanzo ; e già covavo sotto a quella speranza la tentazione di far tutto di fantasia l’ultimo capitolo, se la fortuna mi fosse fallita. Incurabile malato di romanticismo, tormentato dal bisogno di cucinar la natura in salsa piccante e di servirla in forme architettoniche come i bodini nei pranzi di gala ! Proprio all’ultimo mi ridava fuori il malanno ereditario, dopo che m’era attenuto fino allora all’intento di ritrarre la vita libera e sparsa come la vedevo correre intorno, risoluto di fare un’opera informe, ma sincera. Ma l’illusione durò pochi giorni, l’ardore di correre fu spento fin dal primo da una di quelle solenni nevicate torinesi che fanno rientrare in petto i propositi di vagabondaggio poetico come i nasi nei baveri e le mani nelle tasche, e con quell’ardore pericoloso mi fuggì ogni tentazione di chiusa romanzesca. E fu tanto meglio, credo, per il mio scartafaccio 59.

Non è difficile cogliere in questa dichiarazione vocaboli che sugge- riscono la scelta di De Amicis di collocarsi in una dimensione altra del narrare : l’idea di romanzo declinata con la « fantasia », la chiamata in causa del « romanticismo » unitamente al cenno al « malanno ereditario » che fa tornare alla mente modalità narrative da romanzo sperimentale, stanno a indicare che a ben altro risultato egli aspira, ovvero a « un’opera informe, ma sincera ». Per questo De Amicis sceglie di rinunciare alla « tentazione » di una « chiusa romanzesca » e conclude il suo « scartafaccio » (ecco una via per indicare al lettore il profondo rapporto che lo lega a Manzoni 60) nel modo più semplice, con una sorta di fantasia. Una visione si intitola programmaticamente il capitoletto : « quanti dolori, quante miserie anche

58. Ibid., p. 272 (c.vo dell’autore). 59. Ibid., p. 293. 60. Su questo punto rimando ancora alla puntuale ricostruzione offerta da Ubbidiente,L’Officina del poeta, p. 47. La « pelle delle cose »… 191 in quelle poche gabbie volanti, dove pure i dolori e le miserie maggiori non salgono ! » 61, commenta lo scrittore. Ma non basta. Per concludere De Amicis ricorre a uno stratagemma che gli è particolarmente caro, quello onirico sul quale aveva costruito il bellissimo Cinematografo cerebrale 62, sebbene ora non sia protagonista il Cavaliere, ma lo stesso Edmondo. In uno « stato di dormiveglia febbrile, agitato da immagini vivacissime », lo scrittore vede correre per le vie infiniti carrozzoni e quando la sua attenzione si sofferma sulla carrozza in cui lui stesso si trova, ne ha un’immagine nuova, più accogliente ma soprattutto la vede popolata da personaggi che hanno ora un aspetto differente. Quella diversità che inSull’Oceano distingueva i poveri dai ricchi e che nella Carrozza di tutti appare già molto attenuata per la natura stessa del mezzo e del viaggio, sembra ora, nella fantasia onirica dello scrittore, venir definitivamente meno :

guardavo il tranvai che mi portava, ampio e elegante come una sala, e la gente che lo riempiva mi pareva anch’essa mutata. Erano diversamente vestiti ; ma non più con grandi differenze, come se i signori e i poveri si fossero ravvicinati, quelli discendendo e questi salendo a una mediocrità decorosa ; e non vedevo più nei modi un contrasto di volgarità e di gentilezza, ma una garbatezza uniforme, […] una cortesia dignitosa e semplice, senz’alcun indizio di ostentazione o di sforzo 63.

È questo che De Amicis si augura, è questo che desidera. Così la corsa che chiude il romanzo – Buon anno ! si intitola il capitolo – ha come pro- tagonista il « buon Giors », il cocchiere della « carrozza di tutti », al quale è affidata la parola ultima, « la più dolce e la più sapiente delle parole umane » : « speriamo ». Una speranza che mantiene viva la fiducia nel tempo che verrà e che accomuna colui che ha guidato la « carrozza di tutti » per le vie di Torino e colui che lo ha fatto fra le righe di un libro 64.

Laura Nay Università degli Studi di Torino

61. E. De Amicis, La carrozza di tutti, p. 311. 62. Per una recente edizione del racconto si veda Cinematografo cerebrale, B. Prezioso (a cura di), Roma, Salerno editrice, 1995. 63. E. De Amicis, La carrozza di tutti, p. 313. 64. Ibid., p. 317.

RIFLESSIONI SEMISERIE DI EDMONDO DE AMICIS INTORNO AL MESTIERE DELLA SCRITTURA « Progetti di riforma sociale a un poeta idillico, un romanzo a un latinista »

Riassunto : Il contributo si propone di raccogliere ed esaminare alcune delle nume- rose riflessioni sulla scrittura o, meglio, sugli scrittori e sul loro mestiere che De Amicis dissemina nelle sue opere. Da Zola a Dumas fils, da Daudet a Flaubert, da Manzoni a d’Annunzio, emerge un’analisi che si snoda attraverso gli anni sempre arguta, talvolta ironica e talvolta amara, e che mostra come l’autore ben conoscesse il mondo a cui apparteneva e le infinite possibilità di piegare la scrittura a molte e diverse modulazioni. Résumé : L’article veut recueillir et examiner une partie des nombreuses réflexions sur l’écriture ou, mieux, sur les écrivains et sur leur métier, que De Amicis dissémine dans ses œuvres. De Zola à Dumas fils, de Daudet à Flaubert, de Manzoni à D’Annunzio, émerge une analyse qui se déroule à travers les années, toujours pleine d’esprit, parfois ironique et parfois amère, et qui montre à quel point l’auteur connaissait bien le monde auquel il appartenait, tout comme les possibilités infinies de tourner l’écriture selon plusieurs manières différentes.

Con il tardo « I lettori di manoscritti », pubblicato su L’illustrazione italiana il 26 agosto del 1906, De Amicis introduce una galleria di personaggi che nutrono l’ambizione di proporgli i propri parti letterari, nella speranza di ottenere un giudizio che finalmente legittimi le loro aspettative. Alcuni sono condannati senza appello, come l’impiegato meridionale che gli estorce « la lode a mano armata », il « professore disoccupato, grigio di capelli e giallo nel viso », l’immorale o forse solo sprovveduto autore de Il grido della carne, l’« uomo della campagna, d’età matura » 1 che ha già incassato da Cesare Lombroso una misura craniometrica e, indifferente alla «biblioteca rossa » del suo ospite 2, cerca di leggergli « uno studio di riforma politica e sociale,

1. E. De Amicis, « I lettori di manoscritti », in Cinematografo cerebrale, Milano, Fratelli Treves, 1909, p. 244, 245, 250, 252. 2. « Nel significato politico dell’aggettivo, dove sono raccolti tutti i libri e gli opuscoli che trattano della questione sociale, da quelli dei socialisti cristiani più lattiginosi a quelli dei

Transalpina, no 20, 2017, Edmondo De Amicis. Littérature et société, p. 193-206 194 Clara Allasia ab imis » che prevede la « soppressione preventiva degli uomini falsi, peste della società » 3. Altri, per stessa ammissione del loro riluttante giudice, non mancano di un minimo di tecnica e di talento : il lettore « tutto dolcezza e cortesia » che produce un racconto « grazioso » anche se « eterno », il giovane bohémien che scrive il « romanzo boa » e, infine, l’autore «di un dramma strano e tremendo, in cui non mancava l’ingegno », anche se, nel caso di quest’ultimo, il giudizio viene subito temperato dall’ammissione che « il dramma fu poi rappresentato, […] ma non arrivò alla fine che in casa mia », senza contare che lo sprovveduto apparteneva alla categoria di quelli che « vanno a leggere un lavoro teatrale a uno che per il teatro non ha mai fatto neanche un abbozzo di scena » 4. Ciò che accomuna tutti coloro che presentandosi « con certi pretesti che non lasciano sospettare neppure alla lontana lo scopo vero della visita » sorprendono l’autore nel suo studio con « scartafacci mostruosi, che paiono il manoscritto d’un’Enciclopedia », è un atteggiamento che De Amicis non esita a definire «ingenuità » 5 : un misto di assoluta mancanza di consa- pevolezza unita alla cieca fiducia nelle proprie possibilità originato dalla totale assenza di spirito critico. Su quest’ultimo aspetto, forse memore dei suoi trascorsi assai noti ai lettori, l’autore si mostra più indulgente : « chi potrebbe mai scagliare contro i lettori di manoscritti la prima pietra ? » e, senza alludere all’episodio che lo riguarda raccontato anni prima in « Una visita ad Alessandro Manzoni » 6, molto onestamente afferma che « ci possiamo vantar tutt’al più di non aver appartenuto alla categoria dei più indiscreti, o d’aver perso il vizio col pelo, o un po’ avanti ; ma anche a vantarsi di questo, se si vuole essere sinceri, è prudenza andare adagio » 7. Il fastidio peggiore, scrive ancora De Amicis, nasce dal contrasto « fra la fatica passiva e molesta a cui è costretto e “il piacere quasi sovrumano

più violenti anarchici amorfisti […] una catasta di materia incendiaria, la quale darebbe da catalogare per ventiquattr’ore a un delegato di polizia che lo onorasse di una perquisizione », E. De Amicis, « La mia officina », La Lettura. Rivista mensile del Corriere della sera, 7 luglio 1902, poi Nel regno del Cervino : nuovi bozzetti e racconti, Milano, Treves, 1905. Da leggersi ora nell’edizione mirabilmente annotata in R. Ubbidiente, L’Officina del poeta. Studi su Edmondo De Amicis, Berlin, Frank & Timme GmbH, 2013, p. 76. 3. E. De Amicis, « I lettori di manoscritti », p. 252. 4. Ibid., p. 244, 252, 248, 241. In più di un’occasione De Amicis ostenta « tutte le buone e cattive qualità che ci vogliono per non essere un critico drammatico », vantandosi di andare « al teatro come un illetterato o un ragazzo », E. De Amicis, « Una visita a Vittoriano Sardou », Nuova Antologia, 1 novembre 1896, poi in Memorie, Milano, Treves, (19001) 1906, p. 258, 259. 5. E. De Amicis, « I lettori di manoscritti », p. 241. 6. E. De Amicis, « Una visita ad Alessandro Manzoni », in Pagine sparse, Milano, Tipografia editrice lombarda, 1876. 7. E. De Amicis, « I lettori di manoscritti », p. 242. Riflessioni semiserie di Edmondo De Amicis… 195 e di paradiso” che, come dice il Leopardi, prova visibilmente ognuno a legger le cose proprie » e, soprattutto, dalla estrema difficoltà di fornire un giudizio attendibile, visto che « egli ha sempre coscienza di pronun- ziare un giudizio precipitato, che è soltanto l’espressione di una prima impressione, in molti casi erronea » 8. L’autore finisce per ammettere che è quasi impossibile « giudicare in altri, sopra un breve saggio, quelle facoltà medesime che, dopo trent’anni d’esperienza, non si conoscono ancora che imperfettamente in noi stessi », perché quasi non c’è « vecchio scrittore », purché sia realmente tale, dotato cioè di quella consapevolezza che manca, appunto, ai « lettori di manoscritti », « che non dubiti ancora dodici volte l’anno d’aver sbagliato mestiere » 9. Eppure pochi autori come De Amicis si sono soffermati a riflettere sulle modalità di scrittura altrui comparandole, senza parere, costantemente con la propria : per verificare la fondatezza di tale affermazione, basta prendere in mano i numerosi ritratti letterari di cui la penna di De Amicis è prodiga, non solo nelle raccolte che portano questo nome. Proprio su tale confronto, sotteso ma costante, che può anche arrivare a concludere l’assoluta estraneità del campione scelto, si fonda la differenza degli scritti deamicisiani con altri dello stesso genere, a partire dalla celebre raccolta di Ugo Ojetti, che include proprio un profilo di De Amicis e fa ancora oggi parte della biblioteca dello scrittore 10. In ognuno di questi ritratti si articola una riflessione che segue uno svi- luppo costante e permette di meglio comprendere le intenzioni dell’autore onegliese. Ad esempio, nell’attesa della comparsa degli scrittori ritratti, De Amicis veste i panni del « ladro domestico », descrivendo accuratamente ai lettori i « pochi momenti che si passano nella casa d’uno scrittore ammi- rato e simpatico aspettando la sua apparizione » perché « ogni più piccolo oggetto par che contenga la rivelazione d’un segreto del suo ingegno e del suo cuore », e l’autore vorrebbe « scoprire un legame tra il capriccio che gli fece scegliere i ninnoli del salotto e il gusto che lo guida nella scelta dell’immagine e della frase potente » 11. Questa riflessione, a proposito di un autore molto amato (« Quel che ci perde in rigore il verismo, lo

8. Ibid., p. 240. 9. Ibid., p. 242. 10. U. Ojetti, Alla scoperta dei letterati, Milano, Dumolard, 1895, con dedica sull’occhiello « A Edmondo de | Amicis | perché si rammenti | del suo | Ugo Ojetti » ; cf. Edmondo De Amicis a Imperia, 1. Catalogo dell’archivio 2. Catalogo della biblioteca, (a cura di D. Divano), Firenze, SEF, 2015. 11. E. De Amicis, « Alfonso Daudet », in Ritratti letterari, Milano, Treves, 1881, p. 14. Cf. anche la recente edizione dei Ritratti letterari e Nuovi ritratti letterari ed artistici, a cura di G. Puglisi, Milano, Bompiani, 2012. 196 Clara Allasia guadagna lui in simpatia » 12), come Alphonse Daudet, vale però per tutti quelli affrontati : anni prima il giovane « ladro domestico » aveva narrato di essersi aggirato in dimore anche più prestigiose e, certo, più lussuose, come la villa di Brusuglio :

io rimasi solo, e mi misi a studiare a memoria i quadri, i mobili, i libri ; e mi stampai così bene ogni cosa nel capo, che ce l’ho ancora, e sarei in grado di fare un inventario appuntino di quel salotto, come ne ho poi fatto molte volte lo schizzo a penna nella stanza dell’uffiziale di picchetto e nel camerino del furiere 13.

Lo stesso avviene, anni dopo, nella corso della visita a Zola 14, « nella cui bella stanza al terzo piano, in via di Boulogne », De Amicis si reca per

12. E. De Amicis, « Alfonso Daudet », p. 9. Forse proprio a causa di questa preferenza, ribadita in più occasioni, De Amicis si concede uno splendido ritratto dell’autore fanciullo, che quasi rievoca certe pagine di Mark Twain : « Passò la sua infanzia in una città attraversata da un fiume, pieno di battelli e di traffico, sul quale aveva il suo piccolo scalo anche il père Cornet, che dava a nolo delle barche. Ah ! quel père Cornet ! È stato il satana della sua infanzia, la sua passione dolorosa, e il suo rimorso. Svignava di casa, bucava la scuola, vendeva i libri, per noleggiare una barca e scappare di città a colpi di remo, non se ne può ricordare senza emozione di quelle deliziose fughe sul fiume, in mezzo al grande via vai delle zattere, del legname galleggiante, dei piccoli bastimenti a vapore, e dei barconi carichi di mele, che gli arrivavano addosso improvvisamente, e da cui una voce arrantolata gli gridava : – Fatti in là, moscherino ! – Tutto questo gli dava l’illusione d’un grande viaggio, della grande vita di bordo, e tutto acceso e sudante, col cappello indietro, e i piedi sui quaderni di scuola, remando furiosamente con le sue piccole braccia di dodici anni, usciva di città, sotto il sole cocente, in mezzo al barbaglio argentino delle acque, e andava a riposare contro la sponda, in mezzo ai giunchi sonori, sull’acqua stelleggiata di fiori gialli, sfinito dalla fatica ; e cogli occhi fissi alle isole verdi che apparivano all’orizzonte, fantasticava dei viaggi sterminati, dondolandosi coll’aria d’un vecchio lupo di mare, e facendo sangue dal naso. – Ma viaggerò un giorno – disse – e mi pare che ne ritornerò ringiovanito », ibid., p. 46-47. Su alcune suggestioni del rapporto con Daudet cf. F. Portinari, « La maniera di De Amicis », in E. De Amicis, Opere scelte, a cura di F. Portinari e G. Baldissone, Milano, Mondadori, (19961), 2006, p. XLI-XLII. 13. E. De Amicis, « Una visita ad Alessandro Manzoni », p. 122-123. 14. De Amicis aveva pubblicato a puntate sull’Illustrazione italiana un ritratto dello Zola, poi inserito, insieme a quello di Victor Hugo, nella seconda edizione dei Ricordi di Parigi (1879). Ma di tutt’altra vivacità è il ritratto conseguente all’incontro avvenuto nel corso del secondo viaggio a Parigi di De Amicis, nel 1880. « Sulla rima all’occhio Zola : scuola, sulla via che porterà alla gozzaniana e notissima Nietzsche : camicie », contenuta in uno dei sonetti della corona I bimbi, si è soffermata Gianfranca Lavezzi,Un precursore di retroguardia : la poesia « crepuscolare » di Edmondo De Amicis, in De Amicis nel “Cuore” di Torino, a cura di C. Allasia, Alessandria, Edizioni dell’Orso, 2011, p. 69. Va ricordato che De Amicis aveva letto fin dal giugno del 1877L’assommoir e lo aveva consigliato a D’Ovidio, v. B. Danna, « De Amicis e i lavoratori », in Edmondo De Amicis scrittore d’Italia (Atti del convegno nazionale di studi, Imperia, 18-19 aprile 2008), a cura di A. Aveto e F. Daneri, Comune di Imperia, Tipografia Nante, 2012, p. 42. Ricchissima e quasi esaustiva la collezione dei libri Riflessioni semiserie di Edmondo De Amicis… 197 vedere dove « il principe dei veristi lavora da anni alla gran tela dei Rougon- Macquart, e prepara prede da sbranare alle platee furibonde, e bandisce il verbo del naturalismo, stroncando avversari, incoraggiando discepoli, ribattendo censure » 15. Merita ancora un cenno lo studio di Dumas figlio, « una vasta stanza a terreno, che dà sul giardino, piena di luce, con un enorme tavolo verde nel mezzo, sparso di penne d’oca spuntate e smozzicate coi denti nella furia del lavoro », « dove fanno riscontro il famoso ritratto di lui, fatto dal Meissonier, e un busto in marmo di sua moglie, bellissimo, in mezzo a una corona di grandi tele » 16. Dumas figlio è, fra l’altro, l’unico che De Amicis colga nel suo rapporto con « i lettori di manoscritti », sia pure amici : di costoro « s’asciuga drammi e commedie e romanzi, senza fiatare, ragionando anzi i suoi giudizi in letterine mirabili di stringatezza e di sincerità fraterna », mirabili ma, certo, non prive di qualche amarezza per i destinatari, dal momento che in esse riesce a rivelare « in un modo maestrevolmente scoraggiante » i « difetti intimi delle opere e le deficienze incoscienti degli ingegni » 17. Al confronto delle « camere di lavoro » appena osservate, fa un curioso effetto la stanza di Jules Verne, « una specie di camerino di comandante di bastimento » con « un gran tavolo da lavoro, col tappeto verde, coperto di libri e di carte, disposti in ordine simmetrico », completato « da un pic- colo letto da campo, stretto e bassissimo, senza parato né guarnizioni, che parrebbe modesto a uno studente » 18. L’alterità della stanza dell’autore dei Viaggi straordinari, che un amico di De Amicis garantisce addirittura essere « una società di scrittori che hanno preso uno pseudonimo collettivo » 19, serve al De Amicis autore, attento a scegliere con cura i colleghi con cui misurarsi, anche per verificare la totale estraneità del francese : lo scrittore per ragazzi, lontano dalle corde deamicisiane sebbene molto amato, viene qui descritto quasi come un tecnico :

Egli non si mette a far ricerche intorno a uno o a più paesi dopo aver imma- ginato i personaggi e i fatti del romanzo che vi deve svolgere : fa invece molte letture storiche e geografiche relative ai paesi stessi, come se di questi non avesse a far altro che una descrizione ampia e minuta : i personaggi, i fatti

di Zola nella biblioteca di De Amicis (cf. Edmondo De Amicis a Imperia, 2. Catalogo della biblioteca, p. 213-216). 15. E. De Amicis, « Emilio Zola polemista », in Ritratti letterari, p. 53. 16. E. De Amicis, « Emilio Augier e Alessandro Dumas », in Ritratti letterari, p. 123. 17. Ibid., p. 116. 18. E. De Amicis, « Una visita a Jules Verne », Nuova Antologia, 1 novembre 1896, poi in Memorie, p. 248. 19. Ibid., p. 239. 198 Clara Allasia

principali e gli episodi del romanzo gli sorgono in mente durante la lettura, ispirati dalla lettura medesima […] procede quindi di regione in regione, secondo un cert’ordine prestabilito 20.

Parrebbe dunque che solo la « necessità » quasi fisiologica di scrivere, perché « il lavoro è diventato per lui come una funzione vitale » e « se non lavora non gli par di vivere » 21, accomuni Verne agli altri autori ritratti. Tornando all’occhiuto « ladro domestico » che si aggira per le dimore degli scrittori, si deve constatare che il solo D’Annunzio si sottrae a questa regola, privando l’autore di elementi preziosi per il suo ritratto e costrin- gendolo, forse non del tutto consapevolmente, a un’operazione d’altro tipo :

Non ero più stato là da vari anni, e quella sala splendida mi ridestava mille care memorie del mio tempo felice, di banchetti solenni in onore del capitano Bove, reduce dalla spedizione della Vega, di Casimiro Teja, per il trentesimo anniversario della fondazione del « Pasquino », del dottor Bottero, fonda- tore della « Gazzetta del Popolo », di Melchiorre Voli, sindaco di Torino, di Domenico Berti, di Desiderato Chiaves : tutti morti. Era ai miei occhi come un cimitero dorato, dove da ogni parte vedevo l’ombra d’un defunto, più dolorosa a vedersi perché la raffrontavo nel mio pensiero con l’aspetto ridente in cui m’era apparsa la persona viva in quel luogo, salutata dagli applausi e dagli evviva di cento commensali festanti 22.

L’Hôtel Europa dove avviene, nel 1902, il nuovo incontro col trenta- novenne Vate – il primo era avvenuto diciannove anni prima « a Roma nell’ufficio dellaCronaca Bizantina » – diventa un « cimitero dorato » 23, con una riproposizione, questa volta muta, del « personalissimo dialogo con i morti » 24 che era avvenuto nell’Officina. Questa strategia narrativa, che da un lato getta una luce funerea su tutto l’episodio, serve anche per introdurre un elemento che non avrebbe trovato diversamente spazio. In tutti i ritratti letterari il rapporto con gli scrittori defunti è centrale, perché « la perdita dei genitori letterarii è particolarmente triste per gli

20. E. De Amicis, « Una visita a Jules Verne », p. 241. 21. Ibid., p. 242. 22. E. De Amicis, « Gabriele D’Annunzio », in Nuovi ritratti letterari ed artistici, Milano, Treves, 1908, p. 142. 23. Ibid., p. 141, 142. 24. R. Ubbidiente, « Nella bottega del “fabbro di periodi”. Introduzione all’Officina deamici- siana », in L’Officina del poeta. Studi su Edmondo De Amicis, p. 38. Sull’Officina come « mondo a parte » incalzato dall’« orrenda vecchiaia » ha scritto Laura Nay, Anime portentosamente multiple. Le strade dell’io nella narrativa moderna, Alessandria, Edizioni dell’Orso, 2012, p. 182. Riflessioni semiserie di Edmondo De Amicis… 199 scrittori » e più per coloro « che s’avanzano per una via ardita, piena di pericoli : il soldato sente più dolorosamente la morte del suo capo, quando combatte all’avanguardia » 25. Così Zola confronta il dolore per la perdita della madre a quello per « la morte del Flaubert » che non esita a definire « suo maestro e suo amico », e così Daudet « fuma come un ottomano », ma solo con « una miserabile pipetta di terra, uno scandaloso brûle-gueule da muratore, lungo un dito », « che gli aveva lasciata per memoria il povero Flaubert » e, « nominato il Flaubert, muta viso, e parla dei suoi funerali a Rouen, dov’era stato pochi giorni prima, con accento affettuoso e triste, come d’un figliuolo ; e guarda fisso la pipetta, come se serbasse in sé qualche cosa di vivo del suo grande e buon amico » 26. Per Dumas figlio, neanche a dirlo, questa ascendenza ha l’evidente fisicità di un « busto enorme del gran romanziere, di marmo bianco come la neve, d’una rassomiglianza da sbalordire, con un sorriso parlante sulle labbra e negli occhi », la cui « apparenza di vita » è tale che « a vederlo così all’improvviso […] fa l’ef- fetto », novello Commendatore, « d’un fantasma », o, si affretta a precisare De Amicis, « del padre Dumas in carne ed ossa, risorto allora allora per ricominciare il suo lavoro titanico interrotto da uno sbaglio della morte » 27. Curioso il contrasto tra questa presenza incombente e l’atteggiamento, in vita, di un padre molto amato e molto assente, grazie al cui figlio « tutto il collegio conosceva un mese prima dell’Europa l’intreccio dei drammi e dei romanzi del grand’Alessandro, e ne leggeva dei brani manoscritti sui banchi della scuola, dietro ai vocabolarii » 28. È una strategia, questa dei « padri letterari » che De Amicis aveva adot- tato per sé fin dalla già citata « Visita ad Alessandro Manzoni », dove solo la garbata ironia permette a colui che avrebbe dovuto diventare un « melagrano carico di frutti » di guardare e mostrarci con « un misto di tenerezza e di rammarico » la lettera di Manzoni racchiusa « in un quadretto », salvando l’insieme da un eccessivo sentimentalismo che faceva capolino pure nel forse più equilibrato, Un salotto fiorentino del secolo scorso 29. Appare perciò naturale che l’evocazione di Flaubert, e di ciò che lo « avrebbe innamorato », induca De Amicis a contrapporgli, senza parere e indugiando sulla sostanziale incomprensione della sua grandezza, il proprio

25. E. De Amicis, « Emilio Zola polemista », p. 64. 26. Ibid., ed E. De Amicis, « Alfonso Daudet », p. 37. 27. E. De Amicis, « Emilio Augier e Alessandro Dumas », p. 125. 28. Ibid., p. 118. 29. E. De Amicis, Un salotto fiorentino del secolo scorso, Firenze, Barbera, 1902, ora si cf. anche l’edizione con una lettera inedita di De Amicis ritrovata tra le carte private di Emilia Toscanelli Peruzzi, intr. e cura di E. Benucci, pref. di S. Soldani, pres. di M.C. Pedretti, Pisa, ETS, 2002. 200 Clara Allasia illustre padre letterario, ovvero Manzoni. Il pretesto viene fornito dallo stesso Zola che dichiara di aver letto « i Promessi Sposi » : l’esitazione del francese nell’esprimere il giudizio è direttamente proporzionale all’attesa dell’interlocutore e lo spinge a cautelarsi confessando di aver « poca fede nelle traduzioni » perché « la migliore sciupa gran parte, e forse la più viva parte di qualunque lavoro, e specialmente di un lavoro originale » 30. Tutte queste riserve non gli impediscono, tuttavia, di giudicare il lavoro manzoniano « troppo fedelmente lucidato dai romanzi di Walter Scott », anche se contiene alcuni « squarci d’un realismo magistrale, nei quali si rivelano insieme la forza d’un grande pittore e quella d’un pensatore vasto e profondo » 31. Altri padri nobili, anche se meno diretti e sentiti, fanno capolino nei ritratti : primo fra tutti, per gli Italiani, Leopardi, che Alphonse Daudet è capace di compulsare « fino in fondo », sia pure « a traverso alla traduzione », a differenza di altri « francesi che intendono un po’ d’italiano » e che « leggendo il Leopardi, trovano quasi sempre un intoppo alle prime pagine, e non vanno più oltre, rimanendo con « l’immagine dimezzata d’un Leopardi politico, erudito ed astruso », senza arrivare a conoscere « il poeta appassionato e limpido » 32. Altrettanto tangenziale, ma funzionale ad arricchire questo pantheon letterario di confrontabile grandezza ma tutt’altro che condiviso, l’evocazione « dello stile del·Voltaire », caratteriz- zato da una « giovinezza sempre fresca » e di « quello del Pascal », capace di « solidità e […] nitidezza marmorea » 33. Tornando a D’Annunzio dobbiamo constatare che non solo ci viene presentato fuori della sua officina ma, anche, privo di padri nobili, nono- stante le ripetute ma algide citazioni (Machiavelli, Petrarca, persino Dante) ; forse ritrarre D’Annunzio in un ambiente che gli è estraneo, mentre è for- temente e intimamente connesso a De Amicis, equivale, ancora una volta, a sottolinearne l’alterità, fortissima, che si incrina in un solo punto, là dove il Vate, dichiara, e De Amicis se ne ricorderà nell’Idioma gentile 34, di essere « un appassionato lettore di vocabolari » e, anzi, di essere stato ispirato da ragazzo da « un articolo » di De Amicis, La lettura del vocabolario 35, per cui,

30. E. De Amicis, « Emilio Zola polemista », p. 82-83. 31. Ibid., p. 83-84. 32. E. De Amicis, « Alfonso Daudet », p. 44. 33. E. De Amicis, « Emilio Zola polemista », p. 74. 34. « Gabriele d’Annunzio, che legge persino dei vocabolari tecnici, dalla prima all’ultima parola », E. De Amicis, L’idioma gentile, Milano, Treves, 1905, p. 119. 35. Allusioni, queste, pochissimo amate dal “lessicomane” Edoardo Sanguineti che, pur avendo spogliato con cura i testi deamicisiani, definiva l’Idioma gentile scritto « sempre in quei suoi modi da toscanista arrabbiato e complessato che si sperava anche arguto e sedu- cente », E. Sanguineti, « Una corsa nel vocabolario », in Il secolo XIX, 23 aprile 1982, ora in Riflessioni semiserie di Edmondo De Amicis… 201 da allora, « non legge soltanto vocabolari generali della lingua, ma anche speciali, di arti e di mestieri, che sarebbero una lettura insopportabile a chiunque ci si mettesse con altro intento che il suo ; il quale gliela rende piacevolissima » 36. Ma la totale distanza dell’abruzzese, sottilmente e con- tinuamente ribadita in un testo che pure appare celebrativo, viene sancita da un altro elemento : richiesto di descrivere la sua modalità compositiva, D’Annunzio chiarisce che « idea, sensazione, espressione, armonia furono come una cosa sola per me in quel lavoro brevissimo. Mi pare che non avrei potuto far quella descrizione in altro modo » e non solo, ma la sua scrittura sgorga con una « una spontaneità così viva » che molti suoi brani « al rileggerli la mattina dopo, gli riescono in gran parte come nuovi, e quasi non li riconosce per roba sua » 37. Niente a che vedere, dunque, con il sentimento che attanaglia gli altri scrittori ritratti, « soli in mezzo ai loro libri, afflitti da dolori che ignoriamo, tormentati da mille dubbi, sfiduciati di sé, incerti dell’avvenire », « condan- nati, in fine, al primo segno che diano di stanchezza e di decadimento, a sentire da ogni parte la risata trionfale degli emuli, ed il grido insolente delle legioni giovanili che si avanzano », come potrebbe accadere a Zola se davvero compisse il progettato viaggio in Italia, « costretto a esporre la teoria del naturalismo dalla finestra » a « un assembramento di veristi davanti all’albergo » 38. In questa angosciosa insicurezza, che cela anche un confuso senso di incontrollabile stanchezza, De Amicis avrebbe potuto trovare ben altra solidarietà, alzando gli occhi sui ritratti che, ci aveva raccontato nel

Gazzettini, Roma, Editori Riuniti, 1993, p. 290. Sul rapporto di De Amicis con la lingua cf. E. Tosto, Edmondo De Amicis e la lingua italiana, Accademia toscana di scienze e lettere « La Colombaria », Serie Studi, 2003. Per qualche cenno al rapporto con Tommaseo e alla rilettura delle posizioni di De Amicis mi permetto di segnalare C. Allasia, « De Amicis, Omero e le Memorie », in De Amicis nel “Cuore” di Torino, p. 97-110. 36. « E di ogni scrittore di stile ch’egli ammiri, studiò e studia con amore attento l’organismo del periodo, come un congegno nuovo e delicato : ha raccolto a questo riguardo molte osservazioni, che un giorno pubblicherà », E. De Amicis, « Gabriele D’Annunzio », p. 151. D’Annunzio, è noto, « saccheggiava spregiudicatissimamente i Guglielmotti e i Tommaseo- Bellini, non senza qualche gustoso incidente sul lavoro, come suole accadere a chi operi vocabolarizzando, e dunque amanuendo di seconda mano », E. Sanguineti, « Le parole di D’Annunzio », in Paese sera, 24 giugno 1976, ora in Giornalino secondo 1976-1977, Torino, Einaudi, 1979, p. 77. 37. E. De Amicis, « Gabriele D’Annunzio », p. 148. In realtà il discorso doveva essere un po’ più articolato se Nay ricorda che « Moleschott è fermo sostenitore dell’unità della scienza, e tanta è la forza del suo pensiero da convincere lo stesso D’Annunzio, nel 1887, a ipotizzare l’opera d’arte non come “il parto di una spontanea e subitanea ispirazione”, ma come il “prodotto complesso della natura e della storia” », L. Nay, « De Amicis, Torino e “gli anfibi della scienza delle lettere” », in De Amicis nel “Cuore” di Torino, p. 86. 38. E. De Amicis, « Emilio Zola polemista », p. 104, 106, 65. 202 Clara Allasia luglio 1902 in un testo già evocato, teneva in studio : Zola, ad esempio, insieme a D’Annunzio e Dérouléde 39 l’unico vivente (ancora per poco, sarebbe morto il 29 settembre dello stesso anno), « con quella faccia acre di malato di fegato ; sulla quale, peraltro, io rivedo sempre il buon sorriso del suo ultimo saluto » 40. Proprio Zola, forse stanco forse ipocondriaco 41, a dispetto di un metodo « rigoroso […] e di cui pare tanto sicuro » si dichiara vittima di « scoraggiamenti terribili […] riguardo all’arte sua », e « trova orribile oggi quello che ha finito ieri – infallibilmente », e invidia « Coubert e Victor Hugo » che « non hanno mai sospettato una volta, neppure alla lontana, il primo di poter sbagliare una pennellata, l’altro di poter scrivere un cattivo verso » 42. Di Zola, De Amicis ammira « lo sforzo, e quasi un’ostinazione superba della volontà ; lavoro minuto e difficile di analisi e di descrizione, di stile e di lingua, necessariamente preceduto da una lunga serie d’osservazioni e d’indagini pazienti sul vero » 43. La costruzione dei caratteri è ottenuta con un metodo quasi pirandelliano, per cui Zola « ha bisogno di viver prima lungo tempo coi suoi personaggi », pigliandoli « ad uno ad uno, e poi a due a due, e così avanti, e di vederseli andare e venire per la testa, di notte, passeggiando, desinando, ora strappando una parola a uno, ora cogliendo a volo un gesto d’un altro, ora scoprendo il secreto di un terzo » e, solo a questo punto, dopo una lunga osservazione, stendere il romanzo « non lo affatica più » 44. Molto invece lo preoccupa la costante ricerca di un lessico adatto che ha, in sé, un pericolo : « a furia di voler cesellare, brunire, ricamare e dipingere, e pretender dalle parole

