Peintures et épigraphie.

Robert Favreau

LA CHAPELLE DU LIGET

Vue extérieure prise du sud.

Sauf mention contraire, tous les relevés illustrant cet article proviennent du Musée des Monuments français (cliché ARCH. PHOT PARIS).

Dans le troisième quart du XIIe siècle, l’abbé de Villeloin faisait don aux frères de la Chartreuse du lieu du Liget, situé dans la forêt à une dizaine de kilomètres à l’est de . Il y avait déjà là une première communauté, le prieur Guillaume et les frères Herbert, Guillaume et Martin. Assistaient à cette donation les abbés de Beaulieu-lès-Loches et de Saint-Julien de , et un grand nombre de clercs et de lares. La concession était faite sur les instances du roi Henri, représenté par son sénéchal Étienne. Le roi dédommageait l’abbaye de Villeloin en lui payant cent livres et en lui faisant remise d’une redevance annuelle de deux éperviers1. Ce premier acte connu relatif au Liget n’est pas daté, mais ne peut être antérieur au 17 septembre 1176, date de l’élection de Maurice, abbé de Beaulieu2. La tradition cartusienne place la fondation du Liget à l’année 11783, ce qui est possible, et y voit une fondation expiatoire qu’aurait imposée le pape au roi Plantagenêt après le meurtre de (1170), ce qu’admet une étude récente sur la question4. Ce fut sans doute vers cette époque que le roi Henri fit don à la nouvelle chartreuse des droits qu’il avait sur un bourgeois de Beaulieu, Thomas Raier5, cité parmi les témoins de l’acte de l’abbé de Villeloin. Henri II intervint encore, dans la décennie 80, pour confirmer aux chartreux de Sainte-Marie et de Saint-Jean­ Baptiste l’ensemble de leurs biens6. Les éditeurs des actes d’Henri II datent cette confirmation de 1181- 1189, en raison de la présence parmi les témoins de Geoffroi, bâtard du roi, chancelier à partir

1 L’acte a été publié par E. Marlène et H. Durand, Thesaurus novus anecdotorum, Paris, I, 1717, c. 570 ; dom. Ch. Le Couteulx, Annales ordinis cartusiensis ab anno 1084 ad annum 1429, Montreuil, II, 1888, p. 453-454 ; Philippon, « La chartreuse du Liget » Bulletin de la Société archéologique de , XXV, 1932-1934, p. 216-217. 2 P. Calendini, notice sur Beaulieu dans le Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastique, Paris, VII, 1934, c. 175 3 Annales ordinis cartusiensis..., II, p. 449. 4 Raymonde Foreville, • La place de la chartreuse du Liget parmi les fondations pieuses d’Henri II Plantagenêt », Actes du colloque médiéval de Loches (1973), Mémoires de la Société archéologique de Touraine, série in-4°, XI, 1975, p. 13-22. On peut y ajouter que la fête de Thomas évêque et martyr figure dans tous les calendriers liturgiques de la chartreuse. 5 Recueil des actes de Henri li roi d’Angleterre et duc de Normandie concernant les provinces françaises et les affaires de , éd. L. Delisle et E. Berger, Paris, II, 1920, p. 308, n° 684, acte de 1172-1173-1189 (Chartes et diplômes relatifs à l’histoire de France publiés par les soins de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres). 6 Ibid., p. 373-374, n° 742. de 1181, mais ne tiennent pas compte de celle de Guillaume de Sainte-Mère-Église, doyen de Mortain, qu’eux-mêmes disent pourvu de ce décanat probablement en 11887. Cette confirmation doit donc se situer tout à fait à la fin du règne d’Henri II. La chartreuse comportait deux églises et une chapelle. De l’église principale il ne reste que des ruines. Les chartreuses comportaient généralement aussi une maison basse, nommée Courerie, et l’église basse du début du XIIIe siècle existe toujours à quelque distance du lieu de résidence des moines, à la Corroirie, avec un vaste cellier voûté et des bâtiments fortifiés8. Les antiphonaires et bréviaires de la chartreuse, des XIVe et XVe siècles, conservés à la bibliothèque de la ville de Loches9 distinguent bien la dedicacio ecclesie nostre, fêtée le 21 octobre, de la dedicacio ecclesie inferioris, célébrée le 9 juillet. La dédicace d’une église Saint-Jean par l’évêque de Paris Eudes de Sully (1198-1208) a été rapprochée d’une dédicace en présence du roi Jean Sans Terre, mentionnée dans un obituaire de la chartreuse. Mais cet obituaire parle d’une « église inférieure », aujourd’hui appelée « Chapelle Saint-Jean »10. Il ne peut donc s’agir ici que de la Corroirie. Si les textes situent assez bien la fondation de la chartreuse, ils ne parlent donc en fait, pas du tout de la chapelle du Liget, située à quelques centaines de mètres à l’ouest du couvent. Dom Housseau mentionne seulement une histoire manuscrite du Liget qui place à l’endroit où est édifiée la chapelle la toute première installation des chartreux11. La petite chapelle du Liget apparaît déjà comme ruinée dans les plans d’arpentage du Liget dressés au XVIIe siècle12. La nef, longue de 8 mètres et large de 3,50 mètres a disparu, et il ne reste plus aujourd’hui qu’une rotonde de 7,15 mètres de diamètre et de 6 mètres de haut13, bien connue des historiens de l’art en raison de son décor de peintures murales conservé pour une notable part14. Malheureusement, ces peintures se sont sensiblement dégradées depuis qu’au milieu du siècle dernier Savinien-Petit en fit des relevés, conservés à Paris, au Musée des monuments français. Au niveau des inscriptions cette détérioration est surtout sensible pour les textes d’identifications situées dans le champ des scènes15. De la décoration peinte qui couvrait la voûte il ne reste que des fragments, à la base de la coupole. Dans un deuxième registre une frise, figurant une double grecque interrompue par des carrés où des personnages en buste tiennent des phylactères, fait le tour de la chapelle ; il n’en reste guère plus du tiers. Les grandes scènes forment le troisième registre et se développent sur la hauteur des sept fenêtres, dans les ébrasements intérieurs desquelles sont peints des saints, deux par deux. Enfin, en dessous était figurée « une draperie blanche à plis tracés en brun »16 dont il ne reste plus rien aujourd’hui.

