Mémoire de quatrième année Histoire Politique

L’Affaire du « petit Gignoux » Symptôme du climat politique en sous le premier Gouvernement Blum (Juin 1936 - Juin 1937)

Laroze Barrit Sébastien Mémoire dirigé par Monsieur le Maître de conférences : Gilles Vergnon Soutenu le 20 Juin 2011

Jury :Monsieur le Professeur : Bruno Benoit et Monsieur le Maître de Conférences : Gilles Vergnon

Table des matières

Remerciements . . 5 Epigraphe . . 6 Sigles et abréviations . . 7 Introduction . . 8 Printemps 1937 : Le Front Populaire sous le feu des critiques . . 8 Un climat de luttes politiques violentes . . 9 La situation politique lyonnaise . . 9 L’Affaire Gignoux comme symptôme du climat politique en France pendant les années Blum . . 10 De l’utilisation des archives pour décrypter les positions des forces politiques en présence . . 11 Partie I : L’Affaire Paul Gignoux . . 13 Chapitre I : Le meurtre de Paul Gignoux dans le quartier de la Croix-Rousse . . 13 I. Sociologie du quartier de La Croix-Rousse dans les années trente . . 13 II. La famille Gignoux . . 15 III. Les circonstances du drame . . 17 Chapitre II : Une enquête délicate . . 19 I. Le déroulement de l’enquête . . 20 II. L’émotion soulevée par l’Affaire . . 21 III. L’âge des agresseurs . . 22 IV. L’exploitation politique de l’enquête . . 24 Partie II : L’Affaire Gignoux comme illustration de la vie politique en France sous le premier Gouvernement Blum. . . 28 Chapitre I : L’Affaire Gignoux, une bagarre d’enfants à ne pas politiser . . 29 I. L’Affaire Gignoux traitée comme une bagarre d’enfants dans la presse . . 29 II. Les positions de la LDH et de l’Union des syndicats ouvriers du Rhône . . 31 Chapitre II : L’Affaire Gignoux, une affaire de nature politique . . 33 I. Le « petit Gignoux », victime de la politique du Front Populaire. . . 33 II. Le « petit Gignoux », victime d’un climat d’agitation politique . . 35 III. L’Affaire Gignoux : symptôme de la violence des affrontements politiques sous le premier Gouvernement Blum . . 37 Conclusion . . 41 L’Affaire Gignoux, de la recherche de coupables à l’utilisation politique de l’enquête . . 41 L’Affaire Gignoux comme révélateur des soutiens et des oppositions au FP. . . 41 L’Affaire Gignoux comme indicateur de l’intensité des luttes politiques . . 42 L’Affaire Gignoux comme révélateur de l’affaiblissement du FP et de l’isolement du Gouvernement. . . 42 Sources et bibliographie . . 44 Les Sources . . 44 Archives . . 44 Presse . . 44 Sites internet . . 44 Ouvrages ayant caractère de sources . . 45 Bibliographie . . 46 Ouvrages historiques généraux . . 46 Ouvrages sur la France des années 30 . . 46 Ouvrages sur la ville de Lyon . . 46 Autres ouvrages . . 47 Ressources en ligne . . 47 Annexes . . 48 Remerciements

Remerciements J’adresse tous mes plus vifs remerciements à Monsieur le Maître de conférences Gilles Vergnon, tout d’abord pour la qualité de son enseignement de l’Histoire politique de la France de 1914 à 1940 à l’IEP de Lyon. De plus, je tiens à le remercier pour m’avoir suggéré ce thème de recherche qui était en totale adéquation avec mes intérêts et pour son aide précieuse pendant toute la durée de ma recherche. Aussi, je souhaite remercier Monsieur le Professeur Brunot Benoît pour son enseignement passionné et passionnant de l’Histoire politique de la France de 1789 à 1914 et pour sa participation au Jury. J’aimerais aussi remercier le personnel des archives municipales de Lyon et des archives départementales du Rhône qui m’ont accordé de leur temps pour me renseigner sur le fonctionnement des archives. Enfin, ce travail n’aurait jamais vu le jour sans le soutien de ma famille, de mes parents, de mes frères et de ma sœur, de ma grand-mère et de mon grand-père à qui j’exprime ici, ma plus profonde affection.

5 L’Affaire du « petit Gignoux »

Epigraphe

À ma maman

6 Sigles et abréviations

Sigles et abréviations

Sigle : Signification : ADR Archives départementales du Rhône AF Action française AML Archives municipales de Lyon CGT Confédération générale du travail CGTU Confédération générale du travail unifiée CNRP Comité national du rassemblement populaire FP Front Populaire HBM Habitation à bon marché LDH Ligue des droits de l'Homme PPF Parti populaire français PSF Parti social français SFIO Section française de l’internationale ouvrière

7 L’Affaire du « petit Gignoux »

Introduction

Printemps 1937 : Le Front Populaire sous le feu des critiques

Au début de l’année 1937, le Gouvernement du Front Populaire (FP) doit faire face à des contestations de plus en plus virulentes venant à la fois de l’opposition, mais aussi de sa propre coalition. Cette montée de contestation contre le Gouvernement s’explique par différents éléments. Tout d’abord, la situation économique notamment avec l’inflation du dernier semestre de l’année 19361, pousse le Gouvernement de Léon Blum à dévaluer la monnaie en Septembre 1936 contrairement à ce qui avait été annoncé pendant la campagne. De plus, face à ces problèmes financiers, Léon Blum annonce une « pause »2 en février 1937 dans les réformes sociales3 engagées pendant l’été 1936 mettant ainsi fin à la période d’état de grâce dont jouissait le Président du Conseil auprès de la classe ouvrière. Parallèlement à la dégradation de la conjoncture économique, l’amplification de la contestation s’explique par la transformation de la droite extraparlementaire dont une partie se radicalise tandis que l’autre se transforme en plusieurs Partis Politiques. Cette transformation est en fait le résultat de la dissolution des principales ligues d’extrême droite4décrétée le 18 juin 1936 qui a poussé certains groupes à la radicalisation, tandis qu’il a permis à d’autres l’intégration au système. L’exemple de la « Cagoule » : organisation créée dans le courant de Juin 1936 et rassemblant des anciens militants de L’Action française illustre cette radicalisation. En effet, elle est à l’origine de différentes actions violentes5 contre les antifascistes, surtout à partir de 1937. A l’opposé, le Parti populaire français (PPF) fondé en juillet 1936 par illustre l’intégration d’une partie de l’extrême droite au système républicain. De même, la dissolution de l’ancienne ligue des Croix de Feu du colonel de La Rocque, mène à la création du Parti social français (PSF) qui revendique en septembre 1936 600 000 adhérents6. Par conséquent, Léon Blum doit faire face à une opposition d’extrême droite réorganisée la fois dans des formes radicales mais aussi dans des formes intégrées au Système.

1 (+12% de juin à septembre pour les prix de gros). Pour plus d’informations : Cf. SIRINELLI J.F, La France de 1914 à nos jours, , PUF, 2004, p. 144. 2 Discours radiodiffusé du 13 Février 1937. 3 Réformes engagées de Juin à Septembre 1936 telles que l’institution de quinze jours de congés payés, semaine de quarante heures, création de l’Office du blé etc... 4 Les Croix de Feu, les , le mouvement franciste, la Solidarité française. 5 En juin 1937, assassine des émigrés antifascistes italiens. 6 SIRINELLI J.F., op.cit., p.149. 8 Introduction

La contestation s’intensifie aussi chez le patronat, « affolé »7 par les grèves d’occupation et qui s’organise en « Confédération générale du Patronat », le 4 août 1936. Cette réorganisation est, pour Jean François Sirinelli, à l’origine du « durcissement patronal » 8 de la fin de l’année 1936. Enfin, l’intensification de la contestation contre le Gouvernement s’explique par les dissensions au sein même de la coalition du Front Populaire. La question de l’aide militaire du Front Populaire au Gouvernement Espagnol menacé par un soulèvement militaire pendant l’été 1936 divise la majorité. Chez les ministres radicaux, deux tendances se dessinent, certains ministres tels que Camille Chautemps s’opposent à toute intervention contrairement à Jean Zay qui appuie la demande de Léon Blum pour une aide militaire au Gouvernement du « Frente Popular ». De plus, des parlementaires radicaux tels que Joseph Caillaux, trouvant leur appui parmi les classes moyennes9, s’opposent de plus en plus fermement à la politique intérieure du Gouvernement et n’hésitent pas à critiquer les troubles sociaux de l’été 1936, et l’inflation qui touche le pays. Par conséquent, la coalition du Front Populaire qui rassemblait Socialistes, Communistes, et Radicaux socialistes dans un Front commun antifasciste est, en 1937, affaiblie.

Un climat de luttes politiques violentes

A cette situation, s’ajoute une intensification de la violence entre anticommunistes et antifascistes. Alors que la lutte se caractérisait jusque-là surtout par un « affrontement verbal »10 à travers des manifestations ou encore à travers la presse, la « fusillade de Clichy » constitue un « affrontement physique »11. Le 16 mars 1937, alors que le PSF organise une assemblée à Clichy, des manifestants de gauche se réunissent pour empêcher la réunion et essuient les tirs de la Police venue faire respecter le principe de droit de réunion. Au final, l’affrontement fait 5 morts et 200 blessés chez les manifestants. Serge Berstein, dans la revue Vingtième siècle en 1985 qualifiait la situation du début de 1937 en France de situation de « guerre civile larvée »12.

La situation politique lyonnaise

La situation politique décrite précédemment s’applique aussi à l’échelle locale et notamment à la ville de Lyon. L’extrême droite est représentée essentiellement par L’Action française 7 Ibidem, p.150. 8 Ibidem. 9 BERSTEIN S., RUBY M., Un siècle de radicalisme, Pu du Septentrion,2004, p.101. 10 Serge Berstein et Pierre Milza expliquent que la France est en 1937 dans une situation de « guerre civile larvée » surtout verbale qui peut cependant se transformer en affrontement physique. Pour plus d’informations, consulter BERSTEIN S., MILZA P. , Histoire de la France au XXème : Tome 2 1930-1945,Hatier ,2005 ,p172. 11 Ibidem. 12 Ibidem p.39 9 L’Affaire du « petit Gignoux »

(AF), et les Croix de feu devenus PSF en 1937. L’Homme fort du parti royaliste L’Action française à Lyon est Louis Jasseron qui est, à partir de 1934, délégué général13 de l’AF à Lyon. Il dirige d’ailleurs le journal La République lyonnaise créé en 1927.. Léon Daudet : un des principaux contributeurs à L’Action française avec C. Maurras qualifie Louis Jasseron d’ « esprit équitable et pondéré »14. Les Croix de feu sont aussi représentées à Lyon dès la fondation de l’Association des Croix de feu en 1928 par Maurice Hanot15. Avec la dissolution des ligues, les Croix de feu disparaissent et Lyon accueille le siège départemental du PSF : localisé au : 33 rue de la Bourse16. Du côté de l’extrême gauche, le Parti communiste est principalement représenté par le journal : La voix du peuple à Lyon. Malheureusement, il n’a pas été possible de le consulter aux archives départementales du Rhône, le papier étant en trop mauvais état. Entre la presse d’extrême gauche et la presse d’extrême droite, deux quotidiens lyonnais de sensibilité politique différente retiendront notre intention. Tout d’abord, Le Progrès qui paraît pour la première fois en 1859, est dès le départ un journal radical avant même la création du parti républicain radical et radical socialiste en 190117. Le journal, rallie18 donc le Front Populaire à la suite du ralliement du parti radical en Juin 193519. Son concurrent le plus direct est Le Nouvelliste, qui fut créé en 1879 avec dès le départ « une orientation catholique »20.

L’Affaire Gignoux comme symptôme du climat politique en France pendant les années Blum

C’est dans ce contexte que le 24 avril 1937, Paul Gignoux, âgé de huit ans et demi est attaqué par un groupe d’enfants et décède quelques heures plus tard des suites de ses blessures. Alors que ce drame aurait pu rester du domaine du fait divers, très vite, l’Affaire désignée comme l’Affaire du « petit Gignoux » dans la presse prend une tournure politique. Martyr pour les anticommunistes, le « petit Gignoux » n’est victime que d’une bataille d’enfants qui a dégénéré pour d’autres. Ainsi, l’Affaire Gignoux constitue un double indicateur sur la situation politique française pendant le premier Gouvernement Léon Blum de Juin 1936 à Juin 1937. Tout d’abord, l’Affaire Gignoux doit être analysée en tant que symptôme de la virulence des affrontements politiques de l’époque. Aussi, la politisation de l’Affaire Gignoux qui oblige les

13 FAUVET-MESSAT, Extrême droite et antifascisme à Lyon : autour du 6 février 1934, Mémoire de Master 1, Lyon : Université Lyon 2, 1996. 14 DAUDET Léon, « La férocité des enfants », L’Action française, 28 avril 1937. 15 FAUVET-MESSAT, op.cit. 16 Annexe III. 17 BERSTEIN S., RUBY M., op.cit, p. 35 18 PELLETIER, ROSSIAUD (dir.), , Histoire de Lyon, des origines à nos jours : Volume 2,Horvath,Le côteau,1990. 19 BERSTEIN S., La France des années 30, Armand Colin, Paris, 1988, Page 109. 20 DE VAUCELLES L., Le Nouvelliste de Lyon et la défense religieuse 1879-1889, Paris, Les Belles-Lettres, 1971,p.33. 10 Introduction

différentes forces politiques à se positionner autour de cette Affaire permet de révéler leur positionnement concernant l’action du Front Populaire. Par conséquent, il est pertinent de se demander en quoi l’Affaire Gignoux est symptomatique à la fois de la violence des affrontements politiques de l’époque et en quoi elle est révélatrice du positionnement des différentes forces politiques autour de la politique du Front Populaire.

