LA CHARTREUSE DU LIGET

CHAPELLE SA^SÏVTEAN DU LJ G ET (XIIC SIÈCLE) ALBERT PHILIPPON

'�z,i�

LA 1 CHARTREUSE

DU LIGET

TOURS IMPRIMERIE MAME

LA CHARTREUSE DU LIGET Le 31 mars 1935. CHEMIIXE -SUR-INDROIS (Indre-et-Loire).

Monsieur ALBERT PHILIPPON

MONSIEUR, Vous ne pouviez me faire plus grand plaisir que de rassembler, en les vérifiant, tous les documents relatifs à la Chartreuse du Liget. Vous l'avez fait avec une patience de bénédictin et un souci d'exactitude auxquels les plus difficiles rendent un hommage mérité. Vous ne vous êtes pas laissé rebuter par les longues recherches dans les poussié- reuses archives, dispersées par le malheur des temps, ni par l'apparente insignifiance des pièces que vous avez pieusement collationnées. Vous saviez que ce sont là les pierres solides, quoique isolées, qui serviront de base à la vraie histoire, celle qui tente la résurrection du passé par les faits, et non par, l'imagination et la fantaisie. Combien, sont suggestifs ceux que votre érudition nous a remis sous les yeux ! Les témoignages d'intérêt, les contrats, les donations que vous citez, font toucher du doigt, depuis le plus lointain passé, l'importance du foyer spirituel que représentait la Chartreuse du Liget. L'étendue de ses domaines et sa lointaine zone d'influence font deviner, quand on sait ce que les Chartreux font de leurs ressources, tous les bienfaits qui eurent leur source au Liget. C'est évidemment ce qui leur valut la protection constante de nos rois et des grands person- nages qui les appréciaient. Nous aimerions à connaître dans le détail les œuvres charitables, religieuses ou d'enseignement populaire qui bénéficiaient de leurs générosités. C'est un chapitre d'histoire de l'Ancienne qui, je l'espère, tentera peut-être quelque plume érudite et qui nous donnera la vivante physionomie de ce coin du Lochois. Vous avez magistralement montré pour ainsi dire « Le corps du Liget », nous aimerions à en connaître toute « l'âme » dans les créations bienfaisantes et la vie solitaire, mais combien active et pieuse de ses religieux. Je ne doute pas qu'après avoir appris dans votre travail à mieux connaître la Chartreuse du Liget, on nous la ferait ainsi mieux aimer. Les Archives de la , qui se sont ouvertes déjà si généreusement pour nous, en nous appor- tant des documents dont vous avez su comme moi apprécier tout le prix, pourraient sans doute se rouvrir encore pour nous donner sur cette âme du Liget d'autres renseignements précieux. Laissez-moi donc, en vous disant mes remerciements et mes félicitations, exprimer mon espoir de lire un jour la suite naturelle à votre beau travail. Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de mes très distingués sentiments. H. DE MARSAY. PRÉFACE

