Réforme des Politiques en matière de drogues en Afrique de l'Ouest- Adeolu Ogunrumbi

Il est impératif de reformer les politiques des drogues en Afrique de l’Ouest, du fait notamment des effets négatifs du trafic de drogue sur la sécurité, la gouvernance, la santé et le développement humain dans la région. Le trafic de drogue en Afrique de l’Ouest contribue de manière significative au développement du commerce illicite mondial de stupéfiants, ce qui est d’autant plus vrai que la région sert de zone de transit pour la drogue en provenance d’Amérique latine, qui est ensuite acheminée vers l’Europe et l’Amérique du Nord. Selon les chiffres des Nations Unies, la valeur de la cocaïne qui transite dans la région par an s’élève à 1,2 milliards de dollars US1, soit plus du budget de la sécurité de beaucoup d’Etats ouest africains. Cette réalité a également d’énormes conséquences sur les économies déjà fragiles des pays de la région, surtout dans le contexte économique actuel où beaucoup de gouvernements doivent faire face à une baisse de leurs revenus. Les pays ouest africains doivent impérativement reformer leur législation en matière de lutte contre la drogue et adopter une stratégie faite davantage d’investissements, pour des résultats concrets, plutôt que de poursuivre l’approche populaire de la « guerre contre la drogue », qui pendant de longues années est restée inefficace.

Le choix de l'Afrique de l'Ouest comme zone de transit est du à de nombreux facteurs. Le renforcement de la sécurité le long des routes traditionnelles de trafic de drogue qui mènent vers l'Amérique latine et l’Amérique du Nord a obligé les cartels de la drogue à rechercher de nouvelles pistes de moindre résistance, comme l'Afrique de l'Ouest. 2 L’on peut aussi citer d’autres facteurs connus tels que la porosité des frontières, l’existence de syndicats de la drogue locaux bien établis, la faiblesse du système de gouvernance, la corruption et les conditions géographiques qui rendent difficiles le contrôle et la détection du trafic de drogue. 3 En l'Afrique de l'Ouest, hormis le trafic de cocaïne, il a aussi été signalé la présence d'héroïne afghane en provenance des pays asiatiques.4

Ces dernières années, on a cependant noté dans la région ouest africaine, l’émergence d’un certain nombre de drogues illicites, fabriquées sur place et exportées dans d’autres parties du monde. Outre le cannabis, qui est traditionnellement cultivé dans toutes les parties de la région, il existe à l’heure actuelle plusieurs laboratoires clandestins qui produisent des méthamphétamines. Entre 2011 et 2015, une dizaine de grands laboratoires de méthamphétamines ont été découverts au . Certains chiffrent font aussi état d’une production annuelle de 1,5 tonnes de drogue en Afrique de l’Ouest. 5 Ce chiffre peut certes paraitre dérisoire comparé à la quantité de méthamphétamines qui circule dans le monde, 6 il témoigne

1 UNODC, 2013: La criminalité transnationale organisée en Afrique de l'Ouest: Une évaluation de la menace. 2 Mikael Wiggel et Maurice Romereo, 2013. Transatlantic Drug Trade, Europe, Latin America and the need to strengthen anti-narcotics cooperation. Document d'information, Institut Finlandais des affaires internationales. 3 Kwesi Anning et John Pokoo. “Drug Trafficking and threat to national and regional security in West Africa.’’ Document d'information pour la Commission ouest-africaine sur les drogues. 4 Liana Sun and Nicolas Cook. 2009. Illegal drug trade in Africa : Trends and US policy. Document du Congressional Research Service. 5 The News : ‘Obasanjo: Meth drug business will destroy Nigeria politics’. http://thenewsnigeria.com.ng/2015/07/obasanjo-meth-drug-business-will-destroy-nigerias-politics/

6 UNODC. West Africa – 2012 ATS situation report. Un rapport du Global Smart program, juin2012. cependant d’une hausse significative de la production locale de drogue, qui cinq ans auparavant était de zéro.

Quelles sont les conséquences du trafic de drogue en Afrique de l’Ouest?

