08 //WEEKEND Vendredi 11 et samedi 12 janvier 2013 Les Echos RENCONTRE

De la Folie de Rameau dans « Platée » à Jenufa de Janacek, elle a incarné les héroïnes les plus atypiques du répertoire. En 2013, elle mettra en scène des « Dialogues des Carmélites » de Poulenc, dirigera de jeunes chanteurs à l’Opéra-Comique, sera la Salomé de Strauss tout en rêvant de Wagner… Par Philippe Venturini

En 1999, Mireille Delunsch est Poppée à Aix dans « L’Incoro- nazione di Poppea » de . Photo E. Carecchio DR SON ACTUALITÉ

a Violetta (« La Traviata » de événements. Le cheveu hirsute, le regard Verdi) a fait pleurer le public illuminé et l’autorité inflexible, elle pre- « Dialogues des Carmélites » S d’Aix-en-Provence autant que nait possession en quelques secondes du de Francis Poulenc, au Grand sa gouvernante (« Le Tour plateau, de la salle et même du chef (à Théâtre de Bordeaux, du 8 au d’Ecrou » de Britten) l’a troublé. Sa Folie Mireille revoir en DVD). « Cette production fut le 16 février (Tél. : 05 56 00 85 20, (« Platée » de Rameau) a fait se gondoler résultat d’une conjonction heureuse de www.opera-bordeaux.com). Mise l’Opéra Garnier et sa Jenufa (Janacek) a volontés enthousiastes. Laurent Pelly, le en scène. bouleversé l’Opéra de Bordeaux. Du rire metteur en scène, faisait de la musique, et aux larmes, Mireille Delunsch peut tout : , le chef, du théâtre. « Salomé » chanter, bien sûr, mais aussi penser Delunsch, J’avais pour ma part beaucoup apporté à de , au Grand l’opéra. La soprano revient ainsi dans la l’élaboration de mon rôle. Quand tout Théâtre de Bordeaux, maison aquitaine à l’affiche de deux pro- réussit à ce point, les artistes vivent un du 21 au 29 mars. Rôle-titre. ductions très prometteuses, deux nou- moment exceptionnel. Mais il faut telle- velles aventures : la prise de l’imposant ment peu pour que tout se plante… » « Cendrillon » rôle-titre de « Salomé » de Richard Malgré cette fragilité de l’art lyrique, de Pauline Viardot, à l’Opéra- Strauss, et la mise en scène des « Dialo- cantatrice Mireille Delunsch avoue envisager sa Comique (Tél. : 08 25 01 01 23, gues des Carmélites » de Poulenc. Au lieu première mise en scène d’un spectacle où www.opera-comique.com), les 17, de se reposer sur des lauriers fièrement elle ne paraît pas, avec beaucoup moins 18 et 19 avril. Direction musicale. portés depuis longtemps et se satisfaire d’anxiété qu’un nouveau rôle. « J’aborde de quelques opéras valorisant sa longue la mise en scène tout simplement parce que voix et ses talents de comédienne, la j’ai un imaginaire très actif qui me tient chanteuse additionne les expériences, passifolle jour et nuit. Mais je n’entreprends pas ce élargit son répertoire et son horizon. « Je travail pour me venger de certains met- ne sais pas faire autrement , confie-t-elle. teurs en scène ou pour exercer une quel- Cela ne relève d’aucun calcul, d’aucun plan conque autorité sur mes collègues. Je de carrière. Je n’ai aucun ego vocal et je n’ai déteste les conflits et je n’ai jamais pu sup- jamais entrepris ce métier avec la volonté porter les rivalités entre chanteurs. » Ces de chanter tel ou tel rôle. Sans doute par Gluck ou Donna Eliva dans « Don Gio- « Dialogues des Carmélites » de Poulenc, manque de confiance. » vanni » de Mozart, par exemple), sa force elle les connaît bien pour avoir déjà Si elle est aujourd’hui une des cantatri- de tragédienne, sa voix onctueuse et colo- chanté le rôle principal, celui de Blanche. ces françaises les plus célèbres et les plus rée, sa diction et sa capacité à s’adapter, « Je pense qu’il faut éviter de trop dramati- polyvalentes, Mireille Delunsch a com- tel un caméléon, aux œuvres, aux chefs, ser l’opéra à son début sous prétexte qu’il mencé modestement sa vie musicale et a aux metteurs en scène, au style. « Sans finit mal. Et je suis très heureuse de pou- suivi un parcours atypique. « J’ai eu la doute est-ce mon caractère alsacien bête et voir disposer dans une telle œuvre d’une chance d’avoir des parents qui prati- discipliné qui me l’a permis. Je ne juge pas équipe entièrement francophone », expli- quaient le chant en amateur à Mulhouse, ce que je ne peux pas voir puisque je suis que la chanteuse que l’on sait