De l’utilisation des archives pour décrypter les positions des forces politiques en présence

A travers différentes sources de premières mains, nous tenterons de comprendre en quoi l’Affaire Gignoux illustre la situation politique de la France pendant le premier Gouvernement Blum. Ainsi, nous utiliserons des documents d’archives issus des archives municipales de Lyon (AML) et des archives départementales du Rhône (ADR). Aussi, nous consulterons des journaux de différentes sensibilités politiques afin d’établir comment se positionnent les différentes forces politiques de l’époque autour de l’Affaire Gignoux. Notre utilisation des documents d’archives comme source de connaissance historique se base sur le principe épistémologique dit de « contre-utilisation des documents ». A travers celui-ci, les archives ne nous renseignent pas seulement sur des informations « factuelles » concernant un évènement, mais aussi sur la manière dont cet évènement est traité par l’auteur de l’archive afin de dégager les enjeux liés à l’Affaire Gignoux. Cette démarche est d’ailleurs expliquée par l’Historien March Bloch qui prend l’exemple des Mémoires de Saint Simon pour expliquer que la manière dont l’auteur présente son époque est à elle seule une source historique digne d’intérêt. 21 Ainsi, dans notre recherche sur l’Affaire Gignoux, il nous faudra comparer l’interprétation des faits proposés par les différentes archives. Le but est ainsi de déchiffrer les enjeux de l’Affaire Gignoux qui sont souvent occultés par les acteurs politiques ou par la presse. Il nous faut alors raisonner en deux temps. Tout d’abord, il est utile de décrire précisément l’Affaire : de l’attaque de l’enfant à l’enquête (Partie I). Afin de comprendre la politisation de l’Affaire engagée par certaines forces politiques, Il nous faudra étudier la sociologie de l’endroit dans lequel Paul Gignoux vivait et nous interroger sur son origine sociale. Ensuite, nous tenterons de reconstituer le drame du 24 Avril 1937 à travers différentes sources. La multiplicité des sources a cependant pour conséquence une multitude de versions des faits. Il nous faudra donc dégager les informations les plus consensuelles qui forment un dénominateur commun entre ses versions, sans pour autant rejeter définitivement les versions alternatives. Enfin, dans cette première partie, nous montrerons comment les éléments de l’enquête qui a suivi le décès de Paul Gignoux ont été l’objet d’une utilisation politique. La seconde période de notre réflexion portera sur les confrontations de nature politique déclenchées par l’Affaire Gignoux (Partie II). Il nous faudra donc classer les différents acteurs et groupes politiques qui s’expriment sur l’Affaire Gignoux en fonction de leur interprétation des faits. Nous expliquerons de plus comment ces positions reflètent leur position générale vis-à-vis de la politique du Front Populaire. Enfin, il sera montré que l’Affaire Gignoux n’est pas un acte isolé de violence d’origine politique, à cette époque. 21 BLOCH M., Apologie pour l'histoire ou Métier d'historien, rééd. in L’Histoire, la guerre, la Résistance, Paris, Gallimard, 2006 11 L’Affaire du « petit Gignoux »

L’attaque de Paul Gignoux s’inscrit en fait dans un contexte d’intensification de la violence des confrontations politiques qui touche même les enfants.

12 Partie I : L’Affaire Paul Gignoux

Partie I : L’Affaire Paul Gignoux

Paul Gignoux est décédé le 24 avril 1937 après avoir été attaqué par un groupe d’enfants venant de la cité ouvrière proche : la cité Philippe de Lasalle. Notre analyse de l’Affaire s’effectuera en deux temps : d’une part, les circonstances du décès de Paul Gignoux, et d’autre part, l’enquête. Ainsi, dans un premier temps, Il est important d’étudier la sociologie de l’endroit dans lequel s’est passé ce drame. Aussi, il est utile d’observer l’origine sociale de la victime car la politisation de l’Affaire Gignoux par certaines presses et certains acteurs politiques se base sur la différence de classe sociale entre Paul Gignoux et les enfants de la cité. Ensuite, nous tenterons de définir les circonstances de ce décès en nous basant sur plusieurs articles de presse de sources différentes. Evidemment, la politisation de l’Affaire implique une objectivité limitée de ces sources et des détails mis en avant qui diffèrent selon la sensibilité politique des journaux. Il nous faudra alors dégager les faits les plus consensuels. Dans un second temps, nous observerons le déroulement de l’enquête, qui a suivi le décès de Paul Gignoux. Or, l’émotion soulevée par ce drame d’une part, l’âge des agresseurs, d’autre part, et la manipulation politique des éléments de l’enquête, rendent celle-ci délicate.

Chapitre I : Le meurtre de Paul Gignoux dans le quartier de la Croix-Rousse

L’Affaire Gignoux a été présentée, par certains, comme une affaire à caractère politique dans laquelle des enfants de la classe ouvrière ont agressé un enfant d’une classe sociale aisée. Ainsi, afin de comprendre cette position, il nous faut d’abord étudier la sociologie du quartier de La Croix-Rousse dans les années 30 pour appréhender sa mixité sociale. En effet, alors que la cité Philippe de Lasalle à La Croix-Rousse accueille une population essentiellement ouvrière, des familles plus aisées, telles que la famille Gignoux, vivent dans des pavillons à quelques centaines de mètres. Suite à ces considérations, nous terminerons par expliquer les circonstances du décès de Paul Gignoux le 24 avril 1937.

I. Sociologie du quartier de La Croix-Rousse dans les années trente Si beaucoup de travaux ont été réalisés sur le quartier de La Croix-Rousse et son industrie de la soie au XIXème siècle, en revanche, il est plus difficile de trouver des ouvrages traitant de ce quartier pendant la période de l’entre-deux-guerres. La Croix-Rousse fut rattachée à la commune de Lyon en 185222. Le quartier est divisé en deux zones : le plateau de La Croix-Rousse qui correspond au 4ème arrondissement, et les pentes de la Croix-Rousse: dans le premier arrondissement. Dans les années 20 et les années 30, le quartier de La

22 BELBAHRI, BENSOUSSAN, BONNIEL, GARDEN, GILBERT, La Croix-Rousse, Lyon, CNRS, 1980 , p. 38. 13 L’Affaire du « petit Gignoux »

Croix-Rousse à Lyon, voit la sociologie de sa population se modifier. Ce quartier, à l’origine exclusivement ouvrier avec les travailleurs de la soie, attire des classes sociales plus aisées à la fin des années 20. En effet, Josette Barre, Maître de conférence à l’Université Lyon 3 remarque l’implantation dans le quartier de pavillons dans l’entre-deux-guerres : « la poussée pavillonnaire résultant d’initiatives isolées ou groupées renforce le poids des catégories moyennes, voire aisées »23. A côté de ces pavillons, subsistent des ouvriers bien que les industries de la soie soient en déclin depuis le début du siècle24. Cependant, on estime qu’en 1938, 25%25 de la population de La Croix-Rousse travaillent comme ouvriers de la soierie. A ce nombre, s’ajoutent les ouvriers d’autres secteurs qui se sont installés à La Croix-Rousse et qui travaillent notamment dans la métallurgie. En effet, la carte industrielle de Lyon de 193226 dénombre 16 usines de métallurgie dans le 4ème arrondissement et 10 dans le 1er arrondissement. De plus, la construction d’Habitations à bon marché HBM, à La Croix-Rousse conforte la part importante des ouvriers dans le quartier27. Les HBM, dont l’appellation provient de la loi Jules Siegfried du 30 novembre 1894, sont des logements à bas loyers surtout destinés aux ouvriers et qui se sont particulièrement développés entre les deux guerres. En effet, environ 170 000 logements HBM furent construits en France entre 1912 et 1939.28 Ainsi, à Lyon fleurissent plusieurs « cités jardins » : regroupant au sein de cités des Habitations à loyer à bas coût à partir années 20 afin d’héberger la population ouvrière. L’office municipal des HBM créé en 1919 rachète des parcelles de terrain à Lyon afin de bâtir de nouvelles cités telles que La Mouche dans le 7ème arrondissement, le quartier des Etats-Unis érigé dans le 8ème arrondissement par l’architecte Tony Garnier ou encore la cité Philippe de Lasalle à La Croix-Rousse. Par conséquent, le quartier de La Croix-Rousse est dans les années 30 un quartier habité à la fois par des ouvriers, notamment regroupés dans les « cités jardins » mais aussi par des classes sociales plus aisées dans des pavillons. La cité Philippe de Lasalle fut construite sur un terrain racheté par la municipalité en 1920, et sa construction s’acheva en 193029. Elle était composée de cinq immeubles de 185 logements collectifs et 25 pavillons de 100 appartements bordés par : la rue Hénon à l’Ouest et à l’est, la rue Philippe de Lasalle. En 1934, le groupe scolaire Jean de la Fontaine est ouvert au Nord-est de la cité pour accueillir les enfants des ouvriers installés dans la cité. En 1937, le quartier Philippe de Lasalle a pour réputation d’être un quartier « agité ». Le quotidien lyonnais : Le Progrès constate que les « exaspérations enfantines » sont fréquentes dans ce quartier. 30 Cette idée est réaffirmée dans son édition du 27 avril31 , Le Progrès rapporte les propos du directeur de l’école Jean de la Fontaine : M. Raymond à propos de la cité Philippe de Lasalle : « Nous avons ici un quartier difficile ».

23 e BARRE J., La colline de la Croix-Rousse- Edition (3 ), ELAH,2007 ,p.390. 24 EN 1938, on recense 355 fabricants en soie : le même nombre qu’en 1780. Pour plus d’informations Cf. BELBAHRI, BENSOUSSAN, BONNIEL, GARDEN,GILBERT, op.cit. 25 Ibidem. 26 PINOL J.L, Les mobilités de la grande ville, Presse de la fondation nationale des sciences politiques,1991, p.52. 27 Ibidem, p.390 28 LEGRAND C., VOISIN B., PAWLOWSKI K., Le logement populaire et social lyonnais : 1848-2000, Aux Arts (édition), 2001, p.45. 29 Ibidem, p.134. 30 « La mort tragique du petit Paul Gignoux », Le Progrès, 26 avril 1937. 31 « La mort tragique du petit Gignoux, Le Progrès, 27 Avril 1937. 14 Partie I : L’Affaire Paul Gignoux

Figure 1 : La cité Philippe de Lasalle en 1946 Plan de secteur au 1/500 (série 4s) - Plan général de la ville de Lyon 1946

II. La famille Gignoux Mme Lucie Conche et M. Octave Gignoux habitent au 83 rue Chazière (Cercle rouge sur les cartes 2 et 3) : une rue perpendiculaire à la rue Hénon, et qui comme nous l’avons vu précédemment délimite la cité Philippe de Lasalle à l’Ouest de celle-ci. Figure 2 : Le quartier de La Croix-Rousse en 1932 -Société de documentation industrielle : « Les cartes industrielles de France », (A.M.L 2S 456)

15 L’Affaire du « petit Gignoux »

Figure 3 : Zoom sur l’angle des rues Chazière et Hénon 1932 : Société de documentation industrielle : « Les cartes industrielles de France »,A.M.L 2S 456

A travers un travail d’archive mené à la fois dans les archives municipales de Lyon et les archives départementales du Rhône, il nous est possible d’établir trois caractéristiques de la famille Gignoux. Tout d’abord, la famille Gignoux est une famille de notables qui jouit d’une certaine réputation à Lyon. Ensuite, le père de famille : Octave Gignoux est militant au PSF. Troisièmement, la famille Gignoux est une famille manifestement catholique. Ces remarques sont importantes car elles sont à l’origine de trois types d’argumentation qui visent à politiser le débat. La première reprend la thématique de la « lutte des classes » pour expliquer l’attaque de Paul Gignoux comme une attaque menée par des enfants d’ouvriers contre un enfant « riche ». La seconde remarque que le père du petit Gignoux était membre du PSF et que l’enfant aurait donc été considéré comme un « fasciste » par des enfants d’ouvriers communistes. Enfin, le petit Gignoux qui était issu d’une famille religieuse et écolier dans l’enseignement libre aurait été attaqué par des enfants scolarisés dans une école laïque s’opposant à l’enseignement religieux. Ainsi, mariés le 18 Mai 191132, les époux Gignoux ont huit enfants33 au début du mois d’Avril.

32 Annexe II 33 « Des milliers de Lyonnais ont assisté aux funérailles de l’infortuné Paul Gignoux », Le Progrès,29 avril 1937. 16 Partie I : L’Affaire Paul Gignoux

La famille Gignoux est une famille de notables qui jouit d’une certaine réputation à Lyon. M. Octave Gignoux est négociant en vin, et il possède un commerce de vin en gros à son domicile. Le frère de M. Octave Gignoux : Antoine Gignoux est le Président du tribunal de commerce de Lyon34. Cette notoriété de la famille s’illustre par l’intervention du Conseiller municipal M. Montrochet lors du Conseil municipal du 26 avril 1937, qui intervient concernant la mort du fils Gignoux : « Sa famille, aujourd’hui en deuil, est honorablement connue dans notre ville » 35. Cette réputation est aussi confirmée par Le Progrès, qui prévoit une grande affluence lors des obsèques de Paul Gignoux aux vues de « l’estime générale »36 pour la famille Gignoux. De plus, plusieurs journaux, après la mort de Paul Gignoux, évoquent l’engagement politique d’Octave Gignoux au PSF comme l’un des motifs de l’attaque subie par le « petit Gignoux ». Ainsi, Le Nouvelliste explique que la garçon a été attaqué « sous prétexte que M. Gignoux père est membre du PSF »37. Les archives départementales du Rhône ont permis de vérifier cette information. En effet, Octave Gignoux était bien membre du parti nationaliste créé par le colonel de la Rocque : le PSF. Après la mort de Paul Gignoux, le comité des Présidents de Section de la Fédération du Rhône du PSF adressa un communiqué38 de soutien à Octave Gignoux. Ils désignent alors le petit Gignoux par l’expression : « fils de leur camarade ». Enfin, la famille Gignoux est une famille manifestement catholique. La Croix, la qualifie de famille d’une « haute tenue religieuse »39. Le journal précise d’ailleurs que les trois frères fréquentent la colonie de Noirmoutier40. On sait aussi que la sœur de Paul Gignoux assure des séances de catéchisme dans le quartier. Paul Gignoux est le dernier né des enfants des époux Gignoux, il est né le 11 Juin 192841. Le Progrès le décrit comme un garçon « élégant »42 « un peu crâneur même, casqué d’une abondante chevelure châtain qu’il porte longue »43. L’Action française évoque son « extérieur soigné d’enfant riche »44.

III. Les circonstances du drame

34 « La mort tragique du petit Paul Gignoux », Le Progrès ,26 avril 1937. 35 Procès-verbal (P.V) des délibérations du Conseil municipal de Lyon, 26 avril 1937, Archives municipales de Lyon ( AML). 36 « Les obsèques du petit Paul Gignoux auront lieu aujourd’hui à 10 heures », Le Progrès,28 avril 1937. 37 « ‘’ Le petit Gignoux n’a pas été assassiné ni lapidé, ni lynché par ses camarades ‘’affirme sans honte «’’la presse qui ment ’’», Le Nouvelliste ,3 mai 1937. 38 Annexe III 39 « L’agitation n’épargne même pas les enfants », La Croix, 27 Avril 1937. 40 Ibidem. 41 Registres d’état civil de Lyon -naissances AML. 42 « La mort tragique du petit Gignoux, Le Progrès, 27 Avril 1937. 43 « La mort tragique du petit Paul Gignoux », Le Progrès ,26 avril 1937. 44 « Des enfants de chômeurs lapident un ‘’fasciste ‘’ de 7 ans et le tuent », L’Action française,27 avril 1937. 17 L’Affaire du « petit Gignoux »

Le 24 avril 1937, « vers 6h »45, Paul Gignoux quitte son domicile à vélo pour vendre des billets de tombola, dans le voisinage, au profit de l’Union de l’enseignement libre. Bien qu’il est impossible de déterminer son parcours exact à l’aller, il est néanmoins clair qu’au retour, l’enfant emprunte la rue Hénon qui borde la cité Philippe de Lasalle au Nord. Il est alors pris à parti par plusieurs «petits gones de la proche cité Philippe de Lasalle »46qui l’interpellent et lui jettent des pierres. Si les motifs de l’agression diffèrent selon les journaux, plusieurs journaux rapportent qu’il aurait été traité de « fille » par ses agresseurs. En effet, Le Progrès explique qu’à cause de ses « longs cheveux bouclés » 47, les « gones » de la cité ont interpellé Paul Gignoux en criant : « Hou, hou !la fille… »48. Pour l’Action française, il aurait été conspué au cri de « Hé ! La fille !Hé ! fasciste » 49. Le Populaire, quant à lui rapporte qu’ il aurait été traité de « fille en culotte »50. Selon L’Action française, deux enfants qui se trouvaient à cet endroit, lui auraient conseillé de ne pas répondre et de fuir. Le journal rapporte les paroles des deux enfants : « Ne fais donc pas attention, laisse-les crier et viens avec nous. »51. Cependant, Paul Gignoux décida de riposter en attaquant verbalement ses assaillants. Selon Le Progrès , il aurait traité les autres enfants de « tas de crétins »52. Pour L’Humanité, les « gones » de la cité Philippe de Lasalle auraient plutôt été traités de « tas de gredins »53. C’est alors que Henriette-Savet, une petite fille de la cité se dirigea vers Paul Gignoux et le gifla. Seuls Le Progrès54 et Le Nouvelliste55apportent une explication à ce geste. Henriette-Savet aurait été renvoyée du catéchisme quelques jours auparavant par la sœur de Paul Gignoux. Le Progrès et Le Nouvelliste s’accordent pour voir en cette gifle le déclenchement de l’assaut violent contre le « petit Gignoux ». Pour Le Nouvelliste , cette gifle « a été le signal de la lapidation » 56. D’après Le Progrès , la gifle est « le signe ». 57C’est alors qu’une quinzaine d’enfants de la cité s’en prennent physiquement à Paul Gignoux. La manière dont ce dernier a été blessé diffère selon les journaux. Certains décrivent des scènes de lapidation tandis que d’autres racontent que « le petit Gignoux » aurait été frappé à terre par les enfants armés de pierres. Cette dernière thèse est défendue par Le Populaire : « Les quinze garnements firent tomber la petite victime de sa bicyclette et commencèrent à la frapper brutalement […] frappèrent l’enfant avec de gros cailloux »58.

