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Mot du président

Forte d’un passé de plus de 80 ans, la Société d’histoire de Cap-de- la-Madeleine est encore habitée par les objectifs que s’étaient don- nés ses fondateurs : connaître et diffuser l’histoire de Cap-de-la- Madeleine. La revue que vous tenez entre vos mains en représente le témoignage. Néanmoins, il existe un changement, qui est de l’ordre de l’orientation. En effet, depuis plusieurs années mainte- nant, une plus grande ouverture est faite à l’histoire régionale, car Cap-de-la Madeleine n’est pas une île, comme l’enseigne l’histoire de son industrialisation et les crises qui ont marqué le XXe siècle, par exemple.

La création de la revue Empreintes découle de la même réflexion d’ouverture par rapport à l’histoire régionale. Empreintes, Revue DANS CE NUMÉRO d’histoire de la Mauricie et du Centre-du-Québec, a connu une belle réception de la part des amis de l’histoire, que l’on découvre avec Le mémoire de la Cité du bonheur plus nombreux qu’on ne l’estimait. Signe de cette appré- Cap-de-la-Madeleine devant la ciation, la Société d’histoire de Cap-de-la-Madeleine s’est méritée le Commission royale d’enquête Prix du patrimoine Benjamin-Sulte à l’occasion de l’édition 2018 sur les problèmes des Grands prix culturels de Trois-Rivières. Nous sommes fiers de constitutionnels en 1954 6 cette marque de reconnaissance.

Les défis du maire Ce numéro du nouveau Madelinois, le dixième de la série, est une André Julien 12 production de l’équipe de direction de notre Société, solidement appuyée par Stéphanie Massé et Benoît Leblanc. Cette équipe a Corruption, police, petites conçu le projet et lui a donné un thème unificateur. De plus, elle a 18 convenu de travailler à la préparation du numéro de la revue en et grandes politiques rédigeant la plupart articles. « Les années Julien : 1951-1960. An- Pauline Julien. Une jeunesse dré et Pauline Julien » est apparu comme un thème porteur, révé- madelinoise 25 lateur d’un dynamisme nouveau tant dans la gestion des affaires municipales, grâce au maire André Julien, qu’à travers l’extraordi- Le congrès marial de 1954 31 naire volonté de dépassement artistique de Pauline, sa sœur ca- dette. Éléments bâtis et perspectives Notre projet a reçu l’appui financier de la Ville de Trois-Rivières, visuelles d’intérêt le long de la rue Notre-Dame Est au de la Société Saint-Jean-Baptiste, section de Cap-de-la-Madeleine, 38 de madame Sonia LeBel, députée du comté de Champlain à Cap-de-la-Madeleine l’Assemblée nationale du Québec, du Centre interuniversitaire d’études québécoises et du Département des sciences humaines de Le journal Nos Droits et la -Rivières. Madame Lise Julien a ai- propagande de l’, l’Université du Québec à Trois 43 mablement donné accès à un album photographique familial. Nos 1948-1964 remerciements s’adressent à tous. Photo couverture : André Julien, Maurice Jean Roy Bellemare et . Fonds privé de Lise Julien.

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80 a ns d’implication 1939-2019

Il y a 20 ans la SHC fêtait ses 60 ans d’exis- tence avec l’un de ses membres fondateurs,  Maurice Loranger. Deux animateurs de la SHC (1) Rita Champoux, présidente en 1999, a réuni un impressionnant dossier de presse des années du maire Desrosiers, 41 cahiers (scrapbook) de textes et de photos. Maurice Loranger, historien du Cap-de-la- Madeleine. (2) Maurice Loranger et Jacques Bettez

Soixantième anniversaire (1999) de la Société d’his- toire de Cap-de-la-Madeleine (3) De gauche à droite, Gérald Binette, Rita Cham- poux, présidente, Armand Leblanc, Maurice Loran- ger, François Dufresne, Maurice Thellend, Françoise Lemarier, Jacques Bettez, Louis-Philippe Hébert, Jean-Paul Massicotte et René Coulombe. Fonds SHC. ②

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Le nouveau Madelinois est produit par la société d’histoire Présentation de Cap-de-la madeleine et est distribué gratuitement. En 1954, la population de Cap-de-la-Madeleine est à l’image des Le conseil d’administration autres villes industrielles qui se développent à un rythme impres- sionnant dès l’après-guerre, profitant de la conjoncture d’une forte Jean Roy, président urbanisation, de l’exode rural et du baby-boom. Alors que Cap-de-la- Chantale Dureau, vice- Madeleine compte un peu plus de 9 000 Madelinois en 1933, vingt ans présidente et secrétaire plus tard, ils sont trois fois plus nombreux. Alain Tapps, trésorier Clémence Bélanger Hugues Brunoni Ce numéro du nouveau Madelinois explore les répercussions, explore Maélie Richard, directeurs les répercussions de l’industrialisation, sur le système municipal, à travers à travers les trois administrations consécutives d’André Ju- Coordonnateur lien, dont les réformes et les réalisations, animées autant par une Alain Tapps volonté d’assainir la gestion au sein de la ville et du conseil munici- pal que par la pression qu’exercent le développement de la ville sur Comité de lecture l’urbanisation et les finances ont marqué la mémoire collective du Jean Roy Alain Tapps Cap-de-la-Madeleine.

Collaborateurs « Les années Julien » propose deux histoires parallèles qui s’entre- Chantale Dureau croisent et s’entremêlent : le destin d’un jeune commerçant et Marie-Ève Fiset l’émergence au monde des arts de sa sœur sont placés dans un décor Pierre-André Julien madelinois et contemporain aux deux acteurs principaux, Pauline Maélie Richard Daniel Robert et André. Maélie Richard plante ce décor. Il s’ouvre pour la Com- Jean Roy mission Tremblay de janvier 1954, dans un contexte où la centrali- Alain Tapps sation du gouvernement fédéral se fait de plus en plus envahissante alors que la province réclame que son autonomie soit protégée. Réviseure Stéphanie Massé Suivent les défis du maire Julien, à travers les contributions d’Alain

Conseiller lingustique Tapps et de Pierre-André Julien qui évoque des souvenirs des trois Benoît Leblanc campagnes à la mairie de son père. Chantal Dureau dresse ensuite un portrait tout en finesse sur la jeunesse madelinoise de Pauline Graphisme ainsi qu’une chronologie de ce que l’on pourrait qualifier de fabrique Chantale Dureau de la grande artiste.

Impression Marquis En 1954, Cap-de-la-Madeleine est également le lieu privilégié par l’Église pour déployer une reconquête spirituelle du peuple cana- Dépôt légal-ISSN 1920-0285 dien, en centrant celle-ci sur la figure de Marie-Immaculée et du Bibliothèque et Archives culte marial. Jean Roy retrace l’incroyable périple de la Madone à nationales du Québec travers le Canada. Ensuite, Marie-Ève Fiset propose un parcours le Bibliothèque et Archives du long de la rue Notre-Dame Est, avec quelques arrêts sur image par Canada rapport au patrimoine bâti du « bas du Cap ». En fin de numéro, la Date de parution : novembre 2019 contribution de Daniel Robert raconte l’histoire du journal local Site internet : Nos Droits (1948-1964), organe de propagande de l’Union nationale. histoirecapdelamadeleine.ca

En collaboration

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Le mémoire de la Cité du Cap-de-la-Madeleine devant la Commission royale d’enquête sur les problèmes constitutionnels en 1954

Maélie Richard

Au tournant de la décennie 1950, plusieurs voix s’élèvent pour dénoncer la centralisation envahissante du gouvernement fédéral. Les conférences fédérales -provinciales ainsi que la corres- pondance et les rencontres entre le gouvernement unioniste de Maurice Duplessis et le premier ministre libéral Louis Saint- Laurent n’aboutissant à aucune entente, la mise sur pied d’une Commission royale d’enquête sur les problèmes constitution- nels est suggérée pour mieux protéger l’autonomie provinciale et pour tenter de trouver des solutions aux empiètements fé- déraux. La loi créant la commis- sion est sanctionnée le 12 février 1953. Maurice Duples- sis nomme six commissaires et accorde la présidence au juge en chef de la cour des sessions, Tho- mas Tremblay.

La Commission royale d’enquête sur les problèmes constitution- nels, mieux connue sous le nom de Commission Tremblay, s’inté- resse principalement aux pro- blèmes d’ordre législatif et fiscal ainsi qu’aux relations fédérales- provinciales dans un contexte de politiques centralisatrices M. Duplessis décore l’honorable juge Thomas Tremblay au banquet de la fête d’après-guerre. En effet, bien du Mérite agricole à l’exposition provinciale de Québec en 1948. BAnQ, que certains domaines comme E6,S7,SS1,P65851. l’éducation soient de juridiction

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provinciale, le gouvernement J.-Édouard Biron et André Julien à l’Hôtel de ville de Cap-de-la-Madeleine en fédéral intervient fréquemment 1956, AMSHR, Fonds Le Nouvelliste. dans ce secteur. Le journal La Presse du 21 février 1953 définit le rôle de la Commission royale Le 14 janvier 1954, J.-Édouard duits dans la ville pour ensuite d’enquête comme devant s’inté- Biron, trésorier de la ville de Cap- résumer les embûches ainsi que resser aux « [Problèmes] de la de-la-Madeleine présente à la les solutions proposées au gou- répartition des impôts entre le Commission qui siège au Palais vernement. pouvoir central, les provinces, de Justice de Trois-Rivières le les municipalités et les corpora- mémoire de la municipalité, LA TRAME DE FOND tions scolaires, l’empiètement du dont il est signataire. Il identifie pouvoir central dans le domaine les quatre problèmes administra- Au cours des vingt dernières an- de la taxation directe, la réper- tifs auxquels la municipalité fait nées, la population de Cap-de-la- cussion et les conséquences de face lorsqu’il s’agit de préparer Madeleine a plus que doublé, ces empiètements dans le régime le budget. Il suggère aussi des passant de 9 110 personnes en législatif et administratif de la pistes de solution susceptibles 1933 à 13 000 en 1943, puis province et dans la vie collec- d’assurer son développement. 21 400 en 1953. La forte indus- tive, familiale et individuelle de Voyons de plus près en commen- trialisation de l’après-guerre et la population ». çant par identifier les principaux la proximité de la ville de Trois- changements qui se sont pro- Rivières ont favorisé et favori-

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sent encore son développement, d’une manière si rapide qu’il a provoqué une nécessaire hausse des services administratifs et des dépenses inhérentes à la crois- sance urbaine. Il en résulte que la ville n’est pas en mesure de couvrir ces coûts sans recourir à un endettement qui annihile les efforts mis à assainir les fi- nances. Le mémoire décrit les quatre problèmes majeurs qui affectent la gestion des affaires municipales.

SOURCES DES REVENUS INSUFFISANTES POUR PARER AUX BESOINS DE PLUS EN PLUS GRANDS DES SERVICES MUNICI- PAUX

Au tournant des années 1950, les déficits élevés et répétés (14 607 $ en 1951 et 115 610 $ en 1952) causent problème aux ges- tionnaires. Malgré une hausse marquée de la taxe foncière, la municipalité essuie encore un déficit de 48 797 $ dans son bud- get de 1953. Cette année-là, le taux de taxe foncière est porté de 1,70 $ à 2,50 $. Elle s’ajoute Rue Fusey, près du rond-point et du pont en septembre 1958. En quelques aux autres taxes municipales, décennies le Cap-de-la-Madeleine s’est transformé en une zone urbaine. telles que celles reliées à la cueil- AMSHR, Fonds Le Nouvelliste. lette des ordures ménagères, aux amusements, aux trottoirs et à la taxe de vente. d’atteindre l’équilibre budgé- autre dépense extraordinaire, taire, et l’oblige à faire de nou- quand ce n’est pas pour consoli- La rehausser serait encore faire veaux emprunts. der les déficits budgétaires répé- reposer sur la propriété foncière tés. La dette consolidée reste le poids toujours lourd de l’ad- COÛT EXCESSIVEMENT ainsi très élevée. En effet, alors ministration. La même année, la ÉLEVÉ DU SERVICE DE qu’elle était approximativement taxe foncière représente 50 %, la LA DETTE CONSOLIDÉE de 600 000 $ en 1928, de 1,2 mil- taxe de vente 14,5 % et la taxe lion $ au sortir de la guerre, elle d’eau, 15 % du revenu total de Faute de revenus suffisants, les atteint 2,5 millions $ au début la municipalité. Les pressions élus doivent recourir aux em- de l’année 1953, soit une hausse mises pour augmenter et amélio- prunts à longue échéance pour de plus de 400 % en 25 ans. rer les services municipaux font apporter des améliorations im- que la ville n’est pas en mesure portantes, pour engager toute

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La principale cause de cette aug- mentation est la généralisation de l’utilisation des automobiles et des camions. Le flot de la cir- culation lourde, l’entretien hi- vernal et les réparations plus fréquentes au système routier requièrent des travaux inces- sants. Par exemple, au début des années 1950, le pavage des deux principales artères, les routes 2 et 19 (138 et 157, aujourd’hui) a coûté plus de 150 000 $.

