CAHIERS DE L’INSTITUT

2, Juillet-Septeinbre 1966 EN COUVERTURE: MAURICE THOREZ, DESSIN DE PABLO PICASSD MAOUETTE DE DANIEL MARTY L’

CONSEIL D ADMINISTOATION

WALJDECK ROCHCT PIERRE JUQUIN JEANNETTE THOREZ-VERMEERSCH Dr IIP. KLOIV. PAUL LABERENNE BENOIT FRACHON HELENE LANGEVIN-JOLIOT FRANÇOIS BILLOUX JEAN PAUL LE Q-IANOIS ROGER GARAUDY NADIA LEGER LOUIS ARAGON JEAN LODS EUGENE AUBEL JEAN LURÇATt GEORGES BAUQUIER HENRI MARTEL ANDRE BERTHELOT PIERRE MEUNIER GUY BESSE VICTOR MICHAUT Il.ORIMOND BONTL; JE.XNNE MOUSSINAC RAOUL CALAS JEAN ORCEL JACQUES CHAMBAZ Gcncrnl PITIT HENRI CL.\UDE PABLO PICASSO GABRIEL PIORO AUGUSTE CORNU CoK h .cI ROL-TANGLT PIERRE COT JEAN SURET-CANALE PAUL COURTIEU EMILE TERSEN JACQUES DENIS ELSA TRIOLET FERNAND DUPUY MARIE CLAUDE VAILLANT-COUTURIER JEAN FREVILLE FERNANDE VALIGNAT GEORGES GOSNAT CLAUDE WILLARD EUGENE HENAn- MARCEI. ZAIDNER VICTOR JOANNES

f’RESlDENCL

GEORGES COGNIOT JEAN ORCEL président délégué JEAN SURET-CANALE MARIE CLAUDE VAIULXNT-COimiRIER JEAN FREVILLE GEORGES GOSNAT presidents CAHIERS DE L’INSTITUT MAURICE THOREZ

Revue trimestrielle

61. Boulevard Aut;icsle-Blaiiq[ii Paris-13“ - Tel. 402-23-41 C.C.P. Paris 3 363 26

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I directeur ; Georges COGNIOT

Comité de rédaction :

\ ictor JOANNES. Jacques DENIS. Victor MICFIAUT. Claude WIFLARD.

.\dministrateur : André MOINE

N" 2 - Juillet-Septembre 1066 t” Année SOMM AIRE liDirOIilAL. \ ICTOR MICIIAIT

1 «‘xporicnie (lu Front popu- laîrc ...... 5

TEMOIGNAGES.

IAa)UES IOL'CL.OS

Sur les origines el la vidoire (lu I ront populaire...... 11

MAURICE THOREZ - El-ON BLUM

Uetlres el dossier ; le Dr Seliaelil. Ministre de Hitler, à Paris en aoi'il lOjO ...... 25

ETI 'DES.

N'ICrOR lOANNES .^lauri('e J lierez el la lutte pour In d(>moernlie...... 55

PIERRE HENTC'.ES Maurice 1 liorez et la tradition nationale...... -15 CRITIQUE MAURICE THOREZ ET BIBLIOGRAPHIE. à AUGUSTE CORNU.

GEORGES COGNIOT A propos du 1 orne 111 de « Karl Marx et Friedrich Engels. Leur Une nouvelle édition du chapitre vie et leur œuvre » ...... 113 premier de « L’Idéologie alle­ mande > de Karl Marx et F. ERNST THALMANN Engels ...... 38 Notes inédites. Sur la proposition de grève géné­ JACQUES CUAMBAZ rale du 30 janvier 1033 ...... 116 Le Mouvement Socialiste en France (1893-1905) «Les Gues- SOUVENIRS distes > de Claude Willard .... ()9 DE MILITANTS. VIRGILE BAREL JEAN GACON La victoire de mai 1936 à Nice . 123 « Aux origines tlu communisme français » ...... 97 MAURICE Hl fSSON De r école des frères au mar­ DOCUMENTS xisme militant...... 133 POUR L HISTOIRE. PIERRE MEUNIER RAYMOND LEFEBX'RE Maurice Thore/, homme d Etat. 130 La France et la révolution com­ muniste (article posthume. 1920) 104 INSTITl ’TS MARXISTES. Documents de la Conférence du HORS TEXTE. trentième anniversaire du VIL Congrès de I Internationale Com­ Portrait de Raymond I.efebvrk muniste. (Moscou 1966.) ...... 133 1920. 1. hJne Conférence théorique sur la Manuscrit de Raymond Lefeb­ politique d'union du S.E.D. vre 1920. 11. (Berlin avril 1066.) ...... 137 Lettre de Maurice Thorez à Informations de l'inslitut Mau- Auguste Cornu 1962. 111 et 1\’. rice-Thorez ...... 159 DE L’EXPÉRIENCE DU ERONT POPULAIRE

Vidor MICHAUT

Evoquer le Eront populaire, c est jeter de 1 huile sur le feu des passions, des luttes politiques actuelles. On garde un cuisant souvenir, dans les milieux de la réaction, de la défaite infligée aux forces du grand capital et du fascisme. Dans le peuple, on retient surtout de 1036 I exemple qui peut inspirer de nouveau, bien qu autrement, la marche vers une réelle démocratie. Sans s’attarder à de fausses comparaisons, il est permis de dégager de I expérience faite, \oici trente ans, des enseignements valables. Ce sera I un des buts de la Conférence scientifique internationale, réunie en octobre prochain à 1 initiative de notre Institut, sur le thème : « Le Front populaire de 1036 et l action de Maurice Thorez. » A la tète du Parti communiste français, son secrétaire général a effectivement joué un rôle initial de premier plan pour définir et pro­ mouvoir l’idée du Front populaire. Jacques Duclos le rappelle plus loin par son témoignage et il suffit de se reporter aux Œuvres de Maurice Thorez pour constater que « la formule sublime » et son contenu [jolitique et social furent au centre des travaux du dirigeant du Parti entre la Conférence nationale d Ivry (juin 1954) et le Congrès d ’Arles (décembre 1937). Parmi les plus courantes déformations de l’iiistoire de cette période, relevons celle qui découvre, dans le Front populaire un effet aussi éphémère que miraculeux du mouvement spontané des masses. Ou bien, tout aussi dénuée de fondement, la thèse qui ramène le bront populaire à la seule existence du gouvernement Blum et à ses initiatives parlementaires. Jacques Chambaz a montré avec raison que le Front populaire fut le résultat d une orientation politique délibérée et l’aboutissement de longues luttes : « Non, juin 1936 n’est pas une explosion spontanée. C est I aboutissement d un processus historique complexe, qui com­ mence au début des années 1930. Les conditions des victoires de 1 été 1936 furent créées par la semaine décisive de février 1954, la signature du pacte d unité d action socialiste-communiste, le mot d ’ordre du Front populaire et l’adhésion qu’y donnèrent les masses le 15 juil­ let 1955, 1 unité syndicale et la signature du programme du Rassem­ blement populaire. D une étape à l’autre, du mot d ’ordre de front unique antifasciste à celui de Tout pour le Front populaire, tout par le Front populaire, le Parti communiste français approfondit les justifications théoriques de cette ligne politique dont il est l initiateur incontestable et qui traduit en clair les aspirations des masses telles qu elles se dégagent de leurs luttes. » L historique du Front populaire fait 1 objet de conférences publi ­ ques tenues dans diverses villes universitaires avec la participation d historiens et de membres du Conseil d Administration de l lnstitut Maurice Thorez

(1) Jacques ( Immba*. Fronl populaire pour le pain, la liborié et la paix, (l'xliiions Sociales. Paris. 1961.) (2) A 1 heure où nous niellons sous presse, de ielles Conférences ont été assurét\s ou sont annoncées avec la participation de Georges Cogniot. Victor Joannes, Jacques Cliarnhaz, Paul Courlieu, lacqiies Denis. Georges Gosnat, Raoul Calas, Jean Gacon. Victor Michaut, André Moine. Claude WMÎnrd. Sans reprendre cet Instorique ni préjuger d éludes plus complètes, on se bornera ici à l’énoncé de quelques enseignements du Front populaire dégagés à l’occasion de ces conférences. En considérant, tout d abord, avec Maurice Tborez, que « le Front populaire, c est une étroite et solide alliance de la classe ouvrière et des couclies moyennes de la population ». Une telle alliance est aussi indispensable aujourd bui qu bier dans toute lutte pour le progrès, la démocratie et la paix. Ni les bases, ni les contours de 1 alliance ne peuvent être les mêmes qu au temps du Front populaire. Mais à l’époque où l’un des traits de r impérialisme est la domination du capitalisme monopoliste d Etat, il reste indispensable, face à 1 énorme concentration du capital et du pouvoir, de réaliser 1 union de tous les exploités, de tous les spoliés, de toutes les victimes des monopoles. Le mérite du Front populaire fut d aboutir à celle union. Par là, il n assura pas seulement la défense victorieuse de la République contre les menaces du fascisme, il contribua aussi à l extension des conquêtes sociales et à I élargissement des libertés. Et désormais, pour en finir avec le pouvoir personnel, il faut que les démocrates s accordent sur des solutions à proposer ensemble et s unissent dans l action pour promou­ voir une majorité et un gouvernement qui les appliqueront. Nous tirons également du bront populaire la leçon que la classe ouvrière est, à notre époque, la seule force sociale capable d entre­ prendre efficacement le rassemblement de toutes les forces anlimonopo- listes. Ceci pour des raisons de classe et non par un choix subjectif. Ce qui place la classe ouvrière en tête du front antimonopoliste, ce sont les rapports de production de la société actuelle et les conflits sociaux, les batailles politiques qu ils engendrent. I .a puissance d attraction de la classe ouvrière sur les autres frac­ tions de la population n est certes pas automatique, elle dépend gran­ dement de sa propre unité. Le Front populaire n’aurait jamais vu le jour sans la réalisation préalable du I ront unique enire communistes et socialistes. Base du Front populaire, l’unité d action de la classe ouvrière est toujours obli­ gatoire dans la bataille pour venir à bout du pouvoir personnel et édifier la démocratie. En son temps, Maurice 1 horez a combattu avec vigueur la confusion établie par certains entre Cartel des gauches et Front po|3ulaire. I .e rapport au Congrès de Villeurbanne précisait à ce propos : « Le Cartel des gauches, c’était une partie de la classe ouvrière entraînée par la pratique de la collaboration des classes derrière un clan de la bourgeoisie pour le profit du capital. Le Front populaire, c est la classe ouvrière influençant par son activité les travailleurs des classes moyennes et les entraînant à la hille contre la bourgeoisie, contre le capital et le fascisme. » De fait, loin de nuire au rapprochement avec les catégories sociales hésitantes, généralement ballotées entre bourgeoisie et prolétariat, l imité d action ouvrière a permis d influencer heureusement une partie des classes moyennes puis de faire pencher la balance du côté de la démo­ cratie. Le front unique prolétarien favorise 1 union démocratique et natio­ nale la plus large.

De r expérience du Front populaire, on retiendra encore l impor- tance d ’un programme élaboré en commun. Quatorze mois ont pu s’écou­ ler entre le premier appel de Maurice d horez pour un Front populaire (octobre 1934) et la publication du Programme du Rassemblement Populaire (janvier 1936) ; mais cette décision soutenue par un enthou­ siaste élan populaire a évidemment contribué à la victoire et aux conquêtes de mai-juin 1936. 11 est vrai que ce programme, résultat d un compromis correspondant aux intérêts des couches sociales associées dans le Front populaire, a dû être limité aux revendications politiques et économiques immédiates des niasses laborieuses. L. adoplioii de ce progranmie a dès lors impulsé 1 action indépendante des travailleurs qui comptaient sur leur propre lutte conduite dans 1 unité, pour ouvrir d exaltantes perspectives de changements politiques et imposer la satisfaction de leurs plus pres­ santes revendications. Son bilan social, culturel et démocratique, amplement positif dans de nombreux domaines, a justifié les espoirs placés dans le Front popu­ laire. Le fascisme lut mis en échec, d inoubliables conquêtes sociales ont amélioré la vie des travailleurs et de riches possibilités d extention de la tlémocratie s annonçaient lorsque la dévaluation, la ]>ause et la non- intervention ont tout remis en cause. Au lieu d une application résolue du programme avec I appui et I intervention active des masses populaires, les gouvernants de I époque ont préféré céder aux [jressions de plus en plus fortes du grand capital. Une politique de capitulation a prévalu — pause devant le « mur d argent > à 1 intérieur, non-intervention en Fspagne et capitulation de Munich devant les agresseurs fascistes à 1 extérieur. 11 s ensuivit, malgré les efforts du Parti communiste, la dislocation puis la rupture du Front populaire à la veille du déclenchement de la deuxième guerre mondiale. Refusées à l époque, les propositions com­ munistes de création d ’un Front Français, animé par la classe ouvrière, ne devaient prendre effet que plus tard, darrs la Résistance à I envahis­ seur hitlérien. Pour s opposer efficacement à la politique de capitulation et de division qui I emporta finalement, il eut fallu que le Front populaire surmonte en temps voulu ses propres faiblesses. Ces faiblesses tenaient notamment à 1 insidfisance d implantation du Front populaire à la base, à 1 absence d un vaste ensemble de comités élus démocratiquement dans les entreprises et les localités, au défaut initial de participation de minis­ tres communistes au gouvernement, au manque de moyens adéquats de riposte au sabotage économique et financier de la haute banque et des trusts. 10

En dépit de ses imperiections, la grandiose expérience du Front populaire doit son prestige au fait qu elle a prouvé dans la vie la valeur inestimable et les bienfaits de l’unité. Exemple d application créatrice du marxisme-léninisme, l idée du bront populaire a inspiré le rapport de Georges Dimitrov et les travaux du VII® Congrès de l’Internationale Communiste pour l’adaptation de sa ligne stratégique et tactique aux conditions de la lutte contre le fas­ cisme et la guerre, pour I union des masses populaires. D autres expériences ont évidemment enrichi le mouvement ouvrier international et contribué à une plus profonde assimilation du léninisme, à son développement. Les mérites du Front populaire en France n en sont pas moins réels. Par son existence et par son succès, même provi­ soire, le Front populaire a fait la démonstration dans un grand pays capitaliste, de la possibilité de réaliser une politique populaire et hardi ­ ment novatrice, qui transforme la démocratie avec 1 appui d une majorité parlementaire et du mouvement des masses. C est aussi de cette expérience, ainsi que d une analyse des consé­ quences des changements favorables au socialisme apparus à notre épo­ que, que le Parti communiste français a dégagé certains éléments de ses thèses sur la nécessité de conjuguer démocratie économique et démocra­ tie politique, sur les possibilités d assurer une collaboration durable entre partis démocratiques pour faire triompher une véritable démocratie et, à une étape ultérieure, construire ensemble une France socialiste « comme résultat du mouvement démocratique de toute la population laborieuse » Tous ceux qui aspirent au règne de la liberté ont quelque chose à apprendre à l’école du Front populaire, à l’école de la lutte des masses pour réaliser la grande espérance de 1936 et conquérir vraiment pour tous le pain, la liberté, la paix !

(I) . Le marxisme et les cKcmins de I avenir. (Conc'Iiisions des travaux du Comité central. Mars !P66). Editions sociales. Pari.s. 11

TÉMOIGNAGE SUR LES ORIGINES ET LA VICTOIRE DU FRONT POPULAIRE

Jacques I )UCF .OS

!\otre rédacteur Claude WILLARD s*était proposé d'obtenir de Jacques Duclos une intert'ietv prise autour d'un magnétophone. Diverses circonstances ayant empé- ché la réalisation de cette jormide « en direct », les questions furent donc posées par écrit et les réponses transmises également par écrit. Si toutefois des lecteurs des CAHIERS désiraient nous adresser^ sur les problèmes abordés par ce témoignage, certaines questions précises d^intérêt généraly nous nous ferions un plaisir de solliciter de Jacques DUCLOS des réponses qui pourraient être publiées dans un prochain numéro.

Claude Willard . — Quelles responsa ­ bilités as-tu assumées pendant toute la période du Front Populaire ? 12

Jacques D uclos . — Il y a trente ans, à buait à créer un climat de confiance et l’époque du Front Populaire, étant mem­ d ’espoir. bre du Bureau Politique et secrétaire du La tentative d ’émeute du 6 février 1934 Parti depuis 1931, j’ai été mêlé de près à |)rovoqua le clioc d ’où sortit une meilleure l’activité du Parti et j’ai connu, jusque dans compréhension de la nécessité du Front les moindres détails, les rapports existant Unique de lutte face à l’ennemi commun : entre notre Parti et le Parti Socialiste. le fascisme. C. W. — Quels étaient donc les rapports du P.C.F. avec la S.F.I.O. avant 1934 ? LES JOURNEES DE FEVRIER 1934 J. D. — 11 faut bien dire qu’au cours des années qui précédèrent le Front Popu­ C. W. — Peux-tu évoquer quelques sou- laire, ces rapports n’étaient pas bons. En ('(‘iiirs sur les journées de février 1934 ? 1932, à l’occasion des élections législatives, les efforts de certains candidats socialistes J. D. — La situation à la veille du 6 fé­ avaient été concentrés contre des candidats vrier 1934 était compliquée. Les masses du Parti. C’est ainsi que Marcel Cacbin populaires étaient indignées par les dessous avait été battu par Louis Sellier dans le du scandale Stavisky, mettant à nu la cor­ xvni' arrondissement et j’avais été battu ruption de certains éléments des milieux aussi par Marcel Déat dans le xx“. dirigeants du pays et les fascistes enten­ Des séquelles de sectarisme, qui avaient daient utiliser cette situation pour s’em­ été vigoureusement combattues par Maurice parer du pouvoir. Depuis un an, Hitler était Tborez, subsistaient encore dans nos rangs : le maître de l’Allemagne et il y avait en cependant on nota des changements à l’oc­ France pas mal de gens ((ui rêvaient de casion de la préparation du Congrès d ’Ams­ l’imiter. terdam contre la guerre, convoqué à l’initia­ Quant à nous, nous pensions qu’il ne tive d ’Henri Barbusse et de Romain Rol­ fallait pas laisser à ces démagogues le mono­ land. Des camarades socialistes participèrent pole de la protestation contre la corruption, à ce Congrès, et s’ils furent par la suite c’est pourquoi des militants du Parti, des désavoués par leur parti, le fait qu’ils sympathisants et des membres de diver­ n’avaient pas hésité à se mêler à des commu­ ses organisations comme, par exemple, nistes pour lutter contre la guerre contri­ l’A.R.A.C. (Association Républicaine des 13

Anciens Combattants), allèrent manifester listes se retrouvaient à la base pour faire aux Champs-Elysées contre la corruption, en face aux attaques et manifestations des fas­ application de mots d ’ordres lancés. Des cistes. mouvements de foule poussèrent certains de Il y avait des résistances à runité d ’ac­ ces manifestants jusqu’à la place de la Con­ tion dans les rangs du Parti Socialiste. Cer­ corde oi'i ils se heurtèrent aux fascistes qui tains dirigeants dont la politique avait con­ se préparaient à attaquer le Palais-Bourbon. sisté à tout mettre en œuvre pour réduire La direction du Parti eut l’occasion de le plus possible les forces de notre l’arti. critiquer la façon dont VHumanité avait craignaient de le voir accroître son influence rendu compte de la soirée d ’émeute du avec le développement de l’unité d ’action. 6 février. Sa relation des faits ne tenait pas Il fallait donc mettre en lumière le dan ­ suffisamment compte du caractère et de ger que le fascisme nous faisait courir à l’ampleur de l’opération tentée par les fas­ tous, encourager la réalisation de l’unité cistes. d ’action antifasciste à la base, critiquer ceux A l’époque, la politique de Front Uni­ qui s’y opposaient, et combattre aussi dans que du Parti était gênée dans ses dévelop­ les rangs du Parti les positions sectaires qui pements par le comportement de Doriot faisaient obstacle à l’unité, et cela avec qui était en rapports étroits avec les diri ­ beaucoup de patience et d ’opiniâtreté. geants de la S.F.I.O. et dont nous sentions qu’il était un corps étranger an Parti, son objectif étant de placer le Parti à la remor­ DU FRONT UNIQUE que des autres formations politiques. AU FRONT POPULAIRE C’est dans ces conditions que la direc ­ tion du Parti, convaincue de la nécessité de réaliser l’unité de lutte et résolue à ne pas C. W. — Quel rôle joua le Parti com­ muniste français dans la conclusion du se laisser inq)oser n’importe quelle tactique, Pacte d^Unité d’action avec la S.F.I.O.^ en organisa la manifestation du 9 février aux juillet 19,34, puis dans la conception et la environs de la gare de l’Est. réalisation du Front populaire ? On sait que le 9 février fut à l’origine de la grève et de la grande manifestation du J. D. — C’est en partant d ’une juste 12 février qui créa une situation nouvelle, appréciation de l’émeute du 6 février que parce que les militants communistes et socia­ le Bureau politique prépara la Conférence N

nationale d ’Ivry de juin 19S4 au covirs île nom de notre Parti d ’étendre le rassemble­ laquelle Maurice Thorez lança le mot d'or­ ment communiste et socialiste à de nouvel­ dre : « Nous voulons à tout prix l’unité les forces politiques. Cela se passait le 9 oc­ d ’action », ce qui traçait leur devoir à tous tobre. et le lendemain, parlant à la Salle les connnunistes. Huilier, il déclara que notre Parti était prêt Cette façon simple, directe d ’appeler à à soutenir tout effort pour le maintien des la réalisation de l’unité d ’action contribua libertés démocratiques, pour la résistance puissamment à mobiliser les forces du Parti; aux attaques des bandes armées fascistes elle influença aussi les militants socialistes « Nous avons jeté, précisait-il. l’idée d ’un et joua un grand rôle dans le développement vaste rassemblement populaire ». de l’action commune qui aboutit à la signa­ A Nantes, le 24 octobre, Maurice Tbo- ture d ’un pacte d ’unité d ’action entre le rez fit acclamer le Front populaire du pain, Parti communiste et le Parti socialiste le de ta liberté et de la jxtix, mais la partici­ 27 juillet 1934. pation du Parti radical à l’action commune La conclusion d ’un tel pacte constituait avec le Parti communiste et le Parti socia­ une importante victoire de l’unité mais il liste ne plaisait pas à certains dirigeants fallait aller plus loin. socialistes qui voulaient se réserver le rôle Déjà à la Conférence nationale d ’Ivry. d ’intermédiaire entre le Parti radical et Maurice Thorez avait déclaré qu’il ne s’agis­ nous. sait pas de choisir entre le fascisme et le Le mot d ’ordre du Front populaire du communisme, mais entre le fascisme et la pain, de la liberté et de la paix, lancé par démocratie, ce qui était, par avance, une Maurice Thorez avant le Congrès radical sorte d ’ouverture en direction des républi ­ de Nantes, et à destination de ce congrès, cains et en premier lieu des radicaux. avait subi une légère variante. Initialement La convocation du Congrès du Parti radi ­ on disait « Front populaire du travail, de la cal, qui devait s’ouvrir à Nantes le 25 octo­ liberté et de la paix », puis le mot jmn fut bre, fut l’occasion d ’une initiative politique substitué au mot travail. Mais si les masses en direction des radicaux pour les associer populaires aimaient l’appellation « Front à nous dans la lutte antifasciste. populaire », il n’en était pas de même dans Au cours d ’une réunion du Comité de les milieux dirigeants. Ainsi le Comité coordination du Parti communiste et du national constitué entre les partis et organi­ Parti socialiste, Maurice Thorez proposa au sations groupés au sein du Front populaire. 15

se dénommait « Comité national du Rassem­ des objections, certains de nos interlocu­ blement populaire ». teurs les trouvant excessives, d ’autres les Au surplus, notre politicjue du Front trouvant trop modérées. populaire déterminée par le souci de bar ­ C’est finalement par le « Comité natio­ rer la route au fascisme était considérée nal du Rassemblement populaire », qui se comme devant « favoriser l’établissement réunissait au siège de la Ligue des Droits d ’un pacte d ’alliance militaire entre la de l’Homme, rue Jean-Dolent, que fut éla­ France et la Russie soviétique » par un boré le programme du Front populaire. socialiste comme Marceau Pivert. Ce programme, qui ne fut mis au point C’est dire que notre politique de Front qu’après de longues discussions, comportait populaire était attaquée de divers côtés, notamment l’amnistie générale, le désarme­ mais elle correspondait tellement aux exi­ ment et la dissolution effective des ligues gences de la situation qu’elle finit par s’im­ fascistes, l’abrogation des lois scélérates sur poser. la presse (en application desquelles, nous communistes, avions été maintes fois con­ LE PROGRAMME damnés), l’application et le respect du droit DU FRONT POPULAIRE syndical pour tous. Ce programme, en même temps qu’il exprimait une résolution ferme de lutter C. W. — Comment fut élaboré le Pro- 'gramme du Front populaire ? Quelles pour la paix, comportait aussi la nationa­ lisation des industries de guerre, la colla­ difficultés fallut-il surmonter ? La {fuestion des nationalisations setnble, par exemple, boration internationale dans le cadre de la Société des Nations, l’extension du système ni’oir été un point de friction. des pactes de sécurité collective ouverts à .1. D. — Les agents de division ne res­ tous. taient pas inactifs et la préparation d ’un Concernant les problèmes économiques n’était pas une petite et sociaux, le programme du Front popu­ chose. Avec Maurice Thorez, je participai laire comportait le relèvement du niveau à diverses réunions soit chez Vincent Auriol. de vie des masses laborieuses, l’institution soit chez César Campinchi avec Edouard d ’un Fonds national de chômage, la réduc ­ Herriot. Yvon Delbos et Léon Bluni. Nos tion de la semaine de travail, l’institution propositions d ’action commune soulevaient d ’une retraite pour les vieux travailleurs. 16

la revalorisation des produits de la terre, lions, non pas comtne des mesures démo­ la révision des marchés de guerre, une ré­ cratiques de caractère avancé, mais comme forme démocratique de la fiscalité. des mesures socialistes. Pour notre part, nous avions le souci C’est dans ces conditions que certains de faire figurer dans le programme des socialistes comme Paul Faure nous trou­ mesures concrètes, susceptibles d ’améliorer vaient « timorés », « opportunistes » parce dans l’immédiat la situation des masses labo­ que nous ne suivions pas ceux qui jiropo- rieuses et de les attacher, de manière dura ­ saient en quelque sorte de tout nationaliser. ble, à la cause de la démocratie et de la Déjà, lors des discussions avec le Parti paix. socialiste pour l’élaboration d'un program­ A de nombreuses reprises, nous nous me commun aux deux Partis, ces problèmes étions demandés si nous parviendrions à avaient été soulevés, mais ils devaient l’être élaborer le programme commun du Front plus fortement encore au cours des discus ­ populaire sur lequel nous comptions pour sions pour l’élaboration du programme du livrer la bataille des élections législatives. Front populaire. Nous n’admettions pas que A l’époque, on se trouvait dans une puisse s’établir une confusion entre les situation où les réformateurs sociaux pullu­ nationalisations dans le cadre du régime laient. Le Belge De Man était en train de capitaliste et l’appropriation collective « dépasser le marxisme » avec ses projets des principaux moyens de production et de planification. L’écrivain Jules Romains d ’échange dans les conditions de l’avène­ avait pris la tête d ’une équipe qui prépara ment du socialisme. Nous craignions en le « Plan du 9 juillet » C’est dire qu’on outre que, pour d ’aucuns, l’évocation de notait une tendance assez généralisée à pré grandes réformes de structure puisse servir férer les dissertations sur les réformes de de justification à une sorte de dédain des structures aux mesures concrètes, et il avait revendications immédiates. Et puis il fallait une tendance à considérer les nationalisa- tenir compte des radicaux qui n’étaient pas disposés à accepter beaucoup de nationali­ (1) Le ^ Plan du 9 juillet» (1934) était l’œuvre de sations. Sans doute, certains jeunes radicaux personnalités disparates, rassemblés autour de Jules Ro­ étaient-ils acquis à ces conceptions, mais mains, et parmi lesquelles se trouvaient, avec d ’anriens polytechniciens dont Louis Vallon (l'actuel député la majorité du Parti radical était dans d ’au­ U.N.R.), les représentants de divers mouvements fas­ tres dispositions d ’esprit. Si on avait voulu cistes de l’époque (Croix de Feu, Jeunesses Patriotes, Volontaires Nationaux). insérer dans le programme du Front popu­ 17

laire un catalogue de natioiialisatioii à vains. Le discours fut prononcé et notre elTectuer, le programme n’aurait jamais vu Parti tira les conclusions qui s’imposaient le jour. des suites politicjues de ce discours. Nous avions l’impression, à la direction du Parti, DISCUSSIONS qu’à la tlirection de l’Internationale on nous suivait à la loupe, certains nous observaient A L’INTERNATIONALE COMMUNISTE avec confiance et espoir, d'autres avec mé­ fiance, mais finalement la réalisation du C. W. — Quelle fut l'attitude de l'iu- Front populaire, la grande manifestation ternatiouale coimniniiste ? du 14 juillet 1935 donnèrent un grand .1. D. — L’Internationale communiste retentissement à l’expérience française de suivait attentivement les initiatives prises Front populaire. avec heaucoup d ’audace par notre l’arti. Et au VIU Congrès de rintcrnationale mais nous avions l’impression que. pour communiste, Georges Dimitrov, qui eu était elle, la conclusion du Pacte d ’unité d ’action devenu le secrétaire général après avoir entre le Parti communiste et le Parti socia­ connu les prisons hitlériennes et après liste semblait devoir être le point cidminant s’être défendu magnifiquement au procès de de nos audaces. Leipzig, donna une appréciation positive C’est dire que les déclarations politi­ et élogieuse de la politique suivie par le ques destinées à préparer notre proposition Parti communiste français. de constitution d ’un Front popjilaire avec la participation du Parti radical suscitaient des avis différents au sein de la direction L’APPEL de l’Internationale communiste. Ainsi s’ex­ AITX TRAVAILLEURS CATHOLIQUES plique la venue à Paris d ’un des dirigeants de l’Internationale communiste, la veille du C. W. — Comment fut élaborée la poli­ jour où Maurice Thorez devait prononcer tique de la « main tendue » ? Quelles furent sou discours sur le Front populaire à les réactions dans le Parti F Nantes. Ce dirigeant essaya de convaincre Mau­ J. D. — C’est après avoir fait triompher rice Thorez de la nécessité de ne pas pro­ la politique du Front populaire que notre noncer ce discours, mais ses efforts furent Parti se préoccupa du problème des rap­ 18

ports entre communistes et catholiques. Il taires qui auraient pu se produire dans le s’agissait d ’élargir la base de masse du Front Parti furent relativement limitées. populaire, de ne pas laisser se perpétuer un état de division entre les travailleurs communistes et socialistes d ’une part et les LES COMMUNISTES travailleurs catholiques de l’autre, tous DEVAIENT-ILS PARTICIPER étant exploités par les capitalistes et ayant AU GOUVERNEMENT BLUM ? intérêt à se défendre en commun. Nous nous attendions à ce qu’une telle (]. W. — Comment se posa le problème prise de position nous attire les railleries de la participation au Gouvernement Blum, de certains anticléricaux, mais il fallait le dans les discussions au sein du Bureau faire et au sein du Bureau politique il y politique ? eut des discussions certes, mais en fin de compte on ne nota pas de réticences et nous J. D. — Au cours de la période qui attendions avec impatience la déclaration précéda la formation du gouvernement du que Maurice Thorez fit à la radio. Front populaire, Léon Blum proposa à S’adressant aux travailleurs catholiques notre Parti de participer à la formation de il leur dit « Vous êtes des travailleurs com­ ce gouvernement. C’était là une question me nous, soumis à la même exploitation, nouvelle posée devant notre Parti et à la­ aux mêmes injustices, vos exploiteurs sont quelle il fallait donner une réponse dont les nôtres ». Après avoir tenu ces propos la gravité n’échappait à aucun dirigeant de que tout travailleur pouvait comprendre notre Parti. et admettre, Maurice ajouta : « Nous som­ Le VIF Congrès de T’Internationale mes en philosophie des matérialistes ; nous communiste avait prévu l’éventualité de la ne professons aucune religion... Ne nous participation des communistes à des gouver­ demandez pas de devenir catholiques. Nous nements de Front populaire, mais les condi­ ne vous demandons pas de devenir athées. tions envisagées pour accepter une telle Mais unissons-nous dans la lutte commune participation pouvaient faire l’objet d ’ap­ pour le bien de notre peuple et de notre préciations différentes. pays ». Au cours du VIF Congrès de l’Interna­ Cette déclaration eut un retentissement tionale communiste, Maurice Thorez avait considérable et de ce fait les réactions sec­ déclaré « Le Parti jettera toutes ses forces. 10

il tlonnera tous ses moyens, y compris ses du moment, nous critiquions, lorsqu’il le hommes éventuellement, à un gouvernement fallait, certaines attitudes du gouvernement, de Front populaire ». nous faisions des suggestions, mais nous C’est dans cet esprit qu’il analysa la étions à l’extérieur et nos interventions au­ situation à la veille de la formation du raient eu plus de portée si nous avions été gouvernement de Front populaire ; il était à l’intérieur, au sein du gouvernement. partisan de la participation mais il y avait des hésitations au sein du Bureau politique. Plusieurs camarades émirent des doutes, des CONTRE LE GAUCHISME réserves et comme, pour ma part, j’étais ET L’AVENTURE liésitant je ne soutins pas le point de vue de Maurice Thorez comme je l’aurais fait C. W. —- Que penses-tu de Vaffirmution si j’avais été convaincu. En raison de ces trotskyste selon laqueUe la situation en limites et de ces hésitations, qui se manifes­ 19Ü6 était révolutionnaire, que la Révolu ­ taient parmi les membres du Bureau poli­ tion fut manquée à cause du P.C.F. ? tique, la proposition de Maurice Thorez ne fut pas mise aux voix. J. D. — Il n’est pas juste de prétendre Je ne tardai d ’ailleurs pas à comprendre que la situation était révolutionnaire en que nous avions eu tort de ne pas suivre 1936. Le mouvement de masse considérable Maurice Thorez et, quelques mois plus tard, i|ui se développa à l’époque avait pour base me trouvant en Espagne lors de la forma­ une volonté de changement n’allant pas tion du gouvernement Largo Caballero, mon jusqu’au bouleversement des structures éco­ avis m’ayant été demandé au sujet de la nomiques et sociales. participation des communistes je me pro­ Si on avait voulu pousser l’offensive nonçai pour, sans la moindre hésitation. au-delà des objectifs fixés par le Front po­ Des contacts furent établis par la suite pulaire, les partisans d ’un changement révo­ entre notre Parti et le gouvernement ; ils lutionnaire se seraient rapidement trouvés consistèrent notamment en une visite que isolés et les classes moyennes, dont nous nous faisions chaque mercredi matin. Mau­ avions réussi à faire les alliés de la classe rice Thorez et moi. chez I/on Blum, quai ouvrière, se seraient jetées par peur dans Bourbon, les bras de la réaction. Nous examinions avec lui les problèmes Ceux qui prétendent que la situation 20

était mûre à l’époque pour une révolution responsable du grand parti de la classe ou­ socialiste sont ou bien des politiques inap­ vrière. Maurice Thorez déclara qu’il fallait tes à analyser une situation politique, éco­ savoir terminer une grève lorsque les reven­ nomique et sociale donnée, ou bien de sim­ dications ouvrières sont satisfaites. ples aventuriers n’ayant aucun sens des responsabilités. C. W. — Pourquoi et comment Maurice L’ESPAGNE REPUBLICAINE Thorez fut-il amené à déclarer : « Il faut ET LA NON-INTERVENTION savoir terminer une grève » ? C. W. — CommetU se posa le problème J. D. — Lorsque Maurice Thorez décla­ ra « Il faut savoir terminer une grève », de l’aide de VEspagne républicaine et celui il s’agissait d ’éviter plusieurs dangers. Il fal­ de la non-intervention ? lait éviter, d ’une part, la division an sein J. D. — Je suivais de près le déroule­ même de la classe ouvrière, car à partir du ment des attaques de la réaction contre la moment où les revendications essentielles République espagnole, d ’autant plus qu’en avaient été satisfaites, la continuation de la décembre 19,S5 j’étais allé à Madrid, en grève prenait le caractère d ’une opération tant que délégué de l’Internationale com­ visant à atteindre d ’autres objectifs cjue la muniste, pour essayer de convaincre le diri ­ satisfaction des revendications. geant socialiste espagnol Largo Gaballero D’autre part, la poursuite île grèves de la nécessité de constituer le Front popu­ que des revendications immédiates n’au­ laire en Espagne. raient plus justifiées risquait d ’alimenter, .T’avais réussi à faire admettre par Largo parmi les classes moyennes des villes et des Gaballero que ce qui avait été fait en France campagnes, l’idée qu’on les avait attirées pouvait être fait en Espagne en prévision dans un traquenard, qu’il ne s’agissait pas des élections législatives qui devaient avoir de lutter seulement contre le fascisme, mais lieu en février 1936. d ’aller plus loin et cela pouvait en faire Effectivement le Front populaire se réa­ très rapidement une masse de manœuvre lisa et une majorité républicaine fut en­ pour la réaction. voyée aux Cortès. Le gouvernement consti­ Sur la base d ’une appréciation réaliste tué à la suite de ces élections était présidé du mouvement, et agissant en tant que chef par un républicain modéré, Casarès Qui- 21

ro};a. et c’est contre ce g;onverneinent que Notre départ s’effectua à bord de cet les chefs militaires espagnols gagnés au fas­ avion dans des conditions de semi-légalité. cisme se rebellèrent. Le constructeur Bloch était venu nous sa­ La première information que je reçus luer avant notre départ et, après un atter­ de cette rébellion provenait d ’une commu­ rissage à Lésignan pour faire le plein d ’es­ nication téléphonique que j’avais reçue à sence, nous étions arrivés à Barcelone où la Chambre des députés de la part du diri ­ il fallut discuter beaucoup avec les anar­ geant communiste espagnol Vicente Uribe. chistes pour pouvoir partir à Madrid à bord J’ai informé immédiatement Maurice de notre avion qu’ils voulaient garder. Thorez de cette communication et nous A Madrid, la situation (nous étions en avons décidé que je présenterais un rapport août 1936) était inquiétante : le front était relatif à la situation en Espagne, au Bureau situé à 50 kilomètres au nord de la capi­ politique du Parti. Nous avons senti tout tale et, au sud, les forces rebelles attaquant »le suite que l’attaque dirigée contre le Front en direction de Badajos n’étaient plus qu’à populaire espagnol visait indirectement le 150 kilomètres. Front populaire français. Durant notre séjour à Madrid, j’eus Sur le plan de l’aide à apporter aux l’occasion de voir le Président de la Répu­ camarades espagnols, nous avons {)ensé à blique Azana ; je me rendis sur le front acheter un avion pour l’offrir aux républi ­ au nord de Madrid. Je rencontrai des ca­ cains espagnols et cet achat fut effectué con­ marades communistes et socialistes qui, dans jointement par notre Parti, la Fédération chacjue ministère, constituaient un (iomité de la Seine du Parti socialiste, dont le chargé de seconder le ministre dans l’ac- camarade Zyromski était le secrétaire, et complisscment de sa tâche. l’LTnion des Syndicats de la Région Pari­ Le Parti communiste organisait le 5 ” sienne dont Eugène Hénaff était le secré­ Régiment t(ui fut envoyé sur le front du taire. sud pour colmater les brèches faites par Cet avion que nous avions baptisé les rebelles. J’eus aussi l’occasion de voir « Commune de Paris » fut acheté à Das­ André Malraux qui commandait une unité sault qui n’était encore que Bloch, et il fut d'aviation. Nous habitions dans le même décidé que j’irais en Espagne à bord de cet Iiôtel et il nous arriva de prendre nos repas avion avec Zyromski, Hénaff et le sénateur ensemble dans un petit restaurant proche socialiste suédois Branting. de la Gran Via. 22

Pendant notre séjour à Madrid, Largo THOREZ, CACHIN, Caballero, que je connaissais bien et à qui VAILLANT-COUTURIER, PERI j’étais allé rendre visite, provoqua une crise ministérielle pour prendre la présidence du C. W. — Feiix-tu, pour terminer, évo­ Conseil, et c’est dans ces conditions que je quer quelques souvenirs sur les dirigeants fus amené à me prononcer en faveur de la communistes et non communistes du Front participation des communistes au gouverne­ populaire ? ment. La guerre d ’Espagne prenait de plus J. D. — En rappelant quelques-uns des en plus un caractère d ’agression fasciste en aspects de la politique du Front populaire, raison de la participation d ’Hitler et de je revois comme s’ils étaient vivants bien Mussolini à cette guerre aux côtés de Fran­ des militants communistes qui firent preuve, co. En présence d ’une telle situation, la en ces circonstances, d ’une clairvoyance po­ politique de l’aide concrète à l’Espagne litique et d ’un allant extraorodinaires. Républicaine se posait avec une extrême Celui de nos dirigeants qui marqua le acuité, d ’autant plus que le gouvernement plus cette période de notre histoire fut in­ français, à la remorque du gouvernement contestablement Maurice Thorez, magnifi­ anglais, s’enlisait dans la politique dite de que de puissance, communiquant la con­ non-intervention. C’est de cet ensemble de fiance et le courage, et sachant rendre ac­ faits que se dégagea dans divers pays la cessibles aux masses les situations les plus nécessité d ’envoyer des combattants en Es­ compliquées. Il a pensé, médité la politique pagne. du Parti durant cette période, alliant tou­ De là surgit l’idée de la constitution des jours la plus grande audace à la prudence brigades internationales dans les rangs des ­ et sans jamais perdre de vue le respect des quelles combattirent de nombreux militants principes. et dirigeants de notre Parti qui, en se bat ­ Marcel Cachin vécut tout au long de tant de l’autre côté des Pyrénées contre le cette période une sorte de deuxième jeu­ fascisme, défendaient la paix et la sécurité nesse et sa passion militante l’amenait sou­ de la France. On ne saurait manquer, lors­ vent à s’élever contre la politique dite de qu’on évoque ces événements du passé, de « non-intervention » qu’il considérait, à saluer la mémoire de ces glorieux combat­ juste titre, comme néfaste pour notre pays, tants de la liberté. pour la paix du monde, pour la cause de 25

l’antifascisme et pour runité du feront LEON BLUM, LE FLUX populaire. ET LE REFLUX Quant à Vaillant-Couturier, son tempé­ rament bouillant l’amenait à exalter tout ce Mes contacts avec Léon Blum, que qu’il y avait de nouveau, de prometteur dans j’avais battu dans la circonscription de le Front populaire, sans pour autant per­ Cliaronne-Père-Lachaise en 1928, ne furent dre de vue ce qui l’affaiblissait et devait pas difficiles du point de vue des rapports aboutir à sa désagrégation qu’il n’eut pas personnels. Léon Blum était d ’une correc­ la tristesse de voir, sa mort étant survenue tion quelque peu distante. le 10 octobre 1937. Le mercredi matin lorsque Maurice Tho- rez et moi-même allions le voir, il se mon­ A la Cbambre des Députés, Gabriel Péri trait amène dans sa façon de nous recevoir, se fit, à plusieurs reprises, l’éloquent ilé- surtout s’il sentait que nos remarques al­ fenseur de l’Espagne républicaine, dénon­ laient être assez dures. çant la politique de « non-intervention » Il donnait l’mipression d ’un homme qui, par la suite, devait avoir son prolon­ rompu aux discussion les plus compliquées, gement à Munich, sachant accommoder une part de vérité avec Enfin, je puis dire deux mots de Gilton une certaine dose de demi-vérités ou ap­ qui représentait ,avec moi, le Parti au Co­ proximations. Il savait donner l’impression mité national du Rassemblement populaire. qu’il ignorait des faits dont on pouvait Certains faits dont nous avions eu connais­ supposer qu’il les connaissait. Mais autant sance nous faisaient douter de sa loyauté, il faisait preuve de souplesse dans la dis ­ aussi étions-nous attentifs à ses faits et ges­ cussion, autant il était résolu à s’en tenir tes consistant souvent en un mélange de dé ­ aux limites qu’il s’était fixées et qu’il avait magogie et d ’opportunisme vulgaire. Ce fixées à la politique de son gouvernement, qu’il devint par la suite ne fut pas tout à laquelle resta, notamment sur le plan de fait une surprise pour nous. l’application, en deçà du programme du Parmi nos interlocuteurs du Front popu­ Front populaire. laire, je veux évoquer rapidement trois per­ Edouard Daladier avait des « manières sonnages qui jouèrent un rôle important : peuple » qui tranchaient avec l’allure aris­ Léon Blum, Edouard Daladier et Edouard tocratique de Léon Blum. Durant la pério­ Herriot. de du premier gouvernement Léon Blum, 24

on sentait que Daladier, taciturne et volon­ 1934, Benoît Frachon et moi-même étions tiers enclin à dire dans les couloirs ce qui. allés le voir au ministère de la Marine selon lui, n'allait pas, préparait visiblement marchande où il avait son bureau de mi­ la succession. nistre d ’Etat, et il nous avait laissé enten­ Après la chute du gouvernement Blum, dre que le ministère Doumergue n’en avait lorsque le gouvernement Chautemps fut plus pour longtemps, ce qui. par la suite, constitué, Daladier se fit plus distant au s’avéra exact. fur et à mesure qu’il voyait le courant poli­ « Je marche au canon » nous avait dit tique entraîné à droite. Herriot, mais cette formule guerrière ne reflétait guère son tempérament. Ministre Et lorsqu’il devint Président du Conseil, dans une impressionnante série de ministè­ il fit figure de chef de gouvernement of­ res aux contours politiques les plus divers, frant à la droite un gouvernement qui allait Herriot. homme de grande culture, était en finir avec le Front populaire. Visible ­ sur le plan politique le prototype du radical ment, à cette époque, il fut en quelque à l’allure bon enfant, à l’esprit fermé aux sorte en proie à l’ambition de jouer un rôle grands changements sociaux devenus néces­ de sauveur. Aussi prenait-il les attitudes saires et plutôt disposé à nager dans le cou­ convenant à cette fonction, mais on sait ce rant qu’à contre-courant. Edouard Herriot qu’il advint de ces ambitions démesurées. admit le Front populaire dès lors qu’il le En tant que Vice-Président de la Cham­ sentit inévitable. bre des députés, j’étais fréquemment en Tels étaient les principaux interlocu­ contact avec Edouard Herriot qui en était teurs qui admirent le Front populaire lors­ Président. Sans être directement mêlé à la qu’il fut porté par le flux, mais qui s’en direction des affaires, Herriot suivait de détachèrent lorsque le reflux se produisit, près les événements politiques. reflux qui, dans une certaine mesure, avait Peu avant le congrès radical d ’octobre été la conséquence de leur comportement. DOSSIER MAURICE IHOREZ. LEON BLUM.

