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Dossier De L'enseignant Sur L'exposition Jean Le Moal

Dossier De L'enseignant Sur L'exposition Jean Le Moal

Exposition temporaire

Dossier pour les enseignants

Service éducatif Musée des beaux-arts de Quimper Jean Le Moal (1909-2007)

Introduction

Considéré comme l’un des principaux représentants de la non-figuration française de la seconde moitié du XXe siècle, Jean Le Moal apparaît aujourd’hui comme un peintre à redécouvrir tant son oeuvre dépasse les cloisonnements esthétiques. Si son nom, héritage d’un père aux origines bretonnes, le relie fortement à la Bretagne dont il ne s’est jamais vraiment éloigné, l’artiste a également partagé sa vie entre Paris et la Haute-Ardèche. Chaque territoire lui fait découvrir des paysages qui le mènent peu à peu au seuil de la non-figuration, avec des oeuvres où s’unissent et vibrent couleurs et lumières. Après des études d’architecture d’intérieur à la fin des années 1920 à , il s’installe à Paris et copie les maîtres anciens et modernes - Rembrandt, Vélasquez, Chardin, Bonnard, Renoir, Cézanne, Matisse… En 1935, Le Moal rejoint l’atelier de fresque à l’Académie Ranson qui oriente son goût pour le décor monumental et bientôt l’art du vitrail. Il participe à l’aventure collective du groupe lyonnais « Témoignage », explore et dépasse les expériences cubiste et surréaliste et traverse la guerre en affirmant déjà des choix artistiques singuliers. Ces années décisives de formation ouvrent sa peinture, après 1945, à une forme d’abstraction en paix avec la représentation. Dans une perspective chronologique, l’exposition offre pour la première fois un panorama complet et inédit de l’oeuvre de Jean Le Moal, « celle d’un homme qui se nourrit de la tradition, se place à la frontière de la représentation figurative et élabore une écriture personnelle qui atteste de la curiosité sans cesse en éveil d’un artiste ouvert au monde. » (Philippe Bouchet)

Sous l’égide de Philippe Bouchet, historien de l’art, l’exposition Jean Le Moal (1909-2007) est co-organisée avec le Musée de l’Hospice Saint-Roch d’Issoudun et le musée de Valence, art et archéologie. Cette exposition est reconnue d’intérêt national par le ministère de la Culture /Direction générale des patrimoines/Service des musées de .

2 Jean Le Moal (1909-2007)

Sommaire

Introduction p.2

I– Une brève histoire de la peinture abstraite p.5 A/ Les pionniers p.5 B/ Un petit balayage terminologique p.6 C/ Les familles et les revues avant 1945 p.8 D/ Après 1945, la nouvelle école de Paris entre abstraction géométrique et abstraction lyrique p.9 E/ L’expressionnisme abstrait aux Etats-Unis p.10 F/ Plus récemment encore, le monochrome p.10 G/ Généalogie et familles de l’art abstrait p.11

II– Jean Le Moal, parcours et contextualisation p.13 A/ Quelques repères biographiques p.13 B/ La Nouvelle école de Paris p.15 C/ L’Académie Ranson p.15 D/ Témoignage et la tentation d’un art total (1936-1940) p.16 E/ L’expérience du théâtre (1939-1958) p.17 F/ Deux expositions fondatrices p.19 G/ La pratique du vitrail p.20

III– Jean Le Moal : l’examen de l’œuvre p.23 A/ Tentative de périodisation p.23 B/ La stratégie de la couleur de Jean Le Moal p.24 C/ Du côté des orientaux et de la phénoménologie p.26 D/ Propos de l’artiste p.26 E/ Le vocabulaire de la couleur et de la lumière p.30

IV– Bibliographie p.32

V- Propositions pédagogiques p.33 A/ 1er degré p.33 B/ 2nd degré p.38

VI- Informations pratiques p.42

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Jean Le Moal (1909-2007) Une brève histoire de la peinture abstraite

I- Une brève histoire de la peinture abstraite

Robert Delaunay (1885-1941) Bretonne et enfant devant un paysage, 1904 Huile sur toile, 47 x 72.5 cm Musée des beaux-arts de Quimper © Musée des beaux-arts de Quimper

A/ Les pionniers

Les voies de l’abstraction sont multiples. Les antécédents de l’abstraction nous ramènent vers les périodes anciennes du Paléolithique et de l’Antiquité. Pour autant, il serait anachronique et réducteur de voir dans ces formes primitives une abstraction lucidement conçue, déduite de l’essence même de l’art. La démarche abstraite et réfléchie est propre au XXe siècle. Elle repose notamment sur quelques éléments annonciateurs apparus dès la fin du XIXe siècle par le biais de la « modernité ». Celle-ci a su par différentes voies, tout autant celle de la science que la spiritualité, amplifier les pouvoirs de la ligne et de la couleur en posant ainsi quelques jalons essentiels vers l’autonomie. Pour prendre trois exemples concrets, on peut considérer que les magies atmosphériques de William Turner (1775-1851), la vision rétinienne des néo-impressionnistes et les arabesques envahissantes de l’Art nouveau ont été des ferments de liberté. Au début du XXe siècle, l’aventure de l’art abstrait a été portée par quatre figures majeures : il importe de les présenter brièvement. En premier lieu, il faut considérer Vassili Kandinsky (1866-1944). Chez Kandinsky, le passage à l’abstraction s’est fait progressivement, et par la couleur dont il a découvert les potentialités au contact de Franz Marc (1880- 1916) et des membres du Cavalier bleu (Der Blaue Reiter). Entre 1911 et 1914, il produit des œuvres déterminantes qu’il répartit en trois genres différents : Impressions, Improvisations et Expressions. Toutes ces œuvres lui permettent 5 Jean Le Moal (1909-2007) Une brève histoire de la peinture abstraite

de produire des grands formats intitulés Compositions qui marquent dès 1913 la naissance de la peinture abstraite. Dans ces toiles, les couleurs foisonnent, s’agencent librement dans une dynamique chaotique et débordent de formes dont on ne peut identifier la nature. Un peu plus tard, son travail évolue vers des compositions plus ordonnées, constellées de figures colorées et biomorphiques. Kandinsky fut aussi un théoricien et un pédagogue. Il publia successivement Regards sur le passé, Du spirituel dans l’art (1910) et Point ligne surface (1926) pour expliquer sa démarche. Piet Mondrian (1872-1944) est venu à la peinture abstraite par la découverte du cubisme. Ce fut un choc, une révélation qui l’incita à simplifier les formes au point de se détacher du contenu concret du sujet. Dès lors, il définit un vocabulaire plastique et pictural élémentaire fait de lignes orthogonales et d’aplats colorés. Ce réductionnisme radical est associé à la théosophie dont il est un adepte et qui le pousse naturellement à aller du particulier à l’universel, à remonter vers l’essence des choses. Il donne à cette nouvelle image le nom de Néo-plasticisme. Kasimir Malevitch (1878-1935) est le chef de file du suprématisme. Il est considéré comme celui qui a poussé l’abstraction jusqu’à ses limites les plus extrêmes, vers le « rien dévoilé ». Il a découvert la modernité avec curiosité et avidité. Dans un laps de temps assez court, il est passé d’une peinture impressionniste à des œuvres simultanément influencées par les Fauves et Die Brücke. Les cubistes et les futuristes lui donnent l’idée d’une représentation singulière dite "tubulaire". Il bascule ensuite vers une abstraction où les formes se limitent à des figures géométriques colorées à deux dimensions. Le nombre de plus en plus restreint des formes amène l’artiste à produire en 1918 deux œuvres qui marquent une rupture majeure dans l’histoire de la peinture : Carré blanc sur fond blanc et Carré noir sur fond noir. Le rôle de Robert Delaunay (1885-1941) a été souvent négligé car on a systématiquement rattaché ses productions abstraites au cubisme. C’est sans doute une erreur car dès 1912, Robert Delaunay semble avoir eu l’idée d’une peinture qui ne tiendrait techniquement que de la couleur et de ses contrastes. Les historiens de l’art reconsidèrent aujourd’hui son rôle, sa position. Ces quatre peintres ont posé les fondations de la peinture abstraite. Ils y sont venus par la couleur ou la ligne.

B/ Un petit balayage terminologique

Avant de poursuivre, il importe de préciser le vocabulaire. Le terme « abstrait » porte à confusion car il a eu selon les périodes et les artistes une signification différente. Georges Roque en a relevé plus de 33 dans son livre intitulé Qu’est-ce que l’art abstrait ? En premier lieu, il ne faut pas confondre abstraction et art abstrait. D’où vient l’art abstrait ? Il n’est pas apparu ex-nihilo. Les antécédents sont nombreux. Au XVIIIe siècle, l’idée du beau idéal a été associée à l’abstraction. Le beau idéal impose d’expurger la nature de toutes ses imperfections. Pour Courbet (1819-1877), la beauté est concrète et non abstraite. 6 Jean Le Moal (1909-2007) Une brève histoire de la peinture abstraite

