Orphée et Eurydice

péra DE^LBORDEAUX Vignette de couverture : Pierre Lacour : Orphée perdant Eurydice (1802). Opéra de Bordeaux

Orphée et Eurydi

Opéra en trois actes

Livret de Ranieri de' Calzabigi (1762) Traduction française de Pierre-Louis Moline (1174)

Musique de Cbristoph Willibald Gluck

Direction musicale : Jane Glover Mise en scène : Waldemar Kamer Décors : Ezio Frigerio Costumes et dramaturgie : Cordelia Dvorak Chorégraphie : Renate Pook Lumières : Pascal Damien Conception initiale des lumières pour la production : Vinicio Cheli

Orphée : Rockwell Blake Eurydice : Mireille Delunsch L'Amour : Valérie Lecoq

Production Nationale Reisopera des Pays-Bas

Chœur de l'Opéra de Bordeaux Direction : Gunter Wagner

Orchestre National Bordeaux Aquitaine

Première le 21 novembre 1997 Grand-Théâtre Bordeaux Jane Glover Direction musicale

Jane Glover a été Directeur musical de la Glyndeboume Touring Company de 1981 à 1985, à la tête de laquelle elle a dirigé des opéras de Mozart, Beethoven, Rossini, Britten et Knussen. Directeur artistique des London Mozart Players de 1984 à 1991, elle élargit le répertoire de l'orchestre vers la musique contemporaine, effec­ tuant des tournées en Europe et au Japon, et réalisant de nom­ breux enregistrements, notam­ ment d'oeuvres de Mozart, Haydn et Britten. Elle a fait ses débuts à Covent Garden en dirigeant Die Entfiihrung aus dem Serait et à l'English National (ENO) avec Don Giovanni lors de la saison 1988-1989. Jane Glover a ensuite dirigé Die Zauberflôte, Il Barbiere di Siviglia et à l'ENO, Zaide à la Fenice de Venise, Le Nozze di Figaro à Toronto, A midsummer night's dream au Festival de Hong-Kong et au Festival de Covent Garden, L'ltaliana in Algeri au Festival de Buxton, Il Barbiere di Siviglia et Die Entfiihrung aus dem Serail au Danish Royal Opera. Le Glimmerglass Opera Festival (New York) l'a invitée pour L'incoronazione di Poppea, Tamerlano de Haendel et La Calisto de Cavalli ; l'Australian Opera pour Alcina. Parmi les nombreux orchestres qu'elle a conduits, citons ceux de la BBC, le Philharmonique de Londres, le Philharmonia, le Royal Philharmonie, le London Symphony Orchestra, l'Orchestre des Concerts Lamoureux, l'Orchestre national de Belgique, Assistant à la direction musicale : Jacques Blanc l'English Chamber Orchestra, le Royal Liverpool Philharmonie, le Chefs de chant : Françoise Larrat, Jean-Marc Fontana Royal Scottish National Orchestra et le New Zealand Symphony. Aux États-Unis, elle s'est produite en concert avec Jessye Norman et le Saint Luke's Maquillages réalisés par Orchestra au Lincoln Center, ainsi qu'au Mostly Mozart Annie Lay-Senrens Festival et à la tête du Saint Paul Chamber Orchestra. Jane Glover vient de diriger llphigétiie en Tauride de Gluck au New York City Opera. Parmi ses projets, citons : The Turn of the screw à l'ENO ainsi que L'incoronazione di Poppea à Durée totale du spectacle : l'Australian Opera et Die Zauberflôte au Florida Grand Ih 30 mn environ, sans entracte. Opera. Waldemar Kamer Ezio Frigerio Cordelia Dvorak Renate Pook Mise en scène Décors Costumes et dramaturgie Chorégraphie

Waldemar Kamer est né en Ezio Frigerio est né à Erba, Cordelia Dvorak est née en Née en 1942 en Allemagne, 1966 à Enschede (Pays-Bas) et dans la province de Côme, en 1966 à Munich où elle a suivi Renate Pook suit des études de a passé son enfance à Bruxelles. 1930. Il rencontre Giorgio des études de Littérature, de danse pluridisciplinaires sous la Venu à Paris pour y suivre des Strehler en 1955 et aborde la Sciences théâtrales et direction de Kurt Joos à la études d'Histoire de l'Art et de décoration théâtrale avec La d'Histoire de l'Art, qu'elle a Folkwangschule d'Essen. En Théâtre, il a organisé plusieurs Casa de Bernarda Alba de achevées à Paris. De 1985 à 1968, elle part pour Paris, y séminaires sur Peter Brook et a Federico Garcia Lorca au 1989, elle a collaboré au présente ses premières choré­ fondé une compagnie de Piccolo Teatro de Milan. Cantiere Internationale d'Arte graphies et enseigne à la Schola théâtre avec Max Denes. L'année suivante, il dessine les de Hans Werner Henze à Cantorum. L'École Supérieure Avec lui (et d'autres) il est costumes du Matrimonio segreto Montepulciano et, de 1989 à d'Art dramatique de intervenu sur de nombreux pour l'inauguration de la 1991, au «cycle Faust» de Strasbourg l'accueille, en 1973, spectacles (comme metteur en Piccola Scala, ainsi que les Giorgio Strehler au Piccolo en tant que pédagogue. scène, traducteur ou dramatur­ décors et costumes du fameux Teatro de Milan. Depuis, elle poursuit inlassa­ ge) qui ont été invités dans plu­ Arlecchino, servo di due patroni. Il Elle est l'auteur de plusieurs blement un travail de création, sieurs festivals européens et aborde le cinéma en 1958 en portraits filmés (entre autres le aussi bien au sein de sa propre français (TransEurope Festival collaborant avec Vittorio De compositeur Berthold compagnie « Pookeline » que de Berlin, Cantiere Sica, puis avec Liliana Cavani Goldschmidt, le metteur en dans le cadre d'institutions Internationale d'Arte de pour François d'Assise, Galilée et scène Herbert Wernicke, le telles que l'Atelier lyrique du Montepulciano, Paris Quartier Les Cannibales, Bernardo réalisateur Peter Greenaway, le Rhin, le Ballet du Rhin, ou en d'Été / Théâtre du Rond-Point, Bertolucci (1900), Jean-Paul directeur d'opéra Peter Jonas) tant qu'interprète dans d'autres Festival d'Avignon, Le Maillon Rappeneau (Cyrano de Bergerac) pour la télévision allemande et compagnies. de Strasbourg). Depuis 1990, il et Roger Planchon {Soleil levant Arte. En 1994 est paru son Parmi ses créations les plus travaille comme assistant à la et Louis, enfant Roi). Il retrouve premier livre, Passione teatrale, récentes, citons Hiver 42, mise en scène et dramaturge de Giorgio Strehler pour les décors consacré à Giorgio Strehler. Partita, Instants chorégraphiques, Ursel et Karl-Ernst Herrmann des Géants de la montagne, Sainte Depuis 1987, elle dirige son Hortus Deliciarum (Jardin des pour des spectacles montés à la Jeanne des Abattoirs, Le Roi Lear propre atelier de costumes à Délices), Vies à vie et Traverse. Monnaie de Bruxelles, au ou plus récemment La Grande Munich. Elle a travaillé pour le Staatsoper de Vienne et au Magia. Théâtre de la Sphère à Paris, le Mozarteum de Salzbourg {Die Il a collaboré à plusieurs Rossini-Festival à Rùgen, le Entfiihrung aus dem Serail et reprises avec de Milan Landestheater Neustrelitz et le Ombra felice). {Falstajf, Lohengrin, Les Troyens, Nationale Reisopera des Pays- Également correspondant à Ernani), le Bas. Paris pour la presse allemande, de New York (Francesca da il a réalisé plusieurs portraits Rimini) et le Festival de d'artistes et de personnages his­ Salzbourg (Macbeth). Il travaille toriques et vient de tourner son aussi régulièrement à des spec­ premier court métrage pour tacles en France, notamment Arte. avec Giorgio Strehler pour la Avec Orfeo ed Euridice en 1996 Trilogie de la Villégiature, et maintenant Orphée et Eurydice L'Illusion comique au Théâtre de (version de Paris), Waldemar l'Odéon, L'Opéra de quat' sous et Kamer signe sa première mise Fidelio au Châtelet. Il collabore en scène d'opéra. aussi avec Roger Planchon au Parmi ses prochains projets, TNP de Villeurbanne (No man's citons Aida au Nationale land de Pinter, Athalie et Don Reisopera des Pays-Bas. Juan), avec Jorge Lavelli (La Mante polaire), Claude Régy (La Chevauchée sur le lac de Constance) et Lluis Pasqual (Le Chevalier d'Olmedo). A l'Opéra de Paris, Ezio Frigerio a réalisé les décors et les costumes des Nozze di Figaro et de Simone Boccanegra mis en scène par Giorgio Strehler, de Rosenkavalier, les costumes de Carmen, les décors de deux pro­ ductions de Liliana Cavani, Iphigénie en Tauride et Médée, et ceux de La Dame de pique. Il a également conçu pour Petit décors et costumes de Nana, ainsi que ceux de Roméo et Juliette, Le Lac des cygnes et La Bayadere pour Rudolf Noureev. o OàL Pascal Damien Rockwell Blake Mireille Delunsch Valérie Lecoq Lumières Orphée Eurydice L'Amour

