CAHIERS DE L’INSTITUT

6. Octobre 1067 EN COUVERTURE: MAURICE THOREZ, DESSIN DE PABLO PICASSO MAQUETTE DE DANIEL MARTY L'ENTREE OU SIEGE nou ­ vellement aménagé de nnstitut Maurice Thorez, 64, boulevard Auguste* Blanqui. PiiTi emiiiitrE riiifiit L« Pré^idUfti

cW tii<

L Kaa^ ii V1 " Mr^v^^4 ^W.A|-'' Y

V tA/^ ^A^^ l>v< 'li- 1^ ^y<. * ^ X A~^iÀr c>yJk^

(A-yAi^ OCWA*«Aiv»A»tM A K*J1 lA^^JV^tvwva

WÏm ^^

(«V a i-ii\ws ivy/i Vivv.kX ' «-h '^'

oWv ^JWv 4a U

\'nv ^<<'V a 4^m^-h A

V\^ lA Vd'*AA, ^ 0\ttf

\V^ ''r"'^'*i VwOi^ çV (HA.t U*,»^ '*''?i'-'''"'*^ ■ U^u - U jl_^ FAC SIMILE de l'un des derniers manuscrits de Maurice THOREZ: sa let- du 1er juillet 1964 adres­ sée au professeur Jean ORCEL L’INSTITUT MAURICE THOREZ

CONSEIL D’ADMINISTRAIION

WALDECK ROCHCT VICTOR JOANNES JEANNETTE THOREZ-VERMEERSCM PIERRE JUQUIN Dr H.P. KLOT7 BENOIT FRACHON PAUL LABERENNE FRANÇOIS BILLOUX HELENE LANGEVIN-JOUOT GUY BESSE JEAN-PAUL LE CHANOIS ROGER GARAUDY N.\DIA LEGER LOUIS ARAGON JEAN LODS EUGENE AUBEL JEAN LURÇATt GEORGES BAUQUIER HENRI MARTEL ANDRE BERTHELOT PIERRE MEUNIER FLORIMOND BONTE VICTOR MICHAUT RAOUL CALAS JEANNE MOUSSINAC JACQUES CHAMBAZ JEAN ORCEL HENRI CLAUDE GénérnI PETIT PABLO PICASSO AUGUSTE CORNU GABRIEL PIORO PIERRE COT Colonel ROL-T.\NGUY PAUL COURTIEU LOUIS SAIU^-^NT JACQUES DENIS JEAN SURET-CANALE FERNAND DUPUY EMILE TERSEN LOUIS DUREY ELSA TRIOLET JEAN FREVILLE MARIE CLAUDE VAILLANT-COUTURIER GEORGES GOSNAT FERNANDE VALIGNAT EUGENE HENAFFt CLAUDE WILLARD PIERRE HENTGES MARCEL 7AIDNER JEAN JEROME IIZAN ZYROMSKI

PRESIDENCL

GEORGES COGNIOT JEAN ORCEL pr^ident délésué JEAN SURET-CANALE MARIE CLAUDE VAILLENT COUTURIER JEAN FREVIUi- GEORGES GOSNAT pré*idenli CAHIERS DE L’INSTITUT MAURICE THOREZ

Revue Irimeslrielle

6-1, Boulevard Angnsle-Blanqui Paris-13' - Tel. 402-23-‘ll C.C.P. I‘aris 3 363 26

Aljonnenieul 1 nii (comprenant numéros spéciaux cl suppléments) : France : 30 F Etranger : 33 F

Directeur : Georges COGNIO 1

Comité de rédaction ; N’iclor JOANNES, Jacques DENIS. Victor MICHAIJT. Claude W'ILLARD. Administrateur : André MOINE

Octobre 1067 N" 6, 2'' année SOMMAIRE

ROLAND LEROY Sur les problèmes de la culture et des intellectuels dans l'œuvre de Maurice Tliorez ...... 7

SOUVENIRS DE MILITANTS. JEAN ORCEL Maurice Tliorez et la recberclie scientifique ...... 17

PIERRE DELON Préludes et débuts parisiens du front unique antifasciste de 1934 24

HISTOIRE DU MOUVEMENT OUVRIER JEAN FREVILLE La faillite de la IL Internationale et l’Union Sacrée (1914) ...... 29

TEMOIGNAGES SUR OCTOBRE 1917. HENRI BARBUSSE Les lettres de Jacques Sadoul 1917-1019 ...... 43 SOMMAIRE (Suite) CENTENAIRE DU CAPITAL.

JACQUES SADOUL OITO RHEINI lOLD

* L’insurrection du 7 novem­ Une oeuvre qui trnnsfonne le bre 1917 à Petrograd ...... 55 monde : le « Capital >. de Karl * Lettre à Romain Rolland Mar.v ...... 89 (1918) ...... 59 Le « Capital » en cliiffres et en * Contre 1 intervention antisovié­ faits ...... 98 tique ...... 65 LA VIE SCIENTIFIQUE. PAGES INEDITES. * LJ n e Conférence théorique De I histoire du Parti Commu ­ consacrée en U.R.S.S. au 50® niste Français dans la Résis­ anniversaire d'Octohre...... 105 tance. (L’année 1943.) ...... 65 * Pour le développement des sciences sociales ...... 107 LES LIVRES. * L accord île Prague ...... 110 JEAN BRUHAT HORS-TEXTE. Au rythme des jours, de Benoît Frachon ...... 79 L'entrée de I Institut Lhie lettre de Maurice Tliorez N'ICTOR MICHAUT à Jean Orcel Les Œuvres choisies en trois Publications clandestines de volumes, de Maurice Thorez . . 84 1945 ...... 16. 17 Notre colloque scientifique LA RÉVOLUTION DOCTOBRE ET LA FRANCE 13, 14, 15 octobre 1967 à Paris

Ce colloque se déroulera au siège de l’Institut Maurice Thorez, 64 boulevard Auguste-Blanqui, Paris-13". Les quatre rapports qui y seront présentés ont pour thème ; 1. Georges COGNIOT: Le rôle de la Révolution d’Octobre pour la rénovation du mouvement ouvrier français. 2. Victor JOANNES: La Révolution d’Octobre, l’internatio­ nalisme prolétarien et la nation, le rôle de Maurice Thorez à cet égard. 3. Jean FREVILLE: La bourgeoisie française et l’idéologie bourgeoise face à la Révolution d’Octobre. 4. Luce LANGEVIN : Les intellectuels français et la Révo­ lution d’Octobre. En conclusion des débats, intervention du Secrétaire général du Parti Communiste Français, : Cinquante années de fraternité. Le compte rendu détaillé de ce colloque sera publié au numéro 7 des CAHIERS de l’INSTITUT MAURICE THO­ REZ, à paraître à la fin de l’année 1967.

SUR LES PROBLÈMES DE LA CULTURE ET DES INTELLECTUELS DANS L’ŒUVRE DE MAURICE THOREZ

Rolana LEROY

Au lendemain des obsèques du Prési­ dent du Parti. Waldeck RocKet disait dans I allocution qu il prononça devant le Comité Central : « Il n’est pas une seule qitestion J intérêt national à laquelle Maurice Thorez ait été in diff éreni,.. Il portait uriG grande attention au.Y f)ro hlèrnes de la culture et des arts. Il avait profondément conscience que la culture et les arts no sont pas tin ornornent, une la société et de la nation sont de plus en parure, un luxe pour la classe ouvrière, mais plus grands. Enfin, de nombreux travaux qu au contraire, à un moment où la classe d étude personnelle, de recliercbe profo nde, ouvrière porte en elle l’avenir de la nation, de nombreux échanges avec les hommes de ces problèmes prennent pour elle une grande culture, communistes ou non, ne sont pas importance. Dans ce domaine aussi il nous encore publiés. L expérience personnelle, les a montré la continuité de la pensée française, souvenirs de nombreux intellectuels fourni ­ de Descartes et des encyclopédistes du ront d ailleurs une riche part de la révélation XVin* siècle jusqu à l œuvre de création de 1 attitude féconde de Maurice Thorez à actuelle. C est là qti il faut chercher la raison I égard de ces problèmes essentiels. Son de l amitié qui le liait aux plus grands intel­ œuvre est immense dans ce domaine. Mais il lectuels de son époque, qui unissent au jour- est sans doute possible d’évoquer plus spé­ d hui leur douleur et leur hommage à ceu.v cialement les aspects qui ont aujourd hui une des prolétaires. Les uns comme les autres (larticulière résonance. reconnaissent en Maurice Thorez l’un des leurs. » Plusieurs misons font qu il est impossible LA CLASSE OUVRIERE en un seul article de traiter complètement ET LE PATRIMOINE CULTUREL du rôle de Maurice 1 lierez en rapport avec les problèmes de la culture et à l’égard des C’est sous la direction de Maurice intellectuels. I.a recliercbe du savoir, la Thorez que le Parti Communiste Français volonté de défendre et de faire fructifier la a réalisé cette « rencontre de la classe culture nationale sont intimement mêlées à ouvrière avec la France » qu ’exprimait si chaque moment de la vie de Maurice clairement et si complètement le rapport au 1 borez. Dirigeant du Parti qui, comme parti congrès de Villeurbanne. De ce fait histo­ de la classe ouvrière, a pris en mains l avenir rique considérable : la traduction, dans la de la culture française, Maurice Tborez a pratique du Parti du prolétariat, de la réalité suscité, organisé, et souvent accompli lui- scientifique qui fait la classe ouvrière por­ même toutes les interventions nécessaires du teuse de l’avenir de la nation, allait découler Parti Communiste Français dans la vie une série de conséquences importantes ; en culturelle nationale, l.a place des intellec­ tout premier lieu la prise en charge par tuels et le rôle de la culture dans la vie de 1 avant-garde du prolétariat des valeurs nationales et par conséquent de la culture, tante de son premier chapitre à « l’essor la prise de conscience par les ouvriers de culturel » qui complétait le progrès social dû leur propre rôle national et dès lors une au Front Populaire. Analysant la poussée nouvelle altitude à l’égard des intellectuels si riche de la culture populaire dans les qui rallient la cause du prolétariat. Chez les nombreuses associations de masse qui, intellectuels eux-mêmes, il en résulte une comme « La maison de la culture » s’y plus claire appréciation de leur rôle national. consacraient, évoquant l’œuvre des composi­ Ils sont plus d un qui peuvent dire avec teurs, des réalisateurs de films, des écrivains, Aragon « Mon Parti m'a rendu les couleurs révélant le progrès considérable du nombre de la France ». des visites de musées et monuments, le Il est remarquable d observer comment, rapport de Maurice Tliorez montre ainsi les à chaque étape de sa lutte, le Parti a évalué résultats de la politique du Front Popu­ 1 état de la culture en France, c est parti­ laire II oppose dans ce rapport comme culièrement éloquent dans les rapports pré­ il 1 avait déjà fait souvent dans les textes sentés par le secrétaire général du Parti précédents, le développement de la culture devant les sessions du Comité Central et lié au progrès de la démocratie en France aux Congrès. Ainsi, au congrès de Villeur ­ à I attitude destructrice du fascisme illustrée banne (janvier 1936), il est souligné com­ par le comportement des dirigeants hitlé­ ment « dans le pays qui a donné Rabelais, riens. Au Congrès suivant (juin 1945), au Corneille, Racine, Molière, Voltaire, Beau ­ lendemain de la guerre, montrant les condi­ marchais, Flaubert, Balzac et Emile Zola, tions de la mise en œuvre d une « politique la décadence est effrayante ». Cette affir­ française », Maurice Tborez dit : « On ne mation est appuyée par l analyse convain­ saurait refaire la grandeur de la France sans cante des principales caractéristiques de la entreprendre un immense effort de renais ­ situation de l’époque, dans la littérature, la sance morale et intellectuelle ». II indique presse, le théâtre, le cinéma. File est les mesures indispensables à cette renais­ appuyée par le tableau chiffré des effets des sance : réforme profonde de l’enseignement, décrets-lois Laval pour l’Université, les stimulation et organisation de la recherche bibliothèques, les laboratoires, l’enseigne­ scientifique, encouragement à la création ment En décembre 1937, le rapport au congrès d’Arles consacra une partie imiior- (2) Maurice TiroREZ. Œurrrs rhomes. Tome 1. pages 378 et suivantes. (31 Maurice Thorkz . CBurrpa r/iolsie.s, Tome 1, pages 354 et (11 Maurice Thorkz . Tome 1, pj>. 2'22-22^b suivantes. 10

artistique, soutien au projet d une « Ency­ Maurice Thorez sur le Front Populaire : « ]e clopédie de la Renaissance française » pense qu’au point de vue méthodologique, il A Strasbourg en 1947, à Gennevilliers en serait difficile de trouver dans l’histoire du 1930, où il montre que la classe dominante mouvement ouvrier et communiste interna ­ perd < en même temps que le sens de tional, après cette initiative que Lénine et l’intérêt national, le souvenir de nos tradi ­ le Parti bolchévik prirent au moment de la tions intellectuelles, nos qualités de goût, Révolution d ’Octobre, un exemple d ’initia ­ de mesure, d'élégance et de probité, tout ce tive politique aussi frappant et aussi impor­ qui a fait la grandeur de notre pays », à tant que celui que le Parti Communiste Ivry en 1954, au Havre en 1956, à Ivry en Français donna par la politique de Front 1959, il en sera de même : évaluation exacte Populaire ». D ailleurs Maurice Thorez a de la situation, dans le domaine de la vie lui-même indiqué la base fondamentale de intellectuelle et culturelle, prise de position cette ligne : « Un des phénomènes essentiels sur toutes les questions qui concernent ce de notre époque, c’est le transfert des res­ secteur de la vie nationale, indication de ponsabilités nationales d ’une classe à une la ligne des efforts du Parti de la classe autre. La bourgeoisie abandonne de plus en ouvrière dans le moment donné. plus la défense des intérêts nationaux, tandis Ainsi la ligne est continue depuis l’affir­ que le prolétariat, s’érigeant à travers la mation par Maurice I horez dès juin 1926, lutte en classe dirigeante de la nation, à 1 occasion du congrès de Lille du Parti assume la charge de son patrimoine matériel Communiste : « Ce sont les communistes, et spirituel » ce» internationalistes, qui deviennent actuel ­ En même temps qu il soulignait la place lement les meilleurs défenseurs du patri ­ de la culture française dans le patrimoine moine national ». Cette ligne s’est élaborée, national. Maurice Thorez a toujours montré formée progressivement, elle a fait un bond la valeur universelle de la culture et consi­ décisif dans la période précédant le Front déré avec le plus grand respect les traditions populaire. C est ce qui faisait dire au repré­ des autres peuples. Il suffit de se reporter sentant du Parti Communiste Italien, le aux pages magnifiques de « Fils du Peu ­ camarade Emilio Sereni, à la conférence ple » qu il a consacrées à la culture organisée en octobre 1966 par l’Institut allemande.

(5) Maurice Thorkz . Introduction à « Sur la littérature et (4) Maurice Thohbz . Œuvrrs choisie». Tome 2. pages 353 Part ». Textes choisis de Marx et Engels présentés par Jean à. 355. Fréville (Editions sociales 1964). Il

Pour Maurice I lierez et le Parti Com­ l école républicaine, le fondateur de la Ligue muniste Français, la culture nationale se de l Enseignement, le vulgarisateur inégalé développe. Elle s enracine, vit dans le pré­ des idées progressistes en matière d éduca ­ sent. et prépare l’avenir. tion et d instruction publique » est montrée Les références constantes dans les dis­ dans le courage de son combat et dans la cours et les articles de Maurice Tliorez aux [lorlée actuelle de son œuvre. Le second est grandes valeurs du passé appuyèrent tou ­ le discours prononcé à la Sorbonne le 2 mai jours la dénonciation de la décadence et du pour le 530* anniversaire de Descartes, maltliusianisme de la société capitaliste « père de tout ce qui se réclame de la raison comme elles appuyèrent les propositions des et de la clarté ». l.à encore, après avoir communistes. Telle est en effet 1 attitude montré que Descartes se place à l origine mar.xiste-léniniste qui, loin de rejeter l apport du rationalisme et de 1 esprit scientifique et du passé, procède constamment à son assi­ encyclopédique, qui est l’une des sources milation critique. II ne perdait jamais une du socialisme moderne, Maurice Thorez occasion de rappeler que « notre doctrine, dégage l’actualité de Descartes dont il dit le marxisme-léninisme, est le développement, « qu’il nous enseigne l’espoir et la confiance, l approfondissement de la science matéria­ la foi dans l intelligence humaine, l amour liste de Diderot et de Helvétius ». et la toute-puissance du travail. Sa philo Sophie nous renvoie à l'action et nous dit ESPRIT SCIENTIFIQUE que nous pouvons nous-mêmes forger notre destin ». Enfin le texte suivant est le dis­ ET HUMANISME MARXISTE cours de Rouen du 4 août. Le discours était Ce n était pas seulement à la pliilosopliie essentiellement destiné à dénoncer les pré­ qu il appliquait cette méthode. Par e.xemple, misses de la reconstitution du bloc occidental les hasards de la mise en page chronolo­ et à formuler les solutions communistes à la gique font se succéder trois textes de 1946 question allemande. Il n’en commença pas dans le T orne 2 des Chuvres Choisies de moins par une évocation de l’histoire de la Maurice Thorez. Le premier est I hommage ville et de la région, une exaltation de ses à Jean Macé prononcé le 7 avril à Paris. cathédrales, et du passé culturel de la Nor­ Ici sont soulignés les mérites profonds à mandie, de Corneille, Fontenelle, Boieldieu, notre époque de l’école laïque, en même Géricault, Armand Carrel, Flaubert, Mau- temps la grande figure du « pionnier de passant, Mirbeau. 12

Cependant, Maurice Thorez, comme il et se sont associés au profit patronal sympa ­ 1 écrit lui-même dans « Fils du Peuple >, thisent avec le capitalisme et le servent... n a pas « le fétichisme du passé. La culture Au contraire, en tant que couche sociale qui vit dans le présent ». Maurice Tlrorez, vend sa force de travail pour vivre, le gros liomme de son temps, habitua le Parti à être des intellectuels peut se rapprocher de la attentif à tout phénomène nouveau, à en classe ouvrière ». Après avoir montré que saisir l’importance, à se garder de tout « effectivement, au fur et à mesure que la dogmatisme, à tenir compte des changements lutte des classes s'accentue, nous voyons la dans la situation, à ne pas craindre de modi­ partie avancée des intellectuels occuper de fier son jugement, ses conclusions quand les telles positions », après avoir souligné à nou ­ conditions ont changé. Ceci, qui est vrai veau que « la position de classe des intellec­ pour tous les domaines de la vie du Parti, tuels, leur dépendance à l’égard de la 1 est particulièrement pour ce qui concerne bourgeoisie monopoliste varient beaucoup », les rapports du Parti avec les intellectuels et Maurice Thorez concluait sur ce point : son attitude à l’égard des questions de la « Cependant, tous les intellectuels — et culture : c’est vrai pour l’apparition des scien­ parmi eux, tous les étudiants, quelle que soit ces nouvelles, vrai pour la révolution scienti­ leur appartenance ou origine sociale — ont fique et technique, vrai pour les nouvelles de graves raisons idéologiques et morales de formes d’expression artistique, vrai pour le rallier le camp démocratique. Lorsque la développement du nombre et de l’importance grande bourgeoisie décadente jette par ­ des intellectuels, le poids plus grand des dessus bord la liberté, lorsqu’elle abandonne, ingénieurs et des techniciens. Des intellec­ fût-ce en prétendant le contraire, la souve­ tuels — classés dans leur grande masse raineté nationale et I honneur du pays, lors­ parmi les classes moyennes des villes à l’épo­ qu’elle pratique un malthusianisme qui prive que du Front Populaire et dont Maurice la France de techniciens et de savants, Thorez soulignait à l’époque qu ’ils parta­ d ’écoles et d hôpitaux, alors les intellectuels geaient les hésitations de ces classes — il se rendent compte qu’il devient urgent de dira le 15 mars 1965 : « Les couches supé­ retirer à l’oligarchie financière la fonction rieures, par exemple celle des hauts fonc­ de classe dirigeante, si l’on veut assurer tionnaires, des technocrates, des cadres élevés l’avenir de la nation, de son économie et de de r industrie, du commerce et de la banque, sa culdture » les parasites privilégiés qui ont fait carrière f6> Maurice TfiORKZ, Œtivres choisies. Tome 3. pp. 267-26S. 13

W’aldeck Rocliet a souligné au XVII' trise totale de 1 homme sur les lorces de la Congrès que les intellectuels ont « une nature. L humanisme du marxisme, son conscience plus nette de représenter une caractère libérateur, ont toujours été affirmés niasse ayant des caractères propres, une sans équivoque par Maurice Tborez. force sociale capable de peser sérieusement Ainsi, comme lui, nous montrons le sur l’évolution de la société et la solution visage national et humain du communisme. des problèmes économiques et politiques ». Quelle opposition avec l attitude actuelle du Reprenant cette idée à la session d’Argen- groupe chinois de Mao Tsé-Toung, piétinant teuil du Comité Central (mars 1966), la richesse du passé culturel de son peuple, Waldeck Rocliet montrait que ce fait nou ­ refusant d analyser les conséquences des veau conférait une importance encore plus changements scientifiques, sociaux et politi­ grande au.x problèmes de la culture, une ques, niant I humanisme des communistes I responsabilité plus élevée au Parti. La prétendue « révolution culturelle » déve­ Le lien de la culture avec la réalité loppée en Chine est radicalement opposée quotidienne, cela signifie aussi la lutte cons­ à la conception des communistes à l’égard tante et attentive pour la défense des de la culture. Dans la voie de Lénine, dans intérêts des travailleurs intellectuels, le com­ celle de Maurice Tborez donc, le XVllL bat pour la mise en œuvre des moyens Congrès de notre Parti a eu raison de dire : nécessaires à l’essor de la recbercbe scienti­ fique et technique, et à 1 épanouissement « Les dirigeants chinois actuels rompent, d un enseignement ouvert à tous. dans tous les domaines, avec le marxisme- Enracinée dans le passé, vivant et se léninisme et avec les règles d ’action des développant dans le présent, la culture pré­ partis communistes » et : « Sons couleur pare 1 avenir. Maintes fois, dans ses articles, d accomplir la prétendue « révolution cultu dans ses discours — notamment ceux desti­ relie prolétarienne », ils professent un nibi nés à la jeunesse — Maurice Tborez a lisrne culturel complètement étranger à emprunté aux grands penseurs, philosophes notre doctrine, ils utilisent l’armée contre grecs, matérialistes du XYIIF siècle, ou poè­ les organisations du Parti et ils donnent du tes contemporains, la description de la société communisme une image nuisible et carica ­ future où la suppression de l’e.xploitation de turale. » 1 homme par 1 homme sera la source décisive • 7» Résolution politique du XVIII•** Congré.s. Numéro spécial de tous les affranchissements et de la maî­ des t’tt?jict\s' du CojîvwunLswr, page 577. 14

LE PARTI COMMUNISTE Ainsi 1 attitude des communistes envers ET LES INTELLECTUELS les intellectuels ne participe pas d on ne sait quelle volonté de manœuvre obscure, du De toute cette conception, découle désir de gagner au parti quelques ornements I attitude de Maurice 1 liorez et du Parti décoratifs. File est fondée sur une concep­ Communiste Français à l égard des intellec­ tion de principe qui exclut tout dédain, tout tuels. Ceux d entre eux qui rallient le mépris pour leur activité, mais suppose au comLat du prolétariat ne sont pas reçus contraire le plus grand respect pour leur comme des exceptions un peu encombrantes. travail, pour leurs connaissances, pour leur II ne leur est pas demandé de renoncer à apport original et irremplaçable à la vie de ce qu ’ils sont, à ce qu ’ils font, à ce qu ’ils la société et de la nation. Cette attitude créent. Ils sont accueillis avec joie et recon­ conduit à une politique large qui ne prend nus comme des frères de combat. Communis ­ pas sa source dans une décision artificielle tes, ils accèdent aux responsabilités les plus d ouverture, mais qui ne peut pas être autre élevées dans le Parti. Aragon, comme chose qu une politique large. Dans le travail membre du Comité Central, est un dirigeant en direction des intellectuels. Maurice du parti du prolétariat comme l’étaient Paul Thorez a toujours allié la fermeté de principe Vaillant-Couturier, Gabriel Péri et Frédéric à la lutte contre toute étroitesse. Aragon a Joliot-Curie. Dans le Parti, les intellectuels raconté comment Maurice Thorez l’avait prennent leur part à l’élaboration de la poli­ encouragé à reprendre Péguy à la bour ­ tique et de la théorie du Parti Communiste, geoisie de même que nous lui avions repris le une part d autant plus précieuse qu elle drapeau tricolore et la « Marseillaise » permet à cette politique et à cette théorie de Cette attitude fut particulièrement sensi­ tenir compte intimement des progrès des ble à propos de la peinture et des autres arts sciences et des techniques, de l’acquisition plastiques. Maurice Tliorez écrit lui-même de la connaissance dans tous les domaines. « avoir combattu toute interprétation étroite Ils jouent le rôle essentiel dans l élaboration dans le domaine de l’art *. Selon lui. « il dans chaque spécialité de la politique cultu ­ faut assurer à nos écrivains et à nos artistes relle du Parti Communiste. Us sont les la possibilité de déployer leurs initiatives artisans de la mise en œuvre de la politique personnelles, leur imaqination, leurs fjoûfs. d union du parti parmi les autres intel­ «St Voir Araoon L’or de cet homme ». Cahiers du Comntu- lectuels. ni.'uttt, num(>ro •l-G de I9ôri. 13

sfins imposer à tous les mêmes formes » ETUDIER, TOUJOURS ETUDIER ! C est ce qu a affirmé le Comité Central d Argenteuil en disant : La méthode personnelle de Maurice « La création artistique ne se conçoit pas I horez pour aborder les questions de la sans recherches, sans courants, sans écoles culture est source de précieu.x enseignements. diverses et sans confrontation entre elles, f^e Ce qui frappe de ce point de vue, par exem­ Parti apprécie et soutient les diverses formes ple à la lecture de « Fils du Peuple », c est de contribution des créateurs aux progrès que pas une seule occasion n était perdue humains dans le libre déploiement de leur d étendre ses connaissances, fl raconte son imagination, leur goût et leur originalité. Il séjour dans la Creuse, lorsque adolescent il souhaite qu’ils comprennent et appuient les s y était fixé avec son grand-père pendant positions idéologiques et politiques de la la première guerre mondiale. « Cri bout de classe ouvrière. » papier, sur un tas de fumier, il se précipite dessus, pour le lire, disait le grand-père. » En confirmant cette attitude vérifiée, le Comité Central d’Argenteuil a aussi montré Mais Maurice Thorez était déjà de ceux dont Aragon écrira plus tard quelque part que dans le domaine de la recherche scien­ tifique, il est nécessaire de favoriser la qu ils sont « de la catégorie des gens... qui libre discussion : savent tout, et retrouvent dans les poubelles de notre civilisation l or perdu des pensées « Le développement de la science néces­ piétinées ». Ses lectures, pourtant conduites site les débats et les recherches. Le Parti pêle-mêle à ce moment-là, I enrichissaient. Communiste ne saurait contrarier ces débats Plus tard, toutes les occasions sont ni apporter une vérité a priori, encore moins employées : la prison pour apprendre l alle- trancher de façon autoritaire des discus­ mand et lire Lénine, chaque voyage pour sions non achevées entre spécialistes. » II connaître plus. Ainsi parlant de son entrevue a montré en même temps, comme l’avait avec les dirigeants de I Internationale socia­ fait Maurice T horez tout ou long de sa vie, liste, Vandervelde et Friédrich Adler, le que ce comportement ne signifie jamais 15 octobre 1034 à Bruxelles, où il représen­ I abandon des principes, mais qu il suppose tait avec Marcel Cachin 1 Internationale au contraire une grande fermeté de principe. Communiste, il raconte : « Avant d ’a lier au

• 9» XlVf Congrès du P.C.P. Le Havre. Juillet 1956 rendez-vous qui nous avait été fixé, comme ilU) Numéro spécial des du Comiuunisuir, 5-0 de 1960. page *J79. nous disposions de quelque temps, Marcel 16

Caclün voulut nous montrer les plus belles dans la société augmentent sans cesse. La toiles du musée de Bruxelles. Il s arrête multiplicité et la complexité des problèmes particulièrement devant les primitifs, en nouveaux à résoudre exigent le travail d un s’extasiant et s’exclamant : « Regarde-moi nombre toujours plus grand d intellectuels ça, mon petit. C’est adorable ! quelle finesse, qualifiés. quelle maîtrise ! » Je partageai son enthou­ Dans le même temps, la politique du siasme juvénile » Ses contacts person­ pouvoir gaulliste qui frappe toutes les cou ­ nels avec les hommes de culture ne se limi­ ches laborieuses fait que les intellectuels ont tent pas aux seuls communistes. 11 était toujours de plus nombreuses raisons objec ­ personnellement lié avec les plus grands tives de solidarité avec la classe ouvrière. Ce intellectuels de son temps, connaissant leurs qui rend plus nécessaire que jamais de pour­ œuvres dont il parlait avec eux. Dans la suivre, comme le fait le Parti Communiste dernière période de sa vie, la maladie n’in­ Français, son activité de lutte pour la culture terrompra pas cette perpétuelle soif d’ap­ nationale et pour permettre à la grande prendre. La réduction d activité à laquelle masse des intellectuels de prendre toute sa il est contraint pendant une trop longue place dans le combat du peuple de France. période sera au contraire utilisée pour lire de nouvelles œuvres, relire de plus ancien­ nes. Et quand il pourra reprendre totalement son activité, il trouvera le temps d ajouter à ses nombreux travaux l étude du latin.

