Dans la même collection :

n°1 Les Bruyères-Saint-Julien n°11 Les hommes de presse de l’agglomération rouennaise

n°2 Décors et Urbanisme n°12 Jean-Jacques Rousseau et l’Académie à travers la rive sud des sciences et belles lettres de

n°3 De Malaunay à l’île Lacroix La ligne 16 de la TCAR n°13 Quelques grandes figures médicales rouennaises n°4 Saint Romain De la légende… à la foire n°14 Sources & fontaines

n°5 Le Parlement de Normandie n°15 Le patrimoine architectural 1499-1790 du plateau est

n°6 Et la Seine devint maritime n°16 En suivant TEOR…

Le port de Rouen n°7 De l’Île Lacroix à La Bouille n°17 Le chemin de fer dans l’agglomération rouennaise de 1843 à aujourd’hui n°8 Rouen, lieu d’histoire maritime

n°9 Mémoires de Guerres I La Rive gauche de 1870 à 1914 n°10 Mémoires de Guerres II La Rive gauche de 1914 à 1940

Gratuit, ne peut être vendu. Imprimé sur papier recyclé UN SPORTIF NORMAND EXCEPTIONNEL, JACQUES ANQUETIL 1934-1987 Cécile-Anne Sibout

Collection histoire(s) d’agglo n°18 Composition du groupe Histoire : - Alain Alexandre - Jérôme Chaïb - Michel Croguennec - Frédéric David - Jérôme Decoux - Fanny Germain - Claude Lainé - Serge Martin-Desgranges - Jean-Yves Merle - Jean-Robert Ragache - Philippe Renault - Jacques Tanguy - Cécile-Anne Sibout. Coordonnateur : Loïc Vadelorge

Conception, réalisation et suivi : Direction Culture - Jeunesse de la Communauté de l’Agglomération Rouennaise Serge Martin-Desgranges

Conception graphique : Stéphanie Marc

Réalisation : Agnès Drouillon

Contact : Direction Culture - Jeunesse Communauté de l’Agglomération Rouennaise Immeuble “Norwich House” 14 bis avenue Pasteur, BP 589 76006 Rouen Cedex 1 Tél : 02 32 76 44 95 - Fax : 02 32 08 48 65 e-mail : [email protected] Chère Madame, Cher Monsieur,

En juillet prochain le Tour de fera étape dans notre agglomération. À cette occasion, la Communauté de l’Agglomération Rouennaise et -Normandie se sont associés pour rendre hommage au grand champion cycliste haut-normand que fut Jacques Anquetil. Aujourd’hui encore cet homme aux qualités physiques exceptionnelles et au caractère hors du commun figure parmi les personnalités les plus appréciées des Normands. Le courage, la ténacité, le goût de l’effort ont fait entrer Jacques Anquetil dans la légende du sport et l’érigent en véritable exemple pour toutes celles et ceux dont le vélo est la passion.

Bien chaleureusement,

François ZIMERAY Amaury DEWAVRIN

Président de la Communauté de l’Agglomération Rouennaise Directeur Général de Paris-Normandie TOUR 1957 : PREMIÈRE VICTOIRE SUR LES QUAIS DE ROUEN INTRODUCTION

11 juillet 2002 : la 5e étape du s’achèvera à Rouen, quai de Boisguilbert. Comme lors du départ de la Boucle en 1997, on rendra hommage à Anquetil, qui a dominé le cyclisme des années soixante. Un champion se construit grâce aux dons physiques et à la volonté, mais a besoin aussi de soutiens extérieurs : les bénévoles des clubs, relayés par l’enthousiasme des supporters et des collectivités locales. Anquetil a débuté, dans l’agglomération, à l’Auto-Cycle Sottevillais, entraîné par le compétent André Boucher. La bicyclette est un exemple encourageant de démocratisation du sport. Réservée à l’origine aux gens aisés, elle se popularise lorsque son prix baisse. Permettant à l’ouvrier de s’éloigner de l’usine, elle devient avec les congés payés symbole d’évasion. C’est aussi l’instrument de prouesses sportives dès le premier Tour de France en 1903. La bicyclette appartient à notre patrimoine : le Véloce Club de Rouen, créé en 1869, est l’un des plus anciens clubs du monde, et Paris-Rouen, une des premières courses. Actuellement le cyclisme jouit d’une belle vitalité : compétition, cyclotourisme, mais aussi moyen de transport non polluant encouragé par la Communauté de l’Agglomération. Le sport se pratique de mille façons et Anquetil, en bon vivant, n’aurait pas désavoué le vélo- détente. Alors filons derrière sa roue…