Gauguin (1848-1903) et Van Gogh (1853-1890) ont beaucoup utilisé le terme "abstrait" pour évoquer leur démarche. Pour Gauguin, c’est une peinture qui s’affranchit de l’imitation de la nature pour assumer sa dimension symboliste. L’exactitude apporte peu à l’art. Il ne faut pas peindre d’après nature. Pour Van Gogh, c’est une peinture qui se fait de mémoire, active l’imagination et ne repose donc pas sur l’observation directe du modèle. Pour les critiques, le terme "abstrait" désigne aussi les œuvres qui ont un parti pris trop littéraire ou trop théorique. Cette désignation négative a compliqué la réception de certaines œuvres. Les critiques se sont saisis de ce terme pour exprimer leur désarroi à l’égard du cubisme et du fauvisme. Aux fauves, on reproche l’extrême simplification de la forme. En ce cas, le terme abstrait désigne un « schématisme vide ». Si les fauves ne se sont pas détachés de la représentation de la nature, ils n’en ont pas moins exploré les potentialités expressives des constituants élémentaires de la peinture (couleurs et lignes) par simplification, schématisation, intensification, bref, par abstraction. Quant aux cubistes ils sont abstraits parce qu’ils jouent sur l’opposition entre « réalité vue » et « réalité conçue ». Dans les deux cas, l’abstrait est un repoussoir car il est assimilé à une tendance intellectualisante. Vassili Kandinsky (1866-1944) vante les mérites de la « grande abstraction ». Les éléments formels ont une présence d’autant plus forte qu’ils ne sont plus mis au service de la représentation de l‘objet. En ce cas, la ligne devient une chose en elle-même. A défaut d’être pleinement, l’objet est en quelque sorte effacé par la matérialité des signes graphiques. On aboutit ainsi au paradoxe suivant : la plus grande négation de l’objet aboutit à sa plus grande affirmation graphique. En ce sens, il affirme : abstraction = réalisme et réalisme = abstraction ! Ainsi pour Kandinsky, du moins en 1912, l’art abstrait signifie une peinture dans laquelle les éléments abstraits prennent le dessus sur la représentation de l’objet. L’art abstrait n’est pas opposé à l’art figuratif. On trouve alors le même genre de propos dans l’almanach de Blaue Reiter. Un tableau figuratif peut produire une impression d’ensemble abstraite et être considéré comme une peinture abstraite. En 1913, on constate une évolution du propos. Kandinsky considère alors que l’objet nuit à ses tableaux. Mais pour autant, cela ne veut pas dire non plus que l’artiste élimine les références au monde extérieur. De ce moment, Kandinsky utilise l’expression "art pur" "art absolu" pour désigner un art plus abstrait que le précédent. Il ne s’agit plus seulement d’épurer le réel ou plutôt, l’épuration est à ce point radicale que l’objet a disparu. L’opposition entre art abstrait et art figuratif apparaît en 1926 dans Point ligne et plan. Pour Henri Matisse (1869-1954,) il n’y a pas d’art abstrait. Tout art est abstrait en soi quand il est l’expression plus ou moins dépouillée de la réalité. Position identique chez Picasso : « il n’y a pas d’art abstrait car il faut commencer par quelque chose ». Miró refusa de rejoindre le groupe "Abstraction-création". Il expliqua ce choix en affirmant que les signes qu’il retranscrit sur la toile, du moment qu’ils correspondent à une représentation concrète de son esprit, possèdent une profonde réalité. Pour désigner l’art abstrait dégagé de toute référence au réel, certains proposèrent l’appellation "d’art concret". Il produit sans reproduire et en ne 7 Jean Le Moal (1909-2007) Une brève histoire de la peinture abstraite

reproduisant rien, l’artiste n’a plus rien dont il aurait pu faire abstraction. La beauté produite par la peinture non-figurative n’est pas abstraite, mais concrète. Ainsi, Théo Van Doesburg (1883-1931) revendique l’expression "art concret" et l’utilise dans son manifeste de 1930, Base de la peinture concrète. L’art concret dépasse les "formes-nature" et les "formes-art". Dès lors, le tableau se construit avec des éléments purement plastiques, des lignes, des plans et des couleurs. Un élément pictural n’a pas d’autre signification que lui-même. A l’expression "art concret" Kandinsky préféra « art réel ». Jean Arp (1886-1966) et Lazar Lissitzky (1890-1941) adoptèrent le qualificatif d’art "non objectif" pour les besoins de la publication d’une revue consacrée aux "ismes" des années trente. A l’inverse, Jean Bazaine (1904-2001) estimait stérile d’opposer la figuration et l’abstraction. Comme Picasso, il pensait que tout art est abstrait dans la mesure où il est une contraction du réel. L’abstrait est tiré de la nature et non "re- tiré". Par ailleurs, il considérait que la peinture avait besoin d’une confrontation avec le monde, d’un engagement du corps et de l’esprit. A ce titre, il trouvait plus pertinent d’opposer "l’incarné" au "désincarné". Il affirmait ainsi pratiquer une peinture de "l’incarnation". Les peintres américains de l’expressionnisme abstrait se montrèrent très méfiants à l’égard du "purisme fanatique" de Mondrian et récusèrent pour eux- mêmes l’étiquette de peintres abstraits. Par ailleurs, ne pouvant admettre l’idée d’une rupture totale à l’égard de la nature, ils déclaraient pratiquer « l’art de l’abstrait ».

C/ Les familles et les revues avant 1945

Les mouvements abstraits pullulent au début des années trente. Ils portent des noms évocateurs qui résument par un mot fort la quête d’une recherche. On parle ainsi de suprématisme, de néo-plasticisme, de constructivisme, d’unisme, d’art concret. La Russie et l’Allemagne furent avant la France des lieux actifs de la recherche autour de la peinture abstraite. Les avant-gardes russes ont été très audacieuses. Elles se sont développées, par la diffusion de l’iconographie cubiste et futuriste, autour de Kasimir Malevitch (1878-1935) et de Lazar Lissitzky (1890-1941) qui devinrent respectivement les chefs de file du Suprématisme et du Constructivisme. Ces deux tendances de l’art abstrait organisèrent de concert dès 1915 des expositions exceptionnelles à Petrograd: Tramway V et 0.10. On y montra des "peintures d’angle", des "reliefs" et des "assemblages polymatériels". A ce jour, ces deux expositions demeurent deux exemples inégalés d’audace. La réception est catastrophique, hostile. L’historien de l’art Andrei Nakov parle avec une légère ironie « d’une peinture en avance par rapport aux capacités cognitives de la critique ». En Allemagne, le principal foyer de diffusion de l’art abstrait fut Berlin puis l’Ecole du Bauhaus. Elle attira quelques-uns des artistes et des pédagogues les plus talentueux : Vassily Kandinsky (1866-1944), Paul Klee (1879- 1940), Josef Albers (1888-1976) et Walter Gropius (1883-1969).

8 Jean Le Moal (1909-2007) Une brève histoire de la peinture abstraite

L’installation de régimes totalitaires en URSS, en Allemagne et en Italie, provoque la fuite des avant-gardes. Certains se réfugient à Paris où le paysage de l’art abstrait, alors dominé par l’orphisme et certaines productions dadaïstes et surréalistes, s’élargit considérablement. On note assez rapidement l’apparition de revues : Abstraction-Création et Cercle et carré. Ces revues tentent d’affirmer l’art abstrait entre le cubisme et le surréalisme. En effet les mouvements de l’art abstrait, en dépit de leurs différences, ont un ennemi commun : le surréalisme. C’est le front "antisur". La position des abstraits à l’égard du cubisme est plus nuancée car quelques-uns y sont passés et d’une manière générale, cet héritage est plus facile à absorber. Abstraction-Création et Cercle et carré ont œuvré pour préciser la terminologie de l’art abstrait et promouvoir sa diffusion. Elles le défendent face aux attaques récurrentes dont il est l’objet. On l’accuse d’avoir restreint les possibilités de la peinture, d’être cérébral, d’avoir éliminé la sensation, d’avoir engagé l’art dans une impasse. Les attaques portent, d’autant qu’elles sont, de temps à autre, relayées par le scepticisme déclaré de certains grands artistes : Henri Matisse (1869-1954), Fernand Léger (1881-1955)… La revue Abstraction-Création fut animée par Georges Vantongerloo (1886- 1965) et Auguste Herbin (1882-1960) et développa avec pédagogie un propos ouvert et synthétique sur l’art abstrait. Cercle et carré fut créée par Michel Seuphor (1901-1999) et Joaquin Torres Garcia (1874-1949). Elle valorisa l’Art concret de Théo Van Doesburg (1883-1931) et le Néo-plasticisme de Mondrian (1872-1944). Pour répondre à leurs détracteurs qui les accusent notamment de verser vers le décoratif, les abstraits cherchent à solidifier les bases de leur peinture. Certains iront vers les sciences, les mathématiques.

D/ Après 1945, la Nouvelle école de Paris entre abstraction géométrique et abstraction lyrique

Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’activité artistique est en sommeil. Il est néanmoins intéressant que de jeunes artistes français se soient saisis de l’abstraction comme proclamation de liberté face à l’occupation allemande. Ce sont les Jeunes Peintres de tradition française avec Jean Bazaine, Maurice Estève, Charles Lapicque et . Quelques années plus tard, ils occuperont une place majeure sur la scène artistique. L’art abstrait prend de l’ampleur. Il se développe dorénavant en l’absence de ses figures de proue qui ont toutes disparu (Kandinsky, Malevitch, Mondrian, Delaunay). Les débats se cristallisent toujours sur les appellations et le degré d’abstraction. En fait, après 1945, deux formes d’abstraction s’opposent : l’abstraction géométrique et l’abstraction lyrique. L’abstraction géométrique, encore dénommée « abstraction froide », fut ardemment défendue par Léon Degand (1907-1958) et Michel Seuphor (1901- 1999), tous deux critiques d’art. Ils considéraient qu’une œuvre abstraite ne 9 Jean Le Moal (1909-2007) Une brève histoire de la peinture abstraite

témoigne d’aucune imitation, aussi ténue soit-elle, à l’égard d’un objet emprunté à la réalité du monde visible. A cette famille, on intègre les travaux de Jean Dewasne (1921-1999) et d’Auguste Herbin (1882-1960) notamment. Charles Estienne (1908-1966) se fit l’avocat de l’abstraction lyrique. Il plaida inlassablement la cause de Jean Bazaine (1904-2001), Alfred Manessier (1911- 1993), René Duvillier (1919-2002), Pierre Tal-Coat (1905-1985), Jean Degottex (1918-1988), Jean Deyrolle (1911-1967), et Camille Bryen (1907-1977). Charles Estienne établit des liens avec certains artistes surréalistes, notamment André Masson (1896-1987) et Joan Miró (1893-1983). Ils attirent quelques-uns de ces artistes sur la côte nord du Finistère à Argenton. Tous ces artistes représentent des nuances de l’abstraction lyrique : tachiste, gestuelle, intimiste, expressionniste, biomorphique, etc. Comme il se doit, l’abstraction lyrique fut tiraillée par des querelles internes, notamment à propos des « sous-produits ». Ainsi, Michel Tapié de Céleyran (1909-1987) reprocha à Charles Estienne son esprit de « troupeau », sa manie de vouloir tout classer. Plutôt que de distinguer les tachistes des gestuels, il propose d’user d’un terme plus large : ce sera "l’art informel". Dans ce combat des dénominations, il reçoit l’appui de Pierre Descargues (1925-2012). Entre l’abstraction géométrique et l’abstraction lyrique, les débats furent vifs : à la publication de L’Art abstrait est-il un académisme ? par Charles Estienne, répond Le bonimenteur de l’académisme tachiste de Pierre Guéguen (1889-1965).

E/ L’expressionnisme abstrait aux Etats-Unis

Après 1945, au regard de la position dominante des Etats-Unis, les artistes américains s’enhardissent. Certains d’entre eux s’orientent vers l’abstrait dont ils découvrent les possibilités par les voies du surréalisme et de Mondrian. Quelques artistes européens - et pas des moindres - ont profité du réseau de Varian Fry (1907-1967) pour se mettre à l’abri de l’autre côté de l’Atlantique. Par leur présence, ils ont activé la découverte et l’apprentissage de l’avant-garde auprès des jeunes artistes américains. Par ailleurs, les Etats-Unis sont alors soucieux d’affirmer leur indépendance artistique à l’égard du vieux continent. D’autant que la Guerre froide impose de définir au plus vite une expression artistique opposable au "réalisme socialiste" de l’URSS : ce sera l’expressionnisme abstrait. Il se développe à l’initiative de Jackson Pollock (1912-1956), Barnett Newman (1905 -1970), Willlem de Kooning (1904-1997), Mark Rothko (1903-1970), etc.

