Vendée Et Chouannerie
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CHRONIQUES Emmanuel de Waresquiel Vendée et chouannerie: deux siècles de mémoire 'Ouest, à la veille de la Révolution, recèle bien des différences : économiques, so ciales et administratives; dans le Maine, de grandes propriétés aristocratiques, des propriétaires absentéistes, une multitude de pe tites métairies, une pauvreté relative, un habitat dispersé; dans le Poitou, en Vendée et dans une moindre mesure en Anjou, des propriétés plus LesGrandes Heuresde la resserrées, des nobles vivant sur leurs terres, des cluJuannerie métairies plus étoffées, un habitat groupé, une d'Anne Brenet organisation paroissiale beaucoup plus structu rée. LesColonnes infernales Les multiples formes que prendront, à partir de Louis-Marie d'août 1792, puis de mars 1793, les guerres de Clenet l'Ouest - Vendée militaire, organisée et encadrée par des officiers nobles au sud de la Loire, chouanneries indépendantes et paysannes au nord - s'expliquent en partie par cela. Vendée et chouanneries ont chacune leurs historiens qui ne se confondent presque jamais. Parce que l'histoire des guerres de l'Ouests'inscrit également dans la longue série des guerres civiles franco-françaises, elles suscitent encore au jourd'hui, au moment où l'on fête leur bicente naire, une émotion, des passions qui donnentlieu à des travaux de formes et de conceptions très diverses. Il y a ceux, comme Anne Brenet, auteur des Grandes Heures de la chouannerie(1), qui esti ment que la légende est suffisamment belle pour l'accepter telle quelle et font œuvre de mémoria liste plus que d'historien. En centrant son récit sur le couple du seigneur et du paysan, du prince de Talmont et de Jean Chouan, Anne Brenet écrit le roman de la fidélité quasi féodale du vassal à son 154 REVUE DES DEUX MONDESSEPTEMBRE 1993 HISTOIRE suzerain: belle chanson de geste où passent « les petits, les obscurs, les sans-grades )) de la chouan nerie, contretypes des soldats de l'an II, leur fidélité catholique chevillée au corps et leur tempérament d'anarchiste; le faux saunier de Saint-Ouen-des-Toits, mais aussi Michel Moulin, fils d'un taillandier de Saint-Jean-des-Bois, Jean Louis Treton, dit Jambe d'argent parce qu'il boi tait, fils d'un closier d'Astillé, et tant d'autres... Grâce au parti pris biographique de son ouvrage, l'auteur parvient dans son récit à donner une Leschouans cohérence à une histoire qui n'est en fait qu'une inventent succession de combats, sans liens les uns avec les une nouvelle autres, dans l'espace - du Bas-Maine au Haut forme de Anjou, de la Basse-Bretagne à la Basse-Norman combat die -, et dans le temps - d'août 1792 à janvier 1800. Les chouanneries, outre le fait qu'elles sont nées pour des raisons essentiellement religieuses, sont également symptomatiques des divisions persis tantes sous l'Ancien Régime, entre villes et cam pagnes. Les chouans ne tiennent pas les villes mais sont pratiquement maîtres des campagnes, en particulier dans le Maine, pendant deux ans, en 1793 et 1794. C'est là qu'ils inventent une nouvelle forme de combat, reprise parCharette au sud de la Loire en 1794, adaptée au caractère des paysans qui se battent, à leur attachement au pays, comme à la topographie des lieux, à la spécificité des régions de bocage : la guerre de guérilla. Les regroupe ments ponctuels en des lieux précis des « compa gnies deparoisses )), l'embuscade, 1'« égayement )), le refus systématique du combat frontal forment les principes tactiques de cette nouvelle façon de faire la guerre, décrite pour la première fois dans ses Mémoires par Claude-Augustin Tercier (2), commandant dans le Maine sous les ordres de Bourmont. 1. Perrin. 376p. Lalégende du chouan, « vêtu d'unepeaude bique 2. Mémoires d'un chouan, 1792-1802, Tallandier, épinglée d'un Sacré-Cœur, coiffé d'un grand 1989. 155 CHRONIQUES chapeauqui lui couvrelesyeux », et se déplaçant au cri de la chouette qu'il imite en soufflant entre ses deux pouces, aura la vie dure (3). Chateaubriand, champion des causes perdues, inventera pour lui, comme pour le Vendéen, le Lemythe deta mythe de la fidélité sacrifiée en accusant, sous la fidéHté Restauration, Louis XVIII d'ingratitude à son égard. A tort, semble-t-il, si l'on se réfère au montant des pensions accordées par le roi aux familles d'anciens chouans sur le budget du ministère de sa Maison à partir de 1814 (4).Balzac, Barbey d'Aurevilly en feront durablement le hé ros romantique et populaire d'une « entreprise désastreuse et inutile (5) ». Sesuperposantà la mémoirelittéraire, la mémoire visuelle est encore la plus forte. Comme cette dernière, elle n'est pas dénuée d'intentions politi ques. Lorsque LouisXVIII commande en 1816une série de portraits des chefs chouans et vendéens, il veille à ce que ceux-ci ne soient jamais repré sentés face à leurs adversaires républicains. Il s'agit d'effacer l'image de la guerre civile et de