Illustration de la couverture :

La Haute Joux des Ordons. Plan de 1769 conservé aux Archives de l'ancien Evêché de Bâle (Livre de reconnaissance des fiefs de la Vallée).

ASPRUJ 1998 - N° SPÉCIAL Association pour la sauvegarde du patrimoine rural jurassien Elle veille à la conservation de la culture traditionnelle et populaire, dont les différentes formes comprennent: la langue, la littérature, la musique, la danse, la mythologie, les rites, l'architecture, les arts, l'artisanat, les jeux, les coutumes. (UNESCO 1989)

© ASPRUJ et Pierre Henry, , 1998 P I E R R E HENRY

Quelques

NOMS DE FAMILLE

et

NOMS DE LIEUX

jurassiens

Canton du Jura et Jura bernois

0 L'HÔTÂ-N SPÉCIAL 1998 DU MÊME AUTEUR

AUX ÉDITIONS DU PAYS

Les rues de Porrentruy Essai de toponymie, 1986 (épuisé)

Le parler jurassien et l'amour des mots, tomes 1 et 2 Chroniques linguistiques, 1990 et 1992 (épuisés)

AUX ÉDITIONS DU QUOTIDIEN JURASSIEN

Le parler jurassien et suisse romand Nouvelle série de chroniques linguistiques, 1996 Sommaire

Avant-propos...... 7

Explication de quelques termes spéciaux …...... 9

Noms de famille...... 11

Noms de lieux et lieux-dits ...... 31

Les ficelles du métier...... 76

L'ordinateur au service de l'onomastique. … … ...... 78

Bibliographie sélective ...... 79

Index des noms de famille ...... 81

Index des noms de lieux et des lieux-dits .....…...... 87 Avant-propos

Déclarons-le d'emblée : maints lecteurs précie ». Jadis, amateur signifiait « amou- de cette plaquette seront peut-être déçus. reux ». L'auteur n'est autre qu'un amoureux Déçus de ne pas y découvrir leur nom de fa- des mots. mille, déçus de n'y point trouver l'origine d'un lieu-dit qui leur est familier. Comment Il n'existe aucune étude d'ensemble sur pourrait-il en être autrement ? les noms de famille et sur les noms de lieux jurassiens. En 1968, André Rais publiait le A supposer qu'un ordinateur saisisse tous tome premier du Livre d'or des familles du les noms de famille du Jura et du Jura Jura. Il avait l'ambition d'éditer un grand bernois, tous les noms de lieux et les lieux- dictionnaire des patronymes jurassiens, en dits, combien faudrait-il de volumes pour les cinq volumes. La maladie, puis la mort y recenser ? Et, surtout, combien de l'empêchèrent de terminer la lettre B de ce chercheurs qualifiés pour les commenter ? vaste recensement où l'onomastique ne se De toute évidence, les loisirs d'un seul homme fonde pas toujours sur des critères rigoureux. n'y suffiraient pas. L'abondant fichier de l'ancien archiviste - il a L'auteur de cette brochure a tous les loi- été acquis par la Société jurassienne sirs désirables pour étudier quelques lieux- d'Emulation - pourrait éventuellement être dits et quelques noms de famille choisis exploité dans une perspective différente : parmi des milliers. Il n'a en revanche pas la étymologie plus étoffée et notices abrégées. préparation linguistique idoine pour pré- Des extraits d'œuvres (pp. 137-139, par tendre à un travail scientifique. En autodi- exemple) et des nécrologies intégralement dacte, il a tenté de combler une partie de ses reprises d'un journal (pp. 227-228, entre lacunes. Aussi livre-t-il un travail d'amateur. autres) ont-elles leur place dans un livre d'or Mais d'un amateur au sens étymologique du des familles du Jura ? Rien n'est moins sûr. terme : « celui qui aime, qui ap-

Alors qu'il était dans la force de l'âge, l'aspect forcément hétérogène de la publica- André Rais avait étudié la signification de tion. Conscient de cette faiblesse, l'auteur nombreux lieux-dits des communes juras- s'est efforcé de regrouper certains billets siennes. Ses notes dactylographiées sont sous un thème commun et d'en remanier réunies dans trois classeurs aux Archives de d'autres afin de leur conférer quelque ho- l'ancien Evêché de Bâle, à Porrentruy. Elles mogénéité. Au demeurant, si l'on veut bien datent des années cinquante. C'est dire se référer au titre de cette brochure, on ne qu'elles mériteraient une refonte systéma- s'attendra pas à trouver ici un texte suivi sur tique. Depuis un demi-siècle, les méthodes les noms de famille et les lieux-dits du Jura d'investigation en toponymie ont bien évo- et du Jura bernois. lué. Il n'en demeure pas moins que les tra- Un vaste recensement reste à faire. Ce vaux d'André Rais ont le mérite d'exister ; ils numéro spécial de l'Hôtâ apporte une pierre à offrent une base de recherches non négli- l'édifice. Mais, comme disait l'abbé André geable. Chèvre, un de nos meilleurs historiens : « Le La plaquette qu'on a sous les yeux est chercheur doit aussi penser aux autres et leur presque entièrement constituée par la réunion laisser du travail... » d'articles de journaux parus dans Le Pays, puis dans Le Quotidien Jurassien. D'où P. H.

Explication de quelques termes spéciaux

Agglutination : soudure de deux éléments Attraction paronymique, appelée aussi distincts. Exemple : Lamartine pour La Etymologie populaire : phénomène par Martine. (Contraire : déglutination). lequel on rattache une forme A à une for- Amuïssement : phénomène par lequel une me B au vu seulement d'une ressem- voyelle ou une consonne cesse d'être blance extérieure, alors qu'elle lui est prononcée. Exemples : La voyelle e de- (tout à fait) étrangère. Exemple : Voye- vient muette dans Combe ; la consonne r bœuf = voie aux bœufs. s'est amuïe dans Boulanger. Déglutination : séparation des éléments Anthroponyme : nom de personne. d'un nom ou mauvaise coupure du début Aphérèse : abréviation d'un nom en suppri- d'un nom : La Reine pour L'Areine. mant le début du mot. Exemple : Hen- (Contraire : agglutination). riat, diminutif d'Henri, a donné Riat par Dérivé : nom formé en ajoutant un suffixe aphérèse. (Contraire : apocope). au nom existant. Exemple : Jaquet et Jac- Apocope : abréviation d'un nom en suppri- card sont des dérivés de Jacques. mant la fin du mot. Exemple : Nicolas a Dissimilation : transformation provoquée donné Nicol par apocope. (Contraire : par une prononciation négligée. Exemple aphérèse). : Bernard a donné Bénard. Autre exemple : Assimilation : phénomène par lequel une Pontrentruy a donné Porren-truy par consonne transforme la consonne qui la dissimilation. précède en une autre consonne sem- Etymologie : origine d'un mot. Synonyme : blable. racine. Science qui recherche l'origine Exemple : Charles a donné Challes. (Con- des mots d'une langue en tenant compte traire : dissimilation). des formes les plus anciennes. Il arrive que l'étymologie soit incertaine ou tout Lieu-dit : nom de lieu réservé aux champs, simplement inconnue. aux prés, aux forêts, éventuellement aux Etymologie populaire : voir Attraction pa- hameaux. ronymique. Matronyme : nom de famille transmis par Gentilice : nom de famille dans le système la mère. romain : le premier était le prénom Métaphore : transfert d'un sens dans un (praenomen), le second le nom (nomeri), le autre domaine ; image, comparaison. troisième le surnom qui fait corps avec Exemple : les bras d'une rivière. le nom (cognomen), le quatrième le sur- Métathèse : interversion de deux lettres à nom qui s'y ajoute (agnomen). Exemple : l'intérieur d'un mot : Cœurvoigie a donné Publius Cornélius Scipio Africanus, P.C. Crevoigie. Scipion l'Africain. Métonymie : figure de grammaire qui con- siste à employer un nom à la place d'un Dans certains de nos villages, il arrive autre dont il laisse entendre la significa- aussi qu'une personne porte quatre noms: tion. Exemple : boire un verre = le contenu son prénom, son nom de famille, son d'un verre. surnom familial et son sobriquet Microtoponyme : synonyme de lieu-dit. personnel. C'est la seule manière de dis- Onomastique : étude des noms propres. La tinguer les homonymes. toponymie et l'anthroponymie consti- Hydronyme : nom propre de cours d'eau tuent l'onomastique. ou d'étendue d'eau. Oronyme : nom propre de montagne ou de Hypocoristique : nom familier ou petit colline. nom : Freddy pour Frédéric. Forme Patronyme : nom de famille transmis par le familière transformée par abréviation père, par opposition au prénom. d'un nom propre : Zep pour Joseph. Toponyme : nom de lieu, dans son accep- tion la plus générale. 10

Noms de famille L’origine des noms de famille

La généalogie passionne un nombre La provenance des noms de famille est croissant d'amateurs. Cet agréable passe- très diverse. Toutefois, on peut la regrouper temps n'est plus réservé aux personnes en une dizaine de secteurs. âgées. Jeunes et vieux consacrent des heu- 1° Les prénoms et leurs dérivés obtenus res, des jours, des semaines à remonter les surtout par suffixation. On sait qu'un suffixe siècles, tentant de retrouver la trace de ceux est un élément que l'on ajoute à la fin d'un qui ont fait que nous sommes là aujourd'hui. mot pour former un autre mot. Exemple : Ce nouvel élan va souvent de pair avec Michel a donné Michelin, Michelet, Mi- l'étude des patronymes ou noms de famille. cheloud et, par changement de terminaison, on Devant l'abondance des publications qui a obtenu Michet, Michot, Michaud, Michoud, traitent soit de généalogie, soit de noms de etc. famille, on n'a que l'embarras du choix. 2° Les noms de métier ou de fonction. Les Editions Cabédita, à Yens-sur-Mor- Exemples : Tavernier et Tavernet (tenancier ges, ont jumelé ces deux centres d'intérêt en d'une taverne, ancien nom de l'auberge ou du un seul guide intitulé « Comment réaliser sa cabaret), Châtelain (représentant local du généalogie ». Une longue introduction est seigneur) ou Demierre (leveur de dîmes). réservée à l'histoire de la famille. Elle con- 3° Le nom du village, de la localité, de la tient un très intéressant chapitre sur l'origine province d'où est venu l'ancêtre ou, à la ri- des patronymes. Essayons de le résumer gueur, du lieu où il a séjourné quelque sans trahir la pensée de l'auteur. temps. Exemples : les Dessarzens vaudois et Maurice Bossard, ancien professeur de les Dessarzin fribourgeois viennent du village français médiéval à l'Université de Lausanne, vaudois de Sarzens ; les Vautravers sont rappelle dans une langue accessible à issus du Val-de-Travers. chacun que pendant toute la durée du 4° le lieu-dit du village où l'ancêtre a Moyen Age et jusque vers 1200, les indivi- habité ou possédé des terres. Exemples : Mie- dus sont nommés presque uniquement par ville (qui habite au milieu du village), Duhamel leur prénom. Mais la gamme de ceux-ci (qui demeure dans un hameau, à l'écart), n'est pas infinie et, peu à peu, on prend Chavanne (qui habite une cabane, une maison l'habitude d'ajouter au prénom l'indication isolée), Bugnon (littéralement : de la source), du lieu d'habitation ou de provenance, du Descombes, Lacombe (de la combe). métier ou de la charge exercée, ou encore un 5° L'arbre ou la plantation d'arbres que adjectif se rapportant au physique ou au l'ancêtre a possédé ou auprès duquel il avait psychique de l'individu. sa maison. Exemples : Chaignat (littéralement : 13

jeune chêne), Coudrey (tiré de coudre ou En France, il existe des familles Toussaint. coudrier, c'est-à-dire noisetier), Dubosson Chautemps correspond à la définition de (littéralement : du buisson), Biolez ou Biolley l'été ; en allemand Sommer. (bouleau). Beaucoup de noms communs sont deve- 6° L'animal avec lequel l'ancêtre avait nus noms de famille sans qu'on sache bien quelque ressemblance physique ou, à la ri- pourquoi. Nombreux sont ceux qui ont été gueur, qu'il aimait particulièrement. Peut- déformés par un curé de paroisse qui fonc- être que l'origine du nom de famille est une tionnait comme officier d'état civil, ou par aventure rocambolesque arrivée avec une un notaire. Leur apparente indifférence à bête et sur laquelle on ne sera jamais rensei- l'orthographe ne doit pas nous surprendre. gné. Exemples : Colomb (pigeon), Desboeuf En attendant qu'un ordinateur nous le pré- (bétail bovin), Chevalet, Chevalaz (cheval). cise, il est encore impossible de nous faire 7° Les traits physiques ou moraux carac- une idée correcte des noms de famille portés térisant l'ancêtre ; ses qualités ou plus sou- par des Suisses. Ils sont cependant contenus vent ses défauts. Exemples : Blanc ou Le- dans trois forts volumes, mais ces répertoires blanc, Blanchard (désignaient soit un homme sont muets sur l'origine du nom. Ce serait aux cheveux prématurément blancs ou un une tâche titanesque que de l'étudier. C'est la teint très pâle). Les Corbat, Courbât et Courbet raison pour laquelle les dictionnaires ont bien la signification de « dos courbé, étymologiques des noms de famille seront voûté ». Les Maigret et autres Mégroz pro- toujours incomplets. viennent de l'adjectif « maigre ». Les Sordet, Avant d'entreprendre la moindre recher- Siordet et Surdez semblent issus de « sourd ». che sur son nom - à moins qu'il ne soit réel- On trouve aussi des qualités : Joly (joli) et lement transparent -, il est utile de connaître Badet (gai). la région d'origine, les formes anciennes du 8° Les outils, les ustensiles avec lesquels nom ainsi que les lois de la phonétique le premier de la lignée travaillait. Exemples : régionale, du patois dans certains cas. Si Clavel signifie indiscutablement « clou », plusieurs noms sont limpides, d'autres po- Viret évoque un tourniquet, un tour. La sent des problèmes multiples et complexes. nourriture est représentée notamment par Mais la patronymie, ou si l'on veut l'anthro- Pamblanc (pain blanc), Panchaud (pain ponymie nous permet souvent de reconsti- chaud). Moirandat évoque le « repas pris au tuer un fragment de la vie de nos ancêtres. milieu ou à la fin de l'après-midi ». La généalogie également. On ne trouve pas 9° Les sobriquets railleurs ou peu aima- toujours ce que l'on cherche. Un détail encore, bles. Exemple : Bonjour vient probablement qui a son importance : avant de se lancer du fait que le premier qui reçut ce surnom dans une recherche quelconque, il est pru- multipliait cette salutation. dent de se renseigner auprès de l'archiviste 10° Quelques noms de mois ou de fêtes. cantonal afin de savoir si quelqu'un n'aurait Exemples : Janvier, Février, Juin, Novembre. pas déjà effectué le même travail. 14

Prénoms et noms de famille

Depuis dix siècles environ, l'Europe uti- mais qui survivent dans les patronymes. lise un système de désignation des personnes Jean-Louis Beaucarnot, Jacques Cellard et à deux éléments : Pierre Chessex se sont penchés sur les pré- - le prénom ou marqueur individuel ; noms disparus. Avec eux, examinons ceux - le nom de famille ou marqueur de li- qui ont quelque rapport avec des noms de gnage, transmis héréditairement. famille de notre région : Selon les régions, ce système anthro- ponymique s'est généralisé entre le Xe et le Ado : Adatte. XIIIe siècle. Vers l'an mil, seul le nom de Albéric : Aubry. baptême désignait nos ancêtres. Beaucoup Aymery : Emery. de prénoms étaient assortis de diminutifs. Bago : Baguet. D'autres avaient été altérés, déformés, con- Barnier : Bernier. tractés. Ils se mueront souvent en noms de Bertha : Berthold, Berthod, Berthoud, Berthelot, famille. Parmi les douze patronymes les plus Bertholet, Bertet, Bertin. fréquents de France, les Martin, Bernard et Bidard : Bidaux. Thomas viennent en tête. Bien placés sont Bonnet : Bonnard, Bonnot. aussi les Richard, Robert, Laurent, Simon et Bovo : Bovet. Michel. Brice : Brisset. Grâce à l'annuaire téléphonique infor- Chrétien (forme ancienne de Christian) : matisé, on pourrait classer les noms de bap- Crétin. tême de Suisse et déterminer leur fréquence. Colomban : Colombi. Bornons-nous à extraire de l'annuaire N° 4 Cobo : Cuenin, Cuenat. (Jura, Jura bernois et Neuchâtel) les noms de Evrard : Evard, Erard et sa variante Eray. famille issus de prénoms. L'origine de Gauthier : Vautier, Vauthier. Diminutif : Ga- plusieurs patronymes est évidente. Il n'est pas therat. difficile, par exemple, de déceler le prénom Girard (forme dialectale de Gérard) : Girar- Nicolas dans Nicol, Nicolet, Nicoulin, Nicoud dy, Girardin, Girardat, Girardot, Girardet. ou Nicod. Mais d'autres n'apparaissent pas Job : Jobé, Jubin, Jobin (encore que le patois immédiatement à l'esprit : Colin et Collin sont djoba « bavard » ne soit pas exclu). également issus de Nicolas. Jourdain : Jour dan. Lambert : Lambert. Anciens noms de baptême Liotard : Léotard, Liart, Liard. Passons d'abord en revue quelques noms Macard : Macquat. de baptême oubliés ou sortis de l'usage, Morin : Morin. 15

Pons : Poncet. Voyante, Voélin, Vuille, Vuilloz, Veuillot, Vuil- Renard : Reinhard, Reinhart. larmoz, Vuilleumier. Renier (proche de René et Renard) : Régnier. Hugues et Hugo : Huguet, Hugonet, Hugo- Rudolphe : Ruef, Rueff. nin, Huguenin, Huguelet, Huot, Husson. Sauveur : Sauvin. Jacques : Jacquet, Jacot, Jacotet, Jacquat, Jac- Seguin : Séguy. quet, Jacquier, Jacquard, Jaccard, Jacquemin, Ja- Séverin : Savary. coud. Talon : Talion. Jean : Jeannerat, Jeanneret, Jeannin, Grandjean, Ulmann : Houlmann, Hulmann. Grosjean, Petitjean, Beaujean, Jeanbourquin, Vernier : Vernier. Jeandupeux et probablement Hennet (dimi- Vital : Vidai nutif de Jehannet, variante de Jehan), Hennin Vitus : Viatte. (de Jehannin). Jules et son diminutif Julien : Jullien, Julian, Jullian, Juillard, Juillerat. Julien : Gelin. Noms de saints les plus usuels Laurent : Laurens. Léon et Léonard : Liénard, Leonardi. Louis : Albert : Aubert, Aubertin, Aubertot, Auberson. Lovis, Lois, Clovis. André : Andrey, Landry. Marcel : Marceau, Marcelin, Marcellin. Barthélémy : Barthe, Barthoulot. Marguerite : Margot, Marguerat, Merguin. Benoît : Benoist, Benot, Beney. Martin : Martinet, Martineau, Martinot. Bernard : Bernardot, Bénard, probablement Matthieu : Mathez, Matthey, Metthez, Meïtey, Bregnard (par métathèse) et Bornât/ (Bernard Mathiot, Mathys. en patois ajoulot). Maurice : Moritz, Meurisse, Morisot et proba- Catherine : Catté, Cattin. blement Muriset. Clément : Clémence, Clémençon. Paul : Paulet, Paulien, Paulian, Paulin, Pauly, Conrad : Conz (diminutif). Paoli. Constant : Constantin. Philippe : Pheulpin. Démange (prénom lorrain) : Mangeât. Pierre : Perret, Perrey, Peyret, Pernod, Perre- Demonge (prénom bourguignon) : Mougin, noud, Perrin, Périat, Perrot, Perronnne, Panât, Mouginot. Paratte. Emile : Milieu et vraisemblablement Milliet. Raoul : Roulet, Rollat. Emmanuel : Manuel. Richard : Richon, Richert, Ricard, Riche. François : Franc, Frank, Franck. Roland : Rolland, Rouland, Orlando, Orlandi. Frédéric : Friedrich, Fritz, Frisch, Friche, Frick. Romain : Roman, Romand, Romano. Gaspar : Caspar (altération par l'alsacien). Stéphane, devenu Etienne : Thiévent, Théve- Georges : Georgin. not, Thévenin, Theuvenat. Guillaume : Guille, Guillet, Guillot, Guillau- Sylvain : Silvant, Sauvin. met, Guillarmot, Wilhelm, Wilhem, Vuillaume, 16

Thibaud : Thibault, Thibaut, Thibaudet, Thié- Ces patronymes peuvent aussi provenir de baud, Théobald (forme alsacienne et lorraine) l'ancien prénom Aymon, qui était plus fré- et vraisemblablement Theubet, à moins que ce quent que Simon. Monnier et Monier repré- dernier nom ne soit issu de Tobie. sentent probablement une forme dialectale Thierry : Theuriet, Theurillat. de « meunier ». Ils pourraient aussi signifier Thomas : Masset, Masson, Massenet. « monnayeur », c'est-à-dire « changeur », mais Vivien : Viénat. c'est beaucoup moins sûr. Nardin est l'aphérèse de Bernardin et Sandrin le dimi- nutif d'Alexandrin. Babey représente vrai- Les diminutifs semblablement la forme redoublée d'Isabelle ou d'Elisabeth. Bourquin, que l'on peut Si l'on appelle « Riquet » un enfant pré- rapprocher de Bourquard, a donné Bourque- nommé Henri, on supprime la première syl- nez et Bourquenet, enfin, par aphérèse, Que- labe de son nom - les scientifiques parlent net. Mais Quenet pourrait aussi être le dimi- d'aphérèse - et l'on ajoute un diminutif en -et. nutif de Jaquenet, lui-même issu de Jacques. Ce suffixe affectueux peut aussi être -ot Jacquelot, orthographié Jacqueloz, a pu (Riquot, Henriot). Riat et Rion proviennent donner Queloz. Il saute aux yeux que Guenin de Henriat et de Henrion, eux-mêmes dérivés est l'aphérèse d'Huguenin, lui-même issu de de Henri. Hugues ; il en est certainement de même de Plusieurs noms de famille sont des dimi- Guenat, Gonin et Gounod. Sans parler de nutifs de prénoms dont la première syllabe Jeanguenin et de Jeanguenat. est tombée. Simon a donné Simonin, Simonot, Simenon, Sémon, Sémonin et, par aphérèse, Dans certains cas, l'emploi du condition- Monot, Monnot, Monod, Monnin, Monet, nel s'impose, même si les probabilités sont Monnet, Monnat, Monard, Monnard. proches des certitudes. Les noms de famille issus d'un nom de métier Si l'on devait classer les noms de famille terroir. Les patronymes tirés d'un nom de d'après leur importance numérique ou métier sont nombreux. Examinons ceux d'o- quantitative, on trouverait, par ordre dé- rigine romane, encore que la langue alle- croissant, les prénoms, les surnoms ou so- mande possède des noms qui apparaissent briquets, les noms de métiers et les noms de fréquemment dans l'annuaire téléphonique

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de notre région. Prenons quelques exemples : (cordier), Cosandey (celui qui coud, tailleur), Baumann (ouvrier du bâtiment), Baum-gartner Chausse, Lachausse (fabricant de chausses), (jardinier), Egger (herseur), Fischer Cor délier (pourrait être un marchand de cor- (pêcheur), Gerber (tanneur), Kaufmann (mar- des, comme Cordier, mais ce nom pourrait chand), Kohler (charbonnier), Maurer (ma- faire allusion au cordelier, ce religieux dont çon), Meier (métayer ou fermier), Metzger la robe est ceinturée d'une cordelière), Cri- (boucher), Millier (meunier), Schmid ou blez (fabricant de cribles à grains, à terre, à Schmidt (forgeron), Schneider ou Schnyder minerais), Ecoffey (cordonnier), Favre, Faivre, (tailleur), Schumacher (cordonnier), Wagner Lefèvre, Lefebvre (forgeron ou toute espèce (charron), Weber (tisserand), Zimmermann d'artisan travaillant le fer), Favrot (diminutif (charpentier). de Favre ou commerçant vendant des fèves, Sauf erreur, il n'y a pas de Boucher dans cet aliment de base détrôné par les haricots), la région, mais des Boulanger, des Farine et Lardon (surnom du charcutier), Lhoste des Fournier ; ils représentent la profession (cabaretier), Magnin (chaudronnier, souvent de boulanger. Les Blétry et les Biétry de- ambulant), Marchand (marchand de bétail vaient avoir un ancêtre qui s'adonnait au en particulier), Mercier (marchand, souvent commerce de grains, du blé en particulier. colporteur), Monnier (meunier), Monnin et Reprenons l'ordre alphabétique de l'annuaire Monnat ne désignent probablement pas un téléphonique en procédant par sondage et en meunier ; il semble que ce soit plutôt des di- indiquant entre parenthèses le métier qui a minutifs des prénoms Aymon ou Simon, Pé- très vraisemblablement donné un nom de geot et Peugeot (marchand de poix), Pelletier famille. Ceux-ci apparaissent sous des (marchand de peaux), Piguet (ouvrier ma- formes diverses. Berbier (barbier), Bouvier, niant un petit pic), Rallier, Rollat (voiturier), Bouverat, Bovet, Desbœufs (gardien ou con- Saunier (marchand de sel, peut-être trafi- ducteur de bœufs), Berger (gardien de mou- quant de sel), Taillard (tailleur), Tissot (tisse- tons, à moins que le nom soit de l'allemand rand), Tournier (tourneur), Tripet (tripier), prononcé à la française), Bulliard (celui qui, Vaquin désignait un brave vacher, profes- selon Jacques Cellard, fond et appose la bulle sion nullement méprisée par nos aïeux. Selon sur des actes, puis celui qui calligraphie des Jacques Cellard, source principale de cet ordonnances), Carrier (exploitant d'une article, la profession de vacher, comme celle carrière ou tailleur de pierres), Chapuis ou de berger, était plutôt lucrative. Chappuis (charpentier), Chariatte, qui évoque Aux lecteurs de compléter cette liste qui une « petite charrue », est probablement le n'a surtout pas la prétention d'être exhaus- surnom d'un laboureur, Corday ou Cordey tive. 18