* ♦ *

Aujourd hui, les choses ne sont déjà plus e.xactement ce qu elles étaient lors de la mort de Maurice Ihorez, les mouvements dont il avait montré I impétuosité se sont encore développés. Les progrès de la science et des connaissances se font chaque jour plus rapi­ des. le nombre des intellectuels, leur rôle

(11) Maurice Tiiorkz . Œuvres e/tfiMcSj Tomo li. ep- îi9S-396. N' U» 1 ’ M*. mi Vive le Premier Mai A rrrori Hitler / l'HuffîanitéOK&AHt. CJUmUU. CbMi^HLSTf: nUO«ÇM& isnt t KMunM jcAtijAtMrfft M cMF immt vêju.àtn-ùeurmm» Mort aux traîtres I 3 MOIS DE LUTTE DES FRANCS ' TIREURS ET PARTISANS contre les boche» et contre le» traîtres

19 groupes, déMchements ou convois de soldats boches attaqués à ta grenade. 8S0 oîTteiers et soldats hitiénens tués, plus de 4.000 blesses, b agents de la gestapo exécutés. 31 traîtres abattus, î 58 déraillements. 180 locomotives et plus de 1.200 wagons détruits ou endomm^és, POUR FAIRE ENCORE PLUS ■ UNISSONS-NOUS, ARMONS-NOUS, BATTONS-NOUSl

UN BILAN IL FAUT HITLER, Km 4i«e «b i «fil, h CfimmartArtifU^et Fra«rê Tir*urê H PéHitem m Htüre «b** '' Fn*ce'4'4kW " i«t réiumf 4rt t0fetuer* 4h t*' f«»- famssffl cest Im SE BATTRE ! nie* «« St rntmn et parte»* »«« «/u» Je t. S0<) eri»>>)ti raa^ f'mnfmi S^ehervits lAiaa er tesvmJ • ISS JemSemfth imitfienti, te* peiee ferrée* efttéet «• Jeifrie'rert en plu* Je JD e»4teit« ; ISO bronakm et «(ii* 4t t.JOO Le tMiw Je aet F T f* Aeee kw ba*Mreaife>i «oi« de l'MArT • •« 4mU le« r«4«*frt *M «art elblal bcwiMfiim et Je* t«At«i»nJe trageet» »»imté* pur Je* gipute* weebita 4r 4r«- ■ aenwttrt» pm Je 5«a(4tta*4. kt MMte qite Iri M h«nr«( fetwetme . 4S0 Nwrertb • U imi*. m m- |m* Je æreke, t> aif —Hetge* JettuH*. S itanti ntdtwieget. Ju mettérrel ét wyaa/tn- wwWmtM pMU l'iHMtftewt 4f b FniKe Cet MeWe» et Inm nkH 4e b Mm jAttnitt. 9 f«e«|tet bwAet tmté’rjiét. Jetemit» t Ib H4|>fanM «&ca«e<»eM feMUHM c Imu tt.dMMii pinbaiaw 4)tet» S éckixt* JftHiHe*. 14 péntehet eemhei. J naette* Je remmertr «eenn *e* Mtes* aer(HKiM»iir*n««. atdtiHs.* NT ,,Jtte4un » ta frfurée /V fnuipe*. 4»tatilenf;irtrert Je •etmt* « M-bne cb f«rt>r « »>«• telJata WAei, MS ee*<««« ^ulvht* ehaifét J'htmmn. ti p,r*te* Jr gmeJr m KcM e* d eM pa««;bb et wdnftefMMf e«*ee»e<. 4 leeratn* eTermlte. 4fr tiras Je ptait ” •eahwt^rtt. If tofJafeniKim». (te É» belirr M !'«• nul debvret Motte » WtM 4e I a*t. t.att( «ahni patun eetéatrirkin» , 7 pertei Je DC A-. 32 ir\eeirJier *u etplatreult Jait* Je* arme*. Mat* abtt. a> «a («»■*« 4ca «apirtait pütrv et Iw (ntiMMef «tti Mte «tne Je ktuitwe •*»4ut>4*jfmateM*» JrtmU». CV( «b {4u< fS pim ete Me«, t« « b* bHke» ts »vtat*e» eèatttn, U koK»* i btote *«»»«« é grver «kftwtea. 17 Je- #4tt 4e f*nr*«t* Meratfe'*. efr La l^il. kt *aei>. tti inlAen 4» . r «nire bWiatMM arfM-iwi fm ikti Je *eb. Je irweà^eerer eefw» 4» rahute^ et Jet eMrejtMHee 4e (batrr C'e*« U k w*t ftv KeakMf. ka >ema>emm** m tpertuk» JeJmtet* * vreaJrt Je mtatritel * e«t rte r^eefjrtr». iMtd 4e U >e4i»u»re «bpHHAtm»* I «Mettra} 4e rafaMim^die ba»«»if f F’tmitTtrtiX* et FatHMAt. «k4a <> Mm» M»U'«e*»r Je V_4rmte 4s fiawJ aewM Man âe Caakt* : «t Mt ««twaKMrw'W» 4» <(*», iiCahemaft Je ftbeetww. k *e«*k 4r F'«w»wf vmu oatue «t m»pAir te* 4sm b et ««ibitt». rMwtttwrM Cm. taig. rattateoi. t'na !>« t retti 4e ee* enfetUt i feirjre fbte 4sn« m te* pn«Ne«<'« ifMtn 4e t'.'Vwer MaMitaitani, 4« arntteat k« timklrtsth» W* 4e l« hWtHtoM. XVemt le» Fiaees-'Clrettf» rt 'Parii^a* ! 4'anw Isue ««« <4b«tt mm* b «ittae r« Le* a^ÿnrtettoMt m pt« *e«lr VlW b l"llt armée temitt t'eaPahiiseur t . ■ eire*iBM4>ie "Mtaft. r»***» «ew * (iMikM à i biW« 4e U < iMb « XNrr le Jrfrt iN^t^enJ Je hrtte pour la Mérattaa Je b trnn) et t rMWM. vÎMHrt •<><«( a râfer b FntK'e 4r eirMi-Mti ki pim «KttI*. fMW> a'aHMFai b pattwt- De- McttertaftMi* ««rtt» k» 4ep..t»a Mttlttn, Tsoina, ta A-m*. 'Vv* (MlMM 4« pe*«a{*F te tsiti «ktwka» à Cwtre les déportaltoas... MwMasl**a. «Mttre Ftlittawl». tklKWM M» ÎK**». Hk*»». C<<«t«k> P à Vakttie. b« n e«t liwtt «i»ike «sf-SauW' «M «vatll et* ^.tee «n l'MVApe et « tmas. CotAe Vnar. L wWw (V iVimitlMawbrk KbiH> ). ta«t«iet. ««V twtis-prebi «JwittHaattoe Awaee R<'«|fP »’»*•« paa etf «rtik k i iMteikiesIl où «ne >r t'ettptttbiti.', 8tlltAf.i«tK«y tlbf.k teUu). Vl'ak •pt'*»«««> d't*****». * a'asteit b«. rafMMWtet !• ;i«t4« <4 b ■>*.M<*r us b ^ ••4ii«m*tr a •laMbatk. Satr-bouif ( Vtt.-ImHat4l»' («ert* ii«tkrie*»r. bt 4tp.-^«>K>m r '«u - i^tr a«a>twre puiM i4>i>«'< UR (ewae. aiietr. A Kive». tkmt»«tMS. St M** teW 4m, t>i IHt». Alprt.fWtt'. k Vw. <««••( |M. p« tffte a«tM •et’Htn et I h i.tw<-ua. P«*ae. Dme*. (kwe rrlh» llMtitV HsmHv. \«4iat«ar rt ta ie(. M r k pow 4> tNev-ek Vrntaafe* (Vtatoeb l-ntre) ISsttai. k. (Ketuu» Hit 4.|itXI itetiistcet ■ •tinta. ,M» pLtiRM) A \t«ii tatbe, lirta i'Wie. » kt. (r-a* «> b ^K. St-C'btt4e. ^ Ce« k» tV«a*v». «*t ^vasttw, daat r^wa- L'HUMANITE CLANDESTI­ f«<*4e w er»a*) s a-tto l>aii\at>, l'« ÿwia, K'waant. Valta»». Tollr, Iktn-t. ar. k Mtwtaa. b >iAif i. k* V'mp > NE, numéro 218 du 1er mai 1943. (Voir page 65: le Parti Communiste Français dans la Résistance.) Un texte de Maurice THOREZ reproduit et dif­ fusé à IVRY en mai 1944 : Votre député vous parle. tpMim * nueassB

H . sf.

'Viim w» *» 4«»*****« y* I* MidbBc» atti IA MHM&Hia JWdf WI3MféW>%» fMttà AUMMÉMrtynM • wtM vieM am <»te ht pk» «mt m te «M nvBir.t «ooM tl te |SteRi« fioBiMMiMBl |aa^m MW. . tetea «. fSiâmr * ------.. Ote, «ii i IMfl «L- «> >l.w iM tea VtMt&ia, tn te

mm. te« teDstea MoautetiM sif^w* liBfi te ai imr _ X«te KJÊtt tetite otetoo te

lit iteallafil

f«H« rülMtUI «> fwiitef» tmM Mltv««nn> cta* I«Ritcrnw Pour la préparalioT) au vT^e (a {-hki ér m« |r»gwAj**'’ a»***. ratMKt «1 Af» rAHM>w* té* (>ta* ««ntf dft MTsMii «mt L’INSURRECnON NATIONALE Mt.- 4«- lr> teMilt'wte*. wm>ln>-Vi paz- tania** faut U» ^ 4é laMr* tout k* ifiwpii’a «fattw I* dé eaiKtet Direclives Générales e* WW d'MlftW»»» witlllll'f WH MWr (MUntMi «lé ^«iw. kp iMf *t iiuUfY. «KiOpat •141 aé* •éiret, tarmét dr» fMMipPt d» F**lif*- H rNwme ecwMMqitepM W dxlmtiWiNete ét U fitee «ÂWak. TirpMtat PartiUiiM Ti mnert lé coaittM «ntUfr i'r4i«abtM»it< <-« r»« {<« lésis |M»t (> «tente cm Une p»-*****' k» eabM. nsettir ko W».«NuO«.'i «I ]•* Ui teiBinN de H * 6^ «m, rr *)■ d Iaw rte>é< tel lé» «IrfNflt» de (ruM dc érpOf *dk«eua, tertetert te prwUmite A wiM*r«[pWte« lr« sww». e«*ue rc«it«Bi n «oMte le* itaMe». («wlUdr «MMue N*|ir- Ma . téur» f»étr4. ieuti tewés dt Ui»«« de aouv«*ai |io«>|i*4^ Mtitotn dji oAtvpte U» béiMWNts tedda» teta AHmAfft*. »i»4« UttMt* tV«e«sf>te de» I .T.P MtNtpt bwte» te ir*n ««Itei 4r pteUteure*. ««ter». •»•«•«« f* T T.. i_«* fMVUB» doiiréfit WsuéaBtr Ve» Le drw»r de ««U» kt dw<«r****^<*'' Wte MioAl d*«* l'iNpuwfUtee te*M(>>e ia Ai, ete.. . dreliMief le» leteetetHP» wrrnrt*f(4u*«»i de i^wfn «« AlIneteM-. t*wMtiuot te*n«'fH{tte*. •«»»< Ue* é •k leaiitet re pUa •». pMMte. Ira An- de* MwtW* A Viete- k» tteteteer te«r dn»*ri ••de, Itt ttdrt «t r^teUfl T^fissMt >tee lor*l et d*»> Ut (TteXi de» eetWMtwwi |M»tt«*o*«ra pM de» AUpiiN»» A yute** * »» te* •W «Hii è )'«rtto« de* ¥ T.P- ettlrppii»e«. fM de doeiitei * leur a<*t»ité preDteM le» »rauie« cuieater* ' inMteuet qw te»"A—* '*» *»** ^ A* retetA* A fAtetA^Hwtt»» «t A r»dNM*»»- L«« tetiM» dwifirt «dw |r« «URnéra rr«« omMnM* p»'**** dr **M*»ee a * Atelÿri à k déyartate* W W» «edrl iMii pei« towtes U» lesMMni •« V* I. — 1>t«t «c Imm. erfe- dMwret 44M pmrtatn fiMtr teepw** Cm duac «a «e teftAW. e*i UMuAt M Hrmw de« b*eiir». MWt k aasttew Utic temee d «uteiattee e< de <«MI«r CtrNNT »Mfl

SOUVENIRS DE MILITANTS

JEAN ORCEL

MAURICE THOREZ ET LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE

Qu'il me soit permis d’évoquer quelques souvenirs personnels sur l’action de Maurice Thorez dans le domaine de la science et de la culture et sur l’exemple de volonté, d'intelligence et de lucidité qu ’il nous a donné dans ce domaine comme dans tous les autres. Certes, ce sujet devrait faire l’objet d'une étude approfondie. Aussi, ces quelques lignes ont-elles seulement l'ambition d’apporter ma part d’admiration, de reconnaissance et d’affection au cantarade et à l’ami dont le souvenir nourrit notre combat. Toute la vie de Maurice Thorez s’est développée sous le signe de l’intelligence, du patriotisme, et de l’amour de l’humanité. Sa trop brève existence se situe parmi celles qui ont le mieux contribué au progrès humain. Son exemple, dont beaucoup de jeunes s’inspirent aujourd ’hui, restera l’un des plus féconds. 18

Maurice Thorez avait compris que la science n’est pas une sorte d’épiphénomène, un ornement surajouté dans la vie individuelle et sociale des hommes. L’accroissement accéléré de nos moyens d’action sur le monde matériel se répercute sur toute notre vie, car ce développement impétueux est conforme au rythme d’évolution de la nature vers des formes de plus en plus complexes d’organisation. Il est une néces­ sité objective que Maurice Thorez avait admirablement comprise. N’oublions pas qu ’il était aidé dans cette vision des choses par son « faible », comme il le disait modestement, pour la géologie et la pétrographie. Il en déduisait le besoin, pour un Etat moderne, d’amplifier, de porter plus haut et de coordonner son effort de recherche, de faire s’épanouir la culture, de la diffuser, et de donner à chaque citoyen la possibilité de parvenir à un niveau d’instruction toujours plus élevé.

UNE POLITIQUE NATIONALE DE LA SCIENCE

11 ne faut pas oublier les efforts tenaces déployés par Maurice Thorez, ministre d’Etat jusqu ’en 1947, pour tenter de coordonner l’activité des divers organismes de recherches qui existaient en France. Il avait réuni les responsables de tous les secteurs et constaté que les sommes consacrées par le pays à la recherche étaient non seulement insuffisantes, mais encore dispersées dans des organismes, dont beau ­ coup étaient privés ou militaires. Peu restait pour la recherche fondamentale. C’était, déjà, la carence que nous connaissons aujourd ’hui : les industriels et les financiers ne se placent pas dans une perspective 19

vraiment nationale, niais dans la seule perspective de leurs profits immédiats. Maurice Thorez, lui, avec clairvoyance, s’efforçait de créer des liaisons en vue d’une organisation nationale de la recherche fonda­ mentale et de la recherche appliquée. 11 voulait doter la France d’un organisme scientifique digne de son apport passé à la culture humaine. 11 voulait qu ’elle pût participer avec éclat à l’effort des nations pour le progrè.s. à ces « durables conquêtes du savoir » qu ’exaltait jadis notre grand l’asteur. (l’est pourquoi Maurice Thorez consacrait à la défense de l’Ecole et de l’Université une vigilante attention. 11 voulait que tous les enfants du peuple puissent accéder, selon leurs goûts et leurs aptitudes, à la culture la plus élevée. Les besoins nouveaux, nés du développement même de la pensée humaine, impo­ sent la nécessité d'une réorganisation méthodique de notre enseigne­ ment, qui mettrait en harmonie avec cette évolution le système complet de l’éducation et de l’instruction. Dès lors, Maurice Thorez avait voulu apporter tout le poids de son autorité à la lutte que menaient Faiil Langevin et Henri W allon pour obtenir la réforme démocratique de l’enseignement, que le C'.onseil national de la Résistance avait inscrite dans son pro­ gramme. Je dois beaucoup à Maurice Thorez. I‘ar sa parole et ses écrits, il a éclairé mes efforts d’assimilation et de compréhension du maté­ rialisme dialectique. La première fois que je l’ai entendu parler en public, ce fut dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, peu de temps après la Libé ­ ration lorsqu ’il prononça son discours sur Descartes. Intellectuel encore non communiste, mais patriote et pénétré d’une foi sincère dans le progrès de nos connaissances, j’avais été profon- 20

dément frappé alors par l’action patriotique de mes camarades com­ munistes de la Résistance. J’étais donc venu écouter Maurice Thorez sans prévention, mais aussi plein d’interrogations. Ce discours avait la tenue d’un grand discours classique. Son riche contenu s’y modelait dans une forme impeccable que j’admirais. Et mon admiration pour la personnalité de Maurice Thorez a pris corps en cette circonstance. J’appris à aimer sa belle intelligence, sa culture étendue, qu ’il avait acquise lui-même, par un effort persévérant que nous révèle la lecture de « Fils du peuple ». Qu ’on me permette ici, après bien d’autres, d’évoquer ce livre simple, clair, et d’une vigueur extraordinaire. Raconter sa vie, quand elle fut si pleine, si exemplaire, si intensément associée au mouve ­ ment de notre peuple, ce n’est pas écrire une simple autobiographie ; c’est porter témoignage et faire une œuvre salutaire.

CONNAISSANCE ET ACTION

Maurice Thorez avait une profonde connaissance du matérialisme. Et il étudiait sans cesse, même en prison. A la Libération, poursuivant un enseignement que j’assurais, durant l’occupation, à l’Institut de géologie appliquée de l’Université de Nancy, je passais régulièrement devant la prison Charles III, et chaque fois je me représentais Maurice Thorez étudiant les œuvres de Marx et d’Engels. Il apprenait. Et cette vision me faisait ressentir plus profondément la recommandation capitale de Lénine ; un com­ muniste doit avoir une solide formation théorique ; « sans théorie 21

révolutionnaire, il n’y a pas de pratique révolutionnaire et sans pra­ tique, la théorie est lettre morte ». Maurice Thorez a mené de rudes combats contre le praticisme et ranarcliisme et chaque fois que l’occasion s'en présentait, il recom­ mandait toujours aux jeunes et aux anciens militants de lire les classiques du marxisme. Cependant la pensée révolutionnaire ne peut être abstraitement livresque, et c’est pourquoi l’histoire de la vie de Maurice Thorez, de sa formation théorique, de son expérience de militant nous apprend combien il est essentiel de ne pas séparer la pensée et l’action. La pensée révolutionnaire de Maurice Thorez s’appuyait sur une solide formation scientifique. Il consacrait réfïnlièrement une part de son temps à l’étude des sciences et de l’histoire des sciences. Il en percevait étonnamment l’enchaînement. « Nous puisons dans le passé, disait-il en 1935 au VIP Congrès de l’Internationale communiste, pour préparer notre avenir. Nous revendiquons, au nom de la classe ouvrière, l’héritage intellectuel et révolutionnaire des encyclopédistes du XVIII® siècle qui préparèrent, par leurs écrits et leurs travaux, la grande Révolution de 1789... Nous montrons comment les prolétaires com­ munistes, attentifs à la recommandation de Lénine, cherchent à s’assi­ miler les connaissances accumulées par la science humaine. » Il s’intéressait tout particulièrement aux sciences de la terre. « J’ai un faible pour la géologie, et donc la pétrographie », m’a-t-il écrit un jour, II comprenait, mieux que certains, les problèmes qu ’elles posent, parce qu ’il les voyait en liaison avec sa pratique de jeune mineur. Au cours de l’un des trop rares et trop brefs entretiens que j’ai eus avec Maurice Thorez, je lui disait comment la pratique de la mine, et la collaboration confiante avec les mineurs, que mon métier de géologue-minéralogiste me faisait connaître et apprécier, avaient conduit 22

rintellectiiel bourgeois que j'étais à la iléeouverte du monde du travail, à la réflexion sur les problèmes soeiaux, et finalement à participer aux luttes de la classe ouvrière. Inversement, menant la lutte sociale. Maurice Thorez a puisé des éléments de réflexion scientifique dans sa pratique de mineur. Ainsi, Maurice Tborez a su comprendre et expliquer les rapports de la classe ouvrière et des intellectuels. .\yant pour rôle historique de guider dans leur libération les autres couches de la nation, opprimées par le grand capital, la classe ouvrière a conscience de tous les problèmes posés par la science ; elle est soucieuse de voir s'épanouir toutes les formes de la culture. Du riche patrimoine scientifique et culturel que la France a donné au monde, et qui ilemeure toujours le ferment de nouveaux progrès, la classe ouvrière entend ne rien laisser perdre. « Lutter pour le communisme, disait Maurice Tborez en 19.59, ce n'est pas seulement lutter pour un niveau plus élevé de la société et pour une société plus lieureu.se. C’est également lutter pour un degré supérieur de l’évolution morale de l’humanité, pour la fra­ ternité entre les hommes et l’épanouissement de chaque personnalité. »

PAS DE FOSSÉ ENTRE SCIENCES HUMAINES ET SCIENCES DE LA NATURE

C’e.st sur ce sujet des intellectuels que j’ai eu ma dernière conver­ sation importante avec Maurice Thorez. Nous étions d'accord pour souligner la responsabilité |>hi1osophi- que du savant dans les luttes sociales et dans le développement des sciences, et sur l’idée qu ’il ne faut pas séparer le matérialisme historique du inatérialisine dialectique. Il est trop de scientifiques coiuinunistes qui. participant avec rai.son à la lutte politique et mettant ainsi en pratique le matérialisme historique, ne saisissent pas l’apport du matérialisme dialectique, dont il est cependant une partie inté{;rante, dans leur propre domaine scientifique. Autrement dit, ils creusent arbitrairement un fossé entre les sciences humaines et les sciences de la nature. Ici apparaît la néce.ssité d’une alliance étroite entre la philosophie et les sciences. Il est nécessaire (jue les scientifiques spécialisés cultivent la réflexion philosophique dans leur propre discipline, et que les philo­ sophes ne soient pas étrangers aux sciences de la nature comme ils le sont trop souvent. Le savant, sur la base des données de la science qu ’il cultive et sur celles de sa propre activité, doit donc approfondir lui-même le maté­ rialisme dialectique, et contribuer à son enrichissentent. Il doit coopé­ rer étroitement avec le philosophe, car le matérialisme dialectique ne sépare pas le domaine des sciences de la nature de celui des sciences humaines. Il vise à Ttinité de conception du monde en vue de sa transformation. J’ai tiré le plus grand profit de cet ultime entretien avec Maurice Thorez, car son approbation m’a aj)porté le vivifiant soutien du camarade et de l'ami. Comme tous mes camarade.s, je dois doue beaucoup à Maurice Thorez. L’exemple de sa pensée lucide, de sa persévérance dans l’action, de son amour des hommes et de son enthousiasme doit toujours demeurer pour nous le plus précieux des stimulants dans les luttes que nous poursuivons pour édifier un avenir de paix, de justice et de fraternité universelles. 24

SOUVENIRS DE PIERRE DELON

PRÉLUDES ET DÉBUTS PARISIENS DU FRONT UNIQUE ANTIFASCISTE DE 1934

Six, neuf, douze février 1934 : journées historiques dont on a beau ­ coup parlé, dont on parlera encore, à juste titre. Mais entre ces dates et l’apothéose du 14 juillet 1935, il y a eu des contacts, des rapports d’unité qu ’on connaît peu. J’y ai été mêlé de près et tous ces événements sont précis dans ma mémoire. Avant de les évoquer, je ne peux m’empêcher de revivre cette soirée tragique du 6 février, cette masse de fascistes se lançant à l’assaut du Palais-Bourbon, suivie par une masse, plus grande encore, d’an­ ciens combattants trompés et entraî­ nés dans cette aventure. Nous étions des milliers de mili­ tants, de sympathisants, d'ouvriers venus aux Champs-Elysées, à la Con­ corde, pour combattre les fascistes. Quelle désillusion le lendemain ZJ

en lisant dans « l'Humanité » l'arti­ Frambourg. Mais de quelle flamme, dressées, notamment rue de l’Oril- cle de Marty : « Pas d'énervement » ! dominant la maladie, Maurice a fait lon, à Belleville. On y déclarait qu ’il s’agissait là preuve au cours de la réunion ! Six morts ! D’autres en banlieue d'une querelle entre bourgeois, où la Je l’entends, je le vois encore ce soir-là et les jours suivants. classe ouvrière n'avait rien à faire. dénonçant le fascisme, expliquant Dans les usines, le lendemain, L’auteur renouvelait, en quelque les causes profondes, le devoir de une émotion formidable, des rap­ sorte, l’erreur sectaire de Jules la classe ouvrière de se battre contre prochements qui semblaient impos­ Guesde au moment de l’affaire lui et lançant en conclusion, marte­ sibles la veille, la volonté d’écraser Dreyfus. lant la tribune : le fascisme par l’action commune. Le 12, la grève antifasciste de Cette position, à la fois étroite « Battez-vous, camarades ; battez- masse. Les deux défilés se confon­ et opportuniste, était rapidement vous comme des lions ! » rectifiée par Maurice ’Thorez. Les dant en un immense cortège. La pourparlers étaient engagés entre le Son appel fut entendu. Par mil­ confiance au coeur de tous. Parti Communiste Français, la C.G.- liers, à partir de vingt heures, les Des contacts se nouaient entre T.U., d’autres groupements, pour travailleurs descendirent en rangs militants, entre dirigeants au cours l’organisation de la grande manifes­ serrés des faubourgs populeux, des des manifestations locales, des tation antifasciste du 9 février, place banlieues ouvrières, vers la Républi ­ actions, des réunions dans les entre­ de la République. que et la gare de l’Est. prises. La police, gangrenée par la réac­ Dès mars, une première réunion tion chargeait, matraquait, tirait. se tenait au siège de l’Union des Des dizaines de milliers de travail­ Syndicats de la C.G.T.U. de la DE L.\ leurs faisaient face. En tête, les com­ région parisienne à la Grange-aux- munistes, rejoints bientôt par les Belles (salle Richetta). GRANGE-AUX-BELLES militants socialistes, que leur Fédé­ 11 y avait là Henri Raynaud, A LA REPUBLIQUE ration de la Seine avait convoqués Arrachard et moi-même au nom de dans les permanences. l’Union, Marceau Pivert et Fariner Il y avait là aussi des milliers de pour la Fédération socialiste de la fonctionnaires qui avaient répondu Seine, Dcscourtieux pour la Seine- Une assemblée de militants com­ à l’appel de leur Fédération auto ­ et-Oise, Maurice Lampe et Jean- munistes avait été convoquée à la nome (on n’en n’était pas encore à Pierre Timbaud pour la Fédération Grange-aux-Belles pour assurer l’unité). Je vois encore, matraqué communiste. le succès de cette manifestation. par les policiers, le secrétaire géné­ Cette première réunion fit appa­ Maurice Thorcz, pour déjouer la ral de cette fédération, Pierre Bour- raître bien des divergences, mais un police, était venu très tôt à la sicot, devenu ensuite... directeur accord fut cependant conclu sur la « Grange ». Souffrant d’une angine, de la Sûreté nationale ! nécessité de tout mettre en œuvre brûlant de fièvre, il avait dû s’allon­ Quelle vaillance dans le peuple pour écraser le mouvement fasciste, ger plusieurs heures, se soigner chez et la nécessité de poursuivre et de les gardiens d’alors, la famille parisien ! Des travailleurs, des répu­ blicains désarmés tenant tête à une renforcer les contacts. Au cours des réunions suivantes (1) Dana une salle de la ^lutson dea police déchaînée ; des barricades Syndicats de la ré{?lon parisienne (C.Cî.- (à la Grange, au siège S.F.l.O. de la T.U. ) située au fond de l'impasse (2> Le préfet tic police tle la Seine était Seine, puis au siège national), fut Chausson, dans la rue de la Grange-aux- Jean Chinppe. compromis dans l’affaire Belles. & proximité de l'actuelle place du Stavisky. et l’un tîes organisateurs du constitué le C.C.U.A. (Comité Cen­ Colonel-Fabien. Paris (ICK). putsch fasciste du 6 février. tral d ’Unité d ’Action antifasciste). 26

avec les organisations précitées, plus Je n’engage que la Seine, voyez les localités de banlieue, les usines, le Front commun de Bergery et Béné pour la Seine-et-Oise. Béné, les administrations. Il y avait déjà Izard, l'A.R.A.C.. le parti radical également architecte, donna son ceux d’« Amsterdam-Pleyel » et puis, « Camille Pelletan ». Un premier accord dès mes premières paroles. sous des étiquettes diverses, des appel fut lancé pour l’unité après Le mouvement s’étoffait ! comités entre les partis, les organi- de longues discussions. A la réunion suivante, ils étaient .sations ouvrières et démocratiques là, tous les deux, mais, tous ensem­ dans les quartiers et les entreprises. ble, nous souhaitions d’autres rallie­ Nous fûmes alors chargés d’une ments ; les syndicats « confédérés », démarche auprès de l’Union dépar­ la « Ligue ». tementale « confédérée ». (Nous LE COMITE CENTRAL n’étions encore que sur le plan de la D’UNITE D’ACTION Première démarche à la Ligue des région parisienne.) Lefèvre nous Droits de l’homme. Son secrétaire dit : « Je veux bien marcher, mais ANTIFASCISTE général, Emile Kahn, m’écouta avec il faut l’accord de Gaston (Gui ­ beaucoup d’attention, mais ne se raud) ». Ce dernier, joint deux jours prononça pas. « Nous verrons cela, plus tard, déclara : « Ça va, mais Les autres organisations sem­ notamment avec le président. » Il que va dire Léon (Jouhaux) ? ». Et blaient craindre l’action de masse. accepta néanmoins de venir avec Jouhaux, un peu plus tard, dit oui ! Quant à nous, nous hésitions sur Victor Basch, rue d'Hauteville. Ce L’unité, par en bas et par en haut, l’appel à défendre les libertés démo­ soir-là, j’étais très ému en énonçant avançait. Ce qui l’emportait dans cratiques, craignant que cette démar­ le rôle et le but du Comité Central tout le pays, c’était l’activité des che ne soit interprétée comme d’Unité d’Action antifasciste. Kahn travailleurs, sous l’impulsion des l’apologie de la « démocratie bour ­ murmura sous sa moustache ; « Cela militants communistes entraînés par geoise ». Nous avons finalement ne me semble pas répondre à la Tardent appel de Maurice Thorez ; surmonté ces hésitations. vocation de la Ligue ». Mais Victor « Pour vaincre le fascisme, réalisons Le mouvement s’étendait dans Basch, qui venait d’être victime Tunité à tout prix ». toutes les Icxalités, les entreprises de d’une odieuse agression des camelots la région parisienne et de la France du roi, l’interrompit : « Mon cher, entière. c’est moi le Président » et, se tour ­ Le rassemblement de masse se nant vers moi : « Jeune homme, cela poursuivait, mais il apparut utile est très intéressant et je pense que A LA MEMOIRE d’entraîner au sommet d’autres orga­ la Ligue donnera son accord ». Elle DE JAURES le donna ! nisations, officiellement. ET CONTRE Dans ce but et pour disposer Notre C.C.U.A., donc, poursuivit d’un siège moins marqué, le C.C.- sa tâche avec une nouvelle ardeur. LE FASCISME U.A. tint ses assises dans un café, Il venait beaucoup de monde à à l’angle des rues d’Hauteville et de toutes ses réunions : des travailleurs Paradis. Le Comité se préoccupa de de toute opinion, des militants de Dans tout le pays se développait rechercher d’autres adhésions. Parti toutes les formations de gauche, des dans la lutte Tunité contre le radical intellectuels, des gens des classes fascisme. Au C.C.U.A., nous sentions Ernest Perney, que j’allai voir moyennes. Des Comités d’unité, sous la nécessité de faite de grandes à son cabinet d'architecte aux Epi- des formes diverses, se constituaient démonstrations publiques. nettes, dit oui très vite en ajoutant ; dans les arrondissements parisiens. Après de larges débats, nous nous mîmes d'accord pour saisir l’occasion Et nous voilà les uns et les autres d’honorer en commun Jean Jaurès satisfaits, nous engageant à prévenir par des manifestations de rue ; au immédiatement nos organisations et Panthéon et rue Montmartre, près les journaux amis pour faire les du lieu où le grand militant fut appels nécessaires. assassiné. Henri Raynaud et moi-même Délégation donc chez Albert partîmes immédiatement pour Sarraut, alors ministre de l'Intérieur, « l’Huma ». Marty en était le res­ place Beauveau, pour une audience ponsable politique. Après nous avoir demandée par des parlementaires écoutés, il s’esclaffa : « 'Vous vous communistes et socialistes. êtes bien laissés posséder, mes cocos ; Dans le somptueux cabinet (était- vous vous êtes dégonflés detant les ce pour nous ?), une toile de Paul autres. Une manifestation au Pan­ Vaillant-Couturier était posée sur un théon, là-bas, au loin, sur la rive fauteuil. gauche et, au centre de Paris, une A nos premières paroles, Sarraut délégation de rien du tout ! » s’écrie : < Non, non ! des manifesta­ Maurice Thorez était entré entre tions de rue, je n’en veux pas ! Je temps, s’était assis, nous avait écou­ suis peut-être un c..., mais je ne veux tés avec attention. Comme nous pas de sang sur les pavés » ! nous levions, Henri Raynaud et moi. Après quelques explications, le pour partir, en nous regardant d’un ton changea : « Ah ! Jaurès ! Jau ­ air assez penaud, Maurice se leva rès ! 'Vous me touchez. J’ai fait avec aussi, nous accompagna jusqu'à la lui mes premières armes dans la porte, nous mit les mains sur les démocratie. Le Panthéon d’accord, épaules en disant : « Pas mal pour mais rue Montmartre, en plein cœur un début. Vous avez bien ttavaillé, de Paris, rien à faire ! » les gars. » Nouvelle discussion, nouveaux Nous nous sommes sentis mieux. arguments et le ministre : < Rue Et il y eut des dizaines de milliers Montmartre, pas de manifestation..., de manifestants au Panthéon, des mais une pieuse pensée, je ne dis milliers devant le Café du Croissant. pas... une délégation restreinte fleu ­ Après un premier contact au rissant la plaque commémorative, « Thermomètre », place de la Répu­ bon » ! blique, un accord solennel entre le — Mais, Monsieur le ministre, Parti communiste et le Parti socia­ un discours très bref! liste était signé salle Bonvallet, — Non ! boulevard du Temple (où se trouve — Un appel au moins à se dis­ actuellement la salle des congrès de perser ? l’annexe de la Bourse du Travail), — ...Oui, deux minutes, pas le 27 juillet 1934. plus ! Le Front Populaire allait naître. 28

La parution de ce iiuniéro trimestriel des Cahiers de F Institut Maurice Thorez coïncide avec la période où les communistes du monde entier, les progressistes et les peuples opprimés commémorent le cin­ quantième anniversaire de la Révolution d’Octobre. On sait quelle influence elle a exercée sur le cours des événements et la montée du prolétariat dans tous les pays. Nous avons demandé à Jean Fréville de nous retracer, dans une série d’articles, l’évolution de la classe ouvrière en France de 1914 à 1920, c’est-à-dire de l’Union sacrée à la fondation du Parti communiste français. L’histoire du mouvement ouvrier fran­ çais et européen, les changements considérables qui se produisirent alors dans l’esprit des masses laborieuses ont été déterminés par ces deux faits qui transformèrent la physionomie et la structure du inonde : la première guerre mondiale (1914-1918) et la Révolution russe. 29

LA FAILLITE DE LA IF INTERNATIONALE ET L’UNION SACRÉE (1914)

Jean FREVILLE

Le déclenchement de la première guerre mondiale en août 1914 marque un tournant de l'histoire. Une époque se termine, celle du capitalisme triomphant qui a assuré à l'Europe occidentale sa suprématie dans le monde. Cette Europe-là possédait alors le monopole de la science et de la force. Le progrès technique, l'accumulation des richesses, la stabilité des monnaies nationales, la libre circulation des capitaux et des personnes, une expansion con­ tinue depuis la fin de la grande dépression qui s'était terminée en 1895, tout contribuait à accroître sa prospérité et à nourrir sa con­ fiance dans la supériorité d'un régime consi­ déré comme l'expression parfaite de la civili­ sation et le terme même de l'évolution humaine. 30

Or, le conflit qui s'ouvre va ruiner cette péens, puisqu'il suffit incessamment de la hégémonie dont, un demi-siècle plus tord, il rivalité déréglée de deux comptoirs ou de deux ne restera pas grand-chose. De la guerre sur ­ groupes de marchands pour menacer peut-être gira une révolution russe à vocation mondiale la paix de l'Europe... Toujours votre société et animée d'une impulsion irrésistible. Le front violente et chaotique, même quand elle veut de l'impérialisme sera rompu dans son secteur la paix, même quand elle est à l'état d'appa­ le plus faible. A son tour, la Révolution russe rent repos, porte en elle la guerre, comme la modifiera profondément les données du pro­ nuée dormante porte l'orage. » ** ’ blème social, accélérera la marche de l'histoire Dix ans plus tard, stigmatisant les profiteurs et la promotion prolétarienne, ouvrira à la des expéditions coloniales, il écrit : classe ouvrière des pays capitalistes et aux peuples opprimés, encouragés par l'existence « La conscience économique, l'appétit du d'une République socialiste qui grandit et se gain, le besoin d'ouvrir à tout prix, même à développe, des espérances et des perspectives coups de canon, des débouchés nouveaux pour concrètes. Une nouvelle époque naît dans le dégager la production capitaliste encombrée et flamboiement d'Octobre 1917. comme étouffée sous son propre désordre, tout Mais au cours du tragique été de 1914 cela entretient l'humanité d'aujourd'hui à cette fin d'un monde n'est perçue que par l'état de guerre permanente et latente... La quelques-uns. guerre est, comme l'exploitation directe du travail ouvrier, une des formes du capita­ Au moment où les hostilités s'engagent, lisme. » une idée obnubile les esprits : la victoire qu'il Les coryphées de la II' Internationale faut remporter sur le camp adverse... On ne avaient stigmatisé la politique des monarchies voit pas plus loin. militaires et des gouvernements bourgeois, qui Pourtant depuis un quart de siècle, les ne pouvait aboutir qu'à des massacres. Les théoriciens socialistes avaient dénoncé les plus résolus faisaient appel contre la guerre à convoitises qui dressaient les Etats les uns l'insurrection... Mais lorsque se présenta l'abo ­ contre les autres, l'âpreté des luttes pour l'ex­ minable conjoncture qu'ils avaient tant de tension des zones d'influence, des sources de fois évoquée tous ensemble, ils rompirent les matières premières, des marchés, la course liens qui les unissaient entre eux et rallièrent aux armements et les ambitions des impéria­ le camp de leurs bourgeoisies respectives, A la lismes avides de nouvelles conquêtes. mobilisation générale répondirent la carence Dès 1895, Jaurès, alors que l'impérialisme générale des organisations prolétariennes, la n'en était qu'à ses débuts, l'accusait de pro­ débandade générale de leurs chefs '®'. voquer la guerre : L'histoire offre peu d'exemples d'un revi- « Partout ce sont ces grandes compétitions (1) Jaurès. Discours à la Chambre des députés, le coloniales où apparaît à nu le principe même 7 mars 1895. (2) Jaurès. L'Humanité, 9 juillet 1905. des grandes guerres entre les peuples euro ­ (3) Lénine excepté, bien entendu. 31

rement aussi soudain et aussi complet, d'un rialistes et que le chancelier von Bethmann- reniement aussi cynique. Les déclarations fra­ Hollweg traitait de « chiffons de papier s>... La cassantes, les promesses solennelles, faites au vague chauvine déferla d'un bout à l'autre de nom des masses éprises de paix, les motions l'Europe : en quelques heures, elle submergea, votées dans les congrès, les mots d'ordre qui démolit, balaya l'édifice imposant de la 11“ Inter­ devaient barrer la route à la guerre ne furent nationale, bâti sur le roc inébranlable, sem­ pas mieux respectés par les responsables du blait-il, des assises populaires. mouvement ouvrier que ne le furent les enga­ Comment et pourquoi cela avait-il pu gements souscrits par les gouvernements impé­ arriver ?