Or, fait-on remarquer aux com- missaires, les citoyens ne sont pas les seuls usagers de la route. « S’il est admis que dans les villes ce ne sont pas les proprié- taires fonciers qui possèdent le plus d’automobiles et de ca- mions, il n’est certainement pas juste qu’ils soient les seuls à payer pour toutes les dépenses entraînées par l’ère des véhicules -moteurs ». Pourtant, la ville ne perçoit aucun revenu provenant des véhicules moteurs. Aucune compagnie de transport n’est établie à Cap-de-la-Madeleine, même si elle est traversée par une route provinciale, une route Le tiers de cette dette a été con- DÉPENSES ÉNORMES régionale et animée par une in- tracté pour les travaux de voirie ENCOURUES CHAQUE tense circulation des véhicules et de pavage, un quart pour le ANNÉE POUR L’ENTRE- lourds qui endommagent ses service d’hygiène, un autre TIEN ET LA CONSTRUC- grandes artères. Pourquoi re- quart pour le service de l’aque- TION DES RUES viendrait-il aux seuls proprié- duc et le reste représente la con- taires fonciers de rembourser la solidation des déficits. En 1954, La voirie est le service qui a vu dette de 965 000 $ du service de la municipalité doit débourser son budget croître le plus rapide- voirie et en payer les intérêts ? 220 980 $ pour le service de la ment, au point de déséquilibrer dette obligataire : c’est plus de la le budget total de la ville. En LE COÛT SANS CESSE moitié du montant rapporté en effet, en 1945, l’entretien, la ré- CROISSANT DE L’ASSIS- 1953 par la taxe foncière et cela paration et la construction de TANCE PUBLIQUE représente près de 30 % des dé- nouvelles routes nécessitaient penses annuelles totales de Cap- 58 114 $. En 1952, les 61 milles Les premières interventions si- de-la-Madeleine. de rues ont fait monter la dé- gnificatives du gouvernement pense à 131 563 $. provincial dans le domaine de l’assistance publique ont lieu en 1921 avec l’adoption de la Loi

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Plan présentant Trois-Rivières et Cap-de-la-Madeleine en 1930, compilé et 5 783 $ en 1933, puis 7 037 $ en préparé par Roméo Morrissette, I.C., ingénieur de la cité du Cap-de-la- 1943, est devenue un lourd far- Madeleine. Bibliothèque et Archives Canada (BAC). deau en 1953 passant à 85 481,55 $. Il s’agit d’une dé- pense aussi considérable que sur l’assistance publique. Cette municipalités et donc, du même celle de l’administration générale loi assure les frais d’hospitalisa- coup, pour les petits proprié- et qui représente 12 % des dé- tion des indigents placés en insti- taires. penses de l’année courante. tution. Les coûts sont partagés également entre le gouverne- À Cap-de-la-Madeleine, le pro- LES PISTES DE SOLU- ment provincial, la municipalité blème est devenu aigu surtout à TION et l’institution. En 1932, année partir de 1950. Il en coûte cinq de crise économique et de chô- fois plus en 1953 qu’en 1949 Dans la perspective d’un accrois- mage, le secours direct est versé pour l’assistance publique. Le sement des revenus des villes, en aide aux citoyens valides sans bureau du Bien-être public doit Cap-de-la-Madeleine présente exiger de travail en retour. Le mettre à exécution les prescrip- des pistes de solution au gouver- partage des coûts de tels pro- tions de la loi provinciale de nement provincial. Ainsi, il est grammes se fait par tiers entre le l’assistance publique et de la loi suggéré de légiférer pour donner fédéral, le provincial et la muni- des écoles de la protection de la la possibilité aux municipalités cipalité. Sans assurance hospita- jeunesse. Ces lois provoquent d’imposer de nouvelles taxes. lisation ni assurance maladie, le l’augmentation du nombre de Québec doit aussi prendre à sa bien être public est du ressort personnes assistées à chaque an- charge la dette consolidée des des municipalités. Certes, le gou- née. Alors qu’en 1933 seulement municipalités ou, du moins, or- vernement provincial verse des 27 personnes avaient besoin de ganiser un plan de refinance- octrois discrétionnaires pour ai- l’assistance publique, ce chiffre ment des dettes obligataires afin der l’administration municipale. augmente à 84 dix ans plus tard d’obtenir des taux d’intérêts Néanmoins, le fardeau devient et à 866 en 1953. L’assistance plus favorables. de plus en plus lourd pour les qui coûtait à la municipalité

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giférer pour restreindre la durée de ces exemptions temporaires.

Le mémoire de la ville de Cap-de -la-Madeleine dresse un tableau alarmant de la gestion des fi- nances municipales plombées par des déficits annuels récur- CAP-DE-LA-MADELEINE rents. Le présenter à la Commis- sion royale d’enquête sur les problèmes constitutionnels lui a donné l’occasion de se faire en- tendre. Des suggestions ne lui manquent pas pour accroître ses revenus, tenter de redresser ses finances et ainsi éviter de nou- velles hausses importantes des taxes foncières et spéciales.

Dans le rapport qu’elle publie le 6 avril 1956, la Commission Des octrois ou des compensa- Parmi les autres mesures secon- royale d’enquête fait écho aux tions pour la construction et daires proposées citons l’exemp- doléances des villes, dont celle l’entretien des routes provin- tion de la taxe fédérale de 10 %, de Cap-de-la-Madeleine : « Il ciales et régionales sont aussi de la taxe de vente provinciale faut en particulier souligner les mises de l’avant. Comme ces de 2 % et de la taxe d’éducation répercussions sur notre système routes servent aux étrangers de 1 % ; le versement d’octrois municipal de la révolution in- encore plus qu’aux citoyens, on équivalents aux taxes foncières dustrielle qui s’est produite dans juge que Québec est en mesure et spéciales pour les bâtiments notre Province, de l’exploitation de verser, à même les revenus appartenant aux gouverne- intensifiée de certaines res- qu’il tire de l’enregistrement des ments fédéral et provincial. De sources naturelles, de l’évolution licences de véhicules-moteurs et telles subventions sur les bâti- démographique et de la réforme de la taxe sur les carburants, les ments exemptés permettraient subséquente des structures so- compensations nécessaires au d’obtenir un revenu supplémen- ciales. Ces phénomènes ont développement des municipali- taire évalué à 40 228,27 $. transformé jusqu’à un certain tés et du service de la voirie. point les responsabilités des mu- La dernière suggestion du mé- nicipalités et en particulier leurs Afin de dégager des surplus, la moire touche les industries éta- obligations financières. » prise en charge entière des frais blies sur le territoire. Lors de liés à l’assistance publique est leur implantation, il leur fut Le gouvernement de Maurice aussi demandée, de telle sorte octroyé des exemptions tempo- Duplessis n’a pas adopté le rap- que ce serait plus de 85 000$ par raires de taxes. En 1953, le rôle port de la Commission Trem- année qui pourraient servir à d’évaluation démontre que plus blay, bien qu’il rejoignît sur plu- d’autres services municipaux. Ce de 1,7 millions $ en bâtiments, sieurs points sa pensée autono- serait un montant suffisant pour terrains et machineries sont miste. Néanmoins, il en résulta effacer le déficit de 48 797 $ de exemptés temporairement pour une prise de conscience des la- l’année 1953. les industries de Cap-de-la- cunes et des différents pro- Madeleine. Le gouvernement blèmes économiques et sociaux. provincial a la possibilité de lé- Ainsi, il éveilla au changement.

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Les défis du maire André Julien

Alain Tapps

L’urbanisation s’accélère dans le Québec de l’après-guerre. Cap-de- la-Madeleine n’échappe pas au mouvement. Entre 1941 et 1951,

. Entrevue avec André Julien à son bureau en 1956. AMSHR, Fonds Le Nouvelliste. Prônant une gestion efficace des fonds publics, Julien travaille à sont dressées devant le maire. gumes, il fait partie des notables mettre en place une administra- Voyons comment il s’en est tiré. de la ville de Trois-Rivières qui tion non partisane pour mieux alimentent les carnets mondains faire face aux problèmes du dé- UN CITOYEN ENGAGÉ du Nouvelliste. Très impliqué veloppement de la ville. Puis dans la communauté d’affaires voilà que se dresse devant lui le André Julien est né le 16 janvier et la vie culturelle, il est entre député unioniste du comté de 1906 à la Baie-de-Shawinigan, il autres président de la Chambre Champlain, Maurice Bellemare, est le fils d’Émile Julien et de de commerce en 1949, directeur qui dévoile ses ambitions pour le Marie-Louise Pronovost. Il de- de l’Association des marchands poste de maire. Durant ses man- vient grossiste en fruits et lé- détaillants, membre de la Société dats, beaucoup d’embûches se

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St-Jean-Baptiste et du Comité L’ÉLECTION DE 1953 belliqueux qui paralyse la ville de prévention contre les incen- tout en prônant « une adminis- dies. Il chante au sein de la cho- Après un début de mandat rela- tration de concorde et d’harmo- rale Notre-Dame dont il assume tivement calme en 1951, les nie ». Le 7 juillet, Julien est élu aussi la trésorerie et la prési- crises se succèdent régulièrement sans équivoque avec 78,6 % des dence. L’un de ses premiers entre le maire Roméo Morris- votes. Trois nouveaux échevins gestes en politique est la signa- sette et ses six conseillers, no- l’accompagnent. ture du bulletin de présentation tamment au sujet de la nomina- de Maurice Duplessis le 11 août tion au poste d’ingénieur-gérant LES PROBLÈMES D’UNE 1936. Six jours plus tard, il est (directeur-général de nos jours). VILLE EN EXPANSION un des présidents de l’assemblée Il semble aussi que l’ombre du électorale du futur premier mi- député unioniste Maurice Belle- À son arrivée à la mairie, Julien nistre à la salle Notre-Dame. mare plane derrière la bisbille. fait face à la forte croissance ur- Citoyen madelinois depuis Les élections de 1953 sont en- baine qui se manifeste depuis la quinze ans, sollicité et poussé clenchées. Pas moins de seize fin de la guerre. L’essor démo- par des amis, jouissant de l’ap- candidats se présentent aux dif- graphique connaît plusieurs rai- pui de l’organisation du Jeune férents postes. À la mairie, Ro- sons. Outre le baby-boom, l’arri- commerce, André Julien se lance méo Morrissette, le maire sor- vée de la population rurale con- dans la course à la mairie en tant, et René Huleybroeck font tribue fortement à cette poussée. 1953. la lutte à Julien. Ce dernier s’at- En effet, l’exode rural, ralenti taque surtout à Morrissette, lui par la crise économique, a repris reprochant un comportement de plus belle pendant la guerre : plus de 3 000 personnes migrent des régions environnantes vers les industries métallurgiques et textiles madelinoises. De 8 748 personnes en 1931 à 11 961 en 1941, la population passe à 18 667 en 1951 dont 71 % ont moins de 34 ans. Au cours de la décennie suivante, l’augmenta- tion se poursuit grâce à un ac- croissement de 44,2 %. Lors des deux dernières années du man- dat de Julien, 800 nouveaux lo- gements s’érigent à Cap-de-la- Madeleine. En conséquence, la ville est en construction tout au cours de la décennie, entraînant des coûts très importants sur le plan des infrastructures. La ville compte aussi des démunis et le bien-être social, compétence mu- nicipale, gruge lui aussi une bonne partie du budget.

André Julien et son épouse Laurette Lampron lors lors d’une convention des fruitiers en 1950. Fonds privé de Lise Julien.

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laquelle il congédie le chef de police et au moins deux autres policiers. Un mois plus tard, il nomme de nouveaux constables et s’assure surtout les services d’un nouveau chef de police de carrière (GRC et police provin- ciale), H-R Lachance, qu’il a recruté sur la Côte-Nord. Les qualités du policier font en sorte qu’il se hisse rapidement au poste de président du Bureau de l’Association des chefs de police et pompiers du Québec.

Une autre bonne façon d’éviter le patronage est aussi de se doter d’un plan d’urbanisme pour bien prioriser les besoins collectifs. En 1955, la ville reçoit un octroi du gouvernement provincial pour préparer ce plan, mandat qu’elle confie à l’urbaniste Be- noît Bégin. Pendant ce temps, on révise ou rédige de nouveaux Conférence de Benoît Bégin (au centre) à la Chambre de commerce des jeunes du Cap-de-la-Madeleine en février 1959. AMSHR, Fonds Le Nouvelliste. règlements pour mieux encadrer le développement urbain.

Dans ce contexte, faut-il se sur- seil de ville. Le patronage est ASSAINISSEMENT DES prendre qu’au cours des trois omniprésent : on retrouve sou- FINANCES MUNICIPALES mandats de Julien la majorité vent un personnel peu qualifié et des résolutions concernent les des politiques de développement Outre la gestion quotidienne, la infrastructures municipales et où les intérêts particuliers prédo- question de la dette préoccupe le exigent une gestion serrée des minent. Enfin, les villes sont à la conseil. L’émission d’obligations budgets ? Les élus veillent à merci des octrois gouvernemen- et la demande d’octrois au gou- l’autorisation d’installer l’éclai- taux, donc au bon vouloir de vernement sont récurrentes. rage dans les rues, à l’extension l’Union nationale et de ses inté- Pour les années 1954-1955, du réseau d’aqueduc, à l’achat rêts partisans. Il y a donc beau- l’aqueduc, les taxes foncières et de lisières de terrain pour élargir coup à faire pour amorcer le de vente représentent plus de les voies et à celui des équipe- changement. 82 % des revenus. Les travaux ments lourds. publics (17,1 %), le bien-être L’un des premiers gestes impor- public (14,6 %), l’aqueduc UN NOUVEAU TYPE DE tants de Julien porte pourtant (14,4 %) et l’administration GESTION sur un autre secteur que celui (11,6 %) représentent des dé- des infrastructures. Ce faisant, il penses importantes. Le service André Julien est un héritier des donne un signal clair sur le type de la dette gruge 21 % du bud- façons de faire de son époque. de gestion qu’il entend mener. get annuel. Le premier budget Ainsi, seuls les propriétaires ont Le 9 octobre 1953, trois mois de Julien prévoit un déficit de droit de vote au municipal et les après son élection, il convoque 111 793 $, mais on rectifie le tir notables locaux siègent au con- une séance spéciale au cours de dès 1955 avec la présentation

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d’un budget équilibré. À la réu- nion du conseil du 22 mars 1954, le taux de taxation passe de 2,00 $ à 2,50 $. À l’automne de la même année, on demande aux grandes compagnies telles la Consolidated Paper, l’Electro Re- fractories & Abrasives, la St- Regis Paper de venir en aide à la municipalité. Elles acquiescent à la demande du conseil municipal de payer un montant fixe de taxes municipales plus élevé que celui prévu en 1954, pour une période de cinq ans en échange du gel de l’évaluation pour la même période. Ces ententes sont renouvelées à l’automne 1959. En 1957, Julien affirme que 84 % la dette de la ville a été contractée lors des deux der- nières années de la mairie de Morrissette.