45 « La mort tragique du petit Paul Gignoux », Le Progrès, 26 avril 1937. 46 Ibidem. 47 Ibid. 48 Ibid. 49 « L’horrible assassinat du petit Gignoux à Lyon », L’Action française,2 8 avril 1937. 50 « Un enfant est tué à coups de pierres », Le Populaire, 26 avril 1937. 51 « L’horrible assassinat du petit Gignoux à Lyon », L’Action française, 28 avril 1937. 52 « La mort tragique du petit Paul Gignoux », Le Progrès, 26 avril 1937. 53 « Au cours d’une bataille entre gosses un pauvre enfant est frappé mortellement », L’Humanité, 26 avril 1937. 54 « La mort du petit Gignoux », Le Progrès, 5 mai 1937 55 « Après le meurtre du petit Gignoux », Le Nouvelliste, 5 mai 1937. 56 Ibidem. 57 « La mort tragique du petit Paul Gignoux », Le Progrès, 26 avril 1937. 58 « Un enfant est tué à coups de pierres », Le Populaire, 26 avril 1937 18 Partie I : L’Affaire Paul Gignoux

Le Nouvelliste, quant à lui, évoque la lapidation de Paul Gignoux en rapportant ses paroles auprès de ses parents, après l’agression : « Ce sont des petits garçons qui m’ont lancé des pierres à la tête ».59. Face à ces scénarii qui s’affrontent, Le Progrès quant à lui , semble sceptique concernant les circonstances de la mort du garçon : « Il ne semble pas qu’un jet de grosse pierre, même lancé à trois mètres, puisse produire un choc aussi grave que celui constaté sur la tête de la victime » 60. Le Progrès évoque, alors, la possibilité que l’attaque se soit déroulée en deux temps. Dans un premier temps, « de toutes parts les gones de Lasalle accourent à la rescousse et se mettent à lapider l’intrus ». Cette scène se serait déroulée au niveau du 107 rue Hénon. Et dans un deuxième temps, Paul Gignoux aurait été frappé à terre, à l’aide de gros cailloux, lors de « l’épilogue tragique, criminel »61, qui se serait passé rue de Chazière. Suite à cette attaque, Paul Gignoux regagne la maison de ses parents à bicyclette où il arriva à 19h. Le voyant blessé, ses parents l’interrogèrent. Le Progrès, L’Action française et Le Nouvelliste rapportent qu’il aurait eu le temps d’expliquer qu’il avait été attaqué à coups de pierres par des enfants. Les parents appelèrent alors le Docteur M. Branche pour assister leur enfant qui arriva sur les lieux alors que la victime était déjà dans un coma 62. Malgré quelques tentatives pour le réanimer, Paul Gignoux décéda à 19h4063. Après examen, le Docteur conclut à une mort par choc commotionnel.64

Chapitre II : Une enquête délicate

Suite à l’assassinat de Paul Gignoux, le parquet ouvre une enquête. Il décide de faire appel à des agents de la Sûreté de Lyon. L’inspecteur chef Masson de la Sûreté a été nommé en charge de l’enquête. L’enquête sur la mort de Paul Gignoux est « délicate » pour trois raisons. En premier lieu, l’Affaire a suscité une grande émotion au sein de la population lyonnaise. Celle-ci suit donc l’enquête régulièrement à travers les articles quasi-quotidiens pendant le mois de mai publiés dans Le Progrès et dans Le Nouvelliste. Ensuite, l’âge des agresseurs rend l’enquête délicate car étant âgés de moins de 13 ans, ils ne sont pas responsables pénalement, et leur jeune âge semble leur assurer une certaine compassion de la part de l’opinion publique. Or, on remarque que la presse utilise les hypothèses de l’enquête pour désigner des coupables autres que ces enfants. Enfin, l’enquête est rendue délicate par les luttes politiques autour des éléments de celle-ci. Par conséquent, l’émotion soulevée par l’Affaire Gignoux et son utilisation politique semblent faire peser une certaine pression sur les enquêteurs et les médecins. Cette pression est telle que le Docteur Branche doit le 2 mai 193765 envoyer une lettre au Progrès pour justifier son diagnostic.

59 « Un jeune Garçonnet est mystérieusement blessé à coups de pierres », Le Nouvelliste, 25 avril 1937. 60 « La mort tragique du petit Paul Gignoux », Le Progrès, 26 avril 1937.. 61 Ibidem. 62 Ibid. 63 Ibid. 64 « La mort du petit Paul Gignoux », Le Progrès,2 mai 1937. 65 Annexe V 19 L’Affaire du « petit Gignoux »

I. Le déroulement de l’enquête Après le décès de Paul Gignoux, l’enquête est confiée par le parquet à la Sûreté lyonnaise, dirigée en 1937 par M. Foex. Très rapidement, il s’avère que Paul Gignoux avait déjà été pris à parti par des enfants de la cité de Lasalle. En effet, Le Nouvelliste rapporte que : «il avait déjà été plusieurs fois, attaqué par ces gosses ou par d’autres en tant que ‘’fils de fasciste’’ »66.Dans un premier temps, l’inspecteur chef M. Masson et les inspecteurs M. Bressaud et M. Taurines, auraient été dépêchés sur les lieux « dès l’aube »67 afin de recueillir des témoignages et des preuves. Le Progrès rapporte qu’ils auraient reçu un témoignage d’une voisine qui « de sa fenêtre, avait suivi de bout à bout la bagarre de la rue Hénon ». Un peu plus tard dans la journée, « vers 13 heures »68, le lendemain du drame, les enfants69, leurs parents et les témoins de la scène sont convoqués à la Mairie du 4ème arrondissement par l’inspecteur chef : M. Masson pour un interrogatoire. Peu après, ils sont alors emmenés au palais de justice pour être interrogés par le sous-chef de la Sûreté : M. Houdet. Après ces interrogatoires, les inspecteurs retournent sur les lieux de l’attaque afin de chercher des pièces à conviction et notamment des galets qui auraient été utilisés. Or, Le Progrès dans son édition du 26 avril rapporte qu’il « n’y avait plus de galets du tout, plus aucune pierre sur le lieu de la bataille »70. Cet épisode est aussi rapporté par L’Action française : « quand les policiers ont voulu comparer ces projectiles avec des matériaux semblables entassés dans les rues où se passa le drame, ils constatèrent que ces pierres avaient disparu ».71 Il semblerait en fait que les galets aient été déplacés afin qu’ils ne puissent servir de pièces à conviction. Les résultats de l’enquête de la Sûreté sont ensuite transmis au juge d’instruction: M. Faure-Pinguely, le 27 avril. Il délivre alors un mandat aux inspecteurs de la Sûreté afin d’aller chercher les enfants accusés d’avoir pris part à l’assaut ou d’avoir été témoins de la scène. Le Progrès rapporte que les parents n’ont pas résisté : « Tous les parents ont déféré sans résistance au mandat du juge d’instruction »72 à l’exception d’une « mère de famille ». Le juge procède alors à un nouvel interrogatoire le 28 avril73 des enfants, de leurs parents et des témoins de la scène. Suite à celui-ci, il décide de confier onze enfants à l’Hôtel Dieu au service des enfants assistés afin de les avoir à disposition pour les besoins de l’enquête. Un nouvel interrogatoire est organisé le 4 mai 74 et aussi le 5 mai75. Le juge remet alors deux

66 « après le meurtre du petit Gignoux », Le Nouvelliste ,5 Mai 1937. 67 « La mort tragique du petit Paul Gignoux », Le Progrès,26 avril 1937.. 68 Ibidem. 69 Dans son édition du 26 Avril 1937 , Le Progrès , parle d’ « une quinzaine d’enfants » et donne une liste de sept enfants convoqués : Marcel Gaillar : 9 ans, Jules Gaillar : 7 ans , Jean Moiroud, 8 ans, Lucien Albois :11 ans, Robert Tinet : 7 ans, Pierre Chaminadas : 9 ans, Raymond Laperrière : 13 ans. 70 « La mort tragique du petit Paul Gignoux »,Le Progrès, 26 avril 1937. 71 « Des enfants de chômeurs lapident un ‘’fasciste ‘’ de 7 ans et le tuent », L’Action française, 27 avril 1937. 72 « Des milliers de Lyonnais ont assisté aux funérailles de l’infortuné Paul Gignoux », Le Progrès, 29 avril. 73 « Les poignantes obsèques, à Lyon, du petit Gignoux » , L’Humanité ,29 avril 1937 74 « après le meurtre du petit Gignoux », Le Nouvelliste , 5 Mai 1937. 75 Ibidem. 20 Partie I : L’Affaire Paul Gignoux

enfants à leurs parents, l’un qui n’aurait pas assisté à l’assaut et qui aurait été confondu avec son frère76, et l’autre qui aurait envoyé des pierres sur les agresseurs de Paul Gignoux.77 Parallèlement à ces interrogatoires, une autopsie est commandée. Celle-ci est réalisée par les Professeurs M. Etienne Martin et son fils M. Martin. L’expertise révèle de nombreuses blessures : « vingt-deux plaies que j’ai relevé sur les seuls membres inférieurs » 78. De plus, celle-ci ne révèle pas de fracture du crâne malgré un hématome « au centre du cerveau »79.Celle-ci conclut, alors, à une hémorragie cérébrale et à un œdème du poumon qui aurait entrainé la mort de Paul Gignoux. Or, si le Dr Branche avait constaté un choc commotionnel à l’origine de la mort de l’enfant, les Docteurs Martin concluent à un « shock émotionnel »80 d’après Le Progrès. Cette divergence entre les deux diagnostics pousse alors le Docteur Branche à envoyer une lettre au Progrès afin de justifier ses conclusions. Celle-ci est publiée le 2 mai 81 et s’articule autour de deux points. Tout d’abord, le Docteur avait constaté qu’une des molaires de Paul Gignoux avait été brisée pendant l’attaque. Or, cet élément n’apparaît pas dans l’autopsie. Le Docteur Branche assure alors avoir tenu cette dent entre les doigts. De plus, il affirme que les parents du petit Gignoux en sont témoins. Il l’aurait alors remise à sa place dans la bouche de l’enfant pour les besoins de l’autopsie. Ensuite, le Docteur défend ses conclusions concernant les causes de la mort. Il affirme avoir constaté un « syndrome cérébral traumatique très grave et des signes terminaux d’œdème pulmonaire82 ». Or, cette conclusion correspond à celle inscrite sur le certificat de décès rédigé par le Professeur Martin en charge de l’autopsie. En effet, le Docteur Branche affirme : « Cette seule mention constitue la confirmation exacte de mon examen »83. Celui-ci rappelle que l’on ne connaît, au moment, de l’écriture de la lettre que l’intitulé du certificat de décès et non pas le contenu exact. Ainsi, il considère que la mention d’un « choc émotionnel » afin d’expliquer la mort du petit Gignoux n’est dû qu’à une confusion dans les termes prononcés par les médecins légistes et relayés par la presse et qu’il s’agit donc bien d’un choc commotionnel84. Il rappelle enfin qu’un choc commotionnel peut apparaitre sans lésion du crâne. Au final, le Docteur nous délivre sa thèse sur la mort de Paul Gignoux : « la victime a reçu des pavés sur la tête : la dent brisée l’atteste. Ces pavés, poids lourds pour des mains d’enfants de 8 à 11 ans n’ont pu fracturer le crâne qui est solide mais ont lésé le cerveau qui est fragile ».

II. L’émotion soulevée par l’Affaire L’Affaire Gignoux a soulevé une grande émotion dans la population lyonnaise , mais aussi à l’échelle nationale. Léon Daudet, éditorialiste à L’Action française signe un article le 28

76 Ibid. 77 Ibid. 78 Ibid. 79 « La mort tragique du petit Paul Gignoux », L’Humanité, 5 mai 1937. 80 « Des milliers de Lyonnais ont assisté aux funérailles de l’infortuné Paul Gignoux », Le Progrès, 29 avril 1937. 81 Annexe 5 82 « La mort du petit Gignoux », Le Progrès, 2 mai 1937. 83 Ibidem. 84 Ibidem. 21 L’Affaire du « petit Gignoux »

avril 85 dans lequel il affirme : « La lapidation du petit Paul Gignoux, âgé de sept ans, à Lyon, par des galopins de son âge, a produit dans toute la presse et dans tout le pays une émotion considérable ». Cette émotion est soulevée, à l’échelle locale par Le Progrès qui propose un récit très pathétique des funérailles du « petit Gignoux » du 28 avril 1937. En effet, le quotidien rapporte, dans son numéro du 29 avril 193786 que « des milliers de Lyonnais ont assisté aux funérailles », « soulevés par les mêmes sentiments de compassion navrée, de tristesse indicible ». Le cortège funèbre est parti de la demeure de la famille Gignoux pour rejoindre l’Eglise Saint Augustin. Le journal décrit une marche pendant laquelle : « aux portes, aux fenêtres, des femmes, des jeunes filles regardent avec des yeux brillants, prêts aux larmes ». Le Progrès conclut en affirmant l’émotion unanime face au décès de Paul Gignoux : « Cette simple cérémonie, grandiose et si digne, exprime bien le sentiment unanime des Lyonnais devant l’horreur de pareil meurtre ». De même, L’Humanité , dans son édition du 29 Avril consacre un article aux funérailles de Paul Gignoux , intitulé : « Les poignantes obsèques, à Lyon ,du petit Gignoux »87. De plus, l’émotion soulevée par l’Affaire Gignoux est telle que des personnalités politiques et administratives et des notables lyonnais sont présentes. Le Maire et le préfet envoient des représentants aux obsèques88. Le procureur général : M. Beaubrun et les conseillers généraux : M. Bruyas, M. Mercier et M. Bosse-Platière ont fait le déplacement. Aussi, plusieurs représentants de syndicats sont présents tels que le Président des chambres syndicales : M. Philippe Rivoire et le Président du syndicat des fabriques de soie : M. Ferrié. L’émotion soulevée par l’Affaire Gignoux est aussi confirmée par le rapport du Commissaire spécial adressé au préfet du Rhône, le 25 mai 1937. Ce dernier débute son rapport par l’Affaire Gignoux et précise que celle-ci a «provoqué, incontestablement, une profonde émotion »89. Enfin, cette émotion transparaît aussi dans le compte rendu des délibérations du Conseil municipal du 26 avril 193790. M. Bruyas , conseiller général est le premier à évoquer cette Affaire. Il souligne l’émotion qu’elle a suscitée à Lyon et dans le quartier de La Croix-Rousse : « Je désire simplement, comme j’en ai le devoir, vous faire part de l’émotion profonde qu’en a ressentie toute la population, en particulier la population croix- roussienne ». Il qualifie, à cette occasion, l’attaque subie par Paul Gignoux de « scène de sauvagerie ».