39. « Paul Dérouléde, giovane tenente dei cacciatori, con quel viso dolce e sereno, a cui non rassomiglia neanche alla lontanala sua nuova faccia di nazionalista insatanassato », E. De Amicis, « La mia officina », p. 51. De Amicis aveva incontrato il giovane Dérouléde nella casa di Emilio Augier (« Emilio Augier e Alessandro Dumas », p. 169). 40. E. De Amicis, La mia officina, p. 100. 41. « Credette per qualche tempo d’aver una malattia di cuore ; i medici lo disingannarono ; ma nondimeno egli sente sempre in sé qualcosa di sordo e d’inquietante, che gl’impedisce il lavoro, e lo volge alle previsioni nere », E. De Amicis, « Emilio Zola polemista », p. 66. 42. Ibid., p. 70. Per questa stessa ragione, invece, Hugo, « che malgrado la sua corte, vive in una specie di solitudine intellettuale, fuori della letteratura vivente », come un « leone » (mentre Zola è un « orso »), poco può aiutare De Amicis, anche se il suo ritratto appare, nell’officina, sopra l’ultimo ritratto della madre del poeta (cf.ibid. , p. 62). D’altra parte si ricordi quanto Hugo dichiara nel ritratto a lui dedicato, pubblicato sull’Illustrazione italiana e poi inserito nei Ricordi di Parigi (Milano, Treves, 1879, p. 258) : « e mi ci metto tranquillamente, metodicamente, coll’orario alla mano, come un muratore. Scrivo ogni giorno quel tanto ; tre pagine di stampa ; non una riga di più, e la mattina solamente. Scrivo quasi senza correggere perché son mesi che rumino tutto, e appena scritto, metto le pagine da parte, e non le rivedo più che stampate. E posso calcolare infallibilmente il giorno che finirò ». 43. Ibid., p. 55. 44. Ibid., p. 97. Riflessioni semiserie di Edmondo De Amicis… 203 l’odore delle cose, e ingegnarci di rendere tutti i suoni, ci siamo formati un linguaggio convenzionale, un gergo letterario nostro proprio » 45. È un rischio incombente, che porta a una lingua artificiale, nutrita di un lessico « tutto stelleggiato e ingioiellato d’immagini », destinato a « invecchiare immancabilmente, e riuscire intollerabile alle generazioni future » 46. Nonostante l’attenzione quasi ossessiva al lessico, il bozzettista De Amicis non sembra condividere questa preoccupazione e, anzi, cita e riproduce più volte immagini “rubate” al naturalista, talvolta inserendole in un contesto straniante : si pensi, per fare un esempio assai noto, al « carnaio della casa di Sedan » che fa bella mostra di sé nel negozio del signor Gerardo Bonini, Il re delle bambole 47. Certo più congeniale, anche dal punto di vista della lingua, gli appare il ripetutamente citato Daudet, e non solo perché « celia anche più sovente, e di miglior umore che lo Zola ; fino a convertire, come fa qualche volta, i ritratti e le scene comiche in caricature », ma perché « gioca più di sor- presa, è più teatrale, più capriccioso nel rompere e nel riannodare le fila del romanzo, procede più a sbalzi, si abbandona più liberamente ai grilli della fantasia, e volteggia, e canta » 48. Sembra, insomma, autore dotato di maggior levità, di un « linguaggio più rapido, più variopinto, più trillante, più indiavolato, più proprio alla terribile leggerezza dell’argomento » 49. Eppure, a sorpresa, dopo essersi accertato della solidarietà professionale di De Amicis (« Qui si voltò con molta grazia, e disse vivamente, con la sua voce piena di dolcezza : “Vous me pardonnerez, monsieur. Ce sont des détails de notre métier, n’est-ce pas ? Fra noi altri non sono cose indiffe- renti” » 50), anche Daudet rivela angosce profonde, innanzitutto nel suo rapporto con la lingua, visto che è pronto a confessare di essere stato per lungo tempo destato dal sonno da « un rumore continuo e precipitoso, come se gli sfogliassero furiosamente negli orecchi un vocabolario colossale, con le pagine di metallo » 51. Ma il suo malessere non si esaurisce qui, rivelando

45. Ibid., p. 72. 46. Ibid. 47. « Un cassone che vi richiamerebbe alla mente il carnaio della casa di Sédan, descritto dallo Zola, dov’era ammucchiato tutto quello che cadeva dalle tavole d’operazione del dottore Bouroche. È una miscela miseranda di pezzi di cranio, di mezze facce, di occhi divelti, di frammenti d’arti superiori e inferiori, di manine e di piedini recisi, e di nasetti staccati e di chiome bruciate, che fanno pensare a mille accidenti domestici e pianti e dolori e scenate e diverbi coniugali conseguenti », E. De Amicis, « Il re delle bambole », in Ricordi d’infanzia e di scuola¸ Milano, Treves, 1908, p. 201. 48. E. De Amicis, « Alfonso Daudet », p. 6. 49. Ibid., p. 7. 50. Ibid., p. 21. 51. Ibid., p. 19. 204 Clara Allasia un’origine ben più profonda e ben più affine al sentire dell’onegliese. La scrittura del Nabab gli è costata

otto mesi di lavoro furioso, diciotto ore al giorno a tavolino, tolti pochi minuti per mangiare ; intere settimane senza metter piede fuor dell’uscio ; una sola enorme fiatata dalla prima all’ultima pagina. Capiva bene che ci si finiva ; ma non era più padrone di sé ; il diavolo lo portava via ; avrebbe tirato avanti egualmente, anche con la certezza di rimetterci la vita. Fu come un sogno febbrile di otto mesi 52.

È una corsa folle, pur di non perdere l’ispirazione, e l’ maligno si rinnova subito dopo, con la stesura di Les Rois en exil, ma la « sua povera testa cade, gli occhi si chiudono, si addormenta sui fogli, si sveglia smemorato e spaventato, non raccapezzando dove sia », finalmente uno « sbocco di sangue, che lo lascia come morto » 53, interrompe l’impeto di autodistruzione. Ogni autore, ogni scrittore esorcizza come può la paura della mancanza di ispirazione, un terrore che si rinnova anche nelle parole di Zola : « personaggi, luoghi, scene, avvenimenti […] tutto s’ è come agghiacciato dentro a una nebbia oscura, in cui mi sembra che non riescirò mai più a far penetrare un raggio di sole » 54. È una sorta di sensazione di morte, non solo letteraria ma reale, la stessa che prova De Amicis pensando, per una volta, a un padre letterario che non gli appar- tiene : « penso spesso alla fine di Flaubert. Ho il presentimento di un colpo di mazza sul capo » 55. Ma allora, arrivato il momento dei bilanci e soprattutto quello in cui ogni scrittore cessa di guardarsi alle spalle o attorno e spinge il suo sguardo al domani, il solo letterato che pare poter, diciamo così, non certo racco- gliere il testimone, ma avanzare sulla strada, sia pure attraverso sentieri diversissimi, è il non più giovane D’Annunzio : nell’Officina fa bella mostra di sé, lo abbiamo già ricordato, una sua fotografia in cui « scrisse sopra il proprio capo, con poetica gentilezza : – … malinconicamente, in memoria d’un radioso incontro : – un incontro di diciannov’anni fa, nel quale, ahimè il solo veramente radioso era lui, che aveva vent’anni nel cuore, e l’amore negli occhi, e sulla fronte la gloria » 56. La « commozione d’un affetto quasi

52. E. De Amicis, « Alfonso Daudet », p. 19. 53. Ibid., p. 22-23. 54. Ibid., p. 69. 55. E. De Amicis, « La mia officina », p. 84. 56. La fotografia è ora visibile nell’inserto iconografico del già citato volume a cura di D. Divano, Edmondo De Amicis a Imperia, 1. Catalogo dell’archivio. Riflessioni semiserie di Edmondo De Amicis… 205 paterno » che chiude il ritratto non è solo ispirata al ricordo del figlio Furio, « ammiratore appassionato » della poesia dannunziana, ma ha anche il tono, ribaltato, di un altro passaggio di consegne, anch’esso improbabile, quando un giovane « tutto luccicante d’argento » aveva passeggiato nel giardino di Brusuglio accanto a un vecchio che lo « precedeva di alcuni passi che andava chino e lento sulle gambe mal ferme » 57.

Clara Allasia Università degli Studi di Torino

57. E. De Amicis, « Una visita ad Alessandro Manzoni », p. 123.

VARIA

VINGT ANS APRÈS CUORE OU FRANTI DANS LES BEAUX QUARTIERS Il giornalino di Gian Burrasca hypertexte de Cuore

Résumé : La forme du roman de Vamba Il giornalino di Gian Burrasca (1906-1907) – un journal écrit pendant un peu moins d’une année scolaire par un jeune garçon – ne peut pas ne pas faire songer au très célèbre Cuore, paru vingt ans plus tôt (1886), dont Vamba admirait certainement l’auteur, Edmondo De Amicis. Or, il ne s’agit pas seulement d’une question de forme. Outre la structure du roman, les familles des deux enfants protagonistes ne manquent pas de similitudes : famille aisée de la bourgeoisie urbaine, avec plusieurs enfants, dont une fille ou des filles plus grandes, et un jeune garçon protagoniste, plutôt choyé. À cette différence près que le premier, Enrico, est un enfant sage, alors que le second, Giannino, est un bad boy, dont l’origine première se trouve dans la littérature américaine. Ce ragazzaccio qui prend position contre le pathos et les grands sentiments, et qui déjoue systématiquement les mensonges des adultes hypocrites, déloyaux et cupides de son entourage, fait penser que le roman pourrait avoir été construit comme une réponse à Cuore, une sorte d’anti-Cuore d’un XXe siècle commençant qui a eu tôt fait d’oublier les grands idéaux du XIXe.

Riassunto : La forma del romanzetto di Vamba Il giornalino di Gian Burrasca (1906- 1907) – un diario scritto per meno di un anno scolastico da un ragazzo – non può non ricordare il celeberrimo Cuore, uscito vent’anni prima (1886), di cui Vamba ammirava certamente l’autore, Edmondo De Amicis. Ma non si tratta soltanto di forma letteraria. Oltre alla struttura del romanzo, le famiglie dei due piccoli protagonisti si somigliano per l’appartenza sociale alla borghesia agiata e urbana, per la presenza nei due casi di una sorella o di sorelle maggiori, con un ragazzino più giovane e piuttosto amato. Con una differenza tuttavia : il primo, Enrico, è un bravo ragazzo, mentre il secondo, Giannino, è un bad boy, sulla scia della letteratura americana, e questo ragazzaccio che odia il pathos e i grandi sentimenti, e che smaschera sistematicamente le menzogne degli adulti ipocriti, sleali e avidi che lo circondano, fa pensare che il romanzo potrebbe esser stato costruito come una risposta a Cuore, una specie di anti-Cuore di un XXe secolo nascente che ha dimenticato troppo presto i grandi ideali del precedente.

Vingt ans séparent le roman Il giornalino di Gian Burrasca, écrit par Luigi Bertelli sous le pseudonyme de Vamba en 1907-1908, des deux autres grands romans de la littérature enfantine que sont le chef-d’œuvre Le avventure di Pinocchio (1880-81, puis 1883), de Carlo Lorenzini dit Collodi, et le très

Transalpina, no 20, 2017, Edmondo De Amicis. Littérature et société, p. 209-226 210 Elsa Chaarani Lesourd célèbre Cuore d’Edmondo De Amicis (1886) 1. Mais ces vingt années ont considérablement modifié l’atmosphère de ce pays à l’unification trop récente. Alors que dans les années 1880 on pouvait encore s’enthousiasmer pour les événements du Risorgimento et vivre de l’espoir de construire une citoyenneté pour les Italiens, comme en témoigne Cuore, en 1907, lorsque Luigi Bertelli écrit le journal d’un mauvais garçon, Giannino Stoppani, les idéaux du Risorgimento, de l’Italie de Victor Emmanuel II et des pères de la patrie Mazzini, Garibaldi et Cavour, semblent bien loin 2. L’autoritarisme d’hommes d’État tels que Crispi a pu décevoir les Italiens encore imprégnés des idéaux de liberté du Risorgimento, et la pratique du trasformismo 3, qui consistait à abolir les différences entre Droite et Gauche pour créer des gouvernements d’union nationale, a fait évoluer les institutions italiennes vers l’opportunisme et la corruption des parlementaires, comme le montre magnifiquement le roman de Federico De RobertoL’imperio 4. Il giornalino di Gian Burrasca parut d’abord en feuilleton en 1907-1908 dans un périodique fondé et dirigé par Bertelli lui-même, Il giornalino della Domenica, qui était l’élément clé d’un ambitieux dispositif pédagogique à destination des jeunes Italiens, de l’enfance à l’adolescence 5. Car outre le périodique, Vamba voulut, au moyen d’une association qui organisait des rencontres, promouvoir un esprit communautaire parmi les jeunes lecteurs 6. Le roman s’inspirait vraisemblablement de deux romans américains, l’un intitulé The story of a bad boy et adapté en italien sous le titre Memorie di un ragazzaccio par Ester Modigliani, et l’autre intitulé A bad boy’s diary. Mais Vamba était parvenu à en transformer le contenu pour l’adapter à la réalité d’un pays bien différent 7. Toutefois, outre ces deux modèles incontestables, lorsque Vamba choisit, en 1907-1908, de donner à son roman pour enfants, Il giornalino di

1. Bibliographie : M. Colin, L’âge d’or de la littérature d’enfance et de jeunesse italienne, Caen, Presses universitaires de Caen, 2005 ; I. Nières-Chevrel, Introduction à la littérature de jeunesse, Paris, Didier Jeunesse, 2009 ; G. Pécout, « Le livre Cœur : éducation, culture et nation dans l’Italie libérale », postface à E. De Amicis, Le livre Cœur, Paris, Éditions Rue d’Ulm, 2001, p. 357-483 ; V. Spinazzola, Pinocchio & C. La grande narrativa italiana per ragazzi, Milan, Il Saggiatore, 1997. 2. V. Spinazzola, Pinocchio & C…, p. 176. 3. Une définition très claire de ce phénomène a été donnée par M. Colin,L’âge d’or de la littérature d’enfance et de jeunesse italienne, p. 283. 4. L’imperio fut publié posthume en 1929, mais l’auteur, Federico De Roberto, commença à y travailler en 1894 et passa l’année 1908 à Rome pour y étudier les mœurs des parlementaires. 5. Le périodique comportait une diversification des rubriques en fonction de l’âge du jeune public. Cf. M. Colin, L’âge d’or de la littérature d’enfance et de jeunesse italienne, p. 286. 6. Ibid., p. 288. 7. Cf. M. Colin, L’âge d’or de la littérature d’enfance et de jeunesse italienne, p. 292-293. Vingt ans après Cuore… 211

Gian Burrasca, la forme du journal intime d’un jeune garçon de neuf ans, il ne pouvait pas ne pas avoir à l’esprit cet autre journal écrit fictivement par un enfant, le Cuore de De Amicis, paru dans les désormais lointaines années 1880. De Amicis, journaliste et écrivain déjà reconnu avant la parution de Cuore, était désormais une plume célèbre dont Vamba connaissait certai- nement très bien le roman, véritable succès de librairie. D’ailleurs, selon le Dizionario biografico degli italiani, Edmondo De Amicis a fait partie des écrivains renommés qui ont été invités à écrire dans le périodique florentin de Vamba, et un numéro spécial lui a été consacré à l’occasion de sa mort (intervenue le 11 mars 1908). On se demandera ici jusqu’à quel point et dans quelle mesure le Giornalino di Gian Burrasca, dont Cuore est forcément un hypotexte au sens où Vamba l’avait en tête quand il écrivit, aurait pu être pensé et écrit comme un anti-Cuore. On abordera en premier lieu les éléments qui correspondent à la structure romanesque : la forme littéraire, la structure familiale dans les deux romans. Puis on se penchera sur le protagoniste et son rapport avec le monde des adultes, et enfin on évoquera la vision de l’éducation et de la société proposée par les deux romans.

Questions de structure Structure du récit Le choix du journal intime écrit par un protagoniste enfant, de la part d’un auteur pour la jeunesse, est loin d’être anodin, puisqu’en plus de la forte illusion référentielle qu’il implique, il suppose que le récit soit pris en charge par un jeune enfant et, ainsi, il nie la possibilité qu’un narrateur externe ou omniscient puisse occuper une position d’autorité par rapport au narrateur en je 8. Dans le cas de Cuore, cette liberté laissée à Enrico Bottini a été limitée par différents moyens : l’insertion de textes d’autres auteurs, comme les récits mensuels lus par le maître d’école, la transcription d’énoncés prononcés par autrui, comme le récit de l’instituteur de son père auquel il rend visite 9, et surtout la pratique familiale. Dans la famille Bottini en effet, le journal d’Enrico ne peut pas vraiment être considéré comme « intime », puisque sa grande sœur, sa mère et surtout son père le relisent et y insèrent leurs propres interventions, tous les trois pour sermonner l’enfant. Ainsi, la moindre velléité critique d’Enrico envers le monde des adultes, la moindre erreur par rapport à un code rigide, la moindre rêverie

8. I. Nières-Chevrel, Introduction à la littérature de jeunesse, p. 115-119. 9. E. De Amicis, Cuore, Milan, Mondadori, 1984, p. 165. 212 Elsa Chaarani Lesourd enfantine, suscitent « una predica lunga come una quaresima » 10, dirait Gian Burrasca. Quand Enrico remarque innocemment que son maître paraît de mauvaise humeur, quand il n’a pas l’air assez content d’aller à l’école, ou lorsque tout simplement il rêve à la blancheur de la neige qui lui paraît si belle, son père est là pour lui rappeler qu’il doit un respect inconditionnel à ses maîtres, qu’il est de son devoir d’aimer l’école et qu’il ne doit pas oublier que la neige est aussi la source de bien des malheurs pour les pauvres gens 11. Dès les premières pages du Giornalino di Gian Burrasca, le lecteur est averti qu’il n’en sera pas de même et que le journal sera un véritable journal intime, au sens de « secret ». Le roman s’ouvre sur la liste de cadeaux que le petit protagoniste, Giannino, enfant choyé, a reçus pour son anniversaire. Parmi eux, un cahier relié en toile verte offert par sa mère. Ne sachant pas encore quoi écrire, le jeune garçon recopie un passage du journal de sa sœur Ada, qui évoque un prétendant riche mais vieux et laid, dont elle ne veut pas. Pour l’unique fois du roman, Giannino est au salon avec son cahier lorsque paraît le prétendant d’Ada, Adolfo Capitani, qui se saisit du journal de Giannino et le lit à voix haute. Blessé de ce qu’il y trouve, il interroge Giannino, qui répond qu’il s’est contenté de copier le journal d’Ada. Les jours suivants, le jeune garçon est considéré comme responsable d’avoir fait perdre un riche parti à sa sœur aînée 12. À partir de ce moment-là, Giannino se promet que le journal sera entièrement écrit de sa main – même s’il y insère les propos des adultes, ainsi que le récit d’un autre bad boy comme lui, Gigino Balestra 13 – et il se met à le cacher jalousement. Tout se passe comme si, d’emblée, Vamba voulait indiquer que ce roman, tout en se référant implicitement par sa forme à Cuore, sera intrin- sèquement différent puisque Giannino en sera presque le seul lecteur et en tout cas l’unique rédacteur. À partir de là, le garçon, chaque soir, rend compte de ses incessantes bêtises aux conséquences plus ou moins catas- trophiques, assorties non pas des leçons de morale servies par ses aînés, mais de toutes les âpres critiques qu’il adresse de façon plus ou moins voilée au monde des adultes, et de toutes les très nombreuses justifications qu’il trouve pour se défendre, comme celle-ci, choisie parmi beaucoup d’autres possibles :

10. « Le mie sorelle mi hanno fatto una predica lunga come una quaresima » (Vamba, Il giornalino di Gian Burrasca, Florence – Milan, Giunti, 2007, p. 26-27). 11. E. De Amicis, Cuore, p. 37, p. 77-80 et p. 64-65. 12. « In casa non mi possono più soffrire, e tutti non fanno altro che dire che per colpa mia è andato all’aria un matrimonio che per i tempi che corrono era una grande fortuna […] » (Vamba, Il giornalino di Gian Burrasca, p. 11). 13. Ibid., p. 231-233. Vingt ans après Cuore… 213

Purtroppo, però le buone intenzioni dei ragazzi non sono mai riconosciute ed eccomi qui in prigione, vittima innocente delle esagerazioni delle persone grandi, condannato a pane e acqua mentre tutti gozzovigliano e si finiscono i dolci 14 !

Cette justification, située à la fin du roman, quand son père vient le chercher à la pension, montre toutefois l’évolution du jeune garçon, qui a perdu l’espoir de convaincre les adultes de sa bonne foi :

Mi venne un’idea : – Se andassi anche io in Direzione, a raccontare a mio padre in faccia al signor Stanislao, tutti i fatti da quello della minestra di rigovernatura a quello della seduta spiritistica ? – Ma l’esperienza, purtroppo, mi avvertiva che i piccini di fronte ai più grandi, hanno sempre torto, specialmente quando hanno ragione 15.

Autrement dit, alors que dans Cuore De Amicis fait la part belle aux remontrances des adultes envers les enfants et en particulier envers Enrico, auquel on ne passe rien, Vamba déplace à zéro le curseur de ce contrôle parental accru en laissant une totale liberté de parole à son petit protago- niste, après l’expérience fâcheuse de cette indiscrète lecture publique. Cela produit incontestablement un effet extrêmement comique. Il y a même, de la part de Vamba, une sorte de renversement humo- ristique de la lettre écrite par Silvia à son petit frère dans Cuore : alors que Silvia commet une indiscrétion en lisant le journal de son frère et en y écrivant une leçon de morale 16, conformément à la pratique familiale, ici c’est Giannino qui commet l’indiscrétion – que, d’ailleurs, on ne lui reproche nullement, alors que l’on pourrait s’y attendre selon les critères habituels de l’éducation morale – en lisant le journal de sa sœur pour en recopier une partie dans le sien. On ne reproche pas non plus son indiscrétion à Adolfo Capitani – pas même Giannino ne le fait, qui pourtant serait fondé à le faire – car l’unique préoccupation de la famille n’est pas d’ordre moral, mais financier : Adolfo aurait pu faire un bon parti pour Ada, à laquelle on ne reproche pas non plus d’avoir écrit ces propos sur son prétendant. Indirectement, en suivant la falsariga de Cuore – sermonner quelqu’un par journal intime interposé – on pourrait même en conclure que Vamba renverse la perspective de Cuore, car c’est Giannino qui inflige ainsi invo- lontairement une première leçon de morale à sa famille en lui reprochant sa

14. Ibid., p. 61-62. 15. Ibid., p. 257. 16. E. De Amicis, Cuore, p. 145. 214 Elsa Chaarani Lesourd cupidité et son conformisme, qui pourrait se formuler ainsi : mieux vaut un riche parti qui rendra une fille riche, sinon heureuse, qu’un jeune homme sans situation, ce qui cependant se résoudra par l’échec que constitue le célibat de la jeune fille. Giannino, en révélant, d’ailleurs contre son gré, la pensée intime de sa sœur, ne défend que l’un des principes qu’on ne cesse de lui inculquer : il faut dire la vérité. En outre, du point de vue de l’éducation de Giannino et d’Ada, non seulement les parents n’enseignent pas la discrétion à leurs enfants, mais en plus ils considèrent le plus jeune comme responsable de propos qui originellement ont été écrits par sa sœur. Le seul défaut de Gian Burrasca est donc d’avoir souligné involontairement la pratique odieuse qui consiste à marier une jeune fille à un mari âgé qu’elle ne pourra pas aimer, et l’hypocrisie des rapports sociaux dans ces salons feutrés que Giannino bouscule.

Structure familiale Du point de vue de la structure familiale, Vamba semble reprendre en partie celle de la famille d’Enrico Bottini peinte par De Amicis : un garçon protagoniste, qui est issu d’une famille de la moyenne bourgeoisie, avec une grande sœur et un petit frère, en réalité inexistant, réduit à l’état de figurant 17. L’ingénieur Bottini a quelques soucis financiers, qui servent essentiellement à raconter le sacrifice de ses enfants qui, selon l’idée de Silvia, renoncent aux cadeaux qu’ils attendaient pour faire faire des économies à leurs parents, et ces derniers, touchés, les remercient de leur délicatesse en anticipant les cadeaux 18. Le père de Giannino se fait prêter de l’argent par sa sœur Bettina pour satisfaire ses filles en leur permettant d’organiser un bal, mais malgré cela, les deux familles sont dans la même situation relativement aisée. Par rapport à Cuore, Vamba démultiplie la grande sœur d’Enrico en trois filles et accentue la différence d’âge entre le jeune frère et ses trois sœurs, déjà en âge de se marier, donc adolescentes d’au moins seize ans. En effet, le mariage des deux plus jeunes filles, l’une avec un médecin, l’autre avec un avocat ambitieux, permet à Vamba d’introduire son jeune protagoniste – à l’œil vigilant duquel n’échapperont pas la mesquinerie et l’hypocrisie de ce monde philistin – dans l’intimité de deux autres familles bourgeoises, et d’évoquer ainsi différents secteurs de la société.

17. Son utilité est surtout de permettre la visite de son institutrice chez les Bottini (E. De Amicis, Cuore, p. 45). 18. Ibid., p. 184. Vingt ans après Cuore… 215

Un Franti des beaux quartiers Cuore est évoqué une seule fois dans le Giornalino di Gian Burrasca :

In questo momento vorrei avere la penna di Edmondo De Amicis perché la scena che è successa a scuola stamani è una di quelle da far piangere la gente come vitelli 19.

Le roman fut en effet, du temps de son succès, remarqué pour ses grands sentiments, et fit même l’objet d’une expression proverbiale, « da libro Cuore », désignant encore aujourd’hui la générosité désintéressée ou les scènes émouvantes 20. Or le protagoniste du Giornalino di Gian Burrasca se distingue nette- ment de cette littérature du pathos en montrant sa totale incompréhension, voire son hostilité, face aux sentiments d’autrui, en particulier ceux des mères par rapport à leurs enfants. Il ne comprend pas l’angoisse de la paysanne dont il attache le petit Pietrino de deux ans dans un arbre pour lui faire figurer un singe (« È la decima volta che quell’uggiosa ripete – Ma ci pensa, lei, sora padrona, se il mi’ Pietrino cascava giù dall’albero ? », et Giannino de commenter, non sans paternalisme : « Lasciamola dire, bisogna compatire le persone ignoranti, perché loro non ci hanno colpa » 21), et pas davantage celle de la mère de Maria, la fillette qu’il a abandonnée toute seule sous un orage non loin de la maison (« Che furia d’andare a cercare quella bambina ! Nemmeno se fosse stata un oggetto di valore ! » 22), ni même celle de sa propre mère lorsqu’elle le retrouve après qu’il est tombé dans la rivière (« Non so perché la mia mamma abbia pianto tanto, quando Gigi mi ha portato a casa fradicio mezzo » 23). L’effet est évidemment comique, mais la comparaison entre les deux romans fait naître le soupçon que cette insensibilité confinant quelquefois au sadisme pourrait être une réponse satirique aux si nombreuses scènes pathétiques de Cuore. Car le jeune garçon est parfois cruel tout à fait sciemment comme c’est le cas ici :

19. Ainsi Giannino introduit-il ses retrouvailles avec son camarade Cecchino, devenu boiteux à la suite d’une promenade en voiture des deux garnements, qui ont fini à l’hôpital (ibid., p. 163). 20. En voici un exemple trouvé sur Internet : « Non sono riusciti a trovare una sistemazione adeguata presso un centro di accoglienza. Allora gli agenti delle volanti hanno deciso di accompagnarli in un albergo cittadino e di pagare la stanza di tasca propria. Una storia toccante, da libro Cuore », Poliziotti da libro Cuore a Cosenza, 20 settembre 2016, http://www.ottoetrenta.it/attualita/poliziotti-da-libro-cuore-a-cosenza/. 21. Vamba, Il giornalino di Gian Burrasca, p. 52-53. 22. Ibid., p. 96. 23. Ibid., p. 13. 216 Elsa Chaarani Lesourd

Stavo per ritornare in camera alla svelta, allorché mi sono fermato davanti a Luisa e guardandola fissa, le ho strappato una gala in fondo al vestito 24. À plusieurs reprises, il rit du mal qu’il a fait ; en voici un exemple parmi d’autres, dans le train pour Rome : Campassi mill’anni non riderò mai quanto ho riso in quel momento nel veder tutti quei visi affacciati […] mi ricordo perfettamente di uno che ebbe uno schizzo d’inchiostro in un occhio e che pareva diventato pazzo e ruggiva come una tigre 25… Cette indifférence face à la souffrance d’autrui et ce rire récurrent ne manquent pas de rappeler Franti, qui persécute les faibles et rit lorsque le maître lui dit qu’il va tuer sa mère, ou lorsqu’il voit passer un maçon griève- ment blessé 26. La différence réside dans le volume narratif des méchancetés du ragazzaccio Franti, qui occupe tout au plus quelques pages de Cuore, alors que dans le roman de Vamba la parole est donnée au bad boy en personne, qui ne se prive pas de décrire ses exploits d’un bout à l’autre avec un luxe de détails. Elle réside aussi dans la situation familiale et sociale de Franti, un garçon d’origine modeste dont le père est absent. Giannino est donc, en quelque sorte, un Franti des beaux quartiers, qui n’a même pas l’excuse de sa situation sociale ou familiale, mais dont l’imagination en matière de cataclysmes lui donne toutefois la circonstance atténuante de susciter tout au long du roman le rire de ses lecteurs ! Comme Nobis, en tout cas, Giannino se voit attribuer, pour ses persécutions envers la petite Maria, le verdict suprême selon les critères de De Amicis : « un ragazzo senza cuore » 27. Il reste que le contraste entre les beaux sentiments de Cuore et la méchanceté presque assumée de Gian Burrasca laisse le soupçon que Vamba voulut, en créant son Giannino Stoppani, ce Franti embourgeoisé, construire une réponse quelque peu impertinente au roman de De Amicis.

Le monde des adultes Dans Cuore, les pères sont des figures importantes et positives qui parti- cipent activement à l’éducation de leurs enfants. On a vu que le père d’Enrico allait jusqu’à écrire des leçons de morale dans son journal, mais d’autres pères jouent eux aussi un rôle éducatif important, tel le père de Nobis, qui

24. Vamba, Il giornalino di Gian Burrasca, p. 18. 25. Ibid., p. 133. 26. E. De Amicis, Cuore, p. 87-88. 27. « Siete un ragazzo senza cuore » (E. De Amicis, Cuore, p. 106) ; « Dicevano che ero […] un ragazzo senza cuore, come se le avessi tagliato la testa, invece dei capelli ! » (Vamba, Il giornalino di Gian Burrasca, p. 96). Vingt ans après Cuore… 217 oblige son fils, trop méprisant envers les ouvriers, et qui s’est laissé aller à insulter le charbonnier, père de Betti, à présenter ses excuses à ce dernier ; ou encore le père de Coretti, qui emmène son fils et Enrico Bottini saluer le roi Umberto, qu’il a connu dans sa jeunesse lors de la guerre de 1866. Non que certains pères ne soient pas défaillants, mais ils sont en tout cas perfectibles : le père de Precossi, alcoolique, se repent et se corrige lorsque son fils obtient une médaille malgré les mauvais traitements, et le père du récit Il piccolo scrivano fiorentinova même jusqu’à demander pardon à son fils de son injustice 28. Quant aux mères, elles sont présentées sous l’angle de l’affection inépui- sable qu’elles témoignent à leurs enfants, conformément à la répartition des tâches éducatives entre les genres : aux pères l’éducation morale et patrio- tique, aux mères l’affectivité, l’éducation à la compassion, aux préceptes de la religion. Le père d’Enrico ne manque pas de souligner la bonté et le sens du sacrifice des institutrices et instituteurs, dotés de nombreuses vertus et engagés corps et âme dans la lutte contre l’ignorance et dans l’élévation morale des jeunes enfants 29. Ainsi, les parents, et les adultes en général de Cuore, semblent cohérents avec leurs prétentions morales, et par conséquent dignes de mériter le respect que l’on inculque aux enfants à leur endroit. Il n’en va pas de même des adultes qui entourent Giannino Stoppani. Une première lecture un peu distraite pourrait d’abord faire croire à une certaine misogynie de Vamba car les femmes semblent toutes plutôt méprisables. La vieille Bettina fait l’objet de la satire féroce que souvent subissent, dans les romans, les femmes qui n’ont pas eu la possibilité de se marier, tout comme la belle-sœur de Luisa, Matilde : Bettina comme Matilde semblent renfermées sur l’univers mesquin et sans joie de l’affection qu’elles donnent à leurs animaux domestiques et pour laquelle elles sont raillées et dévalo- risées 30. Mais Matilde se montre bien plus haïssable que la pauvre Bettina, qui n’est malheureuse qu’à cause de sa solitude, car elle n’hésite pas à manipuler le petit Giannino pour lui soutirer des informations sur le passé de jeune fille de Luisa 31, qu’elle déteste du fond du cœur, épisodes qu’elle se fera une joie de resservir à sa jeune belle-sœur.

28. E. De Amicis, Cuore, p. 77, p. 101-102, p. 118-119, p. 157. 29. Textes à la gloire des instituteurs et institutrices dans Cuore : p. 34, p. 45, p. 68, p. 120, p. 165, p. 238. 30. Vamba, Il giornalino di Gian Burrasca, p. 35-53. 31. « La sora Matilde […] mi domanda sempre come era Luisa da ragazza e che cosa faceva e diceva, e io le ho raccontato la storia delle fotografie […]. Bisognava vedere come si divertiva la sora Matilde a sentirmi descrivere queste cose, e basti dire che da ultimo mi ha regalato cinque gianduiotti e due caramelle di limone » (ibid., p. 142). 218 Elsa Chaarani Lesourd

Les sœurs de Giannino se caractérisent par leur bassesse morale et par leur cupidité : les trois filles ne manquent pas de mépriser la vieille Bettina pour son apparence (« Ah brutta vecchiaccia ! disse Ada con gli occhi pieni di lacrime » 32). Mais on ne les réprimande nullement pour leur manque de respect envers leur tante, puisqu’elles savent garder les apparences du respect (« Le ragazze dissero con un filo di voce : Uh, che bella sorpresa ! » 33). Cela ne les empêche pas d’être intéressées par la fortune de la vieille dame : Luisa est déçue par la couverture de laine que sa tante lui a tricotée pour son mariage parce qu’elle aurait voulu ses diamants, et Virginia n’a que faire de ses vœux car elle aurait préféré un cadeau 34. Évoluant dans un monde où l’apparence compte plus que le « cœur », pour le dire avec un terme digne de De Amicis, elles ont honte de leur tante, principalement à cause de ses vêtements démodés. Concernant Virginia, sa cupidité ne se limite pas à sa tante Bettina mais se révèle aussi à propos de l’héritage de l’oncle de son mari, Venanzio. Les sœurs de Giannino se moquent cruellement de leurs prétendants en assortissant les photos de ces derniers de commentaires désobligeants, mais ensuite elles sont déçues qu’ils ne se présentent pas au bal qu’elles ont organisé. La famille entière rejette cependant la faute de cet échec sur le petit frère, alors que les grandes sœurs devraient être considérées comme les premières responsables de ce qu’elles ont elles-mêmes écrit sur les photos ; les parents cependant ne font aucune remarque aux jeunes filles à ce sujet. Il existe enfin un personnage féminin qui concentre tout entier sur lui la laideur, le ridicule et la malfaisance. Il s’agit de la signora Gertrude, directrice de la pension où Giannino est envoyé lorsque ses parents, après les deux séjours de janvier qu’il a effectués chez chacune de ses deux sœurs mariées, ne savent plus quoi faire de lui. Gertrude fait d’abord l’objet d’un portrait ridicule :

La direttrice […] è bassa bassa e grassa grassa, con un naso rosso rosso e declama sempre e fa sempre dei grandi discorsi per delle cose da nulla, e non si cheta mai un minuto, corre per tutto e discorre con tutti e su tutto e su tutti trova a ridire 35.

