LES SERRES DE L'AIGLE Du même auteur et chez le même éditeur :

LE PASSAGE DU CLIMONT, roman, 1992 (première époque) Prix d'Histoire de l'Académie nationale de Metz

MANFRED WILDERHOF, roman 1994 Le passage du Climont (deuxième époque)

© Editions Pierron, Sarreguemines, 1996 JEAN-YVES VINCENT

LES SERRES DE L'AIGLE

LE PASSAGE DU CLIMONT - TROISIÈME EPOQUE (1887-1895)

EDITIONS PIERRON Toute ressemblance avec les personnages fictifs de ce récit ne serait que pure concurrence. A Odette et Bernard Schieber

Ce n'est pas tellement vers la joie ou vers la peine qu'on a choisi d'aller. On a tout simplement choisi d'aller vers autre chose. Henri Pourrat

RÉSUMÉ DES DEUX VOLUMES PRÉCÉDENTS

Le Passage du Climont (première époque) Manfred Wilderhof (deuxième époque)

La première époque du Passage du Climont, qui débute en 1870 et prend fin au mois de janvier 1886, retrace le début de l'histoire du Reichsland, c'est-à-dire celle des territoires occupés après la défaite française de 1870. L' et une partie de la Lorraine ont été placées sous la tutelle de l'Empire allemand en mai 1871, lors de la signature du traité de Francfort. Espions, fonctionnaires et militaires allemands traversent le Rhin en grand nombre, afin de prendre en main les "nouveaux terri- toires". Dans le Val de Villé et celui de Sainte-Marie, la résistance à l'occupant s'organise comme partout ailleurs au cours des premières années, le but essentiel étant de sauvegarder par tous les moyens l'identité alsacienne. En réaction, un certain nombre d'hommes ou de femmes connaîtront très tôt la traque, la spoliation, voire l'exil. D'autres parviendront à demeurer sur place et tra- vailleront dans l'ombre. On retrouve, durant la seconde époque, qui s'étend de janvier 1886 à février 1887, quelques-uns des personnages ayant animé le premier récit. Camille Arnold et Maria Pfister (1) ont dû s'exiler provisoirement à Paris, où ils ont été accueillis par Edwin Schmitt, l'ancien instituteur de Sainte-Marie-aux-Mines, tandis que certains de leurs amis alsaciens- les époux Becht et Wendling- ont, quant à eux, trouvé refuge à Gérardmer. Freddy, le fils de Maria, et Erwin Pflumio ont été fusillés par une patrouille allemande, au mois de janvier 1886 à Sélestat (2). René Becht - le fils unique de Charles et Simone Becht- et l'abbé Küchli ont subi un sort identique dans le petit village vosgien de Saint- Blaise-la-Roche. Elsa Wendling a elle-même trouvé la mort en ten- tant de porter secours à Erwin et à Freddy lors de l'affaire de Sélestat.

(1) Voir tableau généalogique. (2) Pour la commodité de la lecture, nous avons délibérément opté pour la toponymie actuelle. A la fin de cet ouvrage, le lecteur trouvera un tableau de correspondance entre le nom actuel d'un certain nombre de villes et de villages, avec, en regard, celui qui était en vigueur à l'époque où se situe le récit. Dans la mémoire de tous ceux qui ont survécu, est venu se dépo- ser le souvenir vivace du Rittmeister Wilderhof. Bien avant de livrer son dernier combat dans la vallée de la , cet officier de cava- lerie allemande avait épousé la cause alsacienne, à la suite du drame personnel qu'il avait vécu en 1866, au moment où la Prusse et l'Autriche allaient se livrer bataille à Sadowa. Durant des années, Manfred, le fils de Wilderhof, avait été entre- tenu dans la haine du père, par les soins de sa mère, la comtesse von Falckenstein. En apprenant la mort du Rittmeister, le jeune homme est bouleversé, et veut absolument connaître la vérité. Grâce à la complicité de l'un des amis de son père, le général Beck- officier d'état-major-Manfred est incorporé dans une unité de cava- lerie stationnée à . Le général a consenti à lui apporter cette aide car il désire récupérer des documents secrets qui se sont curieusement " égarés " du vivant du Rittmeister; il estime que le jeune homme est seul capable de prendre contact avec les amis alsaciens de son père, et donc de mener à bien une telle mission. Sachant que d'autres officiers très proches de Guillaume 1er et de Bismarck poursuivent le même but que lui, Beck a toutefois deman- dé à son homme de confiance, le lieutenant Cyrus Hornschlag, d'ai- der discrètement le jeune Manfred Wilderhof. Manfred parvient à prendre contact avec les Alsaciens de Sainte- Marie aux Mines et de Villé, établit vite avec eux des relations d'amitié, et leur prête peu à peu son concours pour recueillir le der- nier legs de son père. Après avoir rencontré bien des difficultés, Manfred parvient à découvrir les fameux documents. Il les remet au lieutenant Hornschlag afin que ce dernier les ramène à son tour au général Beck. Manfred, blessé et victime d'une pleurésie, s'enfuit en compa- gnie de l'un de ses amis, Gregor Wüssler. Ils passent la frontière et regagnent Saint-Dié. Dans le train qui le conduit à Berlin, Hornschlag est agressé, puis neutralisé par le commandant Zeller, qui avait été chargé par Moltke de remettre lui aussi la main sur les documents... I PARTIE

