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Une race qui ne sait pas mourir : une analyse de la race dans plusieurs textes littéraires québécois

by

Corrie Scott

A thesis submitted in conformity with the requirements for the degree of Doctor in Philosophy Department of French University of Toronto

© Copyright by Corrie Scott, 2011 ii

Une race qui ne sait pas mourir: une analyse de la race dans plusieurs textes littéraires québécois

Corrie Scott

Doctor of Philosophy

Department of French University of Toronto

2011

Résumé

Cette thèse présente une étude de la représentation de la race et son rôle dans la formation des discours littéraires et identitaires au Québec. À partir de la phrase célèbre de Félix-Antoine

Savard, « une race qui ne sait pas mourir », jusqu’au roman de l’écrivain haïtien Dany Laferrière,

Je suis un écrivain japonais, en passant par L’appel de la race de Lionel Groulx, sans oublier les propos sanglants de Michèle Lalonde dans Speak White et ceux de Pierre Vallières dans Nègres blancs d’Amérique, la littérature canadienne-française et québécoise est hantée par la question de la race. C’est précisément à cause de la présence persistante, souvent angoissante, du concept que je me propose d’en analyser les modalités discursives et les significations dans des textes

écrits à divers moments clés entre 1839 et 2008: le rapport de Lord Durham (1839); L’appel de la race (1922) de Lionel Groulx; Menaud, maître-draveur (1937) de Félix-Antoine Savard;

Ashini (1960) d’Yves Thériault; Speak White (1974) de Michèle Lalonde; Nègres blancs d’Amérique (1972) de Pierre Vallières; Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer

(1985) et Je suis un écrivain japonais (2008) de Dany Laferrière; et Quatre mille marches (2004)

iii de Ying Chen. Pour ce faire, cette thèse se situe dans un cadre théorique interdisciplinaire qui intègre la théorie critique de la race, le féminisme et la théorie queer.

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Remerciements

Je voudrais remercier chaleureusement ma directrice de thèse, Madame la professeure Janet M. Paterson, pour sa contribution inestimable. Son appui constant, ses lectures attentives, et ses très précieux conseils m’ont sans aucun doute aidé à bien mener mes recherches sur la question de la race.

Monsieur le professeur Alexie Tcheuyap et Monsieur le professeur Michal Cobb ont aussi beaucoup contribué à mes recherches, et ce, depuis le commencement de mes études à l’Université de Toronto. J’aimerais alors les remercier vivement de l’intérêt qu’ils ont porté à mon travail. Pour son rapport d’évaluation et ses suggestions, mes remerciements vont également à Madame la professeure Sherry Simon de l’Université Concordia.

Je tiens enfin à exprimer ma reconnaissance aux membres de ma famille, à mes amis et à mes collègues, et tout particulièrement à mon mari Patrick que je remercie du plus profond du coeur pour ses encouragements et son appui.

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Table des matières

Introduction………………………………………….…………………………………………1

1. Une lutte de race au teint pâle: Le rapport Durham…………….………………...……….15

• L’entreprise coloniale naturalisée

• Le rapport Durham et la question raciale

• L’union de deux « races d’hommes »

2. De chair et de terre: L’appel de la race.……….…………………….…………………….37

• Le contexte et la controverse

• Deux définitions de la race

• Les traits fins et bronzés de la race canadienne-française

• L’enfant du sol

• Terre de nos aïeux

• Le terroir

3. Une race qui ne sait pas mourir: Ashini et Menaud, maître-draveur………….…....………66

• Le récit du sang québécois

• Le fardeau symbolique

• Revendications territoriales

• Désir métis ou assimilation

• Le dernier des Montagnais

4. Peau blanche, masques noirs: Speak White et Nègres blancs d’Amérique…….……………94

• État de la question

• Le Québec colonisé?

• Le « Nègre » désincarné : Nègres blancs d’Amérique

• Un « Nègre » douteux

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• Le fort et le faible : une affaire de gars

• Speak White

• La langue française, c’est notre couleur noire

5. À fleur de peau blanche: Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer………..129

• La première de couverture

• Le contexte énonciatif fictif

• Le contexte énonciatif réel

• Le stéréotype nonchalant

6. La présence absente de la race: les discours anti-identitaires dans Quatre mille marches et Je suis un écrivain japonais……………………………………..….154

• La présence absente de la race

• Quatre mille marches

• La race littéraire : Je suis un écrivain japonais

• Le camp racial

• La mort du sujet : « Je ne suis plus » ou des stratégies anti-identitaires

• La race est une figure de style, pas une personne

7. Conclusion: les avatars de la race……………………………….……….……….………..183

8. Annexe……………………………………………………………………….……..….…..191

9. Bibliographie….…………………………………………………….……………...………192

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Introduction

À partir de la phrase célèbre de Félix-Antoine Savard, « une race qui ne sait pas mourir », jusqu’au roman de l’écrivain haïtien Dany Laferrière, Je suis un écrivain japonais, en passant par

L’appel de la race de Lionel Groulx, sans oublier les propos sanglants de Michèle Lalonde dans

Speak White et ceux de Pierre Vallières dans Nègres blancs d’Amérique, la littérature canadienne-française et québécoise est hantée par la question de la race. La race des colonisés, des colonisateurs, des immigrants; la race qui s’allie à la survie identitaire et à la culture qui la sous-tend; la race enfin qui s’écrit et écrit le texte littéraire au Québec. Mais comment au juste définir la race? Comment par ailleurs l’interpréter dans un roman tel L’appel de la race où il est question de la race blanche? Faire un lien entre le rapport de Lord Durham et le roman de

Laferrière, c’est attester du fait que de manière explicite ou implicite, la question de la race marque tant les débuts que l’actualité de la littérature au Québec, même si la race est rarement accordée une importance analytique. Or, c’est précisément à cause de la présence persistante, souvent angoissante, du concept que je me propose d’en analyser les modalités discursives et les significations dans des textes écrits à divers moments clés entre 1839 et 2008.

S’il est certain que la race représente une préoccupation internationale, elle se pose de façon particulièrement fascinante au Québec puisque le Québécois se trouve à la fois objet et sujet des discours raciaux. Par exemple, subordonné à un discours racial selon les modalités définies dans le rapport Durham, le Canadien français se soustrait à l’autorité des Anglosaxons

2 pour ensuite véhiculer, dans L’appel de la race, un discours racial au nom de la préservation culturelle. D’ailleurs, aujourd’hui, l’augmentation de l’immigration au sein de la province met en valeur une nouvelle diversité, mais entraîne également un vaste débat public autour des

« accommodements raisonnables », débat qui a secoué la société québécoise en 2006-2007. Si les querelles autour d’Hérouxville et de la Commission Bouchard-Taylor ont parfois affiché une mine raciale, on néglige, règle générale, de prendre un recul pour pouvoir dégager les grandes lignes fluctuantes dans la littérature québécoise, ainsi que les significations variées de la race qui en découlent. Finalement, la question de la race au Québec ne se limite aucunement à la question de l’immigration. En discutant la racisation des immigrants et des Autochtones dans le même cadre que celle des Québécois, cette thèse permet d’illuminer les annales littéraires de la race au Québec dans toute leur complexité.

J’ai choisi les textes à l’étude en fonction de leur mise en relief de la question raciale et de leur importance dans le canon littéraire québécois1. À une exception près : le premier chapitre porte sur le rapport Durham2, qui ne fait de toute évidence pas partie du canon littéraire québécois. Or, pour lancer une réflexion sur la race au Québec, il me semble important de commencer par la racisation du Canadien français par les Anglosaxons, ce qui explique mon choix d’inclure le rapport Durham malgré son manque de québécité et de « littérarité »3. Mais si j’identifie en premier lieu les dimensions constitutives de la mise en discours de la race

1 Je voudrais signaler d’emblée que la question de l’antisémitisme n’est pas abordée dans cette thèse, malgré son importance dans le canon littéraire et dans les études portant sur la question raciale. Effectivement, cette dimension de la race au Québec me semble de portée trop immense pour les limites de cette étude, mais j’envisage des études futures à ce sujet. 2 Suite aux rébellions de 1837-1838, John George Lambton, comte de Durham, est envoyé au Canada pour enquêter sur les conflits coloniaux. Le rapport qui en résulte est présenté en 1839 et propose des réformes comme l’union des colonies britanniques en Amérique du Nord et l’assimilation des Canadiens français au sein d’une seule nation. 3 Pourtant, comme on le verra au premier chapitre, en lisant le rapport Durham, on pourrait facilement croire qu’il s’agit d’une pure fiction.

3 canadienne-française, c’est parce que ces dimensions me permettront de poser et mieux articuler la portée significative d’autres discours raciaux dans la littérature québécoise. Les textes retenus pour cette analyse mettent tous au premier plan un modèle particulier de la race. Dans certains, la question de la race ne se cache pas; elle s’inscrit dans le titre : L’appel de la race de l’abbé

Lionel Groulx; Speak White de Michèle Lalonde; Nègres blancs d’Amérique de Pierre Vallières;

Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer et Je suis un écrivain japonais de Dany

Laferrière. Dans les autres textes, Menaud, maître draveur de Félix Antoine-Savard, Ashini d’Yves Thériault, et Quatre mille marches de Ying Chen, la race se manifeste de façon tout aussi importante même si elle n’est pas toujours nommée ouvertement. J’ai sélectionné les textes de sorte que, pris ensemble, ils offrent une panoplie de représentations distinctes de la race. Enfin, les ouvrages étudiés dans cette thèse investissent les différentes structures discursives de la race d’un poids et d’un contenu particuliers, pour modéliser diversement la notion de la race.

Finalement, les multiples interprétations de la race, que je vais exposer en détail au cours de la thèse, montrent non seulement la polysémie ou l’indéfinition de cette notion, mais aussi sa pertinence à diverses périodes. Il s’agit, à vrai dire, d’un trajet à travers les époques qui commence avec le rapport Durham, document qui nous conduit vers la Confédération canadienne, pour se terminer avec des œuvres contemporaines.

Tout projet visant à élucider la question de la race doit en cerner le répertoire terminologique. Dans ma thèse, je choisis parfois d’employer les termes « racisé(e) » et

« racisation », en m’appuyant sur la définition qu’en donne, par exemple, Véronique De Rudder

(2000). Le terme « racisation » rappelle qu’il s’agit de processus historiques et sociaux qui ont engendré la partition de l’espèce humaine en groupes supposément biologiques. Ce choix permet de souligner qu’une personne racisée est l’objet d’un processus de catégorisation et de

4 différenciation en fonction de caractéristiques socialement instituées comme étant naturelles4.

Certes, je n’entreprends pas de retenir une définition univoque de la « race », puisque, comme on le verra, les significations attribuées à ce concept changent d’une époque à l’autre.

Mis à part certains travaux isolés portant sur le racisme au Québec (Étienne, 1995), sur

Les Noirs du Québec, 1629-1900 (Gay, 2004), sur le poids symbolique accordé aux images amérindiennes (Morency, 1994 et 2007; Thérien, 1993; Tremblay, 2005) et sur l’hybridité, l’altérité et la négritude (Purdy, 1992; Simon, 2002; Harel, 2003; Paterson, 2004; etc.), aucune réflexion poussée n'a été entreprise pour analyser les questions raciales au Québec en fonction des représentations littéraires et des conflits sociopolitiques survenus au fil des années. Pourtant, alors que les livres d’Histoire du Québec négligent, règle générale, le récit racial, la race participe à la construction de l’identité québécoise, car le concept de la race n’est pas simplement un produit des discours nationaux, mais entre également dans la constitution de ces derniers, comme on le verra. La question se pose, par exemple, de savoir pourquoi les chercheurs n’ont pas jusqu’ici porté un regard sur la façon dont le groupe dominant anglosaxon se servait du critère de la race dans les descriptions des Canadiens français5? Ou encore, pourquoi on a fait abstraction de la dimension raciale de l’expression « nègre blanc » qui constitue un jalon si important pour l’identité québécoise ? Bref, je pose dans cette thèse que la question de la race n’est pas secondaire aux études littéraires québécoises, mais plutôt fondamentale à ses champs d’interrogation.

4 Voir également à ce sujet Jules Falquet, Emmanuelle Lada et Aude Rabaud, « Introduction : (Ré)articulation des rapports sociaux de sexe, classe et ‘race’», Les cahiers du CEDREF, vol. 14, 2006, p. 7-29. Disponible en ligne à http://cedref.revues.org/407#ftn2. 5 La désignation « canadiens français » et « québécois » respectera l’usage admis à l’époque à laquelle il est attaché.

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Pour analyser les fonctions et les formes de la race au Québec, j’aurai recours aux théories postcoloniales, aux théories critiques de la race (« critical race theory »), et également aux théories féministes et queer, car pour comprendre la formation de l’identité raciale, il faut tenir compte des concepts inhérents au genre sexuel et à la sexualité. Par conséquent, mon approche théorique vise à intégrer les paradoxes propres au fonctionnement des dynamiques de la race et du genre sexuel dans une perspective interactive. En d'autres termes, les relations de race, de sexe et de classe ne se rangent pas mécaniquement les unes à côté des autres.

L'intersection de ces relations donne plutôt lieu à des interruptions, des atténuations ou des augmentations des effets de la race dans le contexte québécois. Cet assemblage représente, à mon avis, un des apports majeur et novateur de mes recherches puisque, étonnement, jusqu’à présent on n’a pas étudié le phénomène de la race au Québec avec ces appuis théoriques. Si certains chercheurs postcoloniaux comme Frantz Fanon, Aimé Césaire et Albert Memmi entrent en ligne de compte au Québec pendant les années décolonisatrices de la Révolution tranquille, leurs successeurs en théorie critique de la race sont aujourd’hui en grande partie ignorés par la critique littéraire québécoise.

Pourtant, depuis la fin des années quatre-vingt, la théorie critique de la race est un champ d’étude à part entière, un sujet en soi. Je m’arrête alors sur quelques principes de bases des théories critiques de la race, en m’appuyant en premier lieu sur le texte Critical Race Theory de

Richard Delgado et Jean Stefancic. Pour répondre à la question, qu’est-ce que la théorie critique de la race, Delgado et Stefancic avouent qu’il est difficile de mettre tous les chercheurs dans le même panier. Il existe néanmoins plusieurs thèmes fondamentaux dans les théories critiques de la race qui représentent des éléments de base indispensables à mon étude de la race. Par exemple, comme le sexe, on a tendance à voir la race et l’ethnicité comme des facteurs innés et

6 biologiques, un héritage de nos parents. Cependant, selon Delgado et Stefancic, parmi d’autres, la race n’est pas un fait de nature :

Not objective, inherent, or fixed, [race and races] correspond to no biological or genetic reality; rather, races are categories that society invents, manipulates, or retires when convenient. People with common origins share certain physical traits, or course, such as skin color, physique, and hair texture. But these constitute only an extremely small portion of their genetic endowment, are dwarfed by that which we have in common, and have little or nothing to do with distinctly human, higher-order traits, such as personality, intelligence or moral behavior (8).

Les critiques de la race s’intéressent souvent à la façon dont les sociétés ignorent les faits scientifiques cités ci-dessus, fabriquant le concept de la race en le dotant de caractéristiques pseudo-permanentes (Delgado et Stefancic, 8). Toutefois, de toute évidence, l’importance et la valeur de la race, comme le sexe, changent selon l’espace et le temps. Si historiquement, on tente de justifier l’inégalité des sexes par la soi-disant faiblesse biologique de la femme, ce même genre de discours médical dote, selon Anne McClintock, le corps des esclaves de caractéristiques efféminés et faibles (50). Récemment, on a bien documenté la façon dont un groupe dominant peut raciser différents groupes minoritaires à différents moments, toujours selon les tensions politiques du moment. Comme le soulignent Delgado et Stefancic : « In one era, a group of color may be depicted as happy-go-lucky, simpleminded, and content to serve white folks. A little later, when conditions change, that very same group may appear in cartoons, movies, and other cultural scripts as menacing, brutish, and out of control, requiring close monitoring and repression » (8). Ainsi, pour comprendre et commenter la race au Québec, les ouvrages de

Colette Guillaumin, Stuart Hall, Nira Yuval-Davis, Ian Haney Lopez, Ella Shohat, Henry Louis

Gates Jr. et Rey Chow me sont indispensables.

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Dans les sociétés nord-américaines, être blanc est jugé « normal » au point où l’on oublie qu’il s’agit effectivement d’une race comme une autre. Dans son mode d’emploi contemporain, le terme « race » est habituellement attaché à certains groupes, surtout en fonction d'attributs corporels comme la couleur de peau. La racialisation « intrablanche » n’est peut-être plus à la mode pour le moment, mais elle était courante, surtout au 19e siècle (voir Dyer, McClintock, etc). Les Irlandais, les Celtes et les Juifs ont souvent été représentés avec la peau noire, même s’ils ont aujourd’hui accès à une identité blanche et ne sont pas nécessairement considérés comme étant l’Autre (voir McClintock, 50). Le Canadien français, lui aussi, est victime d’une appellation de race inférieure, associé à une race noire par l’Anglosaxon, comme en témoigne l’insulte « speak white ». Alors, les théoriciens de la race s’efforcent de scruter et de définir la race blanche, tout en identifiant les privilèges et les avantages qui lui sont accordés. Ces questions sont d’actualité, la preuve étant les diverses et multiples études multidisciplinaires qui portent sur la nature contextuelle et artificielle de notre perception de la couleur de la peau humaine. À cet égard, j’ai recours aux travaux de Karen Brodkin, Anne McClintock, Richard

Dyer, Ruth Frankenberg, Toni Morrison, Noel Ignatiev, David Roediger et Steve Garner pour identifier et cerner les discours de la race blanche dans un contexte littéraire québécois. L’intérêt que ces théoriciens de la race portent aux représentations de l’appartenance à la race blanche et à la manière sexualisée de la construire, de la maintenir et de la contester, se prête avec profit à la logique de la supériorité raciale véhiculée contre le Canadien français par l’Anglosaxon. Mais

étonnement, comme on le verra, cette même logique de supériorité raciale blanche vient subséquemment appuyer une revendication identitaire canadienne-française et québécoise, d’où la pertinence de cet assemblage composite.

D’autre part, dans le sillage des grandes lignes du concept de la race, on reconnaît un critère performatif toujours en vigueur dans mon étude de la race, sans que cette performativité

8 soit nécessairement l’intention des auteurs en question. D’emblée, la dimension discursive de la race sera mise en relief dans cette these, car ce tissu discursif constitue un carrefour essentiel pour mon cadre théorique et littéraire. Par ailleurs, nous allons souvent assister à des mises en scène de la race qui s’avèrent hautement dramatiques. À titre d’exemple, lorsque la race véhicule un discours national, elle se manifeste souvent à travers l’image d’un homme viril et héroïque, l’expression « une race d’hommes » faisant surface dans plusieurs textes à l’étude. Ou encore, dans sa mise en scène patriotique, la race exploite parfois la charge émotive du « citoyen infantile » (Berlant), lieu de dépôt sacré de la nostalgie qui, dans l’ampleur de ce drame racial, doit éveiller un désir protecteur. Conséquemment, si certaines représentations raciales se montrent curieusement théâtrales sinon parfois caricaturales, certaines théories queer, comme celles proposées par Judith Butler, Lauren Berlant et Hortense Spillers, viennent appuyer mes analyses. Or, il faudra attendre les derniers chapitres de la thèse pour trouver un auteur qui prend en charge l’aspect performatif de la race. Contrairement aux autres auteurs étudiés, Dany

Laferrière accentue la performativité de la race au point d’en faire un élément essentiel dans ses deux romans à l’étude. S’il peut sembler étrange d’associer Dany Laferrière avec des chercheurs queer comme Susan Sontag et David Bergman, nous constatons au bout du compte que cet amalgame inattendu propose une définition de la race innovatrice et fructueuse.

En outre, le concept de la race passe parfois de ses origines coloniales à de nouvelles incarnations identitaires. Pour Delgado et Stefancic,

Coexisting in somewhat uneasy tension with anti-essentialism, the voice-of- colour thesis holds that because of their different histories and experiences with oppression, black [sic], Indian, Asian, and Latino/a writers may be able to communicate to their white counterparts matters that the whites are unlikely to know. Minority status, in other words, brings with it a presumed competance to speak about race and racism (9).

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Pour opposer la discrimination, certains groupes racisés s’organisent sous des auto-désignations raciales. Par exemple, Daniel Gay identifie ce qu’il appelle « l’autoracisation » des Canadiens français, ou la constitution des Canadiens français comme une race, phénomène qui produit la peur du mélange racial chez de nombreux auteurs québécois (voir Gay, 341-396), tel Lionel

Groulx. Pourtant, l’anti-essentialisme et l’identité raciale sont difficilement mis en relation : la tension qui en surgit parcourt mon étude du début jusqu’à la fin. Mais enfin, il est intéressant de noter qu’au Québec plus que dans le contexte américain, il n’est pas toujours facile de déterminer qui est doté du statut racial « minoritaire » : est-ce le Québécois face aux Anglais? L’Autochtone face aux Québécois? Le Noir face aux Blancs? Cette indétermination sout-tend mon analyse.

À titre d’exemple, la question de savoir si le Québec est, ou n’est pas, une société postcoloniale - question qui côtoie de près celles de la race - suscite encore aujourd’hui de la controverse. Si, comme je l’ai déjà précisé, certains intellectuels québécois ont utilisé des théories postcoloniales, tirées surtout de l’œuvre de Frantz Fanon et Albert Memmi pour décrire la situation de domination dans laquelle le Québec se trouve depuis longtemps face au Canada anglophone, la critique anglophone canadienne réagit parfois à ces interprétations postcoloniales avec scepticisme6. Ma réflexion n’aborde pas la race du point de vue de ce désaccord qui domine parfois dans ces débats autrement stimulants et indispensables. Ma réflexion ne cherche pas simplement à savoir qui est ou n’est pas raciste, ou bien qui se trouve ou non dans une situation postcoloniale, puisque ces questions suscitent des réponses peu fructueuses. Au lieu de dépeindre la province de Québec comme soit opprimante soit opprimée, il est plus intéressant, à mon avis, de s’attarder sur les zones d’ombres pour contempler la possibilité qu’un sujet, comme

6 Pour un vif exemple de cette polémique, voir Frédérique Arroyas et Stephen Henighan, « Multiculturalisme ou discours néocolonial dans Québécité de George Elliot Clarke », Tangence, no. 76, automne, 2004, p. 107-139.

10 le Québécois, puisse incarner l’autorité et la subordination, parfois simultanément. Bref, il s’agit d’une des grandes réalités des relations de pouvoir contemporaines qui sont complexes, et je l’espère, un des apports majeurs d’une étude de la race dans le cadre québécois. Le Québec représente, selon moi, un cas très particulier en ce qui concerne la question raciale, justement parce que l’on avance sur des sols mouvants.

En partant, les questions que je pose sont les suivantes. Premièrement, que signifie le concept de race dans la littérature québécoise? Autrement dit, quelles sont les stratégies discursives opératoires dans la mise en discours de la race au Québec? Mais aussi, quelles sont les fonctions de la race dans différents mécanismes de la représentation littéraire? Qu’est-ce que la notion de race apporte aux réseaux sémantiques, à la narration, bref, aux modalités de la littérature? Et surtout, quels sont les enjeux conceptuels de la race dans ce contexte? La race est-elle un phénomène déterminant et récurrent dans le champ littéraire et identitaire du roman québécois? Et si oui, pourquoi? Pour répondre à ces questions, mon étude puise dans le grand champ littéraire canadien-français et québécois pour analyser de façon détaillée les formes et les fonctions de la race.

Mon étude s’organise de la façon suivante. Le premier chapitre porte sur le rapport

Durham (1839) et témoigne avant tout de l’importance historique de l’indice racial entre les colonisateurs anglais et français. Si la littérature québécoise n’a pas vraiment pris son envol avant le XXe siècle, il est néanmoins important de mettre en cause la façon dont le groupe dominant anglosaxon se servait du principe de la race dans sa description des Canadiens français.

On s’étonnera peut-être de constater la présence d’un discours racial entre les deux peuples colonisateurs de l’Amérique, malgré la similitude frappante de leur peau blanche. On pourrait croire que dans ce contexte, la notion de race aurait une valeur exclusivement culturelle, mais

11 comme on le verra, le rapport Durham ébauche le portrait de deux peuples non seulement culturellement, mais naturellement différents, l’un étant apparemment de nature supérieure à l’autre. De plus, je montrerai que les opérations par lesquelles les Canadiens français se trouvent assignés à une race inférieure dépendent du genre sexuel. Enfin, ce chapitre pose les bases notionnelles de l’articulation des rapports sociaux entre le sexe et la race.

Le deuxième chapitre atteste de la présence d’une idéologie raciale assez semblable à celle de Durham, malgré sa fonction opposée. Dans cette étude du roman L’appel de la race

(1922) de Lionel Groulx, on reconnaît assez facilement la rhétorique raciale de la supériorité des

Blancs, ainsi que le discours national masculin, étudié au premier chapitre, mais cette fois-ci, ce discours est mobilisé pour la préservation raciale des Canadiens français. Si Durham brosse un tableau des Canadiens français comme étant rétrogrades et paresseux, Groulx repeint l’image.

Ce faisant, Groulx ne dénonce pas le racisme de Durham, mais il réclame ce qu’il considère comme étant son droit – sa part d’un héritage racial blanc. De plus, la notion de race est associée

à la terre des ancêtres dans le roman de Groulx, comme elle est d’ailleurs dans une profusion de romans canadiens-français issus d’une lignée semblable. Je pose que nombreux sont les romans de l’époque qui reposent sur des idéologies raciales qui s’appuient sur la terre à l’instar du corps racisé. Le parcours du deuxième chapitre me permettra d’apporter un regard neuf sur un pan important de l’histoire littéraire au Québec.

Le troisième chapitre aborde la question de l’Amérindien dans deux romans québécois de grande renommée : Menaud, maître-draveur (1937) de Félix-Antoine Savard et Ashini (1960) d’Yves Thériault. En mettant l’accent sur l’importance de l’image fictive de l’Amérindien dans ces romans, je juxtapose « l’Indien imaginaire » (Thérien, 1996) de Thériault et le « désir métis »

(Tremblay, 2005) de Savard pour démontrer que l’Autochtone s’avère intégral dans la

12 construction de l’imaginaire québécois, ce dernier n’existant pas sans l’exploitation idéologique

(et matérielle) du premier. Si ces deux romans semblent faire preuve d’une certaine sensibilité par rapport aux adversités aborigènes, je propose dans ce chapitre que les auteurs tentent de résoudre le problème posé par l’Amérindien à l’identité québécoise en « jouant à l’Indien », c’est-à-dire, en déguisant symboliquement le Québec en costume indigène. On le constatera : l'indianité de ces romans est avant tout fantasmée par un regard québécois, l’image indienne de

Thériault et de Savard nous renseignant davantage sur le point de vue franco-québécois de l’époque, que sur un point de vue amérindien.

Or, si Thériault et Savard déguisent le Québec en Autochtone, dans le prochain chapitre, le Québec est grimé en noir. Le quatrième chapitre porte sur deux textes fétiches de toute une génération québécoise, Speak White (1974) de Michèle Lalonde et Nègres blancs d’Amérique

(1972) de Pierre Vallières. Ces textes sont représentatifs de la mise en valeur d’une sémantique raciale apparue à son comble lors de la Révolution tranquille et violente au Québec. Ces ouvrages, chacun à leur façon, entrecroisent des signes afro-américains avec ceux de la culture blanche franco-québécoise, qui cherche à s’autonomiser dans une Amérique du Nord dominée par des Anglophones. Pourtant, Vallières et Lalonde nomment ouvertement le rapprochement qu’ils font entre Blanc et Noir, déguisant le Québec symboliquement en blackface7 et empruntant de façon transparente la dépossession noire américaine pour exprimer leur propre dépossession.

Bref, je démontre que c’est ironiquement en contrefaisant le « nègre » que Vallières et Lalonde s’attribuent une authenticité dans leur engagement politique.

7 Blackface : un Blanc grimé en Noir. Je garderai parfois le terme en anglais pour évoquer un Blanc maquillé en Noir.

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Le cinquième chapitre propose une nouvelle lecture du roman célèbre, Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer (1985) de Dany Laferrière. Dans ce chapitre, la race semble libérée de la lourde prise en charge sociale que Durham, Groulx, Thériault, Savard,

Lalonde et Vallières lui avaient imposée. Certes, le mot « nègre » semble relier Comment faire l’amour avec un Nègre aux textes étudiés dans le chapitre précédent (Nègres blancs d’Amérique et Speak White), mais nous partons de ce lien pour nous diriger vers un sens distinct. À la différence des autres textes étudiés, Comment faire l’amour avec un Nègre n’exploite pas la notion de race pour promouvoir une cause politique explicite, ni pour assurer une identité quelconque. Et pourtant, la question de la race est incontestablement au cœur du roman.

Laferrière médite toutefois sur un contexte énonciatif racial, sur un paysage racisé, plutôt que sur une question identitaire ou politique. En m’appuyant sur la théorie queer de Judith Butler, la réponse dans ce chapitre à la question qui obsède cette thèse, « qu’est-ce que la race », est assez

étonnante : la race est une interprétation.

Pour terminer, je me penche sur Quatre mille marches (2004) de Ying Chen et Je suis un

écrivain japonais (2008) de Dany Laferrière. Les ouvrages de Chen et Laferrière, résolument ludiques, sont dotés d’une nouvelle vision qui fait preuve des anxiétés qui sous-tendent la notion de race, sans pour autant tomber dans l’oppression et l’étouffement qui collent à la peau de la race depuis toujours. Ce chapitre ultime met en relief quelques interrogations fondamentales. Si le mot « race » est heureusement tombé en désuétude, est-ce que son ombre muette se glisse discrètement dans certains discours sous d’autres noms, sous d’autres visages? Quelle est la relation entre les discours identitaires contemporains et ceux de la race? Comment interprétons- nous la variante comique de l’indice racial dans l’œuvre de Laferrière? Et finalement, ma démarche étant avant tout littéraire, que devient la race lorsque sa nature fictive est prise en charge? À cet effet, j’achèverai ce chapitre en examinant l’esthétique camp du roman de

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Laferrière, ainsi que la mort du sujet que proposent Chen et Laferrière pour délivrer la race de sa gravité, mais pas de son importance.

On notera, avec la diversité des textes étudiés, non seulement la variété des conceptions de la race, mais également des portées idéologiques. Par exemple, la souveraineté québécoise bénéficie tantôt de l’appui idéologique d’un texte, tantôt d’un traitement contestataire, tantôt d’une immunité totale. Par ailleurs, si certains de ces textes laissent présager la persistance de modèles traditionnels de la race, d’autres semblent au contraire annoncer des changements à l’horizon. Quoi qu’il en soit, mon étude permettra, je l’espère, d’alimenter une voie de recherche encore à ses débuts au Québec.

Par-delà ces objectifs, mon analyse en poursuit un autre : celui d’ouvrir des pistes fécondes de réflexion quant à la place que le récit occupe dans les recherches portant sur la question de la race. Lorsque les théoriciens critiques de la race soulèvent, avec raison, que « la race n’est qu’une fiction », la sous-estimation de la puissance fictive me laisse quelque peu perplexe. Car, il me semble qu’en étudiant la race par le truchement de la littérature, on est particulièrement apte à reconnaître et à analyser le tour de force qu’est la fiction et ainsi, particulièrement habile à étudier la race. Finalement, je tente de démontrer dans cette thèse que la race est un concept redoutable justement parce que la race est fictive, parce qu’elle habite implicitement ou explicitement le domaine de la représentation.

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Chapitre un Une lutte de race au teint pâle : Le rapport Durham

Dans ce premier volet de ma thèse, je situerai la mise en discours du signifiant racial dans le contexte politique et historique au Québec. Pour cerner la notion de race au Québec, ce chapitre témoigne avant tout de l’importance historique de l’indice racial entre les colonisateurs anglais et français. La littérature québécoise n’a vraiment pris son envol qu’au 20e siècle. Le nombre d’ouvrages étant limité au 19e siècle, il me semble néanmoins intéressant de mettre en cause la façon dont le groupe dominant anglosaxon se servait du principe de la race dans sa description des Canadiens français8 avant de passer à la notion de la race chez ces derniers. Pour inventorier l’imaginaire québécois dans sa vision de la race, je commence avec l’image anglaise du Canadien français, une image spécifiquement racisée. S’il s’agit de deux peuples colonisateurs dont l’un a été vaincu par l’autre, il est important de souligner les rapports de pouvoir entre eux. Cela dit, la colonisation des Amérindiens reste de toute évidence déterminante pour l’histoire et la fiction du Québec et je reviendrai à cette question au troisième chapitre de ma thèse, où j’étudierai l’importance de l’appropriation du signifiant amérindien dans la construction d’un imaginaire national au Québec.

Les discours raciaux traversent les siècles. Après la conquête anglaise de 1763, on s’étonne peut-être de constater le développement d’un discours racial entre les deux peuples colonisateurs de l’Amérique, malgré la similitude frappante de leur couleur de peau blanche.

Dans son mode d’emploi contemporain, le terme « race » est habituellement attaché à certains

8 La désignation « canadiens français » et « québécois » respectera l’usage admis à l’époque à laquelle il est attaché.

16 groupes, surtout en fonction d'attributs corporels comme la couleur de la peau. La racisation

« intrablanche » n’est peut-être plus à la mode pour le moment, mais elle était courante, surtout au 19e siècle. Richard Dyer divulgue la raison d’être d’une telle distinction unicolore : « Given the overwhelming advantage of being white, in terms of power, privilege and material well- being, who counts as white and who doesn’t is worth fighting over – fighting to keep people out, to let strategic groups in, fighting to get in » (Dyer, 52).

De sorte qu’aux 19e et 20e siècles, les Irlandais et les Juifs ont souvent été représentés avec une peau noire. Mais de nos jours, ils ont accès à une identité blanchie, ou presque blanche

(McClintock, 1995)9. Dans, How Jews Became White Folks and What That Says about Race in

America, Karen Brodkin souligne :

The U.S. « discovery » that Europe was divided into inferior and superior races began with the racialization of the Irish in the mid-nineteenth century and flowered in response to the great waves of immigration from southern and eastern Europe that began in the late nineteenth century. Before that time, European immigrants - including Jews - had been largely assimilated into the white population (Brodkin, 27).

Dans son étude, Brodkin considère attentivement l’identité raciale juive américaine, associée auparavant à une peau noire, mais qui de nos jours se trouve sous les auspices de la blancheur.

Ou encore, Liz Curtis pèse soigneusement le travail d’un médecin anglais du 19e siècle qui

« invented the ‘index of nigrescence’, a formula to identify the racial components of a given people. He concluded that the Irish were darker than the people of eastern and central England, and were closer to the aborigines of the British Isles, who in turn had traces of ‘negro’ ancestry

9 Voir également : David R. Roediger, The Wages of Whiteness : Race and the Making of the American Working Class; Ruth Frankenberg, White Women, Race Matters : The Social Construction of Whiteness; Noel Ignatiev, How the Irish Became White.

17 in their appearances » (Curtis, 55). Mais à d’autres moments et dans d’autres circonstances, les

Irlandais et les Juifs ont été perçus comme étant blancs10. Il me semble que l’identité canadienne-française se déploie sur une ligne parallèle. L’intérêt constant que les auteurs anglophones portent à la race et à l’appartenance ethnique, particulièrement aux représentations de l’appartenance à la race blanche et à la manière sexualisée de la construire, de la maintenir et de la contester, se prête avec profit au Québec et à l’Amérique française.

L’entreprise coloniale naturalisée

Si la notion de la race est fortement mise en question à l’époque contemporaine, elle joue un rôle déterminant dans la création des nations, y compris le Québec. Pour évaluer la signification de la race, il importe de souligner en premier lieu les origines historiques de ses usages sociaux. Dès l’arrivée des Européens au Nouveau Monde au 15e siècle, l’Europe pratiquait déjà l’infériorisation des cultures indigènes en prenant comme étalon de normalité la soi-disant civilisation de l’homme blanc chrétien (Guillaumin, 2002, 16). Mais à cette période, la notion de la race n’était pas encore biologisée, comme elle le sera sous l’impulsion des sciences naissantes du 16e siècle, notamment de la génétique humaine (Guillaumin, 2002, 16).

Au 15e et au 16e siècles, l’Europe se lance à la conquête du monde. Affirmer que Jacques

Cartier a découvert le Canada illustre à quel point le racisme contamine le discours européen depuis des siècles. Selon l’historien québécois Léandre Bergeron, « En disant que Colomb et

Cartier sont des découvreurs, on dit que seuls les Blancs sont des hommes qui peuvent découvrir

10 Voir, par exemple, Sander Gilman, Difference and Pathology : Stereotypes of Sexuality, Race and Madness, Ithica, Cornell University Press, 1985; et Theodore Allen, The Invention of the White Race, vol. 1, London, Verso, 1994.

18 pour la race humaine, et que les Indiens qui se trouvaient sur le continent n’étaient que des animaux à peine plus évolués que les singes » (Bergeron, 13). De plus en plus, les historiens concèdent que les explorateurs européens ont plutôt conquis des territoires par la force et par le génocide, justifiant cette domination par la perception d’une différence raciale. Effectivement, la race et le racisme sont l’apanage de la conquête européenne de l’Amérique.

En particulier, l’entreprise coloniale s’appuyait sur un discours racial pour légitimer son programme politique et idéologique (Wieviorka, 1998, 27). Les pays européens justifiaient l’oppression coloniale en s’appuyant sur des discours de l’infériorité biologique de l’Autre. « Il s’agissait alors pour l’Europe, dans un esprit messianique, d’apporter les ‘Lumières’ de la culture européenne aux peuples colonisés afin de leur permettre de combler le retard civilisationnel qu’elles accusent dans l’échelle de l’évolution humaine » (Ducharme et Eid, 2005, 3). Les races dites « inférieures » étaient donc considérées comme des races « mineures » et, à ce titre, ne pouvaient être traitées sur un pied d’égalité avec la race blanche, qui elle, avait atteint sa

« majorité civilisationnelle » (voir Memmi, 1985). Comme on le verra, cette même stratégie discursive, qui consiste à envisager certains groupes racisés comme étant « inférieurs » et

« mineurs », est mise en œuvre dans le conflit colonial entre les deux peuples colonisateurs de l’Amérique du Nord. Un tel procédé idéologique, même privé d’une peau contrastante, autorisait les puissances européennes à réconcilier le principe de la domination coloniale avec les principes

égalitaristes et universalistes qui fondent les Lumières. Il s’agissait bien sûr d’un faux universalisme puisque le colonialiste, ayant posé sa propre culture en norme universelle, en arrive forcément à considérer la culture du colonisé comme une expression inachevée ou inférieure de l’humanité (Ledoyen, 34).

Sous le régime anglais, la métropole anglaise tâche de faire disparaître le « problème des

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Français » au Canada (Bergeron, 58). Dès son arrivée à Québec en 1766, Francis Maseres,

Procureur général du nouveau régime militaire anglais, se demande comment « maintenir dans la paix et l’harmonie et fusionner pour ainsi dire en une seule, deux races qui pratiquent actuellement des religions différentes, parlent des langues qui leur sont réciproquement

étrangères et sont par leurs instincts portés à préférer des lois différentes » (Lacoursière, 174).

Dire que deux races ont des religions ou des langues différentes, c’est attribuer à la race une valeur culturelle. On reconnaît alors l’importance historique et culturelle des questions de langue et de religion au Québec, questions qui risquent de surgir de façon régulière dans une étude comme celle-ci. Mais voilà que Maseres attribue également aux deux races des instincts opposés. Sa démonstration de la différence raciale s’appuie non seulement sur la culture, mais

également sur les instincts, à savoir, des tendances innées et héréditaires, la disposition naturelle de tout un peuple. À cet égard, Maseres ébauche le portrait de deux peuples non seulement ethniquement, mais naturellement contraires. Prise dans son acception biologique, la race est comprise comme un ensemble de traits innés qui relient les ascendants et les descendants d’une même lignée. Bref, la notion de race assume une double fonction connotative dans le contexte colonial du 18e siècle. Elle connote la culture, mais elle coule néanmoins vers la biologie. On peut alors extrapoler de ces glissements sémantiques certaines hypothèses.

Certes, comme on vient de le voir, la race n’est pas ici sans connotation biologique. Mais lorsque Maseres se demande comment maintenir la paix et l’harmonie entre deux races

« différentes », « réciproquement étrangères », il y a des données manquantes. Les Canadiens français et les colonisateurs anglais ne se retrouvaient pas tout simplement dans une situation de différence, mais de disparité. La bataille entre les deux puissances colonialistes se termine avec la défaite des Français. La Nouvelle-France se rend et Le traité de Paris (1763) confirme la conquête militaire. « La société canayenne, elle, est maintenant totalement dominée par le

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Conquérant, c’est-à-dire les administrateurs et les marchands anglais » (Bergeron, 56), et

Maseres fait partie de ces derniers. Un deuxième extrait de la pensée de Maseres s’avère alors révélateur : « Cette coalition des deux nations, ou l’absorption de la française par l’anglaise en ce qui concerne la langue, les affections, la religion et les lois, qui est si désirable, pourrait peut-

être se réaliser en une ou deux générations … » (Bergeron, 59). La pièce manquante du puzzle nous renvoie alors nécessairement à une analyse des rapports de pouvoir. Les Anglais aspirent à dominer les Canadiens français politiquement, économiquement et culturellement, et cherchent non pas à « fusionner » deux cultures, mais à « absorber », à éliminer la culture française au Bas-

Canada et ainsi fortifier l’autorité anglaise.

D’ailleurs, Maseres nous assure que cette assimilation devrait se réaliser « en une ou deux générations », proposition qui rejoint le sens héréditaire de la notion de race. Colette

Guillaumin signale habilement qu’« on ne se préoccupe guère d’affirmer la naturalité [de la race] lorsqu’il y a indépendance économique, spatiale, etc., entre groupes quelconques; seules des relations déterminées (de dépendance, d’exploitation) amènent à postuler l’existence d’‘entités naturelles hétérogènes’ » (Guillaumin, 1992, 175). Comme Guillaumin le laisse entendre, quand on veut légitimer le pouvoir qu’on exerce, on crie à la nature. Au même titre, le discours racial est commode en garantissant si bien la différence, une différence d’autant plus précaire entre deux peuples européens blancs. De toute évidence, la race n’est pas un fait biologique, mais sert

à naturaliser la domination.

Si les divergences reliées à la langue et à la religion constituent des obstacles épineux à l’entente humaine, elles sont néanmoins déchiffrables et intelligibles. La différence culturelle, si complexe et éprouvante, paraît malgré tout susceptible d’évolution et de changement. En revanche, la notion de race étant une distinction innée sert à ancrer le discours du conflit entre les

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Anglais et les Français dans la nature. Elle rend naturel et intrinsèque un conflit culturel à un moment particulier dans l’histoire et autorise la domination d’un peuple par un autre. Signe de permanence, du rapport de pouvoir, la race est donc une construction sociale qui se présente comme naturelle, mais qui est, en fait, forgée par l'histoire et par les relations de pouvoir. En passant de la culture à la nature, cette notion de la différence raciale fait plusieurs économies : elle donne aux conflits humains la simplicité des essences, elle supprime tout espoir de raisonnement, de dialogue et de compromis acceptable. Enfin, la race n’apparaît jamais toute seule, mais toujours à l’état imbriqué.

Le rapport Durham et la question raciale

Après les rébellions du Haut et du Bas-Canada en 1837-1838, John George Lambton, premier comte de Durham, est chargé d’une mission délicate - enquêter sur les causes des rebellions patriotes. Il parcourt alors le Canada, en tire des conclusions dans son célèbre Report on the Affairs of British North America11 (également connu sous le nom du rapport Durham) qui a mené à l’Acte d’Union de 1840. Certainement, les questions d’assimilation et de race se posent dans ce document. Le mot « race » apparaît 32 fois et se retrouve au sein de l’argumentation du rapport. Durham avoue, « je m'attendais à trouver un conflit entre le gouvernement et le peuple : je trouvai deux nations en guerre au sein d’un même Etat; je trouvai une lutte, non de principe, mais de race » (RD, 7-8).

11 Je me réfère dorénavant à la traduction française: Durham, John George Lambton Durham, Le rapport Durham, Denis Bertrand et Albert Desbiens (traducteurs), Montréal, Les éditions Sainte-Marie, 1969. Dorénavant RD.

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En général, on s’accorde à reconnaître certains mérites de ce rapport, entre autres, l’établissement d’un gouvernement responsable, que Londres a refusé, dans un premier temps, à mettre oeuvre (Wade, 222-233). Or, si on s’apprête à célébrer l’octroi du gouvernement responsable aux colonies britanniques de l'Amérique du Nord et l'union du Haut-Canada et du

Bas-Canada, les historiens anglosaxons trouvent habituellement regrettables les recommandations de Durham qui portent sur l'assimilation de la race canadienne-française. Par exemple, William Ormsby signale :

Lord Durham’s report is generally regarded as one of the most perceptive and significant documents in Canadian history, but at the same time his recommendation that French should be assimilated is deplored as indicative of a regrettable blind spot (Ormsby, 37).