Conséquences sur la gouvernance

La faible croissance économique en Afrique est fortement liée à la mauvaise gouvernance, qui se manifeste par la corruption, l'instabilité politique, la subversion de l'État de droit et la faiblesse des institutions. 7 En Afrique de l’Ouest, les cartels de la drogue ont profité de la faiblesse du système de gouvernance, qu’ils ont davantage affaibli par la pratique de la corruption. Les réseaux de la drogue disposent d'énormes ressources. Ils peuvent facilement acheter les fonctionnaires de l'Etat, y compris la police, la justice et les élus pour arriver à leurs fins funestes, et même parfois coopter ces agents de l'Etat dans leur entreprise illicite.

Dans certains cas, des fonctionnaires de l'Etat ont été impliquées dans le trafic de drogue. En 2010, le chef d’état-major de l’armée de l’air guinéenne, Ibraima Papa Camara et chef de la Marine, le contre- amiral Jose America Bubo Na Tchuto, ont tous deux été placés sur la liste des barons de la drogue dressée par le gouvernement américain. Le dernier a d’ailleurs par la suite été arrêté en 2013 et extradé vers les Etats-Unis. 8 Le coup d'Etat en Guinée-Bissau de 2013, qui pour certains participent de la «politique de cocaïne » trouve également son origine dans la lutte des dirigeants militaires Bissau guinéens pour le contrôle du trafic de drogue dans le pays. 9 En Janvier 2015, une femme de la jet-set ghanéenne a aussi été emprisonnée pour avoir essayé d’introduire 12 kg de cocaïne en Grande-Bretagne. Selon les premières indications de l’enquête, elle aurait servi de mule à des hauts fonctionnaires du gouvernement ghanéen, qui lui ont facilité l’accès au salon d’honneur de l'aéroport international de Kotoka avant son embarquement sur un vol British Airways à destination de Heathrow.10

Dans la même veine, on peut noter que c’est la crise économique née en Afrique de l’Ouest au début des années 1990 qui a favorisé la venue des cartels de la drogue et la mobilisation de leurs collaborateurs locaux dans la région. 11 Au cours des 30 dernières années, le statut socio-économique de beaucoup de pays ouest africains a peu changé. Selon les chiffres du classement des pays les moins avancées des Nations Unies de 2015, 12 des 16 pays de l’Afrique de l’Ouest figurent parmi les pays les plus pauvres de

7 UK Essays, novembre 2013. Poor Governance Effects On Growth Performance In Africa Economics Essay [document en ligne]. Consulté le 24 mars 2016, Disponible au lien suivant: https://www.ukessays.com/essays/economics/poor-governance-effects-on-growth-performance-in-africa- economics-essay.php?cref=1 8 Rapport de la Commission ouest africaine sur les drogues, 2013, page 24 9 Mark Shaw and Tuesday Retino. Cocaine Politics in -Bissau: The link between drug trafficking and political fragility and its wider implications. January 2013. 10 The Voice : http://www.voice-online.co.uk/article/ghanaian-socialite-guilty-smuggling-coke-britain 11 Adebayo Olukoshi. Drug trafficking and its impact on governance in West Africa, Document de référence pour la Commission oust africaine sur les drogues : http://www.wacommissionondrugs.org/wp- content/uploads/2013/07/Drug-Trafficking-and-its-impact-on-Governance-in-West-Africa-Final-Version-2013-06- 24.pdf la planète. 12 Ainsi, les facteurs socio-économiques nécessaires à l’explosion du trafic de drogue sont toujours aussi présents dans la région.

L’implication des hommes politiques ouest-africains dans le trafic de drogue suscite un certain nombre de questions directement liées au problème, notamment la rentabilité du trafic en question, la corruption, l'infiltration du gouvernement par des réseaux criminels et leur désir d’exercer un contrôle sur le pouvoir. Une telle situation ne fait que fragiliser davantage les jeunes démocraties ouest africaines, et explique d’une certaine manière pourquoi les puissants trafiquants de drogue dans la région sont rarement arrêtés ou poursuivis par la justice. Contrairement à ces derniers, ce sont les petits trafiquants et les utilisateurs de drogues qui font l’objet de poursuites et de sanctions pénales. En 2011, l’agence nigériane de lutte contre la drogue a arrêté un politicien aspirant originaire de l’état d’Edo à l'aéroport Murtala Muhammed de Lagos avec plus de 2 kg de cocaïne alors qu'il tentait de monter à bord d’un vol de la compagnie aérienne Lufthansa à destination de Francfort. Il avouera plus tard aux enquêteurs qu’il comptait utilisait les gains tirés de la vente de la drogue pour financer sa campagne électorale. 13 Il y a aussi le cas de ce député nigérian en fonction qui a été condamné pour trafic d’héroïne aux Etats Unis, mais qui n’aurait cependant pas été remis aux américains par le gouvernement sortant parce qu’étant considéré comme un important chef de parti. 14

