80.000 exemplaires vendus, un succès et une « Presse » considé- rable. Il faut avouer que «Ce que j'ose dire» a de quoi séduire et combler les lecteurs les plus exigeants. Mary Marquet ose tout révéler sur son passé, sa carrière, ses amours. Elle dévoile des détails inédits de la vie de , d', de Maurice Escande, de Firmin Gémier, de , de de Max, d'Antoine. Elle brosse un portait exact d'André Tardieu, homme politique et hom- me passionné, avant d'aborder la création de « Christine », de Paul Géraldy, avec , puis son second mariage et sa vie conju- gale avec ce dernier... Un rapide « pas de deux » et voici Serge Lifar... La Danse nous mène à la Poésie, et aux Récitals qu'elle a créés en 1940. Puis la tragédienne se mue en actrice comique, et c'est le dernier volet de ce talent chatoyant et divers.

TOUT N'EST PEUT-ÊTRE PAS DIT... @ 1977 by Jacques Grancher, éditeur. MARY MARQUET

Tout n'est peut-être pas dit...

Jacques GRANCHER, éditeur Pensée Moderne 98, rue de Vaugirard, 75006 Paris OUVRAGES DU MEME AUTEUR

Ce que j'ose dire... Ce que je n'ai pas dit... Mes noces d'or avec la poésie.

A paraître : Caviar à la louche (roman). Je n'avais pas tout dit... (Mémoires, Tome IV.) Je dédie ce livre à ceux qui m'aimeront sans m'avoir connue.

... et aussi à Gaby Bruyère Vandam,

à qui je dois tant...

4 octobre 1972

PREFACE

A quelqu'un qui lui demandait des nouvelles de son père, la fille de Mounet-Sully répondit, paraît-il : « Papa ? Il descend de temps en temps de l'Olympe, fait une catastrophe et remonte parmi les dieux. » Il n'est pas surprenant que les êtres exceptionnels provoquent l'exceptionnel par leur seule présence, et tel ou tel événement, qui ne serait pas remarquable pour un personnage banal, devient gigantesque s'il concerne une personnalité hors-mesure. Mary Marquet fait partie de ces êtres de grande dimension et de haut voltage, qui cristallisent la démesure, l'insolite, voire le génie. Ses premiers livres de souvenirs nous l'ont bien montré par le récit de ses amours avec des célébrités de la Poésie, de la Politique et du Théâtre. De livre en livre le temps s'écoule, mais Mary Marquet résiste splendi- dement aux cruautés de l'âge grâce à la fidélité d'une mémoire sans faille. Si la femme d'aujourd'hui n'entraîne plus ses jambes dans le galop d'autrefois, les deux cents poèmes qu'elle a en tête — de La Fontaine à Georges Brassens — l'entraînent encore, eux, dans cet Olympe, où Mounet- Sully trouvait refuge, et qui est aussi celui des poètes. Là, elle respire librement l'air de sa jeunesse, lequel la maintient jeune. Les poètes qu'elle vénère ont droit de jour en jour à leur moment de vie. Elle dit un ou plusieurs de leurs poèmes pour elle-même si elle est seule, pour un ami s'il vient la voir, pour une foule si elle est là. Il lui est arrivé — sur la demande d'un huissier qui venait faire chez elle une saisie « rogative », de dire pour lui et son acolyte « Le Crapaud », de ! L'huis- sier pleura sur ses formulaires. Exemple, s'il en est, de l'exceptionnel créant de l'exceptionnel : quand a-t-on vu un huissier pleurer ? Sa mémoire infaillible ne sert pas seulement Mary Marquet dans les récitals de poésie, dont elle s'est fait une spécialité triomphante. Elle lui fournit aussi un fantastique réservoir de souvenirs, dans lequel elle puise pour notre joie. Et, tout naturellement, les gens qu'elle rencontre sont extraordinaires; ce qui lui arrive avec eux l'est aussi. Est-ce dans la vie qu'est la démesure ou dans le regard de l'écrivain ? J'ai dit le mot. Car ce qui est remarquable dans le cas de cette comédienne célèbre, c'est qu'en écrivant elle devient un écrivain. Chacun de ses chapitres est en soi une nouvelle, émou- vante ou irrésistible de drôlerie. La situation est cam- pée et les personnages vivent, crayonnés d'un trait dur ou tendre, mais étonnamment sûr. Mary Marquet était jusqu'ici une grande diseuse, elle devient un grand conteur. Je pourrais parler d'elle et de son livre plus longuement, mais je veux m'arrêter sur ce trait qui me paraît le plus beau compliment que je puisse lui adres- ser. Un autre encore auquel je tiens : elle est parfois cruelle, jamais méchante. Elle ne s'abaisse pas à régler des comptes. Au Théâtre, cela aussi est exceptionnel. André ROUSSIN, de l'Académie française. 1