III. L’âge des agresseurs L’âge des agresseurs du petit Gignoux est un élément important à prendre en considération lorsque l’on retrace l’enquête. L’émotion soulevée par l’Affaire provoque une certaine pression sur les enquêteurs qui ont pour mission de trouver des coupables. Or, on constate dans l’Affaire Gignoux que la presse, mais aussi les politiques, sont à la recherche de

85 DAUDET Léon, « La férocité des enfants », L’Action française ,28 avril 1937. 86 « Des milliers de Lyonnais ont assisté aux funérailles de l’infortuné Paul Gignoux », Le Progrès, 29 avril 1937. 87 « Les poignantes obsèques, à Lyon, du petit Gignoux » , L’Humanité ,29 avril 1937 88 « Des milliers de Lyonnais ont assisté aux funérailles de l’infortuné Paul Gignoux », Le Progrès, 29 avril 1937. 89 Annexe IV 90 PV des délibérations du Conseil municipal du 26 avril 1937 (AML) Cf. Annexe x 22 Partie I : L’Affaire Paul Gignoux

coupables autres que les enfants sur lesquelles faire reposer la responsabilité de l’attaque. Deux raisons peuvent expliquer ce phénomène. Tout d’abord, l’opinion publique semble avoir de la compassion pour ces enfants qui ont une dizaine d’années et qui sont présentés dans la presse comme dépassés par les conséquences de leurs actes. Ensuite, les enfants retrouvés ont moins de treize ans. Ils ne peuvent être jugés et ne sont pas passibles des tribunaux pour enfants. De plus, les parents de Paul Gignoux n’ont pas porté plainte, aucune action civile ne peut donc être engagée contre eux. Ainsi, pour remédier à ce « manque de responsables » la presse, et les élus vont tenter d’attribuer la responsabilité à d’autres personnages tels qu’à un enfant de plus de treize ans qui aurait mené l’attaque mais qui n’a jamais été retrouvé, aux parents des agresseurs et enfin aux témoins de la scène qui ne sont pas intervenus. Tout d’abord, on constate que les agresseurs de Paul Gignoux dans la presse ne sont jamais présentés comme entièrement responsables du drame. Le Progrès réalise des descriptions pathétiques des enfants qui ont agressé Paul Gignoux. Ils sont présentés comme inoffensifs : « ces gones menus, aux figures gentilles » 91. Ils sont aussi décrits comme très affectés par cette Affaire : « Il faut avoir vu les petits agresseurs hier, leurs yeux rougis et gonflés par les larmes et l’insomnie pour comprendre que dans leur âme d’enfants, ils n’ont jamais voulu ‘’cela’’ »92. D’ailleurs, le quotidien affirme qu’ils ne peuvent être considérés comme des meurtriers dans cette Affaire : « De véritables meurtriers, il n’y en a pas. Ce ne sont pas de jeunes fauves qui frappèrent l’infortuné petit Paul Gignoux. Tout simplement des enfants »93. Le Nouvelliste aussi préfère évoquer la responsabilité des parents et des témoins de la scène plutôt que des enfants. Le journal les décrit d’ailleurs comme : « saisis de terreur »94 face à la police et comme perdus : « qui ne comprennent rien à ce qui leur est arrivé »95. Par conséquent, si la responsabilité des enfants qui ont agressé Paul Gignoux est peu mise en avant, celle-ci est plutôt attribuée à un enfant plus âgé, aux parents des enfants et aux témoins qui ont assisté à la scène. Le Directeur de l’école La Fontaine : M. Raymond a indiqué dans son interview96 accordée à Lyon Soir et rapportée par L’Action française qu’un enfant de treize ans avait, selon les enfants de l’école, participé à l’attaque, mais qu’il n’était pas de cet établissement. Or, on remarque que malgré l’absence de l’enfant dans les registres de l’école, le directeur connaît néanmoins son âge : 13 ans, soit justement l’âge requis pour être présenté devant les tribunaux pour enfants. Cette déclaration fait alors naître de nouvelles hypothèses. Le Progrès évoque la possibilité qu’un « excitateur de quelques années plus âgé que les agresseurs »97 ait participé. Il est alors manifeste que cette hypothèse a permis d’alléger la responsabilité des enfants en la faisant aussi porter par cet « excitateur » qui n’a d’ailleurs jamais été retrouvé.

91 « La mort tragique du petit Paul Gignoux », Le Progrès,26 avril 1937. 92 « La mort tragique du petit Gignoux, Le Progrès, 27 Avril 1937. 93 Ibidem. 94 « ‘’ Le petit Gignoux n’a pas été assassiné ni lapidé, ni lynché par ses camarades ‘’affirme sans honte «’’la presse qui ment ’’», Le Nouvelliste ,3 mai 1937. 95 Ibidem. 96 « Des enfants de chômeurs lapident un ‘’fasciste ‘’ de 7 ans et le tuent », L’Action française,27 avril 1937. 97 « Les obsèques du petit Paul Gignoux auront lieu aujourd’hui à 10 heures »,Le Progrès,28 avril 1937. 23 L’Affaire du « petit Gignoux »

La responsabilité des parents dans l’Affaire est évoquée à de multiples reprises et par différents acteurs. Celle-ci est alors mentionnée pour mettre en avant un manque de surveillance des enfants par leurs parents, ou pour critiquer l’atmosphère politique dans laquelle ils sont éduqués. M. Bruyas dans son intervention devant le Conseil municipal de Lyon le 26 avril, affirme la responsabilité des parents des agresseurs dans l’Affaire. Il explique que le fait que ces enfants soient issus de familles nombreuses implique qu’ils ne sont pas assez surveillés par leurs parents : « Chez la plupart d’entre-elles [des familles nombreuses], le père et la mère travaillent l’un et l’autre au dehors. Il leur est dès lors difficile d’exercer sur leurs enfants une surveillance effective et régulière »98. Aussi, M. Raymond confirme dans son interview99 que les parents ont « une grave responsabilité » dans cette Affaire. Enfin, Le Nouvelliste évoque aussi le rôle des parents dans le drame en décrivant les agresseurs du petit Gignoux comme : « déchainées par les excitations à la haine de leurs parents ». Une troisième responsabilité évoquée est celle des témoins de la scène qui ne sont pas intervenus. Le Nouvelliste affirme clairement leur responsabilité dans son édition du 28 avril 1937 : « Quant aux témoins qui auraient pu intervenir et empêcher ainsi la mort de ce jeune enfant, ils ont encouru une grosse responsabilité-tout au moins morale »100. Plus tard, le 5 mai, le journal révèle des éléments de l’enquête qui attestent qu’une femme aurait assisté à la scène sans intervenir. Le quotidien affirme même que celle-ci « riait à gorge déployée […]et semblait prendre un plaisir extrême à la vue de la cruauté des gamins en furie »101. Enfin, la responsabilité des témoins de la scène est confirmée par E. Herriot qui pendant le Conseil municipal déclare : « Si de grandes personnes ont assisté à l’agression sans intervenir, elles doivent être considérées comme des complices » 102.

IV. L’exploitation politique de l’enquête Pendant l’enquête sur l’Affaire Gignoux, on observe que la presse utilise les derniers éléments de celle-ci afin de souligner la brutalité de l’attaque dont a été victime l’enfant, ou au contraire afin de minimiser le rôle de l’attaque des « gones de la cité » dans la mort du petit Gignoux. Cette exploitation de l’enquête peut être synthétisée à travers deux controverses: celle concernant la nature du choc cérébral de Paul Gignoux, et celle concernant la taille des cailloux retrouvés sur les lieux de l’attaque.

« Choc commotionnel » contre « choc émotionnel » En premier lieu, la différence de diagnostics entre le Docteur Branche qui avait ausculté Paul Gignoux peu avant sa mort et les médecins légistes donne naissance à deux thèses différentes sur les causes de sa mort : la thèse du choc commotionnel et celle du choc émotionnel. La thèse du choc commotionnel défendue par le Docteur Branche établit un lien direct entre les coups reçus par l’enfant et son décès. La thèse du choc émotionnel, implique que le petit Gignoux ne serait pas mort directement suite aux coups reçus mais

98 PV des délibérations du Conseil municipal de Lyon, 26 avril 1937, AML. 99 « La mort tragique du petit Gignoux, Le Progrès, 27 Avril 1937. 100 « La mort tragique de Paul Gignoux », Le Nouvelliste, 28 avril 1937. 101 « Après le meurtre du petit Gignoux », Le Nouvelliste ,5 Mai 1937 102 PV des délibérations du Conseil municipal de Lyon, 26 avril 1937, AML. 24 Partie I : L’Affaire Paul Gignoux

plutôt suite à l’émotion suscitée par l’attaque. Les journaux proches de la coalition du Front Populaire tels que Le Populaire, ou L’Humanité, défendent la thèse du choc émotionnel pour alléger la responsabilité des enfants de la cité de Lasalle dans la mort de Paul Gignoux. Au contraire, les journaux opposés à la politique du Front Populaire ou qui émettent des réserves quant à celle-ci, défendent la thèse du choc commotionnel qui établit un lien direct entre l’attaque et la mort de Paul Gignoux. Ainsi, Le Populaire, dans son édition du 27 avril 1937103 fustige « la presse fasciste » et sa politisation de la mort de Paul Gignoux en s’appuyant sur les résultats de l’autopsie : « Dommage pour elle que l’autopsie vienne de révéler que la mort du jeune Gignoux n’est pas consécutive aux coups reçus, ‘’mais à un choc émotionnel’’ ». L’Humanité, dans son édition du 27 avril104, adopte une attitude moins défensive que Le Populaire. En effet, le journal contrairement à Le Populaire, ne présente pas les conclusions de l’autopsie comme une preuve contre l’utilisation politique de la mort de Paul Gignoux. Bien que L’Humanité évoque les conclusions de l’autopsie, celles-ci ne sont pas directement présentées en tant que preuve d’un choc émotionnel. Cependant, on remarque qu’elles sont introduites directement après que le journal ait critiqué les « campagnes infâmes » 105de la « presse fasciste »106. Cette position est d’ailleurs critiquée par Le Nouvelliste qui cite un extrait de l’article de L’Humanité du 27 avril dans un paragraphe intitulé ironiquement: « l’ ‘’Humanité ‘’ continue à dire la vérité »107. Le journal s’interroge alors sur la thèse du choc émotionnel: « comment expliquer que le visage du petit Paul était couvert de sang »108. De plus, Le Nouvelliste dans son édition du 3 mai 1937 109 dénonce la « presse qui ment ». En effet, le journal critique tout d’abord la position de la presse « d’extrême gauche » qui minimise le rôle des coups reçus par le petit Gignoux dans sa mort. Ainsi, le journal s’insurge contre la thèse du choc émotionnel : « La presse d’extrême gauche, qui sait si bien exploiter la mort des pensionnaires de pénitenciers et qui, pour mieux montrer la révoltante partialité de ses appels à la pitié et à la justice, tentait depuis quelques jours d’établir que le petit Paul Gignoux, victime de l’abominable lapidation publique que l’on connaît, est mort de peur, d’émotion et non sur les coups de vingt petites brutes ». De plus, le journal dénonce : « Une campagne de défense de la lâcheté et du crime » en faisant référence à un article publié dans l’organe lyonnais du Front Populaire le 2 mai 1937. Le journaliste aurait conclu, concernant la mort de Paul Gignoux : « Il est mort parce que son heure est venue », se basant sur les conclusions de l’autopsie. Ainsi, le 3 mai110 , Le

103 « La presse fasciste tente d’exploiter le cadavre du petit Gignoux », Le Populaire, 27 avril 1937. 104 « La mort tragique d’un enfant de neuf ans à Lyon », L’humanité, 27 avril 1937. 105 Ibidem. 106 Ibid. 107 « La mort tragique de Paul Gignoux »,Le Nouvelliste,28 avril 1937. 108 Ibidem. 109 « ‘’ Le petit Gignoux n’a pas été assassiné ni lapidé, ni lynché par ses camarades ‘’affirme sans honte «’’la presse qui ment ’’»,Le Nouvelliste ,3 mai 1937. 110 Ibidem. 25 L’Affaire du « petit Gignoux »

Nouvelliste utilise la lettre du Dr Branche publiée dans Le Progrès le 2 mai afin de réaffirmer la thèse du choc commotionnel contre celle du choc émotionnel que le journal résume avec sarcasme : « Il est mort, parce que son cœur, trop fragile, a flanché au cours d’une de ces mêlées enfantines »111. Après avoir publié la lettre du Dr Branche, le journal conclut : « Telle est la nette, l’irréfutable déclaration du médecin. L’Affaire est jugée ! ». L’Action française semble aussi ne retenir que la thèse du choc commotionnel. En effet, si le quotidien évoque le rapport d’autopsie, il l’évoque seulement pour préciser que les médecins ont constaté un œdème pulmonaire lors de l’autopsie de Paul Gignoux. Le journal n’évoque à aucun moment la possibilité que le petit Gignoux ait pu mourir d’un choc émotionnel. Enfin, Le Progrès introduit la thèse du choc émotionnel avec prudence. En effet, le journal précise : « D’autant que si l’on tient pour définitive l’expertise médico-légale de M. le professeur Etienne Martin, rien n’est moins sûr de la réalité de ces coups mortels. ». Cependant, cette apparente impartialité du quotidien est à nuancer. En effet, le 22 mai , après que le rapport d’autopsie ait été transmis au juge Faure-Pinguely et que le Docteur Branche et le Docteur Martin se soient accordés pour affirmer que l’attaque subie par Paul Gignoux était la cause directe de la mort de celui-ci, Le Progrès attribue la polémique sur les causes de la mort de Paul Gignoux à ceux « qui, contre toute évidence, tendaient à minimiser cette triste Affaire en la réduisant à une simple conjoncture malheureuse »112.En d’autres termes , le quotidien attaque directement les journaux qui ont défendu la thèse du choc émotionnel. Ainsi, le « grand organe radical du Rhône »113 se démarque de la position retenue par les journaux affiliés au Front Populaire sur la thèse du choc émotionnel. En effet, on constate que malgré le ralliement des radicaux au Front Populaire, Le Progrès se montre réservé face à la politique du Gouvernement dès 1936 114.