PONT DE KEHL

La barque venait de passer sous le pont de Kehl et les deux rameurs qui se trouvaient à bord ahanaient en remontant le courant. Les grandes arches se découpaient dans le clair de lune et l'ouvrage ressemblait à un gigantesque monstre venu s'abreuver dans le Rhin. Le train de Berlin stationnait sur le pont et l'on pouvait entendre le souffle haletant de la locomotive qui s'impatientait. La porte d'un wagon se trouvant à la queue du convoi venait de se refermer vio- lemment et presque aussitôt, une masse sombre tomba dans le fleu- ve. Quelques secondes plus tard, la locomotive lança un cri strident et le convoi s'ébranla de nouveau. L'un des occupants de la barque, un gros homme rougeaud dont le visage bouffi était serré dans une barbe de deux jours, s'arrêta soudain de ramer. - Ecoute ! dit-il à son compagnon. - J'entends bien, dit l'autre, machinalement. C'est le train qui repart. - Mais non, imbécile! Ça vient de faire un plouf ! près de la deuxième pile. - Alors, c'est qu'on aura jeté quelque chose du haut du pont, répli- qua l'autre, fataliste. Le gros récupéra ses rames et fit faire demi-tour à l'embarcation. - Qu'est-ce que tu fabriques? reprit l'indolent. - Je vais voir. Le mois dernier, j'ai récupéré une armoire qui n'avait pas dix ans. Je l'ai bichonnée pendant cinq ou six jours, puis hop! Quarante marks dans la fouillette à papa Gustav! - Le vin et le schnaps te perdront! répondit l'autre laconiquement, tout en examinant la berge. - Allez, rame, toi aussi. Je sens la bonne affaire. - A propos d'affaire, ce sera part à deux, comme pour le tabac, précisa le vis-à-vis de Gustav tout en tapotant l'un des deux gros sacs de toile couchés entre eux au fond de la barque. - Fripouille, certes, mais honnête avec les gens de mon espèce, fit observer Gustav, blessé par la remarque. Le corps de Cyrus Hornschlag, à demi immergé, avait commen- cé à dériver vers la rive alsacienne. Le lieutenant s'était évanoui à la suite du violent coup de crosse que lui avait asséné dans le wagon le commandant Zeller. En tombant dans le fleuve, le corps, mû par une sorte de réflexe, se débattit durant quelques secondes. Au contact de l'eau glacée, Cyrus reprit connaissance. Sa tempe droite continuait de saigner. Il sentait l'eau glacée qui s'infiltrait dans sa bouche, et commençait à s'insinuer dans sa gorge. Le spectre de la mort toute proche se dressait devant lui. Encore quelques secondes et ce serait la fin, le grand plongeon dans le néant. Dans un sursaut désespéré, Cyrus se débattit une dernière fois afin de desserrer cet étau invisible qui lui étreignait gorge et poumons. Passant la tête hors de l'eau, Hornschlag se mit aussitôt à hurler. - Nom de Dieu ! ce n'est pas mon armoire, éructa Gustav. - Alors, on y va tout de même? - Bien sûr qu'on y va! rétorqua l'autre en tirant sur ses rames comme un forcené. En quelques secondes, la barque rejoignit Hornschlag. Gustav agrippa le noyé au passage et le hissa dans l'embarcation. Cyrus avait de nouveau perdu connaissance. Les deux hommes s'affairè- rent auprès de lui, essayèrent de lui faire ingurgiter un peu de schnaps. - Avec un froid pareil, il va te claquer dans les pattes, ton proté- gé! En plus, regarde comme il saigne... - Laisse faire Gustav, ignorant! Et rame vers le bord! Quand Cyrus rouvrit les yeux, il s'aperçut qu'il se trouvait dans une vieille cabane en bois, faiblement éclairée par une bougie que l'on avait posée là sur une caisse, mais aussi par les maigres flammes dansant dans ce qu'on pouvait prendre pour une cheminée. Celle-ci, se trouvant garnie de bois humide et de vieux débris, déga- geait surtout une âcre fumée. Cyrus constata qu'on l'avait enveloppé dans de vieux chiffons mais, dans ce costume de fortune, il était transi et claquait des dents. Le souvenir de sa chute dans le Rhin resurgit tout à coup, comme un cauchemar. Cyrus se raidit, voulut crier, pour s'assurer qu'il était bien vivant et pour mettre un terme aux tremblements qui l'agitaient sans cesse, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Il passa une main sur sa tempe, constata qu'on lui avait fait un pansement de fortune et que sa blessure ne saignait plus. Après avoir jeté un regard circu- laire sur la pièce, il baissa la tête et, dans un vertige, remarqua la présence d'une bouteille au pied du lit. - Si ce n'est pas de la poudre à canon, je suis fichu, se dit-il. Il déboucha le flacon, but une gorgée, qu'il recracha immédiate- ment. - Il n'y a que des Alsaciens pour fabriquer une bombe pareille! pensa-t-il. Il but de nouveau, mais très lentement, cette fois-ci. L'alcool pénétrait en lui, et cette chaleur bienfaisante envahissant son corps peu à peu lui procurait presque une sensation de bien- être. Il rebou- cha la bouteille, la déposa à terre, puis chercha vainement des yeux sa veste et son pantalon. En dehors de ce matelas de fortune et d'une vieille chaise délabrée, la pièce était vide, et, à l'entour, tout était silencieux. Cyrus essaya de se lever, mais il retomba aussitôt. La petite pièce s'était mise à tournoyer autour de lui et il sombra une nouvelle fois dans l'inconscience. Cyrus fut soudain réveillé par un bruit de pas. Quelqu'un était en train d'ouvrir la porte de la cabane. - Saleté de serrure! Deux hommes pénétrèrent dans la pièce et s'approchèrent lente- ment de Hornschlag. - Nous voudrions savoir qui vous êtes, lui demanda un gros homme rougeaud. Nous n'avons pas trouvé de papiers dans vos habits. Seulement cinq cents marks dans la poche de votre pantalon. Or, des types aussi riches et aussi bien habillés que vous, il n'en tombe pas tous les jours du pont de Kehl! C'est d'ailleurs bien dom- mage. - Je suis Allemand, répondit faiblement Cyrus et, effectivement, on ne vous a pas laissé grand chose à vous mettre sous la dent pour procéder à vos investigations. - Vous nous devez la vie, alors je vous conseille de répondre à mes questions, fit sèchement remarquer son interlocuteur. Votre réponse ne me plaît pas. Moi, je m'appelle Gustav et voici Diebold, ajouta-t-il en désignant le second visiteur. Cyrus salua les deux hommes du regard. Il se disait qu'un homme qui se présentait ainsi aussi librement ne pouvait être considéré comme un ennemi ou un personnage dangereux. Il lui paraissait néanmoins évident que dans ces circonstances qui faisaient de lui leur obligé, les deux hommes n'allaient pas manquer de demander le salaire de l'effort et du geste qu'ils avaient si spontanément accomplis. - Voici des habits secs, reprit Gustav, en jetant un paquet sur ce qui faisait office de lit. - Combien? demanda Cyrus. Gustav ne répondit pas. Il sortit sa pipe, sa blague à tabac, puis, ayant allumé son brûle-gueule, passa la vessie de porc à son ami, qui fit de même. Les deux hommes tournaient maintenant ostensi- blement le dos à Cyrus et s'étaient mis à parler d'abondance en alsa- cien, tout en remettant un peu de bois dans la cheminée. L'alcool aidant, Cyrus commençait à maîtriser ses tremblements. Le métier reprit tout aussitôt le dessus. - Que peuvent bien vouloir ces deux types? se demanda-t-il. Ils ont déjà cinq cents marks, et, apparemment, cela ne leur suffit pas. Puis, tout à coup, un éclair traversa son esprit: étreint par l'an- goisse, il se souvint enfin ce qui s'était passé au cours des dernières heures. Il repensa au train, à l'agression du commandant Zeller, au général Ludwig Beck. Beck attendait les documents que lui avait subtilisés Zeller. C'était pour le vieux une véritable question de vie ou de mort. Ces documents si difficilement récupérés auprès de Manfred Wilderhof, après des mois d'attente, de filatures, de com- bats incessants! Et puis voilà que sa serviette se trouvait à présent en possession de l'adversaire et filait tranquillement vers Berlin, vers l'état-major, pour achever de confondre et de compromettre le Général Beck! - Quelle heure