Pascal Damien entre à l'Opéra Spécialiste des reprises Mireille Delunsch étudie le Après des études de chant à de Paris en mars 1978 en tant d'œuvres rarement jouées du piano, le saxophone et l'orgue Beauvais et de musicologie à qu'Électricien de plateau. En xvinimt et du début du XlX4mc avant de se consacrer à la musi­ l'Université de Paris VIII, septembre 1992, il est promu siècles, Rockwell Blake s'est cologie et au chant. Elle débute Valérie Lecoq entre à l'Atelier Responsable de production. illustré dans plus d'une trentai­ rapidement sur scène où elle Lyrique de l'Opéra de Lyon où Depuis cette date, il a réglé les ne d'opéras de ce répertoire très s'illustre dans un répertoire elle reste trois ans. Durant lumières de très nombreuses spécifique, parmi lesquels allant de l'opéra baroque à la cette période, elle participe à de productions : La Bayadere en Mitri date, re di Porito de Mozart, création contemporaine. nombreux spectacles et octobre 1992 (et la reprise du L'infedelta delusa de Haydn, Il A l'Opéra du Rhin, elle se pro­ concerts et interprète notam­ spectacle en janvier 1993), Furioso ail' isola di San Domingo duit dans Boris Godounov, ment Bastienne dans Bastien Programme russe d'Angelin de Donizetti, et Parsifal, puis dans La Basoche und Bastienne de Mozart et la Preljocaj (octobre 1993), Soirée Il Crociato in Egitto de (Marie d'Angleterre) de Princesse dans L'Enfant et les Balanchine (avril 1994, Meyerbeer. Considéré comme Messager, La Veuve joyeuse (rôle- Sortilèges de Ravel (tournée en décembre 1996), Le Parc le meilleur ténor rossinien de titre), Vol de nuit (Madame Europe et en Amérique du d'Angelin Preljocaj (avril 1994, notre époque, il possède qua­ Fabien) de Dallapiccola, Les Sud). février 1996), Casse Noisette torze rôles de ce compositeur à Aventures de Monsieur Broucek de Elle est ensuite invitée pour (décembre 1994) et Magnificat son répertoire. Janâcek. Se succèdent ensuite, chanter Barbarina des Nozze di (février 1995) de John Il se produit régulièrement au dans divers théâtres, des prises Figaro à Strasbourg, puis est Neumeier, Roméo et Juliette de Metropolitan Opera (où il a de rôles remarquées telles que remarquée pour son interpréta­ Rudolf Noureev (juin et sep­ chanté L'ltaliana in Algeri, I Blanche de la Force (Dialogues tion de Sophie dans Werther à tembre 1995), Soirée Roland Puritani et II Barbiere di des Carmélites), Marguerite Saint-Étienne et de Despina Petit (mai 1996), Casse Noisette Siviglia), à l'Opéra de Paris, au (Faust), Zerlina (Don Giovanni), dans Cosî fan tutte à Rennes. de Rudolf Noureev (décembre Grand Théâtre de Genève, à Pamina (Die Zauberflôte), la Elle participe également à la 1996), Pelléas et Mélisande de l'Opéra de San Francisco, à Gouvernante (Le Tour d'écrou), tournée Candide de Bernstein Bob Wilson (janvier et sep­ l'Opéra Comique, au Chicago Micaëla (Carmen). Après Moïse en France et à l'étranger. tembre 1997) ainsi que des Lyric Opera, à La Fenice de et Aaron au Théâtre du Elle a récemment interprété chorégraphies de Merce Venise, au Wiener Staatsoper, Châtelet, Pelléas et Mélisande Alice dans à Cunningham (novembre à la Monnaie de Bruxelles, au (Mélisande) à Lille, Die Lausanne, avant de reprendre 1992), Jerome Robbins Liceo de Barcelone, et à la Scala Zauberflôte à Lyon, puis le rôle de Barbarina à Bordeaux (décembre 1992, juin 1994), de Milan où il a débuté l'année de Gluck à Nice, Mireille (dans la production de Robert Paul Taylor (janvier 1993)... du bicentenaire de Rossini dans Delunsch se produit, en 1996- Carsen, sous la direction de Pascal Damien a également sous la direc­ 1997, dans Hippolyte et Aride à Hans Graf) et au Théâtre des participé à diverses tournées à tion de R Muti. On a pu égale­ l'Opéra Garnier et à New York, Champs-Élysées (avec William l'étranger. Outre le Brésil en ment l'applaudir au Festival L'incontro improwiso de Haydn à Christie) puis de l'enregistrer 1991, il a réalisé, l'année sui­ d'Aix-en-Provence, à Rome, Lausanne et Eugène Onéguine à sous la baguette de Jean- vante, les lumières de Giselle au Naples, Bologne, Turin, Nancy. Elle multiplie aussi ses Claude Malgoire. C'est égale­ Luxembourg et à Séville (à l'oc­ Zurich, Lisbonne et Toulouse, prestations en concert et récital. ment avec ce dernier qu'elle casion de l'Exposition univer­ au Festival Rossini de Pesaro Elle incarnera prochainement chante, pour la première fois, le selle), celles de La Bayadere à depuis 1983, ainsi qu'en Mimi (La Bohème) au Capitole rôle de Susanna dans Le Nozze Barcelone (1993) et Athènes concert avec la plupart des de Toulouse et la Princesse di Figaro. (1994), celles du Parc grands orchestres internatio­ (L'Enfant et les sortilèges) à Outre le répertoire lyrique, d'Angelin Preljocaj à Rome naux. l'Opéra Garnier. Valérie Lecoq se consacre sou­ (1994), à New York (1995), à Sa discographie comporte plu­ Elle a participé à de nombreux vent au concert : Le Songe d'une Singapour (1995) et à Aix-en- sieurs enregistrements consa­ enregistrements, notamment avec nuit d'été de Mendelssohn, le Provence (1997)... crés à Rossini, à Mozart, des P. Herreweghe (Herminie de Gloria de Vivaldi sous la direc­ airs d'opéra français, La Dame Berlioz), J.-C. Casadesus (La tion d'Alain Lombard, le blanche de Boieldieu et Alina, Damoiselle élue, Pelléas et Mélisande), Requiem de Fauré sous la direc­ regina di Golconda de Donizetti. M. Minkowski (cantates françaises tion d'Emmanuel Krivine. Premier lauréat du Richard de Clérambault, La Dame blanche Elle s'est produire dernière­ Tucker Award et du George et Armide de Gluck qui paraîtra ment dans Mireille à l'Opéra de London Award, Rockwell prochainement)... Bordeaux interprétant le rôle Blake a reçu, en 1988, un A Bordeaux, Mireille Delunsch Vincenette. Doctorat honoraire de Musique a interprété La Vie parisienne (la de l'Université d'État de New Baronne de Gondremarck), Die York. Il est officier de l'Ordre Zauberflôte (Première Dame), du mérite de la République ita­ La Bohème (Mimi), Armide lienne. (rôle-titre), puis Berg et R. Strauss en concert, avant d'in­ carner Tatiana dans Eugène Onéguine et Donna Elvira dans Don Giovanni la saison dernière.

Crédits photographiques :

D. Velez (Jane Glover), F. Kleinefenn (Waldemar Kamer), Bureau de Concerts Maurice Werner (Rockwell Blake), G. Bonnaud (Mireille Delunsch), S. Amsellem ( Valérie Lecoq), X (Cordelia Dvorak, Renate Pook, Ezio Frigerio, Pascal Damien).

Opéra de Bordeaux

Orphée et Eurydice

Gluck

Grand-Théâtre de Bordeaux novembre 1997

Orphée et Eurydice

Opéra en trois actes

Livret de Ranieri de' Calzabigi (1762) Traduction française de Pierre-Louis Moline (1774)

Musique de Christoph Willibald Gluck

Personnages :

Orphée, ténor Eurydice, soprano L'Amour, soprano

Créé le 5 octobre 1762, à Vienne, sur la scene du Burgtheater

Version de Paris, créée le 2 août 1114, sur la scène de l'Académie royale de musique

Première le 21 novembre 1997 Grand-Théâtre Bordeaux

Vendredi au soir, 14 octobre 1774

Mon ami, je sors d'Orphée : il a amolli, il a calmé mon âme. J'ai répandu des larmes, mais elles étaient sans amertume : ma douleur était douce, mes regrets étaient mêlés de votre souvenir ; ma pensée s'y arrêtait sans remords. Je pleurais ce que j'ai perdu, et je vous aimais ; mon cœur suffisait à tout. Oh ! quel art charmant ! quel art divin ! La musique a été inventée par un homme sensible, qui avait à consoler des malheureux. Quel baume bienfaisant que ces sons enchanteurs !

Julie de Lespinasse, lettre à M. Guibert. (Tiré de : Lettres de M"' de Lespinasse, écrites de l'année 1111 jusqu'à l'année 1116, Paris, Longchamps, 1811)

7 PRANCELL Opéra Comique

Fernand Francell dans le rôle d'Orphée au début du siècle. Argument

Acte I

Orphée se lamente sur la tombe d'Eurydice. Accablé de chagrin, il supplie les dieux de rendre la vie à sa femme ou de le frapper pour lui donner la mort. L'Amour paraît et annonce à Orphée que les divinités ont été sensibles à ses plaintes : il peut aller chercher Eurydice aux Enfers s'il arrive à apaiser, avec sa lyre, la fureur des tyrans de ces sinistres lieux. Orphée devra surtout veiller à ne jamais porter son regard sur Eurydice sous peine de la perdre à jamais.

Acte II

Au seuil des Enfers, Orphée est entouré par les Furies qui tentent de l'épou­ vanter. Ses chants doux et touchants désarment peu à peu les spectres infernaux qui cèdent et le laissent poursuivre son chemin. Arrivé aux Champs-Elysées, Orphée exhorte les ombres à faire paraître Eurydice à ses yeux. Son vœu est fina­ lement exaucé.

Acte III

Orphée annonce à Eurydice qu'il vient l'arracher au séjour de la mort et lui demande de suivre ses pas. La jeune femme est surprise par l'attitude distante de son époux et s'étonne qu'il se détourne du regard qu'il chérissait jadis. Profondément affligée, elle affirme préférer la mort à l'ingratitude d'Orphée et lui lance un dernier adieu. Bouleversé par les pleurs de sa femme, Orphée se tourne vers elle, transgressant l'ordre divin. Au même instant, Eurydice meurt. Désemparé, Orphée songe à mettre fin à ses jours mais l'Amour veille sur sa des­ tinée. Sa constance et sa foi ont ému les dieux qui acceptent de lui rendre Eurydice. Enfin réunis, les deux époux célèbrent les bienfaits de l'Amour.

