Le Passage Du Climont, Première Époque (1870-1886)
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LE PASSAGE DU CLIMONT © Editions Pierron, Sarreguemines, 1992 JEAN-YVES VINCENT LE PASSAGE DU CLIMONT EDITIONS PIERRON Toute ressemblance avec les personnages fictifs de ce récit ne serait que pure coïncidence. Il faut prendre à César tout ce qui ne lui appartient pas. Paul Eluard Carte des lieux concernés par le récit, établie par l'auteur. AVANT-PROPOS 1870 Après la triste, « éclatante » et éphémère victoire de Sarre- bruck (1), les troupes de L'empereur Napoléon III ont été balayées le quatre août lors du carnage de Wissembourg, où cinq mille fran- çais s'étaient retrouvés encerclés par trente-cinq mille prussiens. Une division du premier corps, placée sous les ordres du général A bel Douay, avait reçu l'ordre d'occuper et de défendre la petite ville-frontière située sur les bords de la Lauter. Le quatre août, un violent orage s'est abattu sur la région en début de matinée. L'attaque prussienne débute vers huit heures, et surprend les troupiers français, « occupés à laver leur linge, à net- toyer leurs fusils et à faire la soupe ». Complètement isolée à la suite d'une décision stratégique aberrante prise le 3 août par Mac- Mahon, la division Douay va devoir résister aux cinquième et sixième corps prussiens et au deuxième corps bavarois, arrivés par la forêt de Bien wald. Un engagement furieux a lieu dans le secteur de la gare, mais les renforts allemands, arrivés par la route de Bad- Bergzabern, ne cessent de déferler. L'artillerie prussienne hache impitoyablement les positions françaises, semant partout la mort, même chez les brancardiers et les infirmiers qui courent en tous sens au secours des blessés. Le général A bel Douay est tué entre onze heures et midi par l'explosion d'une caisse de munitions. Dans toutes les unités, les officiers sont décimés, et les soldats, désorientés, se regroupent 1. Pour la commodité de la lecture, nous avons délibérément opté pour la toponymie actuelle. A la fin de cet ouvrage, le lecteur trouvera un tableau de cor- respondance entre le nom actuel d'un certain nombre de villes et de villages avec, en regard, celui qui était en vigueur à l'époque où se situe le récit (Voir tableau à la fin du livre). comme ils peuvent; malgré tout, la troupe prise au piège lutte farouchement pour tenter de sortir de cet enfer. On se bat d'une maison à l'autre, sans savoir où aller, où faire retraite. Près de la sous-préfecture, dans la rue qui conduit au pont de la Lauter, des artilleurs sont parvenus à mettre un canon en batterie. Un obus bien ajusté vient faire explosion au milieu de la petite troupe. Vers onze heures et demie, les munitions commencent à manquer, et la résistance des troupes françaises devient de plus en plus spora- dique. Finalement, les unités ayant combattu dans la ville se rendent à midi, mais les quatre à cinq mille soldats de Napoléon, qui ont éta- bli leurs défenses et leurs points d'appui sur la colline du château de Giesberg, située au sud-est de la ville, continuent néanmoins à résister. On tiendra ainsi jusqu'à quatorze heures trente, puis ce sera le massacre, la captivité ou la fuite vers le sud, par la route de Soultz, situé à seize kilomètres d'Haguenau et à douze de Woerth, petite bourgade de la vallée de l'Halbmühlbach, tout près de Froeschwiller. Mac-Mahon a été mis au courant des combats de Wissembourg alors qu'il sortait de Strasbourg. Arrivé près de Froeschwiller, il a décidé que c'est en cet endroit et en nul autre que l'on devait reprendre l'offensive. Il dispose de trente-cinq mille hommes, mais il ne sait pas qu'en face, outre les quarante-huit canons Krupp massés sur la colline de Gunstett, qui vont bientôt cracher leur mitraille et leurs obus sur les troupes napoléoniennes, le prince royal de Prusse peut aligner cent quarante mille hommes. Mac-Mahon ne considère Froeschwiller que comme un point de départ de la contre-offensive qu'il compte mener pour tenir le front, sérieusement enfoncé quarante-huit heures auparavant. Du haut du col du Pigeonnier, il a soigneusement observé la situation et a dit à son état-major: — C'est là, Messieurs, que nous les arrêterons! Malheureusement, d'escarmouches en engagements, le lieu va rapidement devenir celui de la bataille proprement dite. Une bataille terrible et sanglante, dont la férocité et la cruauté n'ont d'égale que celle qui vient de se dérouler à Wissembourg. Le 5 août au matin, Mac-Mahon fait progresser ses troupes au nord de la forêt d'Haguenau. On gagne une région de vignes , de vergers et de houblonnières et l'on entre dans les villages au son du clairon. Les Alsaciens regardent avec des yeux ronds les turcos(2), les zouaves et les spahis, qui forment l'élite de l'armée