n'individualiser que la figure des héros. Le «par don» et 1'« oubli» sont alors les thèmes politiques dominants de la royauté restaurée, comme le souligne un critique à propos du portrait d'Henri de La Rochejacquelein par Guérin, exposé au Salon de 1817 : « M Guérina eu l'art de cacher l'image desguerres ciuiles ; on découvre l'extré mité des baïonnettes républicaines, mais on ne voitpas les Français combattre les Français. » De même, lorsqu'une souscription est lancée en 1816 pour ériger dans l'église de Saint-Florent-le-Viel un monument en l'honneur de Bonchamps, LouisXVIII donne son accord à condition de faire graver sur son socle les dernières paroles suppo sées du général vendéen : « Grâce aux prison niers. )) On sait que la réalité, surtout après les débuts de l'insurrection, a souvent été tout autre. Les représentations, romantiques ou réalistes, de la guerre civile elle-même ne viendront que plus 156 HISTOIRE tard, sous le second Empire, lorsque le goût du pathétique et du mélodrame l'emportera définiti vement sur les nécessités de la politique. Les affrontements entre «bleus» et «blancs» sont alors autant de prétextes pour les peintres à imaginer de grandes mises en scène et àsatisfaireleur goût pour l'exotisme et le pittoresque des costumes: Un épisode de la chouannerie, de Girardet, où l'on voit un soldat républicain mort au premier plan, l'Embuscade, de Coessin de La Fosse, en sont autant d'illustrations. Ce sont ces tableaux, souvent reproduits, qui au fond ont nourri nos imaginations d'une guerre civile où l'émotion et le panache l'emportent largement sur la cruauté. On l'a vu à travers ses cheminements contradic toires, le poids de la légende est encore grand. La Le poids tâche des historiens, ceux qui, comme le rappelle de la lêgende Jean-Pierre Rioux dans un récent article du Monde, (( laïcisentet mettenten proseletemps des héros et des mythes, des sagas fondatrices et des grandes peurs rassembleuses )), en est d'autant plus difficile. Deux écoles « sérieuses » se partagent les dé 3. Ace sujet, la pouilles des guerres de l'Ouest et s'opposent, en communication non publiéede G.de Bertier de particulier depuis le début des années quatre Sauvigny: « LaVendée de Chateaubriand )), à vingt.Cellequi, avec ReynaldSecher, au risque de l'occasion d'un récent colloque surla Vendée, la pratiquer parfois l'amalgame, montre que la ré Roche-sur-Yon, 22-24 avril 1993. pression en Vendée s'apparente à un véritable 4. Gabriel du Pontavice, la à Chouannerie, PuE, « Que génocide, concerté et voulu l'avance (6) ; celle sais-je? », 1992. Onpourra qui, avec Jean-Clément Martin, se réclame des lireégalement surla chouannerie la récente traditions de l'historiographie républicaine et pré rééditionde l'ouvragede Cadoudal, d'aprèsl'édition fère parler de (( délire politique )) plutôt que de de Igg7: Georges Cadoudal etla (( génocide )) (7). chouannerie, éditions Jean d'Orcival, 1993. 5. Honoré de Balzac, les Chouans, introduction à la En s'attaquant à l'histoire des Colonnes infer première édition, 1828, Gallimard, "la Pléiade », nales, Louis-Marie Clenet (8) s'inscrit en partie 6. Reynald Secher, le dans ce second courant. On sait le rôle détestable Génocide franco-français: la Vendée vengée, PUF, des colonnes républicaines commandées par le 1986. 7. Jean-Clément Martin, la général Turreau, en Vendée, en janvier et février Vendée etla France, Le Seuil, 1987. 1794. Louis-Marie Clenet tente sobrement et inte1- 8. Perrin, 328p. 157 CHRONIQUES ligemment de replacer l'événement à la lumière des luttes de factions au sein de la Convention, d'expliquer les violences en précisant l'état d'es prit et la mentalité des soldats qui servaient en Vendée, de retracer enfin lesétapes de l'ensemble de l'opération. Plusieurs points ponctuent sa démonstration : - Sil'armée catholique et royale a été anéantie à Savenay,en décembre 1794,les chouanneries de La Rochejacquelein, de Stofflet et surtout de Charette, dans le Marais vendéen, représentent toujours un danger pour la République, hantée par le risque - réel - d'un débarquement anglais sur les côtes de Vendée. - Lesopérations de répression en Vendée, écha faudées par la Convention dès le mois d'août Dénoncer sesanciens 1793, et appliquées à partir de janvier 1794, amispolitiques relèvent surtout de la volonté d'en finir militaire pour mieux ment avec la Vendée. Aussi, les morts de la se sauver Vendée, les massacres et les incendies sont plus la conséquence mécanique et cruelle de l'enchaî• nement des violences et des vengeances blanches et bleues que le résultat d'un plan concerté d'extermination systématique de toute une popu lation, y compris celle des villes, souvent favora ble à la République. - La tactique, dite des colonnes mobiles, écha faudée par le général Turreau, et approuvée par la Convention en février 1794, ne manquait pas d'à-propos, si l'on se réfère au genre de guerre pratiquée par les Vendéens.