LE ROI DAGOBERT Histoire D’Une Famille Et D’Une Chanson
Total Page:16
File Type:pdf, Size:1020Kb
Roger-René DAGOBERT LE ROI DAGOBERT Histoire d’une famille et d’une chanson Publication du Cercle Général Dagobert 1 AVANT-PROPOS Qui n'a pas, plusieurs fois dans sa vie, fredonné les couplets de la chanson du roi Dagobert ? Qui n'a pas souri aux questions saugrenues du ministre Saint-Eloi et aux réponses encore plus étranges du souverain ? Sans doute, un tel jeu d'esprit, apparemment enfantin, a t'il eu pour origine un fait historique, une anecdote, transmis par une tradition, mais se rattachaient-ils forcément à la personne de ce roi ? Rien n'est moins sûr puisque les Grandes Chroniques de Saint-Denis, par exemple, ce recueil des anciens faits relatifs à l'histoire des rois francs ne relatent nullement semblable anecdote à propos de Dagobert Premier, pas plus d'ailleurs que les chroniques de pseudo Frédégaire son contemporain supposé. C'est naturellement le premier couplet qui donne le ton, l'envers rimant facilement avec Dagobert. Mais pourquoi à propos d'une culotte, vêtement qui n'existait pas en ces temps mérovingiens ? Des historiens dont le duc de Castres, ont cru voir un rapport entre ces vers et la cause du décès du souverain qui, selon les mêmes chroniques, "mourut d'un flux de ventre", sans doute une dysenterie. Il est pourtant difficile d'imaginer une telle situation burlesque, comique ou ridicule provoquée par une maladie des plus anciennes, des plus meurtrières pour l'homme de cette époque. Le malade est pâle, amaigri, ses traits sont tirés, ses yeux excavés, son visage exprime l'angoisse et la souffrance. Etendue, il se trouve le plus fréquemment courbé en deux, en "chien de fusil", seule position lui permettant l'atténuation des horribles douleurs qu'il endure jusqu'à la mort survenant après plusieurs jours, voire plusieurs semaines d'agonie … Les mêmes chroniques nous rapportent par contre que le roi Dagobert eut, au cours de sa brève existence beaucoup de bonté pour ses serviteurs et ceux qui l'entouraient, qu'il fut aimé et respecté jusqu'à sa mort : Pour sa mort, fut le palais soudainement rempli de plours et de cris et tout le royaume de doulour et de lamentations. La tradition populaire avait donc gardé longtemps et pieusement le souvenir de la bonté du roi et deux expressions proverbiales la consacrèrent : Quand le roi Dagobert avoit dîné, il laissoit dîner ses chiens. Le roi Dagobert en mourant disoit à ses chiens, il n'est si bonne compagnie qui ne se sépare. La mort de ce souverain inspira donc compassion et regrets à ses contemporains, qui les transmirent par la tradition plus que par l'historiographie officielle, principalement celle des moines de Saint-Denis. En aucun cas, ni cette tradition, ni l'historiographie ne font apparaître le roi Dagobert comme un bouffon 2 mais bien au contraire comme un souverain débonnaire et avisé. Une autre anecdote, elle aussi parfaitement anachronique, retrouvée dans une "Illustration" du 23 mai 1936, apporte une preuve supplémentaire de cette présence du roi Dagobert dans la tradition populaire. La voici telle que l'a racontée Paul Emile Cadilhac dans ce numéro consacré à l'Alsace : - De la vigne à la table - Nous descendions de Sainte-Odile par un après-midi attiédi et clair de septembre. Là-haut, toute la plaine à nos pieds, nous avions sympathiquement déjeuné dans la salle à manger de curé des bonnes Sœurs, en emplissant nos verres d'un joli riesling spirituel qu'avait suivi une rosée d'Alsace, liqueur de framboise puissante, douce, parfumée comme les buissons et les bois au temps des fraises. Mais manger donne soif et boire plus encore. Aussi, guettions-nous de l'œil le plus proche cabaret, la plus accueillante auberge. Ce lieu d'élection se rencontra à Obernai sur une de ces jolies places à la fantasque architecture qui font de la ville une suite d'estampes romantiques. Et comme, tout en devisant avec l'hôte nous nous gargarisions d'un très délectable silvaner, une dispute entre un méchant couche-vêtu et une irascible servante vint nous donner la comédie. Malheureusement, elle se jouait en patois alsacien et seuls, les gestes, la mimique, les éclats de voix nous demeuraient intelligibles. Cependant, le gueux s'éloignait, lançant un dernier trait à la fille. - Hé ! dit notre hôte en riant, il l'a matée en lui demandant si elle n'avait pas le pistolet sous son traversin ! - Le pistolet ? Nous en demeurions pantois, muets d'étonnement et de curiosité. Je sais depuis que le pistolet est un souvenir du roi Dagobert à sa bonne ville d'Obernai, du temps qu'il résidait en Alsace ! Reçu par les échevins et trouvant le vin détestable : - N'en n'avez point de meilleur ? leur demanda t'il. - Oui-da ! de répondre leur chef, mais celui-là nous le buvons nous-mêmes! Le prince, débonnaire, ne releva pas le propos. Mais en quittant la cité : - Tenez dit-il au bourgmestre en lui tendant un pistolet, je vous remercie de votre accueil. Prenez ! Mais si vous rencontrez un homme plus mal embouché que vous je vous prie de le lui remettre ! L'histoire est admirable, à ceci près toutefois qu'il n'y avait point de pistolets à cette époque lointaine, la poudre n'ayant été introduite en Europe qu'au quatorzième siècle. Toutefois, voilà qui prouve de façon péremptoire qu'il y avait des vignes en Alsace au temps du roi Dagobert. D'ailleurs, les fils de Mérovée avaient fait de l'Alsace un jardin franc, paré 3 de pampres et aussi riche en celliers qu'en églises : la vigne pousse volontiers à l'ombre des abbayes et de 650 à 900, on relève dans les cartulaires pas moins de 119 noms de villages de vignerons … De nos jours, cette petite histoire de même que la publicité d'une cave vinicole de Traenheim et environs sur "les vins du Roi Dagobert" prouvent bien que le souvenir des Mérovingiens reste vivace en Alsace, l'une des plus belles provinces du royaume de Dagobert qui régna seul sur l'ensemble du "Regnum francorum". Pourtant, onze siècles après la mort du roi Dagobert cette chanson singulière a volontairement donné une valeur dépréciative au qualificatif de "bon", un peu à la manière de la fable lorsque le renard appelle le corbeau "mon bon monsieur" après l'avoir dépouillé de son fromage par des flatteries outrancières. Ainsi, par le truchement de cette chanson, ce roi Dagobert apparaît comme un affligeant benêt dans la mémoire collective des Français, lesquels le fait est incontestable hélas, n'ont pour la plupart qu'une vague connaissance de l'histoire de notre pays ce qui leur permet de croire à n'importe quelle baliverne aussi anachronique soit elle : la culotte et le pistolet du roi Dagobert nous en apportent la preuve … Il n'est donc pas étonnant, dans ces conditions, que même un homme politique compare l'un de ses adversaires au "roi Dagobert" lorsqu'il estime que celui-ci a changé d'avis. Tel Jean-Marie Le Pen qui compara Raymond Barre au roi Dagobert après que l'ancien Premier Ministre eut approuvé les grandes orientations de François Mitterrand après sa réélection à la Présidence de la République en 1988. Donc dans ce cas précis, Raymond Barre qui "s'efforce de porter sa culotte à l'envers", cela revient dans l'esprit de Jean-Marie Le Pen, à tourner sa veste, changer d'avis sans avoir la certitude d'en être remercié ni même compris ! De cette affaire dont les médias s'étaient emparés avec le vilain jeu de mots de Jean-Marie Le Pen sur "Durafour crématoire" on peut affirmer que cette chanson du Roi Dagobert, réputée enfantine, ne mérite pas cette gentille appellation. Comme l'écrivait un historien normand, Auguste Matinée, dans un bulletin de la Société Archéologique de la Manche en 1890, c'est bien "une chanson méchante qui n'est aussi qu'une méchante chanson". D'ailleurs, c'est bien aussi ce que le Grand Larousse Encyclopédique nous apprend à son sujet : Chanson burlesque, composée à une époque qui reste imprécise : le style, le rythme, l'air de chasse sur lequel elle se chante, tout tendrait à prouver qu'elle n'est pas aussi ancienne qu'on pourrait le croire. Il est certain, cependant, qu'elle est antérieure à la Révolution de 1789. En 1814, elle devient tout à coup à la mode. On y intercala des couplets satiriques d'actualité. Interdite par la police, elle reprit de plus belle au retour des Bourbons. Pourtant, si de nombreux ouvrages ont été écrits sur le roi Dagobert, sur les Mérovingiens et plus généralement sur les Francs, curieusement cette chanson 4 est restée une énigme sans importance pour les historiens et, à partir de Louis- Philippe, vers 1840, elle est devenue une ronde enfantine sans queue ni tête, sans rime ni raison … Même Laurent Theis, pourtant brillant historien, reconnaît son ignorance en la matière dans un livre paru aux Editions Fayard en 1982 : - Pour Dagobert, écrit-il, on invoquera la chanson. Sans doute est-elle bien le truchement par lequel Dagobert nous est aujourd'hui présent, mais pourquoi lui et pas son père Clotaire, ou son fils Sigebert ? Car rien ou presque, dans cette chanson composée au XVIIIe siècle ne réfère à l'histoire. (ce qui est inexact). Et pourquoi chante-t-on encore Dagobert et ne chanterait-on plus Mazarin qui inspira jadis en bien plus grand nombre couplets et refrains ? Qui se souvient de la moindre mazarinade ? (si l'on ne se souvient plus de Mazarin, Mazarine, la fille de François Mitterrand est là pour nous rappeler les mazarinades de son père !!).