Les réactions au rapport sont peut-être plus émotives chez les historiens canadiens-français, mais semblables. Jean Hamelin signale dans L’histoire du Québec:

À Québec, dans l’un des rares journaux francophones encore autorisés, Le Canadien, Étienne Parent reproduisait et commentait, édition après édition, le volumineux rapport. Les Canadiens français étaient abasourdis. Si certains entrevoyaient les possibilités offertes par la responsabilité ministérielle, ils désapprouvaient l’union proposée et dénonçaient les propos tenus par Durham à leur égard. Ce dernier ne les décrivait-il pas comme un peuple ‘sans histoire’, et ‘retardataire’ qu’il fallait sauver, au besoin malgré lui, par l’assimilation? Chez eux la consternation était générale; c’était le ‘grand découragement’ (Hamelin, 347-348).

Objet de ressentiments justifiables, le rapport Durham et ses idées assimilatrices sont vivement contestés par les Canadiens français. Dès la sortie du rapport, Louis-Joseph Papineau, orateur de la chambre d’assemblée du Bas-Canada, publie L’histoire de l’insurrection du

Canada en réfutation. Papineau signale l’importance de la race dans le rapport : « Voulant

23 prouver que sa race favorite, la race saxonne, est seule digne du commandement, lord Durham l’a mensongèrement peinte en beau, et il a assombri par les plus noires couleurs le faux portrait qu’il a tracé des Canadiens français » (Papineau, 23). Papineau s’inquiète à juste titre des répercussions négatives qui découlent du portrait racisé des Canadiens français. Comme l’explique très clairement l’historien Ludovic Brunet, dans La province du Canada : Histoire politique de 1840 à 1867, « c’est depuis ce livre (le rapport) que l’appellation de race inférieure a pesé sur les Canadiens français » (Brunet, 66). Si les Canadiens français du passé et du présent s’offusquent avec raison à l’idée de leur supposée infériorité raciale, le signifiant racial n’a quand même pas droit à un traitement particulier12.

Si l’on peut dire que le rapport Durham a déjà fait couler beaucoup d’encre, il est néanmoins important de réactualiser les textes anciens pour les analyser en fonction du présent.

La question de la race est le plus souvent traitée comme accessoire au rapport Durham et à l’histoire québécoise, comme si la question de la race était périphérique au développement

économique, politique, culturel et idéologique de la nation. Par exemple, si en 1972, l’historien

Peter Burroughs souligne que l’on ne peut pas accuser Durham de racisme, il refuse sans

équivoque toute réflexion portant sur l’emploi fréquent du mot race dans le rapport. Plusieurs années plus tard, Janet Ajzenstat appuie le point de vue de Burroughs dans The Political Thought of Lord Durham, paru en 1988:

Durham’s use of the word « race » to describe the English and French in North America does not accord with recent usage, although it is in keeping with the language of his time. Tocqueville, for example, in chapter ten of the first volume

12 On remarquera que plusieurs historiens passent sous silence tout ce qui concerne le signifiant racial. Voir, par exemple, Jean Hamelin, Histoire du Québec; Jean Provencher, Chronologie du Québec; Claude Charron, La partition du Québec : Lord Durham à Stéphane Dion, parmi d’autres.

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of La Démocracie en Amérique, refers to the French, the English and the Spanish as distinct « races »… Race may be a term with unfortunate connotations, but since it is only an understanding of this term as it is used in the Report which will explain Durham’s intention in recommending the assimilation of the French, it may be wiser to retain it rather than to introduce an alternative expression … (Ajzenstat, 157-158).

Nul ne peut nier que l’emploi du mot « race » dans le rapport Durham est représentatif de son

époque, et que l’usage contemporain du mot est différent. En revanche, quel que soit le sort que lui réserve la postérité, de toute évidence, le mot « race » est depuis belle lurette déterminant dans le discours colonisateur. Porter le regard sur la question de la race exige que l’on reconnaisse cette importance au lieu de lui accorder tout simplement des connotations regrettables. Les écrits de Tocqueville et Durham doivent être remis dans un contexte historique, mais ils ne sont pas à l’abri d’une étude contemporaine qui remet en question leurs fondements sémantiques et idéologiques.

L’existence du mot « race » dans ces textes, parmi d’autres, témoigne de son importance dans les discours dominants de l’époque. Mais généralement, on néglige d’identifier la race comme facteur constituant et explicatif dans le développement des discours et l’histoire québécoise. Si, de peur d’accuser un auteur quelconque de racisme, on n’accorde pas à la race une attention analytique importante, on risque non seulement de laisser dans le vide les fondements du racisme, mais les fondements d’une société. Alors si j’avance que la race est importante dans l’histoire et le discours québécois, et qu’elle aura souvent des implications racistes, je n’avance certainement pas que les auteurs auraient nécessairement eu des intentions de cet ordre. C’est donc dans cette optique qu’il faut juger l’emploi du mot « race » dans le rapport Durham.

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Assurément, la question se pose : qu’est-ce que la race dans le rapport Durham? Selon

Ajzenstat, elle correspond au langage, aux lois et aux coutumes :

Durham describes language, laws, habits and customs as expressing the ‘national character’ of a ‘race’. He speaks of « habits and sentiments » (170), « institutions and customs » (289), and using a term favoured by previous political thinkers, he refers to the public ‘manners’ of English and French : « Manners, customs …laws » (38, 289, 303). In short it is language, laws and customs which affect ‘race’, not origin and not genetic inheritance (Ajzenstat, 158).

D’emblée, peut-être a-t-elle raison d’accorder à la race une définition avant tout culturelle.

Certes, Durham semble associer, dans une simplicité expressive, la race au langage, à la nation et aux traditions des Canadiens français. Quant à son affirmation que la race n’est pas liée à l’origine ou à l’héritage génétique, on verra plus loin qu’effectivement, les notions d’origine et d’héritage font partie du discours racisé du rapport. Si Durham n’apporte pas à la race une définition strictement biologique, la race sert néanmoins à rendre le conflit anglais-français naturel.

Si les démonstrations des chercheurs comme Ajzenstat et Burroughs de la non-pertinence de la notion de race dans le rapport Durham reposent sur l’emploi courant du mot à l’époque, ainsi que sur sa valeur apparemment culturelle, je propose qu’il faut regarder de plus près sa fonction et sa signification. Comme on le verra dans l’extrait suivant, pour Durham, « la race française » au Canada est dotée de traits sémantiques qui produisent non seulement une différence culturelle, comme le voudraient Ajzenstat et Burroughs, mais une altérité

« naturelle »:

On peut dire encore que si les Français ne sont pas une race aussi civilisée, aussi énergique, aussi apte à s’enrichir que celle qui les environne, ils sont par ailleurs

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un peuple aimable, vertueux et satisfait, possédant l'essentiel du confort matériel. On peut ajouter qu’on ne doit pas les mépriser ou les maltraiter, parce qu'ils cherchent à jouir de ce qu'ils ont sans partager l'esprit de lucre qui anime leurs voisins. Après tout, leur nationalité est un héritage. On ne doit pas les punir trop sévèrement parce qu’ils ont rêvé de maintenir sur les rives lointaines du Saint- Laurent et de transmettre à leur postérité la langue, les usages et les institutions de cette grande nation qui pendant deux siècles donna le ton de la pensée au continent européen. Si les querelles des deux races sont irréconciliables, on peut rétorquer que la justice exige la soumission de la minorité à la suprématie des anciens et plus nombreux occupants de la province, et non que la minorité prétende forcer la majorité à prendre ses institutions et ses coutumes (RD, 119).

La race est ici de toute évidence une forme d’altérité, et non pas une simple différence culturelle. Quelle est alors la distinction entre différence et altérité? Dans son étude de l’altérité dans le roman québécois, Janet Paterson apporte à cette question une mise au point importante :

« Le groupe de référence dresse l’inventaire des traits pertinents qui constituent l’altérité … »

(Paterson, 2004, 27, qui cite Landowski, 15-44). Dans ce contexte, le groupe de référence est bien sûr les Anglais qui déterminent la norme qui règne dans le rapport, détenant un pouvoir de légitimation13. En résulte que le groupe de référence, dans ce cas le groupe dominant anglais, fixe l’inventaire des traits différentiels qui serviront à construire l’image de l’Autre racial

Canadien français. L’enjeu ainsi est non pas la simple différence entre les Anglais et les

Français, mais le contenu spécifique que Durham assigne aux Français, qui comprend un jugement de valeur et défend la suprématie de la race anglosaxonne. S’il s’agissait tout simplement de la différence, Durham aurait peut-être écrit « Les Français aiment la couleur bleue, les Anglais la couleur jaune », parlant d’une différence sans importance, sans

13 Voir, par exemple la notion de groupe de référence d’Eric Landowski, cité également par Janet Paterson, 2004, p. 23-24.

27 signification. Comme le signale Colette Guillaumin, « le groupe dominant impose une inscription fixe à ceux qui sont dans sa dépendance matérielle » (Guillaumin, 1992, 180). C’est bien la signification du mot race, fixé par Durham et la soi-disant norme anglaise, qui importe ici.

Dans un contexte littéraire, les rapports de pouvoir impliqués dans l’altérité sont parfois brouillés. Un personnage est peut-être doté d’un mauvais caractère, mais sert à l’intrigue d'une façon ou d'une autre, et peut même parfois être réhabilité à la fin. Par contre, dans le rapport

Durham, nous avons affaire à un document gouvernemental officiel qui a mené à l’Acte d’Union de 1840, et qui a eu un impact non seulement sur l’imagination d’un peuple, mais sur sa gouvernance et sa survivance. Dans son historique du Canada français, Mason Wade appelle le rapport « one of the greatest studies of colonial government, and the most epoch-making state paper in Canadian history » (Wade, 184). Marcel Rioux, dans La Question du Québec, en dit autant :

Le rapport Durham et l’Acte d’Union, consécutifs à l’Insurrection, marquent un tournant très important dans l’histoire du Québec. Il faudra attendre la fin des années 1950, plus de cent ans plus tard, pour retrouver une autre période aussi importante du point de vue idéologique. On ne saurait trop insister sur cette période (Rioux, 77).

Le rapport Durham a eu des conséquences irréfutables. En faisant de l'anglais la seule langue officielle du Parlement d’un Canada uni, l'Acte d'Union protège la culture de la population du

Haut-Canada. En accordant autant de représentants parlementaires au Haut-Canada qu'au Bas-

Canada, qui a pourtant une population plus nombreuse, l'Acte d'Union favorise la vie politique

28 du Haut-Canada. Et en recommandant l'assimilation des Canadiens français, le rapport Durham encourage la présence de Canadiens anglosaxons en terre d'Amérique14.

En somme, la race dans le rapport Durham est une notion oppositionnelle qui entraîne des conséquences graves. Mais c’est en comparant le Canadien français à un idéal imaginaire de l’impérialiste anglais que Durham arrive à conclure que ces premiers ne sont pas civilisés,

énergiques, ou « aptes » aux affaires d’héritage. Autrement dit, le Canadien français n’a pas la disposition naturelle pour rivaliser avec les Anglais. Durham évoque également souvent les

« descendants » des deux races, « différents les uns des autres en caractère et en tempérament »

(RD, 10) pour appuyer sa thèse. Évidemment, Durham n’est pas un scientifique et son discours se situe avant tout du côté de la socio-politique. Comme le signale Guillaumin, « l’idée de race n’était pas une notion propre aux sciences naturelles… Malgré cela, on la contrait comme si elle était telle. Et plus, comme si elle pouvait et ne devait être que cela » (Guillaumin, 1992,

213, ses italiques). La race est, et a toujours été, avant tout discursive et non pas scientifique, même (et surtout) lorsque la race est dotée de connotations biologiques. Comme on vient de le voir, la race, n’est alors pas anodine, mais sert à naturaliser un état de domination. Puisque la race et la nation ne sont pas des faits de nature, leurs existences demandent à être affirmées discursivement de manière « naturelle » en dépit de leur construction artificielle.

14 Il y en a qui insiste que le rapport Durham est encore d’actualité aujourd’hui. Voir, par exemple, « Mon Québec réel » par Sylvain Racine dans Le devoir, dimanche 30 septembre 2007, disponible en ligne : http://www.ledevoir.com. Selon Racine, « le rapport Durham a été écrit en 1839, ça fait donc 168 ans. Mais il est encore d'actualité ».

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L’union de deux « races d’hommes »

Les opérations par lesquelles les Canadiens français se trouvent assignés de manière contrastante à une race dépendent également de la classe et du genre sexuel. La production de l’altérité raciale découle de l'articulation de ses marqueurs identitaires. Afin de développer une perspective critique concernant la racisation dont les Canadiens français sont l'objet dans le rapport Durham, il faut également souligner ces points de clivages.

À titre d’exemple, on pourrait croire que l’expression « une race d'hommes »15 signifie tous les habitants, hommes et femmes. Si cette expression est sexiste, comme beaucoup de féministes le soutiennent, son usage courant n’est pas contestable, même de nos jours. On trouve néanmoins d’autres indices d’un langage qui porte spécifiquement vers le masculin dans le rapport. Selon Durham, la « race d’hommes » canadienne-française est également habituée

« aux travaux incessants d'une agriculture primitive » et maîtres « des portions d'un sol tout entier disponible et suffisant pour pourvoir chaque famille de biens matériels » (RD, 11). Il s’agit d’une image d’hommes virils et solides, chefs de famille. Si la race d’hommes dont parle

Durham représente réellement les habitants et les habitantes, pourquoi est-elle spécifiquement attachée à une image virile?

Au cœur de cette interrogation se situe la question de la nation. Selon Nira Yuval-Davis, qui étudie l’imbrication de la nation et le genre sexuel, « Constructed notions of nationhood usually involve specific notions of ‘manhood’ and ‘womanhood’ » (Yuval-Davis, 1). On reviendra à cette notion en plus de détail au chapitre deux, mais Yuval-Davis met le doigt sur une

15 La phrase « une race d’hommes » n’apparaît pas dans la traduction de Denis Bertrand et Albert Desbiens, mais se trouve dans d’autres traductions. Voir, par exemple la version disponible à http://canadiana.org/ECO/ItemRecord/32373, p. 14. Dans l’édition première anglaise, la phrase apparaît ainsi : « a race of men » (John George Lambton Durham, Report on the Affairs of British North America, p. 28).

30 des nombreuses facettes de la construction d’une nation lorsqu’elle brosse un tableau de la nation comme « de facto masculine entity, a view which does not address the differential position of women within it, or subsumes it to the interests of the (male) nation » (Yuval-Davis, 1). La nation, selon Yuval-Davis, est une entité masculine, issue d’un processus discursif.

Non seulement la nation est-elle bâtie sur un discours du masculin, elle s’appuie

également sur un discours blanc. Dans White, Richard Dyer insiste sur l’importance discursive de la notion d’entreprise dans le discours de la supériorité blanche coloniale. L’homme blanc, idéal et impérial, est entreprenant, ambitieux et audacieux. Dyer cite en exemple Harriet

Beecher Stowe qui, dans Uncle Tom’s Cabin, trace le portrait de ce qu’elle voit comme étant la nature de l’homme blanc. Il est, selon Beecher Stowe, entreprenant, un mot dont elle se sert fréquemment. De cette nature entreprenante coule son audace, sa constance, sa capacité d’organiser (Dyer, 30-31), et alors, on peut en induire, sa capacité de gouverner. Si Stowe regrette l’abolition des droits humains qui résulte de la nature entreprenante de l’homme blanc, elle admire néanmoins ses accomplissements (Dyer, 31).

Ce qui est frappant ici, c’est que plusieurs traits de ressemblance rapprochent le discours dans le rapport Durham, qui prend les Canadiens français blancs comme objet racisé, des autres discours raciaux et racistes. Dyer, à la suite de Ruth Frankenberg, évoque semblablement la soi- disant nature intrépide de l’homme blanc :

‘Dazzle, brilliance, the spirit of adventure in the entrepreneurial world, good use of good training’ are expected of upper-class white men over a century later. ‘Enterprise’ is an aspect of both spirit itself – energy, will, ambition, the ability to think and see things through – and of its effect – discovery, science, business, wealth creation, the building of nations, the organisation of labour (carried out by racially lesser humans) (Dyer, 31).

31

Alors, lorsque Durham affirme maintes fois que la race canadienne-française est inactive, inerte et stationnaire, et que les Anglosaxons sont par contre actifs, robustes, vigoureux et indépendants, il ébauche le portrait d’une race d’hommes entreprenants anglais, apte à progresser et ainsi destinée à diriger et à dominer les races inférieures. Sans faire mention du mot « blanc », il a recours à tout le bagage racial d’un tel discours. Selon Dyer, « white people lead humanity forward because of their temperamental qualities of leadership : will power, far-sightedness, energy. These were the very qualities … posited as characteristic of the white race » (Dyer, 31).

Les Anglosaxons sont alors munis d’une identité raciale blanche, alors que, pour Durham, les

Français du Bas-Canada semblent prédisposés à ce qu’Anne McClintock appelle « racial idleness » ou « black sloth » : « Of all the stigmata of degeneration invented by the settlers to mark themselves from the Africans, the most tirelessly invoked was idleness… » (McClintock,

252). Évidemment, la notion de paresse ne représente pas fidèlement les Africains, ni les

Canadiens français. Toutefois, on comprend pourquoi, plus de cent plus tard, certains Québécois vont s’auto-appeler les Nègres blancs d’Amérique. Dans leur prétendue paresse, Durham range les Français du Bas-Canada dans la catégorie de l’Autre racial, une catégorie souvent réservée aux Noirs.

Placés ainsi discursivement en bas d’une hiérarchie raciale, les Français ne sont que l’objet du projet colonial, qui est souvent exprimé en termes de progrès, de progression et d’avancement. Il s’agit alors d’une modalité qui naturalise et légitimise la domination anglaise.

Durham peut donc conclure : « Ils demeurent une société vieillie et retardataire dans un monde neuf et progressif. Essentiellement, ils sont encore Français, mais des Français qui ne ressemblent pas du tout à ceux de France. Ils ressemblent plutôt aux provinciaux français de l’Ancien Régime » (RD, 12). Selon Durham, les Français du Bas-Canada ne sont pas tout simplement paresseux, mais freinés, fixés dans le temps. Ils resemblent aux Français, mais des

32

Français dégénérés. Toutefois, il s’agit d’un changement de nature, une dégénération raciale.

McClintock souligne l’importance de la poétique de la dégénération :

The degenerate classes, defined as departures from the normal human type, were as necessary to the self-definition of the middle class as the idea of degeneration was to the idea of progress, for the distance along the path of progress travelled by some portions of humanity could be measured only by the distance others lagged behind (McClintock, 46).

Pour Durham, le Canadien français n’a plus les qualités de sa race d’origine; il a perdu ses caractéristiques morales, intellectuelles et physiques et a effectué une régression dont les marques sont raciales.

McClintock soulève également l’importance du trope familial dans le projet colonial. En premier lieu, à cause de la subordination des femmes par les hommes, subordination estimée naturelle, les colons peuvent brosser un tableau d’autres formes de hiérarchie sociale en termes familiaux pour assurer la différence sociale comme une catégorie naturelle. « The family image came to figure hierarchy within unity as an organic element of historical progress, and thus became indispensable for legitimizing exclusion and hierarchy within nonfamilial social forms such as nationalism, liberal individualism and imperialism » (McClintock, 45, ses italiques). En deuxième lieu, selon McClintock,

family offered an invaluable trope for figuring historical time. Within the family metaphor, both social hierarchy (synchronic hierarchy) and historical change (diachronic hierarchy) could be portrayed as natural and inevitable, rather than as historically constructed … Imperial intervention could thus be figured as a linear, nonrevolutionary progression that naturally contained hierarchy within unity : paternal fathers ruling benignly over immature children (McClintock, 45, ses italiques).

33

On retrouve à plusieurs reprises la métaphore de la famille dans le rapport Durham. Par exemple, avec une tendresse paternaliste, l’auteur décrit un manque d’éducation parmi les habitants :

Il n’a jamais été pourvu à leur éducation, et ils sont presque universellement dénués des qualifications mêmes de la lecture et de l’écriture. Il est venu à ma connaissance que sur un grand nombre de petits garçons et filles assemblés à la porte de la maison d’école de St. Thomas, tous, à l’exception de trois, admirent, après informations prises, qu’ils ne savaient pas lire. Cependant, les enfants de cette grande paroisse vont à l’école régulièrement, et font actuellement usage de livres. Ils tiennent leur catéchisme à la main comme s’ils lisaient, tandis qu’ils ne font qu’en répéter le contenu qu’ils savent par cœur (RD, 15)16.

Il s’agit d’une image d’enfants illettrés, passifs, feignant de lire la doctrine catholique. Comment ne pas être ému par ces enfants abandonnés par les parents français, livrés à eux-mêmes? La mise en place d’un cadre familial métaphorique établit l’enfant de famille comme étant le

Canadien français, le père de famille étant le colon anglais. Si l’on peut avancer que le trope familial est important dans l’économie globale du rapport Durham, c’est parce qu’il assure au colon anglais son titre de protecteur et de civilisateur, tout en laissant entendre que les Français du Bas-Canada sont finalement peu menaçants, ayant besoin de secours et de protection.

Conclusion

Le paradoxe dans le rapport Durham est qu’il insiste sur la virilité des habitants, tout en les infantilisant. La « race d’hommes » canadienne-française, maîtres de famille, est à la fois une

16 Ce passage n’apparaît pas dans la traduction abrégée de Bertrand et Lavallée. Je me réfère alors à la traduction disponible en ligne à http://canadiana.org/ECO/ItemRecord/32373, p. 15.

34 race d’hommes virils et une nation d’enfants illettrés. De plus, si les hommes canadiens-français sont paresseux et inertes, il s’agit également d’une population laborieuse, « habituée aux travaux incessants d'une agriculture primitive » (RD, 11). Laborieux et paresseux tout à la fois.

Comment explique-t-on ces contradictions?

Je propose que, tout comme les Irlandais et les Juifs, les Français au Bas-Canada ont été identifiés par les Anglosaxons comme étant une race « Autre » à certains moments, et comme faisant partie de la race blanche (ou bien de leur race blanche) à d’autres moments. La tension raciale qui sous-tend le rapport n’est pas accessoire à son contenu, mais se révèle essentielle. Un des buts du rapport, il faut le rappeler, est l'union du Haut-Canada et du Bas-Canada. Il en résulte que pour apaiser les anxiétés royales Durham dépeint l’image d’un peuple peu menaçant.

En revanche, en faisant des Français des hommes virils à certains moments, Durham fait appel au respect fraternel, et pose ainsi la première pierre d’une nouvelle nation unie. Si, comme on l’a vu, la nation est une entité discursive masculine, le discours de la masculinité s’apprête bien au projet de Durham. Opératoire au niveau du discours, à peu de choses près, le genre sexuel joue un rôle déterminant dans la Confédération canadienne et la future nation que Durham propose.

Cette constatation fait écho à la pensée de Durham, qui souligne que les Anglais ne doivent pas trop en vouloir aux Français qui rêvent « sur les rives lointaines du Saint-Laurent et de transmettre à leur postérité la langue, les usages et les institutions de cette grande nation qui pendant deux siècles donna le ton de la pensée au continent européen » (RD, 119). Enfin, pour

Durham, les Français au Bas-Canada sont peut-être « une race d’hommes », distincte, mais

également semblable aux Anglosaxons. Les deux races d’hommes étant les héritières des institutions des « grandes » nations européennes, Durham exalte leur fraternité et ainsi y fonde une nation. Il parvient à incarner ces institutions dans l’image virile de deux races d’hommes, unies sous les auspices d’une seule nation.

35

Habituellement, le discours de la suprématie de l’homme blanc joue sur les contrastes de couleur de peau, mais ils sont absents dans ce contexte parce que le sujet et l’objet du discours sont ironiquement tous les deux des colons blancs et européens. Dès lors, la vraie raison de tels discours raciaux n’est pas la couleur de la peau, mais les rapports de pouvoir impliqués dans un projet colonial. Bref, si la race est un concept oppositionnel, elle ne dépend pas uniquement ou prioritairement de la couleur de la peau pour former l’opposition. Si, de nos jours, une couleur de peau contrastante semble pour certains être la cause principale du racisme, il faudra au moins reconnaître que ce n’est pas, ou du moins, ce n’était pas toujours le cas17.

David Theo Goldberg signale que tout signifiant racial est presque vide dans sa capacité connotative. Il n’est pas porteur de sens à lui seul, mais adopte les idéologies prévalentes du moment, en les naturalisant (Goldberg, 558). Ainsi, la race n’est pas biologique, mais sert à naturaliser une situation, un attribut, ou une différence jugée importante à un moment donné.

Stuart Hall en dit autant lorsqu’il dépeint la race comme étant un « signifiant flottant », qui, tout en dépendant de la différence relationnelle, glisse et flotte selon son contexte sociohistorique.

Selon Hall, la race ne contient pas sa propre signification, celle-ci est mise au point par la pratique sociale (Hall, 1997, 100). On peut, en conclusion, certainement reconnaitre les idéologies régnantes de l’époque dans le rapport Durham, rapport naturalisé à travers un discours racial.

Reconnaître la signification de la peau blanche exige habituellement une peau contrastante. Pourtant Richard Dyer soulève la possibilité que « whiteness reproduces itself as whiteness in all texts all of the time » (Dyer, 13). Si de façon générale on a tendance à ne voir la

17 Sujet controversé et fort débattu. Gergen (1967), par exemple, signale que la couleur de peau semble former la base du racisme, un point de vue disputé par Allen (1994) dans un contexte historiographique.

36 blancheur de la peau que lorsqu’elle se trouve en contraste direct avec la peau « de couleur », ce n’est pas le cas dans cette étude du rapport Durham. Dans le contexte du conflit entre les soi- disant « deux races fondatrices » de la nation canadienne, la « blancheur » et ses signifiés restent primordiaux à l’expression et à la constitution de la domination coloniale.

37

Chapitre deux De chair et de terre : L’appel de la race

Si le sang généreux dont ton sol est imprégné pouvait bouillonner dans nos artères, ô patrie ! Si nous pouvions scander nos vers aux pulsations

de ton grand coeur, ce serait assez pour notre gloire18.

Si, au premier chapitre, le comte de Durham cite en exemple l’infériorité de la race canadienne-française pour illustrer à quel point son assimilation lui serait avantageuse, j’estime que la dénonciation de l’assimilation de Lionel Groulx dans son roman L’appel de la race19 s’appuie sur une idéologie raciale équivalente. Cette constatation fait écho à la pensée de Stuart

Hall, pour qui des doctrines diamétralement opposées peuvent exploiter le même principe racial

(Hall, 1997). Dans ce deuxième chapitre, j’attesterai de la présence d’une idéologie raciale dans

L’appel de la race, assez semblable à celle de Durham, malgré sa fonction opposée. Or, pour

Hall, la race joue le rôle de garant identitaire pour les dominants tout comme pour les dominés

(Hall, 1997). La notion de race comme assurance identitaire sous-tend également ce deuxième chapitre qui amorce une réflexion sur la question qui hante la thèse au complet : pourquoi la race revient-elle de manière constante dans les écrits québécois? Pourquoi la race est-elle une figure rhétorique majeure ?

18 Charles Gill, « Notre revue », Le Terroir, no. 1, janvier 1909, p. 4.

19 Lionel Groulx, L’appel de la race, Montréal, Fides, 1980, (édition originale: 1922). Dorénavant AR.

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L’appel de la race a une fonction première et déterminée, sinon avouée : la lutte contre le mariage mixte qui constitue pour Groulx « une alliance contre nature, le symbole de la décadence inéluctable de la race et de la nation canadienne française » (Mocquais, 245). Le protagoniste du roman, Jules de Lantagnac, est un avocat canadien français anglicisé qui habite avec sa famille à Ottawa, mais qui découvre les vertus de sa race après un voyage à sa terre ancestrale, Saint-Michel de Vaudreuil. Au mépris de sa femme anglosaxonne Maude Fletcher,

Lantagnac se « convertit » et entreprend de défendre les intérêts de la race canadienne-française.

Intervient le Père Fabien, confident et figure paternelle de Jules, qui amène progressivement son disciple vers l’engagement au service de sa race. Lantagnac entre alors en politique, se fait élire député du comté de Russel et participe, non sans opposition, au débat concernant la question des

écoles françaises de l’Ontario, question qui constitue la toile de fond du roman.

Selon Pierre-Yves Mocquais, L’appel de la race entend dénoncer « la pénétration insidieuse de la race canadienne-française par la race anglo-saxonne » (Mocquais, 245). Le roman témoigne de la fabrication des frontières raciales qui constitue une dénonciation du mariage mixte, considéré comme un vice. On reconnaîtra le thème du mariage mixte qui se répand également dans d’autres romans d’une époque teintée de patriotisme. Dans ce deuxième chapitre, mon parcours me permettra de conclure avec un coup d’œil vers un pan important de l’histoire littéraire au Québec. La question raciale apparaît dans la littérature québécoise à une

époque où l’homogénéité et l’unité sont souvent mises en valeur, et où le mariage mixte est souvent accompagné des questions relatives à la terre. Selon Mireille Servais-Maquoi, « le thème de la terre a monopolisé pendant un siècle, de 1846 à 1947, les énergies créatrices des romanciers québécois » (Servais-Maquoi, 18). À titre d’hypothèse, j’avance que nombreux sont les romans de l’époque qui reposent non seulement sur des idéologies conservatrices, mais

également sur des idéologies raciales qui s’appuient sur la terre à l’instar du corps. Outil

39 discursif fort redoutable, la race est un phénomène déterminant et récurrent qui, sous des formes variées, mobilise le peuple canadien-français dans un but de préservation culturelle.

Le contexte et la controverse

Sous le pseudonyme d’Alonié de Lestres20, Lionel Groulx publie pour la première fois

L’appel de la race en 1922, qu’il réédite à neuf reprises. Curé, historien, professeur et romancier, la littérature a été pour Groulx « un exercice second par rapport à l’historiographie; ainsi, à l’époque de la rédaction de son roman, les matinées étaient consacrées au sérieux travail d’historien et le reste de la journée à l’écriture de L’appel de la race » (Hébert, 108). Voilà pourquoi les premières éditions ont été signées d’un pseudonyme : « pour ne pas compromettre ma gravité d’historien » (Groulx, 1971, 87). Si Groulx n’accorde qu’une importance relative à son roman, il n’a jamais caché sa visée polémique, voire propagandiste (Hébert, 136). Roman à thèse, « dogmatique, monologique, tourné vers l’identité du sujet » (Garand, 1990, 196), L’appel de la race est caractérisé par la non-ambiguïté et la redondance pour atteindre un système de valeurs simple, clair et autoritaire (Hébert, 137).

La polémique que le roman a engendrée est née dès sa publication. Bruno Lafleur a

étudié le déroulement de ces querelles dans son introduction lors de l’édition de 1956, analyse que Gilles Dorion continue dans l’édition de 1980. Lucie Robert parcourt également la réaction au roman de Groulx dans une étude des enjeux du débat, axée principalement sur les objections

20 Il semble pertinent de se demander dans quelle mesure la pseudonymie de Groulx a servi à la promotion de son œuvre. Cette question intéressante échappe néanmoins aux limites de cette étude. Pour en savoir plus, voir Les Lionel Groulx. La pseudonymie comme stratégie littéraire et jeu institutionnel (1900-1966), de Marie-Pier Luneau, Mémoire de maîtrise (Études françaises), Université de Sherbrooke, 1996.

40 du critique le plus écouté de l’époque, Camille Roy. Ce « concert d’éloges » (Lafleur, édition

1956, 36) débute avec l’affront de René du Roure, un Français et professeur à l’Université

McGill (Hébert, 149). Selon du Roure, les attaques contre la race anglaise y sont trop violentes.

« Chacune de ses paroles est une incitation à la haine : L’appel de la race est un appel à la lutte des races » (du Roure, 9). À ce sujet, dans un texte intitulé « Sur un article de M. du Roure » paru dans le Devoir, Léo-Paul Desrosiers, défenseur de l’abbé Groulx, rétorque tout simplement,

« ce n’est pas de ses affaires » (Desrosiers, 1922, 2). Desrosiers reçoit le renfort de Jean Bruchési peu après :

M. du Roure n’a pas encore saisi, depuis le temps qu’il est au Canada, et ne saisira sans doute jamais le sens de nos luttes. Il n’a pas su encore distinguer notre âme de celle de ses compatriotes. Comment l’aurait-il fait? Certes pas en fréquentant les salons anglais et ceux de nos « snobs anglicisés ». M. du Roure a- t-il seulement daigné s’apercevoir que nous avions, nous Canadiens français, une vie à nous? Trop occupé à faire des mamours à nos concitoyens anglais, il n’a pas eu le temps de penser à nous. Autrement, il ne viendrait pas écrire que L’appel de la race est « une excitation à la haine » et « un appel à la lutte des races » (Bruchési, 2).

On voit que, sur le plan idéologique, les reproches et les défenses du roman touchent à la question de la race. Si du Roure accuse Groulx de susciter de la haine et une lutte des races,

Desrosiers et Bruchési citent l’origine française de ce premier pour désavouer ses propos sans soulever un débat de fond sur L’appel de la race.

Enfin, si le roman a créé la discorde pendant ses années premières, désormais se succèdent des études sur le racisme de l’œuvre (Sutherland, 1968; Dionne, 1978; Marion, 1983),

41 ce qui suscite également la controverse21. René Dionne compte quatre-vingt-cinq fois le mot race dans le roman et souligne le déterminisme qu’exerce la race sur le plan physique et psychologique (Dionne, 317). Or, le titre de son article, « L’appel de la race est-il un roman raciste? », ne fait que résumer les échanges des critiques, la discussion étant limitée à cette polémique. Même les chercheurs de voix modérée, évitant une prise de position simple, semblent obligés de se mêler à la foule. Par exemple, Pierre Hébert écrit : « Si le racisme consiste à promouvoir ou préserver l’unité, l’homogénéité de la race, le roman de Groulx est alors raciste… Si le racisme, en revanche, consiste à affirmer la supériorité d’une race sur une autre, alors L’appel de la race n’est pas raciste » (Hébert, 144). Dommage que la polémique ait ainsi dominé le traitement de la question raciale dans le roman, surtout que cette question me semble non seulement riche d’enseignements, mais également importante pour toute une époque littéraire québécoise. Exception notable, dans Accès d’origine ou pourquoi je lis encore Groulx,

Basile, Ferron…, Dominique Garand exprime habilement les enjeux et l’importance du roman au

Québec: « L’Appel de la race n’est pas un texte à défendre ou à rejeter, mais vu son caractère significatif dans l’histoire du Québec, à prendre en charge dans ses significations » (Garand,

2004, 75). Ainsi, j’aborderai en premier lieu la représentation de la race dans le roman, sans chercher à défendre ou à rejeter L’appel de la race et son auteur; je passerai en conclusion à un bref aperçu de ces questions chez les contemporains de Groulx pour mettre en lumière les significations de la race.

21 Par exemple, Marc Angenot propose, comme solution aux controverses grouliennes, que l’on débaptise la station de métro Lionel-Groulx à Montréal, ainsi que le pavillon de l’Université de Montréal qui porte également son nom. Voir Dupuis, Gilles. « Excès d’origines », Spirale, no. 202, mai-juin, 2005, p. 28.

42

Deux définitions de la race

Comme le souligne Hébert, l’utilisation du mot « race » a hanté Groulx, ses manuscrits témoignant de changements et de corrections révélateurs à ce sujet (Hébert, 144). Dans ses

Mémoires, Groulx essaie de nuancer ses propos : « J’avoue avoir trop usé du vocabulaire ou de la terminologie de mon temps. Les expressions race, nation, peuple, n’avaient pas le sens précis d’aujourd’hui » (Groulx, 1971, 52). Or, Groulx formule explicitement deux définitions de la race; la première apparaît dans L’appel de la race en 1922, tandis que l’autre émerge de ses

Mémoires en 1971. Commençons par la définition la plus récente :

Jamais, néanmoins, ne m’était-il venu à l’esprit de parler de race fondée uniquement sur le sang, à la façon animale ou biologique. Encore qu’en la notion, je fisse entrer quelque part l’hérédité et indéniablement l’influence du milieu géographique, économique et social, la race, je la fondais plus particulièrement sur une substance de culture ou de civilisation, c’est-à-dire sur les éléments essentiels qui constituent la nation (Groulx, 1971, 52, ses italiques).

Si on le croit sur parole, Groulx rejette la notion de la race basée sur le sang et la biologie, la race s’appuyant plutôt sur « les éléments essentiels » d’une nation. Il s’agit alors d’une essence, qui implique tout ce qui est indispensable, nécessaire, mais également naturel. Mais Groulx semble se tourner vers cette définition presque exclusivement pour réfuter les accusations des critiques.

Il ne faut pas chercher très loin dans L’appel de la race pour démontrer qu’effectivement, le sang et la biologie, tout comme l’hérédité, la culture et la civilisation, sont déterminants à sa notion de la race.

À titre d’exemple, après sa « conversion » d’Anglomane à Canadien français, Lantagnac assure le Père Fabien de sa charge raciale :

43

Mes fils et mes filles, continua Lantagnac, ont, par leur mère, du sang anglais dans les veines; mais par moi, ils ont surtout le vieux sang des Lantagnac, de ceux du Canada d’abord, puis, de ceux de France, les Lantagnac de Monteil et de Grignan. Soit quarante générations. Je me le suis juré : c’est de ce côté-là qu’ils pencheront (AR, 25).

De toute évidence, le sang, l’hérédité et la culture ont un rôle à jouer dans la notion de la race pour Groulx. Dans une autre conversation avec le père Fabien, Lantagnac s’inquiète du

« désordre cérébral » causé par le mélange de sang au Canada :

Dans le temps, Lantagnac s’en souvenait, sa découverte sur la complexion mentale de ses enfants l’avait atterré. Involontairement il s’était rappelé un mot de Barrès : « Le sang des races reste identique à travers les siècles! » Et le malheureux père se surprenait à ruminer souvent cette pénible réflexion :

-Mais il serait donc vrai le désordre cérébral, le dédoublement psychologique des races mêlées!

Il se rappelait aussi une parole terrible du Père Fabien, un jour que tous deux discutaient le problème des mariages mixtes :

-Qui sait, avait dit le Père, avec une franchise plutôt rude, qui sait si notre ancienne noblesse canadienne n’a pas dû sa déchéance au mélange des sangs qu’elle a trop facilement accepté, trop souvent recherché? Certes, un psychologue eût trouvé le plus vif intérêt à observer leurs descendants. Ne vous paraît-il pas, mon ami, qu’il y a quelque chose de trouble, de follement anarchique, dans le passé de ces vieilles familles? Comment expliquez-vous le délire, le vertige avec lequel trop souvent les rejetons de ces nobles se sont jetés dans le déshonneur et dans la ruine?

Ce jour-là, Lantagnac, fortement impressionné par l’accent énergique du religieux, par la vérité implacable qui jaillissait de sa parole, n’avait pu trouver un seul mot à répondre (AR, 46-47).

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On m’excuse d’inclure une citation si longue, mais il faut la lire pour la croire. Bref, la noble civilisation canadienne-française doit sa déchéance au mélange des sangs qu’elle a trop facilement accepté, voici la « vérité implacable » qui fait taire le protagoniste. Inutile de faire semblant que le sang et la biologie n’importent pas lorsqu’il s’agit de la race dans ce roman. Le sang fait non seulement partie du discours, il est mis en avant. Le déterminisme biologique appartient également au discours racial du roman, premièrement par le discours pseudoscientifique que l’on reconnaît dans la citation ci-dessus, mais également par la description des personnages qui possèdent des caractéristiques et des caractères propres à une physionomie racisée. Selon Hébert, « En vérité, ce qui ressort de la description des personnages, c’est la subordination de leurs caractéristiques physiques et psychologiques à leur race » (Hébert,

120). Autrement dit, ce qui détermine les traits de personnalité et les traits physiques de chaque personnage, c’est l’appartenance à la race anglaise ou française. Les caractéristiques, ainsi que la structuration des rapports des personnages, sont « prédéterminées par la race » (Hébert, 121).

Je reprendrai quelques exemples des traits physiques raciaux des personnages un peu plus loin dans ce chapitre, mais je passe maintenant vers l’autre définition de la race proposée par

Groulx, qui me semble plus intéressante dans la perspective de cette étude. Cette définition apparaît dans L’appel de la race dès sa première édition en 1922:

L’autre jour, j’ai longuement médité une définition de la race que j’avais recueillie dans un de mes ouvrages favoris. « La race, c’est un équilibre durable, éprouvé, de qualités morales et d’habitudes physiques, qu’un apport hétérogène et massif risquerait de rompre. » Pourquoi cette brève formule a-t-elle si longtemps retenu et agité mon esprit? C’est qu’elle ponctuait pour moi, et de façon aiguë, la responsabilité de ces classes qui, plus que les autres, détruisent « l’équilibre durable » par « l’apport hétérogène » (AR, 77).

45

D’habitude, on retient de cette définition une doctrine de l’unité (Hébert, 144), une mise en valeur de l’homogénéité par Groulx et son protagoniste, incarnée par cette idéologie raciale.

Cette interprétation est sans aucun doute valide, mais je propose qu’il serait avantageux de creuser plus loin afin de cerner ce que je vois comme étant l’un des éléments clés de l’utilisation du discours racial.

Groulx qualifie la race des mots suivants : équilibre, durable, éprouvé. Signe de stabilité, la race est alors quelque chose qui dure longtemps, dont les qualités sont reconnues, vérifiées d’avance, assurées. Je propose que la fonction de la race dans le roman n’est pas avant tout de promouvoir l’homogénéité, mais que l’idéologie raciale favorise l’unité raciale afin d’apaiser, de réconforter un peuple qui s’estime en risque d’assimilation. Elle rassure, surtout face au danger de « l’apport hétérogène », qui semble non seulement disparate, mais « massif », et « risque de rompre », de briser cette stabilité.

Si le sème de « stabilité » s’organise en champs associatifs autour de la notion de race homogène, on reconnaît également, dans une articulation paradigmatique opposée, un champ sémantique d’insécurité, de danger, de hasard qui est rattaché aux mélanges des races. Par exemple, si on reprend la citation où Lantagnac s’inquiète du désordre cérébral, supposément causé par le mélange de sang au Canada, on reconnaît facilement le sème d’« instabilité » associé au mélange racial. Le « désordre » causé par le « mixte » et le « mélange » entraîne quelque chose de « follement anarchique » et « mêlée », ainsi que la « ruine », le « délire », la

« déchéance », le « vertige » et le « déshonneur » (AR, 46-47). Par contre, la notion de race homogène donne un effet de contraste rassurant, le sang des races restant « identique à travers les siècles » (AR, 46). Dans un climat assimilateur, la consolation de l’homogénéité raciale est peut-

46

être inévitable, mais elle signale toutefois un esprit anxieux qui cherche un abri sûr dans la garantie identitaire raciale.

Les traits fins et bronzés de la race canadienne-française

Porter le regard sur l’identité raciale dans L’appel de la race exige en premier lieu une

étude approfondie des descriptions corporelles des personnages. On note d’emblée que l’établissement d’un lien entre la race et le corps peut sembler assez banal. Certes, la notion de différence raciale a presque toujours un statut spécifiquement corporel. Mais tout en soulignant le danger que représente l’affirmation du statut ontologique de la différence raciale, avouons que, s’il semble parfois exister certaines différences physiques entre deux personnes qui appartiennent

à des catégories raciales différentes, la différence physique entre un Canadien français et un

Canadien anglais n’est pas frappante, s’il y en a une. Comme on le verra dans « The Social

Construction of Race » d’Ian F. Haney Lopez, la race semble souvent écrite sur le corps des sujets racisés. Il analyse, par exemple, le cas de Hudgins vs. Wright, dans le contexte de l’esclavage en 1806. Si ce contexte peut paraître d'intérêt secondaire dans une étude de Lionel

Groulx, Lopez soulève, à mon avis, des questions importantes pour la conceptualisation de la race dans un paysage en apparence lointain comme le Canada de Groulx.

Selon Lopez, le statut d’esclave était, à l’époque, déterminé par la ligne maternelle de la personne en question. Un individu né d’une femme esclave était esclave, tandis qu’un individu né d’une mère libre était libre. Trois générations de femmes esclaves ont alors poursuivi la question en justice en raison de leur descendance matrilinéaire libre. Or, « on the all-important issue of their descent, their faces and bodies provided the only evidence they or the owner who

47 resisted their claims could bring before the court » (Lopez, 163). Alors que ni les femmes

Wrights, ni le propriétaire ne pouvaient assurer la descendance des femmes, leur destin de femmes dépendait des traits physiques raciaux, les Noirs étant des esclaves présumés. « The fate of the women rode upon the complexion of their face, the texture of their hair, and the width of their nose. Each of these characteristics served to mark their race, and their race in the end determined whether they were free or enslaved » (Lopez, 164). À tout prendre, le juge, citant les cheveux longs et lisses d’une des femmes, a choisi de libérer les trois. « After unknown lives lost in slavery, Judge Tucker freed three generations of women because Hannah’s hair was long and straight » (Lopez, 164). Les preuves historiques manquantes, le juge trouve néanmoins une démonstration convaincante de la race, et ainsi du statut social des trois femmes, dans leurs traits physiques. De toute évidence, la race semble relever du corps.

Comment savons-nous qu’un personnage particulier est de race anglaise ou française dans le roman? Quelles sont les stratégies discursives opératoires dans la mise en discours de la race? Maud Fletcher, l’épouse du protagoniste, possède des traits qui traduisent certaines caractéristiques apparemment propres à la race anglosaxonne. Sous sa « chevelure blonde », la

« ligne trop droite du front », ainsi que ses « lèvres trop tirées et trop minces » dévoilent sa nature « opiniâtreté » (AR, 64). De cette façon, le lecteur sait que Maude est de race anglaise non seulement puisque Groulx l’affirme, mais puisqu’elle a les traits de personnalité des

Anglais : opiniâtreté et de « pudeur puritaine » (AR, 55); et elle ressemble physiquement à une femme anglaise : blonde et sévère. Dans un processus de symbolisation, ses traits physiques et mentaux deviennent signes de son statut racial.