La controverse liée à la taille des pierres retrouvées sur les lieux Un autre clivage dans le traitement de l’information par la presse concerne la taille et le poids des pierres retrouvées sur les lieux du crime115. Au début de l’enquête, les inspecteurs de la Sûreté avaient ramassé des pierres sur les lieux de l’attaque dont le poids et la taille importants les avaient intrigués. Comment des enfants de 8 à 12 ans ont pu projeter des pierres aussi volumineuses ? Cette question est soulevée par Le Progrès : « les galets qu’on a trouvé sur le lieu de la bagarre paraissent trop grands pour que des mains, des bras d’enfants de 7 à 9 ans , puissent en faire des projectiles aussi vulnérants »116. Cette interrogation qui peut paraître anecdotique a donné lieu à plusieurs interprétations. Certains journaux vont conclure que les cailloux n’ont pu être lancés au visage de Paul Gignoux par des enfants, leur poids étant trop important. Cette dernière thèse est alors confirmée par celle du choc émotionnel. L’autopsie n’ayant révélé de lésion du crâne, l’enfant n’a pas pu être blessé à la tête par de grosses pierres. Cette position tout comme la thèse du choc émotionnel minimise le rôle des enfants dans la mort du petit Gignoux. Ainsi, on

111 Ibidem. 112 « La mort du petit Paul Gignoux », Le Progrès,22 mai 1937. 113 CAU Y., ‘’Le Progrès’’ : Un grand quotidien dans la guerre, Lyon, P.U de Lyon, 1996, p. 12. 114 BEGHAIN P., BENOÎT B., CORNELOUP, THEVENON B., Dictionnaire historique de Lyon, Stéphane Bachès, 2009 , p. 1058. 115 Selon Le Populaire estime que certains font près de 700 à 800 grammes dans son édition du 26 avril. 116 « La mort tragique du petit Paul Gignoux », Le Progrès,26 avril 1937. 26 Partie I : L’Affaire Paul Gignoux

remarque que la presse proche du Front Populaire, a tendance à soutenir cette première thèse. La taille importante des cailloux retrouvés sur les lieux de l’attaque prouve selon ces derniers qu’ils n’ont pu être lancés à la tête de Paul Gignoux par des enfants. Ainsi, bien que L’Humanité reconnaisse que des pierres aient été lancées sur le petit Gignoux, le journal doute que celles-ci aient atteint son visage : « il est certain, aussi, que les petits agresseurs durent lancer de grosses pierres mais elles étaient trop lourdes pour eux, et elles atteignirent Paul Gignoux aux jambes, lui causant des plaies très étendues et assez profondes »117. Au contraire, d’autres journaux considèrent que le poids des pierres retrouvées prouve que le petit Gignoux a été frappé à terre par les enfants armés de ces pierres. Cette dernière thèse affirme alors la brutalité de la mort du « petit Gignoux ». Cette seconde thèse est notamment défendue par L’Action française qui titre le 3 mai 1937 : « Le petit Gignoux a bien été tué à coups de pavés » 118. Au final, Le 4 mai 1937, le juge d’instruction convoque le Professeur Etienne Martin après avoir entendu le Docteur Branche afin de comprendre la différence de diagnostic. Or, le Professeur affirme qu’il n’y a pas de différence entre les deux diagnostics et que l’enfant a bien subi à la tête des coups violents qui ont lui provoqué un hématome au cerveau 119. Au final, le décès serait dû à : « un choc émotionnel, ce qui est fort rare, ou par choc commotionnel, ou par les deux »120. Cependant, le 22 mai 1937121, Le Progrès révèle que le juge Faure-Pinguely vient de recevoir le rapport d’autopsie qui concorde avec le diagnostic du Docteur Branche et qui met fin à la thèse du choc émotionnel. En effet, le journal affirme : « sur le point essentiel, la cause immédiate de la mort du petit Gignoux, ils confirment les conclusions réitérées du docteur Branche, « la mort » , disent-ils, « est en relation directe avec les traumatismes subis par le garçonnet ». Le quotidien résume alors les conclusions de l’expertise en ces termes : « l’enfant a succombé aux coups qui lui ont été portés ». Ainsi, nous avons pu constater la « dispute publique »122 autour des éléments de l’enquête sur la mort de Paul Gignoux. Cette Affaire, qui n’aurait pu être qu’un fait divers local, a très vite été relayée par la presse nationale et a alimenté les controverses déjà bien vives sur la politique du Front Populaire. L’Affaire Gignoux permet de comprendre l’état de la vie politique en France à l’époque du premier Gouvernement Blum en révélant à la fois le positionnement de différents acteurs politiques autour de l’action du FP mais aussi en révélant l’intensité des confrontations politiques de l’époque.

117 « La mort tragique du petit Paul Gignoux », L’Humanité,5 mai 1937. 118 « Le petit Gignoux a bien été tué à coups de pavés », L’Action française ,3 mai 1937. 119 « La mort du petit Gignoux », Le Progrès, 5 mai 1937. 120 Ibidem. 121 « La mort du petit Paul Gignoux », Le Progrès, 22 mai 1937. 122 Ibidem. 27 L’Affaire du « petit Gignoux »

Partie II : L’Affaire Gignoux comme illustration de la vie politique en France sous le premier Gouvernement Blum.

Afin d’étudier les affrontements politiques autour de l’Affaire Gignoux, il a tout d’abord fallu sélectionner les journaux, les organisations et les personnages politiques les plus représentatifs des principales tendances politiques de l’époque. Ainsi, la SFIO sera représentée par Le Populaire son organe de presse officiel. Aussi, L’Humanité et la lettre de L’Union des syndicats ouvriers du Rhône nous permettront de comprendre la position du parti communiste et de la CGT sur le sujet. La position du Parti radical sera représentée à l’échelle locale dans notre travail à la fois par Le Progrès, et par la réaction du Maire de Lyon : E. Herriot. Cette analyse nous permettra de mettre en évidence l’interprétation différente de l’Affaire formulée par Le Progrès et par le Maire qui sont pourtant de sensibilité politique radicale.123 Aussi, nous étudierons la position de la ligue des droits de l’Homme exprimée dans une lettre publiée par Le Progrès. Nous observerons aussi la réaction de l’extrême droite à travers la presse avec L’Action française et L’Alerte : organe de liaison des Jeunesses patriotes. Cette position sera complétée par les positions d’un des principaux intellectuels d’extrême droite de l’époque : R. Brasillach et aussi par celle de Jacques Doriot chef du PPF. Aussi, il nous faudra étudier la position du principal quotidien catholique national : La Croix sur l’Affaire Gignoux. Enfin, nous rapporterons les interpellations concernant l’Affaire Gignoux, lancées par des députés de l’opposition contre le Gouvernement de E.Herriot. L’ensemble de ces observations nous permet de dégager principalement deux positions dans le traitement de l’Affaire par la presse, les intellectuels et les hommes politiques contemporains à celle-ci. La première thèse refuse toute politisation de l’agression. Elle défend l’idée que Paul Gignoux a été victime d’une « bataille de gosses »124. L’autre position affirme le caractère politique de l’attaque et présente Paul Gignoux comme un « martyre »125 de la « lutte des classes »126. L’Action française résume ces deux positions trois jours après le décès le Paul Gignoux : « L’enfant, qui sortait de chez lui à bicyclette pour vendre des billets d’une œuvre d’enseignement libre, a été attaqué comme ‘’fasciste ‘’ ». Une autre version tend à accréditer le bruit que Paul Gignoux a été victime d’une simple rixe de gamins et qu’il a été pris à parti en raison de son « extérieur soigné d’enfant riche »127. Ainsi, L’Affaire Gignoux doit être comprise comme un révélateur du climat politique français de la

123 Au printemps 1937, une partie des radicaux exprime son mécontentement quant à la politique générale du FP. C’est le cas de l’association des Jeunesses radicales, ou encore de journalistes rassemblés autour d’Emile Roche et de son journal la République. 124 « la presse fasciste tente d’exploiter le cadavre du petit Gignoux », Le Populaire, 27 avril 1937. 125 « ‘’ Le petit Gignoux n’a pas été assassiné ni lapidé, ni lynché par ses camarades ‘’affirme sans honte «’’la presse qui ment ’’», Le Nouvelliste ,3 mai 1937 126 « Des enfants de chômeurs lapident un ‘’fasciste ‘’ de 7 ans et le tuent », L’Action française,27 avril 1937. 127 Ibidem. 28 Partie II : L’Affaire Gignoux comme illustration de la vie politique en France sous le premier Gouvernement Blum.

fin des années 30. La mort de Paul Gignoux amène différents acteurs politiques à traiter l’Affaire comme une affaire politique ou comme un simple fait divers. Or, on s’aperçoit que le positionnement de ces acteurs dans l’Affaire Gignoux correspond à leur positionnement concernant l’Action du Front Populaire.

Chapitre I : L’Affaire Gignoux, une bagarre d’enfants à ne pas politiser

Le souhait de ne pas politiser l’Affaire Gignoux est exprimé en premier lieu par le père de Paul Gignoux : Octave Gignoux. En effet, Le Populaire128 affirme qu’il avait souhaité « dès les premières heures » que l’on ne cherche pas de causes politiques à la mort de son fils. Le journal révèle d’ailleurs qu’il aurait demandé à un « journal réactionnaire » de ne pas politiser l’Affaire. Le Progrès129 rapporte que selon le père, le petit Gignoux n’aurait jamais fait de propagande politique. Plusieurs quotidiens tels que Le Populaire, L’Humanité et Le Progrès face aux polémiques que soulève la mort du « petit Gignoux » prennent alors le parti de présenter l’Affaire comme une « simple » rixe entre enfants. Cette position est aussi celle de deux organisations : la ligue des droits de l’Homme et l’Union syndicale des ouvriers de France.

I. L’Affaire Gignoux traitée comme une bagarre d’enfants dans la presse En premier lieu, l’appel à ne pas politiser l’Affaire Gignoux, lancé par M. Octave Gignoux est suivi par les journaux proches du Front Populaire. En effet, le Populaire met en garde dès le 27 avril130 contre une exploitation de l’Affaire à des fins politiques par la presse fasciste. A travers le sous-titre de l’article : « D’une bataille de gosse elle essaie de faire une bagarre politique ! », on constate que le journal prend position pour la non politisation de l’Affaire : celui-ci a été victime d’une « bataille de gosse » avec « pour mobile toute autre chose que la politique ». En effet, Le Populaire rapporte les moqueries dont a été victime le « petit Gignoux » et qui ne sont pas liées à la politique. Celui-ci aurait seulement été traité de fille par les autres enfants. D’ailleurs, le journal révèle que la petite fille qui a giflé Paul Gignoux aurait dit aux inspecteurs qu’elle l’avait giflé car : « il avait l’air d’une petite fille et qu’il avait crié :’’Tas de crétins’’»131. Cependant, le quotidien va plus loin que le rejet de la thèse de la « bagarre politique ». En effet, celui-ci cherche aussi à établir la responsabilité de l’enfant. Contrairement à d’autres quotidiens comme Le Progrès, Le Nouvelliste, L’Humanité, ou encore L’Action française qui présentent Paul Gignoux seulement comme une victime, Le Populaire le présente comme prenant part à la bataille. Le journal décrit la scène comme un « échange de

128 « La presse fasciste tente d’exploiter le cadavre du petit Gignoux »,Le Populaire,27 avril 1937 129 « La mort tragique du petit Paul Gignoux », Le Progrès,26 avril 1937 130 « La presse fasciste tente d’exploiter le cadavre du petit Gignoux », Le Populaire, 27 avril 1937. 131 Ibidem. 29 L’Affaire du « petit Gignoux »

cailloux comme il y’en a toujours dans les batailles d’enfants »132. De plus, afin de légitimer ses propos, il rajoute que : « il est prouvé par des témoignages » que le petit Gignoux lançait aussi des pierres. Le Populaire rapporte alors qu’un enfant serait venu à son secours et lui aurait conseillé de fuir mais que celui-ci aurait désiré rester pour continuer la bataille. Il aurait même déclaré : « Ils ont commencé, je veux finir. »133. Ainsi, l’image que donne Le Populaire à la confrontation du 24 avril rompt clairement avec les descriptions des autres quotidiens. Le petit Gignoux n’est pas présenté comme victime de l’attaque mais comme un belligérant tout aussi responsable que les autres. Le journal rajoute d’ailleurs à son propos : « la petite victime se trouvait à ce moment-là, très surexcitée ». En plus de sa responsabilité dans la bagarre, le petit Gignoux partage aussi une part de responsabilité dans la gifle qu’il a reçue, d’après la déclaration de la fille rapportée par Le Populaire. La fille aurait giflé le petit Gignoux non seulement parce qu’il ressemblait à une fille mais aussi parce qu’il aurait traité les enfants de tas de crétins. Bien que L’Humanité ne cherche pas à prouver une certaine part de responsabilité de Paul Gignoux dans sa mort, le journal critique vivement toute tentative de politisation de l’attaque. Ainsi, le 26 avril, le quotidien montre du doigt les « procédés odieux de certains journaux réactionnaires et fascistes »134 qui osent parler d’ « attentat politique ». En effet, selon L’Humanité, les enfants en cause sont trop jeunes pour « faire de la politique ». De plus, il affirme le lendemain que l’enquête écarterait la thèse de la bataille politique : « La Sûreté continue son enquête sur la mort du petit Paul Gignoux. De nouveaux témoins ont été entendus. Il semble que la thèse de la bagarre politique doive être abandonnée complétement »135. Par conséquent, L’Humanité : organe du parti communiste, et Le Populaire : organe de la SFIO défendent l’idée d’une bagarre entre enfants qui aurait dégénéré. Il faut rappeler que le parti communiste est à l’époque membre de la coalition du Front Populaire bien qu’il ne gouverne pas. Les deux journaux ont compris l’enjeu de l’Affaire Gignoux, qui est utilisée par les partis politiques critiquant le Front Populaire. En effet, L’Humanité explique à deux reprises que l’intérêt pour « la presse réactionnaire » de politiser l’Affaire est de critique l’action du Front Populaire. Ainsi, le quotidien affirme « Ces assertions faites dans le but de nuire au Front Populaire » 136. De même, selon le journal, l’Affaire « aura montré, dans sa haine imbécile du Front Populaire, à quels procédés elle n’hésite pas à avoir recours »137 Enfin, Le Progrès doute du caractère politique de l’attaque et penche plutôt pour la thèse de la « simple » bagarre d’enfants du même quartier. Alors que le journal se démarquait du Populaire ou de L’Humanité dans le débat sur la nature de la mort de Paul Gignoux, celui- ci refuse une politisation de l’Affaire. En effet, dans son édition du 26 avril138 , le quotidien exprime son scepticisme : « Le petit Gignoux aurait été considéré comme un ‘’fasciste !’’ A cet âge ! ». Le journal ajoute : « Ce serait dépasser de beaucoup la constatation des faits,

132 Ibidem. 133 Ibidem. 134 « Au cours d’une bataille entre gosses un pauvre enfant est frappé mortellement », L’Humanité, 26 avril 1937. 135 « La mort tragique d’un enfant de neuf ans à Lyon », L’humanité, 27 avril 1937. 136 « Au cours d’une bataille entre gosses un pauvre enfant est frappé mortellement », L’Humanité, 26 avril 1937. 137 « La mort tragique d’un enfant de neuf ans à Lyon », L’humanité, 27 avril 1937. 138 « La mort tragique du petit Paul Gignoux », Le Progrès,26 avril 1937.. 30 Partie II : L’Affaire Gignoux comme illustration de la vie politique en France sous le premier Gouvernement Blum.

déjà si attristants, que de voir là une algarade politique ». Le 27 avril139, le quotidien admet que les enfants aient pu traiter le petit Gignoux de « Fasciste, Croix de feu ! ». Cependant, le journal affirme être en présence d’une « bagarre enfantine »140. Les enfants auraient en fait traité le petit Gignoux de fasciste, car ils étaient à court d’arguments. Ainsi, parmi les journaux étudiés, trois journaux refusent de donner à cette Affaire une interprétation politique. Or, on ne constate que ces trois journaux : L’Humanité, Le Populaire et Le Progrès représentent tous trois des partis membres de la coalition du Front Populaire.

