CHAPITRE 1
- Lors de la Printanière consacrée à Hugo,
vous avez à plusieurs reprises évoqué la
grande comédienne qu'était Mary
Marquet, surnommée "la grande prêtresse
de la poésie". Pouvez-vous nous en parler
un peu ?
Jean-Laurent Cochet : Mary Marquet a
été une immense aventure dans ma vie
parce qu'elle était elle-même un
personnage immense; et pas seulement
parce qu'elle mesurait 1m81, mais parce
qu'elle était complètement démesurée, en
1
bien comme en mal. Elle était très difficile
à vivre mais passionnante et stupéfiante.
Elle était une immense tragédienne, qui
avait fait toute sa carrière à la Comédie
Française, et la première à proposer des
soirées poétiques avec Madame Dussane.
C'était en effet la grande prêtresse de la
poésie française.
Elle avait eu une vie étonnante : maîtresse
d'Edmond Rostand, elle avait épousé
Victor Francen et c'est avec Vincent
Gémier qu’elle a eu son fils, le merveilleux
François, qui est mort pendant la guerre.
2
Elle m'avait un peu adopté et, en me
parlant de François, elle disait "Ton frère
dans le ciel ". Après la guerre, elle a été
incriminée, comme Guitry, pour
collaboration et elle a fait de la prison
pour finir en non-lieu. Cela a donné lieu à
des livres extraordinaires : des livres de
poésie, car elle était un grand poète, et
dans "Cellule 209" dans lequel elle raconte
son emprisonnement, toujours avec
humour.
A la fin de la guerre, j'avais 11 ans, elle a
recommencé à faire, dans la petite salle
3
Chopin Pleyel, ses récitals de poésie. Nous
y étions toujours fourré. Et, comme elle
avait des moyens extraordinaires, elle
pouvait passer de "Le vent" de Verhaeren,
où elle faisait trembler la salle, à "La
chanson du petit hypertrophique" de Jules
Laforgue. C'était génial ! De temps en
temps, à la fin du récital, j'allais la voir,
avec une cinquantaine d'autres personnes,
pour faire signer sa photo qu'elle signait
sans regarder, d'une écriture immense,
elle alignait 3 lignes par page. C'était
notre idole. Le temps a passé et je suis
4
entré au Français. Elle y venait, en tant
que spectatrice, et j'ai su qu'elle avait
tenu des propos gentils à mon égard.
Et puis, un jour, alors que je répétais à la
Madeleine, où je faisais des saisons de
classiques, on vient me chercher en me
disant que c'était Mary Marquet au bout
du fil qui me demandait. J'ai cru à une
blague mais c'était bien elle me disant:
"Allo, c'est Cochet ?" "Oui, madame !" "Ne
m'appelle pas madame, appelle-moi
Maniouche et tutoie-moi, comme ça on ne
va plus se quitter ! Es-tu cette espèce de
5
marchand de lacets dont j'ai retrouvé, il y
a quelques mois, une lettre que tu m'as
écris à l'âge de 20 ans et où tu me disais
les choses les plus belles qu'on ne m'ait
jamais dites et est-ce que ce marchand de
lacets est le même que celui qui, en ce
moment, monte Marivaux comme Karajan
?" Je réponds : "Oui, c'est moi, même si je
n'ai pas la prétention de ressembler à
Karajan." "Oui, c'est donc bien toi ! Tu es
mon fils, je t'adopte, on prend rendez-
vous!"
Et on ne s'est plus quittés. Henri Tisot
6
était de la partie et nous passions des
nuits extraordinaires chez elle, mais
exténuantes, car elle était insomniaque ! Il
fallait dîner, le plus tard possible, ensuite
on la ramenait chez elle où elle se couchait
et elle commençait un récital poétique qui
durait jusqu'à 5 heures du matin. Ce trio a
duré longtemps mais je suis parti le
premier, car à un moment, je me suis
rendu compte que, si cela continuait, je
finirais par la haïr.
Elle faisait des scènes épouvantables à ma
pauvre petite maman en l'engueulant au
7
téléphone. Un jour, maman reçoit un coup
de fil de Maniouche en pleurs demandant
de mes nouvelles. Maman, affolée, pense
qu'il m'est arrivé quelque chose de grave
alors que Maniouche répond : "C'est
Gauthier qui l'accroche dans sa critique !".
Et maman de répondre que je devais m'en
foutre, ne lisant pas les critiques. Quand
j'ai raconté cet épisode au grand auteur
qu'était Jean Sarment, dont Maniouche
avait créé "Madame 15", il a eu ce mot
merveilleux : "Elle n'aime pas les émotions
perdues !". Et c'est la définition de tout le
8
personnage !
Quand elle a été quittée par Victor
Francen, elle l'agonisait d'injures à haute
voix dans les couloirs du Français,
toujours avec une classe folle, et une fois
dans sa loge elle dit : "Ce salaud ! Il me
quitte le jour où je joue Athalie, le seul
rôle du répertoire où il n'y a pas besoin de
sensibilité !". Tous ses sentiments étaient
vrais mais complètement multipliés quand il
s'agissait du théâtre. Quand on pense
qu'elle a épousé Maurice Escande ! Celui-ci
répondait, quand on s'étonnait de cette
9
union : "Oui, c'était pour faire plaisir à
maman! Nous sommes restés ensemble 9
mois, le temps de ne pas faire d'enfant !".
Ces gens avaient de l'intelligence, de
l'érudition, de la drôlerie, de la passion et
de la curiosité !
Une autre anecdote : elle adorait les
peluches et Henri Tisot et moi lui avions
offert deux ours en peluche. Elle avait
surnommé celui aux yeux langoureux, Coco,
et celui qui était plus marrant, Titi, et se
promenait partout avec ces deux ours. Et,
si nous ne l'appelions pas à l'heure dite,
10
elle nous appelait pour nous dire qu'elle
avait foutu l'ours par la fenêtre ! Un jour,
Coco a été défenestré et a atterri sur le
toit d'un autobus, perdu à jamais.
Un autre jour, nous lui avons offert un
énorme lapin en peluche d'1m50, assis sur
ses pattes de derrière, que nous avions
installé dans le salon face à son lit qui
était dans la pièce adjacente en alcôve. Et
le lendemain, elle m'appelle en disant :
"J'espère que vous ne m'en voudrez pas
mes enfants chéris mais je n'ai pas dormi
de la nuit ; c'était impossible de dormir
11
car il n'a pas cessé de me fusiller du
regard toute la nuit ! Je lui ai dit qu'il ne
serait pas le plus fort et je l'ai fait
rapporter au Nain Bleu où je l'ai échangé !"