Laurent Croizier

9 La Mort d'Orphée, par Gustave Doré. Julien Tiersot

Étude sur Orphée

Il n'est pas, dans la poésie antique ou moderne, de sujet qui ait séduit les musi­ ciens à l'égal de la légende d'Orphée. Cela se conçoit. En effet, sans même parler de la beauté essentielle du drame, où trouver un plus éclatant symbole du presti­ ge de la musique que ce mythe, à la fois naïf et profond, qui la représente comme possédant un pouvoir tellement irrésistible qu'elle commande à la nature entière ? Car non seulement les éléments, les rochers, les bêtes féroces et les arbres des forêts sont soumis à son empire, mais, par un prodige stupéfiant, ses accents magiques en arrivent jusqu'à vaincre la Mort ! Dès les premières manifestations du mouvement musical duquel sortit l'opéra, poètes et musiciens se placèrent à l'envie sous le patronage de leur mythologique initiateur. Le premier « drame en musique » des temps modernes est, quant à la date, une Euridice qu'Ottavio Rinuccini et Jacopo Péri firent représenter à Florence, le 6 octobre de l'an 1600, lors de fêtes données en l'honneur des noces d'Henri IV et de Marie de Médicis. Dans la même année, un autre compositeur, Giulio Caccini, écrivait sur les mêmes vers une nouvelle partition. Sept ans plus tard, un musicien de génie, Monteverdi, composa un Orfeo ; et l'on put voir dès lors quel avenir était promis au nouveau genre lyrique, tant cette œuvre, par la hardiesse de ses harmonies et la nouveauté de ses combinaisons ins­ trumentales, surpassait les timides inventions des précurseurs florentins. Vers le milieu du siècle, Mazarin voulut introduire en France cette forme d'art qui, en peu d'années, avait pris un si grand développement dans son pays : il fit venir à Paris des chanteurs italiens, et, le 2 mars 1647, leur fit donner une repré­ sentation au Palais-Royal, dans la même salle où Richelieu avait fait jouer sa tra­ gédie de Mirame. Ce premier opéra joué en France fut encore un Orfeo, dont le compositeur avait nom Luigi Rossi. La création de l'opéra allemand ne remonte guère au-delà des dernières années du dix-septième siècle ; l'on en attribue l'honneur au Saxon Reinhard Keiser. Celui-ci, en 1699, composa un opéra qui fut représenté à Brunswick sous le titre de La Lyre enchantée d'Orphée (Die verwandelte Leyer des Orpheus) ; puis, reprenant son œuvre, il la developpa et la divisa en deux parties, sous le nom général d'Orpheus (Hambourg, 1702) ; enfin, en 1709, il la réduisit de nouveau en une seule soirée, sous le titre d'Orphée en Thrace (Orpheus in Thracien). En France, Lulli n'aborda point ce sujet ; mais ses deux fils, Louis et Jean- Baptiste, écrivirent un Orphée, en trois actes et un prologue, qui fut donné à l'Opéra de Paris le 8 avril 1690. Mais c'est surtout sous forme d'opéra italien que la légende d'Orphée fut trai­ tée avec continuité, depuis les origines jusqu'à la fin du dix-huitième siècle. On attribue à Zarlino, le célèbre théoricien de l'harmonie, la composition d'un Orfeo ed Euridice. Sous le même titre fut représenté un opéra d'A. Sartorio, à Venise, en 1672 ; puis vinrent : La Lira d'Orfeo, par A. Draghi, à Laxenbourg, près Vienne (1683); Orfeo ed Euridice, de J. J. Fux (Vienne, 1715); / Lamenti d'Orfeo, de

11 Wagenseil (Vienne, 1740) ; Orfeo, de Karl Heinrich Graun (Berlin, 1752) ; YOrfeo ed Euridice, de Gluck (Vienne, 5 octobre 1762) ; Orfeo, de Jean-Chrétien Bach (Londres, 1770) ; Orfeo ed Euridice, de Tozzi (Munich, 1775) ; Orfeo ed Euridice, de Bertoni (Venise, 1776) ; Orfeo, de Guglielmi (Londres, 1780) ; Orfeo ed Euridice, d'Haydn, composé à Londres en 1793-94 et resté inachevé ; Orfeo, de Luigi Lamberti (vers 1800).

A ces œuvres écrites sur des poèmes italiens, il faut joindre un Orpheus anglais de J. Hill (Londres, 1740) ; un Orphée français, composé par Dauvergne vers 1770, et non représenté ; Orpheus, opéra danois de Naumann (Copenhague, 1785) ; enfin, outre les compositions déjà citées de Keiser, les opéras allemands suivants : Orpheus, de Georges Benda (Gotha, 1787) ; un autre Orpheus, de F. W Benda (Berlin, 1788) ; La Mort d'Orphée (Der Tod des Orpheus), de M. F. von Droste- Hùlshoff (écrit en 1791, non représenté) ; une autre Mort d'Orphée, de Gottlob Bachmann (Brunswick, 1798) ; Orpheus, de Kannabich (Munich, vers 1800) ; enfin, Orpheus, de F. A. Kanne (Vienne, 1810).

Abel Boyé : La Lyre immortelle.

Avec de moindres développements, le même sujet a été employé dans plusieurs œuvres musicales parfois signées de grands noms. L'une des plus belles cantates françaises du xvmèmE siècle est un Orphée de Clérambault. Berlioz eut une Mort d'Orphée à mettre en musique pour un concours de Rome. Liszt en a tiré un poème symphonique ; Léo Delibes, une scène lyrique pour chant, chœur et orchestre. Même il y eut des pantomimes et des ballets composés, dès le xvn""1' siècle, sur les amours d'Orphée et d'Eurydice : le plus ancien est d'Henri Schùtz, le précurseur du grand Bach, et fut joué à Dresde, en 1638, pour les fiançailles du prince Georges II de Saxe. Ensuite parurent, en Angleterre, plusieurs divertissements ou mascarades, composés tour à tour par Martin Bladen (Londres, 1705), J. Dennis (1707), John Weaver (1717), Rich (1741), Reeve (1792) et Peter von Winter (1805) ; enfin, en France, un ballet d'Orphée, musique de Biaise, fut joué au Théâtre de la Foire en 1738.

12 Et, comme les plus nobles sujets ne sont pas à l'abri de la satire, plusieurs paro­ dies furent représentées en Allemagne et en France. Il suffit de citer pour mémoi­ re l'opéra-bouffe d'Offenbach, joué précisément au moment où l'Orphée de Gluck, après un si long oubli, allait, grâce à l'admirable interprétation de Mme Pauline Viardot, retrouver à Paris un accueil mémorable autant que significatif. Par la chronologie ci-dessus, l'on peut juger que, si l'Orphée de Gluck n'est pas la dernière œuvre qui fut inspirée par la légende du chantre de Thrace, du moins, après lui, aucun grand musicien n'osa plus aborder ce sujet : bientôt même celui- ci fut abandonné par les médiocres dont le seul idéal est l'imitation, et pour les­ quels la supériorité du génie n'éclate que lorsqu'un succès définitif l'a consacrée. Parmi ceux qui, après Gluck, y songèrent encore, nous ne trouvons plus qu'un grand nom, celui d'Haydn (...). A partir du XlXèmc siècle, le nom de Gluck est si complètement associé à l'idée d'Orphée qu'aucun musicien n'oserait plus toucher à cette légende, au sujet de laquelle il semble, désormais, que tout soit dit.

(Article paru dans : Le Ménestrel, du 30 août 1896)

13 Gluck par Duplessis. Luc Bourrousse

Itinéraires d'un chevalier bohème

Romain Rolland allait peut-être un peu loin lorsqu'il écrivait que, comme Hasndel, Gluck était le plus grand compositeur italien de son temps ; mais le fait est : le Chevalier fut, d'abord, de formation, un compositeur italien. Certes, il apprit les premiers rudiments de son art en Bohème, où sa famille était venue s'installer. Son père Alexander, maître des Forêts de l'Électeur de Bavière à Erasbach, dans le Haut-Palatinat, où naquit son fils aîné le 2 juillet 1714, vint ensuite occuper ces fonctions au service de la duchesse Maria-Franziska de Toscane, puis du comte de Kinsky, et du prince Philipp Hyacinth Lobkowitz enfin, à Eisenberg, près de Komotau. Christoph Willibald fera des études de phi­ losophie à l'université de Prague. Mais après un bref séjour à Vienne, il part en 1736 pour Milan où il devient l'élève du célèbre Giovanni Battista Sammartini, auteur de remarquables symphonies et surtout pédagogue réputé, qui fera profi­ ter de ses conseils , Jommelli, Boccherini, Haydn ou Mozart... Artaserse à Milan le 6 décembre 1741, Demetrio à Venise l'année suivante et, premier véritable succès, ce Demofoonte créé à Milan le 6 janvier 1743, qui sera son premier opéra représenté sur une scène allemande (Dresde, en 1747) : l'ombre souveraine de Métastase plane sur les débuts de Gluck comme sur tout l'opéra ita­ lien, lequel règne sur toute l'Europe, la France exceptée. Pendant plus de dix ans, le compositeur lui restera fidèle, mettant en musique des poèmes déjà illustrés par Mancini, Hasse, Duni ou Caldara, jusqu'à certain Re pastore représenté à Vienne en décembre 1756 ; il y reviendra encore en 1765 pour deux « sérénades théâ­ trales ». Virtuosité, grands airs da capo : de cette Ipermestre vénitienne de 1744 à ce Triônfo di Clelia qui inaugure le Communale de Bologne en 1763, rien qui n'au­ rait pu être écrit par un Jommelli ou un Traetta. Les Londoniens ne s'y trompent pas : en 1746, lors de son bref séjour, ils reçurent aimablement Gluck et les deux pasticci qu'il leur servit sous les titres de La Caduta de'giganti et d'Artamene. On en publia quelques airs favoris, on applaudit le compositeur exécutant lui-même son concerto pour harmonica de verre, et on l'oublia sitôt parti. Il rejoignit à Hambourg la troupe d'opéra itinérante de Pietro Mingotti, conti­ nuant à « métastaser » et à recycler des partitions antérieures selon les besoins. En 1749, il passe dans la troupe de Locatelli. L'année suivante, il épouse Marianne Pergin et s'installe à Vienne, chez sa belle-mère. C'est là qu'il reçoit la comman­ de d'une Clemenza di Tito créée par Caffarelli au San Carlo de Naples le 4 novembre 1752. Le succès de ce nouvel opera séria attire sur Gluck l'attention du favori de l'impératrice Marie-Thérèse, le prince de Saxe-Hildburghausen, flûtiste et mélomane passionné. Le voici dirigeant l'orchestre du prince à ses vendredis musicaux, composant les charmantes Cinesi. Le comte Durazzo, directeur général des théâtres impériaux, lui confie la direction des concerts du Burgtheater, et sur­ tout lui fait découvrir les opéras-comiques français de Favart et Ansseaume, dont il est grand amateur. Gluck, que Sa Sainteté Benoît XIV fait chevalier de l'ordre

