Louis Joxe Serviteur De La France
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ETUDES et REFLEXIONS Thierry de Montbrial LOUIS JOXE SERVITEUR DE LA FRANCE Le3 mai dernier, à l'Institut, Thierry de Montbrial a donné lecture de sa « notice sur la vie et les travaux» de Louis foxe, auquel il a succédé en 1992 à l'Académie des sciences morales etpolitiques. A cetteoccasion, ila dresséunportrait de celui qui a été, dès juin 1943, l'un des plus proches collaborateurs du général de Gaulle. En 1958, Louis foxe rejoindra très naturellement le général de Gaulle et il comptera parmi ses principaux ministres. C'est à lui, en particulier, que le Général confiera, le 22 novembre 1960, la lourde charge de gérer le dossier algérien. 1 Lie siècle n'avait pas tout à fait deux ans quand Louis joxe vint au monde. Le XXe n'avait pas encore vraiment percé sous le XIXe. Lorsque, presque neuf décennies plus tard, il rendit son âme à Dieu, le monde venait de basculer dans le troisième millénaire. La vie de ce grand serviteur et de ce grand esthète a coïncidé avec l'une des périodes les plus fascinantes de l'histoire de l'humanité, le passage de l'âge européen à l'âge planétaire, la disparition d'un univers enfanté par la Révolution 104 REVUE DES DEUX MONDES JUIN 1994 ETUDES et REFLEXIONS Louis Joxe serviteur de la France française et l'entrée dans une phase que l'on pressent radicalement nouvelle, qui nous excite et nous inquiète, et dont nous ne parvenons pas encore à saisir les contours. Sur notre continent qui occupait le premier rang, ce long XXe siècle a commencé avec les illusions de la Belle Epoque et se termine avec les angoisses de la guerre, de la maladie et de la crise. Les cavaliers de l'Apocalypse occupent notre imaginaire. Plus que d'autres, les Français souffrent de leur recul et leur humeur est sombre. Avec la chute de l'URSS, la Révolution française est vraiment terminée. Nos compatriotes redoutent sourdement que la France ne soit plus désormais qu'un pays comme les autres. L'enfant Louis]oxe a grandi dans ces années où l'Europe brillait de tous ses feux et ne doutait pas de son avenir, où la France ne doutait pas de son rayonnement universel. L'adolescent Louis]oxe a traversé la Grande Guerre. Le jeune homme s'est épanoui dans ces Années folles de décompression et d'espérance dans la construction ration nelle d'un monde meilleur. Il a vécu ses premières expériences politiques dans ces années trente de toutes les inconsciences et de toutes les lâchetés. A quarante ans, Louis]oxe rencontre le destin. Le général de Gaulle fut la grande passion de sa vie. Ses mémoires se terminent par l'évocation du conservateur d'un musée mexicain qui, au terme d'une visite où il l'avait accompagné, lui avait pris les mains en disant : (( Adieu) serviteur d'un héros... )) Serviteur d'un héros, serviteur de la France, telfut entre 1942et 1968,le métier de Louis]oxe, dans la force de l'âge, acteur d'une tranche de l'histoire de la France dominée par l'homme de l'appel du 18Juin. Dans la dernière partie de sa longue vie, Louis]oxe, témoin actif,observateur aigu, conseiller inappréciable, vécut avec ce subtil mélange - qui contribuait à son charme - d'implication et de détachement, de conviction et de scepticisme, les transformations de la France et du monde. Il est parti discrètement, comme il avait vécu, ayant servi la France avec la grandeur de la simplicité, ayant beaucoup aimé la vie. a Belle Epoque, pour la famille ]oxe, ne fut pas celle des L plaisirs et des jeux, celle du monde ou du demi-monde, des de Dion-Bouton, des Hispano-Suiza ou des RoIls-Royee, celle de l'univers de Proust, de Colette ou de Feydeau. Pour l'enfant Louis, 105 ETUDES et REFLEXIONS Louis Joxe serviteur de la France ces années où s'accumulent la myriade d'impressions qui, en se cristallisant, déterminent l'axe autour duquel se déroulera la vie de l'adulte à venir, furent marquées par l'austérité, le devoir et la tendresse. Breton par son père et Alsacien par sa mère, petit-fils d'un artisan menuisier et d'un professeur d'allemand, fils d'un agrégé de sciences naturelles exigeant et sévère, Louis Joxe était fier de ses ascendances universitaires. Il avait neuf ans lorsque son grand-père maternel, le professeur, exilé et patriote militant, avait pu lui faire connaître l'Alsace alors allemande, quelques jours avant de mourir. « L'Alsace, écrit-il, fut pour nous un constant thème d'amour. La République aussi. )) A sa grand-mère, quarante-huitarde, il envoyait un mot chaque année, le 4 septembre, anniversaire de la proclama tion de la République, comme s'il se fût agit de la propre fête de son aïeule. Toujours, Louisjoxe se référera à la République comme un navigateur se sert d'une