F/ Plus récemment encore, le monochrome

On l’associe volontiers au travail de Kasimir Malévitch et Mark Rothko (1903- 1970). Le monochrome est un genre à part entière de la peinture abstraite. Il est apparu au début des années 1960. Le théoricien le plus intransigeant en est Clement Greenberg (1909-1994). En France, Yves Klein (1928-1962) fut assurément le porte-drapeau de ce mouvement. Il se diffuse progressivement au début des années 1970. Le degré zéro de la peinture - pas de sujet, pas de forme, pas de dessin, pas de facture, pas de touche, pas d’espace, pas d’échelle, pas de 10 mouvement, pas de temps - devient ainsi une promesse de liberté. Généalogie et familles de l’art abstrait

Les avant-gardes: un terreau favorable Fauvisme, Expressionnisme, Cubisme, Futurisme, Cubo-Futurisme, Néo-primitivisme Vers l’abstrait par la ligne, la couleur, la quatrième dimension, l’éclatement de l’espace euclidien

Des fondateurs et des manifestes Abstraction lyrique (1910) Orphisme (1912) Rayonnisme (1913) Summisme (1914) Delaunay Larionov Podgaevski

Suprématisme (1915) Néo-plasticisme (1917) Malévitch Dadaïsme (1916) Mondrian Arp - Schwitters

De Stjil (1918) Ecole du Bauhaus Van Doesburg (1919-1933) Constructivisme (1920) Albers - Gropius - Rodtchenko Itten - Kandinsky - Klee

Unisme (1925) Strzeminski

Après 1945 : des écoles

Abstraction géométrique Abstraction lyrique Expressionnisme Abstrait (Paris) (Paris) (New-York)

Bazaine - Manessier - Le Moal Abstraction froide Action Painting Deswasnes, Herbin De Kooning - Pollock Biomor- Intimiste Abstraction chaude phisme Wolls Poliakof Informel Bryen - Degottex Art Concret (1948) Color-field Painting Honegger - Nemours Tachisme (1950) (1950) Nuagisme (1950) Riopelle Messagier

MADI A l’heure de la mondialisation Kosice - Quin Matiérisme Tapiès

Spatialisme (1948) Fontana Minimalisme (1960) Judd - Stella - Le Witt Gutai (1954) Yoshihara Op Art et Cinétisme Monochromisme (1961) (1964) BMPT (1967) Klein Buren - Mosset Parmentier - Toroni Support/surface (1969) Viallat Excentrisme (1970) Hesse - Westermann - Morris - Serra Abstraction construite (1980) Molnar - Morellet

Jean Le Moal (1909-2007) Parcours et contextualisation

II– Jean Le Moal, parcours et contextualisation

Autoportrait, vers 1929 Huile sur toile, 41,5 x 33,5 cm Collection particulière © Jean-Louis Losi

A/ Quelques repères biographiques (d’après la biographie de MG Bernes dans le catalogue de l’exposition)

1930-1931 : Rejoint les académies de Montparnasse et de Montmartre. Au Louvre, il rencontre Alfred Manessier qui restera un ami fidèle.

1931-1935 : Novembre 1934. Alfred Manessier et Jean Le Moal s'inscrivent à l'atelier de fresque dirigé par Roger Bissière à l'Académie Ranson.

1936 : Expose au Salon d'automne de Lyon, avec Jean Bertholle, Roger Bissière et Étienne-Martin, lors de la première manifestation du groupe Témoignage animé par Marcel Michaud. Première exposition personnelle à l'Académie Ranson.

1939 : Décore avec Jean Bertholle et Henri Zelman le plafond du Pavillon français du vin pour l'Exposition universelle de New-York. Création de ses premiers décors et costumes pour le Théâtre des Quatre Saisons.

1940 : Mobilisé en mars au dépôt d'Artillerie de Draguignan (Var), il est démobilisé en août. Voyage dans le sud de la France.

1941 : Mai. Participe à l'exposition historique des Vingt jeunes peintres de tradition française, à la galerie Braun, première manifestation de la peinture d'avant-garde sous l'Occupation. 13 Jean Le Moal (1909-2007) Parcours et contextualisation

1943-1944 : Participe à l'exposition Douze peintres d'aujourd'hui à la galerie de France, dénoncée par la presse collaborationniste. Retrouve dans une galerie parisienne une jeune femme sculpteur chilienne, Juana Muller, qu'il avait rencontrée à l'Académie Ranson. Il l'épouse en mai 1944.

1945-1948 : Naissance de sa fille Anne et trois ans plus tard, de son fils François. Il participe à des expositions collectives sur la peinture française à Bruxelles, Amsterdam et Rio de Janeiro, Berne et Rome.

1950 : Jean Le Moal, Alfred Manessier et Jean Bazaine entre autres, sont reconnus en France et dans les manifestations internationales comme les principaux représentants du courant non-figuratif de la Nouvelle école de Paris.

1952 : Juana Muller met fin à ses jours le 4 mars.

1953 : Dans sa peinture, de plus en plus architecturée, la trame envahit la surface entière de la toile.

1956 : Crée son premier vitrail, pour le chœur de l'église Notre-Dame à (llle-et-Vilaine).

1963 : Achète une ancienne bergerie à Alba-la-Romaine (Ardèche), où il commence à peindre ses toiles de grands formats, alors qu'à Paris, il réalise ses premiers petits formats sur panneaux.

1965-1966 : Accompagne une exposition d'art français contemporain en Amérique du Sud. Les paysages andins marquent un tournant dans sa peinture, lui révélant « le côté dramatique de la lumière intense » et l'envie de s'exprimer en « une peinture très colorée ». Commence l'ensemble monumental des vitraux de la cathédrale Saint-Vincent à Saint-Malo (llle-et-Vilaine).

1978-1987 : Se consacre jusqu'en 1988 à la conception des vitraux de la cathédrale Saint-Pierre de (Loire-Atlantique). En 1985, il retrouve Jean Bazaine et Alfred Manessier sur le projet des vitraux de la cathédrale de Saint-Dié -des-Vosges.

2004-2007 : II peint ses dernières toiles en 2004 et s'éteint le 16 mars 2007 à Chilly-Mazarin.

14 Jean Le Moal (1909-2007) Parcours et contextualisation

B/ La nouvelle école de Paris

On rattache volontiers le travail de Jean Le Moal à la « Nouvelle école de Paris ». On appelle "Nouvelle école de Paris" l’activité artistique qui se développe dans la capitale après 1945. De la sorte, on la distingue de "l’Ecole de Paris" qui fait référence à l’activité artistique avant la Seconde Guerre mondiale. Par une autre périodisation, on parle aussi de la première et de la seconde école de Paris, voire de la troisième, si on dissocie les aventures de Montmartre et de Montparnasse. Sans discuter plus avant de l’opportunité de l’appellation « d’école », on peut noter qu’après 1945, Paris sera à l’échelle internationale l’un des centres de l’art abstrait. Il se caractérise essentiellement par l’essor de l’"abstraction lyrique" elle -même divisée en plusieurs tendances : gestuelle, tachiste, matiériste, informelle ou lyrique … Le travail de Le Moal présente des caractères combinés qui relèvent partiellement de ses différentes tendances. Il va de soi que la concurrence est rude avec New York dont les prétentions s’affirment clairement après 1945. Clement Greenberg défend alors avec beaucoup de talent l’expressionnisme abstrait. A partir des années 1970, la peinture abstraite décline progressivement. La Post-modernité prend peu à peu le relais.

C/ L’Académie Ranson

Après l’Ecole des Beaux-Arts de Lyon, Jean Le Moal poursuit sa formation à Paris. Il intègre en 1929 l’Ecole des arts décoratifs dont il suit paradoxalement très peu les cours. Par contre, il se rend fréquemment au Louvre où il travaille d’après les maîtres. Il y copie notamment Chardin.

Copie d’après Chardin, vers 1932 Huile sur toile, 34 x 41,5 cm Collection particulière © Jean-Louis Losi

Enfin, il fréquente les académies de Montparnasse. Elles se sont multipliées après 1870. Elles sont plus ou moins onéreuses et présentent l’avantage de proposer un enseignement libre, anti-académique. Ainsi, Jean Le Moal réalise des 15 Jean Le Moal (1909-2007) Parcours et contextualisation

études à l’Académie de la Grande-Chaumière. Il est également présent à l’Académie scandinave, rue Jules Chaplain, où domine l’esprit du mouvement « Forces nouvelles ». Il y profite de la parole d’Othon Friesz qui lui conseille « de faire une peinture sale ». Il dessine aussi à l’Académie Colarossi, rue de la Grande-Chaumière. A cela s’ajoute un cours du soir, place des Vosges. A partir de 1935, il intègre l’Académie Ranson au 7 rue Joseph Bara, à mi- chemin entre Montparnasse et le jardin du Luxembourg. L’Académie est alors entre les mains de Harriet Cérésole, ancienne élève de Ranson, femme du monde aisée et cultivée qui pouvait, selon ses humeurs, accepter gratuitement la présence des étudiants. Jean Le Moal y retrouve des Lyonnais membres du groupe « Témoignage » : Jean Bertholle et Etienne-Martin. Le Moal apprécie particulièrement l’atelier de fresques qu’il fréquente avec Manessier. Il y apprend tous les aspects techniques du médium. Toujours avec Manessier, il suit aussi les cours de Roger Bissière dont il deviendra l’ami. De temps à autre, on le trouve à l’atelier de sculpture dirigé par Charles Malfray. Ce dernier avait été formé par Rodin et Bourdelle et était l’ami de Maillol qui passait de temps en temps à l’atelier. Le Moal réalise des plâtres, aujourd’hui tous égarés ou détruits. En 1936, Le Moal quitte Paris et l’Académie pour s’acquitter de ses obligations militaires.