15 de l'Éperon d'Or en 1756, réajuste pour Vienne ces œuvres légères, les remaniant, les augmentant, écrivant couplets et ariettes, douze pour Le Diable à quatre, plus encore pour L'Ivrogne corrigé, L'Arbre enchanté ou Le Cadi dupé, réduisant d'autant la part de la musique originale. Après s'être illustré dans les sublimes efflores­ cences de la rhétorique métastasienne, Gluck trouve dans les aimables chansons de Favart des modèles de déclamation expressive et piquante. On ne saurait trou­ ver meilleure école de prosodie, de simplicité, de naturel. Cette double formation sera précieuse au compositeur. Le temps est aux grands débats d'idées, aux théories, aux réformes, pour ne pas dire aux révolutions. L'essai sur l'opéra du critique Algarotti est de 1755 ; au même moment, la publication des poèmes de Métastase est pour Ranieri de' Calzabigi le prétexte d'un long exposé de ses vues sur l'art lyrique, bientôt mises en pratique dans le livret d'Orfeo, bref, resserré, presque sévère. Trois personnages seulement, de longues scènes construites d'un seul tenant, où airs et chœurs s'en­ chaînent harmonieusement. Gluck y a mis toute son inspiration, et tout son savoir-faire, puisant dans des opéras antérieurs (Ezio, L'Ivrogne corrigé...), écrivant, à côtés des inévitables airs da capo d'expressifs récitatifs accompagnés par un orchestre éloquent. Créé par le castrat Gaetano Guadagni le 5 octobre 1762, Orfeo ed Euridice est un succès, sans véritables conséquences immédiates : le compositeur n'est guère allé plus loin dans l'innovation que Jommelli, ou Traetta dont l'Ifigenia in Tauride et l', créées à Vienne en 1758 et 1761 respectivement, lui ont ouvert le chemin. Gluck revient à l'opéra séria traditionnel avec 11 Triônfo di Clelia, à l'opéra-comique avec la délicieuse Rencontre imprévue, ou les Pèlerins de la Mecque de Dancourt, représentée en janvier 1764. Malgré la déclaration d'intentions de sa préface, qui est pour l'essentiel l'œuvre de Calzabigi, (1767) marque plu­ tôt un recul par rapport à Orfeo : la musique se ressent d'un livret moins concis, et qui n'évite d'ailleurs pas toujours ni le décoratif, ni le merveilleux contre lequel son auteur s'élevait pourtant avec véhémence. Paride e Elena, ultime collaboration de Gluck et de Calzabigi, regarde vers Orfeo : trois personnages, dont l'Amour, et une apparition d'Athéna au finale ; mais le sujet n'offre guère de situations dra­ matiques, et la musique n'est guère plus qu'une succession d'airs admirables. L'année même de la création de Paride e Elena, en 1770, la jeune archiduchesse Maria Antonia épousait le duc de Berry et devenait dauphine de France sous le nom de Marie-Antoinette. Fort musicienne, comme le reste de sa famille, elle avait eu pour maître de musique Gluck lui-même, et, goûtant peu les œuvres de La Borde ou de Royer jouées alors dans la capitale française, n'eut de cesse de faire venir à Paris son ancien professeur. Celui-ci venait justement d'achever une Iphigénie en Aulide sur un livret que le bailli Du Roullet, alors attaché à l'ambas­ sade de France à Vienne, avait tiré de la tragédie de Racine. Le 19 avril 1774, Sophie Arnould incarnait Iphigénie sur la scène de l'Académie royale de musique. Quatre mois plus tard, elle était Eurydice aux côtés de l'Orphée du ténor Joseph Legros dans une nouvelle version d'Orphée et Eurydice, sur un texte de Pierre-Louis Moline. Rosalie Levasseur y tenait le rôle de l'Amour avant d'être, en 1776, la pre­ mière Alceste française, et de créer Armide en 1777 et Iphigénie en Tauride en 1779. La même année 1779 verra, en septembre, l'échec d'Écho et Narcisse. Le composi­ teur quitte la France. Armide, qui n'est qu'un pasticcio des opéras italiens de Gluck sur le livret, déjà utilisé par Lully et à peine élagué, de Quinault, et le malheureux Echo et Narcisse mis à part, les opéras français de Gluck survivent à toutes les mes­

16 quines disputes d'écoles dont le compositeur a trop souvent, et trop longtemps, été l'otage. Debussy, qui lui-même prit Gluck comme bouc émissaire dans son combat contre le wagnérisme, notait justement que les plus ardents sectateurs étaient généralement les plus incompétents. Depuis la malheureuse guerre « des gluckistes et des piccinistes » qui fit rage lors de son séjour parisien, les opéras de Gluck n'ont cessé d'être l'enjeu de querelles esthétiques diverses, tour à tour exal­ tés ou rejetés comme l'expression du sublime le plus pur ou la source constante d'un ennui sans mélange. Berlioz n'eut pas d'autre Dieu, sinon Shakespeare, mais Ravel dénonçait ses « trucs » théâtraux ; Saint-Saëns et Vincent d'Indy publièrent des révisions de ses œuvres, Wagner et ne s'en tinrent pas là et réorchestrèrent chacun son Iphigénie, celle en Aulide pour le premier, en Tauride pour le second. A partir de son séjour français, Gluck fut voué à être, à jamais, emblématique, à être plus discuté qu'entendu. Retiré dans sa propriété de Perchtholdsdorf, près de Vienne, il se tint fort éloi­ gné, dans les dernières années de sa vie, de ces chamailleries ; après une vingtai­ ne d'opere serie, une dizaine d'opéras-comiques, Orphée, Alceste et les Iphigénie, il n'avait du reste plus rien à prouver. Il mourut d'une attaque d'apoplexie le 15 novembre 1787.

17 |BUREAUX à 7 h. 30 RIDEAU à8heures |

I Jeudi 10 Novembre 1921, Moirée à 8 heures §

189e Représentation i

Opéra en 4 actes et 5 tableaux de MOLINE - Musique de GLUCK Version originale revue et adaptée par M. Paul VIDAL Décors de MM. Lucien JUSSKAUME (1"" et 5e tableaux) CARPEZAT (2e acte), E. RONSIN (3= actei, AMABLE (4« acte)

M. ANSSEAU Aline VALLANDRI Orphée Eurydice M»e Yvonne BROTHIER M»® RÉVILLE L'Amour L'Ombre heureuse An 9» acte. Seèrtes Dansées, réglées par Mme STICHEL et interprétées par M11" Sonia PAVLOFF et Monna PAIVÀ et les Dames du Corps de Ballet L'Orchestre sera dirigé par M. HASSELMANS

On commencera par IL ÉTAIT UNE BERGÈRE E Opéra-comique en 1 acte - Poème de M. André R1VOIRE Musique de M. Marcel LATTÈ8

Mlle BEKNARD Mlle REVILLE M. PUJOL La Bergère La Princesse Le Berger L'Orchestre sera dirigé par M. ARCHAINBAUD

"PRENEZ GABOE A r

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Page de distribution du programme de l'Opéra Comique pour la reprise ^/'Orphée, en 1921. Camille Saint-Saëns

« Il existe deux Orphée »

Il existe deux Orphée (de Gluck). Le premier est XOrfeo, écrit en italien sur un texte de Calzabigi, et représenté à Vienne en 1762. Le rôle d'Orphée, dans cette partition, fut écrit pour contralto, à l'intention du castrato Guadagni. Les graveurs de Vienne étaient alors inhabiles, et même peut-être inexistants, car les partitions de \'Alceste italienne de Gluck, des Saisons de Haydn, ont été imprimées en caractères typographiques. Quoi qu'il en soit, la partition d'Orfeo fut gravée à Paris ; le compositeur Philidor en corrigea les épreuves, et, comme il ne pensait pas que l'Orfeo pût faire jamais le voyage de Paris, il s'appropria la romance du premier acte, qu'il introduisit, avec de légères modifications, dans son opéra-comique Le Sorcier. Plus tard, lorsque Marie-Antoinette, en appelant Gluck à Paris, lui fournit l'oc­ casion de donner à son génie tout son développement, après avoir écrit spéciale­ ment pour l'Opéra Iphigénie en Aulide, représentée en 1774, il songea à remanier Orfeo pour la scène française. A vrai dire, il y avait songé dès l'abord, car c'est seu­ lement trois mois après Iphigénie que parut Orphée sur le théâtre de l'Opéra, entiè­ rement récrit avec la collaboration de Moline. Le contralto était devenu ténor et le rôle principal confié au ténor Legros. S'il est vrai que l'auteur ait apporté à son œuvre, dans la version française, quelques améliorations, cela n'est pas vrai dans tous les cas. L'ouverture existait-elle dans la partition italienne ? On le croit généralement ; mais il existe d'anciennes copies de cette version, qui commencent par le chœur funèbre et ne montrent aucune ouverture. Celle-ci, bien que le Mercure de France la traite de « beau morceau symphonique qui annonce très bien le genre de ce spectacle », ne ressemble en rien, par son style, au reste de l'ouvrage, et ne pré­ pare nullement à l'admirable chœur du commencement, que personne, dans le même genre, n'a jamais égalé, auquels les appels désolés « Eurydice ! » lancés par Orphée, donnent un accent si touchant. Dans Orfeo, le premier acte se termine sur un effet tumultueux des instruments à cordes, évidemment destiné à l'accompagnement d'un changement à vue et de l'apparition du décor des enfers ; et le même passage existe sur le manuscrit de l'Orphée français. Il manque dans la partition gravée, où il est remplacé par un air de bravoure d'un goût douteux, accompagné du seul quatuor. Soit que le théâtre ait voulu faire un entr'acte, soit que le ténor Legros ait exigé un air à effet, soit que ces deux causes aient été réunies, la lecture du manuscrit indique la violence faite à l'auteur, qui sans cela, eut récrit l'instrumentation de cet air pour le mettre à l'unisson du reste de l'ouvrage. Longtemps cet air a été attribué au compositeur Bertoni, et l'on accusait Gluck de plagiat, alors que cet air, pris dans un ancien opéra italien de Gluck, a été, au contraire, imité dans une de ses partitions par Bertoni, qui a osé d'ailleurs écrire un Orfeo sur le texte illustré déjà par Gluck, en plagiant d'une façon scandaleuse son illustre prédécesseur.

