Peintures Et Épigraphie
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Peintures et épigraphie. Robert Favreau LA CHAPELLE DU LIGET Vue extérieure prise du sud. Sauf mention contraire, tous les relevés illustrant cet article proviennent du Musée des Monuments français (cliché ARCH. PHOT PARIS). Dans le troisième quart du XIIe siècle, l’abbé de Villeloin faisait don aux frères de la Chartreuse du lieu du Liget, situé dans la forêt à une dizaine de kilomètres à l’est de Loches. Il y avait déjà là une première communauté, le prieur Guillaume et les frères Herbert, Guillaume et Martin. Assistaient à cette donation les abbés de Beaulieu-lès-Loches et de Saint-Julien de Tours, et un grand nombre de clercs et de lares. La concession était faite sur les instances du roi Henri, représenté par son sénéchal Étienne. Le roi dédommageait l’abbaye de Villeloin en lui payant cent livres et en lui faisant remise d’une redevance annuelle de deux éperviers1. Ce premier acte connu relatif au Liget n’est pas daté, mais ne peut être antérieur au 17 septembre 1176, date de l’élection de Maurice, abbé de Beaulieu2. La tradition cartusienne place la fondation du Liget à l’année 11783, ce qui est possible, et y voit une fondation expiatoire qu’aurait imposée le pape au roi Plantagenêt après le meurtre de Thomas Becket (1170), ce qu’admet une étude récente sur la question4. Ce fut sans doute vers cette époque que le roi Henri fit don à la nouvelle chartreuse des droits qu’il avait sur un bourgeois de Beaulieu, Thomas Raier5, cité parmi les témoins de l’acte de l’abbé de Villeloin. Henri II intervint encore, dans la décennie 80, pour confirmer aux chartreux de Sainte-Marie et de Saint-Jean- Baptiste l’ensemble de leurs biens6. Les éditeurs des actes d’Henri II datent cette confirmation de 1181- 1189, en raison de la présence parmi les témoins de Geoffroi, bâtard du roi, chancelier à partir 1 L’acte a été publié par E. Marlène et H. Durand, Thesaurus novus anecdotorum, Paris, I, 1717, c. 570 ; dom. Ch. Le Couteulx, Annales ordinis cartusiensis ab anno 1084 ad annum 1429, Montreuil, II, 1888, p. 453-454 ; Philippon, « La chartreuse du Liget » Bulletin de la Société archéologique de Touraine, XXV, 1932-1934, p. 216-217. 2 P. Calendini, notice sur Beaulieu dans le Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastique, Paris, VII, 1934, c. 175 3 Annales ordinis cartusiensis..., II, p. 449. 4 Raymonde Foreville, • La place de la chartreuse du Liget parmi les fondations pieuses d’Henri II Plantagenêt », Actes du colloque médiéval de Loches (1973), Mémoires de la Société archéologique de Touraine, série in-4°, XI, 1975, p. 13-22. On peut y ajouter que la fête de Thomas évêque et martyr figure dans tous les calendriers liturgiques de la chartreuse. 5 Recueil des actes de Henri li roi d’Angleterre et duc de Normandie concernant les provinces françaises et les affaires de France, éd. L. Delisle et E. Berger, Paris, II, 1920, p. 308, n° 684, acte de 1172-1173-1189 (Chartes et diplômes relatifs à l’histoire de France publiés par les soins de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres). 6 Ibid., p. 373-374, n° 742. de 1181, mais ne tiennent pas compte de celle de Guillaume de Sainte-Mère-Église, doyen de Mortain, qu’eux-mêmes disent pourvu de ce décanat probablement en 11887. Cette confirmation doit donc se situer tout à fait à la fin du règne d’Henri II. La chartreuse comportait deux églises et une chapelle. De l’église principale il ne reste que des ruines. Les chartreuses comportaient généralement aussi une maison basse, nommée Courerie, et l’église basse du début du XIIIe siècle existe toujours à quelque distance du lieu de résidence des moines, à la Corroirie, avec un vaste cellier voûté et des bâtiments fortifiés8. Les antiphonaires et bréviaires de la chartreuse, des XIVe et XVe siècles, conservés à la bibliothèque de la ville de Loches9 distinguent bien la dedicacio ecclesie nostre, fêtée le 21 octobre, de la dedicacio ecclesie inferioris, célébrée le 9 juillet. La dédicace d’une église Saint-Jean par l’évêque de Paris Eudes de Sully (1198-1208) a été rapprochée d’une dédicace en présence du roi Jean Sans Terre, mentionnée dans un obituaire de la chartreuse. Mais cet obituaire parle d’une « église inférieure », aujourd’hui appelée « Chapelle Saint-Jean »10. Il ne peut donc s’agir ici que de la Corroirie. Si les textes situent assez bien la fondation de la chartreuse, ils ne parlent donc en fait, pas du tout de la chapelle du Liget, située à quelques centaines de mètres à l’ouest du couvent. Dom Housseau mentionne seulement