Le Passage Du Climont, Troisième Époque
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LES SERRES DE L'AIGLE Du même auteur et chez le même éditeur : LE PASSAGE DU CLIMONT, roman, 1992 (première époque) Prix d'Histoire de l'Académie nationale de Metz MANFRED WILDERHOF, roman 1994 Le passage du Climont (deuxième époque) © Editions Pierron, Sarreguemines, 1996 JEAN-YVES VINCENT LES SERRES DE L'AIGLE LE PASSAGE DU CLIMONT - TROISIÈME EPOQUE (1887-1895) EDITIONS PIERRON Toute ressemblance avec les personnages fictifs de ce récit ne serait que pure concurrence. A Odette et Bernard Schieber Ce n'est pas tellement vers la joie ou vers la peine qu'on a choisi d'aller. On a tout simplement choisi d'aller vers autre chose. Henri Pourrat RÉSUMÉ DES DEUX VOLUMES PRÉCÉDENTS Le Passage du Climont (première époque) Manfred Wilderhof (deuxième époque) La première époque du Passage du Climont, qui débute en 1870 et prend fin au mois de janvier 1886, retrace le début de l'histoire du Reichsland, c'est-à-dire celle des territoires occupés après la défaite française de 1870. L'Alsace et une partie de la Lorraine ont été placées sous la tutelle de l'Empire allemand en mai 1871, lors de la signature du traité de Francfort. Espions, fonctionnaires et militaires allemands traversent le Rhin en grand nombre, afin de prendre en main les "nouveaux terri- toires". Dans le Val de Villé et celui de Sainte-Marie, la résistance à l'occupant s'organise comme partout ailleurs au cours des premières années, le but essentiel étant de sauvegarder par tous les moyens l'identité alsacienne. En réaction, un certain nombre d'hommes ou de femmes connaîtront très tôt la traque, la spoliation, voire l'exil. D'autres parviendront à demeurer sur place et tra- vailleront dans l'ombre. On retrouve, durant la seconde époque, qui s'étend de janvier 1886 à février 1887, quelques-uns des personnages ayant animé le premier récit. Camille Arnold et Maria Pfister (1) ont dû s'exiler provisoirement à Paris, où ils ont été accueillis par Edwin Schmitt, l'ancien instituteur de Sainte-Marie-aux-Mines, tandis que certains de leurs amis alsaciens- les époux Becht et Wendling- ont, quant à eux, trouvé refuge à Gérardmer. Freddy, le fils de Maria, et Erwin Pflumio ont été fusillés par une patrouille allemande, au mois de janvier 1886 à Sélestat (2). René Becht - le fils unique de Charles et Simone Becht- et l'abbé Küchli ont subi un sort identique dans le petit village vosgien de Saint- Blaise-la-Roche. Elsa Wendling a elle-même trouvé la mort en ten- tant de porter secours à Erwin et à Freddy lors de l'affaire de Sélestat. (1) Voir tableau généalogique. (2) Pour la commodité de la lecture, nous avons délibérément opté pour la toponymie actuelle. A la fin de cet ouvrage, le lecteur trouvera un tableau de correspondance entre le nom actuel d'un certain nombre de villes et de villages, avec, en regard, celui qui était en vigueur à l'époque où se situe le récit. Dans la mémoire de tous ceux qui ont survécu, est venu se dépo- ser le souvenir vivace du Rittmeister Wilderhof. Bien avant de livrer son dernier combat dans la vallée de la Bruche, cet officier de cava- lerie allemande avait épousé la cause alsacienne, à la suite du drame personnel qu'il avait vécu en 1866, au moment où la Prusse et l'Autriche allaient se livrer bataille à Sadowa. Durant des années, Manfred, le fils de Wilderhof, avait été entre- tenu dans la haine du père, par les soins de sa mère, la comtesse von Falckenstein. En apprenant la mort du Rittmeister, le jeune homme est bouleversé, et veut absolument connaître la vérité. Grâce à la complicité de l'un des amis de son père, le général Beck- officier d'état-major-Manfred est incorporé dans une unité de cava- lerie stationnée à Strasbourg. Le général a consenti à lui apporter cette aide car il désire récupérer des documents secrets qui se sont curieusement " égarés " du vivant du Rittmeister; il estime que le jeune homme est seul capable de prendre contact avec les amis alsaciens de son père, et donc de mener à bien une telle mission. Sachant que d'autres officiers très proches de Guillaume 1er et de Bismarck poursuivent le même but que lui, Beck a toutefois deman- dé à son homme de confiance, le lieutenant Cyrus Hornschlag, d'ai- der discrètement le jeune Manfred Wilderhof. Manfred parvient à prendre contact avec les Alsaciens de Sainte- Marie aux Mines et de Villé, établit vite avec eux des relations d'amitié, et leur prête peu à peu son concours pour recueillir le der- nier legs de son père. Après avoir rencontré