7 Ibid., Introduction, Paris, 1909, notice de Delisle, p. 382-383, 495, 498. 8 e Jean Vallery-Radot, « La chartreuse du Liget et la Corroirie », Congrès archéologique de France, CVI session, Tours, 1948, Paris, 1949, p. 153-172. 9 Mss. 3, 6, 8, 9, 12, 17. 10 Annales ordinis cartusiensis, II, p. 455. La mention de la présence de Jean Sans Terre à une dédicace d’après un orbituaire du Liget, s’applique à « l’église inférieure » (Philippon, article cité, p. 327) et non à la chapelle (P. Deschamps et M. Thibaut, La peinture murale en France au début de l’époque gothique, de Philippe Auguste Il la fin d11 règne de Charles V (1180-1380), Paris, 1963, p. 40-41. 11 Philippon, art. cité, p. 326. 12 Ibid., p. 327. 13 M. Thibout, « La chapelle Saint-Jean du Liget et ses peintures murales », Congrès archéologique de France, CVIe session Tours, 1948, Paris, 1949, p. 173-194. 14 La dernière étude en date est celle de Mlle Voichita Munteanu, The Cycle of Frescoes of the chapel of the Liget, New York et Londres, 1978 (thèse de l’Université de Columbia). 15 Cette dégradation est même sensible entre 1971, où j’en fis un premier relevé, et aujourd’hui. 16 Philippon, art. cité, p. 326.

Laodiciam La voûte était consacrée à l’Apocalypse. Un chartreux, dom Bruno Cousin, l’atteste vers 162517. Dans la bande rouge située à la base de la coupole, du côté sud, on distingue encore les noms de deux des sept Églises d’Asie auxquelles Jean adressa sa lettre connue sous le nom d’Apocalypse (« révélation »), FILADELPH[I]AM et LAODICIAM. Tant au chapitre I où elles sont énumérées que dans les adresses particulières qui figurent aux chapitres II et III, les sept villes sont citées dans le même ordre, Philadelphie (aujourd’hui Alasehir) et Laodicée (ruines près de Denizli), étant les dernières nommées. Il est très probable que les noms des cinq autres églises étaient également à l’origine inscrits dans cette bande. On notera aussi qu’on lit « Laodicée » au- dessus de la Dormition de la Vierge et de la petite porte sud à tympan peint (le Christ) qui donnait accès direct au chœur. II y a là une indication sur le sens de la lecture des scènes, qui devait commencer à droite (pour le spectateur) de cette petite porte, avec l’Arbre de Jessé. Les sept Églises d’Asie, figure de l’Église universelle, sont rarement représentées dans l’iconographie, si ce n’est dans les manuscrits enluminés de l’Apocalypse, par exemple ms. 386, fol. 4 v°-8 v°, de la Bibliothèque municipale de Cambrai, ms. nouv. acq. lat. 1132, fol. 3, 4, 5 v°, de la Bibliothèque nationale à Paris (Apocalypse de Saint-Amand), ms. 99, fol. 6, 7, 8, 9 de la Bibliothèque municipale de Valenciennes, Cod. 31, fol. 2 v°, 5 v°, 7 v°, 8 v°, 10 v°, 11 v°, 12 v° de la Bibliothèque de la ville de Trèves (Allemagne), dans les commentaires de Beatus de Liebana, manuscrit du trésor de la cathédrale de la Seo de Urgel (Espagne), fol. 53, ou ms. 644 de la Bibliothèque Pierpont Morgan à New York, dans la Bible de Roda, ms. lat. 6 (4), fol. 104-105, de la Bibliothèque nationale à Paris, ou encore dans le Scriptum super Apocalypsin d’Alexandre de Brême, ms. lat. 1 Q 10, fol. 7 v° et 9 de la Bibliothèque universitaire de Wrocaw (Pologne). En sculpture on rencontre les. sept églises d’Asie à la Lande-de-Fronsac (Gironde)18. Mais on trouve aussi le thème dans les peintures murales, à la collégiale Saint-Pierre-et­ Saint-Ours d’Aoste et surtout à la voûte du Pantéon de Los Reyes à San Isidoro de Leon, qui datent d’avant 1175 ou de 1181-1188, les noms des sept églises étant ici conservés19. Quant aux deux noms qui subsistent au Liget sous la forme accusative, ils ne doivent pas concerner une citation exacte de la Bible car la Vulgate ne les mentionne qu’au datif. Après Laodicée le texte se poursuit, peut-être par in Asia, ce qui renverrait à Apocalypse 1, 4 ou 11.