Par la suite, mais guère plus cependant que les personnages masculins qui sont ses complices – son mari et le cuisinier – , elle se caractérise par

32. Vamba, Il giornalino di Gian Burrasca, p. 24. 33. Ibid., p. 23. 34. Ibid., p. 58, p. 114. 35. Ibid., p. 187. Vingt ans après Cuore… 219 son avarice à l’endroit des jeunes pensionnaires à qui elle fait servir comme soupe maigre du vendredi l’eau de rinçage des casseroles pendant toute la semaine, et lorsque Giannino découvre le pot aux roses, elle le manipule et lui fait croire qu’il n’en est rien. Ce qui la rend peut-être plus coupable que les autres, c’est que c’est elle qui prend les décisions et qui commande à tous ceux qui sont sous ses ordres à la pension, à commencer par son mari, qu’elle ne cesse de traiter d’imbécile. Il s’agit là de la satire quelque peu misogyne de la mégère qui n’occupe pas la place qui lui est réservée et empiète sur le domaine masculin. Pourtant, un personnage féminin tranche sur cette galerie de portraits négatifs : la signora Olga, la voisine distraite qui ne s’aperçoit pas que sa montre n’est plus la même (puisque Giannino lui a substituée celle de sa mère), ni qu’elle a des mouchoirs qui ne lui appartiennent pas, au point que la mère de Giannino pense qu’elle est cleptomane et en avertit son mari – alors que c’est évidemment son fils qui est à l’origine de cet imbroglio. Olga ne semble pas appartenir au même monde et elle est, au demeurant, présentée comme une intellectuelle distraite :

i miei amici Renzo e Carluccio e Fofo e Marinella […] sono figli della signora Olga che scrive i libri stampati ed è sempre distratta e sempre affaccendata 36.

Nous verrons plus loin qu’elle est l’unique adulte dont le jugement sur Giannino diffère de celui des autres. Comme elle, sa fille Marinella est une fillette en qui Giannino, qui trouve pourtant les filles plutôt stupides et ennuyeuses, a confiance 37. Grâce à la signora Olga et à la petite Marinella, on peut donc constater que Vamba n’est, en réalité, pas plus misogyne que ne l’est De Amicis, dans le roman duquel les femmes jouent un rôle moins important que les hommes mais cependant non négligeable, si l’on pense au gracieux tableau des jeunes filles réunissant de l’argent pour aider le petit ramoneur 38, ou aux beaux personnages de ces institutrices qui donnent leur vie et leur âme à leurs petits élèves. Mais ce qui fait surtout pencher dans ce sens, c’est qu’en réalité les personnages masculins adultes ne valent guère mieux que leurs homologues féminins.

36. Ibid., p. 66. 37. « Le bambine, in generale, sono dei veri tormenti, e non somigliano punto a noi ragazzi » (ibid., p. 90) ; « si è messa a piangere come se le fosse accaduta una disgrazia sul serio. Come sono sciocche le bambine ! » (ibid., p. 92) ; « In quanto ai fazzoletti li ho dati a Marinella dicendole di portarli in camera della sua mamma, ciò che ha fatto subito ; e di lei son sicuro, perché Marinella è una bambina piuttosto silenziosa e sa tenere il segreto » (ibid., p. 86). 38. E. De Amicis, Cuore, p. 40. 220 Elsa Chaarani Lesourd

Venanzio est le pendant masculin de Matilde, il vit chez son neveu Maralli comme Matilde vit chez son frère Collalto. Il semble souffrir de la haine que lui voue son neveu Maralli, mais il n’a pas plus de scrupules que Matilde envers l’innocence relative de Giannino, à qui il donne de l’argent pour lui soutirer des bavardages sur ses neveu et nièce (« Eccoti le due lire… E te le darò spesso a patto che tu mi dica sempre quello che dicono di me mio nipote e tua sorella » 39). Certes, les indiscrétions de Giannino font perdre son héritage à l’avocat Maralli et à son épouse Virginia, mais au regard de la justice morale, l’avocat ambitieux, qui se réjouit lorsque son oncle semble à l’article de la mort et qui se met en colère lorsque le pauvre vieux semble se remettre, n’a vraiment que ce qu’il mérite et l’on ne peut qu’être moralement d’accord avec le jeune Gian Burrasca ! L’avocat Maralli est incohérent par rapport à ses idées politiques, car il se dit socialiste mais lorgne sur les richesses de son oncle, et n’hésite pas à se marier à l’église pour vaincre les réticences religieuses de la mère de Virginia. En outre, Virginia et son mari font preuve d’une grande cupidité, puisqu’ils désirent les richesses de Venanzio sans avoir aucun égard ni éprouver aucune affection pour le vieillard. Le portrait de l’autre beau-frère est moins chargé ; Collalto est médecin et, conformément à une très longue tradition littéraire (depuis la commedia dell’arte en passant par Molière, Goldoni et même Collodi 40), il est présenté comme un charlatan, de même que son ami le docteur Perussi. Collalto ne fait pas montre de tout le respect qu’il devrait à ses patients : il perd patience à cause de la présence d’une patiente qui le dérange au mauvais moment lorsqu’il s’apprête à manger. Quant à Perussi, il déclare que son patient fait une crise de nerfs alors que c’est Giannino qui vient de lui frotter le visage avec de l’oignon. Lorsque le patient déclare quelques jours plus tard que le traitement lui a été bénéfique, Perussi décide de continuer sur cette voie trouvée par hasard par un enfant ! Dans l’ensemble, Collalto, malgré un certain manque de loyauté envers Giannino 41, est un peu moins haïssable que Maralli. Ainsi, tout compte fait, les personnages masculins sont tout aussi méprisables que les personnages féminins.

39. Vamba, Il giornalino di Gian Burrasca, p. 168. 40. Collodi, Le avventure di Pinocchio, Turin, Einaudi, 1968, chap. XVI, p. 56-57. 41. Deux mauvaises blagues de Giannino tournent en faveur du docteur et de son confrère Perussi. La première est celle de l’oignon évoqué ci-dessus dans le corps du texte ; la deuxième concerne une dame qui parle le nez bouché, et que Giannino imite pour se moquer ; mais elle pense qu’il est atteint de la même maladie qu’elle, et lorsqu’elle l’entend une autre fois parler normalement, elle se persuade que le remède de Collalto est efficace. Ce dernier ne la détrompe pas et ne précise pas non plus au père de Giannino que lui et Perussi ont tiré profit de deux plaisanteries orchestrées par Giannino. Vingt ans après Cuore… 221

L’éducation de la jeunesse Avec le personnage du père, nous abordons le problème crucial de l’édu- cation de Giannino, car celle-ci est en réalité un tissu d’incohérences en série. Les facéties de Giannino qui ont les conséquences les plus graves, parce qu’elles font courir un danger à plusieurs personnes, dont deux enfants, sont l’agression envers Maria ensuite abandonnée sous un arbre pendant l’orage, la suspension d’un petit de deux ans dans un arbre, la blessure infligée à l’avocat Maralli avec un pistolet qui tire des flèches et qui l’atteint près de l’œil, et enfin l’explosion des fusées dans la cheminée. Or aucune de ces bêtises n’est châtiée par le père, qui flanque au contraire des fessées mémorables à son fils dans d’autres circonstances plus ou moins graves. La première fois, c’est lorsque Giannino a accroché une fusée au frac du docteur Collalto le jour de son mariage et que son père le surprend à s’amuser de la scène 42. La seconde fois, lorsque Giannino révèle l’histoire de l’échange de la montre de sa mère avec celle de la voisine madame Olga, il est battu avec la plus grande brutalité par son père :

– E la nostra ampolliera d’argento che ritrovammo poi in casa della signora Olga ? – E i miei fazzoletti ricamati ? – Anche questa roba la portai io in casa della signora Olga per divertirmi. – A questo punto s’è avanzato verso di me il babbo, spalancando gli occhi ed esclamando con voce minacciosa : – Ah tu ti diverti così ? Ora ti farò vedere come mi diverto io !… […] Brutto birbante, ora l’hai da pagar tutte 43 !

Pourtant, Olga elle-même, le lendemain, ramène toute l’histoire à de plus justes dimensions de farce enfantine un peu exagérée et qui a mal tourné :

Via via che procedeva il racconto, la signora Olga si interessava divertendosi come se si fosse trattato di un’altra persona invece che di lei, e da ultimo dette in una solenne risata, agitandosi sul canapé esclamando : – Ah bella ! Ah bellissima ! Come ! Mi hanno fatto prendere anche delle medi- cine per guarire della cleptomania ? Ah ! Ma questo è un episodio graziosissimo, degno di un romanzo !… E tu, birichino, ti ci divertivi, eh ? Chi sa quanto hai riso !… Sfido ! mi ci sarei divertita anche io !… –

42. Vamba, Il giornalino di Gian Burrasca, p. 59-60. 43. Ibid., p. 121. 222 Elsa Chaarani Lesourd

E mi ha acchiappato per la testa e mi ha coperto di baci. Come è buona la signora Olga ! Come si capisce subito che è una donna piena di cuore e piena d’ingegno […] 44 ! Il faut remarquer que, dans les deux cas, le problème du père n’est pas d’éduquer son enfant en lui donnant une fessée, ce qui, tout en étant criti- quable du point de vue de la méthode, aurait le mérite de la préoccupation éducative ; car ce qui fâche les adultes, c’est surtout d’avoir fait mauvaise figure vis-à-vis de la société ; dans le premier cas, vis-à-vis des invités dont plusieurs ont quitté la fête, et dans le second, vis-à-vis de la voisine Olga. Les châtiments subis par Giannino sont donc ou bien inexistants lorsqu’il s’agit d’événements d’une certaine gravité, ou bien atténués par la mère ou les sœurs qui en cachette du père vont adoucir sa punition lorsqu’il est enfermé dans sa chambre, ce qui ne manque pas de faire perdre au châtiment toute légitimité aux yeux de l’enfant, ou encore totalement disproportionnés par rapport à la faute commise. L’impression générale qu’on en retire est que les châtiments les plus violents sont surtout liés à la colère plus ou moins grande du père, de sorte qu’ils n’ont aucune efficacité sur Gian Burrasca qui se croit victime d’une injustice. D’autre part, du point de vue de son éducation morale, aucune parole n’est prononcée qui pourrait lui faire prendre conscience de la gravité de ses actes. Lorsqu’il abandonne la fillette Maria seule sous un arbre pendant un orage, on se contente de se récrier contre son égoïsme, mais on ne lui explique pas le danger qu’il a fait courir à la fillette. La tante Bettina a beau raconter ce qui s’est passé à la campagne quand Gian Burrasca a suspendu Pietrino dans un arbre et maltraité les animaux du paysan, le père semble plutôt amusé par le récit de sa vieille sœur, et s’il reprend Giannino lorsqu’il s’adresse avec insolence à elle, c’est pour cacher son envie de rire :

– Ah sì ? – ha gridato allora la zia con la sua voce stridula, e tremando dalla rabbia. – Questo sfacciato ha incominciato di prima mattinata a farmi disperare… – Ma che ho fatto, dopo tutto ? Ho spiantato la pianta di dìttamo, ma io non sapevo che gliel’avesse regalata il signor Ferdinando per la sua festa e che ora ci fosse dentro lo spirito… – Basta così ! – ha gridato la zia Bettina interrompendomi. – Vattene, e non ritornare mai più in casa mia, hai capito ? – Silenzio ! – ha aggiunto mio padre con voce severa ; ma io mi sono accorto che rideva sotto i baffi 45.

44. Vamba, Il giornalino di Gian Burrasca, p. 122. 45. Ibid., p. 54. Vingt ans après Cuore… 223

C’est que le père, en réalité, comme tous les autres membres de la famille, méprise cette vieille femme célibataire. On est évidemment bien loin de la cohérence de fer du père d’Enrico Bottini. Mais comment Giannino pourrait-il prendre exemple sur les anti- modèles qui l’entourent ? Ses sœurs, vaines et cruelles, se moquent de leurs prétendants et de leur vieille tante. Ses beaux-frères sont au mieux des charlatans malhonnêtes (l’avocat Maralli trouve normal de suggérer le mensonge à ses témoins et on a vu le charlatanisme de Collalto), et au pire cupides et arrivistes. Ses parents lui font porter la faute de tout, en toutes circonstances, et ne réprimandent jamais ses sœurs, ce qui le conforte dans l’idée qu’il se fait de leur injustice et le prive du sens de la mesure qu’il faudrait pourtant lui enseigner. Ce qui se produit à la pension semble confirmer cette analyse. Pour la première fois, on reconnaît ses qualités. En effet, quand il se trouve confronté à des adultes qui le jettent au cachot pour lui faire dénoncer ses camarades, il refuse de livrer leurs noms, faisant preuve de loyauté et de courage, des qualités qu’il n’a jamais constatées chez les adultes de sa famille. Or il est félicité, par des camarades plus grands que lui, pour ces qualités :

Per me è un piacere di sentirmi così stimato dai ragazzi più grandi, e di godere tutta la loro fiducia, mentre gli altri ragazzetti della mia classe non son considerati nulla e non li guardano neppure 46.

Pourquoi Gian Burrasca, arrivé au collège, semble-t-il atteindre une certaine maturité grâce à la solidarité enfantine qu’il ne retrouve pas lorsqu’il retourne dans sa famille ? Parce que ce qui lui manque, dans sa famille, c’est la reconnaissance de certaines de ses qualités, qu’il a en revanche trouvée chez ses pairs, dans cette union sacrée des enfants contre ces adultes objec- tivement odieux et maltraitants que sont le directeur et la directrice de la pension. On le voit dans cette phrase, écrite au moment où il quitte le collège :

– Eccoti di ritorno, – disse – ma è un cattivo ritorno. E ormai per te non c’è che la Casa dì correzione. Te lo avverto fin d’ora. – Queste parole mi spaventarono ; ma la paura mi passò subito perché di lì a poco ero nelle braccia della mamma e di Ada, piangente e felice. Non dimenticherò mai quel momento : e se i babbi sapessero quanto bene fa all’anima dei figlioli il trattarli così affettuosamente piangerebbero anche loro con essi quando c’è l’occasione di farlo, invece di darsi sempre l’aria di tiranni, ché tanto non giova a niente 47.

46. Ibid., p. 204. 47. Ibid., p. 258. 224 Elsa Chaarani Lesourd

Il est clair que Giannino désire que sa famille valorise les qualités qu’il sait avoir, mais ce ne sera jamais le cas, car ses proches l’ont définitivement enfermé dans le schéma du voyou irrécupérable. Or sa qualité principale, c’est cette sincérité, naïve et fourbe à la fois, dont il n’a cessé de faire preuve afin de démasquer les hypocrisies de ses sœurs, de ses beaux-frères, de ses parents. On le voit dans cette scène qui se déroule au cimetière le jour des défunts : – Ecco la cappella della famiglia Rossi della quale discorre tanto la Bice… – Che lusso ! – ha osservato la mamma – quanto costerà ? – Tre o quattromila lire di certo ! – ha risposto il babbo. – Farebbero meglio a pagare i debiti che hanno !… – ha detto l’Ada. […] Io non ne potevo più, e mi son messo a ridere come un matto. – Che c’è da ridere ? – C’è che questa cosa di farsi fare, quando uno è vivo, la casa per quando sarà morto, mi pare dimolto buffa, ecco !… – Eh ! – ha detto il babbo – sotto un certo punto di vista, infatti, è una vanità come tante altre… 48 Ce passage est intéressant car c’est la seule et unique fois que la franchise enfantine de Giannino est approuvée par son père, mais la leçon de morale de l’enfant envers les adultes ne s’arrête pas là et finit par fâcher le père. Giannino, ennuyé par les conversations des adultes, se met à jouer dans le cimetière et est réprimandé par son père : A un tratto mi son sentito pigliar per il goletto. Era il babbo tutto infuriato perché, a quanto pare, mi cercava da un pezzo con la mamma e l’Ada. – Proprio non e’ è nulla di sacro per te ! – mi ha detto con voce severa. […] – Vergogna ! – ha soggiunto Ada dandosi una grande aria di superiorità – mettersi a fare il chiasso in Camposanto !… – Allora io mi son ribellato e le ho detto : – Ho fatto il chiasso con Carluccio e Renzo perché son piccino e voglio bene ai miei amici anche nel Camposanto, mentre invece ci sono le ragazze grandi che vengono qui a dir male delle loro amiche !… Il babbo ha fatto una mossa come per picchiarmi […] 49 Ici c’est l’insouciance, puis les paroles de l’enfant qui rappellent aux adultes qu’ils sont dans un cimetière le jour des défunts et qu’ils devraient se recueillir au lieu de dire du mal de leurs amis. Ainsi la perspective de Cuore, lorsque la mère d’Enrico écrit à son fils dans les mêmes circonstances, est-

48. Vamba, Il giornalino di Gian Burrasca, p. 80-81. 49. Ibid. Vingt ans après Cuore… 225 elle joliment renversée : à la mère qui explique à son fils Enrico pourquoi il convient de se souvenir des défunts, correspond Giannino qui rappelle à ses parents que leur attitude n’est pas très digne en un tel lieu et en un tel jour. Enfin, la vision de l’école idéalisée de Cuore, avec des instituteurs pas- sionnés par leur métier mais dont on souligne les difficultés sociales et matérielles, a fait place à une satire féroce des éducateurs rémunérés de Gian Burrasca. Du professeur surnommé Muscolo à cause de son tic de langage et selon la meilleure tradition potache, au sinistre couple de directeurs de la pension, physiquement grotesques et moralement mesquins, le monde des enseignants n’est guère à son avantage. L’école n’est nullement le lieu de formation qu’il représente dans Cuore. Du reste, Giannino est présenté comme un enfant qui sait déjà beaucoup de choses : il évoque Manzoni, auquel il préfère Salgari, Pellico, Robinson Crusoé, fait une allusion au Barbier de Séville et une autre à Pinocchio 50, et il connaît l’histoire du Risor- gimento, puisqu’il sait la date de la prise de Rome et connaît « Radeschi » 51. Et le surnom donné au directeur Stanislao, Calpurnio, par les conjurés de la pension, requiert une connaissance raffinée de l’histoire romaine puisqu’il s’agit d’un personnage romain qui s’appelle Calpurnio Bestia, de sorte qu’en l’appelant Calpurnio, les jeunes conjurés savent qu’ils le traitent de bestia, surnom inventé lui aussi dans la meilleure tradition goliardica ! L’école n’a d’intérêt que pour la forte solidarité entre les enfants, faite de loyauté, de courage et de nobles sentiments, et Giannino a raison de se comparer aux héros patriotes du Risorgimento, même si le ton fortement parodique employé par Vamba a incontestablement pour but de faire rire le lecteur. Car contrairement à ce qui se produit dans sa famille, en pension Giannino n’est pas isolé, mais soudé avec ses camarades, dans une révolte contre les adultes d’où les enfants sortiront sinon réellement, du moins moralement vainqueurs.

Conclusion Quel but Vamba poursuit-il donc en écrivant ce roman insolent ? Pourquoi semble-t-il contredire le roman de De Amicis jusque dans ses détails ? Que

50. Allusion à Pinocchio : « Ma nessuno si piglia mai pensiero di indagare i dolori che si nascon- dono nell’anima dei ragazzi, come se fossimo dei pezzi di legno » (ibid., p. 60). Allusion au Barbiee di Siviglia : « Giannino qua ! Giannino là ! Giannino su ! Giannino giù ! Non riparavo a contentar tutti » (ibid., p. 57). 51. Le général Radetzky, originaire de Bohême, fut chargé du rétablissement de l’ordre en Lombardie après la révolution de 1848. Il fut connu pour son intransigeance et sa dureté envers les patriotes italiens, c’est pourquoi Giannino le cite parmi les « tyrans » (ibid., p. 186). 226 Elsa Chaarani Lesourd peut-on en déduire sur l’idée que se faisait Vamba du célèbre roman pour la jeunesse ? Incontestablement, le but de l’opération est d’aider le jeune lecteur à se faire une idée des bassesses des adultes, et d’atteindre les lecteurs adultes éventuels, dont Vamba souhaite qu’ils prennent la mesure de leurs manquements et de leurs faiblesses à travers la satire féroce de cette société bourgeoise engoncée dans ses mesquineries et ses calculs cupides. Le pro- blème, en d’autres termes, n’est pas Gian Burrasca, mais la société dans laquelle il évolue et dont il découvre, non sans une fourbe ingénuité mais avec toute l’estraneità d’un enfant, les trop nombreuses incohérences et faiblesses. Vingt ans après Cuore, la société italienne a bien changé, et la bourgeoi- sie italienne a eu tôt fait de s’installer dans une routine parlementaire faite de corruption et de compromissions, et de jeter aux oubliettes les idéaux du Risorgimento. L’éducation sévère mais juste, les beaux sentiments envers les pauvres, le respect réciproque entre les générations qui se dessinent dans Cuore, tout cela a disparu, pour laisser place au mépris des riches pour les paysans, à l’opportunisme d’une classe dirigeante corrompue et à une éducation des futurs citoyens dangereuse parce qu’incohérente et fondée sur l’importance de l’apparence, de l’avoir, et non de l’être. Les adultes du roman sont peu respectables et donc, peu respectés par les enfants encore sincères, les beaux sentiments ont fait place à la méchanceté et aux pulsions sadiques d’un Gian Burrasca qui n’est en cela que le reflet enfantin de ce qu’il constate autour de lui. Il est évident que Vamba partageait les idéaux de De Amicis, car la pra- tique du détournement parodique ne doit pas être perçue unilatéralement comme la dérision d’un maître, mais peut très bien consister aussi en un coup de chapeau quelque peu insolent à celui-ci. Il nous semble que c’est le cas de Vamba, qui certainement admirait De Amicis, et son roman nous paraît plutôt représenter une tentative de dialogue avec son prédécesseur. Profondément déçu par la société italienne telle qu’elle a évolué, Vamba avait perdu toute confiance dans les adultes et préférait se tourner vers les jeunes générations pour leur enseigner l’esprit critique, la vivacité, le courage et la loyauté dont fait preuve son jeune héros contradictoire.

Elsa Chaarani Lesourd Université de Lorraine (Nancy) SULLA CONDIZIONE DEL POETA NELL’ETÀ MODERNA Note in margine ad alcune riflessioni intorno alla vita di Torquato Tasso contenute nello Zibaldone

Riassunto : Il saggio intende dimostrare come la predilezione di Leopardi per Tasso sia dovuta non soltanto a una vicinanza sentimentale e biografica o a un’affinità estetico- linguistica che si palesa nella preferenza del Recanatese per le prose tassiane – tutti elementi già ampiamente messi in luce dalla critica – , ma anche, anzi soprattutto, alla progressiva consapevolezza di Leopardi di poter trovare nel Sorrentino un modello esemplare di poeta della modernità, cioè di artista che a causa della sua particolare sensibilità viene drammaticamente accecato dalla rivelazione di una realtà priva di senso che nulla concede a colui che osa sfidarla con il suo sguardo, se non un’infinita e irrimediabile infelicità.

Résumé : Cette étude veut montrer comment la prédilection de Leopardi pour le Tasse soit due non seulement à une proximité sentimentale et biographique ou à une affinité esthétique et linguistique qui se manifeste dans la préférence du poète de Recanati pour les proses tassiennes – des éléments qui ont déjà été largement mis en évidence par la critique – , mais aussi, et surtout, à la progressive prise de conscience de sa part de pouvoir trouver dans le Tasse un modèle exemplaire de poète de la modernité, c’est- à-dire d’artiste qui, à cause de sa sensibilité particulière, est dramatiquement aveuglé par la révélation d’une réalité privée de sens, qui n’accorde à celui qui ose la défier de son regard rien d’autre qu’une infélicité infinie et irrémédiable.

Chiunque conosce intimamente il Tasso, se non riporrà lo scrittore o il poeta fra i sommi, porrà certissimamente l’uomo fra i primi, e forse nel primo luogo del suo tempo 1.

1. Tutti i brani dello Zibaldone inseriti in questo saggio sono tratti da : G. Leopardi, Zibaldone, R. Damiani (edizione commentata e revisione del testo critico a cura di), Milano, Monda- dori, 4a ed., 2011, 3 voll. Per brevità, la forma citazionale comprenderà il titolo dell’opera, il numero identificativo delle pagine dell’autografo, il volume e le pagine di riferimento dell’edizione mondadoriana, infine, ove reperibile, la data dello scritto ; in questo caso : Zibaldone, 462, vol. I, p. 404, 28 dicembre 1820.

Transalpina, no 20, 2017, Edmondo De Amicis. Littérature et société, p. 227-242 228 Luca Bani

Introduzione

L’autore che forse più di tutti è assurto ad emblema del disagio del poeta e del problema del ruolo e dello statuto della poesia nel mondo moderno, ossia successivo alla Rivoluzione francese, è sicuramente Charles Baudelaire. Nelle sue osservazioni teoriche e, soprattutto, nelle sue liriche, Baudelaire ha istituzionalizzato e reso universale ciò che già da alcuni decenni si andava profilando nel mondo della letteratura in generale e della poesia in particolare : l’equazione tra modernità e malinconia 2, diretta conseguenza del lento ma inesorabile processo che nel corso dell’Ottocento e poi, pienamente realizzato, nel Novecento ha portato a quella che Jean- Claude Mathieu ha definito :

Frammentazione del multiplo, abbandono, assenza, altrettante forme di una coscienza infelice, che la scrittura poetica non sublima, ma al contrario esibisce. Solo attraverso questo male e questa infelicità egli [il poeta, n.d.r.] può cogliere il presente e la modernità 3.

Una sentenza senza possibilità di appello, questa di Mathieu, che nella sua feroce icasticità non lascia adito a dubbi su quale sia la con- dizione dell’uomo moderno : la scissione dell’io, come ha ipostatizzato Freud ; la solitudine, come ha lapidariamente sancito Salvatore Quasi- modo (« Ognuno sta solo sul cuor della terra / trafitto da un raggio di sole : / ed è subito sera ») ; la morte di Dio, come ha dichiarato Nietzsche nell’aforisma 125 della Gaia scienza (« Gott ist tot ! Gott bleibt tot ! Und wir haben ihn getötet ! ») ; l’infelicità, come in tanta parte della sua opera in versi e in prosa ha protestato Leopardi. E la poesia, non più celebrazione della grandezza della natura e della bellezza del creato, pur eternamente insidiate dalla scelleratezza degli uomini, si è trasformata nella modernità in un lucido grido di dolore per l’innocenza perduta e per la crudezza e la brutalità di un vivere non più eludibili dietro infingimenti retorici e fantasie mitologiche ; mentre al poeta ‘sacerdote’ di Baudelaire e dei sim- bolisti non resta altro che celebrare funzioni di morte, perché, tornando alle ultime parole di Mathieu, il presente, la modernità e l’esistenza stessa sono il male.

2. Cf. G. Cacciavillani, Baudelaire : la poesia del male, Roma, Donzelli, 2003, p. 10. 3. La citazione, desunta da ibid., è tradotta da J.-C. Mathieu, Les Fleurs du mal de Baudelaire, Paris, Hachette, 1972. Sulla condizione del poeta nell’età moderna… 229

Leopardi e la ‘scoperta’ di Tasso

Se i poeti della modernità certificano la miseria della condizione umana in un determinato periodo storico, Leopardi scopre, nel suo travagliato percorso esistenziale e artistico, che la noia, l’infelicità e quindi anche la sofferenza che da esse consegue non possono essere rinchiuse entro limiti cronologici specifici – la lettura di Teofrasto è del 1820 –, ma hanno un’estensione diacronica e un’ampiezza sincronica che le rendono consu- stanziali all’esistenza dell’uomo, in qualsiasi periodo essa venga a realizzarsi. Leopardi scopre anche di non essere solo, almeno per quanto riguarda la consapevolezza di questa situazione, ma di poterla condividere con altre anime che per la loro sensibilità maggiormente hanno capito e sofferto le insanabili contraddizioni dell’esistere, e a tale riguardo Torquato Tasso può, a buon motivo, essere considerato un degno compagno di viaggio. Dell’interesse di Leopardi per Tasso e dell’influenza che quest’ul- timo ha avuto sul pensiero e sull’opera del primo molto è già stato studiato e scritto. Per ricordare solo i contributi più recenti, basterà citare gli approfonditi lavori di Paola Italia sull’officina poetica delle can- zoni leopardiane, per le quali sicuri sono i riscontri intertestuali con le opere di Tasso 4, ma molti altri potrebbero essere i riferimenti 5, frutto,

4. Si veda ad esempio il saggio « Tasso nelle Annotazioni leopardiane », in Sul Tasso. Miscel- lanea di studi in onore di L. Poma, F. Gavazzeni e M. Maddalena Lombardi (a cura di), Padova, Antenore, 2003, p. 279-307, nel quale Italia si esercita sulle riprese linguistiche che Leopardi ricava da Tasso nelle Annotazioni pubblicate per la prima volta nel 1824 insieme all’edizione bolognese delle Canzoni. Le Annotazioni, sostiene l’Autrice, sono un « […] vero e proprio testo autonomo dove Leopardi sperimenta direttamente le risorse teoriche e stilistiche della sua prosa e nel quale ritroviamo la rete di riferimenti letterari che presiede alla nascita della sua poesia » (p. 292) e quindi sono una « carta geografica che nasconde, nelle note vergate con grafia minuta e fittissima, la topografia delle letture e dei percorsi intellettuali leopardiani nel biennio 1822-1823 » (p. 296). Più ampio e articolato il volume Il metodo Leopardi. Varianti e stile nella formazione delle canzoni, Roma, Carocci, 2016, nel quale Italia approfondisce l’identificazione delle fonti linguistiche utilizzate da Leopardi per la redazione delle sue canzoni e documenta definitivamente come modello prevalente di stile eloquente l’Apologia di Tasso, il più innovativo esempio di lingua poetica non canonica che, infatti, venne rigettato ed escluso dalla Crusca. 5. Una breve rassegna che può aiutare a capire la vastità delle possibili ‘intersezioni’ tra Leopardi e Tasso : R. Scrivano, « Leopardi e Tasso », in Leopardi e la letteratura italiana dal Duecento al Seicento (Atti del IV Convegno internazionale di studi leopardiani, Recanati, 13-16 settembre 1976), Firenze, Olschki, 1978, p. 291-337 (contributo che può servire da inquadramento generale) ; L. Press, « Leopardi’s Tasso : an elective affinity », Journal of the Institute of Romance Studies, n° 5, 1997, p. 1-10 (il punto di interesse di questo saggio è che giustifica l’obiettiva ammirazione di Leopardi per Tasso, sentito come spirito affine, anche con motivi storici, oltre che biografici, identificati nel clima politico reazionario – dalla Controriforma alla Restaurazione – in cui si trovarono a vivere i due poeti, riprendendo peraltro quanto già sostenuto da S. Timpanaro, Sul materialismo, Pisa, Nistri-Lischi, 1970, che a p. 29 inquadrava il rapporto tra Leopardi e Tasso « con certe analogie tra l’ambiente 230 Luca Bani tra l’altro, di una tradizione esegetica che affonda le sue radici nel tardo Ottocento 6. Proprio da una considerazione di Italia, e allargando poi il commento ad altri due interventi – uno di Claudio Pavone e l’altro di Guido Baldassarri – , si possono far partire alcune riflessioni sulle connessioni tra Leopardi e Tasso. Scrive Italia :

Il rapporto di Leopardi con Tasso, infatti, si istituisce subito su un piano di proiezione biografica in modo diverso e molto più intenso di quanto non accada con altri poeti (Alfieri, tanto per far un esempio), non solo sul piano dell’esperienza personale – che è causa della scarsa valutazione della poesia tassiana, troppo intrisa di « sentimentale » – ma anche su quello, più impegnativo e a Leopardi assolutamente congeniale, del teorico della propria poesia, dotato di una prosa sommamente « eloquente » a cui era stato spinto sin dal novembre 1817 dal Giordani 7.

Per Italia è dunque naturale che il primo rapporto di Leopardi con Tasso fosse una ricerca « tutta orientata linguisticamente » 8, perché il gio- vane poeta doveva difendere la novità della propria lingua poetica e per fare ciò il riferimento non poteva che essere quella non canonica di Tasso 9. Per quanto riguarda le sollecitazioni di Giordani, numerose e ben note sono le testimonianze epistolari che le documentano. Si vedano, a tal

della Controriforma e l’ambiente della Restaurazione […] con affinità di cagionevole salute e di indole melanconica fra il Tasso e il Leopardi, che portano l’uno e l’altro a scorgere […] certi aspetti dolorosi della “condizione umana” ») ; G. Günter, « “Di te mi dolse il duol…”. Leopardi im Dialog mit Petrarca und Tasso », Italienische Studien, n° 21, 2000, p. 65-80 (contributo che segue il filo delle note riservate a Petrarca e Tasso nello Zibaldone per arrivare a determinare il percorso critico che formò il giudizio di Leopardi sui due autori) ; P. Pelosi, « Leonora-Sogno-Lontano. Spunti dalla XI Operetta morale di Leopardi », Riscontri, n° 1-2, 2000, p. 9-32 (ovviamente sul Dialogo di Torquato Tasso e del suo Genio familiare) ; G. Natali, « Allusioni tassiane nei canti di Leopardi », La Cultura, fasc. 3, dicembre 2002, p. 423-442 ; A. Del Gatto, « Il Tasso rivoluzionario. Note intertestuali sul Dialogo di Torquato Tasso e del suo Genio familiare », Italies, n° 7, 2003, p. 115-135, ancora sull’operetta morale, sulla quale si sofferma anche A. Camiciottoli, « Un sogno platonico : lo strano caso di Torquato Tasso e del suo Genio familiare », La Rassegna della Letteratura Italiana, n° 1, 2011, p. 50-69. 6. A questo proposito, e anche per dare completezza alla rassegna precedente, si vedano le bibliografie contenute nelle note 1, 2 e 3 del saggio di F. Pavone, « “Un uomo degno del nome di poeta”. Giacomo Leopardi critico di Torquato Tasso », Rassegna Europea della Letteratura Italiana, n° 40, 2012, p. 57 ; e nelle note 2, 3 e 4 del saggio di G. Baldassarri, « Persistenza e limiti di un alter ego. Leopardi e Tasso », in Leopardi e il ‘500, P. Italia (a cura di), S. Carrai (prefazione di), Ospedaletto (Pisa), Pacini, 2010, p. 97-112. 7. P. Italia, Tasso nelle Annotazioni leopardiane, p. 296. 8. Ibid., p. 298. 9. Cf. ibid., p. 298-299. Sulla condizione del poeta nell’età moderna… 231 proposito, solo alcune delle responsive di Leopardi alle esortazioni dello scrittore piacentino :

Poco prima di ricevere le vostre ultime, avea cominciato a leggere il Tasso, e il vostro consiglio intorno alle prose che vanno lette, m’è arrivato oppor- tunissimo, perché già quelle sue scolasticherie e sofisticherie mi facevano dare indietro. Ve ne ringrazio e me ne servirò.