5 LE FILS D’UN MAÇON-FRAISIÉRISTE J ACQUES 6 A QEI À NQUETIL 4 ANS tique… desgénérationsde Saint-Bernard ontprécédé le lévrier d’aujourd’hui" : Jacques Anquetil, néen 1934 àMont-Saint-Aignan dans labanlieuenordde Rouen, vientd’unmilieu où ilfaut travailler durpour gagner savie. Son pèreest maçon àBois-Guillaume, une commune voisine. À e suisunanimalrus- partir de 1941, peu dési- gagner le Tour de France ; 7 reux de construire pour les Jacques écoute les repor- Allemands, il s’établit tages de la course à partir quelques kilomètres plus d’une massive radio à lam- loin à Quincampoix, au pes. Depuis sa première hameau du Bourguet, pour communion il possède cultiver les fraises. Dès enfin un vrai vélo qu’il a trois heures du matin, attelé contribué à payer en à sa voiture à bras, il part cueillant des fraises, occu- les vendre sur les marchés pation qui muscle reins et de Rouen. L’enfance de jambes. Jacques Anquetil n’est pas malheureuse entre la petite maison familiale à colom- bages, la communale de Quincampoix et les courses en vélo jusqu’à Clères voire Dieppe ou Rouen pour aller au cinéma. Les côtes autour de la grande ville sont rudes. Jean Robic s’est illustré en 1947 dans celle

de Bonsecours, avant de MONUMENT ROBIC, CÔTE DE BONSECOURS ANQUETIL N’EST OUVRIER QU’UN MOIS : “NE PAS REPRENDRE ; PARTIPOUR FAIRE DU SPORT LE JEUDI”

Cette même année 1947 le fils vélo, présente Anquetil à André du maraîcher, muni du certificat Boucher animateur de l’Auto- d’études, s’inscrit au collège Cycle Sottevillais (ACS), club technique sottevillais Marcel dynamique. Sous le patronage de Sembat. Il revient le samedi chez cet ancien coureur, propriétaire lui à vélo : 15 km, moitié en faux d’un magasin de bicyclettes place plat, moitié en côte, avec beau- Trianon à Sotteville, entraîneur coup de rues pavées. C’est le exigeant et méthodique, Anquetil temps des défis joyeux entre prend sa première licence fin copains : dévaler en cyclo-cross 1950. Claude Le Ber, champion la Côte Sainte-Catherine, se hisser de France de poursuite et vedette sur les chalands de la Seine à la alors de l’ACS, apercevant le force des mains. triste engin du nouveau-venu, au Un camarade de classe, moyeu arrière faussé et aux Maurice Dieulois, passionné de boyaux rafistolés, lance : "Tu t’es équipé à la décharge publique ?" 8 Mais le jeune sportif, qui accepte les dures cadences de l’entraînement, béné- ficie bientôt de l’équi- pement complet que Boucher accorde aux débutants promet- teurs. Parallèlement il obtient son CAP de tourneur-ajusteur et se fait embaucher à Sotteville. Anquetil ne reste toutefois qu’un mois dans l’en- treprise, son contre- maître refusant de lui accorder le jeudi après-midi pour s’en- traîner, et décide de retourner travailler près de son père : à condition de remplir 50 paniers le matin et 50 le soir, il y bénéfi- ciera de plus de liberté.

LEDÉMARRAGE POUR L’ENTRAÎNEMENT DEPUIS LA MAISON DE QUINCAMPOIX Les premières victoires en Normandie

Le quotidien Paris-Normandie cadre "spécial course". Ayant se bat pour la renaissance également triomphé dans la après-guerre du cyclisme. Il finale contre la montre à Pont- invente et patronne deux épreu- Audemer, malgré un marquage ves composées chacune d’une serré de ses rivaux Caennais, série de courses : le Maillot des Anquetil se retrouve à dix-sept Jeunes, réservé aux moins de ans vainqueur du Maillot des 20 ans, et le Maillot des As, Jeunes. Parmi les autres lauriers récompensant l’élite régionale. récompensant l’adolescent en Au printemps 1951 Anquetil 1951, le titre de champion de participe aux compétitions Normandie des sociétés, acquis comptant pour le Maillot des avec ses coéquipiers-camara- Jeunes. Il engrange des points des Levasseur et Dieulois. dès le Grand Prix du Houlme (22 avril 1951) où il termine 4e. Sa première victoire, il la rem- porte à Rouen au Grand Prix Maurice Latour, épreuve de 110 km, avec comme récompense, outre son premier bouquet, un