Magnin

Autrefois, beaucoup de casseroles étaient d'ustensiles de ménage et quelquefois de en cuivre étamé, c'est-à-dire qu'elles étaient faïence. Il parcourait les rues des villages et recouvertes d'un alliage de plomb et d'é- des villes à la recherche de travail en criant : « tain, fondu et étalé sur toute leur surface. A Magnin, magnin ! » Ce cri était souvent l'usage, cette couche diminuait d'épaisseur répété par les gamins qui le suivaient. Dans et des trous apparaissaient. Il fallait donc ré- le Jura il arrivait que l'on traitait de « sacré tamer ces ustensiles. On faisait aussi réparer magnin » un bricoleur, autrement dit un « les casseroles en fer-blanc, percées ou amin- maîyenou ». cies sous l'action du feu. On les portait chez Dans les Dombes, on menaçait les enfants le ferblantier. Mais bien rares étaient les vil- d'appeler le magnin pour leur faire peur. lages pourvus d'une ferblanterie. Il y avait Cette particularité, relevée par von Wart- donc des rétameurs, des chaudronniers am- burg, m'a fait penser au mânou jurassien et bulants. On les appelait magnins. Ce métier au mâno neuchâtelois. Quand les enfants s'est perdu dans le premier tiers de ce siècle étaient « malsages », on les menaçait d'aller et le nom n'est plus qu'un mot-souvenir pour chercher le mânou - croque-mitaine, fantôme les personnes âgées. Il survivra pourtant ou homme noir - pour s'en faire obéir. dans les noms de famille. Magnin est un Il est certes hasardeux de rapprocher ma- patronyme très répandu dans tous les gnin de mânou, mais, fait troublant, dans le cantons romands, à l'exception du Jura où val d'Aoste, magnin est un adjectif qui signifie l'on ne trouve que quelques familles. En « sali de noir ». Il n'est donc pas impossible France comme en Suisse, les variantes sont que mânou et mâno puissent se rattacher à nombreuses : Magnien, Maignan, Maignant, magnin, encore que les lois de la phonétique Meignan, Maignin, Meignien, Magnan, Ma- n'y trouvent pas tout à fait leur compte. gnant (M.-Th. Morlet). Restons donc prudents dans les Ces noms propres proviennent évidem- rapprochements ! ment de noms communs aux orthographes De magnin, il reste une locution relevée innombrables. Elles varient selon les époques dans La sagesse des Romands. Elle s'adressait et les provinces : magnin, magnan, magnien, aux impatients auxquels on disait : « Pas- magnié, mignan, maingnier, magni, pour ne yans, mènyïn, t'èré le tyès ». Christine Barras citer que les principales. l'a traduit ainsi : « Patience, étameur, tu auras Le mot est issu du latin (non attesté) ma- la casserole ». Il y a fort longtemps, j'avais nianus « travailleur manuel ». Le magnin entendu cette expression à Courtemaî-che, était donc un ouvrier ambulant, étameur, mais en français régional : « Patience, chaudronnier, au besoin raccommodeur magnin, t'auras la casse ! » 19

Bacon et Baconat

- Chaque matin, je me régalais d'œufs au de bacon », c'est en prendre à son aise, être bacon, m'a dit ce jeune homme en rentrant comme un coq en pâte. Mais le sens prépon- d'Angleterre. dérant dans les textes les plus anciens est La définition du bacon est bien connue: «flèche de lard ». Pierrehumbert cite « le di- «lard maigre et fumé ». Mais sait-on que le manche du bacon » pour le jour de Pâques, mot anglais est un emprunt à l'ancien fran- parce que le carême est fini. çais bacon qui signifiait flèche de lard ? Pour Dans le Vallon de Saint-Imier, le sobri- les curieux qui désirent remonter encore quet des habitants de Corgémont et de Renan plus haut dans le temps, notons que le ter- est les Bacons, c'est-à-dire les mangeurs de me est d'origine germanique : il est issu du lard (GPSR, II,208a). Il est fort possible que francique (la langue des Francs) bakko qui si- ce sobriquet ait été à l'origine du nom de gnifie « jambon, flèche de lard ». famille Bacon (Pleujouse). Mais Bacon a pu Greimas, qui nous livre ces précisions aussi être le surnom du vendeur de lard, dans son Dictionnaire de l'ancien français, c'est-à-dire du boucher. Ce nom de métier a ajoute que le bacon était primitivement le très probablement donné naissance à Baco- «porc tué et salé, le lard salé, le jambon ». nat, nom de famille originaire du Bémont. Baconer signifiait non seulement tuer un En France, on retrouve ce diminutif dans les porc, mais aussi le mettre dans le sel. Enfin, patronymes Baconnat, Baconnet et Baconier, le baconier était celui qui vendait du bacon. trois variantes de Baconnier « charcutier » Le mot apparaît très tôt dans les patois de (M.-Th. Morlet). la Suisse romande (1482), mais relativement Un lieu-dit de Boudry, dans le canton de tard dans les patois jurassiens (1635 en Neuchâtel, porte le nom de La Baconnière. Erguel). Les attestations du Glossaire des Ce microtoponyme est issu du nom patois patois de la Suisse romande sont nombreuses : signifiant « chambre où l'on fume la viande». elles concernent d'abord le lard, frais ou fu- Il a été repris par une maison d'édition. mé. Le terme a passé dans les proverbes tels Dans son glossaire, Simon Vatré signale que ceux-ci relevés dans le canton de Vaud : bacon comme synonyme de laîd « lard ». Il «Donner à garder le bacon au chat », c'est note aussi bacoénaie « graisser avec du lard ; confier une chose précieuse, un secret à une tuer un porc », et bacoénat « lard maigre et personne qui n'en est pas digne. Etre avare, salé ». Enfin, il cite ce proverbe : Lo tchait c'est « ne pas donner du bacon à son chien ». vait tant à bacon qu'e s'fait pare ». Traduction : « Faire comme un rat dans un pan Tant va le chat au lard qu'il se fait prendre. 20

Les noms de famille issus de « cordonnier »

Parmi les métiers d'artisans les plus an- 213a). Selon les rédacteurs du Glossaire, es- ciens, le cordonnier figure en bonne place. coffier postule une base germanique skôh « Mais ce nom est relativement récent. Jusqu'au soulier ». On ne manquera pas de faire le XVe siècle, on distinguait le savetier, qui rapprochement avec l'allemand Schuh et raccommodait les souliers, du sueur qui l'anglais shoe. fabriquait des souliers neufs. L'ancien français En patois jurassien, cordonnier apparaît sueur représente le latin sutor « cordonnier », sous quatre formes : cœurvagie, cœurvoigie, littéralement « celui qui coud les chaussures crevagie et crevoigie (Vatré). Le passage du ». (Pensons à la suture du chirurgien). Sueur a son cœur au son cre est un phénomène cou- donné les noms de famille Sueur, Lesueur et, rant que les linguistes nomment métathèse. en allemand, Sutter. Ce n'est pas autre chose que le déplacement Aujourd'hui, ceux qui désirent des chaus- de voyelles ou de consonnes à l'intérieur sures faites sur mesure s'adressent à un bottier d'un mot. (appelé aussi bottier orthopédiste et, parfois, cordonnier orthopédiste). Le cordonnier, lui, Venons-en aux noms de famille issus du répare les souliers qui, dans leur immense nom de métier cordonnier : Escoffier, Excoffier, majorité, sont fabriqués industriellement. Escoffey, Ecoffey, Courvoisier, Crevoisier, Cordonnier est la forme moderne de cor- Crevoiserat. En France, on trouve les types doennier, cordoanier, cordouanier. Le mot vient Crouvezier, Crovisier, Corvisart, Corvisier et de l'ancien français cordoan qui signifie « Crouvoisier. cuir de Cordoue », ville espagnole célèbre Quand Monsieur Crevoiserat, Madame pour le travail du cuir apporté par les Arabes Crevoisier ou Mademoiselle Choumakre (Alain Rey). (Schuhmacher) achèteront une bouteille Dans les patois romands, le mot cordon- d'huile Lesieur - déformation de Lesueur, nier est représenté par deux noms : korvejîe, selon Jean-Louis Beaucarnot -, gageons qu'ils qui a donné courvoisier, et ekofai qui a donné penseront peut-être à l'artisan qui leur donna escoffier en français régional (GPSR, VI, leur nom de famille : le cordonnier. 21

Chapuis et Chappuis

Il est certains noms de famille transpa- tion que la graphie des noms de famille a rents, qui proviennent de métiers, tels que acquis son caractère définitif. Comme le re- Boulanger et Marchand. Il en est d'autres dont marquait Jean-Marie Thiébaud, généalogiste l'origine ne saute aux yeux que des seuls franc-comtois, « ce n'est somme toute qu'un patoisants, tel Chapuis. En patois, un instantané pétrifié par hasard et projeté ne tchaipu est un charpentier. Tchaipujie signifie varietur dans le temps ». Dans le Jura il y a des tailler le bois ou charpenter. Ce verbe a donné Chapatte et des Chappatte, des Châtelain et des tchaipujou qui désigne également le char- Châtelain, des Braichet et des Bréchet. On pentier. pourrait multiplier les exemples. Les (rares) patoisants qui ont étudié l'an- Le Répertoire des noms de famille suisses cien français ont toujours été avantagés par ne contient pas de Menuisier ou Menusier, rapport à leurs camarades exclusivement noms que l'on trouve en France. Nos vieilles francophones. En vieux français, chapuiser gens prononçaient « menusier », influencées ou chapuser, c'est tailler le bois. Chapuis si- qu'elles étaient par l'étymologie : « ouvrier gnifie charpentier. Le mot a survécu jus- occupé à de menus ouvrages ». A l'origine, un qu'au début du siècle dans le français régional menuisier était un ouvrier que son talent et de Suisse romande. En 1926, Pierrehum-bert ses aptitudes portaient à l'exécution des signalait qu'une ancienne corporation de ouvrages les plus délicats, les plus menus, Neuchâtel portait encore le nom de en or et en argent (Alain Rey). Ce n'est qu'à «Compagnie des Favres, Maçons et Cha- partir du XVe siècle que le sens moderne de puis». menuisier s'est imposé progressivement, Dans les noms de famille de Suisse ro- mais l'idée de « travail délicat » a été mande, et notamment dans le canton du transférée sur le mot ébéniste à la fin du Jura, on trouve les deux orthographes : Cha- XVIIe siècle. Le nom vient de l'ébène, bois puis (origine : , Grandfontaine, Por- d'un noir foncé et d'une grande dureté. rentruy ou Réclère) et Chappuis (Delémont, Revenons à notre chapuis pour signaler Develier, Mervelier ou Vicques). Il s'agit évi- deux mots régionaux se rapportant au char- demment du même patronyme. Avant la pentier : la levure et le bouquet. La levure, Révolution de 1789, la phonétique était reine c'est le montage et la pose de la charpente et les curés, notaires ou autres scribes d'une toiture. Quand la levure est achevée, écrivaient les noms de famille comme ils les les charpentiers clouent le bouquet au faîte entendaient, sans trop se préoccuper de du toit. Ici, le bouquet est un petit sapin en- l'orthographe. Ce n'est qu'après la Révolu- rubanné. 22

La fabrique et les Favre

Les mots usuels ne sont pas toujours bien survit aussi dans les noms de famille Lefèvre compris. Ainsi en est-il de fabrique. Pourquoi et Lefèbvre (ce dernier ayant conservé le b du appelle-t-on, en Valais notamment, « Conseil latin). Mais le patronyme le plus répandu, de fabrique » le Conseil de paroisse ? C'est la issu de faber, est Favre et sa variante juras- question que l'on m'a posée. sienne et franc-comtoise Faivre. On trouve La dénomination archaïque « Conseil de des Favre dans toute la France, ainsi que fabrique » est bien connue de ceux qui dans les cantons romands (à l'exception du consultent les archives. Dans le vocabulaire Jura) et dans le Jura bernois. En Franche- religieux, la fabrique se rapportait à la Comté et dans le canton du Jura, ce sont les construction d'une église. Le « Conseil de Faivre qui sont les plus nombreux. fabrique » était donc chargé de gérer les re- En relisant le début de mon texte, je venus destinés à la construction et à l'entre- constate avec stupeur que j'ai écrit « Conseil tien de l'église. Dans l'Histoire des institutions de paroisse ». Je confesse humblement que de l'Evêché de Bâle, Quiquerez précise que je n'arrive pas à dire « Conseil de la Com- dans chaque paroisse, il y avait des terres et mune ecclésiastique ». Si vous aviez le cou- des revenus (la dîme, par exemple) rage de demander quelle est la différence dépendant de la cure et dont la jouissance entre une paroisse et une commune ecclé- appartenait au curé : c'était la dot curiale. Il y siastique, on vous répondrait peut-être avait aussi des fonds de terres et des rentes « qu'une paroisse est le territoire sur lequel affectées à la fabrique de l'église » pour les s'exerce le ministère d'un curé ou d'un pas- fournitures nécessaires à la célébration du teur - ce que tout le monde comprend aisé- culte, tels que les vases sacrés, les ornements ment. Mais le Canton du Jura aime à se dis- et les autels, le luminaire, l'encens, les tinguer. C'est pour cette raison que l'on hosties, le vin de messe, les fondations, etc. ajouterait «...tandis qu'une commune ecclé- (p. 337). Le « Conseil de fabrique », siastique est une collectivité de droit pu- constitué souvent de notables, de paysans blique dotée de la personnalité juridique. » riches, parmi les plus zélés, administrait ces biens. Vous passeriez sans doute pour « un drôle Le mot fabrique est un emprunt au latin de paroissien » si vous ne trouviez pas fabrica qui désignait primitivement l'atelier l'énoncé limpide. Même si, dans votre for du forgeron. Fabrica est dérivé de faber « for- intérieur, vous pensiez aux sages qui élabo- geron » ou fèvre, mot que l'on retrouve dans rent la terminologie dans le vent et que vous orfèvre, littéralement « forgeron d'or ». Fèvre vous demandiez : « Mais qu'est-ce qu'ils fabriquent ? » 23

Les noms de famille provenant d'un sobriquet

On ne choisit pas son nom et son pré- La taille, la carrure, l'allure ont donné lieu nom. Pas plus, d'ailleurs, qu'on ne choisit à de nombreux sobriquets : Petit, Petitat, ses parents qui, eux, choisissent notre pré- Petignat, Péquignat, Pécjuignot, Maigret, nom. C'est ce que devront se dire tous ceux Grand, Grandjean, Grosjean, Grandrichard, qui découvriront leur patronyme dans les Gressot (probablement diminutif de gras), lignes qui suivront. La sagesse voudrait que Rondez (rond). Les Gigandet devaient évo- j'examine les noms de famille de chez nous à quer un géant. (On retrouve les mêmes l'exception de ceux provenant d'un surnom, caractéristiques dans les noms allemands : car la plupart d'entre eux ont une origine Klein, Gros, Lang, Dick, etc.) ironique. Ainsi, j'éviterais prudemment les Les Gigon avaient-ils de fortes jambes, écueils qui me guettent. Mais on pourrait me c'est-à-dire de fortes gigues, comme les reprocher un tour d'horizon incomplet. Je Jambe d'ailleurs ? C'est probable. A moins prends donc le risque de déplaire à que Gigon ne signifie « joueur de gigue », quelques-uns en examinant des patronymes ancien violon. Mais il est aussi possible que issus de sobriquets. l'ancêtre des Jambe ait été surnommé « le beau Jean », équivalent de « Jehan le Bel » Ceux-ci offrent un trésor presque inépui- qui aurait donné « Jean Bé ». (C'est du sable de types de désignations variées dans moins l'explication que me donne un archi- lesquels l'observation, la malice, voire la viste qui se fonde sur les documents qu'il a cruauté tiennent une place de choix. En ef- consultés.) fet, nos lointains ancêtres prenaient un malin plaisir à railler les traits physiques ou Les Joly font penser aux traits fins du vi- moraux perçus chez leurs semblables. Mais sage. L'ancêtre des Béguelin devait être bègue, tous les surnoms ne sont pas nécessairement à moins que Béguelin ne soit la francisation moqueurs. du nom alsacien Boeglin ou allemand Boegli (petit bouc). Si le premier Pelet (diminutif de L'observation des cheveux et de la barbe « petit poil ») devait être un homme poilu, ont donné les Brun et les Roux, de même Pellaton représentait au contraire « le pelé », que les Rossel, Roussel et Rossé, les Noir, les autrement dit le chauve. Mais il n'est pas Lenoir et les Noirjean. Les Blanc caractéri- impossible que le nom de famille Pellaton saient des individus à la peau très claire. Les ait été donné à l'habitant d'un terrain pelé, Morel et les Morand évoquaient les Maures, c'est-à-dire dépourvu de végétation. Les surnom d'hommes au teint basané. Greppin étaient les « frisés ». 24

Gentil et Gentit, Mauvais et Billieux évo- aime chanter. Mouche fait penser à l'insecte quent le caractère. Montandon signifie « brave» ou à l'émouchet, épervier mâle, appelé au- en ancien français. Follet été devait re- trefois mouchet. Cerf et Renard, Grillon et présenter un esprit bizarre, tandis que Ba- Sangsue n'appellent pas de commentaires. taillard et Choquard se rattacheraient à des Chevrolet, dont le nom évoque un chevreau, individus bagarreurs. Boivin et Boileau ont est un sobriquet qui a désigné une personne vraisemblablement la même origine, le se- agile. Lièvre pose une énigme : peut-être cond patronyme étant un surnom plaisant «peureux » ou, par moquerie, « lent », le attribué généralement à un ivrogne. Bacon et contraire de l'animal qui court très vite. La Baconat font penser à l'ancien français bacon traduction littérale de Cœudevez est « queue «flèche de lard, viande de porc fumé ». C'est de veau ». probablement un surnom de charcutier. Terminons ce survol très partiel par une Buffat vient de l'ancien français buf-fer série de sobriquets bien connus, donnés gé- «souffler avec bruit », mais le nom pourrait néralement par dérision. S'il n'y a pas des aussi représenter un habitant d'un lieu où le Lempereur dans le Jura, il y a des Leroy ou Le vent souffle souvent et bruyamment. Donzé Roy, des Roy, des Duc, des Prince, des Comte et Donzelot viennent de l'ancien français et des Lecomte, des Marquis et des Monbaron, donzel et correspondent à damoisel, damoiseau, des Pape, Cardinaux, et Evéquoz, des Moine et c'est-à-dire petit seigneur. On peut traduire des Prêtre. Sautebin par « celui qui saute bien ». Christe (avec sa variante Christ) était un Les animaux sont largement présents dans surnom, car, selon Marie-Thérèse Morlet, les noms de famille, que ce soit par des traits le nom du Christ était tabou : « Ce surnom a physiques ou des analogies supposées de dû s'appliquer à un homme maigre, au caractère. Les Loriol font penser au loriot, visage émacié, rappelant l'image du Christ. » autrefois, l'oriol, les Busard à la buse, les On ignore évidemment les conditions qui Chardonnet au chardonneret, oiseau chanteur firent naître les noms que nous portons. s'il en est, les Colombi à la colombe, les Gelin Nous sommes donc les héritiers involon- pourraient évoquer la forme ancienne gelin taires de noms plus ou moins plaisants. «coq », mais c'est plus probablement une Quoi qu'il en soit, il est odieux de se mo- altération du prénom Julien. Merle est quer d'une personne à cause du nom qu'elle fréquent comme surnom d'un homme qui porte. 25

La Ruelle du Patet

Un visiteur de la vieille ville de Porren- ment suisse romand ; on le trouve dans le truy admire l'ensemble des maisons de la Lyonnais avec le même sens que chez nous : « Cour-aux-Moines. Son regard s'attarde sur Quelle patette que cette Tonine ! » (Nizier du une plaque indicatrice de rue, apposée sur la Puitspelu). façade d'un immeuble. La dénomination Il faut rechercher l'étymologie de patet l'intrigue : Ruelle du Patet. D'où vient ce dans le nom régional patte « chiffon », em- nom? ployé adjectivement au sens de « mou et C'est, lui répond le guide, en souvenir flasque comme un chiffon ». Notre patois d'une ancienne rue de la ville, qui partait de connaît l'adjectif paite (Voir Le parler juras- l'Hôtel des Halles pour aboutir à la Cour- sien, tome III, page 168) de même significa- aux-Moines. On l'appelait aussi Rue du tion. Grand Four, car l'Hôtel des Halles abritait le Von Wartburg, qui a étudié à peu près four banal. Les habitants de Porrentruy al- tous les dialectes de France, a retrouvé le laient y faire cuire leur pain, en le confiant mot sous diverses formes selon les régions : au fournier. Contre redevance au prince- patet, pâté, pâté, patète. Mais les significations évêque, bien entendu. Mais quelle est l'ori- sont très voisines : « flasque, lâche, mou, gine de l'appellation Ruelle du Patet ? Ce lent, niais, peureux, timoré, lambin, minu- nom provient d'une famille bourgeoise ap- tieux, scrupuleux, vétilleux, qui n'avance pas pelée Patet ou Patat qui, selon André Rais, dans son travail ; homme méticuleux faisant ancien archiviste, y avait sa demeure en 1352. la besogne d'une femme ». Chose étrange, le Patet est très probablement un sobriquet mot s'applique presque toujours à un homme. devenu patronyme ou nom de famille. D'a- On trouve une seule fois l'adjectif pateta pour près Pierrehumbert (1926), un patet est un qualifier une femme maladroite. A Lyon, la lambin, un traînard, un individu mou et ir- patèterie c'est « la lambinerie, le tatillonnage résolu, un homme trop minutieux dans son ». En Franche-Comté, les patteries sont des « travail. Le nom a aussi valeur d'adjectif : « ouvrages minutieux ». un ouvrier patet, une servante patète ». En Les noms des rues d'une ville ancienne parlant de choses, « un travail patet » est un sont souvent évocateurs. A travers eux, c'est travail très minutieux qui n'avance que len- une facette de l'histoire de la cité qui trans- tement. On disait : « Les myrtilles, c'est patet paraît en filigrane. Mais, en cette fin de siècle à ramasser. » Une bouilloire patète était où l'on est si souvent pressé, prenons-nous celle qui mettait beaucoup de temps à bouillir encore le temps de rêver dans une vieux (Humbert). Le terme n'est pas exclusive- quartier ? 26

Les noms de famille évoquant le terroir

Ouvrons l'annuaire téléphonique de notre Les Duvanel rappelaient « le sommet », région et essayons d'y repérer les noms de les Baume « la grotte, l'abri sous roche », les famille provenant de noms de lieux. Ce- Bugnon « la source », les Fontanet « la petite pendant, posons-nous une ou deux questions fontaine. », les Durieux « le ru », c'est-à-dire préalables : « Pourquoi tel individu s'appelle- le ruisseau, les Bosquet « le bouquet d'ar- t-il Dubois ou Duval ? » La réponse est bres», les Débrosse « les broussailles », les archisimple : à l'époque du nom unique - le Delbruyère « la bruyère ». Les noms d'arbres plus souvent un prénom - il fallait distinguer sont presque tous transparents : Poirier, trois ou quatre Paul, deux ou trois Joseph. Pommier, Chêne, Fresne, Saucy (la saussaie). On pouvait alors indiquer le lieu où ils Chavanne se réfère à « la cabane », Chalet à vivaient : « C'était le Paul du bois ou le la construction du même nom, Delessert à « Joseph du val. » Les Dumont rappelaient le la terre défrichée », Villat, Villars, Villard et mont, les Dumas le mas ou la maison rurale Laville à « la villa », c'est-à-dire le domaine isolée, les Duplain la maison située sur un agricole. Les Jardin et les Curty devaient être endroit plat. propriétaires d'un jardin plus important que Commençons par les noms de villages, de les autres, les Dupasquier d'un pâturage et les villes, de contrées, de pays : les Degoumois Grandchamp d'un champ imposant par ses venaient de Goumois, les Daucourt et dimensions. Quant aux Friche, c'étaient des Docourt d', les Breuleux des Breuleux cultivateurs malchanceux qui ne possédaient et les Montavon évidemment du hameau que des friches, à moins que Friche ne dont ils portent le nom. Les Borgognon arri- résulte de la déformation du prénom Fritz. vaient sans doute de Bourgogne, les Elsasser Si l'on examinait tous les noms de famille d'Alsace, les Schwob et les Schwab de Soua- issus d'un nom de terroir, tant dans les be, les Lallemand d'un pays germanique. annuaires téléphoniques suisses romands que Quant aux Langlois, il serait hasardeux de français, on pourrait dresser une liste leur attribuer une origine anglaise. Très impressionnante, sans la prétention d'être vraisemblablement, il s'agit d'un surnom complet, évidemment. Contentons-nous donc ironique désignant un individu qui se com- de ce bref survol. portait à la manière (supposée) des Anglais. 27