E anche :

Vorrei che mi diceste se del Tasso van letti i discorsi del poema eroico che hanno messi nella raccolta de’ Classici italiani 10.

L’importanza per Leopardi delle letture tassiane consigliategli da Giordani è confermata anche da Baldassarri, che nel suo saggio punta con forza a ritrovare le tracce di queste letture, perché esse possono poi dar ragione delle tante e tematicamente variegate pagine dedicate al Sorrentino nello Zibaldone – opera che, per sua natura « […] si presenta […] come una sorta di registro dei gusti e dei pensieri del poeta » 11 – e soprattutto perché possono far meglio intendere « l’approdo del Tasso personaggio, o del Tasso autore e modello, alle scritture “originali”, prosa e poesia, di Leopardi » 12. E l’attenzione di quest’ultimo per Tasso si protrae per tutto l’arco della sua vita, e proprio nello Zibaldone 13 assume dapprima le forme

10. Lettere del 21 novembre e del 22 dicembre 1817, in G. Leopardi, Lettere, R. Damiani (a cura e con un saggio introduttivo di), Milano, Mondadori, 2006, rispettivamente a p. 111 e p. 118. In una nota alla prima lettera in ibid., p. 1167 si legge che « Il consiglio di leggere Tasso, e in particolare le sue lettere, gli era giunto in opportuna concomitanza con quanto stava facendo. Insieme al Tasso, leggeva Demostene, Cicerone e Segneri » ; a tal proposito cf. anche R. Damiani, All’apparir del vero. Vita di Giacomo Leopardi, Milano, Mondadori, 2002, p. 97. Per quanto riguarda la seconda lettera, in una nota a p. 1169 dell’edizione mondadoriana Damiani chiarisce che « Risponde all’invito a leggere il Tasso prosatore (chiede al riguardo un parere sui Discorsi del poema eroico) […] poiché in queste il suo stile è “maraviglioso”, mentre “nelle morali è pazzo”, gli aveva suggerito Giordani ». 11. F. Pavone, « “Un uomo degno del nome di poeta”. Giacomo Leopardi critico di Torquato Tasso », p. 59. 12. Cf. G. Baldassarri, « Persistenza e limiti di un alter ego. Leopardi e Tasso », p. 99. I primi testi leopardiani nei quali Baldassarri rintraccia riferimenti tassiani sono il Saggio sopra gli errori popolari degli antichi, l’Appressamento della morte, l’Erminia, il Discorso di un italiano intorno alla poesia romantica, l’Elogio degli uccelli e il Filippo Ottonieri. 13. Ma non solo nello Zibaldone, perché anche nell’epistolario sono rintracciabili testimonianze corpose del persistente interesse di Leopardi per Tasso e della sempre più percepita vicinanza ‘esistenziale’ che il Recanatese sente per l’autore della Gerusalemme. Celeberrima è la lettera da Roma al fratello Carlo del 20 febbraio 1823 : « Venerdì 15 febbraio 1823 fui a visitare il sepolcro del Tasso e ci piansi. Questo è il primo e l’unico piacere che ho provato in Roma. La strada per andarvi è lunga, e non si va a quel luogo se non per vedere questo sepolcro ; ma non si potrebbe anche venire dall’America per gustare il piacere delle lagrime lo spazio 232 Luca Bani di un esercizio critico che arriva a sancire, come suggerito da Italia nella citazione già riportata, la prevalenza della prosa sulla poesia tassiane, sulla scorta di una sensibilità linguistica che Leopardi andava mutuando proprio dal Giordani, e poi le forme di un esercizio storico-letterario, come quello rintracciabile nelle lunghe notazioni sull’epica che Leopardi stende sempre nello Zibaldone tra il 5 e l’11 agosto del 1823 e nelle quali parte dall’analisi di quella omerica, dall’Iliade, per arriva sino a quella tassiana e oltre, ma mantenendo sempre la Gerusalemme liberata al centro del suo discorso, sino ad attribuirle il ruolo di « poema nazionale » 14.

di due minuti ? È pur certissimo che le immense spese che qui vedo fare non per altro che per proccurarsi uno o un altro piacere, sono tutte quante gettate all’aria, perché in luogo del piacere non s’ottiene altro che noia. Molti provano un sentimento d’indignazione vedendo il cenere del Tasso, coperto e indicato non da altro che da una pietra larga e lunga circa un palmo e mezzo, e posta in un cantoncino d’una chiesuccia. Io non vorrei in nessun modo trovar questo cenere sotto un mausoleo. Tu comprendi la gran folla di affetti che nasce dal considerare il contrasto fra la grandezza del Tasso e l’umiltà della sua sepoltura. Ma tu non puoi avere idea d’un altro contrasto cioè di quello che prova un occhio avvezzo all’infinita magnificenza e vastità de’ monumenti romani, paragonandoli alla piccolezza nudità di questo sepolcro. Si sente una trista e fremebonda consolazione pensando che questa povertà è sufficiente ad interessar e animar la posterità, laddove i superbissimi mausolei, che Roma racchiude, si osservano con perfetta indifferenza per la persona a cui furono innalzati, della quale o non si domanda neppur il nome, o si domanda non come nome della persona ma del monumento. Vicino al sepolcro del Tasso è quello del poeta Guidi, che volle giacere prope magnos Torquati cineres, come dice l’iscrizione. Fece molto male. Non mi restò per lui nemmeno un sospiro. Appena soffrii di guardare il suo monumento temendo di soffocare le sensazioni che avevo provate alla tomba del Tasso. Anche la strada che conduce a quel luogo prepara lo spirito alle impressioni del sentimento. È tutta costeggiata di case destinate alle manifatture, e risuona dello strepito de’ telai e d’altri tali istrumenti, e del canto delle donne e degli operai occupati al lavoro. In una città oziosa, dissipata, senza metodo, come sono le capitali, è pur bello il considerare l’immagine della vita raccolta, ordinata e occupata in professioni utili. Anche le fisionomie e le maniere della gente che s’incontra per quella via, hanno un non so che di più semplice e di più umano che quelle degli altri ; e dimostrano i costumi e il carattere di persone, la cui vita si fonda sul vero e non sul falso, cioè che vivono di travaglio e non d’intrigo, d’impostura e d’inganno, come la massima parte di questa popolazione. Lo spazio mi manca : t’abbraccio. Addio addio », in Giacomo Leopardi, Lettere, p. 390-391. Come viene specificato nella nota in ibid., p. 1283- 1284 : « Il precedente venerdì era andato a visitare il sepolcro del Tasso nella cappella della chiesa di Sant’Onofrio, non ancora ricoperta dai marmi che vi avrebbe apposto Pio IX, e aveva pianto, non solo per i suoi sentimenti verso quel poeta grande, ma forse anche perché si era abituato da tempo a vedere nella sua storia qualcosa che lo riguardava. E in uno degli ultimi progetti napoletani, poco prima di morire, avrebbe concepito una lirica in cui Tasso trentacinquenne, a un’età come la sua, ragionava del proprio passato e futuro. Con Carlo vuole condividere, in un momento solenne dell’epistolario, la commozione di quel pellegrinaggio a una povera tomba dove, a differenza dei maestosi edifici romani, era custodita l’immagine di una grandezza che si accontentava del poco ». 14. Cf. G. Baldassarri, « Persistenza e limiti di un alter ego. Leopardi e Tasso », p. 99 e Fabio Pavone, « “Un uomo degno del nome di poeta”. Giacomo Leopardi critico di Torquato Tasso », p. 68. Sulla condizione del poeta nell’età moderna… 233

Secondo Baldassarri, Leopardi amava particolarmente il Tasso pro- satore, preferendolo al poeta 15, perché in quest’ultimo vedeva il maestro di una eloquenza « autobiografica » 16, rintracciabile massimamente nelle lettere e nelle scritture apologetiche. Ma soprattutto, quello che Leopardi scopriva pian piano nella sua ricognizione sistematica delle opere tassiane, quello che sempre più, attraverso la lettura di queste opere, diventava per lui l’esemplificazione più alta della condizione di assoluta infelicità, era un uomo :

[…] con i suoi « accidenti », con il suo « entusiasmo » e con la sua « Pratica delle dottrine più illusorie », come recita una pagina del dicembre 1825, nel contesto di un più generale paradosso sulla natura « antifilosofica » dei « grandi filosofi ». Che resta (al di là di ogni ipotesi più grezza di proie- zione autobiografica, anche in questo caso, del Leopardi) considerazione significativa dei modi dell’approccio leopardiano, nelloZibaldone e non solo, alla figura del Tasso, modello ed esempio ricorrente e per così dire confermativo (nel nome evidentemente di una interpretazione se non di una koiné assestata) di linee di riflessione e di pensiero che intrattengono rapporti strettissimi con i princìpi cardine della « filosofia » leopardiana : e che nel loro insieme configurano una tappa di singolare rilevanza nella storia della « fortuna » e della ricezione moderna del Tasso 17.

Due sono gli elementi ricavabili da questa citazione. Il primo : la pre- dilezione di Leopardi per Tasso non può essere ridotta a pura proiezione biografica ; esiste, e non si può negare leggendo alcuni passi decisivi dello Zibaldone o delle lettere – come quella al fratello Carlo riportata alla nota 13 – , una sorta di vicinanza « elettiva » sentita dal Recanatese per il Sorrentino, ma questa vicinanza deve essere inquadrata nella più ampia identificazione nella figura del Tasso di un modello « umano » che ben corrispondeva ai dettami della filosofia che Leopardi andava elaborando relativamente alla condizione dell’uomo nell’universo, al senso e allo scopo del suo esistere. Il secondo : il risultato di questa scoperta o, se si vuole, di questo riconoscimento, è l’innalzamento di Tasso ad emblema dello status e del ruolo del poeta non solo nella modernità, ma nella dimensione più larga

15. Così anche Pavone : « Inizia a prender corpo un concetto : la prosa, in Tasso, è superiore alla poesia. Il primato, a distanza di qualche anno continua ad essere assegnato alla prima, portatrice della componente autobiografica », ibid., p. 65. 16. Ibid., p. 64 : « Tasso è, dopo Petrarca, l’unico letterato italiano che può essere definito tale. La levatura di un poeta e della sua produzione è accresciuta dall’esperienza personale di vita, nel momento in cui essa costituisce il tema delle sue opere, e certamente un’esperienza travagliata lo rende maggiormente sensibile rispetto al mondo circostante ». 17. G. Baldassarri, « Persistenza e limiti di un alter ego. Leopardi e Tasso », p. 105. 234 Luca Bani della storia umana – pur mantenendo ferma la convinzione che gli antichi si collocassero in un mondo e in un rapporto con esso non più riproponibili nella situazione di crisi dell’uomo moderno – e la conseguente creazione di una linea di tradizione di cui Leopardi si sente l’ultimo rappresentante. Che poi la particolare condizione esistenziale di Tasso gli impedisca di poter essere considerato il primo poeta d’Italia, ma solo al di sotto dei tre grandi, questo poco importa, perché se è vero che l’infelicità è nemica della perfezione 18, pur rimanendo una circostanza non ostativa per il genio, è altrettanto vero che è proprio l’infelicità a rendere ‘moderno’ e quindi più attuale un poeta :

Ne emerge un giudizio articolato sull’uomo e sul poeta, certo soggetto a variazioni nel tempo, ma costante diciamo così sul piano della composizione di un pur sommario canone dei vertici della tradizione letteraria italiana, dove al Tasso (proprio in virtù della sua « infelicità ») spetta un ruolo minore rispetto ai tre « grandi ». In questa prospettiva, dove una volta di più il giudizio critico è il portato di una riflessione leopardiana di taglio assai più generale e « filosofico », il Tasso non solo diviene icona ricorrente delle « sfortune dell’ingegno » nella modernità, ma partecipa a pieno titolo dei « difetti » dei poeti del Cinquecento a fronte dei prosatori della stessa età 19.

Tutto ciò non vieta a Leopardi di concedere a Tasso un posto di assoluta preminenza nelle sue due Crestomazie 20, e in particolare di inserire in quella

18. Ancora sull’infelicità e sul modo con il quale essa condiziona il posizionamento di Tasso nel canone dei poeti italiani, si veda un brano dedicato a questo tema nella lettera di Leopardi a Giulio Perticari, scritta da Recanati il 9 aprile 1821 : « Conte mio, fu detto con verità che quegli che non è stato infelice non sa nulla ; ma è parimenti vero che l’infelice non può nulla : e non per altro io credo che il Tasso sieda piuttosto sotto che a fianco de’ tre sommi nostri poeti, se non perch’egli fu sempre infelicissimo », in G. Leopardi, Lettere, p. 307-309, 307. Su questa lettera Cf. anche F. Pavone, « “Un uomo degno del nome di poeta”. Giacomo Leopardi critico di Torquato Tasso », p. 62, per il quale : « Il giudizio critico sull’opera è subordinato al dato biografico. Leopardi è, in questo senso, molto vicino alcliché ottocen- tesco della critica tassiana, che tendeva a ridurre il valore artistico del poeta, prendendo a pretesto l’anomalia biografica ». In sostanza, sostiene Pavone, Leopardi riserva a Tasso lo stesso trattamento che il suo secolo riserverà a lui, e sul quale polemizzerà ampiamente, ad esempio, nel Dialogo di Tristano e di un amico. 19. G. Baldassarri, « Persistenza e limiti di un alter ego. Leopardi e Tasso », p. 101-102. 20. Questo l’elenco dei brani tratti dalle opere in prosa e in poesia di Tasso inseriti da Leopardi nelle sue antologie : – Crestomazia italiana cioè scelta di luoghi insigni o per sentimento o per locuzione raccolti dagli scritti italiani in prosa di autori eccellenti d’ogni secolo, G. Leopardi (per cura del conte), Milano, per Ant. Fort. Stella e figli, 1827, 2 voll. Vol. I : nella sezione Definizioni e distinzioni brano di Tasso relativo alle Differenze dall’adulatore all’amico tratto dal Dialogo dell’amicizia (p. 218-220) ; nella sezione Lettere quelle Ad Antonio Costantini, A Fabio Gonzaga e A Giulio Segni (p. 281-284) ; nella sezione Discorsi dimostrativi il brano dedicato all’Ozio dell’Orazione fatta nell’aprirsi dell’Accademia ferrarese (p. 307-309) ; nella Sulla condizione del poeta nell’età moderna… 235 dedicata alla prosa testi che trattano temi importanti per le osservazioni leopardiane sulla noia, sul dolore, sulla solitudine e sulla condizione umana : tutti temi sui quali la prosa di Tasso è insuperabile perché trovano origine nel vissuto del poeta, nel suo scontro quotidiano con il mondo circostante e in ciò che questo scontro gli fa maturare interiormente 21, proprio come succede al giovane Leopardi, soprattutto a partire dal fatidico 1819 22. Il giudizio che Leopardi va maturando su Tasso è sicuramente mutevole perché soggetto, come altri elementi del pensiero leopardiano, all’evo- luzione delle vicende biografiche e al conseguente affinamento del suo pensiero 23. Ma una volta formatosi, permane e si rafforza nel Recanatese la convinzione di aver trovato nell’autore della Gerusalemme un exemplum virtutis da intendere e interpretare non più nel senso classico del sintagma, bensì inquadrandolo in una dimensione storica, la modernità, nella quale vera virtù diventa la piena e razionale consapevolezza del proprio stato di infelicità, pur nell’impossibilità ormai assodata di darle un senso.

sezione Eloquenza il brano Torquato Tasso a Scipione Gonzaga, intorno ai propri infortuni e patimenti tratto dal Discorso sopra vari accidenti della sua vita (p. 336-340) ; vol. II : nella sezione Filosofia pratica una breve citazione dal Discorso delle virtù intitolata Difficilissimo il ritrovare in un uomo solo tutte le virtù, ma impossibile il ritrovarvi tutti i vizi (p. 519) e un brano tratto dalle Lettere intitolato Qualità di alcuni uomini non virtuose, e pur lodevoli ed utili (p. 519-520) ; nella sezione Paralleli un brano intitolato Paragone dello stato di Francia di quel dell’Italia nel secolo decimosesto, in quanto alle produzioni naturali, al terreno, al sito, alla bellezza del paese (p. 629-636) e un secondo intitolato Lo stesso, in quanto agli edifizi (p. 637-640) entrambi tratti dalla Lettera nella quale paragona l’Italia e la Francia ; infine, nella sezioneFilologia un solo brano intitolato Avvertimenti proposti al poeta epico tratto dal libro secondo dei Discorsi del poema eroico (p. 690-692). – Crestomazia italiana poetica, cioè scelta di luoghi in verso italiano insigni o per sentimento o per locuzione, raccolti, e distribuiti secondo i tempi degli autori, G. Leopardi (dal conte), Milano, presso Ant. Fort. Stella e figli, 1828, 2 voll. Vol. I : le liriche Al tempo, Alla Duchessa di Ferrara, in tempo di carnevale, dalla prigione, Sopra un cagnolino, Amor che fa nido, Amore e la zanzara, Amore fuggitivo ; dalla quinta giornata del Mondo creato i Costumi degli uccelli e dalla sesta Amore degli animali verso i propri figli ; dalla Genealogia della casa Gonzaga il brano La battaglia del Taro, fra le genti di Carlo ottavo, re di Francia, e quelle dei Confederati italiani (p. 85-109). 21. Cf. F. Pavone, « “Un uomo degno del nome di poeta”. Giacomo Leopardi critico di Torquato Tasso », p. 63. 22. Cf. R. Damiani, All’apparir del vero. Vita di Giacomo Leopardi, si vedano in modo particolare i capp. Soffocato dal nulla (p. 123-128), Estate 1819 : il tentativo di fuga (p. 129-137) e Corinne, la noia e l’infinito (p. 138-143). 23. F. Pavone, « “Un uomo degno del nome di poeta”. Giacomo Leopardi critico di Torquato Tasso », p. 67 : « L’evoluzione del pensiero, e quindi delle forme poetiche che da esso derivano, è naturale ed è dovuta alla struttura stessa del genio, che riesce a mutare e ad accrescere se stesso molto velocemente ». A sostegno di questa sua affermazione, Pavone riporta poi la riflessione di Leopardi inZibaldone 1451, vol. I, p. 1037 : « Ed infatti grandissima differenza si suol trovare p. e. tra le prime e le ultime opere di un grande scrittore (sia nel genere, sia nello stile, sia nelle opinioni, sia ne’ pregi particolari o qualità ec. sia in tutte queste cose insieme), e nessuna o pochissima in quelle de’ mediocri, o degl’infimi. Paragonate il Rinaldo del Tasso, o la prima Tragedia di Metastasio o dell’Alfieri colle ultime ec. ». 236 Luca Bani

Tasso poeta moderno nello Zibaldone Per risalire all’origine e all’elaborazione della figura di Tasso poeta moderno formatasi nella mente di Leopardi, conviene ripercorrere alcune delle molte citazioni che al Sorrentino vengono riservate nello Zibaldone, privilegiando quelle che si concentrano sulla definizione della sua personalità e lasciando invece a margine quelle che ne commentano l’opera, in particolare la Gerusalemme liberata. Inoltre, ugualmente utile sarà seguire l’ordine cronologico delle citazioni, che meglio può rendere la complessità di un’immagine in formazione. Va notato, infine, che i brani prescelti hanno un andamento tematico circolare : partono da alcune considerazioni generali sulle sventure del Tasso, a causa delle quali egli risulta inferiore ai tre sommi poeti della letteratura italiana per originalità e invenzione, ma non certo per sentimenti ; proseguono con una sorta di tassonomia dei vari gradi e delle varie tipologie di dolore che un uomo può provare ; si tornano quindi a considerare i motivi per i quali un « genio » come Tasso, caratterizzato da una sensibilità maggiore rispetto a quella degli altri grandi poeti italiani, non riesca a primeggiare nella sua arte ; vi è poi una riflessione sul Tasso grande filosofo nella contemplazione, benché non predisposto alla pratica della filosofia ; infine, ancora un brano sulle « sventure » del poeta e sulle reazioni che esse provocano in chi si approccia alla sua figura. Il primo brano si apre con la definizione di poesia sentimentale – un respiro dell’anima – e con l’individuazione di ciò che ne impedisce l’espirazione dal cuore, ovverosia l’occlusione di quest’ultimo provocata da un eccesso di passione, sentimento positivo, o, al contrario da una sovrabbondanza di negatività. Quasi una diagnosi medica, quindi, che potrebbe richiamare le fisiologie stilnovistiche sulle cause dell’insorgenza dell’amore, ma che in questo caso prelude all’inquadramento di Tasso nel canone dei maggiori poeti della letteratura italiana in base alle sue vicissitudini biografiche :

Ed io credo che le continue sventure del Tasso sieno il motivo per cui egli in merito di originalità e d’invenzione restò inferiore agli altri tre sommi poeti italiani, quando il suo animo per sentimenti, affetti, grandezza, tenerezza ec. certamente gli eguagliava se non li superava, come apparisce dalle sue lettere e da altre prose. Ma quantunque chi non ha provato la sventura non sappia nulla, è certo che l’immaginaz. e anche la sensibilità malinconica non ha forza senza un’aura di prosperità, e senza un vigor d’animo che non può stare senza un crepuscolo un raggio un barlume di allegrezza 24.

24. Zibaldone, 136, vol. I, p. 167-168, 24 giugno 1820. Sulla condizione del poeta nell’età moderna… 237

Non inferiorità d’animo, quindi. Tutt’altro : una sensibilità tanto acuta da determinare una maggiore esposizione alla sofferenza e, di conseguenza, alle « sventure », ma che soprattutto rende il cuore non muto, bensì inca- pace di verbalizzare questo straripamento di sentimenti e di rendere le immagini che da essi derivano, a meno che questa sorta di ipersensibilità non sia supportata, e qui sta il problema per Tasso, da una vigoria capace di dominare e poi tradurre liricamente il sovraccarico di sensibilità. Pochi giorni dopo questa prima osservazione, ecco che Leopardi si addentra in un’appassionata analisi delle varie tipologie di dolore che possono minare l’animo umano :

Il dolore o la disperazione che nasce dalle grandi passioni e illusioni o da qualunque sventura della vita, non è paragonabile all’affogamento che nasce dalla certezza e dal sentimento vivo della nullità di tutte le cose, e della impossibilità di esser felice a questo mondo, e dalla immensità del vuoto che si sente nell’anima. Le sventure o d’immaginaz. o reali, potranno anche indurre il desiderio della morte, o anche far morire, ma quel dolore ha più della vita, anzi massimam. se proviene da immaginaz. e passione, è pieno di vita, e quest’altro dolore ch’io dico è tutto morte ; e quella medesima morte prodotta immediatamente dalle sventure è cosa più viva, laddove quest’altra è più sepolcrale, senz’azione senza movimento senza calore, e quasi senza dolore, ma piuttosto con un’oppressione smisurata e un accoramento simile a quello che deriva dalla paura degli spettri nella fanciullezza, o dal pensiero dell’inferno. Questa condizione dell’anima è l’effetto di somme sventure reali, e di una grand’anima piena una volta d’immaginaz. E poi spogliatane affatto, e anche di una vita così evidentemente nulla e monotona, che rende sensibile e palpabile la vanità delle cose, perché senza ciò la gran varietà delle illusioni che la misericordiosa natura ci mette innanzi tuttogiorno, impedisce questa fatale e sensibile evidenza. E perciò non ostante che questa condizione dell’anima sia ragionevoliss. anzi la sola ragionevole, con tutto ciò essendo contrarissima anzi la più dirittamente contraria alla natura, non si sa se non di pochi che l’abbiano provata, come del Tasso 25.

Da un lato, dunque, il dolore provocato dalla vita vista come concate- nazione di avvenimenti e, direbbe Machiavelli, di fortune alle quali l’uomo

25. Ibid., 140-141, p. 170-171, 27 giugno 1820. A proposito di questo brano, Baldassarri afferma che il Tasso qui evocato è diverso da quello del Dialogo di Torquato Tasso e del suo Genio familiare, perché in quest’ultimo il protagonista è comunque risparmiato dallo sconforto provocato dall’« arido vero » soprattutto per quanto afferma a partire da « l’esser diviso dagli uomini », Cf. G. Baldassarri, « Persistenza e limiti di un alter ego. Leopardi e Tasso », p. 97. A questo brano dello Zibaldone sono generalmente legati i versi 121-135 della canzone Ad Angelo Mai. 238 Luca Bani si assoggetta per passione ideologica o per illusione di un obiettivo da raggiungere, reale o immaginario che sia ; dall’altro, la sofferenza provocata dalla considerazione della vita in quanto tale, come dimensione priva di senso, sottoposta alla più arbitraria casualità e « ontologicamente » impedita a produrre felicità nelle sue creature. Ancora : da un lato un dolore che può anche uccidere, ma pure è vitale, in quanto provocato da un’adesione totale al meccanismo della vita ; dall’altra un dolore che, basato sulla notazione della nullità dell’esistenza, è concettualmente assimilabile alla morte, perché privo di quella fiamma che dà calore e senso anche al dolore. Da questa seconda situazione terribile e massimamente nociva per l’animo umano derivano le sventure peggiori per gli uomini, e in particolare per quelli sensibili, dotati originariamente di un’immaginazione potente che si è andata tuttavia spegnendo a causa del progressivo inaridimento provocato dalla perdita delle illusioni con le quali la « misericordiosa natura » cerca di mascherare l’evidente. Perché quest’evidenza viene ostinatamente negata, nonostante la ragione – contrapposta alla natura – la palesi diuturnamente, ed è quindi « privilegio » di pochissimi, e tra questi Tasso e Leopardi, dive- nirne consapevoli. Va notato, per inciso, come tutti gli elementi che in queste due citazioni Leopardi ha indicato come non caratteristici della personalità di Tasso – il « vigor d’animo » e « il dolore o la disperazione che nasce dalle grandi passioni e illusioni » – saranno invece attributi tipici del poeta che verrà ripetutamente nominato nell’ultimo dei brani che prenderemo in considerazione : Dante. Ed ecco allora l’identificazione del Tasso come genio, come individuo che ha la capacità e la sensibilità di vedere la realtà delle cose. Leopardi, nel passo che segue, torna soprattutto sulle conseguenze di questa condi- zione, riprendendo il tema della sovrabbondanza percettiva che paralizza la comunicazione, anestetizzando, o quasi, l’immaginazione e rendendo la lirica dei poeti che ne soffrono – tra i quali Tasso – sicuramente non all’altezza delle loro facoltà :

Questi geni straordinari, penetrano in certi misteri, in certe parti della natura così riposte, scuoprono e vedono tante cose, che la stessa copia e profondità delle loro concezioni, ne impedisce la chiarezza tanto riguardo a essi stessi, quanto al comunicarle altrui ; ne impedisce l’ordine, insomma vince le loro stesse facoltà, e non è capace, a cagione dell’eccesso, di essere determinata, circoscritta, e ridotta a frutto. La forza della loro mente soverchia la capacità della stessa mente, perché insomma la natura, e la copia delle verità esistenti, è molto maggiore della capacità e delle facoltà dell’uomo. E il troppo vedere, il troppo concepire, rende questi tali ingegni, sterili e infruttuosi ; e se scrivono, i loro scritti o sono di poco conto, ed anche aridi espressamente e poveri Sulla condizione del poeta nell’età moderna… 239

(come quelli di Ermogene) ; o certo minori assai del loro ingegno. Come quegli animali inetti alla generazione per l’eccesso della forza generativa (i muli). E la stupidità della vita è ordinariamente il carattere di tali persone, o mentre ancora son giovani, o da vecchi, come narrano che fosse detto a Pico Mirandolano. Quello che dico dell’intelletto e della filosofia, dico pure della immaginazione e delle arti che ne derivano. Esempio del Tasso, della sua pazzia, dell’essere i suoi componimenti, quantunque bellissimi, certo inferiori alla sua facoltà, ed a quegli stessi degli altri tre sommi italiani, a niuno de’ quali egli fu realmente minore. E lo stesso dico eziandio di qualunque altra facoltà e disciplina particolare 26.

L’apoteosi della meditazione leopardiana su Tasso è raggiunta nel brano che segue. Tutto il discorso sul cosa implica l’essere o il non essere filosofo e sul cosa comporta riuscire ad applicare o meno alla vita reale i dettami della filosofia mira sostanzialmente a dare risalto alla figura del Sorrentino, con un ragionamento che attraverso una procedura logica apparentemente ossimorica (è vero filosofo chi non lo è, e non lo è chi ha gli strumenti immaginativi e caratteriali per esserlo) punta ancora una volta a enfatiz- zare la contraddizione insanabile che sta al fondo della vita, privandola di senso. C’è un’evidente e sottile ironia che pervade tutto il pensiero di Leopardi, giocata sia sull’equivoco tra il significato alto e quello più comune e popolare del termine filosofo sia sul paradosso finale : lo scopo reale della vera filosofia dovrebbe essere quello di negare se stessa, insegnando ai filosofi a vivere antifilosoficamente, proposito tuttavia impedito dalle regole imposte dalla natura 27. Ma è un’ironia amara nella costatazione che i veri filosofi sono proprio coloro che riescono a vivere senza porsi domande sul significato del loro essere e dell’esistere in generale, coloro che fanno della « imperturbabile » inconsapevolezza che regola la loro quotidianità il segreto per renderla « lieta ». Tasso, invece, e gli individui sensibili e dotati di immaginazione come lui, è un filosofo teorico ma non pratico, perché della vita vede l’essenza reale, ossia il vuoto totale che la pervade, e proprio per questo non riesce a viverla, è inabile alla vita, un « inetto », come si dirà poi dei protagonisti del romanzo novecentesco :

Siccome ad esser vero e grande filosofo si richiedono i naturali doni di grande immaginativa e gran sensibilità, quindi segue che i grandi filosofi sono di natura la più antifilosofica che dar si possa quanto alla pratica e all’uso della filosofia nella loro vita, e per lo contrario le più goffe o dure,

26. Zibaldone, 1177-1179, vol. I, p. 853-854, 17 giugno 1821. 27. Nel brano, il sostantivo ‘natura’ e l’aggettivo ‘naturale’ sono ripetuti per ben sei volte. 240 Luca Bani

fredde e antifilosofiche teste sono di natura le più disposte all’esercizio pratico della filosofia. Sommo filosofo fu il Tasso pei suoi tempi quanto alla contemplazione. Ma chi meno di lui disposto per natura alla pratica della filosofia ? chi più disposto anzi alla pratica delle dottrine più illusorie, di quelle dell’entusiasmo ec. ? E infatti chi meno filosofo di lui nella pra- tica, e nell’effetto che gli accidenti della vita producevano nel suo spirito ? Viceversa chi meno filosofo in teoria che certi spensierati e imperturbabili e sempre lieti e tranquilli uomini, che pur nella pratica sono il modello e il tipo del carattere e della vita filosofica ? Veramente, siccome la natura trionfa sempre, accade generalmente che i più filosofi per teoria, sono in pratica i meno filosofi, e che i men disposti alla filosofia teorica, sono i più filosofi nell’effetto. E si potrebbe anzi dire che la mira, l’intenzione e la somma della filosofia teorica e de’ suoi precetti ec. non consiste effettivamente in altro che nel proposito di rendere la vita e il carattere di quelli che la posseggono, conforme a quello di coloro che non ne sono capaci per natura. Effetto che ella difficilmente ottiene 28.

Dalla filosofia all’infelicità che essa provoca, e da questa alla compas- sione che suscita in noi la visione di questa condizione. Nell’affiancare le figure di Dante e di Tasso, Leopardi torna, in modo definitivo, ad esprimere la sua predilezione per il secondo, giustificata dalla pietà per un’anima indifesa. A Leopardi non importa se una parte delle sofferenze di Tasso furono provocate da ragioni immaginarie, prodotte di una mente ipersen- sibile : Dante ebbe la forza e il vigore per sopportare le sventure reali che lo afflissero, mentre Tasso crollò ben presto sotto il peso della sua infelicità. Dante è l’eroe stoico, che desta ammirazione, ma che non accende il cuore. Tasso è l’agnello sacrificale, è la vittima innocente di una natura che dona la capacità di comprendere, ma non la forza di sopportare :

Dei nostri sommi poeti, due sono stati sfortunatissimi, Dante e Tasso. Di ambedue abbiamo e visitiamo i sepolcri : fuori delle patrie loro ambedue. Ma io, che ho pianto sopra quello del Tasso, non ho sentito alcun moto di tenerezza a quello di Dante : e così credo che avvenga generalmente. E nondimeno non mancava in me, né manca negli altri, un’altissima stima, anzi ammirazione, verso Dante, maggiore forse (e ragionevolmente) che verso l’altro. Di più, le sventure di quello furono senza dubbio reali e grandi ; di questo appena siamo certi che non fossero, almeno in gran parte, imma- ginarie : tanta è la scarsezza e l’oscurità delle notizie che abbiamo in questo particolare : tanto confuso, e pieno continuamente di contraddizioni, il

28. Zibaldone, 4160-4161, vol. II, p. 2717-2718, 20 dicembre 1825. Sulla condizione del poeta nell’età moderna… 241

modo di scrivere del medesimo Tasso. Ma noi veggiamo in Dante un uomo d’animo forte, d’animo bastante a reggere e sostenere la mala fortuna ; oltracciò un uomo che contrasta e combatte con essa, colla necessità col fato. Tanto più ammirabile certo, ma tanto meno amabile e commiserabile. Nel Tasso veggiamo uno che è vinto dalla sua miseria, soccombente, atterrato, che ha ceduto all’avversità, che soffre continuamente e patisce oltre modo. Sieno ancora immaginarie e vane del tutto le sue calamità ; la infelicità sua certamente è reale. Anzi senza fallo, se ben sia meno sfortunato di Dante, egli è molto più infelice 29.

Tutto ciò fa di Tasso il simbolo forse più alto, per Leopardi, del malessere consustanziale alla condizione dell’uomo moderno e, a maggior ragione, del poeta moderno. Come sostiene Pavone, nel suo commento a quest’ultimo passo dello Zibaldone, per Leopardi « Tasso è il poeta moderno per eccel- lenza » 30, perché, come afferma Yves Bonnefoy a proposito di Baudelaire, « egli ha nominato la morte » 31.

Luca Bani Università di Bergamo

29. Ibid., 4255-4256, vol. II, p. 2825-2826, 14 marzo 1827. 30. F. Pavone, « “Un uomo degno del nome di poeta”. Giacomo Leopardi critico di Torquato Tasso », p. 73. 31. Y. Bonnefoy, L’improbable, Paris, Mercure de France, 1959, p. 66.