Arbre de Jessé (Cliché inventaire général)

La lecture des grandes scènes doit commencer par l’arbre de Jessé, scène située, lorsqu’on est dans le chœur, entre la petite porte sud et le départ de la nef : à gauche est la

17 Deschamps et Thibaut, op. cit., p. 47. 18 Corpus des inscriptions de la France médiévale. 5. Dordogne, Gironde, éd. R. Favreau, B. Leplant, J. Michaud, Poitiers, 1979, p. 110-111 : JOHANNES VII ECCLESIIS QUI SVNT IN [ASIA]. 19 Antonio Vinayo Gonzalez, L’ancien royaume de Léon Roman, la Pierre-qui-Vire, 1972, p. 89 (Zodiaque). Vierge, debout, avec l’Enfant Jésus en buste au-dessus de sa tête entre deux rameaux, à droite Jessé, assis, tient une fleur. Le nom de MARIA se lit verticalement à la droite de la tête de la Vierge (à gauche pour le spectateur), mais les lettres sont aujourd’hui nettement moins discernables qu’il y a quinze ans. JESSE est écrit horizontalement au-dessus de la tête de l’ancêtre du Christ, avec une ponctuation par trois points en un triangle à la base verticale. Les lettres se détachent encore bien, en rouge sur le fond blanc.

Abraham

A cette scène devaient correspondre deux des « prophètes » en buste de la frise. Aucune hésitation n’est possible pour le premier texte, même si la figure d’Isaïe a disparu, puisqu’on distingue encore le début du chapitre XI d’Isaïe, EGREDIETVR VI[RGA DE RADICE IESSE]. Ce texte accompagne fréquemment la représentation de l’arbre de Jessé, aussi bien dans les manuscrits enluminés, tels l’Évangéliaire de Vysehrad20, la Bible de Lambeth21 ou l’Hortus deliciarum d’Herrade de Landsberg22, que dans la peinture murale, tel le plafond peint de Saint-Michel d’Hildesheim, et se rencontre aussi dans la sculpture du chapiteau du cloître Saint-Ours d’Aoste, du bas-relief de Sainte-Foy de Conques, de la chaire de San Leonardo in Arcetri à Florence23, ou dans un ivoire provenant de Bamberg24. L’interprétation de la scène est tout aussi claire, la Vierge est la Verge, Jésus est la fleur. C’est le commentaire de saint Jérôme: Virga et florem de radice fesse, ipsum Dominum fudaei interpretantur... Nos autem virga de radice fesse sanctam Mariam Virginem intelligamus..., et florem Dominum Salvatorem25, qui est repris presque textuellement dans la glose marginale de droite du manuscrit glosé d’Isaïe, du XIIIe siècle, provenant du Liget, conservé à la Bibliothèque de la ville de Loches26. Ce verset XI, 1 d’Isaïe a été employé dans la liturgie, pendant l’Avent et à l’Annonciation27. Ce qui en était visible en 193828 comme ce que l’on distingue encore aujourd’hui, écarte le relevé de Savinien- Petit tel que le donnent P. Deschamps et M. Thibout29. A gauche de la figure disparue d’Isaïe celle d’Abraham regarde vers l’arbre de Jessé mais se trouve un peu décalée vers la gauche par rapport à la scène. A la droite de la tête (à gauche pour le spectateur) est inscrit en lettres blanches sur fond rouge, verticalement puis horizontalement pour la dernière lettre : ABRAAM30. Le patriarche tient un phylactère sur lequel on lit : IN SEMINE TVO BENE­ DIC[ENT]. En raison de la position du verbe la citation est faite plutôt d’après le discours de Pierre dans les Actes des Apôtres, III, 25 que d’après la Genèse XXVI, 4, selon une pratique très courante en épigraphie. On notera également à propos des deux textes d’Isaïe et d’Abraham que l’inscription accompagne, commente, et aussi suggère, car la place est ordinairement mesurée. Il faut donc toujours tenir compte de la citation complète, même

20 Prague, Bibliothèque nationale et universitaire, ms. XIV, A 13, fol. 4 v°. 21 Londres, Lambeth Palace Library, ms. 3, fol 198, E.G. Millar, English llluminated Manuscripts from the Xth to the XIIIth Century, Paris et Bruxelles, 1926, pl. 41. 22 Herrad of Hohenbourg, Hortus deliciarum. Reconstruction, sous la direction de Rosalie Green, Londres, 1979, 1, p. 126 (Studies of the Warburg Institute, vol. 36). 23 Fr. Gay, Les prophètes (Epigraphie), thèse 3e cycle, Université de Poitiers, 1980, I, p. 115. 24 Die Zeit der Staufer. Geschichte Kunst. Kultur, éd. R. Haussherr, Stuttgart, 1977, I, p. 490, ill. 435. 25 Commentariorum in Isaiam prophetam libri duodeviginti, P.L., XXIV, col. 144. 26 Ms. 21, non folioté. 27 Corpus antiphonarium officii, éd. R.-J. Hesbert, Rome, III,1968, p. 197, n° 2613, et IV, 1970, p. 164, n° 6641. 28 H. Focillon, Peintures romanes des églises de France, Paris, 1938, pl. 62. 29 Op. cit., p. 45 : EGREDIETVR DE RADICE IESSE Virga 30 Gelis-Didot et Laffillée, op. cit., pl. 6, donnent HABRAAM le H oncial a complètement disparu. lorsque le texte est, par nécessité, arrêté très vite : Egredieturvirga de radice fesse et fias de radice ejus ascendet dans le premier cas, dicens ad Abraham : Et in semine tua benedicentur omnes familiae tuae dans le second cas. Bien que la figure d’Abraham ne soit pas exactement au-dessus de l’Arbre de Jessé, son texte semble bien se rapporter à la scène. On le trouve employé dans l’illustration d’un Arbre de Jessé dans le psautier de Shaftesburg Abbey31. On peut penser que le texte d’Isaïe se rapporte à Jessé, tandis que celui d’Abraham concerne plus directement Marie. Les deux textes d’Abraham et d’Isaïe se retrouvent d’ailleurs dans le Mystère d’Adam32.

