ET CE FUT LA DEFAITE DE 40 DU MEME AUTEUR

Romans (Robert Laffont, éditeur)

LE CORTÈGE DES VAINQUEURS, 1972 UN PAS VERS LA MER, Paris 1973 L'OISEAU DES ORIGINES, Paris 1974

LA BAIE DES ANGES :

Tome I La Baie des Anges, Paris 1975 Tome II Le Palais des Fêtes, Paris 1976 Tome III La Promenade des Anglais, Paris 1976

QUE SONT LES SIÈCLES POUR LA MER, Paris 1977

LES HOMMES NAISSENT TOUS LE MEME JOUR :

Tome I Aurore, Paris 1978 Tome II Crépuscule, Paris 1979

UNE AFFAIRE INTIME, Paris 1979

Histoire, essais

L'ITALIE DE MUSSOLINI, Paris, Perrin, 1964 LA GRANDE PEUR DE 1989, Paris, Laffont, 1966 L'AFFAIRE D'ETHIOPIE, Paris, Le Centurion, 1967 GAUCHISME, REFORMISME ET RÉVOLUTION, Paris, Laffont, 1968 MAXIMILIEN ROBESPIERRE, HISTOIRE D'UNE SOLITUDE, Paris, Perrin, 1968 HISTOIRE DE L'ESPAGNE FRANQUISTE, Paris, Laffont, 1969 CINQUIÈME COLONNE 1930-1940, Paris, Plon, 1970 TOMBEAU POUR LA COMMUNE, Paris, Laffont, 1971 LA NUIT DES LONGS COUTEAUX, Paris, Laffont, 1971 LA MAFIA, MYTHES ET RÉALITES, Paris, Seghers, 1972 L'AFFICHE, MIROIR DE L'HISTOIRE, Paris, Laffont, 1973 LE POUVOIR A VIF, Paris, Laffont, 1978 LE XX SIÈCLE raconté par Max Gallo, Perrin, 1979 MAX GALLO

ET CE FUT LA DEFAITE DE 40

La Cinquième colonne

LIBRAIRIE ACADEMIQUE PERRIN La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa 1 de l'article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.

© Librairie Plon 1970 et Librairie Académique Perrin 1980 pour la présente édition ISBN-2-262-00187-1 Pseudonymes utilisés au cours de l'ouvrage pour désigner un certain nombre de personnalités. Commendatore Lanvoni, consul à l'ambassade d'Italie à Paris. Docteur Marlognoni, personnalité suisse. Major P. Nelson, homme de lettres britannique salarié de l'ambassade d'Italie à Londres. Smith, Anglais, salarié de l'ambassade d'Italie à Londres. R. Simon, personnalité française, monarchiste. Alain, député français, radical. Maurice, député français, néo-socialiste. Bernard, personnalité française, néo-socialiste. L.-G. François, personnalité française, directeur de la Revue. Toute coïncidence entre ces pseudonymes ou les initiales (fictives) employées au cours de cet ouvrage et des personnalités existantes est fortuite.

Pour éviter des confusions, le nom de quelques publications a été modifié. — La publication dont François est le directeur est devenue la Revue. — Un hebdomadaire « subventionné » a été appelé l'Export. — Un journal « influencé » a été appelé Finances. Ici aussi toute coïncidence est fortuite.

Avertissement

P de quarante ans ont passé depuis les faits que relatent les documents utilisés pour composer ce livre. Mais ces faits sont encore brûlants et peut-être susciteront-ils des controverses. Que le lecteur sache que l'historien n'entend rien ajouter aux documents inédits qui auraient pu rester dans l'ombre complice des archives et qu'il a eu la chance de découvrir aux Archives Nationales de Washington. Les auteurs de ces documents (diplomates et hommes politiques du temps) portent seuls la responsabilité de ce qu'ils écrivent. L'historien qui doit tirer les conclusions qui lui semblent s'imposer se borne à mettre à jour des pièces secrètes et à les ordonner. Il lui faut rappeler au lecteur que certains de ces documents doivent être examinés et lus avec prudence. Il est fréquent et surtout quand il s'agit de diplomates qui sont aussi des agents secrets ou des informateurs que ces auteurs de rapports cherchent à montrer l'étendue de leurs relations et l'importance de leur mis- sion : la tentation est grande pour eux de grossir leur rôle et de transformer une rumeur de salon en révélation politique. Plus le régime est totalitaire et plus l'agent qu'il emploie est secret et plus le risque est grand de trouver dans les documents le reflet d'une imagination intéressée plutôt que d'une réalité. Mais cela est vrai de presque tous les documents. Il faut rester face à eux sur ses gardes et pourtant tenir compte de ce qu'ils disent. Car vraies ou fausses les informations qu'ils transmettent circulent et influent sur les décisions. Ragots ou faits, ces éléments deviennent un facteur de l'histoire. Il est capital de ne pas perdre de vue ces considérations dans la lecture des documents qui vont être cités dans cet ouvrage. Tenu à la prudence, soucieux d'avertir le lecteur, l'historien doit évidem- ment respecter l'authenticité des textes qu'il publie. Cette authenticité, tout lecteur peut la vérifier aux Archives Nationales de Washington, série microfilmée sous la cote T. 586 et comportant 316 rolls. Des indications détaillées, les textes complets et toutes les références utiles sont données dans notre thèse d'histoi- re contemporaine (polycopiée-1968) intitulée: « Contribution à l'é- tude des méthodes et des résultats de la propagande et de l'information de l'Italie fasciste dans l'immédiat avant-guerre (1933-1939) ».