UNA GALASSIA FEMMINILE : ASSOCIAZIONISMO LAICO NELL’ITALIA DEL SECONDO DOPOGUERRA

Riassunto : L’intervento si incentra sull’immediato dopoguerra e intende offrire un quadro sull’impegno espresso sia dalle associazioni femminili sia da alcune singole protagoniste attive nel campo politico e culturale che, pur mantenendo il dialogo con le due principali associazioni femminili dell’Italia repubblicana, l’Udi e il Cif, manifestarono autonomia dai partiti di massa, rifiutarono la logica della polarizzazione affermatasi fin dai primi anni della guerra fredda ed ebbero un ruolo tutt’altro che secondario nel processo di ricostruzione del Paese. Sarà, dunque, rivolta attenzione alla « galassia » di associazioni e di soggetti (tra questi alcune intellettuali quali Alba de Céspedes), che operarono a favore della cittadinanza democratica e per l’affermazione di nuovi modelli di genere. Esse richiamarono l’attenzione dell’opinione pubblica anche su aspetti inerenti la morale ed il costume (alcuni accenni in tal senso saranno svolti a proposito di Anna Garofalo), e svolsero una vasta opera pedagogica e formativa finalizzata alla costruzione di una cittadinanza responsabile e consapevole.

Résumé : L’article est centré sur l’immédiat après-guerre et entend présenter un tableau de l’engagement tout à la fois des associations féminines et des femmes actives sur le plan individuel dans le domaine politique et culturel. Tout en maintenant le dialogue avec les deux principales associations féminines de l’Italie républicaine, l’Udi et le Cif, ces dernières firent preuve d’autonomie par rapport aux partis de masse, refusèrent la logique de la polarisation qui s’affirma dès les premières années de la Guerre froide, et jouèrent un rôle qui fut loin d’être secondaire dans le processus de reconstruction du pays. On s’intéressera donc ici à la « galaxie » des associations et des individus (dont certaines intellectuelles comme Alba de Céspedes) qui agirent en faveur de la citoyenneté démocratique et pour l’affirmation de nouveaux modèles de genre. Ces femmes attirèrent aussi l’attention de l’opinion publique sur des aspects relatifs à la morale et aux mœurs (avec en particulier des considérations à propos d’Anna Garofalo) et entreprirent une vaste action pédagogique et formatrice dans l’optique de la construction d’une citoyenneté responsable et consciente.

Transalpina, no 20, 2017, Edmondo De Amicis. Littérature et société, p. 243-258 244 Patrizia Gabrielli

La rinascita Nel 1945 Anna Garofalo, scrittrice e giornalista, conduttrice della trasmis- sione radiofonica Parole di una donna, inserita nel milieu del liberalismo democratico, futura fondatrice del partito radicale, osserva che gli italiani, appena usciti dal dramma della guerra, manifestano « un immenso biso- gno di parlare, dopo tanto silenzio, di comunicare con i nostri simili, di raccontar loro quello che avevamo sofferto, pensato, voluto e di sentirli parlare » 1. Parlare, comunicare, agire, insieme alle grandi speranze verso il futuro, caratterizzano il fermento del dopoguerra, di cui si trova una delle più ampie espressioni nel 1946. È in questo anno che forze politiche e citta- dini affrontano, non senza timori, le prime elezioni amministrative ed il referendum istituzionale 2. Un fermento che Jolanda Vasely Torraca, tra le fondatrici del Consiglio nazionale delle donne italiane, restituisce in maniera esemplare nelle pagine del proprio diario : « fare qualcosa, uscire dalla pura contemplazione per non dover pensare, per non rivoltare in me tutti i problemi sociali e morali che questa guerra ha sollevato, […] mi devo agganciare in un’azione collettiva, devo utilizzare meglio la mia energia e la mia capacità di lavoro » 3. Se tra il 1944 e il 1945 nelle zone liberate si assiste alla mobilitazione dei partiti, alla eccezionale visibilità di quelli di massa con le nuove forme organizzative e di circolazione del « discorso politico », contemporaneamente si va esprimendo un deciso protagoni- smo politico femminile sia all’interno alle singole forze sia in specifiche aggregazioni. Tra queste spiccano per numero di iscritte e presenza nel territorio l’Unione donne italiane (Udi), di matrice laica e legata al Partito comunista italiano (Pci), ed il Centro italiano femminile (Cif) nato in seno all’associazionismo cattolico e sostenitore della Democrazia cristiana (Dc). Sono queste organizzazioni a dominare la scena, come del resto il dibattito storiografico degli ultimi trent’anni, ma nel complesso palcoscenico del dopoguerra, esse non sono le uniche. Seppure meno visibili, e meno studiate in sede storica, sono presenti pure associazioni non assimilabili all’identità cattolica o comunista, indipendenti dai partiti politici e di vocazione laica, vicine alla tradizione liberale e azionista. Queste aggregazioni presentano un’identità sfaccettata, un’organizzazione poco strutturata fondata su una rete di relazioni amicali, di conoscenze talvolta di vecchia data, di rapporti informali al confine tra sfera pubblica e privata, sono nutrite e sostenute

1. A. Garofalo, L’italiana in Italia, Bari, Editori Laterza, 1956, p. 36. 2. 1946, i comuni al voto, P. Dogliani, M. Ridolfi (dirr.), Imola, Mandragora, 2007. 3. Archivio Centrale dello Stato (d’ora in avanti ACS) Fondo Jolanda Torraca, b. 18. Una galassia femminile… 245 dalla condivisa consuetudine delle associate all’impegno civile ed alla vita associativa. Come ormai a qualche anno di distanza dal conflitto, sottoli- neava Anna Garofalo, queste associazioni e le singole personalità al loro interno avevano rappresentato una presenza più che significativa nello scenario dell’immediato dopoguerra : « lavoravano animate da pacifici obbiettivi come il lavoro, l’educazione, l’assistenza, la scuola, la posizione giuridica della donna e senza aver tendenze né estremiste né confessionali, si vedevano tutto il tempo ostacolate da interferenze politiche e scambiate per quel che non erano » 4. La rete di relazioni personali interna, che si dirama oltre i confini di ogni singola aggregazione, dà forma a un insieme dai contorni incerti e mobili, ad una « galassia » che in gran parte può essere collocata sia nella cornice della tradizione repubblicana, liberale e liberal socialista, definita « terza forza » in quanto collocata oltre la polarizzazione Dc-Pci, sia nel quadro della storia del femminismo. L’impegno nel campo politico e sociale di queste donne, le tematiche principalmente affrontate, i valori, gli ideali e gli ostacoli sono le questioni cui rimanda Anna Garofalo nella citazione sopra riportata, che assumo quale filo conduttore per una possibile lettura e interpretazione di tali esperienze solo parzialmente analizzate dalla ricerca storica. Le pagine che seguono non hanno certo la pretesa di colmare questo vuoto, quanto di offrire qualche dato sulla ricca identità e sulle pratiche politiche dei movimenti delle donne del dopoguerra.

Libertà, responsabilità, educazione civile Molte protagoniste dei movimenti femminili del secondo dopoguerra che confluiscono nell’associazionismo laico condividono posizioni antifasciste, sostanziate in molti casi da un vero e proprio tessuto di valori politici ed etici. La resistenza al nazifascismo, compiuta in forme diverse da quella armata, ha maturato un impegno in prima persona, un’assunzione di responsabilità verso la comunità di appartenenza. Elsa Dallolio, attiva nella Lega democratica di Gaetano Salvemini, segretaria generale della Croce Rossa Italiana, nel 1932 fondatrice della sezione italiana dell’International Social Service, definisce sinteticamente, ma con grande efficacia, questo slancio politico e ideale in una lettera all’amica Iris Origo. Scrittrice di origini inglesi, residente in Toscana, promotrice di un’intensa azione di solidarietà verso le popolazioni locali, che può essere assunta quale esempio di resistenza civile, la scrittrice è autrice, tra l’altro, di un bel libro

4. A. Garofalo, « La pace è di tutti », Il Ponte, VII, n. 1, gennaio 1951. 246 Patrizia Gabrielli che restituisce la statura morale e umana di Elsa Dallolio : « Cara Iris, sta’ tranquilla per me. Mantengo il mio programma, se sarà possibile. Non si fa nulla di eroico e non credo certo di fare nulla di indispensabile, ma di stare come tutti sul piano della sorte di tutti, mi da il senso di stare al posto mio » 5. Al « proprio posto » vogliono stare le tante donne che popolano le associazioni femminili del dopoguerra, protagoniste della ricostruzione del Paese, le quali trasferiscono nella sfera pubblica attitudini e pratiche accumulate quotidianamente nella sfera privata, offrendo servizi a una popolazione sofferente. Esse sono al centro di un’opera diffusa e capillare che prevede, oltre alle attività solidali, la realizzazione di corsi, conferenze, dibattiti volti alla crescita civile delle italiane. Così come al « proprio posto » vogliono stare alcune intellettuali di orientamento liberal democratico e liberal socialista, donne fuori dagli schemi delle ideologie e dai partiti, sovente non inserite nell’Udi o nel Cif, seppure in stretto contatto con esse, che si impegnano in differenti « luoghi » per la difesa dei valori della democrazia e della libertà, intesi come non omologazione. Fautrici di un dialogo lontano da ogni integralismo, esse danno vita a riviste che pola- rizzano il confronto tra uomini e donne di grande statura intellettuale e politica. Costituiscono un esempio in tal senso « Fronte Unito » fondata e diretta da Fausta Cialente ; « Città », nata dall’impegno di Paola Masino e di altri intellettuali 6 ; « Mercurio » giudicata « una delle migliori riviste politico letterarie […] diretta da una donna, Alba de Céspedes » 7. Alcuni articoli della scrittrice, di origine cubana e di formazione cosmopolita 8, favoriscono la comprensione dei compiti che le intellettuali dell’area liberale – declinata in un ampio ventaglio di orientamenti che vanno dal socialismo a posizioni moderate – attribuiscono alla politica. Suffragio e partecipazione erano obiettivi condivisi da tutte, il cui raggiungimento imponeva di « fare i conti » con il fascismo, innescare un esame di coscienza collettivo per ricostruire e ricostruirsi : « Bisogna rifare

5. Cit. in I. Origo, Guerra in Val d’Orcia, Firenze, Vallecchi, 1968, cit., p. 70. Si veda della stessa, Ospitalità e fratellanza, in Italia e Gran Bretagna nella lotta di Liberazione (Atti del convegno di Bagni di Lucca, aprile 1975), Firenze, La Nuova Italia, 1977, p. 27-41. 6. Si veda L. Di Nicola, Intellettuali italiane del Novecento : una storia discontinua, Pisa, Pacini Editore, 2012. Su Fausta Cialente e la rivista si veda F. Rubini, « Fronte Unito 1943-1947. La Resistenza lontana », in Donne nelle minoranze, P. Gabrielli (dir.), Storia e problemi contemporanei, 68, settembre 2015, p. 31-48. 7. A. Garofalo, L’italiana in Italia, p. 46. Sulla rivista si rimanda a L. Di Nicola, Mercurio : storia di una rivista 1944-1948, Milano, Il Saggiatore. Fondazione Arnoldo e Alberto Mondadori, 2012. 8. Si veda Alba de Céspedes, M. Zancan (dir.), Milano, Il Saggiatore. Fondazione Arnoldo e Alberto Mondadori, 2005. Una galassia femminile… 247 il popolo italiano » miglioralo occorre, insomma, « rifare anche noi stessi » 9, affermava Alba de Céspedes dimostrando di comprendere le tante difficoltà che si addensavano intorno al passaggio dal fascismo alla democrazia. Il rinnovamento politico, allora, passa attraverso il cambiamento dell’identità culturale del Paese, da qui la critica all’egoismo degli italiani che la scrittrice considera eredità del qualunquismo fascista, di un regime che, cancellando le libertà aveva inibito le scelte e la capacità di agire, l’assunzione di respon- sabilità verso la comunità di appartenenza, infranto i legami di solidarietà e favorito individualismo e familismo. E « l’eliminazione di ogni solidarietà di gruppo – è la conditio sine qua non del dominio totale » 10. Le pratiche di mobilitazione delle masse, miranti all’omologazione e al conformismo, avevano cancellato il senso civico già debole degli italiani e aperto un vuoto di valori civili : « Quando si demoliscono le paratie delle idee sociali e religiose con cui siamo state educate – annotava Jolanda Torraca – ci affacciamo ad un tratto ad un baratro vuoto che a molte fa girar la testa » 11. Compiti gravosi, ancor più difficili se si tiene conto delle avversioni generate da quel surplus di violenza proprio delle guerre civili e nel biennio 1945-46 tensioni e rancori sono tutt’altro che sopiti. Venuto meno autoritarismo e paternalismo fascista la società rischiava di sgretolarsi. Bisognava liberarsi anche dall’educazione fascista, da una cultura che gravava sulle coscienze delle generazioni maturate cresciute nel ventennio. Responsabilità individuale e « rieducazione politica delle coscienze » ricorrono nelle parole di Alba de Céspedes come di Jolanda Torraca e si rinvengono nella progettualità politica della « terza forza ». A questa consapevolezza può essere ricondotta l’attenzione all’istruzione e alla formazione dei cittadini che segna la biografia di molte protagoniste di quella stagione. Per Teresita Sandeski Scelba, Maria Comandini Calogero, Anna Garo- falo, Anna Lorenzetto – solo per citarne alcune – il tema della responsabilità individuale è alla base della democrazia, secondo una visione che salda diritti e doveri, caposaldo del moderno paradigma della cittadinanza demo- cratica. La richiesta del suffragio femminile si colloca allora lungo queste coordinate e resta saldamente ancorata al tema della libera espressione dell’individuo :

9. P. Gabrielli, “Italia combatte”. La voce di Clorinda, in Alba De Céspedes, M. Zancan (dir.), Milano, Il Saggiatore. Fondazione Arnoldo e Alberto Mondadori, 2005, p. 266-306, la cit. è a p. 288. 10. H. Arendt, Introduzione, in Le origini del totalitarismo, H. Arendt, A. Guadagnin (dirr.), Milano, Bompiani, 1978, p. LXVII. 11. ACS, Fondo Jolanda Torraca, b. 18. 248 Patrizia Gabrielli

È compito aperto specialmente a quei partiti di sinistra, soprattutto pensiamo al Pd’A, che pur garantendo un miglioramento effettivo delle condizioni eco- nomiche di queste donne, come membri della famiglia e come individui : si colorino nella fantasia di rossi meno fiammanti, assicurino l’autonomia della famiglia e propugnino la piena libera possibilità di espansione dell’individuo – che è con quello economico e inscindibile da quello – il presupposto base per avviare a un miglioramento il problema femminile italiano 12.

Il problema era di natura culturale ed etica e il compito che le diverse forze politiche si trovavano ad affrontare non poteva esaurirsi nel suffragio ma in un impegno vasto :

Da secoli le donne sono considerate come schiave dei genitori, del marito, dei figli, della tradizione. Se di diritto o anche di fatto è ormai caduta tale schiavitù resta reale e intatta la mentalità della schiavitù : l’incapacità per la donna di essere qualcuno, di essere se stessa, di essere una persona che pensa e vuole e agisce perché ha il diritto, come il suo compagno, di intervenire nel modificare il proprio ambiente. […]. Dunque rinnovamento strutturale e organizzativo di tipo socialistico per risolvere l’aspetto economico-sociale del problema che solo da tale avviamento può essere risolto ; rinnovamento di carattere liberale e individualistico per risolvere quell’altro aspetto poli- tico-sociale del problema che è legato non già all’economia, ma a una tra- dizione antiquata e del tutto illiberale del modo di vita 13.

La libertà individuale intesa quale piena espressione della dignità, per liberali, azioniste, repubblicane si coniuga con l’assunzione della respon- sabilità pubblica e con la solidarietà, principi estranei e antagonisti al totalitarismo fascista, secondo un disegno che salda pieno riconoscimento della soggettività con la solidarietà sociale. Lo stesso stare al di là dei partiti di massa matura dall’esigenza di libertà e dall’anticonformismo : contrarie all’omologazione, che per molte aveva segnato la rottura con il fascismo e l’ingresso nella Resistenza, partendo dal valore dell’auto- nomia dell’individuo, le esponenti dell’azionismo e più in generale della « terza forza », proiettano il discorso sulla cittadinanza verso un orizzonte capace di tenere insieme aspetti di natura economica, sociale, culturale ed etica ; esse si preoccupano di trasmettere un nuovo sentimento di appartenenza alla comunità nazionale. Lo studio delle tematiche inerenti la condizione femminile, inchieste, conferenze, convegni sono al centro

12. Ibid., M. Comandini Calogero, Considerazioni sul voto alle donne. 13. Ibid., M. Comandini Calogero, Il Partito d’Azione e il problema femminile 1945. Una galassia femminile… 249 del fitto calendario di attività. Tra le principali interpreti in tal senso Maria Comandini. Colta e istruita, proveniente da una famiglia di chiare idee repubblicane del cesenate, antifascista convinta, la giovane, che nel 1929 sposa Guido Calogero, è vissuta in Inghilterra e negli Stati Uniti. In questi paesi ella ha avuto modo di osservare e di conoscere altri sistemi e culture che le permettono di affinare le competenze sull’assistenza e sui servizi sociali, una tema quest’ultimo che è centrale nella sua biografia tanto da poter essere definita pioniera dell’assistenza in Italia. Per lei il tema è saldamente connesso con la costruzione della democrazia. Il fine dell’assistenza consiste, infatti, nell’« aiutare i meno capaci a far valere i loro diritti e sollecitarli a lavorare per un mondo migliore in cui ognuno sia impegnato a cooperare per la costruzione della comunità civile » 14. Simili le finalità di un’altra liberale, Anna Lorenzetto, ricercatrice universitaria, che nel 1947 – anno in cui esce dall’Udi – fonda l’Unione nazionale per la lotta contro l’analfabetismo, riconosciuto dall’Unesco. Una scelta che la studiosa condivide con le liberali Josette Menasce Lupinacci e Teresita Sandesky Scelba e con la democristiana Maria De Unterrichter Jervo- lino. Anche per Anna Lorenzetto, sostenitrice dell’apprendimento di un « alfabeto maggiore », secondo un disegno che anticipa, per molti aspetti, la pedagogia e la prassi dell’educazione degli adulti 15, la formazione dei cittadini è tra i compiti urgenti di quel dopoguerra. Non troppo lontana da questa impostazione è Margherita Zoebeli con il suo Centro educativo o « villaggio italo-svizzero » a Rimini, sostenitrice – come afferma Carlo De Maria, che alla pedagogista ha dedicato un’accurata biografia – di una « educazione attiva » e fiduciosa nella possibilità di costruire la democrazia a partire dall’educazione « intesa sia come lavoro con i bambini che come impegno degli adulti educatori a lavorare su se stessi » 16. Nel clima infuocato del dopoguerra, in un Paese che contava molte ferite aperte, dove si annidava un profondo disagio esistenziale, singole personalità e associazioni si esprimono al di là del collateralismo ; prendono parte attiva, attraverso la erogazione di incentivi alla partecipazione, al difficile processo di integrazione delle italiane alla cittadinanza democra- tica. Da queste posizioni maturano iniziative volte all’educazione della cittadina, che trovano la loro più visibile espressione in occasione delle

14. P. Benvenuti, D.A. Gristina, La donna e il servizio sociale, Milano, FrancoAngeli, 1998, p. 94. 15. A. Lorenzetto, « La lotto contro l’analfabetismo e il problema dell’educazione degli adulti », Il Ponte, 6 / 5, 1950, p. 455-470. 16. C. De Maria, Il lavoro di comunità e ricostruzione civile in Italia. Margherita Zoebeli e il centro educativo italo-svizzero di Rimini, Roma, Viella, 2015, p. 16. 250 Patrizia Gabrielli campagne elettorali del 1946, quella per le amministrative, che si svolgono in marzo-aprile nelle regioni del Centro-Nord, e quella per il referendum istituzionale e l’elezione dell’Assemblea Costituente il 2 giugno.

Il Comitato Pro Voto Almeno un altro tratto, insieme alla consapevolezza dei tanti problemi che si addensano intorno al passaggio dal totalitarismo fascista alla democrazia, compresa la necessità di ridare spazio e agibilità politica alle donne, distingue molte animatrici dell’associazionismo laico : il legame con il femminismo di primo Novecento. Un rapporto che emerge con forza dalla scelta di porre al centro delle proprie elaborazioni e rappresentazioni l’identità di genere, perno intorno al quale s’incardina il progetto di un’ampia alleanza tra donne di diversa appartenenza politica, di classe, religiosa. Esse sono per molti versi le eredi del femminismo. Un lascito e una preziosa genealogia femminile che risultano sostanzialmente estranee alle giovani generazioni, come acutamente osservava, nel 1946, Anna Franchi, socialista e scrittrice, nel suo Cose d’ieri dette alle donne di oggi ispirato alla volontà di non disper- dere la memoria storica del femminismo italiano e alla consapevolezza che la tradizione è a fondamento della legittimazione politica 17. Tra le principali associazioni che fanno tesoro di memoria, modelli e pratiche del femminismo spiccano l’Alleanza femminile italiana (Afi) e il Consiglio nazionale della donna italiana (Cndi). L’Afi, fondata nel 1909, erede della Pro suffragio, sostenitrice del voto, del divorzio, dell’abolizione dell’insegnamento religioso nelle scuole 18, vide tra le sue principali animatrici Teresita Sandeski Scelba, nata a Torino nel 1885, da madre italiana e padre di origini polacche, presto si trasferisce a Roma dove si laurea in medicina nel 1909 e si impegna in varie iniziative in favore dell’igiene sociale. È lungo questo filone di attività – comune ad altre figure del femminismo – che Teresita, ancora giovanissima, approda all’Associazione per la donna e all’Alleanza femminile ed al Cndi di cui assume la vicepresidenza. Intanto si va meglio definendo la sua dimensione professionale. Nel 1915 Sandeski dirige l’Ufficio d’Igiene della capitale, incarico che manterrà fino al 1955, anno del suo pensionamento. Nel 1944, in una Roma appena liberata e tragicamente segnata dalla violenza della

17. A. Franchi, Cose d’ieri dette alle donne d’oggi, Milano, Hoepli, 1946. Ho avuto modo di soffermarmi su questi aspetti nel mio La pace e la mimosa. L’Unione donne italiane e la costruzione politica della memoria (1944-1955), Roma, Donzelli, 2005. 18. T. Sandeschi Scelba, Teresita Sandeschi Scelba e i suoi tempi, Roma, Consiglio nazionale delle donne italiane, 1975. Una galassia femminile… 251 guerra, ella va alla ricerca delle amiche femministe di vecchia data, tutte ormai anziane : « assieme a esse convoca delle riunioni in case private, entra in contatto con le rappresentanti dei partiti antifascisti rientrate dall’esi- lio o uscite dalle carceri, raduna un piccolo gruppo e indice un incontro con l’obiettivo di ridare vita all’associazione » 19 e « per ridare vita e posto adeguato al problema femminista » 20. Nella stessa città e negli stessi mesi, si va impegnando in tal senso una conoscente di vecchia data di Teresita, Jolanda Vesely Torraca. Nata nel 1902 nella provincia di Piacenza, anche lei di origini straniere – entrambi i genitori cecoslovacchi – trascorre l’infanzia in diverse città italiane ; successivamente è a Praga dove si impiega presso l’Ambasciata Cecoslovacca. Tornata in Italia, anche in virtù dei legami del marito Vincenzo Torraca, giornalista antifascista, stringe relazioni con personaggi vicini a Giovanni Amendola, Gaetano Salvemini, Umberto Zanotti Bianco, Giuliana Benzoni ed Elsa Dallolio – solo per citare una parte della sua rete di conoscenze e frequentazioni – e s’impiega presso la Biblioteca dell’Associazione per gli interessi del Mezzogiorno. A ridosso della liberazione di Roma Jolanda è nominata dal Commissaria prefettizia all’Opera Assistenza Maternità e Infanzia, ente morale fondato nel 1917 dall’Associazione della donna, successivamente inglobato dalle politiche assistenziali del regime fascista. Ella confida in più occasioni sulle com- petenze mediche di Teresita che le fu d’aiuto di fronte ai gravi problemi sanitari che assillavano i ricoverati del dispensario. I rapporti tra le due riprendono rafforzati dal comune impegno per la riorganizzazione del Consiglio nazionale delle donne italiane, nato nel 1903, poi sciolto, dopo una breve fase di allineamento con il regime fascista guidata dalla marchesa Daisy de Robillant. Un processo di ricostruzione per il quale Teresita e Jolanda lavorano sodo insieme con le repubblicane Giuseppina Capurro Picchi ed Elisa Malintoppi, e con Nina Ruffini, medaglia alla Resistenza e riconoscimento della Legione d’onore francese. Nominata alla Segreteria Generale del Consiglio, Jolanda Torraca vi dedicherà impegno ed energie : « Ho amato molto il Consiglio e gli ho dedicato più di trent’anni della mia esistenza proprio per quella sua idea un po’ assurda e idealistica di unire le donne di tutto il mondo, senza distinzione di razze e di religioni, in uno sforzo di vicendevole comprensione » 21.

19. M.A. Serci, « L’Alleanza femminile italiana 1944-1950. Per una legge contro lo schiavismo sessuale delle donne », in Donne nelle minoranze, p. 65-89. 20. T. Sandeschi Scelba, Teresita Sandeschi Scelba e i suoi tempi, p. 13. 21. J. Torraca, La mia storia. Seguito da Diario di una sedicenne d’altri tempi, Roma, Epsylon, 2013, p. 25. 252 Patrizia Gabrielli

La composizione politica dell’Alleanza e del Cndi è poliedrica, vi con- fluiscono repubblicane, azioniste, liberali. Alto il livello d’istruzione delle aderenti, molte delle quali vantano anche periodi di istruzione o di per- manenza all’estero o comunque un certo cosmopolitismo. La maggioranza delle socie è laureata, qualcuna possiede competenze giuridiche. Fra gli scopi condivisi la promozione di riforme morali, giuridiche ed economi- che, finalizzate alla parità uomo-donna ; significativi gli interventi sulla prostituzione, questione centrale nella storia del femminismo nazionale e internazionale e tra i problemi più sentiti in quel tragico dopoguerra 22. Implementata negli anni anche l’attività di studio e di ricerca sulle questioni inerenti la vita pubblica, professionale ed economica, delle donne. Ma nell’immediato dopoguerra è il suffragio a catalizzare l’attenzione delle cattoliche, delle social-comuniste come delle laiche. La guerra è ancora in corso, quando, nelle zone liberate, tra l’autunno del 1944 e il gennaio dell’anno successivo, questa rivendicazione torna ad animare con forza il dibattito e le attività dell’associazionismo femminile di diverse tendenze, che si impegna senza risparmio di energie. Se la volontà dei partiti – come in più occasioni e da più parti si è osservato – rappresenta un fattore significativo per il conseguimento di questo diritto, non è però da sottovalutare l’intervento delle donne : « l’azione per ottenere il diritto di voto – ha ricordato Maria Federici, prima Presidente del Cif – si sviluppò nel 1945 per opera di associazioni femminili e di singole persone e fu la prima scuola di educazione politica, attraverso la quale la donna maturò rapidamente la sua coscienza civica » 23. La consapevolezza che la partita sul voto fosse tutt’altro che scontata condusse donne di differenti orientamenti, persino opposti, alla promozione di un articolato calendario di iniziative, molte delle quali unitarie. In questa cornice, una delle più importanti risale al 25 ottobre 1944, quando le rappresentanti dei Comitati femminili del Pci, Psiup, Pd’A, Pli, Sinistra cristiana e Democrazia del lavoro, la Federazione italiana laureate (Fildis), l’Alleanza femminile, danno vita al Comitato Pro voto, capace di rievocare, almeno alle più anziane, il biennio 1904-1906, pagina d’oro per la storia del femminismo italiano, quando viene istituito un Comitato unitario per il suffragio a sostegno della petizione, che vide

22. Sull’impegno del femminismo italiano in questo ambito si veda almeno A. Buttafuoco, Le mariuccine. Storia di un’istituzione laica : l’asilo Mariuccia, Milano, FrancoAngeli, 1985 ; per un quadro sul dopoguerra e l’Italia repubblicana si rimanda a S. Bellassai, La legge del desiderio. Il progetto Merlin e l’Italia degli anni Cinquanta, Roma, Carocci, 2006. 23. M. Federici, L’evoluzione socio-giuridica della donna alla Costituente, in Studi per il ventesimo anniversario dell’Assemblea costituente, vol. II, Firenze, Vallecchi, 1969, p. 199-225, la citazione è a p. 215. Una galassia femminile… 253 quali prime firmatarie Anna Maria Mozzoni e Maria Montessori, presentata nel marzo del 1906 al Parlamento. Nel 1944 il valore della scelta unitaria è sottolineato da più parti :

oggi hanno parlato alla radio le rappresentanti del Comitato femminile Pro voto, e hanno lanciato un appassionato messaggio alle donne delle zone ancora occupate : « Noi donne dell’Italia libera stiamo conducendo una battaglia che è per la libertà di tutte, per il progresso di tutte : la battaglia per il diritto di voto. I compiti per la ricostruzione sociale, politica, ammini- strativa del paese sono stati finora ripartiti fra la popolazione maschile, ma noi che abbiamo resistito e combattuto per affrettare il ritorno della libertà abbiamo il diritto e il dovere di non essere soltanto spettatrici di questo rinnovamento. Pensiamo che la nostra opera sia necessaria ora come fu necessaria allora. Il giorno in cui saremo tutte riunite dovrà segnare una ripresa dell’attività comune, sancita da una legge che ci consideri pienamente cittadine nel nostro paese » 24.

I sacrifici sopportati e le attitudini mostrate durante il tragico conflitto bellico, l’esempio di altri paesi, sono tematiche prevalenti nel dibattito, vi si appella pure il Comitato Pro voto nel promemoria ai partiti antifascisti spronati a sostenere presso il governo il suffragio femminile. Nei pochi mesi che precedono l’emanazione del decreto sul voto, si assiste, dunque, ad una decisa azione da parte del Pro suffragio che le forze politiche, in parte già orientate, non possono ignorare. Una sintesi in tal senso è ben articolata da Maria Comandini Calogero, responsabile del movimento femminile del Partito d’Azione :

Non si può negare che questo diritto sia stato riconosciuto più per opera dei partiti, che da esso contano di trarre grandi vantaggi elettorali, che non da una vera e propria agitazione popolare che abbia obbligato il governo a questa concessione. Ma è anche vero che di fronte all’imponente opera compiuta dalle associazioni femminili di resistenza, e di fronte alle notevoli forze femminili organizzate nelle associazioni di massa – o nei movimenti di partito – anche i partiti che avrebbero potuto opporsi – e con plausibili argomenti, dopo il ventennio di campagna demografica – hanno sentito che, in questa nuova situazione, non potevano farlo. L’aria era cambiata e radicalmente 25.

24. A. Garofalo, L’italiana in Italia, p. 25. 25. AMCC, M. Comandini Calogero, Considerazioni sul voto alle donne, s. d. 254 Patrizia Gabrielli

Il decreto La mobilitazione è in pieno svolgimento, quando il secondo governo Bonomi emana il 1° febbraio 1945 il decreto luogotenenziale che estende il diritto al suffragio alle italiane. Stando alla storiografia la scelta del decreto nasconde l’intento conservatore sostenuto dal timore che dalla mobilitazione femminile, che comprendeva anche una petizione, potessero emergere altre rivendicazioni. Il timore era ben fondato, lo testimoniano gli articoli e gli interventi delle dirigenti di diversi orientamenti :

la battaglia per l’estensione del voto alle donne, vinta sul piano giuridico, non è certo vinta sul piano sostanziale. Si tratta, infatti, di una battaglia da portare sul piano del costume, della arcaica mentalità ancora diffusa e prevalente […] che ha impedito e impedisce tuttora alle donne italiane di farsi creature autonome, con una volontà propria, una indipendenza di pensiero, una reale cittadinanza nella società 26.

Lo sviluppo di un dibattito sul voto, in sintesi, avrebbe immesso sul palcoscenico della politica altri diritti e altri modelli di cittadinanza, dato confermato, seppure con delle differenze, con punte moderate o radicali, dai programmi delle associazioni femminili, stando ai quali l’accesso delle donne alla sfera politica non è una semplice inclusione, ma è portatore di nuove domande che modificano lo stesso paradigma della cittadinanza e ne ampliano il campo semantico. Il diffuso antisuffragismo accompagnato da un generale clima di restau- razione dei tradizionali ruoli di genere, riduce il suffragio a « concessione » o a « premio » svuotandolo dei contenuti di cui lo ha invece riempito il fronte suffragista 27. Opposizione o indifferenza con le quali devono misurarsi pure le donne di « terza forza » che trovano un clima poco benevolo 28. Limite individuato con acume da Anna Garofalo che lo considera al pari di una vera e propria occasione mancata : « quei partiti laici, di tradizione risor- gimentale, che avrebbero potuto, dalla Liberazione in poi, attrarre grandi

26. AMCC, M. Comandini Calogero, minuta di articolo per « La Voce Libera di Trieste » ; si veda anche M. Comandini Calogero, « Il Partito d’Azione e il problema femminile », La Rinascita, 2 settembre 1945. 27. A. Rossi-Doria, Diventare cittadine. Il voto delle donne in Italia, Firenze, Giunti, 1996. Medesima la tesi di P. Gaiotti De Biase, si veda Il voto alle donne, in Democrazia cristiana e costituente (Atti del convegno di studio tenuto a Milano il 26-28 gennaio 1979), vol. I, Le origini del progetto democratico cristiano, G. Rossini (dir.), Roma, Cinque Lune, p. 415-456. 28. Si veda N. Crain Merz, L’illusione della parità. Donne e questione femminile in Giustizia e Libertà e nel Partito d’azione, Milano, FrancoAngeli, 2013. Una galassia femminile… 255 masse di donne, specie del ceto medio e intellettuale e non hanno saputo farlo » 29. I partiti che attribuivano al diritto di voto un valore anche sul piano della libertà individuale si mostrarono « i più indifferenti o diffidenti verso il voto alle donne » 30. In occasione delle celebrazioni del decennale, nel 1955 a Roma, Teresita Sandesky Scelba tornava con forza sull’evento, negando la tesi della « con- cessione » ella poneva in risalto il protagonismo femminile :

È stato detto che le donne non hanno voluto il voto, che il voto è stato regalato. Desidero anzitutto togliere questa idea dalla testa di coloro che, non avendo fatto parte della vita femminile italiana, possono crederlo. Il voto è stato richiesto razionalmente e internazionalmente, tanto è vero che se il Cndi è stata la prima associazione internazionale e poi nazionale italiana (fondata nel 1888) tra donne, è venuta molto presto (1904) l’Alleanza per il Suffragio femminile, associazione internazionale alla quale si è immediatamente affiliata l’associazione per il Suffragio femminile italiana. È stata una lotta di molti anni, è stata una lotta ripresa immediatamente dopo la Liberazione. Se quindi il voto ci è stato dato, è stato preparato da queste donne tanto in Italia quanto all’estero 31.