est-il? demanda-t-il subitement aux deux hommes. Diebold éclata de rire et se tapa sur les cuisses. - Il est extraordinaire, ton protégé! dit-il en allemand à l'adresse de Gustav. A peine tiré du Rhin, de la noyade et de la congestion, Monsieur le Comte nous demande l'heure! - Je vous en prie, poursuivit Cyrus d'une voix terne, mais aimable. Dites moi l'heure qu'il est. Vous avez dû retrouver ma montre dans mon gilet... - Mais enfin bon Dieu! explosa Gustav, nous n'avons jamais eu de montre ! Nous savons quand il faut manger, sortir, dormir. Cela nous suffit! - Depuis combien de temps suis-je arrivé ici, insista Cyrus. Depuis combien de temps le train a-t-il quitté le pont? - Je ne sais pas moi, hésita Gustav. Trois heures, peut-être quatre ou cinq... Quelle importance! - Pour le train, cela doit bien faire quatre heures, hasarda Diebold. - Gustav, je suis officier de l'armée allemande et je dois rejoindre Strasbourg le plus rapidement possible. Où nous trouvons-nous ici ? - Quelque part dans le Ried, répondit Diebold, mais, évidem- ment, nous ne vous dirons pas où. Question de prudence. - Pouvez-vous me ramener à Strasbourg? Les deux compères se regardèrent longuement, comme pour prendre mutuellement conseil. - Nous revenons dans un instant, dit Gustav en gagnant la porte. Restez ici. Cyrus profita de leur absence pour inspecter le paquet qui se trou- vait sur le lit. Enroulés dans un vieux manteau de pêcheur, il y avait là une veste rapiécée et un pantalon de coutil. Il enfila les vêtements avec peine, passa un vieux manteau et essaya de se lever. La tête lui tournait encore, mais, à présent, il pouvait au moins demeurer sur ses jambes. En s'emparant de nouveau de la bouteille, il se dirigea vers le feu, but une gorgée d'alcool et s'assit, en attendant le retour des deux Alsaciens. La porte de la cabane s'ouvrit de nouveau. Gustav se dirigea vers Cyrus et laissa tomber un objet sur le grabat. - Votre montre, Monsieur l'officier. Vous, vous avez échappé à la noyade. Elle pas! Cyrus ramassa l'oignon et le porta machinalement à son oreille. - Tenez, vous pouvez la reprendre, dit-il en la rendant à Gustav. Je vous en fais cadeau. - Nous avons été chercher une charrette, répondit Gustav tout en empochant machinalement son nouveau bien. Même à cinq cents marks la course, nous n'avons rien pu trouver de mieux. S'il n'y a pas de problèmes, vous aurez gagné Strasbourg dans deux petites heures. - Habillé comme cela, vous risquez d'avoir des ennuis avec la police! ironisa Diebold. - Ne vous inquiétez pas à ce sujet, dit Cyrus en souriant. - Allons-y!, grommela Gustav. La charrette s'éloigna en grinçant en direction de Strasbourg. Cyrus fut rapidement repris de tremblements et dut encore utiliser à deux reprises la potion de Gustav. Il pensait à Manfred qui avait dû utiliser le même genre de bouteille après son refroidissement- volontaire, celui-là!- de . On gagna la Stein-Thor alors que six heures sonnaient au clocher de Sankt-Peter. Les trois hommes furent arrêtés par une patrouille et Cyrus prit aussitôt les devants. - Je suis le lieutenant Cyrus Hornschlag, dit-il d'une voix ferme au sous-officier éberlué. Je vous prie de me conduire au plus vite à la caserne de l'Ill. Il me reste à vous remercier pour tout, ajouta-t-il à l'intention de Gustav et de Diebold. Passez me voir dans deux heures à la caserne. Je tiens à vous exprimer ma reconnaissance. - Mais, mon lieutenant... - Allez! Toujours entouré de sa garde prétorienne, Cyrus fit une entrée remarquée dans la caserne de l'Ill où il tomba aussitôt sur le Feldwebel Dorfmann. - Vous ramassez les clochards maintenant? Quel est cet indivi- du?, demanda ce dernier au sous-officier qui commandait la patrouille. - Je suis le lieutenant Cyrus Hornschlag, chargé de mission par l'état-major de Berlin, même si ma mise ne l'indique pas, je vous l'accorde. Conduisez-moi auprès du commandant Zeller. - Avez-vous des papiers ou un document accréditant ce que vous dites?, lui demanda Dorfmann, non sans avoir réprimé un mouve- ment de surprise. - Aucun, mais le simple envoi d'un télégramme vous en apporte- ra la preuve. - Le commandant Zeller est absent pendant quelques jours. Suivez-moi. Cyrus, qui avait déjà presque oublié qu'il avait échappé de peu à la mort, était furieux d'être ainsi contraint de devoir se fourrer dans la gueule du loup. Le commandant de la place de Colmar, grand ami du général Beck, avait été muté en Allemagne depuis le mois de Novembre, et avait été remplacé par un homme plus sûr. Cyrus savait -et pour cause!- que Zeller ne regagnerait pas Strasbourg avant quelques jours, et qu'il ne perdrait pas son temps durant ce voyage à Berlin! Il fallait absolument que Cyrus pût entrer en contact avec le Général Beck dans l'heure qui allait suivre. Dorfmann, en militaire zélé, conduisit Hornschlag auprès du capitaine Gift qui remplaçait Zeller pendant son absence. Grassouillet, le cheveu ras, le monocle vissé à l'oeil, le capitaine Gift faisait partie de ces officiers de l'Empire n'ayant accepté leur mutation dans le Reichsland que dans l'unique but de donner des ailes à une carrière sans histoires qui s'alanguissait un peu. Gift était au fait de quelques secrets dans la maison; il connaissait Zeller depuis des années, s'était occupé du délicat dossier du jeune Wilderhof et avait réussi à demeurer en bons termes tout à la fois avec Zeller et avec Beck, sans ignorer que les deux hommes ne son- geaient qu'à se détruire l'un l'autre depuis des mois. Il connaissait bien entendu tout de l'homme qui se trouvait devant lui en livrée de mendiant et évaluait déjà le montant de la rançon qu'il allait tirer de cette capture providentielle. - Que vous est-il donc arrivé lieutenant?, lui demanda-t-il tout à trac en se levant mollement pour l'accueillir. - Ce sont les aléas du métier, mon capitaine, répondit Cyrus en essayant de sourire et de masquer l'immense sentiment de défiance que lui inspirait l'attitude de son supérieur. Puis-je vous demander avant toute chose de me procurer un uniforme? - Ce sera chose faite dans quelques instants. Dorfmann, veuillez aller chercher des habits décents au lieutenant. Quelques secondes s'écoulèrent durant lesquelles le Capitaine Gift fit mine d'examiner différents documents étalés sur son bureau. - Lieutenant Hornschlag, poursuivit Gift quand Dorfmann eut quitté la pièce, j'ai deux bonnes raisons de m'intéresser à vous. La première, c'est que le commandant Zeller est actuellement en route pour Berlin; la seconde c'est que je sais, effectivement, que vous avez été chargé d'une mission, disons, un peu spéciale, touchant aux intérêts supérieurs de l'Empire. - Mon capitaine, il me faudrait télégraphier à Berlin dans les plus brefs délais. - Rien ne presse, Homschlag, rien ne presse. Le commandant Zeller a lui-même pris les choses en mains, et vous savez qu'il ne laisse rien au hasard. - Je ne comprends pas, mon Capitaine... - Il n'y a rien à comprendre, Homschlag. Vous n'êtes guère pers- picace... Il me faut donc vous préciser qu'à partir de cette minute, vous êtes aux arrêts. Dorfmann! Le Feldwebel, qui n'attendait que ce commandement, entra dans la pièce, un uniforme sous le bras. - Placez le lieutenant Cyrus Homschlag au secret. Pas de visites, pas de parloir, mais par contre expédiez-lui le major au plus vite. Pour rien au monde, je ne voudrais que la santé de notre prisonnier fût affectée par quoi que ce soit... Allez! Cyrus regarda fixement son supérieur. Il eût donné dix ans de sa vie pour expédier le contenu d'un revolver à la face de cet officier, qui, en quelques mots, avait anéanti la belle combinaison qu'il avait échafaudée en regagnant Strasbourg. Une seule question le tour- mentait dans cette affaire. Comment diable Zeller avait-il pu aller jusqu'à imaginer que Cyrus pût sortir vivant de son plongeon dans le Rhin? VERS PARIS

