Médias Et Violences Urbaines En France. Angelina Peralva, Eric Macé
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Médias et violences urbaines en France. Angelina Peralva, Eric Macé To cite this version: Angelina Peralva, Eric Macé. Médias et violences urbaines en France. : Étude exploratoire sur le travail des journalistes.. 1999, 151 p. halshs-00484220 HAL Id: halshs-00484220 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00484220 Submitted on 18 May 2010 HAL is a multi-disciplinary open access L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est archive for the deposit and dissemination of sci- destinée au dépôt et à la diffusion de documents entific research documents, whether they are pub- scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, lished or not. The documents may come from émanant des établissements d’enseignement et de teaching and research institutions in France or recherche français ou étrangers, des laboratoires abroad, or from public or private research centers. publics ou privés. Institut des Hautes Etudes de la Sécurité Intérieure Rapport de recherche Convention n°98/403 du 26 mars 1998 Médias et violences urbaines en France Etude exploratoire sur le travail des journalistes [publié à la Documentation Française dans une version remaniée, sous le titre Médias et violences urbaines. Débats politiques et construction journalistique , 2002, 219 pages.] Angelina Peralva Eric Macé Centre d'Analyse et d'Intervention Sociologiques (CADIS, EHESS - CNRS) 23 avril 1999 2 INTRODUCTION 3 Les médias ont-ils un effet incitateur sur les violences urbaines? On fait souvent l'hypothèse que le fait même de montrer la violence risque de susciter des comportements imitatifs, d'autant que cette violence spectaculaire serait délibérément mise en scène par des médias commandés par une logique commerciale. Mais comme cet éventuel "effet" n'est pas généralisable à l'ensemble du public touché par les images violentes, il est aisé de constater que l'imitation ne s'observe en réalité que lorsque certaines images rencontrent, à la réception, un terrain fertile pour les accueillir. Ce qui veut dire qu'il n'y a jamais d'imitation pure, mais plutôt réinterprétation, individuelle ou collective, du message violent par ceux pour qui un tel message fait sens. Par ailleurs, en allant sur le terrain nous avons été surpris de constater combien ce problème était quotidiennement pris en compte par les professionnels des médias, soucieux de préserver la respectabilité des métiers de l'information, en évitant activement de jouer un tel rôle. Cette attitude d'une certaine manière traduisait l'internalisation d'une critique plus ou moins diffuse formulée à leur égard par des intellectuels, des élus ou l'opinion publique en général. La question de la responsabilité directe des médias dans la causalité des conduites violentes au nom des stratégies commerciales et des "effets" des violences spectaculaires ne peut appeler qu'une réponse négative. Mais une fois cette critique assumée, ce qui correspond à une évolution progressive, et observable depuis le début des années 1990, les questions de fond restent en veilleuse. Car dire que les journalistes ne peuvent pas être considérés, d'une manière générale, comme des incitateurs des violences urbaines ne veut pas dire 1) que certains professionnels n'en viennent, à l'occasion, à jouer ce rôle ; 2) que le travail d'information en tant que tel ne puisse pas avoir un effet d'amplification des violences urbaines, quels que soient, par ailleurs, les intentions ou les principes déontologiques des journalistes eux-mêmes. C'est en effet dans la relation entre le message médiatique violent et le récepteur que la violence peut ensuite se construire, ou non, en tant que pratique. Dans cette relation, les médias restent, dans l'ensemble, le pôle subordonné. Notre hypothèse implique donc de partir de la constatation que la violence est a priori un objet d'information comme n'importe quel autre, pour essayer ensuite de comprendre les différents enjeux que recouvre son traitement médiatique. C'est cette démarche que nous avons choisi d'adopter. 4 Violences urbaines et médias : stratégies et conflits de construction du sens Dans cette perspective, les violences urbaines apparaissent comme un enjeu dans la constitution d'un espace public, mais aussi et surtout comme un révélateur de l'état actuel de constitution de cet espace - conçu ici, ajoutons-le, non pas seulement comme délibératif, mais tout autant comme conflictuel. Les violences urbaines, de différentes manières, redessinent cet espace, y compris dans la mesure où elles permettent à des acteurs, qui autrement en seraient exclus, d'y accéder. On peut, en effet, établir un lien direct entre les violences urbaines et leur médiatisation. Mais ce lien n'est en rien imitatif. Il procède, à l'inverse, de l'enjeu que représente l'espace politique et symbolique des médias pour l'ensemble des acteurs engagés dans les violences urbaines ou dans leur traitement politico-institutionnel. C'est bien parce que les médias sont devenus ce champ de conflits d'interprétation de la réalité