LA IL INTERNATIONALE DEVANT LA GUERRE

Le 28 juin 1914, l'archiduc François- Affaires étrangères, sur le cuirassé France Ferdinand, neveu de l'empereur François- pour rendre visite au tsar. Le 20, ils débarquent Joseph et héritier du trône d'Autriche-Hongrie, à Cronstadt et arrivent à la résidence d'été de est assassiné à Serajevo, en Bosnie, où il se Péterhof. Le président et le tsar se déclarent rendait pour assister à de grandes manoeuvres, prêts à remplir les obligations qui découlent par un affilié de la société secrète serbe la de l'alliance franco-russe. Cependant, à Saint- Main noire. Guillaume II presse le gouverne­ Pétersbourg où a éclaté une grève à laquelle ment austro-hongrois de ne pas laisser échap­ participent des centaines de milliers d'ouvriers, per une occasion si favorable. L'armée russe des barricades se dressent, le sang coule. L'om­ n'est pas encore prête, l'Angleterre semble bre de 1905, qui se profile à l'horizon, incite empêtrée dans les ennuis que lui cause l'Ir­ les éléments réactionnaires à chercher dans lande, où les autonomistes catholiques et une aventure belliqueuse un dérivatif au ulstériens protestants en viennent aux mains. malaise intérieur grandissant, un moyen effi­ Les milieux gouvernementaux en France sont cace de juguler la menace révolutionnaire. absorbés par le vote de l'impôt sur le revenu, Le soir du 23 juillet, alors que le cuirassé auquel le Sénat se résigne en rechignant, tandis France et les navires de l'escorte ont pris la que la grande presse attise les passions du mer, le ministre d'Autriche-Hongrie remet à public en annonçant des révélations scanda­ Belgrade un ultimatum draconien qui, entre leuses au procès de Mme Cailloux qui va autres exigences, enjoint au gouvernement s'ouvrir devant la Cour d'assises de la Seine... serbe d'accepter la participation d'agents aus ­ Le 16 juillet, Poincaré s'embarque avec tro-hongrois à l'enquête ouverte sur le drame Viviani, président du Conseil et ministre des de Serajevo. Si la Serbie n'acquiesce pas dans 52

les quarante-huit heures, ce sera la guerre. brutale de l'Autriche ont contribué à créer Le gouvernement de Belgrade s'incline, tout l'état de choses horrible où nous sommes. en repoussant la clause qui prévoit la partici­ L'Europe se débat comme dans un cauche ­ pation d'Autrichiens à l'enquête. Le cabinet mar. » de Vienne rompt les relations diplomatiques Aux chefs d'Etat, il oppose les forces unies et mobilise huit corps d'armée. des travailleurs, il lance un avertissement Dans les chancelleries européennes, c'est suprême : un branle-bas général. L'ambassadeur d'Alle­ « Si la tempête éclate, tous, nous, socia­ magne à Paris, le baron von Schœn, notifie listes, nous aurons le souci de nous sauver le à Bienvenu-Martin, qui assume l'intérim aux plus tôt possible du crime que les dirigeants Affaires étrangères, la position de Berlin ; le auront commis. » conflit doit être réglé exclusivement entre l'Au ­ triche-Hongrie et la Serbie, toute intervention Ce discours de Jaurès, à Lyon-Vaise, quel ­ d'une autre puissance étant de nature à ques jours avant que soit consommé l'irrépara­ «entraîner des conséquences incalculables». ble, sera le dernier qu'aura prononcé le grand tribun... Tandis que Poincaré vient de faire preuve, dans ses entretiens avec le tsar, d'une « fer­ Le 26 juillet, le cabinet britannique propose meté » qui a surpris l'autocrate de toutes les de convoquer une conférence internationale, mais l'Allemagne n'accepte pas que l'Autriche Russie, Jaurès s'est adressé au peuple de soit « traînée devant un tribunal européen ». France pour lui signaler la montée des périls. Le 27, la Russie essaie d'engager des pourpar­ Venu à Lyon afin de soutenir la candida­ lers directs avec l'Autriche-Hongrie. Celle-ci ture du socialiste Moutet à un siège de député, refuse et, le 28 juillet, déclare la guerre à la devenu vacant, il expose à ses auditeurs la Serbie. situation réelle, créée par la volonté de guerre des gouvernants : le jeu des alliances risque Poincaré, après avoir fait escale à Stock­ de précipiter les peuples pacifiques dans une holm, renonce aux visites prévues à Oslo et gigantesque hécatombe pour des intérêts qui à Copenhague et rentre précipitamment en ne France, où l'opinion publique, devant la menace sont pas les leurs et dont ils seront les grandissante d'un conflit généralisé, s'émeut victimes. davantage d'heure en heure. La presse de « A l'heure actuelle, s'écrie-t-il, nous som­ droite embouche les clairons de la revanche, mes peut-être à la veille du jour où l'Autriche chauffe à blanc les esprits, exalte la fureur va se jeter sur les Serbes, et alors, Autriche, patriotique, pousse à la guerre. Des bandes de Allemagne se jetant sur les Serbes et les manifestants nationalistes parcourent les bou­ Russes, c'est l'Europe en feu, c'est le monde levards et clament ; « Vive l'armée ! Vive en feu... l'Alsace - Lorraine ! A Berlin ! », tandis que La politique coloniale de la France, la poli­ dons les quartiers populaires des cortèges se tique sournoise de la Russie et la volonté forment au cri de « Vive la paix ! ». JJ

Le 29 juillet, Poincaré et ses collaborateurs, pouvait pas être séparée de la lutte générale débarqués le matin à Dunkerque, arrivent à contre le capitalisme, que les guerres étaient Paris où les accueille, à la gare du Nord, une de l'essence du capitalisme et ne disparaîtraient foule en délire. qu'avec lui. Elle réclamait l'arbitrage interna­ tional, le désarmement général, la constitution Les dés sont jetés. Par le mécanisme des de milices, destinées à remplacer les armées engagements internationaux, la sinistre machi­ permanentes. L'amendement déposé par nerie, montée par les hommes d'Etat, s'est Lénine et Rosa Luxembourg était devenu le mise en marche et rien ne pourra plus l'arrêter. passage essentiel de la résolution ; Ce même 29 juillet, l'Internationale s'est « Si une guerre menace d'éclater, c'est un enfin mobilisée. Convoqués par télégramme, devoir pour la classe ouvrière dans les pays les membres du Bureau socialiste international intéressés, c'est un devoir pour ses représen­ se réunissent à Bruxelles dans une salle de la tants dans les Parlements, avec l'aide du Maison du peuple. La France y est représentée Bureau international, force d'action et de coor­ par Jean Jaurès, Jules Guesde, Marcel Sembat, dination, de faire tous leurs efforts pour empê­ Edouard Vaillant, députés ; l'Allemagne par un cher la guerre par tous les moyens qui leur seul délégué, Hugo Haase. Posa Luxembourg, paraissent les mieux appropriés et qui varient récemment condamnée à une peine de prison naturellement selon l'acuité de la lutte des pour propagande antimilitariste, parle au nom classes et la situation générale. des socialiste polonais. L'Autriche est repré­ sentée par Victor et Friedrich Adler, la Belgi­ Au cas où la guerre éclaterait néanmoins, que par Anseele, Bertrand, Vandervelde, la ils ont le devoir d'intervenir pour la faire Hollande par Troëlstra, l'Angleterre par Keir- cesser promptement et d'utiliser de toutes leurs Hardie, Irving, Bruce-Glasier, l'Espagne par forces la crise économique et politique créée Fabra Ribas... par la guerre pour agiter les couches popu­ laires les plus profondes et précipiter la chute De la tribune de ses congrès, la 11® Inter­ de la domination capitaliste. » nationale n'avait cessé de protester contre les armements et les entreprises du militarisme : Le Congrès de Copenhague (août 1910) à Paris en 1889, à Bruxelles en 1891, à Zurich confirme les résolutions des congrès antérieurs. en 1893, à Londres en 1896, à Paris en 1900, Mais des divergences subsistent sur les moyens à Amsterdam en 1904, à Stuttgart en 1907, à employer. Edouard Vaillant et Keir-Hardie à Copenhague en 1910, à Bâle en 1912... Jus ­ insistent sur l'efficacité d'une grève générale qu'en 1914, la lutte contre la guerre était en cas de guerre, alors que le socialiste alle­ considérée comme l'objectif principal de la mand Ledebour objecte que les différences du 11“ Internationale. développement économique et des forces pro­ létariennes dans chaque pays rendent impos­ La résolution finale du congrès de Stuttgart sibles des prescriptions uniformes pour une rappelait que la lutte contre le militarisme ne grève générale. 34

Le congrès extraordinaire de Bâle, convo­ qu'adoptera, en cas de conflit armé, la social- qué en novembre 1912 alors que la guerre fait démocratie allemande, il se dérobe... rage dans les Balkans, avertit les dirigeants La confrontation tourne à l'avantage des des Etats capitalistes des faudres qu'ils ne socialistes français qui se montrent les plus manqueraient pas d'attirer sur leurs têtes en décidés, les plus attachés à la paix, les plus déclarant la guerre ; fidèles à l'internationalisme prolétarien. Le « Que les gouvernements sachent bien que, congrès national extraordinaire du Parti socia­ dans l'état actuel de l'Europe et dans les liste unifié vient de se tenir à Paris du 14 au dispositions d'esprit de la classe ouvrière, ils ne 16 juillet : il a suivi Jaurès et s'est prononcé pourraient, sans péril pour eux-mêmes, déchaî­ pour la grève générale en cas de guerre. La ner la guerre. Qu'ils se souviennent que la résolution votée reflète so confiance dans la guerre franco-allemande a provoqué l'explo­ coordination des forces socialistes des diffé­ sion révolutionnaire de la Commune, que la rents pays, unis dans une lutte commune : guerre russo-japonaise a mis en mouvement « Entre tous les moyens employés pour les forces de révolution des peuples de Russie... prévenir et empêcher la guerre et pour imposer Les travailleurs considèrent comme un crime aux gouvernements le recours à l'arbitrage, de tirer les uns sur les autres pour le profit le congrès considère comme particulièrement des capitalistes, ou l'orgueil des dynasties, ou efficace la grève générale ouvrière simultané ­ les combinaisons des traités secrets. Si les ment et internationalement organisée dans les gouvernements, supprimant toute possibilité pays intéressés, ainsi que l'agitation et l'ac­ régulière d'évolution, acculent le prolétariat de tion populaires sous les formes les plus acti­ toute l'Europe à des résolutions désespérées, ves. » ce sont eux qui porteront toute la responsa­ Sans doute Jules Guesde avait-il exprimé bilité de la crise provoquée par eux. » l'opinion qu'une grève générale livrerait la Que vont décider, à Bruxelles, le 29 juil ­ nation la plus socialiste à celle qui l'était le let 1914, les délégués des états-majors socia­ moins et qu'il était impossible d'assurer par­ listes face à la guerre qui fond sur les peuples ? tout un mouvement simultané... Le congrès avait néanmoins adopté la motion présentée Qu'elle est loin, « l'unité splendide d'âme par Jaurès et Edouard Vaillant. et de pensée des socialistes » dont Jaurès avait éloquemment parlé au congrès de Bâle ! Victor Le Bureau socialiste international, après Adler, fondateur du socialisme autrichien, une journée entière de discussions, ne prend déclare que la guerre contre la Serbie est très qu'une mesure concrète : il décide que le populaire dans son pays et qu'il serait difficile Congrès de l'Internationale, qui devait se tenir aux socialistes de s'opposer à ce courant de à Vienne le 25 août, sera convoqué à Paris l'opinion... Haase affirme que le kaiser ne le 9 août, et qu'il inscrira à son ordre du jour ; désire pas la guerre ; mais quand Jaurès le « La guerre et le prolétariat. » presse de donner des précisions sur l'attitude Le même soir, au meeting du Cirque royal. J )

présidé par Vandervelde, les orateurs procla­ Trois jours plus tôt, le 27 juillet, à Bruxel ­ ment leur complet accord. les, les représentants de la C.G.T. Jouhaux et « Si l'on fait appel au traité secret avec la Dumoulin ont rencontré Legien, président de Russie, s'écrie Jaurès, nous ferons appel au la Centrale syndicale allemande, mais à aucun traité public avec l'humanité ! » moment il n'a été question entre eux d'empê­ Le lendemain matin, les délégués se sépa­ cher la mobilisation en proclamant la grève rent. Ils ne se reverront jamais plus... générale...

LA MAREE CHAUVINE

Le 30 juillet, le tsar Nicolas 11 décrète A la place du président du Conseil, le sous- la mobilisation générale. L'Autriche-Hongrie secrétaire d'Etat Abel Ferry s'entretient avec mobilise elle aussi. Le Conseil des ministres la délégation socialiste et lui déclare que le français ordonne la mise en place du dispositif gouvernement agit et continuera d'agir au de couverture, tout en ramenant les troupes mieux des intérêts de la paix. alertées à dix kilomètres de la frontière, pour Jaurès s'emporte, l'accuse de se résigner éviter un incident. Mesure inefficace, impru­ à la guerre, comme Malvy, de suivre aveuglé­ dente et dangereuse qui ne règle rien, encou ­ ment Saint-Pétersbourg... rage l'agression et prive la défense d'atouts importants (elle fera tomber sans un coup de — C'est abominable ! Nous, socialistes, feu le bassin de Briey et la crête des Vosges nous continuerons notre campagne contre la aux mains des Allemands). guerre... Nous allons vous dénoncer, ministres Le 31 juillet, on apprend que Guillaume II à la tête légère, dussions-nous être fusillés... vient de proclamer « l'état de menace de — Vous ne l'oserez pas, rétorque Abel guerre ». Ferry... On vous tuerait au premier coin de Dans les couloirs de la Chambre, Jaurès rue... En persévérant, vous risquez le pire... interpelle Malvy, ministre de l'Intérieur : celui- — La guerre, voilà le pire ! riposte Jaurès. ci lui donne l'assurance que le gouvernement français appuie la tentative de médiation du Puis il regagne son bureau de l'Humanité. gouvernement anglais. Le leader socialiste Ce même soir, après une journée haras­ réclame une pression énergique sur le gouver ­ sante, il dîne dans un café-restaurant de la nement du tsar. Puis il se rend au Quai d'Orsay, rue du Croissant. Deux coups de feu claquent... chez Viviani, rentré l'avant-veille de Russie. Jaurès tombe. Par un petit trou rouge, derrière Mais Viviani ne reçoit pas Jaurès. la tête, s'échappe de la matière cérébrale... 36

La sinistre nouvelle se répand dans le quar ­ Edouard Vaillant, le vieux Communard blan- tier et dans Paris, semant la colère, la démora­ quiste, identifie la défense de la patrie avec lisation, le découragement. Ceux qui se ber ­ la sauvegarde des institutions républicaines et çaient encore d'illusions ou d'espoir s'inclinent des espérances révolutionnaires : désormais devant la fatalité qui les broie... « En présence de l'agression, les socialistes L'assassinat du grand tribun socialiste eût accompliront tous leurs devoirs envers la Patrie, déchaîné, en d'autres circonstances, la révolte la République et la Révolution. » du prolétariat et suscité des réactions violen­ L'ordre du jour adopté émet quelques tes, immédiates : dans le tourbillon et le réserves « sur les obligations de traités secrets tumulte des événements, il ne provoqua pas que nous n'avons pas connus et que notre de troubles. Ce crime exécrable apparut aux Parlement n'a pas ratifiés ». Mais les socia­ yeux des travailleurs désorientés comme la listes n'hésitent pas : chute du dernier rempart contre la guerre. « A l'agression contre la France républi­ L'homme qui, jusqu'à son dernier souffle, caine et pacifique menaçant la civilisation et s'était opposé à elle, qui se refusait à lui lais­ l'humanité, nous répondrons de toutes nos for­ ser le champ libre, avait été sa première vic­ ces et de toute notre énergie. » time. Désormais, sur le cadavre de Jaurès, la Le 3 août, après avoir adressé un ultima ­ grande tueuse allait pouvoir passer. tum à la Belgique pour réclamer le droit de Le !*'■ août, le Conseil des ministres décide libre passage sur son territoire, l'Allemagne la mobilisation générale, à l'heure où Berlin déclare la guerre à la France. prend la même mesure. Tandis que les premières troupes alleman­ Sur tous les murs des mairies de France des envahissent la Belgique, la mobilisation, sont apposées les affiches blanches ordonnant en France, s'effectue partout dans l'ordre, la à tous les mobilisables de rejoindre leur régi­ discipline, parfois même l'enthousiasme. Les ment. premiers contingents quittent dépôts et caser­ Le 2 août au matin, on apprend que l'Al­ nes, la fleur au fusil. C'est une explosion for­ lemagne a déclaré la veille au soir la guerre midable de patriotisme qui dresse contre à la Russie, que des patrouilles allemandes ont « l'ennemi héréditaire » toutes les classes de la pénétré en territoire français et que des trou ­ nation. Pour les uns, voici sonner l'heure de pes allemandes ont violé la neutralité du la revanche, qui apportera le retour de l'Alsa­ Luxembourg. A Paris, où les journaux relatent ce-Lorraine à la mère-patrie ; d'autres se récla­ les événements sous des titres énormes, la ment des grandes traditions de 1793, accou ­ fièvre monte, la foule chante la Marseillaise, rent à l'appel de la Patrie en danger et voient pille les magasins qui passent pour appartenir dans le conflit entre la République et les à des Allemands... Ce même dimanche 2 août, la Fédération (4) Ordre du jour adopté en conclusion d'une réunion de militants convoquée salle Wagram, le 2 août 1914, par la socialiste de la Seine se réunit salle Wagram. Fédération socialiste de la Seine. (L’Humanité, 3 août 1914.) 37

Empires centraux une sorte de prolongement, général. Les Français, conscients d'être victi­ sur le plan extérieur, de la Révolution fran­ mes d'une agression injustifiée, se lèvent pour çaise ; d'autres enfin acceptent la guerre par­ défendre non seulement leur pays, mais l'idée ce qu'en détruisant le militarisme prussien, qu'ils se font de la justice et du droit, impu­ elle mettra, par le désarmement général, fin demment foulés aux pieds par l'impérialisme à toutes les guerres... Des hommes que l'âge allemand. De toute manière, pensent-ils, on ou la maladie dispense d'obligations militaires, ne pouvait plus continuer à vivre sous la me­ se pressent devant les bureaux de recrute ­ nace de ses provocations incessantes. Après le ment. Anatole France, le vieux sage, le scep­ coup de Tanger, il y avait eu le coup d'Agadir, tique anarchisant, parle de s'engager et l'écri­ la paix achetée par l'abandon d'un morceau vain pacifiste Henri Barbusse s'engage. Quant d'Afrique, le chantage perpétuel... Les nerfs à Gustave Hervé, qui s'est fait connaître par craquaient sous cette exténuante tension. Au ­ ses outrances et ses appels à planter « le dra­ tant en finir une fois pour toutes ! peau dans le fumier », il a changé le titre de Au milieu de ce mascaret irrésistible, quel ­ son journal La Guerre sociale, qui s'appelle ques isolés gardent leur foi dans l'internatio­ désormais La Victoire. nalisme prolétarien et rejettent ce que Ray­ Devant l'attitude résignée des chefs socia­ mond Lefebvre appelle « le vautrement du listes et syndicalistes et la ferveur unanime des 4 août ». Mais ceux qui expriment à voix populations, Malvy renonce à opérer les arres­ haute leur opinion risquent d'être lynchés par tations des personnes dont les noms figurent la foule. Hasfeld, trésorier de la Vie Ouvrière, au fameux carnet B — militants ouvriers pour harangue à la gare de l'Est les réservistes et la plupart, qui ont déclaré qu'en cas de guerre les incite à mettre la crosse en l'air : il est ils recourraient contre elle à tous les moyens. assommé... Guinchard, secrétaire de la Fédé­ Les obsèques de Jaurès, le 4 août, se sont ration des Transports, qui s'est emparé d'un déroulées sans incident. Jouhaux, secrétaire drapeau tricolore et en a brisé la hampe, est de la C.G.T., a parlé « au nom des travailleurs assiégé dans le café où il s'est réfugié par une qui sont partis, au nom de ceux qui vont foule qui veut l'écharper... Le serrurier Du- partir et dont je suis ». Il devait partir, mais chêne est piétiné devant la Bourse du travail pas pour le front, pour Bordeaux où il suivra parce qu'il a parlé contre la guerre ; on le au début de septembre le gouvernement qui se relève, la jambe fracturée... replie à l'approche de l'ennemi... Ce même Mais ce sont là des cas exceptionnels de 4 août, dans un message lu à la Chambre non conformisme. Les craintes que pouvaient des députés, Raymond Poincaré convie les concevoir les classes dirigeantes sur l'attitude Français à « l'Union sacrée»... Les socialistes de la classe ouvrière en cas de conflit se révè­ obtempèrent, votent à l'unanimité les crédits lent sans fondement. En Russie, la guerre est de guerre, la restriction des libertés de presse présentée comme une défense du slavisme, en et de réunion... Allemagne comme une lutte contre le régime Le courant en faveur de la guerre est tsariste que détestent socialistes et libéraux, en 38

France comme une guerre menée pour le droit soumis à la couronne d'Angleterre. Et chacun et la civilisation. En Angleterre, quelques dépu­ d'appuyer son impérialisme ! tés travaillistes, quelques libéraux pacifistes, espèrent empêcher la déclaration de guerre, Après l'occupation de la Belgique, Jules mais la violation de la neutralité belge révolte Guesde entre dans le gouvernement comme l'opinion et les réduit au silence. Seul le groupe ministre sans portefeuille, Marcel Sembat de­ bolchévik de la IV“ Douma stigmatise dès vient ministre des Travaux publics. La parti­ le début la guerre impérialiste : les députés cipation des socialistes au gouvernement est bolchéviks seront arrêtés en novembre 1914, ratifiée par la Commission administrative per­ jugés et condamnés en février 1915. manente du Parti. Les socialistes anglais et français se dres­ En mai 1915, Albert Thomas est nommé sent contre l'impérialisme allemand, mais ou ­ sous-secrétaire d'Etat de l'armement. L'homme blient l'impérialisme russe et celui de leur qui déclarait que l'Internationale ouvrière impo­ propre pays. Les sociolistes allemands invo­ serait aux gouvernements capitalistes la paix quent la guerre contre le despotisme du tsar des peuples s'applique désormais à accroître et secondent le kaiser. Pour les uns comme la production des obus. Le Parti socialiste pour les autres, la déroute de l'ennemi doit accepte, au nom de « la guerre qui tuera la marquer un progrès du socialisme. Les socia­ guerre », la mise en sommeil de toutes les listes de l'Entente démontrent que seule la revendications prolétariennes. Ses représen­ défaite de l'Allemagne apportera la liberté tants siègent dans les Conseils du gouverne­ au peuple allemand. Les socialistes des Empi­ ment à côté des chefs de la clique impéria­ res centraux soutiennent que seule la défaite liste, Poincaré, Viviani, Millerand, Ribot, tous de l'Angleterre apportera la liberté aux peuples sacrés champions du droit et de la liberté !

LE PARTI SOCIALISTE UNIFIE ET L'ANARCHO-SYNDICALISME A L'EPREUVE DES FAITS

Peu ovant la guerre, le socialiste Marcel « Sitôt l'attaque de Tripoli, ç'a été le coup Sembat avait publié un livre : « Faites un roi, de folie, le flot débordé. Rien à faire ! Tout sinon faites la paix », Il y annonçait l'abdica ­ le peuple marchait pour la guerre. Le Parti tion du Parti socialiste, son ralliement à la socialiste ! Les Syndicats ! Une poignée de bourgeoisie dès la déclaration de la guerre, en bonshommes qui rédigeaient des ordres du jour s'appuyant sur le récent exemple italien, quand et qu'on ne prenait même pas la peine de éclata en 1912 la guerre italo-turque : fourrer en prison, tant on s'en fichait. Voilà 30

ce qui leur est arrivé, à nos amis d'Italie ! » tion dût en surgir nécessairement. Pour qu'une (p. 109). situation révolutionnaire aboutisse à la révo- lutian, il faut que les classes dominantes ne Pour une fois, Marcel Sembat, qui s'est puissent maintenir leur domination, qu'il y ait si régulièrement et si complètement trompé crise au sommet et que l'indignation, l'esprit en tout, voyait juste. Lui qui incarnait fort de révolte s'emparent des classes assujetties, bien la dégénérescence opportuniste du Parti que la base oppose aux ordres venus d'en haut socialiste unifié, il savait mieux que personne un refus. Or, pendant les jours de crise qui que les engagements solennels des Congrès, précèdent et suivent la déclaration de guerre, les menaces de grève générale et d'insurrec ­ le gouvernement français, expression de la tion lancées de la tribune des meetings bourgeoisie, se montra singulièrement habile n'étaient que de vaines paroles dans la bou­ dans l'application de sa politique, alors que les che de politiciens habitués et acquis depuis représentants du socialisme unifié et des syn­ longtemps à la collaboration des classes. dicats donnaient le spectacle de leurs incerti­ Certes, la déclaration de guerre, le déclen­ tudes, de leurs faiblesses, de leur inactivité, de chement d'un conflit qui précipitait les uns leur manque d'initiative, de leur désarroi... contre les autres les travailleurs de la majeure Le gouvernement émoussa les quelques partie de l'Europe créait une situation révolu­ velléités de résistance des socialistes et des tionnaire dans une Europe qui, au dire de syndicalistes, en les assurant qu'il pratiquait Kautsky lui-même en 1909, était mûre pour dans la coulisse une politique de paix, ce que une révolution socialiste. La guerre qui se les chefs du monde ouvrier, soit par attache­ déchaînait, bien qu'elle fût une guerre de ment à leurs illusions, soit par crainte d'un défense nationale pour certains pays comme affrontement direct avec les autorités, ne de­ la Serbie et la Belgique, et, dans une mesure mandaient qu'à croire. En suspendant l'appli­ moindre, pour la France, trop engagée dans cation du carnet B, le gouvernement fit un la compétition impérialiste internationale, trop coup de maître : il désorienta encore davantage liée par son alliance avec la Russie réaction­ les masses en les incitant à douter de la bonne naire, présentait bien, dans ses traits domi­ foi et de l'honnêteté de leurs militants les plus nants, les caractéristiques définies par les Con­ actifs, les plus révolutionnaires, déconsidérés grès de Stuttgart, de Copenhague et de Bâle, par cette bienveillance suspecte. c'est-à-dire qu'elle était une guerre impérialiste, inspirée par une politique de conquêtes et de Quant aux chefs socialistes et syndicalistes, rapines, une guerre déclenchée pour un nou ­ au lieu de porter l'agitation contre la guerre au veau partage du monde entre les grandes sein des masses, ils prirent prétexte de l'irrésis­ puissances et qui ne pouvait qu'être néfaste tible courant chauvin pour le suivre et se aux intérêts du prolétariat. rallier ouvertement à la bourgeoisie. Mais si la situation ainsi créée était révo­ C'était là une trahison du socialisme révo­ lutionnaire, cela ne signifiait pas que la révolu­ lutionnaire, préparée de longue date par l'op­ 40

portunisme, l'intégration à la société bourgeoi ­ Dès la mobilisation, Guesde, qui a sous-estimé se, la pratique d'un réformisme qui excluait le travail de dénonciation de la guerre en l'in­ la perspective révolutionnaire. cluant dans la dénonciation générale du capita­ L'opportunisme n'ovoit pas seulement dé­ lisme, ne voit qu'une chose : la France est moralisé les chefs, il avait répandu dans les attaquée, il faut la défendre. Jaurès, plus masses des illusions qui les laissèrent, quand préoccupé que Guesde par la menace cons­ sonna l'heure de vérité, désarmées devant la tante de la guerre, fait preuve, dans ce do­ bourgeoisie. Sans doctrine révolutionnaire, sans maine, sur le plan théorique, d'une troublante organisations capables de mener la lutte contre ambiguïté. Alors qu'il prend une part impor­ le pouvoir bourgeois, déroutées par les décep­ tante à la rédaction des résolutions de Stutt ­ tions que leur avaient apportées les timidités gart et de Bâle, où ne figure même pas le du socialisme parlementaire, les exagérations terme de défense nationale, mais où le prolé­ verbales et les initiatives inconsidérées, stéri­ tariat est invité à lutter de toutes ses forces les, impuissantes de l'anarcho-syndicalisme, les contre l'impérialisme, Jaurès conçoit et écrit masses soumises de toute part à l'idéologie son livre sur l'Armée nouvelle, dont la défense et aux pressions de la classe dominante, ne de la patrie est précisément l'idée maîtresse. purent que se laisser entraîner vers l'abattoir... Si la pensée des dirigeants du socialisme français demeure si incertaine, comment faire Tout contribua à répandre la confusion grief aux masses, surprises et prises à la gorge dans leur esprit. Il convient de rappeler que par l'événement, de n'avoir pas vu plus clair ? le patriotisme est une des constantes du mou­ La bourgeoisie a su admirablement profiter de vement révolutionnaire, du mouvement ouvrier toutes ces confusions, du manque de capacité français. Sous la grande Révolution française, des masses prolétariennes dans la lutte immé­ patriote était synonyme de sans-culotte. Les diate et résolue contre l'impérialisme, manque volontaires de l'an II s'élançaient au combat de capacité dû en grande partie à l'insuffisance en criant : « Vive la Nation ! ». La Commune d'une juste perception des réalités politiques. de 1871 éclata comme une protestation des ouvriers parisiens contre la trahison du pays Mais, dira-t—on, puisque dans la cons­ par la classe dirigeante. L'antimilitarisme du cience des travailleurs la notion de défense prolétariat en France s'accordait avec un sens de la patrie l'avait emporté sur le sentiment aigu et profond de la patrie, qui représente de solidarité qui les unissait aux travailleurs pour l'ouvrier son droit à une existence décente des pays ennemis, puisque devant l'état d'es­ et à un avenir meilleur. prit des masses et la puissance de la bour­ geoisie la révolution se révélait impossible, Certains traits du courant blanquiste, le quelle attitude devaient adopter les chefs qui vieil appel de « la Patrie en danger » ne avaient souscrit aux résolutions de Stuttgart pouvaient pas ne pas laisser des traces profon­ et de Bâle, et entendaient demeurer fidèles des dans cet agrégat composite que repré­ à l'internationalisme prolétarien ? sentait l'idéologie du Parti socialiste unifié. Un des marxistes les plus éminents de cette -Il

époque nous l'expose. Il écrit en février 1915 : Pareil discours aurait valu la prison à un dé­ « Que devaient donc faire les socialistes puté de Belgique, de France ou d'ailleurs, belges ? Puisqu'ils ne pouvaient pas accomplir et non un fauteuil ministériel ; mais il serait un la révolution sociale avec les socialistes fran­ socialiste, et non un traître, et aujourd'hui, çais, etc., il leur fallait, sur le moment, se dans les tranchées, les ouvriers-soldats de soumettre à la majorité de la nation, et partir France et d'Allemagne parleraient de lui com­ pour la guerre. Mais, tout en se pliant à la me de leur chef, et non comme d'un traître volonté de la classe des esclavagistes, ils de­ à la cause ouvrière ». vaient faire retomber sur elle toute la respon­ Page magistrale ! Page flamboyante ! Il sabilité, ne pas voter les crédits, ne pas expé­ est vrai que celui qui l'écrivit s'appelait Lénine. dier Vandervelde en tournées ministérielles chez les exploiteurs, mais le déléguer (avec les social-démocrates révolutionnaires de tous les pays) parmi les organisateurs de la propa­ gande révolutionnaire illégale en faveur de la « révolution socialiste » et de la guerre civile ; il fallait exécuter ce travail au sein de l'armée également d'expérience a montré que même la « fraternisation » des ouvriers-soldats dans les tranchées des armées belligérantes est possi­ ble !). Bavarder sur la dialectique et le marxis­ me, et ne pas savoir allier la soumission néces­ saire (quand elle est provisoirement nécessaire) à la majorité avec l'action révolutionnaire, quelles que soient les circonstances, c'est se moquer des ouvriers et du socialisme. « Ci­ toyens de Belgique ! Un grand malheur s'est abattu sur notre pays, par la faute de la bour­ geoisie de tous les pays, y compris la Belgique. Vous ne voulez pas renverser cette bourgeoisie, vous n'avez pas foi dans un appel aux socia­ listes d'Allemagne ? Nous sommes en mino­ rité, je me plie à votre volonté et m'en vais à la guerre, mais à la guerre aussi je prônerai et je préparerai la guerre civile des prolé­ taires de tous les pays, car en dehors d'elle il n'y a pas de salut pour les paysans et les ouvriers de la Belgique et des autres pays ! » -12

Publiées en octobre 1919 ô Paris, aux Hditions de la Sirène, sous le litre Noies sur la Révolution Lolcliéviquo. les lettres de Jacques Sadoul au ministre socialiste Albert Thomas et à d ’autres correspondants appor ­ tent un témoignage de premier ordre, direct et sincère, sur la Révolution d 0ctobre 1917 et la naissance de l'Union soviétique. Le texte d'Henri Barbusse ici reproduit constitua la préface de ce recueil et fut rédigé en juillet 1919. Nous le faisons suivre de deux lettres de Jacques Sadoul particulièrement significatives : celle du 7 novembre 1917 (25 octotre de l ancien calendrier russe) écrite aux premières heures du déclenchement de l’insurrection à Pétrograd, et celle du 14 juillet 1918 adressée à Romain Rolland. Le lecteur de 1967 doit bien entendu tenir compte du moment où furent élaborés ces différents te.xtes, leurs auteurs ayant eu.x-mêmes évolué de manière assez remarquable. Envoyé en Russie au début de I automne 1917 comme chargé de mission du ministre de l’Armement Albert Thomas, le capitaine Jacques Sadoul deviendra en 1919 l un des membres actifs du groupe communiste français de Moscou. Et nous voyons ici Henri Barbusse, passionnément dressé contre l’intervention impérialiste antisoviétique de 1919. prendre progressivement conscience de ce que représente la Révolution d ’Octohre pour l’avenir socialiste de tonte l’humanité, à l’époque d ’une décisive « lutte mondiale des idées, des hommes et des choses ». La prélace de Barbusse publiée ci-contre est conlorme au texte de l édition originale; nous avons supprimé la dernière page, relative au procès de Sadoul. Les sous litres intercalés dans cette préface sont de la rédaction des Caliiers. 15

HENRI BARBUSSE

LES LETTRES DE JACQUES SADOUL

il'rcface aux !\’otcs sur la Rcrolution holchévitiur. Octohn’ l‘)17 - jauvivr

La pnblicalioii intégrale de ces nott\< «le bonne foi est «leslinée aux gens de bonne foi. Elle a été décidée en tonte conscience par des boinmes qui connaissent et estiment Jacques Sadonl. mais qui. s’élevant au dessus «les questions personnelles, sont surtout les amis de la vérité. Ils demandent à l’opinion publique d’en prendre connaissance sans parti pris. L’avocat Jacques Sadonl, niobili.sé au début de la guerre comme officier de ré.serve et affecté au 1.56*' régiment d'infanterie, a été réformé pour infir­ mité du genou, et versé au conseil de guerre de Troyes, où il a rempli tout son devoir humain vis-à-vis des humbles soldats. Ses opinions socialistes, pour lesquelles il avait, avant la guerre, milité à Paris et dans la Vienne, ses relations amicales a>ec Albert Thomas, déterminèrent celui-ci à l’attacher à son cabinet lorsqu'il fut ministre de r.Vrincmcnt.