Tout comme les cheveux de la femme Wright, indicatifs de sa race, les cheveux marquent

également la race de la femme anglosaxonne et celle de ses enfants. L’ainé Wolfred et Virginia,

48 la cadette, reproduisent les traits français du père, alors que William et Nellie reproduisent les traits anglais de la mère :

Il y avait en eux comme deux âmes, deux esprits en lutte et qui dominaient tour à tour. Fait étrange, ce dualisme mental se manifestait surtout en William et en Nellie, les deux en qui s’affichait dominant le type bien caractérisé de la race des Fletcher. Tandis que Wolfred et Virginia accusaient presque exclusivement des traits de race française : les traits fins et bronzés des Lantagnac, l’équilibre de la conformation physique, en revanche l’aînée des filles et le cadet des fils, tous deux de chevelure et de teint blonds, plutôt élancés, quelque peu filiformes, reproduisaient une ressemblance frappante avec leur mère (AR, 46).

Les traits fins et bronzés et l’équilibre physique annoncent la race française de Virgine et

Wolfred; la chevelure et le teint blonds de Nellie et William divulguent leur race anglosaxonne.

Pierre-Yves Mocquais signale que la description des enfants de race opposée établit les fondements de la structure idéologique du roman. On identifie facilement deux champs sémantiques qui s’affrontent et s’avèrent contrastés : l’un « fin et bronzé », conférant une impression de santé et d’équilibre, l’autre « blond », créant une impression de santé fragile

(Mocquais, 248). La race est ainsi écrite sur le corps des enfants Lantagnac dès le début du roman et annonce la lutte des races à venir.

À l’instar de son père, l’ainé Wolfred, « aux traits bruns, énergiques» (AR, 84), est

énigmatique, les yeux « fixes, très droits » gardent en leur fond « un voile impénétrable » (AR,

84). Le roman se clôt sur la renonciation de Wolfred à un mariage mixte et à la tradition anglaise pour épouser la cause des Canadiens français. Il s’appellera dorénavant André et proclame : « je serai du parti de mon père, français comme lui et comme mes aïeux, intégralement et enthousiastement français! » (AR, 167). C’est toutefois par le biais d’un personnage antagoniste que Wolfred est défini comme étant de race française. De William, l’autre garçon de la famille,

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émane la violence anglaise, l’ennemi anglais étant au sein de la famille. Sa personnalité est subordonnée à sa race et les traits anglais collent à sa peau :

William, lui, restait toujours le même, esprit buté et bilieux. À mesure que le cadet avançait en âge, les traits saxons s’accusaient plus fortement dans la figure et par tout le corps du long adolescent. La barre du front se faisait plus raide, la moue des lèvres plus arrogante; presque toujours on le voyait s’en aller, la nuque cambrée, les poings à demi-fermés, à l’allure d’un joueur de rugby (AR, 84).

Image peu tendre du fils, cette description est fortement axée sur le corps. Si le corps de

Maude trahit son appartenance à la race anglosaxonne par sa chevelure, son front et ses lèvres

(AR, 64), le front et les lèvres de William semblent également indicatifs de la race anglaise. La barre du front de William est « raide », la moue des lèvres « arrogante », la nuque « cambrée » et les poings « à demi-fermés » (AR, 84). En résulte une description physique qui est raciale, la race du personnage étant écrite sur son corps. Mais reconnaissons d’emblée que cette description serait en conformité avec d’autres portraits racisés. Par exemple, dans ce qui est maintenant compris comme étant un rapport pseudoscientifique et raciste22, le médecin Samuel

A. Cartwright (1793-1863) souligne l’importance des marqueurs physiques dans sa description des Noirs :

The projecting mouth, the retreating forehead, the broad, flat nose, thick lips and wooly [sic] hair, are peculiarities that strike every beholder. According to Soemmerring and other anatomists, who have dissected the negro, his brain is a ninth or tenth less than in other races of men, his facial angle smaller … (Cartwright, 29).

22 Voir l’introduction du chapitre (Cartwright, 2).

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On peut identifier non seulement une importance accordée au corps d’un sujet racisé, mais spécifiquement au visage, au front, aux cheveux et aux lèvres, comme dans les portraits raciaux de Maude et de William tracés par Groulx. De plus, Cartwright et Groulx mettent tous les deux l’accent sur le bon ou mauvais fonctionnement cérébral du sujet, l’intelligence de l’Autre racial

étant mise en doute (AR, 46-47; Cartwright, 33). Il va sans dire qu’il existe certaines ressemblances entre les descriptions raciales et racistes de Cartwright et celles de Groulx.

S’affirment, dans les deux cas, des idéologies raciales axées sur la différence corporelle.

Pourtant, les enfants Lantagnac partagent de toute évidence le même héritage « racial », culturel et génétique. Comment explique-t-on alors le fait qu’ils soient munis d’identités raciales opposantes par Groulx? L’image de quatre enfants de la même famille, mais de race différente, me paraît particulièrement étrange. À cet égard, on peut dire qu’il n’est pas simplement question de la différence raciale, mais de la différentiation et de la démarcation raciale. L’assimilation

étant la menace primordiale pour Groulx, ce qui ressort de la description de William, c’est l’appartenance à une race ennemie, une race laide, violente et menaçante. Le fait que la menace raciale soit corporellement incarnée au sein de la famille forge un danger d’autant plus personnel, plus réel et plus émotif. Et c’est au nom de cette menace que Jules entend l’appel de la race et défend la cause des siens.

Mais derrière ses efforts de différenciation raciale, Groulx laisse paraître une anxiété qui relève spécifiquement du corps. Le mariage mixte, qui mène à l’assimilation et invite l’ennemi de race au sein de la famille, entraîne le mélange racial et rend le soi et l’Autre racial difficilement distinguables. La famille et le corps ainsi pénétrés par l’ennemi, l’instabilité identitaire et corporelle est révélée. On a plus recours à la garantie identitaire sur laquelle on fond si souvent la culture, la langue, et les mouvements sociaux, si on n’est pas capable de

51 distinguer le soi de l’Autre. De toute évidence, il y a très peu de différences physiques entre un

Canadien français et un Canadien anglais, à l’époque ou aujourd’hui. D’où le besoin des démarches d’identification qui visent à marquer le corps, à le rendre visible et lisible. Mais comment peut-on prendre au sérieux une telle tentation de différentiation? Surtout qu’il s’agit d’une différentiation raciale au sein d’une même famille.

Les descriptions raciales de Groulx mettent en évidence l’imbrication des représentations politiques et corporelles et la catégorisation raciale. La démarcation raciale du corps n’est nécessaire que dans une situation politiquement précaire. Pour Claire Anderson, le fait de marquer et ainsi rendre lisible le corps relève de la précarité sociale :

This was necessary because the massive social and economic changes of the nineteenth century – notably industrialization and migration – disrupted the community networks and personal connections on which identification had formerly relied. The project of individual legibility (or as one paper on naming practices puts it, the conquest of illegibility) was thus central to the process of centralized state building (Anderson, 2).

L’inquiétude de Groulx devant le mariage mixte, ou « la pénétration insidieuse de la race canadienne française par la race anglo-saxonne » (Mocquais, 245), annonce une angoisse corporelle qui vient alimenter son inquiétude raciale. C’est par l’entremise d’un processus spécifiquement corporel que Groulx génère un discours racial dans L’appel de la race. Confiner dans un corps instable, un corps qui trahit, qui est pénétrable, et qui rate parfois son coup, on reconnaît peut-être le désir incessant de le gérer, le nommer, le dresser et surveiller ses limites, dans un effort de camoufler sa vraie nature précaire et peu certaine. Mais trahissant sa race en

épousant l’ennemi, le protagoniste canadien-français du roman laisse la race étrangère, la race anglosaxonne, pénétrer sa patrie, sa famille, son corps et la chair de sa chair, ses enfants.

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S’affirme ici l’importance des relations de pouvoir qui sont, selon Foucault, constitutives de toute relation intime à cause de l’expérience variable qu’a chaque être humain de son corps et sa capacité ou son impuissance à contrôler et à manipuler ses limites (voir Bersani, 216; Foucault,

1983, 21). S’affirme également l’instabilité corporelle qui mobilise un discours racial.

L’enfant du sol

Si la famille et l’enfant figuraient au premier rang du rapport Durham, on peut également se demander pourquoi les enfants jouent un rôle si déterminant dans L’appel de la race. On peut souligner d’emblée que Lantagnac entre en scène politique pour défendre l’enseignement de la langue française dans les écoles de la province ontarienne. Autrement dit, ce qui incite le protagoniste à passer à l’action, ce sont les enfants francophones qui se trouvent en situation précaire dans une province où ils sont minoritaires.

Par exemple, un soir, un des beaux-frères de Maud, William Duffin, vient souper à la maison. Fils d’émigré irlandais, Duffin se mêlait à la société anglaise et ne gardait plus qu’une

« ombre de sa foi » (AR, 56), souffrant de ce que Groulx, employant l’expression anglaise, nomme un « slave mind » (AR, 56) qui l’a « jeté, dès les premiers contacts, dans le servage de l’Anglosaxon, le dominateur séculaire de sa race » (AR, 56). La conversation s’engage autour de la table et Virginia aborde le sujet de l’agitation scolaire. Pour Virginia, les enfants qui vident les classes à l’arrivée d’un inspecteur, venu vérifier qu’on n’enseigne pas le français, sautant par les fenêtres ou défilant en chantant l’hymne national (AR, 58), constitue un acte héroïque. Pour

Duffin, les actions des enfants semblent « ridicules » et un débat s’ensuit entre Virginia et son oncle. Non seulement le débat est-il engagé en premier par un enfant, mais le besoin de défendre

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Viriginia pousse Lantagnac à parler : « Pourtant, à mesure que le débat s’avançait, il sentait l’impossibilité de ne pas intervenir, de ne pas porter au secours de Virginia. Il se serait reproché surtout de ne pas confesser ses convictions devant son enfant qui y allait avec tant de vaillance »

(AR, 59). Bref, la vaillance des enfants pousse le protagoniste à défendre la cause de sa race, au nom de leur protection. Tout comme Durham a mis en œuvre la charge émotive des enfants abandonnés dans son projet colonial, Groulx a recours à la force connotative de l’image de l’enfant.

Dans The Queen of America goes to Washington City, Lauren Berlant, qui étudie la question de l’identité nationale américaine contemporaine, identifie la notion de « citoyen infantile ». Pour Berlant, le citoyen infantile est muni d’une identité encore vierge et devient un lieu de dépôt sacré de la nostalgie et de l’aspiration nationale. Cet enfant imaginaire provient d’un ancien idéal familial et sert à éveiller un désir protecteur. Il faut, semble-t-il, défendre l’innocence de l’enfant citoyen à tout prix, surtout des échecs identitaires des parents.

Contradictoires et conflictuels, les adultes sont abîmés, pourris par l’Histoire. Par contre, la valeur de la nation figure le plus souvent rhétoriquement dans le corps d’une petite fille qui incarne le désir pour la nation (Berlant, 27).

In the reactionary culture of imperiled privilege, the nation's value is figured not on behalf of an actually existing and laboring adult, but of a future American, both incipient and pre-historical: especially invested with this hope are the American fetus and the American child … perhaps the last living American, not bruised by history … (Berlant, 6).

Tout euphorique qu’il soit, le citoyen infantile nullifie la sphère publique pour établir à sa place la sphère privée de la famille hétéronormative comme noyau national. Le résultat d’une telle identification utopique nationale est, selon Berlant, le patriotisme passif, « untempered by even

54 a loving critical distance » (Berlant, 49). Bref, pour Berlant, la contradiction, voire l’hypocrisie centrale de la citoyenneté infantile, réside dans le fait que l’on ne représente la nation uniquement lorsqu’on n’est pas abîmé par l’Histoire nationale.

Le personnage de Virginia, la cadette, en dit long sur la notion de la nouvelle race canadienne-française préconisée par Groulx. Étant la plus jeune, la plus innocente des enfants, sa présence est indispensable au récit. Sa naïveté est accentuée par l’onomastique, le prénom

Virginia venant du latin virgo, vierge. Devenue une véritable confidente (AR, 40) pour son père, la petite Virginia est bien une « fille de sa race » (AR, 40). L’étude de la langue française étant sa passion, elle avoue, « c’est étrange : le français me revient comme une langue que j’aurais déjà sue » (AR, 40-41). La « petite intuitive » va au couvent où elle prie Mère Sainte-Anastasie, une femme « patriote qui sait admirablement sa langue », de lui enseigner également « les histoires de chevalerie » du Canada français, ses lectures la ramenant « je ne sais quel souvenir, quelle résurrection d’une vieille âme héréditaire » (AR, 41). Elle confie à son père qu’elle aussi, entend « l’appel de la race », l’appel des aïeux et des aïeules (AR, 41), et elle avoue, « en appuyant sa tête sur son épaule », sous un « rayon » de lumière, qu’à « mesure que je me refrancise, je pense plus clair et je sens plus finement » (AR, 41). Le père Lantagnac considère

« avec fierté la belle enfant brune, tout en ardeur et en lyrisme, fine et vibrante créature dont les joues se coloraient quand le cœur devenait chaud » (AR, 41). Évoquée corporellement, tout dans cette description surdétermine l’image que peint Groulx de la « nouvelle » race canadienne- française : intelligente, belle, brune et de bonne santé. Dans cette description, on discerne une identification utopique nationale égale à celle décrite par Berlant.

Ainsi, conservée vierge de toute trace de l’Histoire et incarnant l’espoir d’une nation future, Virginia fait de toute évidence figure de citoyenne infantile. Wolfred, l’enfant ainé de

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« race française » de la famille, semble également incarner la citoyenneté infantile. Après un voyage à Montréal, avec l’âme « redevenue française » (AR, 164), Wolfred écrit à son père :

« Ma naïveté aussi juvénile que vierge et, je vous le confesse, pour le moins aussi vierge que juvénile, s’était promis de découvrir ici une ville française » (AR, 163). En rejoignant son père à la maison familiale, maintenant vide à cause de l’échec du mariage mixte entre Lantagnac et sa femme, Wolfred demande, tout comme Virginia, la bénédiction de son père, par laquelle il entend « rentrer dans la tradition de ma race » (AR, 165). L’échec du couple adulte, complexe et ardu, permet la réhabilitation de la race canadienne-française, avec la bénédiction paternelle et céleste, à travers les deux enfants francisés.

La nécessité du sacrifice pour la cause de la race, thème récurrent dans le roman, pèse, au nom des enfants, sur les épaules du héros adulte. Groulx immole ainsi l’adulte pour l’enfant, et ce faisant, renonce à la complexité des relations mûres pour favoriser la simplicité que l’on retrouve dans la naïveté et la pureté enfantine. De même, la relation intime entre Maude et Jules semble entortillée et impossible : « la disparité de race entre époux limite l’intimité. Si l’on veut que les âmes se mêlent, se reflètent vraiment l’une à l’autre, il faut que d’abord existent entre elles des affinités spirituelles parfaites, des façons identiques, connaturelles de penser et de sentir » (AR, 44). Les affinités parfaites et identiques n’existent pas, à mon avis, dans l’univers des adultes, mais appartiennent au domaine élémentaire des enfants où le Bien et le Mal sont souvent présentés de façon très contrastée. Dans L’appel de la race, le monde préservé et autonome de l’enfance est mis en valeur dans la représentation de la race canadienne-française, le monde corrompu et opaque des adultes étant dès lors sacrifié.

De la valorisation du citoyen infantile, on peut retenir, aux dépens de la complexité et de la diversité adulte, une revendication de la simplicité offerte par l’homogénéité raciale. Pourtant,

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Berlant souligne la culture réactionnaire du privilège en péril qui encadre la représentation du citoyen infantile. Ce détour théorique nous permet de qualifier la fonction de la race dans le roman non seulement par sa mise en valeur de l’homogénéité, mais également par son évocation d’un désir de sécurité. L’idéalisation de l’enfant de race est surtout indicative d’un désir nostalgique de retrouvailles du temps de la dépendance et de la sécurité absolue, fantasme du ventre maternel. Dans L’appel de la race, Groulx se sert de la simplicité du citoyen enfant afin d’apaiser, de réconforter un peuple qui s’estime en péril devant la menace d’une déculturation au sein de la « famille » canadienne. Certes, la mise en relief raciale du roman relève de la culture réactionnaire d’un peuple en péril, mais il convient peut-être de poser la question suivante : est- ce qu’il s’agit d’un peuple qui se défend contre la majorité anglaise, ou bien, est-ce simplement certains privilèges qui sont en péril? Joanne Nagel rappelle dans Race, Ethnicity and Sexuality :

Intimage Intersections, Forbidden Frontiers, que le débat du problème langagier au Canada relève de la situation coloniale, le français étant l’apanage d’un peuple colonialiste:

North American quarrels over national languages tend to be framed as issues of tradition and national purity when actually these are arguments over which colonial language will prevail as the ‘native’ tongue : in the will it be English only; in Canada will it be English or French (Nagel, 149, ses italiques).

Les questions soulevées par Nagel sur le débat langagier interpellent les valeurs sur lesquelles Groulx s’appuie dans le dilemme racial et ouvre le roman à plusieurs interprétations.

L’auteur propose qu’un héros qui voit ses confrères persécutés ne fait que défendre son peuple et sa « race ». Cela dit, un protagoniste qui cherche à préserver des avantages acquis par la colonisation est de toute évidence peu aimable. Au-delà des limites de ces deux possibilités interprétatives si fortement polémiques, on voit ressortir l’importance et la complexité des rapports de pouvoir pour le récit et son déchiffrement.

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Avec cette constatation, on arrive à ce qui me semble être un des paradoxes les plus riches de la situation des Canadiens français : la précarité de tout positionnement de pouvoir. Si la Nouvelle-France a été peuplée par des Européens coloniaux et colonisateurs qui ne pouvaient véritablement se dire opprimés, les Canadiens français se retrouvent néanmoins dominés par l’autorité du pouvoir central français, par la conquête britannique, et ensuite par la pression du fédéralisme canadien et du capitalisme américain (Killick, 181-192). Les circonstances historiques font des Québécois à la fois des démunis et des fortunés, des opprimés et des oppresseurs. Cette contradiction est au cœur de la question de la race et de sa représentation dans la littérature québécoise. J’y reviendrai aux chapitres trois et quatre, lors de ma discussion de l’appropriation québécoise des symboles racisés, mais pour l’instant, admettons que le statut précaire des privilèges accordés aux Canadiens français est sûrement une source d’anxiété qui sous-tend la pensée de Groulx.

Terre de nos aïeux

À cette esquisse de la valorisation du citoyen infantile, on peut ajouter un éloge de la terre. La « terre des Lantagnac depuis cinq générations » (AR, 19) inspire le protagoniste de

L’appel de la race à se refranciser, à lutter pour la cause canadienne-française, événement premier du récit. Dure, costaude et fiable, la terre appartient au monde de l’absolu. On est attaché à la terre; on a la terre sous ses pieds; elle sert de support physique. Ainsi, on peut facilement voir dans la terre quelque chose de stable, de durable et d’éprouvé. Dans ses premiers moments, L’appel de la race présente la terre québécoise sous le signe de la stabilité. Solide, comme une « montagne immergée » dans l’eau, les Lantagnac s’éloignent de la ville anglophone, pour se regrouper dans la forêt québécoise. On peut supposer que cet isolement du monde

58 anglophone contribue au projet paternel de différenciation raciale, Lantagnac cherchant à franciser sa famille. Mais dans la spécificité de cet espace québécois, Groulx brosse un tableau de terre « tranquille », « un lieu de repos », d’un « calme parfait ». On observe alors un réseau important de métaphores attaché à la terre québécoise : ferme et féconde, la terre des aïeux est prometteuse d’une certaine sécurité, voire de « stabilité ».

La visite à la terre des ancêtres est à cet effet déterminante pour l’intrigue du roman. Le père Fabien, fils de terrain tout comme Lantagnac (AR, 22), décrit la terre des ancêtres de ce dernier : « ce pays me parut la patrie naturelle d’une race robuste et fine, bien équilibrée, laborieuse » (AR, 20). Soulignons qu’à la notion de la terre se greffent la race et le masculin, ainsi qu’une valorisation des qualités telles « robuste », « fine », « équilibrée » et « laborieuse ».

On reconnaît dès lors la rhétorique raciale de la supériorité des Blancs, ainsi que le discours national au masculin, étudié au premier chapitre. Groulx reprend littéralement certains des mêmes adjectifs (robuste, laborieuse) auxquels Durham avait recours pour naturaliser et légitimer la domination anglaise. Mais si on insiste à plusieurs reprises dans le roman sur le fait que les Anglais et les Français sont égaux (AR, 70), comment explique-t-on l’inscription d’un discours de suprématie raciale?

Au lieu de détruire la hiérarchie raciale, Groulx semble plutôt vouloir gravir les échelons.

L’importance discursive de la notion d’entreprise dans le discours de la supériorité blanche est de toute évidence présente dans le roman. Quand son fils William demande dédaigneusement s’il est vrai que, « l’habitant cultive toujours sa terre comme au temps des Français, selon les mêmes procédés, les mêmes machines vieillottes? » (AR, 32), Lantagnac, « de sa voix chaude », décrit la « terre paternelle » à ses enfants :

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Il leur décrivit la maison, refaite, mais subsistante encore en beaucoup de ses parties antiques; il peignit les « bâtiments » entièrement remodelés, remis au point des plus récents progrès; il leur parla de leurs cousins dont le diplôme de bacheliers de l’École d’Oka s’étalait dans le salon de famille; il fit défiler le beau troupeau de vaches Holstein, montra les larges pièces de la terre drainées, roulées, fit évoluer les attelages percherons traînant les machines agricoles les plus modernes : le semoir automatique, l’épandeur de fumier, la herse à roulettes, la lieuse, etc. (AR, 32-33).

Si Durham brosse un tableau des Canadiens français rétrogrades et paresseux, Groulx repeint l’image. La soi-disant nature robuste et intrépide du Canadien français dans L’appel de la race semble surtout s’inscrire en faux contre l’idée de Durham du Canadien français sans disposition naturelle pour rivaliser avec les Anglais, que l’on peut supposer représentatifs de l’époque. Mais ce faisant, Groulx ne fait que reprendre le même discours et l’appliquer aux Canadiens français.

Exprimé en termes de progrès et d’avancement, le discours de la suprématie de la race blanche est élargi pour inclure les Canadiens français. Drôle de paradoxe, dans L’appel de la race,

Groulx insiste non seulement sur la différence et la différenciation raciales, soucieux de contester l’assimilation, mais également sur la ressemblance raciale, qui assure sa part des privilèges accordés à la race blanche.

Trouve-t-on l’alliance de ces traits au discours de la suprématie de la race blanche dans

L’appel de la race arbitraire? Pour s’en convaincre, on n’a qu’à s’arrêter à une autre question du fils William, porte-parole des Anglais : « Mais comment as-tu fait, papa, toi si dédaigneux, si délicat, pour t’asseoir et manger à la table des Lamontagne? On les dit si malpropres ces

« habitants » du Québec! » (AR, 32). Le père répond que « rien n’est plus blanc que la nappe des habitants » (AR, 32). Si la simple mention du mot « blanc » ne nous convainc pas de l’importance de la rhétorique de la suprématie blanche, il faut admettre que l’on retrouve encore

60 une fois un autre élément clés du discours racial : l’association des races dites inférieures à la saleté, la race blanche étant associée à la propreté, la pureté.

Dans Whiteness, Steve Garner signale « the ideological labour involved in associating dirt and disorder with these (racial) characteristics is a vital prong of racism » (Garner, 89). Pour

Garner, la notion de saleté est « inextricalbly embedded in conceptions of superiority and inferiority. Whiteness is identified with odours of cleanliness and otherness with odours of dirt »

(Garner, 91). Or, si William, porte-parole des Anglosaxons, accuse les Canadiens français de malpropreté, on s’aperçoit, finalement, que le roman ne prend pas le contre-pied, mais dramatise plutôt une revendication d’appartenance à la race blanche, caractérisée comme étant propre et pure. Lorsque Lantagnac assure son fils anglicisé qu’en fait, « rien n’est plus blanc que la nappe des habitants » (AR, 32), on peut interpréter la nappe blanche comme métaphore d’une invocation raciale. Lantagnac ne dénonce pas le racisme de son enfant, mais réclame ce qu’il le considère en droit d’avoir – sa part d’un héritage racial blanc.

La blancheur est d’ailleurs évoquée à plusieurs reprises dans le roman. En vacances au lac Mac Gregor, Lantagnac amène sa famille à une villa d’été, « à un demi-mille à peine de l’embouchure de la Blanche, en plein pays de Québec » (AR, 33, ses italiques).

Il l’avait choisi sur une île isolée et très escarpée qui surgissait des profondeurs du lac comme une ancienne crête de montagne immergée. En ce lieu de repos, l’avocat espérait satisfaire à la fois son goût de la tranquillité et du pittoresque. Il voulait surtout se retremper, lui et les siens, dans l’atmosphère française … Le premier jour de l’arrivée à la villa, le lac, un peu troublé dans la journée, se remit vers le soir au calme parfait (AR, 33-34).

Si l’emplacement de la villa près de la Blanche est peut-être anodin, la blancheur ne cesse de hanter L’appel de la race. On retrouve le mot blanc encore trois fois dans les deux pages qui

61 suivent ce passage. Une « maisonnette blanche » (AR, 35) se trouve sur le flanc de la montagne; les « lueurs blanches » et un « astre blanc » (AR, 35) mettent un silence religieux dans le paysage nocturne (AR, 35). Il importe également de noter qu’au cours de cette partie du roman, c’est la francisation de la famille Lantagnac qui est en question. Dans un autre contexte, la simple mention du blanc ne serait pas nécessairement révélatrice d’une mise en discours raciale. Mais une fois que l’on parvient à rassembler tous les récits raciaux du roman, la blancheur nous semble de moins en moins bénigne.

Le terroir

Par son titre, on reconnaît l’importance de la terre dans le mouvement littéraire du terroir23, mais même les littérateurs qui n’appartiennent pas strictement au mouvement terroiriste

« livrent à leurs contemporains leurs propre vision de la terre québécoise et de la paysannerie canadienne-française » (Servais-Maquoi, 19). L’appel de la race, précurseur parmi d’autres de la montée du nationalisme moderne, est représentatif d’une transition du terroir vers le nationalisme moderne québécois24. Mais si la notion de la race est de toute évidence associée à la terre des ancêtres dans le roman de Groulx, il y a une profusion de romans canadiens-français issus d’une lignée semblable. Dans un grand nombre de textes québécois de l’époque, les

écrivains associent étroitement la race au terroir, toujours au service d’une fin louable : pour

« assurer la permanence (voire la stabilité) de la nationalité canadienne-française » (Servais-

Maquoi, 6).

23 Plusieurs considèrent que ce mouvement marque la naissance de la nation canadienne-française (Wade, 246) et conséquemment, on ne peut pas nier son importance pour l’histoire, l’idéologie et la littérature québécoise. 24 Voir, par exemple, Jean-Herman Guay, Bilan du Siècle, Université de Sherbrooke, http://bilan.usherbrooke.ca.

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Mais ce plaidoyer pour la subsistance de la race canadienne-française à travers la terre est souvent accompagné d’une association étroite entre la race et le corps. Ce thème apparaît souvent sous forme d’un détour narratif vers le mariage mixte, et nombreux sont les romans québécois de l’époque qui mettent en scène ce drame d'une façon ou d'une autre, aux nuances multiples.

Pour certains, le mariage mixte, souvent avec un anglophone, représente un échec, comme dans L’appel de la race. Citons par exemple, Les anciens Canadiens (1863) de Philippe

Aubert de Gaspé. Le personnage Blanche (encore une référence « anodine » à la blancheur?) refuse par principe politique d’épouser Archibald, un Écossais, malgré son amour pour lui. À titre de gardienne de la race et de la langue, elle doit défendre la mémoire et la tradition des

Canadiens français25. Ou bien, dans La terre se venge (1932) d’Eugénie Chenel, Paul abandonne sa petite cousine canadienne-française pour épouser une vilaine Anglaise, mais à son grand malheur, puisqu’elle mourra avec leur fils de tuberculose. En plus, la terre se venge en arrachant la petite cousine lors d’une promenade en barque sur le fleuve. Et enfin, La campagne canadienne (1927) de Père Adélard Dugré n’est qu’un plaidoyer en faveur de la fidélité au sol et

à sa race de naissance, s’énonçant contre le mariage mixte26.

Pour d’autres romanciers de l’époque, le mariage mixte est un thème moins explicite, mais l’union matrimoniale à un traître, ou bien à un étranger quelconque, est néanmoins l’une des astuces classiques dans l’intrigue de ces romans et entraîne toujours des conséquences politiques. Roman du terroir par excellence, l’intrigue de Maria Chapdelaine (1921) de Louis

Hémon se noue autour de « l’éternel malentendu des deux races : les pionniers et les

25 Voir Paterson, 2004, 57. 26 Voir également les oeuvres de Damase Potvin, de Patrice Lacombe et de Père Adélard Dugré.

63 sédentaires » (Hémon, 27). Le protagoniste Maria a trois prétendants: un paysan voisin, un

émigré aux États-Unis, et un bûcheron qui l’emmènerait vivre en forêt loin de la famille. Le roman se termine sur la promesse de Maria d’épouser le paysan. Dans Menaud, maître-draveur

(1937) de Félix Antoine-Savard, le protagoniste s’oppose à la vente des terres québécoises à des

étrangers, mais le drame est repris sous les auspices du mariage lorsque Délié, un traitre qui vendra les terres aux étrangers, prétend à la main de Marie, fille du protagoniste. Pour Menaud,

le Délié était un de ces traîtres, un de ces vendus qui livrent, pour de l'argent, la montagne et les chemins à l'étranger. Cette espèce-là, sans doute, quand on en aurait assez... tout le pays, toute la race la renieraient. De penser que sa fille, le sang de son sang, pourrait un jour... épouser… (Savard, 26).

Même si Délié n’est pas d’une race autre, c’est toutefois par le biais de la race que Savard décrit l’horreur que ressent Menaud devant l’idée de son mariage avec sa fille. Et finalement, paru en

1938, Trente arpents de Philippe Panneton (Ringuet) trace un portrait des réalités changeantes de la société québécoise. Son personnage principal Euchariste Moisan est un cultivateur qui quitte la terre familiale pour les États-Unis. Le fils préféré d’Euchariste (Éphrem) se révolte contre les conventions imposées par la fidélité à la terre, et en reniant le sol québécois, il épouse à White-

Falls une Irlandaise qui ne parle pas le français. Si la portée idéologique varie d’un texte à l’autre, le mariage mixte et ses avatars ne cessent de se manifester dans la littérature de l’époque.

Figure raciale s’il en est une, le mariage mixte demeure un thème romanesque privilégié dans la littérature québécoise de toute une époque.

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Conclusion

C’est ainsi par l’entremise du corps et de la terre que les romanciers inscrivent ces récits fondateurs de la race dans le tableau québécois. Au terme de l’analyse, il convient de reposer la question qui sous-tend cette thèse : pourquoi la race revient-elle de manière constante?

Dans L’appel de la race, la notion de la race s’explique avant tout par l’instabilité de l’époque. Ayant déjà étudiée l’idéologie assimilatrice du rapport Durham, on reconnaît l’existence d’une menace anglaise à la stabilité sociopolitique canadienne-française. De la précarité du statut des Canadiens français, on discerne également l’idéalisation de Groulx du citoyen infantile, lieu de dépôt sacré de désir patriotique. Cependant, c’est aussi ayant étudié la notion de race dans le rapport Durham que l’on reconnaît plusieurs des procédés utilisés par ce dernier et repris par Groulx, notamment, l’imbrication étroite de la mise en œuvre de la charge

émotive des enfants et le discours patriotique. Ces doctrines contraires exploitent la différence raciale pour promouvoir des causes politiques opposées.

Les descriptions raciales de Groulx mettent également en évidence l’imbrication des représentations politiques et corporelles dans toute catégorisation raciale. Le corps et la race sont souvent étroitement imbriqués dans la rhétorique raciale, mais faute de distinction corporelle facilement identifiable entre les Canadiens français et anglais, Groulx doit en fabriquer une. Pourtant, la fabrication raciale amorcée par Groulx suit néanmoins les consignes que l’on retrouve dans d’autres discours raciaux, comme par exemple, les descriptions raciales de l’esclave américain. Il importe donc de souligner que la fabrication raciale de Groulx met au grand jour la nature artificielle de toute différence raciale : si Groulx arrive à établir une différence corporelle raciale où nous savons de toute évidence qu’il n’y en a pas, toute construction raciale est alors suspecte; toute différence raciale est strictement discursive.

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Au même titre, l’inquiétude de Groulx devant le mariage mixte et la pénétration de la race canadienne-française par la race anglosaxonne, annonce une angoisse corporelle qui vient alimenter son inquiétude raciale. Le corps, instable et fragile, devient un champ de bataille priviligié dans son discours racial. Parallèlement, la terre, solide et sûre, devient un trope récurrent dans L’appel de la race qui présente la terre québécoise sous le signe de la stabilité.

Mais à la notion de la terre se greffe la rhétorique de la supériorité, ainsi que le discours national au masculin.

Mais la mise en relief des questions raciales n’est pas le seul lieu commun des deux textes. Les Canadiens français étaient des Européens colonisateurs, comme les Anglosaxons.

L’interprétation idéologique du roman dépend presque exclusivement de la prise de position du lecteur par rapport à ce problème. Est-ce que la mise en avant d’un discours racial est justifiée par la persécution anglaise? Ou bien, est-qu’il s’agit d’une tentative de préservation des avantages acquis par la colonisation? L’importance et la complexité des rapports de pouvoir pour le récit viennent influencer son déchiffrement et évoquent un des paradoxes les plus riches de la situation québécoise qui reviendra aux chapitres suivants : la précarité de tout positionnement de pouvoir au Québec.

À dire vrai, au fil des ans, quelle époque n’a pas connu d’instabilité? Et qui n’est jamais vulnérable, jamais en situation incertaine et précaire? Le lien entre la stabilité, objet de convoitise (au niveau du corps et au niveau de la nation), et le discours racial est ce qui assure la permanence de ce dernier.

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Chapitre trois Une race qui ne sait pas mourir : Ashini et Menaud, maître-draveur

Stories are all we are27.

Pour dire vrai, ces histoires

d’authenticité m’ennuient à mourir.

Je parle du fait concret de mourir28.

Lionel Groulx et Lord Durham, nous l’avons constaté, ont eu recours à la revendication d’appartenance à la race blanche pour panser les plaies du tumulte assimilateur, mais il reste néanmoins une question à résoudre en ce qui concerne le rôle de la race dans la construction symbolique de la nation québécoise. Si L’appel de la race présente la terre sous le signe de la stabilité, il faut dire que tout hommage à la terre québécoise est contentieux étant donné son passé colonial. À titre d’exemple, Lysiane Gagnon se lamente dans le Globe and Mail sur le sort du mot « Québécois » qui, selon l’éditorialiste, devrait faire référence aux habitants francophones et anglophones de Québec contrairement à l’usage souverainiste qui ne désigne qu’« old-stock francophones » (Gagnon, D3). Cependant, au-delà des querelles entre anglophones et francophones, Tomson Highway, qui répond à la chronique de Gagnon dans une lettre à l’éditeur, nous rappelle que le mot « Québec » est en fait un mot cri qui veut dire « va-t-

27 Thomas King, The Truth About Stories, 2. 28 Dany Laferrière, Je suis un écrivain japonais, 24.

67 en » (Highway, A20)29. La terre « des ancêtres » n’était effectivement pas toujours francophone, la population indigène posant problème à toute définition homogène que l’on pourrait adopter de la nation québécoise.

Nous avons déjà étudié comment la race joue un rôle déterminant dans deux textes fondateurs de la nation (Durham) et de la littérature (Groulx) québécoise. Avec Ashini30 et

Menaud, maître-draveur31 deux romans avec plusieurs points de rencontre, j’espère démontrer que la notion d’une race indigène joue également un rôle primordial dans la construction d’une collectivité québécoise. En étudiant l’Indien imaginaire de Thériault et le « désir métis » de

Savard, j’espère démontrer que l’Autochtone s’avère important dans la construction de l’imaginaire québécois, ce dernier n’existant pas sans l’exploitation idéologique (et matérielle) du premier.

Rémi Savard ébauche un portrait des enjeux de l’Amérindien au Québec en soulignant trois entraves identitaires : le problème de l’aborigénéité, la rivalité entre deux peuples opprimés, de même que les atrocités historiques commises contre les autochtones :

Quoi qu’il en soit, l’autochtone continue à être perçu comme notre plus sérieux concurrent. Plus encore que l’Anglais. Sa reconnaissance pour ce qu’il est et l’identité dont nous croyons encore nécessaire de nous revêtir demeurent mutuellement exclusives. La concurrence ne joue pas seulement sur le plan de l’aborigénéité, mais aussi sur celui plus délicat qui consiste à savoir qui est l’Opprimé absolu. Mais il y a plus encore. À délacer ainsi les éléments du

29 Ou plus spécifiquement, une combinaison de « débarquer » et « bienvenue ».

30 Yves Thériault, Ashini, Montréal, Bibliothèque québécoise, 1997, édition originale 1960. Cité dorénavant sous le sigle AS.

31 Félix-Antoine Savard, Menaud maître-draveur, Montréal, Bibliothèque québécoise, 1990, édition originale 1937. Cité dorénavant souls le sigle MMD.

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paradigme traditionnellement mis au point, nous risquerions de voir resurgir des dimensions aussi permanentes que secrètement gardées de nos voisinages avec les autochtones. Nous, les « nègres blancs d’Amérique »32, nous nous étions forcés d’oublier que nos ancêtres, faute de pouvoir obtenir les nègres noirs qu’ils réclamaient à grands cris à l’administration, sous prétexte d’être déjà concurrentiels avec les colonies anglaises, n’hésitèrent pas à se rabattre sur le produit local. Qui? Quoi? Évêques, gouverneurs, militaires, médecins, jésuites, récollets, sulpiciens, etc. On trouvait partout des esclaves indiens, telle Marianne, l’esclave montagnaise pendue pour vol nocturne en 1756 (Savard, 1992, 6).

Les problèmes identitaires soulevés par Savard viennent troubler la notion d’une nation québécoise. Mais si Thomas King a raison d’affirmer que nous ne sommes que des histoires

(King, 2), une nation est non moins sa fiction. L’importance de l’image fictive de l’Amérindien dans la construction d’une identité québécoise est ce que vise ce chapitre. Dans « Images de l’Amérindien dans le roman québécois depuis 1945 », Jean Morency se penche sur des exemples frappants des images de l’Amérindien dans des romans comme Maria Chapdelaine, Le survenant ou La montagne secrète, de même que dans L’élan d’Amérique, Un dieu chasseur ou

Le dernier été des Indiens. L’étude considérable de Morency soulève que :

les romanciers québécois ont souvent attribué à la figure de l’Amérindien une fonction symbolique dans le mouvement de prise de conscience de leur appartenance au continent américain. Cette image se révèle ainsi indissociable de l’expression et de la revendication d’une identité nord-américaine, cette dernière étant perçue comme résolument distincte de l’identité française (Morency, 2007, 83).

J’accepte l’invitation qui apparaît à la fin de l’article de Morency d’analyser plus en détail les représentations de l’Amérindien proposées par Yves Thériault dans son roman Ashini. Pour

32 Le texte de Pierre Vallières auquel Savard fait référence sera le sujet principal du prochain chapitre.

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Morency, Thériault « tâche de saisir les Amérindiens comme sujets, et non pas uniquement comme objets, sans toujours parvenir pour autant à une représentation de la figure complètement dégagée de certains stéréotypes hérités de la tradition littéraire et culturelle » (Morency, 2007,

97). C’est vrai que, d'entrée de jeu, Thériault semble être parvenu à exprimer une conception substantielle de l’Autochtone. Comme le souligne Janet Paterson dans Figures de l’Autre dans le roman québécois, si l’Amérindien représente incontestablement une figure de l’Autre dans de nombreux textes littéraires, dans les romans de Thériault, c’est l’homme blanc qui est Autre

(Paterson, 2004, 22). Le personnage principal du roman est Ashini, un Montagnais33 qui est révolté par le sort de ses compatriotes. Le roman est écrit à la première personne et semble revendiquer les droits des Autochtones à posséder un territoire qui leur soit propre, ce qui explique probablement pourquoi Morency voit dans Ashini « une vision très forte et individualisée de l’Indien » (Morency, 2007, 97). Certes, le roman met en scène la violation des traditions et des territoires des Amérindiens par les Blancs et fait preuve d’une sensibilité par rapport aux adversités aborigènes. Il s’agit assurément d’un personnage principal sujet de l’histoire qui s’identifie comme étant Amérindien, pas comme Québécois.

Or, si Yves Thériault semble effectivement se faire l'écrivain de l'âme indienne, grand admirateur des marginaux qui nous montre les ravages de la société blanche, j’aborderai Ashini en reprenant la figure de l’Amérindien sous des angles nouveaux. Je tenterai d’étudier non pas

« l’âme amérindienne » chez Thériault, idée grossièrement affective, mais j’attesterai plutôt de la présence d’un « Indien imaginaire » dans la fiction de Thériault. À cet égard, j’avance que dans

Ashini, l’auteur tente de résoudre le problème posé par l’Amérindien à l’identité québécoise en

33 Notons que la communauté amérindienne privilégie l’ethnonyme Innu pour s’identifier, mais nous gardons le terme « Montagnais » dans ce chapitre puisqu’il porte sur l’Indien imaginé par Yves Thériault, qui nomme son personnage principal montagnais.

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« jouant à l’Indien » , c’est-à-dire, en déguisant symboliquement le Québec en costume indigène.

L'indianité de ce roman est avant tout fantasmée par un regard québécois, l’image indienne de

Thériault nous renseignant bien plus sur le point de vue franco-québécois de l’époque, que sur un point de vue amérindien.

Si, comme le souligne Morency, l’importance symbolique de l’Amérindien pour toute identité nord-américaine est attestée (Morency, 1994), ce fardeau figuratif risque d’être lourd à porter. Ella Shohat signale que la représentation d’un groupe sous-représenté joint à la dimension nécessairement herméneutique de la domination, surchargée de signification allégorique34 (170). Puisque, de façon générale, les représentations des peuples marginalisés sont peu nombreuses, selon Shohat on se montre disposé à comprendre des histoires

« mineures » comme reflétant tous les peuples marginalisés. Sans épuiser le sujet, dans « Yves

Thériault : The would-be Amerindian and His Imaginary Inuit », Ben-Z Shek souligne la possibilité d’une lecture allégorique de certains romans de Thériault qui transposeraient plusieurs aspects de la société québécoise sur l’Amérindien (Shek, 119). Citant Agaguk à titre d’exemple,

Shek soulève :

…the alliance of the ‘chef’, Ramook, the sorcerer, Ghorok, and the representatives of economic power (MacTavish and Brown), could be compared to the ‘trois ordres institutionnels principaux’ which, according to Jean-Charles Falardeau, ‘ont structuré et dominé la société canadienne-française’, namely the political, religious and largely anglophone industrial and commercial elites. As for the erotic theme in Agaguk, which clearly has nothing to do with the Inuit, it could be read as the transposition of the (especially female) repressed sexuality of traditional Quebec society… (Shek, 120).

34 « Representation of an underrepresented group is necessarily within the hermeneutics of domination, overcharged with allegorical significance » (170)

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Bref, pour Shek, les récits amérindiens de Thériault comportent une dimension allégorique et expriment finalement des problématiques québécoises.

J’aimerais poursuivre la question plus loin en rapprochant le héros du roman Ashini et un personnage de portée nationaliste légendaire qui dépasse le simple champ littéraire : Menaud, maître-draveur35. Paru en 1937 bien avant Ashini, l’immuable draveur s’impose comme héros patriotique à priori dans la vie culturelle québécoise et incarne certains métarécits de la société québécoise. Roman de la terre écrit comme hommage à Louis Hémon, Menaud, maître-draveur

évoque de nombreux thèmes fondateurs de la littérature québécoise. D’emblée, je mets en parallèle Menaud et Ashini afin de démontrer comment, parfois en sourdine, parfois au premier plan, la québécité laisse sa marque sur le récit amérindien de Thériault36. Cela dit, il m’apparaît important de cerner également quelques différences révélatrices dans la mise en fiction des deux héros. Cette comparaison me fournira quelques points de repère pour l’analyse de la racialisation de l’Amérindien dans un discours spécifiquement québécois.

Le récit du sang québécois

Une obsession de pureté raciale a hanté le deuxième chapitre, obsession caractérisée par le discours de la suprématie blanche et habitée par une peur du mariage mixte entre francophones et anglophones. Néanmoins, un récit tenace au Québec est celui des mariages entre les hommes

35 Il existe un débat sur la portée politique du roman Menaud, maître draveur. Certains souverainistes reprochent à Félix-Antoine Savard son allégeance fédéraliste que l’on considère une trahison à l’égard du Menaud de l’œuvre littéraire. Voir à ce sujet Pierre Perrault, De la parole aux actes, Essais, Montréal, Éditions de l’Hexagone, 1985, p. 341-362 et Heinz Weinmann, « Menaud, fils de Perrault ou de Savard? », Voix et images, vol. 3, avril 1978, p. 396- 406. Menaud me semble néanmoins une figure emblématique auprès des nationalistes québécois. 36 Maurice Émond fait lui aussi une comparaison entre Menaud et Ashini, mais de façon très brève. Voir la préface d’Ashini dans l’édition de la Bibliothèque québécoise, 1997.