A dieci anni di distanza, le testimoni si esprimono senza mezzi ter- mini su quel processo di stratificazione della memoria che aveva ridotto il suffragio a concessione consapevoli che ciò aveva indebolito sul piano simbolico l’esercizio di quel diritto ed il dibattito intorno ad esso. Nell’oblio era caduta anche l’azione unitaria del Comitato Pro voto e le biografie di tante sue protagoniste. Sempre nel 1955, interpretando la rottura dell’unità che aveva fatto seguito alla guerra fredda come una vera e propria occasione mancata, Teresita Sandesky richiamava la capacità di alleanza espressa nell’immediato dopoguerra :

Ed è infinitamente doloroso, dopo aver visto, anzi meglio dopo aver vissuto, nel periodo tra il 1944 e il 1945 l’intensa, concorde attività delle donne di diversissima provenienza, per ottenere unite il riconoscimento del loro diritto al voto, è doloroso che quella unione sia stata spezzata. Questo mio rincrescimento non ha solo un valore, diciamo così, sentimentale ; io rimpiango, l’atmosfera cordiale, solidale della nostra comune azione, ma rimpiango ancor di più i risultati che senza dubbio avremmo ottenuto in

29. A. Garofalo, L’italiana in Italia, p. 83. 30. A. Rossi-Doria, Diventare cittadine, p. 42. 31. G. Saija, « Il voto non ci è stato regalato ! », Noi donne, 23 aprile 1955. 256 Patrizia Gabrielli

tutti i campi che interessano le donne, se le donne fossero rimaste unite nel difendere i loro diritti 32.

Non distanti da quelle di Sandesky le osservazioni e i ricordi di Josette Menasce Lupinacci, responsabile del movimento femminile liberale e socia del Cndi :

Per me quello che conta è lo spirito con il quale allora abbiamo lottato le une a fianco delle altre, liberali, socialiste, comuniste, democristiane, repubblicane, donne diversissime per origine, educazione, tendenze, ma unite allora tra loro da una comune convinzione : che era necessario che le donne italiane uscissero finalmente da uno stato di inferiorità politica e sociale e partecipassero insieme agli uomini alla ricostruzione dell’Italia. Del resto nessuno poteva in quei mesi negare che le donne partecipavano già, attraverso il loro immenso, eroico contributo alla Resistenza, a cancellare vent’anni di fascismo e a lavorare al rinnovamento del paese. Questo è in me il ricordo più vivo la nostra solidarietà, l’affiatamento per cui non ci consideravamo più soltanto tra noi alleate ma amiche 33.

Lo scontro ideologico e di contrapposizioni della guerra fredda esa- spera il clima politico introducendo altri schemi : prevale l’antinomia amico-nemico mentre la « guerra civile dell’anima » 34 tocca il femminismo, spazzando via ogni possibilità di collaborazione tra Udi, Cif e associa- zionismo laico. Tra il 1947 ed il 1948 l’Udi subisce una vera emorragia di adesioni. Un processo al quale ha fatto riferimento anche Jolanda Torraca raccontando la sua personale esperienza :

ben presto feci parte del Consiglio Nazionale [dell’Udi] nel quale figuravano repubblicane, socialdemocratiche e perfino alcune liberali. Ma qualche anno dopo ne uscimmo tutte insieme quando l’Udi, sotto la presidenza di Maria Maddalena Rossi, succeduta a Rita Montagnana, allora moglie di Togliatti, cadde completamente in mano al Partito comunista 35.

Vale però la pena aprire una riflessione anche sulle difficoltà e sul nuovo assetto politico e sociale del dopoguerra. La partecipazione delle donne, compresa la mobilitazione Pro voto, frutto della nuova consapevolezza maturata dalla guerra e dalla partecipazione alla Resistenza, sostenuta in

32. Ibid. 33. G. Saija, « Un legame che non si è spezzato », Noi donne, 9 gennaio 1955. 34. R. Bodei, Il noi diviso. Ethos e idee dell’Italia repubblicana, Torino, Einaudi, 1988. 35. J. Torraca, La mia storia, p. 142. Una galassia femminile… 257 molti casi da un sincero sentimento di appartenenza di genere, si intrecciò con la presenza di due nuove variabili. Lo scenario del dopoguerra è domi- nato da almeno due novità, i partiti di massa e il suffragio femminile, entrambi segno dei processi di modernizzazione visibili nelle società euro- pee a partire dalla grande guerra, che infrangono i vecchi meccanismi della politica e formulano nuovi, altri standard di aggregazione diametralmente opposti ai precedenti e decretano l’impossibilità di un ritorno indietro, ovvero il ripristino di organizzazioni confacenti a modelli politici elitari. Questi processi travolgono pure la possibilità di ripristinare le forme spe- rimentate dal primo femminismo, unioni fondate sull’appartenenza di genere. I partiti sono considerati strumenti d’intervento politico, mezzi atti a stimolare, a convogliare la partecipazione e fare fronte alla frammen- tazione della società. Soprattutto per le antifasciste, che formavano il ceto politico femminile dell’Italia repubblicana, essi apparivano alla stregua di una riconquista, dato che il fascismo, dopo aver decimato i militanti con la repressione e la violenza, li aveva sciolti. Nei primi anni del dopoguerra l’associazionismo femminile, pur mante- nendo intenti unitari su molti temi, è segnato da forti appartenenze politiche, ma il quadro di riferimento era fortemente mutato rispetto ai primi anni del secolo : ormai le donne votavano e non potevano non schierarsi, sostenere i propri partiti con i rispettivi candidati e candidate. A questo nuovo quadro, oltre che agli ostacoli, alle resistenze, ai travisa- menti e ai pregiudizi verso le femministe, cui fa riferimento Anna Garofalo, è da attribuire la debole presa dell’associazionismo liberale. Nonostante il debole radicamento, l’Afi ed al Cndi, ebbero una funzione di stimolo sulle più ampie formazioni di matrice laica e cattolica, furono capaci di tenere vivi rapporti e scambi internazionali. Anche solo per queste ragioni, lo studio di queste espressioni - ritarie è significativo. L’analisi dei programmi e degli interventi di queste forze potrebbe portare alla luce l’ampiezza del dibattito sulla cittadinanza avviato dalle donne, le eventuali sollecitazioni sulle elette all’Assemblea Costituente impegnate nell’elaborazione di un testo costituzionale garante dell’uguaglianza di genere. Ma vi è almeno un’altra questione che meri- terebbe di essere affrontata, individuabile fino dal primo approccio allo studio di questa « galassia femminile » : mi riferisco sia all’internazionaliz- zazione ed alla fitta rete di relazioni con altri paesi sia alla vena cosmopolita che le anima. Un dato che sollecita la riflessione sull’ingresso in Italia di nuove elaborazioni e pratiche politiche. Il contatto con le femministe di altre nazionalità e culture, con realtà più avanzate sul piano del rico- noscimento della parità di genere contribuì ad estendere gli orizzonti politici, fu un’occasione preziosa di maturazione, di comparazione con 258 Patrizia Gabrielli esperienze più progredite. Si tratta di temi e questioni che implicano una specifica attenzione alla dimensione transnazionale dei movimenti delle donne e conducono al cuore della Women’s Global History, un filone di studi che costituisce una delle punte più innovative nell’attuale dibattito storiografico sul Gender 36.

Patrizia Gabrielli Università degli Studi di Siena – sede di Arezzo

36. Per un quadro in tal senso Women’s History in Global Perspective, 3 voll., Urbana, Univer- sity of Illinois Press, 2004-2005 ; Connected Worlds. History in Transnational Perspective, A. Curthoys, M. Lake (dirr.), Canberra, Australian National University Press, 2005 ; Women’s Activism. Global Perspective from the 1890s to the Present, F. de Haan, M. Allen, J. Purvis, K. Daskalova (dirr.), London – New York, Routledge, 2013 ; C.E. DuBois, K. Oliviero, « Circling the Globe. International Feminism Reconsidered, 1920 to 1975 », Women’s Studies International Forum, 32, n. 1, 2009 ; Per quanto concerne la dimensione internazionale del femminismo italiano costituisce un valido esempio E. Guerra, Il dilemma della pace. Pacifiste e femministe sulla scena internazionale, 1914-1939, Roma, Viella, 2014 ; si vedano anche M.C. Giuntella, Il protagonismo femminile internazionale, in Donna e modernità, E. Cavalcanti (dir.), Roma, Edizioni Dehoniane, 1993 ; Cittadine d’Europa. Integrazione europea e associazioni femminili italiane, B. Pisa (dir.), Milano, FrancoAngeli, 2003 ; A. Scarantino, Donne per la pace. Maria Bajocco Remiddi e l’Associazione internazionale madri unite per la pace nell’Italia della guerra fredda, Milano, FrancoAngeli, 2006. RECENSION BIBLIOGRAPHIQUE

NOTES CRITIQUES

Pierre Musitelli, Le flambeau et les ombres. Alessandro Verri, des Lumières à la Restauration (1741-1816), Rome, École française de Rome, 2016, 394 p. Remaniement d’une thèse de doctorat soutenue en 2010, le livre de Pierre Musitelli est le résultat d’une imposante recherche sur Alessandro Verri. Moins connu que son frère Pietro, auquel les études sur les Lumières en Italie ont consacré plus d’attention, Alessandro n’avait pas encore fait l’objet d’une contribution monographique. Et pourtant, comme plusieurs études récentes le montrent, il y a des bonnes raisons pour se pencher sur cet homme de lettres dont le nom est resté dans l’ombre pendant long- temps. Jeune affilié à l’« Accademia dei Pugni » de Milan avec son frère, puis membre enthousiaste de la revue Il caffé (1764-1766), Alessandro Verri fut le protagoniste d’une étonnante évolution qui l’éloigna progressivement de l’entourage milanais, et qui, selon ses camarades des Pugni, sembla « trahir » les valeurs des Lumières. À Rome, où il s’installa en 1767, il se rallia progressivement au conservatisme lié à l’Église catholique pour y finir sa vie en 1816, considéré, selon les mots de Stendhal cette même année, comme « un ultra qui exècre Napoléon ». Cette parabole intellectuelle entre la culture des Lumières et la Restauration est suggérée par le titre du volume, Le flambeau et les ombres, mettant à l’honneur les images symboliques du feu et des ténèbres qui constituent un leitmotiv fréquent dans les derniers romans de Verri. Les périls implicites d’une narration romanesque ont été soigneusement évités par P. Musitelli. En effet, la reconstruction de la biographie intellec- tuelle de Verri proposée par le chercheur est particulièrement équilibrée, attentive aussi, comme les toutes dernières pages du volume le montrent, aux enjeux sous-jacents au genre biographique. L’un des points remar- quables de ce travail est l’usage judicieux des documents : outre les écrits publiés par Verri de son vivant, le chercheur a pu utiliser un grand nombre d’inédits, conservés pour la plupart dans l’Archivio Verri de la « Fonda- zione Raffaele Mattioli per la storia del pensiero economico » à Milan. 262 Recension bibliographique

Le volume en propose quelques prémices, qui revêtent souvent un grand intérêt d’un point de vue génétique (un cas particulièrement intéressant est celui d’un article paru dans les premiers numéros du Caffé, le « Saggio di morale cristiana »). Parmi les autres brouillons conservés dans les liasses de l’archive, P. Musitelli a repéré un document singulier intitulé La lotta dell’Imperio col Sacerdozio : rédigé entre 1814 et 1815, quelques mois avant la mort de Verri, ce texte avait été soumis à l’approbation de la secrétairerie d’État du Vatican, qui en interdit la publication, sans doute en raison d’un ton qui, dans les années difficiles de la Restauration, dut paraître pour le moins étrange 1. Dans le cadre du renouveau des études sur Verri et en raison de la valeur historique de ces documents, une publication de ces inédits serait la bienvenue. Le volume s’articule en deux parties. La première est dédiée à la jeunesse d’Alessandro et à ses années de formation dans le milieu milanais, au sein du Caffé et à côté d’intellectuels tels que Cesare et Pietro Beccaria. De très belles pages sont consacrées à la présence d’Alessandro à l’« Accademia dei Pugni » et à son rôle dans le cadre de l’« écriture collective » de ce foyer d’intellectuels : P. Musitelli présente nombre d’éléments inédits sur ces années, notamment à propos de l’activité d’avocat d’Alessandro entre 1763 et 1765 et de l’écriture du traité Dei delitti e delle pene de Beccaria, dans laquelle Verri eut un rôle important. Mais les années 1760 sont aussi un moment d’ouverture et de maturation : en reprenant des pages parues dans le Caffé, P. Musitelli souligne la coprésence dès ce moment de « deux voix » parmi les textes d’Alessandro Verri. En effet, ses articles, visant à susciter un débat culturel parmi les lecteurs de la gazette, notamment sur la moder- nisation des institutions milanaises, comportaient des éléments parfois incompatibles avec les valeurs des Lumières. Le voyage à Paris d’Alessandro en 1766 en compagnie de Beccaria marque sans doute l’étape suivante de cette démarche, qui éloigna Verri des autres membres de l’« Accademia dei Pugni ». Conçu comme une occasion pour faire connaître les travaux du groupe de Milan, surtout après la publication du traité Dei delitti e delle pene, ce voyage fut une espèce de « rendez-vous manqué avec l’Europe » : si Alessandro réalisa seulement en partie les espoirs du groupe milanais, il put néanmoins savourer une nouvelle liberté, dont il voulut profiter en quittant définitivement Milan. La deuxième partie du volume est consacrée au long séjour de Verri à Rome, qui débuta en 1767. Alessandro entra dans un contexte culturel

1. Sur ce texte, cf. du même chercheur « L’inédit et l’effroi : la chute de l’Ancien Régime sous la plume d’un écrivain italien, Alessandro Verri (1741-1816) », Littératures classiques, 78 / 2, 2012, p. 164-180. Notes critiques 263 peut-être plus dynamique qu’à Milan ; comme tout étranger, il fut surtout marqué par les antiquités que les fouilles ordonnées par les papes mettaient au jour. Une sensibilité aiguë pour toute nouveauté apparaissant dans les salons romains poussa Alessandro à étudier l’anglais et le grec, à traduire Shakespeare et Homère, à composer quelques tragédies. Il s’essaya aussi au genre romanesque, d’abord avec Le avventure di Saffo (1781), qui connurent un franc succès, puis avec les deux volumes des Notti romane (1792-1804). En les situant dans le contexte romain du XVIIIe siècle, P. Musitelli souligne le caractère singulier de ces romans, fort différents de ceux de Pietro Chiari ou d’Antonio Piazza qui circulaient à l’époque. Le chercheur souligne en particulier l’importance des Notti romane, où l’affirmation du « caractère intemporel et éternel » de la domination de Rome s’allie à une vision de l’histoire « résolument à rebours », favorable à la Restauration. La distance entre Rome et Milan n’interrompit pas le dialogue entre Alessandro et son frère Pietro. Comme le montre leur correspondance 2, l’entente intellectuelle entre les deux frères continua grâce à un échange épistolaire très intense, dans le but d’« annuler l’espace » qui les séparait. L’analyse de ce saisissant corpus épistolaire permet à P. Musitelli de remarquer l’inexorable évolution d’Alessandro, sa quête d’émancipation et son désir de marquer son indépendance intellectuelle par rapport à son frère et à sa famille. Grâce à ces documents, nous savons qu’Alessandro envoyait à Pietro ses textes, et que ce dernier relisait tout ; dans ses réponses, Pietro donnait des conseils d’amélioration et montrait un enthousiasme sincère, sans cacher toutefois son incompréhension face aux écrits d’Alessandro. Les lettres des années 1770-1780, comme le rappelle le beau chapitre XV de la deuxième partie, sont parsemées de remarques plus personnelles, parfois très polémiques : si Pietro ne cachait pas son irritation à propos du lien intime existant entre Alessandro et la marquise Margherita Roccapaduli, Alessandro critiquait l’ambition et le dévouement de son frère aux affaires publiques. Un véritable conflit éclata à la mort de leur père Gabriele en 1782, lorsqu’on procéda à sa succession entre les deux frères. Le « spectacle peu glorieux » offert par les missives de cette période, parfois désagréables même deux siècles plus tard, finit seulement en 1792, sans pour autant permettre à Alessandro et à Pietro de retrouver leur ancienne entente. Dès lors, leurs échanges furent froids et parfois tendus, car des opinions divergentes séparaient désormais les deux frères et exacerbaient leurs antagonismes.

2. Après la première série de la correspondance (Carteggio di Pietro e Alessandro Verri, dal 1866 al 1797, Milan, L.F. Cogliati, 1910-1942, 12 vol.), la publication du Carteggio a recommencé en 2008, au sein de l’Edizione nazionale delle opere di Pietro Verri. Cf. Carteggio di Pietro e Alessandro Verri, Rome, Edizioni di Storia e Letteratura, 2008-2012, 2 vol. 264 Recension bibliographique

Après la mort de son aîné en 1797, l’échange épistolaire d’Alessandro continua avec sa belle-sœur Vincenza Melzi ; de ce corpus, qui éclaire les vingt dernières années de sa vie, émergent les soucis économiques, la désillusion et les doutes d’un intellectuel face à une situation politique qui, après la Révolution française, était en perpétuel mouvement. Dans sa brève et pourtant dense conclusion, P. Musitelli présente un bilan de l’itinéraire biographique d’Alessandro Verri en parlant du « récit d’une promesse non tenue ». Si sa vie rappelle celle d’autres hommes de lettres ayant vécu une période marquée par une césure historique très nette, son itinéraire semble aujourd’hui celui, irrépétible et en quelque sorte exemplaire, d’un « homme de l’entre-deux » : entre passé et présent, entre société nobiliaire et monde libéral, entre continuité et rupture. L’un des nombreux mérites de ce livre est sans aucun doute la démonstration fine et maîtrisée de l’impasse personnelle d’Alessandro Verri, douloureuse et pourtant féconde. Carlo Alberto Girotto

Pasquale Guaragnella, I volti delle emozioni. Riso, sorriso e malinconia nel Novecento letterario italiano, Firenze, Società Editrice Fiorentina, 2015, 260 p. Il bel volume di Pasquale Guaragnella riunisce una decina di saggi – uno ciascuno per Pirandello, De Roberto e Palazzeschi ; due dedicati rispet- tivamente a Sbarbaro e Vittorini ; tre, infine, incentrati su Ungaretti – tutti già pubblicati in altre sedi, ma qui raccolti sia per la loro consonanza tematica sia perché nel loro complesso danno corso a quanto l’Autore si era già ripromesso di fare dopo la pubblicazione, nel 1990, di Maschere di Democrito e di Eraclito. Scritture e malinconie tra Cinque e Seicento : allargare il campo d’indagine sulle figure del riso e della malinconia anche al Novecento. Aprono e chiudono il volume un’introduzione, Filosofia del ridere e malinconia, e una conclusione, Epilogo. Un sorriso sul volto della malinconia. Nell’introduzione Guaragnella pone come punto di partenza del suo percorso la vicenda di Angelo Fortunato Formiggini, innovativo e sfortunato autore ed editore modenese di origine ebraica – si suicidò nel 1938 all’uscita delle leggi razziali – che si esercitò sul problema del ‘riso’ sin dagli studi universitari, laureandosi con una tesi intitolata Filosofia del ridere nella quale, confutando Bergson, sosteneva essere il riso « […] l’esponente mimico di una vera e propria emozione sui generis, non in opposizione ma strettamente legata al sentimento di simpatia » (citato a p. XV) e rapportava la sua filosofia Notes critiques 265 del ridere sia ai concetti di convalescenza intesa come rinascita a nuova vita, con riferimenti a Nietzsche, sia ai temi dell’infanzia e della sessualità, richiamandosi per questo a Sully. A tutto ciò, prosegue Guaragnella, si aggiunga il fatto che « […] tra Otto e Novecento, il riso e il comico hanno disvelato spesso – giusta un’acuta osservazione critica di Ezio Raimondi, precisamente a proposito della esperienza intellettuale di Formiggini – un elemento semitico » (p. XVII) attraverso il quale il meccanismo del ridere viene collegato a quello del piangere, in un’identità bifronte e problematica, malinconica e perciò al tempo stesso sofferente e allegra. In un’ampia messe di rimandi ad autori italiani e stranieri, da Alberto Cantoni a Luigi Pirandello, da Baudelaire a Kafka, Guaragnella ricostruisce dunque la storia e la fenomenologia del riso e del pianto nella nostra letteratura del Novecento, evidenziando la complementarietà di questi due elementi e la logica che sottende a questa connessione : il riso è una maschera che l’individuo si pone sul volto per nascondere il dolore che lo strazia ; il ridere è anche un’azione che implica una presa di distanza del soggetto non solo verso il proprio dolore – ridere di sé – ma anche verso l’insensatezza della realtà del mondo – ridere degli altri – ; l’umorismo è visto come un’erma bifronte, in cui una faccia ride di quella che piange ; riso e pianto sono quindi l’espressione di un unico sentimento : la malinconia. Da queste prime riflessioni derivano le analisi proposte dall’Autore nel corpo del volume. Si parte da Pirandello e da I vecchi e i giovani – romanzo pubblicato nel 1913 e che si inserisce tra i maggiori nella lunga scia di testi che molti autori siciliani hanno dedicato al tema del Risorgimento tradito – di cui Guaragnella analizza con finezza le pagine d’esordio, rintracciandovi preannunciati i tratti peculiari che caratterizzano tutto il romanzo : un umorismo amaro che della descrizione del paesaggio e di quella del primo personaggio che compare sulla scena, capitan Sciaralla, fa allegoria del tempo e della storia presenti all’Autore : un tempo e una storia immobili, statici e popolati da fantasmi che altro non trasmettono al lettore se non un’infinita malinconia. Il racconto scritto nel 1921 da De Roberto e intitolato La paura, con la sua carica demistificante nella descrizione della vita dei soldati nelle trincee della Prima guerra mondiale, occupa il secondo capitolo. A questo proposito Guaragnella non manca di segnalare l’extravaganza di questo testo rispetto agli altri di tema simile composti da De Roberto e, soprattutto, rispetto alle intenzioni propagandistico-mitizzanti con le quali quest’ultimo li aveva composti. Extravaganza dovuta a una metodologia compositiva ispirata all’oggettività di un realismo descrittivo, basato su un lungo lavoro di documentazione preparatoria, che finisce però, pur inconsapevolmente, per negare la prospettiva ideologica. Nel racconto i volti complementari 266 Recension bibliographique della malinconia sono rappresentati dal viso ridente del soldato Gusmaroli e da quello triste del soldato Zocchi, simboli viventi e moderni del sorriso democriteo e del ciglio asciutto eracliteo. Ma oltre ai due appena citati, tutti i protagonisti della novella derobertiana collaborano ugualmente alla rappresentazione di una realtà ben diversa da quella che ha voluto essere la sua narrazione ufficiale : una realtà, conclude Guaragnella, costituita da « quella drammatica “corporeità” che un artista grande e infelice, quale fu certamente Federico De Roberto, riuscì a rappresentare “dal vero” nel tempo ultimo della sua vita e della sua carriera di scrittore » (p. 58). Al capitolo su Palazzeschi, intitolato Arte del ridere e malinconia nel primo Palazzeschi e incentrato sia su romanzi come Il codice di Perelà sia sul Controdolore, seguono i due capitoli dedicati a Sbarbaro, Esercizi di scrittura sulla Grande Guerra. Camillo Sbarbaro e i volti delle emozioni e « Tristezza asciutta e lucida follia dànnosi in te la mano ». Osservazioni tematiche sull’ “Addio a Pierangelo” di Camillo Sbarbaro, e quelli riservati a Vittorini, Prove di ricezione e fantasticherie melanconiche. In margine a un racconto del giovane Vittorini e Figure del riso e della malinconia in Conversazioni in Sicilia. Tutti questi autori con le opere sulle quali Guaragnella si sofferma sono accumunati da un unico sentimento : la malinconia. Una malinconia derivante dalla sensazione di vivere in un presente estraneo, se non ostile, e in quanto tale incomprensibile, fonte di infinite e assurde sofferenze alle quali si può resistere solo richiudendo in sé il profondo dolore che da ciò deriva e mostrando al mondo il volto sorridente dello sberleffo, come in Palazzeschi, o il viso sereno dell’allegria nonostante tutto, come in Ungaretti. E proprio al maggior poeta dell’allegria, quell’Ungaretti che da Harvard scriveva a Leone Piccioni « Non posso non avere il pianto dentro di ma per gli altri non avrò mai il muso e continuerò a ridere fino alla fine dei secoli. […] Sono allegro, almeno d’aspetto ; ma sai quale implacabile ironia ci sia, per me, nella parola Allegria » (citato a p. XXVI), sono dedicati gli ultimi tre capitoli del volume. Guaragnella compie un percorso a tutto campo nella vicenda artistica del poeta soldato, e quindi non soltanto nella sua lirica, ma anche in alcune sue prose, come i reportages di un viaggio in Campania scritti nel 1932 per la « Gazzetta del popolo » e poi raccolti in volume con il titolo Il deserto e dopo, nei quali soprattutto attraverso l’analisi degli elementi descrittivi e paesaggistici Guaragnella riesce a ritro- vare le tracce di quel sentimento melanconico che pervade di sé tutta la poesia di Ungaretti e che egli riesce sempre e con incomparabile maestria a trasformare in sorriso indulgente verso la violenza di una realtà brutale o peggio indifferente, secondo Leopardi, a quel grumo di carne, sangue e umori animato da pensiero e coscienza che è l’uomo. Notes critiques 267

Un magnifico viaggio nel Novecento letterario italiano, quello proposto da Guaragnella al lettore, una traversata che tocca alcune delle isole maggiori del mare agitato e difficile di questo secolo ; isole che, pur nel loro credersi lontane da tutto e da tutti, sono riuscite a creare un nucleo coerente di consapevolezza al quale tutti noi, comuni naufraghi, possiamo aggrapparci.

Luca Bani

Carlo Di Lieto, La scrittura e la malattia. Il « male oscuro » della letteratura, prefazione di Claudio Toscani, Venezia, Marsilio, 2015, 455 p. Una metodologia di analisi squisitamente psicanalitica guida l’Autore di questo volume nel suo percorso alla ricerca non tanto del tema della malattia nella letteratura italiana del Novecento, quanto del rapporto tra malattia e scrittura, cioè della condizione di malattia nella quale versano molti degli autori di questo secolo e che, nonostante questo possa apparire paradossale, diventa status imprescindibile per riuscire a comprendere pienamente la natura del malessere che pervade il tempo e la realtà nei quali hanno vissuto e operato. Perché la realtà è malata, e a dirlo è forse il più famoso dei malati « letterari » del Novecento, Zeno Cosini, nel finale del romanzo a lui dedicato : « La vita somiglia un poco alla malattia come procede per crisi e lisi ed ha i giornalieri miglioramenti e peggioramenti. A differenza delle altre malattie la vita è sempre mortale. Non sopporta cure. Sarebbe come voler turare i buchi che abbiamo nel corpo credendoli delle ferite. Morremmo strangolati non appena curati ». Il viaggio proposto da Carlo Di Lieto nelle vicende e nelle opere degli scrittori contemporanei da lui canonizzati diventa quindi un percorso di conoscenza o, meglio, di conoscenze, perché ciascuno di essi ha percorso una strada diversa dagli altri, intraprendendo una personalissima discesa negli inferi della malattia e del disagio che gli ha però consentito di acquisire, benché dolorosamente, una propria e singolarissima consapevolezza della realtà. Nessuna delle vie percorse dai protagonisti del volume di Di Lieto è più efficace o meno indolore delle altre, ma tutte sono originali e, soprat- tutto, tutte sono complementari le une alle altri, come singole parti di una totalità gnoseologica alla quale l’essere umano non può rinunciare, pena l’incosciente e muta rassegnazione delle greggi vanamente interrogate dal pastore di leopardiana memoria. Ecco allora che la tassonomia delle malattie di cui può soffrire lo scrit- tore contemporaneo influenzandone la vicenda artistica determinandone 268 Recension bibliographique la scrittura diventa per Di Lieto la griglia tematica sulla quale strutturare l’indice del volume e la divisione in capitoli. Dopo la Prefazione a firma di Claudio Toscani e l’Introduzione dell’autore, il lettore si trova a dover affrontare quattro sezioni, ciascuna delle quali rappresenta una specifica categoria patologica e raggruppa gli autori che ad essa possono essere ricondotti. Si inizia dunque con il capitolo intitolato La malattia e l’altro da sé, con apertura su Svevo – e da chi si poteva cominciare altrimenti ? – Gozzano e Pirandello ; si prosegue con Il lato oscuro dell’essere, che raccoglie saggi su Saba, Buzzati e Tobino ; il terzo capitolo è dedicato a L’io diviso e il « male oscuro » e vi si tratta di Berto, Campana e Bonaviri, mentre il quarto si concentra sul Mal-essere della mente e la « letteratura malata » e, come scrittori, su Moravia, Merini e Morante. Ovviamente Svevo, si diceva. Per lo scrittore triestino la scrittura diventa terapia attraverso la quale il suo alter ego Zeno cerca di governare le dipen- denze, le nevrosi, le inadeguatezze e le indecisioni che lo affliggono ; ma soprattutto diventa pretesto per ragionare, come si può dedurre dalla breve citazione all’inizio di questa recensione, sul concetto di malattia in sé e sul suo rapporto con la realtà del mondo. Di malattia fisica – il cosiddetto « mal sottile » – che si trasforma in malattia esistenziale e si manifesta attraverso un preventivo distacco dal mondo per isolarsi in una rarefatta dimensione di malinconica attesa della morte e di creatività lirica direttamente propor- zionale alla patologia si parla a proposito di Gozzano, mentre di Pirandello viene richiamata la condizione di disagio per la schizofrenia paranoide della moglie che porta alla riflessione e alla traduzione letteraria dei temi dell’altro, dello sdoppiamento, della moltiplicazione delle identità, della maschera e della pazzia come unica e affidabile prassi ci conoscenza. Il principale Lato oscuro dell’essere di Saba si materializza, invece, nel disagio provato nei confronti dell’esistenza nel suo complesso : un concentrato di dolore, di privazioni, di conflitti e di nevrosi che a partire dall’infanzia – tema ricorrente della sua lirica – ha intriso tutto il suo vissuto e dal quale il poeta è riuscito a salvarsi, o che perlomeno è riuscito a dominare, solo attraverso l’esercizio diuturno della scrittura lirica. L’acutezza interpretativa e la sicura padronanza dei metodi di analisi psicoanalitica con la quale Di Lieto attraversa le vicende e le opere dei suoi scrittori sono notevoli, ed è impossibile ricostruire nel limite di queste poche righe il percorso che partendo dagli autori già citati si addentra poi nelle ansie di Buzzati e nella follia di Tobino, nelle regressioni di Bonaviri e nelle angosce di Berto, nella malattia morale di Moravia, in quella mentale della Merini e nelle paranoie della Morante. Tuttavia, per l’esemplarità della sua vicenda, che bellissime pagine ha ispirato a Sebastiano Vassalli nel suo La notte della cometa, un accenno un poco più esteso merita il caso di Campana, Notes critiques 269 il « matto » di Marradi. In questo grandissimo poeta si incardinano, come forse mai è avvenuto prima nel panorama italiano, poesia e visionarietà, malattia e scrittura riunite nel segno di un autismo che diventa sguardo interpretativo sul mondo proprio nella misura in cui è esclusione dal esso. La patologia di Campana trascende in folgorazioni poetiche di assurdo e bizzarro che hanno del magico, o, meglio, si verbalizza in un linguaggio armato di magica potenza che diventa sconcertante illuminazione del visibile e dell’invisibile, tramutando finalmente il poeta in quel sacerdote che già Baudelaire e i simbolisti francesi ambivano a diventare. Come acutamente osserva Claudio Toscani nella Prefazione, per Campana e per tutti gli altri scrittori che come lui hanno vissuto e sofferto questa esperienza, « La malattia intride di sé il cuore della scrittura, oltre che come ingerenza tematica, come forma dei contenuti, fisionomia linguistica e sostanza espressiva. Malattia e scrittura si minacciano in territori sommersi ma si misurano alla luce della pagina » (p. 11). Luca Bani

Nuovi realismi : il caso italiano. Definizioni, questioni, prospettive, Silvia Contarini, Maria Pia De Paulis-Dalembert, Ada Tosatti (dir.), Massa, Transeuropa, 2016, 422 p. Cet ouvrage, qui présente les actes d’un colloque international qui s’est tenu du 12 au 14 juin 2014 à l’université Sorbonne Nouvelle – Paris 3, s’articule autour du débat en cours dans la péninsule sur le « retour à la réalité » : un concept fondamental pour les œuvres qui ont comme objet narratif le monde extérieur dans ses dimensions historiques, sociales et anthropologiques, avec la volonté de raconter le présent en se réappropriant l’Histoire. L’Histoire est d’ailleurs évoquée comme l’un des détonateurs de ce nouveau courant, né sous la pression d’événements politiques (tels l’enquête Mani pulite, la fin de la Première République, le berlusconisme) et sociétaux (les crimes de la mafia et de la camorra, l’immigration, la mondialisation). La variété des approches et des problématiques réunies a donné lieu à une répartition en six sections, respectivement intitulées Irriducibilità della realtà e costruzione epistemologica ; Storia e fatti : dall’esperienza alla narrazione ; Scritture ibride e nuovi linguaggi ; Il ritorno dell’io ; Derealizzare la realtà ? ; Nuovi realismi in scena. Le recueil s’ouvre par la réflexion du philosophe Maurizio Ferraris – l’auteur du Manifesto del nuovo realismo 3 – qui, pour interroger le concept de réalisme, remonte aux sources de la pensée

3. M. Ferraris, Manifesto del nuovo realismo, Rome – Bari, Laterza, 2012. 270 Recension bibliographique aristotélicienne : la mimesis doit être différenciée entremythòs (la narration de l’universel qui révèle les lois générales de l’action humaine) et historìa (la narration du particulier) ; c’est cette dernière qu’il faut privilégier, car l’individualité concrète, par son caractère exemplaire, est appelée à devenir mythòs. Plutôt qu’à l’aristotélisme, Donata Meneghelli et Davide Luglio reviennent au modernisme : les tenants du nouveau réalisme, considérant que le retour à la réalité sonne la fin du modernisme, tiennent ce dernier pour synonyme de « scepticisme, relativisme, pastiche et fin des grandes narrations ». En revanche le modernisme bien compris n’exclut pas une prise sur la réalité, tandis que « la réalité » est un concept problématique et souvent mal différencié de la fiction. Nicolas Bonnet préfère se référer à Barthes (la littérature ne reflète pas le réel, mais le représente) et à Eco, romancier d’après lui réaliste par son respect scrupuleux des contextes historiques et culturels, et non postmoderne. Au nouveau réalisme qui s’enracine dans les faits, Sarah Amrani attribue l’année 1994 comme « année zéro » : avec l’arrivée en politique de Berlusconi et le passage de la Première à la Seconde République, la question du pouvoir devient centrale, et suscite en réaction le réalisme documentaire et les romans-enquêtes proches de la prose journalistique. La dimension éthique est à l’œuvre dans les numéros spéciaux du Diario della memoria examinés par Claudio Milanesi : dans un contexte qui efface les différences entre fascisme et antifascisme, le devoir de mémoire devient prioritaire, tout particulièrement les récits liés à la mémoire de la Shoah. D’autres « retours à la réalité » relèvent d’un contexte particulier : la littérature sarde contemporaine renverse les stéréotypes de la « sardité » par la connaissance des réalités anthropologiques, sociales et politiques de l’île (Giuliana Pias), tandis que les dernières anthologies de littérature industrielle donnent une représentation réactualisée de la condition ouvrière en valorisant la « letterarietà » des textes (Claudia Zudini). Quels sont, par ailleurs, les « effets de réalité » recherchés par la littéra- ture italienne d’aujourd’hui ? Si les décennies 1970-1990 ont été marquées par le refus du réalisme, le déguisement et l’exotisme, depuis les années 2000 priment des choix thématiques, des conventions formelles et des codes esthétiques qui visent à authentifier le réel. Gianluigi Simonetta les énumère : l’emploi de la première personne (synonyme de non-fiction), l’utilisation de documents et de sources, le recours à la paralittérature et notamment au roman « noir » (judiciaire et journalistique), les effets linguistiques (les jargons, les formes régionales ou recherchées) et les thèmes à forte connota- tion réaliste (banlieues, quartiers sensibles ; immigrés, criminels, ouvriers). Plusieurs auteurs sont ensuite vus sous l’angle d’un « retour au réel » qui va de pair avec la recherche de nouveaux langages : l’écrivain Giorgio Vasta Notes critiques 271 par Manuela Spinelli, les poètes Alessandro Broggi et Andrea Inglese par Ada Tosatti. La thématique du paysage permet à Andrea Inglese d’interro- ger les rapports entre le texte poétique et le nouveau réalisme, tandis que Giorgia Bongiorno préfère l’expérience de la marge pour analyser chez Gian Maria Annovi et Francesco Targhetta un langage qu’on peut définir « post-lyrique ou anti-lyrique ». La quatrième section est celle du « retour du je » : le « je » qui raconte à la première personne doit-il être inscrit dans la réalité autobiographique ? Raffaele Donnarumma rattache le « je » montrant sa subjectivité dans son discours à la « prose hypermoderne » 4 lorsqu’il analyse les « egofonie » de Magrelli, Trevi et Siti, tandis que Lorenzo Marchese se penche sur le réalisme paradoxal de l’autofiction – une prose apparemment autobiographique qui laisse entendre que la matière de l’histoire racontée doit être interprétée comme fausse – chez Giulio Mozzi et Giuseppe Genna : le premier s’éloigne du journal intime par des situations improbables, le deuxième fait preuve d’un égocentrisme narratif absolu. Des cas particuliers sont en revanche directement liés à l’expérience comme source du récit : l’expérience de la maladie et de la vieillesse, que Laura Grimaldi et Gina Lagorio racontent sans les romancer (Hanna Serkowska) ; l’expérience de la migration, dans les formes hybrides d’autobiographie et de fiction dans les ouvrages rédigés en collaboration entre un auteur migrant et un auteur natif (Ugo Fracassa). D’autres écrivains adoptent des dispositifs et des stratégies qui rendent la limite entre la réalité et la fiction de plus en plus opaque, transforment le roman en stratification infinie de discours et obligent le lecteur à trouver lui-même une interprétation : il s’agit du réalisme exigeant de Siti, Vasta et Sortino (Giacomo Raccis), ou bien de la manière d’Antonio Moresco de réagir au « réalisme déprimé », qui dévitalise la réalité et transforme les faits divers en fictions, en dénonçant ses mensonges (Laurent Lombard) ; avec Gabriele Frasca et Laura Pugno, Antonio Moresco est aussi auteur de romans de science-fiction, où l’on atteint dans des mondes imaginaires le degré ultime de la réalité (Giovanni Solinas). La recherche des effets de « déréalisation » est aussi perceptible dans le film Bella addormentata de Marco Bellocchio et le récit Una bella addormentata de Marco Mancassola : dans ces deux narrations, le réalisme ordinaire est dépassé par la manière de combiner l’évènementiel avec l’imaginaire, jusqu’à atteindre, par le regard porté sur ce qui ne peut être compris par la raison, ce que Monica Jansen appelle un « réalisme mystique ». Le nouveau réalisme s’impose aussi dans le cinéma : alors que le néo-réalisme de l’après-guerre était mimétique,

4. Un concept défini par lui-même dans R. Donnarumma,Ipermodernità. Dove va la narrativa contemporanea, Bologne, Il Mulino, 2014. 272 Recension bibliographique aujourd’hui la réalité représentée par les cinéastes est le résultat d’un travail d’hybridation, de redéfinition, de réaction à ce que nous offrent quotidien- nement les médias (Manuel Billi). Les exemples de ce nouveau réalisme filmique aux prises avec les modalités de représentation de la réalité sont nombreux : La mia classe de Daniele Gaglianone est un docu-fiction sur l’immigration (Oreste Sacchelli) ; Diaz de Daniele Vicari substitue un récit filmique à la réalité (Fabien Landron) ; enfinTeatro di guerra de Mario Martone réunit dans un même scénario la guerre civile en Bosnie et les guerres fratricides de la camorra à Naples. La section consacrée au cinéma constitue le dernier volet de ce volume, qui dresse une cartographie complète de la production littéraire et de la réflexion critique des dernières décennies en Italie, au centre de laquelle prime la question cruciale des rapports entre représentation et réalité, réalité et vérité, fiction et non-fiction.

