CHAPITRE 1

- Lors de la Printanière consacrée à Hugo,

vous avez à plusieurs reprises évoqué la

grande comédienne qu'était Mary

Marquet, surnommée "la grande prêtresse

de la poésie". Pouvez-vous nous en parler

un peu ?

Jean-Laurent Cochet : Mary Marquet a

été une immense aventure dans ma vie

parce qu'elle était elle-même un

personnage immense; et pas seulement

parce qu'elle mesurait 1m81, mais parce

qu'elle était complètement démesurée, en

1

bien comme en mal. Elle était très difficile

à vivre mais passionnante et stupéfiante.

Elle était une immense tragédienne, qui

avait fait toute sa carrière à la Comédie

Française, et la première à proposer des

soirées poétiques avec Madame Dussane.

C'était en effet la grande prêtresse de la

poésie française.

Elle avait eu une vie étonnante : maîtresse

d', elle avait épousé

Victor Francen et c'est avec Vincent

Gémier qu’elle a eu son fils, le merveilleux

François, qui est mort pendant la guerre.

2

Elle m'avait un peu adopté et, en me

parlant de François, elle disait "Ton frère

dans le ciel ". Après la guerre, elle a été

incriminée, comme Guitry, pour

collaboration et elle a fait de la prison

pour finir en non-lieu. Cela a donné lieu à

des livres extraordinaires : des livres de

poésie, car elle était un grand poète, et

dans "Cellule 209" dans lequel elle raconte

son emprisonnement, toujours avec

humour.

A la fin de la guerre, j'avais 11 ans, elle a

recommencé à faire, dans la petite salle

3

Chopin Pleyel, ses récitals de poésie. Nous

y étions toujours fourré. Et, comme elle

avait des moyens extraordinaires, elle

pouvait passer de "Le vent" de Verhaeren,

où elle faisait trembler la salle, à "La

chanson du petit hypertrophique" de Jules

Laforgue. C'était génial ! De temps en

temps, à la fin du récital, j'allais la voir,

avec une cinquantaine d'autres personnes,

pour faire signer sa photo qu'elle signait

sans regarder, d'une écriture immense,

elle alignait 3 lignes par page. C'était

notre idole. Le temps a passé et je suis

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entré au Français. Elle y venait, en tant

que spectatrice, et j'ai su qu'elle avait

tenu des propos gentils à mon égard.

Et puis, un jour, alors que je répétais à la

Madeleine, où je faisais des saisons de

classiques, on vient me chercher en me

disant que c'était Mary Marquet au bout

du fil qui me demandait. J'ai cru à une

blague mais c'était bien elle me disant:

"Allo, c'est Cochet ?" "Oui, madame !" "Ne

m'appelle pas madame, appelle-moi

Maniouche et tutoie-moi, comme ça on ne

va plus se quitter ! Es-tu cette espèce de

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marchand de lacets dont j'ai retrouvé, il y

a quelques mois, une lettre que tu m'as

écris à l'âge de 20 ans et où tu me disais

les choses les plus belles qu'on ne m'ait

jamais dites et est-ce que ce marchand de

lacets est le même que celui qui, en ce

moment, monte Marivaux comme Karajan

?" Je réponds : "Oui, c'est moi, même si je

n'ai pas la prétention de ressembler à

Karajan." "Oui, c'est donc bien toi ! Tu es

mon fils, je t'adopte, on prend rendez-

vous!"

Et on ne s'est plus quittés. Henri Tisot

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était de la partie et nous passions des

nuits extraordinaires chez elle, mais

exténuantes, car elle était insomniaque ! Il

fallait dîner, le plus tard possible, ensuite

on la ramenait chez elle où elle se couchait

et elle commençait un récital poétique qui

durait jusqu'à 5 heures du matin. Ce trio a

duré longtemps mais je suis parti le

premier, car à un moment, je me suis

rendu compte que, si cela continuait, je

finirais par la haïr.

Elle faisait des scènes épouvantables à ma

pauvre petite maman en l'engueulant au

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téléphone. Un jour, maman reçoit un coup

de fil de Maniouche en pleurs demandant

de mes nouvelles. Maman, affolée, pense

qu'il m'est arrivé quelque chose de grave

alors que Maniouche répond : "C'est

Gauthier qui l'accroche dans sa critique !".

Et maman de répondre que je devais m'en

foutre, ne lisant pas les critiques. Quand

j'ai raconté cet épisode au grand auteur

qu'était , dont Maniouche

avait créé "Madame 15", il a eu ce mot

merveilleux : "Elle n'aime pas les émotions

perdues !". Et c'est la définition de tout le

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personnage !

Quand elle a été quittée par Victor

Francen, elle l'agonisait d'injures à haute

voix dans les couloirs du Français,

toujours avec une classe folle, et une fois

dans sa loge elle dit : "Ce salaud ! Il me

quitte le jour où je joue Athalie, le seul

rôle du répertoire où il n'y a pas besoin de

sensibilité !". Tous ses sentiments étaient

vrais mais complètement multipliés quand il

s'agissait du théâtre. Quand on pense

qu'elle a épousé Maurice Escande ! Celui-ci

répondait, quand on s'étonnait de cette

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union : "Oui, c'était pour faire plaisir à

maman! Nous sommes restés ensemble 9

mois, le temps de ne pas faire d'enfant !".

Ces gens avaient de l'intelligence, de

l'érudition, de la drôlerie, de la passion et

de la curiosité !

Une autre anecdote : elle adorait les

peluches et Henri Tisot et moi lui avions

offert deux ours en peluche. Elle avait

surnommé celui aux yeux langoureux, Coco,

et celui qui était plus marrant, Titi, et se

promenait partout avec ces deux ours. Et,

si nous ne l'appelions pas à l'heure dite,

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elle nous appelait pour nous dire qu'elle

avait foutu l'ours par la fenêtre ! Un jour,

Coco a été défenestré et a atterri sur le

toit d'un autobus, perdu à jamais.

Un autre jour, nous lui avons offert un

énorme lapin en peluche d'1m50, assis sur

ses pattes de derrière, que nous avions

installé dans le salon face à son lit qui

était dans la pièce adjacente en alcôve. Et

le lendemain, elle m'appelle en disant :

"J'espère que vous ne m'en voudrez pas

mes enfants chéris mais je n'ai pas dormi

de la nuit ; c'était impossible de dormir

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car il n'a pas cessé de me fusiller du

regard toute la nuit ! Je lui ai dit qu'il ne

serait pas le plus fort et je l'ai fait

rapporter au Nain Bleu où je l'ai échangé !"