Rien n'était simple avec elle !
Pour nous, c'était une aventure folle car, à
travers elle, je peux dire que j'ai vu jouer
Sarah Bernhardt et Mounet-Sully avec
lesquels elle avait joué car elle les imitait
parfaitement. Elle a été la dernière, avec
Marie Bell, à avoir ces moyens fabuleux
avec l'inflexion, l'intonation, d'une
justesse incroyable.
12
Avec l'âge, elle était devenue, non pas
acariâtre, mais injuste, exigeante, il fallait
lui sacrifier sa vie, ce qu'on faisait. Mais
un jour, je suis parti et je lui ai dit : "C'est
comme les monuments, quand un jour on
sait qu'on ne va plus les aimer, il faut les
quitter". Ce que j'ai fait.
Et après, alors qu'elle était totalement
désargentée, j'ai loué la salle Pleyel pour
lui permettre de faire quelques récitals.
Donc Mary Marquet fut une rencontre
fantastique : adorer quelqu'un à 11 ans, ne
pas oser l'approcher puis, ensuite, avoir
13
cette relation extraordinaire, avec une
personne hors du commun. Elle le
reconnaissait d'ailleurs, en disant que
c'était parce qu'elle était à la fois un
homme et une femme. Elle racontait
qu'elle avait un jumeau utérin et qu'elle
était née seule parce qu'elle l'avait bouffé
! On se serait cru chez Fellini à la manière
dont elle racontait cela et pourtant tout
était vrai.
Grégoire reposa le journal :
- Comme il a raison c’est-ce genre de
comédiens qui nous manque aujourd’hui.
14
La sonnerie aux artistes retentit.
Grégoire d’Aslain était entré avec toute
une série de premier prix issu du
Conservatoire quand celui-ci était encore
le conservatoire et qu’on y apprenait
quelque chose directement à la Comédie
Française comme pensionnaire. Il
continuait comme tout bon comédien qui se
respecte de prendre des cours en
l’occurrence chez Jean Laurent Cochet l’un
des grands de ce métier.
A bientôt cinquante cinq ans, qu’il diminuait
de dix quand on lui demandait son âge, il
15
était toujours aussi fringant et n’arrêtait
pas de jouer avec le même enthousiasme
même si cette maison avait beaucoup
changé du temps de Charon ou de Robert
Hirsch.
Alors qu’il avait revêtu le costume
d’Eraste dans les Fâcheux :
- Sous quel astre, bon Dieu, faut-il que je
sois né,
Pour être de fâcheux toujours assassiné !
Il semble que partout le sort me les
adresse,
Et j’en vois chaque jour quelque nouvelle
16
espèce ;
Mais il n’est rien d’égal au fâcheux
d’aujourd’hui ;
- Toujours à répéter Grégoire
Michel de Saint Martin grand sociétaire
de la Comédie Française interrompait la
concentration de notre ami Grégoire :
- Ah Michel comment vas-tu ?
- Tu répètes encore et toujours
- Hé oui
- Depuis combien de fois as-tu joué ce rôle
?
- Des centaines et des centaines de fois
17
- Alors pourquoi répéter ton texte, moi je
ne le répète jamais
- Comme disait une grande sociétaire, ça
vient avec le talent
Grégoire tourna les talons laissant ce
pauvre Michel de Saint Martin
complètement abasourdi par ce mot qu’il
lui avait lancé en plein visage.
Soyons juste tous les deux ne s’aimaient
pas beaucoup, Michel de Saint Martin
officiait en effet plutôt à la télévision
dans des téléfilms pitoyables ou des
émissions de variété d’une grossièreté
18
sans nom animées par quelques pauvres
types qui avaient appris par coeur des
fiches.
- Tout cela n’est pas le métier murmura-t-
il.
- Maître
Une petite jeune fille dans son costume de
scène venait d’apparaître :
- Maître il y a du vert sur la scène ce
soir…
- Oh non Sophie pas toi
- Mais on dit…
- Que cela porte malheur, foutaise, c’était
19
valable du temps de Pierre Dux mais c’est
complètement stupide.
Les trois coups commençaient à être
égrenés :
- Mais que fait Basile Martin il doit
rentrer en scène avec moi
C’est alors que le régisseur de plateau
intervint :
- Arrêtez, arrêtez tout.
Les trois coups, ce fut exceptionnel,
s’arrêtèrent nets :
- Basile Martin a été retrouvé assassiné
dans sa loge.
20
CHAPITRE 2
Créé en septembre 1944 sous le titre Le
Point, en remplacement de la La Dépêche ,
sous la direction de Victor Le Briand,
ancien maire d’une grande ville de
Bretagne et homme influent du radical
21
socialiste qui lui donne sa couleur politique.
En 1947, il est remplacé par Marcel
Gérard, ancien actionnaire de La Dépêche
et le journal devient un journal
d’information généraliste, sans renier son
héritage républicain et laïc inscrit dans le
fronton.
L'imprimerie, qui est celle de La Dépêche,
reste à Morlaix, où elle avait déménagé de
Brest au début de la guerre pour fuir les
bombardement alliés sur Brest. La
rédaction centrale y reste adjointe pour
des raisons pratiques.
22
Les débuts sont difficiles, dans un
contexte de pénurie généralisée qui rend
difficile l'approvisionnement en papier. Le
Point du Jour puisque c‘est son nouveau
titre, imprimé au format d’une demi
feuille, tire à 80 000 exemplaires en trois
éditions et est vendu 1,50 franc. Marcel
Gérard étend d'abord la diffusion vers
Quimper, préfecture du département, puis
la pousse de plus en plus vers l'Est.
Dans les années 1950, le journal comporte
de huit à douze pages en sept éditions et
tire à 110 000 exemplaires, mais l'inflation
23
est passée par là : son prix est alors de 15
francs.
Des rédactions et des éditions locales
sont finalement ouvertes un peu partout
et surtout à Paris ou le journal finit par
s’installer et à devenir aujourd’hui un
quotidien national très réputé et surtout
très lu par des lecteurs de tous bords.
Le travail du journaliste consiste
principalement à recueillir des
informations sur un événement de
l'actualité ou sur un sujet particulier (en
consultant les dépêches des agences de
24
presse, en interrogeant des spécialistes ou
des témoins, et en s'appuyant sur
différentes sources), et à écrire des
articles ou à publier des reportages
(écrits, audio, photo ou vidéo) dans un
journal ou un magazine, dans une station
de radio ou de télévision, sur Internet ou
dans d'autres médias de masse.