10 PREMIÈRE VICTOIRE DANS LE PRIX MAURICE LATOUR 11

nales tel le champion- nat de Normandie à Breteuil-sur-Iton, mais aussi le cham- pionnat de France sur routes amateurs, rem- porté à Carcassonne en partie grâce aux conseils prodigués par Boucher depuis le bord de la route. Désormais Anquetil relègue au second VICTOIRE DANS LA FINALE DU CONTRE LA MONTRE DU MAILLOT DES AS LE plan les autres Nor- 23 AOÛT 1953. ANQUETIL ESCALADE UNE CÔTE ET SADI DUPONCHEL, LE SOIGNEUR, L’ENCOURAGE. mands comme Le Ber ou Creton : aux Jeux Anquetil, qui n’a pas 1952 il fait tout pour Olympiques choisi le vélo par pas- attirer l’attention des d’Helsinki (1952) il sion et ne s’en cachera équipes professionnel- obtient la médaille jamais, songe déjà à les, gagnant de nom- de bronze au sein de sa future carrière. En breuses courses régio- l’équipe de France. En 1953 le Normand qui porte toujours le maillot violet et blanc de l’ACS, cumule les podiums : 1er du Rouen- Lisieux, 1er du Grand Prix du Pays de Caux. À son arrivée victorieu- se aux Bruyères pour la finale du Maillot des As le 23 août, après une course de 122 km com- portant plusieurs fois les côtes des Essarts et de Moulineaux, une foule considérable l’at- tend. Anquetil passe alors professionnel. Paris-Normandie, qui encourage sa carrière, le surnomme le "nou- veau Fausto Coppi" et EXTRAIT D’UN BANDE DESSINÉE PARUE DANS publie une bande des- 12 PARIS-NORMANDIE EN1953 sinée à sa gloire. Survient en septembre Magne, Coppi, Koblet. le premier succès Peu après à Rouen le national qui révèle public ovationne lon- Anquetil à tout l’hexa- guement "son" cham- gone, le Grand Prix pion apparu au balcon des Nations, course de Paris-Normandie, contre la montre dans une scène qui se repro-

la vallée de Chevreuse duira souvent.. LE MINISTRE ANDRÉ MARIE CONGRATULE déjà remportée par ANQUETIL

APRÈS LE TOUR 1963, ANQUETIL AU BALCON DE PARIS-NORMANDIE Le successeur de Louison Bobet

Anquetil va dominer le haute montagne qu’en cyclisme après la retraite 1955, au tour du Sud-est. de Louison Bobet, vain- L’entraînement dans sa queur du Tour de France en jeunesse sur les pentes rai- 1953, 1954 et 1955. Il ga- des des collines de Rouen gnera cinq fois la Grande n’aura pas été inutile ! À Boucle (1957, 1961 à ses côtés, dès cette année- 1964), record qui tient tou- là, et pendant toute sa car- jours actuellement, même rière, sa future épouse s’il a été égalé depuis par Janine, ancienne infirmière Merckx, Hinault et qui lui sert de pilote entre Indurain. Dès sa première deux courses et d’efficace participation en 1957, intendante. Anquetil remporte le Tour de France à 23 ans : il En 1960 Anquetil est le construit sa victoire dans les premier Francais à conqué- Alpes, malgré la présence rir le Tour d’Italie (Giro). de redoutables grimpeurs Lors du Tour de France comme le Luxembourgeois 1961, il s’empare du Charly Gaul ou l’Espagnol maillot jaune à la première Federico Bahamontès. Il étape et ne le quitte plus jus- 14 n’a pourtant affronté la qu’à l’arrivée. Les succès 15 s’enchaînent ainsi sans dis- continuer. Au brillant actif d’Anquetil on note entre autres deux Tours d’Italie, comme son grand concur- un Tour d’Espagne, cinq rent. En 1964, un duel Paris-, neuf Grand Prix homérique se joue sur les des Nations, deux records pentes du Puy-de-Dôme, du monde de l’heure… Le grimpé par les deux hom- Normand excelle dans le mes au coude à coude ; contre-la-montre. Il n'aime Jimenez emporte cette guère en revanche les clas- étape, mais Anquetil sera siques, c'est-à-dire les tout de même le vainqueur courses d'un jour comme le du Tour, avec seulement 55 Paris-Roubaix (où il secondes d'avance sur son échoue de peu en 1958), rival. En 1965 le Normand estimant que ce sont des réussit un double insensé : "loteries" dans lesquelles enchaîner le Critérium du une simple crevaison peut Dauphiné libéré (sept jours ruiner tout espoir. de course) et - Paris (557 km, la plus lon- Dès le Tour de France 1962 gue classique), sans prendre Raymond Poulidor est déjà entre les deux épreuves présenté par les médias une seule nuit de répit. La fidélité à la Normandie