Les noms de famille d'origines diverses

Lorsque l'on étudie les noms de famille, ley ne représentent pas forcément le serviteur il faut avant tout se méfier des apparences, ou le valet de ferme. C'était aussi le nom des ressemblances qui paraissent exister entre désignant un jeune garçon, comme l'atteste, certains noms de personnes et des noms par exemple, la chanson patoise intitulée Les communs. Les variantes orthographiques Vâlats de Mieco. Vallat, doit-il être rattaché à n'ont généralement que peu d'importance. Vallet ou désignait-il l'habitant d'une maison Elles résultent du fait que les scribes - sou- située dans un val ? Paillard qualifiait-il le vent des curés qui tenaient les registres - joyeux débauché ou, plus simplement, « celui écrivaient librement les noms qu'ils enten- qui couche sur la paille, d'où vagabond » ? daient, parfois de la bouche d'illettrés. Dans « Salvadé doit-il être rattaché à « sauveur » et Patronymes d' » (Le beau pays d'Ajoie, Dominé à « seigneur » ? Probablement. page 45), Roger Flùckiger a démontré que Dominé devait être le surnom d'un chantre. les noms de famille terminés par « ez », par Maire et Mayor ne sont pas nécessairement exemple Amez, Bourquenez, Chaboudez, Qui- issus du nom de magistrat municipal ou d'un Cjuerez, Rebetez n'ont rien à voir avec l'espa- grade militaire. Au Moyen Age, le maire gnol, la lettre « z » étant purement orne- signifiait simplement l'« ancêtre », le parent mentale. A l'appui de son assertion, il note le plus âgé de la famille. que Fridez se termine par le même « é » fermé Il existe à Allé un nom de famille assez que dans le nom Rossé. Ces remarques énigmatique : Racordon. Selon Marie-Thérèse pertinentes s'appliquent aussi aux Mathez, Morlet, il faut en rechercher l'origine dans le Mettez, Membrez, Plumez et Rondez, par latin cordus « mûri tardivement » qui, dans exemple. Chaque notaire, chaque secrétaire certains dialectes, a donné recordon ou de village transcrivait comme il l'entendait racordon, nom du second regain. Notre auteur des noms familiers à son oreille ou parfaite- pense qu'il s'agissait du surnom d'un ment inconnus. D'où l'orthographe fantai- producteur de regain. Mais on voit mal un siste de certains patronymes. Pensons aux marchand de fourrage ne vendant que du Chapuis et aux Chappuis, aux Bally et aux regain. Si l'on examine le sens primaire de Baillif. Il est cependant des variantes ortho- cordus, on trouve « né ou récolté à l'arrière- graphiques qui décèlent des différences d'o- saison ». Il semble que l'on puisse conclure, rigine, telles les Steulet et les Steullet, les sans grand risque d'erreur, que Racordon a Kohler et les Koller, etc. dû désigner un enfant venu longtemps après Les Beausire, Châtelain, Chevalier ou Bailly les autres. ont-ils un nom transmis par un titre ou sont- Pour s'approcher le plus possible de la ce des sobriquets ? Valet, Vallet ou Val- signification d'un nom de famille, il faut 28

examiner les formes anciennes. Dans le meil- nom. Les glossaires patois peuvent, ça et là, leur des cas, les natifs d'une commune ju- fournir des pistes intéressantes, car la forme rassienne retrouveront leur plus lointain an- des noms a évolué suivant la phonétique de cêtre au début du XVIIe siècle. Rarement la région où ils ont pris naissance. avant. Et tous n'auront pas cette chance. D'où la nécessité de consulter les registres de Découvrir le sens précis d'un nom de fa- baptêmes, de mariages et de décès à l'Office mille est une entreprise très délicate. Nom- du patrimoine historique, à Porrentruy où ils breux sont les patronymes qui gardent encore existent sous la forme de microfilms. On leur secret. A l'inverse, quand un nom pourra aussi recourir aux minutes des transparent est dépréciatif, il suscite des ré- notaires et aux différents documents conservés actions inattendues de ses porteurs qui peu- aux Archives de l'ancien Evêché de Bâle, à vent se sentir agressés. Mieux vaut ne pas Porrentruy également. Mais qu'on ne se fasse insister. pas trop d'illusions : ce genre de recherches Quoi qu'il en soit, la prudence s'impose n'apprend pas grand-chose sur l'origine d'un lorsque l'on croit déceler une ressemblance nom de famille. De plus, il exige quelques entre un nom de famille et un nom commun. connaissances en paléographie, car la lecture Deux exemples nous en convaincront : Crétin des textes anciens est souvent difficile pour le n'a très probablement d'autre signification profane. Restent les dictionnaires que Chrétien, nom de baptême dont la forme étymologiques des noms de famille. Ils savante est Christian, et Cattin est sans nul concernent avant tout la France. On n'y doute un des très nombreux diminutifs du trouvera pas nécessairement son prénom Catherine.

Que faire pour changer son nom ?

La réponse à cette question est très sim- Hêche, de , n'épouse pas un monsieur ple. Il y a deux solutions : l'une facile, l'autre Merz de Bienne. Le cas se serait produit il y a difficile. Si l'on est une femme : se marier. Si une cinquantaine d'années, paraît-il. Ce- l'on est un homme : adresser une requête pendant, il y a gros à parier que la carte de dûment motivée au Gouvernement jurassien visite du couple ne portait que le nom du ou, si l'on habite un autre canton, au Conseil mari. d'Etat. Les dispositions du Code civil exigent Certaines femmes, attachées à leur nom que, dans l'intérêt public, le nom de famille de jeune fille, peuvent l'associer à celui de et le prénom d'une personne demeurent leur mari. Encore faut-il qu'une demoiselle invariables. Il n'est certes pas interdit de 29

choisir son deuxième prénom comme pré- Dans son livre Vous et votre nom, Jean- nom usuel, ni de franciser un patronyme al- Louis Beaucarnot cite les changements les lemand dans l'annuaire téléphonique. Les plus fréquents intervenus en France. Il se Tschudi qui habiteraient en Suisse romande base très sérieusement sur la publication du pourraient se nommer Tchoudy. Les PTT ne Journal officiel : « Le record incontesté est celui vérifient pas l'exactitude des inscriptions qui du nom de Cocu (447 demandes jusqu'en leur sont communiquées. Toutefois, les 1991). Très loin suivent les Cochon et Cau- pièces d'identité des Tchoudy seront confor- chon (230 demandes), Bordel (202), Labite mes aux registres de l'état civil : ce sera (136), Putin (101), Crétin (97)... suivis d'une Tschudi. Nul ne peut ajouter ni retrancher véritable cohue de noms parmi lesquels on quoi que ce soit à son nom ou son prénom : pourra remarquer de larges pelotons de Va- Marie-Anne n'est pas Marianne. chier, Boudin, Couillard, Sallaud, Couillon, Cornichon, Cucu (...) Verge et Laverge, Fine et Dans des cas exceptionnels, la loi permet Lapine, Queulevée, Bitaubec, Convert, Blancon, un changement de nom. Mais cette autori- Francon, Laputte, Lagarce et Elkouch » (p. 142- sation n'est accordée que s'il existe de justes 143). « La plus longue liste de ces noms est motifs. Cette notion de « justes motifs » constituée par ceux d'aspect scatologique (18 déterminera le préavis que la section de l'état % des cas). Ce sont : Caca, Merdier, Crotte et civil et des habitants donnera au Lacrotte, Fumier, Dufumier et Taillefumier, Gouvernement. Chion, Chigros, Chivert, Chirouge, Pourchier. Si vous vous appelez Crétin et que vous Suivent les Pératé, Salpéteur, Lapisse, Jurine demandez que votre nom soit orthographié et Lhurine, Lanusse et Hanus, et une légion Crestin, vous avez toutes les chances d'obtenir de Lecul, Cucuroze, Cuvert, Curon, Moncu et un changement de nom, comme l'atteste Moncus, Cubeau et Bocu, Sercu et Chocu. (p. l'annuaire téléphonique (Soulce). Si vous 144). vous appelez Noir et que votre enfant est A la lecture de cette liste effrayante, on l'objet de railleries de la part de ses cama- comprend qu'il existe en France une Asso- rades parce que ses cheveux sont d'un blond ciation des handicapés patronymiques. Son pâle, vous n'avez pas la moindre chance but est d'aider ses adhérents dans leurs dé- d'obtenir un changement de nom. Les motifs marches administratives. Comme le relevait qui peuvent légitimer un changement de plaisamment Jean-Louis Beaucarnot (dans patronyme ne sont pas énumérés dans le une conférence entendue à la radio), cette Code civil, mais le fait de porter un nom ridi- association d'utilité publique a une particu- cule ou choquant est déterminant. Encore larité rare : son comité change constamment. faut-il prouver qu'il compromet notablement Dès qu'un membre est arrivé à ses fins, il la réussite professionnelle de son titulaire. démissionne. Charité bien ordonnée commence par soi-même. 30

Noms de lieux et lieux-dits Nos lieux-dits

Les Offices des poursuites et faillites pu- port avec notre lieu-dit. Ne laissons pas va- blient régulièrement des annonces de ventes gabonder notre imagination ! publiques de biens immobiliers. On jette un Commençons plutôt par interroger les regard sur leur contenu : lieu de la vente, nom anciens du village qui savent encore le pa- du propriétaire, valeur officielle, estimation tois. (C'est le tout dernier moment). Conti- de l'expert. Si l'on n'est pas concerné, on nuons par la consultation du plan cadastral et poursuit la lecture du journal. surtout des archives de la commune. André Pour celui qui s'intéresse à la toponymie, Rais a bien déblayé le terrain. En ce qui c'est-à-dire à l'étude des noms de lieux, ces concerne Boncourt, c'était en 1952, sauf er- annonces contiennent des détails qui échap- reur. Je me souviens encore de son explica- pent d'ordinaire à notre attention : les lieux- tion de Déridez, parce qu'elle m'avait frappé à dits. Certains sont on ne peut plus explicites - l'époque. Selon lui, ce toponyme signifie le Haut du Village, par exemple - alors que «Derrière Délie ». C'est la réunion, l'assem- d'autres sont totalement impénétrables. blage de deux mots abrégés : la préposition Quelques-uns sont évocateurs : la Fontenatte derrière, dont on a laissé tombé la finale, et fait immédiatement penser à une petite fon- Délie, prononcé localement Délie ou, ici, Dez. taine. Même celui qui n'a aucune notion de Vérifions cette assertion en consultant une patois perçoit le mot « fontaine » dans la dé- carte géographique détaillée. La situation de nomination Fontenatte. ce groupe de maisons, à l'extrême frontière, Mais, mais... il faut se méfier de l'homo- donne raison à l'ancien conservateur des nymie. Prenons un exemple relevé préci- archives de l'ancien Evêché de Baie. sément dans une annonce de l'Office des André Rais a fait un travail de pionnier en poursuites. Un immeuble de Boncourt est onomastique (étude des noms propres). Il situé route de Déridez. L'homme (ou la fem- avait certes l'affirmation facile et péremp- me) du XXe siècle qui entend ce nom sera toire. Les explications qu'il nous a laissées ne peut-être tenté de faire un rapprochement sont pas toujours fiables ; elles relèvent avec le verbe dérider. Un beau verbe que ce- parfois de déductions un peu hâtives. Mais, il lui-là, parce qu'il nous fait sourire ! Dérider, y a quarante ans, il faisait autorité. c'est littéralement, « enlever les rides » et, au La toponymie est une science qui exige sens figuré, « rendre moins soucieux, moins des compétences multiples et beaucoup de triste », comme si l'on enlevait les rides du rigueur. Souhaitons qu'une équipe de jeunes front. Ce synonyme d'égayer, de réjouir, n'a chercheurs soit tentée par une recension des évidemment pas le moindre rap- lieux-dits de chez nous. 33

Comment naissent nos lieux-dits?

Le chemin qui relie le village de Fonte- émouvant la construction du chemin en nais à la ferme de la Vacherie-Mouillard tra- question : « Tailler la roche à flanc de coteau verse un passage creusé dans le rocher. Une avec des outils aussi rudimentaires que des plaque porte l'inscription suivante : Passage pics, des pelles, des baramines, des brouettes de la Douleur, 1915. Cette dénomination ne en bois représentait un travail de titans. figure pas encore sur le plan cadastral, mais L'ouvrage fut si dur et si pénible à réaliser elle me paraît un exemple typique d'un que les chômeurs qui y participèrent gravè- baptême d'un lieu-dit. rent dans la roche un nom de baptême si- Si l'on examine une carte topographique, gnificatif : Passage de la Douleur. Les hom- on est frappé par l'abondance des lieux-dits mes employés dans cet enfer (!) recevaient autour des localités. Beaucoup d'entre eux 40 centimes par heure. Naturellement, les n'évoquent plus aucune réalité, car la tradi- déplacements s'effectuaient à pied et les re- tion orale s'est perdue. Et, surtout, on ne pas de midi étaient réchauffés dans la ga- comprend plus la langue parlée à l'époque melle. » (p. 34) où ces lieux ont reçu leur dénomination. Certains lieux-dits de ont près Celle-ci décrivait un trait caractéristique de de mille ans, puisque la mention du village l'endroit, et chacun devait en saisir le sens. apparaît pour la première fois dans nos ar- L'appellation Passage de la Douleur a qua- chives en 1148. On comprend parfaitement tre-vingts ans. Dans l'échelle du temps, elle le nom évocateur de la localité. Il dérive du est donc récente. Et pourtant les derniers té- latin fontana « source, fontaine ». Fontenais moins des travaux pénibles qui ont motivé est effectivement riche en sources. Seuls les l'inscription dans le rocher sont presque patoisants saisissent bien le sens du lieu-dit tous morts. Qui, dans cent ans, se souvien- Lai Tieudre qui signifie « le coudrier », c'est-à- dra, à Fontenais, du sens de la dénomina- dire le noisetier. Mais un autre lieu-dit, Les tion ? La tradition orale en rappellera peut- Boules, n'évoque plus du tout les bouleaux, être le souvenir. Si elle devait se perdre, on car ils ont disparu à cet endroit. pourra en retrouver une trace écrite dans le livre que Maurice Voisard vient de publier On pourrait compléter l'énumération. sur son village natal. Mais attendons que paraisse (peut-être) une Evoquant les chantiers dits de chômage étude d'ensemble sur des toponymes que d'avant la guerre de 1914-1918, l'auteur de l'on retrouve, sous diverses formes, dans de Fontenais la rouge décrit avec un réalisme nombreuses localités jurassiennes. 34

Les pièges de la toponymie

Le Breuil Dans la localité qui nous intéresse, Le Breuil est un pré humide. L'appellation du La démarche du chercheur qui tente de lieu-dit reflète donc parfaitement la réalité. découvrir l'origine d'un lieu-dit est triple. Mais l'informateur de l'étudiante pense au Premièrement, il doit consulter les plans ca- patois breûyie « brailler, crier » et, pour La dastraux anciens et modernes. Ensuite, il Côte du Breuil, il lui déclare : « La côte résonne convient qu'il dépouille les documents d'ar- le (sic) bruit des sabots ou des cris, il y a chives et qu'il note les différentes formes or- l'écho » (p. 128). On le constate, un excellent thographiques du nom qui l'intéresse. La patoisant peut se métamorphoser en un ai- dernière démarche consiste à interroger les mable fantaisiste lorsqu'il se pique d'étymo- personnes âgées de la localité et les derniers logie. patoisants - quand il en reste - pour leur demander la prononciation française et pa- toise du lieu-dit et sa signification locale Messire Pierre présumée. Notre étudiante poursuit l'étude des lieux- Cette dernière phase est assurément la dits de Damphreux. Elle s'achoppe à la plus délicate, si l'on en croit l'aventure qui signification d'une appellation qui lui paraît est arrivée à une étudiante de la Faculté des étrange : Dô les Côtaies Manche Pîrre. Elle lettres de l'Université de Zurich. Auteur consulte le registre afférent au plan cadastral d'une thèse de doctorat sur Les articles et les de 1848 et lit la traduction française : « Sous noms dans le patois d'Ajoie (1978), Ursula Ett- les côtes Messire Pierre ». Mais le doute mùller-Spiess a questionné un bon patoisant l'envahit. Ce Manche Pîrre l'intrigue. N'est- de Damphreux, « instruit » de surcroît, elle pas en présence d'une erreur de comme on dit chez nous. transcription ? Cela arrive si souvent en pareil Passant en revue les lieux-dits de la loca- cas. Elle interroge le même patoisant qui, lité, notre Ursula est tombée sur Le Breuil. pour une fois, hésite un peu. L'endroit en Ce nom, que l'on retrouve partout, a plus question semble rocailleux (peut-être bien d'une signification : « Pré, souvent humide, pour les besoins de la cause). La réponse est probablement clôturé ». Le mot vient du prudemment énoncée au conditionnel : gaulois brogilos « bois clôturé » (Maurice Monche Pîrre pourrait se traduire par « Bossard). Mais Le Breuil peut aussi désigner monceau de pierres ». L'étudiante paraît des « prés ou champs à proximité d'un satisfaite. Au suivant ! village, souvent sis au bord d'un cours d'eau» Le temps passe. Survient un curieux qui (GPRS, II, 780 b). s'intéresse à l'histoire du village dont il est 35

originaire. Il adore « chneuquer » dans les des différentes chartes pour ne retenir qu'un archives. Patiemment, il a suivi la trace de nom parmi les trois abbés de Bellelay qui se ses ancêtres dans les registres de baptêmes et prénommèrent Pierre. Selon toute de décès. Il aime à rêver dans cette cam- vraisemblance, il s'agit de Pierre de Varres, pagne où ceux qui l'ont précédé ont, selon 7e abbé de Bellelay (1289-1292), qui avait l'Ecriture, gagné leur pain à la sueur de leur acheté des terres à Damphreux, village pro- front. Il s'arrête Sous les Côtaies Monche Pîrre che de la paroisse de , adminis- et l'idée lui vient d'apporter, à son tour, une trée par les Prémontrés de Bellelay, proche pierre à l'édifice : l'explication des lieux-dits aussi du prieuré de Grangourt qui apparte- de Damphreux. Il écarte d'emblée le mon- nait à l'Abbaye de Bellelay. ceau de pierres pour ne s'intéresser qu'à Pour la petite histoire, disons que ces Messire Pierre, cité en 1848. Qui donc est ce champs de Damphreux furent l'objet de personnage ? longs et ruineux procès entre les Prémontrés Première hypothèse : il pourrait s'agir de Bellelay et les chanoines de Moutier- d'un ancien curé. Ce champ constituait peut- Grandval. Mais, selon Mgr Vautrey, « après être sa dot, c'est-à-dire qu'il en retirait plusieurs incidents où, de part et d'autre, on chaque année une rente en nature ou en ar- se défendit avec acharnement, on remit enfin gent. Ce revenu ou bénéfice, versé par les l'affaire à l'arbitrage de cinq députés choisis paroissiens qui cultivaient cette terre, était par les deux parties. Le jugement rendu le 8 affecté à l'entretien du curé et du presbytère. juillet 1337 reconnut le droit bien fondé de Mais la supposition ne résiste pas à Bellelay, et assura aux religieux la l'examen : ce n'est pas l'usage d'attacher le possession libre et paisible des colonges nom d'un curé à un champ qui appartient à achetées par l'abbé Pierre » (Notices I, 362). la fabrique ou, si l'on veut, à la paroisse. L'abbé Pierre a laissé sa trace dans le fi- Nous sommes sur une fausse piste. Ce nage de Damphreux, mais il ne pensait sans Messire Pierre est sans conteste un abbé de doute pas que les terres qu'il avait acquises Bellelay. constitueraient une pierre d'achoppement. Les actes de ventes et de donations con- D'abord pour ses successeurs qui durent ester servés aux Archives de l'ancien Evêché de en justice pour faire valoir leurs droits. (Le Bâle et qui concernent Damphreux attestent vœu de pauvreté ne dispense pas de saints des formes suivantes : monsi Pierre, monsi hommes d'Eglise de tout détachement des Pirre, moussi Pirre, monsy Pierre. Aucun doute biens de ce monde). Ensuite pour une n'est possible : la traduction coule de source. amoureuse de toponymie à la recherche du C'est « monsire Pierre », « monseigneur sens réel d'un lieu-dit. Un patoisant l'a Pierre » ou « monsieur Pierre », ce qui égarée. En toute bonne foi. Ne lui jetons pas revient au même. Passons sur les dates la pierre. 36

De la djou à Jura

La première mention du nom Jura est bien l'esprit est Lajoux dont l'orthographe ancienne connue. On la trouve dans les Commentaires était La Joux. Paul Bacon, qui fut maître sur la Guerre des Gaules, de Jules César, écrits secondaire à Saignelégier, a intitulé son livre de l'an 52 à 50 avant Jésus-Christ. Les sur les Franches-Montagnes : Le pays des latinistes qui ont peiné sur le De bello Gallico Hautes Joux. se souviendront peut-être du passage où il Aux Archives de l'ancien Evêché de Bâle, est question du monte Jura altissimo. C'est la la plus ancienne mention de joux apparaît désignation du massif montagneux séparant sous la forme jus dans le Rôle des colonges les Helvètes des Séquanes et atteignant, au de Courchapoix, le 24 juin 1485 (Trouillat, V, nord, le pays des Rauraques. 325). Un mot de la même famille que Jura est djou. Il nous fait penser aux noms de lieux Le canton du Jura, le département français en joux. Ceux-ci apparaissent sous des for- du Jura tirent leur nom de juris « forêt de mes variables; elles sont regroupées sous montagne ». Il en est de même des plis- l'article dzao dans le Glossaire des patois de la sements géologiques qui s'étendent de Ge- Suisse romande (V, 1049a). nève à Baie, et même au-delà de ces deux Avec Wulf Mùller, commençons par exa- villes. miner le mot d'origine préromane juris «forêt Le Jorat, région de collines du canton de de montagne» ou «hauteur boisée», terme Vaud - on parle aussi du Jorat fribourgeois -et gaulois repris par le latin. le joran (dzoran, en patois), vent frais du C'est dans le canton de Vaud qu'appa- nord-ouest qui souffle notamment sur les raissent les premières attestations du type rives du Léman, ont la même origine que le Joriam et Jour, dans les actes notariés, alors Jura : juris. De ce nom découlent un nombre que les patois conservent notamment dzo, impressionnant de termes patois signifiant « dzou, dzoer. Les Valaisans connaissent les forêt de montagne composée d'essences Mayens de la Djou(r) à Savièse et les Neu- résineuses », mais aussi « forêt communale », châtelois Les Joux Dessus près de La Chaux- « groupe d'arbres très serrés », « massif de-Fonds. Quant au lac de Joux, il figure sur montagneux », « pâturage de montagne boisé toutes les cartes géographiques de la Suisse. ». Dans les cadastres des communes juras- siennes, au sud comme au nord, les topo- Voir aussi les articles intitulés Jura et Jura bernois, Jurassien nymes en joux ou en jeures sont très nom- et jurassique, dans le tome 3 du Parler jurassien, pp. 13- breux. Un des premiers noms qui vient à 20. 37

Fins et finages

Parmi les lieux-dits de nos régions, la Fin pâture sur les champs en jachère. On pensait est sans doute celui qui apparaît le plus fré- que l'assolement triennal ou la rotation des quemment. Le Glossaire des patois de la Suisse cultures conservait la fertilité du sol. romande en a recensé plus de mille. Citons- Par extension de sens, la fin a représenté en quelques-uns : Dos l'Age (sous la haie) à la une « vaste portion du territoire agricole Fin Dessus (Lajoux) ; la Vie (la route) d'entre d'une commune, constituant une entité géo- les Fins (Epiquerez) ; les Champs Montants à graphique, généralement scindée en plu- la Fin Dessous (Charmoille) ; le Champ au Milieu sieurs propriétés » (GPSR, VII, 465a). An- de la Fin (Boécourt) ; le Cras de la Neuve Fin ciennement, la fin était le territoire labouré (Lajoux) ; la Haute Fin et la Grand Fin d'une commune ou le territoire sur lequel le (Porrentruy) ; la Fin du Milieu (Pleujouse) ; seigneur avait un droit de juridiction. Entre Deux Fins (Tramelan) ; Enson (en haut Le finage a la même signification : c'est de) la Fin (Soulce). l'ensemble des terres cultivées d'une com- La commune d'Eschert - dont le nom mune. On trouve ce mot comme nom com- provient d'essert « terrain défriché » - a trois mun ou nom de lieu. Dans le français régional fins : la Fin Dessus, la Fin des Contours et la de Saignelégier, on a relevé que « le déjeuner Fin de Dos. Ce qui nous amène à la défini- se portait au finage où les gens travaillaient tion de la fin : « chacune des parties du do- déjà à 6 heures du matin » (GPSR, VII, 474b). maine cultivable d'une commune soumise à l'assolement triennal » (GPSR, VII, 465a). Parmi les lieux-dits jurassiens, on peut C'est le synonyme de pie ou de sole. citer le Finage Dessus (Epiquerez), le Finage Dans l'ancienne économie rurale, la fin, la Dessous et le Finage du Milieu (Glovelier) ; Le pie ou la sole était une portion du territoire de Petit Finage et le Grand Finage () ; le la commune où les cultures variaient de trois Finage Rière l'Eglise (Corgémont) ; le Haut du ans en trois ans. Pour qui ne s'en souviendrait Finage (Montfaucon). pas, la première année les champs étaient Fin et finage sont issus du latin finis « li- ensemencés en froment, la deuxième année mite d'un champ, d'un territoire ». On rap- en orge et la troisième année la terre était prochera ces mots de confins qui signifient laissée en repos ou en jachère. Généralement, « parties d'un territoire situées à son extré- le bétail était mis au bénéfice du libre mité, à sa frontière ». parcours ou de la vaine 38