Trafic de drogue et terrorisme

La vague d'insurrection qui traverse l'Afrique de l'Ouest exerce une forte influence sur la nature des récits sur le trafic de drogue. Certains observateurs parlent notamment de narco terrorisme, à savoir «l'utilisation du trafic de drogue par une organisation terroriste pour atteindre ses objectifs». 15 En 2013, le Groupe intergouvernemental d'action contre le blanchiment d'argent (GIABA) a publié un rapport sur «le financement du terrorisme en Afrique de l'Ouest», dans lequel il fait directement référence à des organisations terroristes comme Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et Boko Haram qu’il accuse d’être financés par le trafic de drogue. 16 En Juillet 2014, l'International Business Times révélait que les États-Unis, la France et le gouvernement du Royaume-Uni mènent une «guerre secrète» contre le narco terrorisme en Afrique de l'Ouest, qu’ils soupçonnent de i) contribuer à financer Al-Qaïda au Maghreb islamique, ii) le présumé responsable de l'insurrection au ; iii) et d'autres organisations terroristes telles que le Hezbollah et Boko Haram. 17 Il existe cependant d'autres rapports qui battent en brèche le lien direct entre trafic de drogue et terrorisme en Afrique de l’Ouest et qui plutôt encouragent les

12 Liste des pays les moins avancées, Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies (DAES), Division de l'analyse des politiques de développement. Les pays ouest africains qui figurent sur ladite liste sont: Bénin, , Gambie, Guinée, Guinée Bissau, Libéria, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal, Sierra Leone et Togo. http://www.un.org/en/development/desa/policy/cdp/ldc/ldc_list.pdf 13 Nigeria Politician arrested for smuggling cocaine in Lagos. MJ celebrity magazine. En ligne au lien suivant : http://www.mjemagazine.com/nigerian-politician-arrested-for-smuggling-cocaine-in-lagos/. 14 The Nation, daté du 24 mai 2015. En ligne au lien suivant : http://thenationonlineng.net/fg-moves-to-extradite-buruji-kashamu-to-us/ 15 Ehrenfeld, R. (1990). Narcoterrorism. New York: Basic Books. P. xiii cité par Benoit Gomis 16 Apport GAFI-GIABA, 2013. Financement du terrorisme en Afrique de l’Ouest. En ligne au lien suivant: http://www.fatf-gafi.org/media/fatf/documents/reports/tf-in-west-africa.pdf 17 Aaron Akinyemi. UK and US Target Al-Qaida Narco-terrorism route in West Africa. International Business Times. 2014. En ligne au lien suivant: http://www.ibtimes.co.uk/uk-us-target-al-qaida-narco-terrorism-drug-routes-west-africa-1455514 décideurs à faire preuve de prudence dans l'utilisation du terme narco terrorisme pour décrire la nature du trafic de drogue dans la région. C’est l’avis que formule de manière succincte Wolfram Lacher dans un document de référence qu’il a réalisé au nom de la Commission ouest-africaine sur les drogues. Selon Lacher, réduire le trafic de drogue en Afrique de l'Ouest au narco terrorisme est trompeur et contre- productif. Il souligne par ailleurs que parler d’un « lien entre trafic de drogue et terrorisme » détourne des facteurs clés qui permettent au trafic de drogue de prospérer dans la région, et que des décideurs politiques gagneraient plutôt à mettre l’accent sur la complicité et l’implication de certaines autorités publiques et d’autres acteurs influents18. En 2015, Le Global Drug Policy Observatory de l'Université de Swansea au Royaume-Uni a publié un document de politique générale qui met en garde contre une simplification hâtive du défi que représente le trafic de drogue en Afrique de l'Ouest, en le réduisant à une simple question de terrorisme. L’Observatoire recommande plutôt de considérer le sujet comme un problème d’une grande complexité dans lequel l'État et d'autres réseaux criminels sont activement impliqués. 19 Dans un document datant de 2013, Le Foreign & Commonwealth Office (FCO) faisait remarquer à juste titre que le terme ‘narco terrorisme’ « ne décrit pas précisément une réalité: les terroristes sont généralement différents des trafiquants de drogue. Mais ils se rendent utiles les uns aux autres pour le contrôle du pouvoir politique et social ; l'accès aux ressources et pour d’autres intérêts personnelles ».20