Parmi plus de deux ration. En 1954 il Plus tard en 1959 cents victoires à l'actif entame son service Anquetil s'installe d'Anquetil, plusieurs militaire à la caserne avec son épouse, à ont pour cadre les Richepanse à Rouen, Saint-Adrien, dans environs de Rouen. au 406e régiment d'ar- une gentilhommière Le champion entre- tillerie, où il bénéficie avec embarcadère en tient en effet des liens d'ailleurs rapidement bord de Seine. Il s'y forts avec l'agglomé- d'un statut privilégié. repose après chaque grande épreuve, invi- tant ses coéquipiers préférés, tels André Darrigade, Jean Stablinski ou Lucien Aimar, mais aussi ses vieux camarades de l'AC de Sotteville. Quant aux attaches sportives d’Anquetil avec Rouen, elles res- tent vives jusqu'à la

ANQUETIL “TROUFION” ÀLACASERNE RICHEPANSE fin de sa carrière, car c'est là qu'il s'entraîne régulière- ment. Chaque année en début de saison, Boucher inflige de dures cadences à son ancien protégé der- rière son derny, cyclomoteur utilisé à l'époque pour entraî- ner les coureurs. C'est grâce à ces kilomètres avalés à un rythme forcené en particulier dans les environs de Grand-Couronne qu'Anquetil bat le record de l'heure en 1956 et multiplie les victoires au Grand Prix des Nations.

RUDE ENTRAÎNEMENT DERRIÈRE ANDRÉ BOUCHER Boucher entraîne d'ailleurs épreuves de réputation avec succès d'autres poulains souvent modeste qui le normands, notamment Jean ramènent parfois dans ses Jourden champion du terres natales. En bon pro- monde sur route des ama- fessionnel désireux d’ho- teurs en 1961. norer son contrat, il fournit de réels efforts, même si Après le Tour de France l'enjeu est faible, pour que commence le temps des cri- le public ne soit pas déçu. tériums provinciaux. Les Anquetil est en particulier coureurs "monnaient" alors un habitué du critérium leurs performances fraîches, des Essarts, où il s'impose tout en s'octroyant de semi- dès sa création en 1955 vacances. Ces épreuves devant Coppi. régionales révèlent l'éton- Lors de quelques courses nante faculté de récupéra- prestigieuses la foule a pu tion d’Anquetil, qui pédale acclamer Anquetil à Rouen une centaine de kilomètres même. En 1957 la troisiè- chaque jour, voyage une par- me étape du Tour de tie des nuits en voiture et, France se déroule de sitôt arrivé dans une ville à Rouen. Darrigade qui lui fait fête, remonte sur conseille à Anquetil de son vélo. Le Normand n'a profiter d'une échappée : pas honte de s'inscrire à ces "Tu arrives chez toi, tu dois gagner", et le constituée de deux 19 cata-pulte d'une éner- étapes successives gique bourrade, (Rouen-Versailles, laquelle lui coûtera puis un circuit dans rant" où il esquisse une amende. Anquetil cette deuxième ville). un parallèle hilarant remporte là sa pre- Anquetil endosse alors entre cyclisme et art mière étape devant les le maillot jaune pour gothique : le coureur, quais de la Seine noirs ne plus le quitter jus- dans l'effort, prend un de monde. Il s'empare qu'à l'arrivée finale à visage de gargouille, du maillot jaune un Paris. Évoquant ce massé à l'étape il res- peu plus tard, à brillant début sur ses semble à un gisant… Charleroi, et le porte- terres, le Normand La fameuse rivalité ra au total 49 fois avouera: "Toute la Anquetil-Poulidor se dans sa carrière. ville dans la rue, en déroule même parfois scandant mon nom, dans l'agglomération. En 1961 c'est de m'insufflait un peu Chez lui, sur le circuit Rouen même que de sa confiance". des Essarts, le Nor- démarre la Grande Quant à l'écrivain mand en fin de carriè- Boucle. Avec son Antoine Blondin, il re, remporte en 1967 compère Darrigade, rédige le soir-même devant le Limousin le Anquetil enlève cette pour L'Équipe une Critérium national de première épreuve chronique intitulée la route, après un "Jacques le Conqué- beau sprint final. hysiquement, Anquetil ne possède qu'un gabarit moyen, mais il fait preuve très tôt de dons sportifs exceptionnels. En selle, son aérodynamisme est parfait. Le buste reste