C'est à partir de cette thèse que nous avons réalisé le présent ouvrage. Notre souci a été de rendre accessibles au plus large public des documents qu'il n'est sans doute pas inutile de connaître en ce quarantième anniversaire des premiers succès des États totalitaires dans la Seconde Guerre mondiale. Peut-être ces victoi- res de Hitler et de Mussolini s'expliqueront-elles mieux. Nous avons exclu l'appareil érudit et essayé de recréer une atmosphère. Volontairement nous n'avons cité que les noms de personnes qui appartiennent à l'histoire : c'est leur gloire et leur malheur d'être ainsi au premier plan. Outre qu'il y aurait quelque ridicule à dissimuler leurs traits déjà exposés tant de fois depuis tant d'années à la rançon du pouvoir, c'est-à-dire aux attaques, aux avis, contra- dictoires et parfois aux châtiments plus ou moins mérités on ne peut taire, s'agissant d'hommes ayant joué un premier rôle, des documents qui les concernent. Ces documents appartiennent comme ces hommes à l'histoire. Qu'il soit bien entendu que nous sommes indifférent à leur personne. Nous pensons d'ailleurs qu'un homme, fût-il le pire et le plus néfaste des chefs politiques, est en un sens toujours pitoyable et, à ce niveau, toujours excusable. Mais il y a aussi l'action de ces hommes. Et c'est d'elle qu'il est question. Pour les acteurs de second rang on ne trouvera ici que des initiales ou des pseudonymes. Ils suffisent. Juger trente ans après des individus est vain. D'ailleurs les hommes passent, les visages changent. Mais les problèmes demeurent. Ce sont eux d'abord qui nous intéressent.

M.G.

Cette édition (1980) reprend celle qui avait été publiée en 1970 (Plon). L'anniversaire de la défaite de 1940 et les rapports entre politique et information, ainsi que l'influence des grands Etats sur les mouve- ments idéologiques, si souvent évoqués aujourd'hui, placent ce livre, croyons-nous, dans l'actualité. — « Il n'est pas d'autre moyen de conquérir un grand et vaste pays de culture européenne que de recourir à la dissension intérieure. » Karl von Clausewitz La campagne de Russie de 1812.

— « Partout, en plein pays ennemi, nous aurons des amis qui nous aideront et la paix sera signée avant même que les hostilités aient éclaté. » , 1932.

— « La démolition d'un pays quelconque par l'intérieur n'est qu'une question d'argent et d'organisation. » Un intime de Hitler, 1933.

— « L'opinion publique en ... est une putain. » Mussolini au baron Aloisi, 29/8/34.

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Une Internationale de l'ombre ?

1 La main diabolique de la Cinquième colonne ?

PAS à pas la cohue tente d'avancer. Sur les bas-côtés, des voitures abandonnées laissent échapper par leurs portières ouvertes des objets qui rappellent le cadre d'une vie tranquille : portraits de famille où 'sourient de jeunes mariés, cage dorée où des oiseaux apeurés se recroquevillent. Sur la route, les « 11-chevaux Citroën-traction-avant » suivent des voitures d'enfant que poussent des prolétaires en casquette venus de Montrouge ou d'Aubervilliers; des femmes hurlent comme des folles cherchant un parent perdu; des vieux vêtus de noir, des vieilles aux mains rudes où les veines gonflées disent le travail quotidien surmontent des assemblages branlants de paquets hâtivement constitués et jetés à même la charrette dans l'atmosphère de désordre qui a précédé le départ. La cohue progresse lentement entre des arrêts interminables, des groupes s'en détachent parfois, coupent à travers champs, laissant dans les blés mûrs une traînée, puis tout à coup dans le hurlement de leurs sirènes tombent les Stuka lâchant quelques rafales, semant la terreur. Les morts, les véhicules en flammes sont abandonnés dans les fossés; des femmes accouchent, d'autres crient; là, appuyé à sa voiture, un homme regarde sans voir ses enfants et son épouse, morts, à côté de lui 1 France : juin 1940, l'exode. Un peuple en fuite comme une rivière en crue qui s'écoule par tous les creux du terrain, se précipite vers le Sud par toutes les routes.

1. Éléments rassemblés d'après divers témoignages écrits et oraux. L'ŒUVRE DE LA CINQUIÈME COLONNE ?

Perdus dans cette cohue, des soldats silencieux, leurs vêtements couverts de poussière, sans armes ou traînant leur fusil sur le sol, marchent en file indienne et sur leurs visages fatigués, sales, barbus, se lisent la défaite et les combats qu'ils ont perdus sans les avoir livrés. Parfois une colonne de véhicules militaires tente de s'ouvrir un chemin dans la foule qui refuse, poussée par la panique. Des coups sont échangés quand un civil veut faciliter le passage de la troupe, il faut crier, menacer, tirer en l'air. La suspicion est partout, les bruits les plus incontrôlables se répandent favorisés par l'angoisse et la terreur : des parachutistes allemands déguisés en soldats français auraient été lancés sur les arrières, beaucoup jurent en avoir vu. Qui peut affirmer que cette colonne, que cet officier ne sont pas des ennemis, qui peut reconnaître le vrai du faux dans cette immense fourmilière retournée qu'est devenue la France en quelques jours ? A Sully-sur-Loire, au cœur de cette région où à chaque pas surgit un nom, un château, qui sont comme les joyaux de l'histoire française, on n'avance plus. Les rues de la petite ville paraissent définitivement encombrées, les ponts embouteillés. Un civil offre des cigarettes à quelques soldats, tente d'engager la conversation mais un brigadier à moitié ivre le saisit par un bras et se met à crier qu'il « tient un espion de la Cinquième colonne » qu'il « faut le fusiller sur-le-champ » et déjà il dégaine son pistolet. La foule s'attroupe, on crie « c'est la Cinquième colonne », « c'en est un »; heureusement la cohue s'ébranle, chacun se précipite vers son véhicule et, protégé par un officier, le civil peut lui aussi se fondre dans la nuit et la foule qui se referment sur lui