de Mac- Mahon. Puis les habitants commencent à s'inquiéter un peu en voyant les officiers réquisitionner les cartes dans les écoles. L 'état- major, très confiant dans les possibilités de l'armée, s'est contenté de leur distribuer des cartes de l'Allemagne ! Vers minuit, l'orage menace. Il éclate soudain et trempe soldats et bivouacs. Le matin, alors qu 'il prend une collation au château de Reichshoffen, Mac-Mahon apprend que les premiers combats ont été engagés, alors qu'il est précisément en train de fourbir son plan de bataille ! Chez les Prussiens, il se produit curieusement le même phénomène: les troupes allemandes sont passées à l'action sans attendre les ordres du prince royal! Les Bavarois attaquent Ducrot sur le flanc gauche français, mais les chasseurs d'Afrique et les turcos, qui se sont retranchés, résis- tent efficacement. Puis c'est au tour de Von Bose d'attaquer le centre, après avoir investi Woerth qui a été imprudemment aban- donné par les troupes françaises. Les Allemands installent une cen- taine de pièces d'artillerie, à trois kilomètres de Goersdorff et sur les hauteurs de Gunstett. A midi, les positions centrales des Fran- çais sont encore à peu près intactes. Douay, de Bonnemain et Raoult résistent. Voyant que la situation n 'évolue pas assez vite, le prince royal de Prusse décide d'utiliser la totalité de ses forces: il fait avancer ses cent quarante mille hommes. Le onzième corps prussien encercle le flanc droit de l'armée française après avoir investi le village de Morsbronn. Pour dégager les soldats encerclés, Mac-Mahon fait donner la brigade du général Michel: elle est anéantie en peu de temps par les canons allemands tirant depuis les positions de Gunstett. Malgré le carnage, Mac-Mahon reste très confiant dans sa supé- riorité: il néglige de faire appel au cinquième corps du général de Failly, stationné à une trentaine de kilomètres de là, au camp mili- taire de Bitche, afin de surveiller d'un côté le passage de Rohr- bach, et de l'autre la route venant de Zweibrücken, évitant ainsi à Mac-Mahon d'être pris à revers. 2. Turcos: (1859) mot du sabir algérien, l'Algérie étant restée sous la domination du croissant turc jusqu'en 1830. Dans l'armée impériale, le mot Turco designait les tirailleurs algériens encadrés par des officiers et des sous-officiers français. Au début de l'après-midi, les Prussiens envoient un déluge de fer et de feu sur le petit village d'Elsasshausen, situé non loin de Froeschwiller, qui est bombardé peu après. Le risque, pour Mac- Mahon, de se voir tourné est grand, mais le stratège s'entête à combattre à un contre cinq au lieu de se replier sur les points forts des Vosges. Enfin, vers quinze heures, il réalise le danger. Pour protéger sa retraite sur Reichshoffen, il fait donner la brigade des cuirassiers du général de Bonnemain. Les cavaliers s'élancent lourdement sur un terrain coupé de vignes et de houblonnières. Les chevaux se prennent les jambes dans les perches et les fils de fer, et se font abattre les uns après les autres avec leurs cavaliers... Les rumeurs de guerre avaient commencé à circuler dès le début du mois de juillet. Comme tous ses amis, Arnold Pfister avait suivi dans les journaux la folle entreprise de Napoléon jouant le destin des hommes sur les tables de bridge de Plombières. Les Français ne pouvaient aligner que 265.000 hommes face aux 450.000 prussiens de la conscription de Bismarck. L'armée prussienne avait été la première en Europe à faire systématiquement appel à la conscrip- tion, ce qui permettait aujourd'hui à Guillaume d'aligner presque deux fois plus d'hommes que Napoléon. Grâce à l'inconscience et à l'entêtement d'un prince maladif et diminué souffrant depuis plusieurs années d'une lithiase vésicale, la France tiendrait donc le mauvais rôle de l'agresseur. La conscription était pratiquée en France, mais d'une façon dif- férente: Le contingent annuel des appelés, complétait les effectifs des soldats de métier et les engagés, mais l'Empire français avait recours au tirage au sort (3). Il se trouvait toujours un miséreux pour s'offrir comme remplaçant à un gros bourgeois craintif qui avait tiré un mauvais numéro. Le volontaire gagnait la somptueuse demeure, serrait la main du rentier, vidait une chopine avec lui en recomptant ses 1.500 francs, et gagnait ensuite son unité. Pour sept ans! Pourtant, certains se réengageaient au terme de leur période légale. Malgré tout, après avoir été frappé de stupeur au moment de Sadowa, Napoléon III, conscient du manque d'effec- 3. Tirage au sort: Après la période du premier Empire pendant laquelle les enrô- lements volontaires, avec ou sans prime, étaient en vigueur; apparut, en 1818, la loi dite de conscription avec tirage au sort, aboutissant à un service de six années.