Studia Albanica
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ACADÉMIE DES SCIENCES D’ALBANIE SECTION DES SCIENCES SOCIALES STUDIA ALBANICA 1 LIe Année 2014 STUDIA ALBANICA _______ Conseil de Rédaction : Seit MANSAKU (Rédacteur en chef) Muzafer KORKUTI (Rédacteur en chef adjoint) Arben LESKAJ (Secrétaire scientifique) Francesco ALTIMARI Jorgo BULO Ethem LIKAJ Shaban SINANI Marenglen VERLI Pëllumb XHUFI © 2014, Académie des Sciences d’Albanie ISSN 0585-5047 Académie des Sciences d’Albanie Section des Sciences sociales 7, place Fan S. Noli AL-1000 Tirana STUDIA ALBANICA 2014/1 Matteo MANDALÀ L’ORIGINE DU MYTHE PÉLASGIQUE : GIROLAMO DE RADA ET GIOVANNI EMANUELE BIDERA 1. L’énoncé du problème 1. – Le problème que nous nous proposons de traiter sur ces pages concerne l’origine et la propagation du dit « mythe pélasgique ». Comme on le sait, ce mythe, tout comme ceux qui sont liés aux hauts faits des héros du panthéon albanais – Skanderbeg, Pyrrhus, Alexandre le Grand – a eu la grande chance, y compris littéraire, de prédominer tout au long du XIXe siècle, avec des conséquences significatives qui s’étendent jusqu’à la seconde moitié du siècle suivant. Aujourd’hui encore, ce mythe surgit de temps à autre, non seulement sous ses formes anciennes, avec les mêmes méthodes parascientifiques, mais d’ailleurs avec les mêmes objectifs et prétentions qu’il a eus depuis sa toute première manifestation : témoigner que les Albanais n’étaient (ni ne sont) rien d’autre que les descendants directs des Pélasges « sacrés et glorieux » dont a écrit initialement Homère. Laissant de côté le caractère non scientifique de certaines publications récentes que, bien entendu, nous n’allons pas prendre en compte ici, c’est le cas de souligner que l’intérêt actuel de ce mythe est justifié, sur le plan de l’histoire culturelle albanaise, par l’influence indiscutable qu’il a exercée sur le processus de la création de l’identité nationale qui a commencé par les ouvrages des intellectuels arberèches aux XVIIIe et XIXe siècles et, sur le plan historiographique proprement dit, par le besoin d’apporter une réponse plus fondée et documentée à deux questions fondamentales : 1) où et quand le mythe « pélasgique est-il né ? 2) s’agit-il d’un mythe créé pour la première fois par les Arberèches ou simplement d’une nouvelle forme élaborée du même mythe qui traversait l’histoire culturelle européenne depuis le XVIIIe siècle ? Il est clair 4 Matteo Mandalà que les deux questions sont liées entre elles et que, considérées sous l’aspect de la reconstitution historique de l’évolution idéologique de la culture albanaise, elles s’enchevêtrent inéluctablement avec une troisième question : à travers quels ouvrages ce mythe s’est-il répandu dans les Balkans ? Puisque cette dernière a déjà reçu une réponse satisfaisante, c’est justement à partir d’elle que nous allons essayer de répondre aux deux premières questions. 2. – Le mythe pélasgique apparaît pour la première fois dans le milieu balkanique vers la première moitié du XIXe siècle, bien des années avant la parution de l’ouvrage bien connu Albanesische Studien de Johann Georg von Hahn1, qui est souvent mentionné comme l’ouvrage qui a donné l’impulsion décisive à la propagation de ce mythe. Il y a beaucoup d’indications qui nous aident à préciser le temps et les modalités de cette apparition. La première indication chronologique se trouve dans la dernière partie d’un bref article publié à Leipzig par Hermann Buchholtz, que Girolamo De Rada rapporte en guise d’avant-propos dans son petit livre Conferenze su l’antichità della lingua albanese e grammatica della medesima2. Buchholtz assurait le lecteur que le poète arberèche avait fait publier « son enquête et son argumentation sur les Pélasges antiques et les Albanais… pour la première fois en 1943 dans le Lucifero et encore une autre fois dans les Passeggiate d’Emanuele Bidèra. En 1845, elles ont été imprimées pour la troisième fois par Tommaso Pace à Athènes dans le périodique appelé Minerva ; et en 1850 elles ont été acceptées par Hahn qui les a soutenues davantage et les a fait connaître dans toute l’Europe »3. 1 Voir Johann Georg von Hahn, Albanesische Studien, F. Mauke, Jena, 1854. 2 Girolamo De Rada, Conferenze su l’antichità della lingua albanese e grammatica della medesima, Tipografia di Francesco Mormile, Napoli, 1893. 