Chavon

Chavon est un lieu-dit que l'on rencontre Le chef, c'est évidemment « celui qui est à dans toute la Suisse romande et en France la tête de ». voisine. On connaît le village de , Le dérivé le plus connu de chef est achever. près de Porrentruy. On connaît peut-être un On ne perçoit plus le sens de l'ancien français peu moins deux quartiers du village de à chef ou à chief « au bout, à l'extrémité ». Les Boncourt : le Chavon-Dessus et le Chavon- composés coulent de source : acheveur, Dessous. achèvement, parachever, inachevé. Les juristes Le chavon est le bout non labouré d'un parlent souvent de chef d'accusation pour champ. Par extension de sens, il désigne « désigner le point principal, celui qui vient en l'extrémité d'un territoire, généralement tête. La locution de son propre chef « sous communal » (Maurice Bossard). L'étymolo- son autorité ou sa responsabilité personnelle » gie de chavon nous fait remonter à chef, lui- fait allusion à l'activité mentale provenant du même issu du latin caput, capitis « tête, ex- chef, c'est-à-dire de la tête, mais son origine trémité ». Les traités de phonétique his- ne saute pas aux yeux. Tel n'est pas le cas de torique expliquent le passage du -p- de caput chef-lieu, littéralement le « lieu qui est à la au -f- de chef. Ils nous apprennent aussi tête d'une circonscription administrative ». comment le -f- de chef a passé au -v- de cha- von ; songeons, par exemple, à notre pro- Le mot composé le plus courant est assu- nonciation de neuf ans (ncevan) ou neuf heures rément chef-d'œuvre, anciennement « œuvre (nceveur). capitale et difficile qu'un artisan devait faire Le mot chef, dans le sens de « tête » n'est pour recevoir la maîtrise dans sa corpora- plus guère utilisé que dans couvre-chef « ce tion». Aujourd'hui, le terme s'emploie au qui couvre la tête », autrement dit le « cha- sens figuré pour désigner une œuvre parfaite peau ». Certains auteurs utilisent encore opiner en son genre. Mais, comme disait Adrien du chef « donner son opinion en faisant un Decourcelle, « un chef-d'œuvre est un enfant signe de la tête » ou branler du chef « remuer qu'on ne baptise qu'après la mort de son la tête d'avant en arrière ou d'un côté à père». l'autre ». 39

La Queue-au-Loup

Si l'ouverture de la Transjurane entre De- où il a découvert, à Rupt, La Queue le Loup lémont et Porrentruy a eu lieu à la Saint- (Saint-Dié, 1966, page 46). Martin 1998 - avec seulement deux ans de La signification du lieu-dit étant éclaircie, retard sur le programme initial - la liaison tentons d'en déceler son origine. Elle doit être Porrentruy-Boncourt ne sera opérationnelle fort ancienne. La première mention de La qu'au début du siècle prochain. Un tronçon Queue-au-Loup que j'ai trouvée figure dans la reliera la plate-forme douanière et com- Délimitation entre la province d'Alsace et la merciale de La Queue-au-Loup à la voie rapide Principauté de Son Altesse le Prince-Evêque conduisant à Sévenans. Ainsi, la Transjurane de Bâle, du 8 septembre 1745 (Archives de sera raccordée au réseau autoroutier français: l'ancien Evêché de Bâle, 35 J 45) : « Une 72e le rêve deviendra réalité. (borne) plantée au bout de la queue au loup dans un angle aigu saillant sur Lebetain et L'aménagement de la nouvelle douane de pour la forme il a été planté deux bornes, Boncourt ne pourra se faire qu'au moyen taillées et armoriées dont l'une répond à la d'un échange de territoire entre la Suisse et la précédente, l'autre porte son aspect à la France, à La Queue-au-Loup précisément. suivante en déclinant du midy à l'orient de Pourquoi cette appellation ? En topony- cinquante-deux degrés et demi sur la mie, l'étude des noms de lieux, une queue longueur de vingt-quatre perches. » désigne une pointe de terrain qui s'avance dans un territoire. Ici, c'est une pointe rec- tangulaire (autrefois triangulaire) qui s'a- vance dans le territoire français, entre les communes de Lebetain et de Délie. Voilà pour la queue. Pourquoi au loup ? Parce que c'était un animal assez commun, que l'on redoutait autrefois dans les campagnes. Les journaux du siècle passé relatent de fré- quentes battues aux loups, en Ajoie notam- ment. Au demeurant, « pour caractériser da- vantage un lieu-dit déterminé, on accompa- gnait le vocable queue du nom d'un animal très commun : le loup, le renard, par exem- ple. » C'est ce qu'écrivait Marc Georgel dans Extrait du plan cadastral de Boncourt (1848). Archives de la ses recherches sur les lieux-dits des Vosges République et Canton du Jura. 40

ce de territoire cédé au Prince-Evêque alors qu'il en était déjà co-souverain. » (Pierre Re- betez, Les relations entre l'Evêché de Bâle avec la France au XVIIIe siècle, Saint-Maurice, 1943, page 368). Une modification de la frontière a eu lieu le 10 septembre 1957, « le Conseil fédéral et le président de la République française étant animés du désir d'aménager la frontière des deux Etats ». De triangulaire qu'elle était, la Modification du tracé de la frontière franco-suisse à Bon- parcelle de La Queue-au-Loup est devenue court (1957). Les Intérêts du Jura, 1958. rectangulaire. Désormais, les contrebandiers éventuels devaient franchir la frontière, alors Cet « angle aigu saillant » n'a pas été mo- qu'ils auraient pu auparavant rester sur sol difié par la « Rectification des limites dans français et tendre la main en direction de la plusieurs parties de la frontière de l'Evêché- fenêtre de la maison d'habitation pour Principauté vers les frontières de l'Alsace et s'approvisionner en marchandises suisses. de Franche-Comté » lors de la Convention Mais, bien évidemment, tout ceci n'est que entre le roi très chrétien (Louis XVI) et le Prin- pure hypothèse. ce-Evêque de Bâle (Frédéric de Wangen) signée à Versailles le 20 juin 1780. « A Boncourt, les droits s'enchevêtraient. Le roi dominait sept sujets, c'est-à-dire sept ménages ou chefs de famille. Sa souveraineté FRANCE s'étendait non seulement sur leur personne, mais aussi, et entièrement, sur leurs maisons, leurs champs, leurs prés, vergers, etc. De son côté l'évêque de Bâle était le prince de cinquante-trois sujets et possédait autorité entière - à l'exemple du roi - sur leur personne et leurs biens. Indépendamment de ceci, sur le reste du territoire de Boncourt, c'est-à-dire sur le communal (biens en commun) et les grands chemins, la souveraineté était mixte. Ce qui explique la grande surfa- Projet d'échange de terrains entre la France et la Suisse (XXI'siècle). D'après H. Brunner, 1992. 41

Les arbres et les lieux-dits

Une promenade à Paplemont, près de On trouve Les Prés des Saces à Boécourt, Le Courtemautruy, m'a fait prendre conscience Champ des Sausses à Damvant, En Sacé à de l'importance des arbres dans la dénomi- Bonfol, Es Sassates à Cornol, Derrière Saucy à nation de nos lieux-dits. Le bouquet de peu- Develier. pliers qui surplombent la roue de l'ancien Le charme (qui n'a pas donné son nom à moulin incite à penser au nom allemand du Charmoille, comme on pourrait le supposer) peuplier : Pappel. J'en ai déduit que l'appel- est facile à déceler : Dô l'Hâ ai Tchairme à lation de Paplemont signifie « mont des Beurnevésin, Les Champs Charmas (et non peupliers ». En ancien français, peuplier se Charmants) à Boncourt, En Tchairme à Buix, dit pople. André Rais, ancien archiviste, a re- En Tchairmois, Es Tchairme à . trouvé la première attestation de Paplemont : Le pin gras est assez rare : il apparaît sous « Popelmont en 1332 ; de paple, autre forme la forme Tyïes à Buix et Tayés à Courtelary. En (sous l'influence de l'allemand P appel) de patois, Vatré donne tayie et toiyie. peuple ou peuplier ». Le raisonnement est donc exact. Le noyer est exceptionnel dans nos lieux- De tout temps, les arbres ont servi de dits. Selon André Rais, on le trouve sous la points de repères. Ils ont laissé des traces forme de Pré Naise à Asuel ; du patois nayie. dans plusieurs lieux-dits de nos localités. Le noisetier fait penser à l'ancien français Mais toutes les dénominations ne sont pas coudre qui a donné coudrier. On trouve Sur le évidentes de prime abord. Prenons l'exemple Cœudret à Cornol, Les Cœudrets à Damvant, du bouleau. D'une part il n'y a plus de Les Tieudres à Damphreux, En lai Tieudre à bouleaux aux endroits appelés La Bouloie à Fahy et Fontenais. Porrentruy ou Les Boules à Fontenais. D'autre L'ancien nom de l'aune est verne : La Verne part, certains lieux-dits ne sont pas à Court, Es Vernes à Bonfol, Les Vernes à transparents pour les non-initiés : Le Boulier à Mervelier, En lai Verne à Rossemaison. André Asuel, Devant les Boulas à Bonfol, Le Bois Rais rattachait à verne Les Vienes à Ré-clère des Boulets à Cœuve, Les Boulies à Vendlin- et Les Prés Voirnais à Saulcy. Mais ces deux court, Es Boulaies à Bressaucourt. déductions n'emportent pas la conviction. Il Le saule a laissé sa trace dans le nom du semble que la phonétique historique n'y village de Saulcy (Sasis en 1327 ; patois sâci). trouve pas son compte. 42

Le Bois

Pourquoi cette majuscule à un nom com- Côte, le Bois des Angles, le Bois du Mont Mi- mun ? Parce qu'ici bois n'est pas pris dans chel, le Rond Bois (dû bien sûr à la forme de son sens habituel - matière ligneuse des la forêt), le Neu Bois (le Bois neuf, c'est-à- arbres - mais comme nom propre désignant dire nouvellement planté à l'époque - on re- un lieu géographique, un toponyme si l'on marquera que l'adjectif précède toujours le préfère. Il signifie « petite forêt ». Le terme nom en patois) et l'énigmatique Bois de Cinq se retrouve dans de très nombreuses localités Sols (ou de cinq sous). (pour ne rien dire des noms de famille Le Bois sert souvent de référence pour la Dubois, DuBois et du Bois). situation des champs et des prés : Devant le Le mot bois est d'origine germanique. Bois à Bure et Châtillon ; Derrière le Bois à Issu du francique bosc, il a donné bosco en Cœuve ; Sous le Bois à Court et Mervelier ; italien et Busch en allemand. En français, on Sous Jeune Bois à Damvant ; Sur le Bois à trouve notamment les dérivés bosquet, bou- Court et Movelier ; Entre les Deux Bois à quet, bocage, buisson et même bûcheron, sous Damphreux. Ce ne sont là que quelques l'influence de bûche. Le bois désigna d'abord exemples de localités, chaque lecteur pou- un lieu couvert d'arbres, moins important vant aisément compléter cette énumération qu'une forêt. lacunaire. Si l'on devait dresser une carte topogra- Dans plusieurs villages, on trouve un Petit phique de tous les lieux-dits du Jura qui Bois et/ou un Grand Bois. Les Jurassiens qui contiennent le mot Bois, on arriverait à une ont fait du service militaire dans l'artillerie de liste impressionnante. Amusons-nous à sur- forteresse connaissent bien le fort de voler quelques-uns de nos villages. Et com- Plainbois, près de Bourrignon. Ici, plain (et mençons par le célèbre Noir Bois de Alle que non plaim devant le b) signifie « situé sur un les fouilles archéologiques ont mis en vedette. terrain relativement plat ». A propos Les découvertes spectaculaires de Sous le d'orthographe, pensons aussi au Banbois (et Noir Bois permettent de penser que nos loin- non pas Bambois) à Delémont, c'est-à-dire au tains ancêtres occupaient le site bien avant Bois mis à ban parce qu'il était interdit d'y l'époque celtique. Mais laissons aux spécia- faire paître le bétail et d'y couper du bois. listes le soin de dater leurs trouvailles. Trois villages des Franches-Montagnes A Allé, on trouve encore le Gros Bois ; à portent un nom issu de bois. Outre Les Bois, Beurnevésin le Bois Brûlé (souvenir d'un in- il y a Le Boéchet et La Bosse. Lorsque nous cendie, évidemment) et les Grands Bois. A étions enfants, nous riions stupidement en Boncourt, outre les Grands Bois, six autres prétendant que le hameau de La Bosse, près appellations concernent le mot : Le Bois de la du Bémont, était mal nommé parce qu'il 43

était situé dans un trou. Dans notre ignorance face plane ». Or La Bosse a la même origine juvénile, nous pensions à tort à une des que le français bois. significations de bosse : « monticule, éléva- Comme quoi on ne devrait pas plaisanter tion bombée ou saillie arrondie sur une sur- avec la toponymie.

Des petits fous au Bois d'Eté

Si l'on consulte le plan cadastral de cription approximative - dans le francique , on est surpris de tomber sur la hestr qui a donné « hêtre » en français. dénomination Le Bois-d'Eté. On retrouve une Dans le Jura, le mot fait concurrence à appellation à peu près semblable à Chevenez foyard (rarement fayard) et à pertche (littérale- : La Combe d'Eté. Que vient faire l'été là- ment perche). Un quartier de Porrentruy est dedans ? Mystère ! dénommé La Perche. C'était, à l'origine, un lieu planté de petits hêtres (voir Les rues de Cependant, le curieux qui s'intéresse aux Porrentruy, page 44). Mais ne nous égarons lieux-dits ne saurait rester sur sa faim. Il pas en ville et poursuivons notre promenade consulte la carte nationale et lit Le Bô d'Estai. à la campagne en direction de Fahy, village qui Tiens, tiens ! Quelle est donc la prononcia- tire son nom de « hêtre ». D'ailleurs, si l'on tion correcte ? Les anciens du village - les se rend de Chevenez à Fahy par un chemin vieux, quoi - vous diront été ou aité. Exami- vicinal, on tombe sur une ferme située au nons les sources patoises. Simon Vatré donne lieu-dit Champ du Fol, c'est-à-dire « champ hêté « hêtre » et hêtlat « petit hêtre ». François du fou » ou « champ du hêtre ». Fridelance : ïn gros l'été « un gros hêtre ». Jules Surdez : lez été « les hêtres ». Ce dernier La signification de Bonfol, autre village exemple est enrobé dans une phrase que l'on d'Ajoie, est probablement « bon hêtre », si peut traduire ainsi : « Si l'on coupe les hêtres l'on se réfère aux premières attestations de la quinze jours avant la Pentecôte, le bois dure localité. Nous avons donc une troisième plus longtemps que lorsqu'on les fout bas en souche de mots pour désigner le hêtre. hiver » (GPSR, VI, 803b). Aucun doute : le Les variantes patoises du latin fagu « hê- bois d'été est bien une forêt de hêtres. On tre» sont innombrables. Il semble que foyard retrouve d'ailleurs le mot, avec des variantes soit la plus usuelle (voir Le parler jurassien, évidemment, dans les patois francs-comtois. tome 1, page 73). Mon père disait aussi « du Il faut rechercher l'origine de été - que l'on bois dur », appellation que l'on retrouve à me pardonne cette trans- Corcelles, dans le canton de Neuchâtel 44

(Tableaux phonétiques des patois suisses ro- En ancien français, le hêtre se disait fol ou mands, N° 268). fou. La langue actuelle en a gardé la trace Maurice Bossard, qui a étudié les lieux- dans fouet. Le mot a d'abord signifié « petit dits de Suisse romande, a relevé plusieurs hêtre », puis « petite baguette de hêtre ». formes, notamment : Fou, Fau, Feu, Payât, Mais qui de nous fait le rapprochement entre Fahey, Fayette, Fayaux, Fayel, Fey, Fay, Paye, fouet et petit fou ? Pays, Fahi. Toutes se rapportent au hêtre ou Vous aviez peut-être cru à une histoire de foyard qui est, comme l'on sait, le principal fous en lisant le titre de ce billet. Vous aviez feuillu de nos forêts. raison.

Les jeunes fies et les pesses

Celui qui s'intéresse à la toponymie, ne Décrivant au début du siècle les « Mœurs manque pas de lire les annonces concernant et coutumes des Franches-Montagnes », Jo- les ventes immobilières. Elles contiennent seph Beuret-Frantz notait : « Pour le bûche- toutes des mentions de lieux-dits, dont plu- ron, les arbres les mieux connus étaient les sieurs sont incompris. Sauf peut-être de cer- sapins (les saipïns). Ce nom était donné à tains patoisants. tous les sapins. Plus tard, il fut cependant fait J'ai relevé récemment trois appellations : des distinctions. Le picéa, c'était l'épicéa ; le les Pesses, la Fiatte, la Fuatte. Elles concernent saipïn, c'était le sapin blanc ; le pîn-graie, le un seul et même nom : l'épicéa ou sapin pin. Un petit sapin maigrelet était une fuatte. rouge. Evitons d'abord toute confusion entre Le cône ou la pomme de sapin s'appelait la un sapin blanc (ou tout simplement un sapin) pive. La cime de l'arbre était dénommée dont les aiguilles sont plates et disposées en boquatte et les branches étaient appelées lai forme de peigne de chaque côté de la tige, dépouilles, enfin la résine la poix. » (Actes de avec un sapin rouge (plus connu sous le nom la Société jurassienne d'Emulation, 1920, p. d'épicéa) dont les aiguilles piquantes sont 114). disposées en forme de brosse tout autour de Pour William Pierrehumbert, une fuatte, la tige. La confusion est fréquente. Dans un fuette ou fiette était un « jeune sapin », une « document du 2 mars 1382, Joseph Trouillat jeune fie », car dans le patois neuchâtelois fie relève le mot fiette qu'il traduit fort justement est le nom du sapin rouge, appelé également par « épicéa, nommé dans le patois du pays épicéa ou pesse (p. 248-249). fuatte », mais il ajoute à tort « sapin blanc » Ces détails nous mènent tout droit au latin (IV, 413). picea « sapin, arbre résineux en général ». 45

« Par une évolution phonétique régulière, Si l'on a la curiosité de remonter plus haut picea a abouti à pesse. Ce n'est qu'au XVIIIe dans le temps, on découvre que le latin picea siècle que l'on a ajouté un - é - à picea pour est un dérivé de pix, picem « poix ». Et si l'on désigner le sapin rouge » (Marcel Bossard). emprunte le chemin inverse, on décèle que la Les pesses de nos lieux-dits conservent donc poix a donné la poisse. Probablement parce mieux la forme originelle latine que nos que la malchance colle à la peau de ceux épicéas. qu'elle englue.

Arbres fruitiers et lieux-dits

Si les noms des essences forestières jouent éloignées de la forme actuelle pour que l'on un rôle important dans la toponymie, les puisse rattacher le toponyme au pommier. noms des arbres fruitiers, des petits fruits et L'arbre fruitier le plus souvent décelable des baies sauvages apparaissent plus dans les lieux-dits est le poirier. Il sert sou- rarement dans les cadastres de nos localités. vent de borne en rase campagne. Bernard Les Pommerais semble le seul nom de lieu du Vauthier a raison de mettre en garde les Jura qui se rapporte aux pommiers. amateurs de toponymie qui risquent de Probablement parce que c'est un des rares confondre perrier, qui signifie « poirier », villages des Franches-Montagnes où les ar- avec perrier qui se rapporte à un terrain bres fruitiers sont nombreux à cause de son pierreux ou rocailleux. Le poirier sauvage microclimat. apparaît souvent sous la forme blessonnier. Selon Bernard Vauthier, auteur d'une Les poires sauvages sont des blessons dans étude approfondie sur « Le verger romand » les patois romands et des biassons dans les (Bôle, 1995), Malleray tirerait son nom du latin patois jurassiens. Lors de mon examen su- malus « pommier ». Cette hypothèse n'est pas perficiel des plans cadastraux du Jura, je n'ai convaincante si l'on examine les différentes pas trouvé de lieux-dits se rapportant au attestations de la localité entre 1179 et 1655. beûtchïns, ces pommes sauvages, aux poi- Certes, on trouve Melleray et Mellieret dans le rattes ou cenelles, ces baies de l'aubépine, ni canton de Vaud où ce nom signifie « aux p'nelles ou prunelles. Ce qui ne veut pas pommeraie », et le mot peut se présenter dire qu'il n'en existe pas. sous des orthographes diverses. Toutefois, Seul un relevé systématique et informatisé les anciennes formes de Malleray, livrées par des lieux-dits du Jura historique permettrait les documents d'archives, paraissent trop de déceler les noms des arbres fruitiers 46

et des arbustes qui ont joué un rôle en topo- lier », parue dans les Actes de la Société ju- nymie. C'est un travail immense - si on veut rasienne d'Emulation de 1996 (pp. 95-110). l'exploiter scientifiquement - qui dépasse Son auteur, Nicolas Barré, dont les compé- évidemment les possibilités d'un seul tences en philologie et en histoire transpa- chercheur. Mais il ne faudrait pas trop tarder raissent dans le texte, indique la méthode à à s'y atteler, car les remaniements parcellaires suivre. Il souligne l'importance des docu- risquent de faire disparaître à jamais certains ments historiques, le rôle des témoignages lieux-dits de la mémoire collective. On ne les oraux, la configuration des lieux, tout en si- retrouvera plus que sur les anciens plans gnalant les difficultés d'interprétation des cadastraux. lieux-dits. La toponymie est une science exi- Ceux qui seraient tentés par un tel recen- geante ; elle ne devrait cependant pas dé- sement liront avec profit la remarquable courager les étudiants en lettres à la re- étude sur « Les noms de lieux de Montseve- cherche des thèmes originaux.

Le Voyebœuf La construction de la Transjurane a remis que l'on devrait écrire au pluriel, ce sont les en valeur certains lieux-dits liés à son bœufs. Le Voyebœuf était jadis la voie, le exploitation. L'ouverture au trafic routier du chemin emprunté par les bœufs pour se pont du Voyebœuf, entre Allé et Porren-truy, rendre au pâturage. » Quoi de plus convain- m'a fourni l'occasion de (ré) examiner cette cant que cette démonstration ? Il ne nous serait curieuse appellation. Et, du même coup, de jamais venu à l'idée de nous demander si l'on rendre hommage à la mémoire de Gustave élevait beaucoup de bœufs à Porren-truy au Amweg. XIIIe siècle. De temps en temps, cet ancien professeur Lorsqu'en 1955/56, André Rais fut chargé initiait ses élèves à la toponymie. Cette par la commune et la bourgeoisie de Por- science, balbutiante à l'époque, fascinait nos rentruy d'examiner les lieux-dits, il proposa jeunes cervelles. J'entends encore Gustave la forme Voyebeuf et l'explication suivante : Amweg nous expliquer l'origine de Voyebœuf « lieu où coule le bief ». Prenant le contre- (que l'on orthographie aussi Voyebeuf et que pied de Gustave Amweg, il affirmait juste- l'on prononce voille-beu). « Ecoutez bien, ment : « Méfiez-vous de ce que vous en- nous disait-il, ce que vous entendez dans tendez dans la prononciation d'un nom de Voyebœuf: Voye, c'est la voie, et bœuf, lieu, sinon vous serez victimes de ce que les 47

spécialistes nomment l'attraction paronymi- En revanche, il a certainement raison de voir que. » Autrement dit : ne vous fiez pas à la dans beuf une forme de bief. Le -f- de beuf ressemblance apparente des noms qui se explique celui de bief, d'autant plus que ce -f- prononcent de la même façon et qui ont des ne se prononce pas ici, comme dans le mot sens différents. bœufs. Selon l'ancien archiviste, Voye provient En consultant les plans cadastraux, on d'un verbe archaïque voyer qui signifie « constate que la source du Voyebœuf n'a pas couler ». Quant à beuf, c'est une forme de de nom spécifique ; c'est « le canal », c'est-à- bief ou de beu « petit ruisseau, canal d'irriga- dire le bief. Dans son étude sur les Sources, tion d'une prairie ou qui amène l'eau à la puits et fontaines de Porrentruy et d'Ajoie, le roue d'un moulin, d'une scierie. » doyen Membrez notait, en 1942, que « la Le Voyebœuf est l'un des cinq ou six belle source du Voyebœuf, dite le Bief » fut lieux-dits de Porrentruy (sur les neuf cités captée en 1455. dans une charte du XIIIe siècle) qui ont sub- sisté jusqu'à nos jours. Dans une donation Voyebœuf est donc composé de bief, bié, du 29 juillet 1290, on trouve le Voyebœuf, la bieuf ou beu et d'un premier élément dont la Rackette, la Condemène, En Basse-Vie, le Pâquis signification est incertaine. L'hypothèse de et un nom qui ressemble à la Beuchire Gustave Amweg « voie aux bœufs » semble (Trouillat, II, p. 488). La première mention devoir être écartée, même si le plan cadastral du Voyebœuf apparaît sous la forme Vayle- de 1849 indique Voiebœuf. buf. La typographie ne permet pas de resti- Notons enfin que le bief « canal qui amène tuer l'orthographe du document - un par- chemin remarquablement conservé - car le -u- l'eau, ou ruisseau » a donné deux noms de famille : Dubey (fribourgeois) et Dubîed est surmonté d'un -o-. (neuchâtelois). Le Glossaire des patois de la Se basant sur les diverses formes de Suisse romande a inventorié de nombreux vayle, relevées dans des actes ultérieurs, André lieux-dits se rapportant au bief : Le Bief Rais écrivit que voye est issu d'un ancien d'Etoz sur le Doubs, l'biè à'va (du val), un af- verbe voyer (voi-ié) qui signifie « couler ». fluent de la Lucelle, à Pleigne, lo bé Via sa- L'ennui, c'est que ladite acception de ce verbe vour (de la scierie) à Court, le Bie des Ro- est introuvable dans les dictionnaires les plus chattes à Asuel. On pourrait y ajouter Soubey complets d'ancien français et de patois. qui, d'après l'abbé Arthur Daucourt, signifie Certes, il y a bien voyer ou voier dans le sens Sous le Biez, autrement dit « sous le ruisseau » de « cheminer ». Mais peut-on conclure que qui se jette dans le Doubs. le Voyebœuf ou Voyebeuf est le « (lieu où) chemine le bief » et, par extension, le lieu où On le constate, certains noms de lieux « coule » le bief ? Je me garderais d'aller sont transparents comme l'eau claire d'une jusque-là. L'explication d'André Rais est sé- source, alors que d'autres ne livrent pas tous duisante ; toutefois elle me paraît douteuse. leurs secrets. 48

Les Esserts

Le lieu-dit Les Esserts a donné son nom à ter apparaît sous des formes voisines : échar- un viaduc de la Transjurane. Il a été construit ter, écherter, esserter, par exemple. En fran- entre Develier et Courfaivre. çais, sarcler appartient à la même famille. Le premier village est mentionné en 1139 Essarter, c'est donc défricher, rendre cul- et le second en 1147, mais leur fondation est tivable un terrain en le déboisant complète- plus ancienne. Le lieu-dit Les Esserts remonte ment. Aujourd'hui, c'est débarrasser un ter- sans doute à l'époque du défrichement de la rain de ses broussailles, des vieilles souches vallée de Delémont puisque le verbe essarter qui l'encombrent (GPSR, VI, 715b). On em- signifie « défricher ». Un essert est donc un « ploie aussi ce verbe pour « nettoyer un pâ- terrain défriché, très généralement en turage, arracher les buissons et les épines communauté » (Maurice Bossard). Le mot qui l'envahissent » et, quelquefois, pour vient du latin exsartum « défrichement, lieu «nettoyer une forêt, la débroussailler et défriché ». Ce toponyme est très fréquent en brûler les épines ». Suisse. A part de nombreux lieux-dits dans les plans cadastraux de plusieurs localités, on Grâce à la toponymie, nos lieux-dits dé- pense immédiatement à Essertfallon, voilent des sens qui ne sont plus guère com- commune d'Epiquerez (Essert + un nom pris. Expliquer un nom de lieu, c'est le re- propre) et à Eschert, village du district de placer dans la langue de l'époque où il est Moutier. La permutation du -s-en -ch- se né. Pour la Suisse romande, il s'agit du bas retrouve dans nos patois où essar- latin, ancêtre de nos patois.