Le train de Paris venait de s'arrêter en gare de Châlons-sur- Marne. Camille regarda sa montre: elle indiquait seize heures. Il alla se dégourdir les jambes durant quelques minutes sur le quai, acheta un journal qu'il fourra machinalement dans sa poche après avoir jeté un rapide coup d'oeil aux gros titres. Il remonta ensuite dans le compartiment où Manfred, brûlant de fièvre, le visage très pâle et presque terreux, se trouvait aux côtés de Catherine et faisait face à Edwin Schmitt et à Gregor Wüssler. Depuis Gérardmer, on n'avait échangé que quelques rares paroles car, durant la nuit de son retour de Schirmeck (1), le jeune homme avait narré par le menu toutes les péripéties de son voyage ainsi que les importantes décou- vertes auxquelles il avait pu se livrer. Quoique très éprouvé par les effets de la maladie, le jeune Wilderhof découvrait à présent avec une certaine curiosité qui ten- tait de prendre le dessus, ce pays de l'ennemi héréditaire, comme on l'appelait outre-Rhin. Ici, le mot de Châlons évoquait pour Manfred le camp militaire où les Français avaient fait mouvement lors de la débâcle de 1870. C'est là que, durant la fameuse journée du 24 août, tandis que Frédéric-Charles demeurait sous Metz avec la 1ère et la IIème armée, la cavalerie prussienne du prince royal était arrivée en brûlant les étapes. N'ayant trouvé âme qui vive, elle avait alors entrepris sa marche sur Paris, sans savoir quelle direction avait bien pu prendre l'armée de Mac-Mahon. Manfred examinait attentive- ment le quai de la gare depuis sa fenêtre, ne parvenant pas à retrou- ver les portraits qu'on lui avait brossés pendant toute sa jeunesse. Leur totale inexactitude renforçait encore le malaise du jeune pros- crit que la situation contraignait aujourd'hui à l'exil. Ils étaient donc là, ces braillards de Français, ceux qui étaient partis en haillons pour barrer la route au duc de Brunswick près des moulins de Valmy, ceux qui avaient répandu les idées de la Révolution dans