POUR EXPLIQUER L'INEXPLICABLE

« La Cinquième colonne. » Tout au long des routes de l'exode des scènes semblables se produisent. « Nous avons été trahis », lancent les soldats. « Ce sont les salauds de la Cinquième colonne », « les officiers ont déguerpi les premiers... ils en faisaient tous partie », répètent les fantassins harassés à demi couchés dans l'herbe de la Touraine et que des civils interrogent. Ils racontent aussi comment en même temps que l'action des troupes allemandes ils ont dû subir les assauts de petits groupes de « civils » armés, la Cinquième

1. Voir la note de la page 15. colonne, comment dans les files de réfugiés qui s'engouffraient en France venant de Belgique et du Luxembourg les suspects étaient légion, jeunes réfugiés aux cheveux blonds et qui s'infiltraient grâce aux complicités puis agissaient par petits groupes sous la conduite de civils Cinquième colonne, Cinquième colonne, dans les salons bourgeois et tranquilles des villes de la Bresse, dans les salles des cafés de Provence où les paysans au teint de brique accueillent des enfants blonds venus d'une France lointaine et différente, dans ces petits villages du Sud-Ouest qui effarés voient surgir des motocyclistes allemands, partout la formule revient, incantation magique qui explique l'inexplicable. Le soldat , journaliste d'ex- trême droite mobilisé et replié avec son corps dans un petit village de la Dordogne, rencontre au bourg du Buisson, où une dizaine de milliers de soldats sont cantonnés, le 26 juin, ses premiers gaullis- tes, qui croient eux aussi à l'œuvre de la Cinquième colonne. Depuis quelques heures Rebatet a appris l'arrivée en Angleterre de celui qu'il qualifie de « brillant élève des jésuites » et qui n'est autre que le général de Gaulle. Il avance dans le village et par la fenêtre d'une maison bourgeoise il entend le discours du Général qui appelle à continuer la lutte. La colère le saisit d'autant plus que, immobiles, attentifs, « bouche bée, fascinés, cloués sur place », deux soldats sont là au pied de la maison écoutant comme lui, mais à leur air Lucien Rebatet comprend que les deux hommes, « l'un un grand croquant du Nord qui portait un pantalon de velours à côtes, l'autre un ouvrier un peu affiné de Paris », découvrent par la voix du général une vérité qui les bouleverse et les éclaire. Rebatet « suffoqué d'un tel abrutissement » les interpelle. « Ce qu'on fait? Ce qu'on fait? répond l'un d'eux. Ben, on vient de comprendre qu'on a été vendus une fois de plus » Ces deux soldats, dans ce petit village du Sud-Ouest, ont enfin une explication claire et simple de leur défaite. Lucien Rebatet peut s'insurger contre la naïveté des troupiers, en fait la plupart des Français ne sont pas loin de penser comme eux. Chaque année sur les Champs-Élysées ils ont vu défiler la grande armée rutilante : Saint-Cyriens, Polytechniciens, Goumiers avec leurs noubas, Légion étrangère et les petits Chasseurs alpins au pas rapide dont les cors de chasse de la fanfare jouent l'air entraînant de Sidi-Brahim. Puis viennent les motocyclistes, les tankistes aux

1. Voir la note de la page 15. 2. Lucien Rebatet : les Décombres, Paris 1942, page 460. de Mussolini. Si les Italiens connaissent le secret de Laval, on peut faire confiance aux services allemands pour le connaître aussi — par Rome ou directement depuis Paris. Mais alors, rien n'est moins surprenant, moins improvisé que la collaboration, que la politique de Laval. Elles sont la grande revanche comme Laval appelle lui-même son retour au pouvoir. Connaissant cela, cette division des milieux politiques français, la volonté de Laval de réussir son opération personnelle dans le cadre d'une politique étrangère s'appuyant sur l'Italie fasciste, comment les dictateurs pouvaient-ils craindre la III République? Ce régime dans lequel les hommes politiques sollicitaient les diplomates étrangers et leur confiaient leurs secrets. N'est-ce pas là, au plus haut niveau, la preuve de l'existence de cette Cinquième colonne sans laquelle la guerre de 1939-1940 eût pu prendre une autre tournure? On comprend que, quelques semaines plus tard, Alfieri, nouveau ministre de la Presse et de la Propagande à Rome, puisse envoyer à Lanvoni deux messages de félicitations au Commendatore. Dans l'un Alfieri déclare : « Par ordre supérieur, il m'est agréable de vous exprimer les plus vifs et les plus cordiaux éloges. » Dans l'autre, Alfieri est encore plus précis : « J'ai le plaisir de vous communiquer que vos rapports sont lus par le Duce avec une particulière attention. J'ai reçu aujourd'hui même la charge de vous exprimer des félicitations. Si vous avez l'occasion de venir à Rome rapidement, le Duce vous recevra volontiers. » « Je vous salue avec une vive cordialité, Alfieri. »

