ANDRÉ VOGUET Parcours D’Un Militant Communiste (1937-1986) Conversation Avec L’Historien Claude Willard
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ANDRÉ VOGUET Parcours d’un militant communiste (1937-1986) Conversation avec l’historien Claude Willard André Voguet, parcours d'un militant communiste (1937-1986) Conversation avec l'historien Claude Willard Bourrée d’anecdotes, de descriptions, de rencontres multiples, cette conver- sation avec André Voguet est passionnante. Préfacé par ses trois fils, ce récit raconte avec vérité, modestie et humour quelques étapes de la vie d’un jeune instituteur, d’un officier durant la “drôle de guerre”, d’un Résistant, d’un cadre du Parti communiste, d’un Elu de Paris. Sans langue de bois, ni fausse prétention. C’est un témoignage plaisant et précieux d’un communiste du XXème siècle, au moment où le Parti communiste fête ses 100 ans ! ANDRÉ VOGUET, PARCOURS D’un militANT COMMUNiSTE (1937-1986) Conversation avec l’historien Claude Willard Texte édité et annoté par Élise Voguet Nous adressons un remerciement particulier à Nicole Babin, Monique Brioudes, Thierry Charret, Jean-Paul Damaggio, Amélie Duhamel et Patrick Maurières qui ont contribué à la publication de cet ouvrage. 1 André Voguet jeune homme 2 André Voguet, parcours d’un militant communiste (1937-1986). Conversation avec l’historien Claude Willard ANDRÉ VOGUET est né en 1913, à la veille de la première guerre mondiale et de la révolution russe de 1917. Il a, toute sa vie, été pro- fondément marqué par ces deux évènements qui ébranlent le monde. Ses parents habitent en Province. Son père, Gaston, est ouvrier, sa mère, Marie-Jeanne, bonne à tout faire. Gaston perd une jambe à la guerre. Il bénéficie d’un emploi réservé, et se retrouve concierge de lycées à Paris. Cette proximité avec le monde scolaire permet à André d’entamer des études supérieures qu’il abandonne pour soulager financièrement ses parents et devient instituteur. Il rencontre Lucette qui devien- dra sa femme et sera, elle aussi, militante et résistante. En 1937, ils adhèrent tous les deux au Parti communiste. Ils auront trois garçons. Dès lors, la vie personnelle d’André Voguet se confond avec ses convictions politiques. Mobilisé, en I940, comme sous-lieutenant d’aviation, il côtoie des officiers français défaitistes. Puis, c’est la débâcle, la défaite et son retour à Paris. Il entre alors immédiatement dans la Résistance et contribue clandestinement à reconstruire le Par- ti communiste dans le 13e arrondissement. La répression est terrible. De nombreux dirigeants sont déportés, assassinés. Très rapidement, ses camarades lui confient des responsa- bilités. Il devient l’un des responsables du Front national et participe activement à la Résistance dans les milieux enseignants et intellectu- els. A la Libération, il devient permanent du Parti et le reste jusqu’à sa mort en 1986. Il est membre du Comité central, élu au conseil de Paris de 1947 à 1983 et dirigeant du CDLP (Centre de diffusion du livre et de la presse) chargé de la diffusion des publications du Parti commu- niste. À ce CDLP s’était ajouté Le Club des amis du livre progressiste qui avait une activité d’édition importante. Durant toute cette période, il côtoie des personnalités exception- nelles, certaines illustres, d’autres moins connues dont il fait ici des portraits très attachants et émouvants. Sa vie est marquée par son goût de la liberté, de la culture, de la justice sociale et de l’émancipation des peuples. Nulles critiques dans ce récit sur les réactions aux divers événe- ments de notre histoire qui ont jalonné sa vie, qui ont suscité débats et controverses chez les communistes et ailleurs. Mais la conception du Parti qui était la sienne l’a empêché, sans doute, de les exprimer pub- liquement. Cet entretien avec Claude Willard transmet un témoignage de ce que pouvait être un communiste du XXème siècle, il est passion- nant. Georges, Daniel et Jean-François VOGUET 3 Interview d’André Voguet* (commencée le 27 avril 1984) par Claude Willard** Claude Willard (CW) : Question rituelle de départ : quelles sont tes origines familiales ? André Voguet (AV) : Je suis né le 31 mars 1913 à Chaumont dans la Haute-Marne. C’est une ville moyenne sans grande notoriété mais avec beaucoup de souvenirs historiques (elle est notamment située à 20 km de Colombey-les-Deux-Églises – où est enterré de Gaulle – et à moins de 100 km de Domrémy-la-Pucelle – où est née Jeanne d’Arc). Préfecture du département, c’est une ville administrative : peu d’industrie. Cependant, elle fut longtemps le siège d’un important dépôt de chemin de fer qui a été supprimé il y a une vingtaine d’années. J’ai beaucoup de parents qui ont été des cheminots. Mes origines sont populaires, en partie rurales, mes grands-parents paternels étaient des paysans sans terre. La légende familiale veut qu’ils aient