(1) Se reporter à Manfred Wilderhof, seconde époque du passage du Climont (même éditeur). l'Europe tout entière, ceux qui avaient marché jusqu'aux faubourgs de Moscou sous les aigles d'un Corse à l'appétit démesuré. A ce pro- pos, Manfred n'avait d'ailleurs jamais très bien compris comment les soldats de l'Empire avaient pu se recruter à l'époque parmi les rescapés de l'an II, comment l'armée rouge et bleue de Badinguet avait pu être balayée de la sorte, dix-sept ans auparavant, fuyant comme un gibier affolé, ou allant trouver refuge en ces places que l'on disait fortes. - Paris est encore loin? demanda-t-il à Catherine. - Nous y serons dans deux heures environ, puisque cinq heures se sont déjà écoulées. Comment te sens-tu, mon chéri ? - Fort mal en point, mais sans les cachets de ce bon docteur Entremont, je crois que j'aurais déjà gagné le cimetière. - Il y a également votre blessure qui ne doit rien arranger, inter- vint Edwin. Mais nous mettrons bon ordre à tout cela dès notre arri- vée dans la capitale. Camille, qui, depuis quelques minutes, parcourait les pages du journal, sursauta et se mit soudain à pâlir. - Qu'as-tu donc?, demanda Edwin. - Les nouvelles vont vite, et elles ne sont pas bonnes. - Comment cela?... - Jette un coup d'oeil au bas de la page deux, répondit Camille en lui tendant le journal. - Que se passe-t-il?, demanda à son tour Manfred. - Edwin va te lire l'article en question, dit Camille, très gêné. - Nous venons d'apprendre par notre correspondant de Berlin que le général Ludwig Beck, membre influent de l'état-major prus- sien et qui fut l'un des artisans de la campagne d'Alsace et des en 1870, s'était donné la mort dans son château du Müggelsee. On se perd toujours en conjectures sur les raisons qui ont pu pousser cet officier supérieur... Edwin posa le journal sur ses genoux et regarda Manfred. Le jeune homme était d'une pâleur cadavérique et serrait convulsive- ment la main de sa compagne. Ses tempes battaient et une sorte de voile noir avait envahi son regard. Un coup de sifflet strident déchira l'air, puis le train repartit dou- cement. Sur le quai, des mouchoirs s'agitaient et l'on entendait des mots d'adieux. - A l'heure qu'il est, Cyrus Hornschlag doit être mort ou prison- nier, dit soudain Manfred, qui avait rapidement examiné les causes et les conséquences de la nouvelle qu'il venait d'apprendre. - Si tout cela est vrai, le commandant Zeller est donc parvenu à s'emparer des documents trouvés à Schirmeck, commenta Camille. Manfred se contenta de hocher machinalement la tête. Pour lui, tous ces chiffons de papier n'avaient plus aucune importance doré- navant. Il savait que le vieil ami de son père n'était plus de ce monde : tout le reste, désormais, ne pouvait lui paraître que dérisoi- re. Tout un pan de la vie du jeune homme venait de s'écrouler en l'espace de quelques secondes, mais, fait étrange, ces derniers évé- nements berlinois le rapprochaient encore davantage de son père: le travail de deuil continuait de faire lentement son oeuvre. Manfred imagina soudain les difficultés dans lesquelles Beck s'était débattu depuis quelques mois, tous ces efforts déployés en pure perte pour faciliter, dans l'ombre, la tâche des uns et des autres dans le lointain Reichsland. Enfin ces derniers papiers militaires de réforme trans- mis par Cyrus et destinés à épargner, par le biais d'un exil devenu inévitable, la vie de Manfred et celle de son ami Gregor. - Aurions-nous pu faire quelque chose pour éviter cela?, deman- da Gregor, accablé lui aussi par la révélation. - Non Gregor, reprit Manfred d'une voix blanche, nous n'avons pas commis d'erreur. Mais il faut bien avouer que nous avons che- miné trop lentement, alors que la vie de deux hommes se trouvait en jeu. Tu n'as aucune responsabilité dans tout ce qui est arrivé, ajou- ta-t-il rapidement à l'intention de Catherine qui avait tressailli. - Manfred...commença Catherine. - S'il est bien un coupable dans toute cette affaire, c'est de moi qu'il s'agit et de nul autre, précisa le jeune homme. - Ils doivent donc savoir à Berlin que ces documents sont passés entre nos mains, déclara Edwin, qui conservait sa fichue manie des fausses synthèses et des vendanges anticipées. - On s'en fout complètement, le coupa sèchement Camille, afin d'épargner à Manfred une intervention qui lui eût été pénible. Comme le père de Manfred s'en serait lui même foutu, si d'aventu- re, il pouvait se trouver aujourd'hui avec nous dans ce fichu wagon! - Je ne te comprends pas, dit Edwin, un peu interloqué. - Ecoute, laisse-nous un peu tranquilles avec ces maudites pape- rasses, reprit Camille en adressant un regard furieux à Schmitt. Tu ne crois pas qu'il y a autre chose à dire et à faire, en ce moment, non ? Et puis, ce qui est fait est fait, nous n'allons rien y changer, sacrebleu ! Camille songea soudain à Maria, qu'il avait laissée à Gérardmer en compagnie du petit Freddy. Depuis la naissance du petit garçon, la jeune femme était ulcérée de constater que Camille se refusait obstinément à lâcher l'affaire Wilderhof, et le fait qu'il partît, cette fois-ci, vers l'ouest et non vers l'est ne la rassurait en rien. Dès qu'Edwin Schmitt- qui était selon elle le plus bel oiseau de mauvais augure qui se pût trouver- s'agitait dans les parages, Maria devenait inquiète, nerveuse, irascible, et adoptait aussitôt, vis-à-vis de Camille, une attitude proche du détestable et de l'odieux. C'est ainsi que, claquemurée dans sa chambre, elle avait refusé de donner l'au- revoir à ceux qui allaient cingler vers Paris. - Elle n'a pas tout à fait tort, se dit Camille, tout en fixant d'un regard vague le paysage qui défilait. Nous devenons tous fous furieux avec cette histoire et nous passons le plus clair de notre temps à enjamber les cadavres. Jusqu'au moment où d'autres enjam- beront gaiement les nôtres ! Nous ne sommes pas de force, et pour- tant nous continuons cette folle course comme des capitaines ivres fonçant sur les écueils. Mais comment diable pourrions-nous recu- ler, à présent? Ces fonctionnaires de la Rue de Lille (2) seront-ils à la hauteur, ou devrons-nous poursuivre tout seuls? Tiens! ce colonel de La Tour, je le vois d'ici, avec sa lorgnette fixée sur la ligne bleue des Vosges, guettant le casque à pointe ou la lance de uhlan qui pourraient surgir à l'horizon. Ils passent leurs journées à confec- tionner des fiches, des bordereaux, ces bougres! sans savoir ce qui se passe réellement sur le terrain, ni ce qui se joue actuellement à Berlin! Et puis quel peut être le poids d'un Boulanger face à un Bismarck, je vous demande un peu ! Tout en entendant chanter ses voix intérieures, Camille regardait Manfred. Le jeune homme paraissait s'être endormi, bercé par le tac-tac régulier des éclisses. Catherine avait posé la tête sur l'épau- le de Manfred. Edwin, courroucé par les remarques un peu acerbes de Camille, bougonnait dans son coin et essayait de parcourir le journal étalé devant lui. Tout en ayant grande amitié et admiration pour son ami, Edwin l'accablait intérieurement, le jugeant incapable de prendre le recul nécessaire pour examiner la situation. A vrai dire, l'attitude d'Arnold lui gâchait son plaisir. Avec la fierté du fonctionnaire qui a abouti, Schmitt rapportait des informations de