Conséquences sur la santé

Un autre secteur où le trafic de drogue a eu un impact considérable est la santé. Le trafic de drogue en Afrique de l'Ouest a en effet conduit à une augmentation de la disponibilité et de la consommation de drogues illicites. Selon l’office des Nations Unies contre la drogue et le crime, en 2012, 1, 6 million de personnes en Afrique occidentale et centrale consommaient de la cocaïne.21 Dans un rapport similaire publié deux ans après, en 2015, il était estimé que les usagers de cannabis dans les deux régions étaient trois fois plus nombreux que la moyenne mondiale. 22 L’Afrique de l’Ouest en particulier est caractérisée par une très large consommation de cannabis, comparée à celle des autres substances. La consommation de drogues favorise de très nombreux problèmes de santé qui exercent une forte pression sur les systèmes de santé publique. En Afrique de l’Ouest, ces systèmes de santé sont peu développés et le peu d’infrastructures dont ils disposent sont débordées.

La récente épidémie d'Ebola qui a frappé des pays tels que le Libéria, la Sierra Leone, la Guinée, et d'autres pays encore, a mis à nu la faiblesse des systèmes de santé publique dans la région ; et le soutien de la communauté internationale a été plus que nécessaire pour enrayer la maladie. L'épidémie de

18 Wolfram Lacher, Challenging the myth of the drug terror nexus in the Sahel. Document de référence No 4. En ligne au lien suivant : http://www.wacommissionondrugs.org/wp-content/uploads/2013/09/Challenging-the-Myth-of-the-Drug-Terror- Nexus-in-the-Sahel-Wolfram-Lacher.pdf 19 Benoit Gomis, Demystifying narcoterrorism. Document de politique générale. Global Drug Policy Observatory, Swansea University. 2015. En ligne au lien suivant : https://www.swansea.ac.uk/media/Demistifying%20narcoterrorism%20FINAL.pdf 20 FCO, 2013, cité par Benoit Gomis dans Demystifying narcoterrorism. Document de politique générale. Global Drug Policy Observatory, Swansea University, p. 8, 2015. En ligne au lien suivant : https://www.swansea.ac.uk/media/Demistifying%20narcoterrorism%20FINAL.pdf 21 Rapport Mondial sur les Drogues de l'ONUDC, 2012 22 Rapport Mondial sur les Drogues de l'ONUDC, 2015 VIH/Sida reste également un défi considérable pour les systèmes de santé des pays d’Afrique de l'Ouest. S’y ajoute maintenant la consommation de drogues qui représente ainsi un fardeau supplémentaire auquel l’on doit trouver des solutions appropriées. Sans parler du fait qu’il existe de plus en plus des preuves concrètes de pratiques d'injection de drogues en Afrique de l'Ouest. 23 La consommation de drogues injectables est une pratique dans laquelle un individu ou des groupes de personnes utilisent des drogues illicites par voie intraveineuse grâce à l'utilisation d'aiguilles et de seringues. Cette pratique, en particulier le partage d'aiguilles et de seringues contaminées, augmente considérablement le risque de transmission du VIH, de l'hépatite et d'autres infections transmissibles par le sang. Par exemple, une enquête de surveillance comportementale nationale menée au Nigeria en 2010 a permis d’estimer à 4,2% la prévalence du VIH parmi les consommateurs de drogues injectables dans le pays; et à un taux aussi élevé que 9,3% dans la capitale fédérale nigériane, Abuja24. Cette situation accroit davantage la lourdeur du défi du VIH/SIDA auquel le pays fait déjà face. Malheureusement, les troubles liés à la toxicomanie sont encore mal gérés dans la région et les centres de traitement et les infrastructures manquent crucialement. 25 Cette situation est rendue possible par le fait que nos politiques de lutte contre la drogue sont orientées vers l’application de la loi. La première ligne commune de réponse aux usagers de drogues a été de les arrêter ou de les sanctionner. Il n’existe pas de programmes de réduction des méfaits dans les pays de la région, sauf au Sénégal. La région ouest africaine pourrait bientôt être complètement dépassée par la gravité des conséquences de la consommation de drogues si une politique de lutte contre les stupéfiants privilégiant l’approche santé publique n'est pas adoptée de toute urgence.