LE CAPITAINE SADOUL A PETROGRAD

En octobre 1017. Albert Thomas radjli

(le celui-ci el de M. Loucheur Ces rapports sur les évéïieiiienls n’étaient pas l’objet de sa mission : le capitaine Sadoul remplissait, dans le corps d’offi­ ciers envoyés en Russie, un rôle technique. Ce n’est qu ’à titre privé, amical, comme il le spécifie, qu ’il correspondait avec Albert Thomas lui-même. Cette série de lettres est admirable. Ecrites après des journées lourdes de travail et encombrées de démarches, les lettres de Sadoul ont les prandes (pialités (à peine, parfois, les petits défauts) de l’improvisation, et renferment des papes lumineuses. Une sincérité irrésistible les anime, et l’auteur y révèle une larpeur, une acuité et une continuité de vues peu communes chez ses contemporains. Une forte méthode critique préside à l’enquête que Sadoid entreprend à lui seul de mener à Pétroprad et à Moscou. Le nouveau spectateur débarqué (l’Occident au centre de cette seconde révolution russe qui est, sans conteste, la conjoncture capitale des temps modernes, n’apporte aucun système d’optique préparé à l’avance et ne subit aucune influence contingente. Il regarde, il étudie, il analyse, en toute liberté d’esprit. Dès le premier jour, il sait démêler, dans le spectacle du monde russe en chaos et en travail, ce qui est tran.sitoire et ce qui est durable, ce qu ’il faut dédaigner et ce qu ’il faut craindre. Il sait, à travers les apparences et les travestissements, et les flots de paroles, discerner l’essentiel : il indique, là où ils sont, les courants profonds. Les preuves de sa clairvoyance abon ­ dent : ses prévisions sont, à mesure, confirmées par les faits. Quand on se rapporte aux dates où ces lettres furent écrites, on est bien obligé de recon­ naître que celui qui les a signées s’est bien rarement trompé. Il jupe comme il voit, en réaliste. Ses idées politiques de socialiste « conci­ liateur » le mettent en garde contre le bolcbévisme : «Je ne suis pas bolche ­ vik », dit-il, en novembre 1917, et répétera-t-il en juillet 1918. Mais il fait, av(»ns-nous dit, abstraction de ses tendances pers(ïiuielles : « Je mets mou socialisme de côté ». Il étend, autant qu ’il le peut, son champ d’investipati(Ui, il .«e met en rapports non seulement avec les représentants du pouvoir sovi('- tiste, surtout avec Trotski mais avec des personnalités, toutes qualifiées et importantes, appartenant aux divers partis de l’opposition : menchéviks. socialistes (huuocrates, socialistes révolutionnaires, anarchistes, socialistes de droite, cadets et iiiênic in(>narchist('s.

(1) De ces pages nous n'avons pu retenir Ici que deux lettres ; celle du 7 novembre 1917 adressée à Albert Thomas et celle du 14 juillet 1918 adressée à Romain Rolland. (N.D.L.R. I 12) Ce sont les fonctions de Trotskf à l’époque, au ministère des Affaires étrangères, qui ont fait de lui le représentant du gouvernement soviétique le plus fréquemment en contact avec les Journalistes, hommes politiques et diplomates des missions étrangères à Pétrograd et à Moscou. (N.D.L.R.l ^3

Sou enquêle, imprégnée île puiiilivisme et il'objectivité, étrangère à la théorie abstraite autant qu ’au parti pris, dégage bientôt les grandes formes solides de la réalité. Tel qu ’il est, dit-il, dès l'abord, le bolcbévisme est une force établie. On le croit éphémère, c’est une erreur. L’idée en est enracinée dans la popidation rn.s.se. Bon gré mal gré, les intérêts du bolchévi.sme .sont désormais liés à ceux de la Kn.ssie. 11 faut donc tenir compte, pour faire enivre pratique, de cette vérité de fait.

LES MASSES SONT AVEC LE PARTI DE LENINE

C’est en vain qu ’à ce moment, les fractions antibolchévistes multiplient les attaques et les invectives contre le gouvernement des Soviets. La plupart de ces accusations sont fallacieuses, mais quand bien même quelques-unes d’entre elles seraient fondées, Sadonl n’en juge pas moins absolument stérile cet effort de l’opposition. Son argumentation est nette et irréfutable : aucun autre parti ne peut, avec quelque chance de durée, se substituer à ceux qui se sont substitués à Kérenski. Les socialistes démocrates et révolutionnaires ont montré leur incapacité en se dérobant à l’action, lorsque s’est déchaînée la seconde révolution. Ils ne sont bons que dans le rôle facile et fantôinal de protestataires. Quant à la bourgeoisie, que la distante ignorance de certains Français de France s’ob.stine à dénommer « l’élément sain » de la Russie, et qui est, d’ailleurs, beaucoup plus « capitularde » et germanophile que le peuple, elle est moins capable que jamais de prendre efficacement le pouvoir dans la terrible crise de la fin de 1917. La cause du communisme et de la paix, que Lénine et Trotski représentent aux yeux d’un peuple qui ne lâchera plus jamais son idéal d’affranchissement, et d’une armée dont la décomposition et l’impuissance sont alors presque irrémédiables, survivra aux hommes ins­ tallés à l’Institut Smolny : les nouveaux maîtres devraient, pour réussir et se maintenir, s’appuyer sur le même programme, et « se déguiser en bol- ebéviks », (le dernier discours officiel de Kérenski, le 24 octobre, en témoigne éloquemment). Si, pourtant, il y a une puissance susceptible d’imposer une autre loi à l’ex-empire des Tsars : la puissance allemande.

l3) La ralliement de Trotski à Lénine fut en réalité calculé et fragile. Il allait être remis en cause dès le début de 1918. lors des négociations de Brest*Litovak. tN.D.L.R.) 46

Deux alternatives : la Russie sera bolcheviste et nationale, ou bien anli- bolcheviste et pro-allemainle. C’est cette double alternative que Jacques Sadoul, dès l’avènement de la République maximaliste met en évidence avec une lopque serrée, et, à notre sens, définitive. Elle est angoissante et tragique, et domine le conflit des idées et des choses dans l’Europe orientale. 11 s’y débat désespérément, car il ne se contente pas de voir et de juger, il agit, ou plutôt, il veut agir. Dans l’action, il n’est plus impartial, un parti pris le pousse. Il se place exclusivement et obstinément à un seul point de vue : le point de vue français et allié. Le constant souci qu ’il avoue et qui ressort de ses démarches est celui-ci ; les Alliés doivent profiter, autant que possible, d'une situation de fait contre laquelle on ne peut rien, en tirer tout ce qu'on peut en tirer en faveur de la cause des démocraties d'Occident. Il apporte à la réalisation de ce plan une volonté inlassable et combative, une ténacité, une souplesse et une habileté, qui méritent à cet homme la reconnaissance de tous les Français. Il ne se décourage jamais, après chaque échec, il répète : « 11 est encore temps ». C’est qu ’il est isolé. 11 est seul à juger les choses de haut, à défendre une conception positive et pratique, à prévoir et à s’acharner. Certes, il n’agit pas en secret. C’est à la demande du chef de la Mission qu ’il a pénétré pour la première fois à Smolny et vu Trotski. Ou ne le désavoue nullement en principe, on suit même son effort, il en rend compte à ses chefs hiérarchiques. Ceux-ci, en plusieurs circonstances, réclament son intervention auprès des personnalités puissantes avec lesquelles il est en relations. A diverses reprises, les services rendus par Jacques Sadoul à la cause française et à la cause des Alliés sont officiellement reconnus par les représentants des puissances, sans préjudice des petites persécutions et des procédés équivoques mis, dans la coulisse, en œuvre contre lui. C’est avec des sourires de scepticisme qu'on accueille ses idées, sans les combattre nettement et tout en acceptant certaines conséquences. Les représentants de la France jugent le gouvernement des commissaires du peuple comme on le juge à Paris, à trois mille kilomètres. Ils sont même « à dix mille lieues de la réalité », Us se maintiennent étroitement l'un l’autre dans un hautain mépris du bolchévisme et se répètent entre eux : ties « gens-là » diparaîtront « demain », ce ii’est vraiment ()as la peine de se ])réoccuper d’eux.

(4) Le terme était fréquemment utilisé dans la presse française, et à contre-sens, H la place du mot bolchévifc. iN.n.L.R.) 47

Notre service

L’ANTISOVIETISME DES PUISSANCES ALLIEES

11 faut dire, cl il faudra répéter, que le début de la scission entre les Alliés et les bolcheviks est venu de plus haut que de nos piètres représentants officiels. Le livre que Sadoul a osé écrire, par fragments, par sursauts, après 48

avoir eu le eoiirage et la patience de le vivre, met crûment en lumière, par (les détails précis, cette l'orinelle accusation ; les Alliés sont responsables de la paix russo-allemande. Ils en sont responsables, parce qu'ils n'ont jamais déclaré leurs buts de «uerre. L’bistoire n’aura malbenreuscmeni aucune peine à établir (]ue les Alliés ont, pendant toute la durée de la 'luerre, bonteusenient caché les fins (ju ’ils poursuivaient. C’est, aux yeux des peuples, la tache dont ne se laveront jamais les gouvernements occidentaux, et qui à jamais discréditera leurs manifestations verbales relatives au droit et à la justice. On cherchera en vain, entre leurs paroles et leurs actes, ce rapport absolu qui s’appelle la loyauté. Nous qui avons, ici, durant la sinistre période qui a précédé les accords de Brest-Litovsk, réclamé dans les journaux la dividgation intégrale des buts de guerre, nous savons trop aujourd ’hui pourquoi les Alliés n’ont pas avoué leurs ambitions : elles étaient inavouables. Elles comportaient l’annexion. Tandis que les Lloyd George et les Bonar Law — pour ne prendre qu ’un exemple - - affirmaient dans des discours qu ’emporta le vent : « Nous n’agrandirons pas notre territoire d’un pouce », ils convoitaient les millions de kilomètres carrés qu ’ils se sont adjugés. C'est sans doute en vertu du vieil adage d’après lequel les écrits demeurent et les paroles s’envolent, que nos potentats ont osé, avec tant de vertueuse colère, reprocher à des adversaires de mauvaise foi d’avoir traité les engagements pris de chiffons de papier. Les faits sont patents, et l’on ne peut plus les réfuter par des outrages ; lorsque les bolcheviks ont proposé l’armistice, il était possible d’empê­ cher la paLx séparée Comment ? Par un seid moyen, préconisé par Trotski, lui-même — et Sadoul, qui a joué à ce moment un rôle actif.

(5) Une paix générale. Juste et démocratique, était l'objectif du célèbre Décret sur la paix. Dès le S novembre 1917. le pouvoir soviétique avait proposé à tous les pays en guerre un armistice immédiat et Touverture de pourparlers de paix. La bourgeoisie de France. d'Angleterre et des Etats-Unis s'y était opposée car elle cherchait les moyens de poursuivre sa guerre impérialiste en y entraînant de nouveau la Russie, pour des buts inavouables, des buts de conquête et de rapine. D’autre part, en poussant la République soviétique à la guerre contre l'Allemagne, la bourgeoisie russe et celle de tous les pays de l’Entente espéraient profiter de défaites militaires du Jeune pouvoir soviétique dans une Russie exsangue pour y étouffer la révolution socialiste et restaurer l’ordre ancien. C’est le refus des dirigeants de l'Entente de conclure la paix qui amena le gouvernement soviétique à signer un accord d’armistice avec l'Allemagne, le 2 décembre 1917, et à entreprendre les négociations de Brest- Litovsk pour un traité de paix. Quant au rôle de Trotski. dont la duplicité transparaît à certains propos que rapportait Sadoul et que mentionne ici Barbusse, il a été dans ces circonstances très ambigu et en forme) désaccord avec les positions de Lénine. A un moment crucial des pourparlers de Brest-Litovsk. Trotski devait transgresser les directives de Lénine. Refusant de signer le traité de paix tout en proclamant la cessation unilatérale des hostilités et la démobilisation de l'armée, Trotski exposa alors la République des Soviets aux plus graves périls. Voir à ce sujet les travaux de Lénine : Contribution à Vhistoire d’une poij' njalArurcwsc et Postface aux thèses sur ia conclusion immédiate d'une paix séparée et annexiotinisfe. lŒuvres de Lénine. Tome 26. pp. 461-472. Editions Sociales. Parts. 1958.) (N.D.L.R.) 40

a ctalili ces clinses qui (loivciil rester "ravées dans la mémoire des hommes -— : provoquer un suprême sursaut de la malheureuse armée russe, lui faire faire l'impossible, en la persuadant, eontre son opinion, que les aspirations des Alliés n’étaient pas impérialistes. La « jçuerre sacrée », c'est-à-dire la guerre pour la délivrance des peuples, pour l’idéal de justice, était runique recours (jui restait, afin de sauver encore riiidépendancc de la Russie et en même temps d’éviter le formidable eontre-eoup militaire que la |)aix russo-allemande ne pouvait manquer de porter aux armées française, anglaise et italienne. Cette révolte idéaliste des restes de rarmée russe décimée après quarante mois de défaites (mais encadrée et soutenue par nous) n’aurait peut-être rien donné Qui sait pourtant, et comment juger ce qui n’a pas été ? En tout cas, si les Alliés avaient fait leur devoir, en prouvant leurs intentions désinté­ ressées, ce n’est pas seulement dans leurs pompeuses paroles officielles, c’est «lans la réalité, que la force allemande fût apparue aux yeux de l’univers comme la seide force militariste et oppressive, et notre cause en était singidiè- reinent rehaussée moralement, c’est-à-dire matériellement. Mais même après notre refus de |)ublier nos buts de guerre, même après les révélations des traités secrets : même si pour des raisons indignes, les Alliés n’avaient pas cru devoir adhérer aux propositions de paix purement démocratiques présentées par la Russie, en novembre 1917, quittes à rompre de façon éclatante les pourparlers, si la morgue et l’impérialisme germaniques les avaient refusées à la face des peuples, tout n’était pas perdu. On pouvait encore se servir de la Russie, atténuer les conséquences de la paix qu ’on avait laissé s’accomplir, qu ’on avait aidé, indirectement, mais positivement, le Kaiser à imposer. Le lecteur de ce livre se rendra conq)te que de multiples occasions sc sont successivement présentées et ont été successivement perdues, de contre­ balancer en Europe orientale les manœuvres des Empires Centraux. Il verra aussi que bien d’autres mesures, dont on s’est servi ensuite pour attiser la haine, creuser le fossé entre la Rus.sie et les pays d'Occident (notamment

tCi La « révolte Uîéaliste des restes de l’nrmée nisse * d'ins cos conditions eCit été d'autant plus illusoire qu'elle aurait signifié, avec les moyens matériels et les cadres fournis par l'Kntente. l’utilisation pure et simple du soldat russe pour une cause parfaitement étrangère, celle de l'impé­ rialisme poursuivant sa guerre, Or, la Révolution d’Octobre a justement levé, comme l'a montré Lénine, l’étendard de la kilie contre rimpêriallsme et la guerre. « Les ouvriers du monde entier, de quelque pays qu ’ils soient, sympathisent avec nous, nous acclament et nous applaudissent parce que nous avons rompu les chaîne.^ de l’impérialisme et ses traités sordides ; parce que nous avons conquis notre liberté .au prix des plus lourds sacrifices ; parce que nous, république socialiste martyrisée et ravagée par les impérlaHste.s. noua sommes restés en dehors de la guerre impérialiste, et avons levé à la face du monde entier ie drapeau de la paix, le drapeau du socialisme. » iLéiiIne. Tome 28. p. 60.) tN.D.L.U. i 50

l’annulation des emprunts étrangers), auraient pu être ou limitées ou évitées. La politique ententiste, en Russie, a débuté en novembre 1917 par une faute (la postérité s’exprimera sans doute plus sévèrement) ; elle a continué par des sottises.

LA REALISATION SOCIALISTE ENTREPRISE

Le recueil des lettres de Jacques Sadoul ne constitue pas seulement un mémorable réquisitoire contre la politique des Alliés en général et contre celle des mandataires des Alliés en Russie, en particulier. Cette documen ­ tation éclaire le problème si grave et si haut de la réalisation socialiste entre­ prise par le régime des Soviets. Jacques Sadoul est arrivé, à Pétrograd, antibolchcviste. Bien que, dans les premiers mois de son séjour — j’ai insisté sur ce point — il se soit exclu ­ sivement attaché à établir, entre la Russie bolchévique et la France, des relations utiles aux intérêts communs, il ne se fait pas faute de porter des appréciations sur le bolchévisme lui-même, et il ne lui ménage pas les criti­ ques. Ces critiques portent non sur les principes fondamentaux de la charte nouvelle, mais sur les exclusivismes excessifs, sur les procédés arbitraires et dictatoriaux employés par les commissaires du peuple pour donner instan­ tanément une existence concrète à des principes purs. Ses préventions se sont dissipées. Elles sont, pour mieux dire, descendues à leur rang d’arguments secondaires dans rimmense procès actuellement ouvert devant la conscience humaine. Les griefs qu ’on pouvait (qu ’on peut encore peut-être) invoquer touchant l’application — et que les formidables difficultés, les hostilités féroces auxquelles les réforniateiirs de l’Est se sont trouvés en butte de toutes part, expliquent, en partie — se sont effacés aux yeux de ce témoin devant l’importance originale de l’oeuvre morale et sociale qu ’il s’agissait de faire vivre à jamais, ou de laisser mourir. Au reste, le bolchévisme lui-même s’cst modifié. Au contact de la réalité, le système entier a pris plus de souplesse. Il a atténué, pour l’adapter à la vie d’un peuple innombrable et très jeune, la rigidité implacable et parfoi.s bornée de certaines de ses premières méthodes d’action. On a remédié à ce que présentaient de trop rudimentaire et de nuisible à la production des mesures telles que le contrôle exclusif des ouvriers sur le travail industriel, l’inutilisation des compétences et même la pratique stricte du communisme dans la rétribiition du travail des u.sines. La deuxième 51

rôvohilion russe a, par la volonlé de ses dirigeants, refait mieux ce qu ’elle avait défait trop vite, et [>ris bientôt une forme évolutive. Elle a compris qu ’on ne construisait pas aussi sommairement qu ’on détruisait ; — on ne détruit que ce qu ’on remplace, dit Auguste Comte —, qu ’il y a lieu, tout au moins, de tenir compte d’une période de transition dans l’édification des choses et (c’est une des maîtresses préoccupations de Lénine) dans l’édiicatiou morale et civique des intéressés eux-mêmes. Cet assagissement dans l’audace et la création a été si marqué, que Sadoul a pu employer, quelque part, cette expression ; « les ex-bolcliéviks Trotski et Lénine », et qu ’elle a fourni des armes terribles à l’opposition russe de gauche Elle a amené une recrudescence farouche de la campagne anar­ chiste. En même temps que les soldats désordonnés du drapeau noir, les socialistes révolutionnaires ont puisé, dans ce qu ’ils appelaient les défail­ lances du pouvoir des Soviets, les éléments d’une violente offensive. L’acte le plus émouvant du drame, ce furent, en juillet 1918, ces extraordinaires scènes du 5^ Congrès pan-russe de Moscou, à côté desquelles les séances les plus orageuses de notre Convention nationale paraissent anodines. Le tableau est peint ici de main de maître ; la terroriste Spiridonova, Kamkoff, et tous les militants de l’émeute, prêts à reprendre en mains, comme ils le vociféraient, le revolver et la bombe, et qui, à ce moment même, faisaient assassiner l’ambas ­ sadeur allemand Mirbacli, pour créer de l’irréparable, se sont frénétiquement déchaînés en imprécations et en menaces contre le gouvernement des Soviets, et ces clameurs de haine se sont brusquement tues, brisées par le rire terrible et glacial qui s’épanouissait sur la face mogole du grand Lénine

<7) La lettre qu'évoque ici Henri Barbusse est celle du 15 avril 191S où, s'adressant à Albert Thomas, Jacques Sadoul suggère à sa façon un appui des Alliés au gouvernement soviétique : « Et comment ne voit-on pas qu ’au lieu d’exciter contre les bolchéviks les partis démocratiques d’opposition, il serait plus sage d’intervenir, comme tuteurs de la Russie, officieusement et discrètement, pour faciliter le rapprochement devenu possible entre ces démocrates et les ex-bolchëviKs Lénine et Trotski. N’est-ce pas là la formule qui permettrait aux Alliés d’appuyer franchement le gouvernement des Soviets... ? >. L’appellation «les ex-botchéviks » parait donc exprimer un souhait de Sadou), dans l’hypothèse qu ’il formule d’une alliance englobant menchévlks, aoclallstes-révolutJonnaires et bolchéviks. L'atta­ chement sentimental et doctrinal aux positions de son propre parti (la majorité du Parti Socialiste S.F.I.O. encore embourbé dans l'opportunisme) inclinait alors Sadoul à rechercher une impo.ss1ble conciliation des contraires. (N.D,L.R.) (8) L’impitoyable logique de la lutte des classes va révéler crûment le fond réel des tendances de « l’opposItiOD démocratique » en lutte contre les bolchéviks. Sous l'éclat des couleurs et des attitudes passionnées, dépeintes par Sadoul au début de juillet 1918. demeurent des actes lourds de conséquences : l’assassinat de Mirbach et le soulèvement armé déclenché à Moscou contre le pouvoir soviétique par les dirigeants du parti des S.R. (socialistes révolutionnaires) de gauche. Déjà en mars 1918, prenant prétexte de la conclusion du traité de Brest-Litovsk. \es représentants de ce parti avaient démissionné du gouvernement soviétique. Par la provocation à la guerre avec l’Allemagne et par leur tentative insurrectionnelle antisoviétique de juillet, organisée 32

C’est de ce (Congrès qu ’est sortie la « loi fondamentale » de « la Répu­ blique Socialiste Fédérative des Soviets de Russie ». Pour tout hoinine de bonne foi, cette constitution apparaît parfaitement cohérente et basée sur de grandes lois murales et logiques. Elle institue l’expropriation des riches et des grands propriétaires, l’élimination temporaire (puisqu ’elle supprime les classes) des ex-éléments bourgeois, susceptibles de contaminer l’ordre nouveau de germes contre-révolutionnaires, elle institue la loi de travail égale pour tous et pour toutes, l’égalité des droits à l’instruction, elle consacre à la face du monde le pouvoir direct du peuple, et la solidarité internationale absolue entre tous les prolétariats.

LA GRANDE VOIX MENTEUSE DE LA PRESSE BOURGEOISE

Quelles que soient nos idées personnelles sur les régimes politiques et sociaux, cessons, si nous voulons éviter d’encourir un jour un honteux ridicule, de juger le bolchévisme à travers ce qui nous a été exposé jusqu ’ici par des informations officielles manifestement mensongères (les faits l’ont cent fois prouvé) ou par des informations officieuses manifestement intéressées. Ayons le bon sens de comprendre qu ’il est puéril de recueillir le mot d’ordre sur cette question gigantesque, soit de M. Clemenceau ou de M. Pichon, qui ont si souvent démontré leur peu de clairvoyance et leur esprit antidémocratique, soit de journaux domestiqués par la haute finance, soit de ces ex-fonctionnaires et dignitaires, débris des régimes déchus, réfugiés à Paris, et qui sont seuls à prétendre représenter le peuple de toutes les Russies. N’écoutons pas non plus les démocrates ou socialistes antibolchévistes, les Kérenski, les Tchernov, les Savinkof, etc., adversaires a priori qui apportent dans les polémiques leurs rancunes de partis dépossédés, et je ne parle pas des agents rapporteurs qui remplissent une fonction rétribuée, et des renégats équivoques, dont la liste, hélas, serait longue. Les désordres, les exactions, ou les violences qu ’on reproche au gouverne ­ ment des Soviets sont, la plupart du temps, ou bien provoqués par les partis d’opposition : les anarchistes qui pillent, ou ceux de droite qui sabotent, ou bien inventés de toutes pièces, ou bien fallacieusement grossis et généralisés de concert avec Us missiona dlplomatiquea étrangères. Us aociaMstes révolutionnaires ont fait U jeu de la bourgeoisie et de la contre-révolution. A l exclusion des bolchévlks, toutes les formations politiques se réclamant du socialisme, des menchéviks aux socInHales-révolutionnaires. se .sont discréditées à l’heure où se jouait l’existence môme de la Révolution socialiste. fN.D.L.R.> 53

grossièrement par la grande voix menteuse de la presse française. Quelle accu ­ mulation de témoignages n’a-t-il pas fallu, pour faire admettre par l’opinion occidentale les nobles et intelligents progrès tentés et accomplis dans tel ou tel domaine d’activité sociale, par exemple à l’Instruction publique et au « Bien-être public », sous rimpulsion de Lounatcbarski et d’Alexandra Kollontaï ! Quant aux mauvais résultats économiques du bolchévisme (admettons-les jusqu ’à preuve du contraire), il n’est pas équitable de les compter au passif des bolchéviks. Que peut-on conclure qui soit convaincant, d’une expérience de cette envergure, tentée dans de pareilles conditions, par un pouvoir encerclé d’une conspiration constante, sapé, espionné et trahi de toutes parts, au milieu d’une population décimée par les épidémies, massacrée par la faim, assassinée en masse par le blocus de l’Entente, et finalement envahie par les canons, les mitrailleuses et les baïonnettes des puissances soi-disant démo­ cratiques ? Reprocher au léninisme les maux dont souffre le peuple russe, c’est faire, en vérité, montre ou d’un bien médiocre esprit critique, ou d’une bien téméraire hypocrisie.

UNE LUTTE MONDIALE DES IDEES, DES HOMMES ET DES CHOSES

Mais on dira : celte hostilité générale, cette malédiction, qu ’a suscitée le bolcliévisme, autour de lui, n’est-elle pas à elle seule caractéristique de quelque tare fondamentale ? C’est préeisément là la question. Oui, en effet, la réprobation antibolcliéviste est significative. Mais ne nous y trompons pas : c'est parce qu ’elle est dans ses principes, organisée, c’est-à-dire solide et conta­ gieuse, que la constitution soviéliste fait naître cette vaste colère dans nos v'ieux pays encore pétris de traditionnalisme

1,9) Dans ses dernières lettres de cette époque, peu avant le retour en France de la Mission militaire, Jacques Sadoul devait tirer honnêtement les leçons des événements dont 11 fut le témoin. Il écrit, le 26 juillet 1918 : « C’est après avoir semé pendant neuf mois cette lutte sans merci contre la Russie soviétlste que nos gouvernements osent s’indigner de la méfiance et de l'hostlUté des bolchéviks à l’égard de l’Entente. Ils flétrissent vertueusement « l’orientation allemande » imprimée à la Russie par les maximalistes... Mais l’orientation allemande du bolchévisme est une fable inventée après tant d’autres... Quels hommes ont résisté et résistent encore aux Allemands en Finlande, en Crimée, sur le Don, au Caucase, partout et toujours ? Les bolchéviks et eux seuls. Quels sont, au contraire, dans tous ces pays, en Ukraine, en Finlande, nu Caucase, en Géorgie, sur le Don, en Russie Centrale, les promoteurs de l'orientation allemande, les valets de l’Allemagne ? Ce sont les hommes que nous avons payés, que nous avons aidés, que nous avons poussés contre les bolchéviks, ce sont nos « bons amis », * les éléments sains », nos « fidèles alliés * bourgeois et aristo­ crates, monarchistes, cadets et soctaiistes-radtcaux de droite.» (N.D.L.R.l 54

Si on veut détruire le gouvernement actuel de la Russie, ce n’est pas parce qu ’il est « bolchevik », c’est parce qu ’il est effectivement socialiste, qu ’il signifie la prise directe du pouvoir par le prolétariat et qu ’il tend à la réalisation de la communauté universelle des travailleurs. Voilà le fond de la réalité ; le reste, ce sont des mots, dont on se sert autant qu ’on peut, mais qui n’ont pas d’importance. Soukhomline établissait dernièrement que le socialisme révolutionnaire finnois n’était pas le bolchévisme et semblait attacher quelque importance à cette distinction. Qu ’a-t-elle pesé devant les monstrueuses représailles réac­ tionnaires qu ’il décrivait dans son étude ? L’amiral Koltebak, sous la bannière sinistre de qui marche effectivement, bon gré mal gré, toute la coalition antibolchéviste (pour la honte de certaines personnalités honnêtes qui composent celle-ci), n’a pas caché sa conception sociale. Il a déclaré qu ’il considérait « les menchéviks et tous les socialistes de gauche, comme des holchéviks », et il a déjà donné des échantillons de sa manière de voir et d’agir en imposant les mesures politiques les plus réac­ tionnaires — suffrage restreint, etc. — dans les régions conquises par lui grâce à l’appui de la France de la Révolution et de la libérale Angleterre. Ayons l’honnêlelé intellectuelle, ayons le courage de considérer l’énorme crise dans toute sa grandeur avant de nous mettre délibérément d’un côté ou de l’autre de la barrière universelle. Car il s’agit — il faut y habituer notre esprit — d’une lutte mondiale des idées, des hommes et des choses. Elle se dessine en lignes nettes et sanglantes, entre les réformateurs qui ont prétendu pour la première fois dans l’histoire abolir réellement l’esclavage des peuples, et, d’autre part, la bourgeoisie internationale — grossie des ignorants, des hésitants et des traîtres, — qui ne veut de cette réforme à auctin prix. C’est le tsarisme capitaliste, avec ses tares, ses corruptions, ses injustices et ses catastrophes, contre le vœu des hommes. C’est l’avenir rationnel contre un passé social qu ’on peut juger par cette seule imprécation : « Rien ne sera pire ! ». Aux intéressés, aux innombrahles intéressés — à la chair à outil et à la chair à canon, aux travailleurs intellectuels et manuels — à comprendre quel souverain principe idéaliste et pratique il est question de sauver ou de perdre. JACQUES SADOUL TÉMOIN DE L'INSURRECTION DU 7 NOVEMBRE 1917

Lettre du 25 octohre/7 novembre 1917.