(2) Siège du SR. toute première grandeur au colonel de La Tour, et face à cela, Camille donnait nettement l'impression de cracher dans la soupe, accordant aux propos et aux sentiments de Manfred une sorte de droit de cité totalement usurpé. - Qu'as-tu dit à Maria ?, demanda-t-il soudain à Camille - Comment cela? - Je ne sais pas, moi... Au sujet de ton retour, de la durée de ton séjour à Paris.... - Mais enfin, sapristi! cela dépend du petit! - Ce n'est pas une réponse, que diable! - Monsieur Arnold essaye de vous faire comprendre qu'il se sou- cie actuellement de la santé de Manfred, et de rien d'autre, ajouta perfidement Catherine. Conscient de l'accumulation des maladresses, Edwin consentit enfin à rompre le combat. - Pardonnez-moi. Nous n'allons tout de même pas nous fâcher pour des balivernes. - Ce terme de balivernes me paraît déplacé, Monsieur Schmitt. Manfred peut très bien succomber dans les heures ou les jours qui viennent. Vos propos me peinent énormément, et, pour ma part, je ne vous imaginais point ainsi. - Une fois encore, Catherine, je te demande de pardonner ma maladresse. Peut-être sommes-nous un peu las les uns et les autres. Le manque de sommeil, que sais-je? - Je crois que je vais être contraint de te donner quelques leçons de savoir-vivre, Monsieur l'Instituteur, railla Camille. - J'accepte déjà celle-ci en guise de hors-d'oeuvre, répondit Edwin, d'un ton faussement conciliant, tout en se replongeant dans la lecture de son journal. Il était près de dix-neuf heures quand le train entra en gare de l'Est. Le vent et la pluie, qui avaient fait leur apparition à Château- Thierry, balayaient les quais; le ciel triste et morne, qui semblait raser de près les marquises de la gare, incitaient un peu à la mélan- colie. - Ah Paris, ville des lumières !, plaisanta Camille quand le train y eut été de son dernier coup de frein. Catherine lui adressa un pâle sourire tout en aidant Manfred à se vêtir. - Nous voici donc arrivés à Paris, murmura ce dernier, tout en jetant un coup d'oeil un peu las en direction des quais bondés de voyageurs. - Voici Antoine et sa belle, fit remarquer Edwin. Effectivement un jeune couple, dans la cohue, adressait des signes à Schmitt. - J'aurais eu un peu de mal à le reconnaître, ce bougre, tellement il a poussé! déclara Camille. - Lui aussi, sans doute, ajouta maladroitement Edwin. - Comment s'appelle-t-elle? demanda Camille qui feignait de ne pas avoir entendu la désobligeante remarque de son ami. - Isabelle de Grammont. Une parente fort éloignée de notre ex- ministre. - Il vaut mieux qu'il en soit ainsi, fit remarquer Camille, qui gar- dait en mémoire la fâcheuse et hâtive déclaration de guerre de 1870. Camille et ses amis descendirent sur le quai et Edwin fit les pré- sentations. De toute évidence, Antoine Schmitt avait été mis au cou- rant de toute la situation par son père, car il ne manifesta aucun étonnement en serrant la main de Manfred. Par contre, il parut très ému en embrassant Catherine. Elle avait dix-huit mois et lui trois ans quand il avait quitté l'Alsace en compagnie de sa mère, juste avant la déclaration de la guerre. Isabelle se montra alarmée par l'état de Manfred - Il faut faire vite pour ce jeune homme, dit-elle. - Bien sûr, répondit Edwin. Vous allez prendre une voiture et vous rendre au Val-de-Grâce (3). - Comment cela, vous allez ?, intervint Camille. - Il faut que je file de ce pas voir le colonel - Je comprends, grinça Camille, les affaires sont les affaires. - Je t'en prie, ne complique pas tout à plaisir. Arrivés là-bas, vous demanderez une entrevue au professeur Brochart. Il est courant et il vous attend, je l'ai averti par télégraphe. Camille, dans cette