Quelle est la stratégie actuelle?

Des solutions ont été proposées à la question du trafic de drogue en Afrique de l'Ouest, mais leur efficacité reste à être prouver et mérite d’être remise en question. La plupart des Etats d’Afrique de l'Ouest sont signataires des trois conventions des Nations Unies relatives au contrôle des drogues (la Convention unique sur les stupéfiants de 1961 ; la Convention sur les substances psychotropes de 1971 ; et la Convention contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes). Ils disposent également de lois fondamentales relatives à la lutte contre la drogue, dont certaines datent d'aussi longtemps que 1930, et traitent principalement de la culture et de la consommation de cannabis. 26 Plusieurs de ces lois ont été amendées lors des dernières décennies et prennent en compte des substances illicites autres que le cannabis. Elles gardent cependant leur caractère punitif et privilégient la répression pour combattre le fléau de la drogue.

En sa qualité d’organisme régional, La CEDEAO a mis sur pied un certain nombre d’initiatives et de résolutions destinées à combattre le trafic de drogue dans la région. Parmi elles, on compte la création en 1999 du Groupe Intergouvernemental d'Action contre le Blanchiment d'Argent en Afrique de l'Ouest (GIABA), une initiative qui met l'accent sur le renforcement des capacités des Etats membres contre les activités de blanchiment d'argent.

23 Savana Reid, 2009, Injection drug use, unsafe medical injections, and HIV in Africa: a systematic review. Harm reduction Journal. 24 Rapport de l’Enquête de surveillance biologique et comportementale intégrée (IBBSS) de 2010. Ministère fédéral de la santé du Nigéria. 25 Isidore Obot, Prevention, Treatment of drug dependency in West Africa. Note d’information préparée pour le compte de la Commission ouest africaine sur les drogues. 26 Aning, Kwesi, Organized Crime in West Africa : Options for EU Engagement, 5-6. 2010. En 1998, la CEDEAO a publié une déclaration intitulée « Cérémonie de la flamme communautaire: la lutte contre la drogue» ; et dans la même année, un fonds régional destiné au financement des activités de lutte contre la drogue en Afrique de l'Ouest a été mis en place. 27 En 1997, une résolution relative à l'abus de drogues a été adoptée ; et onze ans plus tard, se tenait à , au Cap-Vert, la conférence ministérielle de la CEDEAO sur la lutte contre le trafic de drogue, avec à la clé une déclaration politique dénommé «Plan d'action de Praia» qui traçait la stratégie de lutte contre le trafic de drogue et la prévention de la criminalité au sein de la CEDEAO. 28 Des années plus tard, la CEDEAO mis sur pied des plans d’action régionaux de lutte contre la drogue, notamment le plan d’action 2008-2014, qui malheureusement n’a pu être exécuté en raison d’un manque d’engagements financiers des états membres. Le plan a été finalement intégré dans le nouveau plan d’action 2016-2020 financé par l’union Européenne. 29 La CEDEAO n’a cependant pas réussi à réaliser des progrès significatifs dans son rôle de fer de lance de la lutte contre la drogue en Afrique de l’Ouest. Il lui faudra ainsi redoubler d’efforts pour mobiliser tous les états membres dans la recherche de solutions viables pour relever cet énorme et pressant défi.

La communauté internationale a également joué un rôle majeur dans la stratégie régionale de lutte contre la drogue. Il est ainsi louable d’affirmer que la forte influence dont jouissent les organisations internationales dans la région a fortement contribué à l’orientation des politiques en matière de drogues dans beaucoup de pays d'Afrique de l'Ouest. De nombreux pays occidentaux ont exporté dans la région la «guerre contre la drogue», qui met l’accent sur la répression et le système de justice pénale pour relever le défi de la lutte contre les drogues illicites en Afrique de l’Ouest. 30 Les activités développées dans le cadre de cette «guerre contre la drogue» sont généralement bien financées, et visent de manière subtile à empêcher les drogues illicites de pénétrer dans leur propre territoire. Cette approche accorde peu d'attention aux autres questions tout aussi importantes comme la prévention, les soins de santé publique et le développement socio-économique.