Le problème de la dette est clai- Poignée de main entre l’ancien maire Roméo Morrissette et le nouveau André rement exposé dans le mémoire Julien. Fonds privé de Lise Julien. que la ville présente devant la Commission d’enquête sur les problèmes constitutionnels (voir troyer une plus grande part de la appuie André Julien. Les organi- l’article de Maélie Richard, p. 6) taxe de vente aux municipalités. sateurs de l’Union nationale tra- et des solutions sont proposées. vaillent les uns contre les autres. Par ailleurs, les élus s’informent LE SCRUTIN DE 1957 On s’attend à du grabuge, Du- de la situation qui a cours ail- plessis met à la disposition du leurs. En 1955, les membres du Les élections de 1957 sont riches chef de police madelinois une conseil demandent à la ville de en rebondissements. Maurice dizaine d’agents de la police pro- Montréal de leur faire parvenir Bellemare élu une première fois vinciale. Le maire sortant fait un rapport sur la répartition des comme député de Champlain campagne sous le slogan « Julien taxes avec les gouvernements pour l’Union nationale en 1944, au Cap, Bellemare à Québec » et pour voir quelles pourraient être puis réélu en 1948, 1952 et 1956, met en évidence le fait qu’il tient les nouvelles sources de revenus. démissionne de son poste de tête à Bellemare depuis des an- Au cours de la décennie, plu- maire de Saint-Jean-des-Piles nées. Il accuse Bellemare de sieurs résolutions pour soutenir pour se lancer dans la course à la s’immiscer continuellement dans les finances de la ville sont mairie de Cap-de-la-Madeleine. les affaires de la ville pour avan- adressées, en vain, aux deux pa- La lutte suscite l’intérêt de toute tager les intérêts privés au détri- liers de gouvernement. Par la province. En effet, celui que ment de l’intérêt général et exemple, le conseil demande l’on surnommera le « vieux d’avoir amené le maire Hardy de d’augmenter les allocations fa- lion » fait preuve soit de courage Shawinigan à démissionner. Ju- miliales et de les prolonger jus- ou de naïveté, car en agissant lien se présente comme celui qui qu’à 18 ans, ou encore d’oc- ainsi, il décide d’affronter « le a mis fin au patronage de Belle- chef », Maurice Duplessis qui mare. Ce dernier, réplique :

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« Avec Bellemare, c’est plus fort. service de l’assistance publique. extravagantes pour le nouvel Avec Julien, il ne se fait rien ». Le candidat Bellemare promet Hôtel de ville de cette municipa- Il s’attaque à différents aspects des changements importants lité. du bilan de Julien, tentant de pour dynamiser l’économie lo- démontrer son inefficacité. cale, de réviser le système La lutte s’annonce-t-elle serrée ? d’assistance publique qui relève Bellemare puise dans les straté- Le 25 juin se déroule à l’Hôtel de des villes à l’époque, d’améliorer gies de sa longue expérience. Il ville une assemblée contradic- les terrains de jeux et de cons- laisse sous-entendre à certains toire. Bellemare ne perd pas de truire un nouvel Hôtel de ville. fonctionnaires que leur emploi temps, il remet au greffier un Julien contre-attaque en ques- est en jeu s’ils ne l’appuient pas. chèque de 50 000 $ et annonce tionnant Bellemare, lui deman- Duplessis de son côté ne laisse que la somme pourra être consa- dant pourquoi il a attendu huit pas aller les choses ; il envoie crée à la dette de la ville. Julien mois avant de remettre le Mme Cloutier, sa secrétaire per- réplique en lisant une lettre, da- chèque. Julien martèle l’ingé- sonnelle, remettre elle-même une tée du mois de décembre, dans rence de Bellemare, ses manipu- somme d’argent à l’organisation laquelle Duplessis précise que lations pour se faire élire à Saint- de Julien. Lors d’une assemblée cette somme est applicable au Jean-des-Piles et ses dépenses publique, Julien rapporte une conversation téléphonique avec Jean-Louis Baribeau vers 1940. BAnQ, P1000,S4,D83,PB122. le premier ministre qui trouve inexcusable et déplorable la con- duite de Bellemare. Il rappelle que son député ne peut donner d’ordre aux employés et aux fonctionnaires du gouverne- ment, qu’ils sont libres de voter selon leur choix, qu’il assurera leur protection et que ce n’est pas lui qui envoie Maurice Belle- mare se présenter à la mairie.

Le 29 juin est une journée fertile en événements. Premièrement, Julien revient sur la lettre de Maurice Duplessis dans le Nou- velliste et l’utilise comme publici- té dans le quotidien. Un troi- sième candidat à la mairie, An- tonin Toupin, se retire au profit de Bellemare et déclare à ses supporteurs « veuillez prendre avis et vous conduire en consé- quence », ça sent la stratégie… De son côté, l’organisme Jeune commerce de Cap-de-la- Madeleine qui appuie Julien de- puis le début, adopte une résolu- tion qu’il adresse au Nouvelliste, remerciant Duplessis de son in- tervention.

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La veille du scrutin, le Premier ministre sort l’artillerie lourde. Le 1er juillet, devant une assem- blée de plusieurs milliers de per- sonnes, le président du Conseil législatif du Québec, Jean-Louis Baribeau, prend la parole. Il termine son allocution en décla- rant qu’il a toujours soutenu Maurice Bellemare sur le plan provincial, mais qu’il demande à la foule de appuyer Julien à la mairie. Il souligne qu’il a discuté au téléphone avec Maurice Du- plessis le matin même et que celui-ci lui a demandé de rappe- ler aux citoyens les propos de sa lettre. Il ajoute qu’il lui a affir- mé que Bellemare commettait une grave erreur en se présen- André Julien annonce qu’il ne sollicitera pas de nouveau mandat. Fonds privé tant à la mairie et qu’il est faux de Lise Julien. de prétendre que la ville serait bien moins servie par le gouver- sont également élus. Selon Le et légumes. Or, écrit J.-Réal nement avec Julien comme Nouvelliste, plus de 10 000 per- Desrosiers dans ses Souvenirs, maire. Tout au long de son dis- sonnes convergent vers le parc « il ne voulait surtout pas avoir cours, Baribeau s’interrompt de l’Hôtel de ville le soir des à revivre l’expérience de 1957 ». régulièrement pour demander à élections pour entendre les dis- Tout au cours de ses mandats, la foule : « Est-ce clair ? ». Belle- cours des vainqueurs. Puis suit Julien s’en est tenu à ses objec- mare n’a d’autres choix que de une parade triomphante de plus tifs d’une administration effi- faire profil bas, affirmant au de 200 automobiles dans les rues cace : il assainit les finances pu- quotidien local que Baribeau est de la ville. Un citoyen confie au bliques, encadre efficacement le « un parfait gentilhomme ». Devoir que « ce vote condamne développement de la ville et mo- en même temps un député qui se dernise la gestion municipale. 3 600 propriétaires sont inscrits considérait comme le chef incon- sur la liste électorale et de ce testé de tout le comté de Cham- L’élection de 1957 fut donc sa nombre, 83,3 % exercent leur plain […] M. Duplessis cherchait dernière : J.-Réal Desrosiers lui droit, c’est qui représente un à se débarrasser d’un député gê- succéda et occupa le siège de record. Le climat est tendu : on nant, il ne pouvait l’attaquer sur maire pendant vingt ans. Desro- s’attendait à du grabuge qui n’a le plan provincial, mais il l’a fait siers retient la leçon et ne prend pas eu lieu, l’intervention de basculer sur le plan municipal ». aucun risque : aux élections pro- Duplessis y est probablement Maurice Bellemare reconnaît pu- vinciales de 1962, il se présente pour quelque chose. Le Devoir bliquement sa défaite, mais il contre Maurice Bellemare. Dé- rapporte que le Premier ministre tiendra en privé des propos très fait, Desrosiers est néanmoins à a mis à la disposition une dizaine durs à l’égard de son chef. l’abri du courroux de Bellemare de policiers de la Police provin- puisque le parti libéral de Lesage ciale. De plus, trois policiers lo- Au mois de mai 1960, André Ju- qu’il appuie, est reporté au pou- caux sont placés à la porte de lien annonce qu’il ne compte pas voir. chaque bureau de votation. Ju- solliciter un quatrième mandat, lien l’emporte par seulement 185 prétextant qu’il ne voulait pas votes. Quatre conseillers alliés négliger son commerce de fruits

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Corruption, police, petites et grandes politiques

Quelques anecdotes autour des trois mandats d’André Julien à la mairie de Cap-de-la-Madeleine

Pierre-André Julien

Il arrive presque toujours en politique des incidents impré- vus ou des tournants qui changent la suite des choses. Telle est la petite histoire de la première candidature de mon père au poste de maire de Cap-de-la-Madeleine et aussi, voire surtout, celle de la troisième élection. Alors que le député et « grand chef du comté » Maurice Bellemare, ne pouvant contrôler ce dernier avait fini par décider de prendre sa place. Petite histoire dont j’ai été témoin plus ou moins di- Fonds privé de Lise Julien. rectement malgré mon âge à l’époque (14, 16, puis 19 ans). 18 Numéro 10 | Les années Julien | Le nouveau Madelinois shc

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André Julien (à gauche) lors d’un rassemblement de la chambre de commerce sénior de Trois-Rivières. Fonds privé de Lise Julien.

L’ÉLECTION DU Shawinigan-Sud et le second, à projets à réaliser, telle la réfec- 6 JUILLET 1953 Trois-Rivières. Je me souviens tion des rues et des trottoirs. aussi que plusieurs membres de Presque tout relevait des deside- Il me semble que ce sont ses la Jeune Chambre de commerce rata du moment des conseillers amis, en particulier, Fernand du Cap appuyaient cette candi- et des pressions de certains ci- Lanouette, dont la pharmacie dature et ont travaillé très fort toyens et entrepreneurs. Je vais est toujours au coin des rues Fu- afin que mon père soit élu. m’arrêter ici à deux exemples de sey et Thibeau, devenue une ces changements dont j’ai eu pharmacie Uniprix, et Roland FAITS DU PREMIER connaissance, puisque mon père Paillé, agent d’assurances, qui MANDAT en a parlé à ma mère à plusieurs avaient compris que la direction reprises, alors que je n’étais pas de la ville s’en allait à vau-l’eau Je n’ai pas participé directement loin pour saisir des bribes de leur depuis plusieurs années, notam- à cette première élection, mais je conversation. Le premier, très ment sous la gouverne de Roméo me souviens qu’aux premiers peu de temps après l’élection, et Morrissette (1941-1945 et 1951- temps de sa prise de pouvoir, il le second dans le cadre de la ré- 1953), et qui l’ont convaincu de expliquait à ma mère que tout organisation du service de po- se présenter en 1953 pour rem- était à faire, allant de la réorga- lice, plusieurs mois plus tard. placer ce dernier. Fort de son nisation complète de l’adminis- expérience à la direction de la tration jusqu’à la modernisation HISTOIRE DE POTS-DE-VIN Chambre de commerce de Trois- des bureaux particulièrement Rivières, il s’appuyait probable- vétustes de l’Hôtel de Ville. Il Un peu avant Noël, mon père ment aussi sur l’expérience de n’y avait même pas de directeur venait de recevoir deux caisses son père et de son beau-père du personnel, pas plus qu’une de vin, l’une avec un chèque de dans les années 1920-1930, le planification, au moins men- 200 $ et l’autre, de 150 $, prove- premier conseiller à la mairie de suelle, pour gérer les nombreux nant de deux entrepreneurs en

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André Julien célébrant son 2e mandat. Fonds privé de Lise Julien.

travaux publics. Au cours d’au- LA RÉORGANISATION rection chargée de la formation jourd’hui, ces chèques vau- ADMINISTRATIVE de ses policiers. Ce n’était aucu- draient entre 3 000 et 4 000 $. nement le cas au Cap-de-la- J’entends encore papa s’excla- Dans le cas de cet exemple, j’ai Madeleine, comme on le disait à mer qu’il ne savait pas quoi faire compris que toutes les parties de l’époque. avec ça pour finalement, après l’administration étaient à revoir, discussion avec maman et sûre- notamment pour la gestion et le Quelque temps auparavant, un ment avec ses amis, renvoyer les fonctionnement du corps poli- très grand feu de forêt avait dé- chèques tout en conservant les cier. Jusque-là, quand les postes vasté une partie de la Côte- deux caisses de vin, considérant s’ouvraient, les nouveaux poli- Nord, et les médias avaient van- que cela pouvait être vu comme ciers étaient choisis à tour de té les grandes capacités du chef un simple présent du Nouvel An, rôle par les conseillers, parmi les de police de Forestville, sans plus d’importance. Plus citoyens de leur quartier et selon M. Lachance, pour protéger la tard, il a mentionné que ces pots leur bon vouloir, et ce, sans souci population environnante. Mon -de-vin avaient cessé. À la fin de d’analyser leurs compétences et père l’avait contacté, d’abord la première séance du conseil qui leurs capacités, incluant la direc- pour obtenir son CV, lui permet- a suivi le congé des Fêtes, il tion, aussi peu qualifiée. Il est tant d’apprendre qu’il possédait avait bien précisé que nulle pres- vrai qu’avant la création en une formation de la gendarmerie sion de ce type n’était accep- 1968 de l’École nationale de po- fédérale, et par la suite, pour lui table, quels que soient les projets lice du Québec à Nicolet, les demander s’il consentirait à ve- en cours ou à venir. bons chefs de police provenaient nir travailler et réformer la po- des rangs de la Sureté du Québec lice de la ville, offre qu’il accep- (la Police provinciale d’alors) ou ta. Suivirent de longues ren- de la gendarmerie fédérale, di- contres à la maison pour trouver