LES NOUVELLES CONFIDENCES DE LAVAL

Ce message de félicitations est du 17 mai 1938. On en saisit la raison. En effet, Lanvoni a expédié à Rome le 5 avril 1938 un nouveau rapport relatant une autre conversation avec . Et les confidences qu'il a recueillies sont elles aussi fort édifiantes et extraordinaires. D'abord Laval a remercié. La presse italienne comme il l'avait désiré a mis en évidence ses déclarations. Il s'engage pour sa part à continuer son action en faveur de l'Italie. D'ailleurs Mussolini, il en était convaincu, n'éprouvait aucune sympathie pour Hitler, n'est-ce pas? Lanvoni esquive la réponse, sonde à nouveau Laval sur ses projets. Et Laval parle. Ici, il faut laisser la plume au Commenda- tore une nouvelle fois : « Laval me répondit que, avec la France d'aujourd'hui en fait, il ne voyait pas grand-chose à faire d'utile; mais une fois de retour au pouvoir il était bien décidé à s'y maintenir par tous les moyens; il voulait retirer au Parlement la faculté de nuire. « Sa formule Pétain continuait à se développer mais je ne devais pas croire .que les choses soient faciles. Le maréchal avait sa volonté, ses idées faites et il fallait une grande diplomatie pour le réduire à la raison. » Si Lanvoni dit vrai, la déclaration est capitale; elle montre Laval décidé à changer les institutions, « à se maintenir au pouvoir par tous les moyens ». Ces moyens ne les trouve-t-il pas grâce à la défaite, puis dans la collaboration? Et il faut le répéter, le rapport de Lanvoni est du 5 AVRIL 1938, plus de deux ans avant le gouvernement Pétain-Laval. Comment ne pas conclure, après de telles confidences puisque le PLAN existe, qu'en 1940 si tout paraît fortuit, bien peu de choses le sont. Sûrement pas en tout cas la combinaison Pétain-Laval et son sens antiparlementaire. Sûrement pas non plus la politique de collaboration. Le 4 avril 1938, au terme de sa conversation avec Lanvoni, Pierre Laval lui déclare qu'il « réitère toutes ses offres d'aide et d'information en me priant, poursuit Lanvoni, de continuer à maintenir les contacts avec lui; ce à quoi je ne vois aucun inconvénient parce que je le laisse parler et même quand j'affirme quelque chose, en réalité, je demande ». Peut-on donner meilleure définition de la collaboration?

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La fin du Commendatore

1 « La France est foutue »

L'ETAT DE LA FRANCE

Du bureau du Commendatore, rue de Varenne, la France officielle n'est pas belle à voir. Des hommes en place, qui préten- dent parler en son nom et la représenter, quémandent à l'étranger un appui politique ou des fonds. Ils se louent ou se vendent. Aussi Lanvoni, qui les paie, les reçoit, les écoute jour après jour, a sur le monde politique français, sur le pays lui-même, le point de vue qu'ont les prostituées pour les hommes qui les visitent. Son regard est sévère, sa hargne non dissimulée et son mépris grand. Il est grave que les rapports du diplomate aident à faire l'opinion de ses chefs à Rome, ses chefs qui ont nom Ciano ou Mussolini. D'ail- leurs, le Duce qui accueille des hommes comme ou L.-G. François, qui lit leurs lettres ou les confidences supposées ou réelles de Pierre Laval à Lanvoni et les rapports de ce dernier ne peut guère se faire d'illusion sur le caractère de certains hommes politiques français et sur la santé du régime qu'ils combattent à n'importe quel prix, parfois au prix de la défaite de leur pays. Rapportant les dires de l'un de ses informateurs Lanvoni indique même dans une de ses lettres à Ciano en date du 29 décembre 1933 qu'Edouard Daladier lui-même aurait déclaré : « La France est foutue, elle ne se réveillera que lorsqu'elle aura reçu des coups de pieds plein le c... » Propos inventés ou réellement tenus par le futur président du Conseil de 1939? Ils sont en tout cas transmis à Rome. Les scandales qui éclatent à Paris en 1932-1934, les Ligues qui s'ar- ment, tous ces faits convergents ne peuvent que confirmer Rome et Berlin dans l'idée que la France en décadence est un pays qu'il est facile de réduire à merci. Les hommes sur qui les fascistes et les nazis pourront compter sont déjà connus. Et payés. Un seul ennui pour Lanvoni, les acheteurs sont nombreux. Il écrit le 31 janvier 1934 après avoir fait le récit du scandale Stavisky : « Intelligence Service, Maçonnerie, agents français à la solde de l'étranger, agents étrangers dissimulés en bienfaiteurs (jusqu'à l'Armée du salut), en émigrés politiques, en animateurs, maintiennent ce pays dans un état de perpétuelle confusion, en excitant les pires passions, le déprimant, le dépouillant, en faisant un péril permanent pour lui-même et pour les autres. Tel est aujourd'hui à partir des faits, l'état de la France. »

LES RAPPORTS DU MINISTÈRE DES AFFAIRES ETRANGERES

Pourtant un doute subsiste. Le Commendatore n'est après tout qu'un fonctionnaire subalterne et l'on pourrait imaginer que, même si Mussolini ou Ciano lisent ses rapports, ses analyses sur la situation française ne soient pas partagées par les pondérés diploma- tes traditionnels du Ministère des Affaires étrangères italien. Or il n'en est rien. Le Commendatore s'exprime en termes outranciers : il parle de la « balayure française » qu'il faut laisser de côté. Les diplomates, dans leur style châtié, écrivent : « On peut dire qu'en 1935 la France perd définitivement la direction des affaires européennes que, forte de ses alliances, elle avait exercée depuis Versailles. » En 1936, leur rapport est encore plus net et indique que « l'attitude de la France est complètement passive ». Ainsi analystes distingués ou diplomates travaillant sur le terrain en arrivent aux mêmes conclusions. La France est « hors jeu », passive, gangrenée. Même la Corse est selon les Italiens atteinte par le mal; dans un rapport de 1937, le ministère des Affaires étrangères note : « L'arrivée au pouvoir du Front Populaire a eu en Corse pour répercussion inattendue de gagner à l'Italie de nom- breuses sympathies. De nombreuses personnes ont, à partir de mai 1936, déposé leurs capitaux en Italie par mesure de sécurité. » D'ailleurs, souligne le document « les amis et admirateurs de notre pays appartiennent pour la plupart à la classe bourgeoise et intellectuelle ». Il est vrai qu'en 1937 les Italiens n'ont pas encore développé vraiment leur propagande en faveur de l'annexion de la patrie de Napoléon. LES DEGOÛTS DU COMMENDATORE