Quelles sont les failles dans la stratégie actuelle ?

L'élaboration d'une approche commune en matière de lutte contre la drogue en Afrique de l'Ouest devrait être une priorité absolue pour les Etats membres de la CEDEAO, à travers notamment les organes compétents chargés de l’application de la loi. Une telle démarche nécessite l'utilisation du système de justice pénale pour combattre aussi bien le trafic que la production et la consommation de drogue. La loi sur la drogue au Nigeria, par exemple, stipule que «toute personne qui vend, achète, expose ou soumet à la vente, ou est liée d’une manière ou d’une autre à des drogues telles que la cocaïne, le LSD, l'héroïne ou des substances similaires, se rend coupable d'une infraction, et encourt, sur déclaration de culpabilité, d'un emprisonnement à vie » et pour tout usager de substances illicites sera condamné à une peine

27 Camino, K. International and Regional Responses to Drug Trafficking in West Africa. Note de politique générale, préparée pour le compte de la Commission ouest africaine des drogues. 28 Anin, Kwesi, International Organized Crime: The African experience - responses from regional organizations. 29 Présentation du représentant de la CEDEAO lors de la consultation régionale de l’Afrique de l'Ouest, préparatoire à l'UNGASS, Accra, Ghana, 2016. 30 Adeolu Ogunrombi. West Africa: a new frontier for drug policy. SUR Journal. Edition No 21. d'emprisonnement d'au moins 15 ans et ne dépassant pas 25 ans. 31 Cette loi se retrouve pratiquement dans tous les pays de la région, bien que les peines infligées varient d’un pays à un autre.

La formulation de ces lois s’appuie sur l’hypothèse commune selon laquelle des peines plus sévères pourraient dissuader les gens de se lancer dans la consommation ou le trafic de drogue. A l'inverse, si l’on se base sur l’ensemble des données disponibles, l’approche répressive n'a pas abouti à une réduction de la disponibilité et la consommation de drogues dans la région. En fait, la consommation et le trafic de drogue y sont toujours à des niveaux « inquiétants ». 32 Dans de nombreuses prisons Afrique de l'Ouest, la majorité de la population carcérale incarcérée pour délits de drogue est composée d’usagers et non pas de trafiquants. Les usagers de drogue sont arrêtés de manière arbitraire, torturés ou enfermés pendant des mois sans accès à la justice, sans jugement aucun33. Dans la même optique, les organismes chargés de l’application de la loi ont eu à se servir de la législation en cours pour perpétrer des violations des droits humains et s’adonner à des actes de corruption. Dans le Rapport 2010 sur les droits de l’Homme au Ghana, le Département d'Etat américain a mis en évidence la façon dont les agents chargés de l’application de la loi utilisent la menace d'arrestation pour extorquer de l'argent à des individus injustement accusés de trafic de drogue.34 Ces agissements ne sont pas propres au Ghana, on les retrouve dans toute la région. L’Application de la loi demeure toujours un aspect important de la lutte contre le problème de la drogue dans la région. La dépendance excessive du système envers les donateurs étrangers influe beaucoup sur l’orientation des politiques et stratégies en matière de lutte contre la drogue dans la région. La grande partie de l'aide étrangère provenant des donateurs internationaux est principalement destiné aux efforts de prohibition et au fonctionnement du système de justice pénale.35 Le but de ces interventions étrangères est d'empêcher les drogues de pénétrer en Europe ou en Amérique du Nord. Les pays d'Afrique de l'Ouest devraient penser à négocier avec les partenaires internationaux une stratégie plus globale de lutte contre la drogue, et demander davantage d’investissements destinés aux questions de santé et de développement social étroitement liées à la drogue.