LE D' SCHACHT, MINISTRE DE HITLER, A PARIS, EN AOUT 1956.

Le 23 août I93Ô, le bureau de presse du Parti communiste français communiquait le texte d’iuie lettre de son secrétaire général Maurice Thorez, député de la Seine, adressée au président du conseil Léon Blum et que nous reproduisons ici.

LETTRE DE M. THOREZ A L. BLUM.

Clier Camarade,

Je lis en première page du Populaire de ce matin qu'à l’occasion de la venue à Paris du docteur Scliaclit. envoyé du Führer. un déjeuner lui serait offert auquel assisteraient de nombreux ministres, dont M. Delbos et vous-même. Il était déjà permis de s’étonner que le nouveau gouverneur de la Banque de France ait accompli à Berlin son premier voyage à l’étranger, alors qu’il eût pu commencer par Londres. 26

Mais au monienl où Hitler précipite la course aux armements, menaçant gravement la paix du monde et la sécurité de la France, il ne nous semble pas conforme à la dignité de notre peuple et à la cause de la paix, que des Imnneurs particuliers soient rendus au directeur de la Reichsbank. Ce serait dailleurs trop souligner par contraste la réser\’e des ministres qui, cédant aux campagnes des fascistes de 1 intérieur et de I extérieur, s'abstiennent de participer aux manifestations popidaires en faveur de l’Espagne républicaine. Persuadé que les préoccupations rpii me font vous adresser cette lettre sont les vôtres, je vous prie de croire, mon cher Blum. à mes sentiments les meilleurs.

M. THOREZ.

REPONSE DE L. BLHM.

En date du 26 août 1956, de la Présidence du Conseil. Léon Blum adressait à Maurice Tliorez la réponse suivante :

Mon cher Maurice Tborez. II est exact que M. le Dr Scbacht, Gouverneur de la Reicbsbank. a rendu à M. Labeyrie, Gouverneur de la Banque de France, la visite que celui-ci lui avait faite à Berlin. Il est exact que M. Labeyrie a convié M. le Dr Sclincbt à déjeuner aujourd'luu Mercredi. Il est exact que quatre membres du Gouvernement et moi-même venons de nous rencontrer à la Banque de France avec M. le Dr Schacbt. Vous exprimez la crainte que cette rencontre, d'ailleurs prévue depuis plusieurs semaines, ne soit pas conforme à la dignité de notre peuple et à la cause de la Paix. Je ne portage pas votre sentiment. Soyez-en bien sûr. le Gouvernement de Front Populaire ne laissera porter aucune atteinte à la dignité de la France. Il a pris et prendra toutes les mesures nécessaires pour garantir sa sécurité. II n’oublie pas et n’oubliera pas que toute nation qui s’abandonne s expose et qu’elle compromet par cet abandon la paix générale. Mais le Gouvernement sait aussi que la volonté de Paix est une des formes de la dignité française, que l’organisation de la Paix est une des conditions de la sécurité française. C est pourquoi, à aucun moment il ne veut désespérer de la Paix. A aucun moment — fût-ce au lendemain de la decision qui a prolongé la durée du service militaire en Allemagne — il ne veut se refuser à fies conversations qui. .soit sur le plan écono­ mique et financier, soit sur le plan politique, puissent faciliter un règlement général des problèmes européens. Je suis persuadé, mon cher Maurice Tborez. que ces préoccupations sont aussi les vôtres et je vous prie de croire à mes sentiments amicaux.

Léon BLUM. 28

LA PRESSE COMMENTE ; L’ALLEMAGNE SATISFAITE DE LA REPONSE DE M. BLUM A M. THOREZ.

La presse de Paris publiait le 28 août une dépêche de Berlin, datée du 27 août, reproduisant les commentaires de la Correspondance diplo­ matique et politique, organe officieux du ministère des Affaires étran­ gères du Reich hitlérien. Relevant la réponse de L. Blutn à M. Thorez au sujet du noyage du Dr Schacht, l’officine hitlérienne l'appréciait en ces termes : < Réponse rapide et digne, ecril-cllc. On en a pris connaissance en Allemagne, ainsi que du désir d ’entente quelle manifeste, avec une satisfaction d ’autant plus grande quelle corres))ond exactement à la position que le peuple allemand a prise à l’égard de son voisin de I ouest. « Si le ministre président français souligne qu il veut suivre, sans se laisser égarer, le chemin de l’entente, en prenant cette position comme homme d Etat, il démontre que le voyage du Dr Schacht sert en dernier ressort au grand but dont la réalisation est désirée sincèrement par l’Allemagne. » Auant de quitter Paris, interrogé à sa sortie de l'Hôtel Matignon, où il s’était entretenu avec le président du Conseil Léon Blum, le Dr Schacht a assuré aux journalistes « qu’il n ’a pas parlé au gouverneur de la 2Q

Banque de hrance du traité franco-soriélique et dément, comme une hypothèse à ses yeux ridicule, qu'il en ait demandé à la France la dénonciation >.

Le compte rendu du « Temps » (28-2Q août 1056) poursuit : « 11 a seulemonl signalé les dangers qui consistent dans la propa­ gande essentiellement internationaliste du communisme, et ce faisant, il s est placé au point de vue économique. 11 confirme avec la plus grande netteté, que c est de questions proprement commerciales qu’il est venu s entretenir avec le gouverneur de la Banque de France, comme avec ses autres interlocuteurs. 11 assure que le national-socialisme est un mouvement tout national, et que le Fülirer a défendu aux Allemaiuls de faire de la propagande à l’étranger >,

Le « Temps » du 26 août avait écrit à ce sujet : « Le ministre allemand de 1 économie nationale devait dire ensuite au représentant du Temps : Je ne fais pas de déclaration pour le Temps ; j’en fais pour l’éternité. Nous avons néanmoins cru devoir signaler au docteur Scliaclit I annonce, publiée quelques instants auparavant par un journal parisien que « le ministre de l’économie du Reich aurait ni plus ni moins 1 intention de « marchander » l’ahandon par la France du traité franco- soviétique », Ce même journal disait savoir « de bonne source que le Reich a décidé de manœuvrer dans ce sens, et qu’il n’hésiterait pas à « payer cher » une telle renonciation de la part du gouvernement 50

français ». Nous avons, cl aulre pari, demandé à I liôte de la Banque de France ce qu’il fallait penser de 1 affirmation, lue dans beaucoup de journaux français et allemands, que 1 objet véritable de sa mission serait non seulement économique, mais, dans une mesure au moins aussi (Çrande. politique. Le Docteur Scbacbt nous a répondu en ces termes : Je suis écono­ miste. Je ne m’occupe pas de politique, jamais. Je ne comprends pas la politique. Est-ce que vous comprenez la politique, vous ?... ».

L’APPEL DE MAURICE 'PIIOREZ LE 25 AOUT 1936 ; FRONT FRANÇAIS POUR LE SALUT DE NOTRE PEUPLE.

.Au moment même où le Dr Scbacbt arrivait à Paris, un puissant meeting du Parti communiste était organisé au Vélodrome Buffalo, pour 1 aide à l’Espagne républicaine et la sauvegarde de la paix. Maurice Tborez y fustigeait en ces ternies la politique de capitulation devant l’agresseur amorcée par la politique de non-intervention en Espagne : « Demain. Hitler fera agir ses agents en Alsace et en Lorraine et je demande, prenant cette foule à témoin : Est-ce que pour chacun des 51

cas que je viens d évoquer n aura pas été créé le précédent redoutable : neutralité envers le gouvernement régulier comme envers les rebelles armés par Hitler ? « D’autant plus que l acceptation par Hitler de 1 embargo sur les armes, après c[u'il a expédié tant de matériel de guerre, intervient à point selon sa méthode habituelle pour voiler le fait le plus brutal, le plus significatif et le plus gros de conséquences intervenu hier : le décret sur les deux ans de service militaire en Allemagne et la création d une amiée de 1.200.000 hommes au service de la politique de guerre du fascisme hitlérien. Après le 7 mars, après Dantzig, après 1 intervention cynique en Espagne. l'Allemagne hitlérienne précipite la course aux armements. Zyromshi a eu raison de dire : « Ce nesi pas en capitulant à chaque moment devant les exigences de Hitler que nous protégerons la paix et que nous sauvegarderons l'indépendance et la sécurité du pays. > A I heure présente, un ministre de Hitler, le docteur Schacbt. directeur de la Reicbsbank, vient d arriver à Paris. Il rend, paraît-il. au nouveau gouverneur de la Banque de France, une visiste de courtoisie. Peut-être aurait-on pu commencer ailleurs qu’à Berlin les visites de courtoisie. Que le docteur Schacbt apprenne dès ce soir que le peuple de France n est pas mûr pour 1 esclavage. » Le discours de M. Thorez à Buffalo se terminait par un vibrant appel à constituer un front plus large que le Front populaire, un Front Français pour l’indépendance et la sécurité du pays : 32

« Pour que Hiller sache que ses rodomontades insolentes et ses manifestations guerrières ne nous effraient nullement, qu elles nous font seulement mesurer avec plus de netteté 1 immense tâche qui incombe aux hommes de bonne volonté, afin que le monde échappe à une nouvelle boucherie sanglante. > Il est intéressant de relever également les points 3 et 7 du chapitre 11 du Programme du l'ronl Populaire, cochés au crayon rouge dans 1 exemplaire qui figure au dossier de Maurice Thorez consacré au voyag«- du Dr Schacht. Ils s’énoncent ainsi : 3“ Répudiation de la diplomatie secrète, action internationale et négociations publiques pour ramener à Genève les Etats qui s’en sont écartés, sans porter atteinte aux principes constitutifs de la Société des Nations : sécurité collective et paix indivisible. 7“ Extension, notamment à I Europe centrale et orientale, du système des pactes ouverts à tous, suivant les principes du pacte franco- soviétique.

On voit, a la lumière de ce dossier, comment s opposaient dès août 1956 deux conceptions, deux lignes de la politique extérieure de la France. Les faits ont montré, depuis, de quel côté était la véritable défense de la paix et de la sécurité.

(l) Maurice Tltorex, Œuvres. T. XII (lüdilions Sotiales). 33

MAURICE THOREZ. ET LA LUTTE POUR LA DÉMOCRATIE

Victor JOANNiSS

}4omme d action intimement mêlé à In vie politique et aux luttes sociales de ses contemporains, dont il a pendant plus de quarante ans orienté, organisé le combat, Maurice Tborez a été un iKéoricien éminent du marxisme-léninisme. II a apporté une riche contribution au développement de la doctrine du communisme scientifique. Tout au long de son existence de militant non seulement il a illustré la théorie de Marx et de Lénine, mais il lui a donné une série de découvertes originales qui l ont classé 3-1

parmi les personnalités les plus marquantes des monarques contre la République » du mouvement ouvrier international. celui des combattants de février et de juin De I ensemble de ses travaux, nous 1848, celui des héros de la Commune de retiendrons plus particulièrement, dans cet Paris. article, ceux consacrés au renouvellement « Nous revendiquons, disait Maurice apporté aux thèses marxistes sur la démo­ Thorez, au nom de la classe ouvrière, l’héri­ cratie, sur son contenu à notre époque, sur tage intellectuel et révolutionnaire des ency ­ son caractère de création continue. clopédistes du XVIL siècle qui préparèrent par leurs écrits et leurs travaux, la grande révolution de 1789 »'^\ C’est cette révo­ LA DEMOCRATIE lution qui, sous la direction d’une bourgeoi ­ PHENOMENE HISTORIQUE sie alors ascendante, instaura en France la démocratie, liquida les vestiges du féoda ­ El’ SOCIAL lisme et donna corps pour la première fois aux idées de liberté et de fraternité humaine Pour Maurice Thorez, comme pour tout en même temps qu’au mot Patrie. En pre­ marxiste, il n’y a pas « la démocratie en nant la forme parlementaire, cette démocra ­ Général », c’est-à-dire un problème à étu­ tie devait faire des assemblées légiférantes dier « en soi », en dehors de toutes contin­ élues une sorte de lieu géométrique où se gences de classe ; il y a un phénomène reflètent plus ou moins correctement et, par ­ historique et social qui a un passé, un pré­ tant se règlent plus ou moins justement et sent et donc nécessairement un avenir. complètement, les intérêts des diverses cou­ Le passé de la France, pays de vieille ches de la nation. démocratie bourgeoise, pays classique de la Cependant, avec les débuts du XX“ siè- révolution bourgeoise, pays ou la classe de et le passage de la France à l’impéria ­ ouvrière a participé à plusieurs révolutions, lisme, le caractère sinon le contenu de la le secrétaire général du Parti communiste démocratie bourgeoise devait tendre à se en avait une connaissance profonde. Il en modifier — dans le sens de l’accentuation revendiquait Ihéritage progressiste, celui des Jacobins de 1792 qui donnèrent « à la

France les meilleurs exemples de révolution (1) Lénine. OEiuvrcâ complètes. Tome 25. p. 124. démocratique et de riposte à la coalition (2) M. TTiorez. Tome IX. üvrp 1!, p. 124. JJ

de la domination de classe d une Iraclion tions la démocratie parlementaire bourgeoise particulière de la bourgeoisie : la bourgeoi ­ se soit trouvée dépassée, soit devenue gê­ sie monopoliste. Celle-ci va exercer une in­ nante pour I oligarchie financière. Celle -ci fluence de plus en plus déterminante dans a désormais besoin de prendre des décisions tous les domaines de la vie sociale et d abord qui intéressent le marché national et inter­ dans la vie et la nature de l’Etat qu elle national sans tenir compte des autres caté­ soumet peu à peu à son contrôle presque gories d intérêts capitalistes et encore moins exclusif pour en faire, en dernière analyse, des besoins des masses laborieuses. Il lui une sorte de « service » dont tous les roua ­ faut essayer de se soustraire à cette double ges tendent à lui assurer la domination éco­ pression, éviter de passer des compromis qui nomique et politique sur la nation. risqueraient de diminuer ses profits. Dès les années 30, une minorité de mo­ Cela d autant plus qu au cours des pre­ nopoleurs décide en fait des destinées de mières décennies de ce siècle la classe ou­ notre pays. C est le radical Edouard Dala- vrière a grandi en nombre, en puissance, lier qui en fait la constatation en septembre s est organisée nationalement et internatio ­ 1955 : « ... ce sont deux cents familles, affir- nalement, a imposé ses représentants dans me-t-il, qui. par 1 interpénétration des les organes de la démocratie bourgeoise ; Conseils d administration, par 1 autorité Parlement, communes, assemblées départe ­ grandissante de la Banque qui émet des mentales et autres, et exerce ainsi son in­ actions et apporte le Crédit, sont devenues fluence sur d'autres couches sociales non les maîtresses indiscutables, non seulement monopolistes qu elle aide dans leur lutte de 1 économie française, mais de la politique contre le capital financier. française elle-même ». Les deux cents fa ­ De plus, la grande Révolution Socialiste milles conviendront d ailleurs cyniquement d’Octob re en portant pour la première fois du fait : dans une brocbure inspirée par dans 1 histoire la classe ouvTière au pouvoir elles. publiée en 1956 et intitulée. « Répon­ (et en permettant aux travailleurs de passer se officielle des 200 familles », elles procla ­ à une forme supérieure de démocratie, la ment ; « Les Banques, les Sociétés anony ­ démocratie socialiste, c est-à-dire la démo­ mes, ces deux institutions sont dans l’Etat. cratie pour les pauvres et non pour les riches) Elles sont l Etat. » Ce qui est une excellente influence la classe ouv'rière de tous les conti définition du capital monopoliste d Etat ! nents. Elle facilite la naissance de partis On comprend que dans de telles condi­ communistes qui très vite rempliront dans 56

de nombreux pays un rôle elficace d avant- implacable les uns contre les autres ; d au ­ garde de la classe ouvrière, d organisateurs tre part, sur le plan intérieur, asservissement des masses exploitées par 1 impérialisme. de la classe ouvrière, instauration de la ter­ reur, destruction des libertés pour mater le peuple et renforcer 1 arrière des futurs fronts LM ROLE militaires. Et le secrétaire général du Parti DE LA DEMOCRATIE comuniste français dégage la leçon de ces N’EST PAS ACHEVE faits. « La condamnation de la démocratie par les cliques dirigeantes, leur politique de Ainsi inadapté aux besoins nouveaux lorce nous dictaient notre politique, dit-il : de la domination économique du capital il fallait défendre la démocratie, amener la linancier, insuffisant pour assurer à la bour­ petite bourgeoisie à lutter pour la sauvegar ­ geoisie monopoliste sa domination politique de de ses libertés menacées, appeler le prolé­ e.xclusive, 1 Etat démocratique traditionnel tariat à soutenir, en même temps que ses ne convient plus aux cliques dirigeantes du intérêts propres, ceux des couches moyennes, Capital. C est pourquoi, dès la veille de la attaquées et étranglées par le grand Capi ­ deuxième guerre mondiale, ces dernières tal. En défendant la République, nous dé­ passent à 1 offensive ouverte contre la démo­ fendions la classe ouvrière et nous prépa ­ cratie elle-même. La grande crise qui s’abat rions l’avenir » sur le monde capitaliste à partir de 1920 Dans cette perspective, Maurice Thorez en accélérant les phénomènes de concentra ­ précise la position du Parti communiste sur tion capitaliste accélère également cette la question décisive du Front Unique : le offensive qui se traduit en France par la front unique c’est l’action et l organisation tentative du coup de force fasciste du 6 fé­ indépendante des masses pour l action, et vrier 1934, la grande bourgeoisie monopo ­ avance la thèse originale du Front populaire liste essayant de mettre à profit la leçon conçu comme « l alliance durable de la qu elle a tirée de 1 avènement de Hitler en classe ouvrière et des classes moyennes, l al­ Allemagne. liance de combat des travailleurs manuels Maurice Thorez caractérise à l’époque et intellectuels ». Il affirme que le choix de cette situation de la manière suivante : d une I heure n’étant pas entre la politique réac- part aggravation de la crise dans le monde, poussant les Etats capitalistes à une lutte (!) Maurice TTiorez. Œuvres choisies. Tome III, p. 592. 37

lionnaire et 1 instauration du socialisme, « il taliste en 1937-1938, contre Munich qui y a place pour une politique populaire capa ­ devait en marquer l effondrement à la veille ble de réhabiliter la démocratie en la trans ­ de la deuxième guerre mondiale. formant ». Et il montre que le rôle néces­ Il reste néanmoins que « le Front popu­ saire, progressif et bienfaisant exercé par la laire n a pas seulement permis de défendre démocratie du XIX* siècle n est pas achevé, les libertés démocratiques, il les a étendues, qu il revient à la classe ouvrière, classe as ­ notamment avec la reconnaissance de fait cendante du monde moderne de développer des syndicats et l institution des délégués la démocratie jusqu’au bout, en recherchant d usines. Le Front populaire est donc un les formes |)ropices à ce développement et nouveau progrès de la démocratie » Et en mettant ces formes nouvelles à 1 épreuve celui-ci a marqué toute notre époque. de la pratique. Pour rendre concrète ces propositions théoriques, le Parti communiste préconise l.A DEMOCR.XriE I élection démocratique de Comités du Front CREA nON CONTINUE populaire dans les usines et les localités. H propose la tenue d im Congrès national, composé de dél égués élus dans les assem ­ Au lendemain de la deuxième guerre blées populaires de base et élisant lui-même mondiale et de la victoire de la démocratie un Conrité national chargé de veiller à 1 ap sur le fascisme, la thèse avancée par Mau ­ plication du programme du Front populaire. rice Thorez en 1933-1934 face à I assaut ün sait que le Parti communiste ne par ­ fasciste en Europe allait connaître de nou­ vint pas à vaincre l’opposition irréductible veaux développements. Les idées généreu­ des socialistes et de ses autres partenaires ses de liberté, de progrès et de justice avaient radicaux et républicains à ces Comités élus triomphé des théories rétrogrades et des pra ­ et à la convocation d un Congrès souverain. tiques sanglantes du fascisme. Dans la Ce fut une des raisons fondamentales qui bataille gigantesque « où se décidait le sort rendirent le Froiït populaire impuissant de la civilisation et de 1 humanité, la démo­ contre la « non-intervention » en Espagne, cratie (s était) avérée supérieure au fas ­ cisme, et dans tous les domaines : militaire, en 1956. contre hr « pause » qui arrêta la marche en avant de la classe ouvrière et économique, politique et moral ». favorisa contre elle la contre-offensive capi ­ (l) Textes clioisis sur la démocratie. Maurice Thorez, p, 16. 38

Le peuple de France qui avait affirmé la démocratie à notre époque : « une démo­ son attachement à la démocratie, au cours cratie débarrassée des trusts, une démocratie de cette guerre, exprima alors sa volonté où il n’y aura pas de place, où il ne doit d une rénovation et d’un élargissement de la pas y avoir de place pour les hommes qui démocratie. ont trahi la France et servi Hitler ». Saint- Dans le rapport qu il présenta au X*" fust disait : « Pas de libertés pour les assas­ Congrès du Parti communiste en juin 1945, sins de la liberté. » Maurice Tliorez développa longuement cette Comme toujours, comme il l’avait fait exigence populaire d’un renouveau de tou­ aux temps du Front populaire, parlant de tes les institutions démocratiques et natio ­ la démocratie, Maurice Thorez rappelait nales. Après avoir dénoncé les tendances qu une de ses exigences était une attitude réactionnaires de certains milieux regroupés plus compréhensive et plus juste envers les autour du général de Gaulle et qui s’effor­ peuples coloniaux. Faire droit aux légitimes çaient de revenir « aux méthodes et aux revendications de ces peuples c’est 1 intérêt hommes du passé », il déclarait : « Il sem­ des populations malheureuses des colonies ble que le mot démocratie n ait pas le même et c est aussi 1 intérêt de la France. Créer sens pour tous. Certains rêvent d’une démo les conditions d une union libre confiante cratie du genre athénien ou mieux encore et fraternelle des peuples coloniaux avec le du genre Spartiate. Une démocratie pour les peuple de brance », « voilà l’objectif que privilégiés, pour les propriétaires d esclaves. doit se proposer une politique vraiment dé­ Nous avons, nous, la conception d’une dé­ mocratique et vraiment française ». Plus mocratie telle que la définissait Condorcet, lard, alors c[ue la plupart des pays de l’ex- une démocratie « ou toutes les institutions empire colonial français auront conquis leur sociales doivent avoir pour but l’améliora­ indépendance politique, il insistera sur la tion sociale, morale, intellectuelle et physi­ nécessité d établir des rapports étroits, fra­ que de la classe la plus nombreuse et la plus ternels et égaux entre le peuple de France pauvre ». < La démocratie est une création et tous les peuples qui ont subi ou subissent continue. » encore 1 oppression de 1 impérialisme fran ­ Et Maurice Thorez après avoir rappelé çais. La France démocratique en marche le progrès de la démocratie qu’avait consti­ vers le socialisme, pour laquelle combattent tué le Front populaire, formulait une défi­ les communistes, pourra efficacement aider nition toujours valable de ce que doit être les peuples libérés à régler les nombreux 30

problèmes qui leur sont posés par leur pro­ Jusqu à 1 éviction des ministres commu­ pre développement historique. nistes du gouvernement qui marqua, en mai Quelques mois après le X*' Congrès, en 1947, le renversement des alliances opéré novembre 1046, tenant compte du nouveau sur ordre et sous la direction des Etats-Unis, rapport des forces politiques sur le plan la France accomplit des progrès remarqua ­ international et des conditions particulières bles dans tous les domaines et particulière ­ de la France où le mouvement de masse ment dans celui de la démocratie. La nou­ se développe, où l’influence du Parti s’est velle Constitution, adoptée en novembre considérablement renforcée, Maurice Tho- 1946, malgré des imperfections, représenta rez avance la thèse des possibilités multiples un progrès notable par rapport au régime désormais ouvertes pour le passage au so­ qui s était effondré en 1940. Elle garantis ­ cialisme. Il déclare dans un interview au sait la souveraineté de l Assemblée natio ­ grand journal anglais « Times » : « l.es nale issue du suffrage universel et la respon­ [irogrès de la démocratie à travers le monde, sabilité du gouvernement devant cette assem ­ en dépit de rares exceptions qui confirment blée élue. Elle consacrait la laïcité de l’Etat la règle, permettent d envisager pour la mar ­ et de 1 Ecole. Elle posait le principe d'une che au socialisme d autres chemins que ce­ Union française fondée sur des bases démo­ lui suivi par les communistes russes. De cratiques. toute façon, le chemin est nécessairement La classe ouvrière obtenait le Statut des différent pour chaque pays. Nous avons mineurs, le Statut de la Fonction publique, toujours pensé et déclaré que le peuple de I institution des comités d’entreprise, la France, riche d’une glorieuse tradition, trou­ reconnaissance officielle du rôle des syndi ­ verait lui-même sa voie vers plus de démo­ cats, des délégués. Elle eut ses représentants cratie. de progrès et de justice sociale. Ce­ au gouvernement en la personne des minis­ pendant I histoire montre qu’il n y a pas tres communistes et la nationalisation des de progrès sans lutte. 11 n y a pas de route entreprises réalisée dans ces conditions, tout toute tracée sur laquelle les hommes puis­ en favorisant la renaissance économique, sent avancer sans efforts. Il leur a toujours fallu surmonter bien des obstacles. C est le dégagea en partie la nation de l’emprise des sens meme de 1 a vie » q> grands monopoles. Le droit de vote reconnu aux femmes se place au rang des grandes

(l) TcxIps rKolsies .sur la déntoctalic. Maurice TKorez. p. 2'î conquêtes démocratiques de cette période. 10

IJIN'FERET NATIONAL est dans la lutte des masses pour donner à la l':XIGE LE DEVELOPPEMENT démocratie un contenu nouveau, pour la DE LA DEMOCRATIE soustraire à I influence pernicieuse des mo­ nopoles, pour développer I initiative politi­ que de tous les citoyens. « L intérêt de la Les ministres communistes écartés du France exige non pas qu on étouffe la dé­ gouvernement, la lutte pour la démocratie allait prendre un autre caractère et se con­ mocratie, mais qu on la développe et qu on la mette à I abri des entreprises de ses en- fondre avec la lutte pour la paix, pour 1 in­ f] ) dépendance de la France, contre l expan- nemis. » sionnisme des monopoles américains. En Et Maurice 1 horez poursuivra inlassa ­ même temps ce sera une lutte contre la blement la démonstration que le seid moyen grande bourgeoisie monopoliste qui, en faus ­ d obtenir un pouvoir stable et fort c est d im­ sant le fonctionnement de la démocratie, poser aux ministres comme aux députés avec I aide et les dollars de l étranger, a d être fidèles au mandat du suffrage uni­ fait prévaloir ses intérêts égoïstes sur 1 inté­ versel, aux volontés des masses et non rêt national. d avoir recours aux méthodes fascistes ou au pouvoir personnel. De 1947 à 1956, Maurice 1 bore/. rap- Ces thèmes seront repris avec une vi­ pellera sans cesse que si le Parlement et les gueur particulière après le coup de force gouvernants ont sacrifié la dignité et la gran ­ deur du pays, favorisé la main-mise améri ­ d Alger et I instauration du pouvoir person­ nel de de Gaulle, justement défini comme caine sur la France, saboté la coexistence 1 instrument de la domination renforcée des pacifique et la sécurité collective, c est parce grands monopoles et portant de ce fait un que 1 autorité de la nation sur ses représen­ coup sérieux à la classe ouvrière et à la tants et ses gouvernants a été bien plus fai ­ démocratie. ble que 1 autorité des puissances d’argent. Et ce sont les mêmes cercles capitalistes « Les travailleurs, les démocrates sont qui sont responsables de la « sale guerre » pour un gouvernement fort, pour un gou­ du Vietnam et de la honteuse guerre d’Al­ vernement stable. Mais qu est-ce qu’un gou­ gérie. vernement fort et stable ?... Le gouverne ­ ment fort, le gouvernement stable est un Contre un tel mal, ne cessera de répéter le secrétaire général du Parti, le seul remède (l) Maurice Tltorez. lexlcs choisis sur la démocrallo. p. 16. ■41

gouvernement qui s appuie sur le peuple, crates et les partisans de la Paix. Les laits qui n a pas peur du contrôle du peuple, qui sont connus : exigences de de Gaulle pour reste îidèle aux engagements contractés de­ se faire attribuer des pouvoirs exceptionnels, vant le peuple » tentatives de mettre le peuple « en condi­ Or. un i)ou\oir au service exclusif des tion ». de lui faire oublier sa place, son monopoles, parce qu il est [)rofondémenl rôle darrs la vie du pays. réactionnaire ne peut être un pouvoir fort. C est pourquoi, reprenant les thèmes du C est ce que démontre Maurice Thorez dans XV® Congrès (juin 1939), Maurice Thorez son discours de clôture du XVP Gong rès invite tous les républicains à se rallier à la du Parti, en mai 1061 : « On proclamait classe ouvrière pour combattre le régime de 1 « Etat fort ». Mais en réalité. 1 Etat gaul ­ I arbitraire, pour travailler à la rénovation liste s’est révélé à 1 épreuve singulièrement de toute la vie nationale et démocratique. faible, notamment en janvier 1960 et en II rappelle que pour aider à ce rassemble ­ avril 1961. Appuyé sur une base sociale ment le Parti a adopté un ample programme étroite, utilisant des généraux et de hauts économique, social et politique qui prouve, fonctionnaires ennemis de la démocratie et par sa seule existence, que la nation peut liés aux émeutiers, marqué lui-même par la compter sur de claires perspectives d ave ­ complicité originelle avec les comploteurs de nir, qu il est possible d établir un solide ré­ 1958, le pouvoir a étalé son impuissance gime démocratique s ap[)uyant résolument devant les coups de force des ultras. Il a sur le peuple. L.a condition essentielle du fallu les grèves nationales du fé\ rier 1960 large rassemblement nécessaire étant 1 unité et du 24 avril 1961 pour sonner le glas de la classe ouvrière, fondement de 1 union de l émeute. La subversion fasciste a été sans exclusive de toutes les forces nationales écrasée par la classe ouvrière, par le peu­ et démocratiques. ple » Mais si c’est le peuple qui a brisé Aussi Maurice Thorez revient à nouveau les complots, le pouvoir a tiré lui la conclu­ à la pensée maîtresse qui a guidé toute son sion qu il faut brimer et frapper encore activité : quelles que soient les divergen­ davantage les forces populaires, les rlémo- ces idéologiques qui subsistent sur certains points entre communistes et socialistes, ces (1) NlHurkc lltorez. Textes t^oisis sur la démocratie. Edi ­ divergences ne doivent pas empêcher I in­ tions du P.C.F.. p. 64. dispensable entente pour la défense de la (2) Maurice Tltorez. Texte* cKoisia sur la démocratie. Edi lions du P.C.F., p. 90. démocratie et de la paix, ne doivent pas 4'2

empéclier l’accord sur un programme mini­ réalisera « le développement intégral et libre mum commun de tous les partis et groupe­ de tout individu ». ments se réclamant de la démocratie et de la France. « Et cette unité que nous offrons aux partis démocratiques pour le moment pré­ Tels sont quelques uns des développe­ sent, pour la période de lutte en faveur de ments apportés par Maurice Thorez au.x la démocratie contre le pouvoir personnel, thèses marxistes-léninistes sur la démocra ­ nous entendons également la maintenir avec tie. Chacun d entre eux mériterait sans eux pour l’avenir, pour la période des gran ­ doute une étude approfondie. Ces quelques des transformations sociales que l’iiistoire notations permettront pourtant, nous l espé- rend inéluctables » rons, d apprécier à sa valeur la riche con­ Car, comme l’a maintes fois montré tribution apportée par le président de notre Maurice Thorez, si le passage au socialisme Parti à la théorie du communisme scientifi­ constitue toujours un bond révolutionnaire, que. celui-ci peut aujourd ’hui, dans certaines con­ Maurice Thorez avait su s’approprier la ditions, se réaliser par des voies pacifiques substance du marxisme-léninisme, il s’en pouvant comporter l’utilisation d’un vérita ­ est remarquablement servi pour résoudre les ble Parlement élu par le peuple et soutenu questions pratiques posées devant la classe par un puissant mouvement populaire. C esl ouvrière française et devant le mouvement 1 intérêt du prolétariat, de tout le peuple, ouvrier mondial, dans les conditions de la de la nation et de la paix. C’est pour attein ­ lutte de classe à notre époque. Il a fait du dre cet objectif que combattent les commu­ Parti communiste français un participant ac ­ nistes lesquels, à notre époque, ne séparent tif au développement du communisme com­ pas la lutte pour la démocratie de la lutte me science, lui permettant ainsi de s’acquit ­ pour le socialisme, mais au contraire font ter effectivement de son devoir de parti ou­ de celle-ci une partie intégrante de la lutte vrier révolutionnaire, de parti responsable pour le socialisme et le communisme qui de 1 avenir de la France comme nation, de parti responsable au sein du mouvement communiste international de la cause de (l) Mnurice' TTiorox- Textes choisis sur la ciéniorralie. Edi ­ tions du PC.F., p. 05. toute l’humanité. 45