19 Ce même air, transformé d'une façon géniale, exécuté avec un éclat prodigieux par Mme Viardot, et réorchestré par moi-même, n'a pas été un des moindres élé­ ments de succès des fameuses représentations du Théâtre-Lyrique. Mais il est bien entendu qu'il ne saurait trouver place là où l'on n'a pas d'autre but que la sincé­ rité artistique et la pureté du texte. Dans cette voie, il semblerait que la meilleure manière de représenter Orphée serait celle qui se conformerait à la version définitive de l'auteur, en faisant incar­ ner le poète divin par un ténor, puisqu'il n'existe plus de chanteurs-contraltos, et que l'on est forcé, pour conserver à Orphée ce genre de voix, de recourir à ce qu'on appelle, en langue de théâtre, un travesti.

(Article publié dans : L'Écho de Paris, 23 juillet 1911)

Dessin de costume de Cordelia Dvorak pour Orphée et Eurydice (Opéra de Bordeaux, novembre 1997).

20 L'accueil de la critique en septembre 1774

Mercure de France

Le ténor Legros créateur du role d'Orphée.

L'Académie royale de Musique a donné, le mardi 2 Août, la première repré­ sentation à'Orphée et Eurydice, drame héroïque en trois actes. Le poème (sic) a été traduit de l'italien par M. Moline. La musique est de M. le Chevalier Gluck. (...) Le poète (sic), obligé d'adapter le français aux paroles italiennes, n'a pu faire que des vers quelquefois contraints, et souvent irréguliers ; mais il a eu le mérite de suivre les mouvemens et les formes de la musique, et de la naturaliser en quelque sorte sur notre théâtre. L'action est sans doute beaucoup trop simple pour trois actes. Sa lenteur et son uniformité la font languir. Les retards d'Orphée, et l'irrésolution des amans (sic), en sortant des enfers, nuisent à l'intérêt et sont même contre la vraisemblance. Mais la musique supplée à ces défauts. Elle confirme l'idée que l'opéra d'Iphigénie avoit déjà donnée du génie et du grand talent de M. le Chevalier Gluck pour peindre et pour exprimer les affections de l'âme. L'ouverture est un beau morceau de symphonie qui annonce très-bien le genre de ce spectacle. Il nous a paru seulement que le motif ou le trait principal de musique se représente trop souvent et y met un peu de monotonie. Le chœur de la pompe funèbre est de la plus riche et de la plus touchante harmonie. Les cris

21 Les Champs-Elysées, décor de E. Ronsin-Rubé pour l'acte II d'Orphée et Eurydice, à l'Opéra Comique, en 1900.

d'Orphée qui appelle son Eurydice, sont d'un grand pathétique. Tout ce magni­ fique morceau et les airs attendrissans (sic) qui le suivent, répandent dans l'âme la tristesse. On est enchanté des chants doux et insinuans (sic) de l'Amour consola­ teur. L'air de la fin du premier acte, l'effroi renaît dans mon âme, ne peut être plus brillant, mieux ordonné, mieux contrasté et plus propre à faire ressortir le talent d'un habile chanteur et d'une voix superbe, tel M. le Gros. Le chœur terrible et le fameux non des Démons, en opposition avec les prières et les accens (sic) si tendres et si touchans (sic) d'Orphée, dont l'accompagnement est imité de la lyre, produisent le plus grand effet. Il y a bien de l'art encore dans la manière dont le musicien a su rendre la pitié contrainte des Démons qui, ne pouvant résister au talent vainqueur d'Orphée, lui ouvrent eux mêmes le chemin des enfers. Le bonheur tranquille des Champs-Elysées se peint et se réfléchit en quelque sorte dans la musique douce du Chœur et des chants des Ombres fortu­ nées. Cette pompe funèbre, ces Enfers, ces Champs-Elysées rappellent les mêmes tableaux exécutés pareillement dans l'opéra de Castor de Rameau, et ne les font pas oublier. Nous croyons même que la musique du Compositeur François est mieux sentie, plus appropriée, et, pour ainsi dire, plus locale que celle de M. le Chevalier Gluck. Elle est ici empruntée du genre pastoral ; et il lui falloit peut- être une autre nuance. La scène du troisième acte, entre Eurydice et Orphée, est, comme nous l'avons dit, languissante malgré le Duo sublime, de la plus étonnante et de la plus vive

22 expression, qui seul suffirait pour caractériser un homme de génie. Le récitatif employé dans cet opéra se rapproche beaucoup de celui de Lulli, mais de son réci­ tatif débité, déclamé et parlé comme vraisemblablement ce musicien le faisoit exé­ cuter, et non chanté, comme il l'a été abusivement après sa mort. Les morceaux de symphonie et d'accompagnement sont très-bien faits, quoiqu'ils paraissent quelquefois chargés de beaucoup de traits et d'accords recherchés et contrastés, qui embarrassent souvent l'expression d'autant plus sûre qu'elle est moins com­ pliquée. Les airs de danse de cet opéra sont en général plus soignés et plus variés que ceux d'Iphigénie ; il en est plusieurs d'un tour original et piquant que Rameau lui- même eût enviés. Il n'y a, dans cet opéra, que deux rôles principaux. Eurydice est parfaitement jouée et chantée avec beaucoup d'âme, d'intelligence et de précision par Mlle Arnould qui, dans son absence, ne peut être mieux remplacée que par Mlle Beaumesnil, actrice aimable et sensible, et musicienne excellente. Orphée est très-bien représenté par M. le Gros qui, à la voix la plus parfaite, au talent le plus brillant, et au chant le plus sûr, unit encore le jeu le plus animé et le plus expres­ sif. Mlle Rosalie joue et chante avec beaucoup d'agrément son rôle favori de l'Amour. Mlle Châteauneuf la remplace dans ce rôle et y est applaudie. Les ballets de la pompe funèbre et des Enfers sont de la composition de M. Gardel ; ceux des Champs-Elysées et de l'Amour sont de M. Vestris, et leur font honneur. Les plus grands talens de la danse ont montré dans cet opéra le zèle le plus vif et le plus heureux. Mlle Guimard, excellente danseuse, qui répand tant de grâce et de volupté sur ses pas ; Mlle Heinel dont la danse est si noble, si impo­ sante ; M. Vestris, ce danseur que la Nature et l'Art ont pris plaisir à former ; M. Gardel, qui a le talent le plus hardi, et le plus décidé, tous ces premiers talens (sic) de la danse et après eux la brillante Mlle Dorival et M. Gardel le jeune, ensemble et séparément, ont ravi l'admiration et les suffrages du Public enchanté.

Mercure de France, septembre 1774, pp. 190-198.

23 Frontispice de la partition originale d'Orfeo ed Euridice (dessiné par C. Monnet et gravé par N. Le Mire), Paris, 1764.

Lettre ouverte à Monsieur le Chevalier W. Gluck

« Monsieur,

Vais-je vous écrire ou vous évoquer ? Ma lettre ne vous arrivera vraisemblable­ ment pas, et il est douteux que vous consentiez à quitter le séjour des ombres heu­ reuses pour venir causer avec moi des destinées d'un art, dans lequel vous avez suf­ fisamment excellé, pour désirer que l'on vous laisse en dehors des discussions qui ne cessent de l'agiter. J'userai donc alternativement de l'écriture ou de l'évocation en vous dotant d'une vie imaginaire qui permet certaines licences. Veuillez excu­ ser le manque d'admiration pour votre œuvre ; je n'en oublierai pas le respect dû à un homme aussi illustre que vous. En somme, vous fûtes un musicien de cour. Des mains royales tournèrent les pages de vos manuscrits, en penchant sur vous l'approbation d'un sourire fardé. On vous tracassait bien un peu avec un dénommé Piccini qui écrivit plus de soixante opéras. Vous supportiez en cela une loi commune qui veut que la quan­ tité remplace la qualité et que les Italiens aient encombré de tout temps le mar­ ché musical. - Le Piccini ci-dessus est tellement oublié qu'il a dû prendre le nom de Puccini pour arriver à se faire jouer à l'Opéra Comique. - Par ailleurs, ces dis­ cussions entre abbés élégamment érudits et encyclopédistes dogmatiques devaient vous importer assez médiocrement ; les uns commes les autres parlaient de musique avec cette incompétence que vous retrouveriez aussi vive dans notre monde. Et si vous témoigniez d'indépendance en dirigeant, sans perruque, votre bonnet de nuit sur la tête, la première représentation d'iphigénie en Aulide, il vous importait davantage de plaire à votre roi, à votre reine. Mais, voyez-vous, votre musique garde de ces hautes fréquentations une allure presque uniformément pompeuse : si l'on y aime, c'est avec une majestueuse décence, et la souffrance même y exécute de préalables révérences... Qu'il soit plus élégant de plaire au roi Louis XVI qu'au monde de la troisième République est une question que votre état de "mort" m'empêche de résoudre par l'affirmative. Votre art fut donc essentiellement d'apparat et de cérémonie. Les gens du com­ mun n'y participèrent que de loin... Ils regardaient passer les autres (les heu­ reux... les satisfaits !). Vous représentiez en quelque sorte, pour eux, le mur der­ rière lequel il se passe quelque chose. Nous avons changé tout cela, Monsieur le chevalier, nous avons des prétentions sociales et nous voulons toucher le cœur des foules. — Ça n'en va pas mieux et nous n'en sommes pas plus fiers pour cela ! (vous ne vous figurez pas combien nous avons de mal à fonder un Opéra populaire). Malgré le côté "luxe" de votre art, il a eu beaucoup d'influence sur la musique française. On vous retrouve d'abord dans Spontini, Lesueur, Méhul, etc... ; vous contenez l'enfance des formules wagnériennes et c'est insupportable (vous verrez pourquoi tout à l'heure). Entre nous, vous prosodiez fort mal ; du moins, vous faites de la langue française une langue d'accentuation quand elle est au contraire

25 iiiiiiiiitiiiiiinuriiiiiiiîiiiuiuuiMiiiiiiiuHiuiiiiiiiiiiuiiiiiikiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiuiiiitiiiihiiiiiiiiktiiiumiiumiiuuiuiiutiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiLiiiiii'ffl ORPHEE I ET | EURIDICE, I

TRAGEDIE [ Opera en trois Aétes. |

FA R | M.LE cer GLUCK. | Les Parolles lout de M. MOMNli.