Cette activité peut se pratiquer sous
différentes formes selon la fonction
qu'occupe le journaliste. On parle de
rédacteur pour le journaliste qui rédige
des articles de presse, de reporter quand
25
il rapporte des faits dans l'objectif
d'informer le public, de chroniqueur ou de
critique quand ses articles sont spécialisés
dans un domaine particulier (dramatique,
musical, d'art), d'éditorialiste (ou de
billettiste) s'il doit mettre en avant son
opinion ou celle de sa rédaction, etc.
Lorsque le journaliste effectue une
enquête plus approfondie sur un sujet
donné, on utilise également le terme de
journaliste d'investigation.
Même si elles n'ont pas pour rôle d'écrire
les articles à proprement parler, d'autres
26
personnes travaillant au sein de la
rédaction d'un média écrit ou audiovisuel
ont également un statut de journaliste :
secrétaire de rédaction, éditeur,
maquettiste, dessinateur, photographe,
directeurs artistique, iconographe,
documentaliste, rédacteurs en chef,
correcteur/réviseur, webmaster, chefs
d'édition, présentateur, preneur de son,
preneur d'image ("JRI", journaliste
reporter d'image), monteur, etc.
C’Est-ce travail là que Wenceslas
spécialisé des faits divers faisait depuis
27
maintenant cinq ans au Point du Jour ou il
faut bien le dire il était devenu le
journaliste vedette.
Orphelin de père et mère il avait été élevé
dans un orphelinat en Gironde.
- Je n’ai pas de nom et ne cherche pas à
retrouver mes parents qui m’ont
abandonné donc je vais me faire un
prénom.
Cette idée lui était venu à sa majorité
après un beau succès à seulement seize
ans en empochant son bac littéraire avec
mention.
28
Boursier il avait intégré une école de
journalisme et avait été pigiste pendant
quelques années dans des quotidiens
régionaux, c’est là ou finalement il avait
appris son métier.
En s’occupant des chiens écrasés d’abord,
on lui avait demandé de couvrir, la
politique, l’économie, l’international, les
spectacles bref tout sauf les faits divers
et cela lui manquait car au fond de lui il
avait une âme d’enquêteur, peut être dû au
fait qu’il n’avait jamais connu ses parents
et qu’inconsciemment il aimerait bien
29
savoir un jour.
- Vas y mon gars tu vas nous faire un
article formidable.
Jacques Brindille le rédacteur en chef
était rentré à toute vitesse dans le bureau
de Wenceslas sans frapper :
- Tu laisses tout tomber et tu files à la
Comédie Française
- J’y pensais justement
- On pense plus on agit, tu connais la
devise du journal
- L’action en marche
- Exactement
30
- Je prends Léon avec moi pour les photos.
- Bonne idée ces calembours me donnent
des boutons.
Léon Lafleur était un jeune photographe
qui était attitré à Wenceslas. Comme lui
orphelin ils avaient été éduqués au même
endroit et de ce fait étaient devenus les
meilleurs amis du monde. A la différence
de Wenceslas Léon n’avait pas fait
d’études brillantes trop marqué par son
passé et dès la troisième s’était arrêté, il
avait quand même réussi à dénicher un
diplôme de photographe professionnel qui
31
faisait de lui il faut bien le dire un bon
photographe, de plus quelques photos
officielles du Président Sarkozy et de sa
femme Carla avait posé là sa réputation,
son seul problème était les blagues à trois
sous qui avaient tendance un peu à énerver
à la rédaction du journal, son comédien et
animateur préféré autrefois étant
Maurice Biraud.
- Allez mon gros on prend la moto
- D’abord je ne suis pas gros mais un peu
enveloppé
- Ben dis donc c’est des enveloppes plus
32
qu’à bulles
- Amusant
En quelques minutes, le Point du Jour se
trouvant dans les beaux quartiers des
Champs Elysées Wenceslas et Léon
arrivèrent.
Des chaînes du câble, des abonnés, des
curieux étaient massés devant la comédie
française derrière un cordon de Police.
Certains comédiens que l’on avaient
totalement perdus de vue depuis des
années se trouvaient devant les caméras à
encenser un homme que quelques heures
33
avant ils critiquaient dans les repas
mondains où ils étaient invités.
Près de l’entrée des artistes une jeune
fille pleurait. Wenceslas s’approcha et lui
tendit un mouchoir :
- Vous étiez une admiratrice fit il en lui
tendant le mouchoir
La jeune fille leva les yeux et sourit :
- Merci, non son élève.
- C’est vrai que le cours Basile Martin est
très réputé, on y apprend tous les
fondamentaux du théâtre en commençant
par les bases sur les classiques comme les
34
Fables de La Fontaine, finalement un peu la
méthode de Jean Laurent Cochet.
- Il lui devait énormément, vous êtes
journaliste
- Hélas oui
- Pourquoi hélas
- Notre profession est souvent mal vu on
est un peu considéré comme des fouille
merde
- Il en faut fit Lafleur
La jeune femme se mit à rire.
- Vous m’êtes sympathique je vais vous
faire entrer dans le théâtre par l’entrée
35
des artistes sinon la Police vous en
empêchera.
- Merci.
La comédie française côté coulisse n’avait
jamais connu pareille influence mais une
influence policière malheureusement.
Malheureusement car il y avait eu mort
d’homme. Lafleur commençait à mitrailler
avec son appareil photo chaque recoin,
puisque c’était sûrement par les coulisses
que le meurtrier était venu.
- Et voilà les fouille merde
- Commissaire Ménardier toujours aussi
36
- Direct, d’ailleurs vous êtes en direct,
quelques mots pour le Point du Jour
- Epargnez moi vos blagues à deux balles
Lafleur
- Oh vous vous souffrez du foie fit
Lafleur
- Dites votre comique il va continuer
longtemps.
- Arrête Léon tu agaces monsieur le
commissaire qui allait nous parler de la
mort de Martin.
Ménardier sourit :
- Bien joué mais je ne peux rien vous dire,
37
la scientifique est dessus et pour l’instant
aucun indice, rien, à croire…
- A croire ?
- Dites c’est moi qui fait l’enquête ou vous
- Bah un peu les deux, vous me connaissez
- Je vous connais suffisamment pour
éviter que vous racontiez n’importe quoi
dans votre journal et que vous mettiez la
puce à l’oreille du coupable, tiens c’est
amusant.