Les politiques existantes en matière de drogues ne sont pas axées sur le développement. Les efforts actuels ne prennent pas en compte les facteurs socio-économiques qui sous-tendent le trafic et la consommation de drogues dans la région. Une bonne illustration est le cas des cultivateurs de cannabis à qui les organes chargés de l’application de la loi demandent d’abandonner un tel moyen de subsistance sans pour autant leur offrir des alternatives économiques durables. Il est important que les décideurs politiques réévaluent les méthodes de quantification de la lutte contre la drogue, grâce notamment à des outils intégrant des indices de développement humain. De cette manière, notre approche sera centrée sur

31 Rapport annuel du National Drug Enforcement Law Enforcement Agency (NDLEA), 2014. Les infractions en vertu de la loi régissant l’agence nationale de lutte contre la drogue, lois CAP N30 de la Fédération du Nigéria, 2004, p. 68. 32 Lansana Gberie, Crime, Violence and Politics: Drug trafficking and Counternarcotics policies in Mali and Guinea. Improving global drug policy: Comparative analysis and UNGASS 2016 http://www.brookings.edu/~/media/Research/Files/Papers/2015/04/global-drug-policy/Gberie--Mali-and-Guinea- final.pdf?la=en 33 Une Publication de Youth RISE Nigeria, 2015. We are People: The unintended consequences of Nigeria Drug law on Health and Human rights of young people who use drugs. 34 US Department of States, bureau of democracy, human rights and labor. 2010. Cité dans Sur international Journal of human rights. 21. 2015. 35 Joanne, C. et Constanza, S., 2013. Telling the story of Drugs in West Africa: the newest frontline in a losing war. Note de politique générale du Global Drug Policy Observatory. les personnes et elle pourra produire de meilleurs résultats, plutôt que de gaspiller les maigres ressources dont on dispose en poursuivant un objectif irréalisable d'une région sans drogue.

Conclusion et Recommandations

Il est urgent de revoir les politiques en matière de drogues dans les pays de l'Afrique de l'Ouest. Une telle nécessité s’explique par l’échec de la stratégie actuelle qui jusqu’ici a été incapable d’endiguer le trafic de drogue et réduire la disponibilité des substances illicites destinées à la consommation dans la région. Devant cette réalité, il est important de traiter la consommation de drogue comme un problème de santé publique et non comme une question relevant du système de justice pénale. La demande locale en stupéfiants devrait être une préoccupation majeure pour les autorités compétentes. Il est tout aussi nécessaire que ces autorités adoptent une approche de santé publique et qu’elles se démarquent de l’éternelle criminalisation des usagers de drogues. L'arrestation et l'emprisonnement de ces derniers continueront d’exercer une vraie pression sur les institutions pénitentiaires déjà surpeuplées ; cette approche s’est d’ailleurs avérée inefficace pour la réhabilitation des détenus. Aucun pays ne peut prévenir la consommation de drogues en arrêtant tous ces citoyens. La stratégie à adopter, serait plutôt d’investir davantage dans des programmes d’éducation publique basés sur des connaissances validées, mais aussi dans le traitement et la réadaptation des toxicomanes, et la mise en œuvre de programmes de réduction des méfaits afin de prévenir les maladies infectieuses telles que le VIH et l'hépatite. Il est tout aussi important d'intégrer et de mettre en œuvre des programmes de développement socioéconomique dans le cadre de la stratégie de lutte contre la drogue. Une telle démarche est un outil efficace pour prévenir les cas compliqués d’abus de drogue. Il faut agir maintenant si l'on veut éviter une nouvelle épidémie de drogue, ainsi que les effets de la crise sanitaire qu’elle pourrait engendrer, et qui pourraient représenter un coût inestimable pour les sociétés ouest-africaines, en particulier pour les jeunes. Les pays d’Afrique de l'Ouest devraient certainement avoir en mémoire l'absence de réforme efficace des politiques des drogues en Europe de l’Est et en Asie centrale ; ce qui, en une décennie, a plongé ces deux régions dans une épidémie double de consommation de drogues et de VIH. 36

Renforcer et promouvoir la bonne gouvernance en Afrique de l’Ouest

Il est louable que les pays d'Afrique de l’Ouest vivent maintenant la démocratie, mais ce succès peut rapidement s’effriter si les structures de gouvernance ne sont pas davantage renforcées. Les cartels de la drogue ont infiltré le système politique ; il est donc impératif de relever les défis de gouvernance qui favorisent la corruption au sein des institutions judiciaires, de la police et des agences de sécurité de l’Etat. Cela devrait commencer par un examen critique de la façon dont les partis politiques et les élections sont financés. Selon Antonio Costa, ancien directeur exécutif de l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, «les cartels de la drogue en Afrique de l'Ouest ne se limitent pas seulement à l’achat de biens immobiliers, de banques et d’entreprises. Ils achètent aussi les élections, les candidats et les partis. En un mot, ils achètent le pouvoir ». 37 Il est également nécessaire de mettre sur pied des systèmes où les élus et les fonctionnaires de l’Etat sont tenus de rendre compte de leurs actions ou