Nativité

En continuant la lecture du cycle de gauche à droite, on trouve, du côté nord, aussitôt après la nef, et peut-être à la suite d’une Annonciation et d’une Visitation détruites lors de l’établissement de la nef 33, une Nativité. Le relevé de Savinien-Petit nous apprend que sous la crèche était écrit [PRES]EPE[S] DOMINI, et que, à la droite de Joseph était peint, verticalement, IOSEP34. La scène illustre le récit de Luc, au chapitre Il, où le terme de praesepes, mangeoire, est employé trois fois, tandis que la Vierge couchée sur son lit aura son pendant sur l’autre côté avec la Dormition de la Vierge. De la frise au-dessus de la scène ne subsistent que quelques parties de lettres rouges sur fond blanc, celles-là mêmes qu’avait relevées Savinien- Petit en 1850, car les textes de la frise ont beaucoup mieux tenu que ceux des scènes, comme on le constate ici et dans les deux scènes suivantes. Ces fragments suffisent, heureusement, pour pouvoir reconstituer le texte bien connu d’Ezéchiel, XLIV, 2 : « PO[RTA] HEC CLA[VSA] ERIT », « Cette porte sera fermée, on ne l’ouvrira pas, on n’y passera pas, car Yahvé le Dieu d’Israël y est passé, aussi sera-t-elle fermée ». Ce texte prophétique a été utilisé dans l’épigraphie à diverses reprises : Vierge de dom Rupert au musée Curtius à Liège, mosaïque de Saint-Marc à Venise35 et est aussi employé par les enlumineurs36. Il est recommandé aux peintres byzantins dans le Guide de la peinture37. Tôt ce texte, qui concernait la porte orientale du Temple de Jérusalem, a été appliqué à Marie. Saint Ambroise déjà le dit expressément : Per portam orientalem beata et gloriosa Virgo Maria figuratur, quae clausa ante ingressum Principis, id est Christi, semper exstitit, et post egressum ejus clausa in aevum permansit38. Geoffroi de Vendôme reprend le thème de la Virginité-Maternité de Marie figuré par la porte qui demeure fermée, et ajoute que Marie est le « temple du Seigneur »39. Honorius dit d’Autun commente également l’image d’Ezéchiel appliquée à Marie, en laquelle il voit aussi « la porte du ciel »40, et Rupert

31 Londres, British Museum, Landsdowne ms. 383, fol. 15 v° ; Millar, op. cit., pl. 32. 32 Le mystère d’Adam (ordo representacionis Ade), éd. P. Aebischer, Genève, 1963, p. 81 (Abraham) et 88 (lsaïe). 33 Deschamps et Thibout, op. cit., p. 43. 34 V. Munteanu, op. cit., p. 238, fig. 80. 35 Fr. Gay, op. cit., I, p. 127-128. 36 Missel d’Hildesheim, du XIIe siècle, reproduit dans M.-L. Therel, « Le portail de la Vierge-Mère à Laon », Cahiers de civilisation médiévale, XV, 1972, pl. VI, fig. 7 ; évangéliaire de Vysehrad à Prague, fol. 4 v°. 37 Manuel d’iconographie chrétienne grecque et latin, avec une introduction et des notes par M. Didron, traduit du manuscrit byzantin Le guide de la peinture, par P. Durand, Paris, 1845, p. 147. 38 In apocalypsin expositione. De visione septima, P.L, XVII, col. 948. 39 Sermon pour la Nativité, P.L., CLVII, col. 248. 40 Speculum Ecclesiae, P.L., CLXXII, col. 905. de Deutz parle de cette figure de la Vierge dans trois de ses œuvres41. Le thème se trouve également dans l’hymnologie chez Ambroise ou Adam de Saint-Victor, et l’épigraphiste le retrouve sous une autre forme aussi fréquemment employée : VIDI PORTAM IN DOMO DOMINI CLAVSAM, que le liturgiste rencontre dans les offices de l’Annonciation et de l’Octave de la Nativité42.