Wenceslas ne releva pas la remarque du
commissaire Ménardier mais observait le
corps qui s’en allait sur une civière de ce
38
pauvre Martin, le visage lacéré et surtout
égorgé, c’était un spectacle répugnant.
- Léon ?
- Oui
- Mitrailles le corps vite
Lafleur fit des photos plus que discrètes
avec un système placé dans sa cravate.
La jeune femme qui pleurait quelques
instants plus tôt s’approcha de Wenceslas
- Alors satisfait
- Beaucoup, cela dit j’aimerai une fois dans
ma vie m’immerger dans votre monde, on
peut venir vous voir travailler
39
- Avec grand plaisir demain nous répétons
le Malade Imaginaire, je donne votre nom
au concierge.
Wenceslas et Lafleur quittèrent le
théâtre :
- Alors première impression
- C’est pas un humain qui a tué Basile
Martin.
40
CHAPITRE 3
- J’ai commencé à 10 ans et demi dans un
cours gratuit, (car mes parents n’étaient
pas fortunés), qui étaient donné par
Marcel Le Marchand, le doyen des
pensionnaires de la Comédie Française et
sa femme le remplaçait quand il jouait.
C’étaient d’excellents comédiens de
second ordre qui connaissaient
extrêmement bien leur métier comme tous
les comédiens à l’époque. Car on ne jouait
pas si on n’avait pas les moyens de base.
J’ai appris toute la technique
41
instrumentale si j'ose dire. Ils m’en
parlaient avec leurs mots à eux, des mots
très simples et des exercices pour
articuler, assurer la diction, respirer.
C’étaient également des gens très
sensibles et ils m’emmenaient dans des
galas où on lisait des vers et j’y
participais. Et ils m’ont fait faire beaucoup
de synchronisation qui est un travail
terrifiant quand on le fait mal, surtout
comme maintenant, mais à l’époque les
directeurs de plateau qui dirigeaient le
travail étaient des grands comédiens.
42
Mon premier directeur de plateau fut
Julien Bertheau qui est ensuite devenu
mon maître. Mon premier film était
"Fabiola" et mes partenaires Michèle
Morgan, Michel Simon et Henri Vidal. Je
suis passé ensuite donc chez Julien
Bertheau car son contact m’avait
enflammé. J’avais 14 ans. Julien Bertheau
c’était le travail sur le tempérament, sur
la sensibilité, sur l'humain. Il me disait
"Pense que tu l’aimes et que tu veux la
sauter !" Pensez-vous à 14 ans ! Je n’avais
encore sauté personne ! Le travail aussi
43
sur la pudeur. Un jour il nous a dit "Nous
irons à la piscine du Lutétia ; vous serez
tous à poil et vous sauterez du dernier
plongeoir". A poil devant tout le monde et
sauter dans une piscine, moi qui ne savais
pas nager, vous imaginez ! Bien sûr, on ne
l’a pas fait mais c’était cela son
enseignement : comme selon le mot de
Cocteau "Savoir jusqu’où on peut aller trop
loin". A son cours, il y avait aussi Maurice
Monnier et Germaine Kerjean qui
tempéraient un peu sa flamme exaspérée.
Quand il a fermé son cours je suis entré
44
chez un homme merveilleux : Samson
Fainsilber, un homme très fin avec
beaucoup de goût qui avait fait une
immense carrière de comédien et qui
alliait un peu les deux : le tempérament et
la technique. Je suis resté très ami avec
lui et je lui ai fait jouer son dernier rôle à
la fin de sa vie alors qu'il était totalement
désargenté. A 16 ans, j’étais obnubilé par
l’idée d’entrer à la Comédie-Française. Il
fallait, dès lors, passer obligatoirement
par le Conservatoire et la préparation se
faisait avec des comédiens du Français.
45
Je suis donc allé au cours de Maurice
Escande et de Béatrix Dussane, cours qui
constituait le haut du pavé. Maurice
Escande, comédien magistral, ne
s’attardait pas car il savait que feraient ce
métier ceux qui méritaient de le faire.
Mais il n’approfondissait pas les choses. En
revanche Béatrix Dussane c’était à la fois
le puits de science, la provenance des
rôles, la technique, l’exaltation et la
dureté. Quand elle me faisait un
compliment, je me disais que ça allait être
46
atroce après. Le jour où elle me houspillait
en me disant : "C’est quoi ces mains qui
ressemblent à des tulipes sous-marines,
travailles avec des gants !" cela me
dynamisait. Et à la fin de sa vie, elle m’a
demandé d’être professeur gracieusement
à mon cours car cela lui faisait plaisir de
continuer à enseigner.
Pendant ce temps, je continuais à tenter
en vain le Conservatoire. Et on m’a
conseillé d’aller chez celui qui était connu
pour préparer au Conservatoire René
Simon, qui était le grand pédagogue absolu.
47
Quand je l’ai connu, j’étais maigre comme
un clou et il m’a dit : "A 40 ans, tu auras du
ventre et tu joueras ce rôle !" C’est ce qui
s’est passé ! Il sentait tout cela et voyait
loin. Et j’ai joué sur les boulevards alors
que j’étais chez lui. Il m’a fait passer
Arnolphe de "L’école des femmes", le père
Purgon, et moi j'y allais de bon cœur et
naturellement je restais au 2ème tour.
Nous nous sommes quittés bons amis après
une petite friction car il avait du
caractère et je commençais à en avoir. Je
n’avais plus que deux chances pour passer
48
le Conservatoire. Mais je jouais dans une
pièce, ce qui m’interdisait de me présenter
au Conservatoire car j’étais dans un état
de "professionnel". Cela m’a fait beaucoup
de bien car cela m’a permis de lâcher un
peu prise et de mûrir.
Et c’est à ce moment que j’ai rencontré
dans le privé…Madame Simone. Elle
donnait des cours à la radio auxquels on
pouvait assister. Sa méthode consistait à
faire le parcours d’un rôle et elle y
consacrait 3 mois. Avec Louise Weiss
c’était la femme la plus intelligente du
49
siècle. Elle avait des connaissances
phénoménales, elle avait fait des études
de médecine, de philosophie. Elle s’appelait
de son vrai nom Pauline Benda, d’une
grande famille juive et elle n’avait jamais
voulu faire du théâtre. Elle touchait à
tout.