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les meilleures façons de faire le particulier en posant des affiches ménage afin d’en arriver à une sur les poteaux un peu partout organisation moderne de cette dans la ville et en distribuant police. des dépliants. Et je peux dire qu’avant le début de la cam- Évidemment, cette réorganisa- pagne, avec l’entrée en scène du tion s’est faite aussi dans les député du comté, Maurice Belle- autres services, avec l’embauche mare, j’ai vu mon père découra- de nouveau personnel et la mise gé. Après avoir mis toute son à la retraite ou la réaffectation âme durant les quatre premières des directeurs âgés. De plus, années à redresser les choses et à mon père avait fait approuver moderniser la ville, il pensait par le ministère des Affaires mu- pouvoir terminer le travail avec nicipales une augmentation des un troisième mandat que la po- émoluments pour le maire et les pulation lui donnerait facile- conseillers, les faisant passer de 5 ment, comme lors de l’élection 000 à 13 000 $, pour le maire, et précédente. Sauf qu’il venait de de 1 000 à 3 000 $, pour les con- comprendre que ce travail avait seillers, me semble-t-il. En con- été réalisé sans demander régu- trepartie, les membres du conseil lièrement conseil au vrai patron avaient l’obligation de bien étu- de la région, et qu’il devait dier les dossiers, de faire avancer maintenant l’affronter directe- les projets dans les comités dont ment. À l’encontre de la pre- ils étaient responsables et de mière élection où il avait eu participer activement aux autres comme avantage de combattre travaux communs, de manière à un maire déjà fortement affaibli, ce que la machine municipale et avec un autre adversaire peu devienne de plus en plus efficace connu, M. Huleybroeck. et permette de développer de nouveaux projets. De plus, il savait que le député avait monté une stratégie ap- LA RÉÉLECTION DE 1955 prise de Maurice Duplessis, avec ET L’ÉLECTION DE 1957 : un système pyramidal ou chaque LES MŒURS D’ALORS ! rue, de façon permanente et non tribution de glacières (et plus tard uniquement durant les élections, de frigidaires) et de caisses de Le deuxième mandat plus ou avait son « poteau » qui veillait bières, de vins et d’alcools, et moins automatique puisque son à passer les messages et à cibler autres moyens d’achat de vote. adversaire, M. Toupin, abandon- les « bons citoyens » pour qu’ils On peut en voir deux exemples na en cours de campagne. La diffusent les bons coups du parti. avec cette lettre et ce semblant de seule chose dont je me souvienne Chaque « poteau » relevait d’un facture trouvés dans la cave d’un de ce mandat est qu’il fit accep- responsable du quartier, lui- ancien candidat de Duplessis. ter par le ministère des Affaires même dirigé par un chef local, municipales que les prochaines puis par le responsable du vil- Évidemment, cela est sans élections passent de deux à trois lage ou de la ville, etc., jusqu’à compter en plus sur les interven- ans pour ainsi avoir plus de l’organisateur en chef. Cette ma- tions des fiers-à-bras, gueulards temps à mettre en place et con- chine faisait partie d’un système et autres perturbateurs attitrés solider ses projets. encore plus vaste au niveau de pour déstabiliser les rassemble- tout le Québec, avec énormé- ments des adversaires, en parti- J’ai cependant participé directe- ment d’argent en particulier au culier aux moments de la claque ment à la troisième élection, en moment des élections pour la dis- en criant « chou », sinon pour

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semer la pagaille en s’en prenant père de le suivre. J’en profitai aux partisans adversaires. Un pour jeter un coup d’œil sur la confrère de collège venant d’une lettre que l’employé tapait à la famille relativement démunie et machine pour m’apercevoir, très qui poursuivait ses études secon- surpris, que ce dernier ne faisait daires grâce à une bourse donnée qu’écrire des lignes noires. La par Duplessis m’avait dit que rencontre dura moins d’une demi son père ne pouvait voter autre- -heure. Nous reprîmes la route ment que pour l’Union Natio- sans que mon père ne dise mot. nale, sinon il perdrait cette J’ai su par la suite que bourse. Et alors que je lui répé- M. Duplessis lui avait promis de tais que le vote était secret, il faire une action d’éclat en sa fa- m’a dit être convaincu, sans sa- veur, sans que ce soit très clair. voir trop comment, que ce vote finissait nécessairement par être La veille du vote, M. Jean-Louis connu grâce à cette machine. Ce Baribeau, président du Conseil n’était donc pas seulement la législatif (soit le sénat ou la qualité du programme et la ca- chambre haute, abolie depuis pacité de convaincre les électeurs lors), vint à la dernière grande des possibilités de bien remplir assemblée de mon père pour dire les promesses, mais cette organi- que M. Duplessis désavouait ou- sation électorale, très au fait de vertement son député et que si chaque citoyen et des façons de chacun faisait son travail là où il les influencer, qui expliquaient réussissait le mieux, « les veaux les résultats. Évidemment, il ne seraient bien gardés », comme le faut pas généraliser, pas plus dit le proverbe. Le lendemain, Maurice Bellemare, 1955. BAnQ, qu’il faille généraliser les P795,S1,D3215. j’entendis des gens dire que 100 000 $ à ramasser chaque an- c’était « vraiment vrai », alors née, notamment au moyen des que beaucoup en doutaient, ce prête-noms par chaque ministre LE RETOURNEMENT qui donna un vote suffisant pour sous le gouvernement Charest. la victoire. Malgré cette machine, tout parti La campagne était en cours, les finissait par être battu, comme sondages maison montraient que J’ajoute que durant son troi- ce candidat. De plus, il ne faut le vent tournait en faveur de sième mandat, mon père a été pas croire que l’équipe de cam- Bellemare, ce qui amena mon élu troisième président et donc pagne de papa ne faisait rien. père à téléphoner à plusieurs re- représentant des maires du Qué- Par exemple, ma sœur Mireille prises au gouvernement pour bec à la Fédération canadienne travaillait à ce qu’on appelle le pouvoir parler au premier mi- des municipalités, ce qui l’a ame- pointage, soit d’appeler systéma- nistre. Il a finalement décidé de né à participer à des réunions tiquement les votants pour con- descendre lui-même à Québec avec les maires dans diverses naître leur opinion et pour avec moi, une ou deux semaines villes, dont Calgary lors de leur s’assurer que les partisans aillent avant le vote, pour en avoir le Stampede et à y recevoir voter, en leur assurant au besoin cœur net. Je me souviens très l’énorme chapeau de cowboy qui un transport s’ils n’avaient pas bien du bureau adjacent où nous a finalement abouti aux pou- la possibilité de se déplacer. Le avons attendu, avec un employé belles après quelques années. transport était assuré par des qui, pour seule tâche, écrivait plusieurs membres de la Jeune avec un seul doigt au dactylo. LES LIENS POLITIQUES chambre avec leur voiture. Après une bonne demi-heure, cet employé, après avoir été deman- Il est aussi possible que la paren- dé à côté, revint pour dire à mon té éloignée de mon père avec

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Affiche électorale de Duplessis pendant la campagne électorale de 1939. Bilan.usherbrooke.ca.

Maurice Duplessis, par sa grand- nomination d’unilingues anglo- vraiment canadiens, ou mère Séraphine Duplessis, ait phones à la direction des orga- « canayens » selon la prononcia- joué dans cette intervention. Ce nismes publics, notamment à tion de plusieurs. Pour lui, un lien de parenté expliquait aussi Montréal. Ce mouvement comp- grand nombre de dirigeants an- son adhésion à l’Union Natio- tait des gens qui ont fait leurs glophones se disaient avant tout nale en 1935 par l’intermédiaire preuves par la suite, tels Gérard anglais, sinon britanniques. de l’Action libérale nationale de Filion, André Laurendeau, Lu- Comme l’avait expliqué l’ancien Paul Gouin qui souhaitait natio- cien l’Allier, Dostaler O’Leary et premier ministre fédéral, Robert naliser les compagnies hydro- Pierre Dansereau. Laid Borden (1911-1920) pour- électriques et à laquelle il avait tant né à Grand-Pré en Nouvelle- adhéré. L’Action libérale était Ce mouvement recherchait, au Écosse, et qui, lors de sa défaite, issue du parti libéral fédéral à début, l’indépendance du Cana- avait dit « I am going home », qui les dissidents reprochaient da par rapport à la Grande- pour ainsi partir se réfugier en de mal gérer la crise économique Bretagne et milita plus tard Angleterre. Sans compter des années 1930, notamment pour l’indépendance d’un État l’adhésion de ces derniers au Red pour le Québec et qui, en se coa- Laurentien comprenant non seu- Insign, sinon directement à lisant avec l’Union nationale de lement le Québec, mais le nord l’Union Jack britannique, au Duplessis, a fini par disparaître. francophone de l’Ontario et les God Save the Queen, et à la fête Je connaissais par ailleurs ses régions acadiennes du Nouveau- de la Reine Victoria célébrée le convictions nationalistes parce Brunswick et de la Nouvelle- lundi précédent le 25 mai, tou- qu’il m’avait dit que dans sa Écosse. Certains parlaient même jours en vigueur depuis 1845 jeunesse, il avait été un partisan de rechercher l’annexion de cer- dans les autres provinces anglo- du mouvement Jeune-Canada taines régions majoritaires fran- phones, sauf dans celles mari- au début des années 1930, mou- cophones de la Nouvelle- times, alors que cette fête vement créé par des étudiants de Angleterre à ce regroupement, n’existe même pas en Angle- l’Université de Montréal venant ce qui explique probablement terre, et qui est pour nous la du Collège Sainte-Marie, en par- pourquoi il me répétait que seuls Journée nationale des patriotes ticulier pour protester contre la les Canadiens-français étaient de 1837. Cela expliquait aussi

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son abonnement systématique de ces logements, sur la rue côté du tunnel de la rue Saint- au Devoir depuis les années 1930 Amstrong (devenu depuis la rue Maurice et où il avait appris son et dont j’ai bénéficié durant Bachand), était à 200 mètres du métier avant de démarrer son toute ma jeunesse. quartier général de la force mo- entreprise et surtout celle de Ca- bile ou war room où se tenaient nada Packers, une firme anglo- Mais cela ne l’empêcha pas les représentants du gouverne- phone de Calgary. Plusieurs d’avoir eu très peur durant la ment fédéral pour manipuler firmes de Trois-Rivières por- crise d’octobre de 1970 avec les cette crise. Cette peur a fini par taient à cette époque des noms mesures de guerre proclamées passer puisqu’il nous avoua qu’il anglophones comme le garage par Pierre Elliot-Trudeau pour avait finalement voté pour René Three Rivers Chevrolet. Mise de mater le mouvement indépen- Lévesque en 1966. côté qui entraina graduellement dantiste et expliquant les arres- son déclin. Faute d’avoir vu ve- tations sans procès qui ont suivi, L’ÉLOIGNEMENT DE SON nir durant ces sept années les tant pour Pauline et ses enfants COMMERCE changements qui se dessinaient que pour Gérald Godin, ce der- dans cette industrie. Comme la nier que je connaissais depuis le Cette incursion en politique lui création de groupements collège, et pour les quatre-cent- avait demandé certains sacri- d’achats des petites épiceries, cinquante autres artistes et ci- fices, notamment pour son com- d’abord sur le plan local (« Les toyens. Cette peur se reportait merce en gros de fruits et lé- épiceries Régal »), et par la suite aussi sur nous qui étions engagés gumes Julien et Frères, situé à pour tout le Québec, ensuite, la dans le Rassemblement pour l’angle des rues du Père Frédéric multiplication des supermarchés l’indépendance nationale (RIN). et Nérée-Beauchemin, qu’il et des centres commerciaux et, Alors que la Commission Keable, avait presque complètement mis enfin, la distribution des fruits et en 1981, a démontré que la po- de côté à ce moment, laissant la légumes directement de Mon- lice connaissait très bien les loge- direction à deux de ses cadres tréal, notamment avec la cons- ments des deux cellules du Front qui, malheureusement, ne s’en- truction de l’autoroute 40 qui de libération du Québec qui tendaient pas. Ce commerce lui diminuait fortement le temps de avaient kidnappé James- avait pourtant permis de rem- transport. Richard Cross et le ministre placer la firme de son oncle, J. et que même un Albert Julien, située de l’autre

Commerce en gros de fruits et légumes Julien et Frères, situé à l’angle des rues du Père Frédéric et Nérée-Beauchemin. Fonds privé de Lise Julien.

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Festival Chant’août à Québec ; spectacle de Pauline Julien à la Petite Bastille, 1975. BAnQ, E10S44SS1D75-484PD6. L'Â ME Â LÂ TENDRESSE Pauline Julien. Ce soir j’ai l’âme à la tendresse Une jeunesse madelinoise Tendre tendre, douce douce Ce soir j’ai l’âme à la tendresse Chantale Dureau Tendre tendre, douce douce Avant d’écrire cet article sur la jeunesse de Tresser avec vous ce lien et cette Pauline Julien, je ne connaissais que peu de choses délicatesse sur cette chanteuse-interprète décédée en 1998. Vous mes amis d’hier et Son dernier album Où peut-on vous toucher ? sort en 1985, l’année où elle livre aussi son dernier d’aujourd’hui spectacle solo. Née dans les années 1980, je n’ai Cette amitié dans la continuité pas eu l’occasion de l’entendre exercer son art, que Un mot un regard un silence un ce soit sur scène, à la télévision ou à la radio. J’ai sourire une lettre […] découvert une femme impliquée à la voix rocailleuse et suave qui écrivait des textes à la fois sensibles et engagés. Une chanteuse qui a fait - Parole de Pauline Julien, carrière pendant plus de trente ans et qui s’est musique François Dompierre produite autant au Québec que sur la scène 1972 européenne. Une artiste qui, malgré son succès international, n’a jamais oublié d’où elle venait.