Présentation au temple

La Présentation de l’Enfant Jésus au temple fait suite à la Nativité. Joseph se tient derrière Marie qui tend l’Enfant au vieillard Siméon. Si l’on se reporte au relevé de Savinien- Petit43, on note que la scène est une de celles qui a le plus souffert du temps, en particulier pour les figures de l’Enfant et de Joseph. On distingue encore quelques lettres, en blanc sur fond vert, et on peut encore noter que les noms des personnages ont été tracés verticalement à gauche pour Joseph (IO), Marie (MARIA), Jésus (IHS), à droite pour Simon (SYMEON). La frise au- dessus de la scène a complètement disparu, mais au-dessus de la Dormition de la Vierge qui fait pendant à la Présentation du côté sud, se trouve un texte de l’évangéliste Luc relatif à la Présentation : ECCE POSITVS EST HIC RVINAM ET (Luc, II, 34), tenu par un prophète nimbé, identifié par un nom en lettres blanches sur fond vert à droite (pour le spectateur) de sa tête: ANN., sur deux lignes. P. Deschamps et M. Thibaut pensent que le texte a été interverti et devrait se trouver au-dessus de la Présentation, tout en s’interrogeant sur l’identité du prophète, Ananie, le compagnon du prophète Daniel, Hanani, père de Jehu, ou Hanania, cité avec le prophète Osée44 ? Cette intervention d’un texte ici tout à fait probable n’est pas rare en épigraphie, pour peu que l’exécutant recopie sans le comprendre un modèle donné. Mais on peut penser que l’erreur a porté aussi sur le nom; même si le prophète représenté est un homme, il s’agit sans doute simplement d’Anna, que Luc qualifie de prophetissa (II, 36), qualité que souligneront Origène, saint Cyprien, saint Augustin45. Dans l’iconographie byzantine de la Présentation Anna se tient derrière Siméon et porte un rouleau avec un texte46. En Occident elle est représentée souvent avec un livre fermé47. Ici Anna aurait porté le texte que Luc met dans la bouche de Siméon, et on peut voir le signe d’une maladresse dans l’exécution dans le fait que le peintre a terminé par un et tracé en abréviation telle qu’on le pratique dans l’écriture

41 Commentaire d’Ézéchiel, P.L., CLXV1I, 1493 ; commentaire du Cantique des cantiques, P.L., CLXVIII, col. 910 ; De divinis officiis, P.L., CLXX, 70. 42 Corpus antiphonarium officii, éd. R.-J. Hesbert, III, Rome, 1968, p. 406, n° 4315 et IV, Rome, 1970, p. 348, n° 7394 (Rerum ecclesiarum documenta. Series Major. Fontes IX et X). 43 V. Munteanu, op. cit., p. 239, fig. 81. 44 Op. cit., p. 45. 45 Acta sanctorum, septembre, I, p. 58. 46 Henry Maguire, « The Iconography of Symeon with the Christ Child in Byzantine Art », Dumbarton Oaks Papers, nos 34-35, 1980-1981, p. 261-269, 14 ill. 47 Bibliothèque nationale, ms. 833, fol. 179 (missel, fin XIIe siècle) ; Gniezno, Bibliothèque du chapitre de la cathédrale, ms 1a, fol. 28 v° (évangéliaire, fin XIe siècle) ; Prague, Évangéliaire de Vysehrad (cf. note 7), fol. 19 v° ; la Charité-sur-Loire, tympan de l’église Sainte-Croix, actuellement dans le transept sud. en minuscule. Ce reste de minuscule dans un texte en majuscules traduit souvent la transcription, par l’épigraphiste, d’un texte dont le modèle lui a été donné en minuscules.

Déposition de Croix (cliché Inventaire général)

Les deux scènes qui suivent la Présentation introduisent une rupture dans un cycle marial qui se poursuivait normalement et que terminera la dernière scène, consacrée à la Dormition de la Vierge. Certes Marie est présente dans la Déposition de Croix mais elle ne l’est pas dans la venue des saintes femmes au Tombeau. Il faut plutôt parler d’une interruption du cycle marial pour laisser place à la Passion et à la Résurrection, scènes situées à la place d’honneur, dans l’axe de la chapelle à l’est, et sans doute convient-il de rappeler que la forme de rotonde donnée au chœur de la chapelle se réfère très probablement à la rotonde du Saint- Sépulcre, à Jérusalem. La frise n’existe plus au-dessus de la Déposition et les seules inscriptions sont celles qui identifient les personnages. Elles sont tellement dégradées qu’il faut se reporter au relevé de Savinien­ Petit48. A gauche de la tête de Marie, sur deux lignes, on avait SCA/MARIA ; on ne distingue plus guère que le C. A gauche de la tête de Joseph d’Arimathie on discerne encore aujourd’hui les deux lettres que donnait Savinien-Petit, JO.

Saintes femmes au tombeau

Au-dessus et à droite de la tête de Nicodème, sur deux lignes, est écrit NICODE/MVS, tandis qu’à droite de la tête, mais cette fois verticalement, l’évangéliste Jean, portant un livre fermé, est identifié par S. JOH[ANNES], avec abréviation dans le H, type d’abréviation rare pour ce nom49. C’est effectivement l’évangile de Jean qui, seul, mentionne Nicodème avec Joseph d’Arimathie dans la Déposition de croix50. Nicodème et Joseph sont représentés nimbés. Le touchant geste de Marie appuyant le bras droit de Jésus contre son visage se retrouve dans les peintures de la tribune de Saint-Savin51 et à Saint-Denis d’Anjou. L’évangile apocryphe de