Mariella Colin

Le mythe repensé dans l’œuvre de Giacomo Leopardi, Perle Abbrugiati (dir.), Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 2016, 506 p. Cet ouvrage, qui est une contribution majeure au dossier de la critique léopardienne, réunit les communications présentées au prestigieux colloque qui s’est tenu à l’université de Provence du 5 au 8 février 2014, où sont intervenus d’éminents spécialistes européens de Leopardi. Il représente l’aboutissement d’un vaste programme de recherche de l’équipe caer sur la réécriture du mythe, qui a donné des pistes de réflexion pour les mythes littéraires. À la fois discours, représentation et création de concepts, cette catégorie esthétique narrative et révélatrice se prête bien à être étudiée dans tous les niveaux de sens et selon toutes les nuances qu’elle recouvre dans l’œuvre de Leopardi, même si ce dernier n’utilise jamais ce terme. Dans une introduction magistrale, Perle Abbrugiati donne une vision synthétique des valences du mythe chez Leopardi, et pose les repères qui vont orienter la lecture du recueil. Elle esquisse une typologie du mythe reliant ses valences à des textes majeurs – Il passero solitario (mythe et nostalgie), Storia del genere umano, Alla primavera o delle favole antiche (mythe et illusion), Frammento apocrifo di Stratone di Lampsaco, La ginestra (mythe et cosmogonie), Dialogo d’Ercole e Atlante, La scommessa di Prometeo (mythe et dérision) – et rappelle les éléments clés qui jalonnent le récit mythique de la philosophie de l’auteur en donnant naissance à des « mythes léopardiens » : la Lune, la Nature, le Genêt. Ensuite, par une articulation Notes critiques 273 judicieuse des approches suivies par les contributeurs – explorant tour à tour la présence ou la perte du mythe ainsi que la pensée qui les sous-tend, étudiant les sources mythiques de l’écriture de Leopardi, contextualisant son rapport à la mythologie et son traitement des mythologies anciennes et modernes –, elle les regroupe en huit parties : 1. Le mythe repensé ; 2. Les apocryphes ; 3. Nouveaux contours de mythes classiques ; 4. Transparences mythiques ; 5. Mythes d’Operette ; 6. Mythes modernes ; 7. Mythes léopar- diens ; 8. Leopardi mythique. Il s’agit tout d’abord de donner des définitions du mythe léopardien et d’examiner les liens entre mythe et poésie. Giuseppe Sangirardi en trace la cartographie et distingue deux phases dans l’écriture léopardienne (celle du Leopardi mythologue, qui analyse les mythes anciens et modernes, et celle du Leopardi mythographe, qui écrit ou réécrit les mythes) ; une distinction qui n’est pas étanche, car la mythographie léopardienne n’est pas disjointe de la réflexion sur le mythe. Antonio Prete distingue également deux mou- vements, proches et entremêlés, marqués par la présence et l’absence : la présence des mythes dans le répertoire transmis par l’Antiquité et l’absence dans la fin de la mythologie lors du passage à l’Histoire et à la Raison. Anna Dolfi voit dans le mythe un langage qui ne s’oppose pas au logòs mais le complète, dans une langue originelle qui finit par se confondre avec le chant. Vient ensuite la contextualisation de la réflexion mythologique léopardienne : Alberto Folin le situe par rapport au néo-classicisme italien, Fabiana Caccia Puoti dans un axe diachronique Gravina-Vico-Leopardi, Fabio Camilletti et Martina Piperno au cœur de la polémique opposant les classiques aux romantiques dans la revue milanaise Biblioteca Italiana (à laquelle il faut rapporter le Discorso di un italiano intorno alla poesia romantica). La poésie mythologique classique est aussi objet d’étude et d’imitation de la part de Leopardi, qui choisit la forme apocryphe pour formuler sa pensée dans la Storia del genere umano, le Cantico del gallo silvestre et le Frammento apocrifo di Stratone di Lampsaco (Alessandro Marignani), ou bien qui entretient un rapport ironique avec la culture critique en exhibant, avec l’Inno a Nettuno, la fausse traduction d’un texte inexistant (Ludo- vico Cesaroni), où brille son habileté à manier l’alexandrin (Margherita Centenari). Parmi ces apocryphes, le Cantico del gallo silvestre apparaît comme un véritable carrefour mythique par le foisonnement des sources convoquées (Melinda Palombi). Mais la présence des mythes classiques est le plus souvent explicitement déclarée et exploitée dans la poésie de Leopardi, où la création de mythes nouveaux passe par l’absorption de références mythiques et mythologiques reconnaissables. Dans L’ultimo canto di Saffo, il s’approprie le mythe de Sappho (Enzo Neppi), dans 274 Recension bibliographique

All’Italia et Per le nozze della sorella Paolina, il évoque les exemples grecs et latins de Léonidas et de Virginie (Chiara Gaiardoni), dans le Dialogo della Natura e d’un’Anima, les mythologies de la chute (Andrea Natali), et dans Amore e morte, l’invention mythique de la « Mort-Jeune fille » rappelle le couple d’Amour et Psyché (Monica Ballerini). Dans les Paralipomeni della Batracomiomachia, réécritures et contaminations sont également à l’œuvre dans le personnage de Dédale (Francesca Sensini), tout comme dans la représentation de l’Enfer (Cosetta Veronese). Cette présence se fait en revanche plus discrète lorsque les « mythes susurrés » apparaissent en filigrane, tels Eco et Philomèle dansAlla Primavera (Michael Caesar), Hector et Achille dans le Zibaldone (Gilberto Leonardi) et Orphée dans Spento il diurno raggio (Tommaso Tarani). Une place centrale (dans tous les sens du terme) est réservée aux mythes dans les Operette : mythes classiques dépouillés de leur sacralité et transformés par Leopardi prosateur, qui joue les mythologies anciennes contre les modernes, pour qu’elles se démasquent réciproquement ; parfois affichés et parfois dissimulés, mais toujours objets d’un retournement de sens, les mythes de l’Antiquité sont utilisés comme des noms qui ne disent que l’absence, tels les fantasmi dans la Storia del genere umano (Floriana Di Ruzza). Dans le Dialogo della Natura e d’un’Anima, c’est le mythe d’Er dans La République de Platon qui est démasqué : personne n’est maître de son destin, car tous les hommes naissent et vivent nécessairement malheureux (Andrea Cannas) ; dans la Storia del genere umano et le Dialogo di un Fisico e un Metafisico, on trouve la trace du mythe de Silène rapporté par Plutarque, selon lequel le non-être est préférable à l’être (Luigi Capitano). Dans le Dialogo della Moda e della Morte, la Mode est un mythe mortifère des temps modernes, car elle est liée à la Mort dans un circuit perpétuel de production et de destruction (Alessandra Aloisi). Dans la Scommessa di Prometeo, Leopardi réécrit le mythe antique de la rébellion humaine à la volonté divine ; le rite indien du sacrifice de la veuve brûlée sur le bûcher de l’époux détruit l’idée du salut par la modernité (David Gibbons). D’ailleurs les mythes modernes sont des illusions de la raison, toujours négatives, à l’opposé des anciennes, parce qu’elles accentuent le malheur et rendent impuissants ceux qui les adoptent (Philippe Audegean). Le nouveau mythe qui démontre l’inanité de la pensée du XIXe siècle s’appelle « le progrès » ; Leopardi en fait la satire dans la Palinodia al marchese Gino Capponi (Fiorenza Ceragioli), démontre que le bonheur ne peut en aucune façon être lié à l’instruction populaire (Antonio Di Meo), et ironise sur les valeurs prônées par la doctrine libérale des « nuovi credenti » dans les Paralipomeni della Batracomiochia (Andrea Penso). Le mythe de l’unité nationale n’est pas non plus une illusion positive : dans les Canzoni, c’est la Notes critiques 275 perception d’une absence associée à la nostalgie d’un passé glorieux, que la langue italienne n’a nullement compensé (Alfredo Luzi) ; quant aux Italiens, d’après le sarcasme amer et désespéré du Discorso sopra lo stato presente dei costumi degl’italiani, le cynisme est le trait qui caractérise le mieux ce peuple qui a perdu son ancienne grandeur (Fulvio Senardi). Viennent alors les mythes léopardiens, créations poétiques et philoso- phiques de l’auteur des Canti. Premier d’entre eux, le mythe de la lune ; en particulier dans Spavento notturno et Canto notturno di un pastore errante d’Asia, où l’astre est tour à tour lumière (point de référence, guide), visage (spectatrice des vicissitudes terrestres), divinité omnisciente par sa position ; mais c’est une divinité déchue et absente (Antonella Del Gatto). Les ruines ont une double fonction, critique et gnoséologique : symbole par excellence de la grandeur de l’Antiquité, elles évoquent un temps prestigieux mais irrécupérable dans All’Italia, mais sont la preuve de la fragilité des choses et des hommes devant la Nature dans La Ginestra (Patrizia Landi). Dans celle-ci, le poète crée un mythe moderne de la métamorphose, lorsque ce ne sont plus les figures mythologiques qui se transforment, mais le poète lui-même, quand le genêt devient le témoin de la disparition de la civilisa- tion (David Jérôme) et que la « noble nature » qui se dresse face au mal qui pèse sur la condition humaine devient une figure mythique à forte valeur autobiographique (Giuseppe Antonio Camerino). C’est ainsi que Leopardi peut devenir lui-même un mythe, lorsque les fondamentaux de sa pensée prennent une valeur mythique aux yeux du lecteur (Fabrice De Poli), ou bien quand des philosophes tels que Gentile, Croce et Gramsci accréditent l’idée d’un pessimisme philosophique qui provoquerait l’optimisme du cœur ou du moins de l’action (Stéphanie Lanfranchi).

Mariella Colin

Luca Bani et Yannick Gouchan, La figura del fanciullo nell’opera di D’Annunzio, di Pascoli e dei crepuscolari, Milan, Cisalpino, 2015, 284 p. Avec cet essai à quatre mains, Luca Bani et Yannick Gouchan se penchent sur un domaine qui n’avait pas encore été étudié en profondeur par la critique : celui de la construction et de la signification de la figure de l’enfant dans la poésie italienne contemporaine, lorsque ce thème devient central dans l’imaginaire littéraire. Il servira aux deux critiques de fil conducteur pour interpréter un important corpus d’œuvres entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle, unissant les deux poètes majeurs que sont D’Annunzio et Pascoli au groupe des poètes « crépusculaires ». 276 Recension bibliographique

L’ouvrage s’ouvre par un chapitre introductif de Luca Bani, qui retrace l’évolution de la représentation enfantine depuis l’Antiquité jusqu’à la fin du XIXe siècle, dans une synthèse attentive aux étapes principales qui la jalonnent. L’enfant « fuori del tempo » de la civilisation grecque et latine devient un être marqué par la faute dans les textes chrétiens, avant de connaître un nouveau statut au XVIIIe siècle (notamment avec Rousseau), puis à l’époque du romantisme allemand (lorsque l’enfant atteint une condi- tion ontologique de perfection et de pureté absolues). Naît ainsi le culte de l’enfance, dont Dickens, qui fait de ses personnages enfantins (Oliver Twist, David Copperfield, Nicolas Nickleby, Little Dorrit) les protagonistes de ses romans, sera le premier grand représentant en littérature. Viendra ensuite la floraison européenne de la nouvelle catégorie du Bildungsroman, avant la représentation vériste de l’enfant travailleur, puis la remise en question de l’idéalisation enfantine par des écrivains tels qu’Henri James (Le Tour d’écrou) et Thomas Mann (La mort à Venise). Dans le deuxième chapitre, le thème de l’enfant sert de fil conducteur à L. Bani pour une exploration des images et des motifs par lesquels il s’inscrit dans l’œuvre de D’Annunzio. Le traitement de la figure enfantine est marqué par une opposition irréductible entre la prose et la poésie de l’auteur : l’une dramatise et humilie la condition enfantine, l’autre la magnifie. Dans la littérature narrative du pescarese, les recueils de nouvelles mettent en scène la nature sauvage et la société primitive des Abruzzes d’après le canon du naturalisme : dans Terra vergine, les enfants sont décrits comme des êtres monstrueux, plus proches des bêtes que des humains, selon le goût pour l’horrible et le répugnant qui caractérise D’Annunzio vériste ; dans Le novelle della Pescara, ce sont souvent des êtres misérables, physiquement et moralement, dont l’enfance est sans espoir et la vie sans futur. Les romans en revanche mettent en scène l’enfant de la bourgeoisie, et en font un élément topique pour refléter l’esthétique du décadentisme et signifier le pessimisme éthique et existentiel de l’écrivain. Dans Il Piacere, à côté de l’enfance populaire apparaît l’enfance bourgeoise, fragile et maladive ; dans le Trionfo della morte, les personnages enfantins préfigurent l’« inettitudine a vivere » de l’artiste bourgeois, et sont des messagers de la mort qui attend le protagoniste. Il en va tout autrement dans la poésie, où le motif de l’enfance et la figure de l’enfant vont être au cœur de l’évolution de la poétique dannunzienne : dans Canto novo (livre III), l’enfant est un être « primitif », mais fier et doté d’une force primordiale,alter ego de D’Annunzio rêvant d’une nature panique et d’une terre vierge ; dans le Poema paradisiaco apparaît le thème nouveau de l’innocence liée à l’enfance et au retour à l’espace domestique des années juvéniles, et dans la figure dupuer se réalise le rêve de la régénération du poète. En revanche, dans le recueil Notes critiques 277 suivant (Maia) commence le parcours qui aboutira à une vision mythique de la Grèce où se fondent enfance de l’artiste et enfance du monde ; un parcours qui sera couronné ensuite dans Alcyone par le triomphe de l’esprit dionysiaque, s’incarnant dans l’enfant-dieu Hermès. Musicien et archer, poète et guerrier, hypotypose de la nature et de l’art, « nel fanciullo alcyonio è possibile rintracciare l’essenza più pura e sincera della poetica dannunziana » (p. 123), une poétique qui sera reprise dans le livre III des Laudi. Dans les chapitres suivants, Yannick Gouchan poursuit la même investigation chez les poètes du début du XXe siècle. Pascoli s’impose d’emblée comme le « poeta del Fanciullino », tant son esthétique, proche du symbolisme européen, apparaît rattachée à la métaphore du puer ut poeta, possédant la capacité de s’émerveiller et de s’émouvoir qui est à l’origine de la création artistique ; le poète qui lui ressemble est celui qui saura décrire le monde et exprimer les sentiments. Si l’enfant métaphorique est la figure centrale de la poétique pascolienne, les personnages enfantins qui peuplent ses compositions sont porteurs d’une forte composante autobiographique, liée à la tragédie familiale vécue par le poète ; Myricae avant tout, mais aussi Primi poemetti, Nuovi poemetti et Canti di Castelvecchio sont peuplés de figures pathétiques d’enfants confrontés à la misère et à la mort, la leur ou celle de leurs parents. Les mêmes racines autobiographiques sont à l’origine d’autres motifs soulignés par Y. Gouchan, comme les métaphores ornitho- logiques des hirondelles ou du nid (le foyer familial détruit par l’assassinat du père, que le poète a voulu ensuite reconstruire avec ses jeunes sœurs) et les métaphores florales (qui représentent l’Eden de l’enfance, mais aussi le sort des jeunes êtres fauchés par la mort comme des fleurs pas encore écloses). Une réflexion plus générale sur la condition humaine est celle que le « fanciullo etico » peut donner à l’adulte, en réalisant les idéaux de la solidarité et de la fraternité comme dans les deux apologues emblématiques de I due fanciulli et I due orfani ; mais cette identification avec l’enfant idéal comporte également une connotation régressive, signifiant le refus de l’âge adulte, car il est une nouvelle manière pour le poète de se placer en dehors du temps historique et de la société. Viennent en dernier lieu les élèves-lecteurs des anthologies de littérature latine (Lyra romana, Epos) et italienne (Sul limitare, Fior da fiore) que Pascoli composa pour les élèves des écoles secondaires. Une mission pédagogique également influencée par la poétique du Fanciullino, qui voit dans ces destinataires des alter ego capables d’entendre la véritable poésie parce qu’encore proches des privilèges de l’enfance. Le dernier chapitre porte sur « la condition crépusculaire de l’enfant » : la disposition esthétique et existentielle d’une pléiade de poètes relevant du même courant (Govoni, Moretti, Corazzini, Palazzeschi, Gozzano, Civinini, 278 Recension bibliographique

Vallini…), chez lesquels la figure enfantine est plurielle, mais toujours nécessaire pour interpréter le présent des adultes. Il ne s’agit plus de l’enfant divin de Pascoli, ni de l’enfant sublime de D’Annunzio, mais d’un enfant réel, une créature souvent en marge du monde des adultes, à laquelle le poète s’identifie dans sa recherche d’un refuge ; non plus un enfant-poète mais un poète-enfant souvent enclin à la tristesse, à la mélancolie et aux larmes (« Io non sono che un piccolo fanciullo che piange », écrit Corazzini) ; un enfant souvent malade qui se complaît dans son état de faiblesse, un enfant inerte et fragile dont la condition est exempte de pathétisme. Dans ce répertoire d’images pour la création poétique, dont Y. Gouchan dresse ici un riche inventaire, figurent d’autres motifs censés offrir un refuge contre les déceptions du présent, comme le chronotope de la maison de l’enfance (Gozzano, Vallini) ou celui de l’école primaire (Moretti). Mais ces rêveries d’enfance débouchent inévitablement pour les poètes crépusculaires sur le constat d’un impossible retour aux joies et à la liberté de la condition enfantine encore ouverte sur le futur.

Mariella Colin COMPTES RENDUS

Anna Maria Ortese, Le piccole persone, Milan, Adelphi, 2016, 271 p. Il convient de saluer l’initiative de l’éditeur Adelphi et le remarquable travail de présentation d’Angela Borghesi qui nous permettent de lire des textes qu’Anna Maria Ortese a rédigés entre 1940 et 1997. La plupart ont paru dans des journaux italiens, d’autres sont inédits. L’ensemble regroupe donc plus de cinquante ans d’annotations et de prises de position sur l’Italie contemporaine, sur la lente déshumanisation de la société et le mépris des puissants envers les « petites personnes », les « derniers », les « humbles », exprimées sur un ton où la colère rentrée le dispute à une sorte d’innocence bienveillante et de divagation poétique face à la beauté de l’univers. Les textes proposés, des articles essentiellement, sont disposés d’une façon thématique mais, au-delà de la distinction entre réflexions sur la nature meurtrie par un développement économique anarchique et portraits sensibles d’animaux, victimes expiatoires du pouvoir de l’argent et de la réification du vivant, se déploie dans ces écrits une même indi- gnation toujours sincère et sensible, parfois naïve, qui définit une posture d’improperium désolé et civique. On connaît l’amour d’Anna Maria Ortese pour Leopardi. De nombreux passages évoquent Le operette morali et les textes de la première partie des Piccole persone dessinent une sorte d’« histoire du genre humain » augmentée de considérations plus contemporaines sur les conséquences de la tyrannie du profit. L’idée d’une « énergie » qui circule entre les êtres vivants, fleurs et arbres compris, d’une solidarité profonde et nécessaire entre les différentes formes de vie, d’une « maison commune » où toutes les créatures méritent un égal respect, tout cela emprunte à une tradition à la fois panthéiste et religieuse qui remonte à saint François et dont Ortese n’est pas la seule représentante dans le paysage littéraire italien du XXe siècle. Mais c’est surtout quand elle parle des animaux qu’apparaît l’étonnante modernité de ces textes. Les articles réunis par Angela Borghesi datent d’une époque, pas si éloignée, où nulle loi ne les protégeait et où dominait le « spécisme », cette croyance dans l’inégalité entre les espèces vivantes, à l’avantage exclusif 280 Recension bibliographique des humains. Nul iguane ici, mais beaucoup d’oiseaux tristement encagés comme le « cardillo addolorato » du récit éponyme, de chiens et de chevaux maltraités, d’agneaux et de cochons assassinés (l’auteur parle de « peine de mort » à propos des abattoirs et de la chasse). Car Ortese évoque tous les sujets qui depuis quelques années font la une des journaux et nourrissent la pensée des philosophes : la violence de la vivisection, l’enfer contemporain des abattoirs, l’exploitation honteuse des animaux de cirque, l’archaïsme de la chasse, la barbarie de certains rituels qui confondent souffrance et spectacle, comme la corrida, l’arbitraire du droit de vie ou de mort sur des êtres jugés – mais selon quels critères ? – inférieurs. Le processus narratif de ces brefs textes est toujours le même : une anecdote rapportée par un journal qui relate un acte de cruauté envers un animal fait naître une compassion et une rage que le texte ordonne et illustre pour aboutir à un renversement de la hiérarchie traditionnelle : la bestialité est humaine et les animaux sont incapables de faire le mal. Ce retournement se traduit stylistiquement par le recours à l’anthro- pomorphisme d’un côté et à l’animalisation de l’autre. Les hommes sont des loups habités par une ambition aussi violente qu’un tigre, alors que les animaux maltraités voient leur gueule devenir visage et leur regard se mettre à juger, comme dans un passage où Ortese commente un récit de Natalia Ginzburg et qu’on ne peut lire sans penser à Lévinas ou au Derrida de L’animal que donc je suis. Et, dans une approche chrétienne et mystique présente dans de nombreux textes, c’est par l’humiliation subie que les animaux s’humanisent. Cette servitude institutionnalisée est inique aux yeux d’Ortese, et elle constitue le fil qui relie ses souvenirs d’enfance à ses indignations d’adulte devant les offenses faites aux plus faibles. Pour illustrer cette mémoire dolente, rappelons l’épisode fondateur, de saveur nietzschéenne, du paysan crachant dans les yeux de son cheval, les oiseaux qui, comme les lucioles de Pasolini, ont disparu du paysage quotidien, ou encore les animaux torturés par jeu par des enfants (et comment ne pas songer au protagoniste du Conformiste de Moravia ?). La stupeur impuis- sante face à la force obtuse qui s’exerce sur les plus fragiles peut à l’occasion devenir haine des hommes et de leur obscène suffisance. Quelques compa- raisons choquèrent à l’époque, à juste titre, comme un passage où Ortese, végétarienne assumée, tisse un parallèle entre camps nazis et abattoirs, systèmes concentrationnaires conçus par des « analphabètes moraux » et des « démons ». Les Italiens, selon elle particulièrement insensibles à la cause des bêtes – elle rapporte une polémique qui l’opposa à Goffredo Parise à propos de la chasse – , sont définis « SS des animaux ». Dans un autre texte, un même jeu d’équivalences surprenant compare lady Diana à une biche traquée par des chasseurs (d’images). Comptes rendus 281

Les animaux incarnent le plus naturellement cette attention à l’altérité des non-humains. Mais l’éthologie radicale d’Ortese devient l’ébauche d’une véritable pensée écologique qui se déploie dans ces textes et prend des formes apparemment différentes : la sauvegarde du patrimoine, le refus du nucléaire, combat pour lequel elle retrouve Elsa Morante, la condam- nation d’un développement économique qui dégrade la nature en paysage urbain et transforme la bonté de la vie – « la vie est bonne », pour citer une de ses formules au rousseauisme naïf – en lutte pour la domination. Et l’on retrouve les animaux qui, bien que victimes, conservent pour les hommes un amour indéfectible : « Un chien est un ange. Sa petite âme ne sait qu’adorer. Il adore l’homme ». Mais ce dernier est un Dieu particulier qui détruit ceux qui le vénèrent, à l’image de certains adultes qui humilient et violentent les enfants, ces autres innocents par antonomase qui, à plusieurs reprises, sont comparés aux animaux, et réciproquement, comme dans une scène poignante où Ortese dit avoir entendu un chiot de laboratoire pleurer comme un bébé. Pour ces victimes d’une barbarie moderne à échelle industrielle, Ortese préconise le chagrin et la pitié, mais aussi la prise de conscience et le combat. Elle appelle de ses vœux un durcissement de la loi envers les bourreaux d’animaux, l’interdiction de pratiques dégradantes, le soutien aux associations et aux personnalités engagées dans la défense animale, comme Brigitte Bardot qu’elle admire. Un vers de la dédicace au Dauphin que Jean de La Fontaine plaça au début de ses Fables est resté célèbre : « Je me sers d’animaux pour instruire les hommes ». Tout écrivain animalier, ce que fut aussi Ortese, s’inscrit dans cette métaphorisation élégante destinée à mieux comprendre la nature humaine. Les « petites personnes » sont la mesure qui permet de rétablir l’homme dans une juste proportion, élément parmi d’autres d’un uni- vers où chacun, à sa place, contribue à la survie d’un monde menacé par l’orgueil d’une espèce dangereusement prométhéenne. Telle est la modeste leçon des textes d’Ortese, humble dans sa formulation mais ambitieuse dans son propos. Ils forment les coulisses éclairantes de son grand œuvre qu’ils donnent envie de relire. Ne serait-ce que pour cette invitation au voyage, et pour la vertu prophétique qui les caractérise, Le piccole persone constituent une étape essentielle dans la connaissance d’Ortese, de son univers poétique et, plus généralement, de la question de l’animalité dans la littérature italienne contemporaine.

Vincent D’Orlando 282 Recension bibliographique

Paolo Giovannini, La psichiatria di guerra. Dal fascismo alla seconda guerra mondiale, Milano, Edizioni Unicopli (Biblioteca di Storia contemporanea ; 49), 2015, 165 p.