D/ Témoignage et la tentation d’un art total (1936-1940)

Témoignage désigne un groupe d’artistes réuni à l’initiative de Marcel Michaud (1898-1955), autodidacte lyonnais qui mène de front des activités syndicales, politiques et fréquente des artistes avec l’idée de démocratiser l’accès à la culture. Au début des années 1930, Michaud se montre sensible à l’avant-garde artistique. Il s’intéresse particulièrement à l’architecture et au mobilier. Il ouvre notamment un magasin de meubles modernes à Lyon. Il multiplie les rencontres, établit des contacts avec Germaine Dulac, Blaise Cendrars, Albert Gleizes, Etienne-Martin, Moholy-Nagy, Le Corbusier, René Daumal, Kahnweiler, Ernst, Picasso, René Char… Il suscite des débats autour du « personnalisme communautaire » d’Emmanuel Mounier et des écrits de René Guénon sur « les sciences sacrées », la métaphysique orientale. Il attire l’attention des jeunes artistes et leur permet ainsi d’exposer au Salon d’automne de Lyon en 1936. Cette première exposition constitue l’acte de naissance de Témoignage. Témoignage est ainsi un mélange disparate de peintres, sculpteurs, poètes, musiciens, une nébuleuse spiritualiste, d’anarcho-syndicalistes et de mystiques chrétiens. Michaud affirmera que c’est une « association par affinité d’inquiétude et non de certitudes ». Le groupe se composait d’un noyau de treize personnes : Jean Bertholle, Lucien Beyer, René-Maria Burlet, Jean Duraz, César Geoffray, Jean Le Moal, Etienne-Martin, Marcel Michaud, Jacques Porte, Joseph Silvant, François Stahly, Louis Thomas, Dimitri Varbanesco. Ces treize personnes firent partie du comité de rédaction de la revue du groupe : Le Poids du monde. Elle compte quatre numéros.

16 Jean Le Moal (1909-2007) Parcours et contextualisation

Après l’exposition de Lyon suivront d’autres expositions à Grenoble (juin 1937), Paris (mai-juin 1938), Paris (juillet 1939) puis Lyon (décembre 1940). Le groupe se disperse avec l’Occupation. La dynamique du groupe Témoignage a été importante pour Jean Le Moal. Elle lui a permis de se constituer un réseau et surtout de participer à des projets collectifs à l’exemple des projets suivants menés dans le cadre du chantier de l’Exposition internationale de 1937 : -La décoration des Pavillons du chemin de fer -La réalisation du panneau mural du Pavillon des Auberges de jeunesse Un peu plus tardivement il réalisera également : -La décoration d’un mur pour une école d’Eaubonne -La décoration du Pavillon français du vin à l’Exposition universelle de New York. Et c’est dans la continuité de cette dynamique et par l’entremise de Jean Bazaine que Jean Le Moal rentre en contact avec le monde du théâtre.

E/ L’expérience du théâtre (1939-1958)

La collaboration avec le théâtre débute en 1939 et se prolonge pendant plusieurs années. Elle commence avec Jean Dasté et le théâtre des Quatre saisons. Jean Le Moal accompagne la troupe dans ses tournées. Il conçoit les décors, les costumes et fait office de régisseur. Il aime l’exigence de ce travail qui lui impose de travailler vite et dans le dénuement. De ces contraintes Jean Le Moal va faire un atout : faire naître de la pauvreté la simplicité, de la pénurie la concision. Il résout les difficultés, notamment la restriction des matériaux pendant la guerre, grâce à ses connaissances artisanales et à l’héritage de son enfance campagnarde. Jean Le Moal a aussi travaillé pour d’autres compagnies, notamment le Centre dramatique de l’Ouest et la Comédie de Saint-Etienne.

Jean Le Moal travaillant sur les décors de l’Etoile de Séville, 1941-1942 Archives privées 17 Jean Le Moal (1909-2007) Parcours et contextualisation

Ci-dessous la liste des décors réalisés par Jean Le Moal : 1939 : -Décor du Buveur émerveillé, comédie de Nino Frank d’après Holberg. Théâtre des Quatre-Saisons. 1941 : -Décor de L’Etoile de Séville de Lope de Vega, adaptation d’Albert Ollivier. Théâtre des Quatre-Saisons. -Décor de Jeanne d’Arc de Pierre Schaeffer et Pierre Barbier, Jeune France, Lyon. 1942 : -Décor de Charlotte Corday de Drieu la Rochelle, théâtre des Quatre-Saisons, Lyon. 1945 : -Décor des Gueux au paradis de G.M. Martens, adaptation d’André Obey, Paris. 1951 : -Décor du Chapeau paille en Italie d’Eugène Labiche, Centre dramatique de l’Ouest, Rennes. 1952 : -Décor et costumes d’Intermezzo de Jean Giraudoux pour le Centre dramatique de l’Ouest. 1955 : -Décor de L’Annonce faite à Marie de Paul Claudel pour la Comédie de Saint- Etienne dirigé par Jean Dasté. 1957 : -Décor et costumes des Frères Karamazov d’après Dostoïevski dans l’adaptation de Jacques Copeau -Décor de Miracle de Notre Dame d’après une mise en scène de Jean Dasté. 1958 : -Décors et costumes de La Vie est un songe de Calderon montée par Jean Dasté à la Comédie de Saint-Etienne.

18 Jean Le Moal (1909-2007) Parcours et contextualisation

F/ Deux expositions fondatrices

Deux expositions précisent le basculement de l’artiste vers la non-figuration et témoignent d’un engagement fort en faveur du modernisme.

20 jeunes peintres de tradition française, mai 1941 Cette exposition est un événement majeur, aujourd’hui devenu un peu mythique. Elle fut initiée par « Jeune France », dirigée par Paul Flamand et organisée par Jean Bazaine et l’éditeur André Lejard. Elle regroupait des peintres âgés de 30 à 45 ans : Bazaine, Beaudin, Beçot, Bertholle, Borès, Coutaud, Desnoyer, Gischia, Lapicque, Lasne, Lautrec, Legueult, Le Moal, Manessier, Marchand, Pignon, Suzanne, Roger, Singier, Tal Coat et Walch. L’exposition fut montrée à la Galerie Braun. La France est alors occupée depuis près d’un an et les Allemands poursuivent de leur fureur destructrice toutes les formes d’expression artistique se rattachant à ce qu’ils dénomment "l’art dégénéré". Le titre de l’exposition et le terme "tradition" présentaient les garanties nécessaires pour ne pas inquiéter les Allemands. Son complément – « française » - fut compris par les jeunes artistes comme une revendication patriotique de liberté. Jean Le Moal y vit l’occasion de montrer les dernières orientations de son travail, alors qu’il s’apprêtait à basculer vers la non-figuration. Le soir du vernissage deux officiers de la Propaganda Staffel sont présents mais ne disent mot. L’exposition comprend surtout des paysages et des natures mortes. Jean Bazaine avait prioritairement sélectionné des œuvres dont la dominante était le bleu, le blanc et le rouge. Paradoxalement, « Jeune France » est une association qui fut encouragée par le régime de Vichy. Elle était sous l’autorité du Secrétariat général à la jeunesse et devait participer à la "révolution culturelle" voulue par Vichy. Il s’agissait de pourfendre l’élitisme moderniste, de rapprocher l’art de l’artisanat, de réhabiliter le folklore et l’art traditionnel populaire. Mais les jeunes artistes qui participèrent à ce mouvement furent pour le moins réticents, hostiles. Dès lors, « Jeune France » fut dissoute et interdite dès novembre 1942 et ses cadres furent accusés d’être irresponsables et d’avoir été des apprentis sorciers !

12 peintres d’aujourd’hui, février 1943 Cette exposition se tint à la Galerie de France alors dirigée par Paul Martin et Jacques Lambert. Elle regroupait les ar- tistes suivants : Bazaine, Borès, Estève, Fougeron, Gishia, La- picque, Le Moal, Manessier, Pignon, Robin, Singier et Jacques Villon. La galerie, bien que d’une taille modeste, était un lieu très fréquenté au regard du réseau de Paul Martin, industriel d’origine lyonnaise. Les travaux de Lapicque étonnent et im- pressionnent. Par sa science de la couleur, il devient pour les Charles Lapicque (1898-1988) autres artistes une référence, la Le Roi Arthur, 1953 possibilité d’une troisième voie Huile sur toile, 100 x 50 cm Dépôt du musée national d’art moderne, Paris entre Picasso, Matisse et Musée des beaux-arts de Quimper Braque. L’exposition donne lieu © ADAGP, Paris 2018 19 Jean Le Moal (1909-2007) Parcours et contextualisation

à la publication d’un livret préfacé par qui analyse le caractère novateur des œuvres exposées : « ils proposent une revalorisation des moyens picturaux pour les mettre uniquement au service de la sensation, de l’intuition, pour retrouver les seules nécessités de la couleur, de la composition et pouvoir répondre aux exigences, aux strictes notions de plan et de forme ».

G/ La pratique du vitrail

Etude de baie pour la cathédrale de Saint-Dié- des-Vosges, 1984 Technique mixte sur papier, 95 x 47 cm Saint-Dié-des-Vosges, musée Pierre Noël, dépôt du Cnap

La pratique du vitrail chez Jean Le Moal s’inscrit dans le renouveau de l’art sacré. C’est sans doute les décors réalisés pour L’Annonce faite à Marie et Miracle de Notre-Dame qui ont attiré l’attention des Pères dominicains Couturier et Régamey, alors responsables des Ateliers d’art Sacré, sur le travail de Jean Le Moal. Par ailleurs, depuis déjà quelque temps, Manessier et Bazaine travaillent à leurs côtés et on peut supposer qu’ils ont plaidé la cause de leur ami. Enfin, Témoignage avait permis d’établir déjà quelques liens avec les milieux catholiques. Ainsi en 1956, Jean Le Moal reçut une proposition du Père Regamey pour prendre en charge la réalisation de la verrière du chœur de l’église Notre-Dame- en-Saint-Melaine de Rennes. Le contexte est favorable et les chantiers nombreux car il s’agit de restaurer ou de remplacer les verrières qui ont beaucoup souffert des bombardements de la guerre. C’est aussi l’occasion de faire confiance à une nouvelle génération d’artistes depuis la disparition de Henri Matisse et Fernand Léger. Le Père Regamey est soucieux de réconcilier l’Eglise avec la modernité. Les débats sont toujours vifs à l’intérieur de l’institution d’autant que Jean Le Moal n’est pas pratiquant. A ce titre, certains pourraient prétendre qu’il n’est pas habilité à transmettre le message biblique et les valeurs de la foi. Sur ce point précis, les Pères Couturier et Regamey avaient tranché, affirmant que l’idéal serait de « disposer de génies qui soient en même temps des saints ». Mais puisque de tels hommes existent rarement, dans les circonstances d’un renouveau, d’une renaissance de l’art, ils estimaient « qu’il était plus sûr de 20 Jean Le Moal (1909-2007) Parcours et contextualisation

s’adresser à des génies sans la foi qu’à des croyants sans talent ». Avec le concile Vatican II qui réorganise la liturgie et suscite le renouveau des décors, les chantiers se multiplient. La pratique du vitrail appelle deux remarques complémentaires : 1/ L’architecture du vitrail influencera la composition de l’œuvre picturale. La grille lui est en partie redevable. 2/ Ce renouveau n’est pas seulement le fait des Ateliers d’art sacré. Il est aussi à mettre en rapport avec l’essor des études médiévales à l’initiative d’Emile Mâle et d’Henri Focillon. Jean Bazaine assista aux cours de ce dernier. Il en tira de nombreuses satisfactions et surtout la conviction que la perspective du Moyen Age, cette conception combinée de la surface et de la profondeur, s’offrait comme une solution plastique.