Le Pâquis

La commune de Boncourt édite un bul- Suisse romande. Examinons-le d'un peu letin trimestriel intitulé L'Echo du Pâquis. Le plus près. Pâquis, c'est le nom donné au bâtiment qui L'origine du terme est latine : pascum, qui abrite l'administration communale. C'est signifie « pâturage ». Le pâquis est donc le aussi le nom d'un lieu-dit assez commun en pâturage et, le plus souvent, le pâturage 49

communal (Maurice Bossard). Pascum ap- prendre le sens moderne de « petit village », partient à la famille de pascere « paître, me- souvent avec une valeur dépréciative (Alain ner le troupeau au pâturage, nourrir et en- Rey). graisser les bestiaux ». De cette racine surgit repaître et son participe passé repu. Nous A la même série appartiennent encore sommes tout près de repas qui, jusqu'au XVe pâtre « celui qui fait paître le bétail » et pas- siècle, signifia d'abord et surtout « nourriture teur « berger » puis, par extension de sens, « en général (von Wartburg). Un synonyme de ministre du culte protestant » (Jacqueline repas est appât, « pâture, aliment ». Il désigne Picoche). Pastoureau et pastourelle sont des aujourd'hui le morceau comestible servant à diminutifs de pasteur ; l'adjectif pastoral et le attirer les animaux pour les prendre. Au nom féminin de pastorale se rattachent pluriel (irrégulier), et au sens figuré, les appas également à pasteur. désignent les attraits physiques, les charmes Arrêtons-nous ici, de crainte que le lec- féminins. teur, lassé par cette énumération, ne nous Le pâquier, le pacage, la pâture sont des sy- envoie paître. Mais, au fait, d'où vient cette nonymes de pâturage. Le premier terme a expression ? Constatons d'abord qu''envoyer donné trois noms de famille de Suisse ro- paître quelqu'un, c'est l'envoyer promener. mande : Pâquier, Pasquier, et Duspasquier, Mais, avec Sophie Chantreau, remontons au ainsi que deux noms de communes neuchâ- Moyen Age où faire paître avec soi signifiait « teloise et fribourgeoise : Le Pâquier. Un dérivé attirer par des promesses illusoires ». Faire curieux de pâquis est patelin, altération de paître prit ensuite la valeur péjorative de « pâquelin, qui désigna d'abord un petit pâtu- envoyer avec les vaches » d'où « chasser, rage, un foyer domestique, avant de renvoyer ».

Les Œuches

Les Œuches est un lieu-dit très fréquent euche, ouche, oche, oiche et uche, donne une de la toponymie jurassienne. Il apparaît assez signification complémentaire : « portion de régulièrement dans les annonces de vente de terrain cultivé surtout en chanvre et en terres agricoles, également sous le diminutif plantes potagères ». C'est parfois un syno- Œuchattes. Ce terme signifie « jardin potager nyme de chenevière. qui n'est pas attenant à la maison ». Le mot vient du gaulois olca « terre la- Pierrehumbert, qui cite les variantes bourable ». Maurice Bossard, qui nous livre 50

cette étymologie, précise qu'une ceuche était tout près de la maison, au contraire des un plantage plus grand que le jardin, œuches. généralement clôturé et situé à proximité Courtil vient du bas latin cohortile « cour, immédiate du village ; on lui réservait les terrain clos » qui a donné cortile, curtile « en- bonnes terres, bien fumées. Gilbert Lovis clos comprenant maison et jardin » (Alain nous dit qu'à certains endroits, les œuches Rey). Le mot courtil, très vivant dans nos étaient réparties par tirage au sort entre les patois sous les formes que nous avons pas- bourgeois de la commune. sées en revue, a été évincé de l'usage courant En consultant les Monuments de Trouil- par jardin. lat, on constate que le mot apparaît très tôt On décèle courtil dans courtilière, cet in- dans nos archives. Un document daté du 11 secte fouisseur appelé aussi taupe-grillon et septembre 1378 concerne la ville (villa ou qui fait des dégâts dans les cultures pota- domaine agricole) de Vandelincourt (Ven- gères. Pierrehumbert signale courtillet et dlincourt) ; il y est question de maix (ha- courtillette pour « plate-bande contiguë à la bitations, jardins), de vergiers (vergers), de maison », mais ce mot poétique, typique- prez (prés), de curtiz (courtils) et d'euches ment neuchâtelois, est inusité dans le Jura. (œuches). Si l'on examine les locutions françaises, Un toponyme voisin apparaît également on n'en trouve qu'une seule contenant le mot dans nos plans cadastraux, c'est Cœurti, jardin : « II faut cultiver son jardin », au- Tcheurtchi, Tcheurti, Tieurti ou Tieutchi. Il s'agit trement dit : il faut mener une vie calme sans de courtil ou jardin potager - destiné à la se préoccuper d'autrui et de la marche du culture des légumes pour le potage – situé monde. Sagesse ou égoïsme ?

Les Peux et Les Cerneux

II y a, aux Franches-Montagnes en parti- du Noirmont. Cette énumération est loin culier, des lieux-dits associés à un nom de d'être exhaustive. On la complétera aisément famille. Citons les plus connus : Le Peucha- à l'aide des cartes topographiques au 1 : 25 patte ou Peu Chapatte, Le Peu Péquignot, Le 000. La question que l'on se pose est : « Peu Claude près du Boéchet, Le Peu Girard Quelle est la signification de Peu et de près des Breuleux. Il y a aussi Le Cerneux Cerneux ? » Veusil (Dessus et Dessous), Le Cerneux Godât, Selon Maurice Bossard, éminent spé- Le Cerneux Péquignot, le Cerneux Crétin près cialiste de l'étude des noms de lieux ou 51

toponymie, peu signifie « colline, petit som- tion de 1956 (p. 127-142) : « Les cerneux, cer- met ». C'est l'équivalent du pui français - on niers, cernils et cernies désignent tous des en- connaît le Puy-en-Velay et Puy-de-Dôme par clos de plus ou moins grande étendue où se exemple -, du pueys fribourgeois et du pey trouvaient à l'origine une ou plusieurs fer- valaisan. Tous ces mots sont directement mes. Nombre de ces îlots portent encore le empruntés au latin podium qui signifie colline. nom du colon qui les clôtura, les défricha Ancien professeur de français médiéval à quelque peu, construisit un abri pour lui et l'Université de Lausanne, Maurice Bossard ses animaux domestiques et creusa une nous apprend que le verbe payer ou puyer, citerne. » synonyme de « monter », a disparu assez tôt A l'origine, un cerneux était une forêt dé- de la langue. Cependant, il est resté bien frichée. Il prit différents sens dont celui, vivant dans les patois romands - à l'exception dans le Jura, de « pâturage entouré d'une des patois jurassiens qui, on le sait, sont barrière ou d'un mur », cerné en quelque d'origine franc-comtoise - sous la forme poyî. sorte. Le nom est dérivé du latin circinare « On connaît surtout la poyâ ou montée à former un cercle ». En patois franc-monta- l'alpage, avec tout son folklore. gnard, on dit « ïn tchvâ à sènoe » pour « un Pour les Cerneux, notre référence sera cheval au pâturage » (GPSR, III, 219a). Jules Surdez. (Ce savant patoisant, ancien Jules Sudez a dressé une liste impres- instituteur au Cerneux Godât, près des Bois, sionnante des cerneux. Tous ces lieux-dits fut reçu docteur honoris causa de l'Université évoquent le travail « titanesque » accompli de Berne). Il leur a consacré un article dans par les pionniers lors du défrichement de la les Actes de la Société jurassienne d'Emula- Montagne des Bois, devenue les Franches- Montagnes.

Les Chenevières Le chanvre est-il une drogue ? Oui, si l'on sont partagés. Le fait est que les plantations considère la résine extraite de la plante ou les de chanvre en Valais ont naguère alimenté la sommités fleuries connues sous le nom de chronique judiciaire, l'utilisation de la plante haschich. Leurs effets euphorisants ont été pouvant conduire à la toxicomanie. largement décrits. Quant à savoir si les « Jusqu'à la fin du siècle passé, on cultivait joints » produisent une accoutumance réelle ou le chanvre à peu près partout en Europe. Non induisent une dépendance, les avis pour la résine de certaines variétés de 52

la plante, mais pour sa filasse. Le chanvre de ménaidge, linge qui durait une ou deux textile, comme le chanvre indien, provient générations. Allez donc offrir des chemises de la plante appelée cannabis. Plusieurs ports de toile de ménage à vos filles ! Leur peau avaient leur cannebière - celle de Marseille a délicate supporte à peine une toile d'arai- donné son nom à une avenue -, lieu où l'on gnée. » Suit une description précise, en pa- confectionnait les cordages pour la marine. tois, de tout le vocabulaire se rapportant à la Chez nous, nous avions nos chene-vières. culture du chanvre et à son exploitation. Et C'étaient des champs où l'on cultivait le l'auteur de conclure : « La disparition du chanvre. Cette culture exigeait des sols chanvre en Ajoie a entraîné non seulement très fertiles, si possible à proximité d'un celle des outils, machines et produits, mais ruisseau ou d'une rivière, car le rouissage encore du vocabulaire relatif à cette plante. » (fermentation des tissus végétaux permet- (Le tchenne en Aidjoue, p. 113-116) II est tant de séparer les fibres) exigeait beaucoup cependant un nom qui survit dans maints d'eau. lieux-dits de nos villes et villages : ce sont Les Les Actes de la Société jurassienne d'E- Chenevières, C'est aussi la dénomination d'un mulation, de 1924, contiennent un article hameau de la commune de Muriaux. instructif sur la culture du chanvre en Ajoie. Porrentruy a son chemin des Chenevières, Son auteur, Camille Courbât, note que « il y a proche de la route de Fontenais. moins d'un siècle, chaque village avait un ou Le mot chenevière est issu du latin canapa- deux tisserands. A cette époque, chaque ria, dérivé lui-même de cannabis. En ancien famille faisait sa toile, la toile pour son usage. français, on trouve chanevière et, en patois, Les jeunes filles se faisaient une gloire de se les formes les plus courantes sont tchainevîere confectionner de beaux et bons trossés et tchainvîr.

Les Communances

Entre Montfaucon et Le Bémont, dans les pas spécialement l'attention parce que l'on en Franches-Montagnes, un poteau indicateur comprend tout de suite le sens : « terrains porte la dénomination Les Communances. Si appartenant à une communauté ». Mais les l'on consulte la carte topographique, on dis- mots les plus... communs ne sont pas les tingue une ou deux fermes aux Commu- moins intéressants. nances-Dessus et une ou deux autres aux Remarquons d'abord qu'il ne se passe Communances-Dessous. Ce lieu-dit n'attire guère de semaines sans que les médias nous 53

parlent de communautés. Il y eut d'abord la nance était une « taxe ou taille imposée aux Communauté européenne du charbon et de habitants d'une commune ou qu'ils s'impo- l'acier (C.E.C.A.) définie par le traité de Paris saient entre eux » (William Pierrehumbert). en 1952 ; elle devait limiter les risques de On est donc tout proche de l'étymologie guerres. Puis le célèbre Marché commun ou latine de communis, mot composé de cum la Communauté économique européenne «avec » et munis « qui accomplit sa charge ». (C.E.E.) définie par le traité de Rome en 1957. On connaît, bien sûr, les communautés Presque partout le communal est le « pâ- religieuses ; on cite parfois les communautés turage d'une commune où tout bourgeois (ou communier, par opposition à simple habitant) urbaines d'outre-frontière. avait le droit de faire paître son bétail, tandis Commun est un terme très ancien. Il ap- que les « étrangers » (c'est-à-dire les non- paraît dans le premier texte « français » en bourgeois) payaient tant par tête ». 842. Issu du latin communis, il signifie « qui appartient à plusieurs ». Dans nos plans ca- D'après Pierrehumbert, le commun était dastraux, tant suisses que français, on dé- anciennement l'assemblée générale de la couvre le mot sous les formes suivantes : Les commune. C'était aussi le « troupeau d'une Communances, la Communance, le Communal, commune réunissant les animaux d'une même les Communaux, le Commun, sans parler des race ». Mais cette signification était inusitée variantes relevées en Suisse par Maurice dans le Jura. On disait plutôt les communs Bossard : Communailles, Quemounailles, Co- pour les « pâturages où tous les paysans munet et Coumenet. pouvaient librement envoyer paître leurs Autrefois, tant dans le Jura historique que vaches, leurs brebis, leurs chèvres ou leurs dans le Pays de Neuchâtel, la commu- porcs ».

Condemine ou Condemenne

Parmi les lieux-dits communs à de nom- suivantes : Allé, Bassecourt, Bure, Chevenez, breuses localités de Suisse romande, il en est Cornol, Courchapoix, Courfaivre, , un qui intrigue les curieux : c'est conde-mine. Courtételle, Damvant, Develier, Glovelier, Le nom apparaît sous de nombreuses Mervelier, Miécourt, Pleujouse et Porrentruy. variantes, au singulier et au pluriel. J'ai relevé La forme condemine apparaît dans les plans la forme condemenne, condemène ou con- cadastraux de Cortébert, Court et Péry. Cette demaine dans les cadastres des communes liste n'a pas la prétention d'être complète. 54

L'appellation condemine ou condemenne lat, I, 321). A Porrentruy, La Condemène est désigne « une certaine étendue de terres la- une des plus anciennes appellations qui se bourables », très souvent les meilleures terres soient maintenues jusqu'à nos jours. Elle de la localité. Le mot est probablement apparaît dans un document du 29 juillet dérivé du bas latin condoma, « ensemble de 1290, conservé aux Archives de l'ancien la maison » (GPSR, IV, 232b). Evêché de Baie (Trouillat, II, 488). Cette dé- Selon Paul Aebischer, les médiévistes, nomination est donc antérieure à la fondation c'est-à-dire les spécialistes du Moyen Age, de la Confédération suisse. voient dans ce nom une traduction du latin Par la suite, les condemènes ou condemines vulgaire indominicatum « réserve seigneuriale désignèrent des domaines exploités en com- » (Les noms de lieux du canton de Fribourg, p. mun ou appartenant à une communauté. Ce 218). Par « réserve seigneuriale », il faut sont généralement des terres plates, ou en entendre un domaine appartenant au sei- légère pente, faciles à labourer et situées à gneur, et qu'il faisait exploiter lui-même. proximité immédiate du village (Maurice Pour André Rais, ancien archiviste, le sei- Bossard). gneur en question était, chez nous, le prin- ce-évêque. La meilleure preuve en est que On aura remarqué la parenté du terme l'appellation est souvent suivi du mot « évê- avec condominium, mot anglais qui signifie « que » : condamina levesque, en 1290. souveraineté exercée par deux ou plusieurs Dans les chartes jurassiennnes, le mot Etats sur un même pays », et domi-nion, apparaît pour la première fois sous la forme autre mot anglais désignant une ancienne condemina en 1152. Il s'agit d'une confirma- colonie britannique. Ces deux noms sont tion des possessions de l'abbaye de Lucelle évidemment issus du latin. Comme nos par Ortlieb, prince-évêque de Baie (Trouil- condemènes ou nos condemines.

Banne et Bouduban

Voilà un lieu-dit et un nom de famille qui La notion de ban « territoire d'une com- ont la même origine : le ban. Ce mot du mune » apparaît régulièrement dans les français général a des emplois spécifiques à publications officielles : « Immeuble, feuillet la Suisse romande. N°..., au lieu-dit..., ban de... » Mais le sens 55

d’« interdiction de pénétrer ou de passer » « commander ou défendre sous menace de dans une propriété demeure dans nos ex- peine », qui lui-même appartient à la racine pressions consacrées. Nos pâturages et nos indo-européenne bha « parler ». forêts sont libres d'accès tant qu'une mise à Alain Rey, qui nous livre ces savantes ban n'est pas signalée au public par une dé- précisions, a relevé les premières attestations cision du juge. Mais la mise à ban s'applique du mot dans le domaine gallo-roman. Depuis généralement à des parcelles situées aux le VIe siècle, elles concernent les « amendes abords des immeubles où il est interdit de infligées à cause d'un délit contre le pouvoir garer son véhicule. public ». A partir du VIIe siècle, ban désigne Une forêt de Porrentruy s'appelle le Ban- la convocation lancée par un suzerain aux né. Comme le Banbois à Delémont, c'était vassaux et arrière-vassaux pour le servir à la autrefois une forêt mise à ban, c'est-à-dire guerre. Dans la langue actuelle, on a conservé qu'il y était interdit d'y couper du bois et d'y la locution convoquer le ban et l'arrière-ban faire paître le bétail. Sur certaines parcelles, pour « s'adresser à tous ceux dont on peut on voit encore l'écriteau A BAN. La attendre aide ou secours ». Au fil du temps, signification de cette inscription est variable: le ban désigna la proclamation pour interdiction de pénétrer dans la propriété, ordonner ou défendre quelque chose. Qui ne interdiction d'y laisser circuler le bétail ou d'y connaît le ban des vendanges qui annonce le chasser certain gibier, d'y pêcher, d'y cueillir jour d'ouverture de la récolte du raisin ? La des fruits (GPSR, II, 219b). levée du ban des vendanges, signifiée A Fregiécourt, on trouve le Champ du officiellement par les autorités compétentes, Ban, aux Enfers la Combe du Ban. Une famille et jadis par le crieur public, correspond à la bourgeoise de Courroux porte le nom de «levée d'interdiction d'accès aux vignes » Bouduban. L'ancêtre-fondateur devait habiter (DSR, 112a). au bout du ban, à la limite du territoire communal. Pour être complet, il faudrait encore exa- Le Dictionnaire historique de la langue fran- miner les bans de mariage « annonce officielle çaise nous apprend que le mot ban est em- d'un mariage » et les bans au sens de « sal- prunté à la langue des Francs. Il signifie « loi ves d'applaudissements » ou gestes rythmés dont la non-observance entraîne une peine ». que le « major de table » ordonne après un Première constatation : notre emploi de ban, discours ou une production. Mais ces mots spécifiquement romand, plonge ses racines de notre français régional n'ont qu'un lointain au plus profond de notre langue. Ban se rapport avec le ban de nos lieux-dits et de nos rattache au germanique bannan noms de famille. 56

Dô lè Velle

A côté des noms de lieux terminés en -vi- sique, une ville était un « bourg protégé par lar et en -velier, on rencontre, dans de nom- une enceinte ». breuses localités, la dénomination Dô le Velle Les habitants de Saignelégier, chef-lieu que l'on traduit généralement par « Sous la des Franches-Montagnes, ont conscience ville ». La traduction exacte devrait plutôt d'habiter un village. Allez donc prononcer le être « Sous le village ». Habituellement, mot « village » à Saint-Ursanne ! Si, par l'appellation s'applique à des champs situés exemple, vous y arrivez par la gare, on vous au-dessous du premier groupe d'habitations, fera remarquer que vous descendez « en voire du premier domaine agricole, la villa, à ville». l'origine du village. Il s'agit surtout de Un mot intéressant issu de ville est vilain. parcelles bâties par la suite, de sorte que la Villanus, en bas latin, signifiait « habitant de dénomination Dô le Velle a perdu son sens la campagne ». Par souci étymologique, on initial et n'est plus comprise. Il en va de même écrivit longtemps villain. A l'époque carolin- de nombreux toponymes. (Pour l'anecdote, gienne, un vilain était un habitant d'une villa, notons qu'un instituteur des années quarante, au sens de « propriété foncière ». C'était un bon patoisant mais piètre historien, paysan libre par rapport à un serf (issu du expliquait le plus sérieusement du monde à latin servus « esclave » puis « serviteur »). ses élèves villageois à propos du toponyme Bien qu'il soit un « paysan libre », un vilain Dô le Velle : « Autrefois, il y avait une ville à était considéré par les seigneurs comme un cet endroit ». Et les écoliers naïfs le croyaient homme de basse condition. « puisque le régent l'avait dit ».) Alain Rey remarque pertinemment que Velle a un riche passé. On l'a vu, le mot «l'idée de mépris trop souvent liée à la est issu du latin villa « ferme, maison de condition sociale du paysan, explique l'évo- campagne », puis « groupe de maisons, vil- lution du sens de vilain, facilité par le rap- lage ». La forme velle semble particulière prochement avec vil « de peu de valeur ». aux pays de langue romane qui, à l'époque Cette dévalorisation est due aux nobles et franque, ont subi l'influence du langage aux habitants des bourgs, les bourgeois, qui germanique (Auguste Longnon). Le sens dédaignaient la classe paysanne. moderne de ville « agglomération urbaine » a Quant à l'adjectif vilain, issu du même été bien expliqué par les lexicographes. nom, il a commencé à s'appliquer à une per- L'emploi s'est dit d'anciens domaines ruraux sonne grossière et malpropre, avant de formant une cité. Dans la langue clas- prendre les différents sens péjoratifs qu'on lui connaît. Curieux destin des mots. 57

Lè Tchïntre

È ri fat p'rébiaie ct'léchie l'tchïntre ! disait ce Mais ce sont surtout les attestations ju- vieux paysan à son fils qui allait labourer. rassiennes qui nous intéressent. Ouvrons le «II ne faut pas oublier de laisser le chintre!» Glossaire des patois de la Suisse romande : Que signifie ce mot patois qui a donné son Chintre de Torrez à Réclère (an le tchïntre de nom à un lieu-dit de Réclère, Le Tchïntre, et touère) ; Les Chintres à Diesse (é tchètre) ; es que Ton retrouve dans le canton de Fribourg Chaintres à Muriaux ; Pré aux Chaintres aux sous la forme tsintre 1 Bois (prae à tchintr}. Ernest Schùle qui a fait des recherches Le chintre était une bande de champ non approfondies sur la chintre - nom parfois cultivée, d'un bon mètre de largeur, qu'on masculin, mais le plus souvent féminin - la laissait à son extrémité lorsque celui-ci arrivait définit ainsi : « Bande ou bout de terrain en perpendiculairement sur un autre champ dit bordure d'une autre parcelle ». La chintre est « en longueur ». Le patoisant de Montignez, souvent labourée en sens perpendiculaire ou qui me fournit cette explication, précise que travaillée à bras lorsque le champ est étroit. l'on ne parlait pas de chintre lorsque les Parfois, on la laisse inculte et elle sert de champs étaient « bout à bout ». passage. D'où la signification de « mauvais Curieusement, le glossaire de Simon Va- pré qu'on ne peut guère faucher » (GPSR, III, tré n'enregistre pas ce mot. Il figure en re- 581-583). vanche dans Les lieux-dits du canton de Fri- William Pierrehumbert a noté que le droit bourg. Paul Aebischer y a relevé les formes de chintre ou de chintrage était un droit des féminines La Chintre et Les Chentres. Il en propriétaires ruraux labourant leur champ de donne la définition suivante : « bordure de faire tourner leur charrue sur le fonds voisin terrain, mauvais pré » : du patois tsintre, lui- (p. 125). Il cite cet exemple : « Puisqu'on même issu du latin cancerem « grillage, clô- peut tourner sus l'voisin, pas besoin de faire ture » (p. 97). une chintre ! » 58