A dix-huit ans, sa famille lui a fait épouser
un des grands sociétaires de la Comédie-
Française qui s’appelait Le Bargy. Il était
son aîné de 40 ans et l’épousait parce qu'il
avait besoin d’argent. Grand comédien de
l'époque mais cavaleur à tous crins ! Il
50
était très blessant avec elle parce qu’elle
était incisive et ne se laissait pas faire. Un
jour ils vont au Français voir "On ne badine
pas avec l’amour" et elle dit : "Elle est très
mauvaise ta partenaire !" Lui s’offusque.
"Moi, je jouerais mieux" répond-elle. Il la
prend au mot et la met au défi d’apprendre
le rôle. Un mois après, elle lui joue toute la
pièce et il lui dit : "Il faut te faire
engager immédiatement !". Sur un réflexe,
la révélation !
Madame Simone était un personnage dont
les souvenirs ressemblaient aux Mille et
51
une nuits. Je restais le plus souvent
possible avec elle et elle a dirigé la
dernière soirée poétique que j’ai faite au
Français. Quand j’ai quitté le professorat
au Conservatoire j'ai tenu à présenter
Madame Simone, qui avait connu Proust, à
mes élèves en les prévenant qu'il s'agissait
d'une simple visite de courtoisie. Et cette
visite a duré toute la journée parce qu’elle
les a fait travailler ! "Vous avez Racine !
J’adore Racine ! Je me dis une tirade de
Racine parce que c’est ce qu’il faut pour
faire travailler ma lèvre supérieure qui est
52
un peu ankylosée !". Le jour de ses 100 ans,
elle a assisté à une représentation au
Français et elle ne cessait de répéter quoi
qu’on lui dise : "J’ai 100 ans !". Et elle a
encore vécu 7 ans !
Donc tous ces maîtres sont venus au bon
moment. Si j’avais commencé avec
Bertheau j’aurai été affolé ! Fainsilber
aurait été un peu mou s'il n’y avait eu
Bertheau. Ensuite Dussane, René Simon le
pédagogue et par dessus tout Madame
Simone qui était la Cassandre. Pour ma
dernière tentative au Conservatoire, je
53
n’ai demandé conseil à personne et j’ai été
reçu à l’unanimité. Je n'avais pas revu
René Simon et avant le dernier tour il se
précipite vers moi, me dis que je serai
reçu et me propose de revenir chez lui
pour travailler Arnolphe !
Au Conservatoire j’ai retrouvé René Simon
et Béatrix Dussane, j’ai découvert Henri
Rollan qui était sublime, Jean Debucourt,
et tous les grands comédiens de la
Comédie-Française. Et le professeur
d’ensemble était Jean Meyer, l’élève
préféré de Jouvet, ce qui fait que j’ai
54
l’impression d’avoir été l’élève de Jouvet.
J’ai été engagé comme stagiaire au
Français avec 12 ans de travail derrière
moi et c’est là qu’est intervenu la fameuse
sentence de Jean Meyer.
Beaucoup de comédiens ne veulent pas
reconnaître l’enseignement qu'ils ont reçu
: pas de père que des fils ! Alors que
l’admiration est un des sentiments le plus
profonds, c’est comme l’amour. Conserver
de l'admiration pour des êtres même
après leur mort. Alain disait que
"L’admiration est la lumière de l’esprit" et
55
Verlaine "C’est le sentiment qui m’est au-
dessus de tout". Si on ne sait pas admirer,
on ne sait pas aimer, on ne sait pas donner,
on ne sait pas échanger, Et moi j’ai eu
cette chance de connaître ces gens
admirables.
Les acteurs présents sur le plateau
applaudirent Jean Laurent Cochet qui
gentiment était venu leur parler dans
cette grande maison qu’il avait tant connu
et aimé autrefois.
Les répétitions du Malade Imaginaire
étaient en cours mais le metteur en scène
56
avait confié ce grand metteur en scène,
comédien, professeur qu’était Jean
Laurent Cochet afin de leur rappeler
quelques points fondamentales de la
comédie et de plus c’était cette pièce qui
lui avait permis de revenir avec tous les
honneurs à la Comédie Française à la
demande du grand Jacques Charon.
Wenceslas et Lafleur étaient tout au fond
dans le noir muet comme des carpes :
- Ben dis donc fit Lafleur
- T’es dépassé on dirait
- Parles pour toi mais j’aimerai bien
57
reparler à la jeune fille
- Dragueur
C’est alors qu’un cri terrible se fit
entendre, Lafleur et Wenceslas se
bousculèrent à l’entrée des coulisses, la
jeune fille était toute tremblante devant
elle le cadavre décapité d’un sociétaire de
la pièce Jacques Dubreuil.
58
CHAPITRE 4
- Les gars vous devriez travailler dans une
entreprise de pompes funèbres, si vous
étiez à la commission vous feriez fortune
fit Ménardier en souriant
- Très amusant commissaire
- Ca fait longtemps que je n’avais pas ri
comme cela fit Lafleur en photographiant
juste sous le nez Ménardier
- Arrêtez avec ça ou je vous fais retirer
votre autorisation
- Il est pas gentil le monsieur
- Wenceslas vous devriez dire à votre ami
59
de se calmer. Ce que je ne comprends pas
- Oh fit Wenceslas
Ménardier croisa son regard :
- Non sérieusement ce que je comprends
pas c’est le motif de cette tuerie, un serial
killer, un comédien éconduit
- Vous n’avez pas tort commissaire mais
moi j’ai mon idée
- Oh
- Bien joué fit Lafleur
- J’ai creusé un peu les programmes de la
comédie française et j’ai vu une générale
très importante dans dix jours ou le
60
président de la république doit assister
avec son homologue britannique
- Nicolas Sarkozy et David Cameron
- On ne peut rien vous cacher
- Il est fort fit Lafleur
- Très. Alors voilà pour moi il y a deux
possibilités il y en a une qui rejoint votre
hypothèse à savoir un comédien éconduit
qui ne jouera donc pas et qui veut se
venger tant cette générale était toute sa
vie
- Et la deuxième
- Quelqu’un qui cherche à attirer notre
61
attention sur autre chose…
- Dans quel but ?
- Un attentat
- Exactement Léon
- Bon Dieu mais c’est bien sûr fit
Ménardier
- Attention aux droits d’auteur
commissaire dit Wenceslas
- Oui bien sûr le meurtrier nous envoie sur
une fausse piste pendant qu’il prépare
l’attentat contre deux grands politiciens,
pas bête, pas bête du tout. Je vais mettre
des policiers partout dans tout le théâtre
62
- Mauvaise idée
- Qu’en savez-vous ?