1 En toute saison, de à Montrésor, la route N. i60 est en quelques lieues l'un des parcours les plus pittoresques et les plus variés de la . Elle n'a pas plus tôt traversé Beaulieu, qu'en haut de Guigné, s'étale en arrière un vaste horizon, modelé à miracle de vues proches et d'arrière-plans, qui s'harmonisent de la meilleure grâce dans la lumière la plus mobile qui soit. Au bord du tableau se dressent les clochers de Beaulieu ; la tour hardie de l'Abbatiale s'élève jusqu'à ce que sa silhouette gagne en hauteur l'élégance qu'elle perd dans la masse ; la tour Chevalon, en ruines depuis le xve siècle, garde, sous ses déchéances, l'allure martiale d'une vigilante sentinelle. Puis, la vue rebondit au-dessus de la prée royale, pour aller s'accrocher aux remparts de Loches, brodés de lierres, de valé- rianes et de giroflées. Une écharpe moelleuse d'arbres dérobe, au pied des murs, l'envers du faubourg de Quintefol. Tout ceci n'est qu'un cadre, le tableau c'est le vieux Loches jaillissant des glacis, un ensemble unique et sans retouche d'édifices royaux et bourgeois, qui dessinent en relier clair les silhouettes des vues cavalières des géographies d'antan. Des pignons aigus sans nombre autour des clochers, des beffrois, des , du château, du donjon montent, chacun selon son élan, dans le beau champ d'azur, sur lequel les lys de France se sont jadis épanouis avec fierté. Qu'il soit frisé par les somptueux reflets du soleil couchant d'automne, ou qu'il soit tamisé dans la brume opaline et cares- sante du printemps, ce tableau est inoubliable. En poursuivant la route, une autre page des jolies aquarelles de Touraine s'est tournée. Au fond à gauche, la forêt; à droite, le terrain qui descend vers le val n'est que ressauts onduleux, un moutonnement régulier de plis et de crêtes, portant une parure variée de vignes, de moissons, de vergers, entre lesquels se sont assises des fermes cossues et soignées. Le plateau qui part des Domaines est tôt fermé par la forêt de Loches, mais à travers les jachères, les chaumes, les « avenris » se lèvent, isolés ou en bouquets, des arbres échappés de la sylve, des bouillards, des ormeaux, des chênes ou de bons noyers accroupis et trapus, des vieux poiriers couverts de fleurs chaque printemps et, chaque automne, chargés de fruits juteux, réservés aux « boittes » en attendant la vinée. On entre alors dans la forêt, par le travers d'un taillis, jusqu'à la Pyramide des Chartreux, un des quatre repères, laissés par le XVIIIe siècle, aux grands carrois de l'allée longeante, qui fend la forêt de Chambourg à Sennevières. Bientôt le sol se plisse sous la fûtaie de chênes et de quelques hêtres; c'est la plus belle partie des bois, ornement et richesse de la paix (Cicéron). Après une ondée, la route devient rose, du mélange fait par le silex roux avec sous-sol crayeux. A la sortie nord-est de la forêt, la route tourne et fléchit sur un vallon imprévu, qui s'ouvre largement au midi, à l'appui d'une haute pinneraie. Repoussée par l'épaisse verdure des pentes qui des- sinent cette combe, la lumière y pénètre à flots, l'enveloppe d'une transparence vive et rayonnante. De hauts murs blancs, où s'accrochent les toits effilés de guettes angulaires, tranchent sur le fond des bois; une porte monumentale laisse l'œil découvrir, comme un décor de conte, un château assis au milieu de jardins et de bâtiments symé- triques, les Chartreux, l'ancienne Chartreuse du Liget, qui n'a perdu qu'une partie de son église et de ses cloîtres, entourée de soins pieux et éclairés, rappelant le goût, l'ordre et l'esprit d'autrefois. A l'avers et au revers du tympan du portique, deux bas-reliefs représentent saint Bruno, au pied de son Crucifix et saint Jean- Baptiste, au désert. L'entrée du monastère est cantonnée à droite et à gauche d'une série de bâtiments symétriques, aux fenêtres franches, laissés par la grande restauration du XVIIIe siècle. L'allée plonge dans le fond du vallon entre des jardins, des muriers et des servitudes anciennes, d'une ordonnance exquise. Le jardin est traversé d'un vivier étiré dans le sens du val. Au levant, les ruines de l'église conventuelle présentent les caractères que plusieurs siècles ont fixés dans les aménagements, restaurations et appoints successifs. L'entrée romane ensevelie à demi voisine avec un formeret ogival, supportant la voûte du chœur des frères lais. L'ensemble de l'édifice (27x8), découvert et amputé de son chevet, révèle l'art du xne siècle, fréquemment remanié. On y trouve encore dans les murs massifs, des poteries acoustiques, comme à l'église du Croulay (Panzoult), qui avaient pour but d'accroître ou de régulariser la sonorité de la nef. Tout contre, au couchant, au pied de la falaise sur laquelle se brise la pente du coteau, se trouve un corps de logis ancien, aujourd'hui entre deux pavillons modernes, judicieusement har- monisés de style et de proportions. C'est tout ce qui reste d'un puissant massif de constructions, qu'un plan levé par l'architecte Jacquemin, en 1787, a du moins minutieusement repérés : petit cloître, réfectoire, hôtellerie, etc... Plus au levant, le temps et les hommes ont épargné un côté complet du cloître, que les derniers chartreux avaient fait construire en 1787, par Jacquemin. C'est un rectangle mesurant 114 m.x39 m.; sur les galeries, couvertes de voûtes d'arêtes en briques, s'ouvraient les guichets des 19 cellules accrochées extérieurement au cloître, avec leur oratoire, leur atelier entourés du jardin de règle. Une fontaine monumentale décorait, non le centre du jardin claustral, mais le centre de la partie antérieure, car le cloître se trouvait partagé aux trois cinquièmes par deux cellules supplémentaires. Elles n'avaient de confortable que leur construction de pierres blanches. Au nord du cloître, dans l'axe du val, à cinq mètres environ de profondeur, se trouve une très curieuse canalisation d'égout, voûtée en berceau, recueillant le trop-plein du vivier, des eaux de ruissellement dévalant les pentes et les eaux usagées des religieux. La pente naturelle entraînait le tout vers l'étang de la Corroirie, inexplicable déformation de Courerie. Cellules, fontaines, galeries du cloître, trois sur quatre, ont disparu. La tradition rapporte que les ouvriers qui l'avaient à peine terminé en 1790, n'eurent pas à quitter le chantier pour se mettre à le démolir. C'est très possible, encore que les passions politiques eurent bien de la peine à s'échauffer au fond des bois qu'habitaient les Chartreux depuis 1153. Les Chartreux du Liget avaient pour tradition que leur couvent devait sa fondation au repentir d'Henri II, roi d'Angleterre, pour le meurtre de S. Tho- mas Becket, archevêque de Cantorbéry, victime d'un excès de zèle de quatre policiers royaux, désavoués aussitôt (1170). Les Chartreux habitaient déjà depuis dix-sept ans la solitude sylvestre du Liget; il n'est pas impossible que la confirmation de posses- sion de 1178, c'est-à-dire huit ans après l'assassinat de S. Tho- mas, eût été inspirée d'un remords sincère et d'un désir de répa- ration. Une inscription lapidaire le rappelait au-dessus de l'entrée principale :