II. Les positions de la LDH et de l’Union des syndicats ouvriers du Rhône

La ligue des droits de l’homme La ligue des droits de l’Homme (LDH) a été fondée en 1898 à l’occasion de l’Affaire Dreyfus « pour défendre un innocent victime de l’antisémitisme et de la raison d’État »141. La ligue, qui dans les années 30, participe à plusieurs rassemblements antifascistes142répond à l’appel de la SFIO le 14 Juillet 1935 à participer à une marche unitaire au côté de la SFIO, du Parti radical, du parti communiste, de la Confédération générale du travail (CGT ), et de la Confédération générale du travail unifiée (CGTU)143. Ce rassemblement conduit à la création, le lendemain du Comité national du rassemblement populaire (CNRP): un « simple organe de liaison »144 entre les différents groupes qui ont participé à la marche antifasciste, mais qui a pour fonction d’établir un programme d’action commun. Or, ce Comité est dirigé par un comité directeur qui rassemble dix organisations dont la LDH. Ainsi, La ligue des droits de l’Homme apparaît comme une organisation proche du Front Populaire dès sa genèse. Elle partage d’ailleurs sa position concernant l’Affaire Gignoux. En effet, le 4 mai 1937, Le Progrès145 publie une lettre de la ligue envoyée au quotidien , appelant à ne pas politiser l’Affaire. 146 En effet, la LDH regrette que la mort du « petit Gignoux » soit utilisée à des fins politiques par une « presse partiale ». Elle appelle d’ailleurs d’autres organisations : « républicaines et ouvrières » à se joindre à cet appel. La ligue des droits de l’Homme, tout comme L’Humanité, dévoile l’enjeu du débat en expliquant les raisons pour lesquelles certains journaux tentent de politiser l’Affaire. En effet, d’après la ligue, cette Affaire est utilisée comme une « arme »147 contre l’école laïque et contre la république Populaire. Le petit Gignoux était parti vendre le 24 avril des billets de tombola au profit de l’enseignement libre et avait été attaqué par des enfants scolarisés dans une école laïque.

139 « La mort tragique du petit Gignoux, Le Progrès,27 Avril 1937. 140 Ibidem. 141 Une brève histoire de la ligue des droits de l’Homme et du citoyen,[support]. Paris,2010. Consultable sur internet : [consulté le 20 mai 2011]. 142 Ibidem. 143 BERSTEIN S., MILZA P.,Op.cit. 144 SIRINELLI J.F, Op.cit., p.134 145 « L’Affaire de la rue Hénon »,Le Progrès,4 mai 1937. 146 Annexe VI 147 « L’Affaire de la rue Hénon »,Le Progrès,4 mai 1937. 31 L’Affaire du « petit Gignoux »

De plus, la LDH révèle l’enjeu de l’Affaire qui est selon elle de critiquer la politique du Front Populaire. Enfin, la ligue s’insurge contre la détention des enfants de la cité de Lasalle décidée par le juge d’instruction. Or, le placement des enfants à l’Hôtel Dieu n’avait jusqu’à maintenant pas fait l’objet de critiques. Pas même par Le Populaire qui avait insisté sur la responsabilité de Paul Gignoux dans sa mort. La LDH indique d’ailleurs sa volonté de saisir le ministre de la justice car cette détention a pour elle été appliquée : « au mépris des règles les plus élémentaires de la justice ».

L’Union des syndicats confédérés du Rhône Le même jour que la publication de la lettre de la LDH , Le Progrès publie une lettre de l’Union départementale des syndicats confédérés du Rhône148. Le syndicat ouvrier qui est une branche de la Confédération générale du travail (CGT) répond alors à l’invitation lancée par la LDH à se joindre à son appel. Or, tout comme la LDH, la CGT était aussi membre du CNRP en Juillet 1935. La CGT et donc l’Union des syndicats confédérés du Rhône sont donc des organisations proches du front Populaire. La position de l’Union concernant l’Affaire Gignoux est d’ailleurs la même que celle défendue par L’Humanité, Le Populaire et Le Progrès. L’Affaire Gignoux est une « querelle d’enfants et rien d’autre »149. Le petit Gignoux a été victime d’une « bataille regrettable entre garçons et filles du même âge et du même quartier ». Cette dernière formule mérite que l’on s’y arrête car elle coïncide avec la position de l’organe de la SFIO : Le Populaire concernant la mort de Paul Gignoux. Celle-ci se base sur deux éléments : un rapport de forces égales au cours de la bataille, et une querelle non politique. En parlant de bataille entre filles et garçons du même âge, l’Union des syndicats présente l’attaque du 24 avril comme une bagarre entre forces égales. L’organisation ajoute que les participants étaient du même quartier. L’Union insinue ainsi que les enfants étaient tous de la même classe sociale, ce qui coupe court aux arguments de certains journaux qui présentent Paul Gignoux comme victime de la « lutte des classes »150. Enfin, l’Union des syndicats se joint à la LDH pour la libération des enfants qui ne peuvent être considérés comme responsables au regard de leur âge. Cette position est d’ailleurs appuyée par un autre syndicat : le Cartel du bâtiment de Lyon dans le même article du Progrès qui réclame la « libération immédiate des enfants ». Ainsi, comme on peut le remarquer, la thèse de la simple rixe entre « gones » est partagée par des forces politiques proches du Front Populaire comme la LDH , l’Union des syndicats ouvriers ou encore les journaux L’Humanité, Le Populaire et Le Progrès. L’explication de l’enjeu du débat par L’Humanité et la LDH montre que les forces politiques de l’époque ont bien saisi l’enjeu que représentait l’Affaire Gignoux qui dépasse le simple fait divers et qui fait du tort au Gouvernement du Front Populaire. La thèse adverse donne un caractère politique à l’attaque. Cependant, au sein de cette thèse, deux positions sont exprimées. Pour certains, c’est le FP qui est à incriminer dans cette Affaire. Le « petit Gignoux » est une victime de sa politique. D’autres acteurs politiques constatent le caractère politique de l’attaque subie par Paul Gignoux, ils ne la mettent pas sur le compte du FP mais plutôt sur le compte du climat politique général et des confrontations politiques violentes entre extrême droite et extrême gauche.

148 Annexe VII 149 « L’Affaire de la rue Hénon »,Le Progrès,4 mai 1937. 150 « Des enfants de chômeurs lapident un ‘’fasciste ‘’ de 7 ans et le tuent », L’Action française,27 avril 1937. 32 Partie II : L’Affaire Gignoux comme illustration de la vie politique en France sous le premier Gouvernement Blum.

Chapitre II : L’Affaire Gignoux, une affaire de nature politique

Face aux positions décrites précédemment, une partie de la presse, des élus et des intellectuels perçoivent l’attaque dont le petit Gignoux a fait l’objet, tout à fait différemment. En effet, selon eux, le garçon n’a pas été victime d’une simple rixe entre enfants mais plutôt d’une attaque pour des raisons politiques. Ainsi, cet évènement est pour certains l’occasion idéale d’interpeller le Gouvernement du Front Populaire à propos de sa politique qui est, pour eux, à l’origine de cette violence. Cette attitude est surtout adoptée par l’extrême droite, mais pas seulement. D’autres remarquent le caractère politique de l’attaque, cependant, ils ne l’utilisent pas afin d’incriminer le Front Populaire mais plutôt pour critiquer l’atmosphère politique dans laquelle est plongée la France à la fin des années 30.

I. Le « petit Gignoux », victime de la politique du Front Populaire.

La position de l’extrême droite L’Action française titre, pour son premier article concernant l’Affaire Gignoux, « Des enfants de chômeurs lapident un « fasciste » de 7 ans et le tuent »151. Ce titre à lui seul indique la position défendue par le Front Populaire dans sa couverture de l’Affaire Gignoux. Le petit Gignoux a été victime de la lutte des classes. En effet, à travers l’expression « enfants de chômeurs », le journal désigne clairement les enfants d’ouvriers. La classe ouvrière a été particulièrement touchée par la crise des années 30 : 465 000152 ouvriers sont au chômage en 1936. Ainsi, L’Action française présente l’Affaire Gignoux comme l’attaque d’un enfant considéré comme fasciste par des enfants d’ouvriers. Le journal y voit le résultat de la lutte des classes : « le petit Gignoux a été victime de l’atroce ‘’lutte des classes’’ prêchée par le juif Karl Marx et chère à son disciple et juif Léon Blum »153. Le quotidien désigne les «vrais responsables » de cette attaque : « les journaux et les orateurs du Front Populaire »154. Léon Daudet, confirme cette thèse le 1er Mai155 dans un article intitulé : « Les effets de la lutte de classe ». A travers : « l’assassinat, à Lyon, d’un enfant qualifié de ‘’riche’’ et de ‘’fasciste’’ par d’autres enfants élevés dans la haine », « Blum récolte ce que lui et ses collaborateurs ont semé ». Cette position est également celle des Jeunesses Patriotes. Cette ancienne ligue d’extrême droite créée en 1924 par Pierre Taittinger a été dissoute par le Front Populaire. Cependant, l’organisation continue à produire un « bulletin de liaison » pour la région lyonnaise : « L’Alerte ». En mai 1937156, L’Alerte explique que le petit Gignoux avait été « assassiné par d’autres enfants qui avaient subi la criminelle promiscuité marxiste et qu’une éducation marquée par la haine des classes avait préparé à cette abominable aventure ». Encore une fois, le garçon est présenté comme martyr de la lutte des classes. 151 Ibidem. 152 BERSTEIN S, La France des années 30, Op.cit. ,p. 48. 153 « Des enfants de chômeurs lapident un ‘’fasciste ‘’ de 7 ans et le tuent », L’Action française,27 avril 1937. 154 ibidem 155 er DAUDET Léon, « Les effets de la lutte de classe », L’Action Française,1 Mai 1937. 156 « Jeunesses nationales », L’Alerte, Mai 1937 ,Numéro 41. 33 L’Affaire du « petit Gignoux »

Le Gouvernement Blum est d’ailleurs montré du doigt par L’Alerte dans lequel on peut lire en Octobre 1937 157: « Le Gouvernement de M. Blum a laissé tuer le petit Gignoux ». Si la presse d’extrême droite voit en l’assassinat du petit Gignoux un acte politique, des intellectuels prennent le même parti. Le normalien : , collaborateur au journal « de droite extrême »158 : évoque brièvement l’Affaire dans son livre Notre avant-guerre 159 publié en 1941. L’auteur décrit la période «à partir de Mai 1936 » comme étant « parmi les époques les plus folles qu’ait vécues la France. Les plus nuisibles, sans doute ». En faisant commencer cette période en Mai 1936, R. Brasillach cible directement la période du Front Populaire qui gagne les élections législatives le 3 Mai 1936. Il poursuit en évoquant différents évènements qui ont marqué la période, tels que « la mort de ce petit garçon de sept ans, Paul Gignoux, tué par des enfants à Lyon » dont la cause est qu’il « portait des billets pour une vente de charité et qu’il était donc un petit fasciste ». Ainsi, la mort de Paul Gignoux, selon R. Brasillach, a bien des origines de nature politique. De plus, le Front Populaire est directement incriminé dans cette Affaire qui est présentée comme un exemple de son action « nuisible » pour la France. Enfin, le créateur du PPF, Jacques Doriot dans un discours lors du premier congrès de l’Union populaire de la jeunesse française le 22 Mai à Saint Denis évoque l’Affaire Gignoux et montre du doigt le Parti communiste : « Le parti communiste promet « le bonheur et l'amour » et il fait assassiner le petit Gignoux »160 . Pour J. Doriot, c’est le parti communiste qui est à l’origine du climat de violence de nature politique de l’époque.

Les interpellations au sein de l’hémicycle Si l’extrême droite utilise la mort du petit Gignoux pour critiquer l’action du Front Populaire, celle-ci est aussi utilisée par des députés qui ne font pas partie de la majorité Front Populaire à l’Assemblée et qui profitent de l’Affaire Gignoux pour critiquer la politique du Gouvernement. Ainsi, le 6 Mai 1937161 , Le Progrès rapporte que le député républicain indépendant162 du Rhône : Alfred Elmiger, avait adressé une lettre au Président de la Chambre des députés afin d’interpeler Léon Blum sur l’Affaire Gignoux lors de l’assemblée du 7 Mai. Le journal donne d’ailleurs un extrait de cette demande. « J’ai l’honneur de demander d’interpeller M. le président du conseil sur la politique générale du Gouvernement, empreinte notamment de faiblesse devant l’esprit de haine, qui tend à se généraliser dans la nation et que la mort tragique de l’enfant Paul Gignoux, à Lyon, illustre d’une manière effroyable. Je demande la jonction de cette interpellation avec celles discutées le vendredi 7 mai prochain ». Ainsi, le 7 mai, l’Affaire Gignoux fait son entrée au sein de l’hémicycle. Le député de la Vienne, Pierre Colomb élu sous l’étiquette : Gauche démocratique et radicale

157 « Après Nuremberg », L’Alerte, Octobre 1937, Numéro 44. 158 BERSTEIN S., MILZA P., Op.cit. ,p. 81 159 BRASILLACH R, Op.cit., p.189. 160 « Le premier Congrès National de l’Union Populaire de la Jeunesse Française s’est déroulé à Saint Denis, les 22 et 23 Mai, au milieu d’un enthousiasme indescriptible », Le libérateur du Sud-Ouest,27 Mai 1937 ,numéro 27. 161 « La mort du petit Gignoux », Le Progrès, 6 Mai 1937. 162 Cf. site de l’Assemblée nationale pour plus d’informations sur la carrière politique de Alfred Elmiger :< http://www.assemblee- nationale.fr/13/evenements/Ceremonie_quatre-vingts/alfred-elmiger.asp> [Consulté le 25 Mai 2011]. 34 Partie II : L’Affaire Gignoux comme illustration de la vie politique en France sous le premier Gouvernement Blum.

indépendante163 parle de « décomposition morale du pays »164 concernant l’ « assassinat du petit Gignoux tué parce qu’il était bien vêtu et avait les cheveux bouclés ». Cette Affaire est, selon le député, le résultat de plusieurs « mois d’excitation ». Ainsi, on peut imaginer qu’il pense au mouvement de grève générale de l’été 1936 et aux différents affrontements entre extrême droite et extrême gauche, tels que la fusillade de Clichy. Il finit par appeler les radicaux à se désolidariser du Front Populaire : « l’orateur conclut en adjurant les radicaux à renoncer à leur ‘’dissidence’’ et à réintégrer enfin leur bercail pour accomplir l’œuvre nécessaire de défense des principes républicains »165. Aussi, le 18 Novembre 1937, le député de la Seine Jean Chiappe élu sous l’étiquette Républicain indépendant,166 interpelle le Gouvernement sur la question de l’insécurité 167. L’ancien préfet de Police de Paris évoque ainsi plusieurs troubles à l’ordre public tels que les grèves, les attentats de la place de l’étoile et de la rue Boissière, et la mort du petit Gignoux : « une foule de faits inquiétants se sont produits, jusqu’à des assassinats d’enfants ». Or, si cette intervention constitue une critique pour le Gouvernement du Front Populaire, il cible particulièrement le parti communiste. En effet, L’Action française résume l’intervention du député : « Jean Chiappe répète que c’est la soumission du Gouvernement au parti communiste, ses actes d’abdication au moment d’émeutes, comme celles de Clichy, qui nous préparent de graves lendemains. »168

II. Le « petit Gignoux », victime d’un climat d’agitation politique Si l’extrême droite et certains députés profitent de l’Affaire Gignoux afin de critiquer l’Action du Front Populaire, d’autres acteurs perçoivent le caractère politique de l’attaque mais la mettent plutôt sur le compte du climat politique. Ainsi, cette position se démarque de celle défendue par le Progrès, le Populaire, l’Humanité ou encore la LDH et l’Union des syndicats ouvriers confédérés du Rhône car elle affirme le caractère politique de l’attaque subie par Paul Gignoux .Cependant, elle adopte une position différente de celle défendue par l’extrême droite et les députés qui ont interpelé le Gouvernement en mettant en cause l’atmosphère d’agitation politique plutôt que la coalition du FP.