Ci-dessous la liste des travaux monumentaux réalisés par Jean Le Moal : Restauration d’églises 1950 : Restauration des églises de Maîche et de Vercel près de Besançon (« A Maîche, Le Moal a fait revivre par la couleur une église morte », Jean Bazaine). Vitraux 1956 : -Vitraux de l’église Notre-Dame-en-Saint-Melaine de Rennes 1957 : -Quatre vitraux pour l’église Saint-Martin de Brest -Eglise d’Audincourt : vitraux, pavement et mosaïque de la crypte (Doubs) 1958 -Trois vitraux pour la chapelle Notre-Dame de la Paix au Pouldu (Finistère) 1961 : -Série de vitraux pour l’église Saint-Martin de Brest 1962 : -Vitraux pour le couvent des Carmes à Paris -Vitraux pour l’église de Saint-Servan-sur-Oust (Morbihan) 1964 : -Vitraux pour la chapelle de la Retraite à Rennes 1966 : - Trois vitraux pour la nef de l’église Saint-Louis de Besançon 1968-1971 : -Vitraux de la cathédrale de Saint-Malo (verrière de 360 m2) 1978-1988 : -Vitraux de la cathédrale de Nantes (verrière de 500 m2) 1982 : - Trois vitraux à l’église de Valréas (Vaucluse) 1985-1987 : -Quatre vitraux pour la cathédrale de Saint-Dié (Vosges)

Ces différents chantiers ont toujours suscité un vif plaisir chez Le Moal car il appréciait de travailler collectivement et de sortir de l’isolement de l’atelier. Il adorait l’esprit de compagnonnage. Par ailleurs, le vitrail l’a confronté à un autre type lumière. 21

Jean Le Moal (1909-2007) L’examen de l’oeuvre

III– Jean Le Moal : l’examen de l’œuvre

A/ Tentative de périodisation

Il est possible de distinguer trois périodes dans l’œuvre de Jean Le Moal.

Au tout début, des paysages conventionnels Ce sont les œuvres d’un jeune peintre qui entre en peinture.

Paysage de Finistère Nord II, 1932 Huile sur toile, 38,1 x 46 cm Collection particulière © Jean-Louis Losi

A partir de 1935, l’héritage fauve, cubiste et surréaliste La seconde période porte assurément l’héritage des grands mouvements picturaux du début du siècle : fauvisme, cubisme et surréalisme. Jean Le Moal, pas plus que Manessier, Bazaine et Bertholle n’échappe alors à cette triple attraction. La critique de l’époque a systématiquement noté ces influences. C’est Bissière notamment, qui encourageait ses Composition à l’as de cœur, 1938 étudiants à assimiler l’héritage formel du Huile sur toile, 46,4 x 55 cm cubisme en évitant le pastiche : « Devant la Musée des Beaux-Arts, Lyon © Lyon MBA- Photo Alain Basset nature efforcez-vous de ramener des formes complexes à des formes simples (…) Plus vous rapprocherez des formes essentielles, cube, triangle, cône, pyramide, cylindre cercle, etc. ; plus votre travail sera expressif (…). Mais n’oubliez pas en dernier de vous appuyer sur vos seules forces, votre propre sensibilité ». Quant au surréalisme, pour reprendre le propos de Jean Betholle « il était dans l’air et il était difficile de l’ignorer ». Au mieux, ils ont essayé de prendre quelques distances et pour ces jeunes peintres l’une des voies envisagées fut un surnaturalisme métonymique. La Paix malade (1936), Le Mal (1938), Composition à l’as de cœur (1938), Personnage à l’oiseau (1938), L’Oiseleur (1938) illustrent parfaitement notre propos. Dans toutes ces œuvres, des formes stylisées, géométriques se développent par pans coupés ou dominent des oppositions de couleurs franches. 23 Jean Le Moal (1909-2007) L’examen de l’oeuvre

La non-figuration à partir de 1947 : une « autre grille » Les années 1950 constituent des années carrefour pour Jean Le Moal. Entre 1947 et 1952, l’artiste opère des choix déterminants qui l’éloignent de la figuration. La simplification et la géométrisation des formes s’accentuent et le schéma de la grille s’affirme. La grille, plus ou moins visible et

Douarnenez, 1946 rigoureuse, donne à la toile l’allure du Huile sur papier marouflé sur isorel, 60 x 92 cm vitrail. Musée des beaux-arts de Quimper © Thibault Toulemonde L’histoire de la grille dans la peinture d’avant-garde a été retracée par Eric Chassey dans L’abstraction avec ou sans raisons. Elle est notamment issue du cubisme puis elle est utilisée comme un principe systématique d’organisation par Mondrian. Les peintres de l’Ecole de Paris ont inventé une autre grille, plus souple, inspirée du textile et du vitrail : elle est moins totalisante.

La liberté et la couleur après 1960 La trame du visible s’efface au profit de compositions plus libres, plus lyriques où la couleur, disposée par aplats irréguliers, elle donne à la toile l’allure d’un patchwork flamboyant. La grille a alors disparu.

Hommage à Chardin, 1965-1973 Huile sur toile, 100 cm x 100 cm Musée des beaux-arts de Quimper Dépôt du Centre Pompidou, MNAM-CCI © Musée des beaux-arts de Quimper

B/ La stratégie de la couleur de Jean Le Moal

Dans ses rapports à la couleur, Le Moal avait deux références, deux modèles : Chardin et Bonnard. Ce dernier fut d’ailleurs une source d’inspiration constante. Jean Le Moal, comme Jean Bazaine ou Alfred Manessier, fut particulièrement intéressé par l’œuvre de Charles Lapicque. En effet, celui-ci défendait une conception et une utilisation rigoureuse de la couleur. Lapicque avait une formation scientifique. Il fut élève ingénieur à l’Ecole Centrale et se spécialisa dans la distribution de l’énergie électrique. Il soutint un doctorat d’Etat sur « l’optique de l’œil et la vision des contours » en 1938. Par ses travaux, il contribua à une meilleure connaissance des images rétiniennes. Son œuvre peinte reflète en partie son savoir de physicien opticien. Il apprécia ainsi très 24 Jean Le Moal (1909-2007) L’examen de l’oeuvre

justement les effets spatiaux de la couleur et les déformations générées par les phénomènes lumineux. Ses recherches le conduisaient à affirmer que « le bleu est une couleur hasardeuse pour la couleur du ciel … C’est le rouge, l’orangé et le jaune, parce que le ciel peint d’un ton plat avec l’une de ces couleurs conserve sa luminosité ». Jean Le Moal connaissait assurément la théorie de la couleur et ses systèmes. Mais il a élaboré au fil des années une approche singulière et empirique qui repose sur quelques principes : -L’utilisation fréquente de complémentaires dans les œuvres de jeunesse. -L’utilisation de complémentaires non plus rivales mais auxiliaires. -La combinaison de couleurs assez proches sur le cercle chromatique dans les œuvres de la maturité. -L’utilisation des contrastes : clair/obscur, chaud/froid, de qualité et de quantité. -Des associations récurrentes : d’orangé, de rouge et de jaune ou de bleu, de violet et de magenta. -Des combinaisons chromatiques avec des transitions souples et fluides qui par glissements progressifs renforcent la perception d’une surface homogène (le tableau est une suite de taches qui se lient entre elles). -L’importance accordée au blanc pour aviver et susciter une "respiration expansion". -Le rappel des tons éparpillés dans toute la composition. -La répétition modulée, graduée des couleurs. -L’utilisation constante, à de nombreux degrés, des valeurs du clair-obscur. -La disposition par rafales de "couleurs lumières". -La conviction d’une "couleur dynamique" au service d’une lumière vibrante, palpitante. -Le rythme de la couleur assure la motricité de l’image. -La juxtaposition et le chevauchement d’espaces colorés avec des effets de transparence ou d’effacement.

Jean Moal applique la couleur par petits aplats de formes irrégulières dans le cadre d’une grille irrégulière qui peut évoquer l’ordre du vitrail. Mais au fil des années, la trame du visible s’est estompée et le trait de couleur qui la matérialisait a disparu au profit d’une juxtaposition directe de bandes colorées qui se chevauchent partiellement à la façon d’une marqueterie molle. La facture légèrement brouillée, par des modulations colorées subtiles, donne une lumière fluide, frissonnante, bruissante. Dans les espaces marins - Ouessant - çà et là, des touches de blancs semblent gonfler de l’intérieur la matière picturale créant une sorte d’expansion, comme si la toile s’ouvrait en son milieu, et activent la luminosité de l’ensemble. Dans l’évocation du Chili et de ses terres brûlées, l’enchevêtrement des couleurs est plus serré, la dégringolade des gammes plus accentuée avec notamment des rafales luxuriantes de rouge incandescent, de jaune, d’orangé auxquelles se mêlent des ruissellements de vert et de violet. Il en découle une lumière précieuse et dense.

25 Jean Le Moal (1909-2007) L’examen de l’oeuvre

C/ Du côté des orientaux et de la phénoménologie

L’utilisation de la couleur révèle aussi un rapport au monde. On a souvent accordé aux peintres de l’abstraction lyrique - Bazaine, Manessier, Bertholle - une sorte de position orientale. Ainsi, à la manière des artistes chinois ou japonais, Jean Le Moal ne s’affirme pas dominateur face à la nature et adopte plus volontiers une position de complicité et de communion. L’évolution des sciences physiques a démontré que la matière, au-delà de sa réalité tangible, est en constante animation, traversée par des dynamiques complexes. L’artiste est donc à l’écoute de son énergie, de ses flux. Dès lors, il n’est plus question d’en proposer une image arrêtée, définie par une ligne et un trait affirmé et qui serait la marque d’une mise à distance. Il doit au contraire en traduire la mobilité, le déploiement permanent, les incessantes transitions du procès. Ainsi, comme le peintre oriental, Jean Le Moal peint le monde accédant à la forme, un réel ouvert où rien n’est exclu, un réel où les choses adviennent et se transforment en permanence. L’œuvre devient de la sorte une anticipation d’elle-même : « La grande image n’a pas de forme ». Dans ces conditions, c’est logiquement la couleur qui prend le pas sur le dessin, car la ligne est devenue suspecte d’établir des différenciations trop nettes et distinctes. Il en découle certainement l’idée d’une beauté fugitive, épiphanique, dynamique, participative. Elle vient au naturel par imprégnation, par communion. Par ailleurs, dans une conception phénoménologique de l’art, la perception visuelle ne restitue pas fidèlement le réel mais l’impression qu’il produit sur la vue. Ce sont les lois de la vision et non de l’objet qu’il s’agit de restituer. Le motif est donc rendu exclusivement par la couleur et la lumière. On ne représente pas ce que l’on connaît du monde mais le monde tel qu’il apparaît dans l’instant. Il n’a pas de forme définitivement constituée. Le monde, l’ensemble des phénomènes qui le constituent à son apparition sur notre rétine, advient à sa propre lumière.Ce faisant, l’œuvre est toujours une aventure nouvelle et c’est d’ailleurs dans cette liberté indéterminée que la peinture s’affirme comme un art.