MAURICE THOREZ ET LA TRADITION NATIONAI.E

Pierre HENTGES

Deux idées maîtresses, fondées sur la tliéorie faire apparaître les communistes comme les léga­ marxiste de la lutte des classes, ont ffittdé la politi­ taires de tout ce par quoi notre pays a contribué que de Maurice Tliorez à l’egard du peuple et à la civilisation et au progrès humain. de la nation. Au Congrès de Lille, en 1026, il Si aujourd'hui, et cela en partie grâce à formidait la première en ces termes : Nlaurice Thorez, nous admettons sans difficulté < Ce sont les communistes, ces internationa­ que le patriotisme et l’internationalisme ne sont listes, qui deviennent actuellement les meilleurs en rien contradictoires, il a fallu, pour proclamer défenseurs du patrimoine national. > que I un et l’autre se complètent, lutter non seule­ Quant à la seconde, sur laquelle il a constam­ ment contre les calomnies de l’adversaire, mais ment insisté dans la dernière période de sa vie. contre les préjugés dans nos rangs mêmes. Sans c est que le Parti n’étant pas son but en lui-même, doute aussi parce qu'on avait oublié et les il n’existe que pour les masses créatrices de leçons de la Commune et l’enseignement de riiistoire. Jaurès, il y a eu. face aux incompréhensions sectaires, quelque nouveauté à unir < dans son Le discours de Lille ouvrait dans l’bistoire du coeur la France et le communisme > à pro­ Parti communiste français, et 1 on peut même dire clamer comme le faisait Paul Vaillant-Couturier dans l’bistoire de la classe ouvrière française, un en 1Q36, que 1 attachement des communistes au.\ processus dont Maurice Thorez parlera lui-même valeurs spirituelles et morales, que la foi qu’ils en 1036, empruntant pour cela un mot de ont en 1 homme « contribue à faire du commu- Nietzsche, comme d ’une revalorisation de foutes les valeurs revalorisation qui devait justement (2) Maurice TUorc?. ctnploie œllc expression en faisant I éloge de P. Vaillant-Couturier. Fifs du Peuple. Editions (l) Œtiprps dp Maurice Thorez, T. II. p. 110. Sociales, I960, p. 158. 4^1

nisme un moment de la France éternelle et un Une telle attitude n était-elle d ailleurs pas encou­ moment du monde» ragée par le Bureau de 1 Internationale commu­ C’est un travail analogue d éclaircissement niste quand, en juillet 1920. dans sa « Lettre à qu avait accompli Georges Dimitrov au VIF tous les membres du Parti socialiste français, à Congrès de 1 Internationale Communiste quand, tous les prolétaires conscients de France ». il leur dans son rapport du 2 août 1935, il avait montré disait qu « il n est pas possible que la classe c[uc « les formes nationales de la lutte proléta­ ouvrière révolutionnaire de France avec ses hautes rienne de classe et du mouvement ouvrier des traditions révolutionnaires, sa haute culture, son différents pays ne contredisent pas l'internatio­ esprit de sacrifice, son magnifique tempérament nalisme prolétarien » et qu « au contraire, c'est combatif, ne crée pas un puissant Parti commu­ justement sous ces formes que I on peut défendre niste à l’heure où commence l’agonie de la avec succès les intérêts internationaux du prolé société bourgeoise. » lariat eux aussi. » Il faudrait rappeler aussi ce qu avait été, au Que de telles conceptions aient pu, de 1920 à moment de sa création, en 1919, la revue Clarté 1936, avoir caractère de nouveauté, on en a une de Barbusse qui groupait dans son comité direc ­ preuve dans ce verbe devenir qu’emploie Maurice teur aux côtés de I auteur du « Feu ». des écrivains Tborez au Congrès de Lille. « Les communistes étrangers comme H.G. Wells, Thomas Hardy, deviennent actuellement les meilleurs défenseurs bipton Sinclair. Stefan Zweig et des écrivains du patrimoine national >, Qu ils ne l'étaient pas français comme Anatole France. Séverine, Georges encore, ou qu ils n’en avaient pas (ce qui revient Oui ïamel. Jules Romain. à peu près au même) encore conscience, il suffit Pourtant si, par exemple, on parcourt aujour- de voir, ce qui s écrivait parfois, avant Maurice d hui les « Cahiers du BolcKévisme » d ’avant riiorez, dans notre presse, ce qui se disait parfois le Congrès de Lille, il faut bien dire qu’on ne avant Maurice Tborez. dans notre parti. trouve pas toujours chez les communistes, au 11 faut éviter ici bien sûr de forcer le trait. moins dans cet « Organe théorique du Parti Quand Anatole France publiait dans L’hhimanité communiste français (S.F.I.C.) », l’état d ’esprit du H août 1920, avant même le congrès de Tours, le plus propre à revendiquer comme leur un un « Appel au prolétariat », où il condamnait héritage culturel national ; 1 intervention militaire contre le pays des Soviets « Tant qu il est sous le talon du capital, le et s écriait : « Le prolétariat tient entre ses mains prolétariat ne peut évidemment pas avoir de le salut de la France, le salut de l’Europe... culture » Français, sauvez la paix du monde ! ». c était bien « Dans toute société, quelle qu elle soit, la là. dans une même pensée. l’expression la plus grande majorité des intellectuels ne fait que défen- ardente du patriotisme et de l internationalisme. tlre les intérêts des classes dominantes. Faire (1) Cité p«r Maurin' Tliorc/.. idem. (2) V(I* Congrès de rintcmationale communiste, compte (5) Cite (fnns Hi.sloin’ du Parti comniiinisle français. Editions rendu abrégé, éditions en langues étrangères, Moscou, 1950. Soiiales. Paris. I9t}4. pp. 94-05. p. 170. (■4) ( o/iiprs tiii bolcbèrismt». 15 odobre 1925. p. 1973. 45

alliance avec eux. signifie en réalité faire alliance 1 expression même de l internationalisme proléta­ avec ces classes, et tourner le dos à la révo­ rien. Dans sa prison de Nancy, il avait lu dans lution. » .Anatole France « On croit mourir pour la Voilà ce qu on écrivait alors, et cela, assez pairie, on meuri pour des industriels ». Et paradoxalement d ’ailleurs, parce qu’on recfiercliait dans un discours à la salle Bullier. le 12 février les moyens de faire accéder la classe ouvrière à 1932. il avail encore cité la formule « Les ouvriers une culture à elle, une culture de l’avenir. Mais n ont pas de patrie ». quand il dénonçait le Traité il n’en restait pas moins, comme l'a fait remarquer de Versailles et appelait contre lui. à la solidarité Aragon, que « I héritage qu'on faisait réclamer à avec le peuple allemand, de même aussi qu’il cette classe était singtdièremenl limité » et qu « on proclamait sa solidarité avec « les peuples colo­ faisait volontiers cadeau de Racine ou de Watteau niaux opprimés par l’impérialisme français ». Mais à la bourgeoisie » les révolutionnaires ne sauraient avoir la même Ceci pourtant nous permet de mieux mesurer altilude envers ce qu’ils n’ont pas et ce qu’ils 1 importance du travail de « revalorisation > que ont. ni même envers ce qu ils sont en voie de va entreprendre le Parti communiste dans le temps conquérir. même où il déploiera tous scs efforts pour la créa­ Relisons donc avec Maurice Tborez le Mani­ tion du Front populaire. Dans son rapport au feste communiste comme il nous y a invités, Congrès de Villeurbanne, en 1936. Tborez énu­ quatre ans plus tard quelques mois après que mère d ’un seul coup des questions : « Front Dimitrov eut dit au VII' Congrès de l’Internatio­ unique. Front populaire, attacliement au pays, nale communiste : « La France est le pays où. véritable réconciliation française ». qui « parais­ comme on le sait, la classe ouvrière donne à tout sent simples maintenant, qui ne l'étaient pas le prolétariat international un exemple de la façon pour tous quand le Comité central les posait ». dont il faut combattre le fascisme. Le Parti com­ Elles constituent en réalité toute la politique du muniste français fournit à toutes les sections de Parti, telle que Maurice Tborez en rendait compte I Internationale communiste un exemple de la au Congrès, et c’est dans tous les domaines que. façon dont il faut réaliser la tactique du front sous sa direction, le Parti s’était dégagé de unique » Relisons le ^lanifesle avec Maurice « 1 ornière routinière et sectaire ». Tborez au lendemain de ce Congrès de Villeur­ « Sur le front idéologique — disait-il — nous banne. où dans les directives qu il proposait au avons fourbi les nouvelles armes de la classe parti, il disait : « Nous devons, en faisant payer ouvrière ». L’une de ces nouvelles armes, c’était les riches, soulager la misère des pauvres, donner le patriotisme. du travail et du pain aux ouvriers et à leurs O certes ! Maurice Tborez savait que le « défaitisme révolutionnaire » avait été. dans les (5) Cité clan.'4 / il.s tiii pcupli*, Editions Sorialos. éd. de conditions de la première guerre mondiale. 1060. p. 7%. (•l) Distours pronom;é à la sali»' W^agrani, le 30 janvier 1036. (1) i

familles, sauver l’agriculture française, rendre à les combats d aujourd hui où déjà se forme notre pays la liberté et le bonheur > l’avenir. Ceux qui ont travaillé à ses côtés savent, par exemple, avec quelle connaissance et quelle Marx et Engels écrivent : ferveur il parlait des débats de l’Assemblée cons­ « Les ouvriers n’ont pas de patrie. On ne peut tituante avant qu’elle ne proclamât la Constitution leur ravir ce qu’ils n’ont pas. Comme le prolé­ de 1701 et que c’est sur cela aussi qu’il s’appuyait tariat de chaque pays doit, en premier lieu, con­ pour repousser toute réforme administrative centra­ quérir le pouvoir politique, s’ériger en classe diri ­ lisatrice remettant en cause l’autonomie des dépar ­ geante de la nation, devenir lui-même la nation, tements et des communes. Mais, ceci ne fait il est encore par là national, quoique nullement qii illustrer sur un point une tendance plus géné­ au sens bourgeois du mot. » rale, si bien que l’on trouve toujours en lui

f Voilà ce que nous avons fait, dit à ce associées l’affirmation que « nous sommes les moment Maurice Tliorez. Voilà ce que nous fai­ héritiers du grand passé dont l’histoire est faite sons. Nous luttons pour reconquérir notre patrie. > des efforts séculaires du peuple pour se libérer » et l’affirmation que « nous sommes soucieux de 1 avenir de notre pays » et que nous voulons faire « une France forte, libre et heureuse ». NOUS CONTINUONS LA FRANCE. Peut-être le lecteur sera-t-il frappé lui aussi, L’on est assez naturellement tenté ici de com­ par les affinités qui me semblent exister entre prendre la revalorisation du patrimoine français, une certaine notion de temps, telle qu’on la trouve comme une incorporation dans la pensée révolu­ chez un homme politique comme Maurice Thorez tionnaire d ’aujourd’hui de ce qu’il y a eu de pro­ et chez Louis Aragon, poète ou historien. Chez gressiste avant tout dans la culture du passé. En l’un comme chez l’autre, le présent ne comporte- réalité, si les forces révolutionnaires de France t-il pas en effet le double miroir de l’avenir et du revendiquent comme leur un héritage culturel, passé, le présent étant le passé d ’un avenir, et tout c’est parce qu’elles sont les continuatrices de toute passé symbole d ’un devenir. L’on sait comment l’histoire d ’un peuple, de ses travaux et de ses dans les « Aperçus donnés par quelques Sovié­ combats, associant « dans un même hommage tiques éminents » qu’il a joints à l'Histoire paral­ reconnaissant > la masse des paysans, les prolé­ lèle. Aragon a introduit l’exposé des vues de taires et l’élite intellectuelle qui ont fait la puis­ l’ethnographe Tolstov, le grand spécialiste du sance et la gloire de notre pays » Kborezm : « Il faut peut-être me comprendre : lorsque je sus que je pouvais poser (...) la question Il y a toujours implicitement, dans tout ce de l'héritage du passé en Union soviétique, ques­ qu’a dit ou écrit Maurice Thorez, comme dans tion qui, au moins pour moi, est comme le pendant son action politique, cette idée que les pensées profond du rêve de l’avenir dont ce pays est et les combats d ’hier ont préparé les pensées et

( 1 ) Œupres de Maurice Thorez. T. 11, p. 127. (5) Œuvres de Maurice Thorez. T. Il, p, 83. (2) Fils du peuple. Editions Sociales. 1060. pp. 108-100. ( l) Id,. p. 87. 47

mainlenanl liante... j’ai eu une sorte de vertige ». « la grande cause de l’émancipation humaine » Par un mouvement analogue, dans son discours « l’immense et perpétuel effort des hommes avides de Clioisy de 1Q36. Maurice Tliorez affirmait que de bien-être, de liberté et de paix » et cela se « nous sommes les porteurs de l'iiéritage sacré de teinte chez lui d ’une affection particulière quand la Révolution (de 1789) comme des espérances il s’agit de la France. les plus chères de notre peuple » et il exprimait Jean-Paul Le Chanois nous n apporté sur ce la même conviction encore en citant aussitôt point un témoignage émouvant. Assis auprès de après « ces lignes admirables » de Romain Maurice Thorez sur un banc à Bazainville. tandis Rolland : que « le jour tombait sur ces horizons ouatés « Rallumer l'héroïsme et la foi de la nation d ’une légère brume, sur les longs vallonnements aux flammes de l’épopée républicaine afin que qui relient la Normandie à la Beauce et d ’où l œuvre interrompue en 1794 soit reprise et achevée surgit plus loin la flèche de Chartres », le sou­ par un peuple plus mûr et plus conscient de ses venir de Péguy était venu naturellement au destinées : tel est notre idéal. » cinéaste. Mais quand il cita de mémoire quelques Dans un article des « Cahiers du Commu­ vers de la « Présentation de la Beauce à Notre- nisme » consacré à « l’apport de Maurice Thorez Dame de Chartres » : à l’histoire ». Jean Bixdiat a souligné le « caractère toujours profondément humain » de ses considéra­ « Nous sommes nés au bord de votre plate [Beauce tions sur le passé Chez un dirigeant de notre parti, chez un homme qui a par conséquent les Et nous avons connu dès nos plus jeunes ans plus hautes responsabilités envers la classe Le portail de la ferme et les durs paysans Et l’enclos dans le bourg et la bêche et la ouvrière et le peuple, on ne saurait s étonner en [fosse... » effet de l’étendue des connaissances, si l’on n admirait en meme temps la profondeur et tou­ Maurice Thorez répondit : « Deux mille ans de labeur ont fait de cette jours l’extrême actualité de la réflexion. En fait. [terre Maurice Thorez a une conception politique et Un réservoir sans fin pour les âge morale de l’histoire. Il croit au progrès, et il y a, (6) pour lui. une solidarité des forces qui en assurent nouveaux... » la marche, semblable à la solidarité des généra­ tions successives de chercheurs dans l’œuvre Deux mille ans de labeur, mais aussi deux d ’édification de la science à toutes les époques, raille ans de combat. Un communiste peut repren­ ce progrès mettant en jeu les forces intellectuelles, dre, en l’appliquant aux nations et aux classes morales, matérielles les plus aptes à enrichir la dans les nations, le vers de Victor Hugo qu’il somme des valeurs qui constituent la civilisation. arrivait à Maurice Thorez de citer en parlant des L’histoire c’est avant tout pour Maurice Tliorez

(5 ) Œupres, T. 12. p. 58. (1) Œuprvs, T. 12. p. 60. (4 ) IJ., p. 56, (2) Ca/licrs ci« Commimisma, avril 1950, p. 36. (“) CaWrs fiu Conmumisnw», avTil-mni 1965. p, 166. -18

hommes : « Ceux qui vivent, ce sont ceux qui Thorez. cela est si vrai que les références histori­ luttent ». Celles qui vivent, ce sont celles qui ques de ses livres et de ses discours servent luttent, et l'histoire est un champ de bataille où toujours à « fourbir les nouvelles armes de la s’affrontent les forces de réaction et de progrès. classe ouvrière, tout en reprenant audacieusement à 1 ennemi ce dont il nous avait frustré et qu'il outrageait » DANS LA TRADITION HLTMANISTE Cette conception et cet usage de l’histoire, où. par une démarche toujours concrète et matéria­ liste. le sentiment patriotique et l’analyse marxiste Maurice Thorez puisait dans l’histoire de la s’appuient et s'enrichissent mutuellement est à philosophie et des doctrines sociales, comme dans l’opposé, remarquons-Ie en passant, des vues idéa- l’analyse des courants de pensée qui avaient pré­ listes et opportunistes, abstraites et spéculatives paré idéologiquement le communisme, des raisons que Maurice Thorez dénonçait au XV' Congrès, particulières d ’estimer son pays. celles de Bormel et Quillot, par exemple, pour qui « Nous sommes, disait-il. des marxistes-léni­ « le socialisme présuppose uniquement et simple­ nistes. des partisans convaincus du matérialisme ment une certaine volonté de raison qui est le dialectique, théorie d avant-garde du prolétariat bien commun de toute la pensée occidentale, une révolutionnaire. certaine idée de l’individu raisonnable et < Nous sommes par là, les héritiers authen­ libre » Les communistes ne cherchent pas à tiques et les continuateurs de la pensée des estomper les traits des masses laborieuses de matérialistes français du xviii* siècle, des grands France ou de la nation française dans un halo Encyclopédistes, eux-mèmes fils spirituels de cet occidental, ils cherchent au contraire à les rendre autre philosophe français. Descartes, dont nous conscientes d ’elles-mêmes et à les éclairer dans avons célébré récemment la mémoire. » leurs combats. La pensée d ’une nation, comme toute pensée C’est ce patriotisme conscient que Maurice humaine, se forme dans la succession, les contra­ Thorez exalte en montrant aux Français la valeur dictions. les luttes, les crises des doctrines sociales, de leur patrimoine national et leur mission qui elles-mêmes reflets des classes et des luttes de est de le préser\'er et de l’enrichir. Combien de classe, et la montée des forces de progrès s’accom­ fois n’est-il pas revenu sur ce thème, depuis ce pagne d une évolution incessante des doctrines congrès de Villeurbanne, où il comptait au nom­ progressistes. Mais, dans la mesure même où l’his­ bre des mérites (mérites durables nous le savons toire maintient et renouvelle la contradiction mieux maintenant) des communistes, d ’avoir repris fondamentale entre ce qui meurt et ce qui naît, à la réaction « la Marseillaise et le drapeau trico­ elle prend valeur de leçon ou de symbole. Qu’il en lore de nos aïeux, les soldats de l’an II », jusqu’à soit effectivement ainsi aux yeux de Maurice

(2) Œurres, T, 11. p. MO. (l) Kapport présenté u I asseniblcr des ordres du 26 (5 ) XV'* ConfïK’.»? Jti Parti commimiste /rançais, numéro 1057. «U Palais de la Muhialilé, Œuïtps , T. 14, p. 162. spé

ce premier congrès du Parti communiste dans la « Eh bien ! réplique Thorez, il nous plaît à brance libérée, à Paris, en juin 1945. où il décla ­ nous, prolétaires communistes, fils du peuple de rait : « I.a France qu’on aime, ce n’est pas la France, héritiers de la pensée des matérialistes France des de Wendel, de la réaction et de du xvin® siècle, continuateurs de l action révolu­ 1040, la France qu on aime, c est celle de la tionnaire des Jacobins, il nous plaît que la ques­ C'rande Révolution de 1789, c’est celle de I insur­ tion soit ainsi posée : Démocratie ou fascisme. » rection nationale de 1944 », Et cette pensée n'est- Et le secrétaire général de notre parti ne elle pas reprise, en juin 1959, nu Congrès d Ivr>', s attachait pas seulement à montrer que « la Révo­ avec plus de gravité peut-être, mais avec aussi lution française détruisant le féodalisme, donnant cette grandeur qu acquièrent la pensée libre et le à la bourgeoisie la place dominante dans la patriotisme quand le pouvoir personnel met en société, a été une étape historique du progrès cause les institutions républicaines, social et du progrès de la conscience » ou bien « Que de sacrifices a dû consentir In classe encore que libérant la bourgeoisie, elle a créé les ouvrière de notre pays afin de conquérir le suf­ conditions pour le développement et la libération frage universel et le système parlementaire de la classe ouvrière, il rappelait aussi, selon les aujourd liui vidés de leur signification ! Que mots de Goethe, que « tous les peuples opprimés d âpres luttes contre les régimes autoritaires ! tournaient (alors) leurs regards vers la capitale du Combien de dizaines de milliers d ouvriers ont inonde ». Montrant longuement comment, durant donné leur vie dans les combats livrés en France tout le xix' siècle, la Révolution française avait au xix' et au xx' siècles pour faire reconnaître les inspiré les forces en lutte contre le féodalisme ou droits élémentaires de l’iiomine et du citoyen, puis le joug de l étranger, Maurice Thorez avait ici pour les défendre contre la réaction de l’intérieur, évoqué tour à tour les Décabristes russes et et, pendant In deuxième guerre mondiale, contre Bolivar, la Grèce, l’Italie, la Belgique, la Hol­ I envabisseur fasciste allié à cette réaction ! » lande. la Pologne. l’Allemagne rhénane, tous pays C est en s intégrant consciemment dans cette où les mouvements libéraux et nationaux portèrent Iradit ion de combats pour la liberté que les com- I empreinte de notre Révolution... Mais Lénine bats actuels de la classe ouvrière et du Parti n avait-il pas dit aussi que « les bolchéviks sont communiste prennent toute leur efficacité et tout les Jacobins de la révolution prolétarienne » ? leur sens. L’exemple le plus saisissant en est sans Insistant sur le fait que les conséquences de la doute, au temps du Front populaire, la façon dont Révolution et de son rayonnement ne disparurent Maurice 1 borez répondait aux invectives de pas avec la chute de la Révolution en France. Mussolini contre la Révolution française. Maurice Thorez montrait que c’est dans ce sens « Le 7 avril 1926, Mussolini disait dans un qu’on pouvait dire de Napoléon, avec Jaurès, de ses discours : Nous représeutons l'antHlièse « qu il avait fécondé l’Europe en la bouleversant ». de tout le monde des immortels principes de Cela ne signifie pas que Thorez n’a point 1789... » (2) /.O f'ronce Front oopiifcurc et sa mission dans le (l) XV^ c ongri'S ort présenté au Congrès d ’Arles de 1957. Œui^res, sptVinI des CciJiiers dti Coniîrmnisme, fiiilIrt-ROÙt 1959. p. 59. T. I I. pp. 257 251. 50

gardé le sens tritique ni devant les Jacobins, ni « Nous sommes — disait Lénine — pour la devant Napoléon, ni en généra! devant la révo­ République démocratique en tant que meilleure lution bourgeoise. forme d'Etat pour le prolétariat en régime Alors même qu’il proclamait, en 1Q37. que le capitaliste. Front populaire était devenu « une acquisition de < Et Lénine expliquait : la classe ouvrière > et que celle-ci la défendrait « Développer la démocratie jusqu ’au bout, « envers et contre tous, comme elle a toujours rechercher les formes de ce développement, les soutenu et défendu la République », il rappelait mettre à l'épreuve de la pratique, etc., c’est là qu'au jugement de Karl Marx, la République est une des tâches essentielles de la lutte pour la pour le prolétariat « le terrain en vue de la lutte révolution sociale ». pour son émancipation révolutionnaire, mais nulle­ Tels étaient les textes de l’Etat et la Révo­ ment cette émancipation elle-même » et. beau ­ lution qu’évoquait Maurice Tborez au Congrès coup plus tard, en 1955. il citait Marx s’écriant d ’Arles de 1937. après avoir montré que les idées « Messieurs ne vous en laissez pas imposer par de 1789 avaient au xix® siècle bouleversé profon­ le mot abstrait de liberté. Liberté de qui ? Ce dément l’Europe et que la démocratie avait alors n est pas la liberté d ’un simple individu en présence d ’un autre individu. C’est la liberté qu’a joué « un rôle nécessaire, progressif et bien ­ faisant » ‘®'. le Capital d ’écraser le travailleur. » Devant le Comité central, réuni à Arcueil. en Maurice Thorez parlera aussi de la « tyrannie janvier 1956, Maurice Tborez avait souligné bonapartiste » et il évoque en passant la place qu’« il n’y a pas de contradiction entre la lutte qu’ont occupé dans le pouvoir instauré par Bona­ pour défendre et étendre les droits démocratiques parte, des dynasties bourgeoises comme les Mallet et la lutte pour le socialisme, qui signifie l’éta­ ou les Hottinguer. que l’on comptait encore en blissement d ’une démocratie supérieure » et que 1056, au nombre des « Deux cents familles » « c’est en se battant chaque jour pour le maximum Mais l’appréciation que Maurice Tborez porte de liberté qu’on prépare la libération totale des sur la révolution bourgeoise découle évidemment travailleurs ». au XV° Congrès, en juin 1959, et de la conception de l’histoire comme celle des à Ivry. il disait encore que « La démocratie, créa­ révolutions sociales successives et de la conception tion continue, s’achèvera dans le socialisme » de la République démocratique bourgeoise comme Les combats pour la liberté ne se séparent un régime social qui n’a pas épuisé ses possibi­ donc pas, pour Maurice Tborez, des combats pour lités. Ce sont des étapes d ’un mouvement en la nation, pour son unité et sa grandeur. C’est là, avant. sans aucun doute, une des raisons profondes pour

(1) Œuvres. T. 14. p. 88. la citation de Marx est extraite (5) Œurrps, T. 14. p. 249. Lea citationa de l’Elal el la des Luttes de classe en France. Editions Sociales. Pari.s, 1952. Rêrolutfoa se Irouvenl aux pages 23 et 72. Editions Sociales. p. 51. Paris. 1947. (2) Maurice TTioro*. Œuvres dioistes. T. 5. p. 20. (6) Cité dans Fils du peuple. Editions Sociales, éd. do 1060. (3) Œuvres. T. 21. p. 99. p. 542. ^4) Œiirrps. T. II. p. 26. (7) id. p. 350. 51

lesquelles la RévoluHon française a pris une Cette tradition française, dont Maurice Thorez place à part dans sa pensée politique. nous demande d ’être les dignes héritiers, ne « Luttant contre les privilégiés, contre les faux serait-elle donc pas aussi une tradition humaniste ? patriotes de la réaction, nous sommes aujourd’Iiui Voilà où l'on en vient. Et l’on découvre alors la nation, comme 1 étaient les sans-culottes de avec quelle insistance Maurice Thorez a exalté 1790 dressés contre les féodaux au service du roi 1 homme dans le patriote et le révolutionnaire. Il de Prusse. » Ce « roi de Prusse », de Bismarck écrira, par exemple, que « la Révolution française, à Truman, a subi certes Lien des avatars histori­ c était aussi, avec la proclamation des droits de ques. mais la classe ouvrière française, par sa l’homme et du citoyen, un sens plus élevé de la nature même de classe montante, dont aucun dignité de 1 homme » **'. Ou bien encore: «De objectif n est contraire ni à la cause de la liberté, I affranchissement des communes et des jacqueries ni aux intérêts de la nation, est appelée à justifier du moyen âge à la grande Révolution ; puis aux de façon permanente cette fière proclamation de soulèvements populaires de 1850 et 1848 et à la 1057. C'est pourquoi le Front populaire a ntiturel- Commune de Paris, c'est un même besoin de lemcnt tendu à devenir, face à la menace fasciste, justice sociale et une même soif de liberté qui un Front français « héritier et continuateur de la ont animé et dressé le peuple de notre pays. » grande Révolution comme sera appelée à l'être C est parce que l’humanisme du passé pré­ tout rassemblement des forces démocratiques qui figure toujours par quelque trait l’humanisme de nous conduira « vers une Lrance vraiment I avenir, que Maurice Thorez évoque avec la libre, vraiment démocratique, vraiment indépen- même émotion « les siècles qui ont vu s'élever dante » (3) vers le ciel les flèches de nos magniliques cathé­ S il est vrai, en outre, que les forces patrioti­ drales, ces purs joyaux de l’art populaire » et. ques, ou encore les classes et les partis révolu­ en LInion soviétique, « les usines géantes, les tionnaires. peuvent, aux différentes périodes de villes entières et aussi les grandioses monuments I hisloire. présenter dans le dévouement à leur par quoi s affinne aujourd hui l'élan enthousiaste cause des affinités de comportement. Maurice ilu communisme » Thorez a pu à la fois exalter « le patriotisme des Reprendre 1 héritage d une nation, c'est aussi humbles, le patriotisme de Jeanne d ’Arc. paysanne reprendre l’héritage de ceux qui. par leurs de France abandonnée par son roi et brûlée par ouvrages, dans la diversité de leurs tempéraments, l'Eglise » et nous inviter à puiser < dans l'his­ de leurs intelligences, de leurs imaginations, ont toire des grands hommes de 1789. de la première étudié, cherché, découvert, écrit, léguant à la République, des leçons d'audace et d'énergie France « cette succession de chefs d'œuvre qui révolutionnaires. » continuent a soulever, dans le monde d'aujour- d hui. parmi les peuples les plus lointains, l’admi- (1) Œuvres, T. 15. p. 175. (2) «].. p. Mj. (5 ) i'ils (iri prnp/o, F.dition.s Sorrnlrs. rcl. d.' 1900. p. 3-12. (f>) (/'.iiiTf'S, T. 14. p. 242. ( 0 kl., p. 132. (7) 0:urrrs. T, II. p. 55. (3) (7:eitTe>s. T. I-l. p. 241. (8) C/:tirivs. T. 14. p. 166. 52

ration. la confiance, l’affection pour noire de la Méthode. « Quelle puissance révolutionnaire pays » dans cet appel à la Raison... », c’est ainsi qu’il II n est pas nécessaire de montrer quelle connais­ sélait exprimé, en 19-16. à la Sorbonne, en sa sance Maurice Thorez avait de notre littérature, qualité de vice-président du Conseil, lors du 350' ni en quelle estime il la tenait. S’il évoquait le anniversaire de Descartes. Pour Maurice Tborez. rayonnement de la France dans le domaine de la Descartes était à l’origine d'un des principaux pensée, de la littérature et des arts, il citait courants de pensée qui ont fécondé tout le monde Rabelais, Corneille, Racine, Molière, Voltaire. moderne. Marx n’avait-il pas montré, par exemple. Fieaumarchais, Flaubert. Balzac et Emile Xola qu'« à l’intérieur de sa physique, la matière est Il est évident, cependant, qu’une prédilection le I unique substance, la raison unique de l’être et portait vers ce qu’on pourrait appeler la pensée de la connaissance » et Descartes n’avait-il ou la littérature militante, celle où s’est exprimée point par là frayé la voie aux matérialistes la libre critique, l’amour du peuple, le sens de français du wiii* siècle précurseurs de la l égalité entre les hommes, de la fraternité entre Révolution ? les nations, celle aussi par qui se sont formées les Ne serait-ce pas cependant appauvrir la pensée qualités d ’une langue française « sûre, sociale, et le goût de Maurice Thorez, ternir cette « image raisonnable » Dans le combat corps à corps vraie » qu’Aragon voulait qu’on en gardât, que qu il livre contre l’idéologie fasciste au Congrès d ’orienter ses intérêts dans une seule direction, d ’Arles, il invoque nos écrivains du xviii' siècle : celle où toute activité littéraire ou artistique ne Rousseau et Voltaire. Condillac et Rivarol : ser\'irait qu’à fourbir des armes pour nos combats ? ailleurs, dans son discours de Cboisy, en 1939, Nous savons bien que Maurice Thorez. nous pour le 130* anniversaire des Cahiers de doléan­ savons bien que les communistes ne sont pas ces. il dit encore que « notre doctrine, le marxisme- ainsi. Maurice Thorez partageait sans aucun léninisme, est le développement de la science de doute I opinion qu’avait exprimée Paul V^aillant- Diderot et Helvétius. » Couturier, dans un rapport approuvé par le Comme Paul Vaillant-Couturier qui voyait en Comité central : Descartes un « champion du libre examen > « Les communistes savent reconnaître les et I adversaire de l’esprit scolastique. Maurice valeurs partout où elles se trouvent. Ils ne polé­ Tborez a rendu hommage à l’auteur du Discours miquent pas avec l’histoire. Ils admirent l’esprit créateur d où qu’il souffle, chez Vauban comme (l) l’ionre ALmliam, dans ifisloiri- iilloruiri' dci la Franco, chez Balzac, chez Carnot comme chez Pasteur, Lùlitiûns Sodnics, lOôl. p. 10, chez Robespierre comme chez Napoléon ». (i) CFiwros, T. M. pp. Les communistes, avait dit Paul Vaillant- (5) kl., p, 2-11. (-1) id., pp. 240-241. Couturier, savent lutter contre ce qui leur est le (5) ('uhiors du Oonmiiinisint’. avril-mai 1Q65. (6) An sereict* do l'osjyril, rapport présenté au Comité (7) Karl Marx, l.a Sainl<> FamiJ/e, timp. VI. figure dan^ ; «.-entrai, le 16 octobre 1956. dans Vers des lendomains qui Marx-Engels. Eludes p/iifosop^irjues, Editions Sociales. 10(>l. c/iantenl. rlioix de le.xtcs de P. Vaillant-Couturier. Editions P- *30, Soriale.s. 1962. p. 271. {H) G linTc diéc. plus élranger au monde « le sectarisme qui réirccif Mais. dans un esprit, auquel notre Comité central les perspectives de l’homme » et il avait cité à ce est resté fidèle dans sa résolution du 15 mars der ­ propos rleux exemples éloquents : nier. il avait mainte fois exprimé 1 idée qu'on ne « Lorsque l’aviation française perd l'un de ses saurait limiter à aucun moment le droit qu’ont pionniers en Blériot. ou lorsque la science fran­ les créateurs à la recherche. çaise perd l’un des conquérants des pôles en Son goût pour Picasso et Léger n’avait, donc, Charcot, notre Parti ne cherche pas si l’un était est-il môme besoin de le dire, rien d exclusif. Tout un patron de combat et si l'autre était un réac­ on proclamant son admiration pour nos cathé­ tionnaire déterminé, il salue en eux. dans une drales. Maurice Thorez pouvait aimer aussi bien délibération publique de son Bureau politique, notre art du xviii® siècle que Delacroix ou deux grandes intelligences françaises disparues, Courbet. Et lui qui. lorsqu’il parcourait les routes deux grands créateurs de valeurs humaines. ''' de notre pays, aimait à établir des correspon­ Eh bien ! oui ! le communisme ne se contente dances entre les profondeurs géologiques de son pas d attendre la construction d une société nou­ sol et la diversité de ses ressources et de ses velle pour reconnaître les mérites d un individu, industries, a retrouvé sans doute le cours même ni « pour aider 1 individu à se réaliser » ni pour de ses pensées dans le beau discours où Paul aimer ce qui est beau. Vaillant-Couturier avait montré les affinités entre la terre et l'art de France. Maurice 1 horez n'a jamais caché son admira ­ tion pour les Oraisons funèbres de Bossuet, ni, « La douceur de son climat, ses ressources, nu témoignage d ’Aragon, pour Arthur Rimbaud l’heiireuse disposition de ses plateaux et de ses ou pour Guillaume Apollinaire vallées, y ont fixé les hommes de bonne heure, et les ont incités aux travaux de 1 esprit. Il y a Pour ce qui est de la peinture, on sait ramili('‘ plus d ’un trait commun entre la grâce d un renne personnelle qu’il portait à Fernand Léger et à gravé et peint par un chasseur préhistorique sur Picasso. 11 a écrit pour le premier. In préface de la paroi d'une grotte ornée de la Dordogne, et son exposition à Moscou, disant de sa toile « Le celle du cerf qui surmonte la porte du château 14 .luillet > qiï « elle exprime à travers une foret d ’Anet. > de dra peaux, l'élan national d un prolétariat qui continue la France >, et, de toute son œuvre qu'elle « célèbre le travail libéré, tel que l'inslau- rern le socialisme ». Il a salué, à maintes reprises, PATRIOTISME ET INTERNATION Aid SME le second, « notre grand Picasso >. disait-il, « à la maitrise et la fraîcheur toujours renouvelées » La tradition est faite du goût français et de l’intelligence française. LJne politique française, (1) P. VRîlInnl-Coutiirirr, iTori'. Frorjçoist’s. n“ du 6 ou 10 août 106-1. , (4 ) XV® Confirôs

Georges Cogniot a appelé < une politique natio­ valeur du capital intellectuel disponible > nale de la science >. Voilà, qu’il s’agisse des arts, de la littérature ou En décembre 1957, le Congrès d ’Arles recevait de la science, deux points essentiels d ’une politi­ les témoignages de sympathie de Langevin, pro­ que culturelle communiste. Mais aller vers l avenir en répondant aux aspirations millénaires fesseur au Collège de France, et de Perrin, prix Nobel, président de l’Académie des sciences des hommes, c’est en même temps vouloir la paix. Et « qui mieux qu’un homme formé par la culture Ce n est point par hasard, a écrit en 1957 française, disait Paul Vaillant-Couturier, peut Maurice Thorez, que l’élévation de la recherche ressentir cette obligation impérieuse ? >. au rang d ’un service central de l’Etat, la décision Les sociétés qui ont précédé le socialisme ont de reconnaître sur le plan gouvernemental une certes été, qui ne le voit encore aujourd’hui, vio­ importance primordiale à l’activité scientifique lentes et chaotiques. Pourtant Maurice Thorez. remontent à cette période de 1956 où la classe comme dirigeant d ’un parti révolutionnaire, comme ouvrière et les autres travailleurs, manuels et fils d ’un peuple qui a toujours porté le poids des intellectuels, firent sentir leur influence sur la conflits internationaux suscités par la contradiction direction des affaires publiques. et les rivalités du passé, proclame la volonté ances­ Après avoir rappelé, dans le même texte, com­ trale de paix des paysans, des ouvriers, des intel­ ment Georges Cogniot, rapporteur du budget de lectuels de France. I Education nationale, avait défendu à la tribune Associant, comme il le faisait souvent sous du Palais-Bourbon avec les crédits des labora­ l effet d ’une conviction profonde, la Révolution toires, la dignité et l’indépendance des sciences, française et le Front populaire, il disait : Maurice Tliorez montrait encore comment au lendemain de la Libération, comme vice-président « La victoire du Front populaire (...) signifie du Conseil chargé des problèmes de la fonction comme en 1792, la levée du peuple de France publique, il donna l’impulsion à la renaissance pour le pain, la liberté et la paix > Comme du Centre national de la recherche scientifique et Robespierre, il rappelait aussi que « Personne créa une Commission interministérielle de 1 a n’aime les missionnaires armés > Pourtant, Recherche, dont les rapporteurs furent Frédéric lorsqu’à la fin de 1956, on annonça qu’il serait Joliot, haut commissaire à l’Energie atomique et interdit aux Français de s’engager comme volon­ Georges Teissier, directeur du C.N.R.S. taires pour défendre la République espagnole attaquée par le fascisme. Maurice Thorez. à la « Continuer la France > < reconnaître la Chambre, exprima son indignation devant une telle mesure qui « serait pour notre pays le renie­ ment de ses plus nobles traditions, celles qui ont (1) Œupres, T. 14. p, 137. (2) Préface à la brochure de G. Cogniot : Pour une politi­ (4) Maurice TTioreï. Œupres cfioisies, T. 5, p. 40. que nationale de la Science. Editions du Parti communiste (5) P. Vaillant-Coulurier. Œuvre dlée. p. 264. français (février 1957). (6) Œtipres, T. 12, p. 59. (3) P. Vaillant-Couturier. Œuvre citée, p. 285. (7) id.. T. 13. p. 134. 35

fait la gloire de La Fayette, d ’Armand Carrel, dn seul le prolétariat français et son Parti commu­ colonel de Villebois-Mareuil >. niste ont su reprendre la parole de Michelet sur A cette époque. Maurice Tliorez ne cessait I auteur du « Livre des chants > : Nous lui appar­ de répéter que la France avait à accomplir une tenons par l’admiration et par le cœur ». Le mission dans le monde, qu’elle devait pratiquer 7 février 1936. L’Humanité n’avait-elle pas publié une politique extérieure démocratique, quelle un procès-verbal du Bureau politique, où on aurait dû prendre l’initiative et la direction d ’une lisait : grande politique d ’organisation de la paix, qu’il « Soucieux de témoigner l’affection fraternelle s’agissait de rassembler, d ’aider, de soutenir toutes du peuple de France au peuple allemand, qui a les forces de paix. fourni Marx et Engels au prolétariat mondial, et Que les communistes aiment leur nation, qu’ils dont Thaelmann symbolise l'espoir libérateur, le se fassent les champions de l’indépendance des Bureau politique a décidé de commémorer la nations, ce sentiment se nourrit aussi d ’ailleurs à mort du grand poète allemand Henri Heine. » leurs convictions internationalistes. Maurice Thorez n’avait-il pas rappelé d ’autre € De toutes façons, l’amour légitime de son part ce que le marxisme doit à la philosophie pays, de son peuple, celte sorte d orgueil national allemande et à Hegel en citant la préface dont a parlé Lénine, ne sauraient justifier le qu Engels écrivait pour La guerre des paysans : moindre relâchement des liens sacrés de la solida­ « S’il n’y avait pas eu précédemment la philo­ rité internationale entre prolétaires de tous les sophie allemande, notamment celle de Hegel, le pays. > socialisme scientifique allemand — le seul socia­ Maurice Thorez. qui a écrit ces lignes, a cons­ lisme scientifique qui ait jamais existé — n’eût tamment témoigné de ses sentiments de fraternité jamais été fondé. » à 1 égard des autres partis communistes cl tou­ Au XIV' Congrès, il évoqua le rôle immense jours aussi de son respect profond pour la joué dans l’histoire de l'humanité par la culture cidlure des autres nations. Chez lui, pas de arabe, sa contribution au développement mondial chauvinisme. C est lui qui qui a dit en 1P56 : des sciences, de la philosophie, de la littérature et < Comment pourrions-nous ne pas aimer le des beaux-arts : peuple alemand ? Comment pourrions-nous res­ « La langue arabe est devenue pour des siècles ter insensibles aux souffrances qui l’accablent le latin de l Orient. Le philosophe de Cordoue. présentement ? > C’est lui qui rappelle que Averroès (1126-1198) a exercé une influence puis­ c est I Allemagne qui a donné au monde sante sur les doctrines progressistes de l’Europe Gutenberg et Roentgen, Kant et Hegel, Goethe occidentale. Ce n’est pas sans raison que les plus et Heine. Comme on l’a pertinemment rappelé. grands médecins de I école de Montpellier, des

(1) IJ., p, 135. (•l) Voir Georges Cogniol : Henri Heine, pages

esprits aussi éminents que Kepler et Roger Bacon gnes, l’existence de grandes voies navigables et lu tenaient les Arabes pour leurs maîtres. > facilité des communications, la fertilité du sol et Non vraiment, Maurice 1 lierez n’est pas la douceur du climat, l’industrie de ses habitants l’homme d ’un patriotisme qui appauvrit. II veut ont fait, depuis des siècles, de notre pays un des que la France soit ouverte à tous les vents fécon­ plus riches et des plus beaux du monde. » dants. S’il en était autrement, le Parti communiste V^oici son peuple formé par un apport succes­ qui s’honore d avoir rendu au peuple la Marseil­ sif. un mélange, une fusion, n’excluant point une laise et le drapeau tricolore ne saurait en même persistance, des Ligures, des Gaulois, des Pho­ temps s’honorer < de les avoir associes à l'Inter­ céens, des Romains, des Bretons, des Germains, nationale et au drapeau rouge >. etc. Voici son passé tel que I évoquait Jaurès : Grâce pour une grande part à Maurice Thorez. « La première des nations de l’Europe conti­ la classe ouvrière a pris une nouvelle conscience nentale. la France avait été organisée, et sa force de son pays. de ses traditions, de ses symboles. Et concentrée avait été par là même une force rayon­ ce changement ne pourra plus jamais être remis nante, rayonnement de puissance, rayonnement en cause. Après Thorez les travailleurs de France d ’orgueil, rayonnement de pensée, rayonnement de ne verront plus jamais leur patrie, comme ils la générosité, rayonnement de violence ; les croisa­ voyaient autrefois. Après Thorez, ils savent mieu.x des. la Catholicité française du xiii' siècle. la que « le prolétariat n’est pas un barbare campant primauté insolente et radieuse de Louis XIV. dans la cité moderne » Mais en même temps, I universalité de l’Encyclopédie, la Révolution des ils ont appris à mieux estimer les autres nations. Droits de I hoinme, enfin l’orage napoléonien qui fécondait l’Europe en la bouleversant » Voici toute une nation de travailleurs qui ont * relevé la France libérée, mais meurtrie de 1044. voici la femme française « qui a souffert, résisté, lutté et qui veut assurer la sécurité de son foyer, Reportons nos regards, avant de conclure, sur I avenir de ses enfants >. voici ces intellectuels cette France que Maurice Tliorez a tant aimée et qui. en raison même du développement accéléré que nous aimons tant comme lui : des connaissances dans un grand siècle aussi de création artistique et littéraire « prennent une part « La situation géographique de la France, bai ­ croissante aux transformations du monde gnée par l’Océan Atlantique et la Méditerranée, moderne. » C’est cette nation que Maurice la répartition heureuse des plaines et des monta­

(5) 0:upr(»s, T. 11. p. 12. it) Rapport du \'/V Congrès du P.C.F.. p. 33. Coiiiiirs (4 ) Mrtiirice lliorr/. n la Conférento nationale' de Gonne* (iu Communisme (fuillct-uoût 1956). villiors. 2I janxicr 1939. (2) Parti communisia, les intellectuels et la culture. Réso- (5 ) Cité par M. Tlioroz. Œiiprps> T. 10, pp. 77-78 et iulion du Comité tmlrnl du 13 mors 1066. dans VVaWecfc T. 11. p. 84. Roc/ie(, Le marxisme cl les chemins de l'avenir. lildilions (0) Résolution du Comité central du 13 mars 1966. Numéro Sodalcs, 1966. p. 86. spécial des Oahiers du Communisme, mai 1966. p. 79. J/

1 horez appelle constamment à l’unité pour qu elle se crée elle -même un avenir radieux, en avançant dans le sens de l’iiistoire, du progrès, de l’éman­ cipation des exploités et des opprimés. Conscient de la responsabilité particulière de son parti dans cette tâche, Maurice Thorez veut que les com­ munistes mesurent à toute sa valeur l’héritage du passé pour le léguer à nouveau plus grand et plus fécond. Il est persuadé au demeurant, que c’est de la dignité et de la richesse morale du commu­ nisme d ’aujourd’hui que dépendra l’humanité de demain. « Comme au dernier congrès de la jeu­ nesse. disait-il, à notre XV' Congrès, je voudrais appeler les communistes à se faire les champions de la morale » au moment même où il exprimait sa foi dans la France et « ses radieuses desti ­ nées. * Quant à lui, au terme d ’un livre « qui est l’histoire d ’une vie entièrement consacrée au service de la classe ouvrière et de mon pays... ». il proclame qu « il n'existe pas de bonheur plus grand que celui de s’identifier avec son peuple... pas de fierté plus légitime que celle de transmettre aux générations montantes le flambeau du com­ munisme » (2)

(1) Œniws. r. 21. p. 106-107. (2) Fils cln pouplr. Editions Sorinlos. éd. de 1060. p. 562. 58