ANGLORUM HENRICUS REX THOM/K COEDE CRUENTUS LIGETrCOS FUNDAT CARTUSI^E MONACHOS Une cession des bois du Liget, appartenant au domaine des bénédictins de l'Abbaye de Saint-Sauveur de Villeloin, avait été faite très solennellement en présence de Geoffroy, abbé de Saint-Julien de Tours; Étienne, sénéchal; Guillaume Clouet, Archambauld de Vendôme; Maurice, abbé de Beaulieu ; Henri, prévôt de Loches et un grand nombre de moines et de laïcs. Les religieux à l'origine étaient douze; plus tard, il furent vingt-cinq et au moment de la Révolution étaient encore onze au couvent. Nous ne croyons pas que l'originalité de ce paysage cartusien puisse être dépassée et même atteinte par aucun autre site en Touraine, sauf celui de Turpenay. La grâce des contours, la transparente clarté de la lumière, la variété des arbres n'excluent pas tout entière l'austérité d'un ensemble dont le pittoresque n'en a pas moins de charme.

II Le domaine monastique des Chartreux constituait le capital collectif, dont les revenus assuraient la vie commune. Il se com- posait de plusieurs étangs, fermes ou métairies, prés et bois. Le capital en numéraire n'existait pas et la plupart des rede- vances étaient acquittées en nature ; toute location prenait alors un caractère de métayage. Il arrivait que des cessions totales de fonds aliénaient certaines parties du domaine conventuel, moyen- nant une rente perpétuelle dont la charge, qui n'avait point suivi les oscillations des valeurs monétaires, était minime, mais séparée depuis longtemps du souvenir de ses origines, n'en paraissait pas moins gênante aux usagers d'un terrain, qu'ils s'efforcèrent, jusqu'au succès, d'affranchir sans compensation. Parmi les dépendances claustrales restées à l'usage des reli- gieux, il faut rappeler la très curieuse chapelle de Saint-Jean du Liget et la Couroirie. A quelques centaines de mètres en amont de la Chartreuse, à la source du ruisselet qui court au fond du vallon, traverse le jardin conventuel et se perd dans l'étang, une chapelle en rotonde, dédiée à saint-Jean, retient l'attention, surprise de rencontrer dans cette austère solitude un monument aussi parfait et aussi richement décoré d'une fresque, qui en couvre le pourtour inté- rieur des murs. La chapelle en pierres blanches du pays, est au milieu d'une clairière, en vue bien dégagée, par le levant. Cet édifice roman appartient nettement au XIIe siècle ; il a 7 mètres de diamètre et 6 mètres sous une voûte en coupole. 44 739-1935 — TOURS, IMPR. mame

Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

Cette édition numérique a été réalisée à partir d’un support physique parfois ancien conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal. Elle peut donc reproduire, au-delà du texte lui-même, des éléments propres à l’exemplaire qui a servi à la numérisation.

Cette édition numérique a été fabriquée par la société FeniXX au format PDF.

La couverture reproduit celle du livre original conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

*

La société FeniXX diffuse cette édition numérique en vertu d’une licence confiée par la Sofia ‒ Société Française des Intérêts des Auteurs de l’Écrit ‒ dans le cadre de la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012.