Mon cher ami. Le mouvement bolchévik s'est déclenché cette nuit. De ma chambre, j'ai entendu le bruit lointain de quelques fusillades. Ce matin, la rue est calme, mais à l'hôtel Astoria, où logent quelques centaines d'officiers russes et la plupart des officiers des missions alliées, la Garde Junker, fidèle au gouvernement provisoire, vient d'être remplacée sans conflit par un détachement bolchévik. Heure par heure, nous apprenons que les gares, la banque d'Etat, le télégraphe, le téléphone, la plupart des ministères sont tombés successive­ ment entre les mains des insurgés. Que font donc les troupes gouver ­ nementales ? Rentrant à la Mission après déjeuner, je me heurte à quatre barricades défendues par de forts détachements : bolchéviks... gouvernementaux ? Impossible de le savoir. Les soldats le savent-ils eux-mêmes ? Interrogé par un camarade, l'un d'eux répond qu'il a été placé là par le Comité de son régiment, mais il ne peut pas préciser s'il attaque ou s'il défend le gouvernement provisoire. J'essaie de rentrer au Palais Marie pour voir Avxentief qui, avant-hier encore, me disait naïvement son entière confiance dans les précautions prises par le gouvernement. Le Palais est gardé par les Junkers. Avxentief n'est plus là, ni personne.

(1) Lettre de Jacques Sadoul & Albert Thomas. 56

Au moment où je traverse la place Marie, quelques coups de fusil partent des fenêtres de l'Astoria, vers la Garde du Palais. Je presse le pas. La fusillade continue de façon intermittenie et sans grand effet. J'avais rendez-vous à 4 heures avec Halpern, le secrétaire du Conseil des ministres, qui devait me présenter à Kérenski, à qui je n'ai pas encore remis votre lettre. Mais le Palais d'Hiver est entouré par les bolchéviks, et j'imagine que le ministre-président a mieux à faire aujourd'hui qu'à me recevoir. Moi aussi d'ailleurs. La Mission est fiévreuse. Le bruit court que les officiers alliés sont exposés à des attentats bolchéviks. Je me propose pour aller voir, à titre personnel, les chefs de l'insurrection installés, avec le Congrès des Soviets, à Smolny Institut, siège habituel du Soviet de Pétrograd. Je ne les connais pas encore, mais je suppose que je pénétrerai assez aisément près d'eux. Je commence à savoir fort bien me présenter aux Russes, On se scandalise d'abord de ma proposition, puis on y souscrit et je pars. Tous les carrefours sont surveillés par les gardes rouges. Des patrouilles circulent de tous côtés, quelques autos blindées passent rapidement. De ci, de là, des coups de feu. Au premier bruit, Ja foule nombreuse des badauds détale, se couche, s'efface le long des murs, se lasse sous les portes, mais la curiosité est la plus forte et bientôt on va voir en riant. Devant Smolny, de nombreux détachements, garde rouge et armée régulière, protègent le Comité révolutionnaire. Des autos-mitrailleuses dans les jardins. Entre les colonnes de la façade, quelques canons. La porte est sévèrement barrée. Grâce à ma carte d'entrée au Soviet des Paysans, à un mot de Longuet pour Stéklov et surtout à mon ignorance de la langue russe, je fais plier la résistance des tovariscbs et je pénètre. L'Institut Smolny, long bâtiment banal fin XVIIP siècle, était sous l'ancien régime un lycée de jeunes filles de l'aristocratie. Les vastes couloirs blancs et crème sont encombrés d'une foule militante et triomphante, camarades et soldats. Je n'arrive pas à voir Dan ni Tchernof, qui a quitté Pétrograd. Comme Tsérételli, il a fui devant l'orage. Mais immédiatement j'entre en contact arec Stéklov, Kaménev, Lapinski, etc., heureux, affairés et parlant français. Ils me reçoivent frater ­ nellement et répondent abondamment aux questions les plus indiscrètes. D'abord, ils s'indignent des bruits calomnieux que je leur rapporte. Dès demain, une note à la presse assurera tout le personnel des ambassades et des missions du respect que désire témoigner aux alliés la seconde Révolution. Puis ils me content leurs succès. Toute la garnison de Pétrograd es( avec eux, à l'exception de quelques centaines de cosaques, de lunkeis et de femmes. Toutes les administrations sont entre leurs mains. Le gouver­ nement provisoire est assiégé dans le Palais d'Hiver. Il aurait été fait prisonnier déjà si le Comité révolutionnaire avait voulu user de violence, mais il faut que la seconde Révolution ne fasse pas couler une seule goutte de sang. Beaux espoirs, mais bien difficiles à réaliser. Demain, devant le Congrès des Soviets, on développera le programme du gouvernement bolchévik, qui sera immédiatement constitué. Voici les articles essentiels du programme immédiat : Proposition aux peuples belligérants d'un armistice permettant l'ouver­ ture des pourparlers en vue d'une paix démocrafigue ef juste ; Suppression de la grosse propriété foncière et remise de la terre aux paysans suivant une procédure réglée par les comités agraires locaux et l'Assemblée constituante qui sera réunie le 12 novembre (?) ; Contrôle ouvrier sur la production et Ja répartition des produits ; Monopole de banque ; Suppression de la peine de mort au front. Que sera le nouveau ministère ? Sans doute exclusivement bolchévik. Les cadets, les menchéviis ont fait faillite au pouvoir. Les travailleurs vont maintenant assurer eux-mêmes la victoire totale de la démocratie. Je vais rendre compte à la Mission, puis je retourne à Smoiny. 11 est 22 heures. Sur la place du Palais d'Hiver une fusillade violente. Le Comité s'est-i] déjà résigné à la bataille ? Les bolchéviks sont de plus en plus enthousiastes. Les menchéviks, quelques-uns au moins, font triste figure. Ils sont sans confiance. Ils ne savent à quoi se résoudre. 11 n'y a vraiment, dans tout ce personnel révolu ­ tionnaire, que les bolchéviks qui semblent être des hommes d'action, pleins d'initiative et d'audace. /'assiste à une partie de la séance de nuit du Comité exécutif des Soviets ouvriers et soldats. Vacarme épouvantable. Grosse majorité bolché- vique. Je rentre chez moi à 4 heures du matin et je vous écris ces lignes. Je tiendrai ce petit journal au jour le jour. On ne sait ce qui peut arriver. Je me demande d'ailleurs si vous trouverez quelque intérêt à ces notes rapides, toutes pleines d'impressions personnlles, qui vous parviendront longtemps après les dépêches. Que ne puis-je vous télégraphier !

59

JACQUES SADOUL A ROMAIN ROLLAND

Lettre du 14 juillet 1918.

Citoyen Romain Rolland,

A l’heure où les républicains du monde entier, célébrant l’anniversaire de la prise de la Bastille, adressent un bommage reconnaissant à la Révolution française et proclament leur indestructible foi dans l’avènement prochain d’une vie fraternelle, le télégraphe nous apprend que les gouvernements de l’Entente ont résolu d’écraser la Révolution russe. Epuisé par la lutte menée contre les classes dépossédées, contre une aris­ tocratie abjecte, contre une bourgeoisie avide par dessus tout de [re] conquérir ses privilèges et ses capitaux, plus qu ’à demi-étranglé par l’impérialisme alle­ mand, le pouvoir des Soviets est menacé de mort aujourd ’hui par l’offensive engagée par l’Entente. Insensés ceux qui ne voient pas que cette intervention armée — appelée à grands cris et depuis longtemps par certains cercles russes qui ont perdu toute influence politique — ne sera pas plutôt accomplie qu ’elle sera rejetée avec indignation par la nation envahie. Quoi qu ’on en dise, en effet, l’inter­ vention, sans préalable accord avec les Soviets, est faite contre le peuple russe tout entier, contre sa volonté de paix, contre son idéal de justice sociale. Un jour viendra où un soulèvement national de ce peuple, encore capable de grandes choses, vomira tous les envahisseurs, tous ceux qui l’auront violenté. Ce jour-là. Français et Allemands, Autrichiens et Anglai.s, seront confondus dans une même haine, par la Russie. ÔO

Les hommes libres de l’Europe, ceux qui dans la tourmente ont conservé quelque lucidité, ceux qui connaissent ou devinent l’immense valeur humaine de l’expérience tentée par le prolétariat russe, laisseront-ils s’accomplir le détestable forfait ? Qu ’est-ce que la Révolution bolchévique ? Qu ’a-t-elle voulu hier ? Qu ’a- t-elle fait jusqu ’à ce jour ? Qii’est-elle capable de réaliser demain ? Est-elle digne d’être défendue ? Les documents que je vous envoie contribueront, j’en suis sûr, à faire connaître la vérité. Le hasard m’ayant permis de suivre de plus près qu ’aucun autre les événements qui se sont déroidés en Russie depuis neuf mois, j’ai résumé mes impressions en notes quotidiennes, écrites à la hâte, nécessairement incomplètes, schématiques, parfois contradictoires. Je vous adresse copie des notes que je retrouve, c’est-à-dire presque toutes celles que j’ai expédiées en France. Je ne suis pas bolchévik. Je sais quelles lourdes fautes ont été commises par les maximalistes. Mais je sais aussi qu ’avant la signature du traité de Brest, les commis­ saires du peuple n’ont pas cessé de solliciter des Alliés un appui militaire qui aurait permis et pouvait seul permettre aux bolchéviks de résister aux exigences abominables des Empires centraux et de ne pas subir une paix honteuse dont ils comprenaient les périls. Je sais encore, que depuis Brest, Trotski et Lénine ont multiplié les efforts pour amener les puissances de l’Entente à une collaboration étroite et loyale en vue de la réorganisation économique et militaire de la Russie. Je sais enfin qu ’à ces appels désespérés, les Alliés, contre leur intérêt le plus évident, ont toujours opposé un non possumus dédaigneux. Oubliant les enseignements de l’histoire, égarés au point de croire que les parties démembrées de la Russie continueraient la guerre abandonnée par la Russie, ils ont créé de toutes pièces l’Ukraine au seul bénéfice de l’Autriche et de l’Allemagne ; ils ont poussé de toutes les forces aux tendances séparatistes de la Finlande, de la Pologne, de la Lithuanie et du Caucase, ils ont avec la Roumanie combattu l’armée russe. Et tous ces Etats aussitôt créés sont tombés — comme il m’avait été facile de l’annoncer — dans les bras de nos ennemis, tandis que le gouvernement russe, affaibli d’autant, perdait dans les conférences de Brest une large part de son autorité et de son prestige. 01

A l'intérieur, les Alliés ont l'ait le jeu de la eonlre-révolution, aggravé le désordre général, précipité la décomposition de ce malheureux pays. Avant Brest, leur indifférence a livré la Russie sans défense aux appétits ignobles des paiigermanistes. Après Brest, leur hostilité accrue devait orienter inéluctablement une nation qui ne veut pas mourir vers rennemi de la veille qui sait admirablement tirer parti de nos erreurs innombrables. Les conser­ vateurs se sont rapprochés avec entbousiasnie des gouvernements austro-alle ­ mands dont ils attendent avec raison la restauration de l’ancien régime. Les partis d’extrême-gauche subissent la mort dans l'âme cette réconciliation pro­ visoire qui doit fatalement entraîner leur destruction, mais qui, en prolongeant leur agonie, maintient leurs espérances de vie. Malgré les atténuations de forme qui m’étaient imposées par le contrôle de la censure, vous trouverez dans les pages que je vous envoie, les preuves surabondantes de ce que j’affirme ici. Ces notes ont été expédiées de Pétrograd et de Moscou. Confiées aux courriers officiels et officieux qui partaient pour la France chaque semaine, elles ont été adressées régulièrement à Albert Thomas, à Jean Longuet, à Ernest Lafont. Beaucoup ont été envoyées également à quelques autres amis, au député Pressemane, à Pierre Hamp, à Henri Barbusse, etc. Certaines ont dû être interceptées on égarées. La plupart sont parvenues aux destinataires. Leurs réponses en témoignent du moins jusqu ’en mars. Depuis cette époque, les rapports postaux sont devenus extrê­ mement précaires avec l’Occident. Vous ne trouverez pas une ligne dans ces pages décousues qui puisse être officiellement reprochée comme une indiscrétion à l’officier, au membre de la Mission militaire française en Russie. Elles ne contiennent en effet que les observations personnelles d’un citoyen français, témoin attentif des faits, impartial autant que peut l’être un témoin sincère. Elles résument mes conversations avec les leaders du bolchévisme et de l’opposition, qui ne pou­ vaient songer à exiger mon silence. J’ai la conviction profonde, en vous abandonnant ces documents, de remplir strictement mon devoir de socialiste et de Français. Je me livre d’ailleurs à vous en toute confiance. Je vous supplie de parcourir mes notes, puis de les comniiiniqner aux hommes politiques, aux penseurs de France, qui, à votre avis, peuvent trouver quelque intérêt à cette lecture. 62

Des hommes comme Aiihird, Gabriel Scailles, Maelerliiick, bien d’autres encore, dès qu ’ils connaîtront la vérité, sauront éclairer notre chère patrie. Ils sauront empêcher les fils de la grande Révolution française de s’infliger une souillure impérissable en acceptant d’être les bourreaux de la grande Révo­ lution russe qui, malgré bien des sottises, demeure une force admirable d’idéalisme et de progrès. Ce n’est pas en tuant la Révolution russe que nous gagnerons la guerre. Ce n’est pas surtout en commettant un tel attentat que nous accomplirons la tâche civilisatrice que les Alliés se sont assignée, que nous réaliserons l’indis­ pensable paix juste et démocratique dont les principes posés par notre parti socialiste ont été si éloquemment développés par Wilson. Les ministres de l’Entente, trompés eux-mêmes par l’aveuglement de leurs informateurs, ont pu tromper aisément les masses travailleuses qu ’ils dirigent contre le pouvoir des Soviets. Mais un jour viendra où les mensonges seront dissipés, où la vérité éclatera. Que de reproches amers seront adressés alors aux gouvernements coupables de n’avoir pas su ou de n’avoir pas voulu savoir ! Que de rancunes, que de haines s’accumuleront, que de luttes effroya­ bles et inutiles eu perspective ! Mais le mal fait sera irréparable. Des ruines nouvelles ne relèveront pas les vieilles ruines. Des hommes tels que vous, qui ont aidé si puissamment à la formation intellectuelle et morale de ma génération, ont le pouvoir d’empêcher cela. Ils en ont aussi le devoir. Veuillez agréer, citoyen Romain Rolland, l’expression de mes sentiments très fraternellement dévoués. Capitaine Jacques SADOUL. Mission militaire française, Moscou. 63

SADOUL CONTRE L’INTERVENTION ANTISOVIÉTIQUE

Les dernières lettres du recueil NOTES SUR LA REVOLUTION BOLCHE­ VIQUE témoignent d’une compréhension toujours plus proche de la réalité et du sens de la grande expérience soviétique considérée à ses débuts. Dans sa lettre du 27 juillet 1918 à Albert Thomas, dont nous donnons ci-dessous deux extraits, Jacques Sadoul appelle à la lutte contre l’intervention antisoviétique et prend parti pour la cause de la Révolution d’Octobre. Il écrit : « Vive la République des Soviets ! » criai-je, hier... « A mort la République des Soviets ! », réf)ond f écho allié. J'ai fermé trop longtemps les yeux à l'évidence. C'est bien contre la Révo­ lution et contre elle seule que les Alliés ont dirigé leurs coups depuis neuf mois. Avant la signature du traité de Brest-Litovsk, c'est contre les troupes bol­ cheviques et point contre les troupes allemandes que Von a vu marcher les régi­ ments formés ou soutenus jmr eux sur tous les points du territoire russe ; ainsi les Polonais, ainsi les Ukrainiens, ainsi Varmée (TAlexeleff, ainsi les Cosaques de Kalédine. Après la signature de la paix, c'est contre les forces politiques, économiques et militaires de la République révolutionnaire qu’ont été concentrés tous les efforts de destruction des gouvernements de l'Entente.

Il) La Bibliothèque de l'Institut Maurice Thorez possède une brochure d'une trentaine de pages repro- dulsant. sous le titre VIVE LA REPUBLIQUE DES SOVIETS, les trois lettres de Jacques Sadoul expédiées de Moscou les 25, 26 et 27 Juillet 191S. Cette publication fut Imprimée en Suisse en 1918 ou 1919, par les Edi­ tions des Jeunesses Sodalistes Romandes. 64

Comjncnt douter que l'intervention interalliée en Russie, soit purement et simplement contre-révolutionnaire ? Plus loin, explicitant sa position de partisan du socialisme, le capitaine Sadoul poursuit : « En 1789, les peuples de VEurope avaient pris parti pour la Révolution française contre leurs gouvernements. En 1918, les prolétaires de France sauront défendre contre les coups de rimpérialisme et du ('apitalisme mondial, la Révolution russe dont l'effort prodigieux hâte [Mur les travailleurs du monde riieure bénie de l'affranchissement... La guerre mondiale et la Révolution russe ont modifié profondément les valeurs. Tous les citoyens ont le devoir de méditer ces grandes expériences et d ’y puiser les leçons d ’avenir. Tous les socialistes fidèles au matérialisme historique ont le devoir de réviser, de mettre au point des méthodes qui pouvaient être. e.xcel- lentes hier, mais qui sont aujourd’hui périmées. Pour l'Internationale Ouvrière, Vheure n’a jamais été aussi grave. Tous nos camarades le pressentent. Bientôt chacun devra prendre ses responsabilités devant lui-même et devant les masses populaires... Me bornant aujourd’hui à Vintervention en Russie, objet principal de cette lettre, je supplie les camarades auxquels je m’adresse de considérer les faits, de réfléchir, de comprendre leur devoir, d ’éclairer les militants, de les grouper dans une protestation véhémente contre toute opération militaire dirigée non point con­ tre r.Allemagne, mais contre la Révolution russe. L’écrasement du gouvernement des ouvriers et paysans de Moscou par les ouvriers et les paysans de France, serait une faute colossale et une honte ineffa ­ çable deuts rhistoire du prolétariat européen. » Dans la voie qu ’indiquait Sadoul, et qui sera celle de Raymond Lefebvre et Paul Vaillant-Couturier, de Marcel Cachin et beaucoup d’autres mibtants, l'oppo­ sition des soldats et marins en mer Noire et le mouvement de solidarité proléta­ rienne contre l’intervention antisoviétique, en 1919, puis les batailles idéologiques et politiques engagées pour l’adhésion à l’Internationale Communiste allaient con­ tribuer en 1920 à la rénovation du mouvement ouvrier français sous l’influence de la Révolution Socialiste d’Octobre. 65

PAGES INEDITES DE L'HISTOIRE DU PARTI COMMUNISTE FRANÇAIS DANS LA RÉSISTANCE

Actuellement sous presse, la prochaine publi ­ cation de l’Institut Maurice Thorez sera mise en rente arant la fin de l’année. De cette histoire, intitulée LE PARTI COMMUNISTE FRAN­ ÇAIS DANS LA RESISTANCE, à paraître au.\- Editions Sociales, nous extrayons avec l’au ­ torisation des éditeurs les pages de la deuxième partie du chapitre IV consacrées aux batailles de I0‘i5 préparant l’Insurrection nationale. 66

L’ANNEE 1943 : « MalHeur à noire peuple s il attendait « S’UNIR, S’ARMER, SE BATTRE » son salut de concours extérieurs. Nous de­ vons nous sauver nous-mêmes par notre lulte et demain nous pourrons parler Haut et Depuis le déclencliemcni de l’offensive sovié­ faire valoir, avec toute 1 autorité d un peu­ tique, le commandement liitlérien voit se profiler ple qui a su lutter, le droit de notre France à l’Horizon le spectre de la défaite. 11 amène sur à la liberté, à 1 indépendance et à la gran- le front de 1 Est 31 divisions de plus, dont 11 prélevées en France, ce qui rend plus facile la constitution du second front en Europe, tant promis par les alliés anglo-américains et si atten­ Mettre en application ce triple mot d’ordre du par les peuples martyrisés, ce qui donne est. pour l’Heure, le souci majeur du Parti. un nouvel élan à la Résistance. A cet effet, il adresse aux Français de toutes « L’offensive victorieuse de l’Armée rouge, conditions des directives générales pour la pré­ paration de l’insurrection et leur demande : écrit Maurice Thorez en mars 1943. a créé une situation qui met à l’ordre du jour 1" De mener une lutte implacable contre l’insurrection nationale pour la libération les déportations et empêcHer par tous les de la France > moyens que l’ennemi vide la France de lous ses éléments les plus actifs... La France doit, elle aussi, participer à l’of­ fensive générale qui commence contre les Etats 2“ D intensifier le sabotage, détruire les fascistes. macHines. incendier les usines et les dépôts de r ennemi, faire dérailler les trains, sabo­ S’unir, en constituant partout des comités du ter les moyens de communication... Front national, englobant tous les patriotes. S ’armer, en s’emparant des dépôts et des ar­ 3“ Développer la lutte armée contre l’en­ mes de l’ennemi, en constituant des groupes de nemi et contre les traîtres, former de nou ­ Francs-tireurs de plus en plus nombreux. veaux groupes de patriotes armés à l’exem­ ple des F.T.P. Se battre, sans attendre que la libération vienne de l’extérieur, et par tous les moyens, car tout est légitime pour les patriotes qui défen­ Le Parti, enfin, indique à ses militants dent leur pays et pour les citoyens qui défendent leur liberté. « que ces diieclives doivent être appliquées avec courage, un vigoureux esprit offensif Le Parti conclut son appel en ces termes : et une discipline de fer »

(l) € L'offensive victorieuse de l’Armée rouge rend plu.s proche l'insurrection nntionolc pour la libération de la France >. (2) L'Htimnnilfi. 5 février IQ-H. Maurice Tliorer : Œuvres, t. 10. p. 143. (5 ) L'Hiimam'Jé, 15 a\Til 1045. 67

« PAS UN HOMME POUR L’ALLEMAGNE » déroulement de cette manifestation, décrite par l llumanité du i2 février 16'I3 (n" 203). I7un des dangers les plus inorlels qui pèse sur l Jn premier départ d ouvriers requis par le le peuple de France, et en particidier sur sa S.r.O. est organisé discrètement et réalisé le classe ouvrière et sa jeunesse, c’est le S.T.O., 27 décembre i0-l2 : les ouvriers requis, enlevés à la déportation vers les bagnes de travail nazis. leur domicile, parqués dans un camp et transpor­ 11 faut empêcher les départs à tout prix. Le tés à la gare sont embarqués sans difficulté. Parti, avec d'autres groupements de résistance, Rassurées par le succès de cette opération, les s’y emploie activement en indiquant aux patriotes autorités de V’ichy ordonnent un deuxième départ la voie à suivre. pour le 6 janvier, en convoquant les appelés, direc­ Aux fonctionnaires, il demande de fausser tement à la gare, à 13 h 30. les listes d’ouvriers désignés, de détruire les dos­ Les Jeunesses communistes décident de tout siers, d égarer les ordres, de faire grève, au besoin ; mettre en oeuvre pour faire échouer le départ. il demande aux cheminots de résister par tous S inspirant d un des principes fondamentaux du les moyens, en empêchant les trains de partir à Parti, l'unité, elles contactent tous les mouve ­ destination de 1 Allemagne, en refusant de sortir ments de résistance de lu région : « Libération », les macliines, en paralysant le trafic ; il demande « Combat », « L’Union des femmes françaises », aux paysans d aider, de ravitailler, de cacher les les « Jeunes filles de France ». En même temps, ouvriers qui refusent de partir en AH emagne. elles s adressent aux ouvriers de chez Dunlop, Le mot d’ordre du Parti est : « La vie dans de la SAGEM, du dépôt de la S.N.C.F. où le le combat et non la mort dans la servitude. > Parti communiste est solidement organisé. Un 11 est suivi. Les travailleurs refusent de partir grand nombre de tracts sont diffusés, des inscrip­ et rejoignent, de plus en plus nombreux, le tions couvrent la chaussée et les murs des grandes combat clandestin. usines, appelant à la grève pour le 6 et donnant Le 3 janvier, à Fimiiny, les 3 000 ouvriers rendez-vous à la gare à 13 heures. Les policiers de 1 usine Verdier déclenchent la grève contre et les soldats allemands eux-mêmes sont touchés les départs en Allemagne : le lendemain, c’est par un matériel spécial. à la nianufaclure d’armes et de cvcles de Saint- Le jour et 1 heure indiqués, une foule de plus Eti enne qu ’éclate la grève et. vers 16 heures, de 3 000 personnes se rassemble devant la gare. •I 000 travailleurs se rassemblent devant la gare Les jeunes, les femmes, sont en grand nombre. d où devait partir un train d’ouvriers déportés. Tout à coup, la foule, femmes en tête, force le Le même jour, à Clermont-Ferrand, 2 000 per­ barrage des gardes mobiles, aux chants de la sonnes manifestent devant la gare contre le départ « Marseillaise » et de « I Internationale ». Les d'un train de déportés (S.T.O.), gardes mobiles réussisent à isoler le train, mais En ce début d année, la manifestation la plus déjà, la plupart des requis parviennent à s’échap­ importante contre la déportation des travailleurs per. Après le démarrage, le train lui-même est a lieu à Montluçon ; elle permet d apprécier le stoppé par les cheminots cpù envahissent la voie caractère nouveau que revêt l’action. Voici le et coupent les attelages. 68

La police est débordée ; il faut I arrivée de la leur ravitaillement el de leur sécurité ; il lie et Webrmacbt pour dégager la gare. Le train part, coordonne la lutte conlre la déportation à l'orga­ enfin, mais il est vide. nisation des grèves et des sabotages, au dévelop­ L'Humanité termine son compte rendu de la pement de l action armée. manifestation en ces termes : Ces mouvements dirigés contre les déportations et, fréquemment, doublés de grèves revendicatives, « Camarades ouvriers, tous debout contre sont souvent couronnes de succès, car les travail­ les déportations ! Patriotes de toutes condi­ leurs sont décidés à se battre. Cela est vrai surtout, tions sociales, aidez les ouvriers à résister comme l'ont démontré les manifestations de Mont- et que personne n’oublie qu ’il vaut mieux luçon et de Villefrancbe-sur- Saône (l8 mars se battre en France, en francs-tireurs, qu al­ 1943) là où les conditions d organisation sont ler travailler en Allemagne pour Hitler et se réalisées, où le f’arli est solidement implanté et faire envoyer sur le front de l'Est revêtu où des militants audacieux et expérimentés se de 1 uniforme bocbe. » trouvent à la tête du mouvement — mouvement issu d'une large union des forces patriotiques. Le succès total de la puissante manifestation du 6 janvier est dû à l action unie de toutes les En juin 1943, Saukel exige de Pétain la forces patriotiques montluçonnaises : la population mobili.salion totale des classes 42 et 43. Cette en prend conscience et son expérience ser\’ira menace de déportation massive qui pèse sur le d exemple ; elle sera en même temps la preuve peiqjle de France stimide et amplifie d'une façon évidente que contrairement à l'attentisme pra­ considérable le mouvement de grèves. tiqué par Londres. 1 action est payante. La classe ouvrière multiplie les grèves reven­ C est à partir de ce moment que plusieurs dicatives, telles, notamment, la grève des usines maquis se forment dans l'Ailier — dont celui des Gnome et Rbône à Paris, (17-21 août), celle F.T.P. de Saint-Pourçain-sur-Sioule — auxquels des ouvriers boulangers de la Région parisienne viendra se joindre, tout au long des années 1943- du même mois ; la grève des mineurs du Nord 1944, un nombre de plus en plus grand de réfrac­ et du Pas-de-Calais, au cours de la première taires fuyant le S.T.O. quinzaine de septembre, celle de 5 000 métallos de l’usine Durbec et des Ateliers et Chantiers Toutefois, le cbeminemcnt des réfractaires vers de la Méditerranée et de « La Provençale » de le maquis ne sera pas. dans l’ensemble, un acte Marseille, du 20 septembre, celle de 8 000 nnneurs simple et spontané. Il faudra de longs efforts de Montceau-les-Mines (23-28 octobre), celle de d explication et de persuasion pour les incorporer, 3 500 ouvriers des Compteurs de Montrouge, les les encadrer et les entraîner dans la lutte. L^n Comité de coordination et d action contre la dépor­ tation se constitue sous la direction d'Yves Farge, (4) A V’illefranchc-sur-Saône. aux établissements métallurgi ­ dans lequel les F.T.P. et les syndicats jouent un ques Vcrmorel, QOO ouvriers et terbniciens. dont 300 femmes, empêchent le départ de 46 ovivriers qualifiés et 18 techniciens, rôle particulièrement important. Le Comité aide en faisant reculer le sous-préfet, appuyé d’im détachement matériellement les réfractaires, se préoccupe de d’hitlériens. 69

8 el 9 décembre, etc. ; loules ces grèves obligent dications sur l’augmentation des salaires et le patronal à céder, en dépit de l’intervention le ravitaillement. Refusez désormais tout tra­ année de la Welimiacbt. vail pour les boches... Contre votre unani ­ L’expérience qui en résulte fait adopter à la mité, ni les flics, ni la Gestapo ne peuvent classe ouvrière de nouvelles conceptions de lutte rien. Aujourd hui vous pouvez et vous devez et, en même temps, facilite et fait progresser les sonner le rassemblement pour la lutte contre discussions pour la reconstitution de 1 unité syn­ les boches et contre les traîtres. » dicale, commencées dès l’automne 1912. avec l’ap­ pel à l’union el au combat lancé par le Syndical L’appel était signé : « L’Union syndicale de la des métaux de la Seine et de Seine-et-Oise, aux métallurgie de la R.P. qui vous a conduit à la métallos de la région parisienne. Les militants qui lutte et au succès sous la direction de Timbaud, ont rédigé cet appel sont de ceux que les ouvriers Jourdain, Costes, Frachon, Gautier, Croizat. de la métallurgie connaissent bien, en qui ils Semai, Poirol, Tanguy » ont toujours mis une confiance méritée et qui, La nouvelle menace de déportation massive va conscients de leurs devoirs et de leurs responsabi­ entraîner également, dans la lutte, de larges cou ­ lités, ont repris leur poste et les fonctions qu ils ches de la paysannerie. tenaient des suffrages de leurs camarades de travail. Aidés par les militants communistes, les paysans participent à la lutte libératrice, sous des « Nous considérons, disait l'appel, comme formes qui leur sont propres : ils hébergent des notre devoir de suppléer à la carence des réfractaires, ravitaillent le maquis. Des villages traîtres qui se prétendent les dirigeants de entiers, particulièrement en Bretagne, se dressent, notre syndicat. Nous reprenons notre titre à l’appel du Parti : « Haut les fourches » contre et nos fonctions... pour ordonner et diriger les agents de réquisition hitlériens et vichystes. la lutte que vous avez engagée... Le syndi­ refusent de payer des amendes, chassent les con­ cal des métallos parisiens reprend aujour- trôleurs du gouvernement de Pétain à coups de d bui sa glorieuse tradition. Il vous dit que fourches. II en est ainsi à La Guerche-de-Bretagne riieure du combat a sonné. Battez-vous (Ille-et-Vilaine), au Relecq-Kerhuon. à Plou- contre les boches et les traîtres. goulm. à Taulé, à Plougastel-Daoulas el à PIou- Refusez de vous laisser déporter en Alle­ néour-Trez (Finistère), à Pleslin-Ies-Grèves (Cô­ magne. tes-du-Nord), à Saint-Barthélemy (Morbihan), à Solidarisez-vous avec chacun de vos ca- Coulanges-la-Vineuse (Yonne), à Sainl-Ouen. à Orchaise et à Saint-Georges-sur-Cber (Loir-et- mararles menacés. Cessez le travail, faites Cher). etc. Dans l’AvalIonnais, les cultivateurs la grève, occupez les usines. Infligez à Hit­ ler et à son valet. Laval, une défaite cui ­ refusent unanimement de mener leurs chevaux sante. prélude de la défaite définitive el el leurs bovins à la réquisition. Dans toute la prochaine... Profitez de votre mouvement pour exiger que soient satisfaites vos reven­ (3) r/fimuinUt*. n* spét ial, mioliro novembro 10*12. 70