LA VIE SCIENTIFIQUE

UNE NOUVELLE EDITION DU CHAPITRE PREMIER DE « L’IDEOLOGIE ALLEMANDE » DE K. MARX ET F. ENGELS

Georges COGNIOT

Le chapitre premier de !’« Idéologie alle­ des fondateurs du marxisme. Aussi constitue-t-il mande », sons le nom de « première partie », a la partie la plus importante du livre et a-t-il été publié en 1962 par les Editions sociales dans une valeur par lui-même. une traduction de Renée Cartelle. II figure « Comme Engels l’a indiqué plus d ’une fois, aussi au tome VI des Œuvres philosophiques la transformation du socialisme d ’une utopie en

mois d'uoût 1846. le premier chapitre resta 1926 ni les éditions du type 1932-1933 ne peu­ inachevé. Les auteurs ne réussirent de leur vi­ vent être jugées satisfaisantes. vant à publier que peu de chose de leur texte En 1962 ont été publiées trois nouvelles (chapitre IV du deuxième volume). Après la feuilles du manuscrit trouvées à l’Institut inter­ mort d ’Engels, le manuscrit tomba dans les national d ’Histoire sociale d ’Amsterdam (« In­ mains de la social-démocratie allemande, en fait ternational Review of Social History », vol. VIL d ’Edouard Berstein. En trente-sept ans, moins part 1) De ces trois feuilles, deux se rap­ de la moitié du texte fut publié par fraj;ments. portent au chapitre premier, et une au chapi­ Le chapitre premier a été édité pour la pre­ tre III du premier volume. Cette découverte mière fois en Union Soviétique et en langue permet une publication plus complète du texte russe (1924), et cela par les soins de l’Institut du chapitre premier. Marx-Engels (« Archives Marx et Engels », livre En outre, l’étude à laquelle a procédé l’Ins­ I) ; il parut en 1926 dans l’original allemand titut du marxisme-léninisme révèle la nécessité (« Marx-Engels Archiv », Bd. 1). C’est sur la de publier le texte en respectant au maximum base de cette publication qu’ont été faites une sa disposition dans le manuscrit. On pense aussi série d ’éditions dans divers pays. avoir eu la possibilité d ’articuler le texte, de le Mais le manuscrit, sa structure et son conte­ subdiviser d ’une façon beaucoup plus adaptée nu n’avaient pas été étudiés d ’une façon suf­ au contenu et plus en détails. fisamment approfondie, et la première édition La nouvelle publication est donc la plus n’était pas exempte de défauts importants. La complète (quoiqu’il manque toujours neuf pages disposition du texte correspondait en général au du manuscrit). manuscrit, mais ce principe correct n’avait pas « Le manuscrit du premier chapitre, note pu être suivi avec assez de fidélité. l’Institut du marxisme-léninisme, se compose En 1932-33 parurent en allemand et en russe de plusieurs parties écrites à des dates diverses les premières éditions complètes de l’« Idéolo­ et à différentes occasions En conséquence, gie allemande ». Ce fut un grand événement. le texte est, dans notre publication, divisé en Le premier chapitre faisait l’objet d ’nne version nouvelle de la part de l’Institut. Le déchiffre ­ (1) Ces feuilles manuscrites se trouvaient faussement ment du manuscrit avait été vérifié. On essayait ilésiitnées et ela.ssées dans une enveloppe comme « Im­ d ’autre part de déplacer différents fragments de primés pour le memhre du Reichstag M. Bernstein ». façon à transformer le manuscrit non mis au Il s’agit de textes écrits par Engels, corrigés par Marx. point en une œuvre achevée. Mais une vérifi­ (2) L'Iu.slilul rappelle que Marx et Engels voulaient cation minutieuse du bien-fondé de ces transpo­ primitivemeiu écrire un ouvrage critique dirigé à la fois contre L. Feuerhach, B. Bauer et M. Stirner. Puis ils sitions, une étude plus poussée du manuscrit changèrent d ’intention et déridèrent de consacrer à la ont fait apparaître que cette refonte du texte critique de Bauer et Stirner des chapitres spéciaux ne s’appuyait pas sur des raisons convaincantes. («II. Saint Bruno» et «III Saint Max»), précédés d ’une introduction qui viserait Feuerbach (« I. Feuer- En conclusion, ni les éditions du type 1924- liarh ») et donnerait un exposé positif du point de vue 60

quatre parties. l]hacuiie îles parties constitutives blie dati.s le.s conditions qu’on vient de lire (lu inaiiuscrit représente un tout rédigé avec es­ (Texte I). prit de suite, lié par une logique interne. Ces On remarque d ’abord que le titre du cha- parties se complètent rune l’autre et leur en­ pilre est, dans le texte E.S., «Feuerbach». I>e semble donne un tableau complet de la concep­ texte 1 donne pour titre : « Feuerbach. L’op­ tion njatérialiste de l’iiistoire, telle qu’elle s’était position de la conception matériali.stc et de la formée chez Marx et Faigels en 1845-1846. conception idéaliste. » On connaît la raison de « Eu outre, tout le texte du chapitre est cette divergence : le manuscrit primitif portait articulé surtout à l’aide de titres introduits par seulement « I. Fetierbach » ; niais en 1883, l’éditeur (deux, le premier et l’avant-dernicr, Engels, retrouvatit et relisant l'original, a ajouté appartiennent aux auteurs), ce qui donne en le complément au titre, (’ostes avait déjà donné tout vingt-six paragraphes. Cette articulation dans son édition le titre complet. C’est celui-ci aide à dégager et à suivre la logique interne de qui doit évidemment être préféré. l’æuvre ; l’enchaînement de l’exjjo.sé dans le Le chapitre premier dans le texte 1 eoni- manuscrit obéit à la logique de la conception mence comme dans le texte E.S. Le préambule matérialiste de l’bistoire... » comprend l’alinéa : « A en croire certains idéo­ logues allemands... », — l’alinéa « Tout cela se serait passé... », — l’alinéa : « 11 s’agit certes SUR LA r PARTIE DU CHAPITRE 1 d ’un événement... », — l’alinéa : « Mais pour (FEUERBACH) apjirécier à sa juste mesure... » Les éditeurs du texte 1. con.ddèrent comme Nous nous proposons de procéder ci-après à jiaragraphe 1 le passage qui suit immédiatement ; la comparaison du texte publié par les Pàlitioiis ce paragraphe est celui que Marx et Engels ont sociales en 1962 (Texte E).S.) et de la nouvelle intitidé eux-mêmes : « L’idéologie en général, version de l’Institut du marxisme-léninisme, étu­ et en particulier l’idéologie allemande ». Il com­ prend les alinéas : « Même dans ses tout der ­ des auteurs. Confonnénienl à leur plan nouveau, ils niers efforts, la critique allemande... », — rayèrent du manusrrit primitif tous les passages relatifs à la critique de Bauer et Stirner et les transportèrent «Toute la critique philosophique allemande de aux chapitres II et III. C’est ainsi que se constitua .Strauss à Stirner... », — « Les vieux-hégéliens le premier noyau du chapitre sur Feuerbach (29 pages avaient compris... », — « Chez les jeunes-hégé­ numérotées par Marx). Mais en rédigeant la critique liens, les représentations... », •— « Il n’est venu spéciale de Stimer, Marx et Engels firent des digres ­ à l’idée d ’aucun de ces philosophes... » A la sions théoriques plus ou moins étendues, où ils (léve- loppaicnt leur conception matérialiste de l’Iiistoirc. Deux page 15 du texte E.S., là où sont placées dans de ces digressions, l’une de six pages, l’autre de 37 ce texte des astérisques, se termine le para- pages, furent transférées au chapitre sur Feuerbach. gra])he 1 du texte I. Le développement ulté­ 11 y eut donc 72 pages en tout. Puis Marx et Engels rieur n’est donc plus couvert par le titre se mirent à retravailler leur brouillon, ils essayèrent à deux reprises de mettre au net le début du chapitre. « L’idéologie en général, et en particulier l’idéo­ D’où l’existence de deux variantes. logie allemande ». ()1

Le paragraphe 2 a reçu des éditeurs le litre : ses. e.sse/ice et contours généraux de la conccfi- « (iuntlitions [)réalables d'où procède la con­ tion matérialiste de F histoire. ception matérialiste de rhistoire. » Il comprend le texte «lonné par E.S. au bas de la page 15 et page 16 jusqu’à : « La forme de ces relations LA DEUXIEME PARTIE est à son tour conditionnée par la protluction. » DU « FEUERBACH » A cet endroit commence le paragraphe 3, Ou aborde ensuite la deuxième partie du intitulé par les éditeurs : « La j)roduction et les « Feuerbach » ; celte partie représente le noyau relations. La division du travail et les formes primitif de tout le chapitre. Elle expose la de la propriété : propriété de la tribu, propriété conception matérialiste du procès historique antique, propriété féodale. » Il comprend, dans et les conclusions à tirer de Pinterjirétation ma- le texte E..S., le bas de la page 16, la jiagc 17 téraliste de l'histoire : elle contient la- critique et la page LS jusqu’à : « Les rapports de classes de la conception idéaliste de rhistoire en géné ­ entre citoyens et esclaves ont atteint leur déve­ ral. et en particulier la critique des jeunes-hégé ­ loppement complet ». Mais tout l’alinéa qui liens et de Feuerbach. commence page 18 du texte E.S. aux mots : « Le fait de la conquête semble être... » et qui Li's éditeurs intitulent le |)reinier paragra­ .se termine au bas de la page 19 par les mots ; phe ; « Les conditions de la libération réelle « ... que des événements politicjues pouvaient des hommes ». Et ils donnent sous ce titre le bien entendu rompre à leur tour » est éliminé texte suivant : « Noua n’allons )>as, bien entendu, du paragraphe. On enchaîne directement sur le nous mettre en peine pour éclairer nos sages bas de la page 19 : « Avec le développement philosophes sur le fait que la « libération » de

est opérée par des conditions historiques, par mots ; « comme on a coutume de le faire en l’état de l’industrie, dvi commerce, de l’agricul­ Allemagne» (dernière ligne de la page 261. ture, des communications... puis encore, en Même remarque sur le texte de la page 27 E.S. fonction des différents degrés de leur dévelop­ Les mots : « Produire la vie, aussi bien la sienne pement, l’absurdité de la substance, du sujet, propre... » doivent marquer le début d ’un nouvel de la conscience de soi et de la critique pure, alinéa. Les pages 28 et 29 et presque toute la tout comme l’absurdité religieuse et théologi­ page 30 des E.S. entrent également dans le pa­ que, et après cela ils l’éliminent de nouveau, ragraphe 3. A noter toutefois que la nouvelle (]uand ils ont avancé assez loin dans leur déve­ édition ne va pas à la ligne aux mots : « Ce loppement. Bien entendu, dans un pays comme ilébut est aussi animal... ». En revanche, page 30, l’Allemagne, où il ne se ]>roduit qu'un dévelop­ le texte I. va à la ligne aux mots : « Peu pement historique pitoyable, ces mouvements importe du reste ce »jue la conscience entre­ de la pensée pure, ces misères portées aux nues prend... » et inactives compensent le défaut de mouve­ ment historique, elles s’implantent et doivent La dernière ligne de la page 30 du texte être comhaltues. Alais c’est une lutte d ’importan­ E.S. appartient, d ’après le texte I.. au paragra­ ce locale. » phe 4, intitulé : « La division sociale du travail et ses conséquences ; la propriété privée. l’Etal, A ce texte fait suite un paragraphe 2 inti­ r« aliénation » de l’activité sociale ». tulé ; « Critique du caractère contemplatif du matérialisme de Feuerbach et de son inconsé­ Entre dans ce paragraphe le te.xte E.S. de quence ». Après une lacune, — cinq pages du la page 31 jusqu’au.x mots : « ... dépendance manuscrit manquent, — le texte se présente réciproque des individus entre lesquels le travail comme suit : « En réalité pour le matérialiste est partagé ». On enchaîne directement avec le l>ratique. c’est-à-dire pour le communiste, il passage de la page 32 E.S. qui commence à : s’agit de révolutionner le monde existant... » On « C’est justement cette contradiction entre l’in­ reconnaît le morceau qui figure, dans le texte térêt particulier et l’intérêt collectif qui amène E.,*'., de la page 44. ligne 6, à la page 47, ligne ,32. l’intérêt collectif à prendre en qualité d'Etat... ». On poursuit par le texte E.S. de la page 33. Vient ensuite le paragraphe 3, auquel l’Ins­ mais en pratiquant un alinéa à la troisième titut donne le titre : « Les rapports historiques ligne (« Précisément parce que les individus initiaux ou les aspects fondamentaux de l’acti­ ne cherchent... ») et on arrête le te.xte aux vité sociale : production des moyens de vie, mots : « ... illusoire sous forme d ’Etat ». Ici génération de besoins nouveaux, production des on insère le morceau imprimé par E.S. page 31 hommes (famille), relations, conscience ». C’est qui commence à : « Enfin la division du tra­ le texte qui figure p.age 25 des E.S. et page 26. vail nous offre immédiatement le premier Toutefois, l’édition nouvelle va à la ligne attx exemple... » et qui continue jusqu’à : « dans le (t) Le iiianiisrrit est ahinié : il manque le bas du développement historique jusqu’à nos jours. » feuillet, une ligne ilu texte. (p. 32). Après quoi on revient, sans aller à la 63

lijtiie, ail texte, E.S. île la paj-e 33 : « La puis­ Troisième élément : « Origine de l’Etat et sance sociale, c’est-à-dire la force productive rapport de l’Etat à la société civile. » décuplée... » jusqu’à : « ... cette volonté et cette Le paragraphe 6 a reçu pour titre ; « Conclu- marche de l’huinanitc. » Suit enfin, directement sions de la conception matérialiste de l’histoire : et .sans alinéa, le texte E.S. des pages 34 et 35 : succession du processus historique, transforma­ « Auirenient, comment la propriété... leur mode tion de l'histoire en histoire mondiale, nécessité de comportement les uns en face des antres. » de la révolution communiste. »

Le paragraphe 5, intitulé : « I^e dévelo|)pc- Ce paragraphe commence par le texte E.S. ment des forces productives comme prémis.se de la liage 47 ; « L’histoire n’est pas autre matérielle du communisme », commence par le chose que la succession des différentes généra­ bas de la page 33 du texte E.S. : « Cette « alié­ tions... » Ce morceau continue jusqu’à l’avant- nation », pour rester intelligible aux philoso­ dernière ligne de la page 48 (le texte I va à la phes... » On garde le même développement jus­ ligne aux mots : « Or plus les sphères individuel ­ qu’au bas de la page 34, exactement jusqu’aux les... ») Ensuite prend place le passage qui ligure mots ; « ... les relations universelles étroitement dans E.S. pages 36-37 : « A vrai dire, dans l’iiis- liées au coinmunisine. » On poursuit, en allant à toire passée, c’est un fait parfaitement empiri­ la ligne, par le passage de la page 35 E.S. ; « Du que... ni dans le sens de !’« Unique », de rhomme reste, la masse de simples travailleurs... » jus­ « fait lui-même ». Il est suivi du morceau qu’on qu’à : « ... directement liée à l’histoire univer­ trouve dans E.S. pages 80-81 : « La conception selle. » Un nouvel alinéa introduit le passage de de l’histoire que nous venons de développer nous la même page du texte E.S. : « Le communisme donne encore finalement les résultats suivants... » n’est pas pour nous un état... des hases actuel­ jusqu’à la fin. lement existantes. » Le paragraphe 7 a été intitulé : « Résumé de la conception matérialiste de l’histoire. » Un deuxième groupe de textes est rattaché On y fait entrer le passage donné par E.S., au même paragraphe, mais séparé du premier pages 37 et suivantes : « Cette conception de groupe par des astérisques. l’histoire a donc pour hase... » On va à la ligne Premier élément de ce groupe ; « La forme aux mots : « Cette somme de forces de produc­ des relations humaines, conditionnée par les tion... » (p. 38, bas.) Le texte s’arrête à : forces de production existant... » (E.S., p. 35) « ... comme le prouve l’histoire du commu­ jusqu’à : « ... événements historiques et politi­ nisme. » (p. 39.) ques retentiss.mts. » (E.S., p. 36.) Le paragraphe 8 a pour titre : « L’inconsis­ Deuxième élément : « Jusqu’ici, nous avons tance de toute la conception idéaliste antérieure considéré [irincipalement un seul aspect de l’ac­ de l’histoire, en particulier de la philosophie tivité humaine : le travail des hommes sur la allemande d ’après Hegel. » nature. Autre aspect : le travail des hommes sur Il commence avec le texte de la page 39 E.S. ; les hommes. » « Jusqu’ici, toute conception historique... », 0-1

ombrasse la suite de oe texte paf:e 40 (avec un douce est l’eau de la rivière. Mais cette eau cesse alinéa aux mots : « Tandis que les Fran(;ais et d ’être son « essence », elle devient un milieu les Anglais s’en tiennent... » et un autre aux impropre à son existence dès que cette rivière est mots : « Toute cette conception de l’histoire... ». assujettie à l’industrie, dès qu'elle est polluée avant-dernière ligne), puis pages 41 et 42. On l)ar les colorants et d ’autres déchets, parcourue coupe le texte en haut de la page 43, après les par des bateaux à vapeur, dès que .son eau est mots : « ... par riiégcmonic de la théorie. » déviée dans des canaux où l’on peut priver le La suite de la i)age 43 est en effet incorporée |>oissoii du milieu nécessaire à son existence, au paragraphe 9 : « Critique complémentaire de simplement en faisant la vidange. L’interpréta­ Feuerbach et de sa conception idéaliste de l'his­ tion de toutes les contradictions de ce genre toire. » comme anomalies inévitables ne se distingue pas, au fond, de la consolation que saint Max Alinéa à pratiquer aux mots : « Comme Stirner offre aux mécontent.s. en disant que cette exemple de cette reconnaissance et méconnais­ sance... » Le paragraphe se continue par le texte contradiction est leur propre contradiction, cette de la page -14 jusqu’aux mots : « Si des millions situation mauvaise leur propre situation mau­ de prolétaires ne se sentent nullement satisfaits vaise, et qti’ainsi ils peuvent ou se faire une par leurs conditions de vie, si leur « être »... », raison, ou garder pour eux leur propre mau­ et ici intervient un texte nouveau : « [si leur vaise grâce, ou même se révolter en imagination «être»! même du plus loin ne correspond pas contre cette .situation. Cette conception de Feuerbach se distingue tout au.ssi peu du repro­ [à leur] « essence », ce serait là, d ’après le pas­ sage cité, un malheur inévitable, qu’il faudrait che de saint Bnino, d ’après lequel ces malheu­ supporter avec calme. Pourtant ces millions de reuses circonstances proviendraient de ce que prolétaires ou de communistes pensent tout autre­ les gens dont il s’agit sont restés pris dans l'or­ ment et ils le montreront en leur temps, quand dure de la « substance », n'ont pas progressé ils mettront pratiquement, par une révolution, jusqu’à la « conscience de soi absolue » et n’ont leur « être » en accord avec leur « essence ». pas reconnu dans cet étal mauvais l'esprit de ^ oilà pourquoi, en pareil cas, Feuerbach ne leur esprit. » parle jamais du monde de l’homme, mais chaque fois il .se réfugie au sein de la nature extérieure, SUR LA TROISIEME PARTIE exactement la nature qui n’est pas encore sou­ DU PREMIER CHAPITRE mise à la domination des hommes. Mais avec chaque invention nouvelle, avec chaque progrès La troisième |iartie du chapitre pourrait être de l’industrie, une nouvelle pièce se détache de intitulée. : Comjrn'nt est apparue la conception ce domaine et le terrain qui fournit les exem­ idéaliste de Vhistoire. Elle ne comprend qu’un ples à l’appui de ces thèses de Feuerbach, se paragraphe : « Classe dominante et conscience rétrécit ainsi de plus en plus. Bornons-nous à dominante. Comment s’est formée l’idée hégé­ une seule thèse : « l’essence » du poisson e.st son lienne de la domination de l’esprit dans l’his­ « être », l’eau. L’« essence » du poisson d ’eau toire. » 65

On raiifie «laiis ce [>aragraplie le morceau sociations » ... » Page 57, tout de suite après qui commence à la dernière li{;ne de la pape 48 les mots : « ... leur inculture qui en était la E.S. : « Les pensées de la classe dominante son! conséquence », on prend le développement du aussi... » et qui continue page 49. La nouvelle bas de la page : « Dans les villes, le capital édition, à cette page, va à la ligne aux mots : était un capital naturel... » ; il permute avec « INous retrouvons ici la division du travail... » l’alinéa : « Dans les villes, la division du tra­ La suite est contenue aux ])ages 50 à 53 E.S. ; vail s'accomplissait... » on va simplement à la ligne, page 52, aux mots : Paragraphe 3 ; « La suite de la division « En fait, le tour de force... » Les deux derniers du travail. La séparation du commerce d ’avec alinéas de la page 53 doivent permuter. l’industrie. La division du travail entre les différentes villes. La manufacture. » SUR LA QUATRIEME PARTIE On prend ici le texte de la page 58 E.S. : DU CHAPITRE I « L’cxtcn.sioii de la division du travail qui sui­ vit... », avec un alinéa aux mots : « La cons­ La quatrième partie traite du développement titution du trafic en une classe particulière... » des forces productives, de la division du travail et On s’arrête aux mots : « ... se dissoudre peu à des formes de la propriété : de la stnrctiire de peu la limitation primitive à la localité » et on ('lasse de la société : de la superstructure poli­ insère à la suite le texte E.S. de la page 60 : tique et idéologique. Elle s'ouvre par un para­ « Il dépend uniquement de l’extension des rela­ graphe intitulé : « Instruments de production tions... », texte qui continue page 61 i alinéas et formes de propriété. » aux mots : « Le tissage, travail qui exige... » Ce paragraphe reprend le texte donné par et : «Avec la maïuifacture libérée...»!, page E..S. dans la seconde moitié de la page 74 (moins 62 (alinéas aux mots : « La manufacture devint du meme coup... » et : « Avec la manufacture, les mots « est trouvé »). On va à la ligne aux mots : « Ici apparaît donc la tlifférence... » Le les différentes nations... ») page 63, page 64 texte s’achève en haut de la page 76 aux mots : (alinéa aux mots ; « Ces mesures prirent une autre signification... »), page 65 (alinéa aux « ... n’est donc aussi possible qu’avec la graïule industrie ». mots ; « La manufacture était constamment ga­ rantie...»), page 66. Mais ici, après la citation Paragraphe 2 : « La division du travail maté­ de Pinto, doit être incorporé au texte ce qtii riel et du travail spirituel. La séparation de la figure en note, appelé par un astérisque, dans ville d ’avec le village. Le régime des corpora­ E.S. Le paragraphe se termine par l’alinéa : tions. » « Cette jtériode est aussi caractérisée... » Il s’agit du texte qui figure dans E.S. page 54, avec, toutefois, un alinéa aux mots : Paragraphe 4 ; « La plus large division du « L’existence de la ville implique... » Ce texte travail. La grande industrie. » continue pages 55 et 56, avec un alinéa aux Ce paragraphe comprend le texte E.S. du mots ; « Les villes formaient de véritables « as­ bas de la page 66 : « La concentration du com­ 66

merce et de la manufacture dans un seul pays...», ligue pour reprendre : « Donc, tandis que les texte qui continue page 67 (alinéa aux mots : serfs fugitifs... »). On termine le paragraphe par « La concurrence força bientôt tout pays... »), les deux fragments donnés par E.S. page 87 : pages 68 et 69 jusqu’à « ... dans la mesure où « Il découle de tout le développement... les for­ les besoins l’avaient rendue nécessaire. » mes de circulation de chaque période » et page Paragraphe 6 : « Concurrence des individus 82 : « Le communisme se distingue de tous les et formation des classes. Développement de mouvements... inorganiques aux yeux de ceux l’opposition entre les individus et les conditions qui les créaient. » de leur activité vitale. La fausse collectivité Paragraphe 7 : « La contradiction entre les des individus dans les conditions de la société individus et les conditions de leur activité vi­ bourgeoise et l’union réelle des individus sous tale comme contradiction entre les forces pro­ le commmiisme. Soumission des conditions de ductives et la forme des relations. Le dévelop­ l’activité vitale de la société à la puissance des pement des forces productives et le changement individus unis. » des formes de relations. » On groupe sous ce titre d ’abord le fragment Ce titre recouvre le texte qui commence au qui, dans le texte E.S., figure en note page 69, bas de la page 82 E.S. : « La différence entre puis le fragment qui, dans ce même texte, a l’individu personnel et l’individu contingent... » fourni la note des pages 26-27, puis le fragment Page 83, il faut mettre à la ligne les mots : qui y figure comme note (appelée par l’astéris­ « Ce qui apparaît comme contingent à l’épo­ que) à la page 88. On ajoute le morceau de que postérieure... » Page 84, également, mettre la page 58 : « Au moyen-âge, les bourgeois à la ligne les mots ; « Ces différentes conditions étaient contraints...»; il continue page 59 (ali­ qui apparaissent... » Même remarque, page 85, néa aux mots : « Les individus isolés ne forment pour les mots : « Par contre, dans les pays com­ une classe... ») pour s’arrêter à la deuxième me l’Amérique du nord... » Le texte englobé ligne de la page 60. On enchaîne avec l’alinéa dans le paragraphe se termine à la troisième de la page 88 : « Si l’on considère du point ligne de la page 86 de la version E.S. de vue philosophique... » et le suivant jusqu’à : « ... vis-à-vis de la classe dominante ». Vient Paragraphe 8 : « Le rôle de la violence alors le fragment de la page 86 : «La transfor­ (conquête) dans l’histoire. » mation des puissances personnelles, jusqu’à Il s’agit du texte qui conunence au bas de la fin de l’alinéa ; on le fait suivre du texte la page 18 E.S. : « Le fait de la conquête sem­ du bas de la page 88 : « Les individus sont ble être en contradiction... le Bas-Empire et les toujours partis d ’eux-mêmes... », qui continue Turcs). » Page 19, on va à la ligne aux mots : jusqu’à la page 91 (alinéa, page 90, aux mots ; « Chez le peuple barbare conquérant... » On « Chez les prolétaires, au contraire... », et inser­ coupe aux mots ; « ... pouvaient bien entendu tion dans le corps du texte, après les mots « qui rompre à leur tour. » Un deuxième fragment le feraient passer dans une autre classe », du est rangé sous la même rubrique, à savoir le développement figurant en note ; on va à la développement du texte E.S. page 73 : « Rien 67

n’est plus cotirant que l’idée qu’il s’est agi uni­ moyen âge... » et qui se termine en haut de la quement de prises de possession jusqu’ici dans page 73 (on va à la bgne aux mots : « Chaque riiistoire... était conditionnée par les forces pro­ fois que le développement de l’industrie... »). ductives. » Paragraphe 9 : « Le développement de la NOTES SUR « LES FORMES contradiction entre les forces productives et la DE LA CONSCIENCE SOCIALE» forme des relations dans les conditions de la grande industrie et de la libre concurrence. Paragraphe 12 : « Les formes de la cons­ I,'opposition entre le travail et le capital. » cience sociale. » Trois fragments sont ici rassemblés : le texte Sous ce titre sont groupées des notes très E.S. de la page 76 : « Dans la grande industrie sommaires qui se trouvent sur les deux dernières et la concurrence, toutes les conditions d ’exis­ pages du manuscrit Les voici : tence... qu’à condition de ce morcellement » ; « Influence de la division du travail sur la celui qui figure en note à la page 85 ; le texte science. qui commence au bas de la page 76 : « Deux « Rôle de la répression dans l’Etat, le droit, faits apparaissent donc ici... de la manifestation la morale, etc. de soi. » « [Dans] la loi, il faut que les bourgeois I^aragraphe 10 : « Nécessité, conditions et se donnent une expression générale, précisément résultats de l’abolition de la propriété privée. » parce qu’ils dominent en tant que classe. Le texte correspondant commence dans la « Science de la nature et histoire. version E.S. au bas de la page 77 : « Nous en « Il n’y a pas d ’histoire de la politique, sommes arrivés aujourd’hui au point... » Page du droit, de la science, etc., de l’art, de la 78, on va à la ligue aux mots : « Cette appro­ religion, etc. » priation est conditionnée... », puis : « Cette ap­ « Pourquoi ies idéologues mettent tout sens propriation est en outre conditionnée... », et dessus dessous. enfin : « L’appropriation est en outre condi­ tionnée... » Le fragment s’arrête à la troisième « Hommes de religion, juristes, politiques. ligne de la page 80. On range sous la même ru­ « Juristes, politiques (hommes d ’Etat en gé­ brique un autre fragment, qui figure dans E.S. néral), moralistes, hommes de religion. page 36, à partir de la ligne 6 : « La société « A propos de cette subdivision idéologique bourgeoise embrasse... désignée sous le même nom. » (1) Traduites en partie par Molitor, page 250, mais, à notre avis, avec des erreurs sur le sens. Paragraphe II : « Rapports de l’Etat et du (2) Marx a mis une remarque dans la marge : « A droit avec la propriété. » la € rommunauté », telle qu’elle apparaît dans l’Etat antique, dans la féodalité, dans la monarchie absolue, Il s’agit du texte qui commence dans E.S. à ce lien correspondent surtout les représentations reli­ page 69 : « Dans le monde antique conune au gieuses. 68

à rintérieur d ’une classe : 1) accession de la pro­ « l’our répondre d ’un mot : la division du fession à l’autonomie />ar suite de la division travail, dont le degré dépend de la force pro­ du travail ; chacun tient son métier pour le ductive développée à chaque moment. vrai. Au sujet des liens de leur métier avec la réalité, ils se font d ’autant plus nécessairement des illusions que la nature du métier le veut tléjà. En jurisprudence, en politique, etc., les « Propriété foncière, propriété comimmalc. rapports deviennent, — dans la conscience, — Féodale. Moderne. des notions ; comme ils ne s’élèvent pas au des ­ « Propriété des ordres de la société. Pro­ sus de ces rapports, les notions qu’il en ont priété manufacturière. Capital industriel. » sont dans leur tête des notions fixes : le juge, jiar exemple, applique le code, et c’est pourquoi il considère la législation comme le véritable moteur actif. Respect pour la marchandise de Telle est la disposition des matériaux adop­ chacun ! Car leur occupation est en rapports tée dans l’édition du chapitre premier de l’Idéo­ avec l’imiversel. logie allemande que vient de procurer l’Institut « Idée du droit. Idée de l’Etat. Dans la cons­ du marxisme-léninisme. Elle est le fruit d ’iin cience ordinaire, tout est sens dessus dessous. travail minutieux, dont les auteurs ont su allier la conscience scientifique et l’audace novatrice.

« La religion est de prime abord conscience de la transcendance, conscience qui naît de la contrainte réelle. « Exprimer cela d ’une façon plus po|)ulaire.

« La tradition à propos du droit, de la reli­ gion, etc. * **

« Les individus sont toujours partis d ’eux- mêines, partent toujours d ’eux-mêmes. Leurs rapports sont des rapports du procès réel de leur vie. D’où vient-il que leurs rapports accèdent à l’autonomie contre eux ? Que les puissances de leur propre vie prédominent sur eux ? 69

LE MOUVEMENl' SOCIALISTE EN FRANCE (1893-1905) :

LES GUESDISTES, de Claude WILLARD

Jacques CHAMBAZ

Fruit de longues reclierclies. la thèse de Claude Willard. Les guesdistes, apparaît dès maintenant comme I une des oeuvres maîtresses jusqu ici consacrées à 1 histoire du mouvement ouvrier français. Elle l est par son sujet, par sa méthode, par ses résultats, et les Editions Sociales se sont honorées en en assurant l’édition La critique, spécialisée ou non, en a reconnu les mérites déjà souli­ gnés par les membres du jury, lors de la soutenance en Sorbonne. J. Raymond évoque, dans son compte rendu, la complexité et la nouveauté du sujet, comme la manière de le traiter, qui « font de ce coup d’essai un coup de maître ». Marcel Faucon parle de < contribution

(1) Selon le litre exact : le mouvement socialiste en France (1803-1905) LES GUESDIS­ TES. Editions Sociales. Paris. 1965, 770 pages. (2) Bulletin de la Société des professeurs d'iiistolre et de géogrnpfiie de l'enseignemeril puMic. décembre 1965. p. 290. 70

capitale » à l'iiisloire du mouvement ouvrier et « d'une mine où les esprits avides de connaître celte époque curieuse pourront toujours se reporter > Le sujet, il est vrai, est nouveau. S'attachant à I élude du P.O.F.. de 1893 à 1905. Claude Willard entend cerner au plus près le problème de son implantation, c’est-à-dire le problème de 1 introduction du marxisme dans le mouvement ouvrier français, puisque telle est 1 originalité du P.O.F., « l'organisation la plus nombreuse, la mieux structurée de l’époque > Etudier cette question dans toutes ses dimensions exigeait une docu­ mentation très riche dont témoignent les sources nombreuses et diverses qu a exploitées l’auteur : archives nationales, départementales et munici­ pales ; archives de la préfecture de police : documents de 1 Institut inter­ national d ’histoire sociale d ’Amsterdam (fonds Jules Guesde, fonds de la social-démocratie allemande, documents du Conseil national du P.O.F.) ; archives de l’Institut français d ’histoire sociale (fonds Brubel- lière, en particulier, dont l’exploitation a fait l’ohjet d ’une thèse secondaire intéressante pour ce qu’elle apporte sur la connaissance précise d un des militants de cette époque) : archives de l’Institut du marxisme-léninisme

(l) f.u Rovtto socia(is(t>. mars |>. 212. {2) P. r. notes sans référent-cs renvoient à In thèse de Claude Willard. (3) La ricliessc de ces archives est une fois de plus démontrée. On rogn^lte davanlB}2<'> dans ces conditions, la rèffle qui interdit au rhcrcheiir de citer plu.s de cinq à di.x li^es des documents. 71

de Moscou (correspondance de Lafargue. dont 1 auteur ne peut dire si sa connaissance en est complète faute d avoir pu obtenir communication de l’inventaire du fonds) ; archives privées, enfin. Claude Willard a recherché les témoignages oraux, dont ceux de Marcel Cachin et d Henri Oourdeaux. 11 a exploité aussi de nombreux rlocuments publics : presse nationale, départementale et locale, compte­ rendus de Congrès. L énumération de ces sources représente trente pages de 1 ouvrage, au.vquelles s'ajoutent près de cinquante pages rie bibliographie. Cette documentation abondante démontre une fois de plus que la difficulté de toute histoire contemporaine au moins quand s’ouvrent les archives — tient moins à l’existence de la documentation elle-même qu à sa recherche et à .son exploitation. De ce point de vue, Claude W^illanl a eu le souci de se plier aux règles universitaires qui font aujourd hui de la préparation d une thèse de doctorat une oeuvre dont I ampleur est de plus en plus souvent jugée excessive. Mais, ces règles données, son principal mérite est ailleurs, dans la mise en oeuvre de cette docu­ mentation. Comme l'écrit encore J. Raymond, par une remarque qui est un signe des temps, l’ouvrage « est l'œui’re d'un sacant et probe bislorien. serin par ime sûre connaissance du marxisme et par son expérience de militant >. L’une et l’autre ont sans aucun doute aidé Claude Willard à comprendre la signification et l’enjeu des débats théoriques comme les

(l) tie la Sorirté Jes profosspiira il histoin^ rl ilr qctHimphir c/ê* putlir. Hécrmtrc 10f>5. p. ’2*K). 72

difficultés et le mérite des militants qui ont forgé le premier parti ouvrier qu'ait connu la France. Mais l’une et l’autre lui onl aussi permis d ’aborder dans toute son ampleur et pour la première fois dans rhistoriographie française, me semble-t-il, une question décisive : celle de la fusion du socialisme scientifique et du mouvement ouvrier, au lendemain de la Commune. Et telle est. aussi, la profonde nouveauté de sa tbèse. Certes, depuis vingt ans. les recherches de sociologie électorale et les analyses de partis se sont multipliées. Monographies ou études géné­ rales, oeuvres tantôt d ’historiens, tantôt de sociologues, spécialistes de « sciences politiques >. ont ainsi précisé des méthodes et apporté des connaissances nouvelles. La thèse de Claude Willard en tient compte, mais les enrichit dans la mesure même où la recherche, originale par son ampleur, s’efforce d ’embrasser toutes les dimensions du phénomène et. par là. de l’expliquer.

UN PARTI POLITIQUE STRUCTURE

Après avoir évoqué la période de création du P.O.F.. Claude Willard en aborde l’étude approfondie au moment où il devient « un parti. le premier parti politique français véritablement structuré ; et (où) ce parti s’impose comme une puissance dans la vie nationale ». Les quatre premières parties de sa thèse sont consacrées à l’organi­ sation, la doctrine, l’implantation et au rôle du P.O.F.

(I) P. 91. 73

Dans quelle mesure ce parti correspond-il à ce qu’en affirment ses dirigeants où. en d autres termes, dans quelle mesure est-il un parti oirv’rier fondant son organisation, sa politique et son action sur le marxisme ? Telle est la question à partir de laquelle Claude Willard a rassemblé patiemment sa documentation. Tel est le problème en fonction duquel il en organise la mise en oeuvre et lui donne sens, en complétant l'étude du P.O.F. sur le plan national par celle des groupes locaux. Cette conception assure la richesse des conclusions. En outre, et parce qu elle conduit à faire place aux militants du rang sans lesquels aucune organi­ sation ne peut vivre, elle confère à 1 ouvrage la richesse de la vie. Claude Willard fait ainsi ressurgir, dans la mesure où le pennettent les documents, la figure de nombreux militants En termes simples et précis, il évoque leurs traits communs : partagés aussi par les militants des autres courants socialistes de l’époque. Mieux vaut le citer : « Nous avons déjà évoqué dans la grande masse des documents anonymes ces hommes qui, après une longue et dure journée de travail, s astreignent à veiller pour lire et étudier ; ces propagandistes qui, chargés de rédiger, de diffuser un hebdomadaire de combat, de monter une campagne électorale, de parler en réunion publique, consentent à de lourds sacrifices : des nuits sans sommeil, des conflits domestiques, la menace du renvoi, donc de la misère. Cet héroïsme du travail quotidien, souvent plus ardu que le courage physique en période révolutionnaire, repose sur la foi raisonnée du militant dans la vérité de ses idées, sur

(l) 198 notices biographiques sont regroupées en fin Je volume (pp. ÔO'î-aSi). 74

une vision optimiste de l'histoire, la certitude du triomphe final. Celles ri permettent au militant de conserver intact son enthousiasme, au milieu des obstacles, de l’indifférence ou de l'hosilité, de surmonter l’impression enlisante que le mouvement n ’avance pas, recule parfois. La prose est ici épopée. Conscients de constituer une avant-garde, les militants se donnent mission d’entraîner le peuple. Dans celle quête du contact public, ils animent les sociétés de masse, cultivent leurs qualités d’agitateurs et de propagandistes. Mais outre ces qualités communes, nu moins comme idéal, à tous les militants socialistes révolutionnaires, le militant guesdiste possède des traits originaux ». Ces traits originaux. I auteur les trouve dans I importance que les guesdistes, comparés aux militants des autres courants révolutionnaires, attachent à la théorie et à la discipline sans laquelle aucune action persévérante et cohérente n'est possible : « Les guesdistes, plus que les autres socialistes, sont persuadés de l'importance historique de leur parti, de son caractère nouveau. JVc sont-ils pas les premiers à s’imposer une discipline, les seuls à fonder leur action sur une base doctrinale précise ? En parlant de caporalisme et de sectarisme, les adversaires du P.O.F. ne font qu’exprimer, en termes caricaturaux, ces deux particularités essentielles » L'ouvrage contient, de ce point de vue. un florilège de citations qui démontrent que la tentative de déconsidérer par ces carica-

(1) P. 382. (2) P. 384. 73

lures le souci théorique et le sens de la discipline des militants révolu­ tionnaires est aussi ancienne que le mouvement ouvrier lui-même Il met en outre en valeur — et c est là le plus important — l'effort des militants d origine ouvrière, ayant dû interrompre vers dix-douze ans I école primaire pour acquérir une formation théorique et comment, dès cette époque, « la classe ouvrière engendre peu à peu ses propres intellectuels. > Ces militants, au premier rang desquels se détachent les figures de Jules Guesde et de Paul Lafargue ont donc conscience de lutter pour un parti nouveau, indispensable à la classe ouvrière. Qu en est-il en réalité ? Au début des années QO. le P.O.F. s est donné une direction

(1) Dç manière significative, le Times du 11 novembre 1065 prolonge «on analyse de la tlièse de Claude Willard par un compte rendu d*un ouvrage du club Jean-Moulin. Les auteurs de ce dernier reproclienl leur < guesdo-Kantskisme * aux militants socialistes qui ont le soucie de I avenir de leur parti et du caractère de clan.iic de son action tel que le définissent les statuts de la S.F.I.O.. et cela à propos de la tentative avortée de Gaston Dcîfene... (2) Dans une note, Claude Willard fait à ce sujet une remarque intére.ssantc qui mériterait, comme nombre d autres, des rccKercbes ultérieures « Le mi/ieu scolaire, écril'il, semble donc fort peu in/luer sur lo rocation socialiste, d'autant que les instituteurs socialistes sont rores>. Ce qui précise le rôle de I école, d'autant que l'auteur c omplète sa remarque ; < defjondani, sourent, les maîtres de la cvmnuinalo transmettent ati.v futurs militants une certaine morale cirique et. surtout, les traditions de 1789-1704 > (p. 585). (5) P. 585. f-l) La tlièsc de Claude Willard met en évidence le rôle souvent sous-estimé de Laforgue, en particulier sur le plan tbéorique. 76

nationale stable et collective, élue au cours de congrès nationaux annuels qui déterminent 1 orientation du Parti. De même, les directions fédérales existent dans un certain nombre de départements. Enfin, l’organisation locale repose sur des groupes de quartiers, parfois coordonnés par des comités de ville. Certes, cette organisation varie encore d ’une région à l'autre. Bien des groupes demeurent instables ou éplrémères, dépendant de l’activité d un militant que menace la répression patronale ou gouvernementale. Les rapports entre les différentes directions sont variables, faute de moyens et, aussi, du fait des tendances autonomistes persistantes qui s alimentent de divergences politiques aggravées parfois de désaccords personnels, La capacité réelle de la direction du parti — comme sa propagande — est en outre limitée par l’insuffisance des moyens écrits : le seul quotidien à parution à peu près régulière est celui du Nord. En particulier, les guesdistes ne parviendront jamais à dispo.ser d'un organe national capable de contribuer à 1 unification des organisations du Parti. Mais ces faiblesses et ces insuffisances réelles doivent être replacées en leur temps. Et Claude Willard a le constant souci d ’éviter tout anachronisme et de replacer les questions dans le contexte de leur époque, ce qui ne signifie pas. au contraire, les couper de leurs prolon­ gements actuels. Le P.O.F. représente alors un progrès considérable par rapport aux formes d ’organisation antérieures du mouvement. Son organi­ sation. mieux adaptée aux nécessités de la lutte d ’un parti ouvrier, repose sur des principes qui lui assurent une stabilité et une efficacité encore inconnues, du moins — et le fait vaut d ’être noté — dans les régions 77

où son enracinement est le plus solide, les régions prolétariennes du Nord et de 1 Aube. Ces principes seront d ’ailleurs ceu.\ du parti socialiste unifié, en 1903. Comme 1 écrit Claude Willard, « au mouvement ouvrier français, les collectivistes, outre te marxisme, lèguent la création, si imparfaite soit-elle, d'une avant garde organisée » Los premiers en France, à une échelle véritablement nationale et sans pouvoir s'appuyer sur aucune tradition solide, ils ont tenté de résoudre le problème des rapports entre la démocratie et le centralisme et celui des formes capables d assurer nu mieu.\ des I iaisons stables et réelles entre le Parti et les masses.