- Le meurtrier n’est sûrement pas dans le
théâtre mais il y a ses entrées, il connaît
votre visage à vu sans doute vos hommes,
tandis que moi comme Léon sommes des
inconnus pour lui.
- Ok compris, je vous fais engager
pensionnaire dès cet après midi.
- Quel honneur enfin je vais pouvoir
déclamer « O rage o désespoir au
vieillesse ennemie »
- Le but c’est de trouver le meurtrier je
63
vous rappelle pas de prendre des cours de
comédie
- Ne craignez rien commissaire je saurai
remettre dans le droit chemin notre ami
Lafleur.
Les répétitions avaient repris :
- Allez mon ange on se réveille
- Ca va je suis parfaitement réveillé
- Ouh tu parles enfin côté cour je t’ai dit
pas jardin, COUR
- Oui bon ne t’énerves pas comme ça, voilà
j’y vais
- Je vous rappelle que la générale est dans
64
trois jours, non je vous dis ça comme ça.
Pendant que le metteur en scène
s’égosillait sur ses comédiens, Wenceslas
et Lafleur trainaient en coulisses et
arpentaient les loges aux noms connus. Le
fait que l’administrateur les ai fait venir
en disant qu’il s’agissait de jeunes
comédiens stagiaires qui allaient renforcer
la troupe pour des rôles de figuration
était passé sans aucun problème, tout le
monde y avait cru
- Ben dis donc drôle de monde ici fit
Lafleur goguenard
65
- Tu veux parler de quoi ?
- Ben disons que t’as pas intérêt à faire
tomber un truc par terre sinon fais
attention en le ramassant si tu vois ce que
je veux dire
- Monsieur cite Bigard, Monsieur a des
lettres, que veux-tu tous ne sont pas
comme ça dans ce milieu, mais bon il fait
faire avec
- Ouais ben sans moi
- Allez mon vieux Léon tu vas pas nous
laisser tomber. Bon je vais commencer par
aller questionner le grand Jean Marc Ludin
66
- Celui qui a joué à la télévision…
- lui-même, je pense qu’il va pouvoir nous
apporter quelque chose et puis il joue dans
la générale dans trois jours
- Bon quant à moi je questionne un peu les
machinistes
- Pas bête, tu peux apprendre des trucs
intéressants.
Wenceslas frappa à la porte, une voix
gutturale s’éleva :
- ENTREZ
Jean Marc Ludin était en train de se
maquiller avant son entrée en scène :
67
- Excusez moi M Ludin je suis…
- Ne dis rien petit je sais, tu es le jeune
stagiaire qui vient renforcer la troupe
pour les rôles de troisième couteaux…
- Euh oui…
- Tu as besoin de conseil et tu viens voir le
vieux Ludin, je crois, que dis-je j’en suis
même sûr que tu as frappé à la bonne
porte et en même temps referme là.
Content de son effet il se mit à rire :
- Prends un siège Cinna
Wenceslas comprit qu’il fallait s’asseoir :
- Alors que veux-tu savoir…
68
- Hé bien j’ai…
- N’en dis pas plus tu as le trac. Un trac
épouvantable qui te dévore malgré la
brièveté de ton rôle que dis-je de ton
apparition et tu t’es dit le vieux Ludin va
me donner un truc. Mais le vieux Ludin va
faire mieux il ne va pas te le donner il va
te l’offrir.
De nouveau très fier de son effet il
repartit dans un rire convulsif. Pendant
que Wenceslas prenait une leçon de
théâtre Lafleur avait abordé un vieux
machiniste qui était là depuis des années :
69
- Ca mon pote c’est vrai que tous ces
crimes c’est bizarre fit il mais j’ai ma
petite idée !
- Ah bon fit Lafleur et c’est
Le machiniste montra le décor du premier
acte :
- Oui et alors je comprends pas
- Tu remarques rien
- Ben je vois qu’un décor aux murs verts…
- Stop
- Ah d’accord la légende
- Quelle légende, le vert est la couleur qui
porte malheur au théâtre
70
- D’accord mais en fin de compte il ne
s’agit pas de mort naturelle mais de
meurtres
- Qu’est-ce que ça change ?
- La couleur qui porte malheur pourrait se
concevoir si il y en avait un qui avait glissé
ou un autre qui était mort de sa belle mort
comme on dit, mais là…
- Ah oui je comprends, oui c’est vrai.
Lafleur n’apprendrait pas plus avec ce
brave homme qui fut appelé par le metteur
en scène pour un problème d’une chaise qui
était bancale, Lafleur continua son périple.
71
- Vois-tu mon petit Wenceslas, le vieux
Ludin a tout joué, tout, même des petites
couillonnades, hé bien que ce soit pour du
Montherlant ou pour une petite
couillonnade je rentre de la même façon,
toujours concentré de la même façon, je
cite souvent à mes élèves le mot de Mary
Marquet « d’abord j’ai su écouter après
j’ai eu de l’ordre »
Wenceslas vit Ludin se figer
- M Ludin ?
Un filet de sang sortit de sa bouche, un
poignard lui était planté dans le dos, il
72
tomba dans ses bras, alors Wenceslas
bondit hors de la loge avec vingt mètres
d’avance une personne s’enfuyait vêtu d’un
manteau et d’un chapeau rabattu qui lui
cachait la presque totalité du visage.
Wenceslas se lança à sa poursuite et
bouscula Lafleur :
- Je l’ai repéré occupes toi de Ludin.
L’homme courait comme un dératé il était
passé devant le conseil d’Etat et
traversait n’importe comment au milieu
des voitures afin de s’engouffrer dans la
station de métro Palais Royal. Sous les
73
klaxons de bus et des voitures Wenceslas
en fit autant, au fond il entendait le bruit
des pompiers et de l’ambulance qui sans
doute venait chercher Ludin.
Dans la station Wenceslas repéra le
personnage, car impossible d’ici de voir si
c’était un homme ou une femme et dévala
les marches sur le quai Mairie d’Ivry
Villejuif.
Se sentant repéré et au milieu de la foule
qui attendait, la personne se faufila sans
bruit le plus discrètement possible.
Wenceslas en fit autant, c’était l’heure de
74
pointe 18h30 la pire de toute et même en
étant très doué pour les filatures, il y
avait pas mal de chance que la personne lui
échappe.