D/ Propos de l’artiste

Sentiment géographique Je me trouve Breton et Ardéchois : ces deux origines ont beaucoup compté pour moi. Ce sont deux pays extraordinaires et qui, par un certain côté, se ressemblent. Evidemment l’Ardèche n’a pas la mer mais c’est un sol granitique, une végétation de genêts, très proches par moments de la Bretagne. Je me sens d’une terre, d’une mer et d’un ciel, l’Ardèche et la Bretagne se complètent pour moi.

Je suis retourné dans ce coin où je n’avais pas été depuis quinze ans. J’ai retrouvé un tas de sentiments éprouvés dans mon enfance. Cà a été un choc. Si, à 50 ans, on retrouve un lieu avec autant de fraîcheur qu’à 15 ans, c’est tout de même assez important. Ces choses-là, ce sont des permanences que l’on a en soi. Tout cela pour dire que je n’ai pas choisi mes thèmes : ils se sont imposés à moi.

26 Jean Le Moal (1909-2007) L’examen de l’oeuvre

Formation et tradition J’ai raccourci mes études, je suis parti à la fin de la troisième, j’avais surtout envie de faire autre chose. Le lycée était très dur et j’avais le désir de faire de la sculpture à l’époque et de l’architecture.

Le fait de s’inscrire en 1935 au cours de fresque de Bissière à l’Académie Ranson était une indication du désir de ma génération de jeunes peintres d’aller vers le monumental et on a eu cette chance, ensuite, de l’Exposition universelle de 1937 où tout le monde a travaillé.

Je suis très sensible à la permanence des familles de peintres à travers les générations. Je crois à cette permanence au-delà des théories et des styles d’une époque. Il y a des parentés d’artistes, il y a des peintres qu’on reconnaît comme des frères. Quand je suis arrivé, à Paris j’ai aimé Chardin. Il y en a d’autres. Il y a Fouquet. Il y a le dessin d’Ingres. Il y a Seurat. Il y a Cézanne et puis Matisse, l’admirable Bonnard. Je retrouve en eux une ligne, une permanence qui me réconforte.

Les pêches de Chardin, mais c’est du Bonnard : si l’on enlève cette pellicule d’habitudes qui s’oppose à notre vision, on s’aperçoit que c’est la même lumière qui coule, la même sensibilité devant les choses et la même liberté. La tradition, certes, ce n’est pas d’essayer de se remettre dans la peau des gens d’autrefois ; mais je crois qu’il existe des familles dont on fait partie : on y reconnaît des ancêtres, dont on ressaisit le fil conducteur correspondant à soi-même.

Théâtre J’ai eu de la chance de travailler comme à l’époque de la Renaissance où, quand on était peintre, cela englobait plusieurs pratiques.

J’ai pris le parti d’acheter de la toile brute, écrue, de la toile de jute, très simple, que l’on a teinte. Je faisais la palette, c’est-à-dire que je faisais comme en peinture, un bleu, un jaune, un rouge, un marron, un vert, ce qui donnait à l’ensemble une unité.

Eglise et vitraux Cette expérience du théâtre m’a servi quand j’ai été amené à m’occuper de la restauration intérieure de certaines églises (…) et cela n’est pas paradoxe car il s’agissait de problèmes voisins : recréer une harmonie, donner du sens à l’espace, en rapport avec le caractère du pays. Je ne disposais pour cela que de la couleur, de ses seules ressources sur les murs : pas de vitraux, il n’y avait que des grisailles.

Le Père Regamey s’intéressait à la peinture, il allait à la Galerie de France de Paul Martin : je l’ai plutôt rencontré sur le plan pictural. Et un jour, en 1956, je reçois de lui, sans doute par pneumatique, un mot impératif : il faut absolument que vous fassiez les vitraux de l’église Notre-Dame de Rennes (…). C’est lui qui m’a ouvert la perspective de mon travail dans le vitrail, il m’a donné l’occasion de faire mon premier vitrail, et c’était particulièrement imposant. J’avais une peinture assez colorée, dans laquelle les problèmes de lumière étaient très importants et j’ai été amené tout naturellement au vitrail (…). Ma génération avait une peinture d’espace, de coloration qui pouvait se traduire dans a dimension du vitrail et a eu cette chance qu‘il y avait un clergé très ouvert qui lui a permis de travailler dans cette voie. 27 Jean Le Moal (1909-2007) L’examen de l’oeuvre

A Saint-Malo, par rapport aux vitraux déjà existants, j’ai pris le parti de jouer nettement dans le transept sur une différence de lumière, en créant par la grisaille une zone de transition. L’intensité de la couleur est concentrée dans les vitraux du chœur visibles dès l'entrée, et recompose dans l'axe à partir de ce point fort une unité. Cette orchestration s'inscrivait d'elle-même dans la structure architecturale. Il fallait donc rassembler la rosace, élément majeur de 6,50 m de diamètre, les lancettes et les verrières basses en un véritable mur de lumière de 17 m de haut. Le travail de mise au point avec le maître-verrier a été, entre 1968 et 1971, long et délicat, la difficulté étant de rétablir une cohérence entre les trois qualités de transparence liées au ciel, aux toits des maisons et à la rue. Il a été nécessaire de compenser en jouant sur les valeurs pour chaque couleur, parfois trois fois plus fortes sur le plein ciel. Il y a deux façons de considérer le vitrail : comme la création d'une maquette qui existe en soi, qui est seulement plaquée sur l'édifice, ou comme l'adaptation et l'intégration du travail du peintre aux particularités du monument. Pour les vitraux du déambulatoire, certains auraient souhaité me préparer un programme autour des expéditions de Jacques Cartier pour que je les raconte. Mais pour moi le vitrail n'est pas aujourd'hui une image, une histoire ou l'illustration d'un thème. Je ne crois pas que ce soit nécessaire et ce n'est certainement pas suffisant. Au Moyen Age, les cathédrales constituaient des livres de pierre et de verre. En Egypte, les inscriptions racontaient. Notre civilisation est aujourd'hui différente, il s'agit plutôt de pénétrer dans un climat de recueillement que dans un livre.

C'est très émouvant lorsqu'on a une commande d'arriver dans une église ou une cathédrale, de s'imprégner. On a très rapidement une sensation assez exacte, le sentiment d'un espace, d'une lumière. A partir de ce moment, on garde ses impressions, on rentre chez soi, on commence à mijoter, à réfléchir. C'est un travail que l'on fait pas à pas, je n'envisage pas, quand je fais mes premiers projets, d'avoir une vision systématique.

Nantes, c’est un très grand vaisseau de 107 m de long, d’une pierre très blanche et on était parti sur des verrières presque blanches. Le problème était de donner de la lumière et une couleur assez forte, mais pas trop, pour ne pas faire un contraste trop grand entre la partie de la nef qui était blanche et le chœur. Il fallait quand même donner un peu de couleurs, il fallait que je trouve une qualité de coloration très flamboyante.

Un visiteur, même s'il n'est pas religieux, doit en entrant se trouver imprégné d'une atmosphère qui lui donne un sentiment de sacré et prendre conscience qu'il est dans un lieu différent, non dans un hall de gare. C'est un sentiment humain qui existe depuis les grottes de la préhistoire. Ce sentiment n'est pas propre à une religion particulière. Il exprime un dépassement, peut être étayé par une croyance précise mais est plus général. Pour moi, le vitrail doit avant tout créer, dans un espace donné, une lumière telle qu'on se trouve saisi par ce climat, de prière, pour ceux qui désirent prier, de repos, de silence et de gravité pour ceux qui ne prient pas.

Création et atelier J’ai commencé à faire de la peinture comme tous les jeunes, sur le motif. J’ai eu une période, autour des années 1934-1935, d’inquiétude et j’ai laissé tomber la peinture sage du motif pour essayer de me lancer dans une aventure, avec des cahots, en avançant à droite, à gauche, et puis après, cela se décante et à un moment donné, on trouve son écriture. 28 Jean Le Moal (1909-2007) L’examen de l’oeuvre

Le mot expérience est pour moi vide de sens. Quand je commence une toile, je recommence tout. Je ne pense pas à ce que j’ai pu faire avant et la seule toile qui compte est celle que je vais faire, ce qui compte c’est que le peintre va faire et non ce qu’il a fait.

Je me suis aperçu que ces petites toiles me donnaient une nouvelle écriture des grandes toiles : ce sont mes petits formats qui m’ont conduit aux grands formats.

Dans cette période, il y a quelque chose qui a joué énormément, c’est que j’avais un petit atelier, rue Leverrier, que j’ai encore, et autour des années 1966, j’ai eu l’occasion d’établir à Alba un grand atelier. J’ai eu une période où j’ai travaillé d’une façon intense, dans un très grand espace. Depuis longtemps, j’avais des velléités de faire des grandes peintures. J’avais fait une série de tout petits formats et, avec un ami, on a fait des projections et j’ai eu me sentiment d’une autre dimension.