48 Publié par E. Male, L’art religieux du XIIe siècle en France. Étude sur les origines de l’iconographie du Moyen Age, Paris, 3e éd., 1928, p. 103 et V. Munteanu, op. cit., p. 241, fig. 83. 49 Johannes est régulièrement abrégé JOHS. L’abréviation en IOH se retrouve dans une enluminure d’un évangéliaire de Cologne, vers 1140 (Ornamenla ecclesiae Kunst und Künstle der Romanik in Köln, Cologne, 2, 1985, p. 276 (E 62). 50 Jean XIX, 38-40. Les évangiles synoptiques ne citent que Joseph. 51 Nicodème a aussi son nom inscrit à la tribune de l’abbatiale de Saint-Savin, il est inscrit dans les calendriers liturgiques du Liget au 15 septembre (Bibl. Loches, ms. 3, fol. 4 v°). Nicodème la donne comme présente à l’ensevelissement de Jésus, et déjà un manuscrit du Xe siècle représente Marie et Jean dans une scène de Déposition52. Dans la frise au-dessus des saintes femmes au Tombeau, sont représentés deux prophètes. Le premier n’est pas identifié, mais il porte une couronne et tient, sur son phylactère, un texte du psaume CXXVIII, 22 : LAPIDEM QUEM REPROBA VERUNT. Il doit donc s’agir du roi David On peut penser que ce texte a été ici choisi en raison du commentaire qu’en fait saint Bruno dans son Expositio in Psalmos53 : Quod est dicere : per reprobationem Christi, firmissimi lapidis, me salvasti, sine quo fundamento nemo potest se Deo templum per virtutes et opera bona œdificare... Cette référence à la pierre qui est rejetée, s’applique parfaitement au tombeau du matin de Pâques, avec sa pierre roulée que découvrent les trois saintes femmes, MARIA MAGDALENA, [MA­ RIA] IA[COBI] et [MARIA] SA[LOMÉ]. Le fresquiste a ici suivi l’évangile de Marc (XVI, 1) qui est le seul à donner ces trois noms qu’on lit de plus en plus difficilement. Au-dessus du tombeau on distingue encore bien le SEPVLCRVM DOMINI que l’on trouve aussi dans les peintures de la tribune à Saint-Savin­ sur-Gartempe. Les textes sont écrits en lettres blanches sur fond vert pour Madeleine, sur fond rouge pour les autres inscriptions. Le verset 22 complet du psaume CXXVIII se lit : Lapidem quem reprobaverunt œdificantes, hic factus est in caput anguli. La référence à la pierre d’angle explique que ce verset soit utilisé dans la liturgie de la bénédiction de la première pierre lors de la construction d’une église54. D’autres versets de ce psaume ont été utilisés par l’épigraphiste, à la cathédrale de Fidenza (verset 20), à Saint-Michel d’Hildesheim (verset 26), mais celui-ci ne semble pas l’avoir été en dehors du Liget.

David

Osée

A droite de David et au-dessus de la même scène, un autre prophète, dont le nom était donné verticalement à la droite du buste (pour le spectateur), OSEE, porte un texte : POSVIT ME QVASSI SI[gnum ad sagittam] qui est tiré des Lamentations de Jérémie (III, 12). Ce texte ne semble pas concerner la scène des saintes femmes au Tombeau et sa place résulte peut-être d’une erreur, comme dans le texte d’Anna qui suit et doit se rapporter à la Présentation au Temple. Il pourrait commenter la Déposition de Croix, scène voisine de la Présentation, le

52 E. Male, op. cit. , p. 102-103. Cite Nicodème dans une Déposition sur une fresque de Topalé (Cappadoce) du Xe siècle. Le geste de Marie appuyant le bras de son Fils contre sa joue se trouve aussi dans le psautier de Mélisande (Londres, British Museum, ms. Egerton 1139). 53 P.L, CLII col. 1253-1255. 54 Corpus antiphonalium officii, éd. Hesbert, III, p. 313, n° 3577 ; Michel Andrieu, Le pontifical romain au Moyen Âge, t. III. Le ponti fical de Guillaume Du,and, Cité du Vatican, 1940, p. 452 (Studi e Testi, 88). peintre ayant alors fait erreur pour deux « prophètes » qui se suivaient dans le programme qui lui avait été confié. Ce verset a été commenté notamment par Raban Maur55. Paschase Radbert56, Guibert de Nogent57, Rupert de Deutz58, sans que l’on puisse trouver dans ces commentaires une application satisfaisante à l’illustration de l’iconographie du Liget. On ne voit pas non plus, bien que ce ne soit pas un exemple unique, pourquoi Osée porte un texte des Lamentations. Une erreur est là aussi probable, comme pour le nom du prophète voisin. Les Lamentations de Jérémie sont lues les jeudi, vendredi et samedi saints, mais non le verset même ici inscrit. Peut-être a-t-on utilisé ce texte comme référence au Christ souffrant, en faisant l’amalgame avec un passage de Job qui est souvent rapproché du verset des Lamentations : « Il a fait de moi sa cible, il me cerne de ses traits » (XVI, 12-13).