Paul Gignoux victime d’une « néfaste agitation politique » : la position de La Croix Un journal parmi la presse étudiée considère que l’attaque subie par Paul Gignoux trouve son origine dans le climat de tensions politiques qui règne en France à l’époque du Front Populaire. Ce journal, La Croix, ne fait pas porter la responsabilité de l’attaque sur la politique du Front Populaire contrairement aux journaux d’extrême droite observés précédemment. Etudier la réaction du journal catholique national La Croix paraît indispensable étant

163 Cf. site de l’Assemblée nationale pour plus d’informations sur la carrière politique de Pierre Colomb : < http://www.assemblee- nationale.fr/sycomore/fiche.asp?num_dept=1912 > [consulté le 25 mai 2011]. 164 « Le débat de politique générale », Le Progrès,9 Mai 1937. 165 Ibidem. 166 Cf. site de l’Assemblée nationale pour plus d’informations sur la carrière politique de Jean Chiappe. < http:// www.assemblee-nationale.fr/sycomore/fiche.asp?num_dept=1792 > [Consulté le 27 Mai 2011] 167 HERICOURT Pierre , « Les interpellations sur la politique générale », L’Action française,19 Novembre 1937. 168 Ibidem. 35 L’Affaire du « petit Gignoux »

données les circonstances de l’Affaire. En effet, le petit Gignoux qui allait vendre des billets de tombola au profit de l’enseignement libre, dont l’enseignement catholique, a été attaqué par des enfants qui fréquentaient l’école laïque Jean de la Fontaine. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le journal La Croix n’interprète pas l’attaque de Paul Gignoux comme une attaque contre l’enseignement libre mais comme le résultat d’un climat d’affrontements politiques de plus en plus violents. Le journal affirme le caractère politique de l’attaque subie par Paul Gignoux et l’attribue à un climat d’ « agitation politique ». Ainsi, La Croix présente les enfants comme des victimes de cette agitation. Le quotidien ne prend parti ni pour l’extrême droite, ni pour le Front Populaire mais constate seulement la « néfaste agitation politique qui n’épargne même plus les âmes des enfants » 169. SI le journal ne désigne aucun groupe politique comme responsable, il affirme néanmoins la responsabilité des parents dans le drame. En effet, La Croix explique le rôle des parents dans cette Affaire : « Un cerveau d’enfant n’a guère de défense. Il enregistre sans nuances les propos du ‘’papa’’ »170. La position défendue par La Croix correspond d’ailleurs à celle du Maire de Lyon : M. Herriot comme le rappelle le journal après avoir cité un extrait de son intervention lors d’un Conseil municipal : « M. Edouard Herriot, maire de Lyon , qui a déclaré, en plein Conseil Municipal :Ce fait a une valeur symbolique ! Ce qui est grave, c’est que des enfants soient enveloppés dans une atmosphère aussi trouble et qu’on arrive à considérer la violence comme une pratique usuelle. C’est notre avis. Et nous savons gré à M. Herriot, que l’on sait , du reste, homme de cœur, de l’avoir formulé en termes si nets. »171

E. Herriot et le « caractère symbolique » de l’attaque Ainsi, lors du Conseil Municipal du 26 avril 1937 le Maire de Lyon prend position seulement deux jours après le décès de Paul Gignoux pour le caractère politique de l’attaque plutôt que pour la thèse d’une « simple rixe ». E. Herriot commence par exprimer sa compassion et celle du Conseil : « Je suis sûr d’être votre interprète à tous en lui disant en termes simples, les seuls qui conviennent, combien de son malheur nous sommes tous émus. »172. Cependant, très vite, il choisit de prendre position : « Mais l’expression de cette pensée et de ce sentiment ne suffit pas dans une assemblée comme la nôtre »173. Le Maire radical évoque alors le « caractère presque symbolique »174 de cette Affaire. Dans son intervention, il ne prend d’ailleurs parti ni pour le Front Populaire ni pour l’extrême droite mais met l’attaque sur le compte « d’une atmosphère morale et sociale qui est grave ». Pour L’Action française, cette impartialité n’est qu’apparente. En effet, le Maire : « n’a pas osé nommer les journaux et leurs rédacteurs, ses amis du Front Populaire qui par leurs excitations quotidiennes contre « les fascistes », sont responsables de l’assassinat d’un pauvre gosse de 8 ans » 175. Quoi qu’il en soit, on peut constater que le Maire a pris position en donnant à l’attaque de Paul 169 « L’agitation n’épargne même pas les enfants », La Croix, 27 Avril 2011. 170 BRUNET L. , « Qu’en pensez-vous ? »,La Croix,28 avril 1937. 171 Ibidem. 172 Annexe IIX 173 Ibidem. 174 Ibid. 175 « L’horrible assassinat du petit Gignoux à Lyon », L’Action française, 28 avril 1937. 36 Partie II : L’Affaire Gignoux comme illustration de la vie politique en France sous le premier Gouvernement Blum.

Gignoux un caractère « symbolique ». Or, la position du Maire radical s’oppose à celle défendue par le journal, lui aussi radical : Le Progrès qui analyse l’affaire Gignoux comme une « simple bagarre ». Le décès de Paul Gignoux semble avoir ému le Maire qui s’en prend à la justice dans son intervention. En effet, il explique que la violence des enfants qui sont victimes d’une atmosphère néfaste est aussi favorisée par le manque d’une « énergique répression »176. E. Herriot conclut par une mise en garde contre une justice trop laxiste : « Un pays où la justice manque de force est un pays qui va à la décadence ». Cette remarque a, par ailleurs, bien été relevée par le préfet du Rhône Emile Bollaert. Ce dernier, dans une lettre177 au Président des familles nombreuses publiée dans Le Progrès, indique en réponse à l’intervention d’Edouard Herriot qu’il prévoit de réprimer sévèrement toute « atteinte à l’ordre public »178. Le Préfet annonce alors que la surveillance policière serait renforcée aux alentours du groupe scolaire Jean de Lafontaine à la demande de la ligue des familles nombreuses et de deux associations de parents d’élèves. On remarque enfin que le Commissaire spécial dans son rapport sur « l’état d’esprit de la population » destiné au préfet le 25 mai 1937179 , partage la même position que le Maire. Celui-ci va jusqu’à évoquer une « mentalité de rancœur » qui s’est développée au sein des couches populaires et qui explique pour les « gens de raison et de bonne foi » l’attaque de Paul Gignoux. Ainsi, l’intervention de M. Herriot et le rapport produit par le Commissaire spécial défendent tous deux l’idée que le petit Gignoux a été victime de l’ambiance générale de confrontations politiques.

III. L’Affaire Gignoux : symptôme de la violence des affrontements politiques sous le premier Gouvernement Blum L’Affaire Gignoux a pour intérêt d’être un « révélateur » du climat politique de la France à l’époque du Front Populaire et de la violence des affrontements politiques qui sont de moins en moins cantonnés à l’ « arène politique ». L’Affaire Gignoux n’est donc pas le seul cas de violence d’origine politique, mais s’inscrit plutôt dans un cycle de confrontations entre extrême droite et extrême gauche.

Un climat de confrontations politiques violentes La violence de la lutte politique à l’époque du premier Gouvernement Blum peut être appréhendée à travers deux éléments : la critique virulente contre le Gouvernement du Front Populaire, et l’utilisation de la violence physique par des groupes politiques contre ses opposants. Le Front Populaire, provoque dès son arrivée au pouvoir un « déferlement de haine »180 de la part de la presse d’extrême droite. Ces critiques sont essentiellement basées sur deux éléments : l’anticommunisme et l’antisémitisme. L’anticommunisme touche le

176 Annexe IIX 177 Annexe XI 178 « La mort tragique de Paul Gignoux », Le Progrès,30 avril 1937. 179 Annexe IV. 180 BERSTEIN S., MILZA P. ,Histoire de la France au XXème : Tome 2 1930-1945, Hatier ,2005 , p.163 37 L’Affaire du « petit Gignoux »

Gouvernement du Front Populaire car le Parti communiste fait partie de la coalition bien qu’il ne participe pas au Gouvernement. Or, celui-ci est vu par la droite comme « noyauté »181 par les communistes. L’anticommunisme s’exprime particulièrement à partir du mouvement de grève de l’été 1936. Les grèves sont alors présentées comme le résultat d’un complot communiste182. De plus, la droite reproche au Gouvernement son laxisme en matière d’insécurité. Ainsi, le PPF distribue des prospectus183 à Lyon en avril 1937 contre la politique intérieure du Gouvernement en matière de sécurité : « Un Gouvernement qui s’appuie sur des communistes ne pourra jamais assurer à la France la tranquillité et la sécurité dont elle a le plus besoin ». Le Gouvernement est aussi sujet à des critiques antisémites contre ses membres et particulièrement contre Léon Blum. Ainsi, comme l’illustre le numéro de L’Action française du 27 avril 1937184, le journal s’efforce de préciser lorsqu’il parle de Léon Blum, qu’il est de confession judaïque. Le quotidien va même plus loin en rappelant que la « lutte des classes » a été conceptualisée par « le juif » Karl Marx et que Léon Blum est son « disciple et juif ». Ainsi, le journal reprend la thématique du « complot juif », chère à la principale figure de l’AF : . A travers l’anticommunisme et l’antisémitisme, le Gouvernement du Front Populaire doit faire face à une opposition virulente venue de sa droite. La violence des attaques contre le Gouvernement s’illustre d’ailleurs par le suicide de Roger Salengro le 17 novembre 1936, gravement affecté par les accusations de désertion lancées par le journal Gringoire. De plus, la violence des luttes politiques de l’époque peut être appréhendée à travers l’utilisation de la violence physique entre opposants politiques. Cette violence s’illustre par exemple par le rassemblement du 16 mars 1937 à Clichy de manifestants d’extrême gauche décidés à empêcher une réunion du PPF. Aussi, il a été expliqué précédemment, que la dissolution des ligues d’extrême droite en Juin 1936 avait provoqué une radicalisation chez certains groupes. Ainsi, La Cagoule organise plusieurs assassinats politiques. Le 11 février 1936 Dimitri Navachine : un Franc Maçon d’origine russe est assassiné. En Juin 1937, ce sont les deux frères : Sabatino et Carlo Rosselli qui sont tués par la Cagoule. Le 11 septembre 1937, l’organisation commet deux attentats contre la Confédération générale du patronat français et l’Union des industries métallurgiques et tente ainsi de faire accuser les communistes. L’utilisation de la violence physique contre un opposant politique peut aussi être illustrée par l ’ « Affaire Fuentes » à Lyon. Le 16 Aout 1937, M. Fuentes est tué par son voisin de palier. Or, les communistes accusent le meurtrier d’avoir tué M. Fuentes parce qu’il militait au parti communiste. Ainsi, dans une lettre185 au Ministère de l’intérieur, le préfet Emile Bollaert résume l’Affaire : « la mort du nommé Fuentes, militant actif du parti communiste tué le 16 aout par son voisin de palier […] a été commenté avec passion dans les milieux communistes de la région lyonnaise qui se sont efforcés de donner à cette malheureuse Affaire un caractère purement politique ».

181 Ibidem. 182 Ibidem. 183 Annexe IX 184 « Des enfants de chômeurs lapident un ‘’fasciste ‘’ de 7 ans et le tuent », L’Action française, 27 avril 1937. 185 Lettre du préfet Emile Bollaert au Ministère de l’intérieur, 31.08.1937, (Source : 4 M 97 ADR) 38 Partie II : L’Affaire Gignoux comme illustration de la vie politique en France sous le premier Gouvernement Blum.

Aussi, nous pouvons évoquer l’attaque subie par Mme Renaud Louise mentionnée par L’Humanité dans son édition du 4 Juin 1937186 . Le 2 Juin 1937, à Pussay, près de Paris, à 22h30, une réunion d’une fabrique de chaussures et de textile se termine et les ouvriers sortent de l’établissement. Or, sur la place, stationne une voiture dont les occupants venaient de coller des affiches pour le PPF et pour « un groupe d’ouvriers catholiques ». Face à l’attroupement d’ouvriers, la voiture fit alors demi-tour et tira sur la foule. Mme Renaud Louise, qui sortait de la réunion, fut alors grièvement blessée. L’Humanité, s’étonne le 7 Juin187 , du nombre de ces crimes qui reste impunis. Le journal explique alors qu’une des raisons est « la mentalité fasciste », développée par l’ancien préfet de police : Jean Chiappe au sein de la police.

Une agitation qui n’épargne pas les enfants La violence de la lutte politique en France à la fin des années 30 n’épargne pas les enfants comme le montre l’Affaire Gignoux. L’inquiétude concernant la violence de nature politique des enfants apparaît à plusieurs reprises dans la presse de l’époque. La violence des enfants, de nature politique, est à distinguer de la délinquance juvénile. Les interrogations sur la délinquance juvénile naissent « avec les monarchies constitutionnelles »188 en France et sont déjà documentées et connues. Ainsi, le premier 189 livre sur ce sujet parait en 1838190. Cependant, la violence des enfants pour des raisons politiques est un phénomène peu connu dans les années 30. Dans sa couverture de l’Affaire Gignoux, L’Action française191retranscrit une interview du directeur du groupe scolaire La Fontaine réalisée par Lyon Soir : « Nous avons ici, a-t-il dit, un quartier difficile. Nous sommes chargés d’une population ouvrière très travaillée par la propagande politique. En Juillet dernier, c’était la guerre des insignes et des drapeaux. Nous avons eu nous instituteurs laïques, à intervenir énergiquement pour que des enfants ne viennent pas en classe avec un morceau de laine rouge à leur boutonnière. Nous devons constamment effacer sur les murs de l’école des inscriptions de tendance politique. Nous ne pouvons cacher, a poursuivi M. Raymond que les parents ont dans cette Affaire une grave responsabilité. Ils ne surveillent pas leurs enfants, sous prétexte qu’ils ont une famille nombreuse et c’est le cas de la plupart. Ils se désintéressent de ce que font leurs enfants en dehors des heures de classe ». Cette ambiance décrite par le directeur est bel et bien une ambiance d’affrontements de nature politique autour de symboles politiques. Cette analyse est d’ailleurs soutenue par E. Herriot qui, lors du Conseil Municipal du 26 avril 1937192 , déclare : « Vous avez lu, comme moi, l’interview d’un directeur d’école qui m’a paru pleine de bon sens et j’ajoute de vraisemblance ».