UN PARTI OUN’RIFR

Parti ouvrier, le P.O.F. recrute 1 essentiel de ses forces et trouve son influence la plus durable dans les régions prolétariennes. L’étude régionale qu’en fait Claude Willard le démontre. Pour autant, le guesdisme ne se développe pas dans foutes les régions industrielles et son influence s’étend aussi sur d'autres couches sociales que la classe ouvrière, notamment dans certaines régions rurales. L’étude régionale en donne une image précise en 1893 ; France du Nord, avec 51,6 % des voix recueillies par le parti, dont 37,1 pour les seuls départements du Nord et du Pas-de-Calais : France du midi, avec 30 % des voix, dont 17.9 % pour le midi méditerranéen (notamment

(I) P. 153. 78

BoucKes-du-Rl>ône et Aude) : France du centre et centre-est. avec 15.2 % (Aveyron. Loire. Allier) ; France de l’ouest, enfin. 5.2 %. Cette étude est l’une des parties les plus originales et les plus intéres­ santes des recherches de Claude Willard. Celle aussi, comme il l’écrit lui-même, pour laquelle il a dû surmonter des obstacles nombreux. Celle, enfin, où l’apport est le plus neuf, autant par la méthode utilisée que par les résultats obtenus. L’influence électorale, si elle est la plus facile à établir, ne représente en effet qu'un des éléments de I étude d un parti politique. Claude Willard a donc cherché à la compléter par l’analyse, aussi précise que possible, des forces organisées du parti et de sa compo­ sition sociale. La première difficulté était d ’en découvrir les éléments. La lecture de l’ouvrage permet d ’apprécier l’ampleur de la quête obstinée à laquelle l’auteur a dû se livrer, notamment dans la presse locale et les archives. La seconde concernait l’établissement de séries homogènes et donc comparables concernant l’appartenance sociale des militants et des diri ­ geants guesdistes. Claude Willard s’en explique dans une introduction méthodologique qui n’aurait rien perdu à être plus largement développée. JI distingue d ’abord, chaque fois que ses sources le lui permettent, entre les candidats du P.O.F. et les militants, afin de tenir compte et de 1 influence de la répression — la démocratie de la IIF République naissante n’était pas si large qu’un ouvrier pût sans inconvénient se présenter aux élections — et des différences possibles, tenant à la vie du parti lui-même, entre la composition sociale des adhérents et celle des responsables. 79

11 s attache ensuite à établir des critères sociologiques aussi scientifi­ ques que le lui permettent les documents dont il dispose. Bien des études de sociologie électorale éludent ce problème, pourtant essentiel. La classe ouvrière, en effet, n’est pas homogène. L’ouvrier dont parlent les docu­ ments. ce tisseur, ce mécanicien, etc., est-il salarié ou travailleur indépen ­ dant ? S’il est salarié, travaille-t-il dans un petit atelier, dans une grande entreprise ou à domicile ? Les réponses à ces questions sont d ’autant plus importantes pour une étude scientifique que la structure de l’industrie française est alors très différenciée, en particulier dans les branches où le guesdisme possède 1 influence la plus grande, le textile et la métallurgie. Comme l’écrit Claude Willard. ces données « influent profondément sur la mentalité, les objectifs, les possibilités et la uolonté d’organisation des travailleurs >. Faute de trouver réponse dans les documents eux-mêmes, l’auteur adopte un critère « qui bouleverse les divisions socio-professionnelles communément admises > mais qui lui permet une approche plus scientifique de la réalité des classes sociales. Renonçant à multiplier les catégories mal définies, il utilise les données des recensements de popu­ lation pour distinguer deux grands types d ’industries : les industries artisanales (moins de cinq ouvriers en moyenne par entreprise ou plus de !50 % de travailleurs individuels) et les industries où dominent le salariat. Sans dissimuler l’arbitraire d ’une telle classification ni ses lacunes, il

(1) P. 220, (2) P. 221. 80

estime qu en l’état des sources elle cerne au plus près la réalité et permet des évaluations approximatives mais significatives. Assez, en tout cas, pour démontrer que le P.O.F., par son recrute­ ment, justifie son titre de parti ouvrier. « De 1894 à i809, les ouvriers employés dans des industries où domine le salariat constituent 42.9 % des adhérents recensés du parti, 71 % de ses travailleurs industriels » Ces % varient d une région à I autre et sont plus importants dans les régions prolétariennes. Fait significatif, dans 1 .'\ube, le pourcentage d ’ouvriers par rapport aux candidats recensés du parti est supérieur à celui des ouvriers par rapport aux adhérents. Parti ouvrier, le P.O.F. étend son recrutement au.x éléments d avant- garde d ’autres couches sociales : paysans (7,1 %, chiffre stable malgré l’audience électorale grandissante du parti, jusqu’en 1899) ; employés (5 %, mais 9,4 % dans la Seine) : commerçants (de 13.2 à 17 %, dont près de la moitié des cabaretiers). étudiants et intellectuels, enfin (3,6 %, mais 22 % pour les étudiants et 11,3 % pour les enseignants dans la Seine). Ces quelques résultats permettent peut-être de comprendre la richesse et la finesse de cette analyse concernant l’implantation du P.O.F. et sa composition sociale, analyse qui est systématiquement développée sur le plan local et qui apporte des renseignements précieux pour tout militant car certaines des traditions que décrit Claude Willard sont encore sensibles aujourd’hui. Mais Claude Willard pousse plus loin son étude. Il cherche à

(1) P. 516. 81

préciser les raisons de cette implantation qui trouve son reflet dans les variations locales de la composition sociale du parti, de son orientation, de son action. Sa méthode vaut, là encore, qu'on s'y arrête. Elle évite en effet les risques d une telle recherche : risque du matérialisme écono­ mique. identifiant l'être social et la conscience ; risque de l'éclectisme, recourant à l’illusoire théorie des facteurs : risque, enfin, de vouloir aller au-delà des conclusions que permet lexploitation des sources concernant chaque région. Spontanément, le mouvement ouvrier ne dépasse pas le stade du trade-unionisme. Ce n est qu nu prix d efforts permanents de son avant- garde organisée que la classe ouvrière peut être gagnée aux idées du socialisme. Le mérite du P.O.F. est précisément d avoir entrepris celle tâche. Que son action ait eu fies faiblesses, c est I évidence, et nous y reviendrons. Mais, ce que l étude de Claude Willard met en valeur, c’est 1 existence de milieux plus ou moins favorables à l influence et à l'orga­ nisation du P.O.F. selon la diversislé de situation de la classe ouvrière, diversité qui tient aux conditions économiques et sociales et à leur combinaison avec les traditions idéologiques. h) une région à 1 atitre, d une industrie à rautre, la concentration de la classe ouvrière n est pas lu même. Sa qualification, son ancienneté, ses traditions de lutte varient. Certaines corporations, aux salaires relative­ ment élevés et aux traditions plus anciennes inclinent vers le réformisme et le trade-unionisme. Les ouvriers les plus durement exploités ont des réactions différentes « certains, accablés par de terribles conditions d existence, résignés à leur sort, manifestent une passivité sceptique devant 82

toute perspective de transformation sociale : l'Eglise catholique leur ouvre, pour l’au-delà, les portes d’une vie meilleure, fraternelle et juste. Chez d’autres domine un sentiment de révolte, de haine sociale élémen­ taire : l’anarchisme et, dans une certaine mesure, l’allemanisme répondent à leurs aspirations Les derniers, enfin se tournenl vers le P.O.F. De plus. « l’idéologie héritée joue, selon les cas, un rôle de frein ou de tremplin pour la pénétration socialiste > L’emprise de l’Eglise appartient au premier cas : les traditions héritées de la révolution démo­ cratique bourgeoise, au second. Cependant, ces dernières elles-mêmes — notamment celles du jacobinisme et du radicalisme — ne conduisent pas spontanément au socialisme. « Le P.O.F. ne s’enracine solidement que dans la mesure où il assimile de façon critique ces traditions sans se confondre avec elles » L’étude de Claude VVillard justifie pleinement sa conclusion sur ce point, conclusion familière aux marxistes : « Dans la genèse de la conscience de classe, les conditions matérielles jouent le rôle du moteur, mais ce dernier peut tourner à vide. La conscience de classe ne débou ­ che pas spontanément sur le socialisme, spécialement sur le socialisme mor.visle ; le prolétariat n ’acquiert cette pleine connaissance Je sa situa ■ tion, de sa mission historique qu’éduqué et organisé par un parti marxiste ***. »

(1) P. 319. (2) P. 525. (5) P. 524. (4) P. 520. 83

L inipianliUion du Parti dépend donc de sa capacité à jouer son rôle d avant-garde eé à consolider ses liens avec les niasses en tenant compte de chaque situation concrète. A cette époque de défrichement. I influence et la stabilité de l'organisation dépendent encore, dans une large mesure, de la qualité d un groupe restreint de dirigeants, parfoi.s même d’un dirigeant ; « En cet âge d’un socialisme morcelé et adolescent, alors que les divergences idéologiques entre les divers partis socialistes révolutionnaires échappent aux masses, souvent la personnalité d’un mili­ tant suffit à décider de l’affiliation à telle école » A I inverse, là où le Parti agit dans un milieu prolétarien ci où son implantation est profonde, ce rôle exceptionnel du dirigeant diminue. II se combine avec l'autorité de lorgnnisation dont le travail s’opère avec continuité et dont l influence est d'autant plus stable qu elle se ramifie. A l'action propre du Parti, s ajoute celle de ses militants dans les syndicats, dans les municipalités, dans les coopératives, notamment dans le Nord où cette tradition est encore vivante aujourd’hui. L évolution de linfluence régionale du P.0.1'. confirme cette ana­ lyse alors même qu elle est déterminée par une situation politique géné­ rale devant laquelle électeurs et organisations du Parti réagissent diffé ­ remment. En IP02, en effet, l'assiette régionale du Parti a profondément changé. I.'importance du Nord et du Centre-Est s est accrue (respecti­ vement. 36,5 % et 2'2.3 % des voix reriiei Ilies par les candidats collec-

(I) 1’, 525. 84

livistes. Celle de l’Ouest est inchangée. Par contre, l'influence guesdiste s est effondrée dans le Midi, notamment le Midi méditerranéen : elle passe de 20,3 % en 1898 à 6,3 % en 1902. Dans cette région, la base ouvrière du Parti (électeurs, adhérents et cadres) a toujours été plus faible qu’ailleurs. En outre, et de manière plus décisive, le Parti n’a pas réussi à implanter son idéologie indépen ­ dante, par l'assimilation critique des traditions sur lesquelles il s'était appuyé, au départ, pour développer son influence. D'un mot. Claude Willard résume ce qui s'est produit à 1 occasion d un brusque change­ ment de la situation politique générale : « Le radicalisme, aux traits jacobins plus ou moins accusés, par sa puissance atlractive, son mimé­ tisme paraît grignoté par le guesdisme, alors que, parfois, comme dans le Midi, il l’absorbe >

INTRODUCTECRS DU MARXISME EN FRANCE

Parti ouvrier, le P.O.F.. et c est son originalité dans le mouvement ouvrier français comme parti, se réclame du marxisme. Claude Willard, tout au cours de son étude, démontre qu’il en est bien ainsi. Non seulement les militants guesdistes ont un souci réel de la théorie, mais ils s’efforcent sans cesse d ’en élargir 1 audience. Intro­ ducteurs du marxisme en France, et cela dès la fin des années 70. ils

(1) P. 524. 85

publient des oeuvres de Marx et d Engels Us animent un effort réel de propagande et d éducation. En témoignent les conférences et les réu­ nions publiques qu'ils organisent, mettant l’accent sur des problèmes décisifs pour la classe ouvrière : les rapports de production capitalistes, source de I exploitation des travailleurs et de I inbumanité du système et la nécessité de l’appropriation collective des moyens de production : la nature de classe de l’état, d où découlent les limites de la démocratie bourgeoisie et le caractère fonnel des droits qu elle proclame et la néces­ sité de la conquête rlu pouvoir politique par la classe ouvrière. Le fait est d importance, et positif. Le P.O.F. est bien le « seul parti à se fixer comme tâche essentielle et constante l'enseignement, la diffusion du marxisme ». Nid n’a fait plus que lui. à 1 époque, pour la fusion du mouvement ouvrier et du socialisme scientifique. Mais le P.O.F. ne parvient pas à surmonter pleinement la faiblesse théorique du mon- vement ouvrier français dans son ensemble. S’il a le souci permanent de la vulgarisation de l économie marxiste, il analyse peu — ou pas — 1 économie française et son évolution, cédant même à la théorie lassalienne critiquée par Marx de la prétendue « loi d airain des salaires ». Il lutte contre le chauvinisme dans les rangs de la classe ouvrière, mais sans dégager les « fondements du patriotisme ouvrier» De plus.

(1) hibliographio des œuvres de Marx et Engels atxessiLles uu lecteur Irançais de I époque, telle que l’olablit Claude Willnrd. est significntiv<* ci d«‘ cet edfort, et de s*'s limites (pp. 705-707), (2) P. 202. 86

I idée « d’un socialisme français, guide et phare du mouvemenl ouvrier international tend à s’hypertrophier * Aussi des organisations ont elles tendance à céder devant le nationalisme montant, notamment de 1896 à 1898. Enfin, le P.O.F. comprend mal les rapports entre réfonne et révo­ lution. ce qui le conduit à un dédain partiel des luttes immédiates, élé­ ment indispensable de préparation à des luttes plus vastes. Ces faiblesses auront leurs répercussions politiques. Claude Willard les rattache, à juste titre, à une assimilation insuffisante du marxisme et de ses fondements théoriques, le matérialisme dialectique et le matéria­ lisme historique. « Dans le marxisme, écrit-il. les guesdistes s’attachent bien moins à la méthode d’analyse qu’aux résultats de celte analyse ; (et l’on pourrait ajouter qu'à la conception du monde qui fonde cette analyse) ; ils retiennent les conclusions de Marx et d’Engels plus que leur démarche de pensée ». Les guesdistes ont tendance à réduire le marxisme à quelques schémas fondamentaux et ignorent presque com­ plètement la dialectique, ce qui les conduit parfois à une sorte de fata­ lisme historique. « L’évolution doctrinale du P.O.F. n ’apparaît donc pas comme une assimilation progressive du marxisme, comme une création continue, mais comme une succession de périodes sectaires et opportu ­ nistes » Le jugement peut paraître abrupt. (Claude Willard le justifie d ail­ leurs d ’une manière nuancée, s'efforçant, sur ce point comme sur les

(1) P. 205. (2) P. 214. 87

autres, d ’éviter les simplification oulraiicières cl les anaclironisines). II n en explique pas moins fondamentalement les glissements de caractère opportuniste qui se manifestent à partir de 1895 et les limites du redres ­ sement que tente le F.O.F. lors du millerandisme et dans les années suivantes. II éclaire I évolution du Parti, jusqu à I unification de 1905. évolution qui fait I objet, sur le plan national et régional, des trois der ­ nières parties de 1 ouvrage. La question à laquelle s attaclie Claude Wallard est la sui\ anle : Le F.O.F. est un parti ouvrier, implanté dans la classe ouvrière, aux adhérents en majorité ouvriers. Il n acquis, encore qu à des degrés divers, une audience certaine auprès de la paysannerie laborieuse, des couches moyennes des villes et. au moins à Paris, des étudiants et des intellec­ tuels. Il s est doté de lomies d organisation alors nouvelles, dispose d une influence dans le mouvement syndical en plein développement, de points d appui sérieux aussi bien pur ses municipalités que par le rôle de ses militants au sein du mouvement coopératif. Il tranche, enlin, sur les autres courants du mouvement ouvrier par son souci affirmé d ’éducation et I attention qu il porte à la diffusion du marxisme. C est précisément rlans les régions industrielles, où ces éléments sont le plus étroitement combinés ciue I influence, les forces et 1 activité du Parti sont les plus importantes et les jrlus stables. De façon générale, les guesdistes ont bâti, pierre à pierre, le parti le plus important parmi ceux qui se réclament du socialisme et de la classe ouvrière. la veille de I unité, en 1905. le P.O.F. a donné au Parti socialiste 88

de France les cinq sixièmes de ses adlu-renls. Ses forces organisées sont supérieures à celles du Parti socialiste français qui regroupe autour de Jaurès les autres courants socialistes. Lors de la création du Parti socia­ liste S.F.I.O., les guesdistes « imposent, pour l’essentiel, leur plaie-fomw théorique, politique et leurs principes d'organisation comme charte du Parti. Mais le guesdisme, de plus en plus sclérosé, s'avère incapable de tenir la barre du navire » Claude Willard, en établissant ce diagnostic, s’efforce d ’en analyser les raisons, il fait leur part aux conditions objectives ; morcellement de la classe ouvrière, partagée en tendances diverses et entourée d ’une petite bourgeoisie nombreuse ; habileté de la grande bourgeoisie dans I utilisation de la démocratie parlementaire, dissimidant le caractère de classe de sa domination et alternant, comme le soulignait déjà Lénine, deux méthodes de gouvernement, l’une brutale, l’autre plus souple.

DES TRAITS NEGA FIES

Mais Claude Willard s altacl le à dégager, parmi ces raisons, celles qui tiennent aux guesdistes eux-mêmes. Des traits négatifs existaient déjà, nous l’avons vu, dans I activité du Parti. Avec les premières années du XX* siècle, ces traits négatifs l’emportent sur l’acquis du mouvement. Ils concernent des questions vitales pour l’activité d ’un parti ouvrier puis-

(() P. ->02. 89

qu ils tiennent à sa capacité lliéorique, on. pins exactement, à son apti- Intle à associer théorie et pratique. Les guesdistes, sauf exception dont 1 une des plus remarquables est sans doute celle de Paul Lnfargue, ne parx'iennent pas à fonder leur politique sur 1 analy.se concrète de la situation française, en tenant compte fies changements qui caractérisent cette périotle. Cette faiblesse apparaît avec les progrès mêmes du mouvement et de 1 influence du marxisme. Les réactions du P.O.F., de ses dirigeants, Jules Ouesde compris, et plus encore de ses organisations locales devant les premiers succès électo­ raux sont significatives. L étude de Claude Willard confirme toutes les appréhensions d Engels tlevant les glissements opportunistes du Parti et son inquiétude quant à l’avenir. Le P.O.F. a tendance à surestimer i importance de ces succès. 11 leur accorde une importance qu ils n’ont pas. Dans le même temps, les députés guesdistes se fondent au parle­ ment dans un groupe unique que dominent les socialistes indépendants et la forte personnalité de Jafirès. Le Parti renonce à utiliser la tribune f|u il a conquise pour développer son influence dans les masses. SoucieiLx à juste titre d ’étendre son influence et sensible à l’orienta­ tion nouvelle d une partie de la paysannerie laborieuse, il aborde la ques­ tion paysanne. Mais, sous prétexte de faciliter l’alliance de la classe ouvrière et de la paysannerie, il en vient à des concessions de principe que critiquera Engels. Ces faiblesses ont leurs répercussions dans les organisations locales du Parti. Soumis à de très fortes pressions idéologiques, des dirigeants y 00

trouvent une justtrication à ries pratiques typiquement opportunistes. Claude Willard en apporte de très nombreux exemples, aussi bien dans le Midi. où le P.O.F. apparaît comme I aile gauolie du radicalisme, que dans le Nord, où sa base principale est ouvrière. En définitive, et sans doute est-ce là la conséquence principale de son assimilation insuffisante du marxisme, le P.O.F. ne parvient pas à associer de manière conséquente luttes immédiates et perspectives loin­ taines ; à intervenir, dans toutes les luttes comme une force indépendante et. par là, à créer les conditions les plus propices à l'unité de la classe ouvrière et à son alliance avec les coucbes moyennes des villes et des campagnes : en un mot. à défendre, selon l’expression du Manifeste, le présent et 1 avenir du mouvement. Ses affirmations doctrinales tournent à une conception fataliste du développement social et sont contredites par la pratique de certains groupes locaux, sinon par celle de sa direc ­ tion nationale. Faute d une attention suffisante aux luttes revendicatives et parce qu ils ont une conception étroite des rapports entre parti et syndicats, les militants guesdistes voient leur influence diminuer dans le mouve­ ment syndical à la création duquel ils avaient contribué dans les années précédentes. Ils laissent le champ libre aux courants d ’où sortira l’anar­ cho-syndicalisme. Dès le Congrès syndical de Nantes, en 1895. ils sont minoritaires. De même, ils subissent, plus qu’ils n orientent, l aspiration grandis ­ sante à l’unité qui s’affirme dans les rangs de la classe ouvrière et à laquelle les socialistes indépendants, issus en majorité du radicalisme. donnent une orientation réformiste dont témoigne clairement la plate­ forme de Saint-Mandé. La difficulté des guesdistes à répondre aux questions nouvelles nées du développement même du mouvement ouvrier dans les condi­ tions de I impérialisme est tout aussi évidente à propos des questions de l’expansion coloniale et des rivalités d'où sortira la première guerre mondiale. Leur comportement lors de l’affaire Dreyfus en est la manifestation la plus importante. Le P.O.F.. puis le Parti socialiste de France tirent partiellement les leçons de l’événement. Claude Willard étudie ce qu’il appelle le « redressement » du Parti et ses conséquences. Tardif, ce redressement se fait au prix de pertes rendues inévitables par les incertitudes des années précédentes. C’est la diminution de l’in­ fluence et des forces organisées du Parti, diminution durable et impor­ tante dans le Midi, en particulier le Midi méditerranéen. Du moins les guesdistes ont-ils le mérite de l’affronter. Surtout, ce redressement est partiel. Le Parti réaffirme certaines positions générales du marxisme. Il n’élabore pas pour autant les réponses aux questions de l'époque. Ce redressement doctrinal, « coupé de la pratique sociale en mouvement, ne lui permet pas de résoudre, de façon marxiste, les grands problèmes que l histoire pose, en ce début du XX' siècle, à un parti révolutionnaire * Malgré ses efforts, le

(1) P. -164. Q2

Parti ne parvient pas à améliorer sensiblement ses rapports avec les masses dans une période de développement du mouvement et d ’aspira­ tion à l'unité. I.a diversité régionale nuance ce tableau. Ces difficidtés sont les plus grandes là où le parti n’est pas la force principale du mouvement socialiste et où sn base est la moins prolétarienne. Elles sont moindres là où il apparaît comme la force déterminante et où son assise est ouvrière, comme dans le Nord et I Aube. Dans la Seine, sa base sociale se modifie il gagne dans les centres prolétariens de la LanI ioiie pari- sienne tandis qu’à Paris même les étudiants, notamment se tournent vers .Jaurès. Dans le Midi. « seuls résistent, quoique démautelés, deux Imstions ; le Gard et la Gironde > Claude Willard paraît résumer la situation réelle du parti, à la veille de 1 unité, lorsqu il écrit : « Le Parti socialiste de France n ’offre pas à la classe ourrière une politique claire... Son dogmatisme nourrit un jauressisme qui s’affirme concret, efficace ; son opportunisme (car les deux vont de pair), coniribue à détourner nombre d’oueriers révolu ­ tionnaires de la lutte politique, à les orienter vers le syndicalisme révo­ lutionnaire > Les guesdistes constituent désormais au sein de la S.F.l.O. une fraction organisée et quelqtie peu boudeuse. En 1014, rien ne les distin ­ guera des autres tendances du parti.

(1) P. 511. (2) P. 501. 93

DANS LA COURBE DE LA IL INTERNATIONA! E

I. Kistoire du P.O.F. s'inscrit donc dans la courbe générale du mou­ vement ouvrier international, des lendemains de la Commune de Paris jusqu’à la première guerre mondiale. Lorsque la 1” Internationale, sa tâche accomplie, prononce sa dissolution, elle recommande la création de partis socialistes de masse sur la base des étals nationaux. En France, c est l’œuvre des guesdistes. Et Claude Willard le souligne à juste litre, en conclusion de son ouvrage. Le développement de ces partis permet la création de la IL Interna­ tionale. Mais, vingt-cinq ans plus tard, cette dernière s’effondre. S in­ terrogeant sur cette faillite. Lénine remarquait que 1 évolution qui y a conduit ne s’est pas faite en un jour. 11 demandait, à propos de Jules Guesde précisément, s’il ne fallait pas rechercher les signes qui. bien avant 1914, pouvaient l’annoncer. Par I objet même de sa thèse. Claude Willard apporte des réponses à cette question, dans la mesure où il atteint l’objectif qu’il s’était pro- |)osé : « démâler la part respective des facteurs objectifs (économiques. sociaux, historiques, politiques, culturels) et de l’action des hommes (11 dans la croissance et la dégénérescence du guesdisme. 11 éclaire non seulement une étape décisive de l’introduction du marxisme en France, mais il contribue à une meilleure connaissance du mouvement ouvrier international lui-même, à l’époque de la 11' Internationale.

(I) P. 505. 94

En effet, l’échec partiel du guesdisme ne lui est pas particulier. C’est aussi celui des autres courants du mouvement ouvrier français. Les conditions particulières à la France ne sauraient donc entièrement 1 ex­ pliquer. < La seconde internationale connaît, en définitive un échec sent hlable » que l’expérience contraire du parti bolchevik pennet d éclairer. « Le mouvement ouvrier, dans la plupart des pays de l'Europe occi­ dentale, connaît un essor relativement pacifique : syndicats et partis socialistes progressent, remportent des succès corporatifs et électoraux, obtiennent des réformes sociales. Dans les partis socialistes, avec les victoires, affluent les « Herr Doktor » et de nombreux éléments des classes moyennes. Les formes d’action légale relèguent au rayon pous ­ siéreux de la phraséologie les perspectives révolutionnaires. Les théo­ riciens socialistes (Kautsky lui-même l), à de très rares exceptions près. ne cherchent pas comment utiliser ces conditions nouvelles à des fins révolutionnaires ; ils « révisent » le marxisme ou consentent au révi­ sionnisme de larges concessions. Les insuccès du guesdisnw en France s’inscrivent ainsi dans un contexte international, à une étape donnée de l’histoire politique et sociale de l’Europe > C’est donc sur la responsabilité des partis ouvriers que s’achève 1 ouvrage. Non certes qu'un parti puisse prétendre modifier 1 évolution générale des rapports de classe. Mais il peut ou accélérer ou freiner leur évolution objective, qui dépend des conditions générales. La capacité dirigeante d ’un parti marxiste est donc liée à son aptitude à apprécier

(1) P. <500. (2) P. 601. 95

ses condiHons ; « Ici, les conditions favorables ne sont utilisées, là les désavantages surmontés Que dans la mesure où le parti est capable de les discerner, de les comprendre De ce point de vue, et quelqu’aient été ses faiblesses, le P.O.F. est bien, de fort loin, « l’école socialiste qui enrichit le plus le patrimoine du mouvement ouvrier et socialiste fran­ çais > à cette époque. Claude Willard. pour avoir su démêler le rôle des conditions objec­ tives et celui des lioinmes. pour n’avoir rien dissimulé ni de la grandeur de ces pionniers ni de leurs insuffisances, est en droit de conclure, comme il le fait, sur l'apport positif des guesdistes. Leur histoire constitue bien « un chapitre, un grand chapitre du livre du mouvement ouvrier et socia­ liste français » Certes, la situation actuelle n’est plus la même. Depuis la révolu­ tion d ’octobre 1917, le socialisme a cessé d ’être un idéal animant l’œuvre de pionniers. 11 s’est ancré dans la vie de millions d ’bommes dont les plus avancés construisent aujourd'hui les bases matérielles et morales du communisme. Le rapport des forces dans le monde en est profondé­ ment transformé. En France. 1 influence du marxisme est sans commune mesure avec ce qu’elle était. Si socialistes et communistes se réclament les uns et les autres de l’héritage de Jules Guesde, les seconds ont été attentifs à tirer toutes les leçons de l’expérience des guesdistes, y compris celles de leurs faiblesses. La voie qu’ils ont choisie en 1920 leur a permis de surmonter

(1) P. 602. (2) P. 60Z 96

les contradictions apparentes que les giicsdistes ne sont pas parvenus à dépasser. Ils ont permis ainsi à la classe ouvrière de s affirmer comme la force principale des luttes pour la démocratie et pour le socialisme. Les expériences du front populaire et de la Libération ont démontré qu il n y a aucune contradiction entre l’unité de la classe ouvrière et l'union des forces démocratiques de même qu’entre les luttes pour la défense et l’élargissement de la démocratie et les luttes pour le socia­ lisme. Aujourd bui. les progrès du mouvement ouvrier et démocratique créent des conditions nouvelles pour le passage au socialisme. Les diver­ gences idéologiques entre socialistes et communistes peuvent être plus facilement surmontées pour peu que la même volonté en e.\isle de part et d ’autre et que les actions immédiates ne soient pas subordonnées à un accord idéologique encore difficile. L’acquis du P.O.F. peut y aider, compte tenu de ces changements, puisque cet acquis est bien celui que décrit Claude Willard « Artisans de la renaissance du moiiremenl ouvrier et iniroducleurs du marxisme en France, les guesdistes créent L‘ premier parti politique indépendant de la classe ouvrière, un parti de classe qui rejette toute compromission avec la bourgeoisie et s'impose une discipline de combat > Conditions sans doute insuffisantes, mais nécessaires pour permettre à la classe ouvrière de jouer son rôle dans la lutte pour la démocratie et le socialisme et de contribuer au rassemblement de toutes les forces qui y sont intéressées. (I) P. 602. 97

« AUX ORIGINES DU COMMUNISME FRANÇAIS »

Jean GACON

Lorsqu’on ouvre une thèse universitaire, e'est toujours avec un certain senti­ ment de respect pour la niasse de labeur, donc la part de sacrifice personnel, qu’une telle entreprise a représentée. Même si les conclusions apparaissent, à la réflexion, contestables, il en ressort presque toujours l’impression d ’un réel effort d'honnêteté intellectuelle. L’insuffisance, forcée ou non, de la documentation, les erreurs, fonda­ mentales ou partielles, de méthode ruinent quelquefois cet effort. Il arrive qu’une thèse .s’effondre ; il est, en tout cas, de règle qu’elle vieillisse. Mais, cette fois, décidément, il y a autre chose ! A mesure que l’on avance dans la thèse d ’Annie Kriegel c’est le sentiment de respect qui s’amenuise. Car il devient criant que l’erreur de méthode est comme voulue, délibérément concer­ tée. Hypothèse la plus charitable, car, inconsciente, cette erreur relèverait de la psychanalyse du ressentiment. Mais non ! L’intention, incontestablement maligne, se situe à nu double niveau : — 1“ démontrer que la naissance du Parti communiste fran^-ais ne fut qu’un accident de l’histoire ; — 2“ démontrer que la méthode historique marxiste est un leurre et que riiistorien doit privilégier l’accidentel. Kn somme, nous sommes en présence d ’une opération qui aurait dû faire un magnifique scandale. La faillite de l’explication marxiste de l’histoire ne serait pas prouvée à propos de n’importe quel événement, mais suprême humiliation pour les communistes qui en usent comme d ’un outil scientifique et d'une arme mili­ tante, à propos de la naissance de leur proj>re Parti ! André Gide avoue qu’il a écrit certains de ses livres pour se libérer d ’une

(1) .4iix origines du communisme français 1914-1920. Contribution <î l'histoire du moine- ment ouvrier français. Mouton. 2 t. 99.S p. 1961. Q8

partie de lui-même. Peut-il en être de même d ’une thèse d ’hi.stoire ? Si l’histoire de cette thèse est aussi l’histoire de son auteur, confidence dont la Sorbonne n’a rien voulu entendre, est-ce nu critère d ’objectivité ? Georges Lefebvre nous disait souvent que sans l’érudition, il n’est point d ’hi.s- toire et que pour dominer les événements, il faut d ’abord les connaître, aussi minu­ tieusement qu’il est possible. Ceci posé, il y a quelque audace à se .servir, pour réhabiliter et même privilégier le rôle de l’« accident », du « phénoménal » comme élément d ’explication, de la caution de ce maître (j), 1-1), dont toute l’œuvre de chercheur et de professeur témoigne justeiiient du souci scientifique d ’utiliser l’érudite recherche pour trouver les « constantes » (selon l’expression de Marc Bloch) par-delà le circonstantiel. En effet, il n’est pas question de faire grief à Amiie Kriegel d ’avoir voulu aller du concret à l’abstrait, de n’avoir effleuré le structurel que dans sa thèse eoin- plémentaire, La démarche de l’historien va bien des matériaux de la recherche à la synthèse scientifique. Mais elle ne saurait aller d ’ime [irotestatiou de modestie en introduction («je ne suis pas encore capable d'attaquer les soubassements») à cette tranquille conclusion : « l’événementiel tout aveugle et gratuit qu’il soit expli­ que encore bien des choses auxquelles le structurel ne donne que des réjionses arti­ ficielles et non convaincantes. » (p. 865.) Le procès-verbal de modestie ou de carence se mue en orgueilleuse décou­ verte, qui eut bien étonné Georges Lefebvre. Si le Congrès de Tours s’était tenu six mois plus tard, il n’y aurait pas aujourd’hui de Parti communiste français, ou pareillement six mois plus tôt ! Car la scission de décembre 1920 serait doublement un accident. A cause d ’abord de la conjoncture nationale (la liquidation par les réformistes et la répression des grands mouvements revendicatifs de 1919-1920 que l’auteur arrange à sa façon) et internationale (la persistance fugace d ’une perspec­ tive de révolution mondiale dans le sillage de la révolution soviétique). A cause ensuite, des modalités du congrès même, la majorité s’étant ralliée à la IIP Inter­ nationale « par inadvertance », dans la confusion, sans adhérer vraiment au bolché- visme. Tout ceci est orchestré pour aboutir à une ultime conclusion d ’une extrême banalité : La greffe véritable du bolchévisine sur le socialisme français ne s’est faite que plus tard. Si l’on s’en tient là, c’est juste. Maurice Thorez avait coutume lie répéter : « Après Tours, il y avait encore un long chemin à parcourir, un dur apprentissage à faire — dans les conditions spécifiques de la France — pour que les communistes français, en construisant et organisant le Parti, deviennent véritable­ ment des communistes. » Mais, selon .\nnie Kriegel, cette greffe se serait opérée par l’identification 00

inéoaiiiqiie de rinlemalionalisnie prolclarien et de la « défense de la patrie soviéti­ que », par raffirination que lu révolution russe était le modèle unique de la conquête du pouvoir et de la construction du socialisme. Une vieille calomnie cent fois réfutée comme point d ’orgue de longues recherches et de 874 pages d ’histoire pointilliste, était-ce vraiment la peine ? Cette extrapolation sur la « destinée » de notre Parti ne tient compte, par exemple, ni de l'initiative du Front populaire, ni de l’apport tle Maurice Thorez à la théorie des « voies du socialisme », qui sont, même aux yeux des historiens à nous hostiles, des iléinarches d ’un intérêt capital. Pour illustrer la faiblesse de la méthode, relevons trois exemples de portée inégale, choisis tout différents de prime abord : 1 - Etudiant la position marxiste-léniniste sur les problèmes de la guerre et «le la patrie, l’auteur cite une lettre, d ’ailleurs très intéressante, «le Lénine à luessa Armand, que les Cahiers du communisme ont révélé en France (janvier-février 19.50). Mais elle croit bon d ’ajouter : « Alors qu’on peut gloser à l’infini sur «les ti'xtes apprêtés et travaillés, la pensée jaillit ici dans un abandon de plume r«Aélateur ». Et de parler de « rare authenticité » Voilà bien une nouvelle forme «le revanche «le la spontanéité ; Négligeons les travaux réels et cherchons le tréfon«ls de la science et de la philosophie dans les brouillons et la c«>rre.spondance ! Le recours à ce procédé peut certes nous éclairer sur la psychologie de Lénine, mais certainement pas nous servir pour un approfondissement théorique. 2 - Loin de nous l’idée «le nier que l’histoire est faite par les h«>mmes eux- mêmes. Mais ces hommes n’agissent pas arbitrairement, selon leur fantaisie. L’his­ torien «loit chercher toujours les coiiflitions objectives de l’équation personnelle. Or que fait Annie Kriegel ? Quand, en 1918, certains, dans la C.O.T.. abandonnent leur lucidité de la veille et se joignent à Jonhaux. sur une position d ’union sacive. c’est la stupeur : Merrlieim et Dumoulin ont trahi ! ('.ette trahison est le reflet de manœuvres «lu pouvoir et «le beaucoup de confusion encore chez les minoritaires «l’alors, les révolutionnaires français. Or, sous «piel signe sont placées les huit pages d ’analyse hyper-subtile consacrées à cet épiso«le ? « A citer le nom de Duinmdin. on en arrive à ce facteur pers«ninel, grâce ainiucl l’hisUiire a un visage » ! On croit lire Gascotte...

3 - IjC Congrès «le T«>urs ? Un malenteiuhi ! La preuve, «'"est que « ç’aurait pu finir «'oinntc en Suisse. » Le Congrès du P.S. avait voté ra«lhésion à la TU" Inter

(1) Toiik ^ 1, page 34, note 2. (2t Tome I, page 222. Sans «l’uilleiirs un soli«)e portrait «le Dumoulin ! (3) Tome II, page 86.'i. Sans aueune analyse de la situation suisse. 100

nationale, sous réserve de référendiun six mois plus tard « pratique traditionnelle dans ce pays ». Ce référendum parmi les militants fut négatif et le communisme ne fut jamais en Suisse «une affaire sérieuse» (sic). Etrange raisonnement de la part de quelqu’un qui ne cesse d ’évoquer les traditions propres au socialisme français (qui auraient été violées en 1920 !) Car n’était-ce pas justement l’occasion de se demander pourquoi le référendum n’appartient pas à la tradition démocratique et ouvrière, chez nous ? Le procédé du référendum n’est pas, chez nous, réellement démocratique et c’est, par fidélité à la tradition française de la démocratie représentative, qu’un Congrès vota à une énorme majorité des mandats, l’adhésion à la IIP Internationale, dans la clarté. La scission vint, tlu reste, de ceux qui refusèrent de se plier à ce ver- ilict, les Bhim, Sembat, Longuet. Et c’est pourquoi cela ne finit pas comme en Suisse !... Plus profondément, Marcel Cachin avait montré combien cette adhésion s’insérait dans une tradition jacobine et guesdiste et n’était, en rien, en contradiction avec le socialisme français. Dans les trois cas, la méthode dévalue à la fois la recherche et les conclusions. Dans le dernier cas, elle est si naïvement appliquée que tout lecteur ne retiendra que la fragilité de l’argumentation. Or il s’agit de la thèse centrale ! Sans doute est-elle autrement étayée, mais il peut paraître étrange qu’un chercheur sérieux use du piètre « hasard suisse » pour la renforcer ! On est pareillement étonné de trouver dans un ouvrage d ’une telle prétention

(1) sûr, n'élait pas ciiron' riio»'inp «rAmsIenlam-PIeye!, mais iléjà lucide et pénéreux. 101

lAi byzantinisme apparent, que l’on peut croire gratuit à première vue, de cer­ taines dissertations recouvre d ’aussi méchantes intentions. Il est certes intéressant de savoir si la paix de Brest-Litovsk fut un repli tactique, avec comme perspective ultime conservée la révolution mondiale ou un changement stratégique, contenant toute la théorie de l’édification du socialisme en un seul pays. Encore qu’il ne s’agisse pas d ’un « germe », car Lénine avait prévu cette dernière possibilité dès 1916 ! Encore que stratégie et tactique aient pu se lier alors... Mais, ce qu’on devine c’est que toute cette dis.sertation (p. 184 sq) est sur­ tout là pour essayer de prendre en flagrant délit d ’omission l'Histoire du Parti com­ muniste de rUnion Soviétique (éditée à Moscou). Même ses éditions récentes seraient uniquement consacrées à montrer un Lénine uniquement préoccupé de « préserver la patrie soviétique ». Or l’édition 1960 cite le texte-clef de Lénine qui pose le pro­ blème « du point de vue du socialisme international » et qui qualifie, à ce niveau, le mot d ’ordre de guerre révolutionnaire de « pha.se creuse et geste vain » en Jan­ vier 1918. On ne voit plus où gît le désaccord et l'on finit par constater qu’il est arlilicielleinent créé pour glisser uu couplet antisoviétique. fl y a plus grave que ces malveillances et arrières-pen.sées. Annie Kriegel con­ sidère les rapports quotidiens des mouchards de police sur la « physionomie de Paris », faits de propos recueillis à la Bourse, dans les cafés ou les gares comme des sondages sérieux d ’opiniou, alors qu’il s’agit de documents à manier avec plus de pré­ cautions. Ce n’est que le micro dans la foule et encore, orienté par un reporter à gages... Rien d ’étonnant désormais à ce qu'elle fasse état des réactions de l'opinion en général, de la population sans référence de classe, à maintes reprises, ce qui est l>our le moins fâcheux dans une étude sur le mouvement ouvrier. Celte myopie et ce parti-pris empêchent l’atileur de déceler ce qui est le vrai sens d ’une évolution, de montrer ce qui est eu train de mourir et en train de naître ou de grandir. Prenons ce congrès de la C.G.T. en juillet 1918 qui « témoigne d ’un renforcement de la minorité révolutionnaire» malgré la confusion idéologique qui règne alors et le volte-face de Meehreim et Dumoulin, dont il a déjà été question. Des auteurs déjà anciens comme Paul Louis, récents comme Maurice Labi. s’accordent pour constater la progre.ssioii numérique de l’opposition à Jouhaux, encore insignifiante en 1917, et c’est le phénomène majeur, qui permet de tracer la courbe de l’histoire Annie Kriegel s’entête à épingler l’accessoire : 1918 aurait été l'heure

(It I.éiiiiio ((Kiivrcs, T. 26, p. 472, ctl. fniiH'aiscl cité par rHistoirc

d ’un « centrisme » ouvrier patriote et wilsonien, dont répanouisseiuent eut évité lu scission de 1920. C’est l’objet d ’un long chapitre (p. 204-235) qui l’oblige à d ’in­ croyables contorsions, car, si le congrès de la C.G.T. se prête encore un peu à son jeu, le congrès S.F.I.O. d ’octobre 1918 confirme les vrais changements survenus dans les masses comme chez les militants. C’est la défaite des chauvins Annie Kriegel prétend que cette différence (relative d ’ailleurs) entre les deux congrès tient à leur date : en juillet, il y à encore la guerre, la menace allemande ; en octobre chacun sent que la fin approche et (jiie le problème de l’après-guerre va se poser. L’ennui, pour elle, c’est que le tournant décisif à la S.F.I.O., c’est le con­ seil national du 28 juillet 1918 dont on cherche en vain une mention précise dans sa thèse. Le malheur, c’est que Renaudel est évincé de riliimanité dès le 13 septembre ! Pourquoi nier l’évidence ? Par-delà les subtilités, c’est le courant révolutionnaire qui ne cesse de s’enfler. Le succès de la Vague de Brizon publiant des lettres de soldats qu’Annie Kriegel ne veut considérer que comme une « réus­ site journalistique » (p. 232) en témoigne pareillement, quel que soit le flou de ses positions, car, écho plus probant que les rapports policiers, il reflète surtout un besoin nouveau des masses. Le jeu d ’Annie Kriegel est clair. Elle cite une confidence de Delvry à Deslinières : «Je n’y comprends pas grand-chose» (p. 233). Il s’agit de la lutte des quatre tendances à la S.F.I.O. en 1918. Elle voudrait bien que le lecteur aussi n’y comprenne pas grand-chose ! Car il lui faut dissimuler que dans les syndicats comme chez les socialistes, en profondeur, c’est la tendance révolutionnaire qui croît. I,e « centrisme » n’est qu’un palier. Les « reconstructeurs » en seront bientôt pour leurs frais. A Tours, Longuet ne sera pas suivi. Là-dessus, il est vain de pleurer. Estomper le mouvement d ’ensemble, pour refaire l’histoire à sa guise, « avec des si », regretter qu’elle ne se soit pas déroulée selon ses désirs, ce n’est pas faire œuvre scientifique. A Tours, un vent vraiment nouveau souffle pour le socialisme français parce que les militants se défient des « bonzes », parce que les jeunes sont pleins (l’en­ thousiasme. parce que les travailleurs des campagnes ont fait, eux aussi, un grand pas en avant. Il est vrai que ce sont-là des facteurs qui ont pesé lourd et qui expli­ quent en partie la victoire historique de la motion Marcel Cachin pour l’adhésion à la III' Internationale, acte de naissance de notre Parti en décembre 1920

lit Histoire du P.C,F. Eilitiotis sociales, p. 68-69. (2) Voir Daniel Ligon : Histoire du socialisme en France 1871-1961. P.U.F. 1962, p. ,100. Tiilerpretatioii eorrerte dans Jacques Fauvet. Histoire du P.C.F. Fayard. 1964, Tome I, p. 21. (3t .\nnie Kriegel. T. II, p. 837. Voir aussi son livre sur l.e Congrès de Tours, collection archives. Julliard, 196-1. 103

Mais pourquoi en roujjirions-nous ? Pourquoi le dissimulerions-nous ? Le Parti communiste français est, en cela, demeuré fidèle à l’esprit de Tours : il condamne le mandarinat et le principe d ’autorité, il a confiance en la jeunesse porteuse d ’avenir, il travaille sans trêve à l’union des prolétaires de la ville et des champs. Annie Kriegel nous livre, une fois, nettement son objectif. A la page. 715, elle en vient à écrire : lui jugement de valeur positif sur la greffe du bolchévisine et du socialisme français ne prend son sens qu’« en partant de l’idée que rinfluence bol- ebévique a régénéré nn socialisme français en décomposition ». Elle reconnaît que c’est notre avis et elle cite, à ce sujet, un article effectivement fondamental «le Maurice Tborez Mais elle nie à la fois que le socialisme français ait été, en 1914-1920, décomposé et impuissant, et que le Parti «le type nouveau né à Tours l'ait régénéré « en aecord avec les traits originaux du mouvement prolétarien et de la situation politique en France ». Double refus anti-bistorique. A quoi bon ruser ? Jean Fréville l’a déjà dit ; « la nuit finit à Tours ». Après la faillite des vieilles organisations et le bain de sang de la guerre, c’est à la lumière de la Révolution d ’Octobre que la classe ouvrière française reprend sa marche en avant, sans rompre pour cela avec un glorieux passé. Rayer Tours de notre histoire, ce n’est servir ni la vérité, ni la cause de l’unité en 1966. Les militants d ’aujourd’hui situent autrement qu’Annie Kriegel les respon­ sabilités d ’alors dans la scission et les perspectives ouvertes à Tours au mouvement socialiste français dans son ensemble. Les historiens ont situé ailleurs la vertu de probité. Ils n’ont vu «lans cette thèse qu’un « accident » personnel. Le scandale n’a pas eu lieu...