36 UNICEF, 2010. Blame and banishment: the underground HIV epidemic affecting children in eastern Europe and central Asia : http://www.unicef.org/media/files/UNICEF_Blame_and_Banishment.pdf 37 David Rider, 2013. The Crime terror nexus in West Africa. Neptune security: http://www.neptunemaritimesecurity.com/the-crime-terror-nexus-in-west-africa/ inactions. Les situations dans lesquelles les trafiquants de drogue sont arrêtés et écrouées et recouvrent du jour au lendemain la liberté après avoir graissé la patte de quelque autorité influente sont à bannir, car elles sapent la bonne gouvernance et constitue une menace pour la société tout entière. L’Afrique de l'Ouest ne peut se permettre d’avoir des dirigeants qui, au sein du gouvernement, sont parrainés par les cartels de la drogue. Une telle situation marquerait indéniablement la faillite des Etats. A noter aussi que la crise économique actuelle peut augmenter la vulnérabilité de certaines personnalités politiques et les pousser à s’impliquer dans le trafic de drogue. La CEDEAO et les autres parties prenantes de la région doivent redoubler d’efforts pour améliorer la bonne gouvernance et renforcer les institutions publiques en Afrique de l'Ouest. Afin de limiter l'ingérence des Etats parties concernés, la CEDEAO devrait mettre sur pied une cour régionale chargée de statuer sur les grands dossiers judiciaires liés à la drogue.

Créer de nouveaux outils pour évaluer les stratégies de lutte contre la drogue

Les pays d’Afrique de l'Ouest ont besoin de développer de nouveaux indicateurs qui servent à évaluer leurs stratégies de lutte contre la drogue. Cela est d’autant plus important que le problème touche presque toutes les sphères de la société. Limiter les succès de la lutte aux saisies et arrestations de drogues et/ou de trafiquants, c’est prendre le problème du mauvais côté. Cela met une énorme pression sur les agences de lutte anti-drogue qui vont ainsi arrêter les usagers de drogues et les petits revendeurs, juste pour atteindre le quota d'arrestations qui leur est imposé et en même temps prouver qu’ils font leur travail. 38 Il est grand temps que nous nous mettions à évaluer nos stratégies de lutte contre la drogue à l’aide d’indicateurs plus robustes, et qui intègrent les politiques de santé publique, et les indices de développement humain appropriés.

Pour conclure, l’on peut dire que les défis liés au trafic de drogue en Afrique de l'Ouest sont énormes et ont de graves conséquences sur la gouvernance, la sécurité, la santé publique et de développement. La vulnérabilité de la région au trafic de drogue est exacerbée par une foule de facteurs parmi lesquels on peut citer la situation géographique de la région, la porosité de ses frontières, la mauvaise gouvernance, la pauvreté, ainsi qu’un important réseau de trafiquants de drogue bien implanté en Afrique de l’Ouest. L’implication des représentants de l'État dans cette très lucrative affaire rend la question encore plus difficile à résoudre. Un autre point important à souligner est que l'Afrique de l'Ouest n’est pas simplement une zone de transit pour la drogue, mais est devenue une région où les substances illicites sont également produites et consommées en quantités importantes. Malheureusement, au cours des dernières années, les politiques de drogues dans de nombreux pays d'Afrique de l'Ouest ont privilégié la répression, ignorant du coup les énormes conséquences de la drogue sur des secteurs clés de la société tels que la santé, la gouvernance et le développement socio-économique. Les stratégies de lutte axées sur la répression ont trop mis l'accent sur les utilisateurs de drogue et les petits revendeurs, et ce à l’avantage des «grands» trafiquants qui sont très rarement poursuivis en justice. Les pays ouest africains ont besoin de réformer leurs politiques en matière de drogue afin de bien pouvoir prendre en compte les réalités du moment. Pour ce faire, les décideurs politiques devront adopter de nouvelles orientations stratégiques.

38 Youth RISE Nigeria, 2015. We are people: the unintended consequences of Nigeria drug control policies on young people who use drugs.