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'.'l'iliiillliilliliiul, lii.ii'llllllllllilllliilihilllllllillllllllllllllMllllllllllllill'.ii',; ;i!l:ii|!illlllllilillllllll!llhHlllllllllliilllllllllillllllllliiliill!lilli.W

Page de titre de la partition originale ^/'Orphée et Eurydice (Paris, 1774). une langue nuancée (Je sais... vous êtes Allemand). Rameau, qui aida à former votre génie, contenait des exemples de déclamation fine et vigoureuse qui auraient dû mieux vous servir — je ne parle pas du musicien qu'était Rameau pour ne pas vous désobliger. — On vous doit aussi d'avoir fait prédominer l'action du drame sur la musique... Est-ce très admirable ? A tout prendre, je vous préfè­ re Mozart, qui vous oublie absolument, le brave homme, et ne s'inquiète que de musique. Pour exercer cette prédominance, vous avez pris des sujets grecs ; cela permit de dire les plus solennelles bêtises sur les prétendus rapports entre votre musique et l'art grec.

26 Rameau était infiniment plus grec que vous (ne vous mettez pas en colère, je vais bientôt vous quitter). Il y a plus, Rameau était lyrique, cela nous convenait à tous points de vue ; nous devions rester lyriques sans attendre un siècle de musique pour le redevenir. De vous avoir connu, la musique française a tiré le bénéfice assez inattendu de tomber dans les bras de Wagner ; je me plais à imaginer que, sans vous, ça ne serait non seulement pas arrivé, mais l'art musical français n'aurait pas demandé aussi souvent son chemin à des gens intéressés à le lui faire perdre. Pour conclure, vous avez bénéficié des diverses et fausses interprétations que l'on donne au mot "classique" ; d'avoir inventé ce ron-ron dramatique, qui per­ met de supprimer toute musique, ne suffit pas à légitimer ce classement, et Rameau a des titres plus sérieux à être appelé ainsi. (...) Avec quoi, j'ai l'honneur d'être, Monsieur le chevalier, votre très humble servi­ teur. »

(Tiré de : DEBUSSY, Claude, Monsieur Croche antidilettante, Paris, Gallimard, 1926)

27 b~tctdc,nh?nAmcur-f - : '""i a - «- /.•• fe demands-*• anjcntr^ y . « avant• laicr-û^-re a»

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Partition originale «''Orphée et Eurydice (Paris, 1774).

« Qu'est-ce que le génie ? »

Qu'est-ce que le génie ? Qu'est-ce que la gloire ? Qu'est-ce que le beau ? Je ne sais, et ni vous, monsieur, ni vous, madame, ne le savez mieux que moi. Seulement il me semble que si un artiste a pu produire une œuvre capable de faire naître en tout temps des sentiments élevés, de belles passions dans le cœur d'une certaine classe d'hommes que nous croyons, par la délicatesse de leurs organes et la cultu­ re de leur esprit, supérieurs aux autres hommes, il me semble, dis-je, que cet artis­ te a du génie, qu'il mérite la gloire, qu'il a produit du beau. Tel fut Gluck. Son Orphée est presque centenaire, et après un siècle d'évolutions, de révolutions, d'agi­ tations diverses dans l'art et dans tout, cette œuvre a profondément attendri et charmé le public du Théâtre-Lyrique. Qu'importe, après cela, l'opinion des gens à qui il faut, comme au Polonius de Shakespeare, « un conte grivois » pour les empêcher de s'endormir... Les affections et les passions d'art sont comme l'amour : on aime parce qu'on aime, et sans tenir le moindre compte des consé­ quences plus ou moins funestes de l'amour.

Oui, l'immense majorité des auditeurs, à la première représentation à'Orphée, a éprouvé une admiration sincère pour tant de traits de génie répandus dans cette ancienne partition. On a trouvé les chœurs de l'introduction d'un caractère sombre parfaitement motivé par le drame, et constamment émouvants, par la len­ teur même de leur rythme et la solennité triste de leur mélodie. Ce cri douloureux d'Orphée « Eurydice ! » jeté par intervalles au milieu des lamentations du chœur est admirable, disait-on de toutes parts. La musique de la romance :

Objet de mon amour, Je te demande au jour Avant l'aurore est une digne traduction des vers de Virgile :

Te dulcis conjux, te solo in littore secum, Te veniente die, te decedente canebat.

Les récitatifs dont les deux strophes de ce morceau sont précédées et suivies ont une vérité d'accent et une élégance de formes très rares ; l'orchestre lointain, placé dans la coulisse et répétant en écho la fin de chaque phrase du poète éploré en augmente encore le charme douloureux. Le premier air de l'Amour a une certaine

29 grâce malicieuse comme celle que l'on prête au dieu de Paphos ; le second contient beaucoup de formules de mauvais goût et qui ont en conséquence beau­ coup vieilli (...). Dans l'acte des Enfers, l'introduction instrumentale, l'air pantomime des Furies, le chœur des Démons, menaçants d'abord et peu à peu touchés, domptés par le chant d'Orphée, les déchirantes et pourtant mélodieuses supplications de celui-ci, tout est sublime.

Cécile Eyreams dans le role de l'Amour à l'Opéra Comique en 1900.

Et quelle merveille que la musique des Champs-Elysées ! ces harmonies vapo­ reuses, ces mélodies mélancoliques comme le bonheur, cette instrumentation douce et faible donnant si bien l'idée de la paix infinie !... Tout cela caresse et fas­ cine. On se prend à détester les sensations grossières de la vie, à désirer de mou­ rir pour entendre éternellement ce divin murmure. Que de gens, qui rougissent de laisser voir leur émotion, ont versé des larmes, en dépit de leurs efforts pour les contenir, au dernier chœur de cet acte :

Près du tendre objet qu'on aime

30 au suave monologue d'Orphée décrivant le séjour bienheureux

Quel nouveau ciel pare ces lieux !

Enfin le duo plein d'une agitation désespérée, l'accent tragique du grand air d'Eurydice, le thème mélodieux de celui d'Orphée :

J'ai perdu mon Eurydice... entrecoupé de mouvements lents épisodiques de la plus poignante expression, et le court mais admirable largo :

Oui, je te suis, cher objet de ma foi où se reconnaît si bien le sentiment de joie extatique de l'amant qui va mourir pour rejoindre son aimée, ont paru couronner dignement ce beau poème antique que Gluck nous a légué, et dont quatre-vingt-quinze années n'ont altéré ni la force expressive ni la grâce.

(Tiré de : BERLIOZ, Hector, A travers chants, Paris, M. Lévy frères, 1872)

31 Arnold Bbcklin : L'Ile des Morts (détail). Waldemar Kamer

Das Ewig-Weibliche zieht uns hinan (L'Eternel féminin nom conduit jusqu'aux cimesY

Les écrits orphiques nous disent qu'au commencement de tout, il y avait Nyx, la Nuit. Cette déesse, courtisée par le Vent, déposa un œuf d'argent dans le ber­ ceau de l'obscurité. L'Amour en naquit, qui mit en branle le cosmos. Pour Platon également, l'Amour est l'origine et le déclencheur de l'histoire de l'humanité : les humains originels à quatre pattes ont été divisés comme des mottes de glaise. Depuis lors, ils cherchent leur autre moitié. Et cette quête, ce désir de totalité, est pour lui l'impulsion de base de l'amour. Orphée aussi est un chercheur. Il a pris part à l'expédition des Argonautes au pays des Scythes, a voyagé également en Egypte où il a été initié aux rites mortuaires ésotériques. A son retour en Thrace, il a amalgamé les différents enseignements rencontrés lors de son pèlerinage — première tentative de conciliation pacifique de cultures d'origines différentes. La première religion syncrétique était née.

Aucun mythe grec n'est aussi mystérieux et aussi lourd de symboles que le mythe orphique et pourtant il faut d'abord le décomposer pour comprendre pour­ quoi on fait toujours et sans cesse appel à lui. Pour les Grecs, Orphée représentait l'union de l'apollinien et du dyonisiaque. Il passait pour être le pivot de la concep­ tion pythagoricienne du monde. Les Romains s'étaient identifiés à lui lors de la colonisation de l'Afrique. Les premières peintures représentant la crucifixion dans les catacombes à Rome ne montraient pas le Christ cloué sur la croix (sa repré­ sentation était alors prohibée) mais Orphée : car dans toutes les traditions, il passe pour être le porteur de flambeau, il apporte la « lumière ». Cependant, ce messa­ ge religieux s'est perdu au cours des siècles, si bien que le « Sir Orfeo » au début du moyen âge tomba dans la déchéance jusqu'à devenir l'emblème du troubadour qui fait le bonheur des gentes dames. Il faudra attendre les humanistes de la Renaissance et leurs nouvelles traduc­ tions des Métamorphoses d'Ovide moralisé pour que le personnage nous devienne plus proche : Orphée n'est plus ce berger mélancolique qui vit là-bas, au loin ; il est devenu l'image idéale du prince — en quelque sorte l'image d'un homme exemplaire, comme ce prince guerrier de Florence qui se faisait représenter en musicien par Bronzino.

L'Orfeo de Monteverdi s'achève avec le « triomphe de la musique », l'Orphée et Eurydice de Gluck s'achève au contraire avec le « triomphe de l'amour », car l'Amour réunit les deux amants — différence ô combien fondamentale ! Ce n'est plus seulement l'amour qui en est l'argument central, mais également les diffi­ cultés du parcours amoureux. Gluck et Calzabigi ont même imaginé quelques obstacles supplémentaires, telle cette loi du silence qui n'apparaît pas dans la

33 mythologie (et mettra vingt ans plus tard Pamina au désespoir). Ils ont méta­ morphosé le ci-devant malheureux en un homme, un humain. De la pure nymphe Eurydice, ils ont fait une femme qui allait très vite prétendre à son propre mythe.