(1) L'inlhipnce de la Révolution d'Oetobre sur le mouvement ouvrier imncais. Cahiers du ruiiimunisme. Octobre 1957. 104

LA FRANCE ET LA RÉVOLUTION COMMUNISTE

Article postimme de Raymond I.EFEBVRl’

L’original de l’article de Ray­ se tint du 19 juillet au 7 août en U.R.S.S. et des conditions éven­ mond Lefebvre « La France et la 1920 "L tuelles d'adhésion à l’Internationale révolution communiste » nous a été A des titres divers, plusieurs re­ communiste. Le Congrès de Stras­ communiqué de Moscou par l’Ins­ présentants du mouvement ouvrier bourg, en février 1920, avait en ef­ titut du Marxisme-léninisme. Ex­ français ont assisté aux débats de ce fet décidé à la presque unanimiré trait des Archives de l’internatio ­ Congrès. D’une part Marcel Ca- le retrait du Parti socialiste de la nale Communiste., cet article fut pu­ chin et L-O. Frossard étaient man­ IT Internationale ; mais une majo­ blié par la revue « L’Internationale datés par la C.A.P. du Parti socia­ rité légèrement inférieure avait en­ Communiste », dans son numéro liste pour s’informer de la situation core écarté l’adhésion à la IIT In­ de novembre 1920. Nous le repro- ternationale et donné le mandat diuson.s d ’après le texte original, tel à la Commission administrative per­ qu’il fut remis au secrétariat de (1) De la même époque date un rap­ manente du Parti « d ’entrer sans port de Raymond Lefebvre adressé au l’Internationale Communiste. Il se II' Congrès de l’I.C., intitulé Esquisse délai en négociation avec les orga­ présente en feuillets grand format, du M.ouvemenî Communiste en France. nismes qualifiés de la IIP Interna­ dactylographiés, avec quelques me­ publié dans le recueil « Le Mouvement tionale ». Sur l’invitation expresse nues corrections écrites de la main Communiste International » (Editions de l’Internationale Communiste, Pétrograd. de Lénine, et après une autorisation de l’auteur. 1921). de la direaion du Parti socialiste Tout laisse supposer que la ré­ Ce rapport contient les mêmes idées accordée de Paris, les deux délégués daction de cet article a été assurée, et traite sensiblement du même sujet que de la S.F.I.O. ont pu participer, avec l’article « La France et la Révolution et en tout cas achevée, à Moscou communiste ». 11 débute par la remar­ voix consultative, aux travaux du Jurant l’été 1920, vraisemblable ­ que de l'auteur « Je m’excuse de II* Congrès de l’Internationale com­ ment au moment où se poursui­ n’apporter ici, ni date ni chiffres. J’ai dû muniste. faire illégalement le voyage de Russie et. vaient les travaux du H* Congrès en conséquence, je suis venu sans la D’autre part la minorité syndica­ de l’Internationale Communiste qui moindre note. » liste révolutionnaire avec Vergeat et 103

Lepctit, et le Comité pour l’adhé­ vre, la conscience de l’avant-garde Lefebvre va précisément se trouver, sion à la Iir Internationale avec de la classe ouvrière de l’époque, en juillet 1920, au contact de ce Raymond Lefebvre, avaient confié avant tout celle des meilleurs élé­ « parti prolétaire international ». à ces trois délégués de la tendance ments de cette « génération sacri­ Marcel Cachin témoignera un peu révolutionnaire la mission de re­ fiée ». dressée avec véhémence con­ plus tard (après qu’on aura appris présenter à Moscou les premiers tre la guerre impérialiste à peine la tragique disparition de Raymond groupes communistes de France. finie et qui condamne durement la Lefebvre perdu en mer avec Vergeat Marcel Cachin et Raymond Le­ capitulation, la trahison de l’oppor­ et Lepetit, viaimes du blocus im­ febvre, entre autres, ont pris part tunisme social-démocrate. posé à l’Union Soviétique par les aux discussions très vives qui eu­ Léon Moussinac qui, dans les puissances impérialistes) des réac­ rent lieu au sein de la Commission, dernières années de sa vie, collabora tions de Raymond Lefebvre, et il élue par le H” Congrès, chargée aux travaux de la Commission écrira dans VHumanité du 2 dé ­ d'examiner le projet de Lénine re­ d ’Histoire du Parti Communiste cembre 1920 : latif aux conditions d'admission à Français, a publié de Raymond Le­ « Raymond Lefebvre a pris paît l'Internationale communiste. La lec­ febvre une lettre significative adres ­ à tous les travaux du Congrès. Il y ture de ce texte et des principales sée à Paul Vaillant-Couturier en fé­ apportait cet enthousiasme fiévreux décisions du H’ Congrès de l'Inter­ vrier 1916 Après une allusion qui caraaérisait sa belle et fine na­ nationale communiste est indispen ­ aux progrès encore faibles mais ré­ ture, et son admiration pour ce qu’il sable à qui veut comprendre l’article vélateurs, de l’opposition révolution­ voyait et entendait là-bas se tradui ­ de Raymond Lefebvre reproduit naire au sein du Parti socialiste, en sait en dithyrambes passionnés. » ici France et en Allemagne, Raymond Certaines formulations de l'article Lefebvre concluait, s’adressant à son de Raymond Lefebvre peuvent sur­ ami P. Vaillant-Couturier : prendre aujourd'hui, et ses apprécia­ « ... On peut prévoir un scinde- L’article « La France et la révo­ tions sur différents hommes de ment complet entre les deux frac­ lution communiste » frappe par l'époque n’ont pas toutes été confir­ tions et comme Renaudel, Compère l’évidente et sincère adhésion de mées par la suite. Qui s’intéresse Morel, Sembat et autres iront re­ l’auteur aux thèses essentielles de aux premiers pas du communisme joindre les partis bourgeois, chas­ l’Internationale communiste, en dé ­ en France — alors même qu’il s’agit sés de l’Internationale ouvrière pit du fait que Raymond Lefebvre parfois de pas mal assurés et de française, ainsi Scheidmann et Su- lui-même, comme d ’ailleurs le Parti vues politiques mal dégagées encore dekura, et Heim et les autres communiste qui allait bientôt naître d ’un langage excessif, souvent ou- formeront l’aile gauche des partis na­ en France, avaient encore beaucoup trancier et tranchant — ne saurait tionalistes, en face du seul parti pro­ à apprendre pour connaître et s’as­ cependant rester insensible à l’arden ­ létaire international. Tout cela pro­ similer la substance du léninisme. te volonté révolutionnaire qui ins­ met un avenir de lutte âpre et On se tromperait néanmoins si, à pire l'article. On ne peut sous-esti­ belle... » la manière de Blum, Longuet et mer l’importance d ’un pareil docu­ A Pétrograd, puis à Moscou, où leurs partisans d'alors, on voyait ment si l’on songe qu’il exprime, s’est déroulé le II" Congrès de l’In­ dans la position de Lefebvre et de par l’intransigeance d ’esprit et la ternationale communiste, Raymond son groupe une sorte d ’exaltation du blanquisme et des théories anar- (1) Consulter les Œuvres de Lénine. (2) Léon Moussinac : Henri Barbusse, chisantes ramenant l’action révolu­ Tome 31. pp. 210-266. (Editions So­ Raymond Lefebvre, Paul Vaillant-Coutu­ ciales, 1961). rier (article paru dans la t^ouveüe Criti- tionnaire à celle des minorités agis­ plume incisive de Raymond Lefeb ­ tjue n“ 123, février 1961). santes ; car au-delà d ’une phraséo­ 106

logie d ’époque, empreinte du verba­ formation sociale, besogne énorme, volutionnaire consécutive à la guer­ lisme révolutionnaire hérité du le but vers lequel nous tendons. re impérialiste et à l’immense écho XIX* siècle, toujours assez prisé en Mais nous savons aussi que ce qui a mondial de la révolution socialiste France, le contenu de l’orientation toujours été dans notre doctrine de d ’octobre 1917. En France, après la proposée par R. Lefebvre et les par­ tout temps, c’était l’urgence de la poussée ouvrière et les grandes grè­ tisans de la Iir Internationale est conquête du pouvoir. Je me rap­ ves de 1919-1920 (trahies par les au contraire basé sur la confiance pelle un passage de Bracke préfa­ dirigeants réformistes comme l’a ici- dans les possibilités de l’aaion des çant un livre de Jules Guesde. 11 même rappelé Lucien Midol masses. est parfaitement en accord avec ce l’euphorie de la victoire sur l’Alle­ Ces derniers s’emploieront du que je dis ici : « L’organisation du magne et l’emprise de l’opportunis­ reste, pendant les débats passionnés prolétariat en parti de classe pour me social-démocrate dans le mouve­ du Congrès de Tours, à réfuter les la Révolution, c’est-à-dire pour son ment ouvrier ont empêché celui-ci accusations de blanquisme lancées installation à la place de l’ennemi, de jouer son rôle révolutionnaire contre eux par les opportunistes de est la condition sine qsta non de tandis que la grande bourgeoisie tout poil qui ne cherchaient que les son émancipation par lui-même. Le française devenait le gendarme de la moyens de freiner l’action des mas­ socialisme est là et n’est que là. s contre-révolution dans l’Europe ca­ ses et de maintenir le mouvement C’est dans le même sens que con­ pitaliste. ouvrier dans l’ornière réformiste de clut Raymond Lefebvre dont tout Justement à propos de la situation la collaboration des classes. l’article < La France et la révolu­ dans des pays tels que la France, L’homme qui fut le plus proche tion communiste > tend à démon­ l’Allemagne et l’Italie, Lénine a compagnon d ’armes de Raymond trer la nécessité de fonder un parti montré, au IT Congrès de l’Inter­ Lefebvre, son véritable frère spiri­ socialiste vraiment révolutionnaire nationale communiste, que l’oppo­ tuel, Paul Vaillant-Couturier, dira et débarrassé de l’opportunisme, un sition entre réformistes et révolu­ magnifiquement à Tours ; parti ouvrier de type nouveau, un tionnaires ne se réduisait pas aux < 11 faut se mettre en face des parti communiste. appréciations portées sur la situa­ pires réalités. Il faut que nous nous C’est pour un tel parti que com­ tion politique du moment, mais tou­ disions qu’une révolution, comme battait Raymond Lefebvre, comme chait l’orientation de tout le mou­ celle qu’il s’agit de faire, entraînera cela apparaît aussi à la lecture des vement, la conception du rôle du des sacrifices très lourds. On vous deux extraits d ’un article dont nous Parti, et partant, sa théorie, sa poli­ parle de révolution magique qui reproduisons par ailleurs, en fac-si­ tique, son organisation. changera tout du jour au lende ­ milé, le début et la fin : c Le Parti « Quand bien même la situation main. Pas du tout, il ne s’agit pas Communiste Français à ses débuts serait contre-révolutionnaire, la II' de changer le monde du jour au dans la vie » (page II, en hors-texte). Internationale se trompe et porte lendemain, ni de croire que la con­ La révolution communiste en une lourde responsabilité en ne vou­ quête des pouvoirs publics soit no­ France, à laquelle en cet été 1920, lant pas organiser la propagande et tre but unique. Il s’agit de tout au­ Raymond Lefebvre appelle de tou­ l’agitation révolutionnaires, étant tre chose. Il s’agit de faire la trans­ tes ses forces, c’est avant tout une donné que même dans une situa­ tion non révolutionnaire, on peut it) Paul Vaillant-Couturier. Vers des refonte totale, une révolution dans lendemains qui chantenS. (Editions Socia­ la théorie et la pratique du mouve­ et on doit faire de la propagande les. Paris 1962), choix de textes, parmi ment ouvrier français. révolutionnaire : toute l’histoire du lesquels pages 51 à 67, sous le titre Il est vrai qu’en Europe occiden­ Pour le communisme, son discours au (2) Lucien Midol. Souvenirs de Mi­ XVIIP Congrès national du Parti So­ tale, on allait bientôt se trouver au litants. (N“ 1 des Cahiers de l’Institut cialiste à Tours. Décembre 1920. moment du reflux de la vague ré­ Maurice Thorez. Avril-juin 1966), 107

Parti bolchévik l'a prouvé. La diffé ­ la dictature du prolétariat et la con­ décisive, implacable et surtout par­ rence entre les socialistes et les com­ ception du parti. faitement consciente, traduite dans munistes consiste précisément dans Alors que Jean Longuet défendait la vie successivement avec l’oppor­ le fait que les socialistes refusent la ligne conciliatrice d'un amalgame tunisme, le réformisme, la politique d'agir de la manière dont nous possible entre révolutionnaires et ré­ incertaine, évasive de la H' Interna­ agissons dans toute situation, quelle formistes, tout en s’affirmant parti­ tionale... souscrire a la dictature du qu’elle soit, à savoir ; poursuivre san de la dictature du prolétariat. prolétariat, c’est transformer à fond le travail révolutionnaire » Lénine a combattu vigoureusement l'action quotidienne du parti... » La rupture entre révolutionnaires le longuettisme en tant que courant Les critiques, souvent violentes, et opportunistes ne tient pas à des réformiste qui se couvrait de phra­ que dirige l’article de Raymond Le­ questions de tempérament, pas plus ses révolutionnaires. febvre contre les opportunistes du qu'à une soi-disant impatience des mouvement ouvtier français, s’ins­ premiers à laquelle se serait opposé 11 faut rompre avec de tels chefs, pirent de la volonté de sortir ce le pseudo-réalisme des seconds. Les affirmait Lénine en spécifiant, par mouvement du bourbier réformiste buts sont en cause : révolution so­ ses Notes d’un publiciste que et de forger l’instrument de libéra ­ cialiste pour les uns, intégration au « souscrire à la diaature du prolé­ tion de la classe ouvrière, son parti capitalisme pour les autres. Et par­ tariat, ce n’est pas donner l’assaut, « l’enfant du malheur... conçu pen­ tant, les moyens d'atteindre ces buts. aller à l'insurrection à n ’importe dant la guerre capitaliste » dit Ray­ D’où le débat sur la signification de quel moment, coûte que coûte. Ab ­ mond Lefebvre. Mais aussi parti de surdité... Souscrire à la dictature du l'unité profonde de la classe ou­ (1) Lénine. Discours sur les conditions prolétariat, c’est réaliser la rupture vrière, car < Le Parti Communiste d'admission à l'Internationale Commu­ niste. Œuvres. T. 31, pp. 259-260. Edi­ Français est dans la force des tions Sociales. Paris. 1961. (2) Lénine. Œuvres. Tome 30. choses ».

En France, la situation, comme partout, plus Du côté capitaliste la lutte est menée par même qu’en beaucoup de pays, est révolution­ une fraction née de la guerre, et fortifiée par naire. Pourquoi donc la Révolution n’y éclate- la victoire : fraction douée de toutes les qualités t-elle pas ? Pourquoi le prolétariat permet-il de la jeunesse et de la puissance fraîchement à ses propres organisations de collaborer avec la acquise. La petite bourgeoisie, qui constituait le bourgeoisie la plus réactionnaire du monde ? pilier central de la République conservatrice, Pourquoi a-t-il la lâcheté d ’assumer sa part de s’est effondrée. Sa fameuse épargne ne vaut plus responsabilité dans la politique de contre-révo­ rien. C’est bien simple : elle n’a en portefeuille lution européenne ? que des titres russes et de l’Emprunt français. D’autre part le petit commerce est de plus en plus difficile. Les petits traitements n’augmen­ tent plus. En un mot, la ■vie chère a submergé, Le sens de la lutte de classes est irctuelleinent prolétarhé cette classe. Elle ne compte plus que beaucoup mieux au point du côté capitaliste comme survivante. Car, bien entendu, elle n’a que du côté prolétarien. pas encore compris ce qui lui est arrivé. Elle 108

«•onserve son riat «l’esprit «l'avant la }ju«*rre al«>rs (Itnihie ni«)tif «le pencher vers rextrémisme de ni«“me que sa situation a clianj;i'. Elle conser\«' droite, vers la bitte «le classes et la «lictature. sa fi«lélité hargneuse à un r«-ginie «|ui hii offrt' D’abord elle a l’orgueil «le sa récente splendeur, la misère. Politiquement, elle est liqui«l«'e. La la confiance «pie lui inspire le brillant bilan «le paysannerie a «lénoncH' le vieux contrat pay«' ses affaires pers«)nnelles. Et d ’autre part elle a avec elle vers 1880 cl «lont avait v«'‘cu le parti l’impiiétude que lui inspire le lugubre bilan «le radical. (La paysannerie, le 16 novembre'", a l’Etal. Elle «'st riche, mais le pavs «lont elle vit v«>t«' avec la grosse bourgeoisie). Le pr«>cès Cail- est ruiné. La situation financière «le la Fran«'e laux a eu cette signification importante «le sym­ est telle «pie rien, aucune mt'sure partielle ne boliser l’e.\«'cution «le la petite b«)urgeoisie. Le peut la rétablir. L’échéance révolutionnaire han­ procès Caillaux ne fut pas seulement le procès te «loue jusque «lans leur triomphe les « Pro­ «l'un boinine. t'.e fut le procès «rune po]iti«]ue. fiteurs », «Unit la polili«pie se résume à ceci : La petite hourgeoisie ra«licale conservatrice y fut vivre, «birer, et en «b'sespoir de cause saboter le «•«•ndamm'e en la personne de son lea«ler. A la pays, puisque la révolution nationale ne saurait métbo«l«« «'OJiciliatrice, molle, priulente. « bon- être entreprise qu’au jirix de sacrifices démesu- boninie », «pie le capitalisme français d ’avant rt's ; enfin se maintenir au pouvoir par la fori'e : 1014 avait adopte sous l'influence «bnninante à rextérieiir, agir comme à l’intérieur, traiter «le la petite bourgeoisie, succède la métbo«lc r'Europc c«unme la France, faire face ri'solu- violente d'iin cxtn'misme graïul bourgeois. Finis, inent a«i coiiiiminisnie, lui «lisputer la vict«>irc b's flirts avec le socialisme, finie, la politique le plus chèrement possible, tâcher «le l’épuiser, du Bloc, et l’ère «le « la Réptibliquc laïque, dé­ tic point de vue de fiirban résolu, jamais la nou­ mocratique et soriale ». La réaction qui «lès velle bourgeoisie française ne s’en est «lépartie. 1013 s’était qualifiée par l’élection Poincaré fut Avec une gramle logique elle l’a appliqué en affermie et précisée grâce à l’effoiulreinent éco­ toute circonstance. Politiquement et économi­ nomique de la petite bourgeoisie. quement. son action n’est gênée par aucune op­ Le pouvoir appartient aujour«rbui au gros position. par aucune querelle de tendance. I.e capitalisme, à la classe désignée sous le nom nom «les hommes politiques qui occupent le «le Profiteurs de la Mort, parce qu’elle a cueilli ])ouvoir n’importe nullement. Il n’y a même pas sa première vendange «le richesse dans le sang «le nuance entre eux. Le personnel politique «les soldats. La nouvelle Chambre «les Députés petit btnirgeois «l’avant-guerre s’est très bien contient 130 millionnaires, parmi lesquels il y .soumis aux exigences de la n«)uvelle caste. Quel­ a près «le 30 personnages ayant chacun pins «le ques in«livi«lns seuls n’ont pas compris en temps cent millions. A une Chambre d ’avocats et de mile. Ils «int été broyés. T.’influence grandissante inétiecins «le campagne a suc«'éilé une Chambre de r.lctiou Française et de ses théoriciens de la de spéculateurs et d ’in«histriels. Cette caste a «iii vi«)lence se fait fortement sentir chez les répu­ blicains. qui ont trouvé en des hommes sérieux (1) Le 16 novembre 1919, «laie «les élerlions législa­ tives qui ont donné la majorité réactionnaire « bleu comme M. Emile Bnré, directeur de l’Eclair. horizon ». (N.D.L.R.) M. André Lefèvre, l’actuel ministre de la Guerre, 109

(les chefs autorisés et clairvoyants. Grâce à eux déjà à l’esprit d ’une fraction de la masse paysan­ le prolétariat français revit chaque jour d ’utiles ne, qui, le 16 novembre, a voté pour la Révo­ et cruelles leçons de lutte de classes sans com­ lution. Car, si la majorité a voté blanc on promissions. a vu pour la première fois une minorité cam­ La force du capitalisme français ne repose pagnarde de plusieurs centaines de milliers de plus actuellement comme avant la g;uerre. sur voix s’affirmer sur le programme socialiste. la petite bourgeoisie et la moyenne paysannerie. (Certains départements de l’ouest jusqu’alor.s her­ Elle repose sur l’alliance de la moyenne paysan­ métiquement fermés à notre propagande, nous nerie avec le gros capitalisme. Mais cette allian­ ont donné un gros appoint. Enfin, il y a dans ce est fragile. On peut déjà entrevoir les causes chaque village un groupe d ’anciens soldats de d ’une rupture. En effet la question de la Dette la guerre impérialiste. Ces boniines-là ont con­ publique va être demain un sujet de litige. Qui tracté la haine de la guerre, de l’armée, des [taiera ces quelque quatre cent milliards ? Au chefs, et sont très sensibles à la propagande 16 novembre on a dit : l’Allemagne. Ce qui antimilitariste. L’antimilitarisme est le fourrier mettait d ’accord tout le monde. Aujourd’hui on du communisme au village. Voilà ce que jus­ sait que l’Alleniagne ne paiera pas. D’autre part qu’ici naturellement le Parti socialiste n’a pas la petite bourgeoisie et le prolétariat ensemble compris. On est en droit de compter plus de ne peuvent pas, avec la meilletirs volonté, y sérieux résultats d ’une propagande dès qu'elle arriver. Restent donc les cultivateurs petits pro­ sera fortement menée dans ce sens. Enfin on priétaires, et les gros capitalistes. Mais les capi­ est également en droit d ’escompter que, dans talistes ne paieront pas : ils sont au pouvoir, une société en décomposition où les prospérités et ils sont surtout pour ne pas payer. Le jour croissent et se flétrissent avec une rapidité ou, pourtant, l’étranger exigera d ’être rembour­ d ’éphémère, l’actuelle prospérité campagnarde sé, le jour où le paiement des rentes aux por­ subira une crise qui achèvera de brouiller l’al­ teurs devra être acquitté autrement que [>ar liance des cultivateurs moyens avec le capita­ de nouveaux emprunts à taux usuraires, ce jour- lisme. là sera un jour néfaste pour la petite paysan­ Quant à la classe ouvrière, sa situation est nerie... Déjà sur la question du blé une première assez analogue à celle des autres pays de l’Eu­ escarmouche s’est livrée. Les paysans ont perdu rope occidentale. Ses salaires ont augmenté, mais la partie. Sur la question des impôts, ils ont en­ moins que le. prix de la vie. D’autre part elle core perdu la partie. Le budget nouveau est con­ souffre de chômage. Car l’anarchie capitaliste çu de telle .sorte que le collecteur d ’impôts sera sait combiner le manque de main-d ’œuvre avec demain le plus éloquent propagandiste révolu­ le chômage. Enfin elle se débat dans une éner­ tionnaire qu’on puisse rêver. Et sur le paiement vante crise des loyers qui va en augmentant. des dettes de guerre aussi ils perdront la partie. Depuis 1914 on ne bâtit plus rien. Les proprié­ La réquisition de leurs profits sera aisée : on ne taires n’y ont pas intérêt. Le prix de la cons- triche pas av^ec la terre. (2) Volé blanc, dans le sens réactionnaire, c'esl-à-tlire Il semble que ces réflexions soient venues pour les candidats du c Rloc national». (N.D.L.R.) I 10

truction a décuplé. Le prix des loyers n'a que montent sans cesse, mais pas nn haut fourneau triplé. Résultat : 600.000 prolétaires parisiens ne travaille à feu intense ; tous les hauts four­ sont entassés dans 26.000 chambres meublées neaux travaillent à feu lent. déjà marquées pour la destruction en 1914. Dans En somme, sans crédit, sans production, et des villes comme Saint-Nazaire, Nantes, Saint- ne préparant pas de remise eu train, la France Etienne, le Havre, etc., la situation est encore bourgeoise vit de la charité de l’étranger. plus fâcheuse. Les régions qui furent envahies pendant la L’hygiène publique empire chaque jour. La guerre impérialiste sont dans une situation parti­ bourgeoisie ne s’en occupe même pas. Elle ne culièrement pénible, et le mécontentement des prend aucune mesure pour combattre la tuber ­ masses y est vif. Quand le communisme y aura culose, le cancer, la syphilis qui ont pris des pro­ extirpé l’influence des chefs traîtres du gues- portions d ’épidémie et qui font avalanche. Les «lisme et du syndicalisme jaune, on a des raisons crédits pour l’entretien des chevaux de course d ’espérer que la Révolution trouvera là un sont plus élevés que ceux consacrés aux tuber ­ point d ’appui précieux qui aura d ’ailleurs xme culeux. Les mutilés et les malades de la guerre valeur stratégique de tout premier ordre. Les ont des pensions de famine. Ils disparaissent ra­ maisons ne sont pas reconstruites. Le chômage, pidement à la satisfaction du ministre des Fi­ organisé par les patrons qui veident arracher nances qui, dans ses prévisions budgétaires, es­ aux ouvriers leur conquête des huit heures et compte une grosse diminution du budget des remettre en honneur les 10 heures, est intense. pensions. L’alcoolique est protégé. J’ai entendu Clemenceau a employé à la guerre contre la moi-même des industriels normands se féliciter Russie soviétiste les milliards affectés aux entre eux de l’alcoolisme de « leurs ouvriers » régions envahies. |,Cette nouvelle, récemment qui s’assagissent au travail. Et c’est un fait que publiée, sera tombée sur des masses de gens la race normande est à peu près perdue. mécontents et n’aura pas manqué son effet.) La bourgeoisie n’organise pas plus la pro­ duction que ses finances ou que l’hygiène publi ­ que. Produisant pour gagner et non pour faire L’augmentation des effectifs syndicaux et face à des besoins sérieux, elle se spécialise dans socialistes indique une inclination des masses le luxe. On fabrique des milliers de limousines, vers un mouvement révolutionnaire. C’est fl’ail- mais fort peu de machines agricoles. leurs un fait connu qu’en général les nouveaux D’autre part, la bourgeoisie et son gouverne­ adhérents aux organisations militent à la gau­ ment ont adopté une politique d'accaparement. che du mouvement. Nombreux sont les prolétai­ Les stocks américains ont été détruits ou dila ­ res que l’attitude piètre du l’arti socialiste a pidés pour ne pas laisser baisser le prix de la vie : dégoiités et qui entreront aussitôt dans un Parti il y avait là pour des milliards de marchandises. communiste prêts à collaborer à l’organisation La marine de commerce est pitoyable. Les arma­ teurs gagnent davantage à manquer de bateaux (3) Il était rourunt fii 1920 de nommer l’U.R.S.S. qu’à en construire. Les prix de la tonne d ’acier «Russie soviétiste plutôt <|ue soviéliiiue. lll

trime aetiuii révolutionnaire. Mes nombreux «le programme n'est pas encore faite : c’est bien voyages de propagande en province m’ont per­ grâce à cela que les agents de la bourgeoisie mis d ’apprécier la valeur de cette nouvelle géné­ sont encore les maîtres de la Confédération Géné­ ration tle militants (« nés de la guerre » oomme rale «lu Travail. «lit M. Joidiaux avec mépris) des hommes encore Les communistes, eux, ont une discipline, une inconnu.*, encore épars, encore incultes, des assez soli«le unité de programme. Mais leur hommes n’ayant qu’un instinct communi.ste. croi.ssance, très rapi«le aujourd’hui, fut très lente mais dont la force collective, dès qu’elle sera au début. Leur mouvement commence à peine constituée, sera décisive. à démarrer. Le Comité tle la IIP Internationale Actuellement le mouvement révolutionnaire autour «liiquel se groupent les forces révolution­ en France se traîne. Son histoire n’est qu’une naires, n’a pas encore eu loisir de s’organiser bien série d ’échecs. Il ne peut en être autrement. «lans toute la province. Dans un gros départe ­ F.t l’avenir est encore plus sombre que le pré­ ment ouvrier comme le Nord, il n’a constitué sent si l’ordre et la discipline ne viennent pas «le groupements qu’il y a «juelques semaines. Au grou[)er tant «le richesses, tant de générosités Comité «le la IIP Internationale se trouvaient qui se gaspillent. les hommes tenaces et fermes, sur la doctrine D’abord, pas d ’atmosphère communiste. Pas «lesquels on peut compter — Loriot, Monatte, «le «loctrine. Il n'y a pas six marxistes en France. .Souvarine. Ces trois secrétaires sont malheureu­ Aucune documentation. Aucun centre d ’études. sement en prison. Mais du fond même de « La Aucun centre «l’action. Aucune préparation aux Santé » leur action se fait sentir. C’est à la Santé actions de masse. Quand un mouvement est mûr, qu’est né le Parti Communiste qui sera sans il éclate et on le laisse livré à lui-même. Personne «loute baptisé au prochain congrès du Parti ne sait où aller, ni que faire. Quelques militants Sociali.ste. L’œuvre de ce parti sera tlonc à la responsables emprisonnés et une fédération est fois d'action de masse et d’action de cadres, |)er«lue. «Le complot ! ». La bourgeoisie a empri­ «l’agitation et «le «loctrine. Ce sera son œuvre de sonné nos meilleurs camarades pour « complot cn'er l’Université Communiste, indispensable contre la sûreté de l’Etat ». Notre vraie culpa­ pépinière de propagandistes, et cette bibliothè ­ bilité est qu’aucun complot n’a été même que marxiste, cette presse de combat et de doc­ entrevu. On improvise une grève. On la laisse trine dont le BiiUetin Communiste (rédacteur en rouler jusqu’à la «lébâcle : si la demi-douzaine chef Souvarine) et la Revue Communiste (rédac ­ «l’hommes capables de la mener se trouve immo­ teur en l'hef Rappoport) sont déjà les deux bilisée en prison, tout est perdu. premières unités. Crise «le « chefs ». Une génération entière Au Parlement, il n’y a que trois ou qua­ s’est engloutie dans la trahison du -1 août 1914. tre députés révolutionnaires. Paul Vaillant- Les qiiel«]ues survivants du désastre (Merrheim, Couturier, élu le 16 novembre 1919 par les Dumoulin. Bourderon) ont presque tous rejoint ouvriers «lu 1" secteur «le Paris, a inauguré les le gros de la troupe par petits paquets. méthodes révolutionnaires au Parlement fran- Parmi les syndicalistes «le gauche, l’unité «jais. Non pas qu’il agisse beaucoup à l’intérieur 112

(lu Parlement. C’est à même les masses qu'il gne urgente. Mais il faut rendre aux leaders du travaille. Il est avant tout un permanent à la socialisme et du syndicalisme jaune un hom­ propagande, au service des organisations ouvriè­ mage mérité : ils sont de splendides manoeu­ res. Récemment le gouvernement a voulu arrêter vriers, très supérieurs en habileté de couloir à cette activité retentissante et gênante par un leurs adversaires. Et puis ils écoulent encore un procès. Devant la perspective d ’un discours révo­ vieux stock de popularité fabriquée avant la lutionnaire à la tribune (discours que la Cham­ guerre, et qui a encore sa clientèle de vieux bre aurait dii subir ; un discours de levée militants. Enfin, ils font voter les absents, les d ’immunité), et aussi devant la perspective d ’un « machines à cotiser », ces prolétaires à demi- [)rocès trop sonore, le gouvernement a laissé conscients qui achètent une carte bleue ou rouge tomber l’affaire. Souhaitons que converti au mais ne vont pas jusqu’à vivre la vie des orga­ communisme par la Révolution russe et par le nisations où ils s’inscrivent. Congrès de la IIP Internationale, Cachin vienne Actuellement, toutes les places fortes ouvriè­ se ranger aux côtés de Vaillant-Couturier. res sont encore aux mains des agents de la bour­ En marge du mouvement eommuniste. agit geoisie. avec efficacité et force une association d ’anciens Le groupe socialiste au Parlement est dans sa soldats de la guerre capitaliste, l’Association |)resque totalité petit-bourgeois conservateur. Son Républicaine des Anciens Combattants (AR.-\C). premier acte politique important fut de voter .Son président est Henri Barbusse. Elle sert à la pour M. Deschanel. Cet acte ne fut jamais fois d ’agent de défrichement révolutionnaire démenti par le moindre geste socialiste. 11 est dans les campagnes, et dans certaines provinces, d'usage et de règle que les députés socialistes de centre à ralliement aux éléments jeunes d'o|>- se montrent en public avec les ministres bour­ position de gauche qui inaugurent la lutte contre geois, leur offrent des banquets, leur proposent les vieux chefs locaux du socialisme et du syndi ­ des toasts, signent des appels aux emprunts, calisme de trahison. C’est ainsi que l'ARAC m’a président des fêtes patriotiques, et bornent leur permis, il y a quelques semaines, de faire dans opposition au régime à de prudentes, courtoises le Nord, où les militants révolutionnaires ne interventions de tribune. Non qu’ils n’aient pas pouvaient jamais pénétrer, une tournée de mee­ de haine de classes. Mais cette haine a pour objet tings, au cours desquels, pour la première fois la classe ouvrière. Dans leurs circonscriptions ils depuis 1914, la trahison des tout puissants ponti­ |)ourchassent les militants révolutionnaires, sol­ fes réaionaux a été dénoncée. licitent des autorités policières l’interdiction de nos meetings et, s’ils sont maires, leurs commu­ nes refusent les salles aux grévistes. Si j’en avais le loisir, je pourrais citer bien des anecdotes Cette lutte contre le socialisme et le syndica ­ amusantes en illustration de la vie socialiste du lisme contre - révolutionnaire est incontestable­ groupe parlementaire. ment difficile. Non pas que les masses n’applau­ Ce groupe ne .sera jamais révolutionnaire, dissent avec une joie de délivrance à cette beso­ jamais communiste. Ni ses centristes, ni ses droi- Raymond Lefebvre. Portrait dessiné à Moscou en 1920. y ''P ^ / ' 'Ce. / ^ e^c u< te-jé*

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LE PARTI COMMUNISTE FRANÇAIS A SES DEBUTS DANS LA VIE Le Parti communiste français n'est pas encore né, mais le terme est proche. On peut déjà savoir ce qu'il sera, et quels ennemis vont Taccueillir à son berceau. C’est l’enfant du malheur...... La force des choses l'emporte toujours sur la passion des hommes, et que le Parti communiste français est dans la force des choses. Et alors une fois l’Unité de Commandement réalisée dans le Prolétariat français, grâce au Parti communiste, j'affirme ici (l'expérience de la grève de mai, l'attitude des masses, me le permettent) que le jour ne tardera pas où nous verrons sur la place de la Concorde ce que j’ai vu mardi dernier sur la Krasnaia, car notre bourgeoisie ne vit plus que grâce à la division et à la trahison qui désolent les organisations ouvrières françaises. Raymond Lefebvre. 115

tiers. D5»illeurs entre le centrisme et la droite rouges que leurs électeurs. Je ne crois pas qu’il en France il n’y a qu’une différence historique : y ait un conseiller municipal sur cent qui soit les uns ont été pacifistes pendant la guerre ; les communiste ou même socialiste. La corruption autres ont été chauvins. Mais les uns et les en a gangrené un très grand nombre. Les plus autres sont contre-révolutionnaires (observation honnêtes se bornent à agir en petits bourgeois qui vaut non seulement pour le groupe |)arhv conservateur. Mais qu’elle soit gratuite ou mentaire, mais pour l’ensemble «lu Parti). Si n'tribiu'e, c’est la collaboration la plus dév«>uée je la fais à propos «lu groupe parlementaire, c'est «qu’ils offrent à la bourgeoisie. Parmi les cen­ «jue là est la seule force du centrisme et de la taines de faits qu’il me serait qmssible «le conter, • Iroite. je me borne à deux |>etits exemples tout récents ; Incapables de faire le métier de révolution­ l’avant-veille «le mon «lépart qmnr la Russie, la naires, les «lépulés sociali.stes peuvent jtourtant (’,onféreni‘«- des municipalités socialistes «lécidait rendre à la révolution un important service : il’augmenter les taxes locales |»oiir couvrir l«‘s celui de collaborer officielleinent au bloc b«)ur- frais des c«>mq)agnies concessionnaires «le tram­ geois de gauche. Le jour où ils auront libéré ways. «rélectricit«^, «le gaz... Le j)«vint «le vue «le de leur présence le mouvement prolétarien, ils la C.onleren«’e fut que mieux valait accabler la constitueront tout naturellement la gauche «In cla.sse ouvrière «l’impôts et «le taxes, q)lutôt «que ra«licalisme bourgeois, où «m les accueillera à «le faire bascider dans la faillite les Compagnies bras ouverts. Or, il sera très commode pour notre capitalistes. action «que la politi«jue b«>urgeoise cesse d ’avoir Un -socialiste centriste, M. Henri Sellier (qui ce puissant esprit «le suite qu’on doit lui rec«>n- faillit être immmé, grâce à «les v«)ix bourgeoises. naître aujourd’hui. La constitution d ’un bbic rap|»orteur «lu binlgct de la ville «le Paris ; il botirgeois de gauche, impossible en ce moment, •s’en fallut d'une voix) [imposa lui-même l’aug- «leviemlrait une chose réalisable au lendemain mentati«>n «lu n«imbre des policiers «le la banlieue de la scission «lans le Parti. Et ce bloc, m«"me parisienne, ('.es policiers viennent «le manift'ster s’il ('chouail à s’emparer du pouvoir, serait pour­ finir utilité «-n ass«nnmant à Gentilly «les «nivriers. tant assez redoutable pour gèmer le gouverne- Dans les prtivinces se pas-sent «les choses inent bourgeois «le droite : dans sa politique encore [dus diverti.ssantes. La bourgeoisie fran­ extérieure en particulier. On doit donc voir un çaise [leul compter sur la fulélité «les municipa- «loiible avantage à l’élimination des traîtres du Iit«'.s socialistes autant que .'ur «■elle «le ses pro- groupe i)arlementaire : assaini.ssement du Parti, pri's m«inici[ialités. Rares sont les exce[>tions. et par surcroît, amélioration des données révoln- «que [Kuirtant on doit mentionner, car elles ont lioniiaires de la politique fran<,^aise. une importance «l’in«lication. Par l’exemple «le Le nettoyage des municipalités socialistes la gestion «le Boutbonnier et Delagrange à Péri- «levra «“tre aussi rigoureux que «'elui du groupe gueux, par l’exemple de la gestion de Clamamus parlementaire. Il y a environ quinze cents muni­ à Bobigny, «le Cord«m à Saint-Ouen, de Ducbanel cipalités socialistes : les plus grosses villes de au Ibmrget, par l’exemqile «le la gestioti des France sont « rouges ». Mais les «Mus sont moins cinquante inuniciqialités socialistes de l’arnm- 11^