UN AÉRODYNAMISME PRESQUE IDÉAL presque fixe, tandis que la tête plonge vers le guidon. Le coup de pédale reste à la fois élégant et efficace,

UN CHAMPION ATYPIQUE même lorsque le Normand se hisse pour avaler une pente, et l’aisance du style parvient à masquer la 20 souffrance. "Jacques le conquérant" gratuit", l’échappée pleine 21 est le maître de l'effort soli- de panache mais épuisante. taire : il triomphe à maintes Du coup certains lui repro- reprises dans les épreuves chent de supprimer l'émo- contre la montre, pour les- tion et le suspense. Les rap- quelles il utilise des bra- ports du Normand avec le quets imposants (8,54 m en public, qui lui préfère le 1967 lorsqu'il tente pour la souriant et malchanceux deuxième fois le record de Poulidor, se révèle parfois l'heure). tendus : Anquetil baptisera Anquetil sait toutefois son hors-bord "sifflet" après aussi organiser ses courses les huées qui l'ont accueilli d'équipe. Autour de lui en 1959 à l'arrivée du Tour veille une garde rapprochée de France (la rivalité Bobet- qui prépare ses interven- Rivière-Anquetil ayant tions. À l'époque le cyclisme alors permis la victoire de de haut niveau commence à l’Espagnol Bahamontès). cesser d'être affaire indivi- duelle. Le Normand cons- Le champion rouennais truit ses courses sans impro- s'entraîne de manière origi- visation, les comparant un nale. Il ne pratique pas la jour aux maisons solides musculation en salle, consi- bâties à Bihorel par son dérant que scier du bois père. Il n’aime pas "l’acte dans son domaine des Elfes remplace utilement anticonformiste. les contrôles, les pré- l'usage des haltères. Il L’usage de "produits textant contraires à la refuse de pédaler tous stimulants" est très dignité des coureurs et les jours, adorant jouer ancien chez les cou- peu fiables scientifi- aux cartes, faire la fête reurs, mais le Normand, quement. Ainsi en 1967 tard avec des amis ou qui a bénéficié d’injec- son record de l’heure partir en pique-nique tions de vitamines dès ne sera jamais homolo- en bateau sur la Seine. le Tour de 1957, ose gué. Tout admirateur briser la loi du silence. d’Anquetil, à l’heure Sa réputation de cou- En 1966 il admet ou l’utilisation -entre reur peu sérieux, qui ouvertement la prise autres- de l’EPO fait préfère homard et de produits chimiques des ravages chez les champagne aux repas sous contrôle médical, coureurs de haut diététiques, s’installe déclarant qu’il faut niveau, ne peut s’empê- vite, alors qu’Anquetil certes protéger les jeu- cher de regretter un peu sait aussi s’échiner nes amateurs contre qu’un homme aussi derrière le derny de cette tentation, mais libre ait accepté une Boucher. que le problème est forme de dépendance à C’est surtout sur le différent pour les pro- l’égard des produits problème du dopage fessionnels qui courent dopants, même s’ils qu’Anquetil se révèle deux cents jour par an. étaient à l’époque sans Parallèlement Anquetil doute moins dangereux refuse fréquemment qu’aujourd’hui. 22 Une reconversion de “terrien” 23 Anquetil n’a jamais vent une affaire déli- été un amoureux du cate. Outre les diffi- vélo, tout en respec- cultés matérielles tant en connaissance qui assaillent les de cause la masse "cigales", il faut d’efforts physiques supporter un sou- et psychiques que ce dain manque d’ap- sport exige. Au plaudissements. départ, il y a eu chez Pour le Rouennais, lui un évident désir pas toujours gâté de promotion socia- dans ce domaine, ce le. Le cyclisme lui n’est guère difficile. permet en effet de Sa vraie passion, bien gagner sa vie, c’est sa terre nor- d’autant que sa mande, qu’il rejoint carrière est particu- vite après les épreu- lièrement longue. ves sportives. Il a En décembre 1969 acheté une ancienne Anquetil met fin à propriété de la cette dernière. La famille Maupassant, reconversion des à La Neuville-chant- champions est sou- d’Oisel, et exploite ANQUETIL GENTLEMAN-FARMER lui-même ses 250 ha d’her- semaines après avoir été bages et de bois. S’il ne opéré, le 18 novembre remonte guère sur un vélo, 1987, à 53 ans. L’émotion il continue à s’intéresser au qui s’empare des Hauts- cyclisme. Devenu consul- Normands est vive. Elle ne tant sur les chaînes de radio sera pas éphémère : en 1996 et de télévision, il commente une petite route entre plusieurs Tour de France, et Romilly sur Andelle et La ne cache pas son admiration Neuville-Chant-d’Oisel pour le Belge Eddy Merckx, prend le nom de "Côte qui assure une forme de Anquetil". Le 2 juillet 1997, relève. Anquetil passe aussi alors que le Tour est sur le beaucoup de temps avec ses point de démarrer de Rouen, amis : Géminiani, Darrigade, le quai d’Elbeuf rive gauche Stablinski et même Poulidor est rebaptisé "Jacques- séjournent alors fréquem- Anquetil", en présence de ment au "château Anquetil". ses anciens coéquipiers en