Seine-el-Oise. les producteurs se dressent contre qués et incendiés, des restaurants, cafés et autres une nouvelle imposition de fourrage. établissements et lieux de plaisir, fréquentés par Dans les départements agricoles, les paysans les hitlériens, attaqués à la grenade. Dans l’Est, le font la grève des battages, ne voulant pas voir groupe Pierre Sémard réalise, entre autres, quatre leur grain expédié en Allemagne. En Corrèze et tiérnillements. sabote six locomotives et détruit en Dordogne, cette grève revêt une ampleur parti­ quatorze wagons chargés de matériel. Au cours culière. Les jeunes paysans refusent de rejoindre de ces actions, un grand nombre d’officiers et de le S.T.O. Les rapports préfectoraux avouent que soldats allemands sont tués ou blessés et de nom­ la proportion des jeunes partis en Allemagne breuses armes récupérées. n est que de 28 % dans l’Ille-et-Vilaine, de 10 % Pour celte même période, un communiqué dans le Finistère, de 8 % dans le Morbihan, de spécial des F.T.P. annonce que le 29 janvier, 4,3 % dans les Côtes-du-Nord. un détachement opérant à Cbâlon-sur-Saône a fait dérailler à Cbagny un train chargé de sol­ dats allemands dirigés sur le front de l Est. Ce déraillement a causé plus de 230 morts et un LA GUERRE DE PARTISANS grand nombre de blessés. Déjà les actions des F.T.P. deviennent si fré­ « Francs-tireurs ! Allez, traversez les balliers, quentes, si importantes, et parfois si spectaculai­ passez les torrents. Profitez de la sombre nuit. res, que 1 ennemi lui-même se voit obligé de rom­ Serpentez dans les ravins ; glissez-vous, rampez, pre avec sa tactique du silence. Un des journaux ajustez, tirez, extenninez les envahisseurs I » rie la collaboration les plus abjects. Gringoiro. Ces paroles de Victor Hugo en 1870, Marcel consacre un article aux F.T.P. Caebin les reprend en 1943 en un vigoureu.x De son côté, et pour des raisons différentes, appel. Effectivement, l'action des F.T.P.F. com­ l’appareil d’information gaulliste de Londres rompt mence à s élargir en une véritable guerre de le silence sur l’activité des F.T.P. — avec beau ­ partisans. coup de réticence, il est vrai — grâce à la longue En témoigne d’abord le foisonnement des ac­ lettre qu adresse au général de Gaulle le Comité tions que relèvent des communiqués de plus en militaire français des Francs-tireurs et partisans, plus fréquents du Comité militaire national des fin novembre 1942. l’informant des buts et de F.T.P.F., dès 1 hiver 1942-43. N'oici, à titre indi­ l’action de leur organisation ; grâce aussi à l’inter­ catif, le communiqué n“ 19 qui relate les actions vention énergique du Parti communiste. de différents détachements, accomplies du 20 L’action des patriotes armés inspire grande décembre 1942 au 8 janvier 1943. On y relève, pour Paris et sa banlieue, des actions de toutes sortes : attaques à la grenade contre des convois (6) Ije texte complet de ces communiqués est public dans In brochure de Fernand Grcnikr : Frarres-Tireurs et Partisans militaires allemands, déraillements des trains de Fronçais, parue é Londres en 1045 : Gobbett Publisbing C“. matériel, des garages et dépôts de camions atta­ pp. 10-25. peur aux nazis. Le communiqué de la Komman- des F.l .P. se développe davantage, hrance danlur du 20 février 1943 en témoigne : d ’abord du 10 avril publie un communiqué don­ nant un résumé des opérations effectuées du l®*" « Selon des informations certaines, il faut janvier au 31 mars et portant sur plus de 1 500 compter prochainement sur l’augmentation actions contre l’ennemi. On y relève, notamment, des attentats terroristes. » 158 déraillements importants : 180 locomotives et plus de 1 200 wagons chargés de matériel de Pour y faire face, la Kommandantur ordonne guerre ou de troupes détruits ou endommagés : la prise de mesures sévères de sécurité ; pour les 110 locomotives et des centaines de wagons sabo ­ transports de troupes, emporter des armes et des tés par fies groupes spéciau.x de destruction : trois munitions : choisir des heures irrégulières et des ponts endommagés. S écluses détruites, 14 péni­ routes différentes. Pour les membres individuels ches coulées. 2 navires de commerce sérieusement de la Wehrmacht, défense de sortir seul dans touchés par des bombes. l’obscurité : éviter les rues et les squares déserts, porter des revolvers ; lors des attentats, la pour­ Di.x-neuf détachements ou convois de soldats suite des terroristes est plus importante que les hitlériens, 65 camions chargés d’hommes, 15 pos­ soins aux blessés, etc. tes de D.C.A., 57 restaurants, foyers du soldat Les préfets de Vichy, tout dévoués aux nazis, et autres lieux de plaisir de l’armée allemande s’inquiètent vivement de la croissance de la lutte sont attaqués à la grenade ; 32 incendies ou armée ; leurs rapports en témoignent. Le préfet e.xplosions d usines, une mine de bauxite produi­ de la Somme écrit : sant 66 tonnes par jour est mise hors d usage pour 3 mois ; 3 râbles à haute tension coupés. « Je vous ni signalé dans mon rapport une De nombreuses actions de destruction ont lieu recrudescence, nu cours du mois de décem­ sur le littoral contre les travaux de fortification bre, des actes de sabotage et des attentais. et plusieurs dépôts de matériel et stocks de vivres Après celui du Soldalenliiùm d Amiens, y sont attaqués et détruits. les ser\’ices de police régioncuix et locaux 800 se sont livrés à de multiples investigations. Ces opérations ont causé la mort de offi­ Des centaines de perquisitions et cinq arres­ ciers et soldats de la \\Vhrmacht et d un nombre tations ont été opérées. Cependant, malgré bien plus élevé de blessés. En outre, 6 agents le renforcemenl de la garde des installations de la Gestapo, 31 traîtres, policiers ou recruteurs de ferroviaires, ordonné par 1 autorité occupan­ la milice ont été abattus et de nombreux autres te, plusieurs actes de sabotage ont encore blessés. été commis sur la voie ferrée. Le 19 février, Dans ce résumé, il n’est pas tenu compte deux locomotives et 20 wagons d’un train des actions de sabotage exécutées par les groupes de marchandises déraillaient à Thézy, à d’entraînement ou de réserve ou par les travail­ quelques kilomètres d’Amiens. » leurs dans les entreprises, ni des opérations spé­ ciales destinées à la récupération sur l’ennemi Au cours du premier Irimestre de 1943. l’action de matériel de guerre. 72

Suivanl le même communiqué, de nouveaux « Justice » et des groupes de réserve ont exécuté contingents de patriotes ont rejoint les rangs des près de 150 traîtres, agents de la Gestapo et F.T.P. policiers collaborateurs. En trois mois 6 500 nou­ En même temps, l’action contre l’ennemi veaux combattants ont rejoint les rangs des s’étend progressivement sur tout le territoire. F.T.P.F. I .a leclurc de /’//umoiiilé, de France d ’abord, de L’activité des patriotes dans la région pari­ La Vie Ouvrière en témoigne. En zone sud, « l’ac­ sienne est particulièrement importante. A Paris, tion des F.T.P. atteint un bilan sensiblement pivot et cerveau de la Résistance, considéré à égal à celui de la zone nord ». juste raison comme le plus important maquis de Le d ernier communiqué pour l’année 1945 pu­ France, les F.T.P.F. accomplissent des actions blié dans ce même numéro de France d'abord, d’éclat. A l’occasion de la fête nationale, le déta­ résumant les principaux faits d’armes accomplis chement < 14 Juillet » attaque à la grenade un par les F.T.P., du 1" octobrt' au 51 décembre, restaurant allemand, avenue de la Grande-Armée : signale entre autres près de 500 opérations contre il y a 25 hitlériens tués ou blessés. les voies ferrées ou des trains chargés de troupes Le même mois, un détachement de SS est et de matériel allemand ; le nombre des tués, offi­ attaqué sur les Champs-Elysées par une unité ciers, sous-officiers et soldats, atteint 750. et celui de vingt combattants vêtus élégamment, suivant la des blessés I 780. 21 écluses ont sauté. 15 opéra­ mode des habitués des beaux quartiers ; de nom­ tions contre des canau.x importants ont été réali­ breux nazis, morts ou blessés, restent sur le terrain. sées. paralysant la navigation pour des semaines Le 29 septembre, le SS Julius Ritter. l’homme ou des mois : 42 péniches chargées ont été cou ­ qui dirigeait la déportation des ouvriers français lées ou avariées. en .‘\Ilemagne. est abattu. Le 6 octobre, c est le 65 offensives ont été réalisées avec succès détachement « Victor Hugo » qui attaque une contre des détachements, des patrouilles et des -section de la Wehrmacht. place de l'Odéon. casernements ennemis : 215 officiers et soldats Toutes ces opérations sont remarquables par ont été tués et 540 blessés. 5 sous-stations électri­ leur préparation minutieuse. Rien n'est laissé au ques, une génératrice d usine. 15 transformateurs hasard ; 1 attaque, le repli protégé, la dispersion, ont été détruits et 2 usines électriques gravement puis, après le coup porté contre l’ennemi, le ras­ endommagées. Un grand nombre de dépôts de blé semblement des hommes, avec relativement peu et de fourrage réquisitionnés ont été incendiés. de pertes, témoignent de la grande maîtrise tac­ Suivant le même communiqué, les réfractaires tique acquise par les F.T.P. ou cours d une longue F.T.P.F.. organisés en maquis, ont mené victorieu­ expérience qui leur permet de mener dorénavant sement de nombreuses attaques contre l’ennemi des actions d’envergure. L’attaque n’est plus me­ et contre la police exécutant plusieurs tueurs de née — comme auparnv'ant — par un seul, mais la Gestapo et des milices de Vichy. Les grotqies par trois groui)< ‘s, dont 1 un opérant en avant- garde et l’autre en arrière-garde. (7) f'nmcf tl nhonl. jnnvhT HM I. Le Parti communiste attache une importance loule particulière à 1 organisation des F.l .P. II libération ». ainsi que par une presse clandestine n’y a pas de réunion de In direction du Parti abondante, ils entrent nombreux dans les F.T.P.F. où, en présence de Cliarles Fillon, clief de leur et le maquis. Ils se battent pour la libération de Comité militaire national, les F.PP. ne soient la France, dont la victoire sera celle de leur à I ordre du jour, François Billoux, intervenant propre patrie. Panni ces immigrés, une place devant 1 Assemblée considtative d ’Al ger. sur la d bonneur revient à Joseph Epstein, le colonel formation d une « Armée française de libération », « Gilles » de la Résistance, d origine polonaise, souligne 1 importance de la guerre des partisans. commandant les F.T.P.F. de la région parisienne, fusillé par les .Allem.ands au Monl-Valérien le « Depuis toujours, tlU il, il y eut un 11 avril i044, et au groupe des « 23 » qui, depuis, défaut dans nos écoles militaires ; celui est resté dans l’bistoire et dans la mémoire et le d’ignorer systématiquement l'étude rie la gué ­ coeur lies Français sous le nom du « Groupe rilla. de la guerre des partisans, des francs- Manouebian », du nom de son chef, l'Arménien tireurs. Cependant, elle a toujours joué un M issak Manouebian. II y a parmi ces 25 jeunes grand rôle dans les guerres nationales. Rap­ cond>altanls de In liberté, ouvriers pour la plupart pelons simplement : guérilla espagnole con­ — avec aussi des artisans et des intellectuels tre Napoléon ; francs-tireurs en 1871 ; dans — : 2 Arméniens, i Espagnol, 5 Hongrois, 5 Ita­ toute l’Europe pendant cette guerre, en Grè­ liens. 8 Polonais, I Roumaine et 5 Français. ce. en \ ougoslavie, au Danemark, en France, en Flnion soviétique, La guerre des francs- Les 23, arretés, sont détenus et atrocement tireurs et partisans doit être au programme torturés par les nazis pendant trois mois. Leur de toutes nos écoles *'**. » procès commence devant le tribunal militaire allemand de Paris, à 1 bôtel Continental, le 17 février 1944, et dure deux jours. Tous sont condamnés à mort et fusillés au Mont-Valérien LKS COIMBATTANTS IMMIGRES le 2i février — sauf la jeune Roumaine Olga PARTICIPENT A LA LUTTE Rancic qui sera décapitée à la bacbe, le 10 mai 1944, à Stuttgart. .\ux côtés des patriotes français, prennent une Le procès du groupe Manouebian, monté à pari très active de nombreux immigrés de toutes grand fracas par la propagande allemande, a pour nationalités, panni lesquels beaucoup de commu ­ but de calomnier la Résistance française en la nistes, venus en France, fuyant la persécution présentant exclusivement comme 1 œu\'re des étran­ fasciste ou la misère dans leur pays. Animés par gers et des Juifs (l 1 combattants du groupe Manou ­ la M.O.I. et par des « Comités d action et de ebian sont des Juifs), susciter une nouvelle vague de xénophobie, d’antisémitisme et de répression r /fiinuuufiN n" '287. nvril tO-M. et tenter de diviser les forces patriotiques. LJne (O) Main-fî’ntuvrp inunigréo, orfîanisnu' croé par lo lll'‘ Con- énorme affiche rouge, placardée dans toute la Cres dr l.yon du Pnrii ronimunislc Français (1^24) et politiqurmcnl et syndicnlrmonl. les Irnvntlli'iirs imniîiTrés vrinu; France, présente ces béroïcpies combattants de la en France après In première {îuerro mondiale. Résistance .sous les traits les plus hideux. 74

Le résultat de cette odieuse propagande est action patriotique partout, à commencer sur les contraire à ce qu ’en attendaient les hitlériens : lieux mêmes de son travail, là où. précisément, elle se rassemble pour la production, là où elle subit « Mais à l’heure du couvre-feu, des doigts errants 1 exploitation capitaliste. Les travailleurs de toutes Avaient écrit sous vos photos « morts pour la corporations participent, de plus en plus nom­ [France », breux, au combat, par des grèv’es revendicatives, Izl les mornes matins en étaient différents » des sabotages, le refus du S.T.O. Avec l'aide du Parti communiste français, un Ce combat approche l'heure de l’unité ouvrière. Comité central des prisonniers de guerre sovié­ Les communistes prennent 1 initiative des démar­ tiques se trouvant en France (au nombn» de 25 OOO) ches : mais les contacts ne sont pas faciles. Plu ­ est créé et forme plus de 30 détachements de sieurs fois ils sont retardés par les arrestations partisans qui prennent part, aux côtés de leurs de camarades : il faut alors remonter la filière en camarades français, à la libération de la France. partant d’une usine, d’un dépôt, d’un chantier, jusqu ’à l’échelon que l’on souhaite toucher et La nécessité de l’action armée immédiate est proposer une nouvelle rencontre, par le même che­ ressentie aussi par certains mouvements de Résis­ min. Mais la volonté d’aboutir brave tous les tance. Ainsi les M.U.R. (Mouvements unis de dangers et surmonte tous les obstacles, jusqu ’au résistance) créent des « Groupes francs » spé­ succès final : l’unité syndicale et la reconstitution cialisés dans les attentats au moyen de matières de la C.G.T., réalisée le 17 avril 1943, par les explosives. L’heure est proche où va combattre accords du Perreux accords qui mettent fin à en France une véritable armée nationale. la scission de 1939 et renforcent la capacité de lutte des travailleurs. Au cours de l’automne 1942 et de l’hiver L’ACTION QUOTIDIENNE ET MULTIPLE 1943-1944. I espoir de libération nationale surgi au sein Je la classe ouvrière gagne les autres L importance nouvelle prise par la lutte armée couches laborieuses de la population. Au prin­ ne fait pas pas pour autant reculer les autres temps 1943, la lutte patriotique s’empare des cam­ formes de lutte. Bien au contraire, le Parti com­ pagnes. muniste souligne que c’est en mettant en mouve­ La participation de divers milieux d’intellec­ ment les masses, sous les formes les plus variées tuels — enseignants, médecins, ingénieurs, artis­ et de façon incessante, qu ’on peut frapper l’ennemi tes et hommes de lettres — notamment au sein de tous côtés et entraîner l’ensemble de la nation des sections correspondantes du Front national, dans le combat patriotique. s amplifie. Peu d’hommes de pensée ont trahi en La classe omuière, la première, organise son acceptant de collaborer avec 1 ennemi. Les artistes et les poètes exaltent la lutte héroïque et le sacri-

(10) L'Affiche rouge. Poème de Louis Aragon . (11) Ils réunissent à partir de mars 1043. en zone sud, les (12) A la suite d une réunion clandestine tenue au Perreux- mouvements < Comlwl ». t LiLéralion > et «Franc-Tireur». Hur-Nîarnc (St»ine), 75

fire des combattants : les laboratoires des facul ­ de Villejuif, les ménagères manifestent malgré la tés et des écoles, les tecbniciens, fabriquent clan­ présence de nombreuses forces policières. A la destinement des explosifs. Maison du Prisonnier, place Clieby, une mani­ L’autorité des intellectuels patriotes grandit, en festation de femmes a pour résultat le déblocage même temps que se développe leur presse clandes­ de 500 000 points de textile pour les femmes de tine. Paraissent désormais Le Médecin français. prisonniers. Le Palais libre, L’Action (organe des ingénieurs A Nice, dans cbaque quartier, des pétitions et tecbniciens), L’Art français. L’Ecran français. circulent sur des revendications bien précises ; les Musiciens d ’aujourd’hui. Les Etoiles. C'est dans listes de pétition, couvertes de signatures, sont la nuit de 1 occupation que s organise, également, adressées à Vieby, au préfet, au service de ravi­ l'équipe des Editions de Minuit, dont les inspira­ taillement. Toujours à Nice, 3 000 femmes prio­ teurs sont Pierre de Lescure et Jean Bruller ritaires accompagnées de leui's enfants, mani­ (V^ercors). festent devant la préfecture pour obtenir «lu ravi­ A I appel du Parti, les femmes, de plus en taillement. Une nouvelle manifestation de 5 000 plus nombreuses, participent à l’action patriotique. femmes et enfants a lieu devant la préfecture aux L'Ihinmnité de novembre 1942 les invite à l’ac­ cris de : « A manger ! Du pain 1 A bas les affa­ tion pour la défense de leurs foyers : « Ce dont meurs ! A bas le marebé noir 1 > Une délégation les mères de famille ont le plus besoin, c’est le de Niçoises, comprenant des déléguées de cbaque pain... La France peut nourrir ses enfants. > A quartier, se ren«l à Vieby, porteuse d’un cabiet cette fin, il faut mener tout de suite la lutte pour «le revendications. obtenir la ration de 500 grammes de pain par Le mois de décembre 1943 marque une recni- jour. «lescence de la lutte des femmes pour le pain : 1 000 femmes et enfants manifestent à Pontivy « l’n groiqje de 200 mamans qui manifes­ (Morbihan) ; les femmes manifestent également à tent à la mairie, un atelier qui fait grève Montataire, à Creil, à Nogent (Oise), à Saint- pour avoir du pain, les femmes de prison­ Dizier et à Cbaumont, à Anglet (Basses-Pyré niers qui occupent la Maison des Prison­ nées), à Dreux et à Cbâteaudun. à Armentières niers. voilà nos plans de bataille redoutés (Nord), à Montbard (Côte-d Or). De nombreuses des affameurs de \^icby > ajoute l’Ilnma manifestations ont lieu dans la région parisienne. nilé. Les b'mmes redoublent d’activité dans les usines : elles font grève pour l’augmentation de leurs salai­ Voici quelques-unes de leurs actions relevées res à Tusine d’aviation Gutner (Jura), à Avion, à dans l’Humanité du 28 mai 1943. A Paris, 200 Saint-Ouen (Somme), etc. femmes manifestent rue de Belleville, en dépit Les femmes sont, en même temps, au.x pre- «lu déploiement de forces de police considérables, pour réclamer 500 grammes de pain. Au marebé (l*!) Il s’agü Je femmes cîc prisonniers, de mères de famille nnmhrciise. elc.. ayant droit nu ravitaillement pmr priorité. (n) Spt'dnl-Frmmrs, n” 6, (l5) Cf. r/Humanrfé, Edition féminine, janvier 76

niicrs rangs des actions contre la déportation des constituent, en octobre 1943, les Forces unies de la travailleurs en Allemagne. Elles se rassemblent jeunesse patriotique (F.LbJ.P.), entente de toutes dans les « comités populaires féminins > de la les organisations de la jeunesse résistante, notam­ zone nord et de la zone sud. auxquels les mili­ ment du Front patriotique de la jeunesse, de I Or­ tantes communistes participent activement, sous le ganisation civile et militaire des jeunes, des Jeu ­ mol d’ordre : « S unir, pour la défense des famil­ nes de la Libération nationale, des Jeunes chré­ les et la libération de la France. » Dorénavant, les tiens combattants, de l’Union des étudiants patrio­ mères que la faim de leurs gosses, que l’angoisse tes, de l’Union des Jeunes filles patriotes, des des absents torturaient, ne se sentent plus seules. Jeunes paysans patriotes, de Sport libre. Ainsi, En presse clandestine féminine est nombreuse les F,U.J.P. groupent les jeunes travailleurs patrio­ et souvent s’adresse à telle ou telle catégorie de tes, manuels et intellectuels. Elles éditent Le jeune femmes Patriote, les étudiants et lycéens publient La Relève. 11 y a aussi les journaux des prisons et des camps, barrés de tricolore ; La Patriote enchatnée A leur exemple, des dizaines de milliers de rédigée à la prison de La Roquette à Paris, celui jeunes Français de toute provenance sociale, de du camp de Leipzig, en Allemagne, etc. Il y a, toute conviction pbilosopbique et religieuse, rejoi­ enfi n. les deux journaux de la direction des gnent les F.T.P.F. et les maquis. La Fédération comités populaires féminins des deux zones : des jeunesses communistes fut une école de cou ­ Femmes françaises et La Voix des femmes. rage. d’abnégation et de patriotisme. Quant à la participation des jeunes à la lutte Les sentiments patriotiques des Français s ex- libératrice, c'est la Fédération des Jeunesses com­ primenl en toute occasion et sous des formes mul ­ munistes qui est. au cours même des combats. tiples. I initiatrice du Front patriotique de la Jeunesse. A l’appel du Parti et des autres mouvements Depuis le début de l occupation, les Jeunesses communistes donnent leurs premiers combattants, do la Résistance, les manifestations du 14 juillet notamment aux F.T.P.F., et leurs sacrifices ont revêtent une ampleur sans précédent depuis le début A été lourds : des milliers et des milliers de jeunes de l’occupation. Paris, sur les grands militants, dont l’béroïque Guy Moquet est le sym­ boulevards, place de la République, place de la bole, sont tombés pour la libération de la patrie. Bastille, aux Champs-Elysées, une foule énorme arborant les coideurs nationales défile devant une C est grâce à leurs efforts persévérants que se police qui. surprise par l’affluence, n’ose interve­ nir. En banlieue, la foide se rassemble devant les (16) Signalons Hans la région parisienne. Le Cnmef He la mairies. Dans tous les départements, dans des ménagère parisienne. La Aîénagèrt* He Villegii/, La Voix Hes centaines et des milliers de villes et de villages, Lilas : pour le NorJ, La Marianne : pour le Centre, L'Espé­ à travers la France tout entière, des manifesta­ rance de l’Ailier ; Le Trait d'union des femmes He prisonniers défend les droits des prisonniers, tandis que Le Cri d'alarme est tions ainsi que des grèves ont lieu : les patriotes ronsacré à I enfance; les marraines des F.T.P.F. puLlient arborent les couleurs nationales et fleurissent les Quaire-rmgt'ireiie et La V^t'ondîère. monuments aux morts. / /

Vingt et nn écrivains, venus ^^c tous les points de 1 horizon, se sont unis pour publier, le 14 juil ­ let, clandestinement, une anthologie des poèmes de la Résistance, dédiée à la France sous le titre : L’honneur des poètes, témoignage de la volonté des intellectuels de participer à l'œuvre de la libé­ ration nationale. Les manifestations du 11 novem­ bre 1Q43 revêtent également une grande ampleur. Ainsi, en France, comme dans tous les pays d Europe, la lutte patriotique se développe et les communistes en apparaissent l’élément détermi­ nant. Les Partis communistes font ainsi la preuve de leur maturité politique. La mission historique de 1 Internationale communiste (I.C.). qui avait contribué à leur développement, est donc termi­ née. C’est pourquoi, sur proposition de son Prési­ dium. proposition approuvée par le Comité centrai du Parti communiste français, l'I.C. est dissoute en mai IQ43. La dissolution de I Internationale communiste porte, en outre, un coup très dur aux calomnies antisoviétiques et anticommunistes des nazis et à leurs projets de division des Alliés. En France, comme dans tous les pays, elle facilite l’union de tous les patriotes dans leur lutte contre l’billé- risme et approche l’heure de la victoire.

7Q

AU RYTHME DES JOURS *

de Benoît FRACHON

A l'occasion du dernier Congrès de la C.G.T., listes et leurs campagnes de division » Et puis, toute la presse, y compris celle qui n'est pas avec la guerre, l'occupation, la trahison, c'est dès particulièrement favorable aux organisations ouvriè ­ juillet 1940 l'organisation des premiers comilés res, a souligné le rôle fondamental que Benoît populaires impulsés par Benoît Frachon pour sup­ Frachon avcdt joué et joue dons l'évolution du pléer à la carence des syndicats, pour lutter contre mouvement syndical. Ce rôle ne dote pas de l'oprès- Vichy et les occupants, c'est le 17 avril 1943 la seconde guerre mondiale. Dons le précédent numéro reconstitution de la C.G.T. réunifiée, la libération de ces Cahiers, Benoît Frachon, interviewé par de Paris et celle du territoire national. Claude Willard, a évoqué ses premières armées de militant et expliqué sous l'influence de quels événe­ Le recueil de textes choisis de Benoit Frachon ments, il passa de l'anarcho-syndicalisme cru com­ port de 1944 et ce premier volume se termine avec munisme. Il faudrait ensuite rappeler l'action de l'année 1954. On ne résume pas ime telle « antho­ Benoît Frachon à la tète de la C.G.T.U., sa lutte logie ». Indiquons simplement comment, pour en opiniâtre pour la reconstitution de l'unité syndicale, faciliter l'étude, l'ouvrage a été organisé. Une sub ­ son travail de « rassembleur » dcms la C.G.T. réuni ­ stantielle préface de Henri Krosucki définit les fiée, sa participation aux grands combats qui ont caractères fondamentaux de cette période de vingt imposé en 1936 les accords Matignon, la dénoncia­ ans qui, couvrant aussi le contenu de ce qui sera tion clcrirvoycmte de ceux qui « conduisaient de pair, le deuxième volume, va de 1944 à 1984. Le premier à l'intérieur de la C.G.T., leurs campagnes défai- volume est divisé en deux grandes parties : 1944-

(*) Benoît Frachon : Au rythme dcx Jours, Tome I. 19-44. (1) 10 septembre 1944. Rapport à rassemblée des cadres 1954 (Editions Sociales, Paris, 1967). syndicaux de la R. P. 80

1947 et 1948-1954, avec en tête de chacun de ces le 21 juillet 1944, il faut veiller toujours à ne pas se développements une courte présentation de Benoît laisser emporter par son propre enthousiasme et ses Frachon lui-même. Çà et là des notes (on les souhai ­ désirs. Même dans une période où la lutte armée terait parfois plus nombreuses) vieiment éclairer tel est au premier rang de nos préoccupations, le pro­ ou tel point d'histoire dont le rappel est nécessaire blème des revendications reste d'actualité » (p. 27). pour la compréhension d'un texte. Quelques mois plus tard, il fout gagner la batodlle de la production. La C.G.T. a pris avec courage ses Ces quelques 700 pages constituent une chroni­ responsabilités, responsabilités de classe qui ne se que particulièrement riche du mouvement ouvrier, séparaient pas de ses responsabilités nationales. l'histoire d'une scission vécue au jour le jour et « Cependant, si nous avons le souci d'être au pre­ dont les responsabilités et les causes sont cependant mier rang parmi les reconstructeurs de la France, clairement mises en lumière mais aussi et sur ­ nous n'oublions pas qu'une des tâches essentielles tout le récit des grandes luttes ouvrières. Qu'on des syndicats est de défendre les intérêts quotidiens songe tout spécialement aux grèves de novembre- économiques et sociaux de la classe ouvrière ». décembre 1947 (pages 259-277), à la grande grève (Page 79.) des mineurs d'octobre et novembre 1948 (pages 323-329), aux grèves de l'été 1953 (pages 597-613), Le souci des revendications, sons mépriser celles etc. Commenter un tel ouvrage, ce n'est point se qui peuvent apparaître les plus modestes, exige de substituer ou lecteur, mais chercher à mettre en la part des dirigeants syndicaux tin contact perma­ lumière ce qui peut être considéré comme l'essentiel nent, intime avec l'ensemble de la classe ouvrière. — à savoir les grandes idées qui se dégagent de Il faut être sensible à ce qui se passe en elle. ce recueil de textes et sur lesquelles Benoît Frachon « Nous ne sommes pas assez sols pour traiter des a particulièrement insisté pendant ces dix années. rapports de classe de la même façon qu'il y a un siècle » (page 189). Il convient de ne pas en rester « à des formules et à des mots d'ordre surannés » (page 444). Le militant doit « voir les travailleurs à LES REVENDICATIONS qui l'on s'adresse, tels qu'ils sont et non tels que SOUCI CONSTANT nous voudrions qu'ils soient <> (page 481). La con­ fiance des ouvriers dans la C.G.T. n'a rien de Voici d'abord une première préoccupation. On mystique et d'inconditionnel. Elle exige « de ses peut même dire : la première préoccupation. Un militants qu'ils soient attentifs aux désirs des ou ­ mouvement syndical qui, à chaque moment, ne met vriers, habiles dans l'organisation de leurs luttes ». pas l'accent sur les revendications se coupe des Une revendication ne s'invente pas. Les mots d'ordre masses ouvrières. Et cela quelles que soient les d'action ne naissent pas spontanément dons la tête circonstances. Deux exemples seulement. Juillet des militants. « La liaison d'un militant ouvrier avec 1944, la victoire approche et le moment est venu de les masses doit être telle qu'il puisse en tout temps préparer l'insurrection dans les entreprises. Ce formuler des revendications correspondant à une n'est pas une raison pour oublier les revendications. situation donnée et susceptibles de réaliser l'unité « A propos des revendications, écrit Benoît Frachon des travailleurs intéressés. Cela signifie que ce n'est pas dans les bureaux des syndicats que s'élaborent 12) r)es documents récemment publiés ont confirmé les Inter- les revendications et la tactique de lutte, mais dans prétations nvancéces dès 1947-194R par Benoit Frachon sur les l'entreprise, au millieu des ouvriers, avec les interventions américaines dans les affaires intérieures du mouvement syndical français. ouvriers » (page 444). 81

POUR LA DEMOCRATIE SYNDICALE dégage de ce recueil : consolidation de l'unité au sein de la C.G.T. au lendemain de la libération, De plcdn-pied avec l'ensemble des ouvriers -- recherche d'une unité élargie par des propositions donc, de plain-pied aussi avec les syndiqués. De à la C.F.T.C. que cette centrale refuse au nom (ou tous les textes ici réunis se dégage une théorie de sous le prétexte) du « pluralisme syndical », lutte la démocratie syndicale vérifiée par la pratique — contre les scissionnistes de F.O. soutenus (et dons la pratique des succès, mais aussi celle des erreurs. ime large mesure suscités) de l'extérieur, maintien, Il faudroit reproduire entièrement un article publié malgré la scission, d'une C.G.T. très largement par Benoit Frachon dons « La Vie Ouvrière », le ouverte aux divers courants du mouvement ouvrier, 7 novembre 1946 et intitulé « Démocratie syndicale à défaut de l'unité, recherche patiente de l'unité et assemblées de syndiqués ». Nous ne pouvons d'action sur un programme précis. qu'y renvoyer le lecteur (pages 173-175). « Du haut en bas de l'échelle confédérale, ce sont les syndi ­ A travers ces luttes se formule une conception qués qui sont appelés à discuter, à décider sur du syndicalisme de masse. « Pour pratiquer sa reli­ toutes les questions, à élire leurs dirigeants dans les gion l'ouvrier a son église ; pour défendre ses différents organismes, ainsi que leurs représentants conceptions politiques il a son parti. Le syndicat dans les divers comités où ils sont appelés à rassemble tous les ouvriers parce qu'ils pensent de siéger». Cet avertissement est antérieur à la scis­ la même façon sur toutes les questions qui se rap ­ sion. Il est constamment renouvelé de 1948 à 1954. portent à leur condition de salariés ». Ainsi La pratique de la démocratie syndicale n'est pas s'exprime Benoît Frachon s'adressant le 19 janvier aussi aisée qu'il y paraît à première vue. Ce n'est 1946 à un syndiqué de la C.F.T.C. (page 141). Cinq pas un « rite ». C'est une « nécessité absolue ». Le ans plus tord, parlant au Conseil Général de la collecteur des cotisations joue dons la section syn­ F.S.M., Benoît Frachon définit ce que peut être le dicale un rôle essentiel. Il ne faut pas le sous- sectarisme dans un mouvement syndical. Ne rete­ estimer. Mois « il est clair qu'un syndiqué qui ne nons pour notre propos que deux définitions (mois connaît de son organisation que le collecteur, le tout le reste est à méditer (pages 480-483). « Ne pas percepteur en somme, ce syndiqué sent bien qu'il être sectaire, c'est faire un effort constant pour que lui manque quelque chose ». Et Benoît Frachon de les travailleurs, divisés par des opinions politiques donner des exemples concrets. « Au lieu d'appeler ou religieuses différentes, surmontent les manœu ­ les syndiqués à discuter, à donner leur avis, à vres de leurs ennemis de classe qui tendent à faire formuler leurs critiques et leurs conseils {et ils en de ces différences d'opinions des barrières infran ­ ont toujours à donner), n'est-ce pas nous qui parlons chissables entre eux. Mais, c'est aussi, lorsque ces trop ? Au lieu de venir dire ce qu'ils pensent, ne travailleurs sont réunis, ne pas oublier que ces les invitons-nous pas trop souvent à venir entendre différences existent encore, qu'elles ne s'envolent une espèce de conférence quand ce n'est pas une pos au premier souffle du vent. C'est agir de façon mercuriale ? » (Page 449.) à ce que le communiste, le chrétien, le musulman et l'incroyant se sentent en pleine fraternité, sans UNITE D’ACTION que ni l'un ni l'autre n'impose sa loi pour mener UNITE SYNDICALE l'action sur la base qui a servi à réaliser l'unité. Ne pas être sectaire... c'est ne pas considérer Lié d'ailleurs à celui des revendications, le pro­ comme chose normale l'existence dans un même blème de l'unité est une des préoccupations qui se pays de multiples organisations syndicales. Dans ce 431 Rapport au XXVIII*' Congrès confédéral (29 mai 1951). cas, c'est ne pas considérer que seule la sienne 82

es( capable de faire tout, surtout quand à côté de la classe ouvrière, n'est pas un corps étranger d'elle sont des organisations puissantes. » L'unité à la nation. Son comportement (opposé à celui des syndicale et l'unité d'action ne se conçoivent pas capitalistes en tant que classe) pendant l'occupation en dehors de la lutte des classes. C'est la bour ­ et depuis en a apporté la preuve. Dès lors, les objec ­ geoisie qui pousse ou morcellement syndical, aux tifs propres au mouvement syndical ne se séparent scissions, à l'exploitation des divergences idéolo­ pas d'un certain nombre d'objectifs généraux qui giques qui existent nécessairement dons les rangs intéressent les masses populaires prises dans leur des travailleurs. C'est par la lutte contre le capi­ ensemble : les libertés démocratiques, la paix, talisme que le mouvement syndical peut maintenir l'indépendance nationale. D'où un très grand nom­ ou retrouver son imité. Cette unité est possible. bre de textes consacrés à ces problèmes. Mais quel Elle se situe dons une perspective du syndicalisme que soit le problème considéré, seule l'action paye. de masse. Mois on ne la mendie pas. On n'ottend Par exemple, la C.G.T. s'est prononcée pour les pas qu'elle se réalise toute seule. On ne laisse pas nationalisations. Mois attention ! « Nos projets de en repos ses ennemis, où qu'ils se trouvent. On ne nationalisation sont tout le contraire de la bureau ­ fait pas la fine bouche ou nom d'une unité « par­ cratisation. Nous entendons que les responsabilités faite » quand apparaissent les conditions d'une de chacun soient bien établies dans chacune des imité « partielle », dans une localité, dons une branches nationalisées ; nous voulons que l'initiative corporation, à propos d'une revendication précise. s'y puisse développer sans entrave, et voilà pour­ On n'obondonne pas ses propres opinions, les quoi nous voulons associer à leur direction les appréciations que l'on p>orte sur tel ou tel événe­ ouvriers et leurs organisations, les techniciens et ment. « Mais nous ne cherchons nullement à les usagers en même temps que les représentants imposer nos convictions à ceux qui ne pensent pas du gouvernement. » Cette précision est apportée par comme nous. Notre ambition, c'est de les convain ­ Benoît Frachon dès le 4 septembre 1945. cre. » (Page 349.) En bref, la lutte pour l'unité, c'est le pcdn quotidien de l'action syndicale.