LA BOITE AUX LETTRES

Un jour, j'étais avec des camarades, d'un talent sûr, mais dont les carrières étaient modestes. Comme nous évoquions notre jeunesse, la Comédie-Française et ce qu'elle fut, je m'écriai : — Quelle vie ratée ! — La mienne ? dit un des camarades. — Non. La mienne ! — Tu es folle ! — Mais réfléchissez. Le plus bel enfant, je ne l'ai plus; le plus beau théâtre du monde, j'ai dû le quitter. — Volontairement ! — C'est entendu, mais sur les boulevards, j'ai devant moi des artistes éminentes qui, avant que je ne vinsse les retrouver, avaient pris leur rang de vedettes. Je m'en sors, ce qui n'est pas mal, vu l'encombrement ! Mais ma fin de vie est ratée ! Le nom de mon père s'éteindra avec moi, et j'aurais tellement voulu en perpétuer la mémoire ! A propos de rien, dans la vie, il m'arrive fréquemment qu'un petit fait s'oppose à une réflexion méditée. On sonna. C'était mon voisin de palier, le général Pamart. — Vous êtes dans le grand Larousse, chère amie. — Il me semble que j'en aurais été avertie. Ouvrant une page : — Voilà, en haut, à gauche. Et je lis : « Mary Marquet, née en 1895 à Saint-Pétersbourg, Russie. Actrice française. Comédie-Française en 1923, sociétaire en 1927, à part entière en 1937. » — La photo est une affreuse reproduction, on ne cite pas mes meilleurs rôles, mais qu'importe, le nom de mon père ne s'effacera plus ! Et j'en ai éprouvé une joie profonde. J'allai fleurir son portrait. J'ai entendu un des comédiens dire sans une nuance d'envie : — Voilà quelque chose qui ne m'arrivera pas ! Je me souvins, alors, de ces paquets de lettres, accu- mulés et jaunis par le temps, qui remplissaient à eux seuls mon coffre, à la banque. — Il faudrait que je classe tout ça. Je vidai mon coffre dès le lendemain, et je mis deux ans environ à les relire. J'en ai compté huit mille ! Oui, vous avez bien lu : deux ans ! J'ai découvert que depuis plus de cent années, tous, nous avons tout gardé. Ma grand-mère Delphine avait conservé jusqu'au brouillon de la lettre qu'elle envoya à Mademoiselle de Montijo quand elle épousa Napoléon III. Celle, de Londres, où l'impératrice remercie ma grand-mère de porter le deuil de l'empereur. Je retrouvai de nombreuses lettres des auteurs à succès de l'époque : Dumas, Emile Augier, Pailleron, et celle d'un nommé Gozlan, homme d'esprit. - Chère Demoiselle Marquet, je vous offre un beau rôle. Puis-je vous voir demain ? Le temps que vous passerez à écouter ma pièce durera à peine deux heures, le plaisir que vous aurez à l'entendre durera toute la vie ! Et puis commencèrent les innombrables lettres que me valurent mes récitals poétiques pendant l'occupation; celles que je reçus à la mort de mon enfant; celles de Cellule 209, enfin, celles des Résistants qui se regrou- pèrent autour de moi et sollicitèrent ma rosette. J'ai retrouvé aussi les lettres des grands écrivains qui m'honorèrent de leur amitié : Montherlant, Claudel, Cocteau, Paul Fort, Paul Raynal, Courteline, Anna de Noailles, Colette. Enfin les lettres d'Edmond Rostand, d'André Tardieu, de Gémier, de Maurice Escande et de Victor Francen. Une à une, je les classai. Je supprimai tout ce qui se rapportait au théâtre jusqu'à la guerre. Le public n'y a place qu'à partir de mes récitals à Pleyel en 1940. Je mis deux autres années (eh, oui !) à les glisser dans des feuilles transparentes, puis dans des reliures appropriées. Patiemment je constituai mon trésor, au fur et à mesure de mes possibilités. Mais, quand j'eus trouvé les petits meubles d'acajou où je les plaçai, un à un et chronologiquement, ma chambre ressembla à un adorable bureau d'avoué. Si ces bureaux puent l'ennui, c'est que ce qu'ils renferment ne sont que des dossiers parfaitement ennuyeux, tandis que mes dossiers à moi sont plus précieux que des bijoux dans leurs écrins ! Cinquante volumes, où l'art et l'amour ne cessent d'être mêlés. C'est en outre une prodigieuse documentation sur la vie de Paris, de Louis-Philippe à Vincent Auriol. J'ai appelé au téléphone le camarade qui m'avait traitée de folle, quatre ans auparavant. — Si, comme moi, tu aimes à te souvenir, viens demain. Et le lendemain, en lui montrant le résultat de ma patience : — Crois-tu, quelle belle vie ! Et j'ignorais que, de ces lettres, naîtrait une « Femme de lettres » ! II