Un métro arrive, d’après son angle de vue
la personne s’est arrêtée, elle va sans
doute monter. Wenceslas s’arrête il pense
que pour l’instant on ne l’a pas repéré. Il
sort son portable, il va le suivre et quand il
sera sur le point de l’appréhender
préviendra ce brave Ménardier.
La personne monta, Wenceslas aussi à
quelques mètres de là. Les gens montent
75
se compressent, Wenceslas se retrouve
coincé, la sonnerie retentit, la personne
descend et cours vers une autre
correspondance, Château de Vincennes.
Coincé Wenceslas bouscule les gens sous
les quolibets et arrive à s’extirper du
métro juste à temps se mettant à courir
comme un dératé dans les couloirs pour se
retrouver sur le bon quai.
Moins de monde la personne est montée
dans la dernière voiture, la sonnerie
retentit Wenceslas écarte les portes et
monte dans la première. La personne ne l’a
76
pas vu, Wenceslas est dans un métro Boa
qui communique de fond en comble de la
première à la dernière voiture, il faut
surtout que personne ne le voit, il se cache
tant bien que mal, sors son portable, par
chance, ce qui n’est pas toujours le cas de
toutes les lignes, du réseau. Très vite il
compose le numéro de portable de
Ménardier, celui-ci décroche à la première
sonnerie :
- Où êtes vous Bon Dieu ?
- Dans le métro, sur la ligne Château de
Vincennes, le meurtrier s’y trouve
77
- Ok vous êtes à quelle station ?
- On vient de passer Hôtel de Ville
- D’accord je préviens mes hommes et des
renforts afin de placer à chaque sortie de
métro jusqu’au terminus des hommes à moi
pour le cueillir, vous surveillez le des fois
qu’il voudrait jouer les filles de l’air dans
les correspondances
- Je vous tiens au courant, au fait et Ludin
- Il est mort.
La communication coupa net, plus de
réseau à cet endroit.
On était déjà à Porte de Vincennes est-ce
78
que les policiers étaient en place car la
personne qui visiblement avait repéré en
descendant Wenceslas se mit à courir sur
le quai et monta les escaliers quatre à
quatre afin de se diriger vers la sortie.
- Qu’est-ce qu’il fout ?
En effet personne, la personne en profita
courut de nouveau traversa le cours de
Vincennes puis emprunta la rue Fernand
Fourreau. C’est alors que les sirène de la
Police se firent entendre, Ménardier
repéra Wenceslas qui lui fit un signe, la
personne venait de rentrer dans un
79
immeuble ancien ILM ou il y avait bon
nombres de locataires.
- Il va essayer les toits il faut le coincer
fit Ménardier.
Lafleur faisait partie du voyage et s’en
donnait à cœur joie des photos de cette
poursuite qui allait sans doute le propulser
photographe de l’année et à la une de tous
les quotidiens dès demain.
La personne était là et le pâté de maison,
rue Fernand Foureau et rue Chandernagor
juste derrière entièrement bouclé, il ou
elle était forcément dans l’immeuble, l’on
80
ne tarderait pas à le ou la menotter.
Beaucoup de riverains étaient attroupés,
et les gens de l’immeuble fouiller par la
police étaient bien entendus à la fenêtre.
- C’est incroyable on va d’étage en étage
et personne, rien, continuez à fouiller tous
les recoins des appartements
- C’est un scandale je suis député vous
n’avez pas le droit
De cet appartement un homme soi disant
député mais que Ménardier reconnut était
furieux :
- Calmez vous monsieur nous recherchons
81
un meurtrier…
Une jeune femme pratiquement nue en
porte jarretelles était au fond dans une
chambre :
- Tu viens chérie
- Excusez moi M le député
La porte claqua
- En voilà un pour qui nos problèmes
n’offrent aucun intérêt fit Ménardier en
souriant
- N’empêches qu’on l’a pas fouillé fit
Lafleur
- Je connais ce député…
82
- Et la fille ?
Ménardier comprit il dévala les marches,
frappa sonna personne ne répondit :
- Enfoncez la porte et vite fit Ménardier
La porte céda sous les coups des policiers
derrière un cadavre celui du député et une
fenêtre sur la cour grande ouverte, au loin
sur les toits d’en face une ombre :
- On se croirait dans Judex
Ménardier siffla fit signe aux policiers :
- Elle est là haut
C’était sûr c’était une femme, des coups
de feux se firent entendre. Ménardier
83
Wenceslas et Lafleur avaient fait le tour
était entré dans l’immeuble ou la fille
jouait les funambules sur les toits, alors
ils entendirent :
- On l’a M le commissaire.
84
CHAPITRE 5
- J’ai toujours voulu être comédienne et
jouer à la comédie Française
- C’est pas la meilleure façon d’y arriver
fit Lafleur
- Tu peux te taire cinq minutes dit
Wenceslas un peu excédé des blagues à 10
balles de son ami.
- Cela fait des années que je suis persuadé
que je serai comédienne dans les cours que
j’ai fait on m’a souvent félicité pour ma
diction, mon physique bien sûr, en plus j’ai
une bonne mémoire et je ne regarde pas
85
mes heures
- L’idéal pour un comédien
- Exactement
- Alors j’ai rencontré à la comédie
Française un charmant monsieur, un peu
sur le déclin, qui donnait des cours Jean
Marc Ludin
- Un brave homme en effet mais alors
pourquoi…
- Laissez moi finir. J’ai pris des cours
pendant deux ans avec lui, puis je suis
parti et j’ai fait des castings, beaucoup de
castings avec des phrases du style, trop
86
jolie, trop comédienne, trop, trop, trop… il
y avait toujours un trop dans leur refus.
J’en avais marre, n’avais pas trop le moral
et par hasard je croise la route de Ludin
qui me demande de mes nouvelles. Il est à
la fois ému et scandalisé des remarques
qui me sont faites, il y a une audition à la
Comédie Française pour une pièce il me
conseille de venir. Je ne dors pas de la
nuit, je révise la scène que je dois donner.
Sur internet j’apprends qu’une
représentation exceptionnelle aura lieu
devant le Président de la République et le
87
Premier Ministre Britannique, quelle
chance pour moi, des tas de journaliste
peut être, je dis bien peut être est-ce
enfin pour moi le bout du tunnel.
Je suis en avance de dix minutes, un
appariteur me dit d’entrer que c’est à moi
je donne ma scène, je sors et en coulisses
j’attends le verdict.