La Voivre

Entre Beurnevésin et Damphreux, il existe le Doubs, La Voivre en Haute-Saône, Les une forêt dénommée La Voivre. C'est un bois Voivres dans les Vosges, La Woëvre en Lorraine. humide, marécageux par endroits. De prime Tous ces toponymes se rattachent au gaulois abord, on est tenté d'associer ce topo-nyme à wabero qui, dans l'Est de la France, prend la la Vouivre, animal fabuleux dont le nom est valeur de « bois, ruisseau, terre autrefois issu du latin vipera « vipère ». Si l'on relit les humide » (Dauzat et Rostaing). légendes de Franche-Comté relatives à la Cette définition correspond à notre Voivre Vouivre, on constate que l'animal mythique de Beurnevésin et de Damphreux. Nous hantait les lieux humides. Il semble donc que pouvons donc, avec certitude, écarter la les conditions sont réunies pour rapprocher Vouivre. Voivre de Vouivre. A propos de la vouivre, peut-être n'est-il Mais l'amateur de toponymie doit obser- pas inutile d'ajouter que l'animal fabuleux, à ver deux principes essentiels : se méfier des tête de coq tenant dans son bec une crosse ressemblances phonétiques et consulter les épiscopale, qui orne le blason de l'Ajoie n'est anciens documents et plans cadastraux. pas une vouivre mais un basilic. Pour s'en Passons en revue les différentes appella- convaincre, il faut se référer à l'Arrêté du 6 tions : La Vouèvre, Lai Voivre, Dô lai Voivre. décembre 1978 « portant fixation des Voyons également les attestations qu'André armoiries des districts ». L'Assemblée cons- Rais a relevées dans des reconnaissances de tituante de la République et Canton du Jura, terres : se basant sur l'homologation du Conseil- 1488 : a long de la Vavre ; exécutif du Canton de Berne du 31 octobre 1543 : a long de la Vayvre ; 1944, adopta le basilic comme emblème du 1650 : a long de la Voivre. district de Porrentruy. Cette homologation se Ne nous limitons pas à notre petit coin de fondait sur les conclusions de la Com- terre et franchissons la frontière. Nous mission cantonale des armoiries (où sié- trouvons Sous Voivre (anciennement Woua- geaient évidemment des Jurassiens) qui avait vre) à Réchésy, Ez Voivres à Florimont et Des- porté son choix sur « le basilic, faussement sous la Voivre à Grandvillars. Poursuivons dénommé vouivre par certains auteurs ». nos investigations en France : La Vaivre dans 59

Les Crâs

Le premier mot qui vient à l'esprit lors- La Chaux-des-Breuleux Le Cratat, à Soubey que l'on parle de crâ est « corbeau ». C'est Le Pœut Cratat et à Réclère Le Cratat (GPSR, du patois ajoulot que l'on retrouve d'ailleurs IV, 535b). en France voisine, à Grandvillars no- Crétet est un terme régional propre à la tamment. A Montbéliard, on dit crô ; cette Suisse romande ; il n'est pas enregistré dans variante apparaît aussi dans les patois vau- les dictionnaires français. Mais crêt est défini dois. Il faut rechercher l'origine du terme ainsi dans le Petit Larousse : « Mot jurassien. dans l'onomatopée relative aux croassements Géographie : escarpement rocheux bordant de l'oiseau. Mais crâ a un autre sens : « crêt», une combe ». Si le mot crêt apparaît très tôt c'est-à-dire « partie escarpée d'un terrain, dans la langue sous des formes voisines de pente plus ou moins raide ». Ici, le mot vient crâ, il faut attendre l'année 1832 pour que du latin cris ta « crête ». crêt fasse son entrée dans le vocabulaire de la Cra, souvent orthographié crâs, est bien géologie et de la géographie. Les recherches représenté dans nos lieux-dits. Grâce au du dialectologue Pierre Knecht nous Glossaire des patois de la Suisse romande, qui apprennent que c'est grâce à Jules Thurmann, en a recensé des centaines, nous pouvons citer premier directeur de l'Ecole normale des entre autres la Fin des Craez à Sonceboz, les instituteurs du Jura, que le mot est entré dans Champs des Craix à Malleray, Entre les Cras la littérature scientifique. Dans son Essai sur à Courchapoix, le Peut Cras à Châtillon, Sous les soulèvements jurassiques de Porrentruy, les Craux aux Bois, Dos les Cras à Sou-bey et, notre grand géologue écrit à la page 76 : à Delémont, le Cras des Moulins et le Cras «Ainsi les masses redressées, auxquelles nous des Fourches. Selon André Rais, c'est à cet avons donné le nom de crêt, le portent en endroit qu'étaient dressées les fourches effet dans une grande partie de la Suisse patibulaires, autrement dit le gibet composé occidentale. » Et Pierre Knecht de conclure : de deux poutres en forme de fourche et sou- « En français, crêt est aujourd'hui admis tenant une traverse horizontale. Porrentruy a comme terme scientifique désignant une son Cras Mouche, son Cras Picot, son Cras de forme typique du relief jurassien. » Cœuve, son Cras d'Airmont ou d'Hermont et son Chemin des Cras. Et c'est ainsi que Jules Thurmann - au- Le diminutif de crêt est crétet, en patois teur, on le sait, de la Chanson des Petignats, cratat. Un cratat est une petite montée, un les Pe, Pe, Pe - a enrichi la langue française talus, un terrain en pente. Aux Genevez, on d'un mot issu du patois. trouve Au Cratan, à Courtételle Au Cratat, à 60

Le Chaufour

Comme les dictionnaires, les atlas sont Jura à la même époque qu'en France. Les ar- des instruments de rêves. On pérégrine à chives de la Bourgeoisie de Porrentruy con- travers les mots, on entreprend des voyages servent un document du 18 janvier 1389 où imaginaires sur les cartes géographiques. il est question d'un chaffourt appelé aussi Mais il est certaines cartes topographiques raifourt. Il s'agit d'une enquête judiciaire qui sollicitent l'imagination : ce sont les cartes concernant les bourgeois et les habitants de nationales qui contiennent les lieux-dits. Porrentruy. Ils ont le droit de prendre les En consultant le cadastre de Courtedoux bois nécessaires pour cuire la chaux destinée (carte au 1 : 25 000), je suis tombé sur Le aux réparations et constructions des bâtiments Tchâfouè. On pourrait traduire cette dénomi- publics de cette ville, dans les forêts de toutes nation par Le Chaud-four (comme je l'ai relevé les communes de la Châtellenie de dans une ancienne attestation), alors que de Porrentruy (Trouillat, IV, 517). toute évidence il s'agit du Chaufour, au- Si l'on doutait de l'existence d'un chau- trement dit du four à chaux. Lorsque l'on four à Courtedoux, cet acte en apporterait la évoque le Chaufour, on pense habituellement preuve puisqu'il y est expressément men- à l'ancien poste de douane sis sur la tionné : «...encomancier faire ung raifourt commune de Soubey, sur la route qui conduit ou chaffourt ou lieue (au lieu) que l'on dit au village français de . Mais il Montaigre, ou (sur le) territoire de Courte- existe d'autres Chaufour dans le Jura. Le doub, en faicent et prenant boix et fessins Glossaire des patois de la Suisse romande cite Le (fagots) nécessaires pour cuyre et essevir Pertuis de Chiffour, à Nods, Rière (derrière) (mettre en route) le dit chaffourt ou rai- les Chaufours, à Court, Au Chaufour, à Cré- fourt». mines, Sous les Chaux fours, à Pleigne, La Côte du Chaufour, à Saint-Brais. On le constate, la consultation des an- Formé de « chaux » et de « four », le ciens documents est souvent indispensable à chaufour ou four à chaux apparaît dans la celui qui entreprend des recherches topo- langue française au XIVe siècle. Et dans le nymiques. 61

La Chaux

La Chaux est un nom de lieu assez répandu, les endroits, Chaux a plusieurs significations, en Suisse comme en France. Les premiers mais qui ne sont nullement contradictoires : toponymes qui nous viennent à l'esprit sont La «terrain vague servant de pacage, plateau de Chaux-des-Breuleux, La Chaux-de-Tramelan, montagne, sommet dénudé des montagnes, aux Reussilles, La Chaux-de-Fonds et La terrain incultivé, pâturage abrupt près des Chaux-du-Milieu dans le canton de Neuchâtel. sommets, partie élevée et arrondie d'un Ici, le mot Chaux n'a rien de commun pâturage, montagne à sommet aplati (FEW, avec la chaux « oxyde de calcium obtenu par II, 100). la calcination des pierres calcaires ». Ce der- Calma a donné chaume, en ancien fran- nier terme vient du latin calx, calcis qui a çais, qui signifie « terre inculte, lande, pla- donné calcaire. (Voir l'article précédent sur teau désert ». Chaumes, en français moderne, Le Chaufour). signifie, en certaines régions, « pâturages D'après Maurice Bossard, notre nom de situés sur les hauts sommets ». lieu est issu d'une racine gauloise calm « ter- Quelle est la signification de La Chaux-de- rain désert ». Dans les Préalpes et les Alpes, Fonds ? Ce toponyme a fait l'objet de nom- Chaux désigne un pâturage souvent d'accès breuses études. La plus documentée est, à difficile. En Gruyère, où le nom commun notre connaissance, celle de Louis Gauchat, subsiste encore et où il s'oppose à la forêt parue dans le Bulletin du Glossaire des patois (Jeur, d'où est issu le nom Jura), Chaux s'ap- de la Suisse romande, en 1905 (pp. 1-15). plique à des pâturages proches des sommets. L'auteur rattache Chaux à l'hypothétique Dans les Préalpes, il peut désigner des calm ou calma « étendue de terre inculte ». sommets gazonnés. Dans le Jura, c'est un Le qualificatif de-Fonds reste mystérieux. large fond de vallée dépouillé d'arbres (Nos Partant d'une ancienne attestation de 1378 lieux-dits, p. 67). (Chault de Font), l'auteur se demande si l'on Cette dernière définition ne semble pas peut rattacher Font à la Bonne Fontaine qui correspondre tout à fait à nos Chaux qui sont n'est pas éloignée de la ville. Mais il n'écarte décrites par Marie-José Fontaine comme des pas la Chaux du Fonds par rapport aux deux plateaux rocailleux, dénudés, des terrains autres Chaux des hauts plateaux neu- incultes (Les microtoponymes de l'ancien canton châtelois : celle des Tallières et celle du Mi- de Delle, manuscrit). lieu. Et Louis Gauchat de conclure par une Von Wartburg, qui a recensé de nom- pirouette : « Quand je visite une contrée qui breuses Chaux, part de la même racine calm me plaît, j'ai toujours soin d'en laisser un qui aurait donné calma en bas latin. Selon coin inexploré ; c'est pour avoir un prétexte de retour. » 62

Les Rangiers

Que signifie cette appellation familière à te ». Ne jouons pas au pédant ; toutefois tous les Jurassiens ? soyons prudent. Notre savant archiviste avait La première solution qui s'offre à nous est l'affirmation facile, et ce n'est pas attenter à de consulter l'ouvrage d'Henri Jaccard sur la sa mémoire que de mettre en doute certaines toponymie de la Suisse romande. D'après lui, de ses allégations. Rangiers vient de l'ancien français rangier, Pour plus de sûreté, adressons-nous à verbe qui signifie ranger et qui a donné le Maurice Bossard, un des meilleurs spécia- substantif rangée. Le lecteur peu exigeant listes actuels de français médiéval et de la pourrait en conclure que Rangiers veut dire toponymie de la Suisse romande. Ran signifie tout simplement des prés, des forêts « talus, pente raide ». Il est aussi attesté dans disposées en rangées. Mais l'observateur les Vosges. (Et nous pouvons ajouter que le averti se souvient que le livre d'Henri Maran, la ferme toute proche des Rangiers, Jaccard, réédité en 1978, a été publié en pourrait signifier la mauvaise pente - comme 1902, qu'il est aujourd'hui dépassé, et que la Malcôte signifie la mauvaise côte - peut- son auteur était surtout un excellent botaniste. être en raison de son exposition au soleil ou de la déclivité du terrain à cet endroit). Il faut donc aller à la source, c'est-à-dire L'explication de Maurice Bossard est celle commencer par compulser les plans cadas- traux et les archives de la commune d'Asuel. qui nous paraît la plus convaincante. En poussant nos recherches de l'autre côté de la Seuls Rangiers et son équivalent patois es frontière franco-suisse, on constate que Raindgies apparaissent. A tout hasard, ouvrons le Glossaire de Vatré pour voir ce que signifie beaucoup de toponymes ressemblent aux nôtres. Dans Fougerolles et son patois, (1979, raindgie : « cribler, tamiser, ruminer. » p. 188), Pierre Grandjean cite différents lieux- Indubitablement, nous sommes sur une dits ou ran, rang signifie « versant très en fausse piste. pente ». Selon Marie-José Fontaine - Mi- Qu'en dit André Rais, qui a étudié la to- crotoponymie de l'ancien canton de Délie, Uni- ponymie jurassienne ? Notre ancien archi- versité de Strasbourg, 1998, p. 38 -, ran est viste est formel : Rangiers vient du latin ra- une racine pré-celtique désignant une partie mum qui veut dire « ramification de mon- rocheuse, une élévation. tagne » et « butte ». Le sens de « ramifica- tion d'une chaîne de montagne » est dûment Une première version abrégée de cet article a paru enregistré, mais pas de trace de « but- dans le tome 2 du Parler jurassien, p. 49. 63

Les Ordons

Il suffirait que la station-relais des Or- Ordon, vient du latin ordo, ordinis « ran- dons tombe en panne pour que nous soyons gée ». Par extension de sens, mais confor- privés temporairement de radio et de télévi- mément à son étymologie - on pense à ordre sion. Ce ne serait certes ni dramatique ni vital. et à ordonner - l'ordon désigne, en Bour- Et pourtant... Nous mesurerions alors gogne, le « rang qui est assigné à chaque combien nous sommes dépendants de ces travailleur, qu'il s'agisse du vigneron pio- moyens de communication que l'on nomme chant les ceps, du vendangeur ou du labou- les médias. reur » (Gérard Taverdet). Dans les régions non viticoles de Franche-Comté et des Vos- Quelle est l'origine de ce nom propre issu ges, ordon a pris le sens de « portion de forêt d'un nom commun qui n'est plus (guère) bien délimitée que l'on coupe et façonne d'un compris chez nous, sauf peut-être des vi- bout à l'autre » (Lantenne) et « portion de gnerons neuchâtelois : ordon signifie « partie forêt à exploiter par les charbonniers » de vigne ». Mais, selon Maurice Bossard, un (Remiremont). ordon est aussi une « bande exploitée par En France comme chez nous, le terme des charbonniers dans une forêt ». s'est progressivement figé dans les noms de Cette dernière acception est probablement lieux. A Cormondrèche, dans le canton de à l'origine de notre lieu-dit Les Ordons, à Neuchâtel, on trouve Les Grands Ordons. proximité des Rangiers. Mais, en Bourgogne, le mot survit dans quelques locutions. Par exemple être bien William Pierrehumbert, qui a recensé le dans son ordon « travailler sérieusement, avoir parler neuchâtelois d'autrefois, a noté des une bonne conduite ». La sagesse populaire a expressions figées telles que mener l'ordon, retenu une autre expression encore vivante couper l'ordon, tenir l'ordon, ramasser l'ordon, selon Taverdet : chacun mène son or-don relever l'ordon. Le mot dépasse le vocabulaire comme il l'entend. En d'autres termes : « des vendangeurs et s'applique plus géné- chacun mène sa vie et ses affaires à sa guise ». ralement à une bande de terrain. 64

Aux Enfers

En feuilletant l'armorial des communes cas particulier, les gens de Montfaucon ». (Les jurassiennes, on n'est pas du tout surpris de Franches-Montagnes, 1394-1984, p. 167). La voir des « pals flambants » sur le blason des thèse de l'érudit latiniste est séduisante. Enfers. Cependant, le commentaire fait sou- Pourtant, elle me paraît trop savante. Selon rire: « Ces armoiries font allusion au nom de le propre aveu de l'auteur, elle n'est pas la commune, qui rappelle les flammes fondée sur des documents, mais sur une dé- éternelles promises aux pécheurs endurcis. » duction d'ordre linguistique. Etymologique- Emile Mettler, qui l'a rédigé, a dû être ment toutefois, elle est irréfutable. impressionné par quelque capucin, un soir de mission. En lisant le numéro 1 de la nouvelle re- Le nom de la commune des Enfers a, de vue , je suis tombé tout à fait tout temps, intrigué ceux qui l'entendent ou par hasard sur l'interprétation de l'abbé Paul qui le lisent. L'étymologie populaire rattache Mariotte, un curé franc-comtois. Il écrit : l'appellation de ce hameau à un feu d'enfer. «Le nom des Enfers est le résultat de la Dans son Dictionnaire historique des déformation des Envers de Montfaucon pour paroisses jurassiennes, l'abbé Arthur Dau- désigner un replat du versant nord des court écrivait en 1900 : « II reçut ce nom sin- Franches-Montagnes. » L'explication m'a paru gulier à l'époque du défrichement des Fran- si crédible que j'ai bondi aux Archives de ches-Montagnes, quand les premiers colons l'ancien Evêché de Baie pour y examiner le brûlèrent les taillis pour rendre le sol labou- premier document où le village des Enfers rable. » est mentionné. Il s'agit d'une charte, en En 1962, l'abbé Prince affirmait que « Les langue vulgaire et non pas en latin, du 15 Enfers, dont le vrai nom est Les Envers, n'ont octobre 1330 (Trouillat, IV, p. 637). L'ennui... rien à voir avec le défrichement par le feu ». c'est qu'elle contient une fois les Envers et L'ancien curé du Noirmont avait sans doute une fois les Enfers ! De plus, l'original a été raison. Dommage qu'il n'ait ni prouvé ses perdu ; on n'en possède qu'une copie de allégations ni cité ses sources. (Les Franches- 1598. Impossible de dire si le scribe s'est Montagnes dans l'histoire, p. 14). trompé en recopiant, s'il a confondu -v- et -f. Dans son Aperçu de toponymie, paru en Quelle était la prononciation usuelle des 1984, Michel Boillat écrit : « On croit sou- premiers colons ? On ne le saura jamais. vent, mais à tort, que le hameau des Enfers Nous restons donc dans l'incertitude quant à tire son nom d'un feu d'enfer... Etymologi- la véritable origine du nom des Enfers. Mais, quement, Les Enfers (latin inferi) désigne à si vous me demandez ma préférence, je vous proprement parler « ceux du bas », en op- avouerai sans détour qu'elle va à position à superi « ceux du haut », dans le l'interprétation de l'abbé Mariotte. 65

Pietchiesson derrière la lune

Si l'on vous dit « Pietchiesson » et que nation ? Un bon connaisseur du village vous vous êtes Ajoulot, quelle est la locution qui dira que les habitants de Bressaucourt vous vient immédiatement à l'esprit ? Une n'accolent pas l'expression derrière la lune au seule réponse sortira de votre bouche : nom de la ferme. Voilà un élément intéres- «derrière la lune ». C'est tellement vrai que le sant qui pourrait expliquer que la formule chroniqueur d'un journal régional, évoquant figée derrière la lune - on la rapprochera la démolition de cette ferme, écrivait peut-être de au diable vauvert - a été forgée textuellement : « Avec la démolition de la par des « étrangers » pour expliquer un éloi- ferme de Pietchiesson derrière la lune, c'est gnement très relatif ou un lieu peu fréquenté toute une partie de l'imaginaire enfantin qui dont l'accès paraissait incommode. disparaît. » Ce journaliste a raison, mais je Un glissement de sens a pu alors se pro- serais moins pessimiste que lui, car Piet- duire. Au lieu de signifier « dans un endroit chiesson derrière la lune est une expression perdu », l'expression derrière la lune a pris qui survivra, même si la ferme devait être l'acception de « dans un lieu imaginaire », démolie. Mais d'où vient cette locution qui voire de « nulle part ». On se souviendra fait sourire tous les enfants (et les « grandes aussi de la réponse classique faite à un cu- personnes » qui ont gardé une parcelle de rieux qui vous demandait : « Où vas-tu ? » l'âme enfantine) ? Nul ne le sait vraiment. Il (ou mieux : « Où tu vas ? ») La locution vaut donc la peine de tenter d'y voir clair. énigmatique fusait : « A Pietchiesson derrière Commençons par interroger des témoins. la lune. » Il en est de deux sortes : ceux qui savent que Poursuivons notre enquête et voyons Pietchiesson est un domaine rural sis sur le l'étymologie proposée par André Rais en 1954 : territoire de la commune de Bressaucourt et «Pietchiesson : la parcelle a la forme d'un ceux qui ne le savaient pas avant la pietchiesson ou petit pic, de pitçhaie, piquer. » publication de l'avis de démolition. Ces Cette étymologie paraît douteuse pour plu- derniers employaient l'expression comme sieurs raisons. Essayons d'imaginer le che- équivalente à « un coin perdu, fort éloigné, minement de l'ancien archiviste (que l'au- indéterminé sinon imaginaire ». Ils furent teur de ces lignes a bien connu). Comme donc tout surpris d'apprendre par les Pietchiesson a toutes les apparences d'un mot journaux que Pietchiesson est un lieu-dit, un patois, il a sans doute consulté le Glossaire de endroit bien réel, quoique d'accès malaisé Vatré. Un seul verbe, et ses composés bien pour le promeneur qui ne connaît pas suffi- sûr, paraît convenir : pitçhaie « piquer ». samment les bifurcations du chemin qui Mais la phonétique historique n'y trouve mène à la ferme. Qu'en est-il de la dénomi- pas son compte : Pitchie- est-il 66 réellement comparable à pitçhie ? Et la ter- Pissoux. Très souvent ces noms de ruisseaux minaison -son est-elle vraiment un suffixe se sont étendus à la parcelle voisine et se patois signifiant « petit » ? Examinons en- sont maintenus même si le ruisseau à changé suite le plus ancien plan cadastral de Bres- de nom. » saucourt, celui que J.-J. Helg a dressé en Maurice Bossard a étudié les toponymes 1839. La parcelle ressemble-t-elle, de près de la Suisse romande, à l'exception de ceux ou de loin, à un petit pic ? Même en faisant du canton du Jura et du Jura méridional. un gros effort d'imagination, aucune ana- C'est la raison pour laquelle on ne trouve logie n'est décelable. Et pourquoi donc un « pas, dans son livre, la mention de Pichoux petit » pic ? ou Pissou. Chez nous, ce nom apparaît trois Si pitçhaie est une fausse piste, laquelle fois. Les Gorges du Pichoux, entre Souboz et faut-il emprunter ? Pourquoi pas pichie Undervelier sont connues. Moins notoire est «pisser » ? Choquant, n'est-ce-pas ? Première le Pichoux de Montavon, une cascade à la li- objection : Pietchiesson se prononce pit- mite des communes de Boécourt et de De- chîsson. Certes, mais reprenons les anciennes velier. Enfin une petite chute d'eau de Cour- attestations. La démarche n'a rien d'original : genay, à proximité de la métairie de Sur c'est l'abc de la toponymie. Au siècle passé, Plainmont, porte également le nom de Pi- l'abbé Vautrey a relevé Piechiesson choux. Elle est aussi désignée sous l'appella- (Notices, I, 43) ; il a été imité par le chanoine tion patoise de Lai ratche que piche (la roche Daucourt : Piechieson (Dictionnaire histori- qui pisse). Dans un acte daté de 1482, André que, I, 107). Un s au lieu de deux, mais pas Rais a retrouvé la mention du Pissoux de de t pour l'un comme pour l'autre. Corgenay ; l'ancien archiviste note la permu- Reste la carte nationale. Curieusement la tation du s en ch. carte à l'échelle 1 : 25 000 donne Pietchiesson, Selon le Grand Larousse de la langue fran- alors que celle au 1 : 50 000 retient Pichisson. çaise, un pissou - mot dialectal dérivé de pisser Notre pichi(e) n'est donc pas pure inven- - est une source qui coule dans un vide tion; c'est même une hypothèse très accep- souterrain. En patois, un pissou ou pichoux table. n'a d'autres sens qu'un « pisseur ». Dans Nos lieux-dits, Maurice Bossard dont Reste à trouver le ruisseau qui a donné les compétences en étymologie sont in- son nom à Pichisson ou Pietchiesson. Il a été discutables, a examiné les noms de ruis- capté par la commune de Courtedoux qui seaux, torrents et petites cascades dérivés avait acquis le domaine rural au début du du latin populaire pissiare « pisser », à l'aide siècle afin d'en exploiter sa source. Il est de différents suffixes : « Outre la cascade donc vraisemblable que Pietchiesson tire son bien connue de Pissevache, à Vernayaz, en nom de la source qui alimentait la ferme Valais, il existe la cascade de Pisse-chèvre à lors de sa construction. C'est une hypothèse, Morcles (VD) et les toponymes Pecheux, Pe- sans plus, car la prudence est de mise en chaux, Pessot, Pessotte, Pissau, Pissot, Pissioux, toponymie. 67

