Espace Et Rythme Du Chanté Au Québec Bruno Roy
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Document generated on 09/27/2021 5:58 a.m. Études littéraires Espace et Rythme du chanté au Québec Bruno Roy Poétiques de la chanson Article abstract Volume 27, Number 3, hiver 1995 Orality defines the format of the song. This article examines lis historical character within the context of Québec (1960-1980) and with special reference URI: https://id.erudit.org/iderudit/501096ar to the singers, the Osstidcho show, Québec performing groups and the lyrics DOI: https://doi.org/10.7202/501096ar sung by female singers. In song, spoken language is as it were appropriated by literary expression. Since Osstidcho, however, the characteristic earmark of the See table of contents Québec song has been to give up literary language in favour of popular idiom. Performing groups, for example, have relinquished their use of meter in order to emphasize the accentual nature of French, whose pulsating movement expresses a more explicit North American sense of rhythm. Publisher(s) In their bid for complete creation, female singers for their part have Département des littératures de l'Université Laval questioned the link between the body and orality. This fact has not been without consequences for the use of the French language. Since 1980, it is thus ISSN through the individual voice that many songs have found their «musical personality». 0014-214X (print) 1708-9069 (digital) Explore this journal Cite this article Roy, B. (1995). Espace et Rythme du chanté au Québec. Études littéraires, 27(3), 61–73. https://doi.org/10.7202/501096ar Tous droits réservés © Département des littératures de l'Université Laval, 1995 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/ ESPACE ET RYTHME DU CHANTÉ AU QUÉBEC Bruno Roy • Même s'il y a des liens analogiques parfois, une continuité, ont établi des ruptures. C'est la musique n'est pas l'écho sonore des paro ainsi qu'une nouvelle éthique du rythme, les. Les paroles, par leurs éléments phoné donc du sens, va redéfinir, dans un nouvel tiques (consonnes fricatives ou explosives espace du chanté au Québec, une certaine et voyelles), structurent la musique. Nonobstant réalité socio-linguistique. le timbre, une sorte de trinité musicale mani La musique des phrases feste le son : Une théorie de la chanson poétique, par — mélodie : successivité — harmonie : simultanéité exemple, a d'abord insisté sur une interpréta — rythme pulsivité tion « moralo-linguistique » : « voyez comme les chansonniers maîtrisent bien leur langue », De fait, l'oralité constitue le format de la entendait-on. Le chansonnier laissant réson chanson. Le discours parlé qui s'y trouve, ner en lui la musique des phrases (la matière du poétique au familier, oralise les struc sonore) a permis au parcours du texte de tures de phrases chantées. Cet effet de prendre « forme mélodique ». Il ne restait à la persistance a son historicité que nous pou chanson qu'à devenir « œuvre » poétique. Ce vons examiner, dans le contexte de la chan qui lui a été reconnu. son québécoise, à travers quatre expressi De la même manière, l'interprète fémi vités : celle des chansonniers, celle de YOsstid- nine des années 60 au Québec appuyait sa cbo, celle des groupes québécois et celle performance scénique sur un code esthéti des femmes. Rythme du verbe et rythme du que consonnant : harmonie vocale résultant son sont l'espace même du chanté. L'oralité d'une certaine intonation des mots dominée québécoise, à la fois histoire de rythme et par une qualité d'émotion. L'accord, c'est de performance, impose ses propres codes. l'unité. Tout ce qui ne correspond pas à Ce sont ces codes qui, tout en maintenant cette unité est dissonant. Pour ces voix Études Littéraires Volume 27 N° 3 Hiver 1995 ÉTUDES LITTÉRAIRES VOLUME 27 N° 3 HIVER 1995 féminines, pourrait-on dire, l'art de la Sachant la vie sur son dernier printemps chanson est mélodie. Or, à cette époque Pauvres immortelles plutôt triomphante des poètes-chansonniers, « les Immortelles » (1961) l'esthétique de l'interprète féminine est plu C'est dans son chant que le chansonnier est tôt assurée par une compétence vocale que poète \ que nous le sentons tel. Le terme guide aussi une conception harmonique des chant, selon Paul Zumthor, renvoie à un mode paroles. Les voix de femmes, en ce début de d'existence esthétique qui n'est pas du même « révolution tranquille », proposent une chanson ordre que ce que nous nommons couramment d'ici et d'ailleurs dont les qualités littéraires poésie. Certes, poème et musique sont