On n'admire pas les faibles ou ceux qui se vendent. Lanvoni le plus souvent exprime son dégoût. Pour ceux qu'il paie et pour le pays tout entier. « L'opinion française est faisandée et résignée » écrit-il. Il a du dégoût pour les « velléitaires de droite ». Quelques mois plus tard il écrit encore : « J'ai toujours manifesté un léger dégoût pour les Ligues patriotiques considérant comme offensant pour nous qu'on les appelle fascistes; j'ai eu la même impression de dégoût pour tous les hommes politiques de ce même côté, simoniaques de l'enthousiasme juvénile (où sont Henriot, Dom- mage, , Ybarnegaray, Scapini, etc.? A quelle table du Comité des forges sont-ils en train de déjeuner?). J'ai considéré le mouvement franciste — et ceci est un détail minime — avec un certain scepticisme... » Bref, il n'est pas un homme politique, pas un groupement qui échappe au mépris et au dégoût du Commendatore. A côtoyer dans les coulisses des hommes démaquillés, Lanvoni en oublie parfois qu'il est d'autres visages que ceux qui sont fardés et grimés. Et puis il lui faut aller dans le sens de ce qui se pense à Rome. « La France est une terre bonne à cracher dessus » a fait écrire Mussolini. Lanvoni pense aussi cela et le fait penser dans la mesure où il le peut, grâce à ses rapports au Duce.

DES MORCEAUX DE GELATINE

Il invite d'ailleurs Rome à abandonner toute action en direction de Paris et à se tourner vers Londres. « Les Anglais, écrit-il au moment de l'affaire éthiopienne, sont des serpents, mais on ne peut leur refuser un certain esprit sportif.. Ils doivent éprouver un dégoût complet pour Laval et compagnie. Il n'est pas impossible que nous puissions nous entendre directement avec eux, en laissant de côté la balayure française. » D'autres fois, il maudit, annonce des catastrophes, déclare qu'il faut aider à faire naître une insurrection en France. Quand la France officielle de Laval, pleine d'arrière-pensées, vote avec les Anglais les sanctions économiques contre l'Italie, il explose : « Je crois que tout cela finira mal pour la France. C'est le sort réservé par la justice immanente aux traîtres. » Pierre Laval, on le voit, ne gagne rien à se montrer conciliant. Même pas l'estime de ceux auxquels il essaie de rendre service. Pour Lanvoni d'ailleurs « la France est foutue » car ce pays passif est devenu l'instrument des juifs. L'antisémitisme du Com- mendatore éclate à chaque ligne. « La France est condamnée, écrit-il, par ceux-là mêmes qui la poussent à errer et qui veulent faire d'elle la nouvelle, la véritable Palestine. Il faut que les Français deviennent des morceaux de gélatine, sans épine dorsale; des esclaves dociles, suant pour le peuple élu... » « La France est condamnée » a écrit Lanvoni : les événements vont donner raison au Commendatore. 2 La France implore le Duce

POUR L'HONNEUR DES SERVICES

LE 1 octobre 1938 l'Europe respire : la paix, la paix qui semble à nouveau régner. Les foules ne savent pas que Munich n'est qu'un entracte et que la guerre vient inexorablement, elles préfèrent croire Neville Chamberlain qui annonce la paix pour une généra- tion. Lanvoni écrit à Rome. Lettre extraordinaire où il s'attribue presque la paternité de la conférence, pas pour lui-même, dit-il, mais pour « l'honneur des Services » qu'il sert. N'a-t-il pas dès le 26 septembre téléphoné à Rome pour suggérer l'idée d'une média- tion du Duce? Puis il a bombardé son ministère de communica- tions dans le même sens. « Voici les faits, répète-t-il. Maintenant les hypothèses, plus ou moins fantastiques : mon coup de télé- phone du 26 au matin aurait été intercepté par les services d'écoute : les autorités françaises ne sachant quel poisson pêcher se seraient évidemment jetées dessus, et après avoir médité longue- ment auraient décidé d'envoyer de Chambrun à Rome. » Le Commendatore ne manque ni d'audace dans l'interprétation ni de déformation professionnelle; il est atteint d'espionnite, le travail souterrain explique toujours les grandes décisions politiques. Pour les hommes de son espèce, qui œuvrent dans l'ombre, tout n'est que façade, la réalité est toujours masquée. Ont-ils tort? Mais il faut être prudent et rendre à César ce qui lui appartient. « Tout ceci, conclut Lanvoni, n'est que détail insignifiant et margi- nal, en comparaison de l'action éclatante et providentielle du Duce dans laquelle se retrouve son génie. » UN TRES LARGE COURANT FAVORABLE