L'opéra s'ouvre sur une scène de deuil. Orphée ne sait plus que faire. Il est perdu, comme à nous tous il peut nous arriver de nous perdre : « à mi-course de notre vie, je parvins à un bois sombre car le droit chemin que j'avais suivi jusque- là avait soudain disparu. » Pareil à Dante, qui ouvre par ces mots son long périple aux enfers, nous atteignons tous ce point où « le chemin rectiligne » s'arrête et il nous faut entreprendre « un voyage intérieur ». Ce n'est qu'après avoir ressenti la formidable douleur lors de la mort d'Eurydice qu'Orphée plonge un regard à l'in­ térieur de lui-même et prend conscience du peu de cas qu'il a fait d'elle en tant que femme (sa virginité inviolée en est la transposition mythologique). C'est le

A. Bronzino : Portrait de Cosimo I de Medici en Orphée charmant le chien Cerbère avec sa lyre. début de la prise de conscience : de même que Dante s'évanouit aux moments cruciaux de La Divine Comédie, qu'Ulysse ne cesse d'échouer au sens propre du terme, Orphée devra être ébranlé dans sa conscience de soi rayonnante et solaire afin de pouvoir s'avancer vers sa composante lunaire. Il s'effondre donc et maudit les dieux. A ce moment même du plus profond désespoir, voilà qu'apparaît un personna­ ge qui n'existe pas dans la mythologie : l'Amour. Son rôle a été souvent réduit à celui d'un archer ailé. Mais qui est l'Amour, cet « être entre deux mondes »? — un mélange de messager de l'amour, de conférencier et de convoyeur d'âmes. Il

34 tire les ficelles derrière la scène, il est le catalyseur de l'amour. Pareil à Hermès qui conduit les âmes, il initie Orphée à la poursuite de son périple et lui remet la lyre qui le protégera des monstres infernaux. C'est pour nous la scène-pivot de l'opé­ ra : 1 amour concède puissance et habileté à l'homme pour son voyage au centre de l'âme. L'Amour sera désormais l'accompagnateur d'Orphée, fils du dieu du Soleil, pour descendre vers l'obscurité et traverser l'eau — élément symbole de l'âme et des sentiments.

Sur l'autre rive l'attendent les sombres Furies, car les obstacles font partie du cheminement vers la connaissance. Dante doit triompher d'une panthère, d'un lion et d'une louve affamée — symboles de lascivité, d'orgueil et d'avarice. Ces écueils sont de l'ordre de la morale chrétienne. En revanche, les Furies ou Érinyes qui barrent la route à Orphée sont plus anciennes, plus archaïques. Elles corpora- lisent non seulement les passions indomptées, « furieuses », mais également toutes les angoisses d'Orphée avant sa rencontre avec le féminin. Cet épisode a été la plupart du temps sous-estimé dans les interprétations courantes, pourtant il s'agit d'un des passages les plus élaborés musicalement — avec ce « non » monu­ mental proféré par le chœur des enfers. En outre, il constitue littéralement le cœur de l'opéra qui s'ordonne dans une symétrie parfaite autour de ce centre. C'est sans doute ici que se loge le message central. Orphée chante comme un chaman. Tel un mage, recourant à l'un des cinq sens — l'ouïe —, il va ouvrir la porte qui mène à cet être pétrifié. Il force la « surdité » des « âmes mortifiées » afin d'atteindre ce qui sommeille au plus profond de nous. Peut-il être plus beau symbole pour le pouvoir de la musique, la force de l'art ?

Orphée parvient ainsi dans les « Champs Elysées ». C'est là qu'au fin fond du chemin des épreuves divines séjourne Eurydice. Mais le chemin du retour passe, comme l'indique le livret, par des promontoires rocheux labyrinthiques symboli­ sant le labyrinthe des sentiments contre lesquels l'Amour l'a expressément mis en garde. Les héros grecs semblent moins aptes à se mesurer aux petites faiblesses humaines qu'aux épreuves divines. Tout comme Hercule, Orphée échoue non par manque de force ou de ruse mais à cause de son incapacité relationnelle avec une femme. Et ce n'est que lorsqu'il en aura pris conscience, ce n'est que lorsqu'il aura renoncé à tout pouvoir et à toute attirance, que l'Amour pourra lui rendre Eurydice. Car alors seulement les deux amants se retrouveront sur un même plan. Finalement l'Amour triomphera — invincible Eros — avec le couple à nouveau réuni.

Notre interprétation risque de surprendre car Eurydice est représentée tradi­ tionnellement comme étant la coupable, la femme accusatrice qui ne perçoit pas le sérieux de la situation et provoque le malheur (...). Dans notre conception, Eurydice est le but, le symbole de l'étreinte des âmes et de la nouvelle rencontre de l'homme et de la femme. Orphée doit d'abord se mettre en route, apprendre à connaître le Monde et les Enfers (c'est-à-dire ses propres ombres, ses propres angoisses) avant de pouvoir aimer véritablement Eurydice — comme c'est le cas dans toutes les grandes œuvres d'initiation et d'apprentissage : Ulysse quitte Troie en vainqueur arrogant. Ce n'est qu'après quelque dix années d'aventures sans espoir et de longues haltes — où il va même jusqu'à fonder une famille avec

35 Illustration de Gustave Doré pour La Divine Comédie de Dante. Calypso, Circé puis Nausicaa— qu'ayant pris suffisamment de distance avec son identité guerrière et se retrouvant ainsi sur un même plan avec sa femme aban­ donnée Pénélope — naufragé sans nom, réduit à sa plus simple identité humaine — qu'il peut aller de nouveau vers elle. Son retour par les voies externes n'est en fait que le symbole de son retour par voie interne — mentale. De même Dante doit- il aussi traverser les sept cercles des Enfers et être totalement immergé par une femme dans un fleuve à la sortie du Purgatoire avant d'être autorisé à entrer au Paradis où Béatrice l'attend. Quant à Faust, lui qui est allé vendre son âme, il doit, après la mort de Gretchen, entreprendre un voyage intérieur, qui le conduira jus­ qu'à la Belle Hélène, avant qu'enfin « l'éternel féminin » ne l'accueille.

Les exemples sont nombreux. Nos grands mythes se perpétuent sous la surfa­ ce des road, movies d'aujourd'hui. Que ce soit sous la forme poétique comme dans Nostalgia de Tarkovski ou Le Regard d'Ulysse d'Angelopoulos, ou sous forme de western comme dans Thelma et Louise et dans le dernier Jarmusch, Dead Man, un changement s'opère entre le départ et l'arrivée. Et toujours le voyage conduit vers un autre, un ailleurs, et également vers l'intérieur de chacun.

Le meilleur des exemples, c'est d'ailleurs nous-mêmes : tel Orphée et tel Eurydice, nous devrons nous aussi entreprendre un voyage intérieur à la recherche de notre « âme sœur ». Le travail de l'amour est — comme le décrit déjà Platon — un long cheminement sur la voie de la connaissance.

(traduit par Nicole Roetbel)

Masque du dieu grec Hypnos, frère du dieu de la mort Thanatos, et fils de la Nuit (détail d'un tableau de F. KJonopff).

1) Goethe, Faust II.

37 Aline Vallandri dans le rôle d'Eurydice à l'Opéra Comique en 1905. Jane Glover

Gluck, Orphée et la réforme

On peut affirmer que Gluck est un des compositeurs les plus sous-estimés de l'histoire de la musique. Il est généralement respecté et admiré en tant que grand réformateur de l'opéra au XVlllème siècle — l'homme qui balaya les allu­ vions accumulés de Xopera séria pour ouvrir de claires et nouvelles voies musi­ cales par lesquelles le drame pouvait librement s'exprimer. En tant que repré­ sentant musical de l'Age des Lumières, pair de Voltaire, Rousseau et Diderot dont il épousa la philosophie et les idées, il prépara le chemin au vrai génie de la musique du xvrnème siècle, Mozart. Mais ceci n'est en aucune façon toute la vérité. Gluck était préromantique dans ses idées et dans sa musique. Son lan­ gage musical et le contenu émotionnel de celui-ci sont l'expression de son libre-arbitre et de son indépendance d'esprit, et regardent fermement vers le XIXe™ siècle. Il n'est pas étonnant que Berlioz l'admirât immensément. Le langage de Yopera séria, auquel appartiennent les premiers opéras de Gluck, était, vers le milieu du XVlllèmc, une structure musicale lourdement contraignante. La narration dramatique avait perdu toute forme d'importan­ ce : ce que réclamaient les interprêtes aussi bien que le public, c'était un cadre à l'intérieur duquel les chanteurs puissent déployer leurs prouesses vocales et leur agilité saisissantes. Il y avait bien, certes, une histoire à raconter, vive­ ment exposée dans des récitatifs aboutissant aux airs impatiemment attendus. Chacun n'exprimait qu'une seule émotion (la rage, par exemple, ou la désola­ tion, ou la passion) et la structure da capo, dans laquelle la première section est répétée après une section médiane contrastée, permettait d'ornementer consi­ dérablement. C'étaient ces moments d'exagérations et d'excès que le public adorait, avec pour résultat — à l'image d'un bâtiment rococo lourdement orné —, le fait que la décoration complexe dissimulait la façade qu'elle cherchait à embellir. Ironiquement, cette liberté de l'athlétisme musical emprisonnait donc le drame, et ce n'est que rarement que des compositeurs comme Haendel réussissaient à vaincre cette abrutissante convention en commençant à ren­ verser les barrières. Gluck vécut avec cette convention pendant un certain temps, mais il était de plus en plus frustré. Son Orfeo ed Euridice de 1762 la fit finalement explo­ ser, et ses réussites sont ici monumentales. Il réduisit le nombre des person­ nages au minimum absolu ; il ressuscita le chœur, à la fois du point de vue musical et du point de vue dramatique (il ne prend pas seulement part à l'ac­ tion, mais, occasionnellement, prend du recul pour la commenter, à la façon du chœur dans les Passions de Bach) ; et la formule des longs airs da capo est virtuellement abandonnée, remplacée par des séquences plus courtes à travers lesquelles le drame se déploie avec le plus grand naturel. Plus significative encore est sa réévaluation du rôle du récitatif, reconnaissant qu'il est le véri­ table véhicule de la narration, mis ainsi sur le même plan musical que les airs et les chœurs. Il est accompagné par l'orchestre du début à la fin — il n'y a