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Tout au long de sa carrière, ainsi que la famille Julien décide fratrie de onze membres : André, nombreux sont les articles où de migrer dans l’Ouest canadien, Émilienne, Alphonse, Roland, elle rappelle ses origines triflu- ouvert à la colonisation massive, Rita, Bernard, Alice, Alberte, viennes. Par exemple lorsqu’on où de vastes terres sont dispo- Marcel, Fabienne. lui demande de se décrire dans nibles. En 1920, avec 25 000 $ en une entrevue de 1964, elle dé- poche, le couple Julien et leurs RUE NOTRE-DAME À bute par : « Bon. Je suis née à huit enfants partent en train pour CAP-DE-LA-MADELEINE Trois Rivières. J’ai grandi au s’installer dans une immense Cap-de-la-Madeleine. » (Le De- ferme dans la région de Saint- L’un des premiers souvenirs voir, 31 octobre 1964). Voyons Boniface, au Manitoba. Mauvaise d’enfance de Pauline est celui du cela de plus près. année pour devenir agriculteur déménagement à Cap-de-la- dans les Prairies qui traversent Madeleine. En ce printemps L’EXIL À L’OUEST une longue crise qui perdurera 1930, les Julien troquent leur jusque dans les années 1930. La logement de Trois-Rivières pour Pauline naît le 23 mai 1928 de sécheresse, les insectes et les bas une maison sur la rue Notre- Marie-Louise Pronovost et prix du blé ont raison de l’ambi- Dame. Une propriété de deux d’Émile Julien. Mariés en 1903, tieux projet et la famille perd étages en papier brique, à proxi- ses parents s’installent dans le tout. Sans le sou, elle revient au mité du fleuve. « [Pauline] se village de Baie-de-Shawinigan. Québec en 1922 et emménage voit fière comme un coq faisant Le père y ouvre un magasin géné- dans un logement modeste sur la les cent pas sur le trottoir de la ral et devient même maire de rue Laviolette à Trois-Rivières, à maison », écrit sa biographe, l’endroit. La famille est bien en proximité du parc des Pins, au- Louise Desjardins. Les parents vue et à l’aise financièrement. jourd’hui parc Jean-Béliveau. ont leur chambre au rez-de- Malheureusement, Émile Julien a Émile devient voyageur de com- chaussée et les enfants, à l’étage. des ennuis de santé, souffrant de merce. Il conserva un fort ressen- Les aînées ont quitté le nid. Pau- neurasthénie. Le médecin lui sug- timent face à son échec. C’est en line partage une chambre avec gère de déménager dans un en- cette période difficile que Pauline Fabienne, son aînée de quatre droit au climat plus doux. C’est voit le jour, la dernière-née d’une ans et les trois autres chambres sont distribuées entre Rita, Alice et Marcel. L’étang du moulin en juillet 1955. AMSHR, Fonds Le Nouvelliste. Fabienne raconte au journaliste de La Presse le 12 janvier 1980 que de la fenêtre de leurs chambres, les fillettes avaient vue sur le fleuve : « On y surveil- lait le passage du “bateau de 10 heures” et ces superbes transa- tlantiques tout blancs aux che- minées “jaunes Naples” » qui affichaient leurs lettres de no- blesse en caractères géants sur la coque : Empress of Canada. Em- press of Britain ». Nous pouvons nous imaginer que la petite Pau- line rêvait qu’un jour un de ces paquebots l’amènerait parcourir le monde. Aussi, « le fleuve et les grands espaces verts superbe- ment aménagés du sanctuaire

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voisin ont certainement marqué notre enfance », renchérit Fa- bienne. L’été, les Julien se bai- gnent dans l’eau froide du Saint- Laurent. L’hiver, du haut de la falaise les enfants font de la luge en se laissant glisser jusque sur la glace du fleuve. Des planches de bois fixées aux pieds avec des ficelles leur permettent de s’ini- tier au ski.

Fabienne poursuit : « Mais il ne faut pas oublier non plus dans le décor la proximité de la Consoli- dated Paper, usine de pâte à pa- pier dont les immenses tas de L’usine de la St-Maurice 1920. Nous pouvons voir l’énorme monticule de bois à “pitounes” s’élevaient dans le l’arrière des maisons de la rue Notre-Dame. CIEQ, Collection René-Hardy, ciel, juste derrière notre mai- Fonds Trois-Rivières, Série Jacques Boisvert, TR_J_BOISVERT_134. son ». La vue de cette entreprise leur rappelle sans cesse leur vie un moyen de s’émanciper. En d’autres études : elle s’inscrit à de prolétaires à laquelle la fa- septembre 1941, elle entre à l’école commerciale Saint- mille souhaite échapper. Au mo- l’école secondaire Sainte- Patrick à Trois-Rivières et suit ment où elle emménage rue Madeleine où elle entreprend sa des cours de dactylo. Avant Notre-Dame l’usine, qui porte le 9e année. Cela lui permet, l’an- même d’avoir terminé sa forma- nom de St-Maurice Valley Corpo- née suivante, de fréquenter tion, à 16 ans, elle décroche son ration, vient de fermer ses comme externe le pensionnat premier emploi à la ville de Trois portes, victime de la crise écono- Notre-Dame du Cap tenu par les -Rivières comme secrétaire pour mique de 1929. Le chômage Filles de Jésus. Elle y fait ses 10e le gérant de la ville, Roger Lord. frappe tout ce quartier du Cap et et 11e années. Une camarade de Au journal La Presse, en 1980, c’est seulement dans les années classe, Pauline Ducharme, garde elle confie : « On m’avait enga- 1940 que l’entreprise est remise le souvenir d’une jeune fille cu- gée par charité ou je ne sais trop en marche et devient Consoli- rieuse, sportive et exubérante. quoi, lance-t-elle, parce que je ne dated Paper Corporation. « Elle faisait de grands gestes et valais rien du tout dans ce bou- parlait beaucoup ». lot-là ». Si, chez les Julien, les LES ÉTUDES garçons se sont réalisés dans le VIVRE À TROIS-RIVIÈRES commerce ou la politique, les La pauvreté pèse lourd sur la filles, se nourrissent de savoir et famille et représente un frein À son grand regret, Pauline d’arts. Pauline rêve de devenir aux aspirations. C’est pourquoi n’eut pas la chance de faire des danseuse et se plaît à faire « le goût de partir a pointé très études classiques. Son père, at- quelques pas dans les bureaux tôt » (La Presse, 12 janvier teint d’un cancer, meurt des devant les employés médusés. Sa 1980). Bernard quitte le Canada suites d’une opération le 24 juin sœur Fabienne, partie vivre à vers 1933 pour étudier la théolo- 1944. N’ayant plus les moyens Québec, se fiance avec Jean-Paul gie à Rome. Il revient seulement de conserver la maison de la rue Guay, un étudiant en sculpture à en 1940 et est ordonné prêtre en Notre-Dame, la mère, Marie- l’École des beaux-arts. Ce der- 1941. Ce frère instruit, Pauline Louise, emménage dans un petit nier conseille fortement à Pau- l’écoute, admirative de ses péri- appartement jouxtant le domi- line de quitter Trois-Rivières péties européennes. Pour l’ado- cile de son fils André. À Trois- pour venir étudier la danse et la lescente, les études représentent Rivières, Pauline entreprend musique à Québec. À l’automne

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À peine est-elle âgée de 21 ans au moment où elle écrit ses lignes avec un talent certain.

POUR COMMENCER, PARTIR : MONTRÉAL- PARIS

Peu de temps après, Pauline choisit de s’installer dans l’ag- glomération montréalaise et fait son entrée à la Compagnie du masque où règne un esprit com- munautaire. La troupe habite dans un ancien couvent. Elle fait alors la rencontre d’un autre co- médien, Jacques Galipeau. Les deux s’entendent bien et se ma- rient au printemps 1950.

Pauline Julien, Georges Dor et Paul Buissonneau, BAnQ, P833,S2,D822. Pauline caresse le rêve de par- faire sa culture française et d’al- 1947, Pauline fait le grand saut Québec. Dans une lettre ouverte ler à Paris. De nombreux ar- et part pour la Capitale. publiée dans Le front ouvrier du 6 tistes québécois s’exilent en août 1949, elle défend cette pra- France où le clergé n’exerce au- Jean-Paul Guay lui fait rencon- tique et fait découvrir son côté cune emprise sur la scène cultu- trer la troupe de théâtre compo- bohème : relle, comme il le fait au Québec. sée, entre autres comédiens, de Malheureusement, le jeune Pierre Boucher, Paul Hébert et Je fais « du pouce »... pourquoi ? couple Julien-Galipeau n’a pas Roland Lepage. Pauline étudie Parce que je n’ai pas d’argent, les moyens financiers de s’expa- la danse, la musique et joue de parce que j’ai des voyages à faire trier outre Atlantique. Pauline (considérant les études, le mé- petites pièces qu’elle répète avec tier…) parce que j’aime les fait des demandes de bourses, le groupe. « Tout le monde tra- voyages […] parce que je tiens à mais sans succès. Elle se con- vaillait à mi-temps », se sou- connaître mon pays, mes frères naît une parenté avec Maurice vient-elle. Elle exerce tous les […] parce qu’aussi j’ai un peu le Duplessis. Plusieurs articles métiers imaginables : bibliothé- goût de l’aventure et du neuf. consacrés à la chanteuse rap- caire, serveuse, gardienne d’en- « Sur le voyage », nous, rencon- portent que ce dernier était le trons beaucoup de monde. Des fants et cuisinière dit-elle dans cultivateurs, des ouvriers, des cousin germain d’Émile Julien, une entrevue à Ici Radio-Canada hommes d’affaires, des pauvres, un élément véhiculé par la fa- le 23 décembre 1972 : « Je ne des riches, des travaillants […] des mille elle-même (Louise Desjar- savais même pas faire cuire une hommes en misère, des insou- dins, p.19). La mère d’Émile omelette ! J’acceptais n’importe ciants, des indifférents, des fer- Julien se nommait Séraphine- quoi, je restais là une quinzaine vents et des simples... […] Avec Olivine Le Noblet-Duplessis. qui je fais du pouce ? Jamais seule. de jours, le temps qu’on dé- […] Avec une amie, pour des Avec ce célèbre patronyme, la couvre mon incompétence, mais, voyages d’une journée, avec des rumeur veut qu’elle fût la tante pendant ce temps-là, on me amies, pour un grand voyage du premier ministre. En fait, payait ! » Désargentée, la jeune d’une semaine; nous faisons notre Émile et Maurice étaient plutôt femme n’hésite pas à faire de popote et nous demandons l’hospi- arrière-petits-cousins (parenté l’autostop pour effectuer le tra- talité, et nous nous émerveillons de du troisième au quatrième de- jet entre Cap-de-la-Madeleine et la route, de tous ceux que nous gré). Pauline et Maurice avaient apprenons à connaître.

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un arrière-arrière-grand-père com- lade et que j’ai accepté de remplacer. mun : Isidore Le Noblet-Duplessis Georges Vitaly [directeur de théâtre] a (1763-1849). Une parenté lointaine bien voulu me féliciter et m’encoura- que Pauline a su exploiter. En cette ger. Avec un professeur de chant, j’ai année 1951, la politique culturelle de appris à mieux placer ma voix. J’ai fait la province n’est pas encore structu- alors beaucoup de cabarets ». C’est ain- rée, trop souvent les subventions ser- si que commence la carrière de Pauline vent à récompenser les fidèles. Pauline Julien, auteure, chanteuse et inter- joue alors le tout pour le tout et se prète. rend directement au bureau du pre- mier ministre à Québec. Audacieuse- Si la mère de Pauline répétait avec dé- ment, sans être invitée, elle entre dans pit à ses enfants qu’ils étaient nés pour le bureau de Maurice Duplessis. Elle se un petit pain – des paroles qui ont sure- présente comme une parente et lui ment imprégné l’artiste à ne jamais raconte des anecdotes familiales. Le oublier qu’elle a grandi sur la rue premier ministre est impressionné par Notre-Dame à Cap-de-la- son dynamisme et lui octroie une Madeleine – la petite dernière a su bourse de 1 000 $ pour suivre des cours lui prouver le contraire. En plus d’art dramatique dans la capitale d’enregistrer 24 albums au cours de sa française, une jolie somme pour carrière, sa chanson L’âme à la ten- l’époque. Le couple met alors le cap dresse, dont elle a écrit le texte en 1972, sur Paris. La traversée se fait en ba- fut intronisée le 21 février 2019 au Pan- teau et leur coûte 400 $. théon des auteurs et compositeurs ca- nadiens. Je vous invite donc à décou- Pauline reste six années dans la Ville vrir cette chanson ainsi que l’ensemble lumière et devient mère de deux en- de l’œuvre de celle qui sera toujours fants, Pascale et Nicolas. Là, elle dé- une petite Madelinoise. couvre le chant. Elle raconte au journal Le Devoir du 31 octobre 1964 :« au stu- Pour en savoir plus : dio des Champs-Élysées, où je tenais un rôle dans une pièce, il y avait une Louise Desjardins, Pauline Julien. La actrice-chanteuse qui est tombée ma- vie à mort, Montréal, Leméac, 1999.

Pauline Julien en concert dans les années 1970. Photo d’Antoine Désilets. BAnQ Vieux-Montréal , P697,S1,SS1,SSS4,D96.

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Gérald Godin, écrivain, directeur des Éditions Parti Pris et Pauline Julien, chanteuse, auteure-compositeure, 1969. BAnQ, E6,S7,SS1,D690606-690606.

Alors qu’elle se produit à Trois-Rivières Pau- line rencontre, en 1961, dans sa loge, le journa- liste Gérald Godin, futur politicien. Séparée du père de ses enfants, il deviendra son compa- gnon. Une relation de plus de trente ans qui sera faite de hauts et de bas comme en té- moigne cette lettre écrite par Pauline en 1973.