sociale actuelle qu'ils se retrouvent au centre des stratégies et des rhétoriques de l'ensemble des acteurs à propos des violences urbaines. Dans ce contexte, les journalistes font ce qu'ils peuvent pour produire du sens, tout en étant soumis par ailleurs à des logiques médiatiques particulières qu'il faut analyser et comprendre, et qui permettent de rendre compte de la particularité des liens entre chaque média et les violences urbaines. Mais, par ailleurs, quels que soient les acteurs en cause et leur niveau d'organisation, ou leur capacité à s'exprimer dans l'espace public, il est certain qu'on observe aujourd'hui de façon très généralisée une utilisation instrumentale des violences urbaines comme un élément central du débat public. Il faut rappeler le caractère exploratoire de la recherche que nous avons entreprise, pour dire que nous ne sommes capables pour l'instant que de lancer des pistes de réflexion dans cette direction. Ajoutons par ailleurs que la question des rapports entre violences urbaines et médias doit être posée non seulement du point de vue du passage à l'acte, mais aussi du point de vue des liens entre leur traitement médiatique et leurs éventuels effets sur le sentiment d'insécurité dans la population. Notre première remarque - mais il y avait là pour nous une hypothèse de départ - est que l'espace médiatique des violences urbaines n'est pas un espace vide, où il n'y aurait d'un côté que les journalistes et de l'autre des acteurs violents. L'espace est plein. Il est occupé par un foisonnement d'autres acteurs, pour lesquels, de différentes manières, la question "violences urbaines" constitue également un enjeu. L'espace médiatique est aussi un espace hiérarchisé. Tous les acteurs n'ont pas accès aux mêmes médias. Nous avons alors cherché à tenir compte des spécificités inhérentes à une telle hiérarchie. Admettons par hypothèse que, comme nous l'avons dit, les journalistes ne sont pas, en tout cas de façon volontaire, des incitateurs des violences urbaines. Comment expliquer alors les très nombreux cas de passage à la violence auxquels ils sont indéniablement liés ? Il n'y a pas de réponse simple et générale à cette question - ou en tout cas il est trop tôt pour en proposer une. Nous avons alors pris le parti d'une démarche. En tenant compte de la nature propre à chaque média, et de l'état actuel du débat sur ces questions dans notre pays, il s'agira de dévoiler la pluralité des liens que chaque média aujourd'hui entretient avec l'insécurité et la violence. Aussi la démarche peut-elle être résumée, pour les besoins de cette introduction, en un certain nombre de points. 5 Les logiques interprétatives des journalistes Les violences urbaines posent aujourd'hui aux journalistes de sérieux problèmes d'intelligibilité. Il est possible néanmoins observer chez eux une mise en application pratique de trois logiques interprétatives principales. La première s'exprime en termes du binôme ordre vs désordre. Les violences urbaines dans leurs différentes modalités seraient l'expression d'un désordre, mais lui- même explicable par l'insuffisante capacité de la société française dans les temps qui courent à assurer l'exercice de l'ordre. Or l'ordre s'appuie sur différentes variables : l'intégration par le travail, par exemple, que des taux élevés de chômage remettent en cause ; des politiques publiques de prévention à l'adresse des jeunes, des politiques répressives, etc. Le désordre est ainsi quelque part un thermomètre des insuffisances de l'ordre. Cette optique est une voie importante d'expression du sentiment d'insécurité et de la formation de demandes adressées aux pouvoirs publics, en tant que garants de l'ordre. La deuxième logique interprétative est celle qui entérine un état de rupture interne à la société française, entre ceux qui "jouent le jeu" de l'intégration, en dépit des difficultés rencontrées par certains, et ceux qui jouent de ces difficultés pour développer des logiques identitaires et mafieuses, générant des sous-cultures (juvéniles, ethniques, religieuses) et des formes d'économie de plus en plus "étrangères" aux normes démocratiques et républicaines, considérées comme légitimes en France, et dont l'expression "zones de non droit" est la traduction emblématique. De ce point de vue, les violences urbaines visibles et invisibles (délinquance, violences anti-policières) sont le vecteur d'une menace à la possibilité même d'une intégration sociale et nationale, portée par des "groupes à risques" présentant tous les signes d'un rejet de cette intégration : racisme inversé, violence instrumentale, destruction et dégradation des dispositifs institutionnels. La troisième logique interprétative est celle qui perçoit la scène urbaine comme le lieu d'émergence de nouveaux conflits, qui peuvent prendre des formes autant violentes que non violentes ; comme le lieu, aussi, d'émergence de nouveaux acteurs, même insuffisamment constitués. Il y a bien évidemment dans cette approche, l'intuition que tout n'est pas négatif dans la violence et que, dans une certaine mesure, et à certaines conditions, celle-ci recèle une certaine dose de positivité.