(3) Avant de devenir hôpital militaire par un décret de la Convention en date du 31 Juillet 1793, le Val-de-Grâce fut tout d'abord un établissement religieux. La reine Anne d'Autriche avait en effet décidé de construire un couvent pour les bénédictines de Bièvres, afin de remercier le ciel de lui avoir donné un fils en 1638. L'enfant en question, qui n'était autre que Louis XIV, posa la première pierre de l'édifice le 1er avril 1645. François Mansart en élabora le plan géné- ral. Jacques le Mercier et Pierre le Muet parachevèrent l'ouvrage. Les travaux furent achevés vingt-deux ans plus tard, un an environ après la mort de la reine-mère. L'ouvrage a été très marqué, dans sa conception, par l'influence de l'architecture italienne de l'époque. La coupo- le devait recevoir à la fin du XVIIIème siècle un hôte tout à fait inattendu: l'aérostat de Fleurus! L'hôpital proprement dit fut créé en 1795. Exception faite d'une courte interruption durant le premier Empire, il conserva ensuite sa vocation sans discontinuer. On y soigna notamment les blessés de la guerre de 1870. enveloppe, il y a cinq cents francs. Sois assez aimable de t'occuper des détails. Nous nous retrouverons ce soir au restaurant Jaumont, qui se trouve sur le boulevard, non loin du Café Anglais (4). Antoine et Isabelle vous guideront, ajouta-t-il en s'éloignant. Dans la cour de la gare de l'Est, Edwin fila de son côté tandis que Camille et ses amis hélaient une voiture de cercle (5). Vingt minutes plus tard, la voiture enfilait la rue Saint-Jacques, et s'immobilisait peu après dans la cour de l'hôpital militaire du Val-de-Grâce. Manfred Wilderhof fut admis le soir même dans le service du professeur Brochart. Ce dernier se montra prudent et réservé quant au diagnostic, ce qui acheva de jeter le trouble et l'inquiétude dans l'âme de Catherine. - Nous sommes en présence d'une pleurésie purulente, déjà bien développée. - Nous venons de Gérardmer, professeur, dit timidement Catherine. - Ceci n'est point un reproche, mademoiselle, mais une constata- tion, répondit Brochart d'une voix déjà plus amicale. En dehors de cela, je note que notre homme, dont l'état requiert toute notre atten- tion, est jeune et de robuste constitution, ce qui facilitera les choses. Cela étant, il est de mon devoir de vous informer que je ne puis rien vous dire d'autre pour l'instant. - Et sa blessure? hasarda Camille. - Cela n'est rien. Autre chose, notre malade parle-t-il français? - Comme vous et moi, dit Camille. Son mutisme actuel ne peut être imputé qu'à une réserve bien compréhensible. Edwin, dans son message télégraphique, n'avait fourni aucun détail à Brochart. Ne soyez pas étonné, lui avait-il dit, de devoir accueillir un patient qui parle surtout la langue de Schiller. Connaissant les activités de Schmitt, Brochart ne s'était pas forma-