3 « ...la sua inquisizione e argomentazione su gli antichi Pelasgi e gli Albanesi… per la prima volta nel 1843 in Napoli nel Lucifero e ancora una volta nelle Passeggiate di Emmanuele Bidhéra. Nel 1845 le stampò per la terza volta Tommaso Pace in Atene nel periodico intitolato Minerva; e nel 1850 le accettò Hahn, le appoggiò ancora e le fece conoscere in tutta l’Europa », in « Girolamo De Rada su i Pelasgi e gli Albanesi. Critica di Ermanno Buchholtz , pubblicata nella Letteratura internazionale di Lipsia su l’operetta di Girolamo De Rada Pelasgi e Albanesi edita in Napoli nel 1890 » premesso a Girolamo De Rada, cit., f. 4. L’origine du mythe pélasgique : G. De Rada et G. E. Bidèra 5 Tout en affirmant que cette reconstitution est basée sur les affirmations de De Rada vingt ans auparavant dans son petit ouvrage portant le titre Antichità della Nazione Albanese e sue affinità con gli Elleni e i Latini4 et plus tard dans l’article Pelasgi ed Elleni publié dans le Fiamuri Arbërit en 18855, on doit dire que la traduction de Tommaso Pace (1807-1885), un Arberèche originaire du village San Costantino Albanese, contraint à émigrer en Grèce à cause de son activité patriotique6, a joué un rôle décisif pour la pénétration du mythe de l’origine pélasgique des Albanais dans les Balkans, d’abord en Grèce, puis en Roumanie et finalement en Albanie, où il a connu du succès et un large écho chez les écrivains albanais de la seconde moitié du XIXe siècle. Le seul point douteux restait la date de la publication de la traduction de Pace, qui, comme le dit Dhimitër S. Shuteriqi, doit être établie en 1846 et pas, comme l’affirme De Rada, en 1845 : « De Rada se méprend lorsqu’il nous dit que l’article [de Pace] a paru dans le périodique Minerva en 1844 [sic !]. Thimi Mitko le savait lui aussi, mais ce dernier en situait la publication dans le périodique Athina du 24 mars 1846, à son numéro 1304, ce qui résulte être exact, car c’est à cette même année que la situe aussi l’Arberèche Vincenzo Dorsa dans un écrit de 1847 »7. 4 Voir Girolamo De Rada, Antichità della Nazione Albanese e sue affinità con gli Elleni e i Latini, Napoli, Stamperia dell’Industria, 1864. 5 Girolamo De Rada, « Pelasgi ed Elleni », in Fiamuri Arbërit, anno II, 20 settembre 1885, n. 5, Cosenza, 1885, pp. III-VIII. Dans la note (2) de la page V De Rada écrit : « Nel 1843 pubblicai nel Lucifero e poi in una nota alle Passeggiate intorno Napoli di Emm. Bidera quelle che a me parvero divinazioni d’un passato preistorico. Le quali il mio connazionale Tommaso Pace da S. Costantino ripubblicò in Athene nella Minerva nell’ottobre del 1845. Dopo il 1859 l’Europa poté considerarle illustrate e confortate da Hahn ». 6 Voir Francesco Altimari, « Il ruolo degli intellettuali arbëreshë nella rilindja albanese e nella storia culturale del Mezzogiorno », in Riflessioni sul mezzogiorno. Comunità arbëreshe e risorgimento italiano, a cura di Mario Brunetti, Collana dell’Istituto Mezzogiorno-Mediterraneo, 3, Rubbettino editore, Soveria Mannelli, 2004, p. 87. 7 Dhimitër S. Shuteriqi, « Një rilindës e botues i parë i folklorit arbëresh në shek. XIX, Thoma Paçe », in Marin Beçikemi dhe shkrime të tjera, éditions « Naim Frashëri », 1987, p. 169. 6 Matteo Mandalà D’où la reconstitution explicative de Francesco Altimari : « En fait, l’essai de De Rada, qui a été repris par le revue athénienne, a été réédité traduit un an plus tard dans la revue Curieru Român de Bucarest par Eliade Rudulescu. Dans le contexte balkanique, les Albanais de Roumanie étaient les plus avancés du point de vue politique et parmi eux il y avait aussi celui qui est considéré aujourd’hui comme le précurseur de la Renaissance nationale albanaise, Naum Veqilharxhi. Les intellectuels arberèches, de leur côté, poussés par le succès qu’avait connu l’essai de De Rada parmi les Albanais de Roumanie, ont pris courage pour continuer sur le même chemin : dans un article qui a été publié par la revue Il Calabrese de Cosenza en 1847, une lettre ouverte que De Rada adressait au jeune Vincenzo Dorsa, originaire de Frasnita, écrivait que Pace avait reçu de Valachie un colis de livres en albanais avec une lettre qui disait : La nouvelle que notre langue est conservée en Italie nous a rempli les cœurs de joie ici en Albanie. Et il conseillait au jeune Dorsa d’exhorter Santori à publier au plus vite un ouvrage à lui. Tandis que, dans son Autobiographie, il écrit : « Ces succès et cette lettre m’ont amené définitivement à consacrer mes créations poétiques au rehaussement de la vie et de la langue de ma Nation aussi noble que malheureuse »8. Les précisions de Shuteriqi et la reconstitution que fait Altimari ne diminuent pas la valeur du rôle joué par De Rada dans la propagation du « mythe pélasgique » ni ne mettent en cause l’importance qu’il a eue au cours de cette phase clé pour l’affirmation du mouvement de la Renaissance nationale albanaise. Au contraire, si la Renaissance a acquis cette sorte d’homogénéité idéologique qui, comme l’a remarqué Francesco Altimari, lui a permis non seulement de revendiquer « le droit à l’émancipation culturelle et politique de sa communauté nationale » et de témoigner que les Albanais avaient une histoire ancienne qui les justifiait aux yeux des milieux intellectuels européens, mais aussi de se transformer en un mouvement 8 Voir Francesco Altimari, « Il ruolo degli intellettuali arbëreshë », op.