si attentive ma ville natale. C’est d’ailleurs au sein du sur scène. Bien sûr on sait très vite si le au sens comme au rythme du texte et chœur de l’opéra municipal qu’ils se sont spectacle va fonctionner ou pas. Mais ma amoureuse de la langue française. DR rencontrés. Mon père avait découvert responsabilité est de faire jaillir la musi- C’est pour transmettre une passion l’univers lyrique grâce à un ami et s’en est que et le texte nés de l’émotion du person- intacte et un art reconnu que l’artiste SES DATES vite passionné. » Mireille doit ainsi son nage, de conserver une cohérence à son assume régulièrement la direction musi- prénom à l’opéra de Gounod. Après des cheminement émotionnel. Il faut pour cela cale de productions avec des jeunes études à Strasbourg de piano, de saxo- de la souplesse et, surtout, être heureuse de OFF chanteurs comme celle que propose phone, de chant et de musicologie, elle chanter. Sinon, vous ne pouvez pas. Je me l’Opéra-Comique en avril. « Ils savent 1962 naissance à Mulhouse enseigne en collège tout en donnant des souviens qu’à mes débuts il m’arrivait de chanter mais ils n’ont pas une réflexion 1999 Poppée dans leçons de chant pour payer celles qu’elle monter sur scène avec l’envie de pleurer. théâtrale suffisante. Je m’attache alors à « Le Couronnement de Poppée » reçoit. Elle débute ensuite comme pro- C’était terrible. » Votre addiction de week-end ? leur faire comprendre le rythme de la pen- au Festival d’Aix-en-Provence. fessionnelle à l’Opéra du Rhin (Mous- Je ne connais pas les week-ends sée par rapport à la musique et aux paroles 2003 Violetta dans sorgski, Wagner) avant de se faire remar- Du baroque à Wagner via Poulenc et je déteste ça ! et à les rendre autonomes vis-à-vis de la « La Traviata » de Verdi quer dans le rôle de Marie dans « La Monteverdi, Rameau, Gluck, Mozart, partition, donc plus réceptifs aux deman- au Festival d’Aix-en-Provence. Basoche » de Messager. Mais c’est à la fin Boieldieu, Meyerbeer : Mireille Delunsch Une musique pour entrer en transe des du metteur en scène. » 2007 Première mise en scène, des années 1990 qu’elle additionne les a participé à de nombreux triomphes le lundi ? Avec le temps, celle qui reconnaît ne « La Mort de Cléopâtre » succès et devient indispensable : Méli- avec le chef Marc Minkowski. « Nous par- Wagner, Wagner et Wagner. pas être « l’enfant d’une seule chapelle » a de Berlioz et « La Voix humaine » sande de « Pelléas et Mélisande » de tageons une fraternité de folie, une bouli- senti sa voix gagner de la matière. « Elle de Poulenc au Grand Théâtre Debussy avec Jean-Claude Casadesus en mie de découvertes, une volonté de lire la Un chef-d’œuvre qui vous endort ? est plus solide qu’il y a dix ans mais réclame de Bordeaux. 1997, Poppée dans « Le Couronnement partition d’un œil neuf. » Ensemble, ils Aucun, ou alors ce n’est pas un plus de temps pour se chauffer. Le réper- 2007 Rôle-titre dans « Louise » de Poppée » de Monteverdi à Aix-en- ont notamment contribué à ce qui res- chef-d’œuvre, c’est même à ça toire baroque lui permet de conserver sa de Charpentier à l’Opéra Bastille. Provence en 1999. Et elle ne refuse pas les tera comme une des plus éclatantes réus- qu’on le reconnaît... jeunesse car elle exige une grande sou- 2010 Rôle-titre de « Jenufa » paris de la musique contemporaine : sites de l’Opéra de Paris dans le réper- plesse. » Des envies ? « Reprendre des rôles de Janacek « Lady Sarashina » de Peter Eötvös à toire baroque : « Platée » de Rameau. La pièce honteuse que j’ai abordés trop jeune comme “Faust” au Grand Théâtre de Bordeaux. Lyon, « Yvonne princesse de Bourgo- Dans cette histoire loufoque et impitoya- de votre vestiaire ? de Gounod ou “Eugène Onéguine” de 2011 Valentine dans gne » de à Paris. ble d’un batracien sûr de son sex-appeal Une robe que je me suis faite Tchaïkovski. Et puis chanter davantage de « Les Huguenots » de Meyerbeer La soprano fascine par son exception- et amoureux de Jupiter, elle incarnait la à quatorze ans mais que je ne peux Wagner.“TristanetIsolde” : il n’yarienau- à Bruxelles puis à Strasbourg. nelle envergure dramatique ( de Folie, celle qui vient dérégler le cours des pas jeter. dessus. » On a hâte. n