boussole. Mais son enfance studieuse à Bourg-la-Reine fut aussi illuminée par une mère qui sut créer pour lui « une sorte de féerie perpétuelle au cœur d'une vie modeste )), en lui enseignant le goût de la peinture et de la musique, sources d'inépuisables joies pour sa vie entière. Louisjoxe sera donc universitaire et républicain. Universitaire, au moins pour un temps, mais suffisamment pour être marqué d'une empreinte indélébile. Républicain, c'est-à-dire adepte du système de valeurs sur lequel la Ille République se constitua et se consolida. Ces valeurs, comme la laïcité ou le service militaire obligatoire, portent encore de nos jours une charge émotionnelle considérable. Mais, aujourd'hui, les querelles se sont déplacées, car tout le monde ou presque se dit républicain. Pour les hommes de la génération de Louis Ioxe, le choix était tranché. Le jour de l'armistice de 1918, le jeune homme venait d'avoir dix-sept ans. On imagine ce que purent être pour lui ces années vingt où la France exténuée, mais glorieuse, explosait du désir de vivre. Attiré par le journalisme et passionné par la politique étrangère, il suivit néanmoins les conseils de son père et se présenta, mais sans succès, à l'Ecole normale supérieure. Il ne devait jamais complètement oublier cet échec. En 1923, Louisjoxe adhère au Groupement universitaire pour la Société des Nations (SDN), qui vient d'être créé afin de promouvoir l'organisme genevois pour la paix. Comme beaucoup 106 ETUDES et REFLEXIONS Louis Joxe serviteur de la France des meilleurs esprits de l'époque, il adhère à l'idéologie wilsonienne. Il rencontre, dans ce club, de fortes personnalités qui compteront dans sa vie: Pierre Cot, Henry de Jouvenel, Pierre Brossolette, René Pleven, les journalistes Robert Lange et Jacques Kayser, l'avocat Philippe Serre. Ce milieu, dominé par la sensibilité radicale (1924 est l'année du Cartel des gauches et du gouvernement Herriot), est teinté de « pacifisme ancien combattant », une caractéristique du temps. La SDN jouera un rôle important dans la vie de joxe. Il jeter les fondements de la sécurité collective, condamner la guerre, poursuivre l'agresseur en mobilisant contre lui toutes lesforces des autres nations, parvenir au désarmement général ou, tout au moins, à une réduction des moyens de guerre, l'entreprise, certes, ne manquait pas de noblesse, mais plutôt de réalisme. )) Voilà ce qu'il écrit au début de Victoires sur la nuit, avant d'ajouter : Il La plupart des hommes d'Etat que j'ai connus alors, la plupart de mes compagnons de jeunesse, donnèrent dans cette espérance. )) Plus tard, ayant accumulé l'expérience et les combats, il deviendra sceptique, mais jamais amer ni destructeur. Réaliste, mais pas cynique. Sans doute aimait-il que la foi dans la construction d'un monde meilleur à partir de l'intelligence fasse toujours de nouveaux adeptes, même si lui-même n'y adhérait plus. Un peu comme les personnes qui ne croient pas en Dieu, mais sont heureuses que d'autres y parviennent. Dans les années vingt, Louis joxe n'en est pas encore là. En 1925, il prend la revanche de sa défaite de la Rue d'Ulm. Il est reçu à l'agrégation d'histoire et de géographie - alors un très grand concours - en même temps que son ami Pierre Brossolette, ainsi que George Bidault. Aussitôt, il va enseigner à Metz, mais guère longtemps, car, décidément, sa vocation l'appelait vers d'autres horizons. Un an après l'agrégation, il épouse Françoise Halévy, dont il a fait la connaissance à la Sorbonne. Fait considérable dans sa vie. Louisjoxe avait horreur de parler de lui et de ses affections. Au seuil de ses mémoires de 1940-1946, il observe: Il Tout homme chargé de responsabilités ou mêlé à des événements d'importance devrait [...] être astreint à rédiger le compte rendu de sa propre existence. Le "moi"pour une fois, ne deviendrait pas tout à fait haïssable. )) 107 ETUDES et REFLEXIONS Louis Joxe serviteur de la France Mais il entend que son « compte rendu »- ou, comme il dit, son (( rapport »- ne doit pas dévoiler ce qui n'appartient qu'à lui. Dans Victoires sur la nuit, on chercherait en vain quelque confidence personnelle, même si, parfois, au détour d'une phrase, l'auteur laisse perler sa sensibilité. joxe semble faire écho à Malraux, qui, pour d'autres raisons, proclame au début de ses Antimémoires : (( Que m'importe ce qui n'importe qu'à moi. » Il faut respecter la pudeur de Louis joxe et je ne ferai donc qu'évoquer la silhouette de Françoise joxe, discrète et remarquable, dont il disait lui-même qu'elle possédait les vertus romaines, dont le destin s'unit désormais au sien, qui, dans des circonstances souvent difficiles, partagea ses espérances et adoucit ses épreuves, et lui donna quatre enfants.