72 canadiens-français et les Amérindiennes. Morency nous rappelle la « grande réalité » du métissage de l’Amérique française :

On sait que, tout au long des XVIIIe et XIXe siècles, de nombreux Canadiens se sont rendus dans l’ouest du continent pour s’y livrer principalement au commerce des fourrures. Ces hommes ont été souvent les premiers à découvrir et à connaître l’arrière-pays, où certains se sont bientôt fixés, adoptant un mode de vie assez proche de celui des autochtones. Les métis sont les descendants de ces Canadiens en rupture de ban et des femmes amérindiennes avec qui ils ont choisi de passer leur vie, loin du terroir laurentien (Morency, 2007, 93).

Pourtant, selon l’époque, du chercheur ou de l’auteur, le récit du métissage racial est parfois attestée, parfois contestée. La prise de position pour ou contre le métissage dépend carrément de la portée idéologique de l’auteur. Par exemple, dans un article paru en 1960 sur le mariage sous le régime français, Paul-André Leclerc réfute les allégations des sangs mêlés :

Qui de nous n'a entendu dire : les Canadiens français ont du sang sauvage dans les veines? C'est pourquoi beaucoup de gens se sont inquiétés de nos origines; les badauds ont fait courir toutes sortes d'histoires plus ou moins abracadabrantes sur ce sujet et la légende s'est emparée de ces inventions pour les fixer dans les esprits (Leclerc, 49).

Pour Leclerc, la notion de sang « sauvage » dans les veines des Canadiens français est inquiétante. Il se réconforte en constatant que les mariages entre « blancs et sauvagesses semblent avoir été très peu nombreux » (Leclerc, 50). De plus, il conclut, à la suite de Benjamin

Sulte, que

Les enfants issus de ces rencontres ne pouvaient pas être Canadiens-français; ils ont dû suivre leurs mères dans les bois, car autrement nous les retrouverions chez nous, vu que les registres disent tout ce qui s'est passé à l'égard des mariages. Ce furent les sources des métis, dont les descendants sont aujourd'hui des Sauvages.

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Au lieu d'avoir sous ce rapport emprunté au sang indigène, nous y avons plutôt mêlé le nôtre en pure perte (Leclerc, 50-51).

Les enfants issus des mariages mixtes se rangent, selon Leclerc, sous la catégorie identitaire des

« Sauvages », l’identité canadienne-française restant inaltérée, préservée. En adoptant cette perspective, il participe à l’idéologie de la conservation (Rioux, 1968, 20) qui a informé le comportement des Canadiens français en risque d’assimilation pendant des siècles. Cette idéologie est caractérisée par un devoir de préserver l’héritage des ancêtres et de le transmettre intact à ses descendants (Rioux, 1968, 20).

Par contre, pour les écrivains qui combattent l’idéologie de la conservation, idéologie

émergeant pour la plupart lors de la Révolution tranquille, le métissage entre Québécois et

Indigène vient appuyer le devenir continental québécois et distingue les Canadien français des colonisateurs anglais. Cité dans la revue Les cahiers de la décolonisation du Franc-Canada, parue pour la première fois en 1968, le passage suivant fait preuve de cette idéologie contraire où le Canadien français émerge « d’un long bain de paysannerie » :

En effet, une amérindianité prononcée aurait empêché les laquais du conquérant, recrutés parmi les siens, d’essayer de lui faire croire à sa fictive égalité avec le colonisateur … le métissage avec l’Amérindien a donné une canadianité plus accentuée vers l’indigénisme – différenciant brutalement le Franc-Canadien d’avec le colonisateur … (Auteur ignoré, « Un colonisé qui a le défaut d’être blanc » Les cahiers de la décolonisation Franc-Canada, no. 2, décembre, 1968).

Néanmoins, il ne faudrait pas croire que la mise en relief de l’héritage amérindien par certains

Québécois assure les droits de l’Autochtone. Avant tout, l’Indien imaginaire sert commodément de lien idéologique à un discours de la décolonisation qui prolifère dans plusieurs pays du monde

à l’époque et finit par rejoindre une certaine fraction de jeunes Québécois qui se mirent à vouloir

74 l’appliquer à leur propre situation. À titre d’exemple, dans une autre édition de la même revue, on se plaint d’être réduit « au plus bas niveau de vie de la British North America, près des aborigènes qui sortent de l’âge de pierre » (auteur ignoré, « Décolonisation et moralité » Les cahiers de la décolonisation Franc-Canada, no. 4-5, été 1969). Cette phrase peu respectueuse à l’égard des cultures amérindiennes est révélatrice de l’usage frivole de leur image.

Paradoxalement, à certains moments dans la construction idéologique de la nation québécoise, le métissage amérindien équivaut à une perte identitaire et à d’autres moments, il est susceptible d’interprétations qui confèrent aux Québécois une raison d’être continentale et un discours de décolonisation. Comment résoudre la tension entre le risque de dilution raciale et culturelle que présente le métissage avec l’Amérindien et son importance symbolique pour la nation québécoise ? Pour répondre à cette question, je chemine maintenant vers l’objet principal de mon étude : les personnages Ashini et Menaud.

Le fardeau symbolique

Sans réticence, on ne peut s’empêcher, dès l’incipit d’Ashini, de reconnaître une certaine ressemblance entre son héros et Menaud. À la première page du roman, Thériault écrit :

« Ashini, dernier sang de la grande lignée qui est venue des contrées du sud et s’est fait un monde en cette forêt de l’Ungava » (AS, 15). Or, à la première page de Menaud maître-draveur,

Menaud lit Louis Hémon avec sa fille (et ainsi fait clin d’oeil à toute une école littéraire québécoise) : « Nous sommes venus il y a trois cents ans et nous sommes restés … Nous avons marqué un plan du continent nouveau, de Gaspé à Montréal, de Saint-Jean-d’Iberville à l’Ungava… » (MMD, 19). Venus d'ailleurs pour occuper la même terre, reconnaissons d’emblée

75 que les ancêtres et le territoire d’Ashini et de Menaud sont d’importance primordiale dans la mise en contexte romanesque des deux textes. Ce lieu commun des récits sert d’ailleurs de déclencheur à l’action romanesque, le territoire étant en même temps porteur d’un passé traditionnel et lieu d’un avenir menacé.

Dans les deux romans, la race joue un rôle fondamental et revêt des connotations semblables. Elle mobilise tout un discours sur l’héritage, le sang, la culture, la langue, le territoire et le patriotisme, et elle imbrique étroitement les concepts de nation et de virilité.

Comme nous l’avons vu aux chapitres précédents, les questions nationales se situent au cœur des expressions telles « ce pays des Hommes » (AS, 18), et les références à la virilité de la race, telles le « vieux sang de chasseur » (MMD, 57), apparaissent fréquemment dans les deux romans. D’ailleurs, il me semble qu’il s’agit même de romans que l’on pourrait qualifier d’hypervirils, ainsi qu’en fait fois ce passage : « Et pique et pique et gagge et gaffe encore! au grand soleil qui forgeait les muscles et dégourdissait les sèves, dans la coupe bruyante où défilaient les prouesses viriles et les légendes du passé » (MMD, 56).

Avec Ashini et Menaud, le carrefour des multiples renvois à la race, la nation et la virilité est, comme aux chapitres précédents, mis en avant. Les deux personnages sont dotés d’une virilité curieusement semblable. Menaud, lui, était un homme :

…beau à voir. Droit et fort malgré la soixantaine. La vie dure avait décharné à fond son visage, y creusant des rigoles et des rides de misère, et le colorant des mêmes ocres et des mêmes gris que les maisons, les rochers et les terres de Mainsal. La vie dure! Elle lui avait fait une âme sage, donné le goût des choses calmes, profondes, d’où sa pensée sortait peu. On sentait, chez lui, cette force grave, patiente que donnent le travail et la nature austère. Il racontait ses souvenirs sur un ton simple, en long, triste souvent, Mais [sic] parfois aussi, sous la surface tranquille, on devinait une passion sauvage pour la liberté; et, tel un

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fleuve de printemps, à pleine mesure d’âme, l’amour de son pays (MMD, 21-22).

Quant à Ashini :

Ashini, moi, le roc, le granit tenace, la haute pierre des sommets mangée par le vent, polie par les pluies froides. Ashini, possiblement roi de tout ce grand lieu. Seul de cette semence, seul de cette servitude. Mais seul. Je crois que je voudrais savoir pleurer (AS, 16).

Mais j’ai l’épaule solide, le bras musclé. J’ai aussi la ténacité du roc, je suis une muraille que l’on devine et sur laquelle vient se briser toute volonté (AS, 24).

Tous deux des « rochers » d’homme sages qui ont connu la vie dure, la virilité de ces héros est indispensable aux deux récits et se joint le plus souvent à leur passion pour leur territoire.

Couronnés « roi » des terres (MMD, 22; AS, 16), ces héros virils font partie du paysage et font corps avec la forêt, personnifiant une solidité qui relève du sème de « sécurité » que nous avons

étudié au deuxième chapitre. Ashini est « un descendant de la grande race abénakise. Un venu du Sud, un chercheur de forêt riche » (AS, 22). Menaud doit « à la terre qui avait donné, depuis trois siècles, le meilleur d’elle-même pour que la race fût forte, hardie, vaillante, souveraine »

(Savart, 76). « En somme, tout cela, tout autour, dans les champs et sur la montagne, assurait qu’une race fidèle entre dans la durée de la terre elle-même » (MMD, 80).

Leur territoire envahi par des étrangers, Menaud et Ashini sont également tous deux déçus par la « lâcheté » de leurs compatriotes complices de l’oppression de leur peuple37. Le fils de chaque héros est sacrifié sur l’autel de la nature sauvage38. Partageant finalement une vision

37 « Ah ! si, par malheur, le troupeau de ces lâches et de ces vendus venait à menacer … lui, foi de Menaud ! il s’en irait quelque part sur la montagne ; et, là, il emboucherait son burgau d’écorce pour un appel à la liberté » (MMD, 26). Pour Ashini, la forêt est vidée et il n’y a que quelques restants qui parcourent le bois comme lui. Ceux qui habitent les réserves sont des « lâches », des « traîtres », des « transfuges » (AS, 29).

38 Le fils d’Ashini, Antoine : « Nous l’avons trouvé deux jours plus tard, et dans la mort son visage était tordu

77 du monde marquée par la culpabilité et la souffrance, les deux héros succombent à la déraison et la folie à la fin du récit. Dans la préface d’Ashini, Maurice Émond souligne ce point de rencontre des deux histoires :

La ‘folie’ d’Ashini, comme celle de Menaud dont le rêve et le destin tragique sont semblables, a un sens prémonitoire. « C’est pas une folie comme une autre ! Ça me dit, à moi, que c’est un avertissement, » s’écrie Josime à la fin de Menaud, maitre-draveur de Félix-Antoine Savard. Si la dépossession du peuple québécois a hanté Savard depuis sa jeunesse, celle de l’Indien n’a cessé de préoccuper Thériault, sa vie durant (AS, 8-9).

Mais les similarités entre Menaud et Ashini se poursuivent. Ils ont également tous deux perdu leur conjoint au début des récits39. Autonomes et maîtres de soi, Ashini et Menaud sont fidèles à un fier héritage de chasseur, de nomade, d’aventurier des forêts, héritage réveillé en eux depuis la mort de leur femme. À cet égard, peut-on se méprendre sur les intentions de Thériault dans son choix d’un héros montagnais? Les Montagnais sont de tradition nomade contrairement, par exemple, aux Iroquois, un peuple sédentaire qui habitait des villages (Grescoe, 187). D’ailleurs, les Montagnais ont tendance à parler français, contrairement aux Cris et aux Mohawks (Grescoe,

194). Est-ce un hasard que le récit d’Ashini correspond assez bien à ceux du coureur des bois et du nomade qui prennent part, par leur itinéraire littéraire, à la construction d’une représentation

comme une face de damné » (AS, 33). Le fils de Menaud, Joson : « ..il prit le cadavre dans ses bras, et comme un personnage d’une descente de croix, monta vers sa tente parmi les suaires des brumes » (MMD, 61).

39 Menaud est « Veuf depuis quelques années…sa femme avait tout fait pour enraciner au sol ce fier coureur de bois » (MMD, 22). Quant à Ashini, avec la mort de sa femme, il est libre à errer seul dans « les forêts anciennes » et c’est à ce moment qu’est venue sa « grande pensée » (AS, 18).

78

40 historique importante dans l’imaginaire collectif québécois ? J’avancerais que Thériault a choisi un héros montagnais pour sa bonne entente avec ce que Marie Vautier appelle un des « mythes historiques créés pour renforcer l'idéologie et les pratiques de la tradition française colonisatrice » (Vautier, 1994, 51).

Effectivement, Ashini partage plusieurs caractéristiques de ce personnage-clef de la littérature québécoise, mais c’est la marginalité de ce héros amérindien qui le rapproche non seulement de Menaud, mais de tout un récit identitaire québécois. Pour Elspeth Probyn, le

Québec se positionne souvent « as marginal to the majority, as peripheral to the centre » (Probyn,

72-73). S’affirme dans Ashini une marginalité mise en valeur, un récit construit de façon à souligner l’altérité du personnage principal autochtone et à assurer l’identification du lecteur avec celui-ci. Cependant, Ashini demeure marginal par rapport au centre fédéraliste anglophone, et non pas par rapport aux Québécois francophones. Par exemple, le nouveau surintendant de la réserve est doté du nom francophone Lévesque et éprouve de la pitié pour la situation des

Amérindiens :

Il me toucha au bras. Je ne me suis pas raidi car il n’était pas un Blanc comme les autres. Cela se voyait dans ses gestes et dans le son de sa voix. Il ne m’ordonnait rien, et me traitait en égal. Il eût fallu en notre histoire plus de Blancs de cette sorte et moins des autres tels les rédacteurs de traités (AS, 58).

Lévesque, comme le lecteur, est convié à ressentir de la sympathie pour Ashini et dès lors pour la situation des Autochtones. Mais tout comme Ashini, Lévesque est subordonné à la domination d’Ottawa :

40 Voir à ce sujet Réal Ouellet, « Aux origines de la littérature québécoise : nomadisme et indianité », Franca Marcato-Falzoni (dir.), La deriva delle francofonie. Mythes et mythologie des origines dans la littérature québécoise, Bologne, Cooperativa Libraria Universitaria Editrice Bologne, 1994, p. 19.

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Il avait dit ‘mes Indiens’ et la tendresse dans sa voix ne put m’échapper. Je lui sus gré d’avoir au cœur autre chose que du mépris ou de la haine. Je le sentais humble devant moi. Mais qu’est-ce que cela pouvait changer? Il l’avait dit lui- même, en ses mots et sans que je le force à se mettre à nu : il n’était pas véritablement le maître. C’était là-bas, à la maison du Grand Chef Blanc, en ville d’Ottawa, que se décidait le sort de mes gens. Et point ailleurs (AS, 63).

Si, pour ma part, je trouve l’appellation « mes Indiens » condescendante, Ashini nous assure que

Lévesque démontre simplement de la tendresse envers « ses Indiens » et que le vrai ennemi se trouve à Ottawa. L’utilisation du pronom possessif met ironiquement au grand jour l’appropriation symbolique et/ou matérielle de l’Amérindien. Bref, Thériault s’approprie la marginalité d’Ashini pour la coller à celle des francophones, ce qui crée une innocence québécoise qui est ainsi hors de l’inculpation. En localisant les oppresseurs à Ottawa, Thériault crée ce qu’Eva Mackey appelle « a more compelling and less politically complicated image than that of the nation as a differentiated and non-unified body laden with internal oppressors and victims » (Mackey, 12). Tout comme dans Menaud maitre-draveur, dans Ashini, « des étrangers sont venus » … d’ailleurs.

Ces exemples suffisent à démontrer plusieurs ressemblances dans le sillage des grandes lignes des deux récits. En dépit de son indianité, on commence à percevoir dans Ashini l’architecture d’un récit de tradition québécoise. Sans doute Thériault emprunte-t-il à la tradition idéologique du roman de la terre, et peut-être même directement à Menaud maitre-draveur, mobilisant un discours animé par de nombreux thèmes qui caractérisent souvent les récits québécois, tels la vie terrienne/vie sauvage, le nomadisme, la marginalité, la dépossession, ainsi que les questions de langue et de religion. Même si on n’est pas persuadé que Thériault emprunte directement à la tradition québécoise, manifestement, Ashini ne la remet pas en

80 question. Le roman sert plutôt d’appui idéologique à cette tradition malgré plusieurs contradictions entre celle-ci et les Autochtones.

Je ne suis pas la première à trouver l’appropriation de l’Amérindien de Thériault problématique. Dans son article portant sur Thériault, Shek s’attaque avant tout aux origines présumées montagnaises de l’auteur41, accusant l’auteur de déception ethnique, ainsi qu’au manque d’authenticité documentaire de ses histoires amérindiennes :

An important part of Yves Thériault’s strategy in promoting Agaguk (and the other two novels of the Inuit cycle) was to pass himself off as a great expert on the Canadian North. Part of this mythologizing campaign, which banked on the readers being captivated by the false exoticism of the plots, and their skimpy knowledge about the Inuit, was to present himself as a Canadian of Amerindian – specifically, Montagnais – origin…one may legitimately cast doubt, in my opinion, on Thériault’s claims to be of Indian origin … (Shek, 120).

L’argumentation de Shek est motivée par son désir de rectifier des images déformées qui diffament l’Autochtone, mais sa mise en doute des origines de Thériault est inquiétante à cause de ses conjectures essentialistes42. Pour ma part, je refuse de me préoccuper de la mise en doute des origines montagnaises de l’auteur. Toutefois, si le concept d’authenticité de Shek me semble hasardeux dans sa supposition que la littérature doit faire preuve d’un témoignage véridique ou intègre quelconque, la notion d’« authenticité » est néanmoins intéressante. Au lieu d’inculper l’authenticité de l’auteur ou de ses récits, ce qui est pour moi révélateur, c’est l’utilisation que fait Thériault du sème de l’« authenticité » qu’il associe à une image racisée de l’Amérindien.

41 Voir également Yves Thériault et l’institution littéraire d’Hélène Lafrance et Yves Thériault se raconte d’André Carpentier. Lafrance et Carpentier mettent également en question les origines présumées montagnaises de Thériault. Carpentier, en particulier, reproche à Thériault sa propension à l’auto-mythification. 42 Ce genre de problème se trouve présentement au centre de l’étude des représentations identitaires et sera le sujet de mon dernier chapitre.

81

De toute évidence, l’Indien de Thériault constitue une variation de la figure archétypique de l’Indien, comme en témoigne, par exemple son association à la forêt vierge, hors du contact humain. La fascination avec la figure paradigmatique du « primitif » s’accorde avec une ambivalence à propos de la vie moderne, puisque bien sûr, en paradigme opposé de la nature bienveillante se trouve la civilisation inquiétante. Ashini décrit cette polarisation :

Je n’ai rencontré personne depuis que je suis seul. J’habite les arrière-pays. Plus à l’ouest et plus en sud se trouvent les grandes mines de fer, les villes neuves, les chemins de fer et sur la rive du Golfe, le long de la Côte Nord – comme la nomment les Blancs – une civilisation. Moi, je suis dans une contrée encore peu connue, où il n’y a que de rares errants comme moi, des solitaires … (AS, 21)

La représentation assez stéréotypée d’un Indien relégué au fond des grands bois, avec une thématique dominante de l’aliénation de la société industrielle souligne l’anxiété québécoise devant la modernisation. La tension entre la nature et la modernité industrialisée exprimée par

Ashini aurait été très puissante à une époque ou le Québec luttait avec une nouvelle identité moderne. Bref, Shek semble avoir eu raison en insistant sur la dimension allégorique des récits amérindiens de Thériault qui réflètent la transformation difficile de la société québécoise (Shek,

124).

Cependant, le lien entre Ashini et la nature semble aller plus loin qu’un simple appui idéologique des tensions antimodernes québécoises :

Il n’est point de langue douce qui sache prononcer de tels mots envers ceux mêmes qui montrèrent durant des millénaires la figure de l’homme aux forces instinctives de la nature, qui parcourent en maîtres bienveillants ces forêts sans jamais en décimer la faune, sans jamais en incendier les arbres, sans jamais en violer les versants d’eau. Maîtres bons, adaptés à la nature, incapables, d’en déséquilibrer le rythme (AS, 37).

82

Comme en fait foi ce passage, Ashini est associé à la vie du continent et exemplifie une relation harmonieuse entre les humains et la nature. Cet Indien fantasmatique incarne un ordre naturel et souverain qui échappe à la culture. Le message qui est attaché à la nature est ainsi indépendant et supérieur à quelconque culture en particulier et semble de cette façon détenir une autorité qui vient d’une originalité sacrée. La puissance émotive d’Ashini dépend de l’acceptation lectorale que la forêt et l’Autochtone font un et que cet ensemble exprime une pérennité symbolique qui assure une authenticité incontestable. On comprend ainsi la puissance symbolique de l’Indien imaginaire et l’envie de Thériault de se livrer à ses apparences de légitimité qui viennent, comme nous le verrons par la suite, camoufler des rapports de domination.

Revendications territoriales

Comme on a pu le constater dans la première partie de ce chapitre, si la marginalité unit

Amérindien et Francophone, la compassion unit Ashini et lecteur. Mais il faut également souligner que très peu de revendications concrètes sont clairement énoncées dans Ashini. À titre d’exemple, les réclamations territoriales sont encore contentieuses aujourd’hui et les

Autochtones demandent toujours la pleine reconnaissance des droits que leur confère leur statut de premiers habitants des terres qui constituent le Québec actuel, la crise d’Oka étant l’exemple le plus frappant dans l’histoire récente. Nous avons déjà démontré l’importance accordée à la terre dans la littérature québécoise, mais comment concilions-nous l’apparente contradiction entre ces deux revendications ? Comme ses devanciers, Menaud insiste qu’on concède à sa race « le pays tout entier ». Un jour, son père

avait fait un large geste, comme s’il eût voulu embrasser le pays tout entier. « Tout cela, c’est à nous autres, c’est l’héritage ! » avait-il dit. Menaud le

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revoyait encore humant les âcres parfums du bois comme une odeur de son bien à lui, les yeux sur les montagnes comme sur une bête familière que l’on caresse, fier de l’entrecroisement de ses pas et de ceux de sa race sur tout ce beau domaine. Ce jour-là, de grosses larmes lui avaient roulé des yeux ! Il avait répété : « Tout cela vient de nos pères, les Français ! » (MMD, 36).

De plus, Savard accorde à la « race » de Menaud ce qu’il appelle « un instinct de possession », expression qui gêne maintenant faisant écho à un passé colonialiste :

C’est cet instinct qui avait poussé tant de héros jusqu’aux limites des terres de ce pays, entraîné tous les défricheurs à poser, sur les droits de découvertes, le sceau du travail et du sang, mais toutes les volontés en marche de conquête, emportés toutes les énergies jusqu’aux confins du domaine. Posséder! s’agrandir! Pour une race, tout autre instinct était un instinct de mort… (MMD, 80).

À cet « instinct de possession » me semble-t-il correspond présentement la connotation d’une avidité inquiétante, la « conquête » dont parle Menaud nous rappelant les méfaits du colonialisme. Conçue dans le roman comme un héritage national et racial, nous savons maintenant que cette prise de possession a eu des effets dévastateurs pour les peuples autochtones.

Comme on le verra dans l’extrait suivant, les revendications territoriales d’Ashini sont moins considérables que celles de Menaud et finalement peu troublantes pour le Québec :

Je demandais que l’on rendît à ceux à qui on l’avait volé, non pas l’entier d’un pays, demande illogique même en sa juste revendication, non pas le sol colonisé, mais la forêt mienne, pour qu’elle soit à tous. Une contrée où aucun Blanc n’était encore venu chercher richesse. Un pays, en somme, désert, qui ne servait à rien et qui pouvait servir aux miens. Si peu de la géographie… (AS, 45).

S’affirme ainsi une revendication assez conforme aux intérêts québécois où l’Amérindien ne

84 demande qu’un morceau de sa « juste revendication », la forêt « déserte » qui ne sert à rien d’autre. Toutefois, les revendications territoriales d’Ashini sont manifestement incompatibles avec celles plus marquantes d’An Antane Kapesh dans Je suis une maudite sauvagesse ou

Eukuan nin matshimanitu innu-iskueu (qui inclut le texte en montagnais et une version française) :

Moi je crois qu’aujourd’hui ce n’est pas à nous mais au Blanc de se tenir tranquille ici sur notre territoire. Ce n’est pas au Blanc à gouverner sur notre territoire. Et si le Blanc ne veut pas comprendre que c’est à lui de se tenir tranquille, c’est lui qui devrait retourner d’où il est venu (Kapesh, 237).

Dans la perspective adoptée par Thériault, la figure de l’Indien demeure assez accommodante lorsqu’elle est confrontée à la perspective de l’affrontement de Kapesh. Ce contraste nous permet de mieux saisir les repères idéologiques d’Ashini comme faisant partie d’un récit québécois dans lequel les peuples indigènes sont subordonnés et incorporés dans le projet national43. Dans la construction d’une nouvelle identité québécoise, l’Amérindien de Thériault fournit de cette façon un lien essentiel au territoire, mais nécessite également l’exclusion de toute revendication territoriale sérieuse pour assurer l’héritage colonial et appuyer le mythe de la survivance française en Amérique.

43 Jack Warwick a également démontré comment la fiction québécoise s’approprie l’identité amérindienne pour exprimer un rapport au territoire. Voir Jack Warwick, « L’appropriation de l’identité autochtone dans la littérature québécoise », Zeitschrift fur Kanada Studien, no. 16, 1996, p. 118-125.

85

Désir métis ou assimilation

Enfin, si l’Indien imaginaire d’Ashini est créé sous les auspices de la québécité, on reconnaît également une certaine inspiration indienne dans le personnage de Menaud. Par exemple, un vieil oncle de son défunt père, un des siens d’autrefois,

avait fait défiler des lacs, des rivières, des pays comme il y en a dans les contes seulement. Il disait des mots qui semblaient venir de loin, de très loin, racontait des histoires de sauvages, dépeignait des animaux étranges dont il imitait le cri. Les uns descendaient de la toundra au printemps par mille et par mille. Les autres, au galop, faisaient trembler la plaine comme une peau de tambour. Il racontait les grandes chasses, les longs portages, les prodigieuses randonnées; et tout cela exhalait l’haleine des pays neufs, un je ne sais quoi de sain, de jeune, de viril, de mystérieux qui lui avait donné, à lui, Menaud, le goût de faire l’outarde et de filer vers les Pays-d’en-Haut (MMD, 54-55).

Menaud se montre ainsi « indianisé » par l’intermédiaire des descriptions de la nature et du contact avec l’Amérindien. La nature et les « histoires de sauvages » éveillent une animalité de son oncle qui imitant le cri des animaux étranges. Or, ces histoires des « pays neufs » inspirent

également une virilité saine et jeune chez Menaud. Le pays naturel du Nord semble détenteur d’un pouvoir de régénération dans ce passage qui mène à l’ensauvagment de Menaud et ses compatriotes. Pour Christian Morissonneau, « la forêt et l’Indien, la nature et la vie primitive transforment l’individu en un homme nouveau » (107). Morency a également montré comment, dans le paradigme du « mythe américain », les hommes « se sont arrachés à un monde caractérisé par la stabilité, ou imaginé en tant que tel, pour s’enfoncer dans l’espace américain … pour s’y retrouver face à face avec l’Indien, et en revenir finalement transformés » (1994, 12). Le récit de

Menaud s’inscrit également dans ce paradigme et rejoint ainsi des personnages tels François

Paradis (Maria Chapdelaine, Louis Hémon), Antoine (L’élan d’Amérique, André Langevin),

86

Mathieu (Un dieu chasseur, Jean-Yves Soucy), le Survenant (Le Survenant, Germaine

Guèvremont) et Michel (Le dernier été des Indiens, Robert Lalonde)44. C’est en faisant la connaissance de l’Indien et de la forêt que ces héros littéraires québécois se distinguent des

Français et fondent une identité nouvelle, « saine », « jeune », « virile » qui leur est propre. Il s’agit de la construction d’une nouvelle identité nationale.

Mais pour ce faire, Menaud a recours à ce qu’Emmanuelle Tremblay appelle un « désir métis ». Tremblay étudie la problématique transculturelle à partir d’un examen de l’altérité

Blanc/Amérindien. Elle fait valoir qu’il existe, dans le roman contemporain québécois, une volonté de « désir métis », c’est-à-dire, une volonté de devenir Autre au contact de la « réalité autochtone ». À cet égard, elle témoigne de l’ambivalence identitaire québécoise représentée par des héros québécois francophones « hybrides », tels ceux de Louis Hamelin et Robert Lalonde.

Pour Tremblay, ces héros semblent partager un besoin de « régénération » et une « angoisse de dissolution » et ainsi font preuve d’une « identité frontalière ». Tremblay conclut que le désir métis occasionne la traversée des frontières raciales et idéologiques qui permet au héros (dans ce cas, le héros de Cowboy de Louis Hamelin) de découvrir sa propre vérité. Pour Tremblay, ces transgressions permettent d’orienter positivement le concept de désir métis qui équivaut, finalement, à une rencontre des cultures (122). De cette façon, Tremblay affirme que :

… la reconnaissance du désir métis sur le plan de l’imaginaire permet d’enrichir les fictions de l’identitaire en les inscrivant dans une logique de la relation plutôt que de la différence. Sa prise en compte encourage également la création d’espaces discursifs révélateurs d’une identité frontalière, lesquels invitent les récits de vie collective que les nouvelles formes de l’hybridité appellent à porter une attention particulière au paradigme de la rencontre et aux composantes

44 Voir Morency, 2007, p. 90.

87

symboliques à l’œuvre dans le roman québécois (Tremblay, 124).

Quoique commode pour exprimer certaines nuances de l’indianité dans les récits québécois, le concept de « désir métis » pose problème du fait qu’en regardant de près, il ne s’agit rarement d’un véritable « paradigme de la rencontre », mais plutôt d’un cheminement vers l’assimilation.

Or, quelle est, effectivement, la différence entre le métissage et l’assimilation? Avec l’un, on célèbre le partage identitaire, avec l’autre, on craint la perte identitaire. Les deux termes, d’abord biologiques, mais aussi culturels, s’avèrent étroitement liés à la race dès leur instauration. D’emblée, l’assimilation implique un processus par lequel une personne ou un groupe est absorbé (et ainsi dominé) par les membres d’un autre groupe social. Le métissage, par contre, évoque lui aussi un croisement de deux populations ou de deux cultures, mais il s’agit généralement d’une désignation plus favorable45. Dans ces manifestations présentes, le métissage désigne, « avec ceux de ‘société multiculturelle’ et de ‘multiculturalisme’, de manière marquante et symbolique, un désir de transgresser les clivages culturels et les lignes de partage raciales des cinq cents dernières années » (Lüsebrink, 93). Pour Sherry Simon, le métissage représente également le principe d’une nouvelle identité, résultat d’une situation générique de mélanges (Simon, 1999, 31). Valorisé dans les milieux intellectuels, le « métissage » implique l’idée d’un partage, d’un mélange qui produit du nouveau.

Cependant, nous avons constaté que Menaud, tout comme le personnage titulaire du

Survenant de Germaine Guèvremont et tant d’autres héros littéraires québécois, entre dans cette tradition du « désir métis » et semble témoigner du « désir secret de s’accaparer l’âme de l’Indien, mais sans en devenir un pour autant » (Morency, 91). Dans ce sens, son identité

45 Pour l’histoire du terme métissage, voir Hans-Jürgen Lüsebrink, « "Métissage". Contours et enjeux d’un concept carrefour dans l’aire francophone », Études littéraires, vol. 25, no. 3, 1993, p. 93-106.

88 s’avère renouvelée par un recours à l’image amérindienne, mais reste définitivement attachée à une identité franco-québécoise, à une « race qui ne sait pas mourir ». Si Savard fait appel à certains aspects de l’image amérindienne dans le processus de transformation symbolique de

Menaud qui s’identifie comme étant un homme blanc francophone, ces éléments sont incorporés

à une identité décidément canadienne-française. Le résultat de ce mélange constitue sans doute le principe d’une nouvelle identité, c’est-à-dire, une identité qui se distingue de sa parenté française. Mais l’Amérindien fournit simplement le composant américain de cette identité, sans y participer de façon sérieuse. Ainsi, le « désir métis » me paraît comme étant un concept exagérément harmonieux et embelli.

Tant qu’elle soit « positivement orientée » (122), la notion d’un « désir métis » est ainsi au risque de renier les horreurs du passé colonial et de revendiquer une originalité continentale américaine qui s’avère fausse. Tandis que Tremblay fait valoir la tradition québécoise de la mixité et la métaphore récurrente de « l’ensauvagement » qui permet un renouvellement identitaire, elle néglige, comme tant d’autres, de reconnaître la contradiction fondamentale entre

« le mythe de la survivance française en Amérique » (108) et celui de la disparition autochtone.

Pourtant, dans la citation de Gilles Thérien que Tremblay a choisi pour clore son article, il me semble assez évident que, loin d’être mis en question, le mythe de la disparition de l’Indien est soutenu :

Selon Gilles Thérien : « Deux avenues incompatibles s’ouvrent devant nous : l’enfermement parce qu’alors l’Indien vient accentuer les images du passé et la condition de colonisé ; ou encore l’ouverture, parce que l’Indien exprime alors, par le métissage, les perspectives d’avenir » (Tremblay, 124).

Il va sans dire qu’il serait hautement controversé d’attribuer aux Québécois un avenir qui ne dépend que du « métissage » puisque cette notion côtoie de trop près les idées assimilatrices du

89 rapport Durham. Une idée semblable serait perçue comme entraînant la fin de la culture québécoise et ainsi une perte irréparable de l’identité. Métisser la population québécoise semblerait aller à l’encontre de sa survivance. Mais dans l’extrait ci-dessus, l’Indien n’a le choix qu’entre l’enfermement dans un passé colonial ou un avenir métis.

Le dernier des Montagnais

Une différence révélatrice entre Ashini et Menaud s’avère le pivot organisateur des deux récits. Tandis qu’Ashini fait partie d’une « race mourante » (AS, 36), Menaud, lui, fait partie d’une « race qui ne sait pas mourir » (MMD, 21 – la phrase étant répétée à travers le roman). En effet, Menaud maitre-draveur « tout entier apparaît comme une homologie du Canada français, discours désespéré de la survivance » (MMD, préface, 11), mais voilà qu’Ashini abrite de précieux vestiges quasi archéologiques de « la dernière semence montagnaise en ce pays »,

« d’un peuple disparu » (AS, 105). Ces deux conceptions raciales méritent d’être considérées de concert. À la portée de tous, Thériault reproduit l’idée reçue du dernier des Mohicans, Ashini se disant le dernier des Montagnais. Menaud, maitre-draveur, pour sa part, entraîne le lecteur à croire au mythe de la survivance québécoise. Comment ne pas voir une contradiction problématique lorsqu’on tisse un lien entre ces deux récits ?

Ashini est raconté au passé et composé outre-tombe. La réserve ressemble au « cimetière d’un pays, marqué de stèles symboliques » (AS, 105) et Ashini s’efforce à croire « qu’elle était vraie cette mort de Pikal, de Tiernish, de tous les autres, de chaque femme, de chaque homme issu de notre antique prestige. Et qu’au matin, ce n’étaient plus des vivants qui s’éveillaient, mais les fantômes d’un peuple disparu » (AS, 105). Le roman ne se termine pas simplement

90 avec le suicide du héros, mais dans un épilogue, on apprend la fin d’un peuple :

Mais mon peuple est si petit et les autres peuples si grands que ce récit ne produira pas plus d’effet que n’en a une pointe de flèche taillée dans le silex, dormant dans la vitrine d’un musée pour l’ébaubissement de curieux qui n’en comprennent point l’antique importance (AS, 113).

L’Amérindien est ainsi piégé par le passé, par l’antiquité, « frozen in the glorious past of tepees and headdreses » (Mackey, 78), contrairement aux Québécois francophones qui semblent néanmoins confrontés à un avenir moins incertain. De cette façon, le roman entier se range dans la tradition coloniale de la documentation des Premières Nations en raison de leur disparition supposée inévitable.

De plus, si le sang est associé à la race dans les deux romans, Ashini n’est rien de moins qu’un livre écrit dans le sang : « Tous les mots, innombrables et nuancés, qui furent jamais inventés en ma langue et le rythme de leur expression, voici que désormais ils me viennent sans effort, et je puis tracer sur les écorces, de mon sang inépuisable, les pages de ce livre » (AS,

112). Pour Menaud, le sang apparaît comme une marque de l’héritage et une preuve du destin,

étant à la fois ce qui unit un individu à ses ancêtres et ce qui assure son identité. S’il a peur que sa fille, « le sang de son sang », épouse un traître, Menaud rêve également du jour ou « toute la race » reniera ce dernier (MMD, 26), l’apparente homogénéité raciale venant assurer son avenir.

Mais dans Ashini, l’intériorité harmonieuse du sang fait également preuve d'une extériorisation violente. Une fois sorti du corps, le sang signifie la souffrance, la cruauté et la mort. À la fin du roman :

J’ai accroché, au sommet du poteau de bois blanc, la bride du harnais d’aisselle que je m’étais fabriqué. Ainsi suspendu, mes pieds ne touchaient que difficilement le sol, et je ballais au vent du matin. Puis, avec mon coteau, j’ai

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tranché l’artère de mon poignet droit, et vitement ensuite celle du poignet gauche. En un flot rapide, dans le matin blême, toute la vie s’est écoulée de mon corps (AS, 110).

Enfin, ce « livre de sang » (AS, 25) est non seulement marqué par l’impuissance et le désespoir, mais par l’effacement. Aucun des messages, écrits dans le sang, ne sont parvenus au « Grand

Chef Blanc ». Si Ashini rêve d’une « nouvelle race libre » tout comme Menaud, nous savons que

« ni les gens des réserves, ni mêmes les Blancs de la ville » n’ont appris pourquoi ce héros amérindien est mort. La raison d’être du roman, nous le savons, c’est que la race d’Ashini prend fin.

Quant à Menaud, sa race est menacée tout comme celle d’Ashini, mais elle est néanmoins animée et pleine de vie. Lorsque son fils lui annonce la mauvaise nouvelle, que les étrangers seront bientôt rois et maîtres des forêts, des rivières, des montagnes du pays,

Menaud, lui, regardait son fils; et il éprouvait toutes sortes de sentiments, de colère, de révolte, d’amour, lorsque, soudain, les paroles lui revinrent : … Une race qui ne sait pas mourir. Et ce fut alors comme s’il l’eût vue, cette race, non dans les livres, mais vivante, mais dans sa chair dressée là, devant lui ; et cette race, elle devenait comme un grand peuple libre, debout, enfin, dans sa lumière, et fort comme le printemps lorsque le soleil descend sur le pays et donne des coups de pique sur les embâcles de l’hiver (MMD, 28).

Contrairement au peuple d’Ashini confiné à une vitrine de musée, la « race » de Menaud ne dort pas dans un livre d’histoire. Elle est vivante, libre, debout. Dans cette veine, Pierre Nepveu a pertinemment démontré que la représentation littéraire de l’Autochtone relève du mythe de sa disparition, mais Nepveu évoque également ce que Tremblay appelle « l’effet pervers » de l’appropriation de l’indianité qui consolide l’identité québécoise tout en assurant la déchéance amérindienne (Nepveu, 213). Alors, si Ashini partage certaines caractéristiques d’un

92 personnage-clef de la littérature québécoise comme Menaud, cette identification engendre en même temps le mythe de la disparition de son peuple. Pour Nepveu, « la défaite et l’anéantissement amérindiens fondent notre naissance » (Nepveu, 213).

Conclusion

L’idéologie de conservation règne dans Ashini et Menaud, maître-draveur, même si, comme nous l’avons constaté, les romans revêtent un aspect de métissage. Dans les deux récits, tout mélange de sang produit la lâcheté et ainsi, la prohibition du mélange racial que nous avons

étudié au deuxième chapitre trouve une illustration frappante dans Ashini et Menaud, maître- draveur46. Pourtant, comme notre analyse l’a démontré, Menaud et tant de ses devanciers et successeurs, incarnent un « désir métis » et apparaissent marqués par une indianité implicite.

Quant à Ashini, il n’y est, bien sûr, pas question de métissage parmi les personnages du roman, mais le récit est marqué d’une québécité notable, avec une exception frappante – la disparition de la race. Dans les deux cas, ces hommages à l’Autochtone ne représentent pas de véritables métissages et Thériault et Savard arrivent à mettre à profit un discours amérindien sans pour autant engager sérieusement les droits ancestraux autochtones. Pour Rémi Savard, on fait état de la présence autochtone exclusivement « pour la réduire au rôle de faire-valoir destiné à rehausser la silhouette héroïque de nos valeureux ancêtres » (MMD, R, 1994, 6).

Dans Ashini, Thériault joue à l’Indien dans un effort de devenir indigène, et ainsi de devenir un Québécois plus « vrai », un Québécois plus « authentique », et ce, à un moment

46 Dans Ashini, on soupçonne que quelque « sang inférieur de Blanc » a été versé aux veines de Pikal, un traître (AS, 28). Quant à Menaud, il « devait à ses pères de ne pas abâtardir sa race » (MMD, 76) et interdit à sa fille d’épouser un étranger.

93 idéologiquement incertain dans l’histoire du Québec où on commence à prendre conscience que la société québécoise n’est plus une société traditionnelle vivant principalement de la terre, mais une société prolétarisée (Rioux, 23). L’image de l’Amérindien fournit un lien essentiel et sentimental au territoire, sans pour autant constituer une menace sérieuse au territoire québécois puisqu’on croit l’Amérindien voué à l’extinction. Pour Thomas King, « the real value of authenticity is in the rarity of a thing » (56). Dans ce sens, la vraie valeur de l’image de l’Autochtone est son sème d’authenticité et sa puissance émotive. De cette façon, la fin hypothétique de l’Amérindien assure l’authenticité de son image et ses apparences de légitimité, et ainsi, la renommée des auteurs et des chercheurs qui en profitent.

Or, on n’assiste pas à la disparition des Autochtones au Québec, la population indigène ayant doublé dans la belle Provence depuis une génération (Grescoe, 186). Le fait d’exister, de vivre, de durer correspond à un acte politique pour certains activistes comme Kenneth Deer, l’éditeur du journal Eastern Door : « Every time an Indian is born, it’s a political act. We’re giving him a Mohawk name, and we’re raising him as a Mohawk person. Our birth rate has gone up, and we intend to continue it » (Grescoe, 207-208). Georges Sioui déclare même que l’Amérique blanche a perdu la bataille culturelle qu’elle a livrée contre les peuples amérindiens

(59) : « The triumph of Iroquois traditionalism, despite the fact that Amerindian culture has been severely undermined by the shock of contact, is proof enough in our opinion of the solid strength of America’s original philosophy » (60). Malgré tout, Ashini lui aussi aurait pu se fier à « une race qui ne sait pas mourir ».

94

Chapitre quatre Peau blanche, masques noirs: Speak White et Nègres blancs d’Amérique

Québec readers recognized Negro

as being addressed to them. And

rightly so47.

Si, au chapitre trois, Thériault déguise le Québec en Autochtone, dans ce chapitre, le Québec est grimé en noir. Textes fétiches de toute une génération québécoise, Speak White de Michèle

Lalonde48 et Nègres blancs d’Amérique de Pierre Vallières49 sont représentatifs de la mise en valeur d’une sémantique raciale apparue à son comble lors de la Révolution tranquille au

Québec. Utilisant une audacieuse métaphore raciale, Jacques Brault (Suite fraternelle, 218),

Hubert Aquin (Trou de mémoire, 182), Roch Carrier, (La Guerre, Yes Sir!, 28), ainsi que

Lalonde et Vallières (pour n’en nommer que quelques-uns50), ont tous eu recourts à la notion de

« nègre blanc ». La profusion d’énonciations raciales de l’époque mobilise un discours

47 Sherry Simon, « The Geopolitics of Sex, or Signs of Culture in the Quebec Novel », Essays on Canadian Writing, no. 40, printemps, 1990, p. 45.

48 Michèle Lalonde, Speak White, poème-affiche, l’Hexagone, 1974. Dorénavant, SW.

49 Pierre Vallières, Nègres blancs d’Amérique, autobiographie précoce d’un terroriste québécois, Montréal, Maspéro/Parti pris, 1972. Dorénavant, NB.

50 Voir en anglais, Leonard Cohen (Beautiful Losers, 125). Frédérique Elsie Hanet note que malgré que l’on accorde le plus souvent à Vallières d’avoir employé le premier le terme « nègre blanc », Eugène L’Heureux le déploie déjà en 1929 (Hanet, 128). À consulter également, « La Négritude et la littérature québécoise » de Max Dorsinville. Dorsinville cite les auteurs suivants qui se servent de la métaphore du « nègre blanc » : Gilles Hénault, « Notre Jeunesse »; Paul Chamberland, L’Afficheur hurle; Wilfrid Lemoine, Le Funambule.