UN SYNDICALISME DE MASSE, LE MOUVEMENT SYNDICAL MODERNE DANS LA NATION Un dernier mot pour conclure. Ce recueil de Une action syndicale fortement appuyée sur la textes de Benoît Frachon présente un triple intérêt. classe ouvrière, mois qui n'isole pas la classe Premièrement, il est une contribution à l'étude de ouvrière. Quand on relit d'un trait ce recueil, on est notre temps (et les historiens pourront très large­ frappé, par exemple, de l'insistance avec laquelle ment l'utiliser). Deuxièmement, il évoque une étape Benoît Frachon invite, très tôt, les militants de la du mouvement syndical ou cours de laquelle il doit C.G.T. à considérer le problème des ingénieurs, faire face aux problèmes nouveaux, nés de la des techniciens et des cadres. Il en traite dès le seconde guerre mondiale. Troisièmement, il consti­ 27 mors 1945 dons un rapport au Comité national tue un apport décisif à l'élaboration d'une théorie de la C.G.T. (pages 88-89). Et il revient à plusieurs et d'une pratique du syndicalisme de masse. On ne reprises (voir en particulier un article de L'Humanité renie pas le passé — mais on ne retient des tradi­ du 19 septembre 1951, page 463). Le mouvement tions que ce qui peut éclairer la route de l'avenir. syndical, en tant qu'une des formes d'organisation Le souci des revendications ne cache pas ce but 85

final que Benoît Frachon aime à rappeler et qui a raison de dire dons sa préface que « ce gui donne figure à l’article premier des statuts de la C.G.T., la une valeur particulière à ces textes, c'est qu'ils ont « suppression du patronat et du salariat ». Partant très précisément contribué à faire ces ving' d'une expérience vécue, Benoît Frachon aboutit, années ». L'historien, quant à lui, a trop souvent chemin faisant, à des conclusions d'un caractère l'occasion de regretter la dispersion des documents. général sur tous les problèmes théoriques que Merci à Benoît Frachon de les avoir ainsi rassem­ posent l'organisation et l'action syndicale et qui si blés et mis à la disposistion d'un public qui dépas­ souvent ont été discutés dans l'histoire du mouve ­ sera les frontières des cercles d'historiens. ment ouvrier ; unité syndicale ou pluralisme syndi­ cal, syndicalisme de tendance ou syndicalisme de Jean BRUHAT. masse, démocratie syndicale, rapports des syndicats et des partis politiques, définition et mise en prati­ que d'une authentique indépendance du mouvement syndical, revendications particulières et revendica­ tions générales, la place du mouvement syndical dons la nation, la lutte pour la poix et la solidarité internationale, lutte de classe et collaboration de classe, action quotidienne et but final. Qu'on par­ donne cette longue énumération : elle est encore très incomplète. Beaucoup de ceux qui théorisent sur le mouvement syndical sans le bien connaître trouveront, s'ils le veulent bien, matière à méditation dans le livre de ce militant pour qui la règle d'or est le va et vient de la théorie et de la pratique et qui, sans tambours ni trompettes, formule la doctrine d'un syndicalisme de masse moderne. Ce sont des articles écrits à chaud, des discours prononcés devant des militants à des moments précis et pour des buts précis. Mois on est sensible au style de Benoît Frachon. Style direct, simple, mais sons familiarité. Une grande franchise d'expression. Un chat est un chat et un scissionniste est un scissionniste. Aucune trace de ce jargon dont on a souvent du mal à se défendre et qui fait que l'ouvrier ne retrouve pas son propre langage dons celui du militant. Benoît Frachon aime partir d'un fait concret, d'un tout petit fait parfois, mais relatif à la vie quotidienne des travailleurs. De ce fait, il dégage la signification profonde, il le situe dans un ensemble, il l’éclaire et le rapport s'établit tout naturellement entre l'expérience vécue de l'ouvrier et la lutte générale à entreprendre. Henri Krasucki 84

ŒUVRES CHOISIES DE MAURICE THOREZ

EN TROIS VOLUMES

L'édition en trois volumes des ŒUVRES CHOI­ L’IMPLANTATION SIES de MAURICE THOREZ est maintenant ache­ DANS LA VIE NATIONALE vée Réalisée par les soins de TINSTITUT qui porte le nom du grand dirigeant communiste, cette publication nous dote d'im ouvrage de base du Le tome premier des Œuvres choisies contient plus haut intérêt et beaucoup plus neuf qu'on ne des textes où les problèmes d'organisation sont l'imagine d'abord. traités d'une manière caractérisant bien le style du dirigeant aux yeux de qui le Parti n'a jamais été un Près de cent pages du tome I reproduisent des but en soi, mais l'instrument de la classe ouvrière textes de 1924-1927 fort peu connus et la moitié du pour sa libération. tome III contient des écrits et discours devenus Tout jeune membre du Comité central, Maurice pratiquement inaccessibles, leur publication initiale Thorez se signale en 1924 par une pertinente inter­ étant dispersée dons des journaux, revues et bro ­ vention sur la tactique des grèves, au Congrès chures parus de 1933 à 19G4. syndical unitaire de Montceou-les-Mines. Au Con­ grès de Lille, dès 1926, il proclame en internatio­ Chaque volume recouvre à peu près une dou ­ naliste le patriotisme foncier des commimistes. En zaine d'années ; mise à part la période de la 1931, il ouvre dans l'Humanité la campagne pour maladie de notre camarade, les textes choisis ren­ un tournant de la vie du Parti, dont les articles dent compte d'une activité militante qui s'exerça « Pas de mannequins » et « Les bouches s'ouvrent » pendant quarante ans et leur lecture permet de furent les plus percutants. comprendre, ainsi que le note l'introduction au tome I, comment et pourquoi « sous la direction Auparavant, le lecteur de ce tome aura apprécié clairvoyante et ferme de Maurice Thorez » le Parti les talents de journaliste de Maurice Thorez livrant communiste fronçais « est devenu l'intelligence et à l'Enchaîné du Nord ses impressions d'une visite l'honneur de notre pays ». aux mineurs du Donetz, à l'occasion du X' anniver­ saire de la Révolution Socialiste d'Octobre. (.•) Œuvres cftoisics en trois volumes, de Maurice Thorez. (Paris. Editions Sociales.) Le gros du volume se compose ensuite d'abon ­ 85

dants extraits des rapports présentés aux assises Thorez ont favorisé l'enracinement du Parti com­ nationales du Parti : à la Conférence d'Ivry, en muniste dans la vie nationale ; pour tout le mou ­ juin 1934, et aux Congrès de Villeurbanne (1936) vement ouvrier international, elles ont contribué ou et Arles (1937). Ces travaux ont, depuis lors, pris développement de la pensée théorique marxiste sur une dimension historique qui en souligne la valeur. les questions de l'unité, de la démocratie, de la nation. Des idées-forces qui les animent, on retiendra notamment celles qui concernent l'essence de la politique d'unité de la classe ouvrière. DES THESES CAPITALES « Unité sur la base de la lutte de classe ! Rup­ ture avec la bourgeoisie ! » s'écriait Maurice Thorez Des thèmes semblables sont traités au tome II, dons un meeting de la salle Bullier, dès 1932. Et mais c'est à l'heure où la mission de défense de à Ivry, deux ans plus tord, il en précisera les con­ la France à laquelle il se consacre impose ou parti ditions : le front unique n'est pas une manœuvre, de la classe ouvrière de durs et héroïques sacrifices. le front unique, c'est l'action, nous voulons à tout Après les textes de 1938 contre la trahison de prix l'unité d'action avec les ouvriers socialistes, Munich, le clairvoyant discours d'Alger sur la pour barrer la route ou fascisme ! nation algérienne en formation (février 1939), la commémoration à Ivry du 150'' anniversaire de la Puis vont prendre corps, non seulement dans Révolution française et les premiers articles de l'esprit de quelques dirigeants, mais dans la volonté l'enquête « Défense paysanne », ce volume donne exprimée par des millions de travailleurs, les con­ la reproduction intégrale de l'Appel du 10 juillet tours du Front populaire, son programme, ses reven­ 1940 pour la constitution, autour de la classe dications, ses espérances. ouvrière, d'un front de la liberté, de l'indépendance A l'épreuve même du mouvement qu'il impulse, et de la renaissance de la France. le Parti s’approprie collectivement les thèses créa­ Les articles et interventions de Maurice Thorez trices avancées par Maurice Thorez : le front uni ­ de 1941 à 1944 orientent l'action des communistes que ouvrier, fondement obligatoire de l'alliance qui jouent un rôle de premier plan dans la Résis­ entre la classe ouvrière, la paysannerie laborieuse tance française. A chaque moment du combat, et les classes moyennes des villes dans la lutte dans la nuit de l’occupation hitlérienne et jusqu'à contre le grand capital et la réaction ; la possibilité, l'Insurrection nationale, le Parti met l'accent sur par l'unité ouvrière et la réalisation du Front popu­ la participation décisive du peuple à sa libération laire, d'imposer des réformes qui fassent progresser et la nécessité de l'unité nationale. Un démocra­ la démocratie et lui donnent un contenu social tisme conséquent s'exprime dans les grands actes nouveau ; internationalistes et patriotes, les com­ politiques de Maurice Thorez aux lendemains de munistes revendiquent pour la classe ouvrière la deuxième guerre mondiale. l'héritage révolutionnaire et démocratique du glo­ rieux passé de la France, ils préconisent contre Au fil des pages, du X' au XIT Congrès du l'oligarchie financière l'union de la nation fran­ Parti, à Waziers sous le mot d'ordre « Produire, çaise. faire du charbon » ou à Rouen où il invite à la vigilance « contre tout retour agressif de l'impé­ Les grandes initiatives politiques de Maurice rialisme allemand », au gouvernement et à l'Assem­ 86

blée constituante où il fait adopter le Statut des fonc­ UNE INTRODUCTION ET UN BIL.\N tionnaires, Maurice Thorez, dirigeant communiste et éminent homme d'Etat, insiste sur la nécessité de Quant au troisième et dernier tome de cette faire confiance à la classe ouvrière, au peuple, édition, où sont traités tant de problèmes cruciaux aux forces de démocratie qu'il faut appeler hardi­ de notre époque, la meilleure introduction en est ment à prendre une part toujours plus grande aux peut-être constituée par les extraits de l'article de affaires du pays. mars 1956 : « Quelques questions capitales posées au XX" Congrès du Parti Communiste de l'Union Des textes majeurs, repris et commentés maintes Soviétique » '2'. fois depuis leur première parution, retiendront le lecteur attentif. D'abord un extrait du rapport au Ce volume, où l'on se trouve à chaque page XI" Congrès (le combat pour l'unité) où Maurice confronté aux sujets les plus variés et de la plus Thorez réfute les attaques de Léon Blum contre le brûlante actualité, est aussi celui du bilan général matérialisme dialectique et le concept marxiste de de l'oeuvre de Maurice Thorez. Non seulement du lutte des classes. La question du contenu de la fait qu'y sont rassemblés les derniers écrits et dis­ démocratie (une démocratie débarrassée des trusts) cours du camarade que le Parti tout entier, par la est ici débattue à la lumière de l'expérience sovié­ voix de son XVII'’ Congrès, a unanimement désigné tique et des nouvelles conquêtes démocratiques et et acclamé comme son président, mais aussi parce socialistes des lendemains de la deuxième guerre que les textes de 1953 à 1964 ici réunis donnent la mondiale. plus haute idée des qualités qui furent les siennes, celles du plus clairvoycmt, du plus prestigieux des On appréciera aussi la possibilité offerte par le communistes de son temps. deuxième volume des Œuvres choisies de disposer, dons le contexte où ils se plaçaient, des travaux A la fin de ce recueil, rien ne convenait mieux de 1946 (Déclaration ou Times) et 1950 (rapport que la reprise intégrale de Fils du peuple, ce récit au Congrès de Gennevilliers) où Maurice Thorez autobiographique constituant bien, comme le montre a exposé deux thèses capitales qui allaient devenir la présentation de l'Institut Maurice Thorez, « l'ini­ en 1956-1957 le bien commun du mouvement com­ tiation la plus vivante aux problèmes politiques muniste international : il s'agit des thèses relatives et sociaux de notre temps ». à la diversité des voies du socialisme et à la possi­ bilité d'éviter un conflit mondial.

L'optimisme raisonné de Maurice Thorez, fondé sur la foi dons l'action des masses populaires, dons l'efficacité de leur intervention toujours plus cons­ ciente dans les affaires nationales et internationales, Tout au long des Œuvres, d'ailleurs, on observe s'est exprimé avec ime particulière intensité dons combien l'évolution de la pensée de Maurice Thorez son discours au XII' Congrès : Non, la guerre n'est reste inséparable des progrès du Parti qu'il a si pas fatale pleinement contribué à former et qui garde son empreinte.

Il) Tome II, pp. !>ir-51G. (2) Tome III, pp. 45-70. 87

La rigueur scientifique des analyses et la lumi ­ neuse cohérence des directives d'action proposées nous aident à saisir sur le vif les raisons et les buts de la politique communiste à chaque étape de l'his­ toire du Parti. Dans la méthode d'élaboration et de conduite de la politique du parti de la classe ouvrière, Mau ­ rice Thorez a su établir à chaque instant une étroite connexion entre les principes théoriques du marxisme, du léninisme, et l'expérience vivante des masses travailleuses. Le continuel mouvement de la pensée à l'action et vice-versa imprègne toute l'œuvre de l'homme qui joua un rôle primordial dans la formation et les luttes du Parti communiste français. De la lecture et de l'étude des textes choisis en trois volumes, chacun tirera un profit substantiel : militants jeunes et anciens, chercheurs et historiens, communistes et non communistes, comme tout ci­ toyen, quoi qu'il pense, s'il a le souci de mieux comprendre le monde et d'agir pour le transformer.

Victor MICHAUX.

89

UNE ŒUVRE QUI TRANSFORME LE MONDE : LE “CAPITAL” DE MARX O

Oito KEINHOLD

L'essent/e/ dans la théorie de Marx est la Cent ans se sont écoulés depuis la publi ­ démonstration du rôle historique du prolétariat cation à Hambourg en 1867 du livre premier en tant que créateur de la société socialiste. du « Capital », l'œuvre maîtresse de Karl LENINE. Marx. Personne aujourd'hui ne saurait dire exactement combien d'ouvrages de théorie sociologique ont été écrits et édités au cours de ce siècle. La plupart sont oubliés depuis longtemps, on ne trouve personne qui veuille les réimprimer, peu de bibliothèques sacrifient de la place pour les conserver. Le « Capital », au contraire, de décennie en décennie, a (1) Nous empruntons l'article qu'on va lire à la revue théorique du Parti socialiste unifié d'AMemagne, « Einheit connu une plus large diffusion et exercé une juillet 1967. Nous nous excusons auprès de l'auteur de ne donner ici, de son important travail, qu'une version plus profonde influence sur le développement abrégée et. dans une certaine mesure, adaptée au public de la société. français. Nous avons retranché notamment la dernière partie du texte» où Tauteur discute, du point de vue de la République Démocratique Allemande, la durée de la phase Aucun ouvrage scientifique du siècle der­ socialiste, intermédiaire entre le capitalisme et le commu ­ nisme. Les sous-titres ont été ajoutés par nous. (N.D.L.R.) nier n'a agi au même degré sur la société et 90

sa transformation révolutionnaire. On ne par une diffamation et une altération effrénées s'étonnera donc pas qu'il soit au centre des des idées principales du « Capital ». Malgré débats d'idées et de théorie et qu'il serve de tous ses efforts en ce sens, malgré l'influence cible à la calomnie capitaliste. Mais toutes exercée pendant un temps sur une partie de les calomnies, toutes les attaques ne peuvent la classe ouvrière, la bourgeoisie, même aidée rien contre le fait qu'aucune autre doctrine par le révisionnisme et le réformisme, n'a pas n'a été pareillement confirmée par l'action de pu empêcher la formation du système mon­ millions d'hommes et n'a aussi profondément dial du socialisme et le rayonnement croissant modifié les conditions d'existence des peuples du mouvement communiste. C'est pourquoi, et des continents. dans les derniers temps, on a recouru à de On sait que les défenseurs du régime bour ­ nouvelles méthodes de lutte, plus « subtiles » geois n'ont réussi que pendant une période et plus « souples » ; une armée de « marxo­ relativement brève à faire la conspiration du logues » a été mobilisée pour dresser le « jeune silence sur les conceptions de Marx. Après son Marx » contre le « Marx de la maturité » et échec, cette tactique initiale a été remplacée opposer certains ouvrages à d'autres.

L'HOMMAGE INVOLONTAIRE DE L'ECONOMIE BOURGEOISE

Avec le passage sur grande échelle au « planification ». Mais plus les idéologues de capitalisme monopoliste d'Etat et par consé­ la bourgeoisie se voient contraints de fournir, quent à la régulation de l'économie par l'Etat à côté de leurs productions apologétiques, des monopoles, une autre évolution a com­ certaines bases scientifiques utiles à l'activité mencé. L'impérialisme, qui s'efforce d'utiliser économique des Etats impérialistes, plus aussi la science et la technique modernes au service iis sont obligés de recourir à des acquis du des monopoles, est soumis à une double pres­ marxisme-léninisme. sion : celle du développement positif du C'est ce que l'on constate aujourd'hui en système socialiste mondial et celle de ses toute netteté avec les théories bourgeoises de propres contradictions internes, que la révolu­ la croissance. Le « Volkswirt » organe de tion technique accentue. Dans ces conditions, la bourgeoisie monopoliste d'Allemagne occi­ la direction de l'Etat des monopoles pratique dentale, vient d'imprimer un article du profes­ la fuite en avant et essaie de dominer les seur Alfred Ott qui dit : « On lit de nouveau problèmes économiques et techniques à l'aide Marx... Et l'on cherche spécialement ce qui, de toute sorte de méthodes telles que la « pro­ grammation », la « direction globale », la (2) • L'Economiste ». gi

du système de Marx, peut s'appliquer encore fragmentaires et, — comme on pouvait s'y aujourd'hui ou les anticipations que Marx a attendre, — expressément détachés du con­ faites de la théorie moderne... Il est particuliè­ texte idéologique et politique qui est partie rement remarquable que Marx a d'emblée intégrante de la théorie économique de Marx. risqué un modèle de croissance en deux sec­ Nous prenons bonne note de cet éclectisme teurs, type de modèle qui n'est traité dans la théorique, au dessus duquel les idéologues du théorie moderne que depuis peu de temps. » capitalisme monopoliste ne sauraient s'élever cent ans après la parution du « Capital » et Qu'en conclure, sinon qu'en raison du cinquante ans après le début de la pratique caractère non scientifique de leur propre théo­ socialiste. S'il fallait encore une preuve de la rie, les économistes bourgeois sont contraints misère et de l'impuissance théorique des criti­ et sont disposés à tirer parti de certains élé­ ques bourgeois de Marx, qui continuent à ments de la théorie économique du marxisme- proclamer le marxisme-léninisme utopique, léninisme et de certaines expériences des pays dépassé et réfuté, elle serait fournie par les socialistes ? Mais il ne s'agit que d'éléments économistes bourgeois eux-mêmes.

LA THEORIE DE L'EXPLOITATION CAPITALISTE

Marx a souligné dans la préface à la des moyens de production. La séparation des première édition du « Capital » : « ...Le but ouvriers d'avec les moyens de production les final de cet ouvrage est de dévoiler la loi force chaque jour à vendre leur force de économique du mouvement de la société travail, qui est leur seule propriété. La vente moderne. » Ce problème a été résolu grâce de la force de travail est la source de l'exploi­ à la découverte et à la formulation de la tation capitaliste, et en même temps c'est la théorie de la plus-value, que Lénine devait condition de l'existence de la classe ouvrière. qualifier plus tard de pierre angulaire, de base L'achat de la force de travail par les bourgeois, de l'économie politique marxiste. La théorie possesseurs des moyens de production, est la marxiste de la plus-value est le pas décisif condition de la production capitaliste du en vue du socialisme scientifique, puisqu'elle profit. Le niveau du profit dépend en premier rend compte en dernière analyse de la nature lieu de l'étendue de l'exploitation. des rapports de classe entre les ouvriers et la De ce fait, Marx a tiré une série de consé­ bourgeoisie, du rôle historique de la classe quences fondamentales ; les oppositions de ouvrière. classes sont insurmontables sous le capitalisme, Marx est parti de la propriété capitaliste la lutte des classes est normale, la masse du profit est d'autant plus élevée que la somme (3) Karl MARX : Le Capital, Paris, Editions sociales, Livre premier, tome premier, p. 20. du salaire est plus basse. La nature de l'exploi­ 92

tation capitaliste est déterminée par la pro­ de douze heures, la faim et le chômage massif priété des moyens de production ; la lutte sont une réalité têtue. Et les propos sur le pour les salaires plus élevés peut sans doute développement relativement rapide des forces modifier le rapport quantitatif du salaire et productives et sur les changements intervenus du profit, mais non pas l'exploitation et sa ne s'appliquent qu'aux pays impérialistes. Qui nature profonde. Pour cela s'impose le trans­ croirait dès lors que les théories exposées dans fert des moyens de production à la propriété le « Capital » ont perdu leur actualité ? socialiste, l'élimination du régime capitaliste, Rappelons d'abord que Marx a constam­ concevable seulement sous la direction de la ment distingué entre la nature du régime capi­ classe ouvrière. Enfin, la classe ouvrière ne taliste, la nature des rapports de classe et peut éliminer son exploitation et l'oppression les formes diverses de leur manifestation. Pour capitaliste qu'en éliminant toute exploitation Marx et les marxistes, l'objectif de la science et toute oppression. est précisément de pousser au-delà des formes Les idéologues bourgeois déclarent aujour ­ de manifestation et de découvrir la nature des d'hui que cette théorie de l'exploitation capi­ processus sociaux. Or, la nature de l'exploita­ taliste développée dans le « Capital » était le tion capitaliste et des contradictions antago­ cas échéant correcte pour le XIX* siècle, mais niques entre classe ouvrière et bourgeoisie n'a qu'elle ne l'est pas pour notre époque, dans rapport ni au travail des enfants ni à la laquelle un grand nombre des phénomènes journée de dix heures et au travail physique décrits par Marx ont disparu depuis long­ pénible, pas davantage au niveau du salaire ou temps : le travail des enfants n'existe plus, la à la possession d'automobiles et de réfri­ journée de travail a été réduite de douze à gérateurs. huit heures, dans beaucoup de branches la La position sociale de l'ouvrier dans le mécanisation et l'automation ont supprimé régime capitaliste se définit à titre décisif par dans une large mesure le travail physique sa dépossession des moyens de production. Ses pénible, etc. conditions de travail et de vie, son existence C'est un fait que même dans le monde elle-même dépendent de la vente de sa force capitaliste bien des changements se sont de travail. L'approfondissement des contra­ opérés, dont la moindre cause n'est pas dictions internes, les signes nombreux de l'influence des pays socialistes et la pression stagnation économique et leurs suites pour les du mouvement ouvrier armé de la théorie travailleurs fournissent à l'heure actuelle la marxiste. Mais une appréciation sans nuances confirmation pratique que la propriété d'une ne correspondrait pas à la réalité. L'abîme voiture d'occasion ou d'un appareil de télé­ entre les Etats impérialistes développés et les vision n'a aucune influence sur l'insécurité de pays sous-développés qu'ils ont pillés pendant l'emploi. Les ouvriers et les employés qui en des dizaines d'années, n'a fait que grandir. possèdent ne sont pas pour autant à l'abri Sur de vastes surfaces du monde capitaliste, ni des licenciements ni des attaques contre les le travail des enfants, les journées de dix et salaires et la Sécurité sociale. Q5

LA POSITION DE LA CLASSE OUVRIERE NE S'EST PAS MODIFIEE FONDAMENTALEMENT

Les idéologues de la bourgeoisie utilisent Mais si nous analysons l'évolution fonda­ quatre arguments principaux pour prétendre mentale de la société, il apparaît que la que la position de la classe ouvrière s'est position sociale de la classe ouvrière ne s'est modifiée fondamentalement ; pas modifiée. Au contraire, la polarisation a 1" La situation matérielle des auvriers se fait de nouveaux progrès, l'opposition entre serait tellement améliorée qu'une large péré­ le groupe dominant des monopoles et la classe quation des revenus de toutes les couches ouvrière est plus forte que jamais. Les classes sociales se serait produite ; moyennes sont laminées, surtout la paysanne­ rie. D'une façon générale, il ne peut être 2" les ouvriers ne se distingueraient plus question d'aucune péréquation, d'aucun rap­ des autres classes et des autres couches socia­ prochement des revenus. Il n'est pas moins les au point de vue de l'habillement, des contraire à la réalité de dire que les ouvriers habitudes de consommation et du style de auraient aujourd'hui toutes les possibilités de vie ; promotion ; il n'y a toujours qu'un très faible 3" les ouvriers auraient toutes les chances pourcentage d'étudiants qui sont fils d'ouvriers. imaginables de promotion, ils prendraient plei­ La révolution scientifique et technique nement part à la forte mobilité de toutes les conduit à des modifications importantes dans couches sociales ; la structure de la classe ouvrière. On voit 4* “ la conscience de classe des ouvriers se monter rapidement la proportion des employés. serait évanouie, totalement ou en grande La proportion des ouvriers industriels est partie. stagnante ou décline. A l'intérieur de l'indus ­ trie s'opèrent des reclassements importants. Les inventeurs et les défenseurs de ces La proportion grandit des ouvriers et des thèses s'appuient, expressément ou tacitement, employés qui sont occupés dans la sphère des sur quelques phénomènes qui ont joué un rôle services. En même temps, la position socio­ important depuis la guerre. Il faut citer notam­ économique de certaines couches se rapproche ment la haute conjoncture économique qui a de plus en plus de celle de la classe ouvrière : duré jusqu'à ces derniers temps, l'influence cela est vrai d'une grande partie des paysans, croissante du camp socialiste, la pression de de beaucoup d'artisans, et même des petits la classe ouvrière, le fait que la révolution patrons qui, en leur qualité de sous-traitants technique a amené aussi un bouleversement des monopoles, n'ont plus qu'une indépen- de la consommation, en sorte que certains objets de consommation nouveaux sont entrés (4) Voir rexrwsë Notion de classe et rôle historique de la classe ouvrière (Œuvres choisies de Maurice Thorez, dans le circuit normal. tome 3, pp. 260-284). 04

dance formelle. Une fraction des intellectuels, apportent, mais sans influence et frappés notamment des techniciens, est en fait déjà d'ostracisme. En haut, le petit groupe des partie intégrante de la classe ouvrière. maîtres, le capital, caractérisés par la déter­ mination, la rigidité, un savoir supérieur et Toutes ces évolutions prouvent que la la puissance qui résulte de l'argent et d'une révolution scientifique et technique entraîne condition relevée. » {Radio Münich, 30 mai réellement une grande « mobilité ». Les partis 1967.) marxistes-léninistes et les syndicats commet­ traient une erreur, et sûrement une erreur Malgré tous les efforts de l'Etat des mono­ funeste, s'ils ne tenaient pas compte de ces poles pour régulariser les rapports des classes, changements quand ils organisent la classe malgré la manipulation des cerveaux, le méca­ ouvrière et élaborent la politique d'alliance de nisme de l'exploitation capitaliste fait perpé­ toutes les forces antimonopolistes. Mais la tuellement ressurgir dans la classe ouvrière mobilité dont il s'agit ne conduit pas, comme la conscience de l'existence des classes et de les idéologues bourgeois le prétendent, à leurs contradictions antagonistes, conscience l'atténuation, à la compensation ou à l'apla­ qui tient en échec l'idéologie impérialiste de nissement des oppositions de classe : elle est l'harmonie entre les classes. un élément important du processus de polari­ sation du capitalisme. La classe ouvrière et l'oligarchie financière Le développement de la conscience de s'affrontent à l'échelle de la société prise glo­ classe joue naturellement un rôle essentiel. balement ; l'exploitation à l'usine et l'exploita­ C'est un fait que le capitalisme monopoliste tion à l'échelle de la société se combinent. La d'Allemagne occidentale, par exemple, a polarisation des classes atteint un niveau réussi, grâce à l'anticommunisme et au soutien inconnu jusqu'ici. actif des chefs social-démocrates de droite, à acquérir une influence profonde sur la classe La lutte pour la sécurité de l'emploi passe ouvrière. Mais cela ne signifie pas que de au premier plan. La révolution technique libère grandes fractions de la classe ouvrière seraient tous les ans dans chaque pays des centaines privées de conscience de classe. Une enquête de milliers d'ouvriers et d'employés, qui ne sociologique conclut : « La grande majorité peuvent retrouver du travail qu'avec un taux des ouvriers voit la société non comme une de croissance économique de 4 à 5 %, — totalité harmonieuse avec une échelle ininter­ or les prévisions de la Commission du Marché rompue de conditions que chacun peut gravir Commun sont elles-mêmes inférieures. D'autre selon sa force, mais comme une dichotomie, part, le rythme de la révolution technique et un monde bipartite, qui est rigoureusement de la rationalisation va s'élever, ce qui, dans coupé en un haut et un bas. En bas se trou ­ les conditions capitolistes, fera perdre leur vent les ouvriers, sans doute indispensables emploi, sans perspectives de réembauchage, à cause du travail qu'il faut faire et qu'ils à un nombre toujours plus élevé de travailleurs. La lutte pour la liberté des conventions l'évolution capitaliste la bataille pour l'amélio­ collectives, pour le maintien et l'extension des ration radicale de l'enseignement. droits syndicaux, pour les pouvoirs des syndi­ De toute la situation actuelle résulte la cats dans l'entreprise devient une question constatation que rien n'a été changé à la centrale. nature de l'exploitation capitaliste telle que Marx l'a décrite dans le « Capital » ; rien n'a La révolution technique rend beaucoup été changé à la position et au rôle historique plus impérieuse qu'aux stades antérieurs de de la classe ouvrière.