Si le rôle du Commendatore ne peut être mesuré avec précision les renseignements qu'il donne à Rome sur le climat politique français à la veille et au lendemain de Munich sont conformes à ce que l'on sait déjà, par d'autres sources, de la situation à Paris. Le général Gamelin, selon Lanvoni, aurait, dès le 27 septembre, été favorable à une médiation du Duce. Le Commendatore ajoute : « Outre Bonnet, Pietri aussi (qui a grande envie d'aller au Palais Farnèse comme ambassadeur) et Frossard se vantent de cette initiative, et ces vantardises, fondées ou non, signifient en somme que la France a imploré l'intervention du Duce. » A cette dernière phrase on saisit que la politique française (et les personnalités citées n'ont rien de commun avec celles qui sont en relation avec l'ambassade italienne et font partie de la Cinquième colonne) ne sera pas comptée à Rome au bénéfice de la France : les concessions ne sont pas payantes quand elles sont perçues comme des abdications ou des reniements. Or, pour le Commendatore — et son point de vue est celui de Rome et de Berlin — c'est le cas en ce qui concerne Munich. Bon nombre de pacifistes s'illusionnent pourtant. Un journaliste bien connu, V. M..., écrit à Lanvoni et sa lettre manifeste l'aveuglement de beaucoup : « Ai-je besoin de vous dire quelle profonde joie m'ont causée l'entreprise de Mussolini et les accords conclus à Munich ainsi que la nouvelle de l'envoi d'un ambassadeur français à Rome bientôt suivi, je l'espère, par le retour à Paris d'un ambassadeur italien. Je me félicite d'avoir été dans le renouveau désormais certain de la nécessaire amitié franco-italienne, l'un des ouvriers de la première heure. Je compte, jeudi prochain 13, dans un article... intitulé «Munich plaque tournante » dire sur ce fait tous mes sentiments, n'ayant jamais cessé d'aimer votre beau, noble et grand pays. » Ce journaliste honnête qui n'est pas un homme à gages se met ainsi au service d'une cause, au moment où le diplomate italien évoque, lui, la « balayure française ».

LE POINT DE VUE DU DEPUTE ALAIN

Quelques semaines après l'euphorie de Munich, c'est à nouveau l'inquiétude. La paix sera courte. Lanvoni continue depuis la rue de Varenne son travail d'araignée, liant les hommes, saisissant une information, une confidence, un renseignement. Son antisémitisme progresse en même temps qu'il devient officiel à Rome où a été promulgué le Manifeste de la Race. « Surveillez Robert de Roths- child, écrit Lanvoni sûr de ne pas déplaire, ici il passe seulement pour un bienfaiteur de la communauté juive, il est au contraire un démon préparant des révolutions, des crimes, des ruines et des attentats, c'est un grand malfaiteur mystérieux, le roi implacable d'Israël. Prenez-moi pour un imbécile, mais souvenez-vous. Je sais ce que je dis. » La passion antisémite du Commendatore éclate ainsi. Elle est d'ailleurs au diapason de l'époque. Le Commendatore qui est en contact constant avec le député Alain, salarié de Rome, rapporte qu'Alain avec étonnement lui a confié « que l'antisémitisme faisait des progrès considérables même dans les milieux modérés et réfléchis... ». La conversation avec Alain est toujours utile, riche d'enseignements sur l'état d'esprit de certains milieux politiques. Alain confie d'une voix lasse au Commendatore que « le régime parlementaire est fini, il est taraudé comme une poutre maîtresse qui paraît plus ou moins solide de l'extérieur mais qui peut se briser et se réduire en poussière d'un moment à l'autre ». Alain pourrait-on dire est payé pour le savoir! Le Commendatore, à son habitude, interroge, fait parler. Comme Alain évoque la chute du Ministère Daladier qui pourrait être remplacé par un Ministère Herriot, Lanvoni questionne : « Je lui demande — plein de naïveté — si un Ministère Herriot serait capable de remettre la France dans la course : il m'a répondu qu'il ne ferait, qu'il ne pourrait rien faire, comme tous les autres. » Alain est plein de scepticisme. Il commente pour le diplomate fasciste : « Nous sommes en pleine crise de régime, qui pourrait se terminer par des coups de bâton — dans la meilleure des hypothèses — échangés dans les rues. Aura-t-on un fascisme de droite ou de gauche? Les droites n'existent pas et les gauches végètent. Et puis où est l'homme? » La France, de l'avis d'Alain est ainsi vouée à subir. Ces confi- dences partent pour Rome. D'autres parviennent à Berlin. Com- ment Hitler et Mussolini pourraient-ils douter de leurs chances? Comment le Führer pourrait-il hésiter à jouer une nouvelle carte dans cette partie de poker alors qu'il connaît le jeu français? RAGOTS ET INFORMATIONS

Et inlassablement le Commendatore recueille, rassemble des informations. De la moisson qu'il expédie à Rome surgit le tableau d'une France politique déchirée de haines secrètes, en proie aux hésitations sur les choix à faire. Les agents de Lanvoni rapportent les faits, les ragots. « Mandel, Reynaud, Zay et d'autres ministres du Cabinet font campagne contre Bonnet, l'accusant de faire une politique personnelle, différente de celle de Daladier. Entre autres, les juifs et juivisants ne peuvent lui pardonner... la réception offerte à Ribbentrop... » Dans tel rapport du 21 décembre 1938, un informateur déclare que l'ambassadeur polonais tente en vain d'appeler à un soutien contre l'Allemagne mais les milieux responsables « inclinent à laisser les mains libres à l'Allemagne à l'est, à se dégager des Soviets ». On aurait même fait comprendre à Ribbentrop que la France ne renouvellerait pas le pacte franco-soviétique qui vient à échéance en 1939. Lanvoni insiste encore sur l'antisémitisme régnant, et déjà sur l'hostilité qui entoure les républicains espa- gnols : « Tu verras, conclut-il, que bientôt les héroïques combat- tants républicains refugiés en France seront traités comme des balayures. » Tout converge donc pour montrer la France en proie à l'esprit de défaite et de collaboration. Les efforts de Lanvoni n'ont pas été vains. Il pense d'ailleurs à la guerre qui vient : il transmet les renseigne- ments militaires qu'il peut recueillir. Quand des réservistes sont convoqués, il en informe aussitôt Rome et ajoute : « Jespère avoir ce soir une conversation avec un officier d'Etat-Major, de la réserve, et sans doute je saurai quelque chose. » Comment s'éton- ner quand on sait que Marcel Bucard lui-même est à l'Etat-Major? La guerre qui vient va réserver à la France et à son armée bien des surprises. 3 De la drôle de guerre à la défaite