Quant à l'énigmatique locution derrière la rieux ». Il paraît que l'on dit aussi Bûmplitz lune, les dictionnaires les plus complets ne derrière la lune en parlant d'un endroit perdu. nous sont d'aucun secours, ni sous derrière ni Pourquoi ? Ne rêvons pas à de trop savantes sous lune. La lune étant fort éloignée de la explications; ne soyons pas... dans la lune. Terre, il faut sans doute comprendre l'ex- Une première version de cet article a paru dans le pression derrière la lune comme équivalente à tome 2 du Parler jurassien, pp. 75-80. « dans un lieu très lointain, voire mysté-

Les noms de lieux en court et en velier

Les noms terminés par -court le Jura deux formations en « cour » : Cour + un nom de personne (exemple : Courte- Celui qui examine une carte géographi- doux) et un nom de personne + cour (exem- que du Jura ne manque pas d'être frappé par ple: ). Ces noms de personnes le nombre de localités dont le nom est sont presque tous des noms germaniques. précédé ou suivi de cour. Cette particularité Pourquoi germaniques ? Parce que les n'est évidemment pas propre au Jura : on la Francs, habitants de la Gaule, comme les rencontre en France où les noms de lieux en Burgondes et les Alamans d'ailleurs, étaient cour sont légion. un peuple germanique. L'élément cour ou cor vient du bas-latin Dans les deux listes qui suivront, le nom corte, cortis, curtis, formes populaires du latin germanique présumé est le plus souvent un classique cohorte qui ont désigné « la cour nom d'homme. Ces noms sont donnés sous de ferme, l'enclos, la ferme, puis le domaine toutes réserves. Ils ont été empruntés à l'ou- rural ». vrage (vieilli) de Jaccard : Essais de topony- Ernest Schùle, qui a étudié les noms de mie, Genève, 1906. En ce qui concerne le Jura, lieux du Jura, note que « ce n'est qu'à l'époque l'auteur a souvent puisé ses sources dans mérovingienne (VIIe au VIIIe siècle) que curtis Vautrey, repris lui-même par Daucourt. Un est devenu synonyme de villa « domaine point d'interrogation s'imposerait après cha- rural » et qu'il est entré en composition avec que toponyme. Une recherche d'ensemble un nom de personne pour former des reste à faire par une équipe de spécialistes. toponymes. » (Portrait du Jura, Société Examinons les noms terminés en -court : jurassiennne d'Emulation, 1979, p. 209) Bassecourt (le domaine de Basso), Berlincourt A part le village de Court, employé seul, (le domaine de Berilo), Boécourt (le domaine et son diminutif Corcelles, on rencontre dans de Boius ou Boios), Boncourt (le domaine de 68

Bodo ou Bovo), Bressaucourt (le domaine de poix = Gebsdorf, Courgenay = Jennsdorf, Briso ou Brisolf), Fregiécourt (le domaine de Courroux = Lùttelsdorf, Corban = Batten- Frigis), Miécourt (le domaine de Mieto), dorf. » Ocourt (le domaine de Hozo), Rocourt (le Passons en revue les noms jurassiens domaine de Roh ou Roo), Saicourt (le do- commençant par cour, en mettant entre pa- maine de Saifrid, Seimund ou Seiwalt), renthèses le nom d'homme germanique à qui Théodoncourt, commune de Chevenez (le do- ils doivent leur origine : Corban (le domaine maine de Theodo ou Thiodo), Vendlincourt (le de Bado, Batto ou Batho), Corgémont (le domaine de Vendelin). domaine de Gimund ou Gaimund), Cor- moret (le domaine de Mor ou Moro), Cornol Les noms commençant par cour (le domaine de Gundold), Cortébert (le do- maine d'Aibert, contraction d'Agibert), Combinés avec un nom propre d'origine Courcelon (le domaine de Sollo, Cello ou germanique, les noms de lieux en cour rap- Zello), Courchapoix (le domaine de Gebo), pellent donc l'un des premiers possesseurs Courchavon (le domaine de l'avoué), Cour- d'un domaine devenu une agglomération faivre (le domaine du forgeron : faber, fabri), rurale. Témoins des peuplements agricoles Courgenay (le domaine de Genart, Genert ou de la fin de l'époque romaine, les noms de Eginhart), Courrendlin (le domaine de Ren- lieux en cour se rencontrent dans les con- delin), Courroux (le domaine de Lutold), trées où s'établirent des peuples de race Courtedoux (le domaine d'Udulf), Courtelary franque. Selon Auguste Longnon (Les noms (le domaine d'Alaric), Courtemaîche (le do- de lieux de France, Paris, 1979, p. 225), le mot maine de Masco ou Masgo, devenu plus cortis - il a donné cour et cor - désignait la tard Masche), Courtemautruy (le domaine cour intérieure d'un établissement rural en- d'Amaltrud), Courtemelon (le domaine d'E- tourée par les étables, les écuries et les au- milo), Courtételle (le domaine d'Idelo ou tres bâtiments. Puis le mot est devenu syno- Itelo). nyme de villa, c'est-à-dire d'une exploitation Dans ses Notices, l'abbé Arthur Daucourt a agricole, mais aussi un véritable équivalent patiemment relevé les différentes formes de notre mot « domaine ». orthographiques des noms de lieux des pa- A l'époque mérovingienne, le domaine roisses jurassiennnes. A leur lecture, on rural désigné aujourd'hui par le mot cour, constate que, une fois fixé dans l'usage, ces constituait le plus souvent un village, en noms se sont profondément transformés. raison des habitations des tenanciers et de D'une génération à l'autre, les changements leurs familles. Longnon note que « certaines devaient être quasi imperceptibles : les localités ont à la fois un nom français et un enfants répétaient les noms en imitant la nom allemand. On voit le mot cour, terme prononciation des parents. Mais les imita- initial du premier, traduit dans le second par tions sont rarement parfaites. Il s'ensuivit dorf : Courcelon - Sollendorf, Courcha- des différences peu sensibles mais qui, au 69

bout de plusieurs siècles, s'additionnèrent et Ces toponymes ont laissé de nombreuses amenèrent des changements notables. traces dans le Jura. Comme pour les noms en cour, dressons-en la liste en mettant entre parenthèses l'étymologie supposée, mais non Les noms en -villar et -velier vérifiée à l'aide des documents originaux : Bavelier (le domaine de Bathari ou Bader), Qu'est-ce qu'une villa ? Dans notre voca- Bévilard (le domaine de Bel ou le bé (bel, bulaire moderne, c'est une maison d'habita- beau) village), Cerniévillers, commune des tion, généralement spacieuse, entourée d'un Enfers (cerne = terrain clos), Chervillers, jardin. Le mot suppose un certain luxe. De commune d'Epiquerez (le domaine de Scha-ro l'époque romaine au début du Moyen Age, ou Schero), Develier (le domaine de Die-to), une villa était un « domaine rural ». Un Ederswiler (le domaine d'Arin), Envelier (in groupe de villas forma une agglomération : villare = dans le village). (le hameau ou village. En latin : villare. Ce dérivé domaine de Spalo), Evilard (villare = villa- de villa a aussi désigné la ferme à l'époque ge), Frinvillier (le domaine de Friederich), carolingienne, puis le lieu habité. D'où les Glovelier (le domaine de Lioht), Mervelier (le nombreux toponymes terminés par ville, domaine de Morso), Montsevelier (le domaine velle, villard, villars, villers, villiers, vilier ou de Muzzo ou Musso), Movelier (le domaine de velier. Très souvent, la dernière lettre -d ou -s Moter ou Moder), Rebeuvelier et Rebévelier est purement graphique. Même le -r- final a (le domaine de Rippert ou Ribolt, peut-être le été ajouté à villa et s'est peu à peu prononcé domaine de Robert), Reconvilier (le domaine (Lassus et Taverdet). de Recho ou Reccho), Sonvilier (le village du Au contact des populations romaines, le sommet), Sorvilier (le domaine de Sorulf), mot villare a été adopté par les Alamans. Ses Undervelier (le domaine d'Underich), Velier formes vulgaires les plus fréquentes sont at et Vilier et (diminutifs = petit village), aujourd'hui -willer, -weiler, -weier et -ivihr en Villars-sur-Fontenais (villare = village). Alsace, et -wil ou -weil en Suisse allemande On a identifié plus de huit mille noms (Longnon 1/238). d'hommes et de femmes germaniques en On l'a vu, les curtis qui ont donné cour Gaule. Dès lors, il ne faut pas s'étonner du sont synonymes de villare : « Les localités en grand nombre de noms germaniques dans la cour occupent le fond des vallées, celles en toponymie jurassienne. Au demeurant, une villar se situent en amont, dans le haut des étude approfondie sur les noms de lieux du vallées ou dans d'autres régions colonisées Jura reste à faire. C'est un travail de longue plus tardivement. On peut les dater de l'é- haleine qui suppose une étroite collaboration poque carolingienne, donc des VIIP-IXe s. » avec des historiens et des dia-lectologues. (Portrait du Jura, Société jurassienne d'Emu- lation, 1979, p. 210) 70

De môtie à Moutier

Dans les nombreuses localités, on ren- Le monastêrion grec, « cellule de moine », a contre le lieu-dit Dô le Môtie « Sous l'égli- donné le monasterium latin, « institution se». Pourquoi notre môtie patois se traduit-il chrétienne regroupant des moines ou des par « église » ? moniales vivant isolés du monde ». La forme Il est des mots d'origine inconnue. Même a évolué en monisterium, puis monsteryo, avec l'aide des meilleurs linguistes, on ne mostier et moustier. Le -s- est tombé et l'an- trouve rien. Il faut avouer (et accepter) son cien français moutier est apparu avec des va- ignorance. Il en est d'autres d'origine incer- riantes dans les différents patois dont môtie taine. La prudence commande de s'aventurer dans le nôtre. à pas de Sioux sur un terrain glissant, afin de Deuxième question : par quel chemine- ne pas s'exposer au regard critique du ment le monastère a-t-il été assimilé à Véglise spécialiste, qui aura tôt fait de vous con- ? André Lanly explique que la partie fondre, sinon de vous ridiculiser. Il existe principale du monastère était l'église, celle une troisième catégorie de mots dont l'éty- qui comptait pour les fidèles. Elle a pris le mologie est évidente : rien de plus facile nom de l'ensemble. En effet, dans beaucoup alors que d'entreprendre une recherche. Môtie de villages et de petites villes, la seule église appartient au groupe des vocables dont on était celle du monastère. peut aisément reconstituer l'histoire et les Marcel Bossard a recensé une centaine mutations successives. de toponymes issus de moutier. Les noms de Le môtie, c'est le moutier ou moustier de lieux les plus connus sont Môtiers, ancienne- l'ancien français, c'est-à-dire le monastère, ment Mostier, village dont l'église et le d'où l'église. Examinons d'abord la forme (la prieuré furent longtemps le centre religieux morphologie, diraient les linguistes) avant du « Vautravers », c'est-à-dire du Val-de- d'aborder l'évolution du sens (la sémantique, Travers (Pierrehumbert), et Moutier, en pa- si l'on veut faire plus sérieux ou plus tois Môtie, dans le Jura méridional, siège de scientifique). la célèbre abbaye de Moutier en Grandval. A la base du mot, il y a l'adjectif grec mo- Le donation de 999 par laquelle Rodol- nos qui signifie « seul » et qui a donné mona- phe III, roi de Bourgogne, cède à l'évêque zein « vivre seul » (Alain Rey). Le religieux de Baie l'abbaye de Moutier-Grandval et ses qui vivait seul, retiré du monde, était un dépendances est considérée par la plupart moine. Curieusement, les moines vivent en des historiens comme l'acte de naissance de communauté, ce qui est contraire à l'étymo- la principauté épiscopale de Baie, préfigura- logie. Mais passons ! tion de la république jurassienne. 71

Damphreux

Trois localités jurassiennes portent le nom cette date, le pape Alexandre III confirme les d'un saint : Saint-Imier, Saint-Ursanne et possessions de l'église de Saint-Ursanne, Saint-Brais. Deux autres également : Dam- parmi lesquelles figure une terre de franc al- phreux et Damvant. Mais, ici, leur étymolo- leu: allodium de Dunfriol. Il s'agissait d'une gie ne saute pas aux yeux. En latin, deux terre appartenant en pleine propriété au mots existent pour désigner le qualificatif « monastère des bords du Doubs. saint » : Sanctus et Domnus. Mais il existe un document plus ancien Examinant les formes anciennes de Dam- que ni Trouillat, ni Vautrey, ni Daucourt phreux, l'abbé Arthur Daucourt aurait trouvé n'ont pu consulter puisqu'il a été acquis en Domus Ferreoli qu'il traduit fort justement « 1951 par le Musée jurassien d'art et d'histoire domaine ou demeure de Ferréol ». Son de Delémont. André Rais, son conservateur prédécesseur Louis Vautrey avait traduit non d'alors, avait pu acheter une copie, hélas moins convenablement « maison de Ferréol mutilée, d'une charte du 9 mars 968 qui ». Nos deux historiens ajoutent que l'église mentionne une chapelle dédiée à saint Fer- de Damphreux a pour patrons saint Ferréol et réol. Le manuscrit, déchiré dans un angle, saint Ferjeux, martyrisés à Besançon le 16 porte un mot tronqué terminé en -ol. D'après juin 212. En outre, la tradition rapporte que Ambros Kocher (Solothurner Urkundenbuch, l'église de Damphreux est la plus ancienne erster Band, 762-1245, p. 56), il s'agit de d'Ajoie : elle aurait porté le nom d'« église Damfriol, Danfriol ou Dunfriol, c'est-à-dire de mère » (ecclesia matrix) de cette partie du Damphreux. Ce fait est implicitement corro- diocèse de Besançon. boré par Auguste Vincent qui note : « Domnus Si l'on revient à l'étymologie, force est de donne régulièrement dom, don, dam, damp, se référer aux premières attestations. Or, cu- dan » (Toponymie de la France, 1937, p. rieusement, on ne trouve pas trace de Domus 338a). Ferreoli. Dans Porrentruy, ville impériale, André Daucourt et Vautrey auraient-ils confondu Rais cite la « courtine de Damphreux avec sa Domnus avec Domus ? Ce n'est pas im- chapelle dédiée à saint Ferréol » (p. 66). Une possible. Domnus, contraction par syncope de courtine était une terre à cultiver. Le Chapitre Dominus, signifie « saint ». Damphreux n'a de Moutier-Grandval avait accordé à des donc d'autre sens que Saint-Ferréol (Domnus colons des lots de terrain inculte avec Ferreolus). mission de les défricher et de les mettre en La première mention du village apparaî- valeur. Les documents consultés permettent trait aux Archives de l'ancien Evêché de Bâle de penser que Damphreux a été fondé au Xe dans un document du 24 mars 1178. A siècle (peut-être avant) par des 72

colons de Moutier-Grandval. Ce qui est cer- En Suisse romande, nous rencontrons des tain, c'est que les toponymes en dom- datent formations semblables : Dompierre dans les d'avant l'an mille. cantons de Vaud et de Fribourg, Dom-martin (Vd), Domdidier (Fr) et Dombresson dans le canton de Neuchâtel. Si Dompierre, Dommartin et Domdidier sont des noms transparents, il n'en va pas tout à fait de L'origine de Damvant est la même : « saint même pour Dombresson. Selon Henri Jac- ». Mais de quel saint s'agit-il ? On n'en sait card, il s'agit de Domnus Bricius, autrement trop rien. L'abbé Daucourt pensait à saint dit Saint-Brice. Nous retrouvons saint Brice Vanne, évêque de Verdun, de 498 à 525. dans le nom de Saint-Brais (Sanctus Briccius, Toutefois, ce n'est qu'une hypothèse. avec 2 c ici). Brice, disciple de saint Imier, Plus sûres sont les étymologies des vil- aurait prêché le christianisme dans le Val- lages français voisins : Dampierre (Domnus de-Ruz, d'où Dombresson. Petrus) : Saint-Pierre, Danjoutin (Domnus Qui donc aurait fait le rapprochement Justinus) : Saint-Justin, Dannemarie (Domina entre Dombresson et Saint-Brais ? Ah ! les Maria) : Sainte-Marie. joies de la toponymie !

Porrentruy

Lorsque la Société jurassienne d'Emula- trouvent leur solution. Mais il subsistera tion édita le premier volume du Panorama toujours des énigmes. Porrentruy et Delé- du pays jurassien, en 1979, elle demanda au mont n'ont pas encore livré leurs derniers professeur Ernest Schùle de rédiger un « Petit secrets. » (p. 209) lexique des noms de lieux ». Dans son prologue, l'éminent dialectologue écrivait : « La recherche en toponymie demande une Le pont (du Creugenat ?) documentation historique étendue ; malheu- reusement, elle fait encore défaut pour nombre Tentons, après beaucoup d'autres, de de noms jurassiens. Il sera donc prudent de percer une énigme, de pénétrer ces derniers présenter ici quelques résultats - sans les secrets. L'hypothèse la plus probable est que documents et les preuves à l'appui -, qui Porrentruy signifie « Pont de Ragnetru-de ». peuvent être considérés comme sûrs et ac- Examinons les formes anciennes : quis, en attendant que d'autres problèmes Pontereyntru (1140), Punreindrut (1148), 73

Purrendrut (1233). La première forme est Une nouvelle contribution sans doute la plus importante ; elle est com- posée de deux éléments : Ponte et reyntru. Cette thèse n'est certes pas irréfutable. Comment Ponte « le pont » a-t-il donné Por ? Pourtant, elle est confirmée dans le récent Dans Les noms de lieux de la France (1979), Dictionnaire des noms de lieux, de Louis De- les collaborateurs d'Auguste Lon-gnon ont roy et Marianne Mulon (Les Usuels du Ro- examiné comment le nom latin pons, qui a bert, Paris, 1992, p. 387) : « Attesté en ro- donné le français pont, se présente dans les mand (lire : roman) depuis le XIIe siècle, noms de lieux. Citant l'exemple de (Pontereyntru), le nom a une origine claire Porrentruy (N° 705), ils expliquent l'altération en latin médiéval : c'est Pons Ragentrudis «le qu'a subi Pont pour se réduire à Pô. Dans le pont de Ragnetrude ». Celle-ci n'est pas jargon des linguistes il s'agit d'une « sûrement identifiable : ce nom d'origine réduction phonétique devant la consonne germanique est relativement fréquent dans le liquide -r- » (de reyntru). Roger Flückiger, haut Moyen Age. » un des meilleurs connaisseurs de la topony- On aimerait croire que les auteurs cités mie jurassienne, confirme que « la première ont vérifié soigneusement leurs sources lo- des deux voyelles nasales a perdu sa nasali- cales. Mais le doute subsiste. Passons sur la sation : -on- est devenu -o-, plus facile à confusion entre roman et romand. On s'inter- prononcer ». Ce processus est appelé « dis- roge pourtant en lisant que « Porrentruy est similation » en phonétique historique. On le une ville de Suisse (canton de Berne) dans le rencontre notamment dans Moron (mont Jura » et que « les habitants de Porrentruy rond), Romont (rond mont), Lomont (long s'appellent Pruntrutains ou Bruntrutains ». La mont) et Blamont (blanc mont). première appellation, inusitée à notre En ce qui concerne le deuxième élément, connaissance, laisse songeur. du nom de Porrentruy, il est très probable que reyntru, reindrut ou rendrut se rapporte au nom germanique de Ragnetrude, que l'on Qui était Ragnetrude ? trouve aussi sous la forme de Raintrude. Dans Longnon (N° 995), on découvre non Dans une dissertation sur le Comté d'A- seulement Porrentruy (Pons Ragnetrudis), mais joie, un certain Perreciot, cité par l'abbé Ni- encore Charaintru, en Seine-et-Oise (Campus colas Sérasset dans L'Abeille du Jura (Neu- Ragnetrudis : le champ de Ragnetrude) et châtel, 1841, t. II, p. 231), écrivait que Por- Morintru, en Seine-et-Marne (Mons rentruy fut la patrie de Ragnetrude, épouse de Ragnetrudis : le mont de Ragnetrude). Ces Dagobert Ier, roi de France : « c'est du moins deux localités françaises font tout naturelle- d'un pont qu'elle y fit construire que ment penser à la prononciation patoise -elle Porrentruy me paraît avoir tiré son nom ». est primordiale - de Porrentruy : Poér-raintru. Cette conjecture est inconsistante. La première observation qui s'impose à l'esprit 74

est que les dates ne concordent pas. Certes, Brunentrud Ragnetrude a bien été mariée à Dagobert Ier en l’an 630. (Elle fut la troisième femme du bon roi qui, selon les historiens, avait encore Que penser de la thèse d'André Rais selon deux concubines, sans compter ses nom- laquelle le toponyme Porrentruy est issu de breuses maîtresses.) Or il est peu vraisem- Brunnen « fontaine (s) » et de trud, thrud, blable que cette reine de France ait fait cons- élément germanique signifiant « abondant » ? truire un pont (sur le Creugenat ou sur l'Al- (Porrentruy, ville impériale, Genève, 1956, p. laine ?) dans la première moitié du VIIe siècle. 69). L'ancien archiviste, qui faisait autorité La courtine de Porrentruy, citée pour la lorsqu'il expliquait l'origine des lieux-dits, il première fois dans un acte de 1140, existait y a quarante ou cinquante ans, avait repris la sans nul doute bien avant cette date. Les ré- version proposée par Louis Vautrey dans son centes découvertes archéologiques sur le site Histoire de Porrentruy (Delémont, 1868, p. 7). de l'Hôtel-Dieu ont révélé l'existence d'un Porrentruy serait donc la « courtine des ancien habitat vieux d'environ 4300 ans. fontaines abondantes ». Mais la construction, au VIIe siècle, d'un Cette étymologie paraît douteuse, car le pont par l'épouse du plus populaire des nom Brunentrud est relativement tardif. Il souverains mérovingiens doit être considérée apparaît en 1275, soit 135 ans après Ponte- comme hautement fantaisiste. reyntru. Rappelons que le prince-évêque de En revanche, il est tout à fait plausible Baie ne fut chef temporel de l'Ajoie qu'à qu'une autre Ragnetrude ait fait construire partir de 1271 et que, jusqu'à cette date, un pont à Porrentruy beaucoup plus tard. A Porrentruy appartenait aux comtes de Fer- cet égard, la contribution des auteurs du rette. Souvenons-nous aussi que l'allemand Dictionnaire des noms de lieux est intéressante, était la langue officielle de la chancellerie car ils signalent - nous l'avons vu - que des princes-évêques de Baie. Il est donc Ragnetrude était un nom d'origine germani- vraisemblable que les notaires qui rédi- que relativement fréquent dans le haut Moyen geaient les actes de nos souverains d'alors Age. Si l'étymologie de Porrentruy aient conféré une tournure germanique au correspond réellement à « pont de Ragne- nom qui deviendra Porrentruy beaucoup trude », il faudra se résigner à ne rien savoir plus tard. de cette lointaine Ragnetrude. C'est d'ailleurs En vertu du principe qu'il convient de le cas de nombreuses localités jurassiennes toujours partir des formes les plus ancien- dont la dénomination est composée d'un nes d'un toponyme, il semble qu'il faille élément correspondant à un nom germanique nettement préférer, jusqu'à preuve du con- d'homme, plus rarement de femme, dont on traire, le « pont de Ragnetrude » à la « cour- ignore tout. tine des fontaines abondantes ». 75

Les ficelles du métier

Noms de famille 6. Dans certains cas, la consultation du fichier d'André Rais, propriété de la L'étymologie des noms communs se Société jurassienne d'Emulation, pourra trouve dans tous les bons dictionnaires. Il se révéler utile, notamment en ce qui n'en va pas de même pour les noms propres concerne l'histoire de la famille qui constituent l'onomastique. Cette science étudiée. Toutefois cette cartothèque se compose de deux branches : l'anthropo- n'éclaire pas systématiquement sur l'é- nymie ou étude des noms de personnes et la tymologie des patronymes. De plus, toponymie ou étude des noms de lieux. les fiches les plus récentes datent d'une L'étude des noms de famille est la plus trentaine d'années. secrète des sciences humaines. Bien que cer- tains patronymes soient transparents, d'au- tres résistent aux investigations des cher- Lieux-dits cheurs. Voici quelques recommandations qui pourront être utiles aux novices qui s'a- ventureraient dans ce domaine complexe, La toponymie - du grec topos « lieu » et reflétant la vie de nos ancêtres : onoma « nom » - n'est pas une science exacte. Dans de nombreux cas, on en est réduit à 1. Consulter les registres de l'état civil. formuler des hypothèses. 2. Consulter les anciens registres parois- Gilbert Kùnzi, qui a étudié les lieux-dits siaux de baptêmes, de mariages et de du Chablais, remarque qu'« autrefois l'uni- décès. vers de l'homme correspondait le plus sou- 3. Noter les variantes graphiques (Cha- vent au territoire qu'il était en mesure de puis, Chappuis) et phonétiques (Favre, parcourir en un jour, son « pays » en quelque Faivre). Ne pas se livrer à des conclu- sorte où il exerçait son action humaine : sions hâtives et se souvenir que les chasse, élevage, agriculture, etc. Les endroits scribes écrivaient ce qu'ils entendaient, caractéristiques de son territoire lui servaient parfois en y mettant quelque fantaisie. de points de repères pour se situer dans 4. Consulter les dictionnaires spécialisés. l'espace et pour expliquer ses déplacements. » La plupart des ouvrages étant français, Prenons un exemple : la rivière voisine de on se référera généralement aux patro- son lieu d'habitation n'avait pas besoin d'une nymes localisés sous Est, Franche- appellation autre que « la rivière », à moins Comté, Bourgogne, Lorraine et Alsace. qu'il n'y en eût plus d'une dans les parages. 5. Se méfier des ressemblances. Dans ce cas, son nom était 76

complété afin de permettre de la distinguer re humide ou sèche, graveleuse, etc.) ? d'une autre. A quel thème appartient le nom de lieu: Mais la langue utilisée lors de la dénomi- végétation, culture, constructions, nation d'un lieu a évolué à tel point que, habitat ? souvent, le sens d'un lieu-dit nous échappe 7. En se référant aux ouvrages cités dans aujourd'hui. Il y a donc lieu d'observer cer- la bibliographie, se livrer à une pru- tains principes pour ne pas sombrer dans la dente interprétation des données. fantaisie : 8. Accepter de reconnaître son ignorance plutôt que de formuler des hypothèses 1. Consulter les cartes nationales à relevant de la facilité. l'échelle 1 : 25 000 (éventuellement 9. Pour une étude d'ensemble - elle per- 1 :10 000). 2. Consulter les plans cadastraux actuels mettrait de relever la fréquence d'un toponyme et d'établir des statistiques - (Secrétariat communal). 3. Consulter les anciens plans cadastraux on pourra consulter le fichier d'Ernest Muret, au Glossaire des patois de la (Archives cantonales). 4. Rechercher les formes les plus ancien- Suisse romande, avenue Dupeyrou 6, nes (Archives de l'ancien Evêché de 2000 Neuchâtel et, à la rigueur, la car- Baie) et les transformations graphiques, tothèque d'André Rais, propriété de la en se souvenant que tout ce qui est Société jurassienne d'Emulation. Plus écrit n'est pas obligatoirement juste. accessibles sont les notes dactylogra- Voir notamment les reconnaissances de phiées de l'ancien archiviste, citées dans l'avant-propos. terres, les actes fonciers. 5. Recueillir la tradition orale auprès des témoins locaux connaissant bien les N.B. La plupart de ces conseils m'ont été lieux-dits de la commune et leur em- donnés, de 1974 à 1979, par le professeur placement. Récolter les dernières traces Ernest Schüle, ancien directeur du Glossaire des toponymes en patois (notation des patois de la Suisse romande. Pour plus de phonétique). détails, on pourra se référer utilement à la 6. Visite des lieux. Quelle est la configu- Méthodologie proposée par Nicolas Barré ration du terrain, son exposition au so- dans les Actes de la Société jurassienne d'E- leil, ses caractéristiques, sa nature (ter- mulation, 1996, pp. 96-98. 77

L'ordinateur au service de l'onomastique

Patronymie riens et les linguistes pourraient y puiser une foule de renseignements, tant en ce qui Un projet de recherches européen, intitulé concerne les étapes du peuplement que l'é- « Dictionnaire historique des noms de famille volution lexicologique et linguistique des romans » a été mis en place en 1987. Il vise à toponymes. Une telle banque de données élaborer, en plusieurs tomes, un ouvrage devrait couvrir aussi bien le Jura bernois lexicographique de référence, expliquant que le canton du Jura. historiquement et linguistiquement l'anthroponymie romane - du Portugal à la Cette opération à long terme pourrait bé- Roumanie - et, par là, les noms de famille néficier de l'expérience de l'Institut d'Etudes d'aujourd'hui. Le Centre qui réalise ce projet Comtoises et Jurassiennes de l'Université de se trouve en Allemagne, à Tùbingen (Boîte Franche-Comté, à Besançon, d'autant plus postale 2140). que nombre de lieux-dits sont identiques, ou presque, de part et d'autre de la frontière franco-suisse.