6, rue FOUCAULT (1942-1950)

UNE CROIX SUR LA CHAPELLE

J'ai le souvenir d'un bombardement, en 1944. L'après-midi, j'avais reçu un coup de téléphone d'un ami cher : Edouard de La Gandara, vieil antiquaire de quatre-vingts ans. Il avait son magasin et son apparte- ment quai Voltaire. Homme de goût, c'était le frère du peintre, il avait de beaux meubles et de charmants bibelots. L'amour de son métier était tel qu'un jour, il m'a dit ce mot : « Chez toi, on sent que les meubles sont heu- reux... » Mais, ce jour-là, sa voix était changée : — Maniouche, j'ai reçu une lettre anonyme. Pas un mot, seulement le dessin d'un cercueil... C'est affreux ! Je me suis renseigné, cela veut dire que je suis sur la liste noire... Pourquoi ?... Je ne fais de mal à personne, est-ce ma faute si les Allemands entrent dans mon magasin ? Si M. Gœring rafle ce que nous avons de mieux ? Que le monde est méchant !... » Et il pleurait, mon vieil ami. C'était la mode, alors. La « Résistance » envoyait des cercueils dessinés à ceux qu'elle visait. Pas la Résis- tance qui sacrifiait tout pour sauver notre pays, non, celle dont l'honneur consistait à préparer l'épuration, L'appartement du 6, rue de Foucault. Mary Marquet, antiquaire. Ma mère, en 1939.