LA GUERRE

L'ENTRACTE a été de courte durée. La guerre, tant redoutée, la voici en ce mois de septembre 1939 moins d'un an après Munich. L'Italie fasciste est non belligérante : le Duce n'est pas prêt malgré ses fanfaronnades. Il espérait une guerre vers 1942, elle éclate brutalement. Il est contraint à une paix qui se veut l'arme au pied. A Paris, le Commendatore lui, comme tous ceux qui de près ou de loin touchent aux services de renseignements, est mobilisé. D'ailleurs tous les observateurs — et Lanvoni en est un — n'ignorent pas qu'à la moindre victoire allemande, l'Italie intervien- dra dans le conflit. Le Commendatore est donc au travail. « Elevé à l'Etat-major de la marine, je sais que parfois un rayon de lumière peut être très utile. » Il s'emploie donc à chercher des lumières. Mais tout est plus difficile : bavarder, faire des indiscrétions à un diplomate étranger alors que le pays est en guerre ce n'est plus de l'imprudence mais de la trahison. « Te dire les difficultés, écrit le Commendatore à son ami Luciano, serait ennuyeux. Un service fonctionne ou ne fonctionne pas; dans les deux cas, les détails d'exécution ne comptent pas. Les informateurs sont contraints à une extrême prudence et demandent à être payés en conséquence du péril qu'ils courent et même par avance. Toutefois les fonds ordinaires dont je dispose suffisent pour le moment étant donné aussi les économies réalisées sur le précédent exercice. Je ne demande donc pas de nouveaux crédits, chose qui me répugne énormément. L'essentiel est que le Duce trouve d'un certain intérêt ce que je peux recueillir. Les informateurs se refusent énergiquement à signer le plus petit morceau de papier ou à venir à l'ambassade. Ils m'empêchent même de prendre des notes. Je dois tout confier à ma mémoire. Heureusement si j'ai presque perdu un œil, ceux de mon esprit restent extrêmement aigus. » La Cinquième colonne et le réseau de Lanvoni continuent donc de fonctionner. Marcel Bucard, bien que mobilisé, perçoit une petite mensualité : 2 500 lires par mois et certains journaux tou- chent toujours leurs subventions. Jusqu'au 9 juin, veille de l'entrée en guerre de l'Italie, Lanvoni est donc à son poste.

DES RENSEIGNEMENTS DE TOUS ORDRES

Il transmet comme à son habitude les renseignements qu'il glane sur la vie politique française. Il entretient les relations utiles : de Monzie, Pierre Laval; il recueille leurs souhaits, leurs confidences. A l'en croire, les milieux paysans sont très hostiles à la poursuite de la guerre. Le Président des Syndicats agricoles aurait déclaré à Daladier qu'on ne peut « exclure que les paysans empoignent leurs fourches et marchent sur Paris ». Il souligne que « le moral est plutôt bas. La guerre est indiscutablement fraîche mais pas excessivement joyeuse... Je me souviens du Paris surpeuplé lors de la der des ders. En comparaison à la fièvre, au désir multiplié de vivre d'alors, aujourd'hui Paris est une morgue ». Il expédie des tracts qui seraient d'origine communiste et qui attaquent violemment les Anglais. Il se gausse de ce petit Paul Reynaud, « premier gauleiter de Churchill » qui veut jouer les Danton et « qui n'est qu'un ambitieux qui s'est vendu aux Juifs et aux Anglais pour faire carrière... Il ne m'étonnerait pas qu'il devienne le Kerenski de la France ». A Paris, le mois de janvier 1940 est un des plus froids que la capitale ait connus. Lanvoni relève les signes de découragement, la force du pacifisme, de l'antisémitisme. Il invite à dîner, il reçoit. Ses informateurs — agents du service secret français ou personnes très introduites au Quai d'Orsay — lui passent des renseignements importants : on lui fait comprendre que les Services français possèdent le chiffre qui donne la clé des messages italiens. On lui confie des détails sur les pertes navales anglaises. Et dès le 29 janvier 1940 Lanvoni communique à Rome son impression : « Tout fait croire que les choses vont empirer malgré les manifestations d'optimisme forcé de cette vieille ganache de Chur- chill. Il trouve que l'Allemagne n'attaque pas parce qu'elle a peur. On ne peut être plus crétin. » A Rome, au Palazzo Venezia, Mussolini doit se réjouir : car les rapports de Lanvoni, incontestablement, par le diagnostic qu'ils dressent de la France malade, poussent le Duce à la guerre. D'ailleurs Lanvoni ne cache pas ses souhaits personnels. Le 29 octobre 1939, quelques jours après l'anniversaire de la Marche sur Rome qui ouvre une nouvelle année fasciste, il écrit à Luciano : « Avec l'aide de Dieu nous sommes entrés dans la XXVIIe année qui je l'espère fermement sera pour l'Italie fasciste déterminante. » Il renvoie à Rome des informations transmises à Paris par l'ambas- sadeur de France André François-Poncet, selon lesquelles les milieux catholiques italiens seraient hostiles à l'entrée en guerre de l'Italie. Il cite même des lieux où cette propagande antibelliciste se déploie : « Les bureaux et les usines Pirelli, naturellement sans que les représentants patronaux soient au courant. » Ainsi la Cinquième colonne — les informateurs de Lanvoni — servent-ils directement le régime fasciste jusqu'à lui donner les moyens de réduire ceux qui s'opposent à sa politique de guerre. Or contre qui, sinon contre la France, cette politique peut-elle être dirigée? ENTRE LE RIRE ET LA PITIE