95 hautement politique qui comprend des expressions comme « nègres blancs », « roi-nègres »51, ainsi que des formulations qui entremêlent la race et la langue remplissant les journaux estudiantins et les revues gauchistes, telles « notre race de langue » (Kiriouki, 36), « le racisme linguistique » (Therrien, 17), « le génocide linguistique » (Saint-Denis). Cette période constitue un jalon important pour le Québec et ces exemples suffisent à démontrer qu’encore une fois, la race assume un rôle appréciable dans la construction de l’identité québécoise.

Si dans Nègres blancs d’Amérique et Speak White, il ne s’agit pas de toute évidence littéralement de blackface52, Vallières et Lalonde, chacun à sa façon, entrecroisent des signes afro-américains avec ceux de la culture blanche franco-québécoise qui cherche à s’autonomiser dans une Amérique du Nord dominée par des anglophones. J’ose marquer un point de clivage entre le « nègre blanc » et les spectacles blackface puisque ce dernier risque de nous fournir une nouvelle perspective au sujet du premier, malgré plusieurs divergences. En témoignent plusieurs ressemblances entre les deux. Premièrement, les deux sont associés aux classes populaires, le spectacle ménestrel se situant au sein d’une culture populaire, ses spectateurs, comme les lecteurs visés par Vallières et Lalonde, étant généralement des classes défavorisées.

Deuxièmement, dans The Wages of Whiteness: Race and the Making of the American Working

Class, David Roediger souligne que le ménestrel n’a pas pillé la musique et la culture noires furtivement, mais ouvertement (117), tout comme Vallières et Lalonde empruntent explicitement des aspects de l’oppression des Noirs pour décrire la situation québécoise. Contrairement au

51 Devenue courant pendant la Révolution tranquille, l’expression « roi-nègre » surgit au préalable de la Révolution tranquille lorsqu’André Laurendeau couronne le premier ministre Maurice Duplessis un « roi-nègre », accusant Duplessis de se comporter comme une marionnette coloniale dominée par « les Britanniques », comme « au sein d’une colonie d’Afrique » (Laurendeau, 4). Pour une discussion de l’expression « roi-nègre », voir « Liberalism and its Discontents: Reading Black and White in Contemporary Quebecois Texts » (1996) de George Elliott Clarke, 62. 52 Blackface : un Blanc grimé en Noir. Je garderai parfois le terme en anglais lorsque nécessaire pour évoquer un Blanc maquillé en Noir.

96 chapitre précédent, où, lors d’un faux métissage, Thériault et Savard mettent à profit un discours amérindien au nom des luttes québécoises, Vallières et Lalonde nomment ouvertement le rapprochement qu’ils font entre Blanc et Noir. Bref, lorsque le Québécois se dit « nègre blanc », il/elle se déguise explicitement en Noir, empruntant de façon transparente la dépossession noire américaine pour exprimer sa propre dépossession.

Enfin, je ne voudrais pas simplement assimiler le nègre blanc québécois au blackface américain, puisqu’il y a des différences importantes à souligner entre les deux, notamment une différence de ton majeur, le premier étant très sérieux et le dernier parodique. Mais l’analogie me semble malgré tout très riche. Dans Love & Theft, Blackface minstrelsy and the American

Working Class, Eric Lott soulève que malgré ses racines racistes, le spectacle ménestrel53 « was based on small but significant crimes against settled ideas of racial demarcation, which indeed appear to be inevitable when white Americans enter the haunted realm of racial fantasy » (Lott,

4). Je cite Lott pour mettre en relief la subtilité du blackface et des fantasmes raciaux qui lui ressemblent. Sans réduire indument les très fâcheuses conséquences du blackface et parfois du

« nègre blanc », et sans proposer que l’un équivaut tout simplement l’autre, comme Lott, ce qui m’intrigue, c’est les violations de certaines conventions raciales, les petits crimes commis contre certaines idées autrement bien ancrées dans la démarcation raciale. Le « nègre blanc », comme la tradition blackface, n’est pas simplement une relique raciste, mais traduit également un désir transracial ainsi qu’un signe de panique, d’anxiété, de terreur et de plaisir (voir Lott, 6).

53 Spectacle ménestrel : les spectacles avec des acteurs blancs déguisés en Noirs.

97

État de la question

Je n’ai pu trouver aucune étude de synthèse qui vise le phénomène racial du « nègre blanc » québécois en particulier, fait saillant qui m’étonne profondément. Malheureusement, le

« nègre blanc » québécois ne semble qu’accessoire dans des études de la question raciale au

Québec, comme Le Nègre dans le roman blanc (1980) de Sébastien Joachim, La question raciale et raciste dans le roman québécois (1995) de Gérard Étienne, ou « Liberalism and its

Discontents: Reading Black and White in Contemporary Quebecois Texts » (1996) de George

Elliott Clarke. En plus, ces ouvrages sont aujourd’hui un peu datés. Les études portant spécifiquement sur Speak White et Nègres blancs d’Amérique ont tendance à discuter la question du statut colonial du Québec; ils discutent également le rapport des classes, l’enjeu de la langue, et même le sexisme des discours nationalistes54. Mais ces études négligent généralement les significations et les conséquences idéologiques de l’emploi du mot « nègre ». Notons toutefois que la revue Études francophones a publié, dans un seul volume daté de 2003, deux articles forts intéressants qui côtoient le sujet, mais qui pour finir ne font que frôler en passant la question de la race.

Dans « L’identification du Québec à la situation esclavagiste ou les Nègres blancs d’Amérique », Frédérique Elsie Hanet étudie l’identification des Québécois à la situation esclavagiste pour déduire que :

l’identification des Québécois à la situation esclavagiste peut paraître à la fois commode … et compréhensible. Commode, parce qu’elle s’identifie à un peuple ayant vécu le pire des soumissions humaines, qui dépasse tout entendement.

54 Au sujet de Speak White, voir, par exemple, dans la bibliographie Gauvin, Mezei, Demers et Hayward; pour Nègres blancs d’Amérique, voir Dostaler, Milner, Roberts et Hunsaker.

98

Compréhensible, parce que le peuple québécois, isolé linguistiquement en Amérique de Nord, a toujours ressenti ce besoin incessant de se comparer à l’autre pour valoriser, au fond, sa propre identité et sa différence. Certes, le Québec a été victime d’une oppression ‘douce’ par le passé, sans avoir connu de massacre pour autant, mais les Québécois ont longtemps été considérés comme des citoyens de second ordre et ils n’avaient pas accès aux leviers de contrôle des commandes économiques (Hanet, 132).

Si Hanet insiste sur le fait que « rien ni personne ne peut se mesurer à l’histoire de l’esclavage de la communauté noire » (132), elle adoucit la rigueur de cette réprimande en terminant son article sur ce qu’elle appelle « une note plus optimiste » (132) : elle affirme la nécessité d’une prise de conscience québécoise et le dépassement d’une condition de domination (133). Dans cette étude intéressante, qui fait l’inventaire des références québécoises à l’esclavage de Louis-Joseph

Papineau jusqu’à Dany Laferrière, Hanet effectue avant tout un répertoire des textes où l’on retrouve une identification québécoise aux esclaves noirs. Si le signe racial n’est guère analysé ni évalué, Hanet recense beaucoup de références indispensables.

L’autre étude intéressante par rapport à mon étude est « Au-delà des frontières coloniales : Aimé Césaire et la Révolution tranquille au Québec » d’Éloise Brière. Cet article passionnant se penche sur la place de la négritude dans l’évolution littéraire québécoise et le dialogue qui s’instaure entre l’œuvre de Césaire et les poètes de la Révolution tranquille. Brière n’hésite pas à souligner l’étrangeté de cette parenté : « Affirmer que la négritude et Césaire ont bel et bien leur place dans l’évolution de la littérature dans ce Québec de souche si française et si blanche peut paraître curieux au premier abord » (Brière, 2003, 91). Et Brière démontre avec précision la recontextualisation de la négritude césairienne, qui amplifie et transforme l’imaginaire québécois et permet « la possibilité de l’émergence d’une cristallisation culturelle nouvelle qui puisse mériter le nom de culture » (Brière, 2003, 98). Elle termine son article en

99 soulignant avec éloquence la dette du Québec à l’égard de Césaire : « De courte durée, mais très intense, cette période marque de façon indélébile le discours littéraire et le paysage social du

Québec, et si l’on écoute bien, on perçoit, en filigrane, l’écho de la voix du prédécesseur martiniquais » (Brière, 2003, 98). Or, l’étude de Brière vise le rôle que joue la négritude dans la mise en question québécoise, mais ne traite de façon critique ni le signe racial, ni les conséquences idéologiques de son usage.

Ce qui manque, dans les études de Hanet et de Brière, c’est une lecture des références à l’esclavage et à la négritude contextualisée par la théorie critique de la race qui s’impose actuellement aux États-Unis depuis la fin des années 1980. Car si Fanon et Césaire se trouvent à l’origine de la théorie critique de la race, il est nécessaire d’étudier les références raciales de la

Révolution tranquille au Québec à la lumière des théories plus récentes, telles celles de Said,

Spivak, Ashcroft, Roediger, Gates, Berlant, Spillers, etc. Si Speak White et Nègres blancs d’Amérique font définitivement partie du canon littéraire québécois, leur emploi d’images racisées n’est pas, à mon avis, suffisamment analysé dans les recherches littéraires québécoises.

Pourtant, la manipulation des symboles raciaux au Québec pendant la Révolution tranquille s’avère assez distinctive, sinon singulière. Il s’agit, en premier lieu, d’une analogie entre la situation des Noirs-Américains et les Québécois, ce qui démontre pour Albert Memmi, la relativité et la spécificité du colonialisme (Memmi, 139). Effectivement, le Québec a mobilisé assez facilement la rhétorique de la libération postcoloniale pour expliquer sa propre oppression, ce qui soulève quelques objections à cause de son propre passé impérialiste (voir Hutcheon,

100

1995, 132)55 et son niveau de vie (Memmi, 138), mais qui autrement ne paraît pas attirer l’intérêt des chercheurs. Or, j’aimerais poursuivre une étude de la rhétorique postcoloniale québécoise en visant avant tout le signe racial « nègre » qui, à cause de son usage tabou aujourd’hui, peut sembler inquiétant. Quelles sont, très spécifiquement, les significations de ce mot dans son emploi révolutionnaire québécois? Semblablement dépourvu de son sens essentialiste et tenu loin de la présence concrète du corps noir, le « nègre blanc » québécois s’avère une invention idéologique avec un but politique. Au-delà des accusations d’appropriation et d’ignorance de la dépossession noire, qui méritent néanmoins un survol rapide, le mot « nègre » devient, à ce moment turbulent dans l’histoire québécoise, une commodité politique. Si je débattrai brièvement les pours et les contres idéologiques de cette commodification, la visée principale de ce chapitre est d’interroger non pas l’appropriation raciale, mais les protocoles élaborés à son

égard. C’est-à-dire : pourquoi y a-t-il une amplification des signes raciaux noirs pendant la

Révolution tranquille au Québec? Quelles sont les règles et les conditions relatives au déroulement d’un discours portant sur des « nègres blancs »? Et si on est soumis à ces règles, quels en sont les résultats sémantiques et idéologiques?

Le Québec colonisé?

Lors de la Révolution tranquille, l’identité canadienne-française subit, on le sait, des transformations majeures. L’identité terrienne, basée sur la tradition et le catholicisme, est mise de côté, et à sa place surgit une nouvelle identité québécoise qui est encore à imaginer, à créer, à

55 « Quebec may aligne itself politically with francophone colonies such as Algeria, Tunisia and Haiti, but there is a major political and historical difference : the pre-colonial history of the French in Quebec was an imperialistic one » (Hutcheon, 1995, 132).

101 construire. Pour ce faire, beaucoup d’intellectuels québécois se tournent vers les outils qu’offre le discours de la décolonisation. Mais si l’idée de décolonisation était attirante et semblait expliquer la situation des Québécois, elle n’était pas sans contradictions. Le statut du Québec comme colonie était, dès les débuts, contesté à l’intérieur et à l’extérieur de la province.

Comment considérer les descendants des colons européens de la même manière que les

Algériens ou bien, les descendants d’esclaves? Et quelle est la place des Autochtones dans ce contexte? À partir d’un perspective contemporaine, suggérer que l’oppression nationale du

Québec et celle de la population noire aux États-Unis participent d’un même continuum suscite de la controverse56. À cet égard, Diane Lamoureux affirme que:

Dans la perspective de l’oppression nationale, le statut des francophones du Québec est assimilé à celui des Algériens luttant pour leur indépendance ou encore à celui des Noirs américains en plein mouvement pour les droits civiques, ce qui fait fi de différences assez fondamentales touchant à l’existence de droits politiques et d’institutions parlementaires représentatives. Il s’agit donc de « décoloniser » le Québec et de se débarrasser des « Rhodésiens » du West Island. Une relecture de Nègres blancs d’Amérique ou de Speak White peut s’avérer intéressante à ce propos, d’autant plus que les « évidences » de l’époque sont loin d’être les évidences actuelles, notamment l’insistance sur le statut colonial du Québec (116).

Il est difficile en effet de ne pas reconnaître l’usage problématique de l’analogie entre le Québec et les états colonisés.

56 Voir, par exemple, Chantal Maillé, « Réception de la théorie postcoloniale dans le féminisme québécois », Recherches féministes, vol. 20, no. 2, 2007, p. 91-111. Maillé critique également l’appropriation de ce discours par les féministes occidentales, en montrant comment ces pratiques ont contribué à effacer les effets de la colonisation sur les femmes non occidentales.

102

Lors de la Révolution tranquille, même les avocats de la décolonisation québécoise avouaient que ce n’était pas toujours facile, au Québec, d’identifier le colonisateur. André

D’Allemagne souligne cette ambiguïté dans Le colonialisme au Québec : « Aussi, bien que du strict point de vue politico-constitutionnel le colonisateur soit le Canada anglais incarné dans l’État fédéral, dans les faits le colonisateur c’est l’Amérique anglo-saxonne. Le colonialisme, au

Québec, est multiple et confus » (D’Allemagne, 26). Pierre Vallières reconnaît également certaines limites de la notion de décolonisation au Québec :

Notre sous-développement à nous, notre dépendance et notre déculturation coexistent tout de même avec le confort des privilégiés de l’Occident. Bien sûr, comme aux États-Unis et en Europe de l’Ouest, nous avons nos chômeurs, nos assistés sociaux, et nos travailleurs immigrants. Mais nous ne connaissons ni les guerres coloniales, ni les famines, ni l’analphabétisme chronique, ni les épidémies en série, ni les Idi Amin Dada. Nous pouvons nous permettre le luxe de souhaiter devenir les égaux des English people (Vallières, 2002, 173).

Il va sans dire que, pour certains grands intellectuels de la décolonisation mondiale, qui comptent parmi eux des critiques de la colonisation française, les descendants de colons français qui se disent colonisés sont suspects. Albert Memmi affirme avoir été étonné que les

« Canadiens puissent s’intéresser tant à la colonisation » (Memmi, 137). Memmi constate néanmoins sans hésiter que les Québécois « étaient dominés, en effet, de plusieurs manières, et en tout cas qu’ils en souffraient » (Memmi, 138) et il dédie l’édition corrigée de son Portrait du colonisé paru en 1972 « À mes amis canadiens français ». Cependant, malgré ces gestes de solidarité, Memmi n’appuie jamais directement la thèse que le Québec est colonisé. Pour sa part,

Aimé Césaire, lui aussi, a certaines hésitations devant le statut du Québec comme colonie et considère l’utilisation de la « négritude » de la part des Québécois une exagération (Césaire,

2004, 81). Il semble que, si la québécitude s’inspire de la négritude et le Québécois s’inspire des

103 peuples colonisés, l’un n’équivaut pas simplement l’autre. Toutefois, la notion d’un Québec opprimé ou colonisé est appuyée de façon générale par la plupart des activistes de l’époque.

Jacques Berque déclare même, dans une entrevue accordée à la Revue socialiste, : « vous êtes un peuple colonisé… vous êtes les Algériens de l’Amérique » (Bélanger, 133).

Dans mon analyse de Nègres blancs d’Amérique et Speak White, je ne m’intéresse pas à savoir si au Québec, il s’agit ou s’agissait d’un peuple colonisé, question qui me semble aujourd’hui intellectuellement infructueuse. Toutefois, la mise en relief de la race dans un discours de la décolonisation peut sembler une association incongrue. Si la décolonisation nous assure que l’oppression n’est pas simplement naturelle et inhérente, pourquoi traduire la volonté de s’affirmer avec une métaphore raciale qui suscite si souvent des connotations biologiques? Je reviendrai fréquemment à cette question dans mon analyse.

Le « Nègre » désincarné : Nègres blancs d’Amérique

Écrit en prison par le felquiste Pierre Vallières, Nègres blancs d’Amérique soutient que les Québécois ont été maintenus dans une infériorité socio-économique et que la seule voie vers la libération est de transformer radicalement le système capitaliste en utopie socialiste, transformation qui, pour Vallières, n’est possible qu’à travers le terrorisme révolutionnaire dont le FLQ se réclame. Livre-choc qui illustre bien le Québec trépidant des années soixante, l’ouvrage tient à la fois de l’essai et de l’autobiographie et compare la condition des Québécois à celle des Noirs américains. Il s’agit d’une description rebelle de l’aliénation québécoise, entre autres à travers le récit de vie d’un fils d’ouvrier, d’où son sous-titre, « l’autobiographie précoce d’un terroriste québécois ». Les Québécois « nègres blancs » auxquels Vallières s’adresse dans

104 son ouvrage sont francophones, blancs et de la classe ouvrière. D’ailleurs, l’auteur ne semble pas très confiant dans les connaissances de son lectorat en ce qui concerne la culture noire américaine ou sa défense des droits civiques, du moins si on se fie aux notes de bas de page explicatives qui semblent de portée limitée. Voyons, à titre d’exemple, une des notes de bas de page où, sous la rubrique « Les Noirs américains », Vallières décrit le « Black Power » de cette façon : « C’est un peu l’équivalent afro-américain du séparatisme québécois et toutes les nuances s’y trouvent » (NB, 55). Ce genre de simplification règne dans ses descriptions des défenses des droits et des cultures noires américaines.

L’oppression des Noirs américains vient représenter, dans l’usage de Vallières, ce que

Jonathan Boyarin appellerait « la victime exemplaire des excès de quelqu’un d’autre57 ». C’est sans doute ce qui permet à Vallières d’écrire : « Au Québec, les Canadiens français ne connaissent pas ce racisme irrationnel qui a causé tant de tort aux travailleurs blancs et aux travailleurs noirs des États-Unis. Ils n'ont aucun mérite à cela, puisqu'il n'y a pas, au Québec, de

‘problème noir’ » (NB, 23). Localisé commodément hors du cadre québécois, l’exemple des

Noirs américains est facilement adapté à la situation québécoise sans mettre en cause un quelconque racisme interne, sans même connaître de façon substantielle la situation des Noirs américains. D'ailleurs, si pour Vallières le racisme a causé du tort « aux travailleurs blancs » ainsi qu’aux « travailleurs noirs » (23), cette phrase dévoile que l’auteur semble avant tout préoccupé avec les premiers. Josée Makropoulos, dans son « Speak White! Language and Race in the Social Construction of Frenchness in Canada », souligne à cet égard que le reniement du

‘problème noir’ de Vallières ne prend pas en compte la présence longtemps établie des communautés afro-canadiennes et caribéennes, ainsi que la présence du racisme à l’intérieur du

57« An exemplary victim of someone else’s exesses » (Boyarin, 16, ma traduction).

105

Québec (249). De cette façon, la métaphore du « nègre » est commode puisqu’elle évite la contradiction idéologique interne. Dans son recueil d’essais renommé Shadow and Act, Ralph

Ellison écrit : « Everybody wants to tell us what a Negro is, yet few wish, even in a joke, to be one. But if you would tell me who I am, at least take the trouble to discover what I have been »

(Ellison, 115). Si Vallières ne prend pas le temps d’acquérir une connaissance des cultures ou des luttes sociales des Noirs, il semble néanmoins démontrer un désir d’en être, se déclarant

« nègre ». S’affirment ainsi curieusement un homme et un peuple qui se disent « nègres », tout en restant dégagés des corps et des cultures noirs. Il s’agit ainsi d’un « Nègre » désincarné.

Yves Thériault déguise peut-être le Québec en costume indien, mais il le fait à travers la représentation d’un personnage autochtone. Par contre, on peut affirmer que le « Nègre » de

Vallières est de toute évidence une production politique, pas simplement une essence surgissant d’un corps noir, fictif ou réel. Le « Nègre » de Vallières est une production culturelle qui remplit une fonction identitaire. Vallières souligne la discursivité du concept « nègre » traditionnellement raciste :

Ils disent : « travailler dur comme un nègre », « sentir mauvais comme un nègre », « être dangereux comme un nègre », « être ignorant comme un nègre » ... Très souvent, ils ne se doutent même pas qu'ils sont, eux aussi des nègres, des esclaves, des « nègres blancs » (NB, 23).

En situant le « nègre » dans ce qu’« ils disent », Vallières signale que cette notion est produite à partir d’un système discursif. Autrement dit, le concept du « nègre » existe à travers des mots, des paroles, mais n’est pas simplement une essence58. Il étale ainsi une liste d’expressions racistes qui relient le « nègre » au travail dur, à une mauvaise odeur, au danger et à l’ignorance.

58 De fait, Vallières construit assez souvent ses phrases de façon à mettre en relief ce qu’ « ils disent ». Cet aspect de l’œuvre mérite une étude plus approfondie qui, pour des raisons d’espace, n’est pas possible dans ce chapitre.

106

Dans ce passage, le pronom pluriel « ils » fait référence à l’ouvrier québécois qui se croit peut-

être supérieur au nègre, mais qui, selon Vallières, est lui aussi souvent associé aux mêmes stéréotypes, tels le travail de main dur et l’ignorance. Bref, Vallières insiste sur le fait que

« nègre » et « nègre blanc » sont égaux justement puisque l’auteur semble croire que l’ouvrier blanc, le « ils » auquel il se réfère, se perçoit peut-être comme supérieur.

Cependant, il n’y a pas que les Québécois francophones qui ont accès à l’étiquette

« nègre blanc ». Vallières ouvre également la voie aux autres « nègres blancs » en Amérique, le

« nègre » devenant un symbole de l’ouvrier universel :

Si les Québécois peuvent être appelés, sans exagération, des nègres blancs, ils ne sont pourtant pas les seuls Blancs d’Amérique à « mériter » ce titre d’esclave. La révolution industrielle du XVIIIe et du XIX siècle a chassé d’Europe des millions de paysans et d’ouvriers qui sont venus chercher en Amérique la liberté en même temps que le travail et le pain. La majorité de ces immigrants sont demeurés les ouvriers à gages des « premiers Blancs », de ces entrepreneurs de la race anglaise supérieure qui, depuis les Washington, les Jefferson et les Franklin, se sont toujours considérés comme les seuls propriétaires de l’Amérique du Nord (NB, 53).

Le signe « nègre » est donc un symbole d’unité pour la classe ouvrière nord-américaine, mais

également mondiale : « Car les nègres d’Amérique sont solidaires des nègres du monde entier.

Solidaires dans la servitude. Solidaires dans la lutte de libération » (NB, 62). Vallières précise même les modalités de collaboration entre « nègres » : « Ces nègres, qui n’ont pas tous la peau de la même couleur, qui ne parlent pas tous les mêmes langues, qui croient en des prophètes différents, qui habitent des ghettos étrangers les uns aux autres » (NB, 61) font appel à « une nouvelle histoire, sans maîtres ni esclaves, sans guerres ni racismes, sans banques ni voleurs »

(NB, 62). Dans une alliance multicolore, le « nègre » vient représenter les exploités de tous les

107 groupes sociaux et semble témoigner d’une volonté transraciale. Alors, pour Vallières, le

« nègre » n’est pas simplement discursif, mais rhétorique, l’auteur cherchant définitivement à convaincre, à persuader. L’auteur ne préconise pas la simple traversée des frontières raciales, mais prône l’égalité entre « nègres » et l’adoption de cette identité par son lectorat. Mais peut-on vraiment affirmer qu’il y a une égalité entre le substantif « nègre » et son adoption?

Un « Nègre » douteux

Cependant, si Vallières souligne la discursivité de son concept « nègre », l’auteur semble

également avouer que l’on ne considère les Québécois « nègres » que par supposition, par hypothèse : « Si les Québécois peuvent être appelés, sans exagération, des nègres blancs… »

(NB, 53), c’est que l’auteur pose la négritude des Québécois comme vraisemblable seulement en ce en quoi elle sert de base à une démonstration des injustices capitalistes. Autrement dit, si cette hypothèse est plausible, il reste néanmoins un doute, une hésitation, qui poussent Vallières

à assurer le lecteur qu’il n’exagère pas. Cette réticence lectorale présumée fait écho à une remarque de l’économiste Gilles Dostaler qui souligne l’importance de Nègres blancs d’Amérique et sa métaphore principale: « Le titre de l’ouvrage, il faut le concéder, est une découverte. Nous sommes des nègres, au même titre que toutes les victimes de l’impérialisme, au même titre que ceux-là qui commencent à ébranler le géant : les vingt-deux millions d’Afro-

Américains » (Dostaler, 97). Dostaler signale que les Québécois sont des « nègres », mais il note en même temps qu’il s’agit d’une « découverte ». En ce faisant, Dostaler soulève, sans le mettre

108 en question, un aspect déterminant du concept de « nègre blanc » québécois : la « découverte », que les Québécois sont des « Nègres », apparaît assez inhabituelle, sinon étonnante.

L’on comprend peut-être pourquoi cette découverte semble curieuse. Le titre de l’ouvrage choque non seulement dans son emploi du mot tabou « nègre », traduit en anglais par l’injure raciste « nigger », mais également par son insistance sur le fait que les Québécois sont

(in)dignes de ce nom. Sans aucun doute, Vallières grime le Québécois en noir pour secouer son lectorat qui s’étonne de le voir dans ce costume. Si Dostaler a tort de mettre les Québécois sur le même plan que toutes les victimes de l’impérialisme pour des raisons que nous avons déjà soulignées, le fait qu’il s’agisse d’une découverte est probablement révélateur d’un malaise spécifiquement racial. On prétend généralement que la blancheur est un caractère constitutif du

Québec et finalement, l’appellation « nègre blanc » a pour effet de souligner cette blancheur.

Autrement dit, elle semble plutôt insister sur la blancheur des Québécois, qui présumément méritent plus que d’être appelés « nègre », qui méritent un meilleur traitement justement à cause de la peau blanche cachée sous un masque noir. Tout comme le spectacle ménestrel, le « nègre blanc » ne conduit pas à une rupture avec l’identité blanche. Le spectacle ménestrel met lui aussi en relief l’identité blanche des comédiens. Selon Roediger :

… blackface minstrels were the first self-consciously white entertainers in the world. The simple physical disguise – and elaborate cultural disguise – of blacking up served to emphasize that those on stage were really white and that whiteness really mattered (117).

Dans un renversement quelque peu étrange, le « nègre blanc » favorise une prise de conscience de la blancheur des Québécois comme base sur laquelle repose leur revendication de l’égalité

économique. Autrement dit, même si Vallières se dit « nègre blanc » et malgré ses éloges contre

109 le racisme, nous savons que le message sous-jacent est le suivant : je ne devrais pas être traité de nègre puisqu’après tout, je suis un homme blanc.

Même l’appel de Vallières au « Nègre » universel ouvrier devient douteux. Comme nous l’avons souligné, le concept de « nègre blanc » semble assez multiculturel, tout comme le spectacle ménestrel met en scène une diversité ethnique qui apparaît signaler un certain pluralisme culturel. Or, si, comme nous venons de le voir, le « nègre » vient représenter une alliance multicolore et une volonté transraciale pour Vallières, lorsqu’on juxtapose le « nègre » de Vallières avec la citation suivante de Roediger, on risque de le voir sous une autre lumière :

The importance of a common whiteness under the blackface gave the minstrel stage the ability to foster astonishing ethnic diversity even during periods of anti- immigrant hysteria. As the African-American choreographer Leni Sloan has noted, many Irish immigrants performed brilliantly beneath black makeup. Songs of Ireland, including Irish nationalist songs, took their places alongside Tyrolean warbling, yodelling and Italian and Bohemian opera… This extreme cultural pluralism was at the same time a liquidation of ethnic and regional cultures into blackface and, ultimately, into a largely empty whiteness. Alan W.C. Green’s study of minstrelsy argues that ‘as various other types – particularly the Irishman and German – fused with native-born Americans, the Negro moved into a solo spot centerstage, providing a relational model in contrast to which masses of Americans could establish a positive and superior sense of identity’ (Roediger, 118).

Cette constatation fait écho aux propos de Vallières qui affirme que les Québécois ne sont pas les seuls Blancs d’Amérique à « mériter » le titre de « nègres blancs », mais également les paysans et les ouvriers d’Europe immigrés en Amérique (53). Le « nègre » devient ainsi un modèle relationnel contre lequel les Québécois ouvriers, peu importe leur culture d’origine, peuvent se comparer. Il sert à fondre une pluralité de cultures en une blancheur dorénavant vide, à

110 convaincre les gens de ces cultures qu’ils devraient se mesurer en termes du « nègre » opposant.

Mais avant tout, le « nègre » des « nègres blancs » sert à souligner la blancheur partagée des classes ouvrières québécoises. L’universalité réclamée par Vallières est malheureusement axée sur l’identité blanche, et, comme nous verrons par la suite, sur le masculin.

Le fort et le faible : une affaire de gars

Notons encore un parallèle entre les spectacles ménestrels et le « nègre blanc » de

Vallières, tous deux fortement marqués par le masculin. Lott (parmi d’autres) signale l’importance d’une certaine dynamique de la masculinité dans le spectacle blackface, ou plus spécifiquement, l’importance de l’émasculation (49)59. Au même titre, Nègres blancs d’Amérique commence avec la phrase suivante : « Être un ‘nègre’, ce n'est pas être un homme en

Amérique, mais être l'esclave de quelqu'un » (NB, 23). Pour ébaucher une réponse à la question, qu’est-ce qu’un « nègre » dans Nègres blancs d’Amérique, on constate assez facilement que la masculinité, ou plutôt l’émasculation, vient alimenter la réflexion de Vallières de façon majeure.

À la portée de tous, si « être un ‘nègre’, ce n’est pas être un homme » (NB, 23), il n’est pas question d’être une femme non plus. La femme semble complètement absente du signe « nègre blanc », même si elle joue un rôle important dans l’« érection » de cette notion60. Si la répétition presque pathologique du mot « homme » dans l’ouvrage ne persuade pas de sa mise en relief du

59 « A certain dynamic of masculinity or, conversely, « unmanning » seems to have been at work here … » (Lott, 49). 60 Selon Katherine Roberts, dans ses chapitres plus « autobiographiques », Vallières fait preuve « d’une ambivalence et d’un inconfort envers les femmes qui finit par réaffirmer leur place dans la sphère privée, hors du paradigme révolutionnaire » (295, ma traduction). Mais cet effacement vient de « l’incapacité du mouvement nationaliste à concevoir la femme autre qu’une mère : haïe, contestée, mais nécessaire dans la reproduction biologique et sociale de la nation » (302, ma traduction).

111 masculin à cause de la connotation parfois universelle du mot, en regardant de près, il devient impossible d’ignorer le sens viril de l’utilisation fréquente de Vallières. À titre d’exemple, parmi maints autres, le passage suivant rend clair le sens du mot homme, attaché définitivement à un

être mâle ainsi qu’à une fraternité entre hommes qui relève du pays et du combat :

Rares étaient ceux qui osaient croire … Et pourtant, durant la guerre, des hommes de ce pays parlaient à d’autres hommes de ce pays un langage de combat et de fraternité. Un langage que des hommes comme mon père conservaient dans leurs cœurs, dans l’espoir qu’un jour ce combat et cette fraternité leur donneraient cette patrie qu’ils n’avaient pas (NB, 75).

Comme le souligne Roberts, l’appel aux armes de Vallières est un appel aux « boys », l’auteur semblant incapable d’imaginer les femmes comme camarades de combat (Roberts, 302) : « Eh!

Georges, qu’est-ce que tu attends pour te décider? Et vous autres, Arthur, Louis, Jules, Ernest?

Debout, les gars et tous ensemble : au travail! On prendra un autre verre de bière quand on aura fait plus que de discuter et de mettre le blâme toujours sur les autres » (NB, 289). Nègres blancs d’Amérique constitue, sans aucun doute, un vecteur d’un certain prolétaire masculin.

Mais que faut-il entendre par « nègre » chez Vallières, à part cette première négation… pas un homme. D’emblée, un nègre est « l’esclave de quelqu’un » (NB, 23), et comme le souligne Hanet, l’identification esclavagiste permet aux Québécois de se porter victime de l’histoire coloniale (Hanet, 127). Il s’agit dans Nègres blancs d’Amérique des « esclaves baptisés » (NB, 38), des « esclaves des machines » (NB, 39), ou même des « esclaves blancs »

(NB, 54). Or, la métaphore esclavagiste engage généralement une forte opposition binaire – l’esclave et le maître. Pour le Québécois esclave, le maître était l’église (« esclaves baptisés »), le propriétaire d’usine et de corporation (« esclaves des machines »), mais qui est le maître de

« l’esclave blanc »? Parmi une variété de réponses possibles ou plausibles à cette question, au

112 cœur de cette expression, comme l’expression « nègre blanc », l’on trouve la supposition d’un oxymore qui consiste à réunir deux notions en apparence contradictoire – l’esclavage et le blanc

– oxymore qui a pour effet de mettre en relief l’idée qu’un Blanc n’est pas supposé être esclave, l’idée que c’est déplorable de reléguer ainsi un Blanc au rang de « nègre ».

De plus, la figure esclavagiste, comme celle de la masculinité, est avant tout un parangon du problème des rapports de pouvoir. Pierre Bourdieu souligne à cet égard qu’« être un homme, c’est être installé d’emblée dans une position impliquant des pouvoirs » (Bourdieu, 21). Quant à

Vallières, il souligne cet aspect de son concept de « nègre » à plus d’un égard. À titre d’exemple, il soulève directement ce problème « pratique » dans le passage suivant:

Comment faire un monde sans nègres? Comment…? Ce n’est pas un problème théorique, mais pratique, car c’est uniquement un problème de rapport de forces. Il s’agit de renverser l’actuel rapport des forces; de faire en sorte que les faibles, que les hommes majorité des deux milliards d’habitants de la planète auxquels le nombre confère un droit naturel, inaliénable, au contrôle de leurs propres affaires, deviennent les plus forts, les seuls maîtres de leurs destinées, les seuls artisans de leur univers social; et de faire en sorte que les puissants, que la petite minorité qui forme la bourgeoisie d’affaires internationales et qui monopolise à la fois les affaires économiques, politiques, sociales, les moyens de communication, les engins de guerre et les idéologies régnantes, soit réduite à l’impuissance, soit mise en échec, soit à jamais placée dans l’impossibilité d’exploiter le travail humain à son profit (NB, 66-67).

Mais plus que ce problème « pratique » et outre l’esclavage, le « nègre » représente pour

Vallières ce que Ellison appelle « une condition métaphysique d’agonie irrémédiable » (130, ma traduction). Vallières est avant tout marxiste et conséquemment son « nègre » désigne en premier lieu l’agonie économique : il sert de main-d’œuvre bon marché, il est un valet des impérialistes (NB, 23), il habite des ghettos (NB, 61), il est pauvre, exploité (NB, 57), un citoyen

113 de seconde classe (NB, 23). Il évoque également l’agonie physique : il est foulé aux pieds, il est matraqué, emprisonné. (NB, 24). Et finalement, il incarne l’agonie morale : il est humilié, soumis (NB, 69), écrasé, impuissant (NB, 61), asservi (NB, 62), maltraité (NB, 24). Or, l’agonie dont souffre le « nègre » de Vallières implique toujours une position inférieure à quelqu’un – il sert de main-d’œuvre au profit des riches, il est foulé aux pieds par un quelconque oppresseur, il est humilié et soumis à quelqu’un de plus puissant. Bref, l’agonie « nègre » de Vallières fait preuve d’une tension palpable entre deux pôles opposés – le fort et le faible - sans pour autant menacer la cohésion du signe.

D'ailleurs, Vallières s’entiche étrangement d’une certaine masculinité noire et amorce un portrait de ce qu’il nomme maintes fois le « Black Power » dans les multiples notes de bas de page. Comme nous l’avons déjà mentionné, il s’agit, pour ainsi dire, des seules références à une culture noire. Vallières choisit décidément de ne focaliser que sur les quelques aspects violents du mouvement noir américain des droits civiques, glorifiant Malcolm X et le « Black Panther

Party », et traitant Martin Luther King de prostitué (NB, 56-57). Vallières épouse ostensiblement la violence dans sa lutte de libération et conséquemment on ne s’étonne peut-être pas de lire cette apologie de la violence noire américaine. Mais l’interrogation fondamentale qui oriente le discours masculin de Vallières porte sur l’articulation problématique entre l’homme noir et la violence ainsi qu’en fait foi ce passage curieux :

Le racisme blanc leur cache la réalité, en leur donnant l'occasion de mépriser un inférieur, de l'écraser mentalement, ou de le prendre en pitié. Mais les pauvres Blancs qui méprisent ainsi le Noir sont doublement nègres, car ils sont victimes d'une aliénation de plus, le racisme, qui, loin de les libérer, les emprisonne dans un filet de haines ou les paralyse dans la peur d'avoir un jour, à affronter le Noir dans une guerre civile (NB, 23)

114

Notons l’étrange image d’une « guerre civile » hypothétique qui paralyse les hommes blancs travailleurs. Par mégarde, cette image vient renforcer le stéréotype déjà cité par Vallières du

« nègre dangereux » (NB, 23). Ainsi, l’image d’une masculinité noire prônée par Vallières repose sur le pivot de la violence et de la peur; son concept de « nègre blanc », tout comme le spectacle blackface, offre un moyen de jouer avec des peurs collectives d’une masculinité menaçante et Autre, tout en maintenant un contrôle symbolique (voir Lott, 25). D’ailleurs, le succès de Nègres blancs d’Amérique dépend, à mon avis, de son maniement de cette puissance

émotive sur le plan symbolique.

Vallières exalte une hypermasculinité noire pour prendre le contre-pied de l’image de l’homme blanc affaibli et émasculé. Le « nègre » de Vallières est à la fois un sous-homme et hyperviril, un exemple de la masculinité imaginée des Noirs acceptée comme preuve de la soumission juxtaposée à une hypermasculinité. Le récit de Vallières est ainsi axé principalement sur l’émasculation accompagnée de la vengeance. Par exemple, dans l’extrait suivant, nous avons une image curieuse, sinon étrange, qui met en scène une espèce de réinterprétation de l’émasculation des ouvriers franco-québécois :

On est écoeurés d’être traité comme des enfants par les patrons et par le syndicat. À partir de maintenant, ils vont nous écouter ou bien on va leur casser la gueule! J’espère que les gars vont se tenir les coudes. Il est mauditement temps qu’on prenne nos responsabilités et qu’on arrête de faire nos révolutions dans les tavernes pour les faire dans nos usines. J’ai hâte qu’un jour, au Parc Lafontaine, un gars de chez nous, un débardeur, tiens … ou un bûcheron, oui, un bûcheron, un gars solide, se place devant nous autres, des milliers de travailleurs rassemblés là et qu’il entonne la Marseillaise ou le Chant des Partisans, parce qu’icitte on n’a pas encore de chants comme ceux-là, et puis que ce bûcheron-là nous crie : ‘Aux armes, Québécois!’ Et que tous ensemble, comme un seul homme, nous répétions : ‘Aux armes, Québécois!’ (NB, 65).

115

Enfin, qui de mieux pour venger l’émasculation prolétaire québécoise qu’un bûcheron au Parc

Lafontaine! De cette image hautement dramatique découle un appel aux hommes québécois d’exercer la vengeance, de « casser la gueule » à l’oppresseur. Lorsque Vallières se demande :

« Mais comment nous autres, les nègres, qui sommes les plus dépourvus de moyens de conquérir le pouvoir et de le conserver, pouvons-nous espérer vaincre la puissance économique, politique et militaire … » (NB, 63), la réponse semble être, si seulement « les gars peuvent se tenir comme des hommes… » (NB, 65), le problème sera résolu. Pour Lott, on se revêtir des formes culturelles « noires » lors des spectacles blackface pour engager les complexités de la mimesis masculine (Lott, 52)61. Le « nègre blanc » de Vallières passe par une masculinité noire menaçante pour se dire dans une mimesis bâtie sur un stéréotype peut-être déplorable, mais efficace dans son provocation d’un sentiment ouvrier blanc : « Plus vite, les nègres que nous sommes s’armeront de courage et de fusils, plus vite notre libération de l’esclavage fera de nous des hommes égaux et fraternels » (NB, 288).

Finalement, il y a deux aspects du « nègre blanc » vallièrien qui viennent clôturer définitivement le concept dans une boucle fermée. Premièrement, surgissant de cette analyse est l’impression que Vallières, malgré sa mise en valeur du « nègre », s’accroche désespérément à une identité blanche. En témoigne sa déclaration, vers la fin de l’ouvrage, « je ne puis supporter d’être un nègre » (NB, 288). Il se déclare nègre pour finir par dire qu’il ne veut pas l’être. Et deuxièmement, hormis les ressemblances entre le « nègre blanc » de Vallières et le blackface américain, un point de divergence devient également révélateur. Le ménestrel américain est une forme de spectacle dans lequel des hommes blancs se noircissent le visage et tournent en ridicule, de façon hyperbolique, certaines attitudes et comportements dites noirs. Forme de

61 « To put on the cultural forms of ‘blackness’ was to engage in a complex affair of manly mimicry » (Lott, 52).

116 théâtre sans aucun doute raciste, il faut dire que l’aspect théâtral du blackface permet aujourd’hui de souligner assez facilement la performativité (Butler) de l’acte et même de la nature performative de la race en général. Mais si l’aspect parodique du ménestrel met en relief sa théâtralité, Nègres blancs d’Amérique est un récit qui se prend affreusement au sérieux, malgré une certaine théâtralité non assumée, telle la scène dramatique du bûcheron au Parc Lafontaine que nous venons de voir. Ainsi, Vallières ne prend pas en charge la performativité de son

« autobiographie précoce ». Et si nous savons que le « nègre blanc » est une création de son imaginaire, de ses fantasmes et de ses peurs, l’auteur n’assume pas le spectacle qu’il crée, il n’endosse pas le texte pour ce qu’il est : une comédie destinée à simuler et dépeindre des caractères et des mœurs d’une certaine masculinité prolétaire, québécoise et blanche qui s’entiche d’un masculin noir imaginé.

Speak White

Le poème-affiche Speak White de Michèle Lalonde, entendu pour la première fois en

1968 peu après la sortie de Nègres blancs d’Amérique, participe aux même débats que Nègres blancs d’Amérique et engage également des images raciales. Expression doublement discriminatoire, le titre du poème Speak White témoigne des liens rhétoriques historiques entre les préjugés contre les Noirs et les préjugés contre la langue française au Canada. Dès 1897, lorsque le député Henri-Bourassa s’opposa aux idées de certains de ses collègues anglophones, il reçut comme réponse lorsqu'il s'expliquait en français : « speak white » (Lacoursière, tome IV,

89). Toutefois, la Révolution tranquille incitera une reprise de ce référent racial par Lalonde qui s’en sert, comme Vallières, pour véhiculer un discours engagé. Si le caractère politique du poème le lie à Nègres blancs d’Amérique, dans Speak White, l’accent est plutôt mis sur les

117 inégalités linguistiques, à la différence du texte de Vallières qui met avant tout en relief la lutte des classes ouvrières. Et contrairement à Vallières, si le ton de Speak White est sérieux, le poème est néanmoins « entièrement enveloppé dans l’ironie » (Hayward, 175). Annette

Hayward et Lise Gauvain soulignent toutes les deux l’ironie mordante du poème qui oblige une lecture attentive (Gauvain, 20; Hayward, 175). Pour Hayward, « l’ironie d’un vers comme ‘nous sommes un peuple inculte et bègue’ découle non seulement de son caractère antiphrastique – le locuteur ne pense rien de tel – mais aussi du démenti apporté par l’exemple de Nelligan et par le poème Speak White lui-même, où l’élégance et la maîtrise de la langue sont déjà plus qu’évidentes » (Hayward, 175). Si je suis d’accord avec Hayward, que les vers du poème sont chargés d’une ironie féconde, j’aimerais proposer une interprétation légèrement divergente.

En me fondant sur deux paradigmes opposés issus du poème, je propose que le poème effectue un renversement, pas du fort et du faible, comme on a pu le constater dans le texte de

Vallières, mais des valeurs traditionnellement associées à ces deux pôles opposés. D’un côté, le poème fait preuve d’un paradigme associé au NOUS qui désigne d’abord les Québécois, mais par la suite et par extension, tous les peuples colonisés par les pouvoirs impérialistes, tous les opprimés du monde. Ce NOUS se joint au noir et au « nègre » ainsi qu’à plusieurs associations pernicieuses conçues dans le domaine des clichés racistes, telles la saleté, la paresse et l’ignorance. Les vers suivants font foi des connotations semblablement peu favorables associées au NOUS : « nous sommes un peuple inculte et bègue »; « nous sommes un peuple peu brillant »; « et pardonnez-nous de n’avoir pour réponse que les chants rauques de nos ancêtres »;

« nous sommes un peu durs d’oreille / nous vivons trop près des machines ». Nul ne peut nier que ces images s’avèrent peu flatteuses et on comprend sans peine pourquoi Hayward suggère que l’ironie du poème découle du fait que le locuteur « ne pense rien de tel ». Or, inculte, bègue, peu brillant, dur d’oreille… ces adjectifs défavorables décrivent malgré tout certaines injustices

118 sociales qui oppriment les Québécois depuis des siècles, telles les disparités économiques et

éducationnelles générées par le système d’exploitation décrit par Vallières. Cela dit, Hayward a raison de signaler l’ironie implicite du poème qui fonctionne, comme le soulève Hayward avec finesse, « essentiellement par une série de retournements ou de renversements » (Hayward, 175).