envisagé d’émigrer aux États-Unis. Mais ils se sont arrêtés à Chaumont où mon grand-père, à 30 ans passés, s’est engagé comme manœuvre, au dépôt de chemin de fer. Il y est resté toute sa vie. Ma grand-mère était aussi une paysanne. Une particularité : elle était guérisseuse (elle soignait les bêtes), elle lisait dans les cartes, dans les lignes de la main et le marc de café. Elle avait atteint la situation, quasi statutaire à l’époque, de sorcière du village. Ne l’imagine pas pour autant, le moins du monde, démoniaque. C’était une très brave femme, vivante, très rieuse. Son mari qui l’adorait n’élevait jamais la voix, sauf quand il avait bu un petit coup de trop ce qui était assez rare et semblait plutôt amuser ma grand-mère. Le couple avait eu cinq enfants dont le petit dernier était mon père, probablement le chouchou de la famille. Il est le seul à avoir décroché son certificat d’étude. Il est rentré tout de suite en apprentissage et est devenu ouvrier : plombier-couvreur. Mon grand-père maternel que j’ai beaucoup moins connu était un ouvrier très qualifié, ébéniste-modeleur, qui s’était installé à Laferté- * VOGUET André, Paul, Abel (1913-1986) : instituteur ; militant syndicaliste SNI ; mili- tant communiste – il adhéra au Parti communiste en octobre 1937 ; résistant responsa- ble de la diffusion clandestine de matériel pour les enseignants et les intellectuels ; membre du comité central du Parti communiste (1950-1964) ; conseiller municipal de Paris 13e. arr. (1947-1983). Il se maria avec Lucie Jouanneau (voir Voguet Lucie dite « Lucette » (1912-1960), LE MAITRON, par Jacques Girault) et eut trois garçons : Georges (né en 1940), Daniel (né en 1945) et Jean-François (né en 1949). (LE MAITRON, notice par Jacques Girault et Claude Pennetier https://maitron.fr/spip.php?article177385.) ** WILLARD Claude (1922-2017) : historien du mouvement ouvrier français et du Parti communiste ; syndicaliste SNES et SNESup ; communiste – il adhéra au Parti communiste en 1944 ; résistant d’abord dans l’appareil technique du mouvement des intellectuels dont André Voguet était le responsable. (LE MAITRON, notice par Annie Burger-Roussennac https://maitron.fr/spip.php?article183320). Il a collecté les témoignages de nombreux militants communistes aux responsabilités diverses afin de constituer des archives orales du communisme français. C’est dans le cadre de cette enquête qu’il fit cet interview d’André Voguet. 4 sur-Aube (à 30 km de Chaumont). Là, il avait épousé la fille d’un petit vigneron que le phylloxéra a ruiné. Le couple a eu cinq enfants. Mais à la naissance de la dernière, le grand-père a déserté le foyer et s’est installé à Troyes, laissant femme et enfants dans les difficultés, voire la misère noire. Dès l’âge de 14 ans, les filles ont été « placées » en ville : c’est ainsi que ma mère fut bonne à tout faire dans plusieurs familles bourgeoises. Tour à tour chez un pharmacien de Troyes, puis chez l’inspecteur d’académie de Chaumont, et chez le directeur du quotidien régional Le Petit Champenois. Elle a fait la connaissance de mon père au mariage d’une de ses collègues avec qui elle avait servi toute jeunette comme « fille de salle » (agent hospitalier) à l’hôpital de Chaumont géré par les bonnes sœurs. Ils se sont mariés en 1912. CV : T’ont-ils marqué idéologiquement ? AV : Certainement, quoique au début de leur mariage, je ne pense pas que leurs idées politiques aient été bien précises. Beaucoup plus tard, mon père qui contait volontiers, notamment à ses petits-enfants, les souvenirs de sa vie, évoquait parfois un voyage qu’avait fait Louise Michel à Chaumont – elle était née à Vroncourt-la-Côte dans la Haute- Marne. Elle devait être très âgée et mon père très jeune. L’événement l’avait frappé, notamment la manifestation, inhabituelle à Chaumont, pour l’accueil à la gare de Louise Michel. Mais il n’était pas pour autant devenu socialiste ni anarchiste. C’est à l’école des frères qu’il a fait sa scolarité. Il était aussi enfant de chœur – à demi permanent – et servait la messe tous les matins pour une modeste rétribution. Il était sorti de tout cela très anticlérical. Ma mère l’était au moins autant, avec un contenu de révolte contre la gestion patronale que les bonnes sœurs exerçaient à l’hôpital de Chaumont. Il n’y avait donc à peu près aucune référence religieuse à la maison. Cependant, la guerre 14-18 a bouleversé la famille. Mon père n’avait pas terminé son temps légal de service militaire quand elle a éclaté. Il est donc parti séance tenante et tambour battant dès le début, comme soldat d’infanterie : pousse-caillou et chair à canon ! C’était un homme habile de ses mains et de son corps, champion de gymnastique de la Haute-Marne. Héros modeste comme tant d’autres, il n’avait pas un souvenir horrible de cette épreuve dont il se plaisait à raconter des anecdotes qui passionnaient mes garçons.