Toponymie Vu la généralisation des remaniements parcellaires, de nombreux lieux-dits risquent II serait souhaitable de créer un fichier d'être supprimés. Il importe de les recueillir informatisé de la microtoponymie jurassienne pendant qu'il est encore temps. Un qui puisse fournir à l'ensemble des cher- dépouillement systématique des anciens ca- cheurs un instrument utilisable. Les histo- dastres permettrait de les sauver de l'oubli. 78

Bibliographie sélective

Onomastique en général DAUZAT Albert et ROSTAING Charles, Dictionnaire étymologique des noms de lieux Les Actes de la Société jurassienne d'E- de France, Paris, Larousse, 1963. mulation contiennent quelques monographies DEROY Louis et MULON Marianne, Dic- relatives à des noms de lieux et à des noms tionnaire de noms de lieux, Paris, Le Ro- de famille. On pourra consulter la Table bert, 1992. générale des matières, éditée en 1998. Glossaire des patois de la Suisse romande, Neu- châtel, Attinger, en cours de publication BAYLON Christian, FABRE Paul, Les noms depuis 1924. de lieux et de personnes, Paris, Nathan, HENRY Pierre, Les rues de Porrentruy, Por- 1982. rentruy, Le Pays, 1986. L'ONOMASTIQUE FRANÇAISE, Bibliogra- JACCARD Henri, Essai de toponymie, Lau- phie des travaux publiés de 1960 à 1985, sanne, 1906, Réimpression Slatkine, Ge- Paris, Archives nationales, 1987, et Bi- nève, 1978. bliographie des travaux publiés jusqu'en 1960, Paris, Archives nationales, 1977. LASSUS François et TAVERDET Gérard, Noms de lieux de Franche-Comté, Paris, Bonneton, 1995. Toponymie LONGNON Auguste, Les noms de lieux de la On consultera avec prudence - ces ou- France, Paris, Honoré Champion, 1979. vrages ont vieilli - le Dictionnaire historique et NÈGRE Ernest, Toponymie générale de la biographique de la Suisse, le Dictionnaire France. Genève, Droz, 1991. géographique de la Suisse, le Dictionnaire histo- ROSTAING Charles, Les noms de lieux, Paris, rique des paroisses de l'ancien Evêché de Baie, PUF, « Que sais-je ? », 1945. d'Arthur Daucourt, et les Notices historiques SCHÙLE Ernest, Petit lexique des noms de sur les villes et les villages du Jura bernois, de lieux, in : Panorama jurassien, tome 1, Louis Vautrey. Porrentruy, SJE, 1979. AEBISCHER Paul, Les noms de lieux du canton TAVERDET Gérard, Noms de lieux de Bour- de Fribourg, Fribourg, Fragnière, 1976. gogne, Paris, Bonneton, 1994. BOSSARD Maurice et CHAVAN Jean-Pierre, VIAL Eric, Les noms de villes et de villages, Nos lieux-dits, toponymie romande, Paris, Belin, 1983. Lausanne, Payot, 1986. VINCENT Auguste, Toponymie de la France, Bruxelles, Librairie générale, 1937. 79

Anthroponymie FLÜCKIGER Roger, Patronymes d'Ajoie, in : Le beau pays d'Ajoie, Porrentruy, SIR, 1982. BEAUCARNOT Jean-Louis, Les noms de fa- Histoire de la famille, Comment réaliser sa gé- mille et leurs secrets, Paris, Robert Laf- néalogie, Origine des patronymes, Yens- font, 1988 ; Vous et votre nom, Paris, Ro- sur-Morges, Cabédita, 1991. bert Laffont, 1992. LEBEL Paul, Les noms de personnes, Paris, DAUZAT Albert, Dictionnaire étymologique PUE, « Que sais-je ? », 1974. des noms de famille et prénoms de France, MORLET Marie-Thérèse, Dictionnaire étymo- Paris, Larousse, 1979. logique des noms de famille, Paris, Perrin, 1991. CHESSEX Pierre, Origine des noms de per- RAIS André, Livre d'or des familles du Jura, sonnes, Lausanne, Guilde du livre, 1946, tome 1, de A à Br, Porrentruy, La Bonne Réédition Slatkine, Genève, 1983. Presse, 1968. CELLARD Jacques, Trésors des noms de famille, Répertoire des noms de famille suisses, Zurich, Paris, Belin, 1983. Schulthess, 1989. 80

Index des noms de famille

Adatte 15 Bernard 15 Bouduban 55 Amez 28 Bernardot 16 Boulanger 18,22 Andrey 16 Bernier 15 Bourquard 17 Auberson 16 Bertet 15 Bourquenet 17 Aubert 16 Berthelot 15 Bourquenez 17,28 Aubertin 16 Berthod 15 Bourquin 17 Aubertot 16 Berthold 15 Bouverat 18 Aubry 15 Bertholet 15 Bouvier 18 Babey 17 Berthoud 15 Bovet 15, 18 Bacon 20, 25 Bertin 15 Braichet 22 Baconat 20, 25 Bidaux 15 Bréchet 22 Baconier 20 Biétry 18 Bregnard 16 Baconnat 20 Billieux 24 Breuleux 27 Baconnet 20 Biolez 14 Brisset 15 Baconnier 20 Biolley 14 Brun 24 Badet 14 Bitaubec 30 Buffat 25 Baguet 15 Blanc 14, 24 Bugnon 13,27 Baillif 28 Blanchard 14 Bulliard 18 Bailly 28 Blancon 30 Busard 25 Barthe 16 Biétry 18 Caca 30 Barthoulot 16 Bocu 30 Cardinaux 25 Bataillard 25 Bœglin 24 Carrier 18 Baumann 18 Bögli 24 Caspar 16 Baume 27 Boileau 25 Catté 16 Baumgartner 18 Boinay 16 Cattin 16,29 Beaujean 16 Boivin 25 Cauchon 30 Beausire 28 Bonjour 14 Cerf 25 Béguelin 24 Bonnard 15 Chaboudez 28 Bénard 16 Bonnot 15 Chaignat 13 Beney 16 Bordel 30 Chalet 27 Benoist 16 Borgognon 27 Chapatte 22 Benot 16 Bosquet 27 Chappatte 22 Berbier 18 Boucher 18 Chappuis 18,22,28,76 Berger 18 Boudin 30 Chapuis 18,22,28,76

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Chardonnet 25 Cordelier 18 Descombes 13 Chariatte 18 Cordey 18 Dessarzens 13 Châtelain 22 Cordier 18 Dessarzin 13 Châtelain 13,22,28 Cornichon 30 Dick 24 Chausse 18 Corvisart 21 Docourt 27 Chautemps 14 Corvisier 21 Domin, 28 Chavanne 13 Cosandey 18 Donzé, 25 Chêne 27 Coudrey 14 Donzelot 25 Chevalaz 14 Couillard 30 Du Bois 43 Chevalet 14 Couillon 30 Dubey 48 Chevalier 28 Courbât 14 Dubied 48 Chevrolet 25 Courbet 14 Dubois 27,43 Chigros 30 Courvoisier 21 DuBois 43 Chion 30 Crestin 30 Dubosson 14 Chirouge 30 Crétin 15,29,30 Duc 25 Chivert 30 Crevoiserat 21 Dufumier 30 Chocu 30 Crevoisier 21 Duhamel 13 Choquard 25 Criblez 18 Dumont 27 Christ 25 Crotte 30 Dupasquier 27, 50 Christe 25 Crouvezier 21 Durieux 27 Christian 15,29 Crouvoisier 21 Duval 27 Clavel 14 Crovisier 21 Duvanel 27 Clémence 16 Cubeau 30 Ecoffey 18,21 Clémençon 16 Cucu 30 Egger 18 Clovis 16 Cucuroze 30 Elkouch 30 Cochon 30 Cuenat 15 Elsàsser 27 Cocu 30 Cuenin 15 Emery 15 Cœudevez 25 Curon 30 Erard 15 Curty 27 Eray 15 Colin 15 Cuvert 30 Escoffey 21 Collin 15 Daucourt 27 Escoffier 21 Colomb 14 Degoumois 27 Evard 15 Colombi 15, 25 Delbruyère 27 Evéquoz 25 Comte 25 Delessert 27 Excoffier 21 Constantin 16 Demierre 13 Faivre 18,23,76 Convert 30 Desbœuf 14 Farine 18 Conz 16 Desbœufs 18 Favre 18,23,76 Corbat 14 Desbrosse 27 Favrot 18 Corday 18 82

Février 14 Gressot 24 Jacquot 16 Fischer 18 Grillon 25 Jambe, 24 Folletête 24 Grosjean 16, 24 Janvier 14 Fontanet 27 Gross 24 Jaquenet 17 Fournier 18 Guenat 17 Jardin 27 Franc 16 Guenin 17 Jeanbourquin 16 Franck 16 Guillarmot 16 Jeandupeux 16 Francon 30 Guillaumet 16 Jeanguenat 17 Frank 16 Guille 16 Jeanguenin 17 Frêne 27 Guillet 16 Jeannerat 16 Friche 16,27 Guillot 16 Jeanneret 16 Frick 16 Hanus 30 Jeannin 16 Fridez 28 Hêche 29 Jobé, 15 Friedrich 16 Hennet 16 Jobin 15 Frisch 16 Hennin 16 Joly 14,24 Fritz 16,27 Henriat 17 Jourdan 15 Fumier 30 Henrion 17 Jubin 15 Gatherat 15 Houlmann 16 Juillard 16 Gelin 16 Hugonet 16 Juillerat 16 Gentil 24 Hugonin 16 Gentit 24 Juin 14 Huguelet 16 Julian 16 Georgin 16 Huguenin 16,17 Jullian 16 Gérard 15 Hugues 17 Jullien 16 Gerber 18 Huguet 16 Gigandet 24 Hulmann 16 Jurine 30 Gigon 24 Huot 16 Kaufmann 18 Klein 24 Girardat 15 Husson 16 Girardet 15 Jaccart 16 Kohler 18,28 Girardin 15 Jacot 16 Koller 28 Girardot 15 Jacotet 16 Labite 30 Girardy 15 Lachausse 18 Jacoud 16 Gonin 17 Lacombe 13 Jacquard 16 Goimod 17 Jacquat 16 Lacrotte 30 Grand 24 Jacquelot 17 Lagarce 30 Grandchamp 27 Lallemand 27 Jacqueloz 17 Grandjean 16, 24 Lambert 15 Jacquemin 16 Grandrichard 24 Landry 16 Jacquet 16 Greppin 24 Jacquier 16 Lang 24 Langlois 27 83

Lanusse 30 Maigret 14,24 Mettez 28 Lapine 30 Maire 28 Metthez 16 Lapisse 30 Mangeât 16 Metzger 18 Laputte 30 Manuel 16 Meurisse 16 Lardon 18 Marceau 16 Michaud 13 Laurens 16 Marcelin 16 Michel 13,15 Laurent 15 Marcellin 16 Michelet 13 Laverge 30 Marchand 18,22 Michelin 13 Laville 27 Margot 16 Micheloud 13 Le Roy 25 Marguerat 16 Michet 13 Leblanc 14 Marquis 25 Michot 13 Lecomte 25 Martin 15 Michoud 13 Lecul 30 Martineau 16 Miéville 13 Lefèbvre 23 Martinet 16 Milien 16 Lefèvre 23 Martinot 16 Milliet 16 Lenoir 24 Massenet 17 Moine 25 Léonard! 16 Masset 17 Moirandat 14 Léotard 15 Masson 17 Monard 17 Leroy 25 Mathez 16,28 Monbaron 25 Lesieur 21 Mathiot 16 Moncu 30 Lesueur 21 Mathys 16 Moncus 30 Lhoste 18 Matthey 16 Monet 17 Lhurine 30 Maurer 18 Monier 17 Liard 15 Mauvais 24 Monnard 17 Liart 15 Mayor 28 Monnat 17,18 Liénard 16 Mégroz 14 Monnet 17 Lièvre 25 Meier 18 Monnier 17,18 Lo'ïs 16 Meignan 19 Monnin 17,18 Loriol 25 Meignien 19 Monnot 17 Lovis 16 Membrez 28 Monod 17 Macquat 15 Menuisier 22 Monot 17 Magnan 19 Menusier 22 Montandon 24 Magnant 19 Mercier 18 Montavon 27 Magnien 19 Merdier 30 Morand 24 Magnin 18,19 Merguin 16 Morel 24 Maignan 19 Merle 25 Morin 15 Maignant 19 Mertz 29 Morisot 16 Maignin 19 Mettey 16 Moritz 16 84

Mouche 25 Périat 16 Riche 16 Mougin 16 Pernod 16 Richert 16 Mouginot 16 Perrenoud 16 Richon 16 Mùller 18 Perret 16 Rion 17 Muriset 16 Perrey 16 Robert 15 Nardin 17 Perrin 16 Rolland 16 Nicod 15 Perronne 16 Rollat 16,18 Nicol 15 Perrot 16 Rollier 18 Nicolas 15 Petignat 24 Roman 16 Nicolet 15 Petit 24 Romand 16 Nicoud 15 Petitat 24 Romano 16 Nicoulin 15 Petitjean 16 Rendez 24,28 Noir 24,30 Peugeot 18 Rossé 28 Noirjean 24 Peyrret 16 Rossel 24 Novembre 14 Pheulpin 16 Rouland 16 Orlandi 16 Piguet 18 Roulet 16 Orlando 16 Pine 30 Roussel 24 Paillard 28 Plumez 28 Roux 24 Pamblanc 14 Poirier 27 Roy 25 Panchaud 14 Pommier 27 Ruef 16 Paoli 16 Poncet 16 Rueff 16 Pape 25 Pourchier 30 Sallaud 30 Pâquier 50 Prêtre 25 Salpéteur 30 Paratte 16 Prince 25 Salvadé, 28 Parrat 16 Putin 30 Sandrin 17 Pasquier 50 Queloz 17 Sangsue 25 Patet 26 Quenet 17 Saucy 27 Paulet 16 Queulevée 30 Saunier 18 Paulian 16 Quiquerez 28 Sautebin 25 Paulien 16 Racordon 28 Sauvain 17 Paulin 16 Rebetez 28 Savary 16 Pauly 16 Régnier 16 Schmid 18 Pégeot 18 Reinhard 16 Schmidt 18 Pellaton 24 Reinhart 16 Schneider 18 Pelletier 18 Renard 25 Schnyder 18 Péquignat 24 Riat 17 Schumacher 18, 21 Péquignot 24 Ricard 16 Schwab 27 Pérat, 30 Richard 15 Schwob 27

85

Séguy 16 Theuriet 17 Vautier 15 Sémon 17 Theurillat 17 Vautravers 13 Sémonin 17 Theuvenat 16 Verge 30 Sercu 30 Thévenin 16 Vernier 16 Silvan 17 Thévenot 16 Veuillot 16 Simenon 17 Thibaudet 17 Viatte 16 Simon 15,17 Thibault 17 Vidai 16 Simonin 17 Thibaut 17 Villard 27 Simonot 17 Thiébaud 17 Villars 27 Siordet 14 Thiévent 16 Villat 27 Sommer 14 Thomas 15 Viret 14 Sordet 14 Tissot 18 Voélin 16 Steulet 28 Tournier 18 Voyame 16 Steullet 28 Toussaint 14 Vuillarmoz 16 Sueur 21 Tripet 18 Vuillaume 16 Surdez 14 Tchoudy 30 Vuille 16 Sutter 21 Tschudi 30 Vuilleumier 16 Taillard 18 Vachier 30 Vuilloz 16 Taillefumier 30 Valet 28 Wagner 18 Talion 16 Vallat 28 Weber 18 Tavernet 13 Vallet 28 Wilhelm 16 Tavernier 13 Valley 28 Wilhem 16 Théobald 17 Vaquin 18 Zimmermann 18 Theubet 17 Vauthier 15 86

Index des noms de lieux et des lieux-dits

Age (Dos 1') 38 Chaufour (Le) 61 Courgenay 69 Banbois(Le) 43,56 Chaux (La) 62 Courrendlin 69 Banne (Le) 55 Chaux fours (Les) 61 Courroux 69 Basse-Vie (En) 48 Chaux-de-Fonds (La) 62 Court 68 Bassecourt 69 Chavon(Le) 39 Courtedoux 69 Bavelier 70 Chenevières (Les) 52 Courtemautruy 69 Berlincourt 69 Chentres (Les) 58 Courtemelon 69 Beuchire(La) 48 Chervillers 70 Courtételle 69 Bévilard 70 Chiffour(Le) 61 Crâ(Le) 60 Bief d'Etoz (Le) 48 Chintre(La) 58 Craez (Les) 60 Blamont 74 Cœudret(Le) 42 Craix (Les) 60 Bô d'Estai (Le) 44 Cœurti 51 Crâs(Le) 60 Boéchet(Le) 43 Commun (Le) 54 Crata(Le) 60 Boécourt 69 Communailles (Les) 54 Cratan(Le) 60 Bois (Les) 43 Communal (Le) 54 Cratat(Le) 60 Boncourt 69 Communance (La) 54 Craux (Les) 60 Bonfol 44 Communances (Les) 53 Crétet(Le) 60 Bosse (La) 43 Communaux (Les) 54 Creugenat 73 Boulaies(Es) 42 Comunet (Le) 54 Damphreux 72 Boulas (Les) 42 Condemène (La) 48, 54 Dampierre 73 Boules (Les) 34,42 Condemine (La) 54 Damvant 72 Boulets (Les) 42 Corban 69 Danjoutin 73 Bouloie(La) 42 Corcelles 68 Dannemarie 73 Bressaucourt 69 Corgémont 69 Delémont 73 Breuil(Le) 35 Cormoret 69 Déridez 33 Cerneux Crétin (Le) 51 Cornol 69 Develier 70 Cerneux Godât (Le) 51 Cortébert 69 Djou(La) 37 Cerneux Péquignot (Le) 51 Côtaies Monche Pîrre 35 Dombresson 73 Cerneux Veusil (le) 51 Côte du Breuil (La) 35 Domdidier 73 Cerniévillers 70 Coumenet (Le) 54 Dommartin 73 Chaintres (Es) 58 Courcelon 69 Dompierre 73 Charaintru 74 Courchapoix 69 Ederswiler 70 Charmas 42 Courchavon 39, 69 Enfers (Les) 65 Charmoille 42 Courfaivre 69 Envelier 70 87

Envers (Les) 65 Miécourt 69 Puy-de-Dôme (Le) 52 Epauvillers 70 Montsevelier 47, 70 Puy-en-Velay (Le) 52 Eschert 38,49 Morintru 74 Quemounailles (Les) 54 Essertfallon 49 Moron 74 Queue-au-Loup (La) 40 Esserts (Les) 49 Môtie(Dôle) 71 Rangiers (Les) 63 Evilard 70 Métiers 71 Rebeuvelier 70 Fahey 45 Moutier 71 Rebévelier 70 Fahi 45 Movelier 70 Reconvilier 70 Fahy 44 Naise(Pré) 42 Rochette(La) 48 Fau 45 Noir Bois (Le) 43 Rocourt 69 Fay 45 Ocourt 69 Romont 74 Payât 45 Œuchattes (Les) 50 Sacé(En) 42 Fayaux 45 Œuches (Les) 50 Saces(Les) 42 Paye 45 Ordons (Les) 64 Saicourt 69 Fayel 45 Paplemont 42 Saint-Brais 72 Fayette 45 Pâquier (Le) 50 Saint-Imier 72 Pays 45 Pâquis(Le) 48 Saint-Ursanne 72 Feu 45 Pechaux 67 Sassates (Es) 42 Fey 45 Pecheux 67 Sasses (Les) 42 Flatte (La) 45 Perche (La) 44 Saulcy 42 Fin (La) 38 Fesses (Les) 45 Sonvilier 70 Finage(Le) 38 Pessot 67 Sorvilier 70 Fol (Le) 44 Pessotte 67 Soubey 48 Fontenais 34 Peu Claude (Le) 51 Tayé(Le) 42 Fou 45 Peu Girard (Le) 51 Tchâfouè (Le) 61 Fregiécourt 69 Peu Péquignot (Le) 51 Tchairmé (Es) 42 Frinvillier 70 Peuchapatte (Le) 51 Tchairme (Le) 42 Fuatte(La) 45 Pichoux (Le) 67 Tchairmois (En) 42 Glovelier 70 Pietchiesson 66 Teneurtchi 51 Jorat(Le) 37 Pissau 67 Tcheurti 51 Joux(La) 37 Pisse-chèvre (La) 67 Tchïntre (Le) 58 Jura (Le) 37 Pissevache (La) 67 Théodoncourt 69 Lajoux 37 Pissious 67 Tieudre(Lai) 34,42 Malcôte (La) 63 Pissot 67 Tieurti 51 Malleray 46 Pissou 67 Maran(Le) 63 Tieutchi 51 Pissoux 67 Tyïe(Le) 42 Mayens de la Djour (Les) 37 Pommerats (Les) 45 Undervelier 70 Mervelier 70 Porrentruy 73 Vacherie-Mouillard (La) 34 Vaivre (La) 59 Verne (La) 42 Voirnais (Prés) 42 Vavre (La) 59 Verne (Lai) 42 Voivre (La) 59 Vayvre (La) 59 Vie (La) 38 Vouivre (La) 59 Velle (Dôle) 57 Vienes (Les) 42 Voyebœuf (Le) 47 Vellerat 70 Villars-sur-Fontenais 70 Woëvre (La) 59 Vendlincourt 69 Villeret 70 Wouavre (La) 59

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REMERCIEMENTS

L'éditeur remercie de son soutien la Fondation Anne et Robert Bloch, pour la promotion de la création culturelle dans le Jura, Delémont, ainsi que la Loterie Romande. L'auteur exprime son amicale gratitude à Roger Flückiger qui a relu les épreuves et lui a proposé quelques retouches.

Tirée à 1200 exemplaires, cette brochure a été composée par DEMOTEC SA, Microédition, à Porrentruy et imprimée en octobre 1998 sur les presses de l'Imprimerie du PAYS, à Porrentruy.