Rien n'était simple avec elle !

Pour nous, c'était une aventure folle car, à

travers elle, je peux dire que j'ai vu jouer

Sarah Bernhardt et Mounet-Sully avec

lesquels elle avait joué car elle les imitait

parfaitement. Elle a été la dernière, avec

Marie Bell, à avoir ces moyens fabuleux

avec l'inflexion, l'intonation, d'une

justesse incroyable.

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Avec l'âge, elle était devenue, non pas

acariâtre, mais injuste, exigeante, il fallait

lui sacrifier sa vie, ce qu'on faisait. Mais

un jour, je suis parti et je lui ai dit : "C'est

comme les monuments, quand un jour on

sait qu'on ne va plus les aimer, il faut les

quitter". Ce que j'ai fait.

Et après, alors qu'elle était totalement

désargentée, j'ai loué la salle Pleyel pour

lui permettre de faire quelques récitals.

Donc Mary Marquet fut une rencontre

fantastique : adorer quelqu'un à 11 ans, ne

pas oser l'approcher puis, ensuite, avoir

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cette relation extraordinaire, avec une

personne hors du commun. Elle le

reconnaissait d'ailleurs, en disant que

c'était parce qu'elle était à la fois un

homme et une femme. Elle racontait

qu'elle avait un jumeau utérin et qu'elle

était née seule parce qu'elle l'avait bouffé

! On se serait cru chez Fellini à la manière

dont elle racontait cela et pourtant tout

était vrai.

Grégoire reposa le journal :

- Comme il a raison c’est-ce genre de

comédiens qui nous manque aujourd’hui.

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La sonnerie aux artistes retentit.

Grégoire d’Aslain était entré avec toute

une série de premier prix issu du

Conservatoire quand celui-ci était encore

le conservatoire et qu’on y apprenait

quelque chose directement à la Comédie

Française comme pensionnaire. Il

continuait comme tout bon comédien qui se

respecte de prendre des cours en

l’occurrence chez Jean Laurent Cochet l’un

des grands de ce métier.

A bientôt cinquante cinq ans, qu’il diminuait

de dix quand on lui demandait son âge, il

15

était toujours aussi fringant et n’arrêtait

pas de jouer avec le même enthousiasme

même si cette maison avait beaucoup

changé du temps de Charon ou de Robert

Hirsch.

Alors qu’il avait revêtu le costume

d’Eraste dans les Fâcheux :

- Sous quel astre, bon Dieu, faut-il que je

sois né,

Pour être de fâcheux toujours assassiné !

Il semble que partout le sort me les

adresse,

Et j’en vois chaque jour quelque nouvelle

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espèce ;

Mais il n’est rien d’égal au fâcheux

d’aujourd’hui ;

- Toujours à répéter Grégoire

Michel de Saint Martin grand sociétaire

de la Comédie Française interrompait la

concentration de notre ami Grégoire :

- Ah Michel comment vas-tu ?

- Tu répètes encore et toujours

- Hé oui

- Depuis combien de fois as-tu joué ce rôle

?

- Des centaines et des centaines de fois

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- Alors pourquoi répéter ton texte, moi je

ne le répète jamais

- Comme disait une grande sociétaire, ça

vient avec le talent

Grégoire tourna les talons laissant ce

pauvre Michel de Saint Martin

complètement abasourdi par ce mot qu’il

lui avait lancé en plein visage.

Soyons juste tous les deux ne s’aimaient

pas beaucoup, Michel de Saint Martin

officiait en effet plutôt à la télévision

dans des téléfilms pitoyables ou des

émissions de variété d’une grossièreté

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sans nom animées par quelques pauvres

types qui avaient appris par coeur des

fiches.

- Tout cela n’est pas le métier murmura-t-

il.

- Maître

Une petite jeune fille dans son costume de

scène venait d’apparaître :

- Maître il y a du vert sur la scène ce

soir…

- Oh non Sophie pas toi

- Mais on dit…

- Que cela porte malheur, foutaise, c’était

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valable du temps de mais c’est

complètement stupide.

Les trois coups commençaient à être

égrenés :

- Mais que fait Basile Martin il doit

rentrer en scène avec moi

C’est alors que le régisseur de plateau

intervint :

- Arrêtez, arrêtez tout.

Les trois coups, ce fut exceptionnel,

s’arrêtèrent nets :

- Basile Martin a été retrouvé assassiné

dans sa loge.

20

CHAPITRE 2

Créé en septembre 1944 sous le titre Le

Point, en remplacement de la La Dépêche ,

sous la direction de Victor Le Briand,

ancien maire d’une grande ville de

Bretagne et homme influent du radical

21

socialiste qui lui donne sa couleur politique.

En 1947, il est remplacé par Marcel

Gérard, ancien actionnaire de La Dépêche

et le journal devient un journal

d’information généraliste, sans renier son

héritage républicain et laïc inscrit dans le

fronton.

L'imprimerie, qui est celle de La Dépêche,

reste à Morlaix, où elle avait déménagé de

Brest au début de la guerre pour fuir les

bombardement alliés sur Brest. La

rédaction centrale y reste adjointe pour

des raisons pratiques.

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Les débuts sont difficiles, dans un

contexte de pénurie généralisée qui rend

difficile l'approvisionnement en papier. Le

Point du Jour puisque c‘est son nouveau

titre, imprimé au format d’une demi

feuille, tire à 80 000 exemplaires en trois

éditions et est vendu 1,50 franc. Marcel

Gérard étend d'abord la diffusion vers

Quimper, préfecture du département, puis

la pousse de plus en plus vers l'Est.

Dans les années 1950, le journal comporte

de huit à douze pages en sept éditions et

tire à 110 000 exemplaires, mais l'inflation

23

est passée par là : son prix est alors de 15

francs.

Des rédactions et des éditions locales

sont finalement ouvertes un peu partout

et surtout à Paris ou le journal finit par

s’installer et à devenir aujourd’hui un

quotidien national très réputé et surtout

très lu par des lecteurs de tous bords.

Le travail du journaliste consiste

principalement à recueillir des

informations sur un événement de

l'actualité ou sur un sujet particulier (en

consultant les dépêches des agences de

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presse, en interrogeant des spécialistes ou

des témoins, et en s'appuyant sur

différentes sources), et à écrire des

articles ou à publier des reportages

(écrits, audio, photo ou vidéo) dans un

journal ou un magazine, dans une station

de radio ou de télévision, sur Internet ou

dans d'autres médias de masse.