bien des difficultés, Manfred parvient à découvrir les fameux documents. Il les remet au lieutenant Hornschlag afin que ce dernier les ramène à son tour au général Beck. Manfred, blessé et victime d'une pleurésie, s'enfuit en compa- gnie de l'un de ses amis, Gregor Wüssler. Ils passent la frontière et regagnent Saint-Dié. Dans le train qui le conduit à Berlin, Hornschlag est agressé, puis neutralisé par le commandant Zeller, qui avait été chargé par Moltke de remettre lui aussi la main sur les documents... I PARTIE PONT DE KEHL La barque venait de passer sous le pont de Kehl et les deux rameurs qui se trouvaient à bord ahanaient en remontant le courant. Les grandes arches se découpaient dans le clair de lune et l'ouvrage ressemblait à un gigantesque monstre venu s'abreuver dans le Rhin. Le train de Berlin stationnait sur le pont et l'on pouvait entendre le souffle haletant de la locomotive qui s'impatientait. La porte d'un wagon se trouvant à la queue du convoi venait de se refermer vio- lemment et presque aussitôt, une masse sombre tomba dans le fleu- ve. Quelques secondes plus tard, la locomotive lança un cri strident et le convoi s'ébranla de nouveau. L'un des occupants de la barque, un gros homme rougeaud dont le visage bouffi était serré dans une barbe de deux jours, s'arrêta soudain de ramer. - Ecoute ! dit-il à son compagnon. - J'entends bien, dit l'autre, machinalement. C'est le train qui repart. - Mais non, imbécile! Ça vient de faire un plouf ! près de la deuxième pile. - Alors, c'est qu'on aura jeté quelque chose du haut du pont, répli- qua l'autre, fataliste. Le gros récupéra ses rames et fit faire demi-tour à l'embarcation. - Qu'est-ce que tu fabriques? reprit l'indolent. - Je vais voir. Le mois dernier, j'ai récupéré une armoire qui n'avait pas dix ans. Je l'ai bichonnée pendant cinq ou six jours, puis hop! Quarante marks dans la fouillette à papa Gustav! - Le vin et le schnaps te perdront! répondit l'autre laconiquement, tout en examinant la berge. - Allez, rame, toi aussi. Je sens la bonne affaire. - A propos d'affaire, ce sera part à deux, comme pour le tabac, précisa le vis-à-vis de Gustav tout en tapotant l'un des deux gros sacs de toile couchés entre eux au fond de la barque. - Fripouille, certes, mais honnête avec les gens de mon espèce, fit observer Gustav, blessé par la remarque. Le corps de Cyrus Hornschlag, à demi immergé, avait commen- cé à dériver vers la rive alsacienne. Le lieutenant s'était évanoui à la suite du violent coup de crosse que lui avait asséné dans le wagon le commandant Zeller. En tombant dans le fleuve, le corps, mû par une sorte de réflexe, se débattit durant quelques secondes. Au contact de l'eau glacée, Cyrus reprit connaissance. Sa tempe droite continuait de saigner. Il sentait l'eau glacée qui s'infiltrait dans sa bouche, et commençait à s'insinuer dans sa gorge. Le spectre de la mort toute proche se dressait devant lui. Encore quelques secondes et ce serait la fin, le grand plongeon dans le néant. Dans un sursaut désespéré, Cyrus se débattit une dernière fois afin de desserrer cet étau invisible qui lui étreignait gorge et poumons. Passant la tête hors de l'eau, Hornschlag se mit aussitôt à hurler. - Nom de Dieu ! ce n'est pas mon armoire, éructa Gustav. - Alors, on y va tout de même? - Bien sûr qu'on y va! rétorqua l'autre en tirant sur ses rames comme un forcené. En quelques secondes, la barque rejoignit Hornschlag. Gustav agrippa le noyé au passage et le hissa dans l'embarcation. Cyrus avait de nouveau perdu connaissance. Les deux hommes s'affairè- rent auprès de lui, essayèrent de lui faire ingurgiter un peu de schnaps. - Avec un froid pareil, il va te claquer dans les pattes, ton proté- gé! En plus, regarde comme il saigne... - Laisse faire Gustav, ignorant! Et rame vers le bord! Quand Cyrus rouvrit les yeux, il s'aperçut qu'il se trouvait dans une vieille cabane en bois, faiblement éclairée par une bougie que l'on avait posée là sur une caisse, mais aussi par les maigres flammes dansant dans ce qu'on pouvait prendre pour une cheminée. Celle-ci, se trouvant garnie de bois humide et de vieux débris, déga- geait surtout une âcre fumée. Cyrus constata qu'on l'avait enveloppé dans de vieux chiffons mais, dans ce costume de fortune, il était transi et claquait des dents. Le souvenir de sa chute dans le Rhin resurgit tout à coup, comme un cauchemar. Cyrus se raidit, voulut crier, pour s'assurer qu'il était bien vivant et pour mettre un terme aux tremblements qui l'agitaient sans cesse, mais aucun son ne sortit de sa bouche.