Dormition Du fait de ces erreurs il n’y a pas, apparemment, de texte prophétique qui se rapporte à la dernière grande scène, la Dormition de la Vierge. Marie est couchée sur un lit, avec cinq apôtres à gauche du côté de ses pieds, six à droite du côté de sa tête. Au milieu de la scène le Christ tend l’âme de Marie, sous forme d’une fillette nue nimbée, à deux anges. C’est le schéma byzantin de la Dormition. Le thème apparaît dans le livre des Péricopes d’Henri II59 et se retrouve dans un lectionnaire de Cluny, à la fête de l’Assomption60, la Bible de Ripoll61, le psautier de Mélisande62, un manuscrit grec de la Bibliothèque Ambrosienne63 comme dans une mosaïque de l’église de Daphni, près d’Athènes, aux portails de Senlis, Laon, Mantes, Chartres, Paris, Amiens, dans un vitrail de Chartres64, dans les peintures murales de Saint-Céneri-le-Gérei (Orne) ou de Sainte- Marie-aux-Anglais (Calvados). La représentation est particulièrement fréquente à la fin du XIIe et au début du XIIIe siècle et les calendriers du Liget retiennent naturellement l’Assomption parmi les fêtes célébrées avec octave. Le Christ est désigné par l’abréviation, IHS, de IHESVS, en lettres rouges sur fond blanc, les apôtres sont nommés, en lettres blanches sur fond vert, par les deux ou trois premières lettres de leur nom, procédé déjà employé pour Joseph d’Arimathie et Jean dans la Déposition et pour deux des saintes femmes. De gauche à droite on a : JA[COBUS], AN[DREAS), PHI[LIPPUS], TO[MAS], JO[HANNES] et après le Christ PE[TRUS], JA[COBUS], BAR[THOLOMEUS], MA[TTHEUS], SY[MON], JU[DA], Jean, qui est penché aux pieds du lit tient un livre ouvert sur lequel un texte est écrit, qui commence, semble-t-il, par BEATUS sans qu’on puisse faire pour la suite de proposition satisfaisante, Beatus venter qui (te portavit) (Luc, XI, 27), comme dans l’autel portatif de la cathédrale de Namur, du XIe siècle65 ? ou plutôt d’après les lettres qui subsistent, un Beatus vir qui d’un psaume ou de l’Ecclésiastique? S’il s’agit d’une citation biblique, elle ne doit pas être tirée des écrits de Jean.

55 Expositionis super Jeremiam prophetam libri viginti, P.L, CXI, col. 1219-1220. 56 In threnos sive lamentationes feremiae libri quinque, P.L, CXX, col. 1154. 57 Tropologiae in prophetas Osee et Amos ac lamentationes Jeremiae, P.L, CLVI, c.469. 58 In Jeremian prophetam commentariorum liber unus, P.L., CLXVII, col. 1403. 59 Munich, Staatsbibliothek, Clm. 4452, fol. 161 v°. 60 Paris, Bibliothèque nationale, nouv. acq. lat. 2246, fol. 122 v°. 61 Bibl. Vaticane, lat. 5729, fol. 370. 62 Londres, British Museum, ms. Egerton 1139. 63 Milan, Bibliothèque Ambrosienne, ms. D. 67 suppl. 64 Deschamps et Thibout, op. cit., p. 44. 65 Rhin-Meuse. Art et civilisation 800-1400, Bruxelles-Cologne, 1972, p. 223.

Saint Eustache ?

Les peintures de la chapelle du Liget comportent également un ensemble hagiographique, des saints étant représentés, en pied, deux par deux, dans les embrasures intérieures de chacune des sept fenêtres de la rotonde. Ils s’ordonnent de façon évidente autour de la fenêtre orientale, en face de la nef, où sont représentés à droite saint Pierre, reconnaissable à sa clé, à gauche sans doute l’apôtre Paul. Les deux fenêtres qui suivent sont réservées aux saints évêques, au sud saint Nicolas et saint Hilaire, au nord saint Denis et saint Brice. Des deux fenêtres suivantes seule celle du sud a gardé des textes permettant l’identification des saints abbés Benoît et Gilles. Les deux dernières fenêtres sont réservées aux martyrs, au sud les diacres Laurent et Étienne, au nord saint Maurice, le second saint dans l’embrasure de gauche n’étant pas identifié (finale en -ACIVS)66, peut-être EUSTACIUS, puisque la chartreuse avait des reliques de saint Eustache martyr.

Cet ensemble de saints, disposé selon un ordre hiérarchique évident, martyrs, abbés, évêques, apôtres est, en effet, certainement en rapport avec les reliques conservées par les chartreux. L’autel de pierre de la chapelle du Liget, remplacé en 1697 par un autel de bois, comprenait en effet un « pot » dans lequel se trouvaient des reliques, et la nomenclature des reliques du Liget était transcrite en un manuscrit de la chartreuse, du XIIIe siècle, le ms. 1358 de la bibliothèque de Tours. Malheureusement le manuscrit a été détruit dans le bombardement de la ville en 1940, mais on peut se reporter à la traduction qu’a donnée de cette liste l’abbé Bossebœuf en 1883 et qu’a reprise Philippon en 193367. La chartreuse avait des reliques du sépulcre du Seigneur et du tombeau de Marie, des saints apôtres Pierre et Paul, de l’huile de saint Nicolas, confesseur, du martyr Denis et de ses compagnons, de saint Eustache martyr, etc. La présence de saint Hilaire s’explique facilement par le voisinage du diocèse de Poitiers, et celle de saint Brice, évêque de Tours, par la situation de la chartreuse dans ce diocèse68. Une peinture murale de saint Brice, de la seconde moitié du XIe siècle, existe toujours dans la crypte de la collégiale de Notre-Dame (aujourd’hui Saint-Ours) de Loches. Tous les saints représentés à la chapelle du Liget figurent dans les calendriers liturgiques de la chartreuse, qui comportent une fête particulière pour les reliques le 8 novembre69, et même, au 15 novembre, une fête des reliques in domo inferiori70.