Toutefois, le poème vaut surtout par son renversement éthique qui appuie la valorisation de ces adjectifs habituellement négativement connotés.

Dans un retournement brillant, Lalonde met en relief les mérites du peuple imaginé comme étant « inculte et bègue » dans son poème. Sans absoudre l’injustice sociale qui encadre le poème, le lecteur/spectateur est convié à apprécier la valeur du soumis, du subordonné, contrairement à Vallières qui en a honte (« Je ne puis supporter d’être un nègre », 288). Même si

Lalonde dit son peuple « peu brillant », elle insiste également sur le fait qu’ils sont « fort capable d’apprécier / toute l’importance des crumpets / ou du Party », qu’ils ne sont pas

« sourds au génie d’une langue ». Le poème anime même une beauté mélancolique avec une touche de nostalgie attachée au NOUS qui répond à son persécuteur impérialiste avec des

« chants rauques de nos ancêtres / et le chagrin de Nelligan ». En fin de compte, Lalonde propose une éthique qui reconnait la valeur du faible, du soumis. Le lecteur/spectateur est sans aucun doute entraîné à s’identifier au NOUS, au « peuple rancunier ». Hayward souligne à cet

égard la réussite remarquable du poème dans cette entreprise audacieuse :

L’autre effet remarquable du poème est que tous les lecteurs, qu’ils soient québécois, canadiens-anglais ou français, sympathisent infailliblement avec le NOUS, et n’ont jamais tendance à se sentir visés par le VOUS. Autrement dit, le pronom VOUS est purement un effet de rhétorique qui vise non pas le lecteur ou l’auditeur, mais l’Autre, la non-personne qu’on trouve d’habitude présentée par la 3e personne, le ils. De toute évidence, le VOUS est si négativement connoté que le lecteur se sent automatiquement inclus dans le NOUS (Hayward, 178).

119

Si Vallières ne peut pas supporter d’être nègre, Lalonde réclame ce qu’elle appelle « la misère nègre » pour NOUS dans un poème qui associe sans réticence le noir à tout ce qui est beau.

Quant à l’autre côté du paradigme, le VOUS, il est, comme le signale Hayward, négativement connoté, mais il est également puissant, d’une véritable grandeur, si peu enviable.

Le VOUS est chargé de tous les pouvoirs impérialistes ou capitalistes et vise principalement le colonialisme anglosaxon en général, sans pour autant oublier le colonialisme français et le capitalisme américain. Et enfin, reconnaissons l’empreinte de la blancheur dans le poème. Le

VOUS est conçu avant tout sous la marque du Blanc, et le c’est le VOUS qui « speak white », qui parle blanc, son discours est parallèlement racisé. Mais si ce VOUS a un « profil gracieux », il reste néanmoins « anonyme », banal et dépersonnalisé, sans le charme du paradigme opposé

NOUS. Le VOUS « donne des ordres » dans une langue « riche », mais il ne s’agit pas d’une langue riche de symboles ou de significations :

speak white

c’est une langue riche

pour acheter

mais pour se vendre

mais pour se vendre à perte d’âme

mais pour se vendre

La langue blanche, la langue « white » du « speak white » sert avant tout à acheter, à vendre, mais aussi pour se vendre à perte d’âme. Ces vers mettent en pleine lumière des lacunes attribuables à l’oppresseur, au fort, au Blanc. Le Blanc vient représenter non pas simplement le

120 pouvoir, mais le vide et un manque – un manque d’âme et ainsi un manque de sensibilité, un manque d’essence.

speak white …

dans la langue douce de Shakesepeare

avec l’accent de Longfellow

parlez un français pur et atrocement blanc

comme au Viêt-Nam au Congo

parlez un allemand impeccable

une étoile jaune entre les dents

parlez russe parlez rappel à l’ordre parlez répression

speak white

Contrairement à Nègres blancs d’Amérique, Speak White à l’avantage de mettre en scène sinon la célébration de la valeur du « nègre » et du noir, au moins la dégradation de la blancheur. Le blanc est atrocement pur, comme l’Allemand (la connotation étant le nazi) est impeccablement répressif. Ainsi, contrairement à Vallières que l’on soupçonne de convoiter le pouvoir associé au

Blanc, le poème de Lalonde se montre dédaigneux à son égard.

Pourtant, Brière signale que « le blanc auquel se réfère Lalonde n’est plus racial, mais l’apanage du système mondial qui soumet à la fois Noirs et Québécois à la langue ‘blanche’ du dollar » (Brière, 2003, 94). Elle semble ainsi vouloir suggérer que puisque Lalonde associe le

Québécois au Noir, la question de la race n’a plus sa place dans l’analyse du poème, notion qui me paraît un peu problématique. Au terme de l’analyse de Speak White, il est assez évident que

121 certains signes raciaux sont déterminants dans l’établissement des paradigmes opposés qui posent les fondements du poème – le Blanc et le Noir, l’oppresseur et l’opprimé, le vide et l’essence, la carence et la corporalité. C’est par l’entremise de la race que Lalonde établit ces paradigmes structurels et leur signification raciale n’est ni fortuite ni ornementale. Alors, pourquoi nier l’importance des signes raciaux dans ce poème? N’est pas désavouer la place centrale que joue cette question dans le poème en faveur d’une fausse harmonie multiculturelle?

Après tout, le poème s’érige en référence à l’incompatibilité des deux termes. Il ne prône certainement pas l’égalité entre ces deux paradigmes racisés (Noir et Blanc), idée grossièrement simpliste, mais par contre, il prône le caractère prépondérant du Noir et des clichés autrement douteux que l’on associe souvent avec lui, tels la corporalité (« le sang »), l’ignorance

(« inculte »), la saleté (« parlure pas très propre »), la misère (« la misère est nègre »). Ces associations mordantes ne constituent rien de moins que le bouleversement du modèle traditionnel des rapports de pouvoir où le Blanc est à envier, le Noir à mépriser. L’utopie dont rêve Vallières est, comme nous l’avons vu, blanche malgré tout. Or, l’utopie de Lalonde est proverbialement noire.

La langue française, c’est notre couleur noire

L’autre aspect du poème, qui s’avère extrêmement intéressant du point de vue de cette

étude, est la question du lien entre la langue et la race. Dans une entrevue, Michèle Lalonde précise : « Speak White, c’est la protestation des Nègres blancs d’Amérique. La langue ici est l’équivalent de la couleur pour le noir américain. La langue française, c’est notre couleur noire »

122

(Gauvain, 20, qui cite Le Jour, 1er juin, 1974)62. Dans ce contexte, le clivage entre la race et la langue s’estompe avec plusieurs conséquences. D’emblée, le titre du poème Speak White tisse un lien explicite entre la langue et la race. Dans le poème, on n’est pas simplement Blanc, on parle blanc. Il ne s’agit pas, autrement dit, d’une peau blanche, mais plutôt d’une façon de parler qui est racisée. La blancheur se manifeste dans une profusion d’expressions du langage anglais :

« quand vous really get down to brass tacks / pour parler du gracious living / et du standard de vie »; « big deal »; « be civilized »; « how do you do »; etc.. Ainsi, la race blanche existe avant tout dans et à travers le discours dans le poème.

Or, il faut dire que la manipulation des signes raciaux « noir » et « blanc » est assez hasardeuse. Cette polarité ultime engage des relations de pouvoir dans le poème et même si

Lalonde attribue de la valeur au soumis, le fait d’établir un lien intrinsèque entre cette position et le Noir est néanmoins déconcertant. D’ailleurs, Henry Louis Gates (parmi d’autres) nous rappelle que la race est trop souvent la figure de rhétorique ultime de la différence (5), un trope commode de l’altérité. Sans aucun doute, Lalonde (et Vallières) se livrent à une altérité noire, pour s’imaginer et pour imaginer l’altérité québécoise. Bref, la notion de « nègre blanc » et de la

« misère nègre » sert à inviter le lecteur québécois à se livrer à une perception d’être non seulement soumis, mais Autre. Le « nègre », le Noir et le noir apparaissent dans ces textes comme des signes surdéterminés qui s’avèrent surtout exploités pour leur altérité. Ainsi, le Noir et « le nègre », dans Speak White et Nègres blancs d’Amérique, viennent symboliser au moins la rébellion personnelle et au pire le stigmate social. Un tel usage de ces signes peut sembler suspect, il faut l’avouer.

62 Le lien entre la langue et la race n’est pas singulièrement attribuable à Lalonde. Voir également Le colonialisme au Québec d’André D’Allemagne où il précise : « C’est une question de langue… non, c’est une question de race » (98).

123

De plus, dans Speak White, cette altérité est liée à un naturalisme et un essentialisme d’autant plus préoccupants63. Le poème souligne la discursivité de la race, en superposant la race à la langue, mais ne met-il pas également en évidence une naturalisation de la langue qui dépend des connotations biologiques de la « race » noire? Il me semble que la réponse est définitivement et problématiquement oui. Selon Bill Ashcroft, qui étudie le lien entre langue et race, pendant le 19e siècle, l’étude des langues et de la pensée raciale prennent leur essor en parallèle. Langue et race ont préliminairement été quasiment synonymes (Ashcroft, 311). Si le lien entre la langue et l’identité culturelle est sans doute assez évident, pour Ashcroft, la langue est également faussement associée à une espèce d’essence individuelle :

The assumption that language is so integral to human life that it determines one’s world, or conversely, that the character of one’s social and cultural being determines the language one speaks, has been a persistent feature of discourse on language (319).

Au sein de Speak White l’on trouve la formulation d’une différence naturelle axée sur la langue. Pour façonner la naturalisation de la langue, l’auteur noue un lien étroit entre la langue du NOUS et la « race » noire, analogie qui profite des connotations naturelles associées à ce groupe social (stéréotype : civilisation/nature) pour conférer un caractère naturel à la langue du

NOUS. Premièrement, Lalonde teinte de noir la langue du NOUS : « rien ne vaut une langue à jurons / notre propre parlure pas très propre / tachée de cambouis et d’huile ». Ces vers tachent d’huile la langue du NOUS de façon affectueuse. Le poème brosse un tableau d’une parlure délicieusement impropre. Mais la langue de l’opprimé est dorénavant métaphoriquement noire,

63 J’emploi les termes naturalisme et naturalisation en référence à un processus qui met en relief le soi-disant caractère biologique, naturel et semblablement « réel » des rapports sociaux de race. Parler de naturalisme rappelle, d’une part, que la théorie critique de la race conteste depuis longtemps déjà la supposition que la race est biologique. Cela permet de souligner, d’autre part, les processus historiques et sociaux qui ont engendré la division des humains en groupes racisés.

124 ce qui lui assure une substantialité, une essence, ainsi qu’une beauté, à l’opposé de la langue blanche qui, comme nous l’avons déjà constaté, ne relève que de l’Anglais et l’artifice capitaliste. Finalement, le poème dépend du binarisme raciste nature / civilisation, Noir / Blanc, même si Lalonde met en valeur ce premier.

Ou encore, le « nègre » et le noir sont associés à une corporalité. Si le vers « speak white », répété à travers le poème, souligne, comme nous l’avons déjà vu, l’artifice de la fabrication de la « race » blanche, de l’autre côté du paradigme, l’effet inverse se produit :

nous savons que liberté est un mot noir

comme la misère est nègre

et comme le sang se mêle à la poussière des rues d’Alger ou de Little Rock

Le vers « nous savons que liberté est un mot noir », colle le « mot », le signe linguistique, à la race noire. Si on parle blanc, le mot liberté est noir, la misère est « nègre ». De cette façon,

Lalonde réussit à exploiter la puissance connotative de la naturalisation de la « race noire » au nom des luttes linguistiques québécoises. Le sang qui se mêle à la poussière d’Alger ou de Little

Rock fait une allusion claire aux luttes coloniales et aux manifestations du droit civique noir américain. Mais le sang de ces luttes donne corps aux luttes de libération linguistiques au

Québec. Autrement dit, Lalonde prétend que la différence linguistique, comme la soi-disant différence raciale, est intrinsèque et ainsi impliquée dans une bataille épique entre Blanc et Noir.

Comme le signale Derrida, « Pas de racisme sans une langue. Les violences raciales, ce ne sont pas seulement des mots, mais il leur faut un mot » (Derrida, 355). Toutefois, la langue, comme la race, n’est pas inhérente et se montre adaptable, transformable et peu stable. La

125 langue, comme la race, est elle aussi une fiction (Ashcroft, 314) qui relève de la performativité64.

Ashcroft souligne ce phénomène :

We can compare this assumption of status through the use of language with the ways in which language operates as a class marker. Speaking in a refined way acts as a class marker, a sign of elevation, and indeed the speaker may be making great pains to change into someone of a different class. But the language will only ever be a signifer of that change. There is no secret formula in a language that effects an inner transformation in its speakers (324).

La langue, comme la race, ne peut que signifier. Or, Lalonde grime la langue du NOUS en noir pour lui donner une essence, une corporalité. Malheureusement, cette performance dépend et exploite des stéréotypes racistes où le Noir est relégué au corps, tenu loin de la civilisation dite blanche. Bref, si le poème déchiffre la performativité du Blanc, il ne fait pas autant pour le Noir.

Conclusion

Pourquoi la figure du « nègre » fascine tant Vallières, Lalonde et toute une génération d’auteurs et d’artistes québécois? Il faut se rappeler que Franz Fanon et Aimé Césaire jouissent d’une renommée importante au moment de la rédaction de Nègres blancs d’Amérique et que leurs idées de la négritude viennent rejoindre le Québec pour nourrir la lutte contre l’oppression des francophones en Amérique (voir Hanet, 130 ou Brière, 2003, 92). Reconnaissons à quel point le Québec profite des signes raciaux pendant la Révolution tranquille, période qui

« transforme non seulement le discours poétique, mais la société québécoise tout entière »

64 Au sujet de la performativité des identités sociales, voir Judith Butler, Gender Trouble, New York, Routledge, 1999. La performativité des identités racisées sera le sujet du prochain chapitre.

126

(Brière, 2003, 98). Les deux textes que nous avons étudiés dans ce chapitre dénoncent la situation des Québécois qui s’apparente à celle des colonisés et des Afro-Américains aux États-

Unis en lutte pour leurs droits civiques.

Or, si l’évocation du mot « nègre » a incontournablement donné une gifle magistrale à la société de l’époque, la portée immense, violente et naturelle du mot « nègre », apparemment politiquement efficace, peut sembler également problématique. Là où Lalonde discerne la valeur du signe noir, Vallières le rejette finalement puisqu’il l’associe à une infériorité qu’il ne semble pas prêt à occuper ou à exalter. Son refus de cerner ce que Léo Bersani nommerait « the value of powerlessness » (Bersani, 217) est probablement dû en grande partie à une obsession un peu désespérée d’une certaine masculinité qui supporte mal quelconque vulnérabilité ou soumission.

Cet emploi du signe « nègre » de Vallières me semble ainsi d’autant plus troublant. Le « nègre blanc » de Vallières permet une prise de conscience de la blancheur présumée légitime des

Québécois comme base sur laquelle repose leur revendication de l’égalité économique. Par contre, Lalonde grime la langue de NOUS en noir pour lui donner une essence et une corporalité.

Speak White met en valeur ces qualités, mais son exposé profite malgré tout des stéréotypes racistes qui alimentent une fausse naturalisation de l’identité linguistique au Québec. Autrement dit, Lalonde amorce la valorisation du signe racial noir pour sa puissance connotative, pas dans un but d’inclusivité.

D’ailleurs, en dépit des grandes qualités du poème Speak White, l’écrivaine a trahi une certaine anxiété assez défensive lorsque le poème hommage Speak What de Marco Micone est apparu dans la revue Jeu en 1989. Malgré « l’intertextualité posée comme emblématique du

127 manifeste » (Gauvain, 22), Micone a dû se défendre contre l’accusation absurde de plagiat65, situation ridicule rendue pire par Lalonde qui refuse la publication de Speak White dans les mêmes anthologies que Speak What66. Pour des raisons d’espace et de continuité, je n’examinerai ni le poème Speak What, ni le contexte de sa réception, mais il apparaît assez

évident que cet accueil doit mettre en question l’inclusivité prétendue du poème Speak White. La manque de tolérance face aux frustrations élaborées par Micone dans Speak What dévoile la fragilité du pluralisme semblablement préconisé par Speak White. Finalement, lorsque Lalonde souligne, à la fin du poème, que « nous ne sommes pas seuls », il me semble malheureusement qu’il s’agit d’une fausse collectivité qui fait valoir les significations énormes de l’oppression noire à des fins politiques, sans engagement sérieux avec cet Autre exploité.

Au sein de la théorie de la décolonisation se trouve la proposition que l’oppression n’est pas simplement naturelle ou inévitable, mais le résultat d’un processus injuste – une question de puissance et de privilèges et non pas de nature. Cependant, Lalonde et Vallières traduisent une volonté de s’affirmer avec des métaphores raciales justement puisqu’elles suscitent des connotations essentialistes qui viennent légitimer leur but politique. Le « nègre blanc » québécois est une invention politique, mais au lieu de dénaturaliser la notion de la race, Vallières et Lalonde dépendent de son pouvoir de naturalisation pour promouvoir leur engagement politique. Bref, c’est ironiquement en contrefaisant le « nègre » que Vallières et Lalonde

65 Voir la lettre ouverte de Gaétan Dostie, ancien directeur des éditions Parti Pris, qui accuse Micone de plagiat : « Que, de bonne foi, certains ne voient pas dans le "Speak What" de Micone, l'insulte, voire la dérision, nous étonne toujours infiniment. Qu'on veuille inviter ce monsieur à dire publiquement ce texte, est pour plusieurs d'entre nous, une grande indignité. Ce que Monsieur Marco Micone présente comme son oeuvre, n'est en rien son poème, mais un plagiat et une censure, du révisionnisme littéraire, où il pervertit, détourne, banalise, nie un des textes fondateurs de la poésie québécoise contemporaine: SPEAK WHITE de Michèle Lalonde » (Disponible en ligne : http://www.vigile.net/spip.php?page=archives&u=/archives/ds-idees/docs/dostie.html).

66 Voir « En bref – Les 40 ans de Speak White », Le Devoir, 1er mars, 2008.

128 s’attribuent une authenticité dans leur engagement politique. En dépit de cette manipulation discursive, en étudiant ces deux textes, comment ne pas sursauter lorsqu’on assiste à ce spectacle

étrange d’une province grimée en noir? Si Nègre blancs d’Amérique et Speak White ne s’investissent pas toujours dans la performativité de la race, on est toutefois susceptible de cerner cet aspect déterminant de la race en étudiant ces ouvrages.

129

Chapitre cinq À fleur de peau blanche : Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer

Alentour le Blanc, en haut le ciel s’arrache

le nombril, la terre crisse sous mes pieds et

un chant blanc, blanc.

Toute cette blancheur qui me calcine…67.

Jusqu’alors employée à des fins politiques, dans ce chapitre, la race semble dorénavant dégagée, laissant de côté la lourde prise en charge sociale que Durham, Groulx, Thériault,

Savard, Lalonde et Vallières lui imposent. À la différence des autres textes que nous avons

étudiés, Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer68 n’exploite pas la notion de la race pour promouvoir une cause politique explicite, ni pour assurer une identité quelconque. En définitive, le mot « nègre » semble lier Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer aux textes étudiés au chapitre précédent (Nègres blancs d’Amérique et Speak White), mais nous partons de ce point commun pour nous diriger dans un sens distinct. À l'inverse des textes de

Vallières et Lalonde, le narrateur de Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer ne

67 Frantz Fanon, Peau noire, masques blancs, Paris, Éditions du Seuil, 1952, p. 92. 68 Toutes les références à Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer renvoient à l’édition première de 1985. Désormais, elles seront désignées par l’abréviation CFL. Il importe de signaler qu’il existe d’autres éditions avec des couvertures différentes. Il est également intéressant de noter que le roman a donné lieu à un film.

130 s’érige pas en défenseur d’une cause, ni simplement en victime du racisme ou en héros des peuples opprimés. Si la question de la race est néanmoins au cœur de ce roman, Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer médite sur l’auditoire et le paysage racisés, plutôt que sur une question identitaire. Et puisque, à tout prendre, Laferrière met l’accent sur un contexte

énonciatif racial dans ce roman, je compte en faire autant dans ce chapitre qui ne porte pas sur les repères identitaires, puisqu’ils sont très peu nombreux et d’importance secondaire dans les textes que l’on étudie, mais sur la blancheur normative qui définit le contexte romanesque.

Autrement dit, dans ce chapitre, la réponse à la question qui obsède cette thèse, « qu’est-ce que la race », est assez étonnante : la race est une interprétation.

Je choisis le terme « interprétation » avec le plus grand soin. Parler d’interprétation rappelle, d’une part, que ce sont des processus performatifs qui servent au déploiement de la race. La race, comme le genre pour Judith Butler69, prend forme par le fait même d’être énoncée et mise en pratique; elle est jouée ou interprétée par une personne, un peu comme un comédien interprète un rôle, même si, de toute évidence, la race colle davantage et engendre des conséquences souvent très sérieuses. Cela dit, suivant Butler, le corps racisé, comme le corps sexué, n’a pas de statut ontologique indépendamment des différents actes qui le constituent.

Cela permet d’affirmer, d’autre part, que la race prend forme dans l’acte de donner une signification, de lire ou d’interpréter un texte quelconque. Par exemple, dans Peau noire, masques blancs, Frantz Fanon nous livre une analyse fine de la création du Nègre sous le regard du Blanc. Le Nègre est appelé brusquement par le Blanc, comme en témoigne le cri d’un jeune

69 Voir Judith Butler, Gender Trouble, New York, Routledge, 1999.

131 enfant blanc, « Tiens, un nègre » (Fanon, 90)70. Le nègre est ainsi interpellé et contraint à prendre conscience de cette identité imposée de l’extérieur par l’interprétation de l’enfant. De cette façon, la portée de sens de la race reste au moins en partie chez celui qui regarde et interprète une scène ou une situation. Mon choix lexical se rapproche finalement de la notion butlerienne de performativité, mais avec une différence significative : la performativité tend à solliciter des analyses axées de manière trop restrictive à des réflexions sur celui qui

« performe » un rôle social. Conceptualiser la race comme une interprétation plutôt qu’une performance fait valoir les acteurs qui se trouvent des deux côtés du rideau de théâtre – comédien et spectateur, héros et lecteur. Dans un contexte littéraire, la race est ainsi un état de pensée qui ligote ensemble le lecteur et l’objet de sa lecture.

Du premier coup, le titre du roman Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer annonce celui qui semble occuper le devant de la scène, l’objet de la lecture : le

« nègre ». On s’attend ainsi à lire des analyses qui visent la négritude, l’altérité et la question raciale. On ne s’étonne pas de découvrir des titres d’articles tels « La fictionnalisation de la négritude dans Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer de Dany Laferrière : ses au-delàs et ses limites » (Benalil, 2007), ou bien « Trans-American Constructions of Black

Masculinity. Dany Laferrière, le Nègre, and the Late Capitalist American Racial machine- désirante » (Braziel, 2003), ou même « On ne naît pas Nègre, on le devient : La représentation de l’autre dans Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer de Dany Laferrière »

(Lamontagne, 1997). En effet, c’est un visage noir qui est projeté par ces analyses.

70 Pour une discussion de l’intertextualité entre Fanon et Laferrière, voir Jana Evans Braziel, « Trans-American Constructions of Black Masculinity », Callaloo, vol. 26, no. 3, 2003, p. 867-900.

132

Cependant, dans Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer, la construction du « nègre » n’est centrale au roman que dans la mesure où elle permet la mise en fiction des lecteurs blancs. Ainsi, dans ce chapitre, nous examinerons le processus par lequel Laferrière accorde une race au lecteur. Il vaudrait la peine de souligner que les lecteurs réels de Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer doivent sûrement être dotés d’identités raciales diverses. Mais dans notre analyse, nous verrons que Laferrière met l’accent sur la spécificité blanche qui s’avère avant tout une façon d’interpréter le monde, une perception plutôt qu’une simple identité. On commence cette étude avec une analyse de la première de couverture de l’édition originale du roman, pour passer ensuite au narrataire et aux figures de lectures qui forment ensemble un cadre de lecture racial. Finalement, on examinera l’état de la question en comparant l’interprétation lectorale fictive avec certaines interprétations réelles.

La première de couverture

La première de couverture de tout roman met en place une stratégie destinée à organiser sa lecture. Comme on le sait, les seuils d’un livre permettent d’établir un contact entre livre et lecteur, créant un lien, un pacte fragile. La première de couverture comporte le plus souvent des

éléments qui permettent au lecteur d’identifier le genre et l’atmosphère d’un livre. Elle a

également une fonction d’appel suscitant la curiosité du lecteur potentiel. Pour reprendre les termes de Jacques-Philippe Saint-Gérand, il s’agit « d’une relation obligée existant entre l’espace de l’œuvre… et le temps de la lecture qui le restructure en visant à en retrouver l’unité » (Saint-

Gérand, 53). Ainsi, la couverture d’un roman aide le lecteur à intégrer tout un champ de possibilités, à se placer dans la perspective d’une lecture adéquate. On comprend ainsi que le

133 rôle majeur de la couverture d’un texte est de mettre en place une stratégie destinée à organiser sa réception.

Porter le regard sur la couverture de l’édition première de Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer 71 exige une certaine méfiance à l’égard d’une étude de son champ de possibilités. On reconnaît facilement l’auteur au centre d’une photographie qui apparaît sur la première de couverture du texte. Cependant, on découvre aussitôt le mot « roman » écrit en rouge juste au-dessus de la photo, ce qui met en doute toute tentative de localiser le livre commodément dans le genre autobiographique. Pourtant, les romans de Laferrière, généralement provocateurs, sont fréquemment décrits comme étant autobiographiques (De Souza 63; Essar

930; Prophète 947; L’Hérault 502;), altère-autobiographiques (Braziel 867), ou autofictionnels

(Mathis-Moser 255; De Souza 63; Salaün 96;). Or, même si Laferrière lui-même emploie le terme « autobiographie américaine » (Laferrière, 2000, 231), pour décrire ses romans72, la première de couverture de Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer favorise néanmoins la confusion à cet égard.

D’emblée, la photographie de l’auteur semble peut-être invoquer « une analogie objective du réel » (Dubois 20) et de l’auteur. On constate également que l’espace de la photo semble lier le narrateur et l’auteur puisqu’on retrouve Laferrière à Montréal, la ville de résidence de son narrateur. Bref, au premier abord, la photo de la première de couverture paraît délaisser momentanément son genre romanesque pour l’autobiographie. Mais enfin, dire qu’une photographie de l’auteur soit indicatrice de l’autobiographie est une interprétation forcément

71 Voir l’annexe. 72 Pour Jana Evans Braziel, cette auto-appellation américaine façonne plutôt une provocation en dépouillant la notion de souveraineté québécoise en fondant le Québec non seulement dans le Canada anglophone, mais aussi dans la problématique de l’Amérique, une Amérique qui n’exclut pas les Antilles. Voir à ce sujet Braziel 223.

134 vouée à l’échec. Voilà que Timothy Dow Adams, qui étudie la photographie et son rapport à l’autobiographie, souligne le terrain d’entente entre la photographie et l’autobiographie qui est, finalement, leur nature artificielle :

Just as autobiographies are obviously artificial representations of lives, so photographs are clearly manufactured images : sitters are artificially posed and lighted, made to conform to the laws of perspective and the ideology of the photographic culture, reduced in size, reproduced on a flat plane often without color … (Dow Adams, 467).

Pieds nus, avec une bouteille d’alcool dans un sac brun à son côté – la photo semble représenter avant tout le cliché d’un jeune écrivain désargenté. Au même titre, la position ne semble pas vraiment naturelle - Laferrière semble justement un peu trop posé. En témoigne la présence de l’accessoire incontournable du jeune narrateur-écrivain - la machine à écrire. Certes, la machine

à écrire fait partie du décor photographique et du décor romanesque et semble ainsi confirmer le lien entre la vie de l’auteur et la vie du narrateur. Mais si on est attentif à la représentation photographique de l’auteur, on se demande s’il ne s’agit pas, peut-être, d’un coup monté et non pas d’une photo prise de façon spontanée. Il s’agit, pour le moins, d’un montage, d’un assemblage des accessoires destinés à représenter l’univers romanesque de Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer. L’auteur fait-il semblant d’être le narrateur dans la photo? Joue-t-il au théâtre? Il me semble que la réponse à ces questions est avant tout incertaine et que la précarité du statut de la photographie ne l’ouvre pas, tout simplement, à plusieurs interprétations, mais empêche toute interprétation stable.

D'ailleurs, on ne voit pas le visage de l’auteur dans la photo. On assiste plutôt à une représentation de l’acte d’écrire. La tête de l’auteur est baissée puisqu’il est en train de taper, de travailler, d’écrire. Bien que ma connaissance des couvertures d’autobiographies soit limitée, il

135 me semble que l’accent est généralement mis sur le visage, la photo étant le plus souvent très large. La mise en relief du visage, symbole identitaire exemplaire, ne surprend pas étant donné qu’une autobiographie doit normalement révéler quelque chose de la vie et de l’âme de l’auteur.

Les yeux, fenêtre de l’âme, sont également presque toujours apparents lorsqu’il s’agit de la photographie d’un auteur ou du sujet de l’autobiographie. Or, les yeux de Laferrière sont cachés et son regard est fixé sur l’écriture. Comment explique-t-on cette disjonction? Après avoir considéré l’artifice photographique et autobiographique, voici le moment de se pencher sur un autre piège tendu par la photo : l’objectification du sujet photographique. Pour Linda Haverty

Rugg :

Photographs are potentially dangerous; this point has been brought home repeatedly by writers who have contemplated the voyeuristic nature of photography, its objectification of and alienation from the subjects and time pictured within its frames, its capacity for deception, its untoward power in institutional settings, its presentation of the individual as ideal or as degraded type … Most intimately, photographs are the fixation of the gaze of the unseen other (Haverty Rugg, 231).

Dans la photographie de couverture, l’écrivain, la tête baissée, est sans doute l’objet du regard.

De toute évidence, l’acte photographique transforme son sujet en objet, celui derrière la caméra détenant un certain pouvoir sur celui qui se trouve devant. Pourtant, l’image qui en résulte limite et guide également le champ de possibilités de celui qui la contemple. On ne peut que voir ce que la photo présente, même si évidemment l’interprétation reste relativement libre.

L’image photographique détient de cette façon un certain contrôle sur celui qui l’embrasse de ses yeux, pas simplement sur celui qu’il dépeint. À cet égard, WJ Thomas Mitchell suggère que, en ce qui concerne l’analyse des photos, il ne suffit pas de se demander ce qu’elles signifient ou ce

136 qu’elles font, mais également ce qu’elles veulent73. Cette conceptualisation déplace la question du pouvoir au désir et à mon avis, permet, dans le cas de Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer, de rediriger l’objectification du sujet vers celui du lecteur. Autrement dit, la photo de couverture du roman interpelle son lecteur et l’invite de regarder d’une certaine façon.

Mais en même temps, il me semble que cette couverture ose présumer connaître son lecteur.

Pour se convaincre davantage de cette analyse, il faut passer maintenant au titre de Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer.

La notion du roman comme étant simplement autobiographique est surtout problématique lorsqu’on considère son titre. Le voyeurisme et l’aliénation qu’évoque la photographie de couverture font parallèlement écho au titre, Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer, qui est écrit en noir au dessus du mot roman. L’emploi du mot « Nègre » renvoie à un interdit, à un tabou. Surtout, il y a une rupture d’une règle, d’une convention et de cette rupture découle un climat voyeuriste qui s’avère racial et presque pornographique. Ce titre provocateur, qui veut se faire remarquer, fait peut-être rire, mais génère sûrement un sentiment d’inconfort chez certains lecteurs potentiels, ce qui accentue également le rôle de ce dernier dans le processus littéraire. L’énoncé, comme la photographie, place le « Nègre » en position d’objet, et ce faisant, évoque le discours et le regard blanc. De cette manière, Laferrière invite peut-être le voyeurisme de ses lecteurs et s’en sert pour attirer l’attention du lecteur vers lui, vers son titre, vers sa couverture et vers son texte, mais avec un oeil critique et moqueur qui, dans un piège irrésistible, vise le même regard qu’il séduit.

73 « The question to ask of pictures from the standpoint of a poetics is not just what they mean or do but what they want – what claim they make upon us, and how we are to respond. Obviously, this question also requirs us to ask what it is that we want from pictures » (Mitchell, xv).

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Car enfin, toute comme la photographie qui l’accompagne, s’affirme dans le titre

Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer non seulement un objet, mais également un sujet imaginé. Si la diversité identitaire des lecteurs réels est toujours impossible à prévoir, ce titre fournit malgré tout des pistes d’une identité lectorale imaginée. Quelle que soit la catégorie raciale qu’occupe le lecteur réel, le titre présume que ce dernier ne sait pas comment faire l’amour avec un « nègre », et par conséquent, on peut déduire qu’au minimum, le lecteur imaginé n’est pas « nègre ». Au maximum, le lecteur imaginé, le lecteur interpellé par le titre et par la couverture en général, est blanc74. Si ces exemples ne suffisent pas à nous convaincre de l’existence de la mise en fiction d’un cadre lectoral blanc, la présence décisive du lecteur blanc dans le texte en constitue une preuve certaine.

Le contexte énonciatif fictif

Le narrateur du roman écrit un roman intitulé ironiquement Paradis du dragueur nègre, un roman qui ressemble curieusement à celui que l’on est en train de lire. Représentation de sa représentation, on retrouve même une autodescription mise en abyme dans le roman. Clin d’œil complice, le résumé du roman enchâssé est aussi un métarésumé de Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer :

Ça se passe au Carré Saint-Louis [à Montréal]. C’est brièvement l’histoire de deux jeunes Noirs qui passent un été chaud à draguer les filles et à se plaindre.

74 Je remercie Dr. Michael Cobb, membre de mon comité, de m’avoir signaler l’interpellation raciale du titre de CFL. Notons également que, dans un contexte où l’hétérosexualité est normalisée, ce même titre semble interpeller une lectrice plutôt qu’un lecteur. Or, de toute évidence, les lectrices ne représentent sûrement pas plus que la moitié du lectorat et ainsi, encore une fois, le lectorat imaginé n’est pas nécessairement (ou même souvent) représentatif d’un lectorat réel. Cette interpellation sexuée mérite une étude plus approfondie qui, pour des raisons d’espace et de continuité, n’est pas possible dans ce chapitre.

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L’un est amoureux de jazz et l’autre de littérature. L’un dort à longueur de journée ou écoute du jazz en récitant le Coran, l’autre écrit un roman sur ce qu’ils vivent ensemble (CFL, 145).

Il ne faut pas chercher très loin pour ébaucher une étude de l’optique de lecture du roman. Tandis que le roman se livre à la parodie, sa visée principale n’est pas un discours littéraire, mais le contexte énonciatif dominé par le Blanc, surtout par le lecteur blanc. Si, comme l’affirme Gérard

Genette, le rôle du lecteur est « peu maîtrisable » du point de vue de l’analyse littéraire (Genette,

16), dans Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer, le fardeau du lecteur se situe au sein du roman et se livre ainsi à une réflexion sur sa fonction identitaire et littéraire.

Nombreuses sont les références à la lecture dans le roman, le narrateur lui-même étant un lecteur avide. Or, les personnages-lecteurs blancs dans leur ensemble forment une blancheur normative qui définit le contexte romanesque : des lectrices symboliques (Miz Littérature; Miz Carte du

Ciel, 123; Miz Chat, 129); des lecteurs rêvés (« MON PREMIER VÉRITABLE LECTEUR »,

140-141; le libraire, 141); la critique littéraire (qui est, en général, « à ses pieds », 142; Jean-

Éthier Blais, 142, 144; Pierre Vallières, 143; Réginald Martel, 144; Gilles Marcotte, 144; David

Fennario, 144); et la presse (Miz Bombardier, 144-148; Carole Laure, 143; La Presse intitule le narrateur « LE NOUVEAU PRODIGE », 144)75. Dans le sillage de tous ces exemples, prenons pour commencer celui de Miz Bombardier.

Pendant une entrevue avec celle-ci pour l’émission ironiquement intitulée Noir sur

Blanc76, le narrateur répond aux questions à propos de son roman nouvellement sorti. Miz

75 On ajoute à cette liste un antilecteur (Bouba, CFL, 55), qui n’est certainement pas blanc. 76 Il vaut peut-être la peine de signaler l’existence réelle de Denise Bombardier qui a animé l’émission hebdomadaire Noir sur blanc de 1970 à 1983 (http://archives.radio-canada.ca/emissions/523). Notons que le titre de l’émission réel s’écrit avec un « b » en bas de casse au début du mot « blanc », l’émission fictive ironiquement avec un « B » en majuscule.

139

Bombardier représente ainsi une lectrice du roman mise en abyme et son interprétation de ce texte prend l’avant-scène.

Q : Je voudrais vous demander quelque chose…

R : Allez-y.

Q : Est-ce vrai?

R : Quoi?

Q : Est-ce tout cela vous est vraiment arrivé? Je vous demande ça parce que dans la réalité, vous habitez encore au même endroit, au Carré Saint-Louis, vous avez un ami chez vous et vous êtes écrivain comme votre narrateur.

R : Ce n’est que pure coïncidence.

Q : Soit. Votre roman est le premier véritable portrait de Montréal venant d’un écrivain noir … (CFL, 145-146).

Miz Bombardier, une lectrice fictive du roman enchâssé, semble convaincue de la véracité du roman à cause des références à la vie « réelle » du narrateur-auteur. Dans son interprétation du roman, elle insiste sur sa véracité ainsi que sur le statut racial de l’écrivain : « le premier véritable portrait de Montréal venant d’un écrivain noir » (146). Cette interprétation, cette façon de comprendre le roman mise en abyme, relève d’une ardente curiosité qui entoure l’histoire

« noire » du narrateur. L’accentuation disproportionnée des liens entre le narrateur-auteur et son texte produit un effet de « réalisme géopolitique », pour emprunter le terme de Rey Chow (4).

Chow, qui étudie la littérature diasporique chinoise, suggère que l’Occident s’attend implicitement à ce que les soi-disant écrivains « minoritaires » écrivent et parlent sur un mode documentaire qui raconte, reflète, et renvoie à leur groupe racial.

No matter how nonmimetic, experimental, subversive, or avant-garde such diasporic writing might try to be, it is invariably classified, marketed and received in the West as Chinese… As in the case of representations by all minorities in the

140

West, a kind of paternalistic, if not downright racist, attitude persists as a method of categorizing minority discourse : Minorities are allowed the right to speak only on the implicit expectation that they speak in the documentary mode, ‘reflecting’ the group from which they come (Chow, 22).

Avouons que les références géographiques à Montréal ne manquent pas et que cette simplicité analytique est peut-être attirante. Cependant, bien que Laferrière se serve de références toponymiques empruntées à la réalité montréalaise qui éveillent peut-être des soupçons de référentialité autobiographique, on ne peut nullement envisager Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer sur le mode strictement référentiel. Ces détails superficiels n’indiquent pas tout simplement un lien entre auteur et narrateur, mais servent plutôt

à concrétiser des personnages autrement clichés. D'ailleurs, un des multiples stéréotypes, ou

« types », mobilisés dans le roman est celui de la jeune blanche, le plus souvent féministe et anglophone. Miz Littérature, qui par son nom fait également figure de lecture, est l’exemple le plus récurrent de ce stéréotype. Fille de McGill qui prépare son doctorat (38), membre d’un club littéraire féministe (38), Miz Littérature a une affiche de Virginia Woolf sur le mur rose de sa chambre (96). Si ce cliché de jeune femme blanche peut sembler dépasser les bornes, il est

également doté d’une référentialité impressionnante : sa thèse porte sur Christine de Pisan (38), son club littéraire s’appelle « Les Sorcières du McGill » – dont les membres « s’occupent de remettre en circulation les poétesses injustement oubliées » (38); cette année, « elles publient en

édition de luxe, avec des encres de Valérie Miller, l’oeuvre poétique d’Emily Dickinson » (38); et enfin, la photo de Virginia Woolf sur son mur rose était « prise un jour de 1939, par Gisèle

Freund, à Monk House, Rodwel, Sussex » (96). De l’apparente légèreté du stéréotype de cette féministe blanche découle un renforcement référentiel difficilement négligé.

141

Bref, si les personnages laferriens sont souvent façonnés par le stéréotype racisé, l’hyperbole et le terrain familier des idéés reçues, ils sont néanmoins localisés dans la banalité détaillée de la référentialité. L’ancrage référentiel n’est pas inspiré par l’autobiographie, mais par la nécessité de garder une ombre de vraisemblance. Ainsi, les représentations autrement parodiques et essentialistes ne peuvent pas tout simplement être rejetées comme excessives puisqu’on y retrouve tant de détails banals du quotidien. De cette manière, Laferrière arrive à rendre le stéréotype de la femme blanche dans toute sa particularité, sans entrer dans l’excès.

Mais convoqué ironiquement et fragmentairement, ce mélange de la spécificité et du général annonce également une certaine distance narrative. Cette ambiguïté oblige un lecteur attentif à se méfier de la représentation, surtout et avant tout de la représentation identitaire.

La combinaison de l’hyberbole et de la particularité en ce qui concerne les personnages permet également à l’auteur de rendre la blancheur visible, où à faire ce que Richard Dyer appelle « making white strange » (Dyer, 10). Laferrière met l’accent sur la spécificité blanche qui s’avère avant tout une façon d’interpréter le monde. Tout comme la race est apparue lors de l’interprétation de Miz Bombardier du roman mis en abyme, la race découle des descriptions de

Miz Littérature et de sa façon de comprendre et d’interpréter le narrateur. Par exemple, à fleur de peau, Miz Littérature aime regarder le narrateur lorsqu’il mange :

-Comment! Tu ne manges pas?

-Je te regarde, souffle-t-elle.

Elle me dit cela tranquillement, tout en me regardant.

-Ah! Bon, tu me regardes.

-Je te regarde.

-Alors, t’aimes ça me voir manger?

-T’as un tel appétit…

142

-Tu te fous de ma gueule.

-Je t’assure, ça me fascine de te voir manger. Tu fais ça avec une telle passion. Je n’ai jamais vu personne d’autre le faire ainsi.

-Et c’est drôle?

-Je ne sais pas. Je ne crois pas. Ça me touche, tout simplement.

Ça la touche de me voir manger. Elle est incroyable, Miz Littérature. Elle a été dressée à croire tout ce qu’on lui dit. C’est sa culture. Je peux lui raconter n’importe quel boniment, elle secoue la tête avec des yeux émus. Elle est touchée (CFL, 28).

Au début, le narrateur présume que l’aveu sentimental de Miz Littérature, qui se permet de concevoir l’état appauvri de celui-ci, est une blague. Cependant, en fin de compte, Miz

Littérature se révèle comme étant la mauvaise blague, « émue » par ce qu’elle entend être son propre « Nègre affamé ». La visée idéologique de cet épisode alimentaire n’est pas la pauvreté alimentaire du narrateur, mais le regard présomptueux de Miz Littérature, qui impose cette interprétation racisée sur le narrateur. D'ailleurs, elle aborde la sexualité de la même façon :

« Miz Littérature dit que je fais l’amour comme je mange. Avec la voracité d’un homme perdu sur une île déserte. À bien y penser, ce n’est pas un compliment. Curieusement, je lui fais l’impression d’un enfant innocent qu’on aurait trop maltraité … son gosse nègre » (41-42). Dans ces passages, le « nègre » surgit de la naïveté de Miz Littérature. Mais si c’est cette crédulité blanche qui produit le signe racial noir, elle est à la fois récurrente et rendue étrange dans le roman. Cette combinaison illumine une blancheur normative qui se cache autrement dans les parages.

Miz Littérature fournit également parfois un prétexte pour s’interroger sur les motifs du

Blanc en général :

Miz Littérature a laissé son odeur dans la salle de bain. Gide rapporte dans son journal (Retour de Tchad) que ce qui l’avait frappé en Afrique, c’était l’odeur.

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Une odeur fortement épicée. Odeur des feuilles. LE NÈGRE EST DU RÈGNE VÉGÉTAL. Les Blancs oublient toujours qu’ils ont, eux aussi, une odeur. La plupart des filles de McGill sentent la poudre Bébé Johnson. Je ne sais pas ce que cela vous fait de faire l’amour avec une fille (majeure, vaccinée) qui pue la poudre de bébé. Pour ma part, je ne peux résister à l’envie de lui faire des guilis- guilis (CFL, 25).

Tout est ici question de perception. En juxtaposant la sienne et celle de Gide, le narrateur situe la race dans l’interprétation. Observateur en Afrique, Gide a rapporté en Europe avec lui une odeur

épicée, voire exotique. Sous ce regard blanc, le Noir est « Nègre », du « règne végétal » figé, contemplé dans le portrait qu’en fait Gide. Or, le narrateur soulève que la blancheur, habituellement tenue pour acquis et invisible, a elle aussi une odeur – la poudre Bébé Johnson.