In questo volume lo studioso Paolo Giovannini si concentra, in maniera del tutto originale, sulla storia della psichiatria nella seconda guerra mondiale, con ampi riferimenti agli anni del regime fascista ; tematica sinora poco indagata in relazione a questo evento. Attraverso sei capitoli l’A. propone una panoramica degli studi condotti sulla storia della psichiatria di guerra, una « nuova “specialità”, destinata a recitare un ruolo senz’altro di primo piano nei conflitti del XX secolo » (p. 10-11). Gli anni Trenta sono definiti come la fase del « grande internamento » (p. 21) : la propaganda fascista predisponeva le famiglie al ricovero preventivo e incentivava l’impiego delle terapie convulsivanti (insulinoterapia, shock cardiazolico, elettroshock, ecc.), proponendole come strumenti terapeutici per chi si opponeva al regime. L’ampio e ambizioso progetto di « rinascita della stirpe » passava anche attraverso i canali dell’igiene mentale, e al grado di sufficiente validità fisica, richiesto agli italiani, doveva corrispondere il massimo livello dei requisiti di normalità psichica : « il confine fra normalità e follia apparve sempre più sfumato e incerto ; le gravi ristrettezze, le paure, le angosce, i lutti, i continui timori per la sorte dei propri congiunti, amici e conoscenti, fecero sì che questa soglia non potesse essere determinata con sufficiente precisione » (p. 36). Paolo Giovannini dedica alcune pagine alla descrizione di alcuni aspetti interessanti dal punto di vista neuropsichiatrico : gli ospedali psichiatrici, i militari, i prigionieri e la popolazione civile. La chiamata alle armi del personale sanitario provocò lo svuotamento coercitivo degli istituti di cura e assistenza : al picco di internati registrato in epoca fascista, corrispose, infatti, un notevole numero di dimissioni durante la guerra, « scaricando di fatto sulle famiglie il peso della gestione dei malati » (p. 59). Dall’analisi dello status quo della neuropsichiatria al fronte, emerge un complesso scenario di sintomatologie connesse non solo ai disturbi psichici e nervosi, ma anche ai traumi fisici subiti dai combattenti. L’A. offre al lettore uno spaccato di queste manifestazioni patologiche evidenziando le somiglianze e le peculiarità delle categorie analizzate, in relazione ai differenti contesti nei quali avevano vissuto. La stanchezza dei turni di guardia o dei lavori forzati e delle vessazioni, cui erano sottoposti i prigionieri, si arricchiva di ulteriori manifestazioni psichiatriche, quali la crescente introversione e l’insorgere di numerose manie e fobie. Al termine delle ostilità, i neuropsichiatri italiani furono pressoché d’accordo nel constatare che i costi più elevati della guerra erano stati Comptes rendus 283 pagati dalla popolazione civile : « psicosi e psiconevrosi di origine bellica possedevano alcune note speciali, mentre il prolungarsi delle ostilità doveva essere considerato come un importante fattore predisponente, generando una diminuita resistenza della popolazione di fronte alle scosse emotive » (p. 145). La ben strutturata opera assistenziale, che auspicavano studiosi come Dino Origlia, non trovò un riscontro concreto, e gli effetti psicopato- logici generati dal conflitto non potevano dissolversi al termine di questo. Il contributo si conclude con la menzione del XXIII Congresso nazionale della Società Italiana di Psichiatria, tenutosi a Roma nell’ottobre del 1946, al quale presero parte numerosi esperti italiani del settore. Sulla base degli Atti del Congresso, l’A. ricostruisce il dibattito di quei giorni in merito alle sorti della disciplina : nonostante le difficoltà che doveva affrontare il Paese all’indomani della guerra, tutti i partecipanti al Congresso aspiravano all’a- bolizione dei principi fascisti che avevano sorretto la disciplina psichiatrica e a un nuovo sviluppo della scienza, a partire da dove il progresso scientifico italiano si era arrestato. Antonella Torre

Piccoli eroi. Libri e scrittori per ragazzi durante il ventennio fascista, Massimo Castoldi (dir.), Milan, FrancoAngeli (Storia dell’editoria), 2016, 174 p. Pendant les années où Mussolini fut au pouvoir, les livres et les journaux pour l’enfance furent suivis avec attention par le régime, qui comprit vite les potentialités qu’ils offraient pour inculquer aux jeunes générations une nouvelle « culture » et un nouveau guide moral, et laissa peu d’échappatoires aux écrivains et aux éditeurs désireux de faire entendre une voix différente. Cet ouvrage, qui offre une vue d’ensemble sur la littérature pour l’enfance sous le fascisme, présente les actes, recueillis par Massimo Castoldi, d’un colloque consacré aux différentes manières selon lesquelles le fascisme a agi sur la production littéraire pour la jeunesse, qui s’est tenu à Milan, à Palazzo Greppi le 5 novembre 2014. L’une des formes du nouveau « canon littéraire » né dans l’entre-deux- guerres a été le « Bildungsroman fasciste » : un nouveau type de « roman de formation » qui donne une forme narrative à l’interprétation fasciste de l’après-guerre et de la marche sur Rome, en proposant des fictions qui retracent l’éducation politique d’un garçon, selon un schéma narratif et idéologique stéréotypé, par lequel l’histoire individuelle répète l’histoire collective (Mariella Colin). Mais plus encore que sur la littérature pour l’enfance, le fascisme a imprimé sa marque sur le livre scolaire, qui à partir 284 Recension bibliographique de 1930 est devenu le « livre unique d’État », à adopter obligatoirement dans toutes les écoles primaires d’Italie. Les livres de lecture en particulier, imprégnés de propagande, seront mis après 1935 au service de l’expansion coloniale et justifieront la guerre d’Éthiopie et la fondation de l’Empire fasciste, en diffusant une idéologie raciste à l’adresse des enfants (Enzo Laforgia). Oronzina Tanzarella (alias Ornella), auteur de nombreux livres scolaires dans les années 1920, rédigea ensuite plusieurs de ces « livres uniques d’État », conçus comme de véritables « romans scolaires fascistes » et structurés comme des narrations dont les protagonistes étaient des incarnations enfantines de l’idéologie du régime (Elisa Marazzi). Puis pendant la Seconde Guerre mondiale l’imaginaire enfantin sera nourri de représentations xénophobes et antisémites ; ce sont les « nouvelles valeurs fascistes » qu’on retrouve dans les années 1940 dans des publications telle que l’album illustré La favola vera del Britanno de Walter Roveroni, où l’« ogre Britanno », personnification imaginaire de la Grande-Bretagne, veut dominer le monde avec l’aide du capitalisme et des Juifs, mais sera vaincu par les enfants d’Italie et d’Allemagne (Giorgio Bacci). Parmi les éditeurs pour l’enfance confrontés aux impératifs du régime figure Mario Salani, petit fils d’Adriano, fondateur de la maison d’édition homonyme. Mario Salani s’adapta à l’esprit du régime et fit bonne place à la célébration de l’héroïsme et de la race italienne. Mais l’élimination des œuvres étrangères anglaises et françaises imposée par la censure amputa son catalogue des livres les mieux vendus, et provoqua le déclin de cette maison d’édition (Ada Gigli Marchetti). En revanche les illustrateurs connurent un sort meilleur. Bruno Angoletta se conforma certes aux directives fascistes, mais fut encore plus fidèle à la vivacité de son imagination, en créant des personnages amusants comme Marmittone, dont les caractéristiques étaient à l’opposé des stéréotypes fascistes (Giorgio Montecchi). Antonio Rubino commença par dessiner dans La Tradotta, un journal de propagande destiné aux soldats de la Grande Guerre où l’auteur-illustrateur s’évertuait à démontrer aux combattants le bien-fondé de la participation de l’Italie au conflit (Elena Surdi). Devenu par la suite « un fasciste gentil », selon la définition d’Italo Calvino, il servit certes la cause du régime en mettant sa production au service de la propagande, mais il s’en écarta par la légèreté, l’humour, les inventions fantastiques dont étaient porteurs ses dessins (Giorgio Montecchi). Viennent en dernières quelques notes dissonantes. Le premier cas à part est celui des écrivains juifs. Certains d’entre eux, d’opinions socialistes ou républicaines, furent réduits au silence ; d’autres en revanche, comme Laura Orvieto, se rallièrent à la culture fasciste en voyant dans Mussolini un garant de l’ordre national, jusqu’au jour où les lois raciales les exclurent Comptes rendus 285 du monde de l’édition (Sabrina Fava). Sont aussi atypiques les parcours de deux anciens socialistes, Giuseppe Latronico et Aurelio Castoldi : le premier, collaborateur de la collection « Scala d’oro » de la maison d’édition UTET, proposa des textes et des figures qui ne correspondaient en rien aux valeurs fascistes ; le deuxième composa une pièce qui s’inscrivait en faux contre l’idéologie raciste et impérialiste de la guerre d’Éthiopie. Ensemble, les deux intellectuels seront parmi les promoteurs de l’Enciclopedia del ragazzo italiano, qui laissera à la marge les références au fascisme. Ainsi ce volume, qui se présente comme un parcours thématique sur la littérature fasciste pour l’enfance, ouvre-t-il de nouvelles perspectives sur l’existence d’une culture enfantine qui, d’une manière ou d’une autre, resta à l’écart de l’idéologie dominante. Mariella Colin

Diego Divano (a cura di), Edmondo De Amicis a Imperia, 2 voll. (1. Catalogo dell’archivio ; 2. Catalogo della biblioteca), Firenze, Società Editrice Fiorentina, 2015 [ma 2017]. Nel corso della sua vita, Edmondo De Amicis non mantenne con Oneglia, la cittadina in cui era nato il 21 ottobre 1846, un rapporto particolarmente intenso. Solo dopo la sua morte, la città di Imperia, creata nel 1923 dall’unione di Oneglia e di Porto Maurizio, seppe riscoprire il legame con il suo scrittore, tanto da diventare, a partire dal secondo dopoguerra, la piccola « capitale » degli studi deamicisiani. Molto si deve all’infaticabile lavoro di Leonardo Lagorio, storico direttore della Biblioteca Civica imperiese, che, tra gli anni trenta e gli anni cinquanta, promosse numerose iniziative deamicisiane e cominciò la raccolta di cimeli e di manoscritti. Questo lavoro fu premiato da Ugo De Amicis : il figlio primogenito dell’autore, geloso custode fino ad allora della memoria paterna, dispose infatti che, alla morte sua e di sua moglie, il patrimonio librario e manoscritto del padre fosse destinato alla Biblioteca di Imperia. Prime conseguenze di questa donazione furono nel 1980 la pubblicazione del romanzo Primo Maggio, a cura di Bertone e di Boero, e nel 1981 la mostra e il convegno su De Amicis organizzati dal Comune di Imperia e dall’Università di Genova. Negli ultimi tre decenni, gli studiosi hanno proseguito, non senza difficoltà, le ricerche sul fondo deamicisiano, scontrandosi con la mancanza di un catalogo dettagliato dei libri e dei manoscritti ; una mancanza che è oggi finalmente superata grazie all’ottimo lavoro di Diego Divano e di altri collaboratori. Come spiega Franco Contorbia nella sua breve premessa, la pubblicazione cartacea si inserisce in un più ampio lavoro di archiviazione e di digitalizzazione 286 Recension bibliographique dei materiali deamicisiani, reso possibile da un finanziamento nazionale (PRIN 2010-2011). Il nuovo catalogo si articola in due volumi. Il primo è dedicato all’archivio di De Amicis. Nella sua introduzione il curatore ripercorre la storia di questo materiale, dalla prima sistemazione a opera di Dino Mantovani e di Ugo, che distrusse le carte più compromettenti, fino all’acquisizione degli anni settanta da parte della Biblioteca imperiese. Nel catalogo il materiale è stato diviso in tre sezioni. La più cospicua è la prima, che raccoglie innanzitutto le carte relative ad alcune delle opere più importanti di De Amicis, come Sull’Oceano, Il romanzo d’un maestro, L’idioma gentile. Seguono poi altre sottosezioni riguardanti gli articoli e i racconti in rivista, i quaderni di appunti e i documenti personali. La descrizione dei manoscritti è puntuale : alle informazioni sulla natura e sulla tipologia del documento si affiancano utili indicazioni bibliografiche. La seconda sezione comprende l’elenco delle lettere ricevute e inviate da De Amicis, disposte secondo l’ordine alfabetico dei corrispondenti. Molto utile risulta il breve riassunto del contenuto che accompagna ogni documento epistolare. Infine, dopo un significativo inserto fotografico a colori, « chiude il volume il completo regesto dei documenti iconografici presenti nel fondo » (p. XVII). Il secondo volume concerne il materiale librario donato da Ugo De Amicis, che è stato vagliato con attenzione scartando tutti i testi editi dopo il 1908, anno di morte dello scrittore. Il risultato è un elenco di 2 567 libri, che mette finalmente ordine in quella che è una delle biblioteche d’autore più importanti dell’Ottocento. Nel suo saggio introduttivo, il curatore, dopo avere esposto le problematiche della catalogazione, individua alcune macro-sezioni della biblioteca : grande spazio è occupato dai classici italiani, dai testi di autori italiani contemporanei e ancora dai libri di letteratura straniera ottocentesca, soprattutto francese. La biblioteca svela al contempo immediatamente alcuni degli interessi dello scrittore, come quelli politici e linguistici. Le varie schede di cui si compone il catalogo, disposte in ordine alfabetico per autore, riportano, oltre ai dati bibliografici, alcune non tra- scurabili indicazioni sulle dediche – a cui è consacrato l’inserto fotografico di questo secondo volume – e, in alcuni casi, sulla presenza di appunti. Il libro stimola così (senza saziarlo) l’appetito del lettore, che, aprendo altri volumi su cui non sono date indicazioni, potrà fare interessanti sco- perte. Mi limito, per ragioni di spazio, a un solo esempio già segnalato altrove : il volume di Alessandro Manzoni Prose minori. Lettere inedite e sparse. Pensieri e sentenze (n. 1636 dell’elenco) presenta in margine ad alcune pagine diverse postille utilissime per ricostruire la riflessione linguistica deamicisiana sulla teoria manzoniana dell’Uso. Comptes rendus 287

Le pagine che si potranno scrivere attribuiscono la giusta importanza al catalogo, che appare senza dubbio come uno strumento indispensabile per le future ricerche sull’opera di De Amicis ; quelle ricerche che, come ha scritto anche Franco Contorbia, motore di questa prima indagine, potranno condurre, prima o poi, qualche coraggioso studioso alla stesura della bibliografia degli scritti deamicisiani e, forse, di una nuova biografia.

Matteo Grassano

TRANSALPINA

ÉTUDES ITALIENNES –

1. Regards croisés, textes recueillis et présentés par Mariella Colin, Presses universitaires de Caen, 1996, 180 p., 5 €. La culture française et la culture italienne sont à tour de rôle « culture regardante » et « culture regardée ». On le voit dans le cas des études de linguistique contrastive ou dans les traductions françaises du Décaméron au XVIIIe siècle. À cette même époque, le regard des voyageurs ne distingue que les aspects jugés ridicules ou négatifs de la société de l’autre. Il en est de même pour le jugement des témoins lors de la bataille de Ravenne en 1512 ou de l’entrée en guerre de l’Italie en 1915. De la distance entre l’identité et l’altérité ont surgi ces perceptions des différences linguistiques, littéraires et sociales qui sont autant de pièces à verser à l’histoire de l’imaginaire italien des Français et de l’imaginaire français des Italiens.

2. Identités italiennes, textes recueillis et présentés par Mariella Colin, Presses universitaires de Caen, 1998, 160 p., 5 €. On analyse ici les modalités selon lesquelles s’élaborent les constructions de l’identité collective et individuelle en Italie. Dans la péninsule, le caractère inachevé de l’État avait longtemps été déploré par les intellectuels ; à présent, les projets de partage du territoire invitent à rechercher les facteurs culturels et symboliques de la cohésion nationale. Sur le plan littéraire, la question de l’identité marque les écrivains et s’inscrit au cœur de leurs œuvres. Qu’elle se trouve revendiquée par un nous ou bien par un je, qu’elle soit plurielle ou singulière, l’identité est toujours à construire, et sa manifestation ne peut que prendre la forme d’une quête sans cesse recommencée.

3. Lettres italiennes en France, textes recueillis et présentés par Mariella Colin, Presses universitaires de Caen, 1999, 186 p., 5 €. Les articles réunis dans ce numéro sont autant de nouvelles pièces versées au dossier de l’histoire de la réception de la littérature italienne en France. Du début du siècle dernier jusqu’à la fin de notre siècle, ont été passés en revue les parcours en terre française d’écrivains italiens ayant marqué leur époque, choisis tantôt parmi les mineurs (Silvio Pellico, Cesare Cantù, Paolo Mantegazza) et tantôt parmi les plus célèbres (Italo Svevo, Curzio Malaparte, Dino Buzzati et Vincenzo Consolo). Les études sur les uns et les autres ont permis de restituer les différentes modalités selon lesquelles leurs œuvres ont été comprises et diffusées, et de reconnaître les médiateurs ayant joué un rôle essentiel pour leur circulation : journalistes et critiques littéraires, éditeurs et directeurs de collection, sans oublier les universitaires (le plus souvent, des italianistes et des comparatistes). La connaissance du cadre politique, idéologique et culturel français, comme l’horizon d’attente des lecteurs, s’est révélée déterminante. La résonance esthétique et idéologique du contexte français avec les lettres italiennes a réservé plus d’une surprise, en permettant de mieux identifier les sensibilités et les aspirations des couches sociales qui le composent. Le rôle singulier qu’y joue depuis toujours la littérature transalpine, servant tour à tour de modèle et de repoussoir, de ferment et d’antagoniste, n’est pas le moindre des intérêts révélés par les contributions ici présentées.

4. Familles italiennes, textes recueillis et présentés par Marie-José Tramuta, Presses universitaires de Caen, 2000, 148 p., 5 €. Les articles proposés dans ce volume abordent la question de la famille dans la littérature italienne des XIXe et XXe siècles. Le roman domestique ou roman de famille est un aspect de la totalité du groupe où il figure à la fois comme reflet du même et reflet de l’autre. La famille est fondée sur des données biologiques et soumise à des contraintes d’ordre social. Comme l’écrivait Claude Lévi-Strauss, il n’y aurait pas de société sans famille, mais il n’y aurait pas non plus de famille s’il n’y avait déjà une société. L’origine même du mot souligne, chez les Romains, le rapport qui préside à sa destinée : initialement la famille représente la réunion de serviteurs, d’esclaves appartenant à un seul individu ou attachés à un service public. Tout n’est au fond qu’une histoire de famille. La représentation de la famille constitue donc une métaphore destinée à justifier et à résoudre, dans le meilleur des cas, les tensions sociales et les conflits moraux, microcosme et reflet ou projection de la famille macrocosme, la nation. L’Histoire est présente en arrière-plan de chacun des textes proposés en tant qu’elle informe ou déforme la culture familiale sous les divers aspects qu’elle déploie, depuis les aspirations de l’Unité italienne jusqu’aux bouleversements d’une Histoire plus récente.

5. La Mort à l’œuvre, textes recueillis et présentés par Mariella Colin, Presses universitaires de Caen, 2001, 182 p., 5 €. De par son intensité dramatique, la mort se prête bien à la fiction, devient facilement un thème romanesque et théâtral, joue un rôle majeur dans la construction des intrigues : les cadres diégétiques et les fonctions narratives montrent comment on tue, comment on meurt en littérature et au théâtre. Du romantisme au naturalisme et au vérisme, de la littérature enfantine au théâtre, des romans historiques au fantastique, les articles ici réunis explorent les manières multiples par lesquelles les œuvres de la littérature italienne du XIXe et du XXe siècle utilisent la mort comme ressort narratif ou comme métaphore ; ils en analysent la portée philosophique ainsi que les modalités narratives et les codes rhétoriques, stylistiques et poétiques mis en œuvre. Une démarche qui relie également les textes aux faits de société et à l’espace du privé, à l’histoire des mentalités et aux thèmes anthropologiques.

6. Le poids des disparus, textes recueillis et présentés par Brigitte Le Gouez, Presses universitaires de Caen, 2002, 136 p., 5 €. Grandes figures historiques, modèles idéalisés ou parents précocement disparus, leur absence obère parfois le destin des vivants ; l’ombre qui voile leur existence se révèle alors déterminante dans leurs parcours de vie et d’écriture. C’est ce que montrent les études ici rassemblées à travers l’exemple de l’épigraphie commémorative ou chez quelques poètes et romanciers des XIXe et XXe siècles. Les écrivains de la fin du XIXe siècle inspirés par la figure deBeatrice , les poètes Carducci et Ungaretti ou encore les romanciers Gadda, Gianna Manzini et Erminia Dell’Oro sont ainsi convoqués pour témoigner des liens du deuil et de l’entreprise littéraire.

7. Proust en Italie. Lectures critiques et influences littéraires, textes recueillis et présentés par Viviana Agostini-Ouafi, Presses universitaires de Caen, 2004, 168 p., 15 €. Les contributions réunies dans ce numéro ont été présentées au colloque Proust en Italie qui s’est tenu à l’université de Caen Basse-Normandie les 20 et 21 juin 2003. Ces études ont pour objet des lectures critiques de l’œuvre de Proust proposées dans la péninsule au cours du XXe siècle ainsi que les influences littéraires exercées par la Recherche sur des poètes et des écrivains italiens. Les deux premières interventions brossent un tableau général de cette réception critique et littéraire, notamment dans l’entre-deux-guerres. Suivent des études approfondies portant sur la critique de Proust chez Giacomo Debenedetti, Giuseppe Antonio Borgese et Giovanni Macchia comme sur les contacts, thématiques ou formels, entre la Recherche et l’œuvre d’écrivains tels qu’Italo Svevo, Attilio Bertolucci et Giorgio Bassani. Les deux dernières interventions concernent la critique italienne de Proust des années 1980-1990, le travail accompli chez Mondadori pour la nouvelle édition de la Recherche et les débats avec la critique française contemporaine autour de l’établissement du texte d’Albertine disparue.

8. Lettres italiennes en France (II). Réception critique, influences, lectures, textes recueillis et présentés par Mariella Colin, Presses universitaires de Caen, 2005, 252 p., 15 €. Les treize contributions ici réunies expliquent les différentes modalités selon lesquelles ont été comprises et diffusées à l’étranger les œuvres d’auteurs italiens, du Trecento au Novecento. L’exploration attentive des éléments qui ont déterminé à chaque fois l’« horizon d’attente » dans le pays d’accueil a permis de dresser un inventaire précis des facteurs en jeu dans la réception de Pétrarque, Vico, Alfieri, Collodi, Salgari, De Amicis, Carducci, Pascoli, D’Annunzio, Marinetti, Papini, Brancati, Bonaviri et Calvino. Ont été ainsi pris en considération divers aspects, tels que l’intertextualité et la traduction, l’édition et la diffusion, la lecture et l’interprétation critique. Parmi les pratiques de la réception, cette dernière a été tout particulièrement privilégiée comme angle d’attaque, en raison du rôle déterminant qui est le sien. Quel rôle a joué la critique française dans la reconnaissance de la littérature italienne en France (et en Europe) ? Quelles œuvres ont été saluées, et lesquelles négligées ? Au nom de quels critères, et selon quelles modalités ? C’est à toutes ces questions qu’ont été apportées des réponses nuancées, fondées sur une documentation riche et sûre.

9. La traduction littéraire. Des aspects théoriques aux analyses textuelles, textes recueillis et présentés par Viviana Agostini- Ouafi et Anne-Rachel Hermetet, Presses universitaires de Caen, 2006, 192 p., 15 €. Les interventions ici réunies, par la diversité des disciplines concernées et des approches mises en œuvre, prennent en compte les aspects théoriques et pratiques de la traduction littéraire. La variété des problématiques explorées est liée à la complexité du phénomène traductif : la place de l’auteur, l’importance de l’original, le rôle du traducteur, la nature du texte cible et la relation de celui-ci avec le texte source, enfin la lecture du texte traduit faite par le critique et le lecteur. Quant aux pratiques traduisantes étudiées, elles proposent un échantillon très large d’exemples tirés de la littérature traduite. Tout en tenant compte du contexte international, ces interventions privilégient les théories contemporaines de la traduction circulant en France et en Italie. La pluralité d’approches théoriques et méthodologiques, de perspectives croisées et d’analyses textuelles, présentée dans ce volume, se veut une contribution à l’approfondissement de la réflexion sur la traduction littéraire, en particulier franco-italienne.

10. Carducci et Pascoli. Perspectives de recherche, textes recueillis et présentés par Laura Fournier-Finocchiaro, Presses universitaires de Caen, 2007, 274 p., 15 €. Giosuè Carducci, contemporain de la formation de l’État unitaire italien, a été le premier poète italien prix Nobel de littérature, en 1906. Après avoir connu une popularité exceptionnelle, même auprès du grand public, ce « classique » de la littérature italienne du XIXe siècle a par la suite été frappé par le mépris, voire la dérision. Aujourd’hui, après une longue période où la plupart des hommes de lettres avaient cessé de s’intéresser à lui, on constate un renouveau d’intérêt pour le poète, professeur et homme politique toscan, naturalisé bolonais à la fin duXIX e siècle. Cet intérêt se prolonge pour l’éminent élève du professeur Carducci, le poète Giovanni Pascoli, qui reprit son flambeau poétique ainsi que la chaire de son maître à Bologne en 1907. À l’occasion du centenaire de la mort du prix Nobel, l’université de Caen Basse-Normandie a invité des experts reconnus français et italiens les 11 et 12 mai 2007, dont les contributions sont réunies dans ce numéro. Leurs études analysent la réception et la postérité des deux poètes Carducci et Pascoli en France et en Italie tout au long du XXe siècle, présentent des aspects particuliers de leur œuvre et ouvrent des pistes de recherche sur l’œuvre poétique mais aussi sur l’ensemble de la production des deux auteurs.

11. L’Italie magique de Massimo Bontempelli, textes recueillis et présentés par Jacqueline Spaccini et Viviana Agostini-Ouafi, Presses universitaires de Caen, 2008, 186 p., 15 €. Massimo Bontempelli (1878-1960) est le théoricien et le principal représentant italien du « réalisme magique » ; son style d’écriture devance la production latino- américaine des García Márquez et Allende et prépare le postmoderne de Paul Auster. Écrivain éclectique, son œuvre se déploie sur plus d’une quarantaine d’années, au cours desquelles il s’est produit en tant que romancier, dramaturge, nouvelliste, essayiste, critique d’art et journaliste. En raison de son adhésion initiale au fascisme (dont il s’éloignera) et malgré la mise en résidence forcée que Mussolini lui imposera, Bontempelli connaîtra un déclin, consécutif à une méfiance intellectuelle à son égard qui s’est répercutée jusqu’à nos jours. Les contributions ici réunies soulignent le rôle culturel que cet intellectuel joua à son époque parmi les siens. Les spécialistes de cet auteur se sont penchés sur l’ensemble de son œuvre multiforme (l’écriture narrative, les pièces de théâtre, les critiques d’art…) selon des modalités d’approche diverses, permettant de mettre en valeur le talent polyvalent de cet écrivain et de retrouver les multiples échos bontempelliens dans les perspectives littéraires ouvertes par ce précurseur presque méconnu.

12. Fascisme et critique littéraire. Les hommes, les idées, les institutions, vol. I, textes recueillis et présentés par Christian Del Vento et Xavier Tabet, Presses universitaires de Caen, 2009, 212 p., 15 €. Ce numéro de Transalpina (qui sera suivi d’un second) prend en considération la question de la critique littéraire durant le fascisme et celle des rapports que le régime entretint avec les milieux académiques, universitaires et scolaires, ainsi qu’avec le monde de l’édition. Il tente de reconstruire quelques-unes des principales interprétations d’ensemble de l’histoire littéraire italienne et des théories générales de la littérature qui s’affrontèrent alors. Il examine tout particulièrement les usages qui furent faits de certains classiques italiens, lus comme des « prophètes » et des « précurseurs » du fascisme. On y trouve l’analyse de plusieurs institutions qui servirent de relais à la diffusion de la culture durant le Ventennio. Sont retracés aussi les parcours de quelques personnages de premier plan de la vie culturelle, ayant été des intellectuels « organiques » du régime ou au contraire des opposants en exil ou de l’intérieur. Enfin, une partie de ces deux volumes est consacrée à une comparaison avec la situation d’autres pays européens (la France, l’Espagne, l’URSS). Peu de travaux évoquent en France cet aspect de la culture italienne du Ventennio. Or il s’agit là d’un aspect d’autant plus important que, au XXe siècle, quelques-uns parmi les principaux chemins interprétatifs et paradigmes historiques se sont constitués, ou consolidés, durant le fascisme. De sorte que lorsque l’Italie républicaine s’interrogera sur les racines démocratiques de ses traditions culturelles, il lui reviendra de combattre, ou de retourner, ces paradigmes et vulgates, mais aussi parfois de les absorber, fût-ce de façon implicite.

13. Fascisme et critique littéraire. Les hommes, les idées, les institutions, vol. II, textes recueillis et présentés par Christian Del Vento et Xavier Tabet, Presses universitaires de Caen, 2010, 222 p., 15 €. Ce numéro de Transalpina (comme le précédent no 12) prend en considération la question de la critique littéraire durant le fascisme et celle des rapports que le régime entretint avec les milieux académiques, universitaires et scolaires, ainsi qu’avec le monde de l’édition. Il tente de reconstruire quelques-unes des principales interprétations d’ensemble de l’histoire littéraire italienne et des théories générales de la littérature qui s’affrontèrent alors. Il examine tout particulièrement les usages qui furent faits de certains classiques italiens, lus comme des « prophètes » et des « précurseurs » du fascisme. On y trouve l’analyse de plusieurs institutions qui servirent de relais à la diffusion de la culture durant le Ventennio. Sont retracés aussi les parcours de quelques personnages de premier plan de la vie culturelle, ayant été des intellectuels « organiques » du régime ou au contraire des opposants en exil ou de l’intérieur. Enfin, une partie de ce deuxième volume est consacrée à une comparaison avec la situation d’autres pays européens (la France, l’Espagne, l’URSS). Peu de travaux évoquent en France cet aspect de la culture italienne du Ventennio. Or il s’agit là d’un aspect d’autant plus important que, au XXe siècle, quelques-uns parmi les principaux chemins interprétatifs et paradigmes historiques se sont constitués, ou consolidés, durant le fascisme. De sorte que lorsque l’Italie républicaine s’interrogera sur les racines démocratiques de ses traditions culturelles, il lui reviendra de combattre, ou de retourner, ces paradigmes et vulgates, mais aussi parfois de les absorber, fût-ce de façon implicite.

14. La littérature de jeunesse italienne du XXe siècle, textes recueillis et présentés par Mariella Colin, Presses universitaires de Caen, 2011, 242 p., 18 €. Ce numéro de Transalpina porte sur la littérature italienne pour l’enfance et la jeunesse du XXe siècle, souvent peu connue en France. Il éclaire cette période, et présente les auteurs les plus significatifs et les œuvres les plus importantes de son histoire récente, dans laquelle les déclins ont alterné avec les renaissances, les continuités avec les ruptures. Cette production littéraire et artistique a été portée par plusieurs générations de romanciers, poètes et dessinateurs, qui se sont succédé d’une époque à l’autre : après la floraison des années 1900-1920, le siècle a été marqué par un arrêt de la création sous le fascisme, puis par des années de conformisme sous la république catholique et conservatrice du deuxième après-guerre. Mais les romans de Landolfi et de Buzzati, la poésie d’Alfonso Gatto et les premiers textes de Gianni Rodari annoncent déjà la renaissance qui s’épanouira dans les « fabuleuses années 1970 », et qui ne s’éteindra plus ensuite : à côté de Rodari prendront place Marcello Argilli, Roberto Piumini, Bianca Pitzorno, Beatrice Masini, Bruno Munari, Nicoletta Costa, Agostino Traini, et toutes celles et tous ceux qui participeront à la nouvelle période de créativité, tant dans le domaine narratif que dans celui de l’image et de l’illus- tration, qui légitimera la littérature italienne pour la jeunesse au niveau mondial.

15. L’Unité italienne racontée, vol. I, Interprétations et commémorations, textes recueillis et présentés par Laura Fournier-Finocchiaro et Jean-Yves Frétigné, Presses universitaires de Caen, 2012, 272 p., 18 €. Ce numéro de Transalpina (qui sera suivi d’un second) examine la façon dont le Risorgimento a été célébré et représenté en littérature, dans l’historiographie et les arts. Fruit d’un colloque qui s’est tenu à l’université de Caen Basse-Normandie à l’occasion des commémorations des 150 ans de l’Unité italienne les 20, 21 et 22 septembre 2011, le volume présente les contributions d’experts reconnus français et italiens autour de la question de la naissance de l’Italie au XIXe siècle et de son interprétation, en assumant clairement la nécessité de défendre le Risorgimento. À l’image des deux organisateurs, une italianiste et un historien, il illustre la rencontre féconde entre deux champs disciplinaires qui avaient tendance à s’ignorer, réunis par l’objectif de mieux faire connaître l’événement fondateur de l’Italie à la lumière des acquis des nouvelles recherches. Ce premier volume, consacré aux interprétations et aux commémorations, regroupe des études sur l’historiographie du Risorgimento, sur les protagonistes de cet épisode (Mazzini, Pie IX, Garibaldi), ainsi que sur les récupérations de la tradition risorgimentale. Le second volume, consacré aux voix et aux images du Risorgimento, présentera des études sur les auteurs littéraires qui ont « raconté » l’Unité au moment de sa réalisation ainsi que sur les artistes (peintres, librettistes, musiciens, cinéastes…) qui ont illustré à leur manière l’épopée risorgimentale.

16. L’Unité italienne racontée, vol. II, Voix et images du Risorgimento, textes recueillis et présentés par Laura Fournier-Finocchiaro et Jean-Yves Frétigné, Presses universitaires de Caen, 2013, 272 p., 18 €. Ce numéro de Transalpina (comme le précédent n° 15) examine la façon dont le Risorgimento a été célébré et représenté en littérature, dans l’historiographie et les arts. Fruit d’un colloque qui s’est tenu à l’université de Caen Basse-Normandie à l’occasion des commémorations des 150 ans de l’Unité italienne les 20, 21 et 22 septembre 2011, le volume présente les contributions d’experts reconnus français et italiens autour de la question de la naissance de l’Italie au XIXe siècle et de son interprétation, en assumant clairement la nécessité de défendre le Risorgimento. À l’image des deux organisateurs, une italianiste et un historien, il illustre la rencontre féconde entre deux champs disciplinaires qui avaient tendance à s’ignorer, réunis par l’objectif de mieux faire connaître l’événement fondateur de l’Italie à la lumière des acquis des nouvelles recherches. Ce second volume, consacré aux voix et aux images du Risorgimento, présente des études sur les auteurs littéraires qui ont « raconté » l’Unité au moment de sa réalisation (Rovani, D’Azeglio, De Amicis, Verga), ainsi que sur les mémorialistes, les poètes et les artistes (peintres, librettistes, musiciens, cinéastes…) qui ont illustré à leur manière l’épopée risorgimentale.

17. L’écrivain et les formes du pouvoir à la Renaissance, textes recueillis et présentés par Juan Carlos D’Amico, Presses universitaires de Caen, 2014, 288 p., 18 €. Ce numéro de Transalpina est consacré à la culture politique de la Renaissance, notamment à l’utilisation des sources anciennes par plusieurs auteurs de traités et de textes politiques du XVIe siècle. Les auteurs étudiés sont Bartolomeo Cavalcanti, Bartolomeo Carli Piccolomini, Machiavel, Paolo Paruta, Alessandro Piccolomini et Tommaso Campanella. Dans la droite ligne de la tradition culturelle humaniste, les écrits analysés dans ces articles répondent au dessein de transmettre aux Modernes les savoirs des Anciens en les adaptant aux différentes situations politiques présentes dans les villes-États de la péninsule italienne. Les thèmes abordés accordent une place importante à la lecture d’Aristote par Machiavel, au rôle central de l’expression vivere civile (toujours chez le Secrétaire florentin), ainsi qu’à l’importance de la poésie politique chez Campanella et à la philosophie de la praxis chère à Cavalcanti.

18. Poétiques des archives. Genèse des traductions et communautés de pratique, textes recueillis et présentés par Viviana Agostini- Ouafi et Antonio Lavieri, Presses universitaires de Caen, 2015, 246 p., 18 €. Ce numéro de Transalpina, né de la synergie entre les traductologues de l’équipe ERLIS et le groupe de recherche « Multilinguisme, Traduction, Création » de l’ITEM, s’interroge sur la poétique du traducteur en action à partir de ses archives. Les archives – mémoire des traductions à travers les traces de leur genèse (brouillons, tapuscrits, dialogues épistolaires…) – ne sont pas seulement le lieu où l’on peut observer le traducteur à l’œuvre, mais aussi un espace heuristique de reconfiguration de notre relation aux savoirs : le lieu et l’espace où tradition, traduction et invention nous donnent rendez-vous pour reconstituer – au plan génétique, philologique et herméneutique – le processus traductif en tant que pratique réflexive et identitaire, collaborative et sociale. Dans un parcours privilégiant les échanges littéraires franco- italiens – Bona de Mandiargues et Alberto Savinio, Giorgio Caproni et André Frénaud, Camillo Sbarbaro et Gustave Flaubert, André Pézard et Dante… – , les contributions ici réunies prennent en compte la pluritextualité et la spécificité processuelle des pratiques traduisantes : la traduction comme dispositif d’écriture (Nicole Brossard), la relation entre écriture et autotraduction, la traduction à quatre mains (Amelia Rosselli), la retraduction et ses variantes. Par la richesse de ses approches et de ses analyses, ce volume contribue à tisser des liens nouveaux entre traductologie, philologie et critique génétique, critique des traductions et historiographie littéraire, tout en soulignant le rôle joué par des dispositifs matériels et symboliques dans l’émergence des communautés du traduire.

19. Le cinéma italien d’aujourd’hui entre film politique et film engagé, textes recueillis par Mariella Colin et préfacés par Rosella Giardullo, Presses universitaires de Caen, 2016, 268 p., 15 €. En ce début de XXIe siècle, la production cinématographique en Italie connaît un vrai renouveau, qui a attiré l’attention du public et de la critique. Dans la grande tradition qui a fait de la réflexion sur le politique et sur l’engagement des caractères structurants du cinéma italien, une nouvelle génération de cinéastes s’est montrée capable de réinventer le langage cinématographique pour cerner les personnages politiques et démasquer les visages du pouvoir. Leur attention s’est aussi portée sur les changements qui ont transformé le pays : la violence urbaine, l’emprise des médias, les processus de marginalisation et d’exclusion, l’immigration et l’impossibilité de l’intégration. Ce numéro de Transalpina s’inscrit dans une perspective résolument moderne, qui met en évidence la volonté des réalisateurs d’aujourd’hui de suivre la leçon des grands maîtres du cinéma engagé, tout en innovant pour trouver de nouvelles formes narratives. Grâce à l’approfondissement des questions émergentes, les études ici réunies explorent la relation qui s’est établie entre la politique, la réalité sociale et le cinéma, dans un contexte nouveau et vivant.

ESPERIENZE LETTERARIE presenta I T A L I N E M O Riviste di italianistica nel mondo Direttore : Marco Santoro http://www.italinemo.it

Che cosa è Italinemo ? Analisi, schedatura, indicizzazione delle riviste di italianistica pubblicate nel mondo a partire dal 2000. Abstract per ogni articolo. Ricerca incrociata per autori e titoli, per parole chiave, per nomi delle testate, per collaboratori. Profili biografici dei periodici e descrizione analitica di ciascun fascicolo. Nelle pagine “Notizie”, informazioni su novità editoriali ed iniziative varie (borse di studio, convegni e congressi, dottorati, master, premi letterari, pre- sentazioni di volumi, seminari e conferenze). La consultazione del sito è gratuita

Direzione Marco Santoro Università di Roma “La Sapienza” Via Vicenza, 23 00185 Roma Tel. e fax +39 06 35498698 [email protected] Segreteria [email protected] Dibattiti e discussioni [email protected] Iniziative e progetti in corso [email protected]

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