L'IMPORTANCE ESSENTIELLE DU « CAPITAL » POUR L'ECONOMIE DU SOCIALISME

Aux yeux des marxistes, la théorie écono­ qu'elle repose sur les prémisses philosophiques mique exposée dans le « Capital » est non élaborées par Marx et Engels. La méthode du seulement une arme dans le combat pour « Capital » au sens large est la philosophie l'abolition du régime capitaliste, mais en même marxiste. Cette philosophie marxiste, — le temps une base essentielle du programme de matérialisme dialectique et historique, — n'est construction du socialisme. C'est ce que recon­ pas seulement utilisée dans le « Capital » naissent les pays socialistes ; leur position comme méthode de recherche ; elle y a reçu théorique et leur expérience pratique sont en une légitimation et une extension profondes. contradiction avec les affirmations des idéolo­ C'est dans le « Capital »que Marx a développé gues de l'impérialisme, d'après lesquelles Marx de la façon la plus approfondie et la plus n'a analysé que le capitalisme du XIX® siècle complète la conception matérialiste de l'his­ sans fournir aucun apport à la définition de toire, devenue ici, d'une hypothèse, une théorie l'ordre socialiste. scientifique (Lénine). Or, les thèses fondamen ­ En quoi consiste l'importance essentielle du tales de la conception marxiste de l'histoire « Capital » pour l'économie politique du sont aussi le point de départ décisif, au point socialisme ? de vue théorique et méthodologique, de l'éco­ nomie politique du socialisme. Premièrement, le « Capital » représente une analyse complète et rigoureusement scien­ Deuxièmement, Marx a établi dans le tifique de la société capitaliste, c'est-à-dire « Capital » la loi de succession des formations d'un système économique compliqué. Cette sociales dans l'histoire. Il a montré que chaque analyse n'a pu découvrir les lois économiques mode de production se distingue qualitative­ fondamentales du capitalisme que parce ment des autres formations par des lois 06

fondamentales. Marx a consacré par cette a pleine validité aussi sous le socialisme. Marx notion de formation sociale à la fois le rôle a montré que, sous le socialisme, l'économie déterminant des rapports matériels, économi­ de temps devient la première loi économique. ques, qui se constituent objectivement en On trouve exposées les bases de la théorie accord avec le caractère des forces productives, marxiste de la reproduction, y compris celles et le caractère de la société en tant qu'elle de la théorie de la croissance. Le « Capital » représente un système. Cet important principe renferme des indications importantes sur la méthodologique exige que la théorie économi­ fonction économique du marché extérieur ; par que de chaque formation, — et en particulier malheur, Marx n'a pas pu exécuter son plan celle du socialisme, — parte du caractère du primitif de consacrer deux ouvrages spéciaux système, de la complexité des différents à ce problème. Toutes ces questions consti­ domaines du processus social et du caractère tuent des problèmes actuels et fondamentaux systématique des lois économiques. La nature de l'économie politique du socialisme, qui et la dynamique des processus économiques ne exigent un développement créateur de la peuvent être saisies que si l'on tient compte science économique marxiste-léniniste. de la complexité des lois, de leur développe ­ Quatrièmement, en analysant le mode de ment et de leurs rapports mutuels avec les production capitaliste, la loi de son mouve­ autres domaines (idéologie, politique, sciences, ment, sa tendance historique, en établissant etc.). la loi de l'écrasement du capitalisme par la Troisièmement, l'auteur du « Capital » lutte de classe du prolétariat, Marx a produit établit les lois et les catégories générales de en même temps des énoncés sur les traits l'économie politique marxiste, qui sont valables essentiels du mode de production socialiste soit pour tous les modes de production, soit et du mode communiste, énoncés qui se sont pour les modes de production reposant sur la avérés justes et féconds et qui ont été et production marchande, soit pour les modes de demeurent partie inaliénable de l'économie production reposant sur la grande production politique du socialisme. sociale, sur la production élargie. Marx a découvert une multiplicité de lois économiques, Nous trouvons dans le « Capital » d'impor­ établi un vaste système de catégories, qui, — tants aspects de la démonstration théorique une fois dépouillé de sa forme d'action spéci­ de toutes les lois économiques spécifiques du fiquement capitaliste, — existe aussi en socialisme qui sont aujourd'hui connues, de grande partie sous le socialisme et exprime toutes ces lois à la lettre. Le « Capital » ren­ alors des rapports spécifiquement socialistes. ferme les thèses suivantes sur les traits On trouve donc dans le « Capital » le fon­ fondamentaux du socialisme : dement théorique de l'économie politique a) Le nouveau régime social reposera sur marxiste considérée en général. la propriété sociale des moyens de production. Dans le « Capital », la théorie de la Telle est la conséquence stricte de la contra­ valeur-travail est amplement établie, et elle diction de base du capitalisme, la contradiction Q7

entre le caractère social de la production et nelle de ce travail. L'économie de temps sera l'appropriation capitaliste. Marx a démontré l'exigence première, bien plus que dans aucune que la classe ouvrière ne peut s'affranchir de autre société. Le contrôle de la dépense de l'exploitation capitaliste qu'en affranchissant travail social, la « comptabilité sociale » au bout du compte toute l'humanité de toute acquiert une importance primordiale. Marx exploitation et à jamais. En même temps, il souligne que « après la suppression du mode a établi le rôle dirigeant de la classe ouvrière, capitaliste de production, mais dans le cas de y compris pour le socialisme. maintien de la production sociale, la détermi­ nation de la valeur restera dominante, parce b) Le « principe fondamental » du socia­ qu'il sera plus nécessaire que jamais de régle­ lisme, le but de lo production socialiste est menter la durée du travail, de distribuer le « le complet et libre développement de tout travail scxial entre les différents groupes pro­ individu » ‘®', la satisfaction des besoins ductifs, enfin d'en tenir la comptabilité ». matériels et culturels des hommes. De la répartition, Marx a dit qu'elle c) Dans le nouveau régime social sera « variera suivant l'organisme producteur et le réalisée l'organisation rationnelle de la produc­ degré de développement historique correspon­ tion dans le cadre de l'ensemble de l'économie. dant des travailleurs ». Etant admise la répar­ Le régime socialiste est caractérisé par le fait tition à chacun selon son travail, le travail « que l'homme social, les producteurs associés joue un rôle double ; « D'un côté, sa distribu­ règlent rationnellement leurs échanges avec la tion dans la société (littéralement ; socialement nature, les soumettent à leur contrôle collectif, planifiée) règle le rapport exact des diverses au lieu d'être dominés par eux comme par fonctions aux divers besoins ; de l'autre, il une puissance aveugle, accomplissent ces mesure la part individuelle de chaque produc­ échanges en dépensant le minimum de force teur dans le travail commun et en même temps et dans les conditions les plus dignes de leur la portion qui lui revient dans la partie du nature humaine et les plus conformes à cette produit commun réservée à la consommation nature » '®'. (individuelle) » '■'^L Le volume de la consom­ mation sera déterminé d'un côté par la pro­ d) Le nouveau régime social sera caracté­ ductivité existant dans la société, et d'un autre risé par une augmentation constante de l'effet côté par le niveau que « requiert le plein utile du travail social, par une dépense ration- épanouissement de l'individu » ‘®'.

(5) Ce texte devrait figurer dans la version des Editions C'est donc par une grossière falsification, sociales, au tome III du livre premier du c Capital », page 32, fin du troisième paragraphe. On devrait lire : . ... la base signe d'impuissaance profonde, que l'idéologie d'une société nouvelle et supérieure, dont le principe fonda­ mental sera le complet et libre développement de tout individu ». La traduction Joseph Roy a tous les mérites sauf l'exactitude. (7) Le Capital, livre troisième, tome III, p, 228. (6) Le Capital, livre troisième, tome III, pp. 198-199. (Nous (8) Le Capital, livre premier, tome premier, p. 95. rectifions la traduction, très inexacte.) (9) Le Capital, livre troisième, tome III, p. 251. 08

bourgeoise, dons sa discussion avec le En réalité, l'économie politique du socialisme marxisme, met aujourd'hui l'accent sur cette est impensable sans le « Capital ». affirmation que Marx se serait presque exclu ­ Le « Capital » a été, est et restera le pilier sivement occupé de la critique du capitalisme central de la science de la construction et peu soucié de la société qui devait suivre. socialiste.

LE “CAPITAL" EN CHIFFRES ET EN FAITS

Après la parution du livre premier du « Capi­ Avant même la publication de l ouvrage. le tal » à Hambourg le 14 septembre 1867 en une militant de I Internationale Johann Philipp Becker édition de 1 000 exemplaires. la question se posa organisa une souscription au « Capital » par de sa diffusion. Cette diffusion dépendait de l’état rintermcdiaire du « Vorbote », I organe de la Pre­ du mouvement ouvrier dans rliaque pays. mière Internationale en Suisse, qui avait été fondé par lui. Un moyen efficace consistait dans la Dans la patrie du « Capital ». en .\Ilemagne, propagande orale, et pas seulement au sein de ce fut. de la part des économistes bourgeois, la la classe ouvrière. Wilhelm Liebknecht s’y livra conspiration du silence. Marx et Engels, leurs par exemple du haut de la tribune du Reichstag amis et camarades de lutte Wilhelm Liebknecht. de l’Allemagne du nord et à la barre du tribunal .\ugust Bebel. Friedrich Lessner, Josef Ditzgen de Leipzig. et d autres entreprirent la propagande du livre par tous les moyens dont ils disposaient : publi ­ L accueil des ouvriers permit à Marx de cons­ cation d'annonces, d avis, d extraits et de comptes tater : « La compréhension que le « Capital » a rendus (Engels en écrivit pour des journaux de rapidement rencontrée dans de vastes cercles de la différentes tendances). Plusieurs douzaines de classe ouvrière allemande est le meilleur salaire copies de I un de ces comptes rendus furent diffu ­ de mon travail. » La demande était si forte que. sées par I ami de Marx, Ludvig Kugelmann. dans la période du développement impétueux de QQ

la social-démocralie allanianclc entre 1868 et 1800. réimprimé en 3 000 exempluires au moins. Les on publia quatre édition,': du premier livre. I .e deux éditions jouèrent un grand rôle pour la dif­ texte original était diffusé aussi en Autriclie. aux fusion du marxisme en Lrance. Etats-Unis, en Suisse et en Russie : Mcissner, Après la disparition de Marx. Engels entreprit I éditeur, constatait que les clients russes de la la mise au net et la publication du deuxième et première édition étaient * particulièrement actifs ». du troisième livres, que I auteur avait laissés à Du vivant de Marx. le « Capital » fut tra­ I étal d ébaudie. Grâce à Engels parurent deux duit en russe et en français. Marx a consacré éditions du livre premier (1883-1800) et la tra- beaucoup de peine à la révision du texte français, iluction anglaise (1887), qu il avait lui-même révi­ établissant dans une certaine mesure une nou ­ sée. L abrégé du premier livre (1887) préparé par velle variante du livre. 10 000 exemplaires de Karl Kautsky et approuvé par Engels fut très I édition parurent par livraisons en trois ans, de populaire et atteignit vingt-cinq éditions. 1872 à 1875. Lors de 1 essor du mouvement La diffu sion du « Capital » du vivant de ouvrier français en 1885. le premier livre fut Marx et d f'.ngels ressort du tableau cl-dessous :

Langues Nombre (les éditions Annees de la publication Liv. I IJv Liv. I .\Ilemand 1867, 1872. 1883, 1800. 1885, 1803, 180-1 Russe .. . 1872, 1885. 1806. Français 1872-75. 1885. Polonais 188-1-00. Danois . 1885. 1887. Italien 1886. Espagnol 1886 (texte incomplet). A.nglais . Janvier 1887, avril 1887. 1880. 1800. 1891. Holland aïs 1804 (uniquement la pre­ mière livraison : 34 pa- ges). 100

L ampleur de cette diffusion illustre la thèse avancée par Lénine : « Le marxisme a déjà rem­ bulgare 1910 porté incontestablement la victoire sur toutes les esthonien 1910-t9l 4 autres idéologies dans le mouvement ouvrier. Au finnois 1913 seuil des années 00 du siècle dernier, cette vic­ tchèque 1913-1915 toire était achevée dans 1 essentiel. » yiddisch 1917 espagnol (.'\rgentine) 1918 De 1003 à 1022, le premier livre du « Capi­ japonais 1920 tal > a continué à paraître à Hambourg. Otto letton 1920 Meissner publia encore dix éditions après les pré­ hongrois 19'21 cédentes : pendant la première guerre mondiale ukrainien 1923 et jusqu en 1952 panirent neuf éditions. grec 1927 norvégien 1930-1931 chinois 1930-1933 Dans la République Démocratique Allemande, serbe 1933-1934 le premier livre du « Capital > a été imprimé à arabe 1939 313 000 exemplaires en quatorze éditions, le livre espagnol (Mexique) lOlO II à 230 000 exemplaires en onze éditions, le livre roumain 1947 III à 240 000 e.xemplaires en dix éditions : le hébreu 1947 livre IV (Théories de la plus-value) a eu plusieurs biélorusse 1952 éditions et atteint des dizaines de milliers d’exem­ macédonien 1953 plaires. marathe 1933 annénien 1934 géorgien 1954 Il faut ajouter le tirage des volumes des Œu ouzbek 1955 vres de Marx-Engels consacrés au « Capital ». slovaque 1955 tirage qui varie selon les volumes de 25 000 à coréen 1933-1956 33 000 exemplaires. azerbaïdjanais 1936 lithuanien 1937 Le « Capital » s est frayé la voie dans bien ougrien 1958 des pays nouveaux, par exemple la Bulgarie, où vietnamien 1961-1992 a paru d'abord une traduction partielle (l003). slovène 1961 puis le texte complet (iQIO). En 1878. le journal espagnol (Cuba) 1992 « Delniclce listy » publiait à Prague des extraits turkmène 1962 du « Capital » ; la traduction complète a paru portugais (édition abrégée) 1962 de toi) à 1915. Le tableau ci-contre montre kazakh 1963 quand les premières traductions du livre premier hindi 1963 ont vu le jour dans chaque langue : 101

En turc, I abrégé de Deville a été publié en 1Q33. Le « Capital » a été aussi public dans divers pays en écriture Braille pour les aveugles. La diffusion de l’œuvre maîtresse de Marx ne peut pas s apprécier seulement d après le nombre des traductions : il faut tenir compte de la fré­ quence des éditions. En langue anglaise, par exemple, il a été publié plus de vingt éditions, en espagnol plus de dix ; le nombre des éditions est presque aussi élevé en France et en Italie. En ce qui concerne l’L'nion .soviétique, de 1QI7 au début de 1067, les trois livres du « Capital > ont paru en 167 éditions et en dix-luiit langues, avec un tirage de 6 037 000 exemplaires. D après une statistique incomplète, au cours du siècle écoulé, on a publié plus de 220 éditions du livre premier dans soixante-dix villes du mon­ de, et on a utilisé pour ce faire 43 langues diffé­ rentes. Et maintenant, le « Capital » entre fière­ ment dans son deuxième siècle.

/D'après A.V. Ouroiéi'oj

105

LA VIE SCIENTIFIQUE

UNE CONFÉRENCE THÉORIQUE CONSACRÉE EN U. R. S. S. AU CINQUANTIÈME ANNIVERSAIRE D’OCTOBRE

C'est à Smolny, dans l'historique Salle des actes, là où Lénine a annoncé au monde le triomphe de la révolution soviétique, là où le Ih Congrès des Soviets a pris les célèbres décrets sur la paix et sur la terre, là où il a formé le premier gouvernement socialiste, que s'est ouverte le 17 avril la conférence scienti­ fique sur le thème : « Octobre, victoire de la théorie léniniste de la révolution socialiste». La conférence était convoquée par l'Institut du 104

marxisme-léninisme, l'Académie des sciences mencer, hégémonie du prolétariat et alliance sociales, l'Ecole supérieure du parti et le avec la paysannerie pauvre, association des Ministère de l'enseignement supérieur et transformations démocratiques à la lutte pour secondaire spécial de l'Union, Elle a réuni plus le socialisme, etc.). de quatre cents participants, vétérans de la révolution, historiens, philosophes, économis­ Le rapporteur a rappelé combien la ligne tes, éducateurs et militants du parti. Un fort du Parti bolchévik était loin du blanquisme, du groupe de savants représentait les pays socia­ jeu à l'insurrection, de la conspiration. Le mot listes d'Europe ainsi que la Mongolie et Cuba, d'ordre d'insurrection a été « la conclusion, l'expression concentrée des aspirations des La conférence a entendu d'abord un rap­ masses, mises en évidence sur le terrain de la port du directeur de l'Institut du marxisme- crise politique générale ». Comme le disait léninisme, P. Pospiélov, consacré à « l'expé­ Lénine, le bolchévisme a alors attiré à lui tout rience historique du parti léniniste dans la ce qu'il y avait de meilleur dans les tendances lutte pour la victoire de la Révolution socialiste socialistes voisines et uni la majorité gigan­ d'Octobre », Le rapporteur a exposé comment tesque des travailleurs. la révolution socialiste est une loi de l'histoire et insisté sur l'idée de Lénine d'après laquelle Dans sa conclusion, P. Pospiélov a montré la tâche principale de la révolution est une mis­ l'importance de la victoire d'Octobre en tant sion créatrice, consistant dans la construction qu'elle a posé « la base solide de la fusion en un seul courant des forces motrices du de la société nouvelle. Depuis un demi-siècle, processus révolutionnaire mondial : le premier le régime socialiste a révélé sa force invincible, Etat socialiste du monde, le mouvement en résistant aux épreuves incroyablement ouvrier international et la lutte de libération dures de l'intervention et des guerres, nationale ». P, Pospiélov a critiqué à la fois les théories Que la loi fondamentale de l'époque bourgeoises qui représentent la Révolution ouverte par la Révolution d'Octobre est la d'Octobre comme un accident, et les exagéra­ lutte entre la ligne révolutionnaire, le mouve­ tions qu'on trouve dans les ouvrages soviéti­ ment qui porte l'humanité au socialisme et au ques au sujet du caractère arriéré de l'ancienne communisme, et la ligne réactionnaire, achar­ Russie, Il a mis en lumière le rôle du parti née à maintenir le régime qui se décompose, léniniste dans la direction du mouvement, son ce fut là l'idée centrale du rapport présenté expérience des différentes formes de lutte, par le directeur de l'Institut du mouvement pacifiques et non pacifiques, ses méthodes ouvrier international, T. Timoféev, sur le d'organisation et son art de la conquête des thème : « La signification internationale de la masses. Il a fixé l'attention sur l'importance Révolution d'Octobre et la lutte idéologique des questions théoriques dans l'activité du actuelle ». parti (possibilité et légitimité de la victoire de la Révolution dans un seul pays pour com­ T. Timoféev, passant en revue les asser- 105

fions principales de l'anticommunisme, a réfuté munisme, aux intérêts fondamentaux du mou­ les auteurs qui nient le caractère de masse vement révolutionnaire international considè­ de la Révolution d'Octobre et en font une rent que pour continuer à faire passer dans « révolution de sommet s>. Il a réglé son la vie les idées d'Octobre, il faut renforcer la compte à la théorie de la « convergence » puissance des pays socialistes, développer les chère à Raymond Aron, au mensonge de la forces anti-impérialistes à travers le monde et « société industrielle unique ». Les élucubra ­ lutter énergiquement pour leur cohésion. tions d'André Philip dans son Histoire des faits économiques et sociaux de 1800 à nos Après la présentation des rapports, la jours n'ont pas été davantage épargnées conférence s'est divisée en deux sections ; (réduction de la révolution à une forme l'une a examiné « la portée historique de d'enfantement de l'industrie moderne dans l'expérience du parti dans la préparation et un pays faiblement développé). l'accomplissement de la Révolution d'Octo­ bre » ; l'autre a étudié « le développement de Le directeur de l'Institut du mouvement la théorie marxiste-léniniste de la révolution ouvrier international a évoqué le débat qui se socialiste et la critique des conceptions anti­ déroule depuis cinquante ans dans le mouve­ scientifiques de la révolution ». ment ouvrier mondial pour savoir quel est, dans l'expérience d'Octobre, le rapport entre A la première section, on a notamment fait les lois de valeur universelle et les traits spéci­ état d'une riche documentation, peu connue fiquement nationaux. Il a souligné combien jusqu'ici, sur la lutte des bolchéviks pour les Lénine avait raison de dire que la Révolution classes moyennes, y compris les classes moyen­ d'Octobre avait une portée internationale non nes urbaines. seulement en raison de l'énorme influence des La seconde section s'est consacrée à des succès de l'Etat soviétique sur tous les pays, questions comme les formes de la dictature mais en ce sens que la répétition de certains du prolétariat, la théorie léniniste des formes traits fondamentaux d'Octobre à l'échelle de pouvoir marquant la transition à l'Etat mondiale est historiquement inévitable. socialiste, la correspondance de la révolution L'histoire a mis en lumière la faillite com­ démocratique et de la révolution socialiste, la plète de tous les courants antiléninistes. Le liaison dialectique de la lutte pour la démo­ rapporteur l'a montré pour les opportunistes cratie et de la lutte pour le socialisme, le front de droite ; il l'a montré aussi pour le groupe antimonopoliste et la lutte pour le socialisme, de Mao Tsé toung, qui fait dater l'ère nou ­ etc. velle de l'histoire mondiale non plus d'Octobre, La conférence a marqué son esprit mais de la « grande révolution culturelle » d'intransigeance à l'égard de toutes les défor­ chinoise ! mations du léninisme, celle du réformisme Tous les hommes réellement attachés aux droitier comme celle de l'opportunisme gau ­ principes du socialisme scientifique et du com­ chiste et du nationalisme. 106

LES HISTORIENS SOVIETIQUES DEVANT OCTOBRE

Le 4 avril, la chaire d'histoire du parti velle ligne politique et son adoption par le à l'Académie des sciences sociales près le parti. Il entend qu'on fasse une distinction Comité Central du P.C.U.S. avait organisé une nette entre les militants dirigeants qui ont autre conférence consacrée au cinquantième commis certaines erreurs dans la recherche des anniversaire d'Octobre, où étaient conviés les solutions justes aux questions posées par le historiens de Moscou. La conférence a entendu développement de la révolution, et d'autre part un rapport du professeur I. Pétrov : « Ques­ les opportunistes avérés, Kaménev et Zinoviev, tions méthodologiques de l'histoire du P.C.U.S. avec leurs conceptions semi-menchéviques. lors de la préparation et de la victoire de la Révolution d'Octobre », et un autre rapport Une communication du professeur V. Igna- du professeur A. Timoféevski : «s L'unité du tiev a mis aussi en lumière le danger qu'a parti et la victoire de la Révolution ». représenté à l'époque le groupe des capitulards de droite (Kaménev, Zinoviev, Rykov, etc.), Le professeur Pétrov a insisté sur l'activité peu nombreux, mais expert à la lutte interne, de Lénine et du parti en mars 1917. Cette qui niait la nécessité de passer de la révolution période a été l'objet de toute sorte de falsifi­ démocratique bourgeoise à la révolution socia­ cations ; Trotski s'y est particulièrement appli­ liste. L'orateur a montré qu'en fait, Trotski qué ; il a représenté faussement les hésitations était proche d'eux et s'en tenait à une tactique du parti en ce temps comme étant du attentiste. « défensisme », du « centrisme » et du « men- chévisme ». Ses partisans et lui-même ont Un autre historien, I. Mine, a commenté la prétendu que le parti n'était pas préparé à la lutte contre le gauchisme pendant cette lutte dans les conditions nouvelles et avait dû période, et en particulier l'intervention du procéder à une opération de réarmement groupe de S. Bagdatiev lors de la manifestation moral et politique, en remplaçant la théorie d'avril. Lénine s'est toujours élevé contre les léniniste de la révolution par les idées de interventions gauchistes prématurées en mon­ Trotski sur la révolution permanente. C'est trant que le danger de ce courant n'était pas ce que répètent des faussaires comme Léonard seulement dans la volonté de recourir aux Schapiro armes avant l'heure, mais dans la sous-estima ­ I. Pétrov a demandé qu'on établisse un tion du travail patient et quotidien dans les rapport correct entre l'élaboration de la nou- Soviets, dans le refus de participer aux cam­ pagnes électorales, dans l'abandon de la lutte (1) Schapiro, dans son ouvrage De Lénine à Staline pour les masses. (Gallimard, Paris 1967), reproche en effet au parti avant l'arrivée de Lénine une • position qui ne s’éloignait guère de celle des menchéviks • (p. 192) et Lénine est représenté E. Kornooukhov a parlé des anarchistes par lui comme se ralliant à « ce qu'avait préconisé Trotski entre avril et octobre 1917. Parmi les auteurs, en 1905 » (p. 200). Le professeur Pétrov a raison de parler de ses falsifications. (N.D.L.R.) les uns les rangent purement et simplement 107

dans le camp de la contre-révolution anarchistes ont été écartés par le peuple dans (I. laroslavski), d'autres estiment qu'ils le cours de la lutte de classe. n'avaient pas de mots d'ordre à eux et soute ­ G. Kabardine, en étudiant « Les fractions naient entièrement les bolchéviks (A. Lozov- bolchéviques dans les Soviets des capitales ski). L'orateur a montré l'exagération propre (mars-octobre 1917) », a exposé en particulier à l'une et l'autre thèses. Il s'est élevé ensuite comment les bolchéviks ont remporté la contre toute idéalisation du rôle positif des victoire grâce aux Soviets, organisation de anarchistes. Loin que l'anarchisme soit un trait masse des travailleurs, et non en dehors des naturel du peuple russe, les mots d'ordre des Soviets, par voie conspirative.

POUR LE DEVELOPPEMENT DES SCIENCES SOCIALES

La presse soviétique a publié le 22 août et de profondeur ; les recherches sociales une décision du Comité Central du Parti concrètes ne sont pas assez poussées ; maints Communiste : « A propos des mesures de déve­ aspects du capitalisme actuel attendent encore loppement ultérieur des sciences sociales et de une étude approfondie. L'organisation de relèvement de leur rôle dans la construction l'information scientifique laisse à désirer. du communisme ». Tout en rendant hommage aux résultats déjà obtenus dans les différentes La décision indique pour chaque science disciplines, le Parti estime que les nécessités les directions où l'effort principal doit être de la construction du communisme et les porté. Elle recommande la lutte offensive besoins de la lutte idéologique qui se déroule contre la pensée bourgeoise, et aussi contre le dans le monde actuel imposent de nouveaux révisionnisme, de « gauche » comme de droite. progrès de la pensée théorique, ainsi qu'un Elle prévoit l'amélioration de l'organisation et renforcement de l'éducation marxiste-léniniste du financement des institutions scientifiques, du peuple. la combinaison correcte des formes collectives et des formes individuelles de travail, le renfor­ La décision insiste sur l'importance de la cement des liaisons avec les institutions direction scientifique du développement social. scientifiques des partis frères. Un Institut de Or on observe du retard dans l'étude des pro­ l'information scientifique sera créé. Les ensei­ blèmes théoriques fondamentaux, du méca­ gnants de sciences sociales doivent être mieux nisme d'action des lois de la société nouvelle préparés, on exigera d'eux un niveau plus (économie politique du socialisme, etc.) ; des élevé. Une série de mesures concernent enfin travaux philosophiques manquent de qualité les maisons d'éditions. 108

UN SYMPOSIUM DE JEUNES SAVANTS DES PAYS SOCIALISTES

Le 15 août s'est ouvert à Moscou un traité le thème : « Socialisme et jeunesse », symposium consacré au cinquantenaire d'Octo- Montrant l'épanouissement des personnalités bre par les jeunes savants des pays suivants : en Union Soviétique, il a donné des chiffres Bulgarie, Hongrie, République Démocratique intéressants ; 73 millions de personnes sont Allemande, Mongolie, Pologne, Roumanie, engagées dans une activité de relèvement de U.R.S.S., Tchécoslovaquie et Yougoslavie. La leur instruction ou de leur qualification, les session a été ouverte par le directeur de bibliothèques ont plus de cent millions de lec­ l'Institut d'économie du système socialiste teurs, les sections et les clubs de sports mondial, G. Sorokine. Le premier rapporteur a comptent quarante-six millions de membres. été un jeune économiste soviétique de vingt- Parmi les députés aux Soviets, des Soviets sept ans, V. Simtcher. On a entendu également locaux au Soviet Suprême, on dénombre au le secrétaire du Comité Central des Jeunesses total plus de cinq cent mille jeunes de moins communistes de l'U.R.S.S., J. Torsouev, qui a de trente ans.

LA MARCHE DE LA FRANCE AU SOCIALISME» APPRECIEE PAR LA PRESSE SOVIETIQUE

Au numéro d'août 1967 de la revue sovié­ l'opuscule : celle de la possibilité et des voies tique « L'Economie mondiale et les relations d'un déroulement pacifique de la révolution internationales » a paru un compte rendu en France. Elle expose attentivement les idées détaillé de la brochure « La marche de la maîtresses des différents chapitres et con­ France au socialisme », éditée par l'Institut clut son exposé par ces mots : « La théorie Maurice Thorez pour marquer le vingtième marxiste-léniniste en développement incessant anniversaire de la déclaration de l'ancien secré­ est un vivant guide de l'action. Cette qualité taire général de notre Parti au «Times». essentielle qui lui est propre reçoit encore une L'auteur du compte rendu est une collabora ­ fois une confirmation irrécusable, dans le livre trice de l'Institut du marxisme-léninisme de dont nous rendons compte, grâce à l'analyse l'U.R.S.S., qui était présente et qui est inter­ de l'activité théorique et pratique d'un impor­ venue au colloque de Paris sur le Front tant parti frère comme le Parti Communiste Populaire en octobre dernier, A. Perminova. Français ». A. Perminova dégage l'idée centrale de lOQ

VIE DE L’INSTITUT

L’ACCORD DE PRAGUE entre l’institut Maurice Thorez et l’institut d’histoire du parti communiste de Tchécoslovaquie

Pendant le séjour du camarade Victor Joannès, directeur de l’Institut Mau ­ rice Thorez, à Prague du 16 au 20 juin 1967, il a été procédé à un échange de vues entre celui-ci et la direction de l’Institut d’histoire du Parti Commu ­ niste de Tchécoslovaquie sur les possibilités et les moyens de renforcer la coopé­ ration des deux Instituts dans l’avenir. Le camarade Joannès a informé les travailleurs scientifiques de l’Institut d'Iiistoire du P.C.T. sur les tâches et l’orientation du travail de l’Institut Maurice Thorez. Le directeur de l’Institut d’histoire du P.C.T., le camarade Pavel Reiman, et les autres travailleurs scientifiques de l’Institut ont exposé le caractère et le contenu de leur activité dans la réalisation des tâches scientifiques qui leur incom­ bent et l’organisation de leur Institut. liO

Les deux Instituts qui fondent leur activité sur les principes du matéria­ lisme historique s’efforcent de faire valoir la théorie marxiste-léniniste dans le domaine de l’histoire des mouvements ouvrier et communiste. Leur coopération peut contribuer à l’approfondissement de la conception juste de l’histoire du mou ­ vement ouvrier et aider à l’éclaircissement de questions jusqu ’ici ouvertes ou discutables dans ce domaine, à partir des riches expériences historiques du P.C.F. et du P.C.T., lesquelles présentent de nombreux traits communs que les historiens des deux pays ont pour tâche d’étudier en vue de dégager des enseignements valables pour la solution des problèmes de la marche au socialisme des pays indus ­ triellement évolués. Le directeur de l’Institut Maurice Thorez et le directeur de l’Institut d’his­ toire du P.C.T. ont convenu de proposer l’organisation d’un Colloque commun des historiens marxistes français et tchécoslovaques en 1968, où seraient abordées et discutées les questions suivantes : 1. Les expériences du mouvement de Front unique et de Front populaire dans les années trente. 2. Le mouvement de Résistance pendant la Deuxième guerre mondiale et le rôle joué par chacun des deux partis dans leur pays respectif pour la Libération nationale. 3. Les lois générales et les traits spécifiques de l’évolution vers le socialisme dans les deux pays. A propos de chacun de ces points, les deux Instituts prépareront des rap­ ports de fond dont les thèses seront échangées deux mois avant le Colloque et sou ­ mises à l’appréciation de la direction des deux partis. L’Institut d’histoire du P.C.T. est chargé de l’organisation du Colloque à Prague. La participation de dix historiens communistes de chaque pays pourrait être envisagée. Le Colloque devra être préparé dans de telles conditions qu ’il soit possible de publier les rapports généraux et les contributions de valeur des deux pays. Le Colloque pourrait se tenir dans la période entre février et avril 1968. La date définitive sera précisée dès qu ’aura été connue la date de la Conférence internationale à venir, consacrée au 150^ anniversaire de la naissance de Karl Marx. Par ailleurs, les deux Instituts se proposent d’échanger des informations sur leurs plans de travail scientifique, notamment sur les colloques en préparation et sur les conférences scientifiques. Les revues édités par les deux Instituts publieront réciproquement des arti­ cles et informations scientifiques. 111

Les (leux Instituts .s’enj;aj;ent ù procéder à un échange mutuel de la doou- ineiitution (bibliographies, dociimeuts d’archives) dont ils disposent : spécialement les documents ayant trait aux relations entre le mouvement ouvrier français et le mouvement ouvrier tchécoslovaque. Les deu.x Instituts, dans la mesure de leurs possibilités, accorderont leur appui aux chercheurs envoyés par leurs pays respectifs. Ils s’informeront mutuel ­ lement sur les voyages d’études à venir et sur les possibilité.s de l’aide qu ’ils pour­ ront apporter aux chercheurs. Cet accord prendra valeur et entrera en vigueur immédiatement après son approbation par les Secrétariats des C.omités Centraux des Partis Communistes des deux pays auxquels il est préalablement soumis. Prapnc, le 20 juin 1967.

Le Directeur de l'Institut d'histoire Le Directeur de. Vlnstitut du Parti Communiste de Tchécoslovaquie. Maurice Thorez. Pavel REIMAN. Victor .lOANNES LES CONFÉRENCES DE L’INSTITUT MAURICE THOREZ

L'Institut Maurice Thorez, Institut d’histoire du mouvement ouvrier et de la pensée sociale, organisera (îendant l'hiver 1967 et le printemps 1968 une série de Conférences mensuelles. Ces Conférences se tiendront le jeudi soir, à 20 h 30, dans les locaux de l'Institut, 64, Boulevard Auguste- Blanqui (Métro Corvisart). Elles seront consacrées à des thèmes théoriques et politiques et traiteront, toutes, de sujets d'actualité. Nous invitons tous ceux qui s’intéressent à l’histoire, à l’économie politique, à la politique comme science, à y assister.

PROGRAMME DES CONFERENCES

30 NOVEMBRE 1967 Le « Capital • de Marx (1867-1967) et les problèbes actuels de la société française. Georges COGNIOT.

14 DECEMBRE 1967 Cinquante ans après la publication de 1’. Impérialisme. de Lénine: un ouvrage toujours actuel. J. FABRE.

18 JANVIER 1968 L’intéressement des ouvriers et les mythes sur la solidarité entre le Capital et le Travail. Francette LAZARD.

15 FEVRIER 1968 Le Parti communiste français dans la Résistance, — à propos d’une publication récente de l’Institut Maurice Thorez. Jacques DUCLOS.

14 MARS 1968 Le socialisme révolutionnaire en France avant la guerre de 1914. Claude WILLARD.

4 AVRIL 1968 Le léninisme et les problèmes actuels du mouvement ouvrier international. Jean KANAPA.

9 MAI 1988 Les origines de la politique de la .main tendue., ses développements actuels, son avenir. Victor JDANNES.

Le Directeur-Gérant: André MOINE I.C.C. (J. LONDON, imp., 13. rue de la Grange-Batelière. Paris-9'

Prix du Numéro : FRANCE 5 F ETRANGER 7 F