En juin 1987 Anquetil ap- prend qu’il souffre d’un cancer de l’estomac. Il suit le Tour de France une fois de plus, mais décède quelques 24

GÉMINIANI, ANQUETIL ET SA FEMME JANINE 25

1957 : Darrigade, Stablinski, Walkowiak. Deux ans plus tard les lecteurs de Paris- Normandie le choisissent comme "Normand du siècle", devant des personnalités aussi diverses que Bourvil, Charles Nicolle, René Coty ou André Maurois. Ont-ils voulu saluer le courage dont il faut faire preuve pour triompher dans un sport très exigeant ? Alors que les préoccupations écolo- giques grandissent et que la loi d’orientation sur les transports intérieurs (1982) demande à chaque agglomération de créer un réseau de déplacement pré- voyant des pistes cyclables, ont-ils voulu exprimer leur attachement à ce type de transport non polluant ? Le spectacle et la pratique d’un sport, notam- ment du cyclisme, procurent une large gamme d’émotions : souffrance, fierté, joie individuelle et collective. Le respect des règles sportives est une école de citoyenneté. Depuis 1909, où le Rouennais Paul Duboc gagne une étape du Tour de France, jusqu’aux récents exploits de Bruno Thibout ou Lionel Groult, l’histoire cycliste de notre agglomération est longue. La région rouennaise abonde en hauts lieux sportifs où des champions ont côtoyé des pratiquants anonymes. Sachons nous intéresser à ce patrimoine matériel et immatériel parfois menacé d’oubli, et en conserver la mémoire.

Ce fascicule a été tiré à 100 000 exemplaires 26 sur les presses de l’imprimerie E.T.C à Yvetot Dépôt légal : mai 2002. N°ISBN 2-913914-32-2 © Communauté de l’Agglomération Rouennaise Collection histoire(s) d’agglo - N°ISSN 1291-8296 Pour en savoir plus : Les textes sont publiés sous la responsabilité de leurs auteurs. JOLY (Pierre) et ANQUETIL ( Jacques), En Brûlant les étapes, Calmann-Lévy, 1966 LEFÈVRE (Jean-Pierre), Jacques Anquetil ou la réussite sportive dans les années soixante, Revue d’Histoire du sport normand, n°1, P.U.R., 1989 Paris-Normandie : Anquetil, l’épopée, 1997 OLLIVIER (Jean-Paul), Jacques Anquetil, la véridique histoire, Glénat, 1994 VIGARELLO (Georges), Passion sport, Histoire d’une culture, Textuel, 2000

Remerciements :

L’auteur adresse ses vifs remercie- ments, pour ses conseils et le prêt de documents, à Jean–Pierre DUGARD, collectionneur et spé- cialiste de Jacques ANQUETIL. Elle remercie également la famille de Jacques ANQUETIL, en particulier son cousin, Claude LEGRAND.

Photographies :

© Collection privée - Cécile-Anne SIBOUT et Jean-Pierre DUGARD, Paris-Normandie