(lissenient de Valenciennes (le bassin minier mai, qui fut perdue par défaut de doctrine d ’Anzin), on se rend compte de l’aide énorme chez les uns, par défaut de confiance chez d ’au­ que pourrait apporter à la Révolution un télé­ tres, par la trahison de quelques-uns et par phone de mairie bien manié et des fonds com­ impréparation révolutionnaire, a fait perdre à munaux bien employés. nos camarades la Fédération du Rail, grave défaite. Si les révolutionnaires veulent s’emparer Les syndicats et les cooperatives sont entière­ de la C.G.T., il leur faut une organisation métho­ ment aux mains des contre-révolutionnaires. Les dique. Ce sera l’une des tâches du Parti Com­ traitements des fonctionnaires syndicaux ont muniste de créer au sein de chaque syndicat, augmenté plus vite que les salaires des spidiqués. nu groupe, un noyau communiste, qui fasse une On me citait récemment des chiffres fort bour­ guerre acharnée aux fonctionaires jaunes, et se geois de 1.200, de 1.500 francs par mois (en prépare à les supplanter dès l’éclatement d ’une comptant les à-côtés). Là aussi, il y a des profi­ crise. teurs au petit pied. Les « militants » sont satis­ faits, prudents, boutiquiers, et refusent de se Dans les coopératives, nous n’avons encore aucun groupement. Les droitiers y sont maîtres servir de leurs armes, de peur, disent-ils, de les absolus. Et la chose est d ’importance car les abîmer. Ils vivent d ’ordinaire avec les patrons dans les mêmes rapports que les conseillers coopératives (signe que l’esprit petit bourgeois est en légère décroissance) marchent très bien municipaux socialistes avec les préfets et les députés socialistes avec les ministres. Ils sont en France depuis trois ou quatre ans. plus ou moins ouvertement (selon qu’ils crai­ gnent plus ou moins leurs cotisants) pour la collaboration des classes. Certains d ’entre enx, En un mot, si la France, bien qu’elle soit pendant la grève de mai, ont crûment trahi : en état de réceptivité révolutionnaire, n’est (Juillet et Challeix, du Réseau Nord, Jacquot, de pas encore en Révolution communiste, c’est faute l’Eclairage, Passerieu, de l’Electricité, ont signé d ’organisation. Masses, cadres, il y a le matériel purement et simplement des ordres de reprise d ’enlhousiasme et de dévouement qu’il faut. du travail en pleine grève au mois de mai Manquent la doctrine, la documentation et la dernier. Ils ont été couverts par le bureau discipline. confédéral. Jusqu’ici la lutte contre ces persoji- Au futur Parti Communiste de créer cela. nages a été dure. La majorité syndiquée lit la Mais il ne pourra accomplir cette mission que presse bourgeoise, ne va guère aux meetings, et s’il ne contient pas une once d ’éléments politi­ ne « milite » jamais ; elle ne vote pas au syn­ ciens bourgeois et s’il attire à lui tous les élé­ dicat. La grosse minorité lit « rHumanité », qpii ments révolutionnaires du prolétariat épars dans ne souffle jamais mot des trahisons syndicalistes. le syndicalisme, dans le socialisme, dans l’anar­ Seule une petite minorité connaît la « Vie chisme. Raymond LEFEBVRE. Ouvrière ». Cette petite minorité, ardente, active, avait réussi à assommer Bidegaray et s’emparer L'internationaie conimuniste, novembre 1920 de la Fédération du Rail. L’échec de la grève de (Revue du C.E. de TLC., éditée alors à Pélrofirad). 115

une lettre de MAURICE THOREZ A AUGUSTE CORNU (1962)

■Votrp ami .4uf!nsle CORNl’, agrégé de VLnieersité, docteur ès Letirex et professeur à l’Université Humboldt de Berlin, a bien voulu autoriser les Arcliivpf lie l'Institut Maurirc-Thorez à photocopier lu lettre que lui adressait Maurice Tliorez le 28 mars 1962, après la parution du tome troisième de son important ouvrage «KAKL MARX ET FRIEDRICH ENGELS. LEUR VIK ET LEUR ŒUVRE s> édité aux Dresses Universitaires de Franee. -■Irer nos remerciements à Auguste CORNl , nous donnons ici le texte ainsi qu'un fac similé du manuscrit de Maurice Tliorez. (Voir papes III et IV en hors texte.l

(]lier Camarade, Je viens d ’achever la letrlure de votre tome III (Jeannetle n’a pas encore la possibilité de le lire) : c’est passionnant d ’inté­ rêt et de vie. Marx à Paris nous apparaît comme plus proelie et l’élaboration de sa doctrine nous devient encore plus compré­ hensible. C’est en effet, comme vous le montrez magistralement, au contact du mouvement socialiste en France, dérivant lui-même de la tendance sociale du matérialisme français du xviii' siècle, que Marx attribue une importance décisive à la notion de « praxis », et établit que la création de l’homme par l’homme social se confond avec son travail, avec sa conquête de la nature. C’est bien là, comme vous le dites, l’essence de l’histoire humaine. Je crois que votre œuvre ahlera beaucoup nos jeunes philosophes et tous militants dans leur effort pour assimiler parfaitement notre doctrine révolutionnaire. Je vous en remercie bien cordialement. A vous, très fraternellement. Maurice THOREZ. 116

NOTES INÉDITES

SUR LA PROPOSITION DL GREVI^ GENERALE DU 30 JANVIER 1933 Ernst IHALMANN

Le 16 ai’ril dernier, Ernst Tlialniann aurait en c/italre ringts ans. Erésident du Parti Communiste Allemand depuis 1925, il fut arrêté par les fascistes peu après l arriirée do Hitler au poui'oir, le 3 mars 1955. Les nazis le tinrent incarcéré plus de onze ans, jusqu ’à la veille de l'écrou lement de leur domination : c’est le 18 août 1941 qu’il fut assassiné au camp de concentration de Buchenwald. Immédiatement après son emprisonnement, les hitlériens annoncèrent qu’ils allaient le traduire en justice, ce qu’ils no firent jamais. En raison du tour qu avait pris le procès de Ceorges Dimitrov, le nazisme avait peur de présenter Thalmann à un tribunal. Celui-ci, cependant, se préparait soigneusement dans sa cellule pour le cas où il comparaîtrait. A preuve des notes qu’il rédigea, dos lettres à la direction du Parti Comnumiste Allemand ainsi qu’à des parents, extraites de la prison malgré toutes les difficultés par Rosa et Irma I hàlmann. Il reste aussi des lettres d’Emst Thalnvann aux autorités judiciaires. Tous ces documents sont consenrés à l’Institut du mar.xisme- léninisme près le Comilé Central du Parti Socialiste Unifié d’Allemagne. Nous en reprodui.sons les passages que Eothar Borihold a publiés au numéro d’avril I9()f) de la revue Einheil. 117

Noire proposition «le grève générale «lu 30 janvier a été adres ­ sée au Parti social-démocrate (S.P.D.) et à la Confédération générale des syndicats (A.D.G.B.) avant tout avec le but d ’engager «les pourparlers communs avec ces instances. Rien n’était dit sur le but «le la grève générale, puisque la base «le la nég«>ciation dépendait non seulement de nous, niais aussi de notre partenaire. Il y avait différentes possibilités pour ces négociations, y compris certaines qui n’avaient rien à voir avec la discussion de la grève générale. Donc proposition «le négociations en vue d ’une intervention commune lors «l’une grève générale — sans in«lication précise du but. La proposition «le grève générale faite — pour le cas «le l’assentiment «léjà donné par llin«lenburg au gouvernement Hitler — abii de créer une base de négociations avec le S.P.D. et l’A.D.G.lî. — en vue «le la possibilité d ’un retrait «lu gouverne­ ment Hitler. En même temps cette proposition était reiulue publique pour pouvoir, — en cas de refus de notre proposition par le S.P.D., — continuer avec plus «le force notre campagne «le front unique en vue de gagner les ouvriers social-démocrates. On n’établissait pas «le pronostic ferme pour le but de la

8* 118

^rève générale. Il y avait «lifférenles |)ossihilités comme élément lie négociations, notamment :

a) une grève générale de vingt-quatre heures comme protes­ tation contre la formation du gouvernement Hitler ;

h ) une menace de grève générale comme base de négociations éventuelles avec Hindenburg, pour faire annuler l’assentiment qu’il avait donné au gouvernement Hitler ;

c) la proposition devait contribuer avant tout à créer un élément de négociations entre le P.C.A. et le S.P.D. en vue d ’une intervention commune contre des mesures fascistes déclarées de la part du gouvernement qui se constituait alors (par exemple, défense contre des attaques visant à ravir la liberté de manifes­ tation et lie réunion, à limiter le droit de coalition et d ’association, et en même temps lutte en rangs serrés contre l’interdiction des partis)...

Le mot d ’ordre de grève générale était ilonc absolument juste, mais, tout seuls, nous n’étions pas assez forts pour la déclencher pratiquement. Aussi bien notre proposition s’adressait-elle aux ouvriers social-démocrates sans être conçue comme une action partisane isolée des communistes. Le renversement du gouverne­ ment ne saurait être présenté sous l’aspect d ’un objectif de combat immédiat que si un tel mot d ’ordre est compris, reconnu et 119

approuvé par le« millions «Plioninies qui font les niasses. ISous ne projettions pas et ne préparions pas une telle ilémarche, puisque les niasses du peuple travailleur n’auraient pas compris un tel dessein. Il s’agissait pour nous sans aucune équivoque, comme dans toutes les actions, comme auparavant dans la bataille contre Papen, de gagner les ouvriers ilu parti social-démocrate. Il ne pouvait donc s’agir en aucun cas d ’une action de parti pour renverser par la violence le gouvernement Hitler, il ne s’agissait que de la continuation logique de notre politique tendant à gagner les masses ouvrières social-démocrates. Notre mot d ’ordre de grève générale était chose sérieuse, mais il dépemiait de l'attitude «lu S.P.D. et «le l’A.D.G.H... Tout le développement politique dépendait d ’une (|uestion : l’établissement «lu front unique «les ouvriers contre le nalioual- s«K'ialisme réussirait-il ? Il s’agissait «lu rassemblement et «le la ni«>bilisation des ouvriers et «les masses laborieuses du jieiiple «•outre le fascisme. La «lireetive «lu Parti, c’était en premier lieu la réalisation «lu front unique «les ouvriers pour repousser le natiti- ual-s«M'ialisme. En mobilisant les «mvriers pour la grève, n«ms voulions obtenir une résistance commune «les ouvriers à l'attaque national-socialiste. Le Parti était orienté pour l’essentiel vers les tâches du travail électoral et de la lutte pour les élections au Reichstag. Notre programme pour les élections au Reichstag disait : contre la crise économique, la détresse et la misère, pour le travail et le pain, contre Versailles, pour la liberté et le socialisme ! Le 120

caractère de la conférence de Zeiithen s’inscrivait tlans une ligne de mise en évidence du travail du Parti dans la campagne élec­ torale, d ’aide au Parti, de stimulation des militants et d ’excitation de leur ardeur. Mon discours à la conférence de Zeuthen visait, en accord avec les intentions du Parti, à conduire la bataille élec­ torale de telle sorte qu’il se forme au Reichstag une majorité contre le gouvernement Hitler, ce qui aurait entraîné constitution­ nellement la chute du gouvernement. C’est ce que l’adversaire a empêché au moyen des accusations relatives à l’incendie du Reich­ stag et de la terreur électorale. Bien entendu, on mettait au premier plan la question de la tactique du front unique et la conquête des ouvriers social-démocrates, de même qu’on traitait de la méthode renforcée de conquête idéologique des adhérents national- socialistes en rapport avec ce fait : le gouvernement Hitler. Gagner les ouvriers social-démocrates aussi en liaison avec la défense du Parti en cas d ’interdiction.

Le Parti voulait-il le renversement par la force en février ? J’affirme que non. En fait, nous n’avons pas préparé la révolution immédiate... En vue d ’une bataille pour le pouvoir politique, pour une révolution populaire, manquaient les conditions tant objectives que subjectives... Quand nous n’étions même pas assez forts pour déclencher pratiquement la grève générale afin de 121

résister au « national-socialisme », un objectif plus étendu eût été hors de nos possibilités... Seul un front de défense commun avait la perspective d ’écarter la prise du pouvoir par le national-socia­ lisme. Pour nous, il s’agissait sans équivoque de gagner les ouvriers et les adhérents social-démocrates, comme dans toutes les actions, comme auparavant dans la propagande et dans la lutte contre Papen... J’y insiste : prendre position pour une action violente sans perspectives, qui doit être considérée comme complètement perdue..., c’eût été une irresponsabilité bien étourdie, c’eût été de la folie... L’objectif principal immédiat du Parti était l’établissement du front unique des ouvriers en alliance avec les paysans et les autres travailleurs, la conquête de la majorité des ouvriers pour repousser la pointe offensive du « national-socialisme », et cela de telle sorte que je considérais toute mesure terroriste et toute action individuelle comme nuisible et extrêmement pernicieuse, et incompatible avec cette politique de masse.

La théorie fasciste de la race est dans son essence même une falsification de la science. Elle nie, de par son essence même, toute science de la société et de la nature, étant donné qu’elle ne tient pas compte des faits, mais sombre dans la mystique. Cette « théorie » est la marque de la «lernière étape de la bourgeoisie 122

réactionnaire et agressive, tjui veut soutenir le régime capitaliste en train de s’écrouler. Elle s’alimente à la conviction que toute hase scientifique ne ferait que donner forme visible au foyer purulent du capitalisme. La « théorie » fasciste abandonne par conséquent toute science et cherche son salut dans la mystique moyenâgeuse, dans la doctrine raciste et dans la violence toute nue. Dans le domaine de la culture, nous voyons la destruction de tous les centres culturels... et la décadence tles institutions scien­ tifiques. La culture est bannie de la vie des masses laborieuses, les bibliothèques sont fermées, les clubs et les écoles mis sens dessus dessous pour placer hors-la-loi les sciences sociales et leur substi ­ tuer les doctrines religieuses et national-soeialistes. Le prolétariat tant urbain que rural est non seulement à peu près exclu des universités..., mais toute ascension sociale lui est interdite... Une seule branche est poussée dans les pays capitalistes à toute force : la recherche militaire. Les laboratoires et les institu­ tions scientifiques sont occupés de l’étude des méthodes de guerre les plus modernes : canon à longue portée, gaz asphyxiants et bombes de grande efficacité. Il n’y a pas une seule forme d'empoi­ sonnement et de destruction de l’humanité au profit de laquelle on ne déploie dans les pays capitalistes un travail scientifique empressé. Voilà ce qui montre à quel niveau la décadence de la bourgeoisie en est arrivée. 123

La décadence du capitalisme détermine aussi la décadence de toute sa culture. Dans cet abîme sombrent également les valeurs créées par les époques antérieures. Les plus grandes conquêtes scientifiques de la technique et de l’art sont en partie jetées pai^ «lessus bord, et remplacées par l’esprit militaire, la soif de rapine et le préjugé mesquin.

Toute la presse et toute la radio d ’Allemagne sont mises sans arrêt au service d ’une campagne de mensonge et de haine contre le marxisme et ses amis, contre l’Union Soviétique. Les événements véridiques et toute évolution favorable en provenance de l’Union Soviétique sont étouffés. Les données positives ne sont pas présen­ tées ou sont complètement dénaturées. Les mensonges et les infor­ mations haineuses de toute espèce sur l’Union Soviétique sont journellement reprises de la presse étrangère dans la presse et la radio allemandes, pour maintenir envers le peuple allemand une apparence de vérité. C’est pour moi quelque chose de terrible que d ’être obligé d ’entendre et de lire jour après jour ces mensonges.

arudiiù de Kli^HEIT Revue théorique du S.E.l)., Berlin, avril 1966) 124

SOUVENIRS

DE

MILITANTS 125

VIRGILE BAREL

I.A VICroiRi: Di: MAI 1Q36 A MCR

La campagne élecforale pour les élections législatives de mai 1936 fut menée dans les Alpes-Maritimes avec un allant extraordinaire. Per­ sonnellement j ai surtout participé aux réunions et manifestations de Nice. Un enthousiasme exceptionnel régnait. On était vraiment parti avec une âme de vainqueurs. On mena la lutte contre la corruption qui, de tout temps, avait pourri les élections à Nice. Les femmes, non encore électrices cependant, furent d ’un dynamisme admirable : quel­ ques-unes même corrigèrent d efficace façon les citoyens vendus. « les uircos ». La fièvre électorale montait, montait. L’application de l’accord électoral de désistement réciproque entre candidats du Front Populaire assura mon élection à Nice, celle d ’Henri Pourtalet à Cannes et celle d Edouard Jonas (radical) à Crasse.

L’ARDENTE CAMPAGNE POUR LE SUCCES DU FRONT POPULAIRE

Lorsque, quelque temps après nous participâmes. Pourtalet et moi, à la grande manifestation de la victoire, à Paris. Marcel Cachin nous 126

exprima sa joie, mais ajouta : « Ce ii’est pas sur deux, mais sur trois que je comptais. * J’avais moi-même dit au Congrès de Villeurbanne qne nous espérions avoir deux élus, et peut-être trois. Scepticisme des délégués I C’était exact, cependant, car nous aurions pu être trois. Mandaté par la direction fédérale, j avais fortement insisté auprès de Pourtalet qui accepta, abandonnant les avantages de son entreprise, prospère, d ’expéditeur de fleurs. Je me revois dans son atelier du Golfe-Juan avec Nanou Pourtalet, lui démontrant combien sa candidature répondait au milieu social de la circonscription de Cannes. Je n’eus pas la même insis­ tance auprès de Jean Laurenti et j’ai eu tort. Nous sentions bien qu’il était lui aussi notre candidat maximum dans la circonscription de Grasse. 11 y militait. Il avait une petite exploitation paysanne à Vence et il était fort estimé. Si des raisons de famille ne l’avaient pas empêché d'être can­ didat, la situation à Grasse eût été autre. Les 200 voix de différence qui nous ont amenés au désistement pour le candidat de gauche Jonas auraient été à l’actif de Jean Laurenti. Marcel Cachin aurait été comblé, et nous aussi. Dans ma circonscription la campagne électorale fut clôturée le samedi 2 mai par une réunion publique à l’école du Château, dans le Vieux-Nice, qui prit l’allure d ’une manifestation monstre préfigurant celle du lendemain. Dès vingt heures, la place Rossetti et les rues \ aboutissant étaient noires de monde. Ce fut notre cher et très regretté Paul N^aillant-Couturier, député. 127

Iribun populaire, tiéléguc par le Bureau Politique qui appuya, ce soir-là, ma candidature. Bras-dessus Lras-dessous, sous les acclamations d ’une foule en délire, irradiée par les feux de Bengale, nous nous frayâmes difficilement un passage pour atteindre, tout là-Kaut, le lieu de la réunion. Le soir de l’élection se déroula une manifestation populaire d ’un enthousiasme formidable. Elle couronnait les soirées animées et joyeuses de la campagne électorale. Toutes les réunions publiques se terminaient par un cortège le long des rues de la circonscription. Que de chants et de mots d ’ordre retentissaient dans le \^ieux-Nice, à Riquier. à Saint- Roch I C’était le prélude au Front populaire ! Ce 5 mai, comme attirée par un aimant, la foule accourut devant le journal réactionnaire l'Eclaireur, sans cesse accrue par celle venant des panneaux du Petit Niçois, 35, rue Pastorelli, (25.000 a estimé ce jour­ nal). Elle exultait. Elle exprimait avec veiA’e et avec force son pressen­ timent et sa volonté d ’un changement que le Front populaire réalisa. Pour elle, crier son triomphe en un tel endroit ,devant le fasciste Eclaireur, c’était se donner la plus retentissante satisfaction. Il avait tant pratiqué la calomnie contre les communistes que ceux-ci. et la classe ouvrière niçoise avec eux. goûtèrent doublement la joie de confondre les calom­ niateurs : la réaction était battue et les forces de progrès étaient vic­ torieuses. 128

SOI !FKR AU NEGRESCO ET iiANQlJET POFl î| AIRE AU PALAIS DES FETES

Comme notre élection était, somme toute, un succès du Front Populaire, les « gnuclres » des Alpes-Maritimes voulurent — c’était nor­ mal — en souligner le caractère par un meeting qu organisa le Petit Niçois. Il eut lieu a%'ec la participation de deux députés radicaux Jnmmy Sclimit et Pierre Olivier-Lapie (devenu socialiste S.F.I.O.. puis ministre de I Education Nationale qui se fit conspuer par les étudiants sur les grands boulevards sur I air de « Fonnez le monôme > : Lapie... voleuse, Lapie », parce qu il venait de supprimer une indemnité payée jusque-là). Le meeting terminé, les organisateurs m’invitèrent à aller « souper » avec eux et les orateurs... au Négresco. — Je veux bien, répondis-je, mais en compagnie

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bon coeur de cette situation, présage de l’évolution historique, et je dois reconnaître que nos hôtes ont bien pris In chose. Pour nous, c’était un symbole, c’était la preuve que nous ne sommes pas des rêveurs de lune, mais des hommes poursuivant un but réalisable et d ’ailleurs réali.sc actuellement par un tiers de l’humanité. J cijoute ce détail caractéristique, ce symbole : en nous servant, les garçons nous appelaient « camarades » et leurs regards et leurs sourires exprimaient leur joie de nous serv’ir comme tels. C étaient les membres de la cellule du Négresco. Le 51 mai un banquet — modeste par son menu, mais exceptionnel par le nombre de participants — fut à la fois la clôture triomphale de notre campagne victorieuse et le point de départ d une nouvelle étape de notre activité politique renforcée par les possibilités parlementaires dont disposerait dorénavant la Fédération communiste des .\lpes-Mari- times. Le banquet se déroula dans le hall de 1 immense Palais des Fêtes à I angle du boulevard Victor-Hugo et de l’avenue Baquis. Les cama­ rades H.C.R. (Hôtels. cafés, restaurants) avaient bien fait les cho.ses en préparant et en servant un repas à 7 francs ! Qu'importe le flacon pourvu qu on ait 1 ivresse ! Le flacon c était une assiette de carton et l’ivresse ce fut une joie collective, saine, fra­ ternelle. sans faille, présidée par notre camarade Gabriel Péri, membre

(l) H.C.R. : nbrévialion nploytt' pour désignor \v Syndit'al des t'inployés des K a U'I s rafés. rcBtaurnnts. 130

du Comité central, député de la Seine et rédacteur écouté à 17/imianilé. (II devait être Fusillé par les nazis sept ans plus tard. I.n I"rance perdait en ce Kéros un homme politique de grande valeur, spécialiste des pro- blêmes de politique étrangère. Après Munich, il cria à Daladier du haut de la tribune de la Chambre des Députés. Je le vois et l'entends encore : < Non. i»ous n'avez pas assuré la paix. Vous avez hâté la guerre. > Onze mois après le gouvernement Daladier déclarait la drôle de guerre ! Notre magnifique et inoubliable banquet se continua par un cor­ tège. Aux convives, s’étaient joints d'autres camarades venus écouter Gabriel Péri. Celui-ci en tête. Henri Pourtalet et moi-même à ses côtés, nous parcourûmes le boidevard Victor-Hugo, l’avenue de la Victoire... en chantant, évidemment. Des milliers de Niçoises et de Niçois nous accompagnèrent à la gare où nous prîmes le train pour aller assister à la séance d ouverture de la législature I036-IQ4I... qui n’alla pas jus­ qu au bout, et pour cause !

L’INOUBLLMM.E MEETING .\\'EC MAURICE THOREZ

Ensuite Virgile Barel relaie les gratifies manifestations gui se sont déroulées dans plusieurs villes de la Côte. d’Azur le 14 juin 1956. puis il poursuit : Mais annonçant un formidable 14 Juillet, j’ajoutai : « O Bourgeois pusillanimes 1 Vous serez cachés derrière les volets de vos fenêtres. Vous ferez comme les autruches. Mais vous entendrez les chants 151

el les cris d espoir de cinquonle mille Niçois allant à la conquête de leur bien-être et de leur liberté. > Mais celte imprécation à I adresse de la bonrfjeoisie niçoise (et qui visait en fait pas mal d ’éléments hésitants appartenant plutôt aux cou­ ches moyennes) me valut une observation de Maurice Thorez venu à Nice. qui me rappela la politique d union avec les alliés possibles et désirables de la classe ouvrière. Cette remarque constitua un élément de plus à mon éducation politique. J en ai tenu compte par la suite. Le Parti et la vie sont une bonne école. Deux semaines après celte impressionnante manifestation, nous réu­ nîmes à Nice un grand meeting au Palais des Fêles de Nice où. devant un auditoire de 15.000 personnes attentives el enthousiastes. Nlaiirice I horez lança un appel à l'union de la Nation Française. Son di.s- cours eut un retentissement considérable. Il célébra les succès électo­ raux du Parti (dont ceux de Nice et de Cannes), appela à l’union pour I action sous le mot d ’ordre (« la formule sublime ») : Pour le Pain, la Liberté el la Paix, afin de réaliser le programme du Front Populaire, réclama la dissolution des ligues fascistes. Ce jour-là Maurice Thorez renouvela sa fameuse déclaration « Nous tendons la main à nos frères catholiques » dans une circonstance inoubliable. Un prêtre niçois. 1 abbé Alfred Daumas. était à la tribune où il avait, comme l a relaté dans le Cri des Alpes-AIarilimes Raptistin Maiffret < serré la main du secrétaire général du Parti communiste devant 132

13.000 personnes et dit son amour profond pour les masses prolétarien­ nes... » et « dénoncé en termes fougueux et éloquents la duplicité de ces riches pourris qui s'adonnent à la pratique des exercices religieux, mais demeurent insensibles et froids en présence de la misère, du cbô- mage et de la faim. » A une question posée par l'abbé Daumas, Maurice Tliorez rétmndil : « Aucun changement dans notre politique et dans notre doctrine car nous ne vous demandons pas à vous de modifier ou de renoncer à votre croyance religieuse. Nous, communistes, nous vous disons : « Vous croyez ; nous ne croyons pas. Est-ce que l'espérance du paradis dans le Ciel peut vous empêcher, vous, de prendre notre main et nous empêcher, nous, de prendre la vôtre, afin qu'ensemble nous luttions pour le bonheur sur cette terre ? > 135

Mes premières années d ’écolier se MAURICE HUSSON sont passées vers 1890 chez les Frè­ res de la doctrine chrétienne à Epi- nal où mon père était en garnison, puis à Nancy où il avait pris sa Dl£ L’ECOIE D1-.S iq^KRF.S retraite. L'établissement d'Epinal ac­ AU MARXISME Mll ITAlVr cueillait dans ses grandes salles aux larges baies lumineuses, et dans ses cours spacieuses et ombragées, les enfants des officiers du 18* chas­ seurs à cheval et de la bonne bour­ geoisie. La vieille école de Nancy cachait les murs lépreux de ses clas­ ses et sa cour exigüe et humide dans l’ombre de la cathédrale. Elle recru­ tait les enfants catholiques des pe­ tites gens du quartier. La présence parmi eux d ’un fils d ’officier, même retraité, avait quelque chose d ’inso­ lite. Comparé au digne frère Athanase qui dirigeait l’ensemble des écoles de la ville, le direaeur de la mien­ ne, rondouillard et rougeaud, me semblait terriblement vulgaire. Il avait assigné au « fils d ’officier » une place privilégiée parmi ses élè­ ves plus conforme aux règles de la hiérarchie sociale qu'aux principes de la charité chrétienne. J’étais sou­ vent gêné par les criantes injustices commises en ma faveur dans la ré­ partition des récompenses et des pu­ nitions et dans la distribution des rôles en vue des petits mystères en­ fantins joués par les élèves à l’oc­ casion des fêtes. Le grand rôle m’était réservé, celui du marrjT ter­ minant glorieusement sa carrière dans l’apothéose des feux de ben- gale qui clôturaient la représenta­ tion. Dans le public des parents di ­ saient : « Cest un fils d ’officier » 151

et ma petite vanité d ’enfant avait chœur ne voyaient-ils derrière le AUX HEURES AGITEES bientôt dissipé toute gêne vis-à-vis maîue-autel que le répugnant bric- DE L’AFFAIRE DREYFUS de mes petits camarades qui me té­ à-brac des objets de rebut } Mais ça, moignaient plus d'amitié admirative çà ne se demandait pas au cher que d ’envie. Frère. Aux processions le < fils Je vécus une dizaine d'années d ’officier » tenait la traîne de Mon­ dans le monde, alors nouveau pour Les heures de classe étaient es­ seigneur ; de grands séminaristes moi, du lycée. Dans le milieu des sentiellement consacrées à l'ensei­ chuchotaient parfois en regardant élèves et des maîtres étaient repré­ gnement des dogmes comme celui les boucles qui lui tombaient sur les sentées la plupart des grandes fa­ de l’infaillibilité du pape, à l'étude épaules : « Comme la tonsure ferait milles spirituelles et des catégories des commandements de Dieu et à bien sur cette petite tête-là » et je sociales hormis la classe ouvrière. la récitation des Notre père, Je vous rêvais de la porter. A la maison, salue Marie et Je crois en Dieu. La pour me distraire, un tapis de table Mes camarades étaient surtout des perplexité dans laquelle me plon­ aux épaules, j’officiais. J’avais la vo­ catholiques, quelques protestants et geaient « l’œuvre de chair » du 9* cation, une vocation de gosse aux un certain nombre de juifs qui se commandement et « le fruit des en­ premières heures de son âge de rai- disaient israélites comme par une trailles de la Vierge Marie » impor­ ■son. certaine honte de porter le nom de tait peu puisqu’il ne s’agissait pas juifs. Un petit protestant, ayant été de comprendre le sens des mots mais Du dernier entretien du directeur reconnu par son père, troqua son uniquement de les bien répéter. avec ma mère avant mon entrée au nom roturier pour un nom à par­ lycée je n’avais retenu que ces der ­ ticule, sa foi évangélique pour la L’exercice du culte auquel nous niers propos énigmatiques et mena­ religion catholique et le lycée pour participions activement à la cathé­ çants : « Laissez-le nous, nous en l’établissement confessionnel le plus drale comme enfants de choeur et ferons un évêque ; si vous le mettez huppé de la ville. Le petit Bloch petits chanteurs de la maîtrise of­ au lycée, il est perdu. » Ce n'est pas n’écrivait pas le samedi ; son père, frait plus de satisfaction à notre sans un frisson que j’entrai comme grand rabbin devait pleurer sa sy­ sensibilité que dogmes, commande­ externe dans la classe de 75 nagogue incendiée quelques années ments et prières de nourriture à no­ plus tard par les antidreyfusards. Le tre esprit. Nos surplis blancs sur Déjà je portais les stigmates d ’un petit Larcher fils d'avocat nous dé ­ nos robes rouges bordées d ’hermine, < enseignement » purement dogma­ clara un jour péremptoirement que la douceur des chants et le gronde­ tique. Hors de l’Eglise pas de salut. le bon Dieu, c’était un petit oiseau ; ment des grandes orgues, l’âcre par­ De par la volonté divine l’Eglise il devait y avoir quelque panthéis­ fum des fleurs et de l’encens, les ors seule habilitée à diriger la société. me dans l’air de la maison fami­ du ciboire et de l’ostensoir, le mys­ Les chers Frères m’avaient haute­ liale ; nous, les gosses, on ne pen­ tère des gestes sacerdotaux ; toute ment prêché la fraternité chrétienne sait guère à ces choses-là mais sa cette atmosphère de rêve m’enchan­ mais insidieusement ancré au cœur définition enfantine me fit souvent tait. Et pourtant ! Chaque jour les la haine des juifs qui avaient tué rêver. Tout ce petit monde vivait chers Frères nous répétaient que le Jésus, des païens, des schismatiques, en paix, ne se chicanait guère que bon Dieu est partout. Partoutdonc des hérétiques, des athées et des pour des billes sauf aux heures agi­ partout aussi et surtout dans sa pro­ francs-maçons qui étaient les pires tées de l’affaire Dreyfus qui dé ­ pre maison. Pourquoi toutes les ennemis de Dieu. Je portais en moi chirait même les familles. Des fleurs étaient-elles tournées vers le les germes empoisonnés d ’un cléri­ « grands » bousculèrent un jour le public des fidèles et les enfants de calisme sectaire et borné. petit Rosenthal fils d ’un dentiste. 151

que je pris fièrement sous ma pro­ l’un des professeurs les plus aimés, alors le marxisme dans le mouve­ tection. qui disait-il, attendait impatiemment ment ouvrier. la naissance d ’un douzième garçon L’Administration ne se désintéres ­ pour parfaire sa collection des douze En général tous nos professeurs sait pas des choses de l’Eglise. La apôtres. Le très bedonnant M. Bé- s’en tenaient objectivement à leur première communion se faisait en court parlait de « La plèbe romai­ cours s'efforçant avant tout de dé ­ grande pompe en la chapelle avec ne » avec le ton de voix du bour­ velopper notre esprit critique. procession solennelle dans les im­ geois satisfait le plus souveraine­ Un soit, étant encore en 6', je menses couloirs du lycée. La mienne ment dégoûté. Méneveau, solide coûta à ma mère un louis d ’or bien me levai après le coucher des inter­ morvandiau taillé à coups de hache, nes et m’agenouillai devant une ta­ lourd pour une veuve d'officier se mettait dans la peau des héros de mère de cinq enfants. Tous les élè­ ble de nuit pour dire ma prière. No­ la grande révolution pour lesquels tre répétiteur s’étant enquis de ce ves, catholiques ou non, étaient en­ sa pantomine redoublait mon en­ suite rassemblés dans la grande cour que je faisais, me conseilla paternel­ thousiasme. Le souriant méridional lement de ne pas m’attarder pour qui retentissait des éclats de voix Magrou qui pendant les rigueurs de de Monseigneur Turinaz ; un sur­ ne pas m’enrhumer. M, Braun était l'hiver lorrain corrigeait ses copies juif ! veillant général rabrouait ceux qui assis sut son petit poêle, faisait des < applaudissaient trop mollement > causeries à la Maison du Peuple. Le mais l'évêque demandait régulière­ « petit Godard » jeune et pimpant ment une levée des punitions tou­ professeur qui ne se laissait pas DU DOGMATISME CLERICAL jours accordée et il lui était beau ­ marcher sut les pieds, introduisait A L’ANTICLERICALISME coup pardonné. Le censeur Casimir alors la méthode directe dans l’en­ SECTAIRE Chacornac me confisqua la « Vie seignement des langues vivantes et de Jésus » de Renan. Un brave me donna l’envie de devenir pro­ Dès ma première année d ’internat homme d'aumônier démontrait fesseur d ’allemand ; il nous initiait « scientifiquement » dans son cours j’avais le sentiment que le lycée ne à l’étude de la poésie allemande, des m’avait pas perdu mais sauvé. C'en d'instruction religieuse avec quelle grands drames historiques de Schiller facilité Noé avait pu caser dans son était fait de ma vocation enfantine et de l’œuvre grandiose et humaine et tout l’enseignement des chers arche tous les êtres alors créés, non de Goethe. Mon professeur de ma­ sans mouvements divers dans l’au­ Frères allait être bientôt remis en thématiques élémentaires me rem­ question. ditoire. plit le cœur de joie en déployant Mon professeur d ’allemand de 4'', sur sa chaire, avant l'entrée des élè­ En troisième le père Job, grand le père Hartmann était un bon géant ves, le premier numéro de [‘Huma­ vieillard décharné, impitoyable mais alsacien ; la moindre allusion à son nité de Jaurès. J’avais affiché dans juste, nous avait donné comme su­ surnom de « Fuss » qu'il devait à ma case les portraits découpés dans jet de narration la description du l'énormité de son pied, le précipi­ des journaux de Jaurès qui, dans la paradis entrevu dans un rêve. Ma tait dans d ’effrayantes fureurs ; il grande salle de la Chambre de Com­ copie l’avait navré. Mais je n’osai nous distribuait imprimées ses tra­ merce, parla de la crise des Balkans lui avouer que le mépris des prêtres ductions de poèmes allemands où avec une telle chaleur, une telle élo­ m’avait guidé dans le choix de cette scintillaient « mille étoiles et étoilet- quence, une telle clarté qu’il fit é-cla- caricature du paradis inspirée par tes ». En guise de breloque une ter les applaudissements unanimes la vieille église de Bayonville où petite croix d ’or pendait à la poche d ’un public essentiellement bour­ ma mère s’était retirée ; les gros du de gilet du mathématicien Chanzy, geois, et de Guesde qui introduisait village à la tribune sur leur prie- I j6

dieu de velours et le troupeau des avaient un dieu, il aurait trois les mouvements de tous les humbles familles des petits vignerons en bas côtés. » chrétiens qui avaient tiré de l’Evan­ sur leurs inconfortables bancs de gile une leçon de révolte contre les bois. L’Eglise n’était plus pour moi la grandes iniquités de l’e-sclavage, du pieuse et fidèle enfant du doux servage et du salariat et elle conti­ Le vieux curé de Bayonville dans Jésus de la légende mais l’Inquisi­ nuait à prêcher l’esprit de résigna­ sa soutane verdie par les années était tion avec ses bûchers, la condamna­ tion aux exploités au profit de leurs d'aspect peu ragoûtant mais au fond tion de Galilée, le supplice du che­ exploiteurs, ses alliés et complices. bien sympathique. Il me disait sou­ valier de la Barre. C’était le Père de Oui. l’Eglise, c’était bien « l’in- vent le samedi ; « Demain garde l’Eglise Lactence, le grand apolo­ fàme qu’il fallait écraser ». ton sou, c’est pas pour la paroisse, giste chrétien du l’V* siècle, le « Ci­ c’est pour l’évêché. » On racontait céron chrétien » de saint Jérôme, Alors vinrent les temps de l’af­ qu’à sa mort il y avait dans ses ti­ proclamant : « Nous devons regar­ faire Dreyfus et du « petit père roirs pas mal de rouleaux de piè­ der comme insensés ceux qui pen­ Combes ». A l’insolente agression ces d ’or soigneusement enveloppés. sent connaître la nature dont les des cléricaux les plus véhéments, ré­ De l’autel il criait à ma soeur aînée hommes ne peuvent rien savoir. » pondit l’anticléricalisme le plus sec­ qui accompagnait à l’harmonium le C’était le pape Léon XII affirmant taire et le plus violent. Un prêtre choeur des jeunes filles à la tribune : en 1829 que « la petite vérole est hésitait à traverser un quartier ou­ « En avant la musique ! > Il cra­ un jugement de Dieu ». C’était le vrier en soutane. Il y avait dans la chait parfois sur les marches de l’au­ pape Grégoire XVI condamnant ville cléricale de Nancy un cordon­ tel et répondit un jour à ma mère en 1832 « cette maxime fausse et nier anarchiste du nom de Lapique. qui lui proposait ironiquement d'or­ absurde, ou plutôt ce délire : la li­ Le respect de son art, disait-on, lui ganiser une collecte en vue de berté de conscience, la liberté d ’opi­ faisait détruire toutes les chaussures l'achat d ’un crachoir : « Madame, nion, la liberté de presse, la plus qu’il ne jugeait pas parfaites. Le di ­ je ne crache pas, j’expeaore, > exécrable, la plus funeste pour la­ manche, coiffé d ’une casquette bor­ Après ma vocation, la foi elle- quelle on n’aura jamais assez d ’hon­ dée d ’un large ruban rouge dont la même s’était depuis longtemps vo­ neur ». C’était le Syllabus de Pie IX hauteur rappelait la toque d ’un ma­ latilisée et les incartades de ce curé jetant l’anathème en 1864 sur toute gistrat, il vendait ÏActi&n et la Rai­ exceptionnel, authentiques ou semi- liberté, tout progrès, toute dignité son, les deux étendards de l’anti­ légendaires (on ne prête qu’aux ri­ humaine. « Anathème à qui dira : cléricalisme militant. A l’occasion ches) n’étaient pas faites pour me chaque homme est libre d ’embras ­ d ’une grande fête il pénétra dans la rendre le respect des curés. ser et de professer la religion qu’il cathédrale bondée de fidèles, cria aura réputée vraie à l’aide des lu­ d ’une voix de stentor dans le grand Je lisais volontiers Anatole Fran­ mières de sa raison. » C’était Pie X silence de l’offertoire : « A bas la ce, les philosophes du XVIII* siè­ rappelant en 1903 qu'« il est con­ calotte ! » et fut écharpé sur-le- cle, toute la littérature antireligieuse forme à l’ordre établi par Dieu champ. Le dimanche suivant je que je pouvais me procurer, de bon­ qu’il y ait dans la société humaine l'aperçus au Point-Central, lieu de ne ou mauvaise qualité. des princes et des sujets, des pa­ rencontre de tous les promeneurs trons et des ouvriers, des riches et dominicaux, acculé à une pharmacie J’acceptais comme axiomes que des pauvres ». L’Eglise c’était l’obs­ et tenant tête à une meute hurlant « Si dieu avait fait l’Homme à son curantisme, l’intolérance, la réaction à la mort. Dans ma redingote noire image, l’Homme le lui avait bien la plus rétrograde. L’Eglise triom­ à boutons dorés de lycéen je me fis tendu > et que « si les triangles phante avait brutalement réprimé un chemin jusqu’à lui et l’interpellai 137

de ma voix la plus assurée : « L'Ac­ que Georges Cogniot dans le Die était là bien sûr dont l'inlassable ac­ tion ! camarade. » « Bravo, le po­ tionnaire riitioiialiste est l’étude des tivité déjà jetait les bases du grand tache » cria quelqu'un. Ce jour-là contradictions dans l’essence même mouvement que l'on vit plus tard fut pour moi beaucoup plus beau des choses. » Pour le philosophe s'épanouir aux Semaines de la que celui de ma première commu- idéaliste « il s’agissait de mouve­ Pensée. ment de la pensée qui se réalise, il posait l’existence dans la nature et A quatre ou cinq, nous nous re­ Une cervelle empoisonnée d ’en­ la préexistence dans les choses d'un trouvions chez Georges Sadoul, dans fant ne se lave pas si vite. Le sec­ F-sprit absolu (système idéaliste). Le son arrière-boutique tapissée d'affi ­ tarisme de mon cléricalisme passé matérialiste Feuerbach avait inversé ches pour nous initier à l’étude du ne s’était pas dissipé ; il avait seule­ le rapport esprit-nature en faisant marxisme. J’étais chargé des rap­ ment pris la forme de l’anticlérica­ de celle-ci la créatrice de l’esprit ; ports sur les textes portant sur la lisme. de même pour le rapport Dieu- religion. homme ; cependant, le naturalisme La substitution par Marx de de Feuerbach restait associai et anti­ l’homme réel à l’homme des idéa ­ DE LA CRITIQUE historique : l’homme était conçu listes et de Feuerbach m’ouvrit en­ DE LA RELIGION abstraitement et non pas comme fin et définitivement les yeux. A L’ADHESION plongeant dans la réalité historique des rapports sociaux. » AU MARXISME ♦ L’inconséquence du matérialisme * * Je ne connaissais guère la reli­ de Feuerbach qui laissait subsister gion que sous sa forme catholique l’homme abstrait des idéalistes, ne et romaine. L’étude très sommaire pouvait nous apporter une réponse Dans toutes les sociétés divisées de quelques religions anciennes me définitive au problème si complexe en classes antagonistes les classes fit entrevoir la complexité du pro­ de la religion. dominantes ont toujours appliqué la blème religieux. Ces mille religions vieille méthode de « diviser pour humbles ou somptueuses qui avaient Peu d'universitaires connaissaient régner » pour imposer leur dicta ­ fleuri dans les temps et les pays le marxisme avant 1930. Quelques ture. Avant 1914 la bourgeoisie les plus divers ne pouvaient être et années plus tard seulement la thèse française en avait déjà fait une n’étaient pas la création artificielle d ’Auguste Cornu devait lui ouvrir large application. Lorsqu’au lende ­ de quelques individus avides de les portes de la Sorbonne. Certains main de la guerre elle se sentit pouvoir et de richesses. cependant cherchaient à s’instruire menacée par la montée des géné­ Albert Lévy, auteur d ’une thèse- sur la grande révolution bolchévique rations que l’enfer de la guerre avait sur Feuerbach, nous guida en 1914 et sur la pensée marxiste. A Paris forgée et dont les meilleurs repré­ dans l’étude de « L’Essence du chris­ nous nous réunissions le dimanche sentants groupés autour de Vail- tianisme » qui figurait à notre matin dans une sorte de caveau de lant-Couturier et Raymond Lefeb­ programme d ’agrégation. la Maison des Syndicats du boule­ vre se tournaient vers le commu­ vard de l'Hôpital. Avec sa haute nisme qui avait triomphé avec les Le philosophe Hegel, dernier conscience de grand savant Henri bolcheviks, la bourgeoisie fit l’usage grand représentant de l’idéalisme al­ Wallon nous faisait la relation la le plus cynique de son arme su­ lemand avait instauré la méthode plus objective de son dernier voyage prême, de la division par l’anti­ dialectique. « La dialectique, expli­ en U.R.S.S. ; et Georges Cogniot communisme. 158