66 Ch. Lair, « Excursion à la Chartreuse du Liget », Congrès archéologique de France, XXXVIe session, Loches, 1869, Paris, 1870, p. 330, avait lu ... NCIVS et proposé le nom de Vincencivs. Saint Vincent figure au calendrier de la Chartreuse mais on lit encore aujourd’hui… ACIVS. 67 Bossebœuf dans la Semaine religieuse de Tours du 9 juin 1883, Philippon dans l’article cité, p. 248. 68 Dans les calendriers de la chartreuse saint Brice est régulièrement cité aux ides de novembre (13 novembre) sous la forme BRICIVS ou parfois BRICVS. On lit encore … ICIVS et on aperçoit le bas du R. 69 Bibl. munic. Loches, ms. 6, 8, 12. 70 Ibid., ms. 3.

Saint-Gilles

Les inscriptions de la chapelle du Liget accompagnent, commentent, éclairent le programme iconographique réalisé dans la rotonde. Il convient d’éviter l’appellation de chapelle Saint-Jean qui doit s’appliquer à l’église basse de la Courerie, et rien dans le cycle ne rappelle Jean-Baptiste. La confirmation d’Henri II en 1188-1189 donne à la chartreuse le double patronage de Sainte-Marie et de Saint-Jean, et c’est bien plutôt le patronage marial qui a inspiré le peintre de la chapelle du Liget, avec un cycle marial très complet s’il y a bien eu aussi, à l’origine, une Annonciation et une Visitation. Les deux scènes centrales rappellent le cœur de la vie chrétienne, Passion et Résurrection, venant ici conforter l’architecture imitée de la rotonde du Saint-Sépulcre de Jérusalem. Les personnages de l’Ancien Testament annoncent les scènes du Nouveau Testament selon une formule typologique très en vogue au XIIe siècle et qu’évoquait déjà saint Augustin dans la Cité de Dieu71. A la voûte l’Apocalypse ouvre la perspective vers la fin des temps, vers laquelle guident les saints vénérés à la chartreuse. Nombre de ces textes se retrouvent dans la liturgie.

Saint-Hilaire

La datation de ces peintures a conduit à des propositions assez divergentes. Le comte de Galembert, en 1862, les situait « à la fin du XIe siècle ou dans les premières années du XIIe siècle, mais bien certainement avant l’année 1150 »72. Leur dernière historienne, Voichita Munteanu, dans sa thèse présentée à l’Université de Columbia en 1976, concluait que « la date la plus probable pour le cycle est la troisième ou quatrième décennie du XIIe siècle, une date qui correspond assez bien aux formes architecturales. Aucune autre conclusion ne semble justifiable »73. Dans son étude de 1949 Marc Thibout estimait qu’il ne fallait pas reculer ces peintures au-delà de la fin du xne siècle74 et dans l’ouvrage qu’il a consacré à la peinture murale

71 Omnia resonant novitatem, et in testamento vetere obumbratur novum. Quid est enim quod dicitur testamentum vetus nisi novi occultatio ? Et quid est aliud quod dicitur novum nisi veteris revelatio (XVI, 26). 72 « Mémoire sur l’histoire et les progrès de la peinture murale et de la sculpture en Touraine depuis le Xe siècle jusqu’aux premières années du XIIIe siècle (1220) », dans Congrès archéologique de France. XXIXe session. 1862, Paris, 1863, p. 167. 73 V. Munteanu, op. cit., p. 163. 74 Article cité, p. 193-194. en France au début de l’époque gothique avec Paul Deschamps, la datation était située entre 1199 et 120375. La précision de cette dernière datation doit être rejetée dans la mesure où elle s’applique à l’église basse de la Courerie et non à la chapelle du Liget. Mais si on retient que la chartreuse a été fondée par Henri II en expiation du meurtre de Thomas Becket, et si on situe après 1176 l’abandon du lieu du Liget par l’abbaye de Villeloin on doit reporter la chapelle du Liget au dernier quart du XIIe siècle au plus tôt. L’étude de la forme des lettres des inscriptions conduit à souligner la qualité et la régularité des lettres, mais à retenir aussi le petit nombre d’onciales - un H et un M en dehors des nombreux E, la discrétion de la ponctuation, la présence d’une proportion importante de C carrés. Ces observations conduisent effectivement à situer la datation le moins loin possible dans la seconde moitié du XIIe siècle, pour autant du moins que l’on soit en droit de comparer de façon étroite l’écriture des textes peints de ceux des textes gravés. Il faudrait donc, du point de vue de l’épigraphiste, situer ces textes aux débuts mêmes de la fondation de la chartreuse, c’est-à-dire plutôt fin de la décennie 70 et début de la décennie 80 que début du XIIIe siècle. Une nouvelle campagne photographique, menée par le Centre d’études supérieures de civilisation médiévale, en liaison avec les services de l’inventaire général, devrait permettre d’affiner encore cette étude, les ensembles complexes et d’une conservation relativement médiocre comme celui du Liget exigeant un travail de recherche à maintes reprises remis en chantier. Cet ensemble des peintures de la chapelle du Liget montre, en tout cas, combien, dans la conception de l’œuvre, iconographie et épigraphie sont indissolublement liées.

75 Op. cit., p. 41.