une histoire manuscrite du Liget qui place à l’endroit où est édifiée la chapelle la toute première installation des chartreux11. La petite chapelle du Liget apparaît déjà comme ruinée dans les plans d’arpentage du Liget dressés au XVIIe siècle12. La nef, longue de 8 mètres et large de 3,50 mètres a disparu, et il ne reste plus aujourd’hui qu’une rotonde de 7,15 mètres de diamètre et de 6 mètres de haut13, bien connue des historiens de l’art en raison de son décor de peintures murales conservé pour une notable part14. Malheureusement, ces peintures se sont sensiblement dégradées depuis qu’au milieu du siècle dernier Savinien-Petit en fit des relevés, conservés à Paris, au Musée des monuments français. Au niveau des inscriptions cette détérioration est surtout sensible pour les textes d’identifications situées dans le champ des scènes15. De la décoration peinte qui couvrait la voûte il ne reste que des fragments, à la base de la coupole. Dans un deuxième registre une frise, figurant une double grecque interrompue par des carrés où des personnages en buste tiennent des phylactères, fait le tour de la chapelle ; il n’en reste guère plus du tiers. Les grandes scènes forment le troisième registre et se développent sur la hauteur des sept fenêtres, dans les ébrasements intérieurs desquelles sont peints des saints, deux par deux. Enfin, en dessous était figurée « une draperie blanche à plis tracés en brun »16 dont il ne reste plus rien aujourd’hui. 7 Ibid., Introduction, Paris, 1909, notice de Delisle, p. 382-383, 495, 498. 8 e Jean Vallery-Radot, « La chartreuse du Liget et la Corroirie », Congrès archéologique de France, CVI session, Tours, 1948, Paris, 1949, p. 153-172. 9 Mss. 3, 6, 8, 9, 12, 17. 10 Annales ordinis cartusiensis, II, p. 455. La mention de la présence de Jean Sans Terre à une dédicace d’après un orbituaire du Liget, s’applique à « l’église inférieure » (Philippon, article cité, p. 327) et non à la chapelle (P. Deschamps et M. Thibaut, La peinture murale en France au début de l’époque gothique, de Philippe Auguste Il la fin d11 règne de Charles V (1180-1380), Paris, 1963, p. 40-41. 11 Philippon, art. cité, p. 326. 12 Ibid., p. 327. 13 M. Thibout, « La chapelle Saint-Jean du Liget et ses peintures murales », Congrès archéologique de France, CVIe session Tours, 1948, Paris, 1949, p. 173-194. 14 La dernière étude en date est celle de Mlle Voichita Munteanu, The Cycle of Frescoes of the chapel of the Liget, New York et Londres, 1978 (thèse de l’Université de Columbia). 15 Cette dégradation est même sensible entre 1971, où j’en fis un premier relevé, et aujourd’hui. 16 Philippon, art. cité, p. 326. Laodiciam La voûte était consacrée à l’Apocalypse. Un chartreux, dom Bruno Cousin, l’atteste vers 162517. Dans la bande rouge située à la base de la coupole, du côté sud, on distingue encore les noms de deux des sept Églises d’Asie auxquelles Jean adressa sa lettre connue sous le nom d’Apocalypse (« révélation »), FILADELPH[I]AM et LAODICIAM. Tant au chapitre I où elles sont énumérées que dans les adresses particulières qui figurent aux chapitres II et III, les sept villes sont citées dans le même ordre, Philadelphie (aujourd’hui Alasehir) et Laodicée (ruines près de Denizli), étant les dernières nommées. Il est très probable que les noms des cinq autres églises étaient également à l’origine inscrits dans cette bande. On notera aussi qu’on lit « Laodicée » au- dessus de la Dormition de la Vierge et de la petite porte sud à tympan peint (le Christ) qui donnait accès direct au chœur. II y a là une indication sur le sens de la lecture des scènes, qui devait commencer à droite (pour le spectateur) de cette petite porte, avec l’Arbre de Jessé. Les sept Églises d’Asie, figure de l’Église universelle, sont rarement représentées dans l’iconographie, si ce n’est dans les manuscrits enluminés de l’Apocalypse, par exemple ms. 386, fol. 4 v°-8 v°, de la Bibliothèque municipale de Cambrai, ms. nouv. acq. lat. 1132, fol. 3, 4, 5 v°, de la Bibliothèque nationale à Paris (Apocalypse de Saint-Amand), ms. 99, fol. 6, 7, 8, 9 de la Bibliothèque municipale de Valenciennes, Cod. 31, fol. 2 v°, 5 v°, 7 v°, 8 v°, 10 v°, 11 v°, 12 v° de la Bibliothèque de la ville de Trèves (Allemagne), dans les commentaires de Beatus de Liebana, manuscrit du trésor de la cathédrale de la Seo de Urgel (Espagne), fol. 53, ou ms. 644 de la Bibliothèque Pierpont Morgan à New York, dans la Bible de Roda, ms. lat. 6 (4), fol. 104-105, de la Bibliothèque nationale à Paris, ou encore dans le Scriptum super Apocalypsin d’Alexandre de Brême, ms. lat. 1 Q 10, fol.