Cette activité peut se pratiquer sous

différentes formes selon la fonction

qu'occupe le journaliste. On parle de

rédacteur pour le journaliste qui rédige

des articles de presse, de reporter quand

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il rapporte des faits dans l'objectif

d'informer le public, de chroniqueur ou de

critique quand ses articles sont spécialisés

dans un domaine particulier (dramatique,

musical, d'art), d'éditorialiste (ou de

billettiste) s'il doit mettre en avant son

opinion ou celle de sa rédaction, etc.

Lorsque le journaliste effectue une

enquête plus approfondie sur un sujet

donné, on utilise également le terme de

journaliste d'investigation.

Même si elles n'ont pas pour rôle d'écrire

les articles à proprement parler, d'autres

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personnes travaillant au sein de la

rédaction d'un média écrit ou audiovisuel

ont également un statut de journaliste :

secrétaire de rédaction, éditeur,

maquettiste, dessinateur, photographe,

directeurs artistique, iconographe,

documentaliste, rédacteurs en chef,

correcteur/réviseur, webmaster, chefs

d'édition, présentateur, preneur de son,

preneur d'image ("JRI", journaliste

reporter d'image), monteur, etc.

C’Est-ce travail là que Wenceslas

spécialisé des faits divers faisait depuis

27

maintenant cinq ans au Point du Jour ou il

faut bien le dire il était devenu le

journaliste vedette.

Orphelin de père et mère il avait été élevé

dans un orphelinat en Gironde.

- Je n’ai pas de nom et ne cherche pas à

retrouver mes parents qui m’ont

abandonné donc je vais me faire un

prénom.

Cette idée lui était venu à sa majorité

après un beau succès à seulement seize

ans en empochant son bac littéraire avec

mention.

28

Boursier il avait intégré une école de

journalisme et avait été pigiste pendant

quelques années dans des quotidiens

régionaux, c’est là ou finalement il avait

appris son métier.

En s’occupant des chiens écrasés d’abord,

on lui avait demandé de couvrir, la

politique, l’économie, l’international, les

spectacles bref tout sauf les faits divers

et cela lui manquait car au fond de lui il

avait une âme d’enquêteur, peut être dû au

fait qu’il n’avait jamais connu ses parents

et qu’inconsciemment il aimerait bien

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savoir un jour.

- Vas y mon gars tu vas nous faire un

article formidable.

Jacques Brindille le rédacteur en chef

était rentré à toute vitesse dans le bureau

de Wenceslas sans frapper :

- Tu laisses tout tomber et tu files à la

Comédie Française

- J’y pensais justement

- On pense plus on agit, tu connais la

devise du journal

- L’action en marche

- Exactement

30

- Je prends Léon avec moi pour les photos.

- Bonne idée ces calembours me donnent

des boutons.

Léon Lafleur était un jeune photographe

qui était attitré à Wenceslas. Comme lui

orphelin ils avaient été éduqués au même

endroit et de ce fait étaient devenus les

meilleurs amis du monde. A la différence

de Wenceslas Léon n’avait pas fait

d’études brillantes trop marqué par son

passé et dès la troisième s’était arrêté, il

avait quand même réussi à dénicher un

diplôme de photographe professionnel qui

31

faisait de lui il faut bien le dire un bon

photographe, de plus quelques photos

officielles du Président Sarkozy et de sa

femme Carla avait posé là sa réputation,

son seul problème était les blagues à trois

sous qui avaient tendance un peu à énerver

à la rédaction du journal, son comédien et

animateur préféré autrefois étant

Maurice Biraud.

- Allez mon gros on prend la moto

- D’abord je ne suis pas gros mais un peu

enveloppé

- Ben dis donc c’est des enveloppes plus

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qu’à bulles

- Amusant

En quelques minutes, le Point du Jour se

trouvant dans les beaux quartiers des

Champs Elysées Wenceslas et Léon

arrivèrent.

Des chaînes du câble, des abonnés, des

curieux étaient massés devant la comédie

française derrière un cordon de Police.

Certains comédiens que l’on avaient

totalement perdus de vue depuis des

années se trouvaient devant les caméras à

encenser un homme que quelques heures

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avant ils critiquaient dans les repas

mondains où ils étaient invités.

Près de l’entrée des artistes une jeune

fille pleurait. Wenceslas s’approcha et lui

tendit un mouchoir :

- Vous étiez une admiratrice fit il en lui

tendant le mouchoir

La jeune fille leva les yeux et sourit :

- Merci, non son élève.

- C’est vrai que le cours Basile Martin est

très réputé, on y apprend tous les

fondamentaux du théâtre en commençant

par les bases sur les classiques comme les

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Fables de La Fontaine, finalement un peu la

méthode de Jean Laurent Cochet.

- Il lui devait énormément, vous êtes

journaliste

- Hélas oui

- Pourquoi hélas

- Notre profession est souvent mal vu on

est un peu considéré comme des fouille

merde

- Il en faut fit Lafleur

La jeune femme se mit à rire.

- Vous m’êtes sympathique je vais vous

faire entrer dans le théâtre par l’entrée

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des artistes sinon la Police vous en

empêchera.

- Merci.

La comédie française côté coulisse n’avait

jamais connu pareille influence mais une

influence policière malheureusement.

Malheureusement car il y avait eu mort

d’homme. Lafleur commençait à mitrailler

avec son appareil photo chaque recoin,

puisque c’était sûrement par les coulisses

que le meurtrier était venu.

- Et voilà les fouille merde

- Commissaire Ménardier toujours aussi

36

- Direct, d’ailleurs vous êtes en direct,

quelques mots pour le Point du Jour

- Epargnez moi vos blagues à deux balles

Lafleur

- Oh vous vous souffrez du foie fit

Lafleur

- Dites votre comique il va continuer

longtemps.

- Arrête Léon tu agaces monsieur le

commissaire qui allait nous parler de la

mort de Martin.

Ménardier sourit :

- Bien joué mais je ne peux rien vous dire,

37

la scientifique est dessus et pour l’instant

aucun indice, rien, à croire…

- A croire ?

- Dites c’est moi qui fait l’enquête ou vous

- Bah un peu les deux, vous me connaissez

- Je vous connais suffisamment pour

éviter que vous racontiez n’importe quoi

dans votre journal et que vous mettiez la

puce à l’oreille du coupable, tiens c’est

amusant.