J’ai tout donné et pourtant je vais tomber
bien bas, j’entends une jeune femme qui
est avec un autre acteur de la comédie
française dire ses bribes de phrase :
- Alors c’est sûr c’est moi ?
88
- Mais oui ma belle, l’audition n’est qu’un
prétexte mais tu étais déjà engagé avant
même d’avoir ouvert la bouche, tous les
acteurs de la pièce sont d’accord.
J’avais compris, je n’avais plus aucune
chance, on s’était foutu de moi, les dés
étaient jetés, je ne me souvenais plus que
d’une phrase en quittant les coulisses sans
attendre les résultats « tous les acteurs
de la pièce sont d’accord » alors tous les
acteurs de la pièce allaient mourir.
89
CHAPITRE 6
Filent les mois et voici déjà la dernière
Master Classe de Jean-Laurent Cochet
pour l'année 2011.
Pour satisfaire le public fidèle et
chaleureux qui ne ratent aucun de ces
rendez-vous mensuels, il propose une
master classe en deux parties qui permet
de prendre la mesure du travail
approfondi, et indispensable, qui
s'effectue à son cours et et de découvrir
des scènes plus abouties présentées par
des élèves qui sont déjà en mesure de
90
porter un rôle sur scène.
Scènes de travail, en premier lieu donc,
mais qui sont à des phases différentes sur
le chemin de l'aboutissement.
La soirée est placée sous le signe du
théâtre du 20ème siècle avec une scène
pleine d'émotion de "La bonne âme du Se-
tchouan" de Bertold Brecht par deux
jeunes comédiens d'origine russe(Zuzana
Mikytova et Anton Rival) mais également
de la comédie.
Au programme, une scène désopilante
91
entre la pétulante épouse du joaillier et le
boucher qu'elle aguiche ouvertement dans
"Lucienne et le boucher" de Marcel Aymé
dispensée par Bertrand Poncet et
Bérénice Bala, la scène croustillante des
retrouvailles inopinées entre Vatelin
(Giovanni Castaldiet sa maîtresse anglaise
Juliette Delacroix dans "Le dindon" de
Georges Feydeau, une scène pleine de
drôlerie de "L'apollon de Bellac" de Jean
Giraudoux avec Romina Hamel et Thomas
Gauthier et l'échange caustique entre
Ornifle (Franck Cicurel) et sa secrétaire
92
Melle Suppo (Rebecca Saada) tirée de
"Ornifle ou le courant d'air" de Jean
Anouilh. L'incursion dans le répertoire
classique se fera avec une scène entre
Néron et Narcisse extraite de
"Britannicus" de Racine interprétée par
respectivement par Federico Santacroce
et Pierre Boucard.
Et, surtout, avec "On ne badine pas avec
l'amour" de Alfred de Musset qui
constituera le moment de grâce de la
soirée, et l'émotion qui submergera Jean-
93
Laurent Cochet en témoigne, avec la scène
dite "de la fontaine" entre Perdican et
Camille avec deux jeunes comédiens,
Caroline Menon-Bertheux et Paul
Gorostidi, qui s'y montrent donc, selon les
propres termes de ce dernier,
exceptionnels.
Le Maître n'interrompt pas Christel
Pourchet qui donnera l'intégralité de la
réplique de l'infante dans la première
scène de "La Reine morte" de Henry de
Montherlant sans être interrompue, ce
travail exemplaire lui valant le satisfecit
94
du Maître.
Ensuite si avec Yves-Pol Denielou, qui a
choisi de présenter la très difficile tirade
du coq extraite de "Chantecler" de
Edmond de Rostand, le travail, qui avait té
initié dansune précédente master classe,
progresse rondement, pour Anthony
Henrot et Julien Morin dans la scène de
"La double inconstance" de Marivaux où
Arlequin manifeste à Trivelin, l'officier du
palais, sa colère d'avoir été enlevé par le
Prince amoureux de sa fiancée Silvia, il
s'avère plus laborieux.
95
Jean-Laurent Cochet en profite pour
donner d'abondantes indications sur le
travail qui doit être fait en amont de celui
sur le texte, sur les personnages et
l'analyse critique détaillée de leur histoire
avant que ne commence la pièce et qui
expliquent la situation dramatique.
Pour la seconde partie, montent sur scène
des éléves-comédiens aguerris. Vincent
Simon, excellent dans le registre délicat
du drame intime et du conflit intérieur, et
François Pouron, respectivement dans les
rôles du personnage principal, Ian
96
Wiczewski, et de celui d'Erik Mac Clure,
donnent la scène de l'aveu muet extraite
de "Sud", la première pièce de Julien
Green, qui traite du drame de l'amour
homosexuel, un amour impossible et
condamné au silence dans l'Amérique du
19ème siècle.
Ensuite, Pierre Boucard et Thomas Ganidel
donneront un acte de la pièce "Lazare" de
André Obey auteur dramatique oublié qui
connu une belle notoriété dans la première
moitié du 20ème siècle et que Jean-
Laurent Cochet considère comme l'un,
97
sinon le, plus grand auteur dramatique de
son siècle notamment par la dimension
spirituelle de son oeuvre.
L'auteur aborde cet épisode du dernier
miracle du Christ avant sa crucifixion à la
fois dans sa signification biblique, la
révélation de son être divin et humain, et
métaphysique, sur le passage de la vie à la
mort et l'état de mort, en donnant la
parole à Lazare qui refuse de revenir dans
ce qu'il nomme "le mensonge du monde".
Le texte d'une éblouissante beauté et
d'une force d'évocation pour le moins
98
troublante est admirablement dispensé
par les deux jeunes comédiens.
Le cours s'achève sur une note d'humour,
celui facétieux de Alphonse Allais, avec un
de ses contes, "Les Templiers", dit par
Sylvain Mossot avant que Jean-Laurent
Cochet ne salue le public en lui souhaitant
de joyeuses fêtes.
99
EPILOGUE
Les master classes avaient repris, la vie
avait repris à la Comédie Française, cette
histoire avait fait la une des journaux
pendant une semaine puis comme beaucoup
d’histoires de ce genre, de faits divers
comme l’on dit dans les quotidiens,
l’affaire s’était tassée puis avait été
complètement oubliée. Lafleur avait vendu
bon nombre de photos il était devenu un
photographe important pour des
magazines, quant à Wenceslas il n’en avait
pas fini avec les enquêtes et de tout cela,
100
vous lecteur, allez le retrouver très
rapidement dans de nouvelles aventures…
A SUIVRE
FIN
101