Cette fragrance de la Blanche l’infantilise, la ridiculise, mais avant tout, c’est un parfum pour le moins étrange, ce qui élucide sa particularité, une particularité blanche qui est autrement souvent

énigmatique dans sa prétendue généralité.

Bref, Miz Littérature, rendue dans toute sa singularité blanche, est avant tout dotée d’une vision enfantine et sentimentale qui produit des interprétations racisées. Dans l’extrait suivant, le narrateur essaie de deviner les sentiments et les intentions de Miz Littérature. La question raciale est sujette à ces conjectures :

Le sac béant de Miz Littérature laisse voir une brosse à dents (il y a déjà une constellation de brosses à dents sur mon lavabo), un tube dentifrice Ultra brite (pense-t-elle que la blancheur des dents du Nègre soit uniquement un mythe? Eh bien, détrompe-toi, WASP. Nenni, pure laine. Pur ivoire sur bois d’ébène!). Il y a aussi un savon spécial pour peau sèche, deux tubes de rouge à lèvres, un crayon à sourcils, des serviettes hygiéniques et un petit flacon de tylenol (CFL, 25).

144

Encore une fois, le narrateur implique l’interprétation dans la création d’un stéréotype du

« Nègre » (« pense-t-elle que la blancheur des dents du Nègre soit uniquement un mythe? »). Or, dans ce passage, le narrateur s’adresse directement à un narrataire pour réfuter ce point de vue du

Blanc, le tutoyant. De toute évidence, on ne saurait penser qu’il s’agit du lecteur réel, qui lui n’est peut-être pas « wasp » ou « pure laine ». Il s’agit d’un lecteur imaginé blanc à l’intérieur du roman qui est malgré tout imposé au lecteur réel. En effet, cette situation risque de solliciter un sentiment d’inconfort chez le lecteur, peu importe son statut racial. Certains lecteurs blancs, par exemple, n’ayant pas l’habitude d’associer leur identité à une race, endosseront peut-être difficilement la blancheur, surtout une blancheur injurieusement étiquetée comme telle.

Bref, lorsque l’on compare la signification et la fonction de la race dans Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer avec les autres textes que nous avons étudiés, il ne s’agit de rien moins qu’un changement de paradigme. Cela dit, « l’esthétique de la réception » n’est certainement pas unique à Laferrière, mais marque plutôt une étape radicalement nouvelle dans les études littéraires, annoncé en 1969 par Hans Robert Jauss (Schuerewegan, 323). Selon Jauss, l’on s’est trop longtemps attardé à l’analyse du couple auteur-texte et un nouveau mode d’analyse se déplace, dans les sciences de la littérature, vers la relation texte-lecteur

(Schuerewegan, 323). Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer est représentatif de ce déplacement littéraire plus généralisé. Or, ce qui est particulièrement intéressant dans le cas de ce roman, c’est l’inscription textuelle des lecteurs et d’un narrataire blancs. Ces derniers arrivent effectivement à blanchir une façon de voir le narrateur et une façon d’interpréter le roman enchâssé. Finalement, le roman ne met pas simplement en scène une identité quelconque, mais une interprétation blanche, la machine à fabriquer le « nègre ». Reste à voir ce qu’en pense le vrai lecteur, mais le chemin sémiotique doit faire un détour vers lui.

145

Le contexte énonciatif réel

Il est clair que Laferrière a anticipé, de façon étrangement précise, l’intérêt voyeuriste des critiques et des lecteurs. Si Miz Bombardier ne semble pas croire le narrateur lorsqu’il insiste que les détails « réels » qui lient le roman fictif à sa réalité ne sont que coïncidence, lorsque l’auteur « réel » Dany Laferrière refuse la classification simple, certains critiques réels, comme la

Miz Bombardier fictive, s’entêtent à vouloir le renier :

It would be fastidious to specify at every step in this study that a distinction is to be made between the author and his at least semi-fictitious first-person narrators. Laferrière himself has declared, « In my books, I take myself as a character and I mix up true and false situations, with no scruples whatsoever. I don’t try to tell the truth; I try to find the primary emotion. Who cares about truth? What truth? What is important is whether it touches us or not » (Laurin, 62). Nevertheless, as will be demonstrated, the links between the life-stories of the author and his narrators are so extensive and so precise that in all instances the term « narrator » as applied here to these novels can be understood to mean Laferrière the author speaking about himself, although at times taking liberties with truth and reality (Essar, 931) .

Comment ne pas voir la ressemblance entre la réaction de Miz Bombardier devant le narrateur qui refuse l’étiquette « vrai », et la réaction bien réelle de ce critique littéraire devant les objections semblables de Laferrière77? Cette fringale de lire la fiction de Laferrière comme étant autobiographique n’est pas particulière à ce critique. Dans un article paru dans la revue Lettres québécoises, Francine Bordeleau tient pour acquis que les narrateurs de Laferrière sont « plus ou

77 Essar étudie plusieurs romans de Laferrière, qui ont lieu au Haïti et non pas au Canada, mais il s’agit quand même de romans et non pas d’autobiographies. L’homogénéité autobiographique est bel et bien le contexte général de l’article.

146 moins démarqués de l’écrivain » (Bordeleau, 11). En résumant Éroshima, le deuxième roman de

Laferrière, Bordeleau essentialise l’écriture de l’auteur à l’encontre de ses propos :

Il refuse de se considérer dorénavant comme un « écrivain nègre », se conformant en cela à l’épigraphe du roman voulant qu’« être nègre ne soit pas tout dans la vie ». Sans doute… Mais peut-on vraiment échapper à sa condition et à sa vérité et qu’est-ce que cela pourrait bien vouloir dire? Ne plus soulever explicitement la question noire dans les œuvres futures? Quoi qu’il en soit… (Bordeleau, 12).

Bordeleau insiste sur le fait que le narrateur ne peut pas échapper à ce qu’elle appelle sa

« vérité », et va jusqu'à insinuer que cette « vérité » est « nègre ». Elle semble même avoir de la difficulté à imaginer comment un auteur noir pourrait écrire un roman qui ne soulèverait pas ce qu’elle appelle « la question noire ». Bref, si Miz Bombardier s’obstine à croire le narrateur lorsqu’il insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas tout simplement d’une histoire « vraie » (elle riposte : « Soit »), Essar et Bordeleau éprouvent une déconsidération semblable

(« Nevertheless », « Sans doute », « Quoi qu’il en soit »). Malgré les appels de Laferrière (et ses narrateurs-écrivains) aux lecteurs (réels et fictifs) de considérer les nuances subtiles de cette question, beaucoup rejettent son objection et considèrent la question comme étant périphérique en ce qui concerne leur analyse des textes laferriens. Même si Laferrière traite avant tout des sujets figuratifs et théoriques dans son roman, comme, par exemple le rôle du stéréotype racial dans la construction du vraisemblable, l’auteur (comme son narrateur) est souvent caractérisé par le « réalisme géopolitique » (Chow). Beaucoup de lecteurs québécois, canadiens et américains voient dans Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer et dans d’autres romans de

Laferrière, l’histoire d’un homme noir immigrant qui arrive malgré l’adversité à connaître le succès. On dit, par exemple, que les romans de Laferrière « deal with the immigrant experience of racial difference, degradation, and exclusion » (Essar, 930). C’est alors, en « se nourrissant du substrat culturel maternel » (Brière, 145) que le narrateur (et parfois Laferrière) parvient à

147

« échapper partiellement à sa propre marginalité » (Vassal, 185). Ainsi, pour certains, le roman laferrien articule avant tout un « drama de l’émigration, de l’exil » qu’il faut « affranchir »

(Colin-Thébeaudeau, 75) en nommant cette « réalité vécue » lors de ses romans « de la migration » (Benalil, 96).

D’ailleurs, de nombreux critiques appuient une lecture autobiographique de Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer par les traits communs qu’ils voient entre l’auteur et le narrateur, notamment, en premier lieu, leur peau noire, leur statut d’immigrant et curieusement, parfois, leur sexualité. Par exemple, dans un article qui porte sur le roman, publié dans la revue Québec Studies, on soutient que :

Vieux, le narrateur du roman de Laferrière, ressemble quasiment trait pour trait à l’auteur. Immigrant francophone de couleur récemment arrivé au Québec, Vieux est un écrivain vivant d’expédients, probablement assez séduisant…Immigrant francophone de couleur arrivé au Québec par le truchement d’un mariage factice, Laferrière est un journaliste de radio désargenté, assez bien fait de sa personne pour poser nu dans Lui (De Souza, 63).

Étant donné le traitement du stéréotype « Nègre grand baisseur » dans Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer, il est d’autant plus problématique que cet article lie l’auteur et son narrateur par une soi-disant ressemblance raciale et sexuée. Ce critique a néanmoins une forte propension à valoriser ainsi les marques de la race et de l’immigrant en premier lieu, et s’en sert pour catégoriser le roman de Laferrière comme autobiographique. Bref, la raison pour laquelle le narrateur et l’auteur se ressemblent « trait pour trait », c’est qu’ils sont tous les deux des immigrants « séduisants », tous les deux des francophones de couleur. Si le narrateur et l’auteur étaient tous les deux blancs, anglophones et peu séduisants, on se demande si cette

148 ressemblance serait suffisante pour qu’on détermine que l’auteur parle tout simplement de lui- même.

De plus, tout comme Miz Littérature, certains vrais critiques littéraires ont tendance à interpréter Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer à fleur de peau blanche. La sensiblerie de Miz Littérature devant le narrateur lorsqu’il mange trouve son écho dans certaines analyses du roman. Par exemple, pour Anne Vassal, le succès critique et populaire du roman a permis à « un auteur d’origine immigrée » d’être reconnu dans le « haut et grand bastion de la littérature québécoise » (Vassal 185). Ainsi, dans son étude du roman, Vassal choisit de présenter un certain nombre d’ « isotopies globales du racisme » (187), telles « la discrimination dans le logement » (187), « la pauvreté des Noirs … signifiée par la sous-alimentation » (187) et ce qu’elle appelle le « racisme en retour » (193). Pourtant, Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer convie le lecteur, à plus d’un égard, à éviter les grands éloges sur le racisme qui valorisent une histoire de « réconciliation » (Vassal, 198), et d’« égalité » (Vassal, 198) et qui marque le sujet comme « marginal », le rangeant dans l’histoire naïve et préparée d’avance de

« la difficulté du Noir à réussir » (Vassal, 191). Il existe donc une tentation de localiser l’auteur et le narrateur, de les marquer comme « marginaux », et ainsi de les insérer dans une histoire préfabriquée de la race ou de l’immigration. La crédulité d’une telle approche mène à une profonde méconnaissance du roman. Par exemple, une des « isotopies globales du racisme » de

Vassal est la sous-alimentation (Vassal, 187), ce qui signifie pour Vassal « la pauvreté des

Noirs » par « les nombreuses références aux produits bon marché qu’ils achètent, entre autres le riz, plat principal » (Vassal, 187). Les références à la nourriture dans le roman servent, selon ce critique, à mobiliser un discours sur la pauvreté des Noirs. Ayant déjà étudié le passage dans

Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer où Miz Littérature, aux yeux émus, est touchée en regardant le narrateur manger, comment, encore une fois, ne pas voir une

149 ressemblance entre l’optique de lecture de Vassal et l’interprétation raciale de Miz Litterature.

Toutes les deux semblablement émues par la faim du narrateur, Vassal a de toute évidence manqué la blague. Représentation textuelle et archétypique du lecteur, Miz Littérature représente peut-être une réprimande du regard « ému » du « haut et grand bastion de la littérature québécoise » de certains critiques littéraires, qui soumettent les romanciers « migrants » à des interprétations semblablement racisées et stéréotypées.

Au juste, on ne sait pas d’où vient le narrateur de Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer, ni quand il a immigré : Laferrière ne nomme pas et ne décrit pas le pays d’origine du narrateur dans le roman. Cependant, le regard blanc, si présent dans le roman, se montre voyeuriste, paternaliste et surtout, extrêmement présomptueux lorsqu’il s’agit de certains aspects de l’identité du narrateur. Ce genre de présomption est fort irritant pour le narrateur :

Tu viens d’où? me demande brutalement la fille qui accompagne Miz Littérature. À chaque fois qu’on me demande ce genre de question, comme ça, sans prévenir, sans qu’il ait été question, auparavant, du National Geographic, je sens monter en moi un irrésistible désir de meurtre (CFL, 106).

Si le regard blanc tente de fixer l’identité du narrateur, son ambiguïté identitaire sert à réfuter ce regard, au niveau du texte et au niveau de la lecture. À un moment, le narrateur vient d’Harlem

(CFL, 94), à un autre moment, il vient de Madagascar (CFL, 106), et par la suite, la Côte d’Ivoire est son pays natal (CFL, 118), mais il n’y a pas de mention d’Haïti. Enfin, le regard blanc, si présent dans Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer, ressemble « trait pour trait » à l’optique de lecture de certains « vrais » lecteurs du roman qui tentent de fixer le roman dans le champ identitaire. Le contexte énonciatif fictif du roman prédit étrangement son contexte énonciatif réel.

150

Le stéréotype nonchalant

En revanche, nul ne peut nier qu’il existe un véritable dilemme lectoral incorporé dans

Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer qu’il importe de souligner. Anthony

Purdy signale finement l’absence d’engagement politique dans le roman :

En effet, la négriture de Laferrière n’est pas la négritude engagée, politisée, de la décolonisation; c’est une négritude ludique, postmoderne, fondée moins sur la revendication que sur la déconstruction parodique des stéréotypes. Parodique son altérité : « le mythe du Nègre grand baiseur » (44); parodique son authenticité : « un vrai de vrai, l’homme primitif, le Nègre selon National Geographic, Rousseau et Cie » (146-147); (Purdy, 54).

Enfin, l’exploitation ironique des clichés dans le roman produit avant tout de l’incertitude et le lecteur n’est jamais sûr s’il est ou non l’objet de plaisanteries. De plus, la manipulation des stéréotypes est finalement assez nonchalante. Par exemple, lors du deuxième chapitre, le narrateur évoque aisément et candidement toute une liste des stéréotypes sexuels et racistes :

Ça va terriblement mal ces temps-ci pour un dragueur nègre consciencieux et professionnel. On dirait la période de NÉGRITURE terminée… Par contre, le Jaune remonte le courant. C’est propre, le Japonais, ça prend pas de place et ça connaît le Kamasoutra comme sa première Nikon. … Dans les années 70, l’Amérique était encore bandée sur le Rouge. … La baise cayenne, c’est le pied. Ce n’est pas rien de baiser avec un type dont le nom exact est TAUREAU FOUGUEUX (CFL, 17-18).

On n’assiste certainement pas à un simple bannissement des clichés racistes, qui sont par contre rendus dans toute leur abjection. En somme, Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer ne met pas nécessairement en relief les effets pernicieux des stéréotypes qu’il exploite.

Il ne s’agit alors pas d’un contre-récit qui dénonce les idées reçues. En témoigne la stratégie

151 identitaire de son narrateur qui ne prétend pas échapper au contrôle et à l’autorité des clichés raciaux et racistes. Or, le narrateur n’hésite pas non plus à subordonner les autres personnages du roman aux stéréotypes sexuels et raciaux. Cette mise en valeur du stéréotype pose problème dans l’optique de lecture de Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer.

Généralement, on s’attend à ce que les clichés et les stéréotypes raciaux, du moins lorsqu’ils sont reconnus comme tels, soient détestables. Par exemple, Barthes signale que le stéréotype a de très fâcheuses conséquences et que la littérature est un moyen de le combattre.

Dans Le plaisir du texte, il affirme que « le stéréotype, c’est cette impossibilité nauséeuse de mourir » (Barthes, 70). Si je partage l’opinion de Barthes que les stéréotypes sont haïssables pour leur caractère souvent raciste, sexiste et simpliste, comment interpréter l’emploi du stéréotype dans Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer? À ce point de vue, il faut dire que la phrase « C’est propre, le Japonais, ça prend pas de place et ça connaît le Kamasoutra comme sa première Nikon » (CFL, 17) semble relever et même promouvoir les pires injures racistes.

L’auteur lui-même affirme, dans une entrevue en 1997, son affection pour les clichés :

J’aime beaucoup les clichés. C’est un lieu commun. Un lieu commun, c’est un lieu que tout le monde partage, et c’est important. Et ce qui est extraordinairement terrible dans les clichés, c’est que la plupart sont vrais (Lamontagne, 32).

Alors que Barthes soutient que les idées reçues sont à détruire, Laferrière, pour sa part, soutient qu’elles sont, pour la plupart, vraies. De cette contradiction découle une explication de pourquoi certains lecteurs de Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer semblent si aptes à insérer le roman dans l’histoire de la race, programmée à l’avance par l’idéologie antiraciste.

L’utilisation des clichés chez Laferrière, qui se livre à l’exploitation de la veine parodique (mais certainement pas antiraciste, antisexiste ou anti- quoi que ce soit), est souvent sursimplifiée et

152 ignorée par certains de ses critiques et lecteurs, justement pour éviter la contradiction idéologique.

Seulement, est-ce que la furtivité idéologique de Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer nous semble pour le moins parfois suspecte? Si le roman arrive à cerner l’intangibilité de la blancheur, ce roman provocateur reste autrement volontairement évasif sur tout plan idéologique. En ce qui concerne les stéréotypes, il est important de souligner que c’est la parodie et l’ironie qui dominent dans leur mise en œuvre dans le roman. Or, il faut également replacer ce ton parodique dans le contexte apolitique du roman que nous avons déjà souligné.

Cette combinaison de parodie et d’apolitisme s’avère peut-être néfaste puisque, finalement, une parodie dépourvue d’une politique mordante tourne en raillerie. Finalement, l’ambiguïté identitaire est sûrement un aspect innovateur de Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer, mais son apolitisme, malgré sa mobilisation des clichés hautement politique, se montre peut-être de mauvaise foi.

Conclusion

La question de la race est de toute évidence au cœur de Comment faire l’amour avec un

Nègre sans se fatiguer, mais si sa couverture et son titre semblent mettre l’accent sur le

« Nègre », ce chapitre propose que le roman renvoie avant tout à un auditoire et un paysage racisés, plutôt qu’à des questions identitaires si souvent associées à celles de la race. La nature performative de la race ne nous est pas étrangère dans cette thèse, mais dans notre analyse du roman, nous avons soulevé la possibilité que la race s’avère une interprétation. Premièrement, suivant le corps sexué de Judith Butler, le corps racisé n’a pas de statut ontologique

153 indépendamment des différents actes qui le constituent et de cette façon, le sens de l’interprétation raciale glisse vers l’activité d’interpréter un rôle social comme le fait un comédien dans une pièce de théâtre. À cet égard, la photographie de la première de couverture de Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer met en scène une performance raciale relative au roman, celle du « Nègre », trop posé, trop artificiel et trop objectifié pour être simplement « vrai ». Deuxièmement, le sens de l’interprétation glisse également vers l’activité de percevoir, de concevoir. La race dépend, de cette façon, de l’acte de donner une signification, de lire ou d’interpréter un texte quelconque. Elle prend forme, autrement dit, entre l’expression et la compréhension, ce qui produit un discours nécessairement instable. Ainsi, dans le roman, la construction du « Nègre » n’est centrale au roman que dans la mesure où elle permet la mise en fiction des lecteurs blancs. L’auteur met l’accent sur la spécificité blanche qui s’avère une façon d’interpréter le monde, une perception plutôt qu’une simple identité. Curieusement, par son titre, sa couverture, ses figures de lecture et son narrataire, Dany Laferrière accorde une race au lecteur imaginé comme étant blanc. Cette intervention osée tente de fixer l’identité raciale du lecteur, tout comme l’interprétation présomptueuse du Blanc cherche à fixer l’identité raciale du narrateur. Cette ruse littéraire permet de rediriger la réification raciale du sujet vers celle du lecteur. En fin de compte, un lecteur attentif frémit d’incertitude devant le paysage stagnant de la représentation identitaire.

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Chapitre six La présence absente de la race : les discours anti-identitaires dans Quatre mille marches et Je suis un écrivain japonais

Moi, je n’ai rien à foutre de l’identité78.

… identity is a form of racial ontology79.

Sans aucun doute, depuis les années quatre-vingt, on assiste à une profusion de récits reflétant le phénomène de la migration qui représente ce que Sherry Simon appelle « une multiplicité des savoirs prenant des configurations diverses et variées » (Simon, 1999, 22). Étant donné la haute importance de l’immigration dans le monde actuel, son empreinte littéraire ne surprend guère. Comme Catherine Mavrikakis et Martine Delvaux l’ont finement précisé dans

« Quelques mots sur l’éthique et la littérature », la littérature de souche, un véritable fétiche québécois, est maintenant un fossile :

Serait suspecte toute littérature de la souche, de la racine, du terroir, de la semence et des récoltes. L’imaginaire agricole a été remplacé en quelque sorte par celui de l’errance, de l’exil, de la pérégrination, du voyage, de la ville vécue comme itinérance. Ne pas rester sur place, se déplacer, ne pas avoir de toit, de pays, d’appartenance simple serait la condition même d’une éthique en littérature et viendrait par conséquent répondre à l’exigence littéraire moderne qui refuse tout repos, tout habitat, tout enracinement à la pensée (Mavrikakis et Delvaux, 81).

78 Dany Laferrière, Je suis un écrivain japonais, p. 197. Toutes les références à Je suis un écrivain japonais renvoient à l’édition Boréal, 2008. Désormais, elles seront désignées par l’abréviation JSEJ. 79 Clevis Headley, « Postmodernism, Narrative and the Question of Black Identity », p. 62.

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La valorisation d’une multiplicité de voix multiculturelles est, d’une part, à célébrer. D’ailleurs, on parle de plus en plus rarement de la « race » d’un auteur ou d’un personnage, ce terme étant sans doute le lieu de repos préféré, pour emprunter les termes de Mavrikakis et Delvaux, de l’enracinement, de la semence, et de l’appartenance simple.

Or, la race est malgré tout une illusion tenace, profondément ancrée et largement répandue, qui a pour noyau une thématique souvent identitaire. Ce dernier chapitre constate la présence de la race qui se manifeste en dépit d’une volonté de franchir ce concept accablant.

Dépourvue de son sens biologique, la notion de la race est encore parfois problématique dans ses glissements terminologiques. Surtout, en repérant certaines variations du paradigme de la race telles l’ethnie, la culture et la nationalité, on remarque qu’elles se caractérisent par de fortes tendances identitaires. Pour Suki Ali, le constructivisme social revendique toujours la notion que la race est une espèce de catégorie ontologique, une fondation identitaire qui génère des questionnements au sujet de l’égalité et de la différence (Ali, 324). Pourtant, en dépit de l’importance accordée à la revendication de l’égalité et de la différence, certains auteurs, comme

Ying Chen et Dany Laferrière, véhiculent une notion hésitante, voire troublante de l’identité. Un exemple préliminaire : le narrateur du roman le plus récent de Laferrière déclare carrément,

« Moi, je n’ai rien à foutre de l’identité » (JSEJ, 197). Dans les deux textes à l’étude dans ce chapitre, Quatre mille marches80 de Ying Chen et Je suis un écrivain japonais de Dany

Laferrière, la race est liée aux discours identitaires dont l’effet libérateur ne va aucunement de soi. Autrement dit, si on ne s’étonne pas de voir la race privilégiée par le récit identitaire, dans

Quatre mille marches et Je suis un écrivain japonais, Chen et Laferrière posent que la race peut

80 Toutes les références à Quatre mille marches renvoient à l’édition Boréal, 2004. Désormais, elles seront désignées par l’abréviation QMM.

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également représenter un impératif identitaire assez lourd à porter. Pourtant, les textes de Chen et Laferrière, résolument ludiques, sont dotés d’une vision nouvelle qui fait preuve des anxiétés qui sous-tendent la notion de la race, sans pour autant tomber dans l’oppression et l’étouffement qui collent à la peau de la race depuis toujours. C’est-à-dire, tout en opposant les tenants de la race, Chen et Laferrière fouillent ses profondeurs pour produire du nouveau.

En interrogeant le concept de la race par le truchement de ces deux textes, ce chapitre ultime espère répondre à quelques interrogations fondamentales. Si le mot « race » est heureusement tombé en désuétude, l’ombre muette de la race glisse-t-elle discrètement dans certains discours sous d’autres noms, sous d’autres visages? Quelle est la relation entre les discours identitaires et ceux de la race? Comment interprétons-nous la variante comique de l’indice racial dans l’œuvre de Laferrière? Et finalement, notre démarche étant avant tout littéraire, que devient la race si on la veut principalement littéraire? À cet effet, on terminera ce chapitre en examinant la mort du sujet que proposent Chen et Laferrière pour délivrer la race de sa gravité, mais pas de son importance.

La présence absente de la race

Fort heureusement, la notion selon laquelle l’humanité peut se diviser en typologies raciales est à l'heure actuelle contestée, au moins dans les milieux universitaires. Comme le soulignent plusieurs chercheurs, tels Ian Haney Lopez et Barbara Fields, la plausibilité de la race biologique est mise en doute de façon définitive :

157

Anyone who continues to believe in race as a physical attribute of individuals, despite the now commonplace disclaimers of biologists and geneticists, might as well also believe that Santa Clause, the Easter Bunny and the tooth fairy are real, and that the earth stands still while the sun moves (Fields, 95-96).

Selon Lopez, la race scientifique est une illusion bien cruelle, ses origines étant sociales (Lopez

53). En outre, Anoop Nayak se demande même comment on peut discuter de la race sans réifier justement les catégories que l’on cherche à abolir (415)81? On constate ainsi l’émergence de chercheurs et d’écrivains qui véhiculent des théories « postraciales » correspondant généralement

à des aspirations à renoncer complètement à la notion de la race biologique et sociale. À cet effet, on découvre des titres d’articles, surtout mais pas exclusivement américains, tels : « Race

Ends Here », « Against Race » (Gilroy, 1998, 2001); « Writing Against Racial Identity » (Ware,

2002); « Race : a Word Too Much » (Body-Gendrot, 2004); « Le Nègre n’est pas. Pas plus que le Blanc (Vergès, 2005); et « After Race » (Nayak, 2006). Pourtant, la question postraciale n’est

évidemment pas sans enjeux. La race ne disparaît pas nécessairement une fois son illusion biologique et ses origines sociales exposées. D’ailleurs, Paul Gilroy signale un autre obstacle, à savoir des solidarités et des identités forgées à l’intérieur des catégories raciales (1998, 842).

Pour certains, l’effacement de la race correspond à une perte identitaire qui fait taire les expériences marquées par le racisme. En dépit de ces difficultés, Gilroy, parmi d’autres, affirme qu’il est essentiel de renoncer à la notion de la race. Pour Gilroy, l’absolutisme ethnique s’avère périlleux dans toutes ses formes :

I think that our perilous predicament, in the midst of a political and technological sea-change, which somehow strengthens ethnic absolutism and primordialism,

81 « How do we discuss race in a way that does not reify the very categories we are seeking to abolish » (Nayak, 415)?

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demands a radical and dramatic response. This must be one that steps away from the pious ritual in which we always agree that ‘race’ is invented but are then required to defer to its embeddedness in the world and to accept that the demand for justice nevertheless requires us to enter the political arenas that it helps to mark out (1998, 842).

Bref, ces mises en question de la notion de la race expliquent peut-être un changement général d’attitude à son égard. Des locutions telles « une lutte de race » (chapitre un), « l’appel de la race » (chapitre deux), « une race qui ne sait pas mourir » (chapitre trois) et « les nègres blancs » (chapitre quatre) peuvent aujourd’hui sembler assez suspectes. Or, les traces de la race et du racisme sont de toute évidence encore palpables, même si la notion de la race est mise en doute. Car juste au moment où le terme semble être sur le point de perdre son autorité, certains chercheurs signalent l’émergence de nouvelles trames de la race qui relèvent des discours nationaux, ethniques et culturels. Dès lors, sous l’essor de nouveaux catalyseurs, les discours raciaux sont réarticulés et renouvelés à cause de leur rayonnement dans d’autres domaines dont, en particulier, la nationalité, l’ethnie et la culture. Par exemple, pour Étienne Balibar, la race a simplement changé de visage. Dans « Le retour de la race », Balibar soutient que :

Pour nos contemporains ni l’existence, ni le nombre, ni les délimitations entre les ‘races’ ne bénéficient plus d’aucune évidence, mais les noms de la race continuent de fonctionner dans l’identification de différences ethniques et culturelles. On continue de parler d’Européens, d’Orientaux, d’Arabes, de Noirs ou d’Africains etc. Plus que jamais peut-être le principe de la race ou de la ‘racialisation’ s’impose socialement et culturellement, en particulier comme principe généalogique, et de représentations qui rapportent à l’origine et à la descendance des ‘mentalités’ ou des ‘aptitudes’ individuelles et collectives supposées (163).

Selon Balibar, il est nécessaire de contester « la conviction que le racisme et a fortiori l’idée de la race appartiennent au passé » (163). À titre d’exemple, Balibar retient ce qu’il appelle

159 plusieurs « signes du temps » qui caractérisent le cours actuel de la mondialisation, tels les nationalismes exacerbés et l’essentialisme du mythe du « choc des civilisations » (clash of civilisations) (Balibar, sa traduction, 164). Parfois, toujours selon Balibar, l’idée de la supériorité raciale est simplement remplacée par des affirmations de l’incompatibilité de certaines cultures ou par des revendications d’appartenance nationales démesurées. Algernon

Austin, lui aussi, souligne que la pensée raciale essentialiste n’est pas le domaine unique de l’essentialisme biologique. Les idéologies raciales sont complexes et peuvent prendre de formes diverses, telles l’ascendance commune et même le contexte géographique (Austin, 54).

Autrement dit, même si la race n’est pas ouvertement nommée ou fondée sur la biologie, des concepts comme la nation, la culture, l’ethnie sont parfois porteurs de valeurs raciales.

L’extension du terme pose problème à la fin de de cette thèse qui porte sur la race. Face

à ces changements terminologiques et conceptuels, je me propose d’examiner non seulement le sens et la pertinence de la race, comme aux chapitres précédents, mais également les connotations raciales de certaines de ces nouvelles modalités. Dans l’espoir de cerner ces nouvelles incarnations de la race, mon analyse est à l’écoute de ce que Gilroy appelle les connotations organiques des concepts tels la culture, l’ethnie et la nationalité, les frontières entre ces concepts et celle de la race étant parfois poreuses (2001, 33). Par exemple, je me demande si les concepts de nation et de culture mettent parfois en place des marqueurs somatiques? Si oui, qu’est-ce que ce rapport au corps signifie?

Quatre mille marches

Le flottement terminologique et conceptuel de la race fait l’objet d’une réflexion fructueuse de la part d’Ying Chen. Dans une section de Quatre mille marches au titre « Fin des

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Lettres chinoises », Ying Chen institue une nouvelle tension conceptuelle en ce qui concerne la race dans le contexte québécois. Au premier abord, il est important de signaler que cette section du recueil, qui prend la forme d’une longue lettre sans signature, et qui s’adresse au mystérieux

« cher ami »82, semble un amendement au premier roman de Chen (Les lettres chinoises, 1992).

Bref, la voix narrative n’est pas simplement réductible à celle de l’écrivaine, cette partie de

Quatre mille marches étant définitivement marquée par la fiction. Je reviendrai à l’importance de ce contexte lectoral d’ici peu, mais afin de saisir sa signification, il est utile de passer en premier lieu par le brouillement des repères raciaux dans cette section du recueil de Chen.

Comment la notion de la race se distingue-t-elle de notions voisines comme celles de la nation, la culture et l’ethnie? Chen démontre avec efficacité les points de convergence entre ces termes. Par exemple, elle souligne, à l’instar de Balibar, le mythe du « choc des civilisations » comme signe racial :

Mais parce que cet ami et moi nous ne sommes pas nés ni n’avons été élevés au même endroit, et peut-être pas de la même façon, la moindre discordance personnelle s’amplifie jusqu’à devenir une fracture culturelle, raciale, et parfois même idéologique. S’est creusé tout de suite entre cet ami et moi l’abîme qui sépare l’Occident et l’Orient, se sont élevés lentement entre nous un drapeau canadien et un drapeau chinois (QMM, 59).

Cette citation fond lieu de naissance, culture, race et nation en un amalgame indistinct où ces termes disparates sont tous placés sur le même plan comme explication d’un désaccord entre amis. C’est en suivant ce sillage que l’on voit l’émergence des nouvelles modalités raciales. De

82 Toutes les lettres dans Les lettres chinoises sont accompagnées d’une signature et d’un lieu de provenance. Par contre, la lettre au titre « Fin des Lettres chinoises » dans Quatre mille marches est sans signature, sans lieu de provenance, mais datée de mai 2000. Sa rédactrice reste anonyme (Chen? Da Li?) et il semble également que la lettre n’a jamais été envoyée (QMM, 77).

161 fait, pour Balibar, « l’abîme » qui sépare l’Occident et l’Orient, supposément une fracture culturelle, « porte justement sur le fait qu’ils ne possèdent aucune possibilité de négociation ou de dialogue, puisqu’ils appartiennent, par essence, à des cultures (ou civilisations) incompatibles » (164, mes italiques). Un des traits constitutifs du mythe du « choc des civilisations » est l’idée qu’il existe une différence inhérente entre les cultures, une essence fondamentalement dissemblable. Dans l’extrait cité ci-dessus, cette soi-disant différence essentielle pèse lourd sur deux individus. Bref, les connotations organiques des concepts tels la culture, l’ethnie et la nationalité sont élucidées. Si la culture et la nation correspondent à une essence individuelle, les frontières entre ces concepts et la race commencent à s’estomper.

Dans Quatre mille marches, c’est l’immigrant qui est la figure emblématique de la race dans le contexte canadien actuel. Lors d’un passage au douanier, on remarque l’existence de ce que Balibar (parmi d’autres) appelle « le racisme sans race » :

Au guichet d’entrée, à ce poste extrêmement visible, les fonctionnaires chargés d’examiner les poches et les sacs étaient uniquement des ‘gens de couleur’. Et le local de la fouille, la plupart du temps et ironiquement, était aussi destiné aux ‘gens de couleur’ qui y soit appelée. La chose ne m’est pas tout à fait inconnue, mais ce jour-là elle se montrait avec une netteté frappante. Un hasard? Le politiquement à la fois correct et incorrect? Une harmonie et une cohérence parfaite dans la pratique douanière? (QMM, 69)

Cet extrait résume effectivement comment un cadre « postracial » peut être en mesure de camoufler certaines rides raciales. Si les « gens de couleur » ne sont pas simplement les victimes de la fouille, mais assument également sa charge, théoriquement, la race apparaît un facteur insignifiant au douanier. Or, cette apparence d’harmonie raciale est fausse :

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J’ai tout à coup compris qu’il existe une solide politique bien réfléchie à l’égard des immigrants, appliquée avec une infaillible machine, soutenue par une vaste et vieille croyance. Et cette politique pouvait me concerner, même moi. La politique s’y prend toujours avec plus de verve à l’égard des apolitiques ou des politiquement faibles, parce qu’elle y est moins risquée (QMM, 69-70).

Bref, l’hypervisibilité des fonctionnaires « de couleur », (« à ce poste extrêmement visible », 69), n’est pas due au hasard ni à l’harmonie multiculturelle, mais s’avère une stratégie, « une solide politique bien réfléchie » (69), adoptée pour faciliter la surveillance et le contrôle des immigrants

« de couleur », seuls victimes de la fouille. La douane dépend ainsi du « racisme sans race » pour assurer un encadrement panoptique, la « vieille croyance » (69) qui sous-tend cette pratique

étant sans aucun doute la race.

Par conséquent, on ne s’étonne probablement pas de constater dans Quatre mille marches une certaine méfiance envers la nation : « Seulement je n’ai pas l’ambition de confondre mon propre sort avec celui d’un peuple entier. Je ne le ferais en aucun cas. Je ne fais pas partie d’une nation quelconque » (QMM, 75). En revanche, un peu plus tôt, l’épistolière confie qu’elle a déjà eu l’occasion de « solennellement chanter un air devant une feuille d’érable » (66). Éprouvant de l’émotion accompagnée des doutes et des questionnements, elle avoue: « J’ai poussé un soupir de soulagement, en me disant : ça y est, je suis là, je n’aurai plus jamais à marcher comme une héroïne sur un chemin aride et sous un ciel banalement universel, je vais pouvoir me blottir contre ma petite lampe dans mon petit nid, en paix » (QMM, 66-67). La narratrice semble désirer vivre en sécurité, tranquille, sous l’aile d’une patrie, même si une certaine hésitation craintive retient encore son élan.

Nous comprenons assez facilement pourquoi la narratrice hésite devant l’apparente sécurité nationale si l’on revient au passage au douanier qui apparaît deux pages plus loin. Dans

163 un extrait troublant, l’auteur de la lettre voyage pour la première fois avec un passeport canadien.

Se confiant à « l’un des meilleurs passeports au monde » (QMM, 69), ce document de preuve d’appartenance nationale se montre finalement franchement décevant. À l’aéroport de Toronto de retour d’un voyage, la narratrice est arrêtée, questionnée et fouillée. Si les privilèges de la nationalité sont présumément accordés aux citoyens de façon égalitaire, sans préoccupation raciale, ce n’est pas l’expérience de l’auteur : « J’avais négligé le fait que le lieu de ma naissance

était indiqué sur mon passeport, que le signe du danger était inscrit sur ma figure » (QMM, 69).

À un niveau purement dénotatif, la désignation du lieu de naissance peut sembler assez neutre, mais elle est finalement dotée d’une fonction raciale. Car le lieu de naissance est non seulement précisé dans le passeport de la narratrice, mais également gravé sur son visage, évoquant une corporalité qui côtoie décidément la race.

Par ailleurs, sur un plan très intime, le contrôle douanier donne lieu à une réflexivité raciale accablante, à une mise en question raciale d’expression corporelle. La narratrice décrit son affolement lorsqu’on l’éloigne de la foule :

Je me suis retournée un instant dans l’obscur couloir pour regarder les autres avancer dans la lumière. De la pitié et du secours! ai-je hurlé en silence. Je ne suis qu’une femme ordinaire, très ordinaire. Si je n’ai pas du sang comme il faut, je suis encore tout à fait convertible, assimilable! Je pourrais faire opérer mes yeux bridés rehausser mon nez, teindre mes cheveux et ma peau, comme beaucoup l’ont déjà fait. Maintenant je souhaite me diminuer, m’anéantir, disparaître (QMM, 70).

L’évocation du sang témoigne de l’omniprésence de la race qui sous-tend cet extrait. Étant

écartée des autres voyageurs en faveur de l’obscurité, il s’agit d’un douloureux dépouillement qui réduit l’auteur à implorer en vain une miséricorde raciale. La narratrice se déclare prête à faire ce qu’elle se croit obligée de faire pour plaire dans ce contexte douanier : s’assimiler.

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Pourtant, l’assimilation en question est spécifiquement corporelle, les yeux bridés, le nez, les cheveux et la peau étant mis en cause. En somme, ce sont les effets intimes de la race qui sont mis en relief. Or, ces effets ne surgissent pas du néant, mais très spécifiquement lors de l’inspection douanière. Autrement dit, les conséquences intimes de la race sont décidément néfastes, mais dans cet extrait, elles sont issues de l’institution nationale, le drapeau national flottant à l’arrière-plan.

Finalement, le passeport, symbole par excellence de la nation, change de valeur et d’efficacité selon la race assignée à son possesseur : « Maintenant j’ai moi-même un doute envers ce passeport qui ne m’inspire plus de fierté. Il ne semble pas avoir la même valeur que celui des autres. Alors la peur me saisit à chaque fois. Et après chaque interrogatoire douanier, j’ai besoin de m’asseoir un moment » (QMM, 73). Enfin, on ne peut trop insister sur les points de clivage entre les doctrines nationales et raciales. Surtout, dans l’espace intense de la douane, les inclusions et les exclusions qui fondent finalement toute citoyenneté83 affichent décidément leur mine raciale.

Pour contextualiser la mise en question du national de Chen, il faut souligner que la section « Fin des Lettres chinoises » semble un amendement au premier livre de Chen (Les lettres chinoises, 1992) et donc les citations ci-dessus visent au moins en partie à corriger et à clarifier des « lectures nationales » des Lettres chinoises que Chen paraît considérer erronées.

L’écrivain explique ce problème lectoral un peu plus loin dans le recueil : « Il s’agit aussi, en quelque sorte, d’une révolte poétique contre un comportement de lecture trop souvent guidé par le classement ethnique, avec une attention extrême accordée à l’aspect social et national des

83 Voir à ce sujet Canfora Luciano, La démocratie : histoire d’une idéologie, Paris, Seuil, 2006.

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écrits » (QMM, 120). Chen n’est pas la seule à souligner un « comportement de lecture » trop axé sur l’ethnie et la nation. Dans un entretien avec Suzanne Giguère, Fulvio Caccia exprime

également une méfiance envers des lectures qui « piège les auteurs, les conserve dans leur différence » (Giguère, 29). Afin de saisir la nature de la fonction raciale de ces lectures malmenées, il est utile de recourir à un autre exemple tiré de Quatre mille marches : « Mes écrits semblent devoir donner une signification concrète, offrir une information utile. Par exemple, il y a des lecteurs qui, pour la première fois de leur vie, grâce à mes livres, se rendent compte que même les Chinois peuvent aussi vivre des émotions fortes, que ces humains aux yeux bridés sont des êtres » (QMM, 49). Souvent orientés vers une thématique nationale, pour Chen, certains lecteurs interprètent sa fiction par le truchement de la nation, niant ainsi d’autres aspects de ses romans. Or, le portrait de ce comportement de lecture figure dans un contexte spécifiquement racial, d’où la mise en question encore une fois des « yeux bridés ».

Si l’acte de lire peut produire un effet racial, ce fait met en lumière des stéréotypes et des présupposées raciaux qui sous-tendent le concept de nation. Autrement dit, même si on ne parle plus très souvent de la soi-disant « race asiatique » de l’auteur, parler des origines chinoises de

Ying Chen génère parfois des effets semblables. Finalement, une autre conséquence qui se dégage de ce que l’on pourrait appeler des « lectures raciales » est une espèce de pétrification interprétative :

Or, avec une gentillesse impassible, on finit toujours par me rappeler à l’ordre, ou bien en me clouant dans la terre où je vis – Les lettres chinoises ont eu un succès étonnant, si on tient compte de la qualité et de la maturité de l’écriture, en librairie, que mes autres romans ne peuvent égaler, parce que le personnage principal exprime son attachement à sa nouvelle terre, sentiment que, tout compte fait, je partage pleinement -, ou bien en me renvoyant à la terre que j’ai quittée –

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la plupart de mes lecteurs fidèles ont un certain lien avec la Chine, beaucoup d’entre eux par exemple ont adopté une fille du continent chinois (QMM, 48).

L’écrivain attribue le succès des Lettres chinoises, un roman qu’elle semble considérer de qualité plus faible que les autres qu’elle a écrits, à une prédilection des lecteurs pour la nation, soit la nouvelle soit l’ancienne nation de l’auteur. Or, cette envie de s’unir par alliance nationale à travers la lecture, si de bonne volition, finit par « clouer » l’écrivain « dans la terre », l’immobilisant, la fixant contre son gré, la retenant figurativement dans un seul endroit.

Théoriquement, les concepts tels la nation, la culture et même la géographie favorisent des définitions contextuelles et relatives, contrairement à la race qui fige les individus autrement divers. Pourtant, dans le vécu de Chen, certains de ces lecteurs, en fixant trop étroitement la nation, finissent par produire un effet semblable. De cette manière, la terre ancestrale de l’auteur est apte à fonctionner parfois de la même manière que la race. Certes, au sein de ces questions d’origines, de nationalité, et d’identité, on aperçoit la présence absente de la race.

La race littéraire : Je suis un écrivain japonais

Si Ying Chen persuade le lecteur du comportement parfois racial de la nation, dans Je suis un écrivain japonais, Dany Laferrière cultive une vision insolente, comique et floue des notions raciales qui mobilise avant tout la littérarité de la race. Christian Desmeules résume éloquemment l’intrique du roman :

Un écrivain noir vivant à Montréal, qui a un don certain pour trouver des titres accrocheurs à ses romans, en imagine un qui dépasse tous les autres (Je suis un écrivain japonais), le lance tout de suite à son éditeur parisien qui s’emballe et lui concède une petite avance. Le consulat du Japon a mystérieusement vent de

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l’affaire, on s’agite à Tokyo où on s’indigne, on dépêche même une équipe de tournage pour le suivre à la trace. Mais l’écrivain, lui, reste immobile, le roman ne dépasse jamais l’étape cruciale du titre. Le roman ne s’écrit pas, mais il existe quand même, happé par les forces centripètes du grand cirque ordinaire (Desmeules, 2008).

Pour Jean-François Crépeau, « Dany Laferrière s’intéresse, d’abord et avant tout, à divers aspects de la question de l’identité des individus, notamment celles des écrivains; il traite ce sujet comme s’il s’agissait d’un déterminisme ou d’une tare qui entache la liberté créatrice » (Crépeau, 26).

Ce qu’il faut retenir de ces commentaires du roman, c’est que la littérature et l’identité (voire l’identité raciale, nationale) occupent le même champ de l’imaginaire dans le roman.