39 pas une seule mesure de recitativo secco — et, de plus, il est exploité pour des effets de couleur, de telle sorte qu'il rehausse le drame en même temps qu'il le sert. Le récitatif accompagné avait bien entendu été utilisé auparavant, très brillamment par Hœndel, ainsi que par Bach, dans ses Passions encore. Mais personne n'avait jusque-là ennobli l'humble récitatif d'une façon aussi com­ plètement réussie. La première version de l'histoire d'Orphée due à Gluck fut conçue, en col­ laboration avec le poète Calzabigi et le chorégraphe Angiolini, pour Vienne. Le rôle-titre était chanté par un castrat, Gaetano Guadagni, et l'orchestre comprenait des cornets et des chalumeaux — des instruments déjà considérés comme désuets en 1762. Bien qu'il fût représenté devant un public parlant

Dessin de costume de Cordelia Dvorak pour Orphée et Eurydice (Opéra de Bordeaux, novembre 1997). principalement l'allemand, l'opéra était chanté en italien, suivant la conven­ tion de l'époque. Après cette première viennoise, Orfeo ed Euridice fut repré­ senté occasionnellement en Italie et en Angleterre. Mais il était défiguré par les coupures et les ajouts, et ce n'est que lorsqu'il fut demandé à Gluck lui- même de l'adapter pour Paris en 1774 que l'opéra, Orphée désormais, acquit sa seconde couronne d'authenticité. Moline adapta le texte italien de Calzabigi en français, et Gluck fît les ajus­ tements nécessaires aux lignes vocales, et parfois mêmes les récrivit. Le rôle- titre fut confié à un ténor aigu, ce qui nécessita des transpositions considé­ rables ; et les instruments « anciens » (chalumeaux et cornets) furent aban­ donnés avec le castrat. Gluck ajouta des airs nouveaux pour l'Amour et Orphée (ce dernier étant d'une grande difficulté technique) au premier acte, un autre pour Eurydice à l'acte II, et un trio à l'acte III, emprunté à son propre Paride ed Elena. Il ajouta également plusieurs danses supplémentaires, notamment le « Ballet des Ombres heureuses », avec son exquis solo de flûte. Du fait que c'est à Gluck lui-même qu'incomba la responsabilité de retra­ vailler ses inspirations viennoises, cette seconde version de l'histoire d'Orphée est aussi « authentique » que la première. Et le processus de traduction et de

40 mise au point n'a en aucune manière diminué l'impact de ses réformes. Le chœur conserve son double rôle de participant et de commentateur, et le fait qu'il intervienne également durant les airs, en plus des pièces chorales pro­ prement dites, est symptomatique de la sophistication de l'instinct musico- dramatique de Gluck. Les airs eux-mêmes sont plus nombreux et par là même plus variés dans la nouvelle version française, et l'intervention d'Orphée dans la section médiane de l'air d'Eurydice à l'acte III représente un progrès signi­ ficatif par rapport à la partition de Vienne. Alors qu'elle se plaint « Je goûtais les charmes d'un repos sans alarmes », il commente simultanément « Ses injustes soupçons redoublent mes tourments » : le drame est ainsi plus resser­ ré et plus intense. Mais, comme toujours, c'est dans les récitatifs que l'inspiration de Gluck se montre la plus variée, et donc, la plus dramatique. Le récitatif était tradition­ nellement le domaine des développements dramatiques, et c'est le cas ici ; il comprend tous les moments forts : la première (et certes la seconde) inter­ vention de l'Amour, les retrouvailles initialement tendres mais de plus en plus tendues entre Orphée et Eurydice à l'acte III, et toute la séquence où Orphée se retourne vers Eurydice qui meurt. Suivant les principes fondamentaux de tout récitatif, dans n'importe quelle langue, Gluck suit généralement dans ses lignes musicales les inflexions rythmiques naturelles du discours. Si le texte devient plus intense, l'écriture et la rhétorique musicale s'intensifient égale­ ment, la ligne de basse se développant parfois en une séquence ou un motif régulier. Le fait que ses récitatifs coulent aussi naturellement en français qu'en italien est un bel hommage au caractère polyglotte de Gluck. Presque toujours, les récitatifs du compositeur s'enchaînent sans heurts aux airs. Et, certes, en tant qu'interprètes, nous devons faciliter ces enchaîne­ ments, pour adopter une sorte de fondu-enchaîné quasi cinématographique adoucissant la rudesse des cadences parfaites et des doubles barres et, plus généralement, libérer le texte des contraintes mathématiques de la notation (il est toujours important de se rappeler que la notation musicale demeure finalement insuffisante). En interprétant les récitatifs de Gluck de cette façon, le drame peut bouillonner et s'écouler librement, les transports et les suspens s'équilibrant selon les besoins du moment. Gluck savait qu'il accomplissait en écrivant Orfeo ed Euridice un courageux pas de géant. Lui et Calzabigi collaborèrent à nouveau en 1768 pour Alceste. Et c'est à cette occasion que Gluck saisit l'opportunité, dans une préface désormais célèbre, d'exprimer ses vues. Dans une prose d'un style aussi élé­ gamment direct que celui de sa musique, Gluck expose ses arguments avec une calme précision. Sa mission était de libérer l'opéra de « tous ces abus (...) qui ont si longtemps défiguré l'opéra italien, et fait du plus splendide et plus beau des spectacles le plus ridicule et le plus ennuyeux ». Il continue : «J'ai choisi de réduire la musique à son véritable rôle qui est de servir la poésie aux moyens de l'expression, et en suivant les situations de l'histoire, sans inter­ rompre l'action ou l'étouffer sous l'inutile superflu des ornements ». Et il conclut avec l'admirable profession de foi : « la simplicité, la vérité et le natu­ rel sont les grands principes de la beauté dans toutes les manifestations artis­ tiques. »

41

Table

Laurent Croizier : Argument 9

Julien Tiersot : Étude sur Orphée 11

Luc Bourrousse : Itinéraires d'un chevalier bohème 15

Camille Saint-Saëns : « Il existe deux Orphée » 19

L'accueil de la critique en septembre 1774 : Mercure de France 21

Claude Debussy : Lettre ouverte à Monsieur le Chevalier W. Gluck 25

Hector Berlioz : « Qu'est-ce que le génie ? » 29

Waldemar Kamer : Das Ewig-Weibliche zieht uns hinan (L'éternel féminin nous conduit jusqu'aux cimes) 33

Jane Glover : Gluck, Orphée et la réforme 39

Opéra de Bordeaux

Direction

Thierry Fouquet Directeur

Giulio Achilli Charles Jude Jean-Luc Maeso François Vienne

Directeur technique Directeur de la danse Secrétaire général Directeur administratif j et financier \ Isabelle Masset, Conseiller artistique Également ...

Au GRAND-THÉÂTRE

Théâtre :

Marivaux La Colonie L'Ile des Esclaves 6, 7, 8, 9, 10 décembre 1997

Ballet :

Charles Jude Casse Noisette 20, 21, 23, 26, 27, 28, 29, 31 décembre 1997

Concert exceptionnel :

Concert du Nouvel An Orchestre National Bordeaux Aquitaine Direction Louis Langrée 1er janvier 1998 Au THÉÂTRE FÉMINA

Danse :

Gelabert-Azzopardi « Armand Dust 2 » « Sed - (Thirst) » 27 novembre 1997

Sasha Waltz & Guests Travelogue 10, 11 décembre 1997

Théâtre :

Kabuki 4, 5, 6 décembre 1997

Opérette :

Franz Lehar La Veuve joyeuse 27, 28, 31 décembre 1997

Dans la même collection

1. Falstaff / Verdi 2. Tristan und Isolde / Wagner 3. / Verdi 4. Cm/ fan tutte / Mozart 5. Don Carlo / Verdi 6. Dz'g Zauberflôte / Mozart 7. Lar Quatre Saisons — Strauss / Bortoluzzi (Ballet) 8. // Trittico / Puccini 9. Il Trovatore / Verdi 10. Ltf Belle et la Bête / Bortoluzzi (Ballet) 11. Don Giovanni / Mozart 12 .Le Nozze di Figaro / Mozart 13. Ariadne aufNaxos / R. Strauss 14. Bow Godounov / Moussorgski 15. Le Mandarin Merveilleux — Le Château de Barbe-Bleue / Bartok 16. La Vie Parisienne / Offenbach 17 .La Chauve-Souris / J. Strauss 18. Carmen / Bizet 19- Aida / Verdi 20. Salome / R. Strauss 21. Dialogues des Carmélites / Poulenc 22. Onéguine / Cranko (Ballet) 23. Hommage à Serge Lifar / Lifar, Balanchine (Ballet) 24. Giselle / Jude (Ballet) 25. Les Pêcheurs de perles / Bizet 26. Sozree Ballets / Balanchine, Bortoluzzi, Gamier... (Ballet) 27. La Traviata / Verdi 28. Soirée Petipa / Petipa (Ballet) 29. Don Quichotte chez la duchesse / Bodin de Boismortier 30. Eugene Onéguine / Tchaïkovski 31. Don Giovanni / Mozart 32. La Fille mal gardée / Lazzini (Ballet) 33. Mireille / Gounod

Dans la collection Théâtre :

1. Les Précieuses ridicules / Molière

Dans la collection Opérette :

1. Le Fantôme de l'Opérette / Desmars L'Opéra de Bordeaux tient à remercier

LA DONNA, L Association pour le Développement de l'Opéra en Aquitaine (renseignements : 05 56 81 77 26). Entre autres, pour le système de surtitrage.

Les Châteaux de Pessac-Léognan Grands Vins de Graves.

Editeur responsable : Opéra de Bordeaux - 05 56 00 85 20

Rédaction, réalisation et iconographie : Laurent Croizier

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Avec le concours du Service Promotion et Communication, Département Edition de l'Opéra de Bordeaux

Crédits photographiques : Collection Luc Bourrousse : pp. 8, 21, 22, 30, 38. Collection Laurent Croizier : pp. 14, 18, 24. Musée des Beaux-Arts de Bordeaux - clichés L. Videau : couverture et p. 12. Musée Goupil : p. 10. Bibliothèque de Bordeaux - clichés R Canal : pp. 26, 28. D.R. : pp. 31, 32, 34, 36, 37.

Dépôt légal : novembre 1997 <3*

MAIRIE DE BORDEAUX

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