Les catholiques les plus sincères lui qui donne et à celui qui reçoit employé, artisan, paysan, nous qui furent les premières victimes de un secours parfois efficace, souvent sommes des laïcs, parce que tu es l’arme empoisonnée. En l’isolant précaire et toujours avilissant, ne notre frère. » Je fus comblé. Ba­ malhonnêtement de son contexte les saurait rép>ondre seule aux exigences layant les nocives séquelles de l’an­ valets de plume de la bourgeoisie de la charité chrétienne. Songeant ticléricalisme vulgaire, Maurice ’Tho- falsifièrent toute la pensée de Marx aux millions d ’hommes à libérer rez avait fait plus que quiconque sur la religion qu’ils réduisirent à matériellement et moralement, je pour l’indispensable union de tous sa formule de « la religion opium fuirais comme péché mortel l’égoïs­ les travailleurs. du peuple ». La formule reste ter­ me au cœur sec du salut individuel riblement valable, qui dénonçait et travaillerais avec tous les hom­ l'exploitation sacrilège de la reli­ mes de bonne volonté à la substi ­ gion par les classes exploiteuses pour tution au capitalisme inhumain du le maintien de leurs privilèges les socialisme libérateur, parvis du plus sordides. Elle s’insère dans un communisme. paragraphe qui explique clairement la pensée de Marx, les falsificateurs Dès sa jeunesse, Maurice Thorez en escamotèrent astucieusement le a consacré sa vie à la diffusion des contexte. « La misère religieuse est principes marxistes et à leur appli­ d ’une part {'expression de la misère cation à la politique du Parti com­ réelle et d ’autre part la protestation muniste. Je l’ai rencontré pour la contre la misère réelle. La religion première fois dans les années 20 est le soupir de la créature oppri­ dans l’arrière-boutique d ’un estami­ mée ; l’âme d ’un monde sans cœur, net de Douai servant de Bourse de comme elle est l’esprit d ’une civi­ Travail. Quelques communistes et lisation dont est exclu l’esprit. Elle sympathisants s’y étaient réunis pour est l’opium du peuple. » accueillir le jeune secrétaire fédé ­ ral. Dès l’abord ce grand gaillard au toupet blond, aux yeux bleus et * au si affable sourire nous avait conquis. Tout au long de la con­ versation sa connaissance profonde Si, au terme d ’une longue vie, du monde ouvrier, l’étendue de la j’avais conservé la foi profonde et culture de cet ancien mineur, la ardente de mon enfance, éclairée simplicité, la clarté et la chaleur de à la fois par les textes marxistes et sa parole nous ont remplis d ’ad ­ par la Pacem in terris du pape miration. Jean XXIII comme par mes petites expériences personnelles et les gran­ En avril 1936, à Paris, j’eus le dioses expériences des peuples cons- bonheur d ’applaudir avec une foule truaeurs du socialisme, je penserais de communistes enthousiasmés son que l’aumône individuelle qui, li­ discours de la main tendue au tra­ mitée dans son étendue, peut bien vailleur catholique ; « Nous te procurer une bonne conscience à ce­ tendons la main, catholique, ouvrier. I3Q

PIERRE MEUNIER

MAI’K» ICE THC)RF:Z. HOMME D’ETAT

J’ai eu clans nia vie la cliance d'être l'ami et le collaborateur de trois hommes exceptionnels : Pierre Cot, au Cabinet de qui j’appartins lorsqu il était ministre du Front Populaire en 1936 et 1937. Jean Moulin, dont je fus l'adjoint pendant la résistance et Maurice Tliorez qui me confia la direction de son Cabinet lorsqu'il fut ministre d'Etat, en 1943, dans le gouvernement du general de Gaulle et vice-président du Conseil dans le gouvernement de Félix Gouin en i946. Trois hommes très différents mais dont les conceptions politiques avaient au moins un point commun, la recherche continue de 1 union des forces populaires. C'est en 1936, lorsque j'étais le collaborateur de Pierre Cot. que je fis la connaissance de Maurice Tborez au cours d une manifestation de Front Populaire à Choisy-le-Roi. Devant la menace que faisait peser sur la paix et la démocratie I ins­ tallation du fascisme sur deux de nos frontières et à l'intérieur l'action des ligues, la gauche s'était enfin unie. Maurice Tborez avait joué un rôle déterminant en amenant le Parti communiste français a contracter une alliance avec les partis socia­ liste et radical. 1 10

Si la victoire tlémocralique. qui permit alors d importantes con­ quêtes sociales, ne donna pas tous ses fruits pour des raisons dont I exposé dépasserait le cadre de ces notes, j avais gardé une grande estime pour le Secrétaire général du Parti communiste. Mais, c est plus tard, en 194-1, que nous nous .sommes mieux connus et que des liens de sympathie se nouèrent entre nous. Le sort m avait placé à I Assemblée consultative dans le fauteuil voisin de celui de Mau­ rice Tborez. Nous nous rencontrions presque cbaque jour et j’eus ainsi fréquemment 1 occasion de discuter avec lui des problèmes que posaient, après la libération, la reconstruction et le relèvement du pays. En novembre 1943, cinq communistes entrent dans le gouvernement constitué par le général de Gaulle. Maurice 1 borez devient ministre d Etat, cbargé de la Fonction publique. Le soir, son secrétariat me téléphone pour me demanrler si je puis le voir le lendemain matin. Je ne me doutais mdlement de la proposition qui m attendait. Très direct, Maurice Tborez me met au courant et me demande si j accepte d être son directeur de cabinet. Interloqué, je lui e.\prime ma surprise et je soulève une série d ob­ jections touchant à la politique et à mon incompétence. Maurice Tborez me répond point par point et me fait remarquer, entre autres choses, que dans la Résistance on se souciait fort peu des opinions politiques ou philosophiques pour travailler ensemble. 141

Un quart d ’heure plus tard, je sortais de son bureau, après avoir accepté sa proposition, La publication de la nouvelle provoqua un certain ctonnemenl. Qu’un radical-socialiste soit nommé directeur de cabinet d ’un ministre communiste, qui se trouvait être le Secrétaire général du Parti, voilà qui ne manquait pas de piquant. Meme dans les rangs du Parti com­ muniste on marqua quelque surprise. Au sein du Parti radical-socialiste, mon acceptation provoqua cer­ tains remous. Un délégué demanda mon e.xclusion lors des assises du Parti qui se tenaient précisément à l’époque. Il ne fut d ’ailleurs pas suivi et sa proposition fut rejetée à la quasi-unanimité. Je ne perdais rien pour attendre, puisque six mois plus lard, j’étais exclu du Parti radical-socialiste avec Pierre Cot, Albert Bayet. Jacques Kayser, Robert Cbambeiron et quelques outres, pour avoir signé un appel invitant les radicaux à voter « Oui > au référendum du 5 mai 1046 sur le projet de Constitution. J’avoue que je n’envisageais pas sans appréhension le rôle que j al­ lais jouer au cabinet de Maurice Thorez.

IL DONNAIT CONFIANCE PARCE QU’IL FAISAIT CONRANCE

Je connaissais le Parti communiste par les militants que j’avais rencontrés dans la clandestinité. J’avais apprécié leur courage mais aussi I 12

leur rigoureuse discipline. L'appareil du Parti m’effrayait un peu et je craignais d être « 1 étranger » dans un milieu communiste. Très vite je me rendis compte que mes craintes étaient vaines. Mau­ rice Thorez. avec finesse et simplicité, manifestait à l’égard de tous ses collaborateurs, communistes ou non, une grande attention et beau ­ coup de délicatesse. Il donnait confiance parce qu’il faisait confiance. Non seulement je ne fus jamais tenu à l’écart de la moindre question, mais je devins le chef d une équipe très unie qui travaillait dans une atmosphère de franchise et d'amitié pour un but commun, sous l’autorité du Ministre. Au cours de la vie quotidienne du cabinet, j ai pu découvrir 1 liomme qu’était réellement Maurice Thorez. Chef d' un grand parti révolutionnaire. 1 un des dirigeants interna­ tionaux les plus écoutés du monde communiste. Maurice Thorez, sous sa force physique, son calme apparent, son sourire et son optimisme habituel, cachait une sensibilité extrême. Ce n était nullement la froide machine à penser marxiste qu’on aurait pu s imaginer. Doué d immenses qualités il avait aussi les défauts nécessaires à l’homme pour le rendre attachant. Levé tous les matins à 5 heures. Maurice Thorez. la plupart du temps, lisait pendant deux heures. Souvent, en arrivant à l’hôtel Matignon, il me commentait sa lecture du jour, me parlait d ’une page de Balzac ou récitait un poème d Aragon. La culture étendue qu il avait acquise s accompagnait d une 145

insatiable curiosité intellectuelle. Il était eiitclé dans ses opinions sur certains thèmes controversés ; c’est ainsi qu'il admettait difficilement les critiques dirigées contre Napoléon dont il considérait I œuvre comme très positive. Il avait un violon d Ingres, la géologie. Un jour où il partait visiter le Vercors, il chargea I un des membres de son cabinet de lui procurer une carte géologique. Ce dernier fil plusieurs démarches, car l échelle de la carte qu’il rapportait n’était jamais assez grande. Aucun sujet, même s’il s’agissait d'esthétique, ne laissait Maurice Thorez indifférent. Je me souviens que. revenant en voilure d un déplacement en province où je 1 avais accompagné avec Fréville. ce dernier fit un parallèle entre les changements de teintes du coucher de soleil et la dialectique marxiste. Comme je ricanais, Maurice Thorez s emporta et m’accusa de n’avoir aucune sensibilité. Son caractère impulsif le gênait parfois. 11 1 a empêché d être orateur parlementaire, ce que d ailleurs il ne recherchait pas. J’ai l impression qu’il n’était pas à l’aise dans les milieux de l’Assemblée Nationale où il prenait rarement la parole. Sa voix haut placée, au débit rapide, compromettait l’effet de ses interruptions sur l’Assemblée. Par contre, c’était un grand tribun. Je fus très impressionné le jour où il m’emmena dans un congrès syndical de mineurs et où je l’entendis, pendant un heure, enthousiasmer et galvaniser une foule délirante. Maurice Thorez avait le culte du travail. Travailleur acharné lui- même. il ne pardonnait pas la paresse : « Les paresseux, les tièdes ne 144

seront jamais de bons communistes, de bons révolutionnaires » s écriait-il au Congrès des mineurs de Montceau-lcs-Mines. Très méthodique dans son travail, ce qui m’a peut-être le plus frappé, c’est le soin et la minutie que ce grand leader politique a apporté dans l’exécution de sa mission de Ministre d ’Etat chargé de la Fonction Publique et plus tard de Vice-Président du Conseil. A la veille de chaque conseil des ministres, on nous communiquait l’ordre du jour, tard dans la soirée. Maurice Thorcz nous demandait de préparer les dossiers de chacune des affaires ou des projets qui devaient venir en discussion. Le lendemain très tôt, nous tenions une conférence où nous parlions de tous les problèmes qui allaient être débattus. Il partait ainsi au Conseil avec une connaissance approfondie de chacun des sujets figurant à l’ordre du jour. Celé lui valait une audience attentive de tous ses collègues et lui conférait une autorité qui lui permettait souvent de faire triompher son point de vue. Son autorité d ’homme d ’Etat fut d autant plus grande que, profon­ dément attaché à la démocratie il ne tombait jamais dans la démagogie.

L’ÉLABORATION DÉMOCRATIQUE Dli STATIT DE LA FONCTION PUBLIQUE

Peut-être ceux qui ont confié la fonction publique à Maurice Thorez pensaient-ils lui jouer un bon tour. A première vue. la réforme d'une administration fonctionnant en \4 :

régime e.apilulisle ne seinbluil pas entrer particulièrement dans les cordes d un clief de parti révolutionnaire. Et pourtant Maurice Tliorez réussit à mener à bien la tâche qui lui avait été confiée et parvint en quelques mois à élaborer et faire adopter par le gouvernement et par l’Assemblée Nationale le statut général des fonctionnaires. 11 s'agissait d une revendication des agents de l Etat vieille d'un demi siècle. De nombreux projets ou propositions avaient été déposés sur le bureau des as.semblées surtout depuis que la loi du 9 mars 1920 avait prévu « qu'une loi spéciale fixerait le statut des fonctionnaires >. Mais jamais aucun de ces textes n'était sorti des commissions. « La France conserve encore le régime administratif fondé sur les bases essentiellement autocratiques que lui avait données Napoléon ». disait Yves Fagon. député MRP, rapporteur du statut devant la seconde .\ssemblée Nationale Constituante. En tant que fonctionnaire des Finances, l'e.xpérience déjà longue que j avais de la fonction publique m’avait convaincu de la nécessité de rajeunir et de démocratiser l'administration pour l’adapter aux condi­ tions économiques, techniques et sociales modernes. Avant même la constitution définitive du cabinet, nous eûmes, Maurice 1 bore/., quelques fonctionnaires syndicalistes et moi, une réunion au cours de laquelle chacun exposa ses vues sur la tâche à entreprendre. .\près avoir écouté chacun de nous, Maurice Tliorez, avec sa grande lucidité desprit, tira les conclusions et définit son plan d'action. I 16

Pour lui. toute réforme profonde de la fonction publique impliquait, comme condition préalable, la modification des liens qui unissaient les fonctionnaires à l’Administration. Le fonctionnaire ne devait plus être le domestique du gouvernement livré à l’arbitraire ou au favoritisme, mais le serviteur de l’Etat et de la Nation, garanti dans ses droits, son avancement et son traitement ; conscient en même temps de sa responsabilité, considéré comme un homme et non plus comme un rouage impersonnel de la machine administrative. Les grands principes du statut étaient ainsi posés. 11 restait à le réaliser. C’est le pari que tint Maurice Thorez contre les sceptiques. S’il l’a gagné, ce n’est pas seulement grâce à sa volonté et à sa ténacité, mais surtout à la méthode démocratique qu’il a employée pour parvenir à son but. Il constitua au sein de son cabinet un groupe de travail composé de fonctionnaires provenant d ’administrations diverses, comme Diimeix de l’Education Nationale. Amiot des Régies. Micouin de 1 adminis ­ tration centrale des Finances et quelques autres. Tous étaient attachés à la fonction publique, au syndicalisme aussi et. par leur activité passée, avaient une connaissance sérieuse de I administration, de ses défauts et des aspirations des fonctionnaires. Notre groupe était en contact permanent avec les représentants de tous les syndicats. Nous recueillions sur chaque point leurs avis et leurs suggestions. N7

Une fois par semaine au moins, Maurice Fhorez nous réunissait clans son cabinet. Nous faisions le point devant lui de 1 avancement de nos travaux et lui exposions les difficultés et les obstacles auxquels nous nous heurtions ainsi que nos divergences sur certaines dispositions du projet. Au cours de discussions qui duraient parfois plusieurs heures. Maurice Thorez se montrait accessible aux problèmes juridiques, admi ­ nistratifs et syndicaux les plus complexes. 1! orientait nos travaux avec une autorité et une conviction communicative. Maurice Thorez s'intéressait tout spécialement à certaines dispo­ sitions du projet. D abord à la reconnaissance formelle et légale du droit syndical aux fonctionnaires, si longtemps contesté et si souvent remis en cause. 11 prit une part personnelle à la rédaction des articles concernant la participation des représentants des syndicats, à la gestion du personnel ainsi qu’à l’organisation et à la marche de 1 administration. C’est lui-même qui, dans le souci d ’éviter toute discrimination politique, rédigea l’article 16 du statut « Ne pourra figurer au dossier du fonctionnaire aucune mention faisant état des opinions politiques, philosophiques ou religieuses de l’intéressé >. 11 s attacha enfin à la revalorisation matérielle de la fonction publique en prévoyant que le traitement de hase ne devrait pas être inférieur à 120 % et la pension à 100 % du minimum vital. Il livra d ’ailleurs plus tard une véritable bataille nu Conseil des N8

ministres pour obtenir le maintien de celle disposition ilans le projet de loi qui fut soumis au Parlement. Sans doute ce texte a-t-il été ignoré par les gouvernements ulté­ rieurs mais il servit de support à toutes les revendications des fonction­ naires en matière de rémunération jusqu’à ce qu’il disparaisse purement et simplement dans l’ordonnance du 4 février 1959 portant refonte du statut général des fonctionnaires. C’est à l’occasion de ces travaux que j’ai découvert une constante du caractère de Maurice Tborez, une discipline de son intelligence : son aversion, souvent exprimée sans ménagement, pour toute démagogie, pour tout esprit de facilité. La conviction révolutionnaire, l’esprit de parti n’étaient en lui nullement contradictoire avec l'objectivité. le réalisme et le sens de la mesure. Il a défendu avec beaucoup de fermeté, et souvent à l’effroi des grands commis de l’Administration, le droit et le devoir des organisations syndicales de participer en pleine initiative et avec une entière respon- sablité. aux organismes tels que le Conseil Supérieur de la Fonction Publique, les commissions administratives paritaires et les comités tecb- niques paritaires. Mais, en même temps, avec la même fenneté, il a affimié. devant la commission syndicale d études et plus tard devant l’Assemblée Nationale Constituante, les prérogatives de l’exécutif quant au pouvoir de décision. 141 )

« Il devrait être évident, disait-il à I Assemblée Nationale, que certaines propositions, disons de caractère exagéré, peuvent être préjudi ­ ciables non seulement à 1 intérêt de l Administration et de l’Etat, mais à celui des intéressés eux-mêmes. « V^ous savez que ce projet, à peine né, a suscité des campagnes absolument injustifiées. (|ui tendaient à démontrer que I objet de ce statut était de dessaisir I autorité gouvernementale et de laisser aller I Etat à vau l’eau. « Je répète que nous avons voulu associer les fonctionnaires à I œuvre de réforme administrative et leur donner le sens de la respon­ sabilité dans l'accomplissement de leur tâcbe nu service du Pays. « Les fonctionnaires eux-mêmes comprennent que, s ifs sont associés à 1 Etat dans les commissions administratives organisées sur une base paritaire, la décision doit, en tout état de cause, appartenir au gouver­ nement responsable et aux ministres. Les fonctionnaires comprennent dans leur grande masse, que certaines propositions de caractère exagéré — j emploie à dessein ce terme — ne peuvent que leur nuire et nuire en même temps à l’Etat. » Pour lui. une démocratie véritable ne pouvait se concevoir sans la pleine autorité d un gouvernement pleinement et solidairement respon­ sable devant la représentation nationale. En moins de quatre mois l’élaboration du statut des fonctionnaires était achevée et Maurice 1 horez pouvait le soumettre le 27 mars 1940 à 1 avis de la commission syndicale d éludes, composée des représentants 130

de toutes les grandes organisations de fonctionnaires confédérées et chrétiennes. Approuvé à l unanimité par celte commission, le projet fut présenté au Conseil des Ministres qui l'adopta malgré certaines réticences et fut finalement volé à l’unanimité le 3 octobre 1946 par les députés à la deuxième Assemblée Nationale Constituante.

UN VRAI DIRIGEANT NATIONAL

On m’excusera, en tant que fonctionnaire, de m’être étendu sur une œuvre à l’occasion de laquelle j’ai apporté l’essentiel de ma collaboration à Maurice Tborez. Mais, I ayant vu de près et étant devenu son ami pendant cette période et les années qui suivirent, je voudrais, en témoignage à cette amitié, évoquer le rôle important qu’il a joué dans la politique d ’après guerre de notre Pays. Maurice Tborez après un bref passage au pouvoir a été le principal dirigeant de l’opposition. Il a consacré toutes ses facultés à une double tâche et à ce qu’il estimait être sa double responsabilité : D’une part, orienter et administrer en contact étroit avec « la base > le parti communiste français « avant garde > de la classe ouvrière. D’autre part, présenter à l’ensemble de notre pays les principes et les options d ’une politique gouvernementale. 151

Le premier aspect de son activité peut être retracé plus fidèlement par ses camarades du Parti. Le second peut en revanche être assez exactement mis en lumière par un progressiste, c est-à-dire par un membre du mouvement qui, sans partager la doctrine marxiste, a tenu à affirmer que l’anticommunisme, nuisible aux intérêts de notre pays, ne pouvait que faire le jeu des forces réactionnaires en France et dans le monde. La France d ’après guerre se trouvait confrontée avec de graves problèmes : A l’intérieur, appliquerait-on ou non le programme du Conseil National de la Résistance qui supposait une répartition plus juste des charges et du revenu national ? Dans l’ancien empire colonial, pratiquerait-on ou non la décoloni­ sation, seul moyen de reconnaître les sacrifices consentis à nos côtés par les peuples colonisés et de les faire accéder à la gestion de leurs propres affaires tout en restant unis au peuple français ? A l’extérieur, à la suite du partage du monde en zones d ’influence américaine et soviétique, reconnaitrait-on ou non que notre pays devait jouer un rôle qui lui soit propre et pratiquer une politique d'indépen ­ dance et de paix de nature à éviter l’affrontement entre les deux blocs ? Force est de reconnaître que sur ces trois problèmes principaux la position de Maurice Thorez allait dans le sens de l’intérêt national et qu’il avait vu juste : 1° Certes le relèvement de la France, aidé par les crédits américains. 132

s est fait essentiellement au profit du ({rand eapital et la musse de la Nation n a pas obtenu un relèvement de son niveau de vie correspondant à sa part dans l’effort de production. Mais la question reste posée et Maurice Tborez, en marxiste, a toujours considéré que le progrès ne se faisait que par bond et que la tâche d un parti révolutionnairr- consistait précisément à préparer des échéances parfois lointaines. L année sociale toujours promise par les gouvernants, et toujours remise par eux à plus tard, deviendra une réalité dans la mesure où le peuple saura l’c-xiger.

2“ Si Maurice Thorez n’avait pas lancé le parti communiste et ses militants, quels qu’aient pu être pour eux les risques et les difficultés, contre la guerre d Indochine. Mendès-France n’aurait pas ou derrière lui la majorité de l'opinion publique pour mettre fin en 1054 à ce conflit insensé. Ainsi a été ménagée l'influence française en Extrême-Orient et la possibilité pour la France d avoir aujonrd’îiui son mot à dire dans cette partie du monde. En Afrique du Nord et en Afrique Noire les peuples colonisés ont accédé à I indépendance. Pour n’avoir pas pu l’empêcher, nos gouver­ nants se sont inclinés devant le fait accompli. Mais, presque partout, une certaine forme de néo-colonialisme a remplacé la colonisation et l’indé ­ pendance ne s est faite qu’au profit de certaines castes. I ")■)

IJ ne s agit là que tie régimes tle Ircuisilioii el lorsque ees puys accéderont finalement à I indépendance réelle, ils le devront certes, d abord à eu.\-mêmes. mais également à la coopération fraternelle qui n a cessé d exister entre eux el la gauche française.

5 “ Maurice Thorez a dénoncé avec force aussi bien le Pacte .\tlantique que les projets d intégration de I armée française dans un système dirigé par les Etats-LJnis el qui aurait eu pour résultat d assurer en Europe la prédominance de rAlleinagne. Vingt ans ont passé, et celle intégration est actuellement rejetée par le gouvernement français, c’est-à-dire par des hommes politiques dont certains en avaient etc initialement partisans. Sans doute aurait-il mieux valu sauvegarder notre indépetidance plutôt que de se trouver dans 1 obligation de la reprendre un jour. Nous aurions ainsi évité des années de guerre froide et nous aurions pu jouer un rôle déterminant pour amener le désarmement qui n’est encore qu’un mot. Combien d écoles, ri hôpitaux, de routes el d améliorations sociales auraient pu être obtenus avec les crédits qui ont été consacrés pendant 20 années à des armements aujourd’hui périmés. On dit généralement que l’on a tort d avoir raison trop tôt. Cette maxime est contredite par le fait qu un pays doit tôt ou tard faire face à ses obligations et que les idées doivent mûrir lentement dans l’opinion des hommes pour qu’elles se réalisent un jour. r>-i

Maurice riïorez, ancien mineur, était de ceux qui considéraient que chacun, à la place qu’il occupe, doit faire, jour après jour, conscien­ cieusement son travail, sans se laisser obnubiler par l'espoir d ’obtenir des résultats immédiats et sans jamais se laisser atteindre par le décou­ ragement ou par la panique. Il était de la race des constructeurs de cathédrales. Aussi cet intellectuel avait-il toujours gardé, nu moral comme au physique, un magnifique tempérament ouvrier. II donnait l’impression d ’une force de la nature. Il était aussi calme que passionné. On comprend que le parti communiste français lui fasse une place à part parmi ses militants et que la classe ouvrière se reconnaisse en lui. r)")

Documents de la Conférence du trentième anniversaire du VII° Congrès de l’Internationale Communiste.

«POUR L’UNITE DE TOUTES LES FORCES REVOLUTIONNAIRES ET DEMOCRATIQUES »

(Editions Naouka, 248 pages, Moscou 1966.)

Le livre public en russe sous le litre < Pour mianlsev (« La portée historique du VU" Congrès l'unilé de toutes les forces révolutionnaires et de l’Internationale Communiste et le mouvement démocratiques > contient les documents de la con­ communiste actuel >). G. Cogniot, président- férence scientifique consacrée au trentième anni­ délégué de l’Institut Maurice-Thorez (« Le VII' versaire du VII' Congrès de 1 Internationale Congrès de l’Internationale Communiste et le Communiste. La conférence s’est tenue à Moscou mouvement ouvrier et démocratique de France >. en octobre 1Q65 sur l’initiative de l’Académie des texte publié dans les Cahiers du Communisme sciences de l’U.R.S.S.. ainsi que de l lnstitut du de décembre 1965), P. Pospiélov (< Les commu­ marxisme-léninisme et de l’Académie des sciences nistes dans la lutte pour la paix, contre la politi­ sociales, qui sont deux organismes rattachés au que agressive de l’impérialisme »), T. Timoféiev Comité Central du Parti Communiste de l’Union (« Quelques problèmes de l’unité du mouvement Soviétique. ouvrier et la lutte idéologique et politique autour de 1 héritage du VII' Congrès de l’Internationale Le discours d'ouverture de la conférence avait Communiste »), F. Ferri, secrétaire général de été prononcé par le camarade M. Souslov, secré­ l’Institut Gramsei (< La cohésion des forces démo­ taire du Comité Central du Parti. Et c’est ce texte cratiques. exigence vitale de notre temps >). qui figure en tête du recueil. K. Chirinia (< Le mouvement communiste inter­ national et la lutte contre le fascisme »), E. Jouhov Le volume comprend les interventions et rap­ (« Les problèmes de l’unité du socialisme mondial ports présentés en séance plénière par A. Rou- et du mouvement de libération nationales). I 56

On a inscrt’ n la suite une série tle innlériuu.x provenant des diverses sections qui avaient siégé à I Institut de l’économie mondiale et des relations internationales, à 1 Institut d'Amérique latine et à I Académie des sciences sociales. Les te,\tes de IL Roudenko. S. Séménov. A. Sclioulgovski et \ . Koval concernent les répercussions du V\Y Congrès de 1 Internationale Communiste sur le mouvement anti-impérialiste en Amérique latine, lo lutt e pour le Front Populaire au Mexique. la bataille pour 1 unité des forces démocratiques au Brésil. G. Mirski s’est arrêté sur la lutte de classe et le développement des révolutions de démocratie nationale dans les pays afro-asiatiques. A Gal- kine. G. Sogomoniane. S. Gribanov et 1. Ounda- synov ont pris pour thèmes 1 unité du mouvement ouvrier, la coopération des communistes et des socialistes et les tendances de la social-démocratie, tandis que N. Kovalski se consacrait à la question des rapports entre communistes et catholiques. 11 faut encore signaler l’importante contribution de B. Leibson sur la lutte contre la guerre comme lâche centrale du Vil* Congrès et le discours de clôture de P. Fédosséiev, soulignant l’importance d une conférence qui avait réuni les représentants de plus de cinquante partis communistes et ouvriers et largement contribué à I étude de I expé­ rience accumulée dans I application des grandes décisions de 1933.

Les communistes de tous les pays voient avec raison dans le VIL Congrès de l’Internationale Communiste un événement majeur de l’histoire du mouvement révolutionnaire. Les enseignements du Congrès prennent tout leur relief de notre temps, où contre l’oligarchie monopoliste et l’impé­ rialisme. la plus large coalition des forces démo­ cratiques et nationales est appelée à se réaliser. ) jr

UNE CONl-ERENCE THEORIQUE A l’occasion du vingtième anni­ versaire du Parti Socialiste Unifié d'Allemagne, couramment désigné SUR LA POLITIQUE D’UNION DU S.E.D. par les initiales S.E.D. (Sozialistische Einheitspartei Deutschlands), unc (Berlin, avril ig66) Conférence théorique s’est tenue les 13 et 14 avril 1966, au Hall des Congrès de l’Alexanderplatz à Berlin, en R.D.A. Convoquée sur l’initiative de l’Institut des Sciences sociales, de l’Institut du marxisme-léninisme, et de l’Ecole Supérieure du Parti « Karl Marx » auprès du Comité Central du S.E.D., cette conférence avait pour thème « La politique marxiste-léniniste d ’union du S.E.D. de 1945 à 1965 ». A ses travaux, ouverts par une allocution du professeur Dr Otto Reinhold, directeur de l’Institut des Sciences sociales, ont participé plus de trois cents chercheurs, éducateurs et militants de R.D.A. ainsi que les invités des Partis communistes et ouvriers de différents pays (U.R. S.S., Pologne, Tchécoslovaquie, Hon­ grie, Bulgarie, France, Finlande et Autriche). Le rapport de base, présenté par le Dr Rolf Stoeckigt, professeur à l'Institut des Sciences sociales, a dressé le bilan de la politique du S.E.D. qui a permis que s’accom­ plisse sous la direction de la classe ouvrière unie, la rénovation anti­ fasciste et démocratique de l’Alle­ magne de l’Est, l’instauration du premier Etat pacifique, démocrati­ que et socialiste d ’Allemagne, fondé sur l’alliance de la classe ouvrière avec la paysannerie laborieuse et les 158

classes moyennes des villes, et qui bien aller sans les actionnaires. » quels énormes progrès sont rendus guide aujourd’hui l’édification du D’où la possibilité, par un rap­ possibles, au bénéfice de l’ensemble socialisme en R.D.A. prochement et une collaboration en­ du peuple, par une politique qu’im­ Exaltant la coopération fruc­ tre S. E. D. et S. P. D., de contribuer pulse et dirige la classe ouvrière. tueuse qui s’est établie entre le à des négociations entre les deux Il a également traité des enseigne­ S.E.D. et les autres formations poli­ Etats allemands en vue de la nor­ ments de la politique marxiste- tiques de la R.D.A. (Union démo­ malisation de leurs rapports, du léniniste des alliances de la classe crate-chrétienne, Parti Libéral-démo ­ désarmement de l’Allemagne et de ouvrière et de leur valeur pour crate, Pani démocrate-paysan. Parti la contribution à la paix en Eu­ parvenir, en Allemagne occidentale, national-démocrate) au sein du Bloc rope. à la création d ’un front d ’ensemble de toutes les forces antimonopolistes des partis démocratiques et du * * * Front national, le rapporteur a sou­ et qui servirait les intérêts des mas­ ligné ce qu’indique la lettre ouverte ses travailleuses, la démocratie, la La Conférence théorique de Ber­ paix et le socialisme. du S.E.D. à tous les membres et lin s’est divisée en quatre groupes sympathisants de la social-démocra- de travail dont les conclusions ont tie d ’Allemagne occidentale, à l’oc­ été rapportées en séance plénière. casion du Congrès de Dortmund On a remarqué, au groupe consacré du S.P.D. : au problème de la pluralité des < Les communistes et les social- partis, les interventions de représen­ démocrates, réunis au sein du S.E.D. tants de différents pays. Avec les n’ont pas seulement réalisé en R. invités du Parti Communiste de D.A. de grandes choses comme les l’Union Soviétique, du Parti Socia­ réalisations évidentes dans le do­ liste Ouvrier Hongrois, du Parti maine de l’éducation, de l’enseigne­ Communiste de Finlande, du Parti ment, de la politique de la jeunesse, Communiste Autrichien, est inter­ du droit, de l’égalité des femmes, venu le représentant du Parti Com­ etc. Ils ont aussi donné cette preuve muniste Français, Victor Michaut, fondamentale : la démonstration par directeur-adjoint de l’Institut Mau­ les faits que les travailleurs sont en rice Thorez, qui exposa les pro­ mesure, dans un Etat hautement in­ blèmes de la pluralité des partis dustrialisé, de diriger non seulement dans la lutte pour la démocratie et l’Etat, mais aussi l’économie ; non le socialisme en France, à la lumière seulement les entreprises municipa­ des travaux du XVir Congrès et les et communales, mais aussi les des récentes sessions du Comité grandes entreprises industrielles et central du Parti Communiste l’ensemble d ’une économie com­ Français. plexe... En vingt ans, la classe ou­ vrière, en alliance avec les paysans, les intellectuels et les artisans et La clôture de la Conférence a été les commerçants, sous la conduite assurée par le Dr Walter Schmidt, du S.E.D., a montré qu’en Alle­ professeur à l’Institut des Sciences magne les choses pouvaient très sociales, qui a notamment souligné 130

INFORMATIONS DE L’INSTITUT MAURICE THOREZ

CONDITIONS D'INSCRIPTION L’INSTITUT MAURICE THOREZ est un centre d ’étiules de la pensée marxiste et du iiiou- veineiii ouvrier, iiii Institut des Sciences Sociales. Sou but est de perpétuer l’œuvre théorique de Maurice Thorez, Président du Parti Communiste Français, Député de la Seine, ancien Vice-Prési­ dent du Conseil. Son siège est fixé à Paris XIIP, 64 boulevard Au guste Blanqui, où sont installées les archives et la bibliothèque de l’Institut. Sous la présidence de Georges COGNIOT, président-délégué, l’Institut Maurice Thorez est dirigé par un Conseil d ’Administration dont la composition est rappelée dans chaque numéro des CAHIERS DE L’INSTITUT MAURICE THOREZ, publication trimestrielle qui est l’or­ gane d ’expression des activités théoriques et pratiques de l’Institut. Les demandes d ’inscription doivent être adressées à la direction de l’Institut, avec le montant annuel de l’inscription soit, pour l’inscription individuelle 25 Frs, pour l’inscrip­ tion collective 50 Frs.

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Le Fonds Maurice Thorez est tier, de Paris ; M. Lebois, de Paris; Félix Gal , Maire de Luceram; Gilles constitué de documents, photogra­ Ch. Trouss EL, de Nanterre ; Jean D ubourg , d ’Argentan ; Serge Hu- phies, souvenirs relatifs à la vie et Laurenti , de Nice ; Pierre V il­ BER, de Rennes ; J. Sani TAS ; Les- l'œuvre de l’éminent dirigeant du lon ; R. Gelly . chemelle ; Larribere (Oran) ; Parti Communiste Français. Fernand Grenier ; March Ri­ Maurice A uclair , de Lyon ; Tout document original est res­ chard , de Paris ; MOLINIER, Mireille JAUFFRET, de Cannes ; S. titué aux envoyeurs, sur leur de ­ de Paris ; Zyromski , d ’Agen ; H eurat , de Paris ; Cellule Barbus ­ mande, après qu’une reproduction se, de Saint-Denis ; Léonidas VlT- Franceschi , de Cannes ; Mau - adéquate en a été tirée. A défaut SOIS, TAS, d ’Athènes ; Ghislain LHOIR, de Blanc-Mesnil ; Huguet- d ’original, le Fonds reçoit les pho­ te Bot, de Toulouse ; Jailloux , de Bruxelles ; René Sentuc , de tocopies. de Java (Indonésie) ; ROUSSEAU, de Malakoff ; F. Leriche , d ’Ivry ; Al­ Dans la dernière période, des Bagneux ; Charles PlOLINE, de Cor- bert-Paul Lentin ; J. Lefaure , de documents, lettres, photographies, beil ; Raymond PAUL, de La Bour- Royan ; Frédéric BoET, de Nice ; enregistrements, photocopies, cou­ boule ; Ressier, de Carcassonne ; F. BiLLOUX ; COULOMBEL, de Ma­ pures de presse, etc... ont été en­ Denise VOGLIERI, de Paris ; André lakoff ; Henri Martel ; Roland Le voyés par les amis de l’Institut Blumel ; André STIL ; SiMOENS. Moullac , d'Ivry ; Courbon , de Maurice Thorez dont les noms sui­ Marc D upuy ; Marcellin , de Pa­ Toulouse ; Geneviève DUCHENE, vent, et que nous remercions vive­ ris ; Michel Bloch , de Poitiers ; de Niort ; Raymond BOSSOT, de ment : Dora ZeiTELBOUIN, de Nogent ; Sarcelles ; Josette Rigaud . René BLANCHARD, de Paris ; GuiTTON, François FiGEN, à Vinça ; Marc Jean de Vanves ; André Lallemand , de Gray ; Mar­ Feigelson , de Paris ; J. PlTRON, V allet , de Paris ; Cellule Mora tial Flerchinger , de Gentilly ■ de Pont-l’Abbé ; Sarraud , de Choi- Lafforgue, de Toulouse ; Louis M. BioNZOLA ; Mme SiMON, Fédé­ sy-le-Roi ; R. Ohbllemes , d ’Hel- D e George , de Saorge ; André ration du Pas-de-Calais ; A. Tou- lemes-les-Lille ; M. Perche , de Mercier, de Paris ; Paul Saux , de CHARD, Lessel- Chartres ; A. Bidault , de Bergerac; Ste-Geneviève-des-Bois ; Jean Char ­ de Paris ; Serge V. Barel . de Nice ; Chris Mar - les, de Besançon ; J. Sur ET-Cana - baum , de Paris ; Jacques Laloe , KER; G. Gourseaud , de Condom; LE ; Jacob , de Nice ; Pierre Cres- Maire d ’Ivry ; Jacques Bernard , L. Crochet , de Paris ; A. Pelle­ SE, de Vitry; Perraud , de Belfort; de Montendre ; GOBERT, de Vitry.

ERRATA Page 16, col., I. 25, lire : il y avait, au lieu de : il avait. Page 34, 2* col., I. 8, lire : XVIII' siècle, au lieu de : XVII' siècle. Page 45, col., I. 33, lire : Oh certes ! au lieu de : 6 certes. Page 95, I. 3, lire : quelles qu'aient été, au lieu de ; quelqu’aient été. Page 101, I. 29, lire : Merrheim, au lieu de : Meehreim. Page 102, I. 18, lire : Oelory, au lieu de : Deivry. Page 108, 1» col., 1. 5, lire : passé, au lieu de : payé. Page 109, 2" col., I. 17, lire : d'escompter, au lieu de : de compter. Page 110, 1»: col., I. 2, lire : 60 000, au lieu de ; 600 000. Page 115, I. 11, lire : pas encore eu, au lieu de : pas encore.

Le DlrecteurGérant : André MOINE I.C.C.

Prix du Numéro : FRANCE 5 F ETRANGER 7 F