en sont établies par relations injonctives avec la conjonction affective et englobent, pourrait- voix : on dire, les mécanismes de la sonorité pure. Chanter est bien le mot. Car Monique Leyrac est une L'évidence du chant, dans les premières chanteuse qui... chante. Elle ne « dit » pas, elle « emmusique » chansons des chansonniers, définit, par l'oc tout ce qu'elle veut faire passer. [...] Sa façon d'être en cupation d'un espace oral précis, un certain scène, sa façon bien à elle de chanter, de laisser longuement porter sa voix, de décupler, en émotion, une sonorité, tout idéal de la voix humaine, évitant de faire de la cela est hautement neuf et original (la Presse, p. 6). chanson ce que les analystes en ont fait : un objet exclusif de langue écrite. On reconnaît Or, l'éclat de la parole poétique a favorisé la que l'art de la chanson poétique est mélodi « pureté du message » que les chansonniers que. Le chant s'ajoute aux syllabes. La rime ont longtemps adoptée comme critère de du chansonnier par exemple, comme une sorte qualité de leurs productions. Ici, la prosodie d'extension rythmique 2, marque pour l'oreille chante avec les paroles. La mélodie naît de la l'imitation la plus parfaite du beau. L'ensem langue parlée. Pour le chansonnier, le parlé- ble est homophonie. Voyelles et consonnes chanté est une pratique naturelle comme en sont musicales. Les chansonniers cherchent fait foi cet extrait d'une chanson de Jean- les mots et « les notes qui s'aiment », pour Pierre Ferland : paraphraser Mozart. Toutefois, ils ont consi Mais vous ne saurez jamais le soir d'une vieillesse déré le vers moins comme un vers syllabique Où vieil amour sur vieil amour, las, on se berce que comme un vers accentué. Ils ont référé Le cœur usé mais plus tendre qu'avant Fragile à l'œil, sensible au vent aux artifices de la versification (suppression, 1 « Toute poésie destinée à n'être que lue, écrit Ferré, enfermée dans sa typographie n'est pas finie. Elle ne prend vraiment son sexe qu'avec la corde vocale... », cité par Robert Giroux, p. 405. 2 Alors que le chant « scat » est fait d'onomatopées et de syllabes comme dans « Gros Pierre » de G. Vigneault : « da babidou »... 62 ESPACE ET RYTHME DU CHANTÉ AU QUÉBEC enjambement 3) pour établir une nouvelle chansonniers québécois posent que le rythme répartition des éléments phoniques que sont adhère à un phrasé condensé. Ces procédés les syllabes. La figure rythmique l'emporte ; et techniques relèvent d'une même rythmique 5 : elle est le vers composé de plusieurs groupes musique légère, cotillon, quadrille et gigue, mu rythmiques qu'un Claude Léveillée a, parmi sique de mots, de phrases répétées en écho, de d'autres, su exploiter avec bonheur : vers intercalés au milieu d'une phrase et la Mon pays c'est grand à se taire coupant telles de pures ritournelles chantantes. C'est froid c'est seul Il n'y a pas de doute que les chansonniers C'est long à finir à mourir ont assimilé à la langue poétique des sonori Entendez-vous les vents, les pluies, les neiges et les forêts 4 Mon pays quand il te parle tés d'ici que l'on a associées à une dimension Tu n'entends rien tellement c'est loin, loin, loin, loin archaïsante de notre langue. L'oralité, chez « Mon pays » (1964) Vigneault, entre dans un rapport d'opposi tion ancien/ nouveau dont les pôles sont une Certes, le mot participe de l'usage que l'auteur-compositeur ou l'interprète fait de « synonymie stylistique » : l'archaïsme et le sa langue, tantôt littéraire, tantôt rythmique, néologisme. Chez Robert Charlebois et ses tantôt joualisante. Malgré la prédominance paroliers, cette synonymie compte également d'une langue poétique, l'écriture, chez cer les anglicismes. tains chansonniers, a toujours intégré des Leur voix et leur rythme déterminent un procédés oraux qui montrent que ce qui est rapport important à la culture orale. Luc encore présent, c'est ce vieux fond français Plamondon a bien identifié ce rapport : « Le de la langue d'oïl. québécois est ici le langage de l'émotion Or, le vieux français est au centre du mou directe » (Je Devoir, p. 17). Favorisant ce vement rythmique de la langue française du lien direct, les auteurs exploitent une écri Québec. N'oublions pas que certains élé ture traversée par un langage oral. Chez eux, ments qui paraissent être empruntés à l'an l'utilisation du discours parlé, jusqu'au ton le glais, sont en réalité dérivés du français du plus familier, est un fait de culture populaire XVIe siècle. Dans les chants anciens, par exemple, qui n'a jamais caché ses origines. l'addition de syllabes exprimait du rythme.