186 « Les assassins fascistes continuent ! », L’Humanité, 4 juin 1937. 187 « Trop de crimes impunis…Voici pourquoi ! », L’Humanité ,7 juin 1937. 188 BANTIGNY , JABLONKA , Jeunesse oblige : Histoire des jeunes en France XIXe-XXIe siècle, Paris , PUF, 2009 p. 83. 189 Ibidem. 190 N.S , Des enfants vicieux et criminels ,1838. 191 « Des enfants de chômeurs lapident un ‘’fasciste ‘’ de 7 ans et le tuent »,L’Action française,27 avril 1937. 192 Annexe IIX 39 L’Affaire du « petit Gignoux »

Ainsi, la mort du petit Gignoux n’est pas un acte isolé mais s’inscrit dans une atmosphère générale d’affrontements politiques qui touche aussi le monde des enfants. Cette atmosphère est illustrée aussi par une nouvelle Affaire pendant l’été 1937. Le 5 Juin 1937, L’Action française titre « Une nouvelle Affaire Gignoux »193. Le journal rapporte que le 6 juin à Toulouse, un enfant de 13 ans a été agressé par une « dizaine de garçons » car il portait sur sa bicyclette un drapeau français. Le garçon a alors été frappé à terre et lapidé selon le quotidien. Cet épisode permet au journal de critiquer une nouvelle fois la thèse de la simple rixe défendue par certains lors de l’Affaire Gignoux : « Il y a quelques semaines, lorsque le petit Gignoux fut tué à coups de pierre, à Lyon, par une bande de gamins du Front Populaire, les journaux de gauche prétendirent qu’il ne s’agissait là que d’u incident banal, une rixe entre des gosses turbulents »194. L’agression de Toulouse est, pour le journal, une nouvelle preuve de l’incitation à la violence par le parti communiste et qui est permise par le FP : « Le Gouvernement de Front Populaire qui veut à tout prix museler la presse nationale va-t-il enfin supprimer les provocations au meurtre contre les ‘’fascistes’’ ».

193 « Une nouvelle Affaire Gignoux », L’Action française, 5 juin 1937. 194 Ibidem. 40 Conclusion

Conclusion

L’Affaire Gignoux, de la recherche de coupables à l’utilisation politique de l’enquête

Finalement, à travers notre analyse, nous avons pu reconstituer l’attaque dont Paul Gignoux, âgé de huit ans et demi, a été la victime. Victime de jets de pierres sur sa bicyclette et probablement frappé à terre, l’enfant est décédé le 24 avril 1937 de ses blessures. Suite à ce décès, une enquête est menée par la Sûreté lyonnaise puis l’Affaire est instruite par le juge d’instruction M. Faure-Pinguely. L’enquête sur la mort de Paul Gignoux est une enquête délicate pour trois raisons. Tout d’abord, celle-ci a soulevé une grande émotion localement mais aussi à l’échelle nationale. Les enquêteurs sont alors soumis à une certaine attente de résultats de la part de la Population qui s’identifie à la famille Gignoux. Aussi, l’âge des agresseurs de Paul Gignoux pousse la presse à chercher de nouveaux coupables. Ainsi, pendant toute la durée de l’enquête, la presse cherche à démontrer la responsabilité d’autres personnes que les enfants. On accuse alors un enfant de plus de treize ans qui aurait agité les enfants de la cité, mais qui n’a jamais été retrouvé. Aussi, la presse insiste sur le rôle des parents des agresseurs dans cette Affaire qui ne surveillent pas assez leurs enfants. Enfin, plusieurs journaux condamnent la non intervention de certains témoins adultes qui ont assisté à la scène. Enfin, la dernière raison pour laquelle l’enquête sur l’Affaire Gignoux est une enquête délicate est l’exploitation de l’enquête par la presse pour servir des intérêts politiques. Cette exploitation est à l’origine de deux controverses principales. Tout d’abord, on observe une controverse sur la taille des pierres retrouvées sur les lieux. Une partie de la presse conclut alors que vu le poids important des pierres retrouvées, celles-ci n’ont pu atteindre le visage du petit Gignoux. L’autre position part de la même constatation concernant le volume des pierres mais conclut que les enfants qui ne pouvaient projeter ces pierres ont frappé Paul Gignoux avec celles-ci à terre. La seconde controverse est liée à la première, elle concerne la nature du choc, à l’origine de la mort de l’enfant. Alors que Le Populaire et L’Humanité penchent pour la thèse du choc émotionnel, Le Progrès, Le Nouvelliste ou encore L’Action française retiennent seulement la thèse du choc commotionnel. Le décès de Paul Gignoux serait alors directement lié aux coups qu’il a reçus.

L’Affaire Gignoux comme révélateur des soutiens et des oppositions au FP.

De la même manière que les éléments de l’enquête on fait l’objet de controverses, la nature de l’attaque subie par Paul Gignoux a, elle aussi, soulevé une controverse politique.

41 L’Affaire du « petit Gignoux »

Principalement deux positions ont alors été exprimées à la fois par la presse, les élus et des organisations. Le Populaire, L’Humanité et Le Progrès ont refusé de donner à cette attaque une signification politique. L’Affaire Gignoux ne serait donc qu’un fait divers, une bagarre entre enfants qui aurait mal tourné. Cette position est d’ailleurs celle de la ligue des droits de l’Homme et celle de l’Union des syndicats ouvriers. Or, on constate que ces journaux et ses organisations correspondent à des forces politiques proches du Front Populaire. Ils s’opposent donc à ce que le petit Gignoux soit considéré comme un martyr par la droite et par l’extrême droite. Cette dernière idée est soutenue par la presse d’extrême droite qui utilise l’Affaire, avec certains députés de l’opposition afin de fustiger la politique du Front Populaire. Cependant, si la thèse de la bataille politique entre Gignoux et les enfants de la cité est utilisée pour critiquer la politique du Gouvernement, elle est aussi utilisée pour critiquer le climat général de violence des confrontations politiques par le journal La Croix et par E. Herriot . Le quotidien et le Maire n’attaquent pas le Gouvernement sur l’Affaire Gignoux, mais considèrent celle-ci comme l’illustration d’un climat politique « agité ».

L’Affaire Gignoux comme indicateur de l’intensité des luttes politiques

Si l’Affaire Gignoux permet d’appréhender le positionnement de différentes forces politiques autour de l’action du Front Populaire, il permet aussi d’illustrer la violence de la confrontation politique à l’époque du FP. Ainsi, les différents évènements du premier semestre 1937 (la fusillade de Clichy, l’Affaire Fuentes, l’Affaire Renaud Louise ou encore l’assassinat des frères Rosselli et enfin l’Affaire Gignoux) illustrent bien le passage de l’ « affrontement verbal » à « l’affrontement physique » dont parle Serge Berstein195 : la violence apparaît alors comme un moyen de résolution des conflits politiques. Or, on constate que cette violence touche aussi les enfants qui, par un processus de mimétisme, adoptent les réactions de leurs parents en face de personnes considérées comme des opposants politiques.

L’Affaire Gignoux comme révélateur de l’affaiblissement du FP et de l’isolement du Gouvernement.

Enfin, L’Affaire Gignoux illustre l’affaiblissement de la coalition du Front Populaire à partir du printemps 1937 et l’isolement du Gouvernement de Léon Blum. La position défendue par l'organe de la SFIO: Le Populaire concernant l’Affaire Gignoux n’est partagée que par les forces politiques membres de la coalition. Les interpellations des députés de l’Assemblée nationale qui utilisent l’Affaire Gignoux afin de critiquer la politique du Front Populaire illustrent l’isolement du Gouvernement en Mai 1937. De plus, l’Affaire Gignoux témoigne de l’éloignement des radicaux, au moins au niveau local, vis-à-vis des positions du Front Populaire. Ainsi, Progrès prend le contre-pied de la position du Front Populaire concernant les causes du décès du garçon et penche pour la thèse du choc commotionnel. De même, 195 BERSTEIN S, « L’affrontement simulé de la France des années 30 », Vingtième siècle, Revue d’Histoire, avril 1985, p. 48. 42 Conclusion

le Maire radical E. Herriot voit en l’attaque subie par le petit Gignoux plus qu’une simple rixe et se démarque donc de la position du Front Populaire. La défection du parti radical signe la chute de Léon Blum en Juin 1937. Malgré la fidélité affichée d’E. Daladier, président du parti radical vis-à-vis du Gouvernement du FP au début de l’année 1937, des courants au sein du parti radical s’opposent à la politique de Léon Blum. Ainsi, Les jeunesses radicales organisent des manifestations contre la politique du FP à Carcassonne et à Saint Gaudens respectivement le 19 avril et le 6 juin. La raison pour laquelle une part du parti radical se retourne contre le FP est qu’il se doit de soutenir les classes moyennes : son premier électorat. Or, celles-ci se sont éloignées du Front Populaire depuis Juin 1936 pour plusieurs raisons. Tout d’abord, les grèves de l’été 1936 ont effrayé les classes moyennes qui les ont assimilées à comme un complot communiste. Aussi, les lois sociales du FP sont vues d’un mauvais œil par une partie des classes moyennes. En effet, l’augmentation des salaires, de juin 1936, la loi de 40 heures sont autant de changements destinés à améliorer le niveau de vie des ouvriers, mais qui augmentent les charges des petites entreprises dont les propriétaires sont issus des classes moyennes. Face à la contestation des classes moyennes, Daladier se pose en alternative au Gouvernent du FP et va jusqu’à proposer un programme différent de celui du Gouvernement le 6 juin au meeting de Saint-Gaudens196. Or, c’est le projet de loi déposé le 10 juin par le ministre des finances du FP : Vincent Auriol qui précipite la chute du Gouvernement Blum. Le ministre souhaite donner au Gouvernement les pleins pouvoirs financiers jusqu’au 31 juillet 1937 afin de lutter contre la fuite des capitaux et assainir les finances publiques. Si le projet est accepté par la Chambre, le Sénat refuse. L’un des principaux détracteur de ce projet est Joseph Caillaux, ancien Président du parti radical. Suite à une autre tentative du Gouvernement, le Sénat refuse le projet une deuxième fois. Léon Blum, décide alors de démissionner le 22 juin 1937.

196 BERSTEIN S. , La France des années 30, Op.Cit, p. 109 43 L’Affaire du « petit Gignoux »

Sources et bibliographie

Les Sources

Archives

Les Archives départementales

4M385 : Enquêtes diverses. 4M261 : Surveillance des partis politiques. 4M236 : Rapports périodiques de la police. 4M164 : Correspondance de la police. 4M113 : Etat des individus arrêtés.

Les Archives municipales

Procès-verbaux des délibérations du Conseil Municipal (avril-mai 1937). Bulletin municipal officiel de la ville de Lyon (avril-mai 1937). Registres paroissiaux et d’état civil de Lyon – Mariages 01/01/1911-31/12/1911.

Presse

Collection le Progrès (Bibliothèque municipale de Lyon) (avril- juin 1937). Collection l’Action française (Bibliothèque municipale de Lyon) (avril-juin 1937). Collection Le Nouvelliste (Bibliothèque municipale de Lyon) (avril – juin 1937).

Sites internet

Consultation en ligne de la presse de l’époque du Front Populaire sur le site de la Bibliothèque nationale de France en ligne : Gallica http://gallica.bnf.fr/ L’Alerte (avril- mai 1937). Le libérateur du Sud-Ouest (avril –juin 1937). 44 Sources et bibliographie

L’Humanité (avril–juin 1937). Le Populaire (avril-juin 1937). La Croix (avril-juin 1937).

Ouvrages ayant caractère de sources

BRASILLACH Robert, Notre avant-guerre, Paris, G. de Bouillon, 1998.

45 L’Affaire du « petit Gignoux »

Bibliographie

Ouvrages historiques généraux

BERSTEIN S., MILZA P. , Histoire de la France au XXème : Tome 2 1930-1945, Hatier ,2005. BLOCH M., Apologie pour l'histoire ou Métier d'historien, rééd. in L’Histoire, la guerre, la Résistance, Paris, Gallimard, 2006 SIRINELLI J.F., La France de 1914 à nos jours, Paris, PUF, 2004.

Ouvrages sur la France des années 30

BERSTEIN S., La France des années 30, Armand Colin, Paris, 1988. BERSTEIN S., « L’affrontement simulé de la France des années 30 », Vingtième siècle, Revue d’Histoire, avril 1985.

Ouvrages sur la ville de Lyon

BARRE J., La colline de la Croix-Rousse- Edition (3e), ELAH, 2007. BEGHAIN P., BENOÎT B., CORNELOUP, THEVENON B., Dictionnaire historique de Lyon, Stéphane Bachès,2009. BELBAHRI, BENSOUSSAN, BONNIEL, GARDEN, GILBERT, La Croix-Rousse, Lyon, CNRS,1980. FAUVET-MESSAT, Extrême droite et antifascisme à Lyon : autour du 6 février 1934, Mémoire de Master 1, Lyon : Université Lyon 2, 1996. LEGRAND C., VOISIN B., PAWLOWSKI K., Le logement populaire et social lyonnais : 1848-2000, Aux Arts (édition),2001. MOISSONNIER M., Le mouvement ouvrier rhodanien dans la tourmente 1934-1935, Tome 2 Déclin et mort du Front Populaire, Aléas, 2005. PELLETIER J. , DELFANTE C., Atlas historique du Grand Lyon ,Xavier Lejeune, 2004. BAYARD F., CAYEZ P. (dir.). , Histoire de Lyon, des origines à nos jours : Volume 2, Le Coteau : Ed. Horvath, 1990. PINOL J.L, Espace social et espace politique, Lyon à l’époque du Front Populaire, PUL, 1980. 46 Bibliographie

PINOL J.L, Les mobilités de la grande ville, Presse de la fondation nationale des sciences politiques,1991.

Autres ouvrages

BANTIGNY L, JABLONKA I, Jeunesse oblige : Histoire des jeunes en France XIXe- XXIe siècle, Paris , PUF, 2009. BERSTEIN S., RUBY M., Un siècle de radicalisme, Pu du Septentrion, 2004. CAU Y., ‘’Le Progrès’’ : Un grand quotidien dans la guerre, Lyon, P.U de Lyon, 1996 DE VAUCELLES L., Le Nouvelliste de Lyon et la défense religieuse 1879-1889, Paris, Les Belles-Lettres, 1971

Ressources en ligne

Site de la LDH sur lequel il est possible de consulter une brève histoire de l’organisation : http://www.ldh-france.org Site de l’Assemblée nationale qui abrite les biographies des députés français depuis 1789 : http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/biographies/index.asp

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Annexes

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