Quand j'arrive dans cet atelier, j'ai une fringale de peinture. J'ai envie de commencer, je commence des toiles. C'est un besoin que j'ai depuis longtemps, puisqu'à Paris j'ai un plus petit atelier. Là, c'est vraiment mon épanouissement et, depuis des années, c'est là effectivement mon espace de peintre. La couleur c'est presque d'instinct, ça jaillit tout d'un coup, on a besoin d'une harmonie, de jaune, de rouge, de bleu, c'est comme un appétit. Ce n'est pas une chose de principe, c'est vraiment spontané, comme on respire, comme on a soif ou faim. Je travaille avec une certaine impulsion. Il y a d'abord un jet, on projette sur sa toile, et après on discute avec cette toile, on l'accommode, on la manie, et là il y a un temps où il y a une résistance. Il existe quelque chose et ce quelque chose, il faut discuter avec. (...) J'ai toujours quelques toiles de l'année dernière, restées inachevées, que je regarde, avec un autre œil. Je peux continuer à y travailler ou, tout à coup, c'est le prétexte de recommencer une autre toile qui a un point de rapport avec cette toile ancienne, mais qui devient tout à fait autre chose dans le cours de l'évolution. Le travail que je fais en Ardèche est un travail de premier jet. Je me précipite sur la toile et j'y mets l'essentiel. Ensuite il y a un autre processus. Le premier jet posé sur la toile, la toile existe et il y a un rapport, une discussion entre la toile et le peintre. Et ce travail, je le fais dans un autre cadre, à Paris, où j'ai plus de temps devant moi, et la toile se conclut ou elle avorte. Très souvent j'ai des repentirs. Il m'arrive de la reprendre six mois, un an, et même trois ou quatre ans après. A Paris, j'ai sur ces toiles une autre réflexion, je les complète. J'ai besoin de recul. Il y a des toiles qui résistent. Avec le temps, tout d'un coup, on retourne la toile, on voit les derniers accents à mettre, ça devient une évidence.

Dessin, couleur et lumière Il y a deux façons de dessiner : ou bien on cerne une forme, ou bien on dessine de l’intérieur de la forme (…). De plus en plus, j’éprouve le besoin de dessiner par la touche et par l’intérieur de la forme. C’est pour moi la manière la plus intense d’exprimer la substance de la peinture. Depuis ma dernière exposition, j’ai voulu rompre avec le dessin statique, le dessin qui cerne les choses. Je ne crois pas cela soit gratuit. Cà doit correspondre à une évolution qui s’est produite en moi. J’ai maintenant besoin de mouvement, de quelque chose de plus lyrique, qui éclate davantage. Je ne fais pas du mouvement pour le mouvement, mais parce que c’est une façon d’être plus libre. J’ai l’impression de respirer plus à mon aise. Il me semble parfois que je découvre la peinture. Peut-être parce que je suis plus spontané (…). Maintenant, je commence à respirer plus largement, et la peinture me paraît avoir plus d’ouvertures (…). Mon exposition est consacrée à deux thèmes : la fluidité de l’eau d’une part, et d’autre part 29 les rochers et les végétations de l’Ardèche. Jean Le Moal (1909-2007) L’examen de l’oeuvre

Je m’exprime surtout par la couleur. J’utilise aussi le noir, mais ça reste une couleur. Une toile commence à vivre quand les rapports de couleurs créent une lumière. Et quand il y a une lumière, il y a des variations, des côtés plus obscurs et des côtés plus clairs. Mais c’est comme un tout. Je ne me vois pas les départageant en clair et en ombre. Plus que du contraste de l’ombre et du clair, c’est la lumière même qui compte pour moi. Il y a toute une gamme de lumières : les unes sont limpides, les autres dramatiques. Certaines sont fluides. Certaines sont légères ou blondes. J’ai fait une série de toiles où la lumière est presque une lumière de plage. C’est comme dans un livre : un climat se crée hors les mots et des incidents du récit.

Toute peinture est quelque chose d’abstrait. Je ne suis plus descriptif, c’est tout. Mais je reste fidèle à des thèmes qui peuvent être, par exemple, les saisons ou la mer et les brisants, la mouvance des choses… J’ai fait un voyage extraordinaire au Chili et au Pérou. J’en ai rapporté une sorte d’éclatement de ces terres brûlées, quelque chose de flamboyant, dans l’intensité de la lumière. J’ai vu le drame en plein soleil, ce qui m’a amené à une couleur très intense, et en même temps assez dynamique. Ca été un éclatement, un éclaboussement. Non une rupture : une apogée. Tout d’un coup ce qui était latent en moi est devenu une évidence.

E/ Le vocabulaire de la couleur et de la lumière

Aviver : Ajouter des couleurs vives.

Bigarré : Qui comporte de nombreuses couleurs.

Cercle chromatique : Représentation ordonnée des couleurs, utilisée en peinture, en teinturerie, en design industriel, en mode, en arts graphiques. Les couleurs se succèdent dans l'ordre de celles de l'arc-en-ciel, la fermeture s'effectuant par une transition du rouge au violet en passant par les pourpres. Un cercle chromatique présente en général les couleurs sous forme discontinue, des arcs de cercles égaux étant consacrés à chacune des nuances. Il arrive, rarement, qu'on utilise tout le disque pour présenter les mélanges variant soit en saturation, soit en intensité.

Couleurs primaires : Ce sont les couleurs fondamentales : le rouge, le jaune et le bleu. De leur mélange naissent les couleurs secondaires.

Couleurs secondaires : Ce sont les couleurs qui naissent du mélange de deux couleurs primaires (rouge + bleu = violet ; bleu + jaune = vert ; jaune + rouge = orange).

Couleurs tertiaires : couleurs qui naissent de plusieurs mélanges.

Couleurs chaudes, froides : Termes génériques, en usage dans les arts graphiques, qui se réfèrent aux couleurs, teintes, tons ou nuances tirant respectivement vers l'orange ou vers le bleu. L’orange, le rouge et le jaune sont associés au soleil et à la chaleur, par contrecoup les autres sont rapprochées

30 Jean Le Moal (1909-2007) L’examen de l’oeuvre

d’une sensation de froid. Aux couleurs chaudes et froides on reconnaît aussi des effets spatiaux, l’impression d’avancer, d’être saillantes pour les premières, de fuir, de reculer pour les secondes.

Gamme : Terme emprunté à la musique pour désigner une succession de teintes graduées comme les notes de la gamme.

Luminosité : Attribut de la sensation visuelle selon lequel une surface paraît émettre ou réfléchir plus ou moins de lumière.

Opacité : Propriété d’un milieu qui ne transmet pas de lumière.

Clarté : Intensité lumineuse relative d’une surface.

Contraste coloré : Différence plus ou moins marquée entre les paramètres chromatiques.

Contraste lumineux : Différence plus ou moins marquée entre les paramètres lumineux.

Ombre : Zone rendue plus sombre que le voisinage par interception de la lumière par un corps opaque.

Reflet : Effet visuel produit par la réflexion de la lumière.

Réflexion : Processus par lequel une lumière frappant une surface n’est ni absorbée, ni transmise mais renvoyée dans le milieu d’où elle arrive. Avec la réflexion diffuse, la lumière est renvoyée dans de nombreuses directions. Par la réflexion régulière, la lumière est renvoyée dans une direction unique.

Réverbération : réflexion diffuse produite par une surface étendue se comportant comme une source secondaire de lumière.

Saturation : Pureté d’une couleur. On désature une couleur en ajoutant du noir ou du blanc. Une couleur totalement désaturée est en niveau de gris.

Teinte : Distinction entre les sensations colorées : bleu, vert, jaune, rouge, etc.

Ton : Mot souvent employé de manière un peu vague comme équivalent de couleur. Le ton désigne plus précisément le degré d’intensité d’une couleur (technique du ton sur ton : juxtaposition de différents tons d’une même couleur). Rappel de ton : procédé pictural qui consiste à faire valoir un ton par une touche de ce même ton en une autre partie de ce tableau.

Tonalité : Ce mot a un sens différent : pour une couleur la tonalité équivaut à la teinte définie par trois caractéristiques fondamentales : saturation, valeur et luminosité ; pour un tableau, c’est l’ensemble des couleurs utilisées. 31 Jean Le Moal (1909-2007) Bibliographie

Touche : Façon dont la couleur est appliquée par le pinceau.

Valeur : Intensité des couleurs et rapport entre elles.

IV– Bibliographie

Histoire de la peinture abstraite et le contexte de la guerre, de l’après-guerre et des années 1950-1960 -Bernard Georges-Michel, Jean Le Moal, Ides et Calendes, 2001 -Bertrand Dorléac Laurence, Après la guerre, Gallimard, 2010 -Bertrand Dorléac Laurence, L’art de la défaite, Seuil, 1993 -Bouchet Philippe (sous la direction de), Jean Le Moal, Lienart 2017 : catalogue de l’exposition -Charbonnier Georges, Le monologue du peintre, Guy Durier Editeur, 1980 -Daval Jean-Luc, Histoire de la peinture abstraite, Hazan, 1988 -Chassey Eric, L’abstraction avec ou sans raisons, Gallimard, 2017 -Roque Georges, Qu’est-ce que l’art abstrait ?, Gallimard, 2003 -Vallier Dora, L’art abstrait, Le Livre de Poche, 1980 -Yagil Limore, Au nom de l’art, Exils solidarités et engagement, Fayard, 2015

La couleur -Ballas Guila, La couleur dans la peinture moderne. Théorie et pratique, Adam Biro, 1997 -Ball Philippe, Histoire vivante des couleurs, Hazan, 1998 -Bargna Ivan, La couleur dans l’art, Citadelles & Mazenod, 2006 -Cage John, Couleur et culture. Usages et significations de la couleur de l’Antiquité à l’abstraction, Thames & Hudson, 2008 -Lanthony Philippe, Lumière, vision et peinture, Citadelles & Mazenod, 2009 -Pastoureau Michel, Le petit livre des couleurs, Editions du Panama, 2005 -Roque Georges, Art et science de la couleur, Gallimard, 2009 -Roque Georges, Quand la lumière devient couleur, Gallimard, 2018 -TDC, La science des couleurs, n° 922, 2006 -Valeur Barnard, Une belle histoire de la lumière et des couleurs, Flammarion, 2016 -Zuppiroli Libero, Bussac Marie-Noëlle, Traité des couleurs, Presses Polytechniques et universitaires romanes, 2001

32 Jean Le Moal (1909-2007) Pistes pédagogiques

V- Propositions pédagogiques

A/ Pour le 1er degré

Destiné aux enfants maîtrisant la lecture, le livret- jeux de l’exposition est distribué gratuitement aux élèves en visite libre ou guidée. Le livret-jeux est complété au crayon à papier, partiellement au cours de la visite ou remis en fin de visite pour un travail complémentaire au retour en classe. 12 pages, en couleurs

Proposition d'atelier « L‘art du caméléon » conçu par Sylvie Anat, plasticienne

Les artistes en herbe s’intéressent à la démarche de Jean Le Moal qui, tel un caméléon, fond son sujet dans un décor éclatant à la touche vibrante. A partir de l’observation des éléments, - l'eau/la mer, la pierre/la roche et le ciel – l’élève ne retient que la couleur et les effets de matière afin de peindre un tableau non- figuratif.