23 h, 30/5/73 UN COUPLE ENTIER Bonjour mon amour,

C'est vrai que tu es mon amour, malgré les cris, les couteaux tirés. Le ventre ... ça c'est la petite, pe- tite histoire du moins pour moi - mais la grande c'est toi, c'est nous. Quand prendrons-nous ces vacances !: Si tu veux Et cette entente - profonde. Politique. Travail. Tout ce sexe merveilleux. Doux et calme et heu- connaître mes horaires de l'été . reux comme un lac de haute montagne! Camp Fortune Ottawa. Butte à Mathieu. Ce n'est pas triste mais un peu mélancolique de Orchestre Symphonique Montréal et Québec voyager seule. Au début - après ces multiples Tu demanderas à Michel! bavardages ... de notre vie non pas à 2 mais à Québec, au Québec. Je me dis ce sera bien .. mais Minuit tu dors peut-être. il y a toute l'activité de [série de mots illisibles] Après ce petit matin en ébullition! pas de place repas film ... voisine ... qui ne te laisse pas seule - pour dormir. Mais c'est curieux comme on et cette petite angoisse de savoir « pourquoi» ce change. Te souviens-tu comme je paniquais à voyage. Pourquoi ces 22 jours - et les amis. À l'idée de départ sans toi. Et tu venais Paris - Mos- retrouver. .. 6 mois - et Paris affolé. Affolant sur- cou - Sopot - Cuba - aujourd'hui!! tout quand on doit y travailler. .. J'ai sommeil et je caresse tes fesses douces et du- Mais c'est à toi. Et c'est de toi que je veux parler. vetées avec tout ce que tu me sais Je t'aime. Et je te baise C'est difficile. Enfin ce n'est pas facile. Avec cette lèvre humide que tu connais Ton métier, le mien, le Québec. Le fait À tout de suite. ta Pô «d'essayer» d'être conscients dans tout ça ... et les P.-S. Dans 90 m. Paris Orly. Je n’ai pas d’idée. enfants, les amis, les enfants des amis! Alors on se Tu me manques. C’est déjà long. croise. On vit toi comme moi avec beaucoup d'autres. Ça nous sépare et ça nous unit en même  Chanson interprétée par Pauline Julien, écrite par Michel temps - ça dépend de la vague qui nous pousse Tremblay et composée par François Dompierre. On la re- l'un vers l'autre ou nous sépare. Mais ce qui est trouve sur l’album Allez voir, vous avez des ailes (1973). beau aussi c'est de s'élever au-dessus de la vague, et de se rejoindre dans le rire, l'amour, la confi- dence, le tandem comme cet après-midi dans les Référence : Pauline Julien et Gérald Godin, Ton métier, le qq.lignes du communiqué «chus tanné Roger » mien, le Québec. Fragments de correspondance amoureuse et et les marguerites jaunes, les marguerites politique (1962- 1993). Présentation, choix de lettres et notes blanches, le [illisible] ... le vélo ... que l'on fera par Emmanuelle Germain et Jonathan Livernois. Posface de ensemble quelque dimanche de juillet ou d'août. Pascale Galipeau, Montréal, Léméac, p. 65-66.

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Le congrès marial de 1954

Jean Roy

Parade de la Madone du Cap à Maskinongé en juillet 1954, AMSHR, Fonds Le Nouvel- liste.

Dans les années suivant la Se- L’AMORCE conde Guerre mondiale, l’Église L’année 1954 marque un double anni- canadienne concentre beaucoup versaire marial : le centenaire du ses efforts au développement du dogme de l’Immaculée-Conception culte marial et place Marie- proclamé par Pie IX en 1854, et le Immaculée en son centre. Favo- cinquantenaire du couronnement pon- riser la ferveur pour l’Immacu- tifical de la Madone du Canada, qui lée par la prière et susciter des eut lieu à Cap-de-la-Madeleine le 12 mouvements de masse pour la octobre 1904. Les Oblats ne veulent célébrer peuvent répondre à une pas se priver de cette double occasion de célébrer de nouveau la Vierge : dès stratégie de reconquête spiri- 1944, à l’occasion d’une réunion tuelle. Les Oblats de Marie- oblate à Sainte-Anne-des-Monts, ils Immaculée, gardiens du sanc- lancent l’idée d’un congrès marial à tuaire de Notre-Dame-du-Cap, Cap-de-la-Madeleine pour 1954. Mais sont au cœur de cette démarche, avant de faire converger les masses comme l’illustre le Congrès ma- vers la Madone du Cap, ils envoient rial de 1954. celle-ci à leur rencontre.

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plie aussi « Marie pour qu’elle obtienne de son Fils une paix mondiale basée sur la justice et la charité ». Un congrès marial à Ottawa en 1947, année qui marque le centième anniversaire de la fondation du diocèse, semble à l’archevêque un événe- ment privilégié pour faire la pro- motion de ce projet spirituel. La préparation de celui-ci mobilise Le camion-roulotte clercs et laïcs pour « embrigader les masses » et exciter des Il contient une chambrette, une cuisinette, une chapelle et un magasin d’ob- « manifestations collectives ». jets de piété. Ce magasin parvient à assurer les revenus nécessaires au fonc- tionnement de l’équipement et de l’animateur. Le camion-roulotte quitte le sanctuaire le 15 août 1949 pour les provinces de l’Ouest, la Colombie- Les pères oblats de Cap-de-la- Britannique et une partie des Territoires du Nord-Ouest. Il revient ensuite à Madeleine apportent une contri- Cap-de-la-Madeleine pour un court séjour avant d’entreprendre une tournée bution significative à la prépara- dans les provinces maritimes qu’il termine à Halifax. Fonds SHC. tion de ce congrès en organisant dans les détails le pèlerinage de la Madone vers Ottawa. Telle l’Arche d’Alliance qui précéda les Hébreux dans leur marche dans le désert, la statue de la Vierge pèlerine, posée sur une effigie du pont des Chapelets, entame le 1er mai 1947 son long parcours. Par- tie de Cap-de-la-Madeleine, elle emprunte notamment le Chemin- du-Roy, et sa progression est marquée par de très vives mani- festations d’enthousiasme dans tous les villages. Elle arrive le 16 juin au parc Lansdowne, où le congrès se tient du 18 au 22 juin.

Deux jours après la clôture de l’événement, le 24 juin, c’est dis- crètement, cette fois, que le La visite des peuples autochtones. « char » de la Vierge fait la route Ottawa-Montréal. Après un Ici le Père Didier Plaisance, celui-là même qui utilise le camion-roulotte, court arrêt au noviciat des oblats mène son embarcation sur un lac du Nord canadien. Fonds SHC. à Saint-Jean-sur-Richelieu, il ne revient pas directement à Cap-de LA VIERGE ITINÉRANTE de restauration morale au centre -la-Madeleine, mais prend plutôt duquel il place Marie. D’autres la direction de Shawinigan et de Le second conflit mondial termi- raisons le motivent. En effet, il Grand-Mère, à la demande de né, l’épiscopat canadien sent le veut que le peuple rende grâce à l’évêque de Trois-Rivières, Mgr besoin d’une reprise en main spi- Dieu d’avoir épargné le territoire Maurice Roy : c’est que les pa- rituelle des populations. Mgr canadien des horreurs de la roisses de ces deux villes avaient Alexandre Vachon, archevêque guerre ; et, en cette période de été ignorées à l’aller. Réparation d’Ottawa, met en œuvre un plan tension internationale, qu’il sup- est faite et l’accueil n’y est pas

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moins démonstratif qu’ailleurs. Le 26 juin, la statue est reçue à la cathédrale de Trois-Rivières, mettant ainsi fin au périple de l’Arche d’Alliance, mais pas à celui de la statue de la Vierge.

Après deux ans de repos, la re- voici sur les routes à partir du 15 août 1949. À la suggestion de l’évêque coadjuteur de Saint- Boniface au Manitoba, Mgr Georges Cabana, les Oblats con- sentent en effet à laisser repartir la Madone itinérante pour un long parcours à travers le terri- toire canadien et une partie des États-Unis. La Vierge part en Le comité exécutif du Congrès marial camion roulotte, accompagnée du père Didier Plaisance. Pendant ce Bien évidemment, le président ne peut être autre que l’évêque de Trois- temps, les préparatifs du congrès Rivières, Mgr Georges-Léon Pelletier. Le père Barabé et Mgr Charles-Édouard marial de 1954 vont bon train. Bourgeois occupent les postes de vice-présidents, Laurent Paradis, futur maire de Trois-Rivières (1955) devient conseiller, le père Herménégilde Charbonneau et Sœur Paul-Émile, s.g.c., occupent les postes de secrétaires. Alfred Burman, L’ORGANISATION DU représente les anglophones, il se joint au comité exécutif le 13 février 1954. CONGRÈS DE 1954 AMSHR, Fonds Le Nouvelliste.

Les Oblats du sanctuaire marial Les dates sont rapidement de Cap-de-la-Madeleine pren- fixées : le congrès se tiendra du 5 nent en main toutes les opéra- au 15 août. Le plan d’organisa- tions. Henri-Paul Barabé, supé- tion, lui aussi, est largement es- rieur du monastère, voit à la quissé dès les premières réunions composition d’un comité exécu- du comité exécutif. Le choix des tif qui se situe au haut de la py- responsables des comités auxi- ramide des responsabilités. À la liaires est fait à la septième réu- demande de l’évêque, ce comité nion, le 6 février 1954. Ces res- ne comprend que des pères ponsables sont tous membres du oblats et des représentants du clergé et dits « présidents hono- diocèse de Trois-Rivières. Il se raires ». Des présidents dits « réunit une première fois le 18 actifs », le plus souvent laïcs, décembre 1953, au monastère, là sont chargés de les seconder. Des où la plupart des réunions se exemples : à la décoration, le tiennent par la suite. Le comité chanoine André Ouellette, supé- s’adjoint des conseillers pour rieur du Séminaire Saint-Joseph Char du congrès marial national former un comité consultatif : en et l’architecte Jean-Louis Ca- font partie les présidents des ron ; à la publicité, Mgr Albert Sur le coffret de bois doré – l’Arche deux sections de la Société cana- Tessier et Yvon Thériault, jour- d’Alliance – qui lui sert de piedestal, deux chérubins agenouillés soutien- dienne d’histoire de l’Église et le naliste au quotidien Le Nouvel- nent les extrémités de deux chapelets président de la Société cana- liste ; au cinéma, le franciscain que leur tend la Reine du Rosaire. À dienne d’études mariales, dont Léopold Boileau et l’abbé Léo l’avant la chapelle de 1720 et à l’ar- les séances d’études se tiendront Cloutier, dont on dit qu’il a la rière, la basilique projetée. Source : durant le congrès. confiance de l’évêque. Photo Prisma. Archives du Séminaire Saint-Joseph, 0060-17-14-7.

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Auvergne, à la ligne de démarca- tion des deux zones françaises. Dissimulée dans un camion de légumes, elle réussit néanmoins à atteindre Lourdes, où elle resta bloquée jusqu’au 28 mars 1943. C’est de là qu’elle amorça son Grand Retour vers sa paroisse d’origine, où elle arriva finale- ment le 29 août 1948.

Mais que signifie cette appella- tion de « Grand Retour » ? Est- ce seulement le déplacement du « char de la Madone » vers son port d’attache ? L’expression a Le Grand Retour à Louiseville, 28 juillet 1954. AMSHR, Fonds Le Nouvelliste. pu signifier bien plus, et la péré- grination de la Vierge aussi : le Les exercices de piété et les acti- té canadienne. En prévision du retour après la guerre des ab- vités culturelles (exposition, mu- congrès marial de 1954, les sents, des prisonniers et des dé- sique, théâtre, cinéma) sont lar- Oblats organisent ce qu’on a portés ; le retour à la religion gement publicisés, grâce notam- nommé Le Grand Retour de la prescrite, un retour à Dieu dans ment à la coopération des mé- Madone. L’expression leur est une démarche de conversion per- dias. L’organisation matérielle inspirée par le Grand Retour de sonnelle, et même, pourquoi pas, du congrès, tel le logement des la Madone itinérante de Bou- le « Retour de la France à Dieu » visiteurs, est confiée à des auto- logne, dont il convient mainte- à cette époque où la France, déjà rités reconnues. nant de dire un mot. en partie déchristianisée, était considérée par certains comme Les instances gouvernementales Boulogne est une ville maritime un véritable « pays de mission ». et municipales sont sollicitées et du nord de la France qui, en accordent leur appui. On attend 1938, avait accueilli le IVe Con- Certes, le Québec de 1954 n’est une aide de 15 000 $ de la part grès national marial. À cette oc- pas la France d’après-guerre : on du premier ministre Duplessis, il casion, un jésuite avait suggéré n’est pas ici en pays de mission ! en verse 25 000 $. La Ville de de faire promener par les routes En 1956, l’évêque de Trois- Trois-Rivières met à la disposi- une effigie de la Vierge nauto- Rivières, Mgr Georges-Léon tion des organisateurs le terrain nière afin de « provoquer un cou- Pelletier célèbrera plutôt du parc de l’Exposition, ses es- rant de foi, de repentir et l’« Apothéose de notre église dio- paces et les bâtiments. C’est là et d’amour ». Une fois le congrès césaine » dont les signes sont le sur le terrain du sanctuaire qu’il clos, l’idée vint d’un pèlerinage nombre grandissant de prêtres est prévu que le congrès se dé- d’une statue vers Le Puy, où (368), de religieux (493), et de roule, mais pas uniquement, car devait se tenir un congrès marial religieuses (1 898), les multiples les séances d’études se tiendront en 1942. La guerre gêna le par- œuvres d’apostolat, les tiers- au Séminaire Saint-Joseph. cours de la statue, le congrès fut ordres et les associations reli- annulé et remplacé par un ras- gieuses, et enfin le fort pourcen- Qu’advient-il de la Madone, par- semblement de routiers, à qui tage de catholiques (89,02 % de tie déjà depuis cinq ans ? fut demandé d’emmener « une la population). Dans ce con- madone très vénérée dans leur texte, on comprend aisément UNE INSPIRATION province ». l’enthousiasme des organisateurs FRANÇAISE du congrès de 1954. Ils n’en pré- Partie de Nancy en direction du parent pas moins ce qu’ils ont Les voyages de statues de la Puy, la pérégrination de Notre- nommé eux aussi Le Grand Re- Vierge ne sont pas une exclusivi- Dame de Boulogne fut arrêtée en tour de la Madone du Cap.