Comme Ying Chen, Laferrière souligne l’élargissement du concept de la race pour inclure, entre autres, la langue. La question du lien entre la langue et la race n’est pas nouvelle dans cette thèse. Au chapitre quatre, nous avons montré comment le poème Speak White tisse un lien explicite entre la langue et la race. Rappelons qu’il ne s’agit pas, dans le poème, d’une peau blanche, mais plutôt d’une façon de parler qui est racisée, la blancheur se manifestant dans une profusion d’expressions de la langue anglaise. Or, Speak White met également en évidence une naturalisation de la langue qui dépend des connotations biologiques de la « race » noire. Le

« nègre » et le noir sont associés dans le poème à une corporalité, le sang des luttes coloniales donnant corps aux luttes de libération linguistique au Québec. Nous avons pu conclure que, même si Lalonde grime la langue québécoise en noir pour lui donner une essence et une corporalité, la langue, comme la race, n’est pas inhérente à l’être humain, se montrant adaptable, transformable et peu stable.

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Dans Je suis un écrivain japonais, la différence linguistique est l’expression favorisée de la différence raciale. Mais les deux ne se montrent absolument pas intrinsèques ou « naturelles » :

C’est tout de même étonnant que malgré tous ces déplacements sur la planète – personne ne veut ou ne peut rester chez lui – ce soit l’accent qui détermine le plus la place des gens dans la société mondaine. Plus que la race ou la classe. L’accent dit la race et la classe. Une Asiatique parlant français avec un accent anglais, c’est presque du bouturage (JSEJ, 86).

L’accent est ici un nouvel indice racial qui détermine la position d’une personne dans une hiérarchie sociale. Pourtant, comme le souligne Laferrière, l’accent racial ne correspond pas toujours au corps racial84. Comme le signale l’anthropologue Bonnie Urciuloi, « accents do not reduce to phonemes for the same reason that kinship does not reduce to blood or sex, nor race to physiognomy or genes », (Urciuoli,124). Laferrière traduit une vision désincarnée de la race, la classe et l’accent, vision qui dénonce l’illusion de l’authenticité. Le narrateur exprime régulièrement une horreur de tout ce qui se porte comme vrai ou authentique : « Voilà une autre chose que je déteste : l’authenticité. Le vrai restaurant. Les vraies gens. Les vraies choses. La vraie vie. Rien de plus faux. La vie est un concept d’ailleurs » (108). À cet égard, l’accent vaut surtout par sa capacité de tromper, d’induire celui qui écoute en erreur pour dénaturaliser les présupposés. La présomption que la voix adhère implicitement et naturellement au corps est mise en doute par « une Asiatique parlant français avec un accent anglais … » (86). Si l’accent dit la race, comment identifier la race d’une personne qui a un accent anglais, parle français, mais à l’air asiatique? La réponse est que la race devient délicieusement impossible à distinguer,

84 Pour la relation entre la langue et la race, voir l’étude passionnante de Bill Ashcroft, « Language and Race », Social Identities, vol. 7, no. 3, 2001, p. 311-328.

169 une multiplication d’indices raciaux par boutures, un taillis impénétrable qui finit par créer du nouveau. Rien qu’un coup d’œil aux sous-titres et l’on découvre la centralité de l’hybridité raciale au récit: « Lire Basho dans le métro » (31); « Le Japonais de la tour Eiffel » (42); « Bjork poupée vaudou » (44). Du mélange racial, qui domine le roman, est née une source féconde de plaisirs, d’idées et d’art.

Par conséquent, à cette définition accentuelle de la race s’en ajoute une autre qui correspond à l’art littéraire. Plus spécifiquement, Laferrière dégage les constituantes littéraires de la race, liant le concept à l’acte d’écrire. À titre d’exemple, lorsque le narrateur était un jeune lecteur, il croyait « que les écrivains formaient une race bannie qui passaient leur temps à errer à travers le monde en racontant des histoires dans toutes les langues » (JSEJ, 29). N’est-ce donc pas outrepasser les limites traditionnelles de la race qui caracterise dorénavant un groupe de personnes lié non pas par la couleur de la peau, les origines, la nationalité, la culture ou même la langue, mais pas la création littéraire? Or, la question raciale se situe au cœur de la création littéraire à plus d’un égard. La race ne désigne pas simplement les auteurs liés par l’acte d’écrire, mais participe également dans la production sémiologique :

L’Asie. Décidément, j’aime ce mot. C’est le continent le plus proche d’Amérique. L’un est trop vieux; l’autre, trop neuf. Et les deux commencent par la lettre A. J’ai devant moi un être de chair et de sang, et je me confine dans la sémiologie. C’est mon côté européen (JSEJ, 24).

Dans cet extrait, c’est par le biais de la dimension sémiologique que la race prend son élan.

L’Asie n’est de toute évidence pas géographiquement ou culturellement le continent le plus proche de l’Amérique, cette interprétation favorisant plutôt la lettre ‘A’ qui apparaît au début des deux mots. Si cet inventaire des caractères alphabétiques semble assez arbitraire, pour dire le moins, il déplace l’importance du rôle de « chair et de sang » au niveau de la race pour le

170 transformer en créativité discursive. Corps, âme, nation et race étant sacrifiés, de l’Asie découle plutôt un jeu de mots. Et enfin, le narrateur nous lance un joli ultime clin d’œil à son côté européen. Il est, apparemment, non seulement québécois, haïtien, et écrivain japonais, mais

également doté d’un côté européen. Le sens de la race glisse ainsi vers l’hybridité, mais notons que l’identité du narrateur ne se trouve pas au sein de cet extrait ou de l’intrigue du roman. On néglige, règle générale, de remarquer que l’hybridité dont il s’agit n’est pas principalement identitaire, mais littéraire.

Le camp racial

Or, avant d’aller plus loin, il me semble important d’aborder un élément clé du roman qui touche à l’analyse. Si on veut être en mesure de comprendre Je suis un écrivain japonais, il faut en premier passer par l’humour. Frédérique Bernier, pour sa part, signale la possibilité de lire Je suis un écrivain japonais de Dany Laferrière comme une « parodie de la catégorie littéraire du

‘migrant’ » (Bernier, 178). Il faut admettre que le titre a de quoi surprendre, sinon rire. Comme

Christian Desmeules le signale plaisamment, « Écrivain, Dany Laferrière? Qui en douterait.

Japonais? Ça mérite réflexion » (Desmeules, 2008). De plus, ce roman d’un auteur québécois haïtien a paru en France parmi les meilleures ventes de la rubrique « Auteurs japonais » du site de la librairie Amazon (Desmeules, 2008)! Alors, même si on lit seulement le titre du roman on a l’impression que l’auteur semble se moquer de certains récits fondateurs des catégories littéraires nationales.

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Pour envisager l’éventualité que Je suis un écrivain japonais est une parodie de la littéraire migrante, il m’apparaît intéressant de cerner quelques aspects de cette catégorie littéraire qui viennent peut-être alimenter la réflexion de Laferrière sur la problématique de la race. Clément

Moisan et Renate Hildebrand, dans Ces Étrangers du dedans, décrivent l’écriture migrante comme étant portée par le déplacement, pas simplement de lieu, mais « d’efforts et d’effets plus profonds de l’ordre de la transposition, de la transmission, voire de la transcription, tous ces termes en ‘trans’ indiquant à la fois le passage et le changement d’un lieu, d’un état ou d’un moment à un autre » (Moisan, 208). Si le roman met en marche « d’efforts et d’effets » de l’ordre

« trans », je propose que c’est le « transvestisme » racial/national/culturel qui s’avère le pivot organisateur du roman. Le tissu ironique érige sans doute un obstacle à cette définition de l’écriture migrante, puisque contrairement à la « transposition », la « transmission », la

« transcription », le travestissement relèvent non pas simplement du passage ou du changement, mais d’une esthétique « camp »85 qui, selon la formule célèbre de Susan Sontag, met en relief une sensibilité de « sérieux raté » (Sontag, 8). Autrement dit, dans Je suis un écrivain japonais, les discours de la race qui prônent habituellement le sérieux, tournent plutôt au comique.

C’est par son apparente légèreté, son fétiche pour l’hyperbole et le scandale, ainsi que sa propension pour la déception et la désidentification que Je suis un écrivain japonais s’inscrit, selon moi, dans une esthétique camp. Dans ses formes traditionnelles, le camp met en relief l’artifice du genre sexuel et de l’hétérosexualité. Désignant au début les performances des

85 L’expression anglaise « camp » résiste à la définition simple, mais il est intéressant de noter qu’elle provient du verbe français « se camper », que Le Petit Robert définit comme « se tenir en un lieu dans une attitude fière, hardie ou provocante » (petitrobert.com). Je garderai parfois le terme en anglais pour évoquer cette esthétique de provocation si souvent associée à un style gai.

172 imitateurs travestis, le camp fonctionne par la suite comme critique acerbe de l’hétéronormativité sociale, mais toujours sous la forme du rire86. Mais si le terme camp débute dans le mouvement gay et lesbien et se déplie grâce à la théorie queer, ses affiliations plus récentes avec les discours féministes et la théorie critique de la race sont à noter (voir Pearson, 551)87. Dans son essai célèbre « Notes on Camp », Susan Sontag avance qu’un des éléments clés du camp consiste dans l’outrance éhontée de l’artifice et de la frivolité jusqu’à atteindre des excès scandaleux (55)88.

Ainsi, le camp met généralement en relief l’artifice des catégories identitaires du genre sexuel et de la sexualité. Grâce à des stratégies semblables, Laferrière rend explicite l’artifice de la race et de ses nouvelles modalités, telle la nationalité. À titre d’exemple, par le titre Je suis un écrivain japonais, Dany Laferrière et son narrateur se travestissent en japonais. Mais comme dans un spectacle de travestis traditionnel, le déguisement n’est pas du tout clandestin. Il s’agit plutôt d’une méconnaissance intentionnelle. Dany Laferrière et ses origines haïtiennes étant assez célèbres depuis quelques décennies au Québec, le lecteur québécois comprend tout de suite la blague.

Or, il va sans dire que la race et la nation sont le plus souvent des entreprises sérieuses sinon sombres. Par exemple, le stéréotype racial est généralement un sujet très sérieux, surtout

86 Voir, à ce sujet, Mark Booth, « Campe-toi : On the Origins and Definitions of Camp » dans Camp : Queer Aesthetics and the Perfoming Subject de Fabio Cleto, University of Michigan Press, 1999, p. 66-79. 87 Il est intéressant de noter qu’il y a, dans Je suis un écrivain japonais, plusieurs références à l’homosexualité. Parfois, l’homoérotique est insinuée - voir l’art de jouer du bâton avec le sexe des Nègres (147) et l’ultime saut de Noriko (94). Et parfois, l’homosexualité est explicitement nommée – voir la peau douce (180) ou encore, le chauffeur musclé qui fait un spectacle de travesti au cabaret (257). Pour des raisons d’espace, je ne m’intéresserai pas à ce sujet autrement très passionnant. 88 Pour ceux qui voudraient approfondir le sujet du camp, voici quelques lectures complémentaires : Moe Meyer (dir). The Politics and Poetics of Camp, London, Routledge, 1993; Gilad Padva, « Priscilla Fights Back : The Politicization of Camp Subculture », Journal of Communication Inquiry, no. 24, vol. 2, 2000, p. 216-243; Fabio Cleto (dir), Camp : Queer Aesthetics and the Performing Subject, University of Michigan Press, 1999.

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étant donné ses effets racistes et pernicieux. Pourtant, au chapitre précédent, nous avons souligné le fétiche laferrien pour le stéréotype, surtout le stéréotype racial. Dans Je suis un

écrivain japonais, le camp permet à Laferrière de cultiver une nouvelle relation au stéréotype racial. Toujours selon Sontag,

The whole point of camp is to dethrone the serious. Camp is playful, anti- serious. More precicely, Camp involves a new, more complex relation to the serious. One can be serious about the frivolous, frivolous about the serious (62).

Suivant Sontag, Laferrière institue lui aussi une relation complexe au sérieux. Dans Je suis un

écrivain japonais, le stéréotype racial prend toujours l’avant-scène, mais l’esthétique camp du roman permet en particulier de priver le stéréotype racial de sa sensibilité sérieuse. D’emblée, en bavardant avec une connaissance coréenne, le narrateur annonce : « J’aimerais vivre une expérience japonaise….. Le Coréen n’est pas trop sûr que je sois sérieux. Je garde mon sérieux.

Pour moi, c’est simple : tout est sérieux, et rien ne l’est vraiment. C’est ainsi que j’avance dans la vie » (JSEJ, 24). Il s’agit d’une attitude décidément marquée par le camp où ce qui est habituellement pris au sérieux ne l’est plus, et ce qui ne semble pas très grave l’est, surtout en ce qui concerne les recherches que le narrateur entreprend pour l’écriture de son roman « japonais ».

Suivante cette logique, la persécution des écrivains est également habituellement un sujet très sérieux, qui d’ailleurs concerne Dany Laferrière personnellement, l’auteur ayant fuit l’oppression de « Papa Doc » Duvalier. Mais comme on le verra dans l’extrait suivant, le narrateur, au clin d’œil nostalgique, estime non pas la liberté des écrivains, mais le sérieux qui s’est offert à la littérature lors de la persécution : « Je savais que la littérature comptait pour du beurre dans le nouvel ordre mondial. Il n’y a que les dictateurs du Tiers-Monde qui prennent les

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écrivains au sérieux en les faisant régulièrement emprisonner, ou fusiller même » (JSEJ, 111).

Troublé qu’on est à chaque pas par de telles images qui ont une gravité sous une apparence frivole, ou bien une frivolité sous une apparence grave, il est difficile d’identifier la véritable voie puisqu’à chaque pas, on se demande si l’auteur se montre sérieux dans la forme ou léger dans le fond. Mais enfin, l’effet de cette sensibilité camp est de détrôner le sérieux généralement accordé aux récits raciaux pour mobiliser plutôt un ton de badinage, de frivolité.

Le ton comique du roman est peut-être immanquable, mais il ne s’agit pas, à mon avis, de l’humour acerbe que l’on associe souvent à la parodie et l’ironie. Il me semble qu’il s’agit plutôt d’un humour assez indifférent et dégagé. Selon Sontag, si la tragédie est une expérience d’hyperengagement, la comédie camp est une expérience de sous engagement, de détachement

(63). Parallèlement, Bernier souligne élégamment « l’art nonchalant » de Laferrière, issu d’une longue lignée d’écrivains talentueux :

Tendu entre Diderot et Basho, entre le ludisme irrévérencieux du roman gigogne et l'idéal de transparence et d'effacement du haïku, évoquant aussi ses accointances avec Kafka (la littérature comme métamorphose), Borges (la littérature comme projet et comme bibliothèque) et plusieurs autres qu'il s'approprie et expatrie sans vergogne (« Tous. Flaubert, Goethe, Whitman, Shakespeare, Lope de Vega, Cervantes, Kipling, Senghor, Césaire, Roumain, Amado, Diderot, tous vivaient dans le même village que moi. Sinon, que faisaient-ils dans ma chambre ? »), l'art nonchalant et astucieux de Laferrière se compare peut-être avant tout à la pêche à la ligne telle que la pratiquait aussi l'écrivain américain Richard Brautigan, autre figure convoquée (ce n'est pas un hasard si le narrateur hérite des vieilles bottes de cowboy de cet écrivain : n'est-il pas, sur le modèle de Lucky Luke, « le plus rapide titreur d'Amérique ») (Bernier, 180).

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Comme le soulève Bernier, Laferrière mobilise « l’idéal japonais » de transparence ainsi que l’effacement du haïku. Autrement dit, le choix de « devenir » un écrivain japonais semble découler de l’idéalisation d’une esthétique froide, d’une façon de regarder qui s’estime neutre.

D’ailleurs, le narrateur fait explicitement appel à « l’art japonais de la notation pure » (Bernier,

181) dans sa production littéraire : « Pour que la littérature existe vraiment, il faudrait que les livres soient anonymes. Pas d’ego, plus d’intervention personnelle » (JSEJ, 246). Ou encore :

Alors pour devenir un écrivain japonais, je dois vite me procurer un appareil photo. Je préfère encore ma machine à écrire. Au fond, c’est la même chose. On décrit tout ce qu’on voit. Je voudrais être non pas un photographe, mais simplement un appareil photo froid et objectif. Juste regarder l’autre. Est-ce possible (JSEJ, 176)?

L’humour de Laferrière s’alimente aux sources raciales, mais au regard nonchalant d’un appareil photo « japonais », toujours lié à l’acte d’écrire. Alors, outre sa dimension comique, le roman creuse dans un stéréotype japonais pour élaborer un cadre conceptuel. Finalement, le Japon et les clichés racistes qui lui sont attribués représentent surtout une façon de regarder dans le roman.

Le stéréotype racial n’est pas évoqué (dans ce cas) gratuitement, mais a pour fonction de mettre en place une esthétique. Du stéréotype racial découle un cadre conceptuel romanesque.

D’ailleurs, cette dimension conceptuelle du stéréotype racial n’est pas le seul rapport entre l’acte littéraire et la race / la nation. Laferrière n’invente rien de moins qu’une nouvelle définition de la nationalité, liée cette fois-ci explicitement à une dynamique littéraire :

Je suis étonné de constater l’attention qu’on accorde à l’origine de l’écrivain. Car, pour moi, Mishima était mon voisin. Je rapatriais, sans y prendre garde, tous les écrivains que je lisais à l’époque … tous vivaient dans le même village que moi. Sinon que faisaient-ils dans ma chambre? Quand, des années plus tard, je

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suis devenu moi-même écrivain et qu’on me fait la question : ‘Êtes-vous un écrivain haïtien, caribéen ou francophone?’, je répondis que je prenais la nationalité de mon lecteur. Ce qui veut dire que quand un Japonais me lit, je deviens immédiatement un écrivain japonais (JSEJ, 29-30).

Le rapatriement lectoral des auteurs inaugure une nouvelle formule de la nation qui devrait faire fureur : la nationalité devient aussi fictive que la littérature, dominée autant par des préoccupations esthétiques que par des relations dynamiques. La nation, comme la littérature, est subordonnée au discours, oui, mais également au fantasme, à l’imagination, à l’invention.

Cette nouvelle notion de la nationalité entraîne l’évacuation totale de toute question corporelle.

Finalement, cette version laferriènne de la nationalité trouve écho dans mon cadre conceptuel de la race interprétative développé au chapitre précédent. D’une part, on se rappelle qu’il s’agit des processus performatifs où la race, comme le genre pour Judith Butler, prend forme par le fait même d’être énoncée et mise en pratique. Or, comme je l’ai souligné au chapitre précédent, la performativité tend à solliciter des analyses axées de manière trop restrictive à des réflexions sur la personne qui performe. En prenant la nationalité de son lecteur, le narrateur met au premier rang les acteurs qui se trouvent de l’autre côté du rideau, la nationalité n’étant plus qu’un état de pensée du lecteur qui détermine sa façon de percevoir le texte et ainsi, la nationalité de l’auteur. De cette façon, la nationalité de l’auteur est effectivement sans connotation d’origine, de corps original ou de nature innée, et ainsi sans connotation raciale. Mais ce faisant, Laferrière annonce, en quelque sorte, la mort identitaire de l’auteur.

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La mort du sujet : « Je ne suis plus » ou des stratégies anti-identitaires

La précarité du statut ontologique du soi est un des éléments les plus innovateurs des

écritures de Ying Chen et Dany Laferrière. La délivrance des identités figées est subordonnée, du moins dans les œuvres de Chen et de Laferrière, à la mort du soi. Pourtant, la constatation que le soi est une entrave à l’expression identitaire peut sembler bizarre, surtout étant donné le lien entre la race et les discours identitaires, lourds de significations et de conséquences. Par exemple, pour certains écrivains racisés qui habitent en situation de minorité, la reconnaissance identitaire est un but important. D’ailleurs, on insiste généralement sur la subjectivité constitutive du récit littéraire qui donne aux peuples marginaux une voix et une légitimation.

Pour Jewel Amoah,

The practice of Narrative functions to allow traditionally marginalized and disempowered goups such as women and people of color, to reclaim their voices. In addition, by laying claim to personal narrative (i.e. the telling of one’s own story), oppressed peoples are able to create their own sphere of theorized existence and thus remove themselves from the marginalized position to which dominant society has regulated them (Amoah, 85).

Surtout, la littérature d’expression identitaire se livre très souvent contre l’invisibilité sociale.

Par exemple, Chrystl Verduyn souligne une volonté de ne pas disparaître pour trois écrivaines souvent associées à l’écriture migrante :

L’écriture d’auteures comme Dahan, Ltaif et Ghattas semble communiquer, entre autres, une volonté de ne pas disparaître. C’est une écriture par laquelle commencer à paraître, à affirmer la différence [sic]. En cela, elle se rapproche peut-être plus qu’elle ne s’éloigne de l’écriture des femmes s’identifiant à des groupes minoritaires au Canada anglais (Verduyn, 84-85).

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D’une part, la volonté de paraître, d’atteindre une certaine visibilité et légitimation représente un moment important dans la reconnaissance identitaire des auteurs « mineurs » et leur apport à un corpus particulier.

Alors, comment explique-t-on un immanquable désir de disparition identitaire dans les textes de Chen et Laferrière? Pensons d’emblée à l’importance de la mort dans l’œuvre de Chen.

Les romans L’ingratitude, Le mangeur, et Querelle d’un squelette avec son double poursuivent chacun à leur façon la mort des narratrices respectives, l’image dominante étant la dématérialisation corporelle. Par exemple, dans Querelle d’un squelette avec son double, il s’agit de la mort d’une narratrice squelettique, son corps se dissipant peu à peu, et celle de son double, obsédée par ses origines, qui meurt longuement dans les douleurs, son corps enterré notablement sous la maison familiale. Or, il ne s’agit pas toujours d’une mort concrète ou tangible. Chen se livre moins à la mort réelle du sujet qu’au dégonflement ontologique du concept de soi. Souvent, il est question d’une envie de s’effacer. D’abord, dans Les lettres chinoises, Sassa démontre une envie de s’effacer, de disparaître dans la ressemblance et elle exprime une méfiance de la visibilité de la différence :

Je vais souvent me promener sur la rue Nanjing. J’aime ces vagues de têtes qui, avec un mélange de chaleur et de froideur, s’élancent vers moi. J’aime cette sensation d’être noyée parmi les têtes qui me ressemblent un peu. J’ai un moment d’illusion de disparaître complètement. Rien ne vaut plus que le bonheur d’une disparition complète de soi. C’est pourquoi je n’ai pas peur d’abandonner une langue pour une autre. Je n’ai pas peur d’être étrangère. En un mot, je n’ai pas peur de m’effacer aux yeux des autres ou des miens. Non, ce n’est pas cela qui m’effraie dans l’exil. Au contraire, je crains de devenir trop visible dans un autre pays (Les lettres chinoises, 37).

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Et dans Quatre mille marches, l’exil alimente la réflexion, mais sa leçon première n’est pas une revendication identitaire, mais plutôt le contraire : « Ce que mon exil, c’est-à-dire mon apprentissage des langues m’a apporté, je ne l’échangerais contre rien au monde. Il m’a enseigné entre autres choses l’humilité, m’a fait comprendre qu’avec ou sans origines je ne suis rien du tout » (QMM, 36). Ou encore : « Je flotte ainsi sur une mer où de nul côté je ne vois la rive. Grâce à cette solitude, le moi perd son importance; et du coup, paradoxalement, je ne suis plus seule » (QMM, 36-37). Ce détour théorique, qui mène au « moi » éclaté, permet de repenser les discours identitaires.

Cette préoccupation de Chen, axée sur le dégonflement du soi, rejoint d’ailleurs une notion centrale du cadre conceptuel de Laferrière. Par exemple, se transformer en écrivain japonais, nous l’avons déjà souligné, signale un désir du narrateur de devenir « non pas un photographe, mais simplement un appareil photo froid et objectif » (QMM, 176). Le narrateur ne désire pas se transformer en japonais qui photographie, mais en appareil photographique japonais, froid, et présumément neutre, qui ne fait que noter de tels stéréotypes. Pour réaliser cette ambition, c’est l’auteur, celui derrière l’appareil photo, qui est sacrifié sur l’autel de la création littéraire. Le sens de « japonais » glisse non pas vers une identité, mais vers un idéal perceptif désencombré de l’identité. La valeur de l’identité est ainsi affaiblie, surtout en ce qui concerne l’acte d’écrire. Vers la fin du roman, le narrateur précise l’entreprise de dépouillement de ce fameux titre romanesque : « Je ne suis plus un écrivain. Ce n’est pas un titre de roman.

Remarque que ce ne serait pas un mauvais titre. Dans le droite ligne de ma démarche vers plus de dépouillement. Le nu absolu serait : Je ne suis plus » (JSEJ, 259). Ou encore :

Je descends la rue Saint-Denis pour tourner à droite sur la rue Sainte-Catherine, et me fondre dans la foule du centre-ville. Il fait ce soleil d’automne à Montréal.

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L’air sent bon. Les filles portent encore des jupes d’été. Et personne ne sait à présent où je suis. Ni surtout qui je suis. Pourtant je reste célèbre au Japon (JSEJ, 259-260).

La démarche vers le dépouillement identitaire consiste à atténuer et minimiser l’importance du soi, ce qui minimalise également l’importance des catégories identitaires telles la nation et la race. Autrement dit, pour outrepasser la race, il faut dépasser le soi, il faut déclarer audacieusement « je ne suis rien du tout ».

La race est une figure de style, pas une personne

Walter Benn Michaels estime que l’identité est une nouvelle forme d’ontologie raciale

(Michaels, 682). Autrement dit, pour Michaels, les questions, « qui suis-je » et « qui sommes- nous » gagnent de l’affect et du pathos puisqu’elles sont ancrées dans la race. Dans un article assez étonnant qui tombe parfois dans la provocation, Michaels, qui vise avant tout l’identité culturelle, note la parenté étroite entre la notion d’identité culturelle actuelle et celle d’identité raciale qui la précède : « The modern concept of culture is not, in other words, a critique of racism; it is a form of racism » (683). Micheals se méfie des affirmations essentialiste de l’identité et se demande même « why does it matter who we are? » (682). Il me semble que

Laferrière et Chen prennent la suite de cette logique, la concordance de cadres conceptuels raciaux de chacun étant étonnement compatible. Michaels termine l’article avec l’extrait suivant :

Our sense of culture is characteristically meant to displace race, but part of the argument of this essay has been that culture has turned out to be a way of continuing rather than repudiating racial thought. It is only the appeal to race that makes culture an object of affect and that gives notions like losing our culture,

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preserving it, stealing someone else’s culture, restoring people’s culture to them, and so on, their pathos. Our race identifies the culture to which we have a right, a right that may be violated or defended, repudiated or recovered (684).

Au lieu d’abandonner la pensée raciale, dans leurs formes actuelles, la culture, la nationalité et l’ethnicité préservent souvent la race. Autrement, pourquoi est-ce que le poissonnier du narrateur semble si inquiet lorsque le narrateur lui lance son nouveau titre romanesque (18)? Ou bien, comment expliquer la vivacité de l’intérêt du consulat japonais à l’égard d’un titre de roman (115)? Le pathos du titre Je suis un écrivain japonais remonte à la race.

Par contre, en raison de son esthétique camp, la réflexion raciale de Laferrière donne à la notion de la race un sens nouveau. Ainsi qu’en fait foi ce passage, les vives réactions du public au titre Je suis un écrivain japonais ne reviennent pas seulement à la méfiance manifestée par le poissonnier et le consulat japonais :

Si je comprends bien le débat a commencé dans un magazine culturel auquel je collabore, puis la télé a suivi et c’était dans la rue. Même l’armée s’en est mêlée depuis qu’un officier a lancé aux nouvelles du soir, au moment où toute la famille regardait la télé : ‘Je suis un soldat coréen,’ Un officier japonais dit ça. Bien sûr, il a été mis aux arrêts, mais la presse étudiante s’est déchaînée. Finalement, on l’a muté dans le Nord, une sorte d’exil. Mais le clou de l’affaire c’est un chauffeur de poids lourd, très musclé et couvert de tatouages, qui fait un spectacle de travesti tard le soir dans un petit cabaret à la sortie de la ville. Et les gens s’y précipitent. Son tube passe en boucle à la radio : Je suis un geisha japonaise. Tout le monde la chante dans le métro. Même les enfants (JSEJ, 257).

Alors, contrairement à Michaels qui décrit les connotations raciales de l’identité culturelle avec une certaine solennité attendue, l’esthétique camp permet à Laferrière de détourner le pathos racial en spectacle travesti : un soldat japonais qui lance qu’il est plutôt soldat coréen; un chauffeur musclé qui chante « je suis un geisha japonaise ». C’est sans doute un spectacle

182 attendrissant que de voir la libération des identités figées, mais l’émoi est soulevé par le fait que le soldat et le chauffeur osent transgresser les limites identitaires. Remarquons également que la nationalité est toujours un attribut au substantif du métier. Il ne s’agit pas, autrement dit, d’un

Japonais ou d’un Coréen, mais d’un soldat coréen, ou d’un écrivain japonais. La race ne fait que qualifier le métier auquel elle est reliée. La race n’est alors pas une identité, mais une manière, une façon, ou même un style que l’on peut choisir d’adopter ou non. Si un soldat japonais peut se déclarer un soldat coréen, on ne nait pas coréen, on le devient. La race et la nationalité sont moins innées que synthétiques, des accessoires dans un spectacle identitaire.

Mais enfin, le camp n’est pas simplement révélateur de l’artifice, il se délecte de l’artifice, savourant pleinement les délices factices de l’imitation. Selon Sontag, « camp is the consistently aesthetic experience of the world. It incarnates a victory of ‘style’ over ‘content’,

‘aesthetics’ over ‘morality’, of irony over tragedy » (62). Alors, par le truchement du camp,

Laferrière ne met pas simplement en lumière l’artifice de la race, il met en valeur cet artifice. Le style est un aspect de l’expression chez un écrivain et Laferrière emploie la race dans une intention esthétique présentant ses qualités artistiques. Le concept de la race comme un style plutôt qu’une personne, une façon plutôt qu’une chose, libère la race de l’emprise de la nature et l’ouvre ainsi à l’imagination et la création. À cet effet, on aurait grand tort de diminuer l’importance ou la valeur de la race à cause de son artifice. Au contraire, la race est influente à cause de sa nature stylistique. Alors que la logique postraciale disqualifie le concept de la race en vertu du fait qu’il n’est qu’un signe arbitraire, le camp racial de Laferrière le célèbre en grande pompe pour la même raison.

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Conclusion : les avatars de la race

Avec un peu de recul, on constate que la question de la race soulève des tourbillons multicolores au Québec : un parlementaire anglophone ordonne à Louis-Joseph Papineau de

‘speak white’, le rangeant, à cause de son apparente infériorité raciale, avec le Noir. Ensuite le

Québécois revendique la blancheur, avant de jouer à l’Indien, pour ensuite se grimer en noir. Et enfin, aujourd’hui, on ébranle les fondements conceptuels de la race avec un auteur québécois haïtien qui ose se « camper » en écrivain japonais. Alors, aborder la race dans un contexte universitaire ne revient pas seulement à œuvrer dans sa matérialité. La race n’est pas, dans le cadre de cette étude, simplement vouée à une nature matérielle ou biologique, mais elle poursuit son parcours à travers toutes les métamorphoses de la fabulation identitaire. À cet effet, le romancier Jacques Godbout a affirmé en 1971 que tous les écrivains québécois se trouvent impliqués volontairement ou involontairement dans le projet identitaire du Québec :

« Aujourd’hui le service littéraire est obligatoire. De même le port du costume national, du chant national, (vive le Québec libre) du TEXTE national » (147). Godbout avait raison de souligner l’importance de la littérature et du port du costume pour le devenir québécois, mais on néglige, règle générale, de songer aux modalités raciales de ces costumes identitaires. Or, la création des identités québécoises s’avère distinctive, sinon singulière, et a exigé justement le port de multiples costumes raciaux.

D'entrée de jeu, le rapport Durham (1839) brosse un portrait des Canadiens français qui les apparente à une race noire, dotée, selon la tradition raciste des discours coloniaux, d’une nature paresseuse, inerte et arriérée. Pour opposer le projet hostile des Anglais, Lionel Groulx, dans L’appel de la race (1922), revendique l’égalité raciale. Seulement, il ne dénonce pas

184 simplement le racisme anglais, mais réclame plutôt ce qu’il considère comme étant le droit des

Canadiens français – leur part d’un héritage racial blanc. Pourtant, dans Menaud, maître-draveur

(1937) de Félix-Antoine Savard et Ashini (1960) d’Yves Thériault, le Québécois joue à l’Indien, ces auteurs déguisant symboliquement la province en costume autochtone. Et lors de la

Révolution tranquille, le Québec se dit « nègre » et se livre à une altérité noire pour imaginer et exprimer l’altérité québécoise. En effet, le Québec a endossé des costumes raciaux marqués de couleurs disparates - noir, puis blanc, puis indien, puis nègre. Comment ne pas s’étonner devant ces changements radicaux survenus dans l’utilisation des indices raciaux au Québec à travers son histoire littéraire? La question qui se pose au moment de conclure cette thèse est de savoir ce qu’on peut déduire de la grande variété des indices raciaux mobilisés au Québec.

Premièrement, étant donnée cette variété, il devient impossible de passer sous silence la nature discursive, rhétorique et performative de la race. En effet, la race est une démarche performative dans un double sens - elle est non référentielle tout en étant également dramatique.

D’une part, on se rappelle que la race, comme le genre sexuel pour Judith Butler, prend forme en ce qu’elle est énoncée et mise en pratique; elle est en ce sens non référentielle puisqu’elle ne se réfère pas à un état existant qui précède l’énoncé. À titre d’exemple, dans le rapport Durham, le

Canadien français est perçu comme appartenant à une race inférieure et noire puisque les Anglais l’énoncent comme tel, de façon répétitive, pour légitimer leur projet colonial, et non pas parce que le Canadien français est biologiquement, culturellement ou naturellement inférieur. À tout prendre, il faut également se rappeler que, si on a tendance à considérer le Québécois de

« souche » comme blanc, cette blancheur prend également forme dans son énonciation et sa mise en pratique. Aujourd’hui le statut blanc de « souche » est peut-être tenu pour acquis, mais en

1922 lorsque Lionel Groulx publie l’appel de la race, l’auteur doit convaincre son lecteur que

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« rien n’est plus blanc que la nappe des habitants » (Groulx, 32). Effectivement, Groulx et son roman participent à la création de la race blanche des habitants. Le Québécois ne naît pas blanc, il le devient.

D’autre part, à travers cette thèse, on a assisté à des moments raciaux hautement sentimentaux et dramatiques, la charge émotive de la race étant un outil rhétorique redoutable. Par exemple, Groulx et Durham mettent tous les deux en œuvre la charge émotive des enfants « de race » pour convaincre le lecteur qu’il faut défendre une cause au nom de leur protection. Quant à

Ashini, dernier des Montagnais, dernier de sa race, il reproduit l’idée reçue du « dernier des

Mohicans », mais à grand effet, tout en utilisant la race pour asseoir la puissance émotive du récit.

Pour ce qui est de Pierre Vallières, il emprunte le langage troublant de l’exclusion raciale des Noirs américains, évoquant les horreurs de l’esclavage et de la ségrégation à travers un seul mot déchirant – le nègre – pour exprimer la souffrance québécoise. Ces exemples soulignent les drames humains si souvent joués par la race. De la pureté de l’enfant à l’épurement d’un peuple, la race nous emporte dans une intensité dramatique, dans de vrais mélodrames aussi théâtraux que poignants.

Or, à certains moments dans cette étude, j’ai soulevé des problèmes posés par l’utilisation québécoise des indices raciaux. Par exemple, au chapitre trois, j’ai eu recours à Rémi Savard qui a souligné la concurrence entre l’Autochtone et le Québécois qui « ne joue pas seulement sur le plan de l’aborigénéité, mais aussi sur celui plus délicat qui consiste à savoir qui est l’Opprimé absolu » (Savard, 1992, 6). Si les deux romans étudiés au chapitre trois semblent faire preuve d’une certaine sensibilité en ce qui a trait à l’aborigénéité, j’ai avancé que les auteurs en question tentent de résoudre le problème posé par l’Amérindien à l’identité québécoise en « jouant à

186 l’Indien », c’est-à-dire, en déguisant symboliquement le Québec en costume indigène. Ce « jeu » est à première vue anodin, consistant à favoriser ce que Jean Morency appelle le saisissement des

« Amérindiens comme sujets, et non pas uniquement comme objets » (Morency, 2007, 97).

Pourtant, une fois contextualisé par deux mythes qui encadrent les récits – celui de la disparition des peuples autochtones et celui de la survivance québécoise – le portrait outre-tombe des

Amérindiens semble très problématique. En effet, Rémi Savard dénonce le fait qu’au Québec, on fait état de la présence autochtone exclusivement « pour la réduire au rôle de faire-valoir destiné à rehausser la silhouette héroïque de nos valeureux ancêtres » (Savard, 1994, 6).

D’ailleurs, pendant la Révolution tranquille, le Québec a mobilisé l’indice racial

« nègre » pour expliquer sa propre oppression, ce qui a soulevé de nombreuses objections, telles son propre passé impérialiste et son niveau de vie (voir Hutcheon, 1995, 132; Lamoureux, 116; et Memmi, 138). De plus, le titre de l’ouvrage Nègres blancs d’Amérique choque non seulement par son emploi du mot tabou « nègre », traduit en anglais par l’injure raciste « nigger », mais

également par son insistance sur le fait que les Québécois sont (in)dignes de ce nom. Vallières grime le Québécois en noir pour secouer son lectorat qui s’étonne de le voir dans ce costume.

Dans un renversement, l’appellation « nègre blanc » a pour effet de souligner la blancheur supposément constitutive du Québec. Tout comme le spectacle ménestrel, le « nègre blanc » ne conduit pas à une rupture avec l’identité blanche. En effet, même si Vallières se dit « nègre » et malgré ses éloges contre le racisme, le message sous-jacent est qu’il ne devrait pas être traité de nègre puisqu’après tout, il est un homme blanc.

Pourtant, sans réduire indûment les graves inquiétudes que je viens de souligner, et sans proposer que l’on passe sous silence ces problèmes, il ne faut pas négliger la subtilité de certains des fantasmes raciaux au Québec. À tout prendre, cette étude de la race dans la littérature

187 québécoise vaut surtout par son repérage de certaines violations des conventions raciales à l’intérieur de la province, ou, pour emprunter l’expression d’Eric Lott, les petits crimes commis contre certaines idées autrement bien ancrées dans la démarcation raciale (Lott, 4). Par exemple, le « nègre blanc », comme la tradition blackface, n’est pas simplement une relique raciste, mais traduit également un désir transracial, le signe « nègre » représentant un symbole d’unité pour la classe ouvrière, « ces nègres, qui n’ont pas tous la peau de la même couleur » (NB, 61),

« solidaires dans la lutte de libération » (NB, 62). Si l’utilisation du signe nègre par Vallières est en fin de compte problématique, s’affirment néanmoins et curieusement un homme et un peuple qui se disent « nègres », tout en restant dégagés des corps et des cultures identifiés comme noirs… des « nègres » désincarnés. Quelle drôle d’image qui charme peut-être par son étrangeté déroutante, mais qui finit par mettre involontairement en évidence le caractère performatif de la race.

D’ailleurs, ce sont les absurdités et les invraisemblances de la race qui prédominent dans mon étude de textes québécois. Pensons à L’appel de la race où Lionel Groulx dépeint l’image

étrange de quatre enfants dotés d’identités raciales différentes au sein d’une seule famille. Ce curieux portrait de famille présente deux enfants avec la barre du front, les lèvres et la nuque provenant de la race anglaise, à côté de leur frère et soeur qui exhibent les traits de la belle et brune race française (voir Groulx 46-47 et 84). Bref, si cet écrivain n’avait vraisemblablement aucune intention de dresser un portrait humoristique, on risque néanmoins aujourd’hui de l’apprécier comme tel. Parallèlement, les héros Menaud et Ashini, tous deux des « rochers » d’hommes sages, sont dotés d’une virilité que l’on pourrait sans doute qualifier d’« hyper ».

Cette virilité vient appuyer le récit racial des deux textes, le risque d’émasculation épaulant le risque de pénétration raciale. Or, si la virilité de ces héros s’inscrit dans la grande tradition québécoise du coureur des bois, il me semble difficile, dans une perspective contemporaine, de

188 prendre ces types masculins tellement excessifs au sérieux. En effet, c’est l’excès de ces hyperhéros qui permet un écart connotatif, et peut-être même un léger rire involontaire. Menaud et Ashini tombent par mégarde dans le panneau des clichés masculins, aujourd’hui plus kitsch que crédible.

Or, c’est plus tard que les auteurs endossent plus explicitement le kitsch racial. Dans

Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer (1985) et Je suis un écrivain japonais

(2008) de Dany Laferrière, tout comme dans Quatre mille marches (2004) de Ying Chen, le concept de la race est délibérément mis en question. À la différence des autres auteurs étudiés,

Laferrière et Chen n’exploitent pas la notion de la race pour promouvoir une cause politique

évidente, ni pour assurer une identité quelconque. Tous deux méditent plutôt sur un contexte

énonciatif racial, sur un paysage racisé où les discours raciaux se cachent discrètement sous d’autres noms, sous d’autres visages, telle la nationalité. Mais que devient la race lorsque sa nature performative est prise en charge? Voilà qu’elle laisse finalement tomber ses vestiges biologiques et identitaires pour devenir, comme le voudrait Laferrière, une manière, une façon, ou même un style qui, malgré son artificialité (ou peut-être à cause de son artifice), entraîne parfois des conséquences bien réelles et graves. Selon ce modèle laferrien, la race est moins biologique que synthétique, un accessoire dans un spectacle « camp » contestataire, une grosse farce délicieusement quétaine qui pousse le lecteur à contempler l’absurdité des réactions défensives du public à la déclaration du narrateur qu’il est un écrivain japonais. Selon Jimmy

Thibeault, le « souci d’échapper aux étiquettes de la critique se traduit dans l’ensemble de l’œuvre romanesque de Laferrière par l’affirmation d’une certaine individualité du narrateur et personnage, qui passera, au fil des romans, du désir d’être le plus grand écrivain nègre à celui de se renommer écrivain japonais » (Thibeault, 25-26). Si, dans l’univers romanesque de

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Laferrière, le même personnage narrateur peut accéder au rang d’écrivain nègre et japonais, c’est alors que l’auteur rompt définitivement avec les identités fixes et stables fondées sur la race.

Mais dans un sens, avec un peu de recul, on constate que Laferrière n’est pas le premier

écrivain québécois à refuser de rester dans les limites des catégories raciales. Comme on vient de le voir, Groulx, Thériault, Savard, Vallières et Lalonde font un grand usage thématique de la transgression identitaire en s’affirmant en tant que Blanc, en jouant à l’Indien, et en se grimant en noir. Ces transgressions s’avèrent sûrement moins ludiques que le travestissement japonais de

Laferrière, car ces auteurs abordent le sujet de la race moins de front que ce dernier. Or, l’indice racial se livre depuis longtemps au Québec à la violation de certaines conventions raciales. Et si, comme je l’ai démontré, l’emploi de la race dans les textes étudiés entraîne souvent des effets troublants et alarmants, des effets oppressifs et même racistes, Laferrière n’est certainement pas

à l’abri de ces reproches. Comme le souligne pertinemment Lori Saint-Martin dans son article très récent, « Une oppression peut en cacher une autre : antiracisme et sexisme dans Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer de Dany Laferrière », ce roman fait appel aux stéréotypes sexistes les plus éculés (54). Si ma lecture se distingue de celle de Saint-Martin, qui lit le roman comme proposant une approche antiraciste plutôt qu’une approche délivrée de tout engagement politique, j’estime qu’elle a néanmoins raison de souligner le sexisme de Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer.

Mais alors comment explique-t-on la grande variété des transgressions raciales dans la littérature québécoise, aussi problématiques soient-elles à certains moments? Il y a à cet égard convergence entre la situation québécoise et une idée soulevée par Michael Cobb dans « Uncivil

Wrongs : Race, Religion, Hate and Incest in Queer Politics ». Selon Cobb,

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there is a useful strategy that is not about a faithful utterance, the precise naming of the minority situation in which they [queer community] persistently find themselves; there is use in being fictitious, imaginative, if not downright dishonest when it comes to one’s publicity in a coercive and hostile nation (Cobb, 2005, 262).

Cobb maintient que la manipulation queer de l’analogie entre la persécution des communautés gaies et celle des Noirs américains est parfois problématique, mais néanmoins très efficace pour contrer un environnement hostile et homophobe. Parallèlement, la littérature québécoise a fait un usage fréquent, bien que parfois abusif, des signes raciaux pour s’imaginer, pour se créer, pour s’orienter, et pour se situer dans un continent qui s’avère souvent hostile envers sa minorité francophone. En effet, dira-t-on peut-être, la fictivité de la race est d’un puissant secours pour les blessures très réelles de l’oppression. Les souffrances effroyables que le signe racial engendre ont également pour conséquence de fortifier l’esprit communautaire chez les peuples soumis à ces pouvoirs. Si les fabulations de la race ont été utilisées pour perpétrer des crimes, des atrocités et même des génocides, on comprend pourquoi la maîtrise de son discours, qui correspond finalement à une maîtrise totale de ses moyens, représente une stratégie identitaire puissante. Autrement dit, la notion de la race n’est pas réductible à des fantasmes, mais elle atteint une ampleur démesurée justement parce qu’elle est issue de l’imaginaire. Enfin, la race est une des manifestations les plus puissantes de l’arsenal identitaire, son voyage ayant connu de nombreux avatars au Québec.

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