La guerre n'empêche pas le Commendatore de rester en contact avec les milieux parlementaires. Il n'est pas une séance secrète du Sénat ou de la Chambre dont le contenu ne soit immédiatement dévoilé à Lanvoni. Et d'abord celle où Laval a mis la politique de Daladier en accusation durant deux heures trois quarts. Car Laval défend opiniâtrement sa ligne politique et attend son heure qui confirmera la justesse du choix de l'alliance avec la Rome fasciste. Au cours de la séance, explique le Commendatore « naturellement Laval a aussi parlé de l'Italie. Nous connaissons sa thèse mais je n'en ai pas eu confirmation par lui. Je me suis abstenu de le voir. L'autre jour, avant le discours, je l'ai adressé à l'ambassadeur. J'ai su qu'il avait l'intention de charger à fond Daladier sur le cheval italien et Guariglia (l'ambassadeur) lui avait administré un calmant selon l'usage de tout bon diplomate lequel sait bien ne pouvoir jamais réussir à modifier la plus petite inflexion de voix dans l'attaque qu'un homme politique a décidé de conduire contre un autre homme politique rival et dont il veut prendre la place... ». Curieuse pratique en tout cas pour un homme politique français que d'aller ainsi — en pleine guerre — mettre dans la confidence de ses intentions une ambassade étrangère. Il est vrai que l'Italie est encore neutre et que Laval cherche à renforcer cette neutralité. De toute façon, à lire les rapports de Lanvoni, les nombreux détails qu'ils contiennent sur la vie parlementaire, on se rend compte qu'Henri de Kérillis (bête noire de Lanvoni) n'avait pas menti quand il écrivait (nous l'avons déjà cité) évoquant une séance secrète au cours de laquelle le ministre des Affaires étrangères était intervenu : « A Paris, tous les salons colportèrent la décla- ration du ministre... et l'ambassadeur d'Italie eut sur la table, 24 heures après, le compte rendu sténographique de la séance dite secrète. » Sans doute Lanvoni l'eut aussi et peut-être est-ce lui qui fournit ce texte. Parfois les « amis » du Commendatore occupent des postes fort importants. L'un, le député néo-socialiste Maurice est à la censure. Pour régler un incident il va voir Lanvoni chez lui, lui rappelle qu'il a été reçu par le Duce, « l'homme le plus grand du monde, le fondateur d'un système qui seul pouvait sauver l'humanité d'un nouveau déluge : presque initiateur d'une nouvelle religion ». Mau- rice croit que ce nouvel Octave-Auguste « ne voudra pas descendre de son immense piédestal avec une torche allumée pour faire éclater un incendie qui pouvait détruire toutes les nations latines ». Espoir chimérique dans la mesure même où volontairement ou involontairement l'attitude des hommes politiques français, et Mau- rice est de ceux-là, a pu laisser croire au Duce que la France est déjà, avant d'être battue, soumise. D'ailleurs quand ce n'est pas la soumission ou l'esprit de colla- boration c'est la confusion des esprits qui règne. Par antibolche- visme, on s'est enthousiasmé pour les valeureux Finlandais qui luttent contre l'ours russe. Maintenant « la paix russo-finlandaise est durement ressentie par la France et le parlement, écrit Lanvoni le 14 mars 1940. Je sais que hier les couloirs de la Chambre et du Sénat étaient en ébullition; spécialement ceux du Sénat... On attribuait à la politique tortueuse de Londres, à son attitude à l'égard de la Russie, la capitulation de la Finlande qui frappait en pleine poitrine les alliés et d'abord la France. On allait jusqu'à dire que si Londres refusait à se déclarer et tergiversait, il fallait l'abandonner à son égoïsme et examiner les propositions de paix allemandes. Il n'est pas besoin de dire qu'il s'agissait d'exagéra- tions verbales pour bénéfice d'inventaire. Certains bouillants pères conscrits voulaient attaquer la Russie dans le Caucase coupant ainsi les sources de pétrole de l'Allemagne ». Documents 1 et 1a: Fin d'une lettre autographe de Dino Grandi au Duce. En post-scriptum, il annonce qu'il a passé la journée du dimanche à la campagne avec Mosley.

Document 2: Début d'une lettre de Grandi au Duce. Il remercie Mussolini de lui avoir confié sa filleule durant quelques jours. Document 3: Grandi chiffre pour Alfieri le Document 4: Note du ministère de la Pro- montant des subventions qui lui apparais- pagande avertissant le chef de la Police que sent nécessaires. Le nom effacé est celui Grandi a obtenu une somme de 400 000 de l'homme de lettres que nous appelons lires. P. Nelson.

Document 5: Texte de Mosley qui annonce avoir bien reçu le "message". Document 6: Extrait d'une lettre de Mosley Document 7: Note pour le Duce. Un SI et sur papier à en-tête du B.U.F., difficilement un paragraphe M indiquent qu'il approuve la lisible. subvention de 30 000 lires pour le domaine "réservé" de l'ambassade italienne à Berlin.

Document 8: Extrait de la lettre de Musso- lini à l'ambassadeur d'Italie en Belgique l'invitant à agir sur la presse belge. Document 9: Extraits de la lettre de Mussolini à Cerruti lui annonçant l'envoi d'un million de lires pour agir sur la presse française. "A Paris, tous les psaumes finissent par un gloria". Documents 10 et 11: Luciano annonce à Lanvoni (pseudonyme que nous avons adopté pour le nom que nous avons biffé dans le document) l'envoi d 'un certain nombre de subventions: à Giobbe, à Bucard et à Primo de Rivera. Dans le document du 5 septembre 1935, Bucard en plus de son "salaire" régulier reçoit 100 000 francs.

Documents 12: Tracts francistes imprimés avec l'argent italien. Documents 13: Extraits d'une lettre de Bucard à Mussolini, complétée de la main de Bucard et signée par lui et dans laquelle il fait un bilan du francisme et réclame des fonds.