(4) Le Café Anglais, situé 13 boulevard des Italiens, fut sans aucun doute le plus célèbre de tous les établissements; il avait accueilli des dîneurs, des soupeurs célèbres depuis la Restauration. Musset, Dumas père, le duc de Grammont, le fréquentèrent en leur temps. Le café Voisin se trouvait à l'angle de la rue Saint-Honoré et de la rue Cambon. On y servit le 25 décembre 1870, pendant le siège de Paris, de l'éléphant, du kangourou, de l'âne et du chameau. Pendant la troisième République, les grands fonctionnaires s'y virent proposer des mets plus délicats et moins exotiques. Le glacier Tortoni, sis 22 boulevard des Italiens, fut longtemps fréquenté par Balzac et par Dumas et jouxtait la Maison Dorée, construite en 1839, et située à l'angle de la rue Laffitte. Au numéro 16, le café Riche était un peu tombé sous le second Empire, étant alors considéré comme un "café anglais économique". Il fut ensuite "remonté" sous la direc- tion des frères Bignon, dont le cadet tenait le café Foy, au Palais-Royal. Au numéro 17 de ce boulevard des Italiens, où s'étaient réfugiés la plupart de ces établissements, on trouvait Guide des Vosges 1902 Guide des Hautes-Vosges 1920 Général Niox : La guerre de 1870 (Delagrave - 1897) Amédée Achard : Récit d'un soldat (Nelson) Pierre Derveaux : Blasons et Armoiries (Editions Derveaux) La Vie du Rail (revue) Jean Bérenger : Histoire de l'Empire des Habsbourg (Fayard)