Auguste Anastasi (1820-1889) La Côte près de Pont-Aven, vers 1869 Huile sur toile, 25 x 39 cm Musée des beaux-arts de Quimper © Musée des beaux-arts de Quimper

Maxime Maufra (1861-1918) Les Trois Falaises, Saint-Jean-du-Doigt, 1894 33 Huile sur toile, 60.4 x 72.5 cm Musée des beaux-arts de Quimper © Musée des beaux-arts de Quimper Jean Le Moal (1909-2007) Pistes pédagogiques

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37 Jean Le Moal (1909-2007) Pistes pédagogiques

B/ Pour le 2nd degré

Professeurs de philosophie

Autour de la représentation L’exposition est l’occasion de développer une réflexion sur les notions suivantes : -La représentation et ses enjeux. -La mimesis : origines, vertus et application aux formes. -L’iconoclasme : origines et manifestations à travers les siècles.

Les minutes du procès Brancusi Elles offrent la possibilité d’une réflexion sur l’ontologie de l’œuvre et la réception de l’art abstrait. Il existe sur le sujet une documentation facilement accessible, notamment un article très intéressant et très complet de Nathalie Heinich.

Le Carré noir, le Cercle noir, la Croix noire de Malevitch L’ontologie de l’œuvre d’art. Les élèves ne manqueront pas de réagir à l’observation de ces trois œuvres, au professeur de préparer solidement son argumentation. Les ouvrages d’Arthur Danto, de Roger Pouivet et de Nelson Goodman fourniront des arguments.

Professeurs de sciences

La stratégie de la couleur Il s’agira de préciser la manière dont Jean Le Moal utilise la couleur. Ce sera l’occasion de parler de la science et de la couleur aux XIXe et XXe siècles et des théories scientifiques de la couleur et de la pratique des artistes (références aux travaux de Chevreul, Rood).

Que sont les couleurs ? L’exposition sera l’occasion de préciser l’origine des couleurs. Les couleurs n’ont pas d’existence propre et c’est le cerveau, la réception de la lumière sur les bâtonnets et les cônes qui nous la fait percevoir. La perception des couleurs relève ainsi d’un principe organoleptique complexe, éventuellement modelé, façonné par un contexte historique et culturel.

Professeurs d’histoire

L’art abstrait et les régimes totalitaires A partir de l’exemple de Kasimir Malevitch, on peut élargir le propos à l’attitude des régimes totalitaires à l’égard de l’art abstrait, présenter les motivations de la condamnation, tout autant pour l’URSS que pour l’Allemagne nationale-socialiste.

Professeurs d’histoire et d’arts plastiques

Aliboron, l’âne artiste Exploitation de la documentation sur le canular organisé par Roland Dorgelès : il exposa en 1911 une œuvre produite par l’âne du Lapin Agile : Aliboron. Pour la circonstance l’âne fouetta de sa queue un support toilé que l’on baptisa : Coucher de soleil sur 38 Jean Le Moal (1909-2007) Pistes pédagogiques

l’Adriatique. L’œuvre fut attribuée à un artiste italien prometteur - Joachim Raphaël Boronali - et accompagnée d’un manifeste : le manifeste de l’excessivisme. Le but de la manœuvre était de discréditer l’art abstrait.

Etude d’une exposition fondatrice :

0,10 Cette exposition organisée à Petrograd montre la radicalité de l’avant-garde russe. Suprématistes et Constructivistes exposent alors ensemble. On connaît la scénographie de l’exposition grâce à des documents photographiques qu’il est possible d’exploiter avec les élèves. On y voit notamment des peintures d’angle et des reliefs. Ce travail sera l’occasion d’une réflexion plus large sur l’abstraction en Russie et en Europe. La critique conservatrice et bolchevique va très vite condamner la modernité.

20 Jeunes peintres de tradition française (mai 1941) Cette exposition est un moment important de l’histoire de l’art en France. D’abord parce qu’elle se déroule dans un contexte particulier : celui de l’Occupation. Ensuite, parce qu’elle témoigne de l’affirmation une nouvelle génération d’artistes, tous ceux qui se sont installés à Paris au début des années 30, parmi lesquels : Bazaine, Bertholle, Lapicque, Le Moal, Manessier, Singier, Tal Coat. Enfin, parce qu’elle confirme l’essor de la peinture abstraite au sein de l’Ecole de Paris. Ajoutons à cela une dimension patriotique par les choix chromatiques opérés par certains artistes, notamment Bazaine, à savoir le bleu, le blanc et le rouge. On trouvera des renseignements sur cet événement dans les ouvrages de Laurence Bertrand-Dorléac et de Limore Yagil mentionnés dans la bibliographie.

Collaboration et Résistance pendant l’Occupation De nombreux sujets possibles : Les Pèlerins de Weimar, « L’art maréchal », l’exposition Brecker à l’Orangerie (mai-juin 1942), Les pillages de Göring, l’autodafé du Louvre (27 juillet 1943), le réseau Varian Fry, Rose Valland et le Front de l’art.

Professeurs de français et d’arts plastiques

Etude d’un manifeste On peut considérer le manifeste comme un genre littéraire à part entière car il présente une forme singulière. Il est souvent concis, revendicatif et provocateur. A ce titre il mérite toute notre attention. Les exemples abondent. En rapport avec l’abstraction on peut étudier les manifestes suivants : le manifeste de l’Art concret (1930), le Manifeste Blanc (1960), le Manifeste BMPT (1967).

Professeurs d’arts plastiques

La couleur Une initiation à la couleur, à son élaboration, à ses contrastes et à ses effets spatiaux.

L’abstraction géométrique, l’abstraction lyrique La présentation de ces deux tendances de l’art abstrait par un exercice comparatif et iconographique détaillé. 39 Jean Le Moal (1909-2007) Pistes pédagogiques

Professeurs d’arts plastiques et de musique

La couleur et la musique Les deux expressions ont été souvent associées. L’étude pourrait plus précisément porter sur les correspondances terminologiques entre la peinture et la musique : gamme, rythme, contrepoint, etc. On peut aussi considérer les instruments de musique singuliers qui avaient la capacité à traduire les notes en couleurs, à l’exemple du clavecin oculaire.

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Jean Le Moal (1909-2007) Organiser une sortie

VI- Informations pratiques

Modalités de réservation

Les visites de l’exposition peuvent être libres ou menées par un guide-conférencier agréé. Les visites peuvent être conduites dans plusieurs langues : français, anglais, allemand, italien et breton.

Toute réservation de visite, libre ou guidée, est obligatoire. - Sur place, à l'accueil du musée. - Par téléphone : 02 98 95 45 20 - taper 2 (accueil). - Par mail : [email protected]

La procédure de réservation est la suivante : Vous convenez avec le musée d'une date, d'un horaire, d’un mode de visite (libre ou guidée), du niveau scolaire, de l’effectif du groupe et de ses accompagnateurs.

- En cas de visite guidée, Le musée fait parvenir cette demande à la maison du patrimoine en charge de l'attribution des visites aux guides. La maison du patrimoine vous envoie ultérieurement une confirmation de visite par mail. Le musée vous contacte si la visite ne peut être assurée par un guide indisponible (cas rare).

- En cas de visite libre, le musée vous envoie directement une confirmation de visite par email.

L’équipe des guides est constituée de : Catia Galéron, Yolande Guérot-Damien, Anne Hamonic, Pascal Le Boëdec, Gabrielle Lesage, Annaïck Loisel, Anne Noret et Elodie Poiraud.

Délai de réservation Dans le cadre du label « ville d'art et d'histoire », les guides-conférenciers dépendent de la maison du patrimoine. Ils animent les visites du patrimoine quimpérois et interviennent au musée des beaux-arts ainsi qu’au musée départemental breton. Il est donc préférable de réserver le plus tôt possible votre visite !

Jours et heures d’ouverture pour les scolaires Le musée est ouvert aux scolaires tous les jours sauf le mardi de 9h30 à 12h et de 14h à 17h30 ou 18h selon les saisons.

Tarifs des visites scolaires (à compter du 01/09/2017)

Ecole maternelle Visite Visite Forfait 3 ou primaire libre guidée (1h) visites guidées Quimper Bretagne Gratuit Forfait 52 € Occidentale 26 € / classe (3e visite gratuite)

Hors Gratuit Forfait 92 € Quimper Bretagne 46 € / classe (3e visite gratuite) Occidentale 42

Jean Le Moal (1909-2007) Organiser une sortie

Collège ou lycée Visite libre Visite guidée (1h30) Adhérent au passeport pour l’art Gratuit Forfait (Forfait année scolaire : 140 €) 26 € / classe Non adhérent Forfait Forfait au passeport pour l’art 26 € / classe 72 € / classe (entrée au musée) (entrée + commentaire)

Les forfaits s’appliquent à la classe accueillie dans son ensemble ; les accompagnateurs du groupe entrent gratuitement.

Le passeport pour l’art concerne les établissements scolaires de l’enseignement secondaire et supérieur. Il offre au cours de l’année scolaire à tous les élèves, enseignants et personnels des établissements adhérents l’accès libre aux expositions temporaires et collections du musée. Les CDI reçoivent les catalogues et les programmes d’activités édités.

Gratuité pour l’enseignant uniquement dans le cadre de la préparation d’une visite, d’une rencontre avec le service éducatif ou d’une visite avec une classe. Le pass’Education n’est pas accepté car le musée est municipal.

Le règlement peut se faire sur place le jour de la visite. Le mode de règlement est au choix : chèque (à l’ordre de régie recettes entrées MBA), espèces, carte bancaire, chèque vacances. Une facture acquittée vous sera délivrée immédiatement. Si vous souhaitez régler par virement administratif, vous recevrez ultérieurement un ordre de paiement émis par le Trésorier principal municipal de Quimper. Le musée n’accepte ni acompte ni règlement antérieur à la date de l’activité réservée. Merci de prévenir au moins 48 heures à l’avance en cas d’annulation, faute de quoi la visite sera facturée.

Préparer une sortie au musée

La médiatrice culturelle Fabienne Ruellan vous renseignera sur les possibilités offertes et sur les ressources documentaires du service éducatif. Pour toute demande de visuel : [email protected], 02 98 95 95 24

Le professeur conseiller-relais du 2nd degré Yvon Le Bras assure une permanence au musée le mercredi après-midi et vous aidera à construire une séquence de cours d’histoire des arts.

Documentation en ligne Les enseignants trouveront sur la page « enseignant » du site internet du musée www.mbaq.fr un ensemble de documents édités par le service éducatif : guide du service éducatif, listing du matériel pédagogique du musée, livrets-jeux de découverte des collections ou de l’exposition en cours, dossiers pédagogiques, etc. qui composent une ressource facilement accessible pour préparer une sortie au musée.

43 Crédit photo des oeuvres de Jean Le Moal © ADAGP, Paris 2018

Dossier réalisé par :

 Yvon Le Bras, conseiller-relais (DAAC)

 Fabienne Ruellan, médiatrice culturelle, musée des beaux-arts