Wenceslas ne releva pas la remarque du

commissaire Ménardier mais observait le

corps qui s’en allait sur une civière de ce

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pauvre Martin, le visage lacéré et surtout

égorgé, c’était un spectacle répugnant.

- Léon ?

- Oui

- Mitrailles le corps vite

Lafleur fit des photos plus que discrètes

avec un système placé dans sa cravate.

La jeune femme qui pleurait quelques

instants plus tôt s’approcha de Wenceslas

- Alors satisfait

- Beaucoup, cela dit j’aimerai une fois dans

ma vie m’immerger dans votre monde, on

peut venir vous voir travailler

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- Avec grand plaisir demain nous répétons

le Malade Imaginaire, je donne votre nom

au concierge.

Wenceslas et Lafleur quittèrent le

théâtre :

- Alors première impression

- C’est pas un humain qui a tué Basile

Martin.

40

CHAPITRE 3

- J’ai commencé à 10 ans et demi dans un

cours gratuit, (car mes parents n’étaient

pas fortunés), qui étaient donné par

Marcel Le Marchand, le doyen des

pensionnaires de la Comédie Française et

sa femme le remplaçait quand il jouait.

C’étaient d’excellents comédiens de

second ordre qui connaissaient

extrêmement bien leur métier comme tous

les comédiens à l’époque. Car on ne jouait

pas si on n’avait pas les moyens de base.

J’ai appris toute la technique

41

instrumentale si j'ose dire. Ils m’en

parlaient avec leurs mots à eux, des mots

très simples et des exercices pour

articuler, assurer la diction, respirer.

C’étaient également des gens très

sensibles et ils m’emmenaient dans des

galas où on lisait des vers et j’y

participais. Et ils m’ont fait faire beaucoup

de synchronisation qui est un travail

terrifiant quand on le fait mal, surtout

comme maintenant, mais à l’époque les

directeurs de plateau qui dirigeaient le

travail étaient des grands comédiens.

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Mon premier directeur de plateau fut

Julien Bertheau qui est ensuite devenu

mon maître. Mon premier film était

"Fabiola" et mes partenaires Michèle

Morgan, Michel Simon et Henri Vidal. Je

suis passé ensuite donc chez Julien

Bertheau car son contact m’avait

enflammé. J’avais 14 ans. Julien Bertheau

c’était le travail sur le tempérament, sur

la sensibilité, sur l'humain. Il me disait

"Pense que tu l’aimes et que tu veux la

sauter !" Pensez-vous à 14 ans ! Je n’avais

encore sauté personne ! Le travail aussi

43

sur la pudeur. Un jour il nous a dit "Nous

irons à la piscine du Lutétia ; vous serez

tous à poil et vous sauterez du dernier

plongeoir". A poil devant tout le monde et

sauter dans une piscine, moi qui ne savais

pas nager, vous imaginez ! Bien sûr, on ne

l’a pas fait mais c’était cela son

enseignement : comme selon le mot de

Cocteau "Savoir jusqu’où on peut aller trop

loin". A son cours, il y avait aussi Maurice

Monnier et Germaine Kerjean qui

tempéraient un peu sa flamme exaspérée.

Quand il a fermé son cours je suis entré

44

chez un homme merveilleux : Samson

Fainsilber, un homme très fin avec

beaucoup de goût qui avait fait une

immense carrière de comédien et qui

alliait un peu les deux : le tempérament et

la technique. Je suis resté très ami avec

lui et je lui ai fait jouer son dernier rôle à

la fin de sa vie alors qu'il était totalement

désargenté. A 16 ans, j’étais obnubilé par

l’idée d’entrer à la Comédie-Française. Il

fallait, dès lors, passer obligatoirement

par le Conservatoire et la préparation se

faisait avec des comédiens du Français.

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Je suis donc allé au cours de Maurice

Escande et de Béatrix Dussane, cours qui

constituait le haut du pavé. Maurice

Escande, comédien magistral, ne

s’attardait pas car il savait que feraient ce

métier ceux qui méritaient de le faire.

Mais il n’approfondissait pas les choses. En

revanche Béatrix Dussane c’était à la fois

le puits de science, la provenance des

rôles, la technique, l’exaltation et la

dureté. Quand elle me faisait un

compliment, je me disais que ça allait être

46

atroce après. Le jour où elle me houspillait

en me disant : "C’est quoi ces mains qui

ressemblent à des tulipes sous-marines,

travailles avec des gants !" cela me

dynamisait. Et à la fin de sa vie, elle m’a

demandé d’être professeur gracieusement

à mon cours car cela lui faisait plaisir de

continuer à enseigner.

Pendant ce temps, je continuais à tenter

en vain le Conservatoire. Et on m’a

conseillé d’aller chez celui qui était connu

pour préparer au Conservatoire René

Simon, qui était le grand pédagogue absolu.

47

Quand je l’ai connu, j’étais maigre comme

un clou et il m’a dit : "A 40 ans, tu auras du

ventre et tu joueras ce rôle !" C’est ce qui

s’est passé ! Il sentait tout cela et voyait

loin. Et j’ai joué sur les boulevards alors

que j’étais chez lui. Il m’a fait passer

Arnolphe de "L’école des femmes", le père

Purgon, et moi j'y allais de bon cœur et

naturellement je restais au 2ème tour.

Nous nous sommes quittés bons amis après

une petite friction car il avait du

caractère et je commençais à en avoir. Je

n’avais plus que deux chances pour passer

48

le Conservatoire. Mais je jouais dans une

pièce, ce qui m’interdisait de me présenter

au Conservatoire car j’étais dans un état

de "professionnel". Cela m’a fait beaucoup

de bien car cela m’a permis de lâcher un

peu prise et de mûrir.

Et c’est à ce moment que j’ai rencontré

dans le privé…Madame Simone. Elle

donnait des cours à la radio auxquels on

pouvait assister. Sa méthode consistait à

faire le parcours d’un rôle et elle y

consacrait 3 mois. Avec Louise Weiss

c’était la femme la plus intelligente du

49

siècle. Elle avait des connaissances

phénoménales, elle avait fait des études

de médecine, de philosophie. Elle s’appelait

de son vrai nom Pauline Benda, d’une

grande famille juive et elle n’avait jamais

voulu faire du théâtre. Elle touchait à

tout.

A dix-huit ans, sa famille lui a fait épouser

un des grands sociétaires de la Comédie-

Française qui s’appelait Le Bargy. Il était

son aîné de 40 ans et l’épousait parce qu'il

avait besoin d’argent. Grand comédien de

l'époque mais cavaleur à tous crins ! Il

50

était très blessant avec elle parce qu’elle

était incisive et ne se laissait pas faire. Un

jour ils vont au Français voir "On ne badine

pas avec l’amour" et elle dit : "Elle est très

mauvaise ta partenaire !" Lui s’offusque.

"Moi, je jouerais mieux" répond-elle. Il la

prend au mot et la met au défi d’apprendre

le rôle. Un mois après, elle lui joue toute la

pièce et il lui dit : "Il faut te faire

engager immédiatement !". Sur un réflexe,

la révélation !

Madame Simone était un personnage dont

les souvenirs ressemblaient aux Mille et

51

une nuits. Je restais le plus souvent

possible avec elle et elle a dirigé la

dernière soirée poétique que j’ai faite au

Français. Quand j’ai quitté le professorat

au Conservatoire j'ai tenu à présenter

Madame Simone, qui avait connu Proust, à

mes élèves en les prévenant qu'il s'agissait

d'une simple visite de courtoisie. Et cette

visite a duré toute la journée parce qu’elle

les a fait travailler ! "Vous avez Racine !

J’adore Racine ! Je me dis une tirade de

Racine parce que c’est ce qu’il faut pour

faire travailler ma lèvre supérieure qui est

52

un peu ankylosée !". Le jour de ses 100 ans,

elle a assisté à une représentation au

Français et elle ne cessait de répéter quoi

qu’on lui dise : "J’ai 100 ans !". Et elle a

encore vécu 7 ans !

Donc tous ces maîtres sont venus au bon

moment. Si j’avais commencé avec

Bertheau j’aurai été affolé ! Fainsilber

aurait été un peu mou s'il n’y avait eu

Bertheau. Ensuite Dussane, René Simon le

pédagogue et par dessus tout Madame

Simone qui était la Cassandre. Pour ma

dernière tentative au Conservatoire, je

53

n’ai demandé conseil à personne et j’ai été

reçu à l’unanimité. Je n'avais pas revu

René Simon et avant le dernier tour il se

précipite vers moi, me dis que je serai

reçu et me propose de revenir chez lui

pour travailler Arnolphe !

Au Conservatoire j’ai retrouvé René Simon

et Béatrix Dussane, j’ai découvert Henri

Rollan qui était sublime, Jean Debucourt,

et tous les grands comédiens de la

Comédie-Française. Et le professeur

d’ensemble était Jean Meyer, l’élève

préféré de Jouvet, ce qui fait que j’ai

54

l’impression d’avoir été l’élève de Jouvet.

J’ai été engagé comme stagiaire au

Français avec 12 ans de travail derrière

moi et c’est là qu’est intervenu la fameuse

sentence de Jean Meyer.

Beaucoup de comédiens ne veulent pas

reconnaître l’enseignement qu'ils ont reçu

: pas de père que des fils ! Alors que

l’admiration est un des sentiments le plus

profonds, c’est comme l’amour. Conserver

de l'admiration pour des êtres même

après leur mort. Alain disait que

"L’admiration est la lumière de l’esprit" et

55

Verlaine "C’est le sentiment qui m’est au-

dessus de tout". Si on ne sait pas admirer,

on ne sait pas aimer, on ne sait pas donner,

on ne sait pas échanger, Et moi j’ai eu

cette chance de connaître ces gens

admirables.

Les acteurs présents sur le plateau

applaudirent Jean Laurent Cochet qui

gentiment était venu leur parler dans

cette grande maison qu’il avait tant connu

et aimé autrefois.

Les répétitions du Malade Imaginaire

étaient en cours mais le metteur en scène

56

avait confié ce grand metteur en scène,

comédien, professeur qu’était Jean

Laurent Cochet afin de leur rappeler

quelques points fondamentales de la

comédie et de plus c’était cette pièce qui

lui avait permis de revenir avec tous les

honneurs à la Comédie Française à la

demande du grand Jacques Charon.

Wenceslas et Lafleur étaient tout au fond

dans le noir muet comme des carpes :

- Ben dis donc fit Lafleur

- T’es dépassé on dirait

- Parles pour toi mais j’aimerai bien

57

reparler à la jeune fille

- Dragueur

C’est alors qu’un cri terrible se fit

entendre, Lafleur et Wenceslas se

bousculèrent à l’entrée des coulisses, la

jeune fille était toute tremblante devant

elle le cadavre décapité d’un sociétaire de

la pièce Jacques Dubreuil.

58

CHAPITRE 4

- Les gars vous devriez travailler dans une

entreprise de pompes funèbres, si vous

étiez à la commission vous feriez fortune

fit Ménardier en souriant

- Très amusant commissaire

- Ca fait longtemps que je n’avais pas ri

comme cela fit Lafleur en photographiant

juste sous le nez Ménardier

- Arrêtez avec ça ou je vous fais retirer

votre autorisation

- Il est pas gentil le monsieur

- Wenceslas vous devriez dire à votre ami

59

de se calmer. Ce que je ne comprends pas

- Oh fit Wenceslas

Ménardier croisa son regard :

- Non sérieusement ce que je comprends

pas c’est le motif de cette tuerie, un serial

killer, un comédien éconduit

- Vous n’avez pas tort commissaire mais

moi j’ai mon idée

- Oh

- Bien joué fit Lafleur

- J’ai creusé un peu les programmes de la

comédie française et j’ai vu une générale

très importante dans dix jours ou le

60

président de la république doit assister

avec son homologue britannique

- Nicolas Sarkozy et David Cameron

- On ne peut rien vous cacher

- Il est fort fit Lafleur

- Très. Alors voilà pour moi il y a deux

possibilités il y en a une qui rejoint votre

hypothèse à savoir un comédien éconduit

qui ne jouera donc pas et qui veut se

venger tant cette générale était toute sa

vie

- Et la deuxième

- Quelqu’un qui cherche à attirer notre

61

attention sur autre chose…

- Dans quel but ?

- Un attentat

- Exactement Léon

- Bon Dieu mais c’est bien sûr fit

Ménardier

- Attention aux droits d’auteur

commissaire dit Wenceslas

- Oui bien sûr le meurtrier nous envoie sur

une fausse piste pendant qu’il prépare

l’attentat contre deux grands politiciens,

pas bête, pas bête du tout. Je vais mettre

des policiers partout dans tout le théâtre

62

- Mauvaise idée

- Qu’en savez-vous ?

- Le meurtrier n’est sûrement pas dans le

théâtre mais il y a ses entrées, il connaît

votre visage à vu sans doute vos hommes,

tandis que moi comme Léon sommes des

inconnus pour lui.

- Ok compris, je vous fais engager

pensionnaire dès cet après midi.

- Quel honneur enfin je vais pouvoir

déclamer « O rage o désespoir au

vieillesse ennemie »

- Le but c’est de trouver le meurtrier je

63

vous rappelle pas de prendre des cours de

comédie

- Ne craignez rien commissaire je saurai

remettre dans le droit chemin notre ami

Lafleur.

Les répétitions avaient repris :

- Allez mon ange on se réveille

- Ca va je suis parfaitement réveillé

- Ouh tu parles enfin côté cour je t’ai dit

pas jardin, COUR

- Oui bon ne t’énerves pas comme ça, voilà

j’y vais

- Je vous rappelle que la générale est dans

64

trois jours, non je vous dis ça comme ça.

Pendant que le metteur en scène

s’égosillait sur ses comédiens, Wenceslas

et Lafleur trainaient en coulisses et

arpentaient les loges aux noms connus. Le

fait que l’administrateur les ai fait venir

en disant qu’il s’agissait de jeunes

comédiens stagiaires qui allaient renforcer

la troupe pour des rôles de figuration

était passé sans aucun problème, tout le

monde y avait cru

- Ben dis donc drôle de monde ici fit

Lafleur goguenard

65

- Tu veux parler de quoi ?

- Ben disons que t’as pas intérêt à faire

tomber un truc par terre sinon fais

attention en le ramassant si tu vois ce que

je veux dire

- Monsieur cite Bigard, Monsieur a des

lettres, que veux-tu tous ne sont pas

comme ça dans ce milieu, mais bon il fait

faire avec

- Ouais ben sans moi

- Allez mon vieux Léon tu vas pas nous

laisser tomber. Bon je vais commencer par

aller questionner le grand Jean Marc Ludin

66

- Celui qui a joué à la télévision…

- lui-même, je pense qu’il va pouvoir nous

apporter quelque chose et puis il joue dans

la générale dans trois jours

- Bon quant à moi je questionne un peu les

machinistes

- Pas bête, tu peux apprendre des trucs

intéressants.

Wenceslas frappa à la porte, une voix

gutturale s’éleva :

- ENTREZ

Jean Marc Ludin était en train de se

maquiller avant son entrée en scène :

67

- Excusez moi M Ludin je suis…

- Ne dis rien petit je sais, tu es le jeune

stagiaire qui vient renforcer la troupe

pour les rôles de troisième couteaux…

- Euh oui…

- Tu as besoin de conseil et tu viens voir le

vieux Ludin, je crois, que dis-je j’en suis

même sûr que tu as frappé à la bonne

porte et en même temps referme là.

Content de son effet il se mit à rire :

- Prends un siège Cinna

Wenceslas comprit qu’il fallait s’asseoir :

- Alors que veux-tu savoir…

68

- Hé bien j’ai…

- N’en dis pas plus tu as le trac. Un trac

épouvantable qui te dévore malgré la

brièveté de ton rôle que dis-je de ton

apparition et tu t’es dit le vieux Ludin va

me donner un truc. Mais le vieux Ludin va

faire mieux il ne va pas te le donner il va

te l’offrir.

De nouveau très fier de son effet il

repartit dans un rire convulsif. Pendant

que Wenceslas prenait une leçon de

théâtre Lafleur avait abordé un vieux

machiniste qui était là depuis des années :

69

- Ca mon pote c’est vrai que tous ces

crimes c’est bizarre fit il mais j’ai ma

petite idée !

- Ah bon fit Lafleur et c’est

Le machiniste montra le décor du premier

acte :

- Oui et alors je comprends pas

- Tu remarques rien

- Ben je vois qu’un décor aux murs verts…

- Stop

- Ah d’accord la légende

- Quelle légende, le vert est la couleur qui

porte malheur au théâtre

70

- D’accord mais en fin de compte il ne

s’agit pas de mort naturelle mais de

meurtres

- Qu’est-ce que ça change ?

- La couleur qui porte malheur pourrait se

concevoir si il y en avait un qui avait glissé

ou un autre qui était mort de sa belle mort

comme on dit, mais là…

- Ah oui je comprends, oui c’est vrai.

Lafleur n’apprendrait pas plus avec ce

brave homme qui fut appelé par le metteur

en scène pour un problème d’une chaise qui

était bancale, Lafleur continua son périple.

71

- Vois-tu mon petit Wenceslas, le vieux

Ludin a tout joué, tout, même des petites

couillonnades, hé bien que ce soit pour du

Montherlant ou pour une petite

couillonnade je rentre de la même façon,

toujours concentré de la même façon, je

cite souvent à mes élèves le mot de Mary

Marquet « d’abord j’ai su écouter après

j’ai eu de l’ordre »

Wenceslas vit Ludin se figer

- M Ludin ?

Un filet de sang sortit de sa bouche, un

poignard lui était planté dans le dos, il

72

tomba dans ses bras, alors Wenceslas

bondit hors de la loge avec vingt mètres

d’avance une personne s’enfuyait vêtu d’un

manteau et d’un chapeau rabattu qui lui

cachait la presque totalité du visage.

Wenceslas se lança à sa poursuite et

bouscula Lafleur :

- Je l’ai repéré occupes toi de Ludin.

L’homme courait comme un dératé il était

passé devant le conseil d’Etat et

traversait n’importe comment au milieu

des voitures afin de s’engouffrer dans la

station de métro Palais Royal. Sous les

73

klaxons de bus et des voitures Wenceslas

en fit autant, au fond il entendait le bruit

des pompiers et de l’ambulance qui sans

doute venait chercher Ludin.

Dans la station Wenceslas repéra le

personnage, car impossible d’ici de voir si

c’était un homme ou une femme et dévala

les marches sur le quai Mairie d’Ivry

Villejuif.

Se sentant repéré et au milieu de la foule

qui attendait, la personne se faufila sans

bruit le plus discrètement possible.

Wenceslas en fit autant, c’était l’heure de

74

pointe 18h30 la pire de toute et même en

étant très doué pour les filatures, il y

avait pas mal de chance que la personne lui

échappe.

Un métro arrive, d’après son angle de vue

la personne s’est arrêtée, elle va sans

doute monter. Wenceslas s’arrête il pense

que pour l’instant on ne l’a pas repéré. Il

sort son portable, il va le suivre et quand il

sera sur le point de l’appréhender

préviendra ce brave Ménardier.

La personne monta, Wenceslas aussi à

quelques mètres de là. Les gens montent

75

se compressent, Wenceslas se retrouve

coincé, la sonnerie retentit, la personne

descend et cours vers une autre

correspondance, Château de Vincennes.

Coincé Wenceslas bouscule les gens sous

les quolibets et arrive à s’extirper du

métro juste à temps se mettant à courir

comme un dératé dans les couloirs pour se

retrouver sur le bon quai.

Moins de monde la personne est montée

dans la dernière voiture, la sonnerie

retentit Wenceslas écarte les portes et

monte dans la première. La personne ne l’a

76

pas vu, Wenceslas est dans un métro Boa

qui communique de fond en comble de la

première à la dernière voiture, il faut

surtout que personne ne le voit, il se cache

tant bien que mal, sors son portable, par

chance, ce qui n’est pas toujours le cas de

toutes les lignes, du réseau. Très vite il

compose le numéro de portable de

Ménardier, celui-ci décroche à la première

sonnerie :

- Où êtes vous Bon Dieu ?

- Dans le métro, sur la ligne Château de

Vincennes, le meurtrier s’y trouve

77

- Ok vous êtes à quelle station ?

- On vient de passer Hôtel de Ville

- D’accord je préviens mes hommes et des

renforts afin de placer à chaque sortie de

métro jusqu’au terminus des hommes à moi

pour le cueillir, vous surveillez le des fois

qu’il voudrait jouer les filles de l’air dans

les correspondances

- Je vous tiens au courant, au fait et Ludin

- Il est mort.

La communication coupa net, plus de

réseau à cet endroit.

On était déjà à Porte de Vincennes est-ce

78

que les policiers étaient en place car la

personne qui visiblement avait repéré en

descendant Wenceslas se mit à courir sur

le quai et monta les escaliers quatre à

quatre afin de se diriger vers la sortie.

- Qu’est-ce qu’il fout ?

En effet personne, la personne en profita

courut de nouveau traversa le cours de

Vincennes puis emprunta la rue Fernand

Fourreau. C’est alors que les sirène de la

Police se firent entendre, Ménardier

repéra Wenceslas qui lui fit un signe, la

personne venait de rentrer dans un

79

immeuble ancien ILM ou il y avait bon

nombres de locataires.

- Il va essayer les toits il faut le coincer

fit Ménardier.

Lafleur faisait partie du voyage et s’en

donnait à cœur joie des photos de cette

poursuite qui allait sans doute le propulser

photographe de l’année et à la une de tous

les quotidiens dès demain.

La personne était là et le pâté de maison,

rue Fernand Foureau et rue Chandernagor

juste derrière entièrement bouclé, il ou

elle était forcément dans l’immeuble, l’on

80

ne tarderait pas à le ou la menotter.

Beaucoup de riverains étaient attroupés,

et les gens de l’immeuble fouiller par la

police étaient bien entendus à la fenêtre.

- C’est incroyable on va d’étage en étage

et personne, rien, continuez à fouiller tous

les recoins des appartements

- C’est un scandale je suis député vous

n’avez pas le droit

De cet appartement un homme soi disant

député mais que Ménardier reconnut était

furieux :

- Calmez vous monsieur nous recherchons

81

un meurtrier…

Une jeune femme pratiquement nue en

porte jarretelles était au fond dans une

chambre :

- Tu viens chérie

- Excusez moi M le député

La porte claqua

- En voilà un pour qui nos problèmes

n’offrent aucun intérêt fit Ménardier en

souriant

- N’empêches qu’on l’a pas fouillé fit

Lafleur

- Je connais ce député…

82

- Et la fille ?

Ménardier comprit il dévala les marches,

frappa sonna personne ne répondit :

- Enfoncez la porte et vite fit Ménardier

La porte céda sous les coups des policiers

derrière un cadavre celui du député et une

fenêtre sur la cour grande ouverte, au loin

sur les toits d’en face une ombre :

- On se croirait dans Judex

Ménardier siffla fit signe aux policiers :

- Elle est là haut

C’était sûr c’était une femme, des coups

de feux se firent entendre. Ménardier

83

Wenceslas et Lafleur avaient fait le tour

était entré dans l’immeuble ou la fille

jouait les funambules sur les toits, alors

ils entendirent :

- On l’a M le commissaire.

84

CHAPITRE 5

- J’ai toujours voulu être comédienne et

jouer à la comédie Française

- C’est pas la meilleure façon d’y arriver

fit Lafleur

- Tu peux te taire cinq minutes dit

Wenceslas un peu excédé des blagues à 10

balles de son ami.

- Cela fait des années que je suis persuadé

que je serai comédienne dans les cours que

j’ai fait on m’a souvent félicité pour ma

diction, mon physique bien sûr, en plus j’ai

une bonne mémoire et je ne regarde pas

85

mes heures

- L’idéal pour un comédien

- Exactement

- Alors j’ai rencontré à la comédie

Française un charmant monsieur, un peu

sur le déclin, qui donnait des cours Jean

Marc Ludin

- Un brave homme en effet mais alors

pourquoi…

- Laissez moi finir. J’ai pris des cours

pendant deux ans avec lui, puis je suis

parti et j’ai fait des castings, beaucoup de

castings avec des phrases du style, trop

86

jolie, trop comédienne, trop, trop, trop… il

y avait toujours un trop dans leur refus.

J’en avais marre, n’avais pas trop le moral

et par hasard je croise la route de Ludin

qui me demande de mes nouvelles. Il est à

la fois ému et scandalisé des remarques

qui me sont faites, il y a une audition à la

Comédie Française pour une pièce il me

conseille de venir. Je ne dors pas de la

nuit, je révise la scène que je dois donner.

Sur internet j’apprends qu’une

représentation exceptionnelle aura lieu

devant le Président de la République et le

87

Premier Ministre Britannique, quelle

chance pour moi, des tas de journaliste

peut être, je dis bien peut être est-ce

enfin pour moi le bout du tunnel.

Je suis en avance de dix minutes, un

appariteur me dit d’entrer que c’est à moi

je donne ma scène, je sors et en coulisses

j’attends le verdict.

J’ai tout donné et pourtant je vais tomber

bien bas, j’entends une jeune femme qui

est avec un autre acteur de la comédie

française dire ses bribes de phrase :

- Alors c’est sûr c’est moi ?

88

- Mais oui ma belle, l’audition n’est qu’un

prétexte mais tu étais déjà engagé avant

même d’avoir ouvert la bouche, tous les

acteurs de la pièce sont d’accord.

J’avais compris, je n’avais plus aucune

chance, on s’était foutu de moi, les dés

étaient jetés, je ne me souvenais plus que

d’une phrase en quittant les coulisses sans

attendre les résultats « tous les acteurs

de la pièce sont d’accord » alors tous les

acteurs de la pièce allaient mourir.

89

CHAPITRE 6

Filent les mois et voici déjà la dernière

Master Classe de Jean-Laurent Cochet

pour l'année 2011.

Pour satisfaire le public fidèle et

chaleureux qui ne ratent aucun de ces

rendez-vous mensuels, il propose une

master classe en deux parties qui permet

de prendre la mesure du travail

approfondi, et indispensable, qui

s'effectue à son cours et et de découvrir

des scènes plus abouties présentées par

des élèves qui sont déjà en mesure de

90

porter un rôle sur scène.

Scènes de travail, en premier lieu donc,

mais qui sont à des phases différentes sur

le chemin de l'aboutissement.

La soirée est placée sous le signe du

théâtre du 20ème siècle avec une scène

pleine d'émotion de "La bonne âme du Se-

tchouan" de Bertold Brecht par deux

jeunes comédiens d'origine russe(Zuzana

Mikytova et Anton Rival) mais également

de la comédie.

Au programme, une scène désopilante

91

entre la pétulante épouse du joaillier et le

boucher qu'elle aguiche ouvertement dans

"Lucienne et le boucher" de Marcel Aymé

dispensée par Bertrand Poncet et

Bérénice Bala, la scène croustillante des

retrouvailles inopinées entre Vatelin

(Giovanni Castaldiet sa maîtresse anglaise

Juliette Delacroix dans "Le dindon" de

Georges Feydeau, une scène pleine de

drôlerie de "L'apollon de Bellac" de Jean

Giraudoux avec Romina Hamel et Thomas

Gauthier et l'échange caustique entre

Ornifle (Franck Cicurel) et sa secrétaire

92

Melle Suppo (Rebecca Saada) tirée de

"Ornifle ou le courant d'air" de Jean

Anouilh. L'incursion dans le répertoire

classique se fera avec une scène entre

Néron et Narcisse extraite de

"Britannicus" de Racine interprétée par

respectivement par Federico Santacroce

et Pierre Boucard.

Et, surtout, avec "On ne badine pas avec

l'amour" de Alfred de Musset qui

constituera le moment de grâce de la

soirée, et l'émotion qui submergera Jean-

93

Laurent Cochet en témoigne, avec la scène

dite "de la fontaine" entre Perdican et

Camille avec deux jeunes comédiens,

Caroline Menon-Bertheux et Paul

Gorostidi, qui s'y montrent donc, selon les

propres termes de ce dernier,

exceptionnels.

Le Maître n'interrompt pas Christel

Pourchet qui donnera l'intégralité de la

réplique de l'infante dans la première

scène de "La Reine morte" de Henry de

Montherlant sans être interrompue, ce

travail exemplaire lui valant le satisfecit

94

du Maître.

Ensuite si avec Yves-Pol Denielou, qui a

choisi de présenter la très difficile tirade

du coq extraite de "Chantecler" de

Edmond de Rostand, le travail, qui avait té

initié dansune précédente master classe,

progresse rondement, pour Anthony

Henrot et Julien Morin dans la scène de

"La double inconstance" de Marivaux où

Arlequin manifeste à Trivelin, l'officier du

palais, sa colère d'avoir été enlevé par le

Prince amoureux de sa fiancée Silvia, il

s'avère plus laborieux.

95

Jean-Laurent Cochet en profite pour

donner d'abondantes indications sur le

travail qui doit être fait en amont de celui

sur le texte, sur les personnages et

l'analyse critique détaillée de leur histoire

avant que ne commence la pièce et qui

expliquent la situation dramatique.

Pour la seconde partie, montent sur scène

des éléves-comédiens aguerris. Vincent

Simon, excellent dans le registre délicat

du drame intime et du conflit intérieur, et

François Pouron, respectivement dans les

rôles du personnage principal, Ian

96

Wiczewski, et de celui d'Erik Mac Clure,

donnent la scène de l'aveu muet extraite

de "Sud", la première pièce de Julien

Green, qui traite du drame de l'amour

homosexuel, un amour impossible et

condamné au silence dans l'Amérique du

19ème siècle.

Ensuite, Pierre Boucard et Thomas Ganidel

donneront un acte de la pièce "Lazare" de

André Obey auteur dramatique oublié qui

connu une belle notoriété dans la première

moitié du 20ème siècle et que Jean-

Laurent Cochet considère comme l'un,

97

sinon le, plus grand auteur dramatique de

son siècle notamment par la dimension

spirituelle de son oeuvre.

L'auteur aborde cet épisode du dernier

miracle du Christ avant sa crucifixion à la

fois dans sa signification biblique, la

révélation de son être divin et humain, et

métaphysique, sur le passage de la vie à la

mort et l'état de mort, en donnant la

parole à Lazare qui refuse de revenir dans

ce qu'il nomme "le mensonge du monde".

Le texte d'une éblouissante beauté et

d'une force d'évocation pour le moins

98

troublante est admirablement dispensé

par les deux jeunes comédiens.

Le cours s'achève sur une note d'humour,

celui facétieux de Alphonse Allais, avec un

de ses contes, "Les Templiers", dit par

Sylvain Mossot avant que Jean-Laurent

Cochet ne salue le public en lui souhaitant

de joyeuses fêtes.

99

EPILOGUE

Les master classes avaient repris, la vie

avait repris à la Comédie Française, cette

histoire avait fait la une des journaux

pendant une semaine puis comme beaucoup

d’histoires de ce genre, de faits divers

comme l’on dit dans les quotidiens,

l’affaire s’était tassée puis avait été

complètement oubliée. Lafleur avait vendu

bon nombre de photos il était devenu un

photographe important pour des

magazines, quant à Wenceslas il n’en avait

pas fini avec les enquêtes et de tout cela,

100

vous lecteur, allez le retrouver très

rapidement dans de nouvelles aventures…

A SUIVRE

FIN

101