ma mère, compagnie Max de Rieux, ès mes épreuves elle avait endurées ellement, en 1944. « Athalie » devant le Mur, à Orange. sans autre esprit de justice que celui d'assouvir des ran- cunes et des haines personnelles. A leur retour, Dieu que les vrais résistants ont dû en souffrir ! Je fis ce que je pus pour atténuer l'angoisse qui ter- rassait ce doux vieillard. Hélas, en vain ! Le soir, alerte. Elle eut lieu trop tard, les bombes tombaient déjà sur la Chapelle que la sirène hurlait encore. Edouard m'appela au téléphone : — Ma chérie, Montmartre est déjà en feu, j'ai peur. Oh, comme j'ai peur ! — Mon chéri, calme-toi. C'est loin, Montmartre. D'ailleurs, pourquoi ne vas-tu pas à la cave ? Et je continuais de m'habiller pour gagner le garage Fresnel. — Je ne peux pas me lever. Ce cercueil, reçu tantôt, m'a donné un spasme au cœur. Et maintenant ces morts, à la Chapelle... Je ne me décidais pas à partir tant que mon pauvre Edouard était au téléphone. Et puis, François était mort, je n'étais pas pressée de me mettre à l'abri ! — Maniouche, tu ne crois pas qu'ils vont venir sur le centre de Paris ? — Non, mon Edouard, sûrement pas. Où prenais-je cette assurance, moi si paniquée ? C'est qu'une de mes plus chères tendresses, c'est que le meil- leur ami de jeunesse de mon père me criait sa peur. Il me fallut partir à mon tour. La longueur du bombardement nous faisait tout crain- dre. Enfin, vers deux heures du matin, nous entendîmes la fin de l'alerte. Tout le monde restait dans la rue. « La Chapelle est en flammes. Il y a beaucoup de victimes. » En rentrant chez moi, je me précipitai au téléphone : — Allo, Edouard, c'est fini; tu vas pouvoir dormir en paix... Etonnée, ayant entendu l'appareil se décrocher, de ne pas entendre La Gandara : « Allo... Allo... », un san- glot répondit à mon dernier appel. — Il est mort, Madame ! Et la dévouée servante ajouta : — Mort ! Il vous a appelée, juste avant de mourir. Il voulait vous entendre une dernière fois... Mort, Edouard ! Frappé deux fois. Par qui ? Par des Français. Le fils Michelin était, à la Royal Air Force, un des chefs du bombardement. Comment peut-on envisager d'autres guerres, quand l'héroïsme et la bassesse anonyme s'associent étroite- ment pour tout détruire ! LA CHARRETTE ANGLAISE

J'ai eu des amis fidèles et bien courageux, pendant et après l'épuration : Maurice Escande, Catherine Fon- tenay, Renée Guilhène, Jean Weber, Denise Noël, Char- pini et Roger Gaillard. Ce dernier dînait chez moi quatre fois par semaine, et s'ingéniait à me distraire de tant de souffrances endurées. Son esprit étincelait et il joignait à une culture aisée, éblouissante, un don d'imi- tateur exceptionnel : De Max, Mme Segond-Weber, Mme Sarah Bernhardt revivaient par sa voix. Le 1er mai 1946 (vous verrez pourquoi je précise la date) mon téléphone sonne. — Allo. — Allo, Mme Mary Marquet ? Ici Mitty Goldin, directeur de l'A.B.C. (Ça, c'est Roger. Comme il prend bien son accent...) Jouant le jeu, je réponds. — Bonjour, Mr. Goldin. — Madame, puis-je vous voir à 18 heures? J'ai une proposition à vous faire. Seriez-vous opposée à votre passage dans mon music-hall ? De grands artistes y sont venus : de Max, entre autres. — Mais ce serait un honneur pour moi, Mr. Goldin. Et l'ironie donnait à mes intonations une suavité inha- bituelle. 'Mary

70ut n'est peut-être pas dit...

Après que Colette, la grande Colette, eut salué en Mary Marquet un nouveau prosateur, André Roussin de l'Académie Française dit, dans la préface qu'il lui a consacrée, qu'elle est un grand conteur. Qu'ajouter à cela ? Sinon qu'un humour constant ou une sensibilité profonde font d'elle également un mémorialiste complet. Après « CE QUE J'OSE DIRE» et « CE QUE JE N'AI PAS DIT», Mary Marquet nous propose « TOUT NEST PEUT- ÊTRE PAS DIT ». De tant de chapitres si riches en anecdotes, on peut détacher quelques-uns parmi les plus réussis : Édith Piaf, Cécile Sorel, Fellini, Minou Drouet, Marie Dubas, Mado Robin, une évocation saisissante d'Edmond Rostand à Cambo, dans sa propriété d'Arnaga et une messe de minuit dont le Pape est évidemment la vedette.

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