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LE GRAND RETOUR DE Largement inspiré par l’histoire parc de l’Exposition, lors des LA MADONE DU CAP de la pérégrination de Notre- représentations théâtrale et mu- Dame de Boulogne qui visait à séale, et enfin lors de la fête de On se rappelle qu’à la fin du con- rassembler les chrétiens et à con- l’Assomption de la Vierge, le 15 grès marial d’Ottawa, l’Arche forter leur foi en Marie- août. d’Alliance avait regagné le Qué- Immaculée, l’épiscopat canadien bec sans manifestation. Ce confia aux Oblats du Cap-de-la- L’historien Jean Hamelin a con- voyage sans éclat devait être Madeleine l’organisation du dé- clu ceci du Congrès marial d’Ot- repris afin de renouveler l’en- placement du char de la Madone tawa : « C’est la foi simple de la thousiasme des foules pour le à Ottawa, en 1947. Son aller im- foule qui confère à ces festivités culte marial. Le véritable Grand pliquait, bien sûr, le retour vers son sens spirituel [...] une chré- Retour de la Vierge pèlerine dé- le lieu de son départ. Cela se fit tienté a profilé sur l’horizon du bute à Windsor, en Ontario. Le sept ans plus tard. L’accueil qui temps ses derniers feux ». Visi- char qui la porte, le même qu’en lui fut réservé dans son parcours blement, sept ans plus tard, les 1947, amorce alors son voyage depuis Windsor, au prin- derniers feux n’étaient pas en- vers Trois-Rivières, où l’évêque temps 1954, laissa anticiper la core éteints, mais bien plutôt l’accueille le soir du 4 août. Le réussite du congrès. entretenus. lendemain, elle est rendue à son sanctuaire pour l’ouverture du Son succès se mesure par la forte Sources Congrès. Ce périple de 97 jours présence de la hiérarchie catho- l’a conduite dans dix-huit dio- lique et orthodoxe et la partici- HAMELIN, Jean, « Le XXe cèses : cinq ontariens, onze qué- pation des masses, qui ont mar- siècle, Tome 2, de 1940 à nos bécois et deux du Nouveau- qué les nombreux et forts ras- jours », dans Nive Voisine (dir.), Brunswick. Elle y a fait l’objet semblements : au sanctuaire, Histoire du catholicisme québé- de 327 manifestations, animées dans les rues lors de la parade cois, Vol. 3, Montréal, Boréal par 15 Oblats. qui se termina sur les terrains du Express, 1984, p. 103-108.

À l’angle des rues Des Forges et Notre-Dame, côté sud, le poste de radio CKTR PÉROUAS, Louis, « Le grand affiche sa contribution à la diffusion des évènements du congrès. La neuvaine retour de Notre-Dame de Bou- mariale, 6 au 14 août, est célébrée sur les ondes radiophoniques. AMSHR, logne à travers la France (1943- Fonds Le Nouvelliste. 1948). Essai d’interprétation », Archives des sciences sociales des religions, 1983, 56/1 (juillet- septembre), p. 37-57.

Le Congrès marial national, 5-15 août 1954. Rapport illustré. Cap- de-la-Madeleine, Sanctuaire Notre-Dame-du-Cap, 1954, 151 p.

« Hommage respectueux à S.E. Mgr G-L. Pelletier, évêque de Trois-Rivières à l’occasion de son jubilé d’argent sacerdotal », Le Bonheur, vol. IX, n° 6, juin 1956, 32 p.

Archives du Séminaire Saint- Joseph de Trois-Rivières, Fonds Congrès marial : les procès- verbaux du comité exécutif.

Le Nouvelliste, Nos Droits

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a dévotion à Marie prend des formes Manifestation des jeunes intitulée le « Rosaire multiples. La préparation des âmes au vivant », extrait du livre Le Congrès marial national, 5-15 août 1954. Rapport illustré. Cap-de-la- Lcentenaire de l’Immaculée-Conception est Madeleine, Sanctuaire Notre-Dame-du-Cap, 1954. le but visé. En voici des exemples : la récitation du chapelet en famille est amorcée à London, en Ontario, en 1948. Elle atteint le Québec à l’au- tomne 1950 ; la croisade du rosaire perpétuel débute au Cap-de-la-Madeleine, le 1er mai 1954. Chaque jour de 16 heures à 24 heures, des délégués de toutes les régions du pays récitent le rosaire dans le sanctuaire.

Le sanctuaire de Cap-de-la-Madeleine et le terrain du parc de l’Exposition de Trois-Rivières sont les lieux où s’exprime la ferveur religieuse. Les bâtiments du parc abritent un exposé d’histoire mariale, un spectacle et un kiosque des arts marials

Logement. Le comité du logement est présidé par le chanoine Arthur Brunelle. Il fait lui-même sa correspondance afin de bien contrôler ses démarches et ses problèmes. Il a fait 12 000 demandes et obtenu Gâteau marial. La pâtisserie prend la forme du 4 000 réponses. 2 000 maisons sont en mesure de recevoir deux visi- pont des chapelets, de la Vierge et, en avant- teurs et plus. Il est demandé au journal Le Nouvelliste et au poste de plan, de la chapelle. AMSHR, Fonds Le Nouvelliste. radio CHLN d’accorder une publicité au logement. Fonds privé Louise Gauthier.

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Pièce de théâtre. La scène évoque à la fois la naissance de Jésus et le centenaire du dogme de l’Immaculée-Conception 1854- 1954. L’évêque Georges-Léon Pelletier est en première rangée. École Saint-Joseph, Cap-de-la-Madeleine, janvier 1954. AMSHR, Fonds Le Nouvel- liste.

Le spectacle marial, le cœur Thompson. Photographie du haut et celles du bas tirées du livre Le Congrès marial national, 5-15 août 1954. Rapport illustré. Cap-de-la-Madeleine, Sanctuaire Notre- Dame-du-Cap.

À la porte de l’évêché de Trois-Rivières, Mgr Giovanni Panico (délégué apostolique au Canada), James Charles McGuigan (archevêque de Toronto), George Pelletier (évêque de Trois- Rivières), Valerio Valeri (légat papal) et Paul-Émile Léger (archevêque de Montréal).

André Julien (maire de Cap-de-la-Madeleine), Maurice Duplessis (premier ministre du Québec), J.-Louis Baribeau (président du Conseil législatif), le maire Léo Leblanc (maire de Trois-Rivières) et Léon Balcer (député fédéral de Trois-Rivières), lors de la réception du cardinal légat.

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Éléments bâtis et perspectives visuelles d’intérêt le long de la rue Notre-Dame Est au Cap-de-la-Madeleine

Marie-Ève Fiset

Développé à partir du début des années, le manoir des Jésuites, mérations naissantes. Ce Chemin- années 1650, le territoire de Cap- des moulins et une poignée de du-Roy, comme on l’appelle, est de-la-Madeleine fait partie des maisons de bois. connu depuis quelques années, plus anciens noyaux de peuple- dans sa partie de Cap-de-la- ment de la vallée du Saint- Comme dans les autres hameaux Madeleine, comme la rue Notre- Laurent. Un village s’y est con- de la rive nord du fleuve, entre Dame Est. Entre la rue Fusey et solidé près du fleuve, à l’endroit Montréal et Québec, le noyau le boulevard Sainte-Madeleine, du Sanctuaire. Une petite église paroissial initial du Cap-de-la- son parcours est ponctué d’élé- de bois, puis une seconde en Madeleine est traversé par une ments bâtis et de perspectives pierre, toujours en place, consti- importante voie de circulation visuelles d’intérêt qui méritent tuera son épicentre autour du- aménagée entre 1710 et 1730 d’être relevés. quel graviteront, au cours des pour relier les différentes agglo-

Rue Notre-Dame en juillet 1955. AMSHR, Fonds Le Nouvelliste.

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MAISONS TRADITION- NELLES ET ARBRES CENTENAIRES

La rue Notre-Dame part de la rue Fusey et s’étire vers l’est sur quatre kilomètres en longeant la rivière Saint-Maurice, puis la rive nord du fleuve Saint- Laurent. Elle se termine à la li- mite du secteur de Sainte- Marthe-du-Cap. L’étroitesse et la sinuosité de cette voie évo- quent incontestablement son ancienneté. On peut se fermer les yeux et s’imaginer, au milieu du 19e siècle, une lignée de quelques maisons de bois, blanchies à la Maison coin Bellerive, 2019. Maison probablement construite dans la deu- e chaux et derrière lesquelles se xième moitié du 19 siècle. Elle est située à l’intersection de la rue Bellerive. Photographie de l’auteur. dressaient quelques bâtiments de ferme puis des champs plats, mis en perspective au loin, par style en vogue entre le milieu et fonction jusqu’à l’ouverture de une sombre lignée de forêt. Les la fin du 19e siècle, surtout en la troisième église en 1879. En habitants qui y vivaient tiraient milieu rural. 1742, les Jésuites, propriétaires tant bien que mal leur subsis- de la seigneurie de Cap-de-la- tance d’une terre sablonneuse, PLUSIEURS Madeleine, font ériger une mai- peu propice à l’agriculture. RAPPELS DE LA son de pierres dans laquelle leur RELIGION CATHOLIQUE sera réservée une petite Quelques-unes de ces maisons chambre. Construite par Fran- anciennes figurent encore près de Les édifices élevés pour les be- çois Rocheleau, et toujours en la route et s’insèrent à travers soins de diverses communautés place, elle côtoie jusqu’à 1939, le une trame bâtie que les rénova- religieuses catholiques sont bien moulin à farine élevé au 18e tions, plus ou moins heureuses, représentés le long de la rue siècle. Ayant retrouvé sa volu- ont rendue malheureusement Notre-Dame Est. Les deux plus métrie d’origine suite au retrait hétéroclite. Toutefois, à anciens bâtiments de l’est de des deux étages supérieurs et du quelques endroits, et souvent au Trois-Rivières se dressent près toit mansardé, la maison Ro- coin de certaines intersections de la rue Notre-Dame Est et cheleau dite « le manoir des Jé- qui mènent aux paroisses fon- évoquent l’importance du catho- suites » est un témoin de l’archi- dées plus tard pendant le 20e licisme dans le passé. Cachée tecture coloniale française. siècle, de belles maisons an- derrière les denses jardins ciennes prennent place, ombra- du Sanctuaire, se trouve la La période 1840-1960 se caracté- gées par de grands arbres cente- deuxième église de la paroisse rise au Québec par une ferveur naires : érables argentés, ormes, Sainte-Marie-Madeleine. Cons- religieuse intense. Les services peupliers, chênes et pins. Ces truite entre 1717 et 1720, consi- sociaux (éducation, soins hospi- plus anciennes demeures possè- dérée comme l’une des plus an- taliers) sont pris en charge par dent habituellement une toiture ciennes églises du Québec, elle des communautés religieuses à deux versants, souvent cour- possède l’architecture sobre des féminines et masculines fondées bés, qui les rattachent à la mai- lieux de culte ruraux construits au Québec et ailleurs. Les Oblats son traditionnelle québécoise, un durant le 18e siècle. Elle reste en et les Filles de Jésus quittent la

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La communauté des Filles de Jésus fait ériger, entre le fleuve et la rue Notre-Dame Est, un couvent en 1939 selon les plans de l’architecte trifluvien Ernest L. Denoncourt. Bien dissimulé des regards par son retrait de la voie publique et ses grands arbres, ce couvent a instruit plus d’une génération de jeunes filles. D’autres bâtiments institution- nels religieux ponctuent le par- cours de la rue Notre-Dame Est. On retrouve la maison Reine des Apôtres (1937) ouverte pour les retraites fermées, l’ancien cou- vent des Sœurs de la Charité d’Ottawa (1951), l’édifice de la congrégation des Carmes (1969) et la Maison de la Madone.

C’est dans le secteur du Sanc- tuaire que l’on comptait autre- La basilique et l’arrière du monastère des Oblats. Photographie de l’auteur. fois quelques commerces, maga- sins et banque, et un bâti rési- dentiel des plus anciens. Que ce France pour venir s’installer au soit pour agrandir l’espace né- Québec, et entre autres, au Cap- de-la-Madeleine. Les Oblats arri- Ancien commerce, 2019. L’un des rares bâtiments encore debout témoignant vent en 1902 pour diriger la pa- des activités commerciales du secteur du Sanctuaire. Il est situé à l’intersec- roisse Sainte-Marie-Madeleine et tion de la rue du Père-Barabé. Photographie de l’auteur. les œuvres du pèlerinage com- mencées depuis les années 1880. Ils font construire un grand mo- nastère en 1902-1904 selon les plans de l’architecte Georges- Émile Tanguay. Au cours des décennies suivantes, ceux-ci pro- cèdent à l’aménagement du site du Sanctuaire en y organisant d’élégants jardins, dont le dense couvert forestier longe une par- tie de la rue Notre-Dame Est. Non loin de ces jardins, la basi- lique construite dans les an- nées 1950-1960 occupe un point culminant dans le paysage, avec son architecture résolument mo- derne inspirée du courant de Dom Bellot.

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scie, tannerie, manufactures d’articles de bois, usines de pâtes et papier se concentrent dans les extrémités est et ouest de la rue Notre-Dame Est. On retrouve notamment le vaste complexe de brique de la Wayagamack (1911 -1912), sis sur l’île de la Potherie, dont la haute cheminée rouge et blanche ainsi que le pont ferro- viaire qui y mène sont percep- tibles au détour des courbes de la rue Notre-Dame Est.

Le paysage de l’extrémité est de la rue Notre-Dame Est se carac- térise également par la présence de la grande industrie. La Gres Falls Company s’y installe en 1909 et fait construire une usine de pâte de bois. Cette usine de- vient ensuite la propriété de la Saint-Maurice Paper jusqu’en 1930. Si les propriétaires ont Pont ferroviaire. L’industrialisation est accélérée par l’aménagement du che- changé à plusieurs reprises au min de fer à la fin des années 1870. Le pont ferroviaire métallique qui joint cours des années, on retrouve l’usine Wayagamack sur l’île de la Potherie occupe une position intéressante à toujours l’imposant corps de l’écart de la rue Notre-Dame Est. brique de l’usine et sa cheminée La main-d’œuvre employée dans ces industries s’installe à proximité de son qui pointe fièrement vers le ciel. lieu de travail. C’est de cette façon que se densifie le secteur avec l’ajout de Entre les années 1910 et 1920, courtes artères à l’ouest de la rue Notre-Dame Est. Ce réseau de rues étroites et sinueuses s’arc-boute au chemin principal, dans sa partie qui fait face à la ri- ces entreprises font construire vière Saint-Maurice. En bordure de ces rues minces, s’étalant d’une façon des maisons pour leurs cadres et quelque peu désordonnée, se pressent des habitations de styles architecturaux employés spécialisés. Plusieurs américains, populaires entre la fin du 19e siècle et les premières décennies du ont été détruites, mais on re- 20e siècle. Photographie de l’auteur. trouve encore deux ensembles intéressants, disposés de part et d’autre de la rue Notre-Dame cessaire aux activités des pèleri- L’ÉPOQUE INDUS- Est, l’un près du fleuve et le se- nages ou pour faire place à TRIELLE : CHEMIN DE cond de l’autre côté de la rue. d’autres bâtisses, près d’une FER, USINES ET MAI- Ces maisons possèdent une ar- soixantaine de bâtiments rési- SONS DE COMPAGNIE chitecture d’inspiration améri- dentiels et commerciaux furent caine importée du pays d’appar- démolis ou incendiés avant les Avec l’industrialisation et l’ur- tenance des dirigeants de ces années 1990. banisation, Cap-de-la-Madeleine compagnies. passe alors d’un milieu rural à un milieu urbain. Différents types d’industries s’implantent Grâce à son parcours étroit tout sur le territoire entre le milieu du en courbes, à ses éléments bâtis 19e siècle et le début du 20e uniques et ses arbres centenaires, siècle. Chantier naval, moulins à la rue Notre-Dame Est possède

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Rue Saint-Alphonse, 2019. La rue Saint-Alphonse avec sa trame bâtie dense et serrée. Les toitures de cer- taines maisons sont encore coiffées d’une tôle pincée qui luit agréablement au soleil. Photographie de l’auteur.

Place Freeman 2019. L’une des mai- sons de la place Freeman, enfouie sous un dense couvert d’arbres. Photogra- phie de l’auteur.

un charme certain. Il convient Madeleine disparue ou presque, de Cap-de-la-Madeleine (1651- de faire perdurer dans le temps, 4 mars 2014 », . tectural du Chemin-du-Roy, 2003. futures. BINETTE, Gérald, Répertoire PATRI-ARCH, Inventaire du des édifices anciens (cent ans et patrimoine bâti de Trois-Rivières, Sources plus) de Cap-de-la-Madeleine, 2009. [s.l.], [s.n.], 2001, 138 p. BEAUDOIN, René, Passionnés d’histoire trifluvienne « Cap-de-la- LORANGER, Maurice, Histoire

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Le journal Nos Droits et la propagande de l’Union nationale, 1948-1964 Daniel Robert

Créé à l’initiative de Maurice sauvegarder « nos droits », pré- etc.) au cours des quatre années Bellemare, député de Cham- server l’autonomie de la pro- précédentes (1944-1948) et sur plain, le journal Nos Droits vince, seconder le premier mi- les campagnes électorales ré- reflète l’idéologie politique, les nistre Maurice Duplessis, centes. combats de l’Union nationale « bâtisseur d’une province pros- père, heureuse et féconde en réa- Ces orientations ont été mainte- et de son chef, Maurice Du- lisations ». Nos Droits est, en nues jusqu’au changement de plessis. L’hebdomadaire survit effet, l’organe de l’Union natio- propriétaire le 23 mars 1962. quelques années à son décès, nale dans le comté de Cham- D’« [o]rgane du comté de Cham- puis passe entre les mains de plain. Le député Bellemare, voit plain », le journal se proclame Maurice Loranger qui en mo- alors « un de [ses] plus beaux « seul hebdomadaire du Cap et difie les orientations et la fac- rêves se réaliser » un mois avant du comté de Champlain ». Dans ture. l’élection du 28 juillet 1948. l’éditorial, son propriétaire, Maurice Loranger, présente la LES ORIENTATIONS Diffusés en pleine campagne publication sous un jour neuf : électorale, les premiers numéros impartiale, sans considération D’entrée de jeu, le journal Nos donnent le ton. Ils comportent d’intérêt et non partisane. Droits expose son but et ses mo- essentiellement des textes et des Émettre une opinion ressort ce- tivations dans son premier nu- photos sur les réalisations de pendant de l’éditorialiste. méro, publié le 25 juin 1948 : l’Union nationale (ponts, écoles,

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GESTION ET FINANCES

Puisqu’il est créé par l’Union nationale pour son projet poli- tique, on pourrait croire a priori que le parti subventionne le journal, mais non ! Distribué gratuitement par la poste dans tous les foyers du comté de Champlain, son tirage passe de 6 665 copies en 1948 à 7 800 co- pies en 1952. Ses revenus pro- viennent essentiellement de la vente publicitaire : plusieurs pages pour les petites annonces et autres cartes professionnelles. La publicité prend effectivement beaucoup de place dans l’hebdo- madaire, à tel point que le jour- nal doit à maintes reprises pu- Maurice Bellemare à son bureau de Cap-de-la-Madeleine en avril 1948. Cette blier un avis à ses lecteurs pour photographie est parue dans la première édition du journal Nos droits, p.1. s’en excuser. Le personnel fait sa AMSHR, Fonds Le Nouvelliste. part en retour pour soutenir ses commanditaires, en écrivant dans chaque numéro « L’ÉQUIPE teurs, il apparaît clairement que Patronisez nos annonceurs » et l’existence même du journal re- en imprimant leurs communi- Pendant près de quatorze ans, le pose principalement sur ses col- qués. Bien évidemment, ce type député de Champlain est le laborateurs et ses correspon- de revenu ne suffit pas et le jour- grand patron du journal. Paul dants. Nos Droits n’a aucun re- nal lance une campagne d’abon- Dupuis, chroniqueur radiopho- porter attitré, aucun journaliste nement en 1952. Il est de 2 $ en nique, en assume la direction et sur le terrain et la majorité de 1962 et ne sera pas modifié par la suite. Maurice Loranger, fonctionnaire ses informations proviennent de la ville de Cap-de-la- des communiqués qu’il reçoit. Imprimé d’abord par le St. Madeleine et membre actif de la Maurice Valley Chronicle, le Société d’histoire, l’administre. La publication des numéros qui journal passe à partir du numéro Mais qui sont les autres collabo- suivent le changement de main du 6 avril 1950 aux presses de la rateurs ? On sait que Fidèle Ala- en 1962 ne montre pas la pré- nouvelle imprimerie de L’Art rie rédige les chroniques munici- sence de collaborateurs davan- Graphique, propriété de J.-Réal pales et qu’Alphonse Dauphi- tage identifiés. On notera cepen- Desrosiers. Le dernier change- nais anime la chronique spor- dant que certains laissent leurs ment se produit en 1962, lorsque tive, sans plus. Les papiers ne initiales. Un éditorial de Conrad le journal est imprimé offset, portent généralement aucune Godin, le 13 septembre 1962, aux Presses lithographiques inc. signature et les chroniques, sauf souligne le dynamisme de la So- de l’imprimerie Bégin de Lac rares exceptions, sont publiées ciété Saint-Jean-Baptiste ; le 23 Etchemin. L’éditeur se dit en seulement sous des prénoms ou mars 1964, Gilles Boulet signe mesure de vanter la reproduc- des pseudonymes. Au-delà des « L’unilinguisme dans le Québec tion des photos et il présente la difficultés à identifier les rédac- est-il possible et souhaitable ? ». une renouvelée et colorée.

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LE CONTENU

Bien identifié en première page de chaque numéro comme « Organe du comté de Cham- plain », le journal doit justifier son contenu à la veille de sa campagne d’abonnement, le 2 octobre 1952 : un hebdomadaire dont la mission se confine « aux petites nouvelles d’intérêt local que les grands journaux sont forcément obligés de négliger ». Il en sera ainsi jusqu’à la ferme- ture du journal.

L’hebdomadaire vise d’abord à informer sur tout ce qui se passe de notable à Cap-de-la- Madeleine, dans les paroisses et les municipalités du comté : les expositions agricoles, l’implanta- tion de nouvelles industries, les Maurice Loranger et son épouse Alice Beaumier lors du congrès des hebdos en 1963 au Manoir Richelieu. Fonds privé Gérard Loranger. campagnes du Timbre de Noël, celles de la Croix-Rouge, etc. Il est frappant de constater que LA PROPAGANDE Nos Droits se garde d’accorder la toutes les informations de nature moindre importance à ce qui religieuse ou cléricale sont im- Ici, le terrain est occupé par le porterait ombrage à Duplessis et manquablement transmises par discours partisan. Toutes les ac- à l’Union nationale. Par le journal : célébrations, ordina- tivités du premier ministre à exemple, lors de l’effondrement tions, bénédictions diverses, ju- Trois-Rivières ou dans le comté du pont Duplessis en janvier bilés, etc. de Champlain, de même que 1951, un seul petit encadré inti- celles du député local sont signa- tulé vaguement « Avarie grave » Plusieurs chroniques viennent lées. La remise d’octrois par le rapporte l’événement. Pas de compléter les informations géné- député Bellemare jouit de la gros titre, pas de une, pas de rales : « Courrier des villages », même visibilité : aux commis- photo du pont effondré ni de sions scolaires et à l’hôpital «Chronique municipale », reportage subséquent. Cloutier, par exemple. Ce fai- «Courrier parlementaire ». sant, Nos Droits perpétue la Par contre, Nos Droits ne se gêne D’autres ont évidemment pour croyance populaire selon la- pas pour critiquer régulièrement seul but d’attirer de nouveaux quelle les subventions gouverne- les adversaires politiques. Il ac- lecteurs ou, à tout le moins, de mentales constituent des « cuse fréquemment le journal retenir les lecteurs assidus. cadeaux ». C’est ainsi que le 8 L’Avenir de malhonnêteté et Le Comme tout journal destiné au janvier 1959, on peut lire un ar- Clairon d’injures grossières et grand public, Nos Droits compte ticle intitulé « Octroi de d’insultes gratuites. Sur la scène aussi ses quelques pages spor- $ 60 000» qui porte le sous-titre fédérale, il tire à boulets rouges tives, ses mots croisés, ses « Cadeau du premier ministre de (ou bleus ?) sur le gouvernement bandes dessinées et son horos- la province à la cité du Cap-de-la- libéral de Louis Saint-Laurent et cope. Madeleine ». le député fédéral Irénée Rochefort,

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surtout lorsqu’il s’agit de décla- réputation du maire Roméo rations prétendument fausses, Morrissette. On reconnaît avoir trompeuses ou haineuses. Toute- écrit des faussetés de nature à fois, on ne manque aucune occa- ternir la réputation du maire. La sion de parler avantageusement rétractation est suivie du texte du député progressiste- intégral de la réponse envoyée conservateur de Trois-Rivières, au journal par le maire et dans Léon Balcer. laquelle il qualifie le journal Nos Droits de « calomniateur public » Enfin, sur la scène municipale, il avec ses propos «malicieusement est clair que le journal ne s’en- diffamatoires ». tend absolument pas avec le

Le député progressiste-conservateur de Trois-Rivières, Léon Balcer reçoit l’appui du journal Nos Droits. 1963. BAnQ, P833,S2,D160.

Lorsque Maurice Loranger en prend la direction en 1962, la visibilité de l’Union nationale est réduite à néant et la vente publicitaire est en chute : Lorsque la propagande va trop loin, Nos Droits présente ses excuses en 1953. l’inquiétude perce sur la viabilité de l’hebdomadaire. Le 13 dé- cembre 1962, Nos Droits pro- maire de Cap-de-la-Madeleine, LE RETOURNEMENT clame son existence malgré les Roméo Morrissette. Durant les prédictions de sa disparition pro- semaines qui précèdent l’élection La famille, la religion et les chaine, qui surviendra néan- du 6 juillet 1953, l’hebdomadaire mœurs rurales sont des valeurs moins à la publication du numé- donne beaucoup de visibilité à qui ont imprégné la presse ro 23 du volume XVI, le jeudi 26 son adversaire, André Julien. champlinoise. Maurice Belle- mars 1964, sans aucun préavis ni S’étonnera-t-on alors de son si- mare, député depuis seize ans et même avis de cessation. lence lors de la confrontation réélu pour un cinquième mandat électorale de 1957 entre le maire le 22 juin 1960, en assume encore Source Julien et le député Bellemare la direction, mais tenir le fort pour la mairie de Cap-de-la- après l’élection des gouverne- Nos Droits (1948-1964). Dispo- Madeleine ? ments de et de Les- nible en support papier à la Bi- ter B. Pearson à Ottawa en 1963 bliothèque Gatien-Lapointe de Puis voici que Nos Droits est à est presque devenu une chimère. Trois-Rivières et à la micro- son tour au banc des accusés. Le Le journal réussit quand même à thèque de l’Université du Qué- 9 avril 1953, il se rétracte des survivre pendant quatre autres bec à Trois-Rivières (cote JL1 